This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's books discoverable online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover.
Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the
publisher to a library and finally to y ou.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying.
We also ask that y ou:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
any where in the world. Copyright infringement liability can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web
at|http : //books . google . corn/
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer r attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
À propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse] ht tp : //books .google . corn
LES ORIGINES
L'ANCIENNE FRANCE
LES ORIGINES DE L'ANCIENNE FRANGE
X« ET XI» SIÈCLES
Tome I.
Le régime seigneurial, Paris, 1886 lOf »
Tome II.
Les origines commonales. La féodalité et la chevalerie,
Paris, 1893 10 »
Tome III.
La renaissance de TÉtat. La Royauté et le Principat, Paris,
1904 10 »
Volumes complémentaires.
Études critiques sur rhistoire du droit romain au moyen
âge avec textes inédits, Paris, 1890. 8 »
L'origine historique de l'habitation et des lieux habités
en France, Paris, 1899. [Épuisé) 10 »
7 y V, ù [
LES ORIGINES
DE
L'ANCIENNE FRANCE
PAR
JACQUES FLACH
PH0PC8SBUR d'hISTOIRB DBS LÊQISLATiONS COMPARÉES AU COLLàOB DB FRANCE
PR0FB8SBUR A L^ÉCOLB DBS SCIENCES POLITIQOBS
X- ET XP SIÈCLES
III
LA RENAISSANCE DE l'ÉTAT
LA ROYAUTÉ ET LE PRINCIPAT
PARIS
LIBRAIRIE DE LA SOGIËTÊ DU RECUEIL GÉNÉRAL DES LOIS & DES ARRÊTS
FONDÉ PAR J.-B. SIREY, ET DU JOURNAL DU PALAIS
Ajioienne IMaison Xj. ]LiA.flOSJB: et FORCiSl^
22, rue Souffloty 5« arrand.
L. LAROSE, Directeur de la Librairie
1904
Mon intention première était de réunir en un i;o-
lumen la Royauté, le Principat et fEfflise ». Mais j'ai
dû reconnaître, au cours de r impression, que ses pro-
portions eussent dépassé de beaucoup celles dont, en
France, nous sommes coulumiers.
Le présent volume est donc consacré, en majeure
partie, à la royauté et à ses rapports généraux avec le
principat, le peuple et r Eglise, Il s'ouvre par une vue
d'ensemble de la renaissance de l'Etat et se ferme
par un tableau de la formation des grandes princi-
pautés de la Francie, Les principautés du surplus de
la Gaule feront, dans le volume suivant, l'objet d'une
étude analogue, en même temps que le principat y sera
décrit sous ses multiples aspects, politiques et sociaux.
A côté de lui prendront place la noblesse et l'Eglise.
L'impression, par des circonstances diverses, ayant
duré exactement deux ans^, des documents ont été
édités ou sont parvenus à ma connaissance qui ne
* Mon savant collègue et ami M, Auguste Longnon a eu l'obli-
geance, dont je le remercie ^ de revoir une partie des épreuves.
— VJII —
figurent pas dans la « Bibliographie des Sources ».
V excellent manuel de M. A ugusie Molinier ( Les Sour-
ces de r histoire de France)^ paru dans l'intervalle^ m'a
fourni aussi, pour les Vies des Saints, quelques indi-
cations utiles. Le lecteur trouvera le tout en appen-
dice.
Rectifications de détail et critiques basées sur les
sources originales me seront toujours les bienvenues.
Je n'ai souci que de la vérité.
Aux Fougères, octobre Î903.
■>-»■«<■
INTRODUCTION
I. — L'intervalle qui sépare ce volume du précédent
est plus long que je n'avais pu le prévoir. Il tient à
des causes diverses, dont la plupart doivent profiter,
je le crois, à mon ouvrage.
Je me suis livré à une exploration nouvelle et plus
étendue des documents originaux, des chartes, des
textes juridiques, des chroniques les plus anciennes, des
œuvres littéraires. Les Vies des Saints surtout m'ont
retenu longtemps. J'ai voulu dépouiller, — tâche qui
n'avait jamais été entreprise, — toutes celles dont la
rédaction se place au x% au xi* et au commencement
du XII' siècle, afin d'en extraire les détails qu'elles recè-
lent sur les mœurs, la pratique du droit, les institu-
tions, la vie sociale de cette époque. On trouvera plus
loin la nomenclature que j'en ai dressée.
Les dimensions de mon livre s'en sont ressenties. Un
volume n'a pas suffi pour épuiser la période qu'il em-
r.- Tome III. 1
2 INTRODUCTION.
brasse. J'ai dû ea écrire deux, qui paraîtront, j'en ai
l'espoir, à brève distance l'un de l'autre.
A ces motifs sont venus s'ajouter les impérieux devoirs
du professorat. Dans l'immense champ d'études qui, au
Collège de France, m'est départi, j'ai abordé des sujets
scientifiques dont ce livre bénéficiera : une histoire de
la condition de la femme, des investigations, méthodi-
quement poursuivies, sur les institutions primitives de&
divers peuples du globe. Par là, je crois avoir acquis
une intelligence plus sûre des conditions où une
société humaine se trouve placée quand elle subit une
rénovation aussi profonde que celle desx* etxi" siècles.
J'ai été confirmé dans mes vues sur le facteur essentiel
de cette rénovation, de même que mon opinion sur la
féodalité originaire est sortie fortifiée du dépouillement
méthodique des Vies des Saints et des chroniques. La
structure du livre y a gagné en solidité.
II. — J'avais pris pour pierre angulaire la protec-
tion^ Je la considère toujours comme la base essen-
tielle de toute société en voie de formation ou en voie
de reconstitution. Au fond elle se ramène à une garantie
des conditions nécessaires de la vie, qui peut être réa-
lisée ou par la sauvegarde d'un plus fort ou par l'assis-
tance collective d'égaux.
Ainsi l'idée de protection se trouve inséparable de
l'idée d'association, de fraternité et de compagnonnage,
de clan et de famille primitive. S'il est vrai, comme vient
de le dire excellemment M. Tarde, que « la difi^érence des
* Voir T. I, Livre I. De la protection et de son rôle.
INTRODUCTION. Ô
forts et des faibles aura toujours pour conséquence, en
vertu de la sympathie humaine, le désir et le plaisir de
protéger et de diriger, le désir et le plaisir d'être protégé
et dirigé* » qui ne voit que ces deux sentiments se
confondent dans la même personne, tour à tour protec-
trice et protégée, quand Tassistance est mutuelle entre
égaux et quand, par la réciprocité du service, le chef
lui-même devient un pair.
Tel est le lien profond qui unit les deux premiers
volumes de cet ouvrage, Tun où la force protectrice est
étudiée dans l'insuffisance et l'excès de son action
individuelle, alors que s'épanouit le régime seigneurial,
l'autre où elle apparaît dans la puissance régénératrice
de son action collective, sous les formes principales du
clan féodal et de la commune. C'est le même lien encore
qui rattache ce volume aux deux précédents.
III. — Le clan féodal, nous l'avons vu, est une famille
étendue, issue de l'organisation familiale des Germains
et du patronage Gallo-Romain. Sur cette double base
aussi se sont constitués la royauté et le principat.
L'Église est venue s'y adjoindre, comme organe poli-
tique, et concourir avec eux à la renaissance de l'État.
De même donc que nous avons étudié le jeu simultané
du besoin de protection et de l'esprit d'association ou
de compagnonnage dans le régime communal, la féoda-
lité et la chevalerie, de même devons-nous observer
* Tarde, Les transformations du pouvoir (Paris, 1897), p. 24. —
« Pour la plupart des hommes, remarque-t-il encore (p. 25), il y a une
douceur irrésistible inhérente à l'obéissance, à la crédulité, à la com-
plaisance quasi-amoureuse d'un maître admiré. »
4 INTRODUCTION.
l'action de ces principes sociaux au sein de la royauté,
du principat et de TÉglise, qu'ils ont vivifiés, conso-
lidés, transformés ou hiérarchisés.
Mais ici intervient un élément dont le rôle fut
d*autant plus grand qu'il satisfaisait une plus impérieuse
et plus ardente soif d'ordre, de stabilité et d'harmonie :
la tradition. Elle fit la force morale de la royauté et
du principat à l'encontre du groupement féodal, dé-
pourvu de centre de gravité, jouet des passions indi-
viduelles. Elle légitima leur esprit de domination,
alors que la féodalité se condamnait et se dévorait
par les excès du sien. Les conquêtes du prince et du
roi se solidifièrent en s'accroissant ; les conquêtes des
petits seigneurs féodaux, en se multipliant, se neutrali-
sèrent.
IV. — J'espère avoir, dans ce volume, jeté un jour
nouveau sur la royauté, le principat et la noblesse,
comme je crois l'avoir fait précédemment pour la
féodalité considérée en soi.
Ici, comme là, la reconstitution de la société, après
la chute de l'empire carolingien, a été présentée d'or-
dinaire sous un aspect qui anticipe de plusieurs siè-
cles sur la réalité, par la raison qu'on a commencé
à la décrire et à en retracer l'histoire quand elle était
un fait accompli, quand étaient constitués solidement
le royaume de France et les grands fiefs. Si l'on a pu
croire que la féodalité était née dès la fin du ix* siè-
cle et qu'elle était, dès le principe, territoriale, on
a cru de même que les premiers Capétiens étaient des
rois territoriaux, les duchés et comtés des circonscrip-
INTRODUCTION. 5
tiens géographiques aux limites précises, la noblesse
une caste terrienne.
Ce n'est que dans ces dernières années que la fragi-
lité de cette conception a été reconnue par des esprits
d'élite. Un historien de la plus haute valeur, M. Lu-
chaire, n'est plus loin aujourd'hui d'accepter naa thèse
que la féodalité foncière et territoriale ne s'est trouvée
constituée que près de trois cents ans plus tard qu'on
ne l'avait toujours admis*, et si je dois beaucoup, dans
le présent volume, à l'admirable livre de M. Pfister
sur le règne de Robert le Pieux, je suis d'autant plus
heureux de l'adhésion très étendue que, dans la criti-
que de mon ouvrage, il avait donnée à mes conclu-
sions '.
Stendhal, à propos des origines de l'architecture
romane, a remarqué qu'au x* siècle on n'avait souci
que de l'heure présente et pour ce motif, ne construi-
sait qu'en bois, tandis qu'au siècle suivant les édi-
fices de pierre surgirent de toute part*. C'est une
image assez exacte de la profonde différence qui sé-
pare la féodalité du x* et en partie du xi* siècle de
celle du xn*. Précaire, bénéfice, fief furent tout d'a-
bord des constructions hâtives, élevées au jour le jour,
* Lire le chapitre L'évolution générale de la féodalité et des gran-
des seigneuries (Histoire de France publiée sous la direction de M.
Lavisse (Paris, 1901), T. II, p. 283 etsuiv.
« Revue historique, T. LUI, 357 et suiv.
3 « Au milieu de l'effroyable désordre et du malheur général, les
hommes en vinrent à ne plus songer qu'au moment présent, toute
idée d'avenir autre que celle du paradis s'éteignit dans les cœurs. On
ne construisit plus que de misérables maisons en bois pour se mettre
à l'abri de la pluie et du froid, et au !• siècle il n'y eut plus d'archi-
tecture ». (Mémoires d^un touriste, t. I, p. 231).
6 INTRODUCTION.
sans cesse détruites ou démolies et refaites avec des
matériaux sommaires, abritant tout au plus une, deux
ou trois générations. Elles sont de bois; au xn* siècle
elles seront de granit, et dureront alors, jusqu'à la
Révolution, qui les jettera à bas, le jour même où elle
s'attaquera aux églises romanes ou gothiques. Ce n'est
point à dire qu'il n'y ait eu dès le x* siècle des tentati-
ves isolées d'institutions durables, aussi bien qu'on
éleva dès alors quelques maisons de pierre, mais, faute
d'avoir mesuré exactement leur importance et leur por-
tée, l'origine de nos institutions a été éclairée d'une
lumière artificielle.
V. — Par l'exagération de l'idée féodale et son recul
arbitraire dans le passé, royauté, principat, noblesse,
l'Eglise elle-même ont pris une figure de convention.
La royauté des x* et xi* siècles est apparue comme une
royauté féodale, les principautés comme des grands
fiefs de la couronne, la noblesse à la fois comme un
rouage monarchique et un produit direct, nécessaire,
connexe du fief, la papauté comme une suzeraineté
féodale sur les royaumes chrétiens. Rien n'était plus
logique, rien ne coulait mieux de source. N'est-ce
pas précisément parce que les feudistes ne concevaient
qu'un roi souverain fieffeux du royaume, placé au faîte .
d'une hiérarchie savamment échafaudée, qu'ils ont fait
sortir la féodalité de concessions bénéficiaires octroyées
par le trône, et lui ont assigné pour date de naissance
la transformation par un acte souverain, le capitulaire
de Kiersy, des bénéfices viagers en bénéfices hérédi-
taires? Pour s'être imaginé que la féodalité s'était for-
INTRODUCTION. 7
mée directement par en haut, pour ne s'être pas aperçu
qu'elle était le fruit d'une élaboration plusieurs fois
séculaire, qui avait eu son point de départ dans les con-
trats les plus vulgaires ou les plus humbles et son point
d'arrivée dans le grand fief royal, ils ne pouvaient voir
dans les principes que des grands vassaux, dans Hu-
gues Gapet qu'un suzerain féodal.
VI. — En même temps qu'ils outraient à l'extrême
l'idée féodale, les anciens historiens subissaient l'ir-
résistible influence de l'idée unitaire. Elle avait triom-
phé avec la monarchie française de leur temps, elle
les fascina. Ils transposèrent dans le haut moyen âge
les résultats d'une longue évolution centraliste, ils
firent entrer de force dans le cadre artificiel de la
royauté les institutions autonomes et autochtones de
la vieille France.
Cette seconde déviation nous a donné une histoire
nationale factice, qui^ avant le xv* siècle surtout, am-
plifie l'action directe de la couronne et en étriqué le
principe, qui rapetisse la royauté aux proportions d'un
fief et lui fait construire, de toutes pièces, un édifice
dont en réalité les parties essentielles sont sorties d'au-
tres mains que des siennes.
L'idée royale nous a hypnotisé comme l'idée féo-
dale. La royauté a supplanté le principat et la seigneu-
rie dans nos histoires, comme, au cours des siècles, elle
les avait assujettis dans les faits. Nous avons centra-
lisé l'histoire, il faut la décentraliser^ dégager notam-
* De toutes nos histoires générales, celle que M. Luchaire, vient
8 INTRODUCTION.
ment l'histoire de nos institutions des moules étroits et
sacro-saints où Ton a cru trop longtemps qu'elles avaient
été coulées par la volonté créatrice de nos rois, tandis
qu'elles s'étaient formées lentement, graduellement, par
l'épanouissement de leur vie interne et sous l'action du
milieu ambiantV
VIL — C'est en eux-mêmes et comme de véritables
unités qu'il convient d'étudier les organismes indépen-
dants de la Gaule, ses groupes de population distincts de
mœurs et de coutumes, de sentiments et d'intérêts,
gouvernés par des chefs de familles princières ou sei-
gneuriales, qui opéraient à leur égard le même travail
d'unification que la royauté devait réaliser un jour pour
l'ensemble du pays. De la sorte on ne suivra pas seule-
ment les phases d'une politique plus ou moins heureuse,
on ne jugera pas seulement l'habileté ou la faiblesse des
rois et de leurs ministres, on ne se contentera pas de
rechercher la part de la royauté dans l'œuvre d'unifi-
cation nationale, mais on verra s'accomplir cette œuvre
elle-même sous l'empire des forces ou des lois qui
président à l'enfantement et à la vie des États.
Et qu'on n'objecte pas que nous possédons des his-
de nous donner pour la période du x« au xiii* siècle, est la première
qui entre nettement et résolument dans cette voie nouvelle.
* Tant qu'elles évoluent librement, à la bonne franquette, les
institutions ne revêtent pas des formes arrêtées, ne se soumettent pas
à des règles rigoureuses, ne se coordonnent pas en système juridique.
L'intervention du jurisconsulte ou du législateur leur est pour cela
nécessaire. Elles ressemblent aux langues dans leur période de forma-
tion populaire et spontanée, avant qu'elles aient été étriquées et com-
passées par des littérateurs et par des grammairiens. Qu'on compare
la langue russe à la langue française et même à l'allemande.
INTRODUCTION. 9
toires provinciales. Certes nous en avons, et beaucoup
d*entre elles seront toujours utilisées avec fruit, mais
les meilleures pèchent par le vice radical que je repro-
che aux histoires générales. Gomme elles sont posté-
rieures à l'établissement de la monarchie absolue en
France, elles reposent toutes sur cette thèse, implicite ou
expresse, que les institutions autonomes se sont créées
en violation des droits de la couronne, et que celle-ci n'a
cessé de reconquérir pas à pas son bien et son dû. Si
excellents érudits que fussent leurs auteurs, ils n'ont pas
su prendre pour assise l'unité organique du groupe
régional.
Ces groupes, du reste, non seulement s'étaient mode-
lés sur la famille et le clan, mais ils avaient été en partie
constitués par eux, et furent régis, dominés, par des
famillesseigneuriales dont l'existence, le développement,
les destinées firent corps avec les leurs. Pour pénétrer
Thistoire des petites patries dont la juxtaposition, puis
la fusion, ont fait la France, c'est donc l'histoire aussi
des grandes familles qu'il faut restituer, l'histoire de
lignages, des gestes dont nos vieux poèmes héroïques
ont si légitimement pris leur nom.
VIII. — Nous essaierons, pour notre part, dans ce
volume et dans le suivant, ainsi que nous l'avons tenté
dans les deux premiers, de faire revivre la société tout
entière du x* et du xi* siècle, de cette époque qui fut le
tombeau de la monarchie franque et le berceau de
la monarchie française*.
' C'est la période qu'en 1885^ M. Gabriel Monod qualifiait :
10 INTRODUCTION.
Les siècles d'ordinaire ne fournissent que des cadres
artificiels; ici c'est à des cadres naturels que nous
avons affaire. Ce sont de tels cadres que l'histoire des
institutions me paraît exiger impérieusement. Peut-
ôtre nos historiens du droit ne s'en sont-ils pas préoc-
cupés assez. Ils étudient successivement et par grou-
pes, les institutions mérovingiennes et carolingiennes,
féodales et royales. La féodalité apparaît ainsi comme
un bloc compact, la monarchie comme un autre et
l'on se meut dans de trop grandes 'divisions chronologi-
ques aux limites flottantes.
L'histoire offre à mes yeux des divisions plus natu-
relles et plus rigoureuses. Je suis convaincu qu'à l'é-
poque franque a succédé une époque nouvelle que ne
caractérisent ni la féodalité terrienne ni la royauté tra-
ditionnelle. Je proposerais de l'appeler Vépoque du
principal^ puisque le mot princeps était synonyme de
chef et désignait à la fois le seigneur, le dynaste et
le roi*. Elle comprend deux périodes :
V \]{\epé?*iode dissolutive (887-987) — de l'avène-
ment, par la mort de Charles le Gros, de nombreux
reguli (parmi lesquels Eudes) jusqu'à l'avènement de
Hugues Gapet.
2** Une période préorganique (987-1099) * — de l'a-
vènement de Hugues Gapet jusqu'à la prise de Jéru-
« la plus importante peut-être de notre histoire, puisqu'elle contient
le secret de nos origines nationales, et malheureusement aussi la plus
obscure » (Revue historique, juillet-août, 1885, p. 241).
* Voyez T. r p. 165 suiv. et infrà le chapitre du Principal,
* Je l'appelle préorganique par rapport à la Renaissance du xii*
siècle.
INTRODUCTION. H
salem par les croisés, et à l'avènement de fait du
prince Louis, le futur Louis VL
C'est cette époque que nous étudions dans le présent
ouvrage. J'ai tenu, au point où nous sommes arrivés,
à en préciser mieux les limites et à fixer nettement le
sens où doivent être entendus les mots x** et xi* siècles
dont je me sers couramment.
IX. — En poursuivant notre élude nous resterons
fidèle aux règles que, dès le début, nous nous sommes
tracées de ne recourir qu'aux sources contemporaines^
d'éclairer les documents à leur seule lumière, de ra-
nimer, à l'instar de cendres éteintes, leurs lettres mor-
tes, d'y rallumer le souffle de vie qui faisait éclore la
pensée de nos ancêtres, éclater leur passion, s'entre-
choquer leurs intérêts, qui faisait sourdre les institu-
tions, les coutumes et les mœurs; de ne pas confondre
• Ai-je besoin de rappeler ce que je disais dans Wnirodaciion du
t. I (p. 19), que j'ai mis à profit tous les travaux d'érudition qui
^ m'ont été accessibles, pour parvenir à une interprétation plus sûre
des documents, mais en évitant, autant que possible, toute contro-
verse et toute polémique. — Les Annales des rois des ixe et x* siè-
cles, entreprises sous la direction de M. Giry, forment aujourd'hui
un ensemble imposant d'excellents travaux : Lot. Les derniers Caro-
lingiens (1891); Favre, Eudes (1893) ; Eckel, Charles le Simple (1899) ;
Lauer, Louis IV (1900); Poupardin, Le royaume de Provence (1901).
Je regrette seulement que les institutions y tiennent une si faible
place. La même remarque s'applique, quoique à un degré un peu
moindre, au beau livre de M. Parisot^ Le royaume de Lorraine (1898).
— Les institutions sont étudiées, avec autant de talent que d'érudi-
tion, dans les grands ouvrages de M. Glasson [Histoire du droit et
des institutions de la France, t. I-VII, 1887-1896) et de M. VioUet
(Histoire des institutions politiques de la France, t. I-II, 1890-1898),
mais la période que nous étudions s'y trouve fondue et absorbée
dans un très vaste ensemble, soit politique (le régime féodal), soit
chronologique (le moyen âge).
12 INTRODUCTION.
le silence des textes avec leur pénurie ou leurs lacu-
nes, ni de vouloir suppléer à ce que nous ignorons par
la connaissance que nous avons des siècles qui ont
précédé et suivi ; de nous affranchir des préjugés que
les époques postérieures nous ont légués et de recher-
cher avec une entière liberté d'esprit les anneaux de la
chaîne mystérieuse qui relie à son passé et à son ave-
nir immédiats l'organisation sociale que l'étude directe
des sources permet de saisir sur le vif*. A la confiance
que j'ai dans la sûreté des résultats atteints par cette
méthode s'ajoute pour moi la conviction profonde que
l'outil, quelles que soient les imperfections de son em-
ploi, survivra à l'ouvrier et que, s'imposant de plus en
plus à l'historien moderne, il servira, dans toutes les
directions, à régénérer l'histoire.
* Je n'ai pas craint de raviver par une traduction littérale des
expressions archaïques, telles que foi lige natureUe, nobilité, princi-
pat, Francie. Quand on veut faire revivre une période précise de This-
toire, ce sont les idées et les termes en harmonie rigoureuse avec
son état social et ses institutions qu'il faut remettre en lumière. Au
risque de déranger des habitudes invétérées, formules et cadres
empruntés à des temps postérieurs doivent être sacrifiés résolument.
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
DKS
SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMÉES^
1° CARTULAIRES ET POLYPTYQUES
I. Manuscrits.
Arles (archevêché). Livre vert coté F. (282 chartes de 920 à
923). Livre rouge coté G. (236 chartes de 920 à 1285). Au-
thentique du chap. d*Arles (Chartes du x® et xi^ siècle)
(Archives des Bouches-du-Rhône*).
Caen (Saint-Étiennk), abbaye. Chartes du xi« siècle. Cop.
Bibl. nat. MS., nouv. acq. lat. 1406.
Chêzal-Bknoit (Diocèse de Bourges, abbaye). Fragments de
l'ancien cartulaire et transcription de chartes originales
(xi« et xu*» siècle). Bibl. nat. lat. 12744 (dom Estiennot).
* Voici les principaux sigles que j'emploie : HF. =- D. Bouquet;
HLF. = Histoire littéraire de la France; Mab. SB. = Mabillon, Acta
Sanctorum ordinis S. Benedicti; Bol. AS. = Bollandus, Acta Sanc-
torum ; SS = Monum. Germaniee Scriptores ; LL = Mon. Germ. Le-
ges; CT •= Collection de textes pour l'étude et l'enseignement de
l'histoire.
* Depuis que j'ai visité ces archives, l'auteur d'une remarquable
histoire constitutionnelle de la Provence, M. Fritz Kiener, a bien
voulu me communiquer des copies qu'il avait faites de son côté sur
les cartulaires d'Arles.
14 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
CoRRENS (dépend, de Montmajour d'Arles). Cartulairedu xiii*"
siècle. Archives des Bouches-du-Rhône (109 chartes de 986
àH30).
Déols (diocèse de Bourges). Cartulaire xvii° siècle (Chartes
du x« et xi« siècle). Bibl. nat. MS. lat. 12820.
Meulan (Saint-Nicaise de) (diocèse de Chartres, prieuré).
Cartulaire xiii^ siècle. Bibl. nat. MS. lat. 13888 (Chartes
du XI® siècle).
Paray-le-Monial (diocèse d'Aulun). Cartulaire duxi® siècle.
Copie Bibl. nat. coll. Moreau. T. XI, p. 99 et suiv.
II. Imprimés.
Angers (Saint- Aubin d'), abbaye. Cartulaire du xii® siècle
(Chartes de 769 à 1 174), publié parB. de Broussillon [Docum.
historiques de la Socd'agric, sciences et arts d'Angers), 1897.
Arras (Saint-Vaast d'), abbaye. Complément du cartulaire
publié par Guesnon (Bulletin du Comité des travaux histo-
riques) (section d'histoire), année 1896, n" 1 et 2, p. 251 et
suiv.
AucH (Sainte-Marie d*), chapitre. Cartulaire noir (x*-xi® siècle)
publié par Lacave-Laplane-Barris, Auch et Paris, 1899.
AuTUN (Eglise). Cartulaire publié par Charmasse, 3® partie
(846 1399). Autun et Paris, 1900.
Chalons-sur-Marne (Saint-Étienne de), chapitre. Cartulaire
du chantre Warin publié par Pelicier (Chartes du ix* auxii*»
siècle). Paris, 1897.
Chateaudun (La Madeleine), abbaye. Cartulaire factice pu-
blié par J. Merlet et Jarry [Société Dunoise) (1003-1300),
Chateaudun, 1896.
Epernay (Saint-Martin), abbaye. Cartulaire publié par Nicaise
dans le T. II, d' Epernay et V abbaye de Saint-Martin, Châ-
lons, 1869.
Gellone (Saint-Guilhklm-le-Désert), abbaye (diocèse de
Lodève). Cartulaire publié par P. Alaus, Cassan et Meynial
{Soc, archéologique de Montpellier), 1898.
GoRZE, abb., diocèse de Metz. Cartulaire publié par A. d'Her-
bomez {Mettensia, fondation A. Prost), Paris, 1898-1899.
DBS SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMEES. 15
Indre. Recueil général des chartes intéressant le département
de rindre, publié par E. Hubert (vi*-xi* siècle). Château-
roux et Paris, 1899.
Mans (Saint- Vincent du), abbaye. Cartulaire publié par
R. Charles et Menjot d'Elbenne, T. I (572-1184). Le Mans,
1885.
Mas d'Azil, abbaye. Monographie et cartulaire publié par Gau-
Durban. Foix, 1897.
MoNTiERAMEY, abbaye. Fragments du vieux cartulaire perdu,
publiés d'après des copies de la Bibl. nat. par Giry (Études
dédiées àMonody p. 122 et suiv.).
Néronville, prieuré (diocèse de Sens) dép. de Sauve-Majeure.
Charles publiées par H. Stein {Annales de la Soc. hisL du
Gâtinais), 1895.
PoNToisE (SAiNT-MARTiNde), abbayo. Cartulaire publié par J.
Depoin [Soc. historique du Vexin), fasc. 1-2. Pontoise, 1895-
1896.
QuiMPERLÉ (Sainte-Croix), abbaye. Cartulaire publié par Léon
Maître et Paul de Berthou. Paris, 1896.
Ronceray (Le) d*Angers, abbaye. Cartulaire publié par Mar-
chegay dans Archives d'Anjou, T. III, volume imprimé dès
1854, et paru seulement en 1898.
Saint-Benoit-surLoire, abbaye. Recueil des chartes, réunies
et publiées par Maurice Prou et A. Vidier (Soc. histor. du
Gâtinais), T. I, 1" fasc. Orléans et Paris, 1900.
Saint-Florent de Saumur. Chartes normandes publiées par
Marchegay, dans Mémoires de la Soc. des Antiquaires de
Normandie, 1880, p. 663 et suiv.
Saint-Germain-des-Prés, abbaye. Polyptyque d'Irminon,
nouv. édit. par A. Longnon, Paris, 1886-18U5.
Saint-Jean d'Angely, abbaye. Cartulaire, T. I, publié par M.
Musset dans Archives histor. de la Saintonge, T. XXX, 1901.
Saint-Maixent, abbaye. Chartes publiées par Richard, Archi-
ves historiques du Poitou, T. XVI (1887).
Saint-Marcel-les-Chalon, abbaye, puis prieuré de Cluny.
Cartulaire publié par Canat de Chizy. Chalon-sur-Saône»
1894.
Saint-Michel-i)e-l'Abbayette, prieuré du Mont Saint-Michel
(1421), publié par B. de Broussillon et Farcy. Paris, 1894.
16 BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
Saint-Pierrb de Gand, abbaye, Gartulaire {Liber tradUio-
num) publié dans Annales ahhatiœ S^ P^ Blandinensis, Gand,
1842.
Saint-Ruf, abbaye, diocèse de Valence. Gartulaire publié par
Ulysse Ghevalier (Ghartes du xi*-xu* siècle). 1" livr. Va-
lence, 1891.
Saint-Sburin de Bordeaux, collégiale. Gartulaire publié par
Aug. Brutails [Académie des sciences et belles-lettres de Bor-
deaux), Bordeaux, 1897 (Ghartes xi*-xii* siècle).
Saint-Sulpice-en-Bugey, abbaye. Petit cartulaire publié par
Guigue, Lyon, 1884.
Saint- ViCTEUR au Mans, prieuré du Mont Saint-Michel (994-
1400), publié par P. de Farcy et B. de Broussillon. Paris,
1895.
Séour, prieuré (Tarn). Ghartes du xi° au xiii^ siècle publiées
par Edm. Gabié. Albi, 1889.
Tulle (Saint-Martin de) (Limousin). Gartulaire publié par
Ghampeval. Bulletin de la Soc, archéol. de la Con-èx^^ 1888
et suiv.
Uzerche, abbaye (diocèse de Limoges). Gartulaire publié par
Ghampeval, Pans et Tulle, 1901.
Vendôme (Trinité de), abbaye. Gartulaire publié par Gh.
Mêlais, 4 vol. Paris, 1893-1897.
Vendômois (Marmoutier pour le). Gartulaire publié par M. de
TrémauU. Paris et Vendôme, 1893.
Vienne (Saint-Maurice de), chapitre. Description du Gartu-
laire perdu, avec chartes en appendice (x'-xi® siècle), publiés
par Ulysse Ghevalier. Valence, 1891.
20 GOLLEGTIONS DE DOCUMENTS IMPRIMÉS
{France et pays limitrophes).
Benoit. Histoire delà ville et du diocèse de Toul. Toul, 1707.
Bertaut (Léon) et Gusset. L'illustre Orbandale ou l'histoire
ancienne et moderne de la ville et cité de Ghalon-sur-Saône.
Ghalon, 1662, 2 vol. in-4o (T. II, pièc. just.).
Bertholkt. Histoire ecclésiastique et civile du duché de
Luxembourg, 8 vol. in-4". Luxembourg 1742-1743.
DBS SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMEES. 17
Beyer, ëltbster et Gœrz. Urkunden zur Geschichte der,,.
MilUlrheinischen Terrilorien^ 3 vol. Coblence, 1860-1874.
BoRDERiB (A. de la). Recueil d'actes inédits des ducs et prin-
ces de Bretagne (xi'-xm* siècle). Paris, 1889.
Bry (de la Clergerie). Histoire des pays et comté du Perche et
d'Alençon. In-4^ Paris, 1620.
Buisson (dom). Historia monasterii Sancti Severi. Aire, 1876,
2 vol. in-8\
Chevalier (Ulysse). Documents inédits desix, x*, xi'' siècles
relatifs à TÉglise de Lyon. Lyon, 1867.
Chipflet. Lettre touchant Béatrix, in-4**. Dijon, 1656.
Deloche. Saint-Remy de Provence au M. A. In-4*, Paris,
1892.
Dubois (G.). Historia ecclesiae Parisiensis, fol. Paris, 1690.
Dubois (Jean). Floriacensis vêtus Bibliotheca. In-8**. Lyon,
1605.
Férotin. Recueil des chartes de l'abbaye de Silos (Vieille
Castille), gr. in-8^ Paris, 1897.
FoRNiER et Guillaume. Histoire générale des Alpes-Mari-
times, 3 vol. in-8'. Paris et Gap, 1890-1892 (T. HI, Pièc.
justif.).
HuBKRT. Antiquités historiques de TÉglise royale de Saint-
Aignan d'Orléans. ln-4o. Orléans^ 1661.
Jarry. Histoire de Tabbaye de la Cour-Dieu. Orléans, 1864.
La Morlière (A. de). Les antiquités, histoires... de la ville
d'Amiens, in-fol. Paris, 1642.
Laurent Le Pbletier. Rerum scitu dignissimarum a prima
fundatione monasterii S. Nicolai Andegavensis. in-4®. An-
gers. 1635.
Le Carpentibr. Histoiie de Cambrai et du Cambrésis, 2 vol.
in-4% 1664.
Lex. Eudes, comte de Blois, in-8**. Troyes, 1892.
LouEN. Histoire de Tabbaye royale de Saint-Jean-des-Vignes
de Soissons, in-12. Paris, 1710.
LouvET. Histoire etautiquitez dupais de Beauvaisis. Beauvais,
2 vol. in-8\ Beauvais, 1631-1635.
Perry. Histoire civile et ecclésiastique de Chalon-sur-Saône.
Ghalon, 1659.
F. — Tome III. 2
18 BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
Petit (E. de Vausse). Histoire des ducs de Bourgogne de la
race Capétienne. Paris, 1885 et suiv.
PiLLBT. Histoire du ciiâteau et de la ville de Gerberoi, in-4®.
Rouen et Beauvais, 1679.
PiOLiN (dom). Histoire de TÉglise du Mans. Paris, 1851 et suiv.
Renault. Abrégé de Thistoire de l'ancienne ville de Soissons.
In-8% 1633.
RivAz (Pierre). Diplomatique ou Recueil de chartes pour ser-
vir à Thistoire du royaume de Bourgogne (543*1276] analyse
et pièces inédites publiées par Ulysse Chevalier. Vienne,
1895.
Robert (Ulysse). Bullaire du pape Calixte II (1119-1124),
i vol. in-8^ Paris, 1891.
RosEROT (Alph.). Chartes inédites des ix* et x* siècles appar-
tenant aux archives de la Haute-Marne (851-973). Auxerre,
1898.
Roussel. Histoire de Verdun. Paris, 1740.
Saige (G.) etDiBNNE (de). Documents historiques relatifs à la
vicomte de Cariât. 2 vol. in- 4°. Monaco, 1900.
Saurel (F. et A.). Histoire de la ville de Malaucène (Vau-
cluse), 2 vol. in-8\ Avignon, 1882-1883.
3« VIES DES SAINTS, TRANSLATIONS ET MIRACLES
{Rédigés au x*, au xi' et au début du xii» siècle).
L*intérêt historique de ces documents se mesure pour nous à leur
âge. Nos études, en effet, ne sont pas hagiographiques. Les faits mi-
raculeux attribués aux saints qui ont vécu avant la fin du ix*' siècle
ne rentrent pas dans notre sujet. Ce qui nous importe c'est la manière
dont ces faits nous sont présentés par des écrivains du x« et du xi»
siècle, et le jour que jette leur récit sur le milieu social elle milieu in-
tellectuel de l'hagiographe, par les sentiments ou les idées, les traits
de mœurs ou les actions qu*il prête à son héros, par le cadre pittoresque
où il le place, par les expressions ou les images dont il se sert, par
les anachronismes incessants qu'il commet. Serait-ce un paradoxe que
plus ces anachronismes sont nombreux et saillants, plus le récit a
d'intérêt et de prix pour nous ?
II va de soi, pourtant, que si le peintre est contemporain du mo-
dèle, la valeur documentedre de rœuvres'en accroît. Elle devient plus
DES SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMÉES. 19
réaliste. La scène où la vie se déroule est alors la même pour tous
deux, leur état d*esprit est à Tunisson, et ainsi la forme et la couleur
de Tœuvre ne nous retiennent pas seuls, nous pouvons faire notre pro-
fit du fond. Alors même que la véracité des faits racontés est rendue
suspecte par le but intéressé que l'hagiographe poursuit, par sa
crédulité et sa partialité, il nous reste une image de la réalité am-
biante et c'est là, en somme, un point essentiel. Nous échappons en
outre, avec de telles vies, aux chances d'erreur qui proviennent de
simples plagiats de l'écrivain, d'emprunts textuels faits à des docu-
ments beaucoup plus anciens.
Que ce danger soit réel, nul n'en disconviendra, mais il ne faudrait
pas s'en exagérer la gravité. Non seulement il nous arrive parfois,
grâce à la survie du texte original, ou à raison de disparates que la
rédaction nouvelle présente quant à la forme ou quant au fond, de pou-
voir démêler ce qui appartient en propre au dernier rédacteur, mais
dans la plupart des cas cette recherche même est inutile.
S'agit-il de saints antérieurs au ix* siècle, les hagiographes du z* et
du XI* ou bien ont refondu complètement et développé, en les met-
tant en harmonie avec leur temps, — à travers lequel seul ils voyaient
le passé, — les maigres et rares vies anciennes qu'ils avaient à leur
disposition, ou bien, le plus souvent, ils ont inventé leur récit de toutes
pièces, à l'aide des sèches indications que leur fournissaient les mar-
tyrologes usuels de Notker, d'Usuard ou d'Adon. Ce n'est qu'au ixo siè-
cle, en effet, que les vies des saints étaient devenues nombreuses *
et celles-ci alors étaient trop récentes, trop copieuses, trop littéraires
aussi pour qu'on éprouvât d'ordinaire le besoin de les récrire.
Quant aux saints du ix^ siècle, celles de leurs vies qui ont été pour la
première fois composées, à l'aide de traditions orales, aux deux siècles
suivants, sont avant tout le miroir de l'époque où l'hagiographe écri-
vait et qu'il oppose parfois lui-même à l'époque où vivait son mo-
dèle.
Les principes que je viens d'esquisser m'ont guidé dans l'utilisation
des vies des saints. EQes expliquent la forme et l'étendue que j'ai
1 « Le clergé de la Gaule de fépoque précarolingienne, a dit le savact
éditeur des vies méroviDgienDes, M. Krusch, était, sauf de rares exceptions,
improductif au point de vue littéraire, par suite de la décadence générale de
la culture, et ce sont les Italiens, Fortunat et Jonas qui satisfont au besoin
qu'avaient les églises et les couvents d'une rédaction des miracles des saints.
A répoque carolingienne, et déjà sous Pépin, il se produit un changement :
... On écrit alors audacieusement des histoires que Ton a d*abord inventées
soi-même et l'on munit cette marchandise du sceau de l'authenticité con-
temporaine » (B. Krusch, La falsification des vies des saints Burgondes.
Mélanges Havet, p. 55-56).
20 BIBLIOGRAPHIB COMPLEMKNTAIRE
données à leur bibliographie. Je les ai groupées à raison de leur âge
et j'ai indiqué les dates approximatives de la mort du saint et de son
biographe pour qu'on puisse mieux juger de l'intervalle qui les sépare
et de l'authenticité du récit.
Abbon (Saint), de Fleury (f 1004). Vie et miracles par Ai-
moin, moine de Fleury (f v. 1008. HLF). Mab. SB. VI,
p. 37-58. Migne, 139 c. 387-414.
AcHARD (Saint), abbé de Jumièges (vu* siècle), Vie du x« siè-
cle. Mab. SB. IT, p. 953-971. Bol. AS. 15 septembre, V,
p. 85-100. Autre vie du x* siècle (après 956) par Fulbert,
moine de Saint-Ouen, Surius 15 septembre.
Adélaïde (Sainte), impératrice (f 999). Vie par S. Odilon
(f 1049). SS. IV, p. 636-49. Migne 142 c. 967-982.
Adelard (Saint), abbé de Corbie (f 826). Vie et miracles par
Gérard ou Gerald, moine de Corbie puis abbé de Sauve-
Majeur (f 1095). Mab. SB. IV, I, p. 345-71. Migne 147,
c. 1045-78.
Adelin (Saint), fondateur de Celles (f 690). Vie par Notger,
évêque de Liège (f 1008). Mab. SB. II, p. 1013-17.
Migne 139, c. 1141-48.
Adelrade (Saint), chanoine de Troyes (f 1004). Vie anonyme
V. 1006 (HLF). Bol. AS. 20 octobre VIII, p. 991-5.
Agiric (Ayri) (Saint), évêque de Verdun (j 591). Vie probabl.
du xi« siècle. Catalog. Codd. hag, lat. Bibl. Paris (1893), III,
p. 78-92.
Aqoard et Agilbert (SS), iv* siècle. Vie anon. 981 (HLF).
Bol. AS. 24juin, IV, p. 815-7.
AïoNAN (Saint), évêque d'Orléans (f 453). Vie après transla-
tion (1029). Duchesne, I, p. 521-2. Trad. Hubert, Antiq,
hislor. de L'Église de Saint-Aignan (1661), p. 1-5.
Albert (Saint), abbé fondateur de Gambron-sur-l'Aution (vu®
siècle). Vie anon. fin x« siècle (HLF) Mab. SB. III, 2,
p. 526-34.
Aldegonde (Sainte), abbesse de Maubeuge (f 684). Vie par
Hucbald, moine de Saint-Amand (f 930). Mab. SB. II, p. 807-
15. Migne 132, c. 857-76.
Aldbric (Audry) (Saint), archevêque de Sens (f 841). Vie anon.
992-995 (HLF). Mab. SB. IV, 1 p. 568-75. Migne 105,
c. 799-810.
DES SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMÉES. 21
Aleaumb (Saint) (Adelelmus), abbé de la Chaise-Dieu (f 1097)
(HLF). Vie par Raoul, moine de la Chaise-Dieu (1103).
Mab. SB. VI, 2, p. 896-902.
ÀMALBEROB (Sainte), vierge au diocèse de Liège (f v. fin
vin* siècle). Vie par Thierri, abbé de Saint-Trond (f 1107).
Bol. AS. 10 jul. III, p. 90-102. — Se^mo de Vita, par Rad-
bod, évêque d'Utrecht (f 917). Mab. SB. III, 2, p. 241-3.
Migne 132, c. 549-54.
Amand (Saint), évêque de Maestricht (f On vu* siècle). Vie
parHerigerde Lobbes(f 1007). Boll. AS. 6 février I, p. 855-7.
— Miracles, lors du transport des reliques par la Flandre et
le Cambrésis, rédigés par Gilbert moine de Saint-Amand
(f 1095). Migne 150, c. 1435-48. Autres, rédigés par : Gon-
tier, moine (,f 1108), Bol. AS. l. c, p. 900-2; par Marsilie,
abbesse (f 1108). Ibid., p. 902-3.
Amand (Saint) d'Angoulême (f vers 600). Vie par Hugues,
évêque d'Angoulême (f 990-994) (ou peut-être Adémar de
Chabannes?) MS. Bibl. nat. lat. 3784 (xi"" siècle). Analect.
Bolland, VIII (1889), p. 330-55.
Anastasb (Saint), moine à Doydes (d. de Rieux) (f v. 1086).
Vie par Gauthier, qui semble contemporain ou peu posté-
rieur. Mab. VI, 2 p. 487-93. Migne 149, c. 423 et suiv.
Anatole (Saint), évêque honoré à Salins (v. 1029). Vie fin du
xie siècle. Bol. AS. 3 février I, p. 358-9 (description du pays
de Salins).
Anfroi ou Ansfride (Ansfridus) (Saint), évêque d'Utrecht
(f 1010). Bol. AS. 3 mai, I, p. 431-2 (fait partie du livre
d'Alpert, moine de Saint-Symphorien, voy. Chroniques).
Angelran (Saint) du Ponthieu, abbé de Saint-Riquier (f 1045).
Vie par Hariulf, moine à Saint-Riquier avant 1075 f 1143.
Mab. SB., VI, I, p. 495-508. Migne, t. 141, c. 1405-22.
Anoilbert (Saint), abbé de Saint-Riquier (f 814). Vie et mi-
racles, par Anscher de Saint-Riquier (xi'-xii* siècle)
f 1136. Mab. SB. IV, I, p. 123-30. Miracles, p. 130-
147. Vie par Hariulfe (f 1143). Mab. SB. IV, I, p.
108-22.
Antide (Saint), évêque de Besançon (v* siècle). Vie du xi* siè-
cle, 1044 (H. litt.). Bol. AS. 25 juin, V, p. 41-47.
22 BIBLIOGRAPHIB COMPLEMENTAIRE
APOLLINAIRE (Saint), évêque de Raveone (f v. 75). Miracles
rédigés par un moiae de Saint-Beoigne de Dijon, 959. Bol.
AS.23juillet, V, p. 353358.
Apollinaire (Saint), évêque de Valence (f v. 520). Miracles
(x* siècle), éd. U. Chevalier {Bull, d'hist. eccL du diocèse
de Valence, 1895).
Arbooaste (Saint), évêque de Strasbourg (f 678). Vie par
Uthon, évêque de Strasbourg, 950-965. Grandidier, Hist.
de TEglise de Strasbourg, I, Pièces justif. § 18. Migne,
t. 134, c. 1003-1008.
Arey (Saint), évêque de Gap (j 604). Vie renouvelée au
XI» siècle. Anal. Boll. XI, 1892, p. 384-401.
Arnoul (Saint), évêque de Soissons (f 1087). Vie par Hariulf
(t 1143). Mab. SB. VI, 2, p. 505-555. Migne, 1. 174, p. 1371-
1438. SS. XV, 2, p. 875-904.
Arnoul (Saint), martyr (f vi*» siècle). Vie par anonyme à
Saint-Arnoul de Crépy, x»-xi» siècle. Bol. AS. 18 juillet
IV, p. 403-407.
Arnoul (Saint), évêque de Metz (f v. 640). Vie du x* siècle.
Boll. AS. juillet IV. 440-5.
Arnoul (Saint), martyr de Mousson (Champagne). Actes et
translation. Anonyme v. 980. Bol. AS. 24 juillet, V, p. 583-
590. SS. XIV. p, 601-609.
Aubin (Saint), évêque d'Angers (f 560). Miracles par un
moine de Saint-Aubin d'Angers, xi' siècle. Bol. AS. 1^' mars,
I, p. 60-63.
Augustin (Saint) de Cantorbéry (f 608). Vie et miracles par
Goscelin, moine de Cantorbéry (f 1098). Mab. SB. I, p. 499-
559. Migne, t. 80, p. 43-94. Translation par Goscelin. Mab.
SB. VI, 2 p. 743-765. Migne, t. 155, p. 13-46.
AuTBERT (Saint), évêque de Cambrai (viii* siècle). Vie attri-
buée à Fulbert de Chartres, xi* siècle (f 1028), écrite de
1015-1051. Migne, 141, p. 355-368. Fragments nouveaux
publiés par Sackur (Neuw Archiv, VI, p. 469-72).
Avrr (Saint), anachorète en Périgord (f v. 570). Vie probabl.
du x« siècle. Bol. AS. 17 juin III, 361-5.
Babolin (S.), 1" abbé de Saint-Maur-des-Fossés (f v. 670).
Vie et miracles par un moine de Saint-Maur (v. 1080) (HLF,
VIII, p. 82). Chifflet, Bedœ et Fredegani concordia. Paris,
DES SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMÉES. 23
1681, p. 356-71. Duchesne I, 658-66^, et HF., III, p. 565-71
(sauf prologue et 3 premiers chapitres). Extraits de la vie
daDs Mab. SB. II, p. 590-3. Miracles ibid., p. 593-7.
Baldéric (Saint), évêque de Liège (1008-1018). Vie par un
moine de Saint-Jacques de Liège (milieu xi" siècle). SS. IV,
p. 724-38.
Bartholomée (Bienh.), abbé de Marmoutier (f 1084). Vie per-
due. Collectanea par Mabillon.SB. VI, 2, p. 384-402, surtout
Fragm. de rébus gestis in Maj. Mon. saec. XI (Miracles)
(p. 391-402).
Basle (Saint), conf. (f v. 620). Vie et miracles par Adson,
abbé de Montier-en-Der (f 992). Mab. SB. II, p. 67-75; IV.
2, p. 136-142. Migne 137, c. 643-658, c. 659-668. Vie par
un anonyme du x« s. Mab. SB. II, 64-67.
Bavon (Saint), conf. à Gand (f 653). Vie par Thierry de Saint-
Trond (f 1107). Bol. AS. 1" octobre, I, p. 243-53. Mira-
cles x« siècle. Mab. SB. II, 406-415.
Bknoit (Saint), f 542. Miracles et translation, éd. E. de Cer-
tain. Paris, 1858. — Illatio^ par Thierry de Hersfeld (!•' tiers
du XI* s.). Mab. SB. IV, 2, 350-5.
Bknoit (Vénérable) (abbé de Cluse) (1066-1091); Vie par
Guillaume, moine de Cluse (fin xi* siècle). Mab. SB. VI, 2,
p. 697717. Migne 150, 1461-1488.
Bercaire (Saint), abbé de Montier-en-Der (f 865). Vie par
Adson, abbé de M.-en-Der (f 992) d'après Mab.; d'après
Potthast écrite après 1100. Mab. SB. II, p. 832-43. Migne
137, p. 669-88. Miracles, xi« siècle. Mab. SB. II, p.844-61 .
Bbrenqer (Saint). Moine àSaint-Papoul (f 1093). Vie par Fla-
vius Anselme, moine au Bec. Mab. SB. VI, 2, p. 774-8.
Bkrots (Saint), fondateur de Saint-Hubert (f après 725). Vie
par un moine de Saint-Hubert, 937 (H. litt.). Bol. AS. 2 oc-
tobre I, p. 520-30.
Bkrlende (Sainte) (f v. 702). Vie attribuée par Mab. à Heri-
ger (f 1007), par Potthast à un moine de Lobbes (v. 1000).
Mab. SB. III, 1, p. 16-21. Migne 139, 1103-1110.
Bernard (Saint) de Menthon (f 1008). Vie par Richard Aoste
(xi« siècle). Bol. AS. 15 juin. H, p. 1074-1082. Source
principale du mystère de S, Bernard de M. (xv** siècle) publié
par Lecoy de la Marche (Soc. des anciens textes, 1888).
24 BIBLTOGRAPHIR COMPLEMENTAIRE
BERNARD (Saint), fondateur de l*abbaye de Tiroo (f 1114).
Vie par le contemporain Geoffroy le Gros, naoine de Tiron,
Bol. AS. 14 avril, II, p. 222-55. Mignel72, col. 1367-U46.
Bernouard (Saint), évêque d*Hildesheim (f 1022). Vieet mira-
cles par Thangmar (v. 1022) (très important). Mab. SB. VI,
1, p. 202-36. SS. IV, p. 757-782. Migne liO, 393 436-442.
Berthe, abbesse de Blangy (Artois) (f v. 725). Anonyme 910
(H. litt.). Bol. AS. 4 juillet, II, p. 49-54. Translation (850-
895), à Erstein, et miracles (x«-xi' siècle). Mab. SB. III, 1,
p. 454-62.
Bbrtin (Saint) (f v. 709). Vie par Folcard, moine à Saint-Ber-
tin (f après 1084). Mab. SB. III, 1, p. 108-H7. Migne 147,
1089-1098. Vie en vers (MS. du x« siècle), publiée par
Morand, Coll. des doc. inédits^ mélanges historiques, II,
(1874). p. 573-607. Miracles (x«-xi« siècle). Mab. SB. III, I,
p. 117-153. Migne 147, 1097 à 1140. Invention par Bovon
de Sainl-Bertin (f 1065). Mab. SB. III, 1, p. 153-168. Mi-
gne 147, 1141-1160.
Bertulfe (Saint), abbé de Renty, Artois (f 705). Vie et trans-
lation parunmoinedeBlandigny, 1070-1088. Mab. SB. III,
1, p. 45-64. BoU. AS. 5 février I, p. 677-88, HF. IX,
p. 133, X, p. 365.
Bibien (Saint), évêque de Saintes (v* siècle). Légende dux'-xi*
siècle. Bol. AS. 28 août, VI, p. 462-7. Transî. et miracles.
Anal. Bol. VIII, 1889, p. 257-77.
Blandin (Saint), anachorète (vu* siècle). Vie en vers par
Foulcoie de Beauvais, sous-diacre de Meaux (xi* siècle).
Analecta Bolland. VII (1888}, p. 151-163.
BovE et DoDE (Saintes), religieuses à Reims (f 673). Anon.
964 (HLF). BoU. AS. 24 avril, III, p. 283-290.
Brunon (Saint), archevêque de Cologne (f 965). Vie par
Roger, clerc à Cologne (966-967). SS. IV, p. 254-275.
Migne, t. 134, 941-978. Une autre vie a été composée par un
anonyme au milieu du xii* siècle. Migne, t. 134, 978-988.
Brunon (Saint), fondateur des Chartreux (f 1106). Vie par
anonyme du xii' siècle. Boll. AS. 6 octobre, III, p. 703-
707. Migne, t. 152, 481-492 (les vies suivantes sont du
xvi* siècle).
DES SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMEES. 25
Cadrob (Saint), abbé de Saint-Vincent de Metz (f 978).Vie par
un contemporain (un du x* siècle). Mab. SB. V, p. 489-501.
Chaffre, abbé, martyr (7 v. 782). Vie antérieure au xi* siècle,
982 (HLF). Mab. III, I, p. 477-85. Boll. AS. 19 octobre,
VIII, p. 527-33.
Clotildb (Sainte) (f 548). Vie par un anonyme du x* siècle.
Mab. SB. I, p. 98-103. HP. III, p. 397-401. Mon. Script.
rer. Merov. II (1888), p. 342-48.
Cloud (Saint), ûls de Clodomir (f v. 560). Vie par un auteur
du ix«-x« siècle. Mab. SB. I, p. 134-138. Migne, t. 138,
p. 195-204. SS. rer, Merov. II (1888), p. 350-357.
CoLOMBAN (Saint), fondateur de Luxeuil (f 612). Miracles,
par un moine de Bobbio (x« siècle), Mab. SB. 11, p. 40-55.
CoNVOYON (Saint), abbé de Redon (f 868). Vie par anonyme
(ix«-x« siècle). Mab. SB. IV, 2 p. 193-222. Autre par un
anonyme du xi» siècle, Mab. Ibid, p. 188-193.
Daqobert (Saint), roi. Vie probabl. du xi' siècle. SS. rer. Me-
rov. \\,o\\-U.
Déicole, abbé de Lure(vu' siècle), Vie par un anonyme vers
965. Mab. SB. H, p. 102-116. Boll. AS. 18 janvier II, p.
200-210.
Due (Saint), évêque deNevers (f 679), Vie par un moine de
Saint- Dié interpolée par un abbé de Moyen-Moutier. Vie
attribuée par l'H. litt. à Valcande, moine de Moyen-Moutier
(t v. 1026). Mab. SB. III, 2, p. 472-7. Migne, t. 151, p.
611-634.
Drausin (Saint), évêque de Soissons (f 676). Vie par un ano-
nyme de Soissons (967 HLF). Boll. AS. 5 mars I, p. 405-11.
Ebbon (Saint) et Goéric (Saint), évêques de Sens (vm* siècle).
Vie par auteur anonyme du x* siècle. Mab. SB. III, 1,
p. 649-52. Acla SS. Boll. 27 août VI, p. 98-100.
Edmond (Saint), roi d'Angleterre et martyr (f 870). Vie par
Abbon de Fleury, composée v. 985 (HLF), Migne, L 139,
c. 507-520. Miracles par Hermann (1071-1101). Lieberman
Anglo-norm. Geschichtsq. (Strasbourg, 1879), p. 231-281.
Eleuthère (Saint), évêque de Tournai (f 532), Vie du x'-xi*
siècle. Boll. AS. 20 février III, 189-95.
Eliphe (Saint), martyr (f 302) (?). Vie remaniée par Rupert
abbé de Tuy (f 1129), Migne, t. 170, c. 427-36.
26 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
Etienne (Saint), deChavanon, fondateur de Pebrac (f 1080).
Vie par Etienne de Saint-Victor (v. 1085), d*Achery Spici-
leg., II, p. 155.
Etienne (Saint), fondateur deGrandmont(vers 1076) (f 1124).
Vie par Gérard Ilhier (f 1197). Boll. AS. 8 février II, p.
205-12. Migne 204, col. 1005-1046. Dits et faits rapportés par
Etienne de Liciac (f 1161) et recueillis par Gérard Ithier,
Migne, 204, col. 1071-85.
EusÉBiE,abbesse d^Hamay (f v. 680). Vie par Anonynae 945-50
(HLF). Mab. SB. II, p. 984-90.
EuspjcE (Saint) (f v. 510). Translation, d'Orléans à Saint-
Mesmin de Micy (1029), par un moine de Micy 1030. Mab.
SB. Vï, 1, p. 314. Extrait HF. X, p. 370. Miracles, Mabil-
lon, Ibid,^. 314-315.
EvRE (Aper) (Saint), évêque de Toul (fin v« siècle). Vie du x'-xi^
siècle. Miracles par un moine de Saint-Evre après 978. D.
Calmet, I Preuves, p. 107-116. Boll. AS. 15 septembre, V,
p. 66-79.
Félix (Saint), martyr sous Dioclétien, Passion en vers par
Marbode, évêque de Rennes (f 1123). Migne, t. 171,
c. 1633-6.
FiRMiN (Saint), évêque de Verdun, Translation par un moine
de Saint-Vanne (avant 972) et Miracles (xi* siècle). Calmet,
HisL de Lorraine, 2» édit., III, Preuves, p. 337-72. Extrait,
SS. XV,2, p. 804-11.
Florentin (Saint) du Mont-Glonne (v* siècle). Vie sous forme
de sermon par Marbode (xi* siècle). Boll. AS. 433-8. Migne,
171, 1579-92.
FoLCuiN (Saint), évêque deTérouane (f 855). Vie par Folcuin,
abbé de Lobbes (j 990). Mab. SB. IV, 1, p. 624-9. Migne,
1. 137, c. 533-42. SS. XV, 1, 424-30.
FoY (Sainte), martyre à Agen, 303, Miracles en 4 livres, dont
les deux premiers par Bernard d'Agen (v. 1020) et les deux
autres par un moine de Conques du xi* siècle. Edités par
Tabbé A. Bouillet (collection de textes), 1897.
Fridolin (Saint), abbé de Saint- Hilaire de Poitiers (f v. 540).
Vie par Ballherus moine de Sainl-Gall fin du x* siècle. SS.
rer. Merov, lïï, 354-69.
Frodobert, abbé de Montier-la-Celle (f v. 673). Vie par
DBS SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMEES. 27
Adson (f 992), abbé de Monlier-en-Der, Mab. SB. II, p.
626-39. Migne, t. 137, c. 160-20. Translation par Adson,
Mabillon, IV, 2, p. 2^3-5.
FuRSY (Saint), i"abbé de Lagny (f v. 650). Vie inaportanle
pour TAlsace. Boll. AS. 16 janvier II, p. 36-41. Miracles,
Ibid, p. A\'H, Autre vie par Arnoul, abbé de Lagny (Gnxi'*
siècle), Ibid. p. 44-54.
Ganoolf, martyr (f 760). Miracles par Gonzon, abbé de Flo-
rennes (1055-59). Boll. AS. 11 mai II, p. 648-55.
Gautier (Saint), l^'abbé de Saint-Martin dePontoise(t 1099).
Deux vies et Miracles (xii* siècle), Cartul, de Saint-Martin de
Pantoise (éd. Depoin), p. 171 etsuiv.
Gknulphk (Saint). Miracles sous le titre de Translalio S. Ge-
ntilfi. (x«-xie siècle). Mab. SB. IV, 2, p. 226-237. Extraits,
HF. X, p. 301 et s.
Geofproi (Bienh.), restaur. de Tabbaye du Chalard (f 1125).
Vie par un contemporain de la 1'** croisade, éditée par Bos-
vieux. Mémoires de la Soc. des Sciences nat. et arch. de la
Creuse, III, 1862, p. 75 suiv.
Gérard (Saint), évoque deToul (963-994). Vie et miracles, par
Guerry [Widricus), abbé de Saint-Evre à Toul (1027-1049),
Calmet, ^w£. de Lorrfl/w^, I, Preuves, p. 132-164, SS. IV,
^.^^{^'^{i^. Extrait des Miracles, p. 505-509.
Gérard (Saint), abbéde Brogne (f 959). Vieparun auteur ano-
nyme du XI» siècle. Mab. SB. V, p. 252-276, SS. XV, 2,
p. 655-73.
Géraud (Saint), comte d'Aiirillac (f 909). Vie par saint Odon
(f 942). Boll. AS. 13 octobre VI, p. 300-32. Migne, t. 133,
p. 639-704. — Bibl. nat. MS. lat. 3783 (xi« siècle), lat.
5301,^*221 suiv. (x« siècle).
Géry (Saint), évêque de Cambrai (f v. 629). Vie du xi» siècle
•par l'auteur du Chronicon Cameracense. Boll. AS. 11 août
II, p. 675-93.
GiLDAS (Saint), 1" abbé de Ruits (d. de Vannes) (f 565). Vie
par un moine de Ruits (xi* siècle). Mab. SB. I, p. 138-152.
SS.Auct.antiq. XIII (1894) (Chron. min. Ill), p. 91-106.
GiLDOUiN (Saint), chanoine de Dol(f 1077). Vie par un moine
de Saint-Père de Chartres (1090, HLF.) Boll. AS. 27 janvier
II, p. 791-3. Miracles Analecta Bolland. I, p. 153-77.
28 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
Gilles (Saint), ermite en Septimanie (f avant 719). Vie du
x'siècle. Boll. AS. l"septembre, 1. 299-304, d'après laquellea
été composé le poème La Vie de Saint Gilles de Guill. deBer-
neville (xii® siècle") (Soc. des anciens textes, éd. Gaston Paris
et A. Bos, 1881). Autre vie du x*-xi* siècle attribuée par des
MSS. à Fulbert de Chartres, dont nous avons en effet
un office en Thonneur du Saint (Migne, 141, 343-4), publiée
en 1889, Anal. Boll. VIII, 103-120.
GiSLAiN (Saint), abbé en Hainaut (f v. 685). Vie par Reynier,
moine de Celle (xi* siècle), Analecta. BolL V (1 886), p. 21 2-239.
Miracles {idem). Mab. SB. II, p. 796-800 {adde, Duvivier,
Rech. sur U Hainaut, p. 365-7). Anal. BolL, loc. cit., p. 239-
288. Vies du x« siècle : 1* Mabillon SB. II, 790-96, 2» Ana-
Uct. Boll. VI (1887), p. 257-270, 3» Ibid., p. 271-289.
Glosindk (Sainte), abbesse de Melz (f 608). Vie du x® siècle.
Boll. AS. 25 juillet VI, 203-10. Vie par Jean, abbé de Saint-
Arnoul de Melz {\ 984). Mab. SB. II, p. 1087-90. Migne,
t. 137, c. 211-18. Miracles et Translation, par Jean, abbé de
Gorze (f 974), SB. Mab. IV, 1, p. 436-48. Migne. t. 137,
c. 219-240.
Godard (Saint), évêque d'Hildesheim (1022-1038). Vie par
Wolfère (1035-1038). SS. XI, p. 167-96. Vie remaniée et
développée parTauleur, après 1065. Mab. SB. VI, I, p.«396-
425. SS. XI, p. 196-218. Migne, 141, c. 1161-1230.
GoDEBERTB (Saiuto), fin vii« siècle. Vie par Radbod II, évê-
que de Noyon (f 1098). Boll. AS. 11 avril II, p. 32-6. Migne,
150,0.1517-28.
Godegranc (Saint), évêque de Metz (f 766). Vie par Jean de
Gorze (f 974). SS. X, p. 552-72.
GoRGON (Saint), martyr, r/an^/a^ion. Vie par Jean, abbé de
Gorze (f 974). Mab. SB. III, 2, p. 206-217. SS. IV, p. 238-
47.
GuENAiL (Saint), abbé de Landeveuec (f v. 570). Translation
à Corbeil, par un moine de Saint-Guénaud (v. milieu x*
siècle). Boll. AS. novembre I, 678-9.
GuiBERT (Saint), fondateur de Gembloux (f 962). Vie par Si-
gebert de Gembloux (écrite avant 1071). Mab. SB. V, p. 301-
11. Migne, t. 160, c. 661-78. Miracles (1099-1115). SS.
VIII, p. 518-23. Migne, 160, c. 681-90.
DES SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMÉES. 29
Guillaume (Saint), abbé de Saint-Bénigne de Dijon (f 1031).
Vie par Raoul Glaber (xi« siècle). Mab. SB. VI, 1, p. 322-34.
Migne, 142, c. 697-720. Vie tirée de la Chronique de saint
Bénigne, Mabillon, p. 335-344. Migne, 141, p. 851-70.
Guillaume (Saint), duc d'Aquitaine, moine à Gellone (f v.
812). Vie rédigée de 1059-1060 d'après HLF, au commen-
cement du XII® siècle, d'après M. Gaston Paris, Lalittér. fr.
au M. A. 1890, p. 66. Mabillon SB. IV, 1. p. 72-87. Boll.
AS. 28 mai, VI, p. 811-20.
Madelin (Saint), fondateur de Celles (f v. 690). Vie par Not-
ker, évêque de Liège (f 1008). Mab. SB. II, p. 1013-7.
Migne, 139, c. 1141-48.
Halinard (Saint), abbé de Saint-Bénigne de Dijon (f 1052).
Vie par un de ses disciples. Mab. SB. VI, 2, p. 35-41. Mi-
gne, 142, c. 1337-46.
HiDULPHE, abbé de Moyen-Moutier (f v. 707). Vie du x' siè-
cle. SB. III, 2, p. 477-86.
Hiltrude (Sainte), vierge à Liessies (f v. 790). Vie du xi''
siècle par un moine de Waulsort. Mab. SB. III, 2, 420-8.
Extrait HF. V, 442-3.
Honorine (Sainte), Translations : 1» Vers 898 et miracles par
un moine du Bec. Boll. AS. 27 février, III, p. 678-79. —
2* 1082 et miracles. Mab. SB. IV, 2, p. 526-28. Adde, Ana-
lecta Boll. IX, 1890, p. 134-46.
Hugues (Saint), abbé de Cluny (f 1109). Vie par Hildebert
évêque du Mans (f 1134). Boll. AS. 29 avril III, p. 634-48.
Migne, 159, p. 857-94. — Vie par Raynaud de Semur
(t 1129). Boll. AS. p. 648-655. Migne, 159, c. 894-906. —
Vie par Gilon de Toucy (7 v. 1142). Lhuillier, Vie de saint
Hugues, Paris, 1888, p. 565-618. Un epitome de cette vie
dans Acta, loc, cit., p. 655-58. Migne, loc. cit., c. 909-18.
Hugues (Saint), évêque de Grenoble (f 1132) Vie attribuée à
Guigues du Chastel (f 1 137). Boll. AS. 1" avril, I, p. 35-46.
Migne, 153, c. 761-84.
Hugues (Saint), moine à Saint-Martin d'Autun {f v. 930).
Vie, miracles, translation par un moine d'Anzy-le-Duc, 1025.
(HLF). Mab. SB. V, p. 92-106.
Hugues (Saint), évêque de Rouen (-{• 730). Vie par Baudri
de Bourgueil (f 1130). Migne, 166, c. 1163-72.
30 BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
IIuMBERT, abbé de Maroilles (d. de Cambrai), •{- v. 680. Vie par
uo moine de M. 1030 (HLF). BoU. AS. S5 mars, III, p. 561-
7. Extraits SS. XV, 790-9.
HuNEQONDE (Saioto), abbesse d'Homblières (f v. 690). Vie,
IraDslalioo (946) et miracles par Bernier moioe à Saint-Remi
de Reims, abbé à Homblières, 948-981. Mab. SB. Il,
p. 1018-30. Migne, 137. c. 49-68.
Ide (Bienheureuse), comtesse de Boulogne (f 1113). Vie par
un moine de Saint-Vaast, son contemporain. Boll. AS.
13 avril II, p. 141-5. Migne, 155, c. 437-48.
Jean (Saint), abbé de Gorze (f 974). Vie par Jean, abbé de
Saint-Arnoul à Metz (980) (Très importante pour Thistoire
des mœurs et pour l'histoire de TËglise). Mab. SB. V, p. 365-
412. SS. IV, p. 337-77. Migne, 137, c. 241-310.
Jean (Saint), de Beverley évéque d'York (f 721). Vie et mi-
racles parFolcard moine de Saint-Bertin (f après 1084).
Boll. AS. 7 mai II, p. 168-73. Migne, 147, c. 1165-78.
Jean (Bienheureux), évéque de Térouanne (f 1130). Vie par
Gautier de Térouanne (attribuée longtemps à Jean de Col-
mieu). Boll. AS. 27 janvier, II, p. 794-802. SS. XV, 2,
1138-50.
Jean (Saint) Gualbert, fondateur de Tordre de Vallombreuse
(f 1073). Vie par André, abbé de Strumi (f 1097). Boll.
A3. 12 juillet III, p. 343-65. Migne, 146, c. 765-812.
JossK (Saint), confesseur (f v. 668). Vie par Florent, abbé de
Saint-Josse-sur-Mer (v. 1015). Surius, 13 décembre VII,
1007-1011.
Julien (Saint), 1" évéque du Man8(iii' siècle). Vie par Lelald,
moine de Micy (Saint-Mesmin), abbé à La Couture (x^-
xi« siècle). Boll. AS. 27 janvier II, p. 762-7. Migne, 137,
col. 781-96. Translation par le même. Mab. SB. IV, I,
p. 434 5. HF. X, p. 360.
Lambert (Saint), évéque de Maestricht (f 708 ?). Vie par
Etienne, évéque de Liège (901-920). Boll. AS. 17 septem-
bre V, p. 581-9. Migne, 132, col. 643-60. — Vie (en vers),
par Hucbald de Saint-Amand (f 930). Ed. par Joseph De-
marteau, Liège, 1878 (Extr. d\i BulL de V Institut archéoL
Liégeois, t. XIII, part. 2). — Vie par Sigebert de Gembloux.
Chapeaville, Gestapontif. Leodiens., I, p. 411-34. Migne, 160,
DKS SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMÉES. 31
col. 759-82. — Autre vie par le même. Boll. AS. i7 septem-
bre V, p. 589-602. Migne, 160, c. 781-810.
Landoald (Saint), archiprêtre(f 667). Vie par Hériger et Not-
ker de Liège (écrite eo 980). Boll. AS. 19 mars III, p. 35-
42. Migoe, 139, col. 1109-22. — Translation à Saint-Bavon
(980) par un contemporain. Acta, ibid,, p. 43-47. Migne,
ibid.,c. 1121-24.
Lanfranc (Bienheureux), f 1089. Vie par Eadmer (f 1124).
Boll. AS. 28 mai, VI, p. 848-52. Vie par Milon Crispin (vers
1150). Mab. SB. VI, 2, p. 635-59. Migoe, 150, c. 29-57,
57-98 .
Lebwin ou LiviN (Saint), apôtre des Frisons (-J^ 773). Vie par
Hucbald, moinede Saint-Amand (f 930). Migoe, 132, c. 875-
94.
Léon (Saint), pape (f 1054). Vie par Guibert de Toul (vers
1058). Mab. SB. VI, 2. p. 53 80. Migne, 143, c. 465-510.
Léonard (Saint), confesseur à Noblat (Haute-Vienne) (vi* siè-
cle). Vie et miracles du xi* siècle publiés par Arbellot, Vie de
saint Léonard, Paris, 1863, p. 277-89. Fragments de la vie
dans 5S. rer. merov. III, p. 396-99.
Lkopardin (Saint), martyr à Aubigny (vi« siècle). Vie du x'-xi*
siècle. Bol. AS. octobre, p. 463-6.
Lecfroi (Saint), abbé de Madrie (d. d'Evreux) (f v. 738). Vie
du x« siècle et miracles. Mab. SB. III, 1, 583-93.
Lézin (Saint), évèque d'Angers (f v. 605). Vie par Marbode,
xi« siècle (av. 1096). Bol. AS. II, p. 682-86. Migne, 171,
1493-1504.
Lotrude (Sainte), Vierge au diocèse de Châlons-sur-Marne
(f vi« siècle). Actes par Thierry, évêque de Trêves (f 977).
Boll. AS. 22 septembre VI, p. 451-3.
Macaire (Saint), (f à Gand 1012). Vie par un moine de Gand
(1014). Boll. AS. 10 avril, I, p. 875-7. — Autre vie par
un moine de Gand (1067). Acta, ibid.y p. 878-96.
Maclou ou Malo (Saint), évêque d'Aleth (f 565 ou 627). Vie
par Sigebert de Gembloux (écrite de 1076 à 1099). Migne,
160, c. 729-46.
Magloire (Saint), évêque de Dol (f vers 595). Vie du x°-xi*
siècle. Mab. SB. I, p. 223-31. Translation à Lehon, récit du
x« siècle. Anal, Boll. VIII, p. 370-9 ; Transi, à Paris (fm x«
32 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
siècle, après 979), éd. Merlel, Bibl. École des Chartes, 1895,
p. 243 suiv.
Maqneric (Saint), évêque de Trêves (v. 596). Vie par Eber-
win, abbé de Saint-Martin de Trêves (f 1047). SS. VIII,
p. 208-9. Migne, 154, c. 1243-4.
Maieul (Saint), abbé de Cluny (948-994). Vie par saint Odi-
lon (t 1049). Boll. AS. 11 mai II, p. 684-90. Migne, 142,
c. 943-62. — Vie par Syrus et Aldebald, moines à Cluny
(x« siècle). Mab. SB. V, p. 786-810. Migne, 137, c. 745-78.
— Vie par Nelgod (v. 1090). Boll. AS. 11 mai II, p. 658-68.
Miracles, Acta, fWrf., p. 690-700.
MAiMBEUF(Saint), évêque d'Angers (f v. 660). Vie du x* siè-
cle d'après H. litt., par un contemporain suivant d*autres
(Potthast). Boll. AS. 16 octobre, VU, 2, p. 940-50. Migne,
171, c. 1531-48. — Vie par Marbodede Rennes (f 1123). Mi-
gne, 171. c. 1547-62.
Mammés (Saint), martyr (f 274). Vie par Raynaud de Bar,
évêque de Langres (•}• 1085). Dubois, Bibliot, Floriacens., II,
Lyon 1605, p. 210-26.
Mansuy (Saint), évêque de Toul(f v. 375). Vie par Ad8on,abbé
de Montier-en-Der (f 992). D. Calmet, Eist. de Lorraine,
1, Preuves, p. 86-106. Migne, 137, c. 619-44.
Martial (Saint), évêque de Limoges (f 614). Lettres d'A-
démar de Chabannes sur son apostolat (septembre 1028).
Mabillon. Annales, IV, p. 717-28. Migne, 141, c. 89-112.
Martin (Saint), abbé à Vertou, diocèse de Nantes (f 601). Vie
du ix'-x" siècle. Mab., SB. I, p. 681-7. Autre, un peu posté-
rieure. Boll. AS. 24 octobre X, p. 806-10. Troisième vie
(xi* siècle). Mab., p. 371-4. — Miracles et translation par un
moine de Vertou («•-x* siècle). Mab., loc. cit., p. 375-8. Cba.
p. 687. 92. Bol. AS. toc. cit., p. 810-18. SS. rer. merov. III,
567-73.
Martin (Saint), évêque de Tours (f 397), Miracles, par Bra-
de, évêque de Liège (f 971). Migne, 135, c. 947-50; par
un auteur du xi" siècle, sous le nom d*Herbern, arch. de
Tours (t 913). Baluze, MisceU., VII, p. 169-95. Migne, 129
c. 1035-52 ; par Radbode, évêque d'Utrecht (f 917). Salmon,
Suppl. aux chroniques de Touraine, 1856, p. 1-13, SS. XV,
2, p. 1240-44. — Translation (retour en Bourgogne, 884),
DES SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMEES. 33
par UQ auteur du xi* ou même du xii" siècle (ou Ta attribuée
longtemps à Odon de Cluoy) (f 942). M igné, 133, c. 815-38.
M ASTioiB (Sainte), vierge, à Troyes en Champagne. Hist. de
rinvenlion (988), par un chanoine de Troyes, 1007 (HLF).
Boll. AS. 7 mai, H, 142-4.
Mathilde (Bienh.), reine de Germanie (f 968). Vie écrite en
974. SS. X, p. 575-82. Migne, 15i,c. 1311-20.-- Autre vie
remaniée, écrite par ordre de Henri II, vers lOiO. Bol. AS.
14 mars, II, p. 358-70. SS. IV, p. 283-302. Migne, 135, c.
889-920.
Mathurin (Saint), prêtre, v* siècle. Vie par un Anon., 930-35
(HLF). Boll. AS. l«f novembre I, p. 250-55.
Mauquille (Saint), ermite en Ponthieu (f v. 685). Vie par
Hariulf, de Saint-Riquier, écrite vers 1090 (Lot, Chron, de
Saint Hiquier, CT. p.x-xi). Mab. SB. IV, 2, 537-44. Migne,
174, 1441-50.
Maurille (Saint), évêque d'Angers (f v. 430). Vie par Archa-
nald, diacre d'Angers (905), attribuée faussement à Fortunat.
Migne, 88 c. 563-76. SS. Auct. Antiquiss. IV, 2 (1885),
p. 82-101 (Fortunat). Vie par Marbode, évêque de Rennes
(t 1123). Migne, 171, c. 1635-48.
Maxime (Saint), de Chinon, abbé (f v. 450). Vie et miracles du
XI* siècle édictés par Salmon, Mém, Soc. archéoL de Ton-
raine,XlU (1861-2), 157-180.
Maximin (Saint), abbé de Micy (d. d'Orléans) (f 520). Miracles,
par Létald, moine de Micy (vers 945). Mab. SB. I, p. 598-
613. Migne, 137, c. 795-824.
Maximin (Saint), évêque de Trêves (f 349). Miracles parSige-
hard (963). SS. IV, p. 230-4. Migne, 133, c. 967-78.
Mbdard (Saint), évêque de Noyon (vi* siècle). Vie par Rad-
bod II, évêque de Noyon (f 1098). Boll. AS. 8 juin II, p. 87-
95. Migne, 150, c. 1499-1518. — Translation par anonyme
(943) (H. litt.). Boll. AS. toc, cit., p. 95-105.
Meinrad (Saint), martyr (f vers 861). Vie du x* ou du xi« siè-
cle). Mabillon, SB. IV, 2, p. 64-68. Migne, 142, c. 1177-84.
Menelbe ou Melerée (Saint), abbé de Menât (Auvergne) (f v.
720). Vie par anonyme, 996 (H. litt.). Mabillon, SB. III, 1,
p. 404-23. Boll. AS. 22 juillet, V, p. 308-19.
F. — Tome 111. 3
34 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
Mengold (Saint), martyr. Vie par un chanoine de Huy (d. de
Liège), 1086 (H. litt.) (suivant d'autres, xii« siècle). BolL
AS. 8 février II, p. 191-6.
Menoul (Saint), évêque (Bretagne), vu* siècle. Anon., 930-35
(H. litt.). Boll. AS. 12juillet, III, p. 307-8.
Méry (Saint), abbé de Saint-Martin d'Autun (f v. 700). Vie
écrite après translation à Paris (884) probabl. au x** siècle.
Mab. SB. m, 1,10-15.
MoDOALD (Saint), évêque de Trêves (f 640). Vie et miracles^
par Etienne, abbé de Saint-Jacques de Liège (f 111^). BolI.
AS. 12 mai, III, p. 51-62. Migne, 154, c. 1273-80.
Montane (Sainte), abbesse (diocèse de Bourges) (avant 1000).
Anonyme, x» siècle. Boll. AS. 24 octobre, X, p. 859-62.
Odile (Sainte), f v. 720. Vie rédigée de 900 à 950 par un
prêtre desservant le monastère de Hobenburg (PHster, La
Légende de sainte Odile, Paris, 1892, p. 42-48). Mab. SB.
ni, 2, p. 488-96, Analecta Bolland. XIII, 9-32 (éd. Pûster).
Odilon (Saint), abbé deCluny (f 1048). Vie par Jotsauld, moine
de Cluny (xi« siècle). Mab. SB. VI, 1, p. 679-710. Migne,
142 col. 897-940.
Odon (Saint), abbé de Cluny (f 942). Vie par Jean (x® siècle),
authentique et digne de foi. Bibl. nat., MS. lat., 5566 (xi(>
siècle). Mab. SB. V, p. 150-186. Migne, 133, c. 43-86. — Vie
parNalgod (vers 1090). Mab. SB., V, p. 186-99. Migne, 133,
c. 85-104. — Vie par un anonyme, xi" siècle. Bibl. nat.
MS. lat., n» 5566 (xi'^ siècle).
Odon (Bienheureux), abbé de Saint-Martin de Tournai (f 1 1 13).
Vie par Amand du Châtel (f 1133). Boll. AS. 19 juin, III,
p. 911-13. Migne, 160, c. 1128-32.
Omer (Saint), évêque de Térouane (vii« siècle). Vie par Folcard^
abbé do Torney (f après 1084). Mab. SB. II, p. 559-65.
Migne, t. 147, p. 1179-90.
OuEN (Saint), évêque de Rouen (f 683). Vie du ix'-x* siècle.
Boll. AS. août IV, 810-19. Renouvelée probabl. au xi* siè-
cle. Analecta BolL W, p. 76-146. — Vie en vers par Thierri,
moine de Saint-Ouen (xi« siècle), avant 1074. Migne, 150,
c. 1189-92. — Miracles, par Fulbert, moine de Saint-Ouen
(xi« siècle), avant 1092. Boll. AS. 24 août, IV, p. .825-40.
DBS SOURCES MANUSCRITB8 ET IMPRIMÉES. 35
Opportune (Sainte), abbesse de MoDtreuil(riQvm<^ siècle). Vie
et miracles, par Aldelme, évêque de Séez (f v. 910). Mab.
SB. III, 2, p. 222-231, p. 231-38.
Pàschasb Radbert (SaiDt), abbé de Corbie (f v. 860). Vie
par UD moiDe de Corbie (xi-xii« siècle). Mab. SB. IV, 2,
p. 567-9.
Paterne (Saint), moine à Sain t-Pierre-le- Vif de Sens, martyr,
(f V. 726). Actes, anon., 940-945 (HLF). Mab. SB. III, 1,
p. 463-70. — Translation, 958. Mab. SB. V, p. 244-6.
Patient (Saint), évêque de Metz (v. 152). Vie par anonyme,
V. 1082. Bol. AS. 8 janvier, I, p. 469-70.
Paul (Saint), évêque de Léon (Bretagne) (f 573). Vie par un
moine de Fleury, 958, tirée de la vie écrite en 884, par
Wormonoc, moine de Landevenec. Boll. AS. 12 mars, II,
p. 111-120.
Paul (Saint), évêque de Verdun (f v. 649). Vie par un anon.
du diocèse de Verdun, 1060 (HLF) (du x* siècle d'après
d'autres). Mab. SB. II, p. 268-75.
Pépin de Landen (Bienheureux), maire du palais d'Austrasie
(t 640). Boll. AS. 21 février III, p. 260-1. HF. II, p. 603-
608.
Pharailde (Sainte), vierge (f v. 750). Vie fin x* siècle (HLF).
Boll. AS. 4 janvier, I, p. 170-2.
Pierre (Saint), de Chavanon, fondateur de Pébrac (f v. 1080).
Vie par Etienne, chanoine de Pebrac (xi°-xn« siècle). Boll.
AS. 9 septembre, III, p. 472-9.
Pierre Urseolb (Bienheureux), doge de Venise, moine de
Saint-Michel de Cusan (f v. 997). Vie par un moine de Cu-
san (d. de Perpignan), 1098 (HLF). Mab. SB. V, 878-88.
PiRMiN (Saint), évêque de Meaux, abbé de Reichenau et de
Murbach (f v. 758). Vie du xi« siècle. Mab. SB. III, 2,
140-53.
Ponce (Saint), abbé de Saint-André d'Avignon (f 1087). Vie
par Raymond ou Ramnulfe, moine de S. -A. (f vers 1099).
Mab. SB. VI, 2, p. 494-501.
PoppoN (Saint), abbé de Stavelot (f 1048). Vie par Everheim,
abbéde Haulmont(t 1069). Boll. AS. 25 janvier, II, p. 638-
52. Mab. SB. VI, I, p. 571-96. SS. XI, p. 293-316.
36 BIBLIOOR/IPHIB COMPLÉMENTAIRE
PoRCAiRE (Saint), abbé de Lerins (f v. 731). Anonyme cooa-
menc. x« siècle (HLF). Boll. AS. 12 août, II. p. 737-9.
Précord (Saint), solitaire à Vailly (Aisne) (f vu* siècle). Trans-
lation par un moine de Corbie, v. 959. Boll. AS. 1" février,
I, p. 196-8.
Privât (Saint), évêque de Gévaudan, iii« siècle. Actes par un
anonyme (un xi« siècle). Boll. AS. 21 août, IV, p. 439-41. —
Miracles par un clerc de la cathédrale de Mende (2' moitié
du XI* siècle), publiés par Tabbé Pourcher dans Manuscrit
ou livre de Saint-Privat (Saint-Martin de Boubaux, 1898).
Probace (Saint), prêtre à Nogent (iv* siècle). Eloge, 959. Boll.
AS. 4 février, I, p. 552-554.
Protade (Saint), évêque de Besançon (f 624). Anonyme
(x« siècle). Boll. AS. 10 février. II, p. 413-4.
Prudence (Saint), martyr en Poitou (vii« siècle). Translations
et miracles par Thibaud de Bèze (1126). Boll. AS. 6 octobre,
III, p. 348-78.
Quentin (Saini), apôtre d'Amiens (f v. 285). Miracle par un
moine de Saint-Quentin-en-risle 984 (HLF). Boll. AS. 31
octobre, XIII, p. 812-4.
Quitbrie (Sainte) (Gascogne). Anon. 930. Boll. AS. 22 mai,
V, p. 171-3.
Radbod (Saint), évêque d'Utrecht (f 917). Vie par un ano-
nyme, 930. Mab. SB. V, p. 27-31. Migne, 132, c. 539-46.
SS. XV, I, p. 569-571.
Reinelde (Sainte) (Hainault) (f v. 750). Vie 996. Boll. AS. 16
juillet, IV, p. 176-8.
Remacle (Saint), abbé de Stavelot (f 668). Vie par Notker,
évêque de Liège (f 1008) ou par Heriger (f 1007). Surius
3 septembre. Migne, 139, c. 1147-68. — Miracles (ix«-x« siè-
cle). Acta SS. Boll. 3 septembre ï, p. 696-721. — Triomphe
(1071). Lettre des moines de Stavelot. SS. XI, p. 433-61.
Migne, 149, c. 287-334.
Rrmi (Saint), évêque de Rouen (f 771). Vie par Gérard,
doyen de Saint-Médard de Soissons (954) (HLF, VI, p. 279),
ou par Fulbert archidiacre de Rouen, av. 1090 (HLF. VIII,
p. 376-8). Marteneet Durand Thesaur. Anecdot. III, p. 1665-
1670. Boll. AS. 19 janvier, II, p. 235-6.
Richard (Bienheureux), abbé de Saint-Vannes à Verdun
DBS SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMÉES, 37
(•}• 1046). Vie du commencement du xii* siècle par un moine
de S.-V. Mab. SB. VI, 1, p. 519-30. SS. XI, p. 280-90. —
Autre vie, extraite dé la Chron. de Hugues de Flavigny.
Mab. loc. cit., p. 537-65. — Miracles. Mab. /. c, p. 530-35.
RiCTRUDE (Sainte), abbessodeMarchiennes (f v. 688). Vie par
le moine de Saint-Amand, Hucbald, écrite en 907. Mab.
SB. II, p. 938-50. Migne, 132, c. 829-48. — Miracles par
Gualbert, moine de Marchiennes (v. 1128). Boll. AS. 12 mai,
III, p. 118-40.
RiGOMER (Saini), prêtre à Souligné (Maine) (f milieu vi« siè-
cle). Translation (1014), à Maillezais, par Pierre, moinecon-
temporain. Mab. SB. VI, I, p. 134-6.
RiQUiER (Saint), abbé et fondateur du couvent de SainL-Ri-
quier (f 645). Vie (en vers) par Angeiramme (Saint) (f
1045). Mab. II, p. 501-12. Migne, 141, c. 1423-38. — Vie
par Hariulf, écrite vers 1100. Mab. SB. V, 567-73. — /«vew-
lion par Angeiramme. Mab. ibid.y 563-6.
Robert (Saint), abbé de la Chaise-Dieu (f 1067). Vie par Mar-
bode, évéque de Rennes (f 1123). Mab. SB. VI, 2, p. 188-
207. Migne, 171, c. 1505-32.
Robert (Saint), fondateur de Molesme (1018-1110). Vie par un
moine du xii'» siècle. Boll. AS. 29 avril, IIÏ, p. 668-78. Mi-
gne, 157, c. 1269-88.
Robert (Bienheureux), d'Arbrissel (f 1117). Vie par Baudri
de Bourgueil (f 1130). Boll. AS. 25 février, III, p. 6038.
Migne, 162, c. 1043-58.
RoDiNOB (Rouin), abbé de Beaulieu, vu® siècle. Vie par Ri-
chard de Saint- Vannes (f 1046) (HLF) (d'après Potthast par
Richard de Beaulieu, vers 1050). Mab. SB. IV, 2,
p. 532-36.
Romain (Saint), abbé d'Auxerre (f 545). Vie par Gilbert de
Vareilles(v. 1048). Mab. SB.I, p. 82-97. Boll. AS. 22 mai,
V, p. 153-65.
Romain (Saint), évêque de Rouen (f 639). Vie par Gérard,
doyen de Saint-Médard de Soissons (x® siècle). Boll. AS. 23
octobre X, p. 91-4. Prologue Migne, 138, c. 171-4. Vie
du x«-xie siècle (939-1037). Boll. AS. X, p. 96-102. Vie
par Fulbert, archidiacre de Rouen (v. 1080), éd. par Nicolas
Rigault (Paris, 1609).
38 BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
Romaine (Sainte), vierge, martyre, à Beauvais, sous Dioclétien.
Vie par un clerc de Beauvais, v. 1074 (H. litt.). Boll. AS.
3 octobre, II, p. 137-40.
RoMUALD (Saint), fondateur de Tordre des Camaldules (f 1027).
Vie par Pierre Damien (f 1071). Mab. SB. VI, 1, p. 280-
312. Migne, 144, c. 9531008.
RuMOLD (Rombaud) (Saint), apôtre de Malines (f 775). Vie et
miracles par Thierry, abbé de Saint-Trond (f 1107). Boll.
AS. l*r juillet, I, p. 241-249.
Sackrdos ou Sardos (Sainl), évêque de Limoges (f v. 720).
Vie par Hugues de Fleury (v. 1109). Boll. AS. 5 mai, II,
p. 14-22. Migne, 163, c. 979-1004.
Samson (Saint), évêque de Dol, en Bretagne (f v. 565). Vie
du ix-x^ siècle. Mab. SB. 1, 165-86. Autre, probablement du
même temps, dsius AnalectaBolland., VI, 1887, p. 79-150, ti-
rage à part sous le titre : Très ancienne vie inédite de saint
Sarnson^ publiée par Dont Plaine, Paris, 1888.
Savin (Saint), martyr (iv^ siècle). Translation du xi* siècle.
Migne, 126, 1051-6.
Savinikn et PoTKNTiEN (Saiuts), à Sens (f après 275). Transla-
tion vers 1025, par un auteur contemporain, probabl. Odo-
ranne de Sens. Mab. SB. VI, 1, p. 256-66. Migne, 143, c.
783800, Duru. Bibl. de l'Yonne, II, p. 288-339.
Sébastien (Saint), martyr (f v . 287). Translation par Odilon,
moine de Saint-Médard de Soissons (avant 930). Mab. SB.
IV, 1, p. 383-410. Migne, 132, c. 579-622. — Miracles, par
un moine de Saint-Médard (xi* siècle). HF. XI, p. 455-457.
SS. XV, 2. p. 771-3.
Sévbr (Saint) (f v. 407). Vie par un anonyme du xi* siècle.
Dubuisson, Hist. mon. S. Severi (1876), I. p. 6-44. — Autre
vie en vers (xi* siècle), ibid., p. 44-50 (Vie attribuée au
IX* siècle, ibid,, p. 51-76). — Miracles, ibid,, p. 77 et suiv.
SiQKBBRT (Saint), roi d'Austrasie (f 656). Vie par Sigebert de
Gembloux (f 1112). Boll. AS. 1" février, I, p. 227-31. Mi-
gne, 87, c. 307 314. ViU brevior. Migne, 160, c. 725-30.
— Translation et miracles, par Sigebert de Gembloux. AS.,
loc. cit., p. 236-39.
Simon (Saint), comte de Crépy (f 1080). Vie par un contempo-
rain. Mab. SB. VI, 2, p. 374-84. Migne, 156, c. 1211-24.
DES SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIBiésS. 39
SoLBiNB (Saint), évêque de Chartres (f 508). Vie par un
anonyme, v. 1068. Boli. AS. 25 septembre, VII, p. 68-72.
— Translation et miracles, ibid., p. 75-81.
SouR (Saint), anachor. en Périgord (vi* siècle). Vie du x* siè-
cle (HLF). Bol. AS. 1" février I, 199-204.
Théodard (Saint), archevêque de Narbonne (f v. 893). Vie
par un anonyme (1110-1115). Boll. AS. 1" mai, I, p. 142-56.
Extrait HF, IX. p. 115-18. j
Thèodard (Saint), évêque de Maestricht (f v. 668). Vie par
Heriger, abbé de Lobbes (*]- 1007). publiée par Jos. Demar-
teau. Liège, 1890. — Vie par Sigebert de Gembloux. Boll.
AS. 10 sept. III, p. 593-99 (La vie publiée par Migne, 160,
col. 747-58, est du milieu du vni' siècle).
Thboqbr (Bienheureux), évêque de Metz (f 1120). Vie écrite
de 1138 à 1146. SS. XII, p. 449-79. Extrait HF, XIV,
p. 207-21 .
Théophile (Saint), d*Adana (f 538). Vie parMarbode de Ren-
nes (f 1123). Boll. AS. 4 février, I, p. 487-91. Migoe, 171,
c. 1593-1604.
Thierry (Saint), abbé de Saint-Hubert (f 1086). Vie par un
contemporain. Boll. AS. 24 août, IV, p. 848-64. SS. XII,
p. 36-57. Extrait (HF), XIV, p. 62-67.
Thierry (Deodericus) (Saint), évêque de Metz (f 984). Vie
par Sigebert de Gembloux (1050-1060). SS. IV, p. 461-83.
Migne, t. 160, c. 691-726.
Thierry (Saint), évêque d*Orléans (f 1022). Vie par un
moine de Saint-Michel de Tonnerre, 1025 (HLF). Mab. SB.
VI, I, p. 194-6. Extrait (HF), X, p. 368. Autre vie. Mab.
loc, cit., p. 197-8. Extrait HF, X, p. 368-9.
Thierry (Saint), abbé du Mont-d'Or (près Reims) (f 533).
Vie du x*-xi* siècle. Mab. SB. I, p. 614-20. Miracles (x* siè-
cle), ihid., p. 621-2 (xii« siècle), p. 622-32. Epilre et hymne
par Hucbald de Saint-Amand (f 930). Migne. 132, c. 825-8.
TiLLON ou Théau (Saint), moine de Solignac (f 703). Vie par
anonyme (x« siècle). Mab. SB. II, p. 994-1001.
Trond (Saiot). Vie remaniée par Thierry, abbé de S. T. (f
1107). Surius, 23 novembre. Analect. hist. eccL de Belgique,
V, p. 431-59. Miracles par Stepelin, moine de S. T. (xi»
siècle). Mab. SB. VI, 2, p. 85-102.
40 BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
TuDUAL (Saint) (f v. 533). Vie du xi* siècle publiée avec une
plus récente et une autre plus ancienne par A. de la Borde-
rie {Les trois vies anciennes de S. T,), Paris, 1877 et 1888.
TuRiAP (Saint), évêque de Dol. viii® siècle (?). Deux vies pro-
babl. du x«-xi« siècle. Boll. AS. 13 juillet, UI, p. 617-25.
Urbain (Saint), évêque de Langres (v® siècle). Miracles par un
moine de Saint-Bénigne, v. 1030. Boll. AS. 23 janvier, II,
p. 492-4.
Ursin (Saint), premier évêque de Bourges. Vie par anonyme,
V. 982. Labbe, BibL nova MSS, II, p. 455-63.
Ursmar (Saint), abbé de Lobbes (f 713). Vie par Rathier de
Liège, évêque de Vérone (f 974). Mab. SB. III, I, p. 250-5.
— Vie en vers par Heriger, abbé de Lobbes (f 1007), éd. G.
Waulde {La vie et les miracles de S. Ursmer). Mons, 1628.
Fragment. Mab. SB. III, 2, p. 608-11. Migne, 139, c. 1125-8.
— Miracles par Folcuin, abbé de Lobbes (f 990). Mab. SB.
III, 1, 257-62. Boll. AS. 18 avril, II, p. 563-73. — Miracles
en 1060. Acta, ibid., p. 573-578.
Valentin (Saint), prêtre (f v. milieu vi« siècle). Anonyme,
920925. Boll. AS. 4 juillet, II, p. 41-2. Extrait HL, III,
p. 410-1.
Valkrikn (Saint), martyr à Tournus, v. 178. Vie par Baudri
de Bourgueil(?) (f 1130). Boll. AS. 15 septembre, V, p. 21-
23. Migne, 166, c. 1209-12. — Passion^ translation et miracles^
par Falcon deTournus (— 1087). Boll. AS. lac. cit., p. 23-27.
TVaws/a^îon par Garnier do Tournus (v. 1106), ibid., p. 27-29.
Valbrir (Sainte), martyre. Translation, 985, par un moine de
Chambon (Limousin). Anal, Boll. VIII (1889), p. 278-84.
Valkry (Saint), abbé de Leccione (f v. 622). Vie renouvelée
au xi« siècle. Mab. SB. II, p. 77-90. Translation et miracles
(981). Mab. SB. V, p. 557-62. Extrait HF, IX, p. 147-9.
Vandrille (Saint) (Wandregisile), de Verdun (f v. 665). Mi-
racles par un moine de Fontenelle. Mab. SB. II, p. 547-58.
Extrait HF, IX, p. 108-109, etc. — Translation (944) par un
moine de Blandigny (xi'-xii« siècle). Mab. SB.V, p. 200-213.
Extrait HF, IX, p. 153-5.
Vannes (Saint), (Vitonus), évêque de Verdun (f 529). Eloge et
miracles par Richard de Saint- Vannes (f 1046). Mab. SB.
VI, I, p. 565-9.
DBS SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMEES. 41
Venant (Saint) (Venance), évêque de Viviers, vi« siècle. Vie
par anonyme (1098) (HLF). Boll. AS. K août, II, p. 107-10.
Véron (Saint), confesseur à Lembecq (Brabant). Invention
(1004), miracles et translation à Mons (101^), par Olbert,
abbé de Gembloax (f 1048). Boll. AS. 30 mars, III, p. 845-
50.
Victor (Saint), à Marseille (f v. 290). Passion par Marbode
de Rennes (tll23). Migne, 171, c. 1615-26.
Vital (Bienheureux), abbé de Savigny (Manche) (f 1122).
Vie par Etienne de Fougères, évêque de Rennes (f 1178).
Analecta Bolland., I, 1882, p. 357-90.
Vivent (Saint), prêtre à Vergy (f v. 413). Vie par un moine
de Vergy, 930-35 (H. litt.).Boll. AS. 13 janvier, I, p. 804-14.
Extraits HP, VII, p. 368, IX, p. 130-1.
VoRLE (Saint) (Verolus), prêtre à Chàtillon-sur-Seine (f v.
600). Vie-homélie du xi« siècle. Boll. AS. 17 juin III,
328-8. Extraits HP. XII, 468, X, 375.
VouEL (Saint), solitaire à Soissons (f v. 720). Vie du x* siècle.
Mab. SB. IV, 2, 544-50.
Vulpran (Saint), évêque de Sens(f 720-21). Invention (1027)
et miracles par un moine de Saint- Vandrilie (1061). Mab.
SB. III, 1, p. 366-82. Extraits HP, X, p. 381, XI, p. 476-7.
VuLGAN (Saint), patron de Lens (Artois) (f 685). Vie par un
anonyme du xi* siècle. Boll. AS. 2 nov. I, p. 569-74.
Walbert (Saint) (Waldebert), abbé de Luxeuil (f 665). Vie
et miracles par Adson de Montier-en-Der (f 992). Mab. SB.
III, 2, p. 452-60. Migne, 137, c. 687-700.
Walburqk (Sainte) (f v. 780). Vie par Adalbolde évêque d*U-
trecht (f 1027), Migne, 140, c. 1091-1102.
Waneng (Saint), fondateur de Tabbaye de Pécamp (f v. 688).
Vie du x«-xi« siècle. Fragments. Mab. SB. II, 972-5.
Werburgb (Sainte), vierge, viii* siècle. Vie par Goscelin,
moine à Saint-Bertin puis à Cantorbéry (f 1098). Boil. AS.
3 février I, p. 386-90. Migne, 155 c. 97-110.
WiBORADE (Sainte), vierge de Saint-Gall (f 926). Vie par
Hartmann, moine à Saint-Gall. Boll. AS. 2 mai I, p. 284-93.
Mab. SB. V, p. 44-61. Autre, par Hepidann (1076). Mab.
ibid., p. 61-66.
42 BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
WiLFRiD (Saint), évêque d'York (f 709). Vie (envers) par Fri-
degod vers milieux* siècle. Mab. SB. 111, I, p. 171-96.
Migne, 133. c. 981-1012. Vie par Eadmer (1060-1124),
Mab. SB. III, I, p. 196-228. Migne, 159, c. 713-52.
WiLLiBROD (Saint), évêque d'Ulrecht (f 738), fondateur
d'Epternach. Vie parThéofroi,abbéd*Eplernach(f 1110). Re-
maniement d'une vie écrite par Alcuin (f 804). Fragments.
Mabilion, SB. III, p. 629-30. Migne, 157 c. 411-12.
WiNNOC (Saint), Flandre (f 717). Vie par anonyme du xi* siè-
cle. Mabilion, SB. 111, I, p. 302-14. Extraits HF, III, p.631-
32 ; Vil, p. 379-80 ; IX, p. 134. Vies et Miracles, par Drogon,
moine de Bergh-Saint-Winnoc (xi* siècle). Mab., loc. cit.^
p. 315-27, SS. XV, 2, p. 778-82.
WoLBODON (Saint), évêque de Liège (f 1021). Vie par Raynier
de Saint-Laurent (v. 1130). Mab. SB., VI, 1, p. 176-85.
Migne, 204, c. 199-212. Extrait, HF. X, p. 317.
WuLSTAN (Saint) (f 1095). Vie par Hemming de Worcester,
son contemporain. Migne, 150, c. 1489-92. — Vie par Flo-
rent de Worcester (f 1118). BoU. AS. 19 janvier II, p. 239-
42. — Vie par Guillaume de Malmesbury (f 1140). Mab.
SB. VI, 2, p. 840-65. Migne, 179, c. 1734-72.
YsARNB (Saint), abbé de Saint-Victor de Marseille (f 1048). Vie
par un contemporain. Mab. SB. VI, I, p. 609-26. Boll. AS.
24 septembre, VI, p. 737-49.
V B10GR.\PHIES
Adalbbron II, évêque de Metz (984-1005). Vie par Constan-
tin, abbé de Saint-Symphorien de Metz, écrite vers 1015.
SS. IV, p. 6Ô9672. Migne, 139, 1553-1576.
Bouchard, comte de Melun (Vie par Eudes de Saint-Maur
écrite en 1058), éd. B. de La Roncière. Paris, 1892(CT).
Bouchard, évêque de Worms!(f 1025). Vie par un auteur du
xi« siècle (après 1030). SS. IV, p. 829-46. Migne, L 140,
507-536.
Charles le Bon (f 1127), comte de Flandre. Histoire par
Galbert de Bruges, éd. Pirenne, 1891 (CT).
Gauzlin, abbé de Fleury (f 1030). Vie par André, moine de
Fleury (1041), éd. Léop. Delisle, Orléans, 1853, 66 pages
DBS SOURGBS MANUSCRITES ET IMPRIMÉES. 43
{Extrait des mémoires de la soc. archéol. de l'Orléanais, II,
p. 257-322). Nouv. éd. d'après un MS. du Vatican par
P. Ewald avec noies de L. Delisle. Neues Archiv, der Ge-
sellsch. f. à. d. Gesch., 111,1878, p. 35l-83{adde II, p. 605-
607).
Lambert, abbé de Saint-Bertin (1095-1 1 25) [Tractatus de mon-
bus Lamberti) par un anonyme du xii' siècle. SS. XV, 2,
, p. 947-53.
Mathildb, comtesse de Toscane (1052-1125). Vie par Donizon,
bénédictin à Canossa (1115). SS. XII, p. 348-409. Migne,
148, c. 949-1036. Résumé en prose. Migne, 148, c. 1039-
1058.
Robert I. Vie par Helgaud(v. 1050). HF. X, p. 96-117. Mi-
gne, 142, c. 909-936 (Cf. Auvray, Une source de la vita
Roberti. Mélanges de Técole de Rome, 1887, p. 458).
5» CHRONIQUES (par régions).
Alémanie. — Bernold, prêtre à Constance (f 1100). Chroni-
que originale à partir de 1055. SS. V, p. 385-467. Migne,
148, c. 1299-1432.
— Hermann (Conlractus), bénédictin à Reichenau (f 1054).
Chronique universelle (1054). SS. V, p. 67-133. Migne,
143, c. 55-264.
Anjou, — Chroniques d\injou : Eglises d'Anjou, éd. Marche-
gay et Mabille, 1869. — Comtes d'Anjou, éd. Mabille. 1871.
Aquitaine. — Adémar pb Chabannrs (f 1034). Chronique
d'Aquitaine (1028). SS. IV, p. 113-148. Migne, 141, c. 19-
80. Edit. J. Chavanon, 1897 (CT). Ajoutez J. Lair, Eludes
critiques sur divers textes des x« et xj* siècles. Paris, 1899.
T. II.
— Angouléme. — Chronique des évoques et des comtes d'An-
goulême (v. 1159). Labbe, Bibl. nova MSS. II, p. 249-64. Ex-
traits HF, X-XII.
— Berry. — Annales de Massay (Saint-Martin) (diocèse de
Bourges) (732-1013). SS. III, p. 169-70. Extraits HF. VIII,
p. 230-31.
— Limoges. — Chroniques de Saint-Martial de Limoges, éd.
Duplès-Agier, Paris, 1874.
44 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
— Id, — Gkoffroy nu Viqeois, moine de Saint-Martial do Li-
moges, Chronicon Lemovicense (vers 1184), HF. X, p. 267-9 ;
XI, p. 289. XII, p. 421-451.
— Poitou. — Pierre de Maillezais (1070). Chronique de
MaïUezais (Bas-Poitou). Labbe, Bibl. nova MSS. II, p. 222-
38. Migne, t. 146, c. 1247-72.
— Velay, — Chronique de Saint-Pierre-le-Vif du Puy (x-
XII* siècle), éd. U. Chevalier à la suite du Cartulaire de
Saint-Chaffre du Moneslier, p. 151-166.
Artois. — Arras. — Gestes de Lambert, évêque d*Arras (1092-
1115). Baluze MiscelL, II, p. 127-136. Migne, 162, c. 627-
648.
— Tomellus, secrétaire de Baudoin VI, comte de Flandre
(1070). Histoire de Tabbaye d'Hasnon (diocèse d'Arras), 670-
1070. Migne, 147, c. 587-600. SS. XIV, p. 149 158.
— Chronique du monastère de Watten (près Sainl-Omer).
Faussement attribuée à un moine Eberhard. Ecrite avant 1091
par Bernold, prévôt de Watten (d'après Holder-Eggers).
SS. XIV, p. 163-75. Migne, 149, c. 1513-32.
Bourgogne, — Raoul Glaber. Histoires (987-1044), éd. Mau-
rice Prou, 1886 (Collect. de textes).
— Auxerre. — Chroniques des évêques à'Auxerre. Auteurs
successifs du ix* au xii* siècle, éd. Duru, Bibl. de l'Yonne^
I, p. 309 et suiv. Migne, 138, c. 219 et suiv.
— Dijon. — Chroniques de Saint-Bénigne de Dijon et de Bèze
(458-1052), éd. Bougaudet J. Garnier. Dijon, 1875.
— Chronique de Morigny (1108-1147). Migne, 180, c. 131-176.
Fragm. HF. XII, p. 68-88.
— Sens. — Historia Francoium Senonensis, 688 à 1015 (ori-
ginale surtout de 1000 à 1015). SS. IX, p. 364-69. Migne,
163, c. 853-64.
— Odoran. Chronique (écrite entre 1032 et 1045). Duru,
Bibl. hist. de l'Yonne, II, p. 391-402.
— Annales de Sainte-Colombe de Sens. Duru, Bibl. hist. de
VYonne, I, p. 200-213.
— Clarius. Chronique de Saint-Pierre-le-Vif de Sens (v. 1124),
éd. Duru, Bibl. hist. de l'Yonne, II, p. 451-550.
— Chronique de Toumus par Falcon (1087). Chifflel, Historia
monasteriTomutiensiSj Dijon, 1664.
DBS SOURCBS MANUSCRITES ET IMPRIMÉES. 45
Bretagne. ^Nantes. — Chronique de Nantes (1050-1059), éd.
R. Merlet, 1896 (CT).
Flandre. — Chronique du monastère d'Oudenhourg (d. Noyon-
Tournai) (-1084). SS. XV, 2. p. 867-72. Migne, 174,
c. 1459-70.
Francie, — Chronique du ojonaslère de Mouzon-la -Sainte-
Vierge (diocèse de Reims) (rédigée de 1033 à 1046). SS.
XIV, p. 601-618. Fragment Migne, 137, c. 517-30.
— Annales de SainUGermain-des-Prés (466-1061). SS. III,
p. 166-68.
— Flodoard. Annales, 919-966. SS. III, p. 363-408. Migne
135, c. 423-90. — Histoire de l'église de Reims, 948. SS.
XIII, p. 405-599. Migne 135, c. 27-328.
— RiCHER. Histoire, 883-998. SS. III, 561-657. SS. 8% éd.
Waitz, 1877 et 1889. Ed. Guadet, Paris, 1845.
Hainaut, — Chronique des abbés de Lobbes (637-980), par
Folcuin de Saint-Bertin (f 990). SS. IV, p. 52 74. Migne,
137, c. 545-82. Continuation 972-1159. SS. XXI, p. 308-
33. HF. XIV, p. 412-23.
— Tournai. — Annales de Saint-Martin de Tournai (449-1099).
SS. XV, 2, p. 1295-97. — Histoire de la restauration de
Saint-Martin de Tournai (1092-1127), par Herrmann(f 1147).
Migne 180, c. 39-130. Extraits HF, t. X-XIV.
Lorraine {Basse.). — Sigebbrt de Gkmbloux. Chronogra-
phie, 381-1112. SS. VI, p. 300-375. Migne, 160, c. 57 240.
— Gestes des abbés de Gembloux, jusqu'en 1048. SS. VIII,
p. 523-42. Migne 160, p. 595-628. Continuation de 1048 à
1136 par le moine Godescalc. SS. VIII, p. 542-63. Migne,
160, c. 627-88.
— Chronique de Saint-Hubert (Andagine) en Ardennes, 687-
1106. SS. VHI, p. 568-630. Migne, 154, c. 1341-1456.
— Chronique du tnonsislère d* A ffllghem (dioc. de Cambrai),
1083-v. 1130. SS. IX, p. 407-417. Migne 166, c. 813-32.
— Cambrai. — Chronique des évêques de Cambrai (Chronique
connue sous le nom fictif de Baudri de Thérouanne, rédi-
gée par divers auteurs du xi« siècle). SS. VII, p. 393-504.
Migne 149, c. 21 et suiv. A ajouter les gestes des évêques
de Cambrai de 1092-1138, éd. Ch. de Smedt, 1880.
46 BIBLIOGRAPHIB COMPLÉMBNTAIRB
— Camhrésis, — Chronique de Saint^André de Cateau-Cam-
brésis (1001-1133) (Chr. très importante, restée longtemps
ignorée). SS. VII, p. 526-550. Migne 149, c. 241-88.
— Liège. — Chronique de Saint-Laurent de Liège (959-1095)
par Rupert (Robert), abbé de Saint-Héribert de Tuy
(t 1129). SS. VIII, p. 261-79. Migne, 170, c. 671-702.
— Prûm. — Reginon (f 915). Chronique, 1-906. SS. éd. Kurze,
in us, schol. 1890. Migne, 132, c. 13-150. Continuation de
907-967. SS. ibid. Migne, 132, c. 151-174.
— Trêves. — Gestes des évoques de Trêves^ ad. ann. 1101. SS.
VII!, p. 130-174. Appendices, p. 175-260. Migne 154, c.
1091-1234. App. c. 1233-1338.
— Gestes des abbés de Saint-Trond^fBLT Tabbé Rodolphe (618-
1108). SS. X, p. 213-272. Migne 173, c. 33 et suiv. (Tableau
très fidèle de la vie monacale).
Lorraine {Haute). — Metz: -•■ Alpkrt (moine de Saint-Sym-
phorien de Metz, xi** siècle), De episcopis Mettensibus^ 978-
1017 (perdu en grande partie). SS. (V, p. 696-700. Migne,
140, c. 445-50. De diversitate temporum ad Burchardum^
1002-1018 (écrit de 1022 à 1023). SS. IV, p. 700-723.
Migne 140, c. 450-490.
— Metz. — Gestes des évêques de Metz, 7681120. SS. X,
p. 531-544. Migne 163, c. 579 suiv.
— Chronique de Saint-Mihiel (dioc. de Verdun), 722-1034.
SS. IV, p. 78-86; éd. Tross, Ham, 1857.
— Chronique de Tabbaye de Moyenmoutier (diocèse de Toul)
(Liber de Sancti-Hildulfi successoribus) (703-1020). SS. IV,
p. 86-92. Migne 138, c. 203-220.
— Toul. — Gestes des évêques de Toul (ad. an 1107). SS.
VIII, p. 631-48. Migne 157, c. 447-476.
— Verdun. — Huguks de Flavigny (1065-1115). Chronique
allant jusqu'à 1102. Originale pour le xi» siècle, et spéciale-
ment importante pour la Flandre et la Lorraine. SS. VIII,
288-502. Migne, t. 154, c. 21-404.
— Histoire des évêques de Verdun par un moine de Saint-
Vannes (925-1047). SS. IV, p. 45-51. Migne, 132, c. 517-28.
— Gestes des évêques de Verdun par Laurent de Liège (1047-
1144). SS. X,p. 486-516. Migne, 204, c. 919 suiv.
DES SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMÉES. 47
Maine. — Gestes des évoques du Mans. Mabil. Vetera Ana-
lecta, III, p. 337 suiv., nouv. éd. (de la Barre, 1723), p. 319
suiv. Extraits HF. X-XII.
Nivernais. — Annales Nivernenses (509-1188). SS. XIII, p. 88-
91. — Origo et historia brevis Nivemensium comiium. Labbe»
Bihl. nov. MSS. I, p. 399-400. Fragment HF. X, p. 258 ; XI,
p. 281 ; XIÏ, p. 316.
Normandie et Normands. — Dudo dr Saint-Quentin. His-
toria Normanoru m (860-1002), éd. Lair, Caen, 1865.
— Geopproi de Malleterre (normand). Historia sicula (Ges-
tes des Normands en Italie. Détails sur la Normandie et les
Normands). Migne, 149, c. 1101 suiv.
— Guillaume (Calculus) de Jumiëqes (xi" siècle). Histoire
des Normands. Les 4 premiers livres extraits de Dudon
de Saint-Quentin (851-996). Les livres 5, 6 et partie de
7 sont de G. de Jumièges qui vivait déjà (1026-1028) sou&
le duc Richard III. La fin du 7^ et le 8° (-1137), sont de
continuateurs du xi*-xii* siècle. Migne, 149, c. 779-910.
— Guillaume DE Poitiers (v. 1090). Chronique de Guillaume
le Conquérant. Migne, 149, c. 1216-70.
— Orderic Vital. Histoire ecclésiastique, éd. A. Le Prévost
etBelisle. Paris, 1838-1855.
— Histoire de Tabbaye de Fécamp (Libellus de revelatione^
œdific. etauctor. Fiscannensis monast.), écrite par un moine
de Fabbaye vers 1085 (HLF). Migne, 151, c. 699-724.
— Gestes des archevêques de Rouen, probabl. par Fulbert de
Saint-Ouen (v. 1080). Mab. Analecta II, p. 424-55. Extrait
HF. XI, p. 70-73. Migne, 147, c. 273-80.
Or^anaw. — Annales Floriacenses, 626-1058. SS. II, 254 55,
625-1044. SS. XIII, 87-88.
Orléanais. — Hugues de Fleury. Libellus de modernis Fran-
corum regibus (841-1108). Ecrit de 1114-1125. SS. IX,
p. 376-95. Migne, t. 163, c. 873-912.
Ponthieu. — Chronique des comtes de Guines et d'Ardres
(800-1203), par Lambert d'Ardres, éd. Godefroy Ménilglaisé,
Saint-Omer, 1855. SS. XXIV, p. 557-642.
— Chronique de Tabbaye de Saint-Riquier (v® siècle — 1104),.
par Hariulf (+ 1143), éd. Lot, 1894 (CT).
48 BIBLIOGRAPHIE COMPLBMENTAIRB
Rouergue, — Histoire de la fondation de Tabbaye de Vabres
dans le Rouergue (860-906) par Agioo, abbé de Vabres,
puis archevêque de Narbonne (f 926). H. du Lang., nouv.
éd. II. Preuves, p. 323-28. Migne, 132, c. 781-6.
Touraine. — Chroniques de Touraine publiées par A. Salmon.
Tours, 1854-1856.
— Petite chronique (surtout récit de miracles) de MaroQOutier,
aux*" siècle. Migne, 149, c. 403-420.
Vendômois, — Origo comitum Vindocmensium. HF. XI, p. 31.
Vermandois. — Annales de Saint-Quentin, 793-994. SS. XVIu,
p. 507-8.
60 LETTRES, SERMONS ET OPUSCULES
Abbon db Flbury (f 1004). Collection de canons, lettres, apo-
logie. Migne, t. 139, c. 419 etsuiv.
Adalberon de Laon (f 1030). Poème adressé au roi Robert.
HF. X, p. 65-72. Migne, t. 141, c. 721-86. Nouv. éd. avec
trad. et commentaire par A. Huckel. Mélanges d*H. du M. A.
publiés par Luchaire^ Paris, 1901, p. 48 et suiv.
Adalberon de Reims (f 988). Lettres. Migne, 137, c. 504-
530.
Adbmar de Chabannes (f 1034). Ecrits divers publiés par
M. Delisle dans notice sur les MSS. originaux de A. de C.
Paris, 1896. Adde, Lair, Eludes critiques, Paris, 1899. T. II.
Amat, arch. de Bordeaux (f 1101). Lettres HF. XIV, p. 763-
76. Migne, 155, c. 1641-44.
Anselme de Cantorbéry (f 1109). Lettres, Mignet 158, c.
1057-1208, 159, c. 9-272.
Atton, évéque de Verceil (f 960-961). Lettres, Migne, 134
c. 95-125. — Le livre des calamités ecclésiastiques (De
pressuris ecclesiasticis), ibid,^ 51-96. — Sermons, ibid.^ 833-
60'.
* Le Polypticum quod appellatur Perpendiculum attribué à Atlon ne
lui appartient pas. Il est postérieur à l'an 1003. Ebert (ULst. de la litt.
du M, A., m, p. 398) le croit, mais sans preuve suffisante, d'un auteur
espagnol. Satire en latin mystique des mœurs du temps, demeurée
inintelligible. Il serait à souhaiter qu'un érudit sagace en découvrît
la clef.
DBS SOURCES MANUSCRITES ET IMPRIMEES. 49
Bbrnon, moine à Fleury, abbé de Reichenau (lOOS-1048).
Lettres, Migne, 142, c. 1158-76.
Fulbert de Chartres (f i0!i8). Lettres. Migne, 141, c. 189-
278.
Gboproi DR Vendôme (f 1132). Lettres (1095-1132). Migne,
157, c. 33-212.— Opuscules ibid.y c. 211-238. — Sermons,
ibid., c. 237-282.
Gbrbert (f 1003). OEuvres, éd. Olleris, Clermont-Ferrand,
1867. Lettres (983997), éd. Julien Havet, Paris 1889 (CT).
Adde, Lair, Etudes critiques, Paris, 1899. T. L
GoDBPROY DE BouiLLON. Lettres et diplômes. Migne, 155, c.
389 et suiv.
Guillaume V, comte de Poitou et duc d'Aquitaine (959-1030).
Lettres (1014-1027). Migne, 141 c. 827-32.
Hildbbbrt du Mans (f 1134). Lettres. Migne, 171, 135-311.
HF. XV, p. 313-28.
Hugues (Saint), de Cluny (f 1109). Lettres. Migne, 159, c.
927-46.
Hugues, évêque dé Die (1073) légat, archevêque de Lyon
(1082) en Terre sainte, 1101, f a Suze, 1106. Migne, 157,
c. 507-28.
Hugues de Fleury. Tractatus de regia potestate et sacerdotali
dignUate (1100-1106). Migne, 163, 939-976. SS. Libelli de
lite. II, 466-94.
IvES de Chartres. Lettres. Migne, 162, c. 11-288. Adde Merlet,
BibL Ecole des Chartes, 1855, p. 443-71.
Lambert, évêque d'Arras (1093) -{- 1115. Lettres (ad illum
vel ab ipso). Baluze, Miscellanea, V, p. 283-377. Migne,
162, c. 647-702.
Lambert de Saint-Omer (— 1120). Le Liher Floridus (ency-
clopédie). Migne, 163, c. 1003-32.
LANPRANc(tl089). Lettres. Migne, 150, c. 515-552.
Lettres des papes du x* et xi® siècle : De 882-996, HF. IX,
157-253. — De 993 à 1001, ibid. X, 429-434. — De 1049 à
1060, ibid. XI, 491-95. - De 1067 à 1072, ibid. XIV, 532-
548. — De 1073 à 1084 (Grégoire VII), ibid, XIV, 565-673. —
De 1088 à 1099, ibid. XIV, 688-737. — Ajoutez lettres iné-
dites de 888 à 1099. Lœwenfeld, Epistolx pontif. romanorum
ineditœ (Leipzig, 1885), p. 37-67.
P. — Tome Ul. 4
50 BIBUOGRAPHIE COMPLBMBNTAIRE DBS S0URCB8.
Odon (Saint), abbé de Cluny. Occupatio, éd. Swoboda (Leip-
zig, 1900).
PiBRRE Damieo (Saint) (988-1072). Lettres. Migne, t. 144,
c. 205-498. OEuvres diverses, t. 144 et 145.
Raoul Ardent (f v. 1101). Homélies. Migne, 155, c. 1299 et
suiv.
Rathier de Liège (f 974). Opuscules, lettres et sermons. Mi-
gne, 136, c. 145 et suiv.
Raynaud, archevêque de Reims, 1083 (f 1096). Lettres. Mi-
gne, 150, c. 1385-90.
Richard de Milhaud, abbé de Saint- Victor de Marseille, 979.
Archevêque de Narbonne, 1106(f 1121). Récit des persécu-
tions d*Aimeric, vicomte de Narbonne. Migne, 162, c. 1598-
1602. Lettres, ibid., c. 1602 et suiv.
SioEFROY, abbé de Gorze (1032-55). Lettres. Giesebrecht,
Geschichte der deustchen KaiserzeiL II, 3* édit., 1885^ p. 714-
19.
Thierry LE Grand, prévôt de Bâle, évéque de Verdun (1046)^
f 1089. Lettres. Martène, Thésaurus anecdot. I, 220.
Walo, abbé de Saint-Arnoul à Metz (v. 1073). Lettres pu-
bliées sous le nom erroné de Guillaume. Mabillon, Vêlera
Analecta, I, p. 247-276. Migne, t. 150, 875-84.
*oo<Soo*
LIVRE QUATRIÈME
LA RENAISSANCE DE L'ÉTAT
LES ORIGINES
DE
L'ANCIENNE FRANCE
LIVRE QUATRIÈME
LA RENAISSANCE DE L'ÉTAT
La dissolution de la société, telle que je Tai décrite au
tome premier, du point de vue de l'État royal, où elle
trouvait sa manifestation la plus haute, doit s'entendre
surtout de la période qui précède l'avènement de la dynas-
tie capétienne. Mais on aurait tort d'attribuer trop de
rigueur à ce point de départ. En vérité les derniers Caro-
lingiens, Louis d'Outremer, Lothaire, Louis V, si impropre-
ment nommé le Fainéant, avaient, malgré leur faiblesse et
' On ne Fe méprendra pas sur le sens que j'attache au mot État et
5ur son emploi au singulier. Il ne s*agit pas bien entendu d'un État
unique, d'un État français, mais de la structure juridique, de la con-
stitutirtn propre aux multiples principautés de tout rang et de toute
tailK qui, en lutte séculaire les unes avec les autres, étaient destinées
dans un l(/mtain avenir à se rejoindre, se grouper, se fusionner au-
li»ur d'un novau central.
54 LIVRE IV.
leur impuissance, travaillé avec zèle à Tœuvre de recons-
titution, et cette œuvre n'a, sous leurs successeurs capé-
tiens, progressé que lentement, à travers de lourdes re-
chutes. N'exagérons pas non plus le rôle personnel de la
dynastie. Il est infiniment moindre que Taction interne de
la société, que le travail de cette masse innombrable de
molécules humaines groupées selon leurs affinités ethniques
et p6u*ticularistes, selon leurs traditions et leurs mœurs,
leurs intérêts et leurs passions^ sous les ordres de chefs
de famille, de seigneurie, de religion, et dont Telfort in-
conscient et continu vers l'unité, vers l'ordre et l'harmo-
nie logique, profite au pouvoir souverain. Ce pouvoir est
celui du roi ou celui du prince. Bien avant que la mo-
narchie française prenne corps avec Louis VII et Philippe-
Auguste, les diverses souverainetés seigneuriales, les pe-
tites royautés des pays de Gaule, bénéficient largement
d'une réorganisation sociale.
Recherchons sur quelles bases et avec quels éléments
cette renaissance s'est opérée.
PREMIÈRE PARTIE
LES BASES ET LES ÉLÉMENTS
CONSTITUTIFS DE L'ÉTAT
§ I. — LES BASES DE L'ÉTAT
CHAPITRE PREMIER
QUE LA BASE ESSENTIELLE DE l'ÉTAT EST LA FOI
LIGE NATURELLE.
Les historiens ont admis jusqu'ici que la société politi-
que des X* et xi* siècles s'était édifiée tout entière sur le
contrat de fief territorial, et par lui incorporée au sol. Or,
le contrat de fief que Ton avait en vue a son centre de
gravité dans la foi ; on pouvait donc dire que la foi con-
tractuelle formait la base sociale.
En reprenant cette conception traditionnelle et en pré-
sentant le contrat féodal exprès comme l'élément fonda-
mental de la société politique, un des plus brillants élèves
de Fustel de Coulanges, M. Imbart de la Tour, a dû
reconnaître que la thèse n'était exacte que pour les hautes
classes, les privilégiés ; qu'en bas, pour la grande masse
populaire, la coutume tenait lieu de contrat*. J'estime qu'il
* V évolution des idées sociales au M. A, du xi* au xiii* siècle
56 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
faut aller plus loin et affirmer que la foi coniracluelle ne
se place, au point de vue politique, qu'en sous-ordre et
que, pendant la majeure partie de nos deux siècles, elle
a été tout au plus une sorte de succédanée de la foi lige
naturelle.
Dans les États modernes, la loi générale ne sanctionne
pas seulement les obligations qu'elle impose à l'individu
dans l'intérêt commun, mais ses devoirs aussi envers les
groupes naturels auxquels il appartient et dont la famille
et la commune sont les principaux.
A l'époque de transformation sociale que nous étu-
dions, la loi générale n'existait pas et les groupes natu-
rels étaient plus nombreux et plus puissants qu'ils ne le
sont aujourd'hui : la royauté et le principat en faisaient
partie, la famille et le lignage y tenaient les premiers
rangs. A défaut de loi commune, c'était un principe géné-
ral qui les subordonnait l'un à l'autre et leur subordon-
nait l'individu : la fidélité ou foi. Celle-ci s'alimentait
à la même source que les groupements dont elle mainte-
nait la cohésion et fixait la hiérarchie : la réciprocité de
protection et de dévouement qui unit les faibles aux puis-
sants et les égaux entre eux. Elle était donc avant tout
traditionnelle ou instinctive.
Que la fidélité envers le chef, le seigneur ou le maître,
et envers l'égal ou le compagnon, fût le vrai principe de
gouvernement des sociétés politiques de ce temps, les con-
temporains éclairés en ont eu une nette conscience. Guil-
laume de Poitiers loue Guillaume le Conquérant d'avoir
réalisé la sentence des philosophes antiques que le fon-
dement de la justice est la foi^ Et par foi les hommes
(Comptes rendus des séances de V Académie des sciences morales et
politiques, septembre -octobre 1896, p. 395 el suiv.).
' « Affirmabis per eum nunquam societatis jus aut amicitis fuisse
vioiatum... tanquam edocens aciu suo quod enuntiant philosophi
justitiœ fundamentum esse fidem ». {Gesta Willelmi, Migne, i49,
c. 1222). — Cf. ce passage d'uno lettre de Lanfranc : « Neque decet ut
LBS BASES BT LBS ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE l'ÉTAT. S7
du XI* siècle n'entendent pas, comme Cicéron*, la bonne
foi dans les contrais, dont nous le verrons, ils Taisaient
bon marché; ils entendent le dévouement personnel. Si
toute ruse était de bonne guerre, si toute 6n justifiait tous
moyens, au point qu'aucun contrat formel n'offrait de so-
lidité ni de garantie suffisante, il en allait autrement de
la foi proprement dite. Sa rupture était le plus noir des
crimes, le plus inexpiable forfait*. Étrange contradiction
morale, mais dont Thistoire rend raison.
Au milieu des luttes privées et des crises économiques,
le dévouement des moindres était aussi indispensable aux
plus grands que la certitude du pain quotidien ou d'un
lieu de refuge l'était à tous. C'est ce dévouement, avec la
réciprocité qu'il appelle, qui constitue la fidélité, et il
m'apparaît comme très général et très étendu à tous
les degrés, comme se transmettant aussi de père en fils.
Le point d'honneur, où Montesquieu voyait un apport des
lois germaniques, est beaucoup plutôt sorti des relations
que la fidélité nouait entre les hommes. Se fier pleine-
ment à autrui, s'abandonner, s'en remettre à lui de sa per-
sonne ou de ses biens, provoque chez l'homme qui est
l'objet d'une telle confiance un sentiment de fierté, et le
désir de justifier aux yeux de tous qu'il en est digne. Le
seigneur se fit ainsi un point d'honneur de soutenir et de
protéger son fidèle, le fidèle un point d'honneur de servir
son seigneur, de se dévouer à lui et aux siens jusqu'à la
mort.
fîlius Willelmi comitis, cujus prudentia et bonilas et erga dominum
suum et omnes amicos suos fidelitas mullis terris innoluil, infidelis
diceretur, et de perjurio vel fraude aliquam infamiam paleretur »
(Migne 150. c. 538).
* De offieiis, 7.
* Chanson de Roland, v. 3959 :
« Ki traïst hume, sei ocit e altrui »
Cf. Ren. de Montauban,p. 179, v. 25.
« Bien doit morir à honte hom qui fait traïson. »»
58 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Je n^aî garde d'oublier ni les exemples d'infidélité que
dévoilent les documents historiques, ni les plaintes sur le
manque de foi, ni Toppression et la tyrannie des seigneurs.
Mais si vous mettez à part les récriminations si nombreu-
ses et d'ordinaire si justifiées du clergé contre ses protec-
teurs laïques, des protégés de TÉglise contre les corps
religieux et les évéques*, — et vous le devez, peurce
que le dévouement personnel n'avait ici qu'une moindre
place '; — si vous avez ensuite égard à la barbarie des
mœurs et à l'existence du servage, comme institution lé-
gale, il ne reste que des faits isolés qui soulevaient l'ani-
madversion publique' et qu'il n'est pas plus légitime de
généraliser que les crimes et les scandales des sociétés
modernes.
Assurément la violence et la malignité étaient générales,
mais entre qui? entre personnes qui n'étaient pas liées l'une
à l'autre par la fidélité familiale, domestique, vassalique.
Celle-ci se resserre même à proportion que les autres s'éten-
dent et s'aggravent. C'est là que se réfugie, se concentre la
force tutélaire de l'État, c'est là que se trouve le nœud es-
sentiel des rapports sociaux. Les historiens l'ont méconnu
pour s'être trop attachés à quelques phénomènes extérieurs.
De ce que, par exemple, les anciens droits régaliens (jus-
tice, police, etc.) se morcelaient et se transmettaient par
contrat, de ce qu'aussi des accords multiples étaient conclus
au sujet des terres et des services, il ne suit nullement que
* T. I, p. 435 et suiv.
»T.II, p. 551 et suiv.
> Un vassal a décapité son seigneur sur l'ordre du prince et sous
menace de mort (invitus... inlcrminante irato duce et dicente : « nisi
islum occideris, occidamte » ). Son évêque lui refuse tout pardon et
lui rappelle en ces termes les devoirs de fidélité qu'il a violés : u De-
bueras pro seniore tuo mortem suscipere antequam illi manus aliquo
modo inferres, el martyr Dei pro talc fide fieres, sed gravissimum
reatum egisti et nobis inauditum. Nescio tibi consilium ferre pœni-
tentiae. » (Actes du Concile de Limoges, 1018, Migne 142, c. 1400).
LES BASES ET LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L*ÉTAT. 59
le contrat fût le souverain régulateur. Au-dessus de la
dislocation du droit public ancien et de l'efflorescence des
conventions privées, il existait, dès le ix* siècle, un droit
public nouveau ou renouvelé, qui dominait les divers con-
trais quand il n'en tenait pas lieu.
Ce droit nouveau était sorti des rapports naturels que
l'origine crée entre les hommes.
Par le fait de leur naissance en une région et dans une
famille déterminée, les habitants de la France du x^ siècle
étaient dépendants de chefs ou de principes commandant
à des groupes plus ou moins étendus. C'est la distinction
fondamentale de la famille, du clan, de la tribu, qui se
survit dans des cadres bouleversés ou remaniés. L'homme
libre né, par exemple, au milieu du x* siècle dans le
pagus Vilcassinus (Vexin), d'une famille qui y est implan-
tée, devra en principe la fidélité au rex Francorum^ au
duc qui le représente, au chef du pagus^ à des seigneurs
intermédiaires entre ces principes et le chef de famille.
Mais d'ordinaire tous ces rapports se résoudront en une
subordination au chef de lignage ou de clan, lequel à son
tour sera subordonné à un seigneur immédiat. Si la fa-
mille est serve, ou de condition quasi-servile, ce seigneur
sera un maître, un propriétaire. Telle est dans son essence,
la foi lige naturelle : elle est due à la famille et par exten-
sion au seigneur d'un groupe naturel. Et c'est pourquoi
tous sujets, libres ou serfs, doivent en principe le serment
de fidélité*. Ils sont appelés natifs^ originaires, etc.', :
naturalitas est synonyme, et le restera durant tout le
Moyen âge, de fidélité due au roi ou au légitime sei-
gneur*.
' T. II, p. 511.
« Nalurales = nativi (Ducange, v° Naturales). — Cf. « Naturales
villani ejusdem Scti » (992-995, Lex, Eudes, comte de BloiSy p. 126,
Cartul. Blesois, p. 60).
* Voy. Ducange, v* Naturalitas, — Parmi les chroniqueurs Orderic
60 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Bien que dérivant, sous ses divers aspects, de la même
source, la foi naturelle avait par la force des choses une
intensité variable. Son énergie croissait en raison inverse
de Tampleur du groupement. Elle atteignait son maximum
d'effet dans le compagnonnage naturel, dans la fraternité
par le sang, son minimum dans la grande patrie.
La royauté carolingienne avait voulu renverser cette
proportion. Charlemagne s'était efforcé de subordonner
à la fidélité {lêodesamio) envers le roi, basée sur le mun-
dium familial*, lafoi envers le compagnon ou le seigneur*.
Mais dans la dissolution de l'empire, le lien de fidélité se
relâcha de nouveau par en haut, tandis que, par en
bas, il se resserra. La foi naturelle due au roi ou au
prince par les simples sujets fut accaparée ou primée
par celle qui était due au chef du lignage, de la mais-
nie, du clan seigneurial. A tous ces degrés la foi
était lige, aux degrés inférieurs elle était lige par excel-
lence.
Nous ne pouvons pas nous attendre à trouver dans les
sources contemporaines un tableau d'ensemble où soient
groupés et condensés les traits de cette transformation
épars clans une foule de documents successifs. Pourtant
j'en ai rencontré dans les miracles de saint Berlin une
relation très saisissante.
Le récit, qui est d'un auteur du xi* siècle, Folcard, se
rapporte à la fin du ix\ Il en ressort :
Vital se sert couramment de la locution naturalis dominuSf hents (Ed.
Le Prévost, t. III, p. 223, IV, p. 102, 234, 305, etc.).
Des expressions équivalentes sont très fréquentes dans les plus an-
ciennes chansons de geste. « Franc duc naturel » (Girard de Viane,
p. 163). — « Li dui roi natural » (Chanson d'Aspremonl) ; « li baron
natural » (ibid., v. 241); « li frans dus nalurax » (iôu/., v. 430); « li
frans cuens naturaux » (Chanson des Saisnes, t. I, p. 194), etc.
« T. I. p. 79.
2 T. I, p. 120 et suiv.
' Voyez infrà, dans le chap. II de la Royauté le §2 La souveraineté
dans la Francie.
LES BASES ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE l'ÉTAT. 6i
1* Qu'on ne pouvait plus être soumis au droit commun,
régi par les autorités publiques, qu'aulant qu'on était
possesseur de biens considérables et de châteaux fortifiés ;
T Que ceux qui ne se trouvaient pas dans ce cas, et qui
appartenaient aux classes élevées, s'attachaient à des sei-
gneurs qu'ils suivaient au loin, quittant ainsi le sol natal;
3"* Que le commun peuple des campagnes était encore
abondant et à l'aise au milieu du ix' siècle et régi par les
pouvoirs publics;
4" Que depuis lors les possesseurs de grands domaines
et de châteaux fortifiés, comme aussi les corps ecclésias-
tiques délenteurs de vastes possessions immunes, s'attri-
buèrent de fait l'autorité, le soin de la sécurité et du bien-
être matériel du peuple, et qu'ainsi une fidélité particu-
lière ou locale prit de plein droit la place et remplit
l'office de la fidélité générale et publique *.
Sans doute, nul, pas même le serf, n'est rivé sans res-
triction à sa condition native. Mais il ne peut engager ses
services à d'autres qu'avec l'autorisation et sous la
réserve des droits de son seigneur d'origine, chef de fa-
mille, de seigneurie ou de domaine. Prenez un homme
de guerre, un miles de la Francie. Régulièrement
* « Paene nobilitas terrae iilius ex multo jam tempore ob amorem vel
dominatum sibi dominonim carorum abscesserat nativilatis patria
relicta, praeter paiicos qui ita haeredUariis praediti erant patrimoniis,
ut non esset eis necesse subdi nisi sanctionibus publicis. Horuin pars
cum nobilissimis ac religiosis iilius loci monachis simulque... cano-
nicis... confortabanl reliquiarum remissos fereanimos etinvalidam ple-
beam manum... Anteactis temporibus... incolis terrae adhuc omni
abundantia referlis et absque sui diminutione integerrime vigentibus,
ambitus castelli cum consensu populi et procerum condictatus, men-
suratusac per potestates et ministeria ad perficiendum distributus...
Processu autem tempore, etc. » (Miracula S. Bertini^ II, 8, Mab. SB.
III. 1, 133-4). — Adde, I, 11, ibid., p. 125 : w Omnis pêne nobilitas is-
tius terrae pneler paucos giios opum acfundorum copia et castellorum
vel munitionum fiducia detinuerat, post dominos suos vel quocum-
que tutius eis videbatur discedebant. »
62 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
il ne devait servir un seigneur de son choix ni contre
le rex Francorwn ni contre les autres chefs de groupes
ethniques ou particularistes dont il était un fidelis neces-
sarius\ un homme « lige natural »'. Aussi, dans l'accord
que, d'après Richer, Foulque Nerra propose à Eudes I de
Blois, réserve-t-il expressément la foi (naturelle) due au
roi et à ses propres parents'. Ce n'est même qu'un ser-
ment de fidélité restreinte, un serment de securitas^ qu'il
offre de jurer à Eudes, ce n'est pas un hommage pro-
prement dit entraînant pleine foi avec service*.
La foi due par un homme du x* siècle à un autre que
son seigneur d'origine ne pouvait dériver que d'un enga-
gement spécial de la personne, une recommandation,
un hommage exprès qui le faisait Thomme de ce nou-
veau maître, tandis qu'il était de plein droite et sans
* Evoque devant le service d'osl : »< Orta contentione Odonis comitis
ad vers us me, inter celeros necessarios et fidèles nostros^ quos in appa-
ralu nostro commovimus, etiam Arnulfum episcopum Aurt^lianensem
in adjutorîum nostrum pracmonuimus » (Diplùmc de Robert, 993,
H. F. X, 501).
' « Homes liges naluraux » (Chanson d'Aspremont, v. 248, 533.)
« Ses homes liges naluraux, Hardis, pros et buens vassaux » (R. de
Guerre de Troie, Ducange, v^ Natnraiis).
* « Dalurum se etiam (idem sacramenlo contra omnium causam,
praeter régis et horum quibus speciali consanguinilale carius addic-
tus est, utpote nati, fratris ac ncpotum » (Richer, IV, ill, T. II,
p. 277).
* C'est-à-dire que Foulque s'engage à ne pas combattre Eudes, si
ce n*est pour soutenir la cause du roi ou de ses proches.
^ Cela résulte de la phrase : « (luod quia absque régis injuria fieri
non poterat, cjus filio manus per sacramentum daret; itaque fieret,
ut ipse cum nato militaret. cum filium suum Odonipro Conano daret,
et sese Odonis filio militaturos committerot ». — Il est du reste étrange
que le comte d'Anjou pût faire hommage au fils d'Eudes sans préju-
dicier aux droits du roi et ne le pût à Eudes lui-même. Je n'aperçois
qu'une explication plausible, c'est que l'hommage lige avait encore
à cette époque un caractère si exclusif qu'il ne suffisait pas de le réser-
ver pour pouvoir faire un autre honmiage actuel de service. Le fils
d'Eudes était, en effet, un enfant en bas âge.
LES BASES ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE l'ÉTAT. 63
hommage, thomme de son seigneur naturel, son home
lige naturaL L'hommage exprès constitue un engagement
qui se modèle sur la foi naturelle. Il ne peut, à raison de
son caractère très personnel et très indéterminé, être as-
similé à un contrat ordinaire. Il consiste essentiellement
dans Tacte symbolique de la mise des mains dans les mains
du chef*. La foi qu'il entraîne est consacré ensuite par un
serment.
Par la concurrence qui s'établit entre les divers sei-
gneurs pour accroître le nombre de leurs fidèles, la re-
commandation prit un grand développement, en môme
temps qu'elle se rapprochait de la foi naturelle par l'obli-
gation morale qui s'imposa au descendant d'engager sa
personne au même seigneur que son père avait servi.
C'était à elle, du reste, qu'il fallait recourir quand on vou-
lait rétablir la foi lige naturelle rompue par l'inûdélité et
le parjure, à elle aussi pour restaurer cette foi quand, par
la conquête ou la violence, un nouveau chef se substituait
au seigneur d'origine. De là devait naître, par esprit d'imi-
tation et par mesure de précaution, la coutume de renfor-
cer, de consolider la foi naturelle par un hommage exprès,
préalable à la prestation du serment. Cette cérémonie pou-
vait servir aussi à accentuer la préférence donnée à cer-
tains seigneurs nalurels sur d'autres*, et le choix néces-
saire, indispensable sous peine d'anarchie', entre les
héritiers d'un tel seigneur.
» T. II, p. 221.
* Cr. ce que j'ai dit de Tinstabilité féodale, t. II, p. 548.
3 Voyez un important passage d'Orderic Vital, où les seigneurs
français hésitent entre Guillaume le Roux et Philippe I«' : « Plerique
Francorum, qui binis cogebantur dominis obsecundare,pro fiscis, qui-
bus abunde locupletati, sub utriusque régis turgebant ditione, anxii^
quia nemo potest duobus dominis servire, animo acriorem opibusque
ditiorem elegerunt, et cum suis hominibus municipiis que favorabili-
ter paruerunt » (X, 5. éd. Le Prévost, IV. p. 21). — Ce texte a été mal
interprété par les auteurs de VArt de vérifier les dates (II, p. 691, col.
64 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Il nous reste à monirer que la terminologie est en coni'
plète harmonie avec cette marche des institutions.
La foi lige naturelle correspondait, dans la langue des
X* et XI* siècles, au sacramentum fidelitatis^ tandis qu'on
réservait d'ordinaire le mot hominium pour désigner la
recommandation, Thommage exprès. Quand chacun d'eux
servit de complément à l'autre, ils se soudèrent étroite-
ment et de leur soudure naquit l'obligation de foi et hom-
mage^ assise à la fois double et unique sur laquelle l'édi-
fice féodal s'éleva. Est-il étonnant que, cet édifice une fois
construit, feudistes et historiens aient tenté de vains eETorts
pour disjoindre, pour dissocier les éléments de son assise,
pour assigner à chacun d'eux une fonction séparée et dis-
tincte?
Si nous passons à la signification et à l'origine du mot
ligius^ je remarque d'abord qu'il répond exactement à
nàturalis. Ligius terrae^ c'est le natif \ ligius dominus
c'est le dominus nàturalis, le natural ou le droicturier
seigneur ^ La ligeance du roi est identique à la natura-
litiis^j les chansons de geste appellent les vassaux liges :
homes liges naturaux^.
Et d'où le terme dérive-t-il? J'ai admis provisoirement
au précédent volume l'étymologie de ledig^ lediglich^.
C'est la plus répandue, mais elle ne saurait satisfaire*. Elle
2) et c'est un des nombreux exemples où l'idée préconçue a fait voir
un lien réel direct alors qu'il n'existait qu'un lien personnel, sanc-
tionné par la crainte de la confiscation. La construction n*est pas :
cogcbantur obsecundare pro fiscis^ mais anxii pro fiscis.
' Voyez, Ducange, ¥*> Ligius^ p. 111.
'^ Suprà, p. 59, note 3. — Cf. R. de Cambrai, v. 15 :
<i Et de Raoul cui fu lige Cambrai. »
3 Cf. Ducange, v° Ligius^ p. 112 et v» Nàturalis.
* Suprày p. 62, note 2.
6 T. II, p. 528.
^ C'est le sentiment aussi de M. Luchaire, Manuel des instit,
françaises, p. 189, note 1. — Il faut écarter sans hésiter ligatus, car
raccent tonique est sur la voyelle a, Ligatus a donné liéi
LES BASES ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE l'ÉTAT. 65
s'adaple au sens, elle ne se justifie pas comme racine. Je
suis convaiocu aujourd'hui que la racine véritable est leo-
dius^ kodium, forme latinisée de leod, leudi, qui, dans le
vieil idiome germanique, signifie à la fois prince et peu-
ple* et nous donne le sens général de public ou légal*. Le
serment leodius [leudesamio) était donc le serment public,
officiel, légal, naturel, par opposition au serment person-
nel, conventionnel, privé ^.
La succession régulière des formes du mot : letgius,
ieggius, legius^ ligius, nous prouve à quel point cette
origine est certaine. C'est la dérivation normale de leodius^
{i se transformant régulièrement en gi et le d devenant
alors /). Nous en avons la vérification éclatante dans un
nom de lieu, celui de la ville de Liège. La série de formes
qu'il présente dans les textes du xi' siècle : teodium^ let-
* Grimm, Rechtsalterthûmery p. 552. Schmid, Gesetze der Angel-
sachsen Glossaire. Brunner, RechtsgeschichtCy I, p. 121, II, p. 11-12.
— Leudi a donné directement leudus, puis le français leude; leod a
donnéj par Tintermédiaire de la forme latine leodius, le français
lige,
' Fustei de Coulanges a remarqué qu'au vue siècle « letuie et sujet
étaient synonymes » {Monarch. franque, p. 79).
' Dans le même ordre d'idées, Tétymologie qui ferait venir lige de
legalis ou de legitimus serait séduisante. Mais les règles philologi-
ques s'y opposent. Ni Tun ni Tautre n'ont pu se transformer en legius.
Toutefois, leur signification et leur forme étant voisines, peut-être
ont-ils contribué, par un effet réflexe, à la fortune de legius et de
lige.
♦ Le mot leodius paraft être entré dans la formation de beaucoup
de noms de lieu avec le sens de fiscus, fiscalis (Cf. Ducange, vo /eo-
dium). Une forêt royale de l'Orléanais s'appelait au xi* siècle leogia,
legia (H. F. XI, p. 658 et ibid,, p. 468). Cf. aussi la Sylva Leodige,
H. F. X, p. 573 C. — Dans le diplôme de Henri I pour Saint-Martin-
des-Champs (1060) (H. F. XI, p. 605, de Lasteyrie Cartul. de Paris,
p. 123), où se lit cette phrase : « de redditibus quidem pastionis,
vierie, silve atque leigii, omnem decimam », leigium paraît bien avoir
le sens et n'être qu'une forme de leudum, leida = laude.
F. -Tome III. 5
66 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
gia, leggiensis \ est identique et achève, à mes yeux, de
lever toute espèce de doute. Elle éclaire Tétymologie du
mot lige aussi sûrement que celle-ci s'accorde avec le dé-
veloppement historique que j*ai esquissé.
« Voyez la nouv. éd. de Hariulf. [C. T.), Gloss., p. 346. — Cf. Du-
cange, v© Palatium, V, p. 22, col. 2.
67
CHAPITRE II
LE RÔLE DU BÉNÉFICE DANS l'ÉTAT.
I. — La largesse et l'hoimear.
Les liens sociaux que je viens d'analyser étaient au
X* et même au xi* siècle, indépendants, en principe, des
contrats de fief proprement dits. Leur principe était beau-
coup plus large et différent. Alors même qu'un engage-
ment particulier intervenait (hommage exprès), la nature
de la foi, les habitudes mentales, le défaut de justice régu-
lière faisaient que la concession de fief n'était et ne pou-
vait être qu'un acte de libéralité, qu'elle ne reposait pas
sur une convention parfaitement synallagmatique '.
* L'hommage (naturel ou artificiel) est resté depuis Tépoque fraa-
que la condition préalable de l'octroi d'un bénéfice ou fief; mais cet
octroi, cette concession n'est pas, aux xe et xie siècles,la cause de l'hom-
mage, dans le sens juridique du mot cause. On se représente à tort le
bénéfice carolingien du ixe siècle comme concédé par le roi à charge
de service militaire. Le principe de l'obligation ne résidait pas dans
le bénéfice mais dans le service public, dans le devoir envers le roi,
comme chef de la nation franque, dans la foi lige naturelle, en d'au-
tres termes. Ce devoir était seulement plus étendu suivant les res-
sources dont le sujet disposait (le bénéfice entrait à raison de cela en
ligne de compte) (Cf. Brunner, II, p. 254), et rendu plus strict par la
crainte de la révocation du bénéfice comme de la fonction (honor)
(Capitul. Bonon. cap. 5, LL. I, p. 167). Il continua à en être de même
au x« et en partie au xie siècle. L'obligation ne naissait pas de l'ac-
ceptation du bénéfice, mais de la foi lige naturelle ou de la fidélité
qui l'imite.
A cela s'accorde encore très bien le passage suivant d'un sermon
d'Yves de Chartres : « Notum est dilectioni vestrae quod milites
saeculi bénéficia temporalia d temporalibus dominis accepturi, prius
68 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
Nous nous imaginons volontiers, sous l'influence des
mœurs contemporaines, où la formule « donnant, don-
nant » est devenue universelle, où les donations dans la
vie courante se font rares, où surtout toute convention qui
vise un intérêt matériel et tangible se fait bout à bout, nous
nous imaginons que nos lointains ancêtres du Moyen âge
procédaient de même et qu'ils ne livraient un bien quel-
conque, ou ne s'acquittaient d'un service, qu'à charge et en
échange d'une contre-valeur strictement spécifiée, stipulée,
convenue. C'est, à mes yeux, une totale méprise, une mé-
connaissance de l'état d'esprit et des conditions sociales de
l'époque.
sacramentis militaribus obligantur et dominis suis fidem se servaiu-
ros profîtenlur. » (Sermon 23, Migne 162, 604).
Par contre un texte cité au T. XI de D. Bouquet (p. 458, note e),
semble inconciliable avec notre proposition, puisqu'il y est dit :
u Quidam comes... (castrum Conmiarceium) a pâtre prafati comitis in
hominium susceperat ; et, ut mos exigebat, fidelitatem ei juravcrat. »
Mais il s'agit là d'une relation très postérieure aux événements. Le
texte est tiré d'une lettre des moines de Saint- Vannes de Verdun
aux moines de Saint- Pantaléon à Cologne qui a été rédigée par
l'auteur de la Vie de saint Richard. Or celui-ci écrivait au commen-
cement du xiie siècle (Voyez Sackur, Richard Abt von St. Vannes^
p. 3, note 2, p. 6i, note 3) et toute la fin de sa lettre (Voyez Mabillon
SB. VI. 1, 537) prouve qu'elle ne saurait être antérieure. C'est donc
à une coutume du xii« siècle, et non du xi**, que nous avons affaire.
Une des nombreuses preuves que le service et la fidélité sont en
droit indépendants du bénéfice, c'est qu'ils persistent dans la per-
sonne du concessionnaire, quoique le bien donné soit aliéné avecTas-
sentimcnt du seigneur, et qu'ils n'incombent pas à l'acquéreur.
Sur le premier point, voyez par exemple une charte d'Eudes, duc
de Bourgogne (1078-1079) : « Dux Odo fecit aliam donationem Clu-
niacensi monasterio, quod videlicet ipse concedebat et laudabat si
quis suorum hominum de beneficiis quae de illo habent velit dare
Scto Petro Cluniacensi, tali tenore ut de fidelitate et servitio sua non
se subtraheret. » {Chartes de Cluny^ IV, p. 653).
Sur le second point, il suffit de remarquer que les bénéfices sont
transformés en alleux quand ils sont cédés à une abbaye, ce qui serait
incompréhensible si le lien féodal était un lien foncier (Voyez par
exemple, H. F. X, p. 610, XI, p. 558 C, etc.).
LE RÔLE DU BÉNÉFICE DANS l'ÉTAT. 69
Et d'abord 1 elat d'esprit. Je ne dirai pas que 1 egoïsme
était moindre qu'en notre temps, il pouvait être plus
féroce, mais il avait des dehors moins rigides. La légalité
faisant défaut, il se heurtait à des résistances plus in-
domptables et plus brutales. Le bénéfice fut le tampon.
Comme le sauvage qui ne réclame pas un prix en
échange de l'objet qu'il ofiTre, mais qui fait un cadeau
pour recevoir un autre cadeau, également volontaire,
l'homme du x« et du xi* siècle donnait largement, à fonds
perdu même et à longue échéance, pour s'assurer une
bienveillance générale, imprécise, devant se traduire un
jour soit par des dons égaux ou supérieurs*, soit par une
protection, soit par une assistance et des services. Re-
gardez-y de près et vous verrez que les bienfaits^ que l'on
attend des hommes sont de même nature et espérés par
les mêmes moyens que ceux qui sont attendus de Dieu ou
des saints. Moins on spécifie ce qui sera dû en échange
de Toblation, plus on compte faire une opération avanta-
geuse, obtenir une généreuse récompense^. L'homme ser-
* « Eique munera, recepturi majora^ cum summo favore contule-
runt » (Orderic Vital, IIl, p. 366).
* Le mot beneficium a gardé au x* siècle le sens de cadeau d'armes et
autres objets mobiliers (Vie de saint Géraud, I, 40, Migne, 133, col.
666 : « ... de quodam pessimo homine qui vocabatur A. Is namque
tenebat quoddam oppidulum... ex quo scilicet quasi lupus vesper-
linus egrediens eruptiones faciebat in familiam domni Geraldi. Cum
quidem ille sicut pacificus loquebatur ei qui oderat pacem, quin etiam
quœdam munuscula tribuebat ei, et arma militaribus apta quatenus
ferinos ejus mores per bénéficia deliniret. »
3 « Quod si promise rit rex nobis vel princeps sœcularis se datu-
rum nobis divitias vel honores hujus mundi, quando desiderio eum
sequimur et quanta diligentia ei famulamur? Ad jussum ejus lustra-
mus mundum, transfreiamus œquora, visitamus barbaras nationes,
non retinemur frigore, non œstu, non periculis, non gladiis. Et hoc
totum ut consequamur, quas forte nunquam consecuturi sumus, falsas
et brèves hujus mundi divitias et honores » (Raoul Ardent, HomiL in
Epist.^^, Migne, 155, col. 1903).
Fulbert de Chartres distingue dans une de ses poésies, comme em-
70 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
vira donc le seigneur sans conditions, pour obtenir de sa
bonne grâce un bienfait, un bénéfice^ et réciproquement
le seigneur accordera de larges bénéfices en vue de ser-
vices futurs et indéterminés*. Et cet état d'esprit me
paraît se manifester d'une façon très saisissante quand
je considère les libéralités faites par des vassaux pour
Vamor de leur seigneur, en vue du salut de son âme, —
libéralités dont ils ne peuvent attendre eux-mêmes aucune
récompense directe, — et réciproquement la générosité
des seigneurs envers les saints, pour complaire à leurs
fidèles qui ont choisi ces mêmes saints pour patrons *.
On dit aujourd'hui les petits cadeaux entretiennent
blêmes des moyens d'dviter les péchés, trois ordres de personnes :
le serf qui représente la crainte du chMimenl (horror), le miles l'es-
poir de la récompense (spes mercis)^ le fils de roi l'amour de laprouesse
(amor probilalis) (Migne, 141, col. 346).
Cf. Vie de saint Le zin (Migne 171,1502) : u Debebatur militi jam
emerito bonus ager. »
* Dans la chronique de Nantes Tévêque Gautier, qui veut sup-
planter et expulser le jeune comte de Nantes Budic, se construit un
castel et Tarme avec des parents et des habitants qu'il attire par des
dons. Il distribue à des nobles les biens de l'Église, en vue d'ob-
tenir leur alliance : « de parentibus suis et de Namnetensibus, quos
donis autpromissis potuit habere, armavit » (p. 136) (Cf. p. 139 : « Plu-
res suorum militum perdiderat, qui ad Alanum confugerant, aut
quos ipse donis suis aut promissis sibi attraxerat »). — « Voluit in
distribiiendo omnia bona dictœ ecclesiaî nobiles Namnetensium sibi
auxiliatores adjungere » (p. 137). (Chron, de Nantes^ éd. Merlet C. T.:.
^ Les exemples des deux espèces de libéralités sont extrêmement
nombreux. J'en cite un qui tire un intérêt particulier de la qualité des
personnages qu'il met en scène, — Eudes II, comte de Blois (+ 1037),
Hardouin, vicomte de Chartres, — et de la circonstance que le don
pieux est fait avec un bien que le fidèle tenait à titre d'alleu de son
seigneur : « Odo, palatii comes, cum ingenuitate et potentia illustris-
simus, tum magnitudine animi et constantia prestantissimus... ab ini-
micis in prœlio morte alTectus est. Pro cujus anime redemptione...
datus est ab Harduino vicecomite, quem sibi idem dederat, alodus de
Tessoldi-villare. >> (Nécrologe de A.-Z). de Chartres^ Merlet et Clerval;
Un MS chartraindu j/« siècle (Chartres 1893), p. 182).
LE RÔLE DU BÉNÉFICE DANS l'ÉTAT. 71
Tamitié; aux x"" et xi"" siècles, les grands cadeaux la fon-
daieut*. Le caractère juridique du bénéfice, son office so-
cial sont définis aussi nettement que possible dans les
préambules des chartes royales du x* siècle. La formule
suivante, qui est restée d'usage fort longtemps, les tra-
duit parfaitement : « Regalis excellentiœ sublimitatis mos
est fidèles sues ingentibus honoribus sublimare, potentes-
que efficere, et nihilominus eos in Dei nostrœque fideli--
tatis proculdubio serviiio promptiores facere*. »
Ce rapprochement du service de TÉglise et du service
du roi n'est ni artificiel ni fortuit. Cest lui qui justi-
fiait les largesses que la royauté faisait, leç bénéfices
qu'elle distribuait, avec les biens de l'Église; c'est lui aussi
qui explique une concession tout à fait étrange, incom-
préhensible même, s'il était vrai que la concession du
bénéfice eût lieu à charge de service, et, au contraire,
très naturelle et très simple si l'on se place à notre
point de vue. Je prends comme type un diplôme du
roi Raoul de 925 ou 926 ^ Un fidèle du roi vient de
mourir qui détenait de lui divers biens en bénéfice. Ces
* L'entretien et les largesses journalières ne sont pas considérés
comme récompense, comme véritable prix des services : « Sicut satel-
lites régis stipendia militiae non reputant in laboris remuneratio-
nem... Si Ghristo militamus, non de stipendiis sed de promerendo
prwmio solliciti simus. » (Raoul Ardent, Rom. in Epist. II, 33, Migne,
155, coL 2062).
Voyez aussi ce tableau si vivant des phases d'une guerre féodale :
u Aliquis prseliatums contra hostem, se prius armât, deinde caute
hostem aggreditur, et per magnum laborem eum superat, postea eum
ligans, ejus munitionem dissipât et captivos educit et eum signis
victoriaBad sedem suam rediens, donaria satellitibus suis distribuit.»
{HomU., 66; I6iU, c. 1908).
* Ch. le Simple, 901 , H. F., IX, p. 490. — Cf. 933 (931 d'après Lip-
pert) Raoul, ibid.y p. 579 (bénéfices confirmés à un fidèle, à sa femme,
et à leur descendant (nepos) parce qu'ils ont été très fidèles) ; 935,
ibid.y p. 581 (bénéfice grevé d'une charge de 10 solidi de cens à
payer à un couvent).
3 H. F.,IX, p. 569.
72 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
biens, le roi voudrait s'en servir pour s'assurer la fidé-
lité d'Aldéric (nos volentes attrahere Aldericum in nostra
fidelitale) qu'il qualifie du reste déjà son fidèle « noster
fidelis ». Que fait-il pour cela? lui donne-t-il les biens à
litre de bénéfice, comme on a coutume de l'entendre,
c'est-à-dire à charge d'hommage et de fidélité? Point du
tout. II en fait donation pleine et entière à l'abbaye de
Saint-Symphorien d'Autun, sous la condition qu'ils seront
concédés par elle à Aldéric en précaire, sa vie durant, à
charge d'un cens de cinq solidi. Le bénéfice remplit donc
bien le but que la formule de la chancellerie de Charles
le Simple visait. II ne crée ni la fidélité ni le service,
mais il les consolide, aussi bien au regard du roi qu'au
regard de l'Église*.
A l'obligation qui, dans une société basée sur des grou-
pements individuels, s'imposait à chacun de retenir son
compagnon ou son fidèle, de conserver son protecteur ou
son garant par des dons répétés, par des libéralités et
des services gratuits, vint se joindre l'effort persévérant
du clergé, surtout du clergé régulier, pour obtenir des
fondations et des dotations pieuses. Ainsi se développa
une vertu typique du Moyen âge, la munificence, la « lar-
gesse »>, qui a sa contre-partie exacte dans le point d'hon-
neur, vrai ou faux, de ne point mettre ses services à prix,
de servir pour 1' « amour » et pour l'honneur*.
Ces deux sentiments ne devinrent pas seulement vertu
' Des bénéfices sont conférés en pleine propriété et non pas
seulement en usufruit, avec une formule analogue. 91 i, H. F., IX,
p. 521 ; vers 919, H. F., IX, p. 540-541.
^ Quelque chose de cet esprit ne se retrouye-t-il pas au commen-
cement du xix« siècle, sous la Restauration, dans le vif dialogue entre
un officier français et un officier suisse au service de la France que
rapportent les Mémoires d'un bourgeois de Paris (Véron) : « Je
ne voudrais pas servir comme vous pour de l'argent. — Et pour quoi
servez- vous? — Pour Thonneur — C'est vrai, Monsieur, nous ser-
vons tous les deux pour ce qui nous manque. » — L'affront était cruel,
il fut lavé dans le sang.
LE RÔLE DU BÉNÉFICE DANS L ETAT. 73
privée, mais vertu sociale, ils pénétrèrent la société de
part en part. Les trouvères les célèbrent à Tenvi, — avec
un enthousiasme d'autant plus sincère que la largesse est
leur seule source de profits et qu'ils la provoquent en
exaltant le « noble » service, le service de « vassal »,
aux dépens du mercenaire, du service de « soudoyer » — ;
les princes s'en parent avec ostentation et les glorifient
dans leurs fidèles, y sentant d'instinct leur principal ins-
trument politique, leur instrumentum regni; l'art y trouve
son stimulant; ils viennent largement en aide et souvent
suppléent à la charité; l'hospitalité n'en est qu'une forme,
un prolongement humanitaire. Nous étonnerons-nous
qu'au XII* siècle André le Chapelain en fasse une condi-
tion essentielle de l'amour courtois?
Mais de telles qualités (le mot vertu est trop fort à notre
point de vue moderne) dégénéraient en dangereux excès;
la largesse en prodigalité, le désintéressement réel ou
fictif en indiscipline ou en convoitise. Ce fut une source de
faiblesse pour le pouvoir, plus grande, plus il était haut,
puisque le nombre de ceux qu'il devait satisfaire augmen-
tait et que son devoir d'être libéral croissait à propor-
tion de sa dignité. Les rois mérovingiens déjà en avaient
fait l'épreuve, les carolingiens, par nécessité, durent les
imiter. C'est pour avoir su y échapper que des dynasties
royales ou princières et que l'Église parvinrent à fonder
une domination durable; c'est en prenant le contre-pied
des mœurs seigneuriales, par l'économie et le contrat, que
les classes populaires préparèrent leur émancipation.
Tandis donc que les seigneurs rivalisaient de largesses,
dons, bénéfices ou honneurs, et inoculaient à leurs des-
cendants les préjugés qui firent l'impuissance économique
de la noblesse française, le mépris du gain direct, sa-
laire ou solde, il se produisait, en haut et en bas, un mou-
vement en sens inverse.
Les plus humbles économisèrent pour améliorer leur con-
dition, les bourgeois pour s'enrichir et s'élever aux rangs
74 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
supérieurs. Ils fournirent ainsi des conseillers, des admi-
nistrateurs, des économes, aux princes qui comprirent que
la bonne gestion de leur patrimoine et de leurs revenus
était le fondement matériel de leur puissance, Toutil indis-
pensable de son extension. Les légistes ne vinrent que
plus tard; les économistes les précédèrent, plus exacte-
ment les administrateurs. C'est l'Église qui contribua le
plus à les former. Appui et conseillère du principal et
de la royauté, elle leur fraya la voie et mit à leur ser-
vice des clercs tels que Suger, instruits à son école. Elle
aussi, elle avait besoin de donner sans relâche : précaires,
bénéfices, dons gratuits, libéralités de toute natare lui
étaient imposés pour qu'elle pût avoir des auxiliaires, des
fidèles, des hommes d'armes, des serviteurs dévoués. Mais
deux éléments constituaient sa puissance économique et la
préservaient soit de l'épuisement des ressources, soit du
gaspillage et de la prodigalité. Elle avait à sa disposition
une pompe aspirante et foulante quiaspirait plus qu'elle ne
foulait. Sa fortune s'alimentait d'un afflux continu, par un
mobile différent de celui qui provoquait l'offre des servi-
ces. On donnait pour s'en faire un mérite auprès de Dieu et
des saints, beaucoup plus qu'on ne recevait en retour de
l'évêque ou de l'abbé pour le servir. Le trésor ne se vidait
donc pas, le domaine ne s'épuisait pas, par le même orifice
qui servait à le remplir ou à Talimenter. D autre part,
l'Église par sa constitution, par son but idéal, par son es-
prit de suite et de pérennité, par la conception même de
son rôle de représentant d une société ultra-terrestre, ne
pouvait disposer que des revenus et non du fonds, elle
devait administrer, gérer, capitaliser, conclure pactes ri-
goureux et stricts contrats.
C'est le double exemple que des dynasties princières
suivirent. En même temps qu'elles régularisent la féodalité
et la hiérarchisent pour se la soumettre, elles s'efforcent
d'appuyer leur pouvoir sur une autre base que le fief, sur
un droit traditionnel ou d'institution divine, et de lutter
LE RÔLE DU BÉNÉFICE DANS L'ÉTAT. 75
par Tesprit de suite contre la mobilité de la fortune.
Je voudrais maintenant, à la lumière des considérations
générales qui précèdent, des résultats exposés dans mon
second volume et de mes recherches nouvelles, déterminer
dans quelle mesure et dans quel sens l'État aux x* et xi* siè-
cles peut être appelé féodaL
IL — La lente formation de l'État féodal.
Une des grandes causes d'erreur qui a obscurci ce
sujet tient à la distinction fallacieuse de Talleu et du
bénéfice ou fief. Se représentant le bénéfice comme héré-
ditaire dès la fin du ix* siècle, on y a vu une propriété
perpétuelle qui, par le contrat de fief, se différenciait de
l'alleu. L'alleu aurait été une propriété pleine et libre, le
bénéfice, devenu fief, une propriété grevée de suzeraineté,
démembrée dès lors en domaine utile et en domaine direct.
Nous voici de nouveau en présence d'un anachronisme
juridique. Si exacte que cette distinction puisse être à partir
du XII* siècle, si peu Test-elle pour les siècles antérieurs.
La vérité est qu'alors les mots alleu et bénéfice ont chacun
une double acception, une plus large, une autre plus res-
treinte, et qui s'opposent respectivement, sans égard aux
stipulations de service.
L'alleu stricto sensu, c'est le bien familial, le propre
avitin, auquel fait face le bénéfice lato sensu, l'acquêt,
soit à titre perpétuel soit à titre temporaire.
L'alleu lato sensu comprend à la fois le bien familial et
l'acquêt à titre perpétuel*, et il s'oppose au bénéfice stricto
sensu, ou fief, qui n'est autre chose qu'une concession
viagère, avec ou sans charge.
* Il est aisé de voir à quel point ces deux notions sont voisines,
puisque, entre les mains des descendants de l'acquéreur, l'acquêt de-
vient bien familial.
2 Le bénéfice accordé à des vassaux militaires {milites, vassali,
etc.) était appelé de préférence casamentunif et le casamentum
76 LIVKE IV. — CHAPITRE II.
La distÎDclion essentielle entre Talleu et le bénéfice
réside dans la durée du droit. Son extrême importance
et la place prépondérante qu'ont prise les concessions via-
gères se laissent aisément justifier.
Constatons à nouveau le fait*. Le bénéfice stricto sensu
ou fief, sous ses multiples modalités et formes, est une
se trouve être ainsi une sorte de trait d'union ou de chaînon intermé-
diaire entre le bénéfice stricto sensu du x* siècle |et le fief militaire
du xii*.
Dès le IX* siècle, le mot casatus se rencontre fréquemment, mais il
sert à désigner soit des colons plus ou moins serviles, soit des vas-
saux fixés à demeure (vassus casatus, Capit. 811, c. 7. Leges I,
p. 167). Aux x« et xi* siècles il est fait très habituelle mention de casa-
menta militum, compris, par exemple, dans une villa. (Ch. de Guill.
Gaufr. d'Aquitaine, fondation de Moutier-Neuf (St-Jean) de Poitiers»
Besly, p. 368 : « Villam B. cum cassamentis militum »).
Brussel a reconnu, quoique d'une façon peu précise et peu rigou-
reuse, que le casamentum était dans le principe un usufruit viager (II,
p. 827 et suiv.) mais il a tort de croire que, par là, il différait du fief pri-
mitif (Cf. Henschel-Ducange, v« Casamentum), En réalité nous avons
affaire au bénéfice, à la tenure viagère, qui prend un caractère plus
relevé et plus indépendant quand il est concédé au compagnon, au
vassus militaire.
Je croirais même volontiers que les mots casamentum, casati, cor-
respondirent surtout à domesticus, à bénéfice du compagnon qui fai-
sait partie de la Casa, de la maisnie (Cf. déjà le Capit. de 811 et voyez
le sens de domesticus indiqué par Ducange, v* Casatus). L'idée d'é-
tablissement était secondaire, car il ne faut pas se représenter le co-
samentum militis comme une possession territoriale délimitée, comme
un petit domaine. Il consistait surtout dans des droits domaniaux ou
seigneuriaux, c'est-à-dire des droits à redevances ou à services con-
cédés au vassal sur telle villa du seigneur. — Voyez notamment charte
de Tan 1100 (Gallia, IV, 152). « Quidquid etiam servitii etjustitiœ in
alodio Molismensi, in pratis scilicet et sylvis, in aquis decimisque et
aliis, milites casati cum uxoribus suis et progenie eorum habebant. »
* Voyez T. II, p. 549-550.
2 On n'a pas assez remarqué combien le mot feudum est rare en-
core au XI* siècle. Prenez, par exemple, un des meilleurs écrivains de
cette époque, un des plus soucieux de la propriété des expressions,
un de ceux aussi qui ont agité le plus de questions touchant à la vie
publique des diverses parties de la France, Fulbert de Chartres, vous
LE RÔLB DU BÉNÉFICE DANS l'ÉTAT. 77
coDcessioa temporaire, sur une ou plusieurs vies. Il cons-
titue un simple usufruit bien que l'opinion publique juge
ne trouverez pas, si je ne me trompe, une seule fois le mot feudum
dans les H 3 lettres de la Patrologie, mais vous y trouverez beneficium.
Et cela s'accorde fort bien avec Tabsence de tout fief dans le Nécro-
loge du XI* ^ècle de la cathédrale de Chartres, alors que les donations
d'alleux y sont très fréquentes. Ce n'est qu'une addition faite de 1090
à 1130 qui mentionne un fief (8 janvier).
Circonstance plus grave, le feudum ne se rencontre pour ainsi dire
pas dans les diplômes royaux avant Louis VI. Je ne crois pas l'y
avoir vu plus d'une ou deux fois, et là où je l'ai noté il ne présente
nulle particularité qui le distingue du bénéfice, tel que je l'ai défini,
comme de pratique courante, aux x« et xi» siècles : une concession d'u-
sufruit renouvelable d'ordinaire, sans charge proprement dite ou à
charge de cens.
Il n'est que deux actes qui semblent contredire ce que je viens
d'avancer, puisque Vhommage de service s'y montre dû à raison du fief.
C'est une charte de Robert pour Saint-Denis (H. F., X, p. 592) et le di-
plôme de Philippe I'% de 1091, publié par Chantereau Lefèvre, Traité
des fiefSj 1662 (Preuves, p. 1-2), puis par Brussel (I, p. 284). Or la
fausseté du premier de ces actes est reconnue aujourd'hui par les
diplomatistes (Giry, Mélanges Havety p. 704. Pfister, Robert le Pieux^
p. LXXII, etc.). On nous assure, il est vrai, que la falsification est
très ancienne, mais tout le contexte de l'acte s'oppose à la faire re-
monter plus haut que le xn« siècle.
Quant au diplôme de 1091, son authenticité n'a pas été contestée,
pour une double raison : la critique diplomatique de nos chartes
royales du x* et xi« siècle est presque tout entière à faire, et, d'autre
part, les historiens ont trouvé tout naturel, avec les idées reçues sur
la féodalité, qu'il y fût dit : « Hoc erit servitium quod pro praefato
fedio faciet mihi Rotomagensis Archiepiscopus. Per singulos annos
veniet ad unam ex curiis meis, etc. »
En réalité cette formule est tout à fait insolite et tout le style de la
charte trahit une époque très postérieure.
M. Maurice Prou, le futur éditeur des diplômesde Philippe I, a bien
voulu m'apprendre, à la vérité, que l'original scellé existe aux Archi-
ves de la Seine-Inférieure, sous la cote G 1846, et que son authen-
ticité ne peut à ses yeux, être mise en doute.
n me permettra de ne pas me ranger à son avis. N'y a-t-il pas
lieu, en effet, d'appliquer ici cette règle d'un de nos meilleurs diplo-
matistes, M. Giry : K le goût du temps se trahit tellement jusque dans les
moindres phrases, et d'autre part, les habitudes des époques suivan-
78 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
sévèremeot le concédant qui, sans motifs péremptoires,
use de son droit de reprendre le bien concédé, à la niort
tes en matière de rédaction d'actes publics ont été si difTërentesçue
les faussaires n*ont jamais réussi à imiter le style si caractéristique
du XI* siècley et qu'il est relativement facile de ne pas se laisser pren-
dre aux contrefaçons. » (Manuel de diplomatique, p. 740-741). Or le
style tout entier de Tacte n*est pas le style du xi* s^iècle. Il s'y ren-
contre notamment une foule d'expressions : « monstrare rectitudi-
nem », « concedo et confirmo redditionem illam », « habere et possi-
dere », « facere submoneri » {= faire semondre de service) qui sont
des formules stéréotypées de légistes ou de canonistes des siècles
postérieurs.
Et que dire du roi qui accorde son aide et son conseil selon le droit
à un archevêque « concedo ei auxilium meum, fortitudinem atque
consilium secundum justitiam », qui parle au pronom personnel dans
la suscription : « interfuerunt ex mea parte.... meus cancellarius n,
qui appelle son dapifer « dapifer de Rochefort » qui désigne
l'archevêque de Rouen conmie archevêque du comte de Normandie
« de comité Normannorum teneat, cujus est Archiepiscopus »? J^ajoute
que l'acte ne porte ni date chronologique, ni date de lieu^ ce qui
surtout est grave pour un diplôme en forme et de cette importance.
Objectera-t-on que l'écriture ne peut être postérieure au début
du XII" siècle, et qu'en faveur de l'authenticité militent la circonstance
que les signa sont d'une autre main que le corps de l'acte et la pré-
sence d'un sceau authentique.
Je répondrai : Il ne s'agit pas d'une sorte de titre nouvel où le
scribe aurait employé l'écriture de son temps. Il s'agit d'un acte
refait sous forme de copie figurée, avec altération et interpolation.
La substance de l'original devait être la cession de l'abbaye de Saint-
Mellon à l'archevêque de Rouen par Philippe I. On en modifia la
teneur en empruntant à l'original tous ses caractères extérieurs : écri-
ture (différente pour le corps de l'acte et pour les signa) signa, sceau
qui y était appendu, etc.
Sauf meilleur examen, j'estime donc que le diplôme de 1091 doit
aller grossir le nombre assez respectable déjà des diplômes apocryphes
de Philippe I.
J'ai, du reste, la conviction que l'édition critique de nos diplômes
royaux fera justice de nombre d'expressions que les scribes ou les io-
terpolateurs ont travesties ou remaniées avec les idées de leur temps et
dont on n'a pas jusqu'ici été choqué. Elle rectifiera aussi bien des lec-
tures et, pour n'en donner qu'un exemple : feodum figurait dans un di-
plôme de Henri (1043) (H. F., XI p. 578 A), mais quand Tardif l'a
LE RÔLE DU BÉNÉFICE DANS l'ÉTAT. 79
du coDcessionnaire» pour le donner à d'autres que les des-
cendants légitimes. S'il n'existe pas de descendants, l'opi-
nion admet que le concédant peut, sans scrupule, repren-
dre le bien pour le garder et même, à défaut de proches
collatéraux, pour en disposer à son gré.
M. Luchaire, en étudiant les rapports du roi de France
avec les seigneurs, a été frappé de voir à quel point les
sources s*accordent peu avec la thèse classique des his-
toriens qui font dater l'hérédité des fiefs soit du ix* siècle
soit de l'avènement de Hugues Capet*. lia reconnu qu'elle
ne s'est établie que très lentement au cours du xi"" siècle.
Toutefois il estime que, dans le dernier tiers de ce siècle,
elle était acquise aux grands fiefs. Je serais beaucoup
moins affirmatif sur ce point. Si les grands principes^ les
« grands vassaux » transmettent régulièrement leurs pos-
sessions à leurs héritiers, cela ne tient pas à ce que tout
<( grand fief de la couronne » est devenu héréditaire,
mais au fait qu'à vrai dire il n'en existe encore aucun,
les prétendus « grands vassaux » n'étant pas, nous le ver-
rons, rattachés au roi par un lien de suzeraineté féodale.
Quant aux « petits fiefs », leur caractère viager est attesté
par les chartes, par les chartes royales mêmes, plus long-
temps et en termes plus absolus que ne l'a cru l'éminent
historien, induit en erreur par une inadvertance de
copie ou de lecture*.
publié d'après Toriginal des Archives nationales (Monum. histor,,
p. 167-168), il a lu frou, qui équivaut à fro, frocum, fraustum (en
français froux), terre inculte. Et c*est le vrai sens que réclamait le con-
texte de Tacte.
* Luchaire, HisL des institutions monarchiques, 1883, II, p. 2, 4
et suiv.
* La charte de Combs-ia- Ville que M. Luchaire cite (II, p. 19) d a-
près Bouillart ne porte pas « ea tamen conditione interposita ut, dum
prœdictus Odo cornes vita decesserit, si iterum qudibet justa occa-
sione ipsam villam Cumbis amiserit; » mais « ea tamen conditione in-
terposita ut, dum prœdictus Odo comes vita decesserit, vel si intérim
qualibet justa occasione... amiserit » {Hist, de St-Germain-des-Prés,
80 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
Quelles sont maintenant les causes de cette prédomi-
nance de la concession viagère sur la perpétuelle, do
bénéfice stricto sensu sur Talleu lato sensu? Outre la
cause que j'ai précédemment indiquée*, j'en aperçois deux
principales : la tradition et l'intérêt du concédant.
J'entends par tradition une pratique que l'analogie des
circonstances a continuée, ou périodiquement renouvelée,
du v* au XII* siècle. Aux époques où nul n'était sûr du
lendemain, pendant et après les invasions germaniques,
dans les perturbations des temps mérovingiens et de la
fondation de la monarchie de Charlemagne, puis dans la
dislocation qui la mit en pièces, au milieu des invasions
nouvelles, normandes, sarràzines el hongroises, dans le
désordre enfin des luttes quotidiennes, l'homme devait
borner son rayon visuel. Il ne se préoccupait pas d*uD
avenir lointain, de la perpétuité des droits, mais de sa
condition présente.
Un premier moyen s'offrait à lui pour la sauvegarde
temporaire de sa personne et de ses biens. C'était la pro-
tection d'un puissant du jour, seigneur de ce monde ou de
l'autre, comte, vicaire, grand propriétaire, ou saint ayant
ses représentants sur la terre. Mais chacun ne tarda pas à
se convaincre que le protecteur protégeait le mieux gens et
biens qui lui touchaient de plus près, qui lui appartenaient
en propre. Le bel avantage, du reste, de ne pas accep-
ter d'emblée cette condition ! puisque le protecteur, ap-
puyé sur la force, pouvait de lui-même se transformer
en maître. On en vint ainsi à l'idée, toute naturelle et sim-
ple, de faire abandon de ses biens à plus puissant que soi,
— notamment aux corps religieux qui jouissaient du dou-
Preuves, p. xxx, Paris, 172 1). Le roi Philippe I ne stipule donc pas
« que si, à la mort du comte Eudes, une occasion propice se présentait
de reprendre cette villa elle reviendrait au domaine des saints », mais
qu'à la mort du comte (f Eudes ou si, entre temps^ une occasion pro-
pice, etc.
« T. II, p. 53 V.
LB RÔLE DU BÉNEFICB DANS L^ETAT. 81
ble avantage de la protection séculière (immunité) et de
la protection céleste, — mais en se réservant, sa vie durant,
tous les droits du propriétaire autres que le droit de dispo-
sition. Par là on s'assurait Mne propriété temporaire j entou-
rée de toutes les garanties que l'époque pouvait offrir, à
laquelle les jurisconsultes du v® siècle, nourris encore de
droit romain, n'eurent pas de peine à adapter les règles du
contrat dé précaire. Il importait seulement, dans l'intérêt
commun du détenteur actuel et du propriétaire nominal,
d'éviter toute confusion entre la possession et la propriété.
On recourut d'abord à des renouvellements périodiques
(quinquennaux) ; plus tard on trouva plus simple et plus
sûr d'instituer un cens récognitif, qui marquait bien la
condition respective des parties.
Il est manifeste qu'un cens récognitif n'est pas un re-
venu normal, et qu'en principe, dès lors, les grands pro-
priétaires n'auraient pas eu intérêt à y recourir pour faire
valoir leurs biens. Mais, à un double point de vue, leur in-
térêt pouvait naître. D'une part, en concédant certains
biens à titre de précaire (prestaire), ils provoquaient le petit
propriétaire à leur faire abandon des siens : ils renon-
çaient à des revenus pour s'assurer un capital futur; le
petit propriétaire plaçait son bien à fonds perdu. D'autre
part, les terres incultes, ou nécessitant des travaux consi-
dérables d'aménagement, pouvaient être mises en valeur
par la cession faite, sur une ou deux vies, à des proprié-
taires temporaires.
La pratique des précaires se généralisa à mesure que
les contrats de louage de biens ou de services devinrent
de plus en plus difficiles à conclure ou à faire respectera
' Le défaut de sanction des contrats apparaît sous un jour parti-
■culier dans les innombrables chartes, souscrites au profit des églises,
où l'obligation de Tune des parties n*a pas pour cause juridique ren-
gagement de Tautre, encore bien que cet engagement réciproque soit
le véritable objet du contrat. Ainsi un domaine, une seigneurie, des
droits de justice sont cédés à des abbayes, à des chapitres, moyennant
F. — Tome III. 6
82 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
Elle s'imposa ainsi comme modèle^ aux libéralités que
le seigneur voulait faire à ses compagnons de table et de
guerre, — soit à tilre de récompense pour des services ren-
dus, soit à titre d'avance et de stimulant pour des services
futurs. Ne conciliait-elle pas parfaitement les intérêts en
un prix très élevé. On se gardera bien de dire qull y a vente ; non,
il y a une libéralité qui, si elle est respectée par le donateur et ses
héritiers, leur procurera l'entrée du paradis, si elle est violée, les ex-
posera aux peines les plus terribles de Tautre monde. Quant au prix,
il ne figure que comme preuve du contrat, pour en assurer la stabi-
lité : « propter firmam stabilitatem. » Voyez une charte très typique,
de 1009-1012, où le prix principal est de mille solidi. D. Housseau^
II, n*^ 344 — publiée par M. Lex, EiuieSf comte de Blois (Troyes,
1892), p. 136 et suiv.
^ Ce modèle se trouva tout élaboré, TÉglise ayant greffé sur le pré-
caire, qui par lui-même déjà supposait la fidélité, des libéralités pro-
pres à la renforcer et à l'étendre . C'était un contrat intermédiaire
entre le précaire et le bénéfice proprement dit. On l'appela tout
naturellement feudum puisque ce mot désignait encore au xi* siè-
cle une concession viagère. Une charte très précieuse du cartulaîre
blésois de Marmoutier nous en offre un remarquable exemple :
c PlaxitiumB. quod Tetbaidus comes donaveratnobis... hoc d. ab-
bas A. cuidam majori de monte Tealdi Hademaro nomine redonaverit.
Que donatio non absolute facta est, sed ad tempus concedUurf nec
quantumlibet sed prefixum morte fwminis illius, talis etiam conflr-
matione pacti ut quicquid ediBcationis sive supellectilis ibi tune
inveniretur vel in cistis vel in tonnis seu aliis quibuslibet rébus,
simul cum plaxitio nostris deserviret usibus. Accepto hoc pred.
H. beneficio d^, abbatis homo devenit, seseque nobis juramento consr-
tringens affirmavit se eidem d<>. abbati qui in presentia erat et succes-
soribus suis pref. loci abbatibus, postremo omni congregationi nos-
tre, fidem servaturum, et quantum in se esset prohibendique facuJtas
suppeteret, nullum omnino a quoquam inferri nobis damnum pas-
sur um. Tune d. abbas adauxit ei fevum suum ut fidbutâs quam
PROMITTBBAT SUCCRBSCBRBT MULTlPLICÀTIOlfB DOlfORUM, et VIII dcnario-
rum censum, qui de quadam vinea sua ad nos pertinebat in vita
tantum sua ei censuit concedendum. Ipse e contra H. dédit S.Martino
duos prati arpennos in insula B. sitos, non directa tamen donatione
sed usu sibi fructuario dum viveret retento. Pro quibus solvuntur
quot annisad feriam Blesis census VIII denariorum apud curtem que
appellatur Uidua» (1037-1064. CartuL blésois^ ch. XX, p. 24-25).
LB RÔLE DU BéNÉFICB DANS l'ÉTAT. 83
présence? Sous forme de revenu, la récompense était plus
liquide que sous forme de capital, plus immédiate, plus
aisée à proportionner aux désirs et aux besoins', et en
môme temps elle laissait aux mains du concédant un droit
plus étendu, une garantie plus directe.
Qu'on y prenne garde, en effet, pendant longtemps en-
core il n'est pas question ici de commise, de résolution d'un
contrat pour cause d'inexécution '. Ce qui a donné le change
et m'avait tout d'abord fait illusion à moi-même', c'est
que le concédant pouvait révoquer sa libéralité soit pour
cause d'ingratitude suivant les lois romaines, soit pour
rupture de la foi suivant les coutumes germaniques*, soit
ad ntitum^ comme tout donateur, suivant les idées prime-
sautières de peuples-enfants*. Mais la révocation était
* RieQ n'empêche, du reste, de grever le bénéfice d'un cens réco-
gnitif. Tel est un beneficium more precario conféré au dux Franco-
rum Hugues le Grand par Tabbaye de Saint-Martin de Tours, H. F.
IX, p. 720-721. — Cf. diverses chartes analogues en Bourgogne au
!• siècle, Ch. inédites publiées par Roserot (1898), notamment ch. 18
(973), p. 191.
« La violation de la foi ne rompt pas un contrat, mais elle note
d'infamie, elle rend indigne d'obtenir ou de posséder un bénéfice.
C'est donc une déchéance qui se produit. Voyez t. II, p. 520, 534. —
Dans les actes du Concile de Saint-Basles (991) rédigés par Gerbert, je
relève cette instructive comparaison : Qu'un miles soit accusé devant
le roi d'un crime déterminé, et que, tout en le niant, il avoue avoir péché
de telle sorte à l'égard d'autrui qu'il ne puisse plus détenir ni fonds de
terre, ni bénéfice {praedium nec beneficium obtinere posset), et ne de-
mande grâce que de la vie, refuserez-vous d'accepter son fonds et
son bénéfice s'ils vous sont offerts par la libéralité royale? {Gerberti
Opéra, éd. OUeris, p. 233).
Dans un diplôme de Philippe 1er de l'an 1065 se trouve cette formule
comminatoire : « quasi inimicus dominorum et reipublicae ab omni
privetur ecclesiastico, vel militari, vel etiam fiscali beneficio » (Mi-
raeus, Op. dipl.y III, p. 305).
> T. I, p. 130-131.
* T. II, p. 537.
' Saint Odon de Cluny, dans sa vie de saint Géraud d'Aurillac, fait un
mérite à son héros de n'avoir pas été trop prodigue de bénéfices ni
84 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
commune au don perpétuel et au don viager, à Talleu laio
sensu et au bénéfice proprement dit*.
Le droit spécial qui s'attachait à ce dernier c'était le droit
de percevoir un relief, un relevamentum^ à chaque muta-
tion', puis le droit aussi, — suivant les modalités que j'ai
définies et jusqu'à ce que le principe de l'hérédité eût pré-
valu, — de ne pas renouveler la concession à la mort du
concessionnaire.
De ces deux droits le premier se conserva et s'étendit,
le second finit par disparaître. Toutes les concessions via-
gères, en eflfet, (précaires, bénéfices ou fiefs), se transfor-
mèrent sous la poussée des conflits que la précarité ne
cessait de provoquer.
Cette transformation s'est opérée par un Xovl^ processtis^
par la naissance et la fixation graduelle d'une coutume ren-
dant stables, de flottants qu'ils étaient, les rapports entre
personnes étrangères par le sang, rendant la condition de
chacun aussi immuable en dehors de la famille qu'elle
l'était dans son sein. Il a fallu à cette coutume deux siècles
trop prompt à reprendre ceux qu'il avait donnés : « neque ad béné-
ficia qu<Tlibet danda facilis, neque ad haec quœ dederat auferenda mu-
tabilis » (Migne, 133, col. 651) et plus loin « ai postqnam semel de-
disset non auferehat ».
Il met ce point en plus complète évidence encore quand il* loue la
générosité de saint Géraud, qui, dans un but de concorde et à ses pro>
près dépens, parvient à empêcher la révocation que des seigneurs veu-
lent faire, au gré de leur humeur, des bénéfices octroyés à leurs vas-
saux : « neque hoc patiebatur ut quilibet senior bénéficia a suc vasso
pro qualihet animi commotione posset auferre ; sed, deducta ad mé-
dium causa, partim prece, partim imperio, commotionem exaspérât!
animi reprimebat » (Migne, 133, col. 654).
«T. ri, p. 530.
* Dispense exceptionnelle de cette rétribution, en faveur de
THlglise :« Si aliquis militum prœfatse vills bénéficia tenentium beato
Petro suum beneficium aliquando vellet donare, omnino id sibi fa-
cero liceret absque ulla reqiiisitione pecuniœ quam idem cornes Hugo
vel aliquis successorum ejus exigeret » {Chartes de Cluny^ IV, p. 735
(1081) — de même, IV, p. 808).
LE RÔLE DU BÉNÉFICE DANS l'ÉTAT. 85
environ pour se former et se solidifier; d'elle est né le
droit féodal, comme d'elle aussi le droit roturier.
En effet, activement et passivement, au point de vue
des droits comme au point de vue des obligations, ce fut
la tradition, Tusage, le précédent qui devinrent la règle,
la loL L'opinion publique, le consensus commun, la con-
science populaire s'érigea en droit. Ceux qui depuis plu-
sieurs générations avaient payé les mêmes contributions,
les mêmes cens, ne pouvaient plus se refuser désormais à
les payer; mais par contre ils avaient droit à ne pas en
voir augmenter le taux ou à n'être point dépossédés de
leur tenure. L'hérédité de tenure marche de pair avec
Thérédité de la condition personnelle.
Il en advint de même du vassal militaire. Service et bé-
néfice, activement et passivement, devinrent héréditaires*.
C'est alors, alors seulement, que le bénéfice-récompense
céda la place au fief proprement dit. Concéder un bénéfice
d'une manière permanente, c'est-à-dire eu s'engageant par
avance à renouveler indéfiniment la concessioD, au profit
du concessionnaire ou de ses héritiers, avait pour contre-
partie forcée de soumettre ceux-ci à un service également
durable et spécifié par avance. Le service s'incorpora
au bénéfice, l'hommage fut dû à raison du bien concédé,
celui-ci fut l'objet d'une investiture spéciale, les rapports
complexes de service furent réglés suivant une échelle
méthodique. Tout le système, en d'autres termes,
gravita autour du bénéfice : de personnel il devint
réel.
Et l'on peut ajouter que, par la même et nécessaire évo-
lution, le fief s'implanta au sol. L'État devint territorial
en devenant plus stable, le contrat devint foncier pour
offrir au suzerain et au vassal la pérennité de la garantie,
la sécurité dont ils avaient tous deux besoin, l'un pour la
transmission régulière des obligations du vassal, l'autre pour
« T. II, p. 549 et suiv.
86 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
la transmission de ses droits sur le bien reçu en bénéfice^
De sorte qu'en dernière analyse, Finslinct de nos an-
ciens historiens ne les avait pas trompés sur le rôle décisif
que le principe d'hérédité a joué dans la formation de
rÉtat féodal. Leur erreur fondamentale est provenue de
ceci. Us ont étudié les textes de Tépoque carolingienne,
abondants jusqu'à la dissolution du ix* siècle, puis les
textes non moins abondants de l'époque royale, à partir
notamment de Philippe-Auguste; ils ont vu que de Tune
à faulre époque il y avait eu une transformation profonde,
que le bénéfice, en devenant héréditaire, était devenu 6ef,
et ils ont cru que c'était par un acte de l'autorité souve-
raine, — en France, par le capitulaire de Kiersy ou par une
charte hypothétique octroyée par Hugues Capet* — que
cette révolution avait été opérée. En réalité nul souverain
français, ni carolingien, ni capétien, ne l'a décrétée. C'est
leur maître à tous et à nous-mêmes, c'est le temps qui l'a
accomplie. Son œuvre, nous allons levoir,fut plus ou moins
rapide, et il trouva dans le principal des auxiliaires plus
ou moins énergiques, des coopérateurs plus ou moins actifs.
^ Je place volontiers ici cette réflexion de Lehuërou : « Lorsque
les 8ociét(^s commencent à se fixer et Tordre qui les fait vivre à triom-
pher, le législateur s'arme de métiance et de précautions tyranniques
contre ceux qui ne présentent ni l'une ni Tautre des deux garanties
qu'il réclame : une propriété qui le lie ou un supérieur dont il s'avoue
et qui réponde de sa conduite » [Institutions caroling,, p. 19).
'^ Luchaire, II, p. 4.
87
CHAPITRE III
<)UE LES PROGRÈS DE l'oRGANISATION FÉODALE DE L^ÉTAT SONT
EN RAISON DIRECTE DE L*HOMOGÉNÉITÉ POLITIQUE ET DE LA
FORCE DU POUVOIR.
Il me paraîtrait téméraire d'assigner un berceau exclu-
sif au véritable État féodal, à celui qui est basé sur la féo-
dalité foncière. Le lent travail d'incubation duquel il est
sorti ne s'est-il pas opéré simultanément dans les nom-
breux tronçons de l'Empire carolingien, en Allemagne, en
Suisse, en Italie, en Espagne, en France? Toutefois les
conditions étant diverses, les forces le furent, l'éclosion plus
ou moins rapide et plus ou moins spontanée.
Cette précocité relative a une grande importance, non
seulement pour déterminer l'état social d'une époque pré-
cise, mais pour saisir la marche des institutions. Les insti-
tutions nouvelles réagissent toujours, pour les transformer,
sur les anciennes qui persistent autour d'elles; en outre
leur émergence plus hâtive, dans certains milieux, nous
éclaire sur les circonstances les plus propres à les faire
naître et se répandre. Il serait par suite d'un intérêt ma-
jeur de fixer exactement à l'aide des documents contem-
porains l'antériorité respective des divers États féodaux
de la Gaule.
Malheureusement nos séries de chartes sont trop irré-
gulières et trouées de trop de lacunes, les œuvres littérai-
res trop pauvres en renseignements précis sur les traits
distinclifs que les institutions offraient de région à région.
Les écrivains se servent d'expressions vagues, génériques
ou stéréotypées, empruntées d'ordinaire à l'antiquité latine
88 LIVRE IV. — CHAPITRE IH.
parfois aux idiomes germaniques, et détoarnées, noos ne
savons pas toujours dans quelle mesure, de leur significa-
tion originaire. Surtout, ils étaient incapables d'analyser
le mécanisme juridique des institutions et manquaient de
points de comparaison suffisants.
Si imparfaites que soient nos sources d'information, il en
ressort pourtant, je Tai signalé dans le précédent volume^,
que rÉtat féodal s'est chez nous constitué premièrement
en Normandie, en Flandre, dans le comté de Barcelone.
De ces trois pays, la Normandie tient visiblement la tôte.
Je n'en veux pour preuve que deux circonstances capi-
tales : les pays étrangers où la féodalité a été le plus for-
tement organisée, dès le xi* siècle, sont ceux-là mômes où
elle Ta été par les Normands, TAngleterre et les Deox-
Siciles. D'autre part, le cœur du droit féodal français a été
le droit normand et anglo-normand.
S'il était certain que la Normandie eût servi de berceau
à l'État féodal en France, il importerait de rechercher en
détail toutes les conditions spéciales que ce pays présen-
tait : âpreté au gain, bon terroir et aptitude à le faire
valoir, affaiblissement de la foi naturelle dans le groupe
familial', puissance mentale et ratiocinante, esprit pro-
cessif et sens juridique, influence des institutions anglo-
saxonnes', urgence d'une autorité très forte pour discipli-
* T. II, p. 558.
' Cf. les paroles qu'Orderic Vital (III, p. 230) prête à Guillaume ie
Conquérant sur son lit de mort : « Proximi, consanguineique mei,
qui debuissent contra omnes mortales me omnimodis tutari, fre-
quenti conspîratione facta in me sunrexerunt, et pêne omnem patris
mei hsereditatem mihi abstulerunt. » C'est une des expériences
qui Font convaincu que les Normands ont besoin d*être domptés par
un pouvoir régulier et fort. Voyez infrà^ note 3.
« J'aurai à revenir sur cette influence et à montrer sa profondeur.
Qu'il me suffîse de dire en cet endroit que l'organisation féodale s*est
trouvée dans la société anglo-saxonne en avance sur celle de la
France du fait que le pouvoir royal y avait plus de force, d'unité el
d'extension.
PROORte DE l'organisation FÉODALE DE l'ÉTAT. 89
neretcoDteair des caractères indomptés', etc. Toutes ces
circonstances ont pu agir, mais il en est une qui les prime
toutes et qui, se trouvant commune aux autres pays que
j'ai placés à côté de la Normandie, paraît bien avoir été
l'élément décisif, je veux dire la cohésion ethnique, Tho-
mogénéité nationale sous une autorité puissante'.
Parcourez toutes les grandes principautés de la Gaule
dans la première moitié du xi' siècle, vous n'en trouverez
que trois où ce double trait caractéristique se réalise aussi
pleinement', le duché de Normandie, les comtés de Flan-
dre et de Barcelone*, et vous verrez que par contre la ré-
gion où la féodalité est la moins rigoureuse, incorporée le
moins au sol, le Midi en un mot, est celle-là même où cet
élément défaille le plus.
Quelles conséquences, en effet, la cohésion de l'État
devait-elle entraîner? Celles-ci. La foi lige naturelle due
au prince^ et consolidée régulièrement par Tbommage ex-
près, l'emporta sur tout autre lien : de sorte que tous les
^ .< Normanni, si hono rigidoque dominatu reguntur^ strenuissi-
mi sunt, et in arduis rébus invicti.... Alioquin sese vicissim dila-
niant atque consumunt. Rebelliones enim cupiunt, seditlooes enim
appetunt, et ad omne nefas prompti sunt. Rectitudinis ergo forti
censura coerceantur, et freno disciplinae per tramitem justitiœ
gradin compellantur. Si vero ad libitum suum sine jugo... ire per-
mittuntur, ipsi et principes eorum penuria et confusione probrosa
opperierUur » (Orderic Vital III, p. 230).
• C'est cette cohésion, sous une autorité forte, que vise pour la Nor-
mandie une phrase très expressive de Raoul Glaber : u Omnis pro-
vintia qus iUorum ditioni subici contingebat ac si unius consangui-
nitatis domus vel familia inviolatœ fidei concors degebat » (p. 20, éd.
M. Prou, (C T.)). Nous avons ici la foi lige naturelle dans son prin-
cipe et dans son développement.
Cf. aussi, pour le contraste avec la Francie, Guibert deNogent De
vita sua III, 7) : « Dum Northmannico vel Anglico more, Francicam
non prœvalet extrudere libertatem » (Migne, 156, col. 923).
' L'Anjou en approche.
* On pourrait y ajouter la Lorraine, qui était alors dans la dépen-
dance de l'Allemagne.
90 LIVRE IV. — CHAPITRE UI.
vassaux, et en principe tous les sujets, furent des vassaux
di^ects^ Cette foi s*étendit des personnes aux biens pour
les englober. Elle y réussit d'autant mieux que le prince
sut faire une mainmise plus complète sur les villes forti-
fiées et les châteaux forts d'où dépendait le plat pays. Les
biens furent tenus réellement ou furent censés tenus du
prince ; système qui, poussé à Textrême, excluait tout al-
leu, tout bien possédé en pleine et franche propriété. Le
service dut èlre proportionné à Tétendue des possessions.
Contributions ou prestations publiques des tenanciers in-
férieurs, service militaire des chefs y eurent leur assiette,
avec plus de rigueur que du temps de Charlemagne le ser-
vice militaire des sujets n'avait été assis sur les bénéfices
et sur les manses.
La conquête mit le sceau à cette organisation, non seu-
lement dans les pays conquis, mais par répercussion dans
l'État-souche des conquérants. Elle lui donna une consis-
tance systématique, elle l'imposa avec une énergie irrésis-
tible aux vaincus et aux vainqueurs. Pour la Normandie et
le Maine, pour l'Angleterre conquise par les Normands, la
vérification est éclatante; elle peut se faire aussi pour les
deux autres États que j'ai cités, la Flandre et le comté de
Barcelone. Et quant au premier n'est-ce point le contraste
qu'il présentait, du point de vue féodal, avec la Francie
qui est exprimé par cette énigmatique formule des chro-
niques de Cambrai : « Postpositis Karlensibus custumiis
talem honorem tibi observabo, qualem Lotharienses milites
dominis suis et episcopis'. »
* M . Luchaire vient de le constater très justement pour la Norman-
die. « Une seule seigneurie marquante, dit-il, celle de Belléme ...
put garder IMndépendance. — La noblesse normande n^est pas sépa-
rée du chef suprême par une série de degrés interposés : ses membres
s'ils ne sont égaux entre eux, relèvent tous immédiatement du duc.
Au rebours de ce qui s'est passé ailleurs, celui-ci a réussi à conserver
son action directe sur les vassaux les plus infimes. » {Histoire de
France, II, p. 54-55).
* Gesta pontif. Camerac, III, 40 (Migne, 149, 163). Adde, III, 44 :
PROGRÈS DE L*ORGANISàTION FÉODALE DE L*BTAT. 9t
Faut-il iasister maiatenaDt sur la face aettement oppo-
sée que le Midi offre à dos yeux? Les motifs allégués par
les historiens pour justifier son allodialité : persistance
du droit et des iuslitutions de Rome, civilisation plus
avancée, mœurs plus douces etc., sont aussi faibles en
soi qu'ils sont impuissants à rendre raison de la différence
qui, au xi* siècle, sépare le Languedoc de la Normandie.
Si Ton s'est contenté de ces raisoos, c'est qu'on n'a pas vu
A quel point la différence était profonde, et en quelle
étroite conoexité elle se trouvait avec Tabsence, dans
le Midi de la France, d'uoe autorité victorieuse des résis-
tances familiales ou individuelles et de l'indépendance
locale.
Dans le Languedoc, comme ailleurs, les historiens (dom
Vaissetle en tôte) ont vu partout des fiefs à charge de
service, ils ont parlé couramment de suzeraineté, de mou-
vance, d'hommage féodal, et se sont servi de l'expression
« tenir de »\ ou d'expressions analogues, comme si les
règles du droit féodal en vigueur au xiii^ siècle l'avaient été
dès le x^'. Le vrai est pourtant que la hiérarchie des fiefs
« Sicut Lotharienses milites suis dominis et episcopis obediunt, mihi
obedirel, juravit. »
* Pour i'»mbiguïté de la formule tcnere a, voyez, par exemple, H. du
L., V, 426, 428, etc. — Cf. Diplôme de Robert, 4 février 1031, Cart,
de N,'D, de Chartres, L 88. « Posl suum vero decessum lotus ex
ÎQlegro alodus, cum omnibus sibi appendenlibus, excepta illa terra
quam tenet A. sicut ille Manasses comes (le donateur) tenct solidum
et quietum, similiter in usus canonicorum Camotensis Eclesiœ deve-
niat ».
^ Suivant M. A. Molinier la féodalité est constituée dans le Lan-
guedoc passée la date de 950 (H. du Lany,, VII, p. 132, col. 2),
mais en réalité c'est beaucoup moins la féodalité du x** et du xi^ siècle
que celle du xu^ et du xm^ qu'il décrit. La plupart des chartes qu'il
analyse sont postérieures au xi* siècle.
Il n'est pas non plus de bonne méthode d'appliquer au Langue-
doc les chartes concernant la marche d'Espagne, où la féodaUté, je
l'ai dit, s'est organisée de meilleure heure et dans des conditions
spéciales. Aussi chercherait-on va'nement dans le Languedoc, et
92 LIVRE IV. — CHAPITRE lU.
D'existé pas plus que celle des titres \ que le lien féodal est
très lâche, que la foi est engagée indifTéremment à plu-
sieurs seigneurs et se ramène fréquemment à dû serment
de sécurité, qu'il serait beaucoup plus exact de parler
d'alliés, de confédérés et d'associés que de suzerains et de
vassaux, que les limites des seigneuries sont impossibles à
fixer, même pour le duché de Narbonne, par la raison très
n*est-OD pas autorisé dès lors à invoquer sans cesse pour ce pays,
une convention comme celle de 954 que passèrent entre eux les
vicomtes de Cerdagne et d'Urgel {H, du Lang,^ II, 421 suiv.
Preuves, ch. 209]. Ce n*est pas à dire que le fief y apparaisse déjà
dans sa forme typique, mais du moins peut-on Ty entrevoir. Les
traits suivants me paraissent justifier cette double proposîtioD :
1® Des hommes sont cédés avec leur fief, non point des fiefs avec
le service qui y serait attaché; « dono vobis E. cum ipso fevo quod
tenet de kastro S. Martini et cum suos milites »; « dono vobis B.
cum ipso feu que tenet de ipso vice chomitatu et suos milites, et de
aliis cavallariis qui rémanent dono vobis ipsa medietate cum ipsos
fovos que tenet de vicechomitatu. »
2® Les châteaux qui sont concédés directement sont dits donnés en
commande : « comendo vobis ipsos kastros... »
3<^ Il est question d*un Oef de vicomte (fevum de vicechomite)
dont le quart est cédé au vicomte d^Urgel et à sa femme m dominico^
c'est-à-dire à titre de propriété y et dont la transmission par décès
paraît réglée ensuite par un testament réciproque (voyez tn/rd).
4* Il n*y a pas, au point de vue juridique, une convention synalla-
gnatique mais plusieurs engagements successifs : I) Commande des
châteaux et don d*hommes ; II) A raison de ce don « propter hoc
dono suprascripto » engagement personnel du vicomte d*Urgel et de sa
femme ; III) Conventions spéciales quant à Texécution ou Tinexéculion
des deux précédentes : Le service d'ost et de chevauchée peut être
fait ou par le vicomte d'Urgel lui-même et par les hommes qui luî
ont été cédés ou par ceux-ci seuls ; IV) Si Tune ou l'autre des deux
parties viole son engagement, les hommes cédés se tourneront contre
le violateur. Il n'y a donc pas à vrai dire de commise; V) Les deux
parties s'instituent réciproquement héritiers de leur portion de vi-
comte, pour le cas où le prémourant ne laisserait pas de descendant
< « La hiérarchie des titres, remarque M. Molinier (H. du L., XII,
p. 226), parait être une invention des feudistes des derniers temps
du Moyen âge. » Je crois bien qu'elle n*est pas la seule.
PROGRÈS DB l'organisation FÉODALE DE L ETAT. 93
simple que le groupement est essentiellement personnel
et familial. Un des Nouveaux éditeurs de dom Vaissette,
ayant accepté la tâche d^exposer la géographie féodale du
Languedoc, ne s'est-il pas vu réduit à dresser un tableau
des familles ou maisons seigneuriales*?
Sans doute l'expression de fief se rencontre, mais spo-
radiquement. Elle ne devient un peu plus fréquente qae
dans les deux premiers tiers du xi* siècle, et même alors
elle demeure rare. Sa signification, en outre, est très vague,
très flottante. Elle correspond à des modes de possession
de terres ou de droits lucratifs qui, en dehors du caractère
viager, n'ont rien de défini, de technique, qui se rencon-
trent, sous d'autres noms et avec des modalités multiples ',
dans toutes les classes de la société, du haut en bas de l'é-
chelle sociale, sans distinction entre laïques et clercs. On
peut facilement le vérifier dans les preuves mêmes de
l'histoire du Languedoc. Il suffit de s'en tenir strictement
aux textes des x* et xi* siècles, et de s'affranchir des pré-
jugés historiques qui en faussent l'intelligence.
* H, du Lang.Nouv. éd., XII, c. 225 et suiv. <» C'est une agglomé-
ration de princes tous égaux entre eux, au moins théoriquement,
nouant et dénouant les alliances au gré de leurs caprices ou de
leurs intérêts du moment. Comment sortir de ce chaos? Ce qui
domine, c'est en somme l'intérêt de la famille le mieux sera donc de
retracer successivement l'histoire des domaines de chaque famille. »
• Voyez par exemple, H, du L., V, c. 573-4,
94
APPENDICE DU CHAPITRE IIÏ
Le fief languedocien de 000 à 1071.
Si nous parcourons les chartes publiées dans rhistoire
du Languedoc pour la période qui va du début du x* siè-
cle au dernier tiers du xi* siècle (nouv. éd., t. V) nous
assistons à la lenle difTusion du mot feudum et à Félabo-
ration non moins lente de la notion du Qef proprement dit.
Remarquons au préalable que certains intitulés de chartes
sont de nature à induire en erreur. On les voit qualifiées
hommages^ alors qu*il ne s*agit en réalité que à% serments
de sécurité {poLV ex. : c. 372-4, c. 412, etc.) qui correspon-
dent aux obligations purement négatives du vassal % et
qui sont beaucoup plus nombreux dans le Languedoc que
les véritables hommages de service englobant à la fois les
obligations négatives et les obligations positives [adju-
torium). Ceux-ci sont rares (par ex : c. 409-4H) (v. 1034)
et ne deviennent, comme nous allons le voir, corrélatives
à la concession d'un vrai fief que dans le milieu du xi*
siècle.
Cela dit, passons une revue aussi exacte que possible
des chartes de cette collection où le moi feudum se ren-
contre. Je ne l'aperçois qu'à partir de 961, bien qu*on ait
cité {H, du L., VII, c. 133 note) comme premier témoignage
une charte de Nîmes de l'an 956 {H. du L., V, c. 225). Elle
relate un échange, à Ntmes, de divers biens entre parti-
culiers et dit au sujet de l'un d'eux : « Et per istos ex-
cambios... débet Bl. facere soivi ad vicecomite B. et ad
« T. II, p. 518-519.
LE FIEF LANQUEDOGIEN DE 900 A 1071. 95
vicecom. G. et ad B. cujus erat feuz. » Ce dernier mot ne
saurait être ici une des formes de feudum {feus =feudum).
Il signifie fidelis, et correspond à feel, feaus {feus=^feel^
Ducange h. v*).
Avant 961, je remarque seulement l'expression donare
perfidem (v. 922, c. 146), certainement équivalente à
dore ad beneficium (935, c. 168), qui peut être rapprochée
de la bajolia que nous trouverons plus loin et avoir le
sens de donner à gérer, confier.
961 (c. 241, 246). Testament de Raimond I comte de Rouergue,
3 mentions de feo : « alode quod G. babet a feo et F. habet a feo
de Raymundo » ~ « alode quod... B. habet nfeo,,. ad ipso cœnobio
remaneat » — « alode de Br. R. filio meo et H. filio meo remaneat; in
tali vero ratione quod teneat ipso castro et ipso feo A. et I. quod
habent de ipso alode, si taie forsfactum non faciunt in contra unum,
de quod ipso feo habere non debeant. » Cette clause prouve qu*il
n'y a pas commise, pour défaut de service, mais déchéance pour
indignité *.
972 (c. 269) : « illo fevo de L. quse fuit R. avo meo, quaB
tenuit de comité H. dimitto et G. et R. filiis suis et illo fevo qu»
fuit G. dimitto medietatem ad filias Âymerici... » Il s'agit d'un béné-
fice lato sensu dont le détenteur dispose par acte de libéralité.
V. 972 ic 277). Testament de Garsinde, comtesse de Toulouse :
quelques tenures viagères qualifiées fevum : « mansum qu» G.
tenet ad fevum in vita sua, post mortem ejus remaneat S. Petro »
etc. (bénéfice stricto sensu).
1018 (c. 366-7). Plaid dans lequel des biens sont revendiqués
par un vicarius comme tenus pro feo par des hommes propres
{homines dominici), Feum désigne donc ici des terres assujetties à
des droits seigneuriaux, comme situées à l'intérieur d'une potestas
{dominicaria), par opposition à des terres franches et libres, à de
pleins alleux. C'est ce que la fin de la charte prouve sans réplique.
Le vicaire succombe, il est obligé de se désister de tout droit sur
les biens litigieux, de reconnaître qu'ils sont des alleux et non des
fiefs « de jamdicto alode me evacuavi, quod in nuUo modo pro feo
hoc probare non potui », parce que les témoins ont juré que depuis
trente ans et plus ils étaient possédés « per legitimum alodem,
sine ullum censura regalem et sine ullo adjutorio, quod exinde fecis-
• T. II, p. 519, p. 534 suiv.
96 LIVRE IV. — APPENDICE DU CHAPITRE III.
sent ad ipsos homines de Monte-Ganudo qui in ipsa domnîcheria
steterunl. »
V. 1025 (c. 380) formule vague : « nec aiiensure, nec bescamiare,
nec ad fevum dare, nec ad hominem nec ad feminam. »
V. 1034 (c. 409-411) : Fevum = bénéfice lato sensu (acquêt
viager ou perpétuel) : « neque de suos alodes, neque de suos fevos
que... odie habet, aut in antea cum consilio R. adquisîerit. »
1037 (c. 429-430) Fevum = tenures d'une villa, devant rede-
vances et services ' u de ipsum fevum (villa quod vocabulum est
Burgi), ipsa modiata sive alium servicium quod a comité debent la-
cère vel a vicario ipsi fevales ». Fevum s'oppose à dominiciim et
à fevum discaptum, c'est-à-dire à terre exploitée directement et à
tenure transmissible dispensée du relevium. Je crois, en efifet, que
discapttim est le contraire ô'accaptum (relief).
1046 (c. 453). La vicomtesse Garsinde abandonne au comte de
Carcassone : « alodes et fevos qui fuerunt W^ vicecomitis et filiœ
ejus G... el de meo jure in suo trado dominio et potestate, ad
faciendum inde quidquid voluerit. »
1046 (c. 455) Fevum = bénéfice ecclésiastique {honor elerica-
lis) : « canonicorum qui fevos habent de ipsa ecclesia. »
V. 1050 (c. 459). Concession viagère, sans stipulation de service
(qualifiée donum d*un alleu) « dono pro fevo in vita sua ».
A partir de 1050 le mot fevum devient plus fréquent
et le fief prend de plus en plus le caractère qu'il aura plus
tard. Toutefois ce caractère est loin encore d'être fixé,
comme nous pouvons le voir en continuant notre revue.
1051 (c. 463), formule vague : « Neque aliquis bomo vel fœmina
donsure alicui possit aliquid de hoc prsedicto alodio neque per alodium
neque per fevum. »
1053 (c. 473). Dans une contestation, l'une des parties, après
avoir soutenu d'abord qu'elle possédait une église c per alodem *,
prétend la tenir à fief de l'évêque Bércnger, qui siège au plaid u con-
quisivissemus eam per fevum de potestate Berengarii episcopi ».
1053 (c. 475). Fevum = bénéfice lato sensu,
1054 (c. 479). Abbaye, avec ses dépendances, tenue per fevum.
1055 (c. 484). Eglise tenue jMrc fevi, cf. de même 1058 (c. 490).
1055 (c. 485). Fevum = tenure.
V. 1056 (c. 486 suiv.). Constitution de fief par l'évoque de Bé-
* Modiata = prestalio pro modio vini vel avenœ.
LE FIKF LANGUEDOCIEN DE 900 A 1071. 97
ziers. Peut-être s'y trouvait-il une stipulation de service, mais la
charte est brusquement interrompue par une lacune. « Et hoc debes
facere mihi quod si ego B » (c. 488).
1058 (c. 491). Fevum = tenure : « E. qui tenel ipsam villam ad
fevum. Et ego ipse E. dono per unumquemque annum duos modios
de vino sine aqua et de unaquaque casatura IV®' denarios unoquo-
que anno ». — Cf. v. 1060 (c. 513), tenere ad fevum,, 1061 (c. 515),
tenere in fevum,
1065 (c. 530). Fevum = bénéfice viager ou baillie, bajolia. Renou-
vellement à une veuve de la concession faite à son mari. Le bien lui
est confié pour le gérer (gubernare), elle doit l'entretenir et le desservir
(évidemment comme une tenure) « sub tali tenore ut ipsa teneat et
possideat in servitio et sub dicione praedicto cenobio, sicut vir suus
hoc tenuit. » Après sa mort il reviendra au couvent, pour être
possédé au même titre que ses autres alleux.
V. 1066 (c. 536-538). A lire l'engagement que prend dans cette
charte Raymond de Saint-Gilles envers l'archevêque Guifred de
Narbonne, il semblerait que Raymond se rend vassal de Guifred. En
réalité il était son seigneur à Narbonne, comme successeur des comtes
de Rouergue, et loin de devenir son vassal il lui donne en fief le tiers
de ce qu'il pourra acquérir per placitum dans le comté de Nfiurbonne.
Il le lui donne per drudairiam, ad fevum, expression empruntée au
compagnonnage et qui a pu légitimement, à mon sens, faire songer
Catel à un simple pariage (Hist, des comtes de Toulouse, p. 27. Cf.
H. du L., III, p. 354).
1066 (c. 541), « neque de ipsos alodes vel fevos, neque de suos
censos. »
1067 (c. 546) engagement d'un fief par le concessionnaire au
concédant
1067 (c. 549), cession de fiefs et d'alleux. — De même, 1069
(c. 561).
1067 (c. 552), constitution de fief avec cette curieuse réserve :
« exceptus ipsum servitium quod vos debetis facere nobis », qui peut
s'entendre d'un service antérieurement dû.
1070 (c. 574), M per fevos et convenientias sive per quascumque
voces. »
1070 (c. 579), « per fevos, vel per alodia, vel per bajulias, sive per
convenientias, vel per quascumque voces. »
1070 (c. 574). « Fevum ad vestrum servitium. »
1070 (c. 576). « Fevum... adillorum servitium. »
1071 (c. 587). Accord entre Guillaume comte de Toulouse et
Raimond comte de Barcelone — D. Vaissette a trouvé dans cette
R — Tome III. 7
98 LIVRE IV. — APPENDICE DQ CHAPITRE IIL
charte la preuve que le comte de Barcelone devait i'hommafre de
service au comte de Toulouse, était placé sous sa suzeraineté féodale,
tandis que d'après les Espagnols les possessions françaises des
comtes de Barcelone étaient francs-alleux {H, du L., IH, p. 373;
V, c. 31). En réalité de quoi s'agit-il? Guillaume comte de Tou-
louse, beau-fils de Raimond le Vieux de Barcelone, prétendait que
celui ci lui devait adfidament à raison du château de Laurac qu'il
avait acquis. Raimond le contestait : finalement Raimond reçoit le
château en fief pour lui et ses successeurs et paie une somme de
dix mille msurcs ou mangons. Cette convention est inexplicable
si Ton veut y voir un hommage de service. Que réclamait Guillaume?
L*hommage, nous dit-on. Raimond non seulement y aurait consenti
et engagé son service, il aurait payé en plus une grosse somme. L'acte
ne serait pas un accord mais une capitulation. Son seul sens plau-
sible me paraît celui-ci. Guillaume réclamait un serment de sécurité
(adfidament) et un relevium, Raimond a consenti à payer dix mille
marcs à titre de rachat du relevium. Le mot feudum aurait donc ici
encore le sens vague de bénéfice lato sensu.
En résumé : avant 950 nous ne trouvons pas une seule
mention de fief. De 950 à 1050 le mot feo ou fevum se
rencontre une dizaine de fois (soit une mention par 10 ans
ou par 14 chartes) mais rien ne nous autorise à y voir une
concession à charge de service militaire. De 1050 à 1071
la fréquence du terme s'accroît (1 mention par an ou par
3 chartes), mais son sens n'est pas encore pleinement
technique.
99
§ II. — LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE TÉTAT
CHAPITRE PREMIER
QUE LE GROUPEMENT TERRITORIAL EST CLAIRSEMÉ OU SECONDAIRE
S*il résulte de mon exposé que la féodalité contractuelle
n'est nullement, comme on Ta cru, la clef de voûte de la
société du x* et du xi* siècle, il doit en résulter avec une
certitude non moindre que TËtat ne s'était pas fragmenté
en une infinité de souverainetés territoriales, petites ou
grandes.
A mon sens, il faut abandonner presque complètement
ridée de territorialité pour ces deux siècles*. Ce que
M. de Barthélémy a brillamment prouvé pour le duché de
France* n'est pas moins vrai pour les comtés, vicomtes et
seigneuries. Il n'existait, à proprement parler, ni souverai-
neté ni suzeraineté territoriale.
La société était déracinée. Le groupement était, par
' J'indiquerai plus loin que déjà les multiples royaumes nés des par-
tages mérovingiens ne constituaient pas des royaumes territoriaux. Ce
n*est que Tempire carolingien qui, par imitation de Rome et dans un
but de fusion et de centralisation, s'efforça de faire prévaloir la terri-
torialité. Tentative éphémère : insuffisante dans son début, sous le
grand empereur, malheureuse dans ses conséquences, sous ses des-
cendants. Leurs partages artificiels de territoires hâtèrent le réveil
des nationalités soumises et activèrent la dissolution de Tempire.
^ Les origines de la maison de France (Revue des questions histo-
riqueSy 1873, p. 108 et suiv.).
100 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
dessus tout ethnique* et familial, puis domanial (nous
verrons dans quel sens) et religieux. De la personnalité
des lois on avait passé à la personnalité de la domination.
Je l'ai montré surtout pour la justice, au tome premier de
cet ouvrage, je voudrais le démontrer pour l'ensemble de
TÉtat seigneurial.
Il est temps, en effet, de rompre avec ce jeu de combi-
naison de duchés, comtés, fiefs, etc. qui n'a jamais eu, et
qui n'avait pas du tout au x' et au xi' siècle, l'importance
sociale que les historiens lui prêtent, qui n'a jamais que
recouvert et non pas supplanté les goupements naturels,
la petite patrie, le lignage, la paroisse [plebs).
Ce qui a donné le change c*est la corrélation exacte, la
symétrie parfaite qu'on a cru apercevoir entre les divisions
ecclésiastiques et les divisions civiles ou politiques, l'im-
mutabilité qu'on a attribuée aux premières et l'assimila-
tion injustifiée qu'on a faite entre elles. La concordance n'a
jamais été complète; elle n'a guère survécu au ix* siècle,
elle est devenue alors beaucoup plus apparente que réelle,
et ne s'est reconstituée effectivement que par l'emprunt
qu'à partir notamment du xii* siècle et du xiii* siècle l'ad-
ministration royale fit à l'Église de ses cadres traditionnels.
L'immutabilité de ces cadres fut loin aussi d'être absolue,
et son caractère territorial est tout différent de celui d'un
Etat. Commençons par ce dernier point.
[. — Des circonscriptions ecclésiastiqaes.
Par territorialité de l'État, j'entends la souveraineté sur
le sol, emportant souveraineté sur les personnes qui s'y
trouvent ou qui l'habitent. Il ne peut donc pour l'Église
être question de territorialité que là où existe soit un État
ecclésiastique, soit une immunité ou une sauveté. Or dans
* L'acception où je prends le mot « ethnique » ressortira de ce
chapitre et du suivant. Voyez notamment p. ^27, note i.
DU GROUPEMENT TERRITORIAL. lOi
la seigneurie ecclésiastique, si le pouvoir temporel double
et renforce le pouvoir spirituel, il ne diffère pas essentiel-
lement du principal laïque : ce que je dirai de celui-ci s'y
applique donc. Quant à Timmunité et à la sauveté, ou bien
elle constitue une seigneurie d'une nature particulière, ter-
ritoriale parce qu'elle a ses limites sacrées*, son bannus
sacer * aborné d'ordinaire par des croix, ou bien elle ren-
tre, au point de vue qui nous occupe, dans le système do-
manial.
Reste le pouvoir religieux. Celui-ci ne procède à aucun
égard de la prise de possession du sol, mais du caractère
sacré conféré au prêtre ou à l'évêque et qui lui donne au-
torité sur les fidèles. Ce n'est que Texercice de cette auto-
rité qui est attaché à des cadres territoriaux : son principe
n'en dérive pas.
Que sont maintenant ces cadres? Sur la foi d'Adrien de
Valois et plus récemment des travaux de Guérard, il a
été admis presque comme un axiome que non seulement
les grandes divisions ecclésiastiques — province, diocèse
— mais les subdivisions inférieures ont été calquées sur les
districts administratifs soit de l'époque gallo-romaine, soit
au plus tard de l'époque carolingienne. Les érudits ont pris
au pied de la lettre le fameux parallèle de Walafrid Stra-
bon * et du parallélisme des fonctions conclu au parallé-
lisme des ressorts territoriaux — ce qui est pourtant tout
autre chose. — A la province romaine aurait correspondu
la province métropolitaine, à la civitas ou au gvdLudpagus
le diocèse, au pagus moindre ou à la vicairie l'archidia-
coné, à la centena l'archiprêtré, à la décanie le doyenné.
> T. II, p. 161 et suiv. Cf. infrà, p. 112, note 1.
• Cf. pour Cluny, Charte de 1079 (1080) citée par Ragut. Introd.
au Cartul. de Saint-Yincent de Mâcon, p. cxc. — La charte n'est que
mentionnée dans les Chartes de Cluny, publiées par M. Bruel (IV,
p. 677).
* De exordiis et incrément, Eccles, rer., 32 (Man. Germ, CapituL
II, p. 515, éd. Krause).
102 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Division et subdivision se seraient conservées si parfaite-
ment intactes que grâce à elles on a entrepris de retrouver
les confins des divisions administratives de laGaule franque.
Mds étudiez sur le vir, à Taide des chartes contem-
poraines, la topographie ecclésiastique de la Gaule au x* et
au XI* siècle, et les doutes naîtront de toute part. Si la
concordance alléguée apparaît à peu près comme exacte
pour la province ecclésiastique et !e diocèse, elle ne se
vérifie que peu ou point pour les divisions inrérieures.
Dans le Limousin, par exemple, M. Deloche a cons-
taté « le défaut de concordance entre les vicairies et
les divisions ecclésiastiques inférieures » aussi bien « entre
les paçi minores et les archiprêtrés qu'entre ceux-ci et les
vicairies, centaines et aïces » *, et le savant qui possède le
mieux la géographie de Tancienne France, M. Aug. Lon-
gnon repousse nettement la concordance pour la subdivi-
sion la plus importante, Tarchidiaconé *.
Rien ne prouve même, à mes yeux, qu'à l'origine et pen-
dant longtemps, l'archidiacre et l'archiprêlre aient été
autre chose que des auxiliaires, des représentants ou délé-
gués de l'évêque, sans que leur autorité s'exerçât dans des
limites territoriales précises et invariables. Ce n'est sans
doute que par un groupement de paroisses baptismales et
de minores tituli qu'archidiaconés et archiprêtrés ont été
formés. Il n'est fait nulle mention d'archidiaconés dans les
capitulaires, et l'archiprêtré s'y confond avec la décante* et
* Introduction au Cartul. de Deaulieu, p. olxiii-iv, Cf. p. clvi. Gar-
nier avait fait une constatation analogue pour la Bourgogne : « L'ex-
périence m'a démontré, dil-il, que les limites des diocèses et des ar-
chidiaconés ne concordent presque jamais complètement avec celles
despagi » (Chartes bourguignonnes inédites, Paris, 1849, p. 55).
* « A notre avis, les circonscriptions archidiaconales n'ont point,
dans l'espèce, plus de valeur que leurs subdivisions, archiprêtrés ou
doyennés... formés qu'ils sont, dans plus d'un cas, de la réunion d'un
certain nombre de doyennés ou d'archipr^trés » (Atlas historique de
la France, Paris, 1888, p. 92).
* « Statuant episcopi loca convenienlia per decanias, sicut consti-
DU GROUPEMENT TERRITORIAL. 103
avec la paroisse baptismale * ; la décante (qui ne se rencontre
du reste qu'une seule fois) étant selon toute vraisemblance
un groupe de dix autels (oratoires, chapelles) où les sacre-
ments ne sont pas administrés'. Guérard lui-même avoue
qu'il n'a trouvé le mot archidiaconatus dans aucun monu-
ment des deux premières races ', et il n^a pas remarqué
que les exemples de Ducange qu'il invoque pour l'épo-
que immédiatement postérieure se rapportent kVoffice et
non au district, enfin que le diplôme royal qu'il cite est
plus que suspect*. En réalité l'archidiaconé et l'archiprê-
tré sont d'une rareté extrême, comme divisions territo-
riales, dans tous les cartulaires du x* et du xi* siècles.
Nouspouvonsdoncconclurequ'il n'existe vraimentà cette
époque que deux grandes circonscriptions ecclésiastiques
et une petite. Les divisions fondamentales sont le diocèse
et la paroisse^ puisque la province n'est que le groupement,
sous la primatie de l'un d'eux, des sièges épiscopaux d'une
province civile. Le diocèse, nul ne le conteste, est l'ancienne
civitasy et je crois, pour ma part, que la paroisse est sur-
tout Tancien viens gallo-romain ou franc, avec les villâs, agri
tuti sunt archipresbyteri » (844, Capitul. Septiman. cap. 3) (LL.
Capital, II, p. 256).
* '• Singulis plebibus archipresbiteros preesse volumus. qui... eorum
presbiterorum qui per minores titulos habitant, vitam jugi circums-
pectione custodiant... Nec obtendat episcopus non egere plebem ar-
chipresbitero, quod ipse eam per se gubernare valeat ; quia et si valde
idoneus est. decel tamen ut parciatur onera sua et, sicut ipse ma-
trici preesL ita archipresbiteri praesint plebeis » (Synode de Pavie,
cap. 13 (850). LL. ii, p. 120).
• Dans le principe, c'est l'évêquequi remplit les fonctions sacerdotales
dans tout le diocèse. Le diocèse n'est qu'une grande paroisse — et il
s'appelle en eïïei parochia. Puis Tévéque délègue à l'archiprôtre le pou-
voir de le remplacer dans Tadministration des sacrements (Voyez la
fin de la note précédente — Cf. Friedberg, Lehrbuch des Kirchen-
reckts, Leipzig, 1879, p. 104-105).
' Essai sur le système des divisions territoriales de la Gaule, Paris,
1832, p. 93.
'*■ C'est le diplôme de Philippe I, de l'an 1091 , suprà, p. 77, note.
i04 LIVRE IV. — CHAPITRB I.
OU loci qui eu dépendaieui^ Or la ctmVa5 était par essence^
nous le savons, un groupe ethnique*; le diocèse dut donc
être ethnique plus encore que territorial et Ton s'explique
très bien que les évèques des x* et xi* siècles aient pris
pour titre le nom du peuple de leur diocèse : episcopus
Parisiorum^ Leucorunij Tungroruniyeic. Quant à la paroisse,
si le vicus auquel elle correspondait était un village dissé-
miné, composé de fermes éparses, sa circonscription pou-
vait difficilement être d'un seul tenant, et s*il était une
agglomération compacte, celle-ci, par le malheur des temps,
ou bien fut dispersée ou bien se concentra de plus en se
fortifiant, et devint surtout un noyau auquel des églises
isolées se rattachaient *.
Ces conséquences se sont produites d'autant plus sûre-
ment que les limites territoriales de Tépoque gallo-romaiDe
furent moins aisées à reconnaître, plus faciles à violer, et
rompues par d'incessantes intercalations. Provinces et ci-
tés avaient été, sous l'administration des Romains, déli-
mitées par des pierres et des colonnes, et sans doute que
les vici furent abornés régulièrement aussi. Mais que
de bouleversements du sol, de ruines et de dévastations
du VI* au IX* siècle, que de remaniements des diocèses^,
quelle lente genèse de la plupart des provinces métropoli-
taines, dont six au moins n'ont été créées que par les Caro-
lingiens •. C'est donc à une véritable reconstitution qu'on dot
procéder au ix*siècle, et son maintien intégral fut de courte
durée. Non seulement des fluctuations se produisirent de
' T. II, p. 38.
« T. II, p. 22 et suiv.
' La paroisse n'est pas d'un seul tenant puisque les terres non culti-
vées n'en font pas partie « terra ista, dit une charte du xi« siècle,
nulli parrochiae subjacet « (Voyez, T. Il, p. 147, note 1).
* Longnon, Alias historique, texte, p. ni.
• Les provinces de Besançon, Cologne, Mayence, Tarentaise, Aix,
Embrun. Cf. Longnon, ibid., p. 210. Philipon, Les origines du diocèse
et du comté de Delley (Paris 1900), p. 24-26.
DU GROUPEMENT TERRITORIAL. 105
province à province, de diocèse à diocèse et de paroisse
à paroisse par des empiétements*, dont beaucoup nous
échappent même pour avoir été redressés plus tard,
mais la limite fut loin d'être une barrière infranchissable;
on passait par-dessus elle pour exercer dans [une autre
circonscription des droits ou y chercher une protection
contraire à la discipline et à l'organisation territoriale de
rÉglise. Les prohibitions réitérées de la compilation de
Benoit le Lévite prouvent la fréquence de ce rayonnement
et de cette déperdition »,
Ainsi l'Église elle-même est obligée de lutter de toutes
* Voyez un certain nombre de ces empiétements dans Touvrage de
M. Longnon, p. v à vin, et comme exemples développés pour des pro-
vinces limitrophes, Tétude de M. E. Philipon, p. 29 et suiv. — Pour les
paroisses je citerai une charte typique du Cartul. de Saint-Vincent de
Màcon, où l'empiétement porte sur une église de village que son des-
servant avait détachée de Téglise mère : « Quidam presbiter B... pro-
clamans se quod quidam presbiter I. nomine quamdam villam S.
vocabulo, in parrochia S* démentis quam B. tenebat, contra jus
ecclesiasticum usurpasset. Gujus querimoniam pontifices (synode
tenu à Chàlon) diligenti examinatione inquirentes decreverunt ut
jamdicta villa S. ad antiquitatem suam^ hoc est ad matricem eccle-
siam S G. reverteretur, sicut per viam publicam que ab Arari incipit,
que pergit ad Odientiam F. antequam perveniret in transversum per
viam que ducit ad fontem B., unde et hanc testimonii scripturam
quam reditoriam vocant... (915, Cart. Saint- Vincent de Mâcon,
p. 102).
* Province : « Unaquœque provincia suo metropolitano et suis
comprovincialibus episcopis sit contenta, nec aliquis in limitibus al-
terius provinciae quicquam praesumat » (Capitul. VII, 94; Walter, II,
p. 700).
« Ultra provinciae terminos accusandi licentia non progrediatur »
(VI, 381, p. 658); « nec cui liceat relictis his sacerdotibus qui in eadem
provincia Dei ecclesias motu divino gubernant, ad alias convolare
provincias >> (16id., p. 659), etc.
Diocèse ;« Placuit ut a nuUo episcopo usurpentur plèbes alienaB, nec
aliquis episcoporum supergrediatur in dioecesi collegam suum » (VI,
308, p. 642).
*< Ut nuUus episcopus alium conculcet episcopum vel supergre-
diatur, aut aliquod ei in commodum faciat » (VI, 310, p. 642). Adde
106 LIVRB IV. — CHAPITRB I.
parts pouréviter que le groupement personnel ne remporte
dans son organisation sur le groupement territorial. Les
mesures en deviennent draconiennes. Avant de célébrer
la messe, le prêtre doit s'assurer que nul fidèle du dehors
ne s'est glissé dans l'assistance, et s'il en découvre de les
expulser du sanctuaire et de les contraindre de retourner
dans leur paroisse*.
Le danger augmentait à mesure que s'accentuait la dis-
continuité territoriale à l'intérieur des circonscriptions.
Elle s'opérait par diverses voies : par l'extension ou la
multiplication des immunités qui soustraiaient les ab-
bayes et les églises monastiques, avec leurs fidèles, à
l'autorité de l'évêque diocésain pour les placer dans le
mundium pontifical, par la pullulation des églises pri-
vées* et par Tattribution, l'incorporation^ ({x^% les évê-
VI, 301 : « Ut episcopus alterius episcopi plèbes vel fines non usur-
pet. »
M Ut nullus clericus ab episcopo suo recédât, et ad alium se trans-
férât » (VI, 320, p. 643).
(( Qui sunt supra dioecesim episcopi, nequaquam ad ecclesias qus
sunt extra praîfixos sibi terminos accédant, nec eas aliqua prsesump-
tione confundîint » (VI, 381, p. 659).
Paroisse. « Non oportet transferri terminos a Patribus constitutosi
ut altcr alterius parochiam invadat, atque illic celebrare divina mysle-
ria, inconsulto episcopo cui commissa est, prsBSumat (VI, 381,
p. 659), etc.
* K Ut dominicis vel feslis diebus presbyteri antequam missas cé-
lèbrent, plebem interrogent, si alterius parochianus in ecclesia sît,
qui, proprio contempto presbytero, ibi missam velit audire. Quem si
invenerint, slatim ab eccfcsia ejiciant, et ad suam parochiam re-
dire compellant » (Décréta Durchardi, ii, 92, Migne 140, 642).
* On stipule, comme on le ferait d'une corvée ou d'une redevance
seigneuriale, l'obligation pour les colons d'un domaine d'aller à certains
jours à telle église privée : « Ipsi coloni, in tribus anni fostivitatibus,
in Natale videlicet domini, et Pascha atque Rogationibus, ad eam
irent, aut si nollent, oblationem suam, id est panem unum et cande-
lam unam mitterent. Per totum autem anni spatium ad quam vellenl
ecclesiam irent, nisi tantum ad festivitatem sanctiqui in eademConon
veneratur ecclesia, in qua tamen festivitate ab eisaliquid nisi sponte
DU GROUPEMENT TERRITORIAL. 107
ques coDseDtaient aux monastères d'églises détachées de
la circonscription paroissiale. L'émiettemenl de celle-ci est
tel qu'elle se réduit parfois à huit fidèles*, et qu'elle ne
pourra se reconstituer que par la destruction d'églises*.
II. — De la souveraineté territoriale.
On voit d'après les développements où je viens d'entrer,
que la territorialité proprement dite, la souveraineté terri-
toriale, ne trouve pas, comme on l'admet trop facilement,
une substruction inébranlable dans les divisions ecclésias-
tiques. Elle n'y trouve qu'un cadre d avenir, un point
offerre vellent, non requireretur. » 1050-i055, Cartul. de Marmoutier
pour le Dunois, p. 108). — L'église privée pouvait êlre paroissiale.
— Voyez, par exemple, le texte de la vie de saint Robett (note sui-
vante) et celui-ci de la vie de saint Dethoire : « Dédit (episcopus) ei
potestatem in propria tellure et paroechiam et locum ubicumque vellet
sibi aedifîcare » (Cap. 3, SS. rer, merov., Ilï, p. 615).
' Charte du Cartul. inédit de Saint-Mont signalée par M. Breuils,
Saint Austinde et la Gasgogne au xi« siècle (Auch, 1895), p. 66. —
De nombreuses églises paroissiales sont en ruines et abandonnées.
Les fondateurs de couvents qui ne veulent ni dépendre d'une paroisse
ni s'en affranchir injustement recherchent de telles églises pour s'en
mettre en possession. Vie de saint Robert, fondateur de la Chaise-
Dieu, cap. 8 : « Dans illi negotium ut locum huic proposito congruum
quaereret... Dictât loci congruentiam, ecclesiolam scilicet aliquam in
«remo, deserlam licet ac dirutam, tamen parochialem,.. parochialem.
ut credo, ne si novum in alieno collocarent oratorium, veteribus locis
inferre viderentur injuriam... Dei nutu paratum invenit quod petebat,
ecclesiam scilicet veterem, vasta cinctam solitudine, votis suis in
omnibus respondentem » (Mabillon, SB. VI. 2, 191). L'église ainsi
trouvée est cédée à Robert par duo germani nohiles à qui elle ap-
partenait, qui en étaient les terreni domini {ibid., cap. 11, p. 192).
* Les abbayes y procèdent dans l'intérêt des paroisses monastiques.
Par une charte de Tan 1092 le monastère de Saint-Sernin se fait céder
trois églises privées avec les droits qui y appendentpour les démoUr et
les remplacer par une église unique (paroisse monastique), « eo tenore
ut de bis tribus aecclesiis efficiatur una. i» (Append. au Cartul, de
SaintSernin, ch. n» 18, p. 496;.
108 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
d'appui pour des conquêtes futures ^ Dans le présent, ce
qu'on a pris pour une concordance de la souveraineté ter-
ritoriale avec le ressort ecclésiastique {comitatus diocèse
ou pagus) ou avec les divisions administratives de l'empire
carolingien {vicaria = centena ou pagus minor)^ n'est le
plus souvent qu'une référence dans le langage populaire et
le langage des chartes à une époque ancienne, référence né-
cessaire pour se reconnaître topographiquement, archaïsme
que M. Longnon a signalé pour le pagus dès Tépoque fran-
que*, et qui paraît de tous points analogue à celui que
les lieux dits de nos campagnes constituent de nos jours
en rappelant des divisions domaniales et agronomiques dès
longtemps évanouies.
L'ancien réseau administratif romain et franc qui se
survivait en partie dans l'organisation de l'église, et dont
celle-ci en tout cas conserva le souvenir, fut une sorte
de grille qui permettait de retrouver sur le territoire et
de relier entre eux les fragments épars de souveraineté
dont la réunion formait le comitatus^ le vicecomitaiuSy la
vicaria^ etc., ou, pour parler plus distinctement encore, les
petits groupes ethniques ou domaniaux et les familles iso-
lées soumis à une même domination. Entendre par comté
une souveraineté d'un seul tenant conduit en général à
l'un ou l'autre de ces deux résultats. Ou bien l'historien, ne
trouvant rien dans les documents qui lui permette de fixer
des limites précises', conclut de l'existence d'un comiiaiusà
* T. II, p. 25.
2 a Les rédacteurs des chartes rappelaient fréquemment eacore le
nom du pagus administrativement supprimé, nom dont remploi cons-
titue alors, au point de vue historique, un véritable archaïsme. »
Longnon, Atlas histor,, p. 90.
* Les anciens chroniqueurs eux-mêmes n'y voient pas clair ou s'y
trompent. La Chronica de gestis cons. Andegavorum raconte que
Thibaut de Blois, prisonnier en 1044, de Geofîroi Martel, dut pour
recouvrer sa liberté prêter 15 serments, dont le premier constituait
un abandon de la Touraine, civitas Turonetisis, et le deuxième fixait
les limites du comitatus (Chroniques des comtes d'Anjou, p. 123).
DU GROUPEMENT TERRITORIAL. 109
Texisteoce d*un comté territopial et l'idenlifie a priori avec
V^ncîen pagus et avec le diocèse *, ou bien, il s'en tient scru-
puleusementaux indications topographiques que les chartes
lui livrent et alors qu'est-il en mesure de nous offrir? une
énumération de villes, de castra et de villages*, et l'aveu
que lacceptioQ des mots comitatus, pagus, vicaria, etc.,
n'a rien de constant ni de fixe, que ces mots sont pris sans
cesse et indifféremment Tun pour Tautre, et qu'en déflnitive
ce qui prévaut c'est l'emploi de termes vagues et élasti-
ques qui, tels que patrie, pays, seigneurie, territoire,
bourg, etc., peuvent s'appliquer à tout'.
L'histoire de ces 15 serments est en soi assez extraordinaire et d'au-
tant plus suspecte que la chronique est de plus d'un siècle posté-
rieure aux événements. Prenons-la néanmoins telle quelle. Nous con-
statons alors que la délimitation du comitatus est empruntée à une
description de la Touraine qui se retrouve en termes identiques,
mais complète, dans la chronique attribuée à Jean de Marmoutier
{Chroniques de Touraine, p. 293). Or voici comment l'éditeur des
Chroniques de Touraine, M. Salmon, la juge : « L'auteur assigne à la
province de Touraine des limites que viennent contredire tous les
autres documents » (p. xciv-v).
* C'est le raisonnement que fait, si excellent érudit qu'il soit, l'é-
diteur du Cartulaire de Saint-Sèrnin de Toulouse , M. le chanoine
Douais : « Les chartes indiquent d'ordinaire les confronts des terres
qui font l'objet d'une donation, d'un achat, d'une mise en gage ou
en emphytéose. Mais il est rare qu'elles désignent le territoire auquel
ces terres appartenaient... Les indications relatives aux divisions
territoriales n'abondent point. Toutefois si l'on s'arrête aux titres de
comte et de vicomte qui sont donnés à certains personnages, on peut
élargir le cadre de ces renseignements. Ces titres^ considérés en eux-
mêmes, RAPPELLENT Ics divisions territoriales ; et il est permis de dire
qu'au XI» et au xii» siècle, ils répondaient encore à une réalité ac-
tuelle et vivante : le comte de Poitiers, parexemple, possédait le comté
-de Poitiers^ et le comte de Toulouse, le comté de Toulouse, etc. En
rapprochant ces deux ordres de renseignements on arrive à relever
-dans le Cartulaire les divisions territoriales suivantes, etc. » (Introd.
p. CXXIIl).
'^ V. par exemple la composition et circonscription des comtés dans
la préface du CartuL de Saint-Victor de Marseille, I, p. lxi suiv.
3 « L'impression qui reste lorsqu'on a regardé aux diverses indica-
110 LIVRE iV. — CHAPITRB I.
La raison de ce phénomène est simple.
Les limites territoriales où le pouvoir s^exerce sont
essentiellement mobiles*. La population ne cesse de s'é-
tions géographiques du Carlulaire, c*est qu'en générai, les rédacteurs
ont pris Tun pour l'autre, sans s'en préoccuper beaucoup, les sens
respectifs de paguSj de comitatuSy de vicaria eide tcrritorium (Domolf
Introd. au Cartul, de Sauxillanges p. xiv. — Même remarque sur
le Cartul. de Brioude),
« Les noms anciens de divisions régionales commençaient au xi
siècle à perdre en Saintongo leur signifîcation précise... Nos cartu-
laires n'ont rien de bien précis relativement aux divisions adminis-
tratives, etc. )» (Grasilier, Cartulaires de la Saintonge, Prolejç.. p. vi).
u II résulte de plusieurs exemples assez caractéristiques que les li-
mites de quelques-unesau moins des circonscriptions (partis, mtniste-
rium, vicaria, etc.) et leurs chefs-lieux n'avaient rien de fixe. On re-
marque fréquemment que les mêmes localités sont placées tantôt dans
Tune tantôt dans Tautre ». (Desjardins, introduct. au CartuL de Con-
çues, p. xxxviii).
i< Toutes délimitations autres que les délimitations ecclésiastiques
disparurent, et Toubli dans lequel elles tombèrent fut si grand que»
quand par hasard on voulut les rappeler, on ne les désigna plus que
sous le nom de regio, misterium ou ministerium » (Garnier, Chartes
bourguignonnes, p. 5i-55).
Je pourrais multiplier ces citations : je me contente de rappeler
cette remarque beaucoup trop méconnue de Guérard : « au milieu du
bouleversement qui précède la chute de la seconde race, on vit naî-
tre des comtés qui ne renfermèrent assez fréquemment qu*une ville,
un bourg, un château. En un mot la cité seule forma d*abord le
comté, puis le pagus obtint ce titre, puis la centaine et la vicairie,
enfin la ville et le simple fief » (Essai sur les divisions terrUariales^
p. 53-54).
* Voyez t. I, p. 167 et suiv. Les meilleurs de nos historiens en ont
eu conscience. « Le comté est devenu flottant dans ses limites terri*
toriales et le pouvoir comtal lui-même s*est divisé », dit M. Pfister (lio-
bert le Pieux, p. 118) et M. Luchaire dans son dernier ouvrage : « La
comté ou le duché du xi* siècle n'était guère qu'une juxtaposition de
petits fiefs, plus ou moins étrangers et hostiles les uns aux autres n
{Hist, de France, 11, p. 285). « Au xi« siècle... le caractère ethnique
dominait... Au x\\^ siècle... le duché ou le comté devient un pouvoir
réel, s'exerçsmit dans des limites géographiques mieux déterminées »
{Ibid., p. 284).
DU GROUPBMBNT TERRITORIAL. 111
tendre ou de se resserrer, de se disperser ou de s'agglo-
mérer. Autour de chaque canton ou pays {pagus) tradi-
tionnel, comme autour de chaque banlieue de village
ou de chaque domaine un peu étendu*, il existe une
zone vague et neutre. C'est la marche de la seigneurie.
Sur celte marche les seigneurs bien avisés, tels que Foul-
que Nerra, construisent une ceinture de forts qui consti-
tuent à la fois une digue et un centre de rayonnement '.
Mais il n'est pas moins essentiel qu'ils en bâtissent à
l'intérieur du pays pour maintenir la population en des
cadres plus étroits. Ce sont les vraies divisions adminis-
tratives de ce temps', quoique sans limites préBxes. Elles
sont créées à l'aide d'un noyau de résistance qui est un
foyer d'expansion. De même que pour chaque domaine
important, la villa a dû se transformer en castellurriy centre
de l'exploitation, de même dans chaque circonscription sei-
gneuriale, dans chaque domination ou poiestas^ il a fallu
un point fixe fortifié qui contraignît à graviter autour de
' Considérez une potestas imraune composée d'une villa avec les
villulœ qui en dépendent. L'immunité ne s'étend que jusqu'aux clô-
tures des champs. Au delà règne un terrain vague qui peut être l'ob-
jet d'aprisio et sur lequel la vicairie, la justice, peut appartenir au
prince. Le vicaire ne manque pas d'empiéter sur l'immunité et il ar-
rive alorsque le prince cède son droit de vicairie à l'inmiuniste. La sei-
gneurie immune n'en a que des limites plus indécises. C'est ce qui
s'est passé, par exemple, pour la potestas d'Antoni appartenant à
Saint-Germain-des-Prés (V^oyez 3 chartes du roi Robert, H. F. X, p.
612, 623 et Pfister, p. LVI).
« Cf. Vita Adelelmi (Mab. SB. VI. 2, 897) : « Beatus A. ingenui-
tate conspicuus, de Castro quodam Lusduno nomine (Loudun) quod
situm est in confinio quo limitatur Pictaviensis nec non Andegaven-
âis pagus. »
Les éditeurs des cartulaires ont fort bien remarqué que les villages
situés sur les confins d'un pagus sont souvent considérés comme des
dépendances d'un pagus voisin (Voyez, par exemp'e, Ragut, Introd*
au cart. de Saint- Vincent de Mâcon, p. cxcix).
' Et en effet les chàtellenies deviendront prévôtés, les grandes pla-
ces fortes, capitales de province, etc.
112 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
lui la population que Ton ne pouvait enfermer dans des
confins géographiques.
La territorialité se ramène donc, en grande partie \ aa
rattachement des diverses classes et groupes d*habitants
à des espèces de blockhaus {castella^ oppida^ casira).
Dans le cartulaire de Grenoble nous voyons toutes les
paroisses d'un pagus rattachées à 22 castella ou casira*.
Dans le cartulaire de Savigny, 12 paroisses sont rattachées
à un château'. Tout château fait l'office, suivant son im-
portance, soit du chef-villa soit du chef-manse d'où dépeo*
dent des villages, des hameaux, des granges, des chau-
mières isolées, des censitaires de tout ordre et de toute
catégorie. Il est le caput, le chef d'une exploitation politi-
que. Il représente la territorialité comme la maison et l'en-
clos représentaient dans le principe la propriété foncière.
Et c'est ainsi que le manoir s'essaie, si je puis dire, à son
rôle de chef, de tête de fiefs territoriaux, ou de capitale de
comté et de baronnie. La puissance du roi, du prince, du
seigneur, se mesurait donc au nombre des oppida dont il
disposait*. Son grand objectif était d'avoir des hommes
* C'est ici qu'il faut tenir compte d'un autre noyau protecteur, Tasile
religieux, la sauveLé abornëe par des croix (T. II, p.l59 suiv.), et sous
certaines réserves (p. 111, note 1) Timmunité, quand les chartes de
concession en fixaient les limites. Cf. par exemple, la charte suivante
accordée peur le comte Etienne aux moines de SaintJean-lez-Blois :
« Ego Stephanus comes. . . addo totamconsuetudinemquam in manu mea
habeo a porta Scti Solennis usque ad albam spinam, a via publica
usque in Ligerim, ot forum ad festivitatem S* Johannis, eo siquîdem
modo ut nullus ministrorum meorum intra terminum istum manum
mittat sed omnia forofacta aiitc monachos discutiantur... Burgumquo-
que S* Joannis ita quietum et ubsolutum esse volo ut nemo qui ibi
conversetur mihi vel ministris meis aliquid consuetudinarie reddaU.. »
(1089, Bernier, Hist, de Blois, p. 13).
« Cartul. de Grenoble, p. 12 (ch. de Pascal, 1107).
' Cartul. de Savigny, vers l'an 1000, p. 233.
* Un seigneur puissant était celui qui u Mult aveit par la terre chas-
tels e forz maisuns » (Wnce, Roman de Roit, II, v. 529, p. 57, éd.
Andresen).
Le comté de Vermandois est le type d'une domination étendue
DU GROUPEMENT TERRITORIAL. 113
fidèles à qui il pût les confier {estage) et c'est pour les
recruter qu'il donnait largement argent, bénéfices et hon-
neurs. Parla s'élaborait la charpente, Tossature des prin-
cipautés, qui, une fois suffisamment développée et complé-
tée, transformera le droit sur la population en un droit sur
le territoire.
Mais pour que ce résultat soit atteint il faudra éliminer,
au prix de longues luttes, tous les castella soit de petits
seigneurs indigènes soit de seigneurs étrangers à la région
qui s'y étaient intercalés \ Que s'est-il, en effet, passé?
Le propriétaire de la villa fortifiée ou du château fort est
parvenu à dominer sur un rayon beaucoup plus vaste que
son domaine'. Un chef de bande, après s'être établi sur
une roche, où il ne tirait sa subsistance que du pillage*,
étend sa propriété sur les alentours*, comme le proprié-
consistant surtout en villes ou châteaux. Cf. les 34 castella de la sei-
gneurie de Bellesme et les détails qu'Orderic Vital nous donne à leur
sujet : M Robertus Belesmensis in eminenti loco, qui Furcas vulgo
dicitur, castellum condidit et illuc habitatores Vinacii transtulit,
omnes finitimos tyrannide sua sibi subigere sategit. Aliud quoque op-
pidum, quod Castellum Gunterii nuncupatur... construxit per quod
fiolmetiamregionem sibi, \iceiiniusie, penitussubjugareputavit. Sic...
pêne per totam... Normanniam paribus suis obstitit et collimitaneos
omnes comprimere coepit » (Orderic Vital, III, p. 358-9). — « Triginta
IV^ castella munitissima possidebat, multisque millibus hominum do-
minatu praeeminebat » {Ibid,, p. 423). — « Provinciales... sub jugo
ejus sua colla, licet inviti,flexerunt. eique non tam amore quam timoré,
penitus adhaeserunt » (Ibid,, IV, p. 182).
* Voyez les textes cités note 4.
2 a. Diplôme d»î Henri I, H. F. XI, p. 651.
* Girard de Viane,p. 4, 7.
* « Nihil Deo acceptius, si efferatam prœdonum rabiem ab innocen-
tis vulgi oppressione compesceret. Quorum magna pïirs in paludibus,
sive rupibus, firmissima sibi receptacula communiverant ; quibus freti
aliéna per circuitum prxdia usurpaverant, incolas possessione pri'-
vatos intolerabili servituti addixerant... Hœc nempe oppidula multis
ante saeculis, sed tune plurimum damnosa, decernit vindex Dei, si
possit, humo coaequare, et ab his latrociniis fatigatam diu patriam
F. — Tome lil. 8
H4 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
taire de la villa sa domination. Ainsi, par un phénomène
fréquent dans la nature, où Tagent destiné à disparaître
commence par travailler dans le sens même de sa destrac-
tion future, le château fort se trouve être tout ensemble
un instrument grossier de protection et de groupement, et
un obstacle à l'harmonie sociale et à l'unité territoriale.
Celle-ci ne pourra être réalisée qu'à ses dépens. Et c'est
pourquoi on verra les Capétiens du xii* siècle si fort
occupés de détruire les châteaux forts, et les ducs de
Normandie, dès le xi*, les saisir dans leurs mains puis-
santes.
11 importe, d'après ce qui vient d'être dit, de ne pas se
méprendre sur le sens des données topographiques que
les chartes renferment. Le « comitatus » ne désigne pas
plus un comté territorial que la « vicaria » ne désigne, ea
règle, une justice territoriale, encore que la topographie
fournisse des points de repère pour retrouver les sujets
ou les justiciables personnels ^ « In comitatu », par exem-
ple, voulait dire régulièrement «c sous la domination de
tel comte, commandant à tel groupe d'hommes, ayant soq
principal centre de domination dans tel château ou telle
ville », à moins que la désignation se référât à une division
purement conventionnelle ou traditionnelle ayant perdu
liber are » (Vie de Vason, évêque de Liège, par Anselme et Alexandre
de Liège, avant 1056, Migne, 142, col. 744).
« Cum audisset (Robertus rex) in partibus isiis quosdam existera,
qui circumquaque res aliénas violenter rapientes, ut liberius impune-
que retinerent, firmitates et castella nova sibi construxerant » {Vita
Garnerii praepositU Duchesne, IV, p. 145).
^ Points de repère souvent fort incertains. Ainsi, dans une contes-
tation entre l'abbaye de Marmoutier et un seigneur au sujet d'une vigue-
rie, la justice aux quatre cas est reconnue à ce dernier, mais seulement
quand un ingénu est en cause, et les deux ressorts sont délimités par
ces termes fort élastiques de la sentence : « Hœc vero diffînitio et ter-
minatio vicanse est a ripa Ligeris usque ad terminum terr» Vindo-
cinensis. » (D. Housseau, II, n« 367, publié par Lex, Eudes de BhiSy
p. 145) (1015-1023).
DU GROUPEMENT TERRITORIAL. 115
toute signification politique. Dès la seconde moitié du ix*
siècle, le comté était désigné par le nom du comte, et non
pas le comte par le nom du comté, tandis que le pagus
portait une dénomination traditionnelle*. Au xi* siècle le
comte prend comme l'évêque le nom du principal groupe
de population qui dépend de lui, ou le nom de son prin-
cipal castrum comme Tévêque celui de sa ville épis-
copale*.
Le « comitatus » comprenait donc tout ce qui, hommes,
biens, droits, prestige, autorité, dépendait du comte^ exac-
tement comme les droits les plus divers, sur les indivi-
dus les plus disséminés, formaient le complexe de la villa.
Les agglomérations locales constituaient les noyaux ethni-
ques du comitatus^ et les régions environnantes, où les
historiens ont vu le territoire du comté, des zones de pro-
tectorat ou simplement d'influence, analogues, dans une
certaine mesure, à celles que les nations modernes se
disputent dans des pays neufs ou disloqués. Le noyau
lui-même n'était pas compacte, puisque les droits de sei-
gneurie et de souveraineté s'étendaient rarement à l'en-
semble de l'agglomération, puisqu'ils étaient morcelés,
émiettés, dans les villes, les châteaux mêmes et les
villas.
Ce morcellement, je l'ai indiqué, ne faisait pas ob-
stacle au groupement personnel par le lien de la foi
lige naturelle et de la recommandation, mais il s'oppo-
sait nettement à tout groupement territorial d'une large
portée.
Et, en efifet, si l'idée de territorialité s'est imposée avec
tant de force aux historiens c'est qu'ils ont cru que les
' Voyez notamment, à ce point de vue, la liste des missi et des
missatica dons, le Capitulare missorum Si/voccnse (Capit. II, p. 275-
276 (853).
* Dans le Cartul. de Saint-Victor de Marseille, sur 25 comtés qui y
figurent <c 23 portent le nom de la cilé épiscopale qui leur sert de ca-
pitale » (Introd., p. Lvii).
116 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
ducs, comtes et vicaires carolingiens avaient reçu leur
honor à titre de fief territorial, viager d'abord, héréditaire
ensuite, ou bien qu'ils avaient usurpé, sous la forme de
droits territoriaux, les attributs de la souveraineté. En réa-
lité c'est sur un groupement personnel que le régime sei-
gneurial s'est échafifaudé ; c'est comme droits personnels, et
non comme droits territoriaux, que les droits régaliens
retenus par le roi ou appropriés par les ducs, comtes et
seigneurs, devinrent droits seigneuriaux.
Un passage fort précieux de la vie de saint Géraud met
le premier point en très claire évidence. C'est le chapitre
32 du Livre P. Nous y apprenons que Guillaume le
Pieux, comte d'Auvergne, qui s'était érigé duc des Aqui-
tains, s'efforçait de détacher les vassaux royaux de la mi-
lilia du roi, pour les incorporer à la sienne par la recom-
mandation'. Ainsi : 1° le vasselage continuait à s'établir
par la recommandation, indépendamment de toute con-
cession de bénéfice; 2* les seigneurs qui s'arrogèrent le
ducatus^ en dehors de la Francie, ne cherchèrent pas à
transformer leur principat en un Aonor royal, en un grand
fief héréditaire, de manière à refouler au rang d'arrière-
' Migne, 133, col. 660-661 : « Nam reipublicae statu jam ninds
turbato, regales vassos insoientia marchionum sibi subjugaverat...
Willelmus plane dux Aquitanorum, vir bonus et per multa laudabiiis,
cum tandem vehementer invaluisset, non minis quidem sed precibus
agebat, ut Geraldus a regia militia discedens, sese eidem commenda-
ret. Sed ille, favore comitis nuper usurpato, nequaquam consensit. Ne-
potem tamen suum nomine H. eidem cum ingenti militum numéro
commendavit. »
2 Voyez aussi le chap. 35. <« Unde et Ademarus comes vehementer
instabat, ut eum suae ditioni subdidisset, quod nullo equidem pacto
extorquere potuit. Non solum quippe eidem A. sed nec WiUelmo
quidem duci, qui tune majore rerum affluentia potiebatur, se commen-
dare assensus est Credo Mardocheum vir iste meditabatur, qui su-
perbo Aman se submittere, honoremque regibus a Deo collatum prae-
bere contempsit. » Adémar s'était emparé de Poitiers en chassant les
troupes du roi Eudes qui avait occupé la ville. Sur ces événements
(890-892), voir Favre, Eudes, p. 146-148.
DU GBOUPBMENT TERRITORIAL. 117
vassaux du roi ses vassaux directs. Mais ils détachèrent
ces vassaux de la fidélité royale pour en faire des vas-
saux personnels, sauf à demander ultérieurement, quand
leur puissance se serait solidifiée, une sorte de confirmation
souveraine de leur dignité, qu'il faut se garder de prendre
pour l'investiture d'un fief territorial*.
Quant à la naissance des droits seigneuriaux, j'ai montré
déjà dans le premier volume combien elle avait été frag-
mentaire, mais il importe de compléter cet exposé en véri-
fianty àTaide des documents, que la conséquence logique qui
devait sortir de là, — le caractère personnel et non terri-
torial des droits de souveraineté — en est bien réellement
sortie*. Pour cela je passerai en revue les principaux de
ces droits, en commençant par l'un des plus frappants,
* C'est en ce sens que les deux compétiteurs à la couronne, Eudes
et Charles le Simple, ont pu successivement ratifier l'usurpation
de Guillaume le Pieux. — D'après Mabille, celui-ci aurait pris, dès
893, le titre de duc d'Aquitaine (fiouv, Hist, du Languedoc, II,
p. 286), et son cousin Ebles, comte de Poitiers, en 927 (Ibid., p. 288).
D. Vaissette parle, mais hypothétiquement, des confirmations royales
(III, p. 51).
2 Des anciens historiens de nos institutions c'est Chantereau-
Lefèvre qui s'est le plus approché de la vérité sur cette question
capitale : « Les ducs et les comtes, dit-il, se résolurent de faire plu-
sieurs parts et portions de leur duchez et comtez, selon qu'ils estoient
séparez par bourgs et villages^ et les donnèrent à ceux qui estoient
plus capables de les servir... Aux uns ils donnoient un bourg avec
Tacceds de plusieurs villages qu'ils en faisoient dépendre, aux autres
ils ne donnoient qu'un village : en quoy faut entendre qu^ils ne don-
noient en ces bourgs et villages que ce qui leur appartenoit ... les
terres et les héritages qu'ils y pouvoient avoir, et les droicts de cens
et rentes qui leur estoient deubs par les habitans, à cause des terres
et héritages qu'ils (les habitants) possédoient dans les bourgs et
villages, lesquels cens et rentes n'estoient rien autre chose que les
prestations en deniers^ grains, poules et chapons, que le peuple
payoit de toute ancienneté pour la nourriture et l'entretenement du
duc ou du comte; car les terres et héritages des bourgs et villages
n'appartenoient pas au duc ou au comte, mais aux habitans... »
(Chantereau-Lefèvre, Traité des fiefs, Paris, 1662, p. 75-76).
118 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
le droit de gîte et de procuration. L'absence de terri-
torialité ne se reflélera-t-elle pas aussi clairement dans Tor-
dre économique* que nous venons de la constater dans
Tordre politique, si nous montrons que le prince ne com-
mande qu'à des sujets disséminés et que, pour vivre sur la
population, il est obligé de se transporter de lieu en lieu*?
1 L'absence de territorialité se lie étroitement à Tétat économique
que nous aurons à décrire au livre VI, à la mobilité de la population,
des demeures, des conditions sociales. La population ondule et se
déplace, la maison de bois, meuble bien plus qu'immeuble, comme du
temps des Germains, se démonte, se transporte ailleurs sur chariots
(j'en fournirai des preuves saisissantes), enfin la condition des per-
sonnes est flottante et mobile. Ce dernier aspect a été admirablement
aperçu et caractérisé par Lehuërou, un de nos plus profonds histo-
riens du droit, auquel il serait grand temps de rendre pleine justice :
« La mobilité des situations, dit-il, est une des conditions de la bar-
barie, et la principale préoccupation de ceux qui travaillent à la faire
cesser consiste à classer les intérêts à mesure qu'ils se produisent, à
fixer les individus autour des intérêts existants et à empêcher que la
société ne flotte perpétuellement entre la passion du jour et le caprice
du lendemain » (Institut, carolingiennes, p. 14-15].
« On pourrait appliquer ici au pouvoir royal ou princier ce que
Hariulf, dans la vie de saint Arnoul, dit-du pouvoir épiscopal : « Non
sedes episcopum, sed episcopus sedem facit, et virtiis majestoHs
per loca non scinditur » (Vita Arnulfi^ Mabillon, SB. VI, 2, p. 532).
119
CHAPITRE II
LA SEIGNEURIE PERSONNELLE.
Les principaux revenus, les revenus réguliers de la
seigneurie, du senioratus, étaient des contributions en na-
ture. La condition matérielle des populations, la rareté
du numéraire et des échanges le voulaient, et comme cette
situation était ancienne, la nécessité du présent trouvait
sa justification dans un passé immémorial. Les droits anti-
ques se continuaient sous une forme nouvelle, en de nou-
velles et plus nombreuses mains. Ainsi en était-il des droits
de gîte, de palefroi ^ legs de l'administration romaine,
du droit de prise né d'un abus du fonctionnarisme franc
contre lequel les capitulaires ne cessent de fulminer'.
Ainsi en fut-il aussi du conjectus ou dispensa qui, dans
l'ordre laïque, de la circada et du synodus qui, dans Tor-
dre ecclésiastique, tenaient lieu du droit de gite et de ses
accessoires.
Quand le chef carolingien, roi, comte ou évêque, résidait
sur son domaine, dans une de ses villae, son entretien
{dispensa^ paslus, stipendium) et celui de sa curia^ de sa
suite, de sa maisnie, étaient assurés par les contributions
en nature tirées du domaine lui-même, soit sur l'heure,
soit sous forme de provisions qu'avaient accumulées les
soins de ses minisieriales ou ministri (procuratores, vil-
lici, etc). Il était interdit en conséquence aux fonction-
naires qui se trouvaient chez eux, in domibus^ de prélever
» Voyez T. I, p. 345 suiv.
» a. Capit. 850, cap. 4 (II, 87"), 889, cap. 7 (II, 105).
J20 LIVRE IV. — CHAPITRE II. -
aucune contribution publique sur les sujets du roi. Telle
était si bien la règle que, quand le comte ou Tévéqae
était chargé d'un missaticum en une région sise à
proximité d'un de ses bénéfices, il n'avait pas le droit de
réquisitionner quoique ce fût en qualité de mtssus^. C'est
que le bénéfice constituait alors un stipendium^ un salaire,
un honoraire.
Mais quand ce même fonctionnaire, ou le roi en personne,
étaient appelés au loin, il fallait bien qu'on pourvût à leur
entretien par des contributions levées sur les habitants.
Il ne suffisait pas de leur reconnaître un droit à Vhospi"
tiurrij à la procuration puisque leur séjour pouvait se pro-
longer et épuiser rapidement les ressources du lieu où ils
prenaient gîte, et que du reste une suite considérable,
aux dents d'autant plus longues que le rang était plus élevé,
les accompagnait et avait droit, elle aussi, à Tentretien. —
Pour éviter les abus, les rois carolingiens fixèrent par
des tractoriâs individuelles et par des règlements généraux *
le montant des fournitures quotidiennes que le missus^u^
vait réclamer, suivant qu'il était évêque ou abbé, comte,
minislerialis ou vassus. Ces contributions [conjectus) de-
vaient être acquittées par les habitants proportionnelle-
ment à l'étendue de leurs possessions, à leurs ressources et
à leur condition*.
A l'époque où, par Taffaiblissement et la décadence du
* Capit. 819, cap. 26 (I, 291) : « Ut missi nostri qui vel episcopî
vel abbates vel comités sunt, quamdiu prope suum beneficium fuê"
vint, nihil de aliorum conjecto accipiant. »
2 Capit. missorum 819, cap. 29 (I, 291). — Cf. Ducange, v« Con-
jecttis; Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte, II, p. 231 et suiv.
* On peut d'une part l'induire du mode d'assiette de la contribu-
tion (conjectus) exceptionnelle qui fut levée en 866 et en 877 pourpayer
le départ des Normands {Annales de Saint-Bertiny ad an. 866. p. 153-
154, Capitul. 877, II, p. 354-), d'autre part du conjectus analogue à
celui du missus qui fut accordé à Tévéque quand il faisait la visite
annuelle de son diocèse (circuitio), ou qu'il tenait un synode (Ci4>it.
844, cap. 4. II. 257).
LA SBIGNEURIB PERSONNELLE. 121
pouvoir royal, le missaticum devint permanent*, les comtes
qui avaient été chargés d'assurer la rentrée des fournitures,
des conjeclus^ dus aux missi^ les gardèrent pour eux-
mêmes, se les attribuèrent. Ils purent se donner pour des
missi*. Souvent leurs pères l'avaient été, et le bénéfice
n'était plus un stipendium de nature à faire obstacle à
cette perception. Mais ils furent loin de pouvoir s'assurer
l'intégralité de l'impôt. Ils durent le partager avec de nom-
breux compétiteurs. D'abord le roi lui-même retint ici
une part importante de ses droits'. La présence de la ma-
jesté royale, le prestige séculaire qui rayonnait de sa per-
sonne en ravivait la source, et nous retrouverons le droit
de gîte comme une des principales ressources de la royauté
sous les premiers Capétiens. Les comtes eurent à partager
en outre soit avec les évoques, leurs égaux, soit avec leurs
subordonnés, les ministeriales ou ministri qui directement
avaient fait la levée du conjeclus pour le compte des missi''
et qui réussirent ensuite à en retenir des lambeaux pour
eux-mêmes et pour leurs successeurs.
Les circadae des évoques subirent un sort analogue.
Elles se morcelèrent en partie au profit des officiers ec-
clésiastiques et des archidiacres, à mesure que les tournées
épiscopales (circuitiones) se firent de plus en plus rares.
Si le droit à l'impôt d'entretien se décomposait de la
* Voyez Brunner, op, cit., II, p. i96.
* Le comte doit être considéré en fait comme un missus permanent.
Les évoques d'Italie furent déclarés tels par le Çapit. Papiense de
fan 876, cap. 12 (II, 103) : « Ipsi nihilominus episcopi singuli in suo
episcopio missatici nostri potestate et auctoritate fungantur. »
' Cf. le stipendium impériale du Capitul. italien de 898, cap. 8
(II, 110, 10).
* Capitul. 865, cap. 16, 11,332 : « Ut ministri comitum in unoquo-
que comitatu dispensam missorum nostrorum a quibuscumque dari
débet recipiant... et ipsi ministerialibus missorum nostr. eam reddant.
Missi autem nostri provideant ne pro bac occasione inde ministri co-
mitum amplius, nisi quantum in tractoria nostra continetur inde exi-
gant. »
122 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
sorte, il eD advint de même de son assiette. Au lieu de por-
ter sur l'ensemble d'une population, d'un comté, d'un dio-
cèse, le fardeau, — par Teffet des nombreuses immunités,
des résistances victorieuses de protecteurs intéressés, des
transactions et des partages, — retomba tout entier sur
les terres ou les habitants que l'on pouvait recenser, sur
les plus pauvres souvent, entre lesquels il se répartissait.
Tel devait deux œufs, tel autre une poule ou un quartier
de porc.
Sous l'action de ce double morcellement, actif et passif,
les conjecius ressemblèrent aux cens et aux redevances
dus au propriétaire foncier, aux redevances personnelles
ou foncières des tenanciers, des hommes propres et des
serfs. Mais l'assimilation n'alla pas jusqu'à la confusion.
Il aurait fallu pour cela que la territorialité restât leur
base commune et c'est l'inverse que nous venons de con-
stater. Les conjecius devinrent donc des droits seigneu-
riaux j distincts en principe des AtoMs domaniaux^ mais que
tous les grands propriétaires s'efforcèrent d'acquérir et que
les immunistes réussirent le mieux à s'appropriera
Ce qui s'est passé pour les impôts en nature se produisit
de même pour le cens proprement dit. Les immunités di-
minuent, directement ou indirectement', le nombre des
personnes et des biens desquels le roi ou le prince peuvent
exiger la capitation ou l'impôt foncier. Leurs droits passent
aux immunistes, comme ils sont lacérés et accaparés par
les usurpateurs. Ils deviennent entre ces nouvelles mains
des droits seigneuriaux personnels quand ils ne se confon-
* C'est de la sorte que le conjecius se retrouve dans le polyptyque
d'Irminon (XIII, 64, éd. Longnon, II, p. 192), où Ton n*a pas vu,
semble-t-ii, sa vraie signification. — La ponctuation du texte doit être
changée. Le conjecius ne porte pas sur Vavena, mais sur les trois
poules, etc., en conformité parfaite avec le capitul. de 819, cap. 29
(pulli treSf ova quindecim).
^ Malgré les prohibitions des capitulaires. Cf. édit de Pistes^
cap. 28 (II, p. 322).
LA SBIOMBURIB PERSONNELLE. 123
dent pas avec les droits domaniaux. Ainsi voyons-nous
que le droit i Vobseguium (à un cens probablement) des
hommes libres, des franci^ qui viennent s'établir sur les
terres en friche et sans maître entourant les domaines de
l'immuniste, est reconnu à ce dernier et que des terr»
francorum sont englobées dans son domaine ^ Bien plus,
les parcelles de droits qui restent aux mains du roi éprou-
vent une destinée analogue, deviennent droits seigneu-
riaux ou domaniaux. Les franciy ou liberi du roi, au lieu
d'être des contribuables, sont maintenant des censitaires
plus ou moins asservis'. La capitation se restreint à des
gens de condition, conditionalesy Timpôt foncier à des
terres censéables, ierrae cerisaies; tous deux se fixent
coutumièrement.
La taille et les aides ne furent pas davantage un impôt
territorial. Ils restèrent longtemps un impôt purement
personnel, et quand ils devinrent partiellement un droit
réel, ils ne s'étendirent pas pour cela à des ensembles de
territoires. Leur source incontestable se trouve dans les
donay dans les présents que les Francs avaient coutume d'of-
frir à leurs chefs*. Mais dès le ix* siècle, les dons ne furent
plus spontanés, ils étaient provoqués ou commandés. Ils
étaient réclamés des hommes qui, unis au chef par un lien
de fidélité plus étroite, ne pouvaient les refuser. On les ap-
pela/)r^c^s, precaria, questa, collecta, collectiones^ çuasi-
deprecando^, etc. Les rois francs les demandèrent à leurs
« H. F., T. IX, p. 420 E. (881).
* € Villam... cuni omnibus consuetudinariis exactionibus ab his
«liam qui Francorum nomine censentur pro debilo exigendis » (Di-
plôme du roi Robert (1005) H. F., X, p. 585). Cf. Chronique de saint
Héniqne de Dijon, p. 163-164 : « Cum mancipiis ulriusque sexusphi-
rimis, et omnes reddilus cl consueludines, quas debent ipsi servi et
ancillae, et eliam illi quiFrancosse dicunL »
' T. I, p. 340.
* Le nom de talia provient, comme je l'ai montré (T. I, p. 344) de
la ruraptabiiilf^ naïve (consacrée, du reste, encore par notre Code civil,
124 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
vassi, à époques Qxes ou dans des circoDstaûces solennelles,
et ceux-ci firent de même vis-à-vis de leurs propres fidèles.
C'était surtout à raison du mundium familial qu'ils étaient
dus dans le principe, et c'est pourquoi les capitulaires dé-
fendirent aux officiers royaux de les réclamer pour leur
propre compte du peuple'. Mais les puissants ne se laissè-
rent pas arrêter par ces défenses. En obligeant leurs te-
nanciers-vassaux, par des demandes sans réplique, à des
dons qui ne pouvaient être appelés ainsi que par une
amère dérision, ils en firent leurs hommes propres, homi-
nes proprii ou potesiatis.
Moins la résistance était possible, plus complets furent
Tapproprialion et l'asservissement. La questa fut due à
volonté par le serf, à certains cas par Thomme qui avait
gardé quelque personnalité. C'est donc bien un droit per-
sonnel, variable, distinct suivant les catégories de person-
nes, s'appliquant à tels individus ou groupes d'individus et
non à un territoire qui se constitua sous le nom de taille '.
Un phénomène analogue, et par le fait plus singulier,
s'est produit pour les impôts indirects. Ceux-là aussi se
transformèrent en droits personnels, sauf à reprendre, dans
certains cas et sous certaines conditions, un caractère réel.
Prenons le plus important de ces impôts, le tonlieu, sous
son acception la plus large. Non seulement par des immu-
nités plénières, mais par des exemptions partielles variant
à l'infini, il se trouva restreint à des catégories générales
ou particulières d'individus, aux catégories générales de
marchands étrangers, d'aubains, de juifs, etc., aux calé-
art. 1333) des deux moitiés d'un bâton qu'on entaille. C'est ce que
confirme Temploi au xi*-xii« siècle, dans le sens de taille, du motdtca
(du grec Aîxa, mi-partie) (Cf. Orderic Vital, III, p. 424).
« T. I. p. 342.
• Cela ressort clairement d'un diplôme du roi Robert en faveur de
Tabbaye de Micy (1022) : u Concedimus etiam eîs ut homines nostriy
liberi et servi, qui manserint, vel domos habuerint in terris eorum,
omnes penitus consuetudines et ex nomine taliam quemadmodum
proprii homines eorum perpetuo reddant » (H. F. X. p. 606).
LA. SBIONEURIB PERSONNELLE. 125
l^ories spéciales d'hommes de tel seigneur. Ce n'était
donc plus l'entrée sur un territoire, plus ou moins vaste,
ni la vente dans toute l'étendue de ce territoire, que le
tonlieu frappait, c'étaient des personnes déterminées qui le
devaient et souvent à un tout autre que le seigneur qui
commandait dans le lieu où le droit était levé. Quand, par
exemple, le seigneur de Talmond fonde l'abbaye de Sainte-
Croix, il décide que le tonlieu [venda) de toute vente de
bétail faite dans sa seigneurie par un homme de Sainte-
Croix sera acquis à l'abbaye*. Il n'excepte que les ventes
faites au marché public. Le tonlieu, en effet, se générali-
sait à nouveau en s'incorporant à un lieu déterminé, en se
localisant (enceinte de marché, zone étroite de péage, etc.).
Mais s'il cessait par là d'être un droit purement personnel, il
ne devenait pas un droit territorial, ni même un véritable,
jtis dominationis^ il devenait un droit réel d'une espèce
* « Si homo Scie Crucis vendiderit bovem vel vaccam, aut aliquam
aliam pecuariam, in loto honore meo, non reddat venditionem nisi
Scte Cruci et ejus abbali. » (Cartul. de Talmond, vers 1049, p. 68).
Cf. la condition faite aux cursores établis dans la cité de Poitiers,
lis doivent la venda au comte quand ils vendent dans le bourg de
Moutier-Neuf et en même temps ils la doivent aux moines (1087,
Besly, p. 406).
En 1081-1088, le comte de Morlagne abandonne le tonlieu aux
moines de Cluny pour leur bourg de Saint-Denis, près Nogent-le-
Rotrou, en se réservant ce qui proviendrait de ses bourgeois et de
leurs commis ou encaisseurs « excepto de burzesos meos (probable-
ment pour burgesos) proprios et receptarios qui stant cum eis in pro-
prio burgo meo de Nogenti castro » (Ch, de Cluny, IV, p. 741).
Il est à remarquer que les marchands formaient de véritables grou-
pes personnels, placés sous une protection spéciale, jouissant de
privilèges ou de dispenses en échange desquels ils avaient des obli-
gations définies. Ainsi dans un diplôme de Philippe I*"*, l'abbé de Saint
Médard conteste avec succès à Albéric de Couci le droit de justificare
ou d'inquietarCf allant ou revenant, les marchands (mercatores) des
quatre comtés de Noyon, Vermandois, Amiens, Santers, parce qu'ils
sont placés sous la garde {procuratio) d'un moine qui doit s'oc-
cuper de tout ce qui les touche (1066, Mabillon, De re diplom.,
p 585).
126 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
particulière, un jus propier rem, beaucoup plus qxi*\injus
in re.
Et ainsi s'explique que deux droits aussi dissemblables
que le tonlieu {vendœ) et les laudamenia, laudes (finan-
ces prélevées par le concédant d'un bénéfice en échange
de son consentement à la vente par le bénéficier^), le
premier portant exclusivement sur des valeurs mobi-
lières, le second souvent sur des immeubles, Tun droit
seigneurial, l'autre droit domanial, aient pu se fondre
en un seul et donner naissance aux lods et ventes. Le droit
mobilier de venda avait pris couleur foncière en se locali*
sant, et le droit foncier de « laudes » s'était mobilisé
par les concessions totales ou partielles, qui le faisaient
circuler comme valeur de patrimoine, et personnalisé par
les autorisations générales d'acquérir qui en dispensaient
des privilégiés.
En définitive, la territorialité va partout se rétrécissant
ou se repliant sur elle-même. Vous en demandez la cause 7
Elle est dans sa subordination aux groupements fonda-
mentaux que nous allons étudier.
* Cf. T. I, p. 374.
127
CHAPITRE III
LES GROUPEIIENTS FONDAMENTAUX.
I. lE GROUPEMENT ETHNIQUE^
« Les habitants des Gaules, ai-je dit au premier volume
de cet ouvrage', étaient groupés encore par nationalités
secondaires, au point de vue de Tautorité dont ils rele-
vaient, bien quMIs ne le fussent pas d'une manière rigou-
reuse au point de vue de leur répartition sur le sol. Au
X* siècle on se rattachait bien moins à une province d'ori-
gine qu'à un groupe ethnique {gens pairia) ». J*ai montré
ensuite' que dans chaque région, petite ou grande, il existe
un élément ethnique traditionnel qui lui imprime son
caractère distinctif et fait Tunité de la population. Autant
il serait faux de parler à cette époque d'une nation fran-
çaise, allemande ou italienne, autant est incontestable
l'existence d'un nombre inBnide petites patries, d^patriae^
* Il eiiste, de notre temps, une tendance fi^cheuse à confondre le
groupe ethnique avec l'espèce, le peuple avec la race. Ce sont pour-
tant des notions profondément distinctes. Le groupe ethnique est un
groupe social, la race un groupe anthropologique. Le groupe ethni-
que peut être composé de nombreuses espèces, races ou variétés hu-
maines. Il est basé sur la communauté de langue, de mœurs, de
croyances, de sentiments et d'institutions traditionnels, et peut ainsi
86 subdiviser en sous-groupes nombreux que, pour plus de simplicité,
j'appellerai souvent groupes ethniques, d'autres fois, pour plus de
clarté, groupes particularistes.
* T. I, p. 168.
» T. II, p. 20 et suiv.
* L'expression se trouve au pluriel (voyez Ducange, v« Patria), —
Elle répond tour à tour à payus, à comitatm (cornes patriœ Am6îa-
128 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
d'une infinité de génies, de peuples répandus sur la sur-
face du territoire. Leur origine, comme race, pouvait être
étrangement mêlée, mais le caractère dominant, physique
ou moral, en bien ou en mal*, servait do critérium distinc-
nensis, Ducange, Comtes d'AmienSj p. 156), à regio^ k provincial à
diocèse [Cart. Saini-Jean-d'Angély, P» 126 r^ Cbn. ^ 126 v« fin xi« s.),
etc. Les membres d'un même groupe sont les patrienses (Ducange,
h. v^; Hariulf, Chron. de saint Riquier^ p. 141).
On pourrait appliquer aux patria? du haut moyen âge ce que M. Tarde
dit de la cité antique : « Plus nous remontons dans le passé, plus les
types de civilisation sont nombreux et localisés : chacun d'eux r«-
présenté par une cité ou une tribu est comme un îlot de sécurité et
d'harmonie logique qui tend à s'étendre dans un océan d'insécurité
et d'anarchie. Peu à peu ces îlots se rejoignent (»t grâce à rextension
plus rapide de l'un d'eux forment un continent » {Transform. du pou*
voir, p. 205-206).
* A travers tout le moyen âge les traits populaires distinctifs des
« nations » petites ou grandes se sont conservés comme des sobri-
quets et transmis dans les MSS. J'ai retrouvé ainsi dans un MS. du
x^-xie siècle, provenant de l'abbaye de Fleury, et conservé à la Bi-
bliothèque de Berne (n° 48), un tractatus de vitiis et virtutibus gen^
tium, curieux pour l'état des esprits et, qu'à ce titre, je transcris :
« De vitiis gentium. Invidia judeorum, perfîdia persarum. Stulticia
aegyptiorum. Fallatia grecorum. Sevitia sarracendorum, superbia ro-
manorum. Levitas chaldeorum. Varietas afrorum. Gula gallorum, vana
glossa longobardorum. Crudelitas (H)unorum. Inmunditia suavorum.
Ferocitas (en interligne nobilitas) francorum. Stulticia sasonorum.
Luxuria normannorum (en surcharge). Libido scottorum. Vinolentia
spanorum. Duricia pictorum. Ira brittanorum. Spurcicia sclavorum.
De bonis naturis gentium. Hebreorum p... ntia (prudentia?) Persa-
rum stabilitas, aegyptiorum sollertia, grœcorum sapientia, romanorum
gravitas. Chaldeorum sagacitas, afrorum ingenium, gallorum firmitas,
francorum fortitudo, saxonorum instancia. Vuasconorum agilitas, scot-
torum fldelitas. Spanorum argutia, brittanorum hospitalitas... Tuliius
marcus dixit : Grecus ante causam. Francus in causam, Romanus post
causam, Francus gravis, Romanus levis, Afrus versipellis. » (f*, r*).
On peut rapprocher de ce texte l'extrait d'un MS. anglo-saxon de
l'an 1064 que vient de publier M. Omont (Bibl Ecole des chartes,
janvier-avril, 1901, p. 69-70) : « Victoria Aegiptiorum, invidia judeo-
rum, sapientia grœcorum, crudelitas pictorum, fortitudo romanorum.
Largitas langobardorum. Gulla gallorum, superbia vel ferocitas Fran-
LES GROUPEMENTS FONDAMENTAUX. 129
tif et se survit, par le fait, aujourd'hui même dans les
diversités provinciales.
Les groupes ethniques ou particularisles se trouvaient
soumis à des chefs qui s'étaient imposés à eux ou à qui ils s'é-
taient donnés, chefs qui ne gouvernaient pas des territoires,
mais qui commandaient à des hommes. C'étaient là par
excellence les groupes naturels. Ils allaient depuis la famille
proprement dite jusqu'à la nation. Us s'élargissaient ou se
rétrécissaient, se subdivisaient et s'amalgamaient en des
groupes artificiels qui tendaient à se substituer à eux ou
à se les subordonner. La famille naturelle s'élargit en clan
vassalique ou en commune rurale et urbaine, le chef d'une
patria en englobe d'autres dans sa domination. En sens
contraire, le groupe ethnique étendu se fractionne en des
agglomérations plus petites auxquelles la valeur person-
nelle et la fortune d'un homme fournissent le noyau d'une
cristallisation indépendante. Dans cette reconstitution so-
ciale la configuration du sol, la communauté d'intérêts
créée par l'échange, le négoce, l'industrie; la similitude
de genre de vie, de coutumes, de préjugés; la résistance
à un ennemi commun; la poursuite d'un commun idéal
jouent un rôle prépondérant.
corum. Ira britanorum, stulticia saxon um et anglorum. Libido hiber-
norum. »
J'ai noté aussi dans une homélie de Raoul Ardent l'apostrophe
suivante : « Conemur unusquisque vitium populi sui superare. Si Ju-
dseus es, stude Judoeis innatam incredulitatem superare. Si Gallus es,
stude Gallis innalam superbiam superare. Si Romanus es, stude Ro-
manis innatam avaritiam superare. Si Pictavinus es, stude Pictavinis
innatam ingluviem et garrulitatem superare, et similiter de ceteris. »
{HoméL, IL 2, Migne, 155, col. 1949).
Dans la 3* vie de saint Martin de Vertou (xi® s.) se rencontre cette
en umé ration sommaire des peuples d'Europe : « Testes sunt cunctae
Europae gentes, id est Germanicus, Hispanicus, Gothus, Gallicus,
Scottus, Britto, Vasco, Saxo, Burgundio, necnon et aliœ quamplu-
rimae barbarœ gentes limina Apostolorum Romae fréquenter adeun-
tes )» [Vita S. Martini Vertavensi.% Mab., SB. I, 373).
F. — Tome IIL 9
130 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
Entrez dans le détail des luttes qui, après la dislocation
de l'empire carolingien', mettent des régions entières aux
prises, vous trouverez dans les camps adverses des
groupements par affinité de race, de langues, de mœurs.
Et de même les guerres privées, si limitées qu'elles soient,
guerre de petite seigneurie à petite seigneurie, de ville é
ville, de famille à famille, naissent au fond de répulsions
instinctives. Les antipathies ou les haines n'excluaient pas la
grande fréquence des relations individuelles entre les divers
districts. Mais il se produisait ce qu'on a pu; jusqu'à une
époque récente, observer dans les rapports de peuple à
peuple. Tandis que l'étranger de passage est bien accueilli,
il ne peut se faire agréger au groupe qu'en se soumettant à
de dures conditions d'inégalité : ses descendants eux-mêmes
n'acquerront qu'avec peine Tindigénat', lien fut ainsi jus-
qu'au jour où de proche en proche une fusion plus intime
s'opéra entre les éléments ethniques.
La guerre (privée d'abord, royale ensuite) a certaine-
ment été le principal instrument de cette fusion', comme
^ Beaucoup d^historiens ont eu, dans ces cinquante dernières an-
nées, une prévention injustifiée contre Tinfluence de Téiément ethni-
que dans le haut moyen âge. C'était un excès de réaction contre la
théorie d'Augustin Thierry qui attribuait aux hostilités de race et
au réveil de l'esprit d'indépendance nationale, chez les peuples soumis
par les Francs, la dissolution de l'empire de Charlemagne. Fustel de
Coulanges, avec sa logique coutumière, avait poussé ce système à ses
conséquences extrêmes et nié jusqu'à l'existence d'un sentiment na-
tional. Mais récemment M. Gabriel Monod a rétabli la vérité, au point
de vue de l'histoire politique, en prouvant que, si les oppositions de
race n'ont eu qu'une faible influence sur la dislocation de Tempire
carolingien, l'intensité de leur action est incontestable dès que cette
dislocation se fut produite, dans la seconde moitié du ix« siècle {An-
nuaire de l'Ecole des Hautes-Etudes ^ 1896, p. 5 et suiv.).
^ On les désignait, comme l'usage s'en est longtemps conservé, par
leur nationalité d'origine (le Breton, le Normand, le Picard, etc.), dé-
signation qui leur imprimait une marque indélébile.
2 Cela permet à la France de la liberté de ne pas renier la France
des grands batailleurs.
LBS eROUPBMBNTS FONDAMENTAUX. 131
son couronnement a été Tunité monarchique et Funité
nationale. Si le clan féodal a pu prévaloir à son heure
sur le groupe ethnique c'est qu'il était organisé spéciale-
ment et directement en vue de la lutte offensive et défen-
sive. Toutefois groupement national ou particulariste et
groupement familial restèrent le centre et le cœur de la
féodalité', et la royauté qui devait remporter sur elle,
aussi bien que le principat qui cherchait à la dominer,
s'appuyèrent sur la même base ethnique. J*aurai à déve-
lopper amplement cette dernière proposition en traitant
plus loin de la royauté et du principat; je dois me borner
ici à en esquisser les grandes lignes.
Dans les divers royaumes ou états nés des invasions
germaniques, la nation légale était chaque fois la peuplade
conquérante, association de familles, placée sous l'autorité
quasi-familiale d'un chef ou roi*. Mais dans ce cadre ren-
trèrent successivement les habitants libres des pays
* Lehuërou s'en était déjà douté et M. Gabriel Monod vient de le
reconnaître. Du premier je cite ce passage remarquable : « Le gou-
vernement féodal, dit-il, n'était que le gouvernement de la famille;
il ne comprenait guère que des institutions domestiques ; les insti-
tutions politiques, rares, intermittentes les unes des autres et sans
liaison nécessaire avec Tensemble, n'y apparaissent que comme des
créations parasites et n'y ont qu'une vie d'emprunt ; ces institutions
politiques ne sont d'ailleurs qu'une répétition de celles qui régissent
la famille » (Institutions carolingiennes, p. 4).
Quant à M. Gabriel Monod, il s'exprime ainsi : *< Les groupements
féodaux eux-mêmes sont d'ailleurs subordonnés à des conditions de
langue, de famille, de géographie qui concourent à la formation des
nationalités. Le patriotisme local et provincial est un acheminement
au patriotisme national. » (Loc. cit., p. 8).
s Je me place au début du vi® siècle, en l'an 506. Trois grandes
peuplades se sont partagé les Gaules : les Francs, au Nord de la Loire,
occupant le Maine, TAnjou, Blois et Chartres, mais ni Tours, ni Bour-
ges, ni Nevers, ni Langres; les Burgondes dans le bassin du Rhône
et de la Saône; les Wisigoths maîtres de l'Aquitaine avec l'Auvergne
et la Provence. Les Vascons n'ont pas été soumis, les Bretons ne
l'ont été que nominalement et pour un temps très court (Voyez Lon-
gnon, Atlas historique y PI. III).
132 LIVRB IV. — GHAPITRB UI.
occupés. Leur nationalité se fondit en quelque sorte dans
la nationalité du vainqueur. L'organisation quasi-familiale
les enlaça, ils durent la foi lige naturelle.
Différent était Taspect que les trois grandes dominations
France, Bourgogne, Aquitaine, présentaient les unes par
rapport aux autres. Il ne s'agissait plus d'organisation
familiale ni de foi lige naturelle, puisque chaque peuplade
dans le principe constituait un groupe autonome. Mais la
conquête intervint. Par elle l'une des nationalités, la
nationalité franque, l'emporte sur ses rivales. L'État
franc subjugue tous les autres États (Aquitaine, Bour-
gogne, Bavière, Saxe, Italie, etc.). Il les agglutine en un
empire, et quand le lien impérial se rompt, que la domi-
nation franque se fractionne en trois tronçons, c'est de
ces trois tronçons (France occidentale, France médiane,
France orientale) que les autres États dépendent. Le lien
alors est un lien de suprématie, et c'est ce lien-là que,
dans les Gaules, les derniers Carolingiens, puis les Capé-
tiens, s'efforceront défaire reconnaître et de rendre effectif.
Une carte de la Gaule, à cette époque, devrait donc être
une carte ethnographique, que les dialectes, les parters,
peuvent servir à dresser. Ce qu'on est convenu d'appeler
l'anarchie du x* siècle est surtout une lutte de nationali-
tés, pourvu qu'on entende le mot dans le double sens de
particularisme et de nation légale, beaucoup plus que dans
le sens de communauté de race. La claire preuve en est
donnée par les chroniques* et les chansons de geste, pour
les grandes divisions ethniques des Gaules : Francs et Nor-
mands, Bretons, Angevins et Manceaux, Poitevins et Auver-
gnats, Basques et Gascons, Provençaux et Bourguignons,
Lorrains et Flamands. Elle peut se suivre dans la diversité
et l'entre-choquement des plus petites patries. Rien n'est
* Les traits abondent. Chacun a présente à la mémoire la satire viru-
lente des Aquitains [Aquiiani] par Raoul Glaber, qui les oppose à la
gens Francorum et à la gens Burgundionum (p. 89). Il ne traite pas
mieux la gens Brittonum (p. 29-30) .
LES /GROUPEMENTS FONDAMENTAUX. 133
probant, par exemple, au point de vue du rôle décisif joué
par la nationalité dans la formation des seigneuries, comme
l'histoire du comte de Barcelone. Le Roussillon y est en-
globé malgré la barrière des Pyrénées. Il est, malgré les
vicissitudes des guerres et des alliances, réuni avec le
Confiant aux mains des comtes de Barcelone. Le pagus
elnensis primitif est reconstitué grâce à la communauté de
race (gothique), de langue (catalane), de coutumes ou de
lois (forum judicum).
11. — LE GROUPEMENT FAMILIAL,
Nous venons de voir les relations étroites existant en-
tre le groupement ethnique et le groupement familial.
Nous allons considérer celui-ci de plus près.
L'organisation des royaumes germaniques était, je l'ai
prouvé, une organisation familiale'. Le roi, chef per-
sonnel d'une famille puissante, étendait son mundium^ sa
protection, sur les autres familles composant la peuplade.
Or, une de ces familles royales réussit non seulement à con-
solider et à augmenter son autorité sur la « Gens » qu'elle
gouvernait, mais à se soumettre par la force et les peu-
plades congénères et les populations romanisées de la
France et de l'Italie. C'était la famille franquedes Carolin-
giens. Avec elle et par elle, Télément franc devient l'é-
lément dominant, l'élément vainqueur, avec elle et par
elle une aristocratie franque de race ou de nom, d'ap-
parence ou d'adoption, s'étend comme un vaste réseau sur
toutes les régions de l'empire' : Francs, Gallo-Francs ou
Francs-Gaulois ', ceux que Thietmar de Mersebourg
« T. I, p. 79 et suiv.
« Miracles de saint Benoit, p. 43.
» C'est Texpression dont se sert le père Lapôtre qui, s*occupant
spécialement de l'Italie, remarque que les Francs de Gaule « y domi-
naient partout, non seulement en Lombardie, siège principal de
l'empire, mais dans la Toscane, mais dans le duché de Spolète où
134 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
appelle au xi* siècle Franci Laiini\ Alamans ou Thurin-
giens francisés *, etc. Elle prend la place des anciens chefs
romains ou gallo-romains, lombards, bourguignons ou
goths, elle les soumet: Elle s'impose aux populations
jusqu'au jour où celles-ci, ayant recouvré tout ou partie
de leur autonomie, imprimeront leur caractère national aux
comtes francs et n'obéiront plus qu'à des chefs qu'elles
puissent reconnaître pour des patrienses, des compatriotes.
Mais de même que la famille carolingienne s'était
arrogé le monopole du pouvoir monarchique, de même
certaines grandes familles franques ou pouvant se don-
ner pour telles acquirent, grâce à leurs alliances avec
la famille royale ou entre elles*, le monopole du pou-
voir ducal, comtal, épiscopal. La cognatio, le clan des
Gauzbert, avec ses nombreuses ramifications, domine pres-
Lambert avait amené de l'Ouest de la France beaucoup de monde
avec lui. » (L* Europe et leSaint-SiigeàVépoque carolingienne, Paris,
1895, p. 334).
' Il désigne ainsi les Francs-Gaulois du Nord (Corbie) (Livre V, ad
an. 1002).
■ Dès 801 le comte alsacien Leuthard, père de Girard de Roussil-
Ion, comme l'a prouvé M. Longnon (Revue historique^ VIII, 1878,
p. 245 et suiv.) avait été par Louis-le-Débonnaire pourvu du comté
de Fézensac, au grand mécontentement des Vascons qui se révoltè-
rent (Vita Hludovoici, cap. 13, cap. 16).
* La politique d'alliances matrimoniales, pratiquée par les Rober-
tiens, prépara et servit leur avènement au trône. Hugues-le-Grand
était le beau-frère du duc de Bourgogne Raoul, qui devint roi en
923, d'Herbert II de Vermandois et du duc de la Haute-Lorraine
Frédéric I«'; il fit épouser à son fils Eudes, Leutgarde fille aînée du
duc Bourguignon Gislebert [Art de vérifier les dates, II, p. 495) et.
il maria sa fille Emma à Richard !•', duc de Normandie qui fut ainsi
le beau-frère et devint le tuteur de Hugues-Capet (Dudon, p. 263).
Guillaume II, duc d'Aquitaine, a été lui aussi le beau-frère de Hugues-
Capet si celui-ci, comme l'admettent la plupart des historiens modernes,
épousa, en 970, Adélaïde, fille de Guillaume I"Tête d'Étoupe.M. Pfister
l'avait contesté, mais la question paraît tranchée par l'attribution que
M. Merlet a faite au x« siècle de la translatio S. Maglorii^ qui atteste
expressément ce mariage {B, Ec, des chartes, 1895, p. 247, 254-5).
LBS GROUPBIIENTS FONDAMENTAUX. 135
que toute l'Aquitaine*. La maison des Welfs, à laquelle
appartient Hugues l'abbé, exerce son influence et sa
puissance dans la France occidentale, la Bourgogne
et TAlémanie. La vieille famille alémanique d'Etichon
d'Alsace, à laquelle M. Longnon a rattaché Girard de
Roussillon*, rayonne de TEst à l'Ouest et du Nord au
Sud jusqu'aux confins de l'Italie. Au xi* siècle encore la
domination presque tout entière du Languedoc est aux
mains de quatre grandes familles, les maisons de Tou-
louse, d'Auvergne, de Carcassonne, de Melgueil, dont la
première et la dernière sont d'origine franque incontestée
et régies jusque dans le cours du x' siècle par la loi sali-
que '. Ce furent ces grands lignages qui, à mes yeux, de-
vinrent les principaux créateurs du régime seigneurial*.
L'histoire politique du x' au xii* siècle tient en majeure
partie dans la leur. Rien ne justifie mieux le cadre fa-
milial, lignager, où nos vieux poètes épiques ont placé leurs
héros. C'est \sl geste, c'est la grande famille qu'ils ont chan-
tée : c'est elle aussi que l'histoire doit s'efforcer de faire
revivre, du sommet à la base.
Les grands lignages, à mesure que le pouvoir royal
* Ann. de saint Berlin, ad an. 853. — Cf. Ann. Fuld,, ad, an, 854.
' Longnon, loc, oit,, p. 244-5.
' Nouv, Hist, du Languedoc, XII, p. 227-236.
* Un jeune érudit de valeur et d'avenir, dans un livre qui paraît
au moment où je revois ces notes, a été frappé de l'importance des
grandes familles comtales à l'époque carolingienne et a groupé très
habilement beaucoup de faits qui la mettent en lumière, mais il a eu le
tort de croire que cette importance a cessé, au début du x* siècle,
par le triomphe de l'hérédité des fîefs et l'avènement de la féodalité.
C'est toujours le môme préjugé historique. Il s'y ajoute quelque dé-
pit de généalogiste qui, perdant la trace des anciennes familles,
conclut à la disparition du régime ancien. Des familles ont pu s'étein-
dre ou se transformer, le régime familial a survécu, et M. Poupardin
se contredit lui-même quand il reconnaît que « de nouvelles familles,
au second plan à la fin du ix« siècle, prennent la place des grandes
maisons comtales dont elles formaient jadis la clientèle. » [Le royaume
de Provence sous les Carolingiens. Paris, 1901, p. 397).
136 LIVRE IV. — CHAPITRE HI.
s'affaiblit et décline, entrent en lutte avec loi. Ce sont eux
qui s'offriront aux populations pour remplacer le seigneur
naturel j le roi franc, quand l'unité de l'empire étant brisée,
chaque « gens », chaque petite patrie, voudra se donner un
chef pris dans son sein, un « roi » tiré de ses entrailles^
suivant l'expression justement célèbre de Réginon*. Ils s'i-
dentifieront pour cela avec le groupe ethnique, ils devien-
dront des principes^ en lutte fatale les uns avec les autres *.
Ils verront surgir aussi d'un particularisme de plus en
plus étroit des rivaux de leur puissance qui joueront vis-à-
vis d'eux le même jeu. Au-dessous d'eux, en effet, le
groupement familial se continue. Les familles ducales ou
comtales ont dans leur clientèle des familles seigneuriales,
et celles-ci à leur tour des familles d'hommes d'armes et
de tenanciers : groupes particularistes de plus en plus pe-
tits, mais de plus en plus denses aussi.
Cette organisation politique repose, on le voit, depuis le
principat jusqu'à la tenure, sur le lien familial et person-
nel. Quand la royauté franque y devint infidèle en essayant
parles partages artificiels du ix* siècle de fonder des États
territoriaux, elle ne réussit qu'à s'affaiblir et à rendre plus
vivace que jamais le groupement lignager. C'est l'attache-
ment, la fidélité à une famille supérieure : domaniale, sei-
gneuriale, comtale, ducale, qui coordonne les populations
* « Post cujus mortem (Caroli imperatoris Sertit) régna que ej us di-
lioni paruerant, veluti legilimo deslilutaherede, in partes a sua com-
page resolvuntur et jam non naturalem dominum prœstolantur, sed
unumquodque de suis visceribus reyem sibi creari disponit. » {ad an.
888 ; éd. Kurze, p. 129).
* « Quœ causa magnos beilorum motus excitavit. Non quia princi-
pes Francorumdeessent, qui nobilitate, fortitudine et sapientia regnis
imperare possent, sed quia inter ipsos a^qualitas generositatis, di-
gnitatis ac potentia?, discordiam augebat, nemine tantum ceteros
precellentc, ut ejus dominio reliqui se submittere dignaréntur. Mul-
tos enim idoneos principes ad regni gubernacula moderanda Francia
genuisset, nisi fortuna eos semuiatione virtutis in pernitiem mutuam
armasset. » (Ibid.),
LES GROUPEMENTS FONDAMENTAUX. 137
et leur donne une cohésion relative. Cet attachement pro-
cède d'une tradition antique ou d'une domination récente^
et la domination elle-même a utilisé pour s'établir par la
force et l'énergie les affinités de race, de mœurs, de cou-
tumes. Une fois qu'elle est devenue dynastique à tous les
degrés, l'ensemble du groupement ethnique, tel que je
l'ai défini, prend corps et conscience, par TefTet même de
la subordination commune à la famille dominante.
Ce sont là les grandes mailles du réseau seigneurial et
féodal. Mais il va de soi, et il est démontré par l'histoire,
qu'elles s'enlacent et se complètent intérieurement par le
groupement individualiste, dont la volonté personnelle, le
contrat exprès ou tacite, sont les facteurs essentiels.
111. — LE GROUPEMENT DOMANIAL.
Ce groupement est dérivé en partie des deux précédents;
en partie il a son existence propre. Sa généralité, son im-
portance ressortent des développements de notre second
Livre. Son caractère a besoin d*être précisé.
J'ai tenu à bien établir que les droits seigneuriaux ne se
confondent ni avec les droits féodaux ni avec les droits
fonciers, parce que j'ai voulu réagir contre l'opinion cou-
rante que la seigneurie était essentiellement foncière et ter-
ritoriale, et que le fief terrien constituait le point de sou-
dure de la souveraineté et de la propriété ou le produit
quasi-universel de leur fusion *.
Mais si l'on se place au point de vue de l'organisation
domaniale, il n*y a pas de doute que celle-ci embrassait
à la fois la terre libre, franche et souveraine (franc
alleu), le trésor et les valeurs mobilières, les droits
utiles de toute nature, mobiliers ou immobiliers, réels on
personnels, qu'ils rentrassent dans la catégorie des droits
seigneuriaux comme procédant de la souveraineté [honora
* T. I, p. 380, p. 389 et suiv.
138 LIVRE IV. — CHAPITRE lU.
potestas, comitatuSy vicaria^ advocatia^ etc.), dans celle
des droits féodaux, ou dans le vaste groupe des démem-
brements de la propriété, enfin qu'ils fussent possédés à
titre définitif ou à titre temporaire ou précaire.
De ce que la souveraineté peut être indépendante de la
possession du sol il ne suit manifestement pas qu'elle ne
puisse être acquise à titre de propriété, pleine ou limitée,
soit moyennant service, soit moyennant argent. Quand
elle découle au contraire de la pleine propriété terrienne
ou de son extension, elle se limite, se fractionne, se dé-
tache comme droit utile ou seigneurial. En définitive les
sources sont distinctes, le captage de leurs eaux est
soumis suivant les cas à des règles ou à des autorités par-
ticulières, mais elles se confondent sur une partie au
moins de leur parcours, elles relèvent de la caméra^ dont
Tadministration a la haute main sur elles, et leur excédent
tombe dans un même réservoir : le trésor.
Pour le principat des diverses régions de la Gaule, aussi
bien que pour la royauté capétienne, le nerf de la puis-
sance a été la propriété mobilière ou immobilière. Dans le
Languedoc, les nouveaux éditeurs de dom Vaissette con-
statent que les comtes qui, à dater de la fin du ix* siècle,
exercèrent la souveraineté étaient principalement de grands
propriétaires, jouissant à ce titre d'une influence et d'une
autorité locale : les uns des Francs venus du Nord*, les
autres des Goths fixés dans le pays depuis l'invasion gothi-
que*. Il dut en être à peu près partout ainsi. Les grands
propriétaires, je l'ai montré aux deux précédents volumes,
se transformèrent en seigneurs; ils l'étaient en fait sur
leurs domaines, ils le devinrent en droit au dehors. D'au-
tres qui s'élevèrent par la force, la ruse, la violence, com-
mencèrent de même par acquérir des alleux et à se consti-
' Par Francs, nous le savons, il faut entendre des Francs-Gaulois
plus que des Francs-Germains.
2 f^ouv, Hist. du Languedoc^ XII, p. 226-7.
LBS GROUPEMENTS FONDAMENTAUX. 139
tuer une fortune mobilière. C'est le trésor en effet qui, aux
X* et xi* siècles, comme aux temps mérovingiens, constitue
avec Talleu le centre de gravité du pouvoir. Il est administré
comme Talleu soit directement par des officiers, soit par des
délégations à charge de redevances ou de services définis.
Grâce aux alleux et au trésor, le personnage influent ou au-
dacieux d'un groupe de populations en obtint des derniers
Carolingiens le commandement, ou bien il se Tatlribua. Il fut
fait comte ou il se fit comte, il s'acquit un honor et il s'ef-
força de le rendre héréditaire comme l'alleu, pour qu'il pût
être exploité ou démembré comme lui, exploité par des offi-
ciers, concédé à litre de bénéfice.
J'arrive aux liens de filiation qui rattachent le domaine
aux groupements ethnique et familial. Ces liens sont, au
fond, reconnus implicitement par tous les historiens, et
s'ils n'ont pas été mis dans tout leur jour cela tient de
nouveau à la place exorbitante qu'on a faite au fief. L'arbre
aux larges ramures a masqué la vue de la forêt.
Le domaine est essentiellement familial. Il l'était chez
les Romains, il l'était davantage encore chez les Ger-
mains. Le caractère fondamental de l'alleu est d'être un
bien familial. Le groupement familial dominait donc ou
commandait le groupement domanial. Activement ou pas-
sivement, que l'on envisage le propriétaire ou les hommes
qui dépendent de lui, il le constituait et le maintenait*.
A son tour le groupement ethnique, étant en étroite con-
nexité avec le groupement familial, devait l'être avec la
constitution du domaine. N'est-ce pas en effet au profit de
familles conquérantes (Francs-Germains et Francs-Gaulois,
Goths, Normands, etc.) que les grands domaines ont été
* Cf. ce passage de la vie de saint Arnoul par Hariulf : « in fundo
nuncupato Ervingahen, ...vidit... fundi populus sanclam celebritalem
(Arnulfi)... donaverunt... duas partes decimarum omnium alodiorum
suorum... Hujus autem largitionis principes quique, nobiles et inge-
nui illius loci viri (énumération)... vel tota istorum consanguinitas »
{VUa Arîiulfi, SB, p. 540).
140 LIVRB IV. — CHAPITRE III.
reconstitués, conservés et étendus ? D'autre part c'est rori-
gine des tenanciers qui détermine, en partie au moins, leur
condition, sans qu'il faille retomber dans les exagérations
des historiens anciens qui faisaient de tous les Gallo-Romains
des serfs, de tous les Francs des nobles. Les /ronct, tenan-
ciers libres, les hospites burgondes, supérieurs aux indigè-
nes, les aubains de toute catégorie, en portent témoignage.
Pour se rendre compte maintenant dans quelle mesure
le groupement domanial avait une existence propre, dans
quelle mesure, en définitive, il procédait de l'organisation
foncière de l'époque franque et du système des vill»
romaines, il faut poser en principe que le domaine est un
ensemble de droits réels et personnels qui, d'ordinaire, ne
supposent nullement un seul tenant. J'ai montré comment
la villa gallo-franque s'était désorganisée. Les hommes et
les terres, les cens, les redevances, les prestations et ser-
vices de toute nature ont été rattachés alors au manoir, à
la celle, au chef-manse, etc., ou dans l'Est — ce qui me
semble tout à fait caractéristique — à une cour colongère
ou dîmière, établie souvent au milieu d*un village qui ap-
partenait à de nombreux propriétaires et seigneurs, et ser-
vant de centre de groupement à des colons dispersés au
loin; De la sorte, tout en ne constituant pas un groupe ter-
ritorial, le domaine a formé une unité, un complexe : môme
loi {lex locï), même justice foncière ou personnelle, même
maître. La condition des tenanciers ou gens du domaine
est infiniment variable, leurs obligations et leurs droits
sont inégaux et dissemblables, que leurs habitations soient
distantes ou rapprochées, mais le jugement par les pairs,
les vieux us traditionnels, la fixation des limites, la répar-
tition des charges coutumières pesant sur la personne
et sur la terre, la réglementation de l'assolement et de
la culture, la viabilité, la jouissance des communaux,
les rapprochent, les solidarisent, les lient par la réci-
procité des droits et des devoirs et par la concordance des
intérêts.
LBS QROUPBMBNTS FONDAMENTAUX. 141
Il y avait donc une unité théorique du domaine. Basé
SUT le groupement familial ou ethnique et le respect de la
tradition, il est une des cellules organiques de l'État qui
préparent le plus directement l'unité territoriale du pays.
IV. — LE GROUPEMENT RELIGIEUX.
J'ai placé ce groupement au dernier plan, parce qu'il
procède pour partie des trois précédents :
i® Du groupement ethnique. — Si les divisions ecclé-
siastiques de la Gaule (diocèses, provinces), ont pu,
dans la mesure que j'ai définie *, se conserver comme cir-
conscriptions territoriales et devenir un jour des divisions
politiques (comtés, provinces), elles le doivent moins en-
core à l'esprit de suite, à la durée et à la supériorité de
l'organisation ecclésiastique qu'à la circonstance que j'ai
relevée en tête du deuxième volume". En elles survivaient
les cadres des groupements ethniques de l'époque celtique
et de l'époque gallo-romaine, cadres dans lesquels les in-
vasions germaniques s'infiltrèrent ou se coulèrent. Aussi
bien la formation des seigneuries et du pouvoir métropo-
litain ecclésiastiques que la rivalité au sujet des primaties'*
sont dues pour une part au conflit des nationalités. Qu'on
songe seulement à l'histoire des évêchés de Bretagne
et de l'évêché des Gascons*.
2" Du groupement familial. — Le pouvoir épiscopal et
abbatial est aux mains des grandes familles. Il est donc dans
la dépendance de la corporation familiale. En outre l'É-
* Suprà, p. 100 et suiv.
« T. II, p. 22 et suiv.
' Sur ces deux points voyez plus loin.
* Pour les évêchés de Bretagne voyez Chronique de Nantes, Introd.
par M. R. Merlet, p. xxvi et suiv.; pour Tévéché des Gascons, Breuils,
La Gascogne^ p. 35 et suiv. Il n*y a pas à faire fond sur l'argumen-
tation, en grande partie fantaisiste, par laquelle M. Bladé a contesté
l'existence de Tévôché des Gascons.
142 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
glise, pour l'exercice de sa puissance temporelle, a dû s'ap-
proprier le régime du clan vassalique et de la maisuie, sauf
à recourir plus fréquemment et de meilleure heure au con-
trat féodal. Enfin, au bas même de l'échelle, les confréries
sont basées sur les affinités particularistes et issues direc-
tement du compagnonnage, de la fraternité, de la gilde.
3* Du groupement domanial. — L'Église, fidèle aux tra-
ditions du système romain de la villa dont l'oratoire, pro-
priété privée, faisait partie intégrante, s'en est servi
comme d'un étai pour la constitution des paroisses ru-
rales. C'est elle qui poursuit avec le plus de persévérance le
but d arrondir les domaines, et qui a su le faire avec le
plus de succès, gr&ce à l'immunité et à la sauveté.
Si, à ces divers points de vue, le groupement religieux
peut être considéré comme dérivé ou subsidiaire, il est
déterminé dans son essence, tant au regard des intérêts
temporels qu'au regard des intérêts spirituels, par la
hiérarchie et la discipline de l'Église, qui a ses organes,
ses cadres, ses officiers, ses sujets. Il l'est tant et si bien
que, par le penchant naturel de l'Église pour l'hégémonie,
elle tend à se séparer de l'État comme un corps auto-
nome et vise à l'absorber. C'est pourquoi nous devons
montrer deux gouvernements en présence : le gouverne-
ment laïque d'une part, de l'autre le gouvernement ecclé-
siastique.
DEUXIÈME PARTIE
UES ORGANES GOUVERNEMENTAUX
§ I. - LE GOUVERNEMENT LAÏQUE
I. — LA ROYAUTÉ ET LE PRINGIPAT
CHAPITRE PREMIER
ASPECT GÉNÉRAL
Ce qui fait la vitalité de la royauté capétienne, ce qui lui
assure l'avenir, c'est qu'elle a un idéal supérieur et qu'elle
représente, dans toute sa pureté et toute sa force, le prin-
cipe de gouvernement qu'elle partage avec le principat.
L'idéal est la reconstitution du pouvoir des rois francs
sur l'ensemble de la Gaule, l'unité du pouvoir, l'unité du
pays. Il est vivifié par le clergé et entretenu par la tra-
dition au sein de la race royale. En même temps l'héré-
dité de mâle en mâle maintient Tunité du domaine familial
qui aidera à le réaliser '.
Le principe est à double face : principe d'autorité, prin-
* Cf. Longnon, De la formation de l'unité française, Paris, 189U,
p. 14; de Broglie, Bulletin de la soc. de l'Hist, de France, 1894, p. 93.
144 LIVRE IV. — CHAPITRB I.
cipe de protection : celui-là immanent, celui-ci organique.
Tous deux sont à la fois religieux et populaires : les deux
notions, nous le verrons, loin de s'exclure, se combinent
et se prêtent un mutuel appui*.
Rois et princes sont aux yeux de l'Église les représen-
tants de Dieu sur la terre; aux yeux du peuple ses élus ou
ceux de ses ancêtres. Le roi l'est à titre suprême, et l'auto-
rité de droit divin que l'Église lui reconnaît, elle commande
qu'elle soit aussi générale qu'il se peut. Si Tépiscopat est
trop engagé dans le siècle et poursuit trop directement un
pouvoir et des intérêts personnels, le clergé régulier em-
ploie son influence, dans toutes les parties de la Gaule, à
fortifier l'ai torité princière ou l'autorité royale. Il fait déjà
en partie l'office que plus tard les légistes rempliront. Chro-
niqueurs religieux, canonistes, rédacteurs de chartes coo-
pèrent à la formation d'un droit monarchique. Les clercs
renforcent la tradition, et, par logique comme par calcul,
se mettent au service de l'idée royale, de l'idée unitaire.
La tradition est vivace. Elle est profondément enracinée
dans l'âme des peuples. Elle s'alimente et s'épanouit dans
les légendes, les chants populaires, les chansons de geste.
Les dynasties seigneuriales et princières en bénéficient
autant et plus parfois que la dynastie capétienne, et Ton
verra dans les chants épiques du xm* siècle la royauté
abaissée au profit de la seigneurie féodale. Mais, au xi*
siècle, on n'en est pas là. Ne serait-ce pas que la royauté
est trop faible encore pour paraître redoutable? C'est la
tradition royale, le grand souvenir de l'empereur Karles
et de ses preux qui anime et qui exalte nos chansons de
geste les plus antiques, la chanson de Roland, le Cou-
ronnement Louis, Girard de Viane ', alors même qu'elles
célèbrent les lignages seigneuriaux.
* Infrà : La Royauté, chap. ii, § 4. Le caractère sacré de la royauté
et le pouvoir sur l'Église.
2 Voyez Touvrage magistral de Gaston Paris : Histoire poétique de
Charlemagne.
ASPECT GÉNÉRAL. 445
La tradition aide donc à l*extension du principat et le
consolide, mais elle sert de base aussi aux progrès de la
royauté, elle lui facilite les voies dans ses conflits avec
les seigneurs, elle lui attire des vassaux personnels, elle
maintient debout le principe de Tost royal et de la contri-
bulion publique.
Si Tautorité constitue un droit elle implique, à des
degrés divers, le devoir de protection. Tout seigneur
joue le rôle de protecteur des siens, mais pour que la
protection devienne un vrai principe de gouvernement
il est nécessaire qu'elle se détache de l'intérêt immédiat et
procède d'une idée de justice ^ Cela suppose deux condi-
tions : que la protection ait un caractère suffisant dé géné-
ralité pour la rendre dans une large mesure imperson-
nelle; qu'elle soit exercée en vertu d'un pouvoir théorique
portant sur d'autres que des hommes propres, à un autre
titre qu'à celui de propriétaire ou de suzerain. Plus haut
donc on s'élève de seigneur à prince, de prince à roi, plus
ces conditions sont susceptibles d'être réalisées.
Ainsi la subordination trop personnelle fait obstacle à la
constitution du principat et de la royauté. Leur autorité,
comme le disait Pascal de la coutume, a besoin d'un fon-
dement mystique. C'est ce fondement mystique que la pro-
tection, dans sa conception la plus large, contribue à lui
créer. Elle ne se sépare, en effet, de l'autorité ni dans la
croyance religieuse ni dans la tradition. A ce double point
de vue, je le montrerai*, elle la jusliGe et la légitime: si
bien que nous verrons le Saint-Siège, avec une ténacité
inlassable, disputer aux princes et aux rois le rôle de pro-
tecteur, non seulement des couvents et des chapitres, mais
des peuples et des seigneurs.
On voit combien il est décevant de se représenter, soit
le principat, soit la royauté des x° et xi" siècles, comme
« Cf. T. I, p. 145 et suiv.
* La Royauté, chap. ii, § 4. Le caractère sacré,
F. — Tome III. 10
146 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
étant, dans leur essence, une domination féodale. Ce qui
est vrai seulement c'est que les rois et les princes, comme
les villes, comme l'Église elle-même, durent utiliser les forces
de leur temps, emprunter à la féodalité son organisation
pour remporter sur elle. On peut même dire que le pouvoir
royal et le pouvoir princier serviront dans les siècles sui-
vants à étendre le pouvoir féodal, plus encore que le pouvoir
féodal à étendre le pouvoir princier et royal. Mais pour
la royauté ce ne fut là qu'une phase passagère. Le pou-
voir royal reste l'objectif, le pouvoir féodal n'est qu'une
armure d'occasion. Sitôt que l'unité monarchique et na-
tionale sera assez avancée, la dynastie capétienne assez
forte, celle-ci lèvera la visière féodale ; elle affirmera à
front découvert les principes dont elle n'a cessé d'être le
représentant, et d'accord avec le clergé, demeuré son
auxiliaire, elle proclamera à la face du monde le droit di-
vin des successeurs de Charlemagne et de Clovis.
147
CHAPITRE II
LA THÉORIE HISTORIQUE LÉGUÉE PAR LES FEUDISTES.
Il semblerait que la chute de l'ancien régime eût dû
nous délivrer ou nous émanciper des doctrines des feudistes.
Il n'en.arien été. Les historiens du droit leur sont restés
fidèles. A leur suite, ils ont admis que dès l'avènement de
la troisième race, le roi de France était, en dehors de
la Francie, suzerain féodal des pays qu'on a appelés les
grands fiefs^ et, dans la Francie, suzerain des comtés et des
seigneuries qui ne faisaient pas partie du domaine royal ;
qu'enfin dans l'intérieur de ce domaine c'était ou bien à titre
de comte et de seigneur immédiat, ou bien à titre de pro-
priétaire, et non pas à titre de roi, qu'il commandait ou
gouvernait. Toute la politique royale aurait consisté à
étendre la suzeraineté aux pays qui y échappaient, afin
que le roi fût bien chef seigneur ou souverain fie ff eux du
royaume, puis à rendre la domination de plus en plus ef-
fective et, au cours des siècles, à transformer la suzerai-
neté en royauté.
A mon estime, cette conception est artificielle. Elle est trop
absolue et en partie erronée pour le xii* siècle quand la féo-
dalité politique triomphe, elle est complètement fausse pour
le x* et le xi* siècles quand celle-ci n'est encore qu'à l'état
embryonnaire. Son point de départ est l'étrange idée d'une
révolution opérée dans les institutions par l'avènement de
Hugues Capet. Avec lui la féodalité serait montée sur le
trône. Il en aurait accepté solennellement le principe et
la loi, l'ancienne monarchie aurait pris fin, une monarchie
nouvelle, la Monarchie féodale serait née, et tout se serait
148 LIVRB IV. — CHAPITRE II.
transfiguré par un coup de baguetle magique : la justice
serait devenue seigneuriale, le lien de sujétion une obliga-
tion féodale; la hiérarchie des fiefs, avec le roi au sommet
et la propriété territoriale à la base, se serait substituée
au droit public carolingien.
Un Irait de lumière de Guizot aurait dû dissiper ces mi-
rages, et assainir l'atmosphère scientifique autour de ce
problème. Il a passé inaperçu jusqu'à ce que M. Luchaire
l'ait remis en évidence *. En efi'et, deux historiens d'une
puissante originalité, M. Luchaire et M. Pfister, ont com-
mencé à s'affranchir du système de la monarchie féodale.
Le premier surtout a réagi très énergiquement à son en-
contre* et fait justice de la légendaire révolution de 987 *. Je
* Guizot avait défini la royauté capétienne : « Pouvoir distinct de
la suzeraineté, sans rapport avec la propriété territoriale : pouvoir
sui gêner iSf placé hors de la hiérarchie des pouvoirs féodaux, vrai-
ment et purement politique, sans autre titre, sans autre mission que
le gouvernement. Ce pouvoir était en môme temps regardé comme su-
périeur aux pouvoirs féodaux, supérieur à la suzeraineté. Le roi était
à ce titre placé au-dessus de tous les suzerains. » (Hist. de la civili-
sation en France, Ifl, p. 286 et p. 309). Luchaire, Hist, des institu-
tions monarchiques, I, p. 23.
' Hist. des instit, monarch, I, p. 34 et suiv. — M. Luchaire a fait
plus loin (11^ p. 31) cette réflexion très sagace et très juste : « Les
conséquences singulières auxquelles on aboutit, si Ton veut se renfer-
mer strictement sur le terrain féodal pour établir la situation des sei-
gneurs à l'égard du roi, montrent combien la hiérarchie féodale comp-
tait pour peu de choses dans les relations politiques de la dynastie
régnante avec la haute aristocratie du pays. »
' Luchaire, op. cit., I, p. 46 et suiv. — Il est équitable de consta-
ter que Fontanieu déjà s'était inscrit en faux contre cette légende.
Voici ce qu'il dit dans le portefeuille consacré au règne de Henri 1" :
M II me seroit aisé de faire voir par quantités d'exemples que nos rois
disposoient alors des grands fiefs en faveur de ceux que bon leur sem-
bloit, si je ne l'avois point prouvé dans une dissertation qui a pour
titre « Qu'il n'est point vrai que Hugues Capet ait engagé les grande
du Roïaume à le reconnoitre pour roi en leur donnant la propriété
des fiefs quils avoient sur les derniers rois ses prédécesseurs ».
« J'ai placé cette dissertation en suite de l'histoire manuscrite de
THEORIE HISTORIQUE LÉGUÉE PAR LES FBUDISTBS. 149
crois seulement qu'ils n'ont pas poussé leur critique ou leur
analyse du droit royal jusqu'au tréfonds et c'est pourquoi ils
ont abouti à des résultats en partie divergents et contradic-
toires.
D'après M. Luchaire la royauté effective des pre-
miers Capétiens était restreinte, sauf quelques droits
régaliens, à leur domaine propre et à leur action sur le
clergé: « S'il n'avait pas son titre, le privilège du sacre, et
certains droits lucratifs ou honorifiques qu'il a pu garder
sur des évêchés ou des abbayes éloignées de son patri-
moine, il serait impossible de distinguer le roi de France
d'un seigneur ordinaire. — Le soi-disant souverain est un
simple baron qui possède seulement en propre, sur les
bords de la Seine et de la Loire, quelques comtés équivalant
à peine à quatre ou cinq de nos départements *. »
Le livre de M. PBster donne au contraire l'impression
que le roi de France commandait, à des degrés divers, dans
la majeure partie de la Gaule : « Combien se trompent, s'é-
crie-t-il, ceux qui représentent les premiers Capétiens
comme n'ayant aucune autorité et qui veulent voir à peine
en eux les égaux d'un petit baron du royaume^. »
C'est que les deux historiens ont pris malgré tout pour
norme et pour étalon la suzeraineté féodale. M. Pfister a lo-
giquement attaché à Thommage qui aurait été dû par tous
les grands vassaux une importance en rapport avec l'hom-
mage féodal ordinaire, et M. Luchaire, constatant par une
Hugues Capet et j*ai fait voir que l'hérédité des fiefs n'étoit point en-
core tout à fait établie sous le règne de Ph ilippe Auguste, iv« succès
seur immédiat du roi Henry !•' » [Portefeuille, 5, f. 200 v«, 201 r«.
Bibl. nat. MS. fr., no 7563).
Je n'ai pas rencontré la dissertation citée dans les PortefeuilleSy
mais les érudits curieux d'élucider ce point d'historiographie pour-
ront sans doute la retrouver dans la grande collection des Pièces fugi-
tives de Fontanieu.
* Histoire de France, H, p. 176-178.
* Etudes sur le règne de Robert le Pieux, p. 72.
150 LIVRB IV. — CHAPITRE II.
étude pénétrante des sources que le prétendu hommage
des grands vassaux restait sans eJSets virtuelSi a conclu
à Tabsence de pouvoir, là où il y avait en réalité un
pouvoir d'une nature différente. Ils n'ont pu apprécier
dès lors à leur juste valeur la force que donnaient à la
royauté la suprématie et la fidélité traditionnelles que je
me propose de décrire.
ISl
CHAPITRE III
qu'aux quatre groupements fondamentaux de l*état cor-
respondent, MAIS en les combinant, QUATRE CARACTÈRES
DISTINCTS DE LA ROYADTÉ ET DU PRINCIPAT.
Pour bien marquer mon point de vue, je pars de la
conception que M. Pfister (dont je me sépare ici davantage
que de M. Luchaire) se fait delà royauté dans ses rapports
avec le principal et la féodalité. Voici comment je Tai com-
prise:
I. Le roi est propriétaire. Il a un domaine très étendu,
très dipersé aussi, lui fournissant d'abondantes ressources
et dans lequel on peut faire rentrer les abbayes royales.
Ce domaine est ou bien exploité directement, ou bien
inféodé à de petits vassaux, ou bien géré, sous l'autorité
du roi et avec un large droit de disposition, par les abbés
royaux, assimilés, nous dit-on, à des feudataires, alors
même qu'ils ne sont soumis qu'à un simple maiubour.
II. Le roi est investi de la souveraineté y mais il l'est à
des titres divers :
1* Comme successeur des Robertiensqui avaient usurpé
les droits comtaux.
Sur les parties des villes et comtés dont les Robertiens
étaient propriétaires, leur usurpation des droits comtaux
avait changé cette propriété en domaine indépendant,
pleinement immune.
Sur les autres parties, elle se restreignait à l'exercice de
la souveraineté, laquelle du reste pouvait être inféodée et
morcelée par inféodation (châtellenies, vicomtes, etc.).
152 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
2** Comme duc de la Francia, le roi était suzerain des
seigneuries qu'elle comprenait et dont il n'était pas comte.
3* Comme monarque féodal, il avait droit à Thommage
des grands vassaux.
4® Comme roi traditionnel, il avait certains droits mal
définis sur tous les habitants de la Gaule.
Je ferai tout d'abord remarquer que l'usurpation des
droits comtaux doit être envisagée d'un autre point de vue
que celui où, conformément à l'opinion commune, M. Pfis-
ter se place. Est-ce bien à titre de comte ou de seigneur
local, ayant, par lui-même ou par ses ancêtres, usurpé sur
la royauté les droits comiaux, que le Capétien devenu roi
exercera ces droits? Pour qu'il pût en être ainsi il aurait
fallu la ruine complète, dès le x" siècle, du principe que
l'autorité du comte émanait du roi, il aurait fallu qu'une
hiérarchie féodale et seigneuriale, ayant son unique rai-
son d'être en soi, fût dès lors un fait accompli. Or, nous
savons qu'il n'en était rien. La conclusion logique est claire,
nécessaire, inévitable. Le comte élevé sur le trône, les
droits comtaux qui furent détachés des droits royaux y font
retour, s'y réunissent à nouveau. Il s'opère une consoli-
dation juridique.
Et remarquez que ce n'est pas, à tout prendre, une
usurpation des droits comtaux que les Robertiens avaient
commise. Ils avaient obtenu, de force souvent, je le veux
bien, mais avec tous les dehors de la légalité, des conces-
sions royales qui, en les investissant de comtés, et en
leur conférant une véritable vice-royauté, le ducatus Fran-
corum, préparaient la consolidation dont je parle. Quand
la réunion (et non pas la juxtaposition) au pouvoir royal
des droits comtaux, qui en avaient été séparés par une
délégation des derniers Carolingiens, fut devenue complète
et définitive, les Capétiens commandèrent non pas en comte
ou en duc, mais en souverain et en roi*.
* Par là me paraît s'ëclaircir la condition ambiguë attribuée par les
CARACTàRBS DE LA ROYAUTÉ ET DU PRINCIPAT. 153
VouloDS-Dous maintenant aborder de front et d'ensem-
ble le problème de la royauté et du principat, nous avons
réuni, je crois, les données décisives delà solution. Royauté
et principat ne pouvaient être qu'en corrélation étroite avec
les groupements fondamentaux de l'État et parmi eux le
plus essentiel, le groupement générateur, le groupement
familial en un mot devait dominer et faire l'office d'élé-
ment organique. C'est ce que l'histoire permet de vérifier.
Au groupement ethnique le plus large correspond plus
spécialement la suprématie sur les principes de la Gaule,
au groupement ethnique restreint la souveraineté sur les
principes de la Francie, au groupement religieux l'auto-
rité sur l'Église, au groupement quasi-familial, combiné
avec le groupement domanial, se rapporte le pouvoir sur
le peuple et sur les seigneurs indépendants. En même
temps ces diverses natures de pouvoirs ont un trait com-
mun qui les relie et fait leur unité; ils sont, à des degrés
variables, dans la dépendance du droit familial.
Deux remarques préalables sont encore nécessaires. —
1** A la différence de la royauté les caractères distinctifs
du principat ne sont pas toujours concentrés dans une même
personne; ils peuvent être dispersés ou isolés les uns des
autres. — 2"* Le caractère familial considéré comme orga-
nique n'apparaîtra dans tout son jour qu'après que le ré-
gime lignager aura été décrit au Livre suivant*.
historiens aux abbayes royales, tantôt rangées parmi les propriétés,
tantôt assimilées aux fiefs, tantôt considérées comme dans le main-
bour du roi. La vérité est que le roi a ressaisi par consolidation ses
droits primitifs de mundium, droits d'où les immunités franques
étaient issues, et qui allaient jusqu'au pouvoir de disposer. Il lésa
ressaisis sur les abbayes que les Robertiens avaient pu acquérir et il
les étendit ensuite sur le plus grand nombre possible de celles qu'a-
vaient accaparées les seigneurs ou qu'ils avaient fondées.
* Livre V, 2« partie, chap. I.
!35
II. — LA ROYAUTE
CHAPITRE PREMIER
LES DESTINÉES DU DBOIT ROYAL, DE LOUIS LE DÉBONNAIRE
A HUGUES CAPET.
Depuis la mort de Charles le Chauve et dans le cours
du x* siècle la royauté est le jouet des grands. Les sei-
gneurs francs font et défont les rois, ils les donainent,
ils dédaignent ou paraissent dédaigner leur sceptre et leur
couronne. Ils les humilient ou ils les trompent; ils les em-
prisonnent même sans scrupule et, par cette contrainte
par corps d'un nouveau genre, entendent disposer du pou-
voir royal. Herbert II de Vermandois s'empare traîtreuse-
ment de Charles le Simple pour se maintenir en équilibre
entre les Robertiens et les Carolingiens, Hugues le Grand
détient Louis d'Outre-Mer et convoque des plaids qui sont
comme un essai de régime oligarchique. Les rois se suc-
cèdent nombreux, on les prend en dehors de la famille
carolingienne. Les ducs, comtes et dynastes paraissent
plus que les égaux des rois, ils sont leurs maîtres. « Vous
avez, disait Hincmar, dès 881, à Louis III et à Carloman,
vous avez de tels copartageants et de tels compétiteurs
dans cette parcelle de royauté qui vous reste que vous
régnez de nom plutôt que d'efTective puissance* ».
Mais nous voici au xi' siècle. Loin que le principe de
* « Tantos comparticipes atque œmulos in ista partlcula regni
habetis, ui nomine poiius quam virtute regnetis. » (Actes du concile
de Fismes rédigés par Hincmar (H. F., IX, p. 307).
156 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Téleclion triomphe alors, comme on l'a prétendu, il est
endigué de plus en plus. Aux brusques soubresauts suc-
cèdent la stabilité et l'esprit de suite. Les seigneurs ont
beau devenir chaque jour plus puissants, leurs domaines
s'étendre, aux dépens même du domaine royal, le roi, suc-
cesseur de Charlemagne, restera au-dessus d'eux à une
hauteur inaccessible. Le duc peut avoir l'activité guer-
rière, le roi a la majesté. L'un chevauche et l'autre
trône*. Et son trône est désormais solide. Il s'y tient
droit et fixe comme un soleil autour duquel de plus grands
astres graviteraient. L'image est incohérente, mais elle
ne choque pas. Non seulement parce qu'on ignore les lois
de la gravitation, mais parce qu'elle correspond à une
situation anormale. Inconsciemment la société tend à la
réaliser en conformité des lois naturelles, c'est-à-dire en
mettant le poids et la puissance au centre d'où rayonnent
l'éclat et la lumière quasi-célestes.
Quel est donc le foyer mystérieux de cette majesté? Je l'ai
déjà dit, c'est avant tout la tradition. Mesurez alors à quel
point la force impondérable de Tidéea été énergique. Met-
tez en parallèle l'ambition de tant de princes de devenir
rois (ils la satisferont en conquérant l'Angleterre, en con-
quérant les Deux-Siciles, en créant les royaumes d'Outre-
Mer) et la faiblesse relative des derniers Carolingiens et
des premiers Capétiens, les ressources dont disposent
leurs rivaux, les capacités et l'énergie des comtes d'An-
jou, de Troyes, de Flandre, des ducs d'Aquitaine, de
Normandie, de Narbonne, et demandez-vous comment il
est possible que la France n'ait pas été, comme plus tard
l'Allemagne, déchiquetée en petits États souverains. Or,
elle ne l'a pas été. Si chaque miles aspire à devenir sei-
gneur, chaque seigneur à être prince, on ne voit pas le
* C'est ridée que symbolisa le sceau de Guillaume le Conquérant
dont Tune des faces représente le duc de Normandie à cheval et l'au-
tre le roi d'Angleterre sur son trône.
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 457
principat se transformer en royauté, alors même qu'exis-
tent tous les pouvoirs et toutes les magnificences royales.
Ainsi, Guillaume le Conquérant s'empare de la couronne
d'Angleterre, mais il reste duc de Normandie. Guillaume
d'Aquitaine négocie l'acquisition pour son fils de la cou-
ronne d'Italie, mais il ne cherche pas à refaire un royaume
d'Aquitaine. Eudes de Blois voudrait se rendre maître du
royaume de Bourgogne et ambitionne la couronne impé-
riale, mais il ne songe pas à créer un royaume de Cham-
pagne.
En 888, il est vrai, quand, à la mort de Charles le Gros^
l'empire s'est définitivement désagrégé, des royautés nou-
velles semblent émerger de toutes parts. Mais d'où procè-
dent-elles? Je montrerai tout à l'heure qu'elles n'étaient
qu'une émanation de la royauté franque, une continuation,
un prolongement de la hiérarchie traditionnelle. C'est
cette hiérarchie que les historiens n'ont pas su discerner
clairement sous le vêtement féodal qui a fini par la recou-
vrir. Elle est sortie des principes rudimentaires qui étaient
à la base des petites sociétés germaniques et elle s'est
constituée et solidifiée par le développement progressif des
institutions monarchiques.
§ 1. — La suprématie franque et la prééminence
carolingienne.
Chez les anciens Germains, comme en partie chez les
Gaulois, on peut résumer, je crois, la hiérarchie politique,
en ces quatre traits essentiels :
1** Supériorité d'une peuplade qui a la prééminence dans
une fédération, qui en a d'autres dans sa clientèle, qui
s'en soumet d'autres par les armes.
2** Dans la même peuplade, supériorité de certains
clans, qui forment une sorte d'aristocratie d'opinion ou de
prestige, revêtue d'un caractère sacré ou mystique.
3** Supériorité de l'un des clans d'élite. C'est elle qui
158 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
fournit le chef de la peuplade. C'est parmi ses membres
qu'il doit être élu.
4° Au seia du clan royal {stirps regia)^ préférence accor^
dée au grou pefamilial des descendants directs de rois an-
ciens ou immédiats, sauf à subordonner ces descendants
les uns aux autres suivant des qualités d'âge, d'aptitude
physique, de bravoure, etc.
Par l'hégémonie franque, la prééminence aristocratique
paraît s'être fondue dans la prééminence de race (nous le
verrons* en traitant de la noblesse). Il resta donc en défi-
nitive trois degrés de suprématie : la suprématie de la
race, celle de la famille royale, celle du chef choisi parmi
les descendants privilégiés. C'est la triple prééminence
que la monarchie impériale du ix' siècle réalise, au profit
de la race franque, de la famille carolingienne, de l'empe-
reur élu et couronné.
Et d'abord la suprématie de la nationalité franque.
S'il est certain, je l'ai déjà remarqué, qu'au ix* siècle, nila
France ni l'Allemagne ne constituaient des nations, que
dans aucun des deux pays la population n'avait le sentiment
d'une nationalité commune, n'était maintenue compacte
par un patriotisme collectif, que même le particularisme
y sommeillait à l'état latent et ne devait se réveiller en
sursaut qu'avec l'effondrement carolingien, il est d'une
vérité non moins incontestable qu'une race du moins,
la race franque, formait une large unité, avait d'elle-
même une si forte et si énergique conscience qu'elle com-
primait et annihilait les autres. Cette unité n'était pas
territoriale, mais personnelle. Des Francs étaient dis-
persés dans toutes les régions de l'immense empire de
Charlemagne, sans cesser de faire partie de leur groupe
ethnique. Toutefois ils s'étendaient en nappes profondes de
la Seine au Rhin*. Là leur noble race, la gens Francorum
inclyta^ avait absorbé en elle — qu'elle eût ou non la majo-
* Voyez le § 2 du chapitre suivant.
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 159
rite numérique — la population gallo-romaine*. Ailleurs
le nombre des Francs dispersés s'était grossi, par croi-
sement ou assimilation, des familles appartenant à d'au-
tres nationalités (gothique, burgonde, alémanique, etc.).
Absorption et assimilation qui, loin d'affaiblir la conscience
nationale, l'avaient fortifiée et exaltée. Les vieilles familles
firanques y puisaient un regain de confiance et de fierté,
les Francs adoptifs, métisés, une ardeur de néophyte ou
un orgueil de parvenu. Les mots de Franci et de Francia
devaient avoir une verlu magique; ils représentaient un
idéal d'unité, d'harmonie, d'ordre, d'indépendance natio-
nale; ils constituaient, en même temps, un titre à la domi-
nation. N'étaient-ce pas les Francs qui avaient conquis la
Gaule, ritalie et l'Espagne, qui avaient fondé l'empire de
Charlemagne sur les ruines de l'empire romain?
Si la conquête passée justifiait la suprématie politique
des Francs, celle-ci ne se légitimait pas moins par la su-
périorité de leur valeur présente. Une sélection des autres
peuples s'était opérée à leur profit, tous avaient fourni à
la gens Francorum leur contingent d'hommes de bravoure
ou d'hommes détalent. Elle l'emportait sur les populations
romanisées du Midi par ses vertus militaires, elle l'empor-
tait sur les Germains d'outre-Rhin par la civilisation et la
culture qu'elle devait à sa fusion avec la masse gallo-ro-
maine du Nord. C'était cette supériorité que proclamaient
déjà, en termes pompeux et magnifiques, les prologues
de la loi salique " ? C'est elle aussi que les écrivains du ix* et
< N'oublions pas que la Gaule romaine s'étendait jusqu'au Rhin.
* u Gens Francorum inclyta, auclore Deo condita, fortis in armis,
firma in pacis fœdere, profunda in consilio, corpore nobilis, incolumna
candore, forma egregia, audax, velox et aspera... inquirens scienciae
clavem, juxta morum suorum qualitatem desiderans justitiam, custo-
diens pietatem... Hec est enim gens quae fortis dum esset et valida
romanorum jugum durissimum de suis cervicibus excusserunt pu-
gnando » (Ptologue 1)... « quia ceteris gentibus juxta se positis for-
tittidinis brachio praeminebant, ita etiam legis auctoritate prœcelle-
rent » (Prologue II) (éd. Hessels, 422-3).
160 LIVRB IV. — CHAPITRE I.
du X* siècle célèbrent à Tenvi ou regrettent de voir s'affai-
blir*. Parmi eux on peut ranger Abboa. Les élans de son
patriolisme sont neustrieos, je le veux bien, avec M. Mo-
nod' , mais leur source profonde n*est pas un patriotisme
de clocher, elle est franque. Aux Francs s'adresse son
apostrophe finale. Il les conjure de revenir aux vertus de
leurs aïeux qui ont créé leur domination, et de quitter les
vices qui la font péricliter. Vices de dominateurs, en effet :
l'orgueil, la volupté, le luxe'. Le prestige extérieur de la
* « In illo lempore propler excellenliam gloriosissini Caroli, Galli et
Aquitani, Edui et Hispani, Alamanni et Baioarii, non parum insigni-
tos se gloriabantur, si vel nomine Francorum servonim censeri mère-
reutur. » (De Gestis Karoli magni (Moine de Saint-Gall), I, ch. XI
HF. V. 1 10 D. — SS. II , p. 735).
u Imperalor (Louis le Pieux) suspectos Francorum primores ha-
bens, Germaniœ populos... evocat, Saxones videlicet, Thoringuos,
Baioarios alque Alemannos ;eisque quos virtute Francorum pater ar-
mis subegeratj regni statum incomposite committit.. Libertate igitur
Transrhenani, ac si ob tutelam imperatoris, adepta, vitiis sese omnem
que subdidere exercitum » {Miracles de saint Bcnott, Adrevald, I, 27i
p. 61). — Adde, Raban Maur, De oblatione puerorum (Mabillon, Ann,
Ord, S.B., II. 732. — Migne, 107, c. 432). Répondant k Gottschalk qui
récusait le témoignage des Francs pour se prévaloir de celui des Saxons,
R. Maur s'écrie : « Comment concilier aux yeux de Dieu et aux yeux
des hommes, que ceux qui sont inférieurs en vertu et en dignité mé-
prisent ceux qui leur sont supérieurs et rejettent comme indignes de
tout honneur ceux auxquels ils devaient se soumettre (respuentes ab-
jiciant, quibus subjici oportebat)? qui ignore donc que les Francs,
devenus chrétiens avant les Saxons, soumirent ces derniers par les
armes, et, en qualité de souverains^ les convertirent au christia-
nisme » (Ebert, Hist, yen, de la littcr. du M. il.,trad. fr., II, p. 156-7) :
*< Quis enim ignorât... Francos ante Saxones in Christi fide ac reli-
gione fuisse, (}uos ipsi postmodum suae dominationi subegerunt ar^
mis, atque superiores cffecti, dominorum ritu,.. ad fidem Christi con«
verterunt. »
'^ Monod, De l'opposition des races, p. 13-14.
' u Francie où te caches-tu? Rappelle-toi tes forces premières,
gn\ce auxquelles tu as vaincu et tu t*es soumis des royaumes plus grands
que toi. Un triple vice fait ton malheur. L'orgueil, la honteuse pas*
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 161
race . ne s'en affirmait que mieux au regard des peuples
plus barbares, mais la durée et la solidité de leur supré-
matie s'en trouvaient ébranlées.
Cette suprématie se manifeste à tous les degrés. Elle
est au ix* siècle aussi effective et réelle qu'elle est honori-
fique. La population franque tout entière y participe,
comme en témoigne le chiffre de son wergeld, plus élevé
non seulement que celui du « romanus », mais que celui
aussi des peuples germaniques les plus récemment et les
plus violemment réduits par les armes, les Frisons, les
Saxons*. Elle jouit d'une protection spéciale des pou-
voirs publics et les comtes palatins ont pu avoir pour mis-
sion de la lui assurer dans les diverses parties du ter-
ritoire*. L'aristocratie franque a le monopole des fonc-
tions, le monopole de l'autorité. Enfin, au-dessus de tous,
le roi franc incarne en sa personne la suprématie de la
sion de la volupté, l'excès du luxe des habits t'ôtent à toi-même » :
Francia cur lalitas ? vires narra, peto, priscas.
Te majora triumphasti quîbus atque jugasti
Régna tibi ; propler vitium triplexque piaclum.
Quippe supercilium, Veneris quoque fœda venustas,
Ac veslis preliosœ elatio te tibi tollunt.
La description que fait ensuite Abbon du costume somptueux des
Francs devance les reproches analogues que Raoul Glaber adressera,
deux siècles plus tard, aux Aquitains : « Une fibule d*or fixe le haut
de ton vêtement. Tu te réchaufTes avec la pourpre tyrienne. Pour te
couvrir, il ne te faut pas moins qu'une chlamyde dorée. Une ceinture
ornée de pierreries est seule digne de te serrer les reins, des lamelles
d'or de te couvrir les pieds. Voilà ce que tu fais, Francie, et ce que ne
fait nulle autre nation. Quitte ces vices si tu ne veux perdre tes forces
et ton empire héréditaire » (vires regnumque paternum).
(Abbon, De bello Paris., II, v. 596 et suiv.).
* Capitul. Leg. add. c. 2 (816) : « De omnibus debitis solvendis
sicut antiquitus fuit constitutum, per duodecim denarios solidus solva-
tur per totam salicam legem, excepto leudes, si Saxo aut Jrisio Sali-
cum occiderit, per XL denarios solidi solvantur. » (I, 269).
* Voyez infrà, chap. de la Pairie.
F. — Tome IIÏ. il
162 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
race et l'exerce sur toutes les nationalités de Germanie,
d'Italie et de Gaule.
En connexité étroite avec la suprématie de la race s'est
développée, au sein de celle-ci, la prééminence successive
de deux familles royales. Avant les invasions, les Francs
formaient une fédération placée sous l'hégémonie des Francs
salions*. Elle est composée au iv* siècle des Saliens, des
AUuarii*, des Bructères, des Chamaves, des Ampsivariiyel
des Caltes*. Les chefs de ces diverses peuplades, autres
que la salienne, étaient des rois en sous-ordre, subreguli^^
regales, principes^ le chef des Saliens était le roi suprême,
le véritable rex Francorum. Il était choisi dans le clan des
Merovingi^ qui donna ainsi son nom à la peuplade salique.
Mais les Ampsivarii, les Bructères, les Chamaves s'unirent
en une sous-fédération , établie le long du Rhin et que
distingua le nom collectif de Ripuaires, tandis que les Ai-
tuarii se fondirent dans la nation des Saliens, et que les
Catles se détachèrent en un groupe qui occupa la Hesse.
Le roi salien Clovis transforma la fédération des Francs
saliens et des Francs ripuaires en une monarchie unitaire,
en éliminant les rois de ces derniers. Il réalisa donc
' u Julianus... primos omnium Francos, eos videlicet quos consue-
tudo Salios appellavit, ausos olim in Romano solo apud Toxiandriom
locum habitacula sibi figere prœlicenler » (358, Ammien Marcellin^
XVII, 8). — Brunner, I, p. 43.
* « Regionem... Francorum quos Attuarios vocant » (-4m. Ifarc.,
XX, 10).
' « Transgressus Rhenum, Bricteros ripae proximos, pagum etîam
quem Chamavi incolunt depopulatus est, nullo unquam occursante,
nisi quod pauci ex Ampsivariis et Catthis, Marcomere duce, in ulterio-
fibus collium jugis apparuere » (SuJpice Alexandre, cité par Grégoire
de Tours, II, 9 (SS. rer. merov., I, p. 75). — Sur toutes ces peupla-
des, voyez Schrœder, Die Pranken und ihr Recht (Z. der Savigny
Stift., II, p. 2et suiv.).
^ « Arbogastis Sunnonem et Marcomere subregulos Francorum
gentilibus odiis insectans. » (Sulpice Alex., loc. cit.).
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 163
l'unité franque au profit des Saliens*, et Ton peut dire
que les Carolingiens la continuèrent au profit des Ripuaires,
dont ils faisaient partie et dont ils suivaient la loi.
Mérovingiens et Carolingiens prétendirent à un pouvoir
surnaturel ou mystique* : les premiers, un pouvoir païen
que le baptême de Clovis christianisa, les seconds, un
pouvoir chrétien que consacra le pape*.
§ 2. — L'unité du Regnum Francorum et la
prééminence impériale.
Pour que l'unité franque fût maintenue il était essen-
tiel que la royauté restât indivisible aux mains du clan
royal. A l'époque mérovingienne elle fut considérée comme
le patrimoine commun de tous ses membres, à l'époque
carolingienne elle eut un représentant privilégié dont la
prééminence personnelle devait incarner l'unité dans
toute sa force.
M. Brunner a remarqué très justement que les partages
mérovingiens ne constituaient que des partages d'adminis-
tration etde jouissance et non des partages de la royauté*.
Moins encore étaient-ils des partages d'un royaume
territorial. La territorialité n'existe qu'indirectement. Cha-
cun des copartageants règne en droit sur l'ensemble des
Francs et des peuples qui dépendent d'eux, il gouverne
en fait certains groupes de population. Sa domination ter-
* C'est pourquoi le nom de Merovingi, comme plus tard le nom de
Carlingi, servit à désigner les Francs : « Franci et prius Merovingi
vocati sunt» (Rorico, Gesta Francorum^ H. F. III, 4 C). — Beowulf,
V. 2912 et 2920-1, éd. Holder (Leipzig, 1895) : Froncum = Mère-
wioingas, — M er ovin gia devint de même synonyme de Francia ; « ad
fînem Merovingiœ, ad quam pertinebat illo in tempore » (Abbatia
Broniensis). Vie de saiîit Gérard, Mab. S. B. V, 274).
2 II s'est transmis aux Capétiens dans la vertu miraculeuse, que
Je peuple leur attribuait, de guérir les écrouelles.
3 Infrà, chap. 2, §4.
* Brunner, Deutsche Rechtsycschichte, II, p. 26.
164 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
ritoriale directe ne porte que sur des villes, des vilUe^ des
terres publiques, et n'est au fond qu'un droit de propriété.
Théoriquement donc le royaume reste un, et chacun des
multiples rois est si bien rex Francorum que, s'il devient
roi unique, c'est par une consolidation de son titre et non
point par acquisition d'un titre nouveau qu'il le devient. La
date de son premier avènement est la seule qui entre en
ligne pour la computation des années de son règne, aussi
bien pour ses nouveaux sujets que pour ses sujets anciens *.
Les Carolingiens ne se contentèrent pas de cette unité
théorique, ils la voulurent effective. L'Église les y conviait,
les institutions impériales de Rome et de Byzance leur
fournissaient le modèle. Pour s'en convaincre it est néces-
saire de mettre en lumière le véritable caractère de l'em-
pire fondé par Charlemagne. Les historiens qui y ont vu
une restauration ou même une translation de l'empire
romain, et ont cru que la dignité impériale avait été, au
nom des Romains, conférée au monarque franc par le sou-
verain pontife, sont tombés dans une grave méprise*.
* Brunner, loc, cit,
2 Dans un livre qui a paru quand ce chapitre était à rimpression,
M. Kleinclausz {Uempire carolingien, ses origines et ses transforma-
tions, Paris, 1902) reconnaît que l'empire de Charlemagne n'était ni
une reconstitution faite par la volonté du pape et des Romains de
l'empire d'Occident ni une translation de l'empire [de Byzance à
Rome ; que cet empire était essentiellement franc, comme caractère
et comme organisation, qu'il n'était pas romain, quoique son chef
pût se donner pour le successeur des empereurs de Rome. Je me
trouve ainsi d'accord avec cet érudit sur beaucoup de points, mais
il me semble assigner une origine inexacte à l'empire carolingien. Sa
source aurait été la volonté populaire : « Empereur établi par tous, tel
a été Charlemagne... Toute la société chrétienne d'Occident se trouva
réunie pour consommer l'œuvre dé trois siècles et donner à Tempire
de Charlemagne la base la plus large et la plus populaire qui fût ja-
mais » (p. 199-200). Si donc Charlemagne est devenu empereur c'est
que les peuples dont il était le chef l'ont voulu, l'ont décidé ainsi.
Mais où? Quand? A quel titre? suivant quelles idées ou traditions?
De tout cela nulle trace dans aucun document, nulle preuve fournie.
Par une étrange contradiction l'auteur laisse même entendre (p. 394,
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 165
Charlemagne, s'il avait songé par avance à prendre le
titred'empereur n'avait entendu le tenir, comme la royauté
dont il rehaussait l'éclat, que de la volonté des Francs et de
lui-même. La seule apparence qu'il pût devoir aux Romains
la couronne impériale, du fait que Léon III l'avait posée
sur son front dans la basilique de Saint-Pierre, le scanda-
lisait. Elle le scandalisait à ce point qu'il déclara plus tard
que s'il avait pu prévoir les intentions du pape, il se
serait abstenu, malgré la solennité de Noël, de paraître à
l'Église ^ Aussi voulut-il, en 813, au couronnement de son
fils Louis, que toute ambiguïté disparût. C'est à Aix-la-
Chapelle, en pleine Francie, aux acclamations des Francs
et non des Romains, par la main de l'empereur*, et
non par la main du pape, peut-être même en prenant
de sa propre main la couronne d'or sur l'autel pour s'en
ceindre le front', que Louis est couronné. Nul ne pourra
note 1) que l'élection a été faite, au nom de tous, par le pape et les
Romains. Ce qui n'est qu'un retour à l'opinion ancienne.
La vérité est, comme je le montre, que Charlemagne ne tenait sa
puissance ni du consentement populaire ni du pape, et qu'il ne leur
dut pas davantage son titre impérial. Comment les Francs auraient-
ils pu avoir la pensée de faire de leur roi un empereur romain ? et de
quel droit les peuples soumis aux Francs auraient-ils pu le préten-
dre ? Ni la prééminence carolingienne, ni la prééminence franque ne
pouvaient être mises en question. Si Ton veut retrouver la volonté
populaire, c'est jusqu'à l'élection de Pépin qu'il faut remonter.
^ « Quo tempore imperatoris augusti nomen accepit, quod primo
in tantum aversatus est, ut affirmaret se eo die, quamvis praecipua
festivitas esset, ecclesiam non intraturum, si pontifîcis consilium
prsBScire potuisset. » (Eginhard, Vita Karoli, cap. 28, éd. Teulet, I,
p. 88.
* c Congregatis solempniter de toto regno Francorum primoribus,
cunctorum consilio, consortem sibi totius regni et imperialis nominis
beredem constituit, impositoque capiti ejus diaderaate, imperatorem
et augustum jussit appellari » (Eginhard, cap. 30; I, p. 92). — « Per
coronam auream tradidit ei imperium, populis acclamantibus et dicen-
tibus : Vivat imperator Ludovicus,,. tradidit que ei jus regni « (Chron.
de Moissae, ad an. 813, H. F., V, p. 83 A-B).
• C'est la tradition qu'a conservée la chanson de geste le Cou-
166 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
donc prétendre que la source de son aulorilé est romaine.
Il apparaît aux yeux de tous comme le représentant « d'une
autorité vraiment nationale, d'un pouvoir assez fort pour
refaire un monde nouveau dans Vunité et la gloire de la
nation franque^ ».
L'empire de Charlemagne et de Louis le Débonnaire
n'était que la royauté franque parée d'un titre plus écla-
tant, plus propre à frapper les imaginations et à inspirer
le respect. Ce titre, Charlemagne considérait qu'il y avait
droit, puisqu'on fait sa puissance égalait ou dépassait celle
des anciens empereurs, puisqu'il avait hérité ou conquis
la Gaule, l'Allemagne et l'Italie*, et il lui semblait néces-
saire pour assurer à sa domination la stabilité qu'avait
eue l'empire romain. Mais, avant de le prendre, une ques-
tion de forme légale, de protocole au moins, devait être
réglée. Les empereurs de Byzance étaient en possession
du titre : on ne connaissait pas d'autre empereur qu'eux,
ils étaient les seuls successeurs légitimes de la couronne
impériale. C'est donc avec eux qu'il fallait tout d'aborJ
traiter ou s'entendre, et tout me prouve que Charlemagne
n'a jamais varié d'opinion sur ce point. Mais le pape brus-
qua l'événement. Il couronna par anticipation, il salua du
ronnement de Louis, v. 72-73. — Elle est d'accord avec le récit de
Thégan {De gestis Ludovici PU, cap. I, 6, H. F. VI, p. 75-76) :
« Interrogans omnes a maximo usque ad minimum si eis placuisset
ut nomen suum, id est Imperatoris, filio suo Ludowico tradidisset...
super quod (allare) coronam auream, aliam quam ipse gestabat in ca-
pite suo, jussil poni... Tune jussit eum pater, ut propriis manibus
coronam (juœ oral super altare elevaret et capiti suo imponeret ».
* Lapôtre, L'Europe et le Saint-Siège, p. 236.
2 « Qui jam re ipsarector et imperator plurimarum erat nationum,
nomen quoque imperatoris Cœsaris et Augusti... » (Moine de Saint-
Gall, 1. 26). — « Qui ipsam Romam tenebat, ubi seraper Cœsares sedere
soliti erant, seu reliquas sedeSj quas ipse per Italiam, seu Galliam
necnon et Germaniam tenebat » [Chron. de Moissac, Mùhlbacher Re-
gesten, 2* éd., p. 370). — Dès 794, les Lihri Carolini portent cet inti-
tul<^ : « Incipit opus Caroli, nutu Dei régis Francorum, Gallias, Ger^
maniam Italiamque regentis » (Migne, 98, 999).
LBS DBSTINiSS DU DROIT ROTAL. 167
titre d'Auguste S et 6t saluer de ce titre par les Romains,
le roi des Francs qui n'était encore empereur qu'en fait et
non eu droit.
Par là, un nouvel étal de choses se créait auquel Char-
lemagne ue pouvait plus se soustraire. Il dut prendre, il
prit le titre impérial, sans attendre que les négociations
avec Byzance eussent abouti. C'était une situation transi-
toire que le traité conclu, en 812, avec l'empereur Michel"
régularisa rétroactivement et fixa pour l'avenir, sans mo-
difier, du reste, en rien le caractère de la domination caro-
lingienne. Ce caractère était uniquement /ranc comme celui
de la royauté l'avait toujours été'. Seul le titre officiel était
changé*, et légalement le pape et les Romains n'y furent
* « Léo papa coronam capiti ejus imposait, cunclo Romanorum po-
pulo acclamante : Karolo Augusto, a Deo coronato, magno et pacifico
imperatori Romanorum vita et Victoria » [Annales royales dites
d'Eginhard, ad an. 801, éd. Teulet, I, p. 248).
« Muhlbacher, Regesten^ 2e édit., n« 470 b., p. 210-211.
' Ni la résidence, ni le genre de vie, ni Torganisation gouverne-
mentale ne changèrent de caractère ou d'aspect. Aiz demeura la ca-
pitale, le principe de gouvernement fut toujours la protection quasi-
familiale ou mundiunif le costume, le costume franc. Comme Quicherat
Ta observé (d'après Eginhard, Vita Karoli, 23; ce ne fut qu*à la sol-
licitation du pape que Charlemagne avait consenti, le jour où il fut à
rimproviste couronné, à s'habiller en patrice de Rome. « Quelque fût,
ajoute-t-il, son attachement aux souvenirs de la grandeur romaine, il
mettait au-dessus l'honneur de commander à la nation des Francs »
{Histoire du costume en France, 2* édit., Paris, 1877, p. 112).
* Nithard le fait dire en propres termes par Lothaire : « Propter
dignitatem imperii, quam avus regno Francorum adjecerat » (IV, 3).
Le titre fondamental est toujours le titre de rex Francorum. En
806, Charlemagne s'intitule : « Imperator Cœsar Karolus, rex Franco-
rum invictissimus et Romani rector imperii » (Divisio rcgnif préam-
bule, LL. Capit. I, p. 126 a). — Le titre d'empereur, nomen imperiiy
imperatoriSy est du reste général (K. serenissimus augustus, a Deo
coronatus magnus padficus imperator) (Epist, et diplom. H. F., V,
p. 268 et suiv.) et si Charlemagne le fit suivre immédiatement du ti-
tre de gouvernant de l'empire romain (Romanum imper ium gubernans)
(t6id), c'est que ce dernier titre sonnait le mieux aux oreilles latines
168 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
pour riea. De quel droit Tévêque de Rome aurait-il disposé
de la couronne impériale qui appartenait à Byzance? La cé-
rémonie du couronnement avait- elle été autre chose qu'un
pur apparat*, une pure fiction, motivée, aux yeux des chro-
niqueurs par la circonstance — vieille de vingt ans — que
le trône impérial était occupé par une femme*? Et qu'aurait
pu y ajouter Tonction papale? Sa valeur traditionnelle était
nulle, puisque le sacre n'avait jamais été d'usage pour les
empereurs romains oubyzantins^ et qu'ainsi il était plus
propre à assimiler le roi des Francs à un David ou à un
Salomon qu'à un Constantin. L'onction n'était, suivant l'ex-
pression d'un écrivain peu suspect de défaveur pour les
droits du Saint-Siège, « qu'une sorte d'infusion surnatu-
relle, uniquement destinée à fortifier dans la grâce divine la
puissance humaine » préexistante. Il est très certain, du
et éveillait diiectement la grande image de la majesté romaine. Les
contemporains ne s'y sont pas, du reste, mépris. L'empire de Char-
lemagne n'est point pour eux Tempire romain, mais l'empire des
Francs [imperium Francorum) ( Vie de saint Willibrod^ 23), IVmpire des.
Francs paré d'un nom romain (romuleum nomeri) (Ermoldus Nigel-
lus, II, V. 63-69) et devenu ainsi l'empire des Romains et des Francs
Komanorum Francorum imperium, (Agnellus, Liber pontif, ep. rav,
166). Cf. Kleinclausz, p. 340, note, auquel j'emprunte cette citation.
* Elle pouvait tout au plus consacrer l'autorité de Charlemagne sur
le clergé et le reconnaître pour chef de l'Italie latine, en qualité de
patrice ou d'exarque. — M. Kleinclausz admet que, dès son avène-
ment au trône pontifical, Léon III, en lui envoyant les clefs de Saint-
Pierre et Tétendard de Rome, avait reconnu « la valeur effective du
patriciat des Romains qu'Hadrien s'était toujours obstiné à nier »
{op.ciUp. 176).
2 Ld chronique de Moissac parlant du couronnement de Charlemagne
à Rome raconte : « Nuntii delati sunt ad eum, dicentes quod apud
Grœcos nomen imperatoris cessasset et femineum imperium apud se
haberent... Visum est et ipso apostolico Leoni et universis S. patri-
bus... seu reliquo christiano populo, ut ipsum Carolum regem Fran-
corum imperatorem nominare debuissent. » (Miihlbacher, Regestenj
2» éd., p. 370).
3 Cf. Brunner, Rechtsg. II, p. 20. W. Sickel, GôtL gel. Anz. 1901,
p. 389.
LBS DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 169
reste, que Charlemagne ne fut pas sacré en qualité d'em-
pereur\ et extrémenient douteux que Louis le Débonnaire,
en 816, et Lothaire, en 824, Paient été à ce litre*.
Le souvenir de Rome, l'exemple de Byzance, qui avaient
fait germer et mûrir, à la cour lettrée de Charlemagne,
ridée impériale, s'accordèrent avec l'intérêt dynastique et
l'intérêt franc pour infléchir les usages germaniques dans
le sens de la stabilité et de l'unité centralisatrice. Ne fallait-
il pas se prémunir à la fois contre l'énervement du pouvoir
par le partage égal et contre les incertitudes ou les rivalités
que le principe électif provoquait et encourageait au mo-
ment de la vacance du trône? Ce second péril, le souverain
régnant pouvait le conjurer en réglant par avance, avec
le concours du peuple ou des grands, la succession à
la couronne. Pour conjurer l'autre, il fallait que le règle-
ment comportât la désignation d'un successeur unique, ou
mieux encore son association immédiate au trône, telle
que l'empire romain l'avait pratiquée. L'unité était assu-
rée de la sorte, en même temps que la transmission régu-
lière du pouvoir et le triomphe prochain du principe héré-
ditaire sur le principe électif. Un souverain aussi clair-
voyant que Charlemagne ne pouvait manquer d'en avoir
conscience, mais il ne lui appartenait pas de rompre en
visière avec la coutume de l'égalité de droits des enfants.
En 806, il partagea ses États entre ses trois fils. Il fit
une divisio regni^j un partage territorial, suivant les idées
romaines. Que devenait alors l'unité de l'empire franc,
* Lapôtre, op. cit., p. 234.
2 Liber pontificaliSy éd. Duchesne, II, p. 7, 38.
' Cf. Kleinclausz, p. 292, p. 394. Le père Lapôtre veut expliquer
Tomissiondu sacre pour Charlemagne et Louis le Débonnaire par la
circonstance « qu'ils avaient déjà, comme rois, reçu l'onction des
mains du pape » (p. 233). Cette raison ne suffit pas, puisque les em-
pereurs de la fin du ix* siècle, Louis II, Charles le Chauve, furent sa-
crés comme empereurs après l'avoir été comme rois. Nous verrons
que s'ils le furent, c'est que la dignité impériale avait changé de na-
ture.
170 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
de la monarchie franque? On a pensé que Charlemagne
Tavait sacrifiée, parce qu'il mettait ses trois fils sur la
même ligne et ne conférait à aucun le tilre d'empereur.
Je ne saurais le croire. Le litre en définitive était secon-
daire, il était extérieur; Charlemagne a dû le considérer
d'abord comme purement personnel, le tenant même,
nous l'avons vu, pour suspect d'ambiguïté; il appelle
ses États indifféremment regnum ou imperium\ L'essen-
tiel était la qualité de chef de la nation franque. Or cette
qualité c'est l'aîné, c'est Charles qui l'obtient, puisqu'à
lui seul échoit la Francia tout entière, Neustrie et Aus-
trasie, le cœur de la nationalité franque avec Aix, qui en
était la tête. Il devait avoir, à ce titre, une prééminence
sur ses deux frères, il devait être le véritable rex Franco-
rum. Aussi devint-il de suite l'unique aller ego^ Vad lalus
de l'empereur, et c'est apparemment pour ménager l'a-
mour-propre des puînés, et ne pas heurter de front régalilé
de droil,que sa prééminence ne fut établie qu'implicitement.
Ces ménagements devinrent inutiles quand, après la
mort de Pépin et de Charles, Louis n'eut plus en face de
lui qu'un bâtard de Pépin. Il fut couronné roi et empe-
reur des Francs (813) et Bernard réduit à la condition de
roi en sous-ordre.
Le précédent ainsi créé par le grand empereur, l'accou-
tumance des esprits à l'idée de centralisation unitaire,
l'acceptation par l'opinion du droit du souverain régnant
de présider à l'intronisation de son successeur parurent
pans doute suffisants à Louis le Débonnaire, conseillé et
appuyé par l'élite dont Wala était l'âme", pour attribuer,
en 817, la même prééminence à son fils aîné, en lui desti-
nant la couronne impériale.
* Divisio regni de 806.
> L'inspiration et le but sont très bien marqués par le biographe
de Wala qui dit de celui-ci, au sujet de Pacte constitutionnel de 8!7 :
« Voluit ut unitas et dignitas totius imperu maneret » {Vie de Wala^
II, iO;Mabillon, S. B., IV, 1).
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 171
Il est très frappant que les droits revendiqués plus tard
par le roi de France à l'égard des chefs de population
qu'on est convenu d'appeler grands vassaux de la cou-
ronne et la subordination à laquelle il voulut les soumet-
tre, qu*ils se qualifiassent comtes, ducs ou rois, se trou-
vent en germe dans l'acte de 817. Vous y trouverez de
même proclamé ouvertement le principe d'unité nationale
que la royauté capétienne prétendra incarner*. A ce prin-
cipe Louis le Débonnaire ne craint pas de sacrifier l'é-
galité de partage, et il s'en justifie en invoquant l'in-
térêt de l'Église et l'inspiration divine*. Ce n'est donc pas
— Boretius l'a très bien remarqué' — aune divisio regni
qu'il procède, c'est à une ordinatio imperii. Un seul de ses
fils, l'aîné Lothaire, sera son successeur et son associé
(consors). Il est censé élu par le peuple. Il sera empereur,
ses frères ne seront que rois, et rois subordonnés. Dans
les territoires qu'on leur assigne, ils exerceront la part de
pouvoir qui leur est laissée sous l'autorité de leur aîné,
sub seniore fratre^ . Celui-ci a la major poiestas*.
Les deux rois sont en réalité des délégués, des repré-
sentants du pouvoir impérial. La condition faite à leurs
royaumes peut, dans une certaine mesure, être assimilée
à un protectorat. Sur leurs affaires privées et l'adminis-
tration de leurs peuples, l'empereur n'a qu'un droit de haut
contrôle, mais les relations extérieures relèvent unique-
ment de lui. Seul, il représente le pays vers le dehors, il a
le droit de paix et de guerre (cap. 6-7), il négocie tous les
traités importants (cap. 8).
' « Nequaquam nobis nec his qui sanum sapiunt, visum fuit u
amore filiorum aut graliâ, unUas imperii a Dec nobis conservati divi-
sione humanâ scinderetur. » Préamb. (LL. Capit., I, p. 270).
* « Ne forte hac occasione scandalum in sancta ecclesia oriretur,
necessarium duximus ut jejuniis et orationibus... obtineremus quod
nostra inûrmitas non prœsumebat. » {Ibid., p. 270-271).
' CapUul., t. I, loc. cit.
* « Sub seniore fratre regali potestate potiantur, » (Ibid., p. 271).
* « Ei major potestas Deo annuente fuerit adtributa. » (Cap. 5).
172 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Les droits et les devoirs des rois sont» en grande par-
tie, analogues à ceux des comtes : l** ils doivent apporter
un don annuel (cap. 4); 2** ils doivent protéger les églises
elles pauvres, ne pas exercer de tyrannie; faute de quoi
l'empereur peut les destituer (cap. 10); 3** quand ils meu-
rent, un de leurs fils doit être élu pour leur succéder
(cap. 14) : s'ils n'ont pas de fils légitimes, leur royaume
fait retour à l'empereur (cap, 15), s'ils ont un fils en bas
âge, l'empereur l'a en sa baillie (cap. 16); 4** ils ne peu-
vent se marier sans le consentement de leur chef suprême
(cap. 13).
D'autre part : 1° ils disposent des honores^ des fonc-
tions, à l'intérieur de leur royaume (cap. 3); 2* ils y per-
çoivent cens et impôts (cap. 12).
Chacun sait les luttes auxquelles donna naissance l'acte
de 817, mais on n'a peut-êire pas assez remarqué que
l'unité impériale franque en élait l'enjeu*. Vaincu, Lo-
thaire ne peut plus se prévaloir de son titre d'empereur
pour prétendre à une suprématie sur les royaumes de
ses frères*. Mais quelle en fut la suite? Celle-ci. La
dignité impériale, au lieu d'être comme par le passé
une dignité franque^ devint une dignité purement ro-
maine^ soit qu'on la considérât comme le pouvoir sur
* Cette réflexion ne s'applique plus au livre de M. Kleinclausz qui
a mis au contraire en parfaite lumière les phases de la lutte constitu-
tionnelle : l'acte de 817 violé ouvertement parTempereur au profit du
fils de Judith, par le partage de Worms en 829; abrogé par une cons-
titution nouvelle en 831 ; remis en vigueur en 833 après la déposition
de Louis le Débonnaire (de sorte que Lothaire est empereur du 7 oc-
tobre 833 au 15 mai 834); écarté par le pacte de 839 qui fait du titre
impérial un titre nu; défendu et repris par Lothaire, mais sans succès^
après la mort de l'empereur (p. 303-338). — Je ne ferai de réserve que
sur un point capital. L^auteur semble croire, avec le père Lapôtre, que,
par le traité de Verdun et la transformation de la dignité impériale,
l'unité théorique de la domination franque a été rompue à tout jamais.
2 Cf. Lapôtre, op. cit., p. 238-239, qui croit à tort qu*il y a eu re-
nonciation expresse et abandon d*un principe.
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 173
l'Italie lati De comprise, en 843, dans la part de Lothaire,
soit qu'on y vît une autorité protectrice de l'église ro-
maine, soit qu'on attachât à la possession de Rome uiie
idée de domination universelle. Désormais ce fut Tonc-
tion papale, et non la volonté des Francs manifestée par
le couronnement, qui créa l'empereur*.
Mais le principe de la prééminence franque n'en reçut
aucune atteinte. Elle continua à être acquise au chef
qui commandait à tout ou partie de la nation franque sur
ceux qui ne commandaient qu*à d'autres nationalités. Les
copartageants de Verdun, en 843, ont si bien admis ce
principe que, pour empêcher Tun d'eux de s'en prévaloir
au regard des autres, ils ont fait de chacun d'eux un rex
Francorum, ils ont attribué a chacun une Francia^. Il y
eut de la sorte trois Francies : une occidentale, une mé-
diane, une orientale. Charles le Chauve eut l'ancienne
Neustrie avec Laon, Reims et Chàlons, Lothaire une Fran-
da média s'étendant jusqu'au Rhin, sauf une enclave faite
par Spire, Trêves et Cologne, Louis le Germanique le sur-
plus de l'Austrasie.
§ 3. — Les royautés nouvelles et le droit royal carolingien •
Que sont devenues les trois royautés franques qua-
rante ans après le traité de Verdun? Les copartageants
* Il parut naturel que le pape et les Italiens disposassent désormais
de la couronne impériale. Puisqu'il nV avait plus d'empire franc et
que les empereurs de Byzance avaient admis la scission de Tempire
en deux, qui donc en aurait pu diposer, si ce n'est le pape, dont le
pouvoir unitaire était allé croissant pendant que celui de la maison
carolingienne s'affaiblissait, et les Romains ou les Italiens qui person-
nifiaient Tancien empire romain ? Le pape représenta la vox Deiy les
Italiens, en se faisant son écho, la vox populù Les autres nations se
bornèrent à ratifier le choix de Rome. Voyez surtout les actes des
synodes de Pavie et de Ponthion (876) (Walter, III, p. 189-190, LL.
Capit. II, p. 99, 348).
* Parisot, Le royaume de Lorraine (Paris, 1898), p. 20-21.
174 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
sont moris. Leur descendance légitime est éteinte ou près
de s'éteindre, près d'être réduite au petit-Gls en bas âge de
l'un d'eux, au posthume Charles le Simple. Et qu'advien-
dra-t-il alors? Des royautés nouvelles vont-elles se fonder
librement, au gré de la puissance, de l'intérêt ou du senti-
ment, sur la base des diversités nationales? Nous savons
déjà qu'il s'en érige, nous savons aussi que le groupement
ethnique leur sert de point d'appui. Mais s'ensuit-il qu'elles
se créent au mépris et aux dépens de la prééminence
franque, sous sa triple forme? Nullement. Celte préémi-
nence elles la respectent, bien plus elles s'en abritent et
l'on peut établir, je crois, les trois propositions suivantes :
1** Les royautés nouvelles sont la continuation ou lare-
constitution partielle des royaumes francs créés par le par-
tage de 843 et par ceux qui l'ont suivi.
2** Les nouveaux rois sont tous des Francs, des Gallo-
Francs, ou des Francs-Germains, apparentés ou alliés aux
Carolingiens, etsurtout tenant d'eux leur autorité sur leurs
sujets.
3** Tous, ils reconnaissent la prééminence du Carolingien
qui, par son sang et son âge, est considéré comme le repré-
sentant légitime de la dynastie.
La premièrede ces propositions ne nécessite pas de longs
développements. Il sufBt de remarquerque des cinq royau-
tés qui surgissent presque simultanément de 879 à 888 au-
cune n'est une création spontanée : toutes procèdent de
dominations franques dont elles se revendiquent et auxquel-
les elles prétendent succéder. Le royaume de Bourgogne
et de Provence est la reconstitution aux mains de Boson
du royaume de Provence de Charles, Bis de Lothaire L —
Le royaume de Bourgogne transjurane la reconstitution
partielle, que Rodolphe I s'efforcera de rendre totale, do
royaume de Lothaire II, frère de Charles de Provence. —
La royauté d'Eudes est le gouvernement par un Gallo-Franc
du regnum Francorumde Charles le Chauve, tel que le traité
de Verdun le lui avait attribué. — Le Carolingien Arnuif
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 175
est poi de la Francie orientale. — En Italie enfin, c'est le
royaume de Louis II, fils de Lothaire I, que se disputent
Bérenger et Gui.
Voyons maintenant dans quelles conditions ces royautés
sont nées.
1" La royauté de Bourgogne et de Provence,
La première en date des royautés nouvelles est celle
de Boson — Boson était certainement un Franc, très
probablement un Franc austrasien : son père, le comte Bi-
vin, ou Beuves, se rattachait à la Lorraine par ses posses-
sions et sans nul doute par son origine ; son grand-père
maternel, qui portait déjà le nom germanique de Boson,
appartenait de même, selon toute vraisemblance, à l'an-
cienne Austrasie*. Des deux côtés, la famille apparaît
considérée et puissante', puisqu'on voit les rois carolin-
giens s'unir à elle par des mariages.
Le roi de Lorraine, Lothaire II, épouse Theutberge,
tante maternelle de Boson * ; Charles le Chauve, en 870,
épouse Richilde, la sœur même de celui-ci. Neveu d'un rex
Francorunky beau-frère d'un autre, Boson était étroite-
ment allié à la famille carolingienne ; il le devint plus en-
core en épousant, à son tour, en 876, la fille de Louis II
le Germanique, l'ambitieuse Ermengarde.
Il s'en faut que ce fussent tous ses titres. La prééminence
sur les populations burgondes et provençales lui avait été
conférée par la dynastie carolingienne, quand il fut investi,
en qualité de duc, d'une vice-royauté sur les anciens sujets
de Charles de Provence. Au regard de ces populations c'était
* Gui portait sur son sceau ces mots significatifs : Renovatio regni
Prancorum (Zeller, Hist, d'Italie, 1886, p. 102).
' Cf. Poupardin, Le royaume de Provence, 1901, p. 41, p. 46.
' Le frère de Boson, Richard (le Justicier) devint duc des Bour-
guignons.
♦ Cf. Parisot, Le royaume de Lorraine, 1898, p. 83. Poupardin, op.
cit., p. 46.
176 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
là l'essentiel . Que le ducatus se transformât en royauté,
cela ne touchait qu'à l'étendue du pouvoir des Carolingiens
Louis III et Carloman, que soutenait Charles le Gros. La
limitation du champ de leur autorité constituait une victoire
relative de l'autonomie provinciale, ethnique, puisqu'elle
faisait place à un chef local, en communion plus étroite avec
les sentiments et les mœurs des peuples qu'il gouvernait*.
Boson, en d'autres termes, ne devenait pas, par son cou-
ronnement, rex Francorum^ y mais il exerçait désormais à
titre de roi l'autorité ducale qu'il tenait des Carolingiens,
avec la perspective, plus ou moins lointaine, d'étendre
ses États et le nombre de ses sujets aux dépens des royau-
tés voisines, soit de Francie occidentale, soit de Francie
orientale ou de Lorraine.
Nous avons ici la première apparition du ducatus comme
marche-pied du trône. Elle éclaire d'un jour très vif les
rapporis de la royauté et du principat. Elle est le précur-
seur de l'intronisation temporaire des Robertiens, comme
de l'avènement définitif des Capétiens.
A Boson lui-même la voie avait été frayée par un duc
franc, illustre dans l'histoire et dans la légende, Girard de
Roussillon, fils du comte alsacien Leuthard, investi, comme
duc des Provençaux et des Burgondes,d'uneautoritéquasi-
souveraine, et qui, selon l'hypothèse très vraisemblable
de M. Longnon % avait tenté, après la mort de Lothaire II,
de créer pour son compte une principauté indépendante.
* J'aperçois dans les États de Boson des groupes ethniques parfai-
tement caractérisés : le ducatus Lugdunensis^ comprenant les provin-
ces ecclésiastiques de Vienne et de Lyon (à l'exclusion du diocèse de
Langres), le duché des Provençaux qui correspondait aux provinces
d'Arles et d'Aix, et d'autre part les provinces de Besançon et de Ta-
rentaise.
2 II aurait fallu pour cela qu'il fût élu par les Francs comme suc-
cesseur de Louis le Bègue, or c'est Louis III et Carloman qui l'avaient
été.
3 Longnon, Girard de Roussillon dansVhistoire (Revue Historique,
t. VIII, p. 261).
LBS DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 177
Si ce plan échoua, parTactioa prompte et décisive de Char-
les le Chauve, qui obligea Girard de Roussillon à capituler
et à se retirer dans les États de Louis II, l'idée de le repren-
dre et de le réaliser devait venir tout naturellement à Bo-
son. Le ducatus ou la vice-royauté de la Bourgogne et de
la Provence ne s'étaient-ils pas reformés entre ses mains
puisque son beau-frère Charles le Chauve, à mesure qu'il
recueillait dans l'héritage de Lothaire II le Lyonnais et le
Viennois (869), et dans celui de Louis II la Provence (875),
lui en confia le gouvernement*? Et n'avait-il pas pour ren-
forcer son prestige et son autorité la tutelle de l'Aquitaine,
la dignité de chambérier du royaume de Francie occiden-
tfide, et le missaticum ou ducatus d'Italie? Le mariage de
Boson avec la fille de Louis le Germanique m^apparait
comme le couronnement de ses visées ambitieuses et je
m'explique fort bien que les partisans de Charles le Chauve
l'aient considéré comme une machination coupable dirigée
contre le souverain, un iniquum conludium, suivant l'ex-
pression d'Hincmar^
Boson était, du reste, trop habile pour rompre en visière
avec son royal beau-frère, mais il se fit rappeler d'Italie
et remplacer par son frère Richard. Sous Louis le Bègue
encore, il se réserve et guette une occasion propice. Elle
se présente enfin par la mort prématurée du roi (11 avril
879) qui laisse sa femme enceinte et deux jeunes fils, Louis
et Carloman, issus d'une concubine. C'est en fait l'aristocra-
tie du pays qui est maîtresse du pouvoir. Boson traite avec
elle pour échanger son titre de duc, qu'il tient des Caro-
lingiens, contre celui de roi qu'il devra aux seigneurs ec-
clésiastiques et laïques de la région. Ils le reconnaissent
* Poupardin, op, cit., p. 68-69.
' « Boso, postquam imperator ab Italia in Franciam rediit, Beren-
garii Everardi filii factione, filiam Hludowici imperatoris, Hirmengar-
dem, qu8B apud eum morabatur, iniquo conludio in matrimonium
sumpsit. » {Ann. Bertin. ad an. 876, éd. Dehaisnes, p. 243).
F. — Tome III. 12
178 LIVRE IV. — CHAPlTEœ I.
solennellemeDl pour chef dans le concile de Mantaille *.
Le rôle, que Ton pourrait appeler cotislituanty du du-
catus ne s'arrêla pas là. II reparut avec toute sa force dans
le royaume même de Boson, sous son fils Louis l'Aveugle.
Un Carolingien de la main gauche, issu d'une fille illégi-
time de Lolhairell, Hugues d'Arles ou de Vienne est à la
fois comte des Viennois et comte des Arlésiens ou Proven-
çaux*, en réalité régent ou vice-roi des sujets de Louis
* La délégation de pouvoir faite par Charles le Chauve et Louis le
Bègue à Boson est la base de Télection et je m'étonne que les histo-
riens qui se sont occupés de la question^ y compris le plus récent M.
Poupardin (p. 100-106), ne s'en soient pas aperçus. Le procès- verbal
de Mantaille me paraît à ce sujet aussi explicite qu*on peut le dé-
sirer. Après avoir constaté que le peuple a besoin de chercher un pro-
tecteur, il proclame qu'un seul homme s'impose au choix de tous,
comme le leur a révélé l'inspiration divine, — celui que Charles et
Louis avaient, depuis longtemps, institué protecteur et soutien in-
dispensable, qu'ils avaient fait participant de leur principat :
« Sane omnibus unum sapientibus et per divinam visitationem
idem indivisibiliter ambientibus cordi fuit exhibitus homo, jamdu-
dum in priscipatu domni KaroHoBFnmon st adjdtor nbcbssarws ;
cujus post se filius ejusdem imperatoris cernens ejus insignem pru-
dentiam amplificare dblbgbrat domnus rex Ludovicus. »
En conséquence, suivant la volonté de Dieu manisfestée par les
suffrages de ses saints ministres, devant une nécessité pressante et
à raison d'une aptitude éprouvée aux yeux de tous par l'exercice du
pouvoir, le très illustre prince et seigneur Boson est appelé d'un com-
mun accord à cet office royal (de protecteur) (Cf. dans la legatio :
u defensionem et momburgium singulis exhibentes » et dans la res-
ponsU) : « omnibus, ut monuistis, ... rectum momburgium, auxi-
liante Deo, conservabo et impendere curabo ») et élu d'une voix
unanime :
« ErgfonutuDei, persufîragia sanctorum,obinstantemnecessitatem
et eam in eo compererunt expetibilem utilitatem et prudentissimam et
providentissiman sagacitatem, communi animoparique votoetunocon-
sensu clarissimum principem domnum Bosonem, Christo perduce,
ad hoc regale negocium petierunt, et unanimiter elegerunt » (Conven-
tus Mantalensis, Capilul. éd. Krause, LL., II, p. 368).
2 « Hugo Arelatensium seu Provincialium cornes «(Liutprand, An-
tapodosiSy III, 16 ; Migne 136, c. 842).
LBS DESTINEES DU DROIT ROYAL. 179
l'Aveugle, qui, dans un de ses diplômes, le qualifie tioster
inclytus dtix et marchioK C'est par la cession qu'Hugues
fait de son autorité, de son tmperium ducal, à Rodolphe 11,
de Haute-Bourgogne, son concurrent à la couronne d'Ita-
lie, que s'opère, après la mort de Louis l'Aveugle (928), la
réunion des États de Boson au royaume de Bourgogne
transjuraae.
2° La royauté de Bourgogne transjurane.
Le royaume de Bourgogne transjurane a été constitué,
en 888, dans des conditions analogues à celles qui ont
présidé à la naissance du royaume de Bourgogne et Pro-
vence.
Là aussi c'est un Franc ou un Gallo-Franc, Rodolphe 1,
fils de Conrad, apparenté aux Carolingiens, qui «ievient
roi '.
Là non plus il ne s'agit pas d'une royauté sur les Francs,
* « Ad deprecalionem inclyti ducis ac marchionis nostri Hugonis,
videlicet propinqui nostri » (H. F. IX, 685 E). — Cf. CartuL Greno-
hle, ch. 24, p. 58 (912) : « Hugo inclitus dux et marchio ». — CartuL
Saint- André de Vienne, ch. 18*, p. 227 (922): « Hugo, cornes et mar-
chio » — Ibid., ch. 15*, p. 224(911-926) « Hugonis g loriosi ducis »,etc.
2 II appartient à la grande et puissante famille des Welfs, dont
l'origine est bavaroise, mais qui a été francisée par ses alliances, ses
dignités et sa résidence. Il est petit-neveu par alliance de Louis le
Débonnaire et de Lothaire I. Le premier avait épousé la sœur de son
grand-père Conrad TAncien, le second la sœur de sa grand'mère Adé-
laïde.
Conrad l'Ancien avait été un des personnages les plus considérables
de la cour des rois francs. Le chroniqueur de Saint-Germain d'Auxerre,
le moine Héric l'appelle « princeps famosissimus, collega regum, et
inter primates aulicos apprimeinclytos » (Duru H. p. 158). Conseiller
et de Charles le Chauve et des fils de Lothaire I, il fut largement pos-
sessionné dans leurs royaumes (regia munificentia maximis fulgebat
honoribus), il le fut surtout dans la Basse-Bourgogne où il semble
avoir fixé le siège de sa maison et acquis une sorte d'indigénat sei-
gneurial(Cf. Héric, /oc. ciX, p.l58-159,etc.). L'un de ses fils fut le célè-
bre Hugues Tabbé, qui devint le plus grand propriétaire d'entre
180 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
mais sur des populations dépendantes d'un regnumPran-
corum.
Là encore la suprématie sur ces populationset leurs chefs
avait ététransmise au préalable, sous forme de duché (juran
ou transjuran)*, au futur souverain, et le changement es-
Seiae et Loire et après la mort de Robert le Fort, duc des Francs de
celte région.
Son autre fils, Conrad II, fut comte d*Auxerre, puis il quitta le
royaume de Charles le Chauve et nous le voyons en 864 se mettre au
service de Lothaire II et de Louis II, les délivrer de leur adversaire
le comte-abbé Hubert, qu'il fait périr près d'Orbe, et être investi de son
ducatus (Voyez la note suivante). Il transmit en mourant, à une date
inconnue, ses droits et son pouvoir à son fils Rodolphe.
^ L'histoire de ce ducatus peut être suivie exactement depuis 855
environ jusqu'en 888. Il avait son centre primitif dans l'abbaye de
Saint-Maurice-d'Agaune, et comprenait essentiellement les populations
qui vivaient entre le Jura et les Alpes Pennines. Il était ainsi transju-
ran par rapport au regnum Francorum, Voici ses destinées succes-
sives :
Vers 856 (Reginon donne la date inexacte de 859) Lothaire II in-
vestit le comte-abbé Hubert, frère de sa femme Teutberge, du ducatus
entre le Jura et le mont Saint-Bernard : « Loiharius Hucberto abbati
ducatum inter Jurum et montem Jovis commisit » (Reginon, Chroni-
coriy ad an. 859, éd. Kurze,p.78).
857-859. Hubert est en lutte avec Lothaire II (Cf. Parisot, Le royaume
de Lorraine y^, 119 suiv.), qui ne parvient pas aie ramener sous sa dé-
pendance, et de guerre lasse cède la souveraineté sur la population
d'entre Jura et Alpes à son frère Louis II : « Hlotariusfratri suoHlu-
dowico... quamdam regni sui portionem attribuit, ea videlicet quBS
ultra Juram montem habebat, id est Genuvam, Lausonnam et Sedu-
num civilates, cum episcopatibus, monasteriis et comitatibus, praeter
hospitale quod est in monte Jovis, et Pipincensem comitatum » {Anna-
les de saint Bertin ad an. 859, éd. Dehaisnes, p. 100).
m't ou 866 fCf. Trog, Rudolf lundR. II von Hochburgund, Bàle,
1887, p. 5-7). Hubert est défaitet tué par Conrad II prèsd'Orbe, et ce-
lui-ci lui est substitué comme duc transjuran. On peut l'induire du
passage suivant de Folcuin, bien que l'expression u Rœticœ partes »
manque de rigueur ou d'exactitude : « Confligens (Hucbertus) in
acie cum Conrado Rœticarum vel Jurensium partium duce.., interfec-
tus est » {De gestis abbat. Laub. c. 12, Migne 137, 556).
872-886. Rodolphe, fils de Conrad, est abbé de Saint-Maurice-d'A-
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 18t
seDliel consista à faire transformer par la tenue d'une as-
semblée locale des grands du pays, réunis à Saint-Mau-
rice en Valais, son titre de duc en titre de roi*, grâce à
la vacance apparente ou réelle du regnum Francorwn
dont il relevait. Par la mort de Charles le Gros, en effet,
la lignée de Louis le Germanique, qui détenait la Francie
de l'Est et la Lorraine avec ses dépendances bourguignon-
nes, n'était plus représentée que par le bâtard Arnulf, au-
quel on pouvait reprocher, outre son origine illégitime, l'acte
gaune (circa 872) (Ch. de précaire concédé par lui, en cette qualité, à
rimpératriceEngelberge,Muratori, Antiqu, Ital. III, c. 155). Il apparaît
avec le titre de « fidelis et dilectus marchio noster » dans un diplôme
de Charles le Gros du 15 février 885, et il prend lui-même le titre de
comte et marquis, « domnus Rodolfus cornes nec non etiam inclitus
marchio » dans une charte du 13 août 886 (Mém. et Doc.de la Suisse
romanej VI, p. 132 et p. 277^
888. Rodolphe est en possession de Fautorité (diicatus) entre le Jura
et les Alpes et il prend à Saint-Maurice-d'Agaune le titre de roi :
« Per idem tempus Ruodolfus fîlius Cuonradi... provintiam inter
Jurum et Alpes Penninas occupât et apud sancium Mauritium, ad-
scitis secum quibusdam primoribus et nonnullis sacerdotibus coro-
nam sibi imposuit regemque se appellari jussit. » (Réginon, Chronic,
ad an. 888, p. 130).
* Son autorité ne procède pas de l'élection ou du simulacre d'élec-
tion, mais est ratifiée par elle. Rodolphe, comme le dit le continua-
teur des Annales de Fulde, retient, à titre de roi, ce qu il possédait
déjà : u Ruodolfus... superiorem Burgundiam apud se statuit rega-
liter retinere » (ad an. 888, éd. Pertz-Kurze, p. 116). Il n'acquiert
donc pas la qualité de roi des Francs mais « de ceux qui habitent
au delà du Jura et autour des Alpes : hi qui ultra Jurum atque
circa Alpes eonsistunt ». Il est un roi ethnique nouveau, un roi par-
ticulier des populations burgondes, jurassiennes, alémaniques, aux-
quelles il avait jusque-là commandé comme duc. De là les qualifica-
tions multiples : rex Burgundionum^ rex Jurensis, rex Alemannorum,
rex Genaunaurum^ etc. (Voyez les textes groupés par M. Poupar-
din, op. cit. y p. 286-7). — Je note seulement que le titre rex de Bur-
gundia que M. P. a cru lire dans les Annales Fuldenses serait
étrange pour Tépoque. Il y a méprise. Le texte parle des hommes de
Rodolphe, envoyés de la Bourgogne en Italie « cum satellitibus Ro-
dulfi régis de Burgundia ad hoc transmissis » (ad an. 894, p. 124).
182 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
répréhensible d'avoir supplanté son oncle de son vivant,
en le faisant déposer au concile de Tribur. Rodolphe tenta
en conséquence d'élendre son pouvoir, non seulement sur le
versant occidental du Jura (diocèse de Besançon), où Hu-
bert déjà avait étendu abusivement son autorité jusqu'à
LuxeuiP, mais sur la Lorraine entière*. Il dut finalement
* Lettre de Benoit III (H. F. VU, p. 384C.). Cf. Poupardin, op. cit.,
p. 49.
2 Le couronnement de Rodolphe à Toul, relaté par les Annales de
saint Vaastyïïe paraît pas douteux à la plupart des historiens récents
(Trog, p. 25; Parisot, p. 487 ; Poupardin, p. 150). Ils ont remar-
qué qu'il peut se concilier fort bien avec rassemblée de Saint-Mau-
rice rapportée par Réginon. Celle-ci a dû avoir lieu en janvier, le cou-
ronnement à Toul en marsSSS. Mais, à mon avis, ils n'ont pas dégagé
assez nettement le caractère très différent des deux actes.
Le premier en date a été une élection sans sacre, le deuxième un
sacre sans élection. Le premier ne touchait qu'à des dépendances du
regnum Francorum, le second se passait en pleine Francie, et n'aurait
pu être une élection franque ou lorraine qu'en violation de la préémi-
nence carolingienne, tandis que rien ne s'opposait en principe à ce
que le roi des Jurassien s fût sacré àToul;seuirévêque qui consentait
à le sacrer et qui semblait légitimer par là ses prétentions sur la
Lorraine, encourait le reproche d'inûdélité. Ce reproche ne manque
pas en effet d'être adressé à Arnaud par le Carolingien Arnulf qui
le punit de sa forfaiture en confisquant ses biens : « Quatenus
Arnaldus Tullensis Ecclesiœ Episcopus, postposito nostrœ domina-
tionis regimine, alterius se miscuit societate, qui regni nostri jura,
modico quamvis intervallo, subripuit : pro quo temerario atisu...
plura bona et abbatias quas tenere videbatur ei subtraximus et fisco
nostro concessimus. » (Dipl. d'Arnulf, 2 février 893, H. F. TX, p. 366-
367).
Rapprochez maintenant les deux relations, celle de Réginon et
celle des Annales de saint Vaast, et vous en verrez sortir avec une
complète évidence la distinction que j'ai faite. Réginon nous raconte
qu'une assemblée de grands et d'évêques de la province d'entre le Jura
et les Alpes Pennines s'est tenue à Saint-Maurice et qu'en saprésence
Rodolphe s'est couronné lui-même (coronam sibi imposuit) et fait ap-
peler roi. Il y a donc eu élection, au moins tacite, et point de sacre.
— Suivant l'annaliste de saint Vaast, ceux d'entre le Juraetles Al-
pes ont demandé que Rodolphe fût sacré roi, et ce sacre a eu lieu à
Toul par les mains de l'évêque de cette ville. Ici donc sacre, mais
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 183
se contenter de son ancien duché de Besançon et de Bâie.
Le Carolingien Ârnulf resta maître de l*Austrasie, chef des
peuples de la Francie médiane et orientale.
3* La royauté d'Italie.
Cest de leur qualité de Francs et de leur descendance ca-
rolingienne que se prévalaient également les nouveaux
rois de l'Italie, Bérenger et Gui, cherchant celui-ci son
point d'appui dans la Francie de l'Ouest et l'autre dans la
Francie de l'Est.
Bérenger est, par sa mère Gisla, petit-Gls de Louis le Dé-
bonnaire, il esi franC'Salien par son grand-père Umroch*.
Ses parents ont domednes et dignités dans le Nord ; l'un
d'eux est abbé de Sain t-Bertin, un autre abbédeCysoingen
Flandre. Lui-même prétend tenir son pouvoir d'une con-
cession formelle de Charles le Gros*.
Le berceau de la famille de Gui de Spolèle est le pays
de Trêves. Un de ses ancêtres, Lambert, fut comte de la
Marche de Bretagne sous Charlemagne. Au ix* siècle, la
famille est dispersée parles dissensions et les guerres, sans
perdre pour cela ni son unité ni la mémoire vivace de son
origine. Elle va se fixer qui en Italie, où un Lambert devient
duc de Spolète, qui dans l'Est de la Gaule, où elle est re-
présentée par l'archevêque Foulque de Reims et des sei-
gneurs de la Bourgogne dijonnaise'.
sans élection préalable des Francs de la Lorraine, sacre à la demande
des Jurassiens et non pas des Francs : « Hiqui ultra Jurum atque circa
Alpes consistunt, Tullo ad un ail, Hrodulfum, nepotem Hugonis ab-
batis, per episcopum dictœ civitatis benedici in regem petierunt ; qm
et ita egit. »
* Sans aucun doute Umroch était franc-salien, car au milieu du
X* siècle encore Bérenger II s'attribue une origine salique. — Cf.
Poupardin,op. cit., p. 165.
* Poupardin, lôirf., p. 166.
' Voyez notamment sur Gui et sa famille, Favre, Eudes comte de
Paris (1893), p. 80 et suiv.
184 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Grâce à son origine franqtie^ Gui peut non seulement en-
trer en lutte avec Bérenger, mais aussi devenir le compéti-
teur d*Eudes de France. Celui-ci n'avait de plu s en sa faveur
que le titre de duc, et Gui se donnait certainement comme
un Franc de race plus pure, tout en étant Gallo-Franc par
la nombreuse et puissante parenté qui Tappuyait.
4° La royauté neusirienne.
Au nord de la Loire, une royauté nouvelle surgissait en
plein regnum Francorum. Elle prétendait autorité directe
sur la nation des Francs, dont la suprématie rayonnait sur
les peuples de la Gaule entière. Comment donc pouvait-
elle se passer de la vocation carolingienne?
Elle le pouvait si peu qu'Eudes ne fut qu'une sorte d'ad-
ministrateur royal, un représentant couronné du Carolin-
gien légitime^ un usufruitier de la couronne {regnum) des
Francs*. Il ne suffisait pas d'un couronnement et d'une élec-
* Ce Carolingien, en tant qu'héritier de la couronne des Francs oc-
cidentaux^ était Charles le Simple et non pas Arnulf. Il semble bien
que celui-ci, tout en n'acceptant pas l'offre que lui fît le parti de
Foulque de le reconnaître pour souverain, ait eu Tintention de sup-
planter Charles le Simple en cette qualité. Eudes et Charles le Simple
n'auraient pas eu seulement alors à s'incliner devant sa suprématie,
comme chef de la maison carolingienne ; ils n'eussent été que ses
vice-rois, tenant de lui leur couronne. Deux faits tendent à le prou-
ver : 1® une allusion très directe dans la lettre de Foulque de
Reims, analysée par Flodoard, qui réfute en ces termes une pré-
tention d' Arnulf : « quoniam mos (Francorum) semper fuerit, ut
rege decedente alium de regia stirpe, vel successione, sine respectu
velinterrogatione cujusquam majoris aut potentioris régis eligerent »
(Flodoard, Hist. eccL Rem,, IV. 5; Migne, 135, c. 274) ; 2« l'envoi
vrai ou faux, réel ou supposé à dessein (ut ferunt, dit l'annaliste de
saint Vaast, ad an. 888, p. 334) d'une couronne d'or par Arnulf à Eu-
des. C]let envoi suivi môme d'un nouveau couronnement à Reims ne
pouvait pas faire de celui-ci un rex Francorum, mais il était de na-
ture à le faire passer pour un délégué, un représentant ou vice-roi
d'Arnulf.
'^ Les Annales de Fulde^ chronique en quelque sorte officielle du
LES DESTINÉES DU DROIT BOYAL. 185
lion des FraDCs neuslriens pour faire de lui un rex Fraîi-
corum. Il aurait fallu pour cela, suivant une tradition
politique qui n'avait encore rien perdu de sa force obli-
gatoire, le concours, le choix de la nation franque tout en-
tière, Francie orientale et Francie occidentale, puisque le
regnum Francorum était un. Même au point de vue de la
Francie occidentale et en n'ayant égard qu'à la préé-
minence franque (abstraction faite de la prééminence
carolingienne), le nouveau souverain ne pouvait être
un rex Francorum qu'à une double condition : i** s'il
était Franc de race; 2** s'il était élu par l'ensemble des
Francs occidentaux. Or, Eudes était tout au plus Gallo-
Franc, il était Neustrien [neustricus)^ et les Francs
occidentaux étaient divisés* : ceux de la Francie pro-
prement dite suivaient le parti de Gui et de Foulque
de Reims. Eudes n'était que le roi des Neustriens,
carolingien Âmulf, tandis qu*elles disent de Bérenger, de Rodolphe,
de Louis fils de Boson, de Gui et de l'aquitain Ramnolf lui-même,
qu'ils se sont fait ou ont voulu se faire roi, représentent Eudes comme
s'étant emparé de Vusufruit du royaume des Francs occidentaux :
« Odo filius Rodberti usque ad Ligerim fluvium vel Aquitanicam pro-
vinciam sibi in usum usurpavit » (ad. an. 888, p. 116).
Dans le même sens, Foulque de Reims a pu dire qu'Eudes avait
abusé de la puissance royale qu'il détenait (comme vice-roi), en vou-
lant la conserver à rencontre de Charles le Simple : « Regali tyran-
nice abusus fuerit potestatCy cujus et invitus/iac^ent/sdominium sus-
tinuerit. » (Flodoard, loc. cit.f c. 273).
Et c'est de cette idée encore, que les chroniqueurs postérieurs ont
dû partir pour faire du lointain ancêtre des Capétiens un soutien
loyal du trône, un roi temporaire, pendant la minorité de Charles le
Simple. Voyez notamment : Fragm, Hist, Franc. (H. F. Vlll, 297),
« Franci... (Odonem) re^ntelegere gubernatorem ». Chronique de Tours
(H. F. IX, p. 47 c) : « Franci... Odonem... regem sibi prœficiunt, ei
que Oirolum parvum custodiendum tradunt, tali pacto quodpost VII
annos Garolo parvo regnum Franciœ relinqueret, et Odo, regni insi-
gnibus depositis, Dux in posterum remaneret, retento nomine Régis
et honore. »
* « Inferiores Franci interse divLsi » {Ann. de saint Vaast ad. an.
887, p. 329. Adde, p. 330).
186 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
comme nous avons vu Rodolphe être celui des Jurassiens'.
Toutefois il possédait par surcroît une dignité très impor-
tante, qui lui permit d'imposer sa domination à la Bour-
gogne et à l'Aquitaine et de se faire, sinon reconnaître en
droit, du moins accepter en fait comme roi intérimaire
par la Francie proprement dite*.
Le gouvernement du royaume, l'exercice des droits delà
couronne, le ducatus regni, en un mot, avait été régulière-
ment acquis à Eudes delà main même de Ch arles le Gros, qui
le lui avait confié après la mort d'Hugues Tabbé '. C'est à ce
^ Cette situation perce même au travers du panégyrique qu*Abbon
fait de son héros : Eudee n'a pas été élu par les Francs, mais il a pris
le sceptre avec l'agrément de beaucoup d'entre eux.
Francorum populo gratante faventeque multo
(De bello Parisiaco, II, v. 445, p. 41 (éd. Pertz).
Les trois parties formant le regnum Francorum de TOuest se com-
portent très différemment k son égard. La Neustrie conflue tout en-
tière vers sa dignité :
Nustria ad insignis nati conçu r rit honorem
(v. 450).
La Bourgogne ne lui fait pas défaut, parce qu'il était déjà dtuc :
Nec quia Dux illi Burgundia defuit
(v. 449).
La Francie proprement dite se réjouit, bien qu'il s'agisse d*un
Neustrierij parce qu'elle ne peut pas lui opposer de Franc qui le vaille.
Francia laetatur, quamvis is Nustricus esset,
Nam nullum similem sibimet genitum reperire
(v. 447-448).
La Francia applaudit donc au choix que d'autres ont fait d'un des
leurs, et l'on est tenté d'attribuer à l'épithète nustricus un double
sens : neustrien de naissance et chef des neustriens.
'^ Telle est l'attitude qu'avait prise finalement Foulque de Reims,
comme le montrent ses lettres analysées par Flodoard.
3 Un point très essentiel, en effet, est qu'Hugues l'abbé n'avait pas
été seulement duc entre Seine et Loire, mais un alter ego du roi. La
chronique contemporaine de Sainte-Golombe-de-Sens, dont Hugues
était abbé, dit expressément ducatum regni post regem nobiliter
LBS DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 187
titre que les Francs neustriens lui reconnaissent le droit
de porter la couronne, c*està ce titre aussi que les natio-
nalités soumises de la Gaule, les peuples notamment de la
Basse-Bourgogne se soumettent à sa domination. Il repré-
sentait le rex Francorum en qualité de rfwc, il le repré-
sentera en qualité de roi. Âbbon le dit expressément :
« Nec, QUIA Dux, illi Burgundia defuit » ^
§ 4. — La royauté de Germanie et la prééminence
franque et carolingienne.
Montrons maintenant que les rois nouveaux ont non
seulement accepté, mais recherché la subordination à la
maison carolingienne. Le chef de cette maison quel était-il
après la mort de Charles le Gros? Des deux représentants di-
rects par les mâles de la lignée de Charlemagne, le bâtard
Arnulf etle posthume Charles le Simple, ce ne pouvait être
que le premier, Arnulf. Si le droit au trône se détermine,
en eflfet, avant tout par Tordre successoral, il dépend du
choix, deTélection, que les Franc sont le droit de faire, selon
la coutume, parmi les membres de la famille privilégiée. Or,
Arnulf seul était d'âge à porter la couronne, seul il était alors
apte [idoneus) à exercer les droits des Carolingiens, à re-
amministrabat {Annales Sctœ ColumhXy ad. an. 872. Duru, I, p. 203).
Si Ton remarque que le sens propre de regnum est royauté ou cou-
ronne et celui de ducatus, gouvernement, conduite, on aboutit à une
vice^royauté occidentale. Et c'est ce que confirme une vie MS. de
saint Romain, citée dans le Gallia (XII, Instr. 225) : « Hugonem loci
ipsius abbatem, rêvera autem totiusregnimoderatorem acprincipem ».
Cf. Bourgeois, Le capit. de Kiersy^ p. 100.
Or, Réginon nous dit, en propres termes, qu'à la mort de Hugues
Tabbé, Eudes a été investi de son ducatus par l'empereur Charles le
Gros : « Eodem tempore Hugo abba, magnœ potestatis vir et magnaî
prudentiae Aureiianis moritur... Ducatus quem tenuerat et strenue
rexerat Odoni filio Rotberti ab imperatore traditur, qui ea tempes-
tate Parisiorum comes erat » (ad. an. 886, p. 126).
* Voyez la note 1 de la page précédente.
188 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
cueillir leur héritage en ralliant les suffrages des Francs*.
Charles le Simple n'était qu'un enfant, il avait huit ans à
peine et dans l'étal troublé du royaume Une pouvait, comme
Ta vouera plus lard un de ses principaux partisans, l'ar-
chevêque de Reims Foulque', être appelé au trône, il
n'était pas idoine à être élu.
Il ne restait donc qu'un chef légitime^ Arnulf : toute
la domination franque devait passer entre ses mains, il
acquérait, dans le sens que nous avons précédemment fait
connaître, Vimperium des Francs, huit ans avant de deve-
nir empereur des Romains*. Si de la sorte, la prééminence
familiale lui revenait sur son agnat Charles le Simple, à
plus forte raison lui était-elle acquise sur ses agnats Louis
l'Aveugle, Bérenger et Rodolphe, et sur le locum tenens
du premier, le neustrien Eudes. Et, en effet, les chroni-
ques contemporaines ne laissent pas de doute à ce sujet*.
Par contre, les historiens se sont en général mépris sur
le caractère juridique et la portée exacte de cette subordi-
nation. Les anciens ont été égarés par leurs préjugés féo-
daux, qui leur faisaient assimiler la couronne à un fîef, ou
par leurs préoccupations nationales, qui leur faisaient con-
* « Hic (Arnulfus) solus de tam numerosa regum posleritate ido-
neus inveniretur qui imperii Francorum sceplra susciperet » (Régi-
non, ad an. 880, p. il7).
* « Hic Karolus adhuc admodum corpore simul et scientia parvu-
lus existebat, nec regni gubernaculis idoneus erat » (Flodoard, IV, 5;
Migne, 135, c. 273),
3 Imperii Francorum sceptra (Réginon, loc, cit.),
* Une des plus explicites est la Vita Mlfredi, attribuée à Asser : « Eo-
dem anno (887) Farlus Francorum rex viam universitatis adiit... Quo
statimdefuncto quinque reges ordinati sunt, etregnum in quinque par-
tibus conscissum est. Sed tamen principalissedes regni ad Eamulfjuste
et merito provenit, nisi solummodo quod in patruum suum indigne
peccavit. Ceteri quoque IV reges fidelitatem et obedientiam Earnulfo,
sicutdignum erat, promiserunt. Nullus enim illorum IV regum hère-
ditarius illiusregni erat in paternaparte nisi Earnulf solus. Quinque
itaque reges confestim Farlo moriente ordinati sunt. Sed imperiixm pê-
nes Earnulf remansit. » (Duchesne, II, p. 397 ; H. F., VIII, p. 100 B-C).
LES DESTINÉES DU DROIT ROTAL. 189
fondre la prééminence carolingienne avec la dépendance
relative de la Germanie et de la Gaule. Les historiens les
plus récents ont parlé d'une sorte de senior at moral \ — ce
qui est très vague et au fond ne signifie rien^ au point de
vuedu droit public, — ou d'un hommage, d'une recomman-
dation, consentis par Eudes et les autres reguli — ce qui me
paraît totalement inexact et même inintelligible, puisqu'on
ajoule qu'il ne s'est pas produit néanmoins de véritable vas-
salité^. L'obscurité provient de ce qu'on n'a pas su distin-
guer entre l'hommage constitué par la recommandation et
la simple fidélité due en vertu de la suprématie, puis de ce
qu'on a généralisé à tort, par une interprétation injustifiée
d'une chronique^ la condition spéciale et temporaire de
Louis l'Aveugle.
Louis l'Aveugle, à la mort de son père Boson, s'était, il
est vrai, recommandé à Charles le Gros; mais il n'était
pas encore. C'était ce dernier qui, après avoir recon-
quis, dès 882, une partie du royaume détaché par Boson,
le possédait à ce moment en son entier. Ce n'est donc pas
pour succéder à son père, mais pour succéder à Charles
le Gros lui-même que Louis se recommandait à lui, se
faisait adopter par lui*.
* Expression empruntée par M. Favre {Eudes comte de Paris ,
p. 115) à M. Bourgeois, Le capituL de Kiersy, p. 214.
* Cf. les propositions contradictoires de M. Favre, p. 113, 114etll5.
S'il y avait eu recommandation, il y aurait eu vassalité; point de
vassalité, point d'hommage.
^ Il s'agit de ce passage de Flodoard analysant une lettre de Foul-
que de Reims à Arnulf : « Unde cum nec in eo (Arnulfo) sibi spes
uUa remansisset, coactus sit (Fulco) ejus hominis, videlicet Odonis,
dominatum suscipere. » M. Favre (p. 113, note 6) lit « ejus (Arnulfi)
Jwminis », l'homme, le vassus d' Arnulf, car, dit-il, l'expression ne peut
avoir, comme le veut M. Diimmler, le sens méprisant : « cethonmie »
M. F. a eu le tort d'arrêter la citation après le mot suscipere. Il de-
vait continuer : « Qui, ab stirpe regia existens alienus, regali tyran-
nice abusus fuerit potestate. » Voilà qui est clair : « ejus hominis...
çui... abusus fuerit, etc. ».
* a Mortuo Buosone parvulus erat ei fîlius de filia Hludowici Italici
190 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Plus tard, en 890, quand à Valence, il est élu et couronné
roi, ce n'est pas d'ArnuIf qu'il tient sa couronne. Il ne la
doit pas, comme on Ta suggéré*, à une investiture que ce-
lui-ci lui aurait donnée par le sceptre. Une telle investi-
ture serait allée directement à rencontre du principe de
Télection, qui est fondamental, de l'élection combinée avec
le droit héréditaire. — L'élection consiste à rechercher si
celui qui a un droit personnel à la couronne est apte à la
porter. Louis était à la fois petit-flls en ligne féminine de
Louis le Germanique et fils adoptif de Charles le Gros. Sur
cette double qualité, sur la dernière surtout, par laquelle
le droit à la royauté {regia dignitas) lui avait été transmis,
l'assemblée fonde sa vocation*; mais elle constate au préa-
lable qu'il est capable de régner, malgré son jeune âge :
le pape Etienne V Ta jugé tel, il est assuré du concours
des grands et de l'expérience de ?a mère Ermengarde*.
Arnulf n'intervient que pour se porter fort du droit à
la royauté que Louis tient de sa naissance et de son adop-
tion, el pour lui promettre sa protection et son appuL II
est de la sorte fauior regni auctorque in omnibus. 11
l'est comme chef actuel de la maison carolingienne, qualité
dans laquelle il a succédé à Charles le Gros*.
régis; obviam quem imperator... veniens, honorifice ad hominem sibi
quasi adoptivum filium eum injunxit » {Ann, FtM,, ad an. 887,
p. 115).
* Poupardin, op. cit. y p. 157.
2 « Ludovicum excellentissimi Bosonis 61ium elegimus atque in re-
gem ungendum decrevimus, judicantes illum ad hoc dignum cui
prœstantissimus Carolus imperator jam regiam concesserat dÀgnita-'
tem » {Hludov. electio, Capitul. LL. II, p. 377, éd. Krause).
^ « Cujus etsi stas idonea ad reprimendam barbarorum sœvitiam
minus sufficere videretur, lamen, etc. » (ibid,).
♦ C'est ainsi que j'entendrais les mots « per suum sceptrum^ fau-
tor regni, auctorque in omnibus esse comprobalur ». Ils me parais-
sent exprimer l'idée de Vimperium Francorum, dans lequel Araulf a
succédé à Charles le Gros : « Arnulfus, qui successor ejus (imperatoris
existit. » — Du reste, rien n'empêche d'admettre que l'emblème visi-
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 191
Ces développements m'ont paru nécessaires pour mettre
en lumière la reconstitution, à la fin du ix* siècle, de la
triple prééminence inhérente à la royauté franque. Arnulf,
aux mains duquel elle se trouva, ne s'efforça pas seulement
de la réaliser dans toute sa plénitude au regard des rois
de fraîche création, mais il essaya, nous l'avons vu, d'em-
piéler sur les droits de Charles le Simple. Les partisans
de ce dernier résistèrent très justement et ne consenti-
rent à reconnaître que la prééminence de chef familial*.
Eudes lui-même, vers la fin de sa vie et quand l'état
de guerre eut cessé entre les deux rivaux, reconnut
expressément dans un de ses diplômes que Charles le
Simple était son seigneur natureP, et se considéra si bien
comme un simple roi intérimaire, un inierrex*, que c'est
Charles et non point son propre frère Robert qu'il désigna
aux grands pour lui succéder*.
ble de ce pouvoir, de cette suprématie, ait été aux mains des envoyés
d'ArnuIf, sous la forme d'un baculus qui les accréditait. Dans les chan-
sons de geste, le bdton est remis avec le briefnux ambassadeurs royaux.
* C'est cette suprématie que Foulque de Reims reconnaissait à Ar-
nulf, après avoir repoussé sa prétention à la souveraineté, au droit de
disposer de la couronne : «Hoc more (sinerespectu vel interrogatione
cujusquam majoris régis) hune regemfactum ipsius(Arnuiri)fîdelitati
et consilio committere voluerint, ut ipsius adjutorio et consilio utere-
tur in omnibuSy et ejus subderetur^ tam rex quam universum rc-
gnum, prxceptis et ordinationibus » (Flodoard, IV, 5; Migne, 135,
c. 274).
* Diplôme en faveur de Tabbaye de Montredon (897 d'après H. F.,
IX, p. 465) dont l'original est à la Bibl. nat. MS. lat, 8837, f<» 75 v° :
« In elemosina domni et senioris nostri Karoli, ac pro salute et com-
memoratione nostra ».
' C'est Texpression dont Gerbert se servira pour désigner Hugues
Capet, tant qu'il n'aura pas reconnu sa légitimité.
* Eckel, Charles le Simp/e (Paris, 1899), p. 28. — D'après les chro-
niqueurs postérieurs, Robert avait compté succéder dans la part de
rayante de son frère, Fragmetitum Hist. Franc. (H. F. VIII, p. 298
A) : « Eo (Odone) defuncto, quia pars ei (Roberto) regiminiSf quam
germanus ipsius tenuerat non redhibebalur, palam tyrannidem inva-
serit. » — Chronique de saint Bénigne^ p. 122 : u Odone rege de-
192 UVRB IV. — CHAPITRE I.
Avec celte attitude d^Eudes est en parfaite harmonie
celle de Raoul en 928, objet de tant de surprise pour les
historiens et de tant d'interprétations singulières ou injus-
tes '. Lui aussi il incline sa royauté de fraîche date devantla
royauté traditionnelle du successeur deCharlemagne. Maî-
tre incontesté, il s^ humilie à Reims devant l'infortuné captif
d'Herbert de Verraandois', il lui restitue des résidences
royales, il lui requiert pardon deToffense qu'il lui a faite*.
Est-ce là un vain et ironique simulacre? Point. C'est la
mise en harmonie de la royauté de fait avec la royauté de
droit, aGn qu'aux yeux des Francs et des peuples qui leur
sont soumis celle-là apparaisse comme une émanation de
celle-ci; c'est la reconnaissance du principe pleinement
vivace de la légitimité carolingienne en vue de la faire
tourner au profit du souverain intérimaire : politique d'au-
tant plus nécessaire que le geôlier de Charles le Simple
essayait lui-même, à ce moment, de la pratiquer pour son
propre compte.
functo R. frater ipsius sperans et cupiens eam regni partem, quam
ipse tenuerat adipisci, quia ei a Carolo qui totius regni erat dominus^
non reddebatur, palam tirannidem invasit. »
1 Leibniz n'est-il pas allé, sous la hantise de l'idée féodale, jusqu^à
voir dans la démarche de Raoul une inféodation de la couronne faite
en sa faveur par Charles le Simple (Lippert, Gesch. des westfr. Reiches
tinter Kônig Rudolf, Leipzig, 1885, p. 67). — La plupart de nos his-
toriens ont reproché à Raoul d'avoir voulu se jouer du malheur et de
rabaissement du roi carolingien, Thumilier en paraissant s'humilier
devant lui. M. Lippert observe que le caractère de Raoul y contredit
et admet que son but devait être de ménager la transition d'une
royauté à l'autre (p. G8). C'est dans ce sens aussi que penche M. Eckel
(p. 133-4), mais sans conviction arrêtée : « On ne sait trop, dit-il,
comment interpréter cette démarche du roi. »
^ « At Rodulfus rex Remis veniens ubi Karolus custodiebatur pa-
cem fecit cum illo, humilians se ante ipsius praesentiam et reddens
illi Âttiniacum fiscum, munecibus quoque quibusdam regiis eumdem
honorât » (Flodoard, HisL eccL Hem, IV, 22; Migne, 137,296).
3 « Sermoni multiplici si oflenderat suppticiter veniam postulabai »
(Richer, I, 55).
LES DESTINEES DU DROIT ROYAL. 19*3
Après la mort d'Eudes et suivant son vœu, le fils de
Louis le Bègue fut d'un commun accord élu régulièrement
roi des Francs occidentaux en 898, et quand, Tannée sui-
vante, Arnulf mourut à son tour, en ne laissant qu'un ftls en
bas âge, Charles aurait dû, suivant la tradition, devenir lïm-
peraior franc, le rex Francorum ayant prééminence. Mais
la société était trop troublée, les rapports entre les deux
Francies trop relâchés pour que cette question de préémi-
nence pût être soulevée en sa faveur. Les chroniques con-
temporaines nous apprennent seulement que Francs-Lor-
rains et Francs-Germains se rallièrent à Louis rEnfanl\
Tout autre fut la situation le jour où, par la mort pré-
maturée de Louis, Charles le Simple resta seul représen-
tant de la maison carolingienne. Le nouveau roi de Germa-
nie Conrad (9H), qui était encore Franc, et son successeur
Henri (918), qui était Saxon, ne pouvaient passer que pour
des usurpateurs au point de vue du droit public franc et
■carolingien*. Aussi voyons-nous dès 911 les Lorrains re-
connaître pour souverain Charles le Simple et celui-ci re-
prendre le titre de rex Francorum, qui avait disparu des
actes officiels depuis Charlemagne. La raison en serait-elle
que la Lorraine, àlaquelle il va commander, était leberceau
de la race, la Francie par excelletice^l J'y vois plutôt l'af-
firmation que l'unité théorique de la royauté franque re-
naît. Si les descendants de Louis le Débonnaire s'étaient
* Ils avaient hésité d'abord. L'archevêque de Mayence Hatton nous
rapprend dans une lettre où il demande Tapprobalion du pape et ap-
pelle Louis parvissimus (H. F. IX, 296).
« C'est ce que M. Bardot (Mélanges Carolingiens, BibL Fac, des
Lettres de Lyon^ t. VU) a fort bien montré pour la défense de Richer.
M. Parisot remarque que Flodoard, qu'il déclare pourtant mai disposé
à l'égard de Charles le Simple, ne désigne Henri l'Oiseleur que par
son nom tout court, ou en le qualifiant prince d'outre-Rhin (sauf, en
936, pour annoncer sa mort) alors qu'il ne refuse pas le titre de roi à
Robert et à Raoul eux-mêmes (Parisot, Le royaume de Lorraine,
p. 631-32).
' Telle est l'explication de M. Parisot, p. 600 et de M. Eckel, p. 97.
F. — Tome III. <3
194 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
contentés de la simple qualification de rex^ cela tient, sui-
vant moi, à la double circonstance que le titre de rex
Francorunij dès le partage de 806 et puis par le couron-
nement de Louis en 813 et Vordinatio de 817, était devenu
synonyme (Timperator Francorum, et que, d'autre part,
les fils de Louis le Débonnaire avaient voulu se mettre sur
un pied complet d'égalité. Ils s'abstinrent donc d'un com-
. mun accord de se parer d'un titre qui, suivant les cir-
constances, pouvait être prétexte à domination. Arnulf, il
est vrai, aurait pu le reprendre, mais l'idée impériale
romaine avait fait du chemin et mis au premier plan le
titre d'empereur. C'est ce titre que les contemporains, à
juger des chroniqueurs, s'empressèrent de décerner à
Arnulf, et il devait lui plaire entre tous puisqu'il visait à
l'Empire des Romains. Charles le Simple, qui n'y visait
pas, restaura les titres der^j: Francortim et de virilluster^j
pour se désigner aux yeux des peuples comme le seul et
légitime successeur de Charlemagne*.
N'est-il pas frappant, en effet, que dans le serment réci-
proque de paix et d'amitié que se jurent, en 921, à Bonn,
Charles le Simple et Henri l'Oiseleur, Charles prenne le ti-
tre de rex Francorum [occidentalium) et ne qualifie Henri
que rex orientalis • ?
* Vir Ulustris : H. F. IX, p. 513 D (941), p. 514 D et 516 E
(912), etc.
* Ni lui, ni ses successeurs carolingiens, ni les Capétiens après eux
ne prirent officiellement le titre de rex Francis^ mais uniquement et
toujours le titre de rex Francorum (Voyez Giry, Manuel de diplo-
matique, p. 318). Si cette qualification leur a été donnée parfois dans
le langage indirect des diplômes ou par les écrivains, ce n^est pas en
prenant le mot de Francia dans un sens territorial mais comme syno-
nyme de nation des Francs. Les historiens ont donc eu grand tort
d'appeler couramment les Capétiens rois de la Francia proprement
dite (entendant par là le pays d'entre Seine et Loire) ou même petits
rois de TIle-de-France. Ils n*ont jamais cessé d'être ou de se considé-
rer comme étant les rois des Francs, les chefs de la grande nation
franque et des peuples qui en dépendaient.
•«EgoKarolusdivina propitiante clementia rex Francorum occiden-
LBS DESTINÉBS DU DROIT ROYAL. 195
Sans doute, Henri prétendait fonder sa royauté sur des
bases nouvelles, indépendantes de la royauté franque et
carolingienne. Duc des Saxons, descendant présumé de
Witikind, Théroïque adversaire de Charlemagne, vain-
queur du frère de Conrad, Eberhard, en la journée fa-
meuse d'Eresburg (912) où il tua, chantaient les scaldes
Saxons, plus de guerriers francs que nul enfer n'en pou-
vait contenir*, il représentait la revanche de la nation
saxonne sur la nation franque, tout au moins l'avènement
de la première à la domination. Il ne prit dès lors, dans
aucun acte officiel, ni le titre de rex Francorum ni celui
même de rex Francorum orientaliwriy il ne désigna pas dans
ses diplômes les rois et empereurs des Francs comme ses
prédécesseurs^ , bien plus il refusa de se faire sacrer et
couronner suivant la tradition constante de la royauté fran-
talium amodo erohuic amico meo régi orientali Heinrico amicus, sicut
amicus per rectum débet esse suo amico » (Constitut. imper, et regum^
LL. éd. Weiland(1893), I, p. 1).I1 est vrai que l'exposé préliminaire
donneà Henri le titre de rex Francorum orientalium, maisnous igno-
rons de qui la rédaction émane et si elle a le même caractère officiel
que le serment. Elle-même, du reste, attribue une préséance manifeste à
Charles le Simple, ainsi que Ta reconnu le grand historien Ranke (Cf.
Eckel, op, cit., p. 115 note). On ne saurait non plus perdre de vue
que si Charles le Simple prend depuis 911 la qualité de rex Franco-
rum dans ses diplômes, ni Conrad ni Henri ne la prennent dans les
leurs. Ils se qualifient rex tout court (Voyez Diplomata regum et
imperat, Germ., LL. éd.Sickel (1894), p. 2-79). Le chroniqueur Eber-
hard en fut si choqué au xii* siècle qu'il kitercala bravement dans un
diplôme de Conrad les mots : «Romanorum et Francorum» (Diplom.
p. 35).
* w Saxones... tanta cœde Francos mulctali sunt, ut amimis decla-
maretur, ubi tantus ille infernus esset, qui tantam multitudinem cœ-
sorum capere posset. »Widukind, Res gestœ Saxoîiicœ, I, 23;Migne,
137,143).
2 Ce n'est que dans les diplômes d'Otton I que je vois réapparaître
l'expression antecessores nostri reges et imperatores Francorum
{Diplom. f I, p. 165), antecessores nostriy videlicet..» reges Francorum
(ibid,, p. 319), etc., et le titre de Romanorum et Francorum impera-
tor {ibid., p. 443).
196 LIVRE IV. — CHAPITRB I.
que*. Mais la suprématie franque était trop profondément
enracinée dans Tâme des peuples pour ne pas survivre
aux changements de règne. Au xii' siècle encore Otto de
Friesingen considérera le regnum Teutonum, que Henri a
fondé, comme une partie du regnum Francorum^y de même
que Widukind, au x* siècle, appelle le royaume deGerma-
nieimperium Fraiicorum. Et quefltlesuccesseurdeHenri,
le premier des Otton? Il s'efforça, par tous les moyens,
pour lutter contre les Carolingiens de France, de se faire
passer pour un rex Francorum. Il se fait élire à Aix-la-
Chapelle dans le palais de Charlemagne, il revêt le cos-
tume franc, il se fait sacrer et couronner comme souverain
des Francs', il appelle lui, dans ses diplômes, invariable-
• « Cumque ei ofîerretur unctio cum diademate a summo pontifice
(l'archevêque de Mayence), qui eotempore Hirigeruserat, non spre-
vit, nec tamen suscepit : » Satis, inquiens, michi est ut pree ma-
joribus meis rex dicar et designer y divina annuente gratia ac vestra
pietate; pênes meliores vero nobis unctio et diadema sit; tanto
honore nos indignos arbitramur » (Widukind, I, 26; Migne, 437,
445).
* « Michi videtur regnum Teutonicorum,quod modo Romamhabere
cernilur, partem esse regni Francorum » (Otlon. Frising. Chronicon^
VI, 47 ; S.S. in. us, sch., éd. Pertz, p. 268).
3 Widukind décrit avec un grand luxe de détails l'élection et le sa-
cre d'Otlon. Les chefs des Francs et des Saxons ont élu Otton, et
Tarchevêque de Mayence, Franc d'origine, Franco génère^ debout au
centre de la basilique de Charlemagne, soumet Télection aux suf-
frages du peuple répandu sur le pourtour de l'édifice : « Si vobis
ista electio placeat, dextris in cœlum levatis significate. » Le chroni-
queur continue : w Proinde processit pontifex cum rege, tunica
stricta more Francorum induto^ pone altare, super quod insignia
regalia posita erant, gladius cum balteo, clamis cum armillis, baculus
cum sceptro ac diadema... Ipse autem accedens ad altare, etsumpto
inde gladio cum balleo, conversus ad regem ait : a Accipe, inquit,
hune gladium... auctoritate divina tibi tradita omni potestate totios
iMPBRn FRANCORUMt ad firmissimam pacem omnium Christianorum »...
Perfususque illico oleo sancto et coronatus diademate aureo ab ipsis
pontificibus H. et W. ac omni légitima consecraHone compléta^ etc. »
(Widukind, Chronique^ II, 4 ; Migne, 437, 459-460).
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 197
ment les rois francs ses prédécesseurs K II rendait donc
hommage au principe de la prééminence franque en cher-
chant à Taccaparer. Ses efforts se seraient peut-être brisés
contre le sentiment populaire, et les populations franques
ou gallo-fpanques de la Lorraine et de la Bourgogne se-
raient demeurées fidèles à la dynastie de Charlemagne, si
la maison saxonne n'avait trouvé des auxiliaires puissants
au cœur de la Francie occidentale. Ces auxiliaires ne fu-
rent autres que les Robertiens et les seigneurs laïques ou
ecclésiastiques qui se rebellaient contre les derniers Caro-
lingiens.
On s'est beaucoup mépris sur la véritable nature de
cette rébellion. Son caractère était double; ses résultats
furent convergents. Elle consistait, d'une part, dans une
rivalité entre les grands lignages, dans une lutte d'influence
et de pouvoir entre la famille carolingienne et le clan des
Robertiens, la maison de Vermandois,celle de Flandre, etc.,
lesquels cherchèrent un point d'appui à l'étranger pour
remporter sur leurs rivaux, mais sans se prévaloir
de principes nouveaux ni poursuivre un changement de
régime ou de système gouvernemental. D'autre part, une
question de domination religieuse se trouva en jeu quand
prit corps, avec le couronnement d'Otton comme empereur
romain (962), l'idée d'une monarchie chrétienne, renou-
velée de celle de Constantin le Grand, que gouverneraient
en commun le pape et l'empereur. C'est cette idée qui fait
de Gerbert et d'Adalbéron de Reims des adversaires aussi
redoutables des Carolingiens qu'ils sont partisans fougueux
des Otton*. Ne fallait-il pas mettre en pièces la suprématie
des premiers pour assurer aux seconds l'empire universel?
Sous cette double action, soutenue et renforcée par le roi
saxon, s'effondra finalement la dynastie de Charlemagne
* Suprà, p. 195, note 2.
* M. Lot {Les derniers Carolingiens, p. 237 suiv.) a mis ce point
d'histoire en lumière avec autant de force que de talent.
198 LIVRB IV. — CHAPITRE I.
et fut anéantie pour de longs siècles Tunité de la Gaule.
Voyez les péripéties qui se succèdent.
Quand Raoul l'emporte en 923, et que le malheureux
Charles le Simple est victime de l'odieuse trahison d'Herbert
de Vermandois, qui l'emprisonne, les Lorrains se rallient à
Henri l'Oiseleur*. Quand Louis d'Outremer est rétabli sur
le trône, ils retournent à lui (936-939), et Otton I ne parvient
aies réduire parla force que grâce au pacte d'alliance qu'il
noue avec Hugues le Grand et les autres seigneurs gallo-
francs qui défaillent à leur souverain*. C'est une alliance
analogue, entre Hugues Capet et Otton II, qui empêche en
985 Lothaire, et son fils Louis l'année suivante, de faire
prévaloir leur autorité sur la Lorraine '.
Dans le royaume de Bourgogne et Provence, il n'en
va guère autrement. Quoique le roi saxon ait pratiqué, en
937, une sorte de mainmise sur le jeune roi Conrad*, et
Tait fait élever à sa cour, le fils bâtard de Louis l'Aveugle,
Charles Constantin, qui continue à prétendre au comté des
Viennois et qui est un descendant par les femmes des
Carolingiens, reconnaît, en 941 et en 951 , la suprématie de
Louis d'Outremer, tout en faisant hommage dans l'inter-
valle (943) à son lige seigneur Conrad*. Rien ne prouve,
que Lothaire ait, vers 964, en faisant épouser à Conrad
sa sœur Mathilde, renoncé à cette suprématie. Des chroni-
queurs ont pu la confondre facilement avec Tautorité di-
recte sur les populations, à laquelle il a renoncé en effet*.
Je vois, au contraire, dans Vamitié'' de Lothaire et de
* Parisot, Le royaume de Lorraine, p. 664 et suiv. — Eckel, Charles
le Simple, p. 130 et suiv.
• Lauer, Louis IV d'Outremer (Paris, 1900), p. 41 suiv. — Parisot,
op. cit., p. 674.
3 Lot, op. cit., p. 142 suiv., p. 162, 193-195.
♦ Flodoard, Annales, ad an. 940; Migne, 135,455.
* Lauer, op. cit., p. 73; Poupardin, op. cit., p. 239-241; Lot,
p. 177.
• Cf. les textes cités par Lot, p. 37, note 4.
' Lettre de Lothaire à Conrad (980) : « Amiciciam inter nos a multo
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. J99
GoDrad, cimentée encore par le mariage du premier avec
la nièce du second, la relation qui légitimement devait
exister entre le chef de la maison carolingienne et le suc-
cesseur de Rodolphe I, de par la prééminence tradition-
nelle. Mais là aussi les luttes et les intrigues des Rober-
tiens, de leurs fauteurs et de leurs auxiliaires, permirent
au roi des Teutons de supplanter finalement le roi des
Francs.
§ S. — L avènement de la dynastie capétienne et la
transmission de la prééminence franque.
Par Tavènement des Capétiens, la Germanie triomphe*.
La dynastie saxonne n'éprouve plus le besoin de se donner
des apparences franques, elle se sent libérée de toute su-
prématie éventuelle. Seuls, ses sujets lorrains pourraient
contester sa légitimité ; mais la force aura raison de leur
autonomie nationale. Non seulement, elle ne reconnaît
pas Hugues Capet, son ancien allié, comme le successeur
légitime des Carolingiens*, comme Théritier de leurs droits
a son encontre^ mais elle espère faire de son titre impérial
une cause de subordination de la dynastie nouvelle que
s'est donnée la France occidentale*.
tempore constitutam... cujus fructus cum a me multiplex exire valeat,
utile duxi... id petere » (Richer, III, 86).
' C'est exactement Tinverse de ce qu'on a généralement admis de-
puis Augustin Thierry, sous Tinfluence de sa théorie des nationa-
lités.
« Tel fut d'abord le langage de Gerberl, tel resta le langage des
chroniqueurs allemands. — Voyez notanunent la Chronique de Sige-
bert de Gembloux, ad an. 987 et 988 ; Migne, 160, 195-6. — Cf. Lot,
op. cit, p. 378-379.
' Quelle vive image nous donne de Tattitude respective du chef du
saint Empire romain et du prétendant capétien la scène célèbre dé-
peinte par Richer (981) : l'audience secrète à Rome de l'empereur
teuton parlant latin et se servant d'un évéque français comme inter-
prète pour se faire comprendre de Hugues Capet; l'empereur, au mo-
ment de paraître en public, demandant son épée que du regard il
200 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Malgré cela, les Capétiens n'ont cessé de prétendre
qu'avec la couronne des Francs carolingiens [Karolinorum
Francorum)\ ils avaient acquis la couronne de tous les
Francs [regnum Francorum), la suprématie sur les autres
nations qui composaient l'empire de Charlemagne, la préé-
minence sur les chefs qui les gouvernaient, même sur le
souverain germanique malgré son titre d'empereur. Ce
titre, en effet, de qui le tenait-il? Si c'était de sa qualité
de successeur des rois francs*, il était primé par les suc-
désigne sur un siège pliant où il l'avait fait placer à dessein ; Hugues
Capet s'inclinant pour la prendre et la porter derrière le souverain
de sorte que, dit le chroniqueur, l'ayant portée aux yeux de tous
{ctinctis viderUibus) il y aurait été tenu à Tavenir « inposterum etiam
se portaturum »; la présence d'esprit enfin de l'évéque Arnoul qui
sauve le duc des Francs de cette subordination vassalique en lui ar-
rachant Tépée des mains et la portant majestueusement lui-même
derrière Tempereur (Richer, III, 85).
^ La persistance, à travers les siècles, de la qualification de Karo-
linif Karlingij KarlenseSy appliquée par les étrangers aux Français, de
Karlingia donnée à la Francie, de Karlinga à la langue française,
prouve à quel point était enracinée dans la conscience des peuples
1 idée que là seulement avait passé l'héritage de Charlemagne. Voyez
les textes groupés par Waitz, Deutsche Verfassungsgesch,, t. V (2«
édit. 1893), p. 132, note 1, et le passage si curieux de Godefroi de
Viterbe (1191) (SS. XXII, 203), cité par M. Lot, p. 306 : « In lingua
vero teutonica jussit eamdem provinciam (partem illam Gallie ïn
qua est Sequana fluvius et Ligeris) vocari nomine suo Carlingam et
eos homines nomine suo vocari Carlingos.., quod vocabulum omnes
Teutonici usque hodie servaverunt. Dicunt enim : V€uio in Carlin^
gam, venio de Karlinga^ homo ille Karlingus esty et linguam habet
Karlingam. »
* Comme le prétend Waitz, en alléguant un droit d'aînesse imagi-
naire (Cf. sur c^ point Lapôtre, L'Europe et le Saint-Siège, p. 241} et
ne tenant pas compte du fait certain que la couronne impériale, s^rès
la mort de Louis le Germanique» n'avait pas été attribuée à ses fils
mais à Charles le Chauve : « Der Anspruch auf die Kaiserliche Wûrde,
den nach dem Aussterben der Linie Lothars die Deutschen Karolinger.
aïs die âltesten des Hauses erhoben und zur Geltung gebracht, ist von
ihnen auf die Nachfolger in der Herrschaft iibergegangen » (Waitz,
op. cit., V, p. 84-85).
LES DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 201
cesseurs des derniers Carolingiens, lesquels avaient re-
cneilli Théritage entier de la maison et acquis par là la
prééminence sur la dynastie saxonne. Si c'était du pape et
des Romains, n'était-ce pas en violation des droits com-
pris dans cette prééminence'?
Nous avons les témoignages les plus précis non seule-
ment sur Ténergie avec laquelle ce sentiment se faisait jour
dans Tentourage des rois de France, mais sur sa survi-
vance aussi dans la tradition populaire.
Quand l'invasion allemande de*l'empereur Henri V me-
nace, en Tan 1124, la France, quel est le langage que Suger
met dans la bouche des seigneurs français? « Portons
hardiment la guerre dans le pays même des Teutons, pour
qu'ils ne retournent pas chez eux avec l'impunité d'avoir
osé, dans leur orgueil, s'élever contre la France, la maî-
tresse des royaumes (Francia, domina terrarum). Qu'ils
subissent le châtiment de leur rébellion, non point sur
notre terre, mais sur la leur, qui, souvent domptée, est de
par le droit royal des Francs aux Francs subordonnée »
{jure regio Francorum Francis subjacety.
1 S'il existait un droit héréditaire au profit des descendants de Char-
lemagne, ce droit pendant la vacance du siège impérial, après 924^
n'avait pu résider à Tëtat latent ou virtuel que dans la personne de
Charles le Simple, de Louis IV, de Lothaire. Eux seuls auraient pu
le faire valoir. Et c'est bien ce que, vers Tan 954, dans sa prophétie
fameuse, longtemps attribuée à Rahan et même à saint Augustin
(HisU litt, de la France^ VI, 480), le moine Adson proclame, avec
d'autant plus d'éclat que son traité est dédié à la reine Gerberge, femme
de Louis d'Outremer : « Aussi longtemps, dit-il, que dureront les
rois des Francs, reges Francorum, qui doivent tenir Tempire romain,
la dignité de cet empire ne périra pas tout entière, car elle se con-
servera en eux : Quandiu reges Francorum duraverintf qui Roma-
num imperium tenere debent, dignitas romani imperii ex toto non
peribit, quia stabit in regibus suis » (Libellus de Antichristo, Migne,
iOl, 1295).
* M Transeamus, inquiunt, audacter ad eos, ne redeuntes impune
ferant quod in terrarum dominam Franciam superbe prœsumpserunt.
Sentiant contumacise suœ meritum, non in nostra sed in terra sua
202 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
Les plus anciennes chansons de geste ne sont pas moins
expressives. Dans le Roland, M. Léon Gautier a compté
cent soixante-dix passages où la France comprend tout
Tempire de Gharlemagne^ Elle est la grande terre, la
« terre major* ». Elle englobe l'Allemagne, la Bavière, les
Gaules.
Tous ces pays ne sont que des dépendances de la France
du Nord, de la douce France, de la Francie, en un mot,
que ne forment ni la Normandie et la Bretagne, ni le
Maine et TAnjou', ni la Flandre et la Bourgogne, ni
rAquitaine et la Provence*.
G'est le roi de la douce France, Charlemagne', c'est Ro-
quas jure regio Francorum Francis sœpe perdomita subjacet » (Su-
ger, Vie de Louis le Gros, 27, éd. Lecoy de la Marche, p. il 6-1 17,
éd. Molinier (C. T.), p. i02).
^ Léon Gautier, éd. de Roland, note sur v. 36 et La Chevalerie^
p. d8.
2 Roland, v. 818, 1784, etc.
' Dès la fin du x" siècle pourtant TAnjou apparaît dans nos chan-
sons de geste conune partie intégrante de la Francie, puisqu'à ce
moment-là le personnage de Geoffroi d'Anjou est introduit dans le
Rolandy qu'il y joue un rôle très important, figure parmi les XII pairs
et porte Toriflamme à la tête des Francs de France (v. 3093). Voyex
sur ce remaniement et sur le personnage qui en est Tobjet : L. Gau-
tier, Rolaîidf note sur v. 106 et G. Paris, Extraits de la Ch. de Ro-
land, 4* édit., p. 67. Il s'agit de Geoffroi Grisegonelle que les Chro-
niques d'Anjou nous disent avoir été nommé signifer par le roi de
France (Chr. d'Anjou, p. 76).
* Voir l'énuméralion dans le Roland (v. 2315 et suiv.) des conquêtes
faites avec Durendal. Cf. aussi Ogier, v. 8454 et suiv. :
« Et si sui rois de France le resné,
Moie et li Mainnes et Bretagne deiès
Poitau, Gascogne et d*Angeu sui fievés. »
» Roland, v.l6 :
« Li emperere Caries de France dulce »
V. 116:
« ... li reis ki dulce France tient. »
LBS DESTINÂBS DU DROIT ROYAL. 203
land le preux le plus vaillant de la douce Fraace *, ce soot
les Fraacs de France*, conquérants des royaumes,
« Cels de France ki les règnes cunquierent » '
Ce sont eux qui se sont soumis par les armes les autres
peuples composant Tempire. Les Francs de France enca-
drent Tarmée; ils en sont l'avant et Tarrière-garde *. Leur
cri de guerre est Montjoie. Charlemagne se tient au milieu
d'eux dans la bataille^. II les aime plus que quiconque*.
Seule donc la France ne dépend de personne et com-
mande aux autres nations. Elle est la terre franche de tout
lien de sujétion, la terre libre par excellence,
« France la solue »> '
^Roland, y. 2310.23ii.
« Roland, V. i77, 804, 808 eipassim.
» Roland, v. 3032.
* Roland, v. 30i8 et suiv. :
« Si chevalchiez el' premier chiet devant
Ensembl'od vus xv milliers de Francs
De Franceis sunt les premières eschieles. »
V. 3084 :
« La disme eschiele est des baruns de France
« Cent mille sunt de nos meilleurs catanies. >»
» Roland, v. 3086 et suiv.:
c< Cors unt gaillarz e fîeres cuntenances
Les chiefs fluris e les barbes unt blanches
Osbercs vestuz e lur brunies dublaines
Ceintes espées franceises e d'Espaigne ;
Escuz unt gens de multes conoisances
Pois, sunt muntet ; la bataille demandent
Munjoie escrient ; ad els est Carlemagnes. »
® La Ch. de Roland dit des Bavarois :
(( Suz ciel n*ad gent que Caries ait plus chière
Fors cels de France ki les règnes cunquierent. »
(V. 303i-32).
** Roland, v. 231i. — De môme Renaus de Montauban, p. 395,
V.30.
tt ... li XII per de la terre asolue »
204 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
comme elle est par excellence la terre de la bravoure :
« La terre de France, la plus vaillant du mont »*.
Les chefs qui sont montés, après Charlemagne, sur le
trône de la douce France, y ont trouvé la suprématie sur
la terre majeure.
Cette suprématie, la chanson de geste le Couronnement
de Louis, composée à une époque contemporaine de l'in-
vasion de 1124*, là proclame très haut :
< Quant DeuB eslist nonante et nuef reiames,
Tôt le meillor torna en dolce France.
Li mieldre reis ot a nom Charlemagne ;
Cil aleva volentiers dolce France ;
Deus ne fist terre qui envers lui iCapende ' ;
Il i apent Bavière et Alemaigne,
Et Normandie, et Anjou, et Bretaigne,
Et Lombardie, et Navare, et Toscane * ».
De là le programme tout tracé de la royauté fran-
çaise. A l'extérieur, la lulte contre le Saint-Empire romain,
à rintérieur, la reconstitution de la Gaule dans ses ancien-
nes limites. Ces limites n'étaient qu'un minimum, auquel le
rex Francorum prétendait avoir droit comme successeur
direct de Cloviset de Charlemagne. Et, pour les atteindre,
n'avait-il pas à son service la vivacité des traditions natio-
nales, à la fois celtiques, romaines et franques, le souvenir
* Renaus de Montauban, p. 404, v. 20.
2 Au plus tard vers 1130. Le Couronn. de Louis, éd. E. Langlois,
Introd,j p. 170.
3 Le MS. C (Bologne) dont M. Gaston Paris a publié les 37a
premiers vers dans le BulL de la Soc. des Anciens textes (1896),
porte :
€ Diex ne fist terre cali ne doie apendre. »
♦ Cour. Louis, v. 12 et suiv. — De même Ch. des Saisnes, I, p. 2 :
« La corone de France doit estre mise avant,
Qar tuil autre roi doivent estre à lui apandant
Le premier roi de France fist Dex par son commant
Coron er a ses angeles dignement an chantant ;
Puis le commanda estre an terre son sergent *
LBS DESTINÉES DU DROIT ROYAL. 205
de Tanité triomphale réalisée par le grand monarque des
Francs, et l'espoir de lavoir renaître sous ses successeurs?
Espoir d'autant plus ardent et plus énergique que le peu-
ple souffrait davantage de l'anarchie féodale.
La Gaule, en effet, n'avait cessé, malgré des divisions
profondes, de constituer un grand corps de nation, d'avoir
le sentiment, plus ou moins conscient, de son unité ethni-
que. « C'était parmi les Welches, dit fort bien M. Lapôtre,
en s'unissant à eux, à combattant à côté d'eux, en ne fai-
sant qu'un avec eux que les Francs avaient propagé au
loin le bruit de leur nom. â pareille communauté de vie et
de souvenirs, l'unité, l'idenlification des peuples se forme
et s'exalte beaucoup mieux que par la dérivation plus ou
moins lointaine d'une commune origine; caries grandes
actions produisent et conservent une conscience d'elles-
mêmes que le sang ne connaît pas K » Or le remplacement
d'une dynastie par une autre, à la tète de la Gaule, s'était
accompli suivant des formes légales et dans des conditions
qui impliquaient ou devaient entraîner l'adhésion, expresse
ou tacite, des chefs de population, des principes Gallia-
rum}. Circonstance capitale, au point de vue du droit pu-
blic, et que les historiens malgré les discussions souvent
passionnées que l'avènement des Capétiens a suscitées,
ont beaucoup trop laissé dans l'ombre, faute d'avoir dis-
tingué, comme il eût fallu, entre les éléments constitutifs
du droit royal, entre la prééminence carolingienne et la
prééminence franque.
Cest sur la prééminence carolingienne qu'a porté pres-
que exclusivement le débat à l'assemblée de Senlis. Elle
était fondée sur l'hérédité, et loin de sacrifier de piano ce
principe, comme un récent etexcellent historien l'a pensé*.
Âdalbéron de Reims l'a mis en échec, en jouant habilement
< Lapôtre, VEurope et le Saint-Sièget I, p. 324.
« Richer,IV,li.
» Lot, Les derniers Carolingiens^ p. 206.
206 LIVRE IV. — CHAPITRE I.
de sa subordination légale au principe de Télection. Son
raisonnement fut celui-ci. L' hérédité ne fait pas toute seule
le roi. Il faut de plus que l'héritier désigné par la naissance
soit agréé, soit élu, par la nation franque et il ne peut
l'être s'il est indigne. Or Charles de Lorraine est indigne.
Donc son droit héréditaire est réduit à néant.
Le syllogisme était bien construit. Il supposait seulement,
pour son exactitude, que l'indignité de Charles fût prouvée
et que la conclusion fût susceptible de s*étendre à tous
les membres de la famille carolingienne. Quant au pre-
mier point, il est remarquable qu'Adalbéron emploie une
expression à double sens : un sens juridique dont la tra-
duction Guadet, reproduite par M. Lot, n'a pas tenu compte,
et un sens vulgaire. Charles, dit-il, a subi une capitisim-
mtinitio en servant un étranger et en se mésalliant \ il a
perdu, en d'autres termes, 'ses droits de famille, sa préro-
gative carolingienne, en se soumettant à un souverain
saxon dont il était le supérieur né et en s'unissant à
une femme d'une caste inférieure. C'est un acte d'insanité
(voici le sens vulgaire), en même temps qu'un acte de
déchéance, une abdication.
Mais pourquoi cette déchéance s'étendrait-elle aux autres
membres de la famille carolingienne? Ici, il faut certaine-
ment tenir un grand compte de la portée que les hommes
du X* siècle attribuaient à l'hérédité. Elle n'avait pour
eux toute sa force qu'en ligne directe^ Et c'est pourquoi, à
Reims, Hugues Capet put assimiler la mort de Louis V, sans
descendants, à une extinction de la dynastie régnante'.
' « Qui tantacapitisimminutione hebuit, ut externoregi servire non
horrueril, et uxorem de militari ordine sibi imparem duxerit » (Richer,
IV, li).
2 M. Viollet, HisU des instit. polit,, t. II (1898), p. 25, Ta très jus-
tement remarqué.
3 Voyez également Aimoin, Miracles de saint Benoit, III, 1 (éd. de
Certain, p. 127) : « Qui (Ludovicus) immatura prœventus morte des-
titutum proprio herede Francigenae gentis principatum, utpote na-
LES DESTINÂBS DU DROIT ROYAL. 207
C'est pourquoi aussi rassemblée de Senlis put se croire
autorisée à écarter sans scrupule, et par simple prétéri-
tioQ,Ies collatéraux du dernier roi, ou même aies considérer
comme solidaires de la déchéance, de la capitis minutioj
encourue par leur chef et représentant*.
Si le droit cesse pour Charles de Lorraine et les Caro-
lingiens, ce ne peut être qu'au profit de la famille rivale
qui, depuis plusieurs générations, est en possession du
pouvoir sur les Francs et qui en a été nantie par les Caro-
lingiens eux-mêmes. Il jaillissait du fait séculaire. N'é-
tait-ce pas l'application à deux siècles de distance du prin-
cipe posé par le pape Zacharie pour légitimer Tavènement
de Pépin : « Où est le pouvoir doit être la royauté^ »?
La dignité doit être en rapport avec la fonction. Celui qui,
comme duc des Francs, détient tous les pouvoirs doit pren-
dre la place vide du roi dont il était X aller ego : «Promouvez,
dit Adalbéron, faites monterd'un degré votre duc, celui qui
l'emporte sur tous les autres par sa fonction^, par sa nais-
sance et par ses richesses. » Et il n'était point nécessaire
pour cela de transformer la possession du pouvoir en un
turalis expers conjugii, dereliquit, Sane palruusejus Carolus... cona-
batur, si posset, a sui generis auctoribus diu possessum sibi vindi-
care imperium; sedej us vo/untos nullum sorlilur effectum. iVam Franci
primates, eoreliclo, ad Hugonem qui ducatum Francise strenue tune
gubemabat,,. se conferentes, eum Noviocomo solio sublimant regio. »
* Je ne cherche pas, bien entendu, à démêler si, en droit rigoureux,
la maison carolingienne pouvait être évincée du trône, mais à
déterminer l'état d'esprit qui devait faire reconnaître, accepter pour
légitime, par les peuples de la Gaule et leurs chefs, la dynastie
nouvelle.
* Ann. Lauriss, ad an. 749, passage reproduit par Réginon, ad an.
749, p. 43 : « Et prefatus papa mandavit Pippino melius sibi videri
illum regem vocari qui potestatem haberet, quam illum qui sine regali
potestatemanebat. » — Sur l'authenticité de cette réponse du pape aux
envoyés de Pépin, voyez Mùhlbacher, Regesten, 64, p. 32 (2* édit.).
' Promovete igitur vobis ducem, actu, nobilitate, copiis clarissi-
mum » (Richer, IV, 11). M. Guadet a eu tort de traduire actu « par
ses actions ». In actu esse = être en fonction.
208 UVRE IV. — CHAPITRE I.
droit perpétuel. L'avenir est réservé pour les élections fu-
tures, puisque Télection actuelle ne porte que sur la per-
sonne de Hugues Capet. Aussi s'explique-t-on la hâte
qu'eut le nouveau roi d'associer son fils Robert au trône,
et celui-ci à son tour son propre fils. De la sorte seulement
s'est reconstitué successivement le pouvoir royal aux mains
d'une dynastie nouvelle. De la sorte les Capétiens acqui-
rent pour leur maison le privilège familial de gouverner
les Francs et d'exercer, en leur nom, la suprématie sur le
reste de la Gaule.
209
CHAPITRE II
LES QUATRE FACES DE LÀ ROYAUTÉ.
§ 1. — La prééminence sur les princes de la Gaule.
J'espère avoir mis, au chapitre précédent, la suprématie
de la royauté carolingienne sur la France majeure dans
son plein jour historique. Nous n'avons donc plus qu'à l'ob-
server aux mains de la royauté capétienne qui en a hérité.
Il est certain que, malgré l'expression principes Gallia-
rum dont Richer se sert, les chefs de la Gaule furent loin
d'être au complet dans l'assemblée de Senlis. Mais, à un
double titre, le Capétien n'en devait pas moins passer pour
leur légitime souverain * :
1* Il était élu par les Francs de la Francie, auxquels les
autres peuples des Gaules étaient subordonnés*. Sauf
donc les Bretons et les Gascons qui n'avaient pas été sou-
mis, ou qui ne l'étaient plus, et les chefs des pays de l'Est
et du Sud-Est que nous avons vu rattachés à l'Allemagne,
les autres principes des Gaules auraient dû de plein droit
reconnaître Hugues Capet pour leur supérieur.
* Toujours sous la réserve du droit des Carolingiens, voyez p. 207,
note i, et Cf. Cartul. du Monestier^ MS. f* 59 : « Anno ab inc. Dom.
DCCCC XCI, régnante Domino nostro Jesu Christo, contra jus re-
gnum usurpante Hugone rege ».
* Suprày p. 158 et suiv. Je relève dans Guibert de Nogent (Gesta Dei
per Francos, II, 2; Migne, 156, 698) cette curieuse expression :
« Totius Francise et appendicium comitatuum », et dans un diplôme
d'Henri I cette formule : « Ego Henricus, cuncti potenti Deo super-
eminente, Francigenis imperans et gentibusper orbem circumquaque
diffusis » (vers 1033, H. F. XI, p. 568 D).
F. —Tome III. 14
210 LITRE IV. — CHAPITRE n.
2** La prééminence sur eux était, en vertu de la concession
directe des descendants de Charlemagne, acquise depuis
plus d'un siècle à la famille robertienne. Le dux Pran-
corum avait, en effet, une véritable primatie. Il était le
primas inter duces, comme le duc était le premier des
comtes^ il était investi d'une sorte de vice-royauté des
Francs. Nous savons déjà qu'il n'avait pas un duché terri-
torial, un duché de France, mais l'autorité générale sur
les Francs occidentaux. N'existait-il pas des ducs des
Bretons, des Aquitains, des Bourguignons ou Austrasiens,
des Provençaux, des Alamans, des Francs orientaux? La
différence essentielle était que la nationalité franque do-
minant les autres nationalités des Gaules, le duc des
Francs avait la suprématie sur tous les ducs ou princes
soumis au roi des Francs qu'il représentait. C'est ainsi que
le dux Francorum de l'Ouest fut en même temps dux om-
nium Galliarum^y dux regni,
Eudes, nous l'avons vu, était investi du ducatus te-
gnx^. Il put donc transmettre cette qualité à son frère
Robert, qui y fut confirmé par Charles le Simple rentré
en possession de sa couronne*. Après lui, le ducatus re^
1 M. Pfister définit les ducs : « des comtes élevés au-dessus des
autres comtes » (p. i33).
2 « Eum rex omnium Galliarum ducem constituit » (Richer, II, 39).
Il est possible que Bicher ait fait allusion dans ce passage à la triple con-
cession du ducatus sur les Francs, les Bourguignons et les Aquitains,
octroyée par Charles le Simple à Hugues le Grand; mais M. Pfister
(p. 133, note 3) objecte à tort à M. de Barthélémy que la concession
du ducatus Francorum aurait dû, dans son système, rendre les deux
autres superflues. A titre de dux Francorum^ Hugues le Grand n'é-
tait pas, comme il le devint à titre de duc des Aquitains et des
Bourguignons, seigneur lige de ces peuples. II avait seulement une
suprématie sur leurs principes,
'Swprà, p. 186.
* Le prédécesseur de Hugues l'Abbé, le comte Henri, est appelé
« marchensUi Francorum » par les Annales de Pulde (ad ann. 886,
p. 114) et ce môme titre réapparaît pour le frère d*Eudes, Robert :
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 211
^m fut acquis à Hugues le Grand*, puis à Hugues Capet*.
Quand celui-ci monta sur le trône, la prééminence résul-
tant du ducatus se confondit, en la renforçant, avec celle
de rex Francorum, Lui et ses successeurs se gardèrent
bien de l'en détacher et de suivre l'exemple des rois ro-
bertiens, qui, étant de simples interreges, avaient eu in-
térêt à ce que la qualité de dux Francorum restât acquise,
en tout état de cause, à un membre de leur famille.
Remarquons, au surplus, qu'en dehors de la Francie, la
royauté revêtait alors le caractère de primatie beaucoup
plus que de domination fondée sur l'ancienne conquête
des Francs. Si le duc était le premier des comtes, le duc
des Francs le premier des ducs, le roi de France est le
premier des princes de la Gaule. Sa prééminence était
devenue de plus en plus analogue à celle qui avait appar-
tenu au chef de la maison carolingienne sur les autres
membres de cette famille. En voici la raison.
L'unité du regniim Francorum^ à défaut du lien familial
qui faisait de la royauté un tout indivisible, dont Texercice
seul était partagé, avait été, dans la seconde moitié du
IX' siècle, cherchée dans le lien de la concorde^ le lien de
la fraternité chrétienne et de la pairie, non seulement entre
« Qui marchio Francorum vocabatur» (Continuât. d'Aimoin, H. F. XI,
p. 274 E).
Richer donne à Robert la qualité de dux Celticœ (I, 14. Cfr. I, 28),
et il la définit ainsi : « Quem rex Celticœ ducem praefîcit, ac in ea
omnium gerendorum ordinatorem concedit. «
* Le roi Raoul qualifie Hugues le Grand « regni nostri marchio »
(Diplôme de 927, H. F. IX, 57i C).
2 Le véritable caractère du ducatus Francorum ou regni de Hu-
gues Gapet est admirablement marqué dans ces vers d'Angelramne
(+i045):
Post regem primus regni tune jura regebat
Filius Hugonis magni, dux inclytus Hugo.
Postea regali qui sublimatus honore
Rexit Francorum miro moderamine regnum »
(Invention de Saint-Riquier. Mabillon, SB. V, î>63).
212 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
rois , mais entre rois et fidèles *. S'il est vrai que ce liea
manqua de consistance, il n'en fournit pas moins les élé-
ments d'une assimilation des princes aux rois. L'Église
la consacrait puisque le régime de la concorde était son
œuvre : le déclin du pouvoir royal et la croissance du
principat se chargèrent de la rendre effective.
Le régime que nous avons vu institué par Yordinatio
regni de 817^ s'étendit donc des rois aux grands pares.
Ceux-ci se trouvèrent vis-à-rvis du roi de France dans la
condition où les divers reges Francorum s'étaient trouvés
au regard de l'empereur Lothaire. Ils sont placés sous sa
major potestas, ils sont tenus envers lui à la déférence et
au serment de sécurité ou d'alliance', mais ils ne lui doi-
vent pas l'hommage de vassalité, comme le doivent les
principes de la Francie, pour qui l'ancien mundium royal
continue à produire son plein effet et à fonder la foi lige.
Toutefois, la ligne de démarcation ne se maintiendra
pas rigoureuse. Elle s'infléchira sur les frontières où le
particularisme ethnique, appuyé par l'influence étrangère,
élèvera certains princes de la Francie, le comte de
Flandre, notamment, au rang des principes de la Gaule.
Par contre les seigneuries ecclésiastiques, qui consti-
tuent de véritables principats, se trouveront placées dans
une dépendance aussi étroite que la Francie.
Si nous élevons maintenant le regard plus haut et Té-
tendons assez pour embrasser par avance les aspects que
nous aurons à considérer dans les chapitres suivants, nous
pouvons, à beaucoup d'égards, comparer l'autorité royale
sur l'ensemble de la Gaule, telle qu'elle sortit du chan-
gement de dynastie, au pouvoir du pape sur l'ensemble de
la chrétienté. Le pape, lui aussi, n'est qu'un premier évô-
* Voyez infrà : La pairie,
^Suprà, p. 171-172.
3 Je l'ai indique' sommairement au T. I (p. 150 etsuiv.) et je leprou-
verai en traitant du Principat.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 213
que, si le roi n'est qu'un premier prince. L'un est le
représentant de saint Pierre, l'autre de Charlemagne, et
c'est de là qu'ils tirent tous deux leur suprématie. Pour
tons deux cette suprématie est d'ordre à la fois spirituel et
temporel. Leur fonction essentielle consiste à protéger
pour maintenir ou rétablir l'ordre, l'ordre laïque et l'ordre
ecclésiastique. Le roi intervient dans les affaires de
l'Eglise, comme le pape s'immisce dans les affaires des sei-
gneuries. L'un et l'autre prennent sous leur sauvegarde
églises et abbayes, laïques et clercs. Ils sont le refuge su-
prême de la justice. C'est à eux qu'on en appelle. Ils déci-
dent plus comme arbitres que comme juges, l'un assisté
de ses douze cardinaux, l'autre de ses douze pairs. La
euria du pape deviendra la curie, celle du roi sa cour. Au
X* siècle, roi et pape sont à la merci des chefs qui les
élisent ou les dominent. Ils poseront, au xi' siècle, les as-
sises d'une monarchie souveraine.
§ 2. — La souveraineté sur les princes
de la Francie.
A la suprématie sur les principes de la Gaule j'oppose
la souveraineté sur les principes de la Francie. Cette dis-
tinction a été entrevue par les historiens du droit, mais sa
portée ni son principe n'ont été exactement saisis. Une
théorie que Pardessus a mise en faveur partage l'ancienne
France, dès le x' siècle, en pays A' obéissance le roi et en
pays de non-obéissance le roi, les premiers constituant la
France proprement dite, les seconds formés des grands
fiefs de Normandie, Bourgogne et Champagne, Flandre,
Aquitaine et Toulouse*. Les pays d'obéissance seraient
tout uniment l'ancien duché de France, dont le chef, devenu
roi, aurait gardé devers lui tous ses droits de seigneurie,
* Essai historique sur l'organisation judiciaire depuis Hugues Ca-
pety Paris, i851, p. 26 et suiv. Préface du t. XXI des Ordonnances^
p.xin et suiv.
214 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
le droit à Thommage de service de tous les barons du du-
ché. Et qu'est Tautorité sur les grands vassaux? Elle est,
suivant Loiseauque cite Pardessus, un pouvoir de seigneur
naturel^ quant à leur personne, de seigneur féodal quant
à leurs possessions*, et, d'après Pardessus lui-même, une
suzeraineté féodale modelée, calquée sur la suzeraineté féo-
dale ordinaire, en vue de concilier la soif d'indépendance
des grands vassaux, le morcellement de la souveraineté et
l'unité de la patrie gauloise*. Enfin d'où procède in ter-
minis la distinction? Elle est empruntée aux Etablissements
de saint Louis, qui la formulent à diverses reprises, sans
en définir nettement les termes.
M. Luchaire s'est, à très juste titre, insurgé contre cette
théorie '. Le duché de France n'était pas un duché terri-
torial, il n'a donc pu devenir une espèce de domaine royal.
Si, d'autre part, l'autorité sur les grands vassaux est une
suzeraineté qui entraîne l'hommage personnel et l'hommage
féodal, quelle différence peut-il exister entre eux et les
princes de la Francie? Enfin il est inadmissible qu'on
reporte à trois siècles en arrière une distinction imaginée
par un compilateur sans caractère officiel, qui voulait tout
* « Eux-mêmes pour leurs personnes ont un supérieur duquel ils
sont sujets naturels^ et partant ne sont pas vraiment princes souve-
rains... Tels ont été autrefois les principaux ducs et comtes de France,
qui avoient usurpé les droits de souveraineté, ne reconnoissant les
rois que de l'hommage de leurs seigneuries et de Id^subjection de leurs
personnes, » (Iraité des seigneuries, ch. xi, n°» 34-35).
2 u Leur conduite... démontre qu'ils ne voulurent pas morceler la
France en petites souverainetés isolées, indépendantes de tout centre
commun... Il en résulta une sorte d'organisation politique inconnue
jusqu'alors (c'est-à-dire jusqu'à l'avènement de Hugues Capet) qui
semblait vouloir allier l'unité de la patrie avec le morcellement de la
souveraineté. Ces seigneurs indépendants reconnurent la suzerûneté
de la couronne... c'était avouer qu'elle avait des droits de la môme
nature que ceux que les principes féodaux attribuaient à tout suze-
rain » (Pardessus, p. 30-31 p. xv).
3 HisU desinstit. monarchiques, II (1883), p. 28-30.
LBS QUàTRB FACES DE LA ROYAUTÉ. 215
simplement, dans des additions faites par lui aux textes
coutumiers *, opposer les pays où avait pu entrer en vigueur
rordonnance de saint Louis sur le duel judiciaire à ceux
où elle ne s'appliquait pas. Dans les textes coutumiers eux-
mêmes, obéissaîice désigne, en effet, Thommage person-
nel ou la fidélité qui lie au roi les sujets isolés et qui lui
permet de les soustraire à la justice des seigneurs', à leur
droit d'aubaine et de bâtardise '.
Je n'admettrai pas même que la distinction de Pardessus
puisse devenir exacte en restreignant, comme le propose
M. Luchaire, les pays d'obéissance le roi aux « pays dont le
roi était le chef féodal direct en qualité de comte >• et en
assimilant, sous le nom de pays « hors l'obéissance », les
grands fiefs de la Francie à ceux du reste de la Gaule*. Nous
venons de dire, en effet, que l'autorité royale sur les prin-
ces de la Gaule est une simple prééminence ou suprématie;
dans la Francie, au contraire, groupe ethnique par excel-
lence, elle repose sur l'hommage lige ou naturel. Là réside
la distinction essentielle. Elle correspond à un état politique
très différent de celui du xiii* siècle et ne saurait donc ren-
trer, que de force, dans les cadres juridiques de cette der-
nière époque.
Au x« et au xi* siècle, les chefs de la Francie ont concen-
* Pardessus croyait que la distinction remontait aux « livres de
droit, composés antérieurement au règne du prince dont les établisse-
ments portent le nom » (p. 27). Or il est aisé de reconnaitre aujour-
d'hui, grâce à Texcellente édition de M. Paul Viollet, qu'elle ne Bgure
que dans des passages sortis de la plume du compilateur (Livre
n, ch. XI (II, p. 356), ch. xii (p. 360), ch. xvi (p. 385), ch. xxx (p. 427),
ch. XXXVI (p. 458)). Dans les textes empruntés aux coutumiers il n'est
pas question de territoire d'obéissance ou de non-obeissance le roi. Le
moi obéissance n'y apparaît qu'accidentellement, comme synonyme
de fidélité ou d'hommage. Voyez livre I, chap. cxx (II, p. 218), livre
II, ch. XIX (II, p. 396) et les deux notes suivantes.
a Livre II, chap. xx (II, p. 401).
' Livre II, chap. xxxi (II, p. 428).
^ Loc. cit., p. 30.
216 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
tré et incorporé ea leur personne la foi lige naturelle due
par Ja population. S'intercalant entre le roi et ses sujets,
ils se sont trouvés vis-à-vis de la couronne les porteurs
de cette foi.
Jai exposé, au début de cet ouvrage*, comment le
mwwrfmm familial avait abouti chezles Francs dMmunditim
royal, à Tombre duquel se groupèrent les familles et les
clans, les tribus et les peuplades. Ce mundium général
s'est ensuite fragmenté de nouveau.
Tout sujet devait fidelitatem et leudesamio au roi
franc. Il se reconnaissait expressément son homme [leu-
desamio = Aomm2Mw)etluijuraiten conséquence fidélité*.
La violation de ce serment était, aux termes de la loi
des Ripuaires, passible de la mort et de la confiscation
générale des biens'. Elle était un sacrilège selon la dé-
« T. I, p. 79 et Buiv.
> Marculf, I, 40 (LL. Pormulse, p. 68) : « Ut leudesamio promUtan-
tur rege... Jubemus ut omnes paginsis vestros, tam Francos, Roma-
nos vel reliqua natione degentibus... fidelitatem preceiso filio nostro
vel nobis et leudesamio, per loca sanctorum vel pignora, quas illuc...
direximus, dibeant promittere et conjurare » (Cf. T. I, p. 82). — Capi-
tul. missorum, 829, cap. 4 (LL. Capit. II, p. 10) : « Volumus ut missi
nostri per totam legationem suam primo omniujn inquirant, qui sint
de liberis hominibus, qui fidelitatem nobis nondum promissum ba-
beant, et faciant illos eam promittere, sicut consuetudo semper fuit. »
— Hlotharii capit. missor,, 832, cap. 6, i6id, p. 64. — CapituL misso-
rum Attiniacetise, 854, cap. 13 : « De fidelitate régi promittenda, id
est, omnes per regnum illius Pranci fidelitatem illi promittant... Sa-
cramentum autem fidelitatis est : Ego ille Karolo, Hludowici et Judit
filio, ab ista die inante fidelis ero secundum meum savirum (savoir),
sicut Francus homo per rectum esse débet suo régi. Sic me Deus ad-
juvet et istae reliquiae. » (p. 278).
Capitul. Carisiac, 873, cap. 5-6 : u Ut unusquisque cornes in
comitatu suo magnam providentiam accipiat ut nullus liber homo in
nostro regno immorari vel proprietatem habere permittatur, cujus-
cunque homo sit, nisi fidelitatem nobis promiserit. » (cap. 6, p. 345).
' Lex Ribuaria^ tit. 69, 1 (LL. V, p. 258, éd. Sohm) : « Si quis
homo régi infidelis exsteterit, de vita componat, et omnes res suas
fisco censeantur ».
LBS QUATRE FACB8 DE LA ROYAUTÉ. 217
cision du sixième coDcile de Tolède (633)'. Sous le
pouvoir centralisateur de Charlemagne, rimportance du
serment de sujétion ne pouvait que croître, au moins en
théorie. Le commentaire que le capitulaire de 802 en
donne' en aurait fait, s'il avait été observé, et par la mul-
tiplicité et par l'étendue des devoirs, un engagement aussi
étroit que l'était celui du vassal envers son seigneur. C'est
Tassimilation que Charlemagne s'efforce, en effet, de réa-
liser*. Bien plus, la fidélité envers le roi eût dû planer au-
dessus de tous les engagements privés, les subordonner de
telle sorte qu'ils n'eussent pu être contractés que salva/ide-
litate régis. Or ce fut l'inverse qui se produisit et qui devait
se produire fatalement par la dissolution, la rupture de
l'unité impériale.
Comme nous le montrerons au paragraphe suivant, les
habitants de la Francie qui n'étaient pas sujets directs du
roi ne furent plus astreints tout au plus envers lui qu'à un
serment de sécurité. Mais l'hommage lige qu'ils ne de-
vaient plus, leurs chefs continuaient à le devoir en leur
nom. C'était là le fondement de leur légitimité. Leur pou-
voir sur la Francie, ils ne pouvaient le faire remonter qu'au
rex Francorum, ils ne pouvaient donc, sous peine d'abdi-
quer la nationalité /ran^we, se soustraire à son mundium.
Il importe seulement de tracer la ligne de démarcation
à laquelle j'ai fait allusion plus haut comme séparant la
* « Sacrilegium quippe est, si violetur a gentibus Regum suorum
promissa fides : quia non solum in eis fit pacti transgressio ; sed in
Deum quidem, in cujus nomine pollicetur ipsa promissio >> (Abbon,
CanoneSf cap. 4; Migne, 139, 478. Cf. Hefele, ConcUiengeschichte^ III,
p. 87).
* CapUuL missor. générale (802, cap. 2, 1, p. 92) : « Et ut omnes tra
deretur pubiice... quam magna in isto sacramento et quam muita
comprehensa sunt... ut sciant omnes istam in se rationem hoc sacra-
mentum habere » (joignez cap. 3-9) (p. 92-93).
* CapituL miss, spec. 802, cap. 1 et in fine, I, p. 100-101. Cf. T. I,
p. 121.
218 LIVRE IV. — CHAPITRE II,
Francie du reste de la Gaule, et de déterminer nettement
les fluctuations qu'elle a subies.
Les divisions originaires de la Gaule étaieot formées,
nous le savons, par des groupements de population. Les
groupes étaient plus ou moins compacts, plus ou moins hé-
térogènes; ils pouvaient être transformés par des afQux
nouveaux, comprimés ou étendus par une domination pro-
longée, entraînés dans Torbite de petites capitales, telles
que Paris, Laon ou Orléans.
Partons de la densité relative des populations franques
qui ont envahi la Gaule. Il est avéré que la profondeur du
Qot est allée s'afiTaiblissant jusqu*à la Seine où il s'est pres-
que arrêté. C'est donc le pays au Nord de la Seine, entre ce
fleuve, l'Escaut et le Rhin, qui constitua à l'origine la véri-
table Francie. Elle comprenait, avec une faible partie de la
province ecclésiastique de Sens et de celle de Rouen, les
deux grandes provinces de Reims et de Trêves, telle qu'é-
tait celte dernière avant l'érection en métropoles, auviii*et
au IX* siècle, des sièges de Mayence et de Cologne. La pro-
vince de Reims devint la Francia occidentalis, la province
de Trêves la Francia média (Lorraine) etorientalis. Mais
de même que celle-ci franchit le Rhin, pour s'incorporer
notamment l'Alémanie, de même la Francie occidentale
franchit la Seine pour s'étendre jusqu'à la Loire. Peut-être
l'existence au v* siècle du royaume de Syagrius prépara-t-
elle les voies à un mélange plus intime des populations, à
la naissance d'un groupe ethnique englobant avec les po-
pulations anciennes et nouvelles établies entre la Seine et
1 Escaut celles qui vivaient entre la Seine et la Loire.
Ce fut surtout par des infiltrations et des colonies iso-
lées que d'abord s'opéra le mélange. Dès le vi* siècle un
petit royaume franc, celui de Regnomer, se trouve créé au
Mans. Les perturbations incessantes et les partages succes-
sifs de l'époque mérovingienne répandirent les Francs en-
tre Seine et Loire et jusqu'à la Mayenne, placèrent souvent
tout ou partie des deux régions sous une autorité commune.
LBS QDATRB FACES DE LA ROYAUTÉ. 219
lièrent plas ou moins élroitemeDt les destinées de leurs po-
pulations. Le pays d*au delà de la Seine ne perdit pas,
pour cela, sa physionomie propre. Il constitua au ix"" siè-
cle un missalicum. Un^t/ra/u^y fut con&é aux Robertiens,
dont le girand ancêtre, Robert le Fort, était comte d'An-
jou, de Blois et de Tours. Il s'appela la Neustrie et re-
tint en partie ce nom jusquedans le courant du x* siècle '.
Mais l'assimilation progressa ; elle s*accompIit grâce au gou-
vernement des Robertiens, Comtes de Paris, qui était placé
sur la limite des deux régions, ils purent en faire le trait d'u-
nion entre elles'; chefs de la Neustrie, ils furent en même
temps duces Francorunij possédèrent par intervalles la cou-
ronne et finirent par succéder aux Carolingiens. Aussi ne
me paraît-il pas douteux que laFrancie comprenait, à la fin
du X* siècle, le pays d'entre Seine et Loire' jusqu'à la Bre-
tagne \ Toutefois, nous allons le voir, elle ne le comprenait
plus tout entier, et en môme temps son extension à Tune
de ses extrémités (Sud-Ouest) avait produit ou facilité à
l'extrémité opposée (Nord-Est) le relâchement, presque la
rupture, du lien ethnique.
* Voyez l'étude de M. A. Longnoa sur Vile de France^ dans les
Mémoires de la Société de V histoire de Paris, I, p. 2 et suiv.
* Dès le IX* siècle Adrevald appelle Paris le trésor des rois et le mar-
ché des peuples : « Lutetia, Parisiorum nobile caput, resplendens
quondam gloria, opibus, fertilitate soli, incolarum quietissima pace,
quam non immerito regum divitias, emporium dixero populorum »
[Miracles de saint Benoit, h 33, p. 72). Cf. Flodoard, IV, 5 (Migne,
135,273) : « Caput et introitus regnorum Neustriaeatque Burgundiae. »
* La position géographique de Tabbaye de Fleury (Saint-Benoit-
sur-Loire) est déterminée en ces termes par Thierry de Hersfeld :
<c Instar quippe trigoni vlsitur sisti : et ut pressius dicam, in modum A
litterae proprio statu cernitur sidereum cornu occupare. Nam a sep-
tentrione Franciam, ab oriente Burgundiam, ab australi vero parte
Aquitaniam tangit. Sicque in confinio trium région um... naturali or-
dineobtinet primatum » (Illatio S. Benecf. cap. 4. Mabillon S. B. IV,
2, 352). Cf. Pfister, p. 132. Eckel, Ch. le Simple, p. 32.
^ Cf. Adémar Je Chabannes, III, 27, p. 148 : « Normannia, quae
antea vocabatur marcha Franciae et Britanniae. »
220 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
La partie septentrionale de la Neustrie, celle qui for-
mait presque entièrement le diocèse de Rouen, fut déta-
chée de la Francie par Tabandon qu'en fit Charles le Sim-
ple à RoUon, en 911, au traité de Saint-Clair-sur-Epte,
et que plus tard, en 924 et en 933, Raoul compléta à son
profit et au profit de son fils Guillaume Longue Épée. A
cet abandon venait se joindre la circonstance capitale
que le pays avait été durant de longues années occupé et
dévasté par les Normands, vidé par eux de ses habitants,
réduit presque en solitude*, et qu'il fut repeuplé par des
colons attirés du dehors, en majeure partie sans doute
par des congénères des nouveaux maîtres, par des
immigrants Scandinaves '. C'est donc bien un groupe
ethnique profondément distinct qui naît sous l'autorité du
duc des Normands et de ses compagnons {comités). La
Normandie entre dans l'histoire. Elle retient et s'approprie
le nom de Neustrie : désormais elle s'oppose sous ce nom
à la Francie*. Le duc en deviendra le seul seigneur lige.
Le rex Francorum n'aura sur lui pendant longtemps — nous
le montrerons en détail * — qu'une suprématie analogue à
celle que reconnaissent les princes de la Gaule ou qu'il
prétend sur eux. Il y aurait seulement à rechercher si, à ce
point de vue, le Maine et la seigneurie limitrophe de Bel-
lême furent incorporés dès le xi* siècle à la Normandie et
détachés de la Francie ; mais la question se lie étroitement
aux destinées de la domination angevine que nous étudie-
rons plus loin dans la division du Principal.
Si une région paraissait, avant toute autre, partie in-
tégrante de la Francie c'était à coup sûr la Flandre. N'avait-
elle pas été le berceau même de la royauté franque?
Lorsque , quittant les landes de la Campine (Toxandrie)
où Julien les avait cantonnés, et contournant au nord la
ï T. II, p. 72.
2 T. H, p. 76-77.
3 Orderic Vital, II, 4 ; IV, 81, 82 etc.
♦ Infrà^ Principal, chap. i, § 3.
LES QUATRE FACBS DE LA ROYAUTE. 221
grande forêt Charbonnière ^ les Francs saliens eurent
franchi TEscant, ils occupèrent la partie du territoire des
Ménapiens où les incursions incessantes des pirates nor-
mands et saxons avaient fait le vide, le pays où Bruges
se construira plus tard avec les ruines d'Oudenbourg*
et qui prendra le nom de pagus Flandrensis. Puis ils se
fixèrent à demeure dans le delta fluvial que forme TEscaut
avec son affluent la Lys. Là, protégés sur les flancs par les
deux rivières, au Nord et à l'Est par la forêt Charbonnière,
ils pouvaient communiquer avec ceux de leurs nationaux
ou de leurs congénères qui étaient restés en arrière, —
les uns entre la Lys et la mer, trans Legerem, les autres au
delà de la forêt Charbonnière, trans Carbonariam*^ dans la
Toxandrie, et le long de la Meuse ou du Rhin, — et rallier
ainsi successivement, sousThégémoniesalienne*, toutes les
tribus franques (même les ripuaires) pour se lancer avec
elles, derrière un chef audacieux, à la conquête des Gaules.
Delà aussi ils pouvaient faire des incursions soit par delà
la Lys dans le pays maritime où les Ménapiens avaient
été refoulés autour de leur castellum (Cassel) et qui garda
d'eux le nom de pagus Mempiscus, soit entre la Lys et le
Canche dans le territoire des Morins, ces enfants perdus
{extremi hominum) du monde gallo-romain. Nulle part la
population franque de racé pure ne dut être plus nom-
breuse et plus dense. Mais ce ne fut qu'une étape temporaire.
Gonflé par l'afflux des bandes nouvelles, entraîné
par l'ardeur guerrière et conquérante, le flot des Francs
s'écoula, comme sur une pente naturelle, à travers les
plaines cultivées qui s^ouvraient au Sud devant lui. Il
suivit l'Aisne jusqu'à l'Argonne, il descendit le long de
rOise jusqu'à la Seine. Après Courtrai, Tournai, Cambrai,
* Sur la situation et les limites de la forêt Charbonnière : Duvivier,
Recherches sur le Hainaut ancien (1865), p. 13 et suiv.
2 T. II, p. 331.
3 Lex Salica, tit. 47, éd. Hessels, c. 298 et suiv.
^Suprà, p. 162.
222 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
ce furent Soissons, Laon et Reims, Sentis et Paris qui, ré-
sidences des chefs, endiguèrent le courant. Puis il se
divisa en petits ruisselets qui coururent et filtrèrent entre
la Seine et la Marne jusqu^au seuil du plateau deLangres,
à Bar-sur-Aube, parallèlement à la Loire jusqu'au Mans
et à Angers. A mesure que les Francs, abandonnant ainsi
leurs demeures premières, affluaient dans le bassin de la
Seine, ils étaient remplacés sur les plages septentrionales
du pays des Ménapiens et des Morins par des hommes du
Nord, des Frisons et des Saxons, tandis que dans le pays
des Atrebates, dans l'Artois, dans TOstrevant surtout, la
population gallo-romaine reprenait le dessus et finissait
par imposer sa langue, le vallon, aux Francs qui pestèrent
en arrière au milieu d'elle.
La Flandre se forma ainsi de deux parties distinctes,
une partie germanique et une partie romane, et l'élément
germanique qui, dans le premier, domina ce ne fut pas l'é-
lément franc, mais l'élément nordique, frison et saxon,
renforcé peut-être au ix° siècle par la transplantation de co-
lonies saxonnes qu'opéra ou qu'encouragea Charlemagne*.
Le groupe ethnique qu'il constitue est celui des Thiois, des
Dietscherij des Flamands flamingants*^ dont la physio-
nomie propre s'est conservée et dont la langue est un ra-
meau du vieux saxon'. La situation de ces populations ger-
maniques et germano-romanes sur la limite de la Francie
orientale et de la Francie occidentale devait contribuertout
ensemble à les rapprocher et à leur faire prendre une atti-
tude indépendante, à développer en elles l'esprit d'autono-
mie. Ne pourrait-on pas s'expliquer ainsi la naissance,
au VII® siècle, de cet énigmatique duché deDentelin qui est
comme un avant-coureur du comté de Flandre? Quoiqu'il
en soit, le point certain, le point essentiel pour nous, c'est
* Cf. Warnkœnig, Flandr. Staats und, Rechtsgesch,, I, p. 92.
« Flamingi se rencontre déjà dans les Annales de Saint- Vaast (ad
an. 883, p. 316, éd. Dehaisnes).
3 Hovelacque, La linguistique (Paris, 1877), p. 351 et suiv.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTE. 223
que la Flandre quand elle apparaît dans Thistoire n*est pas
comprise dans la Francie ^
Le Vermandois aurait pu avoir, semble-t-il, des desti-
nées analogues aux destinées de la Flandre, et comme elle
se détacher de la Francie. Lui aussi, il était une sorte de
marche à l'extrême Nord de la Francie occidentale; ses po-
pulations anciennes, gallo-romaines ou wallones avaient
également repris le dessus, à mesure que les Francs se
répandaient vers le Sud, et elles avaient, parle Cambrésis
et le Hainaut, subiin&itrationset mélanges. Mais le groupe
ethnique était trop restreint et trop peu compact, trop ins-
table par son habitat entre les sources de TOise et de la
Somme, deTEscaut et de la Sambre, trop comprimé entre
des puissances rivales pour offrir un noyau vivace et éner-
gique à un principatindépenda^t^
La Francie ne subit pas seulement un démembrement
partiel. Elle éprouva une transformation interne par la
naissancedes seigneuries ecclésiastiques', et de plus elle vit
s'élever dans son sein des États qui, après avoir tenté de
l'absorber et avoir mis en péril la monarchie capétienne,
se trouveront un jour avoir réalisé pour le compte de
celle-ci une grande partie de Tœuvre d'unification natio-
nale*.
* Le fait ne pouvait échapper à l'érudit auteur d'une nouvelle His-
toire de la Belgique, M. Pirenne : « Il n'y a jamais eu, dit-il, de
duché salien et chose plus singulière encore, on n'a jamais appelé
Francia ces territoires colonisés par les Francs au nord de la Char-
bonnière et d'où leurs guerriers sont partis sous Clovis à la conquête
de la Gaule. Les appellations qu'ils portent : Flandre, Brabant, n'ont
pas de signiCcation ethnographique » (2« édit., Bruxelles, 1902, 1,
p. 22).
• înfrà, Principat, ch. i, § 1.
>I6i(f.,§2.
*I6id.,§l.
224 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
§ 3. — Le pouvoir royal sur le peuple et sur les sei-
gneurs indépendants y soit de la Gaule, soit de la
Francie.
En principe, tous les sujets continuaient à devoir rhom-
mage et la fidélité au rex Francorum, et Abbon, à la fin
ou x' siècle, atteste encore * que le roi, après son cou-
ronnenoent, les astreignait au serment. Mais dès Tépoque
carolingienne, la plupart des devoirs consacrés par ce ser^
ment ne Tétaient que nominalement. Leur extension dé-
mesurée rendcdt inapplicables les peines qui frappaient
leur violation. La faiblesse grandissante des successeurs
de Charlemagne les laissait impuissants à faire observer la
fidélité, et leur désunion la restreignit pour chaque rex
Francorum à son royaume personnel *.
Comme M. Brunner Ta observé très justement', les de-
voirs positifs ne furent plus san ctionnés que par Tamende du
ban royal. Leur violation n'était pds un acte ^'infidélités
mais une désobéissance à un ordre. Dans la mesure donc où
le ban royal reculait, s'eflaçail, devant le ban seigneurial,
le serment de sujétion ne liait plus à aucune obligation de
« faire ». Quant à l'infidélité proprement dite, entraînant
la peine de mort ou la confiscation des biens, elle se limita
au crime de lèse- majesté *. A ce point de vue, le serment
gardait sa raison d'être, mais il n'était plus qu'un serment
de ne pas mal faire, il n'emportait que des obligations
négatives, il constituait un serment de sécurité. Dis-
tinction qu'on entrevoit dès l'époque mérovingienne',
« « Porro ordinatus rex ab omnibus subditis fidem sibi sacrameato
exigit, ne in aliquibus regni sui finibus discordia generari possit «»
{Collectio Canonum, cap. 4, Migne, 139, 478).
2 Cf. suprà, p. 216, note 2, in fine et la note de la page suivante.
3 Brunner, Rechtsgeschichte, II, p. 64.
* Waitz Deutsche Verfassungsg., III (2« édit.), p. 308-309, IV
(2« édit.), p. 506 et suiv.
» Voyez Roth, Gesch. des Beneficialwesens^ Erlangen, 1850, p. 128,
LES QUATRE FA.CES DE LA ROYAUTÉ. 225
qu'on peut suivre au ix" siècle* que nous avons vu s'af-
firmer nettement au dixième', et qui prend ensuite défini-
tivement le dessus*.
et les passages de Grégoire de Tours qu il cite. — Roth a très bien
remarqué qu'un tel serment est beaucoup moins un serment de su-
jétion ethnique qu'un engagement international (vOlkerrechtliche
Verp/lichtung),
* Sous le régime de la concorde^ on voit Charles le Chauve renoncer
à la fidélité qui lui était due et se contenter d'une securitas ou /îr-
mitas :
« Et mandat vobis noster senior quia si aliquis de vobis talis est
cui suus senioratus non placet, et illi simulât ut ad alium seniorem
melius quam ad illum acaptare possit, veniat ad illum, et ipse tran-
quillo et pacifico animo donat illi commeatum ; tantum ut ipsi et in
suo regno vel suis fidelibus aliquod damnum aut aliquam marritio-
nem non faciat » (Capit. missa de Carisiaco, 856, cap. 13, II, p. 282).
Cf. missat. per Hincmarum : « (It vos securitatem talem ei faciatis ut
usque ad illud placitum in pace maneatis et nuUam dehonorationem...
neque impedimentum suis fidelibus faciatis, nec impraedationem, nec
aliquam inquietudinem. » (II, p. 285).
« Si mihi firmitatem fecerint quod in regno meo pacifici sint et sic
ibi vivant sicut Christiani in Christiano regno vivere debent » (Ad-
nunl. apud Confluentes, 860, II, p. 158).
La formule de cette firmitas est ainsi libellée : « De ista die in ante
regnum illi non forconsiliabo, neque werribo. Sic me De us adjuvet,
et istae sanctae reliquiae. » (II, p. 298).
« T. I, p. 150-151,
^ Je cite à titre d'exemple, ce passage des Miracles de saint Ade-
lardj II, 1 : «Philippus rex... Corbeiam cum regali pompa intravit, et
sibi sicut Régi fidelem securitatem opidanos jurare coôgit » (Mabillon,
S. Ben,, IV, I, p. 366). — On voit par la scène entre l'empereur by-
zantin et les croisés, décrite par Guibert de Nogent, à quel point la
distinction entre l'hommage et le serment de sécurité était familière
aux seigneurs français : « Cœpit tyran nus comitem soUicitare per
nuntium ut, uti alii fecerant, facere et ipsi sibi pateretur hominium,..
Insuper et Bœmundus intulit quia si... sacramenta securitatis ab-
nueret, imperatoriae ipse adminiculum partis existeret. Itaque
comes... vitae ac honoris indemnitatem jurât Alexi impio quod nec
per se videlicet nec opitulando alii, illius faveret exitio. Cum
que ei verbum de hominio replicassent, dixit se capitis malle subire
periculum quam tali modo se ei fore obnoxium » (Gesta Dei per
Francosj III, 3, Migne, 156, 718).
F. - Tome III. 15
226 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
Ainsi circonscrit dans ses effets, le serment de sujétioD
se restreignit de même quant au nombre de ceux qui de-
vaient le prêter. La fidélité, quand elle ne disparaissait
pas entièrement, fut le plus souvent sous-entendue*. Elle
était dominée par la foi lige due aux principes; elle dépen-
dait ainsi, en dernière analyse, et de la nature des rapports
qui unissaient les princes au roi, et de Tétroitesse de la su-
bordination qui liait le chef local au prince, le simple
chef de famille au chef local. Elle pouvait réapparaître dans
sa plénitude quand la subordination faisait place à Tindé-
pendance ou que le roi rentrait en possession du principal
direct.
Il ne saurait être question de suivre ce sujet en ses infi-
nies ramifications, mais il convient d*en esquisser le schème.
Trois grandes catégories sont à distinguer : 1** les popu-
lations soumises au principat; 2° les seigneurs locaux ou
les chefs de famille indépendants du principal ; 3** les po-
pulations pour lesquelles le principat se confond avec la
royauté.
I. Populations soumises au principat. — Elles se divi-
sent en trois groupes, suivant la nature de la domination
dont elles relèvent :
1® Populations soumises à un principat indépendant du
roi. — Telles sont les populations des duchés de Gascogne
et de Bretagne, et des pays rattachés à des souverains
étrangers, aux rois de Navarre ou d'Aragon dans le Sud-
Ouest, à Tempire d'Allemagne dans l'Est et le Sud-Est. —
Le peuple ne doit au rex Francorum ni serment de sécu-
rité ni droits régaliens.
* Dans la Coronatio Philippi I (H. F., XI, 32-33), il n'est pas fait
mention d'un serment prêté au nouveau roi, mais seulement des ac-
clamations populaires (populi tam majores quam minores une ore con-
sentientes laudaverunt, ter proclamantes : « Laudamus, volumus,
fiât »). — En Allemagne, le serment général de fidélité au roi tomba
également en désuétude aux x* et xi* siècles. Voyez Waitz, Deutsche
Verfass. Gesch., VI (2« édit.), p. 489-90.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 227
2"* Populations soumises aux princes de la Gaule qui
reconnaissent la suprématie royale. — Le serment de sé-
curité n'est pas dû par ces populations : il est prêté en leur
nom, ou doit l'être, par les principes ou les chefs auxquels
elles sont liées par l'hommage Hge naturel. Mais certains
droits régaliens survivent.
3® Populations soumises aux princes de la Francie
qui doivent l'hommage lige naturel au roi, — L'hommage
Uge du groupe ethnique est porté par le prince, mais le
serment de sécurité est dû ou censé prêté par la popula-
tion. — Les rapports du peuple de la Francie avec le roi
sont donc les mêmes, dans leur essence, que ceux des
princes de la Gaule. Nous découvrons ainsi la source de
l'assimilation théorique, en qualité de pair, des grands
fidèles de la Gaule et des simples fidèles ou sujets de la
Francie, que j'ai mise en lumière dans l'organisation de la
justice *. Les droits régaliens se maintiennent dès lors avec
plus d'étendue et de vigueur.
IL Seigneurs locaux ou chefs de famille indépendants
du principal. — Nous venons de constater que les popula-
tions soumises avec leurs chefs locaux aux principes ne
peuvent être rattachées au roi que par un lien très lâche et
très précaire, lien qui, en dehors de la Francie surtout,
se réduit à une suprématie purement nominale et à des
droits régaliens traditionnels. Mais de même que le roi
n'a pu maintenir sur les principes de la Gaule son droit à
l'hommage lige naturel, ainsi ces princes et, quoiqu'à un
degré moindre, les princes de la Francie ont vu le même
droit leur échapper sur les chefs secondaires de po-
pulation (comtes, vicomtes, vicaires, etc.), soit complè-
tement, soit de manière qu'il se réduisît à un serment
de sécurité. Un fait analogue s'est produit en descen-
dant de proche en proche. Des milites^ des oppidani,
* T. I, p. 227 et suiv.Ia cour despairscommevassauxetlacourdes
pairs comme fidèles.
228 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
possesseurs de châteaux forts, des alleutiers, ont réussi
à se rendre indépendants. Affranchis du principat, ils
devinrent en définitive des principicules, si exiguë que fût
leur seigneurie, fût-elle un simple petit domaine, un petit
alleu souverain. Cette exiguïté même étîdtune chance de
succès : « Comme quelquesfois il avient qu'un petit oyseau
s'échappe plus aisément de prise du grand oyseau de
proye » a dit, en sa langue savoureuse, Guy Coquille, à
propos de l'une de ces minuscules principautés *. La
faiblesse ou l'éloignement du prince, le défaut de cohésion
de la principauté frayèrent les voies à l'affranchissement
ou aidèrent à le sauvegarder. Nous pouvons donc ren-
verser la proposition que nous avons formulée plus haut
au sujet de l'État féodal*. Les progrès furent ici en raison
inverse de l'homogénéité politique et de la force du pou-
voir. Cette réciproque est assurément logique, mais elle
n'est pas évidente par elle-même. Le fief, à charge de ser-
vice, aurait pu, s'il avait procédé d'une cause différente de
celle que nous lui avons reconnue, devenir organique dans
des régions où le principat était faible, et, au contraire,
être exclu ailleurs par l'absolutisme princier. En fait, l'his-
toire permet de vérifier que les seigneuries indépendantes,
de même que les franc-alleus souverains, ont été beaucoup
plus nombreux dans l'Aquitaine, la Gascogne, le Lan-
guedoc que dans la Normandie, la Francie ou la Flandre.
Nous avons touché déjà à ce sujet au second livre de cet
ouvrage' et nous aurons à y revenir plus complètement,
soit en traitant du principat, soit en exposant l'état écono-
mique de la France des x® et xi' siècles. Je m'en tiendrai
pour l'instant à quelques exemples de seigneuries indé-
pendantes, choisissant de préférence celles que leur faible
importance ou leurs rapports avec la royauté rendent les
plus instructives pour nous.
* Histoire de Nivernois (OEuvres, Bordeaux, 1703, I, p. 409).
'^ Suprày p. 87 et suiv.
^ Voyez surtout le chapitre vr, T. I, p. 187 et suiv.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 229
Le Berry, à ce double égard, mérite la première place.
Au milieu des compétitions dont le principat de l'Aqui-
taine fut l'objet dans le premier tiers du x* siècle, quand
surtout, après la mort de Guillaume II le Jeune et de son
frère Acfred (f 928), il fut disputé entre la maison de Poi-
tiers et celle de Toulouse, la civitas de Bourges [pagus
Biluricus), dont Guillaume et Acfred avaient eu le comi'
talus, ne reconnut plus d'a.\i[res principes que les seigneurs
locaux. Il n y eut plus de comté de Bourges dépendant
du principat (duché) d'Aquitaine, il n*y eut plus que des
seigneurs du pays prétendant à Tindépendance. Les plus
importants furent les vicomtes de Bourges, les princes de
Déols, les princes de Bourbon, mais de petits seigneurs,
les sires de la Ferté Gilbert, de Vierzon, de Graçay, etc.,
s'arrogèrent le titre de prince' et le plus petit d'entre eux,
dont la principauté ne comprenait pas plus de trois pa-
roisses, — le seigneur de Boibelle, — put léguer à ses des-
cendants un royaume minuscule, tel que furent plus tard
le royaume d'Yvetot, celui de Maude près de Tournai (dont
le territoire ne dépassait pas trois charruées) ou la terre de
Haubourdin près de Lille. La seigneurie de Boibelle cons-
titua, comme le dit Guy Coquille, un petit État souverain*,
et le vieil historien n'a pas tort d'attribuer à sa petitesse
même, aux bois qui la couvraient, à sa situation frontière
entre la Francie et l'Aquitaine l'origine de son indépen-
dance'. Sa durée n'est pas moins surprenante. Elle persista
* <( GirbertusFirmitatis princeps» CartuL Saint-Sulpice de Bourges^
f^ 82 (sous Henri I). (Raynal, Histoire du Berry, 1, p. 335). — « Ar-
nulfus Virzionensium princeps » ibid., f° 42 (1110). — « Rainaldus
princeps Graciaci » {CartuL de Graçay , f» 2 (1007). (Raynal, I,
p. 350).
^ « Tant y a que de tout tems hors la mémoire des honmies, le sei-
gneur de cette terre de Boybelle s'est maintenu en neutralité et li-
berté, et a exercé tous droits de souveraineté, sans en avoir été re-
cherché ny contredit » (Guy Coquille, Hist, de Nivernois, OEuvres,
t. I, p. 409, Bordeaux, 1703),
3 « Il est à croire que les limites de la conqueste des François et
230 LIVRE IV. — CHAPITRE il.
çn face de la moQarchie absolue, et Sully au xvii* siècle
y fonda la ville d'Henrichemont, comme lieu d'asile des
Huguenots*. Ce n'est qu'en 1766 que, par un achat, elle fut
réunie à la couronne.
Si Tindépendance d'une petite seigneurie put ainsi
traverser de longs siècles, pour beaucoup d'autres l'af-
franchissement du principat les subordonna plus étroi-
tement à la couronne. C'est ainsi que les vicomtes de
Bourges se trouvèrent dès le xi* siècle dans Thommage-
lige du roi. Gilon, sire de Sully, qui succéda dans le vice^
comitatus à son beau-frère Etienne, et que celui-ci qualiBe :
cdstrorum plurimorum potentissimus dominus^j avait fait
partie de la maisnie du roi Henri P. Eudes Harpin, son
successeur*, fît plus. Il vendit, partant en 1101 pour la
Terre-Sainte, son principat à Philippe I, au prix de
soixante mille sols d'or*.
de la conqueste des Goths se trouvant en cet endroit qui parti-
cipe de la Gaule Celtique et de la Gaule Aquitanique, cette terre pour
sa modicité et pour sa couverture des bois ait été inconnue aux uns
et autres conquérants » [Ibid.), — M. Raynal (T. I, p. 332, Cf. L,
p. Lviii) mentionne des seigneurs de Boibelle au début du xii* siècle.
* Voyez mon Origine de VhahUation et des lieux habités en France^
p. 95 (Paris, 1900).
* « CartuL de Vierzon, f^ 17 v© (Bibl. nat. MS. lat. 9865) : «< Ego
Slephîums vicecomes Bituricensis urbis et soror mea Ildeburgis coopé-
rante justissima ejus voluntate viro suo domino Geilone Soliacensis
castri et aliorumcastrorum plurimorum potentissimo domino...» (1092).
' « Gilo de Solleio, de nobilissimis Gallorum, antiquiis hero de fa-
miliaHenrici régis Francorum » (Orderic Vital IV, p. 46).
* « Rogamus domnum Odonem cognomento Arpinum neptis nostre
probabilem et honorabilem virum atque ideo successorem nostrum *.
{Cart. de Vierzon, f« 18 r°).
* « Tune Harpinus Bituricam urbem Philippe, régi Francorum,
vendidit et... iter Jérusalem iniit » (Orderic Vital IV, p. 119). — Cf.
Raynal, I, p. 394. — Ch. d'Antioche, I, p. 19-20 et Paulin Paris, RisU
litt. de la France, XXII, 385 :
« Segnor, en celé route fut Harpins li Hardis,
Cuens estoit de Boorges et sire poestis,
Mais au roi ot vendue sa terre et son pais ».
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 231
Normalement, à mesure que cessait la sujétion au regard
du principal, la royauté aurait dû reprendre son empire :
celui qui n'était plus Thomme-Iige naturel, le natif du prince,
aurait dû le redevenir du roi. Mais, à raison de sa faiblesse
militaire, de son éloignement, du petit nombre de ses ofB-
ciers et de TinsufBsancede ses moyens d'action, la royauté
ne put, aux x* et xi* siècles, faire valoirque faiblement ses
droits, même dans la Francie. Les seigneuries si nom-
breuses qui se rendaient indépendantes dans le Midi^ lui
échappaient pour la plupart, et se plaçaient de préfé-
rence dans le mundium du pape, comme nous ver-
rons que le firent le comte de Substantion et le comte de
Provence. Les petits alieutiers, moins encore les aubains
et les hôtes", ne purent être que rarement protégés ou
revendiqués. Toutefois le principe resta sauf et il fut cer-
tainement la source, lointaine mais vive, de la bourgeoisie
royale.
Du reste, la royauté avait gardé sur tous les points
de la Gaule des bases d'opération !et de véritables sujets.
C'étaient les abbayes jouissant de l'immunité royale, pla-
cées sous le mundium du roi; c'étaient aussi les évoques
qui se maintinrent en dehors ou se dégagèrent des liens du
principatet qui se reconnurent fidèles du rex Fraiicorum.
Dans le Midi, il est vrai, cette subordination fut surtout no-
minale au XI' siècle, mais elle y constituait du moins une
pierre d'attente et elle y devint effective au siècle suivant'.
III. Populations pour lesquelles le principal se confond
avec la royauté. — Si le droit royal est restauré partiel-
lement quand le principal cesse de s'interposer entre le
* Voyez infrà, Principat.
2 Voyez^ T. I, p. J58 et suiv. Le droit au moins th<^orique de la
royauté sur les hôtes ressort bien d'un diplôme de Philippe I pour
Quny (1080) : « Concedo etiam predictae ecclesiae ospites omnes qui-
cumque inibi hospitari voluerint, nec non omnia quecumque nunc
habet et adquirere poterit juste » {Ch. deCluny, IV, p. 681).
* Voyez le § suivant.
232 LIVRE IV. — CHAPITRE 11.
roi et les sujets, il Test pleinement quand le principal lui-
même est acquis ou transféré au souverain. C'est la con-
soltdation que j'ai plus haut mise en lumière et que les
historiens ont surtout méconnue pour avoir cru à une
éclipse presque totale du droit royal, à son effacement
devant le droit seigneurial et féodal. A leurs yeux dès
lors rimporlant pour le roi n'était pas d'être roi, mais d'être
duc et comte, non seulement en fait, ce qui est admis-
sible, mais en droit. De la sorte on a admis que les pre-
miers Capétiens restaient ducs ou comtes en même temps
qu'ils devenaient rois, qu'ils étaient roi-duc^ roi-comte^
que Hugues Capet notamment et que Robert tenaient leur
puissance du titre de duc de France ou de comte de
Paris.
Sur quels documents pourtant, sur quelles chartes, ou
quels diplômes, sur quels récits de chroniqueurs cette opi-
nion peut-elle s'appuyer? Sur aucun. Nulle part, le roi ne
s'intitule rex et dux, rex et cornes^ alors que le duc des
Francs prenait le titfë de cornes et dux Francorum^ dux
et marchio^ etc. *. Nulle part non plus cette double qualifi-
cation n'est donnée aux Capétiens par les chroniques des
X* et XI* siècles. On objecte les monnaies. Il existe, en
effet, une monnaie attribuée à Hugues Capet, le denier de
Sentis, portant disposés en cercle les mots Gratia Dei rex
et dans le champ Hugo dux. a C'est ainsi, dit M. Pfister^
que la puissance royale enveloppa la puissance ducale,
mais sans la supprimer*. » L'expression est pittoresque,
mais sa justesse fort problématique. Il n'est aucunement
certain quecette monnaieaitété frappée sous Hugues Capet,
et il l'est encore beaucoup moins qu'elle soit postérieure à
son avènement au trône. M. Maurice Prou, avec sa grande
* Charte de Hugues Capet datée de Sentis, i" oct. 981 (publiée
par Lot, Les derniers Carolingiens, p. 403) : « Ego Hugo, Dei gratia
cornes et dux Francorum ». — Cti. de Hugues le Grand (939) (H. F.
IX, 723 A) : « Signum Hugonis Comitis et Francorum duels », etc.
* Pfister, p. 134.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 233
compétence, le conteste formellement: « Il convient, dit-il,
de revenir à l'opinion exprimée par M. Duchalais, à savoir
que le denier senlisois est une pièce frappée au nom, soit
de Hugues le Grand, soit de Hugues Capet, avant 987, la
formule gratia Dei rex n'étant qu'une formule sans valeur
placée là uniquement pour faciliter le cours de la monnaie
et la faire accepter de gens habitués à se servir d'espèces
présentant une telle inscription*. »
Quant au cumul de la qualité de comte avec la qualité
de roi, on a voulu se prévaloir de l'existence de simples
vicomtes à Melun, Étampes, Paris, etc. Or, non seulement
ces vicomtes ont pu être anlérieuresà l'avènement au trône
des Capétiens, avoir été créées par des comtes ou être
nées du partage de comtés, mais la qualification de vi-
comte souvent était synonyme de vicaire, de représentant
ou délégué, de lociim tenenso\i loco positus*. Il y a plus :
poîir l'un au moins des comtés et le plus important, le
comté de Paris, nous savons qu'il avait à la fin du x* siècle
un autre comte à sa tête que le prétendu roi-comte : c'est
Bouchard le Vieux. Les historiens se sont tirés d'affaire
en supposant que Bouchard avait dû être comte, sans l'être,
un comte d'une espèce particulière, un comte royal*, in-
terprétant dans ce sens restrictif une expression dont son
biographe se sert*. Mais tous les comtes dépendant direc-
tement du roi n'étaient-ils pas des comtes royaux? et s'ils
étaient comtes, c'est que le roi ne l'était plus. De deux
* M. Prou, Les monnaies de Bouchard {Bull, de la soc. de r histoire
de Paris, 1897, p. 39).
* Cf. Orderic Vital, II, p. 470 : « Concesserunt... vicecomitiam,
id est viariam». Ibid,,lll,Zli : « Vicecomesetcausidicus «.L'expres-
sion loco positus dont je me sers est justifiée par Thegan (De gestis
Ludovici PU. H. F. VI, 75 D). « Ducibus, comitibus, Loco positis ».
« Art de vérifier les dates, II, 809. Pfister, p. il9, 127. Luchaire,
II, p. 5, etc.
* Eudes de Saint-Maur a écrit : « Dédit Hugo rex sibi fidelimiliti
castrum Milidunum atque jamdictum Corboilum, comitatum que Pari-
siace urbis, taliterque cornes regalis efficitur » (Chap. i, p. 6, G. T).
234 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
choses Tuoe, en effet, si Hugues Gapet avait été à la fois
roi et comte de Paris : ou bien il aurait concédé le comt-
tatus à Bouchard, en ne retenant sur celui-ci que Thom-
mage-lige naturel, et dans ce cas il ne Taurait plus eu lui-
même; ou bien il lui aurait délégué Texercice du comt-
tatus, comme les comtes le faisaient aux vicomtes, et c'est
le titre de vicomte que Bouchard alors eût porté.
Au regard des trois grandes catégories de peuples et
de seigneurs que nous venons de passer en revue, le pou-
voir royal n'est pas plus domanial dans son essence qu'il
ne l'est au regard des princes.
Ce n'est pas parce que le roi est propriétaire de terri-
toires ruraux ou urbains ou en possession de droits devenus
droits seigneuriaux que les habitants de ces territoires ou
les débiteurs de ces droits sont de véritables sujets. Ils
le sont parce qu'il est roi et qu'il n'y a personne qui s'in-
terpose entre eux et lui pour paralyser ou amoindrir l'exer-
cice du pouvoir royal. Et si ce n'est pas comme propriétaire
ou seigneur qu'il est souverain, ce n'est pas même en gé-
néral, et sauf pour les terres publiques, comme roi qu'il est
propriétaire.
Toutefois au pouvoir royal de droit s'ajoute en fait un
pouvoir domanial ou seigneurial analogue à celui que tout
particulier peut posséder à cette époque. C'est en ce sens
que j'ai pu dire que le droit royal se combine avec le droit
domanial. Mais ce dernier droit n'appartient pas à la théorie
de la royauté. A la différence des droits comtaux qui ont
servi, par voie de consolidation, à reconstituer le droit
royal, le domaine, en principe, Ta démembré, puisqu'il
a transformé des droits régaliens en droits de seigneurie
domaniale ^ Considéré en soi, il rentre dans le cadre du
régime seigneurial que nous avons décrit et du régime
domanial que nous aurons à étudier plus spécialement
* Supràf p. 123, et infrà^ chap. vi.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTE. 23S
au Livre VI. Nous devrons seulement grouper en un
tableau succint les ressources qu'il met à la disposition
de la royauté. Le droit ne saurait ici s'isoler du fait sous
peine de rester suspendu dans le vide, puisque le domaine
privé était obligé de suppléer aux contributions publiques
que la royauté n'arrivait plus à lever.
Ce que je viens de dire du peuple se vérifie de même
quant aux seigneurs indépendants. S'il en est qui doivent
l'hommage de service au roi, ce n'est pas, dans le principe,
parce qu'ils tiennent des bénéfices de lui, mais parce que,
dans leur propre intérêt et pour s'assurer un protecteur,
ils l'ont reconnu pour leur lige et naturel seigneur. Seu-
lement cette fidélité est souvent étendue et renforcée par
des concessions de bénéfices qui lui servent d'appât de
sanction ou de récompense, en même temps qu'ils donnent
ouverture à des droits lucratifs de relief.
§ 4. — Le caractère sacré de la royauté et le pouvoir
sur t Église.
Les historiens ont prêté une grande attention aux pou-
voirs temporels que le clergé et l'Église se sont attribués
ou ont acquis, tandis qu'ils ont trop souvent laissé dans
l'ombre les pouvoirs spirituels dont princes et rois étaient
investis et qui sont devenus un des fondements de leur
puissance séculière. Ces pouvoirs spirituels d*où dérivent-
ils? Est-ce d'un abandon par l'Église trop faible et obligée
pour s'assurer un protecteur de le faire participer à sa
dignité, est-ce d'une tradition primitive touchant le rôle et
le caractère religieux du chef, père de famille, de clan ou
de tribu? Sont-ils une survivance de l'époque romaine,
ou découlent-ils des enseignements bibliques? C'est à ces
sources multiples qu'il faut, je crois, remonter. Elles se
ramènent, en dernière analyse, à deux éléments essen-
tiels : le caractère primordial de la royauté, les circons-
tances historiques qui ont présidé, à l'époque franque,
236 LIVRE IV. — CHAPITRE U.
aux relations de l'Église et de l'État, et qui peuvent se
résumer ainsi : prépondérance envahissante d'un pouvoir
laïque violent autant que fort, nécessité pour l'Église de
s'unir étroitement à lui pour résister à ses adversaires,
sauvegarder ses clercs et ses biens, étendre son influence,
son autorité et son action.
I. Le caractère sacré de la royauté. — Le caractère pri-
mordial de la royauté est un caractère sacré. Il Test chez tous
les peuples naissants, il l'était chez les Germains. Le roi
germain était choisi par des chefs de famille investis d'un
pouvoir sacerdotal, et dans une famille issue directement
des Dieux*, d'Odin surtout qui apparaît comme le grand
fondateur de dynasties^. Sa noôi/iVéw' était donc d'essence
divine, et elle en garda longtemps l'empreinte rituelle*.
* M. Schûcking [Der Regierungsantritt, Leipzig, 1899) a fort biea
vu la première de ces conditions (réiection par les principes) (p. 12-
13), mais non la seconde (l'origine surnaturelle).
* « Vodan, de cujus stirpe multarum provinciarum regium genus
originem duxit » (Beda, Hw^ eccles, gentis Anglorum, I, 15, p. 24,
éd. Holder, Fribourg, 1882). Cf. Paul Diacre (I, 9) : « Wodan... ab
universis Germaniœ gentibus ut deus adoratur. »
Dans le Rigsmal de l'Edda, les nobles seuls {Jarl) sont reconnus
par le dieu Heimdall, fils d'Odin, conune les descendants dans les-
quels il revit. Les libres [Karl), les serfs (Thrael) ont une mère, mais
pas de père, leur parenté est toute maternelle. Parmi les nobles, la
filiation directe du dieu est représentée par une famille plus noble
que les autres, dont les membres s'appellent le /îfe, Yenfant légitime,
VhériHer, le descendant. Le dernier né est le roi {Konr,. Connais-
sant les runes et doué de puissances magiques, il exerce le suprême
sacerdoce. Il sait Tart de préserver les honunes {servare homines)^
d'émousser les glaives, de calmer les flots, de guérir les maux (depri-
mère curas) : il a la force de huit hommes (str. 40-42) (Cf. Ozanam,
Études germaniques, I, Paris, 1847, pp. 109-111, 116).
^ *< Reges ex nobilitate sumunt » (Tacite Germ,, 7). « Thoringiam-
que transmeasse ibique... reges crinitos super se creavisse de prima et,
ut ita dicam, nobiliori suorum familia. »> (Gr. de Tours, Hist, II, 9).
* Cf. Grimm, Rechtsalterthûmer (p. 243-4, 262 suivOi qui voit dans
le chariot attelé de bœufs des rois mérovingiens une coutume hiéra^
tique. La longue chevelure devait être aussi un signe de la descendance
divine, avant de devenir une marque de la liberté.
LES QUA.TRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 237
L'Église épura et transforma la conception païenne. Elle
fit prévaloir Tidée d'une institution divine, qu'elle avait
admise déjà pour les empereurs chrétiens de Rome, à
l'image des rois d'Israël et en vertu de la parole de saint
Paul : « Non est potestas nisi aDeo. «Elle le fit avec d'au-
tant plus de force que son union devint plus étroite avec
Ja royauté : sous Clovis, champion de l'orthodoxie contre
l'arianisme, sous Charlemagne, le grand adversaire de
Mahon, le vainqueur des Saxons païens. Mais elle n'écarta
pas pour cela l'idée populaire d'élection; elle ne le pou-
vait pas et n'avait pas intérêt à le vouloir. Si le pouvoir
émane de Dieu, si le roi est son représentant terrestre, le
choix divin peut revêtir des formes variables. Il peut s'ac-
commoder aussi bien de la pure démocratie que delà monar-
chie absolue et héréditaire. Dans celle-ci, Dieu manifeste sa
volonté en faisant naître l'héritier du trône, dans le gou-
vernement populaire ou oligarchique en inspirant les élec-
teurs *.
Le roi est donc tout ensemble roi de droit divin et roi
élu, choisi par la volonté du peuple, il est, comme on le
dira aux temps modernes, roi par la grâce de Dieu et la
volonté nationale '.
* Vordinatio imperiide Tan 817 le déclare en termes exprès : «Ne-
cessarium duximus ut jejuniis et orationibus et elemosynarum largi-
tionibus, apud illum (Deum) obtineremus quod nostra infirmitas noD
prsBSumebat. Quibus rite per triduum celebratis, nutu omnipotentis
Dei, ut credimus, actum est ut et nostra et totiiis populi nostri in di-
lecti primogeniti nostri Hlotharii electione vota concurrerent. Itaque
taliter divind dispensatione manifestatum et nobis et omni populo
nostro... consortem et successorem imperii... communi voto constitua »
(I, p. 271). — Cf. Hincmar, De divortio Lothariiy quaestio VI, Migne 125,
758 : « Quidam a Deo in principatu constituntur ut Moyses... quidam
vero a Deo perhominem, ut Josue... Quidam autem per hominem, non
sine nutu divinOy quia nihil fit ut Augustinus dicit, nisi quod aut
ipse facit aut fieri ipse permittit et quidquid agitur, ministerio ange-
lorum et hominum agitur ».
"^ Promesse de Louis le Bègue, lors de son couronnement à Com-
238 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
Même à l'époque mérovingienne où la royauté était de-
venue en fait héréditaire, l'élection se survivait, au moins
en la forme, dans l'acclamation du peuple ou des grands
et Télévation sur le pavois. Elle reparut avec la seconde
race et servit de marche-pied à la troisième. Pépin fut élu
par le peuple franc « per electionem omnium Francorum »
et ce droit électoral traditionnel, reconnu par la royauté,
n'a cessé d'être en vigueur sous les Carolingiens. Il est
la base théorique de la divisio de 806, de ïordinaiio de
817, du traité de Verdun, etc., bien qu'en fait l'élection
ait passé aux grands et constitue souvent une adhésion
plutôt qu'un choix. C'était donc toujours par la voxpopuli
que la voxOeiéidÂi censée se manifester. Abbon la déclare,
dans ses canons, la source directe du pouvoir *.
Institué par Dieu, élu, couronné par Dieu ^ comme
l'avaient été les empereurs chrétiens de Rome', né, comme
au temps du paganisme, d'une famille quasi-divine, le
rex Francorum était par cela même revêtu d'un caractère
sacré. Sa personne, son palais, son pouvoir Tétaient. Ils
l'étaient de plein droit, indépendamment de toute consé-
cration religieuse, de toute onction par le saint chrême,
de tout sacre. Le sacre corroborait, il ne conférait pas le
caractère sacré. Le sacre de Clovis est une pure légende
qui date du ix* siècle*; Charlemagne ne fut jamais sacré
piègae en 877 : u Ego Hlodovvicus, misericordia domini Dei nostri et
electionc populi rex constitiUus... poUiceor me servaturum leges et
statuta populo qui mihi ad regendum misericordia Dei committitur,
pro comrauni consiliofîdelium nostrorum » (Capit. II, p. 364).
* « Melius est electioni principis non subscribere quam post subs-
criptionem electum contemnere vel proscribere... Très namque élec-
tion es générales novimus, quarum una est Régis vel imperatoris,
altéra pontifîcis, tertia abbatis. Et primam quidem facit concordia
totius regni » (Abbonis Canones, H. F. X., p. 627-8).
2 Voyez les nombreux textes groupés dans un savant article de W.
Sickel (Gôtting. gclehrten Anzeigeriy 1901, n° 5, p. 385 et suiv.).
3 W. Sickel, lôirf., p. 381 el suiv.
* Cf. Brunner II, p. 20 et note 32.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 239
empereur*, et sa majesté impériale n'en fut pas moins sa-
cro-sainte.
Toutefois le sacre ne se réduisait pas toujours à un rôle
secondaire. Il devint, dans certaines circonstances, une
condition substantielle du légitime pouvoir. Tel fut le sacre
initial des rois carolingiens, le sacre de Pépin. Par ce sacre
ce n'était pas un roi qui était consacré, c'était une dynastie.
Comme la seconde race ne pouvait pas, à l'exemple de la
mérovingienne, faire remonter son origine aux dieux,
l'Église y suppléa pour la légitimer aux yeux du peuple.
A une superstition païenne elle substitua un dogme de
prédestination chrétienne. Le pape défendit aux Francs de
choisir jamais leur roi en dehors de la descendance prédes-
tinée de Pépin* qu'il venait de sacrer '. La vocation divine
prend ainsi la place de l'origine divine. Le sacre de Pépin,
et de ses deux fils, fait de sa descendance une famille
choisie par Dieu * pour régner par préférence à toutes
autres familles frànques ', de même que la nation franque
* Suprà, p. 169.
' c< Simulque Francorum principes benedictione s. spiritus gratia
confîrmavit et tali omnes interdictu et excommunicationis lege cons-
trinxit, ut numquam de alterius lumhis regem in aevo présumant
eligere » Clausula de Pippini Consecr. Muhlbacher, n« 76*, p. 38-39.
8 Le sacre par le pape (28 juiii. 754) a été, d'après les chroniques,
précédé d'un sacre accompli en son nom, dès 751, par Tarchevêque
Boniface (Muhlbacher, Reg,, 2« éd., 65», p. 32).
* « Francorum proceres... auctoritate S. Pétri sibi a Christo tra-
dita obligavit... ut nunquam de altéra stirpe per sucedentium tem-
porum curricula ipsi vel quique ex eorum progenie orti regem super
se présumant aliquo modo constituere, nisi de eorum progenie, quos
et divina providentia... eligbrb et per eum, videlicet S* Pétri vica-
rium, immo domini lesu Christi, in potestatem regiam dignata est
suhlimare et vnctionb sACRAvissiifA consbcràrb » (Lettre du pape
Etienne, Reginon, p. 45, éd. Kurze).
* On fera remonter ensuite cette prédestination jusqu'à saint
Arnoul, le lointain ancêtre des Carolingiens. Reculée jusqu'au
VI* siècle, Vorigine sainte prit directement la place de Vorigine
divine des Mérovingiens : « Arnolfi... de cujus sancto germiae regum
240 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
est une nation élue, un peuple d'adoption choisi par Dieu
pour commander aux autres peuples *. C'est donc à la fois
la prééminence carolingienne et la prééminence franque qui
sont sanctifiées par l'Église.
Cette consécration une fois faite, les descendants de
Pépin et de Charlemagne pouvaient de nouveau, comme
les Mérovingiens, se dispenser du sacre individuel, qu'ils
portassent le titre de roi ou celui d'empereur, mais le sacre
redevenait un élément nécessaire quand le roi était élu en
dehors de la famille carolingienne ou que la couronne
n'était pas un regnum Francorum. Il le fut donc pour les
rois qui s'élevèrent ou furent élus à la fin du ix* et au
début du X* siècle , il le fut pour l'empereur, quand Tem-
pire devint romain ', il le fut pour les Capétiens quand
Francorum prosapia pullulaverat... Siquidem ab illo genealogia regum
caelitus provisa... coepit exuberare,quousque in magno Caroio sum-
mum imperii fastigium non solum Francorum, verum etiam diversa-
rum gentium regnorumquo obtineret » (Reginon, ad an. 880,
p. 116).
* « Declaratum quippe est (c'est saint Pierre lui-même qui parle)
quod super omnes génies, quae sub celo sunt, vestra Francorum gens
prona mihi^ apostolo Dei Petro, extitit; et ideo ecclesiam, quam
mihi Dominus tradidit, vobis per manus \'icarii mei commendavi »
(Lettre du pape Etienne II à Pépin, Codex Carolinus^ éd. Jaffé, 10). —
« Gens sancta, populus adquisitionis » (Lettres de Paul I et d'Etienne
III, ibid., 39, 45). Cf. Kleinclausz, L'empire carolingien, p. 132*136.
— Voyez aussi Viîiventio S. Jvdoci (saint Josse) écrite par Isembart
de Fleury sous le règne de Robert II (H. F. X. 366) : « Unde non
immerito placuisse summo creditur Deo... bis usquequaque illos
(Francos) muneribus ditari, quos longé ante praesciebat sui cultûs
religionem optimè servaturos... Ob id si quidem venerationis cultu
digna habetur, exteris etiam nationibus formidini est ».
* Suprà, p. 172. — Aussi les partisans de la papauté voulant faire
croire, à la fin du ix* siècle, que dès l'origine la dignité impériale
émanait d'elle, ne manquèrent-ils pas de prétendre que Charlemagne
avait été sacré empereur. — Voyez, en effet, la lettre de Louis II à
l'empereur Basile, dont M. Kleinclausz vient de prouver la fausseté
et qu'il croit pouvoir attribuer au Bibliothécaire Anastase {op. cit.,
p. 441 suiv.). « Nam Francorum principes primo reges, deinde vero
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 241
ils montèrent sur le trône *. Si pleinement restaurée qu'elle
parût, l'élection populaire ne pouvait plus suffire à ces der-
niers. Deux puissances concouraient désormais à créer le
roi^ : le peuple ou les grands et TÉglise. La vox Dei ne se
manifestait pas seulement par l'organe de la vox populi^
mais directement par ses ministres ; et ce concours était né-
cessaire à chaque changement de règne, puisque ce n'était
pas une dynastie mais un homme qui avait été intronisé
avec Hugues Capet'. 11 suit de là que les Capétiens furent
beaucoup plus dépendants de l'Église que les Carolingiens
ne l'avaient été. Son alliance leur était indispensable pour
atteindre la stabilité que l'élection populaire mettait sans
cesse en péril. C'est par cette alliance inéluctable du
imperatores dicli sunt, hii dumtaxat, qui a Romano pontifice ad hoc
oleo sancto perfusi sunt. In qua etiam Karolus M. unctione hujusmodi
per summum pontifiœm delibutus, primus ex génie a genealogia nos-
tra... imperator dictus et christus Domini factus est » (SS. III, 523).
• Pour donner à ce sacre toute sa force de légitimation, on imagina
au siècle suivant que l'avènement d'Hugues Capet était dû à Tinter-
cession de saint Valéry, qui, en échange de la translation de son
corps et du corps de saint Riquier, lui avait promis qu'il deviendrait
roi, et sa descendance après lui jusqu'à la septième génération [Fis-
toria relationis corp. S, Walarici, Mab. SB. V, 557. — Cette relation
date de 1025-1050). La légende fit son chemin. Elle se trouve déjà
dans Orderic Vital (I, p. 171, éd. Le Prévost) et dès la deuxième
moitié du xi« siècle Hariulf l'accentue en faisant du saint l'organe
même de la divinité : « Promitto tibi ex Deijttësu.,, te fore regem.
prolemque tuam Francigenarum, stirpemque tuam regnum tenere
usque ad septem successiones » (Chronique de saint Riquier, III, 23.
éd. Lot, p. 154) (Cf. p. 153 : ex Dei mandato, Dei prœcepto). Les
chroniques postérieures s'en autorisent pour dire que les Capé-
tiens sont montés sur le trône « per Domini voluntatem » (Guillaume
de Nangis, H F. X. 300 C). L'apparition de saint Valéry devint ainsi
au moyen âge un des titres de la monarchie capétienne.
2 Quand Hugues Capet veut associer son fils Robert au trône c'est à
l'archevêque de Reims qu'il demande de le créer roi reyem creari; celui-
ci résiste, puis couronne Robert Francis laudantibus (Richer IV, 12-1 3).
3 « Qui a Domino percepimus regni honorem » dit Hugues Capet
en 988 (H. F. X, 552 D).
F. —Tome 1X1. 16
242 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
trône et de Tautel que le caractère sacré de la royauté^
prévalut définitivement sur son caractère populaire et que
dès la seconde moitié du xii° siècle Thérédilé put être
acquise par droit divin à la dynastie capétienne.
IL Le pouvoir sur V Église et le clergé. — Le caractère
sacré de la royauté se liait étroitement à sa principale
fonction, la protection. Les idées païennes comme les
croyances chrétiennes faisaient de celle-ci un attribut
essentiel de la divinité. Le roi Texerce donc à titre de
descendant d'un ancêtre mythique ou de délégué de Dieu.
Il est investi par là d'un véritable sacerdoce : le roi païen
sur la famille royale d'abord, dont il est le chef religieux,
puis sur l'ensemble des familles qui constituent la gens,
la nation, dont il est le grand-prêtre ; le roi chrétien ins-
titué par Dieu sur le royaume que le Christ protège*, et
sur rÉglise qui fait corps avec le Christ.
Il est vrai que cette protection a revêtu une nature de
plus en plus profane ou temporelle à mesure que s'est
constitué l'État, mais de même que sa base familiale ne
s'est pas oblitérée, son fondement mystique a survécu.
Par la coutume immémoriale qui plaçait les faibles, les
désarmés, les sans famille, auxquels fut assimilée l'Église,
dans le mundium, dans la paix du roi, celui-ci jouait le
rôle de providence, et sa main se sanctifiait en s'étendant
sur les biens consacrés à Dieu et aux saints.
Le rôle protecteur de la royauté servit ainsi de trait
d'union entre le caractère sacré qui lui était propre et
Tautorilé spirituelle et temporelle qu'elle acquit sur TÉglise
chrétienne. Deux éléments la composent et doivent être
distingués : 1** le pouvoir spirituel proprement dit, s'appli-
quant au gouvernement et à la discipline de TÉglise, et
s'étendant à tous ses membres (clergé et fidèles) ; 2** les
pouvoirs particuliers du roi sur le clergé.
* Cf. W. Sickel, lac. cit., |p. 387.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 243
i . Pouvoir général sur l'Église^ le clergé et les fidèles.
Le pouvoir du roi franc sur sa nation consistait en un
mundium, un mainbour. L'Église y rentrait au premier
chef. La sauvegarde de TÉglise et le pouvoir royal fini-
rent donc sous la deuxième race par se confondre,
rÉglise par être absorbée dans l'État. On pourrait
même aller plus loin et dire qu'elle fut absorbée dans la
famille du roi, puisque le mainbour auquel elle avait droit
était plus étroit, plus énergique, puisqu'à l'instar des fai-
bles, elle semblait avoir le roi pour chef de famille. La
fiction ne fut pas poussée à ses dernières conséquences,
hors le cas d'une manifestation expresse de la volonté
royale (charte d'immunité) qui faisait participer une église
à la loi personnelle de la stirps regia^ la loi salique ou
la loi ripuaire *. Du moins le roi franc devint-il chef de
l'Église comme de l'État. Et qu'on ne croie pas que cette
conception dût se heurter à l'autonomie de l'Église chré-
tienne. A supposer même qu'elle eût constitué une nation
distincte *, une nation vivant à part selon la loi romaine,
jouissant de la libertas romana, elle n'en aurait pas moins
été dans la dépendance rigoureuse du regnum Fran-
corum, comme l'étaient les autres nations vivant selon
leur loi propre. Sa condition légale, comme la leur, aurait
été subordonnée aux capilulaires royaux.
Mais cette assimilation de l'Église aux nationalités vassa-
les de la nationalité franque est extrêmement douteuse et
c'est beaucoup plutôt à la nation franque qu'elle fut as-
similée. Sans doute, par une sorte de privilège néces-
saire, puisque son régime organique avait été fixé par
les constitutions impériales, elle était régie, en tant que
corps, par le droit romain. Mais cette législation particu-
* Gesta Aldrici {MiscelL de Baluze, III, p. 118-119) : « res ipsius
(l'abbaye d*Arisola) secundumlegemsalicamaut ribuariam tuerentup».
^ C'est ce qu'avance M. I. de la Tour, Les élect. épiscop. p. 98.
24 i LIVRE IV. — CHAPITRE II.
lière fut de plus en plus modifiée par les capitula eccle-
sîa.^tica, dans l'esprit et suivant les principes du droit
franc. D'autre part, l'incorporation de 1 Église à la nation
franque s'imposait au point de vue du droit constitutionnel.
Son ambition naturelle et légitime la portait à vouloir être
mise sur la même ligne que la nation dominante, à n'être
pas reléguée au rang de nation vaincue ou soun^ise, et
le roi des Francs, institué par Dieu, vicaire de Dieu sur
la terre*, pouvait-il admettre une autre condition pour l'é-
pouse du Christ?
Aussi voyons-nous en 863 Charles le Chauve, roi de la
Francie occidentale, et Louis le Germanique, roi de la
Francie orientale, déclarer que l'Église est partie intégrante
de leur royaume et de celui de Lothaire II, roi de la
Francie médiane (tandis qu'ils ne font nulle mention ni
de Charles de Provence ni de Louis II d'Italie), qu'elle
est donc partie intégrante du regnum Francorum^ dont
ils veulent maintenir ou restaurer l'unité théorique". Je
dirais volontiers que TÉglise était une Francie religieuse à
côté de la Francie laïque que constituait l'ensemble des
Francs. Et ainsi s'expliquent son unité et son grand rôle
politique : son unité, — il ne pouvait y avoir sous Charle-
magne d'Église romaine, pas plus qu'il n'y avait d'Église
alémanique, thuringienneou lombarde; il n'y avait qu'une
* « Vicem vos gerere Dei quis ignorât », dit Loup de Ferrière à
Charles le Chauve (Lettre 64, Duchesne, II, p. 762).
2 « Ecclesia nobis (Hludovvico et Karoio) et illi (nepoti nostro Hlo-
thario) commissa et regnum unum est. » [Pactum Tiisiac, 865, cap. 3,
II, p. 165). — « ad... regni nobis Doo commissi soliditatem resti-
tuendam et conservandam, ut ecclesia et regnum quod Deus in manus
progenitorum nostrorum adunavit, et nobis misericordia sua com-
misit, in nostro tempore necessariam defensionem et tuitionem, et
honorem atque soliditatem habeat » {Ibid.^ cap. 6). — Cf. le commo-
nitormm des évêques au Synode de Metz (859) : « Ecclesia Dei quae
in suo regno (Louis le Germanique) ac regnis nostrorum principum
(Charles le Chauve et Lothaire II) una est, sicut et unum sacerdo-
tium (cap. 9, II, p. 444).
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 245
Église franque; — son grand rôle politique, — il était
calqué en quelque sorte sur celui de la nation franque.
L'Église fournissait, comme elle, à TÉtat ses principaux
fonctionnaires; elle avait accès au conseil, à la cour, y
tenait le premier rang, et dans les grandes assemblées
annuelles exerçait une influence prépondérante; elle pre-
nait parla une part directe à l'élection du souverain, en
attendant que par le sacre elle acquît, comme je l'ai mon-
tré, un droit d'intervention d'ordre plus élevé encore.
Cette parité entre l'Église et la nation franque, dont
l'aboutissant fatal était une pénétration réciproque,
intime et profonde, a pris sa source et reçu son accrois-
sement de l'alliance, sans cesse renouvelée sous les deux
premières races et continuée sous la troisième, entre l'É-
glise et la royauté.
Si le fondateur de la dynastie mérovingienne ne pouvait
se passer de l'Église pour gouverner la Gaule romaine, il
n'en avait pas un moindre besoin pour discipliner les
Francs eux-mêmes et les peuples germaniques ses auxi-
liaires ou ses vaincus. Charlemagne, qui voulait faire re-
naître dans tout leur éclat la civilisation et les lettres, et
instituer dans son immense empire un gouvernement per-
fectionné, ne trouvait que dans l'Église les éléments du pro-
grès politique et du progrès intellectuel qu'il rêvait. Les
deux grands chefs de dynastie ne purent donc les fonder
que sur la double assise franque et chrétienne.
Considérez maintenant l'Église elle-même. Sa soumis-
sion fut loin d'être purement extérieure, matérielle, impo-
sée. Elle fut acceptée volontairement, elle fut, si je puis
dire, canonique. L'Église tout d'abord courba la tête sous
l'inéluctable nécessité, elle céda à la force triomphante
des armes. Mais comment n'aurait-elle pas reconnu
pour son chef le roi franc qui successivement combattait
avec et pour elle Tarianisme, les superstitions païennes,
rislam? Comment aurait-elle pu, sans l'avoir à sa tête, se
faire obéir non seulement de ses fidèles gallo-romains ou
246 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
germains, mais de son propre clergé*? Enfin, elle qui
visait à Tunité, c'est longtenQps de la royauté seule qu'elle
put l'attendre.
L'autorité spirituelle de l'évêque de Rome est loin d'être
établie dans la première moitié du ix* siècle, et son pou-
voir temporel, il le doit à Pépin et à Charlemagne. Il sem-
ble même se désintéresser momentanément de l'une
pour étendre ou consolider l'autre. L'Église reconnut
donc sans difficulté aux rois francs la puissance et les
attributions dont les empereurs chrétiens de Rome avaient
été investis en matière religieuse*. Elle en fit même plus
que des évêques du dehors^ ^ elle fit de la royauté un sacer-
doce chrétien * auquel le pape en personne fut subordonné*.
* Saint Boniface reconnaît que l'assistance du prince des Francs lui
a été indispensable pour venir à bout du clergé des Gaules {Epist 63).
Kleinclausz, op. cit, p. 111-112. — Cf. Theodulf disant à Charle-
magne : u Perte ponlifices jura sacrata tenent » (H. F. V, 420).
2 « Les rois des Francs, héritent de toutes les prétentions impériales
sur le gouvernement de TÉglise. Clovis, ce païen d'hier, vient de re-
vêtir les insignes du patriciat, et à l'exemple de Constantin, il se con-
sidère comme l'évêque du dehors » (Ozanam, Et. geim., II, 334).
3 L'expression si souvent citée d'évéque du dehors est dans Eusèbe,
Vita Constant., lY, 24; Esmein, Hist, du dr. franc,, 2* éd., p. 154.
* M. Léon Gautier en a été frappé dans nos plus anciennes chan-
sons de geste : « Dans la chanson de Roland dit-il, l'empereur a une
figure sacerdotale : il a des gestes, des paroles et des allures d'évé-
que. Il donne sa bénédiction à son armée comme un pape :
u Si 's beneïst Caries de sa main destre » (v. 3066)
Les ambassadeurs ne partent pas sans la même bénédiction :
« Co dist li reis : A V Jhesu e a l'mien I
De sa main destre Tad asolt e seigniet
Pois li livrât le bastun e le brief ».
{Les Épopées françaises, t. III (2* édit., 1880), p. 147.
^ Lettre de l'évêque Cathvulphe à Charlemagne (v. 775) : « Tu es in
vice illius (Dei)... Et episcopus est in secundo loco, in vice Christ! tan-
tum » (H. F. V, 634). — Alcuin à Charlem. (799) : « Très personae
in mundo altissimae hue usque fuerunt : apostolica sublimitas..; im-
perialis dignitas... regalis dignitas in qua vos D. nostri J. C. dispen-
LES QUAT/IE FACES DE LA ROYAUTE. 247
Ne voit-on pas au vi" siècle un roi franc juger de lortho-
doxie d'un pape*, et trois siècles plus tard, en 824,
r « élection du pape soumise à la ratification de Tempe-
reur m^? Si Ton se rappelle que le caractère sacré du
pouvoir royal était profondément enraciné dans la cons-
cience populaire, et que l'Église Tavait mis en harmonie
avec sa doctrine, on se convaincra aisément que rien ne
s'opposait au cumul, en la personne du roi, de Tautorité
spirituelle et de l'autorité séculière. Et tel fut, en efiTet, le
curieux spectacle qu'offrit la royauté franque sous Char-
lemagne et sous Louis le Débonnaire.
Le roi franc administre TÉglise par lui-même ou par ses
officiers, il fixe sa discipline, veille à son maintien, règle
sa liturgie' et émet des instructions pastorales. Il légifère
sur toutes les questions, sur celles mêmes qui touchent di-
rectement au dogme.
A cet effet c'est lui qui convoque les conciles ou les
synodes; il les consulte sans être lié par leurs décisions*.
Les clercs et leurs chefs (évêques ou abbés) sont ses subor-
donnés ou ses sujets. Ils lui doivent, comme les laïques,
le serment de fidélité* et leur entrée dans la cléricature
est soumise à son autorisation préalable®. Il n'y a donc
satiorectorem populi christiani disposait, caeteris digniiatibus potentia
excellentiorem... regni dignitate sublimiorem, Ecce in te solo tota
salus Ecclesiarum Christi inclinata recumbit » (H. F. V. 6i2). —
Theodulf (/. c.) : « Tu régis ecclesiae, nam régit ille (le pape) poli ».
* Viollet, Institut, polit, de la France, I, i890, p. 341. — Cf. les
instructions que Charlemagne donne à Tabbé Angilbert en l'envoyant
auprès de Léon III : « Ammoneas eum diligenter de omni honestate
vitae suae et praecipue de ss. observatione canonum, de pia s. Dei
ecclesiae gubernatione » (796) (Jaffé, BibL rer. Germ., IV (1867),
p. 353) et les admonestations directes du roi au pape (Ibid., p. 356).
2 Duchesne, Les prem, temps de l'État pontifical, Paris, 1898, p. 101.
* Cf. VAdmonitio generalis^ 789, LL. I, p. 52 et suiv..
* Brunner, II, p. 317.
^ Cap. miss. 802, c. 2 : « Sive ecclesiasticus, sive laicus » (I, p. 92).
« Marculf, 1,19; Brunner, II, p. 313.
248 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
pas, à vrai dire, deux ordres dans l'État, il n'y en a
qu'un, celui des sujets. Le roi, le missus, le comte com-
mandent aux clercs, assistent les évoques, tiennent la
main à Tobservation des canons et des capitulaires ec-
clésiastiques * : les évoques et leurs subordonnés sont des
fonctionnaires royaux ', ont des attributions à la fois civiles
et religieuses, coopèrent avec les fonctionnaires laïques,
les surveillent et sont contrôlés par eux'. Ainsi la distinc-
tion de l'Église et de TÉtat n'existe pas, à cette époque,
au point de vue du droit public. Le pouvoir est un, le
chef unique : le rex Francorum est la tête de l'Église et de
la nation. Il est institué par Dieu pour gouverner l'une et
l'autre, comme son vicaire*.
Dans la seconde moitié du ix' siècle la situation se
modifie. Le regnum Francorum se disloque; son unité
politique est compromise et en grande partie anéantie de
fait. Comment donc l'unité politico-religieuse du pouvoir
aurait-elle pu se maintenir intacte? Elle se conserve si peu
qu'une unité nouvelle naît. Un pouvoir centraliste rival com-
mence à s'emparer des attributions religieuses de la royauté,
à la supplanter comme chef spirituel de l'Église franque,
en attendant qu'il aspire à s'ériger en théocratie : la
* Le comte a des attributions religieuses multiples et étendues. H
assiste régulièrement Tévôque, il lui prête main-forte dans sa circuitio
contre tous rebelles, clercs ou laïques ; il Taide à combattre les su-
perstitions païennes; il est à tous égards un defensorecclesiae, au point
de vue spirituel comme au point de vue temporel. Lui et ses subor-
donnés veillent à la rentrée de la dîme.
* Evoques et abbés exercent un office royal. Ils sont pourvus d'un
honor. Ils siègent aux grandes assemblées annuelles, et à la cour du
roi. Ils prêtent assistance au comte. Sur les territoires immunes ils
exercent ses fonctions et conduisent leurs hommes à l'armée.
3 Comtes et évêques, a dit très bien M. Brunner, sont sur la même
ligne et ils doivent se soutenir et se contrôler mutuellement (II, p. 321).
* Sedulius Sextus, De rectoribus ChristianiSj cap. 19 (Migne, 103,
c. 329). Imbart de la Tour, Les élect. épisc, p. 105. Suprà^ p. 244,
note i.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 249
papauté en un mot. Mais TÉglise n'avait pas seulement à
entrer en possession de l'autorité spirituelle que la royauté
détenait, elle avait à lutter contre l'individualisme clé-
rical, contre les prétentions des métropolitains, des évo-
ques, des abbés, à un pouvoir propre, autonome, indé-
pendant *. La force de décentralisation et de dispersion,
qui agissait dans l'ordre laïque, agit donc également dans
Tordre ecclésiastique. Les conséquences furent analogues.
De même que les droits régaliens ou de souveraineté en-
trèrent dans le domaine privé, de même les pouvoirs spi-
rituels ou religieux devinrent seigneuriaux ou domaniaux,
à rencontre du pape aussi bien qu'à l'encontre du roi ou
du prince. On peut dire qu'ils se matérialisèrent, en s'in-
dividualisant. C'est là une circonstance capitale, dont la
royauté tout à la fois profita et pâtit.
Voyez, en effet, cùmment cette dispersion s'opère. Une
grande agitation se manifeste, au cours du ix'' siècle, dans
le clergé. Les fausses décrétales, les faux capitulaires sont
composés et répandus. Au profit immédiat de qui? Des
droits de la papauté? Non, avant tout des droits des évo-
ques. Les évoques veulent être les maîtres de leur évêché,
ils voudraient en disposer à leur gré. Leur objectif prin-
cipal est la suppression des chorévêques.
De même si les métropolitains réclament une part dans
l'élection de l'évêque et obtiennent d'y présider *, ce n'est
point dans l'intérêt de la discipline ecclésiasiique et du
respect des canons, mais pour acquérir un pouvoir plus
personnel et des revenus plus considérables. Le résultat le
* C'est aux évoques que Charles le Chauve fait remonter son pou-
voir, c'est à eux seuls qu'il reconnaît le droit éventuel de le déposer :
« a qua... regni sublimitate subplantari vel projici a nullo debueram
saltem sine audientia et judicio episcoporum, quorum ministerio ia
regem sum consecratus et qui throni Dei sunt dicti, in quibus Deus
sedet et per quos sua decernit judicia » (859. Libellus proclamationiSf
cap. 3, CapituL, II, p. 451).
^ Voyez Imbart de la Tour, op. cit., p. 195 et suiv.
250 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
plus clair de leurs efforts fut d'accentuer du haut môme du
siège archiépiscopal le caractère purement temporel et
politique du recrutement du clergé, de la promouvance
aux dignités de TÉglise', et de frayer ainsi la voie aux usur-
pations seigneuriales ou princières * et à l'arbitraire royal.
De telles usurpations trouvaient une base dans les
concessions d'abbayes et de paroisses faites par le roi,
à titre de bénéûce, dans la translation donc du droit que le
roi avait sur ces corps religieux et sa transformation en un
droit lucratif. Il était exploité à charge de cens, donné en
fief à de véritables clercs-vassaux ^ dont la soumission à
Tordioaire, à Tévêque, devenait fort illusoire.
Un autre point d'appui fut fourni aux usurpations par
TinBuence prépondérante que l'élément seigneurial eut
dans le choix de Tévêque là où le peuple était censé encore
l'élire ^ Seigneurs et principes acquirent sous le couvert
de cette fiction un droit d'élection réel*, et l'exercèrent en
faveur de leurs parents ou de leurs vassaux.
L'évêché, pierre angulaire de l'édifice religieux, devient
* « Non solum in laicali, sed et in ipso ecclesiastico ordine taies
esse noscuntur qui loca sanctorum tanquam ad regendum vel susci-
piunt vel suscipere cupiunt, ut rerum ipsorum locorum non rectores
verissimi se«l invasores atque rapaces esse velint perversissimi » (Di-
plôme de Raoul 927, H. F. IX, 572 C).
2 « Ita inolevit malum, quod a transactis rétro cœperat annis ut
jam principalis potestas putet sibi licere, secus quam auctoritas
divina se habeat, in causas ecclesiasticas prosilire et duce Scto spiritu
statutum a patribus Ecclesiae ordinem pervertere. » .Concile de Trosly,
909, Actes de la prov, eccL de Reims, I, p. 571).
' Imbart, p. 2i4 et suiv. et p. 233 et suiv.
* C'est ce qu'exprime assez exactement un chroniqueur du xu«
siècle (vers il53), Richard le Poitevin, que M. Élie Berger a remis
récenmient en lumière : « Ex tune, quia debilitatum est regnum, dux
Aquitanorum et alii regni proceres potestatem super episcopos,
quam antea reges habuerant, tenere coeperunt » (H. F. X, 264 A).
Comme il confond dans ce passage Hugues Capet avec son ancêtre le
roi Robert, tué en 923, son assertion se rapporte à la période dis-
solutive du ix'-xe siècle.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 251
un pouvoir aux mains de raristocralie. II est mis en valeur,
hommes et biens et sacrements, comme un domaine ou une
seigneurie *, et son chef, s'il reconnaît un supérieur, c'est
infiniment moins le métropolitain ou le pape qu'un seigneur
lige naturel : le chef de son lignage de qui il lient Tévêché,
le roi ou le prince qui est en possession du droit d'élec-
tion. Envers ce seigneur ses devoirs sont naturellement
d'ordre tout temporel : service de cour ou de guerre, dons
ou aides, etc. Ils profitent au roi pour les évêchés qui sont
dans sa main, se tournent souvent contre lui pour les
autres.
Le roi n'est donc plus au x* siècle le chef à la fois reli-
gieux et civil de l'épiscopat et par lui de l'Église. Il n'est
plus que le seigneur temporel d'un certain nombre d'évê-
chés, sauf que Tautorité qui lui appartient sur eux et
les services qu'il peut leur demander bénéficient encore du
caractère sacré de son pouvoir et du caractère viager de la
concession. Quant aux autres, le principal et la seigneurie
s'en sont emparés.
Par la concurrence que la royauté subissait ainsi de
toute part, de la papauté, des dignitaires ecclésiastiques,
du principal, de la seigneurie laïque, son pouvoir sur
l'Église se fractionna, au x* siècle, en droits temporels sur
telles églises, tels diocèses, telles abbayes.
Toutefois ce serait une erreur de croire que rautorité du
roi sur l'ensemble de TÉglise, et ses atlributions spirituelles
d'ordre général aient été mises en oubli ou contestées en
principe sous les derniers Carolingiens. L'Église reste dans
le mainbour du roi et lui demeure subordonné'; le roi
* Sauf ce que nous dirons de la distinction qu'à ce point de vue
il faut faire entre les évêchés royaux ou princiers et les évêchés sei-
gneuriaux-
2 « Ipse (rex) débet primo defensor esse ecclesiarum et servorum
Dei... » Concile de Trosly, 909 can.2, Actes delaprov, eccL de Reims,
I, p. 568). u Sicut... regalis potestas sacerdotali religioni se dévote
252 LIVRE IV. — CHAPITRE If.
continue à octroyer des chartes d'immunité dans diverses
régions de la Gaule*; si les conciles ne sont plus con-
voqués par lui, du moins ne doivent-ils pas se tenir
sans son agrément '; en6n le droit d'élection des évêques
ne cesse, en droit pur, de résider dans la personne àxL
roi*.
Ces pouvoirs furent ravivés, restaurés par ravènement
submiltit sic et sacerdotalis auctoritas cum omni pietatis offîcio se
regali dignitati subdere débet » [Ibid., I, p. 567). Cf. diplôme de Charles
le Simple (901) : u Duobus si quidem personis universalis roboratur
Ëcclesia, sacerdotali videlicet et regali, ut si una iasolens seu minus
existeret provida, pigritando non dormitet altéra » (H. F. IX, 401). —
« Regiae dominationis imperium restaurandum... ut... ecclesiarum
Dei honor consequenter recrescat, ejus patrocinio agente, virtus
bonis quibusque redeat » (discours du légat du pape au Synode d'Io-
gelheim (948- Richer, II, 72 (T. I. p. 234-5). — «DeietDomini nostri
J.-G. propitiationem nobis conOdimus exorabilem reddere, qui (nos)
ad hoc sanctae et universali susb prxfecit ecclesiae, ut eam regere
tuerique, et de ejus necessitate. utilitate atque exaltatione soUicili in
omnibus studeamus esse » (Diplôme de Lolbaire pour Saint- Vincent
de Laon, H. F. IX, 639 B). — La même idée est exprimée dans le
préambule du diplôme de Lothaire en faveur de la Sainte-Trinité de
Poitiers (IX, 651); mais Tauthenticité de cet acte est très suspecte
(Cf Lot, Les derniers Carolingiens, p. 44, note 2).
* Je n'en vois pas pour la Bretagne, la Normandie, la Gascogne, la
Lorraine, la Franche-Comté, la Provence (Voy. infrd, p. 262 note*. Les
diverses ruyautés qui s'érigèrent au déclin du ix« siècle ne manquèrent
pas, du reste, de prendre les églises sous leur tuitio et de leur accorder
des immunités. Louis TAveugle concède ainsi, dès 894, l'immunité à
l'église de Grenoble, en menaçant les violateurs de sa charte de l'amende
de XXX livres d'or édictée par la lex Theodosii [E. F. IX, 676), et la
même année à l'abbaye de Saint-Chef en Viennois. Hugues d'Arles,
en 928, malgré Fabandon qu'il vient de faire de ses droits sur la Pro-
vence, confirme cette dernière immunité, non pas en qualité de pro-
priétaire, comme le dit M. Poupardin {Le royaume de Provence^
p. 228, note 3), mais manifestement à titre de roi (H. F. IX, 691).
«Flodoard, Hist. Rem., IV, 21. Cf. Viollet, Hist. des inst. de ia
France^ I, p. 357.
^ u La théorie n'a pas changé, mais l'action se restreint Le roi n'agit
plus, comme autrefois, dans la France tout entière » (Imbart de la
Tour, op, ciLj p. 225, 233).
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 253
des Capétiens et s'élargirent de nouveau au xi* siècle. L'é-
piscopat, qui s'était allié aux Roberliens pour combattre
les Carolingiens, s'unit de plus en plus étroitement à la
dynastie nouvelle. A mesure que le pape rencontrait dans
l'empereur germanique, au lieu d'un consors ou d'un allié,
un rival ou un maître. Quant aux moines ils furent, au
XI** siècle, plus que des auxiliaires, ils furent souvent des
agents communs du pouvoir royal et de la papauté. Or
Cluny, en conviant la royauté à la réforme des couvents,
remit en pleine vigueur son pouvoir de discipline et de
réglementation ecclésiastique.
Aussi voyons-nous se rétablir, sinon dans son étendue
première, du moins dans une mesure très large, la con-
fusion, aux mains du roi, des pouvoirs civils et religieux*.
La royauté sous Robert le Pieux est replacée d'une façon
effective à la tête de l'Église des Gaules : le roi redevient
réellement son chef*. Hugues de Fleury pourra sans in-
vraisemblance réclamer pour lui, à la fin du xi* siècle,
la qualité d'évêque suprême». Il est chargé d'assurer non
* M. Luchaire Ta vu très nettement : « Cette immixtion régulière
et quotidienne de la royauté dans les affaires ecclésiastiques est, dit-
il, un des caractères les plus frappants de la monarchie capétienne,
conmie de toutes les monarchies de la chrétienté au Moyen âge. La
confusion entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux est au fond de
toutes les institutions de cette époque » {Hist, des insHL monarchi-
ques, II, p. i05).
î « Les chroniqueurs se plaisent à nous montrer Thumilité de Ro-
bert chantant au lutrin. Qu'on ne s'y trompe pas. En réalité, il com-
mande et l'Église suit l'impulsion reçue... Le roi est en quelque ma-
nière maître de l'Église de France » (Pfîster, Robert ^ p. 206) — Ful-
bert de Chartres, écrivant au roi Robert lui dit : w Sancte Pater »
(H. F. X., 464 E) « Tua sançtitas » (H. F. X., 464 B).
* « Rex in regni sui corpore Patris omnipotentis obtinere videtur
imaginem et episcopus Christi. Undè rite regi subjacere videntur
omnes regni ipsius episcopi, sicut Patri Filius deprehenditur esse
subjectus, non natura, sed ordine, ut universitas regni ad unum re-
digatur principium » {Tractatus de regia potestate, cap. 3. Migne,
163. c. 942). Cf. suprày p. 246, note 5.
254 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
seulement Texécution des canons mais celle des décisions
ou des sentences religieuses*. Il convoque des conciles'.
Il juge les hérétiques et les fait brûler. Sa protection sur
l'ensemble de FÉglise redevient énergique' : elle rayonne
dans tous les sens*, et elle entraîne un droit de haute juri-
* a Dignum est et utile ut nos, quos ad regni fastigium regum rex et
omnium dominus dignatus est attollere,ea quae sibi sunt placita debea-
mus cogitare. Quod quidem tune aequitatis assensu nos factum iri pu-
tamus si leges a Deo mortalibus inspiratas, et antiquorum regum pre-
decessorum nostrorum constitutiones, décréta, dispositiones, sed et epis^
coporum et apostolicorum romanorum pontificum mandata inviolabi-
Hier servemus et in diebus nostris eadem auctoritatis nostrœ vigore ro-
boremus » (Dipl. de Philippe I pour Saint-Denis, 1068, Tardif, Monum,
hist.y n° 287). C'est, du reste, de la royauté que le pape est censé tenir
le pouvoir de rendre obligatoire à perpétuité la loi de fondation des
évéchés et abbayes : « Â chrîstianis imperatoribus hanc eamdem
obtinuerunt singularitatis excellentiam, ut fundatis episcopalibus
ecclesiis, virorum seu sanctimonialium monasteriis, legemquam semel
sub excommunicationis anathemate imposuissent, nunquam, nisi
nécessitas impediret, deinceps perderent » (Abbon, Canons, cap. 5.
H. F. X. p. 628 D).
2 Tel le concile convoqué à Paris en 1050 ou 105i par le roi Henri I.
— Voyez la lettre de Theoduin, évoque de Liège, à ce roi (H. F.
XL, 497).
3 Cf. Luchaire, II, p. 105.
* Partout où l'autorité du roi peut pénétrer encore efficacement
Il est vrai que cette sphère d'action paraît se restreindre presque
exclusivement à la Francie, avec ses dépendances immédiates, et à
la Bourgogne, puisque nous ne trouvons plus, sous les trois pre-
miers Capétiens, de chartes d'immunité royale ni dans le Languedoc
ou le Roussillon, ni dans la Marche d'Espagne, ni même en Flandre
(infrà, p. 262-264, note). Mais le principe général de la protection de
l'Église, dont la tuitio spéciale ou l'immunité n'étaient qu'un renforce-
ment, n'en resta pas moins debout. Il est affirmé en ces termes par des
diplômes de Henri I et Philippe I : « Licet hoc in commune omnibm
Ecclesiis debuerimus, ut eis amminiculari et subvenire dignum judi-
caremus, illorum tamen necessitudini propensius debemus debito et
ratione condescendere, quos in servitio nostro insudasse et in fide-
litate nostra conligit vehementius laborasse » (Dipl. pour Saint-
Thierry de Reims, vers 1050, H. F. XI, 586). — « Licet generalem
defensionem Sdnctae Ecclesiœ debeamus, specialiter eam Sancto
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 255
diction, pour le moins arbitrale*, et un droit de disposition
des biens.
Remarquons, quant à ce dernier droit, que le roi n'a
jamais pu être considéré comme propriétaire des biens de
l'Église, pas plus que l'abbé, Tévêque, ou même le corps
religieux n'ont pu l'être : ces biens, en effet, appartenaient
à Dieu et aux saints. Mais c'était là, en somme, une
Remigio concedere decrevimus » (Dipl. pour Saint-Remi de Reims,
1090. Marlot, Sietrop. Remensis Historia (Reims, 1679J II, p. 181).
C'est ce principe qu'après une léthargie de plus de deux cents ans,
la royauté réveillera dans le Midi au cours du xiie siècle (Cf. Luchaire,
II, p. 281-283).
* La tuitio emporte, en principe, droit de juridiction sur le protégé
(Cf. T. I, p. 283 suiv.), donc sur le corps religieux et ses chefs, en-
core qufî leurs hommes ou leurs sujets échappent, en vertu de l'im-
munité, à la justice du protecteur. Quand l'Église est défenderesse
la compétence du roi découle tout naturellement de sa qualité de
protecteur, puisque la justice au x°-xio siècle, consiste essentielle-
ment à prendre fait et cause pour l'un des justiciables. Le tout
est de savoir si le roi est disposé à revendiquer cette compétence
et s'il est en mesure de la faire prévaloir. Il intervient de préférence en
faveur des immunistes, mais en faveur d'autres aussi. Quand l'Église
est demanderesse, elle cherche d'ordinaire (par économie) à obtenir
justice en s'adressant directement au seigneur des hommes dont
elle a à se plaindre, et ce n'est qu'en désespoir de cause qu'elle fait
intervenir son avoué ou finalement le roi (Cf. charte de Henri I pour
Saint-Médard de Soissons, 1047. H. F. XI, p. 581 B). Le roi parvient
surtout à se saisir de l'affaire quand le défendeur est sous son auto-
rité inmiédiate, est son fidèle (Cf. même charte, et charte de Henri I
pour Saint-Maur-des-Fossés, H. F. XI, p. 577-78). Enfin nous avons
vu précédemment (T. I, p. 295) que le privilège de clergie n'est pas en-
core solidement constitué au xi* siècle. La royauté peut en conséquence
exercer son droit de juridiction même sur les évéques. L'évêque de
Noyon, à raison des faits que j'ai racontés (T. II, p. 278 suiv.), est
traduit devant la cour du roi Robert et condamné à Texil : « Rex...
contra episcopum qui fidelitatem ei debebat... satisfactionem prodilio-
nis apertis querelis exigens secundum judicium optimatum suorum.
Cumque curia régis episcopum de regno Francorum expellendum et
exilium subire judicaret... » (Narratio restaur. abb. S, Martini Tor-
nacensis, H. F. X, 237 D) (Voyez d'autres exemples : H. F. XI,
p. ccxxiii-iv).
256 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
ficlion juridique, et, dans la réalité, Toffice de protection
et de haute tutelle dont la royauté était investie, consti-
tuait, quand elle avait le pouvoir de l'exercer, une domi-
natio aussi voisine du dominium que sont voisins les deux
termes qui les désignent. Il le paraissait dans son es-
sence, il Tétait pleinement par ses attributs. La protection
s'exerçait en conQrmant, en garantissant à l'Église*, les
biens qu'elle détenait, et d'ordinaire cette confirmation
s'accompagnait d'une libéralité directe du roi. Les deux
qualités en lesquelles le roi agissait ainsi n'étaient-elles pas
* La royauté l'invoque comme un droit et l'assume comme un devoir
général : « Ex injuncto nobis regiee dignitatis offîcio, tenemur menas-
teriis in regno nostro constitutis eo modo providere, quo universa,
quee ab aliis libère ipsis collata suni, et quae possidere dinoscuntur,
ne in poster um super bis valeant aliquatenus molestari, liberaliter
confirmemus » (Ch. de Robert pour S.-Mesmin, 1022-23. H. F.
X, 605).
A la confirmation des biens, comme aussi à Timmunité, se rattache
très étroitement l'approbation royale des fondations, érections ou
restaurations d'abbayes et églises. Le principe est le même, c'est la
protection. On ne saurait en effet, voir là, avec les continuateurs de
Dom Bouquet « une des maximes fondamentales de notre droit pu-
blic qu'aucun corps ecclésiastique, séculier ou régulier ne peut avoir
d'existence dans l'État que par la volonté légale du monarque »
(H. F. XI, p. ccxv), en d'autres termes, une autorisation du roi
exigée dans l'intérêt supérieur de l'ordre public, pour toute nais-
sance d'un corps religieux. L'intervention de la royauté se fonde,
comme pour les confirmations et les immunités, sur l'intérêt du
corps religieux lui-même ; elle avait pour but direct d'authenti-
quer l'acte de fondation ou de restauration, de prendre l'institution
sous sa sauvegarde, de lui assurer la stabilité et la sécurité. Le roi
se donne ainsi le rôle apparent de fondateur, — ce qui ne mianque pas
d'être avantageux pour lui, — de même qu'il paraît un ditator oulo-
cupletator en confirmant les biens. La charte de Hugues Gapet pour
Saint-Pierre de Melun vise expressément Vinstauratio ae defensio
sanctarum Ecclesiarum (H. F. X, 560 A). Conime pseudo-fondateur,
le roi assure le fonctionnement régulier de l'institution : « obsecramus...
successorum... benignitatem uti hoc monasterium... ab hostium im-
petu défendant, legibus iniquis subjacere non sinant, rectoribtia
œquissimis ac strenuis gubernandum committant » (p. 560 D).
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 257
bien près de se confondre*? — Comment distinguer aussi la
haute tutelle de la propriété quand elle aboutit aux mêmes
résultats : la nécessité pour ceux qui sont en possession
des biens ecclésiastiques d'obtenir pour toute aliénation
Tautorisation du roi', le droit pour le protecteur de dis-
poser des biens dont il a la garde. Sans doute, ce droit
n'est pas absolu en ses mains ; il n'existe que dans la mesure
où la protection de l'Église rend nécessaire d'y recourir.
C'est à ce titre que les rois francs purent l'exercer, le jour où
il fallut défendre la chrétienté contre les Sarrazins. Mais la
porte une fois ouverte, le droit de disposer ne pouvait-il pas
y passer tout entier? En distribuant des biens à ses officiers
ou ses vassaux, en les employant pour subvenir aux dé-
penses de l'État, le roi ne pouvait-il pas toujours alléguer
l'intérêt de l'Église et le souci de sa protection? Ainsi se fit
jour au ix* siècle la prétention de la couronne d'assimiler
les biens ecclésiastiques à ceux du domaine royal ', alors
* Geoffroi de Vendôme proteste contre une telle confusion et la
pratique qu'elle engendre : « Res etiam quae semel Ecclesiae datae
sunt, reges iterum eas dare, vel de ipsis investire, nec debent nec
convenienter possunt. Nam alicui dare quod habet, et de hoc investire
aliquem quod ille jam tenel, superfluum est et vanum » (Migne, 457,
219).
- Cf. Luchaire, 11, p. 78-79 et H. F. XI, p. ccxvi-xviii.
' « Sunt qui dicunt, ut audivi, quia res ecclesiasticae episcopo-
rum in vestra sint polestate, ut cuicunque volueritis, eas donetis »
(Hincmar à Louis III (881) Migne, 126, 112). Ci. la lettre des
évêques à Louis le Germanique, datée de Kiersy (858) : « Ecclesiae
siquidem nobis a Deo commissae non talia sunt bénéficia el hujusmodi
régis proprietas, ut pro libitu suo inconsulte illas possit dare vel tôl-
ière, quoniam omnia quae Ecclesiae sunt Deo consecrata sunt » (Cap.
II, p. 439). — Aux deux conciles de Mayence de 847 et 852 les évo-
ques avaient dit, au contraire, à Louis le Germanique: « Assensumnon
praebeat (rex) inprovide affirmantibus non debere esse res dominicas,
id est Domino dominantium traditas, ita sub defensione régis sicuti
propriae suae hereditates. » (Cap. II, p. 177-78, 186), et dès 833
(4 avril), l'abbaye de Kempten s'était fait délivrer par Louis le Dé-
bonnaire un diplôme qui portait : « Sub lali lege tutae ac provisae...
F. — Tome III. 17
258 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
surtout qu*elle en avait, par la vacance du siège épiscopal,
radministration exclusive et directe*. Cette prétention,
dans ce qu'elle avait de fondé, comme dans ce qu'elle avait
d'abusif, servit à légitimer l'arbitraire dont la royauté usa
à l'égard des biens des abbayes et des évêchés auxquels sa
domination se restreignit, et elle fut érigée plus tard en
droit sous forme de régale.
On serait tenté de croire qu'à la dififérence du pouvoir
disciplinaire, les droits lucratifs de la royauté durent être
réduits par la réforme clunicienne. Il n'en fut rien. L'Église,
en bonne politique, était tenue d'ofifrir à la royauté des
avantages matériels ou tangibles, en échange des ser-
vices qu'elle en recevait, et, du reste, le centre des abus
était plus dans les évêchés et les abbayes seigneuriaux que
dans les évêchés royaux. Elle se montra donc conciliante
quant à ces derniers. Elle laissa s'étendre même le droit
d'élection du roi aux dépens du droit des seigneurs.
Ce n'est qu'aux siècles suivants, quand la papauté attei-
gnit son apogée de puissance, que l'Église de Rome entra
en concurrence ouverte et souvent victorieuse avec la
royauté française.
2. Les pouvoirs particuliers du roi sur le clergé.
Nous venons de voir comment le pouvoir général de
la royauté sur l'Église est allé se particularisant. Ce qu'il
a perdu en étendue, il l'a gagné en force. Si son carac-
tère spirituel s'est affaibli, ses avantages temporels s'en
sont accrus. La puissance séculière de la royauté a donc
hérité de sa toute-puissance spirituelle. Mais l'héritage
n'a été que partiel et fragmentaire. Il n^a porté que sur cer-
quemadmodum per imperium nostrum res fisci nostri tuentur. »
(Mon. Boica, 28, 23, Mûhlbrecht, Rey., n° 921). C'est que rassimila-
tion aux biens du roi était, à beaucoup d'égards, fort profitable à
l'Église. Cf. p. 273, note 5, et chap. iv, § 4, Le pouvoir judiciaire),
* Cf. Imbart do la Tour, op, cit., p. 126-i27.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 259
taioes églises ou corps religieux et non point sur Tensera-
ble. Ce sont ceux qui se trouvent dans la main, in manu,
sous la domination, in dominatUy du roi : 1** les églises pa-
roissiales et les simples chapelles dont il est le patron;
2"* les corps religieux, abbayes ou diocèses, placés sous sa
tuitio spéciale ou dotés parlai de l'immunité; 3" les évêchés
et les abbayes sur lesquels il a gardé en l'étendant et en le
temporalisant son droit d'élection. La première de ces
catégories rentre dans le domaine, puisque les églises qui
la composent sont, nous le verrons, de véritables proprié-
tés. Les deux autres demandent à être envisagées ici de
plus près. Nous le ferons séparément, bien que la distinc-
tion entre elles ne soit pas absolument rigoureuse.
jo juijiQ Qu^ GARDE et IMMUNITÉ.
Les évoques, les abbés, tous les clercs, étaient liés au
roi carolingien par Thommage lige naturel. Ils Tétaient
à titre de sujets, ils Tétaient plus strictement encore à titre
de membres de TÉglise, assimilée à la nation franque *.
Ils lui devaient en conséquence, nous Tavons dit, le ser-
ment de fidélité {leudesamio).
Quand, pour les laïques, ce lien s'effrita par les recom-
mandations particulières, il se maintint pour les clercs,
par suite des conditions spéciales de dépendance où ils
étaient placés. D'autre part, les évèqueset les abbés, étant
investis d'un honor, d'une fonction publique, ne pouvaient
refuser le serment de fidélité; ils refusèrent seulement, à
raison de leur caractère sacré, Thommage exprès qui les
aurait identifiés à des vassaux et leur fonction à un bé-
néfice*.
* Voyez suprà, p. 245.
2 « Nos episcopi Domino consecrati, déclarent en 858 les évêques
réunis à Kiersy, non sumus hujusmodi homines ut, sicut homines
gaeculares, in vassalatico debeamus nos cuilibet commendare » (LL. II,
p. 439).
260 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
La désorganisation croissante de TÉtat carolingieD, la
métamorphose des évêques et abbés en seigneurs, la con-
currence faite à la royauté par le principal et la papauté
furent cause que ceux-là seuls des clercs, des abbés et des
évêques, continuèrent à devoir le serment de fidélité et
demeurèrent dans le mainbour du roi, qui étaient insti-
tués par lui (droit de patronat et droit d'élection) ou
qui, en vertu d'un acte de l'autorité royale, formant
contrat synallagmatique, étaient sous sa garde. Ce sont
ces actes royaux {tuitio, immunité) dont nous avons à
déterminer les raisons d'être, la nature^ les modalités et
les eflTets.
L'immunité, à Tépoque franque, était une conséquence
du mwidium\ mais elle avait aussi son existence propre :
elle constituait un affranchissement, puisque, soustrayant
le territoire de Timmuniste et l'immuniste lui-même à l'ac-
tion des officiers du roi, il le dispensait, il l'affranchissait
des charges publiques.
Au x" siècle, il n'en va plus ainsi. Les rôles sont
renversés. La tuitio reprend tout son empire, la franchise
passe à l'arrière-plan*. 11 ne s'agit plus qu'exceptionnelle-
' T. I, p. 91 suiv.
^ M. Brunner a avancé (II, p. 53 suiv.) que, par crainte des charges
et de l'assujettissement que le mundium entraînait, TÉglise s'était, au
ixe siècle, efforcée avec succès de s'y soustraire, tout en obtenant les
avantages qui en découlaient, la protection de ses biens, leur
assimilation aux biens du roi. L'immunité se serait ainsi détachée de
la tuitio les chartes de mundium seraient devenues de plus en plus
rares depuis Louis le Débonnaire, contrairement à l'opinion de Waitx
(IV, p. 290 et suiv.) que le mundium, à la même époque, était attaché
régulièrement à l'immunité et faisait corps avec elle. Pour la FVance,
l'opinion de M. Brunner est entièrement injustifiable et celle de Waiti
pleinement exacte. Loin que les diplômes de mundium deviennent
rares aux ix*, x% xie siècles, ce sont les immunités sans mainbour qui
sont tout à fait exceptionnelles. Il y a plus. On peut voir, en étudiant
de près tous les actes des derniers Carolingiens, des Robertiens et
des premiers Capétiens que j'énumère plus loin, que là même où le
mundium n'est pas expressément accordé, il Test tacitement, et que
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 261
meot d'affranchir de l'action régulière ou de Tabus de
pouvoir des fonctionnaires royaux — qui sont devenus
non seulement Timmuniié, mais aussi la simple conGrmation des biens,
emporte mundium. Quant à Timmunité, il importe de le montrer de
suite, quant à la confirmation je me réserve de le faire en traitant
des prérogatives royales.
Aux yeux de M. Brunner la formule : « mb nostra siLsciperemus
defensione et immunitatis tuitione » ne signifierait autre chose
qu'une protection spéciale des biens. Toutes nos chartes prouvent le
contraire, et dès le ix« siècle. En 888, cette formule se trouve dans
le diplôme d'Eudes pour Solignac (IX, 443), or la même charte
nous apprend qu'elle n'est qu'une confirmation d'un mun-
dium ancien : « in manu domni Imperatoris... se commendavit...
ut sub ejus tuitione licuisset... vivere ac residere ». En 889, Eudes
confirme les immunités de Saint-Germain d'Auxerre : totius immunita-
tis auctoritatem, en conséquence il ajoute : « ipsam congregationem
sub mundeburgio suscipimus » (IX, 447). La même année, confirmation
de libéralités et d'immunités à l'Église de Langres, après quoi il est
dit : « liceat sub immunitatis nostrae defensione quieto ordine possi-
derej et nobis fideliter deservirb » (IX, 449, 450). De môme Girone,
899 (IX, 476), 922 (IX, 557) (nobis fideliter parère), Narbonne, 890
(IX, 455) (nostrae parère jussioni), etc.
Qu'on prenne maintenant une à une les chartes dont j'ai dressé la
liste, et l'on verra à quel point le mundium est la règle de 888 à 1060*
Sur plus de cent diplômes d'immunité (abstraction laite des confirma-
tions de biens sur lesquelles je m'expliquerai plus tard) il s'en trouve
à peine cinq ou six où l'immunité paraisse séparée du mundium, et
il s'agit surtout alors de biens isolés. Dans les autres, le mainbour
à la fois personnel et réel est exprimé par des formules comme
celles-ci, qui ne laissent place à aucun doute : a: liceat... sub
nostra regia tuitione et mundeburdo absque aliqua inquietudine
vivere et nostro fideliter parère imperio » (diocèse de Narbonne,
890, IX, 479) « eandem ecclesiam sub munimine et auctoritatis
nostrae defensione reciperemus, atque cum omnibus rébus et om-
nibus sibi subjectis sub praetextu tuitionis nostrae, mundiburdo
et immunitate consistere faceremus; quatenus sic ab infestatione et
inquietudine judiciariae potestatis eadem munita atque defensa fuisset
ecclesia » (Girone, 891, IX, 458) « monasterium in tutela ac familia-
ritate nostra suscepimus» (Corbie, 901, IX, 404) « sub nostra mundi-
burdo tuti permaneant »> (Saint-Pons de Thomières,939,IX, 591) «sub
nostrae immunitatis ac defensionis tuitione, ditionisque potestate mo,-
nere » (S. P. de Roses, 944, IX, 600) « nostrae ditioni omnino vindi-
262 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
clairsemés et réduits à un nombre exîgu — ni de faire
remise d'impôls publics, que le roi n^arrive presque plus
nulle part à lever. Il s'agit de protéger un corps reli-
gieux ou ses possessions contre la spoliation, le pillage,
la violence, la coutume abusive* d'aventuriers innombra-
bles, bandits ou seigneurs, et d'obtenir, pour prix de cette
protection, des contributions et des services aussi effectifs
que les charges publiques sont illusoires. L'intérêt des deux
parties, de la royauté et de TÉglise, est donc égal. La pre-
mière n'est pas plus généreuse que la seconde n'a la pré-
tention de jouir gratuitement de la protection royale.
Si les concessions d'immunité faites par les premiers
Carolingiens furent un démembrement certain du pouvoir
royal et préparèrent sa désorganisation prochaine, je ne
crois nullement qu'on puisse poiter le même jugement
sur l'ensemble des immunités royales des x* et xi* siècles.
De même que les concessions directes de droits régaliens
à des corps ecclésiastiques ou à des évêques, les immu-
nités ont, par une alliance du pouvoir séculier et du pou-
voir religieux, mis à Tabri des usurpations princières
et seigneuriales une part plus ou moins large de la sou-
veraineté. Le roi abandonnait des droits débiles et mena-
cés de toute part, pour les reprendre solides et sûrs de
compte à demi avec l'Église. Il ne les reprenait sans doute
cantes... sub nostra dcfensîone constituentes praccipimus ut nullus
judex... etc. » ^Besalu, 952, IX, 608) « adnullum principem nisi adso*
lum regem Franciae (ou Francorum) respicientes,,, libère omnia sua
nostra regali absolutions possideant,et nuili unquam alterinisi solum
regali subdita sint poteslati » (S. P. maritime, 968, IX, 632) « sub
dominatione et patrocinio,., praesentem et indeficientem tuitionem »
(Sainte-Geneviève, 1035, XI, 571) « de potestate S. comitis in sua
mundeburde recepit propria » (Saint-Médard de Soissons, 1048, coll.
Grenier, loc. cit.),
' « Ul nullus officialis habeat in ipsa villa aliquid dominium, sive
cornes, sive vice comes vel quilibet improbus exactor neque in fredis,
aut in aliquo usu indebito quem coustumam vulgo nuncupant. » (Fé-
camp, X, 587).
LES QUATRE FACES DE LA BOYAUTÉ. 263
qu'indirectement, à titre de protection ou de garde, mais
qu'importait après tout, puisqu'un résultat considérable
était atteint, puisque le principat et la seigneurie étaient
tenus en échec* ou refoulés, puisque Timmuniste restait
un sujet obéissant et s'acquittait de devoirs d'autant plus
étendus qu'il était plus riche et plus puissant. C'est ce
qu'a fort bien vu Fontanieu : « Le droit de garde, dit-il,
était alors (sous Henri I) d'une très grande importance
parce qu'il attribuait juridiction sur les vassaux des terres
qui étaient sous la garde, que par ainsi le gardien se fai-
soit servir à la guerre par ces vassaux et qu'on se servoit
des châteaux sur lesquels il avoit droit de garde comme
des siens propres. C'est pour cela que cette garde devait
être fort avantageuse au roi, qui ne commandoit avec
guères moins d'autorité dans les terres des Églises com-
mises à sa garde spéciale que dans celles de son do-
maine^ ».
Mettons ce sujet en plus complète lumière par l'analyse
des principales chartes de mainbour et d'immunité qu'ont
octroyées les derniers Carolingiens, les rois Robertiens, et
les trois premiers Capétiens, pendant une période de près
de deux siècles (888-i060)^
' M. Luchaire l'a très justement noté : « Quand les rois, dit-il. dé-
claraient prendre une abbaye sous leur protection, ils l'enlevaient par
là même, tout au moins partiellement, à l'autorité du grand vassal
dans la province duquel elle était située » (Instit. mon,, II, p. 92).
2 Portefeuille 5, fo 193 {Bibl. nat, MS. fr. 7563).
3 Je les groupe, par région, dans le tableau suivant, en prenant pour
base H. F., IX-XI.
1. Aquitaine,
888-889 (Eudes), abb. Beaulieu (d. de Limoges), H. F. IX, 441.
id, abb. Solignac (i6id.), IX, 442.
889 (Eudes,\ abb. Saint-Hilaire de Poitiers, IX, 450.
924 (Raoul), église du Puy-en-Velay, IX, 564.
Conflrm. : 955 (Lothaire). IX, 618.
927 (Raoul), abb. Déols (d. de Bourges), IX, 570.
942 (Louis IV), abb. Saint-Hilaire de Poitiers, IX, 595.
264 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
944 (?) (Louis IV), abb. Tulle (d. de Limoges), IX, 599.
962 (Lothaire), Sainte-Trinité de Poitiers, IX, 626.
(?) Confirm. : après 966 (daté de 982, par H. F.), IX, 651 (très
suspect).
1051 (Henri I), La Chaise-Dieu (d. de Clermont), XI, 588.
II. Languedoc.
888-889 (Eudes), abb. Montolieu (d. de Carcassonne), IX, 443.
Id. (ùL), abb. Saint-Poly carpe (d. de Narbonne), IX, 445.
890 (Irf.), abb. N.-Dame de Grasse, IX, 451.
890 (Id.), église de Narbonne, IX, 454.
Confirm. : 899 (Ch. le Simple}, IX, 471.
922 (Id.), IX, 555!
890 (Ch. le Siaiple), Êvèques et prêtres de la province de Narbonne,
IX, 479.
890 (Eudes), abb. de Joncels (d. de Béziers), IX, 455.
Confirm. : 909 (Ch. le Simple), IX, 507.
897 (Eudes), Montredon (d. de Narbonne), IX, 465.
899 (Ch. le Simple), Aniane (d. de Narbonne), IX, 481.
906 (Id.), Cannes (d. de Narbonne)^ IX, 503.
909. Saint-Pierre do Psalmodie (d. de Nîmes), IX, 507.
939 (Louis IV}, Saint-Pons de Thomières (d. de Narbonne), IX, 591.
III. Roussillon,
899 (Eudes), église d'Elne, IX, 482.
952 (Louis IV), Saint-Pierre de Besalu, IX, 608.
IV. Marche d'Espagne.
888-889 (Eudes), abb. de Fontclair (d. de Girone), IX, 444.
Id. [id.), église de Vich d*Ausone, IX, 446.
891 (Id.), église de Girone, IX, 458.
Confirm. : 899 (Ch. le Simple), IX, 475.
922 (Id.), IX, 556.
938 (Louis IV), abb. Ripoll, IX, 589.
Confirm. : 982 (Lothaire), X, 649.
944 (Louis IV), abb. Saint-Pierre de Roses, IX^ 600.
Confirm. : 9i8, IX, 604.
982 (Lothaire), IX, 648.
952 (Louis IV), abb. Saint-Michel de Cuxa, IX, 609.
968 (Lothaire), abb. Saint-Paul-Maritime et Saint Félix de Jecsal,
IX, 633.
986 (Lothaire), abb. Saint-Cucufat (d. de Barcelone), IX, 656.
V. Bourgogne.
889 (Eudes), abb. Saint-Germain d'Auxerre, IX, 447.
Confirm. : 994, X, 562; 1002-1010, X, 579.
LES QUATRB FACES DE LA ROYAUTÉ. 265
889 (W.), abb. Tournus, IX, 448.
Confirm. : (Louis IV), IX, 593; (H. Capet), 989, X, 554;
(Henri I), 1059, XI, 600.
889 {Id.), église de Langres. IX, 449.
889 (Id.), abb. Vezelay (Favre, Eudes.p, 236).
Conprm, : 936 (Louis IV), Bandini, Cat. bibl, Laurent., I,
p. 140.
891 (Id.), abb. Sainte-Colombe de Sens, IX, 457.
Confirm. : 974 (Lothaire), IX, 637 ; 988 (Hugues Capet), X,
553.
900 (Ch. le Simple), abb. Saint-Martin d'Autun, IX, 485 ; église
d'Autun, IX, 486.
927 (Raoul), abb. Cluny, Chartes de Cluny, I, p. 281.
948 (Louis IV), Saint- Vincent de Mâcon [CartuL, p. 74).
1030 (Robert), Saint-Hippolyte en Beaunois, dépend, de Tévêché de
Chalon-sur-Saône, X, 624.
1031 (Henri I), Saint- Pierre-le -Vif de Sens, XI, 566.
1053 (W.), Saint-Victor de Nevers, XI, 590.
VI. Flandre et Artois.
890 (Eudes), Saint- Vaast d'Arras, IX, 452.
963 (Lothaire), Saint-Pierre, à Gand, IX. 628.
Confirm. : 967. Lot, Les derniers Carolingiens, p. 399 et suiv.
967 (Lothaire), abb. Saint-Bavon, à Gand, IX, 629.
976 (Lothaire), abb. Saint-Quentin-en-l'Ile, IX, 640.
VII. Normandie.
1006 (Robert), Sainte-Trinité de Fécamp, X, 587 (l'immunité n'a
trait qu'à un village du comté de Senlis).
VIII. Francie et ses dépendances immédiates»
Sans date (Eudes), église de Laon, Favre, Eudes, p. 238.
893 (Icf.), Saint-Médard de Soissons, IX, 460.
1048 (Henri) (Cart. Saint-Médard de Soissons, f^ 101, Coll. D.
Grenier, n° 233, f° 167 r).
900 (Ch. le Simple), Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), IX, 488.
Confirm. : 967 (Lothaire), IX, 631.
974 (Jd.), IX, 636.
979 (Louis V), IX, 659.
993 (H. Capet), X, 561.
901 (Ch. le Simple), église de Noyon, IX, 491, 492.
901 (M.;, Corbie, IX, 493.
Confirm. : 988, X, 552; 1016, X, 599.
266 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
Un phénomène assez étrange frappe tout d'abord. C'est
Télargissement des formules*, l'emploi de termes pompeux
903. Saint-Martin de Tours, IX, 496.
Confirm. : 909 (IX, 509), 919 (IX, 542), 931 (Raoul), IX.
571, 573; 988 (H. Capet), X, 550.
921 (Ch. le Simple), Saint- Maur-des-Fossés, IX, 551.
Confirm, : 1058 (Henri I), XI, 596 D.
953, 955 (Louis IV), église de Reims, IX, 610 (Lothaire), 617.
974 (Lothaire), Saint-Thierry de Reims, IX, 634.
975 (Lothaire), Saint-Vincent de Laon, IX, 639.
Confirm. : 937 (Hugues Capet), X, 549.
979 (Louis V), Sainte-Croix d'Orléans, IX, 660.
Confirm. : 990 (H. Capet), X, 558; 991 (Robert), X, 573.
980 (Lothaire et Louis V), Chapitre de Paris, IX, 642.
980. Saint- Magloire de Paris, IX, 644.
Confirm. : 996-1000 (Robert), X, 576.
984 (Lothaire), Saint-Père de Chartres, IX, 655.
991 (H. Capet), Saint-Pierre de Melun, X, 559.
Confirm. : 1033 (Henri I), XI, 569.
995 (H. Capet et Robert), Bourgueil, X, 563.
996-1003 (Robert), Saint-Denys, X, 581.
1003 (Id), Prieuré d'Argenteuil, X, 582.
1001. Saint-Mesmin de Mici (Orléans), X, 579; 1022, X, 605.
1002-1016. Sainte-Geneviève de Paris, X, 594.
Confirm. : i035 (Henri I), XI, oli.
1007. Beaumont, près Tours, X, 589.
1017. Preuilly (d. de Tours), X, 600.
1028. Coulombs, près Nogent-le-Roi, X, 617.
1028. Saint-Pierre de Chàlons, X, 619.
1031. Noyers, X, 624-5.
1035 (Henri I), Saint-Symphorien de Beauvais, XI, 572.
1037. Saint-Bartholomé de Beauvais, XI, 573.
1057. Sainte-Marie de Soissbns, XI, 594.
1057. Chapitre d'Amiens, Collect. D. Grenier, n» 233, f* 183, r«-v«.
1059. Saint-Père de Chartres, XI, 602.
On voit que depuis 939 dans le Languedoc, depuis 962 (sauf une
exception) dans l'Aquitaine, depuis 976 dans la Flandre, depuis 986
dans la Marche d'Espagne, nous ne relevons plus d'immunité royale.
Mais elles reparaîtront nombreuses en Flandre sous Philippe I (1060-
1066) (Luchaire II, p. 237), et plus nombreuses encore dans le Midi
sous Louis VII, de 1157 à 1173 (Luchaire, II, p. 281-283).
* Cf. T. I, p. 176, p. 178 note 1.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTE. 267
OU de superlatifs *, et en regard la singulière spécialisation
qui parfois se fait jour. On serait tenté de dire, à ce dernier
point de vue, que la protection devient une entreprise, que
ce sont des contrats iVassurance qui sont conclus, quand on
ne voit pas seulement le roi accorder une sauvegarde spé-
ciale contre tel ou tel château *, mais doter un vivier de l'im-
munité royale^ comme nous avons vu ailleurs le droit d'a-
sile (sauveté) attribué à une garenne de lapins*. Toutefois
cen'étaitlà que l'exception. Le grand objet à atteindre pour
les corps religieux est de portée plus vaste. Ils ont à
leur service des hommes d'armes {milites) et des vassaux
[ministeriales) qui leur prêtent main-forte contre les enne-
mis du dehors et font rentrer dans Tordre les perturbateurs
du dedans, ils ont des protecteurs particuliers de toute
sorte, avoués, gardiens de telle potestas, fondateurs, sei-
gneurs locaux, etc.; mais il leur faut un protecteur générai
placé assez haut et jouissant d'assez de prestige pour les
défendre contre les exactions de leurs auxiliaires et de
leurs protecteurs particuliers, contre les violences ou les
injustices d'où qu'elles viennent, contre les abus de pou-
voir de leurs supérieurs hiérarchiques et de leurs propres
chefs (abbés ou évêques). La majesté royale était de sa
* « Indignum est ut homines judicent Deos » (Narbonne, 899, H.
F. IX, 479) — « plenissima luitio et immunitatis defensio » (S. Col.
de Sens, 988, X, 553) — « plenissima defensio » (Saint-Germain
d'Auxerre, 1002-10, X, 579).
2 Défense de construire châteaux forts dans un rayon déterminé
autour de Cluny (996-1002, H. F. X, 611). — Protection spéciale
contre le château de Montbazon construit par le comte d'Anjou, avoué
de l'abbaye de Cormery, sur la terre de celle-ci, en Touraine, et du
château de Miribel, dans son voisinage, en Poitou (1002-1006, H. F.
X, 577, Gart. de Cormery, p. 62).
2 « Cujuscumque sint littora, praefato monasterio aquam cum omni
piscatione et cum justitia, sub immunitatis nostrae deffensione, quieto
ordine, pro aeterna remuneratione concedimus » (Saint-Col. de Sens,
974, IX, 637).
* T. Il, p. 190.
268 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
nature la plus propre à remplir cet office. Elle aurait
donc pu être, au x® et au xi* siècle, la protectrice attitrée
de tous les corps religieux, et par ce rôle faire progresser
rapidement Tœuvre d*unificatioQ nationale, si elle D*avait
rencontré des rivaux de plus en plus redoutables dans la
papauté et dans le principat.
A n'envisager en ce nooment que la protection royale,
ce que je viens de dire explique à la fois Tétendue de la pro-
tection *, Tampleur des formules*, la réserve des droits de
protecteurs particuliers* et surtout la multiplicité des exao
tionsque la charte prévoit pour en mettre T Église à couvert :
exactions des rois, princes ou seigneurs^, exactions de
leurs officiers*, exactions des avoués*, autorité abusive des
prélats. Au dedans le corps religieux^ est garanti contre les
* Suprà, p. 260, noie 2.
2 CL p. 266, note 1, p. 267, note 1, etc.
3 Réserve des droits du fondateur (Saint-Pons de Thomières,
939, IX, 591), du duc « sub manu regum aut forte ducum» (St-Ger-
main d'Auxerre, 994, X, 562), du supérieur ecclésiastique « honore
archiepiscopali servato » (Saint-Thierry de Reims, 974, IX, 634), de
rÉglise « salva nostraet ecclesiae matris condigna reverentia» (Nevers,
1053, XI-592). Abandon à Tavoué d'une redevance {salvamentum
régis) de 30 muids de vin (St-Benoît-s.-Loire, 993, X, 561). Cf. re-
nonciations préalables des ayants droit particuliers (Nevers,
XI, 590).
^ « Ut... nullus omnino rex, nec episcopus, nec comes, neque
alicujus personœ inconsiderata audacia aliquod prœjudicium, vel
quamlibet indebitœ oppressionis violentiam in omni terra dilionis
eorum contra fas praesumat inferre. » (Saint-Remi de Reims, 953, IX,
610). « Ut... abbati ejusque fratribus nullus laicorum sive clerico-
rum... nec aliquis princeps vim aliquam inférât » (Saint-Bavon, 907,
H. F. IX, 630) ».
« Saint-Quentin-en-rile. 976, H. F. IX, 640; Saint-Pierre de
Melun, V. 1033, XI, 569. Cf. Saint-Maur, 1058, XI. 600 (gîte), Saint-
Martin de Tours, 988, X, 551 -A, etc.
6 Curbie, 1016, H. F. X, 598-9. Cf. H. F. XI, 577. D. Voy. T. I,
p. 182 et suiv., et Luchaire, II, p. 91-92.
' Evéque : Saint-Germain d'Auxerre, v. 1022, X, 580-B-D —
Archevêque : h aint- Pierre de Melun, 991, X, 560-D.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 269
excès, Tarbitraire, les dilapidations de ses préposés, des
abbés laïques notamment*; la régularité de son adminis-
tration lui est assurée*.
Considérons maintenant les avantages que la royauté
retire de la protection qu'elle accorde. Ce sont tout d'abord
des avantages d'ordre général. Elle acquiert par cette voie
la possibilité de faire sentir son action dans les diverses
régions de la Gaule. On aurait tort, en effet, de s'attacher
d'une façon trop exclusive à la situation de l'abbaye ou de
l'Église, dont je me suis servi pour l'énumération des
chartes de mainbour et d'immunité. La protection royale ne
s'y confine pas. Elle peut rayonner au loin et de toutes
parts. Les Églises placées dans la main du roi (Cluny et
Marmoutier en sont de saillants exemples) possèdent des
biens dans toutes les parties de la Gaule et même au de-
hors. Tous ces biens, avec leurs franchises, participent au
mainbour du roi et peuvent provoquer dès lors son inter-
vention légale*. En outre, l'immunité -de tonlieu, de droits
* « Non solum in laicali, sed et in ipso ecclesiastico ordine taies
esse noscunlur qui loca sanclorum tanquam ad regendum vel susci-
piunt vel suscipere cupiunt. ut rerum ipsorum locorum non redores
vermimi, aed invasores atque rapaces esse veliîit perversissimi »
(Saint-Martin de Tours, 931, H. F. IX, 572). Défense d^aliéner les
biens et de les donner en bénéfice : par exemple, Saint-Benoît-sur-
Loire, 900, H. F. IX, 488 ; Saint-Germain d'Auxerre : « Ut nulli abba-
lum ejusdem loci... liceat ex prœscriptis omnibus rébus aliquid in
alio3 prœlerquam constiluimus usus redigere aut retorquere, aut
alicui habendum conferre, neque censum aut honorem, aut dona
quaelibet,vel pastos canum in possessionibus suis siveequorum, vel...
receptus aliquos... requirere » (H. F. X, 580).
'^ « Sint... ad ordinandum in manu gregis B* M' decani atque edi-
tui, nobilium que ac seniorum fratrum » (Saint-Martin de Tours,
903, H. F. IX, 497).
'^ « Preecipientes ut in nullis prœfatis S' M* et fratrum rébus,
quaD habentur in Austria, Neustria. Burgundia, Aquitania et Francia,
et in ceteris regni nostri partibus, Christo annuente, nuUus judex
etc. » (Saint-Martin de Tours, 919, IX, p. 544, de même 903, 931). —
(( Hos ejusdem S* M^ in Austria, Neustria, Burgundia, Aquitania et
270 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
de marché, de droits de circulatioQ s'étend en principe à
tous lieux quelconques du royaume*. Elle autorise par suite
ou justifie tout acte de l'autorité royale qui, pour la sauve-
garde des hommes ou des marchandises de TimmaDiste,
s'attaque aux extorsions des seigneurs, réprime leur usage
d'alimenter coffre, huche et cellier, en rançonnant à merci
les voyageurs et en taxant arbitrairement les marchands.
Les avantages et les profits que la royauté puise di-
rectement dans son mainbour ne sont pas moins certains,
bien qu'ils n'apparaissent pas, à première vue, dans les
chartes royales. A lire celles-ci, on n'aperçoit que des con-
cessions, des abandons, des renonciations consentis psur
le roi : la contre-partie échappe ou se dérobe. Ce n*est
que par exception, et guère au delà de la fin du ix* siècle*,
in céleris nostris... regni partibus consistentes, quse non solum a
regibus atque orlhodoxis principibus, verum etiam a ceteris fidelibus
collatae, vel per quo-^libet contractus et munimina cartarum in jus
ejusdem S^ M^ traditœ sunt... sub nostrae immunitatis defensione
consistere » (Saint-Martin de Tours, Hugues Capet, 988, X, p. 550).
— a Ut in omnibus ubicumque locis intra aut extra regni nostri fines
iidem monachi aliquid habere et possidere cemuntur... nullus cm-
mino rex, nec episcopus, nec cornes etc. » (Saînt-Remi de Reims,
953, IX, 610).
i « Omnium quoque exactiones teloneorum per di versa municipia,
oppida seu castella, vel loca qutelibet regni nostri, ex hominibus
juris praedicti monasterii penitus indultas et remissas esse volumus
atque sancimus » (Saint-Pierre de Gand, 963, H. F. IX, 628) — « Ju-
bemus ut neque monachi ipsi aut negotiatores eorum, neque bomi-
nés, qui per ipsam casam Dei sperare videntur, teloneum persolvere
cogantur in civitatibus vel vicis, sea villis aut mercatis vel in portu-
bus aut portis »> (Saint-Germain d'Auxerre, 1002-1010, H. F. X, 580)
— « Ut nullus... comes seu vicecomes... sive de fratrum negotiis, sivo
de suis, teloneum aut ullam exactionem neque in mari, sive Ligeri
lluvio, aut Rhodano. sive Sagonns, aut Dou vel ceteris fluminibus
navigantibus, aut littoribus commorantibus exigere audeat aut prœ-
sumat, aut navaticum, aut cespaticum aut salutaticum, aut portati-
cum, neque in terra rotaticum, neque in tabernis ullam exbibitio-
nem » (Tournus, 941, IX 593).
'^ Au ix« siècle le servitiinn regale était très étendu pour Tensemble
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 271
que le service royal, servitium regale, est explicitement
stipulé*. Il importe pourtant de ne pas s*y méprendre.
Observons, dans ce but, la nature de l'acte et la relation
juridique qu'il suppose préétabli. L'acte doit servir de
bouclier, ce ne sont donc pas les devoirs du protégé, ce
sont ses droits qu'il doit mettre en éclatante lumière. Le
prix que la sauvegarde est payée n'intéresse pas les tiers,
il est affaire entre le protecteur et le protégé, il n'a point
besoin d'être stipulé entre eux*, car il découle de plein
droit du mainbour et de l'immunité.
des monastères. M. Brunner (II, p. 70, note 16) a eu raison de dire
que ceux-là mêmes qui exceptionnellement étaient dispensés des dona et
de la militia n'en devaient pas moins d'autres services publics (droit
de gîte, entretien des ponts, etc.). Le nombre de telles dispenses fut
certainement beaucoup moins considérable qu'il paraît ressortir de la
notitia de servitio monasteriorum datée de 817 (Capit., t. I, p. 349
et s.; Mùhlbacher, Reg,, 651). Cette notice n'a aucun caractère officiel
et elle a dû être fabriquée (probablement dans le Midi) au profit de
couvents qui voulaient s'affranchir de leurs obligations (Cf. Puckert,
Die sogen. Notitia^ dans B. der k, Sâchs. Ges. der Wiss., 1890, p. 46
et s., et Brunner, /. c). Le texte de Smaragde souvent allégué ne parle,
du reste, aucunement d'un recensement général et d'une répartition
des couvents en trois classes {dona et militia, dona^ orationes), il se
contente de mentionner une remise partielle de service à ceux qui
étaient trop chargés : « Erant etiam quaedam ex eis munera militiam
que exercentes : quapropter ad tantam devenerant paupertatem, ut
alimenta vestimentaque deessent monachis. Quae considerans... piis-
simus VGX juxt a posse servir e praecepit, ita ut nihil Deo famulantibus
deesset, ac per hoc alacres pro eo ejusque proie, toliusque regni statu
piissimum precarentur Dominum. » {Vie de S. Benoît d'Aniane,
cap. 54; Mabillon, SB. IV, I, p. 214).
^ « De ipsis (villis vel locis) regale servitium strenue peragat,
adjunctis vassallorum annuis donis » (S.-Benoît-s.-Loire, 900, H. F.
IX 488). — « Nobis fideliter deservire « (889) « nostrae parère jus-
sioni » (890), « nostro fideliter parère imperio » (890), « nobis fideliter
parère » (922).
'^ Les salvamenta mentionnés parfois ne sont pas dus par le corps
religieux, mais par ses hommes ou ses subordonnés, qui, en ce
cas, ne jouissent donc plus de rimiiunité pleinière dont je parle au
texte. Tels sont une redevance de 13 solidi et 6 deniers par an impo-
272 IJVRE IV. — CHAPITRE II.
Une distinction fondamentale et trop négligée par les his-
toriens doit, en effet, être faite entre Tabbaye ou Téglise con-
sidérée comme personne morale, représentée notamment, à
ce titre, par Tabbé ou Tévêque, et, en regard, les hommes qui
dépendent d'elle ou les biens qui lui appartiennent, pris sé-
parément et en soi. Les services que les hommes de l'Église
devaient au roi, les impôts auxquels ils étaient soumis,
les confiscations ou les amendes de justice qu'ils encou-
raient, Texercice sur eux du droit de police ou de juridic-
tion, tout cela est abandonné en règle à Timmuniste, leur
seigneur immédiat, substitué au roi*. Mais ce seigneur,
couvent ou évêché, est tenu, comme collectivité, à la fldé-
lité, à la foi que doit tout recommandé, tout protégé spé-
cial, sans que, du reste, à raison du caractère sacré du
protégé, une recommandation formelle, un hommage
exprès soit régulièrement requis'. Or, cette foi est très
ses à des églises qu'acquiert Saint-Thierry de Reims (974, H. F. IX,
635) et un salvamentum de quatre deniers de vin par arpent que le
roi retient sur des hommes dont il abandonne la vicairie à Féglise de
Chartres (1048, H. F. XI, 584).
* « Habitatores... locorum illorum servitium et obsequium quod
comitibus hactenus impendebant. abhinc jamdicto episcopo impen-
dant ac successoribus ejus » (Église de Vich d*Ausone« 888-89, H.
F. IX, 447) — « Servitium regale quod debent homines de villis 0. et
L. praedicto constituimus cœnobio » (Ripoll, 938, H. F. DC, 589)
« quidquid de rébus prœfati monasterii fiscus exigere poterat prœf.
monasterio... concessimus » (formule habituelle) (Saint- P. de Psal-
modie, 909. IX. 508).
Au sujet de la levée d'une taille sur les hommes d*une église, un
diplôme de Philippe I appellera Tensemble de ces droits la plénitude
du pouvoir royal sur une terre et sur ses habitants : « quoniam
Karolus omne jus regium omnemque poiestatem et dominationem
quam in terra illa... et in omnibus ejusdem terre hospitibus habuerat
et habebat eidem ecclesie... imperpetuum concesserit, ac... in jwt
et potestatem ecclesie transtulerit » (Dipl. pour S. (Corneille de Corn-
pi^gne, 1105-1107, publi»^ par Langlois, Textes relatifs à rhist, du
Parlement (C. T), p. 8).
2 Ce caractère sacré ne faisait pas obstacle à la recommandation
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 273
étendue, très générale, très compréhensive. Elle com-
porte l'aide, le conseil, les dons\ le service de guerre^,
autant d'obligations dont l'abbé ou Tévêque on ta s'acquitter
de plein droit envers le roi% en même temps qu'ils sont
ses justiciables*. Enfin le pouvoir de disposer des biens,
que nous avons vu découler du mtindium *, devient d'autant
des biens telle qu'elle s'était pratiquée dès le viii* siècle (Cf. sur ce
dernier point, T. I, p. 109 note).
* C'est une foi analogue à celle des vassaux militaires (Cf. T. II,
p. 518 et suiv.).
2 Les dons annuels, devenus des impôts (vectigalia) dès l'époque
franque, étaient dus en ce temps par tous les corps religieux, à raison
de la protection générale dévolue à l'Église : « Causa suae defen-
sionis régi ac rei publicœ vectigalia, quœ nobiscum annua dona vo-
cantur, prxstat ecclesia » (Hincmar, Opéra, II, p. 325). — « Ut an-
nuatim (l'abb. de Saint-Gall) dona nostrae serenitati veniant sicut de
ceterU monasteriis, id est caballi duo cum scutis et lanceis » (Mûhlba-
cher, RegesL, n"* 1369) (Brunner, II, p. 69, notes 12-13).
3 L'étendue de ces devoirs ressort clairement d'un diplôme de
Henri !•"" pour Saint-Thierry de Reims (vers 1050) : « ïllorum necessi-
tudini propensius debemus debito et ratione condescendere, quos
in servitio nostro insudasse et se in fidelitate nostra contigit vehe-
mentius laborasse. Notum si quidem est omnibus regni Gallorum
incolis, quantum laborem impenderimus in captione castri quod No-
vum vocatur. Ad quam strenuè et viriliter peragendam magnum so-
lamen nobis praebuit locus Sancti-Bartholomei, Alberto ejusloci tune
temporis abbate diligenter et constanter adeo insistente^ ut etiam a
meis saepe monitus essera, ut ei bonam vicem redderem... deliberavi
quaererequid prœdicto loco et abbatipossem exhibere pro sui benefi-
cii et laboris remuneratione » (H. F. XI, 586-7). — Voyez chap. vi,
§ 2, Vost du roi,
* Chap. IV, § 4, Le pouvoir judiciaire.
^ L'assimilation des biens à ceux du roi ou du prince, au point de
vue de la protection qui leur est acquise, se rencontre dans d*assez
nombreuses chartes du xi« siècle et se retrouve au xiie. Voyez, par
exemple, charte de Robert I, dux et princeps Normannorum^ en fa-
veur de l'abbaye du Mont-Saint-Michel : « Volo ut hec... jure perpétue
teneant... sicut res adfiscum dominicum pertinentes. » (C. Mont-Swnt-
Michel, MS f® 26'. Cf. le diplôme de sauvegarde générale accordé
à Cluny par Louis VI, que son importance exceptionnelle a fait ad-
F. — TomelII. «8
274 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
plus discrétionnaire que la dépendance est plus étroite*.
Ainsi revivent donc, sous une forme nouvelle, les droits
auxquels la royauté a paru renoncer, et, comme en défini-
tive c'est du mainbour royal qu'ils renaissent, il convient
de les ranger beaucoup plutôt dans la catégorie des
droits régaliens^ que dans celle des droits féodaux. A
mes yeux, ni Tabbaye royale ni Tévêché royal ne cons-
tituent un fief ou une propriété, mais j'y vois \inepot€st€Uj
une dominatio ou ditio^. Je le dis de ceux-là mêmes qui
ressemblent le plus à un domaine, à un fisc royal, fiscum
regiiim fore videntur^, les abbayes dont le roi est abbé
ou dont ses aïeux l'ont été, les évêchés dont il dispose
en maître. Ne voyons-nous pas de telles abbayes placées
elles ausri sous la tuilio du roi ou dotées d'immunité'^?
Quant aux évêchés dont le roi a l'élection, je montrerai
que son pouvoir y est de même nature régalienne.
mettre dans la Collect. défi Ordon., III, p. 515 et suiv. : « Nos et suc-
cessores iioslri reges Francie tenemur... monasterium Cluniacense
et prioratiis pred. manulenere, deffendere et custodire sicut res pro^
prias » (1119 Chartes de Cluny, V, p. 297).
* Le clergé de Limoges écrivait, vers 1060, au duc d'Aquitaine : Tout
ce que nous avons t'appartient, nous sommes sous ta garde « omnia
nostra sunt tua, tu custos nostri es » (H. F. XÏV, p. lvi). Les rois ne
so firent jamaia faute d'appliquer ce principe^ en disposant au profit
de leurs fidèles du bien des abbayes qu'ils avaient sous leur garde.
Voy., par exemple, les lib^ralite's ainsi faites par le roi Robert (Pos-
ter, p. 107-108). La formule dont Tun de ces bënéndaires se sert
est franche : « Ego comes Odo (Eudes II, comte de Chartres) qui ex
rébus S. Aniani (Saint-Aignan d'Orléans) pcr largitionem domni Ro-
berti régis tenere videor » (Livre des Serfs de Marmoutier, p. 48) (1029).
* J'en traiterai plus en détail dans les chapitres suivants.
3 Dans le diplôme de Philippe I cité plus haut (p. 272, note 1), la
tuitio est une jiotestaa^ un jus reglum^ retenue par le roi : v dépotes-
tate et jure regio nichil sibi prêter libertatis ecclesie tuitionem re$er»
vans. »
^ « Ecclesiam Fossatensis cenobii, quse regali subdita est dominîo,
vesterque fiscus fure videtur » {Vie de Bouchard^ cap. ii, éd. B. de
la Ronciers, p. 8).
•* Notamment Saint-Martin de Tours.
LES QUATRh: FACES DE LA ROYAUTÉ. 275
Tous les corps religieux qui sont dans la main du roi
me paraissent donc au fond dans une condition légale
identique. On objectera qu'une différence essentielle existe
entre eux. Le roi ne régit-il pas directement ou par Tinler-
médiaire d'un prieur les abbayes dont il est le titulaire, et
ne nomme-t-il pas Tévêque du diocèse où il a le droit d'é-
lection? au lieu que la tuilio n'entraîne pas ipso Jure le droit
d'élection et que, tout au contraire, ce droit est exclu for-
mellement par certaines chartes d'immunité ^ Cela est vrai,
mais, en réalité, les rois renoncèrent presque entièrement
à leur qualité d'abbé. Ils ne retinrent guère ce titre, avec
les revenus sans doute de la mense abbatiale, que pour
Saint-Martin de Tours et Saint-Aignan d'Orléans'. D'autre
part la tuitio était trop énergique pour ne pas mettre l'ab-
baye ou le diocèse à la merci du protecteur royal, et
l'avantage de cette situation trop grand pour que les fran-
chises consignées dans les diplômes d'immunité, aussi
bien que les professions de foi les plus vertueuses', ne
restassent pas à cet égard lettre-morte. Ce qui prévalut
partout, avec un absolu sans-gêne, ce fut l'élection arbi-
traire.
Il est intéressant néanmoins, au point de vue histori-
que, de considérer à part l'élection que la royauté exerce
indépendamment de toute tuùio spéciale (née d'une charte
octroyée), car cette étude éclaire les rapports qui existent
de plein droit entre l'Église et la royauté.
^ « Ut nullus inibi conslitualur abbas, nisi quem fratrum omnium
cum Dei timoré concorselegerit caterva» (Saint- Germain d'Auxerre,
994, H. F. X, 562-C) Cf. 1002-1010, p. 580 D : « concedimus etiaro
eidem congrégation! eligendi abbatem sibi licentiam secundum regu-
larem inslitutionem alio decedente », etc.
* Luchaire, II, p. 85-86.
3 La règle de saint Benoît qu'Helgaud fait gloire à Hugues Ca-
pet et à Robert d'avoir restaurée (H. F. X, p. 104-105) ne reprendra
vraiment son empire qu'avec Grégoire VII.
276 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
2° Droit d élection.
En jetant un coup d'œil sur le tableau que j*ai dressé *
des chartes de tuitio et d'immunité royale, il est aisé de voir
que les abbayes y tiennent une place inQaimeot plus
grande que les diocèses *. L'inverse se produit quant au
droit d'élection que l'on peut appeler direct oa spontané :
il existe surtout pour les évèchés. Selon tonte vraisem-
blance, c'est des évêchés que ce droit s'est étendu au
abbayes que le roi gouvernait personnellement, puis à
celles qui jouissaient de son mundium. Nous avons donc
à nous occuper d'abord du droit d'élection aux évèchés.
1. Evèchés. — Prenons notre point de départ au ix* siè-
cle'. Quand, à cette époque, la vacance d*un siège épis-
copal se produit, le clergé et le peuple du diocèse ne peu-
vent y pourvoir par un nouveau choix qu*après avoir, sur
une requête transmise régulièrement par le métropolitain,
obtenu de la faveur royale la liberté de réleciion^ en d'au-
tres termes, le droit d'élire. Ce droit réside donc dans la
personne du souverain, qui en délègue l'exercice quand il
autorise de procéder à l'élection suivant les formes cano-
niques ou traditionnelles ^.
Veillant, par l'organe soit d'un évèque-visiteur qu'il a
nommé ou agréé, soit d'un missus spécial, à l'observation
de ces formes, le roi exerce une influence prépondérante
sur l'issue de l'élection. Si régulièrement, en effet, le suf-
» Suprà, p. 263, note 3.
s Au xn<) siècle seulement elles deviendront nombreuses pour rega-
gner le terrain perdu par le droit d'élection
2 Cf. les deux premiers livres de l'ouvrage de M. Imbart de la Tour
Les élections épiscopales.
^ Quand cette faveur, au lieu d'être accordée pour un cas déterminé,
l'est une fois pour toutes, elle devient un privilège du diocèse. C'est
ainsi que Charles le Gros concéda, en 885, l'élection canonique à Té^ise
de Chalon-sur-Sar>ne : « Decernimus... ut, obeunte pastore proprio,
omni deinceps tempore canonicam habeat electionem » (H. F. IX, 338).
Cf. Formitl. alsat., n» 6.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTE. 277
frage unanime des fidèles du diocèse est requis*, c'eslTélite
seule des clercs et des laïques qui peut être consultée :
chanoines de Téglise cathédrale, chefs des grandes abbayes,
honorati ou seniores, et c'est au visiteur qu'il appartient
de la choisir et de la convoquer. Non moindre est l'influence
royale sur le peuple qui acclame. Elle peut suffire, à elle
seule, pour faire échec à un choix qui déplairait au souve-
rain ou pour en provoquer un qui lui soit agréable.
Rien n'était définitif, du reste, — les canons le recon-
naissent expressément ^ — sans l'intervention directe et la
ratification formelle du roi. L'élu lui était présenté, il était
examiné par lui, en présence des grands du royaume {pro-
ceres)y puis par lui agréé ou refusé. Dans ce dernier cas, le
roi avait le choix ou de faire procéder à une élection nouvelle
ou de nommer directement lui-même. C'est donc bien le
roi qui a le premier et le dernier mot, lui qui crée l'évêque.
Si la consécration (ordinaiio) par le métropolitain et le
collège épiscopal était indispensable pour Texercice des
fonctions religieuses, elle ne pouvait, elle-même, être faite
qu'en vertu d'une autorisation expresse du roi, et le roi
n'était pas tenu d'attendre qu'elle fût accomplie pour re-
mettre à l'évêque agréé ou nommé par lui l'administration
temporelle du diocèse, recevoir son serment de fidélité.
Le droit de nomination directe s'est considérablement
élargi sous Charlemagne et sous Louis le Débonnaire,
malgré les protestations qu'il provoquai Mais, au fond, on
le voit, l'élection canonique n'en différait guère quanta ses
résultats. Elle n'en différa même plus quant à son prin-
cipe une fois que le roi carolingien eut concentré en ses
mains le double pouvoir spirituel et temporel sur l'Église.
Faut-il en conclure que, par le déclin du premier de ces
pouvoirs et le changement de nature du second, le droit
* LL. Formulae, éd. Zcumer, p. 552-554.
2 Imbart, op. cit., p. 72-73.
* Imbart, p. 78-85.
278 LIVRE IV. — CHAPITRE H.
d'élection du roi aboutit à un droit de propriété sur Té-
vêché? Nullement. Ou bien le roi aliénait son droit d'élec-
tion — ce qu'il ne fit que très exceptionnellenoent — et
alors Tévôché devenait princier ou seigneurial, ou bien il
nommait un évêque et, dans ce cas, il ne cédait pas son
droit, il l'exerçait. Je ne vois nulle part, dans les textes du
X* et du XI® siècle, Tévêque considéré comme tenant l'évêché
en fief du roi, à charge d'hommage *. Il se rencontrait à
cela des obstacles particuliers, soit dans la personne du sou-
verain, soit dans celle de Tévêque. Le roi n'avait ni dépouillé
son caractère sacré, ni résigné son rôle de chef de Péglise;
il ne pouvait donc assimiler l'évôché à un bien temporel.
L'évoque, d'autre part, pouvait bien être lié par la Bdé-
lité envers son chef, il ne devait pas, comme dignitaire
religieux, se lier par un hommage personnel *.
Il suit de là qu*alors même que le pouvoir du roi s'est
spécialisé, restreint à certains évêchés, et est devenu plus
arbitraire, il est resté très dififérent du pouvoir que les sei-
gneurs s'arrogèrent sur les évêchés dont ils parvinrent à
s'emparer. Le droit de nomination à l'évêché royal a con-
tinué d'être un droit de suprématie, tandis que le droit sur
l'évêché seigneurial a pris tous les caractères d'un droit de
propriété ^
Cette distinction entre l'évêché royal et l'évêché sei-
* M. Imbart n'a pu all(^f^uer qu'un très petit nombre de textes
(p. 338-339) et parmi eux un seul serait probant, du moins pour la fin
du xi« siècle, s'il était authentique. Mais il n*est autre que Tétrange
diplôme de Philippe I, de 1091, dont je crois avoir établi la fausseté.
^ T. I, p. 253. — Si Ton rencontre quelques cas d*hommage, au
XI* siècle, ce n'est que pour les évêcliés acigneuriaux du Midi, qui sont
devenus une véritable propriété. M. Imbart a dil reconnaître que ces
cas mêmes sont extrêmement rares avant le xn* siècle (p. 353-354}.
Il a eu le tort de les généraliser, et de les étendre aux évêchés
royaux.
' Nous verrons, en traitant du principal, que les évêchés qui en dé-
pendent ressemblent davantage aux évêchés royaux qu'aux évêchés
seigneuriaux.
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 279
gneurial se retrouve dans la diversité d^atlitude au regard
des uns et des autres qu'observa la papauté, une fois
qu'elle entra dans la voie de la réforme. Pendant long-
temps, au X® et même au xi* siècle, elle ne s'était élevée
en principe ni contre le droit d'élection du roi, ni contre
celui des seigneurs. Elle revendiquait seulement sa part
de profit. Elle restait impassible devant une foule de
nominations scandaleuses et simoniaques, elle cherchait
souvent à exercer la simonie elle-même sur le plus grand
nombre possible d'évêchésou d'abbayes *. Avec la réforme
clunicienne puis grégorienne, la situation changea. La pa-
pauté visera certes à acquérir des droits de phjs en plus
étendus sur l'épiscopat, à le placer sous sa tiiitio^ à se le
subordonner, mais elle consent, entre temps, à respecter
la prérogative royale, et elle ferme d'autant plus faci-
lement les yeux sur les élections simoniaques que, dans
les évêchés royaux, le principe au moins théorique de
l'élection par le clerc et le peuple est resté debout^ au lieu
que, dans les évêchés seigneuriaux, l'évêché est déchu
au rang de valeur de patrimoine. Là réside la grande
différence entre l'Allemagne et la France, la grande raison
pour laquelle la querelle des investitures ne fut que très
partielle et très temporaire chez nous. En France, la royauté
lutta de concert avec la papauté contre l'appropriation des
évêchés aux mains des familles seigneuriales et ce n'est que
pour un nombre limité d'évêchés que le conflit put naître.
— Encore fallut-il pour cela la fougue théocratique de Gré-
goire VII et la résistance tenace, sans scrupule, de Phi-
lippe P. — En Allemagne l'épiscopat tout entier étant au
pouvoir de l'empereur, la tiare et la couronne se trouvè-
rent aux prises sur toute la ligne, et engagées à fond.
' Cf. Imbart, p. 317.
^ L'investiture parla crosse et l'anneau n'y contredit pas. Elle était
un acte parlaitement légitime du pouvoir séculier quand l'élection
préalable avait été régulière.
3 Voyez le chapitre suivant.
280 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
II reste à nous demaocler de quels évêchésle roi pouvait
disposer aux x* et xi* siècles. Je l'indiquerai d'une façon
sommaire, pour autant que Tétat actuel des sources et les
investigations spéciales qui ont été faites sur ce sujet ^ me
le permettent.
Le roi a conservé le droit d'élection à trois archevê-
chés, celui de Reims (Francie), celui de Sens (Francie et
Bourgogne), celui de Bourges (Aquitaine et Languedoc)'.
Les cinq archevêchés de Rouen (Normandie), de Tours
(Francie), de Bordeaux (Aquitaine et Gascogne), d'Aucb
(Gascogne), de Narbonne (Languedoc et Marche d'Espagne)
sont aux mains du principat, qui partage l'un d'eux (Nar-
bonne) avec la seigneurie locale.
Les sept autres sièges métropolitains (Lyon, Besançon^
Tarentaise, Vienne, Embrun, Aix, Arles) dépendaient d'un
souverain étranger.
Voyons les évêchés dont le roi dispose directement :
Dans la province de Reims, six évêchés (Laon, Beau-
vais, Châlons, Noyon et Tournai, Senlis, Térouanne) et
très probablement un septième (Soissons). — Deux seule-
ment lui échappent : 1* Cambrai (comprenant alors Arras),
qui dépend du roi de Germanie : 2^ Amiens, qui parait
seigneurial.
Dans la province de Sens^ les quatre évêchés de la
Francie (Paris, Chartres, Orléans, Meaux) étaient certaine-
ment royaux et deux au moins des évêchés bourguignons
(Auxerre et Troyes), si le troisième, Nevers, est douteux.
Dans la province de Bourges, le droit du roi ne se main-
tient intact que sur Tévêché du Puy. 11 ne subsista pas au
* Ces investigations ont été faites surtout par M. Pfîster, op. ciL^
p. 183-193 et par M. Imbart, p. 233 à 259. Voyez aussi pour le Midi
Brueils, Saint-Austinde, p. 18 et suiv. — Il m'est impossible de citer ici
les textes, de développer les motifs par lesquels je me suis déterminé.
La question est du domaine de l'histoire générale.
2 M. Imbart y ajoute, sans preuve suffisante, rarchevécbë d«
Tours.
LBS QUATRE FACES DE LA ROYAUTÉ. 281
delà du X* siècle dans les évêchés aquitains de la province
(Clermont, Limoges, Mende), sauf peut-être à Mende. II
disparut sur les trois évêchés languedociens (Âlbi, Cahors,
Rodez).
Dans la province de Tours^ les évêchés bretons furent
complètement soustraits à l'action de la royauté dès la
première moitié du x* siècle, et dans l'Anjou et le Maine
(Francie) Tévêché du Mans seul resta royal, jusqu'à ce
qu'il fut cédé par Henri I au comte d'Anjou, Geoffroi
Martel * .
Dans \sl province de Lyon (Bourgogne), si le siège mé-
tropolitain est au pouvoir des rois de Bourgogne, puis du
roi de Germanie, les quatre évêchés suffragants sont ou
reviennent dans la main du roi de France. Langres ne
cesse d'y être et très probablement aussi Mâcon et Chalon-
sur-Saône: Aulun y revient au xi* siècle par la conquête
que fait Robert du duché de Bourgogne (1016).
Dans les autres provinces, nous ne trouvons plus trace
de l'élection, ni même de la confirmation royale, depuis le
début du x* siècle *.
En résumé, la royauté ne peut disposer, auxx* et xi* siè-
cles, que de 3 sièges archiépiscopaux et de 20 à 23 évêchés.
Mais les archevêchés ont une importance exceptionnelle et
les évêchés comprennent presque tous ceux de la Francie
et de la Bourgogne, quatre de l'Aquitaine, pendant le
x* siècle, et un ou deux pendant le xi*. En dehors
des pays rattachés alors à la Germanie, ce n'est que
dans le Midi proprement dit, la Gascogne, le Languedoc,
la Marche d'Espagne que la royauté a perdu son autorité
directe sur l'épiscopat. Mais là même elle a gardé une
autorité indirecte par le siège métropolitain de Bourges,
* Voy. infrà : Le Principal de V Anjou et du Maine.
* Les derniers actes d'intervention royale que je connaisse dans le
Midi sont une charte de confirmation de Charles le Simple pour
Tévêché de Girone (908) et une charte de protection pour Tévéché
d^Elne (899).
282 LIVRB IV. — CHAPITRB IL
sur les évêchés languedociens, et par celai de Reims sur
Cambrai. Ne perdons pas de vue non plus la facilité avec
laquelle le droit d'élection royale était destiné à réappa-
raître dans le Midi, dès le xii" siècle, au moyen des chartes
d'immunité. Son souvenir ne s'était donc jamais effacé,
virtuellement il n'avait cessé de subsister, il n'était pas
mort, mais simplement paralysé.
2. Abbayes et chapitres. — C'est un délicat problème
d'histoire que celui de l'origine et de la nature véritable du
droit, pour l'autorité royale, de choisirle chef de la commu-
nauté religieuse, abbaye ou chapitre. Si l'on se reporte à
la règle primitive de saint Benoit, on voit que l'abbé devait
être élu par la congrégation, mais que dans le cas où
l'élection avait porté sur un sujet indigne, il appartenait à
l'évêque, aux abbés et aux laïques de la région d'en nom-
mer un meilleur ^ Il est difficile de croire que le droit
d'élection de la puissance séculière ait pu directement, ou
môme médiatement, sortir de là. Sa source beaucoup
plus naturelle' est le principe, de tout temps admis,
* « In abbatis ordinationc illa semper consideretur ratio, ut hic
constituât iir qiu'in sihi omnis concors congregatio secundum tîmorcm
Dei, sive etiam pars quamvis parva congregationis saniore consilio
elogorit... Quod si eliam omnis congregatio vitiis suis, quod quidem
absit, consenticntcin ptTsonain pari consilio elegerit, et vitia ipsa aii-
quatenus in notitiam opiscopi ad cujus dioecesim periinet locus ipse,
vel ad abbates aut christianos vicinos claruerint, prohibeant pravo-
rum priBvalere consensum, sed domiis Dei diyniim constituant dis-
pensatorem^ scienti.'S pro hoc se recepluros mercedem bonani, si illud
caste et zolo Dfi tîat, sicut e diverso peccatum, si neglegant» [Bcne-
dicte retjula monachorum; cap. lxiv, p. 02, éd. Woellflin, Leipzig,
1805).
^ Je ne crois pas toutefois que ce fût la source unique. J'en vois au
moins une aulrc dans le pouvoir disciplinaire de la royauté, qui, en
arguant de l'irrégularité de l'élection ou de l'impuissance de l'abbé
élu à se faire obéir et à maintenir Tordre, s'attribua le droit de nomi-
nation directe, comme elle le fit — et la papauté après elle — pour
les évOchés. Cf. Forrnul. alsat.j n° 8 : « Hoc procul dubio scientes, qui
si querelosi aut contradictores inventi fuerint, aliquem de capellanis
LES QUATRE FACES DE LA ROYAUTE. 283
que le fondateur d'une église en désigne le titulaire (droit
de patronat). La royauté franque put acquérir ainsi le
droit de nommer aux abbayes et chapitres fondés par elle.
Ce droit, elle s'en dessaisit ensuite quand, par une faveur
spéciale, elle le remit à la communauté, ou surtout quand,
par la laïcisation^ elle concéda des abbayes en bénéfice et
subrogea le bénéficier dans son droit de fondateur. Mais la
faveur resta d'ordinaire lettre morte et les plus importantes
des abbayes concédées en bénéfice firent retour à la cou-
ronne le jour où les Robertiens, qui les avaient reçus, par-
vinrent au trône. Tel fut le cas pour Saint-Martin de Tours,
Marmoutier, Saint-Denis, Saint-Germain-des-Prés, Saint-
Germain d'Auxerre, Morienval, qui reprirent leur place à
côté de Saint-Benoît-sur-Loire, Saint-Maur-des-Fossés,
Saint-Aignan d'Orléans, etc. C'étaient là les abbayes royales
proprement dites, celles dont le roi disposait pleinement,
mais les abbayes simplement protégées furent, par une ex-
tension de la iuiiio, soumises au droit d'élection comme si
elles avaient été fondées par le roi*. Elles le furent d'au-
tant plus que le droit d'élection était de principe pour les
évêchés et qu'il fut récupéré, au moyen de la iuitio^ sur
des diocèses qui y avaient échappé. Dans leur exercice, du
reste, et nonobstant les chartes d'immunité et les renon-
ciations partielles, les deux droits d'élection s'identifièrent.
De môme que théoriquement l'évêque royal était censé élu
par le clerc et le peuple, alors qu'en fait le roi le nommait, de
môme l'abbé était en apparence désigné par la congréga-
aut episcopis, seu vasallis meis, talem eis superimponam, qui aut
eorum contumeliam edomet, aut si etieun sic corrigi noluerint, quod
absit, ex meo illis praecepto ad exemplum cunctorum in omnem ven-
tum dispergam et (lispergat. »
* Les continuateurs de D. Bouquet Tout constaté : a Le privilège
(le tuition^ disent-ils, mettoit une église ou un monastère sous la sau-
vegarde immf^diate du roi... Le titre d'églises et d'abbayes royales
apparlenoit spécialement à celles qui avoient obtenu ce privilège :
elles étoient regardées comme faisant partie du fisc royal, de même
que celles qui avoient été fondées par les rois » (H. F. XI, p. ccxxi-u).
284 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
tion et réellement par le roi. En employant tour a tour la
brigue ou la force, la promesse ou l'intimidation, quand elle
ne fait pas acte direct d'autorité, la royauté réduit réieo-
tion, pour l'ensemble des corps religieux placés sous sa
dépendance, à un vain simulacre. La communauté s'agite,
le roi la mène.
285
CHAPITRE III
l'indépendance de la couronne.
La complexité du pouvoir royal excluait son absolu-
tisme. Quelque opiaion qu'on puisse avoir aujourd'hui
sur son trait dominant, un fait paraît au-dessus de toute
controverse. Il impliquait un contrôle et une limita-
tion. Les historiens qui voient dès le x* siècle dans la
monarchie française une monarchie féodale admettent jus-
qu'à Texcès Tinter vention nécessaire des vassaux pour
tous les actes importants de l'autorité royale. Si l'on s'en
tient, d'autre part, à la conception que nous nous sommes
faite de la royauté des x* et xi* siècles, tous les carac-
tères que nous lui avons assignés comportent un contre-
poids. Le roi a une suprématie ethnique, mais au regard
des provinces de la Gaule il n'est qu'un primusinter pares.
11 a un pouvoir religieux et un caractère sacré, mais par
cela même il est placé sous la censure des évêques. Il a
une autorité de chef de famille*, un mainbour plus ou
moins énergique, mais il en résulte pour lui un devoir plus
ou moins strict de protection et l'obligation de tirer les
siens à conseil.
' La nature patriarcale du pouvoir se traduit par la simplicité,
l'accessibilité, la familiarité en un mot. Guibert de Nogent Toppose
au faste et àTarrogance des rois étrangers (regias père grin arum gen-
tium majestates, imo majestatum ferocitates)... « InFrancorum enim
regibus ea viguit naturalis semper modestiaj ut iliud Sapientis dic-
tum, elsi non in scientia, in actu tamen habuerint : Principem, in-
quit, te constituerunt, noli extoUi, sed esto in iliis quasi unus ex
illis » (De vita sua, 11, Migne 156, 853).
286 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
L'élat social tout entier n'aurait pu s'accommoder d'une
autorité sans frein ; ni Tétat des mœurs, où Tindividua-
Jisme dominait, ni Tétat des esprits, qu'avait façonnés
l'Église, ne s*y accordaient. Et ainsi voyons-nous un
évêque du xi"" siècle, précurseur des publicistes modernes,
faire reposer la monarchie sur un contrat tacite conclu
entre le roi et les sujets *.
Mais si la royauté du rex Francorum constitue un pou-
voir tempéré, elle est aussi un pouvoir suprême'. Ni l'em-
pire ni la papauté ne lui sont supérieurs. Elle est à la tête
du principal, sans qu'il faille .exagérer le contraste qui
nous montre Tune revêtue de majesté, l'autre armé de
pied en cap'. Sur les rapports de la royauté et du prin-
cipat, j'espère avoir jeté déjà une suffisante lumière pour
* « Quippe sine providcntia regum ac praesidum pro caede paratur
populus, et sine populi obsequio regum ac praelatorum omoium di-
gnilas evunescil. Unde cum rex instituilur, pactio quaedam tacita
iDter eum el populus iiiitur, ut et rex humane rcgat populum, et
populus rcgem stalutis tributis et iulationibus meminerit venerari >»
(Huûni episcopi, De bono pacis (vers 1057) Migne 150, 1617).
2 A la maxime coutumière : « li rois ne tient de nului fors de Dieu
et de lui » (EtabL de saint Louis, I, 83; Éd. VioUet, T. Il, p. 134)
correspond au x« siècle cette afflrmation dogmatique de la vi-
sion de Flothilde (940) (Lauer, Louis VI, Pièces justif., p. 317) :
« quia rex super illum (regem Francorum) nisi Deus regnaturus
non esset » : Nul autre roi que Dieu ne doit régner sur le roi des
Francs.
3 J ai déjà signait^ le sceau de Guillaume le Conquérant où ce con-
traste s'exprime et qu'un chroniqueur du xii* siècle décrit en ces ter-
mes : « Duos principatus obtinuit, existens cornes Normannorum et
rox xVn^dorum; ita ut in sigillo suoex una parte sederet super equum
ut comes, ex alia super thronum cum sceptro ut rex» (Herimani
Restaur, S. M. Tornac. H. F. XI, 255 B) (Voir ce sceau dans Rou-
joux et Minguet, Hist. d' Angleterre , Paris, 1844, I, 127). On aurait
assurément tort d'en conclure que le prestige du principat était ex-
clusivement guerrier. Je prouverai le contraire. Dès à présent je re-
marque que iM. d'Ârbois de Jubainville me paraît aller trop loin dans
cette voie quand il écrit : v La guerre seule pouvait alors entourer
les chefs de la société féodale de cet éclatant prestige qui élève un
l'indépendance de la couronne. 287
n'avoir pas à anticiper sur les développements dont la
place naturelle est plus loin*, mais il importe de tirer de
suite au clair les rapports avec Tempire et avec la papauté.
§ 1. — La royauté et le saint Empire romain.
Il ne saurait être question d'une suprématie des chefs
saxons de la Germanie, qu'ils se parassent ou non du litre
d'empereur, sur les rois carolingiens de la Gaule. La
prééminence franque avait passé à ces derniers ^ Le titre
homme au-dessus des autres hommes » [Hist. des ducs et comtes de
Champagne^ t. I, p. 331).
* Infrà, III. Le Principat,
2 Suprà^ p. 193 et suiv. — Dans un article sur la Royauté française
et le saint Empire romain, paru dans la Revue historique {t 49, 1892,
p. 241), M. Alfred Leroux, qui nous a donné depuis lors une bonne
bibliographie des Conflits entre la France et V Empire (Paris, 1902),
s'est mépris sur le caractère initial du saint empire romain. Il le
prend à tort pour une continuation de l'empire des Francs de Charle-
magne et prétend que la France en faisait dès lors partie intégrante,
à raison du titre de rex Francorum de nos rois. Comment n'a-t-il pas
vu que ce titre et la qualité de successeurs de Charlemagne qu'ils s'at-
tribuaient excluaient précisément toute subordination à l'empereur et
leur donnaient môme un droit théorique à Vimperium Francorum, le
véritable empire de Charlemagne? M. Leroux me paraît avoir été com-
plètement égaré par l'idée que le royaume de France ne passait ni
aux yeux de la papauté (dont il s'exagère du reste absolument le
rôle) ni aux yeux des populations pour un royaume des Francs, que
c'était un royaume dès Celtes dont le rattachement à l'Empire peut
seul expliquer le titre. De là il conclut à la prééminence de l'empereur
sur le roi, sans autre preuve directe que l'intervention des empereurs
en France sous les derniers Carolingiens. Or de quel droit les voyons-
nous accourir? uniquement comme envahisseurs ou alliés. — M. Lot
s'est élevé avec beaucoup de force contre cette théorie (il. histo-
rique, t. 50, p. 147. Cf. aussi Paul Fournier, Bulletin critique
(1895), p. 544 et suiv.) et, à mon sens, avec pleine raison. Entre les
deux érudits il y a cette différence que l'un a approfondi, dans les
sources, la période des x* et xi* siècles, tandis que l'autre n'y voit
qu'un champ ouvert aux conjectures. t< Au delà du ii* siècle, écrit-il,
288 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
impérial ne pouvait donc leur être opposé; c^étaient eux-
mêmes qui avaient droit au titre A' empereur des Francs et
à la suprématie qu'il donnait, c'était de leur main que les
Capétiens, en leur succédant, prétendirent les tenir à leur
tour*. Aussi nul, au x* siècle, ne songe à soutenir que
la France relève d'un empire d'Allemagne, i admettre
même qu'elle pût en relever jamais. Charles de Lorraine
n'a-t-il pas été écarté du trône pour avoir fait jadis hom-
mage à Otton? D'empire germanique, il n'en existe pas
alors; il n'existe, depuis 962, qu*unsimulacrederestauratioD
de l'empire romain, une renovatio imperii Romanorum •
les textes ne fournissent plus de réponse aux questions que je leur
pose... Je suis ainsi placé sur le terrain de Vinductiorif de la conjec-
ture ». (Ibid, t 50, p. 408).
* Supràf p. 200 et suiv. — Helgaud appelle le roi Robert : impe-
rator francorum (Vita Roberti, H. F. X. 104 B). C'est certainement
à son père Hugues Capet et à sa mère Adélaïde qu*Adalberon fait
allusion dans ces vers qu*il lui adresse :
Patres namque tui longe: rex, induperator^
Lac tibi suggenti dat nutrix induper atrix.
(Carmen ad Robortum, v. 7-8). L'intention est manifeste, et Ton ne
saurait admettre, avec le récent éditeur, M. Hûckel (BibL Fac. des
lettres de Paris, XIII, 1901, p. 129), que « le titre de induperatùr se
rapporte à la parenté de Robert (arrière petit-fils par sa grand'mère
maternelle de Henri I*' TOiseleur) avec les empereurs d'Allemagne ».
Henri I*' qui figurerait ainsi parmi les patres n'a jamais été empe-
reur. Àdalberon revient plus loin sur la même idée et, par la boache
de Robert, affirme nettement la suprématie de son royaume, de son
empire des Francs :
« Regnum Francorum reges subtemporepatrum
Subjugat et semper sublimi poUet honore;
Regum sceptra patrum nullius sceptra coercenl.
Quique régit , gaudent virtutibus, imperat aeque;
Novimus imperium jam regibus esse fugatum
Ut nobis liceat leges servare paternas ». (v. 395, suiv.).
— Cf. Diplôme de Philippe I" (1083) : « Philippo régnante in Fran-
cia anno XVI imperii ejus (Bréquigny, II, p. 203).
* Voy. le sceau d'Otton II! (Mabillon, Suppl. libr. De re diplom,,
Paris, 1704, p. 48). — Cf. Raoul Glaber, I, 4, §8 : « sumpserunt im-
perium Romanorum reges Saxoiium. »
l'indépendance de la couronne. 289
tentée par un roi saxon. Son protagoniste peut être d'une
nationalité quelconque, tout comme le pape. Otton III est
aussi peu allemand que possible, il est grec de naissance par
sa mère, il est d'affinité latine par sa grand'mère Adélaïde,
il a pour précepteur un Français d'origine, Gerbert. Le
but qu'il poursuit de concert avec lui n'est pas la subor-
dination du regnum Francorum à un imperium Franco^
runiy mais une monarchie universelle dont la capitale
serait Rome.
Cette théocratie impériale, cet
« ... édifice avec deux hommes au sommet,
Deux chefs élus * auxquels tout roi né se soumet »
dont un poète moderne a eu la magnifique vision n'a été
qu'un rêve gigantesque d'esprils enthousiastes ou chimé-
riques^ et n'a eu de réalisalion partielle que dans la courte
période oii Otton III et Sylvestre V régnèrent ensemble'.
Aussi est-ce exclusivement dans ce court intervalle de trois
ans (998-1002) que se placent les actes où Ton a cru voir
une suprématie de Tempire sur la couronne de France*.
* Et égaux : « Quand ils sortent tous deux égaux du sanctuaire ».
' Sur la genèse de ces idées, lire le chap. vu du beau livre de
M. James Bryce, Le St-Empire romain germanique (éd. franc., Paris,
1890, p. 115 et suiv.).
3 Voyez la curieuse constitution, retrouvée dans un MS. du xie siè-
cle, dont on a attribué la rédaction à Gerbert. L'empereur s'adressant
au juge qu'il institue lui dit : « Prends garde de ne jamais fouler aux
pieds la loi de notre très-saint prédécesseur Justinien ». Il lui remet
un exemplaire du Code avec ces mots : « Selon ce livre, juge Rome et
la cité de Léon et l'univers entier ». — « Tune dicat imperator judici :
w Cave ne aliqua occasione Justinianl sanclissimi antecessoris nostri
legem subvertas ». Et ille contra : « Perpetuis maledictionibus per-
culiar, si hoc faciam. » Tune imperator faciat eum jurare, quod nulla
occasione subvertat legem et det ei in manum librum codicum et
dicat : « Secundum hune librum judica Romam et Leonianam orbem
que universum » (Giesebrecht, Geschichte der deutschen Kaiser zeit^
5e éd., T. I, Leipzig, 1881, p. 892-3).
* Les principaux ont été relevés par Julien Havet (Lettres de Ger-
bert, p. xxxiii-iv.) Cf. aussi Viollet, II, p. 42-43.
F. — Tome III. 19
290 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
Au fond, il ne s'agit que de la communication passagère a
une puissance laïque du droit d'immixtion dans les affaires
intérieures des pays chrétiens que la papanté avait tou-
jours voulu s'arroger. Tentative sans racines dans le
passé, et qui, supposant un exercice collectif du pouvoir
suprême par le pape et Tempereur, ne pouvait avoir de
lendemain. Il n'est pas difRcile, je crois, de justifier cette
double proposition.
En cherchant à restaurer l'empire romain au profit de
la dynastie saxonne, Otton I avait voulu placer le pape
sous sa suprématie, s'assurer la haute main sur son élec-
tion, l'astreindre au serment de fidélité*. Il s'était heurté
tout aussitôt à la résistance et avait provoqué le retour
offensif de l'aristocratie romaine ou italienne. Le Saint-
Siège fut disputé entre elle et l'empereur, sans qu'aucun
des partis qui l'emportait réussît à y maintenir son can-
didat au delà de quelques mois*. Seul Jean XIII, neveu
de Marozie, parvient, après avoir été expulsé une pre-
mière fois, à régner par la terreur pendant un laps de
six années. Le chassé-croisé recommence ensuite entre les
papes de l'empire et ceux des Italiens, entre Benoît VI,
Benoît VIL Jean XIV et Boniface VII». Oiton II n'ayant
* Diplonifita reg. et inipcr,, I, p. 322 saiv. ConstUntiones imper,
I, p. 23 suiv. — Cf. Duchesne, Les premiers temps de Vttat ponti-
fical, l^aris, i898, p. 179 suiv.
2 Voyez le clair et vigoureux tableau que Mgr Duchesne a
tracé de celte époque troublée {op. cit., p. 187 et suiv.). — L'évéque
d'Orléans Arnoul la flagellait au concile de Saint-Basle (991) avec
une éloquence enflammée : « Nam quid sub haec tempora non vidi-
mus ! Vidimus Johannem, cognomento Octavianum (Jean XII), in vo-
lutabrolibidinum versatum, eliam contra eumOttonem, quem augus-
tum creaverat, conjurasse; ... Cui Benedictum diaconem (Benoît V)
Romani substituunt; eum quoque Léo Neophytus cum suc Caesare
non longe post aggreditur, obsidet, capit, deponit, perpetuoque ezilio
in Germaniam dirigit >» (OEuvres de Gerbert, éd. Olleris, p. 205). —
Ajoutez, infràj la note 1, p. 299.
' Voici le jugement qu'au lendemain de sa mort, Févêque d'Orléans
Arnoul porte sur lui : « Succedit Romœ in pontificatu horrendum mon»-
l'indépendance de la couronne. 291
laissé à sa mort (983) qu'un Qls de trois ans, le parti de
Crescenlius triomphe jusqu'au jour où Otton III, après
avoir intronisé de force une première fois son cousin Bru-
non (996) et s'être fait sacrer empereur par lui, finit par
l'imposer aux Romains (998). Ici se place la période trien-
nale que j'ai dite sans lendemain. Gerbert suit Otton III
dans la tombe (1003) et le successeur de celui-ci ne par-
vient qu'en 1014 à ressaisir la couronne impériale. Il res-
taure le privilège d'Otton II pour se subordonner étroite-
ment la papauté*, il réalise cette subordination grâce à
une entente avec le parti des comtes de Tusculum. Mais,
à sa mort, c'est en France que les Italiens veulent porter
la couronne. Ils l'offrent au roi Robert et à son Ois, ils
l'offrent à Guillaume d'Aquitaine et au sien*. Ce n'est que
sur le refus de ces princes qu'elle finit par échoir à Con-
rad II (1027). Lui et son successeur Henri III tiennent la
papauté à leur merci, la réduisant à n'être plus,» selon la
vive et juste expression de M. Duchesne « qu'un évêché
allemand à la nomination du roi » '.
L'empire devenait vraiment germaniqit^^ mais, en le
tram Bonefacius (Boniface VU), cT/ncfos mortales nequitia superans^
etiam prions ponlificis (Benoît VI) sanguine cruentus ; sed hic etiam
fugatus atqiie in magna synodo damnatus, post obitum divi Ottonis
Romam redit, insignem virum apostolicum Petrum (Jean XIV) data
sacramentorum fide, ab arce Urbis dejicit, deponit, squalore carceris
affectum perimit » (Discours de l'évoque Arnoul, loc, cit,, p. 205-206).
* Concordat entre Henri II et Benoît VIII (1020), Diplomata, III
(1900), p. 542 suiv. Constitutiones, I, p. 6a suiv.
* Ce n'est pas seulement la couronne d'Italie c'est aussi la cou-
ronne impériale qui fut offerte à Robert et à son fils Hugues.
Les expressions dont se sert Raoul Glaber ne peuvent s'entendre
autrement : « Praeoptabatur a multis, precipue ab Italicis, ut sibiim-
peraret inimperium stiblimari » (III, 9, n<» 33, p. 82). La môme offre
fut faite ensuite à Guillaume V d'Aquitaine : «< Itali suaserunt mibi
et fîlio meo, écrit-il à l'évêque Léon de Verceil, nos intromittere de re-
gno Italiae, facientes nobis sacramentum et ipsius regni et Romani
imperii acqnirendi, per rectam fidem » (Migne, 141, 828).
' Duchesne. op. cit, p. 211.
292 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
devenant et en asservissant le Sainl-Siège, il déchirait de
ses propres mains ses titres à une domination universelle,
telle qu'Otton 111 et Gerbert l'avaient rêvée, et préparait
une rupture éclatante avec la papauté. Quand, après la
mort d'Henri III (1036), l'anarchie ponliBcale renaît de
plus belle, un parti nouveau surgit, celui de l'indépen-
dance du Saint-Siège, à la tête duquel se place Hilde-
brand avec Pierre Damien, et dont les Normands établis
dans la péninsule seront les auxiliaires armés. La lutte
de la papauté et de Tempire devient inévitable. Elle se
termine à l'avantage de la papauté, qui seule désormais
pourra avoir des prétentions effectives à la domination du
monde. Ce n'est que comme bras séculier de la papauté,
comme porteur, en son nom, du glaive sacré dont elle
l'arme, que VOrdo romanus prépose l'empereur aux peu-
ples et aux rois*.
Après celte vue d'ensemble, je n'ai pas à revenir sur
ce que j'ai dit des Carolingiens*. Quant aux Capétiens,
remarquons d'abord que dans la crise dangereuse de
* Orcio îid beneflici'ndum impenilorem : u super omnia régna prœ»
cellal »... « ul illi fjrcîUos teneant fidem » (Ordo romanus, aucl. Cencio,
Mabillon, Musasum itaL, II, p. 216 {Paris, 1724).
* Il va de soi que le litre : « imperator augusius Romanorum ae
Francorum », qu'en conformité de la politique que j'ai esquissée
(p. 196) Otton I prit dans quelques diplômes de Tannée 966 (Dl-
plomata, l, p. 432, 436, 439-441), ne pouvait préjudicier en rien
aux droits des Carolingiens (Cf. Lot, Les derniers Carolingiens, p. 49,
note 2 et Waitz, VI, 2 (2» édition), p. 141, note 2). — Il est notable
que le roi Uohorlien Raoul dans deux diplômes (13 décembre 933,
Baiuze, Uii^t, Tuto.L, c. 325; 13 septembre 935, H. F. IX, 580) se
qualifie : « R. gratia Dei Francorum et Aquitanorum atque Burgun-
dionum rex pius, invictus ac semper augustus ». M. Lippert (JC. Ru-
dolf, p. 110-117) en fait une cause de suspicion de ces actes, se de-
mandant si un simple roi pouvait prendre le titre d'augustus. Mais
d'autres chartes de Raoul, dont l'authenticitë n'est pas douteuse
(Cfiartes de Cluny, I, p. 281 (927), p. 379 (931) lui donnaient déjà ce
titre. La plus récente, qui le qualifie « pius augustus atque invictis-
l'indépendance de la couronne. 293
leur avènement, de 988 à 996, le trône impérial fut
vacant en fait, et qu'il le fut de nouveau de 1002 à
1014 : imperante 7iemine, dit en 1009 (8 janvier) une
charte du mont Cassin*. Ardouin, le rival d'Henri II en
Italie, recherche l'alliance de Robert, et Henri lui-même,
en 1006, députe au roi de France l'évêque de Liège,
Notker, pour lui offrir son amitié^. Le fait se reproduit en
1023. Gérard, évêque de Cambrai, et Richard, abbé de
Saint-Vanne, sont envoyés par Henri II auprès de Robert,
qui les reçoit solennellement à Compiègne* Ils négocient
simus rex » existe en original à la Bibliothèque nationale : M. Bruel
en a reproduit le sceau (pi. II, n<* 3).
M. Leroux {loc. ciL, p. 256, note 5) croit que les empereurs ger-
maniques ont retenu le titre dHmperator augustus en le traduisant
par Mehrer des Reichs^ « comme si augustus venait d'augere ». En
réalité, c'est la traduction de Tépithète propagator^ que les Romains
donnaient à Jupiter, et qui se retrouve dans les inscriptions avec
le sens de gouvernant. Fait assez curieux, un chroniqueur lorrain du
xj« siècle, Hugues de Flavigny, applique précisément cette épithète
au roi de France, Philippe !•'. Il l'appelle « regni Francorum propa-
gator ))(Migne, 154, 386).
Le même érudit admet que Louis VI et Louis Vil se sont titrés
imperator augustus, tout en regrettant que M. de Wailly n'ait pas
indiqué la date des diplômes. Du Tillet les indique (Recueil des rois
de France, Paris, 1607, p. 250). Ce sont, suivant lui, des actes de
1118 et de 1155. Je n'ai pas retrouvé le premier, qui ne figure
pas du reste dans l'inventaire dressé par Pithou (p. 254). Quant au
second, c'est un vidimus, peut-être remanié, publié dans les Layettes
du Trésor des Chartes, I, p. 74, et dans la nouv. Hist. du Langue-
doc, V, p. 1193. — Du Tillet a, du reste, un mot charmant : « Ceux
mêmes (des Roys de France) qui ont quelques fois usé de tiltres
d'Empereur et Empire, ont ailleurs en la plus grande part retenu
ceux de Roy et Royaume... Le titre d'Empereur n'est pas plus éminent
que celuy de Roy, lequel sonne meilleur et plus doux » (p. 250).
* Art de vérifier les dates, II, p. 15.
2 (c Contigit non multo post Notkerum episcopum, ut conciliaret
amicicias inter Ruopertum Francorum regem et imperatorem nos-
trum Heinricum Parisiis devenire » [Gesta episc, Leod, Migne, 139,
1093).
^ « Roberlus, rex Franciœ (Cf. suprà, p. 194, note 2) proceres
294 LlYRE IV. — CHAPITRE III.
une entrevue, qui a lieu la même anuée et où un paeie
d'amitié est conclu entre les deux souverains ^ C'est une
alliance aussi, une alliance d'égal à égal, que nouent Con-
rad II et Henri I*' (1033) par l'intermédiaire de Popponde
Stavelot. Les contemporains ne voient en eux que les cheb
des deux régna Francorum^ et, devant le projet de ma-
riage de Henri avec la fille de Conrad', ils pouvaient espé-
rer la reconstitution prochaine de l'unité franque, deTem-
pire franc en un mot *. Les rapports entre Henri !•' et
8U0S certa de caussa in palatio Coxnpendii nonduxerat, quod ad eum
Romanorum impcrator llenricus Gerardum Cameraci episcopum et
Richardum Virdunensem abbalem, legationis gratià miserai » (Ghart&-
notice Miraeus, Opéra dipL, I, p. 149).
* C'est lenlrevue célèbre d'Ivois-Mouzon, sur la Meuse, décrite
par la chronique de Cambrai (Gesta pontif. Corner., Migoe, 139, 46i)
et par Raoul Glaber (III, 2, 8). On proposa de part et d*autre que la
rencontre se fît au milieu du ileuve, pour qu'aucun des rois ne parût,
en aliant au devant de l'autre, s'humilier comme son vassal : c Inde-
cens esse ut quis illorum, tantorum scilicet regum, semet humilians
quasi in alterius transiret auxilium » (Raoul Glaber, p. 59j.
Henri II se décida à faire le premier pas : « Quanto major, lanto hu-
milior ». Il se transporta, avec une faible suite, auprès du roi des
Francs, qui le lendemain lui rendit sa visite. Les deux souversûns se
traitèrent en amwet s'engagèrent aie rester : « Firmato uterque paeto
amiciciœ, redicre ad propria » (R. Glaber). — « Ibi certe pacis et
jusliciso summa diffinitio mutugequc amicitiaB facta reconcLLiatio. »
(Chron. de Cambrai).
^ « Quia ante quam plures aunos Romani imperii cum Franci dia-
cordia non minima inoleverat, ipse [Poppo) inter utrosque pacis gra-
tiam labore et industria sua paratam complevit. Conradumque atque
Henricum regcs in consensum revocavit : quorum unus, idest Conra-
dus, Romanorum sive Orientalium, alter vero id est Henricus, Occt-
dentalium populis Francorum imperavit » (Vita Popponis, 30, Ma-
billon SB. VI, I, 584).
' Wiponis, Gesta Chuonradi, cap. 32, p. 38 (éd. Breslau).
* Siegfrid, abbé de Gorze, dans sa lettre à Poppon de Stavelot
fait une allusion rétrospective (1043) à cet espoir éphémère : « Me-
mini praeterea dudum, cum pater ejus filiam suam régi Francorum
desponsare vellet... multos fuisse qui... nuptias bene et utiliter fieri
posse contenderent eo quod per ipsas duo régna in magnam pacem
l'indépendance de la couronne. 295
Henri III furent tendus, mais ne changèrent pas de nature.
Dans l'entrevue de 1056, Henri I«' tient un langage qui
n'a rien de la soumission du vassal, et Henri III lui offre
le combat judiciaire comme à un égal, à un pair*. Cette
parité est soulignée inconsciemment par les chroniqueurs
allemands qui, en appellant, à cette occasion, Henri I®' rex
Charolirigorum, nous montrent en lui le légitime succes-
seur des Carolingiens ^
§ 2. — La royauté et le Saint-Siège.
Si la couronne de France ne fut pas subordonnée à la
couronne impériale, le fut-elle à la tiare? Le mot juste me
paraît avoir été dit par M. Paul Viollet*. 11 n'y eut pas au
moyen âge de régime théocratique ; il n'y eut que des
tentatives théocratiques. S'il en est ainsi, et je le crois,
nous n'avons qu'à rechercher dans quelle mesure ces ten-
tatives ont reçu en France un commencement d'exécution.
Il est d'autant plus superflu de nous arrêter aux théories
sur lesquelles la papauté a prétendu asseoir sa suprématie
conFœderari ve/iri unum redigi sperarent. » Giesebrecht [Geschichte
der deutschen Kaiserzeit, II, 5* édit., 4885, p. 747).
* « Imperator... perrexil ad villam Civois (Ivois) in confînio sitam
regni Franco rumac Teulonicorum, colloquium ibi habituruscum rege
Francorum. A quo contumeliose atque hostiliter objurgatus, quod
multa sœpe sibi mentitus fuisset et quod partem maximam regni
Francorum, dolo a patribus ejus occupatam (la Lorraine), reddere tam
diu distulisset; cum imperator paratum se diceret, singulariter cum
eo conserta manu objecta refellere, ille proxima nocte fuga lapsus
(c'est un chroniqueur allemand qui parle), in suos se fines recepit »
(Lamberti Hersfeldensis, Annales ad an., 1056 (Migne, 446, 4062).
Joignez la note survante.
2 « Mox régi Charolirigorum ad colloquendum in finibus utriusque
regni occurrit... proposuit examen monomachiœ per se illum et
illum pugnandae » (Annales Altahenses majores^ éd. Oefele (4891),
ad. an. 1056, p. 52).
3 Histoire des institutions, II, p. 268.
296 UYRE IV. — CHAPITRE III.
temporelle, que, fort vagues avant Grégoire VII*, ce pape
lui-même ne sut pas leur donner une forme homogèDe' et
* La rivalité des deux pouvoirs ne put commencer avant le milieu
du ixe siècle (supràj p. 248) et les prétentions de TÉglise, à ce moment
et au siècle suivant, n'allèrent pas au delà d'une égalité des rangs et
d'une soumission réciproque, suivant qu'il s'agtt du domaine temporel
ou du domaine spirituel (suprà, p. 251). C'est la théorie du concile
de Trosly en 909, et, à la fin de ce siècle, la doctrine d'Abbon que je
cite plus loin, c'est celle que les faux capitulai res avaient admise, en
invoquant l'autorité du pape Gelase et de Fulgence : u Principaliter
itaque totius Sctœ Dei Ecclesiœ corpus in duos eximias personas, in
sacerdotalem videlicet et regalerriy sicut a sanctis patribus traditum
acccpimus, divisum esse novimus. De qua re Gelasius... ad Anas-
tasium imperatorem ita scribit (494) : « Duse sunt quippe, inquit,
impératrices augustœ quibus principaliter mundus hic regitur, aue-
toritas sacrata pontificum et regalis polestas ; in quibus tanto gra-
vius pondus est sacerdotum, quanto etiam pro ipsis regibus hominum
in divino reddituri sunt examine rationenL » (Cf. le texte du Pseudo-
Isidor, éd. Hinschius, p. 639). Fulgentius quoque... ita scribit :
« Quantum pertinct, inquit, ad hujus temporis vitam, in eceletia
nemo pontipce prior, ot in secuh christiano imperatore nemo eeUior
invenitur » (Benoît le Lévite I, 319, Walter, III, p. 565-6).
Au xio siècle, il faut descendre jusqu'à Grégoire VII pour trouver
un système théocratique. Il est vrai que Gratien a mis sous le nom
de Nicolas II un canon aux termes duquel Dieu, en confiant à saint
Pierre les clefs du royaume céleste, lui a donné toute puissance sur
la terre et sur le ciel (Décret. I, DisU xxii, c. 1). Mais ce n*estlà qu*un
extrait du discours qu'a prononcé Pierre Damien, comme l%at à
Milan (iC59-1060), dans une circonstance où le pouvoir temporel n'é-
tait nullement en cause. Il ne s'agissait que de la subordination de
l'Église de Milan à l'Église de Rome (non debere Ambrosiaoam Ecde-
siam Romanis legibus subjacere, Migne, 145, 90). Aussi n'est-ce que
sous une forme toute incidente que la suprématie des clefs est affirmée :
« Romanam Ecclesiam solus ipse (ou ille) fundavit... qui locato yits
œterna; Clavigero terreni simul et cœlestis imperii jura commisit m
(Migne, 145, 91 ; Décret., loc, cit,).
2 Grégoire VII, dans sa célèbre lettre à Hermann, évéque de Mets
(1080) (Migne, 148, 597) reprend la doctrine du pape Gelase, sans
le correctif qu'on y apportait au ix*- siècle. Il la développe de môme en
écrivant à Guillaume le Conquérant : « Si crgo justo judici... tesum
repriL'sentaturus, judicet diligens sapientia tua... an tu mihi ad salu-
tem tuam... debeas vel possis sine mora non obedire » (Migne, 148,
l'indépendance de la couronne. 297
qu'après lui encore elles demeurèrent vacillantes K Lais-
sons donc les idées et interrogeons les faits.
Dans la période de dissolution de Tempire carolingien,
et avant la restauration du second empire romain, au mi-
lieu des désordres et des scandales où la papauté se dé-
569). L'idée se précisait ainsi et devenait singulièrement plus saisis-
sante pour les laïques, puisque, d'après le droit séculier, le seigneur
était responsable de son vassal et devait le représenter en justice.
En même temps, Grégoire VII, auquel Pierre Damien avait dédié
le récit de sa légation milanaise, alors qu'il n'était encore que l'archi-
diacre Hildebrand (Opuscule V, Migne, 145, 89 suiv.) s'approprie
sa théorie des clefs. Il en tire un argument a fortiori de plus en plus
pressant : u Gui ergo aperiendi claudendique cœli data potestas est,
de terra judicare non licet? » (Lettre à Hermann^ Migne, i48, 595).
Avec beaucoup de netteté et de force, il demande au concile de Rome
(1080; de la consacrer en excommuniant Henri IV : « Ut oronis mun-
dus intelligat et cognoscat quia, si polestis in cœlo ligare et solvere,
potestis in terra imperia, régna, principatus, ducatus, marchiaSy
comitatus et omnium hominura possessiones pro meritis tollere uni-
cuique et concedere » (Migne, 148, 818).
Grégoire VII ne s*en tient pas à cette double argumentation. Il
oppose les deux pouvoirs dans leur source. La puissance ecclésiasti-
que est d'origine divine, la puissance séculière est d'origine diaboli-
que : « Quis nesciat reges et duces ab iis habuisse principium qui,
Deum ignorantes, superbia, rapinis, perGdia, homicidis, postremo
universis pêne sceleribus, mundi principe diabolo videlicct agitante,
super pares, scilicet homines, dominari causa cupiditate et intolerabili
praesumptione affectaverunt » (Migne, 148, 596). Le pouvoir séculier
est donc justiciable de l'exorciste qui chasse le démon, à plus forte
raison l'est-il du supérieur de l'exorciste, le prêtre, en dernier ressort
du chef suprême de l'Église (ibid., c. 598).
* Si Geoffroy de Vendôme, par exemple, a eu le premier (ce qui
n'est pas certain) Tidée de comparer les deux pouvoirs à des glaives,
en rappelant le devoir traditionnel de la royauté de protéger l'Église,
on ne saurait, avec son moderne biographe M. Compain (Paris, 1891,
p. 241), faire remonterjusqu'à lui la théorie fameuse des deux glaives.
Il distingue, au contraire, avec soin le droit divin du droit humain
(opusc. IV, Migne, 157, 219-220). Sa théorie au fond n*est pas très
différente de celle de Benoît le Lévite, au ix» siècle, ou de Tévêque
Gérard de Cambrai, au concile de Verdun-sur-Saône, vers 1020
(Gesta episc. Camer,, III, 27, Migne, 149, 158).
298 LIVRE IV. — CHAPITRE lU.
bat, comment se prévaudrait-elle d'une suprématie tem-
porelle ? Sitôt que cesse le protectorat des empereurs caro-
îingiens, les papes tombent, comme capucins de cane, les
uns sur les autres. De 824 à 884, en soixante ans, il y
avait eu onze papes; on en compte six dans les neuf années
891 à 900. L'un reste quinze jours, un autre vingt, un troi-
sième quatre mois. Du même coup, la papauté perdait son
autorité politique et son prestige moral. Les capitulaires et
l'appui direct du pouvoir impérial donnaient jadis force
exécutoire à ses décisions. Ils lui manquent. Le prestige
moral sombre dans Tignominie personnelle des papes, crte-
tures de Taristocratie ou de la plèbe romaine. La maison de
Théophylacte fait de la papauté son bien propre pendant
près de soixante ans. Le scandale atteint son apogée avec
Jean XII qui, à seize ans, est en même temps le chef du
clergé et le chef de l'aristocratie romaine. Rome revoit les
débauches et les orgies du Bas-Empire. On raconte même
qu'elle vit, dans les festins du Lalran, un pape boire à la
santé du diable^ C'est pour purifîer cette sentine que le
nouvel empire se créa, mais le remède qu'il devait appor-
ter fut d'une rare inefficacité. L'avilissement et l'anarchie
atteignirent leurs limites extrêmes sous Benoît IX, qui,
monté à douze ans dans la chaire (apostolique, la souilla de
ses déportements, sous l'œil bienveillant de l'empereur*.
^ « Le Latran était devenu un mauvais lieu; une honnête femme
n'était pas en sûreté à Rome. Ces débauches étaient payées avec le
trésor de TÉglise, que la simonie alimentait... On parle d'un ëvdque
consacré à l'âge de dix ans, d'un diacre ordonné dans une écurie, de
dignitaires aveuglés ou transformés en eunuques. La cruauté complé-
tait l'orgie. Pour que rien ne manquât, on raconte que, dans les fes-
tins du Latran, il arrivait au pape (Jean XII) de boire à la santé du
diable i (Mgr Duchesnc, Les premiers temps de l'État pontifical, Pa-
ris, 1898, p 178).
'^ (c Conrad II, qui savait jouer de cette marionnette pontificale, le
supporta, le combla même de prévenances... Henri 111, successeur de
Conrad en 1039, attendit sept ans avant d'intervenir et de faire ces-
ser l'énorme scandale » (Mgr Duchesne, op.çit., p. 200). Chassé par
l'indépendance de la couronne. 299
LoÎQ donc que la papauté pût exercer une suprématie
temporelle sur la royauté, sa suprématie spirituelle sur la
France fut près de lui échapper. Les synodes de Sainl-
Basles (991) et de Chelles (994) prennent des mesures et
tiennent un langage qui présagent un schisme. Le pre-
mier, où siègent, sous la présidence de larchevêque de
Sens, des évêques des provinces de Reims, Sens, Bour-
ges, Lyon, destitue Tarchevêque de Reims, Arnoul, sans
raulorisation du pape. Son orateur, Tévêque Arnoul d'Or-
léans, affirme le droit pour Tépiscopat chrétien de se con-
certer et de rejeter les décrets du Saint-Siège, s'ils sont ren-
dus par des papes indignes et s'ils lui paraissent injustes*.
Gerbert, la plume à la main^, défend la même doctrine et
les Romains, Benoît IX rentre manu militari et rétrocède la tiare
manu venali. Alors seulement l'empereur intervient : il se sent lésé
dans ses droit*? par un marché passé en dehors de lui.
* « Num talibus monstris (les papes indignes) hominum ignominia
plenis, scientia divinarum et humanarum rerum vacuis, innumeros
sacerdotes Dei per orbem terrarum scientia et vitœ merito conspicuos
subjeci decretum est?... Nimirum si charitate destituitur (le pape) so-
laque scientia inflatur et extollitur, Antichristus est in temple Dei
sedens, et se ostendens tanquam sit Deus. Si aulem ncc charitate
fundatur, nec scientia erigitur, in templo Dei tanquam statua, tan-
quam idolum esty a quo responsa petere, marmora consulere est...
Inde (in Belgica et Germania) magis episcoporum judicium petendum
fore videretur, quam ab ea urbe, quœ nunc emptoribus venalis expo-
sita, ad nummorum quantitatem judicia trutinal... Cur autem loco
prior, scientia inferior, non aequo animo ferat judicium loco inferioris,
scientia prioris? » (Œuvres de Gerberty éd. Olleris, p. 206 207). —
On sait que les actes du concile de Saint-Basles ont été rédigés par
Gerbert : M. Havet regarde comme probable que c'est sur des notes
sténographiques prises par lui au cours des séances (Havet, Introd.
aux lettres de Gerbert, p, xxv).
2 « Si ipse Romanus episcopus... ecclesiam non audierit.. est ba-
bendus sicut ethnicus et publicanus... Non est ergo danda occasio
nostris emulis ut sacerdotium quod ubique unum est, sicut ecclesia
catholica unaest, ita uni subici videatur, ut eo pecunia, gratia, metu,
vel ignorantia corrupto, nemo sacerdos esse possit, nisi quem sibi
hoB virtutes commanda verint. Sit lex communis ecclesise catbolic»
300 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
Je concile de Chelles, présidé par le roi Robert, lui donoe
une solennelle consécration'. En vain la papauté essaie-
l-elle de réagir. Jean XV invite les rois Hugues et Robert
à se rendre à Rome; ils refusent*. Le même pape convo-
que les évêques français à des conciles successifs, à Aix-la-
Chapelle, à Rome, enOn à Mouzon, dans le diocèse de
Reims, où Tévêque de Verdun est tout prêt, en son nom,
à les haranguer en français; ils ne s'y rendent pas*. Ger-
bert seul se présente à ce dernier concile, voulant faire
front aux adversaires qui lui disputent le siège de Reims\
Ce n'est qu'en 997, sur la sollicitation de son conseiller
Abbon de Fleury, et dans le but d'obtenir ragrément de
Rome au mariage irrégulier qu'il venait de contracter
avec sa commère et parente Berthe, que Robert consenti
remettre Arnoulde Reims en liberté*. Son espoir est déçu.
Un concile réuni par le pape, auquel assistent Otton III
et Gerberl, lui enjoint, sous peine d'anathème, de se
euuangclium, apostoli, prophetœ, canones spiritu Dei coDditi, et tocius
mundi rcverentia conservati, décréta sedis apostolicœ ab kis non
discordantia » (Lettre à Tarchevéque de Sens, Siguin, vers 994-
995, éd. Ilavet, p. 180-182).
* « Constilui et roborari placuit, ut ab ca die, idem sentirent (les
ëvêques), idem vellent, idem cooperarentur... Placuit quoque sanciri,
si quid a papa Romano contra patrum décréta suggereretur, casBum
et irritum (ieri » (Riclier, IV, 89, t. II, p. 272-4).
- « Homanam ecclesiam... a vobis detraiii et dehonestaii... Aposto-
licus vos Romam iiivitavit ; nec tamen ad eum venire voluistis » (Let-
tre du légat Léon aux rois Hugues et Robert, Œuvres de Gerbert,
éd Olleris, p. 243).
^ (c Aymo episcopus surrexit et gallice concionatw esty domnum
Johannem papam episcopos Galliarum causa synodi ad Aquasgrani
palatii invitasse, et eos illo venire noluisse. Item invitasse ad Urbem,
et eos non venissc. Nunc pro sua soliicitudine in Remensi provincia
concilium statuissc » (Actes du concile de Mouzon, Olleris, p. 245).
* « Qui solus de Gallis ad concilium venerit » (Discours de Ger-
bertau concile de Mouzon, loc, cit., p. 250).
" « Léo Romanus abba ut absolvatur (Arnulfus) obtinuit, ob
confirmandum senioris mei régis liot. novum conjugium » (Lettres de
Gerbert à la reine Adélaïde, 997, éd. Havet, p. 164).
l'indépendance de la couronne. 301
séparer de sa femme (998)*. Vaine menace : il refuse de
se soumettre.
La question du pouvoir indirect sur la royauté était ainsi
soulevée. Frappé d'anathème, Robert aurait dû être déposé,
son royaume frappé d'interdit. Il en fut si peu ainsi, malgré
les légendes qui plus lard ont couru, que Gerbert devenu
pape ne cessa d'être en relation d'amitié et d'alliance avec
Robert*. C'est par persuasion beaucoup plus que par con-
trainte qu'il l'amena à répudier la reine Berthe(vers lOOi).
A ce moment, nous le savons, on était en plein rêve de
monarchie universelle.
Quand le rêve fallacieux fut évanoui et la période des
papes germaniques inaugurée, reconnaître la suprématie
du Saint-Siège eût été pour le roi de France reconnaître
celle du souverain allemand. Aussi son indépendance
s'affîrme-t-elle avec d'autant plus d'énergie que la domi-
nation de Tempire sur la papauté devient plus rigoureuse.
On peut mesurer le chemin parcouru de Robert à Henri
et à Philippe I.
Henri I n'hésita pas à faire un grand éclat. Sous un pré-
texte auquel personne ne se trompe', il refuse d'assister à
la dédicace de l'église de Saint-Remi, que vient accomplir en
grande pompe à Reims (1049) le pape Léon IX; il retient
les évèques français de s'y rendre et de siéger au concile
que le pape a convoqué. De tout l'épiscopat qui dépend
directement du roi, quatre prélats seulement, l'archevêque
de Reims, les évêques de Senlis, Térouanne et Langres,
sont présents, sans qu'on sache même si le roi le leur
^ JafTé, n^ 3896.
'^ Cf. Pfister, p. 58-59.
^ « Rex emoUilus, et ab honesto proposito ad seductionis dévia
flexus, Papae per Silvanectensem mandat episcopum, se suosque pon-
tifices cum abbalibus cogi ad comprimemdain pervicaciam sibi resis-
tentium, ideoque non posse occurrere ei in praefixo termino ad pera-
gendum concilium » (Anselme, Hist dedic. eccL S^ Remigii, Mabil-
Ion, SB. VF, 1, 716).
302 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
avait permis. Par là, le danger qui menaçait Findépen-
dance de la couronne se trouva écarté. Que Léon IX ait
eu le propos délibéré de subordonner le roi de France à
Tempereur, rien certes ne le prouve, et j*admets volon-
tiers que sa préoccupation essentielle fut la restauration de
rÉglise. En est-il moins certain qu'une telle subordination
aurait été implicitement réalisée, si un pape aussi dépen-
dant de Tempire que Léon IX était parvenu à ses fins*?
Assisté des trois métropolitains allemands de Trêves, Be-
sançon et Lyon, d'évêques allemands et lorrains, italiens,
anglais et normands, enGn d^une cohorle de moines, la
plupart étrangers, ne prélend-il pas régenter Tépiscopat
royal, gouverner à son gré l'église de France, en face du
tombeau de Saint-Remi, dans la basilique où s^accomplis-
sait le sacre de nos rois? Comparez ce concile à celui qui
se tient la semaine suivante sur le territoire allemand,
à Mayence, et vous verrez, par contraste, l'attitude du
pape se dessiner dans tout son jour. Le concile de Reims
s'empresse de proclamer la primauté du Saint-Siège*; il
dépose des évoques français sans nul égard aux droits de
la couronne, — tel l'évêque royal de Langres — ; il frappe
• C'est l'opinion de Thistorien allemand Giesebrecht, que Hefele
traite bien gratuitement de « pure rêverie d'un moderne » (ein ganz
moderner Traum) (Conciliengeschichtey IV, p. 7?4). Rien ne me pa-
rait plus exact que les propositions suivantes : « Nach der Lage der
Dinge ware die Untervverfung Frankreichs unter die Allgewalt de»
rômischen Pontifex zugleich einer Anerkennung der Kaiserlichen
Obmacht nahe genug gekommen ». — « Mit Ansprûchen, wie sie
jelzt erhoben wurden, war zu keiner Zeit ein Papst im Reiche der
Karolinger erschienen ». — « Es versprach ein ûberaus folgenreiches
Ereigniss zu werden, wenn Léo jelzt milten unler die franzôsischen
Bischôfe treten und fur aile Forderungen, die Rom seit der Fâlscbung
der Pseudoisidor erhoben, Anerkennung beanspruchen wûrde. » —
« Der Kaiser, der Schutzlierr des Papstes... stand in der Bluthe der
Macht, und aile seine Wiinsche waren mit Léo.» (Giesebrecht, Cresc/L
der deutschen Kaiserzeit, II, 5» éd., 1885, p. 459).
^ « Declaratum est quod solus Romanae sedis pontifex universalis
Ecclesiae Primas esset et Apostolicus » (Anselme, l, c, cap. 14, p. 721).
l/iNDÉPENDANCK DE LA COURONNE. 303
d*analhème tous les prélats qui ont accompagné le roi, au
lieu de se rendre au coQcile, nommément l'archevêque de
Sens et les évoques de Beauvaiset d'Amiens*. A Mayence,
le concile ne comprend que des évoques allemands (les
étrangers sont retournés chez eux ou y sont restés) ; il se
borne à quelques déclarations platoniques qu'il dément
aussitôt en se pliant avec une condescendance et une do-
cilité parfaite aux volontés du souverain allemand'.
Sous Philippe I, le conflit devint plus aigu. La rupture
éclatait entre Tempire et le Saint-Siège. Jamais encore la
suprématie pleine et entière n'avait été poursuivie par
rÉglise romaine avec plus de fougue ni plus d'habileté. La
papauté se garde pourtant en France de s'attaquer de front
au principe du pouvoir, à l'autonomie de la royauté. Elle
s'efl'orce de l'affaiblir, de l'évincer, en s'immisçantdans les
affaires du royaume par ses légats, en s'interposant entre
les évêques, en se subordonnant môme directement les
sujets du roi par un tribut qu'elle veut leur imposer.
C'est dans la seconde moitié du xi® siècle que l'institu-
tion des légats est en plein épanouissement. Alexandre H
en a posé le principe', Grégoire VII en tire les consé-
* « Poena damnati sunt excommunicalionis... qui ipsius Papae
formidantes adventum, hac dere profecti erant in expeditionem Régis.
Nominatim vero Senonensis archiep., Belvacensis et Ambianensis
episc. » (ibid,, cap. 16, p. 724).
2 Un panégyriste récent de Léon IX, qui, au sujet du concile de
Reims déverse à pleines mains le vitupère sur Henri I et exalte la pu-
reté des intentions du pape, n*a pu dissimuler ce contraste : « La
situation du pape était tout autre, dit-il, à Mayence qu'elle n'avait
été à Reims. Ici appuyé sur la fermeté de quelques évêques, sur le
bon vouloir de cinquante abbés... il avait pu sans réserve proclamer
la loi et frapper les coupables... Maintenant il se trouvait en présence
de prélats dévoués avant tout à leur prince,,. La présence de l'empe-
reur... imposait des ménagements et des détours « (Brucker, L'A/sace
et UÉglise au temps de Léon IX, Strasbourg, 1889, II, p. 53).
2 « Huic (legato) vicem nostram pleno jure commisimus, ut quid-
quid in iilis parlibus, Deo auxiliante, statuent, ita ratum teneatur et
firmum ac si speciali nostri examinis fuerit sententiapramulgatum,,.
30i LIVRE IV. — CHAPITRE III.
quences. Par ses légats, la papauté est présente partout'.
Elle prétend se mouvoir et agir en France avec une om-
nipotence souveraine. Mais elle se heurte à la résis-
tance des métropolitains qui, par la voix de Tarchevèque
de Reims, font entendre le même langage que Gerbert et
les pères du concile de Saint-Basle avaient tenu*. Gré-
goire VII est obligé de tempérer le zèle de ses légats.
Les évêques de leur côté résistent aux moyens employés
par la papauté pour les assujettir, à la réforme notamment
qui doit livrer la prépondérance au clergé clunicien*.
Si ces résistances eurent souvent des mobiles peu avoua-
bles et fort peu vertueux, il faut reconnaître aussi que les
accusations de simonie portées contre les prélats et contre
la personne du roi dépassèrent le légitime but. Elles ne
visaient pas seulement une réforme de l'Église, elles ten-
daient à soumettre au Saint-Siège Tépiscopat et la royauté
des Gaules. Le pape ne se contenta pas de prendre, par
des légats aussi impétueux que Hugues de Die, « des
mesures énergiques, souvent violentes, parfois révolution-
naires* », de suspendre, de déposer ou de déférer à la cour
taiem tantumque virum tamquam nostram personam dign& studeatîs
devotione suscipere » (Epist, ad archiep. Gallidey 1063, H. F., XIV,
534).
* Grégoire VU écrit à ses légats en Gaule : « Vos, ila ac si nostra,
imo quia nostra ibi in vobis prœsentia est^ cuncta digne peragite »
(1081, Migne, 148, 603).
2 Dans VApologie, rédigée peut être par une plume mercenaire,
mais adressée sous le nom de Tarchevéque Manassé à Hugues de
Die : « Melius est ut mitius agendo, et justitiam non excedendo, Ro-
manae eclesiac commodum et honorem per Franciam adquiratis,
quam exasperando Franciam, ejws justitiam ei subjecHonem Romanae
ecclesiae impediatis... Non manet Pétri privilegium, ubicumque ex
ejus aeqnitate non fertur judicium » (Mabillon, Musaeum ital.^ 1724,
1 2, p. 127).
3 Nous aurons à étudier celte lutte dans la Partie consacrée au
gouvernement ecclésiastique.
* Ce sont les expressions de M. Imbart de la Tour (Les électioiu
épUiCopalcs, p. 387).
l'indépendance de la couronne. 305
de Rome, en l'espace de quatre années (1076 à 1080), tous
les prélats partisans de la royauté : — les métropolitains de
Reims, de Sens, de Tours, de Bourges, les évêques d'Or-
léans, d'Auxerre, du Puy, ceux de la province de Reiras,
— il voulut subordonner Téglise de France à des primaties
étrangères qui fussent à ses ordres.
Déjà au x" siècle, des papes dévoués à Tempire avaient
prétendu octroyer à des archevêchés allemands laprimatîe
à la fois sur l'Allemagne et sur la Gaule : le pape Jean XIII,
en 969, à l'archevêché de Trêves*, le pape Benoît Vil,
en 975, à Tarchevêché de Mayence*. Le siège de Reims se
trouvait le plus directement en cause : il était menacé dans
sa primatie sur les Églises de Gaule, et dans son indépen-
dance au regard de l'empire germano-romain. Longue
et vieille querelle qui fut soulevée en 1049 au concile de
Reims, mais que le pape Léon IX se garda bien de vider'.
Grégoire VII ne s'en tint pas là. En 1079, après Canossa,
et quand son partisan impérial Rodolphe de Souabe l'em-
portait, il chercha par la même voie à dominer étroitement
d'autres provinces françaises, à déposséder surtout la plus
importante du royaume de France, — la province de
Sens — de la primatie qu'elle faisait remonter à Anse-
gise (876)*. Sous le prétexte que la métropole de Lyon,
étant à la tête de la première Lyonnaise, devait l'em-
porter sur les sièges des trois autres Lyonnaises*) Sens,
« Jalîé, Regest. pont., n» 3736.
-2 Jaffé, n° 3784.
'" « Ubi statim vêtus quereia inter Remensis et Treverensis archie-
piscopi clericos est renovata : bis adstruentibus quia Remensis Pri-
mas esset in Gallia... è contra vero illi arcbiep. Treverensi eamdem
dignitatem conabantur adscribere... Domnus autem Papa non arbi-
tratus oportunum tempus quo bis rationibus imponi valeret congruus
finis )f (Anselme, loc. cit., cap. 14, p. 720).
* Privilège de Jean VIII, du 2 janvier 876 (Jaffé, n» 3032).
* Lettre à Gebuin, arch. de Lyon, et lettre collfective aux archevê-
ques de Rouen, Tours et Sens (1079), (Migne, 148, 538-540). — Je
montrerai, en traitant de l'Église de France, le rôle que les divisions
V. — Tome III. 20
306 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
Tours et Rouen) il lui accorda la primalie sur eux. Op Lyoi>
faisait partie alors de Tempire germanique. Aussi Tarche-
vêque de Sens et Tépiscopat français ne cessèrent-ils, avec
une vivacité extrême, de s'élever contre cet acte. II provo-
quera au xii* siècle la protestation indignée de Louis VI*.
Le but d'assujettir la royauté n'apparaît pas moins claire-
ment dans la virulence des accusations portées contre le gou-
vernement et contre la conduite personnelle de Philippe I.
— Grégoire VII le rend responsable de Tétat général des
mœurs, de la dissolution sociale'; il s'adresse à l'épiscopat
français tout entier pour qu'il mette son royaume en inter-
dit'; il s'adresse à l'un des princes les plus puissants delà
Gaule, Guillaume VIII d'Aquitaine, pour que de concert
« avec les plus nobles de la Francie » il amène le roi à ré-
parer le mal qu'il a fait, faute de quoi l'excommunication
frappera tous ceux qui continueront à le reconnaître pour
leur souverain*. Il s'agit donc bien de dépouiller Philippe I
de sa couronne. Le pape le dit en propres termes*. Et pour
appuyer ces accusations vagues et générales, quel grief
précis est allégué? Le rançon nement par ordre du roi de
marchands italiens, A'oratores (envoyés) S* Peiri^j le
administratives de Tépoque romaine ont joué dans la naissance des-
primaties.
1 Lucbaire, Annales de Louia VI, n° 301.
2 Lettre à Philippe (1074), (Migne, 148, 348). — Lettre aux évoques
français (1074) Ibid.^ c. 3G3 suiv. : « quod tam nobile regnum et tairf
infînitus populorum numorus unins perditisslmi hominis culpa de-
pereat ».
3 « Si vos audire noluerit... per universam Franciam omne divinum
officium publiée cek-brari interdicite » (Migne, 148, 30ii).
* « A corpore et conmiuniune sanctao Ecclesiae ipsumet qiticunquc
sibi reyaïem honorem vel obedientiam exhibuerit, sine dubio seques-
trabimus d (Migne, c. 377).
5 « Nulli clam aut dubium esse volumus quin modis omnibus re*
gnum Franciae de f^jus occupatione, adjuvante Deo, tentemus eripere »
(i6irf., c. 3G5).
6 « Unde oratorcs Soti IVtri impcdiuntur, capiuntur atque multis
modis afficiuntur » (c. 377).
l'indépendance de la couronne. 307
pape affirmant du reste qu'il n'obéit pas à un mobile in-
téressé.
Certes le réquisitoire est dur, mais n'est-il pas manifes-
tement outré? Comment faire du roi le bouc émissaire de
toutes les violences et de toute la corruption de son épo-
que? Lui demander, sous peine de destitution, un compte
immédiat de tous les vices, la simonie comprise, dont les
clercs et les laïques sont infectés? Était-ce plus juste
que d'en charger le père spirituel des peuples, le chef
direct du clergé? Quant au détroussement des marchands
italiens, la disproportion entre Tacte incriminé et le châti-
ment réclamé est trop patente. Quel souverain, quel prince
se privait, à cette époque, du droit de rançonner les mar-
chands étrangers, d'exercer sur eux une sorte de droit de
marque permanent?
Ce qui achève de jeter un jour décisif et cru sur la portée
de ces accusations, c'est la lettre que Grégoire VII écrit au-
roi en 1080. II traite tous ses actes antérieurs de pec-
cadilles de jeunesse; il les lui pardonne, il veut vivre
désormais en excellente harmonie avec lui*. Que s'est-il
donc passé? Les légats ont fait leur œuvre. De ce jour,
Grégoire VII croit pouvoir parler en maître, qui veut se
réconcilier avec son inférieur. Il parle sur ce ton. 11 de-
mande à Philippe de consentir à la déposition de l'arche-
vêque Manassès, en échange des bonnes grâces de Saint-
Pierre, « qui a en sa puissance son royaume et son âme » ^.
Philippe I ayant, sans reconnaître la suprématie que le
* « Nos adolescentiae tuae praeterita delicta, spe correctionis tuae
portantes... Age igitur, et jam aetate vir factus, in hac re procura ut
non frustra tuae jucentutis culpis pepercisse. » « Saepe per nuntios
tuae celsitudinis audivimus legratiam B. Pétri nostramque amicitiam
cupere; quod et tune nos libenter accepisse, etadhuc, si eum animum
geris, nov er'is admodum nobls placer e » (1080), (Migne, 148, 593).
*^ « Maxime enilere ut B. Pelrum, in cujus potestate est tuum re-
gnum et anima tua, qui te potest in cœlo et in terra ligare et absol-
vere, tibi facias debitorem » (ibid,).
308 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
pape revendiquait ainsi, déféré à son désir de réconcilia-
tion, et sacriGé l'archevêque de Reims, Grégoire VII, dès
Tannée suivante, veut faire un pas de plus. Il invoque une
décision (sans nul doute un faux capitulaire) de Charie-
magne, pour réclamer de chaque maison du royaume de
France le cens d'un denier par an*. Tous les sujets du roi
seraient devenus ses tributaires, et il n'eût pas manqué,
ainsi qu'il Ta tenté auprès de Guillaume le Conquérant',
de réclamer l'hommage au roi lui-même.
Il n'existe aucun indice que jamais le tribut ait été payé,
et, loin d'être disposé à faire hommage au pape, Philippe l**
ne tarda pas à rompre en visière au successeur de Gré-
goire VII, à Urbain II. Ce fut, comme l'avait fait jadis
son ancêtre Robert, en contractant un mariage irrégulier
aux yeux de l'Église romaine% et en le faisant bénir par
des prélats français (1092)*. La lutte, cette fois, se pro-
* Lettre aux légats en France (1081) ; « Dicendum est omnibu»
GalUsy et per veram obedientiam praecipiendum^ ut unaquaeqûe
domiis saltem unum denarium annuatim solvat Bo Petro, si eaia
recognoscunt patrem et pastorem suum more antique. Nam Carolus
imperator [siciU legitur in tomo ejua, qui in archiva eccUsiae B* Pétri
hahetur) in tribus locis annuatim colligebat mille et ducentas libras
ad servitium apostolicae sedis, id est Aquisgrani, apud Podium
S'^' Mariae, et apud Sctum Aegidium; excepte hoc quod unusquisque
propria dcvotione oiTerebat » (Migne, 148, 603-604).
2 Lettre de Guillaume à Grégoire VII : « Hubertus legatus tuus*-
me admonuit quateiius tibi et successoribus \.\x\^ fidelitatcm facerem,
et de pecunia quam antecessores mei ad Romanam ecclesiam mittere
solebant, melius cogitarem : unum admisi, alterum non admisi. Pide^
iitatem facere nolui, ncc vola, quia nec ego promisi, née anteces»
sorcs meos antecessoribus tuis id fecisse comperio i (Migne» 148,748).
^ Je montrerai, en traitant de la famille royale (infrà, chap. y, § 1)
que l'irrégularité qui viciait le mariage de Philippe I avec Bertrade
de Montfurt était infiniment moins scandaleuse qu'elle a été représen-
tée par les auteurs ecclésiastiques, par Hugues de Flavigny Buriout»
Joiitla partialité comme secrétaire de Hugues de Die est éclatante,
et que sa validité a été finalement admise par l'Église.
^ Les contemporains citent des évéques différents comme ayant
béni le mariage. Urbain II le reproche à Ursion de Senlis, Hugues de
l'indépendance de la couronne. 309
longea douze ans et fut, par moment, d'une âpreté extrême * .
Flavigny à Gautier de Meaux et à Philippe de Troyes, Orderic Vital
à Tévêque de Bayeux, Guillaume de Malmesbury à Tarchevôque de
Rouen. Si la personne de Tofficiant reste ainsi incertaine, le fait de
la bénédiction par un évéque de la Fraocie ou de la Gaule est hors
de doute.
* Non seulement les torts personnels du souverain ont été exagérés
p;ir les historiens, mais aussi la puissance du Saint-Siège de mettre,
pour l'en punir, l'interdit sur sa couronne. Il faut descendre jusqu'au
milieu du xvii* siècle pour trouver en David Blondel {De formulas
régnante Chriato usu, justas pro regibus maximis Philippo I et II
summaque regum omnium potestate vindicias complexa diatribe)
(Amsterdam, 1646) et en Jean Besly (Traités à la suite de ÏHistoire
des comtes de Poictou, Paris, 1647, p. 91 et suiv.) des défenseurs à la
fois de la conduite du roi et de l'indépendance de la Couronne. Blon-
del remarque que l'acte reproché au souverain était fréquent de son
temps, et il en cite de nombreux exemples (p. 14-15). Il prouve en
outre que, malgré l'excommunication, Philippe n'a cessé d'exercer la
plénitude du pouvoir royal, de vaquer à toutes les fonctions de la
royauté (p. 259 et suiv.). Lui et Besly réfutent sans réplique l'asser-
tion d'un chroniqueur de la fin du xvo siècle, répétée par de nom-
breux érudits du xvi% que l'excommunication de Philippe I a donné
naissance à la formule régnante Christo, pour tenir lieu de la date des
années de son règne, qui aurait été suspendu. Nombreuses sont les
chartes qui bien des siècles avant cet événement et longtemps après
portent cette formule, soit séparément, soit conjointement avec la
date courante, nombreuses les chartes datées de l'année du règne de
Philippe, pendant la durée de son excommunication (Listes, dans
Blondel, p. 371-391, dans Besly, p. 139-168).
Serait-ce à dire que la papauté n'ait pas eu la prétention d'être
l'arbitre de la Couronne, de déposséder le roi de son autorité ? Je com-
prends que nos écrivains du xvii* et du xviii« siècle se soient re-
fusé à le croire, n'osant mettre en question une maxime fondamentale
des libertés gallicanes, mais le témoignage de Guillaume de Malmes-
bury est trop formel pour être récusé (excommunicavit dominus Papa
Philippum regem Francorum, et omnes qui eum vel regem vel do-
minum suum vocaverint, et ei obedierint.,. » H. F. Xlil, 6 E) et
dom Brial (H. F. XVÏ, p. LXX) comme Blondel (p. 278 suiv.) n'ont
pu lui opposer qu'Ives de Chartres, lequel, nous l'avons vu, n'a fait
aucunement cause commune avec le Saint-Siège. Ce qui est vrai c'est
que la prétention pontificale achoppa à la résistance de l'épiscopat
< t du peuple de France.
310 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
Urbain II, avec plus d'intransigeance encore que Gré-
goire VII, voulut tirer et de la conduite du roi et des prati-
ques simoniaques des conséquences qui eo dépassaient la
légitime portée, en faire sortir le droit de disposer de la
couronne et d'enlever au roi toute autorité directe sur le
clergé séculier. Pour s'en convaincre, il suffît de mettre en
regard des actes et des décisions du pape Tatlitude et les
paroles du grand canoniste français Ives de Chartres. Lui
aussi réprouvait la conduite du roi, il la censurait au
point de s'attirer sa vengeance, il était un partisan résolu
de la réforme, pleine et entière, de l'Église, mais il estimait
que censure et réforme pouvaient et devaient se concilier
avec le respect des droits de la couronne, aboutir à la con-
corde des deux pouvoirs ^ et non pas à la subordination du
roi au pape. Marquons les traits essentiels de ce contraste.
Urbain II confirme (1095)' la primatie de Lyon que
Grégoire VI [ avait établie, et il veut lui faire produire
tous ses fruits. Elle ne doit pas consister seulement dans
une préséance honorifique, elle doit donner une autorité
efPeclive sur les métropolitains de Sens, de Tours, et de
Rouen. Le pape défend de consacrer le nouvel arche-
vêque (le Sens, Daimberl, s'il ne la reconnaît pas au préa-
lable. — Ives de Chartres proleste contre cette mesure
* 11 l'orit au légal Hup^ues de Die (1096-1097) : « Videmus... divi-
siim regnum cl sacerdotium, sine quorum concordia res humanae
nec incolumes esse possunt nec lulae » (Migne, 162, 74). A Phi-
lippe I^' il avait écrit : u Quie Dei sunt, Deo reddant, et quœ Cœsaris
sunt, Caesari reddere non omillant » (Migne, 162,68). Ives de Chartres
demeure fidMe à la doctrine qu'Abbon de Fleury professait un siècle
auparavant dans son Apolof/eticus adressé aux rois Hugues Capet et
Robert : « Nain illius (pontificis) sublimitas lege Domini spiritaliter
populis pronuntiat, quam istins (régis) majestas, si necesse sit. armo-
rum defensione commendat; quapropter cavendum est ne ab invïceai
résiliant quorum ad invicem miniateria concordant. Sed concordia
eorum in dirersis officiai tanto sibi consulit, quanto unanimiter con-
sulendo d»» communi atilitate sentit. » (Migne, 139, 467).
■^ Mi«rnf, loi, 438.
l'indépendance de la couronne. 311
■avec une ardente énergie ^ La préséance il la recon-
naît, mais il ne reconnaît pas au pape le droit de mettre
à la consécration d'un archevêque une condition que les
■canons nV.Jictent pas et d'attacher à la primatie une
subordination qu'ils n'ont pas instituée. Que le pape
persiste, il le menace d'un schisme. Aucune question de
dogme et de foi n'est engagée; il ne s'agit que de détails
secondaires du gouvernement de l'Église. Vous voulez,
dites-vous, réformer l'Église; attaquez-vous alors aux
mauvaises mœurs, aux vices qui éclatent de toutes parts.
Agissez d'accord avec le pouvoir séculier, au lieu de le
combattre à outrance sur des questions de pure forme,
comme l'investiture par la crosse ou l'anneau ^ Ives de
Chartres est tout près de dire que ce sont là armes et pré-
textes pour atteindre de toutes autres fins qu'une réforme
profonde et immédiate de ^Église^
Sur la peine que mérite la conduite personnelle de Phi-
lippe I", le prélat chartrain ne se sépare pas moins nette-
ment de la papauté. Il ne parle pas d'une privation, mais
seulement d'une diminution, d'un affaiblissement du pou-
voir séculier par les peines canoniques*, et il ne se croit
aucunement dégagé par elles du lien de fidélité envers
le roi\ Urbain II, au contraire, entend, comme Gré-
goire VU, être l'arbitre de la couronne, délier dès lors
tous les sujets du lien de fidélité. Une fois entré dans
cette voie, il va jusqu'au bout. Ce n'est pas au seul roi
* Lettre de Hugues de Die (1096-1097}, (Epist. 60) Migne, 162,
70 suiv.).
2 « Sed hoc vellein cum multis mecum pie sentientibus, ut Ro-
manœ ecclesiaD ministri... majoribus morbis sanandis intenderent...
cum per totum pêne mundum flagitia et facinora videamus publiée
perpetrari, nec ea a vobis aliqua justitiœ falce resecari» {ibid.j c.74).
3 et' Esmein, La question des investitures dans les lettres d'Yves
de Chartres [Bihl. de l'École des Hautes-Études, t. I, p. 160, note 2).
* Lettre à Philippe : oc Caveat sublimitas vestra ne... cum diminu-
tione terreni, regnum amittatis aeternum » (Epist. 15, Migne, 162, 28^.
* « Ista... pro summa fidelitate dicere me arbitror » (ibid., c. 27 •
3t2 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
excommunié que Tévêque et le prêtre doivent refuser
la fidélité; ils le doivent à tout roi, à tout prince, à tout
laïque. Il faut que l'Église soit pleinement affranchie de la
puissance séculière : « Ecclesia sii libéra ab omni s^ecu-
lari potestate ». Tels furent, en effet, les principes qu'il
fit proclamer, les décisions qu'il fit promulguer par le
concile de Clermont (1095) ^ Les historiens n'ont pas pris
assez garde qu'il ne s*agit pas seulement de l'hommage
lige féodal attaché à une concession (ïhonor ecclésiastique.
D'une part est prohibée, il est vrai, l'interdiction de l'in-
vestiture des bénéfices ecclésiastiques par la main d*uD
laïque (roi ou prince), et par là Thommage qui en est la
condition'; mais d autre part, il est défendu à tout évêque^
et à tout prêtre [sacerdos) — qu'il reçoive ou non un bé-
néfice ecclésiastique, — de prêter le serment de fidélité-lige
{ligiam fidelitaiem), c'est-à-dire l'ancien leudesamio dû au
prince*.
Pour mettre ce point délicat en parfaite clarté, rappe-
lons les phases qui se sont succédées dans les relations
entre la royauté et Tépiscopat.
Au ix% au x" siècle, et dans la première moitié du xi*,
les évoques ont prêté le serment de fidélité au roi, à la fois
comme ses sujets et comme ses fonctionnaires dans l'ordre
ecclésiastique*, mais il ne semble pas qu'en règle ils lui
aient prêlé l'hommage exprès ^
* Concile de Glermuiil (1095); Orderic Vital, IIÏ, p. 464.
^ « Ut nuUus ecclesiasticorum aliquem honorcm a manu laicomm
accipiat » (Can. 15, Migne, 162, 718).
3 « Ne episcopus vel sacerdos régi vol alicui laico in manibus ligiam
fidelilatem facial » (can. 17, ibUL).
* Au concile de Saint- I^asles fut lue la promesse de fidélité qu'avait
faite aux rois lîugues et Kob«*rt l'archevêque de Reims Arnulf : « Ego
Arnulfus... promitto regibus Francorum Hugoni et R° me fîdem
purissimam scrvaturum, consilium et auxilium, secundum meum scire
et posse, in omnibus negotiis praîbiturum, etc. >» .Olleris, Œuvres de
Gcrbcrt^p, 180).
' Cf. suprà, p. 259.
l'indépendance de la couronne. 313
Dans le courant du xi* siècle, et à Texemple du prin-
cipal ou de la seigneurie, les rois voulurent les astreindre
à cet hommage, les assimiler ainsi à des vassaux, leur
honor à un fief. Les papes, au contraire, pour écarter une
lelle assimilation, non seulement s'opposèrent à la pres-
tation d'hommage, qui constituait une innovation, mais
interdirent Tinvestiture et la fidélité, qui avaient été d'an-
tique usage. Celles-ci, en effet, à raison de la connexité
étroite que Télaboration de la féodalité établissait entre la
foi et Thommage d'une part, d'autre part entre l'hommage
et Tinvestilure des fiefs, parurent désormais aussi dan-
gereuses que Thommage lui-même, au point de vue de
l'assimilation dont je parle. De là la double décision du
concile de Clermont, la prohibition et de l'investiture avec
hommage et de la simple fidélité.
Sur ce dernier point la papauté ne put visiblement
maintenir sa position. Nous ne voyons pas reparaître l'in-
terdiction de la fidélité simple dans les canons subsé-
quents *; seule la foi féodale proprement dite (foi et hom-
mage) y est prohibée. Le pape dut môme céder davantage.
11 toléra l'hommage à condition que le prince s'abstien-
drait de Tinvesliture. Base transactionnelle sur laquelle se
termina, en ce qui concerne notre pays, la querelle des
investitures^
Si nous revenons à Philippe I" et à son excommunica-
tion, nous voyons qu'elle a été impuissante à le priver ou
à le suspendre du gouvernement du royaume. Les prélats
français ne cessèrent de lui poser chaque année sur le
front la couronne que le pape voulait tenir sous séques-
* V hommage seul, non la fidélité, est prohibé parle synode de Rouen
(février 1096) (Orderic Vital, III, p. 473), le concile de Nimes (6 juillet
1096) (Jaffé, n° 5650), le concile de Rome (avril 1099) (Eadmer, Hist.
novonim, II, 55, Migne, 159, c. 420).
^ Voy. Esmein, loc. cit,y p. 175 et les notes de Juret sur Ives de
ChaHre?, Migne, 162, c. 385.
314 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
l^e^ Huit mois après que Texcommunlcationaété fulminée
par Hugues de Die au concile d'Autun (8 octobre 4094),
ils se réunissent, à l'appel de Philippe, au Monl-Saiole-
Marie, dans le diocèse de Soissons, les archevêques de
Reims, de Sens et de Tours à leur tête (juin 1095). Et
quand, au concile de Clermont, Urbain l\ a renouvelé Ta-
nathème, non seulement les évêques français ne cessent pas
de communiquer avec le roi, mais il s'en trouve parmi eux
qui se déclarent prêts à l'absoudre et attirent sur leur
propre tête les foudres pontificales 2. De son côté le peuple
regimba vigoureusement \ Une ambassade fut chargée
d'apprendre au pape que le royaume se détacherait de lui
s'il voulait dépouiller le roi de la couronne*.
Urbain II recula devant cette double résistance. Pen-
dant quatre ans un singulier spectacle fut offert au monde :
« Tiironensis arcbiepiscopus... in Natale Domini, régi contra in-
tiinlictum veslrum, coronam imponeiis » (Lettre d'Ives de Chartres
à Hu^^Lios de Die, Migne, 162, 83). — <* Licet quidam Belgica^ pro-
vinciao cf»iscoi)i in Pcntecoslen contra intcrdictum bonœ memoris
papac Urbani coronam ipsi régi imposuerint » (Lettre du môme au
légat Jean, IhùL, c. 105).
2 Lettre d'irbain II aux arebevéques de Sens et de Reims (mars
1090, H. F. XIV, 722 et Jaiïé liegeiiL, n° 5637) : « Auditum est apud
nos quosdam confralres noslros in tantam audaciam prorupisse, ut
assorant de ncqua(|uam a régis societate abstenturos, immo etiam
regom ipsum ab excommunicationis vinculo soluturos, quamquam
teminam illam pro qua per nos excommunicatus fuerat, non dereli-
quit Undc... tam episcopos quam alios quoslibet ei pertinaciter
communicantes excommunicalos esse sancimus, elprivilegium pote»-
tatis amiltere, si quis in ejus absolulione inconcessâ abuti prœsump-
serit potestate ».
3 « 1 Vopter crebras invectiones ac murmurationes adversus Borna-
nam «'cclesiam, qiiibus quotidie tinniunt aures meœ » (Ives à Ur-
bain, Migne, 102, 85).
* « Venturi sunt ad vos in proximo nuntii ex parte régis Franco-
rum... bac ralione ex parte usuri, rcgem cum regno ab obedientia
rvstra iliscessurumj nisi coronam restituatis » ;ives à Urbain, Migne,
102, 58).
l'indépendance de la couronne. 315
le roi promellani de se séparer de Bertrade, et n'en faisant
rien, le légat Hugues de Die le frappant d'interdit, le pape
l'absolvant à mesure, et les évoques le couronnant tou-
jours*. Finalement la papauté, sous Pascal II, après un
retour offensif qui provoqua une véritable émeute', se
contentera d'une soumission de pure forme (1104) ' et, vi-
rant de bord, elle cherchera dans une alliance avec Phi-
lippe secours et assistance contre l'empereur germanique*.
Nous venons de voir ainsi que les tentatives théocrati-
ques de la papauté, aux x* et xi' siècles, même sous
Grégoire VII et Urbain II, n'ont porté aucune atteinte di-
recte à l'indépendance de la couronne. Destinées à renaître
plus redoutables sous Innocent III, elles seront définiti-
vement repoussées par Philippe le Bel, dans son impla-
cable lutte contre Boniface VIII.
1 Voyez la dissertation de dom Brial, De repudiata a regePhilippo
Derta et de superducta Bertrada, H. F., XVI, p. lxxiv-lxxx.
2 Quelques évêques, de nombreux clercs, une multitude de laïques
{innumerabiles ex laycis) quittent avec le duc d'Aquitaine, le concile
de Poitiers (novembre 1100) pour protester contre Texcommunication
du roi. Le concile s'achève au milieu de scènes de désordre et de
violence (Hugues de Flavigny, Chronique, Migne, 154, 385-86). Joi-
gnez : App. ad vitam B. Hilarii, H. F., XIV, 108; Vita B. Bernardi
H. F., XIV, 169).
3 Voyez infrà, chap. v, § 1, in fine,
* Luchaire, Hist. de France, II, p. 220.
317
CHAPITRE IV
LES PRÉROGATIVES ET LES ATTRIRUTS DE LA ROYAUTÉ.
La royauté plane au-dessus de la féodalité. Elle n'est
pas d'essence féodale. Elle ne le sera, à vrai dire, que du
XII'' au XV* siècle, iMais son pouvoir, n'étant pas absolu,
ne saurait être arbitraire. Elle n'est au-dessus ni de la loi
ni de la justice*. Elle n'en est même que la source idéale.
La source réelle de la loi est la coutume*, le principe im-
médiat de la justice est la protection, qui a son siège effectif
dans la fidélité ou foi, foi du seigneur et foi des pairs. Ce
double aspect détermine et circonscrit les prérogatives et
les attributs du pouvoir royal.
§ t . — Les prérogatives.
Les prérogatives, en tant qu'elles sont un monopole',
n'existent vraiment pas au regard du principat; et il
* On est encore loin du temps où du Tillet pourra dire : « Sont les
Koys par dessus leurs ordonnances et coustumes du royaume, pour
la souveraineté qu'ils ont : qui est à dire qu'ils en peuvent dispenser,
changer et révoquer iesdites ordonnances » (Recueil des Roys de
France, Paris, 1607, p. 251).
* Même au xvi** siècle on distinguera entre les coutumes et les or-
donnances, quant à l'étendue du pouvoir royal. « Les Roys abolis-
sent les coustumes s'ils veulent, quant à leurs contracts, non quant
à ceux de leurs subjets pour tollir leur droit. Car les coustumes sont
accordées par lesdits subjets, non ordonnées par lesdits Roys »
(ibid . p. 252).
^ Ce fut là plus tard le caractère essentiel de la prérogative. Du
Tillet l'exprime en une vive image : « En ladite couronne y a des fleu-
348 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
n'est pas surprenant que les légistes des temps posté-
rieurs aient dû lutter avec tant d'acharnement pour re-
mettre la couronne en possession des droits régaliens. Droit
de justice, droit de guerre, droit de grâce, droit de lever
impôts droit de battre monnaie sont réunis dans les mains
du principat comme de la royauté : séparés les uns des
autres et morcelés, par délégation, inféodation, mutation
quelconque, ou par prise de possession arbitraire, ils sont
exercés par une foule innombrable de seigneurs ou de par-
ticuliers.
En tant qu'avantages ou privilèges attachés à la qoalité
de chef des diverses hiérarchies qui entrent dans la forma-
tion d'un État fortement organisé, les prérogatives royales
sont encore très clairsemées, les hiérarchies elles-mêmes se
trouvant à Tétat d'ébauche. On peut aisément, je crois^
s'en convaincre.
La hiérarchie judiciaire suppose des degrés de juridic-
tion. Or, en matière temporelle deux circonstances les
excluaient. Le droit de justice était devenu une propriété
et avait totalement changé de caractère aux mains des sei-
gneurs justiciers*. Il était avant tout un pouvoir de con-
trainte. Appointer un procès par une sentence était beau-
coup moins le fait du seigneur que le fait des pairs, en
comprenant sous cette qualification à la fois les fidèles et
les co-/idèles, les hommes du justicier et les égaux du
justiciable. Quant aux matières religieuses, l'Église en re-
vendiquait la connaissance comme un droit propre et spon-
tané.
Il suit de là que le roi ne possède pas encore la préro-
gative qui lui écherra un jour ^ de ne pas plaider devant
rons, sifrnifiîins les prérogatives et droicts royaux àluyscul apparie-
vans,.. Si auUruy de sa subjeclion de quelque eminence qu'il soit,
estoit endure^, les prendre, ce ne seroit plus qu'un chappeau et ne se-
roit couronne » (i6/(/., p. 253).
1 Voyez, T. I, p. 220, et infrà, § 4.
2 Loisel, Institutescoutum,y éd. Laboulaye, I,p. 13 (en réalité Guy
•j*
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 31^
une autre juridiction que la sienne. Sans doute il ne peut,
en qualité de défendeur, qu'il s'agisse d'un acte propria
molli ou du fait d'un de ses agents ou officiers, être ac-
tionné ailleurs qu'en sa cour, mais ce n'est que l'applica-
tion des règles ordinaires du jugement par les pairs ou les
fidèles. Demandeur, il doit, au contraire, en vertu des mê-
mes règle*, porter son action devant des juridictions où
le droit déjuger n'émane pas de lui. Louis VI le reconnais-
sait formellement encore dans un diplôme octroyé à Saint-
Denis en l'an 111 i\ et les exemples sont fréquents d'une
cause du roi soumise aux juges ecclésiastiques^.
D'autre part, ni la hiérarchie des dignités ni celle des
fiefs ne sont élaborées. Le roi n'est pas au sommet d'une
pyramide où s'élageraient régulièrement baronnies, vicom-
tes, comtés ou marquisats, duchés, dont il pourrait à vo-
lonté dispenser les titres. Il n'est pas davantage souverain
fieEFeux du royaume, et par suite les prérogatives féodales
Coquille) : « Le roi, en aucun cas, n'est tenu plaider en la cour de son
sujet ». Du Tillet, Recueil, p. 252.
* « Contra regiam etiammajestatemnostram si quis injuste aliquid
commiserit, clamorcm de illo ad abbatem faciemus, et justiciam no-
bis fieri alicubi non exigemus, nisi tantum in curia Sancti Dyonisii.
Et si causa veniret ad judicium suscipiemus a qualibet persona, non
calumpniantes personam judicantis » (Tardif, Monum. histor.yp. 201,
M. Luchaire, Annales Je Louis 17, n^ i40 date le diplôme de 1112).
Cf. diplôme du môme roi pour Saint-Martin des Champs (1128) : « Si
nos vpI homines nostri querelam adversus eos aliquam habuerimus,
in curiam Beali Martini ibimus et justiciam per manum prioris et
monachorum inde suscipemus » {CartuL de Paris, éd. Lastcyrie, I,
p. 234).
2 Cité par Philippe I à sa cour, Ives de Chartres répond : « Respon-
dere non subterfugiam, vel in ecclesia, si ecclesiastica sunt negotia,
vel in curia si sunt curialia » (1093) (Migne 1G2, 35). — Cf. sa lettre
à Louis VI : « Si rpia vero adversus decanum vel clerum vobis est
controversia, moneo etconsulo, ut unamquamque personam juxta or-
dinem suum examinari fa< iatis, et sub judicibus ecclesiasticis cau-
sam cujusque terminetis. Ita enim regia majcstas in nulle minuetur^
et cuique personu; suum jus conservabitur » (ihid., 269).
320 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
qui s'attacheront plus tard à la couronne* ne lui appar-
tiennent pas encore en sa qualité de roi. Nulle part je ne
vois formulée ni appliquée la règle, (qu'ont admise a /mort,
sous le poi Robert, iMM. Pfister et d'Arbois), d'un retour à
la couronne de tout fief vacant, faute d'héritiers directs*.
En définitive, les prérogatives royales proprement dites,
abstraction faite de ce que nous avons dit antérieurement
de l'autorité sur les populations et leurs chefs, se ramènent
à une prééminence ou préexcellence extérieure. Je passerai
les principales en revue.
1° Le roi ne fait pas hommage. — C'est une règle d'é-
vidence si l'on entend par hommage la subordination per-
sonnelle. Le roi ne reconnaissant pas de supérieur ne pou-
vait être l'homme de personne. Mais autrement en est-il
de l'acte formel^ de la cérémonie d'hommage considérée
comme inséparable de l'investiture d'un fief. Si le roi
ne pouvait s'y soumettre, comment pouvait-il acquérir un
fief? Il est très remarquable que la question ne paraisse pas
s'être posée avant le milieu duxii*siècle. Le fait serait môme
inexplicable sijàl'époquequenousétudions^laféodalitéavait
été organisée telle qu'on a coutume de se la figurer. Le
domaine du roi et les possessions de ses vassaux, grands
ou petits, n'étaient-ils pas enchevêtrés de toutes les ma-
nières? Les acquisitions, échanges, mutations quelcon-
ques de fiefs ne devaient-ils pas faire arriver fréquemment
aux mains du roi des lambeaux de fief relevant d'un autre
seigneur, ecclésiastique ou laïque? telle cette acquisition
de Bourges, qui relevait du comté de Sancerre, sur
laquelle Brussel avait ajuste titre insisté déjà*.
Voyez même ce qui se produit en l'année H24. Louis VI
se rend, accompagné de ses grands officiers, à l'abbaye de
' Cf. les maximes françaises du curieux traité de W. Staunforde»
An Exposition of the Kinyes Prérogative ^ Londres, 1573, folios
5 et suiv.
^ PGster, p. 235;d'Arbois de Jub. I, p. 244.
3 Usage des fiefs, 1, p. U9-150.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 321
Saint-Denis, et prend sur Tautel du saint roriflamme que
les comtes du Vexin, vassaux et avoués de Tabbaye,
avaient eu le droit de porter. Ce jus signiferi faisait
partie du comitatus qu'ils tenaient en fief de saint Denis et
auquel Philippe I avait succédé en 1076. Le roi l'exerce
en leur lieu, et il fait dresser une charte solennelle qui
l'atteste*. Mais cette charte ne renferme nulle allusion à
un hommage des comtes du Vexin. Il n'est question ni
du principe qu'affirmera en 1185 Philippe Auguste que
le roi de France ne peut faire hommage à nullui *
ni du simulacre d'hommage qu'on verra pratiquer au
XV* siècle ^ Suger, au contraire, en relatant le même
fait, dit expressément que Louis VI aurait dû l'hommage
s'il n'avait été roi*. Qu'en peut-on conclure? Ceci, je crois.
En 1124, il était encore admissible à la rigueur qu'un fief
pût être acquis sans que l'investiture s'accompagnât d'un
hommage spécial. Vingt-cinq ans plus tard, quand Suger
écrivait son traité (1145-1150), on ne l'admettait plus, et
il fallait expliquer pourquoi le roi avait cru déroger à
une règle à laquelle dorénavant les rois ne dérogeront
plus qu'à Taide de conventions spéciales ou de biais ingé-
nieux.
2° Le roi ne partage pas. — Cela n'est vrai que dans
certains cas et dans certaines régions plus étroitement
* « In presentia optimatum nostrorum vexillum de altario B. mar-
tyrura, ad quod comitatus Viicassini, quem nos abipsisin feodiim ha-
bemus speclare dinoscilur, morem anliquum antecessorum nostrorum
servantes et imitantes, signiferi jure, sicut comités Viicassini soliti
erant, suscepimus » (Tardif, Monum, histor,^ p. 217, Voyez les au-
tres éditions dans Luchaire, Annales, n° 348).
^ «Cum utique nemini facere debebamus hominium, vel possimus»
(Brussel, I, p. 153).
3 Z6irf.,p. 150-151.
* « Proprium B^ D* feodum, quem etiam rex Francorum Ludovicus...
in pleno capitulo B* D' professus est se ab eo habere, et jure signi-
feriy si rex non essetj hominium ei dehere » (Suger, Traité de son
aclmin, abbat.y éd. Lecoy de la Marche, p. 162).
F. — Tome lïî. 21
322 LIVRE IV. — CHAPITRB IV.
dépendantes de la couronne. Je vois là une origine loia-
laine de la règle coutumière : « Qui a compagnon a maître,
et principalement quand c'est le roi^ ». Cest le çuia ruh
minor leo. La royauté avait encore trop peu de prise et
trop de compétiteurs pour pouvoir l'ériger en principe. Je
n'en rencontre d'application juridique que dans le partage
des serfs, et Louis VI qui s'en prévaut n'invoque qu'une
coutume locale'. La prétention toutefois devait être d'or»
dre plus général, puisque le même roi y renonce, au profit
de Sainte-Croix d'Orléans, pour toute Tétendne da
royaume*.
3** Du roi émanent franchise des personnes ei sauve-
garde des biens. — On se tromperait beaucoup si 1*00
prêtait aux hommes du Moyen âge les conceptions théo-
riques que nos esprits modernes commencent seulement i
dégager, si l'on imaginait^ par exemple, qu'à leurs yeux
le roi, placé au-dessus de tous autres pouvoirs, se trou-
vait être la source ou le dispensateur de la liberté, et
qu'investi de la suprême puissance, il représentait l'ordre
public, l'autorité qui fait éclore la sécurité personnelle
et le respect du bien d'autrui. Mais, par une voie empi-
rique, une partie au moins de ces conceptions s'était
réalisée. Elles s'étaient incarnées en la personne du roi et
avaient donné naissance à des prérogatives de la couronne.
J'ai dit parune voie empirique, et voici ce que j'entends.
* Loisel, ImtU, couL, n° 379, 1, p. 371.
* a Petrum Sctae Cruels majorem in nostrum servum proprium cla-
marcmus, ea scilicei ratione, quod mater ejus ex eo génère 8i?e fa-
milia nostrorum servonim eralqui inter duas aquas, Uxantiam scilioet
et Bion.im, habitant; ubi eonsuetudo usque ad nostra tempora extita-
rat eum regibus in servis sive ancillis nemincm poase partiri. » (11 16,
MSS Biiluze, Bibl naU, 78, f° 29 r*).
3 « Hoc in perpeluum eis concessimus, ut in toto regno nasiro^
sive servi eorum, siveancillae noslris servis vel ancillis maritali jure
conjuneti fuerunl, nos cum eis et ipsi nobiscum, nullo loco penitus
excepiOy omnes qui ex eis processerint heredes partiaotur » {iJtndmt
fo 20 v°).
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DB LA ROYAUTÉ. 323
La fonction essentielle du roi germanique avait été de
maintenir la paix. Il l'assurait à tous par la protection
qu'il leur dispensait en qualité de chef de la peuplade,
et elle lui était assurée à lui-môoae par le caractère sacré
dont il était revêtu. L'inviolabilité de sa personne et de
ses biens était garantie par des peines rigoureuses, par
les peines du sacrilège.
Représentant de la paix publique, le roi franc avait le^
droit d'en exclure ceux qui la violaient. Il les mettait
extra sermonem régis \ Réciproquement il pouvait réta-
blir dans la paix le forbannitus^ Vexpellis, lui rendre, par
une sorte de droit de grâce, la qualité d'homme libre
qu'il avait perdue. Et il pouvait de même y admettre des
esclaves ou des serfs. N'est-ce pas, en effet, parce qu'ils
se trouvaient en dehors d'elle, qu'ils étaient privés de-
droit, assimilés aux choses mobilières ou aux dépendances-
d'immeubles? Par cela même que le roi disposait de la paix,
il avait le droit de les affranchir. L'affranchissement so-
lennel, le seul qui conférât la pleine liberté chez les Francs,^
était l'affranchissement devant le roi, qui de sa propre
main faisait tomber le denier de la main de l'esclave.
Le droit de grâce, le rex Francorum du x* et du xi*
siècle ne fut plus en mesure de l'exercer partout où sa
souveraineté se heurtait à celle des principes. Toutefois^
il n'est pas invraisemblable qu'il soit resté attaché à sa*
présence. Nous en avons une preuve indirecte dans les
sources. Un hagiographe du xi* siècle raconte que de son
temps encore l'arrivée du roi de France à Reims rendait la
liberté à tous les prisonniers'.
* Voy. T. I, p. 80 et suiv., et Brunner, Rechtsg,, t. Il, p. 42.
2 u Sicut beatus Remigius olim Francigenis suaserat regibus, ut
taie pro Dei honore sanctirent edictum, quatinus quotienscumque in-
trarent aut secus transirent civitatemRemensium, quicumque in vin-
culis seu in carceribus fuissent detenti, confestim sine uilo impedi-
mento dimitterentur liberi, — quod usque hodie conservatur ; si
quando quippe rex Galliae ad praedictam urbem divertit, omnes ear
324 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
Quaat au pouvoir d'affranchir, il s'exerça au cours de ce
même siècle avec toute la solennité, et suivant les rîtes an-
tiques. Deux diplômes de Henri I en portent témoignage'.
Ce que nous venons de voir se produire pour la paix
générale^ se produisit de même pour la paix personnelle
dont jouissait le roi. Elle aussi rayonna de sa personne,
spontanément, de plein droit, et elle put être communi-
quée à d'autres personnes, étendue à d'autres biens que les
siens, de par sa volonté souveraine. Les textes sont moins
précis et moins abondants pour les Francs que pour d'au-
tres peuples germaniques. Mais tout permet de croire que
la conception originelle fut partout la même.
Au Nord comme au Sud, chez les Anglo-Saxons comme
chez les Lombards, par la présence du roi dans une ville,
sa paix s'étend à l'enceinte entière, et jusqu'à la région
circon voisine*. Dans nos chansons de geste, les attentats
commis en présence ou à proximité du roi sont flétris et
réprimés avec une rigueur exceptionnelle*. Ils constituent
carcerihm absoluti exeunt et ad reddendas grattas obviam ei proti-
liunt » (Vita S^ Leonardi (xi« s.), SS. rer. mer,, t. III, p. 396).
* « Ego Hainricus gratia Dei Rex Francorum notum fieri voie... Quo-
niam G... iulierunl praesentiam mcae majestatis, rogantes ut conce-
(lerem... cuidam eorum homini, nomine Salico, donum libertatis.
Quod ita et feci more regio, excusso scilicet de palma denario ; eo
itaque tcnore ul pateani ei ut iibero viae quadrati orbis. Et si quis
contra hanc libcrtatemadsurgere temptaverit,regi coactus centum auri
libras exsolvat. » (1052, H. F. XI, 590.— De même, 1057, i6id.,592).
* <( Si quis liber homo m eadem civitatemf ubi rex praBseru est
aut tune invenitur esse, scandalum penetrare praesumperiL.. (Ed.
Rothar, c. 37). — « Tarn longe débet esse pax régis a porta sua,
ubi residens erit, a IIII partibus, hoc est tribus miliaribus et tribus
quarentenis et tribus acris in latum et IX pedibus et IX granîs or-
dei » (Schmid, Geseize der ÀJigclsachsent App. Xlf, p. 411).
3 Cf. Ed. Hothar, c. 36 : « Si quis intra palatium régis, ubi rex
praîsons est, scandalum penetrare praesumpserit, animae suae
incurrat periculum, aut redimal anima sua si optenere potuerit a
rege ». — Le scandalum est la noise de nos chansons de geste. —
Leges Henrici I. c, 13, § 7 (Schmid, /. c, p. 445) : « Qui in domo
régis pugnabit, vitœ suae culpa sit ».
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 325
un crime de lèse-majesté ou un sacrilège, parce qu'ils
sont une violation de la sauveté rojale, de la zone de pro-
tection qui, par une sorte d'émanation de sa personne sa-
crée, environne le roi. Celte vertu prolectrice se fixe, s'at-
tache aux lieux où le roi est habituellement présent. Le
palais, avec tous ceux qui Thabitenl ou qui s'y trouvent
de passage, jouit en permanence de la paix royale, cons-
titue le foyer d'où elle se propage, en s'affaiblissant, jus-
qu'aux extrémités du royaume*.
Si, par un accord tacite ou une action inconsciente, la
paix se communique au monde extérieur, le roi, à plus
forte raison, peut la transmettre par un acte réfléchi et
voulu, soit dans toute sa plénitude, soit en graduant son
énergie et ses effets ^ C'est ainsi que sa irusiiSy sa maisnie
participe pleinement à sa paix personnelle*, que l'Église,
les veuves, les orphelins*, des particuliers divers sont
placés dans son mundiu m, ainsi encore que les églises furent
assimilées au palais par Louis le Débonnaire*, et que les rois
carolingiens ou capétiens accordèrent une protection spé-
ciale à des biens nommément désignés, dont l'usurpation
* Gapitul. Vern. 884(11, p. 372), cap. 1 : « Volumus ut palatium nos-
trum, more praedecessorum nostrorum... pacis ordine stabiliatur et in
eodem palatio noslro pax prœdec. nostrorum sanctionibus servata
per omne regnum nostrum exequenda proférât ur. » Cap. 2 : « Decer-
nimus igilur ut omnes in palatio nostro conunanentes et illud undique
adeuntes pacifiée vivant, etc. » Cf. l'engagement pris par Louis VII,
quand il succède à son père : « Neminem in curia sua capere, si non
praesentialiter ibidem delinquat » (Suger, Vie de Louis le Gros, cap.
32, p. 143).
2 II le fait à l'aide de son ban, per bannum. Le bannum du roi
devient ainsi synonyme de la paix du roi. C'est par le verbum et le
sermo qu'il s'exerce [infrà, § 3).
2 Cf. Brunner, II, p. 97.
* u Ut ecclesiae, viduae, pupilliper bannum régis pacem habeant. »
(Capit. Aquisgr., 801-813, cap. 2, I, p. 171).
^ C'est du moins l'interprétation très plausible que M. Brunner,
donne du capit. leg. add. de 818-819 (I, 281) (Brunner, II, p. 47,54).
326 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
faisait encourir Tamende du ban royaP. Noos avons là dans
sa source non seulement l'immunité, sous ses multiples as-
pects, mais la confirmation royale des biens Traîchement
acquis ou possédés d'ancienne date par les corps religieui.
Il faut bien s'entendre, en effet, sur la vraie nature de ces
privilèges.
Loin que Timmunité et la confirmation fussent indépen-
dantes de la paix personnelle du roi, elles en étaient une
dérivation si directe qu'elles finirent par se confoDdre
avec le mxmdium ou la tuitio. Je l'ai déjà montré pour
l'immunité * et il importe de le faire voir maintenant pour la
confirmation des biens. Celle-ci a été regardée par les
historiens comme le simple exercice du droit régalien de
solenniser les contrats, en les revêtant d'une formule
exécutoire, ou du droit pour le suzerain de ratifier les aliéna-
tions de fiefs. Or elle est plus que cela.
Si la confirmation ne portait que sur les biens donnés
par le roi ou par ses prédécesseurs, par des membres de
sa famille ou par des vassaux les tenant de lui en bénéfice,
elle serait, en effet, une simple ratification; si elle ne por-
tait que sur les biens de ses sujets, on pourrait y voir une
sanction des contrats ; mais elle porte indistinctement sur
des biens de toute nature et de toute provenance, qu'il y
ait eu ou non donation royale, que le disposant tienne ou
non en bénéfice du roi ', qu'il soit ou non son sujet, qu'il
soit même un prince ayant toute qualité pour solenniser,
ratifier el faire respecter les actes *. La confirmation a donc
1 Cf Brunner, II, p. 38.
8 Suprà, p. 260, note 2.
• En étudiant les diplômes de Philippe I*' pour l'abbaye de Saint-
Benoît-sur-Luire, M . Prou a observé que « le roi agissait rarement
comme suzerain. Parmi les chartes ainsi confirmées par Philippe I*"",
dit-il, je n'en puis citer que deux où la confirmation sMmposait parce
qu'il s'agissait de Taliénation de bénéfices tenus delà couronne »
Mélanges Ilavet^ p. 165).
* Les confirmations générales sont bien plus nombreuses au xi*
siècle qu'au x''; ce qui marque bien les progrès que fait l'asHinila-
PREROGATIVES BT ATTRIBUTS DB LA ROTAUTÂ. 327
un autre but, qui nous est clairement révélé par les
diplômes. Elle doit communiquer aux biens confirmés la
protection * et la franchise * dont jouissent la personne
et les biens du roi : le bien confirmé est assimilé à un fisc
royal, l'acquéreur ou le possesseur, pour tout ce qui con-
cerne le bien confirmé, à une personne placée dans le munr
dium du roi^'Et c'est pourquoi toute violation, toute usur-
lion de la confîrmatioa des biens à l'immunité et au mundiom. Je relève
les suivantes sous les règnes de Robert et de Henri : lOOJ^lOlô,
Sainte Geneviève (H. F. X, 594); 1012-1031, Beaumoat(X,607); 1019,
Lagny, à la demande du Comte de Troyes (X, 602); 1020, Mouzoq
(Pûster, p. LUI); 1022-1023, Mici (X, 605); 102S et 1043, Saint-
Pierre de Châlons, à la demande de Tévéque (X, 619, XI, 576), 1030,
Saint-Hippolyte de Beaune, àla diemande de Tévôque de Chaton-sur-*
Saône (X, 624); 1042, Montreuil-sur-Mer (XI, 574); 104S, Moutier-
la-Celie-les-Troyes (XI, 585); 1057, Saint-Nicolas d'Angers, à la
demande du comte d'Anjou (XI, 593).
* « Ut nemo... subtrahere vel mînuere audeat... sed neque servitia
exactet », 893, Saint-Médard de Soissons (H. F. IX, 461). — « aue-
toritate nostri prsecepti prohiberemus ne ab infidelibuB, quod «Ml,
cUstraherentur vel injuste opprimerentur. Nos vero morem pred. nostr.
reg. Fr. sequentes, ejus petitionibus assensum prebuimus et par pre-
ceptum nostre auctoritatis predia... confirmamnua et ut perpetuaîiter
quiète ecclesia teneret corroèoravtmt» » (Ch. de Robert pour Mouzon,
1020, Pftster, p. LUI).
> « Praeterea alia multa (bona)... fimumus et corrohoramuê et ut
baec nostrae ingenuitaiis aucioritcu recta et stabilis... » (1043, Saint-
Pierre de Chàlons, XI, 577).
' ce Omnia haec habere permittimus illis... ut sine ulia oontradic»
tione teneant adque possideant, et per nomen noetrum défendant.
Unde hoc nostrae altitudinis prœceptum fieri..., per quod prœdictas
res nemine jure perpetuo inquiétante possideant, ut nullus eomes,
etc. M (Saint-Cucufat, 986, H. F. IX, 658) — « eonfirmando atque
tradendo per hoc preceptum regtae auctoritatis nostrae concedimus
et de nostro jure in jus ac dominationem illius solemni more trans-
ferimus œtemaliter, eo videlicet modo et tenore, ut... cum omnibus
ad se perti!ientibus... sub mundeburdo et tuitione nostrœ defensionis
ita hoc auctoritate testamenti regiae dignitûtis noetrae corrobùrati
perpetuaîiter maneant, ut neque comes, etc. » (Montredon, 897, MS,
Bibl. nat. lat. 8837, f» 75 v«», H. F. IX, 466). — « prœceptum ob
immunitatis gratiam... cessionis seu eonfirwuLtionit auctoritaa »
328 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
pation devient un attentdt contre la majesté elle-mômef fait
encourir Tamende du ban royal* el les peines du crime de
lèse-majesté *.
(Déols, 927, IX, 570) — « concessum esse ac munimine nostri prae-
cepti dalum locum... quatenus de omni regali auctoritate munituB
atque conscptus, ne quis reipublicsB ezactor etc. >» (Sainte-Trinité
de Poitiers, 962, IX, 626).
* L'amende du ban royal qui était dans le principe de 60 soUdi
s'élèvejusqu'à 300 livres d'or. (Voyez, par exemple, Saint- Germain-dés-
Prés, 1082. Tardif, Mon. hisL, p. 187). — Cf. infrà, p. 351.
^ c( Si quis autem adversus hoc nostrae majestatis firmamentum
aliquid tentare pra^sumpserit, auri libras fîsco regio centum pereol-
vat, et ipse damnabitur regiœ mqjestatis reus » (Dipl. de Phi-
lippe I*' pour Saint-Nicolas de Ribemont, 1084, Mirœus l, 358). —
Dipl. du même roi pour Saint-Denis (1«' août 1068. Tardif, p. 179) :
u XII libras ex auro purissimo coactus addat, et inmper reus majes-
tatis habeatur et ut profanus ab omnibus^ nisi satis pro emenda-
tione fecerit, computetur >>.
De là le cérémonial solennel de la confirmation royale, tel qu'il est
retracé, vers 1070, dans la confirmation par Philippe I** de l'acte de
fondation de Sainte-Gilles de Mantes : « Ego Guillelmus miles de
Medanta co'jnom. Rufînus... eas (litteras) P°regi Francorum fîrman-
das obtuli, qui oblatas manu sua et sui nominis karactere corrobo-
rando firmavit. Ad hoc videndum et audiendum fuerunt E. monachus,
S. de Nielfa qui sedebat ad pedes regùf H. Malus Vicinus qui adju-
vit E. monachum teneer cartam quando rex in ea signum cruels
scripsit, et G. frater ejusdem R*, et Guillelmus Rufinus eu jus prece
rex signum crucis in carta fecit et G. prepositus » (Bib. nat. MB lat.
5i41, 1, p. 209. — Prou, loc. cit., p. 167, note 1) — M. Prou a très
heureusement rapproché de la scène ainsi décrite celle qui, dans un
dessin de la fin du xi® siècle, au Livre des privilèges de Saint-Martin-
des-Champs (British Muséum^ MSS. add., n^ 11662, f" 2; {Revue de
l'Art chrétien, 1890, I livr. 2) représente Henri !•* restaurant, en
1060, le prieuré de Saint-Martin. La similitude des deux scènes
prouve à quel point confirmation et octroi direct de mundium ou
d'immunité se confondaient. Pour la rendre sensible j'em pr un te à
M, Prou la description du dessin : « Le roi est assis sur un trône; de
la main droite il tient un parchemin sur lequel on lit : « Henrici régis
sigtiuni -f Libertas ecclesiœ S' M' ». De la main gauche il montre la
croix dont il a marqué le diplôme; le chancelier Baudoin soutient la
partie inférieure du parchemin; aux pieds du trône est agenouillé Té-
véque de Paris, Ymbert » (Prou, loc. cit., p. 167).
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 329
Il est aisé de voir la grande importance que celle préro-
gative a eu pour le développement de la monarchie. Elle
a placé le roi à une très grande hauteur, elle lui a assuré
un éclatant prestige, elle lui a permis de faire sentir sa
protection au loin et auprès, jusqu'aux extrémités de la
Gaule, el, en faisant de lui un réservoir intarissable de jus-
tice, de sécurité, de liberté, elle a préparé les voies à Tas-
surement et à la sauvegarde royale des temps posté-
rieurs.
§ 2. — Le pouvoir législatif.
C'est un fait fort curieux et fort significatif que lacti-
vité législative des reges Francorum se soit considé-
rablement ralentie dans la seconde moitié du ix® siècle
et qu'elle ait fini par s'arrêter net en 888, au plus tard ^
On l'exphque d'ordinaire par l'avènement de la seigneurie
indépendante, qui aurait fait obstacle à l'exercice parle roi
du pouvoir de légiférer. Ce pouvoir, pense-t-on, n'avait
cessé d'exister en théorie, mais en fait il était paralysé par
la résistance de la multitude des chefs qui voulaient com-
mander sans réserve : paralysie absolue, suivantla plupart
des historiens, relative suivant d'autres, lesquels ne déses-
pèrent pas de retrouver un jour quelque capitulaire perdu
des derniers Carolingiens ou des premiers Capétiens. —
Je n'envisage pas la question sous le même angle. A mes
yeux, le pouvoir de légiférer ne se conçoit plus : il est
éteint, anéanti parla transformation profonde qui, dès la
fin du IX* siècle, s'est opérée dans l'ensemble du système
juridique. Pour le comprendre, il faut se représenter la
place exacte que tenait, Télendue et le caractère qu'avait
le pouvoir législatif, à l'époque des capitulaires.
* Le dernier capitulaire des rois de la France occidentale est de
l'an 884 {Capit, yern.,LL.II, p. 371). L'acte de Charles le Simplede
920, rangé habituellement parmi les capitulaires (tôûi., p. 378, suiv.),
n'est qu'une lettre-circulaire aux évéques pour protester contre l'or-
dination d'Hilduin, comme évoque de Liège. Elle figure sous son vrai
nom (epistola) dans H. F. X, 297.
330 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
La loi, à cette époque, était la loi personnelle ou natio-
nale des divers peuples germaniques {lex publica)^ la loi
romaine devenue loi personnelle des Gallo-romains, enfin
la loi canonique, canons des conciles et décrétales des
papes, à laquelle TÉglise était soumise, comme à une loi
personnelle, en même temps qu'elle Tétait aux constitu-
tions impériales [sacras leges). Les rois carolingiens n'ont
jamais touché directement, pour l'amender, la modifier
ou la réformer, à la loi romaine, qu'ils vénéraient*. Ils
ont accepté pour base intangible de la législation ecclé-
siastique la collection de canons et de décrétales de Denys
le Petit, que le pape Hadrien I avait en 774 envoyée à
Charlemagne [collectio Dioni/sio-Hadriana) et qui, sous le
nom de Codex canonum, eut l'autorité d'un Code de lois.
C'est à ce Code que les capitulaires se réfèrent dès 789*.
Il fut promulgué par Charlemagne, en 802, dans un Synode
général tenu à Aix-la-Chapelle '.
Quant aux lois germaniques, s'il est vrai que les rois les
amendcrenl et les complétèrent par des capitulaires addi-
tionnels, capitula legibus addiia, — les uns incorporés aux
lois, les autres qui en sont restés distincts, — il leur fallut
* « Quia super illam legem (Romanam) vel contra ipsam legem neo
antecessores nostri quodcumque capital um statuerunt nec nos ali-
quid staluimus » (Kdit de Pistes cap. 20, LL. II, p. 319). — CL
Brunner, I, p. 375,
* Voyez Maasson, Geschichte der Quellen u. Lit. des can, RechU^ I
(Gratz, 1870), p. 467 et suiv.
3 Annales Lauresh, ad an. 802 (SS. L, p. 39) : « Congregavit unî-
versalem synodum... et ibi fecit... relegi universos eanones^ quas
sctus synudus rccepit et (^ecrc^a ponti/lcz/m, et pleniterjussit eos tradi
coram omnibus cpiscopis presbyteris et diaconibus ». — Maassen a
prouvé (loc. cit., p. 470-471) qu'il s'agit de la Dionysio-Hadriana.
Celle-ci garde, sous le titre de Codex canonum, son autorité ofGcielle
à travers tout notre ancien régime. C'est elle que cite le Parlement
quand il se réfère aux canons reçus en France, et le xvn* siècle eo
voit [>araitre, au Louvre, une édition somptueuse, sur Tordre du mi-
nistre Claude LofH'Uetier {Codex canonum vêtus ecclesiae Ronumaep
Paris, impr. roy. 1687, fol.).
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 331
pour cela le consentement et la ratification du peuple*.
Hors de là, ce qu'on a appelé le pouvoir législatif du
roi carolingien n'était au fond qu'un pouvoir de haute
police sur la société laïque et de discipline sur l'Église.
Si étendu que ce pouvoir devînt sous Charlemagne, il n'en
resta pas moins profondément distinct du pouvoir législatif
proprement dit. Il en différait par son principe, sa nature
et sa durée.
Au lieu que la loi était issue de la volonté concordante
de la nation et de son chef, fixant ou redressant les cou-
tumes, au lieu qu'elle puisait dans cet accord sa force
obligatoire, les actes personnels du souverain, les capitula
per se scribenda^ émanaient de son droit de contrainte
[banmim] et n'étaient obligatoires qu'en vertu de la fidélité
[leudesamio] que tous, clercs et laïques, lui avaient jurée.
C'étaient des actes de gouvernement. Leur portée était
circonscrite par leur objet. Ils ne devaient être en contra-
diction ni avec les lois publiques, ni avec les canons, ils ne
s'appliquaient que dans une sphère gouvernementale définie
(gouvernement laïque ou gouvernement ecclésiastique '^j^
et exigeaient le concours des proceres qui participaient
aux affaires publiques, grands ecclésiastiques et grands
laïques. S'il fallait leur chercher des équivalents dans le
droit moderne, je les comparerais volontiers aux décrets
rendus en Conseil d'État.
Par nature, la /ozdel'époquefranque est personnelle, elle
est nationale, inséparable de la nationalité. Seuls les na-
tionaux francs sont soumis à la loi franque, mais ils y sont
soumis en quelque lieu qu'ils résident. Et de même des au-
tres lois germaniques, sauf celles des Wisigoths. Comme le
statut personnel de notre temps et plus pleinement que lui,
* Voyez notamment l'excellente étude de M. Marcel Thevenin, Lex
et Capitula (Mélanges de l'École des Hautes-Études^ 1878), pp. 148,
153 et. suiv.
* Cf. sur ce dernier point Hinschius, Das Kirckenrechtf III (Berlin,
1883), p. 707 et suiv.
332 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
puisqu'elle embrasse à peu près tout le droit privé, elle
adhère aux os. — L'acte royal, lui, comme d'ordinaire
toute loi de police, est territorial; il oblige tous ceux qui se
trouvent sur un territoire déterminé, et ceux-là seule-
ment.
La durée de la loi est illimitée, puisqu'elle fait corps avec
la nation. L'acte royal n'a qu'une durée précaire, puisqu'il
n'est qu'un acte gouvernemental. Sans doute sa vigueur
ne s'éteint pas de plein droit, par Tachèvement du règne
où il est né, mais il risque de n'être plus obéi quand n'est
plus là l'autorité dont il émane. Aussi les rois caroligiens
ne manquaient-ils pas, pour les préserver d'une abrogation
tacite, de renouveler les capitulaires de leurs prédéces-
seurs.
Telle était la situation législative dans la première moitié
du IX' siècle. Que devint-elle dans la seconde? Elle fut
bouleversée de fond en comble.
Les lois, comme nousle montrerons, devinrent coutumiè-
res, aussi bien les lois romaines que les lois germaniques.
Figées dans des formules traditionnelles et dans une prati-
que judiciaire fruste et immuable, elles ne laissèrent plus
aucune prise à l'autorité législative de la royauté et du
peuple. Des lois non écrites ne pouvaient se prêter à des
capitulaires legibiis addenda. Où donc aussi eût-on cherché
le consensus populaire, dans le mélange inextricable et la
fusion des nationalités? Grouper les Salions? les Ripuaires?
les Alamans? lesBiirgondions?Quidoncy pouvait songer?
Ainsi, plus de place pour un pouvoir législatif exercé,
. d'un commun accord, par le peuple et le roi*. Tout ce que
le roi peut faire, c'est de s'engager à respecter les cou-
* Dans l'édit de Pistes (864) d'où les historiens du droit ont tiré
la formule « quoniam lex consensu populi et constitutions régis fit »
(Gap. 6, LL. II, p. 313), le principe ainsi formulé n^est déjà plus ap-
pliqué. On supplée à la loi en faisant jurer par des Francs qu'elle a
été observée. La désuétude commence.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 333
tûmes nationales. Il n'y manque pas dans le serment de
couronnement'.
En va-t-il mieux des capitulaires proprement dits, per se
5cnAe/2(/a? Assurément non. Ils sont paralysés, languissent
et meurent à mesure que le ban du roi est supplanté,
évincé ou refoulé par le ban princier et seigneurial, la fidé-
lité due au roi par la fidélité due au prince et au seigneur.
Ils sont incompatibles avec Tordre nouveau des choses 2.
Comment le roi pourrait-il rendre des lois territoriales,
quand son pouvoir est devenu presque exclusivement per-
sonnel : droit de suprématie sur les princes de la Gaule,
droit à Thommage personnel des princes de la Francie,
droit à la fidélité des sujets qui lui restent attachés et qui
peuvent être disséminés partout. Que sa législation essaie
de pénétrer dans un territoire, elle ne se heurtera pas seu-
lement au ban seigneurial. Elle achoppera contre les bar-
* « Populoque nobis credito me dispensalionem legum in suo jure
consistentem nostra auctoritate concessurum » (Serment de Hugues
Gapet,H. F. XI, 658. De même Coronatio Philippi, H. F. XI,32).—
Les chanoines de Chartres reprochent au roi Robert d'avoir oublié
cette sentence de l'empereur Constantin : u Quaecunque contra leges
fuerint a principibus obtenta non valeant » (Lettre à l'archevêque
Liétry, 1029. H. F. X, 508 E. — De môme Fulbert de Chartres, Lettre
à Thierry, H. F. X, 453 D). Le texte de Constantin n'est qu'une in-
terpretatio du Code Théodosien (C. Th. l, 2, c. 2) qui a passé dans
le Bréviaire d'Alaric (éd. Haenel, p. 16). D'elle procède sans nul doute
la disposition du capitul. de Chlothaire (584-628) : « Si quis aucto-
ritatem nostram subreptitie contra legem elicuerit fallendo princi-
pem, non valebit » (Gap. 5, LL. I, 19).
2 Abbon, dans ses Canons, ne parle qu'en termes très vagues du
pouvoir législatif du roi et reconnaft que ses ordres même ne sont pas
obéis : « Gloriosissimorum regum potentia siabile firmumque esse vo-
luit quidquid verbo vel opère prœcipiendo constituit, maxime quod
ad utilitatem ecclesia), suorum procerum suggestionibus ratum esse
judicavit... Qui ergo regem odit, odit praeceptum illius... sed unde
hoc contingit nisi ex nimia mansuetudine régis? » (H. F. X, 628 D.).
— Cf. cap. 9 : « Porro quosdam comperimus, qui nec bonis moribus
per consuetudinera, nec uUis legibus se subditos arbitrentur » (H. F.
X,629 E).
334 LIVRE IV. — CHAPITRE IT.
rières que lui-même ou ses prédécesseurs ontconstraitesoQ
qu'ils ont laissé s'ériger. Ce sont les immunités qui sous-
traient de nombreux territoires au bau du roi, ce sont
les lois qui ont été implantées dans des régions plus on
moins étendues et devant lesquelles les rois ont abdiqué
leur pouvoir législatif. Le Bréviaire d'Alaric est devenu
dans une large mesure loi territoriale, la collection des
faux capitulaires de Benoît le Lévite, — code artificiel,
que, dès 920, Charles le Simple allègue comme une auto-
rité \ — ne se contente pas de proclamer la supériorité des
canons et de la coutume sur les lois romaines et sur les ca-
pitulaires^, il prétend se substituer à la législation royale',
enfin le Fseudo- Isidore achève, dans le domaine ecclésias-
tique*, l'œuvre d'éviction législative.
Les rois, en n'usant plus de leur droit de légiférer
l'avaient laissé éteindre. Les capitulaires anciens n'étaient
plus renouvelés depuis 888; il n'en fut pas promulgué
de nouveau. Ce n'était pas seulement l'acte royal qui
tombait ainsi en désuétude, c'était le pouvoir même
* Il le cite comme liber regum capitularis (LL. II, (Capit.) p. 379).
Des citations fréquentes de Benoît le Lévite sont faites dès 909 au
Concile de Trosly. — Voyez déjà Capit. de Kiersy (857), cap. 10, II,
p. 290-1.
^ « Conslitutiones contra canones et décréta praesulum Romanoriim
seu reliquorum pontifîcum, vel bonos mores, nullius siot moment! ■
(Bened. Lev. II[, 3i6). — k Lex imperatorum noo estsupralegem Dei
sed subtus » (Âdd. 3 cap. 18;. — a Generali décrète consUtuimus ut
execrandum anathema... existât quicumque regum velpotentum deiD-
ceps canon um censuram in quocumque crediderit vel permiserit vio-
landum » [Capit. Anfjilramni^ éd. Hinschius, à la suite du Pseudo-
Isidore, p. 769. Cr. Bened. Lev. II, 322).
^ Comme recueil offîciel, comme loi ecclésiastique et comme cou-
tume : Cf. Bened. Lev. III, i5 : u Aliqua canone et ordine tenentur
aliqua consuetudine firmata sunt. »
* « Non lioet imperatori vel cuicjuam pietatem custodienli aliquid
contra mandata divinaprosumerenec quicquamquod... apostolicis re-
gulis ohviatur agore » {Pseudo-Marcellin,, cap. 4. — Hinschius, D«-
cretales Pscmlo-lsidor, [Leipng, 1863), p. 222-223, etc.).
PRÉROGATIVES BT ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 335
de rémettre qui tarissait dans sa source : le bannum.
Celui-ci se confondait, en effet, de plus en plus avec la
tuitio spéciale et se restreignait à des catégories ou des
groupes de personnes astreintes au serment de Gdélité.
Ni les rapports des protégés ou des Bdèles entre eux ou
avec les étrangers ni leurs rapports avec le roi ne sauraient
être désormais réglés, ordonnés, par des dispositions gé-
nérales ; trop grande est leur dispersion, trop forte la diver-
sité de leurs conditions. Lq bannum du roi, comme pouvoir
éditerai, ne peut plus avoir que des objets très particu-
liers. Il s'exerce, sous forme d'ordres, adressés à des per-
sonnes définies, de s'acquitter de leurs obligations envers
le roi, ou sous forme d'injonctions, purement négatives
ou prohibitives, adressées à tous, en faveur de quelques-
uns. Ce sont ces privilèges, tout individuels, simple mani-
festation de la tuitio^ que les rois nommentûfroiV de téquiléy
aequum\ droit prétorien et droit civil^. Ils les opposent
assez justement à la potestas : pouvoir d'imposer, en vertu
du bannum, des charges arbitraires*.
* Charte d'immunité en faveur de Saint-Pierre de Melun : « Sum-
mum ergo ac primum in regibus bonum est in ter tôt curas et sollici-
tudines quas pro gentium regimine sustinent, justitiam colère, nec
sinere in subditos quod potestatis est fîeri, sed quodœquum servari...
Igitur ego Heinricus... » (vers 1033, H. F. Xf, 568 D) (préambule tiré
de la lettre de Grégoire V à la reine Constance (998) (H. F. X, 431 D,
Décret de Gratien, C. Xtl, q. 2, c. 9).
2 L'expression jure prœtorio et forensi est employée deux fois
dans un diplôme de Robert II et de la reine Constance (1030) (H. F.
X, 621). On serait tenté de voir dans le jus prœtorium le droit de
l'équité royale et dans le jus foreme la coutume ; mais il me paraît
plus probable qu'il y a simple emprunt à un formulaire (Cf. formules
wisigotbiques : jus praetorium et urbanum (éd. Zeumer, p. 585), jure
civili vel prœtorio (ibidj p. 586). Le scribe se décernait ainsi à bon
compte un brevet de savoir juridique, il passait pour legis peritus
comme veut qu'il le soit un glossaire du x* siècle (Voir mes Etudes
critiquesy p. 174).
' Henri I libère les habitants d'Orléans de l'exaction que commet-
taient ses officiers par des prélèvements indus sur le vin introduit
336 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
Concluons que le passage de Richer coarammeat ia-
voqué, pour prouver Tacli vite législative de Hugues Capet^,
ne peut avoir qu'un sens. Il se réfère à des actes particu-
liers du roi, à rexercice de son ban : diplômes, immuDités,
ordres ou défenses, voilà ce que Richer appelle décréta
et leges, dans son style tout farci d'anachronismes. Que
les érudits cessent donc de déplorer la perte des capitulaires
de Hugues Capet ou de ses successeurs immédiats, et
qu'ils se gardenlde l'illusion de les retrouver un jour. Tous
ceux qu'on a cru découvrir ne résistent pas à l'examen. Ils
se réduisent à un mince bagage.
Cest d'abord le pseudo-capitulaire de Hugues Çapet,
portant confirmation générale des privilèges et immuoilés
de l'Église ^ Ni en la forme, ni au fond, cet acte ne mérite
créance. En la forme, il est insolite', au fond, il n'est qu'un
lieu commun, une sorte d'amplification de la promesse du
sacre*, et le rappel qu'il fait, sous le nom de charta, d'un
capitulaire (de Charles de glorieuse mémoire) dont je n'aper-
çois trace nulle part'^, n'est pas pour lerendre moins suspect.
Que dire de la prétendue ordonnance de Philippe 1*%
de 1080', qui n'est qu'un extrait des statuts de Lille-
dans la ville, puis il ajoute : (< Unicuique res sud^jure civili et «gui-
tate^ servelur » (30 mars 1057, Ord. du Louvre, I, p. 1 ; H. F. XI,595).
< (( Stipatus ilaque rognorum principibus, more régie, décréta Tecit,
legesque condidit, feiici successu omnia ordinans, atque distribuens. »
(IV, 12, éd. Guadel, II, p. 158).
« H. F. X, 548-9.
^ M. Luchaire le tient pour suspect (I, p. 162). M. Pfîster le déclare
manifestement faux (p. 147, note 2).
* Voyez une amplification analogue dans l'intérêt de Saint-Martin
de Tours, XI, 658 B-C.
* (» Vulumus autem ut charta gloriosœ memoriaî Caroli Francorum
régis de posscssionibus Diis gentiumquondam dicatis et divine cultui
applicandis in omnibus observetur » — Ne serait-ce pas une rémi-
niscence de Walafrid Strabon : « Templa deorum abjectis et exter-
minatisidolis cumspurcissimiscultibus suis in Deimutanturecclesias»
(cap. 3) (LL. Capilul. II, p. 477).
* Ordonn. du Louvre, XI, 173.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTE. 337
bonne*? Les éditeurs de la collection du Louvre pour avoir
raison de la discordance entre la date du document et le
nom de Henri qu'ils y trouvaient, substituèrent tout simple-
ment à ce dernier nom (qui était celui de Henri I" d'An-
gleterre), le nom du roi de France Philippe I. N'ont-ils
pas prêté au même roi une ordonnance de Philippe III le
Hardi^, et une autre de Philippe leBel^ en les antidatant
de deux siècles?
Il n'en va pas mieux des chroniques. Le récent éditeur
de la chronique de Nantes a avancé que le roi Louis d'Ou-
tre-mer édicta ou confirma l'abolition du servage en Bre-
tagne *. C'eût bien été là un acte législatif. Malheu-
* Layettes du Trésor des CharteSy I, p. 25 et s.
3 La confirmation des coutumes d'Aiguë s-Mortes (Ordonn. IV, 44
et suiv., avec la date de 1079). — Vaissette a prouvé avec la der-
nière évidence que la date réelle est 4279 (note 36 du t. III, nouv. éd.
VII, col. 107 et suiv.), et Secousse, avec sa conscience habituelle, a
fait son mea culpa le plus complet, et dans la préface du t. VI,
p. 38, et dans un carton de deux pages destiné au t. IV. — Cette
double rectification a échappé à M. Glasson, qui a voulu même rame-
ner la date de Secousse à 1069, pour la faire concorder avec la 9»
année du règne de Philippe I {Hist. du droite IV, p. 67-68).
3 La lettre sur la coutume du salin de Carcassonne (Ordonn., XI,
175, datée de 1099). Bréquigny a reconnu son erreur au t. XII (errata
après la préface). — Que des historiens aussi sagaces et aussi éru-
dits que Secousse et Bréquigny n'aient pas été Irappés de Tincom-
patibilité de fond qui existe entre les dispositions de ces diplômes
et l'état du droit au xi« siècle, n'est-ce pas la meilleure preuve de la
facilité et de l'inconscience avec laquelle les pères de notre histoire
avaient transposé les institutions de deux siècles en arrière? Dans
son carton, Secousse l'avoue : « Je n'avois rien remarqué, dit-
il, dans le corps de ces lettres (celles d'Aigues-Mortes), qui pust me
faire soupçonner que la date en estoit fautive. » Et il reconnaît la
gravité de l'erreur : « Si cette date n'avoit pas esté rectifiée, elle au-
roit pu tromper ceux qui s'appliquent à Testude de ces matières
importantes, puisqu'elle faisoit remonter jusqu'au xie siècle, des Lois,
des coustumes et des usages qui ne sont pas d'une antiquité aussi
reculée; ou du moins dont on n'a pu jusqu'à présent fixer l'origine
d'une manière précise. »
♦ La chronique de Nantes, éd. R. Merlet(C.T.),p.LXX,p.l02,note.
F. — Tome III. 22
338 LIVRE IV. — CHAPITBB IV.
reusement il ne repose que sur une méprise certaine^
La solution de conlinuilé que nous venons de relever
entre les dernier:^ capitulaires du ix* siècle et les pre-
mières ordonnances du xu* n'exclut en aucune façon une
évolution normale et logique de la puissance royale. Elle
prouve seulement que le pouvoir législatif des rois do
IX* siècle n'a pas passé directement à leurs successeurs. Sa
source n'était qu'interceptée, elle n'était qu'eu apparence
tarie, seul le lit où elle coulait jusque-là se trouvait à sec.
Cette source, nous l'avons dit, c'était le bannum et le maith-
bour. A mesure que la tuitio royale reprit du champ, et
que le baiinum royal eut un plus libre jeu, les obstacles
qui les empochaient de s'épandre en puissance législative
tombèrent l'un après l'autre*. En môme temps, la royauté,
sous la poussée de sa propre force et par la rénovation so-
ciale qui s'accomplit au xii** siècle, se dégagea de la coo-
ceplion étroite du droit particulier et du privilège pour
s*élevcr à !a notion du bien public et de la législation gé-
nérale'. La renaissance du droit romain n'y fut certaine-
^ Ce que M. Merlet a pris pour « \ji suppression du servage en Bre-
tagne » est tout siinplement la renonciation du roi à son droit de
suite sur ceux de ses sorl's ou colliberls qui se réfugieraient dans le
pays breton. Le vieux traducteur Le Haud ne s'y était pas trompé :
« Allain... se partant du roi Loys lui pria (jue si aucun serf ou afTranchi
de son royaume venoit en Bretagne puur y résider, il y pcust de-
mour€r franc de toute servitude !>ans qu'il le vendicast. »
^ Cette évolution peut Irt's bien se suivre au xiii« siècle. D'après
les Éiablisitemcnta de mini Louis w li rois ne puct mètre ban en la
terreau baron, sanz son asantemant » (I, 26, éd. Viollet, II, p. 36);
mais Beaummoir déjà lui reconnaît le droit de faire des établisse-
ments obligatoires pour tous, en vertu de la tuitio générade : « Voir
est que li rois est souverains par dessus tous et a de son droit la
yencral garde de tout son roiaume, par quoi il puet faire le us esta-
blissemens comme il li plest pour le commun pourfit, et ce quil esta-
blist doit estre tenu »» (XXIV, n° 1043, éd. Salmon (G. T.), H, p. 23>24;
éd. Beugnot, II, p. 22).
3 C'est déjà presque une nouvi*aulé ({uand Philippe 1 définit ainsi
les devoirs de la royauté : « Sicut est regiiE celsitudinis ac majestatis
y
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DB LA ROYAUTÉ. 33S
ment point étrangère, et il n'en est que plas piquant de
constater qu'une des premières incursions que fit la royauté
dans le domaine du droit privé, ce fut contre le droit ro-
main qu'elle la dirigea'.
§ 3. — Le pouvoir exécutif et le pouvoir (T imposer.
Le ban royal.
Le magistrat romain a'vait le jus edicendi, le roi franc
eut le bannum. Je ne prétends pas chercher entre ces deux
pouvoirs une relation de cause à effet, mais je les compare
dans leur principe originel et dans leur évolution.
L'édit du magistrat romain était, dans son essence, une
publication ou communication orale (ex dicere) faite en
exécution de la loi. Le bawium primitif ne fut pas autre
chose. C'était un ordre verbal, conforme aux prescriptions
légales et visant leur observance ^, un verbum, rin sermo *,
statum regni emendare moribus. legibus exornare » (1077, Diplôme
pour Saint-Benoit-sur-Loire, Prou, Mélanges Havet,p, 187).
* Lettre de Louis VII à la vicomtesse de Narbonne, Ermengarde
(1164, H. F. XVI, 91). Le droit romain, dit-il, interdit aux femmes
de juger. La coutunie de France le leur permet. C'est celte cou-
tume que la vicomtesse de Narbonne doit tenir puisqu'elle est du
royaume de France : « apud vos deciduntur negotia legibus impera^
torum, in quibus cautum est ne feminis permittatur judicandi potes-
tas. Benignior longé est consuetudo regninostri ubi, si melior sexus
defuerit, mulieribus succedere et haereditatem administrare conce-
ditur. Mémento ilaque quia de régna nostro es et nos volumus ut
regni nostri usum teneas; et quamvis imperio vicina sis, in bac parte
eorum consuetudini et legibus non acquiesças ». On voit que le droit
royal naissant s'intercale, comme droit personnel, dans le droit terri-
torial romain.
^ Je me sers à dessein de ce mot, la loi primitive ayant un carac-
tère religieux.
3 « De Dei banno et de nostro verbo bannimus ut... » (Capit. 860,
cap. 6, II, p. 158). — « Ut missi nostri ex banno nostro praecipiant
... Ut missi nostri ex verbo nostro denuntient atque praecipiant »
(Capit. 852, cap. 7-8, II, p. 269).
340 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
comme le veut la racine même du mot S Et cette sigaiBca-
tion essentielle, il ne s'en est jamais dépouillé. A Tépogae
franque, les lois devenaient exécutoires par le bannum
du roi^, entendez par la publication qu'il charge ses offi-
ciers d'en faire en son nom ' ; au xi* siècle, le sens propre
du mot demeure edictum publicum^ et aujourd'hui encore
c'est l'idée de publicité que le mot ban et ses dérivés éveil-
lent avant tout dans l'esprit.
J'ai déjà remarqué l'identification du bannum^ sermo^
verbum du roi, avec la paix qu'il procure ou conserve. Elle
a pu naître en partie de l'homonymie des termes désignant
la main qui protège (munt) et la bouche qui ordoooe
^ Voyez Kern Notes mr la loi Salique, éd. Hessels, § 235 : « We
may infer that originally bannan denoted in gênerai to say, to speak
loud, to speak emphatically. In fact the Sanskrit bhan, bhanati it
« to speak, tell, recite, preach » ; to the same family beiongs' greek
<pa>vrl and ^coveTv ». L'opinion de M. Schrœder suivant lequel bannum,
bannire procéderaient de bandva (signum » fano) et de bandpjan
(significare), Temblème sacré de Tautorité ayant passé du prôtre au
roi, {Lehrbuch der Rechtsg,^ 1889, p. 31, 110, 117) est contredite par
cette remarque de M. Kern : « The Goth. bandwa^ oy){aTov, bandtqfanp
to give a sign, beckon, etc, stand nearer to ^aiveiv than to pcuvtîv or
bannan. »
^ u Pro contemptu singulorum capitulorum quœ per nostrœ regim
atictoritatis bannum promulgavimm » (Capit 801, cap. 2, II, p. 205)
— D'où l'expression de bannum pour capitulaire ou ardinatio :
« post istum bannum per consensum omnium factum » (Édit de Pis-
tes, IL p. 307) « qui post hune prœsentem bannum inventus fuerit»
(Cap. 861, H, p. 301).
' « Volumus etiara, ut capitula quœ nunc et aiio tempore con-
sultu fidelium nostrorum a nobis constituta sunt a caDcellario nostro
archiepiscopi et comités... accipiant et unusquisque per suam dioce-
sim ceteris episcopis, abbatibus, comitibus et aliis fidelibus noBtris
ea transcribi faciant et in suis comitatibus coram omnibus relegant^
ut cunctis nostra ordinatio et voluntas nota fieri possit » (Cap. 814-
827, cap. 26, 1, p. 307). — » Hanc autem nostram constitutionem...
et in palatio nostro et in civitatibus et in mallis atque in placitis seu
in mercatis relegi^ adcognitari et observari mandamus » (Cap. 861» lit
p. 302).
* Ducange, v* Bannum, 1.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTE. 341
{mu7îd)\ mais elle est due surtout à Texercice même du
bannum. L'ordre royal, faisant inhibition de nuire à une
personne, lui assurait une paix spéciale^; la proscription,
l'excommunication par la parole du roi {forbannire)^
mettait hors de la paix '. D'autre part le bannum fut pu-
blié une fois pour toutes en vue de réprimer les actes qui
troublaient le plus profondément la paix publique et dont
la fréquence était le plus à craindre, puisqu'ils s'atta-
quaient aux plus faibles. Il devint ainsi un bannum trans-
laticium^ comme était redictum translaticium des magis-
trats romains, ou, pour employer les expressions mêmes
des capitulaires, il fut à l'égard de tout un ensemble d'actes
une publication de plein droit, per semetipsum^, une pu-
blication permanente, m assiduitate '.
L'analogie entre le ban royal et Tédit prétorien peut se
suivre plus loin. Le roi franc ne se contente pas de pro-
mulguer la lex ou les capitula qui s'y ajoutent, il fait des
règlements pour assurer l'exécution de la loi : dès lors, il
* T. I, p. 61, note.
* D'où l'expression de/ïtrôanpour fredus (LexSal. 13,5, éd. Hes-
sels, Cod. 4). — Il me paraît difficile d'admettre avec M. Brunner
(I, p. 147, note 92) que furban soit ici un synonyme direct de sermo
régis,
3 Forbannire ne signifiait pas dans le principe mettre hors du sermo
régis, mais mettre hors la paix par la parole du roi (Cf. Schrœder
Rechtsg.j p. 118, note 68), foras 'sermone mittere, Sermo et bannum
prirent ainsi le sens de paix ou même d'amende pour la violation de
la paix (bannus francilis) (Cf. Capit., 861, II, p. 301).
* « Inprimis de banno domini imperatoris et régis quem per semet-
ipsum consuetus est bannire, id est de mundoburde ecclesiarum,
viduarum,orfanorum et de minus potentumpersonarumatque de raptu
et de exercilali placito instituto, ut hi qui ista irrumperint bannum
dominicum omnimodis componant » (Capit. 803-813, J, p. 146).
^ « Ut œcclesia, viduae, orfani vel minus polentes pacem rectam ha-
beant; et ubicunque fuerit infractum, LX solidis conponatur... Hœc
octo capitula in assiduitate; reliqua autem reservata sunt regibus, ut
ipsi polestatem habeant nominativae demandare, unde exire debent »
(Capit,, ar/ leg, Baiwar. orfd., 801-813, I, p. 157-158).
342 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
rinterprète, la complète et finit par la modifier. Un Papi-
nien franc aurait pu dire de lui qu'il édicté: « adjuvandi
vel supplendi, vel corrigendi juris civilis gratia, propter
utilitaiem publicam ». C'est pourquoi nous avons pu ratta-
cher le pouvoir législatif au bannum. Mais il n^eo est sorti
qu'indirectement et sans jamais se confondre avec lui.
L'exécution de la loi, sous forme d'ordre royal, telle était
la raison d'être fondamentale du bofinum, et l'on comprend
fort bien que la loi Ripuaire ait fixé elle-même le taux de
l'amende encourue pour violation du ban royale II était
donc très distinct de la districtio. Par le bannum^ le roi or-
donnait ou défendait : son ordre ou son interdit pouvait aller
jusqu*à la mise hors la loi, soit provisoire, soit définitive de
la personne et des biens*. Par la districtio^ le roi* oa ses
agents* arrêtaient, emprisonnaient, châtiaient corporel-
lement les délinquants, et se mettaient en possession
de leurs biens *. La districtio était Temploi de la farce,
* Lex Ribuaria, 35, 3; 58, 12-13 ; 60, 3 ; 65, 1, etc.
2 La missio in bannum (mise sous séquestre) se changeait en con-
fiscation définitive après an et jour (Cf. « in fisco sociare proprietatem
in banno missam » Cap., I, p. 268, 269, 283, etc.). — La forbannith
prononcée par le roi faisait du forban un outlaw ^ un wargus {vargr
= loup) (Cf. Grimm, RechtsalL.ip. 396, 733, et Kern, éd. Hessels, § 210)
et entraînait dès lors confiscation des biens (Cf. « in fiscuxn recipere
alodem forbanniti » Capit., Il, p. 343).
3 « Ut homines boni generis, qui infra conûtatum inique vel injuste
agunt, in prœsentia régis ducantur; et rex super eos districtionem
faciat carcerandi, exUiandi usque ademendationem illorum » (Gapît.
801-813, I, p. 171).
* « Ut comités, unusquisque in suocomitatu, carcerem habeant;6t
judices atque vicarii patibulos habeant » [ibid.). — La forbannitio
du missus ou du comte ne doit pas être confondue avec celle du
roi. Elle n*est qu'une sorte de districtio {Cî. Brunner, II, p. 465 sniv.).
Il est à remarquer aussi que le ban du comte est un diminutif du ban
du roi, au nom duquel il s'exerce, et que si l'amende pour sa vioUtioa
s'élève parfois à LX sols, c'est par une délégation exceptionnelle du
ban royal dans toute sa plénitude.
* La distinction entre le bannum et la districtio ressort, par ezem*
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 343
le bannum était la mise en action de la loi. La pre-
mière, en s'étendant hors de ses légitimes limites, devait
aboutir à l'arbitraire et à la violence. Le bannum pouvait^
sans troubler Tordre et par une extension normale, accroî-
tre les attributions administratives et financières du pou-
voir exécutif aux dépens du pouvoir populaire. Et c'est ce
que nous voyons se produire sous la monarchie carolin-
gienne. Le roi ne se borne pas à convoquer Tarmée, il
règle les conditions du recrutement, il astreint, sous peine
de violation du ban, à des contributions collectives [con-
jectiiSy heribannum) ceux qui n'étaient pas en mesure de
remplir en personne leur devoir militaire *. Ces contributions
furent généralisées quand, pour venir à bout de l'envahis-
seur normand, les rois préférèrent payer que combattre :
la contribution générale [conjectusy remplaça la levée en
masse [hostis pnbliciis).
Au devoir de se rendre à l'ost bannie ou proclamée s'a-
joutait, pour Thomme libre, le service de guet {wacta, scu--
bia publica) et Tobligation de travailler aux fortifications
ou à la réfection des ponts. Ce fut un point (J'attache tout
trouvé pour les corvées de travaux publics', comme le
fut Cherberge germanique pour le cursus publicus^. Delà
sorte le roi franc put, à l'aide de son bofmum, imposer
à ses sujets les functiones publicœ de l'administration ro-
maine.
pie, assez nettement de ce capitulaire : « Si ad mallum non venerint,
banniantur, et per res et mancipia vel mobile distringantur, ut
veniant.. . Et si post secundam comitis admonitionem ad mallum
venire noluerint, rébus eorum in bannum missis, venire et justiciam
reddere compellantur.,. Et qui res et mancipia vel mobile non habent^
per qudd distringi possint... comprehendantur » (Cap. de Kiersy,873,
II, p. 343-4).
* « Ut illi qui hanbannum solvere debent conjectum faciant ad ha-
ribannatorem » {Ansegisi Capit., 111,35, LL. I, p. 429).
2 « Conjectus pro regni salvamento » (Cap. 861, II, p. 301-302).
3 T. I, p. 357 suiv.
* T. I, p. 349 suiv.
344 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
Ed verlu de leurs us traditionnels, les Francs arrivaieDt
les mains pleines de cadeaux [dona) au lieu où se tenait
le grand plaid annuel convoqué par ban du roi. L'usage
devint loi, l'apport des donaïui prescrit, comme une suite
obligatoire de la convocation au plaid ^ et sans doute spé-
ciQé par avance. Elargi suivant les circonstances, la fré-
quence et rimportance des plaids, les nécessités auxquelles
rÉtat avait à faire face, il donna naissance aux aides et
aux tailles qui vinrent s'ajouter à l'impôt de guerre (con-
jectus).
Il ne semble pas, au contraire, que les rois francs aient
pu user efQcacement de leur bannum pour introduire ou
pour généraliser l'impôt foncier [jugatio) et l'impôt per-
sonnel {capitatio) romain, ce qui les aurait investis dans
toute sa plénitude du pouvoir d'imposer. Les tentatives
des Mérovingiens se heurtèrent à de trop énergiques résis-
tances des Francs pour que les Carolingiens les aient re-
prises, mais du moins les voyons-nous enjoindre, de par
leur ban, à ceux qui sont assujettis à ces impôts de s'en
acquitter en temps et lieu, selon la coutume ancienne*,
et faire inhibition aux comtes d'exiger davantage, c'est-à-
dire d'user eux-mêmes du droit d'imposer {superponere)*.
C'est le pouvoir réglementaire compris dans le ban royal
qui présida à lalevée des impôts indirectset donna naissance
aux banalités^. Les historiens ont eu tort de parler ici de
droits de souveraineté ou de droits régaliens, dans le sens
' « De statu rei publicœ in qui rend um... unde vel quee dona an"
nualia aut tributa publica exigi debeant » (Capit. missorum, 865, II,
p. 93-94).
* « Statuendum est ut unusquisque qui censum régi um sol vere dé-
bet in eodem loco illum persolvat ubi pater et avusejus solvere con-
sueverunt » (Cap. 820, I, p. 295). — « Census regaÛs, undecumque
légitime exiebat volumus ut inde solvatur, sive de propria persona
hominis sive de rébus » (Ansegise, III, 15, LL. I, p. 427).
3 (( Placuit nobis ut hominibus liveris nihil superponant nisi sicut
lex et reclitudo continet » (Capit. 822-23, 1, p. 319).
* T. I, p. 325 suiv.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 345
de monopoles ou de prérogatives*. Aussi bien pour rémis-
sion et la frappe des monnaies que pour les droits de mar-
ché et les tonlieux, péages ou douanes, il ne s'agit au
fond que d'une tutelle administrative et d'une exploitation
qui n'a rien d'exclusif.
Le roi carolingien fixait l'endroit où des droits de transit
pouvaient être perçus, il déterminait par qui et pour quels
objets ils pouvaient être dus ', il autorisait la tenue des mar-
chés ou des foires', l'ouverture des ateliers monétaires*, il
* On a confondu, sous le nom de droit de battre monnaie^ le droit
de fixer le titre et le type de la monnaie, ou en général de réglementer
le monnayage, avec le droit de frappe et d^émission. Le premier est
un droit de souveraineté, le second peut être ouvert à tous, réservé à
quelques-uns ou monopolisé entièrement par l'État,
2 Voyez notamment le Capit. de 754-755, cap. 4 (I, p. 32) et le
Capit. de functionibus publias (820) (I, p. 294-295).
3 « Ut unusquisque comes in comitatu suo omnia mercata inbre-
viari faciat, et sciât nobis dicere quœ mercata tempore avi nostri fue-
runt et quae tempore domni et genitoris nostri esse cœperunt, vel quœ
illius auctoritate constituta fuerunt, vel quae sine auctoritate illius
facta fuerunt, vel quae tempore nostro convenire cœperunt, vel quae in
antiquis locis permanent, et, si mutata sunt, cujus auctoritate mutata
fuerunt » (Edit de Pistes, 864, II, p. 317-318). Il ne s'agit certai-
nement pas des marchés quotidiens ou hebdomadaires, mais des
grandes foires périodiques, d'ordinaire annuelles, véritables assises
commerciales. La distinction est clairement faite dans les capitulaires
relatifs aux tonlieux ; « UtnuUus de victualia et carralia, quod absque
negotio estf Iheloneum prœhendat » (I, p. 32) — n Ut nuUus teloneum
exigat nisi in mercatibus ubi communia commertia emuntur ac ve-
nundantur » (I, p. 294).
* Diplôme de Lothaire II pour Tabbaye de Priim (28 juillet 861),
(Beyer, Urkundenbuch d, mittelrh. Territ,f n^ 96), cité par M. Prou
dans sa belle Introduction au Catal. des monnaies caroling. (Paris,
1896), p. LX, note 5 : w Ut abhinc in antea in predicto loco merca-
tum habeant more humano et moneta ad bonos et meros denarios
perficiendum fiât, et nulla pars publicainde teloneum velaliquamexac-
tionem exigat » — Diplôme de Louis le Germanique pour l'évêque de
Strasbourg (12 juin 873), souvent publié et en dernier lieu, dans l'Ur-
kundenbuch der Stadt Strasburg (I, p. 26-27), par M. Wiegand, qui
en reconnaît l'authenticité : « Ut in quacunque placuerit villa épis-
346 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
réglementait leur fonctionnements le tout en vertu de son
ban. Il lui était loisible de se faire payer parles concessioD-
naires des rétributions ou des quote-parts plus ou moioâ
élevées, et il parvenait à tirer des profits d'autant plus
grands des stations de péage, marchés, ateliers moDétaires
dont il se réservait à lui-même l'exploitation, que ceux-ci
subissaient une moindre concurrence; mais, je le répète,
ni la levée du tonlieu ni la frappe de la monnaie n'étaient
une émanation directe de sa souveraineté. Tout se ramenait
à un droit de contrôle, à une réglementation édictorale*.
copii su! monetam statuai, quatinus pro mercedis nostrs augmento
utilitati ipsius eccIesisD deserviat ».
11 est bien vrai que les rois carolingiens avaient voulu restreÎDdre
à leur palais ou h un pj'lil nombre fixe d'ateliers (édit de Pistes, cap.
12, II, p. 315) la fabrication de la monnaie, mais Charlemagne déjà
ajoutait cette réserve : « Nisi forte iterum a nobis aliter fueril ordi-
nal um » (Capit. missor. c. 18, II, p. 125; Ansegise, III, 13) et eu fait
— que ce soit par tolérance et confirmation d'ateliers anciens ou par
autorisation d'ateJiers nouveaux — , il existe de nombreuses monnaies
frappées en de tous autres lieux que les villes désignées parTÉdilde
Pistes (Voyez Prou, op, cit., p. xvi-xvri et Soeibeer dans Fonchun-
gen zur deutachen GeschichtCy VI, p. 12). Cette multiplicité était iné-
luctable. Klle était imposée par la difficulté des communications, par
les habitudes locales, par les nécessités du commerce. A tout centre
de trafic devait correspondre un contre de fabrication monétaire où
les marchands pussent s'approvisionner. C'est pourquoi traditionnel-
lement les tonlieux, les marchés, les monnaies restèrent juxtaposes,
formèrent une sorte de faisceau indivisible 'Cf. Eheberg, Dos altère
dciiHche Miinzwefien und die Hausgcnossensch. (Leipzig, 1879),
p. 17-18). La reconnaissance de l'un n'allait guère sans roctroi des
autres. La concession notamment de la moneta, telle que je viens de
la définir, no se sépare pas de la lirence de tenir un marché et d'y per-
cevoir le tonlieu (Cf. Prou, op, cit., p. LXI);elle en découle même
implicitement (Cf. Eheberg, /. c. p. 18).
* La surveillance des ateliers monétaires est exercée par le comte.
Voyez Capit. de moneta (vers 82U?) I, p. 299-300.
^ 11 résulte très clairement des capitulaires que j'ai cités ou bmd-
tionnés que des corps religieux, des particuliers ou des seigneurs
percevaient des tonlieux, possédaient des marchés et des ateliers
monétaires. Le monnayage était devenu presque entièrement libre
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 347
C'est à ce droit que le roi renonce, avec le^ émoluments
qui en provenaient, quand il concède péage, marche, mon-
naie à un immuniste, ce n'est pas à un droit régalien de le-
ver un impôt indirect ou d'émettre du numéraire*. Il ar-
k ré|»<)que mi^rovinfîienne. Les monétnires, et non le roi. paranti»-
Fiiiont la valtMir de la monnaie; ils la signaient; ils y inscrivaienl la
l»''t:«Miile ri y apposaient l'efligie qu'il leur plaisait (Cf. Prou, Introd.
au C'italotjHe dea monnaies niérorinyicnncs (Paris, 1892), p. lxxx
suiv. — Introd. au C. des m. carol.y p. xlvi). Co up. sont ({uo les
Can»lin;/ions qui ont restaun'* 1p contrôle des monnait^s, réglementé
la fra[ifM*, fixé la valeur de l'esp'ce, imposé conmie type le mono-
granirni' royal; mais sans qu'on puisse dire avec M. Prou (/. c.) qu'ils
ont Pt'pris a le droit exclusif d'émettre des monnaies ». Beaucoup
d'att-lirps ancierjs ont survécu, qu'ils appartinssent à des villes, des
al»h;iy«'S ou (N» puissants laïqu»'S. M. Prou ne le recotmaît-il pas lui-
mAin»» quand il écrit : «« Il y avait d'autres ateliers que les ateliers
royaux, à savoir ceux que les églises exploitaient en vertu de conces-
sions niyalfs. Le choix des monnayeurs, du moins à la fin du zi* siè-
cl»', n'apiKirh'nait au comte que dans les ateliers royaux; car rarticle
13 de ledit d»* Pistes porte que les monnayeurs seront désignés par
ceux dans la puissance desquels seront placées les officines monétaires:
n in quorum pot»'S(ale deiuceps monetie permansiTunt ». D'autres
p»'rs«MHM's «jii»' 1rs romles pouvaient d-mc exercer leur potesta>i sur
1»'S -iirli.Ts '> (Mon. carol.^ p. i.-i.i).
C'* s<«n' 1«'S <i'»Man«'s, l«*s marcln*s ou h's ateliers monétîiires tradi-
tinM.'!s qui. a p-iPtlr diix* si»rl«\ o'it é|«* accaparés p;ir les seign«nirs ou
«f S'i;.! cnris.Tvi's dans Ifurs miin-, vl ont fond»- leur droit de fon-
lieu, de marrhc i>\i de monnaie, bien plus que l'usurpation directe
du r«»ritrMl«* MU du han royal
* L»-s rois camlinirij'us, d»'S le «léhut du x* siècle, ne se désistent pas
seuiiuhrit, ♦•[! !av»Mird«'s immiinish's, de leur droit de réglementation
et 'If rnntrMJf sur l«*s marchés et les ateliers monétaires, ils vont plus
l"i'i, i'- aijtnris.'nt 1»'S ateliers [»rivt'S A fra[»per des monnaies k un
tyi»»' '»u a iiM'- marque de leur choix. — Diplôme de Chîirles le Simple
■ 2n (j.«»Tul»r»' IM 1 pour l'évéque de Camhrai : <« Nostra possideat per-
ftf-'ij" munificent il mercalum et proprii nummismatis percussuram i>
'CartuL A. du chnp.de Camhrai, MS. lat. lOOfiK, f«' 0. — Prou,A/on.
C'ivnl.. p. LXVI. n.»te i . — Diplnme de Charles le Simple (27 juin
'.MV I 'ur Sain:-Martin de Tours :€ propriam monetam et percussu-
rirn f'rMi.rii nurnismatis nostra auctoritate conrederemus >» ^Pancarte
no,ic de S.-M. de Tours n« VII; H. F. IX, 544 B). — DiplOme de
348 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
rive seulement qu'à cette renonciation s'ajoute la cession
par le roi de bureaux de douane, de marchés, d'ateliers
monétaires qu'il avait exploités jusque-là *.
Le droit à' ordonner^ nous venons de le montrer, est en
étroite connexilé avec le droit de publier Tordre (orrfi-
natio^), le commdindemeni {mandaium^ comfnendatio)\
le capitulaire. A vrai dire, Tinjonction légale n'existe que
par la publicité qui lui est donnée au nom du roi. Cette
importance du droit de publication fut cause sans doute
qu'il survécut au droit de légiférer. Abbon le reconnaît en-
core au roi du x** siècle. Sa fonction essentielle n'est pas
de faire la loi, mais de la promulguer*.
De son côté, l'amende pour violation du ban royal put
survivre, comme peine conventionnelle, au droit de com-
mander, là où celui-ci tomba, l'impôt au pouvoir d'im-
poser, en devenant consuetudo, exactiOy biennium^ rede-
vance ou corvée coutumière*.
Charles le Simple (920) pour Prûm : « mercatum statuant in quocum-
que potestatis sux loco voluerint, propriique numismatis perçu tiendi
monetam ex regia haberent auctorilate licentiam « (H. F. IX, 549
A).
* Voyez exemples, Prou, Monn, caroL, p. lvii-lviu.
' Ordinatio, au sens de jussiOj ordinare au sens de jubere sont
d'un usage fréquent dans les capitulaires. C'est rorigine directe du
mot ordonnance.
' (( Et volumus ut sciatis quia commendavimus ul unusquisque:.:
Gratias vobisagimus quia fideliter secundumnostramcomniemto<ton«m
in nostro venistis servitio » (AdnuntiaU Karo/i, 869, Capit.II, p. 337).
— « Quod mandatum nostrum si quis contemnere prœsumpserit.
hannum nostrum, id est LX sol., componat » {Édit de Pistes^ II,
p. 325).
^ Cf. ce passage des canons d' Abbon avec les textes cités plus haut :
« Sicut rex a regendo dicitur, ita lex a légende. Quapropter legum
promulgatio regum edictis exienditur » (H. F. X, 629 D). — Le
bannum servait à rappeler à l'observation des lois divines et humaines :
« Capitula autem legum divinarum atque mundanarum et imperato-
rum... de quibus omnes admonere atque omnes ex Dei banno et nostro
cavere praecipimus » (Capit. 861, II, p. 305).
' Le bannum des rois francs, qui avait servi à astreindre leurs sujets
PRÉROGATIVES BT ATTRIBUTS DK LA ROYAUTÉ. 349
Le pouvoir d'imposer, le roi des x* et xi' siècles ne le
retint d'effective façon qu'en vertu de son mundium par-
ticulier ou sur les populations pour lesquelles s'opéra la
confusion du comitatus avec le pouvoir royal. Ailleurs,
en effet, il n'avait qu'une autorité insufQsante pour que les
princes de la Gaule fussent tenus à des contributions, s'ils-
ne s'y étaient point liés par un traité spécial. Aux seuls
princes de la Francie, qui lui devaient Thommage lige na«
turel, et aux vassaux directs, il pouvait réclamer des aides,
et celles-ci prirent vers le xu® siècle un caractère de plus
en plus féodal. Quant aux impôts indirects, ils échappèrent
d'autant plus complètement des mains du roi qu'ils ne
constituaient pas des monopoles, mais étaient le produit
d'une simple réglementation.
Toutefois, ni le droit traditionnel de convoquer l'armée
nationale, d'ordonner une levée en masse, ni le droit théo-
rique d'exiger, en des conjonctures extrêmes, un impôt
général ne se perdirent sans remède.
Nous retrouverons l'ost général du roi pour la défense
du royaume dans les chartes du xi* siècle*, et si l'aide gé-
nérale levée dans ce but, ou en vue d'une guerre nationale^
aux corvées, a donné son nom aux corvées coutumières : hiennium^
bidannurrij en français bians (Ducange, v« Biennium; Laurière, Glos-
saire du droit français^ v« Bians, I, p. 46^). — Il y a même ceci de
très remarquable que l'emploi principal et originaire du bannum
ayant eu pour objet le service militaire, le mot d'herbannum s'é-
tendit aux autres services de corps et en arriva à désigner, en France,
un impôt sur l'exercice des métiers et sur le commerce, établi en
échinge et à titre de rachat des corvées coutumières : le hauban
(herbannurrif arbannum, asbannum, — arban, hauban). Voyez pour
cette filiation ; Diplôme de Louis VI, 4111, {boulangers), (CartuL de
Paris, n° 459, Tardif, Monum, histor., n^ 354), confirmé 1440 {CarU
de PariSj n*» 281). — Diplôme de Louis VI, 1129 {marchands), ColL
Moreau, t. 54, f° 16 (publié en partie dans Gallia Christ, X, Instr.
428). — Diplôme de Louis VU, 1145 [rustici) {Coll. des Ordonn., I,
p. 9).
* Infrà, Chap. vi, § 2. Chacun sait la curieuse métamorphose que-
Vheribannum a subie en devenant Varrière-ban,
350 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
ne reparaît que vers le milieu du xii'' siècle, en Tan 1146^,
soD princi[)e n*a jamais dû s'oblitérer dans les esprits. II
y était entreteno parle souvenir vivace des invasions nor-
mandes, par les chroniques et les légendes carolingiennes,
par le patriotisme enfin des chansons de geste, où la lutte
contre Tétranger, le Sarrasin ou le Saxon, s'incarne dans
la grande figure de Charlemagne, le maître qui commande^,
au nom et pour la gloire de la nation des Francs.
Théoriquement aussi, le droit d'ordonner ou de défen-
dre à Taide du ban, exbanno, s'est conservé sous la forme
* M. Luchaire {Rist. (les inst, mon,, I, p. 120 et suiv.), et, après Ipî,
M. Flammermont (De concessu legis et auxUH, Paris, 1883, p. 63 et
suiv.), ont combattu à bon droit l'idée que rimi>ôt levé par Louis VII
(H 46-1147), pour subvenir aux Irais de la croisade, fut une aide
féodale. Je n'y verrais pas seulement, comme eux, une levée de
deniers sur TÉglise ou sur les protégés, mais un impôt général. Le
témoignage de Raoul de Dicet est formel : « Per totam Galliam 6t
descriptio generalis, non sexus, non ordo, non cbgnitas quemquani
«xcusavit, quin auxilium régi conferret : cujus iter mullia impreca-
tionibus persequebantur » (Imagines, d^d an. 1146, H. F. XllI, 183
B). On ne peut Técarter ni en le présentant comme d'une « époque
déjà éloignée des événements », ni en lui opposant Robert de Tori-
gny. Les deux chroniqueurs ne sont morts qu'à quinze ans d'inter-
valle, et on a pu dire du premier : « Scripsit res a se visas vel auditas
ab an. 1147, ad an. 1199 » (H. F., /. c). — Si Robert de Torigny
mentionne les paupcrcs et les ecclesiœ, c'est manifestement pour ap-
puyer les mots de rapina et de spoliatio dont il se sert (« de rapina
pauperum et ecclesiarum spoliatione illud iter est majori parte ex-
ceptum »). Son état d'esprit n'est-il pas celui qui faisait dire àTurgoi
que le pouvoir d'imposer apparaît w comme la loi du plus fort à la-
quelle il n'y a pas d'autre raison de céder que l'impuissance de ré-
sister »?
3 Le ciimant de l'empereur revient à chaque instant dans lachaQSoa
de Roland :
N'en parlez mais, se je ne l'vus cumant (y. 273).
Dreiz Emperere...
Aemplir voeill vostre cumandement (v. 308-9).
Pois que l'cumant, aler vus en estoest (v. 318).
Or irez vus certes quant jo Tcumant (v. 328).
Et cil respundcnt : « Sire, a vostre cumant o (v. 946), etc.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 351
du droit général de garde reconnu au roi. Ici, c'était TÉ-
glise surtout qui était intéressée à rappeler sans cesse et à
faire valoir le droit royal, elle dont les immunités et les
confirmations faisaient la sécurité. Gardons-nous seulement
de nous exagérer les conséquences pécuniaires de la vio-
lation du bàn. Les amendes semblent croître à proportion
de ce qu'elles furent moins perçues, de ce qu'elles restèrent
comminatoires. Au lieu de LX sols d'argent représentant
une valeur intrinsèque d'environ 325 francs*, elles mon-
tent jusqu'à 300 livres d'or mier^, équivalant à 60.000
sols ou à une valeur intrinsèque de 325.000 francs*. Leur
taux, en d'autres termes, est mille fois plus élevé. Mais ces
chiffres, pour chimériques qu'ils fussent, n'en élaient que
plus propres à frapper l'imagination populaire, à conser-
ver le prestige de la majesté royale.
Nous savons, d'autre part, qu'il s'était produit à l'é-
poque franqué une sorte d'incorporation du ban royal.
Elle accrut sa force de résistance aux agents dissolvants.
Tandis que le bannum relatif aux délits moindres et aux
simples désobéissances put être usurpé ou acquis assez faci-
lement par les seigneurs*, le bannum fondamental ne put
* Je prends pour base du calcul rëvaluation de M. Prou, suivant
lequel la valeur intrinsèque du denier carolin du ix* siècle aurait
été d'environ 0 fr. 45 [Monn, caroL^ p. xlv).
2 Selon M. Luchaire le chiffre de l'amende aurait varié de 10 à
600 livres d'or (I, p. 116). Je ne me souviens pas d'avoir rencontré
ce dernier chiffre et M. Luchaire n'en cite comme exemple qu'une
charte de Hugues Gapet pour Saint-Martin de Tours, où il s'agit de
sols et non de livres. Je prends donc provisoirement pour maximum
le chiffre de 300 livres, qui est assez fréquent.
^ En partant du rapport de l'or et de l'argent, établi par l'Élit de
Pistes (Prou, /. c. p. xxxiu), la livre d'or correspond à 200 sols d'ar-
gent ou 2.400 deniers.
* Voyez T. I, p. 324 suiv. oii j'ai montré comment le ban devint
aux mains des seigneurs un instrument d'exploitation. Ajoutez ce pas-
sage de Fulbert de Chartres « noslris hominibus novam angariam in-
duxerit banniendo scilicet ut irent ad molendinum S* Audoeni » (H.
F. X, 451 E). Voyez surtout aussi le curieux opuscule d'Odorane de
352 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
Têtre, en général, que par les princes, et il resta aux
yeux des populations un droit de suprême sauvegarde*. Je
Sens (l'* moitié du xi^ siècle). Coininentant un capitulaire de Char-
lemagne (779 (?) LL. I, p. 213), il montre que la désobéissance au ban
seigneurial faisait encourir de son temps Tancienne amende du ban
royal (LX sol.)) mais que la peine de la désobéissance au ban du roi
ou de Tévêque était bien plus élevée, que pour Tévéque, elle pouvait
monter à 81 livres : « Omnis injuria cujuscumque senioris vel advocati,
sive despectus seu contemptus, excepta régis et sacerdotum, LX soli-
dis, id est pretio trium librarum pnultatur. MultipUcatus igitur ter-
narius per ternarium excrescit in novenarium » (Opusc. X; Duru,
BU>1. hist, de r Yonne, II, p. 425).
Nous apprenons par une chsurte qu*a publiée Baluze que le roi avait
encore à la fin du x^ siècle le droit de percevoir des freda dans le Bas
Limousin : « freda regalia quœ Johannes (abbé de TuUe) babebat
annuatim de manu régis Francorum in Tutelensi Castro » (vers 984,
Histor. TuteL, col. 379).
' Les symboles y aidèrent, j'entends les signa regalia qui mani*
estaient la sauvegarde du roi, qui étaient apposés ratione gardie^
comme le dira une ordonnance du xiv* siècle, où nous les trouvons
énumérés : penuncelliy paillones, brandones, baculi (juin 1319» cap.
11, Ord. I, p. 690-691). Ces emblèmes remontent (bien que leur forme
et leur nom aient pu varier) jusqu'à Tépoque franque, et leur impor-
tance est allée croissant avec l'extension du pouvoir royal, à laquelle
ils ont contribué. Ils correspondent à deux ordres d'idées, dont la pro-
tection est le point de convergence : 1® l'idée d'autorité, symbolisée
par le bâton ou la lance {baculus, virga, fustis, hasta) et aussi par le
gant {wanto)t qui représente la main droite; 2® l'idée d'adoption, de
mundium, symbolisée par l'étofîe {pannum^ pallium, brandeum)^ qui
tient lieu du manteau.
L'investiture du pouvoir se faisait, chez les Mérovingiens, par la
Aos^a, la lance, et celle-ci ou le baculus, la virga, qui en prend la place,
est à l'époque carolingienne, puis sous les premiers Capétiens, un des
principaux insignes de l'autorité royale (regni insignia). Le 6a-
culus ou virga ne doit pas être confondu avec le sceptre. Suger,
en décrivant le couronnement de Louis VI, a soin de les distinguer :
« Sceptrum et virgam, et per hec ecclesiarum et pauperum de-
fensionem,,. contradidit » (Vie de Louis le Gros, chap. xiii, p. 40,
éd. Molinier). Le baculus était de la dimension de la lance ou de
la crosse de l'évêque, le sceptre, beaucoup plus court, était un b&ton
de commandement. On put les désigner collectivement sous le nom
de fustis, et c'est ainsi que nous voyons, dans les formules lombardes
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 3o3
n'hésite pas à penser que c'est de là surtout qu'émergea la
théorie des cas royaux que nous voyons pointer dès la
du XI® siècle, le comte jeter le ban (mittere bannum) au nom du roi,
par la fustis et le gant, per fustem et wantonem {CapituL Ital. Lud.
pii. c. 16, Padeletti, Fontes jur. ital,, 1877, p. 389). Dans nos chan-
sons de geste c'est par la remise du « bastun et du guant » que
l'ambassadeur devient le représentant de la personne du souverain
(Ch. de Roland v. 247, 268, 319-20, 331, 341, etc.). —Hasta.virga,
wantOy aboutirent plus tard à la main de justice, manusjustitiad^ma-
nus regia, comme signe de protection, de sauvegarde ou de tnainmise
royale, de môme qu ils continuèrent à être représentés par la verge
du sergent. Des chartes italiennes du xi® siècle nous montrent claire-
ment l'emploi de la virga, de la fustis, du bannum pour placer une
personne ou des biens sous la protection du souverain : « Tune pred,
missus per virgam, quam in suis detinebat manibus, misit bano de
pars dunni imperaloris... super ipsas res... in mancusi aureis mille »
{1022, Ficker, Urkundenbiich zur liechtsg. Italiens, Innsbruck, 1874,
n° 48, p. 72). — « Ui?o dux... una cum Attone comité... posuerunt
bannum super caput Widonis vener. abbatis de parte domni Chon-
radi imperatoris et df parle Ugonis ducis et marchionis ut quicunque
de rébus mon. et Trinitatis invadere aut tôlière aut minuere presum-
pserit... mille libras auri oplimi componat » {CartuL de Casaure, MS.
lat. 5411, f" 185 v**, an. 1028). — « Et post hoc a praesenti hora cepit
ipse Ugo dux marchio prendere manibus ipsum Widonem abbatem
et dédit eum in manum Bernardi comitis, et precepit ei de parte d.
imperatoris et sua ut quicunque de rébus ipsius monâst. tollere vo-
luerit aut contra nostrum bannum fecerit, facias tu Bernardus comes
ipsum bannum solvere quo modo gratiam Dei et d. imperatoris et
meamhabere cupis. Finilaest causa; » (i6irf., f** 186 v°). — « D. Bea-
trix et F. judex d. régis ambo simul per fustem quam in suis detine-
bant manibus miserunt bannum super easdem res et jamdictum advo-
catum, ut nullus... » (Charte de 1068, dans Fiorentini, Memorie délia
gran Comtessa Matilda, Lucques 1642, Liv. III, p. 140).
Je passe au deuxième ordre d'idées. Le pannus ou panoncellus, le
brandum ou brando, le pallium ou pallio sont identiques, à mes
yeux, comme valeur symbolique, au paile ou au poile de nos coulu-
miers, au manteau sous lequel on plaçait les personnes qu'on voulait
adopter ou légitimer (Cf. Ducange, v*" Paillum,mantellatus ei22^ Dis-
sert, sur Join ville, t. VJI, p. 36, col. 2. — Joignez ce passage de la vie
de S. Oury (fin x* siècle) : « ecclesiae advocationem firmiler légitime
heredi panno imposito commendavit » (Mabillon, S. B. Saec. V, p. 769).
L'étoffe devint ainsi l'emblème du mundium royal et d'autant plus
F. — Tome III. 23
354 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
fin du XII* siècle*. Loin d'être due à une renaissance do
droit romain, comme on Ta dit souvent, elle remonte par
une Gliation continue jusqu'au bannum per semeî ipsum*.
naturellement qu'elle s'attachait au baculus^ à la hasta, pour former le
pennon ou penoncjlle de nos chansons de geste, diminutif de la ban-
nière. Si Ton peut être tenté de voir là un souvenir du bandva primitif
(Cf. suprày p. 340, note 1), emblème à la fois religieux et guerrier,
d'autre part le bannum, avec le sens d*ëdit, se survit pleinement sous
la forme de Taffiche (pannonceau) apposée au nom du roi, revêtue
de ses armes (Cf. aussi, dans un texte du xiu* siècle, signum =
edictum, Ducange, y° Signum, p. 255, col. 2).
En résumé, bannum et sauvegarde royale ont, sous des dehors
symboliques, traversé les siècles qui séparent Tépoque franque de Yé-
poque monarchique, pour devenir un élément constitutif de Tautorité
souveraine en France.
* Dans Tordonnance de 1190(0rd. J, p. 18 et suiv.), connue sous le
nom de testament de Philippe Auguste^ et non pas seulement dans
l'ordonnance de 1202 que Ton cite d'ordinaire.
^ Il est intéressant de rapprocher les octo banna ou octo capitula
(Cap. Saxon. 797, cap. 1-2, 1, p. 71 ; Cap. ad legemBaiuw., 801-813,1,
p. 158) — qui en réalité se réduisent à quatre : violation du mim-
dium royal, refus de se rendre à la convocation de l'ost, rapt, vio-
lence à main armée (fortia)^ — de les rapprocher, dis-je, des quatre
cas royaux qui apparaissent dans l'ordonnance de 1190 : « murtrum,
raptus, homicidium, proditio >» (voyez notamment, cap. 16, p. 21) et
que le roi appelle : « forefacta quac proprie nostra sunt » (cap. 2).
Ce rapprochement est d'autant plus significatif que : 1* la désertion
{herisliz) avait été déclarée par les capitulaires crime de lèse-majesté,
punie de la peine de mort et de la confiscation des biens (Capit. 801»
cap., 3, I, p. 205) ; 2<^ la lèse-majesté avait été assimilée à la haute
trahison (Cf. Capit. 865, cap. 14, II, p. 332) : « qualiter de illo con-
temptore prœcepti nostri quasi de proditore patriœ digidehesin ^
Adde suprà, p. 328, note 2); 3<» la distinction de l'ordonnance entre le
meurtre et Thomicide est une distinction essentiellement germanique
(Cf. Brunner, II, p. 627 et suiv.) (Cf. aussi VEd.reg. Langob. ^csip. 369,
Padeletti, p. 165, qui range le Mordh parmi les causœ regales en le
frappant d'une peine exceptionnelle). — En remontant jusqu'à la loi
salicjue on s'aperçoit que le murdrum n'est pas seulement une inter^
fcctiOf mais tout crime spécialement odieux parce qu'il est commis en
secrot, en traître, clandestinement : « Murdo, mordi, dit M. Kern
(Notes sur la loi Salique, éd. Hessels,§86) answers toM. D.(mitt.d.)
femin. mort, which sometimes signifies murder, but more oflen a
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 355
Au X*, au XI' et dans la première moitié du xii* siècle,
ce ban fut-il même purement théorique? Nullement. Il fut à
la base du droit de confiscation que le roi ne cessa d'exercer
pour crime de haute trahison et de lèse-majeslé. Au
xii* siècle encore, après une expédition guerrière entre-
prise par le roi contre un rebelle, c'est par la loi salique
qu'on justifie le droit de confiscation du roi'.
Si le ban privilégié du roi s'est ainsi maintenu, plus ou
moins théoriquement, jusqu'au jour lointain où l'accroisse-
ment des forces matérielles de la royauté lui permit de le
ressaisir en son plein, tout autres furent les destinées de la
districtio royale, du pouvoir coercitif : droit de saisir les
délinquants, de les emprisonner, d'assigner en justice, d'in-
fliger par voie d'autorité extra-judiciaire des peines d'ar-
gent ou des châtiments corporels. Ce droit ou bien s'ab-
sorba dans le bannum, ou surtout s'élargit en exaction,
en justitia^ en potestas, quand disparurent, au x* siècle.
Tordre public et la hiérarchie régulière. Seigneurs, prin-
ces et rois exercèrent conjointement le droit de con-
heinous crime in gênerai... Murdio expresses the idea of clandestine
misdeed, beit killing orotherwise »,et le savant philologue cite comme
exemple l'incendie, mortbranty mordbrand^ dans le moyen et haut
allemand.
On pourrait donc dresser ce tableau approximatif de concordance
entre les octo bannalou capitula de Tépoque carolingienne et les qua-
tre cas royaux de 1190 :
Octo banna Porfacta regalia
Violation du mundium 'i p ,. .
Violation de Theriban ) "^
Raptus = Raplus
Fortia = Homicidium
Incendium = Murtrum
* Louis VI attaque le seigneur de Saint- Sévère, Humbaud. Il veut
l'obliger à réparer les méfaits qu'il a commis, sinon lui confisquer son
château, en vertu de la loi salique : « aut ad exequendum justiciam
cogère, aut jure pro injuria castrum lege salica amiltere » (Suger
Vie de Louis le Gros, XI, p. 367, éd. Molinier) (avant le 29 juillet 1108;
voyez Luchaire, Annales jji^ 55).
356 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
trainte et de coercition arbitraire, sans autres limites
que la force dont ils disposaient. Ils Texercèrent sous forme
de violences individuelles ou de guerres privées*, et il
devint impossible de discerner ce qui était léptime ré-
pression et ce qui n'était qu'un acte d'arbitraire pur*.
C'est ainsi que la districtio, auxiliaire jadis de la justice
publique, la supplanta. Elle se couvrit de ses dépouilles,
elle se para de son nom et de ses titres, sans rencontrer
d'autres rivales que la justice par les pairs, dont nous
avons traité déjà d'un point de vue général', et la justice
souveraine que nous allons considérer.
§ 4. — Le pouvoir judiciaire.
Dans tout État bien ordonné, la force ne doit être qtfao
service de la loi. Tantôt elle est mise en mouvement par
la loi elle-même, tantôt par des ordres donnés ou des sen-
tences rendues en vertu d'elle et pour son exécution. Tel
se trouvait être, dans sa belle période de solidité, le régime
carolingien, hdi districtio était au service du ôannwm, le
* Le droit de contrainte se confond, en partie au moins, avec la
guerre privée. Ainsi Fulbert de Chartres, après s'étretMevé contre les
év(>quos batailleurs de son temps, « qui bella sectantur », ajoute :
« Nec hoc dico ut maleficos et vita ipsa indignos ab ultione prohi-
beam; sed regibus hoc licet ac saeculi potestatibus, et quibus alegi-
bus permissum osl. Aliae quippe suntleges Caîsaris, alii mores eccle-
siasticœ dignitatis » (H. F. X, 470 E).
* Cf. lettre de Fulbert de Chartres à Ebal, archevêque de Reims :
« Suggero ut ad p9cem pauperum componendam, tota mente satagas,
quos sui regea et principes vehementer affligunt » (H. F. X, 573 B)
— Constit. de paix du Concile de Tulujes (1041) c. 5 : « Villanum et
villanam... uilus homo non sit ausus occidere, vulnerare, vei debili-
tare, neque apprehendere vel distringere, nisi propter suam culpam
quam pra^dicti habeant factam, et non distringant eos nisi per sobtm
dircctum^ et tamenhoc non fiât nisi priusquerelando se fatigaverÎDt»
(H. F. X, 511 A).
3 T. I, p. 219-307. — Au i)oint de vue spécial de la districtio du
roi, voyez infrà le chapitre VI, §§ 1 et 4.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 357
bannum au service de la loi, la loi appliquée régulière-
ment par la justice populaire, hors de là et en dernier res-
sort par la justice du roi. Le roi pouvait toutefois suppléer
à la loi et l'amender par le bannum; il pouvait même, mais
dans des cas exceptionnels (flagrant délit, lèse-majesté,
etc.) se servir de la districtio pour tenir lieu du bannum
et de la loi.
Le développement simultané, sous Charlemagneet Louis
le Débonnaire, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire
du roi écarta de plus en plus l'emploi de la districtio^
comme juridiction discrétionnaire ou arbitraire [harmis-
cara)\ Tout au contraire, celle-ci, quand l'État se désor-
ganisa, non seulement reparut avec une nouvelle force,
mais empiéta si bien sur la justice qu'elle parut la
constituer tout entière. Le mot de jtistitia désigna doré-
navant et le pouvoir exécutif, et Timpôt seigneurial, et l'a-
mende arbitraire, et l'exaction pure et simple. Être maître
d'un pays ou d'un groupe de population, c'était le justi-
cier^. Le pouvoir judiciaire proprement dit ne fut plus
qu'un accessoire ou qu'un succédanédu pouvoir discrétion-
naire, et quand, au cours des siècles, il récupéra son indé-
pendance, nos vieux écrivains durent Y di^^ûev jugement^
réservant toujours encore le nom de justice à l'exécution
de la sentence'.
* La distinction est nettement faite dans un capituJaire de 857 :
« Ut jubeamus ipsos depraedatores... talem harmiscaram, sicut nobis
visum fuerit, tiui judicium, sicut cum fîdelibus nostris considerave-
rimus, sustincre » (Gapit. Carisc, c. 9, II, p. 287).
- L'expression pst courante dans nos chansons de geste.
'^ Je citerai comme exemple le très curieux Liber de informatione
principum (1298-13(4) dont l'auteur est inconnu et le texte inédit.
Voici un passage de la traduction faite au xivo siècle par le normand
Jean Golein (f 1403) et publide en 1517 sous le titre de « Le mi-
rouer exemplaire et très fructueus e instruction selon la compillation
de Gilles de Romme très excellent docteur Du reyime et gouverne-
ment des Roys (Paris, Guillaume Eustace, 1517) : « Que le roy fera
jugement et justice en terre, car a ce sont les roys. Si comme il fut
358 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
Si rintrusion delà justice privée oblitéra Tidée même de
justice, du moins celle-ci ne périclita jamais aox mains
de la royauté. Il est très vrai que la royauté, elle aussi,
usa et mésusa de la juridiction discrétionnaire, du droit
de sévir contre les personnes et de confisquer leurs biens,
sans autre forme de procès. Il ne Test pas moins que, sur
les vassaux qui étaient liés au roi par l'hommage exprès,
sa juridiction prit un caractère féodal. Mais, malgré tout,
le pouvoir judiciaire propre de la royauté survécut. Il
s*appuyait sur une double assise que nous allons étudier :
la théorie du pouvoir royal, la survivance de la justice
palaline.
/. Théorie dupouvoir royal. — Parlerai-je ici de droits
actuels, de droits proprement dits? moins que d'idées tra-
ditionnelles, duprestige qu'elles assurent, du respect qu'elles
inspirent, du travail inconscient d'unification qu'elles opè-
rent. Leur empire est d'autant plus grand que la société
est plus profondément troublée et désagrégée. Les hommes
s'y cramponnent désespérément, comme à une épave du
naurrage social, et si elles sont loin de créer une légalité
exemple d'obscurités et ambages, loin de constituer un droit
public reconnu et accepté, elles créent du moins un état in-
termédiaire entre le droit rigoureux et le fait pur et simple,
elles procurent des avantages d'ordre et d'harmonie qui
se changeront un jour en réalités durables. Elles sont le
noyau cosmique des droits futurs.
Sous l'influence de TÉglise, trois figures se dressent en
dict a Salomon... a Texemple de David qui fsdsoit jugement et justice
à touile peuple. De ces deuxTun est 'pour l'autre ordonne, car juge-
ment doibt précéder et de la chose jugée doibt estre faict compli$»e''
ment de justice, aultrement seroit pour néant faict jugement se Teze-
cution ne sensuivoit par la justice. Et ne se doibt point justice exer-
cer se non de la chose par avant soubtilement jugée car legierement
la rigueur de justice est aveuglée quant elle nensuit rectitude de
justice en formée. Gy est cy premièrement a dire du jugement et
après de justice. » (P» XGIX v®).
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTE. 359
pied qui servent de prototypes aux rois carolingiens et in-
carnent la théorie royale : les rois bibliques David et Salo-
mon, le premier empereur chrétien Constantin. C'est de
David que Charlemagne prend le personnage dans sa cour
lettrée* ; c'est Salomon que Smaragde, dans sa voie royalCy
propose pour modèle à Louis le Débonnaire, c'est à lui que
Théodulf et Sedulius parangonnent le même Louis, et Lo-
thaire I, et Charles le Chauve* ; c'est Constantin que l'Église
romaine présente comme le parfait exemplaire du monar-
que chrétien, en qui elle vénère, de par la donation fabri-
quée au viii* siècle, la source de son pouvoir temporel.
Et quelle est la raison d'être de l'institution divine des rois
de Tancienne alliance, des oints du Seigneur? La justice*,
inséparable de la protection des faibles. Quelle est la vertu
maîtresse de Salomon? L'équité, inséparable de la sagesse*.
Quel est aussi l'attribut essentiel de Terapereur de Rome,
couronné par Dieu, a Deo coronatus ? La, justice encore
et l'équité*.
* Voyez les lettres d'AIcuin à Charlemagne dont la suscription est
toujours : « Domino... David régi » (par exemple, H. F. V., p. 604,
605, 613, etc.).
2 On en trouvera divers exemples dans l'article de M. W. Sickel,
Gôtt. gel. Anzeigen, 1900, p. 381 note.
2 « Constitue nobis regem ut judicet nos » (Rois I, 8, v. 5). —
« Constituit te regem ut faceres judicium et justitiam {RoiSf III, 11,
V. 9). — Dans le Livre des Révélations d'Audrade, Dieu parle ainsi
à Charles le Chauve : « Tu puer meus, si... ordini unicuique pro-
priara legem tenere feceris... et unicuique homini justitiam serva"
rem... ecce do tibi sceptrum regni et coronam » (Duru, I, p. 251).
^ « Timuerunt regem videntes sapientiam Dei esse in eo ad facien-
dum judicium » (iôid., III, 3, v. 28). — « Si ambulaveris... insequi-
tate... ponam thronum regni tui » (iôtd., III, 9, v. 4, 5). — « Dominus
dat sapientiam... i a telliges justitiam eijudicium eiaequitatem » [Pro^
verbeSy II, v. 6, 9).
^ Constantin revendiquait pour Tempereur la connaissance suprême
de Téquité et du droit : « Inter sequitatem jusque interpositam în-
terpretationem, nobis solis et oportet et licet inspicere » (316, God*
Théod., II, 2, c. 3. — Cf. C. Justin., I, 14, c. 9).
360 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
Le caractère sacré de la royauté fondait donc son pou-
voir judiciaire'. Le titre de pacifiais dont le souverain se
pare, et qu'on lui prodigue au milieu même des guerres',
n'a pas d'autre sens à mes yeux. Le roi est pacificateur
de tous les litiges de ses sujets, il fait régner la paix par
sa justice'.
Le roi carolingien juge en droit et il juge en équité*. Il
juge en personne : Charlemagne, chaque jour à son le-
ver**, Louis le Débonnaire et Lothaireun jour par semaine*.
* Cola paraît ressortir déjà d'une formule de Marculf : « Cui Do-
minus regendi curam committit, cunctorum jurgia diligenii examina-
tione rimari oportet... Ergo cum nos in Dei nomen ibi in palatio nostro
ad universorum causas recto juditio terminandas una cum domnis
et patribus nostris episcopis... resederemus » (Marculf, 1, 25, Pro^
loco de régis juditio, Zeumer, p. 58-59).
'^ Voyez les textes groupés par M. \V. Sickel, loc. cit.
3 C'est ainsi qu'Hariulf qualifie de pacificm Louis VI, qui n'a cessé
pourtant de guerroyer, qui fut, suivant la remarque de M. Lucbaire
(AnnaleHy p. xxxix), avant tout un homme de guerre :
« ... Ludovicus
Pacificus, qui sceptra gerens, bene jura gubernat »
[Vie de Saint Arnould, Mabillon, S. B. VI, 2, p. 530).
* Cf. le texte de Sedulius, cité par M. Sickel : « Rex justus et pa-
cificus... judicio vera judicia loquitur. Porro ubi pax est, in disputa-
tionibus verilas et in operibus justitia invenitur (De rectoribus
christ, c. 9) et le diplôme de Robert II, H. F. X, 615 C : « Deus....
legibus sacris antemuralia erexit... [ut filii innocentiœ viverent in
pace, Leges autem aut humanîc aut divinm sunt. »
* « Cum calcearetur et amiciretur, non tantum amicos admittebat,
verum etiam, ai cornes palatii litcm aliquam esse diceret qucu: sine
jusm defniiri non posset^ statim iitigantes introducere jubebat et
velut protribunali sederet,Iite. co'j^mitiscntentiam dicebat » (Eginhard,
Yita Karoliy cap. 2i, OEuvres, éd. Teulet, I, p. 80).
^ « Nus velle per singulas hebdomadas unodie in palatio nostro ad
causas audiendas sedere » (828, II, p. 4) « nos in omni ebdomada
unum diem ad causas audiendus et judicandas sedere volumus »
(829, II, p. 10). — Au dire de l'Astronome, Louis le Débonnaire, quand
il régnait en Aquitaine, siégeîiit trois fois par semaine : « Tribus
diebus rex per singulas hebdomadas rei judiciariœ intererat » (812)
(Vita Liidovicif cap. 19, H. F. VI, p. 9o D). — Nous aurons à rêve-
PRÉROGATIVES BT ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 361
•
« Nos rois, dit Ducange, ont voulu recevoir eux-mêmes les
plaintes de leurs sujets et pour leur donner un accès plus
libre vers leurs personnes, ils se sont en quelque façon
dépouillez de Téclat de leur pourpre, sont sortis de leurs
sacrez palais, et se sont venus seoir à leurs portes, pour
faire justice indifféremment à tous ceux qui la leur venoient
demander. Ce qu'ils faisoient à limitation des Hébreux^
qui tenoient leurs plaits aux portes des villes, des hôtels
et des temples, tant pour faciliter l'accès des parties, que
pour rendre la justice publiquement, et l'exposer à la cen-
sure de tous ceux qui y assistoient^ ». Les progrès du
pouvoir judiciaire sont tels, au ix* siècle, que le Concile
de Paris peut, dès 829, tracer un tableau idéal de la jus-
tice royale^. Ce tableau, Abbon l'insère, à la fin du siècle
suivant, dans le livre des Canons qu'il dédie aux deux pre-
miers Capétiens, et durant tout le moyen âge, il ne cesse
d'être le phare sur lequel les rois doivent se guider'. « A
« chacun de vous, je maintiendrai son bon droit », « tini-
« cuiqite de vobis jusiitiam conservabo », telle était la pro-
messe jurée par nos rois à leur sacre*. Ils reçoivent la cou-
ronne, au nom du roi du ciel, pour rendre bonne justice :
« Tenez, bels sire, el nom del rei del ciel,
Qui le doint force d'estre buens justiciers" ».
nir sur la fre'quence de ces audiences pour la comparer à la rareté
relative des diplômes judiciaires de l'époque.
1 Deuxième dissertation sur Joicviile, t. VII, p. 10.
* Voyez, 1. 1, p. 146-7.
3 Je la retrouve dans le Liber de informatione principum {Mirouer
exemplaire, f» CVIII v«).
* Hugonis promissio in die coronatUmiSy H. F. XI, 658, A. —
Coronatio Philippin H. F. XI, 32 B. — C'est évidemment à cette for-
mule que Suger fait plus tard allusion quand il nous dit que
Louis VI mourant, en investissant son fils du royaume (annulo inves-
tit), lui fit promettre : njussuum unicuique custodire. » (Suger, Vie de
Louis le Gros, chap. 32, p. 443,' éd. Lecoy). — Cf. lues de Chartres :
« Est regiœ potestatis civilia jura servare^ et eorum transgressores
débita pœnâ multare » (H. F. XV, 81 A).
^ Le couronnement de LouiSj v. 145-46, p. 9.
362 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
En tète de leurs diplômes, ils ne se lassent de le proclamer.
Charles le Simple se donne comme le représentant de la
justice divine K Pour Hugues Capet la justice universelle, la
justice départie à tous et pour tout, omnibus eiper omnia,
est le centre de gravité du trône'. Hugues et Robert en
font le principe de l'institution royale', Robert et Henri I*
ne la séparent pas de Téquité V Philippe l""', dans un de ses
préambules', condense tous les traits que nous venons de
passer en revue : le caractère sacré du roi institué pour
faire régner la justice* ; l'équité' ; le maintien des lois divi-
nes, sources des lois humaines, comme aussi le maintien
des décrets ou des édits qui appliquent les unes et lés
' (c Que Regalis dignitas resideat in solio regni subœquitatis vîrga,
juxta quod Deus de se in Sapientia loquitur : Per mereges régnant
et judices legum décréta discernant » (920, H. F. IX, 549).
' « Quoniam nostrœ sublimitas pietatis (ou potestatis) non aliter
recto slare valet ordine, nisi omnibus et per omnia juslitiam ope-
rando » (988, H. F. X, 552 D). — On a discuté sur la signification
des mots per omnia, que M. Luchaire traduit « par tous les moyens»
(I, p. 40). Per doit avoir ici le sens, fréquent déjà à cette époque, de
pour.
' u Multorum sinceritati perspicaciter patet, idcirco reges conttir'
tutos, quatinus regnorum jura sagaciter examinantes, omnia nociva
resecandi... » (991, H. F. X, 559 E). Cf. lettre d'Eudes à Robert :
te Officii tui radicem et fructum : justitiam loquor » (H. F. X, 502 A).
* a Praeciarius et laudabilius... nihil esse quam si regnum nos-
trum tali sub regimine disponatur ut in disponendis causis una sit
minorum ac majorum ratio xquitatis » (996-1002, H. F. X, 011 B)*
Cf. Préambule de Henri I*' (4033) (H. F. X, 568 D).
Quand en 1017 Robert fait sacrer son fiis Hugues, le chroniqueur
Helgaud lui prête ces paroles : <( Vide fili, semper sis memor Dei,
qui te hodie participem sui fecit Regni (du royaume de Dieu) ut
mquitatis et justitiœ in semitis dehcteris » (Helgaud, Vita Roberti,
H. F. X, 108, B-C).
'^ Confirmation des privilèges de Saint-Denis (1068). Tardif, tfo-
numentSf n® 287, p. 178.
^ « Rcgibus quibus omnipotens crealor humanam rempublicam re-
gendam distribuit... justitiam colère, recta judicare... »
^ « Aequilatis assensu nos factum ire putamus si... ».
PRÉROGATIVBS BT ATTRIBUTS DB LA ROYAUTÉ. 363
autres'. En altendant donc qu*e)le devienne elle-même,
pour la France entière, la source de toute justice, la
royauté en est, dès le xi* siècle, la suprême expression :
summum juslitiœ capui*.
IL Survivance de la Justice palatine. — La cour judi-
ciaire du roi carolingien, avait joué — le traité de ordine
palatii d'Hincmar en témoigne — un rôle trop prépondé-
rant dans la société du ix* siècle pour que sa place pût
rester vide. Nous verrons les cours princières s'efforcer,
à qui mieux mieux, de se modeler sur elle, de lui emprun-
ter son principal ofBcier, le comte du palais, et, formées à
son image, d'attirer à soi son droit de juridiction. Mais l'é-
viction ne fut jamais que partielle. La justice palatine resta
debout, forte de son passé, en avance sur les orga-
nismes nouveaux, manifestation vivante de la théorie
royale. Elle avait sa procédure et ses règles judiciaires,
son ressort et sa hiécharchie, son personnel et son outil-
lage. Le mécanisme était tout monté et ajusté. Il continua
à fonctionner. Son royal moteur, si diminué qu'il fût, n^é-
tait-il pas toujours là? et le prestige public, propre à l'ali-
menter, n*avait-il pas son foyer lointain et mystérieux
dans la grande figure deCharlemagne'? Si Ton peut et doit
admettre ainsi une durée ininterrompue de la cour judi-
* « Le^es il Deo mortalibus inspirataset antiquorum regum... cons-
litulioiifs, (li»creta,di8positiones, sed et episcoporum et apost. Roman .
pontilicum mandata... servemus ».
' « .Nosler rex cui summum justitia? caput incumbit >» (Fulbert de
Chartres, H. F. X, 448 B)
' " Quant la chapele fu beneeile a Ais,
Cort i ol buene, tel ne verez ja mais ;
Por la justice la povre gent i vait;
Nuls ne s*i claime que très buen dreit n*i ait.
Lors fint i en dreit f mais or nel fait l'en mais;
A conveitise l'ont torné li malvais;
Por fais loiers remainont li buen plait. »
{Li Coroncmenz Loois^ v. 27 suiv.).
364 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
ciaire du roi, il suffira, pour préciser V étendue et la nature
de la juridiction royale des x* et xi* siècles, de relever
avec soin les anneaux de la chaîne qui la relie à la justice
franque. Je vais le tenter, en utilisant tous les diplômes
judiciaires, malheureusement peu nombreux' qui, à ma
connaissance et pour cette époque, nous restent de nos
rois.
I. — LE RESSORT DE JUSTICE.
Les rapports de la justice royale et de la justice popu-
laire furent certainement vagues et mal définis sous la pre-
mière race. Représentant de la paix publique et de la jus-
tice divine, le roi pouvait être saisi de tous litiges ou de
toutes plaintes, mais en fait ce recours ne s'exerçait que
rarement. L'autonomie de la famille, de la centaine, du
pagus, le droit coutumier qui les régissait, le fonctionne-
ment de leur justice patriarcale y faisaient obstacle. La
' Cette pénurie n'existe pas seulement pour Tépoque que nous étu-
dions, elle se constate dès Tépoque carolingienne et paraît d'autant
plus singulière qu'étaient plus fréquentes alors les audiences royales.
Un vrmïd allemand, M. R. Ilùbner, chargé paria commission des Jfo-
numenta d'inventorier los diplômes judiciaires des rois francs, n'a
trouvé pour la France et l'Allemagne que sept placita proprement dits
de Charlemagne [eigentliche Gcrichtstirkumle), cinq de Louis le
Débonnaire, et autant de Charles le Chauve (Voyez la liste des placita
royaux k la suite dos Kegcstes, p. 113 : Gerichtsurkunden derPràn-
kischen Zeit (1891). Appendice au T. XII de la Zeitschr. der Savi-'
yny-Stift. iOerm. Ait h.). J'attribuerais volontiers la rareté de ces
documents au fait que le roi ne rendait personnellement que des sen-
tences sommaires et que les causes un peu compliquées étaient jugées
par les olficiers du palais. A ce motif s'en ajoute un autre très essen-
tiel pour l'époque postérieure au ix« siècle. L'exécution, comme
racquiescemenl, faisait partie de l'instance. Dès lors l'expédition du
jugement n'avait d'ordinaire aucun objet direct. Elle pouvait servir
seulement à se prémunir contre un retour offensif dans un avenir loin-
tain « ad futurorum noticiam commendari ». Or, à cet égard, les
immunités et les confirmations de biens, plus lard les règlements
d'avouorie et, d'une iaçon plus générale, les transactions ou chartes
signées par lo contestant éventuel remplissaient le mieux le but.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 365
vitalité du pouvoir judiciaire résidait davantage dans les
.groupes locaux ou régionaux que dans le palais du roi.
Dès le début de la seconde race, il n'en fut plus de
même. L'autorité royale s'est étendue et consolidée; le
pouvoir se centralise fortement; le principe de la compé-
tence générale du prince, placé au-dessus du mallus pu-
blicus^ se précise et s'affirme par Tusage plus fréquent
qui en est fait; les affaires portées au palais se multiplient,
jusqu'à l'excès. L'excès fut tel qu'il fallut opposer une di-
gue au flot montant, détourner le courant vers les assises
que présidaient les fonctionnaires royaux, les comtes.
Pépin, par le capitulaire de Vernon (744-755), menace,
suivant le rang, de la peine des verges ou de la disirictio
royale, le plaideur qui sollicite la justice, du palais, au lieu
de saisir le malins du comte \
Toutefois certaines catégories de personnes restaient di-
rectement justiciables du roi. C'étaient celles qui se trou-
vaient placées sous sa protection spéciale, dotées par lui
d'une charte de mundium^, ou qui faisaient partie de sa pai-
* Gap. 7 (Boretius I, p. 32).
2 Dès l'époque mérovingienne, le protégé du roi est placé sous la
garde du maire du palais, premier assesseur du tribunal du roi etchef
des antruslions, et il est autorisé à se faire assister d'un homme
illustre pour poursuivre ses causes soit devant le comte soit devant
le roi : « Tam in pago quam in palatio nostro prosequere » {Marculf, I,
24, LL. Formulacy p. 58). Ce n'est pas tout, la charte de mundium
stipule que si le litige ne peut, sans de ^graves dommages, absque
ejus grave dispendio, être jugée devant le comte, elle est réservée
au roi « in noslri prsDsentia reserventur » {ibid,). C'était dire que le
protégé pouvait porter sa cause directement devant le roi, chaque
fois qu'il y avait un intérêt majeur. La clause devint de style (roy.
Add. Marc, 2, p. 111 ; Form. Senon., 28, p. 197, Form. imper,, n» 32,
p. 311, n° 41, p. 319, etc.), et Ton voit par les chartes d'immunité du
1X0 siècle que la protection royale emporta attribution de juridiction
à la justice palatine. — Diplôme de Charles le Chauve pour Saint-
Julien-de Brioude (874) : « Sub nostro mundeburdo ac tuitionis ope
acciperemus... remota omni saeculari vel judiciaria potestate... nostro
ooram comité palatii ecclesiam... absque uUius inquietudine vel mora-
366 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
rie domestique, de son comitatus^. C'étaient surtout aussi
les comtes, les évoques, chefs de la justice du pagus ou
du diocèse, et ne pouvant, à ce titre, être ses justiciables *,
enfin les potentiores, dont, à raison de leur puissance^ la
justice ordinaire n'était pas en mesure de venir à bout'.
Par des motifs analogues, certaines catégories de procès
sont ratione materiœ réservés au tribunal du roi. Ils en-
gagent directement le pouvoir royal ou la paix publique^
soit que le roi y ait un intérêt personnel^ soit qu'il s'agisse
d'une violation de son ban*.
En déBnitive, on le voit, le principe de la compétence
générale n'a reçu aucune atteinte. Son exercice seul a été
limité ou circonscrit dans la mesure où l'intérêt propre
de la royauté l'exigeait. Il est donc toujours loisible au
roi de lever les barrières qu'il a posées, de faire tomber
les restrictions qu'il a édictées, d'évoquer en un mot toute
affaire litigieuse devant lui. Et c'est ce qu'il fait couram-
ment par Cindiculus commonùorius^.
rum dilatione liceat inquirere » (CartuL de Brioude, n? 334, p. 339»
H. F. VIII, p. 645; Cf. H. F. VI, p. 674).
* Voyez les textes cités par Waitz, Verfassungsg,, III, p. 496, note
2 [comitatus) et p. 51 i , note 5 (cornes in aula, comités palatini)^ en les
rapprochant des capitulaires cités à la note suivante.
'^ Capit. de mm, (829), in fine : « episcopis, abbatibus, comitiba»
qui ad placita nostra semper venire debent » (II, p. 9). — Cap. Pist^
(869). Adn. Karoli, cap. 2 (II, p. 337). — u De nostris domimeis vas-
sallis... quod si proclama verit se ante prœsentiam nostram velle dis-
tringi... ante nos venire permittatur » (Cap. Vem. 884, cap. 11) (II,
p. 37'»). Cf. : « Quodsi fecerint (mon etarii publiai) etadnos inde recla-
matio venerit, sicut ille, qui tortum in suo comitatu vel ministerio fe-
cerit, in nostra vel fidelium nostrorum prœsentia culpabilis judicabi-
tur » (Edict. PisL 864, cap. 23, II, p. 320).
' Major persona, homines boni generis, cap. Âquisgr. 801-813,
cap. i2, ï, p. 171 etc.
* Capit de mism (829) In fine, II, p. 9, Cbn. cap. n*» 191 et 192,
ibid. — Cf. Brunner II, p. 139 et Heinze, Z. f. Rechtag.^ X, p. 455-
56.
* Les indiciili étaient des ordres écrits [mandata, jussiones^ corn»
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 367
Bien plus, le principe reprend de plein droit son empire
quand la condition mise à sa limitation est défaillie. Le
simple sujet doit s'adresser au tribunal du comte, mais
s'il n'y obtient pas audience? La loi salique avait prévu
un déni de justice des rachim bourgs*; c'est maintenant
le déni de justice, la défaute de droit, de Tofficier royal,
du comte, qui est à craindre. Quand le fait se produit
et que la plainte, par deux fois renouvelée, est restée
vaine, le recours est ouvert devant le tribunal du roi^, —
sauf que, depuis 825, le missus doit être saisi après le
comte ^ et le roi seulement en cas de défaute de droit du
missus^.
Si la négligence ou le mauvais vouloir du fonctionnaire
royal met ainsi la justice palatine en mouvement, il en est
de même de la violation, qu'il peut commettre, de la loi.
monitoria, litterx) adressés par le roi à des particuliers ou à des
fonctionnaires, en vertu de son ban. Ils sont Torigine directe des
briez (brefs) de nos chansons de geste, des brefs royaux ou judiciai-
res (brevia) qui, dans la jurisprudence normande et anglo-normande,
ont joué un rôle si décisif. Ils procèdent eux-mêmes de ia pratique
administrative du Bas-Empire. Nous trouvons le commonitorium,
avec le sens d'ordre écrit, dans le code Théodosien et dans le code
de Justinien (C. iO § i, 12, 50 : omnia sane commonitoria vel prae-
ceptiones) et le modèle de Vindiculus commonitorius dans Cassiodore
sous forme de lettre (Variorunif IV, 39, 40, 44. — Brunner, II, p. 137,
note 23). Par cet indiculus, dont Marculf nous a conservé la formule
(I, 26 et 29, Formulœy p. 59-60. — Form, Marc, œvi Kar.y 18, p. 121)
le roi enjoignait à l'un des plaideurs de faire droit à la réclamation
de son adversaire, sinon de comparaître devant lui à jour assigné.
C'était donc au fond une véritable évocation.
* Lex Salictty tit. 57, cap. 1-2 (éd. Hessels, 361).
« Capit. Mant. 781, C. 2. 3, LL. I, p. 190.
^ « Quicumque per neglegentiam aut incuriam vel impossibilita'
tem comitis justitiam suam adquirere non potuerit, ad eos (missos)
primum querelam suam possit déferre et per eorumauxilium justitiam
adquirere » {Commem, missis data, 825, cap. 2, LL. II, p. 308-9).
* « Populo autem dicatur, ut caveat de aliis causis se ad nos recla-
mare, nisi de quibus aut missi nostri aut comités eis justitias facere
Doluerint » (Cap. miss. 829, cap. 14, II, p. 17).
368 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
Intentionnelle ou non, une telle vioiatioa engage la res-
ponsabilité du juge. Elle rentre donc dans la juridiction
exercée par le roi sur ses officiers. Le juge refuse-l-il, sur
la plainte de la partie lésée, d'amender le jugement illégal
qu'il a rendu, il peut être pris à partie devant le roi, qui
Tobligera à réparer Terreur commise* ou à porter la peine
de sa mauvaise foi^.
Alors même que le juge a observé la loi, la cause peut,
en dernier ressort, être portée au palais. Ce n'est plus
une prise à partie du juge, c'est en quelque manière la loi
elle-même qui est prise à partie. Il y a appel à l'équité
souveraine du monarque, supérieure à la loi même*.
' « (Juod perpere judicavil versalim melius discussione habeat
emendare » (Chiot. Proiceptio, 584-628, cap. 6, I, p. 19).
- « 1:11 si reclamaveril quod legem ei non judicassent, tune licen-
liam habeal ad palacium venire pro ipsa causa. El si ipsos convin-
cere poluerit quod legem ei non judicassent, sccundum legem contra
ipsum emendare facial » (Cap. de Pc^pin, 754-755, cap. 7, I, p. 32). —
Mon savant ami M. Ksmein, en se fondant sur le CapU. miss, de 805
(I, p. 123), a cru pouvoir restreindre ce droit d'appel aux personnes
nanties de chartes de mundium, qu'il identifie avec les litterœ que
rappelant doit apporter au palais (Noitv. Revue HisL de droit ^ 1887,
p. 5i5 et 555); mais ce capilulaire, comme celui de 754, est conçu en
termes généraux. Les litterae qu'il vise ne peuvent être que l'tndt-
culus délivré parle comte du palais à rappelant au roi, dans le double
but de lui donner acte de rapi)el et de lui fixer jour d'audience
(Capit. de disciplina palatii vers 820 (?) cap. 6, I, p. 298 : « Ut
comités palatii omncm diligentiam adhibeaiit, ut clamatores posl-
quani indictdiim ab eus acceperint in palatio nostro non rema-
neant »). — Wailz avait donc émis à bon droit des doutes (Fer/Viw-
(/csc/i., IV ■'^, p. 477 note) sur l'identification, proposée déjà par
M. Brunner, des litterx du capitulaire de 805 et des .carto de mun-
dehurdo,
•^ « Comitis autem palatii inter cuitera pitne innumerabilia, in hoc
maxime soUicitudo erat, ut omucs contentiones légales^ quœ alibi
orid' pi'opter wquitatis judicium palatium aggrediebantur, juste ac
rationabiliter dolerminaret seu [)erverse judicata ad squitatis trami-
tem reduceret, ut et coram Deo propter justiliam et coramhominibus
I)ropler legum observaiionem cunctis placeret. Si quid vero taie es-
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 369
Ainsi nous trouvons, à l'époque carolingienne, une com-
pétence générale du roi, en matière judiciaire, s'exerçant
pour un grand nombre de personnes et d'objets, ou par
voie de ressort direct et de plein droit, ou par voie d'évo-
cation. Pour les autres elle s'exerce soit comme instance
subsidiaire, s'il y a déni de justice {défaute de droit) ^ soit
€omme seconde ou dernière instance, s'il y a prise à
partie du juge {faussement du jugement) ou appel d'é-
quité.
Il convient de rechercher maintenant ce qui, de ces
divers ressorts, subsiste au x* et au xi® siècle.
Quatre Irails distinctifs me paraissent caractériser cette
période : 1° La compétence générale du roi est atteinte
dans son principe ; 2° Le nombre des personnes et des objets
sur lesquels s'exerce spécialement la justice royale devient
de plus en plus faible ; 3° Les degrés de juridiction dis-
paraissent; 4° La justice d'équité du roi subsiste sur
set, quod leges mundanx hoc in suis diffînitionibus statutum non
haberent, aut secundum gentilium consuetudinem crudelius sancitum
essety quam chrislianitalis rectiludo vel sancta auctoritas merilo non
consentiret, hoc ad régis moderationem perduceretur, ut ipse cum
his, qui utramque legem nossent et Dei magis quam humanarum
legum statuta metuerent, ita decerneret, ita statueret, ut, ubi
utrumque servari posset, utrumque servaretur, sin autem, lex sœculi
merito comprimeretur, justitia Dei conservaretur » (Hinemar, De
ordine palatii, cap. 21, LL. Capit. II, p. 524-525). — En présence des
termes si péremptoires de ce passage fameux, on ne saurait admettre
avec M. Brunner [Die Entstehung der SchwurgerichtCy Berlin 1872,
p. 72 suiv.) que l'appel en équité était réservé aux personnes pourvues
de chartes de mundium* La formule que cite le savant historien
(p. 73) ne se prête pas à une telle interprétation. Non seulement elle
mentionne la rectitudo à côté de Vœquitas (secundum œquitatis et
rectitadinis ordinem finitivam accipiat sententiam) (Form. imper,
no 32, p. 311), nais d*autres formules de mundium portent : « ante
nos pcr legem aut justiclam finitivam accipiant sententiam » (Mar-
culie, Add. 2, p. 111). L'appel en droit était ouvert au mainbour
comme Tappel en équité, et réciproquement l'un et Tautre Tétaient
à tout plaideur.
F. — Tome III. 24
370 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
la base du droit général de protection et se répand ao
loin par la pratique de Tarbitrage. Reprenons ces divers
aspects.
1) La compétence générale. — La justice du roi subit
la concurrence victorieuse du principat et de la seigneurie.
Elle recule devant la leur; elle est évincée par elle. C'est
le triomphe delà justice personnelle sur la justice territo-
riale*, de la justice privée sur la justice publique, si l'on
réserve cette dernière qualification à la justice royale. La
compétence directe du roi lui échappe ainsi sur tous ceux
qui ont un seigneur personnel autre que lui. Il ne réussit
que bien rarement à la ressaisir par voie à' évocation^,
2) La juridiction spéciale. — Ce n'est pas seulement
par le pouvoir judiciaire qu'ils s'arrogent que prince et
seigneur supplantent le roi; c*est aussi par la protection
qu'ils prétendent instituer. Des chartes de mundium^
d'immunité, de sauvegarde, sont délivrées à des corps re-
ligieux ou à des particuliers par de simples seigneurs aussi
bien que par des princes.
Le nombre des protégés du roi va décroissant à pro-
portion que se multiplient les pseudo-protecteurs qui of-
frent leurs services et qui les imposent, celui des officiers
et des évèques du roi à mesure que sa domination se replie
sur elle-même en de plus étroites bornes. Quant aux ma-
jores personœ^ aux potentiores, aux principes^ ils se déro-
bent le plus souvent à la juridiction royale* et ne reconnais-
« Voy. T. I, p. 219 suiv.
' C'est le seigneur lui-m^me que le roi est obligé alors de citer
devant lui. Ainsi quand l'abbaye de Sain t-Germain-des- Prés se plaint
que Pipînel, vicaire de Garin, a commis une usurpation dans le
domaine d'Antoiiy, le roi mc^conlent (moleste tulimuê) appelle Garin
en jugement (ad discussionom hujus causœ Garinum provocavimus)
et Garin se présente (ad judicium veniens) (1025-1030), Bouillart,
Uist. de Saint'GennaindeS'PrcSj P. just, p. xxiii; H. F. X, 612).
3 Voyez un exemple dans la lettre de Fulbert de Chartres au pape
Jean XIX (1024) {H. F. X, 473 D-E) : « Est cornes quidam malefactor
nominc Rodulphus, nimium vicinus nobis, qui res Ecdesiœ nostra
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTE. 371
sent tout au plus que la juridiction de leurs pairs. Pour
ceux-là mêmes qui restent, en principe, ses justiciables, le
tribunal du roi voit sa juridiction se raccourcir à un double
point de vue.
Tout d'abord, une compétence particulière, exclusive,
se constitue aux dépens de la justice royale, en matière
religieuse et en matière féodale. Les affaires d'ordre ecclé-
siastique des justiciables du roi lui échappent ou tendent
à lui échapper, sans qu'une ligne de démarcation rigou-
reuse et nette puisse être tracée*. Les litiges qui portent
sur le contrat de fief ou la vassalité ressortissent delà jus-
lice féodale, que ce soit celle du roi ou celle d'autres sei-
gneurs.
En second lieu, le principe que chaque seigneur est
juge de ses manants, de ses protégés, tout comme de ses
vassaux, dans le but essentiel de les dérober à Taction
d une justice régulière, de les protéger contre elle, ce
principe par la généralité de son empire oblige désormais
le justiciable du roi, quand il est demandeur, à porter sa
cause devant le seigneur de son adversaire. Nous avons
vu rintérêt des corps religieux à suivre cette voie*, et la
per injustam occasionem invasit, unum de clericis nostris suis ma-
nibus inlerfecit, duos alios captos sacramentis illigavit, et de his om-
nibus appellatus in curia régis et coram plan a ecclesia sœpe vocatus,
nec propter hominem nec propler Deum ad justitiam venire dignitus,
a nobis tandem excommunicatus est. Nunc vero ad limina S* P* con-
tcndit... »
* Diplôme de Philippe I pour Saint-Denis (1068. Tardif, Monum.,
p. 178, col. 2) : (' causa coram optimatibus regni nostri, et in nostra
presentia saepe ventilata, sed quia magis ordinis œcclesiastici vide-
batur esse qxiam popularis, nostra permissione in audientia Romani
pontificis Alexandri perlata et fînita est. Nos demum justiciœ fa-
ventes, diffinitœ causx consensus nostri vigorem prestaremus, » —
Lettre d'ïves de Chartres à Philippe I (1093, H. F. XV, 78 D) :
« respondere non subterfugiam, vel in ecclesia si ecclesiastica sunt
negotia, vel in curia si sunt curialia ».
2 Suprà, p; 255, note 1.
372 UVRB IV. — CHAPITRE IV.
véaalité de la justice royale^ n'était pas propre à les eo dé-
tourner.
Ajoutons enfin que si la compétence ratione maierist
se crée et se propage au profit de juridictions rivales de
celle du souverain, il ne la retient guère lui-même qu'eo
cas de flagrant délit* ou pour violation de son ban*.
3) Les degrés de juridiction, — Appel de défaute die
droit et appel de faux jugement, — Du moment que la
juridiction royale s'était restreinte à certaines catégories
de personnes et de litiges, il ne pouvait plus être question
en principe de l'appel au roi pour déni de justice d*un
prince ou d'un seigneur. Cela est d'autant plus vrai que
la défaute de droit avait pris un caractère féodal, qu'elle
était invoquée surtout par le vassal contre son seigneur
immédiat, devant la cour de leur suzerain commun. Pour
qu'en pareil cas elle donnât ouverture à un appel au roi,
il fallait que sa suzeraineté féodale fût reconnue par les
deux parties.
Toutefois ce caractère de la défaute de droit n'était pas
exclusif. Si le sujet ou le protégé d'un seigneur se plai-
gnait qu'il refusât de prendre sa cause en main, un tiers
demandeur qu'il refusât déjuger, pourquoi le roi en qua-
lité de juge suprême et de suprême protecteur ne se
sérait-il pas saisi de l'affaire? Qu'à raison de Timpuissance
de la royauté le cas fût rare au x* siècle, j'en conviens sans
peine, mais le principe n'a jamais dû se perdre. L'Église
était trop intéressée à se ménager cette ressource contre
* Clironiqne de Morigny (Duchesne, IV, p. 367 suiv.): «muneribus
conductum, sua; partis palronum ne defensorem regem effidunt »
p. 367 C); « re(jem et illius curiam per pecuniam devincere conien'
ciimit » (p. 374 B); « burgenses omnes totumque populum vetenim
Stamparum rex iralus Parisiis submonet ad justitiam, speranshincse
imiximas pecunias adepturum » (p. 374 C).
^ Cr. Suger, Vie de Louis le Gros, cap. 32 : « Neminem in curia
sua cîipere, si non prœsentialiter ibidem delinquat » (p. 143).
' Les cas royaux dont nous avons parlé (supràf p. 354-5).
PRÉROGATIVES BT ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 373
rinertie et la malignité des seigneurs, voire de ses avoués.
Remarquons aussi que le Bréviaire d'Alaric, et les faux ca-
pitulaires, dont l'importance juridique fut si grande en
France, fournissaient un point d'appui aux prétentions
royales*, et qu'on ne s'expliquerait pas, sans la persistance
latente de son principe, la rapide et énergique reviviscence,
au xiii' siècle, de l'appel pour défaute de droit.
S'agit-il maintenant des protégés spéciaux du roi, la lé-
gitimité de cet appel est plus manifeste, plus certaine est
sa pratique. Quand, demandeurs, ils ont porté leur action
devant le seigneur de leur adversaire sans obtenir qu'il
la jugeât*, leur refuge naturel et nécessaire est auprès
* Dans le Bréviaire d'Alaric la défaute de droit est, par applica-
tion des lois romaines, punie d'une amende égale à l'impor-
tance du litige. Uhiterpretatio porte : « Si quis causam habens, a
judice suo se per superbiam vel propter amicitiam adversarii sui
probaverit non auditum, judicem tantum, quantum res de qua agitur
valuerit, fisco nostro jubemus exsolvere », VEpitome Mgidii et la
Lex Curiensis ont : « propter negligentiam ». (Lex Romana Visigoth.,
p. 32-33, Acide, p. 41, col. 6). La disposition a passé, sous cette der-
nière forme, dans les capi^ulaires de Benoît (III, 220) : « Quod si per
neglegentiam judicis causa definita non fuerit, tantum eum fisco
nostro jubemus exsolvere, quantum res ipsa de qua Éigitur valuisse
cognoscitur » — Le dessaisissement du juge au profit du prince en
découlait de source, comme on le voit dans la lex Curiensis : « Si
ei suus judex suam causam dilatare voluerit, postea liceat eis suas
causas ad principem reclamare » (Haenel, p. 33, col. 4).
2 Le déni de justice, que l'on appellera plus tard defectusjustitiœ^
apparaît très souvent dans les chartes des xe et xi* siècles, et fait
l'objet de fréquents accords (T. I, p. 222, note 1, p. 263 suiv.). C'était
au besoin par le pillage qu'on prétendait en avoir raison (per predam
nostram nos cogeret ut quod in nostra non vellemus, hoc, vel coacti,
in ejus curia faceremus, T. I, p. 276, note 1). Les termes pour désigner
le déni de la justice seigneuriale étaient très variables : justitiam non
impetrare (ï, p. 263), refugere facere justitiam (I, p. 265), rectum
clamanti vetare (I, p. 271), deficere ajustitia (ad abbatem clamaret,
deinde ad comitem et ad comitissam si abbas a justitia deficeret.
Cartul. de Rillé, v. 1120, Marchegay, Arch. d'Anjou, II, p. 47). C'est
cette dernière expression [deficere a justitia) qui a fini par devenir
technique.
374 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
de leur royal prolecteup. C'est à lui qu'ils doivent récla-
mer justice. Ua acte fort curieux de la fia du ix* siècle
nous permet de l'entrevoir*. Erfroi, prévôt, et Adémar,
avoué de Saint-Martin-de-Tours, ont cité Patericas
devant son seigneur, le comte Bérenger, au sujet de
biens de Tabbaye indûment retenus par lui. Le comte se
récuse. Il déclare que le défendeur est beaucoup plus le
vassal du comte-abbé Robert que le sien, et qu*îl renonce,
du reste, en faveur de saint Martin, à toute suzeraineté sur
les biens usurpés par Patericus. Une telle attitude équi-
valait à une défaute de droit : Patericus était laissé
en paisible possession et proférait même impunément des
menaces ^ Les réclamants se rendent à Tours auprès
du comte-abbé Robert et le préviennent qu'ils vont en
appeler au roi, alors présent dans la cité, se reclamare
coram rege^. Le comte^ à la fois comme seigneur de
Patericus et comme protecteur de Tabbaye, se saisit de
TatTaire \ Il investit des biens litigieux Tavoué Adémar,
et le charge, si Patericus n'acquiesce pas, de les défendre
par combat judiciaire*. Par là disparaît la défaute dedroit:
rappel au roi devient sans objet.
Si nous passons à la prise à partie des juges devant le
roi, à rappel de faux jugement, il est aisé de vérifier que
la justice palatine n'en pouvait plus connaître que comme
justice féodale. Il n'y avait plus de loi dont le roi fût le
gardien. La procédure était devenue de plus en plus for-
1 Diplômes d'Eudes, du 13 juia 892, publié dans Galtia Christ,,
XIV, Instr. n° 37, et récemment par M. Favre, Eudes, p. 242.
* « nie noluit ipsas res dimittere, sed cœpil minas inferre ».
^ u Volebant se reclamare coram rege Odone, qui tune prœsens erat
in ipsa civitate Turonus ».
^ « Non erit, inquit, opus vobis coram rege reclamationem facere,
quia ego sum eorum abba, et ego debeo rfc aliis justitiam facere^
quanto magis injustitiam ab aliis Tactam consentira (non) debeam n.
" « Ipse autem tetendit cultellum A. advocato et dixil ei : Tu debes
eum recipere, quia advocalus eorum es ; et si necesse fuerit, tu pu-
gnabis pro eis ».
PROROGATIVES BT ATTRIBUTS D£ LA ROYAUTÉ. 375
maliste. Le juge, en'^prononQaDt sa sentence, épousait la
cause de Tun des plaideurs, et s'engageait à la soutenir
les armes à la main. C'était donc en un combat judiciaire
que, presque toujours, la prise à partie se résolvait. Le
roi n'y préside que si le jugement a été porté par ses
vassaux ou par ses officiers, ou bien s'il fait grief
à l'un de ses protégés. Au xii* siècle encore, dans la
charte qui passe pour le premier exemple d'un appel
au roi pour faux jugement, nous voyons le roi ne figurer
qu'en qualité de protecteur spécial ou d'avoué ^
* Diplôme de Louis Vl, probablement de Tan 1132 (Luchaire,
AnnaleSf n» 489). L'acte a été publié en dernier lieu par M. Ch. Lan-
glois dans Textes relatifs à Ihist. du Parlement (C. T.) n» VII. Il
m'apparaît sous un aspect différent de celui qu'on lui a jusqu'ici
prêté. De quoi s'agit-il? Un chevalier réclame de l'évéque d'Arras l'in-
vestiture d'un fief. La demande est portée devant la cour de l'évoque,
dont le demandeur se dit l'honune. Au jour Ûxé, les représentants
(personœ) de l'Église cathédrale et un groupe de vassaux de Tévéque
se réunissent pour vider le débat. Et que se passe-t-il alors? Cer-
tains des juges sont d'avis qu'il y a lieu à plus ample informé. Jean
Béchet et deux autres jugent au contraire que les raisons alléguées
par Tévêque sont mauvaises et qu'il doit faire droit à la demande.
L'évéque aussitôt assigne ces trois juges devant le roi, en faux juge-
ment. Ils ne se présentent pas au jour dit. Le lendemain, des évé-
ques, abbés et barons du roi, convoqués par lui, examinent l'affaire
avec soin et décident que les juges assignés ont mai jugé. Ils se
fondent sur un motif de droit que le roi s'appropriera.
Y a-t-il eu, d'après cela, deux jugements successifs? Nullement.
La première instance ne s'est pas terminée par une sentence. Deux
opinions contradictoires se font jour. L'évéque attaque aussitôt
celle qui lui est défavorable, il prend à partie les juges qui l'ont
émise, et régulièrement il devrait les provoquer au combat judiciaire
ou les faire provoquer par l'un des siens. Mais il a un avoué, advih'
catuSf qui doit prendre fait et cause pour lui, et cet avoué est le roi
en personne « nos, qui advocaii et patroni Atrebatensis sumw eçele--
8ie ». Il s'adresse donc au roi. Comme roi, celui-ci ne peut combattre ;
il peut juger, ou faire juger par sa cour, et c'est là ce qu'il fait.
On voit que les Églises dont le roi était avoué, si elles voulaient
fausser l'avis d'un juge (et il devait en être de même de la sentence
proprement dite) pouvaient, au lieu de le faire provoquer en champ
376 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
4) V appel d'équité et T arbitrage. — Laurière remarque
qu^avaût l'époque des Établissements de saint Louis^ Tap-
pel proprement dit, Tappel à un juge supérieur pour faire
réformer une sentence, n'avait pas lieu en Fraoce*. Il se
fonde sur le début du chapitre 85 (Livre I) où il D*est men-
tion de rappel que dans un passage additionnel. S*il est
vrai que le droit d'appel prit à cette époque un rapide
essor, par suite de l'interdiction du combat judiciaire, rien
ne prouve que la juridiction d'équité du roi en dernier
ressort eût jamais cessé de fonctionner. V interpreiatio àxx
Bréviaire* la consacre, tout comme la lex curiensis^f et
nous avons dans un diplôme de la Qn du ix* siècle la réfor-
mation d'un jugement par la cour du roi^. La base immé-
clos, rappeler devant la cour du roi, qui, se saississant de Taffaire,
la jugeait définitivement. Du moins en était-il ainsi à la fin du règne
de Louis VI.
^ a Quant à l'appellation elle n^estoict pas anciennement en usage
en Cour laie et n'a commencé d'estre reoBù que dans le temps de ces
Ëstablissemens » (Note sur les Établ. 1, 138 (Ordon. I, p. 223), éd.
Viollet, I, 142. — Cf. Montesquieu, Esprit des lois, 28, ch. 27).
2 Interpr. du Code Théod. II, 1, c. 6 (Haenel, p. 32), XI, 8 et suiv.,
notamment Interpr. XI, 9 (Haenel, p. 228).
8 Haenel, p. 229, col. 4.
* Diplôme d'Eudes du 22 mars 890 publié par M. Favre, Eudes,
p. 239. Une cour, composée de G. doyen et pré?M de la villa P., Tar-
chiclave B., le magister scholarum 0. (appelé à la fin de la charte
chancelier = greffier) et d'anciens du chapitre de Saint-Martin-de-
Tours, est venue dans la villa tenir des assises, audientias ejusdem
potestatis œquanimiter tenere. Elle reçoit la plainte d'hommes de
Tabbaye contre un vassal nommé Hicbert, jadis miles de Tarchevôque
de Tours, et elle y fait droit. Ricbert se pourvoit auprès du roi, qui
se trouve à Tours, « prasentiam... régis... seu Rotberti ejusdem ger-
mani... cœterorum virorum nobilium quantocius adiré ». Sur Texposé
qu'il fait de la sentence rendue contre lui, le roi et le comte Robert
(abbé de Saint-Martin) mandent les premiers juges et les interrogent^
Ceux-ci font connaître les motifs de fait et de droit du jugemenU
Après quoi, le roi, Tabbé, les autres assesseurs, très nobles, cmttri
pemobiles in circuitii résidentes, réforment la sentence en ce sens que
faculté est laissée à l'appelant de garder, sa vie durant, les biens
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 377
diale du recours était dans la sauvegarde générale et dans
la protection de TÉglise*.
Si je parle de la possibilité d'un appel en équité, en-
tendez que je me place au point de vue des x** et xi* siè-
cles. Dans le sens strictement juridique, en effet, Tappel
suppose une hiérarchie judiciaire, et cette hiérarchie man-
quait. Mais, d'un autre côté, nul jugement n'était définitif.
Il fallait pour qu'il le devînt qu'il eût été accepté et par
les parties et par leur parenté^; jusqu'à l'acquiescement
ou le désistement [finis, diffinitio), bien plus jusqu'à
l'exécution, le débat pouvait toujours être rouvert. Il
n'existait donc pas, à vrai dire, de chose jugée. Ce que je
litigieux, à charge de fournir une compensation suffisante (recompen-
satio) dont ils fixent le montant : « quo regali judicio et communi
asscnsu.,. in recompensatione hujus rei... ».
* Cf. le préambule d'un diplôme judiciaire de Philippe I" (6 janvier
i082) : u Regali excellentiai procurandum est ac satagendum, ut jura
ecclesiastica quae maie ab iniquis implicita sunt vel usurpata, sua
aucloritate restituât absoluta et libéra. Regia siquidem potestas
ecclesiœ bona débet tuendo servare et servando tuere » (Bouillart,
H. de Saint-Germairi'des-PréSj P. just., p. xxxn).
2 M. Esmein (iV. H. hisL de droit, t. XI, 1887, p. 548) a très bien
aperçu la nécessité de l'acquiescement, dès Tépoque franque. Elle de-
vient de plus en plus absolue à mesure que les pouvoirs publics se
désorganisent, et elle subsiste au xi*' siècle. Nous en rencontrerons
d'innombrables exemples en traitant de la procédure. Il en est un,
frappant, pour la justice royale. Des trois diplômes de Robert !•' que
nous possédons sur le procès de la vicairie d'Antony (les deux pre-
miers, 1025-1030, 1031, ont été publiés par Bouillart, p. xxiii et xxv, le
dernier, 1031, par M. Pfîster, Robert, p. lvi) deux se réfèrent à la
diffinitio, c'est-à-dire à la renonciation expresse. C'est pour l'obtenir
qu'après la mort de Garin, et encore que le procès eût été perdu par
lui, il fallut une reprise d'instance. Elle aboutit à l'acquiescement de
la veuve de Garin : « Sed quia non contigit eum pleniter terminasse
hoc negotium... hujus proclamationis diffinitionem fecit ad vptum
abbatis et monachorum, partim coacta justicia, partira terrila pro
peccatis viri sui » (Bouillart, p. xxiii-xxiv). — « Post legitimam dif-
finitionem quam Hersendis in praesentia nostra inde fecerat » (Pos-
ter, p. LVll).
378 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
qualifie appel est une nouvelle instance^ engagée comme
si le premier jugement était nul et non avenu, comme s*il
n'avait pas de valeur légale. Au fond une telle pratique
conduit au même résultat que Tappel régulier, puisque
par lui aussi toute Taiïaire est remise en question.
S'il n'est tenu aucun compte du jugement originaire, on
s'explique le peu de traces laissées par l'appel. Nous ne
pouvons pas distinguer, parmi les procès soumis à la cour
du roi, ceux qui l'étaient en première instance et ceux qui
revenaient d'une cour seigneuriale ou priucière, dont la
décision n'avait pas été acceptée.
L'appel en équité se confond pour le surplus avec l'ar-
bitrage ^ C'est ainsi que, non seulement la compétence en
dernier ressort, mais surtout aussi la compétence directe
de la cour du roi a pu renaître et progresser. Toute ins-
tance, pour être décisive, supposant un compromis préa-
lable, un champ immense s'ouvrit à l'action de la justice
royale. C'était sa juridiction arbitrale qui incarnait le
mieux la théorie de la justice souveraine émanée de Dieu,
c'était elle, nous allons le voir, qui offrait aux plaideurs
les formes de procéder les moins aléatoires et les moins
dangereuses, c'était elle aussi qui s'adaptait le plus exacte-
meid à l'état politique d'un temps où les hommes n'étaient
unis que par des liens fédératifs. Quand, au cours des
siècles, la fédération se changera en régime monarchique,
la justice arbitrale du roi redeviendra la justice publique.
11. — Le plaid royal.
1. La procédure privilégiée. — L enquête. — Nous
n'avons pas à exposer, en ce moment, la marche du procès
devant la justice royale. Le sujet appartient à l'organisa-
tion judiciaire que nous aurons à retracer au Livre suivant
Mais, par un point important, il touche et intéresse la
nature, la portée, le développement progressif du pouvoir
* Sur l'arbitrage royal, voir T. I, p. 162-164.
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 379
judiciaire du roi, je veux dire par la procédure d'enquête.
Si celle-ci n'est pas restée un privilège exclusif de la jus-
tice palatine, elle y avait pourlant son siège traditionnel
et ne cessa d'apparaître comme une de ses marques dis-
tinctives.
Une différence fondamentale entre le mallum et le tri-
bunal du roi carolingien résidait dans le mode de preuve :
purement formaliste devant le mallum, inquisitoriale de-
vant le roi. Si une première enquête ne donnait pas de
résultat, on procédait à une seconde, et c'est seulement
à son défaut que l'ordalie intervenait*.
Dans le procès formaliste le témoin ne prouve pas, il af-
firme en faveur de celui qui le cite, sinon il se tait. Son
serment fait preuve. Il ne peut être réfuté que par un
contre-serment, ou par un combat judiciaire.
Dans Vinquisitio le témoin ne fournit, sous la foi du
serment, que les éléments d'information dont le juge a
besoin. Son témoignage ne peut être combattu par le duel
judiciaire. Le juge peut seulement, s'il le suspecte de par-
jure, le soumettre au jugement de Dieu.
L' « inquisitio » est une procédure exceptionnelle; elle
constitue un privilège dont l'octroi émane du roi. Il en
jouit comme plaideur pour les causœ dominicas^ il peut
Texercer ou le déléguer pour tous autres procès, le fai-
sant rayonner de sa personne. En vertu du bannum domi-
nicum, le roi fait citer les témoins à sa cour et leur fait prê-
ter serment de dire la vérité, ou bien il charge par un vidi-
culus inquisitionis (qui dès le ix* siècle s'appelle brevis^) le
* Cf. Brunner, Die Entstehung der Schwurgerichte , p. 68; Rechts-
gesch.f II, p. 524-525.
2 (( H. episcopus obtulit brcvem unum ubicoalinebatur... qualiter...
Hludov'icus (Louis II)... missos suos constitulos habuisset ut ... dili-
gentissime sub sacramento per inquisitionem investlgare studissent
atque secundum ipsam inquisitionem difinissent » (853, Muratori
Antiq,, III, i68. Hûbner, Gerichtsurkunden, 2e partie, n® 754. Adde^
380 LIVRE IV. — CHAPITRE IT.
comte ou le missus de procéder à Vinquisiiio^. Assimilés
aux biens du fisc, les biens protégés par le mundinm on
rimrounité royale participent au droit d*eDquête, et TËÏglise
en avait, dès 829, obtenu le bénéfice, pour la généralité
des biens qu'elle possédait depuis trente ans*. Or c'é-
taient ces divers biens qui faisaient Tobjet ordinaire de la
juridiction royale, et Vinquisitio devint ainsi, du moins
en matière civile, la procédure régulière du tribunal do
roi. De là elle s*étendit aux missi et aux comtes', puis aux
juridictions princières qui se modelèrent sur la justice
* Voyez la note précédente et les suivantes.
2 Capit. Wormat. (829) c. 8 (II, p. 13) : « Ut de rébus ecclesiarum
qu80 ab eis per XXX annorum spatium sine ulla interpellatîone pos-
sessœ sunt, testimonia non recipiantur, sed eo modo contineantur,
sicut rcs ad fiscum dominicum pertinentes contineri soient » Gbn.
Capit. miss. (829) c. 2 (II, p. 10) : « Ut omnis inquisitio, qua de
rébus ad jus fisci nostri pertinentibus facienda est, non per testes
qui producti fucrint, sed per illos, qui in eo comitatu melîores et
veraciores esse cof^noscuntur, per illorum testimonium inquisitio fiai,
et juxla quod illi testificati fuerint, vel contineantur vel reddantur »
et Capit. Caria.^ 873, cil (II, p. 346) : « In comitatu omni hî qui
mcliores et veraciores inveniri possunt, eligantur a missis nostris,
ad inquisitionem facicndam et rei veritatem discendam, et ut adju-
tores comiliim sint ad justicias faciendas ». — Il y avait donc des
enquêteurs royaux Mlirés. — Le chapitre 8 du capitulaire de Wonns
a passé dans la Collection de Benoît le Lévite, Add. IV, c 171.
3 Par une clause du missaticnnif par une délégation spéciale ou
par voie do disposition générale. Les missatica de Paris, de RoueD,
d'Orléans portaient déjà en 802 : « Undecumque necesse fuerit,
tam de justitiis nostris quamque et justitias ecclesiarum, viduaram,
orfanorum, pupillorum et cetcrorum hominum inquirant et per/l-
ciant. » (Cap. miss, spec.y c. 19; LL, I, p. 101). — La délégation se
faisait par [*inclicuhis, les litterae regales. — Une disposition géné-
rale se trouve dans le Capit, dejustitiis faciendis[c\vcQLB,. 880) (c 1,
I, p. 295) ; mais elle réserve aux causes qui jouissent du for privi-
légié du roi l'enquête par serment : « Ut pagenses per sacramenÊa
aliorum hominum causas non inquirantur nisi tantum domioîcas.
Adtamcn comes ille, sialicujus pauperis aut inpotentîs personie oansa
fuerit, lune comes ille diligenter, et tamen sine sacramento per ve-
riores et meliores pagenses inquirat ».
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 381
palatine \ et elle devint de fréquent usage devant les
plaids des seigneurs ecclésiastiques*. Mais nulle part elle
ne tint une plus grande place que dans la cour du roi.
Presque tous les procès jugés par les Robertiens et les Ca-
pétiens du XI® siècle, dont nous avons une relation quelque
peu détaillée, portent trace de Tenquôte ou nous la
montrent ordonnée formellement'. Nous la rencontrons
* C'est ainsi que la procédure d'enquête se maintint et se développa
à la cour des ducs de Normandie et fut par eux transplantée en An-
gleterre. Dans un procès entre Tévêque de Séez et les chanoines de
Saint-Léonard de Bellesme, jugé en 1084 par Guillaume le Conqué-
rant, les chanoines prouvent par des antiqui homines la franchise
de leur Église : « Antiquos homines secum adduxerunt qui ipsam
Ecclesiam ad dedicationem ita régi Galliao Roberto et Normannorum
Comiti R. et Sagiensi episcopo Ricardo... franchire et ordinare vi-
derant et audierant ut nullus christianus in ea aliquam consuetudi-
nem haberet » (Bry, Histoire des pays et comté du Perche, Paris,
1620, p. 70-71). h'inquisitio est fréquente, dès le xi« siècle, dans les
placita anglo-nomannica (éd. Bigelow, Londres, 1879; par exemple,
p. 2, 18, 33, 66 etc.), et leur éditeur a pu justement la définir ainsi
{p. 323) : (( the mode of trial introduced by the Normans; évidence
by impartial men summoned and examined by virtue of a writ »
(brève). — Cf. pour l'Italie le CartuL de Casaure (Bïhi, nat., MS. lat.
5411) f° 185 : u residebat Ugo dux et marchio ad audiendumetjM«^e
inquirendiun de rébus monasterii B« S* Trinitatis » (1028) et les
chartes n"^* 48, 55, 62, 70 de Ficker Urkundenbuch zur Reichs und
Rechtsg. Italiens (Innsbruck, 1874).
2 En 907, enquête ordonnée par Alexandre archevêque de Vienne
dans un procès entre saint Bernard de Romans et un laïque. —
Gallia Christ, XVI, Instr. n° 15, Hùbner Gerichtsurk,, appendice n* 469
b. — Vers 912, enquête ordonnée par Tarchevêque de Langres Garnier
•dans un procès entre Saint-Étienne de Dijon et ses prévôts. Cart.
MS de Saint-Étienne de Dijon, charte que j'ai publiée, T. I, p. 385 :
« affirmantes se habere plurimos et ver aces atque visores testes, qui
hoc ita verum esse scirent et super Sctorum rehquias et altaria
sacramento comprobare possent... Per commendationem ergo pred,
Prassulis, haec causa diligenter a praîf. archidiacono veritatem satis
bene amante inquisita et investi gatata... repertum est ipsos servientes
veritatem habere ».
3 Toute la procédure d'enquête se déroule à nos yeux dans une
charte extrêmement curieuse du Cartulaire de Notre-Dame de Nîmes,
382 LIVRE IV. — CHAPITRB IV.
de même dans les diplômes judiciaires des rois de Boor-
(n^ V, p. iO suiv., Avril 892). — Le roi Eudes résidait au Haussoi, dans
la forêt (le Cuise (i'orèt de Gompiègne) où il était venu chasser. Il avût
auprès de lui évtH]ues, comtes et vassaux, quand Gilbert, évoque de
Nîmes, vint porter plainte qu'une villa de son église avait été usurpée
par un certain Genesius, qui s*en était emparé « absque tUla inqui-
sitionCf et mallo seu judicio ». Le roi, après avoir interrogé le comte
de Nîmes^ et pris Tavis des assistants (omnes qui adstabant dixerunt),
ordonne que, par des lettres royaux {regales lUterœ) délivrées à l'évê-
que, injonction soit faite au comte d'instituer une enquête dans le
pays : si elle est favorable à TÉglise, les biens doivent lui être resti-
tués : « Ita(jue rex jussit predicto episcopo suas litteras dare, inqui-
bus continebatur ut R. comes, veniens in pago Nemausense, inquiti-
tionem per circummanentes homines mitteret; et, si îpse episcopus
justcim causam habcreL.. in predictis rébus eum înformaret ».
Gilbert, de retour dans son diocèse, présente les lettres royaux au
comte (régales litteras ostendi), lequel mande à Genesius qu^il ait à
assister à l'enquélc que le roi a ordonnée : « Comes suas litteras ad
Genesium misit, ut ante eum ad placitum veniens audiret et videret
inquisitionem atque adprobationem scripturarum quam rex de pre-
dictis rébus facore jusserat ». Le défendeur n*ayant pas comparu,
le comte, sur requôtede Tévêque, enjoint à son vicomte de procéder à
TenquOte sur les lieux m^mes : « precepit ut super ipsas res veniret,
et omnem justiciam etlegem, sicut inregalibus litteris continebatur,
ipsi episcopo adimplcret ». Les voisins du lieu et les plus considérés
du pays i omnes circummanentesipsius loci atque alios nobiliores) sont
convoqués : tant prêtres que laïques ils sont au nombre de cinquante
deux (20 prêtres, 32 laïques), dont la charte donne les noms, plus une
multitude d'habitants du pagus (alii quamplures ipsius pagi habitato-
res). En leur présence Tévêque produit les lettres royaux et le titre
d'acquisition. Le titre lu, le vicomte, de par le ban du roi, requiert
tous les assistants (près de deux cents), de dire ce qu'ils savent en
toute vérité do l'objet du litige : « per auctoritatem regiam,.. bannum
imposnît ut dicerent quicquid de hac causa in veritate scirent ».
Les nobiliores viri interroges les premiers, chacun à son tour,
(primitus per ordinem singuli interrogati), tous déclarent d'une voix
qu'à leur connaissance, l'acquisition a été faite comme le porte le
titre et que les biens ont été possédés paisiblement environ douie
ans jusqu'à ce qu'ils eussent été usurpés par Genesius. De ces
nombreux témoins, quatorze sont alors choisis (7 prêtres, 7 laïques),
pour être, sous la foi du serment, interrogés à nouveau et indi-
viduellement par le vicomte, dans l'église Notre-Dame : « Itaque ex bis
PRÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 383
gogne, qui ont conservé vivace la tradition franque*.
L'enquête imprimait à tout le plaid une physionomie
particulière. Elle introduisait l'usage de débats réguliers,
d'un examen au fond de l'affaire ^ au lieu de faire dépen-
omnibus XIIII electis (suivent les noms) in ecclesiam S^ Mo ingressi,
iterumque ab ipso vicis- comité per ordinem interrogati et discussi,
absque ulla varietate testifîcantes jurafi dixerunt quia... » Leur témoi-
gnage étant conforme, le vicomte réinvestit Tévéque en touchant la porte
de Téglise, « per hostium ipsius ecclesiaî », et une charte est dressée,
que les quatorze témoins assermentés revêtent de leur signature.
Parmi les autres diplômes royaux, où Vinqumtio apparaître relève
les suivants : Eudes, vers 892 (H. F. IX, 456) : « post inquisitionem
suorum procerum », Robert, l«r mars-24 octobre 1016 'H. F. X,
598, Langiois, n^ I) : « repertum est... quia... suprad. consuetudines
habere non debeant », Henri, 20 mai 1043 (H. F. XI, 577, Langiois,
n° IIJ) : « nostro regali judicio rectum in manu posuit (manus = testi-
monium juratum). Abbas igitur manibus duorum clientum coram om-
nibus sacramento probavit quod... », Henri, 1047 (H. F. XI, 581) :
« quia igitur de justis et injustis custumiis... multorum testimoniis re-
cognoscens est adductus, idoneorum testium nomina... hic inferius si-
gnavimus», Philippe, 1066 (Mabillon, Dere diplom.,p, 585, Langiois,
no IV) : « quia nichil horum... sibi potuit adquirere, nec dono, nec
vestitura, nec testimonio,.,. legaliter convictus emendavit ».
* Rodolphe, 907-908, Rivaz Dipi. de Bourgogne, Inv. U. Chevalier,
n<» XXXI, Hûbner, Gerichtsurk., n°469 a. — Rodolphe II, 18 janvier
926, Cartul. de Cluny, I, n° 256, p. 247 suiv. : « Dum resedisset... rex
R. in Cartris villa, veniens femina B. in voce reclamationis, ante do-
mino regio, proclamans se de res... Audiens domnus rex banc pro-
clamationem, jussit fidelibus suis, Turumbertum comitem, et Ansel-
mum, comitem de pago Equestrico, atque Ugonem comte palatio,
ut ipsam proclamationem... legibus inquirant et finiant ; in eadem pre-
sentia misit ipse Ugo bannum domini régis ut ad malium primum
quod in ipso comitatu tenuerint, in eadem presentia veniant...in ea-
dem presentia adhibiti sunt testimonia. Hi sunt : (H témoins), ma-
nus positas in eadem presentia, super sanctas reliquias sic jurantes,
in eorum sacramento dixerunt : Si eis adjuvet Deus et ilie Sctorum
reliquie, sic legibus eeun... »
2 A la fin du xi® siècle le procès suit une marche régulière devant
la cour du roi. Cf. Diplôme de Philippe I®' (Langiois, n®V) : Le deman-
deur expose sa demande (clamavit) ; les défendeurs répondent (légi-
tima respondentes). Ils produisent des actes royaux et plaident leur
384 LIVRE IV. — CHAPITRB IV.
dre la décisioD d'une épreuve judiciaire. II n'y avait plus
place pour celle-ci qu'en cas de prise à partie des témoins.
EnQn elle aboutissait à un jugement qui, basé sur elle, ne
donnait plus ouverture, nous allons le dire, au duel, et,
étant motivé, se prêtait mieux a une transaction des par-
ties litigantes.
2. Le caractère définitif de la sentence. — Si le juge-
ment rendu par une cour seigneuriale pouvait être faussé^
celui de la cour du roi ne pouvait Têtre, et cela, à, moo sens,
pour une double rdson : la première, que Tenquète Quê-
tant pas une procédure formaliste, son résultat ne se
prêtait pas au duel^; la seconde, que le roi s'appropriant
le jugement de sa cour', c'était sa décision qu'il aurait
fallu fausser. Or le roi ne pouvait être appelé en champ
clos' et il ne reconnaissait aucun supérieur qui pût pré-
sider à un tel appel*.
Le même obstacle ne s'opposait pas, en principe, à ce
que les juges du plaid royal fussent pris individuellement
à partie, au moment oii chacun d'eux émettait son avis,
et c'est pourquoi, dans le procès de Ganelon, si vivement
décrit par la Chanson de Roland, Pinabel peut, en pleine
cause en langue vulgaire el en latin « causamque suam vulgari et
lalina disseruerunt eloquentia ».
• Brunner II, p. 526. — Cf. Li Livres de Joêtice et de Plet XLIV,
§ 15, (p. 318). <( Or demande Ten^se de tel chose puet oestre bataille?
Et Ten dit que non ; car ([uant li principaus vet par anqueste, ce qui
en dit et ({ui est Joint, doitaler parenqueste».
•î Cf. Diplôme Robert, 1031 (H. F. X, 623. Langlois, n« II) : « Dgu-
dicato legaliter vicariam injuste fuisse invasam, precepimus... >»
^ Il a dû exister en France une règle analogue à celle que BractOD a
formulée plus tard : k Hex non pugnat, ncc alium babet campionem,
quam patriam ». (lli, 1, c. 21 § 11) — Beaumanoir nous apprend
que même le fils du roi ne pouvait pas combattre : « fîus de roi ne se
doit pas combattre a son homme pour plet de mueble, pour chateus ne
pour eritage » (I, 36, éd. Salmon T, p. 34 (C. T.)
^ a II ne le puent pas fauser, diront les ÉtahlUsemenls de saint
Louis, 1, 83 (éd. VioUet, II, p. 135), car il ne troveroieut qui lor en feîst
droit, car li rois ne tient de nului fors de Dieu et de lui ».
PBÉROGATIVES ET ATTRIBUTS DE LA ROYAUTÉ. 385
€our de Charlemagne, fausser le jugement (l'avis) de
Thierry, Tun des pairs*. Mais il est probable qu'en fait, le
respect dû au roi couvrait ses conseillers.
Dès le x° et le xi® siècle, la cour du roi offre donc au
plaideur et au juge une sécurité qu'ils ne trouvent pas
dans la cour seigneuriale. — Raison, il est vrai, pour
«que les plus forts, ceux qui sont habitués à en appeler aux
armes, refusassent de se laisser juger par elle.
Elle offre une garantie non moindre de stabilité judi-
ciaire. Elle tend à clore plus sûrement les litiges, en pré-
parant, par Fenquête et les débats, un terrain de trans-
action où les parties puissent se rencontrer et se tenir. Ce
rôle de la justice royale se manifeste clairement dans les
charles'\ Il est en parfaite harmonie avec la nécessité de
Tacquiescement, qui, depuis l'époque franque, tient la place
de la chose jugée' et constitue l'un des traits originaux
du système judiciaire.
3. Mainmise du roi. — Nous retrouvons ici l'action,
l'exercice du ban royal. C'est à l'aide de son ban que, par
l'ordre de comparution, le roi met son pouvoir judiciaire en
mouvement*. C'est à l'aide du ban aussi qu'il lui donne
prise et qu'il l'arme de la sanction et de la force exécutoire*
' T. I, p. 2i3.
2 Voyez la charte d'Eudes, du 22 mars 890, analysée plus haut et
le diplôme de Philippe, de iOQQ {Recueil des Chartes de Saint-BenoU-
sur-LoirCf n° LXXVI, p. 199) : « decrevimus ut judicio nostro et op-
limatum nostroruin causa defînirelur; de qua re multis verbis ultro
citroque habitis, visum est nobis facilius esse et melius ut res concor-
dia quam judicio terminaretur »,
3 Suprà, p. 377.
* Diplôme de Henri I°% du 20 mai 1043 (Langlois, n« III) « diem
rectitudinis ei slaluimus, prelatumquemilitem, ut, die nominata ante
nos, verbis abbatis astaret Paris! us paratus respondere, monuimus ».
* Le roi préside, en règle, à l'exécution de la sentence. II menace
de l'amende pour violation du ban royal ceux qui l'enfreindraient :
t( Hanc igitur sanctionem nostram ac principum nostrorum, si ipse
Ë. auL successores ipsius infringere praisumpserint, despectus nostri
pœnam... incurrant » (Robert, 1016, II. F. X, 599).
F. — Tome III, 25
386 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
qui lui sont indispensables. Le bien litigieux est placé sous
la main du roi, il est réuni momentanément aux biens du
fisc. Le roi, de la sorte, peut décider librement de son
sort.
Une telle mainmise n'allait pas sans danger pour les
plaideurs : elle fut un moyen pour le roi de s'enrichir
a leurs dépens, en jouant le rôle du juge de la fable. Dans
le procès de la vicairie d'Antony, il fallut un jugement
spécial de la cour du roi pour lever la confiscation provi-
soire et restituer à Tabbaye de Saint- Germain-des-Prés les
droits dont elle avait été privée ^ Un exemple encore plus
frappant nous est fourni par Hariulf *. Un chevalier, Hubert»
détenait une villa de Tabbayede Saint-Riquier et s'en pré-
tendait propriétaire\ Le débat fut porté devant la cour du
roi^ oii il fat reconnu que Hubert était sans droiL Le roi
alors saisit le bien et par cupidité le garde durant cinq
ans, faisant siens les revenus'. Ce n'est que sur les ins-
tances répétées de l'abbé* qu'il se décide enfin à le resti-
tuer, par un diplôme que Hariulf nous a transmis^.
* Robert 1031 (H. F. X, 623, Langlois, p. 3) : « secundum curie
nostre senlentiam et totius convenlus censuram concessimus pred.
loco ».
=^ Chronique de Raint Riquier, IV, 7 (p. 190 suiv. G. T).
3 « Tanquam heredilalem sibi viiidicabat ».
* Tamdiu itaquc contra H. institit, usquequo procerum judicîo ia
régis praisentia, eam quam diximus villam derationaret. »
^ « Rex Henricus ilJectus cupiditate... villam tulit et quinquîennio
iilius reditibus usus est ».
*« Cum ab abbate fréquenter argueretur, tandem metu judiciorum
Dci coactus et venerabilis Angelranni assiduainterminalione fractus,
nnbis eam cessit. »
■^ 1035. HariuIF, p. 192-193 : « Censura judicii nostri decidit in
nostram jussionem (bannum). Quinquenniotenui, solidam et quietam
habui ; post hoc, memor animœ meaî... tradidi eam S* R* ».
387
CHAPITRE V
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE »
« Le roy, a dit Guy Coquille en sa langue imagée*, est
monarque et n'a point de compagnon en samajeslé royale.
Les honneurs extérieurs peuvent être communiquez par
les rois à leurs femmes; mais ce qui est de majesté repré-
sentant sa puissance et dignité réside inséparablement en
sa seule personne ». — « Vray est, ajoute le juriscon-
sulte nivernais, que selon Tancien établissement il a des
conseillers, les uns nez, les autres faits, sans Vassistance
desquels il ne doit rien faire; puisqu'on sa personne il
reconnaît toutes les infirmitez qu'ont les autres hommes.
Les conseillers nez sont les princes de son sang, et les
pairs de France, tant laïs qu'ecclésiastiques. »
Cette assistance était, à l'époque que nous étudions,
d'une tout autre nature qu'aux temps modernes, et l'on
n'aurait pu dire à un prince du sang, héritier présomptif
du trône, ce qu'un ministre de Louis XVIII disait au
comte d'Artois : « Le trône n'est pas une banquette, mais
un fauteuil oii il n'y a place que pour une personne. »
La souveraineté ne se trouvait pas concentrée encore
en la personne du roi. A des degrés divers, deux ordres
de personnes y participaient : la famille du roi et la pairie
princière.
Sous les Carolingiens, la famille royale {gens, stirps ré-
gla) est revêtue dans son ensemble d'un caractère sacré.
^ Guy Coquille Institution au droit français^p, 1-2 (OEuv/es, Bor-
deaux 1703, T. II); reproduit (p. 2-3) dans le Livre préliminaire que
Dupin et Laboulaye ont placé en tête de leur édition des Institutes
coutumières de Loisel.
388 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
C'est en elle que résident et la préémineace dynastique
(carolingienne) et la prééminence ethnique (franque).
Partiellement au moins, cette dernière prééminence
se trouva acquise à la famille capétienne puisque les Ro-
bertiens étaient depuis un siècle en possession du ducatus
Francorum, Quant à l'autre, s'il est vrai que le caractère
sacré d'où elle dérivait ne passa pas de plein droit à la
dynastie nouvelle, il ne l'est pas moins qu'il se reconstitua
à son proQt par les légendes religieuses ou les généalogies
mythiques, et par le sacre répété des rois pris dans son
sein.
En tout cas, telle était la cohésion et l'unité du groupe-
ment familial, que l'idée môme d'un droit individuel ne
pouvait naître. Les droits acquis au roi l'étaient à sa famille.
Cest en son nom et comme son chef qu'il les exerçait. A
mesure donc que la couronne devint au xi* siècle un re-
gnumpropriiim^j se créait sur elle une propriété indivise
de la famille du roi.
Nous savons, d'autre part, que la féodalité, depuis le
compagnonnage primitif jusqu'à l'hommage lige do
X* siècle, n'a été qu'une extension du régime familial oa
lignager, et je montrerai ses chefs, les principes de la
Gaule, associés, en qualité de pairs, à la souveraineté
royale. En devenant féodale, la royauté voyait s'accroître
le nombre de ses parsonniers.
Ce n'est que par le mouvement en sens inverse qui
s'opéra plus tard, quand de féodale la royauté se trans-
forma en monarchie absolue, que la famille et la pairie, —
reine, princes du sang et pairs de France, — n'eurent plus
* C'est par ce terme que le biographe de Grégoire VII, Paul de
Bernried, caractérise eu Allemagne, les prétentions k rhéréditë de b
maison de Franconie, en contraste avec Télection de Rodolphe de
Rheinfelden : « (jui (Rudolphus) utique regnum non ut projmtm,
sed pro dispositione sibi creditum reputans, omne hereditarium jiu
in eo repudiavit, et vel filio suo se hoc adoptaturum fore penitus abne-
gavit » {Vita S. Gregoriiy c. 85. Migne, 148, 84).
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 389
un droit propre, que leur dignité ne fut plus qu'un reflet
de la dignité royale, leur rôle celui de simples conseillers,
que le roi, en un mol, comme put le dire Coquille, n'eut
plus de compagnon en sa majesté royale.
§ 1. — La famille du roi et la transmission
de la couronne.
L'importance extrême qu'avait la transmission régu-
lière de la couronne sous les premiers Capétiens, et la
précaution que les rois ont prise de l'opérer par anticipa-
tion, sont cause que les historiens ont mesuré trop parci-
monieusement à la famille du roi la part qui lui revenait
de droit dans l'exercice du pouvoir souverain. Toute l'at-
tention s'est portée sur l'héritier désigné et sacré. Seul ou
presque seul, il aurait été participant de la souveraineté,
et ce droit il ne l'aurait dû qu'à la désignation et au
sacre.
C'est, à mes yeux, confondre deux choses fort distinctes,
l'expectative du trône et la participation au pouvoir. C'est
en même temps isoler injustement le droit de l'héritier
désigné du droit familial, d'où il procède, enfin c'est en-
visager à un point de vue trop moderne la transmission
de la couronne, telle qu'elle s'opérait alors.
Partons de ce dernier sujet qui semble dominer tous les
autres.
I. Transmission de la couronne. — A parler rigou-
reusement, il n'existait ni sous les Carolingiens ni sous les
premiers Capétiens un droit de succession au trône pour
les membres les plus proches de la famille royale.
Sous les deux premières races, le droit de la famille royale
était double. Ses membres devaient être choisis, élus, de
préférence à tous autres; le roi ne pouvait être pris en
dehors d'eux que si tous étaient indignes ou incapables
de régner. Leur droit consistait en outre à participer au
gouvernement de celui d'entre eux qui portait la couronne.
390 LIVRE IV. — CHAPITRK V.
Le premier de ces droits fat transformé insensiblement
en UD droit de successioD, au proGt du fils, désigné d'an
commun accord par le souverain eu titre, les metnbres de
sa famille, et les proceres du royaume. Et ce résultat se
trouva acquis de plein droit, comme en vertu d'une dési-
gnation naturelle et tacite, au profit des descendants di-
rects des Carolingiens : 1** par une tradition de fait; 2*par
la tendance générale des grands à restreindre l'hérédité
des fonctions à la lignée directe. C'est ainsi que Charles
de Lorraine fut écarté du trône, comme ne descendant pas
du dernier roi*.
De ces deux raisons la seconde seule subsistait, dans sa
force, lors de l'avènement des Capétiens. La tradition pour
eux était à renouer. Leur situation se trouvait en grande
partie analogue à celle qu avaient eue, à Torée du x^ siècle,
les souverains allemands, quand, la lignée de Charlemagne
étant éteinte par la mort de Louis Penfant, Conrad puis la
dynastie saxonne furent appelés au trône. Le principe de
Télection prévalut d^abord, il se combina ensuite avec le
principe d'hérédité, et finit par lui céder le pas. Waitz
observe, avec pleine raison, que « le principe qui de toute
antiquité avait été organique pour la royauté germaine,
à savoir le droit de préférence des membres de la famille
royale, ne tarda pas à reprendre le dessus* ».
Dans de telles conditions, il y avait à craindre que l'élec-
tion restaurée s'exerçât au profit d'autres que les descen-
dants din^cts et qu'entre ces derniers les conopétitions
fussent plus vives. C'est pourquoi la désignation par le
souverain d'un de ses fils, choix effectué par lui d*accord
avec les grands, s'imposa aux premiers Capétiens.
* Suprà, p. 206.
' « Was von Allons her zum Wesea des Germanischen Kônig-
thums gehôrtc, die Hucksiclit auf das Gcschlecht, die Anerkennung
eines Redits, wolches zuerst und vor anderen die Mitglieder dièses
halten, bel der Wahl in Betracht gezogea zu werden,hat sich aisbald
geltend gemacht » [Verfassungsg. VI, (2« éd., 1896), p. 163.
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTE ROYALE ». 391
Ea outre, il convient de ne pas oublier que le droit de
!a famille capétienne n'était, au début, que conditionnel,
qu'il dépendait de la réitération du sacre*.
La valeur de la désignation, suivie du sacre, était donc
très grande pour les successeurs de Hugues Capet. Si
Philippe I", par exemple, n'avait pas été désigné par son
père et sacré dès l'âge de sept ans, la couronne aurait pu
être déférée par les grands à un autre membre de la famille
royale, notamment à son oncle par alliance Baudoin de
Flandre ^ puisque lui-même se trouvait, par son bas âge,
incapable de régner. Même une fois désigné et sacré, il
fallut que, de concert avec les proceres ^, son père lui don-
nât Baudoin pour tuteur. Avec la reine-mère, il devait
compléter la personne royale et rendre valide la désigna-
tion jusqu'à ce que le jeune roi eût atteint l'âge de gou-
verner\
Mais je voudrais montrer que la désignation, même suivie
du sacre, ne confère pas de droits actuels, que la partici-
pation effective au pouvoir royal n'en dérive pas et que, s'il
en a été différemment pour le successeur immédiat de
Hugues Capet, c'est que pour lui il y eut plus qu'une dé-
signation, il y eut une véritable intronisation en qualité de
second roi.
Quand Robert II fut sacré, le droit de la famille capé-
tienne n'était pas encore établi. Il était subordonné à l'élec-
tion et à la consécration par TÉglise, auxquelles Hugues
Capet devait la couronne; en outre l'existence d'un repré-
* Suprà, p. 239-40.
2 u Utpote justo heredi regni per uxorem » (Genealogia comitum
Flandr. H. F. Xï, 389 A).
^ « Isle Balduinus, ratione uxoris suœ, consensu et élections om-'
nium baronum Franciœ^ tutor juvenis régis Philippi, et totius regni
bajulus est effectus » (Chron. Sith. H. F. XI, 380 C).
* Baudoin put prendre en conséquence le titre de « Philippi régis
ejmque regni procurator et bajulus » (Diplôme de 1066 pour Saint-
Pierre de Lille, Miraeus Diplom. III, 691).
392 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
sentant légitime de la famille carolingienne y faisait échec.
Cela est si vrai qu'on voit dans certains de ses diplômes
Robert dater son règne de la captivité de Charles de Lor-
raine (29 mars 991 *). Mais sitôt qu'un droit propre se trouva
reconstitué au profit de la famille royale, il n'y eut plus
d'association proprement dite. Une désignation suffit, dont
l'objet principal était de régler l'ordre de succession entre
les fils du roi, d'assurer l'unité de la couronne en faveur de
l'un d'eux.
Hugues Capet, élu à Senlîs, sur la proposition d*Âdal-
héron de Reims, couronné là-même ou à. Noyon, en juin
ou juillet 987^, voulut, dès la fin de la même année, que
son fils Robert, âgé de dix-sept ans à peine, fût roi à
ses côtés. 11 prend conseil des grands, puis demande son
concours à Adalbéron, dont l'influence, appuyée sur le parti
allemand et soutenue par Gerbert, reste prépondérante'.
L'archevêque d'abord se dérobe; il répond qu'on ne peut
régulièrement créer (élire et sacrer) deux rois, coup sur
coup, la même année*. Mais Hugues Capet se rend auprès
de lui à Orléans et le décide. Robert est couronné par
Adalbéron*, dans la cathédrale de Sainte-Croix d*0rléans,
le jour de Noël (987).
* Pfisler, p. xLii.
* Voyez sur cette question de temps et de lieu, qui demeure
obscure, un article di; Julien Havet dans Revue Historique, t 45
(1891), p. 290 suiv.. et Lot, Les derniers Carolingiens, p,2{l, noie 4.
3 « Sese consultuui cum principibus contulit, et collato cum eis
consilio, Hemorum metropolitanum Aurelianis de promotione filii sut
Roberti en regniuii prius per legatos, post per sese convenit » (Richer,
IV, 12).
* « Non recle posse creari duos reges in eodem anno ■ {ibid,)n
* Et non par Hugues Capet, comme le porte la traduction erronée
de Guadet, que M. Lot a reproduite par mégarde (p. 217). Richer,
IV, 13 : « Metropolitanus... diclis regiis cessit... ejus fllium Rotber-
tum, Francis laudantibus, accepta purpura solempniter coronavii «^
Guadet traduit : « Hugues prit la pourpre (!) et il couronna soien*
nellement... Robert non fils' l) »
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 393
Par le choix de son père, Télection des grands et par le
sacre, Robert est créé roi, comme Hugues Capet Ta été
quelques mois auparavant. Il devient consors regni, co-
souverain. Richer el Raoul Glaber le laissent entendre*,
deux chroniqueurs et un diplôme de Hugues Capet le
disent en termes exprès 2. Dès 989, Robert émet seul des
diplômes où il prend le titre de roi', et plus tard il comp-
tera souvent les années de son règne de son association
au trône*.
Tout autre est la marche et la physionomie des événe-
ments pour les successeurs de Robert II. Son Gis Hugues
n'était âgé que de neuf ans quand il le choisit pour régner
après lui « ekgù regnare post se », * et qu'il demanda l'avis
des grands, au sujet de son sacre. On l'engage d'attendre
que le jeune prince ait atteint l'âge viril*. Robert passe outre
et fait couronner son fils à Compiègne par les évoques (9
juin 1017^). Ici la volonté du souverain paraît déjà pré-
pondérante, et il n'est plus question d'une association au
* « Gongregatis in Aureliana urbe regia quibasque Francorum ac
Burgondionum regni primoribus,... Robertum fîlium suum... adhuc
se superstite, regem constituit » (R. Glaber, II, 1, p. 26) (G. T).
' Fragm. de Chron, de Saint-Benoit-sur-Loire (H. F. X, 210 E). Le
texte a été ainsi rétabli par Julien Havet (l. c), d'après le MS
latin 6190 : « Is Rotbertum filium suum sibi consortem legit regni.
Ipse vero per decem annos continues potitus est cum eodem Rotberto
filio ». — Miracles rfe Saint-Benoit (Aimoin, éd. de Gerlain, p. 127 :
« Is, eodem anno, Rotbertum filium sibi consortem regni legît. » —
Diplôme de Hugues Capet, 20 juin 988 (989) (Tardif, Mon. histor,^
n® 237) : « filii nostri Rotberti régis ac consortis regni nostri ».
' Pfîster, p. Lxii (Catalogue des Diplômes de Robert, n<* 1).
* Pfisler, p. XLU.
* « Providus de regni siiccessu, elegit regnare post se illorum pri-
mogenitum Hugonem nomine, puerum adhuc, clarissimae indolis illus-
trem ». (R. Glaber III, 32, p. 81).
* « Sine puerum, rex, si placet, crescendo procedere in viriles an-
nos » (ibid),
■^ « Regio in Gompendio, adscitis regni primoribus, coronam, ut
decreverat, ex more a pontificibus puero fecit inponi ». (Ibid,).
394 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
trône, dont l'ûge même de Hugues exclut l'idée*. Hugues
meurt en 1025, et presque aussitôt son père le remplace,
comme héritier désigné, par son second Bis, Henri (né en
i007 ou 1008). L'avis des grands a, celte fois, une importance
spéciale %4Duisque le roi et la reine ne sont pas d*accord.
Constance donne la préférence au troisième fils, Robert, qui
serait, suivant elle, plus apte à régner*. N'est-ce pas dire
que Tavenir seul est en cause, puisque ce préféré n'a pas
quinze ans? Du reste, c'est de nouveau la volonté du roi
qui remporte. 11 fait sacrer à Reims le jeune Henri, — pour
lui succéder sur le trône*.
Nous avons déjà dit que Philippe (né en 1052) fut dès
l'âge de sept ans, désigné par son père et sacré (23 mai
1029). Quant à Louis VI il a dû être désigné entre l'âge
de dix-sept et Tâge de dix-neuf ans, de 1098 à 1100', et il
ne fut pas sacré du vivant de son père.
Voyons maintenant de plus près les formes et les effets
des désignations que nous venons de passer en revue.
^ Les paroles que llelgaud met dans la bouche de Robert implique-
raient, telles qu'elles onl été traduites par M. Pflster(p. 72), une as-
sociation au trône : « Vois, mon fils, souviens-toi toujours de Dieu
qui te fait imrticiper aujourd'hui à mon royaume ». Mais M. Pfister,
dont Texactitude est d'ordinaire si scrupuleuse, a commis une inad*
vertance. Le texte de lielgaud porte : « Vide fîli, semper sis memor
Dei, qui te hodie participera sui fecit Regni » (H. F. X, 106, B. C).
C'est donc du roijanme de Dieu qu'il s'agit. L'allusion, toute religieuse,
vise la cérémonie qui vient de conférer un caractère sacré au futur
héritier du trône.
* Cf. la lettre de Guillaume d'Aquitaine à Fulbert de Chartres (H. F.
X, 485) et celle de llildegaire au môme (H. F. X, 504. Migne 141, 253).
3 « Dicens tertium ad reyiii modcramen prœstantiorem fore
filium » (H. Glaber, 111, 34, p. 84).
♦ « Coadunatis rei metropoli Remis regni primatibus, stabilivit
regni coronic Heinricum qucm deleyerat » (I6id.).
^ II. F. XI, 32. Ni la date de la naissance, ni celle de la désignation
n'ont pu être fixées. On peut hésiter pour la première entre les années
1077 et 1081, et pour la seconde entre 1098 et H00{Cf. Luchaire An-
nales de Louis VI, Appendices II et III, p. 285 suiv.)
LES «COMPAGNONS EN LA. MAJESTÉ ROYALE». 395
IL Le ROI DÉSIGNÉ. — Je remarque d'abord qu'il n'y a
pas lieu de distinguer entre le choix fait par le souverain
et la designatio faite avec le concours des grands. C'est
le choix précisément qui constitue la désignation. Il s'ef-
fectue, comme sont prises toutes les résolutions du souve-
rain, après conseil tenu*.
Je ne crois pas non plus que le couronnement et le sacre
confèrent au roi consacré plus de droits actuels que n'en
a le roi désigné. Ils sont un complément de la désigna-
tion, sa reconnaissance officielle, sa consécration.
Bien que le cérémonial du sacre dût être au fond le
même pour le roi désigné et pour le roi en titre, son effica-
cité était tout autre. Aussi le prince, sacré roi du vivant
de son père, s'empressait-il de se faire sacrer à nouveau
quand celui-ci mourait*.
Je mets en regard la cérémonie du sacre de Philippe I ,
comme roi désigné, et celle de Louis VI quand il prit pos-
session du trône ; la première d'après le procès-verbal qui
nous en a été conservé ^ la seconde d'après la description
de Suger*.
Le sacre de Philippe eut lieu le jour de la Pentecôte
dans la cathédrale de Reims et par le métropolitain. Le
jeune prince (âgé de 7 ans) lit la formule du serment, la
signe et la remet au prélat. Celui-ci, du consentement du
roi Henri, « anmiente pâtre ejus Henrico », l'élit alors roi,
« elegit eum {in) regem ». Le choix est approuvé, « honoris
€t amoris gratia », par deux légats du pape, ratifié par les
suffrages des archevêques de Sens et de Tours, de vingt
évêques (tous les évêques de la Francie, sauf ceux de Beau-
* Geoffroi Malalerra relate, en ces termes, la désignation de Louis
VI : (t Philippus, rex Francorum... filium nomine Ludovicum cui
etiam ab omnibus curialibus regnum post se habere designaverat »
{Hist. sicula, IV, 8. Migne 149, 1188-9).
* M. Luchaire le reconnaît, I, p. 69.
3 H. F. XI, 32.
* Vie de Louis le Gros, XIII, p. 39-40 (éd. Molinier).
3y6 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
vais, Thérouanne et Chartres, 1 de la province de Tours,
3 de la province de Lyon, 1 de la province de Bourges,
2 de la province de Bordeaux), 29 abbés, seize principes^
en tète desquels figurent le duc d'Aquitaine, le duc de
Bourgogne, représenté far son fils, les comtes de Flandre
et d'Anjou, représentés par des envoyés*; enfin il est
acclamé par les milites et le peuple qui s'écrient par trois
fois : « Nous Tapprouvons, nous le voulons, qu'il en soit
ainsi » ^. Cela fait, Tarchevêque procède à l'onction : « con-
secravit eum in regem ».
Le sacre do Louis VI s'accomplit à Orléans, le 3 août
1108, par les mains de l'archevêque de Sens, assisté seule-
ment de ses suffragants (moins encore l'évêque de Troyes*).
Le prélat administre l'onction, il ceint le roi d'un glaive
consacré, le couronne d'un diadème et l'investit du sceptre,
de la verge et des autres insignes royaux, avec Tappro-
balion du clergé et du peuple, approbante clero et populo.
II est impossible de savoir si les variantes que présen-
tent ces deux cérémonies tiennent seulement aux lacunes
de la rédaction, mais il semble néanmoins que Yinvestiture
ou Y intronisation soit plus complète dans le sacre du roi
définitif que dans celui du roi désigné. Par contre il lui
manque naturellement un élément prépondérant de l'au-
tre, la volonté actuelle d'un roi en fonction. Cette volonté
s'est manifestée d'avance, par la désignation, faite avec
le concours des grands, et c'est pourquoi, dans les deux
cérémonies, Vélection est de pure forme : « Celui-là, dira
I ves de Chartres, a été justement sacré roi à qui le royaume
revenait par droit héréditaire, et que l'accord unanime
* Viennent ensuites les comtes de Valois, Vermandois, Ponthieu,
Soissons, Clcrmont-en-Beauvaisis, Chùteau-Porcien, Réthel, Rouci,
puis les comtes d'Auvergne, de la Marche, d'Angoulôme, et le vicomte
de Limoges.
- «< Ter proclamantes : Laudamus volumus, fiât »>.
3 M. Luchaire y ajoute Tévêque de Senlis [Annales de Louii VI,
n»57,p. 30, 31).
LES « COMPAGNONS EN LA. MAJESTÉ ROYALE ». 397
des évêques et des grands avait longtemps à l'avance élu*.
Ainsi se vérifie en France, comme en Allemagne,
Texpression paradoxale dont un chroniqueur se sert pour
marquer l'avènement d'Olton I, désigné du vivant de son
père Henri : « Par droit héréditaire, le fils est élu pour
succéder au père » ^.
La forme définie, précisons les effets directs de la dé-
signation et du sacre de Thérilier présomptif.
Si j'entends bien Thistorien qui a le plus approfondi les
institutions capétiennes, M. Luchaire, désignation et sacre
étaient deux degrés successifs pour acquérir le droit
d'exercer le pouvoir royal'. Le roi sacré [consecratus,
sublimatus) acquérait ce droit plus complètement que le
roi simplement désigné {rex designatusy. Il devenait roi
associé^, il ne se distinguait plus du roi en titre que par le
surnom àe junior; bien plus il ne formait avec lui qu'un
seul souverain en deux personnes^ ,
* « Si enim rationem consulimus, jure in regem est consecratus, cui
jure hœreditario regnum competebat, et quem commuais consensus
episcoporiirn et procerumja/npndem elegerat » (Ep. rfe consecratione
Ludovici regifi, Migne 162, 193; H. F. XV, 144 B).
2 « Jure hereditario paternis eligitur succedere regnis » {Annal.
Quedlinb. ad an. 936, SS. III, 54).
3 (( L'héritier présomptif une fois choisi, on procédait à Tacte qui
le rendait capable, au moins en droit, d'exercer le pouvoir royal, soit
sous la forme delà designatio, soit par le sacre et le couronnement »
(Luchaire I, p. 65).
^Ibid,
* « L'héritier présomptif était officiellement désigné comme roi,
puis associé à la couronne » (I, p. 130).
6 Luchaire, I, p. 131. M. PQster (p. 142) exprime la môme idée en
termes identiques : « Au moment où il y a deux rois, le pouvoir royal
reste indivis... ce sont, en un mot, deux personnes formant un seul
Souverain ».
Une telle proposition ne pourrait se justifier que pour Robert II,
qui, lui, fut vraiment créé roi aux côtés de son père. La concep-
tion mystique d'une dualité royale, analogue à la trinité chré-
tienne, était à la fois trop subtile pour le peuple et trop contraire a\ix
398 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
Celte terminologie est étrangère au x* et au xi* siècle, et
l'idée qui lui sert de base n'est pas en harmonie avec les
sources. M. Luchaire le concède lui-môme quand il écrit
(l, p. 131) : « Il est fort difficile de déterminer la limite
qui séparait Taulorité du roi titulaire de celle du roi
associé... Tout dépendait des circonstances et de lavo-
lonté du roi régnant, »
S'il en est ainsi, peut-on parler d'un droit actuel con-
féré de piano par la désignation et le sacre? N'est-ce pas
précisément parce qu'une manifestation spéciale de la vo-
lonté du souverain est à la fois nécessaire et suffisante que
M. Luchaire a regardé Louis VI comme roi associé^ j bien
qu'il n'eût pas été sacré, lui a reconnu des pouvoirs beau-
coup plus étendus qu'aux héritiers présomptifs du xi* siè-
cle qui avaient en leur faveur et la désignation et le
sacre ^?
Et, en effet, où trouve-t-on soit dans le principe da
pouvoir royal, soit dans les faits historiques qui nous sont
connus^ indice ou trace que la désignation, même suivie
de sacre, emporte immédiatement ei de plein droit asso-
ciation au trône?
Alléguera-t-on la fidélité jurée à l'héritier présomptif par
les grands et les sujets ? mais elle lui est jurée de même avant
intérêts des grands pour être étendue à la désignation de rhéritîer
présomptif. Nul lexlo contemporain, à ma connaissance, n'y fait allu-
sion, et les évoques eux-mêmes la repoussaient (que ce filt par in-
térêt et calcul ou pour toute autre raison) puisqu'ils affirmuent,
au moment de la désignation du second fils de Robert, Henri, que
le père vivant ne pouvait s'adjoindre son fils comme roi (patre vî-
vento nullum regemsibi creari) (lettre d'Hildegairc, Migne 141, 253).
L'argument que M. Pfister emprunte à cet avis des évoques me pa-
raît donc se retourner contre sa thèse. Il est vrai qu'on passa outre,
mais c'est que l'objection dtfpassait le but. Elle empêchait que la
désignation fît un roi actuel^ elle ne s'opposait pas à ce qu'elle Qt un
roi futur,
* Annalea de Louis Vf, p. 289.
* Hist.des inst, mon,y I, p. 132 et suiv.
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 399
sa désignation et aux autres fils comme à lui* ; la circons-
tance qu'il intervient aux diplômes du roi régnant? elle
est également antérieure à la désignation et commune aux
autres enfants ^ Ce n'est que pour Robert, qui avait été
l'objet d'une association directe, d'une véritable intronisa-
tion, qu'on rencontre des diplômes où les deux rois par-
lent ensemble à la première personne et font figurer dans
la date Tavènement du second roi.
Le principe du pouvoir royal est, nous le savons, fami-
lial. De là peut dériver une participation de l'héritier dési-
gné au gouvernement du royaume, mais sa seule diffé-
rence avec le droit analogue des autres membres de la
famille tient au prestige que donne la perspective de ré-
gner. Sa participation est dominée, comme la leur, par
l'autorité du chef de famille, du roi. Elle lui est subordon-
née. La désignation ne saurait par elle-même modifier
celte situation j uridique. Qu'est-elle, en effet, sinon un règle-
ment de droit familial, une institution d'héritier agréée par
les grands du royaume? Une part au pouvoir, plus large
que celle des autres membres de la famille, ne peut être
acquise à l'héritier désigné que par une délégation spé-
ciale que le roi lui fait de son autorité, ainsi qu'il la peut
faire à un autre fils ou à un autre parent. Prise en soi, la
désignation ne confère donc qu'une expectative. L'auto-
rité effective de l'héritier désigné procède d'autres sources :
son droit familial et la volonté exprimée du souverain.
Le caractère que j'attribue soit à la désignation, soit à
la participation au gouvernement, se vérifie par les faits
historiques du xi° siècle. '
Le premier fils de Robert II, Hugues, quoique désigné
et sacré, est privé de tout droit et dénué de toute ressource :
t Cf. Lurhaire, T, p. 130, note 2.
^ Voy., par exemple, diplôme de Henri I*' (vers 1058, 12 juillet) (H.
F. XI, 600; Tardif, MonJdst.f n°275) : « annuentemeaconjuge Anna
et proie Philippo, Rotberto ac Hugone ». Philippe n'était pas désigné,
il avait six ans à peine, et ses frères étaient plus jeunes.
400 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
il ne pouvait disposer de rien {mandare) dans le royaume
pour lequel il avait été couronné*, il était quasi peregri^
nus etprofugus^, réduit pour vivre à s'associer uae bande
déjeunes gens et à piller avec eux les biens de ses parents*.
Ce n'est qu'à la sollicitation de Fulbert de Chartres que
Robert et sa femme Constance lui cèdent ou lui délèguent
des pouvoirs royaux : « jus ubique ac potestas regni »*.
Alors seulement il est « adsciius imperio », admis au pou-
voir; jusque-là il n'était que « regnis spectatus », appelé
à la couronne'*.
Les pouvoirs de Hugues ne passèrent pas i Henri, quand
il fut désigné roi à sa place, car nous le voyons à son tour
ravager les possessions de Robert II*, et finalement entrer
en lutte ouverte contre lui. Il eut pour allié son frère Ro-
bert, qui se plaignait lui aussi de n'avoir pas de part au
pouvoir. Les succès qu'ils remportèrent prouvent qu'ils
comptaient des partisans nombreux, et l'on est en droit de
conjecturer que par le traité de paix qu'ils conclurent
avec leur père, peu de temps avant sa mort, l'un et Fautre
furent admis au partage de l'autorité royale.
Il est inutile de parler de Philippe I, qui n'était qu'un
enfant quand son père mourut; mais pour Louis VI des
' « Cerncns se nil doininii rei peculiaris prêter victum et vestitum
ex regno, unde coronatus fuerat, posse mandare « (R. Glaber, Ilï,
32, p. 81).
- « Neque enim in domo vestra cum securitote vel charitate licel
ei manere, neque foris est ei unde vivat cum honore régi compétente...
dum ille quasi pcregrinus et profugus agit... » (Fulbert de Chartres à
Robert, 1025, Migne, 141, 217).
3 « Junctis secum aliquibus sua^ œtatis juvenibus, cepit infestarl
ac diripere ad libitum res genilorum ». (R. Glaber III, 33, p. 82).
* Tune demum ai) eisdem (genitoribus) largitur illi, ut optimum
deeebjil filium, jus ubique ac potestas regni » {ihid),
^ La distinction est faite dans un des vers que R. Glaber a coo-
sacrés a la mémoire du jeune Hugues : « Regnis spectatus, adscitus
imperio » (p. 83).
^ « Vi invadere vicos et castella sui patris ac circumquaque diripere
quœ puterant honorum ejus » ^R. Glaber III, 35, p. 84-).
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 401
faits analogues à ceux que nous venons de retracer se
reproduisent. Dès 1098, le jeune prince guerroie contre
Ouiilaume le Roux, et tout porte à croire qu'il est déjà
désigné ou reconnu comme héritier présomptif. Or Suger
parle de lui dans les mêmes termes que Raoul Glaber par-
lait de Hugues*. Quelques années plus tard, il n'en va pas
de même. Ce que les historiens ont pris pour une désigna-
tion ce qui, à mes yeux, est tout à la fois un avancement
d'hoirie et une délégation, s'efTectue. Louis VI, du consen-
tement des grands, est mis par son père en possession de
Pontoise, de Nantes, de toute Tautorité sur le Vexin, et
investi de Tadministration du royaume ^
Ce qui prouve encore, à mon sens, que les pouvoirs
dont disposa ainsi Louis étaient indépendants de la desi--
gnalio, c'est que le titre de rex designatus demeure secon-
daire. Le titre principal est celui de régis filius, ou regius
filius; celui de rex designatus n'est qu'une qualification
qui, fait significatif, devient de plus en plus rare à mesure
que l'autorité de Louis VI s'étend' et grandit. 11 s'efface
et devant le titre de généralissime {dux exercitusY et
devant le titre d'administrateur, de defemor regni^ que
Suger donne régulièrement à Louis*.
III. Les princes dd sang. — La part faite au roi désigné
dans le pouvoir royal n'est pas, nous venons de le voir,
* « Peculii expers, patri qui benefîtiis regni utebatur parcendo,
sola bone indolis induslria militiam cogebat » (Suger, Vie de Louis le
GroSf I, 1, éd. Molinier, p. 6).
* « Ludovico igitur filio suo consensu Francorum Pontisariam, et
Madantum, totumque comitatum Vilcassinum donavit, totiusque
regni curam, dum primo flore juventutis pubesceret, commisit. »
(Orderic Vital, VIII, 20, t. III, p. 390).
3 M. Luchaire n'en signale pas, dans les diplômes, d'exemple pos-
térieur à 1104, et il a reconnu [AnnaleSy no M) que la charte portant
le sigillum Ludovici designati régis (Mabillon, De re diplomat,,
p. 594) doit être de l'an liOO.
* Luchaire I, p. 134, note 3.
5i6iV/., p. 135, note \.
F. — Tome III. 26
402 LIVRB IV. — CHAPITRE V.
différente en son essence de celle qui revient aax aatres
enfants du souverain, ou même à ses collatéraux. L*avaD-
tage direct dont il jouit ne consiste que dans rexpectative
de la couronne ; elle ne procède pas d'un droit propre, mais
de la volonté du souverain et des grands. Ni au x*, ni
encore au xi* siècle, on ne saurait parler de droit de ma^
culinité et de droit d'aînesse. La raison est simple ; je rai.
indiquée par avance. Il n'existe pas de droit de successioD
proprement dit à la couronne, mais il s'opère uq choix, an
profit du plus apte, dans un cercle circonscrit de person-
nes : tous les membres d'abord de la famille royale, puis,
sous les Carolingiens, plus spéciedement les descendants
directs.
Si le fils aîné est préféré de fait, c'est comme le pins ca-
pable, par son âge, de régner; si la QUe est écartée, ce
n'est pas en vertu d'une incapacité légale, mais comme
inférieure à ses frères en force physique, eu aptitude sur-
tout au métier des armes. De sorte que rationnellement la
proximité des degrés aurait dû être primée par la valeur
individuelle. Et, en effet, elle le fut à l'époque mérovin-
gienne, quand les oncles l'emportaient sur leur neveu. Ce
n'est que par une lente tradition qu'un droit de préférence
se trouva acquis, sous les Carolingiens, aux descendants
directs, et put être reconstitué en leur faveur par les
premiers Capétiens.
Mettez à part le choix du chef de la famille royale —
question d'aptitude plus que de capacité légale — les divers
membres de cette famille vous apparaîtront tous sur la
même ligne, comme ayant droit au condominium familial :
filles et sœurs, frères, oncles ou cousins.
Les filles du roi sont appelées reines^ reginx^^ et elles
doivent être dotées sur le patrimoine royal*.
• Ducange, v° Regina, i.
'^ Ainsi, quand Robert II maria sa soeur iïadwige au comte de Hai-
naut, Régnier III, il lui donna en dot des villages sur la Meuse :
Gouvini Frasnes, Nismes, Eve, Bens : » Temporibus domini scilîeet
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 403
Les frères du roi ont le droit d'entrer en partage de
soa autorité et de son domaine. Leur droit est bien plus
étendu que celui qu'on leur reconnut plus tard sous le nom
A'apanages. Pasquier en a fait la remarque très sagace,
qui aurait dû préserver les historiens de Terreur où ils
tombent en parlant d'apanages au xi* siècle : « Au lieu
où premièrement tous enfans du Roy estoient recompensez
en royaumes pour leurs partages, et que depuis on leur
donnoit les grandes contrées par forme de duchez, avec
grandes prérogatives, et soy ressentans au plus prés de la
royauté, sous le nom de ducs; nos roys... commencèrent
de retrancher cette grandeur à leurs frères^ leur donnans
terres et seigneuries en apanage. Quoy faisans, il n'enten-
doient leur avoir rien donné en partage, fors le domaine
et le revenu annuel. S'estans au demeurant reservez toute
jurisdiction, ensemble toute souveraineté *... »
Si le rôle des fils non désignés paraît relativement effacé,
au cours des x* et xi* siècles, cela tient à cette circonstance
capitale que leur nombre fut exigu. Sous les quatre der-
niers Carolingiens, dans l'espace de près d'un siècle, je
ne trouve qu'un seul frère de roi, parvenu à Tàge adulte :
Charles de Lorraine. J'en rencontre au total trois sous les
Robertiens^ et quatre sous les Capétiens* du xi* siècle.
Roberti régis et matris ejus Adelaidis accidit, ut ipse dorainus rex
daret in matrimonio sororem suam Rainerio comiti Monlensiiina.
Causa igitur sororis dédit ipsi comiti quasdam villas S" Vincentii et
S'^ Germani super Mosarn positas, videlicet Cuvinum, Fraxinum,
Nimam, Evan, Bons, pro quarura coramutalione reddidit raonasterio
pra^d. Sctorum villam Cumbis » (Diplôme de Philippe \, 1061, Bouil-
iart, HisL de Saint-Germain-des-Prés^ Preuves, p. XXX; — Duvivier,
Recherches siir le Hainaul ancien,Br[ixe\\esiS(y^yP[ècQs iii^lxt,, p. M)),
* Pasquier, Les recherches de la France II, 18, Œuvres (Amster-
dam, 1723), I. c. 144.
'^ Robert frère d'Eudes, Boson et Hugues le noir frères de Raoul.
3 Abstraction faite d'Eudes, frère de Hugues Capet, mort dès 965.
Il reste Henri, frère de Hugues Capet ; Robert et Eudes, frères de
Henri î; Hugues le Grand, frère de Philippe I.
404 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
Malgré leur pelit nombre, les occasioDs ne leur man-
quèrent pasd*affirmer ou de revendiquer leur droit. Celui-
ci se révèle à nous sous une forme à laquelle ou ue me
semble pas avoir prêté une suffisante attention. Eudes, qui
n'a pas de flls, partage avec son frère Robert Tautorité qu'il
avait sur les Francs, en le reconnaissant pour dux Prcaicth
rum; Raoul, privé de fils également^ et dont le pouvoir
patrimonial est bourguignon, laisse le ducatus Prancartm
à son beau-frère Hugues le Grand, le ducatus Burgun-
dionum au mari de sa sœur^ Hugues Capet, au lieu de
transmettre à son Qls le ducatus Francorum^ dans lequel
il avait succédé à son père, le fait associer à la cou-
ronne, et abandonne le duché bourguignoa à son frère
Henri.
Et c'est de même que procédèrent ses successeurs : à
Tun des fils la designatio, à un autre ou au frère le duché
de Bourgogne.
Mais qu'advient-il des fils ou des frères qui ne sont
pas pourvus? Ils protestent, réclament leurs droits et se
soulèvent. Les Carolingiens s*étànt dessaisis du ducatus
Francorum au profit des Robertiens, et ne voulant
plus, avec raison, compromettre Tunité du royaume par des
partages, le conflit éclate entre Lothaireetson frère Charles,
dès que celui-ci atteint l'âge adulte*. En 978, il tente,
poussé par l'évêque de Metz, Thierry, son cousin, de
supplanter Lothaire*. Quand celui-ci sera mort, il se
plaindraà l'archevêque Adalbéron den'avoirpaseu sa part
* Voyez infrà^ le Principat,
- Il n'avait qu'un an à la mort de leur père.
^ Après la réconciliation de Charles de Lorraine avec son frère,
Thierry et lui se le reprochent mutuellement: « Dum fratri tuo nobili
Pranconmi regi Laudunum civitatem suam, inquam suam, aumquam
utiquo tuam, dolo malo subriperes, eumque regno fraudareB w (Thierry
à Charles, 984, Lettres de Gerhert^ éd. Havet, p. 26) — « CumLotha-
rium regem Francorum... regno pellebaS| meque regnare cogebas *
(Charles à Thierry, 984, IbicL, p. 30.
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE )). 405
légitime de royauté*, d'avoir été exclu du royaume*.
Un spectacle analogue s'offre à nous après la mort de
Robert II. Par exception trois fils survivent. Une guerre
civile éclate entre le roi désigné, Henri, et son puîné Ro-
bert. Elle se termine par l'attribution à Robert, malgré
sa défaite, du duché de Bourgogne. Le troisième fils, Eu-
des, se soulève à son tour, en s'alliantà la maison de Blois'.
Vaincu, emprisonné*, après sa sortie de captivité réduit
à une existence d'aventurier et de pillard*, le droit tradi-
tionnel parut si bien violé en sa personne que la légende
populaire, ce grand redresseur de torts, s'efforça de le ré-
tablir. Elle imagina à la forclusion d'Eudes un motif qui pût
la justifier : la faiblesse d'esprit*.
En résumé, le droit familial n'a reculé que très lente-
ment devant le droit individuel. Considérée du point de
vue juridique, la royauté du x* et xi* siècle réside moins
dans la personne du souverain que dans la famille dont il
est le chef.
IV. La REINE. — La conception germanique du ma-
riage, épurée et sanctifiée par l'idée chrétienne, faisait de
la femme une égale du mari, une associée, une compagne
dans toute la force du terme. Telle apparaît la femme dans
la société que nous étudions. L'association est si étroite,
le compagnonnage si parfait, que la communauté de biens
lui devra de naître, malgré la résistance de la copropriété
^ « Frater regnorum dominium totum possedit, nihilque mihi con-
cossit » (Richer IV, 9, t. II, p. 152).
- « A fratre de regno pulsus » (ïbidJ),
^ « Falsa spe regni » (Fragm. hist. Franc. H. F. XI, 160 B.).
* H. F. Ibid. — Miracles de saint Benoît^ VII, 2 (André de Fleury),
M. Certain, p. 250-251.
^ « Frater ipsorum (Henrici et Roberti) privatus degebat, nullius
dignitatis fasligio sublimatus, qui, quoniam non babebat propria, in-
hiabat subripere aliéna, rapinis et depraedationibus operam impen-
dens. » (Miracles de saint Benoît, VIII, 1 (Raoul Tortaire), p. 277).
* Voyez à ce sujet Luchaire II, p. 293 (Appcnd. I) — • Pfister, p. 84.
406 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
familiale, et de s'implanter un jour, avec uoe vigueur si
exubérante, dans nos coutumes nationales. S*il en est
ainsi, Tépouse du roi devenait l'associée du trône, la co-
partageante de la couronne. Tandis que le roi désigné
n*était roi qu'en expectative, la reine était pleinement
« compagne en la majesté royale ».
Les titres Tattestenl, les faits le prouvent.
Dans les diplômes, comme dans les monuments litté-
raires, la reine est qualifiée socia regni, regni consorsK
Si le roi est rex et dominus, elle est regina et domina^.
La reine est choisie, du consentement, du conseil des
grands ' ; elle est en quelque manière élue*. Comme le roi.
^ La constitution du douaire de Frederone par Charles le Simple
porte : « quamdam nobili prosapia puellam, nondne Frederunam..*
nobis nuptiali connubio sociavimus, regnique consartem statuimus »
(907. H. F. IX, 504 B). Hugues Capet, par la plume de Gerbert, écrit à
rimpératrice Théophane : « Sociam ac participent nostri regni A
(Adélaïde) decrevimus vobis occurrere » (Lettres de Gerb^, 988,
p. 109, éd. Havet) — Cf. Hariuif, Vita S. Amulfif chap. 17:
« exsors regni », « a totius regni consortio rejecta » (Mabillon, S. B.
VI, 2, p. 518-519). — Lettre de Tliierry de Metz (984) : « regni stri
consortem », en parlant d*Emma, fenmie de Lothaire (Lettres de Ger-
bert, p. 26). — A la même époque les reines et impératrices d'Alle-
magne sont qualifiées u regni consors », << imperii coMors ». (Voyez
les textes dans Waitz, VI, 2o éd. (1896), p. 261, note 2).
^ Guillaume de Malmesbury raconte qu'au concile de Clermont :
a ezcommunicavit dominus Papa Philippum regem Francorum, et
omnes qui eum vel regem vel dominum suum vocaverint, et ei obedie-
rint... similiter et illam maledictam conjugem ejus, et omnes qui
€am reginam vel dominam nominaverint » (H. F. XIII, p. 6 C).
* « Consensu fidelium^ Deo (ut credimus) coopérante, secandum
leges atque stututa priorum » (907, H. F., IX, 504B).— «Rotbertus
rex patri succedens, suorum consUio, Bertam duxit uxorem « (Richer,
IV, notes addit. II, p. 308) u fœdus illud quod de ipso coojugio ini-
tum est, consilio episcoporum et optimatum omniao cassabitur. »
(Lettres doives de CharU-es, H. F., XV, 149 B.).
* Cf. la formule du sacre en Allemagne : « quam supplie! devo-
tione in reginam eligimus » (Waitz, /. c, p. 260, note 7).
LES a COMPAGNONS EN L\ MAJESTE ROYALE ». 407
«lie est sacrée et couronnée*. Elle est reine* par la grâce
de Dieu^.
La participation de la reine aux affaires générales du
royaume se manifeste par son intervention dans les actes
les plus solennels', par les plaids où elle siège*, par les
négociations qu'elle conduit*, par le pouvoir coercitif
qu'elle exerce*, par la défense même des places fortes
qui lui sont confiées \
* Cest ainsi que Gerberge est sacrée par rarchevôquc de Reims
Artaud : « favente Hugone cunctisque regni principibus, Gerbergam
reginam benedixeram et sacro perfuderam chrismate » (Discours
d'Artaud. Flodoard, Hist. eccL Rem. IV, 35, Migne, 135, 306). Richer
dira en conséquence de Lothaire : « Gerbergam... conjugio duxit
eamque secum reginam in regnum coronavit » (II, 19, T. I, p. 152).
2 (( Ego Rolbertus gratia Dei Francorum rex, et Constantia divino
nutu regina » (1030, H. F. X, 621 B). Cf., au xii® siècle, un diplôme
d'Aliénor d'Aquitaine (1141) : « Ego Helienordis, Dei gratia humilis
Francorum regina, et Aquitanorum ducissa » [CartuL de Notre-Dame
de Saintes^ n^ 29. CartuL de la Saintonge, II, p. 36).
* M. Lot remarque qu'il « n'est presque pas de diplôme où Tinter-
vention d'Emma (femme de Lothaire) ne soit mentionnée » (Derniers
Carolingiens^ p. 54). Cf. au surplus Luchaire, I, p. 143 suiv. Giry,
Manuel de diplomatique^ p. 735 suiv.
* M. Luchaire (I, p. 145, note 6) cite comme exemple le jugement
rendu contre Bernard de Montmorency (1008). Mais la fausseté de
cet acte a été reconnue depuis lors (Prisier^ Catalogue, n°38). On peut
ciler notamment le procès de Saint-Germain des Prés contre Warin,
au sujet de la voirie d'Antony (1031) : « Nos et uxor nostra regina
Constantia uxorem Guarini... ante nostram praesentiam convocavimus
et illis prœsentibus et sub prœsentia multorum, hujus proclamationis
diffinitionem fecit « (Bouillart, Pièces just,^ p. xxiv). — « Suae pro-
clamationis causam judicio nostrorum deputavimus esse deliberan-
dam et discutiendam par consensum et consilium dilectissimae con-
jugis nostrae Constantia? » {Ibid,, p. xxv).
*^ J'en ai donné un exemple (p. 406, note 1).
* « lile Pontius (abbé de Saint-Médard de Soissons)... ducens se-
cum reginam Francorum, nomine Bertam, quae vi regia Geraldum
expelleret, et eumdem Pontium in praelationem sancti loci contra fas
subinferret »> (Vita S. Arnulfi, Mabillon S. B. VI, 2, p. 518).
^ Enrnia femme de Lothaire est chargée par lui de défendre Ver-
408 LnUE IV. — CHAPITRE V.
Ses attributions particulières sont surtout d'ordre éco-
nomique. Je dirais volontiers que depuis Tépoque fraugue
elle tient le ménage de la royauté*. Le trésor, nerfda
royaume, est, sous sa surveillance et son contrôle, admi-
nistré par le chambrier carolingien*. Les cambeUarii
reginae d'un diplôme de Philippe* pourraient bien être
des chambriers royaux placés sous les ordres de la reine.
Robert II rend un éclatant hommage à Thabileté de la
reine Constance dans la gestion des affaires qui ressorts-
sent d'elle *, et l'on voit plus tard Bertrade se mêler, plus
môme qu'il ne convient, d'opérations financières et de
maniement de deniers. Ives de Chartres lui reproche de
trafiquer des évêchés pour le compte du roi*.
dun : u rex ad urbom tuendam, reginam Emmam in ea reliquit >»
(Richer, III, 162, T. II, p. 126).
^ « De honcstate vero palatii seu specialiter ornamento regali necnon
et de donis annuis militum, nbsque cibo et potu vel equis,ad reginam
prœcipue el sub ipsa adcamcrarium pertinebaL.. De donis vero dÎTer-
sarum legationum ad camerarium aspiciebat, nisi forte jubente rege
taie aliquid esset, quod rcgino) ad tractandum cum ipso congrueret »
(Hincmar, De online palatii^ cap. 22. Capit. T. II, p. 525).
* Voyez le texte cité note préc(^dente et cf. cap. 27, De ordine palaJtiL
' Diplôme de 1093 pour Marmoutier (Martène, IlisU de Marmcutier^
p. 499, 500). Texte signalé par M. Luchaire, I, p. 145, note 2.
* « Conjugera meara Constantiara... mihi admodum dilectam et in
administratione rerum ad se pertinentium satis utilem et strenuam. »
J'estime avec M. Luchaire (I, p. 145, note 5) qu'il n'y a nulle raison
de restreindre ce texte aux biens personnels de Constance. L'ëpitbète
utilis ne s'y prête pas.
^ Il parle de marchands créanciers de la reine « negotialiores cre-
ditores illius dictœ reginae « qui attendent l'argent promis pour l'élec-
tion simoniaque de l'évéque d'Orléans, Jean II (H. F., XV, 101 B);
mais dans une autre lettre de la même année (1098) il nous montre
que le profit de la simonie allait au roi. Il y rapporte la répocse,
souvent citée, que Philippe aurait adressée à Baudri de Bourgueil, le
compétiteur de Jean : « Laissez-moi faire d'abord mon profit de cette
élection, faites-la ensuite casser, et ce sera votre tour » : « Susti-
nete intérim donec de isto faciam proficuum meum; postea quorite
ut iste deponatur, et tune faciam voluntatem vestram » {H. F., XV,
99 A).
LES « COMPAGNONS EN LA. MAJESTE ROYALE ». 409
Le trésor était alimenté en partie par les revenus des
biens propres de la Reine, soit de sa dot, soit de son
douaire. Et ces biens qui coniprenaient villes et villages%
parfois, comme pour Aliéner d'Aquitaine, une grande prin-
cipauté, renforçaient et consolidaient son autorité royale.
Ils contribuaient aussi à la prolonger après la mort du
roi : c'est à titre de douairière, de mère ou tutrice et de
membre de la famille royale, que la reine-mère continue à
participera Texercice du pouvoir. A la mort de Lothaire,
les grands prêtent serment de fidélité à sa veuve Emma,
en même temps qu'à son fils Louis*. Quoique Robert II
fût depuis longtemps majeur, et roi associé, quand son père
mourut, sa mère régna vraiment avec lui '. Anne de Russie
joue un rôle gouvernemental important après la mort
* Voyez l'acte de constitution de douaire au profit de Frederone
(907) : « Regio eam more propriis rébus disponentes ditare,... de nos-
trojureinjus et proprietatem seu dominationem illius transfundimus
et perpetualiter habendos delegamus » (H. F., IX, 504 C).
^ Lettre d'Emma à sa mère Adélaïde (mars 986) : « Noveritis
Francorum principes michi ac fîlio simul fidem sacramento firmasse »
{Lettres de Gerberty éd. Havet, p. 70). Plus lard, au milieu des
épreuves qui l'assaillirent, elle rappellera, avec mélancolie, le temps où,
reine de France, elle commandait à tant de milliers d'hommes :
« Ego illa Hemma, quondam Francorum regina, quœ lot millibus im-
peravi nunc nec vernaculos comités hÉd^eo... » (L,de Gerbert^p. 130).
3 Je ne me fonderai pas sur le diplôme de Robert pour saint Ma-
gloire dont la souscription porte : « régnante Rolberto rege adoles-
centulo, in anno II, cum gloriosa maire Adélaïde regina » (H. F.,
X, 574. Tardif, Mon, hist,^ p. 150) et qu'on avait jusqu'ici daté de
997. Gomme l'a remarqué M. Pfisler (Catalogue, n« 1) Robert, âgé
de 27 ans, n'aurait pu être appelé adolescentulus, et l'acte dès lors
doit être de 989. Mais l'intervention fréquente d'Adélaïde dans les
actes de Robert, et les témoignages de soumission filiale qu'il lui
prodigue sont des preuves suffisantes. Voyez notamment le diplôme
de Robert en faveur d'Argenteuil (28 mars 1003) : <« Precibus nostre
genetricis, scilicet Adhelaidis, reginaî insignis cui prorsus nichil de-
negare, verum omnimodis dévote inservire debemus » (H, F. X, 582
G CartuL de N.-D, de Paris, 1, n. 95, p. 95).
410 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
de Henri, et pendant la minorité de son Gis Philippe*;
quoique remariée, elle intervient encore dans les diplômes
royaux*.
L'autorilé directe dont la reine est investie ne peut que
difBcilement se distinguer de Tinfluence qu'elle exerce sur
son époux ou sur son fils. Celle-ci ne dépend pas seule-
ment de ses qualités personnelles, mais de son origine et
de sa parenté. L'action politique des reines a été profonde
et sur les destinées des maisons royales et sur les destinées
de la France.
Avec Gerberge, fille de Henri l'Oiseleur, sœur d'Ottonl*',
et Emma, fille d'un premier lit de l'impératrice Adélaïde,
s'introduisit à la cour de Louis d*Outremer, de Lothaire,
et de son fils Louis V, l'influence allemande, qui fut
tantôt favorable, tantôt funeste à la dynastie carolingienne.
Avec Adélaïde, fille de Guillaume d'Aquitaine, avec Cons-
tance surtout, fille de Guillaume d'Arles*, l'influence méri-
^ Confirmation par Philippe I*' et Anne d'un diplôme de Henri I«:
«< Post mortem autem Henrici régis, secundo anno regni sui. Phi-
lippus rex cum regina matre siia.., manu propria ûrmavit » (1062, H.
F. XI, 60 i A) — Contin. de Hermann Contractus : (c Henricus Gallla-
rum rcx obilt, et filius ejus adhuc puer regnum cum mafre gubeman»
dum suscepit » (H. F. XI, 22 B). Charte de i^évôque de Chartres
Agobert (i060) : c( Ob nostrœ... seu clericorum quorum concilie et
voluntate id fecimus, necnon etiam dominorum nostrorum piissimomm
regum Phillippi scilicet et matris ejus Agnetis animorum redemp-
tionem » (CarttiL Blésois, n. 36, p. 47).
^ Avant comme après la mort, en 1074, de son second mari Raoul
de Valois. M. Caix de Saint-Aymour a avancé par erreur {Anne de
Russie, Paris, 1800, p. 61) qu'elle avait cessé désormais de porter le
titre de reine. — Son mariage est de 1062 ou 1063, or deux diplômes
au moins, postérieurs k ces dates, portent le signum : Anna regina
{Recueil des chartes de Saint-Benoit, éd. Prou et Vîdier, n. 75,
p. i97f n, 77, p. 202). Une constatation analogue peut se faire au
XII'' siècle pour la veuve remariée de Louis VI (Diplôme de 1143.
Luchaire, I, p. 150, note 3).
'^ Grâce aux belles recherches de M. Pflster, nous voyons dair
enfîn dans cette généalogie jusque-là si obscure» et Thistoire du droit
public peut s*en féliciter. Le mariage de Robert II fut comme un
LES « COMPAONORS EN LA MAJESTE ROYALE ». 411
dioDale pénétra dans la France de Hagues Capet et de
Robert*.
Dans Tensemble, et sur les douze reines qui ont vraiment
occupé le trône de France, aux x* et xi' siècles % il s*en ren-
contre huit au moins qui ontjouid'une très grande influence
politique ou joué un grand rôle '. Plusieurs, telles que Ger-
berge, Constance, et Bertrade, tiennent même une place
prépondérante. On s'est demandé, il est vrai, si Bertrade
mérite dans Thistoire la qualité de reine légitime. A mes
yeux, la réponse n'est pas douteuse, dés que l'on interroge
les monuments à la lumière du droit*. L'Église elle-même
pont jeté entre la dynastie de Cbarlemagne et celle de Hugues Capet,
en même temps qu'il rapprocha du trône la maison d'Anjou.
La mère de Constance, Adélaïde, était fille du comte d*Anjou,
Foulque Je Bon, et elle avait été mariée en 982 avec Louis V, alors
roi désigné. C'est abandonnée par lui qu'elle se remaria avec Guil-
laume d'Arles dont elle eut pour fille Constance. Celle-ci était donc
presque de sang royal, puisque sa mère avait été jadis couronnée et
sacrée reine (Voyez Lot, Les derniers CaroL, p. 127, note 2) et, Tima-
gination populaire aidant, des légendes naquirent qui firent d'eOe la
propre fille de Louis V et Théritière du regnum Francorum^ apporté
par eUe en dot aux Capétiens (Voyez Pfister, Robert le Pieux^ p. 62
et suiv.).
* Voyez surtout le passage célèbre de Raoul Qlaber, III, 40, p. 89.
^ La femme dé Robert I, Béatrice de Vermandois, et la première
fenmie de Robert II, Rozala, veuve d'Amoul de Flandre, n*ont fiBdt
que passer sur le trône. Adélaïde, mère de Constance, n*a été que
reine désignée.
3 Emma, femme de Raoul; Gferberge, femme de Louis IV; Emma,
femme de Lotbaire; Adélaïde, femme de Hugues Capet; Berthe, femme
de Robert II; Constance, femme de Robert; Anne de Russie, femme
de Henri I"; Bertrade, femme de Philippe I*'.
^ La question mérite d'être élucidée à un double point de vue : l'ac-
cusation de bigamie et d'inceste, la décision finale de l'Église.
Non seulement les fauteurs contemporains de la papauté mais la
plupart des historiens postérieurs se sont étendus avec complaisance
sur l'odieux d'une union entachée de vices si multiples et si graves,
sans approfondir suffisamment leur réalité juridique (Voy. «tç^rd,
p. 309).
Philippe î" était marié, disent-ils, avec Berthe de Frise, Bertrade
412 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
finit par admettre, depuis 1104 au moins, la validité de son
mariage avec Philippe I"'.
avec Foulque le Rechin d'Anjou, la bigamie de pari et d*autre
(éclate donc aux yeux. Sans doute, mais pour autant que les deux
mariages antécédents étaient valables et duraient. Or la parenté de
F^hilippe avec Berthe de Frise ne paraît pas contestable (Blondel, De
formulœ régnante Christo usuj p. 28), et le mariage aurait par
suite dû être annulé par le pape. Et puis, Berthe mourut en 1094;
donc Philippe I" devenait libre. — Pour Tunion de Bertrade et de
Foulque, il y a mieux. Foulque avait épousé et abandonné successive-
ment, « comme de viles courtisanes » (Orderic Vital, JII, p. 386), Hilde-
garde de Beaugency et Ermengarde de Bourbon. Il n'y avait eu au-
cune annulation régulière du double lien matrimonial et les deux
femmes étaient encore en vie quand Foulque épousa Bertrade (Orderic
Vital, Illy p. 322) : « viventibus adhuc duabus uxoribus tertiam des-
ponsavit ». Ce mariage était donc entaché d'une nullité évidente. Ives
de Chartres ne blâme le roi que d'avoir renvoyé Berthe, sans forme
légale, inordinate. Il appelle Bertrade « prétendue épouse ou concubine
de Foulque » n dicta conjux comitis AndegavensU^ conjtusvel pellex »
(H. F. XV, 74 A, 79 C).
Restait donc seul debout l'empêchement pour parenté ou alliance.
Entre Bertrade et Philippe, nulle parenté; mais Philippe et Foulque
d'Anjou étaient parents au degré prohibé, et cette prohibition se
serait étendue de Foulque à sa fenmie Bertrade. Je reconnais qu'il
n'était pas nécessaire pour cela que le mariage de Foulque et de Ber-
trade fût valable, puisque rt7/tct^a copula suffisait pour créer une affi-
nité spéciale, faisant obstacle au mariage (Esmein, Le mariage en droit
canonique, Paris, 1891, I, p. 377-8). Mais observez à quel étrange
empêchement de mariage se ramène en dernière analyse ce qu'on i
flétri conmie une double bigamie et un inceste. De bigamie il n'y
en a plus après 1094, et avant cette date Philippe était de bonne
foi s'il croyait, comme il l'affirmait à Ives de Chartres, que son ma-
riage avec Berthe avait été annulé par une décision du pape et des
évêques : « Nuper cum a domino nostro rege fuissem invitatus ad
coUoquium... testatus est pleniter diffinitam esse (causam inter ipsum
et uxorem ejus) apostolica auctoritate, et vestra vestrorumque cœpis-
coporum laudatione » (H. F., XV, 73-74). Quant à l'inceste, il se
réduisait au fait d'épouser une femme qui avait vécu dans un com-
merce irrégulier avec un parent éloigné du roi!
* Après de nombreux conciles, des excommunications réitérées
suivies d'une tolérance évidente {suprà, p. 313-315), la majorité du
concile de Beaugency, en juillet 1104, fut d'avis de se contenter d'une
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 413
§ 2. — La pairie princière.
Au milieu du ix' siècle, Tautorité royale s'était trouvée
impuissante, dans les mains des descendants de Charle-
magne, à sauvegarder Tunité de la couronne et à assurer
la paix du royaume. L'Église s'efiForça de lui venir en aide
par le régime de la concorde ou de la fraternité. Pour
mettre fm aux luttes intestines des rois, aux spoliations des
grands, aux extorsions des fonctionnaires, aux violences
séparation de fait des époux jusqu'à dispense régulière et définitive
du pape. Une telle dispense, écrivait Ives de Chartes à Pascal II,
n'a jamais déplu aux gens sages « dispensationis autem modus nuUi
unquam sapientium displicuit » (H. F., XV, p. 129 C). Quelques mois
plus tard (!•' décembre 1104) Tabsolution est prononcée au concile
de Paris, moyennant serment des deux époux de cesser toute rela-
tion charnelle (carnalis et illicitœ copulas peccatum abjurare, H.
F., XV, 197 D). Ce serment excluait-il la vie commune et signifiait-il
que le mariage était annulé ? En nulle façon. Il équivalait à un vœu
de chasteté (consuetudinem carnalis et illicitœ copulœ, quam hacte-
nus cum Bertrada exercui, ullerius non exercebo) (H. F., XV,
197-198), et rabsolution accordée en échange était une dispense tacite.
Il importe en effet de ne point se laisser tromper aux mots. On n'a
cessé de parler du divorce (annulation de mariage) prononcé par le
concile de Paris. Il y a eu divorce ^ sans doute, mais divorce partiel,
ce que plus tard les canonistes appelèrent divortium quoad torum
et ce qui ne correspond. pas même à notre séparation de corps, puisque
la séparation des demeures [divortium quoad habitationem) n'en ré-
sultait pas (Cf. Esmein, op. ciY., p. 85-86, 88).
Cette interprétation que je donne de la décision du concile de Paris
est pleinement justifiée par les faits et par les actes ; non seulement la
vie commune n'a pas cessé entre Philippe I" et Bertrade, sans qu'aucun
reproche leur en ait été adressé (H. F., XVI, p. xcix-c), mais le pape
Calixte II, en confirmant plus tard une charte de Fontevrault, s'est
basé sur la constitution de dot consentie par Philippe à Bertrade
(locum... ex dono predicti (Lodovici) régis et Bertreae, noverc» ejus,
de cujus dote erat, et ea quoe Philippus rex apud Turonem dederat ei
in dote » (15 septembre 1119), (U. Robert, Bullaire de Calixte II,
n° 61, I, p. 89). Puisque cette constitution de dot était valable, aux
yeux du pape, le mariage l'était également.
414 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
déchaînées de tous, elle voulut restaurer l'harnionie so-
ciale, fonderune ligue du bien public sur Tassise de la charité
et de lafrateruité chrétiennes. Que tous soient un en Christ*,
que tous, grands et petits, s'assistent en frères *. Ainsi l'or-
donne l'Église', ainsi l'exige le pacte que Dieu lui-même
a conclu avec les rois et qui leur garantit sa protection
s'ils observent la paix *.
La fraternité chrétienne renforça de la sorte le compa-
gnonnage germanique*, chefs et fidèles devinrent co-
Sdèles de Dieu*. En même temps, par l'affaiblissement da
pouvoir royal et les progrès de l'état anarchique, la pairie
passa au premier plan. Elle prévalut entre le chef et ses
fidèles, aussi bien qu'entre les fidèles d'un même chef. Elle
prévalut dans les rapports de la royauté avec les princes de
la Gaule.
Le régime de la concorde n'avait pu sauver TÉtat franc.
* « Volumus vos cerlos reddere denoslra conjunctione... Gonjungere
nos volumus ut unum simus in Christo et vos unum sitis nobiscum »
{Conv. Leodii habitus (854), Capit. II, p. 77).
2 Voy. les textes que j'ai cités T. I, p. 231 et suiv.
3 11 n'est pas douteux que le régime de la concorde ait été princi-
palement Tœuvre des (^vèques.
* Le chorévêque Audrade, dans le singulier traité qu'il a écrit vers
853, sous le titre de liber revelationam^ suppose que Dieu a fait un
pacte avec Charles le Chauve, Louis le Germanique et Louis II :« Ve-
niant igitur ante me et inibo fœdus cum eis quod non liceat ^^olari...
Et inter vos très pax perpétua in bis verbis et in hoc pacto maneat.
Et ob hoc quod mihi in hune modum servieritis, do tibi Karole, etc. »
(Duchesne, II, p. 391 A-B; Duru Bibl hist de VYonne,l, p. 251).
* « Ut sic simul conjuncti et nos fratres ad invicem et nos cumfide-
libus nostris et fidèles nostri nobiscum et omnes simul cum Dec nos
reconjungamus » [Conv. apud Marsn.^ II (851) c. 7, Capit. II, p. 73).
6 « Et si aliquis audierit quod pari suo, fideli nostro, nécessitas eve-
nerit... statim sit prœparatus, sicut Dei fidelis et noster, ad suum pa-
rera in noslra fidelitate adjuvandum » {Cap, Tusiac. (865) c. 1, II,
p. 330) — « Ut recordemini Dei et vestrœ christianitatis... et non vos
dissocietis ab unitate et unanimitate fîdelium Dei, sed acceleretis
prœsentialiter vos illi adunare et conjugere aliis Dei suisque fideli-
bus » {Missat. per Adalard. 856, c. 3, Capit. II, p. 284).
LES « COMPAGNONS BN LA MAJESTE ROYALE. » 415
Il dégénéra, selon l'expression de Richer, en un régime de
discorde universelle*. A défaut de l'unité de la couronne,
que les pactes familiaux furent impuissants à préserver,
le roi de la France occidentale dut cimenter par des traités
d'alliance, des fœdera^ Tautorité qu'il revendiquait sur
les chefs des grandes régions de la Gaule. Elle s'assi-
mila ainsi de plus en plus à l'ancienne suprématie de l'em-
pereur des Francs sur les rois en sous-ordre '.
Les principes Galliarum, dont le dux Francorum
tenait la tôle, devinrent les pairs du rex Francorum,
les pares Francorum ^ Le mot de pares leur convenait,
avec la multiplicité de ses acceptions : cocontractant*,
compagnon de guerre", seigneur*, parent'. N'étaient-
ils pas liés par un pacte exprès ou tacite à une fidélité ré-
* «Omnium concordia in 5wm?nam discordiam relapsa est » (Richer,
1,4).
* Suprày p. 171 suiv,
' L'expression se trouve dans la chronique de sainte Colombe, ad
an. 939 (Duru, I, p. 205) ; « Arma rebellionis Francorum pa^^es
contra Hludovicum regem sumentes ».
* Formule de recommandation {Form. Turonenses, n. 43, éd. Zeu-
mer, p. 158) : « Si un us ex nobis de his convenentiis se emutare
voluerit, solidos tantos pari suo componat, et ipsaconvenentia fîrma
permaneat >>. C'est une acception très fréquente : voyez le Gloss. de
Zeumer, p. 765.
* « Unusquisque episcopus... suos homines illuc transmiserit cum
guntfanonario, qui de suis paribus cum missis nostris rationem ha-
beat ». {Capit, Tusiac, 865, c. 13, II, p. 331).
« « Es vos Kallon a toi quarante père ».
(Ogier, V. 1389).
« ... de MonfriQ justise tos les pers ».
{Ibid., V. 2398 .
« À roi, a duc ou a pers ».
(Girard de Viane, p. 37).
■^ Partage d'une succession, Marculf, II, 14 : « inférât pare suo. »
— Formul. Bign. 19 : « Contra pare suo », (éd. Zeumer, p. 84).
— Constitution de dot : « Dum taliter apud pares vel parentibus nos-
tris utrisque partibus complacuit » {FormuL salicx^ 7, éd. Zeumer,
p. 271).
416 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
ciproque, égaux en puissance, parents par le sang ou alliés
par mariage, quasi-parents comme participants du souve-
rain pouvoir*?
A nul moment peut-être la pairie princière ne se profile
avec plus de netteté et de vigueur qu'à l'heure crépusca-
laire où la dynastie carolingienne va céder la place à une
dynastie nouvelle. Lothaire vient de mourir. Son fils,
Louis V, a été installé sur le trône par le duc des Francs et
les autres principes^. Dans le discours que Richer prête ao
jeune roi et qui, vrai ou fictif, est certainement un reflet
exact de l'état politique du royaume, c*est au duc seul
et à un très petit nombre « aliosque quam paucos ' )> qoe
Louis s'adresse : « Vous devez être pour moi, dit-il, — mon
père m'en a instruit — des alliés, des parents ou amis.
Dans l'accord de nos volontés réside le gouvernement du
royaume *. »
Le théoricien de la royauté capétienne naissante ne tient
pas un autre langage : « Le roi, dit Abbon, ne peut
gouverner qu'avec le concours et l'accord des évêques et
des grands du royaume, primores regni *. » « Ce serait
un abus du pouvoir royal, déclare Hugues Capet lui-même,
de ne pas faire dépendre la gestion des affaires publiques
* Loco affinium vel cognatorum (Voyez la note 4). — Ordo parenr
tum pour désigner l'assemblée des proceres regni (Poème d'Adalbëron,
V. 370, éd. Huckel).
'^ « Sepulto Lothario, Ludovicus filius a duce aiiisque principibus
in regnum subrogatur ». (Richer, IV, 1).
3 « Apud quem (ducem) aliosque quam paucos... sic conquestus
est » (Richer, IV, 2).
* « Paler meus... mihi prœcepit, ut vestro consilio, vestra dispot^
tioncy regni procurationem haberem; vos etiam hco affinium^ lo^
amicorum (toxte primitif : cognatorum), ducerem, nihilque prœcip^^
pneter vestram scientiam adorirer... In vobis enun meum consilii*^
animum, fortunas sitos esse voluit » (Richer, IV, 2).
5 w Gum régis ministerium sit totius regni penitus negotia dl^^^'
tere, ne quiJ in eis lateat injustitiœ ; quomodo ad tanta pot^"^
subsistere, nisi annuentibus episcopis et primoribus regni » (H* ^'
X, 627 EJ.
LBS « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 417
de la volonté des fidèles *. » Et, en effet, sitôt que par son
couronnement il est devenu le roi des « Gaulois, Bretons,
Normands, Aquitains, Goths, Espagnols », c'est, ap-
puyé sur les regnorum principes et avec eux, que Richer
nous le montre, réglant, ordonnant et disposant *.
L'égalité entre les princes de la Gaule et le roi des
Francs s'était accrue par Tavènement des Capétiens : telle
est la pari de vérité que recèle l'ancienne théorie d'une
révolution oligarchique. Jusque-là les princes de la Gaule,
tout en étant des pairs du roi, avaient été dominés par sa
double prééminence de chef de la famille carolingienne,
et de chef de la nation franque. Seule, cette dernière qua-
lité put être retenue par le duxFrancorum devenu roi des
Francs. Les autres chefs ethniques sont comme lui chefs
d'État, et comme lui, à ce titre, sacrés par TÉglise. Ce
n'est qu'à la longue que put se reconstituer une primauté
héréditaire de la famille capétienne.
La pairie ne repose pas seulement sur un principe
d'égalité, elle comporte aussi un lien d'association ou
de fidélité mutuelle. Le premier devait, en s'exagérant,
emporter l'autre. L'égalité de puissance et de rang poussée
à l'extrême conduisait à l'indépendance, par la rupture
du lien de fidélité, ou tout au moins relâchait à tel point
ce lien que la hiérarchie faisait place à la rivalité poli-
tique ^ La pairie princière cessa alors d'être une insti-
tution politique fixe et régulière pour n'être plus, au point
* « Regali potentia in nullo abuti volentes, omnia negotia rei
publicœ in consultatione et sententia fîdelium nostrorum dispo-
nimus » (Lettre de Gerbert ex persona régis (987) éd. Havet,
p. 98).
* « Stipatus itaque regnorum principibus, moreregio décréta fecit,
legesque condidit, felici successu omnia ordinans, atque distribuens »
(Richer, IV, 12).
^' « Cam regnorum principes nimia rerum cupidine sese praîire
contenderenl, quisque ut poterat rem dilatabat : nemo régis provec-
tum, nemo regni tutelam quaerebat ; aliéna adquirere summum
cuique erat » (Richer, I, 4).
F. —Tome III. 27
418 LIVRE IV. — CHAPITRB V.
de vue royal, qu'un état précaire et instable, dépendant
de circonstances de fait ou de traités particuliers. Par
la' fidélité qu'ils devaient au roi, les principes de la Gaule
étaient tenus de se rendre à sa cour pour traiter des affaires
publiques et vider les litiges : désormais c'est pour eux
moins un devoir qu'un droit. Le roi ne peut les y astrein-
dre ; il ne peut compter vraiment, pour recruter sa cour et
l'aider à gouverner, que sur ses vassaux propres ou sur
ceux d'entre les principes qui se trouvent vis-à-vis de lui
dans une situation exceptionnelle. Nous verrons notam-
ment, du x' au XI* siècle, la France s'entourer d'une cein-
ture de seigneuries ecclésiastiques : Reims, Noyon et
Tournai, Laon, Beauvais, Châlons, auxquels on peut ad-
joindre Amiens oùl'évôque était au moins copartageant du
comtat. Leurs chefs, à la différence des vassaux, ne de-
vaient pas l'hommage ; à la différence des évèques ordi-
naires, ils commandaient en qualité de comtes. La royauté
leur réservait une place permanente dans son palais. L'ar-
chevêque de Reims était grand chancelier {summus can-
cellarius)\ Tévêque d'Amiens est appelé palatintis par
Richer *, et le titre de comte palatin est donné encore au
xiu' siècle à l'évêque de Noyon '.
11 y avait pour le roi un intérêt non moins manifeste
à resserrer le lien souvent fort lâche qui unissait à la cou-
ronne les chefs de régions frontières, tels que les comtes
de Toulouse, de Flandre, de Champagne. J'estime que
c'est pour continuer à en faire, théoriquement au moins,
des représentants du roi et essayer de les retenir dans la
dépendance de la Francie que nous les voyons revêtus
d'une façon si régulière de la dignité de comte du palais.
Si cette dignité ne saurait être regardée, à mon sens,
» Voy. infrà, chap. VI, § I, V.
^ (c Ambianensium episcopus, Deroldus, ... vir spectabilis ac pala-
tinus, et quondam et régi admodum dilectus » (Richer, II, 59).
3 Mathieu Paris, ad. an. 12i9 : « cornes palatinus et unus de X[I
paribus Francitc •>.
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTE ROYALE ». 419
comme une source de la « pairie de France » des temps
postérieurs, il ne me paraît pas moins certain qu'elle a
consolidé et coordonné les rapports de la royauté avec la
pairie princière, d'où finalement, nous allons le voir, la
cour des pairs a pris sa source.
§ 3. — Le problème de T origine des pairs de France.
La question de l'origine des pairs de France, a écrit
M. Luchaire \ est une des plus obscures et des plus difficiles
à résoudre que présente l'histoire des Capétiens? Obscu-
rité et difficulté ne tiendraient-elles pa^à la divergence des
angles sous lesquels le problème a été envisagé?
Demandez-vous quand et dans quelles circonstances on
voit apparaître les pairs du roi, la réponse est claire, nous
sommes reportés en arrière jusqu'au début de la monar-
chie. Sous la première race, non seulement les parents du
roi étaient ses pairs^ mais tous les Francs pouvaient passer
pour tels, par cela seul qu'ils étaient ses fidèles *. Sous les
* Luchaire, I, p. 305-6.
' Cest le point de vue historique où se sont placés les commissaires
nommés en 1764(3 mars) parle Parlement de Paris, pour rechercher
l'origine et Tessence des droits de la pairie : « La pairie, disent-ils,
est un droit politique inhérent à la constitution de la monarchie né
avec elle,,. Ce droit national et commun autrefois à tous les Francs,
aujourd'hui spécialement affecté aux princes en vertu de leur naissance,
aux pairs en vertu de Toffice que le souverain leur a conféré et de la
glèbe qu'il leur a inféodée, leur impose l'obligation de conseiller le
roi, etc. » — Je ne crois pas que ce « résultat du travail des commissai-
res » ail été publié. Je le cite d'après un MS du xvni* siècle, de ma
bibliothèque. Il a été, le 29 mai 1764, approuvé par le Parlement qui,
toutes chambres assemblées, les princes et les pairs y séant, a décidé
que « conformément aux principes et aux faits rassemblés dans led.
Résultat... lad. Cour continuera de garder... le principe lié à la consti-
tution fondamentale de l'Etat d'être lad. Cour essentiellement et uni-
quement la Cour des Pairs, et en conséquence de connoître seule et
exclusivement de tout ce qui concerne le droit de la Pairie, i'^tat,
l'honneur, la dignité et la personne des Pairs. >>
420 UVRE IV. — CHAPITRE V.
Carolingiens,, tous les historiens ont admis que la pairie
vassalique avait pris une place prépondérante et autour du
roi et autour des seigneurs.
Demandez-vous si dès la même époque une sélectionne
s'est pas faite parmi les pairs, les Gdèles? Rien n*est plus
certain encore. Le roi a sa cour particulière, ses domeslici,
chaque seigneur sa maisnie : à leur tète sont les pairs, les
compagnons par excellence, ceux dont, à Timage des douze
apôtres, et par des survivances mythiques, on fixe le nom-
bre à douze, non seulement pour Charlemagnè mais pour
de bien moindres personnages. De plus avons-nous vu à
quelle hauteur la pairie princière atteint au x* siècle.
Mais si vous voulez savoir quand et comment est née la
pairie de France^ le collège de six pairs laïques et de six
pairs ecclésiastiques, la réponse échappe. Au fond le pro-
blème se ramène donc à ces termes : à quelle époque et
pourquoi la pairie du roi s'est-elle concentrée^ restreinte^
en un nombre fixe de douze dignitaires ecclésiastiques et
laïques, et a-t-elle été attachée, incorporée à telles prin-
cipautés, seigneuries ou fonctions ?
Ce problème^ la plupart des historiens modernes ont re-
noncé à en chercher la solution dans une évolution insen-
sible, allant du roi Eudes à Philippe-Auguste. Ils n'ont pas
admis que la cour des pairs fût le résultat d'une transforma-
tion organique ; ils y ont vu de préférence une création arti-
ficielle des rois du xii* ou du xiii' siècle. Ils se sont conten-
tés dès lors de s'enquérir à quel moment précis, dans quelle
conjoncture, cette création a eu lieu, soit lors de la condam-
nation de Jean sans Terre*, soit avant, soit après. D'autres
pourtant ont eu le mérite de pousser leurs investigations
* Cette opinion, qui paraissait abandonnée et que M. Langlols {Les
origines du Parlement de Paris^ R. histor., t. 42 (1890), p. 85), appe-
lait l'ancienne doctrine, a été reprise par M. Guilhiermoz avec des
arguments plus nombreux que topiques (Les deux condamnations de
Jean sans Terre^ et l'origine des Pairs de France, Bibl. Ec. des CharteS|
1899, surtout p. 66 suiv.).
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 421
plus loin. Dora Brial avait essayé de le faire avec une cer-
taine ampleur . Tout récemment* un jeune érudit de grand
talent, M. de Manteyer, Ta tenté '. J'estime que c'est la vraie
' Recherches sur Vorigine de la pairie en France et rétablissement
des douze pairs, H. F. XVII, p. xiv suiv.
2 Vorigine des XII pairs de France (Études d'histoire du Moyen
âge dédiées à M, G. Monod, Paris 1896, p. 187-200) — M. Lot, dans
ses Quelques mots sur l'origine des Pairs de France (Revue histori-
que, t. 54, (1894), p. 34-57), s'est borné h déblayer le terrain; il n'a
pas conclu et semble s*être enfermé volontairement dans une im-
passe, puisqu'après avoir reconnu « qu'au Moyen âge toutes nos ins-
titutions se sont développées suivant un processus lent presque in-
sensible » (p. 34), il déclare ensuite : « Il ne saurait être question
d'une cour des pairs, d'une institution de pairie que lorsque dans les
textes nous rencontrerons le mot Franciœ joint au mot pair, ou que
nous verrons un groupe de seigneurs et de prélats séparé nettement
des autres par une qualification particulière. « Le critérium choisi a
été d'autant plus malheureux que M. Lot citait, comme premier do-
cument où la qualification de par Frandœ se rencontre, la lettre d'un
ancien prieur de Grandmontà Henri, roi d'Angleterre (1171) (H. F.,
XVI, 473) et que M. Luchaire a prouvé, séance tenante, (môme t. 54
de la Rev. historique, p. 382 suiv.) la fausseté notoire de ce docu-
ment.
M. Langlois, dans son excellent article sur les origines du Parle-
ment de Paris, a été plus conséquent. Il a conclu nettement que « la
curia parlamenti est née de la cuna régis par un processus très lent,
mais très intelligible, qui s'est continué sans secousse du xi« au xiv*
siècle » (p. 114), après s'être rallié à la distinction, que j'ai établie (Li-
vre II, chap. 8, 1. 1, p. 227 suiv.), des pairs en vassaux et en fidèles :
M Hugues, comme duc de France, avait des vassaux liés à sa fa-
mille par le serment d'hommage ; devenu roi il eut pour fidèles tous
les grands du royaume liés à la couronne par le serment de fidélité »
(p. 77) — « Tous ceux qui étaient liés à la couronne par la fidélité
simple et tous ceux qui lui étaient attachés par le lien féodal de l'hom-
mage étaient obligés juridiquement de comparaître à la cour du roi,
car la curia régis était composée, lors des grandes assises, des princi-
paux fidèles et des principaux vassaux de la couronne : chacun y
rencontrait des pairs » (p. 83. — Adde, p. 85, etc.) — M. Langlois
avait donc en mains les éléments de la solution, mais comme Tobjet
de son travail était l'origine du parlement, et que cette origine in-
contestablement ne se limite pas kla pairie prindère il n'a pas abordé
de front le problème de h pairie de France.
422 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
voie et que si elle n'a pas conduit directement au but, la
raison principale en a été de nouveau le préjugé féodal,
ridée que dès le xi*" siècle la féodalité était souveraine
maîtresse en France, qu'elle dominait l'organisation mo-
narchique.
Dora Brial a fort bien aperçu l'existence aux x* et xi'
siècles de la grande pairie {primates) et remarqué que le
nombre des souverainetés laïques s'élevait alors à six,
en dehors de laFrancie. Mais il a eu le tort de confondre
les grands vassaux et les grands fidèles, de faire des uns
et des autres des pairs de fief : « Barons, ducs, comtes,
et marquis, dit-il, quoique confondus dans la dénomination
générique de Primates ont rempli au sacre de nos rois,
comme un droit ou un devoir auquel ils étaient tenus à
raison de leurs fiefs^ des fonctions qui caractérisent la
Pairie* ». De là l'objection irréfutable de Beugnot. Est-il
admissible « qu'une institution purement féodale fût créée
en opposition aux principes les plus absolus de la féoda-
lité?^ », qu'elle portât une double atteinte aux droits des
vassaux directs de la couronne : l'exclusion d'aussi grands
vassaux que les comtes de Vermandois et d'Anjou, et la
préférence donnée à des dignitaires ecclésiastiques'.
M. de Manteyer a rais en parfaite lumière d'une part la
relation entre la pairie laïque (princière) et l'existence aux
X* et xi' siècles de six grands groupes ethniques, en dehors
de la Francie, trois duchés et trois comtés-palatins qui
* H. F. XVII, p. XIX.
* Les Olim, Préface, 1. 1, (1839), p. xliu.
3 « Si, pour entrer dans la cour des pairs, il suffisait d'être grand
vassal de la couronne ou de ne reconnaître d'autre seigneur suzerain
que le roi de France, pourquoi les ducs de Bourgogne, etc., y furent*
ils seuls admis, quand il est certain que d'autres seigneurs, tels que
les comtes de Vermandois, de Mâcon, du Perche et d'Anjou rele-
vaient comme eux inunédiatement de la couronne? En vertu de quel
droit introduisit-on dans cette cour, qui était une institution pure-
ment civile et féodale, un nombre égal d'ecclésiastiques ?» (I6ûi^
p. XLll-XLni).
LES (c COMPAGNONS EN LA MAJESTÉ ROYALE ». 423
équivalaient à des duchés* (le duché de Bourgogne, d'A-
quitaine, de Normandie et Bretagne, le comté de Flandre,
de Troyes-Vermandois, de Toulouse), d'autre part la rela-
tion entre la pairie ecclésiastique et Texistence des six
seigneuries ecclésiastiques formant marches-frontières.
Mais, lui aussi, il a eu le tort de ne voir dans la pairie
qu'une organisation féodale, dans les pairs que des feu-
dataires et il a été conduit ainsi jusqu'à prétendre qu'en de-
hors des pairs, le roi n'aurait eu de vassaux directs que
dans le courant des xi" et xii" siècles? C'est trancher le
nœud gordien en supprimant arbitrairement d'un trait de
plume la catégorie de vassaux que visait l'objection de
Beugnot. Cette objection reste donc debout. Elle ne peut
être écartée que si l'on distingue, comme je l'ai toujours
fait", entre la pairie ordinaire, vassalique (pairie de fief), et
la pairie des simples fidèles, à la tête desquels se placent à
la fois les princes de la Gaule et les seigneurs ecclésias-
tiques, qui ne doivent pas Thommage.
Jouissant du prestige de chefs d'État, et n'étant que de
grands fidèles, les pares Francorum prenaient rang aux
côtés des princes du sang, participaient comme eux à la
souveraineté. Les membres de la famille royale étaient des
pairs ou associés naturels, les pares du rex Francorum
élaient des confédérés, des chefs d'État alliés^ reconnais-
sant seulement la prééminence de l'un d'eux.
Tout en ne formant ni un corps politique ni un corps ju-
diciaire, ils prenaient part à la gestion des afiaires publi-
ques. Sans se confondre jamais dans les rangs des vas-
* Je diffère de sentiment avec M. de Manteyer au sujet de la dignité
de comte du palais. Il y voit un simple office de protection des Francs
isolés ou disséminés dans les marches frontières; j'y vois un moyen
de rattacher ces marches plus étroitement à la Couronne, en y éta-
blissant un représentant du rex Francorum. Mais c'est là en somme
un point secondaire. Dans les deux opinions, la dignité de palatin
rend plus effective la participation à la souveraineté royale, et c'est là
l'essentiel.
2 Voyez spécialement T. I, p. 248 et p. 252 suiv.
424 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
saux, ils assistaient le roi, s'ils le voulaient bien, dans
l'exercice du pouvoir judiciaire, qu'il s'agît de l'un d'eux,
ou môme d*un vassal, surtout quand ce dernier, à raison
de sa puissance, ne pouvait que difficilement être jugé par
des pairs de fief.
Ainsi s'explique, selon moi, la lettre si controversée
d'Eudes de Chartres au roi Robert (^023)*. Pas plus que
M. Pfister', je ne saurais y voir un simple arbitrage du
duc de Normandie, comme l'ont admis MM. d'Arbois de
JubainvilIe^ Luchaire* et récemment M. Lot'. Voici com-
ment je l'entends.
Richard II, duc de Normandie, a, comme fidèle du roi
{tuusfidelis), cité Eudes, son beau-frère, à an plaid royal :
« ad justitiam aut concordiam » : — expressions syno-
nymes, puisque tout jugement avait besoin d'être accepté
par les parties et constituait un accommodement, une
transaction \ Eudes, en réponse, remet au contraire
{vero) toute son affaire aux mains mêmes du duc de Nor-
mandie', c'est-à-dire s'en rapporte à la décision que rendra
un plaid présidé par Richard. Il fallait pour cela le consen-
tement du roi : il le donne, et Richard assigne Eudes à un
plaid {condictum placttum).S{ir ces entrefaites et quand le
terme fixé approche, le roi mande à Richard qu'il ne pourra
acquiescer à la sentence que si elle proclame l'indignité
d'Eudes à tenir aucun bénéfice de lui. Richard en prévient
» H. F. X, 501-502.
2 P. 241, noie 4.
3 I, p. 254.
* I, p. 305 (2e édit.,p. 315).
^ Loc, cit.
fi Suprà, p. 377. — Remarquez dans la suite de la lettre les expres-
sions a justificationem sive concordiam », synonymes de c tcUe
jiidicium î>, et à la fin « per domestioos tuos sive per manus princi-
pum reconciliari », où tous les historiens ont reconnu un jugement.
"^ « Misi causam hanc totam in manu ipsius » correspond à « acci-
pere justitiam per manus ipsius », formules toutes deux fréquentes à
cette époque.
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTE ROYALE ». 425
Eudes, et l'avertit de ne pas se rendre à l'assignation qu'il
lui a donnée. Il ne se reconnaît pas compétent, lui dit-il,
pour le soumettre à un tel jugement (littéralement : le faire
comparaître (exhibere) en vue d'un tel jugement) s'il n'est
pas assisté de ses pairs à lui, duc de Normandie, sine
conventu parium suorum.
La raison s'en laisse montrer. Le plaid auquel Eudes
avait été assigné était une audience du duc de Normandie,
entouré de ses conseillers habituels (rfom^s/ia et vassaux).
Or une telle assemblée était totalement incompétente pour
prononcer la commise, la conOscation des bénéfices qui
n'étaient pas tenus du duc de Normandie, mais du roi de
France*. Eudes était un vassal direct; il devait l'hommage
de service. La commise ne pouvait donc être prononcée
contre lui que soit dans une cour de vassaux ordinaires
que composaient, en règle, les domestici du roi, soit
dans un plaid où siégeraient les pairs même du roi, les
principes^ les majores pares. C'est ce dernier plaid que
Richard a en vue, puisque la letlre d'Eudes ne porte pas
« sine conventu parium meoritm » (les pairs d'Eudes), mais
bien « sine conventu parium suorum ». Et, en effet com-
ment Eudes conclut-il? Que le roi, quittant les voies de
l'arbitraire, le laisse juger soit par ses domestici soit par
les principes^.
Très nettement donc la pairie princière {pares princi-
patus) ' est opposée dans ce texte important du xi* siècle
« T. II, p. 543 suiv.
^ « Ut jam tandem a persecutione mea désistas, meque tibi sive
"pec domesikostuos, seuper manus jjrinctpMm reconciliari permittas.»
3 L'expression pares principatus se rencontre dans le Poème
d'Adalbéron dédié au roi Robert, où elle a eu l'honneur de ce vers
étrange :
« Princi — pares et qui si sunt et in ordine — patus » (v. 218).
que précède celui-ci :
« Inco — precor, mihi die, praesul, qui sunt ibi — latus »> (v. 217).
Il s'agit de la cité céleste, mais Adalbéron dira plus loin :
426 LIVRE IV. — CHAPITRE V.
à la cour ordinaire du palais (grands ofQciers de la coa-
ronne et conseillers).
La pairie princière ne devint vassalique {pairie de
fief) qu'une fois que la monarchie elle-même fut devenue
féodale. Alors, par une étrange interversion des rôles, les
princes mêmes du sang parurent ne tenir leur pairie que
du (ief qu'ils possédaient \ Alors aussi, il devint néces-
saire de distinguer, parmi les vassaux directs, les grands
vassaux de la couronne et les moindres vassaux. Les pre-
miers continuèrent l'ancienne pairie princière. Ils furent
considérés comme ses successeurs, comme les successeurs
aussi des douze pairs de Charlemagne. Ils furent constitués
progressivement en une cour régulière qui, on le voit, a
sa source directe aux x* et xi" siècles, mais n'en est sortie
que par une dérivation lointaine et oblique, changeant de
nature à mesure qu'elle s'en éloignait et s'infléchissait. La
pairie princière était une puissance politique autonome,
comme la famille royale; en devenant la cour des pairs de
« Distinctus disponitur ordo supernus
« Cujus ad exemplar terrenus fertur haberi » (v. 228-229).
M. Hiickel traduit : « Évêque, je te prie, réponds-moi : quels sont
ceux qui habitent cette cité? Les princes, s'il y en a, sont-ils égaux
entre eux, ou quelle eu est la hiérarchie? » — L'explication d'Adrien
de Valois (H. F. X. 84) serrait le texte de plus près : « Rex Adalbe-
ronem interro^at, qui Incolatus^ et qui Principattis pares sinlet
vocentur ». On pourrait, je crois, traduire les deux vers :
« De la population, dis-moi, évéque, quels sont les éléments,
Du principal quels sont les pairs et quel est leur rang ».
* Les commissaires du Parlement s'en indignaient en 1764 (mémoire
MS cité plus haut) : « L'empire de ce système de réalité devint si
puissant, disent-ils, que nos rois furent obligés de faire céder leurs
droits les plus sacrés et leur intérêt le plus cher; en sorte qu*on vit
un temps oiî Ton osait prétendre que les princes du sang ne dévoient
jouir du droit de la pairie qu'autant qu'ils possédoient des fiefs en
pairie et que dans ce cas môme ils ne dévoient prendre de rang
qu'à la date de l'érection de leur fief en pairie, et siéger au-dessous
de ceux à qui ils ne pouvoient jamais obéir et à qui ilsavoient un
droit éventuel de commander ».
LES « COMPAGNONS EN LA MAJESTE ROYALE ». 427
France elle dégénéra en une institution monarchique, en
un organe de la royauté féodale, et la famille royale avec
elle. Du passé ne survécurent que la tradition prestigieuse,
les cadres et les chiffres, qui, flottants d'abord et ap-
proximatifs, devinrent fixes et précis. La légende épique
transmettait les uns \ le groupement ethnique et la consti-
tution des seigneuries ecclésiastiques imposaient les au-
tres. Le développement concurrent de la féodalité et du
pouvoir royal firent le reste.
* La légende épique ne fournissait que le nombre douze. On a pu,
en effet, dresser, d'après les chansons de geste, jusqu'à seize listes
différentes des XII pairs de Charlemagne. Ces pairs en outre n'étaient
que des compagnons de choix, des electi.
L'importance du nombre douze peut se suivre, comme je l'ai mon-
tré (T. I, p. 254-5), depuis la loi salique, À travers les capitulaires,
jusqu'à la fin du xii^ siècle. Mais, aux x* et xi* siècles, il n'eut aucun
caractère obligatoire pour la composition des assemblées et plaids
royaux. Ce n'était ni un nombre fixe, ni un nombre minimum tel
qu'il le fut plus tard dans le droit féodal allemand. C'était un nombre
désirable, idéale un nombre parfait, suivant l'expression d'un con-
temporain, Raoul Ardent : « Duodenarius quippe numerus, dit-il,
perfectus est, unde et soldus sive solidus nuncupatur » {Homil, de
Sanctis, 8, Mignel55, 1518) — Il fallait une heureuse rencontre pour
qu'il se réalisât parfois dans la cour du roi. Je citerai, comme exem-
ple, le plaid tenu à Compiègne, en 1066, par Philippe I" et son tuteur
Baudoin de Flandre, où siégèrent six évoques et six seigneurs laï-
ques, avec la maisnie du roi, la familia régis, (Voyez le diplôme pu-
blié par Mabillon De re diplom., p. 585-6).
429
CHAPITRE VI
LES ORGANES ET LES MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ.
§ 1. — La cour du roi et les grands officiers
de la couronne.
L'obscurité qui plane sur les origines de la cour des pairs
de France tient en partie à Tignorance où nous sommes
du fonctionnement des assemblées ou des conseils qui en-
touraient et assistaient le roi. Nous nous voyons presque
réduits à glaner dans les souscriptions des diplômes royaux
pour chercher à connaître et la nature des délibérations,
et la composition des conseils, et les conditions de temps
et lieu où ils se réunissaient. J'estime pourtant qu'on n'a
pas prêté une attention suffisante à la tradition ancienne,
qui, au x* et même au xi^ siècle, a certainement survécu,
et qui n'a cédé qu'au xii' à une organisation plus stricte-
ment féodale.
Les assemblées que tenaient les Carolingiens du ix* siècle
nous sont bien connues par Hincmar*. Elles étaientde deux
sortes et très distinctes.
Les unes {conventus, placitum générale) formaient de
véritables assises nationales où de toutes les régions du
royaume accouraient clercs et laïques, seigneurs et fidèles;
les plus grands pour traiter des affaires publiques avec le
souverain, les seigneurs de moindre rang {minores senio-
rum) pour le renseigner et le conseiller sur l'état du
royaume, les simples hommes libres [inferiores persorue)
* De ordine palaiii, cap. 29-30, LL. (Capitul.) II, p. 527 suiv.
430 LIVRB IV. — CHAPITRE Yî.
pour participer à la promulgation réguliôre des lois et des
ordres royaux, tous pour apporter des donat obtenir jus-
tice, recevoir des largesses. Il va de soi que la foule das
hommes libres ne représentait qu'une firaction eziguS da
pays légal, tandis que la généralité des chefs {generalùas
universorum majorum^ tam clericorum quam laieartm^
devait être présente. Les principaux d'entre eux, prim
senatores regni, majores seniorum^ se partageaient en
deux cours {constitutœ curiœ)^ séant chacune eu soq
lieu réservé [susceptaculum) mais pouvant se réunir en
une cour unique, pour traiter d'affaires mixtes et com-
munes. Dans Tune siègent tous les évoques, les abbés, les
plus considérables des clercs {honorificaniiores) — c^est
le synodus — dans l'autre, les comtes et les autres prinr
cipes — c'est la cour laïque. Le roi se rend au milieu d*enX|
chaque fois qu'ils le désirent, car leur délibération porte
sur des propositions de lois ou règlements, capitula^ qu*il
leur a fait soumettre.
La deuxième espèce de plaid, plaid unique aussi dans
l'organisation décrite par Hincmar, se réunissait vers la fin
de Tannée {mox transacto anno)^ ce qui doit s'entendre de
l'exercice en cours, de Tannée civile, qui, depuis les Méro-
vingiens, commençait le 1'*'' mars. L'époque régulière de
la session était donc janvier et février^ tandis que le pldd
général, par une survivance des champs de mai, se tenait
de préférence en mai ou juin*. C'était un plaid restreint,
un grand conseil tenu par le roi avec des proceres de
choix ^ [cum senioribus tantum et praecipuis consiliarm\
comtes ou évèques, clercs ou laïques, pour instruire les
affaires, préparer les projets qui doivent être soumis au
plaid général et trancher les difficultés graves qui ne sonf-
^ Parmi les assemblées de Louis le Débonnaire dont Éginhard in-
dique la date Je n'en vois que deux en août (822, 829), une en octobre
(82<)), tandis que j'en trouve cinq de décembre à février (819-SS2|
828) et cinq en mai et juin (821, 823-826).
2 Electi consiliarii (cap. 31, p. 527).
ORGANES ET MOYENS D ACTION DE LA ROYAUTÉ. 431
freat pas de répit {majores causœ), puis régler les affaires
particulières des personoes qui dépendent du palais ou des
plaideurs qui viennent y apporter leurs causes [minores
caussSy palatinœ). Les principaux officiers du palais, l'apo-
crisaire (chapelain), le camérier faisaient de droit partie
de ce conseil. Les autres, suivant leur compétence*, y
étaient appelés par le roi.
En dehors de ces plaids et s'il se présente une affaire
d'importance et d'urgence pour laquelle le conseil ne peut
être convoqué à temps, les palatins la résolvent définiti-
vement aux lieu et place du conseil lui-même, ou provi-
soirement, en attendant sa réunion^.
Quelles traces retrouvons-nous aux x* et xi* siècles de
cette organisation ancienne? L'exercice annuel ne paraît
plus avoir été réglé à époque fixe, et les affaires se traitè-
rent davantage au jour le jour. Il n'en subsiste pas moins
une distinction essentielle entre les grandes assemblées,
les placita generalia, et les assemblées plus étroites. Les
premières se tinrent surtout aux trois grandes fêtes reli-
gieuses, Noël, Pflques et Pentecôte'; les autres à des épo-
* « Apocrisarius, id est capellanus... et camerarius semper intere-
rant... sed et de cseteris ministerialibus qui talem se ostendebat ut...
interesse jubebatur » (cap. 32) — Les principaux de ces ministeriales
sont le grand chancelier, le comte du palais, le sénéchal, le bouteiller,
le connétable, le mansionnier, quatre veneurs, un fauconnier (cap. 16-
17, Cbn. cap. 27).
=* Le texte est capital : « Si forte taie aJiquid extra aut infra regnum
oriretur aut insperatum et ideo non praerneditatum nunciaretur, rarius
tamen necesse esset, ut consilium altius tractaretur, et tamen tem-
pus aptum non esset, in quo praefati consiliarii convocarentur, ipsi
palatini per misericordiam Dei ex eorum assidua familiaritate tam in
publicis consiliis quamque ex domestica in hac parte allocutione, res-
ponsione et consultatione studium haberent, prout tune rei vel tem-
poris qualitas exigebat, aut consilium pleniter darcy quid fieretf aut
certe quomodo ad praofinita tempora cum consilio et absque de tri-
me nto res eadem expectari vel sustentari potuisset » (cap. 32, p. 528).
3 Peut-être l'assemblée de Pâques contribua-t-elle à faire adopter
cette fête pour commencement de l'année. Nous ne sommes nullement
432 LIVRE IV. — CHAPITRB VI.
ques variables, pouvant coïncider et coïncidant assez
souvent avec les premières. Par suite, en effet, de la mul-
tiplication des assemblées, générales et restreintes, il
n'existait plus entre elles ce partage symétrique d'attri-
butions que décrit Hincmar, encore bien que leur rôle
restât différent. Les affaires les plus hautes étaient décidées
dans les grands conventus^ les affaires moindres dans des
conventicules, colloques ou conseils {coiioçuia^ consiliajj
les affaires courantes expédiées par les grands officiers de
la couronne et les autres domestici du prince. Je discerne
ainsi trois espèces de cours royales : la cour plénière, la
cour restreinte et la cour du palais.
t. La cour plénière. — Qierchons à ressaisir, sous sa
forme vivante, le lien de filiation qui unit la cour plénière
des Capétiens à la cour solennelle des rois francs.
Éginhard, nous retraçant la vie de Charlemagne, dis-
tingue sans cesse le conventus generalis^ la grande assem-
blée annuelle', de la célébration des saintes fêtes de Noël
et de Pâques. Mais cette célébration n'en était pas moins,
à ses yeux, un événement politique, car il ne manque
presque jamais d'y insister. Le roi y paraissait dans tout
l'éclat de la majesté souveraine, en habits magnifiques, la
couronne étincelante au front*. Le peuple y accourait en
fixés, en eiîet, sur les usages qui avaient cours sous les premiers
Capétiens. D'après les travaux les plus récents, l'année, pour lachan-
ccllerie de Robert II, a dû commencer en mars (soit le 1", soit le 25
(Annonciation), ou à Pâques ; pour celle de Henri I" et de Philippe I*
on hésite entre mars et janvier ; mais au temps de Louis VI déjà il
est très probable, comme cela deviendra certain au xm* siècle, que le
commencement de Tannée officielle est Pâques.
• M Ut in Francia quotannis solebat, generalem conventum habeo*
dum censuit » (Eglnhorày Annales Fra7icori/w, ad an. 782, éd.Teulet,It
p. 182).
^ 0 Jn festivitatibus veste auro texta et calceamentis gemmatis, el
fibttla aurea sagum adstringente, diademate quoque ex auro et gea^
mis ornatus incedebat » (Éginhard, Vita Karo/i, 23, I, p. 76). — Cf.
Rcnaus de Montauban (p. 137) :
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYADTE. 433
foule, les grands entouraient le roi et lai faisaient cortège.
Nous savons déplus, par des écrits du ix* siècle, que dans
le conventus generalis le roi carolingien se revêtait éga-
lement de tous les insignes de la royauté*. Fêtes et assem-
blées étaient donc déjà des curiœ coronatœ^ comme on
appellera au xii* siècle les cours solennelles des Capétiens*.
Le plaid général, en perdant sa régularité, tendit à se
confondre avec les cours tenues aux trois grandes fêtes de
Noël, Pâques et Pentecôte, auxquelles TÉpiphanie surtout
{fête des rois) vint s'ajouter*. Il ne fut plus que par
exception convoqué en dehors d'elles. C'est ainsi que la
fausse chronique de Turpin^ qui date du début du xii* siè-
cle, put représenter Charlemagne comme tenant quatre
cours par an*, à Noël, Pâques, Pentecôte et à la fête de
« A une Pentecoste fu Charles a Paris
« Cel jor porta corone li roi poesteïs
<c Le grant anei el doi, en la caiere assis
« XX contes et v. dus et a Rembaut le Fris. »
* Gesta Dagoberti (ix« siècle), cap. 39 : « Convocatis filiis omnibus-
que totius regni primatibus... placitum générale instituit. Gumque,
ut Francorum regibus moris erat, super solium aureum coronatus
resideret, omnibus coram positis... » (SS. rer, merov. II, p. 416);
cap. 51 : « Convocatis pontificibus necnon et regni primoribus,
regio stemmate ex more comptus » {ibid,, p. 423). — Emoidus Nigel-
lus, De rébus gestis Ludov.^ v. 28Q : « Fertque (Carolus) coronalum
stemmate rite caput » (H. F., VI, 56).
* Ordonnance de Louis VI, accordant une commune à Laon (1128),
cap. 22 : u excepta curia coronata (régis) » (Ordonn, XI, 187).
* Il n'y a pas à faire état, puisqu'il est faux, du diplôme de Robert
pour Saint-Denis (1008, H. F. X, 593) qui porte : k< Solemnem cu-
riam, hoc est in natali Domini, in Theophania, et in Pascha, et in
Pentecoste »; — mais nous possédons un diplôme authentique de
Henri I^'fvers 1033) daté in curia Epiphanie (H. F. XI, 570 A) — Cf-
diplôme de Robert II (1007) : « Actum Silvanectis in Palalio Epi-
phania (H. F. X, 587 C).
*In quatuor solennitatibus per circulum anni prœcipue in Hispania
curiam suam tenens, coronam regiam et sceptrum gestabat, die sci-
licet natalis Domini, et die Paschae, et die Pentecostes, et die sancti
F. -Tome III. 28
434 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
saint Jacques de Corapostelle dont la glori6cation fut l'ob-
jet primitif de Touvrage*. Le cérémonial s'était en même
temps compliqué et fixé : il était devenu éminemment reli-
gieux. Le besoin qu'avaient les Capétiens de l'intervention
de rÉglise, pour légitimer par le sacre leur dynastie*, n'y
fut certes pas étranger. Aux grandes cours festivales la
liturgie prend une place prépondérante. Le roi entouré des
proceres se rend à TÉglise et là, dans un service solennel,
il est couronné par les mains du primat, du métropolitain
de la province, ou, à leur défaut, d'un évêque*.
Jacobi » {De vita Caroli magni, cap. 20, éd. Schard, Germ. rer.IV*
chronogr. Francfort,! 566, f** 8 v**). Le texte français publié par F. Wulff,
La chronique dite de Turpin (Lund, 1881) porte : « Si tenoil Ilfl
solempnitez de l'en cort pleniere, si portoit roial corone et ceptre le
jor de noël, le jor de pasque, le jor de pentecoste, le jor de monsei-
gnor Saint Jaque » (p. 24). — Cf. La chevalerie Ogier^ v. 8465-6 :
« Par la corone que j'alenl à porter
« A Pentecoste, à Paskes, à Noël. »
< G. Paris, La littcr, fr. au M. A., n° 34 (Paris, 1890).
2 Voyez suprà, p. 241 et 392. — Le couronnement et le sacre de
Hugues Capet sont attestés notamment par le contemporain Richer
(IV, 12) et par VHistoria Francorum Senonensis (Duchesne, ÏII, 353 A)
dont on place la rédaction peu après 1015, et qui n'est pas suspecte
de partialité pour le nouveau souverain. Peut-être néanmoins ne faut-
il pas rejeter d'une façon absolue, comme Pont fait MM. Luchaire
(I, 36) et Lot (p. 381), l'assertion de chroniqueurs du xii« siècle que
Hugues Capet n'a pas porté la couronne. Beaucoup plus prudent
qu'audacieux, prudent mémo jusqu'à la faiblesse, Hugues Capet, après
avoir été sacré, a pu s'abstenir de ceindre la couronne aux fêtes SO'
lennelles, pour ménager l'opinion, pour ne pas heurter de front le
sentiment public de la légitimité carolingienne. « Non diademale re-
gni usus », dit Guillaume Godel (H. F. X, 259 E), qui serait ainsi le
plus près de la vérité. — N'avons-nous pas vu Henri l'Oiseleur, qui
avait contre lui à la fois la légitimité carolingienne et la supréma-
tie franque, se contenter même du titre de roi, sans couronnement ni
sacre? (suprày p. 196).
3 « Tantœ vero dignitatis erat eadem abbatia (S. Joh. Bapt.) ut
quandocunque rex Francorum in diebus solemnibus Lauduni coro-
nandus esset, in ipsa prœcipue coronam auream portaret » (MiracUê
de Sainte-Marie de Laon, par Herrmann de Saint-Jean de Laon, HI,
ORGANES ET MOYENS D' ACTION DE LA ROYAUTÉ. 435
liCs Capétiens voyaient ainsi se renouveler, par plu-
sieurs fois, chaque année, la vertu efficace du sacre auquel
leur lignage empruntait son caractère quasi-divin. Nous
possédons quinze diplômes au moins qui ont été délivrés
par les quatre premiers Capétiens dans les cours solennel-
les*, tandis que, pour les trois derniers Carolingiens, je
n'en trouve qu'un seuP qui puisse y être rapporté avec
une pleine certitude ^
22 ; Migne, 156, 1004). — « Turonensis enim archiepiscopus... in natale
Domini, regi contru interdictum vestrum coronam imponens» (Ives de
Chartres, lettre 66; Migne, 162, 83; lettre 67 i6id.,87). — « Quidam
Belgicœ provincicc episcopi in Pentecosten... coronam ipsi régi impo-
suerint » (ibid., 105). — Cf. Orderic Vital IIJ, p. 389. — Le même usage
se constate à la cour des rois de Germanie et des rois normands
d'Angleterre : « Supervenit tandem dies Pentecostes. (1036) quœ
poscebat, inter missarum sollempnia pro consuetudine coronari re-
gem » (Conrad) {Gesta episc, Camer. III, 55; Migne, 149, 174). —
« Conqueretur rex cum omnibus episcopis et principibus suis, quia
cum illum coronare nolo, aufero ei coronae suœ honorem, quem ei
primas regni sui débet per consuetudinem » (Lettres de saint An-
selme, 111,90; Migne, 159, 128. — Cf. II, 26; Migne, 158, 1176).
Nos plus vieilles chansons de geste nous offrent des descriptions
fréquentes de ces cours solennelles :
« A Paris fut li rois à une Paske,
<c Cort tint pleniere mirabillose et large.
Messe canta li évcskes de Naples
Du mortier ist nostre einpereres Kalles
Tant ont aie qu'il vinrent en la sale.
La cors fut grans ens el palais de marbre,
Mult riceinent les fist servir rois Kalles. »
(Ogier yo 3482 suiv.).
* Quatre de Noël : Orléans, 1022, Laon, 1047, Laon, 1071, Tours,
1098; — trois de l'Epiphanie : Senlis, 1007, Thiers, 1017, Melun, v.
1033 ; — deux de Pâques : Orléans, 1001, Sens, 1071 ; — six delà
Pentecôte : Ghelles, 1008, Compiègne, 1017, Paris, 1043, Reims, 1059,
Paris, 1067.
2 Noël, 936, Compiègne.
^ Les chiffres que je donne ici et plus bas n'ont pas, bien entendu,
436 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
Ne nous représeatons pas la cour plénière comme une
assemblée. Elle est avant tout un concours de population
(convenius). Chefs et sujets, riches et pauvres, quéman-
deurs de justice, de grâces, de faveurs, ou quémandeurs
d'aumônes, mais aussi serviteurs venant remplir leurs
devoirs auprès du maître, alliés ou compagnons venant
orner, garnir la cour et resserrer les liens qui les unissent
au prince, accourent de toutes parts*. En dehors des
villes, des lentes sont dressées, un campement s'installe^
et telle est Taffluence que le pays en soùflfre conime
du passage d'une armée*. A Paris, où Helgaud nous ap-
prend que Robert a fréquemment tenu ses convenius ^^ ils
une rigueur mathématique. Les diplômes ne sont pas toujours datés
avec précision et, pour le x' siècle, les souscriptions qui peuvent per-
mettre de reconnaître la solennité de la cour font presque totalement
défaut.
* Voyez ces deux curieux passages de la Chronique de saint Riquier,
où Hariulf compare les cours solennelles deTabbayeà celles du roi:
« Hu-'c sunt nomina militum monasterio B^ Richarii famulantium...
(suivent 85 noms de milites) quïqiie consuetudinaliter, in die festiS*
R* et in nativilate Domini vel in ressurrectione seu in Pentecoste,
semper monaslerio aderant, accurate prout quisque poterat omûU^
et ex sua frequentia regalem pêne curiam nostram ecclesiam facien-
tes » (Hariuir, p. 97).
« Anliquitus servata est consuetudo ut in festo S* R» tota Ponli-
vorummllitia Centulam veniret, ei^ veluti patrix domino.», solemnem
curiam faciebant » (p. 189).
2 H. F. XI, 570, noie 6.
' « Est poteslas... monasterii in conspectu civitatis Aurelianœ...
quam potestatem... abbas diversis calumniis et oppressionibus nos-
tratium hominum soppè dicit gravari. Quam molestiam hac autboritate
ita prœcipimus inhiberi, ut nemo nostrorum hominum sit, qui, dun
conventus renias agimusy vel exercitum in hostem ducimus, in eadem
potestate aliquid molestiîB inferre prœsumat » (Diplôme de Robert
pour Saint-Mesmin, 14 avril 1001, H. F. X, 579 C).
^ <^ Palatium insigne, quod est Parisius, suo construxerantjussu ofB-
cialcs ejus... Nec immerito sane potest existimari, quod palatium illud
frequentl regio conventu sit honorandum » (Epit. Vitœ Roberti, H.
F. X, 103 A-B). — Une tradition antique paraît ressortir du texte
ORGANES ET MOYENS D ACTION DE LA ROYAUTÉ. 437
attirent des milliers de pauvres, avides de participer aux
libéralités du roi*.
Si la mu nifîcence exercée à ces assises périodiques était uq
des moyens les plus propres à rehausser le prestige de la
couronne et à entretenir le dévouement de ses sujets, elle
trouvait sa contre-partie dans les présents que les fidèles
de tout ordre venaient présenter au souverain '. L'assem-
blée solennelle devenait ainsi comme un régulateur de
Tétiage social. La générosité du don offert au roi témoi-
gnait du degré de fidélité, comme la largesse du don dis-
pensé par lui de l'étendue des services qui lui avaient été
rendus et de son exactitude à les récompenser. C'était pour
suivant, cité par M. Liichaire (I, p. 256) comme étant du xii© siècle :
« Inde venit urbem Parisius, quae est regni caput et sedes regia, ubi
soient reges antiqui conventiim prœlatorum et principum evocare ad
tractandum super statu Ecclesiœ et de regni negotiis ordinandum ».
En la forme, ce document est apocryphe. Les Gesta Ludovici VII,
d'où il est tiré (H. F. XII, 197), ne sont qu'une traduction, faite à la
dn du xnie siècle, des Chroniques de saint Denis^ et celles-ci un re-
maniement de ÏHistoria Ludovici VU, qui, dans cette partie, peut
être de Suger (Cf. A. Molinier, Introd, à Suger, p. 32-34). Dans le
passage original de VHistoria, la tradition n*est alléguée que pour le
séjour du roi et non pour la tenue des conventus : « Indèque Pari-
sius tanquam ad propriam remeans sedem (in ea enim, sicut in anti-
quis legitur gestis reges Francorum vitam degere consueverunt) de
regni administratione et ecclesiae defensione, pro œtate, pro tem-
pore, gloriose disponebat » (Duchesne, IV, 412 B. — Suger, éd. Moli-
nier, p. 147).
« H. F. X, 103, 109.
2 Voulons-nous saisir sur le vif cet échange de bons procédés, voici
une anecdocte dont la Chronique de saint Hubert fait honneur à Guil-
laume le Conquérant. Un chevalier vient à sa cour solennelle de Pâques,
porteur de riches présents. Il a tout donné et il ne lui reste plus de
quoi faire une modeste offrande sur l'autel. Le prince le voit et lui fait
remettre cent livres. Cette largesse est offerte tout entière en oblation
pieuse, par le chevalier, qui se retrouve aussi dénué qu'avant. Pour
le récompenser de sa double générosité, Guillaume lui restitue les
dons qu'il en avait reçus : « Quicquid pascalis muneris sibi eodem de-
latum est militi restituit » {Chron. S, Huberti Andagin., Migne, 154,
1361).
438 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
les iramunistes et les protégés, pour les abbés et les évo-
ques, une des principales occasions de s'acquitter des
dona auxquels ils étaient tenus*. C'était là que se distri-
buaient de préférence les bénéfices et les honneurs, méri-
tés par de longs et éclatants services ; c'était là que, selon
leur rang, chevaliers, écuyers et bacheliers, recevaient des
mains du sénéchal les riches étoffes et les palefrois, les
fourrures de vair ou de gris et les garnements^,
La cour solennelle continuait donc en quelque manière
l'assemblée militaire du champ de mars. L'ost royal s'y
recrutait, soldait et ordonnait. Son noyau central, sa che-
valerie était complétée et renforcée par des adoubements
nouveaux', sa masse flottante par l'enrôlement de nouveaux
combattants*.
L'assistance variait suivant l'intérêt des princes ou des
vassaux, suivant l'état de leurs relations avec le roi, sui-
vant aussi la proximité où ils se trouvaient du siège de
rassemblée. Cours solennelles et cours ordinaires se te-
naient, en efïet, dans des Heux fort divers. La royauté
continuait à êlre ambulatoire. Elle l'était pour vivre sur
le pays en usant des droits de gîte qu'elle avait tradition-
nellement acquis ou qu'elle stipulait à nouveau; elle
l'était pour garder un contact incessant et direct avec
ses fidèles ou ses sujets et les maintenir dans le devoir.
C'est aux cours solennelles convoquées près de leurs
frontières ou dans les limites mêmes de leur domina-
' Suprà, p. 270 suiv.
" Voyez les textes que j'ai cités, t. II, p. 464 suiv. Cf. déjà Hinc-
mar, De online palatii, c. 22 : « de donisannuis militum.,. ad re-
ginam pracipue et sub ipsa ad camerarium pertinebat ».
^ « Vcigne a la cort quand ele iert asenblée
Ch.iscuns aura et cheval vX esptfe
Se il tant fait qu'il viengne à l'asenblée
Chevaliers iert tantost, se lui agrée ».
(AspremoDt, p. 13, v. 29 soiv.).
* T. II, p. 409.
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 439
tion, que le roi réussissait le mieux à attirer les principes
de la Gaule, encore bien que des événements exception-
nels, tels que rinlronisation ou le renouvellement d'allian-
ces, pussent produire le même résultat. Il est notable, en
effet, qu'à l'inverse de ce qui se passe pour les cours ordi-
naires, les seigneurs de la région de Paris et d'Orléans
sont moins nombreux proportionnellement, dans les cours
solennelles des x' et xi* siècles, que les princes des autres
régions*.
Le convenius délibérait-il? évidemment non ; pas plus
que jadis les assemblées du champ de mars ou de mai. On
s'en servait pour des proclamations, des publications, des
confirmations d'actes royaux. Actum publiée est une for-
mule qui devient de style sous les premiers Capétiens,
alors qu'elle était rare sous les Carolingiens du x° siècle*.
Mais soit les délibérations sur les affaires de l'État, soit
les débats ou les discussions sur les litiges et les intérêts
privés s'agitaient dans des conventicules, analogues aux
curiœ constitiitce du temps d'Hincmar. Comme nous l'avons
vudans lesassemblées du sacre, le peuple, les minorer, sim-
ples fidèles ou vassaux inférieurs, se bornent à acclamer
ou à attester. Les évêques présents se forment en synodus^
* Sur vingt souscriptions de seigneurs laïques, présents à des cours
solennelles, je n'en trouve que huit de la région de Paris et d'Orléans,
tandis que j'en relève dans les cours ordinaires quarante-deux sur
soixante-onze (ni/rà, note).
* Dans les diplômes publiés par D. Bouquet, je ne l'ai notée que
deux fois pour les trois derniers Carolingiens, et plus de vingt fois
pour les trois premiers Capétiens.
' Diplôme de Robert II, daté de Chelles, 17 mai 1008 (Pt^ntecôte)
(H. F. X, 592 A) : « Auctoritate nostra et episcoporum nostrorum, qui
nobiscum in sancta SynodOy quœ XVI Kal. Junii, Kale sedis nostrae
palatio collecta resedit, firmaverunt... Manu propria cum episcopis
sanctœ Synodi nostras fîrmavimus, ac nomina episcoporum ejusdem
Synodi subter adscribi jussimus ». Treize prélats sont présents : Tar-
chevêque de Sens avec quatre de ses sufîragants (Chartres, Orléans,
Meaux, Troyes), l'archevêque de Tours, sept évêques de la province de
Reims (Soissons,Laon,Beauvais,Ch{ÎLlons, Amiens, Sentis, Térouanne).
410 LITRE IT. — CHAPITRE VI.
pour examiner les aflaires ecclésiasliqaes, les majaires
pares, les primores rejni. accrus des conseillers ordinaires
de la couronne et des principaux seigneurs de ]a régioaoù
se tient la cour plénière, donnent leur avis sur les ques-
tions de toute nature (liligieuses, administratives, politi-
ques) qui Icnr sont soumises par le roi. Ce sont là, à vrai
dire, deux cours distinctes, qui peuvent 5e rénoir en une
seule, et dont la décision est censée ratifiée par le conven-
tus. 'f Secundum curiae sentenliam et totins conveulos ceu-
suram >», dira un diplôme royal'.
Voulons-nous assister au fonctionnement de cette orga-
nisation, observons ce qui se fait à la cour soleunelle que
Robert II a réunie pour le sacre de son fils Henri. Le jour
même du sacre, avant la cérémonie, Tabbé de Montier-
en-Der présente au roi une plainte en restitution de biens
usurpés sur son abbaye par le chevalier Etienne de Join-
ville. Le roi la soumet au convenlus^, où se laissent discer-
ner, théoriquement au moins, deux assemblées : la « sancta
episcoporum conventio » et la « procerum amabiiis mul-
titiido »'. La même distinction se répète. La sentence
rendue par la double cour a été approuvée par le roi\
mais il a demandé que Texécution en fût remise au lende-
main. Ce jour-là il ordonne aux évoques, de concert avec
\qs principes présents, de fulminer Tanathème'. Le di-
plôme est ensuite souscrit par le roi, dix évoques (Laon,
Ch&Ions, Soissons, Amiens, Beauvais, Noyon, Troyes, Lan-
« 1031, !I. F. X, 623 C.
^ « Ostendlmus eam fidelium nostrorum clarissimœ congregationi^
sciliccl archiepiscoporum, episcoporum, abbatum, monachorum, cle-
ricorum, comilum, ceterorumque multorum qui ad benedictionem
meœ prolis Heinrici, futuram in die sancto Pentecosten convenerant »
(1027, II. F. X,6I4A).
^ « Episcoporum sancla conventio et procerum meorum amabiiis
multitudo... petitlonem judicantessuscipere... decrevere » {ibidJ).
* " Quorum decrelo libenler assensum pnebentes ».
^ a Jussimus catervœ episcoporum, cum laude, qui in prassentia
adorant, principium ut... ».
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 441
gres, Chalon), trois abbés (Odilon de Cluny, Airard de
Saint-Remi de Reims, Richard de Saint-Médard de Sois-
sons), enfin par Eudes, comte de Blois, et Guillaume, comte
de Poitiers *.
On ne doit certes pas s'exagérer l'importance du rôle
joué par de telles assemblées, mais il importe aussi de ne
pas l'évaluer trop bas. Je n'irais pas jusqu'à dire, avec
M. Luchaire^, qu'elles n'avaient ni pouvoir réel, ni initia-
tive, ni droit à être convoquées. Vraie pour les vassaux
inférieurs et les simples fidèles, cette proposition ne l'est, à
mes yeux, ni pour les principes de la Gaule et les évoques,
ni pour les principes de la Francie. Plus le fidèle étaii
puissant, plus le conseil devenait pour lui un droit. Des
liens juridiques qui unissaient la royauté et le principat dé-
coulaient toute une série d'obligations réciproques que
dans l'intérêt du roi, comme dans Tintérêt du prince, les
cours plénières avaient pour mission de sanctionner.
Les cours plénières se distinguent par un certain nom-
bre de traits qui leur sont propres, tant des cours restrein-
tes ou spéciales, dont nous allons parler, que des solennités
religieuses, telles que dédicace d'églises, translation de
saints, où le peuple est convoqué sur l'ordre du roi. Ces
traits toutefois sont loin d'être tranchés, et la distinction
par suite loin d'être rigoureuse. Marquons-les pourtant,
avec les réserves qui les atténuent ou les nuancent : pé-
riodicité, mode de convocation et de tenue, composition et
objet.
Comme nous l'avons vu, les cours plénières se réunis-
sent surtout aux grandes fêtes; elles étaient donc périodi-
ques, mais il arrivait que le roi les tînt à d'autres épo-
ques, pour faire face à d'instantes nécessités, parfois aussi
' M. Pfister (p. 78) conjecture que Richard III de Normandie fut
présent, mais par Tunique motif que son nom figure sur des chartes
royales de la môme époque.
2 Luchaire, I, p. 267.
442 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
pour les faire concorder avec les solennités religieuses
auxquelles je viens de faire allusion.
La convocation à la cour plénière s'opérait par un corn-
monitoriwn * ou bref royal, adressé par les grands officiers
elles métropolitains aux principaux du royaume, primores
regni^ et sous forme d'édit ou de ban pour les minores^^
tandis que la convocation aux cours restreintes ou spécia-
les et aux coivents religieux revêtait des formes moins
solennelles et était faite souvent, au nom du roi, par les
personnes qui s'y trouvaient le plus directement intéres-
sées^ Elle pouvait résulter même du simple avis que le roi
séjournerait à telle époque dans telle sedes regia. Mais pour
les cours plénières non plus, et à raison de leur périodicité,
le commonitorium ne ilevait pas être indispensable quand,
à Tune d'elles, avait été fixé le lieu où se tiendrait la sui-
vante, et que les seigneurs présents avaient été avertis
verbalement d'y assister*.
Si le cérémonial et le fonctionnement que j'ai décrits sont
particuliers aux cours plénières, il importe, d'autre part,
> Lettre de Fulbert de Chartres à Robert (1025) : « Ut vobis pro-
ximo sabbato Turonis occurrerem, quia serô commonitorium accepi,
non parui » (H. F. X, 474 C). — La submonitio correspondait à la
semonce^ le commonitorium QlUx Chartres et brie fs scellés de nos chan-
sons de geste.
- « Clericalis laicalisque ordinis personas non piguit invitando
convocare sub termino diei assignats. Eis ergo ex regalis jussionis
decreto pariter congregatis, rex... quid eis actu dignum indè videba-
tur inquisivil » (De detectione SS. Dionysii, Rustici et Eleutherii
(10oO-1053) (Duchesne, IV, 11)9; H. F. XI, 472).
3 « Ut (abbas S. Dion y si i) circumquaque directis literis, diem...
edicere non pigeret, et interesse huic conventui omnes ad quorum-
cumque noticiam sui nuncii pervenirent, invitaret » {Eod. loc.). Gf;
Chronique de Morigny, Duchesne, IV, 374 B-C.
^ Dans Renaus de Montauban, Chariemagne, tenant sa cour de la
Pentecoste à Paris, dit à ses barons assemblés :
« Ne sai que semonsisse cascun à sa maison
Quant ci estes ensamble, orendroit vos semon. >»
(p. 13Î).
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 443
de ne pas perdre de vue que les cours restreintes étaient
en quelque manière des sections de la cour plénière et
correspondaient exactement aux conventicules de celle-ci.
Nous nous sommes expliqué sur la composition plus
large et plus haute des cours solennelles, mais je dois
ajouter que les plus grands du royaume, les pares Fran-
corunij pouvaient être convoqués en cour restreinte ^
Les cours plénières traitaient à la fois des affaires géné-
rales de l'État et d'affaires particulières fort diverses,
alors que l'objet des cours restreintes était limité et spé-
cial ; mais là encore la ligne de démarcation ne saurait
être tracée avec une inflexible rigueur.
\L La cour restreinte ou grand conseil. — Si, en théo-
rie, nous manquons d'un critère infailUble pour classifler
les assemblées royales dont les documents historiques
nous ont conservé la trace, ces documents eux-mêmes
nous mesurent trop parcimonieusement les éléments exté-
rieurs propres à fixer leur caractère. Ni la terminologie,
très flottante et incertaine^, ni la date, souvent vague et
* Supràj p. 423 suiv.
^ L'expression technique pour désigner les cours plénières ou so-
lennelles aurait dû être conventus. C'est celle que nous trouvons le
plus fréquemment dans les Capitulaires et que les annalistes carolin-
giens emploient couramment. On comprendrait qu'on lui eût opposé,
pour les cours restreintes, les termes de coUoquium^ dont la syno-
nymie avec parlamentiim n^est pas douteuse, et de consilium qui
éveille le mieux l'idée des consiliarii mis en scène par Hincmar.
Mais toutes ces locutions, conventus, colloquium, consilium^ comme
celles de curia et de placiturrij ont pris ou gardé le sens vague
d'assemblées délibératives ou consultatives. Conventus et collo-
quium se sont pris Tun pour l'autre (par exemple : diplôme de
Philippe I'»- 1066(Compiègne), Mabillon, De re diplom,, p. 585) ; con-
siliiim paraît s'être confondu souvent avec concilium (Cf. dipL de
Henri I", 1051 :« agentes commune consilium cum proceribus etpri-
moribus palatii nostri » (H. F. XI, 588) et dipl. de Philippe 1er (1077) :
« in palatio nostro, celebrato regali concilio » (Prou, Mélanges Ha-
vet, p. 189); ni curia, niplacitum n'ont pris une acception propre.
Il aurait donc fallu préciser le sens par des épithètes, telles que genC'
444 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
incomplète y ni la souscription des actes, qui n*apparait
avec quelque régularité qu'à partir de Robert II, et qm
tantôt se trouve incomplète, tantôt a été ajoutée après coop,
ne nous éclairent comme il faudrait.
M. Luchaire identifie, ce me semble, toutes les cours non
solennelles avec les cours provinciales*, tout en recon-
naissant qu' « il n'y a aucune règle fixe à formuler ».
Elles se seraient tenues alternativement, et à peu près
chaque mois^ dans chaque ville du domaine où le roisé-
journait^ Composées des seigneurs ou vassaux de la ré-
gion circonvoisine, c*était surtout les affaires locales ou
régionales qu'elles traitaient.
La distinction me parait trop étroite, le caractère local
qui lui sert de base trop accentué ou trop exclusif. Le roi
tenait une cour partout où il résidait : régulièrement, dans
les sedes regiœ ou regni^ (expression préférable comme
moins ambiguë à celle de ville du domaine)^ dans les divers
lieux de la Francie ou de la Gaule où il avait un palais;
ralis^ solennis, plenarius^ pour les cours plénières, specialis etc., pour
les autres. Or, les qualificalifs manquent en général avant le xii" siècle.
Je n'en rencontre guère dans les diplômes que tout au début da
X» siècle (Dipl. de Charles le Simple (916), H. F. IX, 526 : « Habite
generali placito apud Haristallium in conventu totius regnî »), et
puis dans la charte fausse de Saint-Denis, datée de i008 (soleimis
curia, (I. F. X, 593); ou bien ils ne défînissent rien (par exemple
commune con>silium, regale concilium, pu&/icum colloquium, etc.). La
locution solennis curia se trouve dans Hariulf, stiprd, p. 436, note 1.
* Luchaire, I, p. 247.
2 Ibid., I, p. 244.
3 Ibid., I, p. 257-258.
^ Helgaud énumère comme regni sedes : Paris, Senlis, Oriéanai
Dijon, Auxerre, Avalon, Melun, Étampes. — On trouvera une liste
des séjours du roi, de Robert II à Louis le Gros, dans un Appendice
de VlUstoirc dea institution de M. Luchaire (II, p. 329-331). — D
est à remarquer que, pendant le carême, le roi du x* siècle faisait une
tournée traditionnelle de con vents : <c dum ex conmetudine loca
Sanctorum quadragesimali tempore, causa orationis AugustoduDO ré-
sidentes, circumiremus » (Diplôme de Raoul, 928, H. F. IX, 573).
ORGANES ET MOYENS DICTION DE LA ROYAUTÉ. 445
exceptionnellement, là où l'appelaient les affaires de l'État,
notamment les expéditions guerrières. Nous avons plusieurs
diplômes délivrés par le roi et ses fidèles devant une place
assiégée ^
Le noyau de la cour était donc formé tout d'abord par
l'entourage ordinaire du souverain, par la cour du palais
dont nous parlerons tout à l'heure et qui comprenait de
tout autres seigneurs que ceux de la région immédiate.
A eux s'ajoutaient tous les milites ou les clercs que l'ambi-
tion, la brigue, l'intérêt, les devoirs du service avaient
conduits ou retenus auprès du roi. Il convoquait en outre
à sa cour, suivant la nature de l'affaire qui lui serait sou-
mise, les diverses catégories de personnes qui devaient y
être présentes ou représentées pour qu'elle pût prendre
une résolution efficace.
N'oublions pas, en effet, que c'était souvent en vue
d'un objet spécial que la cour restreinte était convoquée et
remarquons que le roi pouvait être saisi d'une affaire par
un solliciteur venu de loin.
S'agit-il des rapports du souverain avec les princes de la
Gaule ou de ces princes entre eux (question de paix ou
de guerre, d'alliance, de service, etc.), la cour du roi est
la cour des pares Francorum^ sans qu'ils la composent
d'une façon exclusive; — des rapports du roi avec les
évêques, les abbés ou les chapitres, elle devient un synode^
dont les laïques, du reste, ne sont pas plus exclus qu'ils
ne le sont des conciles; — des rapports du roi enfin, soit
avec ses vassaux soit avec les simples sujets, elle siège
comme cour féodale ou comme cour des fidèles, sous la ré-
serve que la première peut faire l'office de la seconde et la
cour du palais l'office de toutes deux. Il en va de même
* Diplôme de Robert, 1005 (H. F. X, 586) : « actum apud Avalonem
castrum in obsiclione » ; — diplôme de Henri, 1058 (H. F. XI, 599) :
« actum publiée in obsidione castri quod vocatur Timerias ». — Cf.
Dipi. de Henri, 1053 (H. F. XI, 592) : « actum est Carisiaco palatio,
astante exercitu ».
446 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
des contestations judiciaires dont le roi est saisi : elles
sont jugées régulièrement par la cour du palais, où Télé-
ment religieux et Télément laïque, la vassalité féodale et
la simple fidélité sont représentés; mais, en cas d'arbi-
trage surtout, et suivant l'importance de l'affaire, elles
peuvent l'être par une cour spéciale où les pairs propre-
ment dits des parties, leurs seigneurs immédiats ou leurs
suzerains tiennent une place beaucoup plus grande.
On le voit, la composition de la cour restreinte n'est
pas plus homogène et fixe que celle des cours plénières.
La seule règle de droit qui se dégage est que suivant
l'objet, la nature des délibérations, la qualité des pe^
sonnes intéressées, etc., tel de ses éléments constitutifs
doit s'y trouver en prépondérance. Pour le surplus, le
lieu, le temps, les circonstances président à son recru-
tement.
Cela dit, interrogeons les diplômes royaux sur l'époque,
le siège et la composition de fait des cours non solennelles.
Je m'en tiendrai aux derniers Carolingiens et aux pre-
miers Capétiens. Malheureusement nous ne sommes pas
en mesure, par les raisons que j'ai dites, de distinguer
avec certitude les actes qui émanent des cours restreintes
de ceux qui proviennent soit de la cour du palais soit
même d'une cour plénière. Par là nous nous trouvons
réduits à une pure approximation. La confusion est sur-
tout fâcheuse au regard de la composition de la cour.
J ai dû, pour ne pas Taggraver, laisser de côté les diplômes
de Philippe V% sous lequel la cour du palais a pris une
place de plus en plus envahissante et me borner dès lors
sur ce sujet aux actes de Hugues Capet, de Robert et
de Henri. Les actes des Carolingiens, étant dénués de
souscriplion, ne nous renseignent pas sur les personne»
qui ont concouru à leur délivrance.
Sur quarante diplômes datés de Louis d'Outremer, de
Lothaire et de Louis V, la moitié appartient aux quatre
mois d'hiver, neuf au printemps (mars à juin), huit à l'été
ORGANES ET MOYENS d' ACTION DE LA ROYAUTÉ. 447
(juillet-août), trois à l'automne (septembre-octobre)*, au
lieu que sur cinquanle-neuf diplômes capétiens, la moitié
est du printemps, dix-sept de Thiver, cinq seulement de
^été^ Il y a plus de similitude de dates entre les actes des
Capétiens et ceux de Charles le Simple qui, sur soixante-
treize, nous en offrent trente-huit du printemps*.
Le fait saillant quant aux localités où le roi tient sa cour et
déUvre ses diplômes est le déplacement vers le Sud -Ouest.
Il est sensible déjà chez les Carolingiens, il s'accentue et
prévaut sous les Capétiens. De cinquante-huit diplômes des
trois derniers Carolingiens, les deux tiers (35) sont datés
de Laon, de Reims et de Compiègne*, pas un seul de Sen-
tis ni de Paris. Au contraire, sur 126 diplômes capétiens,
je n'en vois que 26 de Compiègne, Laon et Reims*, tan-
dis que j'en trouve 79 (soit de nouveau les deux tiers) de
Senlis, Paris et des résidences royales situées au Sud,
à rOuest, et au Sud-Ouest de la future capitale*.
Si nous considérons la composition de la cour, sous
Robert et Henri, dans la mesure où les souscriptions nous
la décèlent, nous y voyons figurer fréquemment les arche-
vêques de Sens et de Reims, plus rarement ceux de Tours
et de Bourges, très exceptionnellement celui de Rouen'.
Les souscriptions desévêques des deux premières provin-
* Voici le détail pour les diplômes que j'ai étudiés : novembre et
décembre, chacun 5; janvier 4; février 6 ; mars 2; avril 1; mai et juin,
chacun 3; juillet et août 4; septembre 2 ; octobre 4.
2 Les plus forts mois sont janvier (9) et mai (14). Viennent ensuite
septembre (6), avril et juin (5), mars et décembre (4), juillet et octo-
bre (3), août (2), novembre (1).
^ Sur ce nombre, 20 sont de juin, 9 d'avril, etc.
* 17 sont de Laon, 12 de Compiègne, 6 de Reims, 1 de Soissons.
^ 15 de Compiègne, 7 de Laon, 4 de Reims, 6 de Soissons.
^ 36 de Paris et de sa grande banlieue (Saint-Denis, Boulogne,
Chelles); 11 de Senlis; 10 de Pontoise, Poissy, Melun; 7 d'Étampes;
18 d'Orléans, Fleury, Vitry-aux-Loges. — Raoul Glaber appelle Or-
léans : (( principalis sedes regia » (II, 5, p. 36).
' Sens : 8; Reims : 6 ; Bourges : 4; Tours : 3 ; Rouen : 1.
450 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
gale obsequium^ et vivent dans Tintimité des mioisteria-
les dont, à tour de rôle, ils sont les commensaux* ; 2* les
nourris, placés sous les ordres directs des minisieriales,
pour être instruits aux divers offices et au métier des
armes'; 3® les serviteurs {pueri) et vassaux des classes
précédentes, entretenus chacun par son maître ou sei-
gneur^ On voit sans peine qu'il eût été impraticable ou
absurde de comprendre cette mt^//t/t^(/^ de serviteurs dans
la cour du palais. De même qu'au convenius carolingien,
les principes représentaient la nation, de même, les chefs
de la maisnie la représentaient au conseil privé du prince.
Les diplômes du xi* siècle les appelleront : palatii proce*
res^j primores palatii*. Ainsi le noyau de ce conseil était
formé de tous ceux qui présidaient aux divers services du
palais : services intéressant directement la chose publi-
que, services d'économie domestique, pourvoyant à la sub-
sistance, à l'entretien, aux aises delà personne du roi, de
y « Ut absque ministeriis expediti milites, anteposita dominorum
benignitate et soUicitudine, qua nunc victu, nunc vesiitu, nunc auro,
nunc argento, modo equis vel cœteris ornamentis interdum specialiter,
aliquando prout tempus ratio et ordo condignam potestatem admi-
nistrabat, sa;pius porrectio, in eo tamen indeficientem consolationem
necnon ad regale obsequium inflammatum animum ardentius semper
habebant : quod illos prœfati capitanei ministeriales, certatim de die
in diem, nunc istos, nunc illos ad mansiones suas vocabant, et noa
lam gulic voracitate, quam ver<B familiaritatis seu dilectionis amore...
impendere sludebant » (Hincmar, cap. 27).
2 « Aiter ordo per singula ministeria discipulis congruebat, qui ma-
gistro suo singuli adhœrentes... » (cap. 28).
' « Terlius ordo item erat tam majorum quam minorum in pueris
vel vasallis, quos unusquisque, prout gubernare el sustentare...
poterat, studiose liabere procurabant » {IbiiL).
* Dipl. de i^obert II, 1022, H. F. X, 35.
s « Agonies consilium cum proceribus et primoribus palatii nostri »
(Henri I«% lOol, H. F. XI, 588). Ils étaient par excellence les fidèles
(fidèles^ Diplômes de Philippe le, 1005, 1074, 1086), les fidèles de la
cour, nostrae curix fidèles (lîenri !«', 1031, H. F. XI, 566), les palatini
(Philippe, 1068), les curiales (Philippe, 1061, 1071), aulici [Vie de
saint Oury, infrà).
ORGANES ET MOYENS d'ACTION DE LA ROYAUTÉ. 449
dès Tépoque carolingienne, la familia^ la domestica do-
mus^ du roi avait pris une très grande extension. Hinc-
mar nous apprend que la population permanente du palais,
qu'il distingue avec soin de la population flottante des
allant et venant^, était légion', et nous connaissons, grâce
à lui, ses parties constitutives, qui se retrouvent avec une
clarté parfaite dans les monuments du x" et du xi* siècles.
Au premier rang se présentent les capitanei ministeriales^
dont nous traiterons plus loin, les austaldi [gastaldi] in
ministeriis^ comme les appelle déjà un capitulaire de Pépin*.
Viennent ensuite trois ordres ou classes (ordines) : 1* les
milites absque ministeriis expediti"^, palatini milites^,
hommes dé guerre, qu'en langage moderne nous dirions
en disponibilité, qui reçoivent au palais, en dehors du vi-
vre et du couvert (victu et vestitu), des libéralités fréquen-
tes en or, argent, destriers, parures de luxe, qui sont par
là remplis d'une incessante ardeur au service du roi, re-
noie d, porte « placitiim »). Dans le diplôme de Philippe ler pour
Saint-Médard de Soissons (Compiègne, 1066. Mabillon, De re diplo^
maticaj p. 585-586} figurent après les souscriptions de six évoques
et de six seigneurs laïques, celles de onze serviteurs du roi « familia
régis », en tête desquels quatre grands officiers. — Il y avait natu-
rellement de nombreux degrés dans la familia; il y eut pour chaque
catégorie des famuli et des familiores. Cf. ce passage de Raoul Ardent :
« Rex terrenus, venturus in aliquam urbem multos praemittit praeam-
bulos, adventus sui nuntios, et jam intraturus nuntium familiarorem
sibi prœmittit » (Sermon XI, Migne, 155, c. 1339).
* « Domestica domus vestra aliter obsequiis domesticorum repleri
non poterit, nisi habueritis unde eis meritis respondere et indigentiae
solatium ferre possitis » (845, Cap., II, 403).
2 « Absque his, qui semper eundo et redeundo palatium frequenta-
bant » (Cap., II, p. 526).
3 « Et ut ilJa multitudo, quae in palatio semper esse débet, indefi-
cientes persistere posset » (cap. 27, p. 526).
* « Austaldi nostri in nostris ministeriis » (801-810, cap. 10, I,
p. 210).
* Hincmar, cap. 27.
« Cf. Ann. Fuld, 894, p. 123 (éd. Kurze).
F. — Tome III. 29
450 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
gale obsequium^ et vivent dans rintimité des miaisterift*
les dont^ à tour de rôle, ils sont les commeasaax^; 2* les
nourris, placés sous les ordres directs des minisieri€Ues^
pour être instruits aux divers offices et au métier des
armes ^; 3® les serviteurs {pueri) et vassaux des classes
précédentes^ entretenus chacun par son maître oa sei-
gneur^ On voit sans peine qu'il eût été iropralicable on
absurde de comprendre cette mi<//t7{i(/^ de serviteurs dans
la cour du palais. De même qu'au conventus caroIingieDy
les principes représentaient la nation, de même, les chefs
de la maisnie la représentaient au conseil privé da prince.
Les diplômes du xi^ siècle les appelleront : palaiii proee^
res^j primores palatii*. Ainsi le noyau de ce conseil était
formé de tous ceux qui présidaient aux divers services dn
palais : services intéressant directement la chose publi-
que, services d'économie domestique^ pourvoyant à la sub-
sistance, à Tentretien, aux aises delà personne du roi| de
y « ut absque ministeriis expedlti milites, anteposita domÎDomiii
benignitate et soUicitudine, qua nunc victu, nunc vestîtu, nunc aurOi
nunc ar^^ento, modo cquis vel cœteris ornamentis interdum specialiter»
aliquando prout tempiis ratio et ordo condignam potestatem admi-
nistrabat, sœpius porrectio, in eo tamen indeOcientem consolatioiifim
necnon ad regale obsequium inflammatum animum ardentius semper
habebant : quod illos prœfati capitanei ministeriales, certatim de die
in diem, nunc istos, nunc illos ad mansiones suas vocabani, et non
tam gulaî voracitate, quam vera; familiaritatis seu dilectionis amore...
impendere sludebant » (Hincmar, cap. 27).
2 « Alter ordo per singula ministcria discipulis congruebat, quima-
gislro suo singuli adha;renles... » (cap. 28).
' (( Terlius ordo item erat tam majorum quam minorum in pueris
vel vasijillls, quos unusquisque, prout gubernare et sustentare-.
poterat, studiose habere procurabant » (I6ù/.).
* Dipl. de Hobert II, 1022, H. F. X, 35.
^ « Agonies consilium cum proceribus et primoribus palatii nostri •
(Henri I", iOol, H. F. XI, 588). Ils étaient par excellence les Bdèles
{fidèles, Diplômes de Philippe le', 1065, 1074, 1086), les fidèles de la
cour, noslrœ curix fidèles (Henri !«', 1031, H. F. XI, 566), les paiaUni
(Philippe, 1068), les cima/cs (Philippe, 1061, 1071), aulici (^e de
saint Oury, infrà).
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTE. 431
sa famille, de sa maison. Mais ils ne constituent pas la cour
du palais à eux seuls.
A toutes les époques du viii° au xii* siècle, vous trou-
vez mentionnés dans les textes des conseillers attitrés*,
seigneurs ecclésiastiques ou laïques, ne résidant pas en
permanence à la cour, mais y faisant, selon la volonté du
roi, des séjours plus ou moins prolongés^; rattachés ainsi
au palais par un lien durable, encore que leur présence ne
soit qu'intermittente; affiliés, dirai-je, à la maisnie, au
* « Una cum sacerdolibus et cotisiliarm noslris » (Admonitio gen.
de Charleraagne, 789, Capit. [, p. 53). — « Hœc sunt capitula quaî dom-
nus Karolus... jussit scriberc in consilio suo » (Capit. ieg. add. 803,
I, p. H 3). — « Intercunctos imperiisui primates quos consilio suoads-
civerat (L. le Pieux) Hilduinum abbatem... in tantum amavit et ex-
tuiit, utei specialius quidquid secretiustractandum esset committerel,
eumque archicapellanum in omni imperio suoconstitueret » [Transla-
tio S.Sebastiani, Mabillon, S. B. IV, 1, 387). — Le comte Bouchard est
comiliariiis de Hugues Capet {Vita Burcardi, p. 1, C. T.) Hugues de
Beauvais est consiliator de Robert II (H. F. X, 574 B). Le biographe
de révoque d'Orlt^ans saint Thierry nous le montre appelé au conseil
de Robert : « Hic(Robertus)... eum ad curiam accersivit. Quem fîde-
lem admodum et prudentem experiens, cœpit ejus uti consiliis et
jura regalia ei tradere disponenda, » {Vita S. Theoderici, Duchesne,
IV, p. 164 A). Un autre conseiller privé du même roi, le comte
Manassès figure, avec le titre de a secretis, dans un diplôme de
1031 (Cart. de Notre-Dame de Chartres, I, p. 87) où la synonymie
de consiliarius et de a secretis n'est pas douteuse (Voyez, par
exemple, Translatio S. Sebastiani, Mabillon, S. B. IV, 1, 387, « Ro-
doinus... tantam ab eo (Louis le Pieux) adeptus est gratiam ut eum
tam pro amore pii patris Hilduini in cujus obsequio aulam regiam
frequentabat, quam et pro sagaci industria... si quando de regni uti-
litatibus tractandum esset, eum inter eos qui a secretis erant libenter
admitteret ». Cf. aussi Reginon ad. an. 901 : consiliarius a secreto, et
Dipl. d'Otton, 980 {Dipl, p. 245) : consecretales palatii). — Froger de
Chàlons fut certainement aussi un conseiller privé de Philippe P"^ (Cf.
Luchaire II (Appendices), p. 302).
2 « Ipse vero episcopus intérim regiis occupatus obsequiis, cursum
direxit ad curtem, ibique apud aulicos digno honore diu retentus,
tandemque requisita salubri licentia domum repedavit » {Vie de saint
Ouryy Mabillon, S. B. V, 424).
432 LIVRE IV. — CHAPITRB VI.
comitattis du roi, sans y être pleinement incorporés. Le
nombre de ces conseillers ne devait pas être fixe; ils
étaient choisis et non point nommés; la durée de leurs
fonctions était indéterminée; ils n'étaient pas nantis d'une
charge, mais ils étaient investis de la confiance du souve-
rain, selon leur expérience, leurs aptitudes, leur fidélité.
Le roi les convoquait spécialement quand il avait besoin
de leur concours, ou bien il les retenait auprès de lui, les
emmenait avec lui, pendant des mois, des années même,
fussent-ils évêques ou abbés.
La cour du palais assistait le roi dans l'exercice de tou-
tes ses attributions, législatives, executives, judiciaires*.
Comme les Gdèles ou les vassaux avaient un droit propre
de participer à ce même exercice et que la plupart des
palatins cumulaient en leur personne la qualité d'officiers
* N*cst-cepas la cour du palaisquenous voyons fonctionner, comme
tribunal du roi, dès le dc^but du xe siècle, sous le nom diéchevim du
palais? Charles le Simple, saisi d'une contestation la fait juger par
les échovins de son palais, dont ses autres fidèles se bornent & cer-
tifier la sentence : « Ad causas nostras ejus proclamationem mittens,
judicio scabinoritm palatii nostri et attestatione omnium fideiium
nostrorum... reddimus... Hœc sunt nomîna qui prsfatum contulerunt
judicium, vidolicet Fpiscoporum (5)... sed comitum (12) nec non et
scabinorum (17)» (Juin 919, H. F. IX, 542). — Au xi* siècle, je crois
reconnaître la cour du palais dans le diplôme suivant de Philippe I** :
« E^oPhilippus... quia exeunte me de Flandrensium comitis Balduini
mundiburdio querela exorta est inter R. abbat. et W. comitem de
consuetudinibus ecclesiie S. Medardi quas comes W. suis usibus
injuste applicare volebat... Hîb omnes consuetudines judicio proce-
rum nostrorum scilicet Rogerii episcopi Gatalaunensis et Erchebald
de Burbone, et Waleranni camerarii et Rodulphi dapiferi, et Ingenulfl
buticularii, et Baldrici constabularii et cœterum procerum nostrorum
per manu m nostram Deo et S. Med. libère adjudicatae et reddita sunt
... Signavimus sub testimonio testium infrà scriptorum. S. Ph* régis
S. Ri ep., S. E^ ep., S. W» camerarii, S. Walaranni Balbi, S. R» da-
piferi, S. Albrici de Cociaco, S. Widonis de Cercheia, S. Theoderici
majoris S. Rohardi majoris » (1065, Toussaint du Plessis, Hist. de la
ville et des seigneurs de Coucy, Paris, 1728, in-4«, Preuves,
p. 129}.
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 453
du roi {minislri, ministeriales^ satellites, etc.) avec celle de
fidèles, on s'explique que la cour du palais ait pu un jour,
avec la pairie princière, prendre la place des cours solen-
nelles et des cours restreintes. A Tépoque que nous élu-
dions, cette substitution était loin d'être accomplie. Le rôle
des palatins était même plus officieux qu'officiel. Leur au-
torité n'en apparaît que plus forte, puisqu'elle se couvrait
de la personne du roi, mais leur réunion manquait encore
d'une cohésion suffisante pour être un corps politique.
C'était, en somme, une organisation très diETérente de celles
qui nous sont familières. Elle était fixe dans son principe,
flottante dans sa constitution. Seul le noyau offrait une
consistance véritable. Aussi finit-il par prévaloir en même
temps qu'il se concentrait. Les conseillers attitrés furent
pourvus régulièrement des grandes charges du palais, et
le nombre des officiers qui composaient la cour alla en
se rétrécissant. Hincmar énumérait outre les cinq offices
du chancelier, camerier, sénéchal, bouteillier, connétable,
ceux du comte du palais, de l'apocrisaire ou chapelain, du
mansionier, des veneurs, du fauconnier*, sans parler des
sous-ordres^. Or, il n'est pas douteux que les uns et les
autres sont appelés encore concurremment, au xi* siècle,
à souscrire les actes royaux '.
D'autre part les offices qu'Hincmar appelle capitanei^
que l'on peut dire fondamentaux, puisqu'ils apparaissent
^ De ordine palatii, cap. 16.
2 « Et quamvis sub ipsis aut ex lalere eorum aJii ministeriales
fuissent, et ostiarius, saccellarius, dispensator, scapoardus, vel quo-
rumcunque ex eis juniores aut decani fuissent, vel etiam alii ex la-
lere, sicut bersarii, veltrarii, beverarii, vel si qui adhuc supererant »
(Ibid,, cap. 17).
3 M. Luchaire a très bien prouvé (I, p. 160 suiv.) qu'avant l'ex-
trême fin du xi« siècle, les souscriptions des cinqgrands officiers (chan-
celier, sénéchal, chambrier, bouteillier, connétable) n'ontrien de ré-
gulier, et que les officiers inférieurs (queux, cubiculaires, chapelains,
maréchaux, etc.) figurent pêle-mêle avec eux dans la souscription
des actes.
454 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
déjà dans la loi salique ou qu'ils avaient été empruntés à Tad-
ministration romaine, avaient des titulaires multiples ^ Du
IX® au XI'' siècle, Tun d'entre eux sort des rangs, prend la
tête, voit s'étendre ses attributions politiques, et reçoit uo
nom distinctif, tandis que le nom primitif demeure aux
autres ^ De la sorte se constituent et se dégagent les cinq
grands offices de la couronne dont les titulaires, à partir
de la fin du xi" siècle, forment essentiellement la cour
du palais et figurent désormais seuls dans les diplômes
royaux *.
La concentration des pouvoirs ne s'arrêta pas là. Nous
allons voir, à l'instar de ce qui s'était passé sous la pre-
mière race pour les fonctions de maire du palais, l'un des
grands officiers, le sénéchal, devenir le chef omnipotent de
la cour, major domus regi^. C'est un des aspects essen-
tiels de rhistoire des grands offices, histoire que nous
devons maintenant esquisser.
IV. La genèse des grands offices de la couronne.
La cour primitive du roi franc paraît avoir été composée
surtout des anUmstions. Ils étaient les domestici^ par excel-
lence, formant la garde du roi ^ et faisant partie de son
* Cf. Hincmar, op, cit^ cap. 18.
2 Cubiculnrhis^ scantiOy marencalcusj noms primitifs du chambrier,
du bouteillier, du connétable, restent à leurs inférieurs.
' Le premier acte royal où les cinq grands officiers apparaissent
au complet est le diplôme de Henri P^pour saint Martin des Champs
(4060, CartuL de PariSj p. 124). Mais ils ne s*y présentent pas comme
formant un corps. Voici, en etl'et, dans quel ordre les souscriptions,
fort nombreuses, sont disposées : i-2 les archevêques de Sens et de
Reims, 3-4 l'évêque et l'archidiacre de Paris, 5 le chancelier, 6-7 deux
chapelains, 8 Raoul de Valois, 9 Thibaut de Montmorency, 10 le cham-
brier, 14 le connétable, 12 le sénéchal, 13 le bouteillier, 14 un queux,
15 Raoul de Beauvais, 16 un sous-chambrier..., 31 un queux.
* Les antrustions paraissent correspondre aux protectores romains
(garde de l'empereur) qui portaient déjà le titre de domestici (Cf.
Brunner, II, p. 99, note 8, et Bouché- Leclercq, Manuel des antiquités
romaines, p. 319).
ORGANES ET MOYENS D'ACTION DE LA ROYAUTÉ. 455
conseil*. Leur chef élail le plus ancien des ministeriales
ou officiers, le senescalcus^y chef du palais roysil, préefecitis
palatiP^ major domus. En celte qualité, comme dispensa-
teur des largesses, des bénéfices, du roi, comme prin-
cipal et permanent assesseur du tribunal royal, il acquiert
la haute main sur l'adminislralion du domaine et finale-
ment sur l'État, dont il est le régent en cas de minorité.
11 monte sur le trône en la personne de Pépin. Sa fonction
alors disparaît et disparaissent en même temps les an-
truslions eux-mêmes. Ils sont remplacés par A^s^vassi do-
minici qui en grand nombre résident auprès du souverain
et exercent les offices traditionnels de l'économie domes-
tique, dapifer ou infertor, chambrier ou trésorier, échan-
son, maréchal*.
Le roi franc tenait table ouverte; l'office d'ordonnateur
et de pourvoyeur des festins quotidiens du palais [dapi-
fer) était dès lors une charge de grande importance. Elle
fut confiée à l'ancien, au major ou senescalcus^ qui rede-
vint ainsi un major domiis, mais dans un autre sens que
l'avait été le maire du palais. Les principales attributions
politiques et domaniales de celui-ci passèrent au comte du
palais et au chambrier.
Le comte du palais, jusque-là simple assesseur de la
cour palatine, chargé surtout de certifier les jugements
rendus par elle, siégea régulièrement aux côtés du roi,
puis en ses lieu et place, et acquit de la sorte une juridic-
tion propre, en même temps qu'il fit office de maître des
requêtes. Il eut sous sa surveillance la rédaction des actes
judiciaires et par suite sous ses ordres de nombreux réfé-
» Ed. Chilpéric, c. 1 (Capit. I, p. 8).
2 Siniscalhf sinis = sins (senex), scalh = scalc (famulus). Cf.
Brunner, II, p. iOl et 105.
3 Souvenir lointain peut-être du préfet du prétoire.
* « Vassis nostris...qui... nobis assidue in palatio nostro serviunt »
(821, Cap. missor,, c. 4, II, p. 300). « Vassalli nostri famulantes nobis
et nostrœ conjugi » (Édit de Pistes, c.4, II, 313).
456 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
rendaires ou scribes. Les autres avaient pour chef immé-
diat le chancelier. Ce n'est qu'à partir de l'an 819 que
celui-ci devint, sous le titre de summus canceUarius ou
archicancellarius, un véritable dignitaire, en attendant
que par le cumul, vers 856, de la dignité d'archichapelain,
il s'élevât au sommet de la hiérarchie palatine.
Le chambrier, simple trésorier {thesaurarius) à l'époque
mérovingienne, est au ix* siècle un personnage politique
de premier rang et comme le bras droit de la reine.
Comte du palais, chambrier, chancelier, archichapelain
ou apocrisaire, tels sont, en effet, les ofGciers qui tiennent
la tôte du palais dans Vordo palatii d'Hincmar.
Il ne semble pas que l'un d'eux eût alors le pas sur les
autres. On peut remarquer que seuls le chambrier et Tapo-
crisaire font partie de droit du grand conseil, mais, par
contre, le comte du palais a manifestement un rôle capital;
il est le véritable aller ego du roi. Nous le retrouverons
dans ce rôle aux xi* et xii* siècles, comme grand of&cier,
comme pair et comme premier conseiller de la couronne. En
tant que fonctionnaire du palais, il fut remplacé par le séné-
chal qui, vers la fin du xi® siècle, accapara en outre une grande
partie de Tinfluence politique du chancelier et du chambrier.
Nous avons donc à considérer d'abord les offices de
comte du palais, de chancelier et de chambrier, à raison de
l'antériorité de leur importance historique, puis le séné-
chalat à raison de Tépanouissement de puissance qui, sous
Philippe P% l'a placé à la tête ds la cour, enfin les offices
de bouteillier et de connétable dont le rôle, en notre
période, est encore de second plan.
V. La physionomie des grands offices.
1° Le comte du palais. — Au ix* siècle, le comte da
palais, grand dignitaire, comme nous l'avons vu, avait, au
dire de Hincmar, des attributions presque innombrables*.
* « Comitis palatii inler caetera pœne innumerabilia in hoc ]
sollicitudo erat ut omncs contentiones légales... » (Hincmar, cap. 21).
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 457
Au point de vue judiciaire, et comme introducteur auprès
du roi, il avait tous les intérêts civils dans son ressort,
Tapocrisaire les causes ecclésiastiques. De lui dépendait
le sort des litiges; il les tranchait en équité ou les ren-
voyait à l'audience royale où il siégeait lui-môme, il faisait
expédier les sentences et les munissait du sigillum palaiii
dont il avait la garde*. Toute requête adressée au roi devait
passer par son canal et pouvait, au passage, être arrêtée
par lui. Il représentait enfin le roi dans les missions les
plus diverses, à Tarmée, dans le pays, auprès des prin-
cipes^.
C'est, à mes yeux, un fait très saillant que le comte du
palais, au xi* siècle, est resté une doublure du roi. L'au-
torité de Hugues de Beauvais, comte du palais de Robert II,
ne peut se comparer qu'à celle d'un régent du royaume
ou d'un subregidus. La notion semble fondamentale. Elle
se retrouve en Normandie, en Angleterre, en Allemagne'.
L'évêque de Bayeux, consul palatinus de Guillaume le
Conquérant, était, dit Orderic Vital, « velutisecundus rex^».
Il l'était surtout dans le Kent dont le gouvernement lui
avait été remis, et telle apparaît aussi dans le Winchester
la situation de Guillaume Osberne*.
Dès l'époque carolingienne le trait distinctif se marque
avec force, et il put servir au roi, en multipliant le nombre
des comtes du palais ^ d'établir des représentants directs
» Capit. de Kiersy, c. 17 (II, p. 359).
^ Brunner, II, p. 112.
3 Pour l'Allemagne ce caractère a été très bien mis en lumière par
Waitz.
* « Quid loquar de Odone Baiocasino prœsule, qui consul palati-
nus erat, et ubique cunctis Angliœ habitatoribus formidabilis erat,
ac veluti secundus rex passim jura dabat? Principatum super omnes
comités et regni optimates habuit » (Orderic Vital, IV, 7, T. II,
p. 222).
5 Orderic Vital, IV, 1, (T. II, p. 167).
® « Adalardus comes palatii remaneat cum eo (filio nostro) cum si-
giUo. Et si ipse pro aliqua necessitate defuerit, Gerardus sive Fredri-
458 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
et permanents de sa personne dans les régions éloignées
du royaume. Le comte du palais, dans chacune de ces ré-
gions ou groupes ethniques, était investi de rautorité
d'un duc, il était placé au-dessus des comtes qui y com-
mandaient. Par cela même et sauf pour la Francie, la
dignité devenait excentrique. Elle tenait de la pairie prin-
cière plus que de la fonction palatine, et c*est assurément
une circonstance très digne d'attention que les successeurs
des seigneurs laïques qui, depuis la secondte moitié du
X* siècle, paraissent dans les chartes avec le litre de comte
du palais (comte de Blois, de Flandre, de Poitiers et de
Toulouse)* comptèrent plus tard parmi les pairs de France.
Ducange avait entrevu que la dignité de comte palatin a
dû se confondre avec celle de pair, mais il a cru que cette
confusion était le fait des chroniqueurs qui ont appelé les
pairs comtes palatins*. A mon sens, elle a eu une portée
bien plus grande, et loin que le titre de comte palatin ait
été ajouté par surcroît au titre de pair de France, c'est lui
qui a dû contribuer à fixer les attributions de la pairie et
à en déterminer la composition.
Pour le surplus, le sénéchalat et la chancellerie ont,
nous le verrons, hérité du comitat du palais.
2*" La chancellerie et la chapelle du roi. — Les rois
francs de la première race avaient commencé par em-
prunter à l'administration romaine l'organisation de leur
chancellerie. Elle constituait un ofBce laïque, rempli par
des référendaires, qui expédiaient, chacun en son nom, les
actes royaux, et faisaient partie de la cour du palais. Mais
elle trouva bientôt une rivale dans la chapelle du roi, dont
l'origine est aussi curieuse que fut prolongé et important
le rôle qu'elle a joué.
Parmi les reliques que les rois mérovingiens conser-
eus, vi^l unus eorum, qui cum eo scariti sunt, causas teneat » (Capit.
de Kiersy (878), cap. 17, II, p. 359).
* Voy. infrà. Le Principal,
2 XlVe Dissortat. sur Joinville, p. 62-63).
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 459
valent dans leur palais et transportaient avec eux dans
leur vie itinérante, la petite chape [capella) de saint Mar-
tin était la plus vénérée. C'était le vêtement de dessous
que saint Martin avait sur lui après qu'il eut abandonné
sa tunique à un pauvre. Un miracle Tavait glorifié, que
chanta avec emphase le poète de la cour Fortunat*. Cette
chape accompagnait partout le roi; elle lui assurait la vic-
toire dans les combats* et sur elle se prêtaient les ser-
ments solennels qu'ordonnait sa cour de justice ^ L'ora-
toire où se gardait la chape prit le nom de capella\ les
clercs préposés à sa garde, le nom de capellaniy de cha-
pelains*. Ils ne quittaient pas la personne du roi, ils
ï « Denique cum tunicnm sacer ipse dedisset egenti
Ac sibi pars tunicaî reddita parva foret,
Quod non texerunt manichy; per brachia curtœ
Visa tegi gemmis est manus illa viri »
(Fortunat, X, 6, éd. Didot, p. 2*^9.; adde p. 241 suiv.).
Cf. Moine de Saint-Gall, II, 27, II. F. V, 133 A : « Carolus habebat
pellicium berbicinum, non muitum amplioris prelii quam erat roccus
nie S. Martini quo pectus ambitus, nudis brachiis Dec sacrificium
obtulisse astipulatione divina comprobatur ».
2 Voyez les notes suivantes.
8 Fuissit judecatum, ut... sua mano septima,... in oraturio nostro,
super capella domni Martine, ubi reiiqua sacramenta percurribant,
hoc dibirit conjurare (Dipl. de Thierry III, 30 juin 679, Dipl. n* 49,
p. 45, H. F. IV, 659). — « In oraturio suo super cappella S* Marchthyni
... hoc deberent conjurare » (Dipl. de ChiJdebert III, 14 déc. 710,
Dipl. n° 78, p. 69, H. F. IV, 685). — « Fuit judicatum, ut... sua manu
septima, tune in palatio nostro, super capella domni Martini, ubi
reliqua sacramenta percurrunt, debeat conjurare » (Marculf, I, 38,
Formulœy éd. Zeumer, p. 68). — « Super altario Sancti illius, in illa
capella, que est in curte fisci, ubi reliqua sacramenta soluta sunt,
jurati dixerunt » {FormuL Senon, recent,,n^ 3, Zeumer, p. 212-213). —
Éginhard rapporte que Tassilon a prêté serment de fidélité à CharJe-
magne sur Je corps de saint Martin (I, p. 134, éd. Teulet).
♦ « In capellam suam assumpsit (quemdam optimum dictatorem et
scriptorem) quo nomine Fr. reges propter cappam S' Martini quam
secum ob sui tuitionem et hostium oppressionem jugiter ad bella
portabant, sancta sua appellare solebant » (Moine de Saint-Gall, H.
F. V, 107).
* « Dicti sunt autem primitus cappellani a cappa beati Martini,
460 UVRE IV. — CHAPITRE VI.
veillaient et sur la relique et sur les archives' ou les ob-
jets précieux qui se mettaient en sûreté sous son égide,
ils rempli^ïsaient auprès de lui les fonctions religieuses
et rofGce de secrétaires. Ils devaient notamment tenir
procès-verbal des serments prêtés dans la chapelle. Rele-
vant directement du souverain, affranchis de la juridiction
de rordinaire'-, ils voyaient s'ouvrir librement devant eux
la route de l'influence et du pouvoir*. Un hagiographe
nous dépeindra Tarrogance du chapelain portant devant
le roi l'étendard royal {labarumy. Leur chef, le custoi
capellw, deviendra un jour custos polalii^ puis custoi
regni.
Si le ministère des chapelains touchait directement à
la confection et à la délivrance des diplômes royaux, les
clercs, par profession déjà, étaient les plus aptes à de
telles fonctions. Il ne saurait donc étonner que, dès l'a-
vènement de la seconde race, la chancellerie ne fût plus
composée que de clercs du palais. Mais, comme nous l'a-
vons vu, la rédaction des actes judiciaires en fut détachée
à la même époque, et placée dans les attributions du comte
du palais. Cette réorganisation avait pour conséquence
logique que les scribes ou référendaires de la chancellerie
ne relevèrent plus désormais de ce comte, mais du chef des
chapelains, du sumtmis clericorum palatiij de Varchichape*
laiti. Leur supérieur immédiat, au nom exclusif duquel se
firent dorénavant les expéditions, vit croître son autorité et
son prestige, et échangea son titre de chancelier contre celui
quam reges Francorum ob adjutorium victoriœ in prœliis solebant
secum habere, quam ferentes et custodientes cum ceteris sanclonim
reliquiis clerici cappellani cœperunt vocari » (Walafrid Strabon, c.32;
Capil. II, p. 51-)). Cf. Capit. de Karloman (742), c. 2 (I, p. 25).
* Synod. Francof. 794, c. 3 in fine, Capit. I, p. 74.
* Ducange, v<» Capella^p, 124, col. 3.
^ Wakrrid Strabon les assimile aux vassi dominici : « Capelianî
minores ita sunt, sicut hi, quos vassos dominicos gallica consuetudine
numinamus » (/oc. cit,].
* Vie dcyotker, Mabillon S. B. Sœc, V, p. 14.
ORGANES ET MOYENS d' ACTION DE LA ROYAUTÉ. 461
de siimmus cancellarius. Au lieu donc de le subordonner
à Tarchichapelain, on réunit, à dater de 856, les deux di-
gnités sur la mênae tête. Et ainsi, se trouva constituée
cette grande charge ecclésiastique qu'Hincmar (sous le nom
d'apocrisaire) a opposé à l'office laïque de comte du palais,
l'une et l'autre conférant de pleins pouvoirs politiques, ju-
diciaires, administratifs, l'une pour les affaires du clergé,
l'autre pour les intérêts civils ^
De même que le comitat du palais fut attribué à des
seigneurs laïques et contribua à Télaboration de la pairie
de France, de même la grande chancellerie fut octroyée
fréquemment au premier d'entre les seigneurs ecclé-
siastiques, qui devint le premier des pairs de France, Tar-
chevêque de Reims*. Mais ici la fonction était trop spé-
* De même Walalrid Strabon : « Quemadmodum sunt in palatiis
praetores (ou prœceptores) vel comités palatii, qui sœcularium causas
ventilant, ita sunt et illi, quos summos cappellanos Franci appellant,
clericorum causis praelati » ( loc, cit.).
* Je ne pense pas qu'il soit exact, comme on l'admet, que la dignité
d'archichancelier revenait de droit, et dès le x* siècle, à Tarchevôque
de Reims. Ce n'est qu'à partir de Lothaire qu'une sorte de succes-
sion régulière se laisse constater, et je ne vois l'usage allégué comme
un droit que pour Gervais, lors du sacre du jeune Philippe (« ibi
constituit eum summum cancellarium, sicut antecessores sui anteces-
sores suos fecerant ». H. F. XI, 33 B), Voici un tableau sommaire que
j'ai dressé, des archichanceliers des xe et xie siècles en attendant que
nous ayons une édition critique des diplômes royaux :
898 à 900, Foulque, archevêque de Reims.
911 à 919, Hervée, archevêque de Reims.
919 à 922, Roger, archevêque de Trêves.
923 à 931 (sous Robert 1er et Raoul), Abbon, évêque de Soissons.
931 Ansegise, évoque de Troyes.
Sous Louis d'Outremer : Ansegise, év. de Troyes ; Artaud, arche-
vêque de Reims; Heric, évêque de Langres; Hugues de Verman-
dois, archevêque de Reims ; Geronce, archevêque de Bourges ; Acard
ou Achard (évoque de Langres?).
Sous Lothaire : Arthaud, Odolric, Adalberon, archevêques de
Reims.
Sous Hugues Capet : Gerbert, archevêque de Reims.
462 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
ciale, trop technique, trop essentielle pour qu'elle pût se
fondre dans la pairie. Quoique l'archevêque de Reims ait
porté fréquemment le titre de grand chancelier et qu'il ait
atteint une influence politique prépondérante en la per-
sonne de Gervais, il y eut un chancelier effectif qui alla
jusqu'à prendre lui-même le titre d'archichancelier^ ^ tout
comme il fît revivre le titre d'archichapelain*. Non seu-
lement, il remplit ad vicem summi cancellarii toutes les
fonctions anciennes, mais il lui échut de plus une grande
partie des attributions primitives du comte du palais. Tous
les actes royaux rentrèrent dans son service, il eut la
garde du grand sceau royal, il fut investi d'un pouvoir
judiciaire étendu ^ De la sorte la chancellerie devint l'un
des cinq grands offices de la couronne, tels que nous les
trouvons dominants à la fin du xi* siècle, et, pendant un
temps, il en tint même la tête*.
3° Le chambrier, — Les fonctions organiques du cham-
Soua Robert : Arnuif, archevêque de Reims.
Francon qualifié, en 1007, siimmus cancellarius.
Soîts Philippe : Gervais, arclievêque de Reims.
Geoffroi, évoque de Paris.
Il y a donc eu une prélérence manifeste accordée à l'archevôque
de Reims, depuis le milieu du xe siècle; mais elle n'était pas absolue,
puisqu'à ma connaissance le titre d'archichancelier n'est porté ni
par Elle de Roucie, ni par Oui l^r de Châtillon, et qu'après Gervais ii
l'est par l'évoque de Paris, GeofTroi [Cartul. de saint Corneille^ publié
par Tabbé E. Morel, Compiègne, 1894. Dipl. de Philippe I«'de 1085:
« GosFrido Parisiorum episcopo, archicancellario nostro », p. 43 ; de
1092 : « Gaufridus archicancellarius scripsit et suscripsit », p. 48;
même date ; « Ego Gaufridus archicancellarius relegi atque subs-
cripsi », p. 51).
* Voyez la note précédente.
- « Ego Balduinus in palalio Henrici régis Francorum cancella-
rius... S. Balduini (irchicapellani qui hoc scriptumfierij assit » (Charte
de 10i7, Ducange, v** Capella, 128, col. 2). Voir de môme Cart. Saint-
Père de Chartres, I, p. 154 et 174.
^ Cf. Luchaire, I, p. 175, note 5 et p. 187.
* Diplôme de 1060 pour Saint-Martin-des-Champs, suprà^ p. 454,
note 3.
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 463
briep étaient radministpation financière et Tintroduction
auprès du souverain. Cubiculum^ caméra désignaient à
la fois le Trésor dont il avait la garde et Tappartement du
roi dont il défendait Taccès. La prenriière de ces locutions,
legs direct de la hiérarchie du Bas-Empire, fut d'abord en
faveur : le chambrier s'appelait cubicularius à Tépoque
mérovingienne, ses subordonnés camerariiK Sous les Ca-
rolingiens ce fut l'inverse', le titre de cubiculaire resta
aux subalternes que nous retrouvons encore sous ce nom
au xi° siècle', tandis que le chef d'office retint la qualifi-
cation de chambrier. Représentant de la reine, de laquelle
il relevait directement en qualité de trésorier, intermé-
diaire obligé entre le roi et les grands, il dut sans doute à
cette double qualité d'être membre de droit du grand
conseil décrit par Hincmar et de faire grande figure dans
rhistoire pohtique du ix" siècle. Le célèbre Bernard, duc
deSeptimanie, chef du parti de la reine Judith, son amant,
disaient leurs ennemis, devint le second de l'empire quand
il fut, en 829, élevé par Louis le Pieux à la dignité de
chambrier*. Engelramne, chambrier de Charles le Chauve,
envoyé par lui en mission auprès de Salomon, duc des
Bretons (868), est appelé par l'Annaliste de saint Bertin
« camerarium et hostariorum magistrum atque a secretis
consiliarium suum' ». Theoderic, chambrier de Charles le
Chauve et de Louis le Bègue, fut un égal ou un rival en
puissance de Hugues l'Abbé et de Boson^
* Cf. Tardif, Etudes sur les institut, politiques (Paris, 1881), p. 61.
Brunner, II, p. 101.
2 Dans les Capitulaires, caméra désigne régulièrement le trésor
ou Gsc. Édit de Pistes, II, p. 316. Cf. Gapit. 832, c. 7, II, p. 64.
3 Par exemple CartuL de Longpontf p. 90, 200, etc.
* Éginhard, I, p. 400; Manuel de Dhuoda, p. 18 suiv. et les textes
cités par Himly, Wala, p. 113, 121, etc.
^ Hincmar, Annales de saint Bertin, ad an. 868, p. 183; ad an. 875,
p. 241.
^ Ibid.f p. 272, 278, etc. — Sur le rôle considérable joué par Théo-
46i LIVRE IV. — CHAPITRE Vf.
Le chambrier, au xi* siècle, n'est pas déchu de ce rang
élevé. Il n'en décherra qu'au siècle suivant. Il figure en
tête des grands officiers*; il aurait même été investi da
commandement de l'armée royale, comme le sera plus
tard le sénéchal, s'il fallait en croire un chroniqueur da
xii" siècle*. Lechambrier de Philippe l", Galeran, est, du-
rant plus de trente ans, un des personnages les plus puis-
sants de la cour du roi*.
Ici donc encore le caractère politique de l'office, le drdt
(leric, voir notamment Poupardin, Le royaume de Provence^ p. M,
9i suiv.
* Dans un diplôme de Henri !•' de 1048 (Cart. de Notre-Dame de
Chartres, I, p. 89 suiv.), le chambricr Ragenald ou Renaud, qui Uent
une grande placesous ce règne, appose sa souscription immëdiatemeat
au-dessous de celle des comtes (Thibaud de Blois, comte du palais,
Ive, comte de Beaumont-sur-Oise, Enguerrand, comte du Pôathiea,
Raoul II de Crépy), viennent ensuite des vicomtes et seigneurs, puis
le sénéchal Bernard, le connétable Gauthier. Cf. De mdme. Diplôme
pour la Chaise-Dieu (1051) (H. F. XI, 589), etc.
- Henri de Iluntingdon, qui, à deux reprises parle de la mort à
Mortemer (1054) de Raoul, le chambrier, chef suprême de l'année de
Henri !•' : « interfectus est Radulphus camerarius, princeps exercitùi
Francorum ». « Radulfo summo duce Francorum interfecto » (H. F.
XI, 207 C, 208 E); mais je note que Renaud n'a cessé d'être cham-
brier de 1048 à 1060 (Dipl. de Henri pour Saint-Martin-des-Champi)
et qu'Orderic Vital, si riche en détails sur la bataille de Mortemer,
ne souffle mot du chambrier Raoul. Il énumère pourtant les chels de
Tarmée française et parmi eux Raoul le Grand de Valois, qui fut mis
en fuite (III, p. 160, p. 234, 237). Si Ton remarque que le fils de Raoul
a été appelé primipilus régis Francorum, probablement comme porte-
oriflamme de saint Denis, on voit déjft d'où la confusion a pu ualtre.
D'autre part, Guillaume de Poitiers, le plus voisin des événements
puisqu^il a composé ses Gesta Guillelmi de 1071 à 1077, désigne
3omme l'un des chefs de l'armée Renaud, familiarissimu$ régi» (H-
F. XI, 83 C), que nous savons par Orderic Vital avoir été Renaud,
comte de Clermont-en-Beauvoisis et qu'on a pu facilement prendre
plus tard pour Renaud, le chambrier.
' Il est qualifié magister régis domus dans un diplôme de Phi-
lippe I*' pour Saint-Benoît-sur-Loire (1071) (Prou, Mélanges Haioei^
185).
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 465
qu'il donnait au gouvernement général du royaume, fut lar-
gement prédominant. Les attributions propres de la charge
ne s'en concentreront que davantage aux mains des sous-
chambriers*, et Tadministration financière notamment
passera d'autant plus aisément à ces auxiliaires plus obs-
curs du trône, ces économes royaux, sortis des rangs du
clergé et du peuple, qui précéderont les légistes ^
4*" Le sénéchal. — J'ai décrit les vicissitudes que le se-
néchalat a traversées jusqu'au ix* siècle. Il est àcroire que
la tradition de son importance ancienne ne s'est jamais
perdue, et que ses fonctions palatines n'ont subi aucune
atteinte, alors que son étoile politique était éclipsée par le
comte du palais ou le chambrier. Au xi° siècle, à mesure
que le prestige de la royauté se rehausse, que ses cours
solennelles ou couronnées devinrent une institution régu-
lière, que s'accrut le nombre de ceux qui venaient cher-
cher fortune à la cour du roi ou qui y étaient nourris dès
l'enfance, le rang du sénéchal s'éleva. Il était le maître
de l'hospitalité du palais, il admettait les nouveaux venus
à la table royale ou les en excluait^ Il était le principal
distributeur des largesses, comme l'avait été l'ancien maire
du palais ; l'adoubement des nouveaux chevaliers, leur équi-
pement, dépendaient en grande partie de lui; il avait sous
sa direction les jeunes gens qu'on élevait à la cour*. La
maisnie guerrière relevait ainsi de son office. Il lui appar-
* Luchaire, I, p. 170-171.
'^ Supràf p. 74.
^ C'est la fonction où nous le montrent sans cesse nos vieilles chan-
sons de geste.
* Sur les nourris, voy.T. II, p. 456 suiv. La direction des nourris et
en général du palais, qui s^appelait schola (Cf. moine de Saint-Gall, S.
S. II, 736 : « militares vin vel scholares aulaî »; Lettre des évéques,
858, Cap., II, p. 436 : « Domus régis scola dicitur, id est disciplina »)
a pu faire naître le titre de prœceptor palatinuSy pour désigner soit'
le sénéchal, soit le comte du palais. La Vita Aldrici (Mabillon S. B.
IV, I, 570) définit ainsi la fonctio)i : « Ut vita imperialis aulae et majora
negotia suœ discretionis arbitrio definerentur ».
F. —Tome III. 30
466 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
tenait de maintenir le bon ordre dans la population et flot-
tante et Qxe du palais, de discipliner les uns, d'instruire
les autres, de transmettre à tous les ordres souverains.
Cette situation lui permit, au cours du xi* siècle, d'être
mis à la tête de l'armée et de succéder avec le chance-
lier aux attributions judiciaires du comte du palais^. Elle
permettra, dès laube du siècle suivant, aux maisons de
Rochefort et de Garlande, investies de l'ofBce, de l'ériger
à la hauteur d'une vice-royauté. N'est-il pas remarquable
aussi qu'après la chute retentissante des Garlande, le séné-
chalat fut attribué aux maisons de Vermandois et de Blois,
qui, de longue date, avaient été en possession du comilat
du palais, et qu'ainsi les pleins pouvoirs qu'il avait absor-
bés parurent faire retour à cette dernière dignité*? L'éner-
gie de son action dans la constitution de la pairie de France
s'en trouva avivée.
S° Le bouteiller et le connétable. — Je réunis ces deux
ofGces puisqu'à l'époque qui nous occupe tous deux étaient
au second plan. Ce n'est qu'au xii* siècle que la charge de
bouteiller jeta de l'éclat, grâce à sa transmission ininter-
rompue dans la maison de la Tour de Senlis, et à la faveur
personnelle donteile jouit auprès des rois. Quant à la con-
nétablie, si elle devait être appelée un jour à des destinées
plus brillantes que le sénéchalat lui-même, ce ne fut que
trois siècles plus tard, avec Duguesclin, en pleine guerre
de Cent ans.
La fonction du bouteiller parait déjà considérable dans le
capitulairerfc Villis^. Hincmarnous dit qu'il alaci/ra/io/e/^;
mais nous voyons clairement par les hagiographes que dès
» Cf. Luchaire, I, p. 175.
• ^ La chronique de Morigny parle en ces termes de Tbibaud IV,
comte de Blois : « Theobaldum nomine comitem Carnotensium,
Blesensium, Meldensium, aliarumque multanum proFinciarum, qui
cornes palatiniis et intra Franciam secundus a rege^ divitiis et nobi-
litate tumelactus «... (Duchesne, IV, p. 365),
' G. 16, I, p. 84.
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 467
le viii** siècle loffice était conféré à des milites^ 11 donnait
le titre de princeps pincemarum^y exactement conarae au
xi« siècle encore le bouteiller est qualifié magister pincer-
narum^. Les services domestiques étaient remplis par les
pincerned ou échansons, mais les fonctions administrati-
ves ou économiques devaient être exercées par le bouteil-
ler lui-même, car elles étaient lucratives, elles compor-
taient des profits ou prélèvements de toute sorte. Le vin
représentait un élément fort précieux des revenus du do-
maine ou du fisc, qu'il provînt de redevances en nature,
ou fût le produit direct des vignobles royaux, si abon-
dants dans la région orléanaise. Le bouteiller s'immisçait
par là dans l'administration du domaine et la gestion du
fisc, il ne devait pas veiller seulement à l'alimentation des
caves du roi, mais à la vente des excédents de récoltes,
à l'établissement de pressoirs banaux, à la rentrée ou
au rachat des impôts de tonlieu, forage, pressurage, etc.,
au jugement des contestations auxquelles ils donnaient
lieu. Son champ d'action s'élargit ainsi à vue d'œil, dans
l'ordre financier et politique.
Nous trouvons de fréquentes mentions du corner stabuH
dans Grégoire de Tours et pouvons y relever l'expression
àecomitatus stabulorum\ A l'époque carolingienne, cet
officier avait plusieurs marescalci sous ses ordres, et tel
nous apparaît-il aassi au xI'*siècle^ La fonction avait ga-
gné en importance politique et militaire quand la cavalerie
était devenue, au viii* siècle, la force vitale de l'armée, et
sa dignité ne pouvait que se relever de plus en plus, comme
* Vie de saint Ilerbland (Mabillon, S. B. III, 385).
« Eod. loc.
3 Luchaire, I, p. 171, note 2.
* SS. rermerov., I, p. 239»^
^ Luchaire, I, p. 167. — Marbode dans la Vie de saint Lezin (Migne,
171, c. 1494) fait du cornes stabuli un tribiinus militum. La pre-
mière vie du même saint indique également que le connétable avait
des fonctions milittiires (II. F. III, 486),
468 LITRE IV. — CHAPITRE VI.
son autorité grandir, à mesure que la chevalerie deve-
nait une institution sociale. Nos vieux chants épiques glo-
rifient le cheval, ils le personnifient, ils célèbrent ses
prouesses, ils en font, en quelque manière, un preux*. Il y
a là plus qu'une fiction poétique. Ainsi que pour l'Arabe de
nos jours, le cheval est un compagnon pour le chevalier
du Moyen âge. Pourquoi n'y aurait-il pas eu un comte de
l'écurie à côté du comte du palais? La qualification est
romaine', Tacception est médiévale.
Je terminerai cet exposé par une double remarque. La
première, que l'autorité, le pouvoir que nous avons cons-
tatés aux mains de tel ou tel grand officier ne sont pas né-
cessairement inhérents à sa charge, qu'ils peuvent tenir à
la faveur toute personnelle dont le titulaire a joui auprès
du souverain. Il ne faudrait donc pas attacher une valeur
* « Equos qui nominibus propriis vulgo sunt nobilitati », dira Guil-
laume de Poitiers (H. F. Xï, 77-78). — J'aurai à revenir sur ce siyet
en traitant des mœurs publiques et privées. Je me borne ici à rele-
ver la circonstance que le cheval est un héros dans nos plus vieilles
chansons de geste. Tel Broiefort, dans Ogier lô Danois. Il sauve son
maître on une chevauchée épique de plusieurs jours et plusieurs
nuits. L'armée de Charlemagne, incessamment pourvue de chevaux
de rechange, ne parvient pas à l'atteindre (Ogier, v.5825 suiv., surtout
V. 5970 suiv.). Toute la France est en suspens sur cette question :
Broielbrt est -il vivant ou mort? S*il est mort :
« France est perdue et la crestienté ».
(v.l(©91).
Ogier ne pourra pas combattre le champion des Sarrasins :
(« Kn la bat Ail le ne me verres entrer
Se nai cheval ou me puisse fier ».
Aussi quelle joie quand on le retrouve réduit par son maître d'oc-
casion aune condition obscure, humble roncin tirant une charge dont
quatre chevaux gascons ne viendraient pas à bout (v. 10555 suiv.).
Voir tout cet épisode jusqu'à la reconnaissance entre le coursier et
N' preux, qui arrache des larmes à Charlemagne et à sa cour (v. 10701
suiv.).
- Cornes stabnli (C. Theod., G. 3, De eqxior, co//., XI, 17).
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 469
trop absolue aux fluctuations historiques que j ai notées
dans la hiérarchie des divers ofBces.
Je veux observer d'autre part qu'en énumérant, pour
autant que les documents historiques strictement contem-
porains (x'-xi° siècle) me l'ont permis, les attributions
particulières de chacun des grands dignitaires du palais,
je n'ai pas cru devoir rappeler chaque fois les attribu-
tions générales qui leur sont communes en qualité de
palatins et de domestici^ la place prépondérante, en
d'autres termes, qu'ils occupent à la cour du palais,
§ 2. — Vost du roi.
Depuis la fédération primitive des tribus franques jus-
qu'au vaste empire fédératif de Charlemagne, dans sa
période de croissance et dans sa période d'épanouissement,
la monarchie franque a été d'essence guerrière. Elle le
demeura par la force des événements, dans les luttes
qui s'engagèrent autour d'elle au ix'' et au x* siècle, et
dans la laborieuse reconstitution de son unité entreprise
par les Capétiens du xi*. C'est dans l'armée, dans l'ost
royale que se reflète peut-être le mieux le jeu des institu-
tions. Le service de guerre, auxilium, l'emporte, à ce
point de vue, sur le service de cour. Suprématie franque,
hommage lige naturel ou leudesamio, bénéfice et hom-
mage exprès, maisnie royale et pairie vassalique ou prin-
cière y ont imprimé, avec une netteté particulière, l'effigie
de leurs vicissitudes successives.
Au moment de la conquête des Gaules, l'armée franque
faisait un avec la nation légale, celle-ci n'était que la nation
armée. Tous les Francs libres, aptes au métier des armes,
et eux seuls, la composaient. Ils étaient des leudes, desari-
mans (kerimanni)^ activement et passivement, ayant droit
à porter les armes, et étant tenus à combattre en vertu
de la fidélité jurée (leudesamio) au chef de la nation.
A l'époque carolingienne, il n'en fut plus de même^
470 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
L'armée présenta l'aspect d'une fédération placée sous
rhégémonie, sous la suprématie du groupe ethnique des
Francs. Ce ne fut pas un privilège des Francs de composer
Tarmée, mais ce fut un privilège du roi des Francs de la
commander. Elle comprenait maintenantles nationalités ger-
maines les plus diverses, de même que les populations ro-
manisées, elle comprenait des affranchis à côté des hommes
libres de race. Mais les groupes nationaux ne se confon-
daient pas ou ne se mêlaient que dans de faibles propor-
tions. Le groupe ethnique des Francs, renforcé par voie
d'assimilation, resta distinct et prépotent sous les armes,
comme il l'était dans l'État. Son chef, le réx Francorum,
était le maître de l'armée recrutée parmi les autres natio-
nalités*. Chacune d'elles formait un organisme militaire*,
un corps d'armée conduit par son duxoxx princeps^. C'était
l'ensemble de ces contingents qui constituait VhosliSy Tost.
Chaque contingent {exerciius, ^cara)* avait son enseigne,
son signum ou vexillum^. Le signe de ralliement des Francs,
* « Carolus imperator... cum omnibus copiis in Franciam venit et
cum Langobardis, Baioariis, Alamannis, Thuringis, Saxonibus, Fre-
sonibus et omnibus regnis suae dilioni subditis, NorUnannos... obsi-
dere exorsus est » (Reginon, ad an. 882, p. 119).
^ Voyez par exemple : Ann. Sl-Bertin., ad an. 867 : « Hludovicus,
Hludovicum filium suum cum Saxonibus et Toringis adversus Abodri-
tos hostiliter dirigit; et reliquum populum regni sui paratumesse prae-
cipit »; Aniu Fuld.^ ad an. 888 : « Rex (Arnulfus)... misso Alaman-
nico exercitu, ipse per Franciam Baiowariam reversas est, etc »; Ann.
Fuld.y ad an. 802, p. 121 ; « consultum est ut tribus exercitibus
armatis rognum illud invaderet.Rex equidem assumptis secum Fran-
cis, Baioariis, Alamannis... »
3 Cf. Baldamus, Das Ileerwesen tinter dcn spàteren Karolingem
(Brcslau, 1879), p. 59.
* Le sens général du mot scara (Allem.: schar) est turma ou cohorz^
corps de troupe. Eginhard, en paraphrasant les Ann. Lauresh., lui
substitue d'ordinaire le mot exercitiis. Adémar de Chabannes le con-
serve, en reproduisant les mêmes Annales.
^ w Arnulfus rex excrcitumdirigit... Principes... consulunt... Pos-
tera flie... omnes armantur et levatis vexillis,,. ad pugnam gradiun*
ORGANES ET MOYENS D* ACTION DE LA ROYAUTÉ. 471
de la scara francisca *, était l'enseigne royale, le regium
vexillum *, que portait un signifer d'élite ^ et que, dans les
conjonctures extrêmes, on voit porté par le roi lui-môme*.
L'avant-garde ou le nerf (roiwr) àeVexercitusfranciscusAQ-
vaitêtre formé par la maisnie, la maison du roi, dont nous
reparlerons, par sa scara propre, la scara rey fa', corps per-
tur... Unusquisque procerum duodecim ex suis milleret, etc. » (Re-
ginon, ad an. 891, p. 136-137).
* La scara Francisca ou scara Franconim apparaît, dans les Annales
Carolingiennes, sans cesse au premier rang, pour rétablir le combat,
fixer la victoire, suppléer à Tinsuffisance ou à la mauvaise volonté des
autres contingents. En 876, à la bataille d'Andernach, les Saxons,
avant-garde de Louis III de Saxe, tléchissent, les Francs remportent
Ja victoire sur Charles le Chauve, dont les porte-étendards [signiferi)
sont tués [Ann, Fuld., ad an. 876, p. 88). En 891, Arnulf se met en
marche contre les Normands avec une armée de Francs et une armée
d'Alamans. Ceux-ci restent en route : « in Nordmannos cum Francis,
Alamannico exercitu inutile secum assumpto iter arripuit. Sed Ala-
manni quasi egrotantes in rege domum relapsi sunt » {Ibid, ad an.
881, p. 119).
2 « Reginarius comes, qui regium vexillum ferebat » (Reginon, ad
an. 876, p. 112).
3 De là l'histoire légendaire d'Ingon, racontée par Richer : « Cum
agitaretur, quis regium signum efferret, eo quod in tanta nobilium
manu nullus sine vulnere videbatur,... Odo rex dixit : « Nostro
inquit, dono ac principum voluntate signifer esto »... Factusque
cunei militaris acumen,.. » (Richer I, 9). Cf. Dudon de St-Quentin,
éd. Lair, p. 155 : « Tum quidam Francisci agminis signifer j nomine
Rotlandus... » — Chaque scara pouvait avoir plusieurs porte-éten-
dards. Le capitulaire de 846, qui convoque, pour Texpédition contre
les Sarrasins d'Italie, des contingents de laFrancie, de la Bourgogne
et de la Provence (cap. 9), distingue trois scarae : la scara Francisca,
et deux autres (probablement de Bourgogne et de Provence), et dans
chacune d'elles désigne plusieurs signifer (cap. 13) (Capit. II, p. 67-68).
* Pour décider les Francs à combattre à pied contre les Normands,
genre de combat dont ils avaient, (lès la fin du ix* siècle, perdu
l'usage (quia Francis pedetemptim certare inusitatum est), Arnulf les
harangue en ces termes : « Nunc milites agite,... me primum equo
descendentem, signa manu praeferentem sequimini » [Ann. Fuld.,
ad an. 891, p. 120).
5 Eu 778, les Annales de Lorsch relatent l'envoi par Charlemagne,
472 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
manent toujours sous sa main, prêt pour les suprises ou les
expéditions rapides, sans convocation ni ordre d'appel \
Il est superflu de s'appesantir ici sur le mode de recru-
tement très variable des corps d'armée de nationalité
diverse^, puisqu'à Texception de celui des Francs de
chaque royaume ils ne relevèrent plus, dès la fin du
ix** siècle, que des principes, rois, ducs ou comtes, aux-
quels les groupes ethniques qu'ils représentaient furent
soumis. iMais il importe de déterminer la nature et le sort
des assises sur lesquelles le recrutement reposait.
Le principe fondamental n'a pas varié, durant toute la
période franque : c'était l'obligation du service pour tous
ceux qui devaient fidélité au roi, quelle que fût leur con-
dition sociale, qu'ils fussent riches ou pauvres, posses-
seurs du sol ou sans terre, alleutiers ou bénéficiers'. Mais
à raison de la fréquence des appels, de la longue durée
des expéditions lointaines, de l'extension, de la généralisa-
tion même du service de cavalerie ^, du perfectionnement
de l'armement', de l'obligation d'autant plus lourde pour
contre les Saxons, d*une scara Prancisca : a mittens scaram Fran-
ciscain... ad resistendos Saxones » (Ann. Laur., ad an. 778. Cf. Ade-
mar de Chabannes II, 5, p. 70). Reginon rappelle le fait en ces termes :
« misit scaram iinam ex eleetis viris quae eorum violentiae resisteret
Saxones audientes... adventum Franeorum » (ad an. 778, p. 52). La
mention de la scara du roi, scara sua, est fréquente chez les anna -
listes carolingiens.
* Cf. Ann, Lauresh, ad an. 803 : « sine hoste fecit eodem auno»
excepto quod scaras suas transmisit in circuitu, ubi necesse fuit ».
* Il n*y avait pas de réglementation fixe. L'ordre d'appel variait
selon les circonstances. Un capitulaire spécial en décidait pour chaque
expédition.
^ Cf. Brunner, Rechtsgeschichte, II, p. 203 suiv.
* Voyez note 4 de la page précédente.
^ L'armure lourde se substitue à Tarmure légère, de même que la
lance prend décidément le dessus sur les armes de jet, à mesure que
le service de cavalerie se développe. Dès 805, la broigne {brunia,
lorica) devient obligatoire, mais elle ne Test que pour le possesseur
d'au moins douze manses (Cap. miss. c. 6, L p- i23). Broigne et
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 473
le soldai de s'équiper et de s'entretenir, le service, dès le
règne de Charlemagne, ne put plus être exigé en fait de
ceux qui ne possédaient pas un certain avoir mobilier ou
immobilier*, ou que leurs occupations (clercs, ministe-
riales) retenaient à demeure. En échange on leur imposa
des contributions en argent ou en nature qui devaient
servir à équiper et à entretenir les recrues que le comte
choisirait, soit dans leurs rangs, soit même en dehors. Ce
n'est qu'en cas d'invasion, pour la défense générale du
royaume [landwer) que tous, y compris les clercs, pou-
vaient être l'objet d'une levée en masse '.
Ainsi l'effectif de l'ost royal baissa dans une très forte
proportion; En outre son recrutement fut médiatisé. C'était
aux ducs et comtes que l'ordre d'appel était personnelle-
ment adressé '. Le roi leur réclamait un certain contin-
heaume (galea) sonl déjà exigés des évoques, comtes, abbés : « Ha-
beant loricas vel galeas » (Cap. Aquisgr. 801-813, c. 9, I, p. 171).
Cf. Reginon, ad an. 867 : « R. nimio calore exestuans, gaUam et
loricam déposait ».
* Le principe devint fixe, mais le taux varia sans cesse avec les
convocations. Ainsi, en 807, pour les habitants de la Gaule occidentale
(Sud et Ouest de la Seine) le cens militaire est fixé à 3 manses ou
600 sols, pouvant être constitué par la réunion de six contribuables,
de sorte qu'il est en réalité de 100 sols (Cap. I, p. 134-135). L'année
suivante, et très probablement pour la même région, il est élevé à
4 manses [Ibid, p. 137).
* « Nisi talis regni invasio, quam lantweri dicunt, quod absit, acci-
dent ut omnis populus illius regni ad eam repellendam communiter per-
gat » (Conv. apud, Marsn. 847, Capit. II, p. 71). — a Cuncti sint prae-
parati ad quamcumque necessitatem imminentem, ut secundum con-
suetudinem, prout nécessitas evenerit... ad defendendam sanctam Dei
ecclesiam et regnum omnes sint praeparati » (Cap. Silvac, 853, c. 10, II,
p. 273-4). — Cap. Caris. 877, c. 10, II, p. 358. —Cf. Reginon, ad an.
882, p. 1 18 : « Innumera multitudo peditum ex agris et villis in unum
agmen conglobata eos (Nortmannos) quasi pugnatura adgreditur. Sed
Nortmanni cémentes ignobile vulgus non tantum inerme quantum
disciplina militari nudatum,... tanta caede prosternunt, ut bruta
animalia non homines mactari viderentur ».
> Cf. Brunner, II, p. 215, 216.
474 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
gent. A eux de le fournir par les hommes qu'ils levaieut
parmi leurs vassaux propres ou leurs admiDistrés, en les
obligeant à s'équiper eux-mêmes ou en les faisant équiper
par les contribuables *.
Un phénomène analogue, marqué par la diminution du
nombre des recrues et Tin terposition de répondants, se pro-
duisit pour les hommes des grands propriétaires, laïques
ou ecclésiastiques, que ceux-ci avaient mis en mesure, par
des concessions de bénéfices ou de tenures, de s'acquitter
du service de Tost royale. L'enrôlement procédcdt ici, en
définitive, du bon vouloir des concédants : sa possibilité
naissait de la tenure seigneuriale et prenait fin par sa ré-
vocation. Le roi n'atteignait donc les hommes ainsi posses-
siennes que s'il pouvait semondre leur seigneur* en vertu
de la fidélité qu'il lui avait jurée (fidélité plus stricte pour
le bénéficier royal ou pour le délenteur de biens ecclésias-
tiques sur lesquels le souverain prétendait avoir la haute
main). La catégorie de ces recrues purement éventuelles
et en sous-ordre s'étendit par l'usage des précaires, qui
permirent aux petits propriétaires d'éluder robligation
du service direct en abandonnant leurs biens en pleine
propriété à des seigneurs et les reprenant à titre d'usu-
fruit.
L'ost royale se disloqua de la sorte en contingents com-
taux, ducaux, seigneuriaux'. Le chef de chaque contingent
fut le seul obligé. Il fut rendu responsable de ses hommes^
* Capit. Olon. 825, c. 1, I, p. 329, 330.
'^ Voyez le très typique ordre d'appel adressé à Tabbé de Saint-
Quentin, Fuirade (804-811) (Capit. I, p. 168).
3 Cliaque seigneur, dès le ixe siècle, paraît avoir eu son gonfanon,
et son gonl'anonier : w unusquisque episcopus, vel abbas, seu abba-
tissa, cum omni plenitudine et neeessario hostiii apparatuet adtempus
suos homines illuc transmiserit cum guntfanonario » (Cap. Tusiac.,
865, c. 13, II, p. 331). Les hommes du seigneur sont ses scariti (Cf.
Cap. 805, c. 5, II, p. 92).
* « Omnes qui in suo obsequio in tali itinere pergunt, sive sui sînt
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 475
chargé de leur équipement et deleur entretien*, il reçut sur
eux tout pouvoir disciplinaire*. De combattants auxquels il
put commander directement, le roi fut réduit à n'en plus
trouver que dans son armée personnelle, sa^cara, sa mais-
nie. Nous savons de quels éléments elle se compose : ce
sont tous ceux qui sont rattachés de près ou de loin au
palais, à la casa^ qui sont casati^. Les uns sont pourvus
d'offices de la cour {austaldi, ministerîales)\ et de ce chef
astreints à un service continu auprès de la personne du
roi, obligés à raccompagner et à l'assister dans ses fonc-
tions guerrières; d'autres, soldats éprouvés {milites) et
jeunes recrues {lirones, nutriti), sont entretenus au palais
sive alieni, ut ille de eorum factis rationem se sciât redditurum, et
quicquid ipsi in pace violanda delinquerint, ad ipsius débet plivium
pervenire » {Admon. ad omnes regni ordines, 823-25, c. 17, I,
p. 305).
* Cf. par exemple, l'ordre d*appel cité note 2, suprà,
» Cf. Capit. Silv. 855, c. 13, II, p. 274.
3 J'ai déjà indiqué plus haut (p. 76, note) le sens fondamental des
mots casatiy casamentum. Leur étroite connexité avec la maisnie, la
synonymie de casatus et de domesticus ressorlent très clairement, à
mes yeux, des textes suivants : Capit. de exercitii promov., 808, c. 4
(I, p. 137) : « De hominibus comitum casatis isti sunt excipiendi...
duo qui dimissi fuerunt cum uxore illius et duo qui propter minis-
feriwmejuscustodiendum et servitium nostrum iaciendum remanere
jussi sunt... Episcopus vero vel abbas duo tantum de casatis etlaicis
hominibus suis domi dimittant ». — Cap. de rébus exercitalibus, 8H,
c. 4 (I, p. 165) : « quod episcopi et abbates sive comités dimittunt
eorum liberos homines ad casarrij in nomine miniaterialium, simi-
liter et abbatissae : hi sunt falconarii, venatores, telonearii, praepositi,
decani et alii qui missos recipiunt et eorum sequentes ». — Capit. Bo-
non. 811, c. 7 (I, p. 1G7) : « De vassis dominicis qui adhuc intra
casam seniunt, et lamen bénéficia habere noscuntur, statutum est,
ut quicumque ex eis cum domno imperatore domi remanserint vas-
sallos suos casatos secum non retineant, sed cum comité cujus pa-
genses sunt ire permittat ».
* c< Austaldi nostri in nostris ministeriis » (Capit., 801-810, c. 10,
I, p. 210). — u Dominici vassi qui austaldi sunt et in nostro palatio
fréquenter serviunt » (Cap. de exped. Corsica, 825, c. 1, 1, p. 325).
476 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
et participent à d'incessantes largesses : ils doivent être en
tout temps prêts à marcher. D'autres encore, après êire
entrés par la recommandation dans la familia du roi, et
l'avoir vaillamment servi, ont reçu de lui des bénéBces ou
possèdent des alleux sur lesquels ils résident et vivent*.
Il en est enfin qui sont enrôlés spécialement en vue d'une
expédition ou pour un temps donné {soldurti).
Je viens de me placer vers la 6n du ix* siècle. Deman-
dons-nous maintenant comment l'évolution à laquelle nous
venons d'assister s'est poursuivie dans les deux siècles
postérieurs. Les honorait, ducs, comtes, évoques, des sei-
gneurs aussi ou de grands propriétaires deviennent prin-
cipes^ chefs de groupes ethniques. Ce sont eux qui se
trouvent les maîtres de l'armée composée de leurs pa-
irienseSj ou pagemes^ sujets ou vassaux. En dehors de
la Francie, ils ne sont plus rattachés au roi que par le lien
de suprématie; ils ne sont plus tenus de lui amener Tost
que comme pares Francorunij lui devant la fidélité et non
^ La distinction entre les vassi domtntctqui soni minùterialety ceux
qui résident sur leurs alleux, et ceux qui résident sur leurs bénéfices,
est très nettement faite dans le Capit. pour l'expédition de Gone
(825), et elle justifie pleinement mon opinion qu'en principe le se^
vice n'était pas dû à raison du bénéfice, mais à raison de la fidélité
(suprày p. 67]. Le bénéfice, comme la propriété allodiale, n'était
qu'une condition de fait, plus ou moins rigoureuse, du devoir mili-
taire. Par Toctroi d'un bénéfice, elle était réalisée pleinement (sauf
dispense à raison du service de cour); quanta Talleu le roi ou ses
représentants (comtes, etc.) appréciaient les obligations dont son
détenteur pouvait être tenu. Ainsi trois catégories de vasH dominid :
les officiers de la cour dispensés de Tost pour rester auprès du roi;
les alleutiers résidant sur leurs terres et que le roi, suivant les cas, ap-
pelle ou dispense; les bénéficiers qui doivent marcher en tout cas,
s'ils résident sur leurs bénéfices, c'est-à-dire s'ils ne sont pas retenus
à la cour : u Dominici vassi qui austaldi sunt et in nostro palatio
fréquenter scrviunt, volumus ut remaneant... qui autem in eorum
propriotate manent, volumus scire qui sint et adhuc considerare vo-
lumus quis eant aut quis remaneant; illi vero qui bénéficia nostra
habent et foris manent, volumus ut eant » (CapiU I, p. 325).
ORGANES ET MOYENS d' ACTION DE LA ROYAUTE. 477
l'hommage*. La levée en masse pour la défense de la
petite patrie, la landwer locale ou régionale, c'est le/?rm-
ceps qui Topère^. Toutefois Tidée de grande patrie n'est
pas oblitérée. Que la Gaule tout entière eût à lutter contre
un ennemi commun, le chef qui devrait la mener au
combat ce serait le roi des Francs. Dans les récits légen-
daires où Richer nous raconte les combats du roi Eudes
et du duc des Francs, Robert, contre les Normands, il nous
montre le premier convoquant par ban royal, edicto regio^
les guerriers de l'Aquitaine, de la Provence, de la Gothie,
pour former avec eux une armée de seize mille hommes
(10.000 équités, 6.000 pedites)^ et le second recrutant
quarante mille hommes de la Neustrie, de l'Aquitaine et
de la Belgique*. Ce sont, je le veux bien, des fictions poé-
tiques, transcrites sans doute de vieilles chansons de
* Nous reviendrons en détail sur ce sujet en traitant du Principal,
Je me borne en ce moment à citer quelques exemples de service
d'ost fourni par des principes de la Gaule : u Rex Robertus, coUecto
in unum exercitu valido, tam de gente Francorum, quam Normanno-
rum, habens secum Richardum potentissimum ducem ipsorum, »
(1003, Hist, episc. Autiss,., H. F. X, 171 D) — « exercitum deductume
Normannia solà regio majorem, omnique collegio quantum adduxe-
rant vel miserant comités plurimi » (après 1047, Guill. le Poitevin,
H. F. XI, 77 G). — « Rex (Philippus)... undequaque militum contrahit
manum. Intor reliquos etiam auxiliares exercitum de Burgundia ad-
ventare jubet qui, accepto mandato, in Franciam properant, dux vide-
licet ejusdem Burgundiae Odo, Nivernensium comes Guillelmus, Au-
tissiodorensium pontifex Gaufredus, et alii quamplures » (Miracles
de saint-Benoit, H. F. XI, 487 A).
2 Voyez entre autres les textes que j'ai groupés, T. I, p. 317-
318).
•^ « Odo... quotquot ex Aquitania potuit, edicto regio congregari
precepit milites peditesque. Ex Provintia quoque... Arelatenses ac
Aurasicanos habuit. Sed et ex Gothia Tholosanos atque Nemausinos.
Quibus collectis, exercitus regius inXmilibus equitum, peditum vero
VI milibus erat » (Richer, I, 7). — « Dux vero (Rotbertus) ex tota
Neustria copias collegerat. Plures quoque ex Aquitania accersiverat.
Aderant etiam ab rege missae IV cohortes ex Bclgica.,. Sicque totus
ducis exercitus in XL.M. equitum consistebat « (I, 28).
478 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
geste, mais le fait qu'un chroniqueur de la seconde moitié
du X* siècle nous les présente comme des récits histori-
ques prouve qu*ils ne choquaient pas la vraisemblance,
qu'ils s'accordaient avec la réalité possible de son temps.
Et, en effet, dans un passage de son livre dont la vérité
objective n'est pas contestée, nous voyons les rois Hugoes
Capet et Robert envoyer leurs messagers aussi bien dans
TÂquitaine et le Languedoc qu'en Francie, pour lever une
armée de 6.000 équités, qu'ils conduiront contre Charles
de Lorraine*.
Au siècle suivant, des levées analogues se produisent
En 1054, les principes de la Gaule se sont coalisés contre
Guillaume le Conquérant, auquel ils reprochent précisément
de ne pas se rendre aussi fréquemment qu'ils le font
eux-mêmes à l'appel, à la semonce du roi *. Henri I" par-
vient, en conséquence, à lever par édit royal' une immense
1 « Legatos qimquavcrsum dirigunt. Gallos, quos hinc Hatrona,
inde «ibluit Ganinna contra tirannum invitant... collectis itaque VI
M. eqiiitum, in hostem vadunt » (Richer, IV, 48).
- « Coiidolentes, Tctbaldiis, Pictavorum cornes Gaufredus itemque
rcJiqiii siininiates, quadam indignations privata intolerandum duce-
bant sese régis qvocnmqnc praevia vocarent signis parère^ Ouillel-
mum Norman nom m nequaquam pro rege sed conÛdenter atque in-
desinenter ad ejus magnitudinem, quam aliquantum attri^t, uUerius
atterendam, vel quà via valeat conterendam, in armis agitare « (GuilL
le Poitevin, H. F. XI, 83).
3 (c Qua magnanimitate Francorum asperneretur enses atque unî-
versorum qui contra se regia cclicto fuerunt evocati » {Ibid., H. F. XI,
78 B). La convocation se faisait par messagers ou hrefÉ. Les chansons
de geste surtout nous la montrent en action. Il suffira de citer ce
passage d'Ogier :
o II (CharlemagDo) fist ses cartes et ses briës seeler
Par son roialme ses messages aler
Ses barons fist et semondrc et mander
N'i reniaijrne Iiom qi armes puisl porter
Que il ne viegne a Loon la cité ».
(v. 4835 et suiv.).
Nous savons d'autre part, qu'edictum et bannum sont synonymes
(Cf. suprà, p. 340 et suiv.). — Dans un des premiers monuments du
théâtre français, le jeu de Saint-Nicolas, par Jean Bodel (xii^ziii* siè-
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 479
armée dans la Gaule, ingens exercitus Galliae\ Elle com-
prend les Celto-Gaulois, les Belges, les Aquitains, c'est-à-
dire, à côté des contingents de la Francie, ceux de l'Aqui-
taine, de la Bourgogne, de la Flandre, de la Bretagne même
et de la Gascogne*. Le succès malheureusement ne répon-
dit pas à Teffort : des deux corps d'armée qui envahirent la
Normandie, commandés l'un par Eude, frère du roi', l'autre
par le roi en personne*, le premier fut écrasé à Mortemer,
des), je retrouve un écho, probablement fidèle, d'une convocation
par ban de Tost royal :
« Oiiés, oiiés, oies signeur,
Oies vo preu et vo honneur,
Je fac le ban le roy d'Aufrike
Que tout à viegnent, povre et rique
Garni de leurs armes, par ban...
Tout vegnent garni ceste part
Et toute l'autre gent grifaigne,
Séurs soit quiconque remaigne
Que li roys le fera tuer.
N'i a plus, or poès huer ».
(Monmerqué, Théâtre fr. au M. A,, p. 165-6).
* « Ingentem exercitum Galliae in duas partes divisit rex Henri-
cus » (Orderic Vital, III, p. 234).
' « Innumerosissimae copiae in Normanniam expeditae sunt. Bur-
gundiam, Arverniam atque V^asconiam properare videres horribiles
ferro; immo vires tanti regni quantum in climata mundi quatuor pa-
tent cunctas; Franci'arn tamen et Britanniam quantô nobis viciniores,
tantô ardentius infestas » (GuiQ. le Poitevin, H. F. XI, 83 B). — La
présence de contingents gascons est très naturelle si Ton admet, avec
VArt de vérifier les dates (II, p. 256, p. 356) que le ducatus de Gas-
cogne a été dès 1052 cédé par Bernard Tumapaler au comte de Poi-
tiers Guy GeofTroi. — Cette date est contredite, sans aucune preuve
ni motif plausible, par M. Alfred Richard, dans un livre qui paraît
au moment où je révise cette note {Histoire des comtes de Poitou^
1. 1 (Paris, 1903), p. 290-291.
^ Ducibus fratre régis Odone et Rainaldo familiarissimo, interflu-
men Rhenum et Sequanam collecti, quae Gallia Belgica nuncupa-
tur » (H. F. XI 83 C).
* « Quantus miles inter Sequanam et Garonnam fluvios colligere-»
tur, quas gentes multas uno nomine Celtigallos appellant ; ii nos hac
rege ipso duce invaderent... regera in super comitabatur Aquitania,
480 LIVRE IV. — CHAPITRB VI.
et le second dut se replier en désordre. Heari I" as se tint
pas pour battu. II renouvela sa tentative quelques années
plus tard, avec une armée un peu moins nombreuse ^ Elle
échoua de môme.
La campagne que Philippe I*' mena en 1071 contre
Robert le Frison soutenu par la Flandre flamingantei la
Hollande et la Frise, prit toutes les apparences d'une
guerre nationale. S'il faut ajouter foi aux chroniqueurs
flamands, les évêques de Paris, Lyon, Amiens, des troupes
de Francs, de Normands, de Champenois, de Poitevins, de
Bourguignons et une multitude d'autres, composaient Tost
royale ^ Elle succomba à la bataille de Cassel (22 février
1071).
Le principe des levées générales ne s'est donc jamais
perdu et c'est de lui qu'a pu procéder, en partie au moins,
le droit pour la royauté de réclamer lé concours armé des
associations de paix et des milices paroissiales'. Ici, du
f»ars Galliae terlia et latitudine regionum et muUiiudine hominum a
plerisque aestimata » (Ibid.),
* 1057-1058, H. F. XI, 84D-E : « exercitu coacto copioso quidem,
ol minus quam antea immani ».
'^ «< Aflvenit rex Phiiippus el cum eo validus armatorum cuneus.
Guirridus Farisiensis episcopus... Ep. Lugdunensis, Ep. Ambianensis,
Francij Normamii, Rocinenses, Noviomenses Campanienses, Seno-
nenses, Ton»tenses, Remensefi, Catalaunenses, Camotenses, Aurelia-
nenses, Stampenses, Monliacutenses, Ribelmontenses, Suessionen-
ses, Andegavcnses, Pictavicnses, Barrolonenses, Nadaveroenses,
Burgundienses, et caeteri innumerabiles » {GeneaL Comit, Plandr.,
H. F. XI, 391 B).
•' Nous traiterons des premières en même temps que de la paix de
Dieu, au volume suivant. Quantiaux milices paroissiales, sous la con-
duite de leurs prêtres, qui portent des bannières (vexiUa)^ elles vont
dès 1094 aider le roi Philippe et le duc Robert Courte Heuse à as-
siéger Bréval, sur les confins de la Normandie et du pays Mantois.
Un ordre de convocation a du être adressé à leurs prêtres, de même
que les abbos sont tenus (coacti) d'amener leurs hommes : « Illuc
prosbyteri cum jmrocliianis suis vexilla tulerunt, et abbates cum ho-
minibus suis coacti convenerunt » (Orderic Vital, III, p. 415). —
Quelques années plus tard, le môme chroniqueur nous dira que,
ORGANES ET MOYENS D ACTION DE LA ROYAUTÉ. 481
reste, entrait enjeu, soil l'autorité quels roi avait sur les
populations pour lesquelles le principat se confondait avec
la royauté \ soit son pouvoir général sur l'Église ', pou-
voir qui lui subordonnait plus étroitement les clercs que
les laïques, et qui a pu s'étendre sans peine sur les grou-
pements religieux (paroisses ou associations).
Mais les effectifs fournis, aux x° et xi" siècles, par les levées
générales étaient en somme peu élevés, ou, quand ils l'é-
taient, peu solides. Je n'ai pu qu'enregistrer leurs défaites.
Le nombre ne suppléait pas à la qualité et à la cohésion
manquantes. Les lenteurs des recrutements lointains, les
résistances auxquelles ils se heurtaient étaient autant de
causes de faiblesse ide l'ost royal. Et puis il y avait en
dehors des guerres nationales ou des guerres déclarées,
bellum publicum, nominatum^ ^ expediiio généralisa ^ les
durant la vieillesse de Philippe et pour rétablir Tordre, son fils Louis
ayant dû, par toute la Gaule, requérir l'aide des évoques, le grou-
pement du peuple en communautés fut décidé par eux, afin que les
prêtres accompagnassent le roi aux sièges et aux combats, la ban-
nière au vent, suivis de tous leurs paroissiens : « auxilium totam per
Galliam deposcere coactus est episcoporum. Tune ergo communitas
in Francia popularis statuta est a prœsulibus, et presbyteri comita-
rentur régi ad obsidionem vel pugnam cum vexillis et parochianis
omnibus » (Ihid,^ IV, p. 285).
* Suprà, p. 231.
2 Supràj p. 243 suiv.
3 Cf. Charte de Guillaume d'Aquitaine (1087) (Besly, p. 404) :
« liberos et francos... ab omni exercitu et expeditione excepta illa que
vocatur nomine belli, cum scilicet dominus Pictavis bellum acturus est
cum aliquo inimicorum suorum ». (La charte dont celle-ci est la con-
firmation porte : « agatur nomine belli ») Les expressions « nomine
belli, bellum denominatum, nominatum sont opposées fréquemment à
celles d* « equitatus, cavalcata, expeditio », etc. — Guillaume le Poit-
tevin admire Guillaume le Conquérant d'avoir déclaré, dénoncé une
guerre quarante jours à l'avance : « Ut magis admirere, ipsum hostem
incautum vel imparatum non aggreditur ; sed prius ei diebus XL ubi,
quando, cujus rei gratia sit adventurus, denuntiat » (H. F. XI, 84 B).
* Cf. Orderic Vital (III, p. 36) : « Nec eant nisi in generaJem prin-
cipis Normanniae expcditionem ».
F. —Tome 111. 31
482 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
expéditions royales, les razzias, les coups de maiD, les
parties de guerre, comme nous disons aujourd'hui les
parties de chasse, expédition cavalcata, equitaius^ pour
lesquels une longue mobilisation était impraticable. Il fal-
lait, dès lors, au roi une armée sur qui il pût compter en
tout temps, qu'il eût toujours à ses ordres, prête à partir.
Il la trouva, d'une part, dans les seigneuries ecclésiasti-
ques, abbayes et évêchés, qui continuaient à relever direc-
tement de lui, d'autre part, dans sa maisnie.
Les évêques et abbés placés dans le mundium du roi,
soumis à son autorité, et lui devant, nous l'avons vu, une
fidélité à toute épreuve*, ont comme devoir essentiel de
le suivre à la guerre avec le contingent de leurs hommes.
Et ce devoir, ils le remplissent régulièrement*, alors que les
princes de la Gaule trop souvent le violent ou l'éludent et
que les princes de la Francie ne s'en acquittent que par
intermittence*. Ils le remplissent même si bien qu'un chro-
< Suprà. p. 272-3.
* Voyez, pîir exemple, Dipl. de Hugues Capel pour Saint-Benoît
(993, chartes de Saint-Benoît f, p. 182), de Robert pour Corbie(1016)
(H. F. X, 598), d'Henri I pour Saint-Thierri de Reims (H. F. XI,
586-7), Vita Arnulfi (Mabillon, SB. VI, 2, p. 517-518) :« Rex... cum
exercituni promovisset, missis legatis monuit domnum Arnulfiim (abbé
de Saint-Médard de Soissons), ut cum armata mililiain expeditionem
secum abiret... Rex Philippus misit denuo legatos qui dicerent fmsu
morem antiquum ut milites ahbatisBj abbate prasvio, regali expedi-
tioni inservirent. Aut faceret juxta morem antiquum aut daret locum
ut fieret régis imperium ». Arnoul, ne voulant servir, préfère renoncer
à rahl>aye. En vain ses moines cherchent-ils à le retenir en lui disant
qu'ils conduiraient eux-mtoes k J'ost le contingent de l'abbaye : « Si
molestum tibi erat oxercitum régis subire, sedisses tranquilJus in loco
tuo, nos cum nostris militibus paruissemus régis imperio ». — Cf.
Vita Udalrici (Mabillon, V, p. 425) : Un neveu de Tévôque est admis
à le suppléer dans le service d'ost : « concessum est... ut A. in ejus
vice itinera hostilia cum militia episcopali in voluntatem imperatoris
peragcret ».
* il est douteux qu'il faille prendre au pied de la lettre l'expres-
sion d'Adémar de Chabannes : omnis Francia bellatrix, quand Guil-
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 483
niqueur (ecclésiastique, il est vrai) a pu dire, au milieu du
XI* siècle, que c'était en eux que résidait la principale force
militaire du royaume \
Quant à la maisnie, où des éléments venus de toutes les
régions de la Gaule pouvaient entrer et se fondre, elle pré-
sente en somme la même physionomie que nous lui avons
vue vers la fin du ix*" siècle, sauf que pour les anciens bé-
néficiers, Thommage tend à s'incorporer au fief et à trans-
former les vassi dominici en feudalaires, sauf aussi que le
service de cavalerie, en se développant et se perfection-
nant, permet à la maisnie de tenir lieu de Tost. Au-dessous
des chevaliers {milites) et des écuyers [équités) qui la
composent, les hommes d'armes à pied {pedites\ servi-
teurs ou soudoyers, forment une élite habile à manier l'arc
ou la lance, à manœuvrer la baliste ou le mangonneau.
L'importance de cette manus privata se laisse entrevoir
clairement au xi° siècle, et elle éclate aux yeux, dès le dé-
but du siècle suivant, sitôt que les documents deviennent
plus abondants et plus précis ^ Elle était en rapport évi-
dent avec le prestige dont jouissait la cour du roi, elle
dépendait surtout aussi de l'étendue des ressources mo-
bilières ou foncières, dont le roi disposait. Grâce à elles
laume le Grand d'Aquitaine, en lutte avec le comte de la Marche
Boson et pour assiéger Bellac, appelle à son secours le roi Robert :
« Rotberlum regem accersivit ad capiendum castrum Bellacum, quod
tenebat Boso. Omnis Francia bellatrix eo conflixil, sed frustrata post
multos dies cum suo rege recessit » (Adémar, 111, 34, p. 156).
* « Principes suos et totius exercitus sui potentiam commovere in
rebelles, ipsos eliam episcopos et abbates pênes quos maxima pars
facultatum regni est, censent immunes hujus expeditionis esse non
debere » (Anselme, Dédicace de Saint-Remi, Mabillon, SB. VI, 1,
p. 716).
2 Suger, par exemple, nous en fournit de multiples preuves :
1107-1108 : « (Ludovicus) rogatus non cum hoste, sed doniesticorum
militari manu fines illos ingressus » (éd. Molinier, p. 87); 1108
« cum rex pauca curialium manUj ne publicaretur, accelerasset »
[ibid,, p. 42), etc.
484 LIVRB IV. — CHAPITRE VI.
il attirait et retenait, stipendiait et récompensait les
hommes d'audace et d'ambition, les guerriers avides de
conquérir gloire et fortune par d'éclatantes prouesses.
§ 3. — Le domaine et le trésor ou fisc du roi.
Les historiens ont accordé une place démesurée au do-
maine royal, lui ont assigné une fonction excessive dans
la reconstitution de Tunité française. Partant de l'idée que
la féodalité foncière régnait sans partage dès la fin da
ix"" siècle, ils ont imaginé que le roi, simple suzercdn féo-
dal, à leurs yeux, avait le siège de sa puissance où était
sa propriété territoriale. A cette propriété était lié le sort du
royaume. L'avènement de la troisième race ne s'explique-
rait pas autrement. Si Hugues Capet est parvenu au troue,
c'est d'abord qu'il était le plus grand propriétaire foncier
de la Gaule, tandis que les Carolingiens avaient perdu
leur domaine à force de Tinféoder. C'est ensuite que sa
principale seigneurie était le duché territorial de France,
situé au cœur même du pays. Ce duché joint aux divers
comtés dont Hugues Capet était propriétaire aurait été le
noyau de cristallisation autour duquel l'État français se
serait reformé.
La théorie est devenue classique; je ne la tiens pas
pour moins fausse. M. Anatole de Barthélémy* avait dé-
montré déjà et M. Luchaire a reconnu qu'il faut abandon-
ner l'idée d'un duché de France formant un territoire net-
tement délimité et compact autour de la région parisienne*;
j'espère avoir achevé cette démonstration en précisant le
vrai caractère du ducatus Francorum*. M. Luchaire
avait réagi avec force contre la conception d'une royauté
exclusivement féodale et prouvé qu'on s'était abusé étran-
* Hevue des questions historiques, XIII (1873) p. 108 suiv.
2 Luchaire, I, p. 85.
3 Suprà, p. 173 suiv., p. 210-211, etc.
ORGANES ET MOYENS D*ACTION DE LA ROYAUTÉ. 485
gement sur Timportance des possessions territoriales de
Hugues Capet^; je viens, à mon tour, dans ce volume, de
montrer en détail sur quelles bases, autrement larges que
la propriété foncière, la monarchie des derniers Carolin-
giens et des premiers Capétiens reposait. Est-ce à dire que
la richesse n'ait pas été aux mains de nos rois un moyen
d'action d'une grande énergie pour étendre ou asseoir
leur puissance? Évidemment non, puisque je l'ai présen-
tée moi-même comme un insirumentum regni^. Mais le
moyen était d'une nature très différente de celle qu'on
lui a prêtée et, à y regarder de près, le domaine foncier ou
territorial rentre singulièrement dans l'ombre. L'élément
primordial, principiel, dirai-je, ce n'est pas le domaine,
tel qu'on l'entend, c'est le trésor, où tombent les revenus
patrimoniaux du roi en même temps que les produits utiles
dont, à des titres extrêmement multiples, la royauté dis-
pose. Voilà ce que je voudrais bien établir.
Linfluence du roi franc a tenu, de tout temps, à sa ri-
chesse. C'était elle qui lui permettait d'avoir des com-
pagnons nombreux et des sujets fidèles. La couronne
(regmim) symbolise le royaume, le trésor en assure la pos-
session. Il est vraiment le nerf du pouvoir. Avec les lin-
gots d'or ou d'argent, les espèces monnayées, les joyaux
de toute sorte, les riches étoffes et les fourrures, les armes
de prix, qui le composent, la royauté s'acquiert, se perd
ou se divise. Les Mérovingiens s'entr'égorgent, en se le
disputant. Un des grands soucis de Charlemagne est de
l'augmenter et de l'alimenter avec une régularité par-
faite, par les impôts, les tributs, les dona, par les reve-
nus des possessions territoriales. Terre et trésor consti-
tuaient le fiscus du roi. Il n'y a pas, en effet, de fisc de
l'État franc : il n'y a que le fisc du roi franc. Ce qu'au-
jourd'hui nous appelons le domaine public se confond alors
*Luchaire II, p. 496-198.
2 Suprà, p. 73, 438, etc.
486 LIVRE IV. — CHAPITAB VI.
avec le domaine privé du souverain. Celui-ci emploie à
son gré, soit pour son usage personnel, soit dans l'intérêt
public, toutes les ressources foncières ou mobilières qui
parviennent en ses mains. Il en a la pleine propriété et el-
les se transmettent à son successeur. Par l'accession an
trône d'une dynastie nouvelle, le fisc du roi pouvait donc
recevoir un accroissement subit quand venait s'y joindre
la fortune privée ou familiale du nouveau souverain, mais
ce fut plus pleinenient peut-être le cas pour les Carolin-
giens que pour les Capétiens.
Au point de vue du régime sous lequel le fisc royal
était placé, il se partage dès l'époque carolingienne en
deux grandes catégories : 1* les biens ou les sources de
revenus qui sont soumis à Texploitation et à la jouissance
directe du souverain : a qux ad'opus régis conslUuta
habentur » *; 2° ceux dont la possession et l'usage sont con-
cédés à des serviteurs ou à des compagnons, à des corps
religieux ou à des tenanciers, soit gratuitement, soit à
charge de redevances : « quœ adpartem régis habentur ».
Cette distinction entre ïindominicatum^ res in domifii"
catUj et le beneficiiim^ res in bénéficia, s'est généralisée
aux x^ et XI* siècles^; mais elle est, en somme, moins es-
sentielle, au point de vue politique, que la distinction entre
le domaine foncier et la souveraineté directe du roi.
On se figure d'ordinaire le domaine concédé comme
formé surtout de fiefs militaires. Je crois que c'est une
erreur. Les mentions de fiefs proprement dits tenus du roi
et constitués à Taide de biens domaniaux sont extrême-
ment rares avant le xii* siècle'. De beaucoup plus nom-
* Cf. Brunner, II, p. 72.
2 Nous montrerons et son extension et sa véritable portée, en dé-
crivant la condition des personnes et des terres.
^ M. Pfister convient que « les documents qui les concernent sont
encore beaucoup plus rares que ceux qui nous parlent du domaine
direct » (c'est-à-dire non concédé à des tenanciers) (p. 103). Les men-
tions qu il cite des chevaliers du roi à Paris, dans le Pincernais, etc.
ORGANES ET MOYENS d' ACTION DE LA ROYAUTÉ. 487
breuses apparaissent les concessions faites à des tenanciers,
à charge de redevances ea nature ou en argent et de pres-
tations très diverses. Les biens des abbayes royales y ren-
trent dans la mesure où ils proviennent, réellement ou
fictivement, d'une douation avec charges faites par le roi,
en particulier à titre de fondateur : pour le surplus, nous le
savons déjà, ils relèvent surtout de la souveraineté royale.
C'est même presque exclusivement cette nature de biens
que nous voyons concédés en fief par le roi*. L'opération
était séduisante. L'abbaye continuait à devoir des dona
ou des services, le roi s'assurait la fidéhté de seigneurs
ou de milites par des libéralités foncières qui ne sem-
blaient pas une aliénation proprement dite.
En réalité, la distinction du domaine concédé et du do-
maine propre ou direct est surtout d'ordre économique et
nous aurons à en traiter en décrivant le régime général
des biens, à l'époque que nous étudions.
Si maintenant on compare le domaine privé du roi, le-
quel comprend des droits fonciers et mobiliers de toute
espèce^, au trésor, on ne tarde pas à voir que le premier
n'est qu'une des sources multiples du second. C'est donc
celui-ci qu'il faut considérer dans l'ensemble de ses par-
ties constitutives : droits domaniaux, droits seigneuriaux,
droits royaux.
Les droits royaux, on les a, jusqu'à M. Luchaire', passés
généralement sous silence, les droits sergneuriaux, on les a
confondus avec les droits domaniaux, et aux uns et aux
ne supposent en aucune façon des détenteurs de fiefs royaux,
pas plus que les droits de relief {relevamenta, relevationes) ne
peuvent être considérés, en règle, comme des produits de Tinféoda-
tion militaire. Ce sont la plupart du temps des finances perçues sur
les tenures d'exploitation rurale, mainferme, bail, précaire, etc.
1 Cf. Pfister, p. 107.
2 Les legitimœ exactiones^ consuetudinariœ exactiones, etc. (Cf.
Dipl. Robert, 1030, H. F. X, 621 ; 1005, H. F. X, 585, etc.
3 Luchaire, I, p. 114 suiv.
488 UVRE IV. — CHAPITRE VI.
autres on a attribué un caractère lerrilorial. J'ai montré au
contraire que le comté royal, au lieu de s'absorber dans
le domaine, s'est absorbé dans la souveraineté, que sou-
veraineté et domaine sont de nature beaucoup plus per-
sonnelle que réelle, que la dispersion pour tous deux est la
règle. Ce n'est qu'exceptionnellement qu'ils portent sur un
territoire d'un seul tenant, ayant quelque étendue*. Par
cela même le groupement leur était indispensable à tous
deux et c'est le groupement domanial qui, pour tous deux,
a servi.
Les aspects que nous avons à mettre en lumière ressor-
tent ainsi de soi. Nous avons à déterminer les diverse»
sources qui alimentent le trésor et les points fixes vers
lesquels l'administration royale les a fait confluer. Com-
mençons par le domaine.
La première question qui se présente a trait à la situation
des biens fonciers qui composent le domaine, en compre-
nant sous cette qualification aussi bien la pleine propriété
que ses démembrements, les jura in rem ou propier rem.
Notre appareil documentaire est beaucoup trop pauvre
pour la résoudre. Nous ne pouvons dresser un inventaire
même approximatif de la fortune patrimoniale de nos
rois des x* et xi* siècles. Tout au plus nos sources nous
permettent-elles de constater que leurs propriétés étaient
* Ni M. Luchaire ni M. Pfister n'en citent d'exemple saillant, et
celui-ci a été très frappé de Tétat de dispersion du domaine : <c Dans
tel village, dit-il, le roi possède trente manses, dans tel autre vingt» ici
deux, là un seul. Souvent nous trouvons des demi-manses... Ce n^est
pas tout encore. Déjà le manse ne forme plus dans tous les cas une
unité de propriété. Des prés, des vignes, des champs isolés sont
donnés par le roi » (p. 90). — Quand exceptionnellement un domaine
d'un seul tenant s'est conservé, c'est un phénomène ou, suivant l'ex-
pression d'un diplôme royal, une mirabilis divisio :aEsi ipsa potestas
(domaine de l'abbaye Sainte-Colombe de Sens sur lequel le roi avait
exercé des vicariœ inlicitae) undique determinata atque divisa, ita ut
usque hodie permaneat illa mirabilis divisio » (H. Capet, 988, H. F.
X, 554).
ORGANES ET MOYENS D ACTION DE LA KOYAUTÉ. 489
clairsemées, dispersées un peu partout et qu'en dehors
des forêts, dont Tappropriation était encore fort Jàche, elles
n'avaient presque aucune continuité.
M. Anatole de Barthélémy s'est appliqué avec grand
soin au relevé de la fortune des Robertiens *. Il a trouvé,
en suivant Tordre chronologique, leurs possessions dissé-
minées dans le Blésois, le Poitou, l'Orléanais et le pays
Chartrain, la Touraine, le Berry, le comté de Troyes et
Meaux, le Parisis, mais il n'a pu signaler nulle part un
vaste domaine.
M. Pfister a tenté d'inventorier les propriétés du roi
Robert '. Il en a signalé un assez grand nombre dans les
comtés de Paris, Orléans, Meaux, Poissy, Étampes, de
moins nombreuses dans le pays Chartrain, en Touraine,
en Bourgogne, quelques-unes en Auvergne. Mais ce qu'il
a constaté surtout, c'est Témiettement de ce patrimoine.
L'étude des actes de Henri I" et de Philippe P' m'a conduit
à un résultat analogue. Il n'est que la suite nécessaire du
phénomène général de démembrement delà propriété que
j'ai décrit dans les deux précédents volumes.
Passons maintenant à la nature des biens. Nous trouvons
des terres arables, des vignes', des prés ou pâturages, des
eaux* et forêts*, puis des métairies ou des m/te, des églises
* H. des quest. historiques^ XIII, p. 128-132.
2 Pfister, p. 86 suiv.
' Les vignobles royaux étaient nombreux dans TOrléanais et le
Parisis (Voyez pour le détail Luchaire, I, p. 91, Pfister, p. 86). Le crû
le plus estimé qu'ils produisaient était celui de Rebréchien, près
d'Orléans. Henri I" en faisait toujours portera la suite des armées, et
Louis VI s'en servit pour faire des cadeaux.
* « Libertatem perlustrandi totam aquam nostri juris Ligeriti fluvii,
quolibet modo piscationis... concedimus » (1023, Robert, H. F. X,
607 A).
^ Le roi possédait beaucoup et de vastes forêts : Saint-Germain, Rou-
vrai (Boulogne), Vincennes, Iveline (Rambouillet), Cuise (Compiègne),
Othe, Orléans, Bourges. Comme les eaux, elles faisaient Tobjet de
concessions souveraines de droits d'usage, soit gratuites soit à charge
de redevances.
490 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
et des palais, des châteaux-forts ou des villes. enQu des
droits d'usage sur ces diverses sortes de biens, et l'extrême
variété des obligations coutumiôrés dues par leurs déten-
teurs. Ces biens procuraient au roi des produits en nature
et des produits en argent, soit par un faire-valoir direct,
soit sous forme d'amodiation. Les produits en nature
étaient centralisés en des granges, des celliers, des gre-
niers', les redevances en argent versées au\ officiers que
le roi préposait aux centres d'exploitation.
Ces centres quels étaient-ils? Au bas de Téchelie nous
trouvons le chefmanse, puis la villa^ puis le groupement de
plusieurs villae en prévôtés ou vicairies, sans qu'il existe,
à vrai dire, de circonscriplions territoriales. Ce sont autant
de petites cours (curtis) royales où les produits des biens et
les redevances des hommes, disséminés souvent sur une
grande surface, doivent être portés ou concentrés. Elles
sont rattachées aux nombreux palais du roi', de même que
les cens de toute nature que le roi percevait dans les villes
étaient dépendances du castellum^, ou de la tour, qui domi-
nait celles-ci. Peu de villes, en effet, rentraient dans le do-
maine, tel que je l'entends, et je doute même qu'aucune y
soit jamais entièrement rentrée, que le roi notamment ait
été propriétaire de tout Varea de la ville. S'il en avait le
comté, son droit était un droit de souveraineté et non
* Voyez une liste de greniers igranarium) et de ceQiers (cellarium)
royaux dans l'ouvrage de Luchaire I, p. 90-91.
2 « Rex (Henricus)... suo dominio multa vendicans, inter estera...
famosissimam possessionem quandam super Mosam fluvium sitam,
qux Doncheredus nominatur, palatio suo servituram propriis minis-
teriis delegavit. Qiiam demum a fundis, rerum et frugum opulentiam
regalihus palatiis exuberantibus, siibministrantibus longe positam
considerans, cum ejus minime reditibus ad usus proprios egeret... »
(Miracles de Saint-Sébastien, H. F. X, p. 455-56).
3 En 1076 (1077), Philippe P' cède à l'évoque de Noyon son castel-
lum de Kiersy « et quidquid castelli possessor de nobis in dominica-
tum tenebat » (Mabillon, Dere diplom,^ p. 264). Cette expression ne
peut s'entendre que d'une propriété du roi que le chàtelaio administre.
ORGANES ET MOYENS d'ACTION DE LA ROYAUTÉ. 491
un droit de propriété. S'il ne possédait que certaines parties
de la ville, la cité, certains bourgs, son droit de propriété
était fragmentaire, dispersé^ ainsi qu'il l'était dans les cam-
pagnes, et relié dès lors, comme à un centre, au castrum.
Dans l'organisation que je viens d'esquisser il eût été
absurde de distinguer, au prix de superfélations etde double
emploi, entre les diverses sortes de revenus du roi, qui
tous, nous l'avons dit, se trouvaient à l'état de dispersion.
Les préposés de la cour villageoise, de la prévôté, du
palais, du château, percevaient aussi bien que les produits
du domaine proprement dit les contributions qui à tous
autres titres entraient dans le trésor. Ces contributions ce
sont d'une part celles que le roi recevait des priticipes de
la Gaule et de la Francie ou qu'il prélevait sur leurs
sujets, d'autre part, les impôts dus par les populations
pour lesquelles la royauté se confondait avec le principat.
Ces derniers droits sont en général analogues aux droits
seigneuriaux que nous avons passés en revue* et sur les-
quels nous aurons à revenir en traitant du principat. Les
autres constituent des droits royaux ou régalieiu d'un
caractère plus général. Nous devons nous y arrêter.
Il est aussi difficile de distinguer les droits régaliens des
droits comtaux ou seigneuriaux que ceux-ci des droits do-
maniaux ou féodaux. Les feudistes avaient donc la partie
belle pour représenter le roi comme étant comte dans ses
domaines, suzerain dans le reste du pays, et la plupart des
historiens, jusqu'à nos jours, ne les ont que trop fidèlement
crus sur parole. M. Luchaire le premier a vu plus clair;
il a reconnu que le roi n'était pas que comte et suzerain,
mais qu'il était roi et avait conservé des droits régaliens.
Ces droits, nous les avons maintes fois déjà rencontrés sur
notre route et c'est de l'ensemble de notre ouvrage que
leur consistance doit ressortir avec une pleine certitude.
J'ai surtout à marquer ici des points de repère.
* T. I, p. 315 etsuiv.
492 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
Tout d'abord je rappelle quelques traits généraux.
Quel que fût le développement qu'avait pris leprincipaty
il restait beaucoup de fidèles au roi, en dehors des cadres
seigneuriaux ou féodaux. Outre les alleutiers indépen-
dants*, des particuliers, isolés ou par groupes, pou-
vaient sur les points les plus distants de la Gaule se
prévaloir du mundium royal. S'ils furent peu nombreux
quand la puissance royale déchut sous les derniers
Carolingiens*, ils le redevinrent à mesure qu'elle se re-
constitua sous la troisième race. Au xii* siècle leur
multiplication devient certaine. Il en va surtout ainsi
du clergé. Le pouvoir fragmenté que le roi conserve
sur lui n'est ni seigneurial, ni féodal; le clergé forme
une grande et puissante catégorie de propriétaires et
de seigneurs qui restent sans conteste soumis à l'an-
cien droit royal. Ni les abbayes royales ne peuvent être
assimilées à des fiefs, ni les évéchés royaux à des pro-
priétés % et pourtant il n'est pas douteux que les premiers
Capétiens en tiraient leurs principales ressources*. Je
remarque seulement que la régale ne paraît pas encore
constituée. Aucun texte antérieur au xii* siècle n'y fait
allusion et tout porte à croire que, si elle a existé avant
cette époque, ce fut à l'état de fait et non point comme un
droit régulier*.
Considérez maintenant l'ensemble des sujets auxquels
commandent les princes de la Gaule ou de la Francie, et
vous trouverez soit à Tétat sporadique, sous forme de -sur-
vivances, soit à l'état général, sous forme de traditions
susceptibles d'être renouées, des droits régaliens nom-
breux. Ils peuvent perdre en énergie ce qu'ils gagnent en
* Snpràf p. 227 suiv.
2 T. I, p. 158.
3 Supràf p. 2o8 suiv.
* Luchaire, I, p. 119 et suiv., II, p. 54 suiv., etc.
* CVst un point que nous éluciderons en traitant du gouvememerU
de r Église,
ORGANES ET MOYENS d'àCTION DE LA ROYAUTE. 493
surface, mais ils sont loin d'avoir perdu leur germe de
vie. Nous en avons passé la plupart en revue quand nous
avons étudié les caractères et les attributs de la royauté;
nous les retrouverons en détail quand nous décrirons la
condition des personnes et des terres. Je m'en tiendrai
en ce moment à une classification sommaire.
Les droits régaliens peuvent se ramener à quatre gran-
des catégories. Ce sont d'abord les impôts directs que, sous
le nom de cens royal, le roi a perçus dans les campagnes
et dans les villes, et que, sous le nom de taille, d'aides, de
conjectus^ etc., il a levés dans des conjonctures excep-
tionnelles *. Ce sont surtout aussi les do7ia ou les contribu-
tions plus ou moins volontaires que les seigneurs de tout
ordre, ecclésiastiques et laïques, venaient apporter aux
cours solennelles *.
Une seconde catégorie est représentée parYhospita/ilé
forcée avec ses accessoires ou ses dépendances : le droit
de gîte, le droit de past, le droit deprise, le rotaticunij faU
conaticum^ etc.. pour les besoins du roi et de sa maison*.
C'était pour user de ces droits que le roi se déplaçait, de
même que les déplacements motivés par d'autres causes
étaient autant d'occasions ou de prétextes de les exercer,
les faire revivre, parfois de les aggraver ou de les multi-
plier.
Je rangerai dans un autre groupe les produits de la sau-
vegarde royale. Le roi se fait payer sa protection. 11 en
tire les proQtsles plus variés, des redevances sous le nom
de salvamenta^ ou d'autres noms équivalents, des émolu-
ments pour les confirmations de biens*, des droits lucra-
* Suprà, p. 349-50.
2 Suprà, p. 437.
3 Des chartes trop nombreuses ont trait à ces droits pour qu'il soit
utile ici d'en citer des exemples.
* Voyez, par exemple, pour les abus auxquels ils donnent ouver-
ture : Dipl. de Robert pour Saint-Denis, 996-1003, H. F.X, 581.
* Suprà, p. 326 suiv.
494 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
tifs pour les affranchissements auxquels il procède, etc. Il
réalise au môme titre des bénéfices souvent considérables
sur les aubaias, les hôles et les juifs.
Une dernière catégorie comprend les produits de la
justice et du ban\ Les amendes judiciaires, frtda, les cod-
Qscalions, les mainmises, les gains directs on indirects
en cas d'arbitrage, forment les revenus principaux de la
justice royale, les impôts sur le commerce, rindustrie el
Tagriculture, les droits de marché, de-tonlieu, de péage,
de monnaie, etc., sont les produits du ban. J'ai montré
déjà que ces droits sont loin de se limiter à une région
étroite^ et je note la surprise que les historiens ont
éprouvée en rencontrant des monnaies frappées par le roi
bien en dehors de son domaine*.
Si nous étions en mesure de dresser le budget d'un roi
de France du xi* siècle, nous aurions aussi à y faire ren-
trer les bénéfices licites et illicites que lui procurait la puis-
sance dont il était armé, depuis les détroussements de
marchands étrangers jusqu'au trafic des évêchés, depuis
les rançons des prisonniers de guerre jusqu'aux courtages
dont se payait son entremise. Guillaume d'Aquitaine, par
exemple, fait demander au roi Robert ses bons offices pour
traverser l'entente des seigneurs lorrains avec le roi Con-
rad, à qui il voudrait disputer, en faveur de son fils, la cou-
ronne d'Italie. Et que lui offrit-il pour cette affaire^ <tpro
hoc iiegotio » ? Mille livres, cent vêtements de prix, cinq
cents livres d épingles pour la reine Constance*.
* Supràj p. 344 suiv.
2 Suprày p. 270.
^ En particulier à Chalon-sur-Saône et à Màcon. Cf. Pfisler,
pp. 125 J 26.
* Lettre de Foulque Nerra d'Anjou à Robert (1024-1 025) :« Guillel-
mus Piclavorum cornes, herus meus... mandat vobis, postulans sup-
pliciter gratiam vestram, ut delineatis homines de Lotharingia, et
Fredericum ducem, atque alios quos poterïtis, ne concordent ciim
rege Cono, inflcctendo eos quantum quivcritis ad auxilium ejus.
Dabit vobis pro hoc neyotio mille libras denariorum et centum pallia
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTE. 495
On voit combien étaient multiples et variées les ressour-
ces de la royauté en dehors de ce que les historiens ont
appelé son domaine.
§ 4. — Les officiers locaux et les agents domaniaux.
Il n'existe pas, au fond, de véritable distinction entre
les ofQciers proprement dits du roi et les agents de son
domaine. Les premiers font rentrer des produits doma-
niaux et les seconds des droits seigneuriaux ou royaux.
Les uns et les autres exercent, au nom du roi, son droit
de ban, de police [districtio) et de justice, avec une com-
pétence et une autorité plus ou moins large, suivant
leur rang et Timportance des ressorts qui leur sont conQés.
Les uns et les autres font partie de sa familia ou de sa
maisnie. Cela tient à ce que le fisc public ne se distingue
pas du fisc privé, que le trésor, dont le roi dispose libre-
ment et en maître, comprend les revenus les plus divers,
que le groupement domanial fournit ses cadres à la sou-
veraineté royale, enfin qu'à mesure que les plus puissants
des fonctionnaires carolingiens — qui, eux aussi, faisaient
partie de \d^ familia An roi * — acquirent plus d'autonomie
et finalement s'émancipèrent, le roi resserra d'autant le
et dominae reginae Gonstantiœ quingentas libras nummorum » (H. F.
X, p. 500-501).
* Sous la première race, les principaux fonctionnaires étaient pris
parmi les compagnons {comites)6LM roi. Tous devaient prêter un serment
de fidélité plus rigoureux que les simples sujets. Leur désobéissance
entraînait la peine de mort ou tout au moins la perte de la grâce du roi
(gratia nostra), c'est-à-dire l'exclusion de la maisnie et, par voie de
conséquence, la privation de l'office. Sous les Carolingiens la vassalité
continua à être la condition préalable de la fonction et je ne pense
pas que le terme de domesticus ait jamais désigné un fonctionnaire
spécial. Le domesticus était le serviteur du roi, l'homme de sa mais-
nie qui était envoyé au loin administrer une villa, régir un domaine,
s'acquitter d'un service royal quelconque, ou bien qui restait à la
cour dans des fonctions diverses.
496 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
lien personnel et familial englobant les serviteurs qu'il
gardait. A considérer spécialement ces derniers, nous
avons, sur une moindre échelle et avec les modiQcatious
qu'entraînaient la dispersion et Témiettementdes pouvoirs
royaux, une survivance du régime domanial de Tépoque
franqiie, qui lui, à son tour, plonge ses racines, dans l'ad-
ministration romaine.
Si vous interrogez lès diplômes de notre période sur le
nombre, la qualité, les attributions des officiers royaux,
vous n'obtenez que des réponses vagues et évasives. La
raison en est claire. Les qualifications anciennes ont changé
de sens, leur valeur nouvelle n^est pas encore QxéeV Les
offices qu'elles désignent ou bien ont cessé d'être des fonc-
tions, ou bien ne sont pas encore nettement délimitées et
n'ont que de rares occasions d'apparaître dans le genre
d'actes royaux qui nous ont été conservés.
Les titres de duc, comte, marquis, vicomte, vicaire ou
viguier, correspondent maintenant à des seigneuries et à
des principats. S'ils continuent à figurer dans les formules
injonctives des immunités royales, ce n'est pas seulement
parce qu'elles sont calquées sur des types anciens,
c'est surtout aussi parce que, la protection ayant pris un
caractère plus idéal que réel, ces formules s'adressent à
^ Tous les officiers ou agents sont appelés indifTéremment saiel-
UteSf ministeriales, mhmtri, clientes, exactores, officiâtes : DipL
Henri IV, 1033 (H. F. XI, 569) : « de violentiis satellitum nos-
trorum » u ne quis deinceps regalium ministrorum seu clientiutn ».
— Dipl. de Robert (102-2-23) (H. F. X, 605 E, 607 B) : « ab omni potes-
tate ministerialium noslTor\xm libram». — « UUus omnino ministeria-
lium nostrorum, neque cornes neque, missus, neque judez aul villicus,
aut quislibel publica potestate pra'ditus ». — Dipl. Robert (1007) (H,
F. X, 587 B): « ut nullus officialis Iiabeat in ipsa villa aliquid domi-
nium, sive cornes, sive vicecomes, seu quilibet improbus exactoff
neque in bannis, neque in legibus, etc. ». — Il est aisé de voir, en
comparant les deux diplômes de 1033 et de 1094 que je cite à la note
suivante, comment de Tune à Tautre date les termes se sont pré-
cisés.
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DB LA ROYAUTE. 497
toute autorité quelconque, dépendante ou non. Ne voyons-
nous pas des princes proclamer l'immunité d'une abbaye
an regard de tout souverain, y compris le pape?
Quant aux agents domaniaux des rois francs qui se re-
trouvent aux X* et XI* siècles, nous ne possédons pas d'actes
€ontemporains qui leur soient adressés pour leur tracer
leurs devoirs, comme nous en avons parmi les capitulaires
carolingiens, et le roi fait beaucoup plus fréquemment cause
oommune avec eux*, à lencontre des corps religieux, qu'il
* Une allusion assez claire à un tel concert est faite dans le diplôme
de Henri I«' pour Saint-Pierre de Melun (1033), surtout si vous le rap-
prochez de l'acte confirmatif de Philippe P»(10^4). Je place en regard
les passages essentiels. — Dipi. de Henri !•' (H. F. XI, 569) : « Questus
est (abbas) de irruptione et violentiis satellitum nostrorum quas in
terris praed. monast. faciebant : justum nobis ac salubre visum est...
manum nostri levaminis porrigere... Imperamus itaque... ne quis
praepotens aut nobilis, seu quilibet nostrae curam gerens praefeeturae
(prévôté) vel alicujus officii ad nos pertinens aliqua temeritate, vblut
REQiA Fisus TuiTiONB, res jamdictî mon. audeat inradere. Consuetadi-
nés vero pessimas, quae hactenus ibidem, id est in suburbio, per-
versorum hominum calliditate adinvenise creverunt... et si forte
quaelibet nostrae ditioni vel portioni immerito adscribebantur,..
omne quod postremo dici vel excogitari saecularium negotiorum vel
exactionum ac tributorum judiciorumque humanitus potesl, remiiti'
mtis, perdonamus, indulgemus... Praeterea id quod ad nos pertinbrb
CRBDEBAMUS ET QUOD NOSTRAE PROPRIETATI VINDICABAMUS, Scilicet Tiam
publicam extra atrium... in augmentum et confirmationem hujus
iibertatis concedimus ». — Dipl. de Philippe I^^' (1094) (Mabillon, De
re diplom,, p. 589) : « Querebantur de violentia et mvasionibtis quas
noster praepositus ceterique nostri satellites injuste illis et iliorum
hominibus inferebant, inquiétantes eos, juditia et alia multa saeeth
laris censurx ab eorum suburbanis exigentes... nostrum praepositum
et vicecomitis ministres pro suis hominibus saepissime tristes prose-
quebantur... Remitto igitur, indulgeo,,. omne quod saeculares occa-
sioNE LEGis MUNDANAB mcutes concipi que un t. Callem etiam publicum,
quem nostri ministri nostro juri injuste vendicabant... liberum ab
omni inquietudine concedo, ne aliquis nostrorum clientum occasione
praedicti callis aUquam molestiam inférât ad refugium suburbii con-
fugientibus ».
F. — Tome 111. 32
498 LIVRE IV. — CHAPITRE VI.
ne délivre des privilèges pour mettre à l'abri de leurs
exactions*.
Quels étaient donc à vrai dire les officiers royaux dans
Tordre politique? Un certain nombre d'entre eux peuvent
se retrouver sous les anciennes qualifications, telles que
de vicomte* ou de vicaire', parfois même de comte. Au
lieu d'être liés seulement au roi, en qualité de seigneurs,
< Combien peu le roi tenait la main à l'observation de tels pri-
vilèges, c'est ce que démontre Tincessante nécessité de leur renou-
vellement. Les plaintes, par exemple, qui avaient donné naissance au
diplôme de Henri !«' de 1033 non seulement se reproduisirent sous
Philippe P' (1094), mais un siècle plus tard, en 1141, sous Louis VII
{Ordonn, XI, p. 191). Les termes des actes prouvent avec évidence
qu'il ne s'agit pas d'une confirmation pure et simple.
* M. Sohm en Allemagne {R. u. Ger. Verfassung^ I, p. 513 suiv.),
M. Robert de Lasteyrie en France (Études sur les comtes et vicomtes
de Limogesj Paris 1874, p. 46 suiv.) ont prouvé que le vicomte caro-
lingien était un missus^ un alter ego du comte, que c'était celui-ci et
non le roi qui le nommait. Du xe au xii0 siècle, la vicomte, comme la
plupart des offices ou tenures, est devenue héréditaire. Le vicomte,
par suite, a perdu son caractc're de représentant du comte. L'hérédité
et l'indépendance conquises en ont fait son égal, parfois son supérieur
en puissance, et lui ont permis de s'appeler indifféremment \ncomte
ou comte. — Je ne crois donc pas que les vicomtes royaux aient
jamais été les successeurs des vicomtes carolingiens. La vicomte es
règle était une seigneurie comme le comté. Ce qui est vrai seule-
ment c'est que le titre de vicomte put être donné à des officiers pré*
posés par le roi à une ville, un castrum, une circonscription doma-
niale, etc., pour y exercer comme son représentant les droits comtaux.
Vtcécomesadoncpuêtre synonyme et de c(Mto//anu5, et depraeposUut
et de vicarius (ainsi que nous le voyons en Normandie, où Orderic
Vital II, 470, dit : « vice comitia id est viaria ») et, d'uue façon géné-
rale, de cliens ou minister regius.
' Ce que j'ai dit, dans la note précédente, du vicomte se vériÛe en
grande partie pour le vicaire. Lui, non plus, n'est pas un successeur
direct du vicaire carolingien, subalterne du comte, nommé par lui :
M. Lot l'a fort bien prouvé {Nouv, Revue histor. de droit, T. XVII,
1893, p. 281 suiv.). La vicairie ou viguerie est, elle aussi, devenue une
seigneurie parfois considérable; ou bien le terme de viguier, par cor-
ruption coyerj etc. a servi h désigner des fonctionnaires fort divers*
maires, villici, prévôts, officiers de justice, de finance, de voirie.
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 499
par l'hommage lige naturel ou exprès, ils sont ses repré-
sentants, ministri rei publicae\ gouvernant pour son
compte, encore que leur office constitue pour eux un bé-
néfice, une tenure viagère ou héréditaire, et leur procure à
ce titre des émoluments plus ou moins considérables. Mais
c'est là l'exception. Les fonctionnaires proprement dits
nous les trouvons soit dans le clergé, soit dans l'admi-
nistration domaniale.
J'ai dit que le clergé formait le principal corps des
fidèles du roi; ses chefs faisaient la principale force de
l'administration royale. Quant à eux, le système carolingien
persistait, du moins dans la région sise au nord de la
Loire; évêques, abbés, doyens, etc., continuaient à être,
comme à l'époque franque, à la fois des dignitaires ecclé-
siastiques et des fonctionnaires royaux. Nous en avons la
preuve dans une foule de circonstances et des documents
multiples en témoignent*.
Mais les agents les plus nombreux, les plus souples, les
plus vigilants, souvent aussi les plus âpres au gain et les
plus ardents à étendre l'autorité royale, c'est le régime do-
manial qui les fournit. Là aussi se survivent, en s'adaptant
aux besoins nouveaux, les institutions de l'ère germanique.
* Expression extrêmement fréquente, dès le viiie siècle, dans les
capitulaires (Voyez la table Boretius-Krause). Elle se retrouve aux xe
et xi« siècles et, par exemple, sous cette forme : « quilibet superioris
aut inferioris ordinis reipublicae procurator » (Dipl. Robert, 1007,
H.F.X, 590 G).
2 M. Luchaire s'en est expliqué avec une netteté et une force qui
me dispensent, à cette place, de tout développement : « C'est par le
clergé, dit-il, que l'influence capétienne devait se conserver, grandir
et pénétrer même dans les pays les plus éloignés du centre d'action
de la dynastie. Ce phénomène historique est aussi curieux qu'incon-
testable Le roi n'a plus de fonctionnaires (c'est trop dire), mais il
les remplace par le clergé et retrouve ainsi les moyens de gouverne-
ment que la féodalité lui a enlevés... Les seigneurs ecclésiastiques
peuvent être considérés comme les véritables représentants de la
Monarchie au sein des provinces. L'histoire des premiers Capétiens
en donne à chaque instant la preuve » (I, p. 204).
500 LIVRE IV. — CHAPTTRB VI.
Sous la première race il est fait mentioD d*QD domesiiems
par province, qu'on suppose à bon droit avoir été chargé
spécialement de l'administration des domaines royaux ^
En effet, il existait de pareils administrateurs sous le
régime romain : ils portaient le titre de rationaleSy procu-
ratores, praepositi rei privaiae *.
L'opposition entre les praepositi rei privaiae et les
ministri rei publicae a pu contribuer à transmettre, sous
les Carolingiens, le nom de praepositus au principal agent
local du domaine, à celui qui était préposé à un complexe
de biens, à un fiscus. Le fiscus était divisé en ministeria^
subdivisé en villae capitaneae et mansianiles. A la tête
de chaque ministerium se trouvait un major^ à la tête à%
la villa un subordonné du mdXve^deeanus^ junior, mims-
terialis). Le chef commun de ce personnel était dans chaque
domaine Vactor fisci* : procurator regisy judex on ml-
licus, praeposiius. La qualification de villieus^ de judex^
d'actor s'employait également pour les subalternes, mais
celle de praepositus fut réservée de plus en plus pour le
chef du groupe domanial. C'est avec cette signiBcation
(équivalente à prior ou vice-dominus) que le terme est
courant dans les domaines ecclésiastiques, et c'est le sens
aussi qu'il paraît bien avoir dans les capitulaires^, où, du
reste, les fonctions de vicaire et de prévôt tendent déjà i
se confondre.
Cette confusion est devenue très fréquente dans la
période que nous étudions, et j'y vois une des principales
raisons pour lesquelles le terme de praepositus n'est
guère usité avant la fin du xi"" siècle pour désigner le
fonctionnaire domanial du roi. Le terme de vicarius^ qui
éveillait plus directement l'idée de service public, en
* Brunner, II, p. 120.
^Bninner, II, p. 121.
^ Capitul. Missoruniy 821, cap. 3, 1, p. 300.
^ Cap. Aquisgr. 809, I, p. 149. Ansegise, I, p. 431. Cap. 809, I,
p. 151. Cap. 829, II, p. 16, etc.
ORGANES ET MOYENS d'aCTION DE LA ROYAUTÉ. 501
tenait lieu. Mais la condition du prévôt grandit, ses attri-
butions de tout ordre, politiques et domaniales, s'éten-
dirent, il eut besoin d'auxiliaires, de substituts, de vicaires.
Ce furent eux qui retinrent ce dernier nom : la prévôté
domina de haut l'ancienne vicairie. 11 n'est pas douteux,
en effet, à mes yeux, qu'elle a réuni les fonctions publi-
ques de comte, de vicomte ou de châtelain à la charge
d'administrateur du domaine, pour devenir la prévôté
royale du déclin du xi** et du début du xii° siècle.
L'agent domanial, le villicus^ était nécessairement un
juge et un policier, armé du bannum et de la. jurisdiclio ;
d'autre part les droits royaux et comtaux étant morcelés,
divisés, là même où il n'y avait pas de princeps interposé
entre le roi et les sujets, l'officier qui avait mission de sur-
veiller les divers bénéficiaires ou tenanciers de ces droits
multiples, de recevoir la quote-part des redevances, et de
veiller à l'acquit des services qui revenaient au roi, cet
officier qu'était-il sinon un administrateur ou un inten-
dant? En d autres termes, le représentant du roi, comme
celui même d'un petit seigneur, voire d'un alleutier, avait,
par la force des choses, le double caractère de gérant et
d'officier public. Seulement pour le petit seigneur et l'al-
leutier la qualité d'officier public était subsidiaire et de-
vint d'autant moins importante que le principat s'étendit,
que la franchise diminua; au contraire pour le prince et
pour le roi elle prévalut avec l'extension du pouvoir sou-
verain. De là, tout à la fois, Taugmentation graduelle du
nombre des prévôts royaux et la diversité de leurs attri-
butions.
C'est par pur arbitraire que des historiens ont fixé
soit à seize, soit à vingt-cinq le nombre des prévôtés anté-
rieures à 1060 \ à tort aussi qu'on a voulu y voir des cir-
conscriptions territoriales, alors qu'elles n'étaient qu'une
action^ une autorité administrative ayant son centre dans
* Vuilry, Éludes sur le régime financier^ I, p. 169, Laferrière^
Jlist. du dr. français^ IV, p. 60.
502 UVRE IV. — CHAPITRE VI.
une possession domaniale d'où elle rayonnait dans tous les
sens. Je ne suis donc pas loin de souscrire à la proposi-
tion de M. Luchaire « qu'il y avait un prévôt dans toutes
les localités de quelque importance autour desquelles la
royauté possédait des terres et une exploitation rurale*»;
mais je ne me représente pas cette organisation tout à fait
comme lui. Je ne peuse pas qu'il y eût au xi* siècle de
véritables praepositi locorum. La localité avec les lieax
d'alentour ne formait pas une prévôté, mais le prévôt était
établi dans une localité. 11 n'y avait pas encore, à propre-
ment parler, de prévôt de Paris, d'Étampes ou de Meluo,
mais un ou plusieurs prévôts dans chacune de ces villes.
M. Luchaire a expliqué cette multiplicité en supposant que
l'un était le fonctionnaire principal et les autres ses subor-
donnés. L'hypothèse ne s'impose pas. Plusieurs prévôts
pouvaient résider en un lieu avec des ressorts circonvoisins
différents, de même qu'aujourd'hui en un chef-lieu de
canton plusieurs percepteurs de communes suburbaines.
Quant aux attributions des prévôts, les documents de la
fin (lu xi* siècle montrent avec une parfaite évidence qu'elles
étaient tout ensemble, politiques, financières, judiciaires
et militaires^, qu'en d'autres termes l'agent domanial était
devenu un fonctionnaire royal.
> LuclKiin\ I, p. 8G; II, p. 295-98. Dans la liste des prévôtés sous
HtMïri l*"", Philippe I, Louis VI el Louis VII, se trouvent mentionnés
trois prévôts sous Henri I (Étarapes, 1046; Orléans, 1057; Melun,
1058;. Il faut y ajouter le prévôt de Paris Etienne (Stephanus prae-
posilus) qui a souscrit le diplôme pour Saint-Martin des Champs
(i060) (H. F. XI, 605 C; Cart. de Paris, I, p. 122 suiv.) et que nous
voyons reparaît n^ sous Philippe I l'année suivante — Sous Philippe I*',
M. Luchaire signale environ neuf prévôts : Senlis (Eude, 1060-1068),
Sens (plusieurs prévôts, 1064), Paris (Etienne, 1061,1067; Pierre,
1082), Poissy (Gautier 1067), Mantes (Garin, 1076), Bourges (Jean,
H02), Beauvais (Garin, 1092). J'y ajoute Melun (Garin 1067, proeior
Guarinus, Ch. de Saint-Benoît-sur-Loire, p. 202; 1094, meus proepo-
situSf Mabiilon, De te diplom.^ p. 589), Étampes {Durandus praetor,
1067, Ch. de Saint-Benoit, p. 202).
^ Cf. Luchaire, I, p. 219 et s.
ORGANES ET MOYENS d' ACTION DE LA ROYAUTÉ. 503
Fonctionnaire royal, il Tétait essentiellement, quoique
son office fût une tenure et dût en règle se transmettre à
titre héréditaire. Il devait Thommage lige comme serviteur
et il se payait lui-même de ses services à l'aide de droits
(villicatio, etc.) ou d'exactions levés pour son propre compte,
beaucoup plus qu'au moyen de prélèvements opérés sur
les rentrées qu'il faisait pour le compte du roi. Les pro-
duits divers des terres ou des censitaires, il était tenu de
les livrer aux magasins ou au trésor du roi, sans quoi toute
exploitation directe du domaine aurait fini par disparaître,
les agents domaniaux seraient devenus de simples amo-
diateurs redevables d'un prix ou d'une quote-part. Les
textes nous montrent clairement que le prévôt percevait
sur ses administrés des finances à titre personnel, pro
praepositura, en dehors et en sus des redevances régu-
lières qu'il levait au profit du roi seul*. C'est précisément
de la sorte que s'ouvrit devant lui un champ quasi-légal
d'exactions, puisque de l'aveu du souverain il exploitait
les populations à titre de salaire. Ne nous exagérons pas
pourtant ces exactions. Elles s'exerçaient souvent moins
au détriment des contribuables qu'aux dépens des seigneurs
qui réclamaient des droits sur eux*. Les prévôts, en pareil
cas, loin de faire un tort direct ou indirect au roi travail-
laient à élargir sa puissance et à grossir ses ressources.
Ce que je viens de dire peut s'appliquer de même aux
divers offices qui ont leur siège dans une partie constitutive
du domaine, les offices des châtelains', des curatores ou
* Tel était aussi le cas des avoués^ sur lesquels nous sommes très
exactement renseignés.
2 Voy. suprà, p. 497, etc.
3 Le châtelain, k notre époque, se confond fréquemment avec le
prévôt, et je ne suis pas surpris si plus tard chàtellenie et prévôté
formèrent une même circonscription. Dans un passage très remar-
quable de la chronique de Saint- Riquier, nous voyons trois oppida
de l'abbaye transformés par Hugues Gapet en castella royaux, des
villae et des revenus en grand nombre y être rattachés, à titre de
504 LIVRE IV. — CHAPITRB VI.
provisores civitatis^ et aussi des vicomtes, là où ils sont des
fonctionnaires. Pour les ans et pour les autres, les attii-
butions domaniales et les fonctions judiciaires ou admi-
nistratives se sont intimement soudées. Tous ont été rat-
tachés au palais. Leurs ofGces sont, au fond, des charges
de la maison du roi. Comme celui des grands ofQces de la
couronne, leur caractère se modifiera avec la croissance,
à partir du xii® siècle, de l'autorité royale. Le roi n'ac-
querra pas plus d'action sur ses serviteurs, mais la com-
plication des services entraînera la multiplication de ses
officiers et les fera assimiler davantage aux fonctionnaires
d'un État moderne.
dotation, et les châtelains qui y commandent préposés à l'adminiB-
tration du Ponthieu : « Quo primum igitur lempore Pontiva patrîola
munitionibus castrorum aucta est, ablatis monasterio Centulo tribus
oppidis, Abbatis villa, Sancto Medardo, et Tncra, et bis castellis efléo-
tis, in eorumque stipendia multis aliis Sancti Ricfaarii viUis et rediti-
bus ab Hugone rege praerogatis, nostra haec provincia non comité
utebatur, sed regiis militibus hinc inde prxpositis conservabatur »
(Hariulf, IV, 21, éd. Lot, p. 229).
' Je relève à titre de comparaison dans le nécrologe de Notre-Dame
de Chartres (Merlet et Lépinois, p. 172. Cf. p. 115) un « Arduinus
miles et provisor Carnotene civitatis » ("I- après 985). — En Italie le
terme de provisor civitatis est fréquent et signifie comte de la ville.
505
III. — LE PRINGIPAT
PREMIÈRE PARTIE
La genèse historique des grandes principautés
et leurs rapports avec la royauté.
La formation des grandes principautés est d'autant plus
nécessaire à envisager par nous que d'elle dépendait
l'avenir même de la monarchie des Gaules. Le regnum
Francorum ne fut pas seulement disputé entre compéti-
teurs à la couronne. Il fut menacé de démembrements qui
auraient pu donner naissance à une unité nationale diffé-
rente de l'unité carolingienne ou capétienne.
Les phases de croissance et de déclin des principautés
rivales, alliées ou vassales de la royauté, nous permet-
tront de saisir sur le vif Tétroitesse de la relation d'hom-
mage qui unit au roi les seigneurs de la Francie et de
mettre à nu le simple lien de pariage ou de Bdélité qui
rattache à lui les princes de la Gaule.
Nous avons donc à observer successivement ce spec-
tacle dans la Francie d'abord, sous le double aspect du
principat laïque et de la seigneurie ecclésiastique, puis
dans le surplus du pays de Gaule, que j'appellerai par
réminiscence de nos chansons de geste la France ma-
jeure^.
* J'ai dû, au cours de cette étude, côtoyer sans cesse les problèmes
de généalogie que soulève, sans toujours les résoudre définitivement,
y Art de vérifier les dates; mais je n'ai pu avoir la pensée de les re-
prendre ab ovo. Les historiens généalogistes ou les historiens locaux
506 LIVRB IV.
§ I. — LA FRANCIC
Dans ce môme dixième siècle où la famille robertienne,
en concentrant domination et domaines entre ses mains,
faisait le siège de la couronne et finissait par s^en emparer,
de grandes maisons rivales s'édifiaient au centre ou sur
le pourtour de la Francie et menaçaient de Tétouffer ou de
la mettre en pièces. Ce furent, après la maison de Verman-
dois, celles de Blois, de Valois et d'Anjou. Celles-ci surtout
prirent un merveilleux essor. Des trois comUalusde Blois,
Tours et Angers que détenait le grand ancêtre des Capé-
tiens, Robert le Fort^ et du comté de Vexin qu'a pu pos-
séder son petit-fils Hugues le Grand, elles étaient maî-
tresses dans la seconde moitié du x® siècle. Pour saisir sur
le vif l'action concurrente du principal et de la royauté,
c'est l'origine et la croissance de ces dominations qu^iJ
convient d'étudier.
pourront donc rectifier ultérieurement sur certains points, en ligne
collatérale surtout, des généalogies que j'ai acceptées avec l'opinion
commune. Mais ce sont là questions secondaires et rectifications de
détail qui ne sauraient altérer les grandes lignes de révolution his-
torique que j*ai retracée, les seules qui soient essentielles pour l'his-
toire des institutions.
* Favre, Eudes, p. 69, note 5.
507
Les principautés laïques.
CHAPITRE PREMIER
LÀ MAISON DE YERMÀNDOIS.
Le chef des Viromandui^ à la fin du ix* siècle, avait la
fortune d'être un Carolingien, petit-fils de Bernard roi
d'Italie, arrière-petit-fils, par les mâles, de Pépin; mais
la force lui manquait même pour résister à ses voisins
flamands, à Raoul, frère de Baudoin II, qui lui enlevait
en 895 Saint-Quentin sa capitale et Péronne son principal
castrum^. C'est Eudes, auquel il se rallie, après avoir
reconnu Charles le Simple pour son seigneur lige et avoir
contribué à Télire à Reims, c'est Eudes qui le remet en
possession de ces deux villes*. En 899, Charles le Simple
lui rendra un service analogue, en reprenant, pour le lui
restituer, Péronne dont Baudoin II s'était emparé, et en
resserrant par là le lien qui unissait le Vermandois à la
Francie.
Ce lien, le successeur d'Herbert fut loin tout d'abord
de vouloir le rompre ou le relâcher. Il tenta, au con-
traire, de grands efforts pour en tirer parti. Assurément
il est fort difficile, au milieu des sinuosités et des volte-
faces d'une conduite tortueuse et fuyante, de démêler
la politique qu'Herbert II a entendu poursuivre. Je crois
pourtant y découvrir deux phases bien tranchées, une
1 Annal Vedast., ad ad. 895 et 896, p. 351-353.
« Ibid., p. 353. Cf. Favre, Eudes, p. 182.
508 LIVRB IV. — CHAPITRE I.
première où il tend à se rendre maître de la Francis, une
seconde où il vise à se tailler, à ses dépens et par des em-
piétements en dehors d'elle, une seigneurie indépendante.
Placé entre les Robertiens et les Carolingiens, parent
de ceux-ci, allié de ceux-là, il passe alternativement de
Tun à Tautre camp pour étendre pas à pas sa domination
sur la Francie. Son premier et principal objectif est Reims,
le cœur ou la tête de la France, caput FranciaB^^ caput
regni Francorum^, Il s'en empare en faisant donner l'ar-
chevêché à son fils Hugues, âgé de cinq ans à peine', et il
ne cesse de lutter pour le reprendre quand il l'a perdu.
Tout autour, comme une ceinture armée, du Nord au Sud,
il veut avoir un réseau de places fortes par lesquelles sa
domination prenne pied. Saint-Quentin, Péronne, Ham,
Laon, Château-Thierry, Châlons-sur-Marne, et à l'extrême
limite sud-est de la France, Vitry-en-Perthois, sont occu-
pés, pris et repris. Pour maîtriser ainsi la Francie propre-
ment dite, il s'appuie sur la Francie orientale (Germanie)
et médiane (Lorraine) et sur les Normands de la Neusirie.
Il veut refouler Raoul le bourguignon, et Hugues le nea-
strien. Son seigneur lige naturel est Charles le Simple :
c'est pourquoi le guet-apens où il l'a fait tomber et la cap-
tivité où il la tenu jusqu'à sa mort ont soulevé une «ni-
madversion si unanime, si véhémente et si durable^. li le
tient en son pouvoir et néanmoins il renoue, par un bom-
« Cf. Manteyer, Études dédiées à Monod^ p. 191-2.
* « Remensis ecclesiac qiiœ caput regni Franeorum est » {Oerbwl,.
Lettres, n. i54, p. 137, n. 181, p. 165, éd. Havet).
3 « Admodiim parvulum, qui nec adhuc quinquenni tempus expies-
sel. » :Flodoard, Hist, eccL Rem., IV, 20).
♦ « H. cornes Virm., infando scelere dominum suum regemque
totius Francise Carolum, dolo captum, vincuiis quoque îrretitum,
Peronnœ direxit tenebroso carcere recludendum » (Aimoin, Mtrac(et
de saint Benoit, II, 3, p. 99). — Sur les récils légendaires de la mort
d'Herbert, voyez les lexles groupés par M. Lauer, Louis d'Outremer^
p. 9i-95, 292-299, et M. Eckel, Charles le SimpU, p. 134-5.
LA MAISON DR VBRMANDOIS. 509
mage, la foi rompue S il reconnaît sa souveraineté et essaie
même de la restaurer m extremis^ dans Tespoirque, dési-
gné par lui, reconnu par le pape Jean X (qu'il convie à
user de son autorité apostolique pour rétablir Charles sur
le trône) ^, il puisse lui succéder en qualité de Carolingien
et de maître du cœur de la Francie, par préférence à Louis
d'Outremer, hors d'âge encore de régner, et qui, nourri
à rétranger, avait cessé presque d'être un Franc '.
Cette tactique audacieuse, sans scrupule mais non sans
habileté, se heurte à la résistance collective du roi Raoul
et de Hugues le Grand. Il fallut Tintervention du roi de
Germanie pour qu'Herbert II parvînt seulement à se re-
mettre en possession de Saint-Quentin et de Péronne(93S).
C'est à ce moment que sa politique entre dans une
phase nouvelle. Il se rapproche de Hugues le Grand.
D'accord avec lui, il va, après la mort de Raoul, offrir la
couronne au jeune Louis, rappelé d'Angleterre*; fort de
son alliance, il s'attaque, dès 938, au nouveau souverain. Il
réussit à étendre sa domination surMeaux,Melun, Provins,
et à conquérir en Bourgogne le comitalus de Troyes',
* « Rursusque Heriberlus committit se illo » (Rodiilfo régi) (Flo-
doard, op. ciU, IV, 22).
2 Richer, Histor.y I, 54.
3 Louis n'avait que sept ans en 928, et il fut élevé à la cour de son
grand-père maternel Edouard I (f 924), puis de son oncle Athelstan.
Flodoard n*a pas manqué de relever cette dernière circonstance (quem
rex Alstannus avunculus ipsius nutriebat, IV, 26} dont la gravité, au
point de vue politique, ressort du surnom d'uUramarinuSy c'est-à-dire
d'Angf/aw, que les contemporains donnèrent au roi (souscription d'une
charte de saint Julien de Tours, 941, H. F., IX, 583, B.). Cf. Lauer,
op. cit,^ p. 300-302.
* Cf. Lauer, op. cit. y p. 12, note 7.
" Qu'Herbert ait été comte de Troyes, c'est ce qui ressort notam-
ment d'une charte de sa fille Ledgarde qui lui donne ce titre : « Pa-
tris mei HerLberli, Trecassini comitis «(Cartul. Saint-Père-de-Chartres,
I, 65. Cf. d'Arbois de Jubainville, p. 90, note 3), mais il est inexact,
comme l'avait cru M. d'Arbois, que le comitatus lui provenait de la
succession de son beau-père Robert !•'. M. Giry a prouvé, à Taide
510 LITRE IV. — CHAPITRE I.
sur l'allié de Louis d'Outremer, Hugues le Noir, auquel le
diocèse de Langres avait été attribué par le traité conclu,
avec ses deux compétiteurs, Gilbert de Vergy et Hugues
le Grand*. L'objectif d'Herbert est dorénavant de saisir
la vieille Francie comme dans un étau entre le Verman-
dois, marche septentrionale, et le diocèse de Troyes,
marche bourguignonne, pour en faire non pas un grand
fief, comme l'a dit mon savant collègue M. d'Arboîs*, mais
une principauté, un principat indépendant, analogue à la
Flandre ou à la Normandie.
Ce plan fut traversé par les succès de Louis d'Outremer,
qui lui reprit Reims et en fit une seigneurie ecclésiastique.
Il fut arrêté par sa mort (943).
de fragments du cartulaire de Montieramey (Études cThistoire dédiées
à Monody p. i24 et s.) :
io Qu'Eudes, comte de Troyes, mort avant 871, a été confondu à
tort avec Eudes, comte de Paris ;
2° Que son successeur a élé le comte Robert, qui, lui non plus, n'est
pas le futur roi de France, mais le gendre de Louis le Bègue, et seloo
toute probabilit(^, le comte Robert tué à Test de Paris, en février 886,
dans un combat contre les Normands;
3° Que Robert eut pour successeur son neveu le comte Aleaume, qui
figure dans une charte du 1«' mars 891 publiée par Camuzat et dans
une autre de février 893 publiée par M. Giry ;
4° Qu'on trouve après Aleaume un comte Richard de Troyes, dont
M. d'Arbois avait nié Texistence et qui figure encore dans un diplôme
de Raoul daté de Sens (du 10 décembre 926) : « Asisus, Trecassina
urbe pontifex, atque Richard us, ejusdem loci cornes » (Giry, loc, cit.f
p. 134).
Depuis lors M. Merlet (Mélanges Havct, p. 105-8) a cherché àprou*
ver que le comte de Troyes, Eudes, était le propre frère de Robert
le Fort et que leur père était Guillaume, comte de Blois. De son côté^
M. Manteyer (Origines de la maison de Savoie, p. 454-55) a voulu
identiGer le comte Richard avec le fils de Garnier, vicomte de Sens.
Ce sont là de pures hypothèses; le fait certain est qu'Herbert II
de Vermandois n a pas hérité en 923, à la mort de Robert I«», son
beau-père, du comté de Troyes.
' Art de vérifier les dates, II, p. 494.
^ Op, cit., p. 89.
LA MAISON DE VERMANDOIS. SU
La domination qu'Herbert H s'était acquise, après être
restée indivise entre ses fils, fut partagée par eux en 945*.
Elle se morcela en deux tronçons principaux, qui ne purent
plus se rejoindre : le Vermandois échu à son fils Albert, le
comté de Troyes qui revint à son autre fils Robert, le gen-
dre de l'ancien duc de Bourgogne, Gilbert de Vergy.
Le premier de ces tronçons fut progressivement attiré
vers les Carolingiens*, et ainsi se rétablit sa subordination
et son rattachement à la Francie. Le second put servir de
base d'opération à un principal puissant qui ne menaça
pas seulement de se rendre indépendant du regjium Fran-
corum mais de devenir son rival, le principal de la maison
de Blois. Il ofiTrail, en effet, un point d'appui précieux en
dehors de la Francie, dans la Bourgogne dont le diocèse
de Troyes faisait partiel L'autorité de son chef revêtait
par là un caractère exceptionnel. Il était comte pala-
tin*, comme le comte de Flandre, et le comte de Tou-
louse le furent, cornes palatinus régis Francorum. Que
cette dignité, suivant Thypothèse récente d'un ingénieux
érudit, conférât Tautorité sur les Francs établis hors de
Francie^ ou, comme je le pense, qu'elle eût pour résultat
de placer le chef ethnique qui en était revêtu sous la
suprématie directe du roi*, c'est elle sans doute qui ex-
plique et justifie le titre de cofnes Francorum que prend le
* Lauer, Louis d'Outremer, p. 97 et s., p. 139.
2 Cf. Lot, Les derniers Carolingiens, p. 90, 114.
' Pfister, Robert le Pieux, p. 139 el p. 248 et s.
* Le comte de Troyes Robert est qualifié déjà minister palatinus
dans Hne charte que M. Giry place entre 878 et 886 {loc. cit.j p. 129).
En 980 Lothaire appelle Herbert II de Troyes « cornes palatii nostri,
nobis karus et fîdelis in omnibus » (H. F. IX, p. 642 A). Il est à noter
pourtant que, dès 924, dans un diplôme relatif à Blois, un Thibaut, qui
a pu être le père de Thibaut le Tricheur, est qualifié par le roi Raoul :
« inclytus cornes Palatii » (H. F. IX, 566).
* Manteyer, L'origine des XII pairs de France. Etudes dédiées à
Monod, p. 197.
6 Suprà, p. 457-8.
S12 LIVRE lY. — CHAPITRS I.
comte de Troyes* et c'est elle encore qui désignera son
loiataic successeur pour être un des pairs du rex Fran-
comm.
* Dans la charte en faveur de Montier-en-Der, dont le diplôme de
Lothaire cité plus haut est la confirmation, Herbert II de Troyes s'in-
titule : « Heribertus, Francorum cornes inclitus » et il dit agir : « cum
consilio Francorum procerum atque omnium fidelium nostronim» tam
clericorum quam laicorum » (Cartul, de Montier-en-Der, éd. Lalore,
Cart. de Troyes, IV, p. 139-i42). Cf. charte de 968 (Camuzat, Pron^
tHarium, fo 85 r®) : a Heribertus gloriosus Francorum cornes ».
813
CHAPITRE 11
LE PRINCIPAT DE BLOIS ET CHAMPAGNE.
Le noyau de formation de ce groupe a été la cité de
Tours, le pagus Turonicus^ joyau de l'ancienne Neustrie,
dont les destinées sont étroitement liées, durant le x* et le
XI® siècle, à celles du Blésois et de TAnjou. Sous les ordres
des fils de Robert le Fort, Eudes et Robert, puis de son
petit-fils, Hugues le Grand, le comitatus est délégué à
des vicomtes qui tendront tout naturellement à se rappro-
cher du Nord-Est. La Francie centrale les attire; autour
d'elle gravitent leurs populations. C'est en 878 que se
rencontre, sous Hugues Tabbé, le premier vicomte de
Tours, Atton I*. Ses fils, Ardrad et Alton II, lui succè-
dent^ Après eux nous voyons, le 5 juillet 905, le vicomte
* Mabille, La Pancarte noire de Saint-Martin de Tours, p. 119,
n° 102. — C'est sans aucun doute Atton I qui reparaît dans la charte
d'Eudes de 886 (ou avril 887, d'après M. Favre, Eudes, p. 72) donnée
à Tours en faveur de Saint-Martin (Mabille, Chron, des comtes
d'Anjou, p. Lix, note 1 : Signum Attonis),
2 Si les chartes suivantes sont bien datées par leur dernier éditeur
M. Favre, les deux fils d* Atton I lui ont succédé conjointement :
22 mars 890. Notice de Robert, frère d'Eudes, abbé de Saint-Martin de
Tours : Signum Ardradi vicecomitis (FQ.yTe, op. cit., p. 241) ; 13 juin
892, notice du même : Signum Attonis vicecomitis (ibid,, p. 243).
Mais on peut avec M. Mabille (Pancarte noire, n^» 94-95, Chron. des
comtes d'Anjou, p. lx), dater la première du 22 mars 892 et la se-
conde du 13 juin 891. Celle-ci concernerait donc encore Atton I, au-
quel Ardrad seul aurait succédé. En tout cas Atton II fut seul vicomte
à la mort de son frère Ardrad, survenue en septembre 898 (charte
posthume d'Ardrad, rédigée à Tours, le 29 septembre, jour de sa
sépulture, publiée par Mabille, Chron. d'Anjou, p. xcii : « Signum
F. — Tome III. 33
514 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
d'Anjou Foulque le Roux prendre dans une charte le titre
de vicomte des Tourangeaux*, puis ce dernier titre être
porté, en 909, par un Thibaut, au-dessus duquel Foulque
se qualifie, dans le même acte, comte d'Anjou*. La con-
clusion logique à en tirer est que Foulque d'Anjou a suc-
cédé à Alton II, puis cédé ou laissé passer le vicecomitat9is
à Thibaut.
Dorénavant ce n'est plus que sous le nom de Thibaut
que les chartes nous font connaître le vicomte de Tours*.
Depuis Tan 931, au moins, il doit s'agir de Thibaut le
Tricheur, ûls ou neveu présumé du Thibaut de 909. Il
a pu être nanti dès 924 du comilatus blésois^, puisque
c'est à sa sollicitation que le roi Raoul restaure et dote, eD
cette année, Tabbaye de Saint-Lomer de Blois. La qualité
de Cornes Palatii^ que le roi lui donne dans ce diplôme
permet de conjecturer, si Tacte est authentique *, que Je»
possessions de Thibaut le Tricheur sur les conOns de la Bour-
gogne et de la Francie, Bray-sur-Seine et Chaloutre-la-
Grande, remontent bien au delà de son mariage avec Led-
garde de Vermandois. Quoi qu'il en soit, sur Blois comme
Attonis fratris sui vicecomitis) et on retrouve sa souscription dans
des chartes du comte-abbé Robert du 22 mai 899 (Mabille, Ckran*
d'Anjou, p. Lx, note 3), et du 13 septembre 900, t6td.. p. lix, note 1.
< « Signum Fulconis Turoiiorum et Andecavorum vicecomUis »
(Mabille, ibid,, p. xcv).
^ 30 octobre 909 : « Signum domni Fulconis Andecafforum co*
mitis; signum Tedbaidi Tuwnorum vicecomitis » (i6ûi., p. xcfin).
3 En 924 {infrà, note 5), 925 (Ann. Bened. IIL p. 384, cfa. 79).
931 (Mabille, op. cit., p. xcviii, H. F. IX, 720 G), 939 (H. F. IX,
722 A), 9*1 (Coll. D. Housseau I, 170), etc.
^ On paraît d'accord aujourd'hui pour voir une simple légende
épique dans l'histoire du palefrenier Ingon racontée par Rieber
(I, 9-12) (Voyez Kalckstein, Geschichte des Franz. Kônigthwm,
Leipzig, 1877, p. 478-9; Lex, Eudes de Biais, p. 13-14; Favre, faidfi,
p. 232; Lauer, Louis d'Outremer, p. 267-8).
s « Dono et concedo, prooibus amici mei Theobaldi inciyti Conûtis
Pabitii victus >» (H. F. IX. 566 C).
^ a. Lippert, Kônig Rudolf, p. 109, Reg. 5.
LE PRINCIPAT DB BLOIS ET CHAMPAGNE. 545
sur Tours, le comitatus est sorti, seloû toute vraisemblance,
d'une extension graduelle du vicecomitatus^qm des mains
de Guarnegaud, que nous trouvons vicomte de Blois de
887 à 905 *, a dû passer au primitif Thibaut.
Est-ce de ce même Thibaut que le Tricheur tenait ses
droits sur Chartres, et d^où lui étaient-ils venus? Une
coïncidence étrange frappe aussitôt l'esprit : la vente de
Chartres à un comte Thibaut par le chef normand Has-
ting, auquel le rex Francorum l'aurait abandonné. L'exac-
titude historique de ces faits a été contestée très vive-
ment par l'éditeur de Dudon de Saint-Quentin, M. Jules
Lair^. Mais la critique, d'ordinaire si mesurée et si péné-
trante de cet érudit, me semble avoir ici dépassé le but.
Le tout est de s'entendre sur la nature des conventions
qui ont pu être faites et sur les circonstances qui les
entourent. Si une cession a été consentie à Hasiing par
le roi de France, ce n'a pu être par Louis III, en 882,
car la paix conclue alors éloignait Hasting du royaume •.
Suivant Guillaume de Jumièges, c'est par un roi Charles
* Gua^ne^^aud souscrit en 886 (887), 890 et 900 les diplômes d'Eu-
des et de Robert ëmis à Tours (suprà, p. 513, note 2) et en 905 la
charte où Foulque prend la qualité de vicomte de Tours et d'Angers
(p. 514, note 1). Il porte dans cette dernière charte le titre de vicecames
vel graphiOj dans les diplômes de 890 et de 900 le titre de vicecomes.
Il possède des biens en Touraine et y donne, avec sa fenmie Hélène^
deux églises à saint- Martin de Tours, le 29 juillet 895 (ch. publiée par
Favre, Eudes, p. 243-4. Cf. Salmon, Chroniques de Touraine, p. 46
et 106), donation que le roi Charles le Simple confirme, avec d'au-
tres, en 919 (H. F. IX, 543). Dans l'acte de 895 on le voit tenir un
plaid à Blois : « In Castro Bliso, in mallo publico, quod tenuit prae-
scriptus hujus cessionis auctor G. » et déclarer que les biens donnés
lui proviennent d'une largesse du roi Eudes, faite à la prière de son
seigneur le comte Robert (frère du roi) « inlerventu eximii senioris
nostri domini Rotberti comitum potentissimo >».
2 Introd., p. 36-47.
> Annales de saint'Vaasty ad an. 882, p. 313 : « Hludovicus vero rex
Ligerem petiit, Nortmannos volens e regno sua ejicere atque Alstin-
gum in amicitiam recipere; quod et fecit ».
516 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
que Chartres a été cédé *. Nous sommes donc reportés, sans
aucun doute, après la mort d'Eudes, après 898. Précisé-
ment à cette époque, la vie de saint Vivent signale la pré-
sence de Hasling à la tête des Normands, en Bourgogne
d'abord, puis dans le pays chartrain^. En outre des in-
cursions répétées de ces pirates se laissent entrevoir de
898 à 903 ^ Aussi le chroniqueur postérieur qui a repro-
duit, en l'arrangeant, le fait rapporté par Guillaume de Ju-
mièges n'a-l-il pas manqué de lui assigner la date de 904 ^
J'estime donc qu'il y a eu deux traités, séparés par un
assez long intervalle, et que Dudon de Saint-Quentin, dont
la chronologie est très boiteuse, les a confondus en un seul.
Il ne donne pas, en conséquence, le nom du roi* et il ne
mentionne pas Chartres. Mais ce qu'il dit s'accorde au fond
très bien avec le récit de Guillaume de Jumièges. Hasting,
nous apprend-il, a été apaisé par un vectigal^ par « une
somme de redevances et de tributs »•. El Guillaume de
Jumièges? Chartres a été cédé à Hasting, à titre d'émo-
lument, de stipendium\
Nous avons donc affaire à un abandon des droits fiscaux
1 Voyez iiifrà, la note 7.
2 Vita sancti Viventii (Boll. 13 janvier, p. 813) : « Invadente Astingo
Normannorum principe cum suis Burgundionum fines... cum tola
penè provincia ab eisdem Normannis depopulata incendie cremaretur.
Praeterea paiilo post... quidam Francorum ac Burgundionum primo-
res... irruerunt in eos in pago Carnoteiise, tantaque strage illos dele-
verunt,ut ulterius in exterorum fines minime raptim exire tentèrent.»
3 Cf. Eckel, Charles le Simple, p. 66-67.
* Aubry des Trois-Fontaines (xiiio s.), ad an. 904, HF. IX. 63 A.
5 Dudon de Saint-Quentin, I, 8, éd. Lair, p. 136-7. Il dit simplement
rex Francorum j ou rex.
6 « Dirigunlur legati ad atrocem Alstignumpacifici. Dehinc vectigali^
pensorum ( = census) trihutorum summa mitigatus, et a Francige-
nis c.vacti muncris pondère sensim placatus, pacem quae postulabatur
non abdical diulius, verum dat ultroneus » [ibid.^ p. 137).
^ « Hastingus vero Garolum Francorum regem adiens, pacem petiit,
quam adipiscendi urbem Carnotensem stipendii munere ab ipso ac-
cepit » (G. de Jumièges, I, 10. Migne, 149, 788).
LB PRINCIPAT DE BLOIS ET CHAMPAGNE. 517
que le roi possédait à Chartres et dont l'ensemble consti-
tuait, au x* siècle, le comitatus : abandon temporaire, en
principe, puisqu'à prendre le chroniqueur normand an pied
de la lettre, le traité n'était conclu que pour quatre ans*.
L'indignation de Dudon contre Hasting, les épithètes
malsonnantes qu'il lui prodigue, les crimes qu'il lui impute,
prouvent bien que le chef normand a fait cause commune
avec les Francs. Il n'y a rien d'invraisemblable à ce qu'il
se soit lassé de ce rôle et, pour reprendre sa liberté et sa
vie d'aventure, ait vendu à un Franc, du nom de Thibaut,
les droits pécuniaires qu'il possédait sur Chartres*. D'autre
part, la légende bourguignonne qui fait de Hasting un faux
normand, un paysan des environs de Troyes, enrôlé parmi
les pirates', est un léger mais curieux indice de ses rapports
avec l'ancêtre reculé des comtes de Troyes et de Cham-
pagne.
Depuis 941 au plus tard, Thibaud le Tricheur prend ré-
gulièrement le titre de comte*. En 943 il jette les fonde-
ments définitifs de la maison de Blois par son mariage avec
Ledgarde, fille d'Herbert II, qui transmettra à sa race le
droit de succéder un jour aux domaines de la maison de
Vermandois. A celle expectative, prompte à se réaliser*, une
* « Pepigitque inextricabili fœdere olympiadis cum eomunera pacis »>•
(eod. /oc).
2 u Considerans Tetboldus cornes se reperisse tempus opportun um...
Haslingum lalibus verbis falso appétit... Hastingus... confestim Car-
notenam urbem Tetboldi vendidit et distractis omnibus peregre pro-
fectus disparuit » (G. de Jumièges, II, 11, Migne, 149, 797). Cf. Wace,
Roman de RoUy II, v. 526 et s., éd. Andresen, p. 57 :
« E Tiebalt a Hastein de Chartres engignie.
La cite achata tut a fin par marchie.
Tiebalt fu nez de France, uns des plus halz baruns,
Mult aveit par la terre chastels e forz maisuns ».
3 Raoul Glaber, I, 19, éd. Prou, p. 18.
* Lex, Eudes de Blois, p. 16.
^ Si l'opinion de M. Longnon est exacte {Atlas historique, p. 281 ;
Adde, Lot, Les derniers Carolingiens, p. 371 et s.), le comté de Troyes
818 UYIIB I¥. — OHAPITB» II.
autre vint se joindre, ainsi qu'on noavwui lustre. Le soc-
cesseur de Thibaut, Eudes l*'(97i-99S), en époosaotBorthe,
Qile du roi de Bourgogne, Conrad le Pacifique, petke*fil>ey
par sa mère Mathilde de Louis d'Oatremer, omnrut i ses
descendants le chemin du trône de Bourgogne et les rap-
prochait du trône de France. En ligne fémiaioe ils allaieal
être Carolingiens et les secondes noces de leor mère d»-
Yaient les élever au rang de beaui-flls du rei Robert IL
La comtesse Berthe, restée veuYe eocore jeane (995)t
s*était placée avec ses enfants en bas âge soos le mxmr
dium^ sous la protection du nn, circonatanee de Datare à
jeter un jour asses vif sur les rapports de la royanté et des
grandes seigneuries de la Francie pour qa*il convienne de
s'y arrêter.
Eudes I, eu incessant conflit avec le comte d^Aïqoa,
Foulque Nerra, avait vu les deux rois Hugues et Robert
prendre parti et marcher contre lui. Une maladie mortdle
le frappe en pleine guerre et, devant sa fin prochaine, il
redoute Teffondrement de sa maison. Les rois ne dépos-
séderont-ils pas ses jeunes enfants ? Ceux-ci auroot-ib ]e
moindre espoir de succéder i sa domination? « naiis do-
minandi spes nulla relinqueretur »*. Eudes envoie m
extremis des messagers aux rois pour offrir son entière
soumission. Hugues est disposé à Taccepler, mais Robert
s'indigne et fait repousser Toffre. C'est ce même Robert
que la jeune veuve réussit à gagner, pour elle et sa maison,
comme avoué et protecteur : « suarum rerum defensorem
atque advocaium Robertum regem accepit »*• Il aurait dû
l'être de plein droit, en sa qualité de seigneur lige de la
Francie, mais il aurait pu échanger ce rôle contre celui
de spoliateur, puisqu'il y avait guerre ouverte. Il s'y tint,
aurait été acquis dès 980 à un fils de Thibaut et de Ledgarde, qui se
serait appelé Herbert Ilf de Troyes et aurait eu pour successeur son
fils Etienne ler, mort en 1023 sans descendants.
« Richer, IV, 94 (T. Il, p. 280-2).
' Notef additionnelles autographes de Rieher, II, p. 206-308.
LE PRINCIPAT DE BLOIS ET CHAMPAGNE. 5i9
sans qu'il dous soit possible aujourd'hui de savoir quelle
part la raison d'Élat ou le respect du droit et quelle le
charme séducteur de la veuve éplorée ont eue dans la ré-
solution du jeune roi.
L'essor que prit depuis lors la puissance du principat
blésois et champenois ne fut ni ralenti ni entravé par la
coutume de l'égalité des droits entre les enfants (y compris
les filles) que la maison de Blois pratiqua et qu'aux x* et
xi* siècles, pratiquaient de même la plupart des maisons
princières ou seigneuriales. Quoique le comte Eudes 1 eût
laissé cinq enfants, Eudes II, élevé à la cour du roi Robert,
put réunir, dès l'âge de vingt-deux ans, l'ensemble des
possessions ancestrales, et ce sont les droits de sa grand'-
mère Ledgarde aux comtés de Troyes et de Meaux qu'il
fit valoir dans la succession de son cousin Etienne I (après
1019), de même qu'il revendiqua du chef de sa mère
Berthe la couronne de Bourgogne, à la mort du roi Ro-
dolphe 111 le Fainéant (1032).
Des comtés de Troyes et de Meaux il parvint, au prix
de luttes acharnées contre le roi Robert et contre Foulque
Nerra, à se rendre définitivement maître, posant ainsi les
assises du duché de Champagne. Le royaume de Bourgo-
gne, il entendait sans doute le tenir en pleine indépen-
dance *, puisqu'il n'avait offert, en 1032, qu'à titre transac-
tionnel, de le gouverner sous l'autorité du roi de Germanie,
Conrad 11, et que cette soumission même n'était, au dire
du chroniqueur allemand Wipon, qu'un voile jeté sur les
visées les plus hautes : dominer la royauté sans ceindre la
couronne, être le maître du roi, sans être roi '.
* Nous verrons plus tard que la suprématie de Tempereur d'Alle-
magne n'avait été reconnue encore que par intermittence et dans
des conditions fort précaires par Rodolphe III lui-même.
2 « Nec et regem ausus est facere, nec tamen regnum voluit dimit-
tere. Referebant quidam iUum dixisse sœpe quod nunquam rex
fieri, sed tamen semper magister esse régis vellet » (Wipon, Gesta
€huonradiy cap. 29, SS. (in us. schol.) p. 36.
520 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
Eût-il pris même le titre de roi — ce qu'il s est abstenu
de faire dans ses diplômes*, alors qu'en Provence et dans
le Lyonnais d'autres le lui donnaient* — ne valait-il pas
mieux qu'un prince français dominât du seuil de la Lorraine
jusqu'à Arles et à Nice et commandât les passages des
Alpes que d'y laisser s'implanter la souveraineté alle-
mande '? Au point de vue de la patrie gauloise, la ques-
tion n'était pas douteuse. Elle ne le parut pas non plus,
mais dans un sens opposé, au point de vue de l'intérêt
dynastique des Capétiens. Le roi de France Henri, voyant
dans Eudes le plus redoutable compétiteur à la couronne,
prit fait et cause pour l'empereur teuton Conrad. Une entre-
vue* eutlieu en Lorraine, à Deville-sur-Meuse (mai 1033)',
une alliance étroite fut conclue, que le mariage d'Henri
^ Voyez le catalogue de ses actes dressé par M. Lex et les diplô-
mes publiés par cet érudit (Eudes^ comte de Blois, p. 99 suiv., p. 121
suiv.). — Le seul titre qu'il prend est celui de cornes tout court ou, à
partir de 1021, mais dans un petit nombre d actes, le titre de cornes
palatinus (Lez, op. ci^, p. 85). Cf. cependant au sujet du titre de
roi : Hugues de Flavigny, H. F. XI, 143 D.
2 Cartul, de Saint-Victor de Marseille, I, p. 92, 123, 207, 212. —
CartuL d'Ainay, ch. 22 : '< Oddone Campanensi regnum GallisB
summis juribus (viribus?) sibi vindicante ».
• Du côté germanique on en avait parfaite conscience : Vtto S.
Leonis (Mabillon, SB. VI, 2, 65) : « Nam ejus intercurrente sapien-
tia, legatione et consilio, est Romano adjunctum et corroboratum
imperio regnum Âustrasiœ, quod dudum ab origine tenebat Rodul-
fus rex Jurensis Burgundiœ » — Hist, mon. S. Laur. Leod. (H. F.
XI, 171 C) : « Dux Gozelo... rogat... ut non solum sibi, verum etiam
omni Lotharingiae, immo vero universo subveniret Imperio. quod
leterno notaretur elogio (opprobrio) si praeualeret praed. Odo;
omnes Francigenas omnemque Burgundiam conjurasse cum illo. »
* Entrevue négociée par l'évêque de Toul, Brunon, le futur Léon IX
Mab. SB. VI, 2, 64-65) et Tabbé de Stavelot Poppon {Vita Poppo»
nis, Mab. SB. VI, 1, 584). — Cf. Brucker, L'Alsace et l'Église au
temps de LéonIX, Strasbourg, 1889, p. 130-1.
^ Ch. de Stavelot (D. Calmet, IlisL de Lorr., 2e édil., II, cclxix) :
'< Facta est ha-c commutatio apud Diiiillam, ubi colloquium fuit inter
imperatorem Cuonradum et Heinricum regem Francorum. »
LE PRINCIPAT DE BLOIS ET CHAMPAGNE. 521
avec la fille de Conrad devait cimenter, et Raoul Glaber
nous apprend glorieusement qu'en signe d'amitié Conrad
envoya à son allié un lion de grande taille, leonem per-
ffrandem\ C'était bien le moins qu'il pût faire pour lui
marquer sa reconnaissance d'un traité qui livrait à l'Alle-
magne le quart de la Gaule!
L'excès de son ambition acheva de perdre le prince
français. Eudes, non content de la Bourgogne, s'attaqua
à la Lorraine et convoita la couronne de fer d'Italie,
qu'en 1036 des évoques lombards vinrent, en effet,
lui offrir. Il succomba sous les coups des Lorrains, aux
champs d'Honol, près de Bar (1037) et l'imagination
populaire, frappée d'un tel écroulement, dramatisa sa fin
comme la légende devait le faire pour le dernier roi anglo-
saxon Harold*. Ennemi du roi de France et du roi de Ger-
manie, du duc de Lorraine et du comte d'Anjou, sa mé-
moire ne pouvait trouver grâce auprès des chroniqueurs*.
* Raoul Glaber, IV, 9, p. 111-112 : « Gui eliam leonem pergrandem
amicilie gratia misit ».
2 Telle Edith au cou de Cygne, la comtesse Ermengarde dut,
selon la légende, reconnaître parmi les morts, en sa nudité lamentable,
le corps mutilé de son époux. Une main du xii* siècle a consigné ce
bruit populaire dans une note ajoutée au MS de Raoul Glaber :
« Narrant etiam plerique quod corpus ejus diu multumque quesitum
inveniri non potuit donec uxor ejus veniens tali intersigno invenit;
habebat enim verrucam in ter genitalia et anum ».
' Presque seule l'Église prit sa défense, reconnaissante des libéra-
lités dont il Pavait comblée. A Tours, histoires pieuses et sermons
montrèrent Eudes racheté de l'enfer par saint Martin (Cf. d'Arbois
de Jubain ville, p. 345-53) ; à Chartres, le nécrologe de la cathédrale
célébra ses grandes qualités, exalta sa gloire et s'apitoya sur sa
tragique fin : « XVII Kal. Dec. Odo, palatii comes, cum ingenuilate
et potentia illustrissimus, tum magnitudine animi et constancia pres-
tantissimus, incognita quidem nostri Jesu dispositione, sed, ut sem-
per, aliquo modo misericordissima, ab inimicis in proeiio morte affec-
tus est » {Merlet et Clerval, Un MS. chartrain, p. 182).
Des historiens modernes Eudes attend encore un jugement tout à
fait équitable. Celui de M. d'Arbois me paraît trop sévère et la con-
clusion de l'excellente étude de M. Lex trop molle ou trop discrète.
522 LIVRE IV. — CHAPITRB 11.
Le sentiment d'unité nationale de la Gaule était trop
fugace encore et trop peu éclairé pour que le patriotisme
local et rintérêt dynastique des Ottoniens et des Capétiens
ne prévalussent pas sur lui *.
Avec moins d'éclat et des alternatives de revers et de
succès, les descendants d'Eudes II poursuivirent sa poli-
tique de domination sur la Francie et de constitution d'un
grand Etat dont le groupe blésois et champenois fût le
noyau. Ses deux fils, Thibaut IIP et Etienne*, se retrouvè-
rent en face d'une coalition du roi et de l'empereur, des
Angevins et des Lorrains, à laquelle le comte de Flandre
Baudoin V vint s'adjoindre. Ils perdent la cité de Tours
et le comitatus dont elle était la base et leur maison ne
pourra les ressaisir que sur Foulque Réchin ou sur Geof-
froi le Bel*.
* Du moins subsislail-il un point d'honneur national : « Odo cornes,
Henrioi régis sprela jussione, cum magno apparatu Francorum, contra
Alamannos et Lotharingios properans ad bellum, de se suisque ma-
gnum exieris pracbuit triumphum...occubuit, proh nefasl Quod huic
simile nnnquam semper victrici nostrœ acciderat genti » (André de
Fleury ;i043-10r)6). Miracles de saint Benott, VI, 21, p. 248).
2 C'est celui que les historiens ont appelé Thibaut II; mais un
changement de nume^ralion s'impose puisque nous connaissons au-
jourd'hui un Thibaut antérieur au Tricheur.
* Etienne eut les comtes de Troyes et de Meaux et, suivant
M. d'Arbois, en fit hommage k son frère. Le savant historien recon-
naît qu'aucun texte ne le dit : il admet, mais il ne démontre pas,
que « les règles du droit féodal permettent d^ affirmer qu'il en fut
ainsi » (p. 3r)r), note 1). Les règles dont il parle sont celles du xu* et
du xiii* siècle, et nous sommes au xi\
* D'après VArt de vérifier les dates (II, 840) et d*aprè8 M. d'Arbois
de Jubainville (I, p. 369-371) Thibaut, en cédant Tours, aurait retenu
la mouvance : prisonnier un instant auparavant, il aurait reçu comme
suzerain l'hommage de son vainqueur. C'est un anachronisme. Sur
quels documents, en efTet, se fonde-t-on? Sur des chroniques de la
seconde moitié du xii*^" siècle, tout imprégnées des idées de leur temps,
la Chronica de gestis consiiliim Andegav. (éd. Mabille, p. 124), les
Gesta Ambaziensium dominorum [ibid,, p. 170), puis sur les Feoda
Campante, cités comme le 4^ livre des vassaux de Champagne, alors
LE PRINCIPAT DE BLOIS ET CHAMPAGNE. 523
Son unilé se reconstitue, en effet, avec Thibaut III* d'a-
bord, puis avec son petit-Bis Thibaut IV * , et on la verra alors
chercher en Normandie le point d'appui qu'elle ne trouve
plus en Bourgogue.
Le fils d'Élienne, Eudes, évincé par son oncle Thibaut III,
qui, après i063*, concentra dans sa main la domination de
la maison de Blois, se réfugia en Normandie, participa à la
conquête de l'Angleterre, devint comte d'Aumale (Alber-
male) en Normandie, et en Angleterre comte d'Holderness '.
que la mention de l'hommage dû par les comtes d'Anjou ne se
trouve même qu'au 2® registre, que M. Longnon date de 1200-1201
{éd. A. Longnon, n** 2422, p. 90, Documents relatifs au comté de
Champagne, I (Paris, 1901).
Que dans la seconde moitié du xn* siècle, la mouvance de Tours
ait appartenu à la maison de Blois, cela n'est pas douteux, mais elle
ne doit dater que de l'accord passé en 1141 par Geoffroi le Bel et
Thibaut IV', le premier rétrocédant Tours, en échange de Tabandon
par Thibaut de ses prétentions sur les couronnes de Normandie et
d'Angleterre (Orderic Vital XIII, 43, t. V, p. 131). Tout au plus pour-
rait-elle remonter à la fin du xi« siècle, au jour où Foulque Rechin,
en lutte avec Geoffroi le Barbu, voulut détacher Henri-Étienne du parti
de son frère, et en conséquence lui fit hommage. Mais la Ckronica
de gestis ne parle pas, à cette occasion, de Tours (éd. Mabille, p. 139)
et la chronique attribuée à Foulque Rechin lui-même assure qu'il
reprit Tours sur son frère et le posséda au même titre qu'Angers,
Loches et Loudun : « Accepi civitatem Andegavem et Turonum et
Lochas castrum et Lausdunum, quœ sunt capita honoris Andegavo-
rum comitum » (éd. Mabille, p. 380). Il ne doit donc s'agir dans le
passage ci-dessus que d'une alliance jurée.
J'ajoute, en ce qui concerne la prétendue mouvance de 1044, que
les chroniques contemporaines des Églises d'Anjou et les chroniques
anciennes de Touraine n'y font pas la moindre allusion. La chronique
de saint Aubin d\Àngers se borne à dire : « T... urbem Turonicam
reddidit » (éd. Marchegay et Mabille, p. 24), la chronique de Pierre
Bechin : « G.-M... Turonis pro redemptione accipiens » (éd. Salmon,
p. 55).
* Voyez la note 2 de la page précédente.
2 Cartul. de Châlons-sur- Marne iWarin), p. 49-50.
3 Orderic Vital, IV, 7 (II, p. 221), VIII, 9 (III, p. 319).
524 LIVRE IV. — CHAPITRE II.
Le fils de Thibaut, Etienne-Henri % épousa Adèle de Nor-
mandie, fille de Guillaume le Conquérant, et il acquit par
là à son successeur Thibaut IV (seul chef, à partir de 1 425,
du groupe blésois et champenois) des dr&its à la couronne
ducale de Normandie et à la couronne royale d'Angleterre,
pour le jour où mourrait, sans hoirs de son corps, Henri I
Beauclerc, oncle maternel de Thibaut IV. Celui-ci essaya
de faire valoir ses droits en se réconciliant pour la circons-
tance avec son seigneur lige le roi de France, mais il
était plus grand seigneur que grand politique et grand
homme de guerre, et ni lui ni son frère Etienne de Blois
ne purent l'emporter sur Geofi'roi le Bel d'Anjou, le mari
de Maihilde, le gendre d'Henri Beauclerc*. Et ainsi, ce fut
la rivale séculaire delà maison deBlois, la maison d'Anjou,
qui réussit mieux qu'elle-même à s'approcher du bat
qu'elles visaient toutes deux : dominer la Francie, et, par
la Francie, la Gaule.
^ Orderic Vital appelle à deux reprises Étienne-Henri cornes paUUi-
nus (II. p. 393, IV, p. 118), probablement parce qu'il le savait Ois de
Thibaut qu'il qualifie palatinus cornes. Selon la juste remarque de
M. Le Prévost (II, p. 393, note 1) ce titre n*a pas dû passer à Étienne-
Henri, qui eut le comté de Blois, mais à son puîné Eudes III, qui eut
le comte de Troyes. À celui-ci succéda leur plus jeune frère Hugues,
dont la mort sans enfants légitimes, en Terre-Sainte, permit au fils
d'Étien ne-Henri, Thibaut IV, de devenir le chef unique de la maiiOQ
de Blois.
« Cf. Orderic Vital, II, p. 394, IV, p. 189, V, p. 54-56.
525
CHAPITRE m
LE PRINCIPAT DU VEXIN ET DU VALOIS.
Dans le voisinage immédiat de Paris, au nord-ouest, entre
rOise, la Seine et TAndelle, s'étendait un territoire dont
Tabbaye de Saint-Denis disait tenir la possession du roi
Dagobert, ou avoir acquis au plus tard la souveraineté au
vil* siècle. C'était le territoire des Vilcassini^ le Vexin.
L'origine et la nature des droits de l'abbaye sont fort énig-
matiques et fort incertaines. Selon toute vraisemblance,
elle avait obtenu, dans celte région, de divers monar-
ques francs, des concessions de grandes terres immunes,
dont les comtes du pagus devinrent les protecteurs atti-
trés, les avoués*. L'existence des comtes carolingiens
du Vexin (institués donc par le roi, et non par l'abbaye)
ne paraît pas douteuse et plus tard les comtes du Vexin
furent régulièrement avoués de Saint-Denis, portant son
oriflamme^ Quand, en 911, la partie du Vexin située entre
TEpte et TAndelle eut été abandonnée à Rollon par le traité
de Saint-Clair-sur-Epte, les ducs de Normandie prétendi-
rent à la charge d'avoué dans le Vexin normand*. Dans
le Vexin français, l'avouerie finit par se confondre avec le
comUatus. Les comtes du Vexin qui avaient dû la fidélité
en qualité d'avoués la durent en qualité de comtes, et c'est
* lis ne relaient pas encore en l'an 783, où l*on voit un avoué Ado
se présenter devant un plaid du comte Riphero (H. F., V, 746; Mùhl-
bacher, Regesten, 2* éd., n. 247).
2 Art de vérifier les dateSy II, p. 680.
^ Art de vérifier les dates, L c.
526 LIVRB IV. — CHAPITRE III.
ainsi qu*au xii* siècle le comté lui-même appara tira comme
un fief de Saint-Denis*.
Dès le x* siècle, du reste, le comte du Vexin avait élargi
sa dominalion bien au delà de TEpte, de TOise, du Theraia,
jusque dans TAmiénois. Son comté se souda cl*autant plus
étroitement à la Francie, tandis que le groupe de popula-
tion assis entre TEpte et TAndelIe fit corps avec la Nor-
mandie.
Le titre de cognes Vilcassinorum ne paraît avoir été
pris, au x* siècle, ni par Galeran ni par son flls Gautier I,
que Y Art de vérifier les dates donne comme successeurs
à Hugues le Grand dans le comté du Vexin. Peut-être le
premier n'a-t-il été tout d'abord qu'un vicomte des Rober-
tiens. Il figure, il est vrai, avec le titre de comte dans la
souscription d*une charte du mois de mars 967*, mais il
pouvait s'agir d'un comitatus différent. Galeran avait
épousé Eldegarde, petite-fille d'Herbert II, fllle d'Eudes
de Vermandois (f peu après 946)*, veuve, semble-t-il,
de Raoul I de Valois, qui apparaît, vers 949, dans un récit
de la translation du corps de saint Arnoul.
Nous sommes, en effet, ici en présence de deux hypo-
thèses également plausibles. Ou bien Gautier I, comte du
Vexin, successeur de Galeran, était son fils ; dans ce cas,
il est ilislinct de Gautier, fils de Raoul I de Valois* et Ton
* SiJprer. éd, Lee. de la Marche, p. 116. Diplôme de Louis VI de
1124 ;Liicliaire, Annules, n. 3i8).
* « Sif^Mumi Walaramni comilis d (charte de Sainl-Julien-de-Tours,
Dibl. Éc. (les charteSy t. 47, p. 229).
' Ils se marièrent selon la loi saliqne, comme nous Tapprend une
charte d'Kldegarde : «< Alodum juris mei, tjuem senior mous ;Wale-
rannus) sccundnm leyem salicam et aecunclum co7isuetudinem qwi viri
proprias uxores dotant^ michi in propriam concessit » [Cart. de Saint-
Pure de Chartres^ I, p. 88).
* Ce Gautier figure, vers 095, cumme comte de Valois, dans une
charte publi<'^e par Mahillou 'Annales ord. S. Bcned, IV, app. p. 690],
que mon savant ami M.Longnon a bien voulu me signaler et qui doit
être la même q4ie le texte du Cartulaire de Saint-Crépin de Soissons
LE PRINCIPAT DU VEXIN ET DU VALOIS. 327
ne voit plus à quel moment le Vexin et le Valois ont pu
être, avant la mort de Gautier III, réunis dans la même
main*. Ou bien Gautier I n'était que beau-fils de Galeran*,
qui serait mort sans enfants et auquel il aurait succédé.
En tout cas, Gauthier I, comte du Vexin, a succédé
dans le comté d'Amiens aux anciens comtes Ermenfroi et
Gozbert% et peut-être a-t-il acquis Dreux par mariage*.
II était avoué de Saint-Denis; son fils Gauthier II le fut
en plus de Saint-Germedn-des-Prés et de Jumièges, et du
chef de sa femme devint comte d'une partie de Senlis.
A la mort de Gautier II (vers 1027) un partage fut
opéré entre ses fils. L'un d'eux, Drogon, ou Dreu, devint
comte du Vexin et comte d'Amiens, il obtint la partie du
comitatus de Senlis qui procédait de sa mère. Un autre,
Raoul II, eut le comté de Valois, si l'on s'en tient à la
seconde des hypothèses que j'ai relatées, le troisième,
Foulque, reçut févêché d'Amiens. Drogon et Raoul II
furent parmi les plus puissants seigneurs de la Fran-
cie. Ce dernier jouit d'un grand crédit à la cour de
auquel M. Depoin {Gart. de Saint-Martin de Pantoise, p. 245, noté 7)
fait allusion. C'est une restitution à Saint-Crépin par Gautier et sea
deux fils, Raoul et Gautier, de terres du comté de Valois usurpées par
son père Raoul : « terras que sunt in comitatu Vadense, quasque
geoitor meus Rodulfus praed. sanctis injuste abstulit ».
* M. Longnon incline en ce sens.
^ C'est l'opinion de M. Depoin, loc, cit,
^ Voyez charte de 987 : « ipsorum haîres et successor » (Levillain^
Chartes de Corbie^ Paris 1902, p. 305-6). Gautier a pour fils Gui,
évêque de Soissons, Gautier, Raoul, Geofroi et Foulque (Cf. ibid.,
p. 303-306). Il signa, en qualité de comte d'Amiens, avec ses trois.
fils, Gautier, Raoul et Geofroi, un diplôme de Hugues Capet (988) en
faveur de Corbie (H. F. X, 553). L Art de vérifier les dates indique
comme fils du comte du Vexin, Gautier I : Gui, Gautier, Raoul et
Godefroi (II, p. 682).
* Il aurait épousé en ce cas Eve, fille et héritière de Landri, comte
de Dreux, et serait devenu « cornes Dorcassini comitatus » (965,
Car t. de Saint-Père de Chartres, I, p. 55-56) ; mais il peut s'agir d'un
autre Gauthier.
528 LIVRE IV. — CHAPITRE III.
Robert II, et quant à Drogon, sous lequel dous rançon-
troQs uQ vicomte du Vexin^, Use pare du titre pompeux de
« niilH solummodo Dominorum creatoris cornes* n. Il n'en
est pas moins le vassal, le Gdèle, du roi de France, qui
rappelle noster cornes^ et nous apprend que Drogon avait
mis sous le couvert d*uD bénéfice royal des usurpations
commises contre Saint-Germain-des-Prés, dont il était
Tavoué^ S'il faut en croire Orderic Vital, cette vassalité
directe se serait, peu de temps après (1032), changée en
une arrière-vassalité. Henri I", en reconnaissance du se-
cours que Robert de Normandie lui avait fourni contre la
reine Constance, aurait cédé à ce duc le Vexin français, i
titre (le bénéfice^ et Drogon aurait consenti à lui en faire
hommage*.
Ce fait, qui a été admis par tous les historiens comme
* L'abbaye de Saint-Père de Chartres le fit renoncer à la vicairie
qu'il revendiquait sur une de ses terres, comme l'ayant obtenue en
béniMico de son seigneur le comte Drogon : « Notum esse voie... de
Hu^^uno vicecomite Vilcasini. Vendicaverat enim sibi violenter idem
vicecomes vicariam quandam in terra S^ Pétri... gurpivit eam... cum
voluntate et jussu senioris sui comitis Droconis, de cujus bénéficie se
eam fat('batur tenere » {Cart, Saint-Père de Chartres, l, p. 175, ar.
103 1).
'^ Art de vérifier les dates, II, p. 683. — Vo\ez au'jsi rintituié : « E^
Dro^^o, nutu super ni reyis cornes patriœ Ambianensis » (1030, Mabil-
lon, SB. III, 2, p. 624).
^ a (juldam noster cornes, Drogo nomine, sub advocationis jure
quasdam terras de abbatia S. V. et S. Germ. tenebat in benefîcio...
ad (]Uiis pater et antccessores sui addiderant multas et injustas con-
suetudincs in villa <;ua) dicitur Domni Martini cum omnibus sibi adjac.
terris et mansilibus... quarum terrarum injuriosas exactiones nostri
bonolicii tuebatur auctoritate et occasions » (Bouillart, Hist. de Saint-
Gennain-des-PrcSf Preuves, p. XXIV. — Dipl. de Roberl II, 1030-
1031).
* " Henricus autem, in regno confîrmalus, Roberto duci gratias agit,
ei(|ue pro beneficio suo tolum Vulcassinum a fluvio Isara usque ad
Eptani donavil. Hoc nimirum Drogo, ejusdem pro vinciae cornes, iiben-
tissime concessil, hominioque facto, dum vixit, prsefato duci fideliter
servi vit » i Orderic Vital, III, p. 22 i).
LE PRINOIPAT DU VEXIN BT DU VALOIS. 529
constant, dans les termes où Orderic Vilal le rapporte, et
encore qu'il ne soit relaté par nul document contemporain,
me paraît présenté sous un jour trop avantageux aux inté-
rêts des ducs de Normandie, que le chroniqueur voulait
servir. Gomment Henri I" aurait-il pu céder un fief qui ne
lui appartenait pas? Ne savons-nous pas que le comté du
Vexin était un fief de l'abbaye de Saint-Denis et que le jour
où le roi acquit le comté (1076) il devint lui-même le vassal
de Tabbaye?
D'autre part, il semble certain que Drogon était déjà,
bien avant 1032, l'homme du duc de Normandie, en même
temps qu'il était le fidèle lige du roi de France. Cela résulte
de sa présence très fréquente à la cour des ducs, du ma-
riage qu'il y contracte avec Edith, sœur d'Édoufiu:'d le Con-
fesseur, des chartes qu'il y souscrit, et spécialement d'une
charte de 1031, rédigée du vivant du roi Robert. Drogon
y reconnaît qu'il n'a pas seulement un dominuSy mais des
domini\ La charte est confirmée par le roi de France
Henri et souscrite par le duc de Normandie*.
Dans quel sens devons-nous donc interpréter le passage
d'Orderic Vital? A mes yeux, Drogon ne possédait pas le
Vexin comme un bénéfice ou un fief du roi de France,
mais en qualité de bénéficier de Saint-Denis. Il était en
même temps l'homme lige naturel du roi, puisque le Vexin
auquel il commandait était partie intégrante de la Francie.
Henri I renonça à cette foi lige naturelle, il détacha le Vexin
français de la Francia pour Punir au Vexin normand. Dro-
gon continuait donc à le tenir à titre de bénéfice de l'ab-
baye, mais le roi n'avait plus sur lui, de même que sur le
* « Volo nolum esse tam dominis meis quam fidelibus sociis et
haeredibas » (1030-i, Mabillon, S. B. III, 2, p. 624).
* « Ego Henricus gratia Dei Francorum rex hanc chartam a bealœ
memoriae paire meo Rotberto confîrmatam regia auctoritate simililer
confinno, laudo et slabilio. S. Rotberti Northmannorum Ducis » [Ibid,,
p. 625).
F. — Tome III. 34
330 LIVRE IV. — CHAPITRE UI.
reste de la Normandie, qa un droit de suprématie. Le duc
devenait le seigneur lige naturel du comte*.
On comprend, dès lors, les protestations que firent en-
tendre les Français et le retentissement qu'elles ont eu.
Leur écho se répercute dans Wace*, plus tard dans la
chronique de Normandie'. On s'explique aussi qu'un tel
changement de patria, qui entraînait un changement
de coutume \ eût peine à durer. Drogon, sans doute, resta
le fidèle vassal, devint même l'intime ami, inséparable
jusque dans la mort, de Robert de Normandie, qu'il ac-
compagna en Palestine, mais son fils Gautier HI (1035-
1063) se replaça sous la souveraineté, dans la fidélité lige
de Henri I, et combattit Guillaume le B&tard. Mis en goût,
il voulut même tenter l'inverse de ce qu'Henri I avait
fait, du vivant de son père, il voulut distraire le Vexin
normand de la Normandie et le réunir à la Francie en
l'annexant à ses États. Il n*y réussit pas. Guillaume le fit
périr avec sa femme Biote, du chef de laquelle il revendi-
1 11 est tout à fait inexact de traduire « pro suo bénéficie » par « à
tilro de bénéfice ou de fief ». Que raconte, en effet, le chroniqueur T
Henri, rentre en possession de son royaume par Taide du duc Robot,
Vcn remercie et en échange du service rendu lui cède tout le Vexin
entre l'Oise et l'Kpte, « Roberto duci gratias egit^ eique pro benefido
suo totum Vulcassinum donavit »>. C'est exactement ce que dit Wacc :
« Pur l'onur e pur le servise
Qu'il H oui fait de mainte guise.
Ad fait li reis, al départir,
Robert de Vegueisin saisir »
[Homan de Rou, 3" partie, v. 2587 et s., éd. Andresen, II, p. 133).
-î « Dunt Franceis orent grant envie » {IbidL, p. 134).
■^ u Dont François eurent moult grant desplaisir » (H. F., XI,
32'* B).
* Voyez ce qu'un choniqueur rapporte quand le Gâtinaîs fut, en
lOCO, détaché de l'Anjou et cédé par Foulque Rcchin à Philippe I :
« Wastinense. sicut promiserat, régi werpivit. Rex autem juravit se
servaturum consuetudinem terrœ illius; aliter enim nolebant mî-
lites facere ei hominia sua » (Excerptum historicum^ H. F., XI, <58
A-B).
LE PRINCIPAT DU VEXIN ET DU VALOIS. 331
quait le Maine. Sa tentative n'en présente pas moins un
grand intérêt historique. Nous verrons que les rois de
France, de leur côté, firent plus que de ressaisir la sou-
veraineté sur le Vexin français, ils parvinrent en 1076 à
l'incorporera leur domaine.
Gautier III étant mort sans postérité, la presque totalité
de son héritage fut accaparée par son neveu ou son cousin
germain Raoul III, comte de Valois, qui réunit en sa main
toutes les possessions de la maison, accrues depuis le temps
de Gautier II. Dans le comté de Valois il n'avait dû aban-
donner à son frère Thibaut que quelques terres et une par-
lie du château de Crépi, que celui-ci tint de lui à pariage,
et sa femme Adèle lui avait apporté en dot Vitri et Bar-
sur-Aube. Il y ajouta de force* le comté de Montdidier, de
même qu'il s'empara de Péronne sur le comte de Verman-
dois. Quand, après 1063, il se trouva mis en possession de
l'héritage de Gautier III, l'étendue de son pouvoir et de ses
ressources lui permettait toutes les ambitions. Dès 1060,
on voit dans une charte royale son nom figurer avant celui
des grands officiers de la couronne', et n'avait-il pas, en
1062, au grand déplaisir de Philippe I, épousé la mère du
roi, Anne de Russie, veuve d'Henri P?
Quelle puissance redoutable se constituait ainsi au cœur
même de la Francie en face de la royauté capétienne!
Celle-ci parviendrait-elle à la briser, à l'évincer, ou devait-
elle succomber dans la lutte, comme, aux* siècle, les derniers
Carolingiens? Le rattachement môme du Vexin à la Nor-
mandie, où la maison de Valois trouvait un point d'appui,
n'ajoutait-il pas encore au danger? Une solution imprévue
fut donnée à ce grave problème. Ce ne fut pas par la force,
ce fut volontairement, par dévotion, par piété, que le fais-
* Voyez p. 533.
2 Fondation du prieuré de Sainl-Martin-des-Champs, 1060, Las-
teyrie, Cart. gén, de Paris, I, p. 124.
3 Cf. Gaix de Saint-Aymour, Anne de Russie ^ Paris, 1896.
332 LIVRE IV. — CHIPITRE III.
ceau se rompit et que la royauté, par une boQue fortune
inespérée, s'agrandit là mêtne où elle était le plus menacée
de tout perdre.
Le fils de Raoul le Grand, Simon de Crépy ou de Valois,
auquel son biographe contemporain donne le titre de pri-
mipilus régis Francorum\ et qu'il répute le plus riche
après le roi, dans toute la région (Francie) *, avait élé élevé,
nourri^ à la cour de Guillaume le Conquérant, qui deve-
nait par là doublement son lige seigneur et qui lui offrit
plus tard sa fille et son alliance '. Il succéda jeune à son père
(1072), et se vit exposé aussitôt aux attaques de Philippe L
Une latte acharnée s'engagea où la victoire resta à Simon
de Crépy, puis soudain, en 1076 ou 1077, après avoir,
comme saint Alexis, passé sa nuit de noces à prêcher la
chasteté à sa jeune et belle épouse, Judith, fille du comte
d'Auvergne, il se fait moine à Saint-Claude et entraîne, par
son exemple, de nombreux seigneurs à quitter le monde.
C'était un nouvel eiïondrement de la puissance seigneu-
* (( Consul primum, et régis Francorum primipilus » (Vita B, Si-
monis, cap. 2. Mabillon, S. B. VI, 2, p. 375). Ce titre, emprunté comnifi
tant d'autres k Tantiquité romaine, est évidemment détourné de son
sens originaire. Mais que veut-il dire? M. Luchaire, qui cite le pas-
sage d'après un chroniqueur postérieur, Âubri des Fontaines, traduit
primipilus par sénéchal ou dapifer (I, p. 175). Pourtant, ni Simon
de Crépy, ni son père Raoul ne figurent en cette qualité dans aucun
acte à ma connaissance, et je ne les retrouve pas non plus dans la lista
des sénéchaux dressée par Ducange (v^ SenescalcuSf p. 179). Je croi-
rais volontiers que Thagiographe a pris le mot primipilus dans le sens
de signifcr ou vexillarius (le vexiliariuSf en effet, comptait parmi les
principales de Tarmée romaine) et qu'il fait allusion à la charge des
comtes du Vexin de porter l'oriflamme de Saint-Denis.
'^ M Paene post regem, in Iota regione, nuUus ditior, nec rébus opu-
lentiur videretur « (Vita B. Simonis, cap. 8, p. 378). — La chronique
de Bèze l'appelle « cornes Francorum nobilissimus a (Analecta D^.,
p. 381).
3 « Nutrimentum mcum,quod in te est augmentare cupiens... tibieam
(filiîim) tradens in uxorem, te elegi, te hereditatis me» filium adop-
tavi : ... amici mei tui erunt,etinimici similiter »(/&t(f.,cap. 7, p.377)..
LE PRINCIPAT DU VEXIN ET DU VALOIS. 533
riale. L'imagination populaire en fut aussi vivement frappée
que de la chute d*Eudes de Blois. Le spectacle était autre,
sa grandeur n'était pas moindre. Écoutez les contemporains.
— Simon, nous disent-ils, inquiet pour le repos de Tâme de
son père, dont le corps reposait dans une terre usurpée, le
fit exhumer. Mais quand il vit, dans le sépulcre ouvert,
ce qu'avait fait la mort d'un prince si puissant et si redouté *,
le néant de la chair le terrifia*. Il résolut de renoncer au
siècle. — Le fait de la translation nous est attesté par
Simon lui-même, qui, dans une charte de 1077, nous
apprend qu'elle eut lieu de Montdidier à Crépy, trois ans
après la mort du comte RaouP. Pour le surplus, la tra-
dition fût-elle purement légendaire*, la légende serait du
moins un émouvant symbole. A l'image du corps de Raoul,
dissous par la mort naturelle, sa puissance princière nV
t-elle pas été désagrégée par la mort civile de son fils?
Le groupe vexinois et valésien se disloque, en effet.
Philippe I se met en possession du Vexin, le réunit au
* « Es-ce donc mes pères qui tant chastiax broi?
Ja n'avoit-ii en France nuz prince si hardi
Qui osast vers li fère une guerre ne estri »,
dira au xiii« siècle Thibaud de Mailli {Hist. litt. de la France, XVIII,
p. 826).
2 C'est le bruit populaire que Guibert de Nogent a rapporté : « Cau-
sam maturatœ conversionis hanc aliqui fuisse ferurU, In quodam op-
pido quod sibi usurpatione potius quam hœreditate provenerat ejus-
dem patris reliquiœ conditae fuerant. Quod filius, verens ne animae
patris officeret, ad illud quod sibi ex jure constiterat, déferre propo-
suit : quo ante delationem detecto, et sub oculis fîlii ad nudum reve-
iato, cum potentissimi genitoris, quondamque ferocissimi tabidum
attendisset corpus, ad contemplationem miserœ conditionis se contu-
lit « (Guibert de Nogent, De vita sud^ I, cap. 10. Migne, 156, 852-3).
3 « R. patrem meum de Monte-Desiderio, jam per très annos post
sui dissolutionem corporis ibi jacentem, asportare feci, et ecclesiae
S. Arnulfî... in castello Crespeïaci... reddidi » (1077, charte publiée par
Mabillon, S. B. VI, 2, p. 372).
* Dans la charte précitée, Simon dit pourtant lui-même : « Prœ-
sentis vitae dies nihil esse conspiciens ».
534 LIVRE IV. — CHAPITRE IH.
domaine de la couronne, par force beaucoup plus que
par droite 11 acquiert ainsi pour lui et ses successeurs
Tavouerie de Saint-Denis et la charge d'en porter rori-
flamme'.
Le comté d'Amiens paraît avoir été déchiqueté arbitrai-
rement ou violemment entre Enguerrand de Boves et les
seigneurs Gui et [ves, sans qu'on sache à quel titre*.
Le comté de Bar-sur-Aube fut revendiqué par le comte
de Blois, Étienne-Henri. Son père Thibaut III de Cham-
pagne avait épousé en secondes noces Alix, sœur de Raoul
le Grand ; mais comme il était né de la première femme
de Thibaut, Gersende du Mans, il ne se trouvait qu'eD
apparence cousin germain de Simon.
Le comté de Valois seul fut hérité légalement. Il passa
à Adèle, sœur de Simon, mariée à Herbert IV de Verman-
dois. La maison de Vermandois rentrait donc en possession
du Valois. Ce pouvait être un danger nouveau, une riva-
lité redoutable pour la royauté capétienne, si précaire et
si faible encore. Une autre succession féminine et un ma-
riage heureux le conjurèrent. Les comtés de Vermandois
et de Valois furent, par exclusion d'un enfant mâle déclaré
incapable*, attribués à la fille d'Adèle et d'Herbert IV,
^ « Malitia crescente, concupiscentia tnvaleseente, rex Vilcassînum
occupavit, 8U0 illud adjungens dominio » (Rveerpt. histor,^ H. F., XI»
1R8 B).
^ Voyez suprà, p. 320-t.
' Ducange (Histoire (V Amiens, Amiens, 4840, p. 234) a émis Vhy-
pothèse, acceptée sans référence et sans preuve par Augustin Thierry
(^fon^^ments du Tiers État, I, p. 21), que Gui et Ives étaient fils de
Raoul, issus de son mariage avec Anne de Russie. Rs auraient donc
été les frères utérins du roi Philippe l.
♦ D'après les auteurs do VArt de vérifier les dates (II, p. 705), qui
ne citent pas leur source, le fils d'Herbert de Vermandois et d'Adèle
de Valois, « Kudes, dit Tlnsensé, fut deshérité à la demande des ba-
rons». C'est de lui, ajoutent-ils, que descendent les anciens seigneurs*
de Saint-Simon.
LE PRINCIPAT DU VEXIN ET DU VALOIS. 535
Adélaïde ou Adèle, qui avait épousé Hugues le Grand,
fils de Henri I*.
La ceinture formée par les seigneuries ecclésiastiques
se doublait de la sorte et se complétait d'une puissante
seigneurie laïque aux mains d'une branche de la famille
capétienne. Elle faisait front à la Flandre, tandis que du côté
de rOuest le Vexin couvrait la frontière de Normandie. Et
ainsi, par la retraite du monde de Simon de Crépy, la sou-
veraineté du roi sur la Francie devint singulièrement plus
solide et plus compacte. Le principat s'aËFaiblit d'autant.
* a Hugo factus juvenis uxorem duxil fîliam Herberti Comitis Ver-
mandensis, natam ex filia Rodulphi Comïiis ; per quam obtinuit comU
tatus duos Vermandensem et Vadensem » (Hugues de Fleury, C/irom-
que, H. F. XI, 159 D).
537
CHAPITRE IV
LE PRINCIPAT DE L ANJOU ET DU MAINE.
L'Anjou est l'avant-poste du royaume au regard de la
Normandie, de la Bretagne et de l'Aquitaine. Il est resté
une véritable marche, étroitement lié à la Francie par ses
chefs Robertiens. Sa population est assise solidement sur
les deux rives de la Loire, appuyée à Angers et, depuis
1025, au moins, à Saumur. Elle a gardé son unité ethnique
et, par le grand nombre de ses places fortes (castra), sa
cohésion territoriale. Elle participe de la culture du Midi
et de l'énergie ou de la rudesse des hommes du Nord. Les
luttes auxquelles l'expose sa position avancée ou interca-
laire développent ses vertus guerrières.
Robert le Fort, d'abord missus dominicus dans l'Anjou
et la Touraine, le Maine et l'Hiémois, avec Osbert* et l'évo-
que d'Angers Dodon^, avait été nommé par Charles le
Chauve comte angevin, Andegavensis cornes^, investi de
tout le commandement militaire d'entre Seine et Loire, du
ducatus inter Sequanam et Ligerim*. Hugues l'Abbé suc-
céda à ces pouvoirs* et, après lui, ils revinrent à Eudes,
» CapituL Silv. (853), LL. II, p. 276.
^ C'est peut-être la base historique de la légende qui fait de saint
Lezin, évèque d'Angers, un comte des Angevins, nommé par le roi
Clotaire (Vie de saint Lezin^ Migne, 471, 1496).
' '< Robertus, Andegavensis cornes, ... oui per id locorum a rage
summa rerum delegata fuerat » (Miracles de saint Benoit, II, 4,
p. 93).
^ « Rodberto comiti ducatum inter Ligerim adversus Brittones
commendavit » (Reginon, ad an. 961, p. 79).
^ « Hugoni clerico... comitatum Turonicum et comitatum Andega-
538 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
Bis de Robert*. Quand Eudes fut devenu roi et son frère
Robert diix Francomm, le comitatus se confondit avec le
pouvoir royal ou le pouvoir ducal. Nous voyons apparaître
des vicomtes à la tête des Angevins comme nous en avons
vu apparaître, dans le même temps, à la tête des Touran-
geaux et des Blésois. A côté d'Adrad, vicomte deTours (890),
de Guernegaud, vicomte de Blois(890), se place, entre 886
et 898, Foulque le Roux, vicomte d'Angers*. Dès 909, il
commence à se qualifier comte, mais ce titre ne lui semble
acquis que vers 930'. Dans l'intervalle , il avait repris le
simple litre de vicomte*.
Les comtes d'Anjou tenaient donc leur pouvoir des Ro-
bertiens : on les trouve sans cesse, au x* siècle, dans
leur entourage immédiat. Ils durent louvoyer néanmoins
entre eux et les Carolingiens. Geoffroi Grisegonelle (960-
987) fut, nous dit-on, avant tout fidèle à Lothaire*, dont,
selon la tradition, il aurait été gonfalonier'; mais ses rap-
ports avec Hugues Capet n'en étaient pas moins étroits. Il
l'avouait pour son seigneur et la source directe de son au-
torité ^
S'ils cherchaient par là à s'étendre dans la Francie,
du côté de la Touraine notamment, les comtes angevins
s'efforcèrent de même, avec succès, à prendre pied en
vensem... donat eumque in Neustriam loco Rotberti dirigit » (Anna-
les de Saint-Bertin, ad an. 866, p. 160-464).
* Ci. Annales de Saint- Vaast, ad an. 886, p. 327. Eudes eut mAme,
comme Hugues l'Abbë, le ducatus regni {suprà, p. 486).
•^ 886 ou 887 (Favre, p. 74) : « Signum Fulconis » (Mabille, ComU$
d'Anjou, p. Lix) — 898 : « Signum Fulconis vice comitis » (i6£d.,
p. xciii).
^ 009 : " Signum domni Fulconis Andecavorum cornes » [ibid^
p. xcviii), 929 : «Ego Fulco, Andecavorum cornes » (i6td., p. ci).
* En Oit (ibid., p. c) et 924 {ibid,, p. lxii).
^ Lot, Les derniers Caroiingiens, p. 472.
® Lot, ibid.j et p. 101, note 2; suprà, p. 202, note 3.
' (' Gratia Dci et senioris mei domni Hugonis largitione AndegaTO-
rum cornes » (Mabille, p. lxix).
LE PRINCIPAT DE L*ANJOU ET DU MAINE. 539
Aquitaine, dans le Poitou, la Saintonge et le Berry. Ils
y avaient des domaines assez considérables dès le milieu
du X* siècle \ mais les origines et le caractère de leur do-
mination proprement dite sont assez obscurs.
Dans le Berry, où ils furent mattres de Chfttillon-siir-
lodre, de Ruzançais, de Villantrois*, et rayonnèrent môme^
au XI* siècle, jusqu'à Grançay*, les historiens font remonter
leurs droits jusqu'à des acquisitions qu'auraient faites, par
mariage, Foulque le Roux et son père Ingelger (îx* et
X* siècles) 4. L'asseKion ne se fonde que sur le récit, en
grande paKie controuvé ou légendaire, des Gesia conm*
lum Andegavorum.
Dans le Poitou, les chroniques ne sont d'accord ni sur
les circonstances où sont nés les droits du comte d'Anjou
Qeoffroi Grisegonelle sur Loudun*et le Loudunois', ni, par
suite, sur la nature même et l'étendue de ces droits. A
ce dernier point de vue, qui surtout nous importe, elles
se prêtent à deux interprétations, suivant que la victoire
a été réellement de l'un ou de l'autre c6té. Ou bien
Geoffroi possédait antf^rieurement déjà Loudun, mais avait
refusé jusqu'à ce qu'il y fut contraint par les armes, de
reconnaître, au nom de la population loudunoise, le
duc d'Aquitaine pour seigneur lige naturel : son échec
aurait incorporé le Loudunois à l'Aquitaine. On bien il
s'empara de cette région de vive force, mais ne contesta
pas la seigneurie lige du duc d'Aquitaine : la foi lige nato-
* Voyez les chartes citdes ou mentionnées par Mabille, p. Lzviii et
p. LXIX-LTX.
' Lonpnon, Atlaa Schrader, carte n» 21.
^ Haynal, lïiatoirc du Berry, \, p. 350.
* Cf. I^aynal, I, p. 349.
' Cf. Halphen, Exsai sur l'authenticité delà ehroniqve de Foulque
le Hrrhin, HiM. (!•' la Fac. des lettres de Paris, XIII, p. 17-18. —
Ce nVst [>as la chronique de Saint-Maixent quMl fallait opposer à la
chroni.pi' •!»• Foulque (Mabille. p. 376), car elle ne fait que reproduire
la «hronique d'Adémar de Chabannes, III, 36, p. 152.
540 LIVRB IV. — CHAPITRE IV.
relie que, malgré sa victoire, il lui aurait portée par un
hommage exprès, aurait servi plus tard de prétexte aux
chroniqueurs méridionaux pour pallier Téchec des Aqui-
tains.
Le fait certain est que les comtes d'Anjou eurent désor-
mais deux seigneurs liges naturels : le roi de France, en leur
qualité de chefs des Angevins, le duc d'Aquitaine, à titre de
représentants des populations poitevines et berrichonnes
auxquelles ils commandaient. Cette situation se retrouva et
s'accentua encore sous Foulque Nerra, à qui Guillaume le
Grand concéda le comitatusde Saintes. Foulquese reconnut
son homme *; il l'appelle son herus dans unelettre qu'il écrit
au roi Robert, mais il donne au roi lui-même le titre de
suiis dominus et l'assure de son fidèle service*. Grand bâ-
tisseur de châteaux forts, Foulque Nerra créa l'ossature de
rÉtat angevin et le munit en même temps d'une armure
offensive et défensive qui en fit un voisin redoutable.
Après l'Aquitaine, les comtes d*Anjou purent s'attaquer
à la Bretagne et & la Normandie. Ils n'en restaient pas
moins, avant tout, des comités regum Prancorum ', des
principes de la Francie. C'est dans la Francie, en s'y
agrandissant, qu'ils érigèrent leur puissance. Nous les
avons vus acquérir le comilatus de Tours, quand le fils
de Foulque Nerra, GeoËFroi Martel, battit à Nouy, près de
Saint-Martin (10i4), Thibaut III de Blois et obtint de lui,
en échange de sa liberté, l'abandon de Tours, Langeais et
* « Cumque comilem Andegavensem Fulchonem in manibus suis
commendatum haberel, concesserat ei pro benefîcio Losdunum cum
aliis nonnullis castris in Pictavorum solo, Santonas quoque cum qui-
busdam caslellis » (vers 1014) (Ademar, III, 41, p. 164).
2 Lettre de Foulque au roi Robert (vers 1022), « Domino suo régi
Roberto Fulco Andegavorum cornes salutem et fidèle servitium. Guil-
lelmus Pictavorum cornes, herus meusn (Migne, 141, 938;.
3 Cf. charte du comte d'Anjou, Geoffroi le Barbu, pour Saint-Florent
de Saumur : « In nomine Domini... ego Gaufridus, ipsius gratia, non
pauci populi sui princeps et Francorum régis cornes » (1062, coll. D.
Housseau, H", f» 102).
LE PRINCIPAT DE l'aNJOU ET DU MAINE. 541
Chinon*. Nous allons les voir à l'œuvre dans le Maine.
Les péripéties au travers desquelles s'est accomplie la
subordination du Maine à la maison d'Anjou sont impor-
tantes à suivre dans le détail, car elles mettent en vive
lumière la base ethnique, le groupement de populations
congénères sous des chefs nationaux. Elles nous montrent
\sLpatria attachée fidèlement à des gouvernants tradition-
nels, dont les sentiments et les usages s'accordent avec les
siens, tandis que le pouvoir d'un dominateur étranger est
pour elle un joug intolérable, qu'elle s'eËForce sans relâche
de le secouer ou de le rejeter. En même temps assistons-
nous à la conjonction de deux groupes ethniques. Le groupe
angevin et le groupe manceau s'unissent sous l'autorité
d'une même maison, issue de Talliance de leurs chefs res-
pectifs.
A raison de l'étendue considérable de la civiias qu'il
constituait, puis de sa situation aux frontières, comme
marche de la Bretagne {Britannicuslimes),delsi Bretagne
qui n'avait jamais été soumise, à raison peut-être aussi
du caractère turbulent de ses habitants, lô pays manceau
{pagus cenomannicus) ne fut passons les Carolingiens ad-
ministré par un simple comte, mais par un chef militaire,
un dux^. Ce ducatus fut même retenu aux mains de la
* D'après M. Luchaire [Kist, de France, t. II, p. 64), Henri I lui
avait par avance transféré la suzeraineté de la Touraine, tandis que
M. d'Arbois voudrait que cette suzeraineté eût été retenue par le
comte de Blois Thibaut. Les deux points de vue me paraissent
inexacts. C'est la pleine domination [dominium)^ c'est le comitatus
de Tours sous l'autorité immédiate du roi de France, qu*a acquis
GeofTroi Martel. J'ai montré précédemment {suprà, p. 522-3) que les
comtes de Blois n'avaient pas retenu la suzeraineté, et les récits des
chroniqueurs prouvent que la concession royale ne s'y était pas da-
vantage bornée. Tous les droits de la maison de Blois sur Tours de-
vaient, en cas de victoire, passer à la maison d'Anjou : « contigil,
dit Raoul Glaber, ut rex, ablato ab eisdem dominio Turomcx urbis,
daret illud Gozfredo » (V, 19, p. 129) (Cf. Chron. de Verdun, H. F.,
XI, 14i et Chron, de Foulque Rechin, éd. Mabille, p. 378).
2 II y avait de plus alors au Mans un comte particulier qui dépen-
542 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
famille royale, conQé a ses membres. Dès 749, le frère de
Pépin le Bref, Griffon en est investi*. En 790, c'est Charles,
le fils aîné de Charlemagne. Confondu, en 853, dans le
missaticiim de Robert le Fort, Drogon et Osbert, il repa-
raît trois ans plus tard, comme ducatus cenomannicm^
attribué par Charles le Chauve à son fils Louis le Bègue*.
Mais, par suite du jeune âge de ce prince, il dut être compris,
en fait, dans le ducatus inter Sequanam ei Ligerim de
Lambert (f 860), auquel Robert le Fort succéda. Probable-
ment en fut-il détaché de nouveau à la mort de Robert
(866), puisque les Annales de Saint-Bertin ne le mention-
nent pas, à côté des comtés d*Angers et de Tours, comme
transmis à Hugues TAbbé, et puisque nous trouvons, en
883, un Ragnold dux cenomannicus*. Celui-ci est qualifié
par Dudon princeps totius Franciœ^,
L'exagération est manifeste, mais elle prouve du moÎDS
que, tout en étant marche de Bretagne, le pays manceaa
faisait, au temps de Dudon, partie de la Prancie. Ragnold
ayant péri, avec son signifer Roland*, dans un combat
dait du duc. C'est uu fait i^uord que mon savant collègue M. Lon-
gnon a mis en lumière dans son cours du Collège de France.
* « Pippinus... Gripponi Cinomannicam urbem cum XII comitatîbus
dédit » (\nnalcs Mcttenscs, H. F., H, 689 C). — «c GrifTonem, mon
ducum, duodecim comilalibus donavit » (Eginhard, éd. Teulet, I,
p. 127). GrifTon fut en même temps comte de Paris. M. Longnon a
prouvé que son véritable nom était Gairefredus et qu*il doit être
identifié avec le a Gairel'redus Parisius cornes >» qui figure dans le
diplôme de Pépin du 8 juillet 753 (Longnon, Polyptyque de SotiU-
Gennain-flcs-Prcs^TA, (Introd.), p. 273.
- « Karlus rex, cum Rv>spogio Britonum paciscens, fîiiam ejus filio
su'j Hiudowico despondet, dato illi ducatu Cenomannico usqueadviam
quu) a Lotitia Parisiorum CiBsaredunum Turonum ducit » {Annales de
Saint-DeHin, ad an. 856, p. 88).
3 « Contigît ruere Ragnoldum, ducem Cinomannicum » (Annales de
Saint'Vaast, ad an. 885, p. 322,.
* Dudon, If, 13, p. 15*.
^ « Rotlandus, signifer Ragnoldi, cum acie quam prsibat ezercî-
luum, violenter per aditum miraî prolixitatis super eos irruil, et de-
LE PRINCIPAT DE l'aNJOU ET DU MAINE. 543
contre les pirates normands, son ducatus passa, selon toute
vraisemblance, à Hugues TAbbé, puis à Eudes. Après Pavè-
nement de ce dernier au trône, un comte Bérenger tient
un plaid au Mans, le 13 juin 892, et nous apprend lui-même
qu'il est le fidèle, Vami de Robert frère du roi*. C'est
Robert certainement aussi qui, après s'être emparé du
Mans en 904, en concéda le comitatus au comte Gauzlin
(905-91 4) ^ Son fils Hugues le Grand se fait donner ou
reconnaître la civitas du Mans par le roi Raoul, en 924*.
Les Robertiens ne cessent ainsi de dominer au Mans. Le
pays manceau, grâce à eux, garde davantage son individua-
lité propre, tout en étant plus étroitement lié à la Francie.
Hugues le Grand institua comte des Manceàux un de ses
vassaux, Hugues (peut-être fils de Roger)\ quia souscrit,
le 26 mars 931, avec les vicomtes Foulques d'Angers et
Thibaut de Tours, une charte de ce duc, et qui prit part,
le 31 juillet 939, à la bataille de Trans. A cette occasion,
une chronique bretonne le qualifie comte du Mans, ce qui
Ta fait confondre par M. de la Borderie avec Hugues le
Grand. Nous retrouvons, le 25 juin 954, sa signature au bas
d'un acte du cartulaire de Saint-Père de Chartres (p. 199) :
bellare eos cœpit » (Dudon, II, 14, p. 456). — Il vaudrait la peine de
rechercher quelle influence cet épisode a pu avoir sur la formation
de la légende épique de Roland, « prœfectus Britannici limitis ».
* « Venit E. praepositus... in civitate Cinomannis... ante Beringe-
rium comitem... Beringerius cornes respondit quod esset ( Pater icus)...
potius vasaUus Rotberti amici sui » (13 juin 892, charte publiée en
dernier lieu par Favre, Eudes, p. 242).
2 Kalckstein, Gesch. des Fr, Kônigth,, p. 119. Mabille, Comtes d* An-
jou, p. Lxi, etc. Ce n'est pas seulement en qualité de comte que
Gauzlin figure dans des chartes de 905 à 914, il prend, dès 905, le titre
de « comes et yppocomes palatii » (5 juillet 905, Mabille, p. xcv).
3 Flodoard, Ann., ad an. 924; Migne, 135, 431 ; Hugues de Fieury,
Libellus, H. F., VIII, 315 G.
* Toute cette période originaire de l'histoire du Maine est pleine
d'obscurité, et je tiens à remercier derechef mon cher et savant
collègue M. Longnon de m' avoir aidé par ses conseils à l'élucider.
544 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
« Signum Hiigonis^ comitis Cenomannorum ». Je rappel-
lerai, en conséquence, Hugues I. Il a dû avoir pour fils et
successeur David, qui fut le bienfaiteur de l'église collé-
giale de Saint-Pierre-de-la-Cour, au Mans * et le père du
comte Hugues II *. Selon les éditeurs du D. Bouquet, David
aurait été institué par Lothaire en 957 et serait mort en
970'. Toutefois, son fils Hugues II, qui eut des démêlés
avec Tévêque Sigefroi de Bellême (parvenu à 1 evêché en
achetant Tappui, auprès du roi de France, du comte d'Anjou
Foulque le Bon^), paraît, en qualité de comte du Mans,
dès 967. 11 souscrit, à cette date, une charte de Hu-
gues Capet, où son signum précède ceux de comtes tels
que Thibaut III de Blois, Bouchard de Vendôme, Gale-
ran de MeuIan^ Il était donc un des principaux fidèles du
dux Francorum et il transmit certainement son pouvoir i
son fils Hugues^ qui figure dans la même charte*. C'est ce
> « Ego Hugo David fiiius, Cenomanorum cornes, donc et confirme
cuncta donaria que pater meus Daxid Ecclesie B.-P. de Curia dédit »
(Charte publiée par Piolin, Hist. de l Église du Mans, III, p. 631).
'^ Voyez la charte citée dans la note précédente et une autre da
môme comte publiée par Piolin (III, p. 630) : « Ego Hugo David filius,
cornes Cenomanorum... pro remedio anime... mei genitoris David ».
Une v.triante de MS. du Cartul. de la Couture du Mans (p. 7) porte
également « Hugo David comes Cenomannus ».
3 H. F. XI, 631.
* Il lui avait abandonné de riches possessions dans le Maine (H. F.,
X, 384 B-C).
^ Charte de Saint-Julien de Tours (mars 967) publiée par Grand-
maison [BihL École des Chartes, 1886, p. 226-229).
^ Il est inadmissible que Hugues, fils de David, ait, comme le veut
VArt de vérifier les dates (II, p. 831), vécu jusqu'en 1015 ou au delà.
Pétigny avait remarqué (Histoire du Vendômois, 151) que, selon le sys-
tème reçu, il serait resté en fonctions pendant plus de soixante ans. Mais
il y a mieux. Nous savons, par la charte que j'ai citée de Saint-Julien
de Tours, qu'en 967 au plus tard Hugues avait déjà deux fils, Hugues
et Foulques, qui signent avec lui. Or, cinquante ans après, il aurait
laissé pour successeur un autre fils en bas âge {admodum juvenis)^
Herbert Éveille-Chien. Bien plus, son frère Herbert Bacon aurait vécu
jusque vers le milieu du m^ siècle et, presque centenaire, aurait dis-
LB PRINCIPAT DB l' ANJOU BT DU MAINE. 545
Hugues — qu'il faut appeler Hugues III et qui vivait eacore
«a 1015, — que Foulque Nerra a dû soumettre violem-
ment selon l'expression d'Orderic Vital*.
Cette domination angevine resta longtemps fort pré-
caire, et le chroniqueur normand nous raconte que le
successeur d'Hugues III, Herbert, reçut le surnom d'jÉ-
veille-Chten pour avoir harcelé nuit et jour les Ange-
vins *. Mais les conflits entre les comtes et les évoques
puté avec une ardeur toute juvénile le comté manceau à son petit-
neveu Hugues. Ce sont trop d'invraisemblances, et je n'hésite pas à
penser que le fils de Hugues H, qui portait le même nom, loin de mourir
avant lui, ainsi qu'on Ta avancé sans preuves, lui a succédé et doit
être appelé Hugues HI. Et, en effet, nous trouvons, en 992, dans une
charte de Saint-Maixent, un comte Hugues du Maine et son frère
Foulques, qu'il faut évidemment identifier avec Hugues et Foulques
présentés comme les fils du comte Hugues H, dans la charte de 967
et dans une autre de 971. Ils eurent pour frère Herbert Bacon qui
n'était pas encore né en 967 et 971 et n'était donc au plus que sexa-
génaire en 1036, à la mort d'Herbert Éveille-Chien. Il figure comme
frater comitis (donc frère du comte Hugues III) dans des chartes de
1000 à 1014 {Cart. Saint-Victeur du Afan5,p.i4, 6).
La généalogie des comtes du Maine doit dès lors être rectifiée comme
suit :
Hugues I
I
David
I
Hugues 11
Hugues III Herbert Bacon
I (régent du Maine de 1036 à 1040).
Herbert I Éveille-Chien.
I
Hugues IV
ï « Quem Fulco senior sibi violenter subjugarat » (Ord. Vital, II,
p. 252).
^ « Cognominari Evigilans-Canem pro ingenti probitate (prouesse)
promeruit... Andegavenses homines et canes in ipsa urbe, vel in
munitioribus oppidis terrebat, et horrendis assultibus pavidos vigi -
lare cogebat » (Ord. Vital, /. c).
F. — Tome lil. 3s
546 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
du Mans favorisèrent Tambilion de la maison d'Anjou.
Geoffroi Martel, appelé à l'aide par Tévêque Gervais,
commence par se faire céder par le roi Henri I le droit
d'élection à l'évêché*, chasse Herbert Bacon, le grand-
oncle et tuteur de Hugues IV, puis se retournant contre
Tévêque qui avait pris la place du tuteur évincé, Tévince
lui aussi, le retient captif pendant sept années entières,
exerce le pouvoir au nom du jeune comte qu'il annihile, et,
quand celui-ci meurt, se fait reconnaître parles Manceaux,
familiarisés avec lui, pour leur seigneur direct (1051)*.
Il entre par une des portes du Mans, où il est accueilli à
bras ouverts, pendant que la veuve de Hugues, Berlhe de
Blois, sort éplorée par l'autre, emmenant ses enfants*.
Voilà le comte des Angevins, du moins pour un temps,
comte des Manceaux. Désormais ils flottent entre lui et la
famille de leurs anciens comtes, tout en repoussant avec
la dernière énergie la domination que veut leur imposer
une puissance étrangère à la Francie, le groupe normand.
La veuve de Hugues IV avait cherché asile à la cour
de Guillaume le Conquérant. Son jeune fils, Herbert 11,
sur son conseil, recommanda au duc de Normandie sa per-
sonne el son patrimoine, se plaça, en d'autres termes, sous
sa garde*. Il fit plus. Avec la main de sa sœur Margue-
* C'est l'evéque Gervais lui-même qui aurait demandé cette conces-
sion pour Gt^offroi Martel : « petivit a rege Henrico... ut daret epis-
copatum Gaufrido Andegavorum comiti, solummodo dum viveret ut
liberius a comité Cenomannico illum defenderet » {Gesta pont. Cen.^
H. F., XI, 135 D). De temporaire la concession devint définitive,
et le droit de nomination à Tévéché du Mans échappa ainsi au roi de
France pour passer aux comtes d'Anjou.
^ « Gaufridus comes honorem suscepit usque ad decem annos >»
(c'est-à-dire jusqu'à sa movl) (Gesta pont. Cen., H. F., XI, 136 B).
3 « Cives Cenomannici uxorem Hugonis cum infantibus ploranlem
per unam portam projecerunt, et Gaufridum comitem gaudenlem in-
trare fecerunt ^> (Ibid.).
* « Consilio Bertœ matris sua», se sttumque patrimonium fortissimo
duci Normannorum commendaverat » (Ord. Vital, II, p. 102) — « Du-
LE PRINCIPAT DE l'aNJOU ET DU MAINE. 547
rileS qu'il promit à ftoberl Courlô-Heuse, il lui céda, pour
le cas où il mourrait saus enfants, tous ses droits sur le
comitatus du Mans. Cette mort arriva à bref délai (1062).
Mais les Manceaux n'entendaient pas se soumettre aux
Normands. Comme Geoffroi Martel était mort lui-même
sans descendants (4060) et que sa succession se trouvait dis-
putée entre ses deux neveux Geoffroi le Barbu et Foulque le
Réchin, ils se rallièrent à Gautier, comte du Vexin, le mari
de Biote, fille d'Herbert Éveille-Chien. Le comitatus passa,
en grande partie, dans sa main; la ville du Mans fut
occupée par ses fidèles et la population se serra autour
de lui. Pour briser la résistance, Guillaume le Conqué-
rant ne recula pas devant un odieux forfait. Il fit empoi-
sonner Gautier et Biote. Le Maine fut ensuite subjugué
par les armes (1063)^.
Il semblait que Texistence ethnique des Manceaux et
l'autorité des Angevins sur eux fussent à jamais com-
promises ou perdues. La lutte continuait ardente entre
les deux frères Geoffroi le Barbu et Foulque le Réchin.
Elle devait durer cinq années encore, ruiner la terre
d'Anjou, permettre au duc d'Aquitaine de reprendre la
Saintonge, au roi de France de se faire céder le Gâlinois,
cem G. sub quo tutus foret, supplex adiit, manibus ei sese dédit,
cuncta sua ab eo ut miles a domiao recepit » (Guill. de Poitiers,
H. F., XI, 85 D).
* Orderic Vital dit expressément qu'elle était sa sœur (loc. cit.) et
son assertion, bien qu'il se contredise ensuite (II, p. 253), est plus
vraisemblable que celle de G. de Poitiers qui en fait sa fille. Ces
événements doivent être, en effet, postérieurs de peu à 1051 et Ton
ne connaît pas de femme à Herbert II. La fiancée mourut avant d'a-
voir atteint l'âge nubile (Ord. Vital, II, p. 104). Les Manceaux pou-
vaient dès lors considérer l'institution d'héritier comme caduque,
n'ayant été faite qu'en vue du mariage : « Margaritam sororem
suam, dit Orderic Vital, Rodberto... in conjugium dederat, cum qua
hœreditatem suam, comitatum scilicet Cenomannensem, si sine liberis
obiret, concesserat ».
2 Orderic Vital, II, p. 102-103.
548 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
à la maison de Blois, peut-être, de faire accepter sa suze-
raiDeté sur le comté de Tours ^ Elle devait donc incorporer
sans retour le Maine à la Normandie? Il n'en fut rien.
Les Manceaux se soulevèrent contre les Normands.
Ils appelèrent d'Italie la 611e et le gendre d'Herbert
Éveille-Chien, Gersende et Âzon, seigneur d*Este, pais,
l'énergie d'Azon ne répondant pas à leur attente, ils
ourdirent une conjuration, une commune jurée, dirigée
en droite ligne contre la domination normande ' et son-
tenue par Foulque'. La commune fut, il est vrai, vaincue
et dissoute par Guillaume le Conquérant, mais ni les Man-
ceaux ne furent domptés ni leurs anciens chefs ne furent
dépossédés légalement. Les comtes d'Anjou, la famille des
comtes du Mans, les vicomtes ne cessèrent de revendiquer
leurs droits et de les exercer par intervalle. Ces droits se
réunirent même en faisceau, se fortifièrent réciproquement
en se superposant les uns aux autres. Les comtes d'Anjoa
prirent rang de chefs supérieurs, de suzerains; les comtes
(lu Mans de seigneurs directs. Les vicomtes étaient leurs
vassaux. D'un commun accord tous luttèrent pour rendre
leurs droits effectifs. Ils y réussirent, par successives es-
cousses, en s'appuyant sur la population mancelle.
Remarquons que la suzeraineté, au moins nominale, des
comtes d'Anjou sur le pays manceau est acceptée parles
Normands eux-mêmes. Quand Geoffroi le Barbn, pour se
concilier Guillaume le Conquérant, consent à ratifier, après
la mort d'Herbert II, Tinstitution de Robert Conrte-Heose
^ Los historiens Tout admis sur la foi des Gesta Andeg. (éd. Mtr
bille, p. 139), mais voyez suprà^ p. 523, note.
- « Pariconspiratione contra Normannos insurgunt i» (Orderic Vittl,
II, p. 254). — « Facta conspiratione quam communionem Yocani »
(Gesta pont, Cen., II. F., XII, 540 A).
3 u Fulcone nimium mœsto quod Normanni Cenomannicis imperarent»
sedlliosî cives et oppidani confines... unanime consilium ineunt » (Or-
deric, loc. cit.), — Voyez sur l'intervention de Foulque, les Gesta pont,
Cen. (H. F., XII, p. 540-541) et sur la commune du Mans mon T. II,
p. 409 et s.
LE PRINCIPAT DE l' ANJOU ET DU MAINE. 549
en qualité d'héritier du comitatus^ c'est par lui que Robert
se fait investir de son pouvoir, le reconnaissant pour son
seigneur et lui jurant Odélité*. Il en va de même quand,
en 4078, Foulque le Rechin se voit contraint de traiter avec
le duc normand*. Une nouvelle révolte des Manceaux
menace-t-elle ensuite d'éclater (4089), Robert recourt à
Foulque pour la conjurer*.
Mais une telle situation ne pouvait se prolonger, et elle
n'était même possible que dans des conjonctures exception-
nelles : le conflit entre deux prétendants au comté ange-
vin, lappui fourni aux Normands par un représentant
des comtes du Mans, Jean de la Flèche et de Beaugenci,
petit-fils par les femmes d'Herbert Éveille-Chien*.
Tout changea de face parla mort du duc Guillaume et de
Jean de la Flèche. Profitant de la disparition du Conqué-
rant et de la discorde qui régnait entre ses fils, les Man-
ceaux s'adressèrent de nouveau aux descendants les plus
proches, aux héritiers les plus directs de leur famille com-
tale, à Foulque et à Hugues, fils de Gersende et d'Azzon,
pour les placer à leur tête et secouer le joug normand'.
* « Goisfredus cornes Rodberto juveni... totum honorem concemt^
et hominium debitamque fidelitatem in praesentia patris apud Alen-
cionem recepit » (Orderic Vital, II, p. 253).
2 a Rodberto juveni... cornes Andegavensis Cenomannense jtis con-
cedit.,, Denique Rodbertus Fulconi debitum homagium, ut minor
majori, legaliter impendit » (Ord. Vit., Il, p. 257).
3 Orderic Vital, III, p. 320-32i.
* Paule, fille d'Herbert Éveille-Chien, avait épousé Lancelin de Beau-
genci et avait eu pour fils Jean de Beaugenci ou de la Flèche. Celui-
ci, nous dit Orderic Vital, était le principal ennemi de Foulque le
Rechin, parce qu'il adhérait aux Normands : « Tune ei (Fulconi)
Johannes de Flecchia potentissimus Andegavorum praecipue infensus
erat, qiiia Normannis adhœrebat » (II, p. 256).
* « Ccnomanni... qui vivente Guillelmo rege contra eum rebellare
multolies conati sunt, ipso mortuo, statim de rebellione machinari
cœperunt. Legationem igitur fîliis Azsonis... direzerunt, eisque...
per legatum dixerunt : « ... Mortui sunt omnes Cenomannensis prin-
cipatus legitimi heredes, jamque nullus nobis vicinior est hères. Guil-
B^ÎO LIVRB IV. — CHAPITRE IV.
Le Bis de Jean de la Flèche, Hélie, non seulement prend
[larti pour son cousin Hugues, qui arrive au Mans, mais il
em prisonne le principal partisan des Normands, Tévèque du
Mans, Hoel*; puis,comme Hugues se montre faible etinaple
à gouverner, il lui achète, au prix de dix mille sols, la re-
nonciation à sa vocation héréditaire, à ses droits sur le
comitattis*. Hugues retourne en Ilalie, Hélie de la Flèche,
le plus proche héritier après lui, prend sa place. La dy-
nastie nationale est donc rétablie, et d'accord, semble-t-il,
avec Foulque le Rechin, dont Hélie a dû reconnaître la
haute seigneurie. Au dessous d'elle se tient une famille vi-
comtale qui avait résisté victorieusement à Guillaume le
Conquérant et obtenu de lui la reconnaissance de son pou-
voir héréditaire, paternumjus^.
lelmus ctiam, violentas multorum invasor jom decidit... Filii ejus sibi
iiivicem adversantur... nos autem Cenomannicam urbem et oppida
ejus in pace possidemus, vobisque fideliter mandamus, ut hue con-
festim veniatis, et hereditario jure nobis prxsideaiis » (Orderic
Vital, III, p. 327-8).
^ » tloellus antistes, qui dono GuiUelmi régis praesulatum habuit^ipsi
filiisque ejus semper fidelis extitit » ... « Helias de Flechîa eum com-
preliendit, et in carcere donec Hugo in urbe Cenomannica susceptus
fuisset, vinclum prœsulem lenuit » (Orderic Vital, III, p. 328-9). —
Les Gesta pont. Cenom, présentent les faits sous un jour manifeste-
ment hostile à Hélie.
'^ Les termes dans lesquels Hc^lie propose ce marché k Hugues sont
très remarquables : « Cognatus tuus sum, Domine, sufTragioque mec
sublimatus es in consulatus honore, quem nuUipotes nisi mihidare vel
vendcre... Me quoque libcrtaiis amor nihilominus stimulai, et heredi"
tatis avitx rectitudo dimicandi pro illa (iduclam in Deo mihi suppe-
dit!il » (Orderic Vital, III, 331).
3 Huberi (le Sainte-Suzanne, vicomte du Mans, avait, avec Geofifroî
de May (Mine, dôtendu le Mans contre Guillaume le Conquérant, en
1003 : '( quia Nurmannicum ju^'um his quibus imminet gravissimum
est, subire nimis rorniidabant >» Orderic Vital, II, p. 102). De 1083 à
i08!), il lui tient t<>te, dans son castnim de Sainte-Suzanne, où par
l'éclat di* sa ronommee. il attire de l'Aquitaine, de la Bourgogne, de
toute la Gaule, des chevaliers d'élite qui bnilent de le servir eo riva-
lisant de prout^sses : a Flrat enim nobilitate clarus, sensu et probitata
LE PRINCIPAT DE l' ANJOU ET DU MAINE. SSl
Habile autant que hardi, épris à la fois de justice et
d'honneur, — mérite singulier en son temps* — Hélie de la
Flèche devient le champion de l'indépendance ethnique des
Manceaux. Il revendique pour eux le droit d'être gouver-
nés par leurs chefs traditionnels^ et, de l'aveu même du
chroniqueur normand, il les gouverne avec sagesse et
équité ^ Le duc de Normandie, Robert Courte-Heuse le
laisse en paisible possession de son pouvoir. Mais quand
il eut engagé son duché à son frère, pour partir en Terre-
Sainte, et qu'Hélie de la Flèche résolut, lui aussi, de se
croiser, Ten gagiste Guillaume le Roux revendiqua de plus
belle la domination du Maine*.
praQcipuus, vigenli virtule et audacia fervidus et pro bis insigniis
longe lateque famosus... De Aquitania et Burgundia, aliisque provin-
ciis Galliae probati milites ad Hubertum convolabant, eique totius nisi-
bus auxiliari, suamque probitatem ostentare ferventer optabant »
{Ibid., III, p. 196). Les Normands n'en vinrent pas à bout (Hubertum
nec prohilate nec felicitate superare valebant) et ils durent traiter.
Hubert fut maintenu dans la possession de ses droits et de son indé-
pendance, un simple pacte d'amitié fut conclu — ce qui doit bien
vouloir dire qu'au regard du vicomte la domination normande devenait
nominale — : « Facta inter eos amicitiay omne paternumjus honorifice
recepit... Deinde quandiu rex W. vixit, prœfatus héros ei fidus extitit,
honoremque suum libertate plaudens, gratanter tenuit, fîliisque suis
Rodulfo et Huberto moriens dimisit » (Ibid.^ III, p. 200-201). — Je
remarque qu'un vicomte Raoul apparaît dès la fin du x* siècle, vers
994 (CartuL Saint'Victeur du Mans, p. 1-2).
* Voyez le portrait très flatteur qu'O. Vital a tracé d'Hélie (IV,
p. 38-39).
2 Cf. p. 550, note 2.
3 « Subjectis aequitatem servavit, pacemque pauperibus pro posse
suo tenuit » (Orderic Vital, III, p. 332). Adde, IV, p. 35 : « populi
regimen in timoré Dei salubriter servavit ».
* Quel vif tableau de mœurs que le dialogue, vrai ou supposé,
entre Guillaume et Hélie, dans Orderic Vital (IV, p. 37) : on le dirait
emprunté à une chanson de geste. — Hélie veut prendre congé en
bonne amitié, le roi lui répond : « Va où il te plaît, mais rends-moi
la ville avec tout le comitatus, car tout ce que mon père a eu, je veux
l'avoir ». -- Hélie : » Je tiens mon principal de mes ancêtres, et,
Dieu aidant, je le transmettrai à mes enfants, aussi libre que je le pos-
552 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
La lutte reprend (1098) et, malgré rintervention en fa-
veur d'Hélie du comte d'Anjou Foulque le Rechin, seter^
mine à l'avantage des Normands. Guillaume rentre de vive
force dans le Mans qui avait précédemment ouvert ses
portes à Foulque comme à son chef seîgnear, capitalis
domtnus K Maître de la ville, le Normand en confie la garde
à deux de ses fidèles, la défense de la tour royale à un au-
tre, Gautier de Rouen, puis il reçoit la soumission des sei-
gneurs de la région^. Hélie de la Flèche s'offre à entrer
dans la maisnie de Guillaume le Roux, pour mériter par
ses services la restitution de son comitattis^. Il est re*
sède. Si tu veux plaider, soit : rois, comtes et évèques décideront si jfr
dois perdre mon héritage paternel ou si je dois le garder ». — Le roi :
« Ost à coups d'épées, de lances et d'innombrables javelots que je
plaiderai avec toi ». ~ Hélie : « Je voulais chercher au loin le coin*
bat contre les ennemis de Dieu et voici que je le trouve tout près.
L'ennemi de Dieu est qui résiste à la vérité et à la justice. Dieu m*a
préposé aux Msinceaux, je ne dois pas les abandonner aux loups ra-
visseurs. V^ous tous, grands, qui m'écoutez, sachez quelle résolution
Dieu m'inspire : Je ne la quitterai pas la croix de pèlerin que fai
prise, mais je la mettrai et sur mon bouclier et sur mon heaume et sur
toutes mes armes, sur ma selle et sur mon frein... C'est un soldat du
Christ que mes adversaires devront combattre... » — Le roi : « Va-
t-en où tu voudras et fais ce qui te plaira. Je n'attaque pas les croiséSt
mais je revendique la ville que possédait mon père quand il est morU
Quant à toi, tu feras bien de réparer tes remparts au plus vite» de
convoquer en toute hâte maçons et tailleurs de pierres, avides de
gains. Annonce aux Manceaux ma visite ; ils me verront à leurs por-
tes, avec cent mille lances et gonfanons, ils verront les chariots char-
gés de javelots et de flèches, qu'amèneront mes bouviers d'un pas
pressé. C'est parole certaine, mande-la à tes partisans. » ■
1 « Fulco... ut Heliam captum audivit, Cenomannis, quia capiÂoH»
dominus erat, actutum advenit et, a civibus libenter msceptus, mifi-
tibus et fundibulariis munivit » (Ord. Vital, IV, p. 47).
'^ a Radulfus vicecome.-i... aliique totius provincis proceres regican/'
fœderati sinit, redditisque munitionibus, datis ab eo iegibus soler-
ter ohaecundarunt » (ihid,, p. 53-54).
3 « Obsecro ut... in tua me suscipias familia et ego tibi condîgna
exhibebo servitia. Cenomannorum non requiro urbem, vel oppidai
donec idonea sorvitute illa promeruero... » (Orderic Vital, IV, p. 5i)«
LE PRINCIPAT DE l'aNJOU ET DU MAINE. 553
poussé * et va mettre alors en état de défense les cinq
places fortes de son domaine paternel et de Théritage de
sa femme : La Flèche, Château-du-Loir, Maiet, Lucé-le-
Gra^detOutillé^
La population du Mans ne reconnaissait toujours qu*Hé-
lie pour son légitime chef, son seigneur lige, et éprouvait
une répulsion croissante pour le joug des Normands^ Elle
le reçoit dans ses murs*, malgré la présence des fidèles de
Guillaume, qui, occupant la tour ou le château {arx), ne
manqueront pas de brûler la ville; puis, à la mort du duc
de Normandie, elle aide Hélie de la Flèche et son allié,
Foulque d'Anjou, à attaquer les châtelains (1100)*. Le
siège se prolonge : assiégeants et assiégés insensiblement
s'accointent; ils échangent moins de coups que de propos
plaisants ou malicieux, de gabes, dont on se gaudira long-
temps au pays manceau®, et qui rendront populaire la
figure d'Hélie sous le nom du blanc bachelier'^. Chaque fois,
* Guillaume deMalmesbury, comme le remarque M. Le Prévost (éd.
d'Orderic Vital, IV, p. 52, note 1), rapporte un dialogue où se reflètent
avec éclat l'indomptable énergie du comte manceau et la violence du roi
anglais : « Jeté tiens, mon maître ». — « Tu m'as pris, par hasard; si
je puis m'évader, je sais ce que je ferai. >> — « Toi, toi! ce que tu
feras? hors d1ci, va-t-en, fuis ! Je te permets de faire ce que tu pour-
ras, et par le Voult de Lucques, rien, si tu me vaincs, ne te sera déduit
pour cette grâce » : « Tu, inquit, tu ! quid faceres? discede, abi, fuge!
concède tibi utfacias quicquid poteris; et per vultum de Luca, nihil,
si me viceris, pro bac venia tibi paciscar. »
2 Sa femme, fille de Gervais du Château-du-Loir, avait hérité de
son père ces quatre derniers châteaux (Orderic Vital, IV, p. 36) —
« Quinque oppida sua cum adjacentibus vicis instruxit » (lôtrf.,
p. 53).
^ « Cives Heliam multum diligebant, ideoque dominatum ejus ma-
gis quam Normannorum affectabant » (Ibid.^ p. 56).
^ « Helias a gaudentibus urbanis in civitate susceptus est »
(p. 57).
5 Orderic Vital, IV, p. 99.
* « Ludicra utritique agitabantur, unde in illa regione futuri pro
adrairatione et delectamine loquentur » (Ihid.^ p. 100).
^ Candidus bacularis, sobriquet faisant image, puisqu'Hélie, pour
554 LIVRE IV. — CHAPITRB IV.
en effet, que, revêtu d'une tunique blanche et se fiant à la
loyauté de ses adversaires, il se présente à la tour poor
confabuler avec eux, on le reçoit, on Taccueille si fami-
lièrement qu'un armistice Bnit par se conclure. Les défen-
seurs du château ne savent plus en vérité pour le compte
de qui ils le gardent : est-ce pour le duc de Normandie
Robert Courte-Heuse? est-ce pour le roi d'Angleterre
Henri I? Ils leur députent des messagers. L'un et Tau-
tre se dérobent. Les embarras des deux princes sont
trop grands, leur rivalité trop menaçante pour qu'ils y
ajoutent le souci de réduire une population étrangère*.
Les châtelains sont laissés libres de traiter comme ils Ten-
tendront. Ils livrent alors le château à Hélie, qui, devenu
maître du Mans, est par cela même remis en possession
de son comilatus, redevient, comme ils le lui disent,
moitié plaisants, moitié sérieux, de blanc bachelier prince
des Manceaux, nprinceps Cenomannorum^n. Preuve nou-
velle que c'est bien la place forte qui constitue le centre
de gravité de la Hominalion',
11 ressort de tout ce qui précède que le Maine, auxi*
siècle, n'a jamais été rattaché à la Normandie ni cessé de
Taire partie de la Francie, que le duc de Normandie a pu
être comle des Manceaux, comme il a été roi d'Angleterre,
mais que la souveraineté légale sur le groupe manceau a
toujours appartenu au roi de la Francie, ou directement
ou par rintermédiaire du comle d'Anjou. Cela est si
vrai qu'Hélie de la Flèche, une fois rentré en possession
récupérer le comté, était obligé de subir une sorte de noviciat. Il était
candidat au comté.
^ « Callide maluit, dit Ord. Vital de Henri h sibi débita legaliter
amplecti, quaui peregrinis prœ superbia et indebitis laboribus nimis
onerari » (IV, p. 101).
' (( Candirie lUicularis, merito nunc vales lœtari, quia tempus ins-
tat quod diu desiderasti... Ilanc nimirum arcem tibi damus et te
amodoCeiiumaiiDorum comitem esse concedimus » (I6ùl., p. 101-102).
^ C\'st en ce seus qu'Ordcric V^ital appelle le Mans eaput prootM-*
ciœ (II, p. 102).
LE PRINCIPAT DE l'aNJOU ET DU MAINE. 555
définitive du comté du Maus (HOO), n'apparaît jamais
comme vassal des ducs de Normandie ou des rois d'Angle-
terre, mais comme leur allié*. Son supérieur immédiat est
le comte d*Anjou, qui deviendra même son successeur.
Quelques années plus tard, en effet, Hélie donne à Foul-
que le jeune sa fille Eremburge en mariage, et l'institue
son héritier*. Foulque succède à son père, le Rechin, en
1109; il succède à son beau-père l'année suivante; il réunit
ainsi, sans guerre ni combat, le groupe angevin et le groupe
manceau, sous l'autorité lige du roi de la Francie, comme
leur dominiis naturalis,
La suzeraineté royale sur le Maine ne tarda pas toute-
fois à péricliter. Une guerre met Foulque V et Louis VI aux
prises avec Henri I, et se termine par le traité de GiSors
(1H4). Louis VI consent à détacher le pays manceau delà
Francie, et à transmettre de la sorte son droit de domination
au duc (le Normandie^, ne retenant sur lui que la préémi-
nence. Entre le comte d'Anjou et le roi d'Angleterre les
rôles se trouvèrent donc intervertis, par rapport au passé.
La possession effective du pouvoir, le comitatus du Mans,
que les prédécesseurs de Henri avaient revendiqué et exercé
furent acquis au comte d'Anjou, et la suzeraineté, qu'ils
reconnaissaient jadis au comte d'Anjou, fut le partage des
ducs de Normandie. C'est en exécution de ce traité que
Foulque V jura fidélité à Henri I*. •
Si donc la Francie a été diminuée du Maine, cela n'a eu
* €Fœdus amicitiœ cum Rodberto duce et Henrico rege postmodum
copulavit » (Ord. Vital, IV, p. 103).
'^ « Posl aliqijol annos, Eremburgam filiam suamFuiconi filio domini
suif Andegavorum comiti, dédit, ipsumque Cenomannis dominumsibi
successorem constituit i> (Ibid., p. 102-103).
^ « Ex utraque parte jurata pace. . Ludovicus Heorico Belismum et
Cenomanensiuin comitatum, totamque concessit Britanniam » (Orde-
ric V^ital, IV, p. 307-8). — Le vrai caractère de cette concession est
bien marqué par la cession antérieure de Bellôme qui est ratifiée ici.
— Voyez p. 556, note 1).
* Cf. Orderic Vital, IV, p. 306-307.
556 UVRE IV. — CHAPITRE IV.
lieu qu'au xii' siècle et par un abandon royal, de même
qu'elle avait été, par un abandon analogue, diminuée, au
temps de Philippe I, de la seigneurie de Bellême qui y
était comprise ^ Cette seigneurie consistait essentiellement
en 34 caslella avec la population que, grâce à eux et par
la terreur qu'il inspirait, le seigneur de Bellême tenait sous
le joug *. Robert de Bellême ayant pris parti pour Foul-
que V et Louis VI, le traité de Gisors ratiGa l'abandon fait
par Philippe I.
Nous n'avons pas à suivre plus loin les destinées du
groupe angevin et manceau. C'est dans une période très
différente de celle que nous étudions qu'il atteint son apo-
gée de puissance et d'éclat, quand le comte d'Anjou, Geof-
froi le Bel, gendre de Henri I, parvient à se faire couronner
duc de Normandie (1144) et que son fils Henri Planiagenet
étend sa domination sur l'Angleterre et sur la moitié de la
Gaule.
* « Licet pagus Bellismensis non ad ducatum Northmanniœ perti-
neret, sed ad regnutn Francorutnf dederat tamen dominium ejusdem
pagi^ vei, ut quidam dicunt, vendiderat dudum Philippus rez Fran-
corum cognato suo Willelmo seniori regi Anglorum et duci Norih-
mannorum » (Guil. de Jumièges, VIII, 35, Migne, 149, 904. H. F. XI,
57 B).
2 <( Triginta quatuor castellamunitissimapossidebat, multisquemil-
libus hominiim dominatu prœeminebat » (Orderic Vital, III, p. 423).
— « Provinciales... sub jugo ejus sua colla, licet inviti, flexerunt,
eique, non tam amore quam timoré t adhœserunt » (16irf., IV, p. 182).
557
II. — Les principautés ecclésiastiques
DE LA FRANCIS.
Une circoDstance capitale qui empêcha de se rejoindre
les deux tronçons de la maison de Vermandois et qui arrêta
l'expansion vers le Nord-Est de la maison de Blois fut la
formation des seigneuries ecclésiastiques. Elles prirent la
place du réseau armé dont Herbert II avait voulu s'en-
tourer. Elles s'installèrent d'autant plus aisément que la
territorialité du comitatus était dans cette région réduite
au minimum. Il n'est pas présumable qu'elles fussent le
résultat d'une conception politique, d'une vue d'ensemble,
mais elles sortirent de la mêlée presque ininterrompue
dont la province de Reims fut, au x* siècle, le théâtre et à
laquelle la défense de leur ville épiscopale, comme la gravité
d'une lutte qui avait la monarchie franque pour enjeu, obli-
gèrent les évêques de participer les armes à la main. Nos
chansons de geste sont, une fois de plus, unmiroirfidèle de
la vérité historique quand elles font de l'archevêque de
Reims le type de l'évêque batailleur. Seigneurs toujours
armés en guerre, les évêques devinrent comtes de fait.
Partisans du parti royal victorieux, celui-ci leur confiait
tours et châteaux, et légalisait, en la reconnaissant, leur
prise de possession du comitatus. Ce fut tout gain pour la
royauté, puisque, grâce à son droit de disposer des évêchés,
elle avait la haute main sur les seigneuries épiscopales.
Je ne partage donc pas * le sentiment des historiens qui
assignent aux seigneuries ecclésiastiques l'immunité pour
* Cf. T. II, p. 281 et suiv. (à rectifier sur quelques points par ce qui
va suivre).
558 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
source directe ^ Je oe l'admettrai qu'exceplionnelIemeDt
ou pour des seigneuries monastiques telles que Corbie*.
La source immédiate, je la trouve dans la qualité de chef
militaire reconnue à Tévêque et entraînant pour lui la con-
cession expresse ou tacite des droits comtaux. L'immunité
et les anciens privilèges royaux ne servirent en règle que
d'arme, de rempart ou de voile. On peut s'en persuader
en jetant un coup d'œil sur les évêchés-seigneuries de la
province rémoise, les seules qui rentrent dans la Francie.
1* Reims. — Le comitat fut, d'après Flodoard*, concédé,
vers 940, par Louis d'Outremer à l'archevêque Artaud,
son partisan, qu'il avait fait introniser en remplacement
de Hugues de Vermandois. Concession bien précaire au
début! Dès 940, Herbert II et Hugues le Grand repri-
rent Reims, et Artaud ne récupéra son évêché qu'en
948 ^ D'autre part, il avait certainement un copartageant
du comté : c'était le comte Ragenold ou Renaud, par-
tisan lui aussi de Louis d'Outremer, adversaire de la
maison de Vermandois^ qui construisit en 948 le chftleau
^ Luchairo, II, p. r)2, 53. M. Longnon n'accepte cette opinion que
sous une l'orme dubitative : « L'origine de ces seigneuries, dit-il,
dont quelques-unes comprenaient une vaste étendue de pays^ est or-
dinairement fert obscure; mais il semble qu'à rezception de Tévôque
de Beau vais, cette origine doit être cherchée dans les inununités acc<v-
dées par les rois francs : c'est là d'ailleurs un fut qui ne paraît point
douteux en ce qui concerne l'évéché de Langres. » [Atlas hisioriqtœf
p. 223). Je ferai remarquer que le diplôme de Charles le Gros (886),
pour Langres est plus qu'une concession d'immunité et que lecomt-
tatus .1 étô conc(^d(> formellement à cette église par un dipldme de
Lothaire du 30 août 967 [Gallia Christ,, IV, 547. Musée des Aroh.
dep., pi. XII, n° lo, texte n» 32-34).
2 H. F. IX, 493.
^ ce Post ha?c rex Ludovicus dédit Artoido episcopo, ac per eum
ecclesia* Remonsi, per prœceptionis régi» paginam, Remensis urbis
monelam, jure perpetuo possidendam. Sed et omnem comitatum Ae-
meiuem eidem contvlit ecclesix, » (Flodoard, Hist, eccl. Hem., IV,
27, Migne, 135, 298).
* Flodoard, op. ciL^ l\\ 28 suiv.; IV, 34 suiv.
LES PRINCIPAUTÉS ECCLÉSIASTIQUES. 559
de Rouci^ Il est appelé comte de Reims par Aimoin"
et son autorité comtale paraît bien établie. Sans nul
doute elle était antérieure à 940 et provenait du par-
tage d'attribution et de puissance, que nous avons con^-
talé dans les villes, entre le comte et ^évêque^ Ce n'est
qu'en 1021, par l'élection au siège métropolitain* d'Ebles I,
comte de Rouci et de Reims, que l'ensemble des droits
comtaux sur la ville et ses dépendances se trouva, en
vertu d'une consolidation, aux mains de l'archevêque. La
seigneurie ecclésiastique de Reims, devint alors un pou-
voir grandissant : au xi* siècle, les comtes de Porcien,
d'Omont, ou Rethel, de Vitry sont les vassaux de l'arche-
vêque ^ Elle est pour la royauté plus qu'une citadelle et
un boulevard. Elle est à la fois une marche qui garde la
frontière de la Gaule, un réservoir de subsides guerriers
et de ressources pécuniaires, un foyer spirituel où s'ali-
mente et se renouvelle la majesté royale®.
2° Châlons -sur-Marne. — La seigneurie se constitua cer-
tainement au cours des luttes que Louis d'Outremer eut à
soutenir pour conserver le trône. Pour que les évêques de
la Francie pussent défendre leurs villes épiscopales, le roi
les choisit de préférence dans les familles comtales, et c'est
ainsi qu'en 948 il pourvut Gibuin, fils d'Hugues, comte de
* « Quandam munitionem quam Raj^^enoldus cornes Ludowici super
Axonam fluviumin loco qui dicitur Rauciacus œdifîcabat » (Fiodoard,
Amial.y ad an. 948, Migne, 135, 472 .
2 Au dire de Marlot {Metrop. Rem. Historia, T. II, Reims, 4679,
p. 195; : ic Hic Albradam (Aude) Ludovici Transmarini ac Geberg»
filiam duxit an. 955, Retnensisque cornes nominatur apud Aimonium ».
— Je n'ai pas retrouvé le texte d'Aimoin.
3 T. II, p. 280 suiv.
* Art de vérifier les dates, II, p. 738, col. 1. Cf. d'Arbois de Jubain-
villo, I, p. 247.
'^ Longnon, Atlas historique, p. 222.
^ Cf. Diplôme de la reine Gerberge (968) : < Locus Sancli Remi-
gii, qui semper ab antiquo regiis donationibus, ut pote caput Fran^
c/a?, fuerat honoratus » (H. F. IX, 666 C).
560 LIVRE IV. — CHAPITRE IV.
DijoD^ (le l'évêché de Châioas. Il trouva en lui un aun-
liaire fidèle et actif contre Hugues de Vermandois*, et Képis-
copat demi-séculaire de Gibuin' dut permettre i celui-
ci d'acquérir tous les pouvoirs comtaux. Son successeur
presque immédiat, Gui, prend le titre d'évêque par la
grâce de Dieu*; un peu plus tard, Roger II se comporte
de tout point en seigneur féodal '. Si deux diplômes de
Charles le Chauve compris dans le cartulaire de Saint-
Étienne de Châlons (qu*a rédigé au début du xn* siècle
le chantre Warin et qui n'a été que tout récemment publié)
sont authentiques, ils ont pu être d*un très grand secours
aux évèques pour leur faciliter Tacquisitioa du comitaim.
Mais la teneur insolite de ces actes me les rend suspects et
me porte à croire qu'ils ont été fabriqués pour légitimer
après coup des empiétements progressifs'. Aux diploma-^
listes de se prononcer.
^ Lot, Les derniers Carol.f p. 39, 332. Cf. Richer, II, 60.
* Lot, p. 39, Lauer, op. cit.^ p. 159.
3 948-998, Lot, p. 90, note 2.
'* n Guido gratiaDei Cathalaunensium episcopus » (1004-1008). Corf.
de Saint-Etienne f p. 43.
•^ Voyez son traité avec Eudes II, comte de Troyes (1048-1053),
ibid., p. 49-50.
^ Le premier de ces diplômes, daté du 13 février 845, confînne
rimmunitë à tout le diocèse de Chàlons : « Quia inluster vir venera-
i)ilis Lupus civitatis Cathalaunis ecclesiœ episcopus, quœ est con-
structa in honore Scli Stephani... cujus parrochia sita est ia pagis
Virtudinense, Camsicense et Stadînense et Pertiase, necnon et ret
quu; in ducatu Turingia) esse noscuntur, similiter et res qu» in pago
Warmacinse situ; sunt, veniens ad nos detulit nobis emunitates regum
predecessoruiu... etc. » (CartuL de Saint-ÉUenne de Chdlons, p* 7-0).
Le second diplôme, du 22 novembre 865, en établissant un atelier mo-
nétaire à Cliàlons, pour y frapper des deniers avec le monogramme du
rui, « monogramma nominis nostri illi jussimus insigniri », le concède
à Tévéque à charge d'en abandonner les revenus au chapitre de Saint-
Ëtionne : « Tilandem monelam cum omni redditu possidere valeat
eternaliter et possidendo ordinare legaJiter ut ipse et successores sui
quicquid inde exigere potuerint eisdem IVatribus conférant » {VddL^
p. 23-24).
LES PRINCIPAUTÉS ECCLÉSIASTIQUES. 561
3** Noyoji. — L'évêché échut à un membre de la maison
même de Vermandois, après qu'elle se fut unie étroitement
aux Carolingiens* : Liudulf, fils du comte Albert de Verman-
dois et de la propre sœur de Lothaire, Gerberge, devint
évoque en 977.
Par la puissance de sa maison et sa parenté avec la
famille royale, il se trouva placé dans les conditions les
plus favorables pour asseoir sa domination séculière, pour
tirer tout le parti possible de l'immunité accordée à son
siège par Charles le Simple (901) et par le pape (988). Il
supplanta le comte '. Son successeur évinça le châtelain du
roi(J027)^
4** Laon. — On rencontre encore des comtes laïques de
Laon vers le milieu du x* siècle*, tandis que vers la fin de
ce siècle et au commencement du suivant, la seigneurie
ecclésiastique est constituée. Autant il serait téméraire de
conclure à Texistence du comitatus épiscopal, dès 988, en se
* Lot, op. cit., p. 90.
2 Cf. Lefrane, Hist. de NoyoUj p. 91 suiv., p. 180.
3 T. II, p. 278. — Je note pourtant que dans la Vie de saint Gé~
raudy de Sauve Majeure, écrite à la fin du xi" siècle, il est fait men-
tion d'un miles regiuSy originaire de Noyon et frère du châtelain de
la cité : « Berfegius nomine... armorum probitate strenuus... divitiia
seecularibus et dignitate ad plénum munitus : fuit enim Francigena,
ex regiis militibus non infîmus, ex Noviomo civitate Franciœ oriun-
dus, castellani ipsius civitatis germanus,,. nimirum quia nobilis et
nobili génère ortus, etc. » (Mabillon SB. VI. 2, 887). — Est-ce d'un
châtelain du roi ou d'un châtelain de Tévêque qu'il est question? Je
l'ignore.
* En 940 le comte Roger se recommande au roi de Germanie Othon,
en môme temps que Hugues le Grand et Herbert II de Vermandois
(Flodoard, Ann., ad. an. 940, Migne, 135, 455). Louis d*Outremer,
l'année suivante, le fait prisonnier et, se réconciliant avec lui, lui con-
cède à nouveau le comté de Laon : « Rotgario Laudunensem comi-
tatum dédit .> (Flodoard, ad. an. 941, Migne, 135, 457). Son fils Hu-
gues meurt tout jeune, en 961, en instituant le roi Lothaire son héri-
tier (Flodoard, ad an. 961, i6id., c. 485). — Diplôme de Lothaire, 961
(H. F. IX, 62 4f) : « Hugo cornes , nosterque consanguineus, etc. ».
F. — Tome HT. 36
562 hlYBM lY. — CHAPITRB lY.
basaotsur la mentioo par Ricber* d'ane lexaçrioria abusive
qi]*anrait iDtrodaite Adalberoo (Ascelio) \ aotant il me
paraît manifeste qae Thabileté sans scrupule et Téoergie
tenace d'Adalberon (fauteur du poème adressé an roi Ro-
bert; furent la véritable source du pouvoir qu^il a légué à
ses successeurs. Sa base de nouveau fut surtout militaire.
Hugues Capet qni croyait pouvoir compter sur Ascelin lui
avait confié la forteresse de Laon en 991. En 995, il la lui
rerlemanda en vain ', et une réquisition analogue de son
fils Robert n'eut pas plus de succès en 999 ^. L'évêque par
là était maître de la ville et domina le Laonnais'.
5* Beautais. — Le rôle des évoques de Beauvais nous est
peu connu dans la première moitié du x* siècle. Hildegaire
apparaît sur la scène en 949 comme partisan d'Hugues de
Vermandois', Hervé siège et prononce un discours au
concile de Saint-Basie, réuni par Hugues Capet pour juger
Arnoul de Reims \ C'est d'eux, sans nul doute, et non pas
« Richer, IV, 15.
' C'était d*abord TopinioD de M. Lot, p. 182, note 1, mais il a re-
connu ensuite qu'il ne devait s'agir dans le passage de Richer que
d'une perception abusive de redevances foncières (Cf. p. 221, note 1).
» Richer, IV, 95, 96.
* Lettre de Gerbert, p. 241, éd. Havet. Cf. Pfister, p. 59.
• Les premières monnaies connues des évêques de Laon sont pré-
cisément d'Adalbéron.
Elles portent d'un côté Teffigie en buste du roi Robert avec une
couronne crénelée et la légende :
•{• Ht)BT FRANC RKX
de l'antre le buste, figuré de face, de l'évêque avec un capuchon et
la légende :
f ADALBERO LAD. EP.
Voyez Poey d'Avant, Description des monnaies seigneuriales fran^
çaises (Fontenay, 1853), p. 389-90.
« Richer, II, 82. T. I, p. 250-1.
' Il y parle en seigneur ecclésiastique : « Cavendum summopere est^
ne leges divinas forensibus comparemus. Plurimum enim a se diffe-
runt, cum divinarum sit de ecclesiasticis negotiis tractare et secula-
riura secularibus adhiberi » (Richer, IV, 55).
LES PRINCIPAUTÉS ECCLÉSIASTIQUES. 563
seulement de leur successeur Roger, que date la naissance
de la seigneurie ecclésiastique de Beauvais. Que Roger ait
fait un échange avec Eudes II, comte de Blois*, ou qu'il
ait reçu de lui une simple libéralité, peu nous importe.
Mais des circonstances notables ressortent pour nous du
diplôme fameux de Robert II de Tan 1015* :
1** Sur le faubourg de Beauvais et sur certains villages,
le comte avait antérieurement déjà concédé à Tévêque
tous les droits et revenus du comté, comté qu'il tenait lui-
même en bénéfice du roi'.
2° Sur d'autres villages sa concession actuelle consiste
tantôt dans la totalité, tantôt dans la moitié d\x comitatus^ .
3* Les droits comtaux sur la ville même de Beauvais
ne semblent plus exister. Ils sont passés sous silence.
4° Le comte abandonne à l'évêque toute sa part du
comté*.
Soit en totalité sur la cité, soit partiellement sur les
villâB qui s'y rattachent, le comitatus appartenait donc
déjà à l'évêque. Il s'est agi seulement de le compléter
et de le consolider entre ses mains pour qu'il le tînt en
entier et directement du roi. Aussi l'activité guerrière des
évOques de Beauvais, qui nous échappe en partie au x*
siècle, s'affirme-t-elle désormais. On la verra s'épanouir
pleinement avec Philippe de Dreux*.
^ M. Labande (Histoire de Beauvais^ Paris, 1892) Ta contesté avec
beaucoup de force (p. 30-31).
'^ Ce diplôme a été publié à nouveau par M. Labande, p. 259-60.
3 « Omnes exactiones et redditus comitatus, quem tenebat ex nos-
tro benefiçio in suburbio Belvacensis urbis, et in villis extra ambitum
civitatis constitutis, sicMt;am ipsiepiscopo concesserat ac diviserat ».
* « Quidquid pertinebat ad comitatum in villis... medietatem quo-
que comitatus in villa... ».
* « Fecit haeredem prœscripti comitatus... ut habeat, teneat atque
possideat suprad. episcopus prœfatam divisianem comitatus, cum
omnibus suis successoribus ».
6 Géraud, Le Comte-Évéque, Bibl. Ec. des Charteg, V (1843), p. 8-
30.
565
CHAPITRE FINAL
FRANCIS ET GAULE.
Au priQcipat delà Francie que nous venons d'envisager
dans sa genèse et dans ses rapports particuliers avec la
couronne, nous aurons à opposer, du même point de vue,
le principat du surplus de la Gaule. Nous avons vu la
Francie se démembrer en grandes principautés et celles-ci
entrer en collision soit entre elles, soit avec la royauté.
Nous verrons se disloquer de même et donner naissance
à des groupes soumis à d'incessantes et souvent à de vio-
lentes fluctuations les duchés et les royaumes secondaires
qui existaient en dehors de la Francie. La force de disper-
sion, alimentée par les convoitises et l'esprit particulariste,
l'emporta même davantage ici sur l'affinité ou la cohésion
et favorisa avec excès l'indépendance des seigneuries infé-
rieures.
En Bourgogne, Otte-Guillaume acquiert un comitatus
qui le fait appeler par un hagiographe contemporain
« comte de la majeure partie de la Bourgofçne* », et qui
deviendra la Franche-Comté. En Aquitaine, le principat est
disputé entre les comtes de Poitiers et ceux de Toulouse, et
quand il demeure définitivement aux premiers, leurs rivaux
s'affranchissent du ducatus et créent, au cours des siècles,
un principat distinct d'où sortira le Languedoc. La Gasco-
gne reste indépendante de l'Aquitaine et n'est placée sous
* « Comité maximœ partis Burgundiae Wilielmo » (Vie de iaint
Guillaume, abbé deSaint-Bënigne, par Raoul Glaber, Mabiilon, SB.
VI, I, p. 329).
566 LIVRE IV. — CHAPITRE FINAL.
raulorilé des ducs que par Guy Geoffroy, fils de Guillaume
le Grand.
Dans tous ces pays, des seigneuries, laïques ou ecclé-
siastiques, conquièrent une autonomie presque complète,
échappent presque entièrement à Taction des grands prio-
cipats. Quand le duc d'Aquitaine récupère la Gascogne,
c'est presque un titre nu qui lui échoit. Quand s'ouvre en
Bourgogne (1002) la succession du duché, par la mort sans
enfants légitimes de Henri de France, les droits du duc
sont réduits, pour ainsi dire, à néant. 11 eu va de même
dans le royaume de Bourgogne et de Provence. Non seu-
lement des comtes puissants accaparent la souveraineté
effective (comtes de Bourgogne, de Genève, de Lyon,
comtes d'Albon, comtes d'Arles, etc.), mais le roi bourgui-
gnon lui-même abandonne, par largesse ou libéralité, ses
droits comtaux, cédant comtés de Vienne et de Tarentaise,
comté de Valais et pays de Vaud, si bien que le jour où le
royaume de Bourgogne passe à rAIIemagne, sous Conrad
le Salique (1033-1034), ce ne fut qu'une suprématie très
lâche qui se trouva acquise au souverain étranger.
Le démembrement dont je viens de donner des exem-
ples saillants, en attendant que je le décrive en détail, eut
une influence profonde sur l'avenir de la France et de la
monarchie française. Il fit obstacle a ce qu'aucun des
principats pût s'assurer l'hégémonie (encore que TAquitaioe
prît parfois, comme la Francie*, le nom de Gaule*), il pro-
cura au rex Francorum des sujets latents ou expectants
* C'est ainsi que le beau-frère de Hugues Capet, Frédéric, duc de
Lorraine [Francia média] est appelé « dux Galliœ medianss ». We
d'Adalbéron II de Metz /Migne, 439, 1553; Mabilion, SB. VI, I,
29) : « Adalbero, patre Friderico, qui Galliœ medianse dux, geaero-
sitatis excellentia... multos prœdecessorum in id offtcii superavit. »
2 Penilant la minorité de son fils Guillaume Aigrel, Agnès, Teuve
de Guillaume le Grand, gouvernait sagement, nous dit une charte de
i041, le pays des Gaules (Charte de Saint-Maixent, I, p. il5). En
1060-61, le duc d'Aquitaine, Guy Geoffroy, est qualifié dux Gallorum
(Richard, Comtes de Poitiers^ I, p. 268, note m fine).
FRANCIE BT GAULE. 567
dans le grand nombre des seigneuries que le principal ne
pouvait maîtriser, il empêcha l'union intime avec l'Alle-
magne des populations qui nominalement plus qu'effecti-
vement y furent rattachées et rendit possible ce soulève-
ment des seigneurs lorrains qui rouvrait périodiquement la
porte aux revendications de la maison de France sur leur
pays, enBn c'est en partie grâce à lui que la royauté des
X" et XI* siècles ne risqua point d'être dépossédée de la
couronne par un des principats de la Gaule.
En dehors de l'Aquitaine, la Normandie qui était restée
compacte et s'était agrandie du Maine et de la Bretagne
aurait pu y prétendre, mais elle avait à compter elle aussi
— je crois l'avoir suffisamment prouvé pour le Maine et
je le prouverai pour la Bretagne — avec l'indépendance
ethnique des populations annexées, et ses chefs n'avaient
pas à leur actif le prestige traditionnel de la suprématie
franque. N'est-ce pas un fait singulièrement remarquable
que ce fut par Tinlerposition d'un principat de la Francie,
la réunion aux mains de la maison d'Anjou des grands
principats de Normandie et d'Aquitaine, que naquit au
XII* siècle le péril pour la dynastie capétienne d'être dé-
pouillée de la couronne, pour la Gaule entière le danger
d'être privée de son indépendance nationale?
On s'est exagéré, il est vrai, la solidité et trompé sur la
nature du lien qui unissait, au xi* siècle, les principats de
la Gaule au roi de France, et je me suis engagé à démon-
trer par les sources qu'il était juridiquement très diffé-
rent de celui qui existait entre le roi et les princes de la
Francie. En outre, toute subordination légale au regnum
Fmncorwm avait cessé pour les pays d'empire. Ils étaient,
comme le dira un archevêque de Reims du xi* siècle,
extra regnum Francorum, le roi de France n'y avait ni
juridiction [cognitio) ni autorité suprême {reverentia) *.
* « Quid vel apud Lugdunum vel alibi extra regnum Francorum
perturbatio nostra posset, ubi nec Régis noslri, nec nostra cognitio
568 LIVRE IV. — CHAPITRE FINAL.
Mais nous nous rendrons compte que, pour être dissem-
blable, la fidélité des princes de la Gaule n'en fat pas
moins réelle, et que si la puissance flamande, par exem-
ple, s'est élevée assez haut pour viser i la ccnstitatîoD
d'un royaume mitoyen entre l'Allemagne et la France, ce
fut au détriment du premier pays plus que du nôtre. Là
même où la sujétion royale se relâcha le plus, là môme*
dirai-je, où elle s^évanouit, nous découvrirons au-dessous
du principal, et chez les seigneurs, et dans rÉglise, et dans
les classes populaires, des fibres multiples et vivaces qui
ne cessèrent de rattacher dinrex Francorum^ au successeur
de Charlemagne, du grand empereur épique, jusqu'aux
parties les plus reculées delà Gaule. Dans les faits, comme
dans les sentiments et les idées, nous retrouverons à la
fois cette suprématie carolingienne et franque et ce pou-
voir spirituel des rois francs que je me suis efforcé, dans
ce volume, de dégager des obscurités dont un passé mil*
lénaire les avait recouvertes.
Le principat lui-même se révélera à nous comme une
image réduite de la majesté carolingienne, image exposée
journellement aux regards des peuples qu'il gouverne. En
rétudiant dans sa structure et dans son fonctionnement,
aussi bien dans la Francie que dans le reste de la Gaule,
nous le verrons se modeler sur la royauté, en réfléchir
Téclat comme de brillants satellites, s'ériger en souverai-
netés au petit pied et préparer de la sorte, pour sa part,
si inconsciemment que ce pût être, à la fois Tunité politi-
que du pays et cette autre unité, plus féconde encore,
l'unité organique de la société française.
aut rêveront la ulla viget? Quapropter si vultis. satis cognoscitis,
quod de illis Galliarum partibus sine dubio dictum est ubi regnum
FraiicisD sitiim est » (Apologie de IVchevéque de Reims MaDassès,
adressée au légat Hugues de Die, archevêque de Lyon; BlabîUon,
Muséum italicurriy Paris, 1724^ I, 2, pp. 124e-125).
APPENDICE
ADDITIONS ET RECTIFICATIONS
I. — Bibliographie des sources.
U Cartulaires.
Angers (Saint-Laud), chapitre. Carlulaire retrouvé en 1898
(voir : Bibl. École des Chartes, 1898, p. 533 et suiv.), pu-
blié par A. Planchenault (19 chartes du xi" siècle), An-
gers, 1903.
Angoulême, cathédrale. Cartulaire publié par J. Nanglard
(r»7 chartes de 908 à 1100), Angoulême, 1900.
Bayeux (Livre noir), cathédrale. Cartulaire publié par
V. Bourrienne (Chartes des xi* et xii" siècles), Rouen et
Paris, 1902.
CoRBiÉ, abbaye. Chartes des ix® et x* siècles publiées par Le-
villain, dans Examen critique des chartes mérovingiennes et
carolingiennes de Vabb. de Corbie, Paris, 1902.
CoMPiÈGNE (Saint-Corneille). Carlulaire publié par E. Morel
(Chartes du ix« au xii« siècle), Compiègne, 1894-99.
Mas d'Azil... lisez : publié par Cau-Durban.
Vierzon. Abbaye, chartes des x* et xi® siècles, tirées surtout du
Cartulaire MS. de Vierzon, publiées par le conate de Toul-
goët-Tréanna, dans Histoire de Vierzon el de l'abbaye de
Saint-Pierre^ Paris, 188i.
570 APPENDICE.
2* Vies des saints, translations et miracles.
AaiLK (Saiot), premier abbé de Rebais (f v. 650), Miracles
(xi^-xii* siècle). Mabillon, SB. II, 326-34 (Prose farcie
d*hexaiDètres).
Ansblmb (Saint), archevêque de Caotorbéry (f 1109). Vie par
Eadmer son disciple (1060-1124), Migoe 158, 49-120. —
Miracles par le même, Liebermann Angla-normann, Ge-
schichUq., Strasbourg, 1879, p. 303-17.
Ayoul (Saint), abbé de Lérins(f 675), Translation à Fleury,
puis à Provins (x« siècle). Mabillon, SB. II, 666-7. — Mira-
cles à Provins (milieu xi* siècle), ibid., 667-72.
Bavon (Saint)... ajoutez : autre recueil de miracles (xi« siècle),
SS. XV, 608-9.
BâNiGNB (Saint), marlyr à Dijon. Miracles (x*-xi» siècle). Bol.
AS. 1^'nov. I, p. 173-9.
Bbrtin (Saint)... lisez : Miracles x^-xii° siècle.
EuGâNB (Saint), évêque de Tolède. Translation de saint Denis
à Brogne par saint Gérard. Relation contemporaine (928-
937) et miracles (x« siècle), Anal. Boll. III, 1884, 29-64.
Gautier (Saint), abbé de l'Eslerp, diocèse de Limoges (f 1070).
Vie par Marbode (avant 1096). Bol. AS. il mai, II, 701-6;
Migne, 171, 1565-74.
Géraud (Saint), fondateur de Sauve-Majeure (f 1095). Vie par
un contemporain. Mabillon, SB. VI. 2, 877-92; Migne, 147,
1023-46.
Godon (Saint), abbé d'Oye, diocèse de Troyes (f 690). Vie et
miracles (xi* s.) dans Martèné, AtnpUss. Coll., VI, 795-804
GuDULK (Sainte) (f 706-14). Vie et miracles par Hubert do Bra-
bant (vers 1047). Bol. AS. 8 janvier I, 514-23; Duchesne,
Hist. Fr. I, 656 suiv.
Guillaume (^Saint), duc d'Aquitaine, ajoutez : miracles (vers
1006) par un moine de Gellone. Mabillon, SB. IV, 2. 556-
61.
APPENDICE. 571
Hélène (Sainte), mère de Constantin. Revelatio, par Notcher,
abbé de Hautvilliers (1095). Mabillon, SB. IV. 2, 154-6.
Miracles (1" moitié xi« s.). Bol. AS. 18 août III, 618-22.
Herluin (Bienh.), fondateur de l'abbaye du Bec (f 1078). Vie
par Gilbert Crispin (f 1114). Mabillon SB. VI. 2, 342-55.
Hubert (Saint), évêque de Liège (f 727). Miracles par un
moine d'Andagine Cxi« siècle, avant 1087), Mabillon. SB.
IV. 1, 297-305.
HuMBBRT (^Saint), ajoutez : Mabillon, SB. II, 800-806.
HuNEGONDE (Sainte). L'indication : Mabillon, SB. 11,1018-30,
se réfère à la vie. La translation de 946 se trouve ibid.^
p. 213-21 et une autre de 1051, p. 221-226.
JossE (Judocus) (Saint), fils du roi breton Judhael (f 669).
Vie par Florent de Saint-Josse-sur-Mer (1015), Surius,
13 décembre VII, 100711. — Inventio (977), décrite par
Isembard de Fleury(sous Robert II). Fragm.dansDuchesne,
IV, 144-47 et Mabillon. SB. II, 571.— Translation et mira-
cles dans Orderic Vital, II, p. 136 suiv. (éd. Le Prévost).
Léger (Saint), évéque d'Autun (f 678). Vie et miracles par Fru-
land, moine de Murbach (vers 1041), dans Pitra, Histoire
de saint Léger, Paris, 1846, p. 527-68.
Lewine (Sainte) (vu'' s.). Translation (1058) d'Ançleterre à Ber-
gues et miracles par le moine Drogon (1060-1070). Mabil-
ion, SB. VI. 2, 112-126.
LiETBERT \^Saint), évêque de Cambrai (1051-76). Vie par un
contemporain (Rodolphe, moine du Saint-Sépulcre de
Cambrai). Bol. AS. 13 juin, IV, 586-606. — Migne, 146,
1449-84.
Marius (Saint), solitaire à Mauriac (v. 600). Miracles et trans-
lation (xi«s.). Bol. AS. Juin, II, 114-26.
NicAiSE (Saint). Translation à Rouen (1032). Migne, 162, 1163-
66.
Nicolas (Saint). Translation à Angers (v. 1080) et miracles par
Joël, abbé de la Couture du Mans (f 1097). Catal. cod. Hag.
III, 158-62.
572 APPENDICE.
OuEN (Saint), ajoutez : Translation (918), Migne, 162, 1153-
116:^. Complément des miracles, Anal. BolL, xx, 169-76.
OuRY (Udalricus) (Saint), évêque d'Augsbourg (f 973). Vie
contemporaine par Gerhard, prêtre d'Augsbourg (982) (em-
brasse la période de 890 à 892). Mabillon SB. V, 419-60.
Migne, 135, 1009-58. — Miracles. Mabillon, V, 460-70.
Migne, 135, 1059-70.
Quentin (Saint), ajoutez : Passion et inventions en vers (ix®-x*
siècle). AnaLBoll., XX, 1901, 1-44.
PoppoN (Saint), lisez : Everhelm au lieu de Everheino, qui est
une faute d'impression. C'est sans doute une faute analo-
gue qui fait dire à M. Molinier [a° 1719) qu'Everhelm était
abbé d'Hautmont « un peu avant 1132 ». Il Tétait avant
1052.
Prudence (Saint)... ajoutez : le recueil de miracles n'a été
que compilé par Thibaut de Bèze. Il date du xi* siècle.
RicTRUDE (Sainte)... ajoutez : Miracles antérieurs au xi* siècle.
Bol. AS. III, p. 89-118.
Servais (Saint), évoque de Tongres (f iv® siècle). Translation
et miracles par le prêtre Jocundus (1088). SS. XII, 87-126.
SiMÉON (Saint), moine à Trêves (-[- 1035). Vie contemporaine
(1035-1047), par Bberwin, abbé de Saint- Martin de Trêves.
Mabillon, SB. VI, 371-81.
TiiiBAUD (Saint), archevêque de Vienne (vers 952). Fragments
d'une vie ancienne publiés par Manteyer dans Moyen-Age,
1901, p. 26-4-:i68.
Thiekuy (Saint)... ajoutez : Mabillon SB. VI, 2, 559-82.
Ulrich (Udalricus) (Saint), de Gluny, fondateur de la Celle
(forêt noire) (f 1093). Vie récrite de 1109-1120, Mabillon,
SB. Vl.L>,781-80-i.
Vivien (Saint). Vojiox^ : Bibien.
3° liwgrapliies, chroniques et opuscules.
Anselme de Reims, Hiatoria dedicationis ecdesias Sancti Re-
migii. xMabillon, SB. VI, I, 711-727.
APPENDICE. 573
Chronique de Bonneval (diocèse de Chartres) (milieu du
xi« siècle), Mabillon, SB. ÏV. 2, 504-6. Rééditée avec une
S"" partie qui date du xii* siècle, par R. Merlet, Chartres,
1890.
Chronique DE Morigny, assignée par mégarde à la Bourgogne,
au lieu de la Francie.
Chronique de Geoffroy du Yigeois (Aquitaine), ajoutez :
Labbe, Biblioth. nova MSS. Il, 279-342.
Falcon, Chronique de Tournus (v. 1087). Mabillon, IV, 1,
560-3.
Garnier (Vie de) (prévôt de Saint-Étienne de Dijon), dans
Fyot, Hist. de Saint-Etienne de Dijon, Dijon, 1696.
Gilbert, de Saint-Amand (f 1095), Carmen de incendia
S. Amandi, SS. XI, 409-32.
Hugues, archidiacre de Tours, Dialogus ad Fulbertuniy de mi-
raculo S. Martini (iOi^-iO'iS). Mabillon, Vetera Analecta,
Paris, 1723,213-7.
Ulrich (Saint), de Cluny, Consuetudines Cluniacensea (1082-
1087), Migne, 149, 635-778. —Un MS. du xi" siècle, pro-
venant de Cluny, vient d'entrer à la Bibliothèque nationale,
Douv. acq. lat., 638.
II. — Texte et notes.
Page 463, note 3. — Ajoutez: Miracles de saint Agile (1, 3,
Mabillon, SB. II, p. 326) : « Rodberto (Robert II) apud Mero-
vingiam quœ alio nomine dicitur Francia, tenente jus regium,
post mille a Passione Domini volumina annorum. »
Page 211 , note 4, — Louis IV dit, en parlant de Hugues le
Grand : « consilio... Hugonis dilectissimi nosiri et Francarum
duCiSj QUI est in omnibus RBONiS NOSTRIS SBCUNDU8 A NOBIS. »
(55 décembre 936, Diplôme pourCompiègne, CartuL de Saint-
Corneille, p. 36). — Dudon de Saint-Quentin appelle le même
prince : « Totius regni dux etprinceps » (éd. Jiair, p. 192).
574 APPENDICE.
Pages 238-239. — Cf., pour les prétentions de faire du sacre
une coDdition du pouvoir temporel, un passage de la vie de
saint Oury. Saint Pierre apparaît au saint, lui montre deux
épées dont Tune est dépourvue de poignée, et le charge de rap-
porter ces paroles au roi Henri l'Oiseleur : « Die régi Henrico,
ille ensis qui est sinecapuIo,signiGcalregem qui sine benedic-
tione pontifical! regnum tenebit; capulatus autem, qui bene-
dictione divina regni tenebit gubernacula » {Vita S. Udalrici
al. 12, Mabillon, SB. V, p. 425).
Page 252, note 2. — Sur la nécessité du consentement royal
pour la tenue d'un concile, voyez la lettre du pape Etienne IX
à Tarchevêque de Reims Gervais (7^"-8^ 1057, Jaflfé, n. 4372,
H. F. XI, 492 A) : « De concilio Remis habendo quid aliud
dicendum, nisi quod beatae memoriae Victor Dei judicio hinc
est raptus, et quod tu, sicut inler vos {nos d'après JafTé) con-
venit, non remandasti an in hoc esset régis consensus ».
Page 273. — L*appel des notes est défectueux ; il doit être
rectiOé ainsi :
') après « compréhensive » (1'® ligne), *) après « dons », ')
après « guerre ». Supprimer le chiffre ') après « roi » (4« ligne).
Page 34 â. — Voyez pour les rapports que, malgré son excom-
munication, Philippe I a entretenus avec le clergé français en
1095, la Translation de sainte Hélène par l'abbé d'Hautvilliers
Notcher: » Quoniam pro negotiis regni statuendis.., occursuri
erant (l'arch. de Reims, les évoques de Soissons, Térouanne^
Amiens) glorioso régi Philippo cum aliis Galliarum coepisco-
pis in vico SuessionicsB sedi subjecto, qui vocatur Mons Sanc-
tae Mariœ, placuit ut tantœ rei consensus in conspectu régis
et procerum ejus deferretur etediclo ipsius sive omnium auli-
corum el episcoporum qui venturi ibi erant autbentica confîr-
matione corroboraretur (la reconnaissance de l'authenticité des
reliques de sainte Hélène) ; quod ita et l'actum est. Divina enim
dispositione credimus contigissé, quod ibi totius GaUiœ majores
metropolitœ affxLerunt, scilicet domnus noster Raginoldus, Re-
mensis archiepiscopus, et Rodulfus Turonensis archiep. et Ri-
carius Senonensis archiep. singuli cum aliquantis suœ dioece-
seos suffraganeis et abbatibuselc. » (Mabillon SB. IV, 2, 154-5).
APPENDICE. 575
Page 360. — La note qui porte le chiffre *) n'est que la suite
de la note '. — La note ^ a été omise; c*est un simple renvoi
aux pages 364 suiv.
Page 392, note 2, au lieu de 211, lisez 212.
Page 47 8 y note 3. — Les paysans sont requis par bau pour
le service de Tost royal (défrichement, ravitaillement, etc.).
Cf. Ogier, v. 6135 suiv. :
n Dont fu li bans par tote l'ost criés
Que li bois soit et tranchiés et copés
Dont véissiés ces vilains aroter
A lors granshaces ces alnois essarter. »
V. 8122 suiv. :
n Par le païs a fait li rois bucier
Que à i*ost viegne qi voira gaagnier.
Gart n*i remaigne vilain ne manovrier. »
Pages 484-82, — La distinction entre Tost levé pour la dé-
fense du pays et la simple expédition peut se suivre jusque
dans les coutumes du xv« siècle. Voyez, par exemple, les
(( Coustumes d'Anjou et du Maine selon les rubriches de Code »
(U37) (Beauteraps-Beaupré,II, p. 561) : <« 11 a différence entre
houst et chevauchée : car houst est pour deffendre le pais, qui
est pour le prouffit commun ; et chevauchée est pour deffendre
son seigneur. »
Page 484, note 3. — Ajoutez ce passage de la Vita Herluini :
« ad potentise suse ostentatum per nuncios eis non prope
diem belli, sed per plures an te dies id se facturum, et quando,
transmisit » (Mabillon, SB. VI, 2, 343.
Page 483. — Quand, à la bataille de Val-des-Dunes, le roi de
France, Henri I, est renversé de cheval, sa maisnie accourt et
tue son agresseur : « Haimo (Haimon-aux-Dents, seigneur de
Torigny, etc.), in aciecsesus; cujus insignis violentia laudatur,
quod ipsum regem equo dejecerat : quare a concurrentibus
stipatorilnis interemptus » (Guillaume de Malmesbury, H. F.
XI, 178, A-B).
576 APPENDICE.
Page A90. — Aux églises devenues propriétés privées appen-
daieut, comme aux châteaux forts, des villœ, des droits doma-
niaux ou seigneuriaux, que les chartes appellent: a appendiçia
quae ad illam ecclesiam respiciunt ». Nous les rencontrerons
en traitant de l'Église.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Introduction 1
Bibliographie complémentaire des sonrces manascrites
et imprimées.
10 Cartulaires et polyptyques 43
2'' Collections de documents imprimés 16
30 Vies des saints^ translations et miracles 18
4° Biographies 42
5° Chroniques (par régions) 43
6° Lettres, sermons et opuscules 48
LIVRE QUATRIÈME
La renaissance de l'État.
Vue d'ensemble 53
PREMIÈRE PARTIE
LES BASES ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L'ÉTAT
§ I. Les bases de FÉtot.
Chapitre I. Que la base essentielle de l'État est la foi lige
naturelle 55
Chapitre II. Le rôle du bénéfice dans TÉtat 67
I. La largesse et Vhonneur 67
II. La lente formation de i*élat féodal 75
F. —Tome III. 37
578 Table dbs matières.
PageL
Chapitre III. Que les progrès de Torganisation féodale derËtat
sont en raison directe de rhomogénéité poli-
tique et de la force du pouvoir 87
Appendice. — Le fief languedocien de 900 à 4074 94
§ II. Les éléments constitutifs de l'État.
Chapitre I. Que le groupement territorial est clairsemé et se-
condaire 99
Chapitre II. La seigneurie personnelle 119
Chapitre III. Les groupements fondamentaux 127
I. Le groupement ethnique 127
II. Le groupement familial, 133
III. Le groupement domanial 137
IV. Le groupement religieux 141
DEUXIÈME PARTIE
LES ORGANES GOUVERNEMENTAUX
§ 1. Le gouvemement laïqae.
I. La royauté et le principat.
Chapitre I. Aspect général 143
Chapitre II. La théorie historique léguée par les feudistes. . . 147
Chapitre III. Qu'aux quatre groupements fondamentaux de
l'État correspondent quatre caractères distincts
de la royauté et du principat 151
II. La royauté.
Chapitre I. Les destinées du droit royal de Louis le Débon-
naire à Hugues Capet 155
§ i. La suprématie franque et la préémin^ce carolin-
gienne 157
§ 2. L'unité du Regnum Francorum et la prééminence im-
périale 163
§ 3. Les royautés nouvelles et le droit royal carolingien . . 173
\° La royauté de Bourgogne et de Provence 175
2** La royauté de Bourgogne transjurane 179
3° La royauté d'Italie 183
4° La royauté neustrienne 184
§ 4. La royauté de Germanie et la prééminence franque
et carolingienne 187
§ 5. L'avènement de la dynastie capétienne et la transmis-
sion de la prééminence franque 199
TABLE DES MATIERES. 579
PagsB.
Chapitre IL Les quatre faces de ;la royauté 209
8 1 . La prééminence sur les princes de la Gaule 209
§ 2. La souveraineté sur les princes de la Prancie 243
§ 3« Le pouvoir royal sur le peuple et sur les seigneurs
indépendants, soit de la Gaule^ soit de la Francie.. 224
§ 4. Le caractère sacré de la royauté et le pouvoir sur
l'Église 235
I. Le caractère sacré de la royauté 236
IL Le pouvoir sur TÉglise et sur le clergé 242
1® Le pouvoir général du roi sur TÉglise, le clergé
et les fidèles 243
2° Les pouvoirs particuliers du roi sur le clergé.. 258
1° Tuitio ou garde et immunité 259
2*» Droit d'élection aux évôchés et aux abbayes
ou chapitres 276
Chapitre III. L'indépendance de la couronne 285
§ 1. La royauté et le saint Empire romain 287
§ 2. La royauté et le Saint-Siège 295
Chapitre IV. Les prérogatives et les attributs de la royauté. . . 3i7
% i. Les prérogatives 317
§ 2. Le pouvoir législatif 329
§ 3. Le pouvoir exécutif et le pouvoir d'imposer. — Le
ban royal 339
§ 4. Le pouvoir judiciaire 356
/. Théorie du pouvoir royal 358
IL Survivance de la justice palatine 363
I. Le ressort de justice 364
4. La compétence générale 370
2. La juridiction spéciale 370
3. Les degrés de juridiction. — Appel de dé-
faute de droit et appel de faux jugement. 372
4. L'appel d'équité et l'arbitrage 376
II. Le plaid royal 378
4. La procédure privilégiée. — L'enquête... 378
2. Le caractère définitif de la sentence 384
3. La mainmise du roi 85
Chapitre V. Les « compagnons en la majesté royale » 387
§ 1. La famille du roi et la transmission de la couronne. 389
I. La transmission de la couronne 389
II. Le roi désigné 395
III. Les princes du sang 401
IV. La reine 405
S80
TAflLIt UrK IIATlfcUBa.
4 2, La pairie priMiaért, . . 41]
I %, Lspr^^bkmB <k Coriginc de§ pttirf d kH
CiiAfJTitti VL Les organes et les moyôti^ d'ciclioii fié (a royttil^ i20
§ t . ta Qùur du rùi tt ks grands ûffiekn Ûê h c^mrmme, 4iO
I * l-rt^i iioy r ]>li'' ni ^iv .*...,..,,,,.....,.,,,,..>.. Ma
IL Lu «our rt'striîmttî tm graïuJ coiiWiiL^ . ^ . î
HL La rutir ^hi |t.'tffi}s ._,....,,,.,, .* » . ^
iV. Lît g«t^ k fQurq«t»tt, »
V.LIlJ^h^ iice^. .- •
V Le etxnïtc du palaià ,».,.•*.•.♦ * , , ♦
2" Lit tihat»(!44k*rï»; «I k eliapwtle da roi, . . ^
%fy he *t\mmUni*r» .»..,.•* , . • . .
4* Ltî fet'iiédial, *...,.*.**•*.****,*«.,. « "^
T*« Le tiouteilter el )i]j eoûnétAl>le. ....... W^»
g *i. L'of* (fu raî. ... « *,.,......,
I 3, te di>miiinff <!f k trt$ivr ou fistc du ro*,^,^ , ,
§ 4, Lm çffieitrii Iftcaux fi (r^ ttq^nU dmttanioMx
ÎÎL — Lf PWNCIFAT*
PremiÀf ff part iV. — La Mit.vcsie iimTouï^^ui: ihe« anA-Mow l'AltwapA^n
.^ L La Prancie ».. ^«6
\ , ben prmdpautét èaiqua . ♦ . * ?>(r:
CieAnTUK 1, Lit nmison de Vermaîidoia . » fi07
DiArïTBB ïi, Lw prindfwtt (k* Hlyi> r*l Champii^n**. , . - l'AA
CiiAHTHJS in* Le prineipai ^!u Vexin el du Vaïob. 53
CiîAPiTriK IV ^ Ln prmcipat d*; rAîijtiu ut du Mmiruv. ,. ^ ^'t
IL Les prindpautéÊ mûié$i<uttiqut^ S*j7
CiiAf'iTtiE Fn*AU Frande et Gaule, . favr^
ApPKNDiGE* — âdditiûns et rôctiiiciiuotis., riUj
TiAa-tinur. — t&^AXicâaia D^artAirr^Lj&aiiaiiR*.
LES ORIGINES
IU-:
L'ANCIENNE FRANCE
l'AK
JACQUliS FLACÎT
i'm»rK.«iM:i.h i.'iii.vfumr. ii:> L8'.-.i<i.ai :«■>■.-. ..••Ml•\a:•,l^ ai: r.ni.i.i:uK i»ié Fa\N.:i-
iMfiiK«4'i.i h \ i.'r..-.'»!.»: :ii> >ci! Ni'.K-» i-(ii.iii«,iL*i:s
X rr XI siKrj.Ks
lU
LA KHNAISSANCh 1>H L KTAT
LA ROYArTh in LH l'KlNCIPAT
PMUS
LinnAiini- [»i lv s-î-if.if: \)V \\\yn'.[\ i'.f:sL;\i. nr.s i";> \ i»r^ akiu rs
AlHi'-iii.*' M:ii.-.oU !.. I..\K()^«;i: .1 I-irlCA.I'l.
!.. LAUnSK, l)in'.-t«Mir «!<• la Lil»riiri#î
^VHIH
1 RUUE TRIIESIRIUU
■ DROIT CIVIL
^■^ (2* AJifiée 1003)
> ^^^^^^^^H
S
^M
^^^H
^^^Ê
^^H VM4>
,^^^^M
^H
^^^H
^^B Fri& dit l'ilicoutcinfit «uiiiicl ;
^^^1
^H flM-- .. , 211 tf
ffvx î^> <(^^H
U ,.c 21 •'
^^^H
1 » urdmetiL tl !
l^H
^ Ctuït^ Ht»>!nrfïï«lf*f' rf*fHvt»>}rt' *\n
IMnill frntr^fil^ ■^ 1 »t- v ?aiiU^^^B
^^1
j^l
^[
J^Ê
1 llml>
t^^^^^H
1
1 UvfiH publie» — 1'
fl
^^V
^^^^H
■ Wuli
■ II.
'^^H
1 NofJ^
.^^1
■ fifi'.
'^^^^^^1
■ %^'Xk i
^^^^^^1
^^^^^^h ^ ^^^^^1