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Full text of "Les origines de l'ancienne France"

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LES  ORIGINES 


L'ANCIENNE    FRANCE 


LES  ORIGINES  DE  L'ANCIENNE  FRANGE 


X«    ET    XI»    SIÈCLES 


Tome  I. 
Le  régime  seigneurial,  Paris,  1886 lOf  » 

Tome  II. 

Les  origines  commonales.  La  féodalité  et  la  chevalerie, 
Paris,  1893 10    » 

Tome  III. 

La  renaissance  de  TÉtat.  La  Royauté  et  le  Principat,  Paris, 
1904 10    » 

Volumes  complémentaires. 

Études  critiques  sur  rhistoire  du  droit  romain  au  moyen 
âge  avec  textes  inédits,  Paris,  1890.  8    » 


L'origine  historique  de  l'habitation  et  des  lieux  habités 
en  France,  Paris,  1899.  [Épuisé) 10    » 


7  y  V,  ù  [ 


LES  ORIGINES 

DE 


L'ANCIENNE  FRANCE 


PAR 


JACQUES  FLACH 

PH0PC8SBUR   d'hISTOIRB  DBS  LÊQISLATiONS  COMPARÉES  AU  COLLàOB  DB  FRANCE 
PR0FB8SBUR  A  L^ÉCOLB  DBS  SCIENCES  POLITIQOBS 


X-  ET  XP  SIÈCLES 

III 


LA    RENAISSANCE    DE   l'ÉTAT 
LA     ROYAUTÉ     ET     LE     PRINCIPAT 


PARIS 

LIBRAIRIE  DE  LA  SOGIËTÊ  DU  RECUEIL  GÉNÉRAL  DES  LOIS  &  DES  ARRÊTS 

FONDÉ   PAR  J.-B.   SIREY,  ET  DU  JOURNAL  DU  PALAIS 

Ajioienne    IMaison    Xj.    ]LiA.flOSJB:    et    FORCiSl^ 

22,  rue  Souffloty  5«  arrand. 

L.  LAROSE,  Directeur  de  la  Librairie 
1904 


Mon  intention  première  était  de  réunir  en  un  i;o- 
lumen  la  Royauté,  le  Principat  et  fEfflise  ».  Mais  j'ai 
dû  reconnaître,  au  cours  de  r impression,  que  ses  pro- 
portions eussent  dépassé  de  beaucoup  celles  dont,  en 
France,  nous  sommes  coulumiers. 

Le  présent  volume  est  donc  consacré,  en  majeure 
partie,  à  la  royauté  et  à  ses  rapports  généraux  avec  le 
principat,  le  peuple  et  r Eglise,  Il  s'ouvre  par  une  vue 
d'ensemble  de  la  renaissance  de  l'Etat  et  se  ferme 
par  un  tableau  de  la  formation  des  grandes  princi- 
pautés de  la  Francie,  Les  principautés  du  surplus  de 
la  Gaule  feront,  dans  le  volume  suivant,  l'objet  d'une 
étude  analogue,  en  même  temps  que  le  principat  y  sera 
décrit  sous  ses  multiples  aspects,  politiques  et  sociaux. 
A  côté  de  lui  prendront  place  la  noblesse  et  l'Eglise. 

L'impression,  par  des  circonstances  diverses,  ayant 
duré  exactement  deux  ans^,  des  documents  ont  été 
édités  ou  sont  parvenus  à  ma  connaissance  qui  ne 

*  Mon  savant  collègue  et  ami  M,  Auguste  Longnon  a  eu  l'obli- 
geance, dont  je  le  remercie ^  de  revoir  une  partie  des  épreuves. 


—      VJII      — 


figurent  pas  dans  la  «  Bibliographie  des  Sources  ». 
V excellent  manuel  de  M.  A  ugusie  Molinier  (  Les  Sour- 
ces de  r histoire  de  France)^  paru  dans  l'intervalle^  m'a 
fourni  aussi,  pour  les  Vies  des  Saints,  quelques  indi- 
cations utiles.  Le  lecteur  trouvera  le  tout  en  appen- 
dice. 

Rectifications  de  détail  et  critiques  basées  sur  les 
sources  originales  me  seront  toujours  les  bienvenues. 
Je  n'ai  souci  que  de  la  vérité. 

Aux  Fougères,  octobre  Î903. 


■>-»■«<■ 


INTRODUCTION 


I.  —  L'intervalle  qui  sépare  ce  volume  du  précédent 
est  plus  long  que  je  n'avais  pu  le  prévoir.  Il  tient  à 
des  causes  diverses,  dont  la  plupart  doivent  profiter, 
je  le  crois,  à  mon  ouvrage. 

Je  me  suis  livré  à  une  exploration  nouvelle  et  plus 
étendue  des  documents  originaux,  des  chartes,  des 
textes  juridiques,  des  chroniques  les  plus  anciennes,  des 
œuvres  littéraires.  Les  Vies  des  Saints  surtout  m'ont 
retenu  longtemps.  J'ai  voulu  dépouiller,  —  tâche  qui 
n'avait  jamais  été  entreprise,  —  toutes  celles  dont  la 
rédaction  se  place  au  x%  au  xi*  et  au  commencement 
du  XII'  siècle,  afin  d'en  extraire  les  détails  qu'elles  recè- 
lent sur  les  mœurs,  la  pratique  du  droit,  les  institu- 
tions, la  vie  sociale  de  cette  époque.  On  trouvera  plus 
loin  la  nomenclature  que  j'en  ai  dressée. 

Les  dimensions  de  mon  livre  s'en  sont  ressenties.  Un 
volume  n'a  pas  suffi  pour  épuiser  la  période  qu'il  em- 

r.- Tome  III.  1 


2  INTRODUCTION. 

brasse.  J'ai  dû  ea  écrire  deux,  qui  paraîtront,  j'en  ai 
l'espoir,  à  brève  distance  l'un  de  l'autre. 

A  ces  motifs  sont  venus  s'ajouter  les  impérieux  devoirs 
du  professorat.  Dans  l'immense  champ  d'études  qui,  au 
Collège  de  France,  m'est  départi,  j'ai  abordé  des  sujets 
scientifiques  dont  ce  livre  bénéficiera  :  une  histoire  de 
la  condition  de  la  femme,  des  investigations,  méthodi- 
quement poursuivies,  sur  les  institutions  primitives  de& 
divers  peuples  du  globe.  Par  là,  je  crois  avoir  acquis 
une  intelligence  plus  sûre  des  conditions  où  une 
société  humaine  se  trouve  placée  quand  elle  subit  une 
rénovation  aussi  profonde  que  celle  desx*  etxi"  siècles. 
J'ai  été  confirmé  dans  mes  vues  sur  le  facteur  essentiel 
de  cette  rénovation,  de  même  que  mon  opinion  sur  la 
féodalité  originaire  est  sortie  fortifiée  du  dépouillement 
méthodique  des  Vies  des  Saints  et  des  chroniques.  La 
structure  du  livre  y  a  gagné  en  solidité. 

II.  —  J'avais  pris  pour  pierre  angulaire  la  protec- 
tion^  Je  la  considère  toujours  comme  la  base  essen- 
tielle de  toute  société  en  voie  de  formation  ou  en  voie 
de  reconstitution.  Au  fond  elle  se  ramène  à  une  garantie 
des  conditions  nécessaires  de  la  vie,  qui  peut  être  réa- 
lisée ou  par  la  sauvegarde  d'un  plus  fort  ou  par  l'assis- 
tance collective  d'égaux. 

Ainsi  l'idée  de  protection  se  trouve  inséparable  de 
l'idée  d'association,  de  fraternité  et  de  compagnonnage, 
de  clan  et  de  famille  primitive.  S'il  est  vrai,  comme  vient 
de  le  dire  excellemment  M.  Tarde,  que  «  la difi^érence  des 

*  Voir  T.  I,  Livre  I.  De  la  protection  et  de  son  rôle. 


INTRODUCTION.  Ô 

forts  et  des  faibles  aura  toujours  pour  conséquence,  en 
vertu  de  la  sympathie  humaine,  le  désir  et  le  plaisir  de 
protéger  et  de  diriger,  le  désir  et  le  plaisir  d'être  protégé 
et  dirigé*  »  qui  ne  voit  que  ces  deux  sentiments  se 
confondent  dans  la  même  personne,  tour  à  tour  protec- 
trice et  protégée,  quand  Tassistance  est  mutuelle  entre 
égaux  et  quand,  par  la  réciprocité  du  service,  le  chef 
lui-même  devient  un  pair. 

Tel  est  le  lien  profond  qui  unit  les  deux  premiers 
volumes  de  cet  ouvrage,  Tun  où  la  force  protectrice  est 
étudiée  dans  l'insuffisance  et  l'excès  de  son  action 
individuelle,  alors  que  s'épanouit  le  régime  seigneurial, 
l'autre  où  elle  apparaît  dans  la  puissance  régénératrice 
de  son  action  collective,  sous  les  formes  principales  du 
clan  féodal  et  de  la  commune.  C'est  le  même  lien  encore 
qui  rattache  ce  volume  aux  deux  précédents. 

III.  —  Le  clan  féodal,  nous  l'avons  vu,  est  une  famille 
étendue,  issue  de  l'organisation  familiale  des  Germains 
et  du  patronage  Gallo-Romain.  Sur  cette  double  base 
aussi  se  sont  constitués  la  royauté  et  le  principat. 
L'Église  est  venue  s'y  adjoindre,  comme  organe  poli- 
tique, et  concourir  avec  eux  à  la  renaissance  de  l'État. 
De  même  donc  que  nous  avons  étudié  le  jeu  simultané 
du  besoin  de  protection  et  de  l'esprit  d'association  ou 
de  compagnonnage  dans  le  régime  communal,  la  féoda- 
lité et  la  chevalerie,  de  même  devons-nous  observer 

*  Tarde,  Les  transformations  du  pouvoir  (Paris,  1897),  p.  24.  — 
«  Pour  la  plupart  des  hommes,  remarque-t-il  encore  (p.  25),  il  y  a  une 
douceur  irrésistible  inhérente  à  l'obéissance,  à  la  crédulité,  à  la  com- 
plaisance quasi-amoureuse  d'un  maître  admiré.  » 


4  INTRODUCTION. 

l'action  de  ces  principes  sociaux  au  sein  de  la  royauté, 
du  principat  et  de  TÉglise,  qu'ils  ont  vivifiés,  conso- 
lidés, transformés  ou  hiérarchisés. 

Mais  ici  intervient  un  élément  dont  le  rôle  fut 
d*autant  plus  grand  qu'il  satisfaisait  une  plus  impérieuse 
et  plus  ardente  soif  d'ordre,  de  stabilité  et  d'harmonie  : 
la  tradition.  Elle  fit  la  force  morale  de  la  royauté  et 
du  principat  à  l'encontre  du  groupement  féodal,  dé- 
pourvu de  centre  de  gravité,  jouet  des  passions  indi- 
viduelles. Elle  légitima  leur  esprit  de  domination, 
alors  que  la  féodalité  se  condamnait  et  se  dévorait 
par  les  excès  du  sien.  Les  conquêtes  du  prince  et  du 
roi  se  solidifièrent  en  s'accroissant  ;  les  conquêtes  des 
petits  seigneurs  féodaux,  en  se  multipliant,  se  neutrali- 
sèrent. 

IV.  —  J'espère  avoir,  dans  ce  volume,  jeté  un  jour 
nouveau  sur  la  royauté,  le  principat  et  la  noblesse, 
comme  je  crois  l'avoir  fait  précédemment  pour  la 
féodalité  considérée  en  soi. 

Ici,  comme  là,  la  reconstitution  de  la  société,  après 
la  chute  de  l'empire  carolingien,  a  été  présentée  d'or- 
dinaire sous  un  aspect  qui  anticipe  de  plusieurs  siè- 
cles sur  la  réalité,  par  la  raison  qu'on  a  commencé 
à  la  décrire  et  à  en  retracer  l'histoire  quand  elle  était 
un  fait  accompli,  quand  étaient  constitués  solidement 
le  royaume  de  France  et  les  grands  fiefs.  Si  l'on  a  pu 
croire  que  la  féodalité  était  née  dès  la  fin  du  ix*  siè- 
cle et  qu'elle  était,  dès  le  principe,  territoriale,  on 
a  cru  de  même  que  les  premiers  Capétiens  étaient  des 
rois  territoriaux,  les  duchés  et  comtés  des  circonscrip- 


INTRODUCTION.  5 

tiens  géographiques  aux  limites  précises,  la  noblesse 
une  caste  terrienne. 

Ce  n'est  que  dans  ces  dernières  années  que  la  fragi- 
lité de  cette  conception  a  été  reconnue  par  des  esprits 
d'élite.  Un  historien  de  la  plus  haute  valeur,  M.  Lu- 
chaire,  n'est  plus  loin  aujourd'hui  d'accepter  naa  thèse 
que  la  féodalité  foncière  et  territoriale  ne  s'est  trouvée 
constituée  que  près  de  trois  cents  ans  plus  tard  qu'on 
ne  l'avait  toujours  admis*,  et  si  je  dois  beaucoup,  dans 
le  présent  volume,  à  l'admirable  livre  de  M.  Pfister 
sur  le  règne  de  Robert  le  Pieux,  je  suis  d'autant  plus 
heureux  de  l'adhésion  très  étendue  que,  dans  la  criti- 
que de  mon  ouvrage,  il  avait  donnée  à  mes  conclu- 
sions '. 

Stendhal,  à  propos  des  origines  de  l'architecture 
romane,  a  remarqué  qu'au  x*  siècle  on  n'avait  souci 
que  de  l'heure  présente  et  pour  ce  motif,  ne  construi- 
sait qu'en  bois,  tandis  qu'au  siècle  suivant  les  édi- 
fices de  pierre  surgirent  de  toute  part*.  C'est  une 
image  assez  exacte  de  la  profonde  différence  qui  sé- 
pare la  féodalité  du  x*  et  en  partie  du  xi*  siècle  de 
celle  du  xn*.  Précaire,  bénéfice,  fief  furent  tout  d'a- 
bord des  constructions  hâtives,  élevées  au  jour  le  jour, 

*  Lire  le  chapitre  L'évolution  générale  de  la  féodalité  et  des  gran- 
des seigneuries  (Histoire  de  France  publiée  sous  la  direction  de  M. 
Lavisse  (Paris,  1901),  T.  II,  p.  283  etsuiv. 

«  Revue  historique,  T.  LUI,  357  et  suiv. 

3  «  Au  milieu  de  l'effroyable  désordre  et  du  malheur  général,  les 
hommes  en  vinrent  à  ne  plus  songer  qu'au  moment  présent,  toute 
idée  d'avenir  autre  que  celle  du  paradis  s'éteignit  dans  les  cœurs.  On 
ne  construisit  plus  que  de  misérables  maisons  en  bois  pour  se  mettre 
à  l'abri  de  la  pluie  et  du  froid,  et  au  !•  siècle  il  n'y  eut  plus  d'archi- 
tecture ».  (Mémoires  d^un  touriste,  t.  I,  p.  231). 


6  INTRODUCTION. 

sans  cesse  détruites  ou  démolies  et  refaites  avec  des 
matériaux  sommaires,  abritant  tout  au  plus  une,  deux 
ou  trois  générations.  Elles  sont  de  bois;  au  xn*  siècle 
elles  seront  de  granit,  et  dureront  alors,  jusqu'à  la 
Révolution,  qui  les  jettera  à  bas,  le  jour  même  où  elle 
s'attaquera  aux  églises  romanes  ou  gothiques.  Ce  n'est 
point  à  dire  qu'il  n'y  ait  eu  dès  le  x*  siècle  des  tentati- 
ves isolées  d'institutions  durables,  aussi  bien  qu'on 
éleva  dès  alors  quelques  maisons  de  pierre,  mais,  faute 
d'avoir  mesuré  exactement  leur  importance  et  leur  por- 
tée, l'origine  de  nos  institutions  a  été  éclairée  d'une 
lumière  artificielle. 

V.  —  Par  l'exagération  de  l'idée  féodale  et  son  recul 
arbitraire  dans  le  passé,  royauté,  principat,  noblesse, 
l'Eglise  elle-même  ont  pris  une  figure  de  convention. 
La  royauté  des  x*  et  xi*  siècles  est  apparue  comme  une 
royauté  féodale,  les  principautés  comme  des  grands 
fiefs  de  la  couronne,  la  noblesse  à  la  fois  comme  un 
rouage  monarchique  et  un  produit  direct,  nécessaire, 
connexe  du  fief,  la  papauté  comme  une  suzeraineté 
féodale  sur  les  royaumes  chrétiens.  Rien  n'était  plus 
logique,  rien  ne  coulait  mieux  de  source.  N'est-ce 
pas  précisément  parce  que  les  feudistes  ne  concevaient 
qu'un  roi  souverain  fieffeux  du  royaume,  placé  au  faîte . 
d'une  hiérarchie  savamment  échafaudée,  qu'ils  ont  fait 
sortir  la  féodalité  de  concessions  bénéficiaires  octroyées 
par  le  trône,  et  lui  ont  assigné  pour  date  de  naissance 
la  transformation  par  un  acte  souverain,  le  capitulaire 
de  Kiersy,  des  bénéfices  viagers  en  bénéfices  hérédi- 
taires? Pour  s'être  imaginé  que  la  féodalité  s'était  for- 


INTRODUCTION.  7 

mée  directement  par  en  haut,  pour  ne  s'être  pas  aperçu 
qu'elle  était  le  fruit  d'une  élaboration  plusieurs  fois 
séculaire,  qui  avait  eu  son  point  de  départ  dans  les  con- 
trats les  plus  vulgaires  ou  les  plus  humbles  et  son  point 
d'arrivée  dans  le  grand  fief  royal,  ils  ne  pouvaient  voir 
dans  les  principes  que  des  grands  vassaux,  dans  Hu- 
gues Gapet  qu'un  suzerain  féodal. 

VI.  —  En  même  temps  qu'ils  outraient  à  l'extrême 
l'idée  féodale,  les  anciens  historiens  subissaient  l'ir- 
résistible influence  de  l'idée  unitaire.  Elle  avait  triom- 
phé avec  la  monarchie  française  de  leur  temps,  elle 
les  fascina.  Ils  transposèrent  dans  le  haut  moyen  âge 
les  résultats  d'une  longue  évolution  centraliste,  ils 
firent  entrer  de  force  dans  le  cadre  artificiel  de  la 
royauté  les  institutions  autonomes  et  autochtones  de 
la  vieille  France. 

Cette  seconde  déviation  nous  a  donné  une  histoire 
nationale  factice,  qui^  avant  le  xv*  siècle  surtout,  am- 
plifie l'action  directe  de  la  couronne  et  en  étriqué  le 
principe,  qui  rapetisse  la  royauté  aux  proportions  d'un 
fief  et  lui  fait  construire,  de  toutes  pièces,  un  édifice 
dont  en  réalité  les  parties  essentielles  sont  sorties  d'au- 
tres mains  que  des  siennes. 

L'idée  royale  nous  a  hypnotisé  comme  l'idée  féo- 
dale. La  royauté  a  supplanté  le  principat  et  la  seigneu- 
rie dans  nos  histoires,  comme,  au  cours  des  siècles,  elle 
les  avait  assujettis  dans  les  faits.  Nous  avons  centra- 
lisé l'histoire,  il  faut  la  décentraliser^  dégager  notam- 

*  De  toutes  nos  histoires  générales,  celle  que  M.  Luchaire,  vient 


8  INTRODUCTION. 

ment  l'histoire  de  nos  institutions  des  moules  étroits  et 
sacro-saints  où  Ton  a  cru  trop  longtemps  qu'elles  avaient 
été  coulées  par  la  volonté  créatrice  de  nos  rois,  tandis 
qu'elles  s'étaient  formées  lentement,  graduellement,  par 
l'épanouissement  de  leur  vie  interne  et  sous  l'action  du 
milieu  ambiantV 

VIL  —  C'est  en  eux-mêmes  et  comme  de  véritables 
unités  qu'il  convient  d'étudier  les  organismes  indépen- 
dants de  la  Gaule,  ses  groupes  de  population  distincts  de 
mœurs  et  de  coutumes,  de  sentiments  et  d'intérêts, 
gouvernés  par  des  chefs  de  familles  princières  ou  sei- 
gneuriales, qui  opéraient  à  leur  égard  le  même  travail 
d'unification  que  la  royauté  devait  réaliser  un  jour  pour 
l'ensemble  du  pays.  De  la  sorte  on  ne  suivra  pas  seule- 
ment les  phases  d'une  politique  plus  ou  moins  heureuse, 
on  ne  jugera  pas  seulement  l'habileté  ou  la  faiblesse  des 
rois  et  de  leurs  ministres,  on  ne  se  contentera  pas  de 
rechercher  la  part  de  la  royauté  dans  l'œuvre  d'unifi- 
cation nationale,  mais  on  verra  s'accomplir  cette  œuvre 
elle-même  sous  l'empire  des  forces  ou  des  lois  qui 
président  à  l'enfantement  et  à  la  vie  des  États. 

Et  qu'on  n'objecte  pas  que  nous  possédons  des  his- 

de  nous  donner  pour  la  période  du  x«  au  xiii*  siècle,  est  la  première 
qui  entre  nettement  et  résolument  dans  cette  voie  nouvelle. 

*  Tant  qu'elles  évoluent  librement,  à  la  bonne  franquette,  les 
institutions  ne  revêtent  pas  des  formes  arrêtées,  ne  se  soumettent  pas 
à  des  règles  rigoureuses,  ne  se  coordonnent  pas  en  système  juridique. 
L'intervention  du  jurisconsulte  ou  du  législateur  leur  est  pour  cela 
nécessaire.  Elles  ressemblent  aux  langues  dans  leur  période  de  forma- 
tion populaire  et  spontanée,  avant  qu'elles  aient  été  étriquées  et  com- 
passées par  des  littérateurs  et  par  des  grammairiens.  Qu'on  compare 
la  langue  russe  à  la  langue  française  et  même  à  l'allemande. 


INTRODUCTION.  9 

toires  provinciales.  Certes  nous  en  avons,  et  beaucoup 
d*entre  elles  seront  toujours  utilisées  avec  fruit,  mais 
les  meilleures  pèchent  par  le  vice  radical  que  je  repro- 
che aux  histoires  générales.  Gomme  elles  sont  posté- 
rieures à  l'établissement  de  la  monarchie  absolue  en 
France,  elles  reposent  toutes  sur  cette  thèse,  implicite  ou 
expresse,  que  les  institutions  autonomes  se  sont  créées 
en  violation  des  droits  de  la  couronne,  et  que  celle-ci  n'a 
cessé  de  reconquérir  pas  à  pas  son  bien  et  son  dû.  Si 
excellents  érudits  que  fussent  leurs  auteurs,  ils  n'ont  pas 
su  prendre  pour  assise  l'unité  organique  du  groupe 
régional. 

Ces  groupes,  du  reste,  non  seulement  s'étaient  mode- 
lés sur  la  famille  et  le  clan,  mais  ils  avaient  été  en  partie 
constitués  par  eux,  et  furent  régis,  dominés,  par  des 
famillesseigneuriales  dont  l'existence,  le  développement, 
les  destinées  firent  corps  avec  les  leurs.  Pour  pénétrer 
Thistoire  des  petites  patries  dont  la  juxtaposition,  puis 
la  fusion,  ont  fait  la  France,  c'est  donc  l'histoire  aussi 
des  grandes  familles  qu'il  faut  restituer,  l'histoire  de 
lignages,  des  gestes  dont  nos  vieux  poèmes  héroïques 
ont  si  légitimement  pris  leur  nom. 

VIII.  —  Nous  essaierons,  pour  notre  part,  dans  ce 
volume  et  dans  le  suivant,  ainsi  que  nous  l'avons  tenté 
dans  les  deux  premiers,  de  faire  revivre  la  société  tout 
entière  du  x*  et  du  xi*  siècle,  de  cette  époque  qui  fut  le 
tombeau  de  la  monarchie  franque  et  le  berceau  de 
la  monarchie  française*. 

'    C'est   la   période   qu'en   1885^  M.  Gabriel  Monod   qualifiait   : 


10  INTRODUCTION. 

Les  siècles  d'ordinaire  ne  fournissent  que  des  cadres 
artificiels;  ici  c'est  à  des  cadres  naturels  que  nous 
avons  affaire.  Ce  sont  de  tels  cadres  que  l'histoire  des 
institutions  me  paraît  exiger  impérieusement.  Peut- 
ôtre  nos  historiens  du  droit  ne  s'en  sont-ils  pas  préoc- 
cupés assez.  Ils  étudient  successivement  et  par  grou- 
pes, les  institutions  mérovingiennes  et  carolingiennes, 
féodales  et  royales.  La  féodalité  apparaît  ainsi  comme 
un  bloc  compact,  la  monarchie  comme  un  autre  et 
l'on  se  meut  dans  de  trop  grandes 'divisions  chronologi- 
ques aux  limites  flottantes. 

L'histoire  offre  à  mes  yeux  des  divisions  plus  natu- 
relles et  plus  rigoureuses.  Je  suis  convaincu  qu'à  l'é- 
poque franque  a  succédé  une  époque  nouvelle  que  ne 
caractérisent  ni  la  féodalité  terrienne  ni  la  royauté  tra- 
ditionnelle. Je  proposerais  de  l'appeler  Vépoque  du 
principal^  puisque  le  mot  princeps  était  synonyme  de 
chef  et  désignait  à  la  fois  le  seigneur,  le  dynaste  et 
le  roi*.  Elle  comprend  deux  périodes  : 

V  \]{\epé?*iode  dissolutive  (887-987)  — de  l'avène- 
ment, par  la  mort  de  Charles  le  Gros,  de  nombreux 
reguli  (parmi  lesquels  Eudes)  jusqu'à  l'avènement  de 
Hugues  Gapet. 

2**  Une  période  préorganique  (987-1099)  *  —  de  l'a- 
vènement de  Hugues  Gapet  jusqu'à  la  prise  de  Jéru- 


«  la  plus  importante  peut-être  de  notre  histoire,  puisqu'elle  contient 
le  secret  de  nos  origines  nationales,  et  malheureusement  aussi  la  plus 
obscure  »  (Revue  historique,  juillet-août,  1885,  p.  241). 

*  Voyez  T.  r  p.  165  suiv.  et  infrà  le  chapitre  du  Principal, 

*  Je  l'appelle  préorganique  par  rapport  à  la  Renaissance  du  xii* 
siècle. 


INTRODUCTION.  H 

salem  par  les  croisés,  et  à  l'avènement  de  fait  du 
prince  Louis,  le  futur  Louis  VL 

C'est  cette  époque  que  nous  étudions  dans  le  présent 
ouvrage.  J'ai  tenu,  au  point  où  nous  sommes  arrivés, 
à  en  préciser  mieux  les  limites  et  à  fixer  nettement  le 
sens  où  doivent  être  entendus  les  mots  x**  et  xi*  siècles 
dont  je  me  sers  couramment. 

IX.  —  En  poursuivant  notre  élude  nous  resterons 
fidèle  aux  règles  que,  dès  le  début,  nous  nous  sommes 
tracées  de  ne  recourir  qu'aux  sources  contemporaines^ 
d'éclairer  les  documents  à  leur  seule  lumière,  de  ra- 
nimer, à  l'instar  de  cendres  éteintes,  leurs  lettres  mor- 
tes, d'y  rallumer  le  souffle  de  vie  qui  faisait  éclore  la 
pensée  de  nos  ancêtres,  éclater  leur  passion,  s'entre- 
choquer leurs  intérêts,  qui  faisait  sourdre  les  institu- 
tions, les  coutumes  et  les  mœurs;  de  ne  pas  confondre 

•  Ai-je  besoin  de  rappeler  ce  que  je  disais  dans  Wnirodaciion  du 
t.  I  (p.  19),  que  j'ai  mis  à  profit  tous  les  travaux  d'érudition  qui 
^  m'ont  été  accessibles,  pour  parvenir  à  une  interprétation  plus  sûre 
des  documents,  mais  en  évitant,  autant  que  possible,  toute  contro- 
verse et  toute  polémique.  —  Les  Annales  des  rois  des  ixe  et  x*  siè- 
cles, entreprises  sous  la  direction  de  M.  Giry,  forment  aujourd'hui 
un  ensemble  imposant  d'excellents  travaux  :  Lot.  Les  derniers  Caro- 
lingiens (1891);  Favre,  Eudes  (1893)  ;  Eckel,  Charles  le  Simple  (1899)  ; 
Lauer,  Louis  IV  (1900);  Poupardin,  Le  royaume  de  Provence  (1901). 
Je  regrette  seulement  que  les  institutions  y  tiennent  une  si  faible 
place.  La  même  remarque  s'applique,  quoique  à  un  degré  un  peu 
moindre,  au  beau  livre  de  M.  Parisot^  Le  royaume  de  Lorraine  (1898). 
—  Les  institutions  sont  étudiées,  avec  autant  de  talent  que  d'érudi- 
tion, dans  les  grands  ouvrages  de  M.  Glasson  [Histoire  du  droit  et 
des  institutions  de  la  France,  t.  I-VII,  1887-1896)  et  de  M.  VioUet 
(Histoire  des  institutions  politiques  de  la  France,  t.  I-II,  1890-1898), 
mais  la  période  que  nous  étudions  s'y  trouve  fondue  et  absorbée 
dans  un  très  vaste  ensemble,  soit  politique  (le  régime  féodal),  soit 
chronologique  (le  moyen  âge). 


12  INTRODUCTION. 

le  silence  des  textes  avec  leur  pénurie  ou  leurs  lacu- 
nes, ni  de  vouloir  suppléer  à  ce  que  nous  ignorons  par 
la  connaissance  que  nous  avons  des  siècles  qui  ont 
précédé  et  suivi  ;  de  nous  affranchir  des  préjugés  que 
les  époques  postérieures  nous  ont  légués  et  de  recher- 
cher avec  une  entière  liberté  d'esprit  les  anneaux  de  la 
chaîne  mystérieuse  qui  relie  à  son  passé  et  à  son  ave- 
nir immédiats  l'organisation  sociale  que  l'étude  directe 
des  sources  permet  de  saisir  sur  le  vif*.  A  la  confiance 
que  j'ai  dans  la  sûreté  des  résultats  atteints  par  cette 
méthode  s'ajoute  pour  moi  la  conviction  profonde  que 
l'outil,  quelles  que  soient  les  imperfections  de  son  em- 
ploi, survivra  à  l'ouvrier  et  que,  s'imposant  de  plus  en 
plus  à  l'historien  moderne,  il  servira,  dans  toutes  les 
directions,  à  régénérer  l'histoire. 


*  Je  n'ai  pas  craint  de  raviver  par  une  traduction  littérale  des 
expressions  archaïques,  telles  que  foi  lige  natureUe,  nobilité,  princi- 
pat,  Francie.  Quand  on  veut  faire  revivre  une  période  précise  de  This- 
toire,  ce  sont  les  idées  et  les  termes  en  harmonie  rigoureuse  avec 
son  état  social  et  ses  institutions  qu'il  faut  remettre  en  lumière.  Au 
risque  de  déranger  des  habitudes  invétérées,  formules  et  cadres 
empruntés  à  des  temps  postérieurs  doivent  être  sacrifiés  résolument. 


BIBLIOGRAPHIE  COMPLÉMENTAIRE 


DKS 


SOURCES  MANUSCRITES    ET  IMPRIMÉES^ 


1°  CARTULAIRES  ET  POLYPTYQUES 

I.  Manuscrits. 

Arles  (archevêché).  Livre  vert  coté  F.  (282  chartes  de  920  à 
923).  Livre  rouge  coté  G.  (236  chartes  de  920  à  1285).  Au- 
thentique du  chap.  d*Arles  (Chartes  du  x®  et  xi^  siècle) 
(Archives  des  Bouches-du-Rhône*). 

Caen  (Saint-Étiennk),  abbaye.  Chartes  du  xi«  siècle.  Cop. 
Bibl.  nat.  MS.,  nouv.  acq.  lat.  1406. 

Chêzal-Bknoit  (Diocèse  de  Bourges,  abbaye).  Fragments  de 
l'ancien  cartulaire  et  transcription  de  chartes  originales 
(xi«  et  xu*»  siècle).  Bibl.  nat.  lat.  12744  (dom  Estiennot). 

*  Voici  les  principaux  sigles  que  j'emploie  :  HF.  =-  D.  Bouquet; 
HLF.  =  Histoire  littéraire  de  la  France;  Mab.  SB.  =  Mabillon,  Acta 
Sanctorum  ordinis  S.  Benedicti;  Bol.  AS.  =  Bollandus,  Acta  Sanc- 
torum  ;  SS  =  Monum.  Germaniee  Scriptores  ;  LL  =  Mon.  Germ.  Le- 
ges;  CT  •=  Collection  de  textes  pour  l'étude  et  l'enseignement  de 
l'histoire. 

*  Depuis  que  j'ai  visité  ces  archives,  l'auteur  d'une  remarquable 
histoire  constitutionnelle  de  la  Provence,  M.  Fritz  Kiener,  a  bien 
voulu  me  communiquer  des  copies  qu'il  avait  faites  de  son  côté  sur 
les  cartulaires  d'Arles. 


14  BIBLIOGRAPHIE   COMPLÉMENTAIRE 

CoRRENS  (dépend,  de  Montmajour  d'Arles).  Cartulairedu  xiii*" 

siècle.  Archives  des  Bouches-du-Rhône  (109  chartes  de  986 

àH30). 
Déols  (diocèse  de  Bourges).  Cartulaire  xvii°  siècle  (Chartes 

du  x«  et  xi«  siècle).  Bibl.  nat.  MS.  lat.  12820. 
Meulan  (Saint-Nicaise  de)  (diocèse  de  Chartres,   prieuré). 

Cartulaire  xiii^  siècle.   Bibl.  nat.  MS.  lat.  13888  (Chartes 

du  XI®  siècle). 
Paray-le-Monial  (diocèse  d'Aulun).  Cartulaire  duxi®  siècle. 

Copie  Bibl.  nat.  coll.  Moreau.  T.  XI,  p.  99  et  suiv. 

II.  Imprimés. 

Angers  (Saint- Aubin  d'),  abbaye.  Cartulaire  du  xii®  siècle 
(Chartes  de  769  à  1 174),  publié  parB.  de  Broussillon  [Docum. 
historiques  de  la  Socd'agric,  sciences  et  arts  d'Angers),  1897. 

Arras  (Saint-Vaast  d'),  abbaye.  Complément  du  cartulaire 
publié  par  Guesnon  (Bulletin  du  Comité  des  travaux  histo- 
riques) (section  d'histoire),  année  1896,  n"  1  et  2,  p.  251  et 
suiv. 

AucH  (Sainte-Marie  d*),  chapitre.  Cartulaire  noir  (x*-xi®  siècle) 
publié  par  Lacave-Laplane-Barris,  Auch  et  Paris,  1899. 

AuTUN  (Eglise).  Cartulaire  publié  par  Charmasse,  3®  partie 
(846  1399).  Autun  et  Paris,  1900. 

Chalons-sur-Marne  (Saint-Étienne  de),  chapitre.  Cartulaire 
du  chantre  Warin  publié  par  Pelicier  (Chartes  du  ix*  auxii*» 
siècle).  Paris,  1897. 

Chateaudun  (La  Madeleine),  abbaye.  Cartulaire  factice  pu- 
blié par  J.  Merlet  et  Jarry  [Société  Dunoise)  (1003-1300), 
Chateaudun,  1896. 

Epernay (Saint-Martin),  abbaye.  Cartulaire  publié  par  Nicaise 
dans  le  T.  II,  d' Epernay  et  V abbaye  de  Saint-Martin,  Châ- 
lons,  1869. 

Gellone  (Saint-Guilhklm-le-Désert),  abbaye  (diocèse  de 
Lodève).  Cartulaire  publié  par  P.  Alaus,  Cassan  et  Meynial 
{Soc,  archéologique  de  Montpellier),  1898. 

GoRZE,  abb.,  diocèse  de  Metz.  Cartulaire  publié  par  A.  d'Her- 
bomez  {Mettensia,  fondation  A.  Prost),  Paris,  1898-1899. 


DBS  SOURCES   MANUSCRITES   ET  IMPRIMEES.  15 

Indre.  Recueil  général  des  chartes  intéressant  le  département 

de  rindre,  publié  par  E.  Hubert  (vi*-xi*  siècle).  Château- 
roux  et  Paris,  1899. 
Mans  (Saint- Vincent  du),    abbaye.  Cartulaire    publié    par 

R.  Charles  et  Menjot  d'Elbenne,  T.  I  (572-1184).  Le  Mans, 

1885. 
Mas  d'Azil,  abbaye.  Monographie  et  cartulaire  publié  par  Gau- 

Durban.  Foix,  1897. 
MoNTiERAMEY,  abbaye.  Fragments  du  vieux  cartulaire  perdu, 

publiés  d'après  des  copies  de  la  Bibl.  nat.  par  Giry  (Études 

dédiées  àMonody  p.  122  et  suiv.). 
Néronville,  prieuré  (diocèse  de  Sens)  dép.  de  Sauve-Majeure. 

Charles  publiées  par  H.  Stein  {Annales  de  la  Soc.  hisL  du 

Gâtinais),  1895. 
PoNToisE  (SAiNT-MARTiNde),  abbayo.  Cartulaire  publié  par  J. 

Depoin  [Soc.  historique  du  Vexin),  fasc.  1-2.  Pontoise,  1895- 

1896. 
QuiMPERLÉ  (Sainte-Croix),  abbaye.  Cartulaire  publié  par  Léon 

Maître  et  Paul  de  Berthou.  Paris,  1896. 
Ronceray  (Le)  d*Angers,  abbaye.  Cartulaire  publié  par  Mar- 

chegay  dans  Archives  d'Anjou,  T.  III,  volume  imprimé  dès 

1854,  et  paru  seulement  en  1898. 
Saint-Benoit-surLoire,  abbaye.  Recueil  des  chartes,  réunies 

et  publiées  par  Maurice  Prou  et  A.  Vidier  (Soc.  histor.  du 

Gâtinais),  T.  I,  1"  fasc.  Orléans  et  Paris,  1900. 
Saint-Florent  de  Saumur.  Chartes  normandes  publiées  par 

Marchegay,  dans  Mémoires  de  la  Soc.   des  Antiquaires  de 

Normandie,  1880,  p.  663  et  suiv. 
Saint-Germain-des-Prés,   abbaye.    Polyptyque    d'Irminon, 

nouv.  édit.  par  A.  Longnon,  Paris,  1886-18U5. 
Saint-Jean  d'Angely,  abbaye.  Cartulaire,  T.  I,  publié  par  M. 

Musset  dans  Archives  histor.  de  la  Saintonge,  T.  XXX,  1901. 
Saint-Maixent,  abbaye.  Chartes  publiées  par  Richard,  Archi- 

ves  historiques  du  Poitou,  T.  XVI  (1887). 
Saint-Marcel-les-Chalon,  abbaye,  puis  prieuré  de  Cluny. 

Cartulaire  publié  par  Canat  de  Chizy.   Chalon-sur-Saône» 

1894. 
Saint-Michel-i)e-l'Abbayette,  prieuré  du  Mont  Saint-Michel 

(1421),  publié  par  B.  de  Broussillon  et  Farcy.  Paris,  1894. 


16  BIBLIOGRAPHIE    COMPLEMENTAIRE 

Saint-Pierrb  de  Gand,  abbaye,  Gartulaire  {Liber  tradUio- 
num)  publié  dans  Annales  ahhatiœ  S^  P^  Blandinensis,  Gand, 
1842. 

Saint-Ruf,  abbaye,  diocèse  de  Valence.  Gartulaire  publié  par 
Ulysse  Ghevalier  (Ghartes  du  xi*-xu*  siècle).  1"  livr.  Va- 
lence, 1891. 

Saint-Sburin  de  Bordeaux,  collégiale.  Gartulaire  publié  par 
Aug.  Brutails  [Académie  des  sciences  et  belles-lettres  de  Bor- 
deaux), Bordeaux,  1897  (Ghartes  xi*-xii*  siècle). 

Saint-Sulpice-en-Bugey,  abbaye.  Petit  cartulaire  publié  par 
Guigue,  Lyon,  1884. 

Saint- ViCTEUR  au  Mans,  prieuré  du  Mont  Saint-Michel  (994- 
1400),  publié  par  P.  de  Farcy  et  B.  de  Broussillon.  Paris, 
1895. 

Séour,  prieuré  (Tarn).  Ghartes  du  xi°  au  xiii^  siècle  publiées 
par  Edm.  Gabié.  Albi,  1889. 

Tulle  (Saint-Martin  de)  (Limousin).  Gartulaire  publié  par 
Ghampeval.  Bulletin  de  la  Soc,  archéol.  de  la  Con-èx^^  1888 
et  suiv. 

Uzerche,  abbaye  (diocèse  de  Limoges).  Gartulaire  publié  par 
Ghampeval,  Pans  et  Tulle,  1901. 

Vendôme  (Trinité  de),  abbaye.  Gartulaire  publié  par  Gh. 
Mêlais,  4  vol.  Paris,  1893-1897. 

Vendômois  (Marmoutier  pour  le).  Gartulaire  publié  par  M.  de 
TrémauU.  Paris  et  Vendôme,  1893. 

Vienne  (Saint-Maurice  de),  chapitre.  Description  du  Gartu- 
laire perdu,  avec  chartes  en  appendice  (x'-xi®  siècle),  publiés 
par  Ulysse  Ghevalier.  Valence,  1891. 


20  GOLLEGTIONS  DE  DOCUMENTS  IMPRIMÉS 

{France  et  pays  limitrophes). 

Benoit.  Histoire  delà  ville  et  du  diocèse  de  Toul.  Toul,  1707. 
Bertaut  (Léon)  et  Gusset.  L'illustre  Orbandale  ou  l'histoire 

ancienne  et  moderne  de  la  ville  et  cité  de  Ghalon-sur-Saône. 

Ghalon,  1662,  2  vol.  in-4o  (T.  II,  pièc.  just.). 
Bertholkt.   Histoire   ecclésiastique  et  civile  du  duché   de 

Luxembourg,  8  vol.  in-4".  Luxembourg  1742-1743. 


DBS  SOURCES  MANUSCRITES   ET   IMPRIMEES.  17 

Beyer,  ëltbster  et  Gœrz.  Urkunden  zur  Geschichte  der,,. 
MilUlrheinischen  Terrilorien^  3  vol.  Coblence,  1860-1874. 

BoRDERiB  (A.  de  la).  Recueil  d'actes  inédits  des  ducs  et  prin- 
ces de  Bretagne  (xi'-xm*  siècle).  Paris,  1889. 

Bry  (de  la  Clergerie).  Histoire  des  pays  et  comté  du  Perche  et 
d'Alençon.  In-4^  Paris,  1620. 

Buisson  (dom).  Historia  monasterii  Sancti  Severi.  Aire,  1876, 
2  vol.  in-8\ 

Chevalier  (Ulysse).  Documents  inédits  desix,  x*,  xi'' siècles 
relatifs  à  TÉglise  de  Lyon.  Lyon,  1867. 

Chipflet.  Lettre  touchant  Béatrix,  in-4**.  Dijon,  1656. 

Deloche.  Saint-Remy  de  Provence  au  M.  A.  In-4*,  Paris, 
1892. 

Dubois  (G.).  Historia  ecclesiae  Parisiensis,  fol.  Paris,  1690. 

Dubois  (Jean).  Floriacensis  vêtus  Bibliotheca.  In-8**.  Lyon, 
1605. 

Férotin.  Recueil  des  chartes  de  l'abbaye  de  Silos  (Vieille 
Castille),  gr.  in-8^  Paris,  1897. 

FoRNiER  et  Guillaume.  Histoire  générale  des  Alpes-Mari- 
times, 3  vol.  in-8'.  Paris  et  Gap,  1890-1892  (T.  HI,  Pièc. 
justif.). 

HuBKRT.  Antiquités  historiques  de  TÉglise  royale  de  Saint- 
Aignan  d'Orléans.  ln-4o.  Orléans^  1661. 

Jarry.  Histoire  de  Tabbaye  de  la  Cour-Dieu.  Orléans,  1864. 

La  Morlière  (A.  de).  Les  antiquités,  histoires...  de  la  ville 
d'Amiens,  in-fol.  Paris,  1642. 

Laurent  Le  Pbletier.  Rerum  scitu  dignissimarum  a  prima 
fundatione  monasterii  S.  Nicolai  Andegavensis.  in-4®.  An- 
gers. 1635. 

Le  Carpentibr.  Histoiie  de  Cambrai  et  du  Cambrésis,  2  vol. 
in-4%  1664. 

Lex.  Eudes,  comte  de  Blois,  in-8**.  Troyes,  1892. 

LouEN.  Histoire  de  Tabbaye  royale  de  Saint-Jean-des-Vignes 
de  Soissons,  in-12.  Paris,  1710. 

LouvET.  Histoire  etautiquitez  dupais  de  Beauvaisis.  Beauvais, 

2  vol.  in-8\  Beauvais,  1631-1635. 
Perry.  Histoire  civile  et  ecclésiastique  de  Chalon-sur-Saône. 
Ghalon,  1659. 

F.  —  Tome  III.  2 


18  BIBLIOGRAPHIE   COMPLEMENTAIRE 

Petit  (E.  de  Vausse).  Histoire  des  ducs  de  Bourgogne  de  la 
race  Capétienne.  Paris,  1885  et  suiv. 

PiLLBT.  Histoire  du  ciiâteau  et  de  la  ville  de  Gerberoi,  in-4®. 
Rouen  et  Beauvais,  1679. 

PiOLiN  (dom).  Histoire  de  TÉglise  du  Mans.  Paris,  1851  et  suiv. 

Renault.  Abrégé  de  Thistoire  de  l'ancienne  ville  de  Soissons. 
In-8%  1633. 

RivAz  (Pierre).  Diplomatique  ou  Recueil  de  chartes  pour  ser- 
vir à  Thistoire  du  royaume  de  Bourgogne  (543*1276]  analyse 
et  pièces  inédites  publiées  par  Ulysse  Chevalier.  Vienne, 
1895. 

Robert  (Ulysse).  Bullaire  du  pape  Calixte  II  (1119-1124), 
i  vol.  in-8^  Paris,  1891. 

RosEROT  (Alph.).  Chartes  inédites  des  ix*  et  x*  siècles  appar- 
tenant aux  archives  de  la  Haute-Marne  (851-973).  Auxerre, 
1898. 

Roussel.  Histoire  de  Verdun.  Paris,  1740. 

Saige  (G.)  etDiBNNE  (de).  Documents  historiques  relatifs  à  la 
vicomte  de  Cariât.  2  vol.  in- 4°.  Monaco,  1900. 

Saurel  (F.  et  A.).  Histoire  de  la  ville  de  Malaucène  (Vau- 
cluse),  2  vol.  in-8\  Avignon,  1882-1883. 


3«  VIES  DES  SAINTS,   TRANSLATIONS  ET  MIRACLES 

{Rédigés  au  x*,  au  xi'  et  au  début  du  xii»  siècle). 

L*intérêt  historique  de  ces  documents  se  mesure  pour  nous  à  leur 
âge.  Nos  études,  en  effet,  ne  sont  pas  hagiographiques.  Les  faits  mi- 
raculeux attribués  aux  saints  qui  ont  vécu  avant  la  fin  du  ix*'  siècle 
ne  rentrent  pas  dans  notre  sujet.  Ce  qui  nous  importe  c'est  la  manière 
dont  ces  faits  nous  sont  présentés  par  des  écrivains  du  x«  et  du  xi» 
siècle,  et  le  jour  que  jette  leur  récit  sur  le  milieu  social  elle  milieu  in- 
tellectuel de  l'hagiographe,  par  les  sentiments  ou  les  idées,  les  traits 
de  mœurs  ou  les  actions  qu*il  prête  à  son  héros,  par  le  cadre  pittoresque 
où  il  le  place,  par  les  expressions  ou  les  images  dont  il  se  sert,  par 
les  anachronismes  incessants  qu'il  commet.  Serait-ce  un  paradoxe  que 
plus  ces  anachronismes  sont  nombreux  et  saillants,  plus  le  récit  a 
d'intérêt  et  de  prix  pour  nous  ? 

II  va  de  soi,  pourtant,  que  si  le  peintre  est  contemporain  du  mo- 
dèle, la  valeur  documentedre  de  rœuvres'en  accroît.  Elle  devient  plus 


DES   SOURCES  MANUSCRITES   ET   IMPRIMÉES.  19 

réaliste.  La  scène  où  la  vie  se  déroule  est  alors  la  même  pour  tous 
deux,  leur  état  d*esprit  est  à  Tunisson,  et  ainsi  la  forme  et  la  couleur 
de  Tœuvre  ne  nous  retiennent  pas  seuls,  nous  pouvons  faire  notre  pro- 
fit du  fond.  Alors  même  que  la  véracité  des  faits  racontés  est  rendue 
suspecte  par  le  but  intéressé  que  l'hagiographe  poursuit,  par  sa 
crédulité  et  sa  partialité,  il  nous  reste  une  image  de  la  réalité  am- 
biante et  c'est  là,  en  somme,  un  point  essentiel.  Nous  échappons  en 
outre,  avec  de  telles  vies,  aux  chances  d'erreur  qui  proviennent  de 
simples  plagiats  de  l'écrivain,  d'emprunts  textuels  faits  à  des  docu- 
ments beaucoup  plus  anciens. 

Que  ce  danger  soit  réel,  nul  n'en  disconviendra,  mais  il  ne  faudrait 
pas  s'en  exagérer  la  gravité.  Non  seulement  il  nous  arrive  parfois, 
grâce  à  la  survie  du  texte  original,  ou  à  raison  de  disparates  que  la 
rédaction  nouvelle  présente  quant  à  la  forme  ou  quant  au  fond,  de  pou- 
voir démêler  ce  qui  appartient  en  propre  au  dernier  rédacteur,  mais 
dans  la  plupart  des  cas  cette  recherche  même  est  inutile. 

S'agit-il  de  saints  antérieurs  au  ix*  siècle,  les  hagiographes  du  z*  et 
du  XI*  ou  bien  ont  refondu  complètement  et  développé,  en  les  met- 
tant en  harmonie  avec  leur  temps,  —  à  travers  lequel  seul  ils  voyaient 
le  passé,  —  les  maigres  et  rares  vies  anciennes  qu'ils  avaient  à  leur 
disposition,  ou  bien,  le  plus  souvent,  ils  ont  inventé  leur  récit  de  toutes 
pièces,  à  l'aide  des  sèches  indications  que  leur  fournissaient  les  mar- 
tyrologes usuels  de  Notker,  d'Usuard  ou  d'Adon.  Ce  n'est  qu'au  ixo  siè- 
cle, en  effet,  que  les  vies  des  saints  étaient  devenues  nombreuses  * 
et  celles-ci  alors  étaient  trop  récentes,  trop  copieuses,  trop  littéraires 
aussi  pour  qu'on  éprouvât  d'ordinaire  le  besoin  de  les  récrire. 

Quant  aux  saints  du  ix^  siècle,  celles  de  leurs  vies  qui  ont  été  pour  la 
première  fois  composées,  à  l'aide  de  traditions  orales,  aux  deux  siècles 
suivants,  sont  avant  tout  le  miroir  de  l'époque  où  l'hagiographe  écri- 
vait et  qu'il  oppose  parfois  lui-même  à  l'époque  où  vivait  son  mo- 
dèle. 

Les  principes  que  je  viens  d'esquisser  m'ont  guidé  dans  l'utilisation 
des  vies  des  saints.  EQes  expliquent  la  forme  et  l'étendue  que  j'ai 

1  «  Le  clergé  de  la  Gaule  de  fépoque  précarolingienne,  a  dit  le  savact 
éditeur  des  vies  méroviDgienDes,  M.  Krusch,  était,  sauf  de  rares  exceptions, 
improductif  au  point  de  vue  littéraire,  par  suite  de  la  décadence  générale  de 
la  culture,  et  ce  sont  les  Italiens,  Fortunat  et  Jonas  qui  satisfont  au  besoin 
qu'avaient  les  églises  et  les  couvents  d'une  rédaction  des  miracles  des  saints. 
A  répoque  carolingienne,  et  déjà  sous  Pépin,  il  se  produit  un  changement  : 
...  On  écrit  alors  audacieusement  des  histoires  que  Ton  a  d*abord  inventées 
soi-même  et  l'on  munit  cette  marchandise  du  sceau  de  l'authenticité  con- 
temporaine »  (B.  Krusch,  La  falsification  des  vies  des  saints  Burgondes. 
Mélanges  Havet,  p.  55-56). 


20  BIBLIOGRAPHIB    COMPLEMKNTAIRE 

données  à  leur  bibliographie.  Je  les  ai  groupées  à  raison  de  leur  âge 
et  j'ai  indiqué  les  dates  approximatives  de  la  mort  du  saint  et  de  son 
biographe  pour  qu'on  puisse  mieux  juger  de  l'intervalle  qui  les  sépare 
et  de  l'authenticité  du  récit. 

Abbon  (Saint),  de  Fleury  (f  1004).  Vie  et  miracles  par  Ai- 
moin,  moine  de  Fleury  (f  v.  1008.  HLF).  Mab.  SB.  VI, 
p.  37-58.  Migne,  139  c.  387-414. 

AcHARD  (Saint),  abbé  de  Jumièges  (vu*  siècle),  Vie  du  x«  siè- 
cle. Mab.  SB.  IT,  p.  953-971.  Bol.  AS.  15  septembre,  V, 
p.  85-100.  Autre  vie  du  x*  siècle  (après  956)  par  Fulbert, 
moine  de  Saint-Ouen,  Surius  15  septembre. 

Adélaïde  (Sainte),  impératrice  (f  999).  Vie  par  S.  Odilon 
(f  1049).  SS.  IV,  p.  636-49.  Migne  142  c.  967-982. 

Adelard  (Saint),  abbé  de  Corbie  (f  826).  Vie  et  miracles  par 
Gérard  ou  Gerald,  moine  de  Corbie  puis  abbé  de  Sauve- 
Majeur  (f  1095).  Mab.  SB.  IV,  I,  p.  345-71.  Migne  147, 
c.  1045-78. 

Adelin  (Saint),  fondateur  de  Celles  (f  690).  Vie  par  Notger, 
évêque  de  Liège  (f  1008).  Mab.  SB.  II,  p.  1013-17. 
Migne  139,  c.  1141-48. 

Adelrade  (Saint),  chanoine  de  Troyes  (f  1004).  Vie  anonyme 
V.  1006  (HLF).  Bol.  AS.  20  octobre  VIII,  p.  991-5. 

Agiric  (Ayri)  (Saint),  évêque  de  Verdun  (j  591).  Vie  probabl. 
du  xi«  siècle.  Catalog.  Codd.  hag,  lat.  Bibl.  Paris  (1893),  III, 
p.  78-92. 

Aqoard  et  Agilbert  (SS),  iv*  siècle.  Vie  anon.  981  (HLF). 
Bol.  AS.  24juin,  IV,  p.  815-7. 

AïoNAN  (Saint),  évêque  d'Orléans  (f  453).  Vie  après  transla- 
tion (1029).  Duchesne,  I,  p.  521-2.  Trad.  Hubert,  Antiq, 
hislor.  de  L'Église  de  Saint-Aignan  (1661),  p.  1-5. 

Albert  (Saint),  abbé  fondateur  de  Gambron-sur-l'Aution  (vu® 
siècle).  Vie  anon.  fin  x«  siècle  (HLF)  Mab.  SB.  III,  2, 
p.  526-34. 

Aldegonde  (Sainte),  abbesse  de  Maubeuge  (f  684).  Vie  par 
Hucbald,  moine  de  Saint-Amand  (f  930).  Mab.  SB.  II,  p.  807- 
15.  Migne  132,  c.  857-76. 

Aldbric  (Audry)  (Saint),  archevêque  de  Sens  (f  841).  Vie  anon. 
992-995  (HLF).  Mab.  SB.  IV,  1  p.  568-75.  Migne  105, 
c.  799-810. 


DES    SOURCES   MANUSCRITES   ET   IMPRIMÉES.  21 

Aleaumb  (Saint)  (Adelelmus),  abbé  de  la  Chaise-Dieu  (f  1097) 
(HLF).  Vie  par  Raoul,  moine  de  la  Chaise-Dieu  (1103). 
Mab.  SB.  VI,  2,  p.  896-902. 

ÀMALBEROB  (Sainte),  vierge  au  diocèse  de  Liège  (f  v.  fin 
vin*  siècle).  Vie  par  Thierri,  abbé  de  Saint-Trond  (f  1107). 
Bol.  AS.  10  jul.  III,  p.  90-102.  —  Se^mo  de  Vita,  par  Rad- 
bod,  évêque  d'Utrecht  (f  917).  Mab.  SB.  III,  2,  p.  241-3. 
Migne  132,  c.  549-54. 

Amand  (Saint),  évêque  de  Maestricht  (f  On  vu*  siècle).  Vie 
parHerigerde  Lobbes(f  1007).  Boll.  AS.  6  février  I,  p.  855-7. 
—  Miracles,  lors  du  transport  des  reliques  par  la  Flandre  et 
le  Cambrésis,  rédigés  par  Gilbert  moine  de  Saint-Amand 
(f  1095).  Migne  150,  c.  1435-48.  Autres,  rédigés  par  :  Gon- 
tier,  moine  (,f  1108),  Bol.  AS.  l.  c,  p.  900-2;  par  Marsilie, 
abbesse  (f  1108).  Ibid.,  p.  902-3. 

Amand  (Saint)  d'Angoulême  (f  vers  600).  Vie  par  Hugues, 
évêque  d'Angoulême  (f  990-994)  (ou  peut-être  Adémar  de 
Chabannes?)  MS.  Bibl.  nat.  lat.  3784  (xi""  siècle).  Analect. 
Bolland,  VIII  (1889),  p.  330-55. 

Anastasb  (Saint),  moine  à  Doydes  (d.  de  Rieux)  (f  v.  1086). 
Vie  par  Gauthier,  qui  semble  contemporain  ou  peu  posté- 
rieur. Mab.  VI,  2  p.  487-93.  Migne  149,  c.  423  et  suiv. 

Anatole  (Saint),  évêque  honoré  à  Salins  (v.  1029).  Vie  fin  du 
xie  siècle.  Bol.  AS.  3  février  I,  p.  358-9  (description  du  pays 
de  Salins). 

Anfroi  ou  Ansfride  (Ansfridus)  (Saint),  évêque  d'Utrecht 
(f  1010).  Bol.  AS.  3  mai,  I,  p.  431-2  (fait  partie  du  livre 
d'Alpert,  moine  de  Saint-Symphorien,  voy.  Chroniques). 

Angelran  (Saint)  du  Ponthieu,  abbé  de  Saint-Riquier  (f  1045). 
Vie  par  Hariulf,  moine  à  Saint-Riquier  avant  1075  f  1143. 
Mab.  SB.,  VI,  I,  p.  495-508.  Migne,  t.  141,  c.  1405-22. 

Anoilbert  (Saint),  abbé  de  Saint-Riquier  (f  814).  Vie  et  mi- 
racles, par  Anscher  de  Saint-Riquier  (xi'-xii*  siècle) 
f  1136.  Mab.  SB.  IV,  I,  p.  123-30.  Miracles,  p.  130- 
147.  Vie  par  Hariulfe  (f  1143).  Mab.  SB.  IV,  I,  p. 
108-22. 

Antide  (Saint),  évêque  de  Besançon  (v*  siècle).  Vie  du  xi*  siè- 
cle, 1044  (H.  litt.).  Bol.  AS.  25  juin,  V,  p.  41-47. 


22  BIBLIOGRAPHIB   COMPLEMENTAIRE 

APOLLINAIRE  (Saint),  évêque  de  Raveone  (f  v.  75).   Miracles 

rédigés  par  un  moiae  de  Saint-Beoigne  de  Dijon,  959.  Bol. 

AS.23juillet,  V,  p.  353358. 
Apollinaire  (Saint),  évêque  de  Valence  (f  v.  520).  Miracles 

(x*  siècle),  éd.  U.  Chevalier  {Bull,  d'hist.  eccL  du  diocèse 

de  Valence,  1895). 
Arbooaste  (Saint),  évêque  de  Strasbourg  (f  678).  Vie  par 

Uthon,  évêque  de  Strasbourg,  950-965.  Grandidier,  Hist. 

de  TEglise  de  Strasbourg,  I,  Pièces  justif.  §  18.  Migne, 

t.  134,  c.  1003-1008. 
Arey  (Saint),   évêque  de  Gap  (j   604).  Vie  renouvelée  au 

XI»  siècle.  Anal.  Boll.  XI,  1892,  p.  384-401. 
Arnoul  (Saint),  évêque  de  Soissons  (f  1087).  Vie  par  Hariulf 

(t  1143).  Mab.  SB.  VI,  2,  p.  505-555.  Migne,  1. 174,  p.  1371- 

1438.  SS.  XV,  2,  p.  875-904. 
Arnoul  (Saint),  martyr  (f  vi*»  siècle).  Vie  par  anonyme  à 

Saint-Arnoul  de  Crépy,  x»-xi»  siècle.  Bol.  AS.  18  juillet 

IV,  p.  403-407. 
Arnoul  (Saint),  évêque  de  Metz  (f  v.  640).  Vie  du  x*  siècle. 

Boll.  AS.  juillet  IV.  440-5. 
Arnoul  (Saint),  martyr  de  Mousson  (Champagne).  Actes  et 

translation.  Anonyme  v.  980.  Bol.  AS.  24  juillet,  V,  p.  583- 

590.  SS.  XIV.  p,  601-609. 
Aubin  (Saint),  évêque  d'Angers  (f  560).   Miracles   par  un 

moine  de  Saint-Aubin  d'Angers,  xi'  siècle.  Bol.  AS.  1^'  mars, 

I,  p.  60-63. 
Augustin  (Saint)  de  Cantorbéry  (f  608).  Vie  et  miracles  par 

Goscelin,  moine  de  Cantorbéry  (f  1098).  Mab.  SB.  I,  p.  499- 

559.  Migne,  t.  80,  p.  43-94.  Translation  par  Goscelin.  Mab. 

SB.  VI,  2  p.  743-765.  Migne,  t.  155,  p.  13-46. 
AuTBERT  (Saint),  évêque  de  Cambrai  (viii*  siècle).  Vie  attri- 
buée à  Fulbert  de  Chartres,  xi*  siècle  (f  1028),  écrite  de 

1015-1051.  Migne,  141,  p.  355-368.  Fragments  nouveaux 

publiés  par  Sackur  (Neuw  Archiv,  VI,  p.  469-72). 
Avrr  (Saint),  anachorète  en  Périgord  (f  v.  570).  Vie  probabl. 

du  x«  siècle.  Bol.  AS.  17  juin  III,  361-5. 
Babolin  (S.),  1"  abbé  de  Saint-Maur-des-Fossés  (f  v.  670). 

Vie  et  miracles  par  un  moine  de  Saint-Maur  (v.  1080)  (HLF, 

VIII,  p.  82).  Chifflet,  Bedœ  et  Fredegani  concordia.  Paris, 


DES  SOURCES   MANUSCRITES  ET  IMPRIMÉES.  23 

1681,  p.  356-71.  Duchesne  I,  658-66^,  et  HF.,  III,  p.  565-71 
(sauf  prologue  et  3  premiers  chapitres).  Extraits  de  la  vie 
daDs  Mab.  SB.  II,  p.  590-3.  Miracles  ibid.,  p.  593-7. 

Baldéric  (Saint),  évêque  de  Liège  (1008-1018).  Vie  par  un 
moine  de  Saint-Jacques  de  Liège  (milieu  xi"  siècle).  SS.  IV, 
p.  724-38. 

Bartholomée  (Bienh.),  abbé  de  Marmoutier  (f  1084).  Vie  per- 
due. Collectanea  par  Mabillon.SB.  VI,  2,  p.  384-402,  surtout 
Fragm.  de  rébus  gestis  in  Maj.  Mon.  saec.  XI  (Miracles) 
(p.  391-402). 

Basle  (Saint),  conf.  (f  v.  620).  Vie  et  miracles  par  Adson, 
abbé  de  Montier-en-Der  (f  992).  Mab.  SB.  II,  p.  67-75;  IV. 
2,  p.  136-142.  Migne  137,  c.  643-658,  c.  659-668.  Vie  par 
un  anonyme  du  x«  s.  Mab.  SB.  II,  64-67. 

Bavon  (Saint),  conf.  à  Gand  (f  653).  Vie  par  Thierry  de  Saint- 
Trond  (f  1107).  Bol.  AS.  1"  octobre,  I,  p.  243-53.  Mira- 
cles x«  siècle.  Mab.  SB.  II,  406-415. 

Bknoit  (Saint),  f  542.  Miracles  et  translation,  éd.  E.  de  Cer- 
tain. Paris,  1858.  — Illatio^  par  Thierry  de  Hersfeld  (!•'  tiers 
du  XI*  s.).  Mab.  SB.  IV,  2,  350-5. 

Bknoit  (Vénérable)  (abbé  de  Cluse)  (1066-1091);  Vie  par 
Guillaume,  moine  de  Cluse  (fin  xi*  siècle).  Mab.  SB.  VI,  2, 
p.  697717.  Migne  150, 1461-1488. 

Bercaire  (Saint),  abbé  de  Montier-en-Der  (f  865).  Vie  par 
Adson,  abbé  de  M.-en-Der  (f  992)  d'après  Mab.;  d'après 
Potthast  écrite  après  1100.  Mab.  SB.  II,  p.  832-43.  Migne 
137,  p.  669-88.  Miracles,  xi«  siècle.  Mab.  SB.  II,  p.844-61 . 

Bbrenqer  (Saint).  Moine  àSaint-Papoul  (f  1093).  Vie  par  Fla- 
vius Anselme,  moine  au  Bec.  Mab.  SB.  VI,  2,  p.  774-8. 

Bkrots  (Saint),  fondateur  de  Saint-Hubert  (f  après  725).  Vie 
par  un  moine  de  Saint-Hubert,  937  (H.  litt.).  Bol.  AS.  2  oc- 
tobre I,  p.  520-30. 

Bkrlende  (Sainte)  (f  v.  702).  Vie  attribuée  par  Mab.  à  Heri- 
ger  (f  1007),  par  Potthast  à  un  moine  de  Lobbes  (v.  1000). 
Mab.  SB.  III,  1,  p.  16-21.  Migne  139,  1103-1110. 

Bernard  (Saint)  de  Menthon  (f  1008).  Vie  par  Richard  Aoste 
(xi«  siècle).  Bol.  AS.  15  juin.  H,  p.  1074-1082.  Source 
principale  du  mystère  de  S,  Bernard  de  M.  (xv**  siècle)  publié 
par  Lecoy  de  la  Marche  (Soc.  des  anciens  textes,  1888). 


24  BIBLTOGRAPHIR    COMPLEMENTAIRE 

BERNARD  (Saint),  fondateur  de  l*abbaye  de  Tiroo  (f  1114). 
Vie  par  le  contemporain  Geoffroy  le  Gros,  naoine  de  Tiron, 
Bol.  AS.  14  avril,  II,  p.  222-55.  Mignel72,  col.  1367-U46. 

Bernouard  (Saint),  évêque  d*Hildesheim  (f  1022).  Vieet  mira- 
cles par  Thangmar  (v.  1022)  (très  important).  Mab.  SB.  VI, 
1,  p.  202-36.  SS.  IV,  p.  757-782.  Migne  liO,  393  436-442. 

Berthe,  abbesse  de  Blangy  (Artois)  (f  v.  725).  Anonyme  910 
(H.  litt.).  Bol.  AS.  4  juillet,  II,  p.  49-54.  Translation  (850- 
895),  à  Erstein,  et  miracles  (x«-xi'  siècle).  Mab.  SB.  III,  1, 
p.  454-62. 

Bbrtin  (Saint)  (f  v.  709).  Vie  par  Folcard,  moine  à  Saint-Ber- 
tin  (f  après  1084).  Mab.  SB.  III,  1,  p.  108-H7.  Migne  147, 
1089-1098.  Vie  en  vers  (MS.  du  x«  siècle),  publiée  par 
Morand,  Coll.  des  doc.  inédits^  mélanges  historiques,  II, 
(1874).  p.  573-607.  Miracles  (x«-xi«  siècle).  Mab.  SB.  III,  I, 
p.  117-153.  Migne  147,  1097  à  1140.  Invention  par  Bovon 
de  Sainl-Bertin  (f  1065).  Mab.  SB.  III,  1,  p.  153-168.  Mi- 
gne 147,  1141-1160. 

Bertulfe  (Saint),  abbé  de  Renty,  Artois  (f  705).  Vie  et  trans- 
lation parunmoinedeBlandigny,  1070-1088.  Mab.  SB.  III, 
1,  p.  45-64.  BoU.  AS.  5  février  I,  p.  677-88,  HF.  IX, 
p.  133,  X,  p.  365. 

Bibien  (Saint),  évêque  de  Saintes  (v*  siècle).  Légende  dux'-xi* 
siècle.  Bol.  AS.  28  août,  VI,  p.  462-7.  Transî.  et  miracles. 
Anal.  Bol.  VIII,  1889,  p.  257-77. 

Blandin  (Saint),  anachorète  (vu*  siècle).  Vie  en  vers  par 
Foulcoie  de  Beauvais,  sous-diacre  de  Meaux  (xi*  siècle). 
Analecta  Bolland.  VII  (1888},  p.  151-163. 

BovE  et  DoDE  (Saintes),  religieuses  à  Reims  (f  673).  Anon. 
964  (HLF).  BoU.  AS.  24  avril,  III,  p.  283-290. 

Brunon  (Saint),  archevêque  de  Cologne  (f  965).  Vie  par 
Roger,  clerc  à  Cologne  (966-967).  SS.  IV,  p.  254-275. 
Migne,  t.  134,  941-978.  Une  autre  vie  a  été  composée  par  un 
anonyme  au  milieu  du  xii*  siècle.  Migne,  t.  134,  978-988. 

Brunon  (Saint),  fondateur  des  Chartreux  (f  1106).  Vie  par 
anonyme  du  xii'  siècle.  Boll.  AS.  6  octobre,  III,  p.  703- 
707.  Migne,  t.  152,  481-492  (les  vies  suivantes  sont  du 
xvi*  siècle). 


DES   SOURCES  MANUSCRITES   ET   IMPRIMEES.  25 

Cadrob  (Saint),  abbé  de  Saint-Vincent  de  Metz  (f  978).Vie  par 
un  contemporain  (un  du  x*  siècle).  Mab.  SB.  V,  p.  489-501. 

Chaffre,  abbé,  martyr  (7  v.  782).  Vie  antérieure  au  xi*  siècle, 
982  (HLF).  Mab.  III,  I,  p.  477-85.  Boll.  AS.  19  octobre, 
VIII,  p.  527-33. 

Clotildb  (Sainte)  (f  548).  Vie  par  un  anonyme  du  x*  siècle. 
Mab.  SB.  I,  p.  98-103.  HP.  III,  p.  397-401.  Mon.  Script. 
rer.  Merov.  II  (1888),  p.  342-48. 

Cloud  (Saint),  ûls  de  Clodomir  (f  v.  560).  Vie  par  un  auteur 
du  ix«-x«  siècle.  Mab.  SB.  I,  p.  134-138.  Migne,  t.  138, 
p.  195-204.  SS.  rer,  Merov.  II  (1888),  p.  350-357. 

CoLOMBAN  (Saint),  fondateur  de  Luxeuil  (f  612).  Miracles, 
par  un  moine  de  Bobbio  (x«  siècle),  Mab.  SB.  11,  p.  40-55. 

CoNVOYON  (Saint),  abbé  de  Redon  (f  868).  Vie  par  anonyme 
(ix«-x«  siècle).  Mab.  SB.  IV,  2  p.  193-222.  Autre  par  un 
anonyme  du  xi»  siècle,  Mab.  Ibid,  p.  188-193. 

Daqobert  (Saint),  roi.  Vie  probabl.  du  xi'  siècle.  SS.  rer.  Me- 
rov. \\,o\\-U. 

Déicole,  abbé  de  Lure(vu'  siècle),  Vie  par  un  anonyme  vers 
965.  Mab.  SB.  H,  p.  102-116.  Boll.  AS.  18  janvier  II,  p. 
200-210. 

Due  (Saint),  évêque  deNevers  (f  679),  Vie  par  un  moine  de 
Saint- Dié  interpolée  par  un  abbé  de  Moyen-Moutier.  Vie 
attribuée  par  l'H.  litt.  à  Valcande,  moine  de  Moyen-Moutier 
(t  v.  1026).  Mab.  SB.  III,  2,  p.  472-7.  Migne,  t.  151,  p. 
611-634. 

Drausin  (Saint),  évêque  de  Soissons  (f  676).  Vie  par  un  ano- 
nyme de  Soissons  (967  HLF).  Boll.  AS.  5  mars  I,  p.  405-11. 

Ebbon  (Saint)  et  Goéric  (Saint),  évêques  de  Sens  (vm*  siècle). 
Vie  par  auteur  anonyme  du  x*  siècle.  Mab.  SB.  III,  1, 
p.  649-52.  Acla  SS.  Boll.  27  août  VI,  p.  98-100. 

Edmond  (Saint),  roi  d'Angleterre  et  martyr  (f  870).  Vie  par 
Abbon  de  Fleury,  composée  v.  985  (HLF),  Migne,  L  139, 
c.  507-520.  Miracles  par  Hermann  (1071-1101).  Lieberman 
Anglo-norm.  Geschichtsq.  (Strasbourg,  1879),  p.  231-281. 

Eleuthère  (Saint),  évêque  de  Tournai  (f  532),  Vie  du  x'-xi* 
siècle.  Boll.  AS.  20  février  III,  189-95. 

Eliphe  (Saint),  martyr  (f  302)  (?).  Vie  remaniée  par  Rupert 
abbé  de  Tuy  (f  1129),  Migne,  t.  170,  c.  427-36. 


26  BIBLIOGRAPHIE   COMPLÉMENTAIRE 

Etienne  (Saint),  deChavanon,  fondateur  de  Pebrac  (f  1080). 

Vie  par  Etienne  de  Saint-Victor  (v.  1085),  d*Achery  Spici- 

leg.,  II,  p.  155. 
Etienne  (Saint),  fondateur  deGrandmont(vers  1076)  (f  1124). 

Vie  par  Gérard  Ilhier  (f  1197).  Boll.  AS.  8  février  II,  p. 

205-12.  Migne  204,  col.  1005-1046.  Dits  et  faits  rapportés  par 

Etienne  de  Liciac  (f  1161)  et  recueillis   par  Gérard  Ithier, 

Migne,  204,  col.  1071-85. 
EusÉBiE,abbesse  d^Hamay  (f  v.  680).  Vie  par  Anonynae  945-50 

(HLF).  Mab.  SB.  II,  p.  984-90. 
EuspjcE  (Saint)  (f   v.  510).  Translation,  d'Orléans  à  Saint- 

Mesmin  de  Micy  (1029),   par  un  moine  de  Micy  1030.  Mab. 

SB.  Vï,  1,  p.  314.  Extrait  HF.  X,  p.  370.  Miracles,  Mabil- 

lon,  Ibid,^.  314-315. 
EvRE  (Aper)  (Saint),  évêque  de  Toul  (fin  v«  siècle).  Vie  du  x'-xi^ 

siècle.  Miracles  par  un  moine  de  Saint-Evre  après  978.  D. 

Calmet,  I  Preuves,  p.  107-116.  Boll.  AS.  15  septembre,  V, 

p.  66-79. 
Félix  (Saint),  martyr  sous  Dioclétien,   Passion    en  vers  par 

Marbode,    évêque   de   Rennes  (f   1123).    Migne,   t.   171, 

c.  1633-6. 
FiRMiN  (Saint),  évêque  de  Verdun,  Translation  par  un  moine 

de  Saint-Vanne  (avant  972)  et  Miracles  (xi*  siècle).  Calmet, 

HisL  de  Lorraine,  2»  édit.,  III,  Preuves,  p.  337-72.  Extrait, 

SS.  XV,2,  p.  804-11. 
Florentin  (Saint)  du  Mont-Glonne  (v*  siècle).  Vie  sous  forme 

de  sermon  par  Marbode  (xi*  siècle).  Boll.  AS.  433-8.  Migne, 

171,  1579-92. 
FoLCuiN  (Saint),  évêque  deTérouane  (f  855).  Vie  par  Folcuin, 

abbé  de  Lobbes  (j  990).  Mab.  SB.  IV,  1,  p.  624-9.  Migne, 

1. 137,  c.  533-42.  SS.  XV,  1,   424-30. 
FoY  (Sainte),  martyre  à  Agen,  303,  Miracles  en  4  livres,  dont 

les  deux  premiers  par  Bernard  d'Agen  (v.  1020)  et  les  deux 

autres  par  un  moine  de  Conques  du  xi*  siècle.  Edités  par 

Tabbé  A.  Bouillet  (collection  de  textes),  1897. 
Fridolin  (Saint),  abbé  de  Saint- Hilaire  de  Poitiers  (f  v.  540). 

Vie  par  Ballherus  moine  de  Sainl-Gall  fin  du  x*  siècle.  SS. 

rer.  Merov,  lïï,  354-69. 
Frodobert,   abbé  de  Montier-la-Celle  (f   v.   673).  Vie   par 


DBS  SOURCES   MANUSCRITES   ET   IMPRIMEES.  27 

Adson  (f  992),  abbé   de  Monlier-en-Der,  Mab.  SB.  II,  p. 

626-39.  Migne,  t.   137,  c.  160-20.  Translation  par  Adson, 

Mabillon,  IV,  2,  p.  2^3-5. 
FuRSY  (Saint),  i"abbé  de  Lagny  (f  v.  650).  Vie  inaportanle 

pour  TAlsace.  Boll.  AS.  16  janvier  II,  p.  36-41.  Miracles, 

Ibid,  p.  A\'H,  Autre  vie  par  Arnoul,  abbé  de  Lagny  (Gnxi'* 

siècle),  Ibid.  p.  44-54. 
Ganoolf,  martyr  (f  760).  Miracles  par  Gonzon,  abbé  de  Flo- 

rennes  (1055-59).  Boll.  AS.  11  mai  II,  p.  648-55. 
Gautier  (Saint),  l^'abbé  de  Saint-Martin  dePontoise(t  1099). 

Deux  vies  et  Miracles  (xii*  siècle),  Cartul,  de  Saint-Martin  de 

Pantoise  (éd.  Depoin),  p.  171  etsuiv. 
Gknulphk  (Saint).  Miracles  sous  le  titre  de  Translalio  S.  Ge- 

ntilfi.  (x«-xie  siècle).  Mab.  SB.  IV,  2,  p.  226-237.  Extraits, 

HF.  X,  p.  301  et  s. 
Geofproi  (Bienh.),  restaur.  de  Tabbaye  du  Chalard  (f  1125). 

Vie  par  un  contemporain  de  la  1'**  croisade,  éditée  par  Bos- 

vieux.  Mémoires  de  la  Soc.  des  Sciences  nat.  et  arch.  de  la 

Creuse,  III,  1862,  p.  75  suiv. 
Gérard  (Saint),  évoque  deToul  (963-994).  Vie  et  miracles,  par 

Guerry  [Widricus),  abbé  de  Saint-Evre  à  Toul  (1027-1049), 

Calmet,  ^w£.  de  Lorrfl/w^,  I,  Preuves,  p.  132-164,  SS.  IV, 

^.^^{^'^{i^.  Extrait  des  Miracles,  p.  505-509. 
Gérard  (Saint),  abbéde  Brogne  (f  959).  Vieparun  auteur  ano- 
nyme du  XI»  siècle.  Mab.  SB.  V,  p.  252-276,  SS.  XV,  2, 

p. 655-73. 
Géraud  (Saint),  comte  d'Aiirillac  (f  909).  Vie  par  saint  Odon 

(f  942).  Boll.  AS.  13  octobre  VI,  p.   300-32.  Migne,   t.  133, 

p.  639-704.  —   Bibl.   nat.  MS.  lat.  3783  (xi«  siècle),  lat. 

5301,^*221  suiv.  (x«  siècle). 
Géry  (Saint),  évêque  de  Cambrai  (f  v.  629).  Vie  du  xi»  siècle 

•par  l'auteur  du  Chronicon  Cameracense.  Boll.  AS.  11  août 

II,  p.  675-93. 
GiLDAS  (Saint),  1"  abbé  de  Ruits  (d.  de  Vannes)  (f  565).  Vie 

par  un  moine  de  Ruits  (xi*  siècle).  Mab.  SB.  I,  p.  138-152. 

SS.Auct.antiq.  XIII  (1894)   (Chron.   min.  Ill),  p.  91-106. 
GiLDOUiN  (Saint),  chanoine  de  Dol(f  1077).  Vie  par  un  moine 

de  Saint-Père  de  Chartres  (1090,  HLF.)  Boll.  AS.  27  janvier 

II,  p.  791-3.  Miracles  Analecta  Bolland.  I,  p.  153-77. 


28  BIBLIOGRAPHIE   COMPLÉMENTAIRE 

Gilles  (Saint),  ermite  en  Septimanie  (f  avant  719).  Vie  du 
x'siècle.  Boll.  AS.  l"septembre,  1. 299-304,  d'après  laquellea 
été  composé  le  poème  La  Vie  de  Saint  Gilles  de  Guill.  deBer- 
neville  (xii®  siècle")  (Soc.  des  anciens  textes,  éd.  Gaston  Paris 
et  A.  Bos,  1881).  Autre  vie  du  x*-xi*  siècle  attribuée  par  des 
MSS.  à  Fulbert  de  Chartres,  dont  nous  avons  en  effet 
un  office  en  Thonneur  du  Saint  (Migne,  141,  343-4),  publiée 
en  1889,  Anal.  Boll.  VIII,  103-120. 

GiSLAiN  (Saint),  abbé  en  Hainaut  (f  v.  685).  Vie  par  Reynier, 
moine  de  Celle  (xi*  siècle),  Analecta.  BolL  V  (1 886),  p.  21 2-239. 
Miracles  {idem).  Mab.  SB.  II,  p.  796-800  {adde,  Duvivier, 
Rech.  sur  U  Hainaut,  p.  365-7).  Anal.  BolL,  loc.  cit.,  p.  239- 
288.  Vies  du  x«  siècle  :  1*  Mabillon  SB.  II,  790-96,  2»  Ana- 
Uct.  Boll.  VI  (1887),  p.  257-270,  3»  Ibid.,  p.  271-289. 

Glosindk  (Sainte),  abbesse  de  Melz  (f  608).  Vie  du  x®  siècle. 
Boll.  AS.  25  juillet  VI,  203-10.  Vie  par  Jean,  abbé  de  Saint- 
Arnoul  de  Melz  {\  984).  Mab.  SB.  II,  p.  1087-90.  Migne, 
t.  137,  c.  211-18.  Miracles  et  Translation,  par  Jean,  abbé  de 
Gorze  (f  974),  SB.  Mab.  IV,  1,  p.  436-48.  Migne.  t.  137, 
c.  219-240. 

Godard  (Saint),  évêque  d'Hildesheim  (1022-1038).  Vie  par 
Wolfère  (1035-1038).  SS.  XI,  p.  167-96.  Vie  remaniée  et 
développée  parTauleur,  après  1065.  Mab.  SB.  VI,  I,  p.«396- 
425.  SS.  XI,  p.  196-218.  Migne,  141,  c.  1161-1230. 

GoDEBERTB  (Saiuto),  fin  vii«  siècle.  Vie  par  Radbod  II,  évê- 
que de  Noyon  (f  1098).  Boll.  AS.  11  avril  II,  p.  32-6.  Migne, 
150,0.1517-28. 

Godegranc  (Saint),  évêque  de  Metz  (f  766).  Vie  par  Jean  de 
Gorze  (f  974).  SS.  X,  p.  552-72. 

GoRGON  (Saint),  martyr,  r/an^/a^ion.  Vie  par  Jean,  abbé  de 
Gorze  (f  974).  Mab.  SB.  III,  2,  p.  206-217.  SS.  IV,  p.  238- 
47. 

GuENAiL  (Saint),  abbé  de  Landeveuec  (f  v.  570).  Translation 
à  Corbeil,  par  un  moine  de  Saint-Guénaud  (v.  milieu  x* 
siècle).  Boll.  AS.  novembre  I,  678-9. 

GuiBERT  (Saint),  fondateur  de  Gembloux  (f  962).  Vie  par  Si- 
gebert  de  Gembloux  (écrite  avant  1071).  Mab.  SB.  V,  p.  301- 
11.  Migne,  t.  160,  c.  661-78.  Miracles  (1099-1115).  SS. 
VIII,  p.  518-23.  Migne,  160,  c.  681-90. 


DES  SOURCES  MANUSCRITES   ET   IMPRIMÉES.  29 

Guillaume  (Saint),  abbé  de  Saint-Bénigne  de  Dijon  (f  1031). 
Vie  par  Raoul  Glaber  (xi«  siècle).  Mab.  SB.  VI,  1,  p.  322-34. 
Migne,  142,  c.  697-720.  Vie  tirée  de  la  Chronique  de  saint 
Bénigne,  Mabillon,  p.  335-344.  Migne,  141,  p.  851-70. 

Guillaume  (Saint),  duc  d'Aquitaine,  moine  à  Gellone  (f  v. 
812).  Vie  rédigée  de  1059-1060  d'après  HLF,  au  commen- 
cement du  XII®  siècle,  d'après  M.  Gaston  Paris,  Lalittér.  fr. 
au  M.  A.  1890,  p.  66.  Mabillon  SB.  IV,  1.  p.  72-87.  Boll. 
AS.  28  mai,  VI,  p.  811-20. 

Madelin  (Saint),  fondateur  de  Celles  (f  v.  690).  Vie  par  Not- 
ker,  évêque  de  Liège  (f  1008).  Mab.  SB.  II,  p.  1013-7. 
Migne,  139,  c.  1141-48. 

Halinard  (Saint),  abbé  de  Saint-Bénigne  de  Dijon  (f  1052). 
Vie  par  un  de  ses  disciples.  Mab.  SB.  VI,  2,  p.  35-41.  Mi- 
gne, 142,  c.  1337-46. 

HiDULPHE,  abbé  de  Moyen-Moutier  (f  v.  707).  Vie  du  x'  siè- 
cle. SB.  III,  2,  p.  477-86. 

Hiltrude  (Sainte),  vierge  à  Liessies  (f  v.  790).  Vie  du  xi'' 
siècle  par  un  moine  de  Waulsort.  Mab.  SB.  III,  2,  420-8. 
Extrait  HF.  V,  442-3. 

Honorine  (Sainte),  Translations  :  1»  Vers  898  et  miracles  par 
un  moine  du  Bec.  Boll.  AS.  27  février,  III,  p.  678-79.  — 
2*  1082  et  miracles.  Mab.  SB.  IV,  2,  p.  526-28.  Adde,  Ana- 
lecta  Boll.  IX,  1890,  p.  134-46. 

Hugues  (Saint),  abbé  de  Cluny  (f  1109).  Vie  par  Hildebert 
évêque  du  Mans  (f  1134).  Boll.  AS.  29  avril  III,  p.  634-48. 
Migne,  159,  p.  857-94.  —  Vie  par  Raynaud  de  Semur 
(t  1129).  Boll.  AS.  p.  648-655.  Migne,  159,  c.  894-906.  — 
Vie  par  Gilon  de  Toucy  (7  v.  1142).  Lhuillier,  Vie  de  saint 
Hugues,  Paris,  1888,  p.  565-618.  Un  epitome  de  cette  vie 
dans  Acta,  loc,  cit.,  p.   655-58.  Migne,  loc.  cit.,  c.  909-18. 

Hugues  (Saint),  évêque  de  Grenoble  (f  1132)  Vie  attribuée  à 
Guigues  du  Chastel  (f  1 137).  Boll.  AS.  1"  avril,  I,  p.  35-46. 
Migne,  153,  c.  761-84. 

Hugues  (Saint),  moine  à  Saint-Martin  d'Autun  {f  v.  930). 
Vie,  miracles,  translation  par  un  moine d'Anzy-le-Duc,  1025. 
(HLF).  Mab.  SB.  V,  p.  92-106. 

Hugues  (Saint),  évêque  de  Rouen  (-{•  730).  Vie  par  Baudri 
de  Bourgueil  (f  1130).  Migne,  166,  c.  1163-72. 


30  BIBLIOGRAPHIE   COMPLEMENTAIRE 

IIuMBERT,  abbé  de  Maroilles  (d.  de  Cambrai),  •{-  v.  680.  Vie  par 
uo  moine  de  M.  1030  (HLF).  BoU.  AS.  S5  mars,  III,  p.  561- 
7.  Extraits  SS.  XV,  790-9. 

HuNEQONDE  (Saioto),  abbesse  d'Homblières  (f  v.  690).  Vie, 
IraDslalioo  (946)  et  miracles  par  Bernier  moioe  à  Saint-Remi 
de  Reims,  abbé  à  Homblières,  948-981.  Mab.  SB.  Il, 
p.  1018-30.  Migne,  137.  c.  49-68. 

Ide  (Bienheureuse),  comtesse  de  Boulogne  (f  1113).  Vie  par 
un  moine  de  Saint-Vaast,  son  contemporain.  Boll.  AS. 
13  avril  II,  p.  141-5.  Migne,  155,  c.  437-48. 

Jean  (Saint),  abbé  de  Gorze  (f  974).  Vie  par  Jean,  abbé  de 
Saint-Arnoul  à  Metz  (980)  (Très  importante  pour  Thistoire 
des  mœurs  et  pour  l'histoire  de  TËglise).  Mab.  SB.  V,  p.  365- 
412.  SS.  IV,  p.  337-77.  Migne,  137,  c.  241-310. 

Jean  (Saint),  de  Beverley  évéque  d'York  (f  721).  Vie  et  mi- 
racles parFolcard  moine  de  Saint-Bertin  (f  après  1084). 
Boll.  AS.  7  mai  II,  p.  168-73.  Migne,  147,  c.  1165-78. 

Jean  (Bienheureux),  évéque  de  Térouanne  (f  1130).  Vie  par 
Gautier  de  Térouanne  (attribuée  longtemps  à  Jean  de  Col- 
mieu).  Boll.  AS.  27  janvier,  II,  p.  794-802.  SS.  XV,  2, 
1138-50. 

Jean  (Saint)  Gualbert,  fondateur  de  Tordre  de  Vallombreuse 
(f  1073).  Vie  par  André,  abbé  de  Strumi  (f  1097).  Boll. 
A3.  12  juillet  III,  p.  343-65.  Migne,  146,  c.  765-812. 

JossK  (Saint),  confesseur  (f  v.  668).  Vie  par  Florent,  abbé  de 
Saint-Josse-sur-Mer  (v.  1015).  Surius,  13  décembre  VII, 
1007-1011. 

Julien  (Saint),  1"  évéque  du  Man8(iii'  siècle).  Vie  par  Lelald, 
moine  de  Micy  (Saint-Mesmin),  abbé  à  La  Couture  (x^- 
xi«  siècle).  Boll.  AS.  27  janvier  II,  p.  762-7.  Migne,  137, 
col.  781-96.  Translation  par  le  même.  Mab.  SB.  IV,  I, 
p.  434  5.  HF.  X,  p.  360. 

Lambert  (Saint),  évéque  de  Maestricht  (f  708  ?).  Vie  par 
Etienne,  évéque  de  Liège  (901-920).  Boll.  AS.  17  septem- 
bre V,  p.  581-9.  Migne,  132,  col.  643-60.  —  Vie  (en  vers), 
par  Hucbald  de  Saint-Amand  (f  930).  Ed.  par  Joseph  De- 
marteau,  Liège,  1878  (Extr.  d\i  BulL  de  V  Institut  archéoL 
Liégeois,  t.  XIII,  part.  2).  —  Vie  par  Sigebert  de  Gembloux. 
Chapeaville,  Gestapontif.  Leodiens.,  I,  p.  411-34.  Migne,  160, 


DKS  SOURCES   MANUSCRITES  ET   IMPRIMÉES.  31 

col.  759-82.  — Autre  vie  par  le  même.  Boll.  AS.  i7  septem- 
bre V,  p.  589-602.  Migne,  160,  c.  781-810. 

Landoald  (Saint),  archiprêtre(f  667).  Vie  par  Hériger  et  Not- 
ker  de  Liège  (écrite  eo  980).  Boll.  AS.  19  mars  III,  p.  35- 
42.  Migoe,  139,  col.  1109-22.  —  Translation  à  Saint-Bavon 
(980)  par  un  contemporain.  Acta,  ibid,,  p.  43-47.  Migne, 
ibid.,c.  1121-24. 

Lanfranc  (Bienheureux),  f  1089.  Vie  par  Eadmer  (f  1124). 
Boll.  AS.  28  mai,  VI,  p.  848-52.  Vie  par  Milon  Crispin  (vers 
1150).  Mab.  SB.  VI,  2,  p.  635-59.  Migoe,  150,  c.  29-57, 
57-98  . 

Lebwin  ou  LiviN  (Saint),  apôtre  des  Frisons  (-J^  773).  Vie  par 
Hucbald,  moinede  Saint-Amand  (f  930).  Migoe,  132,  c.  875- 
94. 

Léon  (Saint),  pape  (f  1054).  Vie  par  Guibert  de  Toul  (vers 
1058).  Mab.  SB.  VI,  2.  p.  53  80.  Migne,   143,  c.  465-510. 

Léonard  (Saint),  confesseur  à  Noblat  (Haute-Vienne)  (vi*  siè- 
cle). Vie  et  miracles  du  xi*  siècle  publiés  par  Arbellot,  Vie  de 
saint  Léonard,  Paris,  1863,  p.  277-89.  Fragments  de  la  vie 
dans  5S.  rer.  merov.  III,  p.  396-99. 

Lkopardin  (Saint),  martyr  à  Aubigny  (vi«  siècle).  Vie  du  x'-xi* 
siècle.  Bol.  AS.  octobre,  p.  463-6. 

Lecfroi  (Saint),  abbé  de  Madrie  (d.  d'Evreux)  (f  v.  738).  Vie 
du  x«  siècle  et  miracles.  Mab.  SB.  III,  1,  583-93. 

Lézin  (Saint),  évèque  d'Angers  (f  v.  605).  Vie  par  Marbode, 
xi«  siècle  (av.  1096).  Bol.  AS.  II,  p.  682-86.  Migne,  171, 
1493-1504. 

Lotrude  (Sainte),  Vierge  au  diocèse  de  Châlons-sur-Marne 
(f  vi«  siècle).  Actes  par  Thierry,  évêque  de  Trêves  (f  977). 
Boll.  AS.  22  septembre  VI,  p.  451-3. 

Macaire  (Saint),  (f  à  Gand  1012).  Vie  par  un  moine  de  Gand 
(1014).  Boll.  AS.  10  avril,  I,  p.  875-7.  —  Autre  vie  par 
un  moine  de  Gand  (1067).  Acta,  ibid.y  p.  878-96. 

Maclou  ou  Malo  (Saint),  évêque  d'Aleth  (f  565  ou  627).  Vie 
par  Sigebert  de  Gembloux  (écrite  de  1076  à  1099).  Migne, 
160,  c.  729-46. 

Magloire  (Saint),  évêque  de  Dol  (f  vers  595).  Vie  du  x°-xi* 
siècle.  Mab.  SB.  I,  p.  223-31.  Translation  à  Lehon,  récit  du 
x«  siècle.  Anal,  Boll.  VIII,  p.  370-9  ;  Transi,  à  Paris  (fm  x« 


32  BIBLIOGRAPHIE   COMPLÉMENTAIRE 

siècle,  après  979),  éd.  Merlel,  Bibl.  École  des  Chartes,  1895, 
p.  243  suiv. 

Maqneric  (Saint),  évêque  de  Trêves  (v.  596).  Vie  par  Eber- 
win,  abbé  de  Saint-Martin  de  Trêves  (f  1047).  SS.  VIII, 
p.  208-9.  Migne,  154,  c.  1243-4. 

Maieul  (Saint),  abbé  de  Cluny  (948-994).  Vie  par  saint  Odi- 
lon  (t  1049).  Boll.  AS.  11  mai  II,  p.  684-90.  Migne,  142, 
c.  943-62.  —  Vie  par  Syrus  et  Aldebald,  moines  à  Cluny 
(x«  siècle).  Mab.  SB.  V,  p.  786-810.  Migne,  137,  c.  745-78. 
—  Vie  par  Nelgod  (v.  1090).  Boll.  AS.  11  mai  II,  p.  658-68. 
Miracles,  Acta,  fWrf.,  p.  690-700. 

MAiMBEUF(Saint),  évêque  d'Angers  (f  v.  660).  Vie  du  x*  siè- 
cle d'après  H.  litt.,  par  un  contemporain  suivant  d*autres 
(Potthast).  Boll.  AS.  16  octobre,  VU,  2,  p.  940-50.  Migne, 
171,  c.  1531-48.  —  Vie  par  Marbodede  Rennes  (f  1123).  Mi- 
gne, 171.  c.  1547-62. 

Mammés  (Saint),  martyr  (f  274).  Vie  par  Raynaud  de  Bar, 
évêque  de  Langres  (•}•  1085).  Dubois,  Bibliot,  Floriacens.,  II, 
Lyon  1605,  p.  210-26. 

Mansuy  (Saint),  évêque  de  Toul(f  v.  375).  Vie  par  Ad8on,abbé 
de  Montier-en-Der  (f  992).  D.  Calmet,  Eist.  de  Lorraine, 

1,  Preuves,  p.  86-106.  Migne,  137,  c.  619-44. 

Martial  (Saint),  évêque  de  Limoges  (f  614).  Lettres  d'A- 
démar  de  Chabannes  sur  son  apostolat  (septembre  1028). 
Mabillon.  Annales,  IV,  p.  717-28.  Migne,  141,  c.  89-112. 

Martin  (Saint),  abbé  à  Vertou,  diocèse  de  Nantes  (f  601).  Vie 
du  ix'-x"  siècle.  Mab.,  SB.  I,  p.  681-7.  Autre,  un  peu  posté- 
rieure. Boll.  AS.  24  octobre  X,  p.  806-10.  Troisième  vie 
(xi*  siècle).  Mab.,  p.  371-4.  —  Miracles  et  translation  par  un 
moine  de  Vertou  («•-x*  siècle).  Mab.,  loc.  cit.,  p.  375-8.  Cba. 
p.  687. 92.  Bol.  AS.  toc.  cit.,  p.  810-18.  SS.  rer.  merov.  III, 
567-73. 

Martin  (Saint),  évêque  de  Tours  (f  397),  Miracles,  par  Bra- 
de, évêque  de  Liège  (f  971).  Migne,  135,  c.  947-50;  par 
un  auteur  du  xi"  siècle,  sous  le  nom  d*Herbern,  arch.  de 
Tours  (t  913).  Baluze,  MisceU.,  VII,  p.  169-95.  Migne,  129 
c.  1035-52  ;  par  Radbode,  évêque  d'Utrecht  (f  917).  Salmon, 
Suppl.  aux  chroniques  de  Touraine,  1856,  p.  1-13,  SS.  XV, 

2,  p.  1240-44.  —  Translation  (retour  en  Bourgogne,  884), 


DES   SOURCES  MANUSCRITES  ET   IMPRIMEES.  33 

par  UQ  auteur  du  xi*  ou  même  du  xii"  siècle  (ou  Ta  attribuée 
longtemps  à  Odon  de  Cluoy)  (f  942).  M  igné,  133,  c.  815-38. 

M ASTioiB  (Sainte),  vierge,  à  Troyes  en  Champagne.  Hist.  de 
rinvenlion  (988),  par  un  chanoine  de  Troyes,  1007  (HLF). 
Boll.  AS.  7  mai,  H,  142-4. 

Mathilde  (Bienh.),  reine  de  Germanie  (f  968).  Vie  écrite  en 
974.  SS.  X,  p.  575-82.  Migne,  15i,c.  1311-20.-- Autre  vie 
remaniée,  écrite  par  ordre  de  Henri  II,  vers  lOiO.  Bol.  AS. 
14  mars,  II,  p.  358-70.  SS.  IV,  p.  283-302.  Migne,  135,  c. 
889-920. 

Mathurin  (Saint),  prêtre,  v*  siècle.  Vie  par  un  Anon.,  930-35 
(HLF).  Boll.  AS.  l«f  novembre  I,  p.  250-55. 

Mauquille  (Saint),  ermite  en  Ponthieu  (f  v.  685).  Vie  par 
Hariulf,  de  Saint-Riquier,  écrite  vers  1090  (Lot,  Chron,  de 
Saint  Hiquier,  CT.  p.x-xi).  Mab.  SB.  IV,  2,  537-44.  Migne, 
174,  1441-50. 

Maurille  (Saint),  évêque  d'Angers  (f  v.  430).  Vie  par  Archa- 
nald,  diacre  d'Angers  (905),  attribuée  faussement  à  Fortunat. 
Migne,  88  c.  563-76.  SS.  Auct.  Antiquiss.  IV,  2  (1885), 
p.  82-101  (Fortunat).  Vie  par  Marbode,  évêque  de  Rennes 
(t  1123).  Migne,  171,  c.  1635-48. 

Maxime  (Saint),  de  Chinon,  abbé  (f  v.  450).  Vie  et  miracles  du 
XI*  siècle  édictés  par  Salmon,  Mém,  Soc.  archéoL  de  Ton- 
raine,XlU  (1861-2),  157-180. 

Maximin  (Saint),  abbé  de  Micy  (d.  d'Orléans)  (f  520).  Miracles, 
par  Létald,  moine  de  Micy  (vers  945).  Mab.  SB.  I,  p.  598- 
613.  Migne,  137,  c.  795-824. 

Maximin  (Saint),  évêque  de  Trêves  (f  349).  Miracles  parSige- 
hard  (963).  SS.  IV,  p.  230-4.  Migne,  133,  c.  967-78. 

Mbdard  (Saint),  évêque  de  Noyon  (vi*  siècle).  Vie  par  Rad- 
bod  II,  évêque  de  Noyon  (f  1098).  Boll.  AS.  8  juin  II,  p.  87- 
95.  Migne,  150,  c.  1499-1518.  —  Translation  par  anonyme 
(943)  (H.  litt.).  Boll.  AS.  toc,  cit.,  p.  95-105. 

Meinrad  (Saint),  martyr  (f  vers  861).  Vie  du  x*  ou  du  xi«  siè- 
cle). Mabillon,  SB.  IV,  2,  p.  64-68.  Migne,  142,  c.  1177-84. 

Menelbe  ou  Melerée  (Saint),  abbé  de  Menât  (Auvergne)  (f  v. 
720).  Vie  par  anonyme,  996  (H.  litt.).  Mabillon,  SB.  III,  1, 
p.  404-23.  Boll.  AS.  22  juillet,  V,  p.  308-19. 

F.  —  Tome  111.  3 


34  BIBLIOGRAPHIE   COMPLÉMENTAIRE 

Mengold  (Saint),  martyr.  Vie  par  un  chanoine  de  Huy  (d.  de 
Liège),  1086  (H.  litt.)  (suivant  d'autres,  xii«  siècle).  BolL 
AS.  8  février  II,  p.  191-6. 

Menoul  (Saint),  évêque  (Bretagne),  vu*  siècle.  Anon.,  930-35 
(H.  litt.).  Boll.  AS.  12juillet,  III,  p.  307-8. 

Méry  (Saint),  abbé  de  Saint-Martin  d'Autun  (f  v.  700).  Vie 
écrite  après  translation  à  Paris  (884)  probabl.  au  x**  siècle. 
Mab.  SB.  m,  1,10-15. 

MoDOALD  (Saint),  évêque  de  Trêves  (f  640).  Vie  et  miracles^ 
par  Etienne,  abbé  de  Saint-Jacques  de  Liège  (f  111^).  BolI. 
AS.  12  mai,  III,  p.  51-62.  Migne,  154,  c.  1273-80. 

Montane  (Sainte),  abbesse  (diocèse  de  Bourges)  (avant  1000). 
Anonyme,  x»  siècle.  Boll.  AS.  24  octobre,  X,  p.  859-62. 

Odile  (Sainte),  f  v.  720.  Vie  rédigée  de  900  à  950  par  un 
prêtre  desservant  le  monastère  de  Hobenburg  (PHster,  La 
Légende  de  sainte  Odile,  Paris,  1892,  p.  42-48).  Mab.  SB. 
ni,  2,  p.  488-96,  Analecta  Bolland.  XIII,  9-32  (éd.  Pûster). 

Odilon  (Saint),  abbé  deCluny  (f  1048).  Vie  par  Jotsauld,  moine 
de  Cluny  (xi«  siècle).  Mab.  SB.  VI,  1,  p.  679-710.  Migne, 
142  col.  897-940. 

Odon  (Saint),  abbé  de  Cluny  (f  942).  Vie  par  Jean  (x®  siècle), 
authentique  et  digne  de  foi.  Bibl.  nat.,  MS.  lat.,  5566  (xi(> 
siècle).  Mab.  SB.  V,  p.  150-186.  Migne,  133,  c.  43-86.  —  Vie 
parNalgod  (vers  1090).  Mab.  SB.,  V,  p.  186-99.  Migne,  133, 
c.  85-104.  —  Vie  par  un  anonyme,  xi"  siècle.  Bibl.  nat. 
MS.  lat.,  n»  5566  (xi'^  siècle). 

Odon  (Bienheureux),  abbé  de  Saint-Martin  de  Tournai  (f  1 1 13). 
Vie  par  Amand  du  Châtel  (f  1133).  Boll.  AS.  19  juin,  III, 
p.  911-13.  Migne,  160,  c.  1128-32. 

Omer  (Saint),  évêque  de  Térouane  (vii«  siècle).  Vie  par  Folcard^ 
abbé  do  Torney  (f  après  1084).  Mab.  SB.  II,  p.  559-65. 
Migne,  t.  147,  p.  1179-90. 

OuEN  (Saint),  évêque  de  Rouen  (f  683).  Vie  du  ix'-x*  siècle. 
Boll.  AS.  août  IV,  810-19.  Renouvelée  probabl.  au  xi*  siè- 
cle. Analecta  BolL  W,  p.  76-146.  —  Vie  en  vers  par  Thierri, 
moine  de  Saint-Ouen  (xi«  siècle),  avant  1074.  Migne,  150, 
c.  1189-92.  —  Miracles,  par  Fulbert,  moine  de  Saint-Ouen 
(xi«  siècle),  avant  1092.  Boll.  AS.  24  août,  IV,  p.  .825-40. 


DBS   SOURCES  MANUSCRITB8   ET   IMPRIMÉES.  35 

Opportune  (Sainte),  abbesse  de  MoDtreuil(riQvm<^  siècle).  Vie 

et  miracles,  par  Aldelme,  évêque  de  Séez  (f  v.  910).  Mab. 

SB.  III,  2,  p.  222-231,  p.  231-38. 
Pàschasb  Radbert  (SaiDt),  abbé  de  Corbie  (f  v.  860).  Vie 

par  UD  moiDe  de  Corbie  (xi-xii«  siècle).  Mab.  SB.  IV,  2, 

p.  567-9. 
Paterne  (Saint),  moine  à  Sain t-Pierre-le- Vif  de  Sens,  martyr, 

(f  V.  726).  Actes,  anon.,  940-945  (HLF).  Mab.  SB.  III,  1, 

p.  463-70.  —  Translation,  958.  Mab.  SB.  V,  p.  244-6. 
Patient  (Saint),  évêque  de  Metz  (v.  152).  Vie  par  anonyme, 

V.  1082.  Bol.  AS.  8  janvier,  I,  p.  469-70. 
Paul  (Saint),  évêque  de  Léon  (Bretagne)  (f  573).  Vie  par  un 

moine  de  Fleury,  958,  tirée  de  la  vie  écrite  en  884,  par 

Wormonoc,  moine  de  Landevenec.  Boll.  AS.  12  mars,  II, 

p.  111-120. 
Paul  (Saint),  évêque  de  Verdun  (f  v.  649).  Vie  par  un  anon. 

du  diocèse  de  Verdun,   1060  (HLF)  (du  x*  siècle  d'après 

d'autres).  Mab.  SB.  II,  p.  268-75. 
Pépin  de  Landen  (Bienheureux),  maire  du  palais  d'Austrasie 

(t  640).  Boll.  AS.  21  février  III,  p.  260-1.  HF.  II,  p.  603- 

608. 
Pharailde  (Sainte),  vierge  (f  v.  750).  Vie  fin  x*  siècle  (HLF). 

Boll.  AS.  4  janvier,  I,  p.  170-2. 
Pierre  (Saint),  de  Chavanon,  fondateur  de  Pébrac  (f  v.  1080). 

Vie  par  Etienne,  chanoine  de  Pebrac  (xi°-xn«  siècle).  Boll. 

AS.  9  septembre,  III,  p.  472-9. 
Pierre  Urseolb  (Bienheureux),  doge  de  Venise,  moine  de 

Saint-Michel  de  Cusan  (f  v.  997).  Vie  par  un  moine  de  Cu- 

san  (d.  de  Perpignan),  1098  (HLF).  Mab.  SB.  V,  878-88. 
PiRMiN  (Saint),  évêque  de  Meaux,  abbé  de  Reichenau  et  de 

Murbach  (f  v.  758).  Vie  du  xi«  siècle.  Mab.  SB.  III,  2, 

140-53. 
Ponce  (Saint),  abbé  de  Saint-André  d'Avignon  (f  1087).  Vie 

par  Raymond  ou  Ramnulfe,  moine  de  S. -A.  (f  vers  1099). 

Mab.  SB.  VI,  2,  p.  494-501. 
PoppoN  (Saint),  abbé  de  Stavelot  (f  1048).  Vie  par  Everheim, 

abbéde  Haulmont(t  1069).  Boll.  AS.  25  janvier,  II,  p.  638- 

52.  Mab.  SB.  VI,  I,  p.  571-96.  SS.  XI,  p.  293-316. 


36  BIBLIOOR/IPHIB    COMPLÉMENTAIRE 

PoRCAiRE  (Saint),  abbé  de  Lerins  (f  v.  731).  Anonyme  cooa- 
menc.  x«  siècle  (HLF).  Boll.  AS.  12  août,  II.  p.  737-9. 

Précord  (Saint),  solitaire  à  Vailly  (Aisne)  (f  vu*  siècle).  Trans- 
lation par  un  moine  de  Corbie,  v.  959.  Boll.  AS.  1"  février, 
I,  p.  196-8. 

Privât  (Saint),  évêque  de  Gévaudan,  iii«  siècle.  Actes  par  un 
anonyme  (un  xi«  siècle).  Boll.  AS.  21  août,  IV,  p.  439-41.  — 
Miracles  par  un  clerc  de  la  cathédrale  de  Mende  (2'  moitié 
du  XI*  siècle),  publiés  par  Tabbé  Pourcher  dans  Manuscrit 
ou  livre  de  Saint-Privat  (Saint-Martin  de  Boubaux,  1898). 

Probace  (Saint),  prêtre  à  Nogent  (iv*  siècle).  Eloge,  959.  Boll. 
AS.  4  février,  I,  p.  552-554. 

Protade  (Saint),  évêque  de  Besançon  (f  624).  Anonyme 
(x«  siècle).  Boll.  AS.  10  février.  II,  p.  413-4. 

Prudence  (Saint),  martyr  en  Poitou  (vii«  siècle).  Translations 
et  miracles  par  Thibaud  de  Bèze  (1126).  Boll.  AS.  6  octobre, 
III,  p.  348-78. 

Quentin  (Saini),  apôtre  d'Amiens  (f  v.  285).  Miracle  par  un 
moine  de  Saint-Quentin-en-risle  984  (HLF).  Boll.  AS.  31 
octobre,  XIII,  p.  812-4. 

Quitbrie  (Sainte)  (Gascogne).  Anon.  930.  Boll.  AS.  22  mai, 
V,  p.  171-3. 

Radbod  (Saint),  évêque  d'Utrecht  (f  917).  Vie  par  un  ano- 
nyme, 930.  Mab.  SB.  V,  p.  27-31.  Migne,  132,  c.  539-46. 
SS.  XV,  I,  p.  569-571. 

Reinelde  (Sainte)  (Hainault)  (f  v.  750).  Vie  996.  Boll.  AS.  16 
juillet,  IV,  p.  176-8. 

Remacle  (Saint),  abbé  de  Stavelot  (f  668).  Vie  par  Notker, 
évêque  de  Liège  (f  1008)  ou  par  Heriger  (f  1007).  Surius 
3  septembre.  Migne,  139,  c.  1147-68.  —  Miracles  (ix«-x«  siè- 
cle). Acta  SS.  Boll.  3  septembre  ï,  p.  696-721.  —  Triomphe 
(1071).  Lettre  des  moines  de  Stavelot.  SS.  XI,  p.  433-61. 
Migne,  149,  c.  287-334. 

Rrmi  (Saint),  évêque  de  Rouen  (f  771).  Vie  par  Gérard, 
doyen  de  Saint-Médard  de  Soissons  (954)  (HLF,  VI,  p.  279), 
ou  par  Fulbert  archidiacre  de  Rouen,  av.  1090  (HLF.  VIII, 
p.  376-8).  Marteneet  Durand  Thesaur.  Anecdot.  III,  p.  1665- 
1670.  Boll.  AS.  19  janvier,  II,  p.  235-6. 

Richard  (Bienheureux),    abbé    de    Saint-Vannes  à    Verdun 


DBS   SOURCES  MANUSCRITES  ET   IMPRIMÉES,  37 

(•}•  1046).  Vie  du  commencement  du  xii*  siècle  par  un  moine 
de  S.-V.  Mab.  SB.  VI,  1,  p.  519-30.  SS.  XI,  p.  280-90.  — 
Autre  vie,  extraite  dé  la  Chron.  de  Hugues  de  Flavigny. 
Mab.  loc.  cit.,  p.  537-65.  —  Miracles.  Mab.  /.  c,  p.  530-35. 

RiCTRUDE  (Sainte),  abbessodeMarchiennes  (f  v.  688).  Vie  par 
le  moine  de  Saint-Amand,  Hucbald,  écrite  en  907.  Mab. 
SB.  II,  p.  938-50.  Migne,  132,  c.  829-48.  —  Miracles  par 
Gualbert,  moine  de  Marchiennes  (v.  1128).  Boll.  AS.  12  mai, 
III,  p.  118-40. 

RiGOMER  (Saini),  prêtre  à  Souligné  (Maine)  (f  milieu  vi«  siè- 
cle). Translation  (1014),  à  Maillezais,  par  Pierre,  moinecon- 
temporain.  Mab.  SB.  VI,  I,  p.  134-6. 

RiQUiER  (Saint),  abbé  et  fondateur  du  couvent  de  SainL-Ri- 
quier  (f  645).  Vie  (en  vers)  par  Angeiramme  (Saint)  (f 
1045).  Mab.  II,  p.  501-12.  Migne,  141,  c.  1423-38.  —  Vie 
par  Hariulf,  écrite  vers  1100.  Mab.  SB.  V,  567-73.  — /«vew- 
lion  par  Angeiramme.  Mab.  ibid.y  563-6. 

Robert  (Saint),  abbé  de  la  Chaise-Dieu  (f  1067).  Vie  par  Mar- 
bode,  évéque  de  Rennes  (f  1123).  Mab.  SB.  VI,  2,  p.  188- 
207.  Migne,  171,  c.  1505-32. 

Robert  (Saint),  fondateur  de  Molesme  (1018-1110).  Vie  par  un 
moine  du  xii'»  siècle.  Boll.  AS.  29  avril,  IIÏ,  p.  668-78.  Mi- 
gne, 157,  c.  1269-88. 

Robert  (Bienheureux),  d'Arbrissel  (f  1117).  Vie  par  Baudri 
de  Bourgueil  (f  1130).  Boll.  AS.  25  février,  III,  p.  6038. 
Migne,  162,  c.  1043-58. 

RoDiNOB  (Rouin),  abbé  de  Beaulieu,  vu®  siècle.  Vie  par  Ri- 
chard de  Saint- Vannes  (f  1046)  (HLF)  (d'après  Potthast  par 
Richard  de  Beaulieu,  vers  1050).  Mab.  SB.  IV,  2, 
p.  532-36. 

Romain  (Saint),  abbé  d'Auxerre  (f  545).  Vie  par  Gilbert  de 
Vareilles(v.  1048).  Mab.  SB.I,  p.  82-97.  Boll.  AS.  22  mai, 
V,  p.  153-65. 

Romain  (Saint),  évêque  de  Rouen  (f  639).  Vie  par  Gérard, 
doyen  de  Saint-Médard  de  Soissons  (x®  siècle).  Boll.  AS.  23 
octobre  X,  p.  91-4.  Prologue  Migne,  138,  c.  171-4.  Vie 
du  x«-xie  siècle  (939-1037).  Boll.  AS.  X,  p.  96-102.  Vie 
par  Fulbert,  archidiacre  de  Rouen  (v.  1080),  éd.  par  Nicolas 
Rigault  (Paris,  1609). 


38  BIBLIOGRAPHIE   COMPLEMENTAIRE 

Romaine  (Sainte),  vierge,  martyre,  à  Beauvais,  sous  Dioclétien. 
Vie  par  un  clerc  de  Beauvais,  v.  1074  (H.  litt.).  Boll.  AS. 
3  octobre,  II,  p.  137-40. 

RoMUALD  (Saint),  fondateur  de  Tordre  des  Camaldules  (f  1027). 
Vie  par  Pierre  Damien  (f  1071).  Mab.  SB.  VI,  1,  p.  280- 
312.  Migne,  144,  c.  9531008. 

RuMOLD  (Rombaud)  (Saint),  apôtre  de  Malines  (f  775).  Vie  et 
miracles  par  Thierry,  abbé  de  Saint-Trond  (f  1107).  Boll. 
AS.  l*r  juillet,  I,  p.  241-249. 

Sackrdos  ou  Sardos  (Sainl),  évêque  de  Limoges  (f  v.  720). 
Vie  par  Hugues  de  Fleury  (v.  1109).  Boll.  AS.  5  mai,  II, 
p.  14-22.  Migne,  163,  c.  979-1004. 

Samson  (Saint),  évêque  de  Dol,  en  Bretagne  (f  v.  565).  Vie 
du  ix-x^  siècle.  Mab.  SB.  1, 165-86.  Autre,  probablement  du 
même  temps,  dsius  AnalectaBolland.,  VI,  1887,  p.  79-150,  ti- 
rage à  part  sous  le  titre  :  Très  ancienne  vie  inédite  de  saint 
Sarnson^  publiée  par  Dont  Plaine,  Paris,  1888. 

Savin  (Saint),  martyr  (iv^  siècle).  Translation  du  xi*  siècle. 
Migne,  126,  1051-6. 

Savinikn  et  PoTKNTiEN  (Saiuts),  à  Sens  (f  après  275).  Transla- 
tion vers  1025,  par  un  auteur  contemporain,  probabl.  Odo- 
ranne  de  Sens.  Mab.  SB.  VI,  1,  p.  256-66.  Migne,  143,  c. 
783800,  Duru.  Bibl.  de  l'Yonne,  II,  p.  288-339. 

Sébastien  (Saint),  martyr  (f  v  .  287).  Translation  par  Odilon, 
moine  de  Saint-Médard  de  Soissons  (avant  930).  Mab.  SB. 
IV,  1,  p.  383-410.  Migne,  132,  c.  579-622.  —  Miracles,  par 
un  moine  de  Saint-Médard  (xi*  siècle).  HF.  XI,  p.  455-457. 
SS.  XV,  2.  p.  771-3. 

Sévbr  (Saint)  (f  v.  407).  Vie  par  un  anonyme  du  xi*  siècle. 
Dubuisson,  Hist.  mon.  S.  Severi  (1876),  I.  p.  6-44.  —  Autre 
vie  en  vers  (xi*  siècle),  ibid.,  p.  44-50  (Vie  attribuée  au 
IX*  siècle,  ibid,,  p.  51-76).  —  Miracles,  ibid,,  p.  77  et  suiv. 

SiQKBBRT  (Saint),  roi  d'Austrasie  (f  656).  Vie  par  Sigebert  de 
Gembloux  (f  1112).  Boll.  AS.  1"  février,  I,  p.  227-31.  Mi- 
gne, 87,  c.  307  314.  ViU  brevior.  Migne,  160,  c.  725-30. 
—  Translation  et  miracles,  par  Sigebert  de  Gembloux.  AS., 
loc.  cit.,  p.  236-39. 

Simon  (Saint),  comte  de  Crépy  (f  1080).  Vie  par  un  contempo- 
rain. Mab.  SB.  VI,  2,  p.  374-84.  Migne,  156,  c.  1211-24. 


DES  SOURCES   MANUSCRITES   ET   IMPRIBiésS.  39 

SoLBiNB  (Saint),  évêque  de  Chartres  (f  508).  Vie    par  un 

anonyme,  v.  1068.  Boli.  AS.  25  septembre,  VII,  p.  68-72. 

—  Translation  et  miracles,  ibid.,  p.  75-81. 
SouR  (Saint),  anachor.  en  Périgord  (vi*  siècle).  Vie  du  x*  siè- 
cle (HLF).  Bol.  AS.  1"  février  I,  199-204. 
Théodard  (Saint),  archevêque  de  Narbonne  (f  v.  893).  Vie 

par  un  anonyme  (1110-1115).  Boll.  AS.  1"  mai,  I,  p.  142-56. 

Extrait  HF,  IX.  p.  115-18.  j 
Thèodard  (Saint),  évêque  de  Maestricht  (f  v.  668).  Vie  par 

Heriger,  abbé  de  Lobbes  (*]- 1007).  publiée  par  Jos.  Demar- 

teau.  Liège,  1890.  —  Vie  par  Sigebert  de  Gembloux.  Boll. 

AS.  10  sept.  III,  p.  593-99  (La  vie  publiée  par  Migne,  160, 

col.  747-58,  est  du  milieu  du  vni'  siècle). 
Thboqbr  (Bienheureux),  évêque  de  Metz  (f  1120).  Vie  écrite 

de  1138  à    1146.  SS.  XII,  p.  449-79.  Extrait  HF,    XIV, 

p.  207-21 . 
Théophile  (Saint),  d*Adana  (f  538).  Vie  parMarbode  de  Ren- 
nes (f  1123).  Boll.  AS.  4  février,  I,  p.  487-91.  Migoe,  171, 

c.  1593-1604. 
Thierry  (Saint),  abbé  de  Saint-Hubert  (f  1086).  Vie  par  un 

contemporain.  Boll.  AS.  24  août,  IV,  p.  848-64.  SS.  XII, 

p.  36-57.  Extrait  (HF),  XIV,  p.  62-67. 
Thierry  (Deodericus)  (Saint),  évêque  de  Metz  (f  984).  Vie 

par  Sigebert  de  Gembloux  (1050-1060).  SS.  IV,  p.  461-83. 

Migne,  t.  160,  c.  691-726. 
Thierry  (Saint),   évêque  d*Orléans  (f    1022).    Vie  par    un 

moine  de  Saint-Michel  de  Tonnerre,  1025  (HLF).  Mab.  SB. 

VI,  I,  p.   194-6.  Extrait  (HF),  X,  p.  368.  Autre  vie.  Mab. 

loc,  cit.,  p.  197-8.  Extrait  HF,  X,  p.  368-9. 
Thierry  (Saint),  abbé  du  Mont-d'Or  (près  Reims)  (f  533). 

Vie  du  x*-xi*  siècle.  Mab.  SB.  I,  p.  614-20.  Miracles  (x*  siè- 
cle), ihid.,  p.  621-2  (xii«  siècle),  p.  622-32.  Epilre  et  hymne 

par  Hucbald  de  Saint-Amand  (f  930).  Migne.  132,  c.  825-8. 
TiLLON  ou  Théau  (Saint),  moine  de  Solignac  (f  703).  Vie  par 

anonyme  (x«  siècle).  Mab.  SB.  II,  p.  994-1001. 
Trond  (Saiot).  Vie  remaniée  par  Thierry,  abbé  de  S.  T.  (f 
1107).  Surius,  23  novembre.  Analect.  hist.  eccL  de  Belgique, 
V,  p.  431-59.  Miracles  par  Stepelin,  moine  de  S.  T.  (xi» 
siècle).  Mab.  SB.  VI,  2,  p.  85-102. 


40  BIBLIOGRAPHIE   COMPLEMENTAIRE 

TuDUAL  (Saint)  (f  v.  533).  Vie  du  xi*  siècle  publiée  avec  une 
plus  récente  et  une  autre  plus  ancienne  par  A.  de  la  Borde- 
rie  {Les  trois  vies  anciennes  de  S.  T,),  Paris,  1877  et  1888. 

TuRiAP  (Saint),  évêque  de  Dol.  viii®  siècle  (?).  Deux  vies  pro- 
babl.  du  x«-xi«  siècle.  Boll.  AS.  13  juillet,  UI,  p.  617-25. 

Urbain  (Saint),  évêque  de  Langres  (v®  siècle).  Miracles  par  un 
moine  de  Saint-Bénigne,  v.  1030.  Boll.  AS.  23  janvier,  II, 
p.  492-4. 

Ursin  (Saint),  premier  évêque  de  Bourges.  Vie  par  anonyme, 

V.  982.  Labbe,  BibL  nova  MSS,  II,  p.  455-63. 

Ursmar  (Saint),  abbé  de  Lobbes  (f  713).  Vie  par  Rathier  de 
Liège,  évêque  de  Vérone  (f  974).  Mab.  SB.  III,  I,  p.  250-5. 

—  Vie  en  vers  par  Heriger,  abbé  de  Lobbes  (f  1007),  éd.  G. 
Waulde  {La  vie  et  les  miracles  de  S.  Ursmer).  Mons,  1628. 
Fragment.  Mab.  SB.  III,  2,  p.  608-11.  Migne,  139,  c.  1125-8. 

—  Miracles  par  Folcuin,  abbé  de  Lobbes  (f  990).  Mab.  SB. 
III,  1,  257-62.  Boll.  AS.  18  avril,  II,  p.  563-73.  —  Miracles 
en  1060.  Acta,  ibid.,  p.  573-578. 

Valentin  (Saint),  prêtre  (f  v.  milieu  vi«  siècle).  Anonyme, 
920925.  Boll.  AS.  4  juillet,  II,  p.  41-2.  Extrait  HL,  III, 
p.  410-1. 

Valkrikn  (Saint),  martyr  à  Tournus,  v.  178.  Vie  par  Baudri 
de  Bourgueil(?)  (f  1130).  Boll.  AS.  15  septembre,  V,  p.  21- 
23.  Migne,  166,  c.  1209-12.  —  Passion^  translation  et  miracles^ 
par  Falcon  deTournus  (—  1087).  Boll.  AS.  lac.  cit.,  p.  23-27. 
TVaws/a^îon  par  Garnier  do  Tournus  (v.  1106),  ibid.,  p.  27-29. 

Valbrir  (Sainte),  martyre.  Translation,  985,  par  un  moine  de 
Chambon  (Limousin).  Anal,  Boll.  VIII  (1889),  p.  278-84. 

Valkry  (Saint),  abbé  de  Leccione  (f  v.  622).  Vie  renouvelée 
au  xi«  siècle.  Mab.  SB.  II,  p.  77-90.  Translation  et  miracles 
(981).  Mab.  SB.  V,  p.  557-62.  Extrait  HF,  IX,  p.  147-9. 

Vandrille  (Saint)  (Wandregisile),  de  Verdun  (f  v.  665).  Mi- 
racles par  un  moine  de  Fontenelle.  Mab.  SB.  II,  p.  547-58. 
Extrait  HF,  IX,  p.  108-109,  etc.  —  Translation  (944)  par  un 
moine  de  Blandigny  (xi'-xii«  siècle).  Mab.  SB.V,  p.  200-213. 
Extrait  HF,  IX,  p.  153-5. 

Vannes  (Saint),  (Vitonus),  évêque  de  Verdun  (f  529).  Eloge  et 
miracles  par  Richard  de  Saint- Vannes  (f  1046).  Mab.  SB. 

VI,  I,  p.  565-9. 


DBS  SOURCES  MANUSCRITES  ET  IMPRIMEES.  41 

Venant  (Saint)  (Venance),  évêque  de  Viviers,  vi«  siècle.  Vie 

par  anonyme  (1098)  (HLF).  Boll.  AS.  K  août,  II,  p.  107-10. 
Véron  (Saint),  confesseur  à   Lembecq  (Brabant).  Invention 

(1004),  miracles  et  translation  à  Mons  (101^),  par  Olbert, 

abbé  de  Gembloax  (f  1048).  Boll.  AS.  30  mars,  III,  p.  845- 

50. 
Victor  (Saint),  à  Marseille  (f  v.  290).  Passion  par  Marbode 

de  Rennes  (tll23).  Migne,  171,  c.  1615-26. 
Vital  (Bienheureux),  abbé  de  Savigny  (Manche)  (f  1122). 

Vie  par  Etienne  de  Fougères,  évêque  de  Rennes  (f  1178). 

Analecta  Bolland.,  I,  1882,  p.  357-90. 
Vivent  (Saint),  prêtre  à  Vergy  (f  v.  413).  Vie  par  un  moine 

de  Vergy,  930-35  (H.  litt.).Boll.  AS.  13  janvier,  I,  p.  804-14. 

Extraits  HP,  VII,  p.  368,  IX,  p.  130-1. 
VoRLE  (Saint)  (Verolus),  prêtre  à  Chàtillon-sur-Seine  (f  v. 

600).  Vie-homélie  du  xi«  siècle.    Boll.   AS.   17  juin   III, 

328-8.  Extraits  HP.  XII,  468,  X,  375. 
VouEL  (Saint),  solitaire  à  Soissons  (f  v.  720).  Vie  du  x*  siècle. 

Mab.  SB.  IV,  2,  544-50. 
Vulpran  (Saint),  évêque  de  Sens(f  720-21).  Invention  (1027) 

et  miracles  par  un  moine  de  Saint- Vandrilie  (1061).  Mab. 

SB.  III,  1,  p.  366-82.  Extraits  HP,  X,  p.  381,  XI,  p.  476-7. 
VuLGAN  (Saint),  patron  de  Lens  (Artois)  (f  685).  Vie  par  un 

anonyme  du  xi*  siècle.  Boll.  AS.  2  nov.  I,  p.  569-74. 
Walbert  (Saint)  (Waldebert),  abbé  de  Luxeuil  (f  665).  Vie 

et  miracles  par  Adson  de  Montier-en-Der  (f  992).  Mab.  SB. 

III,  2,  p.  452-60.  Migne,  137,  c.  687-700. 
Walburqk  (Sainte)  (f  v.  780).  Vie  par  Adalbolde  évêque  d*U- 
trecht  (f  1027),  Migne,  140,  c.  1091-1102. 
Waneng  (Saint),  fondateur  de  Tabbaye  de  Pécamp  (f  v.  688). 

Vie  du  x«-xi«  siècle.  Fragments.  Mab.  SB.  II,  972-5. 
Werburgb  (Sainte),   vierge,  viii*  siècle.  Vie  par  Goscelin, 

moine  à  Saint-Bertin  puis  à  Cantorbéry  (f  1098).  Boil.  AS. 

3  février  I,  p.  386-90.  Migne,  155  c.  97-110. 
WiBORADE    (Sainte),  vierge   de  Saint-Gall  (f  926).  Vie    par 

Hartmann,  moine  à  Saint-Gall.  Boll.  AS.  2  mai  I,  p.  284-93. 

Mab.  SB.  V,  p.  44-61.  Autre,  par  Hepidann  (1076).  Mab. 

ibid.,  p.  61-66. 


42  BIBLIOGRAPHIE   COMPLEMENTAIRE 

WiLFRiD  (Saint),  évêque  d'York  (f  709).  Vie  (envers)  par  Fri- 
degod  vers  milieux*  siècle.  Mab.  SB.  111,  I,  p.  171-96. 
Migne,  133.  c.  981-1012.  Vie  par  Eadmer  (1060-1124), 
Mab.  SB.  III,  I,  p.  196-228.  Migne,  159,  c.  713-52. 

WiLLiBROD  (Saint),  évêque  d'Ulrecht  (f  738),  fondateur 
d'Epternach.  Vie  parThéofroi,abbéd*Eplernach(f  1110).  Re- 
maniement d'une  vie  écrite  par  Alcuin  (f  804).  Fragments. 
Mabilion,  SB.  III,  p.  629-30.  Migne,  157  c.  411-12. 

WiNNOC  (Saint),  Flandre  (f  717).  Vie  par  anonyme  du  xi*  siè- 
cle. Mabilion,  SB.  111,  I,  p.  302-14.  Extraits  HF,  III,  p.631- 
32  ;  Vil,  p.  379-80  ;  IX,  p.  134.  Vies  et  Miracles,  par  Drogon, 
moine  de  Bergh-Saint-Winnoc  (xi*  siècle).  Mab.,  loc.  cit.^ 
p.  315-27,  SS.  XV,  2,  p.  778-82. 

WoLBODON  (Saint),  évêque  de  Liège  (f  1021).  Vie  par  Raynier 
de  Saint-Laurent  (v.  1130).  Mab.  SB.,  VI,  1,  p.  176-85. 
Migne,  204,  c.  199-212.  Extrait,  HF.  X,  p.  317. 

WuLSTAN  (Saint)  (f  1095).  Vie  par  Hemming  de  Worcester, 
son  contemporain.  Migne,  150,  c.  1489-92.  —  Vie  par  Flo- 
rent de  Worcester  (f  1118).  BoU.  AS.  19  janvier  II,  p.  239- 
42.  —  Vie  par  Guillaume  de  Malmesbury  (f  1140).  Mab. 
SB.  VI,  2,  p.  840-65.  Migne,  179,  c.  1734-72. 

YsARNB  (Saint),  abbé  de  Saint-Victor  de  Marseille  (f  1048).  Vie 
par  un  contemporain.  Mab.  SB.  VI,  I,  p.  609-26.  Boll.  AS. 
24  septembre,  VI,  p.  737-49. 

V  B10GR.\PHIES 

Adalbbron  II,  évêque  de  Metz  (984-1005).  Vie  par  Constan- 
tin, abbé  de  Saint-Symphorien  de  Metz,  écrite  vers  1015. 
SS.  IV,  p.  6Ô9672.  Migne,  139,  1553-1576. 

Bouchard,  comte  de  Melun  (Vie  par  Eudes  de  Saint-Maur 
écrite  en  1058),  éd.  B.  de  La  Roncière.  Paris,  1892(CT). 

Bouchard,  évêque  de  Worms!(f  1025).  Vie  par  un  auteur  du 
xi«  siècle  (après  1030).  SS.  IV,  p.  829-46.  Migne,  L  140, 
507-536. 

Charles  le  Bon  (f  1127),  comte  de  Flandre.  Histoire  par 
Galbert  de  Bruges,  éd.  Pirenne,  1891  (CT). 

Gauzlin,  abbé  de  Fleury  (f  1030).  Vie  par  André,  moine  de 
Fleury  (1041),  éd.  Léop.  Delisle,  Orléans,  1853,  66  pages 


DBS  SOURGBS   MANUSCRITES  ET  IMPRIMÉES.  43 

{Extrait  des  mémoires  de  la  soc.  archéol.  de  l'Orléanais,  II, 
p.  257-322).  Nouv.  éd.  d'après  un  MS.  du  Vatican  par 
P.  Ewald  avec  noies  de  L.  Delisle.  Neues  Archiv,  der  Ge- 
sellsch.  f.  à.  d.  Gesch.,  111,1878,  p.  35l-83{adde  II,  p.  605- 
607). 

Lambert,  abbé  de  Saint-Bertin  (1095-1 1 25)  [Tractatus  de  mon- 
bus  Lamberti)  par  un  anonyme  du  xii'  siècle.  SS.  XV,  2, 
,  p.  947-53. 

Mathildb,  comtesse  de  Toscane  (1052-1125).  Vie  par  Donizon, 
bénédictin  à  Canossa  (1115).  SS.  XII,  p.  348-409.  Migne, 
148,  c.  949-1036.  Résumé  en  prose.  Migne,  148,  c.  1039- 
1058. 

Robert  I.  Vie  par  Helgaud(v.  1050).  HF.  X,  p.  96-117.  Mi- 
gne, 142,  c.  909-936  (Cf.  Auvray,  Une  source  de  la  vita 
Roberti.  Mélanges  de  Técole  de  Rome,  1887,  p.  458). 

5»  CHRONIQUES  (par  régions). 

Alémanie.  —  Bernold,  prêtre  à  Constance  (f  1100).  Chroni- 
que originale  à  partir  de  1055.  SS.  V,  p.  385-467.  Migne, 
148,  c.  1299-1432. 

—  Hermann  (Conlractus),  bénédictin  à  Reichenau  (f  1054). 
Chronique  universelle  (1054).  SS.  V,  p.  67-133.  Migne, 
143,  c.  55-264. 

Anjou,  —  Chroniques  d\injou  :  Eglises  d'Anjou,  éd.  Marche- 
gay  et  Mabille,  1869.  —  Comtes  d'Anjou,  éd.  Mabille.  1871. 

Aquitaine.  —  Adémar  pb  Chabannrs  (f  1034).  Chronique 
d'Aquitaine  (1028).  SS.  IV,  p.  113-148.  Migne,  141,  c.  19- 
80.  Edit.  J.  Chavanon,  1897  (CT).  Ajoutez  J.  Lair,  Eludes 
critiques  sur  divers  textes  des  x«  et  xj*  siècles.  Paris,  1899. 
T.  II. 

—  Angouléme.  —  Chronique  des  évoques  et  des  comtes  d'An- 
goulême  (v.  1159).  Labbe,  Bibl.  nova  MSS.  II,  p. 249-64.  Ex- 
traits HF,  X-XII. 

—  Berry.  —  Annales  de  Massay  (Saint-Martin)  (diocèse  de 
Bourges)  (732-1013).  SS.  III,  p.  169-70.  Extraits  HF.  VIII, 
p.  230-31. 

—  Limoges.  —  Chroniques  de  Saint-Martial  de  Limoges,  éd. 
Duplès-Agier,  Paris,  1874. 


44  BIBLIOGRAPHIE   COMPLÉMENTAIRE 

—  Id,  —  Gkoffroy  nu  Viqeois,  moine  de  Saint-Martial  do  Li- 
moges, Chronicon  Lemovicense  (vers  1184),  HF.  X,  p.  267-9  ; 
XI,  p.  289.  XII,  p.  421-451. 

—  Poitou.  —  Pierre  de  Maillezais  (1070).  Chronique  de 
MaïUezais  (Bas-Poitou).  Labbe,  Bibl.  nova  MSS.  II,  p.  222- 
38.  Migne,  t.  146,  c.  1247-72. 

—  Velay,  —  Chronique  de  Saint-Pierre-le-Vif  du  Puy  (x- 
XII*  siècle),  éd.  U.  Chevalier  à  la  suite  du  Cartulaire  de 
Saint-Chaffre  du  Moneslier,  p.  151-166. 

Artois.  —  Arras.  —  Gestes  de  Lambert,  évêque  d*Arras  (1092- 
1115).  Baluze  MiscelL,  II,  p.  127-136.  Migne,  162,  c.  627- 
648. 

—  Tomellus,  secrétaire  de  Baudoin  VI,  comte  de  Flandre 
(1070).  Histoire  de  Tabbaye  d'Hasnon  (diocèse  d'Arras),  670- 
1070.  Migne,  147,  c.  587-600.  SS.  XIV,  p.  149  158. 

—  Chronique  du  monastère  de  Watten  (près  Sainl-Omer). 
Faussement  attribuée  à  un  moine  Eberhard.  Ecrite  avant  1091 
par  Bernold,  prévôt  de  Watten  (d'après  Holder-Eggers). 
SS.  XIV,  p.  163-75.  Migne,  149,  c.  1513-32. 

Bourgogne,  —  Raoul  Glaber.  Histoires  (987-1044),  éd.  Mau- 
rice Prou,  1886  (Collect.  de  textes). 

—  Auxerre.  —  Chroniques  des  évêques  à'Auxerre.  Auteurs 
successifs  du  ix*  au  xii*  siècle,  éd.  Duru,  Bibl.  de  l'Yonne^ 
I,  p.  309  et  suiv.  Migne,  138,  c.  219  et  suiv. 

—  Dijon.  —  Chroniques  de  Saint-Bénigne  de  Dijon  et  de  Bèze 
(458-1052),  éd.  Bougaudet  J.  Garnier.  Dijon,  1875. 

—  Chronique  de  Morigny  (1108-1147).  Migne,  180,  c.  131-176. 
Fragm.  HF.  XII,  p.  68-88. 

—  Sens.  —  Historia  Francoium  Senonensis,  688  à  1015  (ori- 
ginale surtout  de  1000  à  1015).  SS.  IX,  p.  364-69.  Migne, 
163,  c.  853-64. 

—  Odoran.  Chronique  (écrite  entre  1032  et  1045).  Duru, 
Bibl.  hist.  de  l'Yonne,  II,  p.  391-402. 

—  Annales  de  Sainte-Colombe  de  Sens.  Duru,  Bibl.  hist.  de 
VYonne,  I,  p.  200-213. 

—  Clarius.  Chronique  de  Saint-Pierre-le-Vif  de  Sens  (v.  1124), 
éd.  Duru,  Bibl.  hist.  de  l'Yonne,  II,  p.  451-550. 

—  Chronique  de  Toumus  par  Falcon  (1087).  Chifflel,  Historia 
monasteriTomutiensiSj  Dijon,  1664. 


DBS  SOURCBS  MANUSCRITES  ET  IMPRIMÉES.  45 

Bretagne.  ^Nantes.  —  Chronique  de  Nantes  (1050-1059),  éd. 
R.  Merlet,  1896  (CT). 

Flandre.  —  Chronique  du  monastère  d'Oudenhourg  (d.  Noyon- 
Tournai)  (-1084).  SS.  XV,  2.  p.  867-72.  Migne,  174, 
c.  1459-70. 

Francie,  —  Chronique  du  ojonaslère  de  Mouzon-la -Sainte- 
Vierge  (diocèse  de  Reims)  (rédigée  de  1033  à  1046).  SS. 
XIV,  p.  601-618.  Fragment  Migne,  137,  c.  517-30. 

—  Annales  de  SainUGermain-des-Prés  (466-1061).  SS.  III, 
p.  166-68. 

—  Flodoard.  Annales,  919-966.  SS.  III,  p.  363-408.  Migne 
135,  c.  423-90.  —  Histoire  de  l'église  de  Reims,  948.  SS. 
XIII,  p.  405-599.  Migne  135,  c.  27-328. 

—  RiCHER.  Histoire,  883-998.  SS.  III,  561-657.  SS.  8%  éd. 
Waitz,  1877  et  1889.  Ed.  Guadet,  Paris,  1845. 

Hainaut,  —  Chronique  des  abbés  de  Lobbes  (637-980),  par 
Folcuin  de  Saint-Bertin  (f  990).  SS.  IV,  p.  52  74.  Migne, 
137,  c.  545-82.  Continuation  972-1159.  SS.  XXI,  p.  308- 
33.  HF.  XIV,  p.  412-23. 

—  Tournai.  —  Annales  de  Saint-Martin  de  Tournai  (449-1099). 
SS.  XV,  2,  p.  1295-97.  —  Histoire  de  la  restauration  de 
Saint-Martin  de  Tournai  (1092-1127),  par  Herrmann(f  1147). 
Migne  180,  c.  39-130.  Extraits  HF,  t.  X-XIV. 

Lorraine  {Basse.).  —  Sigebbrt  de  Gkmbloux.  Chronogra- 
phie,  381-1112.  SS.  VI,  p.  300-375.  Migne,  160,  c.  57  240. 
—  Gestes  des  abbés  de  Gembloux,  jusqu'en  1048.  SS.  VIII, 
p.  523-42.  Migne  160,  p.  595-628.  Continuation  de  1048  à 
1136  par  le  moine  Godescalc.  SS.  VIII,  p.  542-63.  Migne, 
160,  c.  627-88. 

—  Chronique  de  Saint-Hubert  (Andagine)  en  Ardennes,  687- 
1106.  SS.  VHI,  p.  568-630.  Migne,  154,  c.  1341-1456. 

—  Chronique  du  tnonsislère  d* A ffllghem  (dioc.  de  Cambrai), 
1083-v.  1130.  SS.  IX,  p.  407-417.  Migne  166,  c.  813-32. 

—  Cambrai.  —  Chronique  des  évêques  de  Cambrai  (Chronique 
connue  sous  le  nom  fictif  de  Baudri  de  Thérouanne,  rédi- 
gée par  divers  auteurs  du  xi«  siècle).  SS.  VII,  p.  393-504. 
Migne  149,  c.  21  et  suiv.  A  ajouter  les  gestes  des  évêques 
de  Cambrai  de  1092-1138,  éd.  Ch.  de  Smedt,  1880. 


46  BIBLIOGRAPHIB   COMPLÉMBNTAIRB 

—  Camhrésis,  —  Chronique  de  Saint^André  de  Cateau-Cam- 
brésis  (1001-1133)  (Chr.  très  importante,  restée  longtemps 
ignorée).  SS.  VII,  p.  526-550.  Migne  149,  c.  241-88. 

—  Liège.  —  Chronique  de  Saint-Laurent  de  Liège  (959-1095) 
par  Rupert  (Robert),  abbé  de  Saint-Héribert  de  Tuy 
(t  1129).  SS.  VIII,  p.  261-79.  Migne,  170,  c.  671-702. 

—  Prûm.  —  Reginon  (f  915).  Chronique,  1-906.  SS.  éd.  Kurze, 
in  us,  schol.  1890.  Migne,  132,  c.  13-150.  Continuation  de 
907-967.  SS.  ibid.  Migne,  132,  c.  151-174. 

—  Trêves.  —  Gestes  des  évoques  de  Trêves^  ad.  ann.  1101.  SS. 
VII!,  p.  130-174.  Appendices,  p.  175-260.  Migne  154,  c. 
1091-1234.  App.  c.  1233-1338. 

—  Gestes  des  abbés  de  Saint-Trond^fBLT  Tabbé  Rodolphe  (618- 
1108).  SS.  X,  p.  213-272.  Migne  173,  c.  33  et  suiv.  (Tableau 
très  fidèle  de  la  vie  monacale). 

Lorraine  {Haute).  —  Metz:  -•■  Alpkrt  (moine  de  Saint-Sym- 
phorien  de  Metz,  xi**  siècle),  De  episcopis  Mettensibus^  978- 
1017  (perdu  en  grande  partie).  SS.  (V,  p.  696-700.  Migne, 
140,  c.  445-50.  De  diversitate  temporum  ad  Burchardum^ 
1002-1018  (écrit  de  1022  à  1023).  SS.  IV,  p.  700-723. 
Migne  140,  c.  450-490. 

—  Metz.  —  Gestes  des  évêques  de  Metz,  7681120.  SS.  X, 
p.  531-544.  Migne  163,  c.  579  suiv. 

—  Chronique  de  Saint-Mihiel  (dioc.  de  Verdun),  722-1034. 
SS.  IV,  p.  78-86;  éd.  Tross,  Ham,  1857. 

—  Chronique  de  Tabbaye  de  Moyenmoutier  (diocèse  de  Toul) 
(Liber  de  Sancti-Hildulfi  successoribus)  (703-1020).  SS.  IV, 
p.  86-92.  Migne  138,  c.  203-220. 

—  Toul.  —  Gestes  des  évêques  de  Toul  (ad.  an  1107).  SS. 
VIII,  p.  631-48.  Migne  157,  c.  447-476. 

—  Verdun.  —  Huguks  de  Flavigny  (1065-1115).  Chronique 
allant  jusqu'à  1102.  Originale  pour  le  xi»  siècle,  et  spéciale- 
ment importante  pour  la  Flandre  et  la  Lorraine.  SS.  VIII, 
288-502.  Migne,  t.  154,  c.  21-404. 

—  Histoire  des  évêques  de  Verdun  par  un  moine  de  Saint- 
Vannes  (925-1047).  SS.  IV,  p.  45-51.  Migne,  132,  c.  517-28. 

—  Gestes  des  évêques  de  Verdun  par  Laurent  de  Liège  (1047- 
1144).  SS.  X,p.  486-516.  Migne,  204,  c.  919  suiv. 


DES   SOURCES   MANUSCRITES   ET   IMPRIMÉES.  47 

Maine.  —  Gestes  des  évoques  du  Mans.  Mabil.  Vetera  Ana- 
lecta,  III,  p.  337  suiv.,  nouv.  éd.  (de  la  Barre,  1723),  p.  319 
suiv.  Extraits  HF.  X-XII. 

Nivernais.  —  Annales  Nivernenses  (509-1188).  SS.  XIII,  p.  88- 
91.  —  Origo  et  historia  brevis  Nivemensium  comiium.  Labbe» 
Bihl.  nov.  MSS.  I,  p.  399-400.  Fragment  HF.  X,  p.  258  ;  XI, 
p.  281  ;  XIÏ,  p.  316. 

Normandie  et  Normands.  —  Dudo  dr  Saint-Quentin.  His- 
toria Normanoru  m  (860-1002),  éd.  Lair,  Caen,  1865. 

—  Geopproi  de  Malleterre  (normand).  Historia  sicula  (Ges- 
tes des  Normands  en  Italie.  Détails  sur  la  Normandie  et  les 
Normands).  Migne,  149,  c.  1101  suiv. 

—  Guillaume  (Calculus)  de  Jumiëqes  (xi"  siècle).  Histoire 
des  Normands.  Les  4  premiers  livres  extraits  de  Dudon 
de  Saint-Quentin  (851-996).  Les  livres  5,  6  et  partie  de 
7  sont  de  G.  de  Jumièges  qui  vivait  déjà  (1026-1028)  sou& 
le  duc  Richard  III.  La  fin  du  7^  et  le  8°  (-1137),  sont  de 
continuateurs  du  xi*-xii*  siècle.  Migne,  149,  c.  779-910. 

—  Guillaume  DE  Poitiers  (v.  1090).  Chronique  de  Guillaume 
le  Conquérant.  Migne,  149,  c.  1216-70. 

—  Orderic  Vital.  Histoire  ecclésiastique,  éd.  A.  Le  Prévost 
etBelisle.  Paris,  1838-1855. 

—  Histoire  de  Tabbaye  de  Fécamp  (Libellus  de  revelatione^ 
œdific.  etauctor.  Fiscannensis  monast.),  écrite  par  un  moine 
de  Fabbaye  vers  1085  (HLF).  Migne,  151,  c.  699-724. 

—  Gestes  des  archevêques  de  Rouen,  probabl.  par  Fulbert  de 
Saint-Ouen  (v.  1080).  Mab.  Analecta  II,  p.  424-55.  Extrait 
HF.  XI,  p.  70-73.  Migne,  147,  c.  273-80. 

Or^anaw.  —  Annales  Floriacenses,  626-1058.  SS.  II,  254  55, 

625-1044.  SS.  XIII,  87-88. 
Orléanais.  —  Hugues  de  Fleury.  Libellus  de  modernis  Fran- 

corum  regibus  (841-1108).  Ecrit  de  1114-1125.    SS.  IX, 

p.  376-95.  Migne,  t.  163,  c.  873-912. 
Ponthieu.  —  Chronique  des   comtes  de  Guines  et  d'Ardres 

(800-1203),  par  Lambert  d'Ardres,  éd.  Godefroy  Ménilglaisé, 

Saint-Omer,  1855.  SS.  XXIV,  p.  557-642. 

—  Chronique  de  Tabbaye  de  Saint-Riquier  (v®  siècle  —  1104),. 
par  Hariulf  (+  1143),  éd.  Lot,  1894  (CT). 


48  BIBLIOGRAPHIE   COMPLBMENTAIRB 

Rouergue,  —  Histoire  de  la  fondation  de  Tabbaye  de  Vabres 
dans  le  Rouergue  (860-906)  par  Agioo,  abbé  de  Vabres, 
puis  archevêque  de  Narbonne  (f  926).  H.  du  Lang.,  nouv. 
éd.  II.  Preuves,  p.  323-28.  Migne,  132,  c.  781-6. 

Touraine.  —  Chroniques  de  Touraine  publiées  par  A.  Salmon. 
Tours,  1854-1856. 

—  Petite  chronique  (surtout  récit  de  miracles)  de  MaroQOutier, 
aux*"  siècle.  Migne,  149,  c.  403-420. 

Vendômois,  —  Origo  comitum  Vindocmensium.  HF.  XI,  p.  31. 

Vermandois.  — Annales  de  Saint-Quentin,  793-994.  SS.  XVIu, 
p.  507-8. 

60  LETTRES,  SERMONS  ET  OPUSCULES 

Abbon  db  Flbury  (f  1004).  Collection  de  canons,  lettres,  apo- 
logie. Migne,  t.  139,  c.  419  etsuiv. 

Adalberon  de  Laon  (f  1030).  Poème  adressé  au  roi  Robert. 
HF.  X,  p.  65-72.  Migne,  t.  141,  c.  721-86.  Nouv.  éd.  avec 
trad.  et  commentaire  par  A.  Huckel.  Mélanges  d*H.  du  M.  A. 
publiés  par  Luchaire^  Paris,  1901,  p.  48  et  suiv. 

Adalberon  de  Reims  (f  988).  Lettres.  Migne,  137,  c.  504- 
530. 

Adbmar  de  Chabannes  (f  1034).  Ecrits  divers  publiés  par 
M.  Delisle  dans  notice  sur  les  MSS.  originaux  de  A.  de  C. 
Paris,  1896.  Adde,  Lair,  Eludes  critiques,  Paris,  1899.  T.  II. 

Amat,  arch.  de  Bordeaux  (f  1101).  Lettres  HF.  XIV,  p.  763- 
76.  Migne,  155,  c.  1641-44. 

Anselme  de  Cantorbéry  (f  1109).  Lettres,  Mignet  158,  c. 
1057-1208,  159,  c.  9-272. 

Atton,  évéque  de  Verceil  (f  960-961).  Lettres,  Migne,  134 
c.  95-125.  —  Le  livre  des  calamités  ecclésiastiques  (De 
pressuris  ecclesiasticis),  ibid,^  51-96.  —  Sermons,  ibid.^  833- 
60'. 

*  Le  Polypticum  quod  appellatur  Perpendiculum  attribué  à  Atlon  ne 
lui  appartient  pas.  Il  est  postérieur  à  l'an  1003.  Ebert  (ULst.  de  la  litt. 
du  M,  A.,  m,  p.  398)  le  croit,  mais  sans  preuve  suffisante,  d'un  auteur 
espagnol.  Satire  en  latin  mystique  des  mœurs  du  temps,  demeurée 
inintelligible.  Il  serait  à  souhaiter  qu'un  érudit  sagace  en  découvrît 
la  clef. 


DBS  SOURCES   MANUSCRITES   ET   IMPRIMEES.  49 

Bbrnon,  moine  à  Fleury,  abbé  de  Reichenau  (lOOS-1048). 
Lettres,  Migne,  142,  c.  1158-76. 

Fulbert  de  Chartres  (f  i0!i8).  Lettres.  Migne,  141,  c.  189- 
278. 

Gboproi  DR  Vendôme  (f  1132).  Lettres  (1095-1132).  Migne, 
157,  c.  33-212.—  Opuscules  ibid.y  c.  211-238.  —  Sermons, 
ibid.,  c.  237-282. 

Gbrbert  (f  1003).  OEuvres,  éd.  Olleris,  Clermont-Ferrand, 
1867.  Lettres  (983997),  éd.  Julien  Havet,  Paris  1889  (CT). 
Adde,  Lair,  Etudes  critiques,  Paris,  1899.  T.  L 

GoDBPROY  DE  BouiLLON.  Lettres  et  diplômes.  Migne,  155,  c. 
389  et  suiv. 

Guillaume  V,  comte  de  Poitou  et  duc  d'Aquitaine  (959-1030). 
Lettres  (1014-1027).  Migne,  141  c.  827-32. 

Hildbbbrt  du  Mans  (f  1134).  Lettres.  Migne,  171,  135-311. 
HF.  XV,  p.  313-28. 

Hugues  (Saint),  de  Cluny  (f  1109).  Lettres.  Migne,  159,  c. 
927-46. 

Hugues,  évêque  dé  Die  (1073)  légat,  archevêque  de  Lyon 
(1082)  en  Terre  sainte,  1101,  f  a  Suze,  1106.  Migne,  157, 
c.  507-28. 

Hugues  de  Fleury.  Tractatus  de  regia  potestate  et  sacerdotali 
dignUate  (1100-1106).  Migne,  163,  939-976.  SS.  Libelli  de 
lite.  II,  466-94. 

IvES  de  Chartres.  Lettres.  Migne,  162,  c.  11-288.  Adde  Merlet, 
BibL  Ecole  des  Chartes,  1855,  p.  443-71. 

Lambert,  évêque  d'Arras  (1093)  -{-  1115.  Lettres  (ad  illum 
vel  ab  ipso).  Baluze,  Miscellanea,  V,  p.  283-377.  Migne, 
162,  c.  647-702. 

Lambert  de  Saint-Omer  (—  1120).  Le  Liher  Floridus  (ency- 
clopédie). Migne,  163,  c.  1003-32. 

LANPRANc(tl089).  Lettres.  Migne,  150,  c.  515-552. 

Lettres  des  papes  du  x*  et  xi®  siècle  :  De  882-996,  HF.  IX, 
157-253.  —  De  993  à  1001,  ibid.  X,  429-434.  —  De  1049  à 
1060,  ibid.  XI,  491-95.  -  De  1067  à  1072,  ibid.  XIV,  532- 
548.  —  De  1073  à  1084  (Grégoire  VII),  ibid,  XIV,  565-673.  — 
De  1088  à  1099,  ibid.  XIV,  688-737.  —  Ajoutez  lettres  iné- 
dites de  888  à  1099.  Lœwenfeld,  Epistolx  pontif.  romanorum 
ineditœ  (Leipzig,  1885),  p.  37-67. 

P.  —  Tome  Ul.  4 


50        BIBUOGRAPHIE   COMPLBMBNTAIRE  DBS   S0URCB8. 

Odon  (Saint),  abbé  de  Cluny.  Occupatio,  éd.  Swoboda  (Leip- 
zig, 1900). 

PiBRRE  Damieo  (Saint)  (988-1072).  Lettres.  Migne,  t.  144, 
c.  205-498.  OEuvres  diverses,  t.  144  et  145. 

Raoul  Ardent  (f  v.  1101).  Homélies.  Migne,  155,  c.  1299  et 
suiv. 

Rathier  de  Liège  (f  974).  Opuscules,  lettres  et  sermons.  Mi- 
gne, 136,  c.  145  et  suiv. 

Raynaud,  archevêque  de  Reims,  1083  (f  1096).  Lettres.  Mi- 
gne, 150,  c.  1385-90. 

Richard  de  Milhaud,  abbé  de  Saint- Victor  de  Marseille,  979. 
Archevêque  de  Narbonne,  1106(f  1121).  Récit  des  persécu- 
tions d*Aimeric,  vicomte  de  Narbonne.  Migne,  162,  c.  1598- 
1602.  Lettres,  ibid.,  c.  1602  et  suiv. 

SioEFROY,  abbé  de  Gorze  (1032-55).  Lettres.  Giesebrecht, 
Geschichte  der  deustchen  KaiserzeiL  II,  3*  édit.,  1885^  p.  714- 
19. 

Thierry  LE  Grand,  prévôt  de  Bâle,  évéque  de  Verdun  (1046)^ 
f  1089.  Lettres.  Martène,  Thésaurus  anecdot.  I,  220. 

Walo,  abbé  de  Saint-Arnoul  à  Metz  (v.  1073).  Lettres  pu- 
bliées sous  le  nom  erroné  de  Guillaume.  Mabillon,  Vêlera 
Analecta,  I,  p.  247-276.  Migne,  t.  150,  875-84. 


*oo<Soo* 


LIVRE  QUATRIÈME 

LA    RENAISSANCE    DE     L'ÉTAT 


LES    ORIGINES 


DE 


L'ANCIENNE   FRANCE 


LIVRE  QUATRIÈME 

LA     RENAISSANCE     DE     L'ÉTAT 


La  dissolution  de  la  société,  telle  que  je  Tai  décrite  au 
tome  premier,  du  point  de  vue  de  l'État  royal,  où  elle 
trouvait  sa  manifestation  la  plus  haute,  doit  s'entendre 
surtout  de  la  période  qui  précède  l'avènement  de  la  dynas- 
tie capétienne.  Mais  on  aurait  tort  d'attribuer  trop  de 
rigueur  à  ce  point  de  départ.  En  vérité  les  derniers  Caro- 
lingiens, Louis  d'Outremer,  Lothaire,  Louis  V,  si  impropre- 
ment nommé  le  Fainéant,  avaient,  malgré  leur  faiblesse  et 

'  On  ne  Fe  méprendra  pas  sur  le  sens  que  j'attache  au  mot  État  et 
5ur  son  emploi  au  singulier.  Il  ne  s*agit  pas  bien  entendu  d'un  État 
unique,  d'un  État  français,  mais  de  la  structure  juridique,  de  la  con- 
stitutirtn  propre  aux  multiples  principautés  de  tout  rang  et  de  toute 
tailK  qui,  en  lutte  séculaire  les  unes  avec  les  autres,  étaient  destinées 
dans  un  l(/mtain  avenir  à  se  rejoindre,  se  grouper,  se  fusionner  au- 
li»ur  d'un  novau  central. 


54  LIVRE    IV. 

leur  impuissance,  travaillé  avec  zèle  à  Tœuvre  de  recons- 
titution, et  cette  œuvre  n'a,  sous  leurs  successeurs  capé- 
tiens, progressé  que  lentement,  à  travers  de  lourdes  re- 
chutes. N'exagérons  pas  non  plus  le  rôle  personnel  de  la 
dynastie.  Il  est  infiniment  moindre  que  Taction  interne  de 
la  société,  que  le  travail  de  cette  masse  innombrable  de 
molécules  humaines  groupées  selon  leurs  affinités  ethniques 
et  p6u*ticularistes,  selon  leurs  traditions  et  leurs  mœurs, 
leurs  intérêts  et  leurs  passions^  sous  les  ordres  de  chefs 
de  famille,  de  seigneurie,  de  religion,  et  dont  Telfort  in- 
conscient et  continu  vers  l'unité,  vers  l'ordre  et  l'harmo- 
nie logique,  profite  au  pouvoir  souverain.  Ce  pouvoir  est 
celui  du  roi  ou  celui  du  prince.  Bien  avant  que  la  mo- 
narchie française  prenne  corps  avec  Louis  VII  et  Philippe- 
Auguste,  les  diverses  souverainetés  seigneuriales,  les  pe- 
tites royautés  des  pays  de  Gaule,  bénéficient  largement 
d'une  réorganisation  sociale. 

Recherchons  sur  quelles  bases  et  avec  quels  éléments 
cette  renaissance  s'est  opérée. 


PREMIÈRE   PARTIE 

LES    BASES    ET    LES    ÉLÉMENTS 
CONSTITUTIFS    DE    L'ÉTAT 


§  I.  —  LES  BASES  DE  L'ÉTAT 


CHAPITRE  PREMIER 

QUE    LA   BASE    ESSENTIELLE   DE  l'ÉTAT   EST   LA  FOI 
LIGE   NATURELLE. 

Les  historiens  ont  admis  jusqu'ici  que  la  société  politi- 
que des  X*  et  xi*  siècles  s'était  édifiée  tout  entière  sur  le 
contrat  de  fief  territorial,  et  par  lui  incorporée  au  sol.  Or, 
le  contrat  de  fief  que  Ton  avait  en  vue  a  son  centre  de 
gravité  dans  la  foi  ;  on  pouvait  donc  dire  que  la  foi  con- 
tractuelle formait  la  base  sociale. 

En  reprenant  cette  conception  traditionnelle  et  en  pré- 
sentant le  contrat  féodal  exprès  comme  l'élément  fonda- 
mental de  la  société  politique,  un  des  plus  brillants  élèves 
de  Fustel  de  Coulanges,  M.  Imbart  de  la  Tour,  a  dû 
reconnaître  que  la  thèse  n'était  exacte  que  pour  les  hautes 
classes,  les  privilégiés  ;  qu'en  bas,  pour  la  grande  masse 
populaire,  la  coutume  tenait  lieu  de  contrat*.  J'estime  qu'il 

*  V évolution  des  idées  sociales  au  M.  A,  du  xi*  au  xiii*  siècle 


56  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

faut  aller  plus  loin  et  affirmer  que  la  foi  coniracluelle  ne 
se  place,  au  point  de  vue  politique,  qu'en  sous-ordre  et 
que,  pendant  la  majeure  partie  de  nos  deux  siècles,  elle 
a  été  tout  au  plus  une  sorte  de  succédanée  de  la  foi  lige 
naturelle. 

Dans  les  États  modernes,  la  loi  générale  ne  sanctionne 
pas  seulement  les  obligations  qu'elle  impose  à  l'individu 
dans  l'intérêt  commun,  mais  ses  devoirs  aussi  envers  les 
groupes  naturels  auxquels  il  appartient  et  dont  la  famille 
et  la  commune  sont  les  principaux. 

A  l'époque  de  transformation  sociale  que  nous  étu- 
dions, la  loi  générale  n'existait  pas  et  les  groupes  natu- 
rels étaient  plus  nombreux  et  plus  puissants  qu'ils  ne  le 
sont  aujourd'hui  :  la  royauté  et  le  principat  en  faisaient 
partie,  la  famille  et  le  lignage  y  tenaient  les  premiers 
rangs.  A  défaut  de  loi  commune,  c'était  un  principe  géné- 
ral qui  les  subordonnait  l'un  à  l'autre  et  leur  subordon- 
nait l'individu  :  la  fidélité  ou  foi.  Celle-ci  s'alimentait 
à  la  même  source  que  les  groupements  dont  elle  mainte- 
nait la  cohésion  et  fixait  la  hiérarchie  :  la  réciprocité  de 
protection  et  de  dévouement  qui  unit  les  faibles  aux  puis- 
sants et  les  égaux  entre  eux.  Elle  était  donc  avant  tout 
traditionnelle  ou  instinctive. 

Que  la  fidélité  envers  le  chef,  le  seigneur  ou  le  maître, 
et  envers  l'égal  ou  le  compagnon,  fût  le  vrai  principe  de 
gouvernement  des  sociétés  politiques  de  ce  temps,  les  con- 
temporains éclairés  en  ont  eu  une  nette  conscience.  Guil- 
laume de  Poitiers  loue  Guillaume  le  Conquérant  d'avoir 
réalisé  la  sentence  des  philosophes  antiques  que  le  fon- 
dement de  la  justice  est  la  foi^  Et  par  foi  les  hommes 

(Comptes  rendus  des  séances  de  V Académie  des  sciences  morales  et 
politiques,  septembre -octobre  1896,  p.  395  el  suiv.). 

'  «  Affirmabis  per  eum  nunquam  societatis  jus  aut  amicitis  fuisse 
vioiatum...  tanquam  edocens  aciu  suo  quod  enuntiant  philosophi 
justitiœ  fundamentum  esse  fidem  ».  {Gesta  Willelmi,  Migne,  i49, 
c.  1222). —  Cf.  ce  passage  d'uno  lettre  de  Lanfranc  :  «  Neque  decet  ut 


LBS  BASES  BT  LBS  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DE  l'ÉTAT.   S7 

du  XI*  siècle  n'entendent  pas,  comme  Cicéron*,  la  bonne 
foi  dans  les  contrais,  dont  nous  le  verrons,  ils  Taisaient 
bon  marché;  ils  entendent  le  dévouement  personnel.  Si 
toute  ruse  était  de  bonne  guerre,  si  toute  6n  justifiait  tous 
moyens,  au  point  qu'aucun  contrat  formel  n'offrait  de  so- 
lidité ni  de  garantie  suffisante,  il  en  allait  autrement  de 
la  foi  proprement  dite.  Sa  rupture  était  le  plus  noir  des 
crimes,  le  plus  inexpiable  forfait*.  Étrange  contradiction 
morale,  mais  dont  Thistoire  rend  raison. 

Au  milieu  des  luttes  privées  et  des  crises  économiques, 
le  dévouement  des  moindres  était  aussi  indispensable  aux 
plus  grands  que  la  certitude  du  pain  quotidien  ou  d'un 
lieu  de  refuge  l'était  à  tous.  C'est  ce  dévouement,  avec  la 
réciprocité  qu'il  appelle,  qui  constitue  la  fidélité,  et  il 
m'apparaît  comme  très  général  et  très  étendu  à  tous 
les  degrés,  comme  se  transmettant  aussi  de  père  en  fils. 
Le  point  d'honneur,  où  Montesquieu  voyait  un  apport  des 
lois  germaniques,  est  beaucoup  plutôt  sorti  des  relations 
que  la  fidélité  nouait  entre  les  hommes.  Se  fier  pleine- 
ment à  autrui,  s'abandonner,  s'en  remettre  à  lui  de  sa  per- 
sonne ou  de  ses  biens,  provoque  chez  l'homme  qui  est 
l'objet  d'une  telle  confiance  un  sentiment  de  fierté,  et  le 
désir  de  justifier  aux  yeux  de  tous  qu'il  en  est  digne.  Le 
seigneur  se  fit  ainsi  un  point  d'honneur  de  soutenir  et  de 
protéger  son  fidèle,  le  fidèle  un  point  d'honneur  de  servir 
son  seigneur,  de  se  dévouer  à  lui  et  aux  siens  jusqu'à  la 
mort. 

fîlius  Willelmi  comitis,  cujus  prudentia  et  bonilas  et  erga  dominum 
suum  et  omnes  amicos  suos  fidelitas  mullis  terris  innoluil,  infidelis 
diceretur,  et  de  perjurio  vel  fraude  aliquam  infamiam  paleretur  » 
(Migne  150.  c.  538). 

*  De  offieiis,  7. 

*  Chanson  de  Roland,  v.  3959  : 

«  Ki  traïst  hume,  sei  ocit  e  altrui  » 
Cf.  Ren.  de  Montauban,p.  179,  v.  25. 

«  Bien  doit  morir  à  honte  hom  qui  fait  traïson.  »» 


58  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

Je  n^aî  garde  d'oublier  ni  les  exemples  d'infidélité  que 
dévoilent  les  documents  historiques,  ni  les  plaintes  sur  le 
manque  de  foi,  ni  Toppression  et  la  tyrannie  des  seigneurs. 
Mais  si  vous  mettez  à  part  les  récriminations  si  nombreu- 
ses et  d'ordinaire  si  justifiées  du  clergé  contre  ses  protec- 
teurs laïques,  des  protégés  de  TÉglise  contre  les  corps 
religieux  et  les  évéques*,  —  et  vous  le  devez,  peurce 
que  le  dévouement  personnel  n'avait  ici  qu'une  moindre 
place  ';  —  si  vous  avez  ensuite  égard  à  la  barbarie  des 
mœurs  et  à  l'existence  du  servage,  comme  institution  lé- 
gale, il  ne  reste  que  des  faits  isolés  qui  soulevaient  l'ani- 
madversion  publique'  et  qu'il  n'est  pas  plus  légitime  de 
généraliser  que  les  crimes  et  les  scandales  des  sociétés 
modernes. 

Assurément  la  violence  et  la  malignité  étaient  générales, 
mais  entre  qui?  entre  personnes  qui  n'étaient  pas  liées  l'une 
à  l'autre  par  la  fidélité  familiale,  domestique,  vassalique. 
Celle-ci  se  resserre  même  à  proportion  que  les  autres  s'éten- 
dent et  s'aggravent.  C'est  là  que  se  réfugie,  se  concentre  la 
force  tutélaire  de  l'État,  c'est  là  que  se  trouve  le  nœud  es- 
sentiel des  rapports  sociaux.  Les  historiens  l'ont  méconnu 
pour  s'être  trop  attachés  à  quelques  phénomènes  extérieurs. 
De  ce  que,  par  exemple,  les  anciens  droits  régaliens  (jus- 
tice, police,  etc.)  se  morcelaient  et  se  transmettaient  par 
contrat,  de  ce  qu'aussi  des  accords  multiples  étaient  conclus 
au  sujet  des  terres  et  des  services,  il  ne  suit  nullement  que 

*  T.  I,  p.  435  et  suiv. 

»T.II,  p.  551  et  suiv. 

>  Un  vassal  a  décapité  son  seigneur  sur  l'ordre  du  prince  et  sous 
menace  de  mort  (invitus...  inlcrminante  irato  duce  et  dicente  :  «  nisi 
islum  occideris,  occidamte  »  ).  Son  évêque  lui  refuse  tout  pardon  et 
lui  rappelle  en  ces  termes  les  devoirs  de  fidélité  qu'il  a  violés  :  u  De- 
bueras  pro  seniore  tuo  mortem  suscipere  antequam  illi  manus  aliquo 
modo  inferres,  el  martyr  Dei  pro  talc  fide  fieres,  sed  gravissimum 
reatum  egisti  et  nobis  inauditum.  Nescio  tibi  consilium  ferre  pœni- 
tentiae.  »  (Actes  du  Concile  de  Limoges,  1018,  Migne  142,  c.  1400). 


LES  BASES  ET  LES  ELEMENTS  CONSTITUTIFS  DE  L*ÉTAT.   59 

le  contrat  fût  le  souverain  régulateur.  Au-dessus  de  la 
dislocation  du  droit  public  ancien  et  de  l'efflorescence  des 
conventions  privées,  il  existait,  dès  le  ix*  siècle,  un  droit 
public  nouveau  ou  renouvelé,  qui  dominait  les  divers  con- 
trais quand  il  n'en  tenait  pas  lieu. 

Ce  droit  nouveau  était  sorti  des  rapports  naturels  que 
l'origine  crée  entre  les  hommes. 

Par  le  fait  de  leur  naissance  en  une  région  et  dans  une 
famille  déterminée,  les  habitants  de  la  France  du  x^  siècle 
étaient  dépendants  de  chefs  ou  de  principes  commandant 
à  des  groupes  plus  ou  moins  étendus.  C'est  la  distinction 
fondamentale  de  la  famille,  du  clan,  de  la  tribu,  qui  se 
survit  dans  des  cadres  bouleversés  ou  remaniés.  L'homme 
libre  né,  par  exemple,  au  milieu  du  x*  siècle  dans  le 
pagus  Vilcassinus  (Vexin),  d'une  famille  qui  y  est  implan- 
tée, devra  en  principe  la  fidélité  au  rex  Francorum^  au 
duc  qui  le  représente,  au  chef  du  pagus^  à  des  seigneurs 
intermédiaires  entre  ces  principes  et  le  chef  de  famille. 
Mais  d'ordinaire  tous  ces  rapports  se  résoudront  en  une 
subordination  au  chef  de  lignage  ou  de  clan,  lequel  à  son 
tour  sera  subordonné  à  un  seigneur  immédiat.  Si  la  fa- 
mille est  serve,  ou  de  condition  quasi-servile,  ce  seigneur 
sera  un  maître,  un  propriétaire.  Telle  est  dans  son  essence, 
la  foi  lige  naturelle  :  elle  est  due  à  la  famille  et  par  exten- 
sion au  seigneur  d'un  groupe  naturel.  Et  c'est  pourquoi 
tous  sujets,  libres  ou  serfs,  doivent  en  principe  le  serment 
de  fidélité*.  Ils  sont  appelés  natifs^  originaires,  etc.',  : 
naturalitas  est  synonyme,  et  le  restera  durant  tout  le 
Moyen  âge,  de  fidélité  due  au  roi  ou  au  légitime  sei- 
gneur*. 


'  T.  II,  p.  511. 

«  Nalurales  =  nativi  (Ducange,  v°  Naturales).  —  Cf.  «  Naturales 
villani  ejusdem  Scti  »  (992-995,  Lex,  Eudes,  comte  de  BloiSy  p.  126, 
Cartul.  Blesois,  p.  60). 

*  Voy.  Ducange,  v*  Naturalitas,  —  Parmi  les  chroniqueurs  Orderic 


60  LIVRE    IV.   —   CHAPITRE   I. 

Bien  que  dérivant,  sous  ses  divers  aspects,  de  la  même 
source,  la  foi  naturelle  avait  par  la  force  des  choses  une 
intensité  variable.  Son  énergie  croissait  en  raison  inverse 
de  Tampleur  du  groupement.  Elle  atteignait  son  maximum 
d'effet  dans  le  compagnonnage  naturel,  dans  la  fraternité 
par  le  sang,  son  minimum  dans  la  grande  patrie. 

La  royauté  carolingienne  avait  voulu  renverser  cette 
proportion.  Charlemagne  s'était  efforcé  de  subordonner 
à  la  fidélité  {lêodesamio)  envers  le  roi,  basée  sur  le  mun- 
dium  familial*,  lafoi  envers  le  compagnon  ou  le  seigneur*. 
Mais  dans  la  dissolution  de  l'empire,  le  lien  de  fidélité  se 
relâcha  de  nouveau  par  en  haut,  tandis  que,  par  en 
bas,  il  se  resserra.  La  foi  naturelle  due  au  roi  ou  au 
prince  par  les  simples  sujets  fut  accaparée  ou  primée 
par  celle  qui  était  due  au  chef  du  lignage,  de  la  mais- 
nie,  du  clan  seigneurial.  A  tous  ces  degrés  la  foi 
était  lige,  aux  degrés  inférieurs  elle  était  lige  par  excel- 
lence. 

Nous  ne  pouvons  pas  nous  attendre  à  trouver  dans  les 
sources  contemporaines  un  tableau  d'ensemble  où  soient 
groupés  et  condensés  les  traits  de  cette  transformation 
épars  clans  une  foule  de  documents  successifs.  Pourtant 
j'en  ai  rencontré  dans  les  miracles  de  saint  Berlin  une 
relation  très  saisissante. 

Le  récit,  qui  est  d'un  auteur  du  xi*  siècle,  Folcard,  se 
rapporte  à  la  fin  du  ix\  Il  en  ressort  : 

Vital  se  sert  couramment  de  la  locution  naturalis  dominuSf  hents  (Ed. 
Le  Prévost,  t.  III,  p.  223,  IV,  p.  102,  234,  305,  etc.). 

Des  expressions  équivalentes  sont  très  fréquentes  dans  les  plus  an- 
ciennes chansons  de  geste.  «  Franc  duc  naturel  »  (Girard  de  Viane, 
p.  163).  —  «  Li  dui  roi  natural  »  (Chanson  d'Aspremonl)  ;  «  li  baron 
natural  »  (ibid.,  v.  241);  «  li  frans  dus  nalurax  »  (iôu/.,  v.  430);  «  li 
frans  cuens  naturaux  »  (Chanson  des  Saisnes,  t.  I,  p.  194),  etc. 

«  T.  I.  p.  79. 

2  T.  I,  p.  120  et  suiv. 

'  Voyez  infrà,  dans  le  chap.  II  de  la  Royauté  le  §2  La  souveraineté 
dans  la  Francie. 


LES   BASES  ET  LES  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DE  l'ÉTAT.       6i 

1*  Qu'on  ne  pouvait  plus  être  soumis  au  droit  commun, 
régi  par  les  autorités  publiques,  qu'aulant  qu'on  était 
possesseur  de  biens  considérables  et  de  châteaux  fortifiés  ; 

T  Que  ceux  qui  ne  se  trouvaient  pas  dans  ce  cas,  et  qui 
appartenaient  aux  classes  élevées,  s'attachaient  à  des  sei- 
gneurs qu'ils  suivaient  au  loin,  quittant  ainsi  le  sol  natal; 

3"*  Que  le  commun  peuple  des  campagnes  était  encore 
abondant  et  à  l'aise  au  milieu  du  ix'  siècle  et  régi  par  les 
pouvoirs  publics; 

4"  Que  depuis  lors  les  possesseurs  de  grands  domaines 
et  de  châteaux  fortifiés,  comme  aussi  les  corps  ecclésias- 
tiques délenteurs  de  vastes  possessions  immunes,  s'attri- 
buèrent de  fait  l'autorité,  le  soin  de  la  sécurité  et  du  bien- 
être  matériel  du  peuple,  et  qu'ainsi  une  fidélité  particu- 
lière ou  locale  prit  de  plein  droit  la  place  et  remplit 
l'office  de  la  fidélité  générale  et  publique  *. 

Sans  doute,  nul,  pas  même  le  serf,  n'est  rivé  sans  res- 
triction à  sa  condition  native.  Mais  il  ne  peut  engager  ses 
services  à  d'autres  qu'avec  l'autorisation  et  sous  la 
réserve  des  droits  de  son  seigneur  d'origine,  chef  de  fa- 
mille, de  seigneurie  ou  de  domaine.  Prenez  un  homme 
de    guerre,    un    miles    de    la   Francie.    Régulièrement 

*  «  Paene  nobilitas  terrae  iilius  ex  multo  jam  tempore  ob  amorem  vel 
dominatum  sibi  dominonim  carorum  abscesserat  nativilatis  patria 
relicta,  praeter paiicos  qui  ita  haeredUariis praediti  erant  patrimoniis, 
ut  non  esset  eis  necesse  subdi  nisi  sanctionibus  publicis.  Horuin  pars 
cum  nobilissimis  ac  religiosis  iilius  loci  monachis  simulque...  cano- 
nicis...  confortabanl  reliquiarum  remissos  fereanimos  etinvalidam  ple- 
beam  manum...  Anteactis  temporibus...  incolis  terrae  adhuc  omni 
abundantia  referlis  et  absque  sui  diminutione  integerrime  vigentibus, 
ambitus  castelli  cum  consensu  populi  et  procerum  condictatus,  men- 
suratusac  per  potestates  et  ministeria  ad  perficiendum  distributus... 
Processu  autem  tempore,  etc.  »  (Miracula  S.  Bertini^  II,  8,  Mab.  SB. 
III.  1, 133-4).  —  Adde,  I,  11,  ibid.,  p.  125  :  w  Omnis  pêne  nobilitas  is- 
tius  terrae  pneler  paucos  giios  opum  acfundorum  copia  et  castellorum 
vel  munitionum  fiducia  detinuerat,  post  dominos  suos  vel  quocum- 
que  tutius  eis  videbatur  discedebant.  » 


62  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  I. 

il  ne  devait  servir  un  seigneur  de  son  choix  ni  contre 
le  rex  Francorwn  ni  contre  les  autres  chefs  de  groupes 
ethniques  ou  particularistes  dont  il  était  un  fidelis  neces- 
sarius\  un  homme  «  lige  natural  »'.  Aussi,  dans  l'accord 
que,  d'après  Richer,  Foulque  Nerra  propose  à  Eudes  I  de 
Blois,  réserve-t-il  expressément  la  foi  (naturelle)  due  au 
roi  et  à  ses  propres  parents'.  Ce  n'est  même  qu'un  ser- 
ment de  fidélité  restreinte,  un  serment  de  securitas^  qu'il 
offre  de  jurer  à  Eudes,  ce  n'est  pas  un  hommage  pro- 
prement dit  entraînant  pleine  foi  avec  service*. 

La  foi  due  par  un  homme  du  x*  siècle  à  un  autre  que 
son  seigneur  d'origine  ne  pouvait  dériver  que  d'un  enga- 
gement spécial  de  la  personne,  une  recommandation, 
un  hommage  exprès  qui  le  faisait  Thomme  de  ce  nou- 
veau  maître,   tandis  qu'il  était  de  plein  droite  et  sans 

*  Evoque  devant  le  service  d'osl  :  »<  Orta  contentione  Odonis  comitis 
ad  vers  us  me,  inter  celeros  necessarios  et  fidèles  nostros^  quos  in  appa- 
ralu  nostro  commovimus,  etiam  Arnulfum  episcopum  Aurt^lianensem 
in  adjutorîum  nostrum  pracmonuimus  »  (Diplùmc  de  Robert,  993, 
H.  F.  X,  501). 

'  «  Homes  liges  naluraux  »  (Chanson  d'Aspremont,  v.  248,  533.) 
«  Ses  homes  liges  naluraux,  Hardis,  pros  et  buens  vassaux  »  (R.  de 
Guerre  de  Troie,  Ducange,  v^  Natnraiis). 

*  «  Dalurum  se  etiam  (idem  sacramenlo  contra  omnium  causam, 
praeter  régis  et  horum  quibus  speciali  consanguinilale  carius  addic- 
tus  est,  utpote  nati,  fratris  ac  ncpotum  »  (Richer,  IV,  ill,  T.  II, 
p.  277). 

*  C'est-à-dire  que  Foulque  s'engage  à  ne  pas  combattre  Eudes,  si 
ce  n*est  pour  soutenir  la  cause  du  roi  ou  de  ses  proches. 

^  Cela  résulte  de  la  phrase  :  «  (luod  quia  absque  régis  injuria  fieri 
non  poterat,  cjus  filio  manus  per  sacramentum  daret;  itaque  fieret, 
ut  ipse  cum  nato  militaret.  cum  filium  suum  Odonipro  Conano  daret, 
et  sese  Odonis  filio  militaturos  committerot  ».  —  Il  est  du  reste  étrange 
que  le  comte  d'Anjou  pût  faire  hommage  au  fils  d'Eudes  sans  préju- 
dicier  aux  droits  du  roi  et  ne  le  pût  à  Eudes  lui-même.  Je  n'aperçois 
qu'une  explication  plausible,  c'est  que  l'hommage  lige  avait  encore 
à  cette  époque  un  caractère  si  exclusif  qu'il  ne  suffisait  pas  de  le  réser- 
ver pour  pouvoir  faire  un  autre  honmiage  actuel  de  service.  Le  fils 
d'Eudes  était,  en  effet,  un  enfant  en  bas  âge. 


LES  BASES  ET  LES  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DE  l'ÉTAT.      63 

hommage,  thomme  de  son  seigneur  naturel,  son  home 
lige  naturaL  L'hommage  exprès  constitue  un  engagement 
qui  se  modèle  sur  la  foi  naturelle.  Il  ne  peut,  à  raison  de 
son  caractère  très  personnel  et  très  indéterminé,  être  as- 
similé à  un  contrat  ordinaire.  Il  consiste  essentiellement 
dans  Tacte  symbolique  de  la  mise  des  mains  dans  les  mains 
du  chef*.  La  foi  qu'il  entraîne  est  consacré  ensuite  par  un 
serment. 

Par  la  concurrence  qui  s'établit  entre  les  divers  sei- 
gneurs pour  accroître  le  nombre  de  leurs  fidèles,  la  re- 
commandation prit  un  grand  développement,  en  môme 
temps  qu'elle  se  rapprochait  de  la  foi  naturelle  par  l'obli- 
gation morale  qui  s'imposa  au  descendant  d'engager  sa 
personne  au  même  seigneur  que  son  père  avait  servi. 
C'était  à  elle,  du  reste,  qu'il  fallait  recourir  quand  on  vou- 
lait rétablir  la  foi  lige  naturelle  rompue  par  l'inûdélité  et 
le  parjure,  à  elle  aussi  pour  restaurer  cette  foi  quand,  par 
la  conquête  ou  la  violence,  un  nouveau  chef  se  substituait 
au  seigneur  d'origine.  De  là  devait  naître,  par  esprit  d'imi- 
tation et  par  mesure  de  précaution,  la  coutume  de  renfor- 
cer, de  consolider  la  foi  naturelle  par  un  hommage  exprès, 
préalable  à  la  prestation  du  serment.  Cette  cérémonie  pou- 
vait servir  aussi  à  accentuer  la  préférence  donnée  à  cer- 
tains seigneurs  nalurels  sur  d'autres*,  et  le  choix  néces- 
saire, indispensable  sous  peine  d'anarchie',  entre  les 
héritiers  d'un  tel  seigneur. 

»  T.  II,  p.  221. 

*  Cr.  ce  que  j'ai  dit  de  Tinstabilité  féodale,  t.  II,  p.  548. 

3  Voyez  un  important  passage  d'Orderic  Vital,  où  les  seigneurs 
français  hésitent  entre  Guillaume  le  Roux  et  Philippe  I«'  :  «  Plerique 
Francorum,  qui  binis  cogebantur  dominis  obsecundare,pro  fiscis,  qui- 
bus  abunde  locupletati,  sub  utriusque  régis  turgebant  ditione,  anxii^ 
quia  nemo  potest  duobus  dominis  servire,  animo  acriorem  opibusque 
ditiorem  elegerunt,  et  cum  suis  hominibus  municipiis  que  favorabili- 
ter  paruerunt  »  (X,  5.  éd.  Le  Prévost,  IV.  p.  21).  —  Ce  texte  a  été  mal 
interprété  par  les  auteurs  de  VArt  de  vérifier  les  dates  (II,  p.  691,  col. 


64  LIVRE    IV.    —    CHAPITRE   I. 

Il  nous  reste  à  monirer  que  la  terminologie  est  en  coni' 
plète  harmonie  avec  cette  marche  des  institutions. 

La  foi  lige  naturelle  correspondait,  dans  la  langue  des 
X*  et  XI*  siècles,  au  sacramentum  fidelitatis^  tandis  qu'on 
réservait  d'ordinaire  le  mot  hominium  pour  désigner  la 
recommandation,  Thommage  exprès.  Quand  chacun  d'eux 
servit  de  complément  à  l'autre,  ils  se  soudèrent  étroite- 
ment et  de  leur  soudure  naquit  l'obligation  de  foi  et  hom- 
mage^ assise  à  la  fois  double  et  unique  sur  laquelle  l'édi- 
fice féodal  s'éleva.  Est-il  étonnant  que,  cet  édifice  une  fois 
construit,  feudistes  et  historiens  aient  tenté  de  vains  eETorts 
pour  disjoindre,  pour  dissocier  les  éléments  de  son  assise, 
pour  assigner  à  chacun  d'eux  une  fonction  séparée  et  dis- 
tincte? 

Si  nous  passons  à  la  signification  et  à  l'origine  du  mot 
ligius^  je  remarque  d'abord  qu'il  répond  exactement  à 
nàturalis.  Ligius  terrae^  c'est  le  natif  \  ligius  dominus 
c'est  le  dominus  nàturalis,  le  natural  ou  le  droicturier 
seigneur  ^  La  ligeance  du  roi  est  identique  à  la  natura- 
litiis^j  les  chansons  de  geste  appellent  les  vassaux  liges  : 
homes  liges  naturaux^. 

Et  d'où  le  terme  dérive-t-il?  J'ai  admis  provisoirement 
au  précédent  volume  l'étymologie  de  ledig^  lediglich^. 
C'est  la  plus  répandue,  mais  elle  ne  saurait  satisfaire*.  Elle 

2)  et  c'est  un  des  nombreux  exemples  où  l'idée  préconçue  a  fait  voir 
un  lien  réel  direct  alors  qu'il  n'existait  qu'un  lien  personnel,  sanc- 
tionné par  la  crainte  de  la  confiscation.  La  construction  n*est  pas  : 
cogcbantur  obsecundare  pro  fiscis^  mais  anxii  pro  fiscis. 

'  Voyez,  Ducange,  ¥*>  Ligius^  p.  111. 

'^  Suprà,  p.  59,  note  3.  —  Cf.  R.  de  Cambrai,  v.  15  : 
<i  Et  de  Raoul  cui  fu  lige  Cambrai.  » 

3  Cf.  Ducange,  v°  Ligius^  p.  112  et  v»  Nàturalis. 

*  Suprày  p.  62,  note  2. 

6  T.  II,  p.  528. 

^  C'est  le  sentiment  aussi  de  M.  Luchaire,  Manuel  des  instit, 
françaises,  p.  189,  note  1.  —  Il  faut  écarter  sans  hésiter  ligatus,  car 
raccent  tonique  est  sur  la  voyelle  a,  Ligatus  a  donné  liéi 


LES  BASES  ET  LES  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DE  l'ÉTAT.      65 

s'adaple  au  sens,  elle  ne  se  justifie  pas  comme  racine.  Je 
suis  convaiocu  aujourd'hui  que  la  racine  véritable  est  leo- 
dius^  kodium,  forme  latinisée  de  leod,  leudi,  qui,  dans  le 
vieil  idiome  germanique,  signifie  à  la  fois  prince  et  peu- 
ple* et  nous  donne  le  sens  général  de  public  ou  légal*.  Le 
serment  leodius  [leudesamio)  était  donc  le  serment  public, 
officiel,  légal,  naturel,  par  opposition  au  serment  person- 
nel, conventionnel,  privé ^. 

La  succession  régulière  des  formes  du  mot  :  letgius, 
ieggius,  legius^  ligius,  nous  prouve  à  quel  point  cette 
origine  est  certaine.  C'est  la  dérivation  normale  de  leodius^ 
{i  se  transformant  régulièrement  en  gi  et  le  d  devenant 
alors  /).  Nous  en  avons  la  vérification  éclatante  dans  un 
nom  de  lieu,  celui  de  la  ville  de  Liège.  La  série  de  formes 
qu'il  présente  dans  les  textes  du  xi'  siècle  :  teodium^  let- 

*  Grimm,  Rechtsalterthûmery  p.  552.  Schmid,  Gesetze  der  Angel- 
sachsen  Glossaire.  Brunner,  RechtsgeschichtCy  I,  p.  121,  II,  p.  11-12. 
—  Leudi  a  donné  directement  leudus,  puis  le  français  leude;  leod  a 
donnéj  par  Tintermédiaire  de  la  forme  latine  leodius,  le  français 
lige, 

'  Fustei  de  Coulanges  a  remarqué  qu'au  vue  siècle  «  letuie  et  sujet 
étaient  synonymes  »  {Monarch.  franque,  p.  79). 

'  Dans  le  même  ordre  d'idées,  Tétymologie  qui  ferait  venir  lige  de 
legalis  ou  de  legitimus  serait  séduisante.  Mais  les  règles  philologi- 
ques s'y  opposent.  Ni  Tun  ni  Tautre  n'ont  pu  se  transformer  en  legius. 
Toutefois,  leur  signification  et  leur  forme  étant  voisines,  peut-être 
ont-ils  contribué,  par  un  effet  réflexe,  à  la  fortune  de  legius  et  de 
lige. 

♦  Le  mot  leodius  paraft  être  entré  dans  la  formation  de  beaucoup 
de  noms  de  lieu  avec  le  sens  de  fiscus,  fiscalis  (Cf.  Ducange,  vo  /eo- 
dium).  Une  forêt  royale  de  l'Orléanais  s'appelait  au  xi*  siècle  leogia, 
legia  (H.  F.  XI,  p.  658  et  ibid,,  p.  468).  Cf.  aussi  la  Sylva  Leodige, 
H.  F.  X,  p.  573  C.  —  Dans  le  diplôme  de  Henri  I  pour  Saint-Martin- 
des-Champs  (1060)  (H.  F.  XI,  p.  605,  de  Lasteyrie  Cartul.  de  Paris, 
p.  123),  où  se  lit  cette  phrase  :  «  de  redditibus  quidem  pastionis, 
vierie,  silve  atque  leigii,  omnem  decimam  »,  leigium  paraît  bien  avoir 
le  sens  et  n'être  qu'une  forme  de  leudum,  leida  =  laude. 

F. -Tome  III.  5 


66  LIVRE    IV.    —   CHAPITRE   I. 

gia,  leggiensis  \  est  identique  et  achève,  à  mes  yeux,  de 
lever  toute  espèce  de  doute.  Elle  éclaire  Tétymologie  du 
mot  lige  aussi  sûrement  que  celle-ci  s'accorde  avec  le  dé- 
veloppement historique  que  j*ai  esquissé. 


«  Voyez  la  nouv.  éd.  de  Hariulf.  [C.  T.),  Gloss.,  p.  346.  —  Cf.  Du- 
cange,  v©  Palatium,  V,  p.  22,  col.  2. 


67 


CHAPITRE  II 

LE    RÔLE     DU     BÉNÉFICE     DANS    l'ÉTAT. 

I.  —  La  largesse  et  l'hoimear. 

Les  liens  sociaux  que  je  viens  d'analyser  étaient  au 
X*  et  même  au  xi*  siècle,  indépendants,  en  principe,  des 
contrats  de  fief  proprement  dits.  Leur  principe  était  beau- 
coup plus  large  et  différent.  Alors  même  qu'un  engage- 
ment particulier  intervenait  (hommage  exprès),  la  nature 
de  la  foi,  les  habitudes  mentales,  le  défaut  de  justice  régu- 
lière faisaient  que  la  concession  de  fief  n'était  et  ne  pou- 
vait être  qu'un  acte  de  libéralité,  qu'elle  ne  reposait  pas 
sur  une  convention  parfaitement  synallagmatique '. 

*  L'hommage  (naturel  ou  artificiel)  est  resté  depuis  Tépoque  fraa- 
que  la  condition  préalable  de  l'octroi  d'un  bénéfice  ou  fief;  mais  cet 
octroi,  cette  concession  n'est  pas,  aux  xe  et  xie  siècles,la  cause  de  l'hom- 
mage, dans  le  sens  juridique  du  mot  cause.  On  se  représente  à  tort  le 
bénéfice  carolingien  du  ixe  siècle  comme  concédé  par  le  roi  à  charge 
de  service  militaire.  Le  principe  de  l'obligation  ne  résidait  pas  dans 
le  bénéfice  mais  dans  le  service  public,  dans  le  devoir  envers  le  roi, 
comme  chef  de  la  nation  franque,  dans  la  foi  lige  naturelle,  en  d'au- 
tres termes.  Ce  devoir  était  seulement  plus  étendu  suivant  les  res- 
sources dont  le  sujet  disposait  (le  bénéfice  entrait  à  raison  de  cela  en 
ligne  de  compte)  (Cf.  Brunner,  II,  p.  254),  et  rendu  plus  strict  par  la 
crainte  de  la  révocation  du  bénéfice  comme  de  la  fonction  (honor) 
(Capitul.  Bonon.  cap.  5,  LL.  I,  p.  167).  Il  continua  à  en  être  de  même 
au  x«  et  en  partie  au  xie  siècle.  L'obligation  ne  naissait  pas  de  l'ac- 
ceptation du  bénéfice,  mais  de  la  foi  lige  naturelle  ou  de  la  fidélité 
qui  l'imite. 

A  cela  s'accorde  encore  très  bien  le  passage  suivant  d'un  sermon 
d'Yves  de  Chartres  :  «  Notum  est  dilectioni  vestrae  quod  milites 
saeculi  bénéficia  temporalia  d  temporalibus  dominis  accepturi,  prius 


68  LIVRE   IV.    —    CHAPITRE    II. 

Nous  nous  imaginons  volontiers,  sous  l'influence  des 
mœurs  contemporaines,  où  la  formule  «  donnant,  don- 
nant »  est  devenue  universelle,  où  les  donations  dans  la 
vie  courante  se  font  rares,  où  surtout  toute  convention  qui 
vise  un  intérêt  matériel  et  tangible  se  fait  bout  à  bout,  nous 
nous  imaginons  que  nos  lointains  ancêtres  du  Moyen  âge 
procédaient  de  même  et  qu'ils  ne  livraient  un  bien  quel- 
conque, ou  ne  s'acquittaient  d'un  service,  qu'à  charge  et  en 
échange  d'une  contre-valeur  strictement  spécifiée,  stipulée, 
convenue.  C'est,  à  mes  yeux,  une  totale  méprise,  une  mé- 
connaissance de  l'état  d'esprit  et  des  conditions  sociales  de 
l'époque. 

sacramentis  militaribus  obligantur  et  dominis  suis  fidem  se  servaiu- 
ros  profîtenlur.  »  (Sermon  23,  Migne  162,  604). 

Par  contre  un  texte  cité  au  T.  XI  de  D.  Bouquet  (p.  458,  note  e), 
semble  inconciliable  avec  notre  proposition,  puisqu'il  y  est  dit  : 
u  Quidam  comes...  (castrum  Conmiarceium)  a  pâtre  prafati  comitis  in 
hominium  susceperat  ;  et,  ut  mos  exigebat,  fidelitatem  ei  juravcrat.  » 
Mais  il  s'agit  là  d'une  relation  très  postérieure  aux  événements.  Le 
texte  est  tiré  d'une  lettre  des  moines  de  Saint- Vannes  de  Verdun 
aux  moines  de  Saint- Pantaléon  à  Cologne  qui  a  été  rédigée  par 
l'auteur  de  la  Vie  de  saint  Richard.  Or  celui-ci  écrivait  au  commen- 
cement du  xiie  siècle  (Voyez  Sackur,  Richard  Abt  von  St.  Vannes^ 
p.  3,  note  2,  p.  6i,  note  3)  et  toute  la  fin  de  sa  lettre  (Voyez  Mabillon 
SB.  VI.  1,  537)  prouve  qu'elle  ne  saurait  être  antérieure.  C'est  donc 
à  une  coutume  du  xii«  siècle,  et  non  du  xi**,  que  nous  avons  affaire. 

Une  des  nombreuses  preuves  que  le  service  et  la  fidélité  sont  en 
droit  indépendants  du  bénéfice,  c'est  qu'ils  persistent  dans  la  per- 
sonne du  concessionnaire,  quoique  le  bien  donné  soit  aliéné  avecTas- 
sentimcnt  du  seigneur,  et  qu'ils  n'incombent  pas  à  l'acquéreur. 

Sur  le  premier  point,  voyez  par  exemple  une  charte  d'Eudes,  duc 
de  Bourgogne  (1078-1079)  :  «  Dux  Odo  fecit  aliam  donationem  Clu- 
niacensi  monasterio,  quod  videlicet  ipse  concedebat  et  laudabat  si 
quis  suorum  hominum  de  beneficiis  quae  de  illo  habent  velit  dare 
Scto  Petro  Cluniacensi,  tali  tenore  ut  de  fidelitate  et  servitio  sua  non 
se  subtraheret.  »  {Chartes  de  Cluny^  IV,  p.  653). 

Sur  le  second  point,  il  suffit  de  remarquer  que  les  bénéfices  sont 
transformés  en  alleux  quand  ils  sont  cédés  à  une  abbaye,  ce  qui  serait 
incompréhensible  si  le  lien  féodal  était  un  lien  foncier  (Voyez  par 
exemple,  H.  F.  X,  p.  610,  XI,  p.  558  C,  etc.). 


LE   RÔLE   DU    BÉNÉFICE   DANS   l'ÉTAT.  69 

Et  d'abord  1  elat  d'esprit.  Je  ne  dirai  pas  que  1  egoïsme 
était  moindre  qu'en  notre  temps,  il  pouvait  être  plus 
féroce,  mais  il  avait  des  dehors  moins  rigides.  La  légalité 
faisant  défaut,  il  se  heurtait  à  des  résistances  plus  in- 
domptables et  plus  brutales.  Le  bénéfice  fut  le  tampon. 

Comme  le  sauvage  qui  ne  réclame  pas  un  prix  en 
échange  de  l'objet  qu'il  ofiTre,  mais  qui  fait  un  cadeau 
pour  recevoir  un  autre  cadeau,  également  volontaire, 
l'homme  du  x«  et  du  xi*  siècle  donnait  largement,  à  fonds 
perdu  même  et  à  longue  échéance,  pour  s'assurer  une 
bienveillance  générale,  imprécise,  devant  se  traduire  un 
jour  soit  par  des  dons  égaux  ou  supérieurs*,  soit  par  une 
protection,  soit  par  une  assistance  et  des  services.  Re- 
gardez-y de  près  et  vous  verrez  que  les  bienfaits^  que  l'on 
attend  des  hommes  sont  de  même  nature  et  espérés  par 
les  mêmes  moyens  que  ceux  qui  sont  attendus  de  Dieu  ou 
des  saints.  Moins  on  spécifie  ce  qui  sera  dû  en  échange 
de  Toblation,  plus  on  compte  faire  une  opération  avanta- 
geuse, obtenir  une  généreuse  récompense^.  L'homme  ser- 

*  «  Eique  munera,  recepturi  majora^  cum  summo  favore  contule- 
runt  »  (Orderic  Vital,  IIl,  p.  366). 

*  Le  mot  beneficium  a  gardé  au  x*  siècle  le  sens  de  cadeau  d'armes  et 
autres  objets  mobiliers  (Vie  de  saint  Géraud,  I,  40,  Migne,  133,  col. 
666  :  «  ...  de  quodam  pessimo  homine  qui  vocabatur  A.  Is  namque 
tenebat  quoddam  oppidulum...  ex  quo  scilicet  quasi  lupus  vesper- 
linus  egrediens  eruptiones  faciebat  in  familiam  domni  Geraldi.  Cum 
quidem  ille  sicut  pacificus  loquebatur  ei  qui  oderat  pacem,  quin  etiam 
quœdam  munuscula  tribuebat  ei,  et  arma  militaribus  apta  quatenus 
ferinos  ejus  mores  per  bénéficia  deliniret.  » 

3  «  Quod  si  promise  rit  rex  nobis  vel  princeps  sœcularis  se  datu- 
rum  nobis  divitias  vel  honores  hujus  mundi,  quando  desiderio  eum 
sequimur  et  quanta  diligentia  ei  famulamur?  Ad  jussum  ejus  lustra- 
mus  mundum,  transfreiamus  œquora,  visitamus  barbaras  nationes, 
non  retinemur  frigore,  non  œstu,  non  periculis,  non  gladiis.  Et  hoc 
totum  ut  consequamur,  quas  forte  nunquam  consecuturi  sumus,  falsas 
et  brèves  hujus  mundi  divitias  et  honores  »  (Raoul  Ardent,  HomiL  in 
Epist.^^,  Migne,  155,  col.  1903). 

Fulbert  de  Chartres  distingue  dans  une  de  ses  poésies,  comme  em- 


70  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II. 

vira  donc  le  seigneur  sans  conditions,  pour  obtenir  de  sa 
bonne  grâce  un  bienfait,  un  bénéfice^  et  réciproquement 
le  seigneur  accordera  de  larges  bénéfices  en  vue  de  ser- 
vices futurs  et  indéterminés*.  Et  cet  état  d'esprit  me 
paraît  se  manifester  d'une  façon  très  saisissante  quand 
je  considère  les  libéralités  faites  par  des  vassaux  pour 
Vamor  de  leur  seigneur,  en  vue  du  salut  de  son  âme,  — 
libéralités  dont  ils  ne  peuvent  attendre  eux-mêmes  aucune 
récompense  directe,  —  et  réciproquement  la  générosité 
des  seigneurs  envers  les  saints,  pour  complaire  à  leurs 
fidèles  qui  ont  choisi  ces  mêmes  saints  pour  patrons  *. 
On    dit  aujourd'hui  les   petits  cadeaux  entretiennent 


blêmes  des  moyens  d'dviter  les  péchés,  trois  ordres  de  personnes  : 
le  serf  qui  représente  la  crainte  du  chMimenl  (horror),  le  miles  l'es- 
poir de  la  récompense  (spes  mercis)^  le  fils  de  roi  l'amour  de  laprouesse 
(amor  probilalis)  (Migne,  141,  col.  346). 

Cf.  Vie  de  saint  Le zin  (Migne  171,1502)  :  u  Debebatur  militi  jam 
emerito  bonus  ager.  » 

*  Dans  la  chronique  de  Nantes  Tévêque  Gautier,  qui  veut  sup- 
planter et  expulser  le  jeune  comte  de  Nantes  Budic,  se  construit  un 
castel  et  Tarme  avec  des  parents  et  des  habitants  qu'il  attire  par  des 
dons.  Il  distribue  à  des  nobles  les  biens  de  l'Église,  en  vue  d'ob- 
tenir leur  alliance  :  «  de  parentibus  suis  et  de  Namnetensibus,  quos 
donis  autpromissis  potuit  habere,  armavit  »  (p.  136)  (Cf.  p.  139  :  «  Plu- 
res  suorum  militum  perdiderat,  qui  ad  Alanum  confugerant,  aut 
quos  ipse  donis  suis  aut  promissis  sibi  attraxerat  »).  —  «  Voluit  in 
distribiiendo  omnia  bona  dictœ  ecclesiaî  nobiles  Namnetensium  sibi 
auxiliatores  adjungere  »  (p.  137).  (Chron,  de  Nantes^  éd.  Merlet  C.  T.:. 

^  Les  exemples  des  deux  espèces  de  libéralités  sont  extrêmement 
nombreux.  J'en  cite  un  qui  tire  un  intérêt  particulier  de  la  qualité  des 
personnages  qu'il  met  en  scène,  —  Eudes  II,  comte  de  Blois  (+ 1037), 
Hardouin,  vicomte  de  Chartres,  —  et  de  la  circonstance  que  le  don 
pieux  est  fait  avec  un  bien  que  le  fidèle  tenait  à  titre  d'alleu  de  son 
seigneur  :  «  Odo,  palatii  comes,  cum  ingenuitate  et  potentia  illustris- 
simus,  tum  magnitudine  animi  et  constantia  prestantissimus...  ab  ini- 
micis  in  prœlio  morte  alTectus  est.  Pro  cujus  anime  redemptione... 
datus  est  ab  Harduino  vicecomite,  quem  sibi  idem  dederat,  alodus  de 
Tessoldi-villare.  >>  (Nécrologe  de  A.-Z).  de  Chartres^  Merlet  et  Clerval; 
Un  MS  chartraindu  j/«  siècle  (Chartres  1893),  p.  182). 


LE   RÔLE  DU   BÉNÉFICE  DANS  l'ÉTAT.  71 

Tamitié;  aux  x""  et  xi""  siècles,  les  grands  cadeaux  la  fon- 
daieut*.  Le  caractère  juridique  du  bénéfice,  son  office  so- 
cial sont  définis  aussi  nettement  que  possible  dans  les 
préambules  des  chartes  royales  du  x*  siècle.  La  formule 
suivante,  qui  est  restée  d'usage  fort  longtemps,  les  tra- 
duit parfaitement  :  «  Regalis  excellentiœ  sublimitatis  mos 
est  fidèles  sues  ingentibus  honoribus  sublimare,  potentes- 
que  efficere,  et  nihilominus  eos  in  Dei  nostrœque  fideli-- 
tatis proculdubio  serviiio  promptiores  facere*.  » 

Ce  rapprochement  du  service  de  TÉglise  et  du  service 
du  roi  n'est  ni  artificiel  ni  fortuit.  Cest  lui  qui  justi- 
fiait les  largesses  que  la  royauté  faisait,  leç  bénéfices 
qu'elle  distribuait,  avec  les  biens  de  l'Église;  c'est  lui  aussi 
qui  explique  une  concession  tout  à  fait  étrange,  incom- 
préhensible même,  s'il  était  vrai  que  la  concession  du 
bénéfice  eût  lieu  à  charge  de  service,  et,  au  contraire, 
très  naturelle  et  très  simple  si  l'on  se  place  à  notre 
point  de  vue.  Je  prends  comme  type  un  diplôme  du 
roi  Raoul  de  925  ou  926  ^  Un  fidèle  du  roi  vient  de 
mourir  qui  détenait  de  lui  divers  biens  en  bénéfice.  Ces 

*  L'entretien  et  les  largesses  journalières  ne  sont  pas  considérés 
comme  récompense,  comme  véritable  prix  des  services  :  «  Sicut  satel- 
lites régis  stipendia  militiae  non  reputant  in  laboris  remuneratio- 
nem...  Si  Ghristo  militamus,  non  de  stipendiis  sed  de  promerendo 
prwmio  solliciti  simus.  »  (Raoul  Ardent,  Rom.  in  Epist.  II,  33,  Migne, 
155,  coL  2062). 

Voyez  aussi  ce  tableau  si  vivant  des  phases  d'une  guerre  féodale  : 
u  Aliquis  prseliatums  contra  hostem,  se  prius  armât,  deinde  caute 
hostem  aggreditur,  et  per  magnum  laborem  eum  superat,  postea  eum 
ligans,  ejus  munitionem  dissipât  et  captivos  educit  et  eum  signis 
victoriaBad  sedem  suam  rediens,  donaria  satellitibus  suis  distribuit.» 
{HomU.,  66;  I6iU,  c.  1908). 

*  Ch.  le  Simple,  901 ,  H.  F.,  IX,  p.  490.  —  Cf.  933  (931  d'après  Lip- 
pert)  Raoul,  ibid.y  p.  579  (bénéfices  confirmés  à  un  fidèle,  à  sa  femme, 
et  à  leur  descendant  (nepos)  parce  qu'ils  ont  été  très  fidèles)  ;  935, 
ibid.y  p.  581  (bénéfice  grevé  d'une  charge  de  10  solidi  de  cens  à 
payer  à  un  couvent). 

3  H.  F.,IX,  p.  569. 


72  LIVRE  IV.   —   CHAPITRE   II. 

biens,  le  roi  voudrait  s'en  servir  pour  s'assurer  la  fidé- 
lité d'Aldéric  (nos  volentes  attrahere  Aldericum  in  nostra 
fidelitale)  qu'il  qualifie  du  reste  déjà  son  fidèle  «  noster 
fidelis  ».  Que  fait-il  pour  cela?  lui  donne-t-il  les  biens  à 
litre  de  bénéfice,  comme  on  a  coutume  de  l'entendre, 
c'est-à-dire  à  charge  d'hommage  et  de  fidélité?  Point  du 
tout.  II  en  fait  donation  pleine  et  entière  à  l'abbaye  de 
Saint-Symphorien  d'Autun,  sous  la  condition  qu'ils  seront 
concédés  par  elle  à  Aldéric  en  précaire,  sa  vie  durant,  à 
charge  d'un  cens  de  cinq  solidi.  Le  bénéfice  remplit  donc 
bien  le  but  que  la  formule  de  la  chancellerie  de  Charles 
le  Simple  visait.  II  ne  crée  ni  la  fidélité  ni  le  service, 
mais  il  les  consolide,  aussi  bien  au  regard  du  roi  qu'au 
regard  de  l'Église*. 

A  l'obligation  qui,  dans  une  société  basée  sur  des  grou- 
pements individuels,  s'imposait  à  chacun  de  retenir  son 
compagnon  ou  son  fidèle,  de  conserver  son  protecteur  ou 
son  garant  par  des  dons  répétés,  par  des  libéralités  et 
des  services  gratuits,  vint  se  joindre  l'effort  persévérant 
du  clergé,  surtout  du  clergé  régulier,  pour  obtenir  des 
fondations  et  des  dotations  pieuses.  Ainsi  se  développa 
une  vertu  typique  du  Moyen  âge,  la  munificence,  la  «  lar- 
gesse »>,  qui  a  sa  contre-partie  exacte  dans  le  point  d'hon- 
neur, vrai  ou  faux,  de  ne  point  mettre  ses  services  à  prix, 
de  servir  pour  1'  «  amour  »  et  pour  l'honneur*. 

Ces  deux  sentiments  ne  devinrent  pas  seulement  vertu 

'  Des  bénéfices  sont  conférés  en  pleine  propriété  et  non  pas 
seulement  en  usufruit,  avec  une  formule  analogue.  91  i,  H.  F.,  IX, 
p.  521  ;  vers  919,  H.  F.,  IX,  p.  540-541. 

^  Quelque  chose  de  cet  esprit  ne  se  retrouye-t-il  pas  au  commen- 
cement du  xix«  siècle,  sous  la  Restauration,  dans  le  vif  dialogue  entre 
un  officier  français  et  un  officier  suisse  au  service  de  la  France  que 
rapportent  les  Mémoires  d'un  bourgeois  de  Paris  (Véron)  :  «  Je 
ne  voudrais  pas  servir  comme  vous  pour  de  l'argent.  —  Et  pour  quoi 
servez- vous? —  Pour  Thonneur  —  C'est  vrai,  Monsieur,  nous  ser- 
vons tous  les  deux  pour  ce  qui  nous  manque.  »  —  L'affront  était  cruel, 
il  fut  lavé  dans  le  sang. 


LE  RÔLE  DU  BÉNÉFICE  DANS  L  ETAT.        73 

privée,  mais  vertu  sociale,  ils  pénétrèrent  la  société  de 
part  en  part.  Les  trouvères  les  célèbrent  à  Tenvi,  — avec 
un  enthousiasme  d'autant  plus  sincère  que  la  largesse  est 
leur  seule  source  de  profits  et  qu'ils  la  provoquent  en 
exaltant  le  «  noble  »  service,  le  service  de  «  vassal  », 
aux  dépens  du  mercenaire,  du  service  de  «  soudoyer  »  —  ; 
les  princes  s'en  parent  avec  ostentation  et  les  glorifient 
dans  leurs  fidèles,  y  sentant  d'instinct  leur  principal  ins- 
trument politique,  leur  instrumentum  regni;  l'art  y  trouve 
son  stimulant;  ils  viennent  largement  en  aide  et  souvent 
suppléent  à  la  charité;  l'hospitalité  n'en  est  qu'une  forme, 
un  prolongement  humanitaire.  Nous  étonnerons-nous 
qu'au  XII*  siècle  André  le  Chapelain  en  fasse  une  condi- 
tion essentielle  de  l'amour  courtois? 

Mais  de  telles  qualités  (le  mot  vertu  est  trop  fort  à  notre 
point  de  vue  moderne)  dégénéraient  en  dangereux  excès; 
la  largesse  en  prodigalité,  le  désintéressement  réel  ou 
fictif  en  indiscipline  ou  en  convoitise.  Ce  fut  une  source  de 
faiblesse  pour  le  pouvoir,  plus  grande,  plus  il  était  haut, 
puisque  le  nombre  de  ceux  qu'il  devait  satisfaire  augmen- 
tait et  que  son  devoir  d'être  libéral  croissait  à  propor- 
tion de  sa  dignité.  Les  rois  mérovingiens  déjà  en  avaient 
fait  l'épreuve,  les  carolingiens,  par  nécessité,  durent  les 
imiter.  C'est  pour  avoir  su  y  échapper  que  des  dynasties 
royales  ou  princières  et  que  l'Église  parvinrent  à  fonder 
une  domination  durable;  c'est  en  prenant  le  contre-pied 
des  mœurs  seigneuriales,  par  l'économie  et  le  contrat,  que 
les  classes  populaires  préparèrent  leur  émancipation. 

Tandis  donc  que  les  seigneurs  rivalisaient  de  largesses, 
dons,  bénéfices  ou  honneurs,  et  inoculaient  à  leurs  des- 
cendants les  préjugés  qui  firent  l'impuissance  économique 
de  la  noblesse  française,  le  mépris  du  gain  direct,  sa- 
laire ou  solde,  il  se  produisait,  en  haut  et  en  bas,  un  mou- 
vement en  sens  inverse. 

Les  plus  humbles  économisèrent  pour  améliorer  leur  con- 
dition, les  bourgeois  pour  s'enrichir  et  s'élever  aux  rangs 


74  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE  II. 

supérieurs.  Ils  fournirent  ainsi  des  conseillers,  des  admi- 
nistrateurs, des  économes,  aux  princes  qui  comprirent  que 
la  bonne  gestion  de  leur  patrimoine  et  de  leurs  revenus 
était  le  fondement  matériel  de  leur  puissance,  Toutil  indis- 
pensable de  son  extension.  Les  légistes  ne  vinrent  que 
plus  tard;  les  économistes  les  précédèrent,  plus  exacte- 
ment les  administrateurs.  C'est  l'Église  qui  contribua  le 
plus  à  les  former.  Appui  et  conseillère  du  principal  et 
de  la  royauté,  elle  leur  fraya  la  voie  et  mit  à  leur  ser- 
vice des  clercs  tels  que  Suger,  instruits  à  son  école.  Elle 
aussi,  elle  avait  besoin  de  donner  sans  relâche  :  précaires, 
bénéfices,  dons  gratuits,  libéralités  de  toute  natare  lui 
étaient  imposés  pour  qu'elle  pût  avoir  des  auxiliaires,  des 
fidèles,  des  hommes  d'armes,  des  serviteurs  dévoués.  Mais 
deux  éléments  constituaient  sa  puissance  économique  et  la 
préservaient  soit  de  l'épuisement  des  ressources,  soit  du 
gaspillage  et  de  la  prodigalité.  Elle  avait  à  sa  disposition 
une  pompe  aspirante  et  foulante  quiaspirait  plus  qu'elle  ne 
foulait.  Sa  fortune  s'alimentait  d'un  afflux  continu,  par  un 
mobile  différent  de  celui  qui  provoquait  l'offre  des  servi- 
ces. On  donnait  pour  s'en  faire  un  mérite  auprès  de  Dieu  et 
des  saints,  beaucoup  plus  qu'on  ne  recevait  en  retour  de 
l'évêque  ou  de  l'abbé  pour  le  servir.  Le  trésor  ne  se  vidait 
donc  pas,  le  domaine  ne  s'épuisait  pas,  par  le  même  orifice 
qui  servait  à  le  remplir  ou  à  Talimenter.  D  autre  part, 
l'Église  par  sa  constitution,  par  son  but  idéal,  par  son  es- 
prit de  suite  et  de  pérennité,  par  la  conception  même  de 
son  rôle  de  représentant  d  une  société  ultra-terrestre,  ne 
pouvait  disposer  que  des  revenus  et  non  du  fonds,  elle 
devait  administrer,  gérer,  capitaliser,  conclure  pactes  ri- 
goureux et  stricts  contrats. 

C'est  le  double  exemple  que  des  dynasties  princières 
suivirent.  En  même  temps  qu'elles  régularisent  la  féodalité 
et  la  hiérarchisent  pour  se  la  soumettre,  elles  s'efforcent 
d'appuyer  leur  pouvoir  sur  une  autre  base  que  le  fief,  sur 
un  droit  traditionnel  ou  d'institution  divine,  et  de  lutter 


LE   RÔLE  DU   BÉNÉFICE  DANS  L'ÉTAT.  75 

par  Tesprit  de  suite  contre  la  mobilité  de  la  fortune. 
Je  voudrais  maintenant,  à  la  lumière  des  considérations 
générales  qui  précèdent,  des  résultats  exposés  dans  mon 
second  volume  et  de  mes  recherches  nouvelles,  déterminer 
dans  quelle  mesure  et  dans  quel  sens  l'État  aux  x*  et  xi*  siè- 
cles peut  être  appelé  féodaL 

IL  —  La  lente  formation  de  l'État  féodal. 

Une  des  grandes  causes  d'erreur  qui  a  obscurci  ce 
sujet  tient  à  la  distinction  fallacieuse  de  Talleu  et  du 
bénéfice  ou  fief.  Se  représentant  le  bénéfice  comme  héré- 
ditaire dès  la  fin  du  ix*  siècle,  on  y  a  vu  une  propriété 
perpétuelle  qui,  par  le  contrat  de  fief,  se  différenciait  de 
l'alleu.  L'alleu  aurait  été  une  propriété  pleine  et  libre,  le 
bénéfice,  devenu  fief,  une  propriété  grevée  de  suzeraineté, 
démembrée  dès  lors  en  domaine  utile  et  en  domaine  direct. 
Nous  voici  de  nouveau  en  présence  d'un  anachronisme 
juridique.  Si  exacte  que  cette  distinction  puisse  être  à  partir 
du  XII*  siècle,  si  peu  Test-elle  pour  les  siècles  antérieurs. 
La  vérité  est  qu'alors  les  mots  alleu  et  bénéfice  ont  chacun 
une  double  acception,  une  plus  large,  une  autre  plus  res- 
treinte, et  qui  s'opposent  respectivement,  sans  égard  aux 
stipulations  de  service. 

L'alleu  stricto  sensu,  c'est  le  bien  familial,  le  propre 
avitin,  auquel  fait  face  le  bénéfice  lato  sensu,  l'acquêt, 
soit  à  titre  perpétuel  soit  à  titre  temporaire. 

L'alleu  lato  sensu  comprend  à  la  fois  le  bien  familial  et 
l'acquêt  à  titre  perpétuel*,  et  il  s'oppose  au  bénéfice  stricto 
sensu,  ou  fief,  qui  n'est  autre  chose  qu'une  concession 
viagère,  avec  ou  sans  charge. 

*  Il  est  aisé  de  voir  à  quel  point  ces  deux  notions  sont  voisines, 
puisque,  entre  les  mains  des  descendants  de  l'acquéreur,  l'acquêt  de- 
vient bien  familial. 

2  Le  bénéfice  accordé  à  des  vassaux  militaires  {milites,  vassali, 
etc.)  était   appelé  de    préférence   casamentunif  et   le  casamentum 


76  LIVKE   IV.    —  CHAPITRE   II. 

La  distÎDclion  essentielle  entre  Talleu  et  le  bénéfice 
réside  dans  la  durée  du  droit.  Son  extrême  importance 
et  la  place  prépondérante  qu'ont  prise  les  concessions  via- 
gères se  laissent  aisément  justifier. 

Constatons  à  nouveau  le  fait*.  Le  bénéfice  stricto  sensu 
ou  fief,  sous  ses  multiples  modalités  et  formes,  est  une 

se  trouve  être  ainsi  une  sorte  de  trait  d'union  ou  de  chaînon  intermé- 
diaire entre  le  bénéfice  stricto  sensu  du  x*  siècle  |et  le  fief  militaire 
du  xii*. 

Dès  le  IX*  siècle,  le  mot  casatus  se  rencontre  fréquemment,  mais  il 
sert  à  désigner  soit  des  colons  plus  ou  moins  serviles,  soit  des  vas- 
saux fixés  à  demeure  (vassus  casatus,  Capit.  811,  c.  7.  Leges  I, 
p.  167).  Aux  x«  et  xi*  siècles  il  est  fait  très  habituelle  mention  de  casa- 
menta  militum,  compris,  par  exemple,  dans  une  villa.  (Ch.  de  Guill. 
Gaufr.  d'Aquitaine,  fondation  de  Moutier-Neuf  (St-Jean)  de  Poitiers» 
Besly,  p.  368  :  «  Villam  B.  cum  cassamentis  militum  »). 

Brussel  a  reconnu,  quoique  d'une  façon  peu  précise  et  peu  rigou- 
reuse, que  le  casamentum  était  dans  le  principe  un  usufruit  viager  (II, 
p.  827  et  suiv.)  mais  il  a  tort  de  croire  que,  par  là,  il  différait  du  fief  pri- 
mitif (Cf.  Henschel-Ducange,  v«  Casamentum),  En  réalité  nous  avons 
affaire  au  bénéfice,  à  la  tenure  viagère,  qui  prend  un  caractère  plus 
relevé  et  plus  indépendant  quand  il  est  concédé  au  compagnon,  au 
vassus  militaire. 

Je  croirais  même  volontiers  que  les  mots  casamentum,  casati,  cor- 
respondirent surtout  à  domesticus,  à  bénéfice  du  compagnon  qui  fai- 
sait partie  de  la  Casa,  de  la  maisnie  (Cf.  déjà  le  Capit.  de  811  et  voyez 
le  sens  de  domesticus  indiqué  par  Ducange,  v*  Casatus).  L'idée  d'é- 
tablissement était  secondaire,  car  il  ne  faut  pas  se  représenter  le  co- 
samentum  militis  comme  une  possession  territoriale  délimitée,  comme 
un  petit  domaine.  Il  consistait  surtout  dans  des  droits  domaniaux  ou 
seigneuriaux,  c'est-à-dire  des  droits  à  redevances  ou  à  services  con- 
cédés au  vassal  sur  telle  villa  du  seigneur.  —  Voyez  notamment  charte 
de  Tan  1100  (Gallia,  IV,  152).  «  Quidquid  etiam  servitii  etjustitiœ  in 
alodio  Molismensi,  in  pratis  scilicet  et  sylvis,  in  aquis  decimisque  et 
aliis,  milites  casati  cum  uxoribus  suis  et  progenie  eorum  habebant.  » 

*  Voyez  T.  II,  p.  549-550. 

2  On  n'a  pas  assez  remarqué  combien  le  mot  feudum  est  rare  en- 
core au  XI*  siècle.  Prenez,  par  exemple,  un  des  meilleurs  écrivains  de 
cette  époque,  un  des  plus  soucieux  de  la  propriété  des  expressions, 
un  de  ceux  aussi  qui  ont  agité  le  plus  de  questions  touchant  à  la  vie 
publique  des  diverses  parties  de  la  France,  Fulbert  de  Chartres,  vous 


LE   RÔLB    DU   BÉNÉFICE    DANS   l'ÉTAT.  77 

coDcessioa  temporaire,  sur  une  ou  plusieurs  vies.  Il  cons- 
titue un  simple  usufruit  bien  que  l'opinion  publique  juge 

ne  trouverez  pas,  si  je  ne  me  trompe,  une  seule  fois  le  mot  feudum 
dans  les  H 3  lettres  de  la  Patrologie,  mais  vous  y  trouverez  beneficium. 
Et  cela  s'accorde  fort  bien  avec  Tabsence  de  tout  fief  dans  le  Nécro- 
loge du  XI*  ^ècle  de  la  cathédrale  de  Chartres,  alors  que  les  donations 
d'alleux  y  sont  très  fréquentes.  Ce  n'est  qu'une  addition  faite  de  1090 
à  1130  qui  mentionne  un  fief  (8  janvier). 

Circonstance  plus  grave,  le  feudum  ne  se  rencontre  pour  ainsi  dire 
pas  dans  les  diplômes  royaux  avant  Louis  VI.  Je  ne  crois  pas  l'y 
avoir  vu  plus  d'une  ou  deux  fois,  et  là  où  je  l'ai  noté  il  ne  présente 
nulle  particularité  qui  le  distingue  du  bénéfice,  tel  que  je  l'ai  défini, 
comme  de  pratique  courante,  aux  x«  et  xi»  siècles  :  une  concession  d'u- 
sufruit renouvelable  d'ordinaire,  sans  charge  proprement  dite  ou  à 
charge  de  cens. 

Il  n'est  que  deux  actes  qui  semblent  contredire  ce  que  je  viens 
d'avancer,  puisque  Vhommage  de  service  s'y  montre  dû  à  raison  du  fief. 
C'est  une  charte  de  Robert  pour  Saint-Denis  (H.  F.,  X,  p.  592)  et  le  di- 
plôme de  Philippe  I'%  de  1091,  publié  par  Chantereau  Lefèvre,  Traité 
des  fiefSj  1662  (Preuves,  p.  1-2),  puis  par  Brussel  (I,  p.  284).  Or  la 
fausseté  du  premier  de  ces  actes  est  reconnue  aujourd'hui  par  les 
diplomatistes  (Giry,  Mélanges  Havety  p.  704.  Pfister,  Robert  le  Pieux^ 
p.  LXXII,  etc.).  On  nous  assure,  il  est  vrai,  que  la  falsification  est 
très  ancienne,  mais  tout  le  contexte  de  l'acte  s'oppose  à  la  faire  re- 
monter plus  haut  que  le  xn«  siècle. 

Quant  au  diplôme  de  1091,  son  authenticité  n'a  pas  été  contestée, 
pour  une  double  raison  :  la  critique  diplomatique  de  nos  chartes 
royales  du  x*  et  xi«  siècle  est  presque  tout  entière  à  faire,  et,  d'autre 
part,  les  historiens  ont  trouvé  tout  naturel,  avec  les  idées  reçues  sur 
la  féodalité,  qu'il  y  fût  dit  :  «  Hoc  erit  servitium  quod  pro  praefato 
fedio  faciet  mihi  Rotomagensis  Archiepiscopus.  Per  singulos  annos 
veniet  ad  unam  ex  curiis  meis,  etc.  » 

En  réalité  cette  formule  est  tout  à  fait  insolite  et  tout  le  style  de  la 
charte  trahit  une  époque  très  postérieure. 

M.  Maurice  Prou,  le  futur  éditeur  des  diplômesde  Philippe  I,  a  bien 
voulu  m'apprendre,  à  la  vérité,  que  l'original  scellé  existe  aux  Archi- 
ves de  la  Seine-Inférieure,  sous  la  cote  G  1846,  et  que  son  authen- 
ticité ne  peut  à  ses  yeux,  être  mise  en  doute. 

n  me  permettra  de  ne  pas  me  ranger  à  son  avis.  N'y  a-t-il  pas 
lieu,  en  effet,  d'appliquer  ici  cette  règle  d'un  de  nos  meilleurs  diplo- 
matistes, M.  Giry  :  K  le  goût  du  temps  se  trahit  tellement  jusque  dans  les 
moindres  phrases,  et  d'autre  part,  les  habitudes  des  époques  suivan- 


78  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE  II. 

sévèremeot  le  concédant  qui,  sans  motifs  péremptoires, 
use  de  son  droit  de  reprendre  le  bien  concédé,  à  la  niort 

tes  en  matière  de  rédaction  d'actes  publics  ont  été  si  difTërentesçue 
les  faussaires  n*ont  jamais  réussi  à  imiter  le  style  si  caractéristique 
du  XI*  siècley  et  qu'il  est  relativement  facile  de  ne  pas  se  laisser  pren- 
dre aux  contrefaçons.  »  (Manuel  de  diplomatique,  p.  740-741).  Or  le 
style  tout  entier  de  Tacte  n*est  pas  le  style  du  xi*  s^iècle.  Il  s'y  ren- 
contre notamment  une  foule  d'expressions  :  «  monstrare  rectitudi- 
nem  »,  «  concedo  et  confirmo  redditionem  illam  »,  «  habere  et  possi- 
dere  »,  «  facere  submoneri  »  {=  faire  semondre  de  service)  qui  sont 
des  formules  stéréotypées  de  légistes  ou  de  canonistes  des  siècles 
postérieurs. 

Et  que  dire  du  roi  qui  accorde  son  aide  et  son  conseil  selon  le  droit 
à  un  archevêque  «  concedo  ei  auxilium  meum,  fortitudinem  atque 
consilium  secundum  justitiam  »,  qui  parle  au  pronom  personnel  dans 
la  suscription  :  «  interfuerunt  ex  mea  parte....  meus  cancellarius  n, 
qui  appelle  son  dapifer  «  dapifer  de  Rochefort  »  qui  désigne 
l'archevêque  de  Rouen  conmie  archevêque  du  comte  de  Normandie 
«  de  comité  Normannorum  teneat,  cujus  est  Archiepiscopus  »?  J^ajoute 
que  l'acte  ne  porte  ni  date  chronologique,  ni  date  de  lieu^  ce  qui 
surtout  est  grave  pour  un  diplôme  en  forme  et  de  cette  importance. 

Objectera-t-on  que  l'écriture  ne  peut  être  postérieure  au  début 
du  XII"  siècle,  et  qu'en  faveur  de  l'authenticité  militent  la  circonstance 
que  les  signa  sont  d'une  autre  main  que  le  corps  de  l'acte  et  la  pré- 
sence d'un  sceau  authentique. 

Je  répondrai  :  Il  ne  s'agit  pas  d'une  sorte  de  titre  nouvel  où  le 
scribe  aurait  employé  l'écriture  de  son  temps.  Il  s'agit  d'un  acte 
refait  sous  forme  de  copie  figurée,  avec  altération  et  interpolation. 
La  substance  de  l'original  devait  être  la  cession  de  l'abbaye  de  Saint- 
Mellon  à  l'archevêque  de  Rouen  par  Philippe  I.  On  en  modifia  la 
teneur  en  empruntant  à  l'original  tous  ses  caractères  extérieurs  :  écri- 
ture (différente  pour  le  corps  de  l'acte  et  pour  les  signa)  signa,  sceau 
qui  y  était  appendu,  etc. 

Sauf  meilleur  examen,  j'estime  donc  que  le  diplôme  de  1091  doit 
aller  grossir  le  nombre  assez  respectable  déjà  des  diplômes  apocryphes 
de  Philippe  I. 

J'ai,  du  reste,  la  conviction  que  l'édition  critique  de  nos  diplômes 
royaux  fera  justice  de  nombre  d'expressions  que  les  scribes  ou  les  io- 
terpolateurs  ont  travesties  ou  remaniées  avec  les  idées  de  leur  temps  et 
dont  on  n'a  pas  jusqu'ici  été  choqué.  Elle  rectifiera  aussi  bien  des  lec- 
tures et,  pour  n'en  donner  qu'un  exemple  :  feodum  figurait  dans  un  di- 
plôme de  Henri  (1043)  (H.  F.,  XI  p.  578  A),  mais  quand  Tardif  l'a 


LE   RÔLE    DU   BÉNÉFICE   DANS   l'ÉTAT.  79 

du  coDcessionnaire»  pour  le  donner  à  d'autres  que  les  des- 
cendants légitimes.  S'il  n'existe  pas  de  descendants,  l'opi- 
nion admet  que  le  concédant  peut,  sans  scrupule,  repren- 
dre le  bien  pour  le  garder  et  même,  à  défaut  de  proches 
collatéraux,  pour  en  disposer  à  son  gré. 

M.  Luchaire,  en  étudiant  les  rapports  du  roi  de  France 
avec  les  seigneurs,  a  été  frappé  de  voir  à  quel  point  les 
sources  s*accordent  peu  avec  la  thèse  classique  des  his- 
toriens qui  font  dater  l'hérédité  des  fiefs  soit  du  ix*  siècle 
soit  de  l'avènement  de  Hugues  Capet*.  lia  reconnu  qu'elle 
ne  s'est  établie  que  très  lentement  au  cours  du  xi""  siècle. 
Toutefois  il  estime  que,  dans  le  dernier  tiers  de  ce  siècle, 
elle  était  acquise  aux  grands  fiefs.  Je  serais  beaucoup 
moins  affirmatif  sur  ce  point.  Si  les  grands  principes^  les 
«  grands  vassaux  »  transmettent  régulièrement  leurs  pos- 
sessions à  leurs  héritiers,  cela  ne  tient  pas  à  ce  que  tout 
<(  grand  fief  de  la  couronne  »  est  devenu  héréditaire, 
mais  au  fait  qu'à  vrai  dire  il  n'en  existe  encore  aucun, 
les  prétendus  «  grands  vassaux  »  n'étant  pas,  nous  le  ver- 
rons, rattachés  au  roi  par  un  lien  de  suzeraineté  féodale. 

Quant  aux  «  petits  fiefs  »,  leur  caractère  viager  est  attesté 
par  les  chartes,  par  les  chartes  royales  mêmes,  plus  long- 
temps et  en  termes  plus  absolus  que  ne  l'a  cru  l'éminent 
historien,  induit  en  erreur  par  une  inadvertance  de 
copie  ou  de  lecture*. 

publié  d'après  Toriginal  des  Archives  nationales  (Monum.  histor,, 
p.  167-168),  il  a  lu  frou,  qui  équivaut  à  fro,  frocum,  fraustum  (en 
français  froux),  terre  inculte.  Et  c*est  le  vrai  sens  que  réclamait  le  con- 
texte de  Tacte. 

*  Luchaire,  HisL  des  institutions  monarchiques,  1883,  II,  p.  2,  4 
et  suiv. 

*  La  charte  de  Combs-ia- Ville  que  M.  Luchaire  cite  (II,  p.  19)  d  a- 
près  Bouillart  ne  porte  pas  «  ea  tamen  conditione  interposita  ut,  dum 
prœdictus  Odo  cornes  vita  decesserit,  si  iterum  qudibet  justa  occa- 
sione  ipsam  villam  Cumbis  amiserit;  »  mais  «  ea  tamen  conditione  in- 
terposita ut,  dum  prœdictus  Odo  comes  vita  decesserit,  vel  si  intérim 
qualibet  justa  occasione...  amiserit  »  {Hist,  de  St-Germain-des-Prés, 


80  LIVRE    IV.  —   CHAPITRE   II. 

Quelles  sont  maintenant  les  causes  de  cette  prédomi- 
nance de  la  concession  viagère  sur  la  perpétuelle,  do 
bénéfice  stricto  sensu  sur  Talleu  lato  sensu?  Outre  la 
cause  que  j'ai  précédemment  indiquée*,  j'en  aperçois  deux 
principales  :  la  tradition  et  l'intérêt  du  concédant. 

J'entends  par  tradition  une  pratique  que  l'analogie  des 
circonstances  a  continuée,  ou  périodiquement  renouvelée, 
du  v*  au  XII*  siècle.  Aux  époques  où  nul  n'était  sûr  du 
lendemain,  pendant  et  après  les  invasions  germaniques, 
dans  les  perturbations  des  temps  mérovingiens  et  de  la 
fondation  de  la  monarchie  de  Charlemagne,  puis  dans  la 
dislocation  qui  la  mit  en  pièces,  au  milieu  des  invasions 
nouvelles,  normandes,  sarràzines  el  hongroises,  dans  le 
désordre  enfin  des  luttes  quotidiennes,  l'homme  devait 
borner  son  rayon  visuel.  Il  ne  se  préoccupait  pas  d*uD 
avenir  lointain,  de  la  perpétuité  des  droits,  mais  de  sa 
condition  présente. 

Un  premier  moyen  s'offrait  à  lui  pour  la  sauvegarde 
temporaire  de  sa  personne  et  de  ses  biens.  C'était  la  pro- 
tection d'un  puissant  du  jour,  seigneur  de  ce  monde  ou  de 
l'autre,  comte,  vicaire,  grand  propriétaire,  ou  saint  ayant 
ses  représentants  sur  la  terre.  Mais  chacun  ne  tarda  pas  à 
se  convaincre  que  le  protecteur  protégeait  le  mieux  gens  et 
biens  qui  lui  touchaient  de  plus  près,  qui  lui  appartenaient 
en  propre.  Le  bel  avantage,  du  reste,  de  ne  pas  accep- 
ter d'emblée  cette  condition  !  puisque  le  protecteur,  ap- 
puyé sur  la  force,  pouvait  de  lui-même  se  transformer 
en  maître.  On  en  vint  ainsi  à  l'idée,  toute  naturelle  et  sim- 
ple, de  faire  abandon  de  ses  biens  à  plus  puissant  que  soi, 
—  notamment  aux  corps  religieux  qui  jouissaient  du  dou- 

Preuves,  p.  xxx,  Paris,  172 1).  Le  roi  Philippe  I  ne  stipule  donc  pas 
«  que  si,  à  la  mort  du  comte  Eudes,  une  occasion  propice  se  présentait 
de  reprendre  cette  villa  elle  reviendrait  au  domaine  des  saints  »,  mais 
qu'à  la  mort  du  comte  (f  Eudes  ou  si,  entre  temps^  une  occasion  pro- 
pice, etc. 
«  T.  II,  p.  53  V. 


LB   RÔLE  DU   BÉNEFICB   DANS   L^ETAT.  81 

ble  avantage  de  la  protection  séculière  (immunité)  et  de 
la  protection  céleste,  —  mais  en  se  réservant,  sa  vie  durant, 
tous  les  droits  du  propriétaire  autres  que  le  droit  de  dispo- 
sition. Par  là  on  s'assurait  Mne propriété  temporaire j  entou- 
rée de  toutes  les  garanties  que  l'époque  pouvait  offrir,  à 
laquelle  les  jurisconsultes  du  v®  siècle,  nourris  encore  de 
droit  romain,  n'eurent  pas  de  peine  à  adapter  les  règles  du 
contrat  dé  précaire.  Il  importait  seulement,  dans  l'intérêt 
commun  du  détenteur  actuel  et  du  propriétaire  nominal, 
d'éviter  toute  confusion  entre  la  possession  et  la  propriété. 
On  recourut  d'abord  à  des  renouvellements  périodiques 
(quinquennaux)  ;  plus  tard  on  trouva  plus  simple  et  plus 
sûr  d'instituer  un  cens  récognitif,  qui  marquait  bien  la 
condition  respective  des  parties. 

Il  est  manifeste  qu'un  cens  récognitif  n'est  pas  un  re- 
venu normal,  et  qu'en  principe,  dès  lors,  les  grands  pro- 
priétaires n'auraient  pas  eu  intérêt  à  y  recourir  pour  faire 
valoir  leurs  biens.  Mais,  à  un  double  point  de  vue,  leur  in- 
térêt pouvait  naître.  D'une  part,  en  concédant  certains 
biens  à  titre  de  précaire  (prestaire),  ils  provoquaient  le  petit 
propriétaire  à  leur  faire  abandon  des  siens  :  ils  renon- 
çaient à  des  revenus  pour  s'assurer  un  capital  futur;  le 
petit  propriétaire  plaçait  son  bien  à  fonds  perdu.  D'autre 
part,  les  terres  incultes,  ou  nécessitant  des  travaux  consi- 
dérables d'aménagement,  pouvaient  être  mises  en  valeur 
par  la  cession  faite,  sur  une  ou  deux  vies,  à  des  proprié- 
taires temporaires. 

La  pratique  des  précaires  se  généralisa  à  mesure  que 
les  contrats  de  louage  de  biens  ou  de  services  devinrent 
de  plus  en  plus  difficiles  à  conclure  ou  à  faire  respectera 

'  Le  défaut  de  sanction  des  contrats  apparaît  sous  un  jour  parti- 
■culier  dans  les  innombrables  chartes,  souscrites  au  profit  des  églises, 
où  l'obligation  de  Tune  des  parties  n*a  pas  pour  cause  juridique  ren- 
gagement de  Tautre,  encore  bien  que  cet  engagement  réciproque  soit 
le  véritable  objet  du  contrat.  Ainsi  un  domaine,  une  seigneurie,  des 
droits  de  justice  sont  cédés  à  des  abbayes,  à  des  chapitres,  moyennant 

F.  —  Tome  III.  6 


82  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II. 

Elle  s'imposa  ainsi  comme  modèle^  aux  libéralités  que 
le  seigneur  voulait  faire  à  ses  compagnons  de  table  et  de 
guerre,  —  soit  à  tilre  de  récompense  pour  des  services  ren- 
dus, soit  à  titre  d'avance  et  de  stimulant  pour  des  services 
futurs.  Ne  conciliait-elle  pas  parfaitement  les  intérêts  en 

un  prix  très  élevé.  On  se  gardera  bien  de  dire  qull  y  a  vente  ;  non, 
il  y  a  une  libéralité  qui,  si  elle  est  respectée  par  le  donateur  et  ses 
héritiers,  leur  procurera  l'entrée  du  paradis,  si  elle  est  violée,  les  ex- 
posera aux  peines  les  plus  terribles  de  Tautre  monde.  Quant  au  prix, 
il  ne  figure  que  comme  preuve  du  contrat,  pour  en  assurer  la  stabi- 
lité :  «  propter  firmam  stabilitatem.  »  Voyez  une  charte  très  typique, 
de  1009-1012,  où  le  prix  principal  est  de  mille  solidi.  D.  Housseau^ 
II,  n*^  344  —  publiée  par  M.  Lex,  EiuieSf  comte  de  Blois  (Troyes, 
1892),  p.  136  et  suiv. 

^  Ce  modèle  se  trouva  tout  élaboré,  TÉglise  ayant  greffé  sur  le  pré- 
caire, qui  par  lui-même  déjà  supposait  la  fidélité,  des  libéralités  pro- 
pres à  la  renforcer  et  à  l'étendre .  C'était  un  contrat  intermédiaire 
entre  le  précaire  et  le  bénéfice  proprement  dit.  On  l'appela  tout 
naturellement  feudum  puisque  ce  mot  désignait  encore  au  xi*  siè- 
cle une  concession  viagère.  Une  charte  très  précieuse  du  cartulaîre 
blésois  de  Marmoutier  nous  en  offre  un  remarquable  exemple  : 

c  PlaxitiumB.  quod  Tetbaidus  comes  donaveratnobis...  hoc  d.  ab- 
bas  A.  cuidam  majori  de  monte  Tealdi  Hademaro  nomine  redonaverit. 
Que  donatio  non  absolute  facta  est,  sed  ad  tempus  concedUurf  nec 
quantumlibet  sed  prefixum  morte  fwminis  illius,  talis  etiam  conflr- 
matione  pacti  ut  quicquid  ediBcationis  sive  supellectilis  ibi  tune 
inveniretur  vel  in  cistis  vel  in  tonnis  seu  aliis  quibuslibet  rébus, 
simul  cum  plaxitio  nostris  deserviret  usibus.  Accepto  hoc  pred. 
H.  beneficio  d^,  abbatis  homo  devenit,  seseque  nobis  juramento  consr- 
tringens  affirmavit  se  eidem  d<>.  abbati  qui  in  presentia  erat  et  succes- 
soribus  suis  pref.  loci  abbatibus,  postremo  omni  congregationi  nos- 
tre,  fidem  servaturum,  et  quantum  in  se  esset  prohibendique  facuJtas 
suppeteret,  nullum  omnino  a  quoquam  inferri  nobis  damnum  pas- 
sur  um.  Tune  d.  abbas  adauxit  ei  fevum  suum  ut  fidbutâs  quam 

PROMITTBBAT  SUCCRBSCBRBT  MULTlPLICÀTIOlfB  DOlfORUM,  et  VIII  dcnario- 

rum  censum,  qui  de  quadam  vinea  sua  ad  nos  pertinebat  in  vita 
tantum  sua  ei  censuit  concedendum.  Ipse  e  contra  H.  dédit  S.Martino 
duos  prati  arpennos  in  insula  B.  sitos,  non  directa  tamen  donatione 
sed  usu  sibi  fructuario  dum  viveret  retento.  Pro  quibus  solvuntur 
quot  annisad  feriam  Blesis  census  VIII  denariorum  apud  curtem  que 
appellatur  Uidua»  (1037-1064.  CartuL  blésois^  ch.  XX,  p.  24-25). 


LB  RÔLE  DU  BéNÉFICB   DANS   l'ÉTAT.  83 

présence?  Sous  forme  de  revenu,  la  récompense  était  plus 
liquide  que  sous  forme  de  capital,  plus  immédiate,  plus 
aisée  à  proportionner  aux  désirs  et  aux  besoins',  et  en 
môme  temps  elle  laissait  aux  mains  du  concédant  un  droit 
plus  étendu,  une  garantie  plus  directe. 

Qu'on  y  prenne  garde,  en  effet,  pendant  longtemps  en- 
core il  n'est  pas  question  ici  de  commise,  de  résolution  d'un 
contrat  pour  cause  d'inexécution  '.  Ce  qui  a  donné  le  change 
et  m'avait  tout  d'abord  fait  illusion  à  moi-même',  c'est 
que  le  concédant  pouvait  révoquer  sa  libéralité  soit  pour 
cause  d'ingratitude  suivant  les  lois  romaines,  soit  pour 
rupture  de  la  foi  suivant  les  coutumes  germaniques*,  soit 
ad  ntitum^  comme  tout  donateur,  suivant  les  idées  prime- 
sautières   de  peuples-enfants*.  Mais  la  révocation  était 

*  RieQ  n'empêche,  du  reste,  de  grever  le  bénéfice  d'un  cens  réco- 
gnitif. Tel  est  un  beneficium  more  precario  conféré  au  dux  Franco- 
rum  Hugues  le  Grand  par  Tabbaye  de  Saint-Martin  de  Tours,  H.  F. 
IX,  p.  720-721.  —  Cf.  diverses  chartes  analogues  en  Bourgogne  au 
!•  siècle,  Ch.  inédites  publiées  par  Roserot  (1898),  notamment  ch.  18 
(973),  p.  191. 

«  La  violation  de  la  foi  ne  rompt  pas  un  contrat,  mais  elle  note 
d'infamie,  elle  rend  indigne  d'obtenir  ou  de  posséder  un  bénéfice. 
C'est  donc  une  déchéance  qui  se  produit.  Voyez  t.  II,  p.  520,  534.  — 
Dans  les  actes  du  Concile  de  Saint-Basles  (991)  rédigés  par  Gerbert,  je 
relève  cette  instructive  comparaison  :  Qu'un  miles  soit  accusé  devant 
le  roi  d'un  crime  déterminé,  et  que,  tout  en  le  niant,  il  avoue  avoir  péché 
de  telle  sorte  à  l'égard  d'autrui  qu'il  ne  puisse  plus  détenir  ni  fonds  de 
terre,  ni  bénéfice  {praedium  nec  beneficium  obtinere  posset),  et  ne  de- 
mande grâce  que  de  la  vie,  refuserez-vous  d'accepter  son  fonds  et 
son  bénéfice  s'ils  vous  sont  offerts  par  la  libéralité  royale?  {Gerberti 
Opéra,  éd.  OUeris,  p.  233). 

Dans  un  diplôme  de  Philippe  1er  de  l'an  1065  se  trouve  cette  formule 
comminatoire  :  «  quasi  inimicus  dominorum  et  reipublicae  ab  omni 
privetur  ecclesiastico,  vel  militari,  vel  etiam  fiscali  beneficio  »  (Mi- 
raeus,  Op.  dipl.y  III,  p.  305). 

>  T.  I,  p.  130-131. 

*  T.  II,  p.  537. 

'  Saint  Odon  de  Cluny,  dans  sa  vie  de  saint  Géraud  d'Aurillac,  fait  un 
mérite  à  son  héros  de  n'avoir  pas  été  trop  prodigue  de  bénéfices  ni 


84  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  II. 

commune  au  don  perpétuel  et  au  don  viager,  à  Talleu  laio 
sensu  et  au  bénéfice  proprement  dit*. 

Le  droit  spécial  qui  s'attachait  à  ce  dernier  c'était  le  droit 
de  percevoir  un  relief,  un  relevamentum^  à  chaque  muta- 
tion',  puis  le  droit  aussi,  —  suivant  les  modalités  que  j'ai 
définies  et  jusqu'à  ce  que  le  principe  de  l'hérédité  eût  pré- 
valu, —  de  ne  pas  renouveler  la  concession  à  la  mort  du 
concessionnaire. 

De  ces  deux  droits  le  premier  se  conserva  et  s'étendit, 
le  second  finit  par  disparaître.  Toutes  les  concessions  via- 
gères, en  eflfet,  (précaires,  bénéfices  ou  fiefs),  se  transfor- 
mèrent sous  la  poussée  des  conflits  que  la  précarité  ne 
cessait  de  provoquer. 

Cette  transformation  s'est  opérée  par  un  Xovl^  processtis^ 
par  la  naissance  et  la  fixation  graduelle  d'une  coutume  ren- 
dant stables,  de  flottants  qu'ils  étaient,  les  rapports  entre 
personnes  étrangères  par  le  sang,  rendant  la  condition  de 
chacun  aussi  immuable  en  dehors  de  la  famille  qu'elle 
l'était  dans  son  sein.  Il  a  fallu  à  cette  coutume  deux  siècles 

trop  prompt  à  reprendre  ceux  qu'il  avait  donnés  :  «  neque  ad  béné- 
ficia qu<Tlibet  danda  facilis,  neque  ad  haec  quœ  dederat  auferenda  mu- 
tabilis  »  (Migne,  133,  col.  651)  et  plus  loin  «  ai  postqnam  semel  de- 
disset  non  auferehat  ». 

Il  met  ce  point  en  plus  complète  évidence  encore  quand  il*  loue  la 
générosité  de  saint  Géraud,  qui,  dans  un  but  de  concorde  et  à  ses  pro> 
près  dépens,  parvient  à  empêcher  la  révocation  que  des  seigneurs  veu- 
lent faire,  au  gré  de  leur  humeur,  des  bénéfices  octroyés  à  leurs  vas- 
saux :  «  neque  hoc  patiebatur  ut  quilibet  senior  bénéficia  a  suc  vasso 
pro  qualihet  animi  commotione  posset  auferre  ;  sed,  deducta  ad  mé- 
dium causa,  partim  prece,  partim  imperio,  commotionem  exaspérât! 
animi  reprimebat  »  (Migne,  133,  col.  654). 

«T.  ri,  p.  530. 

*  Dispense  exceptionnelle  de  cette  rétribution,  en  faveur  de 
THlglise  :«  Si  aliquis  militum  prœfatse  vills  bénéficia  tenentium  beato 
Petro  suum  beneficium  aliquando  vellet  donare,  omnino  id  sibi  fa- 
cero  liceret  absque  ulla  reqiiisitione  pecuniœ  quam  idem  cornes  Hugo 
vel  aliquis  successorum  ejus  exigeret  »  {Chartes  de  Cluny^  IV,  p.  735 
(1081)  —  de  même,  IV,  p.  808). 


LE  RÔLE   DU  BÉNÉFICE    DANS   l'ÉTAT.  85 

environ  pour  se  former  et  se  solidifier;  d'elle  est  né  le 
droit  féodal,  comme  d'elle  aussi  le  droit  roturier. 

En  effet,  activement  et  passivement,  au  point  de  vue 
des  droits  comme  au  point  de  vue  des  obligations,  ce  fut 
la  tradition,  Tusage,  le  précédent  qui  devinrent  la  règle, 
la  loL  L'opinion  publique,  le  consensus  commun,  la  con- 
science populaire  s'érigea  en  droit.  Ceux  qui  depuis  plu- 
sieurs générations  avaient  payé  les  mêmes  contributions, 
les  mêmes  cens,  ne  pouvaient  plus  se  refuser  désormais  à 
les  payer;  mais  par  contre  ils  avaient  droit  à  ne  pas  en 
voir  augmenter  le  taux  ou  à  n'être  point  dépossédés  de 
leur  tenure.  L'hérédité  de  tenure  marche  de  pair  avec 
Thérédité  de  la  condition  personnelle. 

Il  en  advint  de  même  du  vassal  militaire.  Service  et  bé- 
néfice, activement  et  passivement,  devinrent  héréditaires*. 
C'est  alors,  alors  seulement,  que  le  bénéfice-récompense 
céda  la  place  au  fief  proprement  dit.  Concéder  un  bénéfice 
d'une  manière  permanente,  c'est-à-dire  eu  s'engageant  par 
avance  à  renouveler  indéfiniment  la  concessioD,  au  profit 
du  concessionnaire  ou  de  ses  héritiers,  avait  pour  contre- 
partie forcée  de  soumettre  ceux-ci  à  un  service  également 
durable  et  spécifié  par  avance.  Le  service  s'incorpora 
au  bénéfice,  l'hommage  fut  dû  à  raison  du  bien  concédé, 
celui-ci  fut  l'objet  d'une  investiture  spéciale,  les  rapports 
complexes  de  service  furent  réglés  suivant  une  échelle 
méthodique.  Tout  le  système,  en  d'autres  termes, 
gravita  autour  du  bénéfice  :  de  personnel  il  devint 
réel. 

Et  l'on  peut  ajouter  que,  par  la  même  et  nécessaire  évo- 
lution, le  fief  s'implanta  au  sol.  L'État  devint  territorial 
en  devenant  plus  stable,  le  contrat  devint  foncier  pour 
offrir  au  suzerain  et  au  vassal  la  pérennité  de  la  garantie, 
la  sécurité  dont  ils  avaient  tous  deux  besoin,  l'un  pour  la 
transmission  régulière  des  obligations  du  vassal,  l'autre  pour 

«  T.  II,  p.  549  et  suiv. 


86  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II. 

la  transmission  de  ses  droits  sur  le  bien  reçu  en  bénéfice^ 
De  sorte  qu'en  dernière  analyse,  Finslinct  de  nos  an- 
ciens historiens  ne  les  avait  pas  trompés  sur  le  rôle  décisif 
que  le  principe  d'hérédité  a  joué  dans  la  formation  de 
rÉtat  féodal.  Leur  erreur  fondamentale  est  provenue  de 
ceci.  Us  ont  étudié  les  textes  de  Tépoque  carolingienne, 
abondants  jusqu'à  la  dissolution  du  ix*  siècle,  puis  les 
textes  non  moins  abondants  de  l'époque  royale,  à  partir 
notamment  de  Philippe-Auguste;  ils  ont  vu  que  de  Tune 
à  faulre  époque  il  y  avait  eu  une  transformation  profonde, 
que  le  bénéfice,  en  devenant  héréditaire,  était  devenu  6ef, 
et  ils  ont  cru  que  c'était  par  un  acte  de  l'autorité  souve- 
raine, —  en  France,  par  le  capitulaire  de  Kiersy  ou  par  une 
charte  hypothétique  octroyée  par  Hugues  Capet*  —  que 
cette  révolution  avait  été  opérée.  En  réalité  nul  souverain 
français,  ni  carolingien,  ni  capétien,  ne  l'a  décrétée.  C'est 
leur  maître  à  tous  et  à  nous-mêmes,  c'est  le  temps  qui  l'a 
accomplie.  Son  œuvre,  nous  allons  levoir,fut  plus  ou  moins 
rapide,  et  il  trouva  dans  le  principal  des  auxiliaires  plus 
ou  moins  énergiques,  des  coopérateurs  plus  ou  moins  actifs. 


^  Je  place  volontiers  ici  cette  réflexion  de  Lehuërou  :  «  Lorsque 
les  8ociét(^s  commencent  à  se  fixer  et  Tordre  qui  les  fait  vivre  à  triom- 
pher, le  législateur  s'arme  de  métiance  et  de  précautions  tyranniques 
contre  ceux  qui  ne  présentent  ni  l'une  ni  Tautre  des  deux  garanties 
qu'il  réclame  :  une  propriété  qui  le  lie  ou  un  supérieur  dont  il  s'avoue 
et  qui  réponde  de  sa  conduite  »  [Institutions  caroling,,  p.  19). 

'^  Luchaire,  II,  p.  4. 


87 


CHAPITRE  III 

<)UE  LES  PROGRÈS  DE  l'oRGANISATION  FÉODALE  DE  L^ÉTAT  SONT 
EN  RAISON  DIRECTE  DE  L*HOMOGÉNÉITÉ  POLITIQUE  ET  DE  LA 
FORCE  DU  POUVOIR. 


Il  me  paraîtrait  téméraire  d'assigner  un  berceau  exclu- 
sif au  véritable  État  féodal,  à  celui  qui  est  basé  sur  la  féo- 
dalité foncière.  Le  lent  travail  d'incubation  duquel  il  est 
sorti  ne  s'est-il  pas  opéré  simultanément  dans  les  nom- 
breux tronçons  de  l'Empire  carolingien,  en  Allemagne,  en 
Suisse,  en  Italie,  en  Espagne,  en  France?  Toutefois  les 
conditions  étant  diverses,  les  forces  le  furent,  l'éclosion  plus 
ou  moins  rapide  et  plus  ou  moins  spontanée. 

Cette  précocité  relative  a  une  grande  importance,  non 
seulement  pour  déterminer  l'état  social  d'une  époque  pré- 
cise, mais  pour  saisir  la  marche  des  institutions.  Les  insti- 
tutions nouvelles  réagissent  toujours,  pour  les  transformer, 
sur  les  anciennes  qui  persistent  autour  d'elles;  en  outre 
leur  émergence  plus  hâtive,  dans  certains  milieux,  nous 
éclaire  sur  les  circonstances  les  plus  propres  à  les  faire 
naître  et  se  répandre.  Il  serait  par  suite  d'un  intérêt  ma- 
jeur de  fixer  exactement  à  l'aide  des  documents  contem- 
porains l'antériorité  respective  des  divers  États  féodaux 
de  la  Gaule. 

Malheureusement  nos  séries  de  chartes  sont  trop  irré- 
gulières et  trouées  de  trop  de  lacunes,  les  œuvres  littérai- 
res trop  pauvres  en  renseignements  précis  sur  les  traits 
distinclifs  que  les  institutions  offraient  de  région  à  région. 
Les  écrivains  se  servent  d'expressions  vagues,  génériques 
ou  stéréotypées,  empruntées  d'ordinaire  à  l'antiquité  latine 


88  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   IH. 

parfois  aux  idiomes  germaniques,  et  détoarnées,  noos  ne 
savons  pas  toujours  dans  quelle  mesure,  de  leur  significa- 
tion originaire.  Surtout,  ils  étaient  incapables  d'analyser 
le  mécanisme  juridique  des  institutions  et  manquaient  de 
points  de  comparaison  suffisants. 

Si  imparfaites  que  soient  nos  sources  d'information,  il  en 
ressort  pourtant,  je  Tai  signalé  dans  le  précédent  volume^, 
que  rÉtat  féodal  s'est  chez  nous  constitué  premièrement 
en  Normandie,  en  Flandre,  dans  le  comté  de  Barcelone. 
De  ces  trois  pays,  la  Normandie  tient  visiblement  la  tôte. 
Je  n'en  veux  pour  preuve  que  deux  circonstances  capi- 
tales :  les  pays  étrangers  où  la  féodalité  a  été  le  plus  for- 
tement organisée,  dès  le  xi*  siècle,  sont  ceux-là  mômes  où 
elle  Ta  été  par  les  Normands,  TAngleterre  et  les  Deox- 
Siciles.  D'autre  part,  le  cœur  du  droit  féodal  français  a  été 
le  droit  normand  et  anglo-normand. 

S'il  était  certain  que  la  Normandie  eût  servi  de  berceau 
à  l'État  féodal  en  France,  il  importerait  de  rechercher  en 
détail  toutes  les  conditions  spéciales  que  ce  pays  présen- 
tait :  âpreté  au  gain,  bon  terroir  et  aptitude  à  le  faire 
valoir,  affaiblissement  de  la  foi  naturelle  dans  le  groupe 
familial',  puissance  mentale  et  ratiocinante,  esprit  pro- 
cessif et  sens  juridique,  influence  des  institutions  anglo- 
saxonnes',  urgence  d'une  autorité  très  forte  pour  discipli- 

*  T.  II,  p.  558. 

'  Cf.  les  paroles  qu'Orderic  Vital  (III,  p.  230)  prête  à  Guillaume  ie 
Conquérant  sur  son  lit  de  mort  :  «  Proximi,  consanguineique  mei, 
qui  debuissent  contra  omnes  mortales  me  omnimodis  tutari,  fre- 
quenti  conspîratione  facta  in  me  sunrexerunt,  et  pêne  omnem  patris 
mei  hsereditatem  mihi  abstulerunt.  »  C'est  une  des  expériences 
qui  Font  convaincu  que  les  Normands  ont  besoin  d*être  domptés  par 
un  pouvoir  régulier  et  fort.  Voyez  infrà^  note  3. 

«  J'aurai  à  revenir  sur  cette  influence  et  à  montrer  sa  profondeur. 
Qu'il  me  suffîse  de  dire  en  cet  endroit  que  l'organisation  féodale  s*est 
trouvée  dans  la  société  anglo-saxonne  en  avance  sur  celle  de  la 
France  du  fait  que  le  pouvoir  royal  y  avait  plus  de  force,  d'unité  el 
d'extension. 


PROORte   DE  l'organisation   FÉODALE   DE  l'ÉTAT.      89 

neretcoDteair  des  caractères  indomptés',  etc.  Toutes  ces 
circonstances  ont  pu  agir,  mais  il  en  est  une  qui  les  prime 
toutes  et  qui,  se  trouvant  commune  aux  autres  pays  que 
j'ai  placés  à  côté  de  la  Normandie,  paraît  bien  avoir  été 
l'élément  décisif,  je  veux  dire  la  cohésion  ethnique,  Tho- 
mogénéité  nationale  sous  une  autorité  puissante'. 

Parcourez  toutes  les  grandes  principautés  de  la  Gaule 
dans  la  première  moitié  du  xi'  siècle,  vous  n'en  trouverez 
que  trois  où  ce  double  trait  caractéristique  se  réalise  aussi 
pleinement',  le  duché  de  Normandie,  les  comtés  de  Flan- 
dre et  de  Barcelone*,  et  vous  verrez  que  par  contre  la  ré- 
gion où  la  féodalité  est  la  moins  rigoureuse,  incorporée  le 
moins  au  sol,  le  Midi  en  un  mot,  est  celle-là  même  où  cet 
élément  défaille  le  plus. 

Quelles  conséquences,  en  effet,  la  cohésion  de  l'État 
devait-elle  entraîner?  Celles-ci.  La  foi  lige  naturelle  due 
au  prince^  et  consolidée  régulièrement  par  Tbommage  ex- 
près, l'emporta  sur  tout  autre  lien  :  de  sorte  que  tous  les 

^  .<  Normanni,  si  hono  rigidoque  dominatu  reguntur^  strenuissi- 
mi  sunt,  et  in  arduis  rébus  invicti....  Alioquin  sese  vicissim  dila- 
niant  atque  consumunt.  Rebelliones  enim  cupiunt,  seditlooes  enim 
appetunt,  et  ad  omne  nefas  prompti  sunt.  Rectitudinis  ergo  forti 
censura  coerceantur,  et  freno  disciplinae  per  tramitem  justitiœ 
gradin  compellantur.  Si  vero  ad  libitum  suum  sine  jugo...  ire  per- 
mittuntur,  ipsi  et  principes  eorum  penuria  et  confusione  probrosa 
opperierUur  »  (Orderic  Vital  III,  p.  230). 

•  C'est  cette  cohésion,  sous  une  autorité  forte,  que  vise  pour  la  Nor- 
mandie une  phrase  très  expressive  de  Raoul  Glaber  :  u  Omnis  pro- 
vintia  qus  iUorum  ditioni  subici  contingebat  ac  si  unius  consangui- 
nitatis  domus  vel  familia  inviolatœ  fidei  concors  degebat  »  (p.  20,  éd. 
M.  Prou,  (C  T.)).  Nous  avons  ici  la  foi  lige  naturelle  dans  son  prin- 
cipe et  dans  son  développement. 

Cf.  aussi,  pour  le  contraste  avec  la  Francie,  Guibert  deNogent  De 
vita  sua  III,  7)  :  «  Dum  Northmannico  vel  Anglico  more,  Francicam 
non  prœvalet  extrudere  libertatem  »  (Migne,  156,  col.  923). 

'  L'Anjou  en  approche. 

*  On  pourrait  y  ajouter  la  Lorraine,  qui  était  alors  dans  la  dépen- 
dance de  l'Allemagne. 


90  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   UI. 

vassaux,  et  en  principe  tous  les  sujets,  furent  des  vassaux 
di^ects^  Cette  foi  s*étendit  des  personnes  aux  biens  pour 
les  englober.  Elle  y  réussit  d'autant  mieux  que  le  prince 
sut  faire  une  mainmise  plus  complète  sur  les  villes  forti- 
fiées et  les  châteaux  forts  d'où  dépendait  le  plat  pays.  Les 
biens  furent  tenus  réellement  ou  furent  censés  tenus  du 
prince  ;  système  qui,  poussé  à  Textrême,  excluait  tout  al- 
leu, tout  bien  possédé  en  pleine  et  franche  propriété.  Le 
service  dut  èlre  proportionné  à  Tétendue  des  possessions. 
Contributions  ou  prestations  publiques  des  tenanciers  in- 
férieurs, service  militaire  des  chefs  y  eurent  leur  assiette, 
avec  plus  de  rigueur  que  du  temps  de  Charlemagne  le  ser- 
vice militaire  des  sujets  n'avait  été  assis  sur  les  bénéfices 
et  sur  les  manses. 

La  conquête  mit  le  sceau  à  cette  organisation,  non  seu- 
lement dans  les  pays  conquis,  mais  par  répercussion  dans 
l'État-souche  des  conquérants.  Elle  lui  donna  une  consis- 
tance systématique,  elle  l'imposa  avec  une  énergie  irrésis- 
tible aux  vaincus  et  aux  vainqueurs.  Pour  la  Normandie  et 
le  Maine,  pour  l'Angleterre  conquise  par  les  Normands,  la 
vérification  est  éclatante;  elle  peut  se  faire  aussi  pour  les 
deux  autres  États  que  j'ai  cités,  la  Flandre  et  le  comté  de 
Barcelone.  Et  quant  au  premier  n'est-ce  point  le  contraste 
qu'il  présentait,  du  point  de  vue  féodal,  avec  la  Francie 
qui  est  exprimé  par  cette  énigmatique  formule  des  chro- 
niques de  Cambrai  :  «  Postpositis  Karlensibus  custumiis 
talem  honorem  tibi  observabo,  qualem  Lotharienses  milites 
dominis  suis  et  episcopis'.  » 

*  M .  Luchaire  vient  de  le  constater  très  justement  pour  la  Norman- 
die. «  Une  seule  seigneurie  marquante,  dit-il,  celle  de  Belléme  ... 
put  garder  IMndépendance.  —  La  noblesse  normande  n^est  pas  sépa- 
rée du  chef  suprême  par  une  série  de  degrés  interposés  :  ses  membres 
s'ils  ne  sont  égaux  entre  eux,  relèvent  tous  immédiatement  du  duc. 
Au  rebours  de  ce  qui  s'est  passé  ailleurs,  celui-ci  a  réussi  à  conserver 
son  action  directe  sur  les  vassaux  les  plus  infimes.  »  {Histoire  de 
France,  II,  p.  54-55). 

*  Gesta  pontif.  Camerac,  III,  40  (Migne,  149,  163).  Adde,  III,  44  : 


PROGRÈS   DE  L*ORGANISàTION  FÉODALE  DE  L*BTAT.       9t 

Faut-il  iasister  maiatenaDt  sur  la  face  aettement  oppo- 
sée que  le  Midi  offre  à  dos  yeux?  Les  motifs  allégués  par 
les  historiens  pour  justifier  son  allodialité  :  persistance 
du  droit  et  des  iuslitutions  de  Rome,  civilisation  plus 
avancée,  mœurs  plus  douces  etc.,  sont  aussi  faibles  en 
soi  qu'ils  sont  impuissants  à  rendre  raison  de  la  différence 
qui,  au  xi*  siècle,  sépare  le  Languedoc  de  la  Normandie. 
Si  Ton  s'est  contenté  de  ces  raisoos,  c'est  qu'on  n'a  pas  vu 
A  quel  point  la  différence  était  profonde,  et  en  quelle 
étroite  conoexité  elle  se  trouvait  avec  Tabsence,  dans 
le  Midi  de  la  France,  d'uoe  autorité  victorieuse  des  résis- 
tances familiales  ou  individuelles  et  de  l'indépendance 
locale. 

Dans  le  Languedoc,  comme  ailleurs,  les  historiens  (dom 
Vaissetle  en  tôte)  ont  vu  partout  des  fiefs  à  charge  de 
service,  ils  ont  parlé  couramment  de  suzeraineté,  de  mou- 
vance, d'hommage  féodal,  et  se  sont  servi  de  l'expression 
«  tenir  de  »\  ou  d'expressions  analogues,  comme  si  les 
règles  du  droit  féodal  en  vigueur  au  xiii^  siècle  l'avaient  été 
dès  le  x^'.  Le  vrai  est  pourtant  que  la  hiérarchie  des  fiefs 

«  Sicut  Lotharienses  milites  suis  dominis  et  episcopis  obediunt,  mihi 
obedirel,  juravit.  » 

*  Pour  i'»mbiguïté  de  la  formule  tcnere  a,  voyez,  par  exemple,  H.  du 
L.,  V,  426,  428,  etc.  —  Cf.  Diplôme  de  Robert,  4  février  1031,  Cart, 
de  N,'D,  de  Chartres,  L  88.  «  Posl  suum  vero  decessum  lotus  ex 
ÎQlegro  alodus,  cum  omnibus  sibi  appendenlibus,  excepta  illa  terra 
quam  tenet  A.  sicut  ille  Manasses  comes  (le  donateur)  tenct  solidum 
et  quietum,  similiter  in  usus  canonicorum  Camotensis  Eclesiœ  deve- 
niat  ». 

^  Suivant  M.  A.  Molinier  la  féodalité  est  constituée  dans  le  Lan- 
guedoc passée  la  date  de  950  (H.  du  Lany,,  VII,  p.  132,  col.  2), 
mais  en  réalité  c'est  beaucoup  moins  la  féodalité  du  x**  et  du  xi^  siècle 
que  celle  du  xu^  et  du  xm^  qu'il  décrit.  La  plupart  des  chartes  qu'il 
analyse  sont  postérieures  au  xi*  siècle. 

Il  n'est  pas  non  plus  de  bonne  méthode  d'appliquer  au  Langue- 
doc les  chartes  concernant  la  marche  d'Espagne,  où  la  féodaUté,  je 
l'ai  dit,  s'est  organisée  de  meilleure  heure  et  dans  des  conditions 
spéciales.  Aussi  chercherait-on  va'nement   dans  le  Languedoc,   et 


92  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   lU. 

D'existé  pas  plus  que  celle  des  titres  \  que  le  lien  féodal  est 
très  lâche,  que  la  foi  est  engagée  indifTéremment  à  plu- 
sieurs seigneurs  et  se  ramène  fréquemment  à  dû  serment 
de  sécurité,  qu'il  serait  beaucoup  plus  exact  de  parler 
d'alliés,  de  confédérés  et  d'associés  que  de  suzerains  et  de 
vassaux,  que  les  limites  des  seigneuries  sont  impossibles  à 
fixer,  même  pour  le  duché  de  Narbonne,  par  la  raison  très 

n*est-OD  pas  autorisé  dès  lors  à  invoquer  sans  cesse  pour  ce  pays, 
une  convention  comme  celle  de  954  que  passèrent  entre  eux  les 
vicomtes  de  Cerdagne  et  d'Urgel  {H,  du  Lang,^  II,  421  suiv. 
Preuves,  ch.  209].  Ce  n*est  pas  à  dire  que  le  fief  y  apparaisse  déjà 
dans  sa  forme  typique,  mais  du  moins  peut-on  Ty  entrevoir.  Les 
traits  suivants  me  paraissent  justifier  cette   double  proposîtioD    : 

1®  Des  hommes  sont  cédés  avec  leur  fief,  non  point  des  fiefs  avec 
le  service  qui  y  serait  attaché;  «  dono  vobis  E.  cum  ipso  fevo  quod 
tenet  de  kastro  S.  Martini  et  cum  suos  milites  »;  «  dono  vobis  B. 
cum  ipso  feu  que  tenet  de  ipso  vice  chomitatu  et  suos  milites,  et  de 
aliis  cavallariis  qui  rémanent  dono  vobis  ipsa  medietate  cum  ipsos 
fovos  que  tenet  de  vicechomitatu.  » 

2®  Les  châteaux  qui  sont  concédés  directement  sont  dits  donnés  en 
commande  :  «  comendo  vobis  ipsos  kastros...  » 

3<^  Il  est  question  d*un  Oef  de  vicomte  (fevum  de  vicechomite) 
dont  le  quart  est  cédé  au  vicomte  d^Urgel  et  à  sa  femme  m  dominico^ 
c'est-à-dire  à  titre  de  propriété  y  et  dont  la  transmission  par  décès 
paraît  réglée  ensuite  par  un  testament  réciproque  (voyez  tn/rd). 

4*  Il  n*y  a  pas,  au  point  de  vue  juridique,  une  convention  synalla- 
gnatique  mais  plusieurs  engagements  successifs  :  I)  Commande  des 
châteaux  et  don  d*hommes  ;  II)  A  raison  de  ce  don  «  propter  hoc 
dono  suprascripto  »  engagement  personnel  du  vicomte  d*Urgel  et  de  sa 
femme  ;  III)  Conventions  spéciales  quant  à  Texécution  ou  Tinexéculion 
des  deux  précédentes  :  Le  service  d'ost  et  de  chevauchée  peut  être 
fait  ou  par  le  vicomte  d'Urgel  lui-même  et  par  les  hommes  qui  luî 
ont  été  cédés  ou  par  ceux-ci  seuls  ;  IV)  Si  Tune  ou  l'autre  des  deux 
parties  viole  son  engagement,  les  hommes  cédés  se  tourneront  contre 
le  violateur.  Il  n'y  a  donc  pas  à  vrai  dire  de  commise;  V)  Les  deux 
parties  s'instituent  réciproquement  héritiers  de  leur  portion  de  vi- 
comte, pour  le  cas  où  le  prémourant  ne  laisserait  pas  de  descendant 

<  «  La  hiérarchie  des  titres,  remarque  M.  Molinier  (H.  du  L.,  XII, 
p.  226),  parait  être  une  invention  des  feudistes  des  derniers  temps 
du  Moyen  âge.  »  Je  crois  bien  qu'elle  n*est  pas  la  seule. 


PROGRÈS  DB   l'organisation   FÉODALE    DE   L  ETAT.       93 

simple  que  le  groupement  est  essentiellement  personnel 
et  familial.  Un  des  Nouveaux  éditeurs  de  dom  Vaissette, 
ayant  accepté  la  tâche  d^exposer  la  géographie  féodale  du 
Languedoc,  ne  s'est-il  pas  vu  réduit  à  dresser  un  tableau 
des  familles  ou  maisons  seigneuriales*? 

Sans  doute  l'expression  de  fief  se  rencontre,  mais  spo- 
radiquement. Elle  ne  devient  un  peu  plus  fréquente  qae 
dans  les  deux  premiers  tiers  du  xi*  siècle,  et  même  alors 
elle  demeure  rare.  Sa  signification,  en  outre,  est  très  vague, 
très  flottante.  Elle  correspond  à  des  modes  de  possession 
de  terres  ou  de  droits  lucratifs  qui,  en  dehors  du  caractère 
viager,  n'ont  rien  de  défini,  de  technique,  qui  se  rencon- 
trent, sous  d'autres  noms  et  avec  des  modalités  multiples  ', 
dans  toutes  les  classes  de  la  société,  du  haut  en  bas  de  l'é- 
chelle sociale,  sans  distinction  entre  laïques  et  clercs.  On 
peut  facilement  le  vérifier  dans  les  preuves  mêmes  de 
l'histoire  du  Languedoc.  Il  suffit  de  s'en  tenir  strictement 
aux  textes  des  x*  et  xi*  siècles,  et  de  s'affranchir  des  pré- 
jugés historiques  qui  en  faussent  l'intelligence. 


*  H,  du  Lang.Nouv.  éd.,  XII,  c.  225  et  suiv.  <»  C'est  une  agglomé- 
ration de  princes  tous  égaux  entre  eux,  au  moins  théoriquement, 
nouant  et  dénouant  les  alliances  au  gré  de  leurs  caprices  ou  de 
leurs  intérêts  du  moment.  Comment  sortir  de  ce  chaos?  Ce  qui 
domine,  c'est  en  somme  l'intérêt  de  la  famille  le  mieux  sera  donc  de 
retracer  successivement  l'histoire  des  domaines  de  chaque  famille.  » 

•  Voyez  par  exemple,  H,  du  L.,  V,  c.  573-4, 


94 


APPENDICE  DU  CHAPITRE  IIÏ 
Le  fief  languedocien  de  000  à  1071. 


Si  nous  parcourons  les  chartes  publiées  dans  rhistoire 
du  Languedoc  pour  la  période  qui  va  du  début  du  x*  siè- 
cle au  dernier  tiers  du  xi*  siècle  (nouv.  éd.,  t.  V)  nous 
assistons  à  la  lenle  difTusion  du  mot  feudum  et  à  Félabo- 
ration  non  moins  lente  de  la  notion  du  Qef  proprement  dit. 
Remarquons  au  préalable  que  certains  intitulés  de  chartes 
sont  de  nature  à  induire  en  erreur.  On  les  voit  qualifiées 
hommages^  alors  qu*il  ne  s*agit  en  réalité  que  à%  serments 
de  sécurité  {poLV  ex.  :  c.  372-4,  c.  412,  etc.)  qui  correspon- 
dent aux  obligations  purement  négatives  du  vassal  %  et 
qui  sont  beaucoup  plus  nombreux  dans  le  Languedoc  que 
les  véritables  hommages  de  service  englobant  à  la  fois  les 
obligations  négatives  et  les  obligations  positives  [adju- 
torium).  Ceux-ci  sont  rares  (par  ex  :  c.  409-4H)  (v.  1034) 
et  ne  deviennent,  comme  nous  allons  le  voir,  corrélatives 
à  la  concession  d'un  vrai  fief  que  dans  le  milieu  du  xi* 
siècle. 

Cela  dit,  passons  une  revue  aussi  exacte  que  possible 
des  chartes  de  cette  collection  où  le  moi  feudum  se  ren- 
contre. Je  ne  l'aperçois  qu'à  partir  de  961,  bien  qu*on  ait 
cité  {H,  du  L.,  VII,  c.  133  note)  comme  premier  témoignage 
une  charte  de  Nîmes  de  l'an  956  {H.  du  L.,  V,  c.  225).  Elle 
relate  un  échange,  à  Ntmes,  de  divers  biens  entre  parti- 
culiers et  dit  au  sujet  de  l'un  d'eux  :  «  Et  per  istos  ex- 
cambios...  débet  Bl.  facere  soivi  ad  vicecomite  B.  et  ad 

«  T.  II,  p.  518-519. 


LE  FIEF  LANQUEDOGIEN   DE   900   A    1071.  95 

vicecom.  G.  et  ad  B.  cujus  erat  feuz.  »  Ce  dernier  mot  ne 
saurait  être  ici  une  des  formes  de  feudum  {feus  =feudum). 
Il  signifie  fidelis,  et  correspond  à  feel,  feaus  {feus=^feel^ 
Ducange  h.  v*). 

Avant  961,  je  remarque  seulement  l'expression  donare 
perfidem  (v.  922,  c.  146),  certainement  équivalente  à 
dore  ad  beneficium  (935,  c.  168),  qui  peut  être  rapprochée 
de  la  bajolia  que  nous  trouverons  plus  loin  et  avoir  le 
sens  de  donner  à  gérer,  confier. 

961  (c.  241,  246).  Testament  de  Raimond  I  comte  de  Rouergue, 
3  mentions  de  feo  :  «  alode  quod  G.  babet  a  feo  et  F.  habet  a  feo 
de  Raymundo  »  ~  «  alode  quod...  B.  habet  nfeo,,.  ad  ipso  cœnobio 
remaneat  »  —  «  alode  de  Br.  R.  filio  meo  et  H.  filio  meo  remaneat;  in 
tali  vero  ratione  quod  teneat  ipso  castro  et  ipso  feo  A.  et  I.  quod 
habent  de  ipso  alode,  si  taie  forsfactum  non  faciunt  in  contra  unum, 
de  quod  ipso  feo  habere  non  debeant.  »  Cette  clause  prouve  qu*il 
n'y  a  pas  commise,  pour  défaut  de  service,  mais  déchéance  pour 
indignité  *. 

972  (c.  269)  :  «  illo  fevo  de  L.  quse  fuit  R.  avo  meo,  quaB 
tenuit  de  comité  H.  dimitto  et  G.  et  R.  filiis  suis  et  illo  fevo  qu» 
fuit  G.  dimitto  medietatem  ad  filias  Âymerici...  »  Il  s'agit  d'un  béné- 
fice lato  sensu  dont  le  détenteur  dispose  par  acte  de  libéralité. 

V.  972  ic  277).  Testament  de  Garsinde,  comtesse  de  Toulouse  : 
quelques  tenures  viagères  qualifiées  fevum  :  «  mansum  qu»  G. 
tenet  ad  fevum  in  vita  sua,  post  mortem  ejus  remaneat  S.  Petro  » 
etc.  (bénéfice  stricto  sensu). 

1018  (c.  366-7).  Plaid  dans  lequel  des  biens  sont  revendiqués 
par  un  vicarius  comme  tenus  pro  feo  par  des  hommes  propres 
{homines  dominici),  Feum  désigne  donc  ici  des  terres  assujetties  à 
des  droits  seigneuriaux,  comme  situées  à  l'intérieur  d'une  potestas 
{dominicaria),  par  opposition  à  des  terres  franches  et  libres,  à  de 
pleins  alleux.  C'est  ce  que  la  fin  de  la  charte  prouve  sans  réplique. 
Le  vicaire  succombe,  il  est  obligé  de  se  désister  de  tout  droit  sur 
les  biens  litigieux,  de  reconnaître  qu'ils  sont  des  alleux  et  non  des 
fiefs  «  de  jamdicto  alode  me  evacuavi,  quod  in  nuUo  modo  pro  feo 
hoc  probare  non  potui  »,  parce  que  les  témoins  ont  juré  que  depuis 
trente  ans  et  plus  ils  étaient  possédés  «  per  legitimum  alodem, 
sine  ullum  censura  regalem  et  sine  ullo  adjutorio,  quod  exinde  fecis- 

•  T.  II,  p.  519,  p.  534  suiv. 


96  LIVRE   IV.   —  APPENDICE   DU   CHAPITRE   III. 

sent  ad  ipsos  homines  de  Monte-Ganudo  qui  in  ipsa  domnîcheria 
steterunl.  » 

V.  1025  (c.  380)  formule  vague  :  «  nec  aiiensure,  nec  bescamiare, 
nec  ad  fevum  dare,  nec  ad  hominem  nec  ad  feminam.  » 

V.  1034  (c.  409-411)  :  Fevum  =  bénéfice  lato  sensu  (acquêt 
viager  ou  perpétuel)  :  «  neque  de  suos  alodes,  neque  de  suos  fevos 
que...  odie  habet,  aut  in  antea  cum  consilio  R.  adquisîerit.  » 

1037  (c.  429-430)  Fevum  =  tenures  d'une  villa,  devant  rede- 
vances et  services  '  u  de  ipsum  fevum  (villa  quod  vocabulum  est 
Burgi),  ipsa  modiata  sive  alium  servicium  quod  a  comité  debent  la- 
cère vel  a  vicario  ipsi  fevales  ».  Fevum  s'oppose  à  dominiciim  et 
à  fevum  discaptum,  c'est-à-dire  à  terre  exploitée  directement  et  à 
tenure  transmissible  dispensée  du  relevium.  Je  crois,  en  efifet,  que 
discapttim  est  le  contraire  ô'accaptum  (relief). 

1046  (c.  453).  La  vicomtesse  Garsinde  abandonne  au  comte  de 
Carcassone  :  «  alodes  et  fevos  qui  fuerunt  W^  vicecomitis  et  filiœ 
ejus  G...  el  de  meo  jure  in  suo  trado  dominio  et  potestate,  ad 
faciendum  inde  quidquid  voluerit.  » 

1046  (c.  455)  Fevum  =  bénéfice  ecclésiastique  {honor  elerica- 
lis)  :  «  canonicorum  qui  fevos  habent  de  ipsa  ecclesia.  » 

V.  1050  (c.  459).  Concession  viagère,  sans  stipulation  de  service 
(qualifiée  donum  d*un  alleu)  «  dono  pro  fevo  in  vita  sua  ». 

A  partir  de  1050  le  mot  fevum  devient  plus  fréquent 
et  le  fief  prend  de  plus  en  plus  le  caractère  qu'il  aura  plus 
tard.  Toutefois  ce  caractère  est  loin  encore  d'être  fixé, 
comme  nous  pouvons  le  voir  en  continuant  notre  revue. 

1051  (c.  463),  formule  vague  :  «  Neque  aliquis  bomo  vel  fœmina 
donsure  alicui  possit  aliquid  de  hoc  prsedicto  alodio  neque  per  alodium 
neque  per  fevum.  » 

1053  (c.  473).  Dans  une  contestation,  l'une  des  parties,  après 
avoir  soutenu  d'abord  qu'elle  possédait  une  église  c  per  alodem  *, 
prétend  la  tenir  à  fief  de  l'évêque  Bércnger,  qui  siège  au  plaid  u  con- 
quisivissemus  eam  per  fevum  de  potestate  Berengarii  episcopi  ». 

1053  (c.  475).  Fevum  =  bénéfice  lato  sensu, 

1054  (c.  479).  Abbaye,  avec  ses  dépendances,  tenue  per  fevum. 

1055  (c.  484).  Eglise  tenue  jMrc  fevi,  cf.  de  même  1058  (c.  490). 
1055  (c.  485).  Fevum  =  tenure. 

V.  1056  (c.  486  suiv.).  Constitution  de  fief  par  l'évoque  de  Bé- 

*  Modiata  =  prestalio  pro  modio  vini  vel  avenœ. 


LE  FIKF  LANGUEDOCIEN   DE   900   A   1071.  97 

ziers.  Peut-être  s'y  trouvait-il  une  stipulation  de   service,  mais  la 
charte  est  brusquement  interrompue  par  une  lacune.  «  Et  hoc  debes 

facere  mihi  quod  si  ego  B »  (c.  488). 

1058  (c.  491).  Fevum  =  tenure  :  «  E.  qui  tenel  ipsam  villam  ad 
fevum.  Et  ego  ipse  E.  dono  per  unumquemque  annum  duos  modios 
de  vino  sine  aqua  et  de  unaquaque  casatura  IV®'  denarios  unoquo- 
que  anno  ».  —  Cf.  v.  1060  (c.  513),  tenere  ad  fevum,,  1061  (c.  515), 
tenere  in  fevum, 

1065  (c.  530).  Fevum  =  bénéfice  viager  ou  baillie,  bajolia.  Renou- 
vellement à  une  veuve  de  la  concession  faite  à  son  mari.  Le  bien  lui 
est  confié  pour  le  gérer  (gubernare),  elle  doit  l'entretenir  et  le  desservir 
(évidemment  comme  une  tenure)  «  sub  tali  tenore  ut  ipsa  teneat  et 
possideat  in  servitio  et  sub  dicione  praedicto  cenobio,  sicut  vir  suus 
hoc  tenuit.  »  Après  sa  mort  il  reviendra  au  couvent,  pour  être 
possédé  au  même  titre  que  ses  autres  alleux. 

V.  1066  (c.  536-538).  A  lire  l'engagement  que  prend  dans  cette 
charte  Raymond  de  Saint-Gilles  envers  l'archevêque  Guifred  de 
Narbonne,  il  semblerait  que  Raymond  se  rend  vassal  de  Guifred.  En 
réalité  il  était  son  seigneur  à  Narbonne,  comme  successeur  des  comtes 
de  Rouergue,  et  loin  de  devenir  son  vassal  il  lui  donne  en  fief  le  tiers 
de  ce  qu'il  pourra  acquérir  per  placitum  dans  le  comté  de  Nfiurbonne. 
Il  le  lui  donne  per  drudairiam,  ad  fevum,  expression  empruntée  au 
compagnonnage  et  qui  a  pu  légitimement,  à  mon  sens,  faire  songer 
Catel  à  un  simple  pariage  (Hist,  des  comtes  de  Toulouse,  p.  27.  Cf. 
H.  du  L.,  III,  p.  354). 

1066  (c.  541),  «  neque  de  ipsos  alodes  vel  fevos,  neque  de  suos 
censos.  » 

1067  (c.  546)  engagement  d'un  fief  par  le  concessionnaire  au 
concédant 

1067  (c.  549),  cession  de  fiefs  et  d'alleux.  —  De  même,  1069 
(c.  561). 

1067  (c.  552),  constitution  de  fief  avec  cette  curieuse  réserve  : 
«  exceptus  ipsum  servitium  quod  vos  debetis  facere  nobis  »,  qui  peut 
s'entendre  d'un  service  antérieurement  dû. 

1070  (c.  574),  M  per  fevos  et  convenientias  sive  per  quascumque 
voces.  » 

1070  (c.  579),  «  per  fevos,  vel  per  alodia,  vel  per  bajulias,  sive  per 
convenientias,  vel  per  quascumque  voces.  » 

1070  (c.  574).  «  Fevum  ad  vestrum  servitium.  » 

1070  (c.  576).  «  Fevum...  adillorum  servitium.  » 

1071  (c.  587).  Accord  entre  Guillaume  comte  de  Toulouse  et 
Raimond  comte  de  Barcelone  —  D.  Vaissette  a  trouvé  dans  cette 

R  —  Tome  III.  7 


98  LIVRE   IV.    —  APPENDICE  DQ   CHAPITRE   IIL 

charte  la  preuve  que  le  comte  de  Barcelone  devait  i'hommafre  de 
service  au  comte  de  Toulouse,  était  placé  sous  sa  suzeraineté  féodale, 
tandis  que  d'après  les  Espagnols  les  possessions  françaises  des 
comtes  de  Barcelone  étaient  francs-alleux  {H,  du  L.,  IH,  p.  373; 
V,  c.  31).  En  réalité  de  quoi  s'agit-il?  Guillaume  comte  de  Tou- 
louse, beau-fils  de  Raimond  le  Vieux  de  Barcelone,  prétendait  que 
celui  ci  lui  devait  adfidament  à  raison  du  château  de  Laurac  qu'il 
avait  acquis.  Raimond  le  contestait  :  finalement  Raimond  reçoit  le 
château  en  fief  pour  lui  et  ses  successeurs  et  paie  une  somme  de 
dix  mille  msurcs  ou  mangons.  Cette  convention  est  inexplicable 
si  Ton  veut  y  voir  un  hommage  de  service.  Que  réclamait  Guillaume? 
L*hommage,  nous  dit-on.  Raimond  non  seulement  y  aurait  consenti 
et  engagé  son  service,  il  aurait  payé  en  plus  une  grosse  somme.  L'acte 
ne  serait  pas  un  accord  mais  une  capitulation.  Son  seul  sens  plau- 
sible me  paraît  celui-ci.  Guillaume  réclamait  un  serment  de  sécurité 
(adfidament)  et  un  relevium,  Raimond  a  consenti  à  payer  dix  mille 
marcs  à  titre  de  rachat  du  relevium.  Le  mot  feudum  aurait  donc  ici 
encore  le  sens  vague  de  bénéfice  lato  sensu. 

En  résumé  :  avant  950  nous  ne  trouvons  pas  une  seule 
mention  de  fief.  De  950  à  1050  le  mot  feo  ou  fevum  se 
rencontre  une  dizaine  de  fois  (soit  une  mention  par  10  ans 
ou  par  14  chartes)  mais  rien  ne  nous  autorise  à  y  voir  une 
concession  à  charge  de  service  militaire.  De  1050  à  1071 
la  fréquence  du  terme  s'accroît  (1  mention  par  an  ou  par 
3  chartes),  mais  son  sens  n'est  pas  encore  pleinement 
technique. 


99 


§  II.  —  LES  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DE  TÉTAT 


CHAPITRE  PREMIER 
QUE  LE  GROUPEMENT  TERRITORIAL  EST  CLAIRSEMÉ  OU  SECONDAIRE 


S*il  résulte  de  mon  exposé  que  la  féodalité  contractuelle 
n'est  nullement,  comme  on  Ta  cru,  la  clef  de  voûte  de  la 
société  du  x*  et  du  xi*  siècle,  il  doit  en  résulter  avec  une 
certitude  non  moindre  que  TËtat  ne  s'était  pas  fragmenté 
en  une  infinité  de  souverainetés  territoriales,  petites  ou 
grandes. 

A  mon  sens,  il  faut  abandonner  presque  complètement 
ridée  de  territorialité  pour  ces  deux  siècles*.  Ce  que 
M.  de  Barthélémy  a  brillamment  prouvé  pour  le  duché  de 
France*  n'est  pas  moins  vrai  pour  les  comtés,  vicomtes  et 
seigneuries.  Il  n'existait,  à  proprement  parler,  ni  souverai- 
neté ni  suzeraineté  territoriale. 

La  société  était  déracinée.  Le  groupement  était,  par 

'  J'indiquerai  plus  loin  que  déjà  les  multiples  royaumes  nés  des  par- 
tages mérovingiens  ne  constituaient  pas  des  royaumes  territoriaux.  Ce 
n*est  que  Tempire  carolingien  qui,  par  imitation  de  Rome  et  dans  un 
but  de  fusion  et  de  centralisation,  s'efforça  de  faire  prévaloir  la  terri- 
torialité. Tentative  éphémère  :  insuffisante  dans  son  début,  sous  le 
grand  empereur,  malheureuse  dans  ses  conséquences,  sous  ses  des- 
cendants. Leurs  partages  artificiels  de  territoires  hâtèrent  le  réveil 
des  nationalités  soumises  et  activèrent  la  dissolution  de  Tempire. 

^  Les  origines  de  la  maison  de  France  (Revue  des  questions  histo- 
riqueSy  1873,  p.  108  et  suiv.). 


100  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

dessus  tout  ethnique*  et  familial,  puis  domanial  (nous 
verrons  dans  quel  sens)  et  religieux.  De  la  personnalité 
des  lois  on  avait  passé  à  la  personnalité  de  la  domination. 
Je  l'ai  montré  surtout  pour  la  justice,  au  tome  premier  de 
cet  ouvrage,  je  voudrais  le  démontrer  pour  l'ensemble  de 
TÉtat  seigneurial. 

Il  est  temps,  en  effet,  de  rompre  avec  ce  jeu  de  combi- 
naison de  duchés,  comtés,  fiefs,  etc.  qui  n'a  jamais  eu,  et 
qui  n'avait  pas  du  tout  au  x'  et  au  xi'  siècle,  l'importance 
sociale  que  les  historiens  lui  prêtent,  qui  n'a  jamais  que 
recouvert  et  non  pas  supplanté  les  goupements  naturels, 
la  petite  patrie,  le  lignage,  la  paroisse  [plebs). 

Ce  qui  a  donné  le  change  c*est  la  corrélation  exacte,  la 
symétrie  parfaite  qu'on  a  cru  apercevoir  entre  les  divisions 
ecclésiastiques  et  les  divisions  civiles  ou  politiques,  l'im- 
mutabilité qu'on  a  attribuée  aux  premières  et  l'assimila- 
tion injustifiée  qu'on  a  faite  entre  elles.  La  concordance  n'a 
jamais  été  complète;  elle  n'a  guère  survécu  au  ix*  siècle, 
elle  est  devenue  alors  beaucoup  plus  apparente  que  réelle, 
et  ne  s'est  reconstituée  effectivement  que  par  l'emprunt 
qu'à  partir  notamment  du  xii*  siècle  et  du  xiii*  siècle  l'ad- 
ministration royale  fit  à  l'Église  de  ses  cadres  traditionnels. 
L'immutabilité  de  ces  cadres  fut  loin  aussi  d'être  absolue, 
et  son  caractère  territorial  est  tout  différent  de  celui  d'un 
Etat.  Commençons  par  ce  dernier  point. 

[.  —  Des  circonscriptions  ecclésiastiqaes. 

Par  territorialité  de  l'État,  j'entends  la  souveraineté  sur 
le  sol,  emportant  souveraineté  sur  les  personnes  qui  s'y 
trouvent  ou  qui  l'habitent.  Il  ne  peut  donc  pour  l'Église 
être  question  de  territorialité  que  là  où  existe  soit  un  État 
ecclésiastique,  soit  une  immunité  ou  une  sauveté.  Or  dans 

*  L'acception  où  je  prends  le  mot  «  ethnique  »  ressortira  de  ce 
chapitre  et  du  suivant.  Voyez  notamment  p.  ^27,  note  i. 


DU    GROUPEMENT  TERRITORIAL.  lOi 

la  seigneurie  ecclésiastique,  si  le  pouvoir  temporel  double 
et  renforce  le  pouvoir  spirituel,  il  ne  diffère  pas  essentiel- 
lement du  principal  laïque  :  ce  que  je  dirai  de  celui-ci  s'y 
applique  donc.  Quant  à  Timmunité  et  à  la  sauveté,  ou  bien 
elle  constitue  une  seigneurie  d'une  nature  particulière,  ter- 
ritoriale parce  qu'elle  a  ses  limites  sacrées*,  son  bannus 
sacer  *  aborné  d'ordinaire  par  des  croix,  ou  bien  elle  ren- 
tre, au  point  de  vue  qui  nous  occupe,  dans  le  système  do- 
manial. 

Reste  le  pouvoir  religieux.  Celui-ci  ne  procède  à  aucun 
égard  de  la  prise  de  possession  du  sol,  mais  du  caractère 
sacré  conféré  au  prêtre  ou  à  l'évêque  et  qui  lui  donne  au- 
torité sur  les  fidèles.  Ce  n'est  que  Texercice  de  cette  auto- 
rité qui  est  attaché  à  des  cadres  territoriaux  :  son  principe 
n'en  dérive  pas. 

Que  sont  maintenant  ces  cadres?  Sur  la  foi  d'Adrien  de 
Valois  et  plus  récemment  des  travaux  de  Guérard,  il  a 
été  admis  presque  comme  un  axiome  que  non  seulement 
les  grandes  divisions  ecclésiastiques  —  province,  diocèse 
—  mais  les  subdivisions  inférieures  ont  été  calquées  sur  les 
districts  administratifs  soit  de  l'époque  gallo-romaine,  soit 
au  plus  tard  de  l'époque  carolingienne.  Les  érudits  ont  pris 
au  pied  de  la  lettre  le  fameux  parallèle  de  Walafrid  Stra- 
bon  *  et  du  parallélisme  des  fonctions  conclu  au  parallé- 
lisme des  ressorts  territoriaux  —  ce  qui  est  pourtant  tout 
autre  chose.  —  A  la  province  romaine  aurait  correspondu 
la  province  métropolitaine,  à  la  civitas  ou  au  gvdLudpagus 
le  diocèse,  au  pagus  moindre  ou  à  la  vicairie  l'archidia- 
coné,  à  la  centena  l'archiprêtré,  à  la  décanie  le  doyenné. 

>  T.  II,  p.  161  et  suiv.  Cf.  infrà,  p.  112,  note  1. 

•  Cf.  pour  Cluny,  Charte  de  1079  (1080)  citée  par  Ragut.  Introd. 
au  Cartul.  de  Saint-Yincent  de  Mâcon,  p.  cxc.  —  La  charte  n'est  que 
mentionnée  dans  les  Chartes  de  Cluny,  publiées  par  M.  Bruel  (IV, 
p.  677). 

*  De  exordiis  et  incrément,  Eccles,  rer.,  32  (Man.  Germ,  CapituL 
II,  p.  515,  éd.  Krause). 


102  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   I. 

Division  et  subdivision  se  seraient  conservées  si  parfaite- 
ment intactes  que  grâce  à  elles  on  a  entrepris  de  retrouver 
les  confins  des  divisions  administratives  de  laGaule  franque. 

Mds  étudiez  sur  le  vir,  à  Taide  des  chartes  contem- 
poraines, la  topographie  ecclésiastique  de  la  Gaule  au  x*  et 
au  XI*  siècle,  et  les  doutes  naîtront  de  toute  part.  Si  la 
concordance  alléguée  apparaît  à  peu  près  comme  exacte 
pour  la  province  ecclésiastique  et  !e  diocèse,  elle  ne  se 
vérifie  que  peu  ou  point  pour  les  divisions  inrérieures. 
Dans  le  Limousin,  par  exemple,  M.  Deloche  a  cons- 
taté «  le  défaut  de  concordance  entre  les  vicairies  et 
les  divisions  ecclésiastiques  inférieures  »  aussi  bien  «  entre 
les  paçi  minores  et  les  archiprêtrés  qu'entre  ceux-ci  et  les 
vicairies,  centaines  et  aïces  »  *,  et  le  savant  qui  possède  le 
mieux  la  géographie  de  Tancienne  France,  M.  Aug.  Lon- 
gnon  repousse  nettement  la  concordance  pour  la  subdivi- 
sion la  plus  importante,  Tarchidiaconé  *. 

Rien  ne  prouve  même,  à  mes  yeux,  qu'à  l'origine  et  pen- 
dant longtemps,  l'archidiacre  et  l'archiprêlre  aient  été 
autre  chose  que  des  auxiliaires,  des  représentants  ou  délé- 
gués de  l'évêque,  sans  que  leur  autorité  s'exerçât  dans  des 
limites  territoriales  précises  et  invariables.  Ce  n'est  sans 
doute  que  par  un  groupement  de  paroisses  baptismales  et 
de  minores  tituli  qu'archidiaconés  et  archiprêtrés  ont  été 
formés.  Il  n'est  fait  nulle  mention  d'archidiaconés  dans  les 
capitulaires,  et  l'archiprêtré  s'y  confond  avec  la  décante*  et 

*  Introduction  au  Cartul.  de  Deaulieu,  p.  olxiii-iv,  Cf.  p.  clvi.  Gar- 
nier  avait  fait  une  constatation  analogue  pour  la  Bourgogne  :  «  L'ex- 
périence m'a  démontré,  dil-il,  que  les  limites  des  diocèses  et  des  ar- 
chidiaconés  ne  concordent  presque  jamais  complètement  avec  celles 
despagi  »  (Chartes  bourguignonnes  inédites,  Paris,  1849,  p.  55). 

*  «  A  notre  avis,  les  circonscriptions  archidiaconales  n'ont  point, 
dans  l'espèce,  plus  de  valeur  que  leurs  subdivisions,  archiprêtrés  ou 
doyennés...  formés  qu'ils  sont,  dans  plus  d'un  cas,  de  la  réunion  d'un 
certain  nombre  de  doyennés  ou  d'archipr^trés  »  (Atlas  historique  de 
la  France,  Paris,  1888,  p.  92). 

*  «  Statuant  episcopi  loca  convenienlia  per  decanias,  sicut  consti- 


DU   GROUPEMENT  TERRITORIAL.  103 

avec  la  paroisse  baptismale  *  ;  la  décante  (qui  ne  se  rencontre 
du  reste  qu'une  seule  fois)  étant  selon  toute  vraisemblance 
un  groupe  de  dix  autels  (oratoires,  chapelles)  où  les  sacre- 
ments ne  sont  pas  administrés'.  Guérard  lui-même  avoue 
qu'il  n'a  trouvé  le  mot  archidiaconatus  dans  aucun  monu- 
ment des  deux  premières  races  ',  et  il  n^a  pas  remarqué 
que  les  exemples  de  Ducange  qu'il  invoque  pour  l'épo- 
que immédiatement  postérieure  se  rapportent  kVoffice  et 
non  au  district,  enfin  que  le  diplôme  royal  qu'il  cite  est 
plus  que  suspect*.  En  réalité  l'archidiaconé  et  l'archiprê- 
tré  sont  d'une  rareté  extrême,  comme  divisions  territo- 
riales, dans  tous  les  cartulaires  du  x*  et  du  xi*  siècles. 

Nouspouvonsdoncconclurequ'il  n'existe  vraimentà  cette 
époque  que  deux  grandes  circonscriptions  ecclésiastiques 
et  une  petite.  Les  divisions  fondamentales  sont  le  diocèse 
et  la  paroisse^  puisque  la  province  n'est  que  le  groupement, 
sous  la  primatie  de  l'un  d'eux,  des  sièges  épiscopaux  d'une 
province  civile.  Le  diocèse,  nul  ne  le  conteste,  est  l'ancienne 
civitasy  et  je  crois,  pour  ma  part,  que  la  paroisse  est  sur- 
tout Tancien  viens  gallo-romain  ou  franc,  avec  les  villâs,  agri 

tuti  sunt  archipresbyteri  »  (844,  Capitul.  Septiman.  cap.  3)  (LL. 
Capital,  II,  p.  256). 

*  '•  Singulis  plebibus  archipresbiteros  preesse  volumus.  qui...  eorum 
presbiterorum  qui  per  minores  titulos  habitant,  vitam  jugi  circums- 
pectione  custodiant...  Nec  obtendat  episcopus  non  egere  plebem  ar- 
chipresbitero,  quod  ipse  eam  per  se  gubernare  valeat  ;  quia  et  si  valde 
idoneus  est.  decel  tamen  ut  parciatur  onera  sua  et,  sicut  ipse  ma- 
trici  preesL  ita  archipresbiteri  praesint  plebeis  »  (Synode  de  Pavie, 
cap.  13  (850).  LL.  ii,  p.  120). 

•  Dans  le  principe,  c'est  l'évêquequi  remplit  les  fonctions  sacerdotales 
dans  tout  le  diocèse.  Le  diocèse  n'est  qu'une  grande  paroisse  —  et  il 
s'appelle  en  eïïei  parochia.  Puis  Tévéque  délègue  à  l'archiprôtre  le  pou- 
voir de  le  remplacer  dans  Tadministration  des  sacrements  (Voyez  la 
fin  de  la  note  précédente  —  Cf.  Friedberg,  Lehrbuch  des  Kirchen- 
reckts,  Leipzig,  1879,  p.  104-105). 

'  Essai  sur  le  système  des  divisions  territoriales  de  la  Gaule,  Paris, 
1832,  p.  93. 
'*■  C'est  le  diplôme  de  Philippe  I,  de  l'an  1091 ,  suprà,  p.  77,  note. 


i04  LIVRE  IV.    —   CHAPITRB  I. 

OU  loci  qui  eu  dépendaieui^  Or  la  ctmVa5  était  par  essence^ 
nous  le  savons,  un  groupe  ethnique*;  le  diocèse  dut  donc 
être  ethnique  plus  encore  que  territorial  et  Ton  s'explique 
très  bien  que  les  évèques  des  x*  et  xi*  siècles  aient  pris 
pour  titre  le  nom  du  peuple  de  leur  diocèse  :  episcopus 
Parisiorum^  Leucorunij  Tungroruniyeic.  Quant  à  la  paroisse, 
si  le  vicus  auquel  elle  correspondait  était  un  village  dissé- 
miné, composé  de  fermes  éparses,  sa  circonscription  pou- 
vait difficilement  être  d'un  seul  tenant,  et  s*il  était  une 
agglomération  compacte,  celle-ci,  par  le  malheur  des  temps, 
ou  bien  fut  dispersée  ou  bien  se  concentra  de  plus  en  se 
fortifiant,  et  devint  surtout  un  noyau  auquel  des  églises 
isolées  se  rattachaient  *. 

Ces  conséquences  se  sont  produites  d'autant  plus  sûre- 
ment que  les  limites  territoriales  de  Tépoque  gallo-romaiDe 
furent  moins  aisées  à  reconnaître,  plus  faciles  à  violer,  et 
rompues  par  d'incessantes  intercalations.  Provinces  et  ci- 
tés avaient  été,  sous  l'administration  des  Romains,  déli- 
mitées par  des  pierres  et  des  colonnes,  et  sans  doute  que 
les  vici  furent  abornés  régulièrement  aussi.  Mais  que 
de  bouleversements  du  sol,  de  ruines  et  de  dévastations 
du  VI*  au  IX*  siècle,  que  de  remaniements  des  diocèses^, 
quelle  lente  genèse  de  la  plupart  des  provinces  métropoli- 
taines, dont  six  au  moins  n'ont  été  créées  que  par  les  Caro- 
lingiens •.  C'est  donc  à  une  véritable  reconstitution  qu'on  dot 
procéder  au  ix*siècle,  et  son  maintien  intégral  fut  de  courte 
durée.  Non  seulement  des  fluctuations  se  produisirent  de 

'  T.  II,  p.  38. 

«  T.  II,  p.  22  et  suiv. 

'  La  paroisse  n'est  pas  d'un  seul  tenant  puisque  les  terres  non  culti- 
vées n'en  font  pas  partie  «  terra  ista,  dit  une  charte  du  xi«  siècle, 
nulli  parrochiae  subjacet  «  (Voyez,  T.  Il,  p.  147,  note  1). 

*  Longnon,  Alias  historique,  texte,  p.  ni. 

•  Les  provinces  de  Besançon,  Cologne,  Mayence,  Tarentaise,  Aix, 
Embrun.  Cf.  Longnon,  ibid.,  p.  210.  Philipon,  Les  origines  du  diocèse 
et  du  comté  de  Delley  (Paris  1900),  p.  24-26. 


DU   GROUPEMENT  TERRITORIAL.  105 

province  à  province,  de  diocèse  à  diocèse  et  de  paroisse 
à  paroisse  par  des  empiétements*,  dont  beaucoup  nous 
échappent  même  pour  avoir  été  redressés  plus  tard, 
mais  la  limite  fut  loin  d'être  une  barrière  infranchissable; 
on  passait  par-dessus  elle  pour  exercer  dans  [une  autre 
circonscription  des  droits  ou  y  chercher  une  protection 
contraire  à  la  discipline  et  à  l'organisation  territoriale  de 
rÉglise.  Les  prohibitions  réitérées  de  la  compilation  de 
Benoit  le  Lévite  prouvent  la  fréquence  de  ce  rayonnement 
et  de  cette  déperdition  », 
Ainsi  l'Église  elle-même  est  obligée  de  lutter  de  toutes 

*  Voyez  un  certain  nombre  de  ces  empiétements  dans  Touvrage  de 
M.  Longnon,  p.  v  à  vin,  et  comme  exemples  développés  pour  des  pro- 
vinces limitrophes,  Tétude  de  M.  E.  Philipon,  p.  29  et  suiv.  —  Pour  les 
paroisses  je  citerai  une  charte  typique  du  Cartul.  de  Saint-Vincent  de 
Màcon,  où  l'empiétement  porte  sur  une  église  de  village  que  son  des- 
servant avait  détachée  de  Téglise  mère  :  «  Quidam  presbiter  B...  pro- 
clamans  se  quod  quidam  presbiter  I.  nomine  quamdam  villam  S. 
vocabulo,  in  parrochia  S*  démentis  quam  B.  tenebat,  contra  jus 
ecclesiasticum  usurpasset.  Gujus  querimoniam  pontifices  (synode 
tenu  à  Chàlon)  diligenti  examinatione  inquirentes  decreverunt  ut 
jamdicta  villa  S.  ad  antiquitatem  suam^  hoc  est  ad  matricem  eccle- 
siam  S  G.  reverteretur,  sicut  per  viam  publicam  que  ab  Arari  incipit, 
que  pergit  ad  Odientiam  F.  antequam  perveniret  in  transversum  per 
viam  que  ducit  ad  fontem  B.,  unde  et  hanc  testimonii  scripturam 
quam  reditoriam  vocant...  (915,  Cart.  Saint- Vincent  de  Mâcon, 
p.  102). 

*  Province  :  «  Unaquœque  provincia  suo  metropolitano  et  suis 
comprovincialibus  episcopis  sit  contenta,  nec  aliquis  in  limitibus  al- 
terius  provinciae  quicquam  praesumat  »  (Capitul.  VII,  94;  Walter,  II, 
p.  700). 

«  Ultra  provinciae  terminos  accusandi  licentia  non  progrediatur  » 
(VI,  381,  p.  658);  «  nec  cui  liceat  relictis  his  sacerdotibus  qui  in  eadem 
provincia  Dei  ecclesias  motu  divino  gubernant,  ad  alias  convolare 
provincias  >>  (16id.,  p.  659),  etc. 

Diocèse  ;«  Placuit  ut  a  nuUo  episcopo  usurpentur  plèbes  alienaB,  nec 
aliquis  episcoporum  supergrediatur  in  dioecesi  collegam  suum  »  (VI, 
308,  p.  642). 

*<  Ut  nuUus  episcopus  alium  conculcet  episcopum  vel  supergre- 
diatur, aut  aliquod  ei  in  commodum  faciat  »  (VI,  310,  p.  642).  Adde 


106  LIVRB    IV.    —   CHAPITRB   I. 

parts  pouréviter  que  le  groupement  personnel  ne  remporte 
dans  son  organisation  sur  le  groupement  territorial.  Les 
mesures  en  deviennent  draconiennes.  Avant  de  célébrer 
la  messe,  le  prêtre  doit  s'assurer  que  nul  fidèle  du  dehors 
ne  s'est  glissé  dans  l'assistance,  et  s'il  en  découvre  de  les 
expulser  du  sanctuaire  et  de  les  contraindre  de  retourner 
dans  leur  paroisse*. 

Le  danger  augmentait  à  mesure  que  s'accentuait  la  dis- 
continuité territoriale  à  l'intérieur  des  circonscriptions. 
Elle  s'opérait  par  diverses  voies  :  par  l'extension  ou  la 
multiplication  des  immunités  qui  soustraiaient  les  ab- 
bayes et  les  églises  monastiques,  avec  leurs  fidèles,  à 
l'autorité  de  l'évêque  diocésain  pour  les  placer  dans  le 
mundium  pontifical,  par  la  pullulation  des  églises  pri- 
vées* et  par  Tattribution,  l'incorporation^  ({x^%  les  évê- 

VI,  301  :  «  Ut  episcopus  alterius  episcopi  plèbes  vel  fines  non  usur- 
pet.  » 

M  Ut  nullus  clericus  ab  episcopo  suo  recédât,  et  ad  alium  se  trans- 
férât »  (VI,  320,  p.  643). 

((  Qui  sunt  supra  dioecesim  episcopi,  nequaquam  ad  ecclesias  qus 
sunt  extra  praîfixos  sibi  terminos  accédant,  nec  eas  aliqua  prsesump- 
tione  confundîint  »  (VI,  381,  p.  659). 

Paroisse.  «  Non  oportet  transferri  terminos  a  Patribus  constitutosi 
ut  altcr  alterius  parochiam  invadat,  atque  illic  celebrare  divina  mysle- 
ria,  inconsulto  episcopo  cui  commissa  est,  prsBSumat  (VI,  381, 
p.  659),  etc. 

*  K  Ut  dominicis  vel  feslis  diebus  presbyteri  antequam  missas  cé- 
lèbrent, plebem  interrogent,  si  alterius  parochianus  in  ecclesia  sît, 
qui,  proprio  contempto  presbytero,  ibi  missam  velit  audire.  Quem  si 
invenerint,  slatim  ab  eccfcsia  ejiciant,  et  ad  suam  parochiam  re- 
dire  compellant  »  (Décréta  Durchardi,  ii,  92,  Migne  140,  642). 

*  On  stipule,  comme  on  le  ferait  d'une  corvée  ou  d'une  redevance 
seigneuriale,  l'obligation  pour  les  colons  d'un  domaine  d'aller  à  certains 
jours  à  telle  église  privée  :  «  Ipsi  coloni,  in  tribus  anni  fostivitatibus, 
in  Natale  videlicet  domini,  et  Pascha  atque  Rogationibus,  ad  eam 
irent,  aut  si  nollent,  oblationem  suam,  id  est  panem  unum  et  cande- 
lam  unam  mitterent.  Per  totum  autem  anni  spatium  ad  quam  vellenl 
ecclesiam  irent,  nisi  tantum  ad  festivitatem  sanctiqui  in  eademConon 
veneratur  ecclesia,  in  qua  tamen  festivitate  ab  eisaliquid  nisi  sponte 


DU   GROUPEMENT  TERRITORIAL.  107 

ques  coDseDtaient  aux  monastères  d'églises  détachées  de 
la  circonscription  paroissiale.  L'émiettemenl  de  celle-ci  est 
tel  qu'elle  se  réduit  parfois  à  huit  fidèles*,  et  qu'elle  ne 
pourra  se  reconstituer  que  par  la  destruction  d'églises*. 


II.  —  De  la  souveraineté  territoriale. 

On  voit  d'après  les  développements  où  je  viens  d'entrer, 
que  la  territorialité  proprement  dite,  la  souveraineté  terri- 
toriale, ne  trouve  pas,  comme  on  l'admet  trop  facilement, 
une  substruction  inébranlable  dans  les  divisions  ecclésias- 
tiques. Elle  n'y  trouve  qu'un  cadre  d  avenir,  un   point 

offerre  vellent,  non  requireretur.  »  1050-i055,  Cartul.  de  Marmoutier 
pour  le  Dunois,  p.  108).  —  L'église  privée  pouvait  êlre  paroissiale. 
—  Voyez,  par  exemple,  le  texte  de  la  vie  de  saint  Robett  (note  sui- 
vante) et  celui-ci  de  la  vie  de  saint  Dethoire  :  «  Dédit  (episcopus)  ei 
potestatem  in  propria  tellure  et  paroechiam  et  locum  ubicumque  vellet 
sibi  aedifîcare  »  (Cap.  3,  SS.  rer,  merov.,  Ilï,  p.  615). 

'  Charte  du  Cartul.  inédit  de  Saint-Mont  signalée  par  M.  Breuils, 
Saint  Austinde  et  la  Gasgogne  au  xi«  siècle  (Auch,  1895),  p.  66.  — 
De  nombreuses  églises  paroissiales  sont  en  ruines  et  abandonnées. 
Les  fondateurs  de  couvents  qui  ne  veulent  ni  dépendre  d'une  paroisse 
ni  s'en  affranchir  injustement  recherchent  de  telles  églises  pour  s'en 
mettre  en  possession.  Vie  de  saint  Robert,  fondateur  de  la  Chaise- 
Dieu,  cap.  8  :  «  Dans  illi  negotium  ut  locum  huic  proposito  congruum 
quaereret...  Dictât  loci  congruentiam,  ecclesiolam  scilicet  aliquam  in 
«remo,  deserlam  licet  ac  dirutam,  tamen  parochialem,..  parochialem. 
ut  credo,  ne  si  novum  in  alieno  collocarent  oratorium,  veteribus  locis 
inferre  viderentur  injuriam...  Dei  nutu  paratum  invenit  quod  petebat, 
ecclesiam  scilicet  veterem,  vasta  cinctam  solitudine,  votis  suis  in 
omnibus  respondentem  »  (Mabillon,  SB.  VI.  2,  191).  L'église  ainsi 
trouvée  est  cédée  à  Robert  par  duo  germani  nohiles  à  qui  elle  ap- 
partenait, qui  en  étaient  les  terreni  domini  {ibid.,  cap.  11,  p.  192). 

*  Les  abbayes  y  procèdent  dans  l'intérêt  des  paroisses  monastiques. 
Par  une  charte  de  Tan  1092  le  monastère  de  Saint-Sernin  se  fait  céder 
trois  églises  privées  avec  les  droits  qui  y  appendentpour  les  démoUr  et 
les  remplacer  par  une  église  unique  (paroisse  monastique),  «  eo  tenore 
ut  de  bis  tribus  aecclesiis  efficiatur  una.  i»  (Append.  au  Cartul,  de 
SaintSernin,  ch.  n»  18,  p.  496;. 


108  LIVRE    IV.    —  CHAPITRE    I. 

d'appui  pour  des  conquêtes  futures  ^  Dans  le  présent,  ce 
qu'on  a  pris  pour  une  concordance  de  la  souveraineté  ter- 
ritoriale avec  le  ressort  ecclésiastique  {comitatus  diocèse 
ou  pagus)  ou  avec  les  divisions  administratives  de  l'empire 
carolingien  {vicaria  =  centena  ou  pagus  minor)^  n'est  le 
plus  souvent  qu'une  référence  dans  le  langage  populaire  et 
le  langage  des  chartes  à  une  époque  ancienne,  référence  né- 
cessaire pour  se  reconnaître  topographiquement,  archaïsme 
que  M.  Longnon  a  signalé  pour  le  pagus  dès  Tépoque  fran- 
que*,  et  qui  paraît  de  tous  points  analogue  à  celui  que 
les  lieux  dits  de  nos  campagnes  constituent  de  nos  jours 
en  rappelant  des  divisions  domaniales  et  agronomiques  dès 
longtemps  évanouies. 

L'ancien  réseau  administratif  romain  et  franc  qui  se 
survivait  en  partie  dans  l'organisation  de  l'église,  et  dont 
celle-ci  en  tout  cas  conserva  le  souvenir,  fut  une  sorte 
de  grille  qui  permettait  de  retrouver  sur  le  territoire  et 
de  relier  entre  eux  les  fragments  épars  de  souveraineté 
dont  la  réunion  formait  le  comitatus^  le  vicecomitaiuSy  la 
vicaria^  etc.,  ou,  pour  parler  plus  distinctement  encore,  les 
petits  groupes  ethniques  ou  domaniaux  et  les  familles  iso- 
lées soumis  à  une  même  domination.  Entendre  par  comté 
une  souveraineté  d'un  seul  tenant  conduit  en  général  à 
l'un  ou  l'autre  de  ces  deux  résultats.  Ou  bien  l'historien,  ne 
trouvant  rien  dans  les  documents  qui  lui  permette  de  fixer 
des  limites  précises',  conclut  de  l'existence  d'un  comiiaiusà 

*  T.  II,  p.  25. 

2  a  Les  rédacteurs  des  chartes  rappelaient  fréquemment  eacore  le 
nom  du  pagus  administrativement  supprimé,  nom  dont  remploi  cons- 
titue alors,  au  point  de  vue  historique,  un  véritable  archaïsme.  » 
Longnon,  Atlas  histor,,  p.  90. 

*  Les  anciens  chroniqueurs  eux-mêmes  n'y  voient  pas  clair  ou  s'y 
trompent.  La  Chronica  de  gestis  cons.  Andegavorum  raconte  que 
Thibaut  de  Blois,  prisonnier  en  1044,  de  Geofîroi  Martel,  dut  pour 
recouvrer  sa  liberté  prêter  15  serments,  dont  le  premier  constituait 
un  abandon  de  la  Touraine,  civitas  Turonetisis,  et  le  deuxième  fixait 
les  limites  du  comitatus  (Chroniques  des  comtes  d'Anjou,  p.  123). 


DU   GROUPEMENT  TERRITORIAL.  109 

Texisteoce  d*un  comté  territopial  et  l'idenlifie  a  priori  avec 
V^ncîen  pagus  et  avec  le  diocèse  *,  ou  bien,  il  s'en  tient  scru- 
puleusementaux  indications  topographiques  que  les  chartes 
lui  livrent  et  alors  qu'est-il  en  mesure  de  nous  offrir?  une 
énumération  de  villes,  de  castra  et  de  villages*,  et  l'aveu 
que  lacceptioQ  des  mots  comitatus,  pagus,  vicaria,  etc., 
n'a  rien  de  constant  ni  de  fixe,  que  ces  mots  sont  pris  sans 
cesse  et  indifféremment  Tun  pour  Tautre,  et  qu'en  déflnitive 
ce  qui  prévaut  c'est  l'emploi  de  termes  vagues  et  élasti- 
ques qui,  tels  que  patrie,  pays,  seigneurie,  territoire, 
bourg,  etc.,  peuvent  s'appliquer  à  tout'. 

L'histoire  de  ces  15  serments  est  en  soi  assez  extraordinaire  et  d'au- 
tant plus  suspecte  que  la  chronique  est  de  plus  d'un  siècle  posté- 
rieure aux  événements.  Prenons-la  néanmoins  telle  quelle.  Nous  con- 
statons alors  que  la  délimitation  du  comitatus  est  empruntée  à  une 
description  de  la  Touraine  qui  se  retrouve  en  termes  identiques, 
mais  complète,  dans  la  chronique  attribuée  à  Jean  de  Marmoutier 
{Chroniques  de  Touraine,  p.  293).  Or  voici  comment  l'éditeur  des 
Chroniques  de  Touraine,  M.  Salmon,  la  juge  :  «  L'auteur  assigne  à  la 
province  de  Touraine  des  limites  que  viennent  contredire  tous  les 
autres  documents  »  (p.  xciv-v). 

*  C'est  le  raisonnement  que  fait,  si  excellent  érudit  qu'il  soit,  l'é- 
diteur du  Cartulaire  de  Saint-Sèrnin  de  Toulouse ,  M.  le  chanoine 
Douais  :  «  Les  chartes  indiquent  d'ordinaire  les  confronts  des  terres 
qui  font  l'objet  d'une  donation,  d'un  achat,  d'une  mise  en  gage  ou 
en  emphytéose.  Mais  il  est  rare  qu'elles  désignent  le  territoire  auquel 
ces  terres  appartenaient...  Les  indications  relatives  aux  divisions 
territoriales  n'abondent  point.  Toutefois  si  l'on  s'arrête  aux  titres  de 
comte  et  de  vicomte  qui  sont  donnés  à  certains  personnages,  on  peut 
élargir  le  cadre  de  ces  renseignements.  Ces  titres^  considérés  en  eux- 
mêmes,  RAPPELLENT  Ics  divisions  territoriales  ;  et  il  est  permis  de  dire 
qu'au  XI»  et  au  xii»  siècle,  ils  répondaient  encore  à  une  réalité  ac- 
tuelle et  vivante  :  le  comte  de  Poitiers,  parexemple,  possédait  le  comté 
-de  Poitiers^  et  le  comte  de  Toulouse,  le  comté  de  Toulouse,  etc.  En 
rapprochant  ces  deux  ordres  de  renseignements  on  arrive  à  relever 
-dans  le  Cartulaire  les  divisions  territoriales  suivantes,  etc.  »  (Introd. 

p.  CXXIIl). 

'^  V.  par  exemple  la  composition  et  circonscription  des  comtés  dans 
la  préface  du  CartuL  de  Saint-Victor  de  Marseille,  I,  p.  lxi  suiv. 
3  «  L'impression  qui  reste  lorsqu'on  a  regardé  aux  diverses  indica- 


110  LIVRE   iV.    —   CHAPITRB   I. 

La  raison  de  ce  phénomène  est  simple. 
Les  limites  territoriales  où  le  pouvoir  s^exerce   sont 
essentiellement  mobiles*.  La  population  ne  cesse  de  s'é- 

tions  géographiques  du  Carlulaire,  c*est  qu'en  générai,  les  rédacteurs 
ont  pris  Tun  pour  l'autre,  sans  s'en  préoccuper  beaucoup,  les  sens 
respectifs  de  paguSj  de  comitatuSy  de  vicaria eide  tcrritorium (Domolf 
Introd.  au  Cartul,  de  Sauxillanges  p.  xiv.  —  Même  remarque  sur 
le  Cartul.  de  Brioude), 

«  Les  noms  anciens  de  divisions  régionales  commençaient  au  xi 
siècle  à  perdre  en  Saintongo  leur  signifîcation  précise...  Nos  cartu- 
laires  n'ont  rien  de  bien  précis  relativement  aux  divisions  adminis- 
tratives, etc.  )»  (Grasilier,  Cartulaires  de  la  Saintonge,  Prolejç..  p.  vi). 

u  II  résulte  de  plusieurs  exemples  assez  caractéristiques  que  les  li- 
mites de  quelques-unesau  moins  des  circonscriptions  (partis,  mtniste- 
rium,  vicaria,  etc.)  et  leurs  chefs-lieux  n'avaient  rien  de  fixe.  On  re- 
marque fréquemment  que  les  mêmes  localités  sont  placées  tantôt  dans 
Tune  tantôt  dans  Tautre  ».  (Desjardins,  introduct.  au  CartuL  de  Con- 
çues, p.  xxxviii). 

i<  Toutes  délimitations  autres  que  les  délimitations  ecclésiastiques 
disparurent,  et  Toubli  dans  lequel  elles  tombèrent  fut  si  grand  que» 
quand  par  hasard  on  voulut  les  rappeler,  on  ne  les  désigna  plus  que 
sous  le  nom  de  regio,  misterium  ou  ministerium  »  (Garnier,  Chartes 
bourguignonnes,  p.  5i-55). 

Je  pourrais  multiplier  ces  citations  :  je  me  contente  de  rappeler 
cette  remarque  beaucoup  trop  méconnue  de  Guérard  :  «  au  milieu  du 
bouleversement  qui  précède  la  chute  de  la  seconde  race,  on  vit  naî- 
tre des  comtés  qui  ne  renfermèrent  assez  fréquemment  qu*une  ville, 
un  bourg,  un  château.  En  un  mot  la  cité  seule  forma  d*abord  le 
comté,  puis  le  pagus  obtint  ce  titre,  puis  la  centaine  et  la  vicairie, 
enfin  la  ville  et  le  simple  fief  »  (Essai  sur  les  divisions  terrUariales^ 
p.  53-54). 

*  Voyez  t.  I,  p.  167  et  suiv.  Les  meilleurs  de  nos  historiens  en  ont 
eu  conscience.  «  Le  comté  est  devenu  flottant  dans  ses  limites  terri* 
toriales  et  le  pouvoir  comtal  lui-même  s*est  divisé  »,  dit  M.  Pfister  (lio- 
bert  le  Pieux,  p.  118)  et  M.  Luchaire  dans  son  dernier  ouvrage  :  «  La 
comté  ou  le  duché  du  xi*  siècle  n'était  guère  qu'une  juxtaposition  de 
petits  fiefs,  plus  ou  moins  étrangers  et  hostiles  les  uns  aux  autres  n 
{Hist,  de  France,  11,  p.  285).  «  Au  xi«  siècle...  le  caractère  ethnique 
dominait...  Au  x\\^  siècle...  le  duché  ou  le  comté  devient  un  pouvoir 
réel,  s'exerçsmit  dans  des  limites  géographiques  mieux  déterminées  » 
{Ibid.,  p.  284). 


DU   GROUPBMBNT  TERRITORIAL.  111 

tendre  ou  de  se  resserrer,  de  se  disperser  ou  de  s'agglo- 
mérer. Autour  de  chaque  canton  ou  pays  {pagus)  tradi- 
tionnel, comme  autour  de  chaque  banlieue  de  village 
ou  de  chaque  domaine  un  peu  étendu*,  il  existe  une 
zone  vague  et  neutre.  C'est  la  marche  de  la  seigneurie. 
Sur  celte  marche  les  seigneurs  bien  avisés,  tels  que  Foul- 
que Nerra,  construisent  une  ceinture  de  forts  qui  consti- 
tuent à  la  fois  une  digue  et  un  centre  de  rayonnement  '. 

Mais  il  n'est  pas  moins  essentiel  qu'ils  en  bâtissent  à 
l'intérieur  du  pays  pour  maintenir  la  population  en  des 
cadres  plus  étroits.  Ce  sont  les  vraies  divisions  adminis- 
tratives de  ce  temps',  quoique  sans  limites  préBxes.  Elles 
sont  créées  à  l'aide  d'un  noyau  de  résistance  qui  est  un 
foyer  d'expansion.  De  même  que  pour  chaque  domaine 
important,  la  villa  a  dû  se  transformer  en  castellurriy  centre 
de  l'exploitation,  de  même  dans  chaque  circonscription  sei- 
gneuriale, dans  chaque  domination  ou  poiestas^  il  a  fallu 
un  point  fixe  fortifié  qui  contraignît  à  graviter  autour  de 

'  Considérez  une  potestas  imraune  composée  d'une  villa  avec  les 
villulœ  qui  en  dépendent.  L'immunité  ne  s'étend  que  jusqu'aux  clô- 
tures des  champs.  Au  delà  règne  un  terrain  vague  qui  peut  être  l'ob- 
jet d'aprisio  et  sur  lequel  la  vicairie,  la  justice,  peut  appartenir  au 
prince.  Le  vicaire  ne  manque  pas  d'empiéter  sur  l'immunité  et  il  ar- 
rive alorsque  le  prince  cède  son  droit  de  vicairie  à  l'inmiuniste.  La  sei- 
gneurie immune  n'en  a  que  des  limites  plus  indécises.  C'est  ce  qui 
s'est  passé,  par  exemple,  pour  la  potestas  d'Antoni  appartenant  à 
Saint-Germain-des-Prés  (V^oyez  3  chartes  du  roi  Robert,  H.  F.  X,  p. 
612,  623  et  Pfister,  p.  LVI). 

«  Cf.  Vita  Adelelmi  (Mab.  SB.  VI.  2,  897)  :  «  Beatus  A.  ingenui- 
tate  conspicuus,  de  Castro  quodam  Lusduno  nomine  (Loudun)  quod 
situm  est  in  confinio  quo  limitatur  Pictaviensis  nec  non  Andegaven- 
âis  pagus.  » 

Les  éditeurs  des  cartulaires  ont  fort  bien  remarqué  que  les  villages 
situés  sur  les  confins  d'un  pagus  sont  souvent  considérés  comme  des 
dépendances  d'un  pagus  voisin  (Voyez,  par  exemp'e,  Ragut,  Introd* 
au  cart.  de  Saint- Vincent  de  Mâcon,  p.  cxcix). 

'  Et  en  effet  les  chàtellenies  deviendront  prévôtés,  les  grandes  pla- 
ces fortes,  capitales  de  province,  etc. 


112  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

lui  la  population  que  Ton  ne  pouvait  enfermer  dans  des 
confins  géographiques. 

La  territorialité  se  ramène  donc,  en  grande  partie \  aa 
rattachement  des  diverses  classes  et  groupes  d*habitants 
à  des  espèces  de  blockhaus  {castella^  oppida^  casira). 
Dans  le  cartulaire  de  Grenoble  nous  voyons  toutes  les 
paroisses  d'un  pagus  rattachées  à  22  castella  ou  casira*. 
Dans  le  cartulaire  de  Savigny,  12  paroisses  sont  rattachées 
à  un  château'.  Tout  château  fait  l'office,  suivant  son  im- 
portance, soit  du  chef-villa  soit  du  chef-manse  d'où  dépeo* 
dent  des  villages,  des  hameaux,  des  granges,  des  chau- 
mières isolées,  des  censitaires  de  tout  ordre  et  de  toute 
catégorie.  Il  est  le  caput,  le  chef  d'une  exploitation  politi- 
que. Il  représente  la  territorialité  comme  la  maison  et  l'en- 
clos représentaient  dans  le  principe  la  propriété  foncière. 
Et  c'est  ainsi  que  le  manoir  s'essaie,  si  je  puis  dire,  à  son 
rôle  de  chef,  de  tête  de  fiefs  territoriaux,  ou  de  capitale  de 
comté  et  de  baronnie.  La  puissance  du  roi,  du  prince,  du 
seigneur,  se  mesurait  donc  au  nombre  des  oppida  dont  il 
disposait*.  Son  grand  objectif  était  d'avoir  des  hommes 

*  C'est  ici  qu'il  faut  tenir  compte  d'un  autre  noyau  protecteur,  Tasile 
religieux,  la  sauveLé  abornëe  par  des  croix  (T.  II,  p.l59  suiv.),  et  sous 
certaines  réserves  (p.  111,  note  1)  Timmunité,  quand  les  chartes  de 
concession  en  fixaient  les  limites.  Cf.  par  exemple,  la  charte  suivante 
accordée  peur  le  comte  Etienne  aux  moines  de  SaintJean-lez-Blois  : 
«  Ego  Stephanus  comes. . .  addo  totamconsuetudinemquam in  manu  mea 
habeo  a  porta  Scti  Solennis  usque  ad  albam  spinam,  a  via  publica 
usque  in  Ligerim,  ot  forum  ad  festivitatem  S*  Johannis,  eo  siquîdem 
modo  ut  nullus  ministrorum  meorum  intra  terminum  istum  manum 
mittat  sed  omnia  forofacta  aiitc  monachos  discutiantur...  Burgumquo- 
que  S*  Joannis  ita  quietum  et  ubsolutum  esse  volo  ut  nemo  qui  ibi 
conversetur  mihi  vel  ministris  meis  aliquid  consuetudinarie  reddaU..  » 
(1089,  Bernier,  Hist,  de  Blois,  p.  13). 

«  Cartul.  de  Grenoble,  p.  12  (ch.  de  Pascal,  1107). 
'  Cartul.  de  Savigny,  vers  l'an  1000,  p.  233. 

*  Un  seigneur  puissant  était  celui  qui  u  Mult  aveit  par  la  terre  chas- 
tels  e  forz  maisuns  »  (Wnce,  Roman  de  Roit,  II,  v.  529,  p.  57,  éd. 
Andresen). 

Le  comté  de  Vermandois  est  le  type  d'une  domination  étendue 


DU   GROUPEMENT  TERRITORIAL.  113 

fidèles  à  qui  il  pût  les  confier  {estage)  et  c'est  pour  les 
recruter  qu'il  donnait  largement  argent,  bénéfices  et  hon- 
neurs. Parla  s'élaborait  la  charpente,  Tossature  des  prin- 
cipautés, qui,  une  fois  suffisamment  développée  et  complé- 
tée, transformera  le  droit  sur  la  population  en  un  droit  sur 
le  territoire. 

Mais  pour  que  ce  résultat  soit  atteint  il  faudra  éliminer, 
au  prix  de  longues  luttes,  tous  les  castella  soit  de  petits 
seigneurs  indigènes  soit  de  seigneurs  étrangers  à  la  région 
qui  s'y  étaient  intercalés  \  Que  s'est-il,  en  effet,  passé? 
Le  propriétaire  de  la  villa  fortifiée  ou  du  château  fort  est 
parvenu  à  dominer  sur  un  rayon  beaucoup  plus  vaste  que 
son  domaine'.  Un  chef  de  bande,  après  s'être  établi  sur 
une  roche,  où  il  ne  tirait  sa  subsistance  que  du  pillage*, 
étend  sa  propriété  sur  les  alentours*,  comme  le  proprié- 

consistant  surtout  en  villes  ou  châteaux.  Cf.  les  34  castella  de  la  sei- 
gneurie de  Bellesme  et  les  détails  qu'Orderic  Vital  nous  donne  à  leur 
sujet  :  M  Robertus  Belesmensis  in  eminenti  loco,  qui  Furcas  vulgo 
dicitur,  castellum  condidit  et  illuc  habitatores  Vinacii  transtulit, 
omnes  finitimos  tyrannide  sua  sibi  subigere  sategit.  Aliud  quoque  op- 
pidum, quod  Castellum  Gunterii  nuncupatur...  construxit  per  quod 
fiolmetiamregionem  sibi,  \iceiiniusie,  penitussubjugareputavit.  Sic... 
pêne  per  totam...  Normanniam  paribus  suis  obstitit  et  collimitaneos 
omnes  comprimere  coepit  »  (Orderic  Vital,  III,  p.  358-9).  —  «  Triginta 
IV^  castella  munitissima  possidebat,  multisque  millibus  hominum  do- 
minatu  praeeminebat  »  {Ibid,,  p.  423).  —  «  Provinciales...  sub  jugo 
ejus  sua  colla,  licet  inviti,flexerunt.  eique  non  tam  amore  quam  timoré, 
penitus  adhaeserunt  »  (Ibid,,  IV,  p.  182). 

*  Voyez  les  textes  cités  note  4. 

2  a.  Diplôme  d»î  Henri  I,  H.  F.  XI,  p.  651. 

*  Girard  de  Viane,p.  4,  7. 

*  «  Nihil  Deo  acceptius,  si  efferatam  prœdonum  rabiem  ab  innocen- 
tis  vulgi  oppressione  compesceret.  Quorum  magna  pïirs  in  paludibus, 
sive  rupibus,  firmissima  sibi  receptacula  communiverant  ;  quibus  freti 
aliéna  per  circuitum  prxdia  usurpaverant,  incolas  possessione  pri'- 
vatos  intolerabili  servituti  addixerant...  Hœc  nempe  oppidula  multis 
ante  saeculis,  sed  tune  plurimum  damnosa,  decernit  vindex  Dei,  si 
possit,  humo  coaequare,  et  ab  his  latrociniis  fatigatam  diu  patriam 

F.  —  Tome  lil.  8 


H4  LIVRE  IV.   —  CHAPITRE  I. 

taire  de  la  villa  sa  domination.  Ainsi,  par  un  phénomène 
fréquent  dans  la  nature,  où  Tagent  destiné  à  disparaître 
commence  par  travailler  dans  le  sens  même  de  sa  destrac- 
tion future,  le  château  fort  se  trouve  être  tout  ensemble 
un  instrument  grossier  de  protection  et  de  groupement,  et 
un  obstacle  à  l'harmonie  sociale  et  à  l'unité  territoriale. 
Celle-ci  ne  pourra  être  réalisée  qu'à  ses  dépens.  Et  c'est 
pourquoi  on  verra  les  Capétiens  du  xii*  siècle  si  fort 
occupés  de  détruire  les  châteaux  forts,  et  les  ducs  de 
Normandie,  dès  le  xi*,  les  saisir  dans  leurs  mains  puis- 
santes. 

11  importe,  d'après  ce  qui  vient  d'être  dit,  de  ne  pas  se 
méprendre  sur  le  sens  des  données  topographiques  que 
les  chartes  renferment.  Le  «  comitatus  »  ne  désigne  pas 
plus  un  comté  territorial  que  la  «  vicaria  »  ne  désigne,  ea 
règle,  une  justice  territoriale,  encore  que  la  topographie 
fournisse  des  points  de  repère  pour  retrouver  les  sujets 
ou  les  justiciables  personnels ^  «  In  comitatu  »,  par  exem- 
ple, voulait  dire  régulièrement  «c  sous  la  domination  de 
tel  comte,  commandant  à  tel  groupe  d'hommes,  ayant  soq 
principal  centre  de  domination  dans  tel  château  ou  telle 
ville  »,  à  moins  que  la  désignation  se  référât  à  une  division 
purement  conventionnelle  ou  traditionnelle  ayant  perdu 

liber  are  »  (Vie  de  Vason,  évêque  de  Liège,  par  Anselme  et  Alexandre 
de  Liège,  avant  1056,  Migne,  142,  col.  744). 

«  Cum  audisset  (Robertus  rex)  in  partibus  isiis  quosdam  existera, 
qui  circumquaque  res  aliénas  violenter  rapientes,  ut  liberius  impune- 
que  retinerent,  firmitates  et  castella  nova  sibi  construxerant  »  {Vita 
Garnerii  praepositU  Duchesne,  IV,  p.  145). 

^  Points  de  repère  souvent  fort  incertains.  Ainsi,  dans  une  contes- 
tation entre  l'abbaye  de  Marmoutier  et  un  seigneur  au  sujet  d'une  vigue- 
rie,  la  justice  aux  quatre  cas  est  reconnue  à  ce  dernier,  mais  seulement 
quand  un  ingénu  est  en  cause,  et  les  deux  ressorts  sont  délimités  par 
ces  termes  fort  élastiques  de  la  sentence  :  «  Hœc  vero  diffînitio  et  ter- 
minatio  vicanse  est  a  ripa  Ligeris  usque  ad  terminum  terr»  Vindo- 
cinensis.  »  (D.  Housseau,  II,  n«  367,  publié  par  Lex,  Eudes  de  BhiSy 
p.  145)  (1015-1023). 


DU   GROUPEMENT  TERRITORIAL.  115 

toute  signification  politique.  Dès  la  seconde  moitié  du  ix* 
siècle,  le  comté  était  désigné  par  le  nom  du  comte,  et  non 
pas  le  comte  par  le  nom  du  comté,  tandis  que  le  pagus 
portait  une  dénomination  traditionnelle*.  Au  xi*  siècle  le 
comte  prend  comme  l'évêque  le  nom  du  principal  groupe 
de  population  qui  dépend  de  lui,  ou  le  nom  de  son  prin- 
cipal castrum  comme  Tévêque  celui  de  sa  ville  épis- 
copale*. 

Le  «  comitatus  »  comprenait  donc  tout  ce  qui,  hommes, 
biens,  droits,  prestige,  autorité,  dépendait  du  comte^  exac- 
tement comme  les  droits  les  plus  divers,  sur  les  indivi- 
dus les  plus  disséminés,  formaient  le  complexe  de  la  villa. 
Les  agglomérations  locales  constituaient  les  noyaux  ethni- 
ques du  comitatus^  et  les  régions  environnantes,  où  les 
historiens  ont  vu  le  territoire  du  comté,  des  zones  de  pro- 
tectorat ou  simplement  d'influence,  analogues,  dans  une 
certaine  mesure,  à  celles  que  les  nations  modernes  se 
disputent  dans  des  pays  neufs  ou  disloqués.  Le  noyau 
lui-même  n'était  pas  compacte,  puisque  les  droits  de  sei- 
gneurie et  de  souveraineté  s'étendaient  rarement  à  l'en- 
semble de  l'agglomération,  puisqu'ils  étaient  morcelés, 
émiettés,  dans  les  villes,  les  châteaux  mêmes  et  les 
villas. 

Ce  morcellement,  je  l'ai  indiqué,  ne  faisait  pas  ob- 
stacle au  groupement  personnel  par  le  lien  de  la  foi 
lige  naturelle  et  de  la  recommandation,  mais  il  s'oppo- 
sait nettement  à  tout  groupement  territorial  d'une  large 
portée. 

Et,  en  efifet,  si  l'idée  de  territorialité  s'est  imposée  avec 
tant  de  force  aux  historiens  c'est  qu'ils  ont  cru  que  les 

'  Voyez  notamment,  à  ce  point  de  vue,  la  liste  des  missi  et  des 
missatica  dons,  le  Capitulare  missorum  Si/voccnse  (Capit.  II,  p.  275- 
276  (853). 

*  Dans  le  Cartul.  de  Saint-Victor  de  Marseille,  sur  25  comtés  qui  y 
figurent  <c  23  portent  le  nom  de  la  cilé  épiscopale  qui  leur  sert  de  ca- 
pitale »  (Introd.,  p.  Lvii). 


116  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE   I. 

ducs,  comtes  et  vicaires  carolingiens  avaient  reçu  leur 
honor  à  titre  de  fief  territorial,  viager  d'abord,  héréditaire 
ensuite,  ou  bien  qu'ils  avaient  usurpé,  sous  la  forme  de 
droits  territoriaux,  les  attributs  de  la  souveraineté.  En  réa- 
lité c'est  sur  un  groupement  personnel  que  le  régime  sei- 
gneurial s'est  échafifaudé  ;  c'est  comme  droits  personnels,  et 
non  comme  droits  territoriaux,  que  les  droits  régaliens 
retenus  par  le  roi  ou  appropriés  par  les  ducs,  comtes  et 
seigneurs,  devinrent  droits  seigneuriaux. 

Un  passage  fort  précieux  de  la  vie  de  saint  Géraud  met 
le  premier  point  en  très  claire  évidence.  C'est  le  chapitre 
32  du  Livre  P.  Nous  y  apprenons  que  Guillaume  le 
Pieux,  comte  d'Auvergne,  qui  s'était  érigé  duc  des  Aqui- 
tains, s'efforçait  de  détacher  les  vassaux  royaux  de  la  mi- 
lilia  du  roi,  pour  les  incorporer  à  la  sienne  par  la  recom- 
mandation'. Ainsi  :  1°  le  vasselage  continuait  à  s'établir 
par  la  recommandation,  indépendamment  de  toute  con- 
cession de  bénéfice;  2*  les  seigneurs  qui  s'arrogèrent  le 
ducatus^  en  dehors  de  la  Francie,  ne  cherchèrent  pas  à 
transformer  leur  principat  en  un  Aonor  royal,  en  un  grand 
fief  héréditaire,  de  manière  à  refouler  au  rang  d'arrière- 

'  Migne,  133,  col.  660-661  :  «  Nam  reipublicae  statu  jam  ninds 
turbato,  regales  vassos  insoientia  marchionum  sibi  subjugaverat... 
Willelmus  plane  dux  Aquitanorum,  vir  bonus  et  per  multa  laudabiiis, 
cum  tandem  vehementer  invaluisset,  non  minis  quidem  sed  precibus 
agebat,  ut  Geraldus  a  regia  militia  discedens,  sese  eidem  commenda- 
ret.  Sed  ille,  favore  comitis  nuper  usurpato,  nequaquam  consensit.  Ne- 
potem  tamen  suum  nomine  H.  eidem  cum  ingenti  militum  numéro 
commendavit.  » 

2  Voyez  aussi  le  chap.  35.  <«  Unde  et  Ademarus  comes  vehementer 
instabat,  ut  eum  suae  ditioni  subdidisset,  quod  nullo  equidem  pacto 
extorquere  potuit.  Non  solum  quippe  eidem  A.  sed  nec  WiUelmo 
quidem  duci,  qui  tune  majore  rerum  affluentia  potiebatur,  se  commen- 
dare  assensus  est  Credo  Mardocheum  vir  iste  meditabatur,  qui  su- 
perbo  Aman  se  submittere,  honoremque  regibus  a  Deo  collatum  prae- 
bere  contempsit.  »  Adémar  s'était  emparé  de  Poitiers  en  chassant  les 
troupes  du  roi  Eudes  qui  avait  occupé  la  ville.  Sur  ces  événements 
(890-892),  voir  Favre,  Eudes,  p.  146-148. 


DU   GBOUPBMENT   TERRITORIAL.  117 

vassaux  du  roi  ses  vassaux  directs.  Mais  ils  détachèrent 
ces  vassaux  de  la  fidélité  royale  pour  en  faire  des  vas- 
saux personnels,  sauf  à  demander  ultérieurement,  quand 
leur  puissance  se  serait  solidifiée,  une  sorte  de  confirmation 
souveraine  de  leur  dignité,  qu'il  faut  se  garder  de  prendre 
pour  l'investiture  d'un  fief  territorial*. 

Quant  à  la  naissance  des  droits  seigneuriaux,  j'ai  montré 
déjà  dans  le  premier  volume  combien  elle  avait  été  frag- 
mentaire, mais  il  importe  de  compléter  cet  exposé  en  véri- 
fianty  àTaide  des  documents,  que  la  conséquence  logique  qui 
devait  sortir  de  là,  —  le  caractère  personnel  et  non  terri- 
torial des  droits  de  souveraineté  —  en  est  bien  réellement 
sortie*.  Pour  cela  je  passerai  en  revue  les  principaux  de 
ces  droits,  en  commençant  par  l'un  des  plus  frappants, 

*  C'est  en  ce  sens  que  les  deux  compétiteurs  à  la  couronne,  Eudes 
et  Charles  le  Simple,  ont  pu  successivement  ratifier  l'usurpation 
de  Guillaume  le  Pieux.  —  D'après  Mabille,  celui-ci  aurait  pris,  dès 
893,  le  titre  de  duc  d'Aquitaine  (fiouv,  Hist,  du  Languedoc,  II, 
p.  286),  et  son  cousin  Ebles,  comte  de  Poitiers,  en  927  (Ibid.,  p.  288). 
D.  Vaissette  parle,  mais  hypothétiquement,  des  confirmations  royales 
(III,  p.  51). 

2  Des  anciens  historiens  de  nos  institutions  c'est  Chantereau- 
Lefèvre  qui  s'est  le  plus  approché  de  la  vérité  sur  cette  question 
capitale  :  «  Les  ducs  et  les  comtes,  dit-il,  se  résolurent  de  faire  plu- 
sieurs parts  et  portions  de  leur  duchez  et  comtez,  selon  qu'ils  estoient 
séparez  par  bourgs  et  villages^  et  les  donnèrent  à  ceux  qui  estoient 
plus  capables  de  les  servir...  Aux  uns  ils  donnoient  un  bourg  avec 
Tacceds  de  plusieurs  villages  qu'ils  en  faisoient  dépendre,  aux  autres 
ils  ne  donnoient  qu'un  village  :  en  quoy  faut  entendre  qu^ils  ne  don- 
noient en  ces  bourgs  et  villages  que  ce  qui  leur  appartenoit ...  les 
terres  et  les  héritages  qu'ils  y  pouvoient  avoir,  et  les  droicts  de  cens 
et  rentes  qui  leur  estoient  deubs  par  les  habitans,  à  cause  des  terres 
et  héritages  qu'ils  (les  habitants)  possédoient  dans  les  bourgs  et 
villages,  lesquels  cens  et  rentes  n'estoient  rien  autre  chose  que  les 
prestations  en  deniers^  grains,  poules  et  chapons,  que  le  peuple 
payoit  de  toute  ancienneté  pour  la  nourriture  et  l'entretenement  du 
duc  ou  du  comte;  car  les  terres  et  héritages  des  bourgs  et  villages 
n'appartenoient  pas  au  duc  ou  au  comte,  mais  aux  habitans...  » 
(Chantereau-Lefèvre,  Traité  des  fiefs,  Paris,  1662,  p.  75-76). 


118  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  I. 

le  droit  de  gîte  et  de  procuration.  L'absence  de  terri- 
torialité ne  se  reflélera-t-elle  pas  aussi  clairement  dans  Tor- 
dre économique*  que  nous  venons  de  la  constater  dans 
Tordre  politique,  si  nous  montrons  que  le  prince  ne  com- 
mande qu'à  des  sujets  disséminés  et  que,  pour  vivre  sur  la 
population,  il  est  obligé  de  se  transporter  de  lieu  en  lieu*? 


1  L'absence  de  territorialité  se  lie  étroitement  à  Tétat  économique 
que  nous  aurons  à  décrire  au  livre  VI,  à  la  mobilité  de  la  population, 
des  demeures,  des  conditions  sociales.  La  population  ondule  et  se 
déplace,  la  maison  de  bois,  meuble  bien  plus  qu'immeuble,  comme  du 
temps  des  Germains,  se  démonte,  se  transporte  ailleurs  sur  chariots 
(j'en  fournirai  des  preuves  saisissantes),  enfin  la  condition  des  per- 
sonnes est  flottante  et  mobile.  Ce  dernier  aspect  a  été  admirablement 
aperçu  et  caractérisé  par  Lehuërou,  un  de  nos  plus  profonds  histo- 
riens du  droit,  auquel  il  serait  grand  temps  de  rendre  pleine  justice  : 
«  La  mobilité  des  situations,  dit-il,  est  une  des  conditions  de  la  bar- 
barie, et  la  principale  préoccupation  de  ceux  qui  travaillent  à  la  faire 
cesser  consiste  à  classer  les  intérêts  à  mesure  qu'ils  se  produisent,  à 
fixer  les  individus  autour  des  intérêts  existants  et  à  empêcher  que  la 
société  ne  flotte  perpétuellement  entre  la  passion  du  jour  et  le  caprice 
du  lendemain  »  (Institut,  carolingiennes,  p.  14-15]. 

«  On  pourrait  appliquer  ici  au  pouvoir  royal  ou  princier  ce  que 
Hariulf,  dans  la  vie  de  saint  Arnoul,  dit-du  pouvoir  épiscopal  :  «  Non 
sedes  episcopum,  sed  episcopus  sedem  facit,  et  virtiis  majestoHs 
per  loca  non  scinditur  »  (Vita  Arnulfi^  Mabillon,  SB.  VI,  2,  p.  532). 


119 


CHAPITRE  II 


LA  SEIGNEURIE  PERSONNELLE. 


Les  principaux  revenus,  les  revenus  réguliers  de  la 
seigneurie,  du  senioratus,  étaient  des  contributions  en  na- 
ture. La  condition  matérielle  des  populations,  la  rareté 
du  numéraire  et  des  échanges  le  voulaient,  et  comme  cette 
situation  était  ancienne,  la  nécessité  du  présent  trouvait 
sa  justification  dans  un  passé  immémorial.  Les  droits  anti- 
ques se  continuaient  sous  une  forme  nouvelle,  en  de  nou- 
velles et  plus  nombreuses  mains.  Ainsi  en  était-il  des  droits 
de  gîte,  de  palefroi  ^  legs  de  l'administration  romaine, 
du  droit  de  prise  né  d'un  abus  du  fonctionnarisme  franc 
contre  lequel  les  capitulaires  ne  cessent  de  fulminer'. 
Ainsi  en  fut-il  aussi  du  conjectus  ou  dispensa  qui,  dans 
l'ordre  laïque,  de  la  circada  et  du  synodus  qui,  dans  Tor- 
dre ecclésiastique,  tenaient  lieu  du  droit  de  gite  et  de  ses 
accessoires. 

Quand  le  chef  carolingien,  roi,  comte  ou  évêque,  résidait 
sur  son  domaine,  dans  une  de  ses  villae,  son  entretien 
{dispensa^  paslus,  stipendium)  et  celui  de  sa  curia^  de  sa 
suite,  de  sa  maisnie,  étaient  assurés  par  les  contributions 
en  nature  tirées  du  domaine  lui-même,  soit  sur  l'heure, 
soit  sous  forme  de  provisions  qu'avaient  accumulées  les 
soins  de  ses  minisieriales  ou  ministri  (procuratores,  vil- 
lici,  etc).  Il  était  interdit  en  conséquence  aux  fonction- 
naires qui  se  trouvaient  chez  eux,  in  domibus^  de  prélever 

»  Voyez  T.  I,  p.  345  suiv. 

»  a.  Capit.  850,  cap.  4  (II,  87"),  889,  cap.  7  (II,  105). 


J20  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II.     - 

aucune  contribution  publique  sur  les  sujets  du  roi.  Telle 
était  si  bien  la  règle  que,  quand  le  comte  ou  Tévéqae 
était  chargé  d'un  missaticum  en  une  région  sise  à 
proximité  d'un  de  ses  bénéfices,  il  n'avait  pas  le  droit  de 
réquisitionner  quoique  ce  fût  en  qualité  de  mtssus^.  C'est 
que  le  bénéfice  constituait  alors  un  stipendium^  un  salaire, 
un  honoraire. 

Mais  quand  ce  même  fonctionnaire,  ou  le  roi  en  personne, 
étaient  appelés  au  loin,  il  fallait  bien  qu'on  pourvût  à  leur 
entretien  par  des  contributions  levées  sur  les  habitants. 
Il  ne  suffisait  pas  de  leur  reconnaître  un  droit  à  Vhospi" 
tiurrij  à  la  procuration  puisque  leur  séjour  pouvait  se  pro- 
longer et  épuiser  rapidement  les  ressources  du  lieu  où  ils 
prenaient  gîte,  et  que  du  reste  une  suite  considérable, 
aux  dents  d'autant  plus  longues  que  le  rang  était  plus  élevé, 
les  accompagnait  et  avait  droit,  elle  aussi,  à  Tentretien.  — 
Pour  éviter  les  abus,  les  rois  carolingiens  fixèrent  par 
des  tractoriâs  individuelles  et  par  des  règlements  généraux  * 
le  montant  des  fournitures  quotidiennes  que  le  missus^u^ 
vait  réclamer,  suivant  qu'il  était  évêque  ou  abbé,  comte, 
minislerialis  ou  vassus.  Ces  contributions  [conjectus)  de- 
vaient être  acquittées  par  les  habitants  proportionnelle- 
ment à  l'étendue  de  leurs  possessions,  à  leurs  ressources  et 
à  leur  condition*. 

A  l'époque  où,  par  Taffaiblissement  et  la  décadence  du 

*  Capit.  819,  cap.  26  (I,  291)  :  «  Ut  missi  nostri  qui  vel  episcopî 
vel  abbates  vel  comités  sunt,  quamdiu  prope  suum  beneficium  fuê" 
vint,  nihil  de  aliorum  conjecto  accipiant.  » 

2  Capit.  missorum  819,  cap.  29  (I,  291).  —  Cf.  Ducange,  v«  Con- 
jecttis;  Brunner,  Deutsche  Rechtsgeschichte,  II,  p.  231  et  suiv. 

*  On  peut  d'une  part  l'induire  du  mode  d'assiette  de  la  contribu- 
tion (conjectus)  exceptionnelle  qui  fut  levée  en  866  et  en  877  pourpayer 
le  départ  des  Normands  {Annales  de  Saint-Bertiny  ad  an.  866.  p.  153- 
154,  Capitul.  877,  II,  p.  354-),  d'autre  part  du  conjectus  analogue  à 
celui  du  missus  qui  fut  accordé  à  Tévéque  quand  il  faisait  la  visite 
annuelle  de  son  diocèse  (circuitio),  ou  qu'il  tenait  un  synode  (Ci4>it. 
844,  cap.  4.  II.  257). 


LA   SBIGNEURIB   PERSONNELLE.  121 

pouvoir  royal,  le  missaticum  devint  permanent*,  les  comtes 
qui  avaient  été  chargés  d'assurer  la  rentrée  des  fournitures, 
des  conjeclus^  dus  aux  missi^  les  gardèrent  pour  eux- 
mêmes,  se  les  attribuèrent.  Ils  purent  se  donner  pour  des 
missi*.  Souvent  leurs  pères  l'avaient  été,  et  le  bénéfice 
n'était  plus  un  stipendium  de  nature  à  faire  obstacle  à 
cette  perception.  Mais  ils  furent  loin  de  pouvoir  s'assurer 
l'intégralité  de  l'impôt.  Ils  durent  le  partager  avec  de  nom- 
breux compétiteurs.  D'abord  le  roi  lui-même  retint  ici 
une  part  importante  de  ses  droits'.  La  présence  de  la  ma- 
jesté royale,  le  prestige  séculaire  qui  rayonnait  de  sa  per- 
sonne en  ravivait  la  source,  et  nous  retrouverons  le  droit 
de  gîte  comme  une  des  principales  ressources  de  la  royauté 
sous  les  premiers  Capétiens.  Les  comtes  eurent  à  partager 
en  outre  soit  avec  les  évoques,  leurs  égaux,  soit  avec  leurs 
subordonnés,  les  ministeriales  ou  ministri  qui  directement 
avaient  fait  la  levée  du  conjeclus  pour  le  compte  des  missi'' 
et  qui  réussirent  ensuite  à  en  retenir  des  lambeaux  pour 
eux-mêmes  et  pour  leurs  successeurs. 

Les  circadae  des  évoques  subirent  un  sort  analogue. 
Elles  se  morcelèrent  en  partie  au  profit  des  officiers  ec- 
clésiastiques et  des  archidiacres,  à  mesure  que  les  tournées 
épiscopales  (circuitiones)  se  firent  de  plus  en  plus  rares. 

Si  le  droit  à  l'impôt  d'entretien  se  décomposait  de  la 

*  Voyez  Brunner,  op,  cit.,  II,  p.  i96. 

*  Le  comte  doit  être  considéré  en  fait  comme  un  missus  permanent. 
Les  évoques  d'Italie  furent  déclarés  tels  par  le  Çapit.  Papiense  de 
fan  876,  cap.  12  (II,  103)  :  «  Ipsi  nihilominus  episcopi  singuli  in  suo 
episcopio  missatici  nostri  potestate  et  auctoritate  fungantur.  » 

'  Cf.  le  stipendium  impériale  du  Capitul.  italien  de  898,  cap.  8 
(II,  110,  10). 

*  Capitul.  865,  cap.  16,  11,332  :  «  Ut  ministri  comitum  in  unoquo- 
que  comitatu  dispensam  missorum  nostrorum  a  quibuscumque  dari 
débet  recipiant...  et  ipsi  ministerialibus  missorum  nostr.  eam  reddant. 
Missi  autem  nostri  provideant  ne  pro  bac  occasione  inde  ministri  co- 
mitum amplius,  nisi  quantum  in  tractoria  nostra  continetur  inde  exi- 
gant.  » 


122  LIVRE  IV.   —  CHAPITRE  II. 

sorte,  il  eD  advint  de  même  de  son  assiette.  Au  lieu  de  por- 
ter sur  l'ensemble  d'une  population,  d'un  comté,  d'un  dio- 
cèse, le  fardeau,  —  par  Teffet  des  nombreuses  immunités, 
des  résistances  victorieuses  de  protecteurs  intéressés,  des 
transactions  et  des  partages,  —  retomba  tout  entier  sur 
les  terres  ou  les  habitants  que  l'on  pouvait  recenser,  sur 
les  plus  pauvres  souvent,  entre  lesquels  il  se  répartissait. 
Tel  devait  deux  œufs,  tel  autre  une  poule  ou  un  quartier 
de  porc. 

Sous  l'action  de  ce  double  morcellement,  actif  et  passif, 
les  conjecius  ressemblèrent  aux  cens  et  aux  redevances 
dus  au  propriétaire  foncier,  aux  redevances  personnelles 
ou  foncières  des  tenanciers,  des  hommes  propres  et  des 
serfs.  Mais  l'assimilation  n'alla  pas  jusqu'à  la  confusion. 
Il  aurait  fallu  pour  cela  que  la  territorialité  restât  leur 
base  commune  et  c'est  l'inverse  que  nous  venons  de  con- 
stater. Les  conjecius  devinrent  donc  des  droits  seigneu- 
riaux j  distincts  en  principe  des  AtoMs  domaniaux^  mais  que 
tous  les  grands  propriétaires  s'efforcèrent  d'acquérir  et  que 
les  immunistes  réussirent  le  mieux  à  s'appropriera 

Ce  qui  s'est  passé  pour  les  impôts  en  nature  se  produisit 
de  même  pour  le  cens  proprement  dit.  Les  immunités  di- 
minuent, directement  ou  indirectement',  le  nombre  des 
personnes  et  des  biens  desquels  le  roi  ou  le  prince  peuvent 
exiger  la  capitation  ou  l'impôt  foncier.  Leurs  droits  passent 
aux  immunistes,  comme  ils  sont  lacérés  et  accaparés  par 
les  usurpateurs.  Ils  deviennent  entre  ces  nouvelles  mains 
des  droits  seigneuriaux  personnels  quand  ils  ne  se  confon- 

*  C'est  de  la  sorte  que  le  conjecius  se  retrouve  dans  le  polyptyque 
d'Irminon  (XIII,  64,  éd.  Longnon,  II,  p.  192),  où  Ton  n*a  pas  vu, 
semble-t-ii,  sa  vraie  signification.  — La  ponctuation  du  texte  doit  être 
changée.  Le  conjecius  ne  porte  pas  sur  Vavena,  mais  sur  les  trois 
poules,  etc.,  en  conformité  parfaite  avec  le  capitul.  de  819,  cap.  29 
(pulli  treSf  ova  quindecim). 

^  Malgré  les  prohibitions  des  capitulaires.  Cf.  édit  de  Pistes^ 
cap.  28  (II,  p.  322). 


LA  SBIOMBURIB  PERSONNELLE.  123 

dent  pas  avec  les  droits  domaniaux.  Ainsi  voyons-nous 
que  le  droit  i  Vobseguium  (à  un  cens  probablement)  des 
hommes  libres,  des  franci^  qui  viennent  s'établir  sur  les 
terres  en  friche  et  sans  maître  entourant  les  domaines  de 
l'immuniste,  est  reconnu  à  ce  dernier  et  que  des  terr» 
francorum  sont  englobées  dans  son  domaine ^  Bien  plus, 
les  parcelles  de  droits  qui  restent  aux  mains  du  roi  éprou- 
vent une  destinée  analogue,  deviennent  droits  seigneu- 
riaux ou  domaniaux.  Les  franciy  ou  liberi  du  roi,  au  lieu 
d'être  des  contribuables,  sont  maintenant  des  censitaires 
plus  ou  moins  asservis'.  La  capitation  se  restreint  à  des 
gens  de  condition,  conditionalesy  Timpôt  foncier  à  des 
terres  censéables,  ierrae  cerisaies;  tous  deux  se  fixent 
coutumièrement. 

La  taille  et  les  aides  ne  furent  pas  davantage  un  impôt 
territorial.  Ils  restèrent  longtemps  un  impôt  purement 
personnel,  et  quand  ils  devinrent  partiellement  un  droit 
réel,  ils  ne  s'étendirent  pas  pour  cela  à  des  ensembles  de 
territoires.  Leur  source  incontestable  se  trouve  dans  les 
donay  dans  les  présents  que  les  Francs  avaient  coutume  d'of- 
frir à  leurs  chefs*.  Mais  dès  le  ix*  siècle,  les  dons  ne  furent 
plus  spontanés,  ils  étaient  provoqués  ou  commandés.  Ils 
étaient  réclamés  des  hommes  qui,  unis  au  chef  par  un  lien 
de  fidélité  plus  étroite,  ne  pouvaient  les  refuser.  On  les  ap- 
pela/)r^c^s,  precaria,  questa,  collecta,  collectiones^  çuasi- 
deprecando^,  etc.  Les  rois  francs  les  demandèrent  à  leurs 

«  H.  F.,  T.  IX,  p.  420  E.  (881). 

*  €  Villam...  cuni  omnibus  consuetudinariis  exactionibus  ab  his 
«liam  qui  Francorum  nomine  censentur  pro  debilo  exigendis  »  (Di- 
plôme du  roi  Robert  (1005)  H.  F.,  X,  p.  585).  Cf.  Chronique  de  saint 
Héniqne  de  Dijon,  p.  163-164  :  «  Cum  mancipiis  ulriusque  sexusphi- 
rimis,  et  omnes  reddilus  cl  consueludines,  quas  debent  ipsi  servi  et 
ancillae,  et  eliam  illi  quiFrancosse  dicunL  » 

'  T.  I,  p.  340. 

*  Le  nom  de  talia  provient,  comme  je  l'ai  montré  (T.  I,  p.  344)  de 
la  ruraptabiiilf^  naïve  (consacrée,  du  reste,  encore  par  notre  Code  civil, 


124  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  II. 

vassi,  à  époques  Qxes  ou  dans  des  circoDstaûces  solennelles, 
et  ceux-ci  firent  de  même  vis-à-vis  de  leurs  propres  fidèles. 
C'était  surtout  à  raison  du  mundium  familial  qu'ils  étaient 
dus  dans  le  principe,  et  c'est  pourquoi  les  capitulaires  dé- 
fendirent aux  officiers  royaux  de  les  réclamer  pour  leur 
propre  compte  du  peuple'.  Mais  les  puissants  ne  se  laissè- 
rent pas  arrêter  par  ces  défenses.  En  obligeant  leurs  te- 
nanciers-vassaux, par  des  demandes  sans  réplique,  à  des 
dons  qui  ne  pouvaient  être  appelés  ainsi  que  par  une 
amère  dérision,  ils  en  firent  leurs  hommes  propres,  homi- 
nes  proprii  ou  potesiatis. 

Moins  la  résistance  était  possible,  plus  complets  furent 
Tapproprialion  et  l'asservissement.  La  questa  fut  due  à 
volonté  par  le  serf,  à  certains  cas  par  Thomme  qui  avait 
gardé  quelque  personnalité.  C'est  donc  bien  un  droit  per- 
sonnel, variable,  distinct  suivant  les  catégories  de  person- 
nes, s'appliquant  à  tels  individus  ou  groupes  d'individus  et 
non  à  un  territoire  qui  se  constitua  sous  le  nom  de  taille  '. 

Un  phénomène  analogue,  et  par  le  fait  plus  singulier, 
s'est  produit  pour  les  impôts  indirects.  Ceux-là  aussi  se 
transformèrent  en  droits  personnels,  sauf  à  reprendre,  dans 
certains  cas  et  sous  certaines  conditions,  un  caractère  réel. 
Prenons  le  plus  important  de  ces  impôts,  le  tonlieu,  sous 
son  acception  la  plus  large.  Non  seulement  par  des  immu- 
nités plénières,  mais  par  des  exemptions  partielles  variant 
à  l'infini,  il  se  trouva  restreint  à  des  catégories  générales 
ou  particulières  d'individus,  aux  catégories  générales  de 
marchands  étrangers,  d'aubains,  de  juifs,  etc.,  aux  calé- 
art.  1333)  des  deux  moitiés  d'un  bâton  qu'on  entaille.  C'est  ce  que 
confirme  Temploi  au  xi*-xii«  siècle,  dans  le  sens  de  taille,  du  motdtca 
(du  grec  Aîxa,  mi-partie)  (Cf.  Orderic  Vital,  III,  p.  424). 

«  T.  I.  p.  342. 

•  Cela  ressort  clairement  d'un  diplôme  du  roi  Robert  en  faveur  de 
Tabbaye  de  Micy  (1022)  :  u  Concedimus  etiam  eîs  ut  homines  nostriy 
liberi  et  servi,  qui  manserint,  vel  domos  habuerint  in  terris  eorum, 
omnes  penitus  consuetudines  et  ex  nomine  taliam  quemadmodum 
proprii  homines  eorum  perpetuo  reddant  »  (H.  F.  X.  p.  606). 


LA.  SBIONEURIB   PERSONNELLE.  125 

l^ories  spéciales  d'hommes  de  tel  seigneur.  Ce  n'était 
donc  plus  l'entrée  sur  un  territoire,  plus  ou  moins  vaste, 
ni  la  vente  dans  toute  l'étendue  de  ce  territoire,  que  le 
tonlieu  frappait,  c'étaient  des  personnes  déterminées  qui  le 
devaient  et  souvent  à  un  tout  autre  que  le  seigneur  qui 
commandait  dans  le  lieu  où  le  droit  était  levé.  Quand,  par 
exemple,  le  seigneur  de  Talmond  fonde  l'abbaye  de  Sainte- 
Croix,  il  décide  que  le  tonlieu  [venda)  de  toute  vente  de 
bétail  faite  dans  sa  seigneurie  par  un  homme  de  Sainte- 
Croix  sera  acquis  à  l'abbaye*.  Il  n'excepte  que  les  ventes 
faites  au  marché  public.  Le  tonlieu,  en  effet,  se  générali- 
sait à  nouveau  en  s'incorporant  à  un  lieu  déterminé,  en  se 
localisant  (enceinte  de  marché,  zone  étroite  de  péage,  etc.). 
Mais  s'il  cessait  par  là  d'être  un  droit  purement  personnel,  il 
ne  devenait  pas  un  droit  territorial,  ni  même  un  véritable, 
jtis  dominationis^  il  devenait  un  droit  réel  d'une  espèce 

*  «  Si  homo  Scie  Crucis  vendiderit  bovem  vel  vaccam,  aut  aliquam 
aliam  pecuariam,  in  loto  honore  meo,  non  reddat  venditionem  nisi 
Scte  Cruci  et  ejus  abbali.  »  (Cartul.  de  Talmond,  vers  1049,  p.  68). 

Cf.  la  condition  faite  aux  cursores  établis  dans  la  cité  de  Poitiers, 
lis  doivent  la  venda  au  comte  quand  ils  vendent  dans  le  bourg  de 
Moutier-Neuf  et  en  même  temps  ils  la  doivent  aux  moines  (1087, 
Besly,  p.  406). 

En  1081-1088,  le  comte  de  Morlagne  abandonne  le  tonlieu  aux 
moines  de  Cluny  pour  leur  bourg  de  Saint-Denis,  près  Nogent-le- 
Rotrou,  en  se  réservant  ce  qui  proviendrait  de  ses  bourgeois  et  de 
leurs  commis  ou  encaisseurs  «  excepto  de  burzesos  meos  (probable- 
ment pour  burgesos)  proprios  et  receptarios  qui  stant  cum  eis  in  pro- 
prio  burgo  meo  de  Nogenti  castro  »  (Ch,  de  Cluny,  IV,  p.  741). 

Il  est  à  remarquer  que  les  marchands  formaient  de  véritables  grou- 
pes personnels,  placés  sous  une  protection  spéciale,  jouissant  de 
privilèges  ou  de  dispenses  en  échange  desquels  ils  avaient  des  obli- 
gations définies.  Ainsi  dans  un  diplôme  de  Philippe  I*"*,  l'abbé  de  Saint 
Médard  conteste  avec  succès  à  Albéric  de  Couci  le  droit  de  justificare 
ou  d'inquietarCf  allant  ou  revenant,  les  marchands  (mercatores)  des 
quatre  comtés  de  Noyon,  Vermandois,  Amiens,  Santers,  parce  qu'ils 
sont  placés  sous  la  garde  {procuratio)  d'un  moine  qui  doit  s'oc- 
cuper de  tout  ce  qui  les  touche  (1066,  Mabillon,  De  re  diplom., 
p   585). 


126  LIVRE   IV.   —  CHAPITRE   II. 

particulière,  un  jus  propier  rem,  beaucoup  plus  qxi*\injus 
in  re. 

Et  ainsi  s'explique  que  deux  droits  aussi  dissemblables 
que  le  tonlieu  {vendœ)  et  les  laudamenia,  laudes  (finan- 
ces prélevées  par  le  concédant  d'un  bénéfice  en  échange 
de  son  consentement  à  la  vente  par  le  bénéficier^),  le 
premier  portant  exclusivement  sur  des  valeurs  mobi- 
lières, le  second  souvent  sur  des  immeubles,  Tun  droit 
seigneurial,  l'autre  droit  domanial,  aient  pu  se  fondre 
en  un  seul  et  donner  naissance  aux  lods  et  ventes.  Le  droit 
mobilier  de  venda  avait  pris  couleur  foncière  en  se  locali* 
sant,  et  le  droit  foncier  de  «  laudes  »  s'était  mobilisé 
par  les  concessions  totales  ou  partielles,  qui  le  faisaient 
circuler  comme  valeur  de  patrimoine,  et  personnalisé  par 
les  autorisations  générales  d'acquérir  qui  en  dispensaient 
des  privilégiés. 

En  définitive,  la  territorialité  va  partout  se  rétrécissant 
ou  se  repliant  sur  elle-même.  Vous  en  demandez  la  cause  7 
Elle  est  dans  sa  subordination  aux  groupements  fonda- 
mentaux que  nous  allons  étudier. 

*  Cf.  T.  I,  p.  374. 


127 


CHAPITRE   III 


LES  GROUPEIIENTS  FONDAMENTAUX. 


I.     lE     GROUPEMENT     ETHNIQUE^ 

«  Les  habitants  des  Gaules,  ai-je  dit  au  premier  volume 
de  cet  ouvrage',  étaient  groupés  encore  par  nationalités 
secondaires,  au  point  de  vue  de  Tautorité  dont  ils  rele- 
vaient, bien  quMIs  ne  le  fussent  pas  d'une  manière  rigou- 
reuse au  point  de  vue  de  leur  répartition  sur  le  sol.  Au 
X*  siècle  on  se  rattachait  bien  moins  à  une  province  d'ori- 
gine qu'à  un  groupe  ethnique  {gens  pairia)  ».  J*ai  montré 
ensuite' que  dans  chaque  région,  petite  ou  grande,  il  existe 
un  élément  ethnique  traditionnel  qui  lui  imprime  son 
caractère  distinctif  et  fait  Tunité  de  la  population.  Autant 
il  serait  faux  de  parler  à  cette  époque  d'une  nation  fran- 
çaise, allemande  ou  italienne,  autant  est  incontestable 
l'existence  d'un  nombre  inBnide  petites  patries,  d^patriae^ 

*  Il  eiiste,  de  notre  temps,  une  tendance  fi^cheuse  à  confondre  le 
groupe  ethnique  avec  l'espèce,  le  peuple  avec  la  race.  Ce  sont  pour- 
tant des  notions  profondément  distinctes.  Le  groupe  ethnique  est  un 
groupe  social,  la  race  un  groupe  anthropologique.  Le  groupe  ethni- 
que peut  être  composé  de  nombreuses  espèces,  races  ou  variétés  hu- 
maines. Il  est  basé  sur  la  communauté  de  langue,  de  mœurs,  de 
croyances,  de  sentiments  et  d'institutions  traditionnels,  et  peut  ainsi 
86  subdiviser  en  sous-groupes  nombreux  que,  pour  plus  de  simplicité, 
j'appellerai  souvent  groupes  ethniques,  d'autres  fois,  pour  plus  de 
clarté,  groupes  particularistes. 

*  T.  I,  p.  168. 

»  T.  II,  p.  20  et  suiv. 

*  L'expression  se  trouve  au  pluriel  (voyez  Ducange,  v«  Patria),  — 
Elle  répond  tour  à  tour  à  payus,  à  comitatm  (cornes  patriœ  Am6îa- 


128  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   III. 

d'une  infinité  de  génies,  de  peuples  répandus  sur  la  sur- 
face du  territoire.  Leur  origine,  comme  race,  pouvait  être 
étrangement  mêlée,  mais  le  caractère  dominant,  physique 
ou  moral,  en  bien  ou  en  mal*,  servait  do  critérium  distinc- 

nensis,  Ducange,  Comtes  d'AmienSj  p.  156),  à  regio^  k  provincial  à 
diocèse  [Cart.  Saini-Jean-d'Angély,  P»  126  r^  Cbn.  ^  126  v«  fin  xi«  s.), 
etc.  Les  membres  d'un  même  groupe  sont  les  patrienses  (Ducange, 
h.  v^;  Hariulf,  Chron.  de  saint  Riquier^  p.  141). 

On  pourrait  appliquer  aux  patria?  du  haut  moyen  âge  ce  que  M.  Tarde 
dit  de  la  cité  antique  :  «  Plus  nous  remontons  dans  le  passé,  plus  les 
types  de  civilisation  sont  nombreux  et  localisés  :  chacun  d'eux  r«- 
présenté  par  une  cité  ou  une  tribu  est  comme  un  îlot  de  sécurité  et 
d'harmonie  logique  qui  tend  à  s'étendre  dans  un  océan  d'insécurité 
et  d'anarchie.  Peu  à  peu  ces  îlots  se  rejoignent  (»t  grâce  à  rextension 
plus  rapide  de  l'un  d'eux  forment  un  continent  »  {Transform.  du  pou* 
voir,  p.  205-206). 

*  A  travers  tout  le  moyen  âge  les  traits  populaires  distinctifs  des 
«  nations  »  petites  ou  grandes  se  sont  conservés  comme  des  sobri- 
quets et  transmis  dans  les  MSS.  J'ai  retrouvé  ainsi  dans  un  MS.  du 
x^-xie  siècle,  provenant  de  l'abbaye  de  Fleury,  et  conservé  à  la  Bi- 
bliothèque de  Berne  (n°  48),  un  tractatus  de  vitiis  et  virtutibus  gen^ 
tium,  curieux  pour  l'état  des  esprits  et,  qu'à  ce  titre,  je  transcris  : 
«  De  vitiis  gentium.  Invidia  judeorum,  perfîdia  persarum.  Stulticia 
aegyptiorum.  Fallatia  grecorum.  Sevitia  sarracendorum,  superbia  ro- 
manorum.  Levitas  chaldeorum.  Varietas  afrorum.  Gula  gallorum,  vana 
glossa  longobardorum.  Crudelitas  (H)unorum.  Inmunditia  suavorum. 
Ferocitas  (en  interligne  nobilitas)  francorum.  Stulticia  sasonorum. 
Luxuria  normannorum  (en  surcharge).  Libido  scottorum.  Vinolentia 
spanorum.  Duricia  pictorum.  Ira  brittanorum.  Spurcicia  sclavorum. 

De  bonis  naturis  gentium.  Hebreorum  p...  ntia  (prudentia?)  Persa- 
rum stabilitas,  aegyptiorum  sollertia,  grœcorum  sapientia,  romanorum 
gravitas.  Chaldeorum  sagacitas,  afrorum  ingenium,  gallorum  firmitas, 
francorum  fortitudo,  saxonorum  instancia.  Vuasconorum  agilitas,  scot- 
torum fldelitas.  Spanorum  argutia,  brittanorum  hospitalitas...  Tuliius 
marcus  dixit  :  Grecus  ante  causam.  Francus  in  causam,  Romanus  post 
causam,  Francus  gravis,  Romanus  levis,  Afrus  versipellis.  »  (f*,  r*). 

On  peut  rapprocher  de  ce  texte  l'extrait  d'un  MS.  anglo-saxon  de 
l'an  1064  que  vient  de  publier  M.  Omont  (Bibl  Ecole  des  chartes, 
janvier-avril,  1901,  p.  69-70)  :  «  Victoria  Aegiptiorum,  invidia  judeo- 
rum, sapientia  grœcorum,  crudelitas  pictorum,  fortitudo  romanorum. 
Largitas  langobardorum.  Gulla  gallorum,  superbia  vel  ferocitas  Fran- 


LES  GROUPEMENTS  FONDAMENTAUX.        129 

tif  et  se  survit,  par  le  fait,  aujourd'hui  même  dans  les 
diversités  provinciales. 

Les  groupes  ethniques  ou  particularisles  se  trouvaient 
soumis  à  des  chefs  qui  s'étaient  imposés  à  eux  ou  à  qui  ils  s'é- 
taient donnés,  chefs  qui  ne  gouvernaient  pas  des  territoires, 
mais  qui  commandaient  à  des  hommes.  C'étaient  là  par 
excellence  les  groupes  naturels.  Ils  allaient  depuis  la  famille 
proprement  dite  jusqu'à  la  nation.  Us  s'élargissaient  ou  se 
rétrécissaient,  se  subdivisaient  et  s'amalgamaient  en  des 
groupes  artificiels  qui  tendaient  à  se  substituer  à  eux  ou 
à  se  les  subordonner.  La  famille  naturelle  s'élargit  en  clan 
vassalique  ou  en  commune  rurale  et  urbaine,  le  chef  d'une 
patria  en  englobe  d'autres  dans  sa  domination.  En  sens 
contraire,  le  groupe  ethnique  étendu  se  fractionne  en  des 
agglomérations  plus  petites  auxquelles  la  valeur  person- 
nelle et  la  fortune  d'un  homme  fournissent  le  noyau  d'une 
cristallisation  indépendante.  Dans  cette  reconstitution  so- 
ciale la  configuration  du  sol,  la  communauté  d'intérêts 
créée  par  l'échange,  le  négoce,  l'industrie;  la  similitude 
de  genre  de  vie,  de  coutumes,  de  préjugés;  la  résistance 
à  un  ennemi  commun;  la  poursuite  d'un  commun  idéal 
jouent  un  rôle  prépondérant. 

corum.  Ira  britanorum,  stulticia  saxon um  et  anglorum.  Libido  hiber- 
norum.  » 

J'ai  noté  aussi  dans  une  homélie  de  Raoul  Ardent  l'apostrophe 
suivante  :  «  Conemur  unusquisque  vitium  populi  sui  superare.  Si  Ju- 
dseus  es,  stude  Judoeis  innatam  incredulitatem  superare.  Si  Gallus  es, 
stude  Gallis  innalam  superbiam  superare.  Si  Romanus  es,  stude  Ro- 
manis innatam  avaritiam  superare.  Si  Pictavinus  es,  stude  Pictavinis 
innatam  ingluviem  et  garrulitatem  superare,  et  similiter  de  ceteris.  » 
{HoméL,  IL  2,  Migne,  155,  col.  1949). 

Dans  la  3*  vie  de  saint  Martin  de  Vertou  (xi®  s.)  se  rencontre  cette 
en umé ration  sommaire  des  peuples  d'Europe  :  «  Testes  sunt  cunctae 
Europae  gentes,  id  est  Germanicus,  Hispanicus,  Gothus,  Gallicus, 
Scottus,  Britto,  Vasco,  Saxo,  Burgundio,  necnon  et  aliœ  quamplu- 
rimae  barbarœ  gentes  limina  Apostolorum  Romae  fréquenter  adeun- 
tes  )»  [Vita  S.  Martini  Vertavensi.%  Mab.,  SB.  I,  373). 

F.  —  Tome  IIL  9 


130  LIVRE  IV.    —  CHAPITRE  III. 

Entrez  dans  le  détail  des  luttes  qui,  après  la  dislocation 
de  l'empire  carolingien',  mettent  des  régions  entières  aux 
prises,  vous  trouverez  dans  les  camps  adverses  des 
groupements  par  affinité  de  race,  de  langues,  de  mœurs. 
Et  de  même  les  guerres  privées,  si  limitées  qu'elles  soient, 
guerre  de  petite  seigneurie  à  petite  seigneurie,  de  ville  é 
ville,  de  famille  à  famille,  naissent  au  fond  de  répulsions 
instinctives.  Les  antipathies  ou  les  haines  n'excluaient  pas  la 
grande  fréquence  des  relations  individuelles  entre  les  divers 
districts.  Mais  il  se  produisait  ce  qu'on  a  pu;  jusqu'à  une 
époque  récente,  observer  dans  les  rapports  de  peuple  à 
peuple.  Tandis  que  l'étranger  de  passage  est  bien  accueilli, 
il  ne  peut  se  faire  agréger  au  groupe  qu'en  se  soumettant  à 
de  dures  conditions  d'inégalité  :  ses  descendants  eux-mêmes 
n'acquerront  qu'avec  peine  Tindigénat',  lien  fut  ainsi  jus- 
qu'au jour  où  de  proche  en  proche  une  fusion  plus  intime 
s'opéra  entre  les  éléments  ethniques. 

La  guerre  (privée  d'abord,  royale  ensuite)  a  certaine- 
ment été  le  principal  instrument  de  cette  fusion',  comme 

^  Beaucoup  d^historiens  ont  eu,  dans  ces  cinquante  dernières  an- 
nées, une  prévention  injustifiée  contre  Tinfluence  de  Téiément  ethni- 
que dans  le  haut  moyen  âge.  C'était  un  excès  de  réaction  contre  la 
théorie  d'Augustin  Thierry  qui  attribuait  aux  hostilités  de  race  et 
au  réveil  de  l'esprit  d'indépendance  nationale,  chez  les  peuples  soumis 
par  les  Francs,  la  dissolution  de  l'empire  de  Charlemagne.  Fustel  de 
Coulanges,  avec  sa  logique  coutumière,  avait  poussé  ce  système  à  ses 
conséquences  extrêmes  et  nié  jusqu'à  l'existence  d'un  sentiment  na- 
tional. Mais  récemment  M.  Gabriel  Monod  a  rétabli  la  vérité,  au  point 
de  vue  de  l'histoire  politique,  en  prouvant  que,  si  les  oppositions  de 
race  n'ont  eu  qu'une  faible  influence  sur  la  dislocation  de  Tempire 
carolingien,  l'intensité  de  leur  action  est  incontestable  dès  que  cette 
dislocation  se  fut  produite,  dans  la  seconde  moitié  du  ix«  siècle  {An- 
nuaire de  l'Ecole  des  Hautes-Etudes ^  1896,  p.  5  et  suiv.). 

^  On  les  désignait,  comme  l'usage  s'en  est  longtemps  conservé,  par 
leur  nationalité  d'origine  (le  Breton,  le  Normand,  le  Picard,  etc.),  dé- 
signation qui  leur  imprimait  une  marque  indélébile. 

2  Cela  permet  à  la  France  de  la  liberté  de  ne  pas  renier  la  France 
des  grands  batailleurs. 


LBS  eROUPBMBNTS  FONDAMENTAUX.        131 

son  couronnement  a  été  Tunité  monarchique  et  Funité 
nationale.  Si  le  clan  féodal  a  pu  prévaloir  à  son  heure 
sur  le  groupe  ethnique  c'est  qu'il  était  organisé  spéciale- 
ment et  directement  en  vue  de  la  lutte  offensive  et  défen- 
sive. Toutefois  groupement  national  ou  particulariste  et 
groupement  familial  restèrent  le  centre  et  le  cœur  de  la 
féodalité',  et  la  royauté  qui  devait  remporter  sur  elle, 
aussi  bien  que  le  principat  qui  cherchait  à  la  dominer, 
s'appuyèrent  sur  la  même  base  ethnique.  J*aurai  à  déve- 
lopper amplement  cette  dernière  proposition  en  traitant 
plus  loin  de  la  royauté  et  du  principat;  je  dois  me  borner 
ici  à  en  esquisser  les  grandes  lignes. 

Dans  les  divers  royaumes  ou  états  nés  des  invasions 
germaniques,  la  nation  légale  était  chaque  fois  la  peuplade 
conquérante,  association  de  familles,  placée  sous  l'autorité 
quasi-familiale  d'un  chef  ou  roi*.  Mais  dans  ce  cadre  ren- 
trèrent successivement    les    habitants  libres    des   pays 

*  Lehuërou  s'en  était  déjà  douté  et  M.  Gabriel  Monod  vient  de  le 
reconnaître.  Du  premier  je  cite  ce  passage  remarquable  :  «  Le  gou- 
vernement féodal,  dit-il,  n'était  que  le  gouvernement  de  la  famille; 
il  ne  comprenait  guère  que  des  institutions  domestiques  ;  les  insti- 
tutions politiques,  rares,  intermittentes  les  unes  des  autres  et  sans 
liaison  nécessaire  avec  Tensemble,  n'y  apparaissent  que  comme  des 
créations  parasites  et  n'y  ont  qu'une  vie  d'emprunt  ;  ces  institutions 
politiques  ne  sont  d'ailleurs  qu'une  répétition  de  celles  qui  régissent 
la  famille  »  (Institutions  carolingiennes,  p.  4). 

Quant  à  M.  Gabriel  Monod,  il  s'exprime  ainsi  :  *<  Les  groupements 
féodaux  eux-mêmes  sont  d'ailleurs  subordonnés  à  des  conditions  de 
langue,  de  famille,  de  géographie  qui  concourent  à  la  formation  des 
nationalités.  Le  patriotisme  local  et  provincial  est  un  acheminement 
au  patriotisme  national.  »  (Loc.  cit.,  p.  8). 

s  Je  me  place  au  début  du  vi®  siècle,  en  l'an  506.  Trois  grandes 
peuplades  se  sont  partagé  les  Gaules  :  les  Francs,  au  Nord  de  la  Loire, 
occupant  le  Maine,  TAnjou,  Blois  et  Chartres,  mais  ni  Tours,  ni  Bour- 
ges, ni  Nevers,  ni  Langres;  les  Burgondes  dans  le  bassin  du  Rhône 
et  de  la  Saône;  les  Wisigoths  maîtres  de  l'Aquitaine  avec  l'Auvergne 
et  la  Provence.  Les  Vascons  n'ont  pas  été  soumis,  les  Bretons  ne 
l'ont  été  que  nominalement  et  pour  un  temps  très  court  (Voyez  Lon- 
gnon,  Atlas  historique  y  PI.  III). 


132  LIVRB   IV.   —   GHAPITRB  UI. 

occupés.  Leur  nationalité  se  fondit  en  quelque  sorte  dans 
la  nationalité  du  vainqueur.  L'organisation  quasi-familiale 
les  enlaça,  ils  durent  la  foi  lige  naturelle. 

Différent  était  Taspect  que  les  trois  grandes  dominations 
France,  Bourgogne,  Aquitaine,  présentaient  les  unes  par 
rapport  aux  autres.  Il  ne  s'agissait  plus  d'organisation 
familiale  ni  de  foi  lige  naturelle,  puisque  chaque  peuplade 
dans  le  principe  constituait  un  groupe  autonome.  Mais  la 
conquête  intervint.  Par  elle  l'une  des  nationalités,  la 
nationalité  franque,  l'emporte  sur  ses  rivales.  L'État 
franc  subjugue  tous  les  autres  États  (Aquitaine,  Bour- 
gogne, Bavière,  Saxe,  Italie,  etc.).  Il  les  agglutine  en  un 
empire,  et  quand  le  lien  impérial  se  rompt,  que  la  domi- 
nation franque  se  fractionne  en  trois  tronçons,  c'est  de 
ces  trois  tronçons  (France  occidentale,  France  médiane, 
France  orientale)  que  les  autres  États  dépendent.  Le  lien 
alors  est  un  lien  de  suprématie,  et  c'est  ce  lien-là  que, 
dans  les  Gaules,  les  derniers  Carolingiens,  puis  les  Capé- 
tiens, s'efforceront  défaire  reconnaître  et  de  rendre  effectif. 

Une  carte  de  la  Gaule,  à  cette  époque,  devrait  donc  être 
une  carte  ethnographique,  que  les  dialectes,  les  parters, 
peuvent  servir  à  dresser.  Ce  qu'on  est  convenu  d'appeler 
l'anarchie  du  x*  siècle  est  surtout  une  lutte  de  nationali- 
tés, pourvu  qu'on  entende  le  mot  dans  le  double  sens  de 
particularisme  et  de  nation  légale,  beaucoup  plus  que  dans 
le  sens  de  communauté  de  race.  La  claire  preuve  en  est 
donnée  par  les  chroniques*  et  les  chansons  de  geste,  pour 
les  grandes  divisions  ethniques  des  Gaules  :  Francs  et  Nor- 
mands, Bretons,  Angevins  et  Manceaux,  Poitevins  et  Auver- 
gnats, Basques  et  Gascons,  Provençaux  et  Bourguignons, 
Lorrains  et  Flamands.  Elle  peut  se  suivre  dans  la  diversité 
et  l'entre-choquement  des  plus  petites  patries.  Rien  n'est 

*  Les  traits  abondent.  Chacun  a  présente  à  la  mémoire  la  satire  viru- 
lente des  Aquitains  [Aquiiani]  par  Raoul  Glaber,  qui  les  oppose  à  la 
gens  Francorum  et  à  la  gens  Burgundionum  (p.  89).  Il  ne  traite  pas 
mieux  la  gens  Brittonum  (p.  29-30) . 


LES  /GROUPEMENTS  FONDAMENTAUX.  133 

probant,  par  exemple,  au  point  de  vue  du  rôle  décisif  joué 
par  la  nationalité  dans  la  formation  des  seigneuries,  comme 
l'histoire  du  comte  de  Barcelone.  Le  Roussillon  y  est  en- 
globé malgré  la  barrière  des  Pyrénées.  Il  est,  malgré  les 
vicissitudes  des  guerres  et  des  alliances,  réuni  avec  le 
Confiant  aux  mains  des  comtes  de  Barcelone.  Le  pagus 
elnensis  primitif  est  reconstitué  grâce  à  la  communauté  de 
race  (gothique),  de  langue  (catalane),  de  coutumes  ou  de 
lois  (forum  judicum). 

11.    —  LE  GROUPEMENT   FAMILIAL, 

Nous  venons  de  voir  les  relations  étroites  existant  en- 
tre le  groupement  ethnique  et  le  groupement  familial. 
Nous  allons  considérer  celui-ci  de  plus  près. 

L'organisation  des  royaumes  germaniques  était,  je  l'ai 
prouvé,  une  organisation  familiale'.  Le  roi,  chef  per- 
sonnel d'une  famille  puissante,  étendait  son  mundium^  sa 
protection,  sur  les  autres  familles  composant  la  peuplade. 
Or,  une  de  ces  familles  royales  réussit  non  seulement  à  con- 
solider et  à  augmenter  son  autorité  sur  la  «  Gens  »  qu'elle 
gouvernait,  mais  à  se  soumettre  par  la  force  et  les  peu- 
plades congénères  et  les  populations  romanisées  de  la 
France  et  de  l'Italie.  C'était  la  famille  franquedes  Carolin- 
giens. Avec  elle  et  par  elle,  Télément  franc  devient  l'é- 
lément dominant,  l'élément  vainqueur,  avec  elle  et  par 
elle  une  aristocratie  franque  de  race  ou  de  nom,  d'ap- 
parence ou  d'adoption,  s'étend  comme  un  vaste  réseau  sur 
toutes  les  régions  de  l'empire'  :  Francs,  Gallo-Francs  ou 
Francs-Gaulois  ',    ceux   que   Thietmar    de    Mersebourg 

«  T.  I,  p.  79  et  suiv. 

«  Miracles  de  saint  Benoit,  p.  43. 

»  C'est  Texpression  dont  se  sert  le  père  Lapôtre  qui,  s*occupant 
spécialement  de  l'Italie,  remarque  que  les  Francs  de  Gaule  «  y  domi- 
naient partout,  non  seulement  en  Lombardie,  siège  principal  de 
l'empire,  mais  dans  la  Toscane,  mais  dans  le  duché  de  Spolète  où 


134  LIVRE  IV.   —  CHAPITRE  III. 

appelle  au  xi*  siècle  Franci  Laiini\  Alamans  ou  Thurin- 
giens  francisés  *,  etc.  Elle  prend  la  place  des  anciens  chefs 
romains  ou  gallo-romains,  lombards,  bourguignons  ou 
goths,  elle  les  soumet:  Elle  s'impose  aux  populations 
jusqu'au  jour  où  celles-ci,  ayant  recouvré  tout  ou  partie 
de  leur  autonomie,  imprimeront  leur  caractère  national  aux 
comtes  francs  et  n'obéiront  plus  qu'à  des  chefs  qu'elles 
puissent  reconnaître  pour  des  patrienses,  des  compatriotes. 
Mais  de  même  que  la  famille  carolingienne  s'était 
arrogé  le  monopole  du  pouvoir  monarchique,  de  même 
certaines  grandes  familles  franques  ou  pouvant  se  don- 
ner pour  telles  acquirent,  grâce  à  leurs  alliances  avec 
la  famille  royale  ou  entre  elles*,  le  monopole  du  pou- 
voir ducal,  comtal,  épiscopal.  La  cognatio,  le  clan  des 
Gauzbert,  avec  ses  nombreuses  ramifications,  domine  pres- 

Lambert  avait  amené  de  l'Ouest  de  la  France  beaucoup  de  monde 
avec  lui.  »  (L* Europe  et  leSaint-SiigeàVépoque  carolingienne,  Paris, 
1895,  p.  334). 

'  Il  désigne  ainsi  les  Francs-Gaulois  du  Nord  (Corbie)  (Livre  V,  ad 
an.  1002). 

■  Dès  801  le  comte  alsacien  Leuthard,  père  de  Girard  de  Roussil- 
Ion,  comme  l'a  prouvé  M.  Longnon  (Revue  historique^  VIII,  1878, 
p.  245  et  suiv.)  avait  été  par  Louis-le-Débonnaire  pourvu  du  comté 
de  Fézensac,  au  grand  mécontentement  des  Vascons  qui  se  révoltè- 
rent (Vita  Hludovoici,  cap.  13,  cap.  16). 

*  La  politique  d'alliances  matrimoniales,  pratiquée  par  les  Rober- 
tiens,  prépara  et  servit  leur  avènement  au  trône.  Hugues-le-Grand 
était  le  beau-frère  du  duc  de  Bourgogne  Raoul,  qui  devint  roi  en 
923,  d'Herbert  II  de  Vermandois  et  du  duc  de  la  Haute-Lorraine 
Frédéric  I«';  il  fit  épouser  à  son  fils  Eudes,  Leutgarde  fille  aînée  du 
duc  Bourguignon  Gislebert  [Art  de  vérifier  les  dates,  II,  p.  495)  et. 
il  maria  sa  fille  Emma  à  Richard  !•',  duc  de  Normandie  qui  fut  ainsi 
le  beau-frère  et  devint  le  tuteur  de  Hugues-Capet  (Dudon,  p.  263). 
Guillaume  II,  duc  d'Aquitaine,  a  été  lui  aussi  le  beau-frère  de  Hugues- 
Capet  si  celui-ci,  comme  l'admettent  la  plupart  des  historiens  modernes, 
épousa, en  970,  Adélaïde,  fille  de  Guillaume  I"Tête  d'Étoupe.M.  Pfister 
l'avait  contesté,  mais  la  question  paraît  tranchée  par  l'attribution  que 
M.  Merlet  a  faite  au  x«  siècle  de  la  translatio  S.  Maglorii^  qui  atteste 
expressément  ce  mariage  {B,  Ec,  des  chartes,  1895,  p.  247,  254-5). 


LBS  GROUPBIIENTS  FONDAMENTAUX.  135 

que  toute  l'Aquitaine*.  La  maison  des  Welfs,  à  laquelle 
appartient  Hugues  l'abbé,  exerce  son  influence  et  sa 
puissance  dans  la  France  occidentale,  la  Bourgogne 
et  TAlémanie.  La  vieille  famille  alémanique  d'Etichon 
d'Alsace,  à  laquelle  M.  Longnon  a  rattaché  Girard  de 
Roussillon*,  rayonne  de  TEst  à  l'Ouest  et  du  Nord  au 
Sud  jusqu'aux  confins  de  l'Italie.  Au  xi*  siècle  encore  la 
domination  presque  tout  entière  du  Languedoc  est  aux 
mains  de  quatre  grandes  familles,  les  maisons  de  Tou- 
louse, d'Auvergne,  de  Carcassonne,  de  Melgueil,  dont  la 
première  et  la  dernière  sont  d'origine  franque  incontestée 
et  régies  jusque  dans  le  cours  du  x'  siècle  par  la  loi  sali- 
que  '.  Ce  furent  ces  grands  lignages  qui,  à  mes  yeux,  de- 
vinrent les  principaux  créateurs  du  régime  seigneurial*. 
L'histoire  politique  du  x'  au  xii*  siècle  tient  en  majeure 
partie  dans  la  leur.  Rien  ne  justifie  mieux  le  cadre  fa- 
milial, lignager,  où  nos  vieux  poètes  épiques  ont  placé  leurs 
héros.  C'est  \sl  geste,  c'est  la  grande  famille  qu'ils  ont  chan- 
tée :  c'est  elle  aussi  que  l'histoire  doit  s'efforcer  de  faire 
revivre,  du  sommet  à  la  base. 

Les  grands  lignages,  à  mesure  que  le  pouvoir  royal 

*  Ann.  de  saint  Berlin,  ad  an.  853.  —  Cf.  Ann.  Fuld,,  ad,  an,  854. 
'  Longnon,  loc,  oit,,  p.  244-5. 

'  Nouv,  Hist,  du  Languedoc,  XII,  p.  227-236. 

*  Un  jeune  érudit  de  valeur  et  d'avenir,  dans  un  livre  qui  paraît 
au  moment  où  je  revois  ces  notes,  a  été  frappé  de  l'importance  des 
grandes  familles  comtales  à  l'époque  carolingienne  et  a  groupé  très 
habilement  beaucoup  de  faits  qui  la  mettent  en  lumière,  mais  il  a  eu  le 
tort  de  croire  que  cette  importance  a  cessé,  au  début  du  x*  siècle, 
par  le  triomphe  de  l'hérédité  des  fîefs  et  l'avènement  de  la  féodalité. 
C'est  toujours  le  môme  préjugé  historique.  Il  s'y  ajoute  quelque  dé- 
pit de  généalogiste  qui,  perdant  la  trace  des  anciennes  familles, 
conclut  à  la  disparition  du  régime  ancien.  Des  familles  ont  pu  s'étein- 
dre ou  se  transformer,  le  régime  familial  a  survécu,  et  M.  Poupardin 
se  contredit  lui-même  quand  il  reconnaît  que  «  de  nouvelles  familles, 
au  second  plan  à  la  fin  du  ix«  siècle,  prennent  la  place  des  grandes 
maisons  comtales  dont  elles  formaient  jadis  la  clientèle.  »  [Le  royaume 
de  Provence  sous  les  Carolingiens.  Paris,  1901,  p.  397). 


136  LIVRE  IV.    —   CHAPITRE  HI. 

s'affaiblit  et  décline,  entrent  en  lutte  avec  loi.  Ce  sont  eux 
qui  s'offriront  aux  populations  pour  remplacer  le  seigneur 
naturel j  le  roi  franc,  quand  l'unité  de  l'empire  étant  brisée, 
chaque  «  gens  »,  chaque  petite  patrie,  voudra  se  donner  un 
chef  pris  dans  son  sein,  un  «  roi  »  tiré  de  ses  entrailles^ 
suivant  l'expression  justement  célèbre  de  Réginon*.  Ils  s'i- 
dentifieront pour  cela  avec  le  groupe  ethnique,  ils  devien- 
dront des  principes^  en  lutte  fatale  les  uns  avec  les  autres  *. 
Ils  verront  surgir  aussi  d'un  particularisme  de  plus  en 
plus  étroit  des  rivaux  de  leur  puissance  qui  joueront  vis-à- 
vis  d'eux  le  même  jeu.  Au-dessous  d'eux,  en  effet,  le 
groupement  familial  se  continue.  Les  familles  ducales  ou 
comtales  ont  dans  leur  clientèle  des  familles  seigneuriales, 
et  celles-ci  à  leur  tour  des  familles  d'hommes  d'armes  et 
de  tenanciers  :  groupes  particularistes  de  plus  en  plus  pe- 
tits, mais  de  plus  en  plus  denses  aussi. 

Cette  organisation  politique  repose,  on  le  voit,  depuis  le 
principat  jusqu'à  la  tenure,  sur  le  lien  familial  et  person- 
nel. Quand  la  royauté  franque  y  devint  infidèle  en  essayant 
parles  partages  artificiels  du  ix*  siècle  de  fonder  des  États 
territoriaux,  elle  ne  réussit  qu'à  s'affaiblir  et  à  rendre  plus 
vivace  que  jamais  le  groupement  lignager.  C'est  l'attache- 
ment, la  fidélité  à  une  famille  supérieure  :  domaniale,  sei- 
gneuriale, comtale,  ducale,  qui  coordonne  les  populations 

*  «  Post  cujus  mortem  (Caroli  imperatoris  Sertit)  régna  que  ej us  di- 
lioni  paruerant,  veluti  legilimo  deslilutaherede,  in  partes  a  sua  com- 
page  resolvuntur  et  jam  non  naturalem  dominum  prœstolantur,  sed 
unumquodque  de  suis  visceribus  reyem  sibi  creari  disponit.  »  {ad  an. 
888  ;  éd.  Kurze,  p.  129). 

*  «  Quœ  causa  magnos  beilorum  motus  excitavit.  Non  quia  princi- 
pes Francorumdeessent,  qui  nobilitate,  fortitudine  et  sapientia  regnis 
imperare  possent,  sed  quia  inter  ipsos  a^qualitas  generositatis,  di- 
gnitatis  ac  potentia?,  discordiam  augebat,  nemine  tantum  ceteros 
precellentc,  ut  ejus  dominio  reliqui  se  submittere  dignaréntur.  Mul- 
tos enim  idoneos  principes  ad  regni  gubernacula  moderanda  Francia 
genuisset,  nisi  fortuna  eos  semuiatione  virtutis  in  pernitiem  mutuam 
armasset.  »  (Ibid.), 


LES  GROUPEMENTS  FONDAMENTAUX.        137 

et  leur  donne  une  cohésion  relative.  Cet  attachement  pro- 
cède d'une  tradition  antique  ou  d'une  domination  récente^ 
et  la  domination  elle-même  a  utilisé  pour  s'établir  par  la 
force  et  l'énergie  les  affinités  de  race,  de  mœurs,  de  cou- 
tumes. Une  fois  qu'elle  est  devenue  dynastique  à  tous  les 
degrés,  l'ensemble  du  groupement  ethnique,  tel  que  je 
l'ai  défini,  prend  corps  et  conscience,  par  TefTet  même  de 
la  subordination  commune  à  la  famille  dominante. 

Ce  sont  là  les  grandes  mailles  du  réseau  seigneurial  et 
féodal.  Mais  il  va  de  soi,  et  il  est  démontré  par  l'histoire, 
qu'elles  s'enlacent  et  se  complètent  intérieurement  par  le 
groupement  individualiste,  dont  la  volonté  personnelle,  le 
contrat  exprès  ou  tacite,  sont  les  facteurs  essentiels. 

111.  —  LE  GROUPEMENT  DOMANIAL. 

Ce  groupement  est  dérivé  en  partie  des  deux  précédents; 
en  partie  il  a  son  existence  propre.  Sa  généralité,  son  im- 
portance ressortent  des  développements  de  notre  second 
Livre.  Son  caractère  a  besoin  d*être  précisé. 

J'ai  tenu  à  bien  établir  que  les  droits  seigneuriaux  ne  se 
confondent  ni  avec  les  droits  féodaux  ni  avec  les  droits 
fonciers,  parce  que  j'ai  voulu  réagir  contre  l'opinion  cou- 
rante que  la  seigneurie  était  essentiellement  foncière  et  ter- 
ritoriale, et  que  le  fief  terrien  constituait  le  point  de  sou- 
dure de  la  souveraineté  et  de  la  propriété  ou  le  produit 
quasi-universel  de  leur  fusion  *. 

Mais  si  l'on  se  place  au  point  de  vue  de  l'organisation 
domaniale,  il  n*y  a  pas  de  doute  que  celle-ci  embrassait 
à  la  fois  la  terre  libre,  franche  et  souveraine  (franc 
alleu),  le  trésor  et  les  valeurs  mobilières,  les  droits 
utiles  de  toute  nature,  mobiliers  ou  immobiliers,  réels  on 
personnels,  qu'ils  rentrassent  dans  la  catégorie  des  droits 
seigneuriaux  comme  procédant  de  la  souveraineté  [honora 

*  T.  I,  p.  380,  p.  389  et  suiv. 


138  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   lU. 

potestas,  comitatuSy  vicaria^  advocatia^  etc.),  dans  celle 
des  droits  féodaux,  ou  dans  le  vaste  groupe  des  démem- 
brements de  la  propriété,  enfin  qu'ils  fussent  possédés  à 
titre  définitif  ou  à  titre  temporaire  ou  précaire. 

De  ce  que  la  souveraineté  peut  être  indépendante  de  la 
possession  du  sol  il  ne  suit  manifestement  pas  qu'elle  ne 
puisse  être  acquise  à  titre  de  propriété,  pleine  ou  limitée, 
soit  moyennant  service,  soit  moyennant  argent.  Quand 
elle  découle  au  contraire  de  la  pleine  propriété  terrienne 
ou  de  son  extension,  elle  se  limite,  se  fractionne,  se  dé- 
tache comme  droit  utile  ou  seigneurial.  En  définitive  les 
sources  sont  distinctes,  le  captage  de  leurs  eaux  est 
soumis  suivant  les  cas  à  des  règles  ou  à  des  autorités  par- 
ticulières, mais  elles  se  confondent  sur  une  partie  au 
moins  de  leur  parcours,  elles  relèvent  de  la  caméra^  dont 
Tadministration  a  la  haute  main  sur  elles,  et  leur  excédent 
tombe  dans  un  même  réservoir  :  le  trésor. 

Pour  le  principat  des  diverses  régions  de  la  Gaule,  aussi 
bien  que  pour  la  royauté  capétienne,  le  nerf  de  la  puis- 
sance a  été  la  propriété  mobilière  ou  immobilière.  Dans  le 
Languedoc,  les  nouveaux  éditeurs  de  dom  Vaissette  con- 
statent que  les  comtes  qui,  à  dater  de  la  fin  du  ix*  siècle, 
exercèrent  la  souveraineté  étaient  principalement  de  grands 
propriétaires,  jouissant  à  ce  titre  d'une  influence  et  d'une 
autorité  locale  :  les  uns  des  Francs  venus  du  Nord*,  les 
autres  des  Goths  fixés  dans  le  pays  depuis  l'invasion  gothi- 
que*. Il  dut  en  être  à  peu  près  partout  ainsi.  Les  grands 
propriétaires,  je  l'ai  montré  aux  deux  précédents  volumes, 
se  transformèrent  en  seigneurs;  ils  l'étaient  en  fait  sur 
leurs  domaines,  ils  le  devinrent  en  droit  au  dehors.  D'au- 
tres qui  s'élevèrent  par  la  force,  la  ruse,  la  violence,  com- 
mencèrent de  même  par  acquérir  des  alleux  et  à  se  consti- 

'  Par  Francs,  nous  le  savons,  il  faut  entendre  des  Francs-Gaulois 
plus  que  des  Francs-Germains. 
2  f^ouv,  Hist.  du  Languedoc^  XII,  p.  226-7. 


LBS  GROUPEMENTS  FONDAMENTAUX.        139 

tuer  une  fortune  mobilière.  C'est  le  trésor  en  effet  qui,  aux 
X*  et  xi*  siècles,  comme  aux  temps  mérovingiens,  constitue 
avec  Talleu  le  centre  de  gravité  du  pouvoir.  Il  est  administré 
comme  Talleu  soit  directement  par  des  officiers,  soit  par  des 
délégations  à  charge  de  redevances  ou  de  services  définis. 
Grâce  aux  alleux  et  au  trésor,  le  personnage  influent  ou  au- 
dacieux d'un  groupe  de  populations  en  obtint  des  derniers 
Carolingiens  le  commandement,  ou  bien  il  se  Tatlribua.  Il  fut 
fait  comte  ou  il  se  fit  comte,  il  s'acquit  un  honor  et  il  s'ef- 
força de  le  rendre  héréditaire  comme  l'alleu,  pour  qu'il  pût 
être  exploité  ou  démembré  comme  lui,  exploité  par  des  offi- 
ciers, concédé  à  litre  de  bénéfice. 

J'arrive  aux  liens  de  filiation  qui  rattachent  le  domaine 
aux  groupements  ethnique  et  familial.  Ces  liens  sont,  au 
fond,  reconnus  implicitement  par  tous  les  historiens,  et 
s'ils  n'ont  pas  été  mis  dans  tout  leur  jour  cela  tient  de 
nouveau  à  la  place  exorbitante  qu'on  a  faite  au  fief.  L'arbre 
aux  larges  ramures  a  masqué  la  vue  de  la  forêt. 

Le  domaine  est  essentiellement  familial.  Il  l'était  chez 
les  Romains,  il  l'était  davantage  encore  chez  les  Ger- 
mains. Le  caractère  fondamental  de  l'alleu  est  d'être  un 
bien  familial.  Le  groupement  familial  dominait  donc  ou 
commandait  le  groupement  domanial.  Activement  ou  pas- 
sivement, que  l'on  envisage  le  propriétaire  ou  les  hommes 
qui  dépendent  de  lui,  il  le  constituait  et  le  maintenait*. 

A  son  tour  le  groupement  ethnique,  étant  en  étroite  con- 
nexité  avec  le  groupement  familial,  devait  l'être  avec  la 
constitution  du  domaine.  N'est-ce  pas  en  effet  au  profit  de 
familles  conquérantes  (Francs-Germains  et  Francs-Gaulois, 
Goths,  Normands,  etc.)  que  les  grands  domaines  ont  été 

*  Cf.  ce  passage  de  la  vie  de  saint  Arnoul  par  Hariulf  :  «  in  fundo 
nuncupato  Ervingahen,  ...vidit...  fundi  populus  sanclam  celebritalem 
(Arnulfi)...  donaverunt...  duas  partes  decimarum  omnium  alodiorum 
suorum...  Hujus  autem  largitionis  principes  quique,  nobiles  et  inge- 
nui  illius  loci  viri  (énumération)...  vel  tota  istorum  consanguinitas  » 
{VUa  Arîiulfi,  SB,  p.  540). 


140  LIVRB   IV.    —   CHAPITRE  III. 

reconstitués,  conservés  et  étendus  ?  D'autre  part  c'est  rori- 
gine  des  tenanciers  qui  détermine,  en  partie  au  moins,  leur 
condition,  sans  qu'il  faille  retomber  dans  les  exagérations 
des  historiens  anciens  qui  faisaient  de  tous  les  Gallo-Romains 
des  serfs,  de  tous  les  Francs  des  nobles.  Les /ronct,  tenan- 
ciers libres,  les  hospites  burgondes,  supérieurs  aux  indigè- 
nes, les  aubains  de  toute  catégorie,  en  portent  témoignage. 
Pour  se  rendre  compte  maintenant  dans  quelle  mesure 
le  groupement  domanial  avait  une  existence  propre,  dans 
quelle  mesure,  en  définitive,  il  procédait  de  l'organisation 
foncière  de  l'époque  franque  et  du  système  des  vill» 
romaines,  il  faut  poser  en  principe  que  le  domaine  est  un 
ensemble  de  droits  réels  et  personnels  qui,  d'ordinaire,  ne 
supposent  nullement  un  seul  tenant.  J'ai  montré  comment 
la  villa  gallo-franque  s'était  désorganisée.  Les  hommes  et 
les  terres,  les  cens,  les  redevances,  les  prestations  et  ser- 
vices de  toute  nature  ont  été  rattachés  alors  au  manoir,  à 
la  celle,  au  chef-manse,  etc.,  ou  dans  l'Est  —  ce  qui  me 
semble  tout  à  fait  caractéristique  —  à  une  cour  colongère 
ou  dîmière,  établie  souvent  au  milieu  d*un  village  qui  ap- 
partenait à  de  nombreux  propriétaires  et  seigneurs,  et  ser- 
vant de  centre  de  groupement  à  des  colons  dispersés  au 
loin;  De  la  sorte,  tout  en  ne  constituant  pas  un  groupe  ter- 
ritorial, le  domaine  a  formé  une  unité,  un  complexe  :  môme 
loi  {lex  locï),  même  justice  foncière  ou  personnelle,  même 
maître.  La  condition  des  tenanciers  ou  gens  du  domaine 
est  infiniment  variable,  leurs  obligations  et  leurs  droits 
sont  inégaux  et  dissemblables,  que  leurs  habitations  soient 
distantes  ou  rapprochées,  mais  le  jugement  par  les  pairs, 
les  vieux  us  traditionnels,  la  fixation  des  limites,  la  répar- 
tition des  charges  coutumières  pesant  sur  la  personne 
et  sur  la  terre,  la  réglementation  de  l'assolement  et  de 
la  culture,  la  viabilité,  la  jouissance  des  communaux, 
les  rapprochent,  les  solidarisent,  les  lient  par  la  réci- 
procité des  droits  et  des  devoirs  et  par  la  concordance  des 
intérêts. 


LBS  QROUPBMBNTS  FONDAMENTAUX.        141 

Il  y  avait  donc  une  unité  théorique  du  domaine.  Basé 
SUT  le  groupement  familial  ou  ethnique  et  le  respect  de  la 
tradition,  il  est  une  des  cellules  organiques  de  l'État  qui 
préparent  le  plus  directement  l'unité  territoriale  du  pays. 

IV.  —  LE   GROUPEMENT  RELIGIEUX. 

J'ai  placé  ce  groupement  au  dernier  plan,  parce  qu'il 
procède  pour  partie  des  trois  précédents  : 

i®  Du  groupement  ethnique.  —  Si  les  divisions  ecclé- 
siastiques de  la  Gaule  (diocèses,  provinces),  ont  pu, 
dans  la  mesure  que  j'ai  définie  *,  se  conserver  comme  cir- 
conscriptions territoriales  et  devenir  un  jour  des  divisions 
politiques  (comtés,  provinces),  elles  le  doivent  moins  en- 
core à  l'esprit  de  suite,  à  la  durée  et  à  la  supériorité  de 
l'organisation  ecclésiastique  qu'à  la  circonstance  que  j'ai 
relevée  en  tête  du  deuxième  volume".  En  elles  survivaient 
les  cadres  des  groupements  ethniques  de  l'époque  celtique 
et  de  l'époque  gallo-romaine,  cadres  dans  lesquels  les  in- 
vasions germaniques  s'infiltrèrent  ou  se  coulèrent.  Aussi 
bien  la  formation  des  seigneuries  et  du  pouvoir  métropo- 
litain ecclésiastiques  que  la  rivalité  au  sujet  des  primaties'* 
sont  dues  pour  une  part  au  conflit  des  nationalités.  Qu'on 
songe  seulement  à  l'histoire  des  évêchés  de  Bretagne 
et  de  l'évêché  des  Gascons*. 

2"  Du  groupement  familial.  —  Le  pouvoir  épiscopal  et 
abbatial  est  aux  mains  des  grandes  familles.  Il  est  donc  dans 
la  dépendance  de  la  corporation  familiale.  En  outre  l'É- 

*  Suprà,  p.  100  et  suiv. 
«  T.  II,  p.  22  et  suiv. 

'  Sur  ces  deux  points  voyez  plus  loin. 

*  Pour  les  évêchés  de  Bretagne  voyez  Chronique  de  Nantes,  Introd. 
par  M.  R.  Merlet,  p.  xxvi  et  suiv.;  pour  Tévéché  des  Gascons,  Breuils, 
La  Gascogne^  p.  35  et  suiv.  Il  n*y  a  pas  à  faire  fond  sur  l'argumen- 
tation,  en  grande  partie  fantaisiste,  par  laquelle  M.  Bladé  a  contesté 
l'existence  de  Tévôché  des  Gascons. 


142  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE   III. 

glise,  pour  l'exercice  de  sa  puissance  temporelle,  a  dû  s'ap- 
proprier le  régime  du  clan  vassalique  et  de  la  maisuie,  sauf 
à  recourir  plus  fréquemment  et  de  meilleure  heure  au  con- 
trat féodal.  Enfin,  au  bas  même  de  l'échelle,  les  confréries 
sont  basées  sur  les  affinités  particularistes  et  issues  direc- 
tement du  compagnonnage,  de  la  fraternité,  de  la  gilde. 

3*  Du  groupement  domanial.  —  L'Église,  fidèle  aux  tra- 
ditions du  système  romain  de  la  villa  dont  l'oratoire,  pro- 
priété privée,  faisait  partie  intégrante,  s'en  est  servi 
comme  d'un  étai  pour  la  constitution  des  paroisses  ru- 
rales. C'est  elle  qui  poursuit  avec  le  plus  de  persévérance  le 
but  d arrondir  les  domaines,  et  qui  a  su  le  faire  avec  le 
plus  de  succès,  gr&ce  à  l'immunité  et  à  la  sauveté. 

Si,  à  ces  divers  points  de  vue,  le  groupement  religieux 
peut  être  considéré  comme  dérivé  ou  subsidiaire,  il  est 
déterminé  dans  son  essence,  tant  au  regard  des  intérêts 
temporels  qu'au  regard  des  intérêts  spirituels,  par  la 
hiérarchie  et  la  discipline  de  l'Église,  qui  a  ses  organes, 
ses  cadres,  ses  officiers,  ses  sujets.  Il  l'est  tant  et  si  bien 
que,  par  le  penchant  naturel  de  l'Église  pour  l'hégémonie, 
elle  tend  à  se  séparer  de  l'État  comme  un  corps  auto- 
nome et  vise  à  l'absorber.  C'est  pourquoi  nous  devons 
montrer  deux  gouvernements  en  présence  :  le  gouverne- 
ment laïque  d'une  part,  de  l'autre  le  gouvernement  ecclé- 
siastique. 


DEUXIÈME  PARTIE 
UES     ORGANES    GOUVERNEMENTAUX 


§  I.  -  LE  GOUVERNEMENT  LAÏQUE 
I.  —  LA  ROYAUTÉ  ET  LE  PRINGIPAT 

CHAPITRE    PREMIER 

ASPECT    GÉNÉRAL 

Ce  qui  fait  la  vitalité  de  la  royauté  capétienne,  ce  qui  lui 
assure  l'avenir,  c'est  qu'elle  a  un  idéal  supérieur  et  qu'elle 
représente,  dans  toute  sa  pureté  et  toute  sa  force,  le  prin- 
cipe  de  gouvernement  qu'elle  partage  avec  le  principat. 

L'idéal  est  la  reconstitution  du  pouvoir  des  rois  francs 
sur  l'ensemble  de  la  Gaule,  l'unité  du  pouvoir,  l'unité  du 
pays.  Il  est  vivifié  par  le  clergé  et  entretenu  par  la  tra- 
dition au  sein  de  la  race  royale.  En  même  temps  l'héré- 
dité de  mâle  en  mâle  maintient  Tunité  du  domaine  familial 
qui  aidera  à  le  réaliser  '. 

Le  principe  est  à  double  face  :  principe  d'autorité,  prin- 

*  Cf.  Longnon,  De  la  formation  de  l'unité  française,  Paris,  189U, 
p.  14;  de  Broglie,  Bulletin  de  la  soc.  de  l'Hist,  de  France,  1894,  p.  93. 


144  LIVRE   IV.    —  CHAPITRB   I. 

cipe  de  protection  :  celui-là  immanent,  celui-ci  organique. 
Tous  deux  sont  à  la  fois  religieux  et  populaires  :  les  deux 
notions,  nous  le  verrons,  loin  de  s'exclure,  se  combinent 
et  se  prêtent  un  mutuel  appui*. 

Rois  et  princes  sont  aux  yeux  de  l'Église  les  représen- 
tants de  Dieu  sur  la  terre;  aux  yeux  du  peuple  ses  élus  ou 
ceux  de  ses  ancêtres.  Le  roi  l'est  à  titre  suprême,  et  l'auto- 
rité de  droit  divin  que  l'Église  lui  reconnaît,  elle  commande 
qu'elle  soit  aussi  générale  qu'il  se  peut.  Si  Tépiscopat  est 
trop  engagé  dans  le  siècle  et  poursuit  trop  directement  un 
pouvoir  et  des  intérêts  personnels,  le  clergé  régulier  em- 
ploie son  influence,  dans  toutes  les  parties  de  la  Gaule,  à 
fortifier  l'ai  torité  princière  ou  l'autorité  royale.  Il  fait  déjà 
en  partie  l'office  que  plus  tard  les  légistes  rempliront.  Chro- 
niqueurs religieux,  canonistes,  rédacteurs  de  chartes  coo- 
pèrent à  la  formation  d'un  droit  monarchique.  Les  clercs 
renforcent  la  tradition,  et,  par  logique  comme  par  calcul, 
se  mettent  au  service  de  l'idée  royale,  de  l'idée  unitaire. 

La  tradition  est  vivace.  Elle  est  profondément  enracinée 
dans  l'âme  des  peuples.  Elle  s'alimente  et  s'épanouit  dans 
les  légendes,  les  chants  populaires,  les  chansons  de  geste. 
Les  dynasties  seigneuriales  et  princières  en  bénéficient 
autant  et  plus  parfois  que  la  dynastie  capétienne,  et  Ton 
verra  dans  les  chants  épiques  du  xm*  siècle  la  royauté 
abaissée  au  profit  de  la  seigneurie  féodale.  Mais,  au  xi* 
siècle,  on  n'en  est  pas  là.  Ne  serait-ce  pas  que  la  royauté 
est  trop  faible  encore  pour  paraître  redoutable?  C'est  la 
tradition  royale,  le  grand  souvenir  de  l'empereur  Karles 
et  de  ses  preux  qui  anime  et  qui  exalte  nos  chansons  de 
geste  les  plus  antiques,  la  chanson  de  Roland,  le  Cou- 
ronnement Louis,  Girard  de  Viane  ',  alors  même  qu'elles 
célèbrent  les  lignages  seigneuriaux. 

*  Infrà  :  La  Royauté,  chap.  ii,  §  4.  Le  caractère  sacré  de  la  royauté 
et  le  pouvoir  sur  l'Église. 

2  Voyez  Touvrage  magistral  de  Gaston  Paris  :  Histoire  poétique  de 
Charlemagne. 


ASPECT  GÉNÉRAL.  445 

La  tradition  aide  donc  à  l*extension  du  principat  et  le 
consolide,  mais  elle  sert  de  base  aussi  aux  progrès  de  la 
royauté,  elle  lui  facilite  les  voies  dans  ses  conflits  avec 
les  seigneurs,  elle  lui  attire  des  vassaux  personnels,  elle 
maintient  debout  le  principe  de  Tost  royal  et  de  la  contri- 
bulion  publique. 

Si  Tautorité  constitue  un  droit  elle  implique,  à  des 
degrés  divers,  le  devoir  de  protection.  Tout  seigneur 
joue  le  rôle  de  protecteur  des  siens,  mais  pour  que  la 
protection  devienne  un  vrai  principe  de  gouvernement 
il  est  nécessaire  qu'elle  se  détache  de  l'intérêt  immédiat  et 
procède  d'une  idée  de  justice  ^  Cela  suppose  deux  condi- 
tions :  que  la  protection  ait  un  caractère  suffisant  dé  géné- 
ralité pour  la  rendre  dans  une  large  mesure  imperson- 
nelle; qu'elle  soit  exercée  en  vertu  d'un  pouvoir  théorique 
portant  sur  d'autres  que  des  hommes  propres,  à  un  autre 
titre  qu'à  celui  de  propriétaire  ou  de  suzerain.  Plus  haut 
donc  on  s'élève  de  seigneur  à  prince,  de  prince  à  roi,  plus 
ces  conditions  sont  susceptibles  d'être  réalisées. 

Ainsi  la  subordination  trop  personnelle  fait  obstacle  à  la 
constitution  du  principat  et  de  la  royauté.  Leur  autorité, 
comme  le  disait  Pascal  de  la  coutume,  a  besoin  d'un  fon- 
dement mystique.  C'est  ce  fondement  mystique  que  la  pro- 
tection, dans  sa  conception  la  plus  large,  contribue  à  lui 
créer.  Elle  ne  se  sépare,  en  effet,  de  l'autorité  ni  dans  la 
croyance  religieuse  ni  dans  la  tradition.  A  ce  double  point 
de  vue,  je  le  montrerai*,  elle  la  jusliGe  et  la  légitime:  si 
bien  que  nous  verrons  le  Saint-Siège,  avec  une  ténacité 
inlassable,  disputer  aux  princes  et  aux  rois  le  rôle  de  pro- 
tecteur, non  seulement  des  couvents  et  des  chapitres,  mais 
des  peuples  et  des  seigneurs. 

On  voit  combien  il  est  décevant  de  se  représenter,  soit 
le  principat,  soit  la  royauté  des  x°  et  xi"  siècles,  comme 

«  Cf.  T.  I,  p.  145  et  suiv. 

*  La  Royauté,  chap.  ii,  §  4.  Le  caractère  sacré, 

F.  —  Tome  III.  10 


146  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

étant,  dans  leur  essence,  une  domination  féodale.  Ce  qui 
est  vrai  seulement  c'est  que  les  rois  et  les  princes,  comme 
les  villes,  comme  l'Église  elle-même,  durent  utiliser  les  forces 
de  leur  temps,  emprunter  à  la  féodalité  son  organisation 
pour  remporter  sur  elle.  On  peut  même  dire  que  le  pouvoir 
royal  et  le  pouvoir  princier  serviront  dans  les  siècles  sui- 
vants à  étendre  le  pouvoir  féodal,  plus  encore  que  le  pouvoir 
féodal  à  étendre  le  pouvoir  princier  et  royal.  Mais  pour 
la  royauté  ce  ne  fut  là  qu'une  phase  passagère.  Le  pou- 
voir royal  reste  l'objectif,  le  pouvoir  féodal  n'est  qu'une 
armure  d'occasion.  Sitôt  que  l'unité  monarchique  et  na- 
tionale sera  assez  avancée,  la  dynastie  capétienne  assez 
forte,  celle-ci  lèvera  la  visière  féodale  ;  elle  affirmera  à 
front  découvert  les  principes  dont  elle  n'a  cessé  d'être  le 
représentant,  et  d'accord  avec  le  clergé,  demeuré  son 
auxiliaire,  elle  proclamera  à  la  face  du  monde  le  droit  di- 
vin des  successeurs  de  Charlemagne  et  de  Clovis. 


147 


CHAPITRE  II 
LA  THÉORIE  HISTORIQUE  LÉGUÉE  PAR  LES  FEUDISTES. 


Il  semblerait  que  la  chute  de  l'ancien  régime  eût  dû 
nous  délivrer  ou  nous  émanciper  des  doctrines  des  feudistes. 
Il  n'en.arien  été.  Les  historiens  du  droit  leur  sont  restés 
fidèles.  A  leur  suite,  ils  ont  admis  que  dès  l'avènement  de 
la  troisième  race,  le  roi  de  France  était,  en  dehors  de 
la  Francie,  suzerain  féodal  des  pays  qu'on  a  appelés  les 
grands  fiefs^  et,  dans  la  Francie,  suzerain  des  comtés  et  des 
seigneuries  qui  ne  faisaient  pas  partie  du  domaine  royal  ; 
qu'enfin  dans  l'intérieur  de  ce  domaine  c'était  ou  bien  à  titre 
de  comte  et  de  seigneur  immédiat,  ou  bien  à  titre  de  pro- 
priétaire, et  non  pas  à  titre  de  roi,  qu'il  commandait  ou 
gouvernait.  Toute  la  politique  royale  aurait  consisté  à 
étendre  la  suzeraineté  aux  pays  qui  y  échappaient,  afin 
que  le  roi  fût  bien  chef  seigneur  ou  souverain  fie ff eux  du 
royaume,  puis  à  rendre  la  domination  de  plus  en  plus  ef- 
fective et,  au  cours  des  siècles,  à  transformer  la  suzerai- 
neté en  royauté. 

A  mon  estime,  cette  conception  est  artificielle.  Elle  est  trop 
absolue  et  en  partie  erronée  pour  le  xii*  siècle  quand  la  féo- 
dalité politique  triomphe,  elle  est  complètement  fausse  pour 
le  x*  et  le  xi*  siècles  quand  celle-ci  n'est  encore  qu'à  l'état 
embryonnaire.  Son  point  de  départ  est  l'étrange  idée  d'une 
révolution  opérée  dans  les  institutions  par  l'avènement  de 
Hugues  Capet.  Avec  lui  la  féodalité  serait  montée  sur  le 
trône.  Il  en  aurait  accepté  solennellement  le  principe  et 
la  loi,  l'ancienne  monarchie  aurait  pris  fin,  une  monarchie 
nouvelle,  la  Monarchie  féodale  serait  née,  et  tout  se  serait 


148  LIVRB   IV.    —   CHAPITRE   II. 

transfiguré  par  un  coup  de  baguetle  magique  :  la  justice 
serait  devenue  seigneuriale,  le  lien  de  sujétion  une  obliga- 
tion féodale;  la  hiérarchie  des  fiefs,  avec  le  roi  au  sommet 
et  la  propriété  territoriale  à  la  base,  se  serait  substituée 
au  droit  public  carolingien. 

Un  Irait  de  lumière  de  Guizot  aurait  dû  dissiper  ces  mi- 
rages, et  assainir  l'atmosphère  scientifique  autour  de  ce 
problème.  Il  a  passé  inaperçu  jusqu'à  ce  que  M.  Luchaire 
l'ait  remis  en  évidence  *.  En  efi'et,  deux  historiens  d'une 
puissante  originalité,  M.  Luchaire  et  M.  Pfister,  ont  com- 
mencé à  s'affranchir  du  système  de  la  monarchie  féodale. 
Le  premier  surtout  a  réagi  très  énergiquement  à  son  en- 
contre* et  fait  justice  de  la  légendaire  révolution  de  987  *.  Je 

*  Guizot  avait  défini  la  royauté  capétienne  :  «  Pouvoir  distinct  de 
la  suzeraineté,  sans  rapport  avec  la  propriété  territoriale  :  pouvoir 
sui  gêner iSf  placé  hors  de  la  hiérarchie  des  pouvoirs  féodaux,  vrai- 
ment et  purement  politique,  sans  autre  titre,  sans  autre  mission  que 
le  gouvernement.  Ce  pouvoir  était  en  môme  temps  regardé  comme  su- 
périeur aux  pouvoirs  féodaux,  supérieur  à  la  suzeraineté.  Le  roi  était 
à  ce  titre  placé  au-dessus  de  tous  les  suzerains.  »  (Hist.  de  la  civili- 
sation en  France,  Ifl,  p.  286  et  p.  309).  Luchaire,  Hist,  des  institu- 
tions  monarchiques,  I,  p.  23. 

'  Hist.  des  instit,  monarch,  I,  p.  34  et  suiv.  —  M.  Luchaire  a  fait 
plus  loin  (11^  p.  31)  cette  réflexion  très  sagace  et  très  juste  :  «  Les 
conséquences  singulières  auxquelles  on  aboutit,  si  Ton  veut  se  renfer- 
mer strictement  sur  le  terrain  féodal  pour  établir  la  situation  des  sei- 
gneurs à  l'égard  du  roi,  montrent  combien  la  hiérarchie  féodale  comp- 
tait pour  peu  de  choses  dans  les  relations  politiques  de  la  dynastie 
régnante  avec  la  haute  aristocratie  du  pays.  » 

'  Luchaire,  op.  cit.,  I,  p.  46  et  suiv.  —  Il  est  équitable  de  consta- 
ter que  Fontanieu  déjà  s'était  inscrit  en  faux  contre  cette  légende. 
Voici  ce  qu'il  dit  dans  le  portefeuille  consacré  au  règne  de  Henri  1"  : 
M  II  me  seroit  aisé  de  faire  voir  par  quantités  d'exemples  que  nos  rois 
disposoient  alors  des  grands  fiefs  en  faveur  de  ceux  que  bon  leur  sem- 
bloit,  si  je  ne  l'avois  point  prouvé  dans  une  dissertation  qui  a  pour 
titre  «  Qu'il  n'est  point  vrai  que  Hugues  Capet  ait  engagé  les  grande 
du  Roïaume  à  le  reconnoitre  pour  roi  en  leur  donnant  la  propriété 
des  fiefs  quils  avoient  sur  les  derniers  rois  ses  prédécesseurs  ». 

«  J'ai  placé  cette  dissertation  en  suite  de  l'histoire  manuscrite  de 


THEORIE   HISTORIQUE   LÉGUÉE   PAR   LES  FBUDISTBS.    149 

crois  seulement  qu'ils  n'ont  pas  poussé  leur  critique  ou  leur 
analyse  du  droit  royal  jusqu'au  tréfonds  et  c'est  pourquoi  ils 
ont  abouti  à  des  résultats  en  partie  divergents  et  contradic- 
toires. 

D'après  M.  Luchaire  la  royauté  effective  des  pre- 
miers Capétiens  était  restreinte,  sauf  quelques  droits 
régaliens,  à  leur  domaine  propre  et  à  leur  action  sur  le 
clergé:  «  S'il  n'avait  pas  son  titre,  le  privilège  du  sacre,  et 
certains  droits  lucratifs  ou  honorifiques  qu'il  a  pu  garder 
sur  des  évêchés  ou  des  abbayes  éloignées  de  son  patri- 
moine, il  serait  impossible  de  distinguer  le  roi  de  France 
d'un  seigneur  ordinaire.  —  Le  soi-disant  souverain  est  un 
simple  baron  qui  possède  seulement  en  propre,  sur  les 
bords  de  la  Seine  et  de  la  Loire,  quelques  comtés  équivalant 
à  peine  à  quatre  ou  cinq  de  nos  départements  *.  » 

Le  livre  de  M.  PBster  donne  au  contraire  l'impression 
que  le  roi  de  France  commandait,  à  des  degrés  divers,  dans 
la  majeure  partie  de  la  Gaule  :  «  Combien  se  trompent,  s'é- 
crie-t-il,  ceux  qui  représentent  les  premiers  Capétiens 
comme  n'ayant  aucune  autorité  et  qui  veulent  voir  à  peine 
en  eux  les  égaux  d'un  petit  baron  du  royaume^.  » 

C'est  que  les  deux  historiens  ont  pris  malgré  tout  pour 
norme  et  pour  étalon  la  suzeraineté  féodale.  M.  Pfister  a  lo- 
giquement attaché  à  Thommage  qui  aurait  été  dû  par  tous 
les  grands  vassaux  une  importance  en  rapport  avec  l'hom- 
mage féodal  ordinaire,  et  M.  Luchaire,  constatant  par  une 

Hugues  Capet  et  j*ai  fait  voir  que  l'hérédité  des  fiefs  n'étoit  point  en- 
core tout  à  fait  établie  sous  le  règne  de  Ph  ilippe  Auguste,  iv«  succès 
seur  immédiat  du  roi  Henry  !•'  »  [Portefeuille,  5,  f.  200  v«,  201  r«. 
Bibl.  nat.  MS.  fr.,  no  7563). 

Je  n'ai  pas  rencontré  la  dissertation  citée  dans  les  PortefeuilleSy 
mais  les  érudits  curieux  d'élucider  ce  point  d'historiographie  pour- 
ront sans  doute  la  retrouver  dans  la  grande  collection  des  Pièces  fugi- 
tives de  Fontanieu. 

*  Histoire  de  France,  H,  p.  176-178. 

*  Etudes  sur  le  règne  de  Robert  le  Pieux,  p.  72. 


150  LIVRB   IV.    —  CHAPITRE   II. 

étude  pénétrante  des  sources  que  le  prétendu  hommage 
des  grands  vassaux  restait  sans  eJSets  virtuelSi  a  conclu 
à  Tabsence  de  pouvoir,  là  où  il  y  avait  en  réalité  un 
pouvoir  d'une  nature  différente.  Ils  n'ont  pu  apprécier 
dès  lors  à  leur  juste  valeur  la  force  que  donnaient  à  la 
royauté  la  suprématie  et  la  fidélité  traditionnelles  que  je 
me  propose  de  décrire. 


ISl 


CHAPITRE  III 

qu'aux  quatre  groupements  fondamentaux  de  l*état  cor- 
respondent, MAIS  en  les  combinant,  QUATRE  CARACTÈRES 
DISTINCTS  DE  LA  ROYADTÉ  ET  DU  PRINCIPAT. 


Pour  bien  marquer  mon  point  de  vue,  je  pars  de  la 
conception  que  M.  Pfister  (dont  je  me  sépare  ici  davantage 
que  de  M.  Luchaire)  se  fait  delà  royauté  dans  ses  rapports 
avec  le  principal  et  la  féodalité.  Voici  comment  je  Tai  com- 
prise: 

I.  Le  roi  est  propriétaire.  Il  a  un  domaine  très  étendu, 
très  dipersé  aussi,  lui  fournissant  d'abondantes  ressources 
et  dans  lequel  on  peut  faire  rentrer  les  abbayes  royales. 

Ce  domaine  est  ou  bien  exploité  directement,  ou  bien 
inféodé  à  de  petits  vassaux,  ou  bien  géré,  sous  l'autorité 
du  roi  et  avec  un  large  droit  de  disposition,  par  les  abbés 
royaux,  assimilés,  nous  dit-on,  à  des  feudataires,  alors 
même  qu'ils  ne  sont  soumis  qu'à  un  simple  maiubour. 

II.  Le  roi  est  investi  de  la  souveraineté  y  mais  il  l'est  à 
des  titres  divers  : 

1*  Comme  successeur  des  Robertiensqui  avaient  usurpé 
les  droits  comtaux. 

Sur  les  parties  des  villes  et  comtés  dont  les  Robertiens 
étaient  propriétaires,  leur  usurpation  des  droits  comtaux 
avait  changé  cette  propriété  en  domaine  indépendant, 
pleinement  immune. 

Sur  les  autres  parties,  elle  se  restreignait  à  l'exercice  de 
la  souveraineté,  laquelle  du  reste  pouvait  être  inféodée  et 
morcelée  par  inféodation  (châtellenies,  vicomtes,  etc.). 


152  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  III. 

2**  Comme  duc  de  la  Francia,  le  roi  était  suzerain  des 
seigneuries  qu'elle  comprenait  et  dont  il  n'était  pas  comte. 

3*  Comme  monarque  féodal,  il  avait  droit  à  Thommage 
des  grands  vassaux. 

4®  Comme  roi  traditionnel,  il  avait  certains  droits  mal 
définis  sur  tous  les  habitants  de  la  Gaule. 

Je  ferai  tout  d'abord  remarquer  que  l'usurpation  des 
droits  comtaux  doit  être  envisagée  d'un  autre  point  de  vue 
que  celui  où,  conformément  à  l'opinion  commune,  M.  Pfis- 
ter  se  place.  Est-ce  bien  à  titre  de  comte  ou  de  seigneur 
local,  ayant,  par  lui-même  ou  par  ses  ancêtres,  usurpé  sur 
la  royauté  les  droits  comiaux,  que  le  Capétien  devenu  roi 
exercera  ces  droits?  Pour  qu'il  pût  en  être  ainsi  il  aurait 
fallu  la  ruine  complète,  dès  le  x"  siècle,  du  principe  que 
l'autorité  du  comte  émanait  du  roi,  il  aurait  fallu  qu'une 
hiérarchie  féodale  et  seigneuriale,  ayant  son  unique  rai- 
son d'être  en  soi,  fût  dès  lors  un  fait  accompli.  Or,  nous 
savons  qu'il  n'en  était  rien.  La  conclusion  logique  est  claire, 
nécessaire,  inévitable.  Le  comte  élevé  sur  le  trône,  les 
droits  comtaux  qui  furent  détachés  des  droits  royaux  y  font 
retour,  s'y  réunissent  à  nouveau.  Il  s'opère  une  consoli- 
dation  juridique. 

Et  remarquez  que  ce  n'est  pas,  à  tout  prendre,  une 
usurpation  des  droits  comtaux  que  les  Robertiens  avaient 
commise.  Ils  avaient  obtenu,  de  force  souvent,  je  le  veux 
bien,  mais  avec  tous  les  dehors  de  la  légalité,  des  conces- 
sions royales  qui,  en  les  investissant  de  comtés,  et  en 
leur  conférant  une  véritable  vice-royauté,  le  ducatus  Fran- 
corum,  préparaient  la  consolidation  dont  je  parle.  Quand 
la  réunion  (et  non  pas  la  juxtaposition)  au  pouvoir  royal 
des  droits  comtaux,  qui  en  avaient  été  séparés  par  une 
délégation  des  derniers  Carolingiens,  fut  devenue  complète 
et  définitive,  les  Capétiens  commandèrent  non  pas  en  comte 
ou  en  duc,  mais  en  souverain  et  en  roi*. 

*  Par  là  me  paraît  s'ëclaircir  la  condition  ambiguë  attribuée  par  les 


CARACTàRBS  DE   LA    ROYAUTÉ  ET    DU   PRINCIPAT.       153 

VouloDS-Dous  maintenant  aborder  de  front  et  d'ensem- 
ble le  problème  de  la  royauté  et  du  principat,  nous  avons 
réuni,  je  crois,  les  données  décisives  delà  solution.  Royauté 
et  principat  ne  pouvaient  être  qu'en  corrélation  étroite  avec 
les  groupements  fondamentaux  de  l'État  et  parmi  eux  le 
plus  essentiel,  le  groupement  générateur,  le  groupement 
familial  en  un  mot  devait  dominer  et  faire  l'office  d'élé- 
ment organique.  C'est  ce  que  l'histoire  permet  de  vérifier. 
Au  groupement  ethnique  le  plus  large  correspond  plus 
spécialement  la  suprématie  sur  les  principes  de  la  Gaule, 
au  groupement  ethnique  restreint  la  souveraineté  sur  les 
principes  de  la  Francie,  au  groupement  religieux  l'auto- 
rité sur  l'Église,  au  groupement  quasi-familial,  combiné 
avec  le  groupement  domanial,  se  rapporte  le  pouvoir  sur 
le  peuple  et  sur  les  seigneurs  indépendants.  En  même 
temps  ces  diverses  natures  de  pouvoirs  ont  un  trait  com- 
mun qui  les  relie  et  fait  leur  unité;  ils  sont,  à  des  degrés 
variables,  dans  la  dépendance  du  droit  familial. 

Deux  remarques  préalables  sont  encore  nécessaires.  — 
1**  A  la  différence  de  la  royauté  les  caractères  distinctifs 
du  principat  ne  sont  pas  toujours  concentrés  dans  une  même 
personne;  ils  peuvent  être  dispersés  ou  isolés  les  uns  des 
autres.  —  2"*  Le  caractère  familial  considéré  comme  orga- 
nique n'apparaîtra  dans  tout  son  jour  qu'après  que  le  ré- 
gime lignager  aura  été  décrit  au  Livre  suivant*. 

historiens  aux  abbayes  royales,  tantôt  rangées  parmi  les  propriétés, 
tantôt  assimilées  aux  fiefs,  tantôt  considérées  comme  dans  le  main- 
bour  du  roi.  La  vérité  est  que  le  roi  a  ressaisi  par  consolidation  ses 
droits  primitifs  de  mundium,  droits  d'où  les  immunités  franques 
étaient  issues,  et  qui  allaient  jusqu'au  pouvoir  de  disposer.  Il  lésa 
ressaisis  sur  les  abbayes  que  les  Robertiens  avaient  pu  acquérir  et  il 
les  étendit  ensuite  sur  le  plus  grand  nombre  possible  de  celles  qu'a- 
vaient accaparées  les  seigneurs  ou  qu'ils  avaient  fondées. 
*  Livre  V,  2«  partie,  chap.  I. 


!35 


II.    —   LA    ROYAUTE 


CHAPITRE   PREMIER 

LES   DESTINÉES   DU   DBOIT  ROYAL,    DE  LOUIS   LE   DÉBONNAIRE 
A    HUGUES   CAPET. 


Depuis  la  mort  de  Charles  le  Chauve  et  dans  le  cours 
du  x*  siècle  la  royauté  est  le  jouet  des  grands.  Les  sei- 
gneurs francs  font  et  défont  les  rois,  ils  les  donainent, 
ils  dédaignent  ou  paraissent  dédaigner  leur  sceptre  et  leur 
couronne.  Ils  les  humilient  ou  ils  les  trompent;  ils  les  em- 
prisonnent même  sans  scrupule  et,  par  cette  contrainte 
par  corps  d'un  nouveau  genre,  entendent  disposer  du  pou- 
voir royal.  Herbert  II  de  Vermandois  s'empare  traîtreuse- 
ment de  Charles  le  Simple  pour  se  maintenir  en  équilibre 
entre  les  Robertiens  et  les  Carolingiens,  Hugues  le  Grand 
détient  Louis  d'Outre-Mer  et  convoque  des  plaids  qui  sont 
comme  un  essai  de  régime  oligarchique.  Les  rois  se  suc- 
cèdent nombreux,  on  les  prend  en  dehors  de  la  famille 
carolingienne.  Les  ducs,  comtes  et  dynastes  paraissent 
plus  que  les  égaux  des  rois,  ils  sont  leurs  maîtres.  «  Vous 
avez,  disait  Hincmar,  dès  881,  à  Louis  III  et  à  Carloman, 
vous  avez  de  tels  copartageants  et  de  tels  compétiteurs 
dans  cette  parcelle  de  royauté  qui  vous  reste  que  vous 
régnez  de  nom  plutôt  que  d'efTective  puissance*  ». 

Mais  nous  voici  au  xi'  siècle.  Loin  que  le  principe  de 

*  «  Tantos  comparticipes  atque  œmulos  in  ista  partlcula  regni 
habetis,  ui  nomine  poiius  quam  virtute  regnetis.  »  (Actes  du  concile 
de  Fismes  rédigés  par  Hincmar  (H.  F.,  IX,  p.  307). 


156  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

Téleclion  triomphe  alors,  comme  on  l'a  prétendu,  il  est 
endigué  de  plus  en  plus.  Aux  brusques  soubresauts  suc- 
cèdent la  stabilité  et  l'esprit  de  suite.  Les  seigneurs  ont 
beau  devenir  chaque  jour  plus  puissants,  leurs  domaines 
s'étendre,  aux  dépens  même  du  domaine  royal,  le  roi,  suc- 
cesseur de  Charlemagne,  restera  au-dessus  d'eux  à  une 
hauteur  inaccessible.  Le  duc  peut  avoir  l'activité  guer- 
rière, le  roi  a  la  majesté.  L'un  chevauche  et  l'autre 
trône*.  Et  son  trône  est  désormais  solide.  Il  s'y  tient 
droit  et  fixe  comme  un  soleil  autour  duquel  de  plus  grands 
astres  graviteraient.  L'image  est  incohérente,  mais  elle 
ne  choque  pas.  Non  seulement  parce  qu'on  ignore  les  lois 
de  la  gravitation,  mais  parce  qu'elle  correspond  à  une 
situation  anormale.  Inconsciemment  la  société  tend  à  la 
réaliser  en  conformité  des  lois  naturelles,  c'est-à-dire  en 
mettant  le  poids  et  la  puissance  au  centre  d'où  rayonnent 
l'éclat  et  la  lumière  quasi-célestes. 

Quel  est  donc  le  foyer  mystérieux  de  cette  majesté?  Je  l'ai 
déjà  dit,  c'est  avant  tout  la  tradition.  Mesurez  alors  à  quel 
point  la  force  impondérable  de  Tidéea  été  énergique.  Met- 
tez en  parallèle  l'ambition  de  tant  de  princes  de  devenir 
rois  (ils  la  satisferont  en  conquérant  l'Angleterre,  en  con- 
quérant les  Deux-Siciles,  en  créant  les  royaumes  d'Outre- 
Mer)  et  la  faiblesse  relative  des  derniers  Carolingiens  et 
des  premiers  Capétiens,  les  ressources  dont  disposent 
leurs  rivaux,  les  capacités  et  l'énergie  des  comtes  d'An- 
jou, de  Troyes,  de  Flandre,  des  ducs  d'Aquitaine,  de 
Normandie,  de  Narbonne,  et  demandez-vous  comment  il 
est  possible  que  la  France  n'ait  pas  été,  comme  plus  tard 
l'Allemagne,  déchiquetée  en  petits  États  souverains.  Or, 
elle  ne  l'a  pas  été.  Si  chaque  miles  aspire  à  devenir  sei- 
gneur, chaque  seigneur  à  être  prince,  on  ne  voit  pas  le 


*  C'est  ridée  que  symbolisa  le  sceau  de  Guillaume  le  Conquérant 
dont  Tune  des  faces  représente  le  duc  de  Normandie  à  cheval  et  l'au- 
tre le  roi  d'Angleterre  sur  son  trône. 


LES  DESTINÉES   DU    DROIT   ROYAL.  457 

principat  se  transformer  en  royauté,  alors  même  qu'exis- 
tent tous  les  pouvoirs  et  toutes  les  magnificences  royales. 
Ainsi,  Guillaume  le  Conquérant  s'empare  de  la  couronne 
d'Angleterre,  mais  il  reste  duc  de  Normandie.  Guillaume 
d'Aquitaine  négocie  l'acquisition  pour  son  fils  de  la  cou- 
ronne d'Italie,  mais  il  ne  cherche  pas  à  refaire  un  royaume 
d'Aquitaine.  Eudes  de  Blois  voudrait  se  rendre  maître  du 
royaume  de  Bourgogne  et  ambitionne  la  couronne  impé- 
riale, mais  il  ne  songe  pas  à  créer  un  royaume  de  Cham- 
pagne. 

En  888,  il  est  vrai,  quand,  à  la  mort  de  Charles  le  Gros^ 
l'empire  s'est  définitivement  désagrégé,  des  royautés  nou- 
velles semblent  émerger  de  toutes  parts.  Mais  d'où  procè- 
dent-elles? Je  montrerai  tout  à  l'heure  qu'elles  n'étaient 
qu'une  émanation  de  la  royauté  franque,  une  continuation, 
un  prolongement  de  la  hiérarchie  traditionnelle.  C'est 
cette  hiérarchie  que  les  historiens  n'ont  pas  su  discerner 
clairement  sous  le  vêtement  féodal  qui  a  fini  par  la  recou- 
vrir. Elle  est  sortie  des  principes  rudimentaires  qui  étaient 
à  la  base  des  petites  sociétés  germaniques  et  elle  s'est 
constituée  et  solidifiée  par  le  développement  progressif  des 
institutions  monarchiques. 

§  1.  —  La  suprématie  franque  et  la  prééminence 
carolingienne. 

Chez  les  anciens  Germains,  comme  en  partie  chez  les 
Gaulois,  on  peut  résumer,  je  crois,  la  hiérarchie  politique, 
en  ces  quatre  traits  essentiels  : 

1**  Supériorité  d'une  peuplade  qui  a  la  prééminence  dans 
une  fédération,  qui  en  a  d'autres  dans  sa  clientèle,  qui 
s'en  soumet  d'autres  par  les  armes. 

2**  Dans  la  même  peuplade,  supériorité  de  certains 
clans,  qui  forment  une  sorte  d'aristocratie  d'opinion  ou  de 
prestige,  revêtue  d'un  caractère  sacré  ou  mystique. 

3**  Supériorité  de  l'un  des  clans  d'élite.  C'est  elle  qui 


158  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

fournit  le  chef  de  la  peuplade.  C'est  parmi  ses  membres 
qu'il  doit  être  élu. 

4°  Au  seia  du  clan  royal  {stirps  regia)^  préférence  accor^ 
dée  au  grou  pefamilial  des  descendants  directs  de  rois  an- 
ciens ou  immédiats,  sauf  à  subordonner  ces  descendants 
les  uns  aux  autres  suivant  des  qualités  d'âge,  d'aptitude 
physique,  de  bravoure,  etc. 

Par  l'hégémonie  franque,  la  prééminence  aristocratique 
paraît  s'être  fondue  dans  la  prééminence  de  race  (nous  le 
verrons*  en  traitant  de  la  noblesse).  Il  resta  donc  en  défi- 
nitive trois  degrés  de  suprématie  :  la  suprématie  de  la 
race,  celle  de  la  famille  royale,  celle  du  chef  choisi  parmi 
les  descendants  privilégiés.  C'est  la  triple  prééminence 
que  la  monarchie  impériale  du  ix'  siècle  réalise,  au  profit 
de  la  race  franque,  de  la  famille  carolingienne,  de  l'empe- 
reur élu  et  couronné. 

Et  d'abord  la  suprématie  de  la  nationalité  franque. 

S'il  est  certain,  je  l'ai  déjà  remarqué,  qu'au  ix* siècle,  nila 
France  ni  l'Allemagne  ne  constituaient  des  nations,  que 
dans  aucun  des  deux  pays  la  population  n'avait  le  sentiment 
d'une  nationalité  commune,  n'était  maintenue  compacte 
par  un  patriotisme  collectif,  que  même  le  particularisme 
y  sommeillait  à  l'état  latent  et  ne  devait  se  réveiller  en 
sursaut  qu'avec  l'effondrement  carolingien,  il  est  d'une 
vérité  non  moins  incontestable  qu'une  race  du  moins, 
la  race  franque,  formait  une  large  unité,  avait  d'elle- 
même  une  si  forte  et  si  énergique  conscience  qu'elle  com- 
primait et  annihilait  les  autres.  Cette  unité  n'était  pas 
territoriale,  mais  personnelle.  Des  Francs  étaient  dis- 
persés dans  toutes  les  régions  de  l'immense  empire  de 
Charlemagne,  sans  cesser  de  faire  partie  de  leur  groupe 
ethnique.  Toutefois  ils  s'étendaient  en  nappes  profondes  de 
la  Seine  au  Rhin*.  Là  leur  noble  race,  la  gens  Francorum 
inclyta^  avait  absorbé  en  elle  —  qu'elle  eût  ou  non  la  majo- 

*  Voyez  le  §  2  du  chapitre  suivant. 


LES  DESTINÉES   DU  DROIT  ROYAL.  159 

rite  numérique —  la  population  gallo-romaine*.  Ailleurs 
le  nombre  des  Francs  dispersés  s'était  grossi,  par  croi- 
sement ou  assimilation,  des  familles  appartenant  à  d'au- 
tres nationalités  (gothique,  burgonde,  alémanique,  etc.). 
Absorption  et  assimilation  qui,  loin  d'affaiblir  la  conscience 
nationale,  l'avaient  fortifiée  et  exaltée.  Les  vieilles  familles 
firanques  y  puisaient  un  regain  de  confiance  et  de  fierté, 
les  Francs  adoptifs,  métisés,  une  ardeur  de  néophyte  ou 
un  orgueil  de  parvenu.  Les  mots  de  Franci  et  de  Francia 
devaient  avoir  une  verlu  magique;  ils  représentaient  un 
idéal  d'unité,  d'harmonie,  d'ordre,  d'indépendance  natio- 
nale; ils  constituaient,  en  même  temps,  un  titre  à  la  domi- 
nation. N'étaient-ce  pas  les  Francs  qui  avaient  conquis  la 
Gaule,  ritalie  et  l'Espagne,  qui  avaient  fondé  l'empire  de 
Charlemagne  sur  les  ruines  de  l'empire  romain? 

Si  la  conquête  passée  justifiait  la  suprématie  politique 
des  Francs,  celle-ci  ne  se  légitimait  pas  moins  par  la  su- 
périorité de  leur  valeur  présente.  Une  sélection  des  autres 
peuples  s'était  opérée  à  leur  profit,  tous  avaient  fourni  à 
la  gens  Francorum  leur  contingent  d'hommes  de  bravoure 
ou  d'hommes  détalent.  Elle  l'emportait  sur  les  populations 
romanisées  du  Midi  par  ses  vertus  militaires,  elle  l'empor- 
tait sur  les  Germains  d'outre-Rhin  par  la  civilisation  et  la 
culture  qu'elle  devait  à  sa  fusion  avec  la  masse  gallo-ro- 
maine du  Nord.  C'était  cette  supériorité  que  proclamaient 
déjà,  en  termes  pompeux  et  magnifiques,  les  prologues 
de  la  loi  salique  "  ?  C'est  elle  aussi  que  les  écrivains  du  ix*  et 

<  N'oublions  pas  que  la  Gaule  romaine  s'étendait  jusqu'au  Rhin. 

*  u  Gens  Francorum  inclyta,  auclore  Deo  condita,  fortis  in  armis, 
firma  in  pacis  fœdere,  profunda  in  consilio,  corpore  nobilis,  incolumna 
candore,  forma  egregia,  audax,  velox  et  aspera...  inquirens  scienciae 
clavem,  juxta  morum  suorum  qualitatem  desiderans  justitiam,  custo- 
diens  pietatem...  Hec  est  enim  gens  quae  fortis  dum  esset  et  valida 
romanorum  jugum  durissimum  de  suis  cervicibus  excusserunt  pu- 
gnando  »  (Ptologue  1)...  «  quia  ceteris  gentibus  juxta  se  positis  for- 
tittidinis  brachio  praeminebant,  ita  etiam  legis  auctoritate  prœcelle- 
rent  »  (Prologue  II)  (éd.  Hessels,  422-3). 


160  LIVRB   IV.   —   CHAPITRE   I. 

du  X*  siècle  célèbrent  à  Tenvi  ou  regrettent  de  voir  s'affai- 
blir*. Parmi  eux  on  peut  ranger  Abboa.  Les  élans  de  son 
patriolisme  sont  neustrieos,  je  le  veux  bien,  avec  M.  Mo- 
nod' ,  mais  leur  source  profonde  n*est  pas  un  patriotisme 
de  clocher,  elle  est  franque.  Aux  Francs  s'adresse  son 
apostrophe  finale.  Il  les  conjure  de  revenir  aux  vertus  de 
leurs  aïeux  qui  ont  créé  leur  domination,  et  de  quitter  les 
vices  qui  la  font  péricliter.  Vices  de  dominateurs,  en  effet  : 
l'orgueil,  la  volupté,  le  luxe'.  Le  prestige  extérieur  de  la 


*  «  In  illo  lempore  propler  excellenliam  gloriosissini  Caroli,  Galli  et 
Aquitani,  Edui  et  Hispani,  Alamanni  et  Baioarii,  non  parum  insigni- 
tos  se  gloriabantur,  si  vel  nomine  Francorum  servonim  censeri  mère- 
reutur.  »  (De  Gestis  Karoli  magni  (Moine  de  Saint-Gall),  I,  ch.  XI 
HF.  V.  1 10  D.  —  SS.  II ,  p.  735). 

u  Imperalor  (Louis  le  Pieux)  suspectos  Francorum  primores  ha- 
bens,  Germaniœ  populos...  evocat,  Saxones  videlicet,  Thoringuos, 
Baioarios  alque  Alemannos  ;eisque  quos  virtute  Francorum  pater  ar- 
mis  subegeratj  regni  statum  incomposite  committit..  Libertate  igitur 
Transrhenani,  ac  si  ob  tutelam  imperatoris,  adepta,  vitiis  sese  omnem 
que  subdidere  exercitum  »  {Miracles  de  saint  Bcnott,  Adrevald,  I,  27i 
p.  61).  — Adde,  Raban  Maur,  De  oblatione puerorum  (Mabillon,  Ann, 
Ord,  S.B.,  II.  732.  —  Migne,  107,  c.  432).  Répondant  k  Gottschalk  qui 
récusait  le  témoignage  des  Francs  pour  se  prévaloir  de  celui  des  Saxons, 
R.  Maur  s'écrie  :  «  Comment  concilier  aux  yeux  de  Dieu  et  aux  yeux 
des  hommes,  que  ceux  qui  sont  inférieurs  en  vertu  et  en  dignité  mé- 
prisent ceux  qui  leur  sont  supérieurs  et  rejettent  comme  indignes  de 
tout  honneur  ceux  auxquels  ils  devaient  se  soumettre  (respuentes  ab- 
jiciant,  quibus  subjici  oportebat)?  qui  ignore  donc  que  les  Francs, 
devenus  chrétiens  avant  les  Saxons,  soumirent  ces  derniers  par  les 
armes,  et,  en  qualité  de  souverains^  les  convertirent  au  christia- 
nisme »  (Ebert,  Hist,  yen,  de  la  littcr.  du  M.  il.,trad.  fr.,  II,  p.  156-7)  : 
*<  Quis  enim  ignorât...  Francos  ante  Saxones  in  Christi  fide  ac  reli- 
gione  fuisse,  (}uos  ipsi  postmodum  suae  dominationi  subegerunt  ar^ 
mis,  atque  superiores  cffecti,  dominorum  ritu,..  ad  fidem  Christi  con« 
verterunt.  » 

'^  Monod,  De  l'opposition  des  races,  p.  13-14. 

'  u  Francie  où  te  caches-tu?  Rappelle-toi  tes  forces  premières, 
gn\ce  auxquelles  tu  as  vaincu  et  tu  t*es  soumis  des  royaumes  plus  grands 
que  toi.  Un  triple  vice  fait  ton  malheur.  L'orgueil,  la  honteuse  pas* 


LES  DESTINÉES   DU  DROIT  ROYAL.  161 

race .  ne  s'en  affirmait  que  mieux  au  regard  des  peuples 
plus  barbares,  mais  la  durée  et  la  solidité  de  leur  supré- 
matie s'en  trouvaient  ébranlées. 

Cette  suprématie  se  manifeste  à  tous  les  degrés.  Elle 
est  au  ix*  siècle  aussi  effective  et  réelle  qu'elle  est  honori- 
fique. La  population  franque  tout  entière  y  participe, 
comme  en  témoigne  le  chiffre  de  son  wergeld,  plus  élevé 
non  seulement  que  celui  du  «  romanus  »,  mais  que  celui 
aussi  des  peuples  germaniques  les  plus  récemment  et  les 
plus  violemment  réduits  par  les  armes,  les  Frisons,  les 
Saxons*.  Elle  jouit  d'une  protection  spéciale  des  pou- 
voirs publics  et  les  comtes  palatins  ont  pu  avoir  pour  mis- 
sion de  la  lui  assurer  dans  les  diverses  parties  du  ter- 
ritoire*. L'aristocratie  franque  a  le  monopole  des  fonc- 
tions, le  monopole  de  l'autorité.  Enfin,  au-dessus  de  tous, 
le  roi  franc  incarne  en  sa  personne  la  suprématie  de  la 

sion  de  la  volupté,  l'excès  du  luxe  des  habits  t'ôtent  à  toi-même  »  : 

Francia  cur  lalitas  ?  vires  narra,  peto,  priscas. 
Te  majora  triumphasti  quîbus  atque  jugasti 
Régna  tibi  ;  propler  vitium  triplexque  piaclum. 
Quippe  supercilium,  Veneris  quoque  fœda  venustas, 
Ac  veslis  preliosœ  elatio  te  tibi  tollunt. 

La  description  que  fait  ensuite  Abbon  du  costume  somptueux  des 
Francs  devance  les  reproches  analogues  que  Raoul  Glaber  adressera, 
deux  siècles  plus  tard,  aux  Aquitains  :  «  Une  fibule  d*or  fixe  le  haut 
de  ton  vêtement.  Tu  te  réchaufTes  avec  la  pourpre  tyrienne.  Pour  te 
couvrir,  il  ne  te  faut  pas  moins  qu'une  chlamyde  dorée.  Une  ceinture 
ornée  de  pierreries  est  seule  digne  de  te  serrer  les  reins,  des  lamelles 
d'or  de  te  couvrir  les  pieds.  Voilà  ce  que  tu  fais,  Francie,  et  ce  que  ne 
fait  nulle  autre  nation.  Quitte  ces  vices  si  tu  ne  veux  perdre  tes  forces 
et  ton  empire  héréditaire  »  (vires  regnumque  paternum). 

(Abbon,  De  bello  Paris.,  II,  v.  596  et  suiv.). 

*  Capitul.  Leg.  add.  c.  2  (816)  :  «  De  omnibus  debitis  solvendis 
sicut  antiquitus  fuit  constitutum,  per  duodecim  denarios  solidus  solva- 
tur  per  totam  salicam  legem,  excepto  leudes,  si  Saxo  aut  Jrisio  Sali- 
cum  occiderit,  per  XL  denarios  solidi  solvantur.  »  (I,  269). 

*  Voyez  infrà,  chap.  de  la  Pairie. 

F.  —  Tome  IIÏ.  il 


162  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  I. 

race  et  l'exerce  sur  toutes  les  nationalités  de  Germanie, 
d'Italie  et  de  Gaule. 

En  connexité  étroite  avec  la  suprématie  de  la  race  s'est 
développée,  au  sein  de  celle-ci,  la  prééminence  successive 
de  deux  familles  royales.  Avant  les  invasions,  les  Francs 
formaient  une  fédération  placée  sous  l'hégémonie  des  Francs 
salions*.  Elle  est  composée  au  iv*  siècle  des  Saliens,  des 
AUuarii*,  des  Bructères,  des  Chamaves,  des  Ampsivariiyel 
des  Caltes*.  Les  chefs  de  ces  diverses  peuplades,  autres 
que  la  salienne,  étaient  des  rois  en  sous-ordre,  subreguli^^ 
regales,  principes^  le  chef  des  Saliens  était  le  roi  suprême, 
le  véritable  rex  Francorum.  Il  était  choisi  dans  le  clan  des 
Merovingi^  qui  donna  ainsi  son  nom  à  la  peuplade  salique. 
Mais  les  Ampsivarii,  les  Bructères,  les  Chamaves  s'unirent 
en  une  sous-fédération ,  établie  le  long  du  Rhin  et  que 
distingua  le  nom  collectif  de  Ripuaires,  tandis  que  les  Ai- 
tuarii  se  fondirent  dans  la  nation  des  Saliens,  et  que  les 
Catles  se  détachèrent  en  un  groupe  qui  occupa  la  Hesse. 

Le  roi  salien  Clovis  transforma  la  fédération  des  Francs 
saliens  et  des  Francs  ripuaires  en  une  monarchie  unitaire, 
en  éliminant  les  rois   de  ces  derniers.   Il  réalisa  donc 

'  u  Julianus...  primos  omnium  Francos,  eos  videlicet  quos  consue- 
tudo  Salios  appellavit,  ausos  olim  in  Romano  solo  apud  Toxiandriom 
locum  habitacula  sibi  figere  prœlicenler  »  (358,  Ammien  Marcellin^ 
XVII,  8).  —  Brunner,  I,  p.  43. 

*  «  Regionem...  Francorum  quos  Attuarios  vocant  »  (-4m.  Ifarc., 
XX,  10). 

'  «  Transgressus  Rhenum,  Bricteros  ripae  proximos,  pagum  etîam 
quem  Chamavi  incolunt  depopulatus  est,  nullo  unquam  occursante, 
nisi  quod  pauci  ex  Ampsivariis  et  Catthis,  Marcomere  duce,  in  ulterio- 
fibus  collium  jugis  apparuere  »  (SuJpice  Alexandre,  cité  par  Grégoire 
de  Tours,  II,  9  (SS.  rer.  merov.,  I,  p.  75).  —  Sur  toutes  ces  peupla- 
des, voyez  Schrœder,  Die  Pranken  und  ihr  Recht  (Z.  der  Savigny 
Stift.,  II,  p.  2et  suiv.). 

^  «  Arbogastis  Sunnonem  et  Marcomere  subregulos  Francorum 
gentilibus  odiis  insectans.  »  (Sulpice  Alex.,  loc.  cit.). 


LES  DESTINÉES   DU  DROIT  ROYAL.  163 

l'unité  franque  au  profit  des  Saliens*,  et  Ton  peut  dire 
que  les  Carolingiens  la  continuèrent  au  profit  des  Ripuaires, 
dont  ils  faisaient  partie  et  dont  ils  suivaient  la  loi. 

Mérovingiens  et  Carolingiens  prétendirent  à  un  pouvoir 
surnaturel  ou  mystique*  :  les  premiers,  un  pouvoir  païen 
que  le  baptême  de  Clovis  christianisa,  les  seconds,  un 
pouvoir  chrétien  que  consacra  le  pape*. 

§  2.  —  L'unité  du  Regnum  Francorum  et  la 
prééminence  impériale. 

Pour  que  l'unité  franque  fût  maintenue  il  était  essen- 
tiel que  la  royauté  restât  indivisible  aux  mains  du  clan 
royal.  A  l'époque  mérovingienne  elle  fut  considérée  comme 
le  patrimoine  commun  de  tous  ses  membres,  à  l'époque 
carolingienne  elle  eut  un  représentant  privilégié  dont  la 
prééminence  personnelle  devait  incarner  l'unité  dans 
toute  sa  force. 

M.  Brunner  a  remarqué  très  justement  que  les  partages 
mérovingiens  ne  constituaient  que  des  partages  d'adminis- 
tration etde  jouissance  et  non  des  partages  de  la  royauté*. 
Moins  encore  étaient-ils  des  partages  d'un  royaume 
territorial.  La  territorialité  n'existe  qu'indirectement.  Cha- 
cun des  copartageants  règne  en  droit  sur  l'ensemble  des 
Francs  et  des  peuples  qui  dépendent  d'eux,  il  gouverne 
en  fait  certains  groupes  de  population.  Sa  domination  ter- 

*  C'est  pourquoi  le  nom  de  Merovingi,  comme  plus  tard  le  nom  de 
Carlingi,  servit  à  désigner  les  Francs  :  «  Franci  et  prius  Merovingi 
vocati  sunt»  (Rorico,  Gesta  Francorum^  H.  F.  III,  4  C). —  Beowulf, 
V.  2912  et  2920-1,  éd.  Holder  (Leipzig,  1895)  :  Froncum  =  Mère- 
wioingas,  —  M er ovin gia  devint  de  même  synonyme  de  Francia  ;  «  ad 
fînem  Merovingiœ,  ad  quam  pertinebat  illo  in  tempore  »  (Abbatia 
Broniensis).  Vie  de  saiîit  Gérard,  Mab.  S.  B.  V,  274). 

2  II  s'est  transmis  aux  Capétiens  dans  la  vertu  miraculeuse,  que 
Je  peuple  leur  attribuait,  de  guérir  les  écrouelles. 

3  Infrà,  chap.  2,  §4. 

*  Brunner,  Deutsche  Rechtsycschichte,  II,  p.  26. 


164  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

ritoriale  directe  ne  porte  que  sur  des  villes,  des  vilUe^  des 
terres  publiques,  et  n'est  au  fond  qu'un  droit  de  propriété. 
Théoriquement  donc  le  royaume  reste  un,  et  chacun  des 
multiples  rois  est  si  bien  rex  Francorum  que,  s'il  devient 
roi  unique,  c'est  par  une  consolidation  de  son  titre  et  non 
point  par  acquisition  d'un  titre  nouveau  qu'il  le  devient.  La 
date  de  son  premier  avènement  est  la  seule  qui  entre  en 
ligne  pour  la  computation  des  années  de  son  règne,  aussi 
bien  pour  ses  nouveaux  sujets  que  pour  ses  sujets  anciens  *. 
Les  Carolingiens  ne  se  contentèrent  pas  de  cette  unité 
théorique,  ils  la  voulurent  effective.  L'Église  les  y  conviait, 
les  institutions  impériales  de  Rome  et  de  Byzance  leur 
fournissaient  le  modèle.  Pour  s'en  convaincre  it  est  néces- 
saire de  mettre  en  lumière  le  véritable  caractère  de  l'em- 
pire fondé  par  Charlemagne.  Les  historiens  qui  y  ont  vu 
une  restauration  ou  même  une  translation  de  l'empire 
romain,  et  ont  cru  que  la  dignité  impériale  avait  été,  au 
nom  des  Romains,  conférée  au  monarque  franc  par  le  sou- 
verain pontife,  sont  tombés  dans  une  grave  méprise*. 

*  Brunner,  loc,  cit, 

2  Dans  un  livre  qui  a  paru  quand  ce  chapitre  était  à  rimpression, 
M.  Kleinclausz  {Uempire  carolingien,  ses  origines  et  ses  transforma- 
tions, Paris,  1902)  reconnaît  que  l'empire  de  Charlemagne  n'était  ni 
une  reconstitution  faite  par  la  volonté  du  pape  et  des  Romains  de 
l'empire  d'Occident  ni  une  translation  de  l'empire  [de  Byzance  à 
Rome  ;  que  cet  empire  était  essentiellement  franc,  comme  caractère 
et  comme  organisation,  qu'il  n'était  pas  romain,  quoique  son  chef 
pût  se  donner  pour  le  successeur  des  empereurs  de  Rome.  Je  me 
trouve  ainsi  d'accord  avec  cet  érudit  sur  beaucoup  de  points,  mais 
il  me  semble  assigner  une  origine  inexacte  à  l'empire  carolingien.  Sa 
source  aurait  été  la  volonté  populaire  :  «  Empereur  établi  par  tous,  tel 
a  été  Charlemagne...  Toute  la  société  chrétienne  d'Occident  se  trouva 
réunie  pour  consommer  l'œuvre  dé  trois  siècles  et  donner  à  Tempire 
de  Charlemagne  la  base  la  plus  large  et  la  plus  populaire  qui  fût  ja- 
mais »  (p.  199-200).  Si  donc  Charlemagne  est  devenu  empereur  c'est 
que  les  peuples  dont  il  était  le  chef  l'ont  voulu,  l'ont  décidé  ainsi. 
Mais  où?  Quand?  A  quel  titre?  suivant  quelles  idées  ou  traditions? 
De  tout  cela  nulle  trace  dans  aucun  document,  nulle  preuve  fournie. 
Par  une  étrange  contradiction  l'auteur  laisse  même  entendre  (p.  394, 


LES  DESTINÉES   DU   DROIT   ROYAL.  165 

Charlemagne,  s'il  avait  songé  par  avance  à  prendre  le 
titred'empereur  n'avait  entendu  le  tenir,  comme  la  royauté 
dont  il  rehaussait  l'éclat,  que  de  la  volonté  des  Francs  et  de 
lui-même.  La  seule  apparence  qu'il  pût  devoir  aux  Romains 
la  couronne  impériale,  du  fait  que  Léon  III  l'avait  posée 
sur  son  front  dans  la  basilique  de  Saint-Pierre,  le  scanda- 
lisait. Elle  le  scandalisait  à  ce  point  qu'il  déclara  plus  tard 
que  s'il  avait  pu  prévoir  les  intentions  du  pape,  il  se 
serait  abstenu,  malgré  la  solennité  de  Noël,  de  paraître  à 
l'Église  ^  Aussi  voulut-il,  en  813,  au  couronnement  de  son 
fils  Louis,  que  toute  ambiguïté  disparût.  C'est  à  Aix-la- 
Chapelle,  en  pleine  Francie,  aux  acclamations  des  Francs 
et  non  des  Romains,  par  la  main  de  l'empereur*,  et 
non  par  la  main  du  pape,  peut-être  même  en  prenant 
de  sa  propre  main  la  couronne  d'or  sur  l'autel  pour  s'en 
ceindre  le  front',  que  Louis  est  couronné.  Nul  ne  pourra 

note  1)  que  l'élection  a  été  faite,  au  nom  de  tous,  par  le  pape  et  les 
Romains.  Ce  qui  n'est  qu'un  retour  à  l'opinion  ancienne. 

La  vérité  est,  comme  je  le  montre,  que  Charlemagne  ne  tenait  sa 
puissance  ni  du  consentement  populaire  ni  du  pape,  et  qu'il  ne  leur 
dut  pas  davantage  son  titre  impérial.  Comment  les  Francs  auraient- 
ils  pu  avoir  la  pensée  de  faire  de  leur  roi  un  empereur  romain  ?  et  de 
quel  droit  les  peuples  soumis  aux  Francs  auraient-ils  pu  le  préten- 
dre ?  Ni  la  prééminence  carolingienne,  ni  la  prééminence  franque  ne 
pouvaient  être  mises  en  question.  Si  Ton  veut  retrouver  la  volonté 
populaire,  c'est  jusqu'à  l'élection  de  Pépin  qu'il  faut  remonter. 

^  «  Quo  tempore  imperatoris  augusti  nomen  accepit,  quod  primo 
in  tantum  aversatus  est,  ut  affirmaret  se  eo  die,  quamvis  praecipua 
festivitas  esset,  ecclesiam  non  intraturum,  si  pontifîcis  consilium 
prsBScire  potuisset.  »  (Eginhard,  Vita  Karoli,  cap.  28,  éd.  Teulet,  I, 
p.  88. 

*  c  Congregatis  solempniter  de  toto  regno  Francorum  primoribus, 
cunctorum  consilio,  consortem  sibi  totius  regni  et  imperialis  nominis 
beredem  constituit,  impositoque  capiti  ejus  diaderaate,  imperatorem 
et  augustum  jussit  appellari  »  (Eginhard,  cap.  30;  I,  p.  92).  —  «  Per 
coronam  auream  tradidit  ei  imperium,  populis  acclamantibus  et  dicen- 
tibus  :  Vivat  imperator  Ludovicus,,.  tradidit  que  ei  jus  regni  «  (Chron. 
de  Moissae,  ad  an.  813,  H.  F.,  V,  p.  83  A-B). 

•  C'est  la  tradition  qu'a  conservée  la  chanson  de  geste  le  Cou- 


166  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

donc  prétendre  que  la  source  de  son  aulorilé  est  romaine. 
Il  apparaît  aux  yeux  de  tous  comme  le  représentant  «  d'une 
autorité  vraiment  nationale,  d'un  pouvoir  assez  fort  pour 
refaire  un  monde  nouveau  dans  Vunité  et  la  gloire  de  la 
nation  franque^  ». 

L'empire  de  Charlemagne  et  de  Louis  le  Débonnaire 
n'était  que  la  royauté  franque  parée  d'un  titre  plus  écla- 
tant, plus  propre  à  frapper  les  imaginations  et  à  inspirer 
le  respect.  Ce  titre,  Charlemagne  considérait  qu'il  y  avait 
droit,  puisqu'on  fait  sa  puissance  égalait  ou  dépassait  celle 
des  anciens  empereurs,  puisqu'il  avait  hérité  ou  conquis 
la  Gaule,  l'Allemagne  et  l'Italie*,  et  il  lui  semblait  néces- 
saire pour  assurer  à  sa  domination  la  stabilité  qu'avait 
eue  l'empire  romain.  Mais,  avant  de  le  prendre,  une  ques- 
tion de  forme  légale,  de  protocole  au  moins,  devait  être 
réglée.  Les  empereurs  de  Byzance  étaient  en  possession 
du  titre  :  on  ne  connaissait  pas  d'autre  empereur  qu'eux, 
ils  étaient  les  seuls  successeurs  légitimes  de  la  couronne 
impériale.  C'est  donc  avec  eux  qu'il  fallait  tout  d'aborJ 
traiter  ou  s'entendre,  et  tout  me  prouve  que  Charlemagne 
n'a  jamais  varié  d'opinion  sur  ce  point.  Mais  le  pape  brus- 
qua l'événement.  Il  couronna  par  anticipation,  il  salua  du 

ronnement  de  Louis,  v.  72-73.  —  Elle  est  d'accord  avec  le  récit  de 
Thégan  {De  gestis  Ludovici  PU,  cap.  I,  6,  H.  F.  VI,  p.  75-76)  : 
«  Interrogans  omnes  a  maximo  usque  ad  minimum  si  eis  placuisset 
ut  nomen  suum,  id  est  Imperatoris,  filio  suo  Ludowico  tradidisset... 
super  quod  (allare)  coronam  auream,  aliam  quam  ipse  gestabat  in  ca- 
pite  suo,  jussil  poni...  Tune  jussit  eum  pater,  ut  propriis  manibus 
coronam  (juœ  oral  super  altare  elevaret  et  capiti  suo  imponeret  ». 

*  Lapôtre,  L'Europe  et  le  Saint-Siège,  p.  236. 

2  «  Qui  jam  re  ipsarector  et  imperator  plurimarum  erat  nationum, 
nomen  quoque  imperatoris  Cœsaris  et  Augusti...  »  (Moine  de  Saint- 
Gall,  1. 26).  —  «  Qui  ipsam  Romam  tenebat,  ubi  seraper  Cœsares  sedere 
soliti  erant,  seu  reliquas  sedeSj  quas  ipse  per  Italiam,  seu  Galliam 
necnon  et  Germaniam  tenebat  »  [Chron.  de  Moissac,  Mùhlbacher  Re- 
gesten,  2*  éd.,  p.  370).  —  Dès  794,  les  Lihri  Carolini  portent  cet  inti- 
tul<^  :  «  Incipit  opus  Caroli,  nutu  Dei  régis  Francorum,  Gallias,  Ger^ 
maniam  Italiamque  regentis  »  (Migne,  98,  999). 


LBS  DBSTINiSS   DU   DROIT   ROTAL.  167 

titre  d'Auguste  S  et  6t  saluer  de  ce  titre  par  les  Romains, 
le  roi  des  Francs  qui  n'était  encore  empereur  qu'en  fait  et 
non  eu  droit. 

Par  là,  un  nouvel  étal  de  choses  se  créait  auquel  Char- 
lemagne  ue  pouvait  plus  se  soustraire.  Il  dut  prendre,  il 
prit  le  titre  impérial,  sans  attendre  que  les  négociations 
avec  Byzance  eussent  abouti.  C'était  une  situation  transi- 
toire que  le  traité  conclu,  en  812,  avec  l'empereur  Michel" 
régularisa  rétroactivement  et  fixa  pour  l'avenir,  sans  mo- 
difier, du  reste,  en  rien  le  caractère  de  la  domination  caro- 
lingienne. Ce  caractère  était  uniquement /ranc  comme  celui 
de  la  royauté  l'avait  toujours  été'.  Seul  le  titre  officiel  était 
changé*,  et  légalement  le  pape  et  les  Romains  n'y  furent 

*  «  Léo  papa  coronam  capiti  ejus  imposait,  cunclo  Romanorum  po- 
pulo acclamante  :  Karolo  Augusto,  a  Deo  coronato,  magno  et  pacifico 
imperatori  Romanorum  vita  et  Victoria  »  [Annales  royales  dites 
d'Eginhard,  ad  an.  801,  éd.  Teulet,  I,  p.  248). 

«  Muhlbacher,  Regesten^  2e  édit.,  n«  470  b.,  p.  210-211. 

'  Ni  la  résidence,  ni  le  genre  de  vie,  ni  Torganisation  gouverne- 
mentale ne  changèrent  de  caractère  ou  d'aspect.  Aiz  demeura  la  ca- 
pitale, le  principe  de  gouvernement  fut  toujours  la  protection  quasi- 
familiale  ou  mundiunif  le  costume,  le  costume  franc.  Comme  Quicherat 
Ta  observé  (d'après  Eginhard,  Vita  Karoli,  23;  ce  ne  fut  qu*à  la  sol- 
licitation du  pape  que  Charlemagne  avait  consenti,  le  jour  où  il  fut  à 
rimproviste  couronné,  à  s'habiller  en  patrice  de  Rome.  «  Quelque  fût, 
ajoute-t-il,  son  attachement  aux  souvenirs  de  la  grandeur  romaine,  il 
mettait  au-dessus  l'honneur  de  commander  à  la  nation  des  Francs  » 
{Histoire  du  costume  en  France,  2*  édit.,  Paris,  1877,  p.  112). 

*  Nithard  le  fait  dire  en  propres  termes  par  Lothaire  :  «  Propter 
dignitatem  imperii,  quam  avus  regno  Francorum  adjecerat  »  (IV,  3). 

Le  titre  fondamental  est  toujours  le  titre  de  rex  Francorum.  En 
806,  Charlemagne  s'intitule  :  «  Imperator  Cœsar  Karolus,  rex  Franco- 
rum invictissimus  et  Romani  rector  imperii  »  (Divisio  rcgnif  préam- 
bule, LL.  Capit.  I,  p.  126  a).  —  Le  titre  d'empereur,  nomen  imperiiy 
imperatoriSy  est  du  reste  général  (K.  serenissimus  augustus,  a  Deo 
coronatus  magnus  padficus  imperator)  (Epist,  et  diplom.  H.  F.,  V, 
p.  268  et  suiv.)  et  si  Charlemagne  le  fit  suivre  immédiatement  du  ti- 
tre de  gouvernant  de  l'empire  romain  (Romanum  imper ium  gubernans) 
(t6id),  c'est  que  ce  dernier  titre  sonnait  le  mieux  aux  oreilles  latines 


168  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE   I. 

pour  riea.  De  quel  droit  Tévêque  de  Rome  aurait-il  disposé 
de  la  couronne  impériale  qui  appartenait  à  Byzance?  La  cé- 
rémonie du  couronnement  avait- elle  été  autre  chose  qu'un 
pur  apparat*,  une  pure  fiction,  motivée,  aux  yeux  des  chro- 
niqueurs par  la  circonstance  —  vieille  de  vingt  ans  —  que 
le  trône  impérial  était  occupé  par  une  femme*?  Et  qu'aurait 
pu  y  ajouter  Tonction  papale?  Sa  valeur  traditionnelle  était 
nulle,  puisque  le  sacre  n'avait  jamais  été  d'usage  pour  les 
empereurs  romains  oubyzantins^  et  qu'ainsi  il  était  plus 
propre  à  assimiler  le  roi  des  Francs  à  un  David  ou  à  un 
Salomon  qu'à  un  Constantin.  L'onction  n'était,  suivant  l'ex- 
pression d'un  écrivain  peu  suspect  de  défaveur  pour  les 
droits  du  Saint-Siège,  «  qu'une  sorte  d'infusion  surnatu- 
relle, uniquement  destinée  à  fortifier  dans  la  grâce  divine  la 
puissance  humaine  »  préexistante.  Il  est  très  certain,  du 

et  éveillait  diiectement  la  grande  image  de  la  majesté  romaine.  Les 
contemporains  ne  s'y  sont  pas,  du  reste,  mépris.  L'empire  de  Char- 
lemagne  n'est  point  pour  eux  Tempire  romain,  mais  l'empire  des 
Francs  [imperium  Francorum)  (  Vie  de  saint  Willibrod^  23),  IVmpire  des. 
Francs  paré  d'un  nom  romain  (romuleum  nomeri)  (Ermoldus  Nigel- 
lus,  II,  V.  63-69)  et  devenu  ainsi  l'empire  des  Romains  et  des  Francs 
Komanorum  Francorum  imperium,  (Agnellus,  Liber  pontif,  ep.  rav, 
166).  Cf.  Kleinclausz,  p.  340,  note,  auquel  j'emprunte  cette  citation. 
*  Elle  pouvait  tout  au  plus  consacrer  l'autorité  de  Charlemagne  sur 
le  clergé  et  le  reconnaître  pour  chef  de  l'Italie  latine,  en  qualité  de 
patrice  ou  d'exarque.  —  M.  Kleinclausz  admet  que,  dès  son  avène- 
ment au  trône  pontifical,  Léon  III,  en  lui  envoyant  les  clefs  de  Saint- 
Pierre  et  Tétendard  de  Rome,  avait  reconnu  «  la  valeur  effective  du 
patriciat  des  Romains  qu'Hadrien  s'était  toujours  obstiné  à  nier  » 
{op.ciUp.  176). 

2  Ld  chronique  de  Moissac  parlant  du  couronnement  de  Charlemagne 
à  Rome  raconte  :  «  Nuntii  delati  sunt  ad  eum,  dicentes  quod  apud 
Grœcos  nomen  imperatoris  cessasset  et  femineum  imperium  apud  se 
haberent...  Visum  est  et  ipso  apostolico  Leoni  et  universis  S.  patri- 
bus...  seu  reliquo  christiano  populo,  ut  ipsum  Carolum  regem  Fran- 
corum imperatorem  nominare  debuissent.  »  (Miihlbacher,  Regestenj 
2»  éd.,  p.  370). 

3  Cf.  Brunner,  Rechtsg.  II,  p.  20.  W.  Sickel,  GôtL  gel.  Anz.  1901, 
p.  389. 


LBS  DESTINÉES  DU   DROIT  ROYAL.  169 

reste,  que  Charlemagne  ne  fut  pas  sacré  en  qualité  d'em- 
pereur\  et  extrémenient  douteux  que  Louis  le  Débonnaire, 
en  816,  et  Lothaire,  en  824,  Paient  été  à  ce  litre*. 

Le  souvenir  de  Rome,  l'exemple  de  Byzance,  qui  avaient 
fait  germer  et  mûrir,  à  la  cour  lettrée  de  Charlemagne, 
ridée  impériale,  s'accordèrent  avec  l'intérêt  dynastique  et 
l'intérêt  franc  pour  infléchir  les  usages  germaniques  dans 
le  sens  de  la  stabilité  et  de  l'unité  centralisatrice.  Ne  fallait- 
il  pas  se  prémunir  à  la  fois  contre  l'énervement  du  pouvoir 
par  le  partage  égal  et  contre  les  incertitudes  ou  les  rivalités 
que  le  principe  électif  provoquait  et  encourageait  au  mo- 
ment de  la  vacance  du  trône?  Ce  second  péril,  le  souverain 
régnant  pouvait  le  conjurer  en  réglant  par  avance,  avec 
le  concours  du  peuple  ou  des  grands,  la  succession  à 
la  couronne.  Pour  conjurer  l'autre,  il  fallait  que  le  règle- 
ment comportât  la  désignation  d'un  successeur  unique,  ou 
mieux  encore  son  association  immédiate  au  trône,  telle 
que  l'empire  romain  l'avait  pratiquée.  L'unité  était  assu- 
rée de  la  sorte,  en  même  temps  que  la  transmission  régu- 
lière du  pouvoir  et  le  triomphe  prochain  du  principe  héré- 
ditaire sur  le  principe  électif.  Un  souverain  aussi  clair- 
voyant que  Charlemagne  ne  pouvait  manquer  d'en  avoir 
conscience,  mais  il  ne  lui  appartenait  pas  de  rompre  en 
visière  avec  la  coutume  de  l'égalité  de  droits  des  enfants. 

En  806,  il  partagea  ses  États  entre  ses  trois  fils.  Il  fit 
une  divisio  regni^j  un  partage  territorial,  suivant  les  idées 
romaines.  Que  devenait  alors  l'unité  de  l'empire  franc, 

*  Lapôtre,  op.  cit.,  p.  234. 

2  Liber  pontificaliSy  éd.  Duchesne,  II,  p.  7,  38. 

'  Cf.  Kleinclausz,  p.  292,  p.  394.  Le  père  Lapôtre  veut  expliquer 
Tomissiondu  sacre  pour  Charlemagne  et  Louis  le  Débonnaire  par  la 
circonstance  «  qu'ils  avaient  déjà,  comme  rois,  reçu  l'onction  des 
mains  du  pape  »  (p.  233).  Cette  raison  ne  suffit  pas,  puisque  les  em- 
pereurs de  la  fin  du  ix*  siècle,  Louis  II,  Charles  le  Chauve,  furent  sa- 
crés comme  empereurs  après  l'avoir  été  comme  rois.  Nous  verrons 
que  s'ils  le  furent,  c'est  que  la  dignité  impériale  avait  changé  de  na- 
ture. 


170  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

de  la  monarchie  franque?  On  a  pensé  que  Charlemagne 
Tavait  sacrifiée,  parce  qu'il  mettait  ses  trois  fils  sur  la 
même  ligne  et  ne  conférait  à  aucun  le  tilre  d'empereur. 
Je  ne  saurais  le  croire.  Le  litre  en  définitive  était  secon- 
daire, il  était  extérieur;  Charlemagne  a  dû  le  considérer 
d'abord  comme  purement  personnel,  le  tenant  même, 
nous  l'avons  vu,  pour  suspect  d'ambiguïté;  il  appelle 
ses  États  indifféremment  regnum  ou  imperium\  L'essen- 
tiel était  la  qualité  de  chef  de  la  nation  franque.  Or  cette 
qualité  c'est  l'aîné,  c'est  Charles  qui  l'obtient,  puisqu'à 
lui  seul  échoit  la  Francia  tout  entière,  Neustrie  et  Aus- 
trasie,  le  cœur  de  la  nationalité  franque  avec  Aix,  qui  en 
était  la  tête.  Il  devait  avoir,  à  ce  titre,  une  prééminence 
sur  ses  deux  frères,  il  devait  être  le  véritable  rex  Franco- 
rum.  Aussi  devint-il  de  suite  l'unique  aller  ego^  Vad  lalus 
de  l'empereur,  et  c'est  apparemment  pour  ménager  l'a- 
mour-propre  des  puînés,  et  ne  pas  heurter  de  front  régalilé 
de  droil,que  sa  prééminence  ne  fut  établie  qu'implicitement. 

Ces  ménagements  devinrent  inutiles  quand,  après  la 
mort  de  Pépin  et  de  Charles,  Louis  n'eut  plus  en  face  de 
lui  qu'un  bâtard  de  Pépin.  Il  fut  couronné  roi  et  empe- 
reur des  Francs  (813)  et  Bernard  réduit  à  la  condition  de 
roi  en  sous-ordre. 

Le  précédent  ainsi  créé  par  le  grand  empereur,  l'accou- 
tumance des  esprits  à  l'idée  de  centralisation  unitaire, 
l'acceptation  par  l'opinion  du  droit  du  souverain  régnant 
de  présider  à  l'intronisation  de  son  successeur  parurent 
pans  doute  suffisants  à  Louis  le  Débonnaire,  conseillé  et 
appuyé  par  l'élite  dont  Wala  était  l'âme",  pour  attribuer, 
en  817,  la  même  prééminence  à  son  fils  aîné,  en  lui  desti- 
nant la  couronne  impériale. 

*  Divisio  regni  de  806. 

>  L'inspiration  et  le  but  sont  très  bien  marqués  par  le  biographe 
de  Wala  qui  dit  de  celui-ci,  au  sujet  de  Pacte  constitutionnel  de  8!7  : 
«  Voluit  ut  unitas  et  dignitas  totius  imperu  maneret  »  {Vie  de  Wala^ 
II,  iO;Mabillon,  S.  B.,  IV,  1). 


LES  DESTINÉES  DU   DROIT   ROYAL.  171 

Il  est  très  frappant  que  les  droits  revendiqués  plus  tard 
par  le  roi  de  France  à  l'égard  des  chefs  de  population 
qu'on  est  convenu  d'appeler  grands  vassaux  de  la  cou- 
ronne et  la  subordination  à  laquelle  il  voulut  les  soumet- 
tre, qu*ils  se  qualifiassent  comtes,  ducs  ou  rois,  se  trou- 
vent en  germe  dans  l'acte  de  817.  Vous  y  trouverez  de 
même  proclamé  ouvertement  le  principe  d'unité  nationale 
que  la  royauté  capétienne  prétendra  incarner*.  A  ce  prin- 
cipe Louis  le  Débonnaire  ne  craint  pas  de  sacrifier  l'é- 
galité de  partage,  et  il  s'en  justifie  en  invoquant  l'in- 
térêt de  l'Église  et  l'inspiration  divine*.  Ce  n'est  donc  pas 
—  Boretius  l'a  très  bien  remarqué'  — aune  divisio  regni 
qu'il  procède,  c'est  à  une  ordinatio  imperii.  Un  seul  de  ses 
fils,  l'aîné  Lothaire,  sera  son  successeur  et  son  associé 
(consors).  Il  est  censé  élu  par  le  peuple.  Il  sera  empereur, 
ses  frères  ne  seront  que  rois,  et  rois  subordonnés.  Dans 
les  territoires  qu'on  leur  assigne,  ils  exerceront  la  part  de 
pouvoir  qui  leur  est  laissée  sous  l'autorité  de  leur  aîné, 
sub  seniore  fratre^ .  Celui-ci  a  la  major  poiestas*. 

Les  deux  rois  sont  en  réalité  des  délégués,  des  repré- 
sentants du  pouvoir  impérial.  La  condition  faite  à  leurs 
royaumes  peut,  dans  une  certaine  mesure,  être  assimilée 
à  un  protectorat.  Sur  leurs  affaires  privées  et  l'adminis- 
tration de  leurs  peuples,  l'empereur  n'a  qu'un  droit  de  haut 
contrôle,  mais  les  relations  extérieures  relèvent  unique- 
ment de  lui.  Seul,  il  représente  le  pays  vers  le  dehors,  il  a 
le  droit  de  paix  et  de  guerre  (cap.  6-7),  il  négocie  tous  les 
traités  importants  (cap.  8). 

'  «  Nequaquam  nobis  nec  his  qui  sanum  sapiunt,  visum  fuit  u 
amore  filiorum  aut  graliâ,  unUas  imperii  a  Dec  nobis  conservati  divi- 
sione  humanâ  scinderetur.  »  Préamb.  (LL.  Capit.,  I,  p.  270). 

*  «  Ne  forte  hac  occasione  scandalum  in  sancta  ecclesia  oriretur, 
necessarium  duximus  ut  jejuniis  et  orationibus...  obtineremus  quod 
nostra  inûrmitas  non  prœsumebat.  »  {Ibid.,  p.  270-271). 

'  CapUul.,  t.  I,  loc.  cit. 

*  «  Sub  seniore  fratre  regali  potestate  potiantur,  »  (Ibid.,  p.  271). 

*  «  Ei  major  potestas  Deo  annuente  fuerit  adtributa.  »  (Cap.  5). 


172  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

Les  droits  et  les  devoirs  des  rois  sont»  en  grande  par- 
tie, analogues  à  ceux  des  comtes  :  l**  ils  doivent  apporter 
un  don  annuel  (cap.  4);  2**  ils  doivent  protéger  les  églises 
elles  pauvres,  ne  pas  exercer  de  tyrannie;  faute  de  quoi 
l'empereur  peut  les  destituer  (cap.  10);  3**  quand  ils  meu- 
rent, un  de  leurs  fils  doit  être  élu  pour  leur  succéder 
(cap.  14)  :  s'ils  n'ont  pas  de  fils  légitimes,  leur  royaume 
fait  retour  à  l'empereur  (cap,  15),  s'ils  ont  un  fils  en  bas 
âge,  l'empereur  l'a  en  sa  baillie  (cap.  16);  4**  ils  ne  peu- 
vent se  marier  sans  le  consentement  de  leur  chef  suprême 
(cap.  13). 

D'autre  part  :  1°  ils  disposent  des  honores^  des  fonc- 
tions, à  l'intérieur  de  leur  royaume  (cap.  3);  2*  ils  y  per- 
çoivent cens  et  impôts  (cap.  12). 

Chacun  sait  les  luttes  auxquelles  donna  naissance  l'acte 
de  817,  mais  on  n'a  peut-êire  pas  assez  remarqué  que 
l'unité  impériale  franque  en  élait  l'enjeu*.  Vaincu,  Lo- 
thaire  ne  peut  plus  se  prévaloir  de  son  titre  d'empereur 
pour  prétendre  à  une  suprématie  sur  les  royaumes  de 
ses  frères*.  Mais  quelle  en  fut  la  suite?  Celle-ci.  La 
dignité  impériale,  au  lieu  d'être  comme  par  le  passé 
une  dignité  franque^  devint  une  dignité  purement  ro- 
maine^ soit   qu'on  la  considérât  comme  le  pouvoir  sur 


*  Cette  réflexion  ne  s'applique  plus  au  livre  de  M.  Kleinclausz  qui 
a  mis  au  contraire  en  parfaite  lumière  les  phases  de  la  lutte  constitu- 
tionnelle :  l'acte  de  817  violé  ouvertement  parTempereur  au  profit  du 
fils  de  Judith,  par  le  partage  de  Worms  en  829;  abrogé  par  une  cons- 
titution nouvelle  en  831  ;  remis  en  vigueur  en  833  après  la  déposition 
de  Louis  le  Débonnaire  (de  sorte  que  Lothaire  est  empereur  du  7  oc- 
tobre 833  au  15  mai  834);  écarté  par  le  pacte  de  839  qui  fait  du  titre 
impérial  un  titre  nu;  défendu  et  repris  par  Lothaire,  mais  sans  succès^ 
après  la  mort  de  l'empereur  (p.  303-338).  —  Je  ne  ferai  de  réserve  que 
sur  un  point  capital.  L^auteur  semble  croire,  avec  le  père  Lapôtre,  que, 
par  le  traité  de  Verdun  et  la  transformation  de  la  dignité  impériale, 
l'unité  théorique  de  la  domination  franque  a  été  rompue  à  tout  jamais. 

2  Cf.  Lapôtre,  op.  cit.,  p.  238-239,  qui  croit  à  tort  qu*il  y  a  eu  re- 
nonciation expresse  et  abandon  d*un  principe. 


LES  DESTINÉES  DU  DROIT  ROYAL.  173 

l'Italie  lati De  comprise,  en  843,  dans  la  part  de  Lothaire, 
soit  qu'on  y  vît  une  autorité  protectrice  de  l'église  ro- 
maine, soit  qu'on  attachât  à  la  possession  de  Rome  uiie 
idée  de  domination  universelle.  Désormais  ce  fut  Tonc- 
tion  papale,  et  non  la  volonté  des  Francs  manifestée  par 
le  couronnement,  qui  créa  l'empereur*. 

Mais  le  principe  de  la  prééminence  franque  n'en  reçut 
aucune  atteinte.  Elle  continua  à  être  acquise  au  chef 
qui  commandait  à  tout  ou  partie  de  la  nation  franque  sur 
ceux  qui  ne  commandaient  qu*à  d'autres  nationalités.  Les 
copartageants  de  Verdun,  en  843,  ont  si  bien  admis  ce 
principe  que,  pour  empêcher  Tun  d'eux  de  s'en  prévaloir 
au  regard  des  autres,  ils  ont  fait  de  chacun  d'eux  un  rex 
Francorum,  ils  ont  attribué  a  chacun  une  Francia^.  Il  y 
eut  de  la  sorte  trois  Francies  :  une  occidentale,  une  mé- 
diane,  une  orientale.  Charles  le  Chauve  eut  l'ancienne 
Neustrie  avec  Laon,  Reims  et  Chàlons,  Lothaire  une  Fran- 
da  média  s'étendant  jusqu'au  Rhin,  sauf  une  enclave  faite 
par  Spire,  Trêves  et  Cologne,  Louis  le  Germanique  le  sur- 
plus de  l'Austrasie. 

§  3.  — Les  royautés  nouvelles  et  le  droit  royal  carolingien  • 

Que  sont  devenues  les  trois  royautés  franques  qua- 
rante ans  après  le  traité  de  Verdun?  Les  copartageants 

*  Il  parut  naturel  que  le  pape  et  les  Italiens  disposassent  désormais 
de  la  couronne  impériale.  Puisqu'il  nV  avait  plus  d'empire  franc  et 
que  les  empereurs  de  Byzance  avaient  admis  la  scission  de  Tempire 
en  deux,  qui  donc  en  aurait  pu  diposer,  si  ce  n'est  le  pape,  dont  le 
pouvoir  unitaire  était  allé  croissant  pendant  que  celui  de  la  maison 
carolingienne  s'affaiblissait,  et  les  Romains  ou  les  Italiens  qui  person- 
nifiaient Tancien  empire  romain  ?  Le  pape  représenta  la  vox  Deiy  les 
Italiens,  en  se  faisant  son  écho,  la  vox  populù  Les  autres  nations  se 
bornèrent  à  ratifier  le  choix  de  Rome.  Voyez  surtout  les  actes  des 
synodes  de  Pavie  et  de  Ponthion  (876)  (Walter,  III,  p.  189-190,  LL. 
Capit.  II,  p.  99,  348). 

*  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine  (Paris,  1898),  p.  20-21. 


174  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  I. 

sont  moris.  Leur  descendance  légitime  est  éteinte  ou  près 
de  s'éteindre,  près  d'être  réduite  au  petit-Gls  en  bas  âge  de 
l'un  d'eux,  au  posthume  Charles  le  Simple.  Et  qu'advien- 
dra-t-il  alors?  Des  royautés  nouvelles  vont-elles  se  fonder 
librement,  au  gré  de  la  puissance,  de  l'intérêt  ou  du  senti- 
ment, sur  la  base  des  diversités  nationales?  Nous  savons 
déjà  qu'il  s'en  érige,  nous  savons  aussi  que  le  groupement 
ethnique  leur  sert  de  point  d'appui.  Mais  s'ensuit-il  qu'elles 
se  créent  au  mépris  et  aux  dépens  de  la  prééminence 
franque,  sous  sa  triple  forme?  Nullement.  Celte  préémi- 
nence elles  la  respectent,  bien  plus  elles  s'en  abritent  et 
l'on  peut  établir,  je  crois,  les  trois  propositions  suivantes  : 

1**  Les  royautés  nouvelles  sont  la  continuation  ou  lare- 
constitution  partielle  des  royaumes  francs  créés  par  le  par- 
tage de  843  et  par  ceux  qui  l'ont  suivi. 

2**  Les  nouveaux  rois  sont  tous  des  Francs,  des  Gallo- 
Francs,  ou  des  Francs-Germains,  apparentés  ou  alliés  aux 
Carolingiens,  etsurtout  tenant  d'eux  leur  autorité  sur  leurs 
sujets. 

3**  Tous,  ils  reconnaissent  la  prééminence  du  Carolingien 
qui,  par  son  sang  et  son  âge,  est  considéré  comme  le  repré- 
sentant légitime  de  la  dynastie. 

La  premièrede  ces  propositions  ne  nécessite  pas  de  longs 
développements.  Il  sufBt  de  remarquerque  des  cinq  royau- 
tés qui  surgissent  presque  simultanément  de  879  à  888  au- 
cune n'est  une  création  spontanée  :  toutes  procèdent  de 
dominations  franques  dont  elles  se  revendiquent  et  auxquel- 
les elles  prétendent  succéder.  Le  royaume  de  Bourgogne 
et  de  Provence  est  la  reconstitution  aux  mains  de  Boson 
du  royaume  de  Provence  de  Charles,  Bis  de  Lothaire  L  — 
Le  royaume  de  Bourgogne  transjurane  la  reconstitution 
partielle,  que  Rodolphe  I  s'efforcera  de  rendre  totale,  do 
royaume  de  Lothaire  II,  frère  de  Charles  de  Provence.  — 
La  royauté  d'Eudes  est  le  gouvernement  par  un  Gallo-Franc 
du  regnum  Francorumde  Charles  le  Chauve,  tel  que  le  traité 
de  Verdun  le  lui  avait  attribué.  —  Le  Carolingien  Arnuif 


LES   DESTINÉES   DU   DROIT  ROYAL.  175 

est  poi  de  la  Francie  orientale.  —  En  Italie  enfin,  c'est  le 
royaume  de  Louis  II,  fils  de  Lothaire  I,  que  se  disputent 
Bérenger  et  Gui. 

Voyons  maintenant  dans  quelles  conditions  ces  royautés 
sont  nées. 

1"  La  royauté  de  Bourgogne  et  de  Provence, 

La  première  en  date  des  royautés  nouvelles  est  celle 
de  Boson  —  Boson  était  certainement  un  Franc,  très 
probablement  un  Franc  austrasien  :  son  père,  le  comte  Bi- 
vin,  ou  Beuves,  se  rattachait  à  la  Lorraine  par  ses  posses- 
sions et  sans  nul  doute  par  son  origine  ;  son  grand-père 
maternel,  qui  portait  déjà  le  nom  germanique  de  Boson, 
appartenait  de  même,  selon  toute  vraisemblance,  à  l'an- 
cienne Austrasie*.  Des  deux  côtés,  la  famille  apparaît 
considérée  et  puissante',  puisqu'on  voit  les  rois  carolin- 
giens s'unir  à  elle  par  des  mariages. 

Le  roi  de  Lorraine,  Lothaire  II,  épouse  Theutberge, 
tante  maternelle  de  Boson  *  ;  Charles  le  Chauve,  en  870, 
épouse  Richilde,  la  sœur  même  de  celui-ci.  Neveu  d'un  rex 
Francorunky  beau-frère  d'un  autre,  Boson  était  étroite- 
ment allié  à  la  famille  carolingienne  ;  il  le  devint  plus  en- 
core en  épousant,  à  son  tour,  en  876,  la  fille  de  Louis  II 
le  Germanique,  l'ambitieuse  Ermengarde. 

Il  s'en  faut  que  ce  fussent  tous  ses  titres.  La  prééminence 
sur  les  populations  burgondes  et  provençales  lui  avait  été 
conférée  par  la  dynastie  carolingienne,  quand  il  fut  investi, 
en  qualité  de  duc,  d'une  vice-royauté  sur  les  anciens  sujets 
de  Charles  de  Provence.  Au  regard  de  ces  populations  c'était 

*  Gui  portait  sur  son  sceau  ces  mots  significatifs  :  Renovatio  regni 
Prancorum  (Zeller,  Hist,  d'Italie,  1886,  p.  102). 

'  Cf.  Poupardin,  Le  royaume  de  Provence,  1901,  p.  41,  p.  46. 
'  Le  frère  de  Boson,  Richard  (le  Justicier)  devint  duc  des  Bour- 
guignons. 

♦  Cf.  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine,  1898,  p.  83.  Poupardin,  op. 
cit.,  p.  46. 


176  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   I. 

là  l'essentiel .  Que  le  ducatus  se  transformât  en  royauté, 
cela  ne  touchait  qu'à  l'étendue  du  pouvoir  des  Carolingiens 
Louis  III  et  Carloman,  que  soutenait  Charles  le  Gros.  La 
limitation  du  champ  de  leur  autorité  constituait  une  victoire 
relative  de  l'autonomie  provinciale,  ethnique,  puisqu'elle 
faisait  place  à  un  chef  local,  en  communion  plus  étroite  avec 
les  sentiments  et  les  mœurs  des  peuples  qu'il  gouvernait*. 
Boson,  en  d'autres  termes,  ne  devenait  pas,  par  son  cou- 
ronnement, rex  Francorum^ y  mais  il  exerçait  désormais  à 
titre  de  roi  l'autorité  ducale  qu'il  tenait  des  Carolingiens, 
avec  la  perspective,  plus  ou  moins  lointaine,  d'étendre 
ses  États  et  le  nombre  de  ses  sujets  aux  dépens  des  royau- 
tés voisines,  soit  de  Francie  occidentale,  soit  de  Francie 
orientale  ou  de  Lorraine. 

Nous  avons  ici  la  première  apparition  du  ducatus  comme 
marche-pied  du  trône.  Elle  éclaire  d'un  jour  très  vif  les 
rapporis  de  la  royauté  et  du  principat.  Elle  est  le  précur- 
seur de  l'intronisation  temporaire  des  Robertiens,  comme 
de  l'avènement  définitif  des  Capétiens. 

A  Boson  lui-même  la  voie  avait  été  frayée  par  un  duc 
franc,  illustre  dans  l'histoire  et  dans  la  légende,  Girard  de 
Roussillon,  fils  du  comte  alsacien  Leuthard,  investi,  comme 
duc  des  Provençaux  et  des  Burgondes,d'uneautoritéquasi- 
souveraine,  et  qui,  selon  l'hypothèse  très  vraisemblable 
de  M.  Longnon  %  avait  tenté,  après  la  mort  de  Lothaire  II, 
de  créer  pour  son  compte  une  principauté  indépendante. 

*  J'aperçois  dans  les  États  de  Boson  des  groupes  ethniques  parfai- 
tement caractérisés  :  le  ducatus  Lugdunensis^  comprenant  les  provin- 
ces ecclésiastiques  de  Vienne  et  de  Lyon  (à  l'exclusion  du  diocèse  de 
Langres),  le  duché  des  Provençaux  qui  correspondait  aux  provinces 
d'Arles  et  d'Aix,  et  d'autre  part  les  provinces  de  Besançon  et  de  Ta- 
rentaise. 

2  II  aurait  fallu  pour  cela  qu'il  fût  élu  par  les  Francs  comme  suc- 
cesseur de  Louis  le  Bègue,  or  c'est  Louis  III  et  Carloman  qui  l'avaient 
été. 

3  Longnon,  Girard  de  Roussillon  dansVhistoire  (Revue  Historique, 
t.  VIII,  p.  261). 


LBS  DESTINÉES  DU  DROIT  ROYAL.        177 

Si  ce  plan  échoua,  parTactioa  prompte  et  décisive  de  Char- 
les le  Chauve,  qui  obligea  Girard  de  Roussillon  à  capituler 
et  à  se  retirer  dans  les  États  de  Louis  II,  l'idée  de  le  repren- 
dre et  de  le  réaliser  devait  venir  tout  naturellement  à  Bo- 
son.  Le  ducatus  ou  la  vice-royauté  de  la  Bourgogne  et  de 
la  Provence  ne  s'étaient-ils  pas  reformés  entre  ses  mains 
puisque  son  beau-frère  Charles  le  Chauve,  à  mesure  qu'il 
recueillait  dans  l'héritage  de  Lothaire  II  le  Lyonnais  et  le 
Viennois  (869),  et  dans  celui  de  Louis  II  la  Provence  (875), 
lui  en  confia  le  gouvernement*?  Et  n'avait-il  pas  pour  ren- 
forcer son  prestige  et  son  autorité  la  tutelle  de  l'Aquitaine, 
la  dignité  de  chambérier  du  royaume  de  Francie  occiden- 
tfide,  et  le  missaticum  ou  ducatus  d'Italie?  Le  mariage  de 
Boson  avec  la  fille  de  Louis  le  Germanique  m^apparait 
comme  le  couronnement  de  ses  visées  ambitieuses  et  je 
m'explique  fort  bien  que  les  partisans  de  Charles  le  Chauve 
l'aient  considéré  comme  une  machination  coupable  dirigée 
contre  le  souverain,  un  iniquum  conludium,  suivant  l'ex- 
pression d'Hincmar^ 

Boson  était,  du  reste,  trop  habile  pour  rompre  en  visière 
avec  son  royal  beau-frère,  mais  il  se  fit  rappeler  d'Italie 
et  remplacer  par  son  frère  Richard.  Sous  Louis  le  Bègue 
encore,  il  se  réserve  et  guette  une  occasion  propice.  Elle 
se  présente  enfin  par  la  mort  prématurée  du  roi  (11  avril 
879)  qui  laisse  sa  femme  enceinte  et  deux  jeunes  fils,  Louis 
et  Carloman,  issus  d'une  concubine.  C'est  en  fait  l'aristocra- 
tie du  pays  qui  est  maîtresse  du  pouvoir.  Boson  traite  avec 
elle  pour  échanger  son  titre  de  duc,  qu'il  tient  des  Caro- 
lingiens, contre  celui  de  roi  qu'il  devra  aux  seigneurs  ec- 
clésiastiques et  laïques  de  la  région.  Ils  le  reconnaissent 

*  Poupardin,  op,  cit.,  p.  68-69. 

'  «  Boso,  postquam  imperator  ab  Italia  in  Franciam  rediit,  Beren- 
garii  Everardi  filii  factione,  filiam  Hludowici  imperatoris,  Hirmengar- 
dem,  qu8B  apud  eum  morabatur,  iniquo  conludio  in  matrimonium 
sumpsit.  »  {Ann.  Bertin.  ad  an.  876,  éd.  Dehaisnes,  p.  243). 

F.  —  Tome  III.  12 


178  LIVRE   IV.    —  CHAPlTEœ  I. 

solennellemeDl  pour  chef  dans  le  concile  de  Mantaille  *. 
Le  rôle,  que  Ton  pourrait  appeler  cotislituanty  du  du- 
catus  ne  s'arrêla  pas  là.  II  reparut  avec  toute  sa  force  dans 
le  royaume  même  de  Boson,  sous  son  fils  Louis  l'Aveugle. 
Un  Carolingien  de  la  main  gauche,  issu  d'une  fille  illégi- 
time de  Lolhairell,  Hugues  d'Arles  ou  de  Vienne  est  à  la 
fois  comte  des  Viennois  et  comte  des  Arlésiens  ou  Proven- 
çaux*, en  réalité  régent  ou  vice-roi  des  sujets  de  Louis 

*  La  délégation  de  pouvoir  faite  par  Charles  le  Chauve  et  Louis  le 
Bègue  à  Boson  est  la  base  de  Télection  et  je  m'étonne  que  les  histo- 
riens qui  se  sont  occupés  de  la  question^  y  compris  le  plus  récent  M. 
Poupardin  (p.  100-106),  ne  s'en  soient  pas  aperçus.  Le  procès- verbal 
de  Mantaille  me  paraît  à  ce  sujet  aussi  explicite  qu*on  peut  le  dé- 
sirer. Après  avoir  constaté  que  le  peuple  a  besoin  de  chercher  un  pro- 
tecteur, il  proclame  qu'un  seul  homme  s'impose  au  choix  de  tous, 
comme  le  leur  a  révélé  l'inspiration  divine,  —  celui  que  Charles  et 
Louis  avaient,  depuis  longtemps,  institué  protecteur  et  soutien  in- 
dispensable, qu'ils  avaient  fait  participant  de  leur  principat  : 

«  Sane  omnibus  unum  sapientibus  et  per  divinam  visitationem 
idem  indivisibiliter  ambientibus  cordi  fuit  exhibitus  homo,  jamdu- 
dum  in  priscipatu  domni  KaroHoBFnmon  st  adjdtor  nbcbssarws  ; 
cujus  post  se  filius  ejusdem  imperatoris  cernens  ejus  insignem  pru- 
dentiam  amplificare  dblbgbrat  domnus  rex  Ludovicus.  » 

En  conséquence,  suivant  la  volonté  de  Dieu  manisfestée  par  les 
suffrages  de  ses  saints  ministres,  devant  une  nécessité  pressante  et 
à  raison  d'une  aptitude  éprouvée  aux  yeux  de  tous  par  l'exercice  du 
pouvoir,  le  très  illustre  prince  et  seigneur  Boson  est  appelé  d'un  com- 
mun accord  à  cet  office  royal  (de  protecteur)  (Cf.  dans  la  legatio  : 
u  defensionem  et  momburgium  singulis  exhibentes  »  et  dans  la  res- 
ponsU)  :  «  omnibus,  ut  monuistis,  ...  rectum  momburgium,  auxi- 
liante  Deo,  conservabo  et  impendere  curabo  »)  et  élu  d'une  voix 
unanime  : 

«  ErgfonutuDei,  persufîragia  sanctorum,obinstantemnecessitatem 
et  eam  in  eo  compererunt  expetibilem  utilitatem  et  prudentissimam  et 
providentissiman  sagacitatem,  communi  animoparique  votoetunocon- 
sensu  clarissimum  principem  domnum  Bosonem,  Christo  perduce, 
ad  hoc  regale  negocium  petierunt,  et  unanimiter  elegerunt  »  (Conven- 
tus  Mantalensis,  Capilul.  éd.  Krause,  LL.,  II,  p.  368). 

2  «  Hugo  Arelatensium  seu  Provincialium  cornes  «(Liutprand,  An- 
tapodosiSy  III,  16  ;  Migne  136,  c.  842). 


LBS   DESTINEES  DU   DROIT  ROYAL.  179 

l'Aveugle,  qui,  dans  un  de  ses  diplômes,  le  qualifie  tioster 
inclytus  dtix  et  marchioK  C'est  par  la  cession  qu'Hugues 
fait  de  son  autorité,  de  son  tmperium  ducal,  à  Rodolphe  11, 
de  Haute-Bourgogne,  son  concurrent  à  la  couronne  d'Ita- 
lie, que  s'opère,  après  la  mort  de  Louis  l'Aveugle  (928),  la 
réunion  des  États  de  Boson  au  royaume  de  Bourgogne 
transjuraae. 

2°  La  royauté  de  Bourgogne  transjurane. 

Le  royaume  de  Bourgogne  transjurane  a  été  constitué, 
en  888,  dans  des  conditions  analogues  à  celles  qui  ont 
présidé  à  la  naissance  du  royaume  de  Bourgogne  et  Pro- 
vence. 

Là  aussi  c'est  un  Franc  ou  un  Gallo-Franc,  Rodolphe  1, 
fils  de  Conrad,  apparenté  aux  Carolingiens,  qui  «ievient 
roi  '. 

Là  non  plus  il  ne  s'agit  pas  d'une  royauté  sur  les  Francs, 

*  «  Ad  deprecalionem  inclyti  ducis  ac  marchionis  nostri  Hugonis, 
videlicet  propinqui  nostri  »  (H.  F.  IX,  685  E).  —  Cf.  CartuL  Greno- 
hle,  ch.  24,  p. 58  (912)  :  «  Hugo  inclitus  dux  et  marchio  ».  —  CartuL 
Saint- André  de  Vienne,  ch.  18*,  p.  227  (922):  «  Hugo,  cornes  et  mar- 
chio »  —  Ibid.,  ch.  15*,  p.  224(911-926)  «  Hugonis  g loriosi  ducis  »,etc. 

2  II  appartient  à  la  grande  et  puissante  famille  des  Welfs,  dont 
l'origine  est  bavaroise,  mais  qui  a  été  francisée  par  ses  alliances,  ses 
dignités  et  sa  résidence.  Il  est  petit-neveu  par  alliance  de  Louis  le 
Débonnaire  et  de  Lothaire  I.  Le  premier  avait  épousé  la  sœur  de  son 
grand-père  Conrad  TAncien,  le  second  la  sœur  de  sa  grand'mère  Adé- 
laïde. 

Conrad  l'Ancien  avait  été  un  des  personnages  les  plus  considérables 
de  la  cour  des  rois  francs.  Le  chroniqueur  de  Saint-Germain  d'Auxerre, 
le  moine  Héric  l'appelle  «  princeps  famosissimus,  collega  regum,  et 
inter  primates  aulicos  apprimeinclytos  »  (Duru  H.  p.  158).  Conseiller 
et  de  Charles  le  Chauve  et  des  fils  de  Lothaire  I,  il  fut  largement  pos- 
sessionné  dans  leurs  royaumes  (regia  munificentia  maximis  fulgebat 
honoribus),  il  le  fut  surtout  dans  la  Basse-Bourgogne  où  il  semble 
avoir  fixé  le  siège  de  sa  maison  et  acquis  une  sorte  d'indigénat  sei- 
gneurial(Cf.  Héric, /oc.  ciX,  p.l58-159,etc.).  L'un  de  ses  fils  fut  le  célè- 
bre Hugues  Tabbé,  qui  devint  le  plus  grand  propriétaire  d'entre 


180  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

mais  sur  des  populations  dépendantes  d'un  regnumPran- 
corum. 

Là  encore  la  suprématie  sur  ces  populationset  leurs  chefs 
avait  ététransmise  au  préalable,  sous  forme  de  duché  (juran 
ou  transjuran)*,  au  futur  souverain,  et  le  changement  es- 

Seiae  et  Loire  et  après  la  mort  de  Robert  le  Fort,  duc  des  Francs  de 
celte  région. 

Son  autre  fils,  Conrad  II,  fut  comte  d*Auxerre,  puis  il  quitta  le 
royaume  de  Charles  le  Chauve  et  nous  le  voyons  en  864  se  mettre  au 
service  de  Lothaire  II  et  de  Louis  II,  les  délivrer  de  leur  adversaire 
le  comte-abbé  Hubert,  qu'il  fait  périr  près  d'Orbe,  et  être  investi  de  son 
ducatus  (Voyez  la  note  suivante).  Il  transmit  en  mourant,  à  une  date 
inconnue,  ses  droits  et  son  pouvoir  à  son  fils  Rodolphe. 

^  L'histoire  de  ce  ducatus  peut  être  suivie  exactement  depuis  855 
environ  jusqu'en  888.  Il  avait  son  centre  primitif  dans  l'abbaye  de 
Saint-Maurice-d'Agaune,  et  comprenait  essentiellement  les  populations 
qui  vivaient  entre  le  Jura  et  les  Alpes  Pennines.  Il  était  ainsi  transju- 
ran  par  rapport  au  regnum  Francorum,  Voici  ses  destinées  succes- 
sives : 

Vers  856  (Reginon  donne  la  date  inexacte  de  859)  Lothaire  II  in- 
vestit le  comte-abbé  Hubert,  frère  de  sa  femme  Teutberge,  du  ducatus 
entre  le  Jura  et  le  mont  Saint-Bernard  :  «  Loiharius  Hucberto  abbati 
ducatum  inter  Jurum  et  montem  Jovis  commisit  »  (Reginon,  Chroni- 
coriy  ad  an.  859,  éd.  Kurze,p.78). 

857-859.  Hubert  est  en  lutte  avec  Lothaire  II  (Cf.  Parisot,  Le  royaume 
de  Lorraine  y^,  119  suiv.),  qui  ne  parvient  pas  aie  ramener  sous  sa  dé- 
pendance, et  de  guerre  lasse  cède  la  souveraineté  sur  la  population 
d'entre  Jura  et  Alpes  à  son  frère  Louis  II  :  «  Hlotariusfratri  suoHlu- 
dowico...  quamdam  regni  sui  portionem  attribuit,  ea  videlicet  quBS 
ultra  Juram  montem  habebat,  id  est  Genuvam,  Lausonnam  et  Sedu- 
num  civilates,  cum  episcopatibus,  monasteriis  et  comitatibus,  praeter 
hospitale  quod  est  in  monte  Jovis, et  Pipincensem  comitatum  »  {Anna- 
les de  saint  Bertin  ad  an.  859,  éd.  Dehaisnes,  p.  100). 

m't  ou  866  fCf.  Trog,  Rudolf  lundR.  II  von  Hochburgund,  Bàle, 
1887,  p.  5-7).  Hubert  est  défaitet  tué  par  Conrad  II  prèsd'Orbe,  et  ce- 
lui-ci lui  est  substitué  comme  duc  transjuran.  On  peut  l'induire  du 
passage  suivant  de  Folcuin,  bien  que  l'expression  u  Rœticœ  partes  » 
manque  de  rigueur  ou  d'exactitude  :  «  Confligens  (Hucbertus)  in 
acie  cum  Conrado  Rœticarum  vel  Jurensium  partium  duce..,  interfec- 
tus  est  »  {De  gestis  abbat.  Laub.  c.  12,  Migne  137,  556). 

872-886.  Rodolphe,  fils  de  Conrad,  est  abbé  de  Saint-Maurice-d'A- 


LES  DESTINÉES  DU  DROIT  ROYAL.  18t 

seDliel  consista  à  faire  transformer  par  la  tenue  d'une  as- 
semblée locale  des  grands  du  pays,  réunis  à  Saint-Mau- 
rice en  Valais,  son  titre  de  duc  en  titre  de  roi*,  grâce  à 
la  vacance  apparente  ou  réelle  du  regnum  Francorwn 
dont  il  relevait.  Par  la  mort  de  Charles  le  Gros,  en  effet, 
la  lignée  de  Louis  le  Germanique,  qui  détenait  la  Francie 
de  l'Est  et  la  Lorraine  avec  ses  dépendances  bourguignon- 
nes, n'était  plus  représentée  que  par  le  bâtard  Arnulf,  au- 
quel on  pouvait  reprocher,  outre  son  origine  illégitime,  l'acte 

gaune  (circa  872)  (Ch.  de  précaire  concédé  par  lui,  en  cette  qualité,  à 
rimpératriceEngelberge,Muratori,  Antiqu,  Ital.  III, c.  155).  Il  apparaît 
avec  le  titre  de  «  fidelis  et  dilectus  marchio  noster  »  dans  un  diplôme 
de  Charles  le  Gros  du  15  février  885,  et  il  prend  lui-même  le  titre  de 
comte  et  marquis,  «  domnus  Rodolfus  cornes  nec  non  etiam  inclitus 
marchio  »  dans  une  charte  du  13  août  886  (Mém.  et  Doc.de  la  Suisse 
romanej  VI,  p.  132  et  p.  277^ 

888.  Rodolphe  est  en  possession  de  Fautorité  (diicatus)  entre  le  Jura 
et  les  Alpes  et  il  prend  à  Saint-Maurice-d'Agaune  le  titre  de  roi  : 
«  Per  idem  tempus  Ruodolfus  fîlius  Cuonradi...  provintiam  inter 
Jurum  et  Alpes  Penninas  occupât  et  apud  sancium  Mauritium,  ad- 
scitis  secum  quibusdam  primoribus  et  nonnullis  sacerdotibus  coro- 
nam  sibi  imposuit  regemque  se  appellari  jussit.  »  (Réginon,  Chronic, 
ad  an.  888,  p.  130). 

*  Son  autorité  ne  procède  pas  de  l'élection  ou  du  simulacre  d'élec- 
tion, mais  est  ratifiée  par  elle.  Rodolphe,  comme  le  dit  le  continua- 
teur des  Annales  de  Fulde,  retient,  à  titre  de  roi,  ce  qu  il  possédait 
déjà  :  u  Ruodolfus...  superiorem  Burgundiam  apud  se  statuit  rega- 
liter  retinere  »  (ad  an.  888,  éd.  Pertz-Kurze,  p.  116).  Il  n'acquiert 
donc  pas  la  qualité  de  roi  des  Francs  mais  «  de  ceux  qui  habitent 
au  delà  du  Jura  et  autour  des  Alpes  :  hi  qui  ultra  Jurum  atque 
circa  Alpes  eonsistunt  ».  Il  est  un  roi  ethnique  nouveau,  un  roi  par- 
ticulier des  populations  burgondes,  jurassiennes,  alémaniques,  aux- 
quelles il  avait  jusque-là  commandé  comme  duc.  De  là  les  qualifica- 
tions multiples  :  rex  Burgundionum^  rex  Jurensis,  rex  Alemannorum, 
rex  Genaunaurum^  etc.  (Voyez  les  textes  groupés  par  M.  Poupar- 
din,  op.  cit. y  p.  286-7).  —  Je  note  seulement  que  le  titre  rex  de  Bur- 
gundia  que  M.  P.  a  cru  lire  dans  les  Annales  Fuldenses  serait 
étrange  pour  Tépoque.  Il  y  a  méprise.  Le  texte  parle  des  hommes  de 
Rodolphe,  envoyés  de  la  Bourgogne  en  Italie  «  cum  satellitibus  Ro- 
dulfi  régis  de  Burgundia  ad  hoc  transmissis  »  (ad  an.  894,  p.  124). 


182  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

répréhensible  d'avoir  supplanté  son  oncle  de  son  vivant, 
en  le  faisant  déposer  au  concile  de  Tribur.  Rodolphe  tenta 
en  conséquence  d'élendre  son  pouvoir,  non  seulement  sur  le 
versant  occidental  du  Jura  (diocèse  de  Besançon),  où  Hu- 
bert déjà  avait  étendu  abusivement  son  autorité  jusqu'à 
LuxeuiP,  mais  sur  la  Lorraine  entière*.  Il  dut  finalement 

*  Lettre  de  Benoit  III  (H.  F.  VU,  p.  384C.).  Cf.  Poupardin, op. cit., 
p.  49. 

2  Le  couronnement  de  Rodolphe  à  Toul,  relaté  par  les  Annales  de 
saint  Vaastyïïe  paraît  pas  douteux  à  la  plupart  des  historiens  récents 
(Trog,  p.  25;  Parisot,  p.  487  ;  Poupardin,  p.  150).  Ils  ont  remar- 
qué qu'il  peut  se  concilier  fort  bien  avec  rassemblée  de  Saint-Mau- 
rice rapportée  par  Réginon.  Celle-ci  a  dû  avoir  lieu  en  janvier,  le  cou- 
ronnement à  Toul  en  marsSSS.  Mais,  à  mon  avis,  ils  n'ont  pas  dégagé 
assez  nettement  le  caractère  très  différent  des  deux  actes. 

Le  premier  en  date  a  été  une  élection  sans  sacre,  le  deuxième  un 
sacre  sans  élection.  Le  premier  ne  touchait  qu'à  des  dépendances  du 
regnum  Francorum,  le  second  se  passait  en  pleine  Francie,  et  n'aurait 
pu  être  une  élection  franque  ou  lorraine  qu'en  violation  de  la  préémi- 
nence carolingienne,  tandis  que  rien  ne  s'opposait  en  principe  à  ce 
que  le  roi  des  Jurassien  s  fût  sacré  àToul;seuirévêque  qui  consentait 
à  le  sacrer  et  qui  semblait  légitimer  par  là  ses  prétentions  sur  la 
Lorraine,  encourait  le  reproche  d'inûdélité.  Ce  reproche  ne  manque 
pas  en  effet  d'être  adressé  à  Arnaud  par  le  Carolingien  Arnulf  qui 
le  punit  de  sa  forfaiture  en  confisquant  ses  biens  :  «  Quatenus 
Arnaldus  Tullensis  Ecclesiœ  Episcopus,  postposito  nostrœ  domina- 
tionis  regimine,  alterius  se  miscuit  societate,  qui  regni  nostri  jura, 
modico  quamvis  intervallo,  subripuit  :  pro  quo  temerario  atisu... 
plura  bona  et  abbatias  quas  tenere  videbatur  ei  subtraximus  et  fisco 
nostro  concessimus.  »  (Dipl.  d'Arnulf,  2  février  893,  H.  F.  TX,  p.  366- 
367). 

Rapprochez  maintenant  les  deux  relations,  celle  de  Réginon  et 
celle  des  Annales  de  saint  Vaast,  et  vous  en  verrez  sortir  avec  une 
complète  évidence  la  distinction  que  j'ai  faite.  Réginon  nous  raconte 
qu'une  assemblée  de  grands  et  d'évêques  de  la  province  d'entre  le  Jura 
et  les  Alpes  Pennines  s'est  tenue  à  Saint-Maurice  et  qu'en  saprésence 
Rodolphe  s'est  couronné  lui-même  (coronam  sibi  imposuit)  et  fait  ap- 
peler roi.  Il  y  a  donc  eu  élection,  au  moins  tacite,  et  point  de  sacre. 
—  Suivant  l'annaliste  de  saint  Vaast,  ceux  d'entre  le  Juraetles  Al- 
pes ont  demandé  que  Rodolphe  fût  sacré  roi,  et  ce  sacre  a  eu  lieu  à 
Toul  par  les  mains  de  l'évêque  de  cette  ville.  Ici  donc  sacre,  mais 


LES  DESTINÉES   DU   DROIT  ROYAL.  183 

se  contenter  de  son  ancien  duché  de  Besançon  et  de  Bâie. 
Le  Carolingien  Ârnulf  resta  maître  de  l*Austrasie,  chef  des 
peuples  de  la  Francie  médiane  et  orientale. 

3*  La  royauté  d'Italie. 

Cest  de  leur  qualité  de  Francs  et  de  leur  descendance  ca- 
rolingienne que  se  prévalaient  également  les  nouveaux 
rois  de  l'Italie,  Bérenger  et  Gui,  cherchant  celui-ci  son 
point  d'appui  dans  la  Francie  de  l'Ouest  et  l'autre  dans  la 
Francie  de  l'Est. 

Bérenger  est,  par  sa  mère  Gisla,  petit-Gls  de  Louis  le  Dé- 
bonnaire, il  esi  franC'Salien  par  son  grand-père  Umroch*. 
Ses  parents  ont  domednes  et  dignités  dans  le  Nord  ;  l'un 
d'eux  est  abbé  de  Sain t-Bertin,  un  autre  abbédeCysoingen 
Flandre.  Lui-même  prétend  tenir  son  pouvoir  d'une  con- 
cession formelle  de  Charles  le  Gros*. 

Le  berceau  de  la  famille  de  Gui  de  Spolèle  est  le  pays 
de  Trêves.  Un  de  ses  ancêtres,  Lambert,  fut  comte  de  la 
Marche  de  Bretagne  sous  Charlemagne.  Au  ix*  siècle,  la 
famille  est  dispersée  parles  dissensions  et  les  guerres,  sans 
perdre  pour  cela  ni  son  unité  ni  la  mémoire  vivace  de  son 
origine.  Elle  va  se  fixer  qui  en  Italie,  où  un  Lambert  devient 
duc  de  Spolète,  qui  dans  l'Est  de  la  Gaule,  où  elle  est  re- 
présentée par  l'archevêque  Foulque  de  Reims  et  des  sei- 
gneurs de  la  Bourgogne  dijonnaise'. 

sans  élection  préalable  des  Francs  de  la  Lorraine,  sacre  à  la  demande 
des  Jurassiens  et  non  pas  des  Francs  :  «  Hiqui  ultra  Jurum  atque  circa 
Alpes  consistunt,  Tullo  ad  un  ail,  Hrodulfum,  nepotem  Hugonis  ab- 
batis,  per  episcopum  dictœ  civitatis  benedici  in  regem  petierunt ;  qm 
et  ita  egit.  » 

*  Sans  aucun  doute  Umroch  était  franc-salien,  car  au  milieu  du 
X*  siècle  encore  Bérenger  II  s'attribue  une  origine  salique.  —  Cf. 
Poupardin,op.  cit.,  p.  165. 

*  Poupardin,  lôirf.,  p.  166. 

'  Voyez  notamment  sur  Gui  et  sa  famille,  Favre,  Eudes  comte  de 
Paris  (1893),  p.  80  et  suiv. 


184  LIVRE  IV.    —  CHAPITRE   I. 

Grâce  à  son  origine  franqtie^  Gui  peut  non  seulement  en- 
trer en  lutte  avec  Bérenger,  mais  aussi  devenir  le  compéti- 
teur d*Eudes  de  France.  Celui-ci  n'avait  de  plu  s  en  sa  faveur 
que  le  titre  de  duc,  et  Gui  se  donnait  certainement  comme 
un  Franc  de  race  plus  pure,  tout  en  étant  Gallo-Franc  par 
la  nombreuse  et  puissante  parenté  qui  Tappuyait. 

4°  La  royauté  neusirienne. 

Au  nord  de  la  Loire,  une  royauté  nouvelle  surgissait  en 
plein  regnum  Francorum.  Elle  prétendait  autorité  directe 
sur  la  nation  des  Francs,  dont  la  suprématie  rayonnait  sur 
les  peuples  de  la  Gaule  entière.  Comment  donc  pouvait- 
elle  se  passer  de  la  vocation  carolingienne? 

Elle  le  pouvait  si  peu  qu'Eudes  ne  fut  qu'une  sorte  d'ad- 
ministrateur royal,  un  représentant  couronné  du  Carolin- 
gien légitime^  un  usufruitier  de  la  couronne  {regnum)  des 
Francs*.  Il  ne  suffisait  pas  d'un  couronnement  et  d'une  élec- 

*  Ce  Carolingien,  en  tant  qu'héritier  de  la  couronne  des  Francs  oc- 
cidentaux^ était  Charles  le  Simple  et  non  pas  Arnulf.  Il  semble  bien 
que  celui-ci,  tout  en  n'acceptant  pas  l'offre  que  lui  fît  le  parti  de 
Foulque  de  le  reconnaître  pour  souverain,  ait  eu  Tintention  de  sup- 
planter Charles  le  Simple  en  cette  qualité.  Eudes  et  Charles  le  Simple 
n'auraient  pas  eu  seulement  alors  à  s'incliner  devant  sa  suprématie, 
comme  chef  de  la  maison  carolingienne  ;  ils  n'eussent  été  que  ses 
vice-rois,  tenant  de  lui  leur  couronne.  Deux  faits  tendent  à  le  prou- 
ver :  1®  une  allusion  très  directe  dans  la  lettre  de  Foulque  de 
Reims,  analysée  par  Flodoard,  qui  réfute  en  ces  termes  une  pré- 
tention d' Arnulf  :  «  quoniam  mos  (Francorum)  semper  fuerit,  ut 
rege  decedente  alium  de  regia  stirpe,  vel  successione,  sine  respectu 
velinterrogatione  cujusquam  majoris  aut  potentioris  régis  eligerent  » 
(Flodoard,  Hist.  eccL  Rem,,  IV.  5;  Migne,  135,  c.  274)  ;  2«  l'envoi 
vrai  ou  faux,  réel  ou  supposé  à  dessein  (ut  ferunt,  dit  l'annaliste  de 
saint  Vaast,  ad  an.  888,  p.  334)  d'une  couronne  d'or  par  Arnulf  à  Eu- 
des. C]let  envoi  suivi  môme  d'un  nouveau  couronnement  à  Reims  ne 
pouvait  pas  faire  de  celui-ci  un  rex  Francorum,  mais  il  était  de  na- 
ture à  le  faire  passer  pour  un  délégué,  un  représentant  ou  vice-roi 
d'Arnulf. 

'^  Les  Annales  de  Fulde^  chronique  en  quelque  sorte  officielle  du 


LES   DESTINÉES   DU    DROIT  BOYAL.  185 

lion  des  FraDCs  neuslriens  pour  faire  de  lui  un  rex  Fraîi- 
corum.  Il  aurait  fallu  pour  cela,  suivant  une  tradition 
politique  qui  n'avait  encore  rien  perdu  de  sa  force  obli- 
gatoire, le  concours,  le  choix  de  la  nation  franque  tout  en- 
tière, Francie  orientale  et  Francie  occidentale,  puisque  le 
regnum  Francorum  était  un.  Même  au  point  de  vue  de  la 
Francie  occidentale  et  en  n'ayant  égard  qu'à  la  préé- 
minence franque  (abstraction  faite  de  la  prééminence 
carolingienne),  le  nouveau  souverain  ne  pouvait  être 
un  rex  Francorum  qu'à  une  double  condition  :  i**  s'il 
était  Franc  de  race;  2**  s'il  était  élu  par  l'ensemble  des 
Francs  occidentaux.  Or,  Eudes  était  tout  au  plus  Gallo- 
Franc,  il  était  Neustrien  [neustricus)^  et  les  Francs 
occidentaux  étaient  divisés*  :  ceux  de  la  Francie  pro- 
prement dite  suivaient  le  parti  de  Gui  et  de  Foulque 
de   Reims.    Eudes   n'était    que  le   roi    des    Neustriens, 

carolingien  Âmulf,  tandis  qu*elles  disent  de  Bérenger,  de  Rodolphe, 
de  Louis  fils  de  Boson,  de  Gui  et  de  l'aquitain  Ramnolf  lui-même, 
qu'ils  se  sont  fait  ou  ont  voulu  se  faire  roi,  représentent  Eudes  comme 
s'étant  emparé  de  Vusufruit  du  royaume  des  Francs  occidentaux  : 
«  Odo  filius  Rodberti  usque  ad  Ligerim  fluvium  vel  Aquitanicam  pro- 
vinciam  sibi  in  usum  usurpavit  »  (ad.  an.  888,  p.  116). 

Dans  le  même  sens,  Foulque  de  Reims  a  pu  dire  qu'Eudes  avait 
abusé  de  la  puissance  royale  qu'il  détenait  (comme  vice-roi),  en  vou- 
lant la  conserver  à  rencontre  de  Charles  le  Simple  :  «  Regali  tyran- 
nice  abusus  fuerit  potestatCy  cujus  et  invitus/iac^ent/sdominium  sus- 
tinuerit.  »  (Flodoard,  loc.  cit.f  c.  273). 

Et  c'est  de  cette  idée  encore,  que  les  chroniqueurs  postérieurs  ont 
dû  partir  pour  faire  du  lointain  ancêtre  des  Capétiens  un  soutien 
loyal  du  trône,  un  roi  temporaire,  pendant  la  minorité  de  Charles  le 
Simple.  Voyez  notamment  :  Fragm,  Hist,  Franc.  (H.  F.  Vlll,  297), 
«  Franci...  (Odonem)  re^ntelegere  gubernatorem  ».  Chronique  de  Tours 
(H.  F.  IX,  p.  47  c)  :  «  Franci...  Odonem...  regem  sibi  prœficiunt,  ei 
que  Oirolum  parvum  custodiendum  tradunt,  tali  pacto  quodpost  VII 
annos  Garolo  parvo  regnum  Franciœ  relinqueret,  et  Odo,  regni  insi- 
gnibus  depositis,  Dux  in  posterum  remaneret,  retento  nomine  Régis 
et  honore.  » 

*  «  Inferiores  Franci  interse  divLsi  »  {Ann.  de  saint  Vaast  ad.  an. 
887,  p.  329.  Adde,  p.  330). 


186  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE  I. 

comme  nous  avons  vu  Rodolphe  être  celui  des  Jurassiens'. 

Toutefois  il  possédait  par  surcroît  une  dignité  très  impor- 
tante, qui  lui  permit  d'imposer  sa  domination  à  la  Bour- 
gogne et  à  l'Aquitaine  et  de  se  faire,  sinon  reconnaître  en 
droit,  du  moins  accepter  en  fait  comme  roi  intérimaire 
par  la  Francie  proprement  dite*. 

Le  gouvernement  du  royaume,  l'exercice  des  droits  delà 
couronne,  le  ducatus  regni,  en  un  mot,  avait  été  régulière- 
ment acquis  à  Eudes  delà  main  même  de  Ch  arles  le  Gros,  qui 
le  lui  avait  confié  après  la  mort  d'Hugues  Tabbé '.  C'est  à  ce 

^  Cette  situation  perce  même  au  travers  du  panégyrique  qu*Abbon 
fait  de  son  héros  :  Eudee  n'a  pas  été  élu  par  les  Francs,  mais  il  a  pris 
le  sceptre  avec  l'agrément  de  beaucoup  d'entre  eux. 

Francorum  populo  gratante  faventeque  multo 
(De  bello  Parisiaco,  II,  v.  445,  p.  41  (éd.  Pertz). 

Les  trois  parties  formant  le  regnum  Francorum  de  TOuest  se  com- 
portent très  différemment  k  son  égard.  La  Neustrie  conflue  tout  en- 
tière vers  sa  dignité  : 

Nustria  ad  insignis  nati  conçu r rit  honorem 

(v.  450). 

La  Bourgogne  ne  lui  fait  pas  défaut,  parce  qu'il  était  déjà  dtuc  : 
Nec  quia  Dux  illi  Burgundia  defuit 

(v.  449). 

La  Francie  proprement  dite  se  réjouit,   bien  qu'il  s'agisse  d*un 
Neustrierij  parce  qu'elle  ne  peut  pas  lui  opposer  de  Franc  qui  le  vaille. 
Francia  laetatur,  quamvis  is  Nustricus  esset, 
Nam  nullum  similem  sibimet  genitum  reperire 

(v.  447-448). 

La  Francia  applaudit  donc  au  choix  que  d'autres  ont  fait  d'un  des 
leurs,  et  l'on  est  tenté  d'attribuer  à  l'épithète  nustricus  un  double 
sens  :  neustrien  de  naissance  et  chef  des  neustriens. 

'^  Telle  est  l'attitude  qu'avait  prise  finalement  Foulque  de  Reims, 
comme  le  montrent  ses  lettres  analysées  par  Flodoard. 

3  Un  point  très  essentiel,  en  effet,  est  qu'Hugues  l'abbé  n'avait  pas 
été  seulement  duc  entre  Seine  et  Loire,  mais  un  alter  ego  du  roi.  La 
chronique  contemporaine  de  Sainte-Golombe-de-Sens,  dont  Hugues 
était  abbé,  dit  expressément  ducatum  regni  post  regem  nobiliter 


LBS  DESTINÉES  DU   DROIT  ROYAL.  187 

titre  que  les  Francs  neustriens  lui  reconnaissent  le  droit 
de  porter  la  couronne,  c*està  ce  titre  aussi  que  les  natio- 
nalités soumises  de  la  Gaule,  les  peuples  notamment  de  la 
Basse-Bourgogne  se  soumettent  à  sa  domination.  Il  repré- 
sentait le  rex  Francorum  en  qualité  de  rfwc,  il  le  repré- 
sentera en  qualité  de  roi.  Âbbon  le  dit  expressément  : 
«  Nec,  QUIA  Dux,  illi  Burgundia  defuit  »  ^ 

§  4.  —  La  royauté  de  Germanie  et  la  prééminence 
franque  et  carolingienne. 

Montrons  maintenant  que  les  rois  nouveaux  ont  non 
seulement  accepté,  mais  recherché  la  subordination  à  la 
maison  carolingienne.  Le  chef  de  cette  maison  quel  était-il 
après  la  mort  de  Charles  le  Gros?  Des  deux  représentants  di- 
rects par  les  mâles  de  la  lignée  de  Charlemagne,  le  bâtard 
Arnulf  etle  posthume  Charles  le  Simple,  ce  ne  pouvait  être 
que  le  premier,  Arnulf.  Si  le  droit  au  trône  se  détermine, 
en  eflfet,  avant  tout  par  Tordre  successoral,  il  dépend  du 
choix,  deTélection,  que  les  Franc  sont  le  droit  de  faire,  selon 
la  coutume,  parmi  les  membres  de  la  famille  privilégiée.  Or, 
Arnulf  seul  était  d'âge  à  porter  la  couronne,  seul  il  était  alors 
apte  [idoneus)  à  exercer  les  droits  des  Carolingiens,  à  re- 

amministrabat  {Annales  Sctœ  ColumhXy  ad.  an.  872.  Duru,  I,  p.  203). 
Si  Ton  remarque  que  le  sens  propre  de  regnum  est  royauté  ou  cou- 
ronne et  celui  de  ducatus,  gouvernement,  conduite,  on  aboutit  à  une 
vice^royauté  occidentale.  Et  c'est  ce  que  confirme  une  vie  MS.  de 
saint  Romain,  citée  dans  le  Gallia  (XII,  Instr.  225)  :  «  Hugonem  loci 
ipsius  abbatem,  rêvera  autem  totiusregnimoderatorem  acprincipem  ». 
Cf.  Bourgeois,  Le  capit.  de  Kiersy^  p.  100. 

Or,  Réginon  nous  dit,  en  propres  termes,  qu'à  la  mort  de  Hugues 
Tabbé,  Eudes  a  été  investi  de  son  ducatus  par  l'empereur  Charles  le 
Gros  :  «  Eodem  tempore  Hugo  abba,  magnœ  potestatis  vir  et  magnaî 
prudentiae  Aureiianis  moritur...  Ducatus  quem  tenuerat  et  strenue 
rexerat  Odoni  filio  Rotberti  ab  imperatore  traditur,  qui  ea  tempes- 
tate  Parisiorum  comes  erat  »  (ad.  an.  886,  p.  126). 

*  Voyez  la  note  1  de  la  page  précédente. 


188  LIVRE  IV.   —   CHAPITRE  I. 

cueillir  leur  héritage  en  ralliant  les  suffrages  des  Francs*. 
Charles  le  Simple  n'était  qu'un  enfant,  il  avait  huit  ans  à 
peine  et  dans  l'étal  troublé  du  royaume  Une  pouvait,  comme 
Ta  vouera  plus  lard  un  de  ses  principaux  partisans,  l'ar- 
chevêque de  Reims  Foulque',  être  appelé  au  trône,  il 
n'était  pas  idoine  à  être  élu. 

Il  ne  restait  donc  qu'un  chef  légitime^  Arnulf  :  toute 
la  domination  franque  devait  passer  entre  ses  mains,  il 
acquérait,  dans  le  sens  que  nous  avons  précédemment  fait 
connaître,  Vimperium  des  Francs,  huit  ans  avant  de  deve- 
nir empereur  des  Romains*.  Si  de  la  sorte,  la  prééminence 
familiale  lui  revenait  sur  son  agnat  Charles  le  Simple,  à 
plus  forte  raison  lui  était-elle  acquise  sur  ses  agnats  Louis 
l'Aveugle,  Bérenger  et  Rodolphe,  et  sur  le  locum  tenens 
du  premier,  le  neustrien  Eudes.  Et,  en  effet,  les  chroni- 
ques contemporaines  ne  laissent  pas  de  doute  à  ce  sujet*. 

Par  contre,  les  historiens  se  sont  en  général  mépris  sur 
le  caractère  juridique  et  la  portée  exacte  de  cette  subordi- 
nation. Les  anciens  ont  été  égarés  par  leurs  préjugés  féo- 
daux, qui  leur  faisaient  assimiler  la  couronne  à  un  fîef,  ou 
par  leurs  préoccupations  nationales,  qui  leur  faisaient  con- 

*  «  Hic  (Arnulfus)  solus  de  tam  numerosa  regum  posleritate  ido- 
neus  inveniretur  qui  imperii  Francorum  sceplra  susciperet  »  (Régi- 
non,  ad  an.  880,  p.  il7). 

*  «  Hic  Karolus  adhuc  admodum  corpore  simul  et  scientia  parvu- 
lus  existebat,  nec  regni  gubernaculis  idoneus  erat  »  (Flodoard,  IV,  5; 
Migne,  135,  c.  273), 

3  Imperii  Francorum  sceptra  (Réginon,  loc,  cit.), 

*  Une  des  plus  explicites  est  la  Vita  Mlfredi,  attribuée  à  Asser  :  «  Eo- 
dem  anno  (887)  Farlus  Francorum  rex  viam  universitatis  adiit...  Quo 
statimdefuncto  quinque  reges  ordinati  sunt,  etregnum  in  quinque  par- 
tibus  conscissum  est.  Sed  tamen  principalissedes regni  ad  Eamulfjuste 
et  merito  provenit,  nisi  solummodo  quod  in  patruum  suum  indigne 
peccavit.  Ceteri  quoque  IV  reges  fidelitatem  et  obedientiam  Earnulfo, 
sicutdignum  erat,  promiserunt.  Nullus  enim  illorum  IV  regum  hère- 
ditarius  illiusregni  erat  in  paternaparte  nisi  Earnulf  solus.  Quinque 
itaque  reges  confestim  Farlo  moriente  ordinati  sunt.  Sed  imperiixm pê- 
nes Earnulf  remansit.  »  (Duchesne,  II,  p.  397  ;  H.  F.,  VIII,  p.  100  B-C). 


LES  DESTINÉES  DU   DROIT  ROTAL.  189 

fondre  la  prééminence  carolingienne  avec  la  dépendance 
relative  de  la  Germanie  et  de  la  Gaule.  Les  historiens  les 
plus  récents  ont  parlé  d'une  sorte  de  senior at  moral \  — ce 
qui  est  très  vague  et  au  fond  ne  signifie  rien^  au  point  de 
vuedu  droit  public,  — ou  d'un  hommage,  d'une  recomman- 
dation, consentis  par  Eudes  et  les  autres  reguli  —  ce  qui  me 
paraît  totalement  inexact  et  même  inintelligible,  puisqu'on 
ajoule  qu'il  ne  s'est  pas  produit  néanmoins  de  véritable  vas- 
salité^. L'obscurité  provient  de  ce  qu'on  n'a  pas  su  distin- 
guer entre  l'hommage  constitué  par  la  recommandation  et 
la  simple  fidélité  due  en  vertu  de  la  suprématie,  puis  de  ce 
qu'on  a  généralisé  à  tort,  par  une  interprétation  injustifiée 
d'une  chronique^  la  condition  spéciale  et  temporaire  de 
Louis  l'Aveugle. 

Louis  l'Aveugle,  à  la  mort  de  son  père  Boson,  s'était,  il 
est  vrai,  recommandé  à  Charles  le  Gros;  mais  il  n'était 
pas  encore.  C'était  ce  dernier  qui,  après  avoir  recon- 
quis, dès  882,  une  partie  du  royaume  détaché  par  Boson, 
le  possédait  à  ce  moment  en  son  entier.  Ce  n'est  donc  pas 
pour  succéder  à  son  père,  mais  pour  succéder  à  Charles 
le  Gros  lui-même  que  Louis  se  recommandait  à  lui,  se 
faisait  adopter  par  lui*. 

*  Expression  empruntée  par  M.  Favre  {Eudes  comte  de  Paris , 
p.  115)  à  M.  Bourgeois,  Le  capituL  de  Kiersy,  p.  214. 

*  Cf.  les  propositions  contradictoires  de  M. Favre, p.  113, 114etll5. 
S'il  y  avait  eu  recommandation,  il  y  aurait  eu  vassalité;  point  de 
vassalité,  point  d'hommage. 

^  Il  s'agit  de  ce  passage  de  Flodoard  analysant  une  lettre  de  Foul- 
que de  Reims  à  Arnulf  :  «  Unde  cum  nec  in  eo  (Arnulfo)  sibi  spes 
uUa  remansisset,  coactus  sit  (Fulco)  ejus  hominis,  videlicet  Odonis, 
dominatum  suscipere.  »  M.  Favre  (p.  113,  note  6)  lit  «  ejus  (Arnulfi) 
Jwminis  »,  l'homme,  le  vassus  d' Arnulf,  car,  dit-il,  l'expression  ne  peut 
avoir,  comme  le  veut  M.  Diimmler,  le  sens  méprisant  :  «  cethonmie  » 
M.  F.  a  eu  le  tort  d'arrêter  la  citation  après  le  mot  suscipere.  Il  de- 
vait continuer  :  «  Qui,  ab  stirpe  regia  existens  alienus,  regali  tyran- 
nice  abusus  fuerit  potestate.  »  Voilà  qui  est  clair  :  «  ejus  hominis... 
çui...  abusus  fuerit,  etc.  ». 

*  a  Mortuo  Buosone  parvulus  erat  ei  fîlius  de  filia  Hludowici  Italici 


190  LIVRE  IV.   —   CHAPITRE   I. 

Plus  tard,  en  890,  quand  à  Valence,  il  est  élu  et  couronné 
roi,  ce  n'est  pas  d'ArnuIf  qu'il  tient  sa  couronne.  Il  ne  la 
doit  pas,  comme  on  Ta  suggéré*,  à  une  investiture  que  ce- 
lui-ci lui  aurait  donnée  par  le  sceptre.  Une  telle  investi- 
ture serait  allée  directement  à  rencontre  du  principe  de 
Télection,  qui  est  fondamental,  de  l'élection  combinée  avec 
le  droit  héréditaire.  —  L'élection  consiste  à  rechercher  si 
celui  qui  a  un  droit  personnel  à  la  couronne  est  apte  à  la 
porter.  Louis  était  à  la  fois  petit-flls  en  ligne  féminine  de 
Louis  le  Germanique  et  fils  adoptif  de  Charles  le  Gros.  Sur 
cette  double  qualité,  sur  la  dernière  surtout,  par  laquelle 
le  droit  à  la  royauté  {regia  dignitas)  lui  avait  été  transmis, 
l'assemblée  fonde  sa  vocation*;  mais  elle  constate  au  préa- 
lable qu'il  est  capable  de  régner,  malgré  son  jeune  âge  : 
le  pape  Etienne  V  Ta  jugé  tel,  il  est  assuré  du  concours 
des  grands  et  de  l'expérience  de  ?a  mère  Ermengarde*. 
Arnulf  n'intervient  que  pour  se  porter  fort  du  droit  à 
la  royauté  que  Louis  tient  de  sa  naissance  et  de  son  adop- 
tion, el  pour  lui  promettre  sa  protection  et  son  appuL  II 
est  de  la  sorte  fauior  regni  auctorque  in  omnibus.  11 
l'est  comme  chef  actuel  de  la  maison  carolingienne,  qualité 
dans  laquelle  il  a  succédé  à  Charles  le  Gros*. 

régis;  obviam  quem  imperator...  veniens,  honorifice  ad  hominem  sibi 
quasi  adoptivum  filium  eum  injunxit  »  {Ann,  FtM,,  ad  an.  887, 
p.  115). 

*  Poupardin,  op.  cit. y  p.  157. 

2  «  Ludovicum  excellentissimi  Bosonis  61ium  elegimus  atque  in  re- 
gem  ungendum  decrevimus,  judicantes  illum  ad  hoc  dignum  cui 
prœstantissimus  Carolus  imperator  jam  regiam  concesserat  dÀgnita-' 
tem  »  {Hludov.  electio,  Capitul.  LL.  II,  p.  377,  éd.  Krause). 

^  «  Cujus  etsi  stas  idonea  ad  reprimendam  barbarorum  sœvitiam 
minus  sufficere  videretur,  lamen,  etc.  »  (ibid,). 

♦  C'est  ainsi  que  j'entendrais  les  mots  «  per  suum  sceptrum^  fau- 
tor  regni,  auctorque  in  omnibus  esse  comprobalur  ».  Ils  me  parais- 
sent exprimer  l'idée  de  Vimperium  Francorum,  dans  lequel  Araulf  a 
succédé  à  Charles  le  Gros  :  «  Arnulfus,  qui  successor  ejus  (imperatoris 
existit.  »  —  Du  reste,  rien  n'empêche  d'admettre  que  l'emblème  visi- 


LES  DESTINÉES  DU   DROIT  ROYAL.  191 

Ces  développements  m'ont  paru  nécessaires  pour  mettre 
en  lumière  la  reconstitution,  à  la  fin  du  ix*  siècle,  de  la 
triple  prééminence  inhérente  à  la  royauté  franque.  Arnulf, 
aux  mains  duquel  elle  se  trouva,  ne  s'efforça  pas  seulement 
de  la  réaliser  dans  toute  sa  plénitude  au  regard  des  rois 
de  fraîche  création,  mais  il  essaya,  nous  l'avons  vu,  d'em- 
piéler  sur  les  droits  de  Charles  le  Simple.  Les  partisans 
de  ce  dernier  résistèrent  très  justement  et  ne  consenti- 
rent à  reconnaître  que  la  prééminence  de  chef  familial*. 
Eudes  lui-même,  vers  la  fin  de  sa  vie  et  quand  l'état 
de  guerre  eut  cessé  entre  les  deux  rivaux,  reconnut 
expressément  dans  un  de  ses  diplômes  que  Charles  le 
Simple  était  son  seigneur  natureP,  et  se  considéra  si  bien 
comme  un  simple  roi  intérimaire,  un  inierrex*,  que  c'est 
Charles  et  non  point  son  propre  frère  Robert  qu'il  désigna 
aux  grands  pour  lui  succéder*. 

ble  de  ce  pouvoir,  de  cette  suprématie,  ait  été  aux  mains  des  envoyés 
d'ArnuIf,  sous  la  forme  d'un  baculus  qui  les  accréditait.  Dans  les  chan- 
sons de  geste,  le  bdton  est  remis  avec  le  briefnux  ambassadeurs  royaux. 

*  C'est  cette  suprématie  que  Foulque  de  Reims  reconnaissait  à  Ar- 
nulf,  après  avoir  repoussé  sa  prétention  à  la  souveraineté,  au  droit  de 
disposer  de  la  couronne  :  «Hoc more  (sinerespectu  vel  interrogatione 
cujusquam  majoris  régis)  hune  regemfactum  ipsius(Arnuiri)fîdelitati 
et  consilio  committere  voluerint,  ut  ipsius  adjutorio  et  consilio  utere- 
tur  in  omnibuSy  et  ejus  subderetur^  tam  rex  quam  universum  rc- 
gnum,  prxceptis  et  ordinationibus  »  (Flodoard,  IV,  5;  Migne,  135, 
c.  274). 

*  Diplôme  en  faveur  de  Tabbaye  de  Montredon  (897  d'après  H.  F., 
IX,  p.  465)  dont  l'original  est  à  la  Bibl.  nat.  MS.  lat,  8837,  f<»  75  v°  : 
«  In  elemosina  domni  et  senioris  nostri  Karoli,  ac  pro  salute  et  com- 
memoratione  nostra  ». 

'  C'est  Texpression  dont  Gerbert  se  servira  pour  désigner  Hugues 
Capet,  tant  qu'il  n'aura  pas  reconnu  sa  légitimité. 

*  Eckel,  Charles  le  Simp/e  (Paris,  1899),  p.  28.  —  D'après  les  chro- 
niqueurs postérieurs,  Robert  avait  compté  succéder  dans  la  part  de 
rayante  de  son  frère,  Fragmetitum  Hist.  Franc.  (H.  F.  VIII,  p.  298 
A)  :  «  Eo  (Odone)  defuncto,  quia  pars  ei  (Roberto)  regiminiSf  quam 
germanus  ipsius  tenuerat  non  redhibebalur,  palam  tyrannidem  inva- 
serit.  »  —  Chronique  de  saint  Bénigne^  p.  122  :  u  Odone  rege  de- 


192  UVRB   IV.   —  CHAPITRE  I. 

Avec  celte  attitude  d^Eudes  est  en  parfaite  harmonie 
celle  de  Raoul  en  928,  objet  de  tant  de  surprise  pour  les 
historiens  et  de  tant  d'interprétations  singulières  ou  injus- 
tes '.  Lui  aussi  il  incline  sa  royauté  de  fraîche  date  devantla 
royauté  traditionnelle  du  successeur  deCharlemagne.  Maî- 
tre incontesté,  il  s^ humilie  à  Reims  devant  l'infortuné  captif 
d'Herbert  de  Verraandois',  il  lui  restitue  des  résidences 
royales,  il  lui  requiert  pardon  deToffense  qu'il  lui  a  faite*. 
Est-ce  là  un  vain  et  ironique  simulacre?  Point.  C'est  la 
mise  en  harmonie  de  la  royauté  de  fait  avec  la  royauté  de 
droit,  aGn  qu'aux  yeux  des  Francs  et  des  peuples  qui  leur 
sont  soumis  celle-là  apparaisse  comme  une  émanation  de 
celle-ci;  c'est  la  reconnaissance  du  principe  pleinement 
vivace  de  la  légitimité  carolingienne  en  vue  de  la  faire 
tourner  au  profit  du  souverain  intérimaire  :  politique  d'au- 
tant plus  nécessaire  que  le  geôlier  de  Charles  le  Simple 
essayait  lui-même,  à  ce  moment,  de  la  pratiquer  pour  son 
propre  compte. 

functo  R.  frater  ipsius  sperans  et  cupiens  eam  regni  partem,  quam 
ipse  tenuerat  adipisci,  quia  ei  a  Carolo  qui  totius  regni  erat  dominus^ 
non  reddebatur,  palam  tirannidem  invasit.  » 

1  Leibniz  n'est-il  pas  allé,  sous  la  hantise  de  l'idée  féodale,  jusqu^à 
voir  dans  la  démarche  de  Raoul  une  inféodation  de  la  couronne  faite 
en  sa  faveur  par  Charles  le  Simple  (Lippert,  Gesch.  des  westfr.  Reiches 
tinter  Kônig  Rudolf,  Leipzig,  1885,  p.  67).  —  La  plupart  de  nos  his- 
toriens ont  reproché  à  Raoul  d'avoir  voulu  se  jouer  du  malheur  et  de 
rabaissement  du  roi  carolingien,  Thumilier  en  paraissant  s'humilier 
devant  lui.  M.  Lippert  observe  que  le  caractère  de  Raoul  y  contredit 
et  admet  que  son  but  devait  être  de  ménager  la  transition  d'une 
royauté  à  l'autre  (p.  G8).  C'est  dans  ce  sens  aussi  que  penche  M.  Eckel 
(p.  133-4),  mais  sans  conviction  arrêtée  :  «  On  ne  sait  trop,  dit-il, 
comment  interpréter  cette  démarche  du  roi.  » 

^  «  At  Rodulfus  rex  Remis  veniens  ubi  Karolus  custodiebatur  pa- 
cem  fecit  cum  illo,  humilians  se  ante  ipsius  praesentiam  et  reddens 
illi  Âttiniacum  fiscum,  munecibus  quoque  quibusdam  regiis  eumdem 
honorât  »  (Flodoard,  HisL  eccL  Hem,  IV,  22;  Migne,  137,296). 

3  «  Sermoni  multiplici  si  oflenderat  suppticiter  veniam  postulabai  » 
(Richer,  I,  55). 


LES  DESTINEES   DU  DROIT  ROYAL.  19*3 

Après  la  mort  d'Eudes  et  suivant  son  vœu,  le  fils  de 
Louis  le  Bègue  fut  d'un  commun  accord  élu  régulièrement 
roi  des  Francs  occidentaux  en  898,  et  quand,  Tannée  sui- 
vante, Arnulf  mourut  à  son  tour,  en  ne  laissant  qu'un  ftls  en 
bas  âge,  Charles  aurait  dû,  suivant  la  tradition,  devenir  lïm- 
peraior  franc,  le  rex  Francorum  ayant  prééminence.  Mais 
la  société  était  trop  troublée,  les  rapports  entre  les  deux 
Francies  trop  relâchés  pour  que  cette  question  de  préémi- 
nence pût  être  soulevée  en  sa  faveur.  Les  chroniques  con- 
temporaines nous  apprennent  seulement  que  Francs-Lor- 
rains et  Francs-Germains  se  rallièrent  à  Louis  rEnfanl\ 

Tout  autre  fut  la  situation  le  jour  où,  par  la  mort  pré- 
maturée de  Louis,  Charles  le  Simple  resta  seul  représen- 
tant de  la  maison  carolingienne.  Le  nouveau  roi  de  Germa- 
nie Conrad  (9H),  qui  était  encore  Franc,  et  son  successeur 
Henri  (918),  qui  était  Saxon,  ne  pouvaient  passer  que  pour 
des  usurpateurs  au  point  de  vue  du  droit  public  franc  et 
■carolingien*.  Aussi  voyons-nous  dès  911  les  Lorrains  re- 
connaître pour  souverain  Charles  le  Simple  et  celui-ci  re- 
prendre le  titre  de  rex  Francorum,  qui  avait  disparu  des 
actes  officiels  depuis  Charlemagne.  La  raison  en  serait-elle 
que  la  Lorraine,  àlaquelle  il  va  commander,  était  leberceau 
de  la  race,  la  Francie  par  excelletice^l  J'y  vois  plutôt  l'af- 
firmation que  l'unité  théorique  de  la  royauté  franque  re- 
naît. Si  les  descendants  de  Louis  le  Débonnaire  s'étaient 

*  Ils  avaient  hésité  d'abord.  L'archevêque  de  Mayence  Hatton  nous 
rapprend  dans  une  lettre  où  il  demande  Tapprobalion  du  pape  et  ap- 
pelle Louis  parvissimus  (H.  F.  IX,  296). 

«  C'est  ce  que  M.  Bardot  (Mélanges  Carolingiens,  BibL  Fac,  des 
Lettres  de  Lyon^  t.  VU)  a  fort  bien  montré  pour  la  défense  de  Richer. 
M.  Parisot  remarque  que  Flodoard,  qu'il  déclare  pourtant  mai  disposé 
à  l'égard  de  Charles  le  Simple,  ne  désigne  Henri  l'Oiseleur  que  par 
son  nom  tout  court,  ou  en  le  qualifiant  prince  d'outre-Rhin  (sauf,  en 
936,  pour  annoncer  sa  mort)  alors  qu'il  ne  refuse  pas  le  titre  de  roi  à 
Robert  et  à  Raoul  eux-mêmes  (Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine, 
p.  631-32). 

'  Telle  est  l'explication  de  M.  Parisot,  p.  600  et  de  M.  Eckel,  p.  97. 

F. —  Tome  III.  <3 


194  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE   I. 

contentés  de  la  simple  qualification  de  rex^  cela  tient,  sui- 
vant moi,  à  la  double  circonstance  que  le  titre  de  rex 
Francorunij  dès  le  partage  de  806  et  puis  par  le  couron- 
nement de  Louis  en  813  et  Vordinatio  de  817,  était  devenu 
synonyme  (Timperator  Francorum,  et  que,  d'autre  part, 
les  fils  de  Louis  le  Débonnaire  avaient  voulu  se  mettre  sur 
un  pied  complet  d'égalité.  Ils  s'abstinrent  donc  d'un  com- 
.  mun  accord  de  se  parer  d'un  titre  qui,  suivant  les  cir- 
constances, pouvait  être  prétexte  à  domination.  Arnulf,  il 
est  vrai,  aurait  pu  le  reprendre,  mais  l'idée  impériale 
romaine  avait  fait  du  chemin  et  mis  au  premier  plan  le 
titre  d'empereur.  C'est  ce  titre  que  les  contemporains,  à 
juger  des  chroniqueurs,  s'empressèrent  de  décerner  à 
Arnulf,  et  il  devait  lui  plaire  entre  tous  puisqu'il  visait  à 
l'Empire  des  Romains.  Charles  le  Simple,  qui  n'y  visait 
pas,  restaura  les  titres  der^j:  Francortim  et  de  virilluster^j 
pour  se  désigner  aux  yeux  des  peuples  comme  le  seul  et 
légitime  successeur  de  Charlemagne*. 

N'est-il  pas  frappant,  en  effet,  que  dans  le  serment  réci- 
proque de  paix  et  d'amitié  que  se  jurent,  en  921,  à  Bonn, 
Charles  le  Simple  et  Henri  l'Oiseleur,  Charles  prenne  le  ti- 
tre de  rex  Francorum  [occidentalium)  et  ne  qualifie  Henri 
que  rex  orientalis  •  ? 

*  Vir  Ulustris  :  H.  F.  IX,  p.  513  D  (941),  p.  514  D  et  516  E 
(912),  etc. 

*  Ni  lui,  ni  ses  successeurs  carolingiens,  ni  les  Capétiens  après  eux 
ne  prirent  officiellement  le  titre  de  rex  Francis^  mais  uniquement  et 
toujours  le  titre  de  rex  Francorum  (Voyez  Giry,  Manuel  de  diplo- 
matique, p.  318).  Si  cette  qualification  leur  a  été  donnée  parfois  dans 
le  langage  indirect  des  diplômes  ou  par  les  écrivains,  ce  n^est  pas  en 
prenant  le  mot  de  Francia  dans  un  sens  territorial  mais  comme  syno- 
nyme de  nation  des  Francs.  Les  historiens  ont  donc  eu  grand  tort 
d'appeler  couramment  les  Capétiens  rois  de  la  Francia  proprement 
dite  (entendant  par  là  le  pays  d'entre  Seine  et  Loire)  ou  même  petits 
rois  de  TIle-de-France.  Ils  n*ont  jamais  cessé  d'être  ou  de  se  considé- 
rer comme  étant  les  rois  des  Francs,  les  chefs  de  la  grande  nation 
franque  et  des  peuples  qui  en  dépendaient. 

•«EgoKarolusdivina  propitiante  clementia  rex  Francorum  occiden- 


LBS  DESTINÉBS  DU  DROIT  ROYAL.  195 

Sans  doute,  Henri  prétendait  fonder  sa  royauté  sur  des 
bases  nouvelles,  indépendantes  de  la  royauté  franque  et 
carolingienne.  Duc  des  Saxons,  descendant  présumé  de 
Witikind,  Théroïque  adversaire  de  Charlemagne,  vain- 
queur du  frère  de  Conrad,  Eberhard,  en  la  journée  fa- 
meuse d'Eresburg  (912)  où  il  tua,  chantaient  les  scaldes 
Saxons,  plus  de  guerriers  francs  que  nul  enfer  n'en  pou- 
vait contenir*,  il  représentait  la  revanche  de  la  nation 
saxonne  sur  la  nation  franque,  tout  au  moins  l'avènement 
de  la  première  à  la  domination.  Il  ne  prit  dès  lors,  dans 
aucun  acte  officiel,  ni  le  titre  de  rex  Francorum  ni  celui 
même  de  rex  Francorum  orientaliwriy  il  ne  désigna  pas  dans 
ses  diplômes  les  rois  et  empereurs  des  Francs  comme  ses 
prédécesseurs^ ,  bien  plus  il  refusa  de  se  faire  sacrer  et 
couronner  suivant  la  tradition  constante  de  la  royauté  fran- 

talium  amodo  erohuic  amico  meo  régi  orientali  Heinrico  amicus,  sicut 
amicus  per  rectum  débet  esse  suo  amico  »  (Constitut.  imper,  et  regum^ 
LL.  éd.  Weiland(1893),  I,  p.  1).I1  est  vrai  que  l'exposé  préliminaire 
donneà  Henri  le  titre  de  rex  Francorum  orientalium,  maisnous  igno- 
rons de  qui  la  rédaction  émane  et  si  elle  a  le  même  caractère  officiel 
que  le  serment.  Elle-même,  du  reste,  attribue  une  préséance  manifeste  à 
Charles  le  Simple,  ainsi  que  Ta  reconnu  le  grand  historien  Ranke  (Cf. 
Eckel,  op,  cit.,  p.  115  note).  On  ne  saurait  non  plus  perdre  de  vue 
que  si  Charles  le  Simple  prend  depuis  911  la  qualité  de  rex  Franco- 
rum dans  ses  diplômes,  ni  Conrad  ni  Henri  ne  la  prennent  dans  les 
leurs.  Ils  se  qualifient  rex  tout  court  (Voyez  Diplomata  regum  et 
imperat,  Germ.,  LL.  éd.Sickel  (1894),  p.  2-79).  Le  chroniqueur  Eber- 
hard en  fut  si  choqué  au  xii*  siècle  qu'il  kitercala  bravement  dans  un 
diplôme  de  Conrad  les  mots  :  «Romanorum  et  Francorum»  (Diplom. 
p.  35). 

*  w  Saxones...  tanta  cœde  Francos  mulctali  sunt,  ut  amimis  decla- 
maretur,  ubi  tantus  ille  infernus  esset,  qui  tantam  multitudinem  cœ- 
sorum  capere  posset.  »Widukind,  Res  gestœ  Saxoîiicœ,  I,  23;Migne, 
137,143). 

2  Ce  n'est  que  dans  les  diplômes  d'Otton  I  que  je  vois  réapparaître 
l'expression  antecessores  nostri  reges  et  imperatores  Francorum 
{Diplom.  f  I,  p.  165),  antecessores  nostriy  videlicet..»  reges  Francorum 
(ibid,,  p.  319),  etc.,  et  le  titre  de  Romanorum  et  Francorum  impera- 
tor  {ibid.,  p.  443). 


196  LIVRE  IV.    —  CHAPITRB    I. 

que*.  Mais  la  suprématie  franque  était  trop  profondément 
enracinée  dans  Tâme  des  peuples  pour  ne  pas  survivre 
aux  changements  de  règne.  Au  xii'  siècle  encore  Otto  de 
Friesingen  considérera  le  regnum  Teutonum,  que  Henri  a 
fondé,  comme  une  partie  du  regnum  Francorum^y  de  même 
que  Widukind,  au  x*  siècle,  appelle  le  royaume  deGerma- 
nieimperium  Fraiicorum.  Et  quefltlesuccesseurdeHenri, 
le  premier  des  Otton?  Il  s'efforça,  par  tous  les  moyens, 
pour  lutter  contre  les  Carolingiens  de  France,  de  se  faire 
passer  pour  un  rex  Francorum.  Il  se  fait  élire  à  Aix-la- 
Chapelle  dans  le  palais  de  Charlemagne,  il  revêt  le  cos- 
tume franc,  il  se  fait  sacrer  et  couronner  comme  souverain 
des  Francs',  il  appelle  lui,  dans  ses  diplômes,  invariable- 

•  «  Cumque  ei  ofîerretur  unctio  cum  diademate  a  summo  pontifice 
(l'archevêque  de  Mayence),  qui  eotempore  Hirigeruserat,  non  spre- 
vit,  nec  tamen  suscepit  :  »  Satis,  inquiens,  michi  est  ut  pree  ma- 
joribus  meis  rex  dicar  et  designer  y  divina  annuente  gratia  ac  vestra 
pietate;  pênes  meliores  vero  nobis  unctio  et  diadema  sit;  tanto 
honore  nos  indignos  arbitramur  »  (Widukind,  I,  26;  Migne,  437, 
445). 

*  «  Michi  videtur  regnum  Teutonicorum,quod  modo  Romamhabere 
cernilur,  partem  esse  regni  Francorum  »  (Otlon.  Frising.  Chronicon^ 
VI,  47  ;  S.S.  in.  us,  sch.,  éd.  Pertz,  p.  268). 

3  Widukind  décrit  avec  un  grand  luxe  de  détails  l'élection  et  le  sa- 
cre d'Otlon.  Les  chefs  des  Francs  et  des  Saxons  ont  élu  Otton,  et 
Tarchevêque  de  Mayence,  Franc  d'origine,  Franco  génère^  debout  au 
centre  de  la  basilique  de  Charlemagne,  soumet  Télection  aux  suf- 
frages du  peuple  répandu  sur  le  pourtour  de  l'édifice  :  «  Si  vobis 
ista  electio  placeat,  dextris  in  cœlum  levatis  significate.  »  Le  chroni- 
queur continue  :  w  Proinde  processit  pontifex  cum  rege,  tunica 
stricta  more  Francorum  induto^  pone  altare,  super  quod  insignia 
regalia  posita  erant,  gladius  cum  balteo,  clamis  cum  armillis,  baculus 
cum  sceptro  ac  diadema...  Ipse  autem  accedens  ad  altare,  etsumpto 
inde  gladio  cum  balleo,  conversus  ad  regem  ait  :  a  Accipe,  inquit, 
hune  gladium...  auctoritate  divina  tibi  tradita  omni  potestate  totios 
iMPBRn  FRANCORUMt  ad  firmissimam  pacem  omnium  Christianorum  »... 
Perfususque  illico  oleo  sancto  et  coronatus  diademate  aureo  ab  ipsis 
pontificibus  H.  et  W.  ac  omni  légitima  consecraHone  compléta^  etc.  » 
(Widukind,  Chronique^  II,  4  ;  Migne,  437,  459-460). 


LES  DESTINÉES  DU   DROIT   ROYAL.  197 

ment  les  rois  francs  ses  prédécesseurs  K  II  rendait  donc 
hommage  au  principe  de  la  prééminence  franque  en  cher- 
chant à  Taccaparer.  Ses  efforts  se  seraient  peut-être  brisés 
contre  le  sentiment  populaire,  et  les  populations  franques 
ou  gallo-fpanques  de  la  Lorraine  et  de  la  Bourgogne  se- 
raient demeurées  fidèles  à  la  dynastie  de  Charlemagne,  si 
la  maison  saxonne  n'avait  trouvé  des  auxiliaires  puissants 
au  cœur  de  la  Francie  occidentale.  Ces  auxiliaires  ne  fu- 
rent autres  que  les  Robertiens  et  les  seigneurs  laïques  ou 
ecclésiastiques  qui  se  rebellaient  contre  les  derniers  Caro- 
lingiens. 

On  s'est  beaucoup  mépris  sur  la  véritable  nature  de 
cette  rébellion.  Son  caractère  était  double;  ses  résultats 
furent  convergents.  Elle  consistait,  d'une  part,  dans  une 
rivalité  entre  les  grands  lignages,  dans  une  lutte  d'influence 
et  de  pouvoir  entre  la  famille  carolingienne  et  le  clan  des 
Robertiens,  la  maison  de  Vermandois,celle  de  Flandre,  etc., 
lesquels  cherchèrent  un  point  d'appui  à  l'étranger  pour 
remporter  sur  leurs  rivaux,  mais  sans  se  prévaloir 
de  principes  nouveaux  ni  poursuivre  un  changement  de 
régime  ou  de  système  gouvernemental.  D'autre  part,  une 
question  de  domination  religieuse  se  trouva  en  jeu  quand 
prit  corps,  avec  le  couronnement  d'Otton  comme  empereur 
romain  (962),  l'idée  d'une  monarchie  chrétienne,  renou- 
velée de  celle  de  Constantin  le  Grand,  que  gouverneraient 
en  commun  le  pape  et  l'empereur.  C'est  cette  idée  qui  fait 
de  Gerbert  et  d'Adalbéron  de  Reims  des  adversaires  aussi 
redoutables  des  Carolingiens  qu'ils  sont  partisans  fougueux 
des  Otton*.  Ne  fallait-il  pas  mettre  en  pièces  la  suprématie 
des  premiers  pour  assurer  aux  seconds  l'empire  universel? 

Sous  cette  double  action,  soutenue  et  renforcée  par  le  roi 
saxon,  s'effondra  finalement  la  dynastie  de  Charlemagne 

*  Suprà,  p.  195,  note  2. 

*  M.  Lot  {Les  derniers  Carolingiens,  p.  237  suiv.)  a  mis  ce  point 
d'histoire  en  lumière  avec  autant  de  force  que  de  talent. 


198  LIVRB   IV.  —   CHAPITRE   I. 

et  fut  anéantie  pour  de  longs  siècles  Tunité  de  la  Gaule. 
Voyez  les  péripéties  qui  se  succèdent. 

Quand  Raoul  l'emporte  en  923,  et  que  le  malheureux 
Charles  le  Simple  est  victime  de  l'odieuse  trahison  d'Herbert 
de  Vermandois,  qui  l'emprisonne,  les  Lorrains  se  rallient  à 
Henri  l'Oiseleur*.  Quand  Louis  d'Outremer  est  rétabli  sur 
le  trône,  ils  retournent  à  lui  (936-939),  et  Otton  I  ne  parvient 
aies  réduire  parla  force  que  grâce  au  pacte  d'alliance  qu'il 
noue  avec  Hugues  le  Grand  et  les  autres  seigneurs  gallo- 
francs  qui  défaillent  à  leur  souverain*.  C'est  une  alliance 
analogue,  entre  Hugues  Capet  et  Otton  II,  qui  empêche  en 
985  Lothaire,  et  son  fils  Louis  l'année  suivante,  de  faire 
prévaloir  leur  autorité  sur  la  Lorraine  '. 

Dans  le  royaume  de  Bourgogne  et  Provence,  il  n'en 
va  guère  autrement.  Quoique  le  roi  saxon  ait  pratiqué,  en 
937,  une  sorte  de  mainmise  sur  le  jeune  roi  Conrad*,  et 
Tait  fait  élever  à  sa  cour,  le  fils  bâtard  de  Louis  l'Aveugle, 
Charles  Constantin,  qui  continue  à  prétendre  au  comté  des 
Viennois  et  qui  est  un  descendant  par  les  femmes  des 
Carolingiens,  reconnaît,  en  941  et  en  951 ,  la  suprématie  de 
Louis  d'Outremer,  tout  en  faisant  hommage  dans  l'inter- 
valle (943)  à  son  lige  seigneur  Conrad*.  Rien  ne  prouve, 
que  Lothaire  ait,  vers  964,  en  faisant  épouser  à  Conrad 
sa  sœur  Mathilde,  renoncé  à  cette  suprématie.  Des  chroni- 
queurs ont  pu  la  confondre  facilement  avec  Tautorité  di- 
recte sur  les  populations,  à  laquelle  il  a  renoncé  en  effet*. 
Je  vois,  au  contraire,  dans  Vamitié''  de  Lothaire  et  de 

*  Parisot,  Le  royaume  de  Lorraine,  p.  664  et  suiv.  —  Eckel,  Charles 
le  Simple,  p.  130  et  suiv. 

•  Lauer,  Louis  IV  d'Outremer  (Paris,  1900),  p.  41  suiv.  —  Parisot, 
op.  cit.,  p.  674. 

3  Lot,  op.  cit.,  p.  142  suiv.,  p.  162,  193-195. 

♦  Flodoard,  Annales,  ad  an.  940;  Migne,  135,455. 

*  Lauer,  op.  cit.,  p.  73;  Poupardin,  op.  cit.,  p.  239-241;  Lot, 
p.  177. 

•  Cf.  les  textes  cités  par  Lot,  p.  37,  note  4. 

'  Lettre  de  Lothaire  à  Conrad  (980)  :  «  Amiciciam  inter  nos  a  multo 


LES  DESTINÉES  DU   DROIT  ROYAL.  J99 

GoDrad,  cimentée  encore  par  le  mariage  du  premier  avec 
la  nièce  du  second,  la  relation  qui  légitimement  devait 
exister  entre  le  chef  de  la  maison  carolingienne  et  le  suc- 
cesseur de  Rodolphe  I,  de  par  la  prééminence  tradition- 
nelle. Mais  là  aussi  les  luttes  et  les  intrigues  des  Rober- 
tiens,  de  leurs  fauteurs  et  de  leurs  auxiliaires,  permirent 
au  roi  des  Teutons  de  supplanter  finalement  le  roi  des 
Francs. 

§  S.  —  L avènement  de  la  dynastie  capétienne  et  la 
transmission  de  la  prééminence  franque. 

Par  Tavènement  des  Capétiens,  la  Germanie  triomphe*. 
La  dynastie  saxonne  n'éprouve  plus  le  besoin  de  se  donner 
des  apparences  franques,  elle  se  sent  libérée  de  toute  su- 
prématie éventuelle.  Seuls,  ses  sujets  lorrains  pourraient 
contester  sa  légitimité  ;  mais  la  force  aura  raison  de  leur 
autonomie  nationale.  Non  seulement,  elle  ne  reconnaît 
pas  Hugues  Capet,  son  ancien  allié,  comme  le  successeur 
légitime  des  Carolingiens*,  comme  Théritier  de  leurs  droits 
a  son  encontre^  mais  elle  espère  faire  de  son  titre  impérial 
une  cause  de  subordination  de  la  dynastie  nouvelle  que 
s'est  donnée  la  France  occidentale*. 

tempore  constitutam...  cujus  fructus  cum  a  me  multiplex  exire  valeat, 
utile  duxi...  id  petere  »  (Richer,  III,  86). 

'  C'est  exactement  Tinverse  de  ce  qu'on  a  généralement  admis  de- 
puis Augustin  Thierry,  sous  Tinfluence  de  sa  théorie  des  nationa- 
lités. 

«  Tel  fut  d'abord  le  langage  de  Gerberl,  tel  resta  le  langage  des 
chroniqueurs  allemands.  —  Voyez  notanunent  la  Chronique  de  Sige- 
bert  de  Gembloux,  ad  an.  987  et  988  ;  Migne,  160,  195-6.  —  Cf.  Lot, 
op.  cit,  p.  378-379. 

'  Quelle  vive  image  nous  donne  de  Tattitude  respective  du  chef  du 
saint  Empire  romain  et  du  prétendant  capétien  la  scène  célèbre  dé- 
peinte par  Richer  (981)  :  l'audience  secrète  à  Rome  de  l'empereur 
teuton  parlant  latin  et  se  servant  d'un  évéque  français  comme  inter- 
prète pour  se  faire  comprendre  de  Hugues  Capet;  l'empereur,  au  mo- 
ment de  paraître  en  public,  demandant  son  épée  que  du  regard  il 


200  LIVRE  IV.    —  CHAPITRE   I. 

Malgré  cela,  les  Capétiens  n'ont  cessé  de  prétendre 
qu'avec  la  couronne  des  Francs  carolingiens  [Karolinorum 
Francorum)\  ils  avaient  acquis  la  couronne  de  tous  les 
Francs  [regnum  Francorum),  la  suprématie  sur  les  autres 
nations  qui  composaient  l'empire  de  Charlemagne,  la  préé- 
minence sur  les  chefs  qui  les  gouvernaient,  même  sur  le 
souverain  germanique  malgré  son  titre  d'empereur.  Ce 
titre,  en  effet,  de  qui  le  tenait-il?  Si  c'était  de  sa  qualité 
de  successeur  des  rois  francs*,  il  était  primé  par  les  suc- 

désigne  sur  un  siège  pliant  où  il  l'avait  fait  placer  à  dessein  ;  Hugues 
Capet  s'inclinant  pour  la  prendre  et  la  porter  derrière  le  souverain 
de  sorte  que,  dit  le  chroniqueur,  l'ayant  portée  aux  yeux  de  tous 
{ctinctis  viderUibus)  il  y  aurait  été  tenu  à  Tavenir  «  inposterum  etiam 
se  portaturum  »;  la  présence  d'esprit  enfin  de  l'évéque  Arnoul  qui 
sauve  le  duc  des  Francs  de  cette  subordination  vassalique  en  lui  ar- 
rachant Tépée  des  mains  et  la  portant  majestueusement  lui-même 
derrière  Tempereur  (Richer,  III,  85). 

^  La  persistance,  à  travers  les  siècles,  de  la  qualification  de  Karo- 
linif  Karlingij  KarlenseSy  appliquée  par  les  étrangers  aux  Français,  de 
Karlingia  donnée  à  la  Francie,  de  Karlinga  à  la  langue  française, 
prouve  à  quel  point  était  enracinée  dans  la  conscience  des  peuples 
1  idée  que  là  seulement  avait  passé  l'héritage  de  Charlemagne.  Voyez 
les  textes  groupés  par  Waitz,  Deutsche  Verfassungsgesch,,  t.  V  (2« 
édit.  1893),  p.  132,  note  1,  et  le  passage  si  curieux  de  Godefroi  de 
Viterbe  (1191)  (SS.  XXII,  203),  cité  par  M.  Lot,  p.  306  :  «  In  lingua 
vero  teutonica  jussit  eamdem  provinciam  (partem  illam  Gallie  ïn 
qua  est  Sequana  fluvius  et  Ligeris)  vocari  nomine  suo  Carlingam  et 
eos  homines  nomine  suo  vocari  Carlingos..,  quod  vocabulum  omnes 
Teutonici  usque  hodie  servaverunt.  Dicunt  enim  :  V€uio  in  Carlin^ 
gam,  venio  de  Karlinga^  homo  ille  Karlingus  esty  et  linguam  habet 
Karlingam.  » 

*  Comme  le  prétend  Waitz,  en  alléguant  un  droit  d'aînesse  imagi- 
naire (Cf.  sur  c^  point  Lapôtre,  L'Europe  et  le  Saint-Siège,  p.  241}  et 
ne  tenant  pas  compte  du  fait  certain  que  la  couronne  impériale,  s^rès 
la  mort  de  Louis  le  Germanique»  n'avait  pas  été  attribuée  à  ses  fils 
mais  à  Charles  le  Chauve  :  «  Der  Anspruch  auf  die  Kaiserliche  Wûrde, 
den  nach  dem  Aussterben  der  Linie  Lothars  die  Deutschen  Karolinger. 
aïs  die  âltesten  des  Hauses  erhoben  und  zur  Geltung  gebracht,  ist  von 
ihnen  auf  die  Nachfolger  in  der  Herrschaft  iibergegangen  »  (Waitz, 
op.  cit.,  V,  p.  84-85). 


LES  DESTINÉES  DU  DROIT  ROYAL.  201 

cesseurs  des  derniers  Carolingiens,  lesquels  avaient  re- 
cneilli  Théritage  entier  de  la  maison  et  acquis  par  là  la 
prééminence  sur  la  dynastie  saxonne.  Si  c'était  du  pape  et 
des  Romains,  n'était-ce  pas  en  violation  des  droits  com- 
pris dans  cette  prééminence'? 

Nous  avons  les  témoignages  les  plus  précis  non  seule- 
ment sur  Ténergie  avec  laquelle  ce  sentiment  se  faisait  jour 
dans  Tentourage  des  rois  de  France,  mais  sur  sa  survi- 
vance aussi  dans  la  tradition  populaire. 

Quand  l'invasion  allemande  de*l'empereur  Henri  V  me- 
nace, en  Tan  1124,  la  France,  quel  est  le  langage  que  Suger 
met  dans  la  bouche  des  seigneurs  français?  «  Portons 
hardiment  la  guerre  dans  le  pays  même  des  Teutons,  pour 
qu'ils  ne  retournent  pas  chez  eux  avec  l'impunité  d'avoir 
osé,  dans  leur  orgueil,  s'élever  contre  la  France,  la  maî- 
tresse des  royaumes  (Francia,  domina  terrarum).  Qu'ils 
subissent  le  châtiment  de  leur  rébellion,  non  point  sur 
notre  terre,  mais  sur  la  leur,  qui,  souvent  domptée,  est  de 
par  le  droit  royal  des  Francs  aux  Francs  subordonnée  » 
{jure  regio  Francorum  Francis  subjacety. 

1  S'il  existait  un  droit  héréditaire  au  profit  des  descendants  de  Char- 
lemagne,  ce  droit  pendant  la  vacance  du  siège  impérial,  après  924^ 
n'avait  pu  résider  à  Tëtat  latent  ou  virtuel  que  dans  la  personne  de 
Charles  le  Simple,  de  Louis  IV,  de  Lothaire.  Eux  seuls  auraient  pu 
le  faire  valoir.  Et  c'est  bien  ce  que,  vers  Tan  954,  dans  sa  prophétie 
fameuse,  longtemps  attribuée  à  Rahan  et  même  à  saint  Augustin 
(HisU  litt,  de  la  France^  VI,  480),  le  moine  Adson  proclame,  avec 
d'autant  plus  d'éclat  que  son  traité  est  dédié  à  la  reine  Gerberge,  femme 
de  Louis  d'Outremer  :  «  Aussi  longtemps,  dit-il,  que  dureront  les 
rois  des  Francs,  reges  Francorum,  qui  doivent  tenir  Tempire  romain, 
la  dignité  de  cet  empire  ne  périra  pas  tout  entière,  car  elle  se  con- 
servera en  eux  :  Quandiu  reges  Francorum  duraverintf  qui  Roma- 
num  imperium  tenere  debent,  dignitas  romani  imperii  ex  toto  non 
peribit,  quia  stabit  in  regibus  suis  »  (Libellus  de  Antichristo,  Migne, 
iOl,  1295). 

*  M  Transeamus,  inquiunt,  audacter  ad  eos,  ne  redeuntes  impune 
ferant  quod  in  terrarum  dominam  Franciam  superbe  prœsumpserunt. 
Sentiant  contumacise  suœ  meritum,  non  in  nostra  sed  in  terra  sua 


202  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE  I. 

Les  plus  anciennes  chansons  de  geste  ne  sont  pas  moins 
expressives.  Dans  le  Roland,  M.  Léon  Gautier  a  compté 
cent  soixante-dix  passages  où  la  France  comprend  tout 
Tempire  de  Gharlemagne^  Elle  est  la  grande  terre,  la 
«  terre  major*  ».  Elle  englobe  l'Allemagne,  la  Bavière,  les 
Gaules. 

Tous  ces  pays  ne  sont  que  des  dépendances  de  la  France 
du  Nord,  de  la  douce  France,  de  la  Francie,  en  un  mot, 
que  ne  forment  ni  la  Normandie  et  la  Bretagne,  ni  le 
Maine  et  TAnjou',  ni  la  Flandre  et  la  Bourgogne,  ni 
rAquitaine  et  la  Provence*. 

G'est  le  roi  de  la  douce  France,  Charlemagne',  c'est  Ro- 

quas  jure  regio  Francorum  Francis  sœpe  perdomita  subjacet  »  (Su- 
ger,  Vie  de  Louis  le  Gros,  27,  éd.  Lecoy  de  la  Marche,  p.  il 6-1 17, 
éd.  Molinier  (C.  T.),  p.  i02). 

^  Léon  Gautier,  éd.  de  Roland,  note  sur  v.  36  et  La  Chevalerie^ 
p.  d8. 

2  Roland,  v.  818,  1784,  etc. 

'  Dès  la  fin  du  x"  siècle  pourtant  TAnjou  apparaît  dans  nos  chan- 
sons de  geste  conune  partie  intégrante  de  la  Francie,  puisqu'à  ce 
moment-là  le  personnage  de  Geoffroi  d'Anjou  est  introduit  dans  le 
Rolandy  qu'il  y  joue  un  rôle  très  important,  figure  parmi  les  XII  pairs 
et  porte  Toriflamme  à  la  tête  des  Francs  de  France  (v.  3093).  Voyex 
sur  ce  remaniement  et  sur  le  personnage  qui  en  est  Tobjet  :  L.  Gau- 
tier, Rolaîidf  note  sur  v.  106  et  G.  Paris,  Extraits  de  la  Ch.  de  Ro- 
land, 4*  édit.,  p.  67.  Il  s'agit  de  Geoffroi  Grisegonelle  que  les  Chro- 
niques d'Anjou  nous  disent  avoir  été  nommé  signifer  par  le  roi  de 
France  (Chr.  d'Anjou,  p.  76). 

*  Voir  l'énuméralion  dans  le  Roland  (v.  2315  et  suiv.)  des  conquêtes 
faites  avec  Durendal.  Cf.  aussi  Ogier,  v.  8454  et  suiv.  : 
«  Et  si  sui  rois  de  France  le  resné, 
Moie  et  li  Mainnes  et  Bretagne  deiès 
Poitau,  Gascogne  et  d*Angeu  sui  fievés.  » 

»  Roland,  v.l6  : 

«  Li  emperere  Caries  de  France  dulce  » 
V.  116: 

«  ...  li  reis  ki  dulce  France  tient.  » 


LBS  DESTINÂBS  DU   DROIT   ROYAL.  203 

land  le  preux  le  plus  vaillant  de  la  douce  Fraace  *,  ce  soot 
les  Fraacs  de  France*,  conquérants  des  royaumes, 

«  Cels  de  France  ki  les  règnes  cunquierent  »  ' 

Ce  sont  eux  qui  se  sont  soumis  par  les  armes  les  autres 
peuples  composant  Tempire.  Les  Francs  de  France  enca- 
drent Tarmée;  ils  en  sont  l'avant  et  Tarrière-garde  *.  Leur 
cri  de  guerre  est  Montjoie.  Charlemagne  se  tient  au  milieu 
d'eux  dans  la  bataille^.  II  les  aime  plus  que  quiconque*. 

Seule  donc  la  France  ne  dépend  de  personne  et  com- 
mande aux  autres  nations.  Elle  est  la  terre  franche  de  tout 
lien  de  sujétion,  la  terre  libre  par  excellence, 

«  France  la  solue  »>  ' 

^Roland,  y.  2310.23ii. 

«  Roland,  V.  i77,  804,  808  eipassim. 

»  Roland,  v.  3032. 

*  Roland,  v.  30i8  et  suiv.  : 

«  Si  chevalchiez  el'  premier  chiet  devant 
Ensembl'od  vus  xv  milliers  de  Francs 

De  Franceis  sunt  les  premières  eschieles.  » 
V.  3084  : 

«  La  disme  eschiele  est  des  baruns  de  France 
«  Cent  mille  sunt  de  nos  meilleurs  catanies.  >» 
»  Roland,  v.  3086  et  suiv.: 

c<  Cors  unt  gaillarz  e  fîeres  cuntenances 
Les  chiefs  fluris  e  les  barbes  unt  blanches 
Osbercs  vestuz  e  lur  brunies  dublaines 
Ceintes  espées  franceises  e  d'Espaigne  ; 
Escuz  unt  gens  de  multes  conoisances 
Pois,  sunt  muntet  ;  la  bataille  demandent 
Munjoie  escrient  ;  ad  els  est  Carlemagnes.  » 
®  La  Ch.  de  Roland  dit  des  Bavarois  : 

((  Suz  ciel  n*ad  gent  que  Caries  ait  plus  chière 
Fors  cels  de  France  ki  les  règnes  cunquierent.  » 

(V.  303i-32). 
**  Roland,  v.  231i.  —  De  môme  Renaus  de  Montauban,  p.  395, 
V.30. 

tt  ...  li  XII  per  de  la  terre  asolue  » 


204  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  I. 

comme  elle  est  par  excellence  la  terre  de  la  bravoure  : 
«  La  terre  de  France,  la  plus  vaillant  du  mont  »*. 

Les  chefs  qui  sont  montés,  après  Charlemagne,  sur  le 
trône  de  la  douce  France,  y  ont  trouvé  la  suprématie  sur 
la  terre  majeure. 

Cette  suprématie,  la  chanson  de  geste  le  Couronnement 
de  Louis,  composée  à  une  époque  contemporaine  de  l'in- 
vasion de  1124*,  là  proclame  très  haut  : 

<  Quant  DeuB  eslist  nonante  et  nuef  reiames, 
Tôt  le  meillor  torna  en  dolce  France. 
Li  mieldre  reis  ot  a  nom  Charlemagne  ; 
Cil  aleva  volentiers  dolce  France  ; 
Deus  ne  fist  terre  qui  envers  lui  iCapende  '  ; 
Il  i  apent  Bavière  et  Alemaigne, 
Et  Normandie,  et  Anjou,  et  Bretaigne, 
Et  Lombardie,  et  Navare,  et  Toscane  *  ». 

De  là  le  programme  tout  tracé  de  la  royauté  fran- 
çaise. A  l'extérieur,  la  lulte  contre  le  Saint-Empire  romain, 
à  rintérieur,  la  reconstitution  de  la  Gaule  dans  ses  ancien- 
nes limites.  Ces  limites  n'étaient  qu'un  minimum,  auquel  le 
rex  Francorum  prétendait  avoir  droit  comme  successeur 
direct  de  Cloviset  de  Charlemagne.  Et,  pour  les  atteindre, 
n'avait-il  pas  à  son  service  la  vivacité  des  traditions  natio- 
nales, à  la  fois  celtiques,  romaines  et  franques,  le  souvenir 

*  Renaus  de  Montauban,  p.  404,  v.  20. 

2  Au  plus  tard  vers  1130.  Le  Couronn.  de  Louis,  éd.  E.  Langlois, 
Introd,j  p.  170. 

3  Le  MS.  C  (Bologne)  dont  M.  Gaston  Paris  a  publié  les  37a 
premiers  vers  dans  le  BulL  de  la  Soc.  des  Anciens  textes  (1896), 
porte  : 

€  Diex  ne  fist  terre  cali  ne  doie  apendre.  » 

♦  Cour.  Louis,  v.  12  et  suiv.  —  De  même  Ch.  des  Saisnes,  I,  p.  2  : 

«  La  corone  de  France  doit  estre  mise  avant, 
Qar  tuil  autre  roi  doivent  estre  à  lui  apandant 
Le  premier  roi  de  France  fist  Dex  par  son  commant 
Coron er  a  ses  angeles  dignement  an  chantant  ; 
Puis  le  commanda  estre  an  terre  son  sergent  * 


LBS  DESTINÉES  DU   DROIT   ROYAL.  205 

de  Tanité  triomphale  réalisée  par  le  grand  monarque  des 
Francs,  et  l'espoir  de  lavoir  renaître  sous  ses  successeurs? 
Espoir  d'autant  plus  ardent  et  plus  énergique  que  le  peu- 
ple souffrait  davantage  de  l'anarchie  féodale. 

La  Gaule,  en  effet,  n'avait  cessé,  malgré  des  divisions 
profondes,  de  constituer  un  grand  corps  de  nation,  d'avoir 
le  sentiment,  plus  ou  moins  conscient,  de  son  unité  ethni- 
que. «  C'était  parmi  les  Welches,  dit  fort  bien  M.  Lapôtre, 
en  s'unissant  à  eux,  à  combattant  à  côté  d'eux,  en  ne  fai- 
sant qu'un  avec  eux  que  les  Francs  avaient  propagé  au 
loin  le  bruit  de  leur  nom.  â  pareille  communauté  de  vie  et 
de  souvenirs,  l'unité,  l'idenlification  des  peuples  se  forme 
et  s'exalte  beaucoup  mieux  que  par  la  dérivation  plus  ou 
moins  lointaine  d'une  commune  origine;  caries  grandes 
actions  produisent  et  conservent  une  conscience  d'elles- 
mêmes  que  le  sang  ne  connaît  pas  K  »  Or  le  remplacement 
d'une  dynastie  par  une  autre,  à  la  tète  de  la  Gaule,  s'était 
accompli  suivant  des  formes  légales  et  dans  des  conditions 
qui  impliquaient  ou  devaient  entraîner  l'adhésion,  expresse 
ou  tacite,  des  chefs  de  population,  des  principes  Gallia- 
rum}.  Circonstance  capitale,  au  point  de  vue  du  droit  pu- 
blic, et  que  les  historiens  malgré  les  discussions  souvent 
passionnées  que  l'avènement  des  Capétiens  a  suscitées, 
ont  beaucoup  trop  laissé  dans  l'ombre,  faute  d'avoir  dis- 
tingué, comme  il  eût  fallu,  entre  les  éléments  constitutifs 
du  droit  royal,  entre  la  prééminence  carolingienne  et  la 
prééminence  franque. 

Cest  sur  la  prééminence  carolingienne  qu'a  porté  pres- 
que exclusivement  le  débat  à  l'assemblée  de  Senlis.  Elle 
était  fondée  sur  l'hérédité,  et  loin  de  sacrifier  de  piano  ce 
principe,  comme  un  récent  etexcellent  historien  l'a  pensé*. 
Âdalbéron  de  Reims  l'a  mis  en  échec,  en  jouant  habilement 


<  Lapôtre,  VEurope  et  le  Saint-Sièget  I,  p.  324. 

«  Richer,IV,li. 

»  Lot,  Les  derniers  Carolingiens^  p.  206. 


206  LIVRE   IV.   —  CHAPITRE  I. 

de  sa  subordination  légale  au  principe  de  Télection.  Son 
raisonnement  fut  celui-ci.  L' hérédité  ne  fait  pas  toute  seule 
le  roi.  Il  faut  de  plus  que  l'héritier  désigné  par  la  naissance 
soit  agréé,  soit  élu,  par  la  nation  franque  et  il  ne  peut 
l'être  s'il  est  indigne.  Or  Charles  de  Lorraine  est  indigne. 
Donc  son  droit  héréditaire  est  réduit  à  néant. 

Le  syllogisme  était  bien  construit.  Il  supposait  seulement, 
pour  son  exactitude,  que  l'indignité  de  Charles  fût  prouvée 
et  que  la  conclusion  fût  susceptible  de  s*étendre  à  tous 
les  membres  de  la  famille  carolingienne.  Quant  au  pre- 
mier point,  il  est  remarquable  qu'Adalbéron  emploie  une 
expression  à  double  sens  :  un  sens  juridique  dont  la  tra- 
duction Guadet,  reproduite  par  M.  Lot,  n'a  pas  tenu  compte, 
et  un  sens  vulgaire.  Charles,  dit-il,  a  subi  une  capitisim- 
mtinitio  en  servant  un  étranger  et  en  se  mésalliant  \  il  a 
perdu,  en  d'autres  termes,  'ses  droits  de  famille,  sa  préro- 
gative carolingienne,  en  se  soumettant  à  un  souverain 
saxon  dont  il  était  le  supérieur  né  et  en  s'unissant  à 
une  femme  d'une  caste  inférieure.  C'est  un  acte  d'insanité 
(voici  le  sens  vulgaire),  en  même  temps  qu'un  acte  de 
déchéance,  une  abdication. 

Mais  pourquoi  cette  déchéance  s'étendrait-elle  aux  autres 
membres  de  la  famille  carolingienne?  Ici,  il  faut  certaine- 
ment tenir  un  grand  compte  de  la  portée  que  les  hommes 
du  X*  siècle  attribuaient  à  l'hérédité.  Elle  n'avait  pour 
eux  toute  sa  force  qu'en  ligne  directe^  Et  c'est  pourquoi,  à 
Reims,  Hugues  Capet  put  assimiler  la  mort  de  Louis  V,  sans 
descendants,  à  une  extinction  de  la  dynastie  régnante'. 

'  «  Qui  tantacapitisimminutione  hebuit,  ut  externoregi  servire  non 
horrueril,  et  uxorem  de  militari  ordine  sibi  imparem  duxerit  »  (Richer, 
IV,  li). 

2  M.  Viollet,  HisU  des  instit.  polit,,  t.  II  (1898),  p.  25,  Ta  très  jus- 
tement remarqué. 

3  Voyez  également  Aimoin,  Miracles  de  saint  Benoit,  III,  1  (éd.  de 
Certain,  p.  127)  :  «  Qui  (Ludovicus)  immatura  prœventus  morte  des- 
titutum  proprio  herede  Francigenae  gentis  principatum,  utpote  na- 


LES  DESTINÂBS  DU   DROIT  ROYAL.  207 

C'est  pourquoi  aussi  rassemblée  de  Senlis  put  se  croire 
autorisée  à  écarter  sans  scrupule,  et  par  simple  prétéri- 
tioQ,Ies  collatéraux  du  dernier  roi,  ou  même  aies  considérer 
comme  solidaires  de  la  déchéance,  de  la  capitis  minutioj 
encourue  par  leur  chef  et  représentant*. 

Si  le  droit  cesse  pour  Charles  de  Lorraine  et  les  Caro- 
lingiens, ce  ne  peut  être  qu'au  profit  de  la  famille  rivale 
qui,  depuis  plusieurs  générations,  est  en  possession  du 
pouvoir  sur  les  Francs  et  qui  en  a  été  nantie  par  les  Caro- 
lingiens eux-mêmes.  Il  jaillissait  du  fait  séculaire.  N'é- 
tait-ce pas  l'application  à  deux  siècles  de  distance  du  prin- 
cipe posé  par  le  pape  Zacharie  pour  légitimer  Tavènement 
de  Pépin  :  «  Où  est  le  pouvoir  doit  être  la  royauté^  »? 
La  dignité  doit  être  en  rapport  avec  la  fonction.  Celui  qui, 
comme  duc  des  Francs,  détient  tous  les  pouvoirs  doit  pren- 
dre la  place  vide  du  roi  dont  il  était  X  aller  ego  :  «Promouvez, 
dit  Adalbéron,  faites  monterd'un  degré  votre  duc,  celui  qui 
l'emporte  sur  tous  les  autres  par  sa  fonction^,  par  sa  nais- 
sance et  par  ses  richesses.  »  Et  il  n'était  point  nécessaire 
pour  cela  de  transformer  la  possession  du  pouvoir  en  un 

turalis  expers  conjugii,  dereliquit,  Sane  palruusejus  Carolus...  cona- 
batur,  si  posset,  a  sui  generis  auctoribus  diu  possessum  sibi  vindi- 
care  imperium;  sedej us  vo/untos  nullum  sorlilur  effectum.  iVam  Franci 
primates,  eoreliclo,  ad  Hugonem  qui  ducatum  Francise  strenue  tune 
gubemabat,,.  se  conferentes,  eum  Noviocomo  solio  sublimant  regio.  » 

*  Je  ne  cherche  pas,  bien  entendu,  à  démêler  si,  en  droit  rigoureux, 
la  maison  carolingienne  pouvait  être  évincée  du  trône,  mais  à 
déterminer  l'état  d'esprit  qui  devait  faire  reconnaître,  accepter  pour 
légitime,  par  les  peuples  de  la  Gaule  et  leurs  chefs,  la  dynastie 
nouvelle. 

*  Ann.  Lauriss,  ad  an.  749,  passage  reproduit  par  Réginon,  ad  an. 
749,  p.  43  :  «  Et  prefatus  papa  mandavit  Pippino  melius  sibi  videri 
illum  regem  vocari  qui  potestatem  haberet,  quam  illum  qui  sine  regali 
potestatemanebat.  »  —  Sur  l'authenticité  de  cette  réponse  du  pape  aux 
envoyés  de  Pépin,  voyez  Mùhlbacher,  Regesten,  64,  p.  32  (2*  édit.). 

'  Promovete  igitur  vobis  ducem,  actu,  nobilitate,  copiis  clarissi- 
mum  »  (Richer,  IV,  11).  M.  Guadet  a  eu  tort  de  traduire  actu  «  par 
ses  actions  ».  In  actu  esse  =  être  en  fonction. 


208  UVRE   IV.    —   CHAPITRE   I. 

droit  perpétuel.  L'avenir  est  réservé  pour  les  élections  fu- 
tures, puisque  Télection  actuelle  ne  porte  que  sur  la  per- 
sonne de  Hugues  Capet.  Aussi  s'explique-t-on  la  hâte 
qu'eut  le  nouveau  roi  d'associer  son  fils  Robert  au  trône, 
et  celui-ci  à  son  tour  son  propre  fils.  De  la  sorte  seulement 
s'est  reconstitué  successivement  le  pouvoir  royal  aux  mains 
d'une  dynastie  nouvelle.  De  la  sorte  les  Capétiens  acqui- 
rent pour  leur  maison  le  privilège  familial  de  gouverner 
les  Francs  et  d'exercer,  en  leur  nom,  la  suprématie  sur  le 
reste  de  la  Gaule. 


209 


CHAPITRE  II 

LES  QUATRE  FACES  DE  LÀ  ROYAUTÉ. 

§  1.  —  La  prééminence  sur  les  princes  de  la  Gaule. 

J'espère  avoir  mis,  au  chapitre  précédent,  la  suprématie 
de  la  royauté  carolingienne  sur  la  France  majeure  dans 
son  plein  jour  historique.  Nous  n'avons  donc  plus  qu'à  l'ob- 
server aux  mains  de  la  royauté  capétienne  qui  en  a  hérité. 

Il  est  certain  que,  malgré  l'expression  principes  Gallia- 
rum  dont  Richer  se  sert,  les  chefs  de  la  Gaule  furent  loin 
d'être  au  complet  dans  l'assemblée  de  Senlis.  Mais,  à  un 
double  titre,  le  Capétien  n'en  devait  pas  moins  passer  pour 
leur  légitime  souverain  *  : 

1*  Il  était  élu  par  les  Francs  de  la  Francie,  auxquels  les 
autres  peuples  des  Gaules  étaient  subordonnés*.  Sauf 
donc  les  Bretons  et  les  Gascons  qui  n'avaient  pas  été  sou- 
mis, ou  qui  ne  l'étaient  plus,  et  les  chefs  des  pays  de  l'Est 
et  du  Sud-Est  que  nous  avons  vu  rattachés  à  l'Allemagne, 
les  autres  principes  des  Gaules  auraient  dû  de  plein  droit 
reconnaître  Hugues  Capet  pour  leur  supérieur. 

*  Toujours  sous  la  réserve  du  droit  des  Carolingiens,  voyez  p.  207, 
note  i,  et  Cf.  Cartul.  du  Monestier^  MS.  f*  59  :  «  Anno  ab  inc.  Dom. 
DCCCC  XCI,  régnante  Domino  nostro  Jesu  Christo,  contra  jus  re- 
gnum  usurpante  Hugone  rege  ». 

*  Suprày  p.  158  et  suiv.  Je  relève  dans  Guibert  de  Nogent  (Gesta  Dei 
per  Francos,  II,  2;  Migne,  156,  698)  cette  curieuse  expression  : 
«  Totius  Francise  et  appendicium  comitatuum  »,  et  dans  un  diplôme 
d'Henri  I  cette  formule  :  «  Ego  Henricus,  cuncti  potenti  Deo  super- 
eminente,  Francigenis  imperans  et  gentibusper  orbem  circumquaque 
diffusis  »  (vers  1033,  H.  F.  XI,  p.  568  D). 

F.  —Tome  III.  14 


210  LITRE   IV.    —   CHAPITRE  n. 

2**  La  prééminence  sur  eux  était,  en  vertu  de  la  concession 
directe  des  descendants  de  Charlemagne,  acquise  depuis 
plus  d'un  siècle  à  la  famille  robertienne.  Le  dux  Pran- 
corum  avait,  en  effet,  une  véritable  primatie.  Il  était  le 
primas  inter  duces,  comme  le  duc  était  le  premier  des 
comtes^  il  était  investi  d'une  sorte  de  vice-royauté  des 
Francs.  Nous  savons  déjà  qu'il  n'avait  pas  un  duché  terri- 
torial, un  duché  de  France,  mais  l'autorité  générale  sur 
les  Francs  occidentaux.  N'existait-il  pas  des  ducs  des 
Bretons,  des  Aquitains,  des  Bourguignons  ou  Austrasiens, 
des  Provençaux,  des  Alamans,  des  Francs  orientaux?  La 
différence  essentielle  était  que  la  nationalité  franque  do- 
minant les  autres  nationalités  des  Gaules,  le  duc  des 
Francs  avait  la  suprématie  sur  tous  les  ducs  ou  princes 
soumis  au  roi  des  Francs  qu'il  représentait.  C'est  ainsi  que 
le  dux  Francorum  de  l'Ouest  fut  en  même  temps  dux  om- 
nium  Galliarum^y  dux  regni, 

Eudes,  nous  l'avons  vu,  était  investi  du  ducatus  te- 
gnx^.  Il  put  donc  transmettre  cette  qualité  à  son  frère 
Robert,  qui  y  fut  confirmé  par  Charles  le  Simple  rentré 
en  possession  de  sa  couronne*.  Après  lui,  le  ducatus  re^ 

1  M.  Pfister  définit  les  ducs  :  «  des  comtes  élevés  au-dessus  des 
autres  comtes  »  (p.  i33). 

2  «  Eum  rex  omnium  Galliarum  ducem  constituit  »  (Richer,  II,  39). 
Il  est  possible  que  Bicher  ait  fait  allusion  dans  ce  passage  à  la  triple  con- 
cession du  ducatus  sur  les  Francs,  les  Bourguignons  et  les  Aquitains, 
octroyée  par  Charles  le  Simple  à  Hugues  le  Grand;  mais  M.  Pfister 
(p.  133,  note  3)  objecte  à  tort  à  M.  de  Barthélémy  que  la  concession 
du  ducatus  Francorum  aurait  dû,  dans  son  système,  rendre  les  deux 
autres  superflues.  A  titre  de  dux  Francorum^  Hugues  le  Grand  n'é- 
tait pas,  comme  il  le  devint  à  titre  de  duc  des  Aquitains  et  des 
Bourguignons,  seigneur  lige  de  ces  peuples.  II  avait  seulement  une 
suprématie  sur  leurs  principes, 

'Swprà,  p.  186. 

*  Le  prédécesseur  de  Hugues  l'Abbé,  le  comte  Henri,  est  appelé 
«  marchensUi  Francorum  »  par  les  Annales  de  Pulde  (ad  ann.  886, 
p.  114)  et  ce  môme  titre  réapparaît  pour  le  frère  d*Eudes,  Robert  : 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.        211 

^m  fut  acquis  à  Hugues  le  Grand*,  puis  à  Hugues  Capet*. 
Quand  celui-ci  monta  sur  le  trône,  la  prééminence  résul- 
tant du  ducatus  se  confondit,  en  la  renforçant,  avec  celle 
de  rex  Francorum,  Lui  et  ses  successeurs  se  gardèrent 
bien  de  l'en  détacher  et  de  suivre  l'exemple  des  rois  ro- 
bertiens,  qui,  étant  de  simples  interreges,  avaient  eu  in- 
térêt à  ce  que  la  qualité  de  dux  Francorum  restât  acquise, 
en  tout  état  de  cause,  à  un  membre  de  leur  famille. 

Remarquons,  au  surplus,  qu'en  dehors  de  la  Francie,  la 
royauté  revêtait  alors  le  caractère  de  primatie  beaucoup 
plus  que  de  domination  fondée  sur  l'ancienne  conquête 
des  Francs.  Si  le  duc  était  le  premier  des  comtes,  le  duc 
des  Francs  le  premier  des  ducs,  le  roi  de  France  est  le 
premier  des  princes  de  la  Gaule.  Sa  prééminence  était 
devenue  de  plus  en  plus  analogue  à  celle  qui  avait  appar- 
tenu au  chef  de  la  maison  carolingienne  sur  les  autres 
membres  de  cette  famille.  En  voici  la  raison. 

L'unité  du  regniim  Francorum^  à  défaut  du  lien  familial 
qui  faisait  de  la  royauté  un  tout  indivisible,  dont  Texercice 
seul  était  partagé,  avait  été,  dans  la  seconde  moitié  du 
IX'  siècle,  cherchée  dans  le  lien  de  la  concorde^  le  lien  de 
la  fraternité  chrétienne  et  de  la  pairie,  non  seulement  entre 

«  Qui  marchio  Francorum  vocabatur»  (Continuât.  d'Aimoin,  H.  F.  XI, 
p.  274  E). 

Richer  donne  à  Robert  la  qualité  de  dux  Celticœ  (I,  14.  Cfr.  I,  28), 
et  il  la  définit  ainsi  :  «  Quem  rex  Celticœ  ducem  praefîcit,  ac  in  ea 
omnium  gerendorum  ordinatorem  concedit.  « 

*  Le  roi  Raoul  qualifie  Hugues  le  Grand  «  regni  nostri  marchio  » 
(Diplôme  de  927,  H.  F.  IX,  57i  C). 

2  Le  véritable  caractère  du  ducatus  Francorum  ou  regni  de  Hu- 
gues Gapet  est  admirablement  marqué  dans  ces  vers  d'Angelramne 
(+i045): 

Post  regem  primus  regni  tune  jura  regebat 
Filius  Hugonis  magni,  dux  inclytus  Hugo. 
Postea  regali  qui  sublimatus  honore 
Rexit  Francorum  miro  moderamine  regnum  » 

(Invention  de  Saint-Riquier.  Mabillon,  SB.  V,  î>63). 


212  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  II. 

rois ,  mais  entre  rois  et  fidèles  *.  S'il  est  vrai  que  ce  liea 
manqua  de  consistance,  il  n'en  fournit  pas  moins  les  élé- 
ments d'une  assimilation  des  princes  aux  rois.  L'Église 
la  consacrait  puisque  le  régime  de  la  concorde  était  son 
œuvre  :  le  déclin  du  pouvoir  royal  et  la  croissance  du 
principat  se  chargèrent  de  la  rendre  effective. 

Le  régime  que  nous  avons  vu  institué  par  Yordinatio 
regni  de  817^  s'étendit  donc  des  rois  aux  grands  pares. 
Ceux-ci  se  trouvèrent  vis-à-rvis  du  roi  de  France  dans  la 
condition  où  les  divers  reges  Francorum  s'étaient  trouvés 
au  regard  de  l'empereur  Lothaire.  Ils  sont  placés  sous  sa 
major  potestas,  ils  sont  tenus  envers  lui  à  la  déférence  et 
au  serment  de  sécurité  ou  d'alliance',  mais  ils  ne  lui  doi- 
vent pas  l'hommage  de  vassalité,  comme  le  doivent  les 
principes  de  la  Francie,  pour  qui  l'ancien  mundium  royal 
continue  à  produire  son  plein  effet  et  à  fonder  la  foi  lige. 
Toutefois,  la  ligne  de  démarcation  ne  se  maintiendra 
pas  rigoureuse.  Elle  s'infléchira  sur  les  frontières  où  le 
particularisme  ethnique,  appuyé  par  l'influence  étrangère, 
élèvera  certains  princes  de  la  Francie,  le  comte  de 
Flandre,  notamment,  au  rang  des  principes  de  la  Gaule. 
Par  contre  les  seigneuries  ecclésiastiques,  qui  consti- 
tuent de  véritables  principats,  se  trouveront  placées  dans 
une  dépendance  aussi  étroite  que  la  Francie. 

Si  nous  élevons  maintenant  le  regard  plus  haut  et  Té- 
tendons  assez  pour  embrasser  par  avance  les  aspects  que 
nous  aurons  à  considérer  dans  les  chapitres  suivants,  nous 
pouvons,  à  beaucoup  d'égards,  comparer  l'autorité  royale 
sur  l'ensemble  de  la  Gaule,  telle  qu'elle  sortit  du  chan- 
gement de  dynastie,  au  pouvoir  du  pape  sur  l'ensemble  de 
la  chrétienté.  Le  pape,  lui  aussi,  n'est  qu'un  premier  évô- 

*  Voyez  infrà  :  La  pairie, 

^Suprà,  p.  171-172. 

3  Je  l'ai  indique'  sommairement  au  T.  I  (p.  150  etsuiv.)  et  je  leprou- 
verai  en  traitant  du  Principat. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       213 

que,  si  le  roi  n'est  qu'un  premier  prince.  L'un  est  le 
représentant  de  saint  Pierre,  l'autre  de  Charlemagne,  et 
c'est  de  là  qu'ils  tirent  tous  deux  leur  suprématie.  Pour 
tons  deux  cette  suprématie  est  d'ordre  à  la  fois  spirituel  et 
temporel.  Leur  fonction  essentielle  consiste  à  protéger 
pour  maintenir  ou  rétablir  l'ordre,  l'ordre  laïque  et  l'ordre 
ecclésiastique.  Le  roi  intervient  dans  les  affaires  de 
l'Eglise,  comme  le  pape  s'immisce  dans  les  affaires  des  sei- 
gneuries. L'un  et  l'autre  prennent  sous  leur  sauvegarde 
églises  et  abbayes,  laïques  et  clercs.  Ils  sont  le  refuge  su- 
prême de  la  justice.  C'est  à  eux  qu'on  en  appelle.  Ils  déci- 
dent plus  comme  arbitres  que  comme  juges,  l'un  assisté 
de  ses  douze  cardinaux,  l'autre  de  ses  douze  pairs.  La 
euria  du  pape  deviendra  la  curie,  celle  du  roi  sa  cour.  Au 
X*  siècle,  roi  et  pape  sont  à  la  merci  des  chefs  qui  les 
élisent  ou  les  dominent.  Ils  poseront,  au  xi'  siècle,  les  as- 
sises d'une  monarchie  souveraine. 

§  2.  —  La  souveraineté  sur  les  princes 
de  la  Francie. 

A  la  suprématie  sur  les  principes  de  la  Gaule  j'oppose 
la  souveraineté  sur  les  principes  de  la  Francie.  Cette  dis- 
tinction a  été  entrevue  par  les  historiens  du  droit,  mais  sa 
portée  ni  son  principe  n'ont  été  exactement  saisis.  Une 
théorie  que  Pardessus  a  mise  en  faveur  partage  l'ancienne 
France,  dès  le  x'  siècle,  en  pays  A' obéissance  le  roi  et  en 
pays  de  non-obéissance  le  roi,  les  premiers  constituant  la 
France  proprement  dite,  les  seconds  formés  des  grands 
fiefs  de  Normandie,  Bourgogne  et  Champagne,  Flandre, 
Aquitaine  et  Toulouse*.  Les  pays  d'obéissance  seraient 
tout  uniment  l'ancien  duché  de  France,  dont  le  chef,  devenu 
roi,  aurait  gardé  devers  lui  tous  ses  droits  de  seigneurie, 

*  Essai  historique  sur  l'organisation  judiciaire  depuis  Hugues  Ca- 
pety  Paris,  i851,  p.  26  et  suiv.  Préface  du  t.  XXI  des  Ordonnances^ 
p.xin  et  suiv. 


214  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II. 

le  droit  à  Thommage  de  service  de  tous  les  barons  du  du- 
ché. Et  qu'est  Tautorité  sur  les  grands  vassaux?  Elle  est, 
suivant  Loiseauque  cite  Pardessus,  un  pouvoir  de  seigneur 
naturel^  quant  à  leur  personne,  de  seigneur  féodal  quant 
à  leurs  possessions*,  et,  d'après  Pardessus  lui-même,  une 
suzeraineté  féodale  modelée,  calquée  sur  la  suzeraineté  féo- 
dale ordinaire,  en  vue  de  concilier  la  soif  d'indépendance 
des  grands  vassaux,  le  morcellement  de  la  souveraineté  et 
l'unité  de  la  patrie  gauloise*.  Enfin  d'où  procède  in  ter- 
minis  la  distinction?  Elle  est  empruntée  aux  Etablissements 
de  saint  Louis,  qui  la  formulent  à  diverses  reprises,  sans 
en  définir  nettement  les  termes. 

M.  Luchaire  s'est,  à  très  juste  titre,  insurgé  contre  cette 
théorie  '.  Le  duché  de  France  n'était  pas  un  duché  terri- 
torial, il  n'a  donc  pu  devenir  une  espèce  de  domaine  royal. 
Si,  d'autre  part,  l'autorité  sur  les  grands  vassaux  est  une 
suzeraineté  qui  entraîne  l'hommage  personnel  et  l'hommage 
féodal,  quelle  différence  peut-il  exister  entre  eux  et  les 
princes  de  la  Francie?  Enfin  il  est  inadmissible  qu'on 
reporte  à  trois  siècles  en  arrière  une  distinction  imaginée 
par  un  compilateur  sans  caractère  officiel,  qui  voulait  tout 

*  «  Eux-mêmes  pour  leurs  personnes  ont  un  supérieur  duquel  ils 
sont  sujets  naturels^  et  partant  ne  sont  pas  vraiment  princes  souve- 
rains... Tels  ont  été  autrefois  les  principaux  ducs  et  comtes  de  France, 
qui  avoient  usurpé  les  droits  de  souveraineté,  ne  reconnoissant  les 
rois  que  de  l'hommage  de  leurs  seigneuries  et  de  Id^subjection  de  leurs 
personnes,  »  (Iraité  des  seigneuries,  ch.  xi,  n°»  34-35). 

2  u  Leur  conduite...  démontre  qu'ils  ne  voulurent  pas  morceler  la 
France  en  petites  souverainetés  isolées,  indépendantes  de  tout  centre 
commun...  Il  en  résulta  une  sorte  d'organisation  politique  inconnue 
jusqu'alors  (c'est-à-dire  jusqu'à  l'avènement  de  Hugues  Capet)  qui 
semblait  vouloir  allier  l'unité  de  la  patrie  avec  le  morcellement  de  la 
souveraineté.  Ces  seigneurs  indépendants  reconnurent  la  suzerûneté 
de  la  couronne...  c'était  avouer  qu'elle  avait  des  droits  de  la  môme 
nature  que  ceux  que  les  principes  féodaux  attribuaient  à  tout  suze- 
rain »  (Pardessus,  p.  30-31  p.  xv). 

3  HisU  desinstit.  monarchiques,  II  (1883),  p.  28-30. 


LBS  QUàTRB   FACES   DE  LA  ROYAUTÉ.  215 

simplement,  dans  des  additions  faites  par  lui  aux  textes 
coutumiers  *,  opposer  les  pays  où  avait  pu  entrer  en  vigueur 
rordonnance  de  saint  Louis  sur  le  duel  judiciaire  à  ceux 
où  elle  ne  s'appliquait  pas.  Dans  les  textes  coutumiers  eux- 
mêmes,  obéissaîice  désigne,  en  effet,  Thommage  person- 
nel ou  la  fidélité  qui  lie  au  roi  les  sujets  isolés  et  qui  lui 
permet  de  les  soustraire  à  la  justice  des  seigneurs',  à  leur 
droit  d'aubaine  et  de  bâtardise  '. 

Je  n'admettrai  pas  même  que  la  distinction  de  Pardessus 
puisse  devenir  exacte  en  restreignant,  comme  le  propose 
M.  Luchaire,  les  pays  d'obéissance  le  roi  aux  «  pays  dont  le 
roi  était  le  chef  féodal  direct  en  qualité  de  comte  >•  et  en 
assimilant,  sous  le  nom  de  pays  «  hors  l'obéissance  »,  les 
grands  fiefs  de  la  Francie  à  ceux  du  reste  de  la  Gaule*.  Nous 
venons  de  dire,  en  effet,  que  l'autorité  royale  sur  les  prin- 
ces de  la  Gaule  est  une  simple  prééminence  ou  suprématie; 
dans  la  Francie,  au  contraire,  groupe  ethnique  par  excel- 
lence, elle  repose  sur  l'hommage  lige  ou  naturel.  Là  réside 
la  distinction  essentielle.  Elle  correspond  à  un  état  politique 
très  différent  de  celui  du  xiii*  siècle  et  ne  saurait  donc  ren- 
trer, que  de  force,  dans  les  cadres  juridiques  de  cette  der- 
nière époque. 

Au  x«  et  au  xi*  siècle,  les  chefs  de  la  Francie  ont  concen- 

*  Pardessus  croyait  que  la  distinction  remontait  aux  «  livres  de 
droit,  composés  antérieurement  au  règne  du  prince  dont  les  établisse- 
ments portent  le  nom  »  (p.  27).  Or  il  est  aisé  de  reconnaitre  aujour- 
d'hui, grâce  à  Texcellente  édition  de  M.  Paul  Viollet,  qu'elle  ne  Bgure 
que  dans  des  passages  sortis  de  la  plume  du  compilateur  (Livre 
n,  ch.  XI  (II,  p.  356),  ch.  xii  (p.  360),  ch.  xvi  (p.  385),  ch.  xxx  (p. 427), 
ch.  XXXVI  (p.  458)).  Dans  les  textes  empruntés  aux  coutumiers  il  n'est 
pas  question  de  territoire  d'obéissance  ou  de  non-obeissance  le  roi.  Le 
moi  obéissance  n'y  apparaît  qu'accidentellement,  comme  synonyme 
de  fidélité  ou  d'hommage.  Voyez  livre  I,  chap.  cxx  (II,  p.  218),  livre 
II,  ch.  XIX  (II,  p.  396)  et  les  deux  notes  suivantes. 

a  Livre  II,  chap.  xx  (II,  p.  401). 

'  Livre  II,  chap.  xxxi  (II,  p.  428). 

^  Loc.  cit.,  p.  30. 


216  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   II. 

tré  et  incorporé  ea  leur  personne  la  foi  lige  naturelle  due 
par  Ja  population.  S'intercalant  entre  le  roi  et  ses  sujets, 
ils  se  sont  trouvés  vis-à-vis  de  la  couronne  les  porteurs 
de  cette  foi. 

Jai  exposé,  au  début  de  cet  ouvrage*,  comment  le 
mwwrfmm  familial  avait  abouti  chezles  Francs  dMmunditim 
royal,  à  Tombre  duquel  se  groupèrent  les  familles  et  les 
clans,  les  tribus  et  les  peuplades.  Ce  mundium  général 
s'est  ensuite  fragmenté  de  nouveau. 

Tout  sujet  devait  fidelitatem  et  leudesamio  au  roi 
franc.  Il  se  reconnaissait  expressément  son  homme  [leu- 
desamio =  Aomm2Mw)etluijuraiten  conséquence  fidélité*. 
La  violation  de  ce  serment  était,  aux  termes  de  la  loi 
des  Ripuaires,  passible  de  la  mort  et  de  la  confiscation 
générale  des  biens'.  Elle  était  un  sacrilège  selon  la  dé- 

«  T.  I,  p.  79  et  Buiv. 

>  Marculf,  I,  40  (LL.  Pormulse,  p.  68)  :  «  Ut  leudesamio  promUtan- 
tur  rege...  Jubemus  ut  omnes  paginsis  vestros,  tam  Francos,  Roma- 
nos  vel  reliqua  natione  degentibus...  fidelitatem  preceiso  filio  nostro 
vel  nobis  et  leudesamio,  per  loca  sanctorum  vel  pignora,  quas  illuc... 
direximus,  dibeant  promittere  et  conjurare  »  (Cf.  T.  I,  p.  82).  —  Capi- 
tul.  missorum,  829,  cap.  4  (LL.  Capit.  II,  p.  10)  :  «  Volumus  ut  missi 
nostri  per  totam  legationem  suam  primo  omniujn  inquirant,  qui  sint 
de  liberis  hominibus,  qui  fidelitatem  nobis  nondum  promissum  ba- 
beant,  et  faciant  illos  eam  promittere,  sicut  consuetudo  semper  fuit.  » 
—  Hlotharii  capit.  missor,,  832,  cap.  6,  i6id,  p.  64.  —  CapituL  misso- 
rum Attiniacetise,  854,  cap.  13  :  «  De  fidelitate  régi  promittenda,  id 
est,  omnes  per  regnum  illius  Pranci  fidelitatem  illi  promittant...  Sa- 
cramentum  autem  fidelitatis  est  :  Ego  ille  Karolo,  Hludowici  et  Judit 
filio,  ab  ista  die  inante  fidelis  ero  secundum  meum  savirum  (savoir), 
sicut  Francus  homo  per  rectum  esse  débet  suo  régi.  Sic  me  Deus  ad- 
juvet  et  istae  reliquiae.  »  (p.  278). 

Capitul.  Carisiac,  873,  cap.  5-6  :  u  Ut  unusquisque  cornes  in 
comitatu  suo  magnam  providentiam  accipiat  ut  nullus  liber  homo  in 
nostro  regno  immorari  vel  proprietatem  habere  permittatur,  cujus- 
cunque  homo  sit,  nisi  fidelitatem  nobis  promiserit.  »  (cap.  6,  p.  345). 

'  Lex  Ribuaria^  tit.  69,  1  (LL.  V,  p.  258,  éd.  Sohm)  :  «  Si  quis 
homo  régi  infidelis  exsteterit,  de  vita  componat,  et  omnes  res  suas 
fisco  censeantur  ». 


LBS   QUATRE  FACB8  DE  LA  ROYAUTÉ.  217 

cision  du  sixième  coDcile  de  Tolède  (633)'.  Sous  le 
pouvoir  centralisateur  de  Charlemagne,  rimportance  du 
serment  de  sujétion  ne  pouvait  que  croître,  au  moins  en 
théorie.  Le  commentaire  que  le  capitulaire  de  802  en 
donne'  en  aurait  fait,  s'il  avait  été  observé,  et  par  la  mul- 
tiplicité et  par  l'étendue  des  devoirs,  un  engagement  aussi 
étroit  que  l'était  celui  du  vassal  envers  son  seigneur.  C'est 
Tassimilation  que  Charlemagne  s'efforce,  en  effet,  de  réa- 
liser*. Bien  plus,  la  fidélité  envers  le  roi  eût  dû  planer  au- 
dessus  de  tous  les  engagements  privés,  les  subordonner  de 
telle  sorte  qu'ils  n'eussent  pu  être  contractés  que  salva/ide- 
litate  régis.  Or  ce  fut  l'inverse  qui  se  produisit  et  qui  devait 
se  produire  fatalement  par  la  dissolution,  la  rupture  de 
l'unité  impériale. 

Comme  nous  le  montrerons  au  paragraphe  suivant,  les 
habitants  de  la  Francie  qui  n'étaient  pas  sujets  directs  du 
roi  ne  furent  plus  astreints  tout  au  plus  envers  lui  qu'à  un 
serment  de  sécurité.  Mais  l'hommage  lige  qu'ils  ne  de- 
vaient plus,  leurs  chefs  continuaient  à  le  devoir  en  leur 
nom.  C'était  là  le  fondement  de  leur  légitimité.  Leur  pou- 
voir sur  la  Francie,  ils  ne  pouvaient  le  faire  remonter  qu'au 
rex  Francorum,  ils  ne  pouvaient  donc,  sous  peine  d'abdi- 
quer la  nationalité /ran^we,  se  soustraire  à  son  mundium. 

Il  importe  seulement  de  tracer  la  ligne  de  démarcation 
à  laquelle  j'ai  fait  allusion  plus  haut  comme  séparant  la 

*  «  Sacrilegium  quippe  est,  si  violetur  a  gentibus  Regum  suorum 
promissa  fides  :  quia  non  solum  in  eis  fit  pacti  transgressio  ;  sed  in 
Deum  quidem,  in  cujus  nomine  pollicetur  ipsa  promissio  >>  (Abbon, 
CanoneSf  cap.  4;  Migne,  139,  478.  Cf.  Hefele,  ConcUiengeschichte^  III, 
p.  87). 

*  CapUuL  missor.  générale  (802,  cap.  2, 1,  p.  92)  :  «  Et  ut  omnes  tra 
deretur  pubiice...  quam  magna  in  isto  sacramento  et  quam  muita 
comprehensa  sunt...  ut  sciant  omnes  istam  in  se  rationem  hoc  sacra- 
mentum  habere  »  (joignez  cap.  3-9)  (p.  92-93). 

*  CapituL  miss,  spec.  802,  cap.  1  et  in  fine,  I,  p.  100-101.  Cf.  T.  I, 
p.  121. 


218  LIVRE  IV.  —  CHAPITRE  II, 

Francie  du  reste  de  la  Gaule,  et  de  déterminer  nettement 
les  fluctuations  qu'elle  a  subies. 

Les  divisions  originaires  de  la  Gaule  étaieot  formées, 
nous  le  savons,  par  des  groupements  de  population.  Les 
groupes  étaient  plus  ou  moins  compacts,  plus  ou  moins  hé- 
térogènes; ils  pouvaient  être  transformés  par  des  afQux 
nouveaux,  comprimés  ou  étendus  par  une  domination  pro- 
longée, entraînés  dans  Torbite  de  petites  capitales,  telles 
que  Paris,  Laon  ou  Orléans. 

Partons  de  la  densité  relative  des  populations  franques 
qui  ont  envahi  la  Gaule.  Il  est  avéré  que  la  profondeur  du 
Qot  est  allée  s'afiTaiblissant  jusqu*à  la  Seine  où  il  s'est  pres- 
que arrêté.  C'est  donc  le  pays  au  Nord  de  la  Seine,  entre  ce 
fleuve,  l'Escaut  et  le  Rhin,  qui  constitua  à  l'origine  la  véri- 
table Francie.  Elle  comprenait,  avec  une  faible  partie  de  la 
province  ecclésiastique  de  Sens  et  de  celle  de  Rouen,  les 
deux  grandes  provinces  de  Reims  et  de  Trêves,  telle  qu'é- 
tait celte  dernière  avant  l'érection  en  métropoles,  auviii*et 
au  IX*  siècle,  des  sièges  de  Mayence  et  de  Cologne.  La  pro- 
vince de  Reims  devint  la  Francia  occidentalis,  la  province 
de  Trêves  la  Francia  média  (Lorraine)  etorientalis.  Mais 
de  même  que  celle-ci  franchit  le  Rhin,  pour  s'incorporer 
notamment  l'Alémanie,  de  même  la  Francie  occidentale 
franchit  la  Seine  pour  s'étendre  jusqu'à  la  Loire.  Peut-être 
l'existence  au  v*  siècle  du  royaume  de  Syagrius  prépara-t- 
elle  les  voies  à  un  mélange  plus  intime  des  populations,  à 
la  naissance  d'un  groupe  ethnique  englobant  avec  les  po- 
pulations anciennes  et  nouvelles  établies  entre  la  Seine  et 
1  Escaut  celles  qui  vivaient  entre  la  Seine  et  la  Loire. 

Ce  fut  surtout  par  des  infiltrations  et  des  colonies  iso- 
lées que  d'abord  s'opéra  le  mélange.  Dès  le  vi*  siècle  un 
petit  royaume  franc,  celui  de  Regnomer,  se  trouve  créé  au 
Mans.  Les  perturbations  incessantes  et  les  partages  succes- 
sifs de  l'époque  mérovingienne  répandirent  les  Francs  en- 
tre Seine  et  Loire  et  jusqu'à  la  Mayenne,  placèrent  souvent 
tout  ou  partie  des  deux  régions  sous  une  autorité  commune. 


LBS  QDATRB  FACES  DE   LA  ROYAUTÉ.       219 

lièrent  plas  ou  moins  élroitemeDt  les  destinées  de  leurs  po- 
pulations. Le  pays  d*au  delà  de  la  Seine  ne  perdit  pas, 
pour  cela,  sa  physionomie  propre.  Il  constitua  au  ix""  siè- 
cle un  missalicum.  Un^t/ra/u^y  fut  con&é  aux  Robertiens, 
dont  le  girand  ancêtre,  Robert  le  Fort,  était  comte  d'An- 
jou, de  Blois  et  de  Tours.  Il  s'appela  la  Neustrie  et  re- 
tint en  partie  ce  nom  jusquedans  le  courant  du  x*  siècle  '. 
Mais  l'assimilation  progressa  ;  elle  s*accompIit  grâce  au  gou- 
vernement des  Robertiens,  Comtes  de  Paris,  qui  était  placé 
sur  la  limite  des  deux  régions,  ils  purent  en  faire  le  trait  d'u- 
nion entre  elles';  chefs  de  la  Neustrie,  ils  furent  en  même 
temps  duces  Francorunij  possédèrent  par  intervalles  la  cou- 
ronne et  finirent  par  succéder  aux  Carolingiens.  Aussi  ne 
me  paraît-il  pas  douteux  que  laFrancie  comprenait,  à  la  fin 
du  X*  siècle,  le  pays  d'entre  Seine  et  Loire' jusqu'à  la  Bre- 
tagne \  Toutefois,  nous  allons  le  voir,  elle  ne  le  comprenait 
plus  tout  entier,  et  en  môme  temps  son  extension  à  Tune 
de  ses  extrémités  (Sud-Ouest)  avait  produit  ou  facilité  à 
l'extrémité  opposée  (Nord-Est)  le  relâchement,  presque  la 
rupture,  du  lien  ethnique. 

*  Voyez  l'étude  de  M.  A.  Longnoa  sur  Vile  de  France^  dans  les 
Mémoires  de  la  Société  de  V histoire  de  Paris,  I,  p.  2  et  suiv. 

*  Dès  le  IX*  siècle  Adrevald  appelle  Paris  le  trésor  des  rois  et  le  mar- 
ché des  peuples  :  «  Lutetia,  Parisiorum  nobile  caput,  resplendens 
quondam  gloria,  opibus,  fertilitate  soli,  incolarum  quietissima  pace, 
quam  non  immerito  regum  divitias,  emporium  dixero  populorum  » 
[Miracles  de  saint  Benoit,  h  33,  p.  72).  Cf.  Flodoard,  IV,  5  (Migne, 
135,273)  :  «  Caput  et  introitus  regnorum  Neustriaeatque  Burgundiae.  » 

*  La  position  géographique  de  Tabbaye  de  Fleury  (Saint-Benoit- 
sur-Loire)  est  déterminée  en  ces  termes  par  Thierry  de  Hersfeld  : 
<c  Instar  quippe  trigoni  vlsitur  sisti  :  et  ut  pressius  dicam,  in  modum  A 
litterae  proprio  statu  cernitur  sidereum  cornu  occupare.  Nam  a  sep- 
tentrione  Franciam,  ab  oriente  Burgundiam,  ab  australi  vero  parte 
Aquitaniam  tangit.  Sicque  in  confinio  trium  région um...  naturali  or- 
dineobtinet  primatum  »  (Illatio  S.  Benecf.  cap.  4.  Mabillon  S.  B.  IV, 
2,  352).  Cf.  Pfister,  p.  132.  Eckel,  Ch.  le  Simple,  p.  32. 

^  Cf.  Adémar  Je  Chabannes,  III,  27,  p.  148  :  «  Normannia,  quae 
antea  vocabatur  marcha  Franciae  et  Britanniae.  » 


220  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   II. 

La  partie  septentrionale  de  la  Neustrie,  celle  qui  for- 
mait presque  entièrement  le  diocèse  de  Rouen,  fut  déta- 
chée de  la  Francie  par  Tabandon  qu'en  fit  Charles  le  Sim- 
ple à  RoUon,  en  911,  au  traité  de  Saint-Clair-sur-Epte, 
et  que  plus  tard,  en  924  et  en  933,  Raoul  compléta  à  son 
profit  et  au  profit  de  son  fils  Guillaume  Longue  Épée.  A 
cet  abandon  venait  se  joindre  la  circonstance  capitale 
que  le  pays  avait  été  durant  de  longues  années  occupé  et 
dévasté  par  les  Normands,  vidé  par  eux  de  ses  habitants, 
réduit  presque  en  solitude*,  et  qu'il  fut  repeuplé  par  des 
colons  attirés  du  dehors,  en  majeure  partie  sans  doute 
par  des  congénères  des  nouveaux  maîtres,  par  des 
immigrants  Scandinaves '.  C'est  donc  bien  un  groupe 
ethnique  profondément  distinct  qui  naît  sous  l'autorité  du 
duc  des  Normands  et  de  ses  compagnons  {comités).  La 
Normandie  entre  dans  l'histoire.  Elle  retient  et  s'approprie 
le  nom  de  Neustrie  :  désormais  elle  s'oppose  sous  ce  nom 
à  la  Francie*.  Le  duc  en  deviendra  le  seul  seigneur  lige. 
Le  rex  Francorum  n'aura  sur  lui  pendant  longtemps — nous 
le  montrerons  en  détail  *  —  qu'une  suprématie  analogue  à 
celle  que  reconnaissent  les  princes  de  la  Gaule  ou  qu'il 
prétend  sur  eux.  Il  y  aurait  seulement  à  rechercher  si,  à  ce 
point  de  vue,  le  Maine  et  la  seigneurie  limitrophe  de  Bel- 
lême  furent  incorporés  dès  le  xi*  siècle  à  la  Normandie  et 
détachés  de  la  Francie  ;  mais  la  question  se  lie  étroitement 
aux  destinées  de  la  domination  angevine  que  nous  étudie- 
rons plus  loin  dans  la  division  du  Principal. 

Si  une  région  paraissait,  avant  toute  autre,  partie  in- 
tégrante de  la  Francie  c'était  à  coup  sûr  la  Flandre.  N'avait- 
elle  pas  été  le  berceau  même  de  la  royauté  franque? 

Lorsque ,  quittant  les  landes  de  la  Campine  (Toxandrie) 
où  Julien  les  avait  cantonnés,  et  contournant  au  nord  la 

ï  T.  II,  p.  72. 

2  T.  H,  p.  76-77. 

3  Orderic  Vital,  II,  4  ;  IV,  81,  82  etc. 
♦  Infrà^  Principal,  chap.  i,  §  3. 


LES  QUATRE  FACBS  DE  LA  ROYAUTE.        221 

grande  forêt  Charbonnière  ^  les  Francs  saliens  eurent 
franchi  TEscant,  ils  occupèrent  la  partie  du  territoire  des 
Ménapiens  où  les  incursions  incessantes  des  pirates  nor- 
mands et  saxons  avaient  fait  le  vide,  le  pays  où  Bruges 
se  construira  plus  tard  avec  les  ruines  d'Oudenbourg* 
et  qui  prendra  le  nom  de  pagus  Flandrensis.  Puis  ils  se 
fixèrent  à  demeure  dans  le  delta  fluvial  que  forme  TEscaut 
avec  son  affluent  la  Lys.  Là,  protégés  sur  les  flancs  par  les 
deux  rivières,  au  Nord  et  à  l'Est  par  la  forêt  Charbonnière, 
ils  pouvaient  communiquer  avec  ceux  de  leurs  nationaux 
ou  de  leurs  congénères  qui  étaient  restés  en  arrière,  — 
les  uns  entre  la  Lys  et  la  mer,  trans  Legerem,  les  autres  au 
delà  de  la  forêt  Charbonnière,  trans  Carbonariam*^  dans  la 
Toxandrie,  et  le  long  de  la  Meuse  ou  du  Rhin,  —  et  rallier 
ainsi  successivement,  sousThégémoniesalienne*,  toutes  les 
tribus  franques  (même  les  ripuaires)  pour  se  lancer  avec 
elles,  derrière  un  chef  audacieux,  à  la  conquête  des  Gaules. 
Delà  aussi  ils  pouvaient  faire  des  incursions  soit  par  delà 
la  Lys  dans  le  pays  maritime  où  les  Ménapiens  avaient 
été  refoulés  autour  de  leur  castellum  (Cassel)  et  qui  garda 
d'eux  le  nom  de  pagus  Mempiscus,  soit  entre  la  Lys  et  le 
Canche  dans  le  territoire  des  Morins,  ces  enfants  perdus 
{extremi  hominum)  du  monde  gallo-romain.  Nulle  part  la 
population  franque  de  racé  pure  ne  dut  être  plus  nom- 
breuse et  plus  dense.  Mais  ce  ne  fut  qu'une  étape  temporaire. 
Gonflé  par  l'afflux  des  bandes  nouvelles,  entraîné 
par  l'ardeur  guerrière  et  conquérante,  le  flot  des  Francs 
s'écoula,  comme  sur  une  pente  naturelle,  à  travers  les 
plaines  cultivées  qui  s^ouvraient  au  Sud  devant  lui.  Il 
suivit  l'Aisne  jusqu'à  l'Argonne,  il  descendit  le  long  de 
rOise  jusqu'à  la  Seine.  Après  Courtrai,  Tournai,  Cambrai, 

*  Sur  la  situation  et  les  limites  de  la  forêt  Charbonnière  :  Duvivier, 
Recherches  sur  le  Hainaut  ancien  (1865),  p.  13  et  suiv. 

2  T.  II,  p.  331. 

3  Lex  Salica,  tit.  47,  éd.  Hessels,  c.  298  et  suiv. 
^Suprà,  p.  162. 


222  LIVRE    IV.    —   CHAPITRE   II. 

ce  furent  Soissons,  Laon  et  Reims,  Sentis  et  Paris  qui,  ré- 
sidences des  chefs,  endiguèrent  le  courant.  Puis  il  se 
divisa  en  petits  ruisselets  qui  coururent  et  filtrèrent  entre 
la  Seine  et  la  Marne  jusqu^au  seuil  du  plateau  deLangres, 
à  Bar-sur-Aube,  parallèlement  à  la  Loire  jusqu'au  Mans 
et  à  Angers.  A  mesure  que  les  Francs,  abandonnant  ainsi 
leurs  demeures  premières,  affluaient  dans  le  bassin  de  la 
Seine,  ils  étaient  remplacés  sur  les  plages  septentrionales 
du  pays  des  Ménapiens  et  des  Morins  par  des  hommes  du 
Nord,  des  Frisons  et  des  Saxons,  tandis  que  dans  le  pays 
des  Atrebates,  dans  l'Artois,  dans  TOstrevant  surtout,  la 
population  gallo-romaine  reprenait  le  dessus  et  finissait 
par  imposer  sa  langue,  le  vallon,  aux  Francs  qui  pestèrent 
en  arrière  au  milieu  d'elle. 

La  Flandre  se  forma  ainsi  de  deux  parties  distinctes, 
une  partie  germanique  et  une  partie  romane,  et  l'élément 
germanique  qui,  dans  le  premier,  domina  ce  ne  fut  pas  l'é- 
lément franc,  mais  l'élément  nordique,  frison  et  saxon, 
renforcé  peut-être  au  ix°  siècle  par  la  transplantation  de  co- 
lonies saxonnes  qu'opéra  ou  qu'encouragea  Charlemagne*. 
Le  groupe  ethnique  qu'il  constitue  est  celui  des  Thiois,  des 
Dietscherij  des  Flamands  flamingants*^  dont  la  physio- 
nomie propre  s'est  conservée  et  dont  la  langue  est  un  ra- 
meau du  vieux  saxon'.  La  situation  de  ces  populations  ger- 
maniques et  germano-romanes  sur  la  limite  de  la  Francie 
orientale  et  de  la  Francie  occidentale  devait  contribuertout 
ensemble  à  les  rapprocher  et  à  leur  faire  prendre  une  atti- 
tude indépendante,  à  développer  en  elles  l'esprit  d'autono- 
mie. Ne  pourrait-on  pas  s'expliquer  ainsi  la  naissance, 
au  VII®  siècle,  de  cet  énigmatique  duché  deDentelin  qui  est 
comme  un  avant-coureur  du  comté  de  Flandre?  Quoiqu'il 
en  soit,  le  point  certain,  le  point  essentiel  pour  nous,  c'est 

*  Cf.  Warnkœnig,  Flandr.  Staats  und,  Rechtsgesch,,  I,  p.  92. 
«  Flamingi  se  rencontre  déjà  dans  les  Annales  de  Saint- Vaast  (ad 
an.  883,  p.  316,  éd.  Dehaisnes). 
3  Hovelacque,  La  linguistique  (Paris,  1877),  p.  351  et  suiv. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTE.       223 

que  la  Flandre  quand  elle  apparaît  dans  Thistoire  n*est  pas 
comprise  dans  la  Francie  ^ 

Le  Vermandois  aurait  pu  avoir,  semble-t-il,  des  desti- 
nées analogues  aux  destinées  de  la  Flandre,  et  comme  elle 
se  détacher  de  la  Francie.  Lui  aussi,  il  était  une  sorte  de 
marche  à  l'extrême  Nord  de  la  Francie  occidentale;  ses  po- 
pulations anciennes,  gallo-romaines  ou  wallones  avaient 
également  repris  le  dessus,  à  mesure  que  les  Francs  se 
répandaient  vers  le  Sud,  et  elles  avaient,  parle  Cambrésis 
et  le  Hainaut,  subiin&itrationset  mélanges.  Mais  le  groupe 
ethnique  était  trop  restreint  et  trop  peu  compact,  trop  ins- 
table par  son  habitat  entre  les  sources  de  TOise  et  de  la 
Somme,  deTEscaut  et  de  la  Sambre,  trop  comprimé  entre 
des  puissances  rivales  pour  offrir  un  noyau  vivace  et  éner- 
gique à  un  principatindépenda^t^ 

La  Francie  ne  subit  pas  seulement  un  démembrement 
partiel.  Elle  éprouva  une  transformation  interne  par  la 
naissancedes  seigneuries  ecclésiastiques',  et  de  plus  elle  vit 
s'élever  dans  son  sein  des  États  qui,  après  avoir  tenté  de 
l'absorber  et  avoir  mis  en  péril  la  monarchie  capétienne, 
se  trouveront  un  jour  avoir  réalisé  pour  le  compte  de 
celle-ci  une  grande  partie  de  Tœuvre  d'unification  natio- 
nale*. 


*  Le  fait  ne  pouvait  échapper  à  l'érudit  auteur  d'une  nouvelle  His- 
toire de  la  Belgique,  M.  Pirenne  :  «  Il  n'y  a  jamais  eu,  dit-il,  de 
duché  salien  et  chose  plus  singulière  encore,  on  n'a  jamais  appelé 
Francia  ces  territoires  colonisés  par  les  Francs  au  nord  de  la  Char- 
bonnière et  d'où  leurs  guerriers  sont  partis  sous  Clovis  à  la  conquête 
de  la  Gaule.  Les  appellations  qu'ils  portent  :  Flandre,  Brabant,  n'ont 
pas  de  signiCcation  ethnographique  »  (2«  édit.,  Bruxelles,  1902, 1, 
p.  22). 

•  înfrà,  Principat,  ch.  i,  §  1. 
>I6i(f.,§2. 

*I6id.,§l. 


224  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE    II. 

§  3.  —  Le  pouvoir  royal  sur  le  peuple  et  sur  les  sei- 
gneurs indépendants  y  soit  de  la  Gaule,  soit  de  la 
Francie. 

En  principe,  tous  les  sujets  continuaient  à  devoir  rhom- 
mage  et  la  fidélité  au  rex  Francorum,  et  Abbon,  à  la  fin 
ou  x'  siècle,  atteste  encore  *  que  le  roi,  après  son  cou- 
ronnenoent,  les  astreignait  au  serment.  Mais  dès  Tépoque 
carolingienne,  la  plupart  des  devoirs  consacrés  par  ce  ser^ 
ment  ne  Tétaient  que  nominalement.  Leur  extension  dé- 
mesurée rendcdt  inapplicables  les  peines  qui  frappaient 
leur  violation.  La  faiblesse  grandissante  des  successeurs 
de  Charlemagne  les  laissait  impuissants  à  faire  observer  la 
fidélité,  et  leur  désunion  la  restreignit  pour  chaque  rex 
Francorum  à  son  royaume  personnel  *. 

Comme  M.  Brunner  Ta  observé  très  justement',  les  de- 
voirs positifs  ne  furent  plus  san  ctionnés  que  par  Tamende  du 
ban  royal.  Leur  violation  n'était  pds  un  acte  ^'infidélités 
mais  une  désobéissance  à  un  ordre.  Dans  la  mesure  donc  où 
le  ban  royal  reculait,  s'eflaçail,  devant  le  ban  seigneurial, 
le  serment  de  sujétion  ne  liait  plus  à  aucune  obligation  de 
«  faire  ».  Quant  à  l'infidélité  proprement  dite,  entraînant 
la  peine  de  mort  ou  la  confiscation  des  biens,  elle  se  limita 
au  crime  de  lèse- majesté  *.  A  ce  point  de  vue,  le  serment 
gardait  sa  raison  d'être,  mais  il  n'était  plus  qu'un  serment 
de  ne  pas  mal  faire,  il  n'emportait  que  des  obligations 
négatives,  il  constituait  un  serment  de  sécurité.  Dis- 
tinction qu'on  entrevoit  dès  l'époque  mérovingienne', 

«  «  Porro  ordinatus  rex  ab  omnibus  subditis  fidem  sibi  sacrameato 
exigit,  ne  in  aliquibus  regni  sui  finibus  discordia  generari  possit  «» 
{Collectio  Canonum,  cap.  4,  Migne,  139,  478). 

2  Cf.  suprà,  p.  216,  note  2,  in  fine  et  la  note  de  la  page  suivante. 

3  Brunner,  Rechtsgeschichte,  II,  p.  64. 

*  Waitz  Deutsche   Verfassungsg.,  III   (2«  édit.),  p.  308-309,  IV 
(2«  édit.),  p.  506  et  suiv. 
»  Voyez  Roth,  Gesch.  des  Beneficialwesens^  Erlangen,  1850,  p.  128, 


LES   QUATRE   FA.CES  DE   LA   ROYAUTÉ.  225 

qu'on  peut  suivre  au  ix"  siècle*  que  nous  avons  vu  s'af- 
firmer nettement  au  dixième',  et  qui  prend  ensuite  défini- 
tivement le  dessus*. 

et  les  passages  de  Grégoire  de  Tours  qu  il  cite.  —  Roth  a  très  bien 
remarqué  qu'un  tel  serment  est  beaucoup  moins  un  serment  de  su- 
jétion ethnique  qu'un  engagement  international  (vOlkerrechtliche 
Verp/lichtung), 

*  Sous  le  régime  de  la  concorde^  on  voit  Charles  le  Chauve  renoncer 
à  la  fidélité  qui  lui  était  due  et  se  contenter  d'une  securitas  ou  /îr- 
mitas  : 

«  Et  mandat  vobis  noster  senior  quia  si  aliquis  de  vobis  talis  est 
cui  suus  senioratus  non  placet,  et  illi  simulât  ut  ad  alium  seniorem 
melius  quam  ad  illum  acaptare  possit,  veniat  ad  illum,  et  ipse  tran- 
quillo  et  pacifico  animo  donat  illi  commeatum  ;  tantum  ut  ipsi  et  in 
suo  regno  vel  suis  fidelibus  aliquod  damnum  aut  aliquam  marritio- 
nem  non  faciat  »  (Capit.  missa  de  Carisiaco,  856,  cap.  13,  II,  p.  282). 
Cf.  missat.  per  Hincmarum  :  «  (It  vos  securitatem  talem  ei  faciatis  ut 
usque  ad  illud  placitum  in  pace  maneatis  et  nuUam  dehonorationem... 
neque  impedimentum  suis  fidelibus  faciatis,  nec  impraedationem,  nec 
aliquam  inquietudinem.  »  (II,  p.  285). 

«  Si  mihi  firmitatem  fecerint  quod  in  regno  meo  pacifici  sint  et  sic 
ibi  vivant  sicut  Christiani  in  Christiano  regno  vivere  debent  »  (Ad- 
nunl.  apud  Confluentes,  860,  II,  p.  158). 

La  formule  de  cette  firmitas  est  ainsi  libellée  :  «  De  ista  die  in  ante 
regnum  illi  non  forconsiliabo,  neque  werribo.  Sic  me  De  us  adjuvet, 
et  istae  sanctae  reliquiae.  »  (II,  p.  298). 
«  T.  I,  p.  150-151, 

^  Je  cite  à  titre  d'exemple,  ce  passage  des  Miracles  de  saint  Ade- 
lardj  II,  1  :  «Philippus  rex...  Corbeiam  cum  regali  pompa  intravit,  et 
sibi  sicut  Régi  fidelem  securitatem  opidanos  jurare  coôgit  »  (Mabillon, 
S.  Ben,,  IV,  I,  p.  366).  —  On  voit  par  la  scène  entre  l'empereur  by- 
zantin et  les  croisés,  décrite  par  Guibert  de  Nogent,  à  quel  point  la 
distinction  entre  l'hommage  et  le  serment  de  sécurité  était  familière 
aux  seigneurs  français  :  «  Cœpit  tyran  nus  comitem  soUicitare  per 
nuntium  ut,  uti  alii  fecerant,  facere  et  ipsi  sibi  pateretur  hominium,.. 
Insuper  et  Bœmundus  intulit  quia  si...  sacramenta  securitatis  ab- 
nueret,  imperatoriae  ipse  adminiculum  partis  existeret.  Itaque 
comes...  vitae  ac  honoris  indemnitatem  jurât  Alexi  impio  quod  nec 
per  se  videlicet  nec  opitulando  alii,  illius  faveret  exitio.  Cum 
que  ei  verbum  de  hominio  replicassent,  dixit  se  capitis  malle  subire 
periculum  quam  tali  modo  se  ei  fore  obnoxium  »  (Gesta  Dei  per 
Francosj  III,  3,  Migne,  156,  718). 

F.  -  Tome  III.  15 


226  LIVRE  IV.  —   CHAPITRE   II. 

Ainsi  circonscrit  dans  ses  effets,  le  serment  de  sujétioD 
se  restreignit  de  même  quant  au  nombre  de  ceux  qui  de- 
vaient le  prêter.  La  fidélité,  quand  elle  ne  disparaissait 
pas  entièrement,  fut  le  plus  souvent  sous-entendue*.  Elle 
était  dominée  par  la  foi  lige  due  aux  principes;  elle  dépen- 
dait ainsi,  en  dernière  analyse,  et  de  la  nature  des  rapports 
qui  unissaient  les  princes  au  roi,  et  de  Tétroitesse  de  la  su- 
bordination qui  liait  le  chef  local  au  prince,  le  simple 
chef  de  famille  au  chef  local.  Elle  pouvait  réapparaître  dans 
sa  plénitude  quand  la  subordination  faisait  place  à  Tindé- 
pendance  ou  que  le  roi  rentrait  en  possession  du  principal 
direct. 

Il  ne  saurait  être  question  de  suivre  ce  sujet  en  ses  infi- 
nies ramifications,  mais  il  convient  d*en  esquisser  le  schème. 

Trois  grandes  catégories  sont  à  distinguer  :  1**  les  popu- 
lations soumises  au  principat;  2°  les  seigneurs  locaux  ou 
les  chefs  de  famille  indépendants  du  principal  ;  3**  les  po- 
pulations pour  lesquelles  le  principat  se  confond  avec  la 
royauté. 

I.  Populations  soumises  au  principat.  —  Elles  se  divi- 
sent en  trois  groupes,  suivant  la  nature  de  la  domination 
dont  elles  relèvent  : 

1®  Populations  soumises  à  un  principat  indépendant  du 
roi.  —  Telles  sont  les  populations  des  duchés  de  Gascogne 
et  de  Bretagne,  et  des  pays  rattachés  à  des  souverains 
étrangers,  aux  rois  de  Navarre  ou  d'Aragon  dans  le  Sud- 
Ouest,  à  Tempire  d'Allemagne  dans  l'Est  et  le  Sud-Est.  — 
Le  peuple  ne  doit  au  rex  Francorum  ni  serment  de  sécu- 
rité ni  droits  régaliens. 

*  Dans  la  Coronatio  Philippi  I  (H.  F.,  XI,  32-33),  il  n'est  pas  fait 
mention  d'un  serment  prêté  au  nouveau  roi,  mais  seulement  des  ac- 
clamations populaires  (populi  tam  majores  quam  minores  une  ore  con- 
sentientes  laudaverunt,  ter  proclamantes  :  «  Laudamus,  volumus, 
fiât  »).  —  En  Allemagne,  le  serment  général  de  fidélité  au  roi  tomba 
également  en  désuétude  aux  x*  et  xi*  siècles.  Voyez  Waitz,  Deutsche 
Verfass.  Gesch.,  VI  (2«  édit.),  p.  489-90. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       227 

2"*  Populations  soumises  aux  princes  de  la  Gaule  qui 
reconnaissent  la  suprématie  royale.  —  Le  serment  de  sé- 
curité n'est  pas  dû  par  ces  populations  :  il  est  prêté  en  leur 
nom,  ou  doit  l'être,  par  les  principes  ou  les  chefs  auxquels 
elles  sont  liées  par  l'hommage  Hge  naturel.  Mais  certains 
droits  régaliens  survivent. 

3®  Populations  soumises  aux  princes  de  la  Francie 
qui  doivent  l'hommage  lige  naturel  au  roi,  —  L'hommage 
Uge  du  groupe  ethnique  est  porté  par  le  prince,  mais  le 
serment  de  sécurité  est  dû  ou  censé  prêté  par  la  popula- 
tion. —  Les  rapports  du  peuple  de  la  Francie  avec  le  roi 
sont  donc  les  mêmes,  dans  leur  essence,  que  ceux  des 
princes  de  la  Gaule.  Nous  découvrons  ainsi  la  source  de 
l'assimilation  théorique,  en  qualité  de  pair,  des  grands 
fidèles  de  la  Gaule  et  des  simples  fidèles  ou  sujets  de  la 
Francie,  que  j'ai  mise  en  lumière  dans  l'organisation  de  la 
justice  *.  Les  droits  régaliens  se  maintiennent  dès  lors  avec 
plus  d'étendue  et  de  vigueur. 

IL  Seigneurs  locaux  ou  chefs  de  famille  indépendants 
du  principal.  —  Nous  venons  de  constater  que  les  popula- 
tions soumises  avec  leurs  chefs  locaux  aux  principes  ne 
peuvent  être  rattachées  au  roi  que  par  un  lien  très  lâche  et 
très  précaire,  lien  qui,  en  dehors  de  la  Francie  surtout, 
se  réduit  à  une  suprématie  purement  nominale  et  à  des 
droits  régaliens  traditionnels.  Mais  de  même  que  le  roi 
n'a  pu  maintenir  sur  les  principes  de  la  Gaule  son  droit  à 
l'hommage  lige  naturel,  ainsi  ces  princes  et,  quoiqu'à  un 
degré  moindre,  les  princes  de  la  Francie  ont  vu  le  même 
droit  leur  échapper  sur  les  chefs  secondaires  de  po- 
pulation (comtes,  vicomtes,  vicaires,  etc.),  soit  complè- 
tement, soit  de  manière  qu'il  se  réduisît  à  un  serment 
de  sécurité.  Un  fait  analogue  s'est  produit  en  descen- 
dant de  proche  en  proche.   Des  milites^  des  oppidani, 

*  T.  I,  p.  227  et  suiv.Ia  cour  despairscommevassauxetlacourdes 
pairs  comme  fidèles. 


228  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   II. 

possesseurs  de  châteaux  forts,  des  alleutiers,  ont  réussi 
à  se  rendre  indépendants.  Affranchis  du  principat,  ils 
devinrent  en  définitive  des  principicules,  si  exiguë  que  fût 
leur  seigneurie,  fût-elle  un  simple  petit  domaine,  un  petit 
alleu  souverain.  Cette  exiguïté  même  étîdtune  chance  de 
succès  :  «  Comme  quelquesfois  il  avient  qu'un  petit  oyseau 
s'échappe  plus  aisément  de  prise  du  grand  oyseau  de 
proye  »  a  dit,  en  sa  langue  savoureuse,  Guy  Coquille,  à 
propos  de  l'une  de  ces  minuscules  principautés  *.  La 
faiblesse  ou  l'éloignement  du  prince,  le  défaut  de  cohésion 
de  la  principauté  frayèrent  les  voies  à  l'affranchissement 
ou  aidèrent  à  le  sauvegarder.  Nous  pouvons  donc  ren- 
verser la  proposition  que  nous  avons  formulée  plus  haut 
au  sujet  de  l'État  féodal*.  Les  progrès  furent  ici  en  raison 
inverse  de  l'homogénéité  politique  et  de  la  force  du  pou- 
voir. Cette  réciproque  est  assurément  logique,  mais  elle 
n'est  pas  évidente  par  elle-même.  Le  fief,  à  charge  de  ser- 
vice, aurait  pu,  s'il  avait  procédé  d'une  cause  différente  de 
celle  que  nous  lui  avons  reconnue,  devenir  organique  dans 
des  régions  où  le  principat  était  faible,  et,  au  contraire, 
être  exclu  ailleurs  par  l'absolutisme  princier.  En  fait,  l'his- 
toire permet  de  vérifier  que  les  seigneuries  indépendantes, 
de  même  que  les  franc-alleus  souverains,  ont  été  beaucoup 
plus  nombreux  dans  l'Aquitaine,  la  Gascogne,  le  Lan- 
guedoc que  dans  la  Normandie,  la  Francie  ou  la  Flandre. 
Nous  avons  touché  déjà  à  ce  sujet  au  second  livre  de  cet 
ouvrage'  et  nous  aurons  à  y  revenir  plus  complètement, 
soit  en  traitant  du  principat,  soit  en  exposant  l'état  écono- 
mique de  la  France  des  x®  et  xi'  siècles.  Je  m'en  tiendrai 
pour  l'instant  à  quelques  exemples  de  seigneuries  indé- 
pendantes, choisissant  de  préférence  celles  que  leur  faible 
importance  ou  leurs  rapports  avec  la  royauté  rendent  les 
plus  instructives  pour  nous. 

*  Histoire  de  Nivernois  (OEuvres,  Bordeaux,  1703,  I,  p.  409). 

'^  Suprày  p.  87  et  suiv. 

^  Voyez  surtout  le  chapitre  vr,  T.  I,  p.  187  et  suiv. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       229 

Le  Berry,  à  ce  double  égard,  mérite  la  première  place. 
Au  milieu  des  compétitions  dont  le  principat  de  l'Aqui- 
taine fut  l'objet  dans  le  premier  tiers  du  x*  siècle,  quand 
surtout,  après  la  mort  de  Guillaume  II  le  Jeune  et  de  son 
frère  Acfred  (f  928),  il  fut  disputé  entre  la  maison  de  Poi- 
tiers et  celle  de  Toulouse,  la  civitas  de  Bourges  [pagus 
Biluricus),  dont  Guillaume  et  Acfred  avaient  eu  le  comi' 
talus,  ne  reconnut  plus  d'a.\i[res principes  que  les  seigneurs 
locaux.  Il  n  y  eut  plus  de  comté  de  Bourges  dépendant 
du  principat  (duché)  d'Aquitaine,  il  n*y  eut  plus  que  des 
seigneurs  du  pays  prétendant  à  Tindépendance.  Les  plus 
importants  furent  les  vicomtes  de  Bourges,  les  princes  de 
Déols,  les  princes  de  Bourbon,  mais  de  petits  seigneurs, 
les  sires  de  la  Ferté  Gilbert,  de  Vierzon,  de  Graçay,  etc., 
s'arrogèrent  le  titre  de  prince'  et  le  plus  petit  d'entre  eux, 
dont  la  principauté  ne  comprenait  pas  plus  de  trois  pa- 
roisses, —  le  seigneur  de  Boibelle,  —  put  léguer  à  ses  des- 
cendants un  royaume  minuscule,  tel  que  furent  plus  tard 
le  royaume  d'Yvetot,  celui  de  Maude  près  de  Tournai  (dont 
le  territoire  ne  dépassait  pas  trois  charruées)  ou  la  terre  de 
Haubourdin  près  de  Lille.  La  seigneurie  de  Boibelle  cons- 
titua, comme  le  dit  Guy  Coquille,  un  petit  État  souverain*, 
et  le  vieil  historien  n'a  pas  tort  d'attribuer  à  sa  petitesse 
même,  aux  bois  qui  la  couvraient,  à  sa  situation  frontière 
entre  la  Francie  et  l'Aquitaine  l'origine  de  son  indépen- 
dance'. Sa  durée  n'est  pas  moins  surprenante.  Elle  persista 

*  <(  GirbertusFirmitatis  princeps»  CartuL  Saint-Sulpice  de  Bourges^ 
f^  82  (sous  Henri  I).  (Raynal,  Histoire  du  Berry,  1,  p.  335).  —  «  Ar- 
nulfus  Virzionensium  princeps  »  ibid.,  f°  42  (1110).  —  «  Rainaldus 
princeps  Graciaci  »  {CartuL  de  Graçay ,  f»  2  (1007).  (Raynal,  I, 
p.  350). 

^  «  Tant  y  a  que  de  tout  tems  hors  la  mémoire  des  honmies,  le  sei- 
gneur de  cette  terre  de  Boybelle  s'est  maintenu  en  neutralité  et  li- 
berté, et  a  exercé  tous  droits  de  souveraineté,  sans  en  avoir  été  re- 
cherché ny  contredit  »  (Guy  Coquille,  Hist,  de  Nivernois,  OEuvres, 
t.  I,  p.  409,  Bordeaux,  1703), 

3  «  Il  est  à  croire  que  les  limites  de  la  conqueste  des  François  et 


230  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   il. 

çn  face  de  la  moQarchie  absolue,  et  Sully  au  xvii*  siècle 
y  fonda  la  ville  d'Henrichemont,  comme  lieu  d'asile  des 
Huguenots*.  Ce  n'est  qu'en  1766  que,  par  un  achat,  elle  fut 
réunie  à  la  couronne. 

Si  Tindépendance  d'une  petite  seigneurie  put  ainsi 
traverser  de  longs  siècles,  pour  beaucoup  d'autres  l'af- 
franchissement du  principat  les  subordonna  plus  étroi- 
tement à  la  couronne.  C'est  ainsi  que  les  vicomtes  de 
Bourges  se  trouvèrent  dès  le  xi*  siècle  dans  Thommage- 
lige  du  roi.  Gilon,  sire  de  Sully,  qui  succéda  dans  le  vice^ 
comitatus  à  son  beau-frère  Etienne,  et  que  celui-ci  qualiBe  : 
cdstrorum  plurimorum potentissimus  dominus^j  avait  fait 
partie  de  la  maisnie  du  roi  Henri  P.  Eudes  Harpin,  son 
successeur*,  fît  plus.  Il  vendit,  partant  en  1101  pour  la 
Terre-Sainte,  son  principat  à  Philippe  I,  au  prix  de 
soixante  mille  sols  d'or*. 

de  la  conqueste  des  Goths  se  trouvant  en  cet  endroit  qui  parti- 
cipe de  la  Gaule  Celtique  et  de  la  Gaule  Aquitanique,  cette  terre  pour 
sa  modicité  et  pour  sa  couverture  des  bois  ait  été  inconnue  aux  uns 
et  autres  conquérants  »  [Ibid.),  —  M.  Raynal  (T.  I,  p.  332,  Cf.  L, 
p.  Lviii)  mentionne  des  seigneurs  de  Boibelle  au  début  du  xii*  siècle. 

*  Voyez  mon  Origine  de  VhahUation  et  des  lieux  habités  en  France^ 
p.  95  (Paris,  1900). 

*  «  CartuL  de  Vierzon,  f^  17  v©  (Bibl.  nat.  MS.  lat.  9865)  :  «<  Ego 
Slephîums  vicecomes  Bituricensis  urbis  et  soror  mea  Ildeburgis  coopé- 
rante justissima  ejus  voluntate  viro  suo  domino  Geilone  Soliacensis 
castri et aliorumcastrorum plurimorum  potentissimo  domino...»  (1092). 

'  «  Gilo  de  Solleio,  de  nobilissimis  Gallorum,  antiquiis  hero  de  fa- 
miliaHenrici  régis  Francorum  »  (Orderic  Vital  IV,  p.  46). 

*  «  Rogamus  domnum  Odonem  cognomento  Arpinum  neptis  nostre 
probabilem  et  honorabilem  virum  atque  ideo  successorem  nostrum  *. 
{Cart.  de  Vierzon,  f«  18  r°). 

*  «  Tune  Harpinus  Bituricam  urbem  Philippe,  régi  Francorum, 
vendidit  et...  iter  Jérusalem  iniit  »  (Orderic  Vital  IV,  p.  119).  —  Cf. 
Raynal,  I,  p.  394.  —  Ch.  d'Antioche,  I,  p.  19-20  et  Paulin  Paris,  RisU 
litt.  de  la  France,  XXII,  385  : 

«  Segnor,  en  celé  route  fut  Harpins  li  Hardis, 
Cuens  estoit  de  Boorges  et  sire  poestis, 
Mais  au  roi  ot  vendue  sa  terre  et  son  pais  ». 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       231 

Normalement,  à  mesure  que  cessait  la  sujétion  au  regard 
du  principal,  la  royauté  aurait  dû  reprendre  son  empire  : 
celui  qui  n'était  plus Thomme-Iige  naturel,  le  natif  du  prince, 
aurait  dû  le  redevenir  du  roi.  Mais,  à  raison  de  sa  faiblesse 
militaire,  de  son  éloignement,  du  petit  nombre  de  ses  ofB- 
ciers  et  de  TinsufBsancede  ses  moyens  d'action,  la  royauté 
ne  put,  aux  x*  et  xi*  siècles,  faire  valoirque  faiblement  ses 
droits,  même  dans  la  Francie.  Les  seigneuries  si  nom- 
breuses qui  se  rendaient  indépendantes  dans  le  Midi^  lui 
échappaient  pour  la  plupart,  et  se  plaçaient  de  préfé- 
rence dans  le  mundium  du  pape,  comme  nous  ver- 
rons que  le  firent  le  comte  de  Substantion  et  le  comte  de 
Provence.  Les  petits  alieutiers,  moins  encore  les  aubains 
et  les  hôtes",  ne  purent  être  que  rarement  protégés  ou 
revendiqués.  Toutefois  le  principe  resta  sauf  et  il  fut  cer- 
tainement la  source,  lointaine  mais  vive,  de  la  bourgeoisie 
royale. 

Du  reste,  la  royauté  avait  gardé  sur  tous  les  points 
de  la  Gaule  des  bases  d'opération  !et  de  véritables  sujets. 
C'étaient  les  abbayes  jouissant  de  l'immunité  royale,  pla- 
cées sous  le  mundium  du  roi;  c'étaient  aussi  les  évoques 
qui  se  maintinrent  en  dehors  ou  se  dégagèrent  des  liens  du 
principatet  qui  se  reconnurent  fidèles  du  rex  Fraiicorum. 
Dans  le  Midi,  il  est  vrai,  cette  subordination  fut  surtout  no- 
minale au  XI'  siècle,  mais  elle  y  constituait  du  moins  une 
pierre  d'attente  et  elle  y  devint  effective  au  siècle  suivant'. 

III.  Populations  pour  lesquelles  le  principal  se  confond 
avec  la  royauté.  —  Si  le  droit  royal  est  restauré  partiel- 
lement quand  le  principal  cesse  de  s'interposer  entre  le 

*  Voyez  infrà,  Principat. 

2  Voyez^  T.  I,  p.  J58  et  suiv.  Le  droit  au  moins  th<^orique  de  la 
royauté  sur  les  hôtes  ressort  bien  d'un  diplôme  de  Philippe  I  pour 
Quny  (1080)  :  «  Concedo  etiam  predictae  ecclesiae  ospites  omnes  qui- 
cumque  inibi  hospitari  voluerint,  nec  non  omnia  quecumque  nunc 
habet  et  adquirere  poterit  juste  »  {Ch.  deCluny,  IV,  p.  681). 

*  Voyez  le  §  suivant. 


232  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   11. 

roi  et  les  sujets,  il  Test  pleinement  quand  le  principal  lui- 
même  est  acquis  ou  transféré  au  souverain.  C'est  la  con- 
soltdation  que  j'ai  plus  haut  mise  en  lumière  et  que  les 
historiens  ont  surtout  méconnue  pour  avoir  cru  à  une 
éclipse  presque  totale  du  droit  royal,  à  son  effacement 
devant  le  droit  seigneurial  et  féodal.  A  leurs  yeux  dès 
lors  rimporlant  pour  le  roi  n'était  pas  d'être  roi,  mais  d'être 
duc  et  comte,  non  seulement  en  fait,  ce  qui  est  admis- 
sible, mais  en  droit.  De  la  sorte  on  a  admis  que  les  pre- 
miers Capétiens  restaient  ducs  ou  comtes  en  même  temps 
qu'ils  devenaient  rois,  qu'ils  étaient  roi-duc^  roi-comte^ 
que  Hugues  Capet  notamment  et  que  Robert  tenaient  leur 
puissance  du  titre  de  duc  de  France  ou  de  comte  de 
Paris. 

Sur  quels  documents  pourtant,  sur  quelles  chartes,  ou 
quels  diplômes,  sur  quels  récits  de  chroniqueurs  cette  opi- 
nion peut-elle  s'appuyer?  Sur  aucun.  Nulle  part,  le  roi  ne 
s'intitule  rex  et  dux,  rex  et  cornes^  alors  que  le  duc  des 
Francs  prenait  le  titfë  de  cornes  et  dux  Francorum^  dux 
et  marchio^  etc.  *.  Nulle  part  non  plus  cette  double  qualifi- 
cation n'est  donnée  aux  Capétiens  par  les  chroniques  des 
X*  et  XI*  siècles.  On  objecte  les  monnaies.  Il  existe,  en 
effet,  une  monnaie  attribuée  à  Hugues  Capet,  le  denier  de 
Sentis,  portant  disposés  en  cercle  les  mots  Gratia  Dei  rex 
et  dans  le  champ  Hugo  dux.  a  C'est  ainsi,  dit  M.  Pfister^ 
que  la  puissance  royale  enveloppa  la  puissance  ducale, 
mais  sans  la  supprimer*.  »  L'expression  est  pittoresque, 
mais  sa  justesse  fort  problématique.  Il  n'est  aucunement 
certain  quecette  monnaieaitété  frappée  sous  Hugues  Capet, 
et  il  l'est  encore  beaucoup  moins  qu'elle  soit  postérieure  à 
son  avènement  au  trône.  M.  Maurice  Prou,  avec  sa  grande 

*  Charte  de  Hugues  Capet  datée  de  Sentis,  i"  oct.  981  (publiée 
par  Lot,  Les  derniers  Carolingiens,  p.  403)  :  «  Ego  Hugo,  Dei  gratia 
cornes  et  dux  Francorum  ».  —  Cti.  de  Hugues  le  Grand  (939)  (H.  F. 
IX,  723  A)  :  «  Signum  Hugonis  Comitis  et  Francorum  duels  »,  etc. 

*  Pfister,  p.  134. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       233 

compétence,  le  conteste  formellement:  «  Il  convient,  dit-il, 
de  revenir  à  l'opinion  exprimée  par  M.  Duchalais,  à  savoir 
que  le  denier  senlisois  est  une  pièce  frappée  au  nom,  soit 
de  Hugues  le  Grand,  soit  de  Hugues  Capet,  avant  987,  la 
formule  gratia  Dei  rex  n'étant  qu'une  formule  sans  valeur 
placée  là  uniquement  pour  faciliter  le  cours  de  la  monnaie 
et  la  faire  accepter  de  gens  habitués  à  se  servir  d'espèces 
présentant  une  telle  inscription*.  » 

Quant  au  cumul  de  la  qualité  de  comte  avec  la  qualité 
de  roi,  on  a  voulu  se  prévaloir  de  l'existence  de  simples 
vicomtes  à  Melun,  Étampes,  Paris,  etc.  Or,  non  seulement 
ces  vicomtes  ont  pu  être  anlérieuresà  l'avènement  au  trône 
des  Capétiens,  avoir  été  créées  par  des  comtes  ou  être 
nées  du  partage  de  comtés,  mais  la  qualification  de  vi- 
comte souvent  était  synonyme  de  vicaire,  de  représentant 
ou  délégué,  de  lociim  tenenso\i  loco  positus*.  Il  y  a  plus  : 
poîir  l'un  au  moins  des  comtés  et  le  plus  important,  le 
comté  de  Paris,  nous  savons  qu'il  avait  à  la  fin  du  x*  siècle 
un  autre  comte  à  sa  tête  que  le  prétendu  roi-comte  :  c'est 
Bouchard  le  Vieux.  Les  historiens  se  sont  tirés  d'affaire 
en  supposant  que  Bouchard  avait  dû  être  comte,  sans  l'être, 
un  comte  d'une  espèce  particulière,  un  comte  royal*,  in- 
terprétant dans  ce  sens  restrictif  une  expression  dont  son 
biographe  se  sert*.  Mais  tous  les  comtes  dépendant  direc- 
tement du  roi  n'étaient-ils  pas  des  comtes  royaux?  et  s'ils 
étaient  comtes,  c'est  que  le  roi  ne  l'était  plus.  De  deux 

*  M.  Prou,  Les  monnaies  de  Bouchard  {Bull,  de  la  soc.  de  r histoire 
de  Paris,  1897,  p.  39). 

*  Cf.  Orderic  Vital,  II,  p.  470  :  «  Concesserunt...  vicecomitiam, 
id  est  viariam».  Ibid,,lll,Zli  :  «  Vicecomesetcausidicus  «.L'expres- 
sion loco  positus  dont  je  me  sers  est  justifiée  par  Thegan  (De  gestis 
Ludovici  PU.  H.  F.  VI,  75  D).  «  Ducibus,  comitibus,  Loco  positis  ». 

«  Art  de  vérifier  les  dates,  II,  809.  Pfister,  p.  il9,  127.  Luchaire, 
II,  p.  5,  etc. 

*  Eudes  de  Saint-Maur  a  écrit  :  «  Dédit  Hugo  rex  sibi  fidelimiliti 
castrum  Milidunum  atque  jamdictum  Corboilum,  comitatum  que  Pari- 
siace  urbis,  taliterque  cornes  regalis  efficitur  »  (Chap.  i,  p.  6,  G.  T). 


234  LIVRE   IV.  —  CHAPITRE    II. 

choses  Tuoe,  en  effet,  si  Hugues  Gapet  avait  été  à  la  fois 
roi  et  comte  de  Paris  :  ou  bien  il  aurait  concédé  le  comt- 
tatus  à  Bouchard,  en  ne  retenant  sur  celui-ci  que  Thom- 
mage-lige  naturel,  et  dans  ce  cas  il  ne  Taurait  plus  eu  lui- 
même;  ou  bien  il  lui  aurait  délégué  Texercice  du  comt- 
tatus,  comme  les  comtes  le  faisaient  aux  vicomtes,  et  c'est 
le  titre  de  vicomte  que  Bouchard  alors  eût  porté. 

Au  regard  des  trois  grandes  catégories  de  peuples  et 
de  seigneurs  que  nous  venons  de  passer  en  revue,  le  pou- 
voir royal  n'est  pas  plus  domanial  dans  son  essence  qu'il 
ne  l'est  au  regard  des  princes. 

Ce  n'est  pas  parce  que  le  roi  est  propriétaire  de  terri- 
toires ruraux  ou  urbains  ou  en  possession  de  droits  devenus 
droits  seigneuriaux  que  les  habitants  de  ces  territoires  ou 
les  débiteurs  de  ces  droits  sont  de  véritables  sujets.  Ils 
le  sont  parce  qu'il  est  roi  et  qu'il  n'y  a  personne  qui  s'in- 
terpose entre  eux  et  lui  pour  paralyser  ou  amoindrir  l'exer- 
cice du  pouvoir  royal.  Et  si  ce  n'est  pas  comme  propriétaire 
ou  seigneur  qu'il  est  souverain,  ce  n'est  pas  même  en  gé- 
néral, et  sauf  pour  les  terres  publiques,  comme  roi  qu'il  est 
propriétaire. 

Toutefois  au  pouvoir  royal  de  droit  s'ajoute  en  fait  un 
pouvoir  domanial  ou  seigneurial  analogue  à  celui  que  tout 
particulier  peut  posséder  à  cette  époque.  C'est  en  ce  sens 
que  j'ai  pu  dire  que  le  droit  royal  se  combine  avec  le  droit 
domanial.  Mais  ce  dernier  droit  n'appartient  pas  à  la  théorie 
de  la  royauté.  A  la  différence  des  droits  comtaux  qui  ont 
servi,  par  voie  de  consolidation,  à  reconstituer  le  droit 
royal,  le  domaine,  en  principe,  Ta  démembré,  puisqu'il 
a  transformé  des  droits  régaliens  en  droits  de  seigneurie 
domaniale  ^  Considéré  en  soi,  il  rentre  dans  le  cadre  du 
régime  seigneurial  que  nous  avons  décrit  et  du  régime 
domanial  que  nous  aurons  à  étudier  plus  spécialement 

*  Supràf  p.  123,  et  infrà^  chap.  vi. 


LES   QUATRE   FACES   DE   LA   ROYAUTE.  23S 

au  Livre  VI.  Nous  devrons  seulement  grouper  en  un 
tableau  succint  les  ressources  qu'il  met  à  la  disposition 
de  la  royauté.  Le  droit  ne  saurait  ici  s'isoler  du  fait  sous 
peine  de  rester  suspendu  dans  le  vide,  puisque  le  domaine 
privé  était  obligé  de  suppléer  aux  contributions  publiques 
que  la  royauté  n'arrivait  plus  à  lever. 

Ce  que  je  viens  de  dire  du  peuple  se  vérifie  de  même 
quant  aux  seigneurs  indépendants.  S'il  en  est  qui  doivent 
l'hommage  de  service  au  roi,  ce  n'est  pas,  dans  le  principe, 
parce  qu'ils  tiennent  des  bénéfices  de  lui,  mais  parce  que, 
dans  leur  propre  intérêt  et  pour  s'assurer  un  protecteur, 
ils  l'ont  reconnu  pour  leur  lige  et  naturel  seigneur.  Seu- 
lement cette  fidélité  est  souvent  étendue  et  renforcée  par 
des  concessions  de  bénéfices  qui  lui  servent  d'appât  de 
sanction  ou  de  récompense,  en  même  temps  qu'ils  donnent 
ouverture  à  des  droits  lucratifs  de  relief. 

§  4.  —  Le  caractère  sacré  de  la  royauté  et  le  pouvoir 
sur  t Église. 

Les  historiens  ont  prêté  une  grande  attention  aux  pou- 
voirs temporels  que  le  clergé  et  l'Église  se  sont  attribués 
ou  ont  acquis,  tandis  qu'ils  ont  trop  souvent  laissé  dans 
l'ombre  les  pouvoirs  spirituels  dont  princes  et  rois  étaient 
investis  et  qui  sont  devenus  un  des  fondements  de  leur 
puissance  séculière.  Ces  pouvoirs  spirituels  d*où  dérivent- 
ils?  Est-ce  d'un  abandon  par  l'Église  trop  faible  et  obligée 
pour  s'assurer  un  protecteur  de  le  faire  participer  à  sa 
dignité,  est-ce  d'une  tradition  primitive  touchant  le  rôle  et 
le  caractère  religieux  du  chef,  père  de  famille,  de  clan  ou 
de  tribu?  Sont-ils  une  survivance  de  l'époque  romaine, 
ou  découlent-ils  des  enseignements  bibliques?  C'est  à  ces 
sources  multiples  qu'il  faut,  je  crois,  remonter.  Elles  se 
ramènent,  en  dernière  analyse,  à  deux  éléments  essen- 
tiels :  le  caractère  primordial  de  la  royauté,  les  circons- 
tances historiques   qui  ont  présidé,  à  l'époque  franque, 


236  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   U. 

aux  relations  de  l'Église  et  de  l'État,  et  qui  peuvent  se 
résumer  ainsi  :  prépondérance  envahissante  d'un  pouvoir 
laïque  violent  autant  que  fort,  nécessité  pour  l'Église  de 
s'unir  étroitement  à  lui  pour  résister  à  ses  adversaires, 
sauvegarder  ses  clercs  et  ses  biens,  étendre  son  influence, 
son  autorité  et  son  action. 

I.  Le  caractère  sacré  de  la  royauté.  —  Le  caractère  pri- 
mordial de  la  royauté  est  un  caractère  sacré.  Il  Test  chez  tous 
les  peuples  naissants,  il  l'était  chez  les  Germains.  Le  roi 
germain  était  choisi  par  des  chefs  de  famille  investis  d'un 
pouvoir  sacerdotal,  et  dans  une  famille  issue  directement 
des  Dieux*,  d'Odin  surtout  qui  apparaît  comme  le  grand 
fondateur  de  dynasties^.  Sa  noôi/iVéw' était  donc  d'essence 
divine,  et  elle  en  garda  longtemps  l'empreinte  rituelle*. 

*  M.  Schûcking  [Der  Regierungsantritt,  Leipzig,  1899)  a  fort  biea 
vu  la  première  de  ces  conditions  (réiection  par  les  principes)  (p.  12- 
13),  mais  non  la  seconde  (l'origine  surnaturelle). 

*  «  Vodan,  de  cujus  stirpe  multarum  provinciarum  regium  genus 
originem  duxit  »  (Beda,  Hw^  eccles,  gentis  Anglorum,  I,  15,  p.  24, 
éd.  Holder,  Fribourg,  1882).  Cf.  Paul  Diacre  (I,  9)  :  «  Wodan...  ab 
universis  Germaniœ  gentibus  ut  deus  adoratur.  » 

Dans  le  Rigsmal  de  l'Edda,  les  nobles  seuls  {Jarl)  sont  reconnus 
par  le  dieu  Heimdall,  fils  d'Odin,  conune  les  descendants  dans  les- 
quels il  revit.  Les  libres  [Karl),  les  serfs  (Thrael)  ont  une  mère,  mais 
pas  de  père,  leur  parenté  est  toute  maternelle.  Parmi  les  nobles,  la 
filiation  directe  du  dieu  est  représentée  par  une  famille  plus  noble 
que  les  autres,  dont  les  membres  s'appellent  le /îfe,  Yenfant  légitime, 
VhériHer,  le  descendant.  Le  dernier  né  est  le  roi  {Konr,.  Connais- 
sant les  runes  et  doué  de  puissances  magiques,  il  exerce  le  suprême 
sacerdoce.  Il  sait  Tart  de  préserver  les  honunes  {servare  homines)^ 
d'émousser  les  glaives,  de  calmer  les  flots,  de  guérir  les  maux  (depri- 
mère  curas)  :  il  a  la  force  de  huit  hommes  (str.  40-42)  (Cf.  Ozanam, 
Études  germaniques,  I,  Paris,  1847,  pp.  109-111,  116). 

^  *<  Reges  ex  nobilitate  sumunt  »  (Tacite  Germ,,  7).  «  Thoringiam- 
que  transmeasse  ibique...  reges  crinitos  super  se  creavisse  de  prima  et, 
ut  ita  dicam,  nobiliori  suorum  familia.  »>  (Gr.  de  Tours,  Hist,  II,  9). 

*  Cf.  Grimm,  Rechtsalterthûmer  (p.  243-4,  262  suivOi  qui  voit  dans 
le  chariot  attelé  de  bœufs  des  rois  mérovingiens  une  coutume  hiéra^ 
tique.  La  longue  chevelure  devait  être  aussi  un  signe  de  la  descendance 
divine,  avant  de  devenir  une  marque  de  la  liberté. 


LES  QUA.TRE   FACES   DE   LA  ROYAUTÉ.  237 

L'Église  épura  et  transforma  la  conception  païenne.  Elle 
fit  prévaloir  Tidée  d'une  institution  divine,  qu'elle  avait 
admise  déjà  pour  les  empereurs  chrétiens  de  Rome,  à 
l'image  des  rois  d'Israël  et  en  vertu  de  la  parole  de  saint 
Paul  :  «  Non  est  potestas  nisi  aDeo.  «Elle  le  fit  avec  d'au- 
tant plus  de  force  que  son  union  devint  plus  étroite  avec 
Ja  royauté  :  sous  Clovis,  champion  de  l'orthodoxie  contre 
l'arianisme,  sous  Charlemagne,  le  grand  adversaire  de 
Mahon,  le  vainqueur  des  Saxons  païens.  Mais  elle  n'écarta 
pas  pour  cela  l'idée  populaire  d'élection;  elle  ne  le  pou- 
vait pas  et  n'avait  pas  intérêt  à  le  vouloir.  Si  le  pouvoir 
émane  de  Dieu,  si  le  roi  est  son  représentant  terrestre,  le 
choix  divin  peut  revêtir  des  formes  variables.  Il  peut  s'ac- 
commoder aussi  bien  de  la  pure  démocratie  que  delà  monar- 
chie absolue  et  héréditaire.  Dans  celle-ci,  Dieu  manifeste  sa 
volonté  en  faisant  naître  l'héritier  du  trône,  dans  le  gou- 
vernement populaire  ou  oligarchique  en  inspirant  les  élec- 
teurs *. 

Le  roi  est  donc  tout  ensemble  roi  de  droit  divin  et  roi 
élu,  choisi  par  la  volonté  du  peuple,  il  est,  comme  on  le 
dira  aux  temps  modernes,  roi  par  la  grâce  de  Dieu  et  la 
volonté  nationale  '. 


*  Vordinatio  imperiide  Tan  817  le  déclare  en  termes  exprès  :  «Ne- 
cessarium  duximus  ut  jejuniis  et  orationibus  et  elemosynarum  largi- 
tionibus,  apud  illum  (Deum)  obtineremus  quod  nostra  infirmitas  noD 
prsBSumebat.  Quibus  rite  per  triduum  celebratis,  nutu  omnipotentis 
Dei,  ut  credimus,  actum  est  ut  et  nostra  et  totiiis  populi  nostri  in  di- 
lecti  primogeniti  nostri  Hlotharii  electione  vota  concurrerent.  Itaque 
taliter  divind  dispensatione  manifestatum  et  nobis  et  omni  populo 
nostro...  consortem  et  successorem  imperii...  communi  voto  constitua  » 
(I,  p.  271).  —  Cf.  Hincmar,  De  divortio  Lothariiy  quaestio  VI,  Migne  125, 
758  :  «  Quidam  a  Deo  in  principatu  constituntur  ut  Moyses...  quidam 
vero  a  Deo  perhominem,  ut  Josue...  Quidam  autem  per  hominem,  non 
sine  nutu  divinOy  quia  nihil  fit  ut  Augustinus  dicit,  nisi  quod  aut 
ipse  facit  aut  fieri  ipse  permittit  et  quidquid  agitur,  ministerio  ange- 
lorum  et  hominum  agitur  ». 

"^  Promesse  de  Louis  le  Bègue,  lors  de  son  couronnement  à  Com- 


238  LIVRE    IV.  —   CHAPITRE   II. 

Même  à  l'époque  mérovingienne  où  la  royauté  était  de- 
venue en  fait  héréditaire,  l'élection  se  survivait,  au  moins 
en  la  forme,  dans  l'acclamation  du  peuple  ou  des  grands 
et  Télévation  sur  le  pavois.  Elle  reparut  avec  la  seconde 
race  et  servit  de  marche-pied  à  la  troisième.  Pépin  fut  élu 
par  le  peuple  franc  «  per  electionem  omnium  Francorum  » 
et  ce  droit  électoral  traditionnel,  reconnu  par  la  royauté, 
n'a  cessé  d'être  en  vigueur  sous  les  Carolingiens.  Il  est 
la  base  théorique  de  la  divisio  de  806,  de  ïordinaiio  de 
817,  du  traité  de  Verdun,  etc.,  bien  qu'en  fait  l'élection 
ait  passé  aux  grands  et  constitue  souvent  une  adhésion 
plutôt  qu'un  choix.  C'était  donc  toujours  par  la  voxpopuli 
que  la  voxOeiéidÂi  censée  se  manifester.  Abbon  la  déclare, 
dans  ses  canons,  la  source  directe  du  pouvoir  *. 

Institué  par  Dieu,  élu,  couronné  par  Dieu  ^  comme 
l'avaient  été  les  empereurs  chrétiens  de  Rome',  né,  comme 
au  temps  du  paganisme,  d'une  famille  quasi-divine,  le 
rex  Francorum  était  par  cela  même  revêtu  d'un  caractère 
sacré.  Sa  personne,  son  palais,  son  pouvoir  Tétaient.  Ils 
l'étaient  de  plein  droit,  indépendamment  de  toute  consé- 
cration religieuse,  de  toute  onction  par  le  saint  chrême, 
de  tout  sacre.  Le  sacre  corroborait,  il  ne  conférait  pas  le 
caractère  sacré.  Le  sacre  de  Clovis  est  une  pure  légende 
qui  date  du  ix*  siècle*;  Charlemagne  ne  fut  jamais  sacré 

piègae  en  877  :  u  Ego  Hlodovvicus,  misericordia  domini  Dei  nostri  et 
electionc  populi  rex  constitiUus...  poUiceor  me  servaturum  leges  et 
statuta  populo  qui  mihi  ad  regendum  misericordia  Dei  committitur, 
pro  comrauni  consiliofîdelium  nostrorum  »  (Capit.  II,  p.  364). 

*  «  Melius  est  electioni  principis  non  subscribere  quam  post  subs- 
criptionem  electum  contemnere  vel  proscribere...  Très  namque  élec- 
tion es  générales  novimus,  quarum  una  est  Régis  vel  imperatoris, 
altéra  pontifîcis,  tertia  abbatis.  Et  primam  quidem  facit  concordia 
totius  regni  »  (Abbonis  Canones,  H.  F.  X.,  p.  627-8). 

2  Voyez  les  nombreux  textes  groupés  dans  un  savant  article  de  W. 
Sickel  (Gôtting.  gclehrten  Anzeigeriy  1901,  n°  5,  p.  385  et  suiv.). 

3  W.  Sickel,  lôirf.,  p.  381  el  suiv. 

*  Cf.  Brunner  II,  p.  20  et  note  32. 


LES   QUATRE  FACES    DE   LA   ROYAUTÉ.  239 

empereur*,  et  sa  majesté  impériale  n'en  fut  pas  moins  sa- 
cro-sainte. 

Toutefois  le  sacre  ne  se  réduisait  pas  toujours  à  un  rôle 
secondaire.  Il  devint,  dans  certaines  circonstances,  une 
condition  substantielle  du  légitime  pouvoir.  Tel  fut  le  sacre 
initial  des  rois  carolingiens,  le  sacre  de  Pépin.  Par  ce  sacre 
ce  n'était  pas  un  roi  qui  était  consacré,  c'était  une  dynastie. 
Comme  la  seconde  race  ne  pouvait  pas,  à  l'exemple  de  la 
mérovingienne,  faire  remonter  son  origine  aux  dieux, 
l'Église  y  suppléa  pour  la  légitimer  aux  yeux  du  peuple. 
A  une  superstition  païenne  elle  substitua  un  dogme  de 
prédestination  chrétienne.  Le  pape  défendit  aux  Francs  de 
choisir  jamais  leur  roi  en  dehors  de  la  descendance  prédes- 
tinée de  Pépin*  qu'il  venait  de  sacrer  '.  La  vocation  divine 
prend  ainsi  la  place  de  l'origine  divine.  Le  sacre  de  Pépin, 
et  de  ses  deux  fils,  fait  de  sa  descendance  une  famille 
choisie  par  Dieu  *  pour  régner  par  préférence  à  toutes 
autres  familles  frànques  ',  de  même  que  la  nation  franque 


*  Suprà,  p.  169. 

'  c<  Simulque  Francorum  principes  benedictione  s.  spiritus  gratia 
confîrmavit  et  tali  omnes  interdictu  et  excommunicationis  lege  cons- 
trinxit,  ut  numquam  de  alterius  lumhis  regem  in  aevo  présumant 
eligere  »  Clausula  de  Pippini  Consecr.  Muhlbacher,  n«  76*,  p.  38-39. 

8  Le  sacre  par  le  pape  (28  juiii.  754)  a  été,  d'après  les  chroniques, 
précédé  d'un  sacre  accompli  en  son  nom,  dès  751,  par  Tarchevêque 
Boniface  (Muhlbacher,  Reg,,  2«  éd.,  65»,  p.  32). 

*  «  Francorum  proceres...  auctoritate  S.  Pétri  sibi  a  Christo  tra- 
dita  obligavit...  ut  nunquam  de  altéra  stirpe  per  sucedentium  tem- 
porum  curricula  ipsi  vel  quique  ex  eorum  progenie  orti  regem  super 
se  présumant  aliquo  modo  constituere,  nisi  de  eorum  progenie,  quos 
et  divina  providentia...  eligbrb  et  per  eum,  videlicet  S*  Pétri  vica- 
rium,  immo  domini  lesu  Christi,  in  potestatem  regiam  dignata  est 
suhlimare  et  vnctionb  sACRAvissiifA  consbcràrb  »  (Lettre  du  pape 
Etienne,  Reginon,  p.  45,  éd.  Kurze). 

*  On  fera  remonter  ensuite  cette  prédestination  jusqu'à  saint 
Arnoul,  le  lointain  ancêtre  des  Carolingiens.  Reculée  jusqu'au 
VI*  siècle,  Vorigine  sainte  prit  directement  la  place  de  Vorigine 
divine  des  Mérovingiens  :  «  Arnolfi...  de  cujus  sancto  germiae  regum 


240  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   II. 

est  une  nation  élue,  un  peuple  d'adoption  choisi  par  Dieu 
pour  commander  aux  autres  peuples  *.  C'est  donc  à  la  fois 
la  prééminence  carolingienne  et  la  prééminence  franque  qui 
sont  sanctifiées  par  l'Église. 

Cette  consécration  une  fois  faite,  les  descendants  de 
Pépin  et  de  Charlemagne  pouvaient  de  nouveau,  comme 
les  Mérovingiens,  se  dispenser  du  sacre  individuel,  qu'ils 
portassent  le  titre  de  roi  ou  celui  d'empereur,  mais  le  sacre 
redevenait  un  élément  nécessaire  quand  le  roi  était  élu  en 
dehors  de  la  famille  carolingienne  ou  que  la  couronne 
n'était  pas  un  regnum  Francorum.  Il  le  fut  donc  pour  les 
rois  qui  s'élevèrent  ou  furent  élus  à  la  fin  du  ix*  et  au 
début  du  X*  siècle ,  il  le  fut  pour  l'empereur,  quand  Tem- 
pire  devint  romain  ',  il  le  fut  pour  les  Capétiens  quand 

Francorum  prosapia  pullulaverat...  Siquidem  ab  illo  genealogia  regum 
caelitus  provisa...  coepit  exuberare,quousque  in  magno  Caroio  sum- 
mum imperii  fastigium  non  solum  Francorum,  verum  etiam  diversa- 
rum  gentium  regnorumquo  obtineret  »  (Reginon,  ad  an.  880, 
p.  116). 

*  «  Declaratum  quippe  est  (c'est  saint  Pierre  lui-même  qui  parle) 
quod  super  omnes  génies,  quae  sub  celo  sunt,  vestra  Francorum  gens 
prona  mihi^  apostolo  Dei  Petro,  extitit;  et  ideo  ecclesiam,  quam 
mihi  Dominus  tradidit,  vobis  per  manus  \'icarii  mei  commendavi  » 
(Lettre  du  pape  Etienne  II  à  Pépin,  Codex  Carolinus^  éd.  Jaffé,  10).  — 
«  Gens  sancta,  populus  adquisitionis  »  (Lettres  de  Paul  I  et  d'Etienne 
III,  ibid.,  39,  45).  Cf.  Kleinclausz,  L'empire  carolingien,  p.  132*136. 
—  Voyez  aussi  Viîiventio  S.  Jvdoci  (saint  Josse)  écrite  par  Isembart 
de  Fleury  sous  le  règne  de  Robert  II  (H.  F.  X.  366)  :  «  Unde  non 
immerito  placuisse  summo  creditur  Deo...  bis  usquequaque  illos 
(Francos)  muneribus  ditari,  quos  longé  ante  praesciebat  sui  cultûs 
religionem  optimè  servaturos...  Ob  id  si  quidem  venerationis  cultu 
digna  habetur,  exteris  etiam  nationibus  formidini  est  ». 

*  Suprà,  p.  172.  —  Aussi  les  partisans  de  la  papauté  voulant  faire 
croire,  à  la  fin  du  ix*  siècle,  que  dès  l'origine  la  dignité  impériale 
émanait  d'elle,  ne  manquèrent-ils  pas  de  prétendre  que  Charlemagne 
avait  été  sacré  empereur.  —  Voyez,  en  effet,  la  lettre  de  Louis  II  à 
l'empereur  Basile,  dont  M.  Kleinclausz  vient  de  prouver  la  fausseté 
et  qu'il  croit  pouvoir  attribuer  au  Bibliothécaire  Anastase  {op.  cit., 
p.  441  suiv.).  «  Nam  Francorum  principes  primo  reges,  deinde  vero 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       241 

ils  montèrent  sur  le  trône  *.  Si  pleinement  restaurée  qu'elle 
parût,  l'élection  populaire  ne  pouvait  plus  suffire  à  ces  der- 
niers. Deux  puissances  concouraient  désormais  à  créer  le 
roi^  :  le  peuple  ou  les  grands  et  TÉglise.  La  vox  Dei  ne  se 
manifestait  pas  seulement  par  l'organe  de  la  vox  populi^ 
mais  directement  par  ses  ministres  ;  et  ce  concours  était  né- 
cessaire à  chaque  changement  de  règne,  puisque  ce  n'était 
pas  une  dynastie  mais  un  homme  qui  avait  été  intronisé 
avec  Hugues  Capet'.  11  suit  de  là  que  les  Capétiens  furent 
beaucoup  plus  dépendants  de  l'Église  que  les  Carolingiens 
ne  l'avaient  été.  Son  alliance  leur  était  indispensable  pour 
atteindre  la  stabilité  que  l'élection  populaire  mettait  sans 
cesse  en  péril.  C'est  par  cette   alliance  inéluctable  du 

imperatores  dicli  sunt,  hii  dumtaxat,  qui  a  Romano  pontifice  ad  hoc 
oleo  sancto  perfusi  sunt.  In  qua  etiam  Karolus  M.  unctione  hujusmodi 
per  summum  pontifiœm  delibutus,  primus  ex  génie  a  genealogia  nos- 
tra...  imperator  dictus  et  christus  Domini  factus  est  »  (SS.  III,  523). 
•  Pour  donner  à  ce  sacre  toute  sa  force  de  légitimation,  on  imagina 
au  siècle  suivant  que  l'avènement  d'Hugues  Capet  était  dû  à  Tinter- 
cession  de  saint  Valéry,  qui,  en  échange  de  la  translation  de  son 
corps  et  du  corps  de  saint  Riquier,  lui  avait  promis  qu'il  deviendrait 
roi,  et  sa  descendance  après  lui  jusqu'à  la  septième  génération  [Fis- 
toria  relationis  corp.  S,  Walarici,  Mab.  SB.  V,  557.  —  Cette  relation 
date  de  1025-1050).  La  légende  fit  son  chemin.  Elle  se  trouve  déjà 
dans  Orderic  Vital  (I,  p.  171,  éd.  Le  Prévost)  et  dès  la  deuxième 
moitié  du  xi«  siècle  Hariulf  l'accentue  en  faisant  du  saint  l'organe 
même  de  la  divinité  :  «  Promitto  tibi  ex  Deijttësu.,,  te  fore  regem. 
prolemque  tuam  Francigenarum,  stirpemque  tuam  regnum  tenere 
usque  ad  septem  successiones  »  (Chronique  de  saint  Riquier,  III,  23. 
éd.  Lot,  p.  154)  (Cf.  p.  153  :  ex  Dei  mandato,  Dei  prœcepto).  Les 
chroniques  postérieures  s'en  autorisent  pour  dire  que  les  Capé- 
tiens sont  montés  sur  le  trône  «  per  Domini  voluntatem  »  (Guillaume 
de  Nangis,  H  F.  X.  300  C).  L'apparition  de  saint  Valéry  devint  ainsi 
au  moyen  âge  un  des  titres  de  la  monarchie  capétienne. 

2  Quand  Hugues  Capet  veut  associer  son  fils  Robert  au  trône  c'est  à 
l'archevêque  de  Reims  qu'il  demande  de  le  créer  roi  reyem  creari;  celui- 
ci  résiste,  puis  couronne  Robert  Francis  laudantibus  (Richer  IV,  12-1 3). 

3  «  Qui  a  Domino  percepimus  regni  honorem  »  dit  Hugues  Capet 
en  988  (H.  F.  X,  552  D). 

F. —Tome  1X1.  16 


242  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  II. 

trône  et  de  Tautel  que  le  caractère  sacré  de  la  royauté^ 
prévalut  définitivement  sur  son  caractère  populaire  et  que 
dès  la  seconde  moitié  du  xii°  siècle  Thérédilé  put  être 
acquise  par  droit  divin  à  la  dynastie  capétienne. 

IL  Le  pouvoir  sur  V Église  et  le  clergé.  —  Le  caractère 
sacré  de  la  royauté  se  liait  étroitement  à  sa  principale 
fonction,  la  protection.  Les  idées  païennes  comme  les 
croyances  chrétiennes  faisaient  de  celle-ci  un  attribut 
essentiel  de  la  divinité.  Le  roi  Texerce  donc  à  titre  de 
descendant  d'un  ancêtre  mythique  ou  de  délégué  de  Dieu. 
Il  est  investi  par  là  d'un  véritable  sacerdoce  :  le  roi  païen 
sur  la  famille  royale  d'abord,  dont  il  est  le  chef  religieux, 
puis  sur  l'ensemble  des  familles  qui  constituent  la  gens, 
la  nation,  dont  il  est  le  grand-prêtre  ;  le  roi  chrétien  ins- 
titué par  Dieu  sur  le  royaume  que  le  Christ  protège*,  et 
sur  rÉglise  qui  fait  corps  avec  le  Christ. 

Il  est  vrai  que  cette  protection  a  revêtu  une  nature  de 
plus  en  plus  profane  ou  temporelle  à  mesure  que  s'est 
constitué  l'État,  mais  de  même  que  sa  base  familiale  ne 
s'est  pas  oblitérée,  son  fondement  mystique  a  survécu. 
Par  la  coutume  immémoriale  qui  plaçait  les  faibles,  les 
désarmés,  les  sans  famille,  auxquels  fut  assimilée  l'Église, 
dans  le  mundium,  dans  la  paix  du  roi,  celui-ci  jouait  le 
rôle  de  providence,  et  sa  main  se  sanctifiait  en  s'étendant 
sur  les  biens  consacrés  à  Dieu  et  aux  saints. 

Le  rôle  protecteur  de  la  royauté  servit  ainsi  de  trait 
d'union  entre  le  caractère  sacré  qui  lui  était  propre  et 
Tautorilé  spirituelle  et  temporelle  qu'elle  acquit  sur  TÉglise 
chrétienne.  Deux  éléments  la  composent  et  doivent  être 
distingués  :  1**  le  pouvoir  spirituel  proprement  dit,  s'appli- 
quant  au  gouvernement  et  à  la  discipline  de  TÉglise,  et 
s'étendant  à  tous  ses  membres  (clergé  et  fidèles)  ;  2**  les 
pouvoirs  particuliers  du  roi  sur  le  clergé. 


*  Cf.  W.  Sickel,  lac.  cit.,  |p.  387. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       243 

i .  Pouvoir  général  sur  l'Église^  le  clergé  et  les  fidèles. 

Le  pouvoir  du  roi  franc  sur  sa  nation  consistait  en  un 
mundium,  un  mainbour.  L'Église  y  rentrait  au  premier 
chef.  La  sauvegarde  de  TÉglise  et  le  pouvoir  royal  fini- 
rent donc  sous  la  deuxième  race  par  se  confondre, 
rÉglise  par  être  absorbée  dans  l'État.  On  pourrait 
même  aller  plus  loin  et  dire  qu'elle  fut  absorbée  dans  la 
famille  du  roi,  puisque  le  mainbour  auquel  elle  avait  droit 
était  plus  étroit,  plus  énergique,  puisqu'à  l'instar  des  fai- 
bles, elle  semblait  avoir  le  roi  pour  chef  de  famille.  La 
fiction  ne  fut  pas  poussée  à  ses  dernières  conséquences, 
hors  le  cas  d'une  manifestation  expresse  de  la  volonté 
royale  (charte  d'immunité)  qui  faisait  participer  une  église 
à  la  loi  personnelle  de  la  stirps  regia^  la  loi  salique  ou 
la  loi  ripuaire  *.  Du  moins  le  roi  franc  devint-il  chef  de 
l'Église  comme  de  l'État.  Et  qu'on  ne  croie  pas  que  cette 
conception  dût  se  heurter  à  l'autonomie  de  l'Église  chré- 
tienne. A  supposer  même  qu'elle  eût  constitué  une  nation 
distincte  *,  une  nation  vivant  à  part  selon  la  loi  romaine, 
jouissant  de  la  libertas  romana,  elle  n'en  aurait  pas  moins 
été  dans  la  dépendance  rigoureuse  du  regnum  Fran- 
corum,  comme  l'étaient  les  autres  nations  vivant  selon 
leur  loi  propre.  Sa  condition  légale,  comme  la  leur,  aurait 
été  subordonnée  aux  capilulaires  royaux. 

Mais  cette  assimilation  de  l'Église  aux  nationalités  vassa- 
les de  la  nationalité  franque  est  extrêmement  douteuse  et 
c'est  beaucoup  plutôt  à  la  nation  franque  qu'elle  fut  as- 
similée. Sans  doute,  par  une  sorte  de  privilège  néces- 
saire, puisque  son  régime  organique  avait  été  fixé  par 
les  constitutions  impériales,  elle  était  régie,  en  tant  que 
corps,  par  le  droit  romain.  Mais  cette  législation  particu- 

*  Gesta  Aldrici  {MiscelL  de  Baluze,  III,  p.  118-119)  :  «  res  ipsius 
(l'abbaye  d*Arisola)  secundumlegemsalicamaut  ribuariam  tuerentup». 
^  C'est  ce  qu'avance  M.  I.  de  la  Tour,  Les  élect.  épiscop.  p.  98. 


24 i  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II. 

lière  fut  de  plus  en  plus  modifiée  par  les  capitula  eccle- 
sîa.^tica,  dans  l'esprit  et  suivant  les  principes  du  droit 
franc.  D'autre  part,  l'incorporation  de  1  Église  à  la  nation 
franque  s'imposait  au  point  de  vue  du  droit  constitutionnel. 
Son  ambition  naturelle  et  légitime  la  portait  à  vouloir  être 
mise  sur  la  même  ligne  que  la  nation  dominante,  à  n'être 
pas  reléguée  au  rang  de  nation  vaincue  ou  soun^ise,  et 
le  roi  des  Francs,  institué  par  Dieu,  vicaire  de  Dieu  sur 
la  terre*,  pouvait-il  admettre  une  autre  condition  pour  l'é- 
pouse du  Christ? 

Aussi  voyons-nous  en  863  Charles  le  Chauve,  roi  de  la 
Francie  occidentale,  et  Louis  le  Germanique,  roi  de  la 
Francie  orientale,  déclarer  que  l'Église  est  partie  intégrante 
de  leur  royaume  et  de  celui  de  Lothaire  II,  roi  de  la 
Francie  médiane  (tandis  qu'ils  ne  font  nulle  mention  ni 
de  Charles  de  Provence  ni  de  Louis  II  d'Italie),  qu'elle 
est  donc  partie  intégrante  du  regnum  Francorum^  dont 
ils  veulent  maintenir  ou  restaurer  l'unité  théorique".  Je 
dirais  volontiers  que  TÉglise  était  une  Francie  religieuse  à 
côté  de  la  Francie  laïque  que  constituait  l'ensemble  des 
Francs.  Et  ainsi  s'expliquent  son  unité  et  son  grand  rôle 
politique  :  son  unité,  —  il  ne  pouvait  y  avoir  sous  Charle- 
magne  d'Église  romaine,  pas  plus  qu'il  n'y  avait  d'Église 
alémanique,  thuringienneou  lombarde;  il  n'y  avait  qu'une 

*  «  Vicem  vos  gerere  Dei  quis  ignorât  »,  dit  Loup  de  Ferrière  à 
Charles  le  Chauve  (Lettre  64,  Duchesne,  II,  p.  762). 

2  «  Ecclesia  nobis  (Hludovvico  et  Karoio)  et  illi  (nepoti  nostro  Hlo- 
thario)  commissa  et  regnum  unum  est.  »  [Pactum  Tiisiac,  865,  cap.  3, 
II,  p.  165).  —  «  ad...  regni  nobis  Doo  commissi  soliditatem  resti- 
tuendam  et  conservandam,  ut  ecclesia  et  regnum  quod  Deus  in  manus 
progenitorum  nostrorum  adunavit,  et  nobis  misericordia  sua  com- 
misit,  in  nostro  tempore  necessariam  defensionem  et  tuitionem,  et 
honorem  atque  soliditatem  habeat  »  {Ibid.^  cap.  6).  —  Cf.  le  commo- 
nitormm  des  évêques  au  Synode  de  Metz  (859)  :  «  Ecclesia  Dei  quae 
in  suo  regno  (Louis  le  Germanique)  ac  regnis  nostrorum  principum 
(Charles  le  Chauve  et  Lothaire  II)  una  est,  sicut  et  unum  sacerdo- 
tium  (cap.  9,  II,  p.  444). 


LES   QUATRE   FACES  DE  LA   ROYAUTÉ.  245 

Église  franque;  —  son  grand  rôle  politique,  —  il  était 
calqué  en  quelque  sorte  sur  celui  de  la  nation  franque. 
L'Église  fournissait,  comme  elle,  à  TÉtat  ses  principaux 
fonctionnaires;  elle  avait  accès  au  conseil,  à  la  cour,  y 
tenait  le  premier  rang,  et  dans  les  grandes  assemblées 
annuelles  exerçait  une  influence  prépondérante;  elle  pre- 
nait parla  une  part  directe  à  l'élection  du  souverain,  en 
attendant  que  par  le  sacre  elle  acquît,  comme  je  l'ai  mon- 
tré, un  droit  d'intervention  d'ordre  plus  élevé  encore. 

Cette  parité  entre  l'Église  et  la  nation  franque,  dont 
l'aboutissant  fatal  était  une  pénétration  réciproque, 
intime  et  profonde,  a  pris  sa  source  et  reçu  son  accrois- 
sement de  l'alliance,  sans  cesse  renouvelée  sous  les  deux 
premières  races  et  continuée  sous  la  troisième,  entre  l'É- 
glise et  la  royauté. 

Si  le  fondateur  de  la  dynastie  mérovingienne  ne  pouvait 
se  passer  de  l'Église  pour  gouverner  la  Gaule  romaine,  il 
n'en  avait  pas  un  moindre  besoin  pour  discipliner  les 
Francs  eux-mêmes  et  les  peuples  germaniques  ses  auxi- 
liaires ou  ses  vaincus.  Charlemagne,  qui  voulait  faire  re- 
naître dans  tout  leur  éclat  la  civilisation  et  les  lettres,  et 
instituer  dans  son  immense  empire  un  gouvernement  per- 
fectionné, ne  trouvait  que  dans  l'Église  les  éléments  du  pro- 
grès politique  et  du  progrès  intellectuel  qu'il  rêvait.  Les 
deux  grands  chefs  de  dynastie  ne  purent  donc  les  fonder 
que  sur  la  double  assise  franque  et  chrétienne. 

Considérez  maintenant  l'Église  elle-même.  Sa  soumis- 
sion fut  loin  d'être  purement  extérieure,  matérielle,  impo- 
sée. Elle  fut  acceptée  volontairement,  elle  fut,  si  je  puis 
dire,  canonique.  L'Église  tout  d'abord  courba  la  tête  sous 
l'inéluctable  nécessité,  elle  céda  à  la  force  triomphante 
des  armes.  Mais  comment  n'aurait-elle  pas  reconnu 
pour  son  chef  le  roi  franc  qui  successivement  combattait 
avec  et  pour  elle  Tarianisme,  les  superstitions  païennes, 
rislam?  Comment  aurait-elle  pu,  sans  l'avoir  à  sa  tête,  se 
faire  obéir  non  seulement  de  ses  fidèles  gallo-romains  ou 


246  LIVRE    IV.    —   CHAPITRE   II. 

germains,  mais  de  son  propre  clergé*?  Enfin,  elle  qui 
visait  à  Tunité,  c'est  longtenQps  de  la  royauté  seule  qu'elle 
put  l'attendre. 

L'autorité  spirituelle  de  l'évêque  de  Rome  est  loin  d'être 
établie  dans  la  première  moitié  du  ix*  siècle,  et  son  pou- 
voir temporel,  il  le  doit  à  Pépin  et  à  Charlemagne.  Il  sem- 
ble même  se  désintéresser  momentanément  de  l'une 
pour  étendre  ou  consolider  l'autre.  L'Église  reconnut 
donc  sans  difficulté  aux  rois  francs  la  puissance  et  les 
attributions  dont  les  empereurs  chrétiens  de  Rome  avaient 
été  investis  en  matière  religieuse*.  Elle  en  fit  même  plus 
que  des  évêques  du  dehors^ ^  elle  fit  de  la  royauté  un  sacer- 
doce chrétien  *  auquel  le  pape  en  personne  fut  subordonné*. 

*  Saint  Boniface  reconnaît  que  l'assistance  du  prince  des  Francs  lui 
a  été  indispensable  pour  venir  à  bout  du  clergé  des  Gaules  {Epist  63). 
Kleinclausz,  op.  cit,  p.  111-112.  —  Cf.  Theodulf  disant  à  Charle- 
magne :  u  Perte  ponlifices  jura  sacrata  tenent  »  (H.  F.  V,  420). 

2  «  Les  rois  des  Francs,  héritent  de  toutes  les  prétentions  impériales 
sur  le  gouvernement  de  TÉglise.  Clovis,  ce  païen  d'hier,  vient  de  re- 
vêtir les  insignes  du  patriciat,  et  à  l'exemple  de  Constantin,  il  se  con- 
sidère  comme  l'évêque  du  dehors  »  (Ozanam,  Et.  geim.,  II,  334). 

3  L'expression  si  souvent  citée  d'évéque  du  dehors  est  dans  Eusèbe, 
Vita  Constant.,  lY,  24;  Esmein,  Hist,  du  dr.  franc,,  2*  éd.,  p.  154. 

*  M.  Léon  Gautier  en  a  été  frappé  dans  nos  plus  anciennes  chan- 
sons de  geste  :  «  Dans  la  chanson  de  Roland  dit-il,  l'empereur  a  une 
figure  sacerdotale  :  il  a  des  gestes,  des  paroles  et  des  allures  d'évé- 
que.  Il  donne  sa  bénédiction  à  son  armée  comme  un  pape  : 

u  Si  's  beneïst  Caries  de  sa  main  destre  »  (v.  3066) 
Les  ambassadeurs  ne  partent  pas  sans  la  même  bénédiction  : 
«  Co  dist  li  reis  :  A  V  Jhesu  e  a  l'mien  I 
De  sa  main  destre  Tad  asolt  e  seigniet 
Pois  li  livrât  le  bastun  e  le  brief  ». 

{Les  Épopées  françaises,  t.  III  (2*  édit.,  1880),  p.  147. 

^  Lettre  de  l'évêque  Cathvulphe  à  Charlemagne  (v.  775)  :  «  Tu  es  in 
vice  illius  (Dei)...  Et  episcopus  est  in  secundo  loco,  in  vice  Christ!  tan- 
tum  »  (H.  F.  V,  634).  —  Alcuin  à  Charlem.  (799)  :  «  Très  personae 
in  mundo  altissimae  hue  usque  fuerunt  :  apostolica  sublimitas..;  im- 
perialis  dignitas...  regalis  dignitas  in  qua  vos  D.  nostri  J.  C.  dispen- 


LES   QUAT/IE  FACES   DE   LA   ROYAUTE.  247 

Ne  voit-on  pas  au  vi"  siècle  un  roi  franc  juger  de  lortho- 
doxie  d'un  pape*,  et  trois  siècles  plus  tard,  en  824, 
r  «  élection  du  pape  soumise  à  la  ratification  de  Tempe- 
reur  m^?  Si  Ton  se  rappelle  que  le  caractère  sacré  du 
pouvoir  royal  était  profondément  enraciné  dans  la  cons- 
cience populaire,  et  que  l'Église  Tavait  mis  en  harmonie 
avec  sa  doctrine,  on  se  convaincra  aisément  que  rien  ne 
s'opposait  au  cumul,  en  la  personne  du  roi,  de  Tautorité 
spirituelle  et  de  l'autorité  séculière.  Et  tel  fut,  en  efiTet,  le 
curieux  spectacle  qu'offrit  la  royauté  franque  sous  Char- 
lemagne  et  sous  Louis  le  Débonnaire. 

Le  roi  franc  administre  TÉglise  par  lui-même  ou  par  ses 
officiers,  il  fixe  sa  discipline,  veille  à  son  maintien,  règle 
sa  liturgie'  et  émet  des  instructions  pastorales.  Il  légifère 
sur  toutes  les  questions,  sur  celles  mêmes  qui  touchent  di- 
rectement au  dogme. 

A  cet  effet  c'est  lui  qui  convoque  les  conciles  ou  les 
synodes;  il  les  consulte  sans  être  lié  par  leurs  décisions*. 
Les  clercs  et  leurs  chefs  (évêques  ou  abbés)  sont  ses  subor- 
donnés ou  ses  sujets.  Ils  lui  doivent,  comme  les  laïques, 
le  serment  de  fidélité*  et  leur  entrée  dans  la  cléricature 
est  soumise  à  son  autorisation  préalable®.  Il  n'y  a  donc 

satiorectorem  populi  christiani  disposait,  caeteris  digniiatibus  potentia 
excellentiorem...  regni  dignitate  sublimiorem,  Ecce  in  te  solo  tota 
salus  Ecclesiarum  Christi  inclinata  recumbit  »  (H.  F.  V.  6i2).  — 
Theodulf  (/.  c.)  :  «  Tu  régis  ecclesiae,  nam  régit  ille  (le  pape)  poli  ». 

*  Viollet,  Institut,  polit,  de  la  France,  I,  i890,  p.  341.  —  Cf.  les 
instructions  que  Charlemagne  donne  à  Tabbé  Angilbert  en  l'envoyant 
auprès  de  Léon  III  :  «  Ammoneas  eum  diligenter  de  omni  honestate 
vitae  suae  et  praecipue  de  ss.  observatione  canonum,  de  pia  s.  Dei 
ecclesiae  gubernatione  »  (796)  (Jaffé,  BibL  rer.  Germ.,  IV  (1867), 
p.  353)  et  les  admonestations  directes  du  roi  au  pape  (Ibid.,  p.  356). 

2  Duchesne,  Les  prem,  temps  de  l'État  pontifical,  Paris,  1898,  p.  101. 

*  Cf.  VAdmonitio  generalis^  789,  LL.  I,  p.  52  et  suiv.. 

*  Brunner,  II,  p.  317. 

^  Cap.  miss.  802,  c.  2  :  «  Sive  ecclesiasticus,  sive  laicus  »  (I,  p.  92). 
«  Marculf,  1,19;  Brunner,  II,  p.  313. 


248  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE    II. 

pas,  à  vrai  dire,  deux  ordres  dans  l'État,  il  n'y  en  a 
qu'un,  celui  des  sujets.  Le  roi,  le  missus,  le  comte  com- 
mandent aux  clercs,  assistent  les  évoques,  tiennent  la 
main  à  Tobservation  des  canons  et  des  capitulaires  ec- 
clésiastiques *  :  les  évoques  et  leurs  subordonnés  sont  des 
fonctionnaires  royaux  ',  ont  des  attributions  à  la  fois  civiles 
et  religieuses,  coopèrent  avec  les  fonctionnaires  laïques, 
les  surveillent  et  sont  contrôlés  par  eux'.  Ainsi  la  distinc- 
tion de  l'Église  et  de  TÉtat  n'existe  pas,  à  cette  époque, 
au  point  de  vue  du  droit  public.  Le  pouvoir  est  un,  le 
chef  unique  :  le  rex  Francorum  est  la  tête  de  l'Église  et  de 
la  nation.  Il  est  institué  par  Dieu  pour  gouverner  l'une  et 
l'autre,  comme  son  vicaire*. 

Dans  la  seconde  moitié  du  ix'  siècle  la  situation  se 
modifie.  Le  regnum  Francorum  se  disloque;  son  unité 
politique  est  compromise  et  en  grande  partie  anéantie  de 
fait.  Comment  donc  l'unité  politico-religieuse  du  pouvoir 
aurait-elle  pu  se  maintenir  intacte?  Elle  se  conserve  si  peu 
qu'une  unité  nouvelle  naît.  Un  pouvoir  centraliste  rival  com- 
mence à  s'emparer  des  attributions  religieuses  de  la  royauté, 
à  la  supplanter  comme  chef  spirituel  de  l'Église  franque, 
en  attendant  qu'il  aspire  à  s'ériger  en  théocratie  :   la 

*  Le  comte  a  des  attributions  religieuses  multiples  et  étendues.  H 
assiste  régulièrement  Tévôque,  il  lui  prête  main-forte  dans  sa  circuitio 
contre  tous  rebelles,  clercs  ou  laïques  ;  il  Taide  à  combattre  les  su- 
perstitions païennes;  il  est  à  tous  égards  un  defensorecclesiae,  au  point 
de  vue  spirituel  comme  au  point  de  vue  temporel.  Lui  et  ses  subor- 
donnés veillent  à  la  rentrée  de  la  dîme. 

*  Evoques  et  abbés  exercent  un  office  royal.  Ils  sont  pourvus  d'un 
honor.  Ils  siègent  aux  grandes  assemblées  annuelles,  et  à  la  cour  du 
roi.  Ils  prêtent  assistance  au  comte.  Sur  les  territoires  immunes  ils 
exercent  ses  fonctions  et  conduisent  leurs  hommes  à  l'armée. 

3  Comtes  et  évêques,  a  dit  très  bien  M.  Brunner,  sont  sur  la  même 
ligne  et  ils  doivent  se  soutenir  et  se  contrôler  mutuellement  (II,  p.  321). 

*  Sedulius  Sextus,  De  rectoribus  ChristianiSj  cap.  19  (Migne,  103, 
c.  329).  Imbart  de  la  Tour,  Les  élect.  épisc,  p.  105.  Suprà^  p.  244, 
note  i. 


LES   QUATRE   FACES   DE   LA   ROYAUTÉ.  249 

papauté  en  un  mot.  Mais  TÉglise  n'avait  pas  seulement  à 
entrer  en  possession  de  l'autorité  spirituelle  que  la  royauté 
détenait,  elle  avait  à  lutter  contre  l'individualisme  clé- 
rical, contre  les  prétentions  des  métropolitains,  des  évo- 
ques, des  abbés,  à  un  pouvoir  propre,  autonome,  indé- 
pendant *.  La  force  de  décentralisation  et  de  dispersion, 
qui  agissait  dans  l'ordre  laïque,  agit  donc  également  dans 
Tordre  ecclésiastique.  Les  conséquences  furent  analogues. 
De  même  que  les  droits  régaliens  ou  de  souveraineté  en- 
trèrent dans  le  domaine  privé,  de  même  les  pouvoirs  spi- 
rituels ou  religieux  devinrent  seigneuriaux  ou  domaniaux, 
à  rencontre  du  pape  aussi  bien  qu'à  l'encontre  du  roi  ou 
du  prince.  On  peut  dire  qu'ils  se  matérialisèrent,  en  s'in- 
dividualisant.  C'est  là  une  circonstance  capitale,  dont  la 
royauté  tout  à  la  fois  profita  et  pâtit. 

Voyez,  en  effet,  cùmment  cette  dispersion  s'opère.  Une 
grande  agitation  se  manifeste,  au  cours  du  ix''  siècle,  dans 
le  clergé.  Les  fausses  décrétales,  les  faux  capitulaires  sont 
composés  et  répandus.  Au  profit  immédiat  de  qui?  Des 
droits  de  la  papauté?  Non,  avant  tout  des  droits  des  évo- 
ques. Les  évoques  veulent  être  les  maîtres  de  leur  évêché, 
ils  voudraient  en  disposer  à  leur  gré.  Leur  objectif  prin- 
cipal est  la  suppression  des  chorévêques. 

De  même  si  les  métropolitains  réclament  une  part  dans 
l'élection  de  l'évêque  et  obtiennent  d'y  présider  *,  ce  n'est 
point  dans  l'intérêt  de  la  discipline  ecclésiasiique  et  du 
respect  des  canons,  mais  pour  acquérir  un  pouvoir  plus 
personnel  et  des  revenus  plus  considérables.  Le  résultat  le 

*  C'est  aux  évoques  que  Charles  le  Chauve  fait  remonter  son  pou- 
voir, c'est  à  eux  seuls  qu'il  reconnaît  le  droit  éventuel  de  le  déposer  : 
«  a  qua...  regni  sublimitate  subplantari  vel  projici  a  nullo  debueram 
saltem  sine  audientia  et  judicio  episcoporum,  quorum  ministerio  ia 
regem  sum  consecratus  et  qui  throni  Dei  sunt  dicti,  in  quibus  Deus 
sedet  et  per  quos  sua  decernit  judicia  »  (859.  Libellus  proclamationiSf 
cap.  3,  CapituL,  II,  p.  451). 

^  Voyez  Imbart  de  la  Tour,  op.  cit.,  p.  195  et  suiv. 


250  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE   II. 

plus  clair  de  leurs  efforts  fut  d'accentuer  du  haut  môme  du 
siège  archiépiscopal  le  caractère  purement  temporel  et 
politique  du  recrutement  du  clergé,  de  la  promouvance 
aux  dignités  de  TÉglise',  et  de  frayer  ainsi  la  voie  aux  usur- 
pations seigneuriales  ou  princières  *  et  à  l'arbitraire  royal. 

De  telles  usurpations  trouvaient  une  base  dans  les 
concessions  d'abbayes  et  de  paroisses  faites  par  le  roi, 
à  titre  de  bénéûce,  dans  la  translation  donc  du  droit  que  le 
roi  avait  sur  ces  corps  religieux  et  sa  transformation  en  un 
droit  lucratif.  Il  était  exploité  à  charge  de  cens,  donné  en 
fief  à  de  véritables  clercs-vassaux ^  dont  la  soumission  à 
Tordioaire,  à  Tévêque,  devenait  fort  illusoire. 

Un  autre  point  d'appui  fut  fourni  aux  usurpations  par 
TinBuence  prépondérante  que  l'élément  seigneurial  eut 
dans  le  choix  de  Tévêque  là  où  le  peuple  était  censé  encore 
l'élire  ^  Seigneurs  et  principes  acquirent  sous  le  couvert 
de  cette  fiction  un  droit  d'élection  réel*,  et  l'exercèrent  en 
faveur  de  leurs  parents  ou  de  leurs  vassaux. 

L'évêché,  pierre  angulaire  de  l'édifice  religieux,  devient 

*  «  Non  solum  in  laicali,  sed  et  in  ipso  ecclesiastico  ordine  taies 
esse  noscuntur  qui  loca  sanctorum  tanquam  ad  regendum  vel  susci- 
piunt  vel  suscipere  cupiunt,  ut  rerum  ipsorum  locorum  non  rectores 
verissimi  se«l  invasores  atque  rapaces  esse  velint  perversissimi  »  (Di- 
plôme de  Raoul  927,  H.  F.  IX,  572  C). 

2  «  Ita  inolevit  malum,  quod  a  transactis  rétro  cœperat  annis  ut 
jam  principalis  potestas  putet  sibi  licere,  secus  quam  auctoritas 
divina  se  habeat,  in  causas  ecclesiasticas  prosilire  et  duce  Scto  spiritu 
statutum  a  patribus  Ecclesiae  ordinem  pervertere.  »  .Concile  de  Trosly, 
909,  Actes  de  la  prov,  eccL  de  Reims,  I,  p.  571). 

'  Imbart,  p.  2i4  et  suiv.  et  p.  233  et  suiv. 

*  C'est  ce  qu'exprime  assez  exactement  un  chroniqueur  du  xu« 
siècle  (vers  il53),  Richard  le  Poitevin,  que  M.  Élie  Berger  a  remis 
récenmient  en  lumière  :  «  Ex  tune,  quia  debilitatum  est  regnum,  dux 
Aquitanorum  et  alii  regni  proceres  potestatem  super  episcopos, 
quam  antea  reges  habuerant,  tenere  coeperunt  »  (H.  F.  X,  264  A). 
Comme  il  confond  dans  ce  passage  Hugues  Capet  avec  son  ancêtre  le 
roi  Robert,  tué  en  923,  son  assertion  se  rapporte  à  la  période  dis- 
solutive  du  ix'-xe  siècle. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       251 

un  pouvoir  aux  mains  de  raristocralie.  II  est  mis  en  valeur, 
hommes  et  biens  et  sacrements,  comme  un  domaine  ou  une 
seigneurie  *,  et  son  chef,  s'il  reconnaît  un  supérieur,  c'est 
infiniment  moins  le  métropolitain  ou  le  pape  qu'un  seigneur 
lige  naturel  :  le  chef  de  son  lignage  de  qui  il  lient  Tévêché, 
le  roi  ou  le  prince  qui  est  en  possession  du  droit  d'élec- 
tion. Envers  ce  seigneur  ses  devoirs  sont  naturellement 
d'ordre  tout  temporel  :  service  de  cour  ou  de  guerre,  dons 
ou  aides,  etc.  Ils  profitent  au  roi  pour  les  évêchés  qui  sont 
dans  sa  main,  se  tournent  souvent  contre  lui  pour  les 
autres. 

Le  roi  n'est  donc  plus  au  x*  siècle  le  chef  à  la  fois  reli- 
gieux et  civil  de  l'épiscopat  et  par  lui  de  l'Église.  Il  n'est 
plus  que  le  seigneur  temporel  d'un  certain  nombre  d'évê- 
chés,  sauf  que  Tautorité  qui  lui  appartient  sur  eux  et 
les  services  qu'il  peut  leur  demander  bénéficient  encore  du 
caractère  sacré  de  son  pouvoir  et  du  caractère  viager  de  la 
concession.  Quant  aux  autres,  le  principal  et  la  seigneurie 
s'en  sont  emparés. 

Par  la  concurrence  que  la  royauté  subissait  ainsi  de 
toute  part,  de  la  papauté,  des  dignitaires  ecclésiastiques, 
du  principal,  de  la  seigneurie  laïque,  son  pouvoir  sur 
l'Église  se  fractionna,  au  x*  siècle,  en  droits  temporels  sur 
telles  églises,  tels  diocèses,  telles  abbayes. 

Toutefois  ce  serait  une  erreur  de  croire  que  rautorité  du 
roi  sur  l'ensemble  de  TÉglise,  et  ses  atlributions  spirituelles 
d'ordre  général  aient  été  mises  en  oubli  ou  contestées  en 
principe  sous  les  derniers  Carolingiens.  L'Église  reste  dans 
le  mainbour  du  roi  et  lui  demeure  subordonné';  le  roi 

*  Sauf  ce  que  nous  dirons  de  la  distinction  qu'à  ce  point  de  vue 
il  faut  faire  entre  les  évêchés  royaux  ou  princiers  et  les  évêchés  sei- 
gneuriaux- 

2  «  Ipse  (rex)  débet  primo  defensor  esse  ecclesiarum  et  servorum 
Dei...  »  Concile  de  Trosly,  909  can.2,  Actes  delaprov,  eccL  de  Reims, 
I,  p.  568).  u  Sicut...  regalis  potestas  sacerdotali  religioni  se  dévote 


252  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   If. 

continue  à  octroyer  des  chartes  d'immunité  dans  diverses 
régions  de  la  Gaule*;  si  les  conciles  ne  sont  plus  con- 
voqués par  lui,  du  moins  ne  doivent-ils  pas  se  tenir 
sans  son  agrément  ';  en6n  le  droit  d'élection  des  évêques 
ne  cesse,  en  droit  pur,  de  résider  dans  la  personne  àxL 
roi*. 
Ces  pouvoirs  furent  ravivés,  restaurés  par  ravènement 

submiltit  sic  et  sacerdotalis  auctoritas  cum  omni  pietatis  offîcio  se 
regali  dignitati  subdere  débet  »  [Ibid.,  I,  p.  567).  Cf.  diplôme  de  Charles 
le  Simple  (901)  :  u  Duobus  si  quidem  personis  universalis  roboratur 
Ëcclesia,  sacerdotali  videlicet  et  regali,  ut  si  una  iasolens  seu  minus 
existeret  provida,  pigritando  non  dormitet  altéra  »  (H.  F.  IX,  401).  — 
«  Regiae  dominationis  imperium  restaurandum...  ut...  ecclesiarum 
Dei  honor  consequenter  recrescat,  ejus  patrocinio  agente,  virtus 
bonis  quibusque  redeat  »  (discours  du  légat  du  pape  au  Synode  d'Io- 
gelheim  (948-  Richer,  II,  72  (T.  I.  p.  234-5).  —  «DeietDomini  nostri 
J.-G.  propitiationem  nobis  conOdimus  exorabilem  reddere,  qui  (nos) 
ad  hoc  sanctae  et  universali  susb  prxfecit  ecclesiae,  ut  eam  regere 
tuerique,  et  de  ejus  necessitate.  utilitate  atque  exaltatione  soUicili  in 
omnibus  studeamus  esse  »  (Diplôme  de  Lolbaire  pour  Saint- Vincent 
de  Laon,  H.  F.  IX,  639  B).  —  La  même  idée  est  exprimée  dans  le 
préambule  du  diplôme  de  Lothaire  en  faveur  de  la  Sainte-Trinité  de 
Poitiers  (IX,  651);  mais  Tauthenticité  de  cet  acte  est  très  suspecte 
(Cf  Lot,  Les  derniers  Carolingiens,  p.  44,  note  2). 

*  Je  n'en  vois  pas  pour  la  Bretagne,  la  Normandie,  la  Gascogne,  la 
Lorraine,  la  Franche-Comté,  la  Provence  (Voy.  infrd,  p.  262  note*.  Les 
diverses  ruyautés  qui  s'érigèrent  au  déclin  du  ix«  siècle  ne  manquèrent 
pas,  du  reste,  de  prendre  les  églises  sous  leur  tuitio  et  de  leur  accorder 
des  immunités.  Louis  TAveugle  concède  ainsi,  dès  894,  l'immunité  à 
l'église  de  Grenoble,  en  menaçant  les  violateurs  de  sa  charte  de  l'amende 
de  XXX  livres  d'or  édictée  par  la  lex  Theodosii  [E.  F.  IX,  676),  et  la 
même  année  à  l'abbaye  de  Saint-Chef  en  Viennois.  Hugues  d'Arles, 
en  928,  malgré  Fabandon  qu'il  vient  de  faire  de  ses  droits  sur  la  Pro- 
vence, confirme  cette  dernière  immunité,  non  pas  en  qualité  de  pro- 
priétaire, comme  le  dit  M.  Poupardin  {Le  royaume  de  Provence^ 
p.  228,  note  3),  mais  manifestement  à  titre  de  roi  (H.  F.  IX,  691). 

«Flodoard,  Hist.  Rem.,  IV,  21.  Cf.  Viollet,  Hist.  des  inst.  de  ia 
France^  I,  p.  357. 

^  u  La  théorie  n'a  pas  changé,  mais  l'action  se  restreint  Le  roi  n'agit 
plus,  comme  autrefois,  dans  la  France  tout  entière  »  (Imbart  de  la 
Tour,  op,  ciLj  p.  225,  233). 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.        253 

des  Capétiens  et  s'élargirent  de  nouveau  au  xi*  siècle.  L'é- 
piscopat,  qui  s'était  allié  aux  Roberliens  pour  combattre 
les  Carolingiens,  s'unit  de  plus  en  plus  étroitement  à  la 
dynastie  nouvelle.  A  mesure  que  le  pape  rencontrait  dans 
l'empereur  germanique,  au  lieu  d'un  consors  ou  d'un  allié, 
un  rival  ou  un  maître.  Quant  aux  moines  ils  furent,  au 
XI**  siècle,  plus  que  des  auxiliaires,  ils  furent  souvent  des 
agents  communs  du  pouvoir  royal  et  de  la  papauté.  Or 
Cluny,  en  conviant  la  royauté  à  la  réforme  des  couvents, 
remit  en  pleine  vigueur  son  pouvoir  de  discipline  et  de 
réglementation  ecclésiastique. 

Aussi  voyons-nous  se  rétablir,  sinon  dans  son  étendue 
première,  du  moins  dans  une  mesure  très  large,  la  con- 
fusion, aux  mains  du  roi,  des  pouvoirs  civils  et  religieux*. 
La  royauté  sous  Robert  le  Pieux  est  replacée  d'une  façon 
effective  à  la  tête  de  l'Église  des  Gaules  :  le  roi  redevient 
réellement  son  chef*.  Hugues  de  Fleury  pourra  sans  in- 
vraisemblance réclamer  pour  lui,  à  la  fin  du  xi*  siècle, 
la  qualité  d'évêque  suprême».  Il  est  chargé  d'assurer  non 

*  M.  Luchaire  Ta  vu  très  nettement  :  «  Cette  immixtion  régulière 
et  quotidienne  de  la  royauté  dans  les  affaires  ecclésiastiques  est,  dit- 
il,  un  des  caractères  les  plus  frappants  de  la  monarchie  capétienne, 
conmie  de  toutes  les  monarchies  de  la  chrétienté  au  Moyen  âge.  La 
confusion  entre  le  pouvoir  civil  et  le  pouvoir  religieux  est  au  fond  de 
toutes  les  institutions  de  cette  époque  »  {Hist,  des  insHL  monarchi- 
ques, II,  p.  i05). 

î  «  Les  chroniqueurs  se  plaisent  à  nous  montrer  Thumilité  de  Ro- 
bert chantant  au  lutrin.  Qu'on  ne  s'y  trompe  pas.  En  réalité,  il  com- 
mande et  l'Église  suit  l'impulsion  reçue...  Le  roi  est  en  quelque  ma- 
nière maître  de  l'Église  de  France  »  (Pfîster,  Robert ^  p.  206)  —  Ful- 
bert de  Chartres,  écrivant  au  roi  Robert  lui  dit  :  w  Sancte  Pater  » 
(H.  F.  X.,  464  E)  «  Tua  sançtitas  »  (H.  F.  X.,  464  B). 

*  «  Rex  in  regni  sui  corpore  Patris  omnipotentis  obtinere  videtur 
imaginem  et  episcopus  Christi.  Undè  rite  regi  subjacere  videntur 
omnes  regni  ipsius  episcopi,  sicut  Patri  Filius  deprehenditur  esse 
subjectus,  non  natura,  sed  ordine,  ut  universitas  regni  ad  unum  re- 
digatur  principium  »  {Tractatus  de  regia  potestate,  cap.  3.  Migne, 
163.  c.  942).  Cf.  suprày  p.  246,  note  5. 


254  LIVRE  IV.    —   CHAPITRE   II. 

seulement  Texécution  des  canons  mais  celle  des  décisions 
ou  des  sentences  religieuses*.  Il  convoque  des  conciles'. 
Il  juge  les  hérétiques  et  les  fait  brûler.  Sa  protection  sur 
l'ensemble  de  FÉglise  redevient  énergique'  :  elle  rayonne 
dans  tous  les  sens*,  et  elle  entraîne  un  droit  de  haute  juri- 

*  a  Dignum  est  et  utile  ut  nos,  quos  ad  regni  fastigium  regum  rex  et 
omnium  dominus  dignatus  est  attollere,ea  quae  sibi  sunt  placita  debea- 
mus  cogitare.  Quod  quidem  tune  aequitatis  assensu  nos  factum  iri  pu- 
tamus  si  leges  a  Deo  mortalibus  inspiratas,  et  antiquorum  regum  pre- 
decessorum  nostrorum  constitutiones,  décréta,  dispositiones,  sed  et  epis^ 
coporum  et  apostolicorum  romanorum  pontificum  mandata  inviolabi- 
Hier  servemus  et  in  diebus  nostris  eadem  auctoritatis  nostrœ  vigore  ro- 
boremus  »  (Dipl.  de  Philippe  I  pour  Saint-Denis,  1068,  Tardif,  Monum, 
hist.y  n°  287).  C'est,  du  reste,  de  la  royauté  que  le  pape  est  censé  tenir 
le  pouvoir  de  rendre  obligatoire  à  perpétuité  la  loi  de  fondation  des 
évéchés  et  abbayes  :  «  Â  chrîstianis  imperatoribus  hanc  eamdem 
obtinuerunt  singularitatis  excellentiam,  ut  fundatis  episcopalibus 
ecclesiis,  virorum  seu  sanctimonialium  monasteriis,  legemquam  semel 
sub  excommunicationis  anathemate  imposuissent,  nunquam,  nisi 
nécessitas  impediret,  deinceps  perderent  »  (Abbon,  Canons,  cap.  5. 
H.  F.  X.  p.  628  D). 

2  Tel  le  concile  convoqué  à  Paris  en  1050  ou  105i  par  le  roi  Henri  I. 
—  Voyez  la  lettre  de  Theoduin,  évoque  de  Liège,  à  ce  roi  (H.  F. 
XL,  497). 

3  Cf.  Luchaire,  II,  p.  105. 

*  Partout  où  l'autorité  du  roi  peut  pénétrer  encore  efficacement 
Il  est  vrai  que  cette  sphère  d'action  paraît  se  restreindre  presque 
exclusivement  à  la  Francie,  avec  ses  dépendances  immédiates,  et  à 
la  Bourgogne,  puisque  nous  ne  trouvons  plus,  sous  les  trois  pre- 
miers Capétiens,  de  chartes  d'immunité  royale  ni  dans  le  Languedoc 
ou  le  Roussillon,  ni  dans  la  Marche  d'Espagne,  ni  même  en  Flandre 
(infrà,  p.  262-264,  note).  Mais  le  principe  général  de  la  protection  de 
l'Église,  dont  la  tuitio  spéciale  ou  l'immunité  n'étaient  qu'un  renforce- 
ment, n'en  resta  pas  moins  debout.  Il  est  affirmé  en  ces  termes  par  des 
diplômes  de  Henri  I  et  Philippe  I  :  «  Licet  hoc  in  commune  omnibm 
Ecclesiis  debuerimus,  ut  eis  amminiculari  et  subvenire  dignum  judi- 
caremus,  illorum  tamen  necessitudini  propensius  debemus  debito  et 
ratione  condescendere,  quos  in  servitio  nostro  insudasse  et  in  fide- 
litate  nostra  conligit  vehementius  laborasse  »  (Dipl.  pour  Saint- 
Thierry  de  Reims,  vers  1050,  H.  F.  XI,  586).  —  «  Licet  generalem 
defensionem  Sdnctae  Ecclesiœ   debeamus,   specialiter  eam  Sancto 


LES   QUATRE  FACES   DE   LA   ROYAUTÉ.  255 

diction,  pour  le  moins  arbitrale*,  et  un  droit  de  disposition 
des  biens. 

Remarquons,  quant  à  ce  dernier  droit,  que  le  roi  n'a 
jamais  pu  être  considéré  comme  propriétaire  des  biens  de 
l'Église,  pas  plus  que  l'abbé,  Tévêque,  ou  même  le  corps 
religieux  n'ont  pu  l'être  :  ces  biens,  en  effet,  appartenaient 
à  Dieu  et  aux  saints.   Mais  c'était  là,   en  somme,  une 

Remigio  concedere  decrevimus  »  (Dipl.  pour  Saint-Remi  de  Reims, 
1090.  Marlot,  Sietrop.  Remensis  Historia  (Reims,  1679J  II,  p.  181). 

C'est  ce  principe  qu'après  une  léthargie  de  plus  de  deux  cents  ans, 
la  royauté  réveillera  dans  le  Midi  au  cours  du  xiie  siècle  (Cf.  Luchaire, 
II,  p.  281-283). 

*  La  tuitio  emporte,  en  principe,  droit  de  juridiction  sur  le  protégé 
(Cf.  T.  I,  p.  283  suiv.),  donc  sur  le  corps  religieux  et  ses  chefs,  en- 
core qufî  leurs  hommes  ou  leurs  sujets  échappent,  en  vertu  de  l'im- 
munité, à  la  justice  du  protecteur.  Quand  l'Église  est  défenderesse 
la  compétence  du  roi  découle  tout  naturellement  de  sa  qualité  de 
protecteur,  puisque  la  justice  au  x°-xio  siècle,  consiste  essentielle- 
ment à  prendre  fait  et  cause  pour  l'un  des  justiciables.  Le  tout 
est  de  savoir  si  le  roi  est  disposé  à  revendiquer  cette  compétence 
et  s'il  est  en  mesure  de  la  faire  prévaloir.  Il  intervient  de  préférence  en 
faveur  des  immunistes,  mais  en  faveur  d'autres  aussi.  Quand  l'Église 
est  demanderesse,  elle  cherche  d'ordinaire  (par  économie)  à  obtenir 
justice  en  s'adressant  directement  au  seigneur  des  hommes  dont 
elle  a  à  se  plaindre,  et  ce  n'est  qu'en  désespoir  de  cause  qu'elle  fait 
intervenir  son  avoué  ou  finalement  le  roi  (Cf.  charte  de  Henri  I  pour 
Saint-Médard  de  Soissons,  1047.  H.  F.  XI,  p.  581  B).  Le  roi  parvient 
surtout  à  se  saisir  de  l'affaire  quand  le  défendeur  est  sous  son  auto- 
rité inmiédiate,  est  son  fidèle  (Cf.  même  charte,  et  charte  de  Henri  I 
pour  Saint-Maur-des-Fossés,  H.  F.  XI,  p.  577-78).  Enfin  nous  avons 
vu  précédemment  (T.  I,  p.  295)  que  le  privilège  de  clergie  n'est  pas  en- 
core solidement  constitué  au  xi*  siècle.  La  royauté  peut  en  conséquence 
exercer  son  droit  de  juridiction  même  sur  les  évéques.  L'évêque  de 
Noyon,  à  raison  des  faits  que  j'ai  racontés  (T.  II,  p.  278  suiv.),  est 
traduit  devant  la  cour  du  roi  Robert  et  condamné  à  Texil  :  «  Rex... 
contra  episcopum  qui  fidelitatem  ei  debebat...  satisfactionem  prodilio- 
nis  apertis  querelis  exigens  secundum  judicium  optimatum  suorum. 
Cumque  curia  régis  episcopum  de  regno  Francorum  expellendum  et 
exilium  subire  judicaret...  »  (Narratio  restaur.  abb.  S,  Martini  Tor- 
nacensis,  H.  F.  X,  237  D)  (Voyez  d'autres  exemples  :  H.  F.  XI, 
p.  ccxxiii-iv). 


256  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE   II. 

ficlion  juridique,  et,  dans  la  réalité,  Toffice  de  protection 
et  de  haute  tutelle  dont  la  royauté  était  investie,  consti- 
tuait, quand  elle  avait  le  pouvoir  de  l'exercer,  une  domi- 
natio  aussi  voisine  du  dominium  que  sont  voisins  les  deux 
termes  qui  les  désignent.  Il  le  paraissait  dans  son  es- 
sence, il  Tétait  pleinement  par  ses  attributs.  La  protection 
s'exerçait  en  conQrmant,  en  garantissant  à  l'Église*,  les 
biens  qu'elle  détenait,  et  d'ordinaire  cette  confirmation 
s'accompagnait  d'une  libéralité  directe  du  roi.  Les  deux 
qualités  en  lesquelles  le  roi  agissait  ainsi  n'étaient-elles  pas 

*  La  royauté  l'invoque  comme  un  droit  et  l'assume  comme  un  devoir 
général  :  «  Ex  injuncto  nobis  regiee  dignitatis  offîcio,  tenemur  menas- 
teriis  in  regno  nostro  constitutis  eo  modo  providere,  quo  universa, 
quee  ab  aliis  libère  ipsis  collata  suni,  et  quae  possidere  dinoscuntur, 
ne  in  poster um  super  bis  valeant  aliquatenus  molestari,  liberaliter 
confirmemus  »  (Ch.  de  Robert  pour  S.-Mesmin,  1022-23.  H.  F. 
X,  605). 

A  la  confirmation  des  biens,  comme  aussi  à  Timmunité,  se  rattache 
très  étroitement  l'approbation  royale  des  fondations,  érections  ou 
restaurations  d'abbayes  et  églises.  Le  principe  est  le  même,  c'est  la 
protection.  On  ne  saurait  en  effet,  voir  là,  avec  les  continuateurs  de 
Dom  Bouquet  «  une  des  maximes  fondamentales  de  notre  droit  pu- 
blic qu'aucun  corps  ecclésiastique,  séculier  ou  régulier  ne  peut  avoir 
d'existence  dans  l'État  que  par  la  volonté  légale  du  monarque  » 
(H.  F.  XI,  p.  ccxv),  en  d'autres  termes,  une  autorisation  du  roi 
exigée  dans  l'intérêt  supérieur  de  l'ordre  public,  pour  toute  nais- 
sance d'un  corps  religieux.  L'intervention  de  la  royauté  se  fonde, 
comme  pour  les  confirmations  et  les  immunités,  sur  l'intérêt  du 
corps  religieux  lui-même  ;  elle  avait  pour  but  direct  d'authenti- 
quer l'acte  de  fondation  ou  de  restauration,  de  prendre  l'institution 
sous  sa  sauvegarde,  de  lui  assurer  la  stabilité  et  la  sécurité.  Le  roi 
se  donne  ainsi  le  rôle  apparent  de  fondateur,  —  ce  qui  ne  mianque  pas 
d'être  avantageux  pour  lui,  —  de  même  qu'il  paraît  un  ditator  oulo- 
cupletator  en  confirmant  les  biens.  La  charte  de  Hugues  Gapet  pour 
Saint-Pierre  de  Melun  vise  expressément  Vinstauratio  ae  defensio 
sanctarum  Ecclesiarum  (H.  F.  X,  560  A).  Conime  pseudo-fondateur, 
le  roi  assure  le  fonctionnement  régulier  de  l'institution  :  «  obsecramus... 
successorum...  benignitatem  uti  hoc  monasterium...  ab  hostium  im- 
petu  défendant,  legibus  iniquis  subjacere  non  sinant,  rectoribtia 
œquissimis  ac  strenuis  gubernandum  committant  »  (p.  560  D). 


LES   QUATRE  FACES   DE   LA   ROYAUTÉ.  257 

bien  près  de  se  confondre*?  —  Comment  distinguer  aussi  la 
haute  tutelle  de  la  propriété  quand  elle  aboutit  aux  mêmes 
résultats  :  la  nécessité  pour  ceux  qui  sont  en  possession 
des  biens  ecclésiastiques  d'obtenir  pour  toute  aliénation 
Tautorisation  du  roi',  le  droit  pour  le  protecteur  de  dis- 
poser des  biens  dont  il  a  la  garde.  Sans  doute,  ce  droit 
n'est  pas  absolu  en  ses  mains  ;  il  n'existe  que  dans  la  mesure 
où  la  protection  de  l'Église  rend  nécessaire  d'y  recourir. 
C'est  à  ce  titre  que  les  rois  francs  purent  l'exercer,  le  jour  où 
il  fallut  défendre  la  chrétienté  contre  les  Sarrazins.  Mais  la 
porte  une  fois  ouverte,  le  droit  de  disposer  ne  pouvait-il  pas 
y  passer  tout  entier?  En  distribuant  des  biens  à  ses  officiers 
ou  ses  vassaux,  en  les  employant  pour  subvenir  aux  dé- 
penses de  l'État,  le  roi  ne  pouvait-il  pas  toujours  alléguer 
l'intérêt  de  l'Église  et  le  souci  de  sa  protection?  Ainsi  se  fit 
jour  au  ix*  siècle  la  prétention  de  la  couronne  d'assimiler 
les  biens  ecclésiastiques  à  ceux  du  domaine  royal  ',  alors 


*  Geoffroi  de  Vendôme  proteste  contre  une  telle  confusion  et  la 
pratique  qu'elle  engendre  :  «  Res  etiam  quae  semel  Ecclesiae  datae 
sunt,  reges  iterum  eas  dare,  vel  de  ipsis  investire,  nec  debent  nec 
convenienter  possunt.  Nam  alicui  dare  quod  habet,  et  de  hoc  investire 
aliquem  quod  ille  jam  tenel,  superfluum  est  et  vanum  »  (Migne,  457, 
219). 

-  Cf.  Luchaire,  11,  p.  78-79  et  H.  F.  XI,  p.  ccxvi-xviii. 

'  «  Sunt  qui  dicunt,  ut  audivi,  quia  res  ecclesiasticae  episcopo- 
rum  in  vestra  sint  polestate,  ut  cuicunque  volueritis,  eas  donetis  » 
(Hincmar  à  Louis  III  (881)  Migne,  126,  112).  Ci.  la  lettre  des 
évêques  à  Louis  le  Germanique,  datée  de  Kiersy  (858)  :  «  Ecclesiae 
siquidem  nobis  a  Deo  commissae  non  talia  sunt  bénéficia  el  hujusmodi 
régis  proprietas,  ut  pro  libitu  suo  inconsulte  illas  possit  dare  vel  tôl- 
ière, quoniam  omnia  quae  Ecclesiae  sunt  Deo  consecrata  sunt  »  (Cap. 
II,  p.  439).  —  Aux  deux  conciles  de  Mayence  de  847  et  852  les  évo- 
ques avaient  dit,  au  contraire,  à  Louis  le  Germanique:  «  Assensumnon 
praebeat  (rex)  inprovide  affirmantibus  non  debere  esse  res  dominicas, 
id  est  Domino  dominantium  traditas,  ita  sub  defensione  régis  sicuti 
propriae  suae  hereditates.  »  (Cap.  II,  p.  177-78,  186),  et  dès  833 
(4  avril),  l'abbaye  de  Kempten  s'était  fait  délivrer  par  Louis  le  Dé- 
bonnaire un  diplôme  qui  portait  :  «  Sub  lali  lege  tutae  ac  provisae... 

F.  —  Tome  III.  17 


258  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   II. 

surtout  qu*elle  en  avait,  par  la  vacance  du  siège  épiscopal, 
radministration  exclusive  et  directe*.  Cette  prétention, 
dans  ce  qu'elle  avait  de  fondé,  comme  dans  ce  qu'elle  avait 
d'abusif,  servit  à  légitimer  l'arbitraire  dont  la  royauté  usa 
à  l'égard  des  biens  des  abbayes  et  des  évêchés  auxquels  sa 
domination  se  restreignit,  et  elle  fut  érigée  plus  tard  en 
droit  sous  forme  de  régale. 

On  serait  tenté  de  croire  qu'à  la  dififérence  du  pouvoir 
disciplinaire,  les  droits  lucratifs  de  la  royauté  durent  être 
réduits  par  la  réforme  clunicienne.  Il  n'en  fut  rien.  L'Église, 
en  bonne  politique,  était  tenue  d'ofifrir  à  la  royauté  des 
avantages  matériels  ou  tangibles,  en  échange  des  ser- 
vices qu'elle  en  recevait,  et,  du  reste,  le  centre  des  abus 
était  plus  dans  les  évêchés  et  les  abbayes  seigneuriaux  que 
dans  les  évêchés  royaux.  Elle  se  montra  donc  conciliante 
quant  à  ces  derniers.  Elle  laissa  s'étendre  même  le  droit 
d'élection  du  roi  aux  dépens  du  droit  des  seigneurs. 

Ce  n'est  qu'aux  siècles  suivants,  quand  la  papauté  attei- 
gnit son  apogée  de  puissance,  que  l'Église  de  Rome  entra 
en  concurrence  ouverte  et  souvent  victorieuse  avec  la 
royauté  française. 

2.  Les  pouvoirs  particuliers  du  roi  sur  le  clergé. 

Nous  venons  de  voir  comment  le  pouvoir  général  de 
la  royauté  sur  l'Église  est  allé  se  particularisant.  Ce  qu'il 
a  perdu  en  étendue,  il  l'a  gagné  en  force.  Si  son  carac- 
tère spirituel  s'est  affaibli,  ses  avantages  temporels  s'en 
sont  accrus.  La  puissance  séculière  de  la  royauté  a  donc 
hérité  de  sa  toute-puissance  spirituelle.  Mais  l'héritage 
n'a  été  que  partiel  et  fragmentaire.  Il  n^a  porté  que  sur  cer- 

quemadmodum  per  imperium  nostrum  res  fisci  nostri  tuentur.  » 
(Mon.  Boica,  28,  23,  Mûhlbrecht,  Rey.,  n°  921).  C'est  que  rassimila- 
tion  aux  biens  du  roi  était,  à  beaucoup  d'égards,  fort  profitable  à 
l'Église.  Cf.  p.  273,  note  5,  et  chap.  iv,  §  4,  Le  pouvoir  judiciaire), 
*  Cf.  Imbart  do  la  Tour,  op,  cit.,  p.  126-i27. 


LES   QUATRE   FACES   DE   LA    ROYAUTÉ.  259 

taioes  églises  ou  corps  religieux  et  non  point  sur  Tensera- 
ble.  Ce  sont  ceux  qui  se  trouvent  dans  la  main,  in  manu, 
sous  la  domination,  in  dominatUy  du  roi  :  1**  les  églises  pa- 
roissiales et  les  simples  chapelles  dont  il  est  le  patron; 
2"*  les  corps  religieux,  abbayes  ou  diocèses,  placés  sous  sa 
tuitio  spéciale  ou  dotés  parlai  de  l'immunité;  3" les  évêchés 
et  les  abbayes  sur  lesquels  il  a  gardé  en  l'étendant  et  en  le 
temporalisant  son  droit  d'élection.  La  première  de  ces 
catégories  rentre  dans  le  domaine,  puisque  les  églises  qui 
la  composent  sont,  nous  le  verrons,  de  véritables  proprié- 
tés. Les  deux  autres  demandent  à  être  envisagées  ici  de 
plus  près.  Nous  le  ferons  séparément,  bien  que  la  distinc- 
tion entre  elles  ne  soit  pas  absolument  rigoureuse. 

jo  juijiQ    Qu^    GARDE  et    IMMUNITÉ. 

Les  évoques,  les  abbés,  tous  les  clercs,  étaient  liés  au 
roi  carolingien  par  Thommage  lige  naturel.  Ils  Tétaient 
à  titre  de  sujets,  ils  Tétaient  plus  strictement  encore  à  titre 
de  membres  de  TÉglise,  assimilée  à  la  nation  franque  *. 
Ils  lui  devaient  en  conséquence,  nous  Tavons  dit,  le  ser- 
ment de  fidélité  {leudesamio). 

Quand,  pour  les  laïques,  ce  lien  s'effrita  par  les  recom- 
mandations particulières,  il  se  maintint  pour  les  clercs, 
par  suite  des  conditions  spéciales  de  dépendance  où  ils 
étaient  placés.  D'autre  part,  les  évèqueset  les  abbés,  étant 
investis  d'un  honor,  d'une  fonction  publique,  ne  pouvaient 
refuser  le  serment  de  fidélité;  ils  refusèrent  seulement,  à 
raison  de  leur  caractère  sacré,  Thommage  exprès  qui  les 
aurait  identifiés  à  des  vassaux  et  leur  fonction  à  un  bé- 
néfice*. 

*  Voyez  suprà,  p.  245. 

2  «  Nos  episcopi  Domino  consecrati,  déclarent  en  858  les  évêques 
réunis  à  Kiersy,  non  sumus  hujusmodi  homines  ut,  sicut  homines 
gaeculares,  in  vassalatico  debeamus  nos  cuilibet  commendare  »  (LL.  II, 
p.  439). 


260  LIVRE  IV.    —   CHAPITRE   II. 

La  désorganisation  croissante  de  TÉtat  carolingieD,  la 
métamorphose  des  évêques  et  abbés  en  seigneurs,  la  con- 
currence faite  à  la  royauté  par  le  principal  et  la  papauté 
furent  cause  que  ceux-là  seuls  des  clercs,  des  abbés  et  des 
évêques,  continuèrent  à  devoir  le  serment  de  fidélité  et 
demeurèrent  dans  le  mainbour  du  roi,  qui  étaient  insti- 
tués par  lui  (droit  de  patronat  et  droit  d'élection)  ou 
qui,  en  vertu  d'un  acte  de  l'autorité  royale,  formant 
contrat  synallagmatique,  étaient  sous  sa  garde.  Ce  sont 
ces  actes  royaux  {tuitio,  immunité)  dont  nous  avons  à 
déterminer  les  raisons  d'être,  la  nature^  les  modalités  et 
les  eflTets. 

L'immunité,  à  Tépoque  franque,  était  une  conséquence 
du  mwidium\  mais  elle  avait  aussi  son  existence  propre  : 
elle  constituait  un  affranchissement,  puisque,  soustrayant 
le  territoire  de  Timmuniste  et  l'immuniste  lui-même  à  l'ac- 
tion des  officiers  du  roi,  il  le  dispensait,  il  l'affranchissait 
des  charges  publiques. 

Au  x"  siècle,  il  n'en  va  plus  ainsi.  Les  rôles  sont 
renversés.  La  tuitio  reprend  tout  son  empire,  la  franchise 
passe  à  l'arrière-plan*.  11  ne  s'agit  plus  qu'exceptionnelle- 

'  T.  I,  p.  91  suiv. 

^  M.  Brunner  a  avancé  (II,  p.  53  suiv.)  que,  par  crainte  des  charges 
et  de  l'assujettissement  que  le  mundium  entraînait,  TÉglise  s'était,  au 
ixe  siècle,  efforcée  avec  succès  de  s'y  soustraire,  tout  en  obtenant  les 
avantages  qui  en  découlaient,  la  protection  de  ses  biens,  leur 
assimilation  aux  biens  du  roi.  L'immunité  se  serait  ainsi  détachée  de 
la  tuitio  les  chartes  de  mundium  seraient  devenues  de  plus  en  plus 
rares  depuis  Louis  le  Débonnaire,  contrairement  à  l'opinion  de  Waitx 
(IV,  p.  290  et  suiv.)  que  le  mundium,  à  la  même  époque,  était  attaché 
régulièrement  à  l'immunité  et  faisait  corps  avec  elle.  Pour  la  FVance, 
l'opinion  de  M.  Brunner  est  entièrement  injustifiable  et  celle  de  Waiti 
pleinement  exacte.  Loin  que  les  diplômes  de  mundium  deviennent 
rares  aux  ix*,  x%  xie  siècles,  ce  sont  les  immunités  sans  mainbour  qui 
sont  tout  à  fait  exceptionnelles.  Il  y  a  plus.  On  peut  voir,  en  étudiant 
de  près  tous  les  actes  des  derniers  Carolingiens,  des  Robertiens  et 
des  premiers  Capétiens  que  j'énumère  plus  loin,  que  là  même  où  le 
mundium  n'est  pas  expressément  accordé,  il  Test  tacitement,  et  que 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       261 

meot  d'affranchir  de  l'action  régulière  ou  de  Tabus  de 
pouvoir  des  fonctionnaires  royaux  —  qui   sont  devenus 

non  seulement  Timmuniié,  mais  aussi  la  simple  conGrmation  des  biens, 
emporte  mundium.  Quant  à  Timmunité,  il  importe  de  le  montrer  de 
suite,  quant  à  la  confirmation  je  me  réserve  de  le  faire  en  traitant 
des  prérogatives  royales. 

Aux  yeux  de  M.  Brunner  la  formule  :  «  mb  nostra  siLsciperemus 
defensione  et  immunitatis  tuitione  »  ne  signifierait  autre  chose 
qu'une  protection  spéciale  des  biens.  Toutes  nos  chartes  prouvent  le 
contraire,  et  dès  le  ix«  siècle.  En  888,  cette  formule  se  trouve  dans 
le  diplôme  d'Eudes  pour  Solignac  (IX,  443),  or  la  même  charte 
nous  apprend  qu'elle  n'est  qu'une  confirmation  d'un  mun- 
dium ancien  :  «  in  manu  domni  Imperatoris...  se  commendavit... 
ut  sub  ejus  tuitione  licuisset...  vivere  ac  residere  ».  En  889,  Eudes 
confirme  les  immunités  de  Saint-Germain  d'Auxerre  :  totius  immunita- 
tis auctoritatem,  en  conséquence  il  ajoute  :  «  ipsam  congregationem 
sub  mundeburgio  suscipimus  »  (IX,  447).  La  même  année,  confirmation 
de  libéralités  et  d'immunités  à  l'Église  de  Langres,  après  quoi  il  est 
dit  :  «  liceat  sub  immunitatis  nostrae  defensione  quieto  ordine  possi- 
derej  et  nobis  fideliter  deservirb  »  (IX,  449,  450).  De  môme  Girone, 
899  (IX,  476),  922  (IX,  557)  (nobis  fideliter  parère),  Narbonne,  890 
(IX,  455)  (nostrae  parère  jussioni),  etc. 

Qu'on  prenne  maintenant  une  à  une  les  chartes  dont  j'ai  dressé  la 
liste,  et  l'on  verra  à  quel  point  le  mundium  est  la  règle  de  888  à  1060* 
Sur  plus  de  cent  diplômes  d'immunité  (abstraction  laite  des  confirma- 
tions de  biens  sur  lesquelles  je  m'expliquerai  plus  tard)  il  s'en  trouve 
à  peine  cinq  ou  six  où  l'immunité  paraisse  séparée  du  mundium,  et 
il  s'agit  surtout  alors  de  biens  isolés.  Dans  les  autres,  le  mainbour 
à  la  fois  personnel  et  réel  est  exprimé  par  des  formules  comme 
celles-ci,  qui  ne  laissent  place  à  aucun  doute  :  a:  liceat...  sub 
nostra  regia  tuitione  et  mundeburdo  absque  aliqua  inquietudine 
vivere  et  nostro  fideliter  parère  imperio  »  (diocèse  de  Narbonne, 
890,  IX,  479)  «  eandem  ecclesiam  sub  munimine  et  auctoritatis 
nostrae  defensione  reciperemus,  atque  cum  omnibus  rébus  et  om- 
nibus sibi  subjectis  sub  praetextu  tuitionis  nostrae,  mundiburdo 
et  immunitate  consistere  faceremus;  quatenus  sic  ab  infestatione  et 
inquietudine  judiciariae  potestatis  eadem  munita  atque  defensa  fuisset 
ecclesia  »  (Girone,  891,  IX,  458)  «  monasterium  in  tutela  ac  familia- 
ritate  nostra  suscepimus»  (Corbie,  901,  IX,  404)  «  sub  nostra  mundi- 
burdo tuti  permaneant  »>  (Saint-Pons  de  Thomières,939,IX,  591)  «sub 
nostrae  immunitatis  ac  defensionis  tuitione,  ditionisque  potestate  mo,- 
nere  »  (S.  P.  de  Roses,  944,  IX,  600)  «  nostrae  ditioni  omnino  vindi- 


262  LIVRE   IV.    —    CHAPITRE   II. 

clairsemés  et  réduits  à  un  nombre  exîgu  —  ni  de  faire 
remise  d'impôls  publics,  que  le  roi  n^arrive  presque  plus 
nulle  part  à  lever.  Il  s'agit  de  protéger  un  corps  reli- 
gieux ou  ses  possessions  contre  la  spoliation,  le  pillage, 
la  violence,  la  coutume  abusive*  d'aventuriers  innombra- 
bles, bandits  ou  seigneurs,  et  d'obtenir,  pour  prix  de  cette 
protection,  des  contributions  et  des  services  aussi  effectifs 
que  les  charges  publiques  sont  illusoires.  L'intérêt  des  deux 
parties,  de  la  royauté  et  de  TÉglise,  est  donc  égal.  La  pre- 
mière n'est  pas  plus  généreuse  que  la  seconde  n'a  la  pré- 
tention de  jouir  gratuitement  de  la  protection  royale. 

Si  les  concessions  d'immunité  faites  par  les  premiers 
Carolingiens  furent  un  démembrement  certain  du  pouvoir 
royal  et  préparèrent  sa  désorganisation  prochaine,  je  ne 
crois  nullement  qu'on  puisse  poiter  le  même  jugement 
sur  l'ensemble  des  immunités  royales  des  x*  et  xi*  siècles. 
De  même  que  les  concessions  directes  de  droits  régaliens 
à  des  corps  ecclésiastiques  ou  à  des  évêques,  les  immu- 
nités ont,  par  une  alliance  du  pouvoir  séculier  et  du  pou- 
voir religieux,  mis  à  Tabri  des  usurpations  princières 
et  seigneuriales  une  part  plus  ou  moins  large  de  la  sou- 
veraineté. Le  roi  abandonnait  des  droits  débiles  et  mena- 
cés de  toute  part,  pour  les  reprendre  solides  et  sûrs  de 
compte  à  demi  avec  l'Église.  Il  ne  les  reprenait  sans  doute 

cantes...  sub  nostra  dcfensîone  constituentes  praccipimus  ut  nullus 
judex...  etc.  »  ^Besalu,  952,  IX,  608)  «  adnullum principem  nisi  adso* 
lum  regem  Franciae  (ou  Francorum)  respicientes,,,  libère  omnia  sua 
nostra  regali  absolutions  possideant,et  nuili  unquam  alterinisi  solum 
regali  subdita  sint  poteslati  »  (S.  P.  maritime,  968,  IX,  632)  «  sub 
dominatione  et  patrocinio,.,  praesentem  et  indeficientem  tuitionem  » 
(Sainte-Geneviève,  1035,  XI,  571)  «  de  potestate  S.  comitis  in  sua 
mundeburde  recepit  propria  »  (Saint-Médard  de  Soissons,  1048,  coll. 
Grenier,  loc.  cit.), 

'  «  Ul  nullus  officialis  habeat  in  ipsa  villa  aliquid  dominium,  sive 
cornes,  sive  vice  comes  vel  quilibet  improbus  exactor  neque  in  fredis, 
aut  in  aliquo  usu  indebito  quem  coustumam  vulgo  nuncupant.  »  (Fé- 
camp,  X,  587). 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  BOYAUTÉ.       263 

qu'indirectement,  à  titre  de  protection  ou  de  garde,  mais 
qu'importait  après  tout,  puisqu'un  résultat  considérable 
était  atteint,  puisque  le  principat  et  la  seigneurie  étaient 
tenus  en  échec*  ou  refoulés,  puisque  Timmuniste  restait 
un  sujet  obéissant  et  s'acquittait  de  devoirs  d'autant  plus 
étendus  qu'il  était  plus  riche  et  plus  puissant.  C'est  ce 
qu'a  fort  bien  vu  Fontanieu  :  «  Le  droit  de  garde,  dit-il, 
était  alors  (sous  Henri  I)  d'une  très  grande  importance 
parce  qu'il  attribuait  juridiction  sur  les  vassaux  des  terres 
qui  étaient  sous  la  garde,  que  par  ainsi  le  gardien  se  fai- 
soit  servir  à  la  guerre  par  ces  vassaux  et  qu'on  se  servoit 
des  châteaux  sur  lesquels  il  avoit  droit  de  garde  comme 
des  siens  propres.  C'est  pour  cela  que  cette  garde  devait 
être  fort  avantageuse  au  roi,  qui  ne  commandoit  avec 
guères  moins  d'autorité  dans  les  terres  des  Églises  com- 
mises à  sa  garde  spéciale  que  dans  celles  de  son  do- 
maine^ ». 

Mettons  ce  sujet  en  plus  complète  lumière  par  l'analyse 
des  principales  chartes  de  mainbour  et  d'immunité  qu'ont 
octroyées  les  derniers  Carolingiens,  les  rois  Robertiens,  et 
les  trois  premiers  Capétiens,  pendant  une  période  de  près 
de  deux  siècles  (888-i060)^ 

'  M.  Luchaire  l'a  très  justement  noté  :  «  Quand  les  rois,  dit-il.  dé- 
claraient prendre  une  abbaye  sous  leur  protection,  ils  l'enlevaient  par 
là  même,  tout  au  moins  partiellement,  à  l'autorité  du  grand  vassal 
dans  la  province  duquel  elle  était  située  »  (Instit.  mon,,  II,  p.  92). 

2  Portefeuille  5,  fo  193  {Bibl.  nat,  MS.  fr.  7563). 

3  Je  les  groupe,  par  région,  dans  le  tableau  suivant,  en  prenant  pour 
base  H.  F.,  IX-XI. 

1.  Aquitaine, 
888-889  (Eudes),  abb.  Beaulieu  (d.  de  Limoges),  H.  F.  IX,  441. 

id,      abb.  Solignac  (i6id.),  IX,  442. 
889  (Eudes,\  abb.  Saint-Hilaire  de  Poitiers,  IX,  450. 
924  (Raoul),  église  du  Puy-en-Velay,  IX,  564. 

Conflrm.  :  955  (Lothaire).  IX,  618. 
927  (Raoul),  abb.  Déols  (d.  de  Bourges),  IX,  570. 
942  (Louis  IV),  abb.  Saint-Hilaire  de  Poitiers,  IX,  595. 


264  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II. 

944  (?)  (Louis  IV),  abb.  Tulle  (d.  de  Limoges),  IX,  599. 
962  (Lothaire),  Sainte-Trinité  de  Poitiers,  IX,  626. 

(?)  Confirm.  :  après  966  (daté  de  982,  par  H.  F.),  IX,  651  (très 
suspect). 
1051  (Henri  I),  La  Chaise-Dieu  (d.  de  Clermont),  XI,  588. 

II.  Languedoc. 

888-889  (Eudes),  abb.  Montolieu  (d.  de  Carcassonne),  IX,  443. 

Id.        (ùL),    abb.  Saint-Poly carpe  (d.  de  Narbonne),  IX,  445. 
890  (Irf.),    abb.  N.-Dame  de  Grasse,  IX,  451. 

890  (Id.),    église  de  Narbonne,  IX,  454. 

Confirm.  :  899  (Ch.  le  Simple},  IX,  471. 
922  (Id.),  IX,  555! 
890  (Ch.  le  Siaiple),  Êvèques  et  prêtres  de  la  province  de  Narbonne, 
IX,  479. 

890  (Eudes),  abb.  de  Joncels  (d.  de  Béziers),  IX,  455. 

Confirm.  :  909  (Ch.  le  Simple),  IX,  507. 
897  (Eudes),  Montredon  (d.  de  Narbonne),  IX,  465. 
899  (Ch.  le  Simple),  Aniane  (d.  de  Narbonne),  IX,  481. 
906         (Id.),         Cannes  (d.  de  Narbonne)^  IX,  503. 
909.  Saint-Pierre  do  Psalmodie  (d.  de  Nîmes),  IX,  507. 
939  (Louis  IV},  Saint-Pons  de  Thomières  (d.  de  Narbonne),  IX,  591. 

III.  Roussillon, 

899  (Eudes),  église  d'Elne,  IX,  482. 

952  (Louis  IV),  Saint-Pierre  de  Besalu,  IX,  608. 

IV.  Marche  d'Espagne. 

888-889  (Eudes),  abb.  de  Fontclair  (d.  de  Girone),  IX,  444. 
Id.        [id.),       église  de  Vich  d*Ausone,  IX,  446. 

891  (Id.),    église  de  Girone,  IX,  458. 
Confirm.  :  899  (Ch.  le  Simple),  IX,  475. 

922  (Id.),  IX,  556. 
938  (Louis  IV),  abb.  Ripoll,  IX,  589. 

Confirm.  :  982  (Lothaire),  X,  649. 
944  (Louis  IV),  abb.  Saint-Pierre  de  Roses,  IX^  600. 

Confirm.  :  9i8,  IX,  604. 

982  (Lothaire),  IX,  648. 
952  (Louis  IV),  abb.  Saint-Michel  de  Cuxa,  IX,  609. 
968  (Lothaire),  abb.  Saint-Paul-Maritime  et  Saint  Félix  de  Jecsal, 

IX,  633. 
986  (Lothaire),  abb.  Saint-Cucufat  (d.  de  Barcelone),  IX,  656. 

V.  Bourgogne. 

889  (Eudes),  abb.  Saint-Germain  d'Auxerre,  IX,  447. 
Confirm.  :  994,  X,  562;  1002-1010,  X,  579. 


LES   QUATRB   FACES   DE   LA   ROYAUTÉ.  265 

889  (W.),  abb.  Tournus,  IX,  448. 

Confirm.  :  (Louis  IV),  IX,  593;  (H.  Capet),  989,  X,  554; 
(Henri  I),  1059,  XI,  600. 
889  {Id.),  église  de  Langres.  IX,  449. 

889  (Id.),  abb.  Vezelay  (Favre,  Eudes.p,  236). 

Conprm,  :  936  (Louis  IV),  Bandini,  Cat.  bibl,  Laurent.,  I, 
p.  140. 
891  (Id.),  abb.  Sainte-Colombe  de  Sens,  IX,  457. 

Confirm.  :  974  (Lothaire),  IX,  637  ;  988  (Hugues  Capet),  X, 
553. 
900  (Ch.  le  Simple),  abb.  Saint-Martin  d'Autun,  IX,  485  ;  église 

d'Autun,  IX,  486. 
927  (Raoul),  abb.  Cluny,  Chartes  de  Cluny,  I,  p.  281. 
948  (Louis  IV),  Saint- Vincent  de  Mâcon  [CartuL,  p.  74). 

1030  (Robert),  Saint-Hippolyte  en  Beaunois,  dépend,  de  Tévêché  de 

Chalon-sur-Saône,  X,  624. 

1031  (Henri  I),  Saint- Pierre-le -Vif  de  Sens,  XI,  566. 
1053  (W.),  Saint-Victor  de  Nevers,  XI,  590. 

VI.  Flandre  et  Artois. 

890  (Eudes),  Saint- Vaast  d'Arras,  IX,  452. 
963  (Lothaire),  Saint-Pierre,  à  Gand,  IX.  628. 

Confirm.  :  967.  Lot,  Les  derniers  Carolingiens,  p.  399  et  suiv. 
967  (Lothaire),  abb.  Saint-Bavon,  à  Gand,  IX,  629. 
976  (Lothaire),  abb.  Saint-Quentin-en-l'Ile,  IX,  640. 

VII.  Normandie. 

1006  (Robert),  Sainte-Trinité  de  Fécamp,  X,  587  (l'immunité  n'a 
trait  qu'à  un  village  du  comté  de  Senlis). 

VIII.  Francie  et  ses  dépendances  immédiates» 

Sans  date  (Eudes),  église  de  Laon,  Favre,  Eudes,  p.  238. 
893  (Icf.),    Saint-Médard  de  Soissons,  IX,  460. 

1048  (Henri)  (Cart.  Saint-Médard  de  Soissons,  f^  101,  Coll.   D. 
Grenier,  n°  233,  f°  167  r). 

900  (Ch.  le  Simple),  Fleury  (Saint-Benoît-sur-Loire),  IX,  488. 

Confirm.  :  967  (Lothaire),  IX,  631. 
974  (Jd.),  IX,  636. 
979  (Louis  V),  IX,  659. 
993  (H.  Capet),  X,  561. 

901  (Ch.  le  Simple),  église  de  Noyon,  IX,  491,  492. 
901        (M.;,        Corbie,  IX,  493. 

Confirm.  :  988, X,  552;  1016,  X,  599. 


266  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II. 

Un  phénomène  assez  étrange  frappe  tout  d'abord.  C'est 
Télargissement  des  formules*,  l'emploi  de  termes  pompeux 

903.  Saint-Martin  de  Tours,  IX,  496. 

Confirm.  :  909  (IX,  509),  919  (IX,  542),  931  (Raoul),  IX. 
571,  573;  988  (H.  Capet),  X,  550. 
921  (Ch.  le  Simple),  Saint- Maur-des-Fossés,  IX,  551. 

Confirm,  :  1058  (Henri  I),  XI,  596  D. 
953,  955  (Louis  IV),  église  de  Reims,  IX,  610  (Lothaire),  617. 

974  (Lothaire),  Saint-Thierry  de  Reims,  IX,  634. 

975  (Lothaire),  Saint-Vincent  de  Laon,  IX,  639. 

Confirm.  :  937  (Hugues  Capet),  X,  549. 

979  (Louis  V),  Sainte-Croix  d'Orléans,  IX,  660. 

Confirm.  :  990  (H.  Capet),  X,  558;  991  (Robert),  X,  573. 

980  (Lothaire  et  Louis  V),  Chapitre  de  Paris,  IX,  642. 
980.  Saint- Magloire  de  Paris,  IX,  644. 

Confirm.  :  996-1000  (Robert),  X,  576. 

984  (Lothaire),  Saint-Père  de  Chartres,  IX,  655. 

991  (H.  Capet),  Saint-Pierre  de  Melun,  X,  559. 
Confirm.  :  1033  (Henri  I),  XI,  569. 

995  (H.  Capet  et  Robert),  Bourgueil,  X,  563. 

996-1003  (Robert),  Saint-Denys,  X,  581. 

1003  (Id),      Prieuré  d'Argenteuil,  X,  582. 

1001.  Saint-Mesmin  de  Mici  (Orléans),  X,  579;  1022,  X,  605. 

1002-1016.  Sainte-Geneviève  de  Paris,  X,  594. 
Confirm.  :  i035  (Henri  I),  XI,  oli. 

1007.  Beaumont,  près  Tours,  X,  589. 

1017.  Preuilly  (d.  de  Tours),  X,  600. 

1028.  Coulombs,  près  Nogent-le-Roi,  X,  617. 

1028.  Saint-Pierre  de  Chàlons,  X,  619. 

1031.  Noyers,  X,  624-5. 

1035  (Henri  I),  Saint-Symphorien  de  Beauvais,  XI,  572. 

1037.  Saint-Bartholomé  de  Beauvais,  XI,  573. 

1057.  Sainte-Marie  de  Soissbns,  XI,  594. 

1057.  Chapitre  d'Amiens,  Collect.  D.  Grenier,  n»  233,  f*  183,  r«-v«. 

1059.  Saint-Père  de  Chartres,  XI,  602. 

On  voit  que  depuis  939  dans  le  Languedoc,  depuis  962  (sauf  une 
exception)  dans  l'Aquitaine,  depuis  976  dans  la  Flandre,  depuis  986 
dans  la  Marche  d'Espagne,  nous  ne  relevons  plus  d'immunité  royale. 
Mais  elles  reparaîtront  nombreuses  en  Flandre  sous  Philippe  I  (1060- 
1066)  (Luchaire  II,  p.  237),  et  plus  nombreuses  encore  dans  le  Midi 
sous  Louis  VII,  de  1157  à  1173  (Luchaire,  II,  p.  281-283). 

*  Cf.  T.  I,  p.  176,  p.  178  note  1. 


LES   QUATRE   FACES   DE  LA  ROYAUTE.  267 

OU  de  superlatifs  *,  et  en  regard  la  singulière  spécialisation 
qui  parfois  se  fait  jour.  On  serait  tenté  de  dire,  à  ce  dernier 
point  de  vue,  que  la  protection  devient  une  entreprise,  que 
ce  sont  des  contrats  iVassurance  qui  sont  conclus,  quand  on 
ne  voit  pas  seulement  le  roi  accorder  une  sauvegarde  spé- 
ciale contre  tel  ou  tel  château  *,  mais  doter  un  vivier  de  l'im- 
munité royale^  comme  nous  avons  vu  ailleurs  le  droit  d'a- 
sile (sauveté)  attribué  à  une  garenne  de  lapins*.  Toutefois 
cen'étaitlà  que  l'exception.  Le  grand  objet  à  atteindre  pour 
les  corps  religieux  est  de  portée  plus  vaste.  Ils  ont  à 
leur  service  des  hommes  d'armes  {milites)  et  des  vassaux 
[ministeriales)  qui  leur  prêtent  main-forte  contre  les  enne- 
mis du  dehors  et  font  rentrer  dans  Tordre  les  perturbateurs 
du  dedans,  ils  ont  des  protecteurs  particuliers  de  toute 
sorte,  avoués,  gardiens  de  telle  potestas,  fondateurs,  sei- 
gneurs locaux,  etc.;  mais  il  leur  faut  un  protecteur  générai 
placé  assez  haut  et  jouissant  d'assez  de  prestige  pour  les 
défendre  contre  les  exactions  de  leurs  auxiliaires  et  de 
leurs  protecteurs  particuliers,  contre  les  violences  ou  les 
injustices  d'où  qu'elles  viennent,  contre  les  abus  de  pou- 
voir de  leurs  supérieurs  hiérarchiques  et  de  leurs  propres 
chefs  (abbés  ou  évêques).  La  majesté  royale  était  de  sa 

*  «  Indignum  est  ut  homines  judicent  Deos  »  (Narbonne,  899,  H. 
F.  IX,  479)  —  «  plenissima  luitio  et  immunitatis  defensio  »  (S.  Col. 
de  Sens,  988,  X,  553)  —  «  plenissima  defensio  »  (Saint-Germain 
d'Auxerre,  1002-10,  X,  579). 

2  Défense  de  construire  châteaux  forts  dans  un  rayon  déterminé 
autour  de  Cluny  (996-1002,  H.  F.  X,  611).  —  Protection  spéciale 
contre  le  château  de  Montbazon  construit  par  le  comte  d'Anjou,  avoué 
de  l'abbaye  de  Cormery,  sur  la  terre  de  celle-ci,  en  Touraine,  et  du 
château  de  Miribel,  dans  son  voisinage,  en  Poitou  (1002-1006,  H.  F. 
X,  577,  Gart.  de  Cormery,  p.  62). 

2  «  Cujuscumque  sint  littora,  praefato  monasterio  aquam  cum  omni 
piscatione  et  cum  justitia,  sub  immunitatis  nostrae  deffensione,  quieto 
ordine,  pro  aeterna  remuneratione  concedimus  »  (Saint-Col.  de  Sens, 
974,  IX,  637). 

*  T.  Il,  p.  190. 


268  LIVRE   IV.   —  CHAPITRE   II. 

nature  la  plus  propre  à  remplir  cet  office.  Elle  aurait 
donc  pu  être,  au  x®  et  au  xi*  siècle,  la  protectrice  attitrée 
de  tous  les  corps  religieux,  et  par  ce  rôle  faire  progresser 
rapidement  Tœuvre  d*unificatioQ  nationale,  si  elle  D*avait 
rencontré  des  rivaux  de  plus  en  plus  redoutables  dans  la 
papauté  et  dans  le  principat. 

A  n'envisager  en  ce  nooment  que  la  protection  royale, 
ce  que  je  viens  de  dire  explique  à  la  fois  Tétendue  de  la  pro- 
tection *,  Tampleur  des  formules*,  la  réserve  des  droits  de 
protecteurs  particuliers*  et  surtout  la  multiplicité  des  exao 
tionsque  la  charte  prévoit  pour  en  mettre  T  Église  à  couvert  : 
exactions  des  rois,  princes  ou  seigneurs^,  exactions  de 
leurs  officiers*,  exactions  des  avoués*,  autorité  abusive  des 
prélats.  Au  dedans  le  corps  religieux^  est  garanti  contre  les 

*  Suprà,  p.  260,  noie  2. 

2  CL  p.  266,  note  1,  p.  267,  note  1,  etc. 

3  Réserve  des  droits  du  fondateur  (Saint-Pons  de  Thomières, 
939,  IX,  591),  du  duc  «  sub  manu  regum  aut  forte  ducum»  (St-Ger- 
main  d'Auxerre,  994,  X,  562),  du  supérieur  ecclésiastique  «  honore 
archiepiscopali  servato  »  (Saint-Thierry  de  Reims,  974,  IX,  634),  de 
rÉglise  «  salva  nostraet  ecclesiae  matris  condigna  reverentia»  (Nevers, 
1053,  XI-592).  Abandon  à  Tavoué  d'une  redevance  {salvamentum 
régis)  de  30  muids  de  vin  (St-Benoît-s.-Loire,  993,  X,  561).  Cf.  re- 
nonciations préalables  des  ayants  droit  particuliers  (Nevers, 
XI,   590). 

^  «  Ut...  nullus  omnino  rex,  nec  episcopus,  nec  comes,  neque 
alicujus  personœ  inconsiderata  audacia  aliquod  prœjudicium,  vel 
quamlibet  indebitœ  oppressionis  violentiam  in  omni  terra  dilionis 
eorum  contra  fas  praesumat  inferre.  »  (Saint-Remi  de  Reims,  953,  IX, 
610).  «  Ut...  abbati  ejusque  fratribus  nullus  laicorum  sive  clerico- 
rum...  nec  aliquis  princeps  vim  aliquam  inférât  »  (Saint-Bavon,  907, 
H.  F.  IX,  630)  ». 

«  Saint-Quentin-en-rile.  976,  H.  F.  IX,  640;  Saint-Pierre  de 
Melun,  V.  1033,  XI,  569.  Cf.  Saint-Maur,  1058,  XI.  600  (gîte),  Saint- 
Martin  de  Tours,  988,  X,  551 -A,  etc. 

6  Curbie,  1016,  H.  F.  X,  598-9.  Cf.  H.  F.  XI,  577.  D.  Voy.  T.  I, 
p.  182  et  suiv.,  et  Luchaire,  II,  p.  91-92. 

'  Evéque  :  Saint-Germain  d'Auxerre,  v.  1022,  X,  580-B-D  — 
Archevêque  :  h aint- Pierre  de  Melun,  991,  X,  560-D. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       269 

excès,  Tarbitraire,  les  dilapidations  de  ses  préposés,  des 
abbés  laïques  notamment*;  la  régularité  de  son  adminis- 
tration lui  est  assurée*. 

Considérons  maintenant  les  avantages  que  la  royauté 
retire  de  la  protection  qu'elle  accorde.  Ce  sont  tout  d'abord 
des  avantages  d'ordre  général.  Elle  acquiert  par  cette  voie 
la  possibilité  de  faire  sentir  son  action  dans  les  diverses 
régions  de  la  Gaule.  On  aurait  tort,  en  effet,  de  s'attacher 
d'une  façon  trop  exclusive  à  la  situation  de  l'abbaye  ou  de 
l'Église,  dont  je  me  suis  servi  pour  l'énumération  des 
chartes  de  mainbour  et  d'immunité.  La  protection  royale  ne 
s'y  confine  pas.  Elle  peut  rayonner  au  loin  et  de  toutes 
parts.  Les  Églises  placées  dans  la  main  du  roi  (Cluny  et 
Marmoutier  en  sont  de  saillants  exemples)  possèdent  des 
biens  dans  toutes  les  parties  de  la  Gaule  et  même  au  de- 
hors. Tous  ces  biens,  avec  leurs  franchises,  participent  au 
mainbour  du  roi  et  peuvent  provoquer  dès  lors  son  inter- 
vention légale*.  En  outre,  l'immunité -de  tonlieu,  de  droits 

*  «  Non  solum  in  laicali,  sed  et  in  ipso  ecclesiastico  ordine  taies 
esse  noscunlur  qui  loca  sanclorum  tanquam  ad  regendum  vel  susci- 
piunt  vel  suscipere  cupiunt.  ut  rerum  ipsorum  locorum  non  redores 
vermimi,  aed  invasores  atque  rapaces  esse  veliîit  perversissimi  » 
(Saint-Martin  de  Tours,  931,  H.  F.  IX,  572).  Défense  d^aliéner  les 
biens  et  de  les  donner  en  bénéfice  :  par  exemple,  Saint-Benoît-sur- 
Loire,  900,  H.  F.  IX,  488  ;  Saint-Germain  d'Auxerre  :  «  Ut  nulli  abba- 
lum  ejusdem  loci...  liceat  ex  prœscriptis  omnibus  rébus  aliquid  in 
alio3  prœlerquam  constiluimus  usus  redigere  aut  retorquere,  aut 
alicui  habendum  conferre,  neque  censum  aut  honorem,  aut  dona 
quaelibet,vel  pastos  canum  in  possessionibus  suis  siveequorum,  vel... 
receptus  aliquos...  requirere  »  (H.  F.  X,  580). 

'^  «  Sint...  ad  ordinandum  in  manu  gregis  B*  M'  decani  atque  edi- 
tui,  nobilium  que  ac  seniorum  fratrum  »  (Saint-Martin  de  Tours, 
903,  H.  F.  IX,  497). 

'^  «  Preecipientes  ut  in  nullis  prœfatis  S'  M*  et  fratrum  rébus, 
quaD  habentur  in  Austria,  Neustria.  Burgundia,  Aquitania  et  Francia, 
et  in  ceteris  regni  nostri  partibus,  Christo  annuente,  nuUus  judex 
etc.  »  (Saint-Martin  de  Tours,  919,  IX,  p.  544,  de  même  903,  931).  — 
((  Hos  ejusdem  S*  M^  in  Austria,  Neustria,  Burgundia,  Aquitania  et 


270  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE  II. 

de  marché,  de  droits  de  circulatioQ  s'étend  en  principe  à 
tous  lieux  quelconques  du  royaume*.  Elle  autorise  par  suite 
ou  justifie  tout  acte  de  l'autorité  royale  qui,  pour  la  sauve- 
garde des  hommes  ou  des  marchandises  de  TimmaDiste, 
s'attaque  aux  extorsions  des  seigneurs,  réprime  leur  usage 
d'alimenter  coffre,  huche  et  cellier,  en  rançonnant  à  merci 
les  voyageurs  et  en  taxant  arbitrairement  les  marchands. 
Les  avantages  et  les  profits  que  la  royauté  puise  di- 
rectement dans  son  mainbour  ne  sont  pas  moins  certains, 
bien  qu'ils  n'apparaissent  pas,  à  première  vue,  dans  les 
chartes  royales.  A  lire  celles-ci,  on  n'aperçoit  que  des  con- 
cessions, des  abandons,  des  renonciations  consentis  psur 
le  roi  :  la  contre-partie  échappe  ou  se  dérobe.  Ce  n*est 
que  par  exception,  et  guère  au  delà  de  la  fin  du  ix*  siècle*, 

in  céleris  nostris...  regni  partibus  consistentes,  quse  non  solum  a 
regibus  atque  orlhodoxis  principibus,  verum  etiam  a  ceteris  fidelibus 
collatae,  vel  per  quo-^libet  contractus  et  munimina  cartarum  in  jus 
ejusdem  S^  M^  traditœ  sunt...  sub  nostrae  immunitatis  defensione 
consistere  »  (Saint-Martin  de  Tours,  Hugues  Capet,  988,  X,  p.  550). 

—  a  Ut  in  omnibus  ubicumque  locis  intra  aut  extra  regni  nostri  fines 
iidem  monachi  aliquid  habere  et  possidere  cemuntur...  nullus  cm- 
mino  rex,  nec  episcopus,  nec  cornes  etc.  »  (Saînt-Remi  de  Reims, 
953,  IX,  610). 

i  «  Omnium  quoque  exactiones  teloneorum  per  di versa  municipia, 
oppida  seu  castella,  vel  loca  qutelibet  regni  nostri,  ex  hominibus 
juris  praedicti  monasterii  penitus  indultas  et  remissas  esse  volumus 
atque  sancimus  »  (Saint-Pierre  de  Gand,  963,  H.  F.  IX,  628)  —  «  Ju- 
bemus  ut  neque  monachi  ipsi  aut  negotiatores  eorum,  neque  bomi- 
nés,  qui  per  ipsam  casam  Dei  sperare  videntur,  teloneum  persolvere 
cogantur  in  civitatibus  vel  vicis,  sea  villis  aut  mercatis  vel  in  portu- 
bus  aut  portis  »>  (Saint-Germain  d'Auxerre,  1002-1010,  H.  F.  X,  580) 

—  «  Ut  nullus...  comes  seu  vicecomes...  sive  de  fratrum  negotiis,  sivo 
de  suis,  teloneum  aut  ullam  exactionem  neque  in  mari,  sive  Ligeri 
lluvio,  aut  Rhodano.  sive  Sagonns,  aut  Dou  vel  ceteris  fluminibus 
navigantibus,  aut  littoribus  commorantibus  exigere  audeat  aut  prœ- 
sumat,  aut  navaticum,  aut  cespaticum  aut  salutaticum,  aut  portati- 
cum,  neque  in  terra  rotaticum,  neque  in  tabernis  ullam  exbibitio- 
nem  »  (Tournus,  941,  IX  593). 

'^  Au  ix«  siècle  le  servitiinn  regale  était  très  étendu  pour  Tensemble 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       271 

que  le  service  royal,  servitium  regale,  est  explicitement 
stipulé*.  Il  importe  pourtant  de  ne  pas  s*y  méprendre. 
Observons,  dans  ce  but,  la  nature  de  l'acte  et  la  relation 
juridique  qu'il  suppose  préétabli.  L'acte  doit  servir  de 
bouclier,  ce  ne  sont  donc  pas  les  devoirs  du  protégé,  ce 
sont  ses  droits  qu'il  doit  mettre  en  éclatante  lumière.  Le 
prix  que  la  sauvegarde  est  payée  n'intéresse  pas  les  tiers, 
il  est  affaire  entre  le  protecteur  et  le  protégé,  il  n'a  point 
besoin  d'être  stipulé  entre  eux*,  car  il  découle  de  plein 
droit  du  mainbour  et  de  l'immunité. 

des  monastères.  M.  Brunner  (II,  p.  70,  note  16)  a  eu  raison  de  dire 
que  ceux-là  mêmes  qui  exceptionnellement  étaient  dispensés  des  dona  et 
de  la  militia  n'en  devaient  pas  moins  d'autres  services  publics  (droit 
de  gîte,  entretien  des  ponts,  etc.).  Le  nombre  de  telles  dispenses  fut 
certainement  beaucoup  moins  considérable  qu'il  paraît  ressortir  de  la 
notitia  de  servitio  monasteriorum  datée  de  817  (Capit.,  t.  I,  p.  349 
et  s.;  Mùhlbacher,  Reg,,  651).  Cette  notice  n'a  aucun  caractère  officiel 
et  elle  a  dû  être  fabriquée  (probablement  dans  le  Midi)  au  profit  de 
couvents  qui  voulaient  s'affranchir  de  leurs  obligations  (Cf.  Puckert, 
Die  sogen.  Notitia^  dans  B.  der  k,  Sâchs.  Ges.  der  Wiss.,  1890,  p.  46 
et  s.,  et  Brunner,  /.  c).  Le  texte  de  Smaragde  souvent  allégué  ne  parle, 
du  reste,  aucunement  d'un  recensement  général  et  d'une  répartition 
des  couvents  en  trois  classes  {dona  et  militia,  dona^  orationes),  il  se 
contente  de  mentionner  une  remise  partielle  de  service  à  ceux  qui 
étaient  trop  chargés  :  «  Erant  etiam  quaedam  ex  eis  munera  militiam 
que  exercentes  :  quapropter  ad  tantam  devenerant  paupertatem,  ut 
alimenta  vestimentaque  deessent  monachis.  Quae  considerans...  piis- 
simus  VGX  juxt a  posse  servir e  praecepit,  ita  ut  nihil  Deo  famulantibus 
deesset,  ac  per  hoc  alacres  pro  eo  ejusque  proie,  toliusque  regni  statu 
piissimum  precarentur  Dominum.  »  {Vie  de  S.  Benoît  d'Aniane, 
cap.  54;  Mabillon,  SB.  IV,  I,  p.  214). 

^  «  De  ipsis  (villis  vel  locis)  regale  servitium  strenue  peragat, 
adjunctis  vassallorum  annuis  donis  »  (S.-Benoît-s.-Loire,  900,  H.  F. 
IX  488).  —  «  Nobis  fideliter  deservire  «  (889)  «  nostrae  parère  jus- 
sioni  »  (890),  «  nostro  fideliter  parère  imperio  »  (890),  «  nobis  fideliter 
parère  »  (922). 

'^  Les  salvamenta  mentionnés  parfois  ne  sont  pas  dus  par  le  corps 
religieux,  mais  par  ses  hommes  ou  ses  subordonnés,  qui,  en  ce 
cas,  ne  jouissent  donc  plus  de  rimiiunité  pleinière  dont  je  parle  au 
texte.  Tels  sont  une  redevance  de  13  solidi  et  6  deniers  par  an  impo- 


272  IJVRE  IV.   —   CHAPITRE  II. 

Une  distinction  fondamentale  et  trop  négligée  par  les  his- 
toriens doit,  en  effet,  être  faite  entre  Tabbaye  ou  Téglise  con- 
sidérée comme  personne  morale,  représentée  notamment,  à 
ce  titre,  par  Tabbé  ou  Tévêque,  et,  en  regard,  les  hommes  qui 
dépendent  d'elle  ou  les  biens  qui  lui  appartiennent,  pris  sé- 
parément et  en  soi.  Les  services  que  les  hommes  de  l'Église 
devaient  au  roi,  les  impôts  auxquels  ils  étaient  soumis, 
les  confiscations  ou  les  amendes  de  justice  qu'ils  encou- 
raient, Texercice  sur  eux  du  droit  de  police  ou  de  juridic- 
tion, tout  cela  est  abandonné  en  règle  à  Timmuniste,  leur 
seigneur  immédiat,  substitué  au  roi*.  Mais  ce  seigneur, 
couvent  ou  évêché,  est  tenu,  comme  collectivité,  à  la  fldé- 
lité,  à  la  foi  que  doit  tout  recommandé,  tout  protégé  spé- 
cial, sans  que,  du  reste,  à  raison  du  caractère  sacré  du 
protégé,  une  recommandation  formelle,  un  hommage 
exprès  soit  régulièrement  requis'.  Or,  cette  foi  est  très 

ses  à  des  églises  qu'acquiert  Saint-Thierry  de  Reims  (974,  H.  F.  IX, 
635)  et  un  salvamentum  de  quatre  deniers  de  vin  par  arpent  que  le 
roi  retient  sur  des  hommes  dont  il  abandonne  la  vicairie  à  Féglise  de 
Chartres  (1048,  H.  F.  XI,  584). 

*  «  Habitatores...  locorum  illorum  servitium  et  obsequium  quod 
comitibus  hactenus  impendebant.  abhinc  jamdicto  episcopo  impen- 
dant ac  successoribus  ejus  »  (Église  de  Vich  d*Ausone«  888-89,  H. 
F.  IX,  447)  —  «  Servitium  regale  quod  debent  homines  de  villis  0.  et 
L.  praedicto  constituimus  cœnobio  »  (Ripoll,  938,  H.  F.  DC,  589) 
«  quidquid  de  rébus  prœfati  monasterii  fiscus  exigere  poterat  prœf. 
monasterio...  concessimus  »  (formule  habituelle)  (Saint- P.  de  Psal- 
modie, 909.  IX.  508). 

Au  sujet  de  la  levée  d'une  taille  sur  les  hommes  d*une  église,  un 
diplôme  de  Philippe  I  appellera  Tensemble  de  ces  droits  la  plénitude 
du  pouvoir  royal  sur  une  terre  et  sur  ses  habitants  :  «  quoniam 
Karolus  omne  jus  regium  omnemque  poiestatem  et  dominationem 
quam  in  terra  illa...  et  in  omnibus  ejusdem  terre  hospitibus  habuerat 
et  habebat  eidem  ecclesie...  imperpetuum  concesserit,  ac...  in  jwt 
et  potestatem  ecclesie  transtulerit  »  (Dipl.  pour  S.  (Corneille  de  Corn- 
pi^gne,  1105-1107,  publi»^  par  Langlois,  Textes  relatifs  à  rhist,  du 
Parlement  (C.  T),  p.  8). 

2  Ce  caractère  sacré  ne  faisait  pas  obstacle  à  la  recommandation 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       273 

étendue,  très  générale,  très  compréhensive.  Elle  com- 
porte l'aide,  le  conseil,  les  dons\  le  service  de  guerre^, 
autant  d'obligations  dont  l'abbé  ou  Tévêque  on  ta  s'acquitter 
de  plein  droit  envers  le  roi%  en  même  temps  qu'ils  sont 
ses  justiciables*.  Enfin  le  pouvoir  de  disposer  des  biens, 
que  nous  avons  vu  découler  du  mtindium  *,  devient  d'autant 

des  biens  telle  qu'elle  s'était  pratiquée  dès  le  viii*  siècle  (Cf.  sur  ce 
dernier  point,  T.  I,  p.  109  note). 

*  C'est  une  foi  analogue  à  celle  des  vassaux  militaires  (Cf.  T.  II, 
p.  518  et  suiv.). 

2  Les  dons  annuels,  devenus  des  impôts  (vectigalia)  dès  l'époque 
franque,  étaient  dus  en  ce  temps  par  tous  les  corps  religieux,  à  raison 
de  la  protection  générale  dévolue  à  l'Église  :  «  Causa  suae  defen- 
sionis  régi  ac  rei  publicœ  vectigalia,  quœ  nobiscum  annua  dona  vo- 
cantur,  prxstat  ecclesia  »  (Hincmar,  Opéra,  II,  p.  325).  —  «  Ut  an- 
nuatim  (l'abb.  de  Saint-Gall)  dona  nostrae  serenitati  veniant  sicut  de 
ceterU  monasteriis,  id  est  caballi  duo  cum  scutis  et  lanceis  »  (Mûhlba- 
cher,  RegesL,  n"*  1369)  (Brunner,  II,  p.  69,  notes  12-13). 

3  L'étendue  de  ces  devoirs  ressort  clairement  d'un  diplôme  de 
Henri  !•""  pour  Saint-Thierry  de  Reims  (vers  1050)  :  «  ïllorum  necessi- 
tudini  propensius  debemus  debito  et  ratione  condescendere,  quos 
in  servitio  nostro  insudasse  et  se  in  fidelitate  nostra  contigit  vehe- 
mentius  laborasse.  Notum  si  quidem  est  omnibus  regni  Gallorum 
incolis,  quantum  laborem  impenderimus  in  captione  castri  quod  No- 
vum  vocatur.  Ad  quam  strenuè  et  viriliter  peragendam  magnum  so- 
lamen  nobis  praebuit  locus  Sancti-Bartholomei,  Alberto  ejusloci  tune 
temporis  abbate  diligenter  et  constanter  adeo  insistente^  ut  etiam  a 
meis  saepe  monitus  essera,  ut  ei  bonam  vicem  redderem...  deliberavi 
quaererequid  prœdicto  loco  et  abbatipossem  exhibere  pro  sui  benefi- 
cii  et  laboris  remuneratione  »  (H.  F.  XI,  586-7).  —  Voyez  chap.  vi, 
§  2,  Vost  du  roi, 

*  Chap.  IV,  §  4,  Le  pouvoir  judiciaire. 

^  L'assimilation  des  biens  à  ceux  du  roi  ou  du  prince,  au  point  de 
vue  de  la  protection  qui  leur  est  acquise,  se  rencontre  dans  d*assez 
nombreuses  chartes  du  xi«  siècle  et  se  retrouve  au  xiie.  Voyez,  par 
exemple,  charte  de  Robert  I,  dux  et  princeps  Normannorum^  en  fa- 
veur de  l'abbaye  du  Mont-Saint-Michel  :  «  Volo  ut  hec...  jure  perpétue 
teneant...  sicut  res  adfiscum  dominicum  pertinentes.  »  (C.  Mont-Swnt- 
Michel,  MS  f®  26'.  Cf.  le  diplôme  de  sauvegarde  générale  accordé 
à  Cluny  par  Louis  VI,  que  son  importance  exceptionnelle  a  fait  ad- 

F.  —  TomelII.  «8 


274  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE    II. 

plus  discrétionnaire  que  la  dépendance  est  plus  étroite*. 
Ainsi  revivent  donc,  sous  une  forme  nouvelle,  les  droits 
auxquels  la  royauté  a  paru  renoncer,  et,  comme  en  défini- 
tive c'est  du  mainbour  royal  qu'ils  renaissent,  il  convient 
de  les  ranger  beaucoup  plutôt  dans  la  catégorie  des 
droits  régaliens^  que  dans  celle  des  droits  féodaux.  A 
mes  yeux,  ni  Tabbaye  royale  ni  Tévêché  royal  ne  cons- 
tituent un  fief  ou  une  propriété,  mais  j'y  vois  \inepot€st€Uj 
une  dominatio  ou  ditio^.  Je  le  dis  de  ceux-là  mêmes  qui 
ressemblent  le  plus  à  un  domaine,  à  un  fisc  royal,  fiscum 
regiiim  fore  videntur^,  les  abbayes  dont  le  roi  est  abbé 
ou  dont  ses  aïeux  l'ont  été,  les  évêchés  dont  il  dispose 
en  maître.  Ne  voyons-nous  pas  de  telles  abbayes  placées 
elles  ausri  sous  la  tuilio  du  roi  ou  dotées  d'immunité'^? 
Quant  aux  évêchés  dont  le  roi  a  l'élection,  je  montrerai 
que  son  pouvoir  y  est  de  même  nature  régalienne. 

mettre  dans  la  Collect.  défi  Ordon.,  III,  p.  515  et  suiv.  :  «  Nos  et  suc- 
cessores  iioslri  reges  Francie  tenemur...  monasterium  Cluniacense 
et  prioratiis  pred.  manulenere,  deffendere  et  custodire  sicut  res  pro^ 
prias  »  (1119  Chartes  de  Cluny,  V,  p.  297). 

*  Le  clergé  de  Limoges  écrivait,  vers  1060,  au  duc  d'Aquitaine  :  Tout 
ce  que  nous  avons  t'appartient,  nous  sommes  sous  ta  garde  «  omnia 
nostra  sunt  tua,  tu  custos  nostri  es  »  (H.  F.  XÏV,  p.  lvi).  Les  rois  ne 
so  firent  jamaia  faute  d'appliquer  ce  principe^  en  disposant  au  profit 
de  leurs  fidèles  du  bien  des  abbayes  qu'ils  avaient  sous  leur  garde. 
Voy.,  par  exemple,  les  lib^ralite's  ainsi  faites  par  le  roi  Robert  (Pos- 
ter, p.  107-108).  La  formule  dont  Tun  de  ces  bënéndaires  se  sert 
est  franche  :  «  Ego  comes  Odo  (Eudes  II,  comte  de  Chartres)  qui  ex 
rébus  S.  Aniani  (Saint-Aignan  d'Orléans)  pcr  largitionem  domni  Ro- 
berti  régis  tenere  videor  »  (Livre  des  Serfs  de  Marmoutier,  p.  48)  (1029). 

*  J'en  traiterai  plus  en  détail  dans  les  chapitres  suivants. 

3  Dans  le  diplôme  de  Philippe  I  cité  plus  haut  (p.  272,  note  1),  la 
tuitio  est  une  jiotestaa^  un  jus  reglum^  retenue  par  le  roi  :  v  dépotes- 
tate  et  jure  regio  nichil  sibi  prêter  libertatis  ecclesie  tuitionem  re$er» 
vans.  » 

^  «  Ecclesiam  Fossatensis  cenobii,  quse  regali  subdita  est  dominîo, 
vesterque  fiscus  fure  videtur  »  {Vie  de  Bouchard^  cap.  ii,  éd.  B.  de 
la  Ronciers,  p.  8). 

•*  Notamment  Saint-Martin  de  Tours. 


LES   QUATRh:   FACES   DE   LA   ROYAUTÉ.  275 

Tous  les  corps  religieux  qui  sont  dans  la  main  du  roi 
me  paraissent  donc  au  fond  dans  une  condition  légale 
identique.  On  objectera  qu'une  différence  essentielle  existe 
entre  eux.  Le  roi  ne  régit-il  pas  directement  ou  par  Tinler- 
médiaire  d'un  prieur  les  abbayes  dont  il  est  le  titulaire,  et 
ne  nomme-t-il  pas  Tévêque  du  diocèse  où  il  a  le  droit  d'é- 
lection? au  lieu  que  la  tuilio  n'entraîne  pas  ipso  Jure  le  droit 
d'élection  et  que,  tout  au  contraire,  ce  droit  est  exclu  for- 
mellement par  certaines  chartes  d'immunité  ^  Cela  est  vrai, 
mais,  en  réalité,  les  rois  renoncèrent  presque  entièrement 
à  leur  qualité  d'abbé.  Ils  ne  retinrent  guère  ce  titre,  avec 
les  revenus  sans  doute  de  la  mense  abbatiale,  que  pour 
Saint-Martin  de  Tours  et  Saint-Aignan  d'Orléans'.  D'autre 
part  la  tuitio  était  trop  énergique  pour  ne  pas  mettre  l'ab- 
baye ou  le  diocèse  à  la  merci  du  protecteur  royal,  et 
l'avantage  de  cette  situation  trop  grand  pour  que  les  fran- 
chises consignées  dans  les  diplômes  d'immunité,  aussi 
bien  que  les  professions  de  foi  les  plus  vertueuses',  ne 
restassent  pas  à  cet  égard  lettre-morte.  Ce  qui  prévalut 
partout,  avec  un  absolu  sans-gêne,  ce  fut  l'élection  arbi- 
traire. 

Il  est  intéressant  néanmoins,  au  point  de  vue  histori- 
que, de  considérer  à  part  l'élection  que  la  royauté  exerce 
indépendamment  de  toute  tuùio  spéciale  (née  d'une  charte 
octroyée),  car  cette  étude  éclaire  les  rapports  qui  existent 
de  plein  droit  entre  l'Église  et  la  royauté. 

^  «  Ut  nullus  inibi  conslitualur  abbas,  nisi  quem  fratrum  omnium 
cum  Dei  timoré  concorselegerit  caterva»  (Saint- Germain  d'Auxerre, 
994,  H.  F.  X,  562-C)  Cf.  1002-1010,  p.  580  D  :  «  concedimus  etiaro 
eidem  congrégation!  eligendi  abbatem  sibi  licentiam  secundum  regu- 
larem  inslitutionem  alio  decedente  »,  etc. 

*  Luchaire,  II,  p.  85-86. 

3  La  règle  de  saint  Benoît  qu'Helgaud  fait  gloire  à  Hugues  Ca- 
pet  et  à  Robert  d'avoir  restaurée  (H.  F.  X,  p.  104-105)  ne  reprendra 
vraiment  son  empire  qu'avec  Grégoire  VII. 


276  LIVRE   IV.   —  CHAPITRE  II. 

2°  Droit  d élection. 

En  jetant  un  coup  d'œil  sur  le  tableau  que  j*ai  dressé  * 
des  chartes  de  tuitio  et  d'immunité  royale,  il  est  aisé  de  voir 
que  les  abbayes  y  tiennent  une  place  inQaimeot  plus 
grande  que  les  diocèses  *.  L'inverse  se  produit  quant  au 
droit  d'élection  que  l'on  peut  appeler  direct  oa  spontané  : 
il  existe  surtout  pour  les  évèchés.  Selon  tonte  vraisem- 
blance, c'est  des  évêchés  que  ce  droit  s'est  étendu  au 
abbayes  que  le  roi  gouvernait  personnellement,  puis  à 
celles  qui  jouissaient  de  son  mundium.  Nous  avons  donc 
à  nous  occuper  d'abord  du  droit  d'élection  aux  évèchés. 

1.  Evèchés.  — Prenons  notre  point  de  départ  au  ix*  siè- 
cle'. Quand,  à  cette  époque,  la  vacance  d*un  siège  épis- 
copal  se  produit,  le  clergé  et  le  peuple  du  diocèse  ne  peu- 
vent y  pourvoir  par  un  nouveau  choix  qu*après  avoir,  sur 
une  requête  transmise  régulièrement  par  le  métropolitain, 
obtenu  de  la  faveur  royale  la  liberté  de  réleciion^  en  d'au- 
tres termes,  le  droit  d'élire.  Ce  droit  réside  donc  dans  la 
personne  du  souverain,  qui  en  délègue  l'exercice  quand  il 
autorise  de  procéder  à  l'élection  suivant  les  formes  cano- 
niques ou  traditionnelles  ^. 

Veillant,  par  l'organe  soit  d'un  évèque-visiteur  qu'il  a 
nommé  ou  agréé,  soit  d'un  missus  spécial,  à  l'observation 
de  ces  formes,  le  roi  exerce  une  influence  prépondérante 
sur  l'issue  de  l'élection.  Si  régulièrement,  en  effet,  le  suf- 

»  Suprà,  p.  263,  note  3. 

s  Au  xn<)  siècle  seulement  elles  deviendront  nombreuses  pour  rega- 
gner le  terrain  perdu  par  le  droit  d'élection 

2  Cf.  les  deux  premiers  livres  de  l'ouvrage  de  M.  Imbart  de  la  Tour 
Les  élections  épiscopales. 

^  Quand  cette  faveur,  au  lieu  d'être  accordée  pour  un  cas  déterminé, 
l'est  une  fois  pour  toutes,  elle  devient  un  privilège  du  diocèse.  C'est 
ainsi  que  Charles  le  Gros  concéda,  en  885,  l'élection  canonique  à  Té^ise 
de  Chalon-sur-Sar>ne  :  «  Decernimus...  ut,  obeunte  pastore  proprio, 
omni  deinceps  tempore  canonicam  habeat  electionem  »  (H.  F.  IX,  338). 
Cf.  Formitl.  alsat.,  n»  6. 


LES   QUATRE   FACES   DE    LA   ROYAUTE.  277 

frage  unanime  des  fidèles  du  diocèse  est  requis*,  c'eslTélite 
seule  des  clercs  et  des  laïques  qui  peut  être  consultée  : 
chanoines  de  Téglise  cathédrale,  chefs  des  grandes  abbayes, 
honorati  ou  seniores,  et  c'est  au  visiteur  qu'il  appartient 
de  la  choisir  et  de  la  convoquer.  Non  moindre  est  l'influence 
royale  sur  le  peuple  qui  acclame.  Elle  peut  suffire,  à  elle 
seule,  pour  faire  échec  à  un  choix  qui  déplairait  au  souve- 
rain ou  pour  en  provoquer  un  qui  lui  soit  agréable. 

Rien  n'était  définitif,  du  reste,  —  les  canons  le  recon- 
naissent expressément  ^  —  sans  l'intervention  directe  et  la 
ratification  formelle  du  roi.  L'élu  lui  était  présenté,  il  était 
examiné  par  lui,  en  présence  des  grands  du  royaume  {pro- 
ceres)y  puis  par  lui  agréé  ou  refusé.  Dans  ce  dernier  cas,  le 
roi  avait  le  choix  ou  de  faire  procéder  à  une  élection  nouvelle 
ou  de  nommer  directement  lui-même.  C'est  donc  bien  le 
roi  qui  a  le  premier  et  le  dernier  mot,  lui  qui  crée  l'évêque. 
Si  la  consécration  (ordinaiio)  par  le  métropolitain  et  le 
collège  épiscopal  était  indispensable  pour  Texercice  des 
fonctions  religieuses,  elle  ne  pouvait,  elle-même,  être  faite 
qu'en  vertu  d'une  autorisation  expresse  du  roi,  et  le  roi 
n'était  pas  tenu  d'attendre  qu'elle  fût  accomplie  pour  re- 
mettre à  l'évêque  agréé  ou  nommé  par  lui  l'administration 
temporelle  du  diocèse,  recevoir  son  serment  de  fidélité. 

Le  droit  de  nomination  directe  s'est  considérablement 
élargi  sous  Charlemagne  et  sous  Louis  le  Débonnaire, 
malgré  les  protestations  qu'il  provoquai  Mais,  au  fond,  on 
le  voit,  l'élection  canonique  n'en  différait  guère  quanta  ses 
résultats.  Elle  n'en  différa  même  plus  quant  à  son  prin- 
cipe une  fois  que  le  roi  carolingien  eut  concentré  en  ses 
mains  le  double  pouvoir  spirituel  et  temporel  sur  l'Église. 

Faut-il  en  conclure  que,  par  le  déclin  du  premier  de  ces 
pouvoirs  et  le  changement  de  nature  du  second,  le  droit 

*  LL.  Formulae,  éd.  Zcumer,  p.  552-554. 
2  Imbart,  op.  cit.,  p.  72-73. 

*  Imbart,  p.  78-85. 


278  LIVRE    IV.  —   CHAPITRE   H. 

d'élection  du  roi  aboutit  à  un  droit  de  propriété  sur  Té- 
vêché?  Nullement.  Ou  bien  le  roi  aliénait  son  droit  d'élec- 
tion —  ce  qu'il  ne  fit  que  très  exceptionnellenoent  —  et 
alors  Tévôché  devenait  princier  ou  seigneurial,  ou  bien  il 
nommait  un  évêque  et,  dans  ce  cas,  il  ne  cédait  pas  son 
droit,  il  l'exerçait.  Je  ne  vois  nulle  part,  dans  les  textes  du 
X*  et  du  XI®  siècle,  Tévêque  considéré  comme  tenant  l'évêché 
en  fief  du  roi,  à  charge  d'hommage  *.  Il  se  rencontrait  à 
cela  des  obstacles  particuliers,  soit  dans  la  personne  du  sou- 
verain, soit  dans  celle  de  Tévêque.  Le  roi  n'avait  ni  dépouillé 
son  caractère  sacré,  ni  résigné  son  rôle  de  chef  de  Péglise; 
il  ne  pouvait  donc  assimiler  l'évôché  à  un  bien  temporel. 
L'évoque,  d'autre  part,  pouvait  bien  être  lié  par  la  Bdé- 
lité  envers  son  chef,  il  ne  devait  pas,  comme  dignitaire 
religieux,  se  lier  par  un  hommage  personnel  *. 

Il  suit  de  là  qu*alors  même  que  le  pouvoir  du  roi  s'est 
spécialisé,  restreint  à  certains  évêchés,  et  est  devenu  plus 
arbitraire,  il  est  resté  très  dififérent  du  pouvoir  que  les  sei- 
gneurs s'arrogèrent  sur  les  évêchés  dont  ils  parvinrent  à 
s'emparer.  Le  droit  de  nomination  à  l'évêché  royal  a  con- 
tinué d'être  un  droit  de  suprématie,  tandis  que  le  droit  sur 
l'évêché  seigneurial  a  pris  tous  les  caractères  d'un  droit  de 
propriété  ^ 

Cette  distinction  entre  l'évêché  royal  et  l'évêché  sei- 

*  M.  Imbart  n'a  pu  all(^f^uer  qu'un  très  petit  nombre  de  textes 
(p.  338-339)  et  parmi  eux  un  seul  serait  probant,  du  moins  pour  la  fin 
du  xi«  siècle,  s'il  était  authentique.  Mais  il  n*est  autre  que  Tétrange 
diplôme  de  Philippe  I,  de  1091,  dont  je  crois  avoir  établi  la  fausseté. 

^  T.  I,  p.  253.  —  Si  Ton  rencontre  quelques  cas  d*hommage,  au 
XI*  siècle,  ce  n'est  que  pour  les  évêcliés  acigneuriaux  du  Midi,  qui  sont 
devenus  une  véritable  propriété.  M.  Imbart  a  dil  reconnaître  que  ces 
cas  mêmes  sont  extrêmement  rares  avant  le  xn*  siècle  (p.  353-354}. 
Il  a  eu  le  tort  de  les  généraliser,  et  de  les  étendre  aux  évêchés 
royaux. 

'  Nous  verrons,  en  traitant  du  principal,  que  les  évêchés  qui  en  dé- 
pendent ressemblent  davantage  aux  évêchés  royaux  qu'aux  évêchés 
seigneuriaux. 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       279 

gneurial  se  retrouve  dans  la  diversité  d^atlitude  au  regard 
des  uns  et  des  autres  qu'observa  la  papauté,  une  fois 
qu'elle  entra  dans  la  voie  de  la  réforme.  Pendant  long- 
temps, au  X®  et  même  au  xi*  siècle,  elle  ne  s'était  élevée 
en  principe  ni  contre  le  droit  d'élection  du  roi,  ni  contre 
celui  des  seigneurs.  Elle  revendiquait  seulement  sa  part 
de  profit.  Elle  restait  impassible  devant  une  foule  de 
nominations  scandaleuses  et  simoniaques,  elle  cherchait 
souvent  à  exercer  la  simonie  elle-même  sur  le  plus  grand 
nombre  possible  d'évêchésou  d'abbayes  *.  Avec  la  réforme 
clunicienne  puis  grégorienne,  la  situation  changea.  La  pa- 
pauté visera  certes  à  acquérir  des  droits  de  phjs  en  plus 
étendus  sur  l'épiscopat,  à  le  placer  sous  sa  tiiitio^  à  se  le 
subordonner,  mais  elle  consent,  entre  temps,  à  respecter 
la  prérogative  royale,  et  elle  ferme  d'autant  plus  faci- 
lement les  yeux  sur  les  élections  simoniaques  que,  dans 
les  évêchés  royaux,  le  principe  au  moins  théorique  de 
l'élection  par  le  clerc  et  le  peuple  est  resté  debout^  au  lieu 
que,  dans  les  évêchés  seigneuriaux,  l'évêché  est  déchu 
au  rang  de  valeur  de  patrimoine.  Là  réside  la  grande 
différence  entre  l'Allemagne  et  la  France,  la  grande  raison 
pour  laquelle  la  querelle  des  investitures  ne  fut  que  très 
partielle  et  très  temporaire  chez  nous.  En  France,  la  royauté 
lutta  de  concert  avec  la  papauté  contre  l'appropriation  des 
évêchés  aux  mains  des  familles  seigneuriales  et  ce  n'est  que 
pour  un  nombre  limité  d'évêchés  que  le  conflit  put  naître. 
—  Encore  fallut-il  pour  cela  la  fougue  théocratique  de  Gré- 
goire VII  et  la  résistance  tenace,  sans  scrupule,  de  Phi- 
lippe P.  —  En  Allemagne  l'épiscopat  tout  entier  étant  au 
pouvoir  de  l'empereur,  la  tiare  et  la  couronne  se  trouvè- 
rent aux  prises  sur  toute  la  ligne,  et  engagées  à  fond. 

'  Cf.  Imbart,  p.  317. 

^  L'investiture  parla  crosse  et  l'anneau  n'y  contredit  pas.  Elle  était 
un  acte  parlaitement  légitime  du  pouvoir  séculier  quand  l'élection 
préalable  avait  été  régulière. 

3  Voyez  le  chapitre  suivant. 


280  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  II. 

II  reste  à  nous  demaocler  de  quels  évêchésle  roi  pouvait 
disposer  aux  x*  et  xi*  siècles.  Je  l'indiquerai  d'une  façon 
sommaire,  pour  autant  que  Tétat  actuel  des  sources  et  les 
investigations  spéciales  qui  ont  été  faites  sur  ce  sujet ^  me 
le  permettent. 

Le  roi  a  conservé  le  droit  d'élection  à  trois  archevê- 
chés, celui  de  Reims  (Francie),  celui  de  Sens  (Francie  et 
Bourgogne),  celui  de  Bourges  (Aquitaine  et  Languedoc)'. 

Les  cinq  archevêchés  de  Rouen  (Normandie),  de  Tours 
(Francie),  de  Bordeaux  (Aquitaine  et  Gascogne),  d'Aucb 
(Gascogne),  de  Narbonne  (Languedoc  et  Marche  d'Espagne) 
sont  aux  mains  du  principat,  qui  partage  l'un  d'eux  (Nar- 
bonne) avec  la  seigneurie  locale. 

Les  sept  autres  sièges  métropolitains  (Lyon,  Besançon^ 
Tarentaise,  Vienne,  Embrun,  Aix,  Arles)  dépendaient  d'un 
souverain  étranger. 

Voyons  les  évêchés  dont  le  roi  dispose  directement  : 

Dans  la  province  de  Reims,  six  évêchés  (Laon,  Beau- 
vais,  Châlons,  Noyon  et  Tournai,  Senlis,  Térouanne)  et 
très  probablement  un  septième  (Soissons).  —  Deux  seule- 
ment lui  échappent  :  1*  Cambrai  (comprenant  alors  Arras), 
qui  dépend  du  roi  de  Germanie  :  2^  Amiens,  qui  parait 
seigneurial. 

Dans  la  province  de  Sens^  les  quatre  évêchés  de  la 
Francie  (Paris,  Chartres,  Orléans,  Meaux)  étaient  certaine- 
ment royaux  et  deux  au  moins  des  évêchés  bourguignons 
(Auxerre  et  Troyes),  si  le  troisième,  Nevers,  est  douteux. 

Dans  la  province  de  Bourges,  le  droit  du  roi  ne  se  main- 
tient intact  que  sur  Tévêché  du  Puy.  11  ne  subsista  pas  au 

*  Ces  investigations  ont  été  faites  surtout  par  M.  Pfîster,  op.  ciL^ 
p.  183-193  et  par  M.  Imbart,  p.  233  à  259.  Voyez  aussi  pour  le  Midi 
Brueils,  Saint-Austinde,  p.  18  et  suiv.  —  Il  m'est  impossible  de  citer  ici 
les  textes,  de  développer  les  motifs  par  lesquels  je  me  suis  déterminé. 
La  question  est  du  domaine  de  l'histoire  générale. 

2  M.  Imbart  y  ajoute,  sans  preuve  suffisante,  rarchevécbë  d« 
Tours. 


LBS  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTÉ.       281 

delà  du  X*  siècle  dans  les  évêchés  aquitains  de  la  province 
(Clermont,  Limoges,  Mende),  sauf  peut-être  à  Mende.  II 
disparut  sur  les  trois  évêchés  languedociens  (Âlbi,  Cahors, 
Rodez). 

Dans  la  province  de  Tours^  les  évêchés  bretons  furent 
complètement  soustraits  à  l'action  de  la  royauté  dès  la 
première  moitié  du  x*  siècle,  et  dans  l'Anjou  et  le  Maine 
(Francie)  Tévêché  du  Mans  seul  resta  royal,  jusqu'à  ce 
qu'il  fut  cédé  par  Henri  I  au  comte  d'Anjou,  Geoffroi 
Martel  * . 

Dans  \sl  province  de  Lyon  (Bourgogne),  si  le  siège  mé- 
tropolitain est  au  pouvoir  des  rois  de  Bourgogne,  puis  du 
roi  de  Germanie,  les  quatre  évêchés  suffragants  sont  ou 
reviennent  dans  la  main  du  roi  de  France.  Langres  ne 
cesse  d'y  être  et  très  probablement  aussi  Mâcon  et  Chalon- 
sur-Saône:  Aulun  y  revient  au  xi*  siècle  par  la  conquête 
que  fait  Robert  du  duché  de  Bourgogne  (1016). 

Dans  les  autres  provinces,  nous  ne  trouvons  plus  trace 
de  l'élection,  ni  même  de  la  confirmation  royale,  depuis  le 
début  du  x*  siècle  *. 

En  résumé,  la  royauté  ne  peut  disposer,  auxx*  et  xi*  siè- 
cles, que  de  3  sièges  archiépiscopaux  et  de  20  à  23  évêchés. 
Mais  les  archevêchés  ont  une  importance  exceptionnelle  et 
les  évêchés  comprennent  presque  tous  ceux  de  la  Francie 
et  de  la  Bourgogne,  quatre  de  l'Aquitaine,  pendant  le 
x*  siècle,  et  un  ou  deux  pendant  le  xi*.  En  dehors 
des  pays  rattachés  alors  à  la  Germanie,  ce  n'est  que 
dans  le  Midi  proprement  dit,  la  Gascogne,  le  Languedoc, 
la  Marche  d'Espagne  que  la  royauté  a  perdu  son  autorité 
directe  sur  l'épiscopat.  Mais  là  même  elle  a  gardé  une 
autorité  indirecte  par  le  siège  métropolitain  de  Bourges, 

*  Voy.  infrà  :  Le  Principal  de  V Anjou  et  du  Maine. 

*  Les  derniers  actes  d'intervention  royale  que  je  connaisse  dans  le 
Midi  sont  une  charte  de  confirmation  de  Charles  le  Simple  pour 
Tévêché  de  Girone  (908)  et  une  charte  de  protection  pour  Tévéché 
d^Elne  (899). 


282  LIVRB   IV.    —  CHAPITRB   IL 

sur  les  évêchés  languedociens,  et  par  celai  de  Reims  sur 
Cambrai.  Ne  perdons  pas  de  vue  non  plus  la  facilité  avec 
laquelle  le  droit  d'élection  royale  était  destiné  à  réappa- 
raître dans  le  Midi,  dès  le  xii"  siècle,  au  moyen  des  chartes 
d'immunité.  Son  souvenir  ne  s'était  donc  jamais  effacé, 
virtuellement  il  n'avait  cessé  de  subsister,  il  n'était  pas 
mort,  mais  simplement  paralysé. 

2.  Abbayes  et  chapitres.  —  C'est  un  délicat  problème 
d'histoire  que  celui  de  l'origine  et  de  la  nature  véritable  du 
droit,  pour  l'autorité  royale,  de  choisirle  chef  de  la  commu- 
nauté religieuse,  abbaye  ou  chapitre.  Si  l'on  se  reporte  à 
la  règle  primitive  de  saint  Benoit,  on  voit  que  l'abbé  devait 
être  élu  par  la  congrégation,  mais  que  dans  le  cas  où 
l'élection  avait  porté  sur  un  sujet  indigne,  il  appartenait  à 
l'évêque,  aux  abbés  et  aux  laïques  de  la  région  d'en  nom- 
mer un  meilleur  ^  Il  est  difficile  de  croire  que  le  droit 
d'élection  de  la  puissance  séculière  ait  pu  directement,  ou 
môme  médiatement,  sortir  de  là.  Sa  source  beaucoup 
plus   naturelle'  est   le  principe,  de   tout  temps  admis, 

*  «  In  abbatis  ordinationc  illa  semper  consideretur  ratio,  ut  hic 
constituât iir  qiu'in  sihi  omnis  concors  congregatio  secundum  tîmorcm 
Dei,  sive  etiam  pars  quamvis  parva  congregationis  saniore  consilio 
elogorit...  Quod  si  eliam  omnis  congregatio  vitiis  suis,  quod  quidem 
absit,  consenticntcin  ptTsonain  pari  consilio  elegerit,  et  vitia  ipsa  aii- 
quatenus  in  notitiam  opiscopi  ad  cujus  dioecesim  periinet  locus  ipse, 
vel  ad  abbates  aut  christianos  vicinos  claruerint,  prohibeant  pravo- 
rum  priBvalere  consensum,  sed  domiis  Dei  diyniim  constituant  dis- 
pensatorem^  scienti.'S  pro  hoc  se  recepluros  mercedem  bonani,  si  illud 
caste  et  zolo  Dfi  tîat,  sicut  e  diverso  peccatum,  si  neglegant»  [Bcne- 
dicte  retjula  monachorum;  cap.  lxiv,  p.  02,  éd.  Woellflin,  Leipzig, 
1805). 

^  Je  ne  crois  pas  toutefois  que  ce  fût  la  source  unique.  J'en  vois  au 
moins  une  aulrc  dans  le  pouvoir  disciplinaire  de  la  royauté,  qui,  en 
arguant  de  l'irrégularité  de  l'élection  ou  de  l'impuissance  de  l'abbé 
élu  à  se  faire  obéir  et  à  maintenir  Tordre,  s'attribua  le  droit  de  nomi- 
nation directe,  comme  elle  le  fit —  et  la  papauté  après  elle  —  pour 
les  évOchés.  Cf.  Forrnul.  alsat.j  n°  8  :  «  Hoc  procul  dubio  scientes,  qui 
si  querelosi  aut  contradictores  inventi  fuerint,  aliquem  de  capellanis 


LES  QUATRE  FACES  DE  LA  ROYAUTE.       283 

que  le  fondateur  d'une  église  en  désigne  le  titulaire  (droit 
de  patronat).  La  royauté  franque  put  acquérir  ainsi  le 
droit  de  nommer  aux  abbayes  et  chapitres  fondés  par  elle. 
Ce  droit,  elle  s'en  dessaisit  ensuite  quand,  par  une  faveur 
spéciale,  elle  le  remit  à  la  communauté,  ou  surtout  quand, 
par  la  laïcisation^  elle  concéda  des  abbayes  en  bénéfice  et 
subrogea  le  bénéficier  dans  son  droit  de  fondateur.  Mais  la 
faveur  resta  d'ordinaire  lettre  morte  et  les  plus  importantes 
des  abbayes  concédées  en  bénéfice  firent  retour  à  la  cou- 
ronne le  jour  où  les  Robertiens,  qui  les  avaient  reçus,  par- 
vinrent au  trône.  Tel  fut  le  cas  pour  Saint-Martin  de  Tours, 
Marmoutier,  Saint-Denis,  Saint-Germain-des-Prés,  Saint- 
Germain  d'Auxerre,  Morienval,  qui  reprirent  leur  place  à 
côté  de  Saint-Benoît-sur-Loire,  Saint-Maur-des-Fossés, 
Saint-Aignan  d'Orléans,  etc.  C'étaient  là  les  abbayes  royales 
proprement  dites,  celles  dont  le  roi  disposait  pleinement, 
mais  les  abbayes  simplement  protégées  furent,  par  une  ex- 
tension de  la  iuiiio,  soumises  au  droit  d'élection  comme  si 
elles  avaient  été  fondées  par  le  roi*.  Elles  le  furent  d'au- 
tant plus  que  le  droit  d'élection  était  de  principe  pour  les 
évêchés  et  qu'il  fut  récupéré,  au  moyen  de  la  iuitio^  sur 
des  diocèses  qui  y  avaient  échappé.  Dans  leur  exercice,  du 
reste,  et  nonobstant  les  chartes  d'immunité  et  les  renon- 
ciations partielles,  les  deux  droits  d'élection  s'identifièrent. 
De  môme  que  théoriquement  l'évêque  royal  était  censé  élu 
par  le  clerc  et  le  peuple,  alors  qu'en  fait  le  roi  le  nommait,  de 
môme  l'abbé  était  en  apparence  désigné  par  la  congréga- 

aut  episcopis,  seu  vasallis  meis,  talem  eis  superimponam,  qui  aut 
eorum  contumeliam  edomet,  aut  si  etieun  sic  corrigi  noluerint,  quod 
absit,  ex  meo  illis  praecepto  ad  exemplum  cunctorum  in  omnem  ven- 
tum  dispergam  et  (lispergat.  » 

*  Les  continuateurs  de  D.  Bouquet  Tout  constaté  :  a  Le  privilège 
(le  tuition^  disent-ils,  mettoit  une  église  ou  un  monastère  sous  la  sau- 
vegarde immf^diate  du  roi...  Le  titre  d'églises  et  d'abbayes  royales 
apparlenoit  spécialement  à  celles  qui  avoient  obtenu  ce  privilège  : 
elles  étoient  regardées  comme  faisant  partie  du  fisc  royal,  de  même 
que  celles  qui  avoient  été  fondées  par  les  rois  »  (H.  F.  XI,  p.  ccxxi-u). 


284  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE  II. 

tion  et  réellement  par  le  roi.  En  employant  tour  a  tour  la 
brigue  ou  la  force,  la  promesse  ou  l'intimidation,  quand  elle 
ne  fait  pas  acte  direct  d'autorité,  la  royauté  réduit  réieo- 
tion,  pour  l'ensemble  des  corps  religieux  placés  sous  sa 
dépendance,  à  un  vain  simulacre.  La  communauté  s'agite, 
le  roi  la  mène. 


285 


CHAPITRE  III 
l'indépendance  de  la  couronne. 


La  complexité  du  pouvoir  royal  excluait  son  absolu- 
tisme. Quelque  opiaion  qu'on  puisse  avoir  aujourd'hui 
sur  son  trait  dominant,  un  fait  paraît  au-dessus  de  toute 
controverse.  Il  impliquait  un  contrôle  et  une  limita- 
tion. Les  historiens  qui  voient  dès  le  x*  siècle  dans  la 
monarchie  française  une  monarchie  féodale  admettent  jus- 
qu'à Texcès  Tinter vention  nécessaire  des  vassaux  pour 
tous  les  actes  importants  de  l'autorité  royale.  Si  l'on  s'en 
tient,  d'autre  part,  à  la  conception  que  nous  nous  sommes 
faite  de  la  royauté  des  x*  et  xi*  siècles,  tous  les  carac- 
tères que  nous  lui  avons  assignés  comportent  un  contre- 
poids. Le  roi  a  une  suprématie  ethnique,  mais  au  regard 
des  provinces  de  la  Gaule  il  n'est  qu'un  primusinter pares. 
11  a  un  pouvoir  religieux  et  un  caractère  sacré,  mais  par 
cela  même  il  est  placé  sous  la  censure  des  évêques.  Il  a 
une  autorité  de  chef  de  famille*,  un  mainbour  plus  ou 
moins  énergique,  mais  il  en  résulte  pour  lui  un  devoir  plus 
ou  moins  strict  de  protection  et  l'obligation  de  tirer  les 
siens  à  conseil. 


'  La  nature  patriarcale  du  pouvoir  se  traduit  par  la  simplicité, 
l'accessibilité,  la  familiarité  en  un  mot.  Guibert  de  Nogent  Toppose 
au  faste  et  àTarrogance  des  rois  étrangers  (regias  père grin arum  gen- 
tium  majestates,  imo  majestatum  ferocitates)...  «  InFrancorum  enim 
regibus  ea  viguit  naturalis  semper  modestiaj  ut  iliud  Sapientis  dic- 
tum,  elsi  non  in  scientia,  in  actu  tamen  habuerint  :  Principem,  in- 
quit,  te  constituerunt,  noli  extoUi,  sed  esto  in  iliis  quasi  unus  ex 
illis  »  (De  vita  sua,  11,  Migne  156,  853). 


286  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   III. 

L'élat  social  tout  entier  n'aurait  pu  s'accommoder  d'une 
autorité  sans  frein  ;  ni  Tétat  des  mœurs,  où  Tindividua- 
Jisme  dominait,  ni  Tétat  des  esprits,  qu'avait  façonnés 
l'Église,  ne  s*y  accordaient.  Et  ainsi  voyons-nous  un 
évêque  du  xi""  siècle,  précurseur  des  publicistes  modernes, 
faire  reposer  la  monarchie  sur  un  contrat  tacite  conclu 
entre  le  roi  et  les  sujets  *. 

Mais  si  la  royauté  du  rex  Francorum  constitue  un  pou- 
voir tempéré,  elle  est  aussi  un  pouvoir  suprême'.  Ni  l'em- 
pire ni  la  papauté  ne  lui  sont  supérieurs.  Elle  est  à  la  tête 
du  principal,  sans  qu'il  faille  .exagérer  le  contraste  qui 
nous  montre  Tune  revêtue  de  majesté,  l'autre  armé  de 
pied  en  cap'.  Sur  les  rapports  de  la  royauté  et  du  prin- 
cipat,  j'espère  avoir  jeté  déjà  une  suffisante  lumière  pour 

*  «  Quippe  sine  providcntia  regum  ac  praesidum  pro  caede  paratur 
populus,  et  sine  populi  obsequio  regum  ac  praelatorum  omoium  di- 
gnilas  evunescil.  Unde  cum  rex  instituilur,  pactio  quaedam  tacita 
iDter  eum  el  populus  iiiitur,  ut  et  rex  humane  rcgat  populum,  et 
populus  rcgem  stalutis  tributis  et  iulationibus  meminerit  venerari  >» 
(Huûni  episcopi,  De  bono  pacis  (vers  1057)  Migne  150,  1617). 

2  A  la  maxime  coutumière  :  «  li  rois  ne  tient  de  nului  fors  de  Dieu 
et  de  lui  »  (EtabL  de  saint  Louis,  I,  83;  Éd.  VioUet,  T.  Il,  p.  134) 
correspond  au  x«  siècle  cette  afflrmation  dogmatique  de  la  vi- 
sion de  Flothilde  (940)  (Lauer,  Louis  VI,  Pièces  justif.,  p.  317)  : 
«  quia  rex  super  illum  (regem  Francorum)  nisi  Deus  regnaturus 
non  esset  »  :  Nul  autre  roi  que  Dieu  ne  doit  régner  sur  le  roi  des 
Francs. 

3  J  ai  déjà  signait^  le  sceau  de  Guillaume  le  Conquérant  où  ce  con- 
traste s'exprime  et  qu'un  chroniqueur  du  xii*  siècle  décrit  en  ces  ter- 
mes :  «  Duos  principatus  obtinuit,  existens  cornes  Normannorum  et 
rox  xVn^dorum;  ita  ut  in  sigillo  suoex  una  parte  sederet  super  equum 
ut  comes,  ex  alia  super  thronum  cum  sceptro  ut  rex»  (Herimani 
Restaur,  S.  M.  Tornac.  H.  F.  XI,  255  B)  (Voir  ce  sceau  dans  Rou- 
joux  et  Minguet,  Hist.  d' Angleterre ,  Paris,  1844,  I,  127).  On  aurait 
assurément  tort  d'en  conclure  que  le  prestige  du  principat  était  ex- 
clusivement guerrier.  Je  prouverai  le  contraire.  Dès  à  présent  je  re- 
marque que  iM.  d'Ârbois  de  Jubainville  me  paraît  aller  trop  loin  dans 
cette  voie  quand  il  écrit  :  v  La  guerre  seule  pouvait  alors  entourer 
les  chefs  de  la  société  féodale  de  cet  éclatant  prestige  qui  élève  un 


l'indépendance  de  la  couronne.  287 

n'avoir  pas  à  anticiper  sur  les  développements  dont  la 
place  naturelle  est  plus  loin*,  mais  il  importe  de  tirer  de 
suite  au  clair  les  rapports  avec  Tempire  et  avec  la  papauté. 

§  1.  —  La  royauté  et  le  saint  Empire  romain. 

Il  ne  saurait  être  question  d'une  suprématie  des  chefs 
saxons  de  la  Germanie,  qu'ils  se  parassent  ou  non  du  litre 
d'empereur,  sur  les  rois  carolingiens  de  la  Gaule.  La 
prééminence  franque  avait  passé  à  ces  derniers  ^  Le  titre 

homme  au-dessus  des  autres  hommes  »  [Hist.  des  ducs  et  comtes  de 
Champagne^  t.  I,  p.  331). 

*  Infrà,  III.  Le  Principat, 

2  Suprà^  p.  193  et  suiv.  —  Dans  un  article  sur  la  Royauté  française 
et  le  saint  Empire  romain,  paru  dans  la  Revue  historique  {t  49,  1892, 
p.  241),  M.  Alfred  Leroux,  qui  nous  a  donné  depuis  lors  une  bonne 
bibliographie  des  Conflits  entre  la  France  et  V Empire  (Paris,  1902), 
s'est  mépris  sur  le  caractère  initial  du  saint  empire  romain.  Il  le 
prend  à  tort  pour  une  continuation  de  l'empire  des  Francs  de  Charle- 
magne  et  prétend  que  la  France  en  faisait  dès  lors  partie  intégrante, 
à  raison  du  titre  de  rex  Francorum  de  nos  rois.  Comment  n'a-t-il  pas 
vu  que  ce  titre  et  la  qualité  de  successeurs  de  Charlemagne  qu'ils  s'at- 
tribuaient excluaient  précisément  toute  subordination  à  l'empereur  et 
leur  donnaient  môme  un  droit  théorique  à  Vimperium  Francorum,  le 
véritable  empire  de  Charlemagne?  M.  Leroux  me  paraît  avoir  été  com- 
plètement égaré  par  l'idée  que  le  royaume  de  France  ne  passait  ni 
aux  yeux  de  la  papauté  (dont  il  s'exagère  du  reste  absolument  le 
rôle)  ni  aux  yeux  des  populations  pour  un  royaume  des  Francs,  que 
c'était  un  royaume  dès  Celtes  dont  le  rattachement  à  l'Empire  peut 
seul  expliquer  le  titre.  De  là  il  conclut  à  la  prééminence  de  l'empereur 
sur  le  roi,  sans  autre  preuve  directe  que  l'intervention  des  empereurs 
en  France  sous  les  derniers  Carolingiens.  Or  de  quel  droit  les  voyons- 
nous  accourir?  uniquement  comme  envahisseurs  ou  alliés.  —  M.  Lot 
s'est  élevé  avec  beaucoup  de  force  contre  cette  théorie  (il.  histo- 
rique,  t.  50,  p.  147.  Cf.  aussi  Paul  Fournier,  Bulletin  critique 
(1895),  p.  544  et  suiv.)  et,  à  mon  sens,  avec  pleine  raison.  Entre  les 
deux  érudits  il  y  a  cette  différence  que  l'un  a  approfondi,  dans  les 
sources,  la  période  des  x*  et  xi*  siècles,  tandis  que  l'autre  n'y  voit 
qu'un  champ  ouvert  aux  conjectures.  t<  Au  delà  du  ii*  siècle,  écrit-il, 


288  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  III. 

impérial  ne  pouvait  donc  leur  être  opposé;  c^étaient  eux- 
mêmes  qui  avaient  droit  au  titre  A' empereur  des  Francs  et 
à  la  suprématie  qu'il  donnait,  c'était  de  leur  main  que  les 
Capétiens,  en  leur  succédant,  prétendirent  les  tenir  à  leur 
tour*.  Aussi  nul,  au  x*  siècle,  ne  songe  à  soutenir  que 
la  France  relève  d'un  empire  d'Allemagne,  i  admettre 
même  qu'elle  pût  en  relever  jamais.  Charles  de  Lorraine 
n'a-t-il  pas  été  écarté  du  trône  pour  avoir  fait  jadis  hom- 
mage à  Otton?  D'empire  germanique,  il  n'en  existe  pas 
alors;  il  n'existe,  depuis  962,  qu*unsimulacrederestauratioD 
de  l'empire  romain,  une  renovatio  imperii  Romanorum  • 

les  textes  ne  fournissent  plus  de  réponse  aux  questions  que  je  leur 
pose...  Je  suis  ainsi  placé  sur  le  terrain  de  Vinductiorif  de  la  conjec- 
ture ».  (Ibid,  t  50,  p.  408). 

*  Supràf  p.  200  et  suiv.  —  Helgaud  appelle  le  roi  Robert  :  impe- 
rator  francorum  (Vita  Roberti,  H.  F.  X.  104  B).  C'est  certainement 
à  son  père  Hugues  Capet  et  à  sa  mère  Adélaïde  qu*Adalberon  fait 
allusion  dans  ces  vers  qu*il  lui  adresse  : 

Patres namque  tui  longe:  rex,  induperator^ 
Lac  tibi  suggenti  dat  nutrix  induper atrix. 

(Carmen  ad  Robortum,  v.  7-8).  L'intention  est  manifeste,  et  Ton  ne 
saurait  admettre,  avec  le  récent  éditeur,  M.  Hûckel  (BibL  Fac.  des 
lettres  de  Paris,  XIII,  1901,  p.  129),  que  «  le  titre  de  induperatùr  se 
rapporte  à  la  parenté  de  Robert  (arrière  petit-fils  par  sa  grand'mère 
maternelle  de  Henri  I*'  TOiseleur)  avec  les  empereurs  d'Allemagne  ». 
Henri  I*'  qui  figurerait  ainsi  parmi  les  patres  n'a  jamais  été  empe- 
reur. Àdalberon  revient  plus  loin  sur  la  même  idée  et,  par  la  boache 
de  Robert,  affirme  nettement  la  suprématie  de  son  royaume,  de  son 
empire  des  Francs  : 

«  Regnum  Francorum  reges  subtemporepatrum 
Subjugat  et  semper  sublimi  poUet  honore; 
Regum  sceptra  patrum  nullius  sceptra  coercenl. 
Quique  régit ,  gaudent  virtutibus,  imperat  aeque; 

Novimus  imperium  jam  regibus  esse  fugatum 

Ut  nobis  liceat  leges  servare  paternas  ».  (v.  395,  suiv.). 

—  Cf.  Diplôme  de  Philippe  I"  (1083)  :  «  Philippo  régnante  in  Fran- 
cia  anno  XVI  imperii  ejus  (Bréquigny,  II,  p.  203). 

*  Voy.  le  sceau  d'Otton  II!  (Mabillon,  Suppl.  libr.  De  re  diplom,, 
Paris,  1704,  p.  48).  —  Cf.  Raoul  Glaber,  I,  4,  §8  :  «  sumpserunt  im- 
perium Romanorum  reges  Saxoiium.  » 


l'indépendance  de  la  couronne.  289 

tentée  par  un  roi  saxon.  Son  protagoniste  peut  être  d'une 
nationalité  quelconque,  tout  comme  le  pape.  Otton  III  est 
aussi  peu  allemand  que  possible, il  est  grec  de  naissance  par 
sa  mère,  il  est  d'affinité  latine  par  sa  grand'mère  Adélaïde, 
il  a  pour  précepteur  un  Français  d'origine,  Gerbert.  Le 
but  qu'il  poursuit  de  concert  avec  lui  n'est  pas  la  subor- 
dination du  regnum  Francorum  à  un  imperium  Franco^ 
runiy  mais  une  monarchie  universelle  dont  la  capitale 
serait  Rome. 

Cette  théocratie  impériale,  cet 

«  ...  édifice  avec  deux  hommes  au  sommet, 
Deux  chefs  élus  *  auxquels  tout  roi  né  se  soumet  » 

dont  un  poète  moderne  a  eu  la  magnifique  vision  n'a  été 
qu'un  rêve  gigantesque  d'esprils  enthousiastes  ou  chimé- 
riques^ et  n'a  eu  de  réalisalion  partielle  que  dans  la  courte 
période  oii  Otton  III  et  Sylvestre  V  régnèrent  ensemble'. 
Aussi  est-ce  exclusivement  dans  ce  court  intervalle  de  trois 
ans  (998-1002)  que  se  placent  les  actes  où  Ton  a  cru  voir 
une  suprématie  de  Tempire  sur  la  couronne  de  France*. 

*  Et  égaux  :  «  Quand  ils  sortent  tous  deux  égaux  du  sanctuaire  ». 

'  Sur  la  genèse  de  ces  idées,  lire  le  chap.  vu  du  beau  livre  de 
M.  James  Bryce,  Le  St-Empire  romain  germanique  (éd.  franc.,  Paris, 
1890,  p.  115  et  suiv.). 

3  Voyez  la  curieuse  constitution,  retrouvée  dans  un  MS.  du  xie  siè- 
cle, dont  on  a  attribué  la  rédaction  à  Gerbert.  L'empereur  s'adressant 
au  juge  qu'il  institue  lui  dit  :  «  Prends  garde  de  ne  jamais  fouler  aux 
pieds  la  loi  de  notre  très-saint  prédécesseur  Justinien  ».  Il  lui  remet 
un  exemplaire  du  Code  avec  ces  mots  :  «  Selon  ce  livre,  juge  Rome  et 
la  cité  de  Léon  et  l'univers  entier  ».  —  «  Tune  dicat  imperator  judici  : 
w  Cave  ne  aliqua  occasione  Justinianl  sanclissimi  antecessoris  nostri 
legem  subvertas  ».  Et  ille  contra  :  «  Perpetuis  maledictionibus  per- 
culiar,  si  hoc  faciam.  »  Tune  imperator  faciat  eum  jurare,  quod  nulla 

occasione  subvertat  legem et  det  ei  in  manum  librum  codicum  et 

dicat  :  «  Secundum  hune  librum  judica  Romam  et  Leonianam  orbem 
que  universum  »  (Giesebrecht,  Geschichte  der  deutschen  Kaiser zeit^ 
5e  éd.,  T.  I,  Leipzig,  1881,  p.  892-3). 

*  Les  principaux  ont  été  relevés  par  Julien  Havet  (Lettres  de  Ger- 
bert, p.  xxxiii-iv.)  Cf.  aussi  Viollet,  II,  p.  42-43. 

F.  —  Tome  III.  19 


290  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   III. 

Au  fond,  il  ne  s'agit  que  de  la  communication  passagère  a 
une  puissance  laïque  du  droit  d'immixtion  dans  les  affaires 
intérieures  des  pays  chrétiens  que  la  papanté  avait  tou- 
jours voulu  s'arroger.  Tentative  sans  racines  dans  le 
passé,  et  qui,  supposant  un  exercice  collectif  du  pouvoir 
suprême  par  le  pape  et  Tempereur,  ne  pouvait  avoir  de 
lendemain.  Il  n'est  pas  difRcile,  je  crois,  de  justifier  cette 
double  proposition. 

En  cherchant  à  restaurer  l'empire  romain  au  profit  de 
la  dynastie  saxonne,  Otton  I  avait  voulu  placer  le  pape 
sous  sa  suprématie,  s'assurer  la  haute  main  sur  son  élec- 
tion, l'astreindre  au  serment  de  fidélité*.  Il  s'était  heurté 
tout  aussitôt  à  la  résistance  et  avait  provoqué  le  retour 
offensif  de  l'aristocratie  romaine  ou  italienne.  Le  Saint- 
Siège  fut  disputé  entre  elle  et  l'empereur,  sans  qu'aucun 
des  partis  qui  l'emportait  réussît  à  y  maintenir  son  can- 
didat au  delà  de  quelques  mois*.  Seul  Jean  XIII,  neveu 
de  Marozie,  parvient,  après  avoir  été  expulsé  une  pre- 
mière fois,  à  régner  par  la  terreur  pendant  un  laps  de 
six  années.  Le  chassé-croisé  recommence  ensuite  entre  les 
papes  de  l'empire  et  ceux  des  Italiens,  entre  Benoît  VI, 
Benoît  VIL  Jean  XIV  et  Boniface  VII».  Oiton  II  n'ayant 

*  Diplonifita  reg.  et  inipcr,,  I,  p.  322  saiv.  ConstUntiones  imper, 
I,  p.  23  suiv.  —  Cf.  Duchesne,  Les  premiers  temps  de  Vttat  ponti- 
fical, l^aris,  i898,  p.  179  suiv. 

2  Voyez  le  clair  et  vigoureux  tableau  que  Mgr  Duchesne  a 
tracé  de  celte  époque  troublée  {op.  cit.,  p.  187  et  suiv.).  —  L'évéque 
d'Orléans  Arnoul  la  flagellait  au  concile  de  Saint-Basle  (991)  avec 
une  éloquence  enflammée  :  «  Nam  quid  sub  haec  tempora  non  vidi- 
mus  !  Vidimus  Johannem,  cognomento  Octavianum  (Jean  XII),  in  vo- 
lutabrolibidinum  versatum,  eliam  contra  eumOttonem,  quem  augus- 
tum  creaverat,  conjurasse; ...  Cui  Benedictum  diaconem  (Benoît  V) 
Romani  substituunt;  eum  quoque  Léo  Neophytus  cum  suc  Caesare 
non  longe  post  aggreditur,  obsidet,  capit,  deponit,  perpetuoque  ezilio 
in  Germaniam  dirigit  >»  (OEuvres  de  Gerbert,  éd.  Olleris,  p.  205).  — 
Ajoutez,  infràj  la  note  1,  p.  299. 

'  Voici  le  jugement  qu'au  lendemain  de  sa  mort,  Févêque  d'Orléans 
Arnoul  porte  sur  lui  :  «  Succedit  Romœ  in  pontificatu  horrendum  mon»- 


l'indépendance  de  la  couronne.  291 

laissé  à  sa  mort  (983)  qu'un  Qls  de  trois  ans,  le  parti  de 
Crescenlius  triomphe  jusqu'au  jour  où  Otton  III,  après 
avoir  intronisé  de  force  une  première  fois  son  cousin  Bru- 
non  (996)  et  s'être  fait  sacrer  empereur  par  lui,  finit  par 
l'imposer  aux  Romains  (998).  Ici  se  place  la  période  trien- 
nale que  j'ai  dite  sans  lendemain.  Gerbert  suit  Otton  III 
dans  la  tombe  (1003)  et  le  successeur  de  celui-ci  ne  par- 
vient qu'en  1014  à  ressaisir  la  couronne  impériale.  Il  res- 
taure le  privilège  d'Otton  II  pour  se  subordonner  étroite- 
ment la  papauté*,  il  réalise  cette  subordination  grâce  à 
une  entente  avec  le  parti  des  comtes  de  Tusculum.  Mais, 
à  sa  mort,  c'est  en  France  que  les  Italiens  veulent  porter 
la  couronne.  Ils  l'offrent  au  roi  Robert  et  à  son  Ois,  ils 
l'offrent  à  Guillaume  d'Aquitaine  et  au  sien*.  Ce  n'est  que 
sur  le  refus  de  ces  princes  qu'elle  finit  par  échoir  à  Con- 
rad II  (1027).  Lui  et  son  successeur  Henri  III  tiennent  la 
papauté  à  leur  merci,  la  réduisant  à  n'être  plus,»  selon  la 
vive  et  juste  expression  de  M.  Duchesne  «  qu'un  évêché 
allemand  à  la  nomination  du  roi  »  '. 

L'empire  devenait  vraiment  germaniqit^^  mais,  en  le 

tram  Bonefacius  (Boniface  VU),  cT/ncfos  mortales  nequitia  superans^ 
etiam  prions  ponlificis  (Benoît  VI)  sanguine  cruentus  ;  sed  hic  etiam 
fugatus  atqiie  in  magna  synodo  damnatus,  post  obitum  divi  Ottonis 
Romam  redit,  insignem  virum  apostolicum  Petrum  (Jean  XIV)  data 
sacramentorum  fide,  ab  arce  Urbis  dejicit,  deponit,  squalore  carceris 
affectum  perimit  »  (Discours  de  l'évoque  Arnoul,  loc,  cit,,  p.  205-206). 

*  Concordat  entre  Henri  II  et  Benoît  VIII  (1020),  Diplomata,  III 
(1900),  p.  542  suiv.  Constitutiones,  I,  p.  6a  suiv. 

*  Ce  n'est  pas  seulement  la  couronne  d'Italie  c'est  aussi  la  cou- 
ronne impériale  qui  fut  offerte  à  Robert  et  à  son  fils  Hugues. 
Les  expressions  dont  se  sert  Raoul  Glaber  ne  peuvent  s'entendre 
autrement  :  «  Praeoptabatur  a  multis,  precipue  ab  Italicis,  ut  sibiim- 
peraret  inimperium  stiblimari  »  (III,  9,  n<»  33,  p.  82).  La  môme  offre 
fut  faite  ensuite  à  Guillaume  V  d'Aquitaine  :  «<  Itali  suaserunt  mibi 
et  fîlio  meo,  écrit-il  à  l'évêque  Léon  de  Verceil,  nos  intromittere  de  re- 
gno  Italiae,  facientes  nobis  sacramentum  et  ipsius  regni  et  Romani 
imperii  acqnirendi,  per  rectam  fidem  »  (Migne,  141,  828). 

'  Duchesne.  op.  cit,  p.  211. 


292  LIVRE    IV.    —   CHAPITRE   III. 

devenant  et  en  asservissant  le  Sainl-Siège,  il  déchirait  de 
ses  propres  mains  ses  titres  à  une  domination  universelle, 
telle  qu'Otton  111  et  Gerbert  l'avaient  rêvée,  et  préparait 
une  rupture  éclatante  avec  la  papauté.  Quand,  après  la 
mort  d'Henri  III  (1036),  l'anarchie  ponliBcale  renaît  de 
plus  belle,  un  parti  nouveau  surgit,  celui  de  l'indépen- 
dance du  Saint-Siège,  à  la  tête  duquel  se  place  Hilde- 
brand  avec  Pierre  Damien,  et  dont  les  Normands  établis 
dans  la  péninsule  seront  les  auxiliaires  armés.  La  lutte 
de  la  papauté  et  de  Tempire  devient  inévitable.  Elle  se 
termine  à  l'avantage  de  la  papauté,  qui  seule  désormais 
pourra  avoir  des  prétentions  effectives  à  la  domination  du 
monde.  Ce  n'est  que  comme  bras  séculier  de  la  papauté, 
comme  porteur,  en  son  nom,  du  glaive  sacré  dont  elle 
l'arme,  que  VOrdo  romanus  prépose  l'empereur  aux  peu- 
ples et  aux  rois*. 

Après  celte  vue  d'ensemble,  je  n'ai  pas  à  revenir  sur 
ce  que  j'ai  dit  des  Carolingiens*.  Quant  aux  Capétiens, 
remarquons   d'abord  que  dans  la  crise  dangereuse  de 

*  Orcio  îid  beneflici'ndum  impenilorem  :  u  super  omnia  régna  prœ» 
cellal  »...  «  ul  illi  fjrcîUos  teneant  fidem  »  (Ordo  romanus,  aucl.  Cencio, 
Mabillon,  Musasum  itaL,  II,  p.  216  {Paris,  1724). 

*  Il  va  de  soi  que  le  litre  :  «  imperator  augusius  Romanorum  ae 
Francorum  »,  qu'en  conformité  de  la  politique  que  j'ai  esquissée 
(p.  196)  Otton  I  prit  dans  quelques  diplômes  de  Tannée  966  (Dl- 
plomata,  l,  p.  432,  436,  439-441),  ne  pouvait  préjudicier  en  rien 
aux  droits  des  Carolingiens  (Cf.  Lot,  Les  derniers  Carolingiens,  p.  49, 
note  2  et  Waitz,  VI,  2  (2»  édition),  p.  141,  note  2).  —  Il  est  notable 
que  le  roi  Uohorlien  Raoul  dans  deux  diplômes  (13  décembre  933, 
Baiuze,  Uii^t,  Tuto.L,  c.  325;  13  septembre  935,  H.  F.  IX,  580)  se 
qualifie  :  «  R.  gratia  Dei  Francorum  et  Aquitanorum  atque  Burgun- 
dionum  rex  pius,  invictus  ac  semper  augustus  ».  M.  Lippert  (JC.  Ru- 
dolf,  p.  110-117)  en  fait  une  cause  de  suspicion  de  ces  actes,  se  de- 
mandant si  un  simple  roi  pouvait  prendre  le  titre  d'augustus.  Mais 
d'autres  chartes  de  Raoul,  dont  l'authenticitë  n'est  pas  douteuse 
(Cfiartes  de  Cluny,  I,  p.  281  (927),  p.  379  (931)  lui  donnaient  déjà  ce 
titre.  La  plus  récente,  qui  le  qualifie  «  pius  augustus  atque  invictis- 


l'indépendance  de  la  couronne.  293 

leur  avènement,  de  988  à  996,  le  trône  impérial  fut 
vacant  en  fait,  et  qu'il  le  fut  de  nouveau  de  1002  à 
1014  :  imperante  7iemine,  dit  en  1009  (8  janvier)  une 
charte  du  mont  Cassin*.  Ardouin,  le  rival  d'Henri  II  en 
Italie,  recherche  l'alliance  de  Robert,  et  Henri  lui-même, 
en  1006,  députe  au  roi  de  France  l'évêque  de  Liège, 
Notker,  pour  lui  offrir  son  amitié^.  Le  fait  se  reproduit  en 
1023.  Gérard,  évêque  de  Cambrai,  et  Richard,  abbé  de 
Saint-Vanne,  sont  envoyés  par  Henri  II  auprès  de  Robert, 
qui  les  reçoit  solennellement  à  Compiègne*  Ils  négocient 

simus  rex  »  existe  en  original  à  la  Bibliothèque  nationale  :  M.  Bruel 
en  a  reproduit  le  sceau  (pi.  II,  n<*  3). 

M.  Leroux  {loc.  ciL,  p.  256,  note  5)  croit  que  les  empereurs  ger- 
maniques ont  retenu  le  titre  dHmperator  augustus  en  le  traduisant 
par  Mehrer  des  Reichs^  «  comme  si  augustus  venait  d'augere  ».  En 
réalité,  c'est  la  traduction  de  Tépithète  propagator^  que  les  Romains 
donnaient  à  Jupiter,  et  qui  se  retrouve  dans  les  inscriptions  avec 
le  sens  de  gouvernant.  Fait  assez  curieux,  un  chroniqueur  lorrain  du 
xj«  siècle,  Hugues  de  Flavigny,  applique  précisément  cette  épithète 
au  roi  de  France,  Philippe  !•'.  Il  l'appelle  «  regni  Francorum  propa- 
gator  ))(Migne,  154,  386). 

Le  même  érudit  admet  que  Louis  VI  et  Louis  Vil  se  sont  titrés 
imperator  augustus,  tout  en  regrettant  que  M.  de  Wailly  n'ait  pas 
indiqué  la  date  des  diplômes.  Du  Tillet  les  indique  (Recueil  des  rois 
de  France,  Paris,  1607,  p.  250).  Ce  sont,  suivant  lui,  des  actes  de 
1118  et  de  1155.  Je  n'ai  pas  retrouvé  le  premier,  qui  ne  figure 
pas  du  reste  dans  l'inventaire  dressé  par  Pithou  (p.  254).  Quant  au 
second,  c'est  un  vidimus,  peut-être  remanié,  publié  dans  les  Layettes 
du  Trésor  des  Chartes,  I,  p.  74,  et  dans  la  nouv.  Hist.  du  Langue- 
doc, V,  p.  1193. —  Du  Tillet  a,  du  reste,  un  mot  charmant  :  «  Ceux 
mêmes  (des  Roys  de  France)  qui  ont  quelques  fois  usé  de  tiltres 
d'Empereur  et  Empire,  ont  ailleurs  en  la  plus  grande  part  retenu 
ceux  de  Roy  et  Royaume...  Le  titre  d'Empereur  n'est  pas  plus  éminent 
que  celuy  de  Roy,  lequel  sonne  meilleur  et  plus  doux  »  (p.  250). 

*  Art  de  vérifier  les  dates,  II,  p.  15. 

2  (c  Contigit  non  multo  post  Notkerum  episcopum,  ut  conciliaret 
amicicias  inter  Ruopertum  Francorum  regem  et  imperatorem  nos- 
trum  Heinricum  Parisiis  devenire  »  [Gesta  episc,  Leod,  Migne,  139, 
1093). 

^  «  Roberlus,  rex  Franciœ  (Cf.  suprà,  p.  194,  note  2)  proceres 


294  LlYRE   IV.    —   CHAPITRE  III. 

une  entrevue,  qui  a  lieu  la  même  anuée  et  où  un  paeie 
d'amitié  est  conclu  entre  les  deux  souverains  ^  C'est  une 
alliance  aussi,  une  alliance  d'égal  à  égal,  que  nouent  Con- 
rad II  et  Henri  I*'  (1033)  par  l'intermédiaire  de  Popponde 
Stavelot.  Les  contemporains  ne  voient  en  eux  que  les  cheb 
des  deux  régna  Francorum^  et,  devant  le  projet  de  ma- 
riage de  Henri  avec  la  fille  de  Conrad',  ils  pouvaient  espé- 
rer la  reconstitution  prochaine  de  l'unité  franque,  deTem- 
pire  franc  en  un  mot  *.  Les  rapports  entre  Henri  !•'  et 

8U0S  certa  de  caussa  in  palatio  Coxnpendii  nonduxerat,  quod  ad  eum 
Romanorum  impcrator  llenricus  Gerardum  Cameraci  episcopum  et 
Richardum  Virdunensem  abbalem,  legationis  gratià miserai  »  (Ghart&- 
notice  Miraeus,  Opéra  dipL,  I,  p.  149). 

*  C'est  lenlrevue  célèbre  d'Ivois-Mouzon,  sur  la  Meuse,  décrite 
par  la  chronique  de  Cambrai  (Gesta  pontif.  Corner.,  Migoe,  139,  46i) 
et  par  Raoul  Glaber  (III,  2,  8).  On  proposa  de  part  et  d*autre  que  la 
rencontre  se  fît  au  milieu  du  ileuve,  pour  qu'aucun  des  rois  ne  parût, 
en  aliant  au  devant  de  l'autre,  s'humilier  comme  son  vassal  :  c  Inde- 
cens  esse  ut  quis  illorum,  tantorum  scilicet  regum,  semet  humilians 
quasi  in  alterius  transiret  auxilium  »  (Raoul  Glaber,  p.  59j. 
Henri  II  se  décida  à  faire  le  premier  pas  :  «  Quanto  major,  lanto  hu- 
milior  ».  Il  se  transporta,  avec  une  faible  suite,  auprès  du  roi  des 
Francs,  qui  le  lendemain  lui  rendit  sa  visite.  Les  deux  souversûns  se 
traitèrent  en  amwet  s'engagèrent  aie  rester  :  «  Firmato  uterque paeto 
amiciciœ,  redicre  ad  propria  »  (R.  Glaber).  —  «  Ibi  certe  pacis  et 
jusliciso  summa  diffinitio  mutugequc  amicitiaB  facta  reconcLLiatio.  » 
(Chron.  de  Cambrai). 

^  «  Quia  ante  quam  plures  aunos  Romani  imperii  cum  Franci  dia- 
cordia  non  minima  inoleverat,  ipse  [Poppo)  inter  utrosque  pacis  gra- 
tiam  labore  et  industria  sua  paratam  complevit.  Conradumque  atque 
Henricum  regcs  in  consensum  revocavit  :  quorum  unus,  idest  Conra- 
dus,  Romanorum  sive  Orientalium,  alter  vero  id  est  Henricus,  Occt- 
dentalium  populis  Francorum  imperavit  »  (Vita  Popponis,  30,  Ma- 
billon  SB.  VI,  I,  584). 

'  Wiponis,  Gesta  Chuonradi,  cap.  32,  p.  38  (éd.  Breslau). 

*  Siegfrid,  abbé  de  Gorze,  dans  sa  lettre  à  Poppon  de  Stavelot 
fait  une  allusion  rétrospective  (1043)  à  cet  espoir  éphémère  :  «  Me- 
mini  praeterea  dudum,  cum  pater  ejus  filiam  suam  régi  Francorum 
desponsare  vellet...  multos  fuisse  qui...  nuptias  bene  et  utiliter  fieri 
posse  contenderent  eo  quod  per  ipsas  duo  régna  in  magnam  pacem 


l'indépendance  de  la  couronne.  295 

Henri  III  furent  tendus,  mais  ne  changèrent  pas  de  nature. 
Dans  l'entrevue  de  1056,  Henri  I«'  tient  un  langage  qui 
n'a  rien  de  la  soumission  du  vassal,  et  Henri  III  lui  offre 
le  combat  judiciaire  comme  à  un  égal,  à  un  pair*.  Cette 
parité  est  soulignée  inconsciemment  par  les  chroniqueurs 
allemands  qui,  en  appellant,  à  cette  occasion,  Henri  I®'  rex 
Charolirigorum,  nous  montrent  en  lui  le  légitime  succes- 
seur des  Carolingiens ^ 

§  2.  —  La  royauté  et  le  Saint-Siège. 

Si  la  couronne  de  France  ne  fut  pas  subordonnée  à  la 
couronne  impériale,  le  fut-elle  à  la  tiare?  Le  mot  juste  me 
paraît  avoir  été  dit  par  M.  Paul  Viollet*.  11  n'y  eut  pas  au 
moyen  âge  de  régime  théocratique ;  il  n'y  eut  que  des 
tentatives  théocratiques.  S'il  en  est  ainsi,  et  je  le  crois, 
nous  n'avons  qu'à  rechercher  dans  quelle  mesure  ces  ten- 
tatives ont  reçu  en  France  un  commencement  d'exécution. 
Il  est  d'autant  plus  superflu  de  nous  arrêter  aux  théories 
sur  lesquelles  la  papauté  a  prétendu  asseoir  sa  suprématie 

conFœderari  ve/iri  unum  redigi  sperarent.  »  Giesebrecht  [Geschichte 
der  deutschen  Kaiserzeit,  II,  5*  édit.,  4885,  p.  747). 

*  «  Imperator...  perrexil  ad  villam  Civois  (Ivois)  in  confînio  sitam 
regni  Franco rumac  Teulonicorum,  colloquium  ibi  habituruscum  rege 
Francorum.  A  quo  contumeliose  atque  hostiliter  objurgatus,  quod 
multa  sœpe  sibi  mentitus  fuisset  et  quod  partem  maximam  regni 
Francorum,  dolo  a  patribus  ejus  occupatam  (la  Lorraine),  reddere  tam 
diu  distulisset;  cum  imperator  paratum  se  diceret,  singulariter  cum 
eo  conserta  manu  objecta  refellere,  ille  proxima  nocte  fuga  lapsus 
(c'est  un  chroniqueur  allemand  qui  parle),  in  suos  se  fines  recepit  » 
(Lamberti  Hersfeldensis,  Annales  ad  an.,  1056  (Migne,  446,  4062). 
Joignez  la  note  survante. 

2  «  Mox  régi  Charolirigorum  ad  colloquendum  in  finibus  utriusque 
regni  occurrit...  proposuit  examen  monomachiœ  per  se  illum  et 
illum  pugnandae  »  (Annales  Altahenses  majores^  éd.  Oefele  (4891), 
ad.  an.  1056,  p.  52). 

3  Histoire  des  institutions,  II,  p.  268. 


296  UYRE   IV.    —   CHAPITRE   III. 

temporelle,  que,  fort  vagues  avant  Grégoire  VII*,  ce  pape 
lui-même  ne  sut  pas  leur  donner  une  forme  homogèDe'  et 

*  La  rivalité  des  deux  pouvoirs  ne  put  commencer  avant  le  milieu 
du  ixe  siècle  (supràj  p.  248)  et  les  prétentions  de  TÉglise,  à  ce  moment 
et  au  siècle  suivant,  n'allèrent  pas  au  delà  d'une  égalité  des  rangs  et 
d'une  soumission  réciproque,  suivant  qu'il  s'agtt  du  domaine  temporel 
ou  du  domaine  spirituel  (suprà,  p.  251).  C'est  la  théorie  du  concile 
de  Trosly  en  909,  et,  à  la  fin  de  ce  siècle,  la  doctrine  d'Abbon  que  je 
cite  plus  loin,  c'est  celle  que  les  faux  capitulai res  avaient  admise,  en 
invoquant  l'autorité  du  pape  Gelase  et  de  Fulgence  :  u  Principaliter 
itaque  totius  Sctœ  Dei  Ecclesiœ  corpus  in  duos  eximias  personas,  in 
sacerdotalem  videlicet  et  regalerriy  sicut  a  sanctis  patribus  traditum 
acccpimus,  divisum  esse  novimus.  De  qua  re  Gelasius...  ad  Anas- 
tasium  imperatorem  ita  scribit  (494)  :  «  Duse  sunt  quippe,  inquit, 
impératrices  augustœ  quibus  principaliter  mundus  hic  regitur,  aue- 
toritas  sacrata  pontificum  et  regalis  polestas  ;  in  quibus  tanto  gra- 
vius  pondus  est  sacerdotum,  quanto  etiam  pro  ipsis  regibus  hominum 
in  divino  reddituri  sunt  examine  rationenL  »  (Cf.  le  texte  du  Pseudo- 
Isidor,  éd.  Hinschius,  p.  639).  Fulgentius  quoque...  ita  scribit  : 
«  Quantum  pertinct,  inquit,  ad  hujus  temporis  vitam,  in  eceletia 
nemo  pontipce  prior,  ot  in  secuh  christiano  imperatore  nemo  eeUior 
invenitur  »  (Benoît  le  Lévite  I,  319,  Walter,  III,  p.  565-6). 

Au  xio  siècle,  il  faut  descendre  jusqu'à  Grégoire  VII  pour  trouver 
un  système  théocratique.  Il  est  vrai  que  Gratien  a  mis  sous  le  nom 
de  Nicolas  II  un  canon  aux  termes  duquel  Dieu,  en  confiant  à  saint 
Pierre  les  clefs  du  royaume  céleste,  lui  a  donné  toute  puissance  sur 
la  terre  et  sur  le  ciel  (Décret.  I,  DisU  xxii,  c.  1).  Mais  ce  n*estlà  qu*un 
extrait  du  discours  qu'a  prononcé  Pierre  Damien,  comme  l%at  à 
Milan  (iC59-1060),  dans  une  circonstance  où  le  pouvoir  temporel  n'é- 
tait nullement  en  cause.  Il  ne  s'agissait  que  de  la  subordination  de 
l'Église  de  Milan  à  l'Église  de  Rome  (non  debere  Ambrosiaoam  Ecde- 
siam  Romanis  legibus  subjacere,  Migne,  145,  90).  Aussi  n'est-ce  que 
sous  une  forme  toute  incidente  que  la  suprématie  des  clefs  est  affirmée  : 
«  Romanam  Ecclesiam  solus  ipse  (ou  ille)  fundavit...  qui  locato  yits 
œterna;  Clavigero  terreni  simul  et  cœlestis  imperii  jura  commisit  m 
(Migne,  145,  91  ;  Décret.,  loc,  cit,). 

2  Grégoire  VII,  dans  sa  célèbre  lettre  à  Hermann,  évéque  de  Mets 
(1080)  (Migne,  148,  597)  reprend  la  doctrine  du  pape  Gelase,  sans 
le  correctif  qu'on  y  apportait  au  ix*-  siècle.  Il  la  développe  de  môme  en 
écrivant  à  Guillaume  le  Conquérant  :  «  Si  crgo  justo  judici...  tesum 
repriL'sentaturus,  judicet  diligens  sapientia  tua...  an  tu  mihi  ad  salu- 
tem  tuam...  debeas  vel  possis  sine  mora  non  obedire  »  (Migne,  148, 


l'indépendance  de  la  couronne.  297 

qu'après  lui  encore  elles  demeurèrent  vacillantes  K  Lais- 
sons donc  les  idées  et  interrogeons  les  faits. 

Dans  la  période  de  dissolution  de  Tempire  carolingien, 
et  avant  la  restauration  du  second  empire  romain,  au  mi- 
lieu des  désordres  et  des  scandales  où  la  papauté  se  dé- 

569).  L'idée  se  précisait  ainsi  et  devenait  singulièrement  plus  saisis- 
sante pour  les  laïques,  puisque,  d'après  le  droit  séculier,  le  seigneur 
était  responsable  de  son  vassal  et  devait  le  représenter  en  justice. 

En  même  temps,  Grégoire  VII,  auquel  Pierre  Damien  avait  dédié 
le  récit  de  sa  légation  milanaise,  alors  qu'il  n'était  encore  que  l'archi- 
diacre Hildebrand  (Opuscule  V,  Migne,  145,  89  suiv.)  s'approprie 
sa  théorie  des  clefs.  Il  en  tire  un  argument  a  fortiori  de  plus  en  plus 
pressant  :  u  Gui  ergo  aperiendi  claudendique  cœli  data  potestas  est, 
de  terra  judicare  non  licet?  »  (Lettre  à  Hermann^  Migne,  i48,  595). 
Avec  beaucoup  de  netteté  et  de  force,  il  demande  au  concile  de  Rome 
(1080;  de  la  consacrer  en  excommuniant  Henri  IV  :  «  Ut  oronis  mun- 
dus  intelligat  et  cognoscat  quia,  si  polestis  in  cœlo  ligare  et  solvere, 
potestis  in  terra  imperia,  régna,  principatus,  ducatus,  marchiaSy 
comitatus  et  omnium  hominura  possessiones  pro  meritis  tollere  uni- 
cuique  et  concedere  »  (Migne,  148,  818). 

Grégoire  VII  ne  s*en  tient  pas  à  cette  double  argumentation.  Il 
oppose  les  deux  pouvoirs  dans  leur  source.  La  puissance  ecclésiasti- 
que est  d'origine  divine,  la  puissance  séculière  est  d'origine  diaboli- 
que :  «  Quis  nesciat  reges  et  duces  ab  iis  habuisse  principium  qui, 
Deum  ignorantes,  superbia,  rapinis,  perGdia,  homicidis,  postremo 
universis  pêne  sceleribus,  mundi  principe  diabolo  videlicct  agitante, 
super  pares,  scilicet  homines,  dominari  causa  cupiditate  et  intolerabili 
praesumptione  affectaverunt  »  (Migne,  148,  596).  Le  pouvoir  séculier 
est  donc  justiciable  de  l'exorciste  qui  chasse  le  démon,  à  plus  forte 
raison  l'est-il  du  supérieur  de  l'exorciste,  le  prêtre,  en  dernier  ressort 
du  chef  suprême  de  l'Église  (ibid.,  c.  598). 

*  Si  Geoffroy  de  Vendôme,  par  exemple,  a  eu  le  premier  (ce  qui 
n'est  pas  certain)  Tidée  de  comparer  les  deux  pouvoirs  à  des  glaives, 
en  rappelant  le  devoir  traditionnel  de  la  royauté  de  protéger  l'Église, 
on  ne  saurait,  avec  son  moderne  biographe  M.  Compain  (Paris,  1891, 
p.  241),  faire  remonterjusqu'à  lui  la  théorie  fameuse  des  deux  glaives. 
Il  distingue,  au  contraire,  avec  soin  le  droit  divin  du  droit  humain 
(opusc.  IV,  Migne,  157,  219-220).  Sa  théorie  au  fond  n*est  pas  très 
différente  de  celle  de  Benoît  le  Lévite,  au  ix»  siècle,  ou  de  Tévêque 
Gérard  de  Cambrai,  au  concile  de  Verdun-sur-Saône,  vers  1020 
(Gesta  episc.  Camer,,  III,  27,  Migne,  149,  158). 


298  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   lU. 

bat,  comment  se  prévaudrait-elle  d'une  suprématie  tem- 
porelle ?  Sitôt  que  cesse  le  protectorat  des  empereurs  caro- 
îingiens,  les  papes  tombent,  comme  capucins  de  cane,  les 
uns  sur  les  autres.  De  824  à  884,  en  soixante  ans,  il  y 
avait  eu  onze  papes;  on  en  compte  six  dans  les  neuf  années 
891  à  900.  L'un  reste  quinze  jours,  un  autre  vingt,  un  troi- 
sième quatre  mois.  Du  même  coup,  la  papauté  perdait  son 
autorité  politique  et  son  prestige  moral.  Les  capitulaires  et 
l'appui  direct  du  pouvoir  impérial  donnaient  jadis  force 
exécutoire  à  ses  décisions.  Ils  lui  manquent.  Le  prestige 
moral  sombre  dans  Tignominie  personnelle  des  papes,  crte- 
tures  de  Taristocratie  ou  de  la  plèbe  romaine.  La  maison  de 
Théophylacte  fait  de  la  papauté  son  bien  propre  pendant 
près  de  soixante  ans.  Le  scandale  atteint  son  apogée  avec 
Jean  XII  qui,  à  seize  ans,  est  en  même  temps  le  chef  du 
clergé  et  le  chef  de  l'aristocratie  romaine.  Rome  revoit  les 
débauches  et  les  orgies  du  Bas-Empire.  On  raconte  même 
qu'elle  vit,  dans  les  festins  du  Lalran,  un  pape  boire  à  la 
santé  du  diable^  C'est  pour  purifîer  cette  sentine  que  le 
nouvel  empire  se  créa,  mais  le  remède  qu'il  devait  appor- 
ter fut  d'une  rare  inefficacité.  L'avilissement  et  l'anarchie 
atteignirent  leurs  limites  extrêmes  sous  Benoît  IX,  qui, 
monté  à  douze  ans  dans  la  chaire  (apostolique,  la  souilla  de 
ses  déportements,  sous  l'œil  bienveillant  de  l'empereur*. 

^  «  Le  Latran  était  devenu  un  mauvais  lieu;  une  honnête  femme 
n'était  pas  en  sûreté  à  Rome.  Ces  débauches  étaient  payées  avec  le 
trésor  de  TÉglise,  que  la  simonie  alimentait...  On  parle  d'un  ëvdque 
consacré  à  l'âge  de  dix  ans,  d'un  diacre  ordonné  dans  une  écurie,  de 
dignitaires  aveuglés  ou  transformés  en  eunuques.  La  cruauté  complé- 
tait l'orgie.  Pour  que  rien  ne  manquât,  on  raconte  que,  dans  les  fes- 
tins du  Latran,  il  arrivait  au  pape  (Jean  XII)  de  boire  à  la  santé  du 
diable  i  (Mgr  Duchesnc,  Les  premiers  temps  de  l'État  pontifical,  Pa- 
ris, 1898,  p    178). 

'^  (c  Conrad  II,  qui  savait  jouer  de  cette  marionnette  pontificale,  le 
supporta,  le  combla  même  de  prévenances...  Henri  111,  successeur  de 
Conrad  en  1039,  attendit  sept  ans  avant  d'intervenir  et  de  faire  ces- 
ser l'énorme  scandale  »  (Mgr  Duchesne,  op.çit.,  p.  200).  Chassé  par 


l'indépendance  de  la  couronne.  299 

LoÎQ  donc  que  la  papauté  pût  exercer  une  suprématie 
temporelle  sur  la  royauté,  sa  suprématie  spirituelle  sur  la 
France  fut  près  de  lui  échapper.  Les  synodes  de  Sainl- 
Basles  (991)  et  de  Chelles  (994)  prennent  des  mesures  et 
tiennent  un  langage  qui  présagent  un  schisme.  Le  pre- 
mier, où  siègent,  sous  la  présidence  de  larchevêque  de 
Sens,  des  évêques  des  provinces  de  Reims,  Sens,  Bour- 
ges, Lyon,  destitue  Tarchevêque  de  Reims,  Arnoul,  sans 
raulorisation  du  pape.  Son  orateur,  Tévêque  Arnoul  d'Or- 
léans, affirme  le  droit  pour  Tépiscopat  chrétien  de  se  con- 
certer et  de  rejeter  les  décrets  du  Saint-Siège,  s'ils  sont  ren- 
dus par  des  papes  indignes  et  s'ils  lui  paraissent  injustes*. 
Gerbert,  la  plume  à  la  main^,  défend  la  même  doctrine  et 

les  Romains,  Benoît  IX  rentre  manu  militari  et  rétrocède  la  tiare 
manu  venali.  Alors  seulement  l'empereur  intervient  :  il  se  sent  lésé 
dans  ses  droit*?  par  un  marché  passé  en  dehors  de  lui. 

*  «  Num  talibus  monstris  (les  papes  indignes)  hominum  ignominia 
plenis,  scientia  divinarum  et  humanarum  rerum  vacuis,  innumeros 
sacerdotes  Dei  per  orbem  terrarum  scientia  et  vitœ  merito  conspicuos 
subjeci  decretum  est?...  Nimirum  si  charitate  destituitur  (le  pape)  so- 
laque  scientia  inflatur  et  extollitur,  Antichristus  est  in  temple  Dei 
sedens,  et  se  ostendens  tanquam  sit  Deus.  Si  aulem  ncc  charitate 
fundatur,  nec  scientia  erigitur,  in  templo  Dei  tanquam  statua,  tan- 
quam idolum  esty  a  quo  responsa  petere,  marmora  consulere  est... 
Inde  (in  Belgica  et  Germania)  magis  episcoporum  judicium  petendum 
fore  videretur,  quam  ab  ea  urbe,  quœ  nunc  emptoribus  venalis  expo- 
sita,  ad  nummorum  quantitatem  judicia  trutinal...  Cur  autem  loco 
prior,  scientia  inferior,  non  aequo  animo  ferat  judicium  loco  inferioris, 
scientia  prioris?  »  (Œuvres  de  Gerberty  éd.  Olleris,  p.  206  207).  — 
On  sait  que  les  actes  du  concile  de  Saint-Basles  ont  été  rédigés  par 
Gerbert  :  M.  Havet  regarde  comme  probable  que  c'est  sur  des  notes 
sténographiques  prises  par  lui  au  cours  des  séances  (Havet,  Introd. 
aux  lettres  de  Gerbert,  p,  xxv). 

2  «  Si  ipse  Romanus  episcopus...  ecclesiam  non  audierit..  est  ba- 
bendus  sicut  ethnicus  et  publicanus...  Non  est  ergo  danda  occasio 
nostris  emulis  ut  sacerdotium  quod  ubique  unum  est,  sicut  ecclesia 
catholica  unaest,  ita  uni  subici  videatur,  ut  eo  pecunia,  gratia,  metu, 
vel  ignorantia  corrupto,  nemo  sacerdos  esse  possit,  nisi  quem  sibi 
hoB  virtutes  commanda verint.  Sit   lex  communis  ecclesise  catbolic» 


300  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  III. 

Je  concile  de  Chelles,  présidé  par  le  roi  Robert,  lui  donoe 
une  solennelle  consécration'.  En  vain  la  papauté  essaie- 
l-elle  de  réagir.  Jean  XV  invite  les  rois  Hugues  et  Robert 
à  se  rendre  à  Rome;  ils  refusent*.  Le  même  pape  convo- 
que les  évêques  français  à  des  conciles  successifs, à  Aix-la- 
Chapelle,  à  Rome,  enOn  à  Mouzon,  dans  le  diocèse  de 
Reims,  où  Tévêque  de  Verdun  est  tout  prêt,  en  son  nom, 
à  les  haranguer  en  français;  ils  ne  s'y  rendent  pas*.  Ger- 
bert  seul  se  présente  à  ce  dernier  concile,  voulant  faire 
front  aux  adversaires  qui  lui  disputent  le  siège  de  Reims\ 
Ce  n'est  qu'en  997,  sur  la  sollicitation  de  son  conseiller 
Abbon  de  Fleury,  et  dans  le  but  d'obtenir  ragrément  de 
Rome  au  mariage  irrégulier  qu'il  venait  de  contracter 
avec  sa  commère  et  parente  Berthe,  que  Robert  consenti 
remettre  Arnoulde  Reims  en  liberté*.  Son  espoir  est  déçu. 
Un  concile  réuni  par  le  pape,  auquel  assistent  Otton  III 
et  Gerberl,  lui   enjoint,  sous  peine  d'anathème,    de  se 

euuangclium,  apostoli,  prophetœ,  canones  spiritu  Dei  coDditi,  et  tocius 
mundi  rcverentia  conservati,  décréta  sedis  apostolicœ  ab  kis  non 
discordantia  »  (Lettre  à  Tarchevéque  de  Sens,  Siguin,  vers  994- 
995,  éd.  Ilavet,  p.  180-182). 

*  «  Constilui  et  roborari  placuit,  ut  ab  ca  die,  idem  sentirent  (les 
ëvêques),  idem  vellent,  idem  cooperarentur...  Placuit  quoque  sanciri, 
si  quid  a  papa  Romano  contra  patrum  décréta  suggereretur,  casBum 
et  irritum  (ieri  »  (Riclier,  IV,  89,  t.  II,  p.  272-4). 

-  «  Homanam  ecclesiam...  a  vobis  detraiii  et  dehonestaii...  Aposto- 
licus  vos  Romam  iiivitavit  ;  nec  tamen  ad  eum  venire  voluistis  »  (Let- 
tre du  légat  Léon  aux  rois  Hugues  et  Robert,  Œuvres  de  Gerbert, 
éd   Olleris,  p.  243). 

^  (c  Aymo  episcopus  surrexit  et  gallice  concionatw  esty  domnum 
Johannem  papam  episcopos  Galliarum  causa  synodi  ad  Aquasgrani 
palatii  invitasse,  et  eos  illo  venire  noluisse.  Item  invitasse  ad  Urbem, 
et  eos  non  venissc.  Nunc  pro  sua  soliicitudine  in  Remensi  provincia 
concilium  statuissc  »  (Actes  du  concile  de  Mouzon,  Olleris,  p.  245). 

*  «  Qui  solus  de  Gallis  ad  concilium  venerit  »  (Discours  de  Ger- 
bertau  concile  de  Mouzon,  loc,  cit.,  p.  250). 

"  «  Léo  Romanus  abba  ut  absolvatur  (Arnulfus)  obtinuit,  ob 
confirmandum  senioris  mei  régis  liot.  novum  conjugium  »  (Lettres  de 
Gerbert  à  la  reine  Adélaïde,  997,  éd.  Havet,  p.  164). 


l'indépendance  de  la  couronne.  301 

séparer  de  sa  femme  (998)*.  Vaine  menace  :  il  refuse  de 
se  soumettre. 

La  question  du  pouvoir  indirect  sur  la  royauté  était  ainsi 
soulevée.  Frappé  d'anathème,  Robert  aurait  dû  être  déposé, 
son  royaume  frappé  d'interdit.  Il  en  fut  si  peu  ainsi,  malgré 
les  légendes  qui  plus  lard  ont  couru,  que  Gerbert  devenu 
pape  ne  cessa  d'être  en  relation  d'amitié  et  d'alliance  avec 
Robert*.  C'est  par  persuasion  beaucoup  plus  que  par  con- 
trainte qu'il  l'amena  à  répudier  la  reine  Berthe(vers  lOOi). 
A  ce  moment,  nous  le  savons,  on  était  en  plein  rêve  de 
monarchie  universelle. 

Quand  le  rêve  fallacieux  fut  évanoui  et  la  période  des 
papes  germaniques  inaugurée,  reconnaître  la  suprématie 
du  Saint-Siège  eût  été  pour  le  roi  de  France  reconnaître 
celle  du  souverain  allemand.  Aussi  son  indépendance 
s'affîrme-t-elle  avec  d'autant  plus  d'énergie  que  la  domi- 
nation de  Tempire  sur  la  papauté  devient  plus  rigoureuse. 
On  peut  mesurer  le  chemin  parcouru  de  Robert  à  Henri 
et  à  Philippe  I. 

Henri  I  n'hésita  pas  à  faire  un  grand  éclat.  Sous  un  pré- 
texte auquel  personne  ne  se  trompe',  il  refuse  d'assister  à 
la  dédicace  de  l'église  de  Saint-Remi,  que  vient  accomplir  en 
grande  pompe  à  Reims  (1049)  le  pape  Léon  IX;  il  retient 
les  évèques  français  de  s'y  rendre  et  de  siéger  au  concile 
que  le  pape  a  convoqué.  De  tout  l'épiscopat  qui  dépend 
directement  du  roi,  quatre  prélats  seulement,  l'archevêque 
de  Reims,  les  évêques  de  Senlis,  Térouanne  et  Langres, 
sont  présents,  sans  qu'on  sache  même  si  le  roi  le  leur 

^  JafTé,  n^  3896. 

'^  Cf.  Pfister,  p.  58-59. 

^  «  Rex  emoUilus,  et  ab  honesto  proposito  ad  seductionis  dévia 
flexus,  Papae  per  Silvanectensem  mandat  episcopum,  se  suosque  pon- 
tifices  cum  abbalibus  cogi  ad  comprimemdain  pervicaciam  sibi  resis- 
tentium,  ideoque  non  posse  occurrere  ei  in  praefixo  termino  ad  pera- 
gendum  concilium  »  (Anselme,  Hist  dedic.  eccL  S^  Remigii,  Mabil- 
Ion,  SB.  VF,  1,  716). 


302  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  III. 

avait  permis.  Par  là,  le  danger  qui  menaçait  Findépen- 
dance  de  la  couronne  se  trouva  écarté.  Que  Léon  IX  ait 
eu  le  propos  délibéré  de  subordonner  le  roi  de  France  à 
Tempereur,  rien  certes  ne  le  prouve,  et  j*admets  volon- 
tiers que  sa  préoccupation  essentielle  fut  la  restauration  de 
rÉglise.  En  est-il  moins  certain  qu'une  telle  subordination 
aurait  été  implicitement  réalisée,  si  un  pape  aussi  dépen- 
dant de  Tempire  que  Léon  IX  était  parvenu  à  ses  fins*? 
Assisté  des  trois  métropolitains  allemands  de  Trêves,  Be- 
sançon et  Lyon,  d'évêques  allemands  et  lorrains,  italiens, 
anglais  et  normands,  enGn  d^une  cohorle  de  moines,  la 
plupart  étrangers,  ne  prélend-il  pas  régenter  Tépiscopat 
royal,  gouverner  à  son  gré  l'église  de  France,  en  face  du 
tombeau  de  Saint-Remi,  dans  la  basilique  où  s^accomplis- 
sait  le  sacre  de  nos  rois?  Comparez  ce  concile  à  celui  qui 
se  tient  la  semaine  suivante  sur  le  territoire  allemand, 
à  Mayence,  et  vous  verrez,  par  contraste,  l'attitude  du 
pape  se  dessiner  dans  tout  son  jour.  Le  concile  de  Reims 
s'empresse  de  proclamer  la  primauté  du  Saint-Siège*;  il 
dépose  des  évoques  français  sans  nul  égard  aux  droits  de 
la  couronne,  —  tel  l'évêque  royal  de  Langres  —  ;  il  frappe 

•  C'est  l'opinion  de  Thistorien  allemand  Giesebrecht,  que  Hefele 
traite  bien  gratuitement  de  «  pure  rêverie  d'un  moderne  »  (ein  ganz 
moderner  Traum)  (Conciliengeschichtey  IV,  p.  7?4).  Rien  ne  me  pa- 
rait plus  exact  que  les  propositions  suivantes  :  «  Nach  der  Lage  der 
Dinge  ware  die  Untervverfung  Frankreichs  unter  die  Allgewalt  de» 
rômischen  Pontifex  zugleich  einer  Anerkennung  der  Kaiserlichen 
Obmacht  nahe  genug  gekommen  ».  —  «  Mit  Ansprûchen,  wie  sie 
jelzt  erhoben  wurden,  war  zu  keiner  Zeit  ein  Papst  im  Reiche  der 
Karolinger  erschienen  ».  —  «  Es  versprach  ein  ûberaus  folgenreiches 
Ereigniss  zu  werden,  wenn  Léo  jelzt  milten  unler  die  franzôsischen 
Bischôfe  treten  und  fur  aile  Forderungen,  die  Rom  seit  der  Fâlscbung 
der  Pseudoisidor  erhoben,  Anerkennung  beanspruchen  wûrde.  »  — 
«  Der  Kaiser,  der  Schutzlierr  des  Papstes...  stand  in  der  Bluthe  der 
Macht,  und  aile  seine  Wiinsche  waren  mit  Léo.»  (Giesebrecht,  Cresc/L 
der  deutschen  Kaiserzeit,  II,  5»  éd.,  1885,  p.  459). 

^  «  Declaratum  est  quod  solus  Romanae  sedis  pontifex  universalis 
Ecclesiae  Primas  esset  et  Apostolicus  »  (Anselme,  l,  c,  cap.  14,  p.  721). 


l/iNDÉPENDANCK  DE  LA   COURONNE.  303 

d*analhème  tous  les  prélats  qui  ont  accompagné  le  roi,  au 
lieu  de  se  rendre  au  coQcile,  nommément  l'archevêque  de 
Sens  et  les  évoques  de  Beauvaiset  d'Amiens*.  A  Mayence, 
le  concile  ne  comprend  que  des  évoques  allemands  (les 
étrangers  sont  retournés  chez  eux  ou  y  sont  restés)  ;  il  se 
borne  à  quelques  déclarations  platoniques  qu'il  dément 
aussitôt  en  se  pliant  avec  une  condescendance  et  une  do- 
cilité parfaite  aux  volontés  du  souverain  allemand'. 

Sous  Philippe  I,  le  conflit  devint  plus  aigu.  La  rupture 
éclatait  entre  Tempire  et  le  Saint-Siège.  Jamais  encore  la 
suprématie  pleine  et  entière  n'avait  été  poursuivie  par 
rÉglise  romaine  avec  plus  de  fougue  ni  plus  d'habileté.  La 
papauté  se  garde  pourtant  en  France  de  s'attaquer  de  front 
au  principe  du  pouvoir,  à  l'autonomie  de  la  royauté.  Elle 
s'efl'orce  de  l'affaiblir,  de  l'évincer,  en  s'immisçantdans  les 
affaires  du  royaume  par  ses  légats,  en  s'interposant  entre 
les  évêques,  en  se  subordonnant  môme  directement  les 
sujets  du  roi  par  un  tribut  qu'elle  veut  leur  imposer. 

C'est  dans  la  seconde  moitié  du  xi®  siècle  que  l'institu- 
tion des  légats  est  en  plein  épanouissement.  Alexandre  H 
en  a  posé  le  principe',  Grégoire  VII  en  tire  les  consé- 

*  «  Poena  damnati  sunt  excommunicalionis...  qui  ipsius  Papae 
formidantes  adventum,  hac  dere  profecti  erant  in  expeditionem  Régis. 
Nominatim  vero  Senonensis  archiep.,  Belvacensis  et  Ambianensis 
episc.  »  (ibid,,  cap.  16,  p.  724). 

2  Un  panégyriste  récent  de  Léon  IX,  qui,  au  sujet  du  concile  de 
Reims  déverse  à  pleines  mains  le  vitupère  sur  Henri  I  et  exalte  la  pu- 
reté des  intentions  du  pape,  n*a  pu  dissimuler  ce  contraste  :  «  La 
situation  du  pape  était  tout  autre,  dit-il,  à  Mayence  qu'elle  n'avait 
été  à  Reims.  Ici  appuyé  sur  la  fermeté  de  quelques  évêques,  sur  le 
bon  vouloir  de  cinquante  abbés...  il  avait  pu  sans  réserve  proclamer 
la  loi  et  frapper  les  coupables...  Maintenant  il  se  trouvait  en  présence 
de  prélats  dévoués  avant  tout  à  leur  prince,,.  La  présence  de  l'empe- 
reur... imposait  des  ménagements  et  des  détours  «  (Brucker,  L'A/sace 
et  UÉglise  au  temps  de  Léon  IX,  Strasbourg,  1889,  II,  p.  53). 

2  «  Huic  (legato)  vicem  nostram  pleno  jure  commisimus,  ut  quid- 
quid  in  iilis  parlibus,  Deo  auxiliante,  statuent,  ita  ratum  teneatur  et 
firmum  ac  si  speciali  nostri  examinis  fuerit  sententiapramulgatum,,. 


30i  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   III. 

quences.  Par  ses  légats,  la  papauté  est  présente  partout'. 
Elle  prétend  se  mouvoir  et  agir  en  France  avec  une  om- 
nipotence souveraine.  Mais  elle  se  heurte  à  la  résis- 
tance des  métropolitains  qui,  par  la  voix  de  Tarchevèque 
de  Reims,  font  entendre  le  même  langage  que  Gerbert  et 
les  pères  du  concile  de  Saint-Basle  avaient  tenu*.  Gré- 
goire VII  est  obligé  de  tempérer  le  zèle  de  ses  légats. 

Les  évêques  de  leur  côté  résistent  aux  moyens  employés 
par  la  papauté  pour  les  assujettir,  à  la  réforme  notamment 
qui  doit  livrer  la  prépondérance  au  clergé  clunicien*. 

Si  ces  résistances  eurent  souvent  des  mobiles  peu  avoua- 
bles et  fort  peu  vertueux,  il  faut  reconnaître  aussi  que  les 
accusations  de  simonie  portées  contre  les  prélats  et  contre 
la  personne  du  roi  dépassèrent  le  légitime  but.  Elles  ne 
visaient  pas  seulement  une  réforme  de  l'Église,  elles  ten- 
daient à  soumettre  au  Saint-Siège  Tépiscopat  et  la  royauté 
des  Gaules.  Le  pape  ne  se  contenta  pas  de  prendre,  par 
des  légats  aussi  impétueux  que  Hugues  de  Die,  «  des 
mesures  énergiques,  souvent  violentes,  parfois  révolution- 
naires* »,  de  suspendre,  de  déposer  ou  de  déférer  à  la  cour 

taiem  tantumque  virum  tamquam  nostram  personam  dign&  studeatîs 
devotione  suscipere  »  (Epist,  ad  archiep.  Gallidey  1063,  H.  F.,  XIV, 
534). 

*  Grégoire  VU  écrit  à  ses  légats  en  Gaule  :  «  Vos,  ila  ac  si  nostra, 
imo  quia  nostra  ibi  in  vobis  prœsentia  est^  cuncta  digne  peragite  » 
(1081,  Migne,  148,  603). 

2  Dans  VApologie,  rédigée  peut  être  par  une  plume  mercenaire, 
mais  adressée  sous  le  nom  de  Tarchevéque  Manassé  à  Hugues  de 
Die  :  «  Melius  est  ut  mitius  agendo,  et  justitiam  non  excedendo,  Ro- 
manae  eclesiac  commodum  et  honorem  per  Franciam  adquiratis, 
quam  exasperando  Franciam,  ejws  justitiam  ei  subjecHonem  Romanae 
ecclesiae  impediatis...  Non  manet  Pétri  privilegium,  ubicumque  ex 
ejus  aeqnitate  non  fertur  judicium  »  (Mabillon,  Musaeum  ital.^  1724, 
1  2,  p.  127). 

3  Nous  aurons  à  étudier  celte  lutte  dans  la  Partie  consacrée  au 
gouvernement  ecclésiastique. 

*  Ce  sont  les  expressions  de  M.  Imbart  de  la  Tour  (Les  électioiu 
épUiCopalcs,  p.  387). 


l'indépendance  de  la  couronne.  305 

de  Rome,  en  l'espace  de  quatre  années  (1076  à  1080),  tous 
les  prélats  partisans  de  la  royauté  :  —  les  métropolitains  de 
Reims,  de  Sens,  de  Tours,  de  Bourges,  les  évêques  d'Or- 
léans, d'Auxerre,  du  Puy,  ceux  de  la  province  de  Reiras, 
—  il  voulut  subordonner  Téglise  de  France  à  des  primaties 
étrangères  qui  fussent  à  ses  ordres. 

Déjà  au  x"  siècle,  des  papes  dévoués  à  Tempire  avaient 
prétendu  octroyer  à  des  archevêchés  allemands  laprimatîe 
à  la  fois  sur  l'Allemagne  et  sur  la  Gaule  :  le  pape  Jean  XIII, 
en  969,  à  l'archevêché  de  Trêves*,  le  pape  Benoît  Vil, 
en  975,  à  Tarchevêché  de  Mayence*.  Le  siège  de  Reims  se 
trouvait  le  plus  directement  en  cause  :  il  était  menacé  dans 
sa  primatie  sur  les  Églises  de  Gaule,  et  dans  son  indépen- 
dance au  regard  de  l'empire  germano-romain.  Longue 
et  vieille  querelle  qui  fut  soulevée  en  1049  au  concile  de 
Reims,  mais  que  le  pape  Léon  IX  se  garda  bien  de  vider'. 
Grégoire  VII  ne  s'en  tint  pas  là.  En  1079,  après  Canossa, 
et  quand  son  partisan  impérial  Rodolphe  de  Souabe  l'em- 
portait, il  chercha  par  la  même  voie  à  dominer  étroitement 
d'autres  provinces  françaises,  à  déposséder  surtout  la  plus 
importante  du  royaume  de  France,  —  la  province  de 
Sens  —  de  la  primatie  qu'elle  faisait  remonter  à  Anse- 
gise  (876)*.  Sous  le  prétexte  que  la  métropole  de  Lyon, 
étant  à  la  tête  de  la  première  Lyonnaise,  devait  l'em- 
porter sur  les  sièges  des  trois  autres  Lyonnaises*)  Sens, 

«  Jalîé,  Regest.  pont.,  n»  3736. 

-2  Jaffé,  n°  3784. 

'"  «  Ubi  statim  vêtus  quereia  inter  Remensis  et  Treverensis  archie- 
piscopi  clericos  est  renovata  :  bis  adstruentibus  quia  Remensis  Pri- 
mas esset  in  Gallia...  è  contra  vero  illi  arcbiep.  Treverensi  eamdem 
dignitatem  conabantur  adscribere...  Domnus  autem  Papa  non  arbi- 
tratus  oportunum  tempus  quo  bis  rationibus  imponi  valeret  congruus 
finis  )f  (Anselme,  loc.  cit.,  cap.  14,  p.  720). 

*  Privilège  de  Jean  VIII,  du  2  janvier  876  (Jaffé,  n»  3032). 

*  Lettre  à  Gebuin,  arch.  de  Lyon,  et  lettre  collfective  aux  archevê- 
ques de  Rouen,  Tours  et  Sens  (1079),  (Migne,  148,  538-540).  — Je 
montrerai,  en  traitant  de  l'Église  de  France,  le  rôle  que  les  divisions 

V.  —  Tome  III.  20 


306  LIVRE  IV.    —   CHAPITRE   III. 

Tours  et  Rouen)  il  lui  accorda  la  primalie  sur  eux.  Op  Lyoi> 
faisait  partie  alors  de  Tempire  germanique.  Aussi  Tarche- 
vêque  de  Sens  et  Tépiscopat  français  ne  cessèrent-ils,  avec 
une  vivacité  extrême,  de  s'élever  contre  cet  acte.  II  provo- 
quera au  xii*  siècle  la  protestation  indignée  de  Louis  VI*. 
Le  but  d'assujettir  la  royauté  n'apparaît  pas  moins  claire- 
ment dans  la  virulence  des  accusations  portées  contre  le  gou- 
vernement et  contre  la  conduite  personnelle  de  Philippe  I. 
—  Grégoire  VII  le  rend  responsable  de  Tétat  général  des 
mœurs,  de  la  dissolution  sociale';  il  s'adresse  à  l'épiscopat 
français  tout  entier  pour  qu'il  mette  son  royaume  en  inter- 
dit'; il  s'adresse  à  l'un  des  princes  les  plus  puissants  delà 
Gaule,  Guillaume  VIII  d'Aquitaine,  pour  que  de  concert 
«  avec  les  plus  nobles  de  la  Francie  »  il  amène  le  roi  à  ré- 
parer le  mal  qu'il  a  fait,  faute  de  quoi  l'excommunication 
frappera  tous  ceux  qui  continueront  à  le  reconnaître  pour 
leur  souverain*.  Il  s'agit  donc  bien  de  dépouiller  Philippe  I 
de  sa  couronne.  Le  pape  le  dit  en  propres  termes*.  Et  pour 
appuyer  ces  accusations  vagues  et  générales,  quel  grief 
précis  est  allégué?  Le  rançon nement  par  ordre  du  roi  de 
marchands  italiens,  A'oratores   (envoyés)   S*   Peiri^j  le 

administratives  de  Tépoque  romaine  ont  joué  dans  la  naissance  des- 
primaties. 

1  Lucbaire,  Annales  de  Louia  VI,  n°  301. 

2  Lettre  à  Philippe  (1074),  (Migne,  148,  348).  —  Lettre  aux  évoques 
français  (1074)  Ibid.^  c.  3G3  suiv.  :  «  quod  tam  nobile  regnum  et  tairf 
infînitus  populorum  numorus  unins  perditisslmi  hominis  culpa  de- 
pereat  ». 

3  «  Si  vos  audire  noluerit...  per  universam  Franciam  omne  divinum 
officium  publiée  cek-brari  interdicite  »  (Migne,  148,  30ii). 

*  «  A  corpore  et  conmiuniune  sanctao  Ecclesiae  ipsumet  qiticunquc 
sibi  reyaïem  honorem  vel  obedientiam  exhibuerit,  sine  dubio  seques- 
trabimus  d  (Migne,  c.  377). 

5  «  Nulli  clam  aut  dubium  esse  volumus  quin  modis  omnibus  re* 
gnum  Franciae  de  f^jus  occupatione,  adjuvante  Deo,  tentemus  eripere  » 
(i6irf.,  c.  3G5). 

6  «  Unde  oratorcs  Soti  IVtri  impcdiuntur,  capiuntur  atque  multis 
modis  afficiuntur  »  (c.  377). 


l'indépendance  de  la  couronne.  307 

pape  affirmant  du  reste  qu'il  n'obéit  pas  à  un  mobile  in- 
téressé. 

Certes  le  réquisitoire  est  dur,  mais  n'est-il  pas  manifes- 
tement outré?  Comment  faire  du  roi  le  bouc  émissaire  de 
toutes  les  violences  et  de  toute  la  corruption  de  son  épo- 
que? Lui  demander,  sous  peine  de  destitution,  un  compte 
immédiat  de  tous  les  vices,  la  simonie  comprise,  dont  les 
clercs  et  les  laïques  sont  infectés?  Était-ce  plus  juste 
que  d'en  charger  le  père  spirituel  des  peuples,  le  chef 
direct  du  clergé?  Quant  au  détroussement  des  marchands 
italiens,  la  disproportion  entre  Tacte  incriminé  et  le  châti- 
ment réclamé  est  trop  patente.  Quel  souverain,  quel  prince 
se  privait,  à  cette  époque,  du  droit  de  rançonner  les  mar- 
chands étrangers,  d'exercer  sur  eux  une  sorte  de  droit  de 
marque  permanent? 

Ce  qui  achève  de  jeter  un  jour  décisif  et  cru  sur  la  portée 
de  ces  accusations,  c'est  la  lettre  que  Grégoire  VII  écrit  au- 
roi  en  1080.  II  traite  tous  ses  actes  antérieurs  de  pec- 
cadilles de  jeunesse;  il  les  lui  pardonne,  il  veut  vivre 
désormais  en  excellente  harmonie  avec  lui*.  Que  s'est-il 
donc  passé?  Les  légats  ont  fait  leur  œuvre.  De  ce  jour, 
Grégoire  VII  croit  pouvoir  parler  en  maître,  qui  veut  se 
réconcilier  avec  son  inférieur.  Il  parle  sur  ce  ton.  11  de- 
mande à  Philippe  de  consentir  à  la  déposition  de  l'arche- 
vêque Manassès,  en  échange  des  bonnes  grâces  de  Saint- 
Pierre,  «  qui  a  en  sa  puissance  son  royaume  et  son  âme  »  ^. 

Philippe  I  ayant,  sans  reconnaître  la  suprématie  que  le 


*  «  Nos  adolescentiae  tuae  praeterita  delicta,  spe  correctionis  tuae 
portantes...  Age  igitur,  et  jam  aetate  vir  factus,  in  hac  re  procura  ut 
non  frustra  tuae  jucentutis  culpis  pepercisse.  »  «  Saepe  per  nuntios 
tuae  celsitudinis  audivimus  legratiam  B.  Pétri  nostramque  amicitiam 
cupere;  quod  et  tune  nos  libenter  accepisse,  etadhuc,  si  eum  animum 
geris,  nov er'is  admodum  nobls  placer e  »  (1080),  (Migne,  148,  593). 

*^  «  Maxime  enilere  ut  B.  Pelrum,  in  cujus  potestate  est  tuum  re- 
gnum  et  anima  tua,  qui  te  potest  in  cœlo  et  in  terra  ligare  et  absol- 
vere,  tibi  facias  debitorem  »  (ibid,). 


308  LIVRE    IV.    —   CHAPITRE   III. 

pape  revendiquait  ainsi,  déféré  à  son  désir  de  réconcilia- 
tion, et  sacriGé  l'archevêque  de  Reims,  Grégoire  VII,  dès 
Tannée  suivante,  veut  faire  un  pas  de  plus.  Il  invoque  une 
décision  (sans  nul  doute  un  faux  capitulaire)  de  Charie- 
magne,  pour  réclamer  de  chaque  maison  du  royaume  de 
France  le  cens  d'un  denier  par  an*.  Tous  les  sujets  du  roi 
seraient  devenus  ses  tributaires,  et  il  n'eût  pas  manqué, 
ainsi  qu'il  Ta  tenté  auprès  de  Guillaume  le  Conquérant', 
de  réclamer  l'hommage  au  roi  lui-même. 

Il  n'existe  aucun  indice  que  jamais  le  tribut  ait  été  payé, 
et,  loin  d'être  disposé  à  faire  hommage  au  pape,  Philippe l** 
ne  tarda  pas  à  rompre  en  visière  au  successeur  de  Gré- 
goire VII,  à  Urbain  II.  Ce  fut,  comme  l'avait  fait  jadis 
son  ancêtre  Robert,  en  contractant  un  mariage  irrégulier 
aux  yeux  de  l'Église  romaine%  et  en  le  faisant  bénir  par 
des  prélats  français  (1092)*.  La  lutte,  cette  fois,  se  pro- 

*  Lettre  aux  légats  en  France  (1081)  ;  «  Dicendum  est  omnibu» 
GalUsy  et  per  veram  obedientiam  praecipiendum^  ut  unaquaeqûe 
domiis  saltem  unum  denarium  annuatim  solvat  Bo  Petro,  si  eaia 
recognoscunt  patrem  et  pastorem  suum  more  antique.  Nam  Carolus 
imperator  [siciU  legitur  in  tomo  ejua,  qui  in  archiva  eccUsiae  B*  Pétri 
hahetur)  in  tribus  locis  annuatim  colligebat  mille  et  ducentas  libras 
ad  servitium  apostolicae  sedis,  id  est  Aquisgrani,  apud  Podium 
S'^'  Mariae,  et  apud  Sctum  Aegidium;  excepte  hoc  quod  unusquisque 
propria  dcvotione  oiTerebat  »  (Migne,  148,  603-604). 

2  Lettre  de  Guillaume  à  Grégoire  VII  :  «  Hubertus  legatus  tuus*- 
me  admonuit  quateiius  tibi  et  successoribus  \.\x\^  fidelitatcm  facerem, 
et  de  pecunia  quam  antecessores  mei  ad  Romanam  ecclesiam  mittere 
solebant,  melius  cogitarem  :  unum  admisi,  alterum  non  admisi.  Pide^ 
iitatem  facere  nolui,  ncc  vola,  quia  nec  ego  promisi,  née  anteces» 
sorcs  meos  antecessoribus  tuis  id  fecisse  comperio i  (Migne»  148,748). 

^  Je  montrerai,  en  traitant  de  la  famille  royale  (infrà,  chap.  y,  §  1) 
que  l'irrégularité  qui  viciait  le  mariage  de  Philippe  I  avec  Bertrade 
de  Montfurt  était  infiniment  moins  scandaleuse  qu'elle  a  été  représen- 
tée par  les  auteurs  ecclésiastiques,  par  Hugues  de  Flavigny  Buriout» 
Joiitla  partialité  comme  secrétaire  de  Hugues  de  Die  est  éclatante, 
et  que  sa  validité  a  été  finalement  admise  par  l'Église. 

^  Les  contemporains  citent  des  évéques  différents  comme  ayant 
béni  le  mariage.  Urbain  II  le  reproche  à  Ursion  de  Senlis,  Hugues  de 


l'indépendance  de  la  couronne.  309 

longea  douze  ans  et  fut,  par  moment,  d'une  âpreté  extrême  * . 

Flavigny  à  Gautier  de  Meaux  et  à  Philippe  de  Troyes,  Orderic  Vital 
à  Tévêque  de  Bayeux,  Guillaume  de  Malmesbury  à  Tarchevôque  de 
Rouen.  Si  la  personne  de  Tofficiant  reste  ainsi  incertaine,  le  fait  de 
la  bénédiction  par  un  évéque  de  la  Fraocie  ou  de  la  Gaule  est  hors 
de  doute. 

*  Non  seulement  les  torts  personnels  du  souverain  ont  été  exagérés 
p;ir  les  historiens,  mais  aussi  la  puissance  du  Saint-Siège  de  mettre, 
pour  l'en  punir,  l'interdit  sur  sa  couronne.  Il  faut  descendre  jusqu'au 
milieu  du  xvii*  siècle  pour  trouver  en  David  Blondel  {De  formulas 
régnante  Chriato  usu,  justas  pro  regibus  maximis  Philippo  I  et  II 
summaque  regum  omnium  potestate  vindicias  complexa  diatribe) 
(Amsterdam,  1646)  et  en  Jean  Besly  (Traités  à  la  suite  de  ÏHistoire 
des  comtes  de  Poictou,  Paris,  1647,  p.  91  et  suiv.)  des  défenseurs  à  la 
fois  de  la  conduite  du  roi  et  de  l'indépendance  de  la  Couronne.  Blon- 
del remarque  que  l'acte  reproché  au  souverain  était  fréquent  de  son 
temps,  et  il  en  cite  de  nombreux  exemples  (p.  14-15).  Il  prouve  en 
outre  que,  malgré  l'excommunication,  Philippe  n'a  cessé  d'exercer  la 
plénitude  du  pouvoir  royal,  de  vaquer  à  toutes  les  fonctions  de  la 
royauté  (p.  259  et  suiv.).  Lui  et  Besly  réfutent  sans  réplique  l'asser- 
tion d'un  chroniqueur  de  la  fin  du  xvo  siècle,  répétée  par  de  nom- 
breux érudits  du  xvi%  que  l'excommunication  de  Philippe  I  a  donné 
naissance  à  la  formule  régnante  Christo,  pour  tenir  lieu  de  la  date  des 
années  de  son  règne,  qui  aurait  été  suspendu.  Nombreuses  sont  les 
chartes  qui  bien  des  siècles  avant  cet  événement  et  longtemps  après 
portent  cette  formule,  soit  séparément,  soit  conjointement  avec  la 
date  courante,  nombreuses  les  chartes  datées  de  l'année  du  règne  de 
Philippe,  pendant  la  durée  de  son  excommunication  (Listes,  dans 
Blondel,  p.  371-391,  dans  Besly,  p.  139-168). 

Serait-ce  à  dire  que  la  papauté  n'ait  pas  eu  la  prétention  d'être 
l'arbitre  de  la  Couronne,  de  déposséder  le  roi  de  son  autorité  ?  Je  com- 
prends que  nos  écrivains  du  xvii*  et  du  xviii«  siècle  se  soient  re- 
fusé à  le  croire,  n'osant  mettre  en  question  une  maxime  fondamentale 
des  libertés  gallicanes,  mais  le  témoignage  de  Guillaume  de  Malmes- 
bury est  trop  formel  pour  être  récusé  (excommunicavit  dominus  Papa 
Philippum  regem  Francorum,  et  omnes  qui  eum  vel  regem  vel  do- 
minum  suum  vocaverint,  et  ei  obedierint.,.  »  H.  F.  Xlil,  6  E)  et 
dom  Brial  (H.  F.  XVÏ,  p.  LXX)  comme  Blondel  (p.  278  suiv.)  n'ont 
pu  lui  opposer  qu'Ives  de  Chartres,  lequel,  nous  l'avons  vu,  n'a  fait 
aucunement  cause  commune  avec  le  Saint-Siège.  Ce  qui  est  vrai  c'est 
que  la  prétention  pontificale  achoppa  à  la  résistance  de  l'épiscopat 
<  t  du  peuple  de  France. 


310  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   III. 

Urbain  II,  avec  plus  d'intransigeance  encore  que  Gré- 
goire VII,  voulut  tirer  et  de  la  conduite  du  roi  et  des  prati- 
ques simoniaques  des  conséquences  qui  eo  dépassaient  la 
légitime  portée,  en  faire  sortir  le  droit  de  disposer  de  la 
couronne  et  d'enlever  au  roi  toute  autorité  directe  sur  le 
clergé  séculier.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffît  de  mettre  en 
regard  des  actes  et  des  décisions  du  pape  Tatlitude  et  les 
paroles  du  grand  canoniste  français  Ives  de  Chartres.  Lui 
aussi  réprouvait  la  conduite  du  roi,  il  la  censurait  au 
point  de  s'attirer  sa  vengeance,  il  était  un  partisan  résolu 
de  la  réforme,  pleine  et  entière,  de  l'Église,  mais  il  estimait 
que  censure  et  réforme  pouvaient  et  devaient  se  concilier 
avec  le  respect  des  droits  de  la  couronne,  aboutir  à  la  con- 
corde des  deux  pouvoirs  ^  et  non  pas  à  la  subordination  du 
roi  au  pape.  Marquons  les  traits  essentiels  de  ce  contraste. 

Urbain  II  confirme  (1095)'  la  primatie  de  Lyon  que 
Grégoire  VI [  avait  établie,  et  il  veut  lui  faire  produire 
tous  ses  fruits.  Elle  ne  doit  pas  consister  seulement  dans 
une  préséance  honorifique,  elle  doit  donner  une  autorité 
efPeclive  sur  les  métropolitains  de  Sens,  de  Tours,  et  de 
Rouen.  Le  pape  défend  de  consacrer  le  nouvel  arche- 
vêque (le  Sens,  Daimberl,  s'il  ne  la  reconnaît  pas  au  préa- 
lable. —  Ives  de  Chartres  proleste  contre  cette  mesure 

*  11  l'orit  au  légal  Hup^ues  de  Die  (1096-1097)  :  «  Videmus...  divi- 
siim  regnum  cl  sacerdotium,  sine  quorum  concordia  res  humanae 
nec  incolumes  esse  possunt  nec  lulae  »  (Migne,  162,  74).  A  Phi- 
lippe I^'  il  avait  écrit  :  u  Quie  Dei  sunt,  Deo  reddant,  et  quœ  Cœsaris 
sunt,  Caesari  reddere  non  omillant  »  (Migne,  162,68).  Ives  de  Chartres 
demeure  fidMe  à  la  doctrine  qu'Abbon  de  Fleury  professait  un  siècle 
auparavant  dans  son  Apolof/eticus  adressé  aux  rois  Hugues  Capet  et 
Robert  :  «  Nain  illius  (pontificis)  sublimitas  lege  Domini  spiritaliter 
populis  pronuntiat,  quam  istins  (régis)  majestas,  si  necesse  sit.  armo- 
rum  defensione  commendat;  quapropter  cavendum  est  ne  ab  invïceai 
résiliant  quorum  ad  invicem  miniateria  concordant.  Sed  concordia 
eorum  in  dirersis  officiai  tanto  sibi  consulit,  quanto  unanimiter  con- 
sulendo  d»»  communi  atilitate  sentit.  »  (Migne,  139,  467). 

■^  Mi«rnf,  loi,  438. 


l'indépendance  de  la  couronne.  311 

■avec  une  ardente  énergie ^  La  préséance  il  la  recon- 
naît, mais  il  ne  reconnaît  pas  au  pape  le  droit  de  mettre 
à  la  consécration  d'un  archevêque  une  condition  que  les 
■canons  nV.Jictent  pas  et  d'attacher  à  la  primatie  une 
subordination  qu'ils  n'ont  pas  instituée.  Que  le  pape 
persiste,  il  le  menace  d'un  schisme.  Aucune  question  de 
dogme  et  de  foi  n'est  engagée;  il  ne  s'agit  que  de  détails 
secondaires  du  gouvernement  de  l'Église.  Vous  voulez, 
dites-vous,  réformer  l'Église;  attaquez-vous  alors  aux 
mauvaises  mœurs,  aux  vices  qui  éclatent  de  toutes  parts. 
Agissez  d'accord  avec  le  pouvoir  séculier,  au  lieu  de  le 
combattre  à  outrance  sur  des  questions  de  pure  forme, 
comme  l'investiture  par  la  crosse  ou  l'anneau ^  Ives  de 
Chartres  est  tout  près  de  dire  que  ce  sont  là  armes  et  pré- 
textes pour  atteindre  de  toutes  autres  fins  qu'une  réforme 
profonde  et  immédiate  de  ^Église^ 

Sur  la  peine  que  mérite  la  conduite  personnelle  de  Phi- 
lippe I",  le  prélat  chartrain  ne  se  sépare  pas  moins  nette- 
ment de  la  papauté.  Il  ne  parle  pas  d'une  privation,  mais 
seulement  d'une  diminution,  d'un  affaiblissement  du  pou- 
voir séculier  par  les  peines  canoniques*,  et  il  ne  se  croit 
aucunement  dégagé  par  elles  du  lien  de  fidélité  envers 
le  roi\  Urbain  II,  au  contraire,  entend,  comme  Gré- 
goire VU,  être  l'arbitre  de  la  couronne,  délier  dès  lors 
tous  les  sujets  du  lien  de  fidélité.  Une  fois  entré  dans 
cette  voie,  il  va  jusqu'au  bout.  Ce  n'est  pas  au  seul  roi 

*  Lettre  de  Hugues  de  Die  (1096-1097},  (Epist.  60)  Migne,  162, 
70  suiv.). 

2  «  Sed  hoc  vellein  cum  multis  mecum  pie  sentientibus,  ut  Ro- 
manœ  ecclesiaD  ministri...  majoribus  morbis  sanandis  intenderent... 
cum  per  totum  pêne  mundum  flagitia  et  facinora  videamus  publiée 
perpetrari,  nec  ea  a  vobis  aliqua  justitiœ  falce  resecari»  {ibid.j  c.74). 

3  et'  Esmein,  La  question  des  investitures  dans  les  lettres  d'Yves 
de  Chartres  [Bihl.  de  l'École  des  Hautes-Études,  t.  I,  p.  160,  note  2). 

*  Lettre  à  Philippe  :  oc  Caveat  sublimitas  vestra  ne...  cum  diminu- 
tione  terreni,  regnum  amittatis  aeternum  »  (Epist.  15,  Migne,  162,  28^. 

*  «  Ista...  pro  summa  fidelitate  dicere  me  arbitror  »  (ibid.,  c.  27  • 


3t2  LIVRE  IV.   —   CHAPITRE  III. 

excommunié  que  Tévêque  et  le  prêtre  doivent  refuser 
la  fidélité;  ils  le  doivent  à  tout  roi,  à  tout  prince,  à  tout 
laïque.  Il  faut  que  l'Église  soit  pleinement  affranchie  de  la 
puissance  séculière  :  «  Ecclesia  sii  libéra  ab  omni  s^ecu- 
lari  potestate  ».  Tels  furent,  en  effet,  les  principes  qu'il 
fit  proclamer,  les  décisions  qu'il  fit  promulguer  par  le 
concile  de  Clermont  (1095)  ^  Les  historiens  n'ont  pas  pris 
assez  garde  qu'il  ne  s*agit  pas  seulement  de  l'hommage 
lige  féodal  attaché  à  une  concession  (ïhonor  ecclésiastique. 
D'une  part  est  prohibée,  il  est  vrai,  l'interdiction  de  l'in- 
vestiture des  bénéfices  ecclésiastiques  par  la  main  d*uD 
laïque  (roi  ou  prince),  et  par  là  Thommage  qui  en  est  la 
condition';  mais  d  autre  part,  il  est  défendu  à  tout  évêque^ 
et  à  tout  prêtre  [sacerdos)  —  qu'il  reçoive  ou  non  un  bé- 
néfice ecclésiastique,  —  de  prêter  le  serment  de  fidélité-lige 
{ligiam  fidelitaiem),  c'est-à-dire  l'ancien  leudesamio  dû  au 
prince*. 

Pour  mettre  ce  point  délicat  en  parfaite  clarté,  rappe- 
lons les  phases  qui  se  sont  succédées  dans  les  relations 
entre  la  royauté  et  Tépiscopat. 

Au  ix%  au  x"  siècle,  et  dans  la  première  moitié  du  xi*, 
les  évoques  ont  prêté  le  serment  de  fidélité  au  roi,  à  la  fois 
comme  ses  sujets  et  comme  ses  fonctionnaires  dans  l'ordre 
ecclésiastique*,  mais  il  ne  semble  pas  qu'en  règle  ils  lui 
aient  prêlé  l'hommage  exprès ^ 

*  Concile  de  Glermuiil  (1095);  Orderic  Vital,  IIÏ,  p.  464. 

^  «  Ut  nuUus  ecclesiasticorum  aliquem  honorcm  a  manu  laicomm 
accipiat  »  (Can.  15,  Migne,  162,  718). 

3  «  Ne  episcopus  vel  sacerdos  régi  vol  alicui  laico  in  manibus  ligiam 
fidelilatem  facial  »  (can.  17,  ibUL). 

*  Au  concile  de  Saint- I^asles  fut  lue  la  promesse  de  fidélité  qu'avait 
faite  aux  rois  lîugues  et  Kob«*rt  l'archevêque  de  Reims  Arnulf  :  «  Ego 
Arnulfus...  promitto  regibus  Francorum  Hugoni  et  R°  me  fîdem 
purissimam  scrvaturum,  consilium  et  auxilium,  secundum  meum  scire 
et  posse,  in  omnibus  negotiis  praîbiturum,  etc.  >»  .Olleris,  Œuvres  de 
Gcrbcrt^p,  180). 

'  Cf.  suprà,  p.  259. 


l'indépendance  de  la  couronne.  313 

Dans  le  courant  du  xi*  siècle,  et  à  Texemple  du  prin- 
cipal ou  de  la  seigneurie,  les  rois  voulurent  les  astreindre 
à  cet  hommage,  les  assimiler  ainsi  à  des  vassaux,  leur 
honor  à  un  fief.  Les  papes,  au  contraire,  pour  écarter  une 
lelle  assimilation,  non  seulement  s'opposèrent  à  la  pres- 
tation d'hommage,  qui  constituait  une  innovation,  mais 
interdirent  Tinvestiture  et  la  fidélité,  qui  avaient  été  d'an- 
tique usage.  Celles-ci,  en  effet,  à  raison  de  la  connexité 
étroite  que  Télaboration  de  la  féodalité  établissait  entre  la 
foi  et  Thommage  d'une  part,  d'autre  part  entre  l'hommage 
et  Tinvestilure  des  fiefs,  parurent  désormais  aussi  dan- 
gereuses que  Thommage  lui-même,  au  point  de  vue  de 
l'assimilation  dont  je  parle.  De  là  la  double  décision  du 
concile  de  Clermont,  la  prohibition  et  de  l'investiture  avec 
hommage  et  de  la  simple  fidélité. 

Sur  ce  dernier  point  la  papauté  ne  put  visiblement 
maintenir  sa  position.  Nous  ne  voyons  pas  reparaître  l'in- 
terdiction de  la  fidélité  simple  dans  les  canons  subsé- 
quents *;  seule  la  foi  féodale  proprement  dite  (foi  et  hom- 
mage) y  est  prohibée.  Le  pape  dut  môme  céder  davantage. 
11  toléra  l'hommage  à  condition  que  le  prince  s'abstien- 
drait de  Tinvesliture.  Base  transactionnelle  sur  laquelle  se 
termina,  en  ce  qui  concerne  notre  pays,  la  querelle  des 
investitures^ 

Si  nous  revenons  à  Philippe  I"  et  à  son  excommunica- 
tion, nous  voyons  qu'elle  a  été  impuissante  à  le  priver  ou 
à  le  suspendre  du  gouvernement  du  royaume.  Les  prélats 
français  ne  cessèrent  de  lui  poser  chaque  année  sur  le 
front  la  couronne  que  le  pape  voulait  tenir  sous  séques- 


*  V hommage  seul, non  la  fidélité, est  prohibé  parle  synode  de  Rouen 
(février  1096)  (Orderic  Vital,  III,  p.  473),  le  concile  de  Nimes  (6  juillet 
1096)  (Jaffé,  n°  5650),  le  concile  de  Rome  (avril  1099)  (Eadmer,  Hist. 
novonim,  II,  55,  Migne,  159,  c.  420). 

^  Voy.  Esmein,  loc.  cit,y  p.  175  et  les  notes  de  Juret  sur  Ives  de 
ChaHre?,  Migne,  162,  c.  385. 


314  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   III. 

l^e^  Huit  mois  après  que  Texcommunlcationaété  fulminée 
par  Hugues  de  Die  au  concile  d'Autun  (8  octobre  4094), 
ils  se  réunissent,  à  l'appel  de  Philippe,  au  Monl-Saiole- 
Marie,  dans  le  diocèse  de  Soissons,  les  archevêques  de 
Reims,  de  Sens  et  de  Tours  à  leur  tête  (juin  1095).  Et 
quand,  au  concile  de  Clermont,  Urbain  l\  a  renouvelé  Ta- 
nathème,  non  seulement  les  évêques  français  ne  cessent  pas 
de  communiquer  avec  le  roi,  mais  il  s'en  trouve  parmi  eux 
qui  se  déclarent  prêts  à  l'absoudre  et  attirent  sur  leur 
propre  tête  les  foudres  pontificales 2.  De  son  côté  le  peuple 
regimba  vigoureusement  \  Une  ambassade  fut  chargée 
d'apprendre  au  pape  que  le  royaume  se  détacherait  de  lui 
s'il  voulait  dépouiller  le  roi  de  la  couronne*. 

Urbain  II  recula  devant  cette  double  résistance.  Pen- 
dant quatre  ans  un  singulier  spectacle  fut  offert  au  monde  : 

«  Tiironensis  arcbiepiscopus...  in  Natale  Domini,  régi  contra  in- 
tiinlictum  veslrum,  coronam  imponeiis  »  (Lettre  d'Ives  de  Chartres 
à  Hu^^Lios  de  Die,  Migne,  162,  83).  —  <*  Licet  quidam  Belgica^  pro- 
vinciao  cf»iscoi)i  in  Pcntecoslen  contra  intcrdictum  bonœ  memoris 
papac  Urbani  coronam  ipsi  régi  imposuerint  »  (Lettre  du  môme  au 
légat  Jean,  IhùL,  c.  105). 

2  Lettre  d'irbain  II  aux  arebevéques  de  Sens  et  de  Reims  (mars 
1090,  H.  F.  XIV,  722  et  Jaiïé  liegeiiL,  n°  5637)  :  «  Auditum  est  apud 
nos  quosdam  confralres  noslros  in  tantam  audaciam  prorupisse,  ut 
assorant  de  ncqua(|uam  a  régis  societate  abstenturos,  immo  etiam 
regom  ipsum  ab  excommunicationis  vinculo  soluturos,  quamquam 
teminam  illam  pro  qua  per  nos  excommunicatus  fuerat,  non  dereli- 

quit Undc...  tam  episcopos  quam  alios  quoslibet  ei  pertinaciter 

communicantes  excommunicalos  esse  sancimus,  elprivilegium  pote»- 
tatis  amiltere,  si  quis  in  ejus  absolulione  inconcessâ  abuti  prœsump- 
serit  potestate  ». 

3  «  1  Vopter  crebras  invectiones  ac  murmurationes  adversus  Borna- 
nam  «'cclesiam,  qiiibus  quotidie  tinniunt  aures  meœ  »  (Ives  à  Ur- 
bain, Migne,  102,  85). 

*  «  Venturi  sunt  ad  vos  in  proximo  nuntii  ex  parte  régis  Franco- 
rum...  bac  ralione  ex  parte  usuri,  rcgem  cum  regno  ab  obedientia 
rvstra  iliscessurumj  nisi  coronam  restituatis  »  ;ives  à  Urbain,  Migne, 
102,  58). 


l'indépendance  de  la  couronne.  315 

le  roi  promellani  de  se  séparer  de  Bertrade,  et  n'en  faisant 
rien,  le  légat  Hugues  de  Die  le  frappant  d'interdit,  le  pape 
l'absolvant  à  mesure,  et  les  évoques  le  couronnant  tou- 
jours*. Finalement  la  papauté,  sous  Pascal  II,  après  un 
retour  offensif  qui  provoqua  une  véritable  émeute',  se 
contentera  d'une  soumission  de  pure  forme  (1104)  '  et,  vi- 
rant de  bord,  elle  cherchera  dans  une  alliance  avec  Phi- 
lippe secours  et  assistance  contre  l'empereur  germanique*. 
Nous  venons  de  voir  ainsi  que  les  tentatives  théocrati- 
ques  de  la  papauté,  aux  x*  et  xi'  siècles,  même  sous 
Grégoire  VII  et  Urbain  II,  n'ont  porté  aucune  atteinte  di- 
recte à  l'indépendance  de  la  couronne.  Destinées  à  renaître 
plus  redoutables  sous  Innocent  III,  elles  seront  définiti- 
vement repoussées  par  Philippe  le  Bel,  dans  son  impla- 
cable lutte  contre  Boniface  VIII. 


1  Voyez  la  dissertation  de  dom  Brial,  De  repudiata  a  regePhilippo 
Derta  et  de  superducta  Bertrada,  H.  F.,  XVI,  p.  lxxiv-lxxx. 

2  Quelques  évêques,  de  nombreux  clercs,  une  multitude  de  laïques 
{innumerabiles  ex  laycis)  quittent  avec  le  duc  d'Aquitaine,  le  concile 
de  Poitiers  (novembre  1100)  pour  protester  contre  Texcommunication 
du  roi.  Le  concile  s'achève  au  milieu  de  scènes  de  désordre  et  de 
violence  (Hugues  de  Flavigny,  Chronique,  Migne,  154,  385-86).  Joi- 
gnez :  App.  ad  vitam  B.  Hilarii,  H.  F.,  XIV,  108;  Vita  B.  Bernardi 
H.  F.,  XIV,  169). 

3  Voyez  infrà,  chap.  v,  §  1,  in  fine, 

*  Luchaire,  Hist.  de  France,  II,  p.  220. 


317 


CHAPITRE    IV 

LES   PRÉROGATIVES  ET    LES  ATTRIRUTS   DE   LA   ROYAUTÉ. 


La  royauté  plane  au-dessus  de  la  féodalité.  Elle  n'est 
pas  d'essence  féodale.  Elle  ne  le  sera,  à  vrai  dire,  que  du 
XII''  au  XV*  siècle,  iMais  son  pouvoir,  n'étant  pas  absolu, 
ne  saurait  être  arbitraire.  Elle  n'est  au-dessus  ni  de  la  loi 
ni  de  la  justice*.  Elle  n'en  est  même  que  la  source  idéale. 
La  source  réelle  de  la  loi  est  la  coutume*,  le  principe  im- 
médiat de  la  justice  est  la  protection,  qui  a  son  siège  effectif 
dans  la  fidélité  ou  foi,  foi  du  seigneur  et  foi  des  pairs.  Ce 
double  aspect  détermine  et  circonscrit  les  prérogatives  et 
les  attributs  du  pouvoir  royal. 

§  t .  —  Les  prérogatives. 

Les  prérogatives,  en  tant  qu'elles  sont  un  monopole', 
n'existent  vraiment  pas  au  regard  du  principat;   et  il 

*  On  est  encore  loin  du  temps  où  du  Tillet  pourra  dire  :  «  Sont  les 
Koys  par  dessus  leurs  ordonnances  et  coustumes  du  royaume,  pour 
la  souveraineté  qu'ils  ont  :  qui  est  à  dire  qu'ils  en  peuvent  dispenser, 
changer  et  révoquer  iesdites  ordonnances  »  (Recueil  des  Roys  de 
France,  Paris,  1607,  p.  251). 

*  Même  au  xvi**  siècle  on  distinguera  entre  les  coutumes  et  les  or- 
donnances, quant  à  l'étendue  du  pouvoir  royal.  «  Les  Roys  abolis- 
sent les  coustumes  s'ils  veulent,  quant  à  leurs  contracts,  non  quant 
à  ceux  de  leurs  subjets  pour  tollir  leur  droit.  Car  les  coustumes  sont 
accordées  par  lesdits  subjets,  non  ordonnées  par  lesdits  Roys  » 
(ibid  .  p.  252). 

^  Ce  fut  là  plus  tard  le  caractère  essentiel  de  la  prérogative.  Du 
Tillet  l'exprime  en  une  vive  image  :  «  En  ladite  couronne  y  a  des  fleu- 


348  LIVRE  IV.    —   CHAPITRE   IV. 

n'est  pas  surprenant  que  les  légistes  des  temps  posté- 
rieurs aient  dû  lutter  avec  tant  d'acharnement  pour  re- 
mettre la  couronne  en  possession  des  droits  régaliens.  Droit 
de  justice,  droit  de  guerre,  droit  de  grâce,  droit  de  lever 
impôts  droit  de  battre  monnaie  sont  réunis  dans  les  mains 
du  principat  comme  de  la  royauté  :  séparés  les  uns  des 
autres  et  morcelés,  par  délégation,  inféodation,  mutation 
quelconque,  ou  par  prise  de  possession  arbitraire,  ils  sont 
exercés  par  une  foule  innombrable  de  seigneurs  ou  de  par- 
ticuliers. 

En  tant  qu'avantages  ou  privilèges  attachés  à  la  qoalité 
de  chef  des  diverses  hiérarchies  qui  entrent  dans  la  forma- 
tion d'un  État  fortement  organisé,  les  prérogatives  royales 
sont  encore  très  clairsemées,  les  hiérarchies  elles-mêmes  se 
trouvant  à  Tétat  d'ébauche.  On  peut  aisément,  je  crois^ 
s'en  convaincre. 

La  hiérarchie  judiciaire  suppose  des  degrés  de  juridic- 
tion. Or,  en  matière  temporelle  deux  circonstances  les 
excluaient.  Le  droit  de  justice  était  devenu  une  propriété 
et  avait  totalement  changé  de  caractère  aux  mains  des  sei- 
gneurs justiciers*.  Il  était  avant  tout  un  pouvoir  de  con- 
trainte. Appointer  un  procès  par  une  sentence  était  beau- 
coup moins  le  fait  du  seigneur  que  le  fait  des  pairs,  en 
comprenant  sous  cette  qualification  à  la  fois  les  fidèles  et 
les  co-/idèles,  les  hommes  du  justicier  et  les  égaux  du 
justiciable.  Quant  aux  matières  religieuses,  l'Église  en  re- 
vendiquait la  connaissance  comme  un  droit  propre  et  spon- 
tané. 

Il  suit  de  là  que  le  roi  ne  possède  pas  encore  la  préro- 
gative qui  lui  écherra  un  jour  ^  de  ne  pas  plaider  devant 

rons,  sifrnifiîins  les  prérogatives  et  droicts  royaux  àluyscul  apparie- 
vans,..  Si  auUruy  de  sa  subjeclion  de  quelque  eminence  qu'il  soit, 
estoit  endure^,  les  prendre,  ce  ne  seroit  plus  qu'un  chappeau  et  ne  se- 
roit  couronne  »  (i6/(/.,  p.  253). 

1  Voyez,  T.  I,  p.  220,  et  infrà,  §  4. 

2  Loisel,  Institutescoutum,y  éd.  Laboulaye,  I,p.  13  (en  réalité  Guy 


•j* 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.   31^ 

une  autre  juridiction  que  la  sienne.  Sans  doute  il  ne  peut, 
en  qualité  de  défendeur,  qu'il  s'agisse  d'un  acte  propria 
molli  ou  du  fait  d'un  de  ses  agents  ou  officiers,  être  ac- 
tionné ailleurs  qu'en  sa  cour,  mais  ce  n'est  que  l'applica- 
tion des  règles  ordinaires  du  jugement  par  les  pairs  ou  les 
fidèles.  Demandeur,  il  doit,  au  contraire,  en  vertu  des  mê- 
mes règle*,  porter  son  action  devant  des  juridictions  où 
le  droit  déjuger  n'émane  pas  de  lui.  Louis  VI  le  reconnais- 
sait formellement  encore  dans  un  diplôme  octroyé  à  Saint- 
Denis  en  l'an  111  i\  et  les  exemples  sont  fréquents  d'une 
cause  du  roi  soumise  aux  juges  ecclésiastiques^. 

D'autre  part,  ni  la  hiérarchie  des  dignités  ni  celle  des 
fiefs  ne  sont  élaborées.  Le  roi  n'est  pas  au  sommet  d'une 
pyramide  où  s'élageraient  régulièrement  baronnies,  vicom- 
tes, comtés  ou  marquisats,  duchés,  dont  il  pourrait  à  vo- 
lonté dispenser  les  titres.  Il  n'est  pas  davantage  souverain 
fieEFeux  du  royaume,  et  par  suite  les  prérogatives  féodales 

Coquille)  :  «  Le  roi,  en  aucun  cas,  n'est  tenu  plaider  en  la  cour  de  son 
sujet  ».  Du  Tillet,  Recueil,  p.  252. 

*  «  Contra  regiam  etiammajestatemnostram  si  quis  injuste  aliquid 
commiserit,  clamorcm  de  illo  ad  abbatem  faciemus,  et  justiciam  no- 
bis  fieri  alicubi  non  exigemus,  nisi  tantum  in  curia  Sancti  Dyonisii. 
Et  si  causa  veniret  ad  judicium  suscipiemus  a  qualibet  persona,  non 
calumpniantes  personam  judicantis  »  (Tardif,  Monum.  histor.yp.  201, 
M.  Luchaire,  Annales  Je  Louis  17,  n^  i40  date  le  diplôme  de  1112). 
Cf.  diplôme  du  môme  roi  pour  Saint-Martin  des  Champs  (1128)  :  «  Si 
nos  vpI  homines  nostri  querelam  adversus  eos  aliquam  habuerimus, 
in  curiam  Beali  Martini  ibimus  et  justiciam  per  manum  prioris  et 
monachorum  inde  suscipemus  »  {CartuL  de  Paris,  éd.  Lastcyrie,  I, 
p.  234). 

2  Cité  par  Philippe  I  à  sa  cour,  Ives  de  Chartres  répond  :  «  Respon- 
dere  non  subterfugiam,  vel  in  ecclesia,  si  ecclesiastica  sunt  negotia, 
vel  in  curia  si  sunt  curialia  »  (1093)  (Migne  1G2,  35).  —  Cf.  sa  lettre 
à  Louis  VI  :  «  Si  rpia  vero  adversus  decanum  vel  clerum  vobis  est 
controversia,  moneo  etconsulo,  ut  unamquamque  personam  juxta  or- 
dinem  suum  examinari  fa<  iatis,  et  sub  judicibus  ecclesiasticis  cau- 
sam  cujusque  terminetis.  Ita  enim  regia  majcstas  in  nulle  minuetur^ 
et  cuique  personu;  suum  jus  conservabitur  »  (ihid.,  269). 


320  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE  IV. 

qui  s'attacheront  plus  tard  à  la  couronne*  ne  lui  appar- 
tiennent pas  encore  en  sa  qualité  de  roi.  Nulle  part  je  ne 
vois  formulée  ni  appliquée  la  règle,  (qu'ont  admise  a /mort, 
sous  le  poi  Robert,  iMM.  Pfister  et  d'Arbois),  d'un  retour  à 
la  couronne  de  tout  fief  vacant,  faute  d'héritiers  directs*. 

En  définitive,  les  prérogatives  royales  proprement  dites, 
abstraction  faite  de  ce  que  nous  avons  dit  antérieurement 
de  l'autorité  sur  les  populations  et  leurs  chefs,  se  ramènent 
à  une  prééminence  ou  préexcellence  extérieure.  Je  passerai 
les  principales  en  revue. 

1°  Le  roi  ne  fait  pas  hommage.  —  C'est  une  règle  d'é- 
vidence si  l'on  entend  par  hommage  la  subordination  per- 
sonnelle. Le  roi  ne  reconnaissant  pas  de  supérieur  ne  pou- 
vait être  l'homme  de  personne.  Mais  autrement  en  est-il 
de  l'acte  formel^  de  la  cérémonie  d'hommage  considérée 
comme  inséparable  de  l'investiture  d'un  fief.  Si  le  roi 
ne  pouvait  s'y  soumettre,  comment  pouvait-il  acquérir  un 
fief?  Il  est  très  remarquable  que  la  question  ne  paraisse  pas 
s'être  posée  avant  le  milieu  duxii*siècle.  Le  fait  serait  môme 
inexplicable  sijàl'époquequenousétudions^laféodalitéavait 
été  organisée  telle  qu'on  a  coutume  de  se  la  figurer.  Le 
domaine  du  roi  et  les  possessions  de  ses  vassaux,  grands 
ou  petits,  n'étaient-ils  pas  enchevêtrés  de  toutes  les  ma- 
nières? Les  acquisitions,  échanges,  mutations  quelcon- 
ques de  fiefs  ne  devaient-ils  pas  faire  arriver  fréquemment 
aux  mains  du  roi  des  lambeaux  de  fief  relevant  d'un  autre 
seigneur,  ecclésiastique  ou  laïque?  telle  cette  acquisition 
de  Bourges,  qui  relevait  du  comté  de  Sancerre,  sur 
laquelle  Brussel  avait  ajuste  titre  insisté  déjà*. 

Voyez  même  ce  qui  se  produit  en  l'année  H24.  Louis  VI 
se  rend,  accompagné  de  ses  grands  officiers,  à  l'abbaye  de 

'  Cf.  les  maximes  françaises  du  curieux  traité  de  W.  Staunforde» 
An  Exposition  of  the  Kinyes  Prérogative ^  Londres,  1573,  folios 
5  et  suiv. 

^  PGster,  p.  235;d'Arbois  de  Jub.  I,  p.  244. 

3  Usage  des  fiefs,  1,  p.  U9-150. 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.   321 

Saint-Denis,  et  prend  sur  Tautel  du  saint  roriflamme  que 
les  comtes  du  Vexin,  vassaux  et  avoués  de  Tabbaye, 
avaient  eu  le  droit  de  porter.  Ce  jus  signiferi  faisait 
partie  du  comitatus  qu'ils  tenaient  en  fief  de  saint  Denis  et 
auquel  Philippe  I  avait  succédé  en  1076.  Le  roi  l'exerce 
en  leur  lieu,  et  il  fait  dresser  une  charte  solennelle  qui 
l'atteste*.  Mais  cette  charte  ne  renferme  nulle  allusion  à 
un  hommage  des  comtes  du  Vexin.  Il  n'est  question  ni 
du  principe  qu'affirmera  en  1185  Philippe  Auguste  que 
le  roi  de  France  ne  peut  faire  hommage  à  nullui  * 
ni  du  simulacre  d'hommage  qu'on  verra  pratiquer  au 
XV*  siècle ^  Suger,  au  contraire,  en  relatant  le  même 
fait,  dit  expressément  que  Louis  VI  aurait  dû  l'hommage 
s'il  n'avait  été  roi*.  Qu'en  peut-on  conclure?  Ceci,  je  crois. 
En  1124,  il  était  encore  admissible  à  la  rigueur  qu'un  fief 
pût  être  acquis  sans  que  l'investiture  s'accompagnât  d'un 
hommage  spécial.  Vingt-cinq  ans  plus  tard,  quand  Suger 
écrivait  son  traité  (1145-1150),  on  ne  l'admettait  plus,  et 
il  fallait  expliquer  pourquoi  le  roi  avait  cru  déroger  à 
une  règle  à  laquelle  dorénavant  les  rois  ne  dérogeront 
plus  qu'à  Taide  de  conventions  spéciales  ou  de  biais  ingé- 
nieux. 

2°  Le  roi  ne  partage  pas.  —  Cela  n'est  vrai  que  dans 
certains  cas  et  dans  certaines    régions  plus  étroitement 

*  «  In  presentia  optimatum  nostrorum  vexillum  de  altario  B.  mar- 
tyrura,  ad  quod  comitatus  Viicassini,  quem  nos  abipsisin  feodiim  ha- 
bemus  speclare  dinoscilur,  morem  anliquum  antecessorum  nostrorum 
servantes  et  imitantes,  signiferi  jure,  sicut  comités  Viicassini  soliti 
erant,  suscepimus  »  (Tardif,  Monum,  histor,^  p.  217,  Voyez  les  au- 
tres éditions  dans  Luchaire,  Annales,  n°  348). 

^  «Cum  utique  nemini  facere  debebamus  hominium,  vel  possimus» 
(Brussel,  I,  p.  153). 
3  Z6irf.,p.  150-151. 

*  «  Proprium  B^  D*  feodum,  quem  etiam  rex  Francorum  Ludovicus... 
in  pleno  capitulo  B*  D'  professus  est  se  ab  eo  habere,  et  jure  signi- 
feriy  si  rex  non  essetj  hominium  ei  dehere  »  (Suger,  Traité  de  son 
aclmin,  abbat.y  éd.  Lecoy  de  la  Marche,  p.  162). 

F.  —  Tome  lïî.  21 


322  LIVRE   IV.    —   CHAPITRB   IV. 

dépendantes  de  la  couronne.  Je  vois  là  une  origine  loia- 
laine  de  la  règle  coutumière  :  «  Qui  a  compagnon  a  maître, 
et  principalement  quand  c'est  le  roi^  ».  Cest  le  çuia  ruh 
minor  leo.  La  royauté  avait  encore  trop  peu  de  prise  et 
trop  de  compétiteurs  pour  pouvoir  l'ériger  en  principe.  Je 
n'en  rencontre  d'application  juridique  que  dans  le  partage 
des  serfs,  et  Louis  VI  qui  s'en  prévaut  n'invoque  qu'une 
coutume  locale'.  La  prétention  toutefois  devait  être  d'or» 
dre  plus  général,  puisque  le  même  roi  y  renonce,  au  profit 
de  Sainte-Croix  d'Orléans,  pour  toute  Tétendne  da 
royaume*. 

3**  Du  roi  émanent  franchise  des  personnes  ei  sauve- 
garde des  biens.  —  On  se  tromperait  beaucoup  si  1*00 
prêtait  aux  hommes  du  Moyen  âge  les  conceptions  théo- 
riques que  nos  esprits  modernes  commencent  seulement  i 
dégager,  si  l'on  imaginait^  par  exemple,  qu'à  leurs  yeux 
le  roi,  placé  au-dessus  de  tous  autres  pouvoirs,  se  trou- 
vait être  la  source  ou  le  dispensateur  de  la  liberté,  et 
qu'investi  de  la  suprême  puissance,  il  représentait  l'ordre 
public,  l'autorité  qui  fait  éclore  la  sécurité  personnelle 
et  le  respect  du  bien  d'autrui.  Mais,  par  une  voie  empi- 
rique, une  partie  au  moins  de  ces  conceptions  s'était 
réalisée.  Elles  s'étaient  incarnées  en  la  personne  du  roi  et 
avaient  donné  naissance  à  des  prérogatives  de  la  couronne. 
J'ai  dit  parune  voie  empirique,  et  voici  ce  que  j'entends. 

*  Loisel,  ImtU,  couL,  n°  379, 1,  p.  371. 

*  a  Petrum  Sctae  Cruels  majorem  in  nostrum  servum  proprium  cla- 
marcmus,  ea  scilicei  ratione,  quod  mater  ejus  ex  eo  génère  8i?e  fa- 
milia  nostrorum  servonim  eralqui  inter  duas  aquas,  Uxantiam  scilioet 
et  Bion.im,  habitant;  ubi  eonsuetudo  usque  ad  nostra tempora  extita- 
rat  eum  regibus  in  servis  sive  ancillis  nemincm  poase  partiri.  »  (11 16, 
MSS  Biiluze,  Bibl  naU,  78,  f°  29  r*). 

3  «  Hoc  in  perpeluum  eis  concessimus,  ut  in  toto  regno  nasiro^ 
sive  servi  eorum,  siveancillae  noslris  servis  vel  ancillis  maritali  jure 
conjuneti  fuerunl,  nos  cum  eis  et  ipsi  nobiscum,  nullo  loco  penitus 
excepiOy  omnes  qui  ex  eis  processerint  heredes  partiaotur  »  {iJtndmt 
fo  20  v°). 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS    DB   LA  ROYAUTÉ.       323 

La  fonction  essentielle  du  roi  germanique  avait  été  de 
maintenir  la  paix.  Il  l'assurait  à  tous  par  la  protection 
qu'il  leur  dispensait  en  qualité  de  chef  de  la  peuplade, 
et  elle  lui  était  assurée  à  lui-môoae  par  le  caractère  sacré 
dont  il  était  revêtu.  L'inviolabilité  de  sa  personne  et  de 
ses  biens  était  garantie  par  des  peines  rigoureuses,  par 
les  peines  du  sacrilège. 

Représentant  de  la  paix  publique,  le  roi  franc  avait  le^ 
droit  d'en  exclure  ceux  qui  la  violaient.  Il  les  mettait 
extra  sermonem  régis  \  Réciproquement  il  pouvait  réta- 
blir dans  la  paix  le  forbannitus^  Vexpellis,  lui  rendre,  par 
une  sorte  de  droit  de  grâce,  la  qualité  d'homme  libre 
qu'il  avait  perdue.  Et  il  pouvait  de  même  y  admettre  des 
esclaves  ou  des  serfs.  N'est-ce  pas,  en  effet,  parce  qu'ils 
se  trouvaient  en  dehors  d'elle,  qu'ils  étaient  privés  de- 
droit,  assimilés  aux  choses  mobilières  ou  aux  dépendances- 
d'immeubles?  Par  cela  même  que  le  roi  disposait  de  la  paix, 
il  avait  le  droit  de  les  affranchir.  L'affranchissement  so- 
lennel, le  seul  qui  conférât  la  pleine  liberté  chez  les  Francs,^ 
était  l'affranchissement  devant  le  roi,  qui  de  sa  propre 
main  faisait  tomber  le  denier  de  la  main  de  l'esclave. 

Le  droit  de  grâce,  le  rex  Francorum  du  x*  et  du  xi* 
siècle  ne  fut  plus  en  mesure  de  l'exercer  partout  où  sa 
souveraineté  se  heurtait  à  celle  des  principes.  Toutefois^ 
il  n'est  pas  invraisemblable  qu'il  soit  resté  attaché  à  sa* 
présence.  Nous  en  avons  une  preuve  indirecte  dans  les 
sources.  Un  hagiographe  du  xi*  siècle  raconte  que  de  son 
temps  encore  l'arrivée  du  roi  de  France  à  Reims  rendait  la 
liberté  à  tous  les  prisonniers'. 

*  Voy.  T.  I,  p.  80  et  suiv.,  et  Brunner,  Rechtsg,,  t.  Il,  p.  42. 

2  u  Sicut  beatus  Remigius  olim  Francigenis  suaserat  regibus,  ut 
taie  pro  Dei  honore  sanctirent  edictum,  quatinus  quotienscumque  in- 
trarent  aut  secus  transirent  civitatemRemensium,  quicumque  in  vin- 
culis  seu  in  carceribus  fuissent  detenti,  confestim  sine  uilo  impedi- 
mento  dimitterentur  liberi,  —  quod  usque  hodie  conservatur ;  si 
quando  quippe  rex  Galliae  ad  praedictam  urbem  divertit,  omnes  ear 


324  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IV. 

Quaat  au  pouvoir  d'affranchir,  il  s'exerça  au  cours  de  ce 
même  siècle  avec  toute  la  solennité,  et  suivant  les  rîtes  an- 
tiques. Deux  diplômes  de  Henri  I  en  portent  témoignage'. 

Ce  que  nous  venons  de  voir  se  produire  pour  la  paix 
générale^  se  produisit  de  même  pour  la  paix  personnelle 
dont  jouissait  le  roi.  Elle  aussi  rayonna  de  sa  personne, 
spontanément,  de  plein  droit,  et  elle  put  être  communi- 
quée à  d'autres  personnes,  étendue  à  d'autres  biens  que  les 
siens,  de  par  sa  volonté  souveraine.  Les  textes  sont  moins 
précis  et  moins  abondants  pour  les  Francs  que  pour  d'au- 
tres peuples  germaniques.  Mais  tout  permet  de  croire  que 
la  conception  originelle  fut  partout  la  même. 

Au  Nord  comme  au  Sud,  chez  les  Anglo-Saxons  comme 
chez  les  Lombards,  par  la  présence  du  roi  dans  une  ville, 
sa  paix  s'étend  à  l'enceinte  entière,  et  jusqu'à  la  région 
circon voisine*.  Dans  nos  chansons  de  geste,  les  attentats 
commis  en  présence  ou  à  proximité  du  roi  sont  flétris  et 
réprimés  avec  une  rigueur  exceptionnelle*.  Ils  constituent 

carcerihm  absoluti  exeunt  et  ad  reddendas  grattas  obviam  ei  proti- 
liunt  »  (Vita  S^  Leonardi  (xi«  s.),  SS.  rer.  mer,,  t.  III,  p.  396). 

*  «  Ego  Hainricus  gratia  Dei  Rex  Francorum  notum  fieri  voie...  Quo- 
niam  G...  iulierunl  praesentiam  mcae  majestatis,  rogantes  ut  conce- 
(lerem...  cuidam  eorum  homini,  nomine  Salico,  donum  libertatis. 
Quod  ita  et  feci  more  regio,  excusso  scilicet  de  palma  denario  ;  eo 
itaque  tcnore  ul  pateani  ei  ut  iibero  viae  quadrati  orbis.  Et  si  quis 
contra  hanc  libcrtatemadsurgere  temptaverit,regi  coactus  centum  auri 
libras  exsolvat.  »  (1052,  H.  F.  XI,  590.—  De  même,  1057,  i6id.,592). 

*  <(  Si  quis  liber  homo  m  eadem  civitatemf  ubi  rex  praBseru  est 
aut  tune  invenitur  esse,  scandalum  penetrare  praesumperiL..  (Ed. 
Rothar,  c.  37).  —  «  Tarn  longe  débet  esse  pax  régis  a  porta  sua, 
ubi  residens  erit,  a  IIII  partibus,  hoc  est  tribus  miliaribus  et  tribus 
quarentenis  et  tribus  acris  in  latum  et  IX  pedibus  et  IX  granîs  or- 
dei  »  (Schmid,  Geseize  der  ÀJigclsachsent  App.  Xlf,  p.  411). 

3  Cf.  Ed.  Hothar,  c.  36  :  «  Si  quis  intra  palatium  régis,  ubi  rex 
praîsons  est,  scandalum  penetrare  praesumpserit,  animae  suae 
incurrat  periculum,  aut  redimal  anima  sua  si  optenere  potuerit  a 
rege  ».  —  Le  scandalum  est  la  noise  de  nos  chansons  de  geste.  — 
Leges  Henrici  I.  c,  13,  §  7  (Schmid,  /.  c,  p.  445)  :  «  Qui  in  domo 
régis  pugnabit,  vitœ  suae  culpa  sit  ». 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.   325 

un  crime  de  lèse-majesté  ou  un  sacrilège,  parce  qu'ils 
sont  une  violation  de  la  sauveté  rojale,  de  la  zone  de  pro- 
tection qui,  par  une  sorte  d'émanation  de  sa  personne  sa- 
crée, environne  le  roi.  Celte  vertu  prolectrice  se  fixe,  s'at- 
tache aux  lieux  où  le  roi  est  habituellement  présent.  Le 
palais,  avec  tous  ceux  qui  Thabitenl  ou  qui  s'y  trouvent 
de  passage,  jouit  en  permanence  de  la  paix  royale,  cons- 
titue le  foyer  d'où  elle  se  propage,  en  s'affaiblissant,  jus- 
qu'aux extrémités  du  royaume*. 

Si,  par  un  accord  tacite  ou  une  action  inconsciente,  la 
paix  se  communique  au  monde  extérieur,  le  roi,  à  plus 
forte  raison,  peut  la  transmettre  par  un  acte  réfléchi  et 
voulu,  soit  dans  toute  sa  plénitude,  soit  en  graduant  son 
énergie  et  ses  effets  ^  C'est  ainsi  que  sa  irusiiSy  sa  maisnie 
participe  pleinement  à  sa  paix  personnelle*,  que  l'Église, 
les  veuves,  les  orphelins*,  des  particuliers  divers  sont 
placés  dans  son  mundiu  m,  ainsi  encore  que  les  églises  furent 
assimilées  au  palais  par  Louis  le  Débonnaire*,  et  que  les  rois 
carolingiens  ou  capétiens  accordèrent  une  protection  spé- 
ciale à  des  biens  nommément  désignés,  dont  l'usurpation 


*  Gapitul.  Vern.  884(11,  p.  372),  cap.  1  :  «  Volumus  ut  palatium  nos- 
trum,  more  praedecessorum  nostrorum...  pacis  ordine  stabiliatur  et  in 
eodem  palatio  noslro  pax  prœdec.  nostrorum  sanctionibus  servata 
per  omne  regnum  nostrum  exequenda  proférât ur.  »  Cap.  2  :  «  Decer- 
nimus  igilur  ut  omnes  in  palatio  nostro  conunanentes  et  illud  undique 
adeuntes  pacifiée  vivant,  etc.  »  Cf.  l'engagement  pris  par  Louis  VII, 
quand  il  succède  à  son  père  :  «  Neminem  in  curia  sua  capere,  si  non 
praesentialiter  ibidem  delinquat  »  (Suger,  Vie  de  Louis  le  Gros,  cap. 
32,  p.  143). 

2  II  le  fait  à  l'aide  de  son  ban,  per  bannum.  Le  bannum  du  roi 
devient  ainsi  synonyme  de  la  paix  du  roi.  C'est  par  le  verbum  et  le 
sermo  qu'il  s'exerce  [infrà,  §  3). 

2  Cf.  Brunner,  II,  p.  97. 

*  u  Ut  ecclesiae,  viduae,  pupilliper  bannum  régis  pacem  habeant.  » 
(Capit.  Aquisgr.,  801-813,  cap.  2,  I,  p.  171). 

^  C'est  du  moins  l'interprétation  très  plausible  que  M.  Brunner, 
donne  du  capit.  leg.  add.  de  818-819  (I,  281)  (Brunner,  II,  p.  47,54). 


326  LIVRE   IV.   —  CHAPITRE   IV. 

faisait  encourir  Tamende  du  ban  royaP.  Noos  avons  là  dans 
sa  source  non  seulement  l'immunité,  sous  ses  multiples  as- 
pects, mais  la  confirmation  royale  des  biens  Traîchement 
acquis  ou  possédés  d'ancienne  date  par  les  corps  religieui. 
Il  faut  bien  s'entendre,  en  effet,  sur  la  vraie  nature  de  ces 
privilèges. 

Loin  que  Timmunité  et  la  confirmation  fussent  indépen- 
dantes de  la  paix  personnelle  du  roi,  elles  en  étaient  une 
dérivation  si  directe  qu'elles  finirent  par  se  confoDdre 
avec  le  mxmdium  ou  la  tuitio.  Je  l'ai  déjà  montré  pour 
l'immunité  *  et  il  importe  de  le  faire  voir  maintenant  pour  la 
confirmation  des  biens.  Celle-ci  a  été  regardée  par  les 
historiens  comme  le  simple  exercice  du  droit  régalien  de 
solenniser  les  contrats,  en  les  revêtant  d'une  formule 
exécutoire,  ou  du  droit  pour  le  suzerain  de  ratifier  les  aliéna- 
tions de  fiefs.  Or  elle  est  plus  que  cela. 

Si  la  confirmation  ne  portait  que  sur  les  biens  donnés 
par  le  roi  ou  par  ses  prédécesseurs,  par  des  membres  de 
sa  famille  ou  par  des  vassaux  les  tenant  de  lui  en  bénéfice, 
elle  serait,  en  effet,  une  simple  ratification;  si  elle  ne  por- 
tait que  sur  les  biens  de  ses  sujets,  on  pourrait  y  voir  une 
sanction  des  contrats  ;  mais  elle  porte  indistinctement  sur 
des  biens  de  toute  nature  et  de  toute  provenance,  qu'il  y 
ait  eu  ou  non  donation  royale,  que  le  disposant  tienne  ou 
non  en  bénéfice  du  roi  ',  qu'il  soit  ou  non  son  sujet,  qu'il 
soit  même  un  prince  ayant  toute  qualité  pour  solenniser, 
ratifier  el  faire  respecter  les  actes  *.  La  confirmation  a  donc 

1  Cf  Brunner,  II,  p.  38. 
8  Suprà,  p.  260,  note  2. 

•  En  étudiant  les  diplômes  de  Philippe  I*'  pour  l'abbaye  de  Saint- 
Benoît-sur-Luire,  M .  Prou  a  observé  que  «  le  roi  agissait  rarement 
comme  suzerain.  Parmi  les  chartes  ainsi  confirmées  par  Philippe  I*"", 
dit-il,  je  n'en  puis  citer  que  deux  où  la  confirmation  sMmposait  parce 
qu'il  s'agissait  de  Taliénation  de  bénéfices  tenus  delà  couronne  » 
Mélanges  Ilavet^  p.  165). 

*  Les  confirmations  générales  sont  bien  plus  nombreuses  au  xi* 
siècle  qu'au  x'';  ce  qui  marque  bien  les  progrès  que  fait  l'asHinila- 


PREROGATIVES  BT  ATTRIBUTS  DB  LA  ROTAUTÂ.   327 

un  autre  but,  qui  nous  est  clairement  révélé  par  les 
diplômes.  Elle  doit  communiquer  aux  biens  confirmés  la 
protection  *  et  la  franchise  *  dont  jouissent  la  personne 
et  les  biens  du  roi  :  le  bien  confirmé  est  assimilé  à  un  fisc 
royal,  l'acquéreur  ou  le  possesseur,  pour  tout  ce  qui  con- 
cerne le  bien  confirmé,  à  une  personne  placée  dans  le  munr 
dium  du  roi^'Et  c'est  pourquoi  toute  violation,  toute  usur- 

lion  de  la  confîrmatioa  des  biens  à  l'immunité  et  au  mundiom.  Je  relève 
les  suivantes  sous  les  règnes  de  Robert  et  de  Henri  :  lOOJ^lOlô, 
Sainte  Geneviève  (H.  F.  X,  594);  1012-1031,  Beaumoat(X,607);  1019, 
Lagny,  à  la  demande  du  Comte  de  Troyes  (X,  602);  1020,  Mouzoq 
(Pûster,  p.  LUI);  1022-1023,  Mici  (X,  605);  102S  et  1043,  Saint- 
Pierre  de  Châlons,  à  la  demande  de  Tévéque  (X,  619,  XI,  576),  1030, 
Saint-Hippolyte  de  Beaune,  àla  diemande  de  Tévôque  de  Chaton-sur-* 
Saône  (X,  624);  1042,  Montreuil-sur-Mer  (XI,  574);  104S,  Moutier- 
la-Celie-les-Troyes  (XI,  585);  1057,  Saint-Nicolas  d'Angers,  à  la 
demande  du  comte  d'Anjou  (XI,  593). 

*  «  Ut  nemo...  subtrahere  vel  mînuere  audeat...  sed  neque  servitia 
exactet  »,  893,  Saint-Médard  de  Soissons  (H.  F.  IX,  461).  —  «  aue- 
toritate  nostri  prsecepti  prohiberemus  ne  ab  infidelibuB,  quod  «Ml, 
cUstraherentur  vel  injuste  opprimerentur.  Nos  vero  morem  pred.  nostr. 
reg.  Fr.  sequentes,  ejus  petitionibus  assensum  prebuimus  et  par  pre- 
ceptum  nostre  auctoritatis  predia...  confirmamnua  et  ut  perpetuaîiter 
quiète  ecclesia  teneret  corroèoravtmt»  »  (Ch.  de  Robert  pour  Mouzon, 
1020,  Pftster,  p.  LUI). 

>  «  Praeterea  alia  multa  (bona)...  fimumus  et  corrohoramuê  et  ut 
baec  nostrae  ingenuitaiis  aucioritcu  recta  et  stabilis...  »  (1043,  Saint- 
Pierre  de  Chàlons,  XI,  577). 

'  ce  Omnia  haec  habere  permittimus  illis...  ut  sine  ulia  oontradic» 
tione  teneant  adque  possideant,  et  per  nomen  noetrum  défendant. 
Unde  hoc  nostrae  altitudinis  prœceptum  fieri...,  per  quod  prœdictas 
res  nemine  jure  perpetuo  inquiétante  possideant,  ut  nullus  eomes, 
etc.  M  (Saint-Cucufat,  986,  H.  F.  IX,  658)  —  «  eonfirmando  atque 
tradendo  per  hoc  preceptum  regtae  auctoritatis  nostrae  concedimus 
et  de  nostro  jure  in  jus  ac  dominationem  illius  solemni  more  trans- 
ferimus  œtemaliter,  eo  videlicet  modo  et  tenore,  ut...  cum  omnibus 
ad  se  perti!ientibus...  sub  mundeburdo  et  tuitione  nostrœ  defensionis 
ita  hoc  auctoritate  testamenti  regiae  dignitûtis  noetrae  corrobùrati 
perpetuaîiter  maneant,  ut  neque  comes,  etc.  »  (Montredon,  897,  MS, 
Bibl.  nat.  lat.  8837,  f»  75  v«»,  H.  F.  IX,  466).  —  «  prœceptum  ob 
immunitatis    gratiam...    cessionis  seu  eonfirwuLtionit  auctoritaa  » 


328  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

pation  devient  un  attentdt  contre  la  majesté  elle-mômef  fait 
encourir  Tamende  du  ban  royal*  el  les  peines  du  crime  de 
lèse-majesté  *. 

(Déols,  927,  IX,  570)  —  «  concessum  esse  ac  munimine  nostri  prae- 
cepti  dalum  locum...  quatenus  de  omni  regali  auctoritate  munituB 
atque  conscptus,  ne  quis  reipublicsB  ezactor  etc.  >»  (Sainte-Trinité 
de  Poitiers,  962,  IX,  626). 

*  L'amende  du  ban  royal  qui  était  dans  le  principe  de  60  soUdi 
s'élèvejusqu'à  300  livres  d'or.  (Voyez,  par  exemple,  Saint- Germain-dés- 
Prés,  1082.  Tardif,  Mon.  hisL,  p.  187).  —  Cf.  infrà,  p.  351. 

^  c(  Si  quis  autem  adversus  hoc  nostrae  majestatis  firmamentum 
aliquid  tentare  pra^sumpserit,  auri  libras  fîsco  regio  centum  pereol- 
vat,  et  ipse  damnabitur  regiœ  mqjestatis  reus  »  (Dipl.  de  Phi- 
lippe I*'  pour  Saint-Nicolas  de  Ribemont,  1084,  Mirœus  l,  358).  — 
Dipl.  du  même  roi  pour  Saint-Denis  (1«'  août  1068.  Tardif,  p.  179)  : 
u  XII  libras  ex  auro  purissimo  coactus  addat,  et  inmper  reus  majes- 
tatis habeatur  et  ut  profanus  ab  omnibus^  nisi  satis  pro  emenda- 
tione  fecerit,  computetur  >>. 

De  là  le  cérémonial  solennel  de  la  confirmation  royale,  tel  qu'il  est 
retracé,  vers  1070,  dans  la  confirmation  par  Philippe  I**  de  l'acte  de 
fondation  de  Sainte-Gilles  de  Mantes  :  «  Ego  Guillelmus  miles  de 
Medanta  co'jnom.  Rufînus...  eas  (litteras)  P°regi  Francorum  fîrman- 
das  obtuli,  qui  oblatas  manu  sua  et  sui  nominis  karactere  corrobo- 
rando  firmavit.  Ad  hoc  videndum  et  audiendum  fuerunt  E.  monachus, 
S.  de  Nielfa  qui  sedebat  ad  pedes  regùf  H.  Malus  Vicinus  qui  adju- 
vit  E.  monachum  teneer  cartam  quando  rex  in  ea  signum  cruels 
scripsit,  et  G.  frater  ejusdem  R*,  et  Guillelmus  Rufinus  eu  jus  prece 
rex  signum  crucis  in  carta  fecit  et  G.  prepositus  »  (Bib.  nat.  MB  lat. 
5i41,  1,  p.  209.  —  Prou,  loc.  cit.,  p.  167,  note  1)  —  M.  Prou  a  très 
heureusement  rapproché  de  la  scène  ainsi  décrite  celle  qui,  dans  un 
dessin  de  la  fin  du  xi®  siècle,  au  Livre  des  privilèges  de  Saint-Martin- 
des-Champs  (British  Muséum^  MSS.  add.,  n^  11662,  f"  2;  {Revue  de 
l'Art  chrétien,  1890,  I  livr.  2)  représente  Henri  !•*  restaurant,  en 
1060,  le  prieuré  de  Saint-Martin.  La  similitude  des  deux  scènes 
prouve  à  quel  point  confirmation  et  octroi  direct  de  mundium  ou 
d'immunité  se  confondaient.  Pour  la  rendre  sensible  j'em  pr  un  te  à 
M,  Prou  la  description  du  dessin  :  «  Le  roi  est  assis  sur  un  trône;  de 
la  main  droite  il  tient  un  parchemin  sur  lequel  on  lit  :  «  Henrici  régis 
sigtiuni  -f  Libertas  ecclesiœ  S'  M'  ».  De  la  main  gauche  il  montre  la 
croix  dont  il  a  marqué  le  diplôme;  le  chancelier  Baudoin  soutient  la 
partie  inférieure  du  parchemin;  aux  pieds  du  trône  est  agenouillé  Té- 
véque  de  Paris,  Ymbert  »  (Prou,  loc.  cit.,  p.  167). 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.   329 

Il  est  aisé  de  voir  la  grande  importance  que  celle  préro- 
gative a  eu  pour  le  développement  de  la  monarchie.  Elle 
a  placé  le  roi  à  une  très  grande  hauteur,  elle  lui  a  assuré 
un  éclatant  prestige,  elle  lui  a  permis  de  faire  sentir  sa 
protection  au  loin  et  auprès,  jusqu'aux  extrémités  de  la 
Gaule,  el,  en  faisant  de  lui  un  réservoir  intarissable  de  jus- 
tice, de  sécurité,  de  liberté,  elle  a  préparé  les  voies  à  Tas- 
surement  et  à  la  sauvegarde  royale  des  temps  posté- 
rieurs. 

§  2.  —  Le  pouvoir  législatif. 

C'est  un  fait  fort  curieux  et  fort  significatif  que  lacti- 
vité  législative  des  reges  Francorum  se  soit  considé- 
rablement ralentie  dans  la  seconde  moitié  du  ix®  siècle 
et  qu'elle  ait  fini  par  s'arrêter  net  en  888,  au  plus  tard  ^ 
On  l'exphque  d'ordinaire  par  l'avènement  de  la  seigneurie 
indépendante,  qui  aurait  fait  obstacle  à  l'exercice  parle  roi 
du  pouvoir  de  légiférer.  Ce  pouvoir,  pense-t-on,  n'avait 
cessé  d'exister  en  théorie,  mais  en  fait  il  était  paralysé  par 
la  résistance  de  la  multitude  des  chefs  qui  voulaient  com- 
mander sans  réserve  :  paralysie  absolue,  suivantla  plupart 
des  historiens,  relative  suivant  d'autres,  lesquels  ne  déses- 
pèrent pas  de  retrouver  un  jour  quelque  capitulaire  perdu 
des  derniers  Carolingiens  ou  des  premiers  Capétiens.  — 
Je  n'envisage  pas  la  question  sous  le  même  angle.  A  mes 
yeux,  le  pouvoir  de  légiférer  ne  se  conçoit  plus  :  il  est 
éteint,  anéanti  parla  transformation  profonde  qui,  dès  la 
fin  du  IX*  siècle,  s'est  opérée  dans  l'ensemble  du  système 
juridique.  Pour  le  comprendre,  il  faut  se  représenter  la 
place  exacte  que  tenait,  Télendue  et  le  caractère  qu'avait 
le  pouvoir  législatif,  à  l'époque  des  capitulaires. 

*  Le  dernier  capitulaire  des  rois  de  la  France  occidentale  est  de 
l'an  884  {Capit,  yern.,LL.II,  p.  371).  L'acte  de  Charles  le  Simplede 
920,  rangé  habituellement  parmi  les  capitulaires  (tôûi.,  p.  378,  suiv.), 
n'est  qu'une  lettre-circulaire  aux  évéques  pour  protester  contre  l'or- 
dination d'Hilduin,  comme  évoque  de  Liège.  Elle  figure  sous  son  vrai 
nom  (epistola)  dans  H.  F.  X,  297. 


330  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE   IV. 

La  loi,  à  cette  époque,  était  la  loi  personnelle  ou  natio- 
nale des  divers  peuples  germaniques  {lex  publica)^  la  loi 
romaine  devenue  loi  personnelle  des  Gallo-romains,  enfin 
la  loi  canonique,  canons  des  conciles  et  décrétales  des 
papes,  à  laquelle  TÉglise  était  soumise,  comme  à  une  loi 
personnelle,  en  même  temps  qu'elle  Tétait  aux  constitu- 
tions impériales  [sacras  leges).  Les  rois  carolingiens  n'ont 
jamais  touché  directement,  pour  l'amender,  la  modifier 
ou  la  réformer,  à  la  loi  romaine,  qu'ils  vénéraient*.  Ils 
ont  accepté  pour  base  intangible  de  la  législation  ecclé- 
siastique la  collection  de  canons  et  de  décrétales  de  Denys 
le  Petit,  que  le  pape  Hadrien  I  avait  en  774  envoyée  à 
Charlemagne  [collectio  Dioni/sio-Hadriana)  et  qui,  sous  le 
nom  de  Codex  canonum,  eut  l'autorité  d'un  Code  de  lois. 
C'est  à  ce  Code  que  les  capitulaires  se  réfèrent  dès  789*. 
Il  fut  promulgué  par  Charlemagne,  en  802,  dans  un  Synode 
général  tenu  à  Aix-la-Chapelle  '. 

Quant  aux  lois  germaniques,  s'il  est  vrai  que  les  rois  les 
amendcrenl  et  les  complétèrent  par  des  capitulaires  addi- 
tionnels, capitula  legibus  addiia,  —  les  uns  incorporés  aux 
lois,  les  autres  qui  en  sont  restés  distincts,  —  il  leur  fallut 

*  «  Quia  super  illam  legem  (Romanam)  vel  contra  ipsam  legem  neo 
antecessores  nostri  quodcumque  capital um  statuerunt  nec  nos  ali- 
quid  staluimus  »  (Kdit  de  Pistes  cap.  20,  LL.  II,  p.  319).  —  CL 
Brunner,  I,  p.  375, 

*  Voyez  Maasson,  Geschichte  der  Quellen  u.  Lit.  des  can,  RechU^  I 
(Gratz,  1870),  p.  467  et  suiv. 

3  Annales  Lauresh,  ad  an.  802  (SS.  L,  p.  39)  :  «  Congregavit  unî- 
versalem  synodum...  et  ibi  fecit...  relegi  universos  eanones^  quas 
sctus  synudus  rccepit  et  (^ecrc^a ponti/lcz/m,  et  pleniterjussit  eos  tradi 
coram  omnibus  cpiscopis  presbyteris  et  diaconibus  ».  —  Maassen  a 
prouvé  (loc.  cit.,  p.  470-471)  qu'il  s'agit  de  la  Dionysio-Hadriana. 
Celle-ci  garde,  sous  le  titre  de  Codex  canonum,  son  autorité  ofGcielle 
à  travers  tout  notre  ancien  régime.  C'est  elle  que  cite  le  Parlement 
quand  il  se  réfère  aux  canons  reçus  en  France,  et  le  xvn*  siècle  eo 
voit  [>araitre,  au  Louvre,  une  édition  somptueuse,  sur  Tordre  du  mi- 
nistre Claude  LofH'Uetier  {Codex  canonum  vêtus  ecclesiae  Ronumaep 
Paris,  impr.  roy.  1687,  fol.). 


PRÉROGATIVES   ET  ATTRIBUTS    DE  LA  ROYAUTÉ.       331 

pour  cela  le  consentement  et  la  ratification  du  peuple*. 

Hors  de  là,  ce  qu'on  a  appelé  le  pouvoir  législatif  du 
roi  carolingien  n'était  au  fond  qu'un  pouvoir  de  haute 
police  sur  la  société  laïque  et  de  discipline  sur  l'Église. 
Si  étendu  que  ce  pouvoir  devînt  sous  Charlemagne,  il  n'en 
resta  pas  moins  profondément  distinct  du  pouvoir  législatif 
proprement  dit.  Il  en  différait  par  son  principe,  sa  nature 
et  sa  durée. 

Au  lieu  que  la  loi  était  issue  de  la  volonté  concordante 
de  la  nation  et  de  son  chef,  fixant  ou  redressant  les  cou- 
tumes, au  lieu  qu'elle  puisait  dans  cet  accord  sa  force 
obligatoire,  les  actes  personnels  du  souverain,  les  capitula 
per  se  scribenda^  émanaient  de  son  droit  de  contrainte 
[banmim]  et  n'étaient  obligatoires  qu'en  vertu  de  la  fidélité 
[leudesamio]  que  tous,  clercs  et  laïques,  lui  avaient  jurée. 
C'étaient  des  actes  de  gouvernement.  Leur  portée  était 
circonscrite  par  leur  objet.  Ils  ne  devaient  être  en  contra- 
diction ni  avec  les  lois  publiques,  ni  avec  les  canons,  ils  ne 
s'appliquaient  que  dans  une  sphère  gouvernementale  définie 
(gouvernement  laïque  ou  gouvernement  ecclésiastique '^j^ 
et  exigeaient  le  concours  des  proceres  qui  participaient 
aux  affaires  publiques,  grands  ecclésiastiques  et  grands 
laïques.  S'il  fallait  leur  chercher  des  équivalents  dans  le 
droit  moderne,  je  les  comparerais  volontiers  aux  décrets 
rendus  en  Conseil  d'État. 

Par  nature,  la  /ozdel'époquefranque  est  personnelle,  elle 
est  nationale,  inséparable  de  la  nationalité.  Seuls  les  na- 
tionaux francs  sont  soumis  à  la  loi  franque,  mais  ils  y  sont 
soumis  en  quelque  lieu  qu'ils  résident.  Et  de  même  des  au- 
tres lois  germaniques,  sauf  celles  des  Wisigoths.  Comme  le 
statut  personnel  de  notre  temps  et  plus  pleinement  que  lui, 

*  Voyez  notamment  l'excellente  étude  de  M.  Marcel  Thevenin,  Lex 
et  Capitula  (Mélanges  de  l'École  des  Hautes-Études^  1878),  pp.  148, 
153  et.  suiv. 

*  Cf.  sur  ce  dernier  point  Hinschius,  Das  Kirckenrechtf  III  (Berlin, 
1883),  p.  707  et  suiv. 


332  LIVRE   IV.    —    CHAPITRE   IV. 

puisqu'elle  embrasse  à  peu  près  tout  le  droit  privé,  elle 
adhère  aux  os.  —  L'acte  royal,  lui,  comme  d'ordinaire 
toute  loi  de  police,  est  territorial;  il  oblige  tous  ceux  qui  se 
trouvent  sur  un  territoire  déterminé,  et  ceux-là  seule- 
ment. 

La  durée  de  la  loi  est  illimitée,  puisqu'elle  fait  corps  avec 
la  nation.  L'acte  royal  n'a  qu'une  durée  précaire,  puisqu'il 
n'est  qu'un  acte  gouvernemental.  Sans  doute  sa  vigueur 
ne  s'éteint  pas  de  plein  droit,  par  Tachèvement  du  règne 
où  il  est  né,  mais  il  risque  de  n'être  plus  obéi  quand  n'est 
plus  là  l'autorité  dont  il  émane.  Aussi  les  rois  caroligiens 
ne  manquaient-ils  pas,  pour  les  préserver  d'une  abrogation 
tacite,  de  renouveler  les  capitulaires  de  leurs  prédéces- 
seurs. 

Telle  était  la  situation  législative  dans  la  première  moitié 
du  IX'  siècle.  Que  devint-elle  dans  la  seconde?  Elle  fut 
bouleversée  de  fond  en  comble. 

Les  lois,  comme  nousle  montrerons,  devinrent  coutumiè- 
res,  aussi  bien  les  lois  romaines  que  les  lois  germaniques. 
Figées  dans  des  formules  traditionnelles  et  dans  une  prati- 
que judiciaire  fruste  et  immuable,  elles  ne  laissèrent  plus 
aucune  prise  à  l'autorité  législative  de  la  royauté  et  du 
peuple.  Des  lois  non  écrites  ne  pouvaient  se  prêter  à  des 
capitulaires  legibiis  addenda.  Où  donc  aussi  eût-on  cherché 
le  consensus  populaire,  dans  le  mélange  inextricable  et  la 
fusion  des  nationalités?  Grouper  les  Salions?  les  Ripuaires? 
les  Alamans?  lesBiirgondions?Quidoncy  pouvait  songer? 
Ainsi,  plus  de  place  pour  un  pouvoir  législatif  exercé, 
.  d'un  commun  accord,  par  le  peuple  et  le  roi*.  Tout  ce  que 
le  roi  peut  faire,  c'est  de  s'engager  à  respecter  les  cou- 

*  Dans  l'édit  de  Pistes  (864)  d'où  les  historiens  du  droit  ont  tiré 
la  formule  «  quoniam  lex  consensu  populi  et  constitutions  régis  fit  » 
(Gap.  6,  LL.  II,  p.  313),  le  principe  ainsi  formulé  n^est  déjà  plus  ap- 
pliqué. On  supplée  à  la  loi  en  faisant  jurer  par  des  Francs  qu'elle  a 
été  observée.  La  désuétude  commence. 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE   LA   ROYAUTÉ.      333 

tûmes  nationales.  Il  n'y  manque  pas  dans  le  serment  de 
couronnement'. 

En  va-t-il  mieux  des  capitulaires  proprement  dits,  per  se 
5cnAe/2(/a?  Assurément  non.  Ils  sont  paralysés,  languissent 
et  meurent  à  mesure  que  le  ban  du  roi  est  supplanté, 
évincé  ou  refoulé  par  le  ban  princier  et  seigneurial,  la  fidé- 
lité due  au  roi  par  la  fidélité  due  au  prince  et  au  seigneur. 
Ils  sont  incompatibles  avec  Tordre  nouveau  des  choses 2. 
Comment  le  roi  pourrait-il  rendre  des  lois  territoriales, 
quand  son  pouvoir  est  devenu  presque  exclusivement  per- 
sonnel :  droit  de  suprématie  sur  les  princes  de  la  Gaule, 
droit  à  Thommage  personnel  des  princes  de  la  Francie, 
droit  à  la  fidélité  des  sujets  qui  lui  restent  attachés  et  qui 
peuvent  être  disséminés  partout.  Que  sa  législation  essaie 
de  pénétrer  dans  un  territoire,  elle  ne  se  heurtera  pas  seu- 
lement au  ban  seigneurial.  Elle  achoppera  contre  les  bar- 

*  «  Populoque  nobis  credito  me  dispensalionem  legum  in  suo  jure 
consistentem  nostra  auctoritate  concessurum  »  (Serment  de  Hugues 
Gapet,H.  F.  XI,  658.  De  même  Coronatio Philippi,  H.  F.  XI,32).— 
Les  chanoines  de  Chartres  reprochent  au  roi  Robert  d'avoir  oublié 
cette  sentence  de  l'empereur  Constantin  :  u  Quaecunque  contra  leges 
fuerint  a  principibus  obtenta  non  valeant  »  (Lettre  à  l'archevêque 
Liétry,  1029.  H.  F.  X,  508  E.  —  De  môme  Fulbert  de  Chartres,  Lettre 
à  Thierry,  H.  F.  X,  453  D).  Le  texte  de  Constantin  n'est  qu'une  in- 
terpretatio  du  Code  Théodosien  (C.  Th.  l,  2,  c.  2)  qui  a  passé  dans 
le  Bréviaire  d'Alaric  (éd.  Haenel,  p.  16).  D'elle  procède  sans  nul  doute 
la  disposition  du  capitul.  de  Chlothaire  (584-628)  :  «  Si  quis  aucto- 
ritatem  nostram  subreptitie  contra  legem  elicuerit  fallendo  princi- 
pem,  non  valebit  »  (Gap.  5,  LL.  I,  19). 

2  Abbon,  dans  ses  Canons,  ne  parle  qu'en  termes  très  vagues  du 
pouvoir  législatif  du  roi  et  reconnaft  que  ses  ordres  même  ne  sont  pas 
obéis  :  «  Gloriosissimorum  regum  potentia  siabile  firmumque  esse  vo- 
luit  quidquid  verbo  vel  opère  prœcipiendo  constituit,  maxime  quod 
ad  utilitatem  ecclesia),  suorum  procerum  suggestionibus  ratum  esse 
judicavit...  Qui  ergo  regem  odit,  odit  praeceptum  illius...  sed  unde 
hoc  contingit  nisi  ex  nimia  mansuetudine  régis?  »  (H.  F.  X,  628  D.). 
—  Cf.  cap.  9  :  «  Porro  quosdam  comperimus,  qui  nec  bonis  moribus 
per  consuetudinera,  nec  uUis  legibus  se  subditos  arbitrentur  »  (H.  F. 
X,629  E). 


334  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IT. 

rières  que  lui-même  ou  ses  prédécesseurs  ontconstraitesoQ 
qu'ils  ont  laissé  s'ériger.  Ce  sont  les  immunités  qui  sous- 
traient de  nombreux  territoires  au  bau  du  roi,  ce  sont 
les  lois  qui  ont  été  implantées  dans  des  régions  plus  on 
moins  étendues  et  devant  lesquelles  les  rois  ont  abdiqué 
leur  pouvoir  législatif.  Le  Bréviaire  d'Alaric  est  devenu 
dans  une  large  mesure  loi  territoriale,  la  collection  des 
faux  capitulaires  de  Benoît  le  Lévite,  —  code  artificiel, 
que,  dès  920,  Charles  le  Simple  allègue  comme  une  auto- 
rité \  —  ne  se  contente  pas  de  proclamer  la  supériorité  des 
canons  et  de  la  coutume  sur  les  lois  romaines  et  sur  les  ca- 
pitulaires^, il  prétend  se  substituer  à  la  législation  royale', 
enfin  le  Fseudo- Isidore  achève,  dans  le  domaine  ecclésias- 
tique*, l'œuvre  d'éviction  législative. 

Les  rois,  en  n'usant  plus  de  leur  droit  de  légiférer 
l'avaient  laissé  éteindre.  Les  capitulaires  anciens  n'étaient 
plus  renouvelés  depuis  888;  il  n'en  fut  pas  promulgué 
de  nouveau.  Ce  n'était  pas  seulement  l'acte  royal  qui 
tombait  ainsi   en    désuétude,   c'était  le    pouvoir  même 

*  Il  le  cite  comme  liber  regum  capitularis  (LL.  II,  (Capit.)  p.  379). 
Des  citations  fréquentes  de  Benoît  le  Lévite  sont  faites  dès  909  au 
Concile  de  Trosly.  —  Voyez  déjà  Capit.  de  Kiersy  (857),  cap.  10,  II, 
p.  290-1. 

^  «  Conslitutiones  contra  canones  et  décréta  praesulum  Romanoriim 
seu  reliquorum  pontifîcum,  vel  bonos  mores,  nullius  siot  moment!  ■ 
(Bened.  Lev.  II[,  3i6). — k  Lex  imperatorum  noo  estsupralegem  Dei 
sed  subtus  »  (Âdd.  3  cap.  18;.  —  a  Generali  décrète  consUtuimus  ut 
execrandum  anathema...  existât  quicumque regum  velpotentum  deiD- 
ceps  canon um  censuram  in  quocumque  crediderit  vel  permiserit  vio- 
landum  »  [Capit.  Anfjilramni^  éd.  Hinschius,  à  la  suite  du  Pseudo- 
Isidore,  p.  769.  Cr.  Bened.  Lev.  II,  322). 

^  Comme  recueil  offîciel,  comme  loi  ecclésiastique  et  comme  cou- 
tume :  Cf.  Bened.  Lev.  III,  i5  :  u  Aliqua  canone  et  ordine  tenentur 
aliqua  consuetudine  firmata  sunt.  » 

*  «  Non  lioet  imperatori  vel  cuicjuam  pietatem  custodienli  aliquid 
contra  mandata  divinaprosumerenec  quicquamquod...  apostolicis  re- 
gulis  ohviatur  agore  »  {Pseudo-Marcellin,,  cap.  4.  —  Hinschius,  D«- 
cretales  Pscmlo-lsidor,  [Leipng,  1863),  p.  222-223,  etc.). 


PRÉROGATIVES   BT   ATTRIBUTS   DE   LA   ROYAUTÉ.      335 

de  rémettre  qui  tarissait  dans  sa  source  :  le  bannum. 
Celui-ci  se  confondait,  en  effet,  de  plus  en  plus  avec  la 
tuitio  spéciale  et  se  restreignait  à  des  catégories  ou  des 
groupes  de  personnes  astreintes  au  serment  de  Gdélité. 

Ni  les  rapports  des  protégés  ou  des  Bdèles  entre  eux  ou 
avec  les  étrangers  ni  leurs  rapports  avec  le  roi  ne  sauraient 
être  désormais  réglés,  ordonnés,  par  des  dispositions  gé- 
nérales ;  trop  grande  est  leur  dispersion,  trop  forte  la  diver- 
sité de  leurs  conditions.  Lq  bannum  du  roi,  comme  pouvoir 
éditerai,  ne  peut  plus  avoir  que  des  objets  très  particu- 
liers. Il  s'exerce,  sous  forme  d'ordres,  adressés  à  des  per- 
sonnes définies,  de  s'acquitter  de  leurs  obligations  envers 
le  roi,  ou  sous  forme  d'injonctions,  purement  négatives 
ou  prohibitives,  adressées  à  tous,  en  faveur  de  quelques- 
uns.  Ce  sont  ces  privilèges,  tout  individuels,  simple  mani- 
festation de  la  tuitio^  que  les  rois  nommentûfroiV  de  téquiléy 
aequum\  droit  prétorien  et  droit  civil^.  Ils  les  opposent 
assez  justement  à  la  potestas  :  pouvoir  d'imposer,  en  vertu 
du  bannum,  des  charges  arbitraires*. 

*  Charte  d'immunité  en  faveur  de  Saint-Pierre  de  Melun  :  «  Sum- 
mum ergo  ac  primum  in  regibus  bonum  est  in  ter  tôt  curas  et  sollici- 
tudines  quas  pro  gentium  regimine  sustinent,  justitiam  colère,  nec 
sinere  in  subditos  quod  potestatis  est  fîeri,  sed  quodœquum  servari... 
Igitur  ego  Heinricus...  »  (vers  1033,  H.  F.  Xf,  568  D)  (préambule  tiré 
de  la  lettre  de  Grégoire  V  à  la  reine  Constance  (998)  (H.  F.  X,  431  D, 
Décret  de  Gratien,  C.  Xtl,  q.  2,  c.  9). 

2  L'expression  jure  prœtorio  et  forensi  est  employée  deux  fois 
dans  un  diplôme  de  Robert  II  et  de  la  reine  Constance  (1030)  (H.  F. 
X,  621).  On  serait  tenté  de  voir  dans  le  jus  prœtorium  le  droit  de 
l'équité  royale  et  dans  le  jus  foreme  la  coutume  ;  mais  il  me  paraît 
plus  probable  qu'il  y  a  simple  emprunt  à  un  formulaire  (Cf.  formules 
wisigotbiques  :  jus  praetorium  et  urbanum  (éd.  Zeumer,  p.  585),  jure 
civili  vel  prœtorio  (ibidj  p.  586).  Le  scribe  se  décernait  ainsi  à  bon 
compte  un  brevet  de  savoir  juridique,  il  passait  pour  legis  peritus 
comme  veut  qu'il  le  soit  un  glossaire  du  x*  siècle  (Voir  mes  Etudes 
critiquesy  p.  174). 

'  Henri  I  libère  les  habitants  d'Orléans  de  l'exaction  que  commet- 
taient ses  officiers  par  des  prélèvements  indus  sur  le  vin  introduit 


336  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   IV. 

Concluons  que  le  passage  de  Richer  coarammeat  ia- 
voqué,  pour  prouver  Tacli  vite  législative  de  Hugues  Capet^, 
ne  peut  avoir  qu'un  sens.  Il  se  réfère  à  des  actes  particu- 
liers du  roi,  à  rexercice  de  son  ban  :  diplômes,  immuDités, 
ordres  ou  défenses,  voilà  ce  que  Richer  appelle  décréta 
et  leges,  dans  son  style  tout  farci  d'anachronismes.  Que 
les  érudits  cessent  donc  de  déplorer  la  perte  des  capitulaires 
de  Hugues  Capet  ou  de  ses  successeurs  immédiats,  et 
qu'ils  se  gardenlde  l'illusion  de  les  retrouver  un  jour.  Tous 
ceux  qu'on  a  cru  découvrir  ne  résistent  pas  à  l'examen.  Ils 
se  réduisent  à  un  mince  bagage. 

Cest  d'abord  le  pseudo-capitulaire  de  Hugues  Çapet, 
portant  confirmation  générale  des  privilèges  et  immuoilés 
de  l'Église  ^  Ni  en  la  forme,  ni  au  fond,  cet  acte  ne  mérite 
créance.  En  la  forme,  il  est  insolite',  au  fond,  il  n'est  qu'un 
lieu  commun,  une  sorte  d'amplification  de  la  promesse  du 
sacre*,  et  le  rappel  qu'il  fait,  sous  le  nom  de  charta,  d'un 
capitulaire  (de  Charles  de  glorieuse  mémoire)  dont  je  n'aper- 
çois trace  nulle  part'^,  n'est  pas  pour  lerendre  moins  suspect. 

Que  dire  de  la  prétendue  ordonnance  de  Philippe  1*% 
de  1080',  qui  n'est  qu'un  extrait  des  statuts  de  Lille- 
dans  la  ville,  puis  il  ajoute  :  (<  Unicuique  res  sud^jure  civili  et  «gui- 
tate^  servelur  »  (30  mars  1057,  Ord.  du  Louvre,  I,  p.  1  ;  H.  F.  XI,595). 

<  ((  Stipatus  ilaque  rognorum  principibus,  more  régie,  décréta  Tecit, 
legesque  condidit,  feiici  successu  omnia  ordinans,  atque  distribuens.  » 
(IV,  12,  éd.  Guadel,  II,  p.  158). 

«  H.  F.  X,  548-9. 

^  M.  Luchaire  le  tient  pour  suspect  (I,  p.  162).  M.  Pfîster  le  déclare 
manifestement  faux  (p.  147,  note  2). 

*  Voyez  une  amplification  analogue  dans  l'intérêt  de  Saint-Martin 
de  Tours,  XI,  658  B-C. 

*  (»  Vulumus  autem  ut  charta  gloriosœ  memoriaî  Caroli  Francorum 
régis  de  posscssionibus  Diis  gentiumquondam  dicatis  et  divine  cultui 
applicandis  in  omnibus  observetur  »  —  Ne  serait-ce  pas  une  rémi- 
niscence de  Walafrid  Strabon  :  «  Templa  deorum  abjectis  et  exter- 
minatisidolis  cumspurcissimiscultibus  suis  in  Deimutanturecclesias» 
(cap.  3)  (LL.  Capilul.  II,  p.  477). 

*  Ordonn.  du  Louvre,  XI,  173. 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS   DE  LA   ROYAUTE.       337 

bonne*?  Les  éditeurs  de  la  collection  du  Louvre  pour  avoir 
raison  de  la  discordance  entre  la  date  du  document  et  le 
nom  de  Henri  qu'ils  y  trouvaient,  substituèrent  tout  simple- 
ment à  ce  dernier  nom  (qui  était  celui  de  Henri  I"  d'An- 
gleterre), le  nom  du  roi  de  France  Philippe  I.  N'ont-ils 
pas  prêté  au  même  roi  une  ordonnance  de  Philippe  III  le 
Hardi^,  et  une  autre  de  Philippe  leBel^  en  les  antidatant 
de  deux  siècles? 

Il  n'en  va  pas  mieux  des  chroniques.  Le  récent  éditeur 
de  la  chronique  de  Nantes  a  avancé  que  le  roi  Louis  d'Ou- 
tre-mer  édicta  ou  confirma  l'abolition  du  servage  en  Bre- 
tagne *.   C'eût  bien    été  là    un  acte  législatif.   Malheu- 

*  Layettes  du  Trésor  des  CharteSy  I,  p.  25  et  s. 

3  La  confirmation  des  coutumes  d'Aiguë s-Mortes  (Ordonn.  IV,  44 
et  suiv.,  avec  la  date  de  1079).  —  Vaissette  a  prouvé  avec  la  der- 
nière évidence  que  la  date  réelle  est  4279  (note  36  du  t.  III,  nouv.  éd. 
VII,  col.  107  et  suiv.),  et  Secousse,  avec  sa  conscience  habituelle,  a 
fait  son  mea  culpa  le  plus  complet,  et  dans  la  préface  du  t.  VI, 
p.  38,  et  dans  un  carton  de  deux  pages  destiné  au  t.  IV.  —  Cette 
double  rectification  a  échappé  à  M.  Glasson,  qui  a  voulu  même  rame- 
ner la  date  de  Secousse  à  1069,  pour  la  faire  concorder  avec  la  9» 
année  du  règne  de  Philippe  I  {Hist.  du  droite  IV,  p.  67-68). 

3  La  lettre  sur  la  coutume  du  salin  de  Carcassonne  (Ordonn.,  XI, 
175,  datée  de  1099).  Bréquigny  a  reconnu  son  erreur  au  t.  XII  (errata 
après  la  préface).  —  Que  des  historiens  aussi  sagaces  et  aussi  éru- 
dits  que  Secousse  et  Bréquigny  n'aient  pas  été  Irappés  de  Tincom- 
patibilité  de  fond  qui  existe  entre  les  dispositions  de  ces  diplômes 
et  l'état  du  droit  au  xi«  siècle,  n'est-ce  pas  la  meilleure  preuve  de  la 
facilité  et  de  l'inconscience  avec  laquelle  les  pères  de  notre  histoire 
avaient  transposé  les  institutions  de  deux  siècles  en  arrière?  Dans 
son  carton,  Secousse  l'avoue  :  «  Je  n'avois  rien  remarqué,  dit- 
il,  dans  le  corps  de  ces  lettres  (celles  d'Aigues-Mortes),  qui  pust  me 
faire  soupçonner  que  la  date  en  estoit  fautive.  »  Et  il  reconnaît  la 
gravité  de  l'erreur  :  «  Si  cette  date  n'avoit  pas  esté  rectifiée,  elle  au- 
roit  pu  tromper  ceux  qui  s'appliquent  à  Testude  de  ces  matières 
importantes,  puisqu'elle  faisoit  remonter  jusqu'au  xie  siècle,  des  Lois, 
des  coustumes  et  des  usages  qui  ne  sont  pas  d'une  antiquité  aussi 
reculée;  ou  du  moins  dont  on  n'a  pu  jusqu'à  présent  fixer  l'origine 
d'une  manière  précise.  » 

♦  La  chronique  de  Nantes,  éd.  R.  Merlet(C.T.),p.LXX,p.l02,note. 

F.  —  Tome  III.  22 


338  LIVRE   IV.  —   CHAPITBB   IV. 

reusement  il  ne  repose  que  sur  une  méprise  certaine^ 
La  solution  de  conlinuilé  que  nous  venons  de  relever 
entre  les  dernier:^  capitulaires  du  ix*  siècle  et  les  pre- 
mières ordonnances  du  xu*  n'exclut  en  aucune  façon  une 
évolution  normale  et  logique  de  la  puissance  royale.  Elle 
prouve  seulement  que  le  pouvoir  législatif  des  rois  do 
IX*  siècle  n'a  pas  passé  directement  à  leurs  successeurs.  Sa 
source  n'était  qu'interceptée,  elle  n'était  qu'eu  apparence 
tarie,  seul  le  lit  où  elle  coulait  jusque-là  se  trouvait  à  sec. 
Cette  source,  nous  l'avons  dit,  c'était  le  bannum  et  le  maith- 
bour.  A  mesure  que  la  tuitio  royale  reprit  du  champ,  et 
que  le  baiinum  royal  eut  un  plus  libre  jeu,  les  obstacles 
qui  les  empochaient  de  s'épandre  en  puissance  législative 
tombèrent  l'un  après  l'autre*.  En  môme  temps,  la  royauté, 
sous  la  poussée  de  sa  propre  force  et  par  la  rénovation  so- 
ciale qui  s'accomplit  au  xii**  siècle,  se  dégagea  de  la  coo- 
ceplion  étroite  du  droit  particulier  et  du  privilège  pour 
s*élevcr  à  !a  notion  du  bien  public  et  de  la  législation  gé- 
nérale'. La  renaissance  du  droit  romain  n'y  fut  certaine- 

^  Ce  que  M.  Merlet  a  pris  pour  «  \ji  suppression  du  servage  en  Bre- 
tagne »  est  tout  siinplement  la  renonciation  du  roi  à  son  droit  de 
suite  sur  ceux  de  ses  sorl's  ou  colliberls  qui  se  réfugieraient  dans  le 
pays  breton.  Le  vieux  traducteur  Le  Haud  ne  s'y  était  pas  trompé  : 
«  Allain...  se  partant  du  roi  Loys  lui  pria  (jue  si  aucun  serf  ou  afTranchi 
de  son  royaume  venoit  en  Bretagne  puur  y  résider,  il  y  pcust  de- 
mour€r  franc  de  toute  servitude  !>ans  qu'il  le  vendicast.  » 

^  Cette  évolution  peut  Irt's  bien  se  suivre  au  xiii«  siècle.  D'après 
les  Éiablisitemcnta  de  mini  Louis  w  li  rois  ne  puct  mètre  ban  en  la 
terreau  baron,  sanz  son  asantemant  »  (I,  26,  éd.  Viollet,  II,  p.  36); 
mais  Beaummoir  déjà  lui  reconnaît  le  droit  de  faire  des  établisse- 
ments obligatoires  pour  tous,  en  vertu  de  la  tuitio  générade  :  «  Voir 
est  que  li  rois  est  souverains  par  dessus  tous  et  a  de  son  droit  la 
yencral  garde  de  tout  son  roiaume,  par  quoi  il  puet  faire  le  us  esta- 
blissemens  comme  il  li  plest  pour  le  commun  pourfit,  et  ce  quil  esta- 
blist  doit  estre  tenu  »»  (XXIV,  n°  1043,  éd.  Salmon  (G.  T.),  H,  p.  23>24; 
éd.  Beugnot,  II,  p.  22). 

3  C'est  déjà  presque  une  nouvi*aulé  ({uand  Philippe  1  définit  ainsi 
les  devoirs  de  la  royauté  :  «  Sicut  est  regiiE  celsitudinis  ac  majestatis 


y 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS  DB  LA  ROYAUTÉ.   33S 

ment  point  étrangère,  et  il  n'en  est  que  plas  piquant  de 
constater  qu'une  des  premières  incursions  que  fit  la  royauté 
dans  le  domaine  du  droit  privé,  ce  fut  contre  le  droit  ro- 
main qu'elle  la  dirigea'. 

§  3.  —  Le  pouvoir  exécutif  et  le  pouvoir  (T  imposer. 
Le  ban  royal. 

Le  magistrat  romain  a'vait  le  jus  edicendi,  le  roi  franc 
eut  le  bannum.  Je  ne  prétends  pas  chercher  entre  ces  deux 
pouvoirs  une  relation  de  cause  à  effet,  mais  je  les  compare 
dans  leur  principe  originel  et  dans  leur  évolution. 

L'édit  du  magistrat  romain  était,  dans  son  essence,  une 
publication  ou  communication  orale  (ex  dicere)  faite  en 
exécution  de  la  loi.  Le  bawium  primitif  ne  fut  pas  autre 
chose.  C'était  un  ordre  verbal,  conforme  aux  prescriptions 
légales  et  visant  leur  observance  ^,  un  verbum,  rin  sermo  *, 


statum  regni  emendare  moribus.  legibus  exornare  »  (1077,  Diplôme 
pour  Saint-Benoit-sur-Loire,  Prou,  Mélanges  Havet,p,  187). 

*  Lettre  de  Louis  VII  à  la  vicomtesse  de  Narbonne,  Ermengarde 
(1164,  H.  F.  XVI,  91).  Le  droit  romain,  dit-il,  interdit  aux  femmes 
de  juger.  La  coutunie  de  France  le  leur  permet.  C'est  celte  cou- 
tume que  la  vicomtesse  de  Narbonne  doit  tenir  puisqu'elle  est  du 
royaume  de  France  :  «  apud  vos  deciduntur  negotia  legibus  impera^ 
torum,  in  quibus  cautum  est  ne  feminis  permittatur  judicandi  potes- 
tas.  Benignior  longé  est  consuetudo  regninostri  ubi,  si  melior  sexus 
defuerit,  mulieribus  succedere  et  haereditatem  administrare  conce- 
ditur.  Mémento  ilaque  quia  de  régna  nostro  es  et  nos  volumus  ut 
regni  nostri  usum  teneas;  et  quamvis  imperio  vicina  sis,  in  bac  parte 
eorum  consuetudini  et  legibus  non  acquiesças  ».  On  voit  que  le  droit 
royal  naissant  s'intercale,  comme  droit  personnel,  dans  le  droit  terri- 
torial romain. 

^  Je  me  sers  à  dessein  de  ce  mot,  la  loi  primitive  ayant  un  carac- 
tère religieux. 

3  «  De  Dei  banno  et  de  nostro  verbo  bannimus  ut...  »  (Capit.  860, 
cap.  6,  II,  p.  158).  —  «  Ut  missi  nostri  ex  banno  nostro  praecipiant 
...  Ut  missi  nostri  ex  verbo  nostro  denuntient  atque  praecipiant  » 
(Capit.  852,  cap.  7-8,  II,  p.  269). 


340  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

comme  le  veut  la  racine  même  du  mot  S  Et  cette  sigaiBca- 
tion  essentielle,  il  ne  s'en  est  jamais  dépouillé.  A  Tépogae 
franque,  les  lois  devenaient  exécutoires  par  le  bannum 
du  roi^,  entendez  par  la  publication  qu'il  charge  ses  offi- 
ciers d'en  faire  en  son  nom  '  ;  au  xi*  siècle,  le  sens  propre 
du  mot  demeure  edictum  publicum^  et  aujourd'hui  encore 
c'est  l'idée  de  publicité  que  le  mot  ban  et  ses  dérivés  éveil- 
lent avant  tout  dans  l'esprit. 

J'ai  déjà  remarqué  l'identification  du  bannum^  sermo^ 
verbum  du  roi,  avec  la  paix  qu'il  procure  ou  conserve.  Elle 
a  pu  naître  en  partie  de  l'homonymie  des  termes  désignant 
la  main  qui  protège  (munt)  et  la  bouche  qui  ordoooe 

^  Voyez  Kern  Notes  mr  la  loi  Salique,  éd.  Hessels,  §  235  :  «  We 
may  infer  that  originally  bannan  denoted  in  gênerai  to  say,  to  speak 
loud,  to  speak  emphatically.  In  fact  the  Sanskrit  bhan,  bhanati  it 
«  to  speak,  tell,  recite,  preach  »  ;  to  the  same  family  beiongs'  greek 
<pa>vrl  and  ^coveTv  ».  L'opinion  de  M.  Schrœder  suivant  lequel  bannum, 
bannire  procéderaient  de  bandva  (signum  »  fano)  et  de  bandpjan 
(significare),  Temblème  sacré  de  Tautorité  ayant  passé  du  prôtre  au 
roi,  {Lehrbuch  der  Rechtsg,^  1889,  p.  31,  110,  117)  est  contredite  par 
cette  remarque  de  M.  Kern  :  «  The  Goth.  bandwa^  oy){aTov,  bandtqfanp 
to  give  a  sign,  beckon,  etc,  stand  nearer  to  ^aiveiv  than  to  pcuvtîv  or 
bannan.  » 

^  u  Pro  contemptu  singulorum  capitulorum  quœ  per  nostrœ  regim 
atictoritatis  bannum  promulgavimm  »  (Capit  801,  cap.  2,  II,  p.  205) 
—  D'où  l'expression  de  bannum  pour  capitulaire  ou  ardinatio  : 
«  post  istum  bannum  per  consensum  omnium  factum  »  (Édit  de  Pis- 
tes, IL  p.  307)  «  qui  post  hune  prœsentem  bannum  inventus  fuerit» 
(Cap.  861,  H,  p.  301). 

'  «  Volumus  etiara,  ut  capitula  quœ  nunc  et  aiio  tempore  con- 
sultu  fidelium  nostrorum  a  nobis  constituta  sunt  a  caDcellario  nostro 
archiepiscopi  et  comités...  accipiant  et  unusquisque  per  suam  dioce- 
sim  ceteris  episcopis,  abbatibus,  comitibus  et  aliis  fidelibus  noBtris 
ea  transcribi  faciant  et  in  suis  comitatibus  coram  omnibus  relegant^ 
ut  cunctis  nostra  ordinatio  et  voluntas  nota  fieri  possit  »  (Cap.  814- 
827,  cap.  26, 1,  p.  307).  —  »  Hanc  autem  nostram  constitutionem... 
et  in  palatio  nostro  et  in  civitatibus  et  in  mallis  atque  in  placitis  seu 
in  mercatis  relegi^  adcognitari  et  observari  mandamus  »  (Cap.  861»  lit 
p.  302). 

*  Ducange,  v*  Bannum,  1. 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE  LA  ROYAUTE.      341 

{mu7îd)\  mais  elle  est  due  surtout  à  Texercice  même  du 
bannum.  L'ordre  royal,  faisant  inhibition  de  nuire  à  une 
personne,  lui  assurait  une  paix  spéciale^;  la  proscription, 
l'excommunication  par  la  parole  du  roi  {forbannire)^ 
mettait  hors  de  la  paix  '.  D'autre  part  le  bannum  fut  pu- 
blié une  fois  pour  toutes  en  vue  de  réprimer  les  actes  qui 
troublaient  le  plus  profondément  la  paix  publique  et  dont 
la  fréquence  était  le  plus  à  craindre,  puisqu'ils  s'atta- 
quaient aux  plus  faibles.  Il  devint  ainsi  un  bannum  trans- 
laticium^  comme  était  redictum  translaticium  des  magis- 
trats romains,  ou,  pour  employer  les  expressions  mêmes 
des  capitulaires,  il  fut  à  l'égard  de  tout  un  ensemble  d'actes 
une  publication  de  plein  droit,  per  semetipsum^,  une  pu- 
blication permanente,  m  assiduitate  '. 

L'analogie  entre  le  ban  royal  et  Tédit  prétorien  peut  se 
suivre  plus  loin.  Le  roi  franc  ne  se  contente  pas  de  pro- 
mulguer la  lex  ou  les  capitula  qui  s'y  ajoutent,  il  fait  des 
règlements  pour  assurer  l'exécution  de  la  loi  :  dès  lors,  il 

*  T.  I,  p.  61,  note. 

*  D'où  l'expression  de/ïtrôanpour  fredus  (LexSal.  13,5,  éd.  Hes- 
sels,  Cod.  4).  —  Il  me  paraît  difficile  d'admettre  avec  M.  Brunner 
(I,  p.  147,  note  92)  que  furban  soit  ici  un  synonyme  direct  de  sermo 
régis, 

3  Forbannire  ne  signifiait  pas  dans  le  principe  mettre  hors  du  sermo 
régis,  mais  mettre  hors  la  paix  par  la  parole  du  roi  (Cf.  Schrœder 
Rechtsg.j  p.  118,  note  68),  foras  'sermone  mittere,  Sermo  et  bannum 
prirent  ainsi  le  sens  de  paix  ou  même  d'amende  pour  la  violation  de 
la  paix  (bannus  francilis)  (Cf.  Capit.,  861,  II,  p.  301). 

*  «  Inprimis  de  banno  domini  imperatoris  et  régis  quem  per  semet- 
ipsum  consuetus  est  bannire,  id  est  de  mundoburde  ecclesiarum, 
viduarum,orfanorum  et  de  minus  potentumpersonarumatque  de  raptu 
et  de  exercilali  placito  instituto,  ut  hi  qui  ista  irrumperint  bannum 
dominicum  omnimodis  componant  »  (Capit.  803-813,  J,  p.  146). 

^  «  Ut  œcclesia,  viduae,  orfani  vel  minus  polentes  pacem  rectam  ha- 
beant;  et  ubicunque  fuerit  infractum,  LX  solidis  conponatur...  Hœc 
octo  capitula  in  assiduitate;  reliqua  autem  reservata  sunt  regibus,  ut 
ipsi  polestatem  habeant  nominativae  demandare,  unde  exire  debent  » 
(Capit,,  ar/  leg,  Baiwar.  orfd.,  801-813,  I,  p.  157-158). 


342  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  IV. 

rinterprète,  la  complète  et  finit  par  la  modifier.  Un  Papi- 
nien  franc  aurait  pu  dire  de  lui  qu'il  édicté:  «  adjuvandi 
vel  supplendi,  vel  corrigendi  juris  civilis  gratia,  propter 
utilitaiem  publicam  ».  C'est  pourquoi  nous  avons  pu  ratta- 
cher le  pouvoir  législatif  au  bannum.  Mais  il  n^eo  est  sorti 
qu'indirectement  et  sans  jamais  se  confondre  avec  lui. 

L'exécution  de  la  loi,  sous  forme  d'ordre  royal,  telle  était 
la  raison  d'être  fondamentale  du  bofinum,  et  l'on  comprend 
fort  bien  que  la  loi  Ripuaire  ait  fixé  elle-même  le  taux  de 
l'amende  encourue  pour  violation  du  ban  royale  II  était 
donc  très  distinct  de  la  districtio.  Par  le  bannum^  le  roi  or- 
donnait ou  défendait  :  son  ordre  ou  son  interdit  pouvait  aller 
jusqu*à  la  mise  hors  la  loi,  soit  provisoire,  soit  définitive  de 
la  personne  et  des  biens*.  Par  la  districtio^  le  roi*  oa  ses 
agents*  arrêtaient,  emprisonnaient,  châtiaient  corporel- 
lement  les  délinquants,  et  se  mettaient  en  possession 
de  leurs  biens  *.  La  districtio  était  Temploi  de  la  farce, 


*  Lex  Ribuaria,  35,  3;  58,  12-13  ;  60,  3  ;  65,  1,  etc. 

2  La  missio  in  bannum  (mise  sous  séquestre)  se  changeait  en  con- 
fiscation définitive  après  an  et  jour  (Cf.  «  in  fisco  sociare  proprietatem 
in  banno  missam  »  Cap.,  I,  p.  268,  269, 283,  etc.).  —  La  forbannith 
prononcée  par  le  roi  faisait  du  forban  un  outlaw ^  un  wargus  {vargr 
=  loup)  (Cf.  Grimm,  RechtsalL.ip.  396,  733,  et  Kern,  éd.  Hessels,  §  210) 
et  entraînait  dès  lors  confiscation  des  biens  (Cf.  «  in  fiscuxn  recipere 
alodem  forbanniti  »  Capit.,  Il,  p.  343). 

3  «  Ut  homines  boni  generis,  qui  infra  conûtatum  inique  vel  injuste 
agunt,  in  prœsentia  régis  ducantur;  et  rex  super  eos  districtionem 
faciat  carcerandi,  exUiandi  usque  ademendationem  illorum  »  (Gapît. 
801-813,  I,  p.  171). 

*  «  Ut  comités,  unusquisque  in  suocomitatu,  carcerem  habeant;6t 
judices  atque  vicarii  patibulos  habeant  »  [ibid.).  —  La  forbannitio 
du  missus  ou  du  comte  ne  doit  pas  être  confondue  avec  celle  du 
roi.  Elle  n*est  qu'une  sorte  de  districtio  {Cî.  Brunner,  II,  p.  465  sniv.). 
Il  est  à  remarquer  aussi  que  le  ban  du  comte  est  un  diminutif  du  ban 
du  roi,  au  nom  duquel  il  s'exerce,  et  que  si  l'amende  pour  sa  vioUtioa 
s'élève  parfois  à  LX  sols,  c'est  par  une  délégation  exceptionnelle  du 
ban  royal  dans  toute  sa  plénitude. 

*  La  distinction  entre  le  bannum  et  la  districtio  ressort,  par  ezem* 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE   LA   ROYAUTÉ.       343 

le  bannum  était  la  mise  en  action  de  la  loi.  La  pre- 
mière, en  s'étendant  hors  de  ses  légitimes  limites,  devait 
aboutir  à  l'arbitraire  et  à  la  violence.  Le  bannum  pouvait^ 
sans  troubler  Tordre  et  par  une  extension  normale,  accroî- 
tre les  attributions  administratives  et  financières  du  pou- 
voir exécutif  aux  dépens  du  pouvoir  populaire.  Et  c'est  ce 
que  nous  voyons  se  produire  sous  la  monarchie  carolin- 
gienne. Le  roi  ne  se  borne  pas  à  convoquer  Tarmée,  il 
règle  les  conditions  du  recrutement,  il  astreint,  sous  peine 
de  violation  du  ban,  à  des  contributions  collectives  [con- 
jectiiSy  heribannum)  ceux  qui  n'étaient  pas  en  mesure  de 
remplir  en  personne  leur  devoir  militaire  *.  Ces  contributions 
furent  généralisées  quand,  pour  venir  à  bout  de  l'envahis- 
seur normand,  les  rois  préférèrent  payer  que  combattre  : 
la  contribution  générale  [conjectusy  remplaça  la  levée  en 
masse  [hostis  pnbliciis). 

Au  devoir  de  se  rendre  à  l'ost  bannie  ou  proclamée  s'a- 
joutait, pour  Thomme  libre,  le  service  de  guet  {wacta,  scu-- 
bia  publica)  et  Tobligation  de  travailler  aux  fortifications 
ou  à  la  réfection  des  ponts.  Ce  fut  un  point  (J'attache  tout 
trouvé  pour  les  corvées  de  travaux  publics',  comme  le 
fut  Cherberge  germanique  pour  le  cursus  publicus^.  Delà 
sorte  le  roi  franc  put,  à  l'aide  de  son  bofmum,  imposer 
à  ses  sujets  les  functiones  publicœ  de  l'administration  ro- 
maine. 

pie,  assez  nettement  de  ce  capitulaire  :  «  Si  ad  mallum  non  venerint, 
banniantur,  et  per  res  et  mancipia  vel  mobile  distringantur,  ut 
veniant.. .  Et  si  post  secundam  comitis  admonitionem  ad  mallum 
venire  noluerint,  rébus  eorum  in  bannum  missis,  venire  et  justiciam 
reddere  compellantur.,.  Et  qui  res  et  mancipia  vel  mobile  non  habent^ 
per  qudd  distringi  possint...  comprehendantur  »  (Cap.  de  Kiersy,873, 
II,  p.  343-4). 

*  «  Ut  illi  qui  hanbannum  solvere  debent  conjectum  faciant  ad  ha- 
ribannatorem  »  {Ansegisi  Capit.,  111,35,  LL.  I,  p.  429). 

2  «  Conjectus  pro  regni  salvamento  »  (Cap.  861,  II,  p.  301-302). 

3  T.  I,  p.  357  suiv. 

*  T.  I,  p.  349  suiv. 


344  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE   IV. 

Ed  verlu  de  leurs  us  traditionnels,  les  Francs  arrivaieDt 
les  mains  pleines  de  cadeaux  [dona)  au  lieu  où  se  tenait 
le  grand  plaid  annuel  convoqué  par  ban  du  roi.  L'usage 
devint  loi,  l'apport  des  donaïui  prescrit,  comme  une  suite 
obligatoire  de  la  convocation  au  plaid ^  et  sans  doute  spé- 
ciQé  par  avance.  Elargi  suivant  les  circonstances,  la  fré- 
quence et  rimportance  des  plaids,  les  nécessités  auxquelles 
rÉtat  avait  à  faire  face,  il  donna  naissance  aux  aides  et 
aux  tailles  qui  vinrent  s'ajouter  à  l'impôt  de  guerre  (con- 
jectus). 

Il  ne  semble  pas,  au  contraire,  que  les  rois  francs  aient 
pu  user  efQcacement  de  leur  bannum  pour  introduire  ou 
pour  généraliser  l'impôt  foncier  [jugatio)  et  l'impôt  per- 
sonnel {capitatio)  romain,  ce  qui  les  aurait  investis  dans 
toute  sa  plénitude  du  pouvoir  d'imposer.  Les  tentatives 
des  Mérovingiens  se  heurtèrent  à  de  trop  énergiques  résis- 
tances des  Francs  pour  que  les  Carolingiens  les  aient  re- 
prises, mais  du  moins  les  voyons-nous  enjoindre,  de  par 
leur  ban,  à  ceux  qui  sont  assujettis  à  ces  impôts  de  s'en 
acquitter  en  temps  et  lieu,  selon  la  coutume  ancienne*, 
et  faire  inhibition  aux  comtes  d'exiger  davantage,  c'est-à- 
dire  d'user  eux-mêmes  du  droit  d'imposer  {superponere)*. 

C'est  le  pouvoir  réglementaire  compris  dans  le  ban  royal 
qui  présida  à  lalevée  des  impôts  indirectset  donna  naissance 
aux  banalités^.  Les  historiens  ont  eu  tort  de  parler  ici  de 
droits  de  souveraineté  ou  de  droits  régaliens,  dans  le  sens 

'  «  De  statu  rei  publicœ  in  qui  rend  um...  unde  vel  quee  dona  an" 
nualia  aut  tributa  publica  exigi  debeant  »  (Capit.  missorum,  865,  II, 
p.  93-94). 

*  «  Statuendum  est  ut  unusquisque  qui  censum  régi  um  sol  vere  dé- 
bet in  eodem  loco  illum  persolvat  ubi  pater  et  avusejus  solvere  con- 
sueverunt  »  (Cap.  820,  I,  p.  295).  —  «  Census  regaÛs,  undecumque 
légitime  exiebat  volumus  ut  inde  solvatur,  sive  de  propria  persona 
hominis  sive  de  rébus  »  (Ansegise,  III,  15,  LL.  I,  p.  427). 

3  ((  Placuit  nobis  ut  hominibus  liveris  nihil  superponant  nisi  sicut 
lex  et  reclitudo  continet  »  (Capit.  822-23, 1,  p.  319). 

*  T.  I,  p.  325  suiv. 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE   LA  ROYAUTÉ.      345 

de  monopoles  ou  de  prérogatives*.  Aussi  bien  pour  rémis- 
sion et  la  frappe  des  monnaies  que  pour  les  droits  de  mar- 
ché et  les  tonlieux,  péages  ou  douanes,  il  ne  s'agit  au 
fond  que  d'une  tutelle  administrative  et  d'une  exploitation 
qui  n'a  rien  d'exclusif. 

Le  roi  carolingien  fixait  l'endroit  où  des  droits  de  transit 
pouvaient  être  perçus,  il  déterminait  par  qui  et  pour  quels 
objets  ils  pouvaient  être  dus  ',  il  autorisait  la  tenue  des  mar- 
chés ou  des  foires',  l'ouverture  des  ateliers  monétaires*,  il 

*  On  a  confondu,  sous  le  nom  de  droit  de  battre  monnaie^  le  droit 
de  fixer  le  titre  et  le  type  de  la  monnaie,  ou  en  général  de  réglementer 
le  monnayage,  avec  le  droit  de  frappe  et  d^émission.  Le  premier  est 
un  droit  de  souveraineté,  le  second  peut  être  ouvert  à  tous,  réservé  à 
quelques-uns  ou  monopolisé  entièrement  par  l'État, 

2  Voyez  notamment  le  Capit.  de  754-755,  cap.  4  (I,  p.  32)  et  le 
Capit.  de  functionibus  publias  (820)  (I,  p.  294-295). 

3  «  Ut  unusquisque  comes  in  comitatu  suo  omnia  mercata  inbre- 
viari  faciat,  et  sciât  nobis  dicere  quœ  mercata  tempore  avi  nostri  fue- 
runt  et  quae  tempore  domni  et  genitoris  nostri  esse  cœperunt,  vel  quœ 
illius  auctoritate  constituta  fuerunt,  vel  quae  sine  auctoritate  illius 
facta  fuerunt,  vel  quae  tempore  nostro  convenire  cœperunt,  vel  quae  in 
antiquis  locis  permanent,  et,  si  mutata  sunt,  cujus  auctoritate  mutata 
fuerunt  »  (Edit  de  Pistes,  864,  II,  p.  317-318).  Il  ne  s'agit  certai- 
nement pas  des  marchés  quotidiens  ou  hebdomadaires,  mais  des 
grandes  foires  périodiques,  d'ordinaire  annuelles,  véritables  assises 
commerciales.  La  distinction  est  clairement  faite  dans  les  capitulaires 
relatifs  aux  tonlieux  ;  «  UtnuUus  de  victualia  et  carralia,  quod  absque 
negotio  estf  Iheloneum  prœhendat  »  (I,  p.  32)  —  n  Ut  nuUus  teloneum 
exigat  nisi  in  mercatibus  ubi  communia  commertia  emuntur  ac  ve- 
nundantur  »  (I,  p.  294). 

*  Diplôme  de  Lothaire  II  pour  Tabbaye  de  Priim  (28  juillet  861), 
(Beyer,  Urkundenbuch  d,  mittelrh.  Territ,f  n^  96),  cité  par  M.  Prou 
dans  sa  belle  Introduction  au  Catal.  des  monnaies  caroling.  (Paris, 
1896),  p.  LX,  note  5  :  w  Ut  abhinc  in  antea  in  predicto  loco  merca- 
tum  habeant  more  humano  et  moneta  ad  bonos  et  meros  denarios 
perficiendum  fiât,  et  nulla  pars  publicainde teloneum  velaliquamexac- 
tionem  exigat  »  —  Diplôme  de  Louis  le  Germanique  pour  l'évêque  de 
Strasbourg  (12  juin  873),  souvent  publié  et  en  dernier  lieu,  dans  l'Ur- 
kundenbuch  der  Stadt  Strasburg  (I,  p.  26-27),  par  M.  Wiegand,  qui 
en  reconnaît  l'authenticité  :  «  Ut  in  quacunque  placuerit  villa  épis- 


346  LIVRE   IV.    —    CHAPITRE  IV. 

réglementait  leur  fonctionnements  le  tout  en  vertu  de  son 
ban.  Il  lui  était  loisible  de  se  faire  payer  parles  concessioD- 
naires  des  rétributions  ou  des  quote-parts  plus  ou  moioâ 
élevées,  et  il  parvenait  à  tirer  des  profits  d'autant  plus 
grands  des  stations  de  péage,  marchés,  ateliers  moDétaires 
dont  il  se  réservait  à  lui-même  l'exploitation,  que  ceux-ci 
subissaient  une  moindre  concurrence;  mais,  je  le  répète, 
ni  la  levée  du  tonlieu  ni  la  frappe  de  la  monnaie  n'étaient 
une  émanation  directe  de  sa  souveraineté.  Tout  se  ramenait 
à  un  droit  de  contrôle,  à  une  réglementation  édictorale*. 

copii  su!  monetam  statuai,  quatinus  pro  mercedis  nostrs  augmento 
utilitati  ipsius  eccIesisD  deserviat  ». 

11  est  bien  vrai  que  les  rois  carolingiens  avaient  voulu  restreÎDdre 
à  leur  palais  ou  h  un  pj'lil  nombre  fixe  d'ateliers  (édit  de  Pistes,  cap. 
12,  II,  p.  315)  la  fabrication  de  la  monnaie,  mais  Charlemagne  déjà 
ajoutait  cette  réserve  :  «  Nisi  forte  iterum  a  nobis  aliter  fueril  ordi- 
nal um  »  (Capit.  missor.  c.  18,  II,  p.  125;  Ansegise,  III,  13)  et  eu  fait 
—  que  ce  soit  par  tolérance  et  confirmation  d'ateliers  anciens  ou  par 
autorisation  d'ateJiers  nouveaux  — ,  il  existe  de  nombreuses  monnaies 
frappées  en  de  tous  autres  lieux  que  les  villes  désignées  parTÉdilde 
Pistes  (Voyez  Prou,  op,  cit.,  p.  xvi-xvri  et  Soeibeer  dans  Fonchun- 
gen  zur  deutachen  GeschichtCy  VI,  p.  12).  Cette  multiplicité  était  iné- 
luctable. Klle  était  imposée  par  la  difficulté  des  communications,  par 
les  habitudes  locales,  par  les  nécessités  du  commerce.  A  tout  centre 
de  trafic  devait  correspondre  un  contre  de  fabrication  monétaire  où 
les  marchands  pussent  s'approvisionner.  C'est  pourquoi  traditionnel- 
lement les  tonlieux,  les  marchés,  les  monnaies  restèrent  juxtaposes, 
formèrent  une  sorte  de  faisceau  indivisible  'Cf.  Eheberg,  Dos  altère 
dciiHche  Miinzwefien  und  die  Hausgcnossensch.  (Leipzig,  1879), 
p.  17-18).  La  reconnaissance  de  l'un  n'allait  guère  sans  roctroi  des 
autres.  La  concession  notamment  de  la  moneta,  telle  que  je  viens  de 
la  définir,  no  se  sépare  pas  de  la  lirence  de  tenir  un  marché  et  d'y  per- 
cevoir le  tonlieu  (Cf.  Prou,  op,  cit.,  p.  LXI);elle  en  découle  même 
implicitement  (Cf.  Eheberg,  /.  c.  p.  18). 

*  La  surveillance  des  ateliers  monétaires  est  exercée  par  le  comte. 
Voyez  Capit.  de  moneta  (vers  82U?)  I,  p.  299-300. 

^  11  résulte  très  clairement  des  capitulaires  que  j'ai  cités  ou  bmd- 
tionnés  que  des  corps  religieux,  des  particuliers  ou  des  seigneurs 
percevaient  des  tonlieux,  possédaient  des  marchés  et  des  ateliers 
monétaires.  Le  monnayage  était  devenu  presque  entièrement  libre 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS    DE   LA   ROYAUTÉ.       347 

C'est  à  ce  droit  que  le  roi  renonce,  avec  le^  émoluments 
qui  en  provenaient,  quand  il  concède  péage,  marche,  mon- 
naie à  un  immuniste,  ce  n'est  pas  à  un  droit  régalien  de  le- 
ver un  impôt  indirect  ou  d'émettre  du  numéraire*.  Il  ar- 

k  ré|»<)que  mi^rovinfîienne.  Les  monétnires,  et  non  le  roi.  paranti»- 
Fiiiont  la  valtMir  de  la  monnaie;  ils  la  signaient;  ils  y  inscrivaienl  la 
l»''t:«Miile  ri  y  apposaient  l'efligie  qu'il  leur  plaisait  (Cf.  Prou,  Introd. 
au  C'italotjHe  dea  monnaies  niérorinyicnncs  (Paris,  1892),  p.  lxxx 
suiv.  —  Introd.  au  C.  des  m.  carol.y  p.  xlvi).  Co  up.  sont  ({uo  les 
Can»lin;/ions  qui  ont  restaun'*  1p  contrôle  des  monnait^s,  réglementé 
la  fra[ifM*,  fixé  la  valeur  de  l'esp'ce,  imposé  conmie  type  le  mono- 
granirni'  royal;  mais  sans  qu'on  puisse  dire  avec  M.  Prou  (/.  c.)  qu'ils 
ont  Pt'pris  a  le  droit  exclusif  d'émettre  des  monnaies  ».  Beaucoup 
d'att-lirps  ancierjs  ont  survécu,  qu'ils  appartinssent  à  des  villes,  des 
al»h;iy«'S  ou  (N»  puissants  laïqu»'S.  M.  Prou  ne  le  recotmaît-il  pas  lui- 
mAin»»  quand  il  écrit  :  ««  Il  y  avait  d'autres  ateliers  que  les  ateliers 
royaux,  à  savoir  ceux  que  les  églises  exploitaient  en  vertu  de  conces- 
sions niyalfs.  Le  choix  des  monnayeurs,  du  moins  à  la  fin  du  zi*  siè- 
cl»',  n'apiKirh'nait  au  comte  que  dans  les  ateliers  royaux;  car  rarticle 
13  de  ledit  d»*  Pistes  porte  que  les  monnayeurs  seront  désignés  par 
ceux  dans  la  puissance  desquels  seront  placées  les  officines  monétaires: 
n  in  quorum  pot»'S(ale  deiuceps  monetie  permansiTunt  ».  D'autres 
p»'rs«MHM's  «jii»'  1rs  romles  pouvaient  d-mc  exercer  leur  potesta>i  sur 
1»'S  -iirli.Ts  '>  (Mon.  carol.^  p.  i.-i.i). 

C'*  s<«n'  1«'S  <i'»Man«'s,  l«*s  marcln*s  ou  h's  ateliers  monétîiires  tradi- 
tinM.'!s  qui. a  p-iPtlr  diix*  si»rl«\  o'it  é|«*  accaparés  p;ir  les  seign«nirs  ou 
«f  S'i;.!  cnris.Tvi's  dans  Ifurs  miin-,  vl  ont  fond»-  leur  droit  de  fon- 
lieu,  de  marrhc  i>\i  de  monnaie,  bien  plus  que  l'usurpation  directe 
du  r«»ritrMl«*  MU  du  han  royal 

*  L»-s  rois  camlinirij'us,  d»'S  le  «léhut  du  x*  siècle,  ne  se  désistent  pas 
seuiiuhrit,  ♦•[!  !av»Mird«'s  immiinish's,  de  leur  droit  de  réglementation 
et  'If  rnntrMJf  sur  l«*s  marchés  et  les  ateliers  monétaires,  ils  vont  plus 
l"i'i,  i'-  aijtnris.'nt  1»'S  ateliers  [»rivt'S  A  fra[»per  des  monnaies  k  un 
tyi»»'  '»u  a  iiM'-  marque  de  leur  choix.  —  Diplôme  de  Chîirles  le  Simple 
■  2n  (j.«»Tul»r»'  IM  1  pour  l'évéque  de  Camhrai  :  <«  Nostra  possideat  per- 
ftf-'ij"  munificent  il  mercalum  et  proprii  nummismatis  percussuram  i> 
'CartuL  A.  du  chnp.de  Camhrai,  MS.  lat.  lOOfiK,  f«'  0.  —  Prou,A/on. 
C'ivnl..  p.  LXVI.  n.»te  i  .  —  Diplnme  de  Charles  le  Simple  (27  juin 
'.MV  I  'ur  Sain:-Martin  de  Tours  :€  propriam  monetam  et  percussu- 
rirn  f'rMi.rii  nurnismatis  nostra  auctoritate  conrederemus  >»  ^Pancarte 
no,ic  de  S.-M.  de  Tours  n«  VII;  H.  F.  IX,  544  B).  —  DiplOme  de 


348  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

rive  seulement  qu'à  cette  renonciation  s'ajoute  la  cession 
par  le  roi  de  bureaux  de  douane,  de  marchés,  d'ateliers 
monétaires  qu'il  avait  exploités  jusque-là  *. 

Le  droit  à' ordonner^  nous  venons  de  le  montrer,  est  en 
étroite  connexilé  avec  le  droit  de  publier  Tordre  (orrfi- 
natio^),  le  commdindemeni  {mandaium^  comfnendatio)\ 
le  capitulaire.  A  vrai  dire,  Tinjonction  légale  n'existe  que 
par  la  publicité  qui  lui  est  donnée  au  nom  du  roi.  Cette 
importance  du  droit  de  publication  fut  cause  sans  doute 
qu'il  survécut  au  droit  de  légiférer.  Abbon  le  reconnaît  en- 
core au  roi  du  x**  siècle.  Sa  fonction  essentielle  n'est  pas 
de  faire  la  loi,  mais  de  la  promulguer*. 

De  son  côté,  l'amende  pour  violation  du  ban  royal  put 
survivre,  comme  peine  conventionnelle,  au  droit  de  com- 
mander, là  où  celui-ci  tomba,  l'impôt  au  pouvoir  d'im- 
poser, en  devenant  consuetudo,  exactiOy  biennium^  rede- 
vance ou  corvée  coutumière*. 

Charles  le  Simple  (920)  pour  Prûm  :  «  mercatum  statuant  in  quocum- 
que  potestatis  sux  loco  voluerint,  propriique  numismatis  perçu tiendi 
monetam  ex  regia  haberent  auctorilate  licentiam  «  (H.  F.  IX,  549 
A). 

*  Voyez  exemples,  Prou,  Monn,  caroL,  p.  lvii-lviu. 

'  Ordinatio,  au  sens  de  jussiOj  ordinare  au  sens  de  jubere  sont 
d'un  usage  fréquent  dans  les  capitulaires.  C'est  rorigine  directe  du 
mot  ordonnance. 

'  ((  Et  volumus  ut  sciatis  quia  commendavimus  ul  unusquisque:.: 
Gratias  vobisagimus  quia  fideliter  secundumnostramcomniemto<ton«m 
in  nostro  venistis  servitio  »  (AdnuntiaU  Karo/i,  869,  Capit.II,  p.  337). 
—  «  Quod  mandatum  nostrum  si  quis  contemnere  prœsumpserit. 
hannum  nostrum,  id  est  LX  sol.,  componat  »  {Édit  de  Pistes^  II, 
p.  325). 

^  Cf.  ce  passage  des  canons  d' Abbon  avec  les  textes  cités  plus  haut  : 
«  Sicut  rex  a  regendo  dicitur,  ita  lex  a  légende.  Quapropter  legum 
promulgatio  regum  edictis  exienditur  »  (H.  F.  X,  629  D).  —  Le 
bannum  servait  à  rappeler  à  l'observation  des  lois  divines  et  humaines  : 
«  Capitula  autem  legum  divinarum  atque  mundanarum  et  imperato- 
rum...  de  quibus  omnes  admonere  atque  omnes  ex  Dei  banno  et  nostro 
cavere  praecipimus  »  (Capit.  861,  II,  p.  305). 

'  Le  bannum  des  rois  francs,  qui  avait  servi  à  astreindre  leurs  sujets 


PRÉROGATIVES  BT  ATTRIBUTS    DK   LA   ROYAUTÉ.      349 

Le  pouvoir  d'imposer,  le  roi  des  x*  et  xi'  siècles  ne  le 
retint  d'effective  façon  qu'en  vertu  de  son  mundium  par- 
ticulier ou  sur  les  populations  pour  lesquelles  s'opéra  la 
confusion  du  comitatus  avec  le  pouvoir  royal.  Ailleurs, 
en  effet,  il  n'avait  qu'une  autorité  insufQsante  pour  que  les 
princes  de  la  Gaule  fussent  tenus  à  des  contributions,  s'ils- 
ne  s'y  étaient  point  liés  par  un  traité  spécial.  Aux  seuls 
princes  de  la  Francie,  qui  lui  devaient  Thommage  lige  na« 
turel,  et  aux  vassaux  directs,  il  pouvait  réclamer  des  aides, 
et  celles-ci  prirent  vers  le  xu®  siècle  un  caractère  de  plus 
en  plus  féodal.  Quant  aux  impôts  indirects,  ils  échappèrent 
d'autant  plus  complètement  des  mains  du  roi  qu'ils  ne 
constituaient  pas  des  monopoles,  mais  étaient  le  produit 
d'une  simple  réglementation. 

Toutefois,  ni  le  droit  traditionnel  de  convoquer  l'armée 
nationale,  d'ordonner  une  levée  en  masse,  ni  le  droit  théo- 
rique d'exiger,  en  des  conjonctures  extrêmes,  un  impôt 
général  ne  se  perdirent  sans  remède. 

Nous  retrouverons  l'ost  général  du  roi  pour  la  défense 
du  royaume  dans  les  chartes  du  xi*  siècle*,  et  si  l'aide  gé- 
nérale levée  dans  ce  but,  ou  en  vue  d'une  guerre  nationale^ 

aux  corvées,  a  donné  son  nom  aux  corvées  coutumières  :  hiennium^ 
bidannurrij  en  français  bians  (Ducange,  v«  Biennium;  Laurière,  Glos- 
saire du  droit  français^  v«  Bians,  I,  p.  46^).  —  Il  y  a  même  ceci  de 
très  remarquable  que  l'emploi  principal  et  originaire  du  bannum 
ayant  eu  pour  objet  le  service  militaire,  le  mot  d'herbannum  s'é- 
tendit aux  autres  services  de  corps  et  en  arriva  à  désigner,  en  France, 
un  impôt  sur  l'exercice  des  métiers  et  sur  le  commerce,  établi  en 
échinge  et  à  titre  de  rachat  des  corvées  coutumières  :  le  hauban 
(herbannurrif  arbannum,  asbannum,  —  arban,  hauban).  Voyez  pour 
cette  filiation  ;  Diplôme  de  Louis  VI,  4111,  {boulangers),  (CartuL  de 
Paris,  n°  459,  Tardif,  Monum,  histor.,  n^  354),  confirmé  1440  {CarU 
de  PariSj  n*»  281).  —  Diplôme  de  Louis  VI,  1129  {marchands),  ColL 
Moreau,  t.  54,  f°  16  (publié  en  partie  dans  Gallia  Christ,  X,  Instr. 
428).  —  Diplôme  de  Louis  VU,  1145  [rustici)  {Coll.  des  Ordonn.,  I, 
p.  9). 

*  Infrà,  Chap.  vi,  §  2.  Chacun  sait  la  curieuse  métamorphose  que- 
Vheribannum  a  subie  en  devenant  Varrière-ban, 


350  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   IV. 

ne  reparaît  que  vers  le  milieu  du  xii''  siècle,  en  Tan  1146^, 
soD  princi[)e  n*a  jamais  dû  s'oblitérer  dans  les  esprits.  II 
y  était  entreteno  parle  souvenir  vivace  des  invasions  nor- 
mandes, par  les  chroniques  et  les  légendes  carolingiennes, 
par  le  patriotisme  enfin  des  chansons  de  geste,  où  la  lutte 
contre  Tétranger,  le  Sarrasin  ou  le  Saxon,  s'incarne  dans 
la  grande  figure  de  Charlemagne,  le  maître  qui  commande^, 
au  nom  et  pour  la  gloire  de  la  nation  des  Francs. 

Théoriquement  aussi,  le  droit  d'ordonner  ou  de  défen- 
dre à  Taide  du  ban,  exbanno,  s'est  conservé  sous  la  forme 


*  M.  Luchaire  {Rist.  (les  inst,  mon,,  I,  p.  120  et  suiv.),  et,  après  Ipî, 
M.  Flammermont  (De  concessu  legis  et  auxUH,  Paris,  1883,  p.  63  et 
suiv.),  ont  combattu  à  bon  droit  l'idée  que  rimi>ôt  levé  par  Louis  VII 
(H  46-1147),  pour  subvenir  aux  Irais  de  la  croisade,  fut  une  aide 
féodale.  Je  n'y  verrais  pas  seulement,  comme  eux,  une  levée  de 
deniers  sur  TÉglise  ou  sur  les  protégés,  mais  un  impôt  général.  Le 
témoignage  de  Raoul  de  Dicet  est  formel  :  «  Per  totam  Galliam  6t 
descriptio  generalis,  non  sexus,  non  ordo,  non  cbgnitas  quemquani 
«xcusavit,  quin  auxilium  régi  conferret  :  cujus  iter  mullia  impreca- 
tionibus  persequebantur  »  (Imagines,  d^d  an.  1146,  H.  F.  XllI,  183 
B).  On  ne  peut  Técarter  ni  en  le  présentant  comme  d'une  «  époque 
déjà  éloignée  des  événements  »,  ni  en  lui  opposant  Robert  de  Tori- 
gny.  Les  deux  chroniqueurs  ne  sont  morts  qu'à  quinze  ans  d'inter- 
valle, et  on  a  pu  dire  du  premier  :  «  Scripsit  res  a  se  visas  vel  auditas 
ab  an.  1147,  ad  an.  1199  »  (H.  F.,  /.  c).  —  Si  Robert  de  Torigny 
mentionne  les  paupcrcs  et  les  ecclesiœ,  c'est  manifestement  pour  ap- 
puyer les  mots  de  rapina  et  de  spoliatio  dont  il  se  sert  («  de  rapina 
pauperum  et  ecclesiarum  spoliatione  illud  iter  est  majori  parte  ex- 
ceptum  »).  Son  état  d'esprit  n'est-il  pas  celui  qui  faisait  dire  àTurgoi 
que  le  pouvoir  d'imposer  apparaît  w  comme  la  loi  du  plus  fort  à  la- 
quelle il  n'y  a  pas  d'autre  raison  de  céder  que  l'impuissance  de  ré- 
sister »? 

3  Le  ciimant  de  l'empereur  revient  à  chaque  instant  dans  lachaQSoa 
de  Roland  : 

N'en  parlez  mais,  se  je  ne  l'vus  cumant  (y.  273). 

Dreiz  Emperere... 

Aemplir  voeill  vostre  cumandement  (v.  308-9). 

Pois  que  l'cumant,  aler  vus  en  estoest  (v.  318). 

Or  irez  vus  certes  quant  jo  Tcumant  (v.  328). 

Et  cil  respundcnt  :  «  Sire,  a  vostre  cumant  o  (v.  946),  etc. 


PRÉROGATIVES   ET  ATTRIBUTS  DE  LA    ROYAUTÉ.       351 

du  droit  général  de  garde  reconnu  au  roi.  Ici,  c'était  TÉ- 
glise  surtout  qui  était  intéressée  à  rappeler  sans  cesse  et  à 
faire  valoir  le  droit  royal,  elle  dont  les  immunités  et  les 
confirmations  faisaient  la  sécurité.  Gardons-nous  seulement 
de  nous  exagérer  les  conséquences  pécuniaires  de  la  vio- 
lation du  bàn.  Les  amendes  semblent  croître  à  proportion 
de  ce  qu'elles  furent  moins  perçues,  de  ce  qu'elles  restèrent 
comminatoires.  Au  lieu  de  LX  sols  d'argent  représentant 
une  valeur  intrinsèque  d'environ  325  francs*,  elles  mon- 
tent jusqu'à  300  livres  d'or  mier^,  équivalant  à  60.000 
sols  ou  à  une  valeur  intrinsèque  de  325.000  francs*.  Leur 
taux,  en  d'autres  termes,  est  mille  fois  plus  élevé.  Mais  ces 
chiffres,  pour  chimériques  qu'ils  fussent,  n'en  élaient  que 
plus  propres  à  frapper  l'imagination  populaire,  à  conser- 
ver le  prestige  de  la  majesté  royale. 

Nous  savons,  d'autre  part,  qu'il  s'était  produit  à  l'é- 
poque franqué  une  sorte  d'incorporation  du  ban  royal. 
Elle  accrut  sa  force  de  résistance  aux  agents  dissolvants. 
Tandis  que  le  bannum  relatif  aux  délits  moindres  et  aux 
simples  désobéissances  put  être  usurpé  ou  acquis  assez  faci- 
lement par  les  seigneurs*,  le  bannum  fondamental  ne  put 

*  Je  prends  pour  base  du  calcul  rëvaluation  de  M.  Prou,  suivant 
lequel  la  valeur  intrinsèque  du  denier  carolin  du  ix*  siècle  aurait 
été  d'environ  0  fr.  45  [Monn,  caroL^  p.  xlv). 

2  Selon  M.  Luchaire  le  chiffre  de  l'amende  aurait  varié  de  10  à 
600  livres  d'or  (I,  p.  116).  Je  ne  me  souviens  pas  d'avoir  rencontré 
ce  dernier  chiffre  et  M.  Luchaire  n'en  cite  comme  exemple  qu'une 
charte  de  Hugues  Gapet  pour  Saint-Martin  de  Tours,  où  il  s'agit  de 
sols  et  non  de  livres.  Je  prends  donc  provisoirement  pour  maximum 
le  chiffre  de  300  livres,  qui  est  assez  fréquent. 

^  En  partant  du  rapport  de  l'or  et  de  l'argent,  établi  par  l'Élit  de 
Pistes  (Prou,  /.  c.  p.  xxxiu),  la  livre  d'or  correspond  à  200  sols  d'ar- 
gent ou  2.400  deniers. 

*  Voyez  T.  I,  p.  324  suiv.  oii  j'ai  montré  comment  le  ban  devint 
aux  mains  des  seigneurs  un  instrument  d'exploitation.  Ajoutez  ce  pas- 
sage de  Fulbert  de  Chartres  «  noslris  hominibus  novam  angariam  in- 
duxerit  banniendo  scilicet  ut  irent  ad  molendinum  S*  Audoeni  »  (H. 
F.  X,  451  E).  Voyez  surtout  aussi  le  curieux  opuscule  d'Odorane  de 


352  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IV. 

Têtre,  en  général,  que  par  les  princes,  et  il  resta  aux 
yeux  des  populations  un  droit  de  suprême  sauvegarde*.  Je 

Sens  (l'*  moitié  du  xi^  siècle).  Coininentant  un  capitulaire  de  Char- 
lemagne  (779  (?)  LL.  I,  p.  213),  il  montre  que  la  désobéissance  au  ban 
seigneurial  faisait  encourir  de  son  temps  Tancienne  amende  du  ban 
royal  (LX  sol.))  mais  que  la  peine  de  la  désobéissance  au  ban  du  roi 
ou  de  Tévêque  était  bien  plus  élevée,  que  pour  Tévéque,  elle  pouvait 
monter  à  81  livres  :  «  Omnis  injuria  cujuscumque  senioris  vel  advocati, 
sive  despectus  seu  contemptus,  excepta  régis  et  sacerdotum,  LX  soli- 
dis,  id  est  pretio  trium  librarum  pnultatur.  MultipUcatus  igitur  ter- 
narius  per  ternarium  excrescit  in  novenarium  »  (Opusc.  X;  Duru, 
BU>1.  hist,  de  r  Yonne,  II,  p.  425). 

Nous  apprenons  par  une  chsurte  qu*a  publiée  Baluze  que  le  roi  avait 
encore  à  la  fin  du  x^  siècle  le  droit  de  percevoir  des  freda  dans  le  Bas 
Limousin  :  «  freda  regalia  quœ  Johannes  (abbé  de  TuUe)  babebat 
annuatim  de  manu  régis  Francorum  in  Tutelensi  Castro  »  (vers  984, 
Histor.  TuteL,  col.  379). 

'  Les  symboles  y  aidèrent,  j'entends  les  signa  regalia  qui  mani* 
estaient  la  sauvegarde  du  roi,  qui  étaient  apposés  ratione  gardie^ 
comme  le  dira  une  ordonnance  du  xiv*  siècle,  où  nous  les  trouvons 
énumérés  :  penuncelliy  paillones,  brandones,  baculi  (juin  1319»  cap. 
11,  Ord.  I,  p.  690-691).  Ces  emblèmes  remontent  (bien  que  leur  forme 
et  leur  nom  aient  pu  varier)  jusqu'à  Tépoque  franque,  et  leur  impor- 
tance est  allée  croissant  avec  l'extension  du  pouvoir  royal,  à  laquelle 
ils  ont  contribué.  Ils  correspondent  à  deux  ordres  d'idées,  dont  la  pro- 
tection est  le  point  de  convergence  :  1®  l'idée  d'autorité,  symbolisée 
par  le  bâton  ou  la  lance  {baculus,  virga,  fustis,  hasta)  et  aussi  par  le 
gant  {wanto)t  qui  représente  la  main  droite;  2®  l'idée  d'adoption,  de 
mundium,  symbolisée  par  l'étofîe  {pannum^  pallium,  brandeum)^  qui 
tient  lieu  du  manteau. 

L'investiture  du  pouvoir  se  faisait,  chez  les  Mérovingiens,  par  la 
Aos^a,  la  lance,  et  celle-ci  ou  le  baculus,  la  virga,  qui  en  prend  la  place, 
est  à  l'époque  carolingienne,  puis  sous  les  premiers  Capétiens,  un  des 
principaux  insignes  de  l'autorité  royale  (regni  insignia).  Le  6a- 
culus  ou  virga  ne  doit  pas  être  confondu  avec  le  sceptre.  Suger, 
en  décrivant  le  couronnement  de  Louis  VI,  a  soin  de  les  distinguer  : 
«  Sceptrum  et  virgam,  et  per  hec  ecclesiarum  et  pauperum  de- 
fensionem,,.  contradidit  »  (Vie  de  Louis  le  Gros,  chap.  xiii,  p.  40, 
éd.  Molinier).  Le  baculus  était  de  la  dimension  de  la  lance  ou  de 
la  crosse  de  l'évêque,  le  sceptre,  beaucoup  plus  court,  était  un  b&ton 
de  commandement.  On  put  les  désigner  collectivement  sous  le  nom 
de  fustis,  et  c'est  ainsi  que  nous  voyons,  dans  les  formules  lombardes 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE   LA   ROYAUTÉ.      3o3 

n'hésite  pas  à  penser  que  c'est  de  là  surtout  qu'émergea  la 
théorie  des  cas  royaux  que  nous  voyons  pointer  dès  la 

du  XI®  siècle,  le  comte  jeter  le  ban  (mittere  bannum)  au  nom  du  roi, 
par  la  fustis  et  le  gant,  per  fustem  et  wantonem  {CapituL  Ital.  Lud. 
pii.  c.  16,  Padeletti,  Fontes  jur.  ital,,  1877,  p.  389).  Dans  nos  chan- 
sons de  geste  c'est  par  la  remise  du  «  bastun  et  du  guant  »  que 
l'ambassadeur  devient  le  représentant  de  la  personne  du  souverain 
(Ch.  de  Roland  v.  247,  268,  319-20,  331,  341,  etc.).  —Hasta.virga, 
wantOy  aboutirent  plus  tard  à  la  main  de  justice,  manusjustitiad^ma- 
nus  regia,  comme  signe  de  protection,  de  sauvegarde  ou  de  tnainmise 
royale,  de  môme  qu  ils  continuèrent  à  être  représentés  par  la  verge 
du  sergent.  Des  chartes  italiennes  du  xi®  siècle  nous  montrent  claire- 
ment l'emploi  de  la  virga,  de  la  fustis,  du  bannum  pour  placer  une 
personne  ou  des  biens  sous  la  protection  du  souverain  :  «  Tune  pred, 
missus  per  virgam,  quam  in  suis  detinebat  manibus,  misit  bano  de 
pars  dunni  imperaloris...  super  ipsas  res...  in  mancusi  aureis  mille  » 
{1022,  Ficker,  Urkundenbiich  zur  liechtsg.  Italiens,  Innsbruck,  1874, 
n°  48,  p.  72).  —  «  Ui?o  dux...  una  cum  Attone  comité...  posuerunt 
bannum  super  caput  Widonis  vener.  abbatis  de  parte  domni  Chon- 
radi  imperatoris  et  df  parle  Ugonis  ducis  et  marchionis  ut  quicunque 
de  rébus  mon.  et  Trinitatis  invadere  aut  tôlière  aut  minuere  presum- 
pserit...  mille  libras  auri  oplimi  componat  »  {CartuL  de  Casaure,  MS. 
lat.  5411,  f"  185  v**,  an.  1028).  —  «  Et  post  hoc  a  praesenti  hora  cepit 
ipse  Ugo  dux  marchio  prendere  manibus  ipsum  Widonem  abbatem 
et  dédit  eum  in  manum  Bernardi  comitis,  et  precepit  ei  de  parte  d. 
imperatoris  et  sua  ut  quicunque  de  rébus  ipsius  monâst.  tollere  vo- 
luerit  aut  contra  nostrum  bannum  fecerit,  facias  tu  Bernardus  comes 
ipsum  bannum  solvere  quo  modo  gratiam  Dei  et  d.  imperatoris  et 
meamhabere  cupis.  Finilaest  causa;  »  (i6irf.,  f**  186  v°).  —  «  D.  Bea- 
trix  et  F.  judex  d.  régis  ambo  simul  per  fustem  quam  in  suis  detine- 
bant  manibus  miserunt  bannum  super  easdem  res  et  jamdictum  advo- 
catum,  ut  nullus...  »  (Charte  de  1068,  dans  Fiorentini,  Memorie  délia 
gran  Comtessa  Matilda,  Lucques  1642,  Liv.  III,  p.  140). 

Je  passe  au  deuxième  ordre  d'idées.  Le  pannus  ou  panoncellus,  le 
brandum  ou  brando,  le  pallium  ou  pallio  sont  identiques,  à  mes 
yeux,  comme  valeur  symbolique,  au  paile  ou  au  poile  de  nos  coulu- 
miers,  au  manteau  sous  lequel  on  plaçait  les  personnes  qu'on  voulait 
adopter  ou  légitimer  (Cf.  Ducange,  v*"  Paillum,mantellatus  ei22^ Dis- 
sert,  sur  Join ville,  t.  VJI,  p.  36,  col.  2.  —  Joignez  ce  passage  de  la  vie 
de  S.  Oury  (fin  x*  siècle)  :  «  ecclesiae  advocationem  firmiler  légitime 
heredi  panno  imposito  commendavit  »  (Mabillon,  S.  B.  Saec.  V,  p.  769). 
L'étoffe  devint  ainsi  l'emblème  du  mundium  royal  et  d'autant  plus 

F.  —  Tome  III.  23 


354  LIVRE  IV.   —  CHAPITRE   IV. 

fin  du  XII*  siècle*.  Loin  d'être  due  à  une  renaissance  do 
droit  romain,  comme  on  Ta  dit  souvent,  elle  remonte  par 
une  Gliation  continue  jusqu'au  bannum  per  semeî  ipsum*. 

naturellement  qu'elle  s'attachait  au  baculus^  à  la  hasta,  pour  former  le 
pennon  ou  penoncjlle  de  nos  chansons  de  geste,  diminutif  de  la  ban- 
nière. Si  Ton  peut  être  tenté  de  voir  là  un  souvenir  du  bandva  primitif 
(Cf.  suprày  p.  340,  note  1),  emblème  à  la  fois  religieux  et  guerrier, 
d'autre  part  le  bannum,  avec  le  sens  d*ëdit,  se  survit  pleinement  sous 
la  forme  de  Taffiche  (pannonceau)  apposée  au  nom  du  roi,  revêtue 
de  ses  armes  (Cf.  aussi,  dans  un  texte  du  xiu*  siècle,  signum  = 
edictum,  Ducange,  y°  Signum,  p.  255,  col.  2). 

En  résumé,  bannum  et  sauvegarde  royale  ont,  sous  des  dehors 
symboliques,  traversé  les  siècles  qui  séparent  Tépoque  franque  de  Yé- 
poque  monarchique,  pour  devenir  un  élément  constitutif  de  Tautorité 
souveraine  en  France. 

*  Dans  Tordonnance  de  1190(0rd.  J,  p.  18  et  suiv.),  connue  sous  le 
nom  de  testament  de  Philippe  Auguste^  et  non  pas  seulement  dans 
l'ordonnance  de  1202  que  Ton  cite  d'ordinaire. 

^  Il  est  intéressant  de  rapprocher  les  octo  banna  ou  octo  capitula 
(Cap.  Saxon. 797,  cap.  1-2, 1,  p.  71  ;  Cap.  ad  legemBaiuw.,  801-813,1, 
p.  158)  —  qui  en  réalité  se  réduisent  à  quatre  :  violation  du  mim- 
dium  royal,  refus  de  se  rendre  à  la  convocation  de  l'ost,  rapt,  vio- 
lence à  main  armée  (fortia)^  —  de  les  rapprocher,  dis-je,  des  quatre 
cas  royaux  qui  apparaissent  dans  l'ordonnance  de  1190  :  «  murtrum, 
raptus,  homicidium,  proditio  >»  (voyez  notamment,  cap.  16,  p.  21)  et 
que  le  roi  appelle  :  «  forefacta  quac  proprie  nostra  sunt  »  (cap.  2). 

Ce  rapprochement  est  d'autant  plus  significatif  que  :  1*  la  désertion 
{herisliz)  avait  été  déclarée  par  les  capitulaires  crime  de  lèse-majesté, 
punie  de  la  peine  de  mort  et  de  la  confiscation  des  biens  (Capit.  801» 
cap.,  3,  I,  p.  205)  ;  2<^  la  lèse-majesté  avait  été  assimilée  à  la  haute 
trahison  (Cf.  Capit.  865,  cap.  14,  II,  p.  332)  :  «  qualiter  de  illo  con- 
temptore  prœcepti  nostri  quasi  de  proditore  patriœ  digidehesin  ^ 
Adde  suprà,  p.  328,  note  2);  3<»  la  distinction  de  l'ordonnance  entre  le 
meurtre  et  Thomicide  est  une  distinction  essentiellement  germanique 
(Cf.  Brunner,  II,  p.  627  et  suiv.)  (Cf.  aussi  VEd.reg.  Langob.  ^csip.  369, 
Padeletti,  p.  165,  qui  range  le  Mordh  parmi  les  causœ  regales  en  le 
frappant  d'une  peine  exceptionnelle).  —  En  remontant  jusqu'à  la  loi 
salicjue  on  s'aperçoit  que  le  murdrum  n'est  pas  seulement  une  inter^ 
fcctiOf  mais  tout  crime  spécialement  odieux  parce  qu'il  est  commis  en 
secrot,  en  traître,  clandestinement  :  «  Murdo,  mordi,  dit  M.  Kern 
(Notes  sur  la  loi  Salique,  éd.  Hessels,§86)  answers  toM.  D.(mitt.d.) 
femin.  mort,  which  sometimes  signifies  murder,  but  more  oflen  a 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.   355 

Au  X*,  au  XI'  et  dans  la  première  moitié  du  xii*  siècle, 
ce  ban  fut-il  même  purement  théorique?  Nullement.  Il  fut  à 
la  base  du  droit  de  confiscation  que  le  roi  ne  cessa  d'exercer 
pour  crime  de  haute  trahison  et  de  lèse-majeslé.  Au 
xii*  siècle  encore,  après  une  expédition  guerrière  entre- 
prise par  le  roi  contre  un  rebelle,  c'est  par  la  loi  salique 
qu'on  justifie  le  droit  de  confiscation  du  roi'. 

Si  le  ban  privilégié  du  roi  s'est  ainsi  maintenu,  plus  ou 
moins  théoriquement,  jusqu'au  jour  lointain  où  l'accroisse- 
ment des  forces  matérielles  de  la  royauté  lui  permit  de  le 
ressaisir  en  son  plein,  tout  autres  furent  les  destinées  de  la 
districtio  royale,  du  pouvoir  coercitif  :  droit  de  saisir  les 
délinquants,  de  les  emprisonner,  d'assigner  en  justice,  d'in- 
fliger par  voie  d'autorité  extra-judiciaire  des  peines  d'ar- 
gent ou  des  châtiments  corporels.  Ce  droit  ou  bien  s'ab- 
sorba dans  le  bannum,  ou  surtout  s'élargit  en  exaction, 
en  justitia^  en  potestas,  quand  disparurent,  au  x*  siècle. 
Tordre  public  et  la  hiérarchie  régulière.  Seigneurs,  prin- 
ces et  rois  exercèrent   conjointement  le   droit  de  con- 

heinous  crime  in  gênerai...  Murdio  expresses  the  idea  of  clandestine 
misdeed,  beit  killing  orotherwise  »,et  le  savant  philologue  cite  comme 
exemple  l'incendie,  mortbranty  mordbrand^  dans  le  moyen  et  haut 
allemand. 

On  pourrait  donc  dresser  ce  tableau  approximatif  de  concordance 
entre  les  octo  bannalou  capitula  de  Tépoque  carolingienne  et  les  qua- 
tre cas  royaux  de  1190  : 

Octo  banna  Porfacta  regalia 

Violation  du  mundium 'i         p     ,.  . 

Violation  de  Theriban )  "^ 

Raptus =    Raplus 

Fortia =    Homicidium 

Incendium =    Murtrum 

*  Louis  VI  attaque  le  seigneur  de  Saint- Sévère,  Humbaud.  Il  veut 
l'obliger  à  réparer  les  méfaits  qu'il  a  commis,  sinon  lui  confisquer  son 
château,  en  vertu  de  la  loi  salique  :  «  aut  ad  exequendum  justiciam 
cogère,  aut  jure  pro  injuria  castrum  lege  salica  amiltere  »  (Suger 
Vie  de  Louis  le  Gros,  XI,  p.  367,  éd.  Molinier)  (avant  le  29  juillet  1108; 
voyez  Luchaire,  Annales jji^  55). 


356  LIVRE   IV.    —    CHAPITRE   IV. 

trainte  et  de  coercition  arbitraire,  sans  autres  limites 
que  la  force  dont  ils  disposaient.  Ils  Texercèrent  sous  forme 
de  violences  individuelles  ou  de  guerres  privées*,  et  il 
devint  impossible  de  discerner  ce  qui  était  léptime  ré- 
pression et  ce  qui  n'était  qu'un  acte  d'arbitraire  pur*. 
C'est  ainsi  que  la  districtio,  auxiliaire  jadis  de  la  justice 
publique,  la  supplanta.  Elle  se  couvrit  de  ses  dépouilles, 
elle  se  para  de  son  nom  et  de  ses  titres,  sans  rencontrer 
d'autres  rivales  que  la  justice  par  les  pairs,  dont  nous 
avons  traité  déjà  d'un  point  de  vue  général',  et  la  justice 
souveraine  que  nous  allons  considérer. 

§  4.  —  Le  pouvoir  judiciaire. 

Dans  tout  État  bien  ordonné,  la  force  ne  doit  être  qtfao 
service  de  la  loi.  Tantôt  elle  est  mise  en  mouvement  par 
la  loi  elle-même,  tantôt  par  des  ordres  donnés  ou  des  sen- 
tences rendues  en  vertu  d'elle  et  pour  son  exécution.  Tel 
se  trouvait  être,  dans  sa  belle  période  de  solidité,  le  régime 
carolingien,  hdi  districtio  était  au  service  du  ôannwm,  le 

*  Le  droit  de  contrainte  se  confond,  en  partie  au  moins,  avec  la 
guerre  privée.  Ainsi  Fulbert  de  Chartres,  après  s'étretMevé  contre  les 
év(>quos  batailleurs  de  son  temps,  «  qui  bella  sectantur  »,  ajoute  : 
«  Nec  hoc  dico  ut  maleficos  et  vita  ipsa  indignos  ab  ultione  prohi- 
beam;  sed  regibus  hoc  licet  ac  saeculi  potestatibus,  et  quibus  alegi- 
bus  permissum  osl.  Aliae  quippe  suntleges  Caîsaris,  alii  mores  eccle- 
siasticœ  dignitatis  »  (H.  F.  X,  470  E). 

*  Cf.  lettre  de  Fulbert  de  Chartres  à  Ebal,  archevêque  de  Reims  : 
«  Suggero  ut  ad  p9cem  pauperum  componendam,  tota  mente  satagas, 
quos  sui  regea  et  principes  vehementer  affligunt  »  (H.  F.  X,  573  B) 
—  Constit.  de  paix  du  Concile  de  Tulujes  (1041)  c.  5  :  «  Villanum  et 
villanam...  uilus  homo  non  sit  ausus  occidere,  vulnerare,  vei  debili- 
tare,  neque  apprehendere  vel  distringere,  nisi  propter  suam  culpam 
quam  pra^dicti  habeant  factam,  et  non  distringant  eos  nisi  per  sobtm 
dircctum^  et  tamenhoc  non  fiât  nisi  priusquerelando  se  fatigaverÎDt» 
(H.  F.  X,  511  A). 

3  T.  I,  p.  219-307.  —  Au  i)oint  de  vue  spécial  de  la  districtio  du 
roi,  voyez  infrà  le  chapitre  VI,  §§  1  et   4. 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE   LA   ROYAUTÉ.      357 

bannum  au  service  de  la  loi,  la  loi  appliquée  régulière- 
ment par  la  justice  populaire,  hors  de  là  et  en  dernier  res- 
sort par  la  justice  du  roi.  Le  roi  pouvait  toutefois  suppléer 
à  la  loi  et  l'amender  par  le  bannum;  il  pouvait  même,  mais 
dans  des  cas  exceptionnels  (flagrant  délit,  lèse-majesté, 
etc.)  se  servir  de  la  districtio  pour  tenir  lieu  du  bannum 
et  de  la  loi. 

Le  développement  simultané,  sous  Charlemagneet  Louis 
le  Débonnaire,  du  pouvoir  législatif  et  du  pouvoir  judiciaire 
du  roi  écarta  de  plus  en  plus  l'emploi  de  la  districtio^ 
comme  juridiction  discrétionnaire  ou  arbitraire  [harmis- 
cara)\  Tout  au  contraire,  celle-ci,  quand  l'État  se  désor- 
ganisa, non  seulement  reparut  avec  une  nouvelle  force, 
mais  empiéta  si  bien  sur  la  justice  qu'elle  parut  la 
constituer  tout  entière.  Le  mot  de  jtistitia  désigna  doré- 
navant et  le  pouvoir  exécutif,  et  Timpôt  seigneurial,  et  l'a- 
mende arbitraire,  et  l'exaction  pure  et  simple.  Être  maître 
d'un  pays  ou  d'un  groupe  de  population,  c'était  le  justi- 
cier^.  Le  pouvoir  judiciaire  proprement  dit  ne  fut  plus 
qu'un  accessoire  ou  qu'un  succédanédu  pouvoir  discrétion- 
naire, et  quand,  au  cours  des  siècles,  il  récupéra  son  indé- 
pendance, nos  vieux  écrivains  durent  Y  di^^ûev  jugement^ 
réservant  toujours  encore  le  nom  de  justice  à  l'exécution 
de  la  sentence'. 

*  La  distinction  est  nettement  faite  dans  un  capituJaire  de  857  : 
«  Ut  jubeamus  ipsos  depraedatores...  talem  harmiscaram,  sicut  nobis 
visum  fuerit,  tiui  judicium,  sicut  cum  fîdelibus  nostris  considerave- 
rimus,  sustincre  »  (Gapit.  Carisc,  c.  9,   II,  p.  287). 

-  L'expression  pst  courante  dans  nos  chansons  de  geste. 

'^  Je  citerai  comme  exemple  le  très  curieux  Liber  de  informatione 
principum  (1298-13(4)  dont  l'auteur  est  inconnu  et  le  texte  inédit. 
Voici  un  passage  de  la  traduction  faite  au  xivo  siècle  par  le  normand 
Jean  Golein  (f  1403)  et  publide  en  1517  sous  le  titre  de  «  Le  mi- 
rouer  exemplaire  et  très  fructueus  e  instruction  selon  la  compillation 
de  Gilles  de  Romme  très  excellent  docteur  Du  reyime  et  gouverne- 
ment des  Roys  (Paris,  Guillaume  Eustace,  1517)  :  «  Que  le  roy  fera 
jugement  et  justice  en  terre,  car  a  ce  sont  les  roys.  Si  comme  il  fut 


358  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IV. 

Si  rintrusion  delà  justice  privée  oblitéra  Tidée  même  de 
justice,  du  moins  celle-ci  ne  périclita  jamais  aox  mains 
de  la  royauté.  Il  est  très  vrai  que  la  royauté,  elle  aussi, 
usa  et  mésusa  de  la  juridiction  discrétionnaire,  du  droit 
de  sévir  contre  les  personnes  et  de  confisquer  leurs  biens, 
sans  autre  forme  de  procès.  Il  ne  Test  pas  moins  que,  sur 
les  vassaux  qui  étaient  liés  au  roi  par  l'hommage  exprès, 
sa  juridiction  prit  un  caractère  féodal.  Mais,  malgré  tout, 
le  pouvoir  judiciaire  propre  de  la  royauté  survécut.  Il 
s*appuyait  sur  une  double  assise  que  nous  allons  étudier  : 
la  théorie  du  pouvoir  royal,  la  survivance  de  la  justice 
palaline. 

/.  Théorie  dupouvoir  royal.  —  Parlerai-je  ici  de  droits 
actuels,  de  droits  proprement  dits?  moins  que  d'idées  tra- 
ditionnelles, duprestige  qu'elles  assurent,  du  respect  qu'elles 
inspirent,  du  travail  inconscient  d'unification  qu'elles  opè- 
rent. Leur  empire  est  d'autant  plus  grand  que  la  société 
est  plus  profondément  troublée  et  désagrégée.  Les  hommes 
s'y  cramponnent  désespérément,  comme  à  une  épave  du 
naurrage  social,  et  si  elles  sont  loin  de  créer  une  légalité 
exemple  d'obscurités  et  ambages,  loin  de  constituer  un  droit 
public  reconnu  et  accepté,  elles  créent  du  moins  un  état  in- 
termédiaire entre  le  droit  rigoureux  et  le  fait  pur  et  simple, 
elles  procurent  des  avantages  d'ordre  et  d'harmonie  qui 
se  changeront  un  jour  en  réalités  durables.  Elles  sont  le 
noyau  cosmique  des  droits  futurs. 

Sous  l'influence  de  TÉglise,  trois  figures  se  dressent  en 

dict  a  Salomon...  a  Texemple  de  David  qui  fsdsoit  jugement  et  justice 
à  touile  peuple.  De  ces  deuxTun  est  'pour  l'autre  ordonne,  car  juge- 
ment doibt  précéder  et  de  la  chose  jugée  doibt  estre  faict  compli$»e'' 
ment  de  justice,  aultrement  seroit  pour  néant  faict  jugement  se  Teze- 
cution  ne  sensuivoit  par  la  justice.  Et  ne  se  doibt  point  justice  exer- 
cer se  non  de  la  chose  par  avant  soubtilement  jugée  car  legierement 
la  rigueur  de  justice  est  aveuglée  quant  elle  nensuit  rectitude  de 
justice  en  formée.  Gy  est  cy  premièrement  a  dire  du  jugement  et 
après  de  justice.  »  (P»  XGIX  v®). 


PRÉROGATIVES  ET   ATTRIBUTS  DE   LA   ROYAUTE.      359 

pied  qui  servent  de  prototypes  aux  rois  carolingiens  et  in- 
carnent la  théorie  royale  :  les  rois  bibliques  David  et  Salo- 
mon,  le  premier  empereur  chrétien  Constantin.  C'est  de 
David  que  Charlemagne  prend  le  personnage  dans  sa  cour 
lettrée*  ;  c'est  Salomon  que  Smaragde,  dans  sa  voie  royalCy 
propose  pour  modèle  à  Louis  le  Débonnaire,  c'est  à  lui  que 
Théodulf  et  Sedulius  parangonnent  le  même  Louis,  et  Lo- 
thaire  I,  et  Charles  le  Chauve*  ;  c'est  Constantin  que  l'Église 
romaine  présente  comme  le  parfait  exemplaire  du  monar- 
que chrétien,  en  qui  elle  vénère,  de  par  la  donation  fabri- 
quée au  viii*  siècle,  la  source  de  son  pouvoir  temporel. 
Et  quelle  est  la  raison  d'être  de  l'institution  divine  des  rois 
de  Tancienne  alliance,  des  oints  du  Seigneur?  La  justice*, 
inséparable  de  la  protection  des  faibles.  Quelle  est  la  vertu 
maîtresse  de  Salomon?  L'équité,  inséparable  de  la  sagesse*. 
Quel  est  aussi  l'attribut  essentiel  de  Terapereur  de  Rome, 
couronné  par  Dieu,  a  Deo  coronatus ?  La,  justice  encore 
et  l'équité*. 

*  Voyez  les  lettres  d'AIcuin  à  Charlemagne  dont  la  suscription  est 
toujours  :  «  Domino...  David  régi  »  (par  exemple,  H.  F.  V.,  p.  604, 
605,  613,  etc.). 

2  On  en  trouvera  divers  exemples  dans  l'article  de  M.  W.  Sickel, 
Gôtt.  gel.  Anzeigen,  1900,  p.  381  note. 

2  «  Constitue  nobis  regem  ut  judicet  nos  »  (Rois  I,  8,  v.  5).  — 
«  Constituit  te  regem  ut  faceres  judicium  et  justitiam  {RoiSf  III,  11, 
V.  9).  —  Dans  le  Livre  des  Révélations  d'Audrade,  Dieu  parle  ainsi 
à  Charles  le  Chauve  :  «  Tu  puer  meus,  si...  ordini  unicuique  pro- 
priara  legem  tenere  feceris...  et  unicuique  homini  justitiam  serva" 
rem...  ecce  do  tibi  sceptrum  regni  et  coronam  »  (Duru,  I,  p.  251). 

^  «  Timuerunt  regem  videntes  sapientiam  Dei  esse  in  eo  ad  facien- 
dum  judicium  »  (iôid.,  III,  3,  v.  28).  —  «  Si  ambulaveris...  insequi- 
tate...  ponam  thronum  regni  tui  »  (iôtd.,  III,  9,  v.  4,  5).  —  «  Dominus 
dat  sapientiam...  i a telliges  justitiam  eijudicium  eiaequitatem  »  [Pro^ 
verbeSy  II,  v.  6,  9). 

^  Constantin  revendiquait  pour  Tempereur  la  connaissance  suprême 
de  Téquité  et  du  droit  :  «  Inter  sequitatem  jusque  interpositam  în- 
terpretationem,  nobis  solis  et  oportet  et  licet  inspicere  »  (316,  God* 
Théod.,  II,  2,  c.  3.  —  Cf.  C.  Justin.,  I,  14,  c.  9). 


360  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

Le  caractère  sacré  de  la  royauté  fondait  donc  son  pou- 
voir judiciaire'.  Le  titre  de  pacifiais  dont  le  souverain  se 
pare,  et  qu'on  lui  prodigue  au  milieu  même  des  guerres', 
n'a  pas  d'autre  sens  à  mes  yeux.  Le  roi  est  pacificateur 
de  tous  les  litiges  de  ses  sujets,  il  fait  régner  la  paix  par 
sa  justice'. 

Le  roi  carolingien  juge  en  droit  et  il  juge  en  équité*.  Il 
juge  en  personne  :  Charlemagne,  chaque  jour  à  son  le- 
ver**,  Louis  le  Débonnaire  et  Lothaireun  jour  par  semaine*. 

*  Cola  paraît  ressortir  déjà  d'une  formule  de  Marculf  :  «  Cui  Do- 
minus  regendi  curam  committit,  cunctorum  jurgia  diligenii  examina- 
tione  rimari  oportet...  Ergo  cum  nos  in  Dei  nomen  ibi  in  palatio  nostro 
ad  universorum  causas  recto  juditio  terminandas  una  cum  domnis 
et  patribus  nostris  episcopis...  resederemus  »  (Marculf,  1,  25,  Pro^ 
loco  de  régis  juditio,  Zeumer,  p.  58-59). 

'^  Voyez  les  textes  groupés  par  M.  \V.  Sickel,  loc.  cit. 

3  C'est  ainsi  qu'Hariulf  qualifie  de  pacificm  Louis  VI,  qui  n'a  cessé 
pourtant  de  guerroyer,  qui  fut,  suivant  la  remarque  de  M.  Lucbaire 
(AnnaleHy  p.  xxxix),  avant  tout  un  homme  de  guerre  : 

« ...  Ludovicus 
Pacificus,  qui  sceptra  gerens,  bene  jura  gubernat  » 

[Vie  de  Saint  Arnould,  Mabillon,  S.  B.  VI,  2,  p.  530). 

*  Cf.  le  texte  de  Sedulius,  cité  par  M.  Sickel  :  «  Rex  justus  et  pa- 
cificus... judicio  vera  judicia  loquitur.  Porro  ubi  pax  est,  in  disputa- 
tionibus  verilas  et  in  operibus  justitia  invenitur  (De  rectoribus 
christ,  c.  9)  et  le  diplôme  de  Robert  II,  H.  F.  X,  615  C  :  «  Deus.... 
legibus  sacris  antemuralia  erexit...  [ut  filii  innocentiœ  viverent  in 
pace,  Leges  autem  aut  humanîc  aut  divinm  sunt.  » 

*  «  Cum  calcearetur  et  amiciretur,  non  tantum  amicos  admittebat, 
verum  etiam,  ai  cornes  palatii  litcm  aliquam  esse  diceret  qucu:  sine 
jusm  defniiri  non  posset^  statim  iitigantes  introducere  jubebat  et 
velut  protribunali  sederet,Iite.  co'j^mitiscntentiam  dicebat  »  (Eginhard, 
Yita  Karoliy  cap.  2i,  OEuvres,  éd.  Teulet,  I,  p.  80). 

^  «  Nus  velle  per  singulas  hebdomadas  unodie  in  palatio  nostro  ad 
causas  audiendas  sedere  »  (828,  II,  p.  4)  «  nos  in  omni  ebdomada 
unum  diem  ad  causas  audiendus  et  judicandas  sedere  volumus  » 
(829,  II,  p.  10). —  Au  dire  de  l'Astronome,  Louis  le  Débonnaire,  quand 
il  régnait  en  Aquitaine,  siégeîiit  trois  fois  par  semaine  :  «  Tribus 
diebus  rex  per  singulas  hebdomadas  rei  judiciariœ  intererat  »  (812) 
(Vita  Liidovicif  cap.  19,  H.  F.  VI,  p.  9o  D).  —  Nous  aurons  à  rêve- 


PRÉROGATIVES  BT  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.       361 

• 

«  Nos  rois,  dit  Ducange,  ont  voulu  recevoir  eux-mêmes  les 
plaintes  de  leurs  sujets  et  pour  leur  donner  un  accès  plus 
libre  vers  leurs  personnes,  ils  se  sont  en  quelque  façon 
dépouillez  de  Téclat  de  leur  pourpre,  sont  sortis  de  leurs 
sacrez  palais,  et  se  sont  venus  seoir  à  leurs  portes,  pour 
faire  justice  indifféremment  à  tous  ceux  qui  la  leur  venoient 
demander.  Ce  qu'ils  faisoient  à  limitation  des  Hébreux^ 
qui  tenoient  leurs  plaits  aux  portes  des  villes,  des  hôtels 
et  des  temples,  tant  pour  faciliter  l'accès  des  parties,  que 
pour  rendre  la  justice  publiquement,  et  l'exposer  à  la  cen- 
sure de  tous  ceux  qui  y  assistoient^  ».  Les  progrès  du 
pouvoir  judiciaire  sont  tels,  au  ix*  siècle,  que  le  Concile 
de  Paris  peut,  dès  829,  tracer  un  tableau  idéal  de  la  jus- 
tice royale^.  Ce  tableau,  Abbon  l'insère,  à  la  fin  du  siècle 
suivant,  dans  le  livre  des  Canons  qu'il  dédie  aux  deux  pre- 
miers Capétiens,  et  durant  tout  le  moyen  âge,  il  ne  cesse 
d'être  le  phare  sur  lequel  les  rois  doivent  se  guider'.  «  A 
«  chacun  de  vous,  je  maintiendrai  son  bon  droit  »,  «  tini- 
«  cuiqite  de  vobis  jusiitiam  conservabo  »,  telle  était  la  pro- 
messe jurée  par  nos  rois  à  leur  sacre*.  Ils  reçoivent  la  cou- 
ronne, au  nom  du  roi  du  ciel,  pour  rendre  bonne  justice  : 
«  Tenez,  bels  sire,  el  nom  del  rei  del  ciel, 
Qui  le  doint  force  d'estre  buens  justiciers"  ». 

nir  sur  la  fre'quence  de  ces  audiences  pour  la  comparer  à  la  rareté 
relative  des  diplômes  judiciaires  de  l'époque. 
1  Deuxième  dissertation  sur  Joicviile,  t.  VII,  p.  10. 

*  Voyez,  1. 1,  p.  146-7. 

3  Je  la  retrouve  dans  le  Liber  de  informatione  principum  {Mirouer 
exemplaire,  f»  CVIII  v«). 

*  Hugonis  promissio  in  die  coronatUmiSy  H.  F.  XI,  658,  A.  — 
Coronatio  Philippin  H.  F.  XI,  32  B.  —  C'est  évidemment  à  cette  for- 
mule que  Suger  fait  plus  tard  allusion  quand  il  nous  dit  que 
Louis  VI  mourant,  en  investissant  son  fils  du  royaume  (annulo  inves- 
tit), lui  fit  promettre  :  njussuum  unicuique  custodire.  »  (Suger,  Vie  de 
Louis  le  Gros,  chap.  32,  p.  443,'  éd.  Lecoy).  —  Cf.  lues  de  Chartres  : 
«  Est  regiœ  potestatis  civilia  jura  servare^  et  eorum  transgressores 
débita  pœnâ  multare  »  (H.  F.  XV,  81  A). 

^  Le  couronnement  de  LouiSj  v.  145-46,  p.  9. 


362  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE    IV. 

En  tète  de  leurs  diplômes,  ils  ne  se  lassent  de  le  proclamer. 
Charles  le  Simple  se  donne  comme  le  représentant  de  la 
justice  divine  K  Pour  Hugues  Capet  la  justice  universelle,  la 
justice  départie  à  tous  et  pour  tout,  omnibus  eiper  omnia, 
est  le  centre  de  gravité  du  trône'.  Hugues  et  Robert  en 
font  le  principe  de  l'institution  royale',  Robert  et  Henri  I* 
ne  la  séparent  pas  de  Téquité  V  Philippe  l""',  dans  un  de  ses 
préambules',  condense  tous  les  traits  que  nous  venons  de 
passer  en  revue  :  le  caractère  sacré  du  roi  institué  pour 
faire  régner  la  justice*  ;  l'équité'  ;  le  maintien  des  lois  divi- 
nes, sources  des  lois  humaines,  comme  aussi  le  maintien 
des  décrets  ou  des  édits  qui  appliquent  les  unes  et  lés 


'  (c  Que  Regalis  dignitas  resideat  in  solio  regni  subœquitatis  vîrga, 
juxta  quod  Deus  de  se  in  Sapientia  loquitur  :  Per  mereges  régnant 
et  judices  legum  décréta  discernant  »  (920,  H.  F.  IX,  549). 

'  «  Quoniam  nostrœ  sublimitas  pietatis  (ou  potestatis)  non  aliter 
recto  slare  valet  ordine,  nisi  omnibus  et  per  omnia  juslitiam  ope- 
rando  »  (988,  H.  F.  X,  552  D).  —  On  a  discuté  sur  la  signification 
des  mots  per  omnia,  que  M.  Luchaire  traduit  «  par  tous  les  moyens» 
(I,  p.  40).  Per  doit  avoir  ici  le  sens,  fréquent  déjà  à  cette  époque,  de 
pour. 

'  u  Multorum  sinceritati  perspicaciter  patet,  idcirco  reges  conttir' 
tutos,  quatinus  regnorum  jura  sagaciter  examinantes,  omnia  nociva 
resecandi...  »  (991,  H.  F.  X,  559  E).  Cf.  lettre  d'Eudes  à  Robert  : 
te  Officii  tui  radicem  et  fructum  :  justitiam  loquor  »  (H.  F.  X,  502  A). 

*  a  Praeciarius  et  laudabilius...  nihil  esse  quam  si  regnum  nos- 
trum  tali  sub  regimine  disponatur  ut  in  disponendis  causis  una  sit 
minorum  ac  majorum  ratio  xquitatis  »  (996-1002,  H.  F.  X,  011  B)* 
Cf.  Préambule  de  Henri  I*'  (4033)  (H.  F.  X,  568  D). 

Quand  en  1017  Robert  fait  sacrer  son  fiis  Hugues,  le  chroniqueur 
Helgaud  lui  prête  ces  paroles  :  <(  Vide  fili,  semper  sis  memor  Dei, 
qui  te  hodie  participem  sui  fecit  Regni  (du  royaume  de  Dieu)  ut 
mquitatis  et  justitiœ  in  semitis  dehcteris  »  (Helgaud,  Vita  Roberti, 
H.  F.  X,  108,  B-C). 

'^  Confirmation  des  privilèges  de  Saint-Denis  (1068).  Tardif,  tfo- 
numentSf  n®  287,  p.  178. 

^  «  Rcgibus  quibus  omnipotens  crealor  humanam  rempublicam  re- 
gendam  distribuit...  justitiam  colère,  recta  judicare...  » 

^  «  Aequilatis  assensu  nos  factum  ire  putamus  si...  ». 


PRÉROGATIVBS   BT  ATTRIBUTS  DB   LA  ROYAUTÉ.       363 

autres'.  En  altendant  donc  qu*e)le  devienne  elle-même, 
pour  la  France  entière,  la  source  de  toute  justice,  la 
royauté  en  est,  dès  le  xi*  siècle,  la  suprême  expression  : 
summum  juslitiœ  capui*. 

IL  Survivance  de  la  Justice  palatine.  —  La  cour  judi- 
ciaire du  roi  carolingien,  avait  joué  — le  traité  de  ordine 
palatii  d'Hincmar  en  témoigne  —  un  rôle  trop  prépondé- 
rant dans  la  société  du  ix*  siècle  pour  que  sa  place  pût 
rester  vide.  Nous  verrons  les  cours  princières  s'efforcer, 
à  qui  mieux  mieux,  de  se  modeler  sur  elle,  de  lui  emprun- 
ter son  principal  ofBcier,  le  comte  du  palais,  et,  formées  à 
son  image,  d'attirer  à  soi  son  droit  de  juridiction.  Mais  l'é- 
viction ne  fut  jamais  que  partielle.  La  justice  palatine  resta 
debout,  forte  de  son  passé,  en  avance  sur  les  orga- 
nismes nouveaux,  manifestation  vivante  de  la  théorie 
royale.  Elle  avait  sa  procédure  et  ses  règles  judiciaires, 
son  ressort  et  sa  hiécharchie,  son  personnel  et  son  outil- 
lage. Le  mécanisme  était  tout  monté  et  ajusté.  Il  continua 
à  fonctionner.  Son  royal  moteur,  si  diminué  qu'il  fût,  n^é- 
tait-il  pas  toujours  là?  et  le  prestige  public,  propre  à  l'ali- 
menter, n*avait-il  pas  son  foyer  lointain  et  mystérieux 
dans  la  grande  figure  deCharlemagne'?  Si  Ton  peut  et  doit 
admettre  ainsi  une  durée  ininterrompue  de  la  cour  judi- 

*  «  Le^es  il  Deo  mortalibus  inspirataset  antiquorum  regum...  cons- 
litulioiifs,  (li»creta,di8positiones,  sed et  episcoporum  et  apost. Roman . 
pontilicum  mandata...  servemus  ». 

'  «  .Nosler  rex  cui  summum  justitia?  caput  incumbit  >»  (Fulbert  de 
Chartres,  H.  F.  X,  448  B) 

'  "  Quant  la  chapele  fu  beneeile  a  Ais, 

Cort  i  ol  buene,  tel  ne  verez  ja  mais  ; 

Por  la  justice  la  povre  gent  i  vait; 

Nuls  ne  s*i  claime  que  très  buen  dreit  n*i  ait. 

Lors  fint  i  en  dreit  f  mais  or  nel  fait  l'en  mais; 

A  conveitise  l'ont  torné  li  malvais; 

Por  fais  loiers  remainont  li  buen  plait.  » 

{Li  Coroncmenz  Loois^  v.  27  suiv.). 


364  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE  IV. 

ciaire  du  roi,  il  suffira,  pour  préciser  V  étendue  et  la  nature 
de  la  juridiction  royale  des  x*  et  xi*  siècles,  de  relever 
avec  soin  les  anneaux  de  la  chaîne  qui  la  relie  à  la  justice 
franque.  Je  vais  le  tenter,  en  utilisant  tous  les  diplômes 
judiciaires,  malheureusement  peu  nombreux'  qui,  à  ma 
connaissance  et  pour  cette  époque,  nous  restent  de  nos 
rois. 

I.  — LE  RESSORT  DE  JUSTICE. 

Les  rapports  de  la  justice  royale  et  de  la  justice  popu- 
laire furent  certainement  vagues  et  mal  définis  sous  la  pre- 
mière race.  Représentant  de  la  paix  publique  et  de  la  jus- 
tice divine,  le  roi  pouvait  être  saisi  de  tous  litiges  ou  de 
toutes  plaintes,  mais  en  fait  ce  recours  ne  s'exerçait  que 
rarement.  L'autonomie  de  la  famille,  de  la  centaine,  du 
pagus,  le  droit  coutumier  qui  les  régissait,  le  fonctionne- 
ment de  leur  justice  patriarcale  y  faisaient  obstacle.  La 

'  Cette  pénurie  n'existe  pas  seulement  pour  Tépoque  que  nous  étu- 
dions, elle  se  constate  dès  Tépoque  carolingienne  et  paraît  d'autant 
plus  singulière  qu'étaient  plus  fréquentes  alors  les  audiences  royales. 
Un  vrmïd  allemand,  M.  R.  Ilùbner,  chargé  paria  commission  des  Jfo- 
numenta  d'inventorier  los  diplômes  judiciaires  des  rois  francs,  n'a 
trouvé  pour  la  France  et  l'Allemagne  que  sept  placita  proprement  dits 
de  Charlemagne  [eigentliche  Gcrichtstirkumle),  cinq  de  Louis  le 
Débonnaire,  et  autant  de  Charles  le  Chauve  (Voyez  la  liste  des  placita 
royaux  k  la  suite  dos  Kegcstes,  p.  113  :  Gerichtsurkunden  derPràn- 
kischen  Zeit  (1891).  Appendice  au  T.  XII  de  la  Zeitschr.  der  Savi-' 
yny-Stift.  iOerm.  Ait  h.).  J'attribuerais  volontiers  la  rareté  de  ces 
documents  au  fait  que  le  roi  ne  rendait  personnellement  que  des  sen- 
tences sommaires  et  que  les  causes  un  peu  compliquées  étaient  jugées 
par  les  olficiers  du  palais.  A  ce  motif  s'en  ajoute  un  autre  très  essen- 
tiel pour  l'époque  postérieure  au  ix«  siècle.  L'exécution,  comme 
racquiescemenl,  faisait  partie  de  l'instance.  Dès  lors  l'expédition  du 
jugement  n'avait  d'ordinaire  aucun  objet  direct.  Elle  pouvait  servir 
seulement  à  se  prémunir  contre  un  retour  offensif  dans  un  avenir  loin- 
tain «  ad  futurorum  noticiam  commendari  ».  Or,  à  cet  égard,  les 
immunités  et  les  confirmations  de  biens,  plus  lard  les  règlements 
d'avouorie  et,  d'une  iaçon  plus  générale,  les  transactions  ou  chartes 
signées  par  lo  contestant  éventuel  remplissaient  le  mieux  le  but. 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE   LA   ROYAUTÉ.       365 

vitalité  du  pouvoir  judiciaire  résidait  davantage  dans  les 
.groupes  locaux  ou  régionaux  que  dans  le  palais  du  roi. 

Dès  le  début  de  la  seconde  race,  il  n'en  fut  plus  de 
même.  L'autorité  royale  s'est  étendue  et  consolidée;  le 
pouvoir  se  centralise  fortement;  le  principe  de  la  compé- 
tence générale  du  prince,  placé  au-dessus  du  mallus  pu- 
blicus^  se  précise  et  s'affirme  par  Tusage  plus  fréquent 
qui  en  est  fait;  les  affaires  portées  au  palais  se  multiplient, 
jusqu'à  l'excès.  L'excès  fut  tel  qu'il  fallut  opposer  une  di- 
gue au  flot  montant,  détourner  le  courant  vers  les  assises 
que  présidaient  les  fonctionnaires  royaux,  les  comtes. 
Pépin,  par  le  capitulaire  de  Vernon  (744-755),  menace, 
suivant  le  rang,  de  la  peine  des  verges  ou  de  la  disirictio 
royale,  le  plaideur  qui  sollicite  la  justice,  du  palais,  au  lieu 
de  saisir  le  malins  du  comte \ 

Toutefois  certaines  catégories  de  personnes  restaient  di- 
rectement justiciables  du  roi.  C'étaient  celles  qui  se  trou- 
vaient placées  sous  sa  protection  spéciale,  dotées  par  lui 
d'une  charte  de  mundium^,  ou  qui  faisaient  partie  de  sa  pai- 

*  Gap.  7  (Boretius  I,  p.  32). 

2  Dès  l'époque  mérovingienne,  le  protégé  du  roi  est  placé  sous  la 
garde  du  maire  du  palais,  premier  assesseur  du  tribunal  du  roi  etchef 
des  antruslions,  et  il  est  autorisé  à  se  faire  assister  d'un  homme 
illustre  pour  poursuivre  ses  causes  soit  devant  le  comte  soit  devant 
le  roi  :  «  Tam  in  pago  quam  in  palatio  nostro  prosequere  »  {Marculf,  I, 
24,  LL.  Formulacy  p.  58).  Ce  n'est  pas  tout,  la  charte  de  mundium 
stipule  que  si  le  litige  ne  peut,  sans  de  ^graves  dommages,  absque 
ejus  grave  dispendio,  être  jugée  devant  le  comte,  elle  est  réservée 
au  roi  «  in  noslri  prsDsentia  reserventur  »  {ibid,).  C'était  dire  que  le 
protégé  pouvait  porter  sa  cause  directement  devant  le  roi,  chaque 
fois  qu'il  y  avait  un  intérêt  majeur.  La  clause  devint  de  style  (roy. 
Add.  Marc,  2,  p.  111  ;  Form.  Senon.,  28,  p.  197,  Form.  imper,,  n»  32, 
p.  311,  n°  41,  p.  319,  etc.),  et  Ton  voit  par  les  chartes  d'immunité  du 
1X0  siècle  que  la  protection  royale  emporta  attribution  de  juridiction 
à  la  justice  palatine.  —  Diplôme  de  Charles  le  Chauve  pour  Saint- 
Julien-de  Brioude  (874)  :  «  Sub  nostro  mundeburdo  ac  tuitionis  ope 
acciperemus...  remota  omni  saeculari  vel  judiciaria  potestate...  nostro 
ooram  comité  palatii  ecclesiam...  absque  uUius  inquietudine  vel  mora- 


366  LIVRE  IV.  —  CHAPITRE  IV. 

rie  domestique,  de  son  comitatus^.  C'étaient  surtout  aussi 
les  comtes,  les  évoques,  chefs  de  la  justice  du  pagus  ou 
du  diocèse,  et  ne  pouvant,  à  ce  titre,  être  ses  justiciables *, 
enfin  les  potentiores,  dont,  à  raison  de  leur  puissance^  la 
justice  ordinaire  n'était  pas  en  mesure  de  venir  à  bout'. 
Par  des  motifs  analogues,  certaines  catégories  de  procès 
sont  ratione  materiœ  réservés  au  tribunal  du  roi.  Ils  en- 
gagent directement  le  pouvoir  royal  ou  la  paix  publique^ 
soit  que  le  roi  y  ait  un  intérêt  personnel^  soit  qu'il  s'agisse 
d'une  violation  de  son  ban*. 

En  déBnitive,  on  le  voit,  le  principe  de  la  compétence 
générale  n'a  reçu  aucune  atteinte.  Son  exercice  seul  a  été 
limité  ou  circonscrit  dans  la  mesure  où  l'intérêt  propre 
de  la  royauté  l'exigeait.  Il  est  donc  toujours  loisible  au 
roi  de  lever  les  barrières  qu'il  a  posées,  de  faire  tomber 
les  restrictions  qu'il  a  édictées,  d'évoquer  en  un  mot  toute 
affaire  litigieuse  devant  lui.  Et  c'est  ce  qu'il  fait  couram- 
ment par  Cindiculus  commonùorius^. 


rum  dilatione  liceat  inquirere  »  (CartuL  de  Brioude,  n?  334,  p.  339» 
H.  F.  VIII,  p.  645;  Cf.  H.  F.  VI,  p.  674). 

*  Voyez  les  textes  cités  par  Waitz,  Verfassungsg,,  III,  p.  496,  note 
2  [comitatus)  et  p.  51  i ,  note  5  (cornes  in  aula,  comités  palatini)^  en  les 
rapprochant  des  capitulaires  cités  à  la  note  suivante. 

'^  Capit.  de  mm,  (829),  in  fine  :  «  episcopis,  abbatibus,  comitiba» 
qui  ad  placita  nostra  semper  venire  debent  »  (II,  p.  9).  —  Cap.  Pist^ 
(869).  Adn.  Karoli,  cap.  2  (II,  p.  337).  —  u  De  nostris  domimeis  vas- 
sallis...  quod  si  proclama verit  se  ante  prœsentiam  nostram  velle  dis- 
tringi...  ante  nos  venire  permittatur  »  (Cap.  Vem.  884,  cap.  11)  (II, 
p.  37'»).  Cf.  :  «  Quodsi  fecerint  (mon etarii publiai)  etadnos  inde  recla- 
matio  venerit,  sicut  ille,  qui  tortum  in  suo  comitatu  vel  ministerio  fe- 
cerit,  in  nostra  vel  fidelium  nostrorum  prœsentia  culpabilis  judicabi- 
tur  »  (Edict.  PisL  864,  cap.  23,  II,  p.  320). 

'  Major  persona,  homines  boni  generis,  cap.  Âquisgr.  801-813, 
cap.  i2,  ï,  p.  171  etc. 

*  Capit  de  mism  (829)  In  fine,  II,  p.  9,  Cbn.  cap.  n*»  191  et  192, 
ibid.  —  Cf.  Brunner  II,  p.  139  et  Heinze,  Z.  f.  Rechtag.^  X,  p.  455- 
56. 

*  Les  indiciili  étaient  des  ordres  écrits  [mandata,  jussiones^  corn» 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.   367 

Bien  plus,  le  principe  reprend  de  plein  droit  son  empire 
quand  la  condition  mise  à  sa  limitation  est  défaillie.  Le 
simple  sujet  doit  s'adresser  au  tribunal  du  comte,  mais 
s'il  n'y  obtient  pas  audience?  La  loi  salique  avait  prévu 
un  déni  de  justice  des  rachim bourgs*;  c'est  maintenant 
le  déni  de  justice,  la  défaute  de  droit,  de  Tofficier  royal, 
du  comte,  qui  est  à  craindre.  Quand  le  fait  se  produit 
et  que  la  plainte,  par  deux  fois  renouvelée,  est  restée 
vaine,  le  recours  est  ouvert  devant  le  tribunal  du  roi^,  — 
sauf  que,  depuis  825,  le  missus  doit  être  saisi  après  le 
comte  ^  et  le  roi  seulement  en  cas  de  défaute  de  droit  du 
missus^. 

Si  la  négligence  ou  le  mauvais  vouloir  du  fonctionnaire 
royal  met  ainsi  la  justice  palatine  en  mouvement,  il  en  est 
de  même  de  la  violation,  qu'il  peut  commettre,  de  la  loi. 

monitoria,  litterx)  adressés  par  le  roi  à  des  particuliers  ou  à  des 
fonctionnaires,  en  vertu  de  son  ban.  Ils  sont  Torigine  directe  des 
briez  (brefs)  de  nos  chansons  de  geste,  des  brefs  royaux  ou  judiciai- 
res (brevia)  qui,  dans  la  jurisprudence  normande  et  anglo-normande, 
ont  joué  un  rôle  si  décisif.  Ils  procèdent  eux-mêmes  de  ia  pratique 
administrative  du  Bas-Empire.  Nous  trouvons  le  commonitorium, 
avec  le  sens  d'ordre  écrit,  dans  le  code  Théodosien  et  dans  le  code 
de  Justinien  (C.  iO  §  i,  12,  50  :  omnia  sane  commonitoria  vel  prae- 
ceptiones)  et  le  modèle  de  Vindiculus  commonitorius  dans  Cassiodore 
sous  forme  de  lettre  (Variorunif  IV,  39,  40,  44.  —  Brunner,  II,  p.  137, 
note  23).  Par  cet  indiculus,  dont  Marculf  nous  a  conservé  la  formule 
(I,  26  et  29,  Formulœy  p.  59-60.  —  Form,  Marc,  œvi  Kar.y  18,  p.  121) 
le  roi  enjoignait  à  l'un  des  plaideurs  de  faire  droit  à  la  réclamation 
de  son  adversaire,  sinon  de  comparaître  devant  lui  à  jour  assigné. 
C'était  donc  au  fond  une  véritable  évocation. 

*  Lex  Salictty  tit.  57,  cap.  1-2  (éd.  Hessels,  361). 
«  Capit.  Mant.  781,  C.  2.  3,  LL.  I,  p.  190. 

^  «  Quicumque  per  neglegentiam  aut  incuriam  vel  impossibilita' 
tem  comitis  justitiam  suam  adquirere  non  potuerit,  ad  eos  (missos) 
primum  querelam  suam  possit  déferre  et  per  eorumauxilium  justitiam 
adquirere  »  {Commem,  missis  data,  825,  cap.  2,  LL.  II,  p.  308-9). 

*  «  Populo  autem  dicatur,  ut  caveat  de  aliis  causis  se  ad  nos  recla- 
mare,  nisi  de  quibus  aut  missi  nostri  aut  comités  eis  justitias  facere 
Doluerint  »  (Cap.  miss.  829,  cap.  14,  II,  p.  17). 


368  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

Intentionnelle  ou  non,  une  telle  vioiatioa  engage  la  res- 
ponsabilité du  juge.  Elle  rentre  donc  dans  la  juridiction 
exercée  par  le  roi  sur  ses  officiers.  Le  juge  refuse-l-il,  sur 
la  plainte  de  la  partie  lésée,  d'amender  le  jugement  illégal 
qu'il  a  rendu,  il  peut  être  pris  à  partie  devant  le  roi,  qui 
Tobligera  à  réparer  Terreur  commise*  ou  à  porter  la  peine 
de  sa  mauvaise  foi^. 

Alors  même  que  le  juge  a  observé  la  loi,  la  cause  peut, 
en  dernier  ressort,  être  portée  au  palais.  Ce  n'est  plus 
une  prise  à  partie  du  juge,  c'est  en  quelque  manière  la  loi 
elle-même  qui  est  prise  à  partie.  Il  y  a  appel  à  l'équité 
souveraine  du  monarque,  supérieure  à  la  loi  même*. 

'  «  (Juod  perpere  judicavil  versalim  melius  discussione  habeat 
emendare  »  (Chiot.  Proiceptio,  584-628,  cap.  6,  I,  p.  19). 

-  «  1:11  si  reclamaveril  quod  legem  ei  non  judicassent,  tune  licen- 
liam  habeal  ad  palacium  venire  pro  ipsa  causa.  El  si  ipsos  convin- 
cere  poluerit  quod  legem  ei  non  judicassent,  sccundum  legem  contra 
ipsum  emendare  facial  »  (Cap.  de  Pc^pin,  754-755,  cap.  7,  I,  p.  32).  — 
Mon  savant  ami  M.  Ksmein,  en  se  fondant  sur  le  CapU.  miss,  de  805 
(I,  p.  123),  a  cru  pouvoir  restreindre  ce  droit  d'appel  aux  personnes 
nanties  de  chartes  de  mundium,  qu'il  identifie  avec  les  litterœ  que 
rappelant  doit  apporter  au  palais  (Noitv.  Revue  HisL  de  droit ^  1887, 
p.  5i5  et  555);  mais  ce  capilulaire,  comme  celui  de  754,  est  conçu  en 
termes  généraux.  Les  litterae  qu'il  vise  ne  peuvent  être  que  l'tndt- 
culus  délivré  parle  comte  du  palais  à  rappelant  au  roi,  dans  le  double 
but  de  lui  donner  acte  de  rapi)el  et  de  lui  fixer  jour  d'audience 
(Capit.  de  disciplina  palatii  vers  820  (?)  cap.  6,  I,  p.  298  :  «  Ut 
comités  palatii  omncm  diligentiam  adhibeaiit,  ut  clamatores  posl- 
quani  indictdiim  ab  eus  acceperint  in  palatio  nostro  non  rema- 
neant  »).  —  Wailz  avait  donc  émis  à  bon  droit  des  doutes  (Fer/Viw- 
(/csc/i.,  IV  ■'^,  p.  477  note)  sur  l'identification,  proposée  déjà  par 
M.  Brunner,  des  litterx  du  capitulaire  de  805  et  des .carto  de  mun- 
dehurdo, 

•^  «  Comitis  autem  palatii  inter  cuitera  pitne  innumerabilia,  in  hoc 
maxime  soUicitudo  erat,  ut  omucs  contentiones  légales^  quœ  alibi 
orid'  pi'opter  wquitatis  judicium  palatium  aggrediebantur,  juste  ac 
rationabiliter  dolerminaret  seu  [)erverse  judicata  ad  squitatis  trami- 
tem  reduceret,  ut  et  coram  Deo  propter  justiliam  et  coramhominibus 
I)ropler  legum  observaiionem  cunctis  placeret.  Si  quid  vero  taie  es- 


PRÉROGATIVES   ET  ATTRIBUTS    DE  LA  ROYAUTÉ.      369 

Ainsi  nous  trouvons,  à  l'époque  carolingienne,  une  com- 
pétence générale  du  roi,  en  matière  judiciaire,  s'exerçant 
pour  un  grand  nombre  de  personnes  et  d'objets,  ou  par 
voie  de  ressort  direct  et  de  plein  droit,  ou  par  voie  d'évo- 
cation. Pour  les  autres  elle  s'exerce  soit  comme  instance 
subsidiaire,  s'il  y  a  déni  de  justice  {défaute  de  droit) ^  soit 
€omme  seconde  ou  dernière  instance,  s'il  y  a  prise  à 
partie  du  juge  {faussement  du  jugement)  ou  appel  d'é- 
quité. 

Il  convient  de  rechercher  maintenant  ce  qui,  de  ces 
divers  ressorts,  subsiste  au  x*  et  au  xi®  siècle. 

Quatre  Irails  distinctifs  me  paraissent  caractériser  cette 
période  :  1°  La  compétence  générale  du  roi  est  atteinte 
dans  son  principe  ;  2°  Le  nombre  des  personnes  et  des  objets 
sur  lesquels  s'exerce  spécialement  la  justice  royale  devient 
de  plus  en  plus  faible  ;  3°  Les  degrés  de  juridiction  dis- 
paraissent;  4°   La  justice  d'équité   du   roi  subsiste  sur 

set,  quod  leges  mundanx  hoc  in  suis  diffînitionibus  statutum  non 
haberent,  aut  secundum  gentilium  consuetudinem  crudelius  sancitum 
essety  quam  chrislianitalis  rectiludo  vel  sancta  auctoritas  merilo  non 
consentiret,  hoc  ad  régis  moderationem  perduceretur,  ut  ipse  cum 
his,  qui  utramque  legem  nossent  et  Dei  magis  quam  humanarum 
legum  statuta  metuerent,  ita  decerneret,  ita  statueret,  ut,  ubi 
utrumque  servari  posset,  utrumque  servaretur,  sin  autem,  lex  sœculi 
merito  comprimeretur,  justitia  Dei  conservaretur  »  (Hinemar,  De 
ordine  palatii,  cap.  21,  LL.  Capit.  II,  p.  524-525).  —  En  présence  des 
termes  si  péremptoires  de  ce  passage  fameux,  on  ne  saurait  admettre 
avec  M.  Brunner  [Die  Entstehung  der  SchwurgerichtCy  Berlin  1872, 
p.  72  suiv.)  que  l'appel  en  équité  était  réservé  aux  personnes  pourvues 
de  chartes  de  mundium*  La  formule  que  cite  le  savant  historien 
(p.  73)  ne  se  prête  pas  à  une  telle  interprétation.  Non  seulement  elle 
mentionne  la  rectitudo  à  côté  de  Vœquitas  (secundum  œquitatis  et 
rectitadinis  ordinem  finitivam  accipiat  sententiam)  (Form.  imper, 
no  32,  p.  311),  nais  d*autres  formules  de  mundium  portent  :  «  ante 
nos  pcr  legem  aut  justiclam  finitivam  accipiant  sententiam  »  (Mar- 
culie,  Add.  2,  p.  111).  L'appel  en  droit  était  ouvert  au  mainbour 
comme  Tappel  en  équité,  et  réciproquement  l'un  et  Tautre  Tétaient 
à  tout  plaideur. 

F.  —  Tome  III.  24 


370  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

la  base  du  droit  général  de  protection  et  se  répand  ao 
loin  par  la  pratique  de  Tarbitrage.  Reprenons  ces  divers 
aspects. 

1)  La  compétence  générale.  —  La  justice  du  roi  subit 
la  concurrence  victorieuse  du  principat  et  de  la  seigneurie. 
Elle  recule  devant  la  leur;  elle  est  évincée  par  elle.  C'est 
le  triomphe  delà  justice  personnelle  sur  la  justice  territo- 
riale*, de  la  justice  privée  sur  la  justice  publique,  si  l'on 
réserve  cette  dernière  qualification  à  la  justice  royale.  La 
compétence  directe  du  roi  lui  échappe  ainsi  sur  tous  ceux 
qui  ont  un  seigneur  personnel  autre  que  lui.  Il  ne  réussit 
que  bien  rarement  à  la  ressaisir  par  voie  à' évocation^, 

2)  La  juridiction  spéciale.  —  Ce  n'est  pas  seulement 
par  le  pouvoir  judiciaire  qu'ils  s'arrogent  que  prince  et 
seigneur  supplantent  le  roi;  c*est  aussi  par  la  protection 
qu'ils  prétendent  instituer.  Des  chartes  de  mundium^ 
d'immunité,  de  sauvegarde,  sont  délivrées  à  des  corps  re- 
ligieux ou  à  des  particuliers  par  de  simples  seigneurs  aussi 
bien  que  par  des  princes. 

Le  nombre  des  protégés  du  roi  va  décroissant  à  pro- 
portion que  se  multiplient  les  pseudo-protecteurs  qui  of- 
frent leurs  services  et  qui  les  imposent,  celui  des  officiers 
et  des  évèques  du  roi  à  mesure  que  sa  domination  se  replie 
sur  elle-même  en  de  plus  étroites  bornes.  Quant  aux  ma- 
jores  personœ^  aux  potentiores,  aux  principes^  ils  se  déro- 
bent le  plus  souvent  à  la  juridiction  royale*  et  ne  reconnais- 

«  Voy.  T.  I,  p.  219  suiv. 

'  C'est  le  seigneur  lui-m^me  que  le  roi  est  obligé  alors  de  citer 
devant  lui.  Ainsi  quand  l'abbaye  de  Sain t-Germain-des- Prés  se  plaint 
que  Pipînel,  vicaire  de  Garin,  a  commis  une  usurpation  dans  le 
domaine  d'Antoiiy,  le  roi  mc^conlent  (moleste  tulimuê)  appelle  Garin 
en  jugement  (ad  discussionom  hujus  causœ  Garinum  provocavimus) 
et  Garin  se  présente  (ad  judicium  veniens)  (1025-1030),  Bouillart, 
Uist.  de  Saint'GennaindeS'PrcSj  P.  just,  p.  xxiii;  H.  F.  X,  612). 

3  Voyez  un  exemple  dans  la  lettre  de  Fulbert  de  Chartres  au  pape 
Jean  XIX  (1024)  {H.  F.  X,  473  D-E)  :  «  Est  cornes  quidam  malefactor 
nominc  Rodulphus,  nimium  vicinus  nobis,  qui  res  Ecdesiœ  nostra 


PRÉROGATIVES  ET   ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTE.      371 

sent  tout  au  plus  que  la  juridiction  de  leurs  pairs.  Pour 
ceux-là  mêmes  qui  restent,  en  principe,  ses  justiciables,  le 
tribunal  du  roi  voit  sa  juridiction  se  raccourcir  à  un  double 
point  de  vue. 

Tout  d'abord,  une  compétence  particulière,  exclusive, 
se  constitue  aux  dépens  de  la  justice  royale,  en  matière 
religieuse  et  en  matière  féodale.  Les  affaires  d'ordre  ecclé- 
siastique des  justiciables  du  roi  lui  échappent  ou  tendent 
à  lui  échapper,  sans  qu'une  ligne  de  démarcation  rigou- 
reuse et  nette  puisse  être  tracée*.  Les  litiges  qui  portent 
sur  le  contrat  de  fief  ou  la  vassalité  ressortissent  delà  jus- 
lice  féodale,  que  ce  soit  celle  du  roi  ou  celle  d'autres  sei- 
gneurs. 

En  second  lieu,  le  principe  que  chaque  seigneur  est 
juge  de  ses  manants,  de  ses  protégés,  tout  comme  de  ses 
vassaux,  dans  le  but  essentiel  de  les  dérober  à  Taction 
d  une  justice  régulière,  de  les  protéger  contre  elle,  ce 
principe  par  la  généralité  de  son  empire  oblige  désormais 
le  justiciable  du  roi,  quand  il  est  demandeur,  à  porter  sa 
cause  devant  le  seigneur  de  son  adversaire.  Nous  avons 
vu  rintérêt  des  corps  religieux  à  suivre  cette  voie*,  et  la 

per  injustam  occasionem  invasit,  unum  de  clericis  nostris  suis  ma- 
nibus  inlerfecit,  duos  alios  captos  sacramentis  illigavit,  et  de  his  om- 
nibus appellatus  in  curia  régis  et  coram  plan  a  ecclesia  sœpe  vocatus, 
nec  propter  hominem  nec  propler  Deum  ad  justitiam  venire  dignitus, 
a  nobis  tandem  excommunicatus  est.  Nunc  vero  ad  limina  S*  P*  con- 
tcndit...  » 

*  Diplôme  de  Philippe  I  pour  Saint-Denis  (1068.  Tardif,  Monum., 
p.  178,  col.  2)  :  ('  causa  coram  optimatibus  regni  nostri,  et  in  nostra 
presentia  saepe  ventilata,  sed  quia  magis  ordinis  œcclesiastici  vide- 
batur  esse  qxiam  popularis,  nostra  permissione  in  audientia  Romani 
pontificis  Alexandri  perlata  et  fînita  est.  Nos  demum  justiciœ  fa- 
ventes,  diffinitœ  causx  consensus  nostri  vigorem  prestaremus,  »  — 
Lettre  d'ïves  de  Chartres  à  Philippe  I  (1093,  H.  F.  XV,  78  D)  : 
«  respondere  non  subterfugiam,  vel  in  ecclesia  si  ecclesiastica  sunt 
negotia,  vel  in  curia  si  sunt  curialia  ». 

2  Suprà,  p;  255,  note  1. 


372  UVRB   IV.  —   CHAPITRE  IV. 

véaalité  de  la  justice  royale^  n'était  pas  propre  à  les  eo  dé- 
tourner. 

Ajoutons  enfin  que  si  la  compétence  ratione  maierist 
se  crée  et  se  propage  au  profit  de  juridictions  rivales  de 
celle  du  souverain,  il  ne  la  retient  guère  lui-même  qu'eo 
cas  de  flagrant  délit*  ou  pour  violation  de  son  ban*. 

3)  Les  degrés  de  juridiction,  —  Appel  de  défaute  die 
droit  et  appel  de  faux  jugement,  —  Du  moment  que  la 
juridiction  royale  s'était  restreinte  à  certaines  catégories 
de  personnes  et  de  litiges,  il  ne  pouvait  plus  être  question 
en  principe  de  l'appel  au  roi  pour  déni  de  justice  d*un 
prince  ou  d'un  seigneur.  Cela  est  d'autant  plus  vrai  que 
la  défaute  de  droit  avait  pris  un  caractère  féodal,  qu'elle 
était  invoquée  surtout  par  le  vassal  contre  son  seigneur 
immédiat,  devant  la  cour  de  leur  suzerain  commun.  Pour 
qu'en  pareil  cas  elle  donnât  ouverture  à  un  appel  au  roi, 
il  fallait  que  sa  suzeraineté  féodale  fût  reconnue  par  les 
deux  parties. 

Toutefois  ce  caractère  de  la  défaute  de  droit  n'était  pas 
exclusif.  Si  le  sujet  ou  le  protégé  d'un  seigneur  se  plai- 
gnait qu'il  refusât  de  prendre  sa  cause  en  main,  un  tiers 
demandeur  qu'il  refusât  déjuger,  pourquoi  le  roi  en  qua- 
lité de  juge  suprême  et  de  suprême  protecteur  ne  se 
sérait-il  pas  saisi  de  l'affaire?  Qu'à  raison  de  Timpuissance 
de  la  royauté  le  cas  fût  rare  au  x*  siècle,  j'en  conviens  sans 
peine,  mais  le  principe  n'a  jamais  dû  se  perdre.  L'Église 
était  trop  intéressée  à  se  ménager  cette  ressource  contre 

*  Clironiqne  de  Morigny  (Duchesne,  IV,  p.  367  suiv.):  «muneribus 
conductum,  sua;  partis  palronum  ne  defensorem  regem  effidunt  » 
p.  367  C);  «  re(jem  et  illius  curiam  per  pecuniam  devincere  conien' 
ciimit  »  (p.  374  B);  «  burgenses  omnes  totumque  populum  vetenim 
Stamparum  rex  iralus  Parisiis  submonet  ad  justitiam,  speranshincse 
imiximas  pecunias  adepturum  »  (p.  374  C). 

^  Cr.  Suger,  Vie  de  Louis  le  Gros,  cap.  32  :  «  Neminem  in  curia 
sua  cîipere,  si  non  prœsentialiter  ibidem  delinquat  »  (p.  143). 

'  Les  cas  royaux  dont  nous  avons  parlé  (supràf  p.  354-5). 


PRÉROGATIVES  BT  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.   373 

rinertie  et  la  malignité  des  seigneurs,  voire  de  ses  avoués. 
Remarquons  aussi  que  le  Bréviaire  d'Alaric,  et  les  faux  ca- 
pitulaires,  dont  l'importance  juridique  fut  si  grande  en 
France,  fournissaient  un  point  d'appui  aux  prétentions 
royales*,  et  qu'on  ne  s'expliquerait  pas,  sans  la  persistance 
latente  de  son  principe,  la  rapide  et  énergique  reviviscence, 
au  xiii'  siècle,  de  l'appel  pour  défaute  de  droit. 

S'agit-il  maintenant  des  protégés  spéciaux  du  roi,  la  lé- 
gitimité de  cet  appel  est  plus  manifeste,  plus  certaine  est 
sa  pratique.  Quand,  demandeurs,  ils  ont  porté  leur  action 
devant  le  seigneur  de  leur  adversaire  sans  obtenir  qu'il 
la  jugeât*,  leur  refuge  naturel  et  nécessaire  est  auprès 

*  Dans  le  Bréviaire  d'Alaric  la  défaute  de  droit  est,  par  applica- 
tion des  lois  romaines,  punie  d'une  amende  égale  à  l'impor- 
tance du  litige.  Uhiterpretatio  porte  :  «  Si  quis  causam  habens,  a 
judice  suo  se  per  superbiam  vel  propter  amicitiam  adversarii  sui 
probaverit  non  auditum,  judicem  tantum,  quantum  res  de  qua  agitur 
valuerit,  fisco  nostro  jubemus  exsolvere  »,  VEpitome  Mgidii  et  la 
Lex  Curiensis  ont  :  «  propter  negligentiam  ».  (Lex  Romana  Visigoth., 
p.  32-33,  Acide,  p.  41,  col.  6).  La  disposition  a  passé,  sous  cette  der- 
nière forme,  dans  les  capi^ulaires  de  Benoît  (III,  220)  :  «  Quod  si  per 
neglegentiam  judicis  causa  definita  non  fuerit,  tantum  eum  fisco 
nostro  jubemus  exsolvere,  quantum  res  ipsa  de  qua  Éigitur  valuisse 
cognoscitur  »  —  Le  dessaisissement  du  juge  au  profit  du  prince  en 
découlait  de  source,  comme  on  le  voit  dans  la  lex  Curiensis  :  «  Si 
ei  suus  judex  suam  causam  dilatare  voluerit,  postea  liceat  eis  suas 
causas  ad  principem  reclamare  »  (Haenel,  p.  33,  col.  4). 

2  Le  déni  de  justice,  que  l'on  appellera  plus  tard  defectusjustitiœ^ 
apparaît  très  souvent  dans  les  chartes  des  xe  et  xi*  siècles,  et  fait 
l'objet  de  fréquents  accords  (T.  I,  p.  222,  note  1,  p.  263  suiv.).  C'était 
au  besoin  par  le  pillage  qu'on  prétendait  en  avoir  raison  (per  predam 
nostram  nos  cogeret  ut  quod  in  nostra  non  vellemus,  hoc,  vel  coacti, 
in  ejus  curia  faceremus,  T.  I,  p.  276,  note  1).  Les  termes  pour  désigner 
le  déni  de  la  justice  seigneuriale  étaient  très  variables  :  justitiam  non 
impetrare  (ï,  p.  263),  refugere  facere  justitiam  (I,  p.  265),  rectum 
clamanti  vetare  (I,  p.  271),  deficere  ajustitia  (ad  abbatem  clamaret, 
deinde  ad  comitem  et  ad  comitissam  si  abbas  a  justitia  deficeret. 
Cartul.  de  Rillé,  v.  1120,  Marchegay,  Arch.  d'Anjou,  II,  p.  47).  C'est 
cette  dernière  expression  [deficere  a  justitia)  qui  a  fini  par  devenir 
technique. 


374  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

de  leur  royal  prolecteup.  C'est  à  lui  qu'ils  doivent  récla- 
mer justice.  Ua  acte  fort  curieux  de  la  fia  du  ix*  siècle 
nous  permet  de  l'entrevoir*.  Erfroi,  prévôt,  et  Adémar, 
avoué  de  Saint-Martin-de-Tours,  ont  cité  Patericas 
devant  son  seigneur,  le  comte  Bérenger,  au  sujet  de 
biens  de  Tabbaye  indûment  retenus  par  lui.  Le  comte  se 
récuse.  Il  déclare  que  le  défendeur  est  beaucoup  plus  le 
vassal  du  comte-abbé  Robert  que  le  sien,  et  qu*îl  renonce, 
du  reste,  en  faveur  de  saint  Martin,  à  toute  suzeraineté  sur 
les  biens  usurpés  par  Patericus.  Une  telle  attitude  équi- 
valait à  une  défaute  de  droit  :  Patericus  était  laissé 
en  paisible  possession  et  proférait  même  impunément  des 
menaces  ^  Les  réclamants  se  rendent  à  Tours  auprès 
du  comte-abbé  Robert  et  le  préviennent  qu'ils  vont  en 
appeler  au  roi,  alors  présent  dans  la  cité,  se  reclamare 
coram  rege^.  Le  comte^  à  la  fois  comme  seigneur  de 
Patericus  et  comme  protecteur  de  Tabbaye,  se  saisit  de 
TatTaire  \  Il  investit  des  biens  litigieux  Tavoué  Adémar, 
et  le  charge,  si  Patericus  n'acquiesce  pas,  de  les  défendre 
par  combat  judiciaire*.  Par  là  disparaît  la  défaute  dedroit: 
rappel  au  roi  devient  sans  objet. 

Si  nous  passons  à  la  prise  à  partie  des  juges  devant  le 
roi,  à  rappel  de  faux  jugement,  il  est  aisé  de  vérifier  que 
la  justice  palatine  n'en  pouvait  plus  connaître  que  comme 
justice  féodale.  Il  n'y  avait  plus  de  loi  dont  le  roi  fût  le 
gardien.  La  procédure  était  devenue  de  plus  en  plus  for- 

1  Diplômes  d'Eudes,  du  13  juia  892,  publié  dans  Galtia  Christ,, 
XIV,  Instr.  n°  37,  et  récemment  par  M.  Favre,  Eudes,  p.  242. 

*  «  nie  noluit  ipsas  res  dimittere,  sed  cœpil  minas  inferre  ». 

^  u  Volebant  se  reclamare  coram  rege  Odone,  qui  tune  prœsens  erat 
in  ipsa  civitate  Turonus  ». 

^  «  Non  erit,  inquit,  opus  vobis  coram  rege  reclamationem  facere, 
quia  ego  sum  eorum  abba,  et  ego  debeo  rfc  aliis  justitiam  facere^ 
quanto  magis  injustitiam  ab  aliis  Tactam  consentira  (non)  debeam  n. 

"  «  Ipse  autem  tetendit  cultellum  A.  advocato  et  dixil  ei  :  Tu  debes 
eum  recipere,  quia  advocalus  eorum  es  ;  et  si  necesse  fuerit,  tu  pu- 
gnabis  pro  eis  ». 


PROROGATIVES  BT  ATTRIBUTS   D£  LA  ROYAUTÉ.      375 

maliste.  Le  juge,  en'^prononQaDt  sa  sentence,  épousait  la 
cause  de  Tun  des  plaideurs,  et  s'engageait  à  la  soutenir 
les  armes  à  la  main.  C'était  donc  en  un  combat  judiciaire 
que,  presque  toujours,  la  prise  à  partie  se  résolvait.  Le 
roi  n'y  préside  que  si  le  jugement  a  été  porté  par  ses 
vassaux  ou  par  ses  officiers,  ou  bien  s'il  fait  grief 
à  l'un  de  ses  protégés.  Au  xii*  siècle  encore,  dans  la 
charte  qui  passe  pour  le  premier  exemple  d'un  appel 
au  roi  pour  faux  jugement,  nous  voyons  le  roi  ne  figurer 
qu'en  qualité  de  protecteur  spécial  ou  d'avoué  ^ 

*  Diplôme  de  Louis  Vl,  probablement  de  Tan  1132  (Luchaire, 
AnnaleSf  n»  489).  L'acte  a  été  publié  en  dernier  lieu  par  M.  Ch.  Lan- 
glois  dans  Textes  relatifs  à  Ihist.  du  Parlement  (C.  T.)  n»  VII.  Il 
m'apparaît  sous  un  aspect  différent  de  celui  qu'on  lui  a  jusqu'ici 
prêté.  De  quoi  s'agit-il?  Un  chevalier  réclame  de  l'évéque  d'Arras  l'in- 
vestiture d'un  fief.  La  demande  est  portée  devant  la  cour  de  l'évoque, 
dont  le  demandeur  se  dit  l'honune.  Au  jour  Ûxé,  les  représentants 
(personœ)  de  l'Église  cathédrale  et  un  groupe  de  vassaux  de  Tévéque 
se  réunissent  pour  vider  le  débat.  Et  que  se  passe-t-il  alors?  Cer- 
tains des  juges  sont  d'avis  qu'il  y  a  lieu  à  plus  ample  informé.  Jean 
Béchet  et  deux  autres  jugent  au  contraire  que  les  raisons  alléguées 
par  Tévêque  sont  mauvaises  et  qu'il  doit  faire  droit  à  la  demande. 
L'évéque  aussitôt  assigne  ces  trois  juges  devant  le  roi,  en  faux  juge- 
ment. Ils  ne  se  présentent  pas  au  jour  dit.  Le  lendemain,  des  évé- 
ques,  abbés  et  barons  du  roi,  convoqués  par  lui,  examinent  l'affaire 
avec  soin  et  décident  que  les  juges  assignés  ont  mai  jugé.  Ils  se 
fondent  sur  un  motif  de  droit  que  le  roi  s'appropriera. 

Y  a-t-il  eu,  d'après  cela,  deux  jugements  successifs?  Nullement. 
La  première  instance  ne  s'est  pas  terminée  par  une  sentence.  Deux 
opinions  contradictoires  se  font  jour.  L'évéque  attaque  aussitôt 
celle  qui  lui  est  défavorable,  il  prend  à  partie  les  juges  qui  l'ont 
émise,  et  régulièrement  il  devrait  les  provoquer  au  combat  judiciaire 
ou  les  faire  provoquer  par  l'un  des  siens.  Mais  il  a  un  avoué,  advih' 
catuSf  qui  doit  prendre  fait  et  cause  pour  lui,  et  cet  avoué  est  le  roi 
en  personne  «  nos,  qui  advocaii  et  patroni  Atrebatensis  sumw  eçele-- 
8ie  ».  Il  s'adresse  donc  au  roi.  Comme  roi,  celui-ci  ne  peut  combattre  ; 
il  peut  juger,  ou  faire  juger  par  sa  cour,  et  c'est  là  ce  qu'il  fait. 

On  voit  que  les  Églises  dont  le  roi  était  avoué,  si  elles  voulaient 
fausser  l'avis  d'un  juge  (et  il  devait  en  être  de  même  de  la  sentence 
proprement  dite)  pouvaient,  au  lieu  de  le  faire  provoquer  en  champ 


376  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IV. 

4)  V appel  d'équité  et  T arbitrage.  —  Laurière  remarque 
qu^avaût  l'époque  des  Établissements  de  saint  Louis^  Tap- 
pel  proprement  dit,  Tappel  à  un  juge  supérieur  pour  faire 
réformer  une  sentence,  n'avait  pas  lieu  en  Fraoce*.  Il  se 
fonde  sur  le  début  du  chapitre  85  (Livre  I)  où  il  D*est  men- 
tion de  rappel  que  dans  un  passage  additionnel.  S*il  est 
vrai  que  le  droit  d'appel  prit  à  cette  époque  un  rapide 
essor,  par  suite  de  l'interdiction  du  combat  judiciaire,  rien 
ne  prouve  que  la  juridiction  d'équité  du  roi  en  dernier 
ressort  eût  jamais  cessé  de  fonctionner.  V interpreiatio  àxx 
Bréviaire*  la  consacre,  tout  comme  la  lex  curiensis^f  et 
nous  avons  dans  un  diplôme  de  la  Qn  du  ix*  siècle  la  réfor- 
mation d'un  jugement  par  la  cour  du  roi^.  La  base  immé- 

clos,  rappeler  devant  la  cour  du  roi,  qui,  se  saississant  de  Taffaire, 
la  jugeait  définitivement.  Du  moins  en  était-il  ainsi  à  la  fin  du  règne 
de  Louis  VI. 

^  a  Quant  à  l'appellation  elle  n^estoict  pas  anciennement  en  usage 
en  Cour  laie  et  n'a  commencé  d'estre  reoBù  que  dans  le  temps  de  ces 
Ëstablissemens  »  (Note  sur  les  Établ.  1, 138  (Ordon.  I,  p.  223),  éd. 
Viollet,  I,  142.  —  Cf.  Montesquieu,  Esprit  des  lois,  28,  ch.  27). 

2  Interpr.  du  Code  Théod.  II,  1,  c.  6  (Haenel,  p.  32),  XI,  8  et  suiv., 
notamment  Interpr.  XI,  9  (Haenel,  p.  228). 

8  Haenel,  p.  229,  col.  4. 

*  Diplôme  d'Eudes  du  22  mars  890  publié  par  M.  Favre,  Eudes, 
p.  239.  Une  cour,  composée  de  G.  doyen  et  pré?M  de  la  villa  P.,  Tar- 
chiclave  B.,  le  magister  scholarum  0.  (appelé  à  la  fin  de  la  charte 
chancelier  =  greffier)  et  d'anciens  du  chapitre  de  Saint-Martin-de- 
Tours,  est  venue  dans  la  villa  tenir  des  assises,  audientias  ejusdem 
potestatis  œquanimiter  tenere.  Elle  reçoit  la  plainte  d'hommes  de 
Tabbaye  contre  un  vassal  nommé  Hicbert,  jadis  miles  de  Tarchevôque 
de  Tours,  et  elle  y  fait  droit.  Ricbert  se  pourvoit  auprès  du  roi,  qui 
se  trouve  à  Tours,  «  prasentiam...  régis...  seu  Rotberti  ejusdem ger- 
mani...  cœterorum  virorum  nobilium  quantocius  adiré  ».  Sur  Texposé 
qu'il  fait  de  la  sentence  rendue  contre  lui,  le  roi  et  le  comte  Robert 
(abbé  de  Saint-Martin)  mandent  les  premiers  juges  et  les  interrogent^ 
Ceux-ci  font  connaître  les  motifs  de  fait  et  de  droit  du  jugemenU 
Après  quoi,  le  roi,  Tabbé,  les  autres  assesseurs,  très  nobles,  cmttri 
pemobiles  in  circuitii  résidentes,  réforment  la  sentence  en  ce  sens  que 
faculté  est  laissée  à  l'appelant  de  garder,  sa  vie  durant,  les  biens 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS  DE   LA   ROYAUTÉ.       377 

diale  du  recours  était  dans  la  sauvegarde  générale  et  dans 
la  protection  de  TÉglise*. 

Si  je  parle  de  la  possibilité  d'un  appel  en  équité,  en- 
tendez que  je  me  place  au  point  de  vue  des  x**  et  xi*  siè- 
cles. Dans  le  sens  strictement  juridique,  en  effet,  Tappel 
suppose  une  hiérarchie  judiciaire,  et  cette  hiérarchie  man- 
quait. Mais,  d'un  autre  côté,  nul  jugement  n'était  définitif. 
Il  fallait  pour  qu'il  le  devînt  qu'il  eût  été  accepté  et  par 
les  parties  et  par  leur  parenté^;  jusqu'à  l'acquiescement 
ou  le  désistement  [finis,  diffinitio),  bien  plus  jusqu'à 
l'exécution,  le  débat  pouvait  toujours  être  rouvert.  Il 
n'existait  donc  pas,  à  vrai  dire,  de  chose  jugée.  Ce  que  je 

litigieux,  à  charge  de  fournir  une  compensation  suffisante  (recompen- 
satio)  dont  ils  fixent  le  montant  :  «  quo  regali  judicio  et  communi 
asscnsu.,.  in  recompensatione  hujus  rei...  ». 

*  Cf.  le  préambule  d'un  diplôme  judiciaire  de  Philippe  I"  (6  janvier 
i082)  :  u  Regali  excellentiai  procurandum  est  ac  satagendum,  ut  jura 
ecclesiastica  quae  maie  ab  iniquis  implicita  sunt  vel  usurpata,  sua 
aucloritate  restituât  absoluta  et  libéra.  Regia  siquidem  potestas 
ecclesiœ  bona  débet  tuendo  servare  et  servando  tuere  »  (Bouillart, 
H.  de  Saint-Germairi'des-PréSj  P.  just.,  p.  xxxn). 

2  M.  Esmein  (iV.  H.  hisL  de  droit,  t.  XI,  1887,  p.  548)  a  très  bien 
aperçu  la  nécessité  de  l'acquiescement,  dès  Tépoque  franque.  Elle  de- 
vient de  plus  en  plus  absolue  à  mesure  que  les  pouvoirs  publics  se 
désorganisent,  et  elle  subsiste  au  xi*'  siècle.  Nous  en  rencontrerons 
d'innombrables  exemples  en  traitant  de  la  procédure.  Il  en  est  un, 
frappant,  pour  la  justice  royale.  Des  trois  diplômes  de  Robert  !•'  que 
nous  possédons  sur  le  procès  de  la  vicairie  d'Antony  (les  deux  pre- 
miers, 1025-1030, 1031,  ont  été  publiés  par  Bouillart,  p.  xxiii  et  xxv,  le 
dernier,  1031,  par  M.  Pfîster,  Robert,  p.  lvi)  deux  se  réfèrent  à  la 
diffinitio,  c'est-à-dire  à  la  renonciation  expresse.  C'est  pour  l'obtenir 
qu'après  la  mort  de  Garin,  et  encore  que  le  procès  eût  été  perdu  par 
lui,  il  fallut  une  reprise  d'instance.  Elle  aboutit  à  l'acquiescement  de 
la  veuve  de  Garin  :  «  Sed  quia  non  contigit  eum  pleniter  terminasse 
hoc  negotium...  hujus  proclamationis  diffinitionem  fecit  ad  vptum 
abbatis  et  monachorum,  partim  coacta  justicia,  partira  terrila  pro 
peccatis  viri  sui  »  (Bouillart,  p.  xxiii-xxiv).  —  «  Post  legitimam  dif- 
finitionem quam  Hersendis  in  praesentia  nostra  inde  fecerat  »  (Pos- 
ter, p.  LVll). 


378  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE  IV. 

qualifie  appel  est  une  nouvelle  instance^  engagée  comme 
si  le  premier  jugement  était  nul  et  non  avenu,  comme  s*il 
n'avait  pas  de  valeur  légale.  Au  fond  une  telle  pratique 
conduit  au  même  résultat  que  Tappel  régulier,  puisque 
par  lui  aussi  toute  Taiïaire  est  remise  en  question. 

S'il  n'est  tenu  aucun  compte  du  jugement  originaire,  on 
s'explique  le  peu  de  traces  laissées  par  l'appel.  Nous  ne 
pouvons  pas  distinguer,  parmi  les  procès  soumis  à  la  cour 
du  roi,  ceux  qui  l'étaient  en  première  instance  et  ceux  qui 
revenaient  d'une  cour  seigneuriale  ou  priucière,  dont  la 
décision  n'avait  pas  été  acceptée. 

L'appel  en  équité  se  confond  pour  le  surplus  avec  l'ar- 
bitrage ^  C'est  ainsi  que,  non  seulement  la  compétence  en 
dernier  ressort,  mais  surtout  aussi  la  compétence  directe 
de  la  cour  du  roi  a  pu  renaître  et  progresser.  Toute  ins- 
tance, pour  être  décisive,  supposant  un  compromis  préa- 
lable, un  champ  immense  s'ouvrit  à  l'action  de  la  justice 
royale.  C'était  sa  juridiction  arbitrale  qui  incarnait  le 
mieux  la  théorie  de  la  justice  souveraine  émanée  de  Dieu, 
c'était  elle,  nous  allons  le  voir,  qui  offrait  aux  plaideurs 
les  formes  de  procéder  les  moins  aléatoires  et  les  moins 
dangereuses,  c'était  elle  aussi  qui  s'adaptait  le  plus  exacte- 
meid  à  l'état  politique  d'un  temps  où  les  hommes  n'étaient 
unis  que  par  des  liens  fédératifs.  Quand,  au  cours  des 
siècles,  la  fédération  se  changera  en  régime  monarchique, 
la  justice  arbitrale  du  roi  redeviendra  la  justice  publique. 

11.  —  Le  plaid  royal. 

1.  La  procédure  privilégiée.  —  L enquête.  —  Nous 
n'avons  pas  à  exposer,  en  ce  moment,  la  marche  du  procès 
devant  la  justice  royale.  Le  sujet  appartient  à  l'organisa- 
tion judiciaire  que  nous  aurons  à  retracer  au  Livre  suivant 
Mais,  par  un  point  important,  il  touche  et  intéresse  la 
nature,  la  portée,  le  développement  progressif  du  pouvoir 

*  Sur  l'arbitrage  royal,  voir  T.  I,  p.  162-164. 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE   LA    ROYAUTÉ.       379 

judiciaire  du  roi,  je  veux  dire  par  la  procédure  d'enquête. 
Si  celle-ci  n'est  pas  restée  un  privilège  exclusif  de  la  jus- 
tice palatine,  elle  y  avait  pourlant  son  siège  traditionnel 
et  ne  cessa  d'apparaître  comme  une  de  ses  marques  dis- 
tinctives. 

Une  différence  fondamentale  entre  le  mallum  et  le  tri- 
bunal du  roi  carolingien  résidait  dans  le  mode  de  preuve  : 
purement  formaliste  devant  le  mallum,  inquisitoriale  de- 
vant le  roi.  Si  une  première  enquête  ne  donnait  pas  de 
résultat,  on  procédait  à  une  seconde,  et  c'est  seulement 
à  son  défaut  que  l'ordalie  intervenait*. 

Dans  le  procès  formaliste  le  témoin  ne  prouve  pas,  il  af- 
firme en  faveur  de  celui  qui  le  cite,  sinon  il  se  tait.  Son 
serment  fait  preuve.  Il  ne  peut  être  réfuté  que  par  un 
contre-serment,  ou  par  un  combat  judiciaire. 

Dans  Vinquisitio  le  témoin  ne  fournit,  sous  la  foi  du 
serment,  que  les  éléments  d'information  dont  le  juge  a 
besoin.  Son  témoignage  ne  peut  être  combattu  par  le  duel 
judiciaire.  Le  juge  peut  seulement,  s'il  le  suspecte  de  par- 
jure, le  soumettre  au  jugement  de  Dieu. 

L'  «  inquisitio  »  est  une  procédure  exceptionnelle;  elle 
constitue  un  privilège  dont  l'octroi  émane  du  roi.  Il  en 
jouit  comme  plaideur  pour  les  causœ  dominicas^  il  peut 
Texercer  ou  le  déléguer  pour  tous  autres  procès,  le  fai- 
sant rayonner  de  sa  personne.  En  vertu  du  bannum  domi- 
nicum,  le  roi  fait  citer  les  témoins  à  sa  cour  et  leur  fait  prê- 
ter serment  de  dire  la  vérité,  ou  bien  il  charge  par  un  vidi- 
culus  inquisitionis  (qui  dès  le  ix*  siècle  s'appelle  brevis^)  le 

*  Cf.  Brunner,  Die  Entstehung  der  Schwurgerichte ,  p.  68;  Rechts- 
gesch.f  II,  p.  524-525. 

2  ((  H.  episcopus  obtulit  brcvem  unum  ubicoalinebatur...  qualiter... 
Hludov'icus  (Louis  II)...  missos  suos  constitulos  habuisset  ut  ...  dili- 
gentissime  sub  sacramento  per  inquisitionem  investlgare  studissent 
atque  secundum  ipsam  inquisitionem  difinissent  »  (853,  Muratori 
Antiq,,  III,  i68.  Hûbner,  Gerichtsurkunden,  2e  partie,  n®  754.  Adde^ 


380  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IT. 

comte  ou  le  missus  de  procéder  à  Vinquisiiio^.  Assimilés 
aux  biens  du  fisc,  les  biens  protégés  par  le  mundinm  on 
rimrounité  royale  participent  au  droit  d*eDquête,  et  TËÏglise 
en  avait,  dès  829,  obtenu  le  bénéfice,  pour  la  généralité 
des  biens  qu'elle  possédait  depuis  trente  ans*.  Or  c'é- 
taient ces  divers  biens  qui  faisaient  Tobjet  ordinaire  de  la 
juridiction  royale,  et  Vinquisitio  devint  ainsi,  du  moins 
en  matière  civile,  la  procédure  régulière  du  tribunal  do 
roi.  De  là  elle  s*étendit  aux  missi  et  aux  comtes',  puis  aux 
juridictions  princières  qui  se  modelèrent  sur  la  justice 

*  Voyez  la  note  précédente  et  les  suivantes. 

2  Capit.  Wormat.  (829)  c.  8  (II,  p.  13)  :  «  Ut  de  rébus  ecclesiarum 
qu80  ab  eis  per  XXX  annorum  spatium  sine  ulla  interpellatîone  pos- 
sessœ  sunt,  testimonia  non  recipiantur,  sed  eo  modo  contineantur, 
sicut  rcs  ad  fiscum  dominicum  pertinentes  contineri  soient  »  Gbn. 
Capit.  miss.  (829)  c.  2  (II,  p.  10)  :  «  Ut  omnis  inquisitio,  qua  de 
rébus  ad  jus  fisci  nostri  pertinentibus  facienda  est,  non  per  testes 
qui  producti  fucrint,  sed  per  illos,  qui  in  eo  comitatu  melîores  et 
veraciores  esse  cof^noscuntur,  per  illorum  testimonium  inquisitio  fiai, 
et  juxla  quod  illi  testificati  fuerint,  vel  contineantur  vel  reddantur  » 
et  Capit.  Caria.^  873,  cil  (II,  p.  346)  :  «  In  comitatu  omni  hî  qui 
mcliores  et  veraciores  inveniri  possunt,  eligantur  a  missis  nostris, 
ad  inquisitionem  facicndam  et  rei  veritatem  discendam,  et  ut  adju- 
tores  comiliim  sint  ad  justicias  faciendas  ».  —  Il  y  avait  donc  des 
enquêteurs  royaux  Mlirés.  —  Le  chapitre  8  du  capitulaire  de  Wonns 
a  passé  dans  la  Collection  de  Benoît  le  Lévite,  Add.  IV,  c  171. 

3  Par  une  clause  du  missaticnnif  par  une  délégation  spéciale  ou 
par  voie  do  disposition  générale.  Les  missatica  de  Paris,  de  RoueD, 
d'Orléans  portaient  déjà  en  802  :  «  Undecumque  necesse  fuerit, 
tam  de  justitiis  nostris  quamque  et  justitias  ecclesiarum,  viduaram, 
orfanorum,  pupillorum  et  cetcrorum  hominum  inquirant  et  per/l- 
ciant.  »  (Cap.  miss,  spec.y  c.  19;  LL,  I,  p.  101).  —  La  délégation  se 
faisait  par  [*inclicuhis,  les  litterae  regales.  —  Une  disposition  géné- 
rale se  trouve  dans  le  Capit,  dejustitiis  faciendis[c\vcQLB,.  880)  (c  1, 
I,  p.  295)  ;  mais  elle  réserve  aux  causes  qui  jouissent  du  for  privi- 
légié du  roi  l'enquête  par  serment  :  «  Ut  pagenses  per  sacramenÊa 
aliorum  hominum  causas  non  inquirantur  nisi  tantum  domioîcas. 
Adtamcn  comes  ille,  sialicujus  pauperis  aut  inpotentîs  personie  oansa 
fuerit,  lune  comes  ille  diligenter,  et  tamen  sine  sacramento  per  ve- 
riores  et  meliores  pagenses  inquirat  ». 


PRÉROGATIVES   ET   ATTRIBUTS   DE   LA  ROYAUTÉ.       381 

palatine  \  et  elle  devint  de  fréquent  usage  devant  les 
plaids  des  seigneurs  ecclésiastiques*.  Mais  nulle  part  elle 
ne  tint  une  plus  grande  place  que  dans  la  cour  du  roi. 
Presque  tous  les  procès  jugés  par  les  Robertiens  et  les  Ca- 
pétiens du  XI®  siècle,  dont  nous  avons  une  relation  quelque 
peu  détaillée,  portent  trace  de  Tenquôte  ou  nous  la 
montrent  ordonnée  formellement'.  Nous  la  rencontrons 

*  C'est  ainsi  que  la  procédure  d'enquête  se  maintint  et  se  développa 
à  la  cour  des  ducs  de  Normandie  et  fut  par  eux  transplantée  en  An- 
gleterre. Dans  un  procès  entre  Tévêque  de  Séez  et  les  chanoines  de 
Saint-Léonard  de  Bellesme,  jugé  en  1084  par  Guillaume  le  Conqué- 
rant, les  chanoines  prouvent  par  des  antiqui  homines  la  franchise 
de  leur  Église  :  «  Antiquos  homines  secum  adduxerunt  qui  ipsam 
Ecclesiam  ad  dedicationem  ita  régi  Galliao  Roberto  et  Normannorum 
Comiti  R.  et  Sagiensi  episcopo  Ricardo...  franchire  et  ordinare  vi- 
derant  et  audierant  ut  nullus  christianus  in  ea  aliquam  consuetudi- 
nem  haberet  »  (Bry,  Histoire  des  pays  et  comté  du  Perche,  Paris, 
1620,  p.  70-71).  h'inquisitio  est  fréquente,  dès  le  xi«  siècle,  dans  les 
placita  anglo-nomannica  (éd.  Bigelow,  Londres,  1879;  par  exemple, 
p.  2,  18,  33,  66  etc.),  et  leur  éditeur  a  pu  justement  la  définir  ainsi 
{p.  323)  :  ((  the  mode  of  trial  introduced  by  the  Normans;  évidence 
by  impartial  men  summoned  and  examined  by  virtue  of  a  writ  » 
(brève).  —  Cf.  pour  l'Italie  le  CartuL  de  Casaure  (Bïhi,  nat.,  MS.  lat. 
5411)  f°  185  :  u  residebat  Ugo  dux  et  marchio  ad  audiendumetjM«^e 
inquirendiun  de  rébus  monasterii  B«  S*  Trinitatis  »  (1028)  et  les 
chartes  n"^*  48,  55,  62,  70  de  Ficker  Urkundenbuch  zur  Reichs  und 
Rechtsg.  Italiens  (Innsbruck,  1874). 

2  En  907,  enquête  ordonnée  par  Alexandre  archevêque  de  Vienne 
dans  un  procès  entre  saint  Bernard  de  Romans  et  un  laïque.  — 
Gallia  Christ,  XVI,  Instr.  n°  15,  Hùbner  Gerichtsurk,,  appendice  n*  469 
b.  — Vers  912,  enquête  ordonnée  par  Tarchevêque  de  Langres  Garnier 
•dans  un  procès  entre  Saint-Étienne  de  Dijon  et  ses  prévôts.  Cart. 
MS  de  Saint-Étienne  de  Dijon,  charte  que  j'ai  publiée,  T.  I,  p.  385  : 
«  affirmantes  se  habere  plurimos  et  ver  aces  atque  visores  testes,  qui 
hoc  ita  verum  esse  scirent  et  super  Sctorum  rehquias  et  altaria 
sacramento  comprobare  possent...  Per  commendationem  ergo  pred, 
Prassulis,  haec  causa  diligenter  a  praîf.  archidiacono  veritatem  satis 
bene  amante  inquisita  et  investi gatata...  repertum  est  ipsos  servientes 
veritatem  habere  ». 

3  Toute  la  procédure  d'enquête  se  déroule  à  nos  yeux  dans  une 
charte  extrêmement  curieuse  du  Cartulaire  de  Notre-Dame  de  Nîmes, 


382  LIVRE   IV.   —  CHAPITRB   IV. 

de  même  dans  les  diplômes  judiciaires  des  rois  de  Boor- 

(n^  V,  p.  iO  suiv.,  Avril  892).  —  Le  roi  Eudes  résidait  au  Haussoi,  dans 
la  forêt  (le  Cuise  (i'orèt  de  Gompiègne)  où  il  était  venu  chasser.  Il  avût 
auprès  de  lui  évtH]ues,  comtes  et  vassaux,  quand  Gilbert,  évoque  de 
Nîmes,  vint  porter  plainte  qu'une  villa  de  son  église  avait  été  usurpée 
par  un  certain  Genesius,  qui  s*en  était  emparé  «  absque  tUla  inqui- 
sitionCf  et  mallo  seu  judicio  ».  Le  roi,  après  avoir  interrogé  le  comte 
de  Nîmes^  et  pris  Tavis  des  assistants  (omnes  qui  adstabant  dixerunt), 
ordonne  que,  par  des  lettres  royaux  {regales  lUterœ)  délivrées  à  l'évê- 
que,  injonction  soit  faite  au  comte  d'instituer  une  enquête  dans  le 
pays  :  si  elle  est  favorable  à  TÉglise,  les  biens  doivent  lui  être  resti- 
tués :  «  Ita(jue  rex  jussit  predicto  episcopo  suas  litteras  dare,  inqui- 
bus  continebatur  ut  R.  comes,  veniens  in  pago  Nemausense,  inquiti- 
tionem  per  circummanentes  homines  mitteret;  et,  si  îpse  episcopus 
justcim  causam  habcreL..  in  predictis  rébus  eum  înformaret  ». 

Gilbert,  de  retour  dans  son  diocèse,  présente  les  lettres  royaux  au 
comte  (régales  litteras  ostendi),  lequel  mande  à  Genesius  qu^il  ait  à 
assister  à  l'enquélc  que  le  roi  a  ordonnée  :  «  Comes  suas  litteras  ad 
Genesium  misit,  ut  ante  eum  ad  placitum  veniens  audiret  et  videret 
inquisitionem  atque  adprobationem  scripturarum  quam  rex  de  pre- 
dictis rébus  facore  jusserat  ».  Le  défendeur  n*ayant  pas  comparu, 
le  comte,  sur  requôtede  Tévêque,  enjoint  à  son  vicomte  de  procéder  à 
TenquOte  sur  les  lieux  m^mes  :  «  precepit  ut  super  ipsas  res  veniret, 
et  omnem  justiciam  etlegem,  sicut  inregalibus  litteris  continebatur, 
ipsi  episcopo  adimplcret  ».  Les  voisins  du  lieu  et  les  plus  considérés 
du  pays  i  omnes  circummanentesipsius  loci  atque  alios  nobiliores)  sont 
convoqués  :  tant  prêtres  que  laïques  ils  sont  au  nombre  de  cinquante 
deux  (20  prêtres,  32  laïques),  dont  la  charte  donne  les  noms,  plus  une 
multitude  d'habitants  du  pagus  (alii  quamplures  ipsius  pagi  habitato- 
res).  En  leur  présence  Tévêque  produit  les  lettres  royaux  et  le  titre 
d'acquisition.  Le  titre  lu,  le  vicomte,  de  par  le  ban  du  roi,  requiert 
tous  les  assistants  (près  de  deux  cents),  de  dire  ce  qu'ils  savent  en 
toute  vérité  do  l'objet  du  litige  :  «  per  auctoritatem  regiam,..  bannum 
imposnît  ut  dicerent  quicquid  de  hac  causa  in  veritate  scirent  ». 

Les  nobiliores  viri  interroges  les  premiers,  chacun  à  son  tour, 
(primitus  per  ordinem  singuli  interrogati),  tous  déclarent  d'une  voix 
qu'à  leur  connaissance,  l'acquisition  a  été  faite  comme  le  porte  le 
titre  et  que  les  biens  ont  été  possédés  paisiblement  environ  douie 
ans  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  été  usurpés  par  Genesius.  De  ces 
nombreux  témoins,  quatorze  sont  alors  choisis  (7  prêtres,  7  laïques), 
pour  être,  sous  la  foi  du  serment,  interrogés  à  nouveau  et  indi- 
viduellement par  le  vicomte,  dans  l'église  Notre-Dame  :  «  Itaque  ex  bis 


PRÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS   DE   LA  ROYAUTÉ.       383 

gogne,  qui  ont  conservé  vivace  la  tradition   franque*. 

L'enquête  imprimait  à  tout  le  plaid  une  physionomie 

particulière.  Elle  introduisait  l'usage  de  débats  réguliers, 

d'un  examen  au  fond  de  l'affaire  ^  au  lieu  de  faire  dépen- 

omnibus  XIIII  electis  (suivent  les  noms)  in  ecclesiam  S^  Mo  ingressi, 
iterumque  ab  ipso  vicis- comité  per  ordinem  interrogati  et  discussi, 
absque  ulla  varietate  testifîcantes  jurafi  dixerunt  quia...  »  Leur  témoi- 
gnage étant  conforme,  le  vicomte  réinvestit  Tévéque  en  touchant  la  porte 
de  Téglise,  «  per  hostium  ipsius  ecclesiaî  »,  et  une  charte  est  dressée, 
que  les  quatorze  témoins  assermentés  revêtent  de  leur  signature. 

Parmi  les  autres  diplômes  royaux,  où  Vinqumtio  apparaître  relève 
les  suivants  :  Eudes,  vers  892  (H.  F.  IX,  456)  :  «  post  inquisitionem 
suorum  procerum  »,  Robert,  l«r  mars-24  octobre  1016  'H.  F.  X, 
598,  Langiois,  n^  I)  :  «  repertum  est...  quia...  suprad.  consuetudines 
habere  non  debeant  »,  Henri,  20  mai  1043  (H.  F.  XI,  577,  Langiois, 
n°  IIJ)  :  «  nostro  regali  judicio  rectum  in  manu  posuit  (manus  =  testi- 
monium  juratum).  Abbas  igitur  manibus  duorum  clientum  coram  om- 
nibus sacramento  probavit  quod...  »,  Henri,  1047  (H.  F.  XI,  581)  : 
«  quia  igitur  de  justis  et  injustis  custumiis...  multorum  testimoniis  re- 
cognoscens  est  adductus,  idoneorum  testium  nomina...  hic  inferius  si- 
gnavimus»,  Philippe,  1066  (Mabillon,  Dere  diplom.,p,  585, Langiois, 
no  IV)  :  «  quia  nichil  horum...  sibi  potuit  adquirere,  nec  dono,  nec 
vestitura,  nec  testimonio,.,.  legaliter  convictus  emendavit  ». 

*  Rodolphe,  907-908,  Rivaz  Dipi.  de  Bourgogne,  Inv.  U.  Chevalier, 
n<»  XXXI,  Hûbner,  Gerichtsurk.,  n°469  a.  —  Rodolphe  II,  18  janvier 
926,  Cartul.  de  Cluny,  I,  n°  256,  p.  247  suiv.  :  «  Dum  resedisset...  rex 
R.  in  Cartris  villa,  veniens  femina  B.  in  voce  reclamationis,  ante  do- 
mino regio,  proclamans  se  de  res...  Audiens  domnus  rex  banc  pro- 
clamationem,  jussit  fidelibus  suis,  Turumbertum  comitem,  et  Ansel- 
mum,  comitem  de  pago  Equestrico,  atque  Ugonem  comte  palatio, 
ut  ipsam  proclamationem...  legibus  inquirant  et  finiant  ;  in  eadem  pre- 
sentia  misit  ipse  Ugo  bannum  domini  régis  ut  ad  malium  primum 
quod  in  ipso  comitatu  tenuerint,  in  eadem  presentia  veniant...in  ea- 
dem presentia  adhibiti  sunt  testimonia.  Hi  sunt  :  (H  témoins),  ma- 
nus positas  in  eadem  presentia,  super  sanctas  reliquias  sic  jurantes, 
in  eorum  sacramento  dixerunt  :  Si  eis  adjuvet  Deus  et  ilie  Sctorum 
reliquie,  sic  legibus  eeun...  » 

2  A  la  fin  du  xi®  siècle  le  procès  suit  une  marche  régulière  devant 
la  cour  du  roi.  Cf.  Diplôme  de  Philippe  I®'  (Langiois,  n®V)  :  Le  deman- 
deur expose  sa  demande  (clamavit)  ;  les  défendeurs  répondent  (légi- 
tima respondentes).  Ils  produisent  des  actes  royaux  et  plaident  leur 


384  LIVRE   IV.  —   CHAPITRB   IV. 

dre  la  décisioD  d'une  épreuve  judiciaire.  II  n'y  avait  plus 
place  pour  celle-ci  qu'en  cas  de  prise  à  partie  des  témoins. 
EnQn  elle  aboutissait  à  un  jugement  qui,  basé  sur  elle,  ne 
donnait  plus  ouverture,  nous  allons  le  dire,  au  duel,  et, 
étant  motivé,  se  prêtait  mieux  a  une  transaction  des  par- 
ties litigantes. 

2.  Le  caractère  définitif  de  la  sentence.  —  Si  le  juge- 
ment rendu  par  une  cour  seigneuriale  pouvait  être  faussé^ 
celui  de  la  cour  du  roi  ne  pouvait  Têtre,  et  cela,  à,  moo  sens, 
pour  une  double  rdson  :  la  première,  que  Tenquète  Quê- 
tant pas  une  procédure  formaliste,  son  résultat  ne  se 
prêtait  pas  au  duel^;  la  seconde,  que  le  roi  s'appropriant 
le  jugement  de  sa  cour',  c'était  sa  décision  qu'il  aurait 
fallu  fausser.  Or  le  roi  ne  pouvait  être  appelé  en  champ 
clos'  et  il  ne  reconnaissait  aucun  supérieur  qui  pût  pré- 
sider à  un  tel  appel*. 

Le  même  obstacle  ne  s'opposait  pas,  en  principe,  à  ce 
que  les  juges  du  plaid  royal  fussent  pris  individuellement 
à  partie,  au  moment  oii  chacun  d'eux  émettait  son  avis, 
et  c'est  pourquoi,  dans  le  procès  de  Ganelon,  si  vivement 
décrit  par  la  Chanson  de  Roland,  Pinabel  peut,  en  pleine 

cause  en  langue  vulgaire  el  en  latin  «  causamque  suam  vulgari  et 
lalina  disseruerunt  eloquentia  ». 

•  Brunner  II,  p.  526.  —  Cf.  Li  Livres  de  Joêtice  et  de  Plet  XLIV, 
§  15,  (p.  318).  <(  Or  demande  Ten^se  de  tel  chose  puet  oestre  bataille? 
Et  Ten  dit  que  non  ;  car  ([uant  li  principaus  vet  par  anqueste,  ce  qui 
en  dit  et  ({ui  est  Joint,  doitaler  parenqueste». 

•î  Cf.  Diplôme  Robert,  1031  (H.  F.  X,  623.  Langlois,  n«  II)  :  «  Dgu- 
dicato  legaliter  vicariam  injuste  fuisse  invasam,  precepimus...  >» 

^  Il  a  dû  exister  en  France  une  règle  analogue  à  celle  que  BractOD  a 
formulée  plus  tard  :  k  Hex  non  pugnat,  ncc  alium  babet  campionem, 
quam  patriam  ».  (lli,  1,  c.  21  §  11)  —  Beaumanoir  nous  apprend 
que  même  le  fils  du  roi  ne  pouvait  pas  combattre  :  «  fîus  de  roi  ne  se 
doit  pas  combattre  a  son  homme  pour  plet  de  mueble,  pour  chateus  ne 
pour  eritage  »  (I,  36,  éd.  Salmon  T,  p.  34  (C.  T.) 

^  a  II  ne  le  puent  pas  fauser,  diront  les  ÉtahlUsemenls  de  saint 
Louis,  1, 83  (éd.  VioUet,  II,  p.  135),  car  il  ne  troveroieut qui  lor  en  feîst 
droit,  car  li  rois  ne  tient  de  nului  fors  de  Dieu  et  de  lui  ». 


PBÉROGATIVES  ET  ATTRIBUTS  DE  LA  ROYAUTÉ.   385 

€our  de  Charlemagne,  fausser  le  jugement  (l'avis)  de 
Thierry,  Tun  des  pairs*.  Mais  il  est  probable  qu'en  fait,  le 
respect  dû  au  roi  couvrait  ses  conseillers. 

Dès  le  x°  et  le  xi®  siècle,  la  cour  du  roi  offre  donc  au 
plaideur  et  au  juge  une  sécurité  qu'ils  ne  trouvent  pas 
dans  la  cour  seigneuriale.  —  Raison,  il  est  vrai,  pour 
«que  les  plus  forts,  ceux  qui  sont  habitués  à  en  appeler  aux 
armes,  refusassent  de  se  laisser  juger  par  elle. 

Elle  offre  une  garantie  non  moindre  de  stabilité  judi- 
ciaire. Elle  tend  à  clore  plus  sûrement  les  litiges,  en  pré- 
parant, par  Fenquête  et  les  débats,  un  terrain  de  trans- 
action où  les  parties  puissent  se  rencontrer  et  se  tenir.  Ce 
rôle  de  la  justice  royale  se  manifeste  clairement  dans  les 
charles'\  Il  est  en  parfaite  harmonie  avec  la  nécessité  de 
Tacquiescement,  qui,  depuis  l'époque  franque,  tient  la  place 
de  la  chose  jugée'  et  constitue  l'un  des  traits  originaux 
du  système  judiciaire. 

3.  Mainmise  du  roi.  —  Nous  retrouvons  ici  l'action, 
l'exercice  du  ban  royal.  C'est  à  l'aide  de  son  ban  que,  par 
l'ordre  de  comparution,  le  roi  met  son  pouvoir  judiciaire  en 
mouvement*.  C'est  à  l'aide  du  ban  aussi  qu'il  lui  donne 
prise  et  qu'il  l'arme  de  la  sanction  et  de  la  force  exécutoire* 

'  T.  I,  p.  2i3. 

2  Voyez  la  charte  d'Eudes,  du  22  mars  890,  analysée  plus  haut  et 
le  diplôme  de  Philippe,  de  iOQQ  {Recueil  des  Chartes  de  Saint-BenoU- 
sur-LoirCf  n°  LXXVI,  p.  199)  :  «  decrevimus  ut  judicio  nostro  et  op- 
limatum  nostroruin  causa  defînirelur;  de  qua  re  multis  verbis  ultro 
citroque  habitis,  visum  est  nobis  facilius  esse  et  melius  ut  res  concor- 
dia  quam  judicio  terminaretur  », 

3  Suprà,  p.  377. 

*  Diplôme  de  Henri  I°%  du  20  mai  1043  (Langlois,  n«  III)  «  diem 
rectitudinis  ei  slaluimus,  prelatumquemilitem,  ut,  die  nominata  ante 
nos,  verbis  abbatis  astaret  Paris! us  paratus  respondere,  monuimus  ». 

*  Le  roi  préside,  en  règle,  à  l'exécution  de  la  sentence.  II  menace 
de  l'amende  pour  violation  du  ban  royal  ceux  qui  l'enfreindraient  : 
t(  Hanc  igitur  sanctionem  nostram  ac  principum  nostrorum,  si  ipse 
Ë.  auL  successores  ipsius  infringere  praisumpserint,  despectus  nostri 
pœnam...  incurrant  »  (Robert,  1016,  II.  F.  X,  599). 

F.  —  Tome  III,  25 


386  LIVRE  IV.    —   CHAPITRE  IV. 

qui  lui  sont  indispensables.  Le  bien  litigieux  est  placé  sous 
la  main  du  roi,  il  est  réuni  momentanément  aux  biens  du 
fisc.  Le  roi,  de  la  sorte,  peut  décider  librement  de  son 
sort. 

Une  telle  mainmise  n'allait  pas  sans  danger  pour  les 
plaideurs  :  elle  fut  un  moyen  pour  le  roi  de  s'enrichir 
a  leurs  dépens,  en  jouant  le  rôle  du  juge  de  la  fable.  Dans 
le  procès  de  la  vicairie  d'Antony,  il  fallut  un  jugement 
spécial  de  la  cour  du  roi  pour  lever  la  confiscation  provi- 
soire et  restituer  à  Tabbaye  de  Saint- Germain-des-Prés  les 
droits  dont  elle  avait  été  privée  ^  Un  exemple  encore  plus 
frappant  nous  est  fourni  par  Hariulf  *.  Un  chevalier,  Hubert» 
détenait  une  villa  de  Tabbayede  Saint-Riquier  et  s'en  pré- 
tendait propriétaire\  Le  débat  fut  porté  devant  la  cour  du 
roi^  oii  il  fat  reconnu  que  Hubert  était  sans  droiL  Le  roi 
alors  saisit  le  bien  et  par  cupidité  le  garde  durant  cinq 
ans,  faisant  siens  les  revenus'.  Ce  n'est  que  sur  les  ins- 
tances répétées  de  l'abbé*  qu'il  se  décide  enfin  à  le  resti- 
tuer, par  un  diplôme  que  Hariulf  nous  a  transmis^. 

*  Robert  1031  (H.  F.  X,  623,  Langlois,  p.  3)  :  «  secundum  curie 
nostre  senlentiam  et  totius  convenlus  censuram  concessimus  pred. 
loco  ». 

=^  Chronique  de  Raint  Riquier,  IV,  7  (p.  190  suiv.  G.  T). 
3  «  Tanquam  heredilalem  sibi  viiidicabat  ». 

*  Tamdiu  itaquc  contra  H.  institit,  usquequo  procerum  judicîo  ia 
régis  praisentia,  eam  quam  diximus  villam  derationaret.  » 

^  «  Rex  Henricus  ilJectus  cupiditate...  villam  tulit  et  quinquîennio 
iilius  reditibus  usus  est  ». 

*«  Cum  ab  abbate  fréquenter  argueretur,  tandem  metu  judiciorum 
Dci  coactus  et  venerabilis  Angelranni  assiduainterminalione  fractus, 
nnbis  eam  cessit.  » 

■^  1035.  HariuIF,  p.  192-193  :  «  Censura  judicii  nostri  decidit  in 
nostram  jussionem  (bannum).  Quinquenniotenui,  solidam  et  quietam 
habui  ;  post  hoc,  memor  animœ  meaî...  tradidi  eam  S*  R*  ». 


387 


CHAPITRE  V 

LES  «  COMPAGNONS  EN  LA  MAJESTÉ  ROYALE   » 


«  Le  roy,  a  dit  Guy  Coquille  en  sa  langue  imagée*,  est 
monarque  et  n'a  point  de  compagnon  en  samajeslé  royale. 
Les  honneurs  extérieurs  peuvent  être  communiquez  par 
les  rois  à  leurs  femmes;  mais  ce  qui  est  de  majesté  repré- 
sentant sa  puissance  et  dignité  réside  inséparablement  en 
sa  seule  personne  ».  —  «  Vray  est,  ajoute  le  juriscon- 
sulte nivernais,  que  selon  Tancien  établissement  il  a  des 
conseillers,  les  uns  nez,  les  autres  faits,  sans  Vassistance 
desquels  il  ne  doit  rien  faire;  puisqu'on  sa  personne  il 
reconnaît  toutes  les  infirmitez  qu'ont  les  autres  hommes. 
Les  conseillers  nez  sont  les  princes  de  son  sang,  et  les 
pairs  de  France,  tant  laïs  qu'ecclésiastiques.  » 

Cette  assistance  était,  à  l'époque  que  nous  étudions, 
d'une  tout  autre  nature  qu'aux  temps  modernes,  et  l'on 
n'aurait  pu  dire  à  un  prince  du  sang,  héritier  présomptif 
du  trône,  ce  qu'un  ministre  de  Louis  XVIII  disait  au 
comte  d'Artois  :  «  Le  trône  n'est  pas  une  banquette,  mais 
un  fauteuil  oii  il  n'y  a  place  que  pour  une  personne.  » 

La  souveraineté  ne  se  trouvait  pas  concentrée  encore 
en  la  personne  du  roi.  A  des  degrés  divers,  deux  ordres 
de  personnes  y  participaient  :  la  famille  du  roi  et  la  pairie 
princière. 

Sous  les  Carolingiens,  la  famille  royale  {gens,  stirps  ré- 
gla) est  revêtue  dans  son  ensemble  d'un  caractère  sacré. 

^  Guy  Coquille  Institution  au  droit  français^p,  1-2  (OEuv/es,  Bor- 
deaux 1703,  T.  II);  reproduit  (p.  2-3)  dans  le  Livre  préliminaire  que 
Dupin  et  Laboulaye  ont  placé  en  tête  de  leur  édition  des  Institutes 
coutumières  de  Loisel. 


388  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  V. 

C'est  en  elle  que  résident  et  la  préémineace  dynastique 
(carolingienne)  et  la  prééminence  ethnique  (franque). 

Partiellement  au  moins,  cette  dernière  prééminence 
se  trouva  acquise  à  la  famille  capétienne  puisque  les  Ro- 
bertiens  étaient  depuis  un  siècle  en  possession  du  ducatus 
Francorum,  Quant  à  l'autre,  s'il  est  vrai  que  le  caractère 
sacré  d'où  elle  dérivait  ne  passa  pas  de  plein  droit  à  la 
dynastie  nouvelle,  il  ne  l'est  pas  moins  qu'il  se  reconstitua 
à  son  proQt  par  les  légendes  religieuses  ou  les  généalogies 
mythiques,  et  par  le  sacre  répété  des  rois  pris  dans  son 
sein. 

En  tout  cas,  telle  était  la  cohésion  et  l'unité  du  groupe- 
ment familial,  que  l'idée  môme  d'un  droit  individuel  ne 
pouvait  naître.  Les  droits  acquis  au  roi  l'étaient  à  sa  famille. 
Cest  en  son  nom  et  comme  son  chef  qu'il  les  exerçait.  A 
mesure  donc  que  la  couronne  devint  au  xi*  siècle  un  re- 
gnumpropriiim^j  se  créait  sur  elle  une  propriété  indivise 
de  la  famille  du  roi. 

Nous  savons,  d'autre  part,  que  la  féodalité,  depuis  le 
compagnonnage  primitif  jusqu'à  l'hommage  lige  do 
X*  siècle,  n'a  été  qu'une  extension  du  régime  familial  oa 
lignager,  et  je  montrerai  ses  chefs,  les  principes  de  la 
Gaule,  associés,  en  qualité  de  pairs,  à  la  souveraineté 
royale.  En  devenant  féodale,  la  royauté  voyait  s'accroître 
le  nombre  de  ses  parsonniers. 

Ce  n'est  que  par  le  mouvement  en  sens  inverse  qui 
s'opéra  plus  tard,  quand  de  féodale  la  royauté  se  trans- 
forma en  monarchie  absolue,  que  la  famille  et  la  pairie,  — 
reine,  princes  du  sang  et  pairs  de  France,  —  n'eurent  plus 

*  C'est  par  ce  terme  que  le  biographe  de  Grégoire  VII,  Paul  de 
Bernried,  caractérise  eu  Allemagne,  les  prétentions  k  rhéréditë  de  b 
maison  de  Franconie,  en  contraste  avec  Télection  de  Rodolphe  de 
Rheinfelden  :  «  (jui  (Rudolphus)  utique  regnum  non  ut  projmtm, 
sed  pro  dispositione  sibi  creditum  reputans,  omne  hereditarium  jiu 
in  eo  repudiavit,  et  vel  filio  suo  se  hoc  adoptaturum  fore  penitus  abne- 
gavit  »  {Vita  S.  Gregoriiy  c.  85.  Migne,  148,  84). 


LES  «  COMPAGNONS  EN  LA  MAJESTÉ  ROYALE  ».   389 

un  droit  propre,  que  leur  dignité  ne  fut  plus  qu'un  reflet 
de  la  dignité  royale,  leur  rôle  celui  de  simples  conseillers, 
que  le  roi,  en  un  mol,  comme  put  le  dire  Coquille,  n'eut 
plus  de  compagnon  en  sa  majesté  royale. 

§  1.  —   La  famille  du  roi  et  la  transmission 
de  la  couronne. 

L'importance  extrême  qu'avait  la  transmission  régu- 
lière de  la  couronne  sous  les  premiers  Capétiens,  et  la 
précaution  que  les  rois  ont  prise  de  l'opérer  par  anticipa- 
tion, sont  cause  que  les  historiens  ont  mesuré  trop  parci- 
monieusement à  la  famille  du  roi  la  part  qui  lui  revenait 
de  droit  dans  l'exercice  du  pouvoir  souverain.  Toute  l'at- 
tention s'est  portée  sur  l'héritier  désigné  et  sacré.  Seul  ou 
presque  seul,  il  aurait  été  participant  de  la  souveraineté, 
et  ce  droit  il  ne  l'aurait  dû  qu'à  la  désignation  et  au 
sacre. 

C'est,  à  mes  yeux,  confondre  deux  choses  fort  distinctes, 
l'expectative  du  trône  et  la  participation  au  pouvoir.  C'est 
en  même  temps  isoler  injustement  le  droit  de  l'héritier 
désigné  du  droit  familial,  d'où  il  procède,  enfin  c'est  en- 
visager à  un  point  de  vue  trop  moderne  la  transmission 
de  la  couronne,  telle  qu'elle  s'opérait  alors. 

Partons  de  ce  dernier  sujet  qui  semble  dominer  tous  les 
autres. 

I.  Transmission  de  la  couronne.  —  A  parler  rigou- 
reusement, il  n'existait  ni  sous  les  Carolingiens  ni  sous  les 
premiers  Capétiens  un  droit  de  succession  au  trône  pour 
les  membres  les  plus  proches  de  la  famille  royale. 

Sous  les  deux  premières  races,  le  droit  de  la  famille  royale 
était  double.  Ses  membres  devaient  être  choisis,  élus,  de 
préférence  à  tous  autres;  le  roi  ne  pouvait  être  pris  en 
dehors  d'eux  que  si  tous  étaient  indignes  ou  incapables 
de  régner.  Leur  droit  consistait  en  outre  à  participer  au 
gouvernement  de  celui  d'entre  eux  qui  portait  la  couronne. 


390  LIVRE  IV.    —   CHAPITRK  V. 

Le  premier  de  ces  droits  fat  transformé  insensiblement 
en  UD  droit  de  successioD,  au  proGt  du  fils,  désigné  d'an 
commun  accord  par  le  souverain  eu  titre,  les  metnbres  de 
sa  famille,  et  les  proceres  du  royaume.  Et  ce  résultat  se 
trouva  acquis  de  plein  droit,  comme  en  vertu  d'une  dési- 
gnation naturelle  et  tacite,  au  profit  des  descendants  di- 
rects des  Carolingiens  :  1**  par  une  tradition  de  fait;  2*par 
la  tendance  générale  des  grands  à  restreindre  l'hérédité 
des  fonctions  à  la  lignée  directe.  C'est  ainsi  que  Charles 
de  Lorraine  fut  écarté  du  trône,  comme  ne  descendant  pas 
du  dernier  roi*. 

De  ces  deux  raisons  la  seconde  seule  subsistait,  dans  sa 
force,  lors  de  l'avènement  des  Capétiens.  La  tradition  pour 
eux  était  à  renouer.  Leur  situation  se  trouvait  en  grande 
partie  analogue  à  celle  qu  avaient  eue,  à  Torée  du  x^  siècle, 
les  souverains  allemands,  quand,  la  lignée  de  Charlemagne 
étant  éteinte  par  la  mort  de  Louis  Penfant,  Conrad  puis  la 
dynastie  saxonne  furent  appelés  au  trône.  Le  principe  de 
Télection  prévalut  d^abord,  il  se  combina  ensuite  avec  le 
principe  d'hérédité,  et  finit  par  lui  céder  le  pas.  Waitz 
observe,  avec  pleine  raison,  que  «  le  principe  qui  de  toute 
antiquité  avait  été  organique  pour  la  royauté  germaine, 
à  savoir  le  droit  de  préférence  des  membres  de  la  famille 
royale,  ne  tarda  pas  à  reprendre  le  dessus*  ». 

Dans  de  telles  conditions,  il  y  avait  à  craindre  que  l'élec- 
tion restaurée  s'exerçât  au  profit  d'autres  que  les  descen- 
dants din^cts  et  qu'entre  ces  derniers  les  conopétitions 
fussent  plus  vives.  C'est  pourquoi  la  désignation  par  le 
souverain  d'un  de  ses  fils,  choix  effectué  par  lui  d*accord 
avec  les  grands,  s'imposa  aux  premiers  Capétiens. 

*  Suprà,  p.  206. 

'  «  Was  von  Allons  her  zum  Wesea  des  Germanischen  Kônig- 
thums  gehôrtc,  die  Hucksiclit  auf  das  Gcschlecht,  die  Anerkennung 
eines  Redits,  wolches  zuerst  und  vor  anderen  die  Mitglieder  dièses 
halten,  bel  der  Wahl  in  Betracht  gezogea  zu  werden,hat  sich  aisbald 
geltend  gemacht  »  [Verfassungsg.  VI,  (2«  éd.,  1896),  p.  163. 


LES   «  COMPAGNONS  EN   LA  MAJESTE   ROYALE  ».      391 

Ea  outre,  il  convient  de  ne  pas  oublier  que  le  droit  de 
!a  famille  capétienne  n'était,  au  début,  que  conditionnel, 
qu'il  dépendait  de  la  réitération  du  sacre*. 

La  valeur  de  la  désignation,  suivie  du  sacre,  était  donc 
très  grande  pour  les  successeurs  de  Hugues  Capet.  Si 
Philippe  I",  par  exemple,  n'avait  pas  été  désigné  par  son 
père  et  sacré  dès  l'âge  de  sept  ans,  la  couronne  aurait  pu 
être  déférée  par  les  grands  à  un  autre  membre  de  la  famille 
royale,  notamment  à  son  oncle  par  alliance  Baudoin  de 
Flandre  ^  puisque  lui-même  se  trouvait,  par  son  bas  âge, 
incapable  de  régner.  Même  une  fois  désigné  et  sacré,  il 
fallut  que,  de  concert  avec  les  proceres  ^,  son  père  lui  don- 
nât Baudoin  pour  tuteur.  Avec  la  reine-mère,  il  devait 
compléter  la  personne  royale  et  rendre  valide  la  désigna- 
tion jusqu'à  ce  que  le  jeune  roi  eût  atteint  l'âge  de  gou- 
verner\ 

Mais  je  voudrais  montrer  que  la  désignation,  même  suivie 
du  sacre,  ne  confère  pas  de  droits  actuels,  que  la  partici- 
pation effective  au  pouvoir  royal  n'en  dérive  pas  et  que,  s'il 
en  a  été  différemment  pour  le  successeur  immédiat  de 
Hugues  Capet,  c'est  que  pour  lui  il  y  eut  plus  qu'une  dé- 
signation, il  y  eut  une  véritable  intronisation  en  qualité  de 
second  roi. 

Quand  Robert  II  fut  sacré,  le  droit  de  la  famille  capé- 
tienne n'était  pas  encore  établi.  Il  était  subordonné  à  l'élec- 
tion et  à  la  consécration  par  TÉglise,  auxquelles  Hugues 
Capet  devait  la  couronne;  en  outre  l'existence  d'un  repré- 

*  Suprà,  p.  239-40. 

2  u  Utpote  justo  heredi  regni  per  uxorem  »  (Genealogia  comitum 
Flandr.  H.  F.  Xï,  389  A). 

^  «  Isle  Balduinus,  ratione  uxoris  suœ,  consensu  et  élections  om-' 
nium  baronum  Franciœ^  tutor  juvenis  régis  Philippi,  et  totius  regni 
bajulus  est  effectus  »  (Chron.  Sith.  H.  F.  XI,  380  C). 

*  Baudoin  put  prendre  en  conséquence  le  titre  de  «  Philippi  régis 
ejmque  regni  procurator  et  bajulus  »  (Diplôme  de  1066  pour  Saint- 
Pierre  de  Lille,  Miraeus  Diplom.  III,  691). 


392  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   V. 

sentant  légitime  de  la  famille  carolingienne  y  faisait  échec. 
Cela  est  si  vrai  qu'on  voit  dans  certains  de  ses  diplômes 
Robert  dater  son  règne  de  la  captivité  de  Charles  de  Lor- 
raine (29  mars  991  *).  Mais  sitôt  qu'un  droit  propre  se  trouva 
reconstitué  au  profit  de  la  famille  royale,  il  n'y  eut  plus 
d'association  proprement  dite.  Une  désignation  suffit,  dont 
l'objet  principal  était  de  régler  l'ordre  de  succession  entre 
les  fils  du  roi,  d'assurer  l'unité  de  la  couronne  en  faveur  de 
l'un  d'eux. 

Hugues  Capet,  élu  à  Senlîs,  sur  la  proposition  d*Âdal- 
héron  de  Reims,  couronné  là-même  ou  à.  Noyon,  en  juin 
ou  juillet  987^,  voulut,  dès  la  fin  de  la  même  année,  que 
son  fils  Robert,  âgé  de  dix-sept  ans  à  peine,  fût  roi  à 
ses  côtés.  11  prend  conseil  des  grands,  puis  demande  son 
concours  à  Adalbéron,  dont  l'influence,  appuyée  sur  le  parti 
allemand  et  soutenue  par  Gerbert,  reste  prépondérante'. 
L'archevêque  d'abord  se  dérobe;  il  répond  qu'on  ne  peut 
régulièrement  créer  (élire  et  sacrer)  deux  rois,  coup  sur 
coup,  la  même  année*.  Mais  Hugues  Capet  se  rend  auprès 
de  lui  à  Orléans  et  le  décide.  Robert  est  couronné  par 
Adalbéron*,  dans  la  cathédrale  de  Sainte-Croix  d*0rléans, 
le  jour  de  Noël  (987). 

*  Pfisler,  p.  xLii. 

*  Voyez  sur  cette  question  de  temps  et  de  lieu,  qui  demeure 
obscure,  un  article  di;  Julien  Havet  dans  Revue  Historique,  t  45 
(1891),  p.  290  suiv..  et  Lot,  Les  derniers  Carolingiens,  p,2{l,  noie  4. 

3  «  Sese  consultuui  cum  principibus  contulit,  et  collato  cum  eis 
consilio,  Hemorum  metropolitanum  Aurelianis  de  promotione  filii  sut 
Roberti  en  regniuii  prius  per  legatos,  post  per  sese  convenit  »  (Richer, 
IV,  12). 

*  «  Non  recle  posse  creari  duos  reges  in  eodem  anno  ■  {ibid,)n 

*  Et  non  par  Hugues  Capet,  comme  le  porte  la  traduction  erronée 
de  Guadet,  que  M.  Lot  a  reproduite  par  mégarde  (p.  217).  Richer, 
IV,  13  :  «  Metropolitanus...  diclis  regiis  cessit...  ejus  fllium  Rotber- 
tum,  Francis  laudantibus,  accepta  purpura  solempniter  coronavii  «^ 
Guadet  traduit  :  «  Hugues  prit  la  pourpre  (!)  et  il  couronna  soien* 
nellement...  Robert  non  fils' l)  » 


LES    «  COMPAGNONS   EN   LA   MAJESTÉ   ROYALE  ».       393 

Par  le  choix  de  son  père,  Télection  des  grands  et  par  le 
sacre,  Robert  est  créé  roi,  comme  Hugues  Capet  Ta  été 
quelques  mois  auparavant.  Il  devient  consors  regni,  co- 
souverain.  Richer  el  Raoul  Glaber  le  laissent  entendre*, 
deux  chroniqueurs  et  un  diplôme  de  Hugues  Capet  le 
disent  en  termes  exprès  2.  Dès  989,  Robert  émet  seul  des 
diplômes  où  il  prend  le  titre  de  roi',  et  plus  tard  il  comp- 
tera souvent  les  années  de  son  règne  de  son  association 
au  trône*. 

Tout  autre  est  la  marche  et  la  physionomie  des  événe- 
ments pour  les  successeurs  de  Robert  II.  Son  Gis  Hugues 
n'était  âgé  que  de  neuf  ans  quand  il  le  choisit  pour  régner 
après  lui  «  ekgù  regnare  post  se  »,  *  et  qu'il  demanda  l'avis 
des  grands,  au  sujet  de  son  sacre.  On  l'engage  d'attendre 
que  le  jeune  prince  ait  atteint  l'âge  viril*.  Robert  passe  outre 
et  fait  couronner  son  fils  à  Compiègne  par  les  évoques  (9 
juin  1017^).  Ici  la  volonté  du  souverain  paraît  déjà  pré- 
pondérante, et  il  n'est  plus  question  d'une  association  au 

*  «  Gongregatis  in  Aureliana  urbe  regia  quibasque  Francorum  ac 
Burgondionum  regni  primoribus,...  Robertum  fîlium  suum...  adhuc 
se  superstite,  regem  constituit  »  (R.  Glaber,  II,  1,  p.  26)  (G.  T). 

'  Fragm.  de  Chron,  de  Saint-Benoit-sur-Loire  (H.  F.  X,  210  E).  Le 
texte  a  été  ainsi  rétabli  par  Julien  Havet  (l.  c),  d'après  le  MS 
latin  6190  :  «  Is  Rotbertum  filium  suum  sibi  consortem  legit  regni. 
Ipse  vero  per  decem  annos  continues  potitus  est  cum  eodem  Rotberto 
filio  ».  — Miracles  rfe  Saint-Benoit  (Aimoin,  éd.  de  Gerlain,  p.  127  : 
«  Is,  eodem  anno,  Rotbertum  filium  sibi  consortem  regni  legît.  »  — 
Diplôme  de  Hugues  Capet,  20  juin  988  (989)  (Tardif,  Mon.  histor,^ 
n®  237)  :  «  filii  nostri  Rotberti  régis  ac  consortis  regni  nostri  ». 

'  Pfîster,  p.  Lxii  (Catalogue  des  Diplômes  de  Robert,  n<*  1). 

*  Pfisler,  p.  XLU. 

*  «  Providus  de  regni  siiccessu,  elegit  regnare  post  se  illorum  pri- 
mogenitum  Hugonem  nomine,  puerum  adhuc,  clarissimae  indolis  illus- 
trem  ».  (R.  Glaber  III,  32,  p.  81). 

*  «  Sine  puerum,  rex,  si  placet,  crescendo  procedere  in  viriles  an- 
nos »  (ibid), 

■^  «  Regio  in  Gompendio,  adscitis  regni  primoribus,  coronam,  ut 
decreverat,  ex  more  a  pontificibus  puero  fecit  inponi  ».  (Ibid,). 


394  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  V. 

trône,  dont  l'ûge  même  de  Hugues  exclut  l'idée*.  Hugues 
meurt  en  1025,  et  presque  aussitôt  son  père  le  remplace, 
comme  héritier  désigné,  par  son  second  Bis,  Henri  (né  en 
i007  ou  1008).  L'avis  des  grands  a,  celte  fois,  une  importance 
spéciale %4Duisque  le  roi  et  la  reine  ne  sont  pas  d*accord. 
Constance  donne  la  préférence  au  troisième  fils,  Robert,  qui 
serait,  suivant  elle,  plus  apte  à  régner*.  N'est-ce  pas  dire 
que  Tavenir  seul  est  en  cause,  puisque  ce  préféré  n'a  pas 
quinze  ans?  Du  reste,  c'est  de  nouveau  la  volonté  du  roi 
qui  remporte.  11  fait  sacrer  à  Reims  le  jeune  Henri,  — pour 
lui  succéder  sur  le  trône*. 

Nous  avons  déjà  dit  que  Philippe  (né  en  1052)  fut  dès 
l'âge  de  sept  ans,  désigné  par  son  père  et  sacré  (23  mai 
1029).  Quant  à  Louis  VI  il  a  dû  être  désigné  entre  l'âge 
de  dix-sept  et  Tâge  de  dix-neuf  ans,  de  1098  à  1100',  et  il 
ne  fut  pas  sacré  du  vivant  de  son  père. 

Voyons  maintenant  de  plus  près  les  formes  et  les  effets 
des  désignations  que  nous  venons  de  passer  en  revue. 

^  Les  paroles  que  llelgaud  met  dans  la  bouche  de  Robert  implique- 
raient, telles  qu'elles  onl  été  traduites  par  M.  Pflster(p.  72),  une  as- 
sociation au  trône  :  «  Vois,  mon  fils,  souviens-toi  toujours  de  Dieu 
qui  te  fait  imrticiper  aujourd'hui  à  mon  royaume  ».  Mais  M.  Pfister, 
dont  Texactitude  est  d'ordinaire  si  scrupuleuse,  a  commis  une  inad* 
vertance.  Le  texte  de  lielgaud  porte  :  «  Vide  fîli,  semper  sis  memor 
Dei,  qui  te  hodie  participera  sui  fecit  Regni  »  (H.  F.  X,  106,  B.  C). 
C'est  donc  du  roijanme  de  Dieu  qu'il  s'agit.  L'allusion,  toute  religieuse, 
vise  la  cérémonie  qui  vient  de  conférer  un  caractère  sacré  au  futur 
héritier  du  trône. 

*  Cf.  la  lettre  de  Guillaume  d'Aquitaine  à  Fulbert  de  Chartres  (H.  F. 
X,  485)  et  celle  de  llildegaire  au  môme  (H.  F.  X,  504.  Migne  141,  253). 

3  «  Dicens  tertium  ad  reyiii  modcramen  prœstantiorem  fore 
filium  »  (H.  Glaber,  111,  34,  p.  84). 

♦  «  Coadunatis  rei  metropoli  Remis  regni  primatibus,  stabilivit 
regni  coronic  Heinricum  qucm  deleyerat  »  (I6id.). 

^  II.  F.  XI,  32.  Ni  la  date  de  la  naissance,  ni  celle  de  la  désignation 
n'ont  pu  être  fixées.  On  peut  hésiter  pour  la  première  entre  les  années 
1077  et  1081,  et  pour  la  seconde  entre  1098  et  H00{Cf.  Luchaire  An- 
nales  de  Louis  VI,  Appendices  II  et  III,  p.  285  suiv.) 


LES    «COMPAGNONS   EN   LA.   MAJESTÉ   ROYALE».       395 

IL  Le  ROI  DÉSIGNÉ.  —  Je  remarque  d'abord  qu'il  n'y  a 
pas  lieu  de  distinguer  entre  le  choix  fait  par  le  souverain 
et  la  designatio  faite  avec  le  concours  des  grands.  C'est 
le  choix  précisément  qui  constitue  la  désignation.  Il  s'ef- 
fectue, comme  sont  prises  toutes  les  résolutions  du  souve- 
rain, après  conseil  tenu*. 

Je  ne  crois  pas  non  plus  que  le  couronnement  et  le  sacre 
confèrent  au  roi  consacré  plus  de  droits  actuels  que  n'en 
a  le  roi  désigné.  Ils  sont  un  complément  de  la  désigna- 
tion, sa  reconnaissance  officielle,  sa  consécration. 

Bien  que  le  cérémonial  du  sacre  dût  être  au  fond  le 
même  pour  le  roi  désigné  et  pour  le  roi  en  titre,  son  effica- 
cité était  tout  autre.  Aussi  le  prince,  sacré  roi  du  vivant 
de  son  père,  s'empressait-il  de  se  faire  sacrer  à  nouveau 
quand  celui-ci  mourait*. 

Je  mets  en  regard  la  cérémonie  du  sacre  de  Philippe  I , 
comme  roi  désigné,  et  celle  de  Louis  VI  quand  il  prit  pos- 
session du  trône  ;  la  première  d'après  le  procès-verbal  qui 
nous  en  a  été  conservé ^  la  seconde  d'après  la  description 
de  Suger*. 

Le  sacre  de  Philippe  eut  lieu  le  jour  de  la  Pentecôte 
dans  la  cathédrale  de  Reims  et  par  le  métropolitain.  Le 
jeune  prince  (âgé  de  7  ans)  lit  la  formule  du  serment,  la 
signe  et  la  remet  au  prélat.  Celui-ci,  du  consentement  du 
roi  Henri,  «  anmiente  pâtre  ejus  Henrico  »,  l'élit  alors  roi, 
«  elegit  eum  {in)  regem  ».  Le  choix  est  approuvé,  «  honoris 
€t  amoris  gratia  »,  par  deux  légats  du  pape,  ratifié  par  les 
suffrages  des  archevêques  de  Sens  et  de  Tours,  de  vingt 
évêques  (tous  les  évêques  de  la  Francie,  sauf  ceux  de  Beau- 

*  Geoffroi  Malalerra  relate,  en  ces  termes,  la  désignation  de  Louis 
VI  :  (t  Philippus,  rex  Francorum...  filium  nomine  Ludovicum  cui 
etiam  ab  omnibus  curialibus  regnum  post  se  habere  designaverat  » 
{Hist.  sicula,  IV,  8.  Migne  149,  1188-9). 

*  M.  Luchaire  le  reconnaît,  I,  p.  69. 
3  H.  F.  XI,  32. 

*  Vie  de  Louis  le  Gros,  XIII,  p.  39-40  (éd.  Molinier). 


3y6  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  V. 

vais,  Thérouanne  et  Chartres,  1  de  la  province  de  Tours, 
3  de  la  province  de  Lyon,  1  de  la  province  de  Bourges, 
2  de  la  province  de  Bordeaux),  29  abbés,  seize  principes^ 
en  tète  desquels  figurent  le  duc  d'Aquitaine,  le  duc  de 
Bourgogne,  représenté  far  son  fils,  les  comtes  de  Flandre 
et  d'Anjou,  représentés  par  des  envoyés*;  enfin  il  est 
acclamé  par  les  milites  et  le  peuple  qui  s'écrient  par  trois 
fois  :  «  Nous  Tapprouvons,  nous  le  voulons,  qu'il  en  soit 
ainsi  »  ^.  Cela  fait,  Tarchevêque  procède  à  l'onction  :  «  con- 
secravit  eum  in  regem  ». 

Le  sacre  do  Louis  VI  s'accomplit  à  Orléans,  le  3  août 
1108,  par  les  mains  de  l'archevêque  de  Sens,  assisté  seule- 
ment de  ses  suffragants  (moins  encore  l'évêque  de  Troyes*). 
Le  prélat  administre  l'onction,  il  ceint  le  roi  d'un  glaive 
consacré,  le  couronne  d'un  diadème  et  l'investit  du  sceptre, 
de  la  verge  et  des  autres  insignes  royaux,  avec  Tappro- 
balion  du  clergé  et  du  peuple,  approbante  clero  et  populo. 

II  est  impossible  de  savoir  si  les  variantes  que  présen- 
tent ces  deux  cérémonies  tiennent  seulement  aux  lacunes 
de  la  rédaction,  mais  il  semble  néanmoins  que  Yinvestiture 
ou  Y  intronisation  soit  plus  complète  dans  le  sacre  du  roi 
définitif  que  dans  celui  du  roi  désigné.  Par  contre  il  lui 
manque  naturellement  un  élément  prépondérant  de  l'au- 
tre, la  volonté  actuelle  d'un  roi  en  fonction.  Cette  volonté 
s'est  manifestée  d'avance,  par  la  désignation,  faite  avec 
le  concours  des  grands,  et  c'est  pourquoi,  dans  les  deux 
cérémonies,  Vélection  est  de  pure  forme  :  «  Celui-là,  dira 
I  ves  de  Chartres,  a  été  justement  sacré  roi  à  qui  le  royaume 
revenait  par  droit  héréditaire,  et  que  l'accord  unanime 

*  Viennent  ensuites  les  comtes  de  Valois,  Vermandois,  Ponthieu, 
Soissons,  Clcrmont-en-Beauvaisis,  Chùteau-Porcien,  Réthel,  Rouci, 
puis  les  comtes  d'Auvergne,  de  la  Marche,  d'Angoulôme,  et  le  vicomte 
de  Limoges. 

-  «<  Ter  proclamantes  :  Laudamus  volumus,  fiât  »>. 

3  M.  Luchaire  y  ajoute  Tévêque  de  Senlis  [Annales  de  Louii  VI, 
n»57,p.  30,  31). 


LES   «  COMPAGNONS  EN   LA.   MAJESTÉ   ROYALE  ».  397 

des  évêques  et  des  grands  avait  longtemps  à  l'avance  élu*. 

Ainsi  se  vérifie  en  France,  comme  en  Allemagne, 
Texpression  paradoxale  dont  un  chroniqueur  se  sert  pour 
marquer  l'avènement  d'Olton  I,  désigné  du  vivant  de  son 
père  Henri  :  «  Par  droit  héréditaire,  le  fils  est  élu  pour 
succéder  au  père  »  ^. 

La  forme  définie,  précisons  les  effets  directs  de  la  dé- 
signation et  du  sacre  de  Thérilier  présomptif. 

Si  j'entends  bien  Thistorien  qui  a  le  plus  approfondi  les 
institutions  capétiennes,  M.  Luchaire,  désignation  et  sacre 
étaient  deux  degrés  successifs  pour  acquérir  le  droit 
d'exercer  le  pouvoir  royal'.  Le  roi  sacré  [consecratus, 
sublimatus)  acquérait  ce  droit  plus  complètement  que  le 
roi  simplement  désigné  {rex  designatusy.  Il  devenait  roi 
associé^,  il  ne  se  distinguait  plus  du  roi  en  titre  que  par  le 
surnom  àe  junior;  bien  plus  il  ne  formait  avec  lui  qu'un 
seul  souverain  en  deux  personnes^ , 

*  «  Si  enim  rationem  consulimus,  jure  in  regem  est  consecratus,  cui 
jure  hœreditario  regnum  competebat,  et  quem  commuais  consensus 
episcoporiirn  et  procerumja/npndem  elegerat  »  (Ep.  rfe  consecratione 
Ludovici  regifi,  Migne  162,  193;  H.  F.  XV,  144  B). 

2  «  Jure  hereditario  paternis  eligitur  succedere  regnis  »  {Annal. 
Quedlinb.  ad  an.  936,  SS.  III,  54). 

3  ((  L'héritier  présomptif  une  fois  choisi,  on  procédait  à  Tacte  qui 
le  rendait  capable,  au  moins  en  droit,  d'exercer  le  pouvoir  royal,  soit 
sous  la  forme  delà  designatio,  soit  par  le  sacre  et  le  couronnement  » 
(Luchaire  I,  p.  65). 

^Ibid, 

*  «  L'héritier  présomptif  était  officiellement  désigné  comme  roi, 
puis  associé  à  la  couronne  »  (I,  p.  130). 

6  Luchaire,  I,  p.  131.  M.  PQster  (p.  142)  exprime  la  môme  idée  en 
termes  identiques  :  «  Au  moment  où  il  y  a  deux  rois,  le  pouvoir  royal 
reste  indivis...  ce  sont,  en  un  mot,  deux  personnes  formant  un  seul 
Souverain  ». 

Une  telle  proposition  ne  pourrait  se  justifier  que  pour  Robert  II, 
qui,  lui,  fut  vraiment  créé  roi  aux  côtés  de  son  père.  La  concep- 
tion mystique  d'une  dualité  royale,  analogue  à  la  trinité  chré- 
tienne, était  à  la  fois  trop  subtile  pour  le  peuple  et  trop  contraire  a\ix 


398  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  V. 

Celte  terminologie  est  étrangère  au  x*  et  au  xi*  siècle,  et 
l'idée  qui  lui  sert  de  base  n'est  pas  en  harmonie  avec  les 
sources.  M.  Luchaire  le  concède  lui-môme  quand  il  écrit 
(l,  p.  131)  :  «  Il  est  fort  difficile  de  déterminer  la  limite 
qui  séparait  Taulorité  du  roi  titulaire  de  celle  du  roi 
associé...  Tout  dépendait  des  circonstances  et  de  lavo- 
lonté  du  roi  régnant,  » 

S'il  en  est  ainsi,  peut-on  parler  d'un  droit  actuel  con- 
féré de  piano  par  la  désignation  et  le  sacre?  N'est-ce  pas 
précisément  parce  qu'une  manifestation  spéciale  de  la  vo- 
lonté du  souverain  est  à  la  fois  nécessaire  et  suffisante  que 
M.  Luchaire  a  regardé  Louis  VI  comme  roi  associé^ j  bien 
qu'il  n'eût  pas  été  sacré,  lui  a  reconnu  des  pouvoirs  beau- 
coup plus  étendus  qu'aux  héritiers  présomptifs  du  xi*  siè- 
cle qui  avaient  en  leur  faveur  et  la  désignation  et  le 
sacre ^? 

Et,  en  effet,  où  trouve-t-on  soit  dans  le  principe  da 
pouvoir  royal,  soit  dans  les  faits  historiques  qui  nous  sont 
connus^  indice  ou  trace  que  la  désignation,  même  suivie 
de  sacre,  emporte  immédiatement  ei  de  plein  droit  asso- 
ciation au  trône? 

Alléguera-t-on  la  fidélité  jurée  à  l'héritier  présomptif  par 
les  grands  et  les  sujets  ?  mais  elle  lui  est  jurée  de  même  avant 


intérêts  des  grands  pour  être  étendue  à  la  désignation  de  rhéritîer 
présomptif.  Nul  lexlo  contemporain,  à  ma  connaissance,  n'y  fait  allu- 
sion, et  les  évoques  eux-mêmes  la  repoussaient  (que  ce  filt  par  in- 
térêt et  calcul  ou  pour  toute  autre  raison)  puisqu'ils  affirmuent, 
au  moment  de  la  désignation  du  second  fils  de  Robert,  Henri,  que 
le  père  vivant  ne  pouvait  s'adjoindre  son  fils  comme  roi  (patre  vî- 
vento  nullum  regemsibi  creari)  (lettre  d'Hildegairc,  Migne  141,  253). 
L'argument  que  M.  Pfister  emprunte  à  cet  avis  des  évoques  me  pa- 
raît donc  se  retourner  contre  sa  thèse.  Il  est  vrai  qu'on  passa  outre, 
mais  c'est  que  l'objection  dtfpassait  le  but.  Elle  empêchait  que  la 
désignation  fît  un  roi  actuel^  elle  ne  s'opposait  pas  à  ce  qu'elle  Qt  un 
roi  futur, 

*  Annalea  de  Louis  Vf,  p.  289. 

*  Hist.des  inst,  mon,y  I,  p.  132  et  suiv. 


LES    «  COMPAGNONS   EN   LA   MAJESTÉ   ROYALE  ».       399 

sa  désignation  et  aux  autres  fils  comme  à  lui*  ;  la  circons- 
tance qu'il  intervient  aux  diplômes  du  roi  régnant?  elle 
est  également  antérieure  à  la  désignation  et  commune  aux 
autres  enfants ^  Ce  n'est  que  pour  Robert,  qui  avait  été 
l'objet  d'une  association  directe,  d'une  véritable  intronisa- 
tion, qu'on  rencontre  des  diplômes  où  les  deux  rois  par- 
lent ensemble  à  la  première  personne  et  font  figurer  dans 
la  date  Tavènement  du  second  roi. 

Le  principe  du  pouvoir  royal  est,  nous  le  savons,  fami- 
lial. De  là  peut  dériver  une  participation  de  l'héritier  dési- 
gné au  gouvernement  du  royaume,  mais  sa  seule  diffé- 
rence avec  le  droit  analogue  des  autres  membres  de  la 
famille  tient  au  prestige  que  donne  la  perspective  de  ré- 
gner. Sa  participation  est  dominée,  comme  la  leur,  par 
l'autorité  du  chef  de  famille,  du  roi.  Elle  lui  est  subordon- 
née. La  désignation  ne  saurait  par  elle-même  modifier 
celte  situation  j uridique.  Qu'est-elle,  en  effet,  sinon  un  règle- 
ment de  droit  familial,  une  institution  d'héritier  agréée  par 
les  grands  du  royaume?  Une  part  au  pouvoir,  plus  large 
que  celle  des  autres  membres  de  la  famille,  ne  peut  être 
acquise  à  l'héritier  désigné  que  par  une  délégation  spé- 
ciale que  le  roi  lui  fait  de  son  autorité,  ainsi  qu'il  la  peut 
faire  à  un  autre  fils  ou  à  un  autre  parent.  Prise  en  soi,  la 
désignation  ne  confère  donc  qu'une  expectative.  L'auto- 
rité effective  de  l'héritier  désigné  procède  d'autres  sources  : 
son  droit  familial  et  la  volonté  exprimée  du  souverain. 

Le  caractère  que  j'attribue  soit  à  la  désignation,  soit  à 
la  participation  au  gouvernement,  se  vérifie  par  les  faits 
historiques  du  xi°  siècle.  ' 

Le  premier  fils  de  Robert  II,  Hugues,  quoique  désigné 
et  sacré,  est  privé  de  tout  droit  et  dénué  de  toute  ressource  : 

t  Cf.  Lurhaire,  T,  p.  130,  note  2. 

^  Voy.,  par  exemple,  diplôme  de  Henri  I*'  (vers  1058, 12  juillet)  (H. 
F.  XI,  600;  Tardif,  MonJdst.f  n°275)  :  «  annuentemeaconjuge  Anna 
et  proie  Philippo,  Rotberto  ac  Hugone  ».  Philippe  n'était  pas  désigné, 
il  avait  six  ans  à  peine,  et  ses  frères  étaient  plus  jeunes. 


400  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  V. 

il  ne  pouvait  disposer  de  rien  {mandare)  dans  le  royaume 
pour  lequel  il  avait  été  couronné*,  il  était  quasi peregri^ 
nus  etprofugus^,  réduit  pour  vivre  à  s'associer  uae  bande 
déjeunes  gens  et  à  piller  avec  eux  les  biens  de  ses  parents*. 
Ce  n'est  qu'à  la  sollicitation  de  Fulbert  de  Chartres  que 
Robert  et  sa  femme  Constance  lui  cèdent  ou  lui  délèguent 
des  pouvoirs  royaux  :  «  jus  ubique  ac  potestas  regni  »*. 
Alors  seulement  il  est  «  adsciius  imperio  »,  admis  au  pou- 
voir; jusque-là  il  n'était  que  «  regnis  spectatus  »,  appelé 
à  la  couronne'*. 

Les  pouvoirs  de  Hugues  ne  passèrent  pas  i  Henri,  quand 
il  fut  désigné  roi  à  sa  place,  car  nous  le  voyons  à  son  tour 
ravager  les  possessions  de  Robert  II*,  et  finalement  entrer 
en  lutte  ouverte  contre  lui.  Il  eut  pour  allié  son  frère  Ro- 
bert, qui  se  plaignait  lui  aussi  de  n'avoir  pas  de  part  au 
pouvoir.  Les  succès  qu'ils  remportèrent  prouvent  qu'ils 
comptaient  des  partisans  nombreux,  et  l'on  est  en  droit  de 
conjecturer  que  par  le  traité  de  paix  qu'ils  conclurent 
avec  leur  père,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  l'un  et  Fautre 
furent  admis  au  partage  de  l'autorité  royale. 

Il  est  inutile  de  parler  de  Philippe  I,  qui  n'était  qu'un 
enfant  quand  son  père  mourut;  mais  pour  Louis  VI  des 

'  «  Cerncns  se  nil  doininii  rei  peculiaris  prêter  victum  et  vestitum 
ex  regno,  unde  coronatus  fuerat,  posse  mandare  «  (R.  Glaber,  Ilï, 
32,  p.  81). 

-  «  Neque  enim  in  domo  vestra  cum  securitote  vel  charitate  licel 
ei  manere,  neque  foris  est  ei  unde  vivat  cum  honore  régi  compétente... 
dum  ille  quasi  pcregrinus  et  profugus  agit...  »  (Fulbert  de  Chartres  à 
Robert,  1025,  Migne,  141,  217). 

3  «  Junctis  secum  aliquibus  sua^  œtatis  juvenibus,  cepit  infestarl 
ac  diripere  ad  libitum  res  genilorum  ».  (R.  Glaber  III,  33,  p.  82). 

*  Tune  demum  ai)  eisdem  (genitoribus)  largitur  illi,  ut  optimum 
deeebjil  filium,  jus  ubique  ac  potestas  regni  »  {ihid), 

^  La  distinction  est  faite  dans  un  des  vers  que  R.  Glaber  a  coo- 
sacrés  a  la  mémoire  du  jeune  Hugues  :  «  Regnis  spectatus,  adscitus 
imperio  »  (p.  83). 

^  «  Vi  invadere  vicos  et  castella  sui  patris  ac  circumquaque  diripere 
quœ  puterant  honorum  ejus  »  ^R.  Glaber  III,  35,  p.  84-). 


LES    «  COMPAGNONS   EN    LA   MAJESTÉ   ROYALE   ».      401 

faits  analogues  à  ceux  que  nous  venons  de  retracer  se 
reproduisent.  Dès  1098,  le  jeune  prince  guerroie  contre 
Ouiilaume  le  Roux,  et  tout  porte  à  croire  qu'il  est  déjà 
désigné  ou  reconnu  comme  héritier  présomptif.  Or  Suger 
parle  de  lui  dans  les  mêmes  termes  que  Raoul  Glaber  par- 
lait de  Hugues*.  Quelques  années  plus  tard,  il  n'en  va  pas 
de  même.  Ce  que  les  historiens  ont  pris  pour  une  désigna- 
tion ce  qui,  à  mes  yeux,  est  tout  à  la  fois  un  avancement 
d'hoirie  et  une  délégation,  s'efTectue.  Louis  VI,  du  consen- 
tement des  grands,  est  mis  par  son  père  en  possession  de 
Pontoise,  de  Nantes,  de  toute  Tautorité  sur  le  Vexin,  et 
investi  de  Tadministration  du  royaume ^ 

Ce  qui  prouve  encore,  à  mon  sens,  que  les  pouvoirs 
dont  disposa  ainsi  Louis  étaient  indépendants  de  la  desi-- 
gnalio,  c'est  que  le  titre  de  rex  designatus  demeure  secon- 
daire. Le  titre  principal  est  celui  de  régis  filius,  ou  regius 
filius;  celui  de  rex  designatus  n'est  qu'une  qualification 
qui,  fait  significatif,  devient  de  plus  en  plus  rare  à  mesure 
que  l'autorité  de  Louis  VI  s'étend'  et  grandit.  11  s'efface 
et  devant  le  titre  de  généralissime  {dux  exercitusY  et 
devant  le  titre  d'administrateur,  de  defemor  regni^  que 
Suger  donne  régulièrement  à  Louis*. 

III.  Les  princes  dd  sang.  —  La  part  faite  au  roi  désigné 
dans  le  pouvoir  royal  n'est  pas,  nous  venons  de  le  voir, 

*  «  Peculii  expers,  patri  qui  benefîtiis  regni  utebatur  parcendo, 
sola  bone  indolis  induslria  militiam  cogebat  »  (Suger,  Vie  de  Louis  le 
GroSf  I,  1,  éd.  Molinier,  p.  6). 

*  «  Ludovico  igitur  filio  suo  consensu  Francorum  Pontisariam,  et 
Madantum,  totumque  comitatum  Vilcassinum  donavit,  totiusque 
regni  curam,  dum  primo  flore  juventutis  pubesceret,  commisit.  » 
(Orderic  Vital,  VIII,  20,  t.  III,  p.  390). 

3  M.  Luchaire  n'en  signale  pas,  dans  les  diplômes,  d'exemple  pos- 
térieur à  1104,  et  il  a  reconnu  [AnnaleSy  no  M)  que  la  charte  portant 
le  sigillum  Ludovici  designati  régis  (Mabillon,  De  re  diplomat,, 
p.  594)  doit  être  de  l'an  liOO. 

*  Luchaire  I,  p.  134,  note  3. 
5i6iV/.,  p.  135,  note  \. 

F.  —  Tome  III.  26 


402  LIVRB   IV.    —   CHAPITRE   V. 

différente  en  son  essence  de  celle  qui  revient  aax  aatres 
enfants  du  souverain,  ou  même  à  ses  collatéraux.  L*avaD- 
tage  direct  dont  il  jouit  ne  consiste  que  dans  rexpectative 
de  la  couronne  ;  elle  ne  procède  pas  d'un  droit  propre,  mais 
de  la  volonté  du  souverain  et  des  grands.  Ni  au  x*,  ni 
encore  au  xi*  siècle,  on  ne  saurait  parler  de  droit  de  ma^ 
culinité  et  de  droit  d'aînesse.  La  raison  est  simple  ;  je  rai. 
indiquée  par  avance.  Il  n'existe  pas  de  droit  de  successioD 
proprement  dit  à  la  couronne,  mais  il  s'opère  uq  choix,  an 
profit  du  plus  apte,  dans  un  cercle  circonscrit  de  person- 
nes :  tous  les  membres  d'abord  de  la  famille  royale,  puis, 
sous  les  Carolingiens,  plus  spéciedement  les  descendants 
directs. 

Si  le  fils  aîné  est  préféré  de  fait,  c'est  comme  le  pins  ca- 
pable, par  son  âge,  de  régner;  si  la  QUe  est  écartée,  ce 
n'est  pas  en  vertu  d'une  incapacité  légale,  mais  comme 
inférieure  à  ses  frères  en  force  physique,  eu  aptitude  sur- 
tout au  métier  des  armes.  De  sorte  que  rationnellement  la 
proximité  des  degrés  aurait  dû  être  primée  par  la  valeur 
individuelle.  Et,  en  effet,  elle  le  fut  à  l'époque  mérovin- 
gienne, quand  les  oncles  l'emportaient  sur  leur  neveu.  Ce 
n'est  que  par  une  lente  tradition  qu'un  droit  de  préférence 
se  trouva  acquis,  sous  les  Carolingiens,  aux  descendants 
directs,  et  put  être  reconstitué  en  leur  faveur  par  les 
premiers  Capétiens. 

Mettez  à  part  le  choix  du  chef  de  la  famille  royale  — 
question  d'aptitude  plus  que  de  capacité  légale  —  les  divers 
membres  de  cette  famille  vous  apparaîtront  tous  sur  la 
même  ligne,  comme  ayant  droit  au  condominium  familial  : 
filles  et  sœurs,  frères,  oncles  ou  cousins. 

Les  filles  du  roi  sont  appelées  reines^  reginx^^  et  elles 
doivent  être  dotées  sur  le  patrimoine  royal*. 

•  Ducange,  v°  Regina,  i. 

'^  Ainsi,  quand  Robert  II  maria  sa  soeur  iïadwige  au  comte  de  Hai- 
naut,  Régnier  III,  il  lui  donna  en  dot  des  villages  sur  la  Meuse  : 
Gouvini  Frasnes,  Nismes,  Eve,  Bens  :  »  Temporibus  domini  scilîeet 


LES  «  COMPAGNONS  EN  LA  MAJESTÉ  ROYALE  ».   403 

Les  frères  du  roi  ont  le  droit  d'entrer  en  partage  de 
soa  autorité  et  de  son  domaine.  Leur  droit  est  bien  plus 
étendu  que  celui  qu'on  leur  reconnut  plus  tard  sous  le  nom 
A'apanages.  Pasquier  en  a  fait  la  remarque  très  sagace, 
qui  aurait  dû  préserver  les  historiens  de  Terreur  où  ils 
tombent  en  parlant  d'apanages  au  xi*  siècle  :  «  Au  lieu 
où  premièrement  tous  enfans  du  Roy  estoient  recompensez 
en  royaumes  pour  leurs  partages,  et  que  depuis  on  leur 
donnoit  les  grandes  contrées  par  forme  de  duchez,  avec 
grandes  prérogatives,  et  soy  ressentans  au  plus  prés  de  la 
royauté,  sous  le  nom  de  ducs;  nos  roys...  commencèrent 
de  retrancher  cette  grandeur  à  leurs  frères^  leur  donnans 
terres  et  seigneuries  en  apanage.  Quoy  faisans,  il  n'enten- 
doient  leur  avoir  rien  donné  en  partage,  fors  le  domaine 
et  le  revenu  annuel.  S'estans  au  demeurant  reservez  toute 
jurisdiction,  ensemble  toute  souveraineté  *...  » 

Si  le  rôle  des  fils  non  désignés  paraît  relativement  effacé, 
au  cours  des  x*  et  xi*  siècles,  cela  tient  à  cette  circonstance 
capitale  que  leur  nombre  fut  exigu.  Sous  les  quatre  der- 
niers Carolingiens,  dans  l'espace  de  près  d'un  siècle,  je 
ne  trouve  qu'un  seul  frère  de  roi,  parvenu  à  Tàge  adulte  : 
Charles  de  Lorraine.  J'en  rencontre  au  total  trois  sous  les 
Robertiens^  et  quatre  sous  les  Capétiens*  du  xi*  siècle. 


Roberti  régis  et  matris  ejus  Adelaidis  accidit,  ut  ipse  dorainus  rex 
daret  in  matrimonio  sororem  suam  Rainerio  comiti  Monlensiiina. 
Causa  igitur  sororis  dédit  ipsi  comiti  quasdam  villas  S"  Vincentii  et 
S'^  Germani  super  Mosarn  positas,  videlicet  Cuvinum,  Fraxinum, 
Nimam,  Evan,  Bons,  pro  quarura  coramutalione  reddidit  raonasterio 
pra^d.  Sctorum  villam  Cumbis  »  (Diplôme  de  Philippe  \,  1061,  Bouil- 
iart,  HisL  de  Saint-Germain-des-Prés^  Preuves,  p.  XXX;  —  Duvivier, 
Recherches  siir le Hainaul  ancien,Br[ixe\\esiS(y^yP[ècQs iii^lxt,, p. M)), 

*  Pasquier,  Les  recherches  de  la  France  II,  18,  Œuvres  (Amster- 
dam, 1723),  I.  c.  144. 

'^  Robert  frère  d'Eudes,  Boson  et  Hugues  le  noir  frères  de  Raoul. 

3  Abstraction  faite  d'Eudes,  frère  de  Hugues  Capet,  mort  dès  965. 
Il  reste  Henri,  frère  de  Hugues  Capet  ;  Robert  et  Eudes,  frères  de 
Henri  î;  Hugues  le  Grand,  frère  de  Philippe  I. 


404  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE   V. 

Malgré  leur  pelit  nombre,  les  occasioDs  ne  leur  man- 
quèrent pasd*affirmer  ou  de  revendiquer  leur  droit.  Celui- 
ci  se  révèle  à  nous  sous  une  forme  à  laquelle  ou  ue  me 
semble  pas  avoir  prêté  une  suffisante  attention.  Eudes,  qui 
n'a  pas  de  flls,  partage  avec  son  frère  Robert  Tautorité  qu'il 
avait  sur  les  Francs,  en  le  reconnaissant  pour  dux  Prcaicth 
rum;  Raoul,  privé  de  fils  également^  et  dont  le  pouvoir 
patrimonial  est  bourguignon,  laisse  le  ducatus  Prancartm 
à  son  beau-frère  Hugues  le  Grand,  le  ducatus  Burgun- 
dionum  au  mari  de  sa  sœur^  Hugues  Capet,  au  lieu  de 
transmettre  à  son  Qls  le  ducatus  Francorum^  dans  lequel 
il  avait  succédé  à  son  père,  le  fait  associer  à  la  cou- 
ronne, et  abandonne  le  duché  bourguignoa  à  son  frère 
Henri. 

Et  c'est  de  même  que  procédèrent  ses  successeurs  :  à 
Tun  des  fils  la  designatio,  à  un  autre  ou  au  frère  le  duché 
de  Bourgogne. 

Mais  qu'advient-il  des  fils  ou  des  frères  qui  ne  sont 
pas  pourvus?  Ils  protestent,  réclament  leurs  droits  et  se 
soulèvent.  Les  Carolingiens  s*étànt  dessaisis  du  ducatus 
Francorum  au  profit  des  Robertiens,  et  ne  voulant 
plus,  avec  raison,  compromettre  Tunité  du  royaume  par  des 
partages,  le  conflit  éclate  entre  Lothaireetson  frère  Charles, 
dès  que  celui-ci  atteint  l'âge  adulte*.  En  978,  il  tente, 
poussé  par  l'évêque  de  Metz,  Thierry,  son  cousin,  de 
supplanter  Lothaire*.  Quand  celui-ci  sera  mort,  il  se 
plaindraà  l'archevêque  Adalbéron  den'avoirpaseu  sa  part 

*  Voyez  infrà^  le  Principat, 

-  Il  n'avait  qu'un  an  à  la  mort  de  leur  père. 

^  Après  la  réconciliation  de  Charles  de  Lorraine  avec  son  frère, 
Thierry  et  lui  se  le  reprochent  mutuellement:  «  Dum  fratri  tuo  nobili 
Pranconmi  regi  Laudunum  civitatem  suam,  inquam  suam,  aumquam 
utiquo  tuam,  dolo  malo  subriperes,  eumque  regno  fraudareB  w  (Thierry 
à  Charles,  984,  Lettres  de  Gerhert^  éd.  Havet,  p.  26)  —  «  CumLotha- 
rium  regem  Francorum...  regno  pellebaS|  meque  regnare  cogebas  * 
(Charles  à  Thierry,  984,  IbicL,  p.  30. 


LES    «  COMPAGNONS   EN  LA   MAJESTÉ  ROYALE  )).       405 

légitime  de  royauté*,  d'avoir   été   exclu    du  royaume*. 

Un  spectacle  analogue  s'offre  à  nous  après  la  mort  de 
Robert  II.  Par  exception  trois  fils  survivent.  Une  guerre 
civile  éclate  entre  le  roi  désigné,  Henri,  et  son  puîné  Ro- 
bert. Elle  se  termine  par  l'attribution  à  Robert,  malgré 
sa  défaite,  du  duché  de  Bourgogne.  Le  troisième  fils,  Eu- 
des, se  soulève  à  son  tour,  en  s'alliantà  la  maison  de  Blois'. 
Vaincu,  emprisonné*,  après  sa  sortie  de  captivité  réduit 
à  une  existence  d'aventurier  et  de  pillard*,  le  droit  tradi- 
tionnel parut  si  bien  violé  en  sa  personne  que  la  légende 
populaire,  ce  grand  redresseur  de  torts,  s'efforça  de  le  ré- 
tablir. Elle  imagina  à  la  forclusion  d'Eudes  un  motif  qui  pût 
la  justifier  :  la  faiblesse  d'esprit*. 

En  résumé,  le  droit  familial  n'a  reculé  que  très  lente- 
ment devant  le  droit  individuel.  Considérée  du  point  de 
vue  juridique,  la  royauté  du  x*  et  xi*  siècle  réside  moins 
dans  la  personne  du  souverain  que  dans  la  famille  dont  il 
est  le  chef. 

IV.  La  REINE.  —  La  conception  germanique  du  ma- 
riage, épurée  et  sanctifiée  par  l'idée  chrétienne,  faisait  de 
la  femme  une  égale  du  mari,  une  associée,  une  compagne 
dans  toute  la  force  du  terme.  Telle  apparaît  la  femme  dans 
la  société  que  nous  étudions.  L'association  est  si  étroite, 
le  compagnonnage  si  parfait,  que  la  communauté  de  biens 
lui  devra  de  naître,  malgré  la  résistance  de  la  copropriété 

^  «  Frater  regnorum  dominium  totum  possedit,  nihilque  mihi  con- 
cossit  »  (Richer  IV,  9,  t.  II,  p.  152). 
-  «  A  fratre  de  regno  pulsus  »  (ïbidJ), 
^  «  Falsa  spe  regni  »  (Fragm.  hist.  Franc.  H.  F.  XI,  160  B.). 

*  H.  F.  Ibid.  —  Miracles  de  saint  Benoît^  VII,  2  (André  de  Fleury), 
M.  Certain,  p.  250-251. 

^  «  Frater  ipsorum  (Henrici  et  Roberti)  privatus  degebat,  nullius 
dignitatis  fasligio  sublimatus,  qui,  quoniam  non  babebat  propria,  in- 
hiabat  subripere  aliéna,  rapinis  et  depraedationibus  operam  impen- 
dens.  »  (Miracles  de  saint  Benoît,  VIII,  1  (Raoul  Tortaire),  p.  277). 

*  Voyez  à  ce  sujet  Luchaire  II,  p.  293  (Appcnd.  I)  — •  Pfister,  p.  84. 


406  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  V. 

familiale,  et  de  s'implanter  un  jour,  avec  uoe  vigueur  si 
exubérante,  dans  nos  coutumes  nationales.  S*il  en  est 
ainsi,  Tépouse  du  roi  devenait  l'associée  du  trône,  la  co- 
partageante  de  la  couronne.  Tandis  que  le  roi  désigné 
n*était  roi  qu'en  expectative,  la  reine  était  pleinement 
«  compagne  en  la  majesté  royale  ». 

Les  titres  Tattestenl,  les  faits  le  prouvent. 

Dans  les  diplômes,  comme  dans  les  monuments  litté- 
raires, la  reine  est  qualifiée  socia  regni,  regni  consorsK 
Si  le  roi  est  rex  et  dominus,  elle  est  regina  et  domina^. 

La  reine  est  choisie,  du  consentement,  du  conseil  des 
grands  '  ;  elle  est  en  quelque  manière  élue*.  Comme  le  roi. 


^  La  constitution  du  douaire  de  Frederone  par  Charles  le  Simple 
porte  :  «  quamdam  nobili  prosapia  puellam,  nondne  Frederunam..* 
nobis  nuptiali  connubio  sociavimus,  regnique  consartem  statuimus  » 
(907.  H.  F.  IX,  504  B).  Hugues  Capet,  par  la  plume  de  Gerbert,  écrit  à 
rimpératrice  Théophane  :  «  Sociam  ac  participent  nostri  regni  A 
(Adélaïde)  decrevimus  vobis  occurrere  »  (Lettres  de  Gerb^,  988, 
p.  109,  éd.  Havet)  —  Cf.  Hariuif,  Vita  S.  Amulfif  chap.  17: 
«  exsors  regni  »,  «  a  totius  regni  consortio  rejecta  »  (Mabillon,  S.  B. 
VI,  2,  p.  518-519).  —  Lettre  de  Tliierry  de  Metz  (984)  :  «  regni  stri 
consortem  »,  en  parlant  d*Emma,  fenmie  de  Lothaire  (Lettres  de  Ger- 
bert,  p.  26).  —  A  la  même  époque  les  reines  et  impératrices  d'Alle- 
magne sont  qualifiées  u  regni  consors  »,  <<  imperii  coMors  ».  (Voyez 
les  textes  dans  Waitz,  VI,  2o  éd.  (1896),  p.  261,  note  2). 

^  Guillaume  de  Malmesbury  raconte  qu'au  concile  de  Clermont  : 
a  ezcommunicavit  dominus  Papa  Philippum  regem  Francorum,  et 
omnes  qui  eum  vel  regem  vel  dominum  suum  vocaverint,  et  ei  obedie- 
rint...  similiter  et  illam  maledictam  conjugem  ejus,  et  omnes  qui 
€am  reginam  vel  dominam  nominaverint  »  (H.  F.  XIII,  p.  6  C). 

*  «  Consensu  fidelium^  Deo  (ut  credimus)  coopérante,  secandum 
leges  atque  stututa  priorum  »  (907,  H.  F.,  IX,  504B).— «Rotbertus 
rex  patri  succedens,  suorum  consUio,  Bertam  duxit  uxorem  «  (Richer, 
IV,  notes  addit.  II,  p.  308)  u  fœdus  illud  quod  de  ipso  coojugio  ini- 
tum  est,  consilio  episcoporum  et  optimatum  omniao  cassabitur.  » 
(Lettres  doives  de  CharU-es,  H.  F.,  XV,  149  B.). 

*  Cf.  la  formule  du  sacre  en  Allemagne  :  «  quam  supplie!  devo- 
tione  in  reginam  eligimus  »  (Waitz,  /.  c,  p.  260,  note  7). 


LES    a  COMPAGNONS   EN   L\  MAJESTE  ROYALE  ».      407 

«lie  est  sacrée  et  couronnée*.  Elle  est  reine*  par  la  grâce 
de  Dieu^. 

La  participation  de  la  reine  aux  affaires  générales  du 
royaume  se  manifeste  par  son  intervention  dans  les  actes 
les  plus  solennels',  par  les  plaids  où  elle  siège*,  par  les 
négociations  qu'elle  conduit*,  par  le  pouvoir  coercitif 
qu'elle  exerce*,  par  la  défense  même  des  places  fortes 
qui  lui  sont  confiées \ 

*  Cest  ainsi  que  Gerberge  est  sacrée  par  rarchevôquc  de  Reims 
Artaud  :  «  favente  Hugone  cunctisque  regni  principibus,  Gerbergam 
reginam  benedixeram  et  sacro  perfuderam  chrismate  »  (Discours 
d'Artaud.  Flodoard,  Hist.  eccL  Rem.  IV,  35,  Migne,  135,  306).  Richer 
dira  en  conséquence  de  Lothaire  :  «  Gerbergam...  conjugio  duxit 
eamque  secum  reginam  in  regnum  coronavit  »  (II,  19,  T.  I,  p.  152). 

2  ((  Ego  Rolbertus  gratia  Dei  Francorum  rex,  et  Constantia  divino 
nutu  regina  »  (1030,  H.  F.  X,  621  B).  Cf.,  au  xii®  siècle,  un  diplôme 
d'Aliénor  d'Aquitaine  (1141)  :  «  Ego  Helienordis,  Dei  gratia  humilis 
Francorum  regina,  et  Aquitanorum  ducissa  »  [CartuL  de  Notre-Dame 
de  Saintes^  n^  29.  CartuL  de  la  Saintonge,  II,  p.  36). 

*  M.  Lot  remarque  qu'il  «  n'est  presque  pas  de  diplôme  où  Tinter- 
vention  d'Emma  (femme  de  Lothaire)  ne  soit  mentionnée  »  (Derniers 
Carolingiens^  p.  54).  Cf.  au  surplus  Luchaire,  I,  p.  143  suiv.  Giry, 
Manuel  de  diplomatique^  p.  735  suiv. 

*  M.  Luchaire  (I,  p.  145,  note  6)  cite  comme  exemple  le  jugement 
rendu  contre  Bernard  de  Montmorency  (1008).  Mais  la  fausseté  de 
cet  acte  a  été  reconnue  depuis  lors  (Prisier^  Catalogue,  n°38).  On  peut 
ciler  notamment  le  procès  de  Saint-Germain  des  Prés  contre  Warin, 
au  sujet  de  la  voirie  d'Antony  (1031)  :  «  Nos  et  uxor  nostra  regina 
Constantia  uxorem  Guarini...  ante  nostram  praesentiam  convocavimus 
et  illis  prœsentibus  et  sub  prœsentia  multorum,  hujus  proclamationis 
diffinitionem  fecit  «  (Bouillart,  Pièces  just,^  p.  xxiv).  —  «  Suae  pro- 
clamationis causam  judicio  nostrorum  deputavimus  esse  deliberan- 
dam  et  discutiendam  par  consensum  et  consilium  dilectissimae  con- 
jugis  nostrae  Constantia?  »  {Ibid,,  p.  xxv). 

*^  J'en  ai  donné  un  exemple  (p.  406,  note  1). 

*  «  lile  Pontius  (abbé  de  Saint-Médard  de  Soissons)...  ducens  se- 
cum reginam  Francorum,  nomine  Bertam,  quae  vi  regia  Geraldum 
expelleret,  et  eumdem  Pontium  in  praelationem  sancti  loci  contra  fas 
subinferret  »>  (Vita  S.  Arnulfi,  Mabillon  S.  B.  VI,  2,  p. 518). 

^  Enrnia  femme  de  Lothaire  est  chargée  par  lui  de  défendre  Ver- 


408  LnUE   IV.   —   CHAPITRE  V. 

Ses  attributions  particulières  sont  surtout  d'ordre  éco- 
nomique. Je  dirais  volontiers  que  depuis  Tépoque  fraugue 
elle  tient  le  ménage  de  la  royauté*.  Le  trésor,  nerfda 
royaume,  est,  sous  sa  surveillance  et  son  contrôle,  admi- 
nistré par  le  chambrier   carolingien*.   Les  cambeUarii 
reginae  d'un  diplôme  de  Philippe*  pourraient  bien  être 
des  chambriers  royaux  placés  sous  les  ordres  de  la  reine. 
Robert  II  rend  un  éclatant  hommage  à  Thabileté  de  la 
reine  Constance  dans  la  gestion  des  affaires  qui  ressorts- 
sent  d'elle  *,  et  l'on  voit  plus  tard  Bertrade  se  mêler,  plus 
môme  qu'il  ne  convient,  d'opérations  financières  et  de 
maniement  de  deniers.  Ives  de  Chartres  lui  reproche  de 
trafiquer  des  évêchés  pour  le  compte  du  roi*. 

dun  :  u  rex  ad  urbom  tuendam,  reginam  Emmam  in  ea  reliquit  >» 
(Richer,  III,  162,  T.  II,  p.  126). 

^  «  De  honcstate  vero  palatii  seu  specialiter  ornamento  regali  necnon 
et  de  donis  annuis  militum,  nbsque  cibo  et  potu  vel  equis,ad  reginam 
prœcipue  el  sub  ipsa  adcamcrarium  pertinebaL..  De  donis  vero  dÎTer- 
sarum  legationum  ad  camerarium  aspiciebat,  nisi  forte  jubente  rege 
taie  aliquid  esset,  quod  rcgino)  ad  tractandum  cum  ipso  congrueret  » 
(Hincmar,  De  online  palatii^  cap.  22.  Capit.  T.  II,  p.  525). 

*  Voyez  le  texte  cité  note  préc(^dente  et  cf.  cap.  27,  De  ordine  palaJtiL 
'  Diplôme  de  1093  pour  Marmoutier  (Martène,  IlisU  de  Marmcutier^ 

p.  499,  500).  Texte  signalé  par  M.  Luchaire,  I,  p.  145,  note  2. 

*  «  Conjugera  meara  Constantiara...  mihi  admodum  dilectam  et  in 
administratione  rerum  ad  se  pertinentium  satis  utilem  et  strenuam.  » 
J'estime  avec  M.  Luchaire  (I,  p.  145,  note  5)  qu'il  n'y  a  nulle  raison 
de  restreindre  ce  texte  aux  biens  personnels  de  Constance.  L'ëpitbète 
utilis  ne  s'y  prête  pas. 

^  Il  parle  de  marchands  créanciers  de  la  reine  «  negotialiores  cre- 
ditores  illius  dictœ  reginae  «  qui  attendent  l'argent  promis  pour  l'élec- 
tion simoniaque  de  l'évéque  d'Orléans,  Jean  II  (H.  F.,  XV,  101  B); 
mais  dans  une  autre  lettre  de  la  même  année  (1098)  il  nous  montre 
que  le  profit  de  la  simonie  allait  au  roi.  Il  y  rapporte  la  répocse, 
souvent  citée,  que  Philippe  aurait  adressée  à  Baudri  de  Bourgueil,  le 
compétiteur  de  Jean  :  «  Laissez-moi  faire  d'abord  mon  profit  de  cette 
élection,  faites-la  ensuite  casser,  et  ce  sera  votre  tour  »  :  «  Susti- 
nete  intérim  donec  de  isto  faciam  proficuum  meum;  postea  quorite 
ut  iste  deponatur,  et  tune  faciam  voluntatem  vestram  »  {H.  F.,  XV, 
99  A). 


LES   «  COMPAGNONS  EN   LA.  MAJESTE  ROYALE  ».      409 

Le  trésor  était  alimenté  en  partie  par  les  revenus  des 
biens  propres  de  la  Reine,  soit  de  sa  dot,  soit  de  son 
douaire.  Et  ces  biens  qui  coniprenaient  villes  et  villages% 
parfois,  comme  pour  Aliéner  d'Aquitaine,  une  grande  prin- 
cipauté, renforçaient  et  consolidaient  son  autorité  royale. 
Ils  contribuaient  aussi  à  la  prolonger  après  la  mort  du 
roi  :  c'est  à  titre  de  douairière,  de  mère  ou  tutrice  et  de 
membre  de  la  famille  royale,  que  la  reine-mère  continue  à 
participera  Texercice  du  pouvoir.  A  la  mort  de  Lothaire, 
les  grands  prêtent  serment  de  fidélité  à  sa  veuve  Emma, 
en  même  temps  qu'à  son  fils  Louis*.  Quoique  Robert  II 
fût  depuis  longtemps  majeur,  et  roi  associé,  quand  son  père 
mourut,  sa  mère  régna  vraiment  avec  lui  '.  Anne  de  Russie 
joue  un   rôle  gouvernemental  important  après  la  mort 


*  Voyez  l'acte  de  constitution  de  douaire  au  profit  de  Frederone 
(907)  :  «  Regio  eam  more  propriis  rébus  disponentes  ditare,...  de  nos- 
trojureinjus  et  proprietatem  seu  dominationem  illius  transfundimus 
et  perpetualiter  habendos  delegamus  »  (H.  F.,  IX,  504  C). 

^  Lettre  d'Emma  à  sa  mère  Adélaïde  (mars  986)  :  «  Noveritis 
Francorum  principes  michi  ac  fîlio  simul  fidem  sacramento  firmasse  » 
{Lettres  de  Gerberty  éd.  Havet,  p.  70).  Plus  lard,  au  milieu  des 
épreuves  qui  l'assaillirent,  elle  rappellera,  avec  mélancolie,  le  temps  où, 
reine  de  France,  elle  commandait  à  tant  de  milliers  d'hommes  : 
«  Ego  illa  Hemma,  quondam  Francorum  regina,  quœ  lot  millibus  im- 
peravi  nunc  nec  vernaculos  comités  hÉd^eo...  »  (L,de  Gerbert^p.  130). 

3  Je  ne  me  fonderai  pas  sur  le  diplôme  de  Robert  pour  saint  Ma- 
gloire  dont  la  souscription  porte  :  «  régnante  Rolberto  rege  adoles- 
centulo,  in  anno  II,  cum  gloriosa  maire  Adélaïde  regina  »  (H.  F., 
X,  574.  Tardif,  Mon,  hist,^  p.  150)  et  qu'on  avait  jusqu'ici  daté  de 
997.  Gomme  l'a  remarqué  M.  Pfisler  (Catalogue,  n«  1)  Robert,  âgé 
de  27  ans,  n'aurait  pu  être  appelé  adolescentulus,  et  l'acte  dès  lors 
doit  être  de  989.  Mais  l'intervention  fréquente  d'Adélaïde  dans  les 
actes  de  Robert,  et  les  témoignages  de  soumission  filiale  qu'il  lui 
prodigue  sont  des  preuves  suffisantes.  Voyez  notamment  le  diplôme 
de  Robert  en  faveur  d'Argenteuil  (28  mars  1003)  :  <«  Precibus  nostre 
genetricis,  scilicet  Adhelaidis,  reginaî  insignis  cui  prorsus  nichil  de- 
negare,  verum  omnimodis  dévote  inservire  debemus  »  (H,  F.  X,  582 
G    CartuL  de  N.-D,  de  Paris,  1,  n.  95,  p.  95). 


410  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  V. 

de  Henri,  et  pendant  la  minorité  de  son  Gis  Philippe*; 
quoique  remariée,  elle  intervient  encore  dans  les  diplômes 
royaux*. 

L'autorilé  directe  dont  la  reine  est  investie  ne  peut  que 
difBcilement  se  distinguer  de  Tinfluence  qu'elle  exerce  sur 
son  époux  ou  sur  son  fils.  Celle-ci  ne  dépend  pas  seule- 
ment de  ses  qualités  personnelles,  mais  de  son  origine  et 
de  sa  parenté.  L'action  politique  des  reines  a  été  profonde 
et  sur  les  destinées  des  maisons  royales  et  sur  les  destinées 
de  la  France. 

Avec  Gerberge,  fille  de  Henri  l'Oiseleur,  sœur  d'Ottonl*', 
et  Emma,  fille  d'un  premier  lit  de  l'impératrice  Adélaïde, 
s'introduisit  à  la  cour  de  Louis  d*Outremer,  de  Lothaire, 
et  de  son  fils  Louis  V,  l'influence  allemande,  qui  fut 
tantôt  favorable,  tantôt  funeste  à  la  dynastie  carolingienne. 
Avec  Adélaïde,  fille  de  Guillaume  d'Aquitaine,  avec  Cons- 
tance surtout,  fille  de  Guillaume  d'Arles*,  l'influence  méri- 

^  Confirmation  par  Philippe  I*'  et  Anne  d'un  diplôme  de  Henri  I«: 
«<  Post  mortem  autem  Henrici  régis,  secundo  anno  regni  sui.  Phi- 
lippus  rex  cum  regina  matre  siia..,  manu  propria  ûrmavit  »  (1062,  H. 
F.  XI,  60 i  A)  —  Contin.  de  Hermann  Contractus  :  (c  Henricus  Gallla- 
rum  rcx  obilt,  et  filius  ejus  adhuc  puer  regnum  cum mafre  gubeman» 
dum  suscepit  »  (H.  F.  XI,  22  B).  Charte  de  i^évôque  de  Chartres 
Agobert  (i060)  :  c(  Ob  nostrœ...  seu  clericorum  quorum  concilie  et 
voluntate  id  fecimus,  necnon  etiam  dominorum  nostrorum  piissimomm 
regum  Phillippi  scilicet  et  matris  ejus  Agnetis  animorum  redemp- 
tionem  »  (CarttiL  Blésois,  n.  36,  p.  47). 

^  Avant  comme  après  la  mort,  en  1074,  de  son  second  mari  Raoul 
de  Valois.  M.  Caix  de  Saint-Aymour  a  avancé  par  erreur  {Anne  de 
Russie,  Paris,  1800,  p.  61)  qu'elle  avait  cessé  désormais  de  porter  le 
titre  de  reine.  —  Son  mariage  est  de  1062  ou  1063,  or  deux  diplômes 
au  moins,  postérieurs  k  ces  dates,  portent  le  signum  :  Anna  regina 
{Recueil  des  chartes  de  Saint-Benoit,  éd.  Prou  et  Vîdier,  n.  75, 
p.  i97f  n,  77,  p.  202).  Une  constatation  analogue  peut  se  faire  au 
XII''  siècle  pour  la  veuve  remariée  de  Louis  VI  (Diplôme  de  1143. 
Luchaire,  I,  p.  150,  note  3). 

'^  Grâce  aux  belles  recherches  de  M.  Pflster,  nous  voyons  dair 
enfîn  dans  cette  généalogie  jusque-là  si  obscure»  et  Thistoire  du  droit 
public  peut  s*en  féliciter.  Le  mariage  de  Robert  II  fut  comme   un 


LES   «  COMPAONORS  EN  LA  MAJESTE  ROYALE  ».      411 

dioDale  pénétra  dans  la  France  de  Hagues  Capet  et  de 
Robert*. 

Dans  Tensemble,  et  sur  les  douze  reines  qui  ont  vraiment 
occupé  le  trône  de  France,  aux  x*  et  xi'  siècles  %  il  s*en  ren- 
contre huit  au  moins  qui  ontjouid'une  très  grande  influence 
politique  ou  joué  un  grand  rôle  '.  Plusieurs,  telles  que  Ger- 
berge,  Constance,  et  Bertrade,  tiennent  même  une  place 
prépondérante.  On  s'est  demandé,  il  est  vrai,  si  Bertrade 
mérite  dans  Thistoire  la  qualité  de  reine  légitime.  A  mes 
yeux,  la  réponse  n'est  pas  douteuse,  dés  que  l'on  interroge 
les  monuments  à  la  lumière  du  droit*.  L'Église  elle-même 

pont  jeté  entre  la  dynastie  de  Cbarlemagne  et  celle  de  Hugues  Capet, 
en  même  temps  qu'il  rapprocha  du  trône  la  maison  d'Anjou. 

La  mère  de  Constance,  Adélaïde,  était  fille  du  comte  d*Anjou, 
Foulque  Je  Bon,  et  elle  avait  été  mariée  en  982  avec  Louis  V,  alors 
roi  désigné.  C'est  abandonnée  par  lui  qu'elle  se  remaria  avec  Guil- 
laume d'Arles  dont  elle  eut  pour  fille  Constance.  Celle-ci  était  donc 
presque  de  sang  royal,  puisque  sa  mère  avait  été  jadis  couronnée  et 
sacrée  reine  (Voyez  Lot,  Les  derniers  CaroL,  p.  127,  note  2)  et,  Tima- 
gination  populaire  aidant,  des  légendes  naquirent  qui  firent  d'eOe  la 
propre  fille  de  Louis  V  et  Théritière  du  regnum  Francorum^  apporté 
par  eUe  en  dot  aux  Capétiens  (Voyez  Pfister,  Robert  le  Pieux^  p.  62 
et  suiv.). 

*  Voyez  surtout  le  passage  célèbre  de  Raoul  Qlaber,  III,  40,  p.  89. 

^  La  femme  dé  Robert  I,  Béatrice  de  Vermandois,  et  la  première 
fenmie  de  Robert  II,  Rozala,  veuve  d'Amoul  de  Flandre,  n*ont  fiBdt 
que  passer  sur  le  trône.  Adélaïde,  mère  de  Constance,  n*a  été  que 
reine  désignée. 

3  Emma,  femme  de  Raoul;  Gferberge,  femme  de  Louis  IV;  Emma, 
femme  de  Lotbaire;  Adélaïde,  femme  de  Hugues  Capet;  Berthe,  femme 
de  Robert  II;  Constance,  femme  de  Robert;  Anne  de  Russie,  femme 
de  Henri  I";  Bertrade,  femme  de  Philippe  I*'. 

^  La  question  mérite  d'être  élucidée  à  un  double  point  de  vue  :  l'ac- 
cusation de  bigamie  et  d'inceste,  la  décision  finale  de  l'Église. 

Non  seulement  les  fauteurs  contemporains  de  la  papauté  mais  la 
plupart  des  historiens  postérieurs  se  sont  étendus  avec  complaisance 
sur  l'odieux  d'une  union  entachée  de  vices  si  multiples  et  si  graves, 
sans  approfondir  suffisamment  leur  réalité  juridique  (Voy.  «tç^rd, 
p.  309). 

Philippe  î"  était  marié,  disent-ils,  avec  Berthe  de  Frise,  Bertrade 


412  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   V. 

finit  par  admettre,  depuis  1104  au  moins,  la  validité  de  son 
mariage  avec  Philippe  I"'. 

avec  Foulque  le  Rechin  d'Anjou,  la  bigamie  de  pari  et  d*autre 
(éclate  donc  aux  yeux.  Sans  doute,  mais  pour  autant  que  les  deux 
mariages  antécédents  étaient  valables  et  duraient.  Or  la  parenté  de 
F^hilippe  avec  Berthe  de  Frise  ne  paraît  pas  contestable  (Blondel,  De 
formulœ  régnante  Christo  usuj  p.  28),  et  le  mariage  aurait  par 
suite  dû  être  annulé  par  le  pape.  Et  puis,  Berthe  mourut  en  1094; 
donc  Philippe  I"  devenait  libre.  —  Pour  Tunion  de  Bertrade  et  de 
Foulque,  il  y  a  mieux.  Foulque  avait  épousé  et  abandonné  successive- 
ment, «  comme  de  viles  courtisanes  »  (Orderic  Vital,  JII,  p.  386),  Hilde- 
garde  de  Beaugency  et  Ermengarde  de  Bourbon.  Il  n'y  avait  eu  au- 
cune annulation  régulière  du  double  lien  matrimonial  et  les  deux 
femmes  étaient  encore  en  vie  quand  Foulque  épousa  Bertrade  (Orderic 
Vital,  Illy  p.  322)  :  «  viventibus  adhuc  duabus  uxoribus  tertiam  des- 
ponsavit  ».  Ce  mariage  était  donc  entaché  d'une  nullité  évidente.  Ives 
de  Chartres  ne  blâme  le  roi  que  d'avoir  renvoyé  Berthe,  sans  forme 
légale,  inordinate.  Il  appelle  Bertrade  «  prétendue  épouse  ou  concubine 
de  Foulque  »  n  dicta  conjux  comitis  AndegavensU^  conjtusvel  pellex  » 
(H.  F.  XV,  74  A,  79  C). 

Restait  donc  seul  debout  l'empêchement  pour  parenté  ou  alliance. 
Entre  Bertrade  et  Philippe,  nulle  parenté;  mais  Philippe  et  Foulque 
d'Anjou  étaient  parents  au  degré  prohibé,  et  cette  prohibition  se 
serait  étendue  de  Foulque  à  sa  fenmie  Bertrade.  Je  reconnais  qu'il 
n'était  pas  nécessaire  pour  cela  que  le  mariage  de  Foulque  et  de  Ber- 
trade fût  valable,  puisque  rt7/tct^a  copula  suffisait  pour  créer  une  affi- 
nité spéciale,  faisant  obstacle  au  mariage  (Esmein,  Le  mariage  en  droit 
canonique,  Paris,  1891,  I,  p.  377-8).  Mais  observez  à  quel  étrange 
empêchement  de  mariage  se  ramène  en  dernière  analyse  ce  qu'on  i 
flétri  conmie  une  double  bigamie  et  un  inceste.  De  bigamie  il  n'y 
en  a  plus  après  1094,  et  avant  cette  date  Philippe  était  de  bonne 
foi  s'il  croyait,  comme  il  l'affirmait  à  Ives  de  Chartres,  que  son  ma- 
riage avec  Berthe  avait  été  annulé  par  une  décision  du  pape  et  des 
évêques  :  «  Nuper  cum  a  domino  nostro  rege  fuissem  invitatus  ad 
coUoquium...  testatus  est  pleniter  diffinitam  esse  (causam  inter  ipsum 
et  uxorem  ejus)  apostolica  auctoritate,  et  vestra  vestrorumque  cœpis- 
coporum  laudatione  »  (H.  F.,  XV,  73-74).  Quant  à  l'inceste,  il  se 
réduisait  au  fait  d'épouser  une  femme  qui  avait  vécu  dans  un  com- 
merce irrégulier  avec  un  parent  éloigné  du  roi! 

*  Après  de  nombreux  conciles,  des  excommunications  réitérées 
suivies  d'une  tolérance  évidente  {suprà,  p.  313-315),  la  majorité  du 
concile  de  Beaugency,  en  juillet  1104,  fut  d'avis  de  se  contenter  d'une 


LES   «  COMPAGNONS  EN   LA   MAJESTÉ   ROYALE  ».         413 


§  2.  —  La  pairie  princière. 

Au  milieu  du  ix'  siècle,  Tautorité  royale  s'était  trouvée 
impuissante,  dans  les  mains  des  descendants  de  Charle- 
magne,  à  sauvegarder  Tunité  de  la  couronne  et  à  assurer 
la  paix  du  royaume.  L'Église  s'efiForça  de  lui  venir  en  aide 
par  le  régime  de  la  concorde  ou  de  la  fraternité.  Pour 
mettre  fm  aux  luttes  intestines  des  rois,  aux  spoliations  des 
grands,  aux  extorsions  des  fonctionnaires,  aux  violences 

séparation  de  fait  des  époux  jusqu'à  dispense  régulière  et  définitive 
du  pape.  Une  telle  dispense,  écrivait  Ives  de  Chartes  à  Pascal  II, 
n'a  jamais  déplu  aux  gens  sages  «  dispensationis  autem  modus  nuUi 
unquam  sapientium  displicuit  »  (H.  F.,  XV,  p.  129  C).  Quelques  mois 
plus  tard  (!•'  décembre  1104)  Tabsolution  est  prononcée  au  concile 
de  Paris,  moyennant  serment  des  deux  époux  de  cesser  toute  rela- 
tion charnelle  (carnalis  et  illicitœ  copulas  peccatum  abjurare,  H. 
F.,  XV,  197  D).  Ce  serment  excluait-il  la  vie  commune  et  signifiait-il 
que  le  mariage  était  annulé  ?  En  nulle  façon.  Il  équivalait  à  un  vœu 
de  chasteté  (consuetudinem  carnalis  et  illicitœ  copulœ,  quam  hacte- 
nus  cum  Bertrada  exercui,  ullerius  non  exercebo)  (H.  F.,  XV, 
197-198),  et  rabsolution  accordée  en  échange  était  une  dispense  tacite. 
Il  importe  en  effet  de  ne  point  se  laisser  tromper  aux  mots.  On  n'a 
cessé  de  parler  du  divorce  (annulation  de  mariage)  prononcé  par  le 
concile  de  Paris.  Il  y  a  eu  divorce ^  sans  doute,  mais  divorce  partiel, 
ce  que  plus  tard  les  canonistes  appelèrent  divortium  quoad  torum 
et  ce  qui  ne  correspond. pas  même  à  notre  séparation  de  corps,  puisque 
la  séparation  des  demeures  [divortium  quoad  habitationem)  n'en  ré- 
sultait pas  (Cf.  Esmein,  op.  ciY.,  p.  85-86,  88). 

Cette  interprétation  que  je  donne  de  la  décision  du  concile  de  Paris 
est  pleinement  justifiée  par  les  faits  et  par  les  actes  ;  non  seulement  la 
vie  commune  n'a  pas  cessé  entre  Philippe  I"  et  Bertrade,  sans  qu'aucun 
reproche  leur  en  ait  été  adressé  (H.  F.,  XVI,  p.  xcix-c),  mais  le  pape 
Calixte  II,  en  confirmant  plus  tard  une  charte  de  Fontevrault,  s'est 
basé  sur  la  constitution  de  dot  consentie  par  Philippe  à  Bertrade 
(locum...  ex  dono  predicti  (Lodovici)  régis  et  Bertreae,  noverc»  ejus, 
de  cujus  dote  erat,  et  ea  quoe  Philippus  rex  apud  Turonem  dederat  ei 
in  dote  »  (15  septembre  1119),  (U.  Robert,  Bullaire  de  Calixte  II, 
n°  61,  I,  p.  89).  Puisque  cette  constitution  de  dot  était  valable,  aux 
yeux  du  pape,  le  mariage  l'était  également. 


414  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   V. 

déchaînées  de  tous,  elle  voulut  restaurer  l'harnionie  so- 
ciale, fonderune  ligue  du  bien  public  sur  Tassise  de  la  charité 
et  de  lafrateruité  chrétiennes.  Que  tous  soient  un  en  Christ*, 
que  tous,  grands  et  petits,  s'assistent  en  frères  *.  Ainsi  l'or- 
donne l'Église',  ainsi  l'exige  le  pacte  que  Dieu  lui-même 
a  conclu  avec  les  rois  et  qui  leur  garantit  sa  protection 
s'ils  observent  la  paix  *. 

La  fraternité  chrétienne  renforça  de  la  sorte  le  compa- 
gnonnage germanique*,  chefs  et  fidèles  devinrent  co- 
Sdèles  de  Dieu*.  En  même  temps,  par  l'affaiblissement  da 
pouvoir  royal  et  les  progrès  de  l'état  anarchique,  la  pairie 
passa  au  premier  plan.  Elle  prévalut  entre  le  chef  et  ses 
fidèles,  aussi  bien  qu'entre  les  fidèles  d'un  même  chef.  Elle 
prévalut  dans  les  rapports  de  la  royauté  avec  les  princes  de 
la  Gaule. 

Le  régime  de  la  concorde  n'avait  pu  sauver  TÉtat  franc. 

*  «  Volumus  vos  cerlos  reddere  denoslra  conjunctione...  Gonjungere 
nos  volumus  ut  unum  simus  in  Christo  et  vos  unum  sitis  nobiscum  » 
{Conv.  Leodii  habitus  (854),  Capit.  II,  p.  77). 

2  Voy.  les  textes  que  j'ai  cités  T.  I,  p.  231  et  suiv. 

3  11  n'est  pas  douteux  que  le  régime  de  la  concorde  ait  été  princi- 
palement Tœuvre  des  (^vèques. 

*  Le  chorévêque  Audrade,  dans  le  singulier  traité  qu'il  a  écrit  vers 
853,  sous  le  titre  de  liber  revelationam^  suppose  que  Dieu  a  fait  un 
pacte  avec  Charles  le  Chauve,  Louis  le  Germanique  et  Louis  II  :«  Ve- 
niant  igitur  ante  me  et  inibo  fœdus  cum  eis  quod  non  liceat  ^^olari... 
Et  inter  vos  très  pax  perpétua  in  bis  verbis  et  in  hoc  pacto  maneat. 
Et  ob  hoc  quod  mihi  in  hune  modum  servieritis,  do  tibi  Karole,  etc.  » 
(Duchesne,  II,  p.  391  A-B;  Duru  Bibl  hist  de  VYonne,l,  p.  251). 

*  «  Ut  sic  simul  conjuncti  et  nos  fratres  ad  invicem  et  nos  cumfide- 
libus  nostris  et  fidèles  nostri  nobiscum  et  omnes  simul  cum  Dec  nos 
reconjungamus  »  [Conv.  apud  Marsn.^  II  (851)  c.  7,  Capit.  II,  p.  73). 

6  «  Et  si  aliquis  audierit  quod  pari  suo,  fideli  nostro,  nécessitas  eve- 
nerit...  statim  sit  prœparatus,  sicut  Dei  fidelis  et  noster,  ad  suum  pa- 
rera in  noslra  fidelitate  adjuvandum  »  {Cap,  Tusiac.  (865)  c.  1,  II, 
p.  330)  —  «  Ut  recordemini  Dei  et  vestrœ  christianitatis...  et  non  vos 
dissocietis  ab  unitate  et  unanimitate  fîdelium  Dei,  sed  acceleretis 
prœsentialiter  vos  illi  adunare  et  conjugere  aliis  Dei  suisque  fideli- 
bus  »  {Missat.  per  Adalard.  856,  c.  3,  Capit.  II,  p.  284). 


LES    «   COMPAGNONS  BN  LA   MAJESTE   ROYALE.    »       415 

Il  dégénéra,  selon  l'expression  de  Richer,  en  un  régime  de 
discorde  universelle*.  A  défaut  de  l'unité  de  la  couronne, 
que  les  pactes  familiaux  furent  impuissants  à  préserver, 
le  roi  de  la  France  occidentale  dut  cimenter  par  des  traités 
d'alliance,  des  fœdera^  Tautorité  qu'il  revendiquait  sur 
les  chefs  des  grandes  régions  de  la  Gaule.  Elle  s'assi- 
mila ainsi  de  plus  en  plus  à  l'ancienne  suprématie  de  l'em- 
pereur des  Francs  sur  les  rois  en  sous-ordre  '. 

Les  principes  Galliarum,  dont  le  dux  Francorum 
tenait  la  tôle,  devinrent  les  pairs  du  rex  Francorum, 
les  pares  Francorum  ^  Le  mot  de  pares  leur  convenait, 
avec  la  multiplicité  de  ses  acceptions  :  cocontractant*, 
compagnon  de  guerre",  seigneur*,  parent'.  N'étaient- 
ils  pas  liés  par  un  pacte  exprès  ou  tacite  à  une  fidélité  ré- 

*  «Omnium  concordia in  5wm?nam  discordiam  relapsa  est  »  (Richer, 
1,4). 

*  Suprày  p.  171  suiv, 

'  L'expression  se  trouve  dans  la  chronique  de  sainte  Colombe,  ad 
an.  939  (Duru,  I,  p.  205)  ;  «  Arma  rebellionis  Francorum  pa^^es 
contra  Hludovicum  regem  sumentes  ». 

*  Formule  de  recommandation  {Form.  Turonenses,  n.  43,  éd.  Zeu- 
mer,  p.  158)  :  «  Si  un  us  ex  nobis  de  his  convenentiis  se  emutare 
voluerit,  solidos  tantos  pari  suo  componat,  et  ipsaconvenentia  fîrma 
permaneat  >>.  C'est  une  acception  très  fréquente  :  voyez  le  Gloss.  de 
Zeumer,  p.  765. 

*  «  Unusquisque  episcopus...  suos  homines  illuc  transmiserit  cum 
guntfanonario,  qui  de  suis  paribus  cum  missis  nostris  rationem  ha- 
beat  ».  {Capit,  Tusiac,  865,  c.  13,  II,  p.  331). 

«  «  Es  vos  Kallon  a  toi  quarante  père  ». 

(Ogier,  V.  1389). 

«  ...  de  MonfriQ  justise  tos  les  pers  ». 

{Ibid.,  V.  2398 . 

«  À  roi,  a  duc  ou  a  pers  ». 

(Girard  de  Viane,  p.  37). 

■^  Partage  d'une  succession,  Marculf,  II,  14  :  «  inférât  pare  suo.  » 

—  Formul.  Bign.  19  :  «  Contra  pare  suo  »,  (éd.  Zeumer,  p.   84). 

—  Constitution  de  dot  :  «  Dum  taliter  apud  pares  vel  parentibus  nos- 
tris utrisque  partibus  complacuit  »  {FormuL  salicx^  7,  éd.  Zeumer, 
p.  271). 


416  LIVRE  IV.    —   CHAPITRE   V. 

ciproque,  égaux  en  puissance,  parents  par  le  sang  ou  alliés 
par  mariage,  quasi-parents  comme  participants  du  souve- 
rain pouvoir*? 

A  nul  moment  peut-être  la  pairie  princière  ne  se  profile 
avec  plus  de  netteté  et  de  vigueur  qu'à  l'heure  crépusca- 
laire  où  la  dynastie  carolingienne  va  céder  la  place  à  une 
dynastie  nouvelle.  Lothaire  vient  de  mourir.  Son  fils, 
Louis  V,  a  été  installé  sur  le  trône  par  le  duc  des  Francs  et 
les  autres  principes^.  Dans  le  discours  que  Richer  prête  ao 
jeune  roi  et  qui,  vrai  ou  fictif,  est  certainement  un  reflet 
exact  de  l'état  politique  du  royaume,  c*est  au  duc  seul 
et  à  un  très  petit  nombre  «  aliosque  quam  paucos  '  )>  qoe 
Louis  s'adresse  :  «  Vous  devez  être  pour  moi,  dit-il,  — mon 
père  m'en  a  instruit  —  des  alliés,  des  parents  ou  amis. 
Dans  l'accord  de  nos  volontés  réside  le  gouvernement  du 
royaume  *.  » 

Le  théoricien  de  la  royauté  capétienne  naissante  ne  tient 
pas  un  autre  langage  :  «  Le  roi,  dit  Abbon,  ne  peut 
gouverner  qu'avec  le  concours  et  l'accord  des  évêques  et 
des  grands  du  royaume,  primores  regni  *.  »  «  Ce  serait 
un  abus  du  pouvoir  royal,  déclare  Hugues  Capet  lui-même, 
de  ne  pas  faire  dépendre  la  gestion  des  affaires  publiques 

*  Loco  affinium  vel  cognatorum  (Voyez  la  note  4).  —  Ordo  parenr 
tum  pour  désigner  l'assemblée  des  proceres  regni  (Poème  d'Adalbëron, 
V.  370,  éd.  Huckel). 

'^  «  Sepulto  Lothario,  Ludovicus  filius  a  duce  aiiisque  principibus 
in  regnum  subrogatur  ».  (Richer,  IV,  1). 

3  «  Apud  quem  (ducem)  aliosque  quam  paucos...  sic  conquestus 
est  »  (Richer,  IV,  2). 

*  «  Paler  meus...  mihi  prœcepit,  ut  vestro  consilio,  vestra  dispot^ 
tioncy  regni  procurationem  haberem;  vos  etiam  hco  affinium^  lo^ 
amicorum  (toxte  primitif  :  cognatorum),  ducerem,  nihilque  prœcip^^ 
pneter  vestram  scientiam  adorirer...  In  vobis  enun  meum  consilii*^ 
animum,  fortunas  sitos  esse  voluit  »  (Richer,  IV,  2). 

5  w  Gum  régis  ministerium  sit  totius  regni  penitus  negotia  dl^^^' 
tere,  ne  quiJ  in  eis  lateat  injustitiœ  ;  quomodo  ad  tanta  pot^"^ 
subsistere,  nisi  annuentibus  episcopis  et  primoribus  regni  »  (H*  ^' 
X,  627  EJ. 


LBS   «    COMPAGNONS   EN   LA  MAJESTÉ  ROYALE    ».       417 

de  la  volonté  des  fidèles  *.  »  Et,  en  effet,  sitôt  que  par  son 
couronnement  il  est  devenu  le  roi  des  «  Gaulois,  Bretons, 
Normands,  Aquitains,  Goths,  Espagnols  »,  c'est,  ap- 
puyé sur  les  regnorum  principes  et  avec  eux,  que  Richer 
nous  le  montre,  réglant,  ordonnant  et  disposant  *. 

L'égalité  entre  les  princes  de  la  Gaule  et  le  roi  des 
Francs  s'était  accrue  par  Tavènement  des  Capétiens  :  telle 
est  la  pari  de  vérité  que  recèle  l'ancienne  théorie  d'une 
révolution  oligarchique.  Jusque-là  les  princes  de  la  Gaule, 
tout  en  étant  des  pairs  du  roi,  avaient  été  dominés  par  sa 
double  prééminence  de  chef  de  la  famille  carolingienne, 
et  de  chef  de  la  nation  franque.  Seule,  cette  dernière  qua- 
lité put  être  retenue  par  le  duxFrancorum  devenu  roi  des 
Francs.  Les  autres  chefs  ethniques  sont  comme  lui  chefs 
d'État,  et  comme  lui,  à  ce  titre,  sacrés  par  TÉglise.  Ce 
n'est  qu'à  la  longue  que  put  se  reconstituer  une  primauté 
héréditaire  de  la  famille  capétienne. 

La  pairie  ne  repose  pas  seulement  sur  un  principe 
d'égalité,  elle  comporte  aussi  un  lien  d'association  ou 
de  fidélité  mutuelle.  Le  premier  devait,  en  s'exagérant, 
emporter  l'autre.  L'égalité  de  puissance  et  de  rang  poussée 
à  l'extrême  conduisait  à  l'indépendance,  par  la  rupture 
du  lien  de  fidélité,  ou  tout  au  moins  relâchait  à  tel  point 
ce  lien  que  la  hiérarchie  faisait  place  à  la  rivalité  poli- 
tique ^  La  pairie  princière  cessa  alors  d'être  une  insti- 
tution politique  fixe  et  régulière  pour  n'être  plus,  au  point 

*  «  Regali  potentia  in  nullo  abuti  volentes,  omnia  negotia  rei 
publicœ  in  consultatione  et  sententia  fîdelium  nostrorum  dispo- 
nimus  »  (Lettre  de  Gerbert  ex  persona  régis  (987)  éd.  Havet, 
p.  98). 

*  «  Stipatus  itaque  regnorum principibus,  moreregio  décréta  fecit, 
legesque  condidit,  felici  successu  omnia  ordinans,  atque  distribuens  » 
(Richer,  IV,  12). 

^'  «  Cam  regnorum  principes  nimia  rerum  cupidine  sese  praîire 
contenderenl,  quisque  ut  poterat  rem  dilatabat  :  nemo  régis  provec- 
tum,  nemo  regni  tutelam  quaerebat  ;  aliéna  adquirere  summum 
cuique  erat  »  (Richer,  I,  4). 

F.  —Tome  III.  27 


418  LIVRE   IV.  —   CHAPITRB   V. 

de  vue  royal,  qu'un  état  précaire  et  instable,  dépendant 
de  circonstances  de  fait  ou  de  traités  particuliers.  Par 
la'  fidélité  qu'ils  devaient  au  roi,  les  principes  de  la  Gaule 
étaient  tenus  de  se  rendre  à  sa  cour  pour  traiter  des  affaires 
publiques  et  vider  les  litiges  :  désormais  c'est  pour  eux 
moins  un  devoir  qu'un  droit.  Le  roi  ne  peut  les  y  astrein- 
dre ;  il  ne  peut  compter  vraiment,  pour  recruter  sa  cour  et 
l'aider  à  gouverner,  que  sur  ses  vassaux  propres  ou  sur 
ceux  d'entre  les  principes  qui  se  trouvent  vis-à-vis  de  lui 
dans  une  situation  exceptionnelle.  Nous  verrons  notam- 
ment, du  x'  au  XI*  siècle,  la  France  s'entourer  d'une  cein- 
ture de  seigneuries  ecclésiastiques  :  Reims,  Noyon  et 
Tournai,  Laon,  Beauvais,  Châlons,  auxquels  on  peut  ad- 
joindre Amiens  oùl'évôque  était  au  moins  copartageant  du 
comtat.  Leurs  chefs,  à  la  différence  des  vassaux,  ne  de- 
vaient pas  l'hommage  ;  à  la  différence  des  évèques  ordi- 
naires, ils  commandaient  en  qualité  de  comtes.  La  royauté 
leur  réservait  une  place  permanente  dans  son  palais.  L'ar- 
chevêque de  Reims  était  grand  chancelier  {summus  can- 
cellarius)\  Tévêque  d'Amiens  est  appelé  palatintis  par 
Richer  *,  et  le  titre  de  comte  palatin  est  donné  encore  au 
xiu'  siècle  à  l'évêque  de  Noyon  '. 

11  y  avait  pour  le  roi  un  intérêt  non  moins  manifeste 
à  resserrer  le  lien  souvent  fort  lâche  qui  unissait  à  la  cou- 
ronne les  chefs  de  régions  frontières,  tels  que  les  comtes 
de  Toulouse,  de  Flandre,  de  Champagne.  J'estime  que 
c'est  pour  continuer  à  en  faire,  théoriquement  au  moins, 
des  représentants  du  roi  et  essayer  de  les  retenir  dans  la 
dépendance  de  la  Francie  que  nous  les  voyons  revêtus 
d'une  façon  si  régulière  de  la  dignité  de  comte  du  palais. 

Si  cette  dignité  ne  saurait  être  regardée,  à  mon  sens, 

»  Voy.  infrà,  chap.  VI,  §  I,  V. 

^  (c  Ambianensium  episcopus,  Deroldus,  ...  vir  spectabilis  ac  pala- 
tinus,  et  quondam  et  régi  admodum  dilectus  »  (Richer,  II,  59). 

3  Mathieu  Paris,  ad.  an.  12i9  :  «  cornes  palatinus  et  unus  de  X[I 
paribus  Francitc  •>. 


LES    «  COMPAGNONS  EN   LA   MAJESTE  ROYALE  ».       419 

comme  une  source  de  la  «  pairie  de  France  »  des  temps 
postérieurs,  il  ne  me  paraît  pas  moins  certain  qu'elle  a 
consolidé  et  coordonné  les  rapports  de  la  royauté  avec  la 
pairie  princière,  d'où  finalement,  nous  allons  le  voir,  la 
cour  des  pairs  a  pris  sa  source. 

§  3.  —  Le  problème  de  T  origine  des  pairs  de  France. 

La  question  de  l'origine  des  pairs  de  France,  a  écrit 
M.  Luchaire  \  est  une  des  plus  obscures  et  des  plus  difficiles 
à  résoudre  que  présente  l'histoire  des  Capétiens?  Obscu- 
rité et  difficulté  ne  tiendraient-elles  pa^à  la  divergence  des 
angles  sous  lesquels  le  problème  a  été  envisagé? 

Demandez-vous  quand  et  dans  quelles  circonstances  on 
voit  apparaître  les  pairs  du  roi,  la  réponse  est  claire,  nous 
sommes  reportés  en  arrière  jusqu'au  début  de  la  monar- 
chie. Sous  la  première  race,  non  seulement  les  parents  du 
roi  étaient  ses  pairs^  mais  tous  les  Francs  pouvaient  passer 
pour  tels,  par  cela  seul  qu'ils  étaient  ses  fidèles  *.  Sous  les 

*  Luchaire,  I,  p.  305-6. 

'  Cest  le  point  de  vue  historique  où  se  sont  placés  les  commissaires 
nommés  en  1764(3  mars)  parle  Parlement  de  Paris,  pour  rechercher 
l'origine  et  Tessence  des  droits  de  la  pairie  :  «  La  pairie,  disent-ils, 
est  un  droit  politique  inhérent  à  la  constitution  de  la  monarchie  né 
avec  elle,,.  Ce  droit  national  et  commun  autrefois  à  tous  les  Francs, 
aujourd'hui  spécialement  affecté  aux  princes  en  vertu  de  leur  naissance, 
aux  pairs  en  vertu  de  Toffice  que  le  souverain  leur  a  conféré  et  de  la 
glèbe  qu'il  leur  a  inféodée,  leur  impose  l'obligation  de  conseiller  le 
roi,  etc.  »  —  Je  ne  crois  pas  que  ce  «  résultat  du  travail  des  commissai- 
res »  ail  été  publié.  Je  le  cite  d'après  un  MS  du  xvni*  siècle,  de  ma 
bibliothèque.  Il  a  été,  le  29  mai  1764,  approuvé  par  le  Parlement  qui, 
toutes  chambres  assemblées,  les  princes  et  les  pairs  y  séant,  a  décidé 
que  «  conformément  aux  principes  et  aux  faits  rassemblés  dans  led. 
Résultat...  lad.  Cour  continuera  de  garder...  le  principe  lié  à  la  consti- 
tution fondamentale  de  l'Etat  d'être  lad.  Cour  essentiellement  et  uni- 
quement la  Cour  des  Pairs,  et  en  conséquence  de  connoître  seule  et 
exclusivement  de  tout  ce  qui  concerne  le  droit  de  la  Pairie,  i'^tat, 
l'honneur,  la  dignité  et  la  personne  des  Pairs.  >> 


420  UVRE   IV.   —   CHAPITRE   V. 

Carolingiens,,  tous  les  historiens  ont  admis  que  la  pairie 
vassalique  avait  pris  une  place  prépondérante  et  autour  du 
roi  et  autour  des  seigneurs. 

Demandez-vous  si  dès  la  même  époque  une  sélectionne 
s'est  pas  faite  parmi  les  pairs,  les  Gdèles?  Rien  n*est  plus 
certain  encore.  Le  roi  a  sa  cour  particulière,  ses  domeslici, 
chaque  seigneur  sa  maisnie  :  à  leur  tète  sont  les  pairs,  les 
compagnons  par  excellence,  ceux  dont,  à  Timage  des  douze 
apôtres,  et  par  des  survivances  mythiques,  on  fixe  le  nom- 
bre à  douze,  non  seulement  pour  Charlemagnè  mais  pour 
de  bien  moindres  personnages.  De  plus  avons-nous  vu  à 
quelle  hauteur  la  pairie  princière  atteint  au  x*  siècle. 

Mais  si  vous  voulez  savoir  quand  et  comment  est  née  la 
pairie  de  France^  le  collège  de  six  pairs  laïques  et  de  six 
pairs  ecclésiastiques,  la  réponse  échappe.  Au  fond  le  pro- 
blème se  ramène  donc  à  ces  termes  :  à  quelle  époque  et 
pourquoi  la  pairie  du  roi  s'est-elle  concentrée^  restreinte^ 
en  un  nombre  fixe  de  douze  dignitaires  ecclésiastiques  et 
laïques,  et  a-t-elle  été  attachée,  incorporée  à  telles  prin- 
cipautés, seigneuries  ou  fonctions  ? 

Ce  problème^  la  plupart  des  historiens  modernes  ont  re- 
noncé à  en  chercher  la  solution  dans  une  évolution  insen- 
sible, allant  du  roi  Eudes  à  Philippe-Auguste.  Ils  n'ont  pas 
admis  que  la  cour  des  pairs  fût  le  résultat  d'une  transforma- 
tion organique  ;  ils  y  ont  vu  de  préférence  une  création  arti- 
ficielle des  rois  du  xii*  ou  du  xiii'  siècle.  Ils  se  sont  conten- 
tés dès  lors  de  s'enquérir  à  quel  moment  précis,  dans  quelle 
conjoncture,  cette  création  a  eu  lieu,  soit  lors  de  la  condam- 
nation de  Jean  sans  Terre*,  soit  avant,  soit  après.  D'autres 
pourtant  ont  eu  le  mérite  de  pousser  leurs  investigations 

*  Cette  opinion,  qui  paraissait  abandonnée  et  que  M.  Langlols  {Les 
origines  du  Parlement  de  Paris^  R.  histor.,  t.  42  (1890),  p.  85),  appe- 
lait l'ancienne  doctrine,  a  été  reprise  par  M.  Guilhiermoz  avec  des 
arguments  plus  nombreux  que  topiques  (Les  deux  condamnations  de 
Jean  sans  Terre^  et  l'origine  des  Pairs  de  France,  Bibl.  Ec.  des  CharteS| 
1899,  surtout  p.  66  suiv.). 


LES   «  COMPAGNONS   EN   LA   MAJESTÉ   ROYALE  ».      421 

plus  loin.  Dora  Brial  avait  essayé  de  le  faire  avec  une  cer- 
taine ampleur  .  Tout  récemment*  un  jeune  érudit  de  grand 
talent,  M.  de  Manteyer,  Ta  tenté  '.  J'estime  que  c'est  la  vraie 

'  Recherches  sur  Vorigine  de  la  pairie  en  France  et  rétablissement 
des  douze  pairs,  H.  F.  XVII,  p.  xiv  suiv. 

2  Vorigine  des  XII  pairs  de  France  (Études  d'histoire  du  Moyen 
âge  dédiées  à  M,  G.  Monod,  Paris  1896,  p.  187-200)  —  M.  Lot,  dans 
ses  Quelques  mots  sur  l'origine  des  Pairs  de  France  (Revue  histori- 
que, t.  54,  (1894),  p.  34-57),  s'est  borné  h  déblayer  le  terrain;  il  n'a 
pas  conclu  et  semble  s*être  enfermé  volontairement  dans  une  im- 
passe, puisqu'après  avoir  reconnu  «  qu'au  Moyen  âge  toutes  nos  ins- 
titutions se  sont  développées  suivant  un  processus  lent  presque  in- 
sensible »  (p.  34),  il  déclare  ensuite  :  «  Il  ne  saurait  être  question 
d'une  cour  des  pairs,  d'une  institution  de  pairie  que  lorsque  dans  les 
textes  nous  rencontrerons  le  mot  Franciœ  joint  au  mot  pair,  ou  que 
nous  verrons  un  groupe  de  seigneurs  et  de  prélats  séparé  nettement 
des  autres  par  une  qualification  particulière.  «  Le  critérium  choisi  a 
été  d'autant  plus  malheureux  que  M.  Lot  citait,  comme  premier  do- 
cument où  la  qualification  de  par  Frandœ  se  rencontre,  la  lettre  d'un 
ancien  prieur  de  Grandmontà  Henri,  roi  d'Angleterre  (1171)  (H.  F., 
XVI,  473)  et  que  M.  Luchaire  a  prouvé,  séance  tenante,  (môme  t.  54 
de  la  Rev.  historique,  p.  382  suiv.)  la  fausseté  notoire  de  ce  docu- 
ment. 

M.  Langlois,  dans  son  excellent  article  sur  les  origines  du  Parle- 
ment de  Paris,  a  été  plus  conséquent.  Il  a  conclu  nettement  que  «  la 
curia  parlamenti  est  née  de  la  cuna  régis  par  un  processus  très  lent, 
mais  très  intelligible,  qui  s'est  continué  sans  secousse  du  xi«  au  xiv* 
siècle  »  (p.  114),  après  s'être  rallié  à  la  distinction,  que  j'ai  établie  (Li- 
vre II,  chap.  8, 1. 1,  p.  227  suiv.),  des  pairs  en  vassaux  et  en  fidèles  : 
M  Hugues,  comme  duc  de  France,  avait  des  vassaux  liés  à  sa  fa- 
mille par  le  serment  d'hommage  ;  devenu  roi  il  eut  pour  fidèles  tous 
les  grands  du  royaume  liés  à  la  couronne  par  le  serment  de  fidélité  » 
(p.  77)  —  «  Tous  ceux  qui  étaient  liés  à  la  couronne  par  la  fidélité 
simple  et  tous  ceux  qui  lui  étaient  attachés  par  le  lien  féodal  de  l'hom- 
mage étaient  obligés  juridiquement  de  comparaître  à  la  cour  du  roi, 
car  la  curia  régis  était  composée,  lors  des  grandes  assises,  des  princi- 
paux fidèles  et  des  principaux  vassaux  de  la  couronne  :  chacun  y 
rencontrait  des  pairs  »  (p.  83.  —  Adde,  p.  85,  etc.)  —  M.  Langlois 
avait  donc  en  mains  les  éléments  de  la  solution,  mais  comme  Tobjet 
de  son  travail  était  l'origine  du  parlement,  et  que  cette  origine  in- 
contestablement ne  se  limite  pas  kla pairie  prindère  il  n'a  pas  abordé 
de  front  le  problème  de  h  pairie  de  France. 


422  LIVRE   IV.  —  CHAPITRE   V. 

voie  et  que  si  elle  n'a  pas  conduit  directement  au  but,  la 
raison  principale  en  a  été  de  nouveau  le  préjugé  féodal, 
ridée  que  dès  le  xi*"  siècle  la  féodalité  était  souveraine 
maîtresse  en  France,  qu'elle  dominait  l'organisation  mo- 
narchique. 

Dora  Brial  a  fort  bien  aperçu  l'existence  aux  x*  et  xi' 
siècles  de  la  grande  pairie  {primates)  et  remarqué  que  le 
nombre  des  souverainetés  laïques  s'élevait  alors  à  six, 
en  dehors  de  laFrancie.  Mais  il  a  eu  le  tort  de  confondre 
les  grands  vassaux  et  les  grands  fidèles,  de  faire  des  uns 
et  des  autres  des  pairs  de  fief  :  «  Barons,  ducs,  comtes, 
et  marquis,  dit-il,  quoique  confondus  dans  la  dénomination 
générique  de  Primates  ont  rempli  au  sacre  de  nos  rois, 
comme  un  droit  ou  un  devoir  auquel  ils  étaient  tenus  à 
raison  de  leurs  fiefs^  des  fonctions  qui  caractérisent  la 
Pairie*  ».  De  là  l'objection  irréfutable  de  Beugnot.  Est-il 
admissible  «  qu'une  institution  purement  féodale  fût  créée 
en  opposition  aux  principes  les  plus  absolus  de  la  féoda- 
lité?^ »,  qu'elle  portât  une  double  atteinte  aux  droits  des 
vassaux  directs  de  la  couronne  :  l'exclusion  d'aussi  grands 
vassaux  que  les  comtes  de  Vermandois  et  d'Anjou,  et  la 
préférence  donnée  à  des  dignitaires  ecclésiastiques'. 

M.  de  Manteyer  a  rais  en  parfaite  lumière  d'une  part  la 
relation  entre  la  pairie  laïque  (princière)  et  l'existence  aux 
X*  et  xi'  siècles  de  six  grands  groupes  ethniques,  en  dehors 
de  la  Francie,  trois  duchés  et  trois  comtés-palatins  qui 

*  H.  F.  XVII,  p.  XIX. 

*  Les  Olim,  Préface,  1. 1,  (1839),  p.  xliu. 

3  «  Si,  pour  entrer  dans  la  cour  des  pairs,  il  suffisait  d'être  grand 
vassal  de  la  couronne  ou  de  ne  reconnaître  d'autre  seigneur  suzerain 
que  le  roi  de  France,  pourquoi  les  ducs  de  Bourgogne,  etc.,  y  furent* 
ils  seuls  admis,  quand  il  est  certain  que  d'autres  seigneurs,  tels  que 
les  comtes  de  Vermandois,  de  Mâcon,  du  Perche  et  d'Anjou  rele- 
vaient comme  eux  inunédiatement  de  la  couronne?  En  vertu  de  quel 
droit  introduisit-on  dans  cette  cour,  qui  était  une  institution  pure- 
ment civile  et  féodale,  un  nombre  égal  d'ecclésiastiques  ?»  (I6ûi^ 

p.  XLll-XLni). 


LES   (c    COMPAGNONS   EN   LA  MAJESTÉ  ROYALE  ».       423 

équivalaient  à  des  duchés*  (le  duché  de  Bourgogne,  d'A- 
quitaine, de  Normandie  et  Bretagne,  le  comté  de  Flandre, 
de  Troyes-Vermandois,  de  Toulouse),  d'autre  part  la  rela- 
tion entre  la  pairie  ecclésiastique  et  Texistence  des  six 
seigneuries  ecclésiastiques  formant  marches-frontières. 
Mais,  lui  aussi,  il  a  eu  le  tort  de  ne  voir  dans  la  pairie 
qu'une  organisation  féodale,  dans  les  pairs  que  des  feu- 
dataires  et  il  a  été  conduit  ainsi  jusqu'à  prétendre  qu'en  de- 
hors des  pairs,  le  roi  n'aurait  eu  de  vassaux  directs  que 
dans  le  courant  des  xi"  et  xii"  siècles?  C'est  trancher  le 
nœud  gordien  en  supprimant  arbitrairement  d'un  trait  de 
plume  la  catégorie  de  vassaux  que  visait  l'objection  de 
Beugnot.  Cette  objection  reste  donc  debout.  Elle  ne  peut 
être  écartée  que  si  l'on  distingue,  comme  je  l'ai  toujours 
fait",  entre  la  pairie  ordinaire,  vassalique  (pairie  de  fief),  et 
la  pairie  des  simples  fidèles,  à  la  tête  desquels  se  placent  à 
la  fois  les  princes  de  la  Gaule  et  les  seigneurs  ecclésias- 
tiques, qui  ne  doivent  pas  Thommage. 

Jouissant  du  prestige  de  chefs  d'État,  et  n'étant  que  de 
grands  fidèles,  les  pares  Francorum  prenaient  rang  aux 
côtés  des  princes  du  sang,  participaient  comme  eux  à  la 
souveraineté.  Les  membres  de  la  famille  royale  étaient  des 
pairs  ou  associés  naturels,  les  pares  du  rex  Francorum 
élaient  des  confédérés,  des  chefs  d'État  alliés^  reconnais- 
sant seulement  la  prééminence  de  l'un  d'eux. 

Tout  en  ne  formant  ni  un  corps  politique  ni  un  corps  ju- 
diciaire, ils  prenaient  part  à  la  gestion  des  afiaires  publi- 
ques. Sans  se  confondre  jamais  dans  les  rangs  des  vas- 

*  Je  diffère  de  sentiment  avec  M.  de  Manteyer  au  sujet  de  la  dignité 
de  comte  du  palais.  Il  y  voit  un  simple  office  de  protection  des  Francs 
isolés  ou  disséminés  dans  les  marches  frontières;  j'y  vois  un  moyen 
de  rattacher  ces  marches  plus  étroitement  à  la  Couronne,  en  y  éta- 
blissant un  représentant  du  rex  Francorum.  Mais  c'est  là  en  somme 
un  point  secondaire.  Dans  les  deux  opinions,  la  dignité  de  palatin 
rend  plus  effective  la  participation  à  la  souveraineté  royale,  et  c'est  là 
l'essentiel. 

2  Voyez  spécialement  T.  I,  p.  248  et  p.  252  suiv. 


424  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  V. 

saux,  ils  assistaient  le  roi,  s'ils  le  voulaient  bien,  dans 
l'exercice  du  pouvoir  judiciaire,  qu'il  s'agît  de  l'un  d'eux, 
ou  môme  d*un  vassal,  surtout  quand  ce  dernier,  à  raison 
de  sa  puissance,  ne  pouvait  que  difficilement  être  jugé  par 
des  pairs  de  fief. 

Ainsi  s'explique,  selon  moi,  la  lettre  si  controversée 
d'Eudes  de  Chartres  au  roi  Robert  (^023)*.  Pas  plus  que 
M.  Pfister',  je  ne  saurais  y  voir  un  simple  arbitrage  du 
duc  de  Normandie,  comme  l'ont  admis  MM.  d'Arbois  de 
JubainvilIe^  Luchaire*  et  récemment  M.  Lot'.  Voici  com- 
ment je  l'entends. 

Richard  II,  duc  de  Normandie,  a,  comme  fidèle  du  roi 
{tuusfidelis),  cité  Eudes,  son  beau-frère,  à  an  plaid  royal  : 
«  ad  justitiam  aut  concordiam  »  :  —  expressions  syno- 
nymes, puisque  tout  jugement  avait  besoin  d'être  accepté 
par  les  parties  et  constituait  un  accommodement,  une 
transaction  \  Eudes,  en  réponse,  remet  au  contraire 
{vero)  toute  son  affaire  aux  mains  mêmes  du  duc  de  Nor- 
mandie', c'est-à-dire  s'en  rapporte  à  la  décision  que  rendra 
un  plaid  présidé  par  Richard.  Il  fallait  pour  cela  le  consen- 
tement du  roi  :  il  le  donne,  et  Richard  assigne  Eudes  à  un 
plaid  {condictum  placttum).S{ir  ces  entrefaites  et  quand  le 
terme  fixé  approche,  le  roi  mande  à  Richard  qu'il  ne  pourra 
acquiescer  à  la  sentence  que  si  elle  proclame  l'indignité 
d'Eudes  à  tenir  aucun  bénéfice  de  lui.  Richard  en  prévient 

»  H.  F.  X,  501-502. 

2  P.  241,  noie  4. 

3  I,  p.  254. 

*  I,  p.  305  (2e  édit.,p.  315). 

^  Loc,  cit. 

fi  Suprà,  p.  377.  —  Remarquez  dans  la  suite  de  la  lettre  les  expres- 
sions a  justificationem  sive  concordiam  »,  synonymes  de  c  tcUe 
jiidicium  î>,  et  à  la  fin  «  per  domestioos  tuos  sive  per  manus  princi- 
pum  reconciliari  »,  où  tous  les  historiens  ont  reconnu  un  jugement. 

"^  «  Misi  causam  hanc  totam  in  manu  ipsius  »  correspond  à  «  acci- 
pere  justitiam  per  manus  ipsius  »,  formules  toutes  deux  fréquentes  à 
cette  époque. 


LES    «  COMPAGNONS  EN   LA   MAJESTE   ROYALE  ».       425 

Eudes,  et  l'avertit  de  ne  pas  se  rendre  à  l'assignation  qu'il 
lui  a  donnée.  Il  ne  se  reconnaît  pas  compétent,  lui  dit-il, 
pour  le  soumettre  à  un  tel  jugement  (littéralement  :  le  faire 
comparaître  (exhibere)  en  vue  d'un  tel  jugement)  s'il  n'est 
pas  assisté  de  ses  pairs  à  lui,  duc  de  Normandie,  sine 
conventu  parium  suorum. 

La  raison  s'en  laisse  montrer.  Le  plaid  auquel  Eudes 
avait  été  assigné  était  une  audience  du  duc  de  Normandie, 
entouré  de  ses  conseillers  habituels  (rfom^s/ia  et  vassaux). 
Or  une  telle  assemblée  était  totalement  incompétente  pour 
prononcer  la  commise,  la  conOscation  des  bénéfices  qui 
n'étaient  pas  tenus  du  duc  de  Normandie,  mais  du  roi  de 
France*.  Eudes  était  un  vassal  direct;  il  devait  l'hommage 
de  service.  La  commise  ne  pouvait  donc  être  prononcée 
contre  lui  que  soit  dans  une  cour  de  vassaux  ordinaires 
que  composaient,  en  règle,  les  domestici  du  roi,  soit 
dans  un  plaid  où  siégeraient  les  pairs  même  du  roi,  les 
principes^  les  majores  pares.  C'est  ce  dernier  plaid  que 
Richard  a  en  vue,  puisque  la  letlre  d'Eudes  ne  porte  pas 
«  sine  conventu  parium  meoritm  »  (les  pairs  d'Eudes),  mais 
bien  «  sine  conventu  parium  suorum  ».  Et,  en  effet  com- 
ment Eudes  conclut-il?  Que  le  roi,  quittant  les  voies  de 
l'arbitraire,  le  laisse  juger  soit  par  ses  domestici  soit  par 
les  principes^. 

Très  nettement  donc  la  pairie  princière  {pares  princi- 
patus)  '  est  opposée  dans  ce  texte  important  du  xi*  siècle 

«  T.  II,  p.  543  suiv. 

^  «  Ut  jam  tandem  a  persecutione  mea  désistas,  meque  tibi  sive 
"pec  domesikostuos,  seuper  manus  jjrinctpMm  reconciliari  permittas.» 

3  L'expression  pares  principatus  se  rencontre  dans  le  Poème 
d'Adalbéron  dédié  au  roi  Robert,  où  elle  a  eu  l'honneur  de  ce  vers 
étrange  : 

«  Princi  —  pares  et  qui  si  sunt  et  in  ordine  —  patus  »  (v.  218). 
que  précède  celui-ci  : 

«  Inco  —  precor,  mihi  die,  praesul,  qui  sunt  ibi  —  latus  »>  (v.  217). 
Il  s'agit  de  la  cité  céleste,  mais  Adalbéron  dira  plus  loin  : 


426  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  V. 

à  la  cour  ordinaire  du  palais  (grands  ofQciers  de  la  coa- 
ronne  et  conseillers). 

La  pairie  princière  ne  devint  vassalique  {pairie  de 
fief)  qu'une  fois  que  la  monarchie  elle-même  fut  devenue 
féodale.  Alors,  par  une  étrange  interversion  des  rôles,  les 
princes  mêmes  du  sang  parurent  ne  tenir  leur  pairie  que 
du  (ief  qu'ils  possédaient \  Alors  aussi,  il  devint  néces- 
saire de  distinguer,  parmi  les  vassaux  directs,  les  grands 
vassaux  de  la  couronne  et  les  moindres  vassaux.  Les  pre- 
miers continuèrent  l'ancienne  pairie  princière.  Ils  furent 
considérés  comme  ses  successeurs,  comme  les  successeurs 
aussi  des  douze  pairs  de  Charlemagne.  Ils  furent  constitués 
progressivement  en  une  cour  régulière  qui,  on  le  voit,  a 
sa  source  directe  aux  x*  et  xi"  siècles,  mais  n'en  est  sortie 
que  par  une  dérivation  lointaine  et  oblique,  changeant  de 
nature  à  mesure  qu'elle  s'en  éloignait  et  s'infléchissait.  La 
pairie  princière  était  une  puissance  politique  autonome, 
comme  la  famille  royale;  en  devenant  la  cour  des  pairs  de 

«  Distinctus  disponitur  ordo  supernus 
«  Cujus  ad  exemplar  terrenus  fertur  haberi  »  (v.  228-229). 

M.  Hiickel  traduit  :  «  Évêque,  je  te  prie,  réponds-moi  :  quels  sont 
ceux  qui  habitent  cette  cité?  Les  princes,  s'il  y  en  a,  sont-ils  égaux 
entre  eux,  ou  quelle  eu  est  la  hiérarchie?  »  —  L'explication  d'Adrien 
de  Valois  (H.  F.  X.  84)  serrait  le  texte  de  plus  près  :  «  Rex  Adalbe- 
ronem  interro^at,  qui  Incolatus^  et  qui  Principattis  pares  sinlet 
vocentur  ».  On  pourrait,  je  crois,  traduire  les  deux  vers  : 

«  De  la  population,  dis-moi,  évéque,  quels  sont  les  éléments, 
Du  principal  quels  sont  les  pairs  et  quel  est  leur  rang  ». 

*  Les  commissaires  du  Parlement  s'en  indignaient  en  1764  (mémoire 
MS  cité  plus  haut)  :  «  L'empire  de  ce  système  de  réalité  devint  si 
puissant,  disent-ils,  que  nos  rois  furent  obligés  de  faire  céder  leurs 
droits  les  plus  sacrés  et  leur  intérêt  le  plus  cher;  en  sorte  qu*on  vit 
un  temps  oiî  Ton  osait  prétendre  que  les  princes  du  sang  ne  dévoient 
jouir  du  droit  de  la  pairie  qu'autant  qu'ils  possédoient  des  fiefs  en 
pairie  et  que  dans  ce  cas  môme  ils  ne  dévoient  prendre  de  rang 
qu'à  la  date  de  l'érection  de  leur  fief  en  pairie,  et  siéger  au-dessous 
de  ceux  à  qui  ils  ne  pouvoient  jamais  obéir  et  à  qui  ilsavoient  un 
droit  éventuel  de  commander  ». 


LES   «    COMPAGNONS  EN  LA  MAJESTE   ROYALE  ».      427 

France  elle  dégénéra  en  une  institution  monarchique,  en 
un  organe  de  la  royauté  féodale,  et  la  famille  royale  avec 
elle.  Du  passé  ne  survécurent  que  la  tradition  prestigieuse, 
les  cadres  et  les  chiffres,  qui,  flottants  d'abord  et  ap- 
proximatifs, devinrent  fixes  et  précis.  La  légende  épique 
transmettait  les  uns  \  le  groupement  ethnique  et  la  consti- 
tution des  seigneuries  ecclésiastiques  imposaient  les  au- 
tres. Le  développement  concurrent  de  la  féodalité  et  du 
pouvoir  royal  firent  le  reste. 


*  La  légende  épique  ne  fournissait  que  le  nombre  douze.  On  a  pu, 
en  effet,  dresser,  d'après  les  chansons  de  geste,  jusqu'à  seize  listes 
différentes  des  XII  pairs  de  Charlemagne.  Ces  pairs  en  outre  n'étaient 
que  des  compagnons  de  choix,  des  electi. 

L'importance  du  nombre  douze  peut  se  suivre,  comme  je  l'ai  mon- 
tré (T.  I,  p.  254-5),  depuis  la  loi  salique,  À  travers  les  capitulaires, 
jusqu'à  la  fin  du  xii^  siècle.  Mais,  aux  x*  et  xi*  siècles,  il  n'eut  aucun 
caractère  obligatoire  pour  la  composition  des  assemblées  et  plaids 
royaux.  Ce  n'était  ni  un  nombre  fixe,  ni  un  nombre  minimum  tel 
qu'il  le  fut  plus  tard  dans  le  droit  féodal  allemand.  C'était  un  nombre 
désirable,  idéale  un  nombre  parfait,  suivant  l'expression  d'un  con- 
temporain, Raoul  Ardent  :  «  Duodenarius  quippe  numerus,  dit-il, 
perfectus  est,  unde  et  soldus  sive  solidus  nuncupatur  »  {Homil,  de 
Sanctis,  8,  Mignel55,  1518)  — Il  fallait  une  heureuse  rencontre  pour 
qu'il  se  réalisât  parfois  dans  la  cour  du  roi.  Je  citerai,  comme  exem- 
ple, le  plaid  tenu  à  Compiègne,  en  1066,  par  Philippe  I"  et  son  tuteur 
Baudoin  de  Flandre,  où  siégèrent  six  évoques  et  six  seigneurs  laï- 
ques, avec  la  maisnie  du  roi,  la  familia  régis,  (Voyez  le  diplôme  pu- 
blié par  Mabillon  De  re  diplom.,  p.  585-6). 


429 


CHAPITRE  VI 

LES   ORGANES   ET   LES   MOYENS  d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ. 


§  1.  —  La  cour  du  roi  et  les  grands  officiers 
de  la  couronne. 

L'obscurité  qui  plane  sur  les  origines  de  la  cour  des  pairs 
de  France  tient  en  partie  à  Tignorance  où  nous  sommes 
du  fonctionnement  des  assemblées  ou  des  conseils  qui  en- 
touraient et  assistaient  le  roi.  Nous  nous  voyons  presque 
réduits  à  glaner  dans  les  souscriptions  des  diplômes  royaux 
pour  chercher  à  connaître  et  la  nature  des  délibérations, 
et  la  composition  des  conseils,  et  les  conditions  de  temps 
et  lieu  où  ils  se  réunissaient.  J'estime  pourtant  qu'on  n'a 
pas  prêté  une  attention  suffisante  à  la  tradition  ancienne, 
qui,  au  x*  et  même  au  xi^  siècle,  a  certainement  survécu, 
et  qui  n'a  cédé  qu'au  xii'  à  une  organisation  plus  stricte- 
ment féodale. 

Les  assemblées  que  tenaient  les  Carolingiens  du  ix*  siècle 
nous  sont  bien  connues  par  Hincmar*.  Elles  étaientde  deux 
sortes  et  très  distinctes. 

Les  unes  {conventus,  placitum  générale)  formaient  de 
véritables  assises  nationales  où  de  toutes  les  régions  du 
royaume  accouraient  clercs  et  laïques,  seigneurs  et  fidèles; 
les  plus  grands  pour  traiter  des  affaires  publiques  avec  le 
souverain,  les  seigneurs  de  moindre  rang  {minores  senio- 
rum)  pour  le  renseigner  et  le  conseiller  sur  l'état  du 
royaume,  les  simples  hommes  libres  [inferiores  persorue) 

*  De  ordine palaiii,  cap.  29-30,  LL.  (Capitul.)  II,  p.  527  suiv. 


430  LIVRB  IV.   —   CHAPITRE  Yî. 

pour  participer  à  la  promulgation  réguliôre  des  lois  et  des 
ordres  royaux,  tous  pour  apporter  des  donat  obtenir  jus- 
tice, recevoir  des  largesses.  Il  va  de  soi  que  la  foule  das 
hommes  libres  ne  représentait  qu'une  firaction  eziguS  da 
pays  légal,  tandis  que  la  généralité  des  chefs  {generalùas 
universorum  majorum^  tam  clericorum  quam  laieartm^ 
devait  être  présente.  Les  principaux  d'entre  eux,  prim 
senatores  regni,  majores  seniorum^  se  partageaient  en 
deux  cours  {constitutœ  curiœ)^  séant  chacune  eu  soq 
lieu  réservé  [susceptaculum)  mais  pouvant  se  réunir  en 
une  cour  unique,  pour  traiter  d'affaires  mixtes  et  com- 
munes. Dans  Tune  siègent  tous  les  évoques,  les  abbés,  les 
plus  considérables  des  clercs  {honorificaniiores)  —  c^est 
le  synodus  —  dans  l'autre,  les  comtes  et  les  autres  prinr 
cipes  —  c'est  la  cour  laïque.  Le  roi  se  rend  au  milieu  d*enX| 
chaque  fois  qu'ils  le  désirent,  car  leur  délibération  porte 
sur  des  propositions  de  lois  ou  règlements,  capitula^  qu*il 
leur  a  fait  soumettre. 

La  deuxième  espèce  de  plaid,  plaid  unique  aussi  dans 
l'organisation  décrite  par  Hincmar,  se  réunissait  vers  la  fin 
de  Tannée  {mox  transacto  anno)^  ce  qui  doit  s'entendre  de 
l'exercice  en  cours,  de  Tannée  civile,  qui,  depuis  les  Méro- 
vingiens, commençait  le  1'*''  mars.  L'époque  régulière  de 
la  session  était  donc  janvier  et  février^  tandis  que  le  pldd 
général,  par  une  survivance  des  champs  de  mai,  se  tenait 
de  préférence  en  mai  ou  juin*.  C'était  un  plaid  restreint, 
un  grand  conseil  tenu  par  le  roi  avec  des  proceres  de 
choix  ^  [cum  senioribus  tantum  et  praecipuis  consiliarm\ 
comtes  ou  évèques,  clercs  ou  laïques,  pour  instruire  les 
affaires,  préparer  les  projets  qui  doivent  être  soumis  au 
plaid  général  et  trancher  les  difficultés  graves  qui  ne  sonf- 

^  Parmi  les  assemblées  de  Louis  le  Débonnaire  dont  Éginhard  in- 
dique la  date  Je  n'en  vois  que  deux  en  août  (822, 829),  une  en  octobre 
(82<)),  tandis  que  j'en  trouve  cinq  de  décembre  à  février  (819-SS2| 
828)  et  cinq  en  mai  et  juin  (821,  823-826). 

2  Electi  consiliarii  (cap.  31,  p.  527). 


ORGANES  ET  MOYENS  D  ACTION  DE  LA  ROYAUTÉ.   431 

freat  pas  de  répit  {majores  causœ),  puis  régler  les  affaires 
particulières  des  personoes  qui  dépendent  du  palais  ou  des 
plaideurs  qui  viennent  y  apporter  leurs  causes  [minores 
caussSy  palatinœ).  Les  principaux  officiers  du  palais, l'apo- 
crisaire  (chapelain),  le  camérier  faisaient  de  droit  partie 
de  ce  conseil.  Les  autres,  suivant  leur  compétence*,  y 
étaient  appelés  par  le  roi. 

En  dehors  de  ces  plaids  et  s'il  se  présente  une  affaire 
d'importance  et  d'urgence  pour  laquelle  le  conseil  ne  peut 
être  convoqué  à  temps,  les  palatins  la  résolvent  définiti- 
vement aux  lieu  et  place  du  conseil  lui-même,  ou  provi- 
soirement, en  attendant  sa  réunion^. 

Quelles  traces  retrouvons-nous  aux  x*  et  xi*  siècles  de 
cette  organisation  ancienne?  L'exercice  annuel  ne  paraît 
plus  avoir  été  réglé  à  époque  fixe,  et  les  affaires  se  traitè- 
rent davantage  au  jour  le  jour.  Il  n'en  subsiste  pas  moins 
une  distinction  essentielle  entre  les  grandes  assemblées, 
les  placita  generalia,  et  les  assemblées  plus  étroites.  Les 
premières  se  tinrent  surtout  aux  trois  grandes  fêtes  reli- 
gieuses, Noël,  Pflques  et  Pentecôte';  les  autres  à  des  épo- 

*  «  Apocrisarius,  id  est  capellanus...  et  camerarius  semper  intere- 
rant...  sed  et  de  cseteris  ministerialibus  qui  talem  se  ostendebat  ut... 
interesse  jubebatur  »  (cap.  32)  —  Les  principaux  de  ces  ministeriales 
sont  le  grand  chancelier,  le  comte  du  palais,  le  sénéchal,  le  bouteiller, 
le  connétable,  le  mansionnier,  quatre  veneurs,  un  fauconnier  (cap.  16- 
17,  Cbn.  cap.  27). 

=*  Le  texte  est  capital  :  «  Si  forte  taie  aJiquid  extra  aut  infra  regnum 
oriretur  aut  insperatum  et  ideo  non  praerneditatum  nunciaretur,  rarius 
tamen  necesse  esset,  ut  consilium  altius  tractaretur,  et  tamen  tem- 
pus  aptum  non  esset,  in  quo  praefati  consiliarii  convocarentur,  ipsi 
palatini  per  misericordiam  Dei  ex  eorum  assidua  familiaritate  tam  in 
publicis  consiliis  quamque  ex  domestica  in  hac  parte  allocutione,  res- 
ponsione  et  consultatione  studium  haberent,  prout  tune  rei  vel  tem- 
poris  qualitas  exigebat,  aut  consilium  pleniter  darcy  quid  fieretf  aut 
certe  quomodo  ad  praofinita  tempora  cum  consilio  et  absque  de  tri- 
me nto  res  eadem  expectari  vel  sustentari  potuisset  »  (cap.  32,  p.  528). 

3  Peut-être  l'assemblée  de  Pâques  contribua-t-elle  à  faire  adopter 
cette  fête  pour  commencement  de  l'année.  Nous  ne  sommes  nullement 


432  LIVRE    IV.    —   CHAPITRB   VI. 

ques  variables,  pouvant  coïncider  et  coïncidant  assez 
souvent  avec  les  premières.  Par  suite,  en  effet,  de  la  mul- 
tiplication des  assemblées,  générales  et  restreintes,  il 
n'existait  plus  entre  elles  ce  partage  symétrique  d'attri- 
butions que  décrit  Hincmar,  encore  bien  que  leur  rôle 
restât  différent.  Les  affaires  les  plus  hautes  étaient  décidées 
dans  les  grands  conventus^  les  affaires  moindres  dans  des 
conventicules,  colloques  ou  conseils  {coiioçuia^  consiliajj 
les  affaires  courantes  expédiées  par  les  grands  officiers  de 
la  couronne  et  les  autres  domestici  du  prince.  Je  discerne 
ainsi  trois  espèces  de  cours  royales  :  la  cour  plénière,  la 
cour  restreinte  et  la  cour  du  palais. 

t.  La  cour  plénière.  —  Qierchons  à  ressaisir,  sous  sa 
forme  vivante,  le  lien  de  filiation  qui  unit  la  cour  plénière 
des  Capétiens  à  la  cour  solennelle  des  rois  francs. 

Éginhard,  nous  retraçant  la  vie  de  Charlemagne,  dis- 
tingue sans  cesse  le  conventus  generalis^  la  grande  assem- 
blée annuelle',  de  la  célébration  des  saintes  fêtes  de  Noël 
et  de  Pâques.  Mais  cette  célébration  n'en  était  pas  moins, 
à  ses  yeux,  un  événement  politique,  car  il  ne  manque 
presque  jamais  d'y  insister.  Le  roi  y  paraissait  dans  tout 
l'éclat  de  la  majesté  souveraine,  en  habits  magnifiques,  la 
couronne  étincelante  au  front*.  Le  peuple  y  accourait  en 

fixés,  en  eiîet,  sur  les  usages  qui  avaient  cours  sous  les  premiers 
Capétiens.  D'après  les  travaux  les  plus  récents,  l'année,  pour  lachan- 
ccllerie  de  Robert  II,  a  dû  commencer  en  mars  (soit  le  1",  soit  le  25 
(Annonciation),  ou  à  Pâques  ;  pour  celle  de  Henri  I"  et  de  Philippe  I* 
on  hésite  entre  mars  et  janvier  ;  mais  au  temps  de  Louis  VI  déjà  il 
est  très  probable,  comme  cela  deviendra  certain  au  xm*  siècle,  que  le 
commencement  de  Tannée  officielle  est  Pâques. 

•  M  Ut  in  Francia  quotannis  solebat,  generalem  conventum  habeo* 
dum  censuit  »  (Eglnhorày  Annales  Fra7icori/w,  ad  an.  782,  éd.Teulet,It 
p.  182). 

^  0  Jn  festivitatibus  veste  auro  texta  et  calceamentis  gemmatis,  el 
fibttla  aurea  sagum  adstringente,  diademate  quoque  ex  auro  et  gea^ 
mis  ornatus  incedebat  »  (Éginhard,  Vita  Karo/i, 23,  I,  p.  76).  —  Cf. 
Rcnaus  de  Montauban  (p.  137)  : 


ORGANES   ET  MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYADTE.       433 

foule,  les  grands  entouraient  le  roi  et  lai  faisaient  cortège. 
Nous  savons  déplus,  par  des  écrits  du  ix*  siècle,  que  dans 
le  conventus  generalis  le  roi  carolingien  se  revêtait  éga- 
lement de  tous  les  insignes  de  la  royauté*.  Fêtes  et  assem- 
blées étaient  donc  déjà  des  curiœ  coronatœ^  comme  on 
appellera  au  xii*  siècle  les  cours  solennelles  des  Capétiens*. 
Le  plaid  général,  en  perdant  sa  régularité,  tendit  à  se 
confondre  avec  les  cours  tenues  aux  trois  grandes  fêtes  de 
Noël,  Pâques  et  Pentecôte,  auxquelles  TÉpiphanie  surtout 
{fête  des  rois)  vint  s'ajouter*.  Il  ne  fut  plus  que  par 
exception  convoqué  en  dehors  d'elles.  C'est  ainsi  que  la 
fausse  chronique  de  Turpin^  qui  date  du  début  du  xii*  siè- 
cle, put  représenter  Charlemagne  comme  tenant  quatre 
cours  par  an*,  à  Noël,  Pâques,  Pentecôte  et  à  la  fête  de 

«  A  une  Pentecoste  fu  Charles  a  Paris 


«  Cel  jor  porta  corone  li  roi  poesteïs 
<c  Le  grant  anei  el  doi,  en  la  caiere  assis 
«  XX  contes  et  v.  dus  et  a  Rembaut  le  Fris.  » 

*  Gesta  Dagoberti  (ix«  siècle),  cap.  39  :  «  Convocatis  filiis  omnibus- 
que  totius  regni  primatibus...  placitum  générale  instituit.  Gumque, 
ut  Francorum  regibus  moris  erat,  super  solium  aureum  coronatus 
resideret,  omnibus  coram  positis...  »  (SS.  rer,  merov.  II,  p.  416); 
cap.  51  :  «  Convocatis  pontificibus  necnon  et  regni  primoribus, 
regio  stemmate  ex  more  comptus  »  {ibid,,  p.  423).  —  Emoidus  Nigel- 
lus,  De  rébus  gestis  Ludov.^  v.  28Q  :  «  Fertque  (Carolus)  coronalum 
stemmate  rite  caput  »  (H.  F.,  VI,  56). 

*  Ordonnance  de  Louis  VI,  accordant  une  commune  à  Laon  (1128), 
cap.  22  :  u  excepta  curia  coronata  (régis)  »  (Ordonn,  XI,  187). 

*  Il  n'y  a  pas  à  faire  état,  puisqu'il  est  faux,  du  diplôme  de  Robert 
pour  Saint-Denis  (1008,  H.  F.  X,  593)  qui  porte  :  k<  Solemnem  cu- 
riam,  hoc  est  in  natali  Domini,  in  Theophania,  et  in  Pascha,  et  in 
Pentecoste  »;  —  mais  nous  possédons  un  diplôme  authentique  de 
Henri  I^'fvers  1033)  daté  in  curia  Epiphanie  (H.  F.  XI,  570  A)  —  Cf- 
diplôme  de  Robert  II  (1007)  :  «  Actum  Silvanectis  in  Palalio  Epi- 
phania  (H.  F.  X,  587  C). 

*In  quatuor  solennitatibus  per  circulum  anni  prœcipue  in  Hispania 
curiam  suam  tenens,  coronam  regiam  et  sceptrum  gestabat,  die  sci- 
licet  natalis  Domini,  et  die  Paschae,  et  die  Pentecostes,  et  die  sancti 

F.  -Tome  III.  28 


434  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   VI. 

saint  Jacques  de  Corapostelle  dont  la  glori6cation  fut  l'ob- 
jet primitif  de  Touvrage*.  Le  cérémonial  s'était  en  même 
temps  compliqué  et  fixé  :  il  était  devenu  éminemment  reli- 
gieux. Le  besoin  qu'avaient  les  Capétiens  de  l'intervention 
de  rÉglise,  pour  légitimer  par  le  sacre  leur  dynastie*,  n'y 
fut  certes  pas  étranger.  Aux  grandes  cours  festivales  la 
liturgie  prend  une  place  prépondérante.  Le  roi  entouré  des 
proceres  se  rend  à  TÉglise  et  là,  dans  un  service  solennel, 
il  est  couronné  par  les  mains  du  primat,  du  métropolitain 
de  la  province,  ou,  à  leur  défaut,  d'un  évêque*. 

Jacobi  »  {De  vita  Caroli  magni,  cap.  20,  éd.  Schard,  Germ.  rer.IV* 
chronogr.  Francfort,!  566,  f**  8  v**).  Le  texte  français  publié  par  F.  Wulff, 
La  chronique  dite  de  Turpin  (Lund,  1881)  porte  :  «  Si  tenoil  Ilfl 
solempnitez  de  l'en  cort  pleniere,  si  portoit  roial  corone  et  ceptre  le 
jor  de  noël,  le  jor  de  pasque,  le  jor  de  pentecoste,  le  jor  de  monsei- 
gnor  Saint  Jaque  »  (p.  24).  —  Cf.  La  chevalerie  Ogier^  v.  8465-6  : 

«  Par  la  corone  que  j'alenl  à  porter 

«  A  Pentecoste,  à  Paskes,  à  Noël.  » 

<  G.  Paris,  La  littcr,  fr.  au  M.  A.,  n°  34  (Paris,  1890). 

2  Voyez  suprà,  p.  241  et  392.  —  Le  couronnement  et  le  sacre  de 
Hugues  Capet  sont  attestés  notamment  par  le  contemporain  Richer 
(IV,  12)  et  par  VHistoria  Francorum  Senonensis  (Duchesne,  ÏII,  353  A) 
dont  on  place  la  rédaction  peu  après  1015,  et  qui  n'est  pas  suspecte 
de  partialité  pour  le  nouveau  souverain.  Peut-être  néanmoins  ne  faut- 
il  pas  rejeter  d'une  façon  absolue,  comme  Pont  fait  MM.  Luchaire 
(I,  36)  et  Lot  (p.  381),  l'assertion  de  chroniqueurs  du  xii«  siècle  que 
Hugues  Capet  n'a  pas  porté  la  couronne.  Beaucoup  plus  prudent 
qu'audacieux,  prudent  mémo  jusqu'à  la  faiblesse,  Hugues  Capet,  après 
avoir  été  sacré,  a  pu  s'abstenir  de  ceindre  la  couronne  aux  fêtes  SO' 
lennelles,  pour  ménager  l'opinion,  pour  ne  pas  heurter  de  front  le 
sentiment  public  de  la  légitimité  carolingienne.  «  Non  diademale  re- 
gni  usus  »,  dit  Guillaume  Godel  (H.  F.  X,  259  E),  qui  serait  ainsi  le 
plus  près  de  la  vérité.  —  N'avons-nous  pas  vu  Henri  l'Oiseleur,  qui 
avait  contre  lui  à  la  fois  la  légitimité  carolingienne  et  la  supréma- 
tie franque,  se  contenter  même  du  titre  de  roi,  sans  couronnement  ni 
sacre?  (suprày  p.  196). 

3  «  Tantœ  vero  dignitatis  erat  eadem  abbatia  (S.  Joh.  Bapt.)  ut 
quandocunque  rex  Francorum  in  diebus  solemnibus  Lauduni  coro- 
nandus  esset,  in  ipsa  prœcipue  coronam  auream  portaret  »  (MiracUê 
de  Sainte-Marie  de  Laon,  par  Herrmann  de  Saint-Jean  de  Laon,  HI, 


ORGANES  ET  MOYENS  D' ACTION  DE  LA  ROYAUTÉ.   435 

liCs  Capétiens  voyaient  ainsi  se  renouveler,  par  plu- 
sieurs fois,  chaque  année,  la  vertu  efficace  du  sacre  auquel 
leur  lignage  empruntait  son  caractère  quasi-divin.  Nous 
possédons  quinze  diplômes  au  moins  qui  ont  été  délivrés 
par  les  quatre  premiers  Capétiens  dans  les  cours  solennel- 
les*, tandis  que,  pour  les  trois  derniers  Carolingiens,  je 
n'en  trouve  qu'un  seuP  qui  puisse  y  être  rapporté  avec 
une  pleine  certitude  ^ 

22 ;  Migne,  156, 1004).  —  «  Turonensis  enim  archiepiscopus...  in  natale 
Domini,  regi  contru  interdictum  vestrum  coronam  imponens»  (Ives  de 
Chartres,  lettre  66;  Migne,  162,  83;  lettre  67  i6id.,87).  —  «  Quidam 
Belgicœ  provincicc  episcopi  in  Pentecosten...  coronam  ipsi  régi  impo- 
suerint  »  (ibid.,  105). —  Cf.  Orderic  Vital  IIJ,  p.  389.  —  Le  même  usage 
se  constate  à  la  cour  des  rois  de  Germanie  et  des  rois  normands 
d'Angleterre  :  «  Supervenit  tandem  dies  Pentecostes.  (1036)  quœ 
poscebat,  inter  missarum  sollempnia  pro  consuetudine  coronari  re- 
gem  »  (Conrad)  {Gesta  episc,  Camer.  III,  55;  Migne,  149,  174).  — 
«  Conqueretur  rex  cum  omnibus  episcopis  et  principibus  suis,  quia 
cum  illum  coronare  nolo,  aufero  ei  coronae  suœ  honorem,  quem  ei 
primas  regni  sui  débet  per  consuetudinem  »  (Lettres  de  saint  An- 
selme, 111,90;  Migne,  159,  128.  —  Cf.  II,  26;  Migne,  158,  1176). 

Nos  plus  vieilles  chansons  de  geste  nous  offrent  des  descriptions 
fréquentes  de  ces  cours  solennelles  : 

«  A  Paris  fut  li  rois  à  une  Paske, 

<c  Cort  tint  pleniere  mirabillose  et  large. 


Messe  canta  li  évcskes  de  Naples 

Du  mortier  ist  nostre  einpereres  Kalles 


Tant  ont  aie  qu'il  vinrent  en  la  sale. 

La  cors  fut  grans  ens  el  palais  de  marbre, 

Mult  riceinent  les  fist  servir  rois  Kalles.  » 

(Ogier  yo  3482  suiv.). 

*  Quatre  de  Noël  :  Orléans,  1022,  Laon,  1047,  Laon,  1071,  Tours, 
1098;  —  trois  de  l'Epiphanie  :  Senlis,  1007,  Thiers,  1017,  Melun,  v. 
1033  ;  —  deux  de  Pâques  :  Orléans,  1001,  Sens,  1071  ;  —  six  delà 
Pentecôte  :  Ghelles,  1008,  Compiègne,  1017,  Paris,  1043,  Reims,  1059, 
Paris,  1067. 

2  Noël,  936,  Compiègne. 

^  Les  chiffres  que  je  donne  ici  et  plus  bas  n'ont  pas,  bien  entendu, 


436  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   VI. 

Ne  nous  représeatons  pas  la  cour  plénière  comme  une 
assemblée.  Elle  est  avant  tout  un  concours  de  population 
(convenius).  Chefs  et  sujets,  riches  et  pauvres,  quéman- 
deurs de  justice,  de  grâces,  de  faveurs,  ou  quémandeurs 
d'aumônes,  mais  aussi  serviteurs  venant  remplir  leurs 
devoirs  auprès  du  maître,  alliés  ou  compagnons  venant 
orner,  garnir  la  cour  et  resserrer  les  liens  qui  les  unissent 
au  prince,  accourent  de  toutes  parts*.  En  dehors  des 
villes,  des  lentes  sont  dressées,  un  campement  s'installe^ 
et  telle  est  Taffluence  que  le  pays  en  soùflfre  conime 
du  passage  d'une  armée*.  A  Paris,  où  Helgaud  nous  ap- 
prend que  Robert  a  fréquemment  tenu  ses  convenius  ^^  ils 

une  rigueur  mathématique.  Les  diplômes  ne  sont  pas  toujours  datés 
avec  précision  et,  pour  le  x'  siècle,  les  souscriptions  qui  peuvent  per- 
mettre de  reconnaître  la  solennité  de  la  cour  font  presque  totalement 
défaut. 

*  Voyez  ces  deux  curieux  passages  de  la  Chronique  de  saint  Riquier, 
où  Hariulf  compare  les  cours  solennelles  deTabbayeà  celles  du  roi: 
«  Hu-'c  sunt  nomina  militum  monasterio  B^  Richarii  famulantium... 
(suivent  85  noms  de  milites)  quïqiie  consuetudinaliter,  in  die  festiS* 
R*  et  in  nativilate  Domini  vel  in  ressurrectione  seu  in  Pentecoste, 
semper  monaslerio  aderant,  accurate  prout  quisque  poterat  omûU^ 
et  ex  sua  frequentia  regalem  pêne  curiam  nostram  ecclesiam  facien- 
tes  »  (Hariuir,  p.  97). 

«  Anliquitus  servata  est  consuetudo  ut  in  festo  S*  R»  tota  Ponli- 
vorummllitia  Centulam  veniret,  ei^  veluti  patrix  domino.»,  solemnem 
curiam  faciebant  »  (p.  189). 

2  H.  F.  XI,  570,  noie  6. 

'  «  Est  poteslas...  monasterii  in  conspectu  civitatis  Aurelianœ... 
quam  potestatem...  abbas  diversis  calumniis  et  oppressionibus  nos- 
tratium  hominum  soppè  dicit  gravari.  Quam  molestiam  hac  autboritate 
ita  prœcipimus  inhiberi,  ut  nemo  nostrorum  hominum  sit,  qui,  dun 
conventus  renias  agimusy  vel  exercitum  in  hostem  ducimus,  in  eadem 
potestate  aliquid  molestiîB  inferre  prœsumat  »  (Diplôme  de  Robert 
pour  Saint-Mesmin,  14  avril  1001,  H.  F.  X,  579  C). 

^  <^  Palatium  insigne,  quod  est  Parisius,  suo  construxerantjussu  ofB- 
cialcs  ejus...  Nec  immerito  sane  potest  existimari,  quod  palatium  illud 
frequentl  regio  conventu  sit  honorandum  »  (Epit.  Vitœ  Roberti,  H. 
F.  X,  103  A-B).  —  Une  tradition  antique  paraît  ressortir  du  texte 


ORGANES  ET  MOYENS  D  ACTION  DE  LA  ROYAUTÉ.   437 

attirent  des  milliers  de  pauvres,  avides  de  participer  aux 
libéralités  du  roi*. 

Si  la  mu  nifîcence  exercée  à  ces  assises  périodiques  était  uq 
des  moyens  les  plus  propres  à  rehausser  le  prestige  de  la 
couronne  et  à  entretenir  le  dévouement  de  ses  sujets,  elle 
trouvait  sa  contre-partie  dans  les  présents  que  les  fidèles 
de  tout  ordre  venaient  présenter  au  souverain  '.  L'assem- 
blée solennelle  devenait  ainsi  comme  un  régulateur  de 
Tétiage  social.  La  générosité  du  don  offert  au  roi  témoi- 
gnait du  degré  de  fidélité,  comme  la  largesse  du  don  dis- 
pensé par  lui  de  l'étendue  des  services  qui  lui  avaient  été 
rendus  et  de  son  exactitude  à  les  récompenser.  C'était  pour 

suivant,  cité  par  M.  Liichaire  (I,  p.  256)  comme  étant  du  xii©  siècle  : 
«  Inde  venit  urbem  Parisius,  quae  est  regni  caput  et  sedes  regia,  ubi 
soient  reges  antiqui  conventiim  prœlatorum  et  principum  evocare  ad 
tractandum  super  statu  Ecclesiœ  et  de  regni  negotiis  ordinandum  ». 
En  la  forme,  ce  document  est  apocryphe.  Les  Gesta  Ludovici  VII, 
d'où  il  est  tiré  (H.  F.  XII,  197),  ne  sont  qu'une  traduction,  faite  à  la 
dn  du  xnie  siècle,  des  Chroniques  de  saint  Denis^  et  celles-ci  un  re- 
maniement de  ÏHistoria  Ludovici  VU,  qui,  dans  cette  partie,  peut 
être  de  Suger  (Cf.  A.  Molinier,  Introd,  à  Suger,  p.  32-34).  Dans  le 
passage  original  de  VHistoria,  la  tradition  n*est  alléguée  que  pour  le 
séjour  du  roi  et  non  pour  la  tenue  des  conventus  :  «  Indèque  Pari- 
sius tanquam  ad  propriam  remeans  sedem  (in  ea  enim,  sicut  in  anti- 
quis  legitur  gestis  reges  Francorum  vitam  degere  consueverunt)  de 
regni  administratione  et  ecclesiae  defensione,  pro  œtate,  pro  tem- 
pore,  gloriose  disponebat  »  (Duchesne,  IV,  412  B.  —  Suger,  éd.  Moli- 
nier, p.  147). 

«  H.  F.  X,  103,  109. 

2  Voulons-nous  saisir  sur  le  vif  cet  échange  de  bons  procédés,  voici 
une  anecdocte  dont  la  Chronique  de  saint  Hubert  fait  honneur  à  Guil- 
laume le  Conquérant.  Un  chevalier  vient  à  sa  cour  solennelle  de  Pâques, 
porteur  de  riches  présents.  Il  a  tout  donné  et  il  ne  lui  reste  plus  de 
quoi  faire  une  modeste  offrande  sur  l'autel.  Le  prince  le  voit  et  lui  fait 
remettre  cent  livres.  Cette  largesse  est  offerte  tout  entière  en  oblation 
pieuse,  par  le  chevalier,  qui  se  retrouve  aussi  dénué  qu'avant.  Pour 
le  récompenser  de  sa  double  générosité,  Guillaume  lui  restitue  les 
dons  qu'il  en  avait  reçus  :  «  Quicquid  pascalis  muneris  sibi  eodem  de- 
latum  est  militi  restituit  »  {Chron.  S,  Huberti  Andagin.,  Migne,  154, 
1361). 


438  LIVRE    IV.    —   CHAPITRE   VI. 

les  iramunistes  et  les  protégés,  pour  les  abbés  et  les  évo- 
ques, une  des  principales  occasions  de  s'acquitter  des 
dona  auxquels  ils  étaient  tenus*.  C'était  là  que  se  distri- 
buaient de  préférence  les  bénéfices  et  les  honneurs,  méri- 
tés par  de  longs  et  éclatants  services  ;  c'était  là  que,  selon 
leur  rang,  chevaliers,  écuyers  et  bacheliers,  recevaient  des 
mains  du  sénéchal  les  riches  étoffes  et  les  palefrois,  les 
fourrures  de  vair  ou  de  gris  et  les  garnements^, 

La  cour  solennelle  continuait  donc  en  quelque  manière 
l'assemblée  militaire  du  champ  de  mars.  L'ost  royal  s'y 
recrutait,  soldait  et  ordonnait.  Son  noyau  central,  sa  che- 
valerie était  complétée  et  renforcée  par  des  adoubements 
nouveaux',  sa  masse  flottante  par  l'enrôlement  de  nouveaux 
combattants*. 

L'assistance  variait  suivant  l'intérêt  des  princes  ou  des 
vassaux,  suivant  l'état  de  leurs  relations  avec  le  roi,  sui- 
vant aussi  la  proximité  où  ils  se  trouvaient  du  siège  de 
rassemblée.  Cours  solennelles  et  cours  ordinaires  se  te- 
naient, en  efïet,  dans  des  Heux  fort  divers.  La  royauté 
continuait  à  êlre  ambulatoire.  Elle  l'était  pour  vivre  sur 
le  pays  en  usant  des  droits  de  gîte  qu'elle  avait  tradition- 
nellement acquis  ou  qu'elle  stipulait  à  nouveau;  elle 
l'était  pour  garder  un  contact  incessant  et  direct  avec 
ses  fidèles  ou  ses  sujets  et  les  maintenir  dans  le  devoir. 
C'est  aux  cours  solennelles  convoquées  près  de  leurs 
frontières  ou  dans  les  limites  mêmes  de  leur  domina- 

'  Suprà,  p.  270  suiv. 

"  Voyez  les  textes  que  j'ai  cités,  t.  II,  p.  464  suiv.  Cf.  déjà  Hinc- 
mar,  De  online  palatii,  c.  22  :  «  de  donisannuis  militum.,.  ad  re- 
ginam  pracipue  et  sub  ipsa  ad  camerarium  pertinebat  ». 

^  «  Vcigne  a  la  cort  quand  ele  iert  asenblée 

Ch.iscuns  aura  et  cheval  vX  esptfe 


Se  il  tant  fait  qu'il  viengne  à  l'asenblée 
Chevaliers  iert  tantost,  se  lui  agrée  ». 

(AspremoDt,  p.  13,  v.  29  soiv.). 
*  T.  II,  p.  409. 


ORGANES    ET   MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.       439 

tion,  que  le  roi  réussissait  le  mieux  à  attirer  les  principes 
de  la  Gaule,  encore  bien  que  des  événements  exception- 
nels, tels  que  rinlronisation  ou  le  renouvellement  d'allian- 
ces, pussent  produire  le  même  résultat.  Il  est  notable,  en 
effet,  qu'à  l'inverse  de  ce  qui  se  passe  pour  les  cours  ordi- 
naires, les  seigneurs  de  la  région  de  Paris  et  d'Orléans 
sont  moins  nombreux  proportionnellement,  dans  les  cours 
solennelles  des  x'  et  xi*  siècles,  que  les  princes  des  autres 
régions*. 

Le  convenius  délibérait-il?  évidemment  non  ;  pas  plus 
que  jadis  les  assemblées  du  champ  de  mars  ou  de  mai.  On 
s'en  servait  pour  des  proclamations,  des  publications,  des 
confirmations  d'actes  royaux.  Actum  publiée  est  une  for- 
mule qui  devient  de  style  sous  les  premiers  Capétiens, 
alors  qu'elle  était  rare  sous  les  Carolingiens  du  x°  siècle*. 
Mais  soit  les  délibérations  sur  les  affaires  de  l'État,  soit 
les  débats  ou  les  discussions  sur  les  litiges  et  les  intérêts 
privés  s'agitaient  dans  des  conventicules,  analogues  aux 
curiœ  constitiitce  du  temps  d'Hincmar.  Comme  nous  l'avons 
vudans  lesassemblées  du  sacre,  le  peuple,  les  minorer,  sim- 
ples fidèles  ou  vassaux  inférieurs,  se  bornent  à  acclamer 
ou  à  attester.  Les  évêques  présents  se  forment  en  synodus^ 

*  Sur  vingt  souscriptions  de  seigneurs  laïques,  présents  à  des  cours 
solennelles,  je  n'en  trouve  que  huit  de  la  région  de  Paris  et  d'Orléans, 
tandis  que  j'en  relève  dans  les  cours  ordinaires  quarante-deux  sur 
soixante-onze  (ni/rà,  note). 

*  Dans  les  diplômes  publiés  par  D.  Bouquet,  je  ne  l'ai  notée  que 
deux  fois  pour  les  trois  derniers  Carolingiens,  et  plus  de  vingt  fois 
pour  les  trois  premiers  Capétiens. 

'  Diplôme  de  Robert  II,  daté  de  Chelles,  17  mai  1008  (Pt^ntecôte) 
(H.  F.  X,  592  A)  :  «  Auctoritate  nostra  et  episcoporum  nostrorum,  qui 
nobiscum  in  sancta  SynodOy  quœ  XVI  Kal.  Junii,  Kale  sedis  nostrae 
palatio  collecta  resedit,  firmaverunt...  Manu  propria  cum  episcopis 
sanctœ  Synodi  nostras  fîrmavimus,  ac  nomina  episcoporum  ejusdem 
Synodi  subter  adscribi  jussimus  ».  Treize  prélats  sont  présents  :  Tar- 
chevêque  de  Sens  avec  quatre  de  ses  sufîragants  (Chartres,  Orléans, 
Meaux,  Troyes),  l'archevêque  de  Tours,  sept  évêques  de  la  province  de 
Reims  (Soissons,Laon,Beauvais,Ch{ÎLlons,  Amiens,  Sentis,  Térouanne). 


410  LITRE   IT.    —   CHAPITRE  VI. 

pour  examiner  les  aflaires  ecclésiasliqaes,  les  majaires 
pares,  les  primores  rejni.  accrus  des  conseillers  ordinaires 
de  la  couronne  et  des  principaux  seigneurs  de  ]a  régioaoù 
se  tient  la  cour  plénière,  donnent  leur  avis  sur  les  ques- 
tions de  toute  nature  (liligieuses,  administratives,  politi- 
ques) qui  Icnr  sont  soumises  par  le  roi.  Ce  sont  là,  à  vrai 
dire,  deux  cours  distinctes,  qui  peuvent  5e  rénoir  en  une 
seule,  et  dont  la  décision  est  censée  ratifiée  par  le  conven- 
tus.  'f  Secundum  curiae  sentenliam  et  totins  conveulos  ceu- 
suram  >»,  dira  un  diplôme  royal'. 

Voulons-nous  assister  au  fonctionnement  de  cette  orga- 
nisation, observons  ce  qui  se  fait  à  la  cour  soleunelle  que 
Robert  II  a  réunie  pour  le  sacre  de  son  fils  Henri.  Le  jour 
même  du  sacre,  avant  la  cérémonie,  Tabbé  de  Montier- 
en-Der  présente  au  roi  une  plainte  en  restitution  de  biens 
usurpés  sur  son  abbaye  par  le  chevalier  Etienne  de  Join- 
ville.  Le  roi  la  soumet  au  convenlus^,  où  se  laissent  discer- 
ner, théoriquement  au  moins,  deux  assemblées  :  la  «  sancta 
episcoporum  conventio  »  et  la  «  procerum  amabiiis  mul- 
titiido  »'.  La  même  distinction  se  répète.  La  sentence 
rendue  par  la  double  cour  a  été  approuvée  par  le  roi\ 
mais  il  a  demandé  que  Texécution  en  fût  remise  au  lende- 
main. Ce  jour-là  il  ordonne  aux  évoques,  de  concert  avec 
\qs  principes  présents,  de  fulminer  Tanathème'.  Le  di- 
plôme est  ensuite  souscrit  par  le  roi,  dix  évoques  (Laon, 
Ch&Ions,  Soissons,  Amiens,  Beauvais,  Noyon,  Troyes,  Lan- 

«  1031,  !I.  F.  X,  623  C. 

^  «  Ostendlmus  eam  fidelium  nostrorum  clarissimœ  congregationi^ 
sciliccl  archiepiscoporum,  episcoporum,  abbatum,  monachorum,  cle- 
ricorum,  comilum,  ceterorumque  multorum  qui  ad  benedictionem 
meœ  prolis  Heinrici,  futuram  in  die  sancto  Pentecosten  convenerant  » 
(1027,  II.  F.  X,6I4A). 

^  «  Episcoporum  sancla  conventio  et  procerum  meorum  amabiiis 
multitudo...  petitlonem  judicantessuscipere...  decrevere  »  {ibidJ). 

*  "  Quorum  decrelo  libenler  assensum  pnebentes  ». 

^  a  Jussimus  catervœ  episcoporum,  cum  laude,  qui  in  prassentia 
adorant,  principium  ut...  ». 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION  DE   LA   ROYAUTÉ.      441 

gres,  Chalon),  trois  abbés  (Odilon  de  Cluny,  Airard  de 
Saint-Remi  de  Reims,  Richard  de  Saint-Médard  de  Sois- 
sons),  enfin  par  Eudes,  comte  de  Blois,  et  Guillaume,  comte 
de  Poitiers  *. 

On  ne  doit  certes  pas  s'exagérer  l'importance  du  rôle 
joué  par  de  telles  assemblées,  mais  il  importe  aussi  de  ne 
pas  l'évaluer  trop  bas.  Je  n'irais  pas  jusqu'à  dire,  avec 
M.  Luchaire^,  qu'elles  n'avaient  ni  pouvoir  réel,  ni  initia- 
tive, ni  droit  à  être  convoquées.  Vraie  pour  les  vassaux 
inférieurs  et  les  simples  fidèles,  cette  proposition  ne  l'est,  à 
mes  yeux,  ni  pour  les  principes  de  la  Gaule  et  les  évoques, 
ni  pour  les  principes  de  la  Francie.  Plus  le  fidèle  étaii 
puissant,  plus  le  conseil  devenait  pour  lui  un  droit.  Des 
liens  juridiques  qui  unissaient  la  royauté  et  le  principat  dé- 
coulaient toute  une  série  d'obligations  réciproques  que 
dans  l'intérêt  du  roi,  comme  dans  Tintérêt  du  prince,  les 
cours  plénières  avaient  pour  mission  de  sanctionner. 

Les  cours  plénières  se  distinguent  par  un  certain  nom- 
bre de  traits  qui  leur  sont  propres,  tant  des  cours  restrein- 
tes ou  spéciales,  dont  nous  allons  parler,  que  des  solennités 
religieuses,  telles  que  dédicace  d'églises,  translation  de 
saints,  où  le  peuple  est  convoqué  sur  l'ordre  du  roi.  Ces 
traits  toutefois  sont  loin  d'être  tranchés,  et  la  distinction 
par  suite  loin  d'être  rigoureuse.  Marquons-les  pourtant, 
avec  les  réserves  qui  les  atténuent  ou  les  nuancent  :  pé- 
riodicité, mode  de  convocation  et  de  tenue,  composition  et 
objet. 

Comme  nous  l'avons  vu,  les  cours  plénières  se  réunis- 
sent surtout  aux  grandes  fêtes;  elles  étaient  donc  périodi- 
ques, mais  il  arrivait  que  le  roi  les  tînt  à  d'autres  épo- 
ques, pour  faire  face  à  d'instantes  nécessités,  parfois  aussi 

'  M.  Pfister  (p.  78)  conjecture  que  Richard  III  de  Normandie  fut 
présent,  mais  par  Tunique  motif  que  son  nom  figure  sur  des  chartes 
royales  de  la  môme  époque. 

2  Luchaire,  I,  p.  267. 


442  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  VI. 

pour  les  faire  concorder  avec  les  solennités  religieuses 
auxquelles  je  viens  de  faire  allusion. 

La  convocation  à  la  cour  plénière  s'opérait  par  un  corn- 
monitoriwn  *  ou  bref  royal,  adressé  par  les  grands  officiers 
elles  métropolitains  aux  principaux  du  royaume,  primores 
regni^  et  sous  forme  d'édit  ou  de  ban  pour  les  minores^^ 
tandis  que  la  convocation  aux  cours  restreintes  ou  spécia- 
les et  aux  coivents  religieux  revêtait  des  formes  moins 
solennelles  et  était  faite  souvent,  au  nom  du  roi,  par  les 
personnes  qui  s'y  trouvaient  le  plus  directement  intéres- 
sées^  Elle  pouvait  résulter  même  du  simple  avis  que  le  roi 
séjournerait  à  telle  époque  dans  telle  sedes  regia.  Mais  pour 
les  cours  plénières  non  plus,  et  à  raison  de  leur  périodicité, 
le  commonitorium  ne  ilevait  pas  être  indispensable  quand, 
à  Tune  d'elles,  avait  été  fixé  le  lieu  où  se  tiendrait  la  sui- 
vante, et  que  les  seigneurs  présents  avaient  été  avertis 
verbalement  d'y  assister*. 

Si  le  cérémonial  et  le  fonctionnement  que  j'ai  décrits  sont 
particuliers  aux  cours  plénières,  il  importe,  d'autre  part, 

>  Lettre  de  Fulbert  de  Chartres  à  Robert  (1025)  :  «  Ut  vobis  pro- 
ximo  sabbato  Turonis  occurrerem,  quia  serô  commonitorium  accepi, 
non  parui  »  (H.  F.  X,  474  C).  —  La  submonitio  correspondait  à  la 
semonce^  le  commonitorium  QlUx  Chartres  et  brie fs  scellés  de  nos  chan- 
sons de  geste. 

-  «  Clericalis  laicalisque  ordinis  personas  non  piguit  invitando 
convocare  sub  termino  diei  assignats.  Eis  ergo  ex  regalis  jussionis 
decreto  pariter  congregatis,  rex...  quid  eis  actu  dignum  indè  videba- 
tur  inquisivil  »  (De  detectione  SS.  Dionysii,  Rustici  et  Eleutherii 
(10oO-1053)  (Duchesne,  IV,  11)9;  H.  F.  XI,  472). 

3  «  Ut  (abbas  S.  Dion  y  si  i)  circumquaque  directis  literis,  diem... 
edicere  non  pigeret,  et  interesse  huic  conventui  omnes  ad  quorum- 
cumque  noticiam  sui  nuncii  pervenirent,  invitaret  »  {Eod.  loc.).  Gf; 
Chronique  de  Morigny,  Duchesne,  IV,  374  B-C. 

^  Dans  Renaus  de  Montauban,  Chariemagne,  tenant  sa  cour  de  la 
Pentecoste  à  Paris,  dit  à  ses  barons  assemblés  : 

«  Ne  sai  que  semonsisse  cascun  à  sa  maison 
Quant  ci  estes  ensamble,  orendroit  vos  semon.  >» 

(p.  13Î). 


ORGANES   ET   MOYENS  d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.      443 

de  ne  pas  perdre  de  vue  que  les  cours  restreintes  étaient 
en  quelque  manière  des  sections  de  la  cour  plénière  et 
correspondaient  exactement  aux  conventicules  de  celle-ci. 

Nous  nous  sommes  expliqué  sur  la  composition  plus 
large  et  plus  haute  des  cours  solennelles,  mais  je  dois 
ajouter  que  les  plus  grands  du  royaume,  les  pares  Fran- 
corunij  pouvaient  être  convoqués  en  cour  restreinte  ^ 

Les  cours  plénières  traitaient  à  la  fois  des  affaires  géné- 
rales de  l'État  et  d'affaires  particulières  fort  diverses, 
alors  que  l'objet  des  cours  restreintes  était  limité  et  spé- 
cial ;  mais  là  encore  la  ligne  de  démarcation  ne  saurait 
être  tracée  avec  une  inflexible  rigueur. 

\L  La  cour  restreinte  ou  grand  conseil.  —  Si,  en  théo- 
rie, nous  manquons  d'un  critère  infailUble  pour  classifler 
les  assemblées  royales  dont  les  documents  historiques 
nous  ont  conservé  la  trace,  ces  documents  eux-mêmes 
nous  mesurent  trop  parcimonieusement  les  éléments  exté- 
rieurs propres  à  fixer  leur  caractère.  Ni  la  terminologie, 
très  flottante  et  incertaine^,  ni  la  date,  souvent  vague  et 

*  Supràj  p.  423  suiv. 

^  L'expression  technique  pour  désigner  les  cours  plénières  ou  so- 
lennelles aurait  dû  être  conventus.  C'est  celle  que  nous  trouvons  le 
plus  fréquemment  dans  les  Capitulaires  et  que  les  annalistes  carolin- 
giens emploient  couramment.  On  comprendrait  qu'on  lui  eût  opposé, 
pour  les  cours  restreintes,  les  termes  de  coUoquium^  dont  la  syno- 
nymie avec  parlamentiim  n^est  pas  douteuse,  et  de  consilium  qui 
éveille  le  mieux  l'idée  des  consiliarii  mis  en  scène  par  Hincmar. 
Mais  toutes  ces  locutions,  conventus,  colloquium,  consilium^  comme 
celles  de  curia  et  de  placiturrij  ont  pris  ou  gardé  le  sens  vague 
d'assemblées  délibératives  ou  consultatives.  Conventus  et  collo- 
quium  se  sont  pris  Tun  pour  l'autre  (par  exemple  :  diplôme  de 
Philippe  I'»-  1066(Compiègne),  Mabillon,  De  re  diplom,,  p.  585)  ;  con- 
siliiim  paraît  s'être  confondu  souvent  avec  concilium  (Cf.  dipL  de 
Henri  I",  1051  :«  agentes  commune  consilium  cum  proceribus  etpri- 
moribus  palatii  nostri  »  (H.  F.  XI,  588)  et  dipl.  de  Philippe  1er  (1077)  : 
«  in  palatio  nostro,  celebrato  regali  concilio  »  (Prou,  Mélanges  Ha- 
vet,  p.  189);  ni  curia,  niplacitum  n'ont  pris  une  acception  propre. 
Il  aurait  donc  fallu  préciser  le  sens  par  des  épithètes,  telles  que  genC' 


444  LIVRE   IV.    —  CHAPITRE   VI. 

incomplète  y  ni  la  souscription  des  actes,  qui  n*apparait 
avec  quelque  régularité  qu'à  partir  de  Robert  II,  et  qm 
tantôt  se  trouve  incomplète,  tantôt  a  été  ajoutée  après  coop, 
ne  nous  éclairent  comme  il  faudrait. 

M.  Luchaire  identifie,  ce  me  semble,  toutes  les  cours  non 
solennelles  avec  les  cours  provinciales*,  tout  en  recon- 
naissant qu'  «  il  n'y  a  aucune  règle  fixe  à  formuler  ». 
Elles  se  seraient  tenues  alternativement,  et  à  peu  près 
chaque  mois^  dans  chaque  ville  du  domaine  où  le  roisé- 
journait^  Composées  des  seigneurs  ou  vassaux  de  la  ré- 
gion circonvoisine,  c*était  surtout  les  affaires  locales  ou 
régionales  qu'elles  traitaient. 

La  distinction  me  parait  trop  étroite,  le  caractère  local 
qui  lui  sert  de  base  trop  accentué  ou  trop  exclusif.  Le  roi 
tenait  une  cour  partout  où  il  résidait  :  régulièrement,  dans 
les  sedes  regiœ  ou  regni^  (expression  préférable  comme 
moins  ambiguë  à  celle  de  ville  du  domaine)^  dans  les  divers 
lieux  de  la  Francie  ou  de  la  Gaule  où  il  avait  un  palais; 

ralis^  solennis,  plenarius^  pour  les  cours  plénières,  specialis  etc.,  pour 
les  autres.  Or,  les  qualificalifs  manquent  en  général  avant  le  xii"  siècle. 
Je  n'en  rencontre  guère  dans  les  diplômes  que  tout  au  début  da 
X»  siècle  (Dipl.  de  Charles  le  Simple  (916),  H.  F.  IX,  526  :  «  Habite 
generali  placito  apud  Haristallium  in  conventu  totius  regnî  »),  et 
puis  dans  la  charte  fausse  de  Saint-Denis,  datée  de  i008  (soleimis 
curia,  (I.  F.  X,  593);  ou  bien  ils  ne  défînissent  rien  (par  exemple 
commune  con>silium,  regale  concilium,  pu&/icum colloquium,  etc.).  La 
locution  solennis  curia  se  trouve  dans  Hariulf,  stiprd,  p.  436,  note  1. 
*  Luchaire,  I,  p.  247. 

2  Ibid.,  I,  p.  244. 

3  Ibid.,  I,  p.  257-258. 

^  Helgaud  énumère  comme  regni  sedes  :  Paris,  Senlis,  Oriéanai 
Dijon,  Auxerre,  Avalon,  Melun,  Étampes.  —  On  trouvera  une  liste 
des  séjours  du  roi,  de  Robert  II  à  Louis  le  Gros,  dans  un  Appendice 
de  VlUstoirc  dea  institution  de  M.  Luchaire  (II,  p.  329-331).  —  D 
est  à  remarquer  que,  pendant  le  carême,  le  roi  du  x*  siècle  faisait  une 
tournée  traditionnelle  de  con vents  :  <c  dum  ex  conmetudine  loca 
Sanctorum  quadragesimali  tempore,  causa  orationis  AugustoduDO  ré- 
sidentes, circumiremus  »  (Diplôme  de  Raoul,  928,  H.  F.  IX,  573). 


ORGANES  ET  MOYENS  DICTION  DE  LA  ROYAUTÉ.   445 

exceptionnellement,  là  où  l'appelaient  les  affaires  de  l'État, 
notamment  les  expéditions  guerrières.  Nous  avons  plusieurs 
diplômes  délivrés  par  le  roi  et  ses  fidèles  devant  une  place 
assiégée  ^ 

Le  noyau  de  la  cour  était  donc  formé  tout  d'abord  par 
l'entourage  ordinaire  du  souverain,  par  la  cour  du  palais 
dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure  et  qui  comprenait  de 
tout  autres  seigneurs  que  ceux  de  la  région  immédiate. 
A  eux  s'ajoutaient  tous  les  milites  ou  les  clercs  que  l'ambi- 
tion, la  brigue,  l'intérêt,  les  devoirs  du  service  avaient 
conduits  ou  retenus  auprès  du  roi.  Il  convoquait  en  outre 
à  sa  cour,  suivant  la  nature  de  l'affaire  qui  lui  serait  sou- 
mise, les  diverses  catégories  de  personnes  qui  devaient  y 
être  présentes  ou  représentées  pour  qu'elle  pût  prendre 
une  résolution  efficace. 

N'oublions  pas,  en  effet,  que  c'était  souvent  en  vue 
d'un  objet  spécial  que  la  cour  restreinte  était  convoquée  et 
remarquons  que  le  roi  pouvait  être  saisi  d'une  affaire  par 
un  solliciteur  venu  de  loin. 

S'agit-il  des  rapports  du  souverain  avec  les  princes  de  la 
Gaule  ou  de  ces  princes  entre  eux  (question  de  paix  ou 
de  guerre,  d'alliance,  de  service,  etc.),  la  cour  du  roi  est 
la  cour  des  pares  Francorum^  sans  qu'ils  la  composent 
d'une  façon  exclusive;  —  des  rapports  du  roi  avec  les 
évêques,  les  abbés  ou  les  chapitres,  elle  devient  un  synode^ 
dont  les  laïques,  du  reste,  ne  sont  pas  plus  exclus  qu'ils 
ne  le  sont  des  conciles;  —  des  rapports  du  roi  enfin,  soit 
avec  ses  vassaux  soit  avec  les  simples  sujets,  elle  siège 
comme  cour  féodale  ou  comme  cour  des  fidèles,  sous  la  ré- 
serve que  la  première  peut  faire  l'office  de  la  seconde  et  la 
cour  du  palais  l'office  de  toutes  deux.  Il  en  va  de  même 

*  Diplôme  de  Robert,  1005  (H.  F.  X,  586)  :  «  actum  apud  Avalonem 
castrum  in  obsiclione  »  ;  —  diplôme  de  Henri,  1058  (H.  F.  XI,  599)  : 
«  actum  publiée  in  obsidione  castri  quod  vocatur  Timerias  ».  —  Cf. 
Dipi.  de  Henri,  1053  (H.  F.  XI,  592)  :  «  actum  est  Carisiaco  palatio, 
astante  exercitu  ». 


446  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   VI. 

des  contestations  judiciaires  dont  le  roi  est  saisi  :  elles 
sont  jugées  régulièrement  par  la  cour  du  palais,  où  Télé- 
ment  religieux  et  Télément  laïque,  la  vassalité  féodale  et 
la  simple  fidélité  sont  représentés;  mais,  en  cas  d'arbi- 
trage surtout,  et  suivant  l'importance  de  l'affaire,  elles 
peuvent  l'être  par  une  cour  spéciale  où  les  pairs  propre- 
ment dits  des  parties,  leurs  seigneurs  immédiats  ou  leurs 
suzerains  tiennent  une  place  beaucoup  plus  grande. 

On  le  voit,  la  composition  de  la  cour  restreinte  n'est 
pas  plus  homogène  et  fixe  que  celle  des  cours  plénières. 
La  seule  règle  de  droit  qui  se  dégage  est  que  suivant 
l'objet,  la  nature  des  délibérations,  la  qualité  des  pe^ 
sonnes  intéressées,  etc.,  tel  de  ses  éléments  constitutifs 
doit  s'y  trouver  en  prépondérance.  Pour  le  surplus,  le 
lieu,  le  temps,  les  circonstances  président  à  son  recru- 
tement. 

Cela  dit,  interrogeons  les  diplômes  royaux  sur  l'époque, 
le  siège  et  la  composition  de  fait  des  cours  non  solennelles. 
Je  m'en  tiendrai  aux  derniers  Carolingiens  et  aux  pre- 
miers Capétiens.   Malheureusement  nous  ne  sommes  pas 
en  mesure,  par  les  raisons  que  j'ai  dites,  de  distinguer 
avec  certitude  les  actes  qui  émanent  des  cours  restreintes 
de  ceux  qui  proviennent  soit  de  la  cour  du  palais  soit 
même  d'une  cour  plénière.  Par  là  nous  nous  trouvons 
réduits  à  une  pure  approximation.  La  confusion  est  sur- 
tout fâcheuse  au  regard  de  la  composition  de  la  cour. 
J  ai  dû,  pour  ne  pas  Taggraver,  laisser  de  côté  les  diplômes 
de  Philippe  V%  sous  lequel  la  cour  du  palais  a  pris  une 
place  de  plus  en  plus  envahissante  et  me  borner  dès  lors 
sur  ce  sujet  aux  actes  de  Hugues  Capet,  de  Robert  et 
de  Henri.  Les  actes  des  Carolingiens,  étant  dénués  de 
souscriplion,  ne  nous  renseignent  pas  sur  les  personne» 
qui  ont  concouru  à  leur  délivrance. 

Sur  quarante  diplômes  datés  de  Louis  d'Outremer,  de 
Lothaire  et  de  Louis  V,  la  moitié  appartient  aux  quatre 
mois  d'hiver,  neuf  au  printemps  (mars  à  juin),  huit  à  l'été 


ORGANES   ET   MOYENS   d' ACTION   DE    LA   ROYAUTÉ.       447 

(juillet-août),  trois  à  l'automne  (septembre-octobre)*,  au 
lieu  que  sur  cinquanle-neuf  diplômes  capétiens,  la  moitié 
est  du  printemps,  dix-sept  de  Thiver,  cinq  seulement  de 
^été^  Il  y  a  plus  de  similitude  de  dates  entre  les  actes  des 
Capétiens  et  ceux  de  Charles  le  Simple  qui,  sur  soixante- 
treize,  nous  en  offrent  trente-huit  du  printemps*. 

Le  fait  saillant  quant  aux  localités  où  le  roi  tient  sa  cour  et 
déUvre  ses  diplômes  est  le  déplacement  vers  le  Sud -Ouest. 
Il  est  sensible  déjà  chez  les  Carolingiens,  il  s'accentue  et 
prévaut  sous  les  Capétiens.  De  cinquante-huit  diplômes  des 
trois  derniers  Carolingiens,  les  deux  tiers  (35)  sont  datés 
de  Laon,  de  Reims  et  de  Compiègne*,  pas  un  seul  de  Sen- 
tis ni  de  Paris.  Au  contraire,  sur  126  diplômes  capétiens, 
je  n'en  vois  que  26  de  Compiègne,  Laon  et  Reims*,  tan- 
dis que  j'en  trouve  79  (soit  de  nouveau  les  deux  tiers)  de 
Senlis,  Paris  et  des  résidences  royales  situées  au  Sud, 
à  rOuest,  et  au  Sud-Ouest  de  la  future  capitale*. 

Si  nous  considérons  la  composition  de  la  cour,  sous 
Robert  et  Henri,  dans  la  mesure  où  les  souscriptions  nous 
la  décèlent,  nous  y  voyons  figurer  fréquemment  les  arche- 
vêques de  Sens  et  de  Reims,  plus  rarement  ceux  de  Tours 
et  de  Bourges,  très  exceptionnellement  celui  de  Rouen'. 
Les  souscriptions  desévêques  des  deux  premières  provin- 

*  Voici  le  détail  pour  les  diplômes  que  j'ai  étudiés  :  novembre  et 
décembre,  chacun  5;  janvier  4;  février  6  ;  mars  2;  avril  1;  mai  et  juin, 
chacun  3;  juillet  et  août  4;  septembre  2  ;  octobre  4. 

2  Les  plus  forts  mois  sont  janvier  (9)  et  mai  (14).  Viennent  ensuite 
septembre  (6),  avril  et  juin  (5),  mars  et  décembre  (4),  juillet  et  octo- 
bre (3),  août  (2),  novembre  (1). 

^  Sur  ce  nombre,  20  sont  de  juin,  9  d'avril,  etc. 

*  17  sont  de  Laon,  12  de  Compiègne,  6  de  Reims,  1  de  Soissons. 
^  15  de  Compiègne,  7  de  Laon,  4  de  Reims,  6  de  Soissons. 

^  36  de  Paris  et  de  sa  grande  banlieue  (Saint-Denis,  Boulogne, 
Chelles);  11  de  Senlis;  10  de  Pontoise,  Poissy,  Melun;  7  d'Étampes; 
18  d'Orléans,  Fleury,  Vitry-aux-Loges.  —  Raoul  Glaber  appelle  Or- 
léans :  ((  principalis  sedes  regia  »  (II,  5,  p.  36). 

'  Sens  :  8;  Reims  :  6  ;  Bourges  :  4;  Tours  :  3  ;  Rouen  :  1. 


450  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE   VI. 

gale  obsequium^  et  vivent  dans  Tintimité  des  mioisteria- 
les  dont,  à  tour  de  rôle,  ils  sont  les  commensaux*  ;  2*  les 
nourris,  placés  sous  les  ordres  directs  des  minisieriales, 
pour  être  instruits  aux  divers  offices  et  au  métier  des 
armes';  3®  les  serviteurs  {pueri)  et  vassaux  des  classes 
précédentes,  entretenus  chacun  par  son  maître  ou  sei- 
gneur^  On  voit  sans  peine  qu'il  eût  été  impraticable  ou 
absurde  de  comprendre  cette  mt^//t/t^(/^  de  serviteurs  dans 
la  cour  du  palais.  De  même  qu'au  convenius  carolingien, 
les  principes  représentaient  la  nation,  de  même,  les  chefs 
de  la  maisnie  la  représentaient  au  conseil  privé  du  prince. 
Les  diplômes  du  xi*  siècle  les  appelleront  :  palatii  proce* 
res^j  primores  palatii*.  Ainsi  le  noyau  de  ce  conseil  était 
formé  de  tous  ceux  qui  présidaient  aux  divers  services  du 
palais  :  services  intéressant  directement  la  chose  publi- 
que, services  d'économie  domestique,  pourvoyant  à  la  sub- 
sistance, à  l'entretien,  aux  aises  delà  personne  du  roi,  de 

y  «  Ut  absque  ministeriis  expediti  milites,  anteposita  dominorum 
benignitate  et  soUicitudine,  qua  nunc  victu,  nunc  vesiitu,  nunc  auro, 
nunc  argento,  modo  equis  vel  cœteris  ornamentis  interdum  specialiter, 
aliquando  prout  tempus  ratio  et  ordo  condignam  potestatem  admi- 
nistrabat,  sa;pius  porrectio,  in  eo  tamen  indeficientem  consolationem 
necnon  ad  regale  obsequium  inflammatum  animum  ardentius  semper 
habebant  :  quod  illos  prœfati  capitanei  ministeriales,  certatim  de  die 
in  diem,  nunc  istos,  nunc  illos  ad  mansiones  suas  vocabant,  et  noa 
lam  gulic  voracitate,  quam  ver<B  familiaritatis  seu  dilectionis  amore... 
impendere  sludebant  »  (Hincmar,  cap.  27). 

2  «  Aiter  ordo  per  singula  ministeria  discipulis  congruebat,  qui  ma- 
gistro  suo  singuli  adhœrentes...  »  (cap.  28). 

'  «  Terlius  ordo  item  erat  tam  majorum  quam  minorum  in  pueris 
vel  vasallis,  quos  unusquisque,  prout  gubernare  el  sustentare... 
poterat,  studiose  liabere  procurabant  »  {IbiiL). 

*  Dipl.  de  i^obert  II,  1022,  H.  F.  X,  35. 

s  «  Agonies  consilium  cum  proceribus  et  primoribus  palatii  nostri  » 
(Henri  I«%  lOol,  H.  F.  XI,  588).  Ils  étaient  par  excellence  les  fidèles 
(fidèles^  Diplômes  de  Philippe  le,  1005,  1074,  1086),  les  fidèles  de  la 
cour,  nostrae  curix  fidèles  (lîenri  !«',  1031,  H.  F.  XI,  566),  les  palatini 
(Philippe,  1068),  les  curiales  (Philippe,  1061,  1071),  aulici  [Vie  de 
saint  Oury,  infrà). 


ORGANES   ET   MOYENS   d'ACTION   DE    LA   ROYAUTÉ.       449 

dès  Tépoque  carolingienne,  la  familia^  la  domestica  do- 
mus^  du  roi  avait  pris  une  très  grande  extension.  Hinc- 
mar  nous  apprend  que  la  population  permanente  du  palais, 
qu'il  distingue  avec  soin  de  la  population  flottante  des 
allant  et  venant^,  était  légion',  et  nous  connaissons,  grâce 
à  lui,  ses  parties  constitutives,  qui  se  retrouvent  avec  une 
clarté  parfaite  dans  les  monuments  du  x"  et  du  xi*  siècles. 
Au  premier  rang  se  présentent  les  capitanei  ministeriales^ 
dont  nous  traiterons  plus  loin,  les  austaldi  [gastaldi]  in 
ministeriis^  comme  les  appelle  déjà  un  capitulaire  de  Pépin*. 
Viennent  ensuite  trois  ordres  ou  classes  (ordines)  :  1*  les 
milites  absque  ministeriis  expediti"^,  palatini  milites^, 
hommes  dé  guerre,  qu'en  langage  moderne  nous  dirions 
en  disponibilité,  qui  reçoivent  au  palais,  en  dehors  du  vi- 
vre et  du  couvert  (victu  et  vestitu),  des  libéralités  fréquen- 
tes en  or,  argent,  destriers,  parures  de  luxe,  qui  sont  par 
là  remplis  d'une  incessante  ardeur  au  service  du  roi,  re- 
noie d,  porte  «  placitiim  »).  Dans  le  diplôme  de  Philippe  ler  pour 
Saint-Médard  de  Soissons  (Compiègne,  1066.  Mabillon,  De  re  diplo^ 
maticaj  p.  585-586}  figurent  après  les  souscriptions  de  six  évoques 
et  de  six  seigneurs  laïques,  celles  de  onze  serviteurs  du  roi  «  familia 
régis  »,  en  tête  desquels  quatre  grands  officiers.  —  Il  y  avait  natu- 
rellement de  nombreux  degrés  dans  la  familia;  il  y  eut  pour  chaque 
catégorie  des  famuli  et  des  familiores.  Cf.  ce  passage  de  Raoul  Ardent  : 
«  Rex  terrenus,  venturus  in  aliquam  urbem  multos  praemittit  praeam- 
bulos,  adventus  sui  nuntios,  et  jam  intraturus  nuntium  familiarorem 
sibi  prœmittit  »  (Sermon  XI,  Migne,  155,  c.  1339). 

*  «  Domestica  domus  vestra  aliter  obsequiis  domesticorum  repleri 
non  poterit,  nisi  habueritis  unde  eis  meritis  respondere  et  indigentiae 
solatium  ferre  possitis  »  (845,  Cap.,  II,  403). 

2  «  Absque  his,  qui  semper  eundo  et  redeundo  palatium  frequenta- 
bant  »  (Cap.,  II,  p.  526). 

3  «  Et  ut  ilJa  multitudo,  quae  in  palatio  semper  esse  débet,  indefi- 
cientes  persistere  posset  »  (cap.  27,  p.  526). 

*  «  Austaldi  nostri  in  nostris  ministeriis  »  (801-810,  cap.  10,  I, 
p.  210). 

*  Hincmar,  cap.  27. 

«  Cf.  Ann.  Fuld,  894,  p.  123  (éd.  Kurze). 

F.  —  Tome  III.  29 


450  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE   VI. 

gale  obsequium^  et  vivent  dans  rintimité  des  miaisterift* 
les  dont^  à  tour  de  rôle,  ils  sont  les  commeasaax^;  2*  les 
nourris,  placés  sous  les  ordres  directs  des  minisieri€Ues^ 
pour  être  instruits  aux  divers  offices  et  au  métier  des 
armes  ^;  3®  les  serviteurs  {pueri)  et  vassaux  des  classes 
précédentes^  entretenus  chacun  par  son  maître  oa  sei- 
gneur^  On  voit  sans  peine  qu'il  eût  été  iropralicable  on 
absurde  de  comprendre  cette  mi<//t7{i(/^  de  serviteurs  dans 
la  cour  du  palais.  De  même  qu'au  conventus  caroIingieDy 
les  principes  représentaient  la  nation,  de  même,  les  chefs 
de  la  maisnie  la  représentaient  au  conseil  privé  da  prince. 
Les  diplômes  du  xi^  siècle  les  appelleront  :  palaiii  proee^ 
res^j  primores  palatii*.  Ainsi  le  noyau  de  ce  conseil  était 
formé  de  tous  ceux  qui  présidaient  aux  divers  services  dn 
palais  :  services  intéressant  directement  la  chose  publi- 
que, services  d'économie  domestique^  pourvoyant  à  la  sub- 
sistance, à  Tentretien,  aux  aises  delà  personne  du  roi|  de 

y  «  ut  absque  ministeriis  expedlti  milites,  anteposita  domÎDomiii 
benignitate  et  soUicitudine,  qua  nunc  victu,  nunc  vestîtu,  nunc  aurOi 
nunc  ar^^ento,  modo  cquis  vel  cœteris  ornamentis  interdum  specialiter» 
aliquando  prout  tempiis  ratio  et  ordo  condignam  potestatem  admi- 
nistrabat,  sœpius  porrectio,  in  eo  tamen  indeOcientem  consolatioiifim 
necnon  ad  regale  obsequium  inflammatum  animum  ardentius  semper 
habebant  :  quod  illos  prœfati  capitanei  ministeriales,  certatim  de  die 
in  diem,  nunc  istos,  nunc  illos  ad  mansiones  suas  vocabani,  et  non 
tam  gulaî  voracitate,  quam  vera;  familiaritatis  seu  dilectionis  amore... 
impendere  sludebant  »  (Hincmar,  cap.  27). 

2  «  Alter  ordo  per  singula  ministcria  discipulis  congruebat,  quima- 
gislro  suo  singuli  adha;renles...  »  (cap.  28). 

'  ((  Terlius  ordo  item  erat  tam  majorum  quam  minorum  in  pueris 
vel  vasijillls,  quos  unusquisque,  prout  gubernare  et  sustentare-. 
poterat,  studiose  habere  procurabant  »  (I6ù/.). 

*  Dipl.  de  Hobert  II,  1022,  H.  F.  X,  35. 

^  «  Agonies  consilium  cum  proceribus  et  primoribus  palatii  nostri  • 
(Henri  I",  iOol,  H.  F.  XI,  588).  Ils  étaient  par  excellence  les  Bdèles 
{fidèles,  Diplômes  de  Philippe  le',  1065,  1074,  1086),  les  fidèles  de  la 
cour,  noslrœ  curix  fidèles  (Henri  !«',  1031,  H.  F.  XI,  566),  les  paiaUni 
(Philippe,  1068),  les  cima/cs  (Philippe,  1061,  1071),  aulici  (^e  de 
saint  Oury,  infrà). 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYAUTE.       431 

sa  famille,  de  sa  maison.  Mais  ils  ne  constituent  pas  la  cour 
du  palais  à  eux  seuls. 

A  toutes  les  époques  du  viii°  au  xii*  siècle,  vous  trou- 
vez mentionnés  dans  les  textes  des  conseillers  attitrés*, 
seigneurs  ecclésiastiques  ou  laïques,  ne  résidant  pas  en 
permanence  à  la  cour,  mais  y  faisant,  selon  la  volonté  du 
roi,  des  séjours  plus  ou  moins  prolongés^;  rattachés  ainsi 
au  palais  par  un  lien  durable,  encore  que  leur  présence  ne 
soit  qu'intermittente;  affiliés,   dirai-je,  à  la  maisnie,   au 

*  «  Una  cum  sacerdolibus  et  cotisiliarm  noslris  »  (Admonitio  gen. 
de  Charleraagne,  789,  Capit.  [,  p.  53).  — «  Hœc  sunt  capitula  quaî  dom- 
nus  Karolus...  jussit  scriberc  in  consilio  suo  »  (Capit.  ieg.  add.  803, 
I,  p.  H 3). — «  Intercunctos  imperiisui  primates  quos  consilio  suoads- 
civerat  (L.  le  Pieux)  Hilduinum  abbatem...  in  tantum  amavit  et  ex- 
tuiit,  utei  specialius  quidquid  secretiustractandum  esset  committerel, 
eumque  archicapellanum  in  omni  imperio  suoconstitueret  »  [Transla- 
tio  S.Sebastiani,  Mabillon,  S.  B.  IV,  1,  387).  —  Le  comte  Bouchard  est 
comiliariiis  de  Hugues  Capet  {Vita  Burcardi,  p.  1,  C.  T.)  Hugues  de 
Beauvais  est  consiliator  de  Robert  II  (H.  F.  X,  574  B).  Le  biographe 
de  révoque  d'Orlt^ans  saint  Thierry  nous  le  montre  appelé  au  conseil 
de  Robert  :  «  Hic(Robertus)...  eum  ad  curiam  accersivit.  Quem  fîde- 
lem  admodum  et  prudentem  experiens,  cœpit  ejus  uti  consiliis  et 
jura  regalia  ei  tradere  disponenda,  »  {Vita  S.  Theoderici,  Duchesne, 
IV,  p.  164  A).  Un  autre  conseiller  privé  du  même  roi,  le  comte 
Manassès  figure,  avec  le  titre  de  a  secretis,  dans  un  diplôme  de 
1031  (Cart.  de  Notre-Dame  de  Chartres,  I,  p.  87)  où  la  synonymie 
de  consiliarius  et  de  a  secretis  n'est  pas  douteuse  (Voyez,  par 
exemple,  Translatio  S.  Sebastiani,  Mabillon,  S.  B.  IV,  1,  387,  «  Ro- 
doinus...  tantam  ab  eo  (Louis  le  Pieux)  adeptus  est  gratiam  ut  eum 
tam  pro  amore  pii  patris  Hilduini  in  cujus  obsequio  aulam  regiam 
frequentabat,  quam  et  pro  sagaci  industria...  si  quando  de  regni  uti- 
litatibus  tractandum  esset,  eum  inter  eos  qui  a  secretis  erant  libenter 
admitteret  ».  Cf.  aussi  Reginon  ad.  an.  901  :  consiliarius  a  secreto,  et 
Dipl.  d'Otton,  980  {Dipl,  p.  245)  :  consecretales  palatii).  —  Froger  de 
Chàlons  fut  certainement  aussi  un  conseiller  privé  de  Philippe  P"^  (Cf. 
Luchaire  II  (Appendices),  p.  302). 

2  «  Ipse  vero  episcopus  intérim  regiis  occupatus  obsequiis,  cursum 
direxit  ad  curtem,  ibique  apud  aulicos  digno  honore  diu  retentus, 
tandemque  requisita  salubri  licentia  domum  repedavit  »  {Vie  de  saint 
Ouryy  Mabillon,  S.  B.  V,  424). 


432  LIVRE    IV.    —   CHAPITRB   VI. 

comitattis  du  roi,  sans  y  être  pleinement  incorporés.  Le 
nombre  de  ces  conseillers  ne  devait  pas  être  fixe;  ils 
étaient  choisis  et  non  point  nommés;  la  durée  de  leurs 
fonctions  était  indéterminée;  ils  n'étaient  pas  nantis  d'une 
charge,  mais  ils  étaient  investis  de  la  confiance  du  souve- 
rain, selon  leur  expérience,  leurs  aptitudes,  leur  fidélité. 
Le  roi  les  convoquait  spécialement  quand  il  avait  besoin 
de  leur  concours,  ou  bien  il  les  retenait  auprès  de  lui,  les 
emmenait  avec  lui,  pendant  des  mois,  des  années  même, 
fussent-ils  évêques  ou  abbés. 

La  cour  du  palais  assistait  le  roi  dans  l'exercice  de  tou- 
tes ses  attributions,  législatives,  executives,  judiciaires*. 
Comme  les  Gdèles  ou  les  vassaux  avaient  un  droit  propre 
de  participer  à  ce  même  exercice  et  que  la  plupart  des 
palatins  cumulaient  en  leur  personne  la  qualité  d'officiers 

*  N*cst-cepas  la  cour  du  palaisquenous  voyons  fonctionner,  comme 
tribunal  du  roi,  dès  le  dc^but  du  xe  siècle,  sous  le  nom  diéchevim  du 
palais?  Charles  le  Simple,  saisi  d'une  contestation  la  fait  juger  par 
les  échovins  de  son  palais,  dont  ses  autres  fidèles  se  bornent  &  cer- 
tifier la  sentence  :  «  Ad  causas  nostras  ejus  proclamationem  mittens, 
judicio  scabinoritm  palatii  nostri  et  attestatione  omnium  fideiium 
nostrorum...  reddimus...  Hœc  sunt  nomîna  qui  prsfatum  contulerunt 
judicium,  vidolicet  Fpiscoporum  (5)...  sed  comitum  (12)  nec  non  et 
scabinorum  (17)»  (Juin  919,  H.  F.  IX,  542).  —  Au  xi*  siècle,  je  crois 
reconnaître  la  cour  du  palais  dans  le  diplôme  suivant  de  Philippe  I**  : 
«  E^oPhilippus...  quia  exeunte  me  de  Flandrensium  comitis  Balduini 
mundiburdio  querela  exorta  est  inter  R.  abbat.  et  W.  comitem  de 
consuetudinibus  ecclesiie  S.  Medardi  quas  comes  W.  suis  usibus 
injuste  applicare  volebat...  Hîb  omnes  consuetudines  judicio  proce- 
rum  nostrorum  scilicet  Rogerii  episcopi  Gatalaunensis  et  Erchebald 
de  Burbone,  et  Waleranni  camerarii  et  Rodulphi  dapiferi,  et  Ingenulfl 
buticularii,  et  Baldrici  constabularii  et  cœterum  procerum  nostrorum 
per  manu  m  nostram  Deo  et  S.  Med.  libère  adjudicatae  et  reddita  sunt 
...  Signavimus  sub  testimonio  testium  infrà  scriptorum.  S.  Ph*  régis 
S.  Ri  ep.,  S.  E^  ep.,  S.  W»  camerarii,  S.  Walaranni  Balbi,  S.  R»  da- 
piferi,  S.  Albrici  de  Cociaco,  S.  Widonis  de  Cercheia,  S.  Theoderici 
majoris  S.  Rohardi  majoris  »  (1065,  Toussaint  du  Plessis,  Hist.  de  la 
ville  et  des  seigneurs  de  Coucy,  Paris,  1728,  in-4«,  Preuves, 
p.  129}. 


ORGANES   ET   MOYENS    d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.       453 

du  roi  {minislri,  ministeriales^  satellites,  etc.)  avec  celle  de 
fidèles,  on  s'explique  que  la  cour  du  palais  ait  pu  un  jour, 
avec  la  pairie  princière,  prendre  la  place  des  cours  solen- 
nelles et  des  cours  restreintes.  A  Tépoque  que  nous  élu- 
dions, cette  substitution  était  loin  d'être  accomplie.  Le  rôle 
des  palatins  était  même  plus  officieux  qu'officiel.  Leur  au- 
torité n'en  apparaît  que  plus  forte,  puisqu'elle  se  couvrait 
de  la  personne  du  roi,  mais  leur  réunion  manquait  encore 
d'une  cohésion  suffisante  pour  être  un  corps  politique. 
C'était,  en  somme,  une  organisation  très  diETérente  de  celles 
qui  nous  sont  familières.  Elle  était  fixe  dans  son  principe, 
flottante  dans  sa  constitution.  Seul  le  noyau  offrait  une 
consistance  véritable.  Aussi  finit-il  par  prévaloir  en  même 
temps  qu'il  se  concentrait.  Les  conseillers  attitrés  furent 
pourvus  régulièrement  des  grandes  charges  du  palais,  et 
le  nombre  des  officiers  qui  composaient  la  cour  alla  en 
se  rétrécissant.  Hincmar  énumérait  outre  les  cinq  offices 
du  chancelier,  camerier,  sénéchal,  bouteillier,  connétable, 
ceux  du  comte  du  palais,  de  l'apocrisaire  ou  chapelain,  du 
mansionier,  des  veneurs,  du  fauconnier*,  sans  parler  des 
sous-ordres^.  Or,  il  n'est  pas  douteux  que  les  uns  et  les 
autres  sont  appelés  encore  concurremment,  au  xi*  siècle, 
à  souscrire  les  actes  royaux  '. 

D'autre  part  les  offices  qu'Hincmar  appelle  capitanei^ 
que  l'on  peut  dire  fondamentaux,  puisqu'ils  apparaissent 

^  De  ordine  palatii,  cap.  16. 

2  «  Et  quamvis  sub  ipsis  aut  ex  lalere  eorum  aJii  ministeriales 
fuissent,  et  ostiarius,  saccellarius,  dispensator,  scapoardus,  vel  quo- 
rumcunque  ex  eis  juniores  aut  decani  fuissent,  vel  etiam  alii  ex  la- 
lere, sicut  bersarii,  veltrarii,  beverarii,  vel  si  qui  adhuc  supererant  » 
(Ibid,,  cap.  17). 

3  M.  Luchaire  a  très  bien  prouvé  (I,  p.  160  suiv.)  qu'avant  l'ex- 
trême fin  du  xi«  siècle,  les  souscriptions  des  cinqgrands  officiers  (chan- 
celier, sénéchal,  chambrier,  bouteillier,  connétable)  n'ontrien  de  ré- 
gulier, et  que  les  officiers  inférieurs  (queux,  cubiculaires,  chapelains, 
maréchaux,  etc.)  figurent  pêle-mêle  avec  eux  dans  la  souscription 
des  actes. 


454  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   VI. 

déjà  dans  la  loi  salique  ou  qu'ils  avaient  été  empruntés  à  Tad- 
ministration  romaine,  avaient  des  titulaires  multiples  ^  Du 
IX®  au  XI''  siècle,  Tun  d'entre  eux  sort  des  rangs,  prend  la 
tête,  voit  s'étendre  ses  attributions  politiques,  et  reçoit  uo 
nom  distinctif,  tandis  que  le  nom  primitif  demeure  aux 
autres ^  De  la  sorte  se  constituent  et  se  dégagent  les  cinq 
grands  offices  de  la  couronne  dont  les  titulaires,  à  partir 
de  la  fin  du  xi"  siècle,  forment  essentiellement  la  cour 
du  palais  et  figurent  désormais  seuls  dans  les  diplômes 
royaux  *. 

La  concentration  des  pouvoirs  ne  s'arrêta  pas  là.  Nous 
allons  voir,  à  l'instar  de  ce  qui  s'était  passé  sous  la  pre- 
mière race  pour  les  fonctions  de  maire  du  palais,  l'un  des 
grands  officiers,  le  sénéchal,  devenir  le  chef  omnipotent  de 
la  cour,  major  domus  regi^.  C'est  un  des  aspects  essen- 
tiels de  rhistoire  des  grands  offices,  histoire  que  nous 
devons  maintenant  esquisser. 

IV.  La  genèse  des  grands  offices  de  la  couronne. 

La  cour  primitive  du  roi  franc  paraît  avoir  été  composée 
surtout  des  anUmstions.  Ils  étaient  les  domestici^  par  excel- 
lence, formant  la  garde  du  roi  ^  et  faisant  partie  de  son 

*  Cf.  Hincmar,  op,  cit^  cap.  18. 

2  Cubiculnrhis^  scantiOy  marencalcusj  noms  primitifs  du  chambrier, 
du  bouteillier,  du  connétable,  restent  à  leurs  inférieurs. 

'  Le  premier  acte  royal  où  les  cinq  grands  officiers  apparaissent 
au  complet  est  le  diplôme  de  Henri  P^pour  saint  Martin  des  Champs 
(4060,  CartuL  de  PariSj  p.  124).  Mais  ils  ne  s*y  présentent  pas  comme 
formant  un  corps.  Voici,  en  etl'et,  dans  quel  ordre  les  souscriptions, 
fort  nombreuses,  sont  disposées  :  i-2  les  archevêques  de  Sens  et  de 
Reims,  3-4  l'évêque  et  l'archidiacre  de  Paris,  5  le  chancelier,  6-7  deux 
chapelains,  8  Raoul  de  Valois, 9  Thibaut  de  Montmorency,  10 le  cham- 
brier,  14  le  connétable,  12  le  sénéchal,  13  le  bouteillier,  14  un  queux, 
15  Raoul  de  Beauvais,  16  un  sous-chambrier...,  31  un  queux. 

*  Les  antrustions  paraissent  correspondre  aux  protectores  romains 
(garde  de  l'empereur)  qui  portaient  déjà  le  titre  de  domestici  (Cf. 
Brunner,  II,  p.  99,  note  8,  et  Bouché- Leclercq,  Manuel  des  antiquités 
romaines,  p.  319). 


ORGANES  ET    MOYENS   D'ACTION   DE   LA   ROYAUTÉ.      455 

conseil*.  Leur  chef  élail  le  plus  ancien  des  ministeriales 
ou  officiers,  le  senescalcus^y  chef  du  palais  roysil,  préefecitis 
palatiP^  major  domus.  En  celte  qualité,  comme  dispensa- 
teur des  largesses,  des  bénéfices,  du  roi,  comme  prin- 
cipal et  permanent  assesseur  du  tribunal  royal,  il  acquiert 
la  haute  main  sur  l'adminislralion  du  domaine  et  finale- 
ment sur  l'État,  dont  il  est  le  régent  en  cas  de  minorité. 
11  monte  sur  le  trône  en  la  personne  de  Pépin.  Sa  fonction 
alors  disparaît  et  disparaissent  en  même  temps  les  an- 
truslions  eux-mêmes.  Ils  sont  remplacés  par  A^s^vassi  do- 
minici  qui  en  grand  nombre  résident  auprès  du  souverain 
et  exercent  les  offices  traditionnels  de  l'économie  domes- 
tique, dapifer  ou  infertor,  chambrier  ou  trésorier,  échan- 
son,  maréchal*. 

Le  roi  franc  tenait  table  ouverte;  l'office  d'ordonnateur 
et  de  pourvoyeur  des  festins  quotidiens  du  palais  [dapi- 
fer) était  dès  lors  une  charge  de  grande  importance.  Elle 
fut  confiée  à  l'ancien,  au  major  ou  senescalcus^  qui  rede- 
vint ainsi  un  major  domiis,  mais  dans  un  autre  sens  que 
l'avait  été  le  maire  du  palais.  Les  principales  attributions 
politiques  et  domaniales  de  celui-ci  passèrent  au  comte  du 
palais  et  au  chambrier. 

Le  comte  du  palais,  jusque-là  simple  assesseur  de  la 
cour  palatine,  chargé  surtout  de  certifier  les  jugements 
rendus  par  elle,  siégea  régulièrement  aux  côtés  du  roi, 
puis  en  ses  lieu  et  place,  et  acquit  de  la  sorte  une  juridic- 
tion propre,  en  même  temps  qu'il  fit  office  de  maître  des 
requêtes.  Il  eut  sous  sa  surveillance  la  rédaction  des  actes 
judiciaires  et  par  suite  sous  ses  ordres  de  nombreux  réfé- 

»  Ed.  Chilpéric,  c.  1  (Capit.  I,  p.  8). 

2  Siniscalhf  sinis  =  sins  (senex),  scalh  =  scalc  (famulus).  Cf. 
Brunner,  II,  p.  iOl  et  105. 

3  Souvenir  lointain  peut-être  du  préfet  du  prétoire. 

*  «  Vassis  nostris...qui...  nobis  assidue  in  palatio  nostro  serviunt  » 
(821,  Cap.  missor,,  c.  4,  II,  p.  300).  «  Vassalli  nostri  famulantes  nobis 
et  nostrœ  conjugi  »  (Édit  de  Pistes,  c.4,  II,  313). 


456  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  VI. 

rendaires  ou  scribes.  Les  autres  avaient  pour  chef  immé- 
diat le  chancelier.  Ce  n'est  qu'à  partir  de  l'an  819  que 
celui-ci  devint,  sous  le  titre  de  summus  canceUarius  ou 
archicancellarius,  un  véritable  dignitaire,  en  attendant 
que  par  le  cumul,  vers  856,  de  la  dignité  d'archichapelain, 
il  s'élevât  au  sommet  de  la  hiérarchie  palatine. 

Le  chambrier,  simple  trésorier  {thesaurarius)  à  l'époque 
mérovingienne,  est  au  ix*  siècle  un  personnage  politique 
de  premier  rang  et  comme  le  bras  droit  de  la  reine. 

Comte  du  palais,  chambrier,  chancelier,  archichapelain 
ou  apocrisaire,  tels  sont,  en  effet,  les  ofGciers  qui  tiennent 
la  tôte  du  palais  dans  Vordo  palatii  d'Hincmar. 

Il  ne  semble  pas  que  l'un  d'eux  eût  alors  le  pas  sur  les 
autres.  On  peut  remarquer  que  seuls  le  chambrier  et  Tapo- 
crisaire  font  partie  de  droit  du  grand  conseil,  mais,  par 
contre,  le  comte  du  palais  a  manifestement  un  rôle  capital; 
il  est  le  véritable  aller  ego  du  roi.  Nous  le  retrouverons 
dans  ce  rôle  aux  xi*  et  xii*  siècles,  comme  grand  of&cier, 
comme  pair  et  comme  premier  conseiller  de  la  couronne.  En 
tant  que  fonctionnaire  du  palais,  il  fut  remplacé  par  le  séné- 
chal qui,  vers  la  fin  du  xi®  siècle,  accapara  en  outre  une  grande 
partie  de  Tinfluence  politique  du  chancelier  et  du  chambrier. 

Nous  avons  donc  à  considérer  d'abord  les  offices  de 
comte  du  palais,  de  chancelier  et  de  chambrier,  à  raison  de 
l'antériorité  de  leur  importance  historique,  puis  le  séné- 
chalat  à  raison  de  Tépanouissement  de  puissance  qui,  sous 
Philippe  P%  l'a  placé  à  la  tête  ds  la  cour,  enfin  les  offices 
de  bouteillier  et  de  connétable  dont  le  rôle,  en  notre 
période,  est  encore  de  second  plan. 

V.  La  physionomie  des  grands  offices. 

1°  Le  comte  du  palais.  —  Au  ix*  siècle,  le  comte  da 
palais,  grand  dignitaire,  comme  nous  l'avons  vu,  avait,  au 
dire  de  Hincmar,  des  attributions  presque  innombrables*. 


*  «  Comitis  palatii  inler  caetera  pœne  innumerabilia  in  hoc  ] 
sollicitudo  erat  ut  omncs  contentiones  légales...  »  (Hincmar,  cap.  21). 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.      457 

Au  point  de  vue  judiciaire,  et  comme  introducteur  auprès 
du  roi,  il  avait  tous  les  intérêts  civils  dans  son  ressort, 
Tapocrisaire  les  causes  ecclésiastiques.  De  lui  dépendait 
le  sort  des  litiges;  il  les  tranchait  en  équité  ou  les  ren- 
voyait à  l'audience  royale  où  il  siégeait  lui-môme,  il  faisait 
expédier  les  sentences  et  les  munissait  du  sigillum  palaiii 
dont  il  avait  la  garde*.  Toute  requête  adressée  au  roi  devait 
passer  par  son  canal  et  pouvait,  au  passage,  être  arrêtée 
par  lui.  Il  représentait  enfin  le  roi  dans  les  missions  les 
plus  diverses,  à  Tarmée,  dans  le  pays,  auprès  des  prin- 
cipes^. 

C'est,  à  mes  yeux,  un  fait  très  saillant  que  le  comte  du 
palais,  au  xi*  siècle,  est  resté  une  doublure  du  roi.  L'au- 
torité de  Hugues  de  Beauvais,  comte  du  palais  de  Robert  II, 
ne  peut  se  comparer  qu'à  celle  d'un  régent  du  royaume 
ou  d'un  subregidus.  La  notion  semble  fondamentale.  Elle 
se  retrouve  en  Normandie,  en  Angleterre,  en  Allemagne'. 
L'évêque  de  Bayeux,  consul  palatinus  de  Guillaume  le 
Conquérant,  était, dit  Orderic  Vital,  «  velutisecundus rex^». 
Il  l'était  surtout  dans  le  Kent  dont  le  gouvernement  lui 
avait  été  remis,  et  telle  apparaît  aussi  dans  le  Winchester 
la  situation  de  Guillaume  Osberne*. 

Dès  l'époque  carolingienne  le  trait  distinctif  se  marque 
avec  force,  et  il  put  servir  au  roi,  en  multipliant  le  nombre 
des  comtes  du  palais  ^  d'établir  des  représentants  directs 

»  Capit.  de  Kiersy,  c.  17  (II,  p.  359). 

^  Brunner,  II,  p.  112. 

3  Pour  l'Allemagne  ce  caractère  a  été  très  bien  mis  en  lumière  par 
Waitz. 

*  «  Quid  loquar  de  Odone  Baiocasino  prœsule,  qui  consul  palati- 
nus erat,  et  ubique  cunctis  Angliœ  habitatoribus  formidabilis  erat, 
ac  veluti  secundus  rex  passim  jura  dabat?  Principatum  super  omnes 
comités  et  regni  optimates  habuit  »  (Orderic  Vital,  IV,  7,  T.  II, 
p.  222). 

5  Orderic  Vital,  IV,  1,  (T.  II,  p.  167). 

®  «  Adalardus  comes  palatii  remaneat  cum  eo  (filio  nostro)  cum  si- 
giUo.  Et  si  ipse  pro  aliqua  necessitate  defuerit,  Gerardus  sive  Fredri- 


458  LIVRE   IV.  —    CHAPITRE  VI. 

et  permanents  de  sa  personne  dans  les  régions  éloignées 
du  royaume.  Le  comte  du  palais,  dans  chacune  de  ces  ré- 
gions ou  groupes  ethniques,  était  investi  de  rautorité 
d'un  duc,  il  était  placé  au-dessus  des  comtes  qui  y  com- 
mandaient. Par  cela  même  et  sauf  pour  la  Francie,  la 
dignité  devenait  excentrique.  Elle  tenait  de  la  pairie  prin- 
cière  plus  que  de  la  fonction  palatine,  et  c*est  assurément 
une  circonstance  très  digne  d'attention  que  les  successeurs 
des  seigneurs  laïques  qui,  depuis  la  secondte  moitié  du 
X*  siècle,  paraissent  dans  les  chartes  avec  le  litre  de  comte 
du  palais  (comte  de  Blois,  de  Flandre,  de  Poitiers  et  de 
Toulouse)*  comptèrent  plus  tard  parmi  les  pairs  de  France. 
Ducange  avait  entrevu  que  la  dignité  de  comte  palatin  a 
dû  se  confondre  avec  celle  de  pair,  mais  il  a  cru  que  cette 
confusion  était  le  fait  des  chroniqueurs  qui  ont  appelé  les 
pairs  comtes  palatins*.  A  mon  sens,  elle  a  eu  une  portée 
bien  plus  grande,  et  loin  que  le  titre  de  comte  palatin  ait 
été  ajouté  par  surcroît  au  titre  de  pair  de  France,  c'est  lui 
qui  a  dû  contribuer  à  fixer  les  attributions  de  la  pairie  et 
à  en  déterminer  la  composition. 

Pour  le  surplus,  le  sénéchalat  et  la  chancellerie  ont, 
nous  le  verrons,  hérité  du  comitat  du  palais. 

2*"  La  chancellerie  et  la  chapelle  du  roi.  —  Les  rois 
francs  de  la  première  race  avaient  commencé  par  em- 
prunter à  l'administration  romaine  l'organisation  de  leur 
chancellerie.  Elle  constituait  un  ofBce  laïque,  rempli  par 
des  référendaires,  qui  expédiaient,  chacun  en  son  nom,  les 
actes  royaux,  et  faisaient  partie  de  la  cour  du  palais.  Mais 
elle  trouva  bientôt  une  rivale  dans  la  chapelle  du  roi,  dont 
l'origine  est  aussi  curieuse  que  fut  prolongé  et  important 
le  rôle  qu'elle  a  joué. 

Parmi  les  reliques  que  les  rois  mérovingiens  conser- 

eus,  vi^l  unus  eorum,  qui  cum  eo  scariti  sunt,  causas  teneat  »  (Capit. 
de  Kiersy  (878),  cap.  17,  II,  p.  359). 

*  Voy.  infrà.  Le  Principal, 

2  XlVe  Dissortat.  sur  Joinville,  p.  62-63). 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION    DE    LA   ROYAUTÉ.       459 

valent  dans  leur  palais  et  transportaient  avec  eux  dans 
leur  vie  itinérante,  la  petite  chape  [capella)  de  saint  Mar- 
tin était  la  plus  vénérée.  C'était  le  vêtement  de  dessous 
que  saint  Martin  avait  sur  lui  après  qu'il  eut  abandonné 
sa  tunique  à  un  pauvre.  Un  miracle  Tavait  glorifié,  que 
chanta  avec  emphase  le  poète  de  la  cour  Fortunat*.  Cette 
chape  accompagnait  partout  le  roi;  elle  lui  assurait  la  vic- 
toire dans  les  combats*  et  sur  elle  se  prêtaient  les  ser- 
ments solennels  qu'ordonnait  sa  cour  de  justice  ^  L'ora- 
toire où  se  gardait  la  chape  prit  le  nom  de  capella\  les 
clercs  préposés  à  sa  garde,  le  nom  de  capellaniy  de  cha- 
pelains*.  Ils  ne  quittaient  pas  la  personne  du  roi,  ils 

ï  «  Denique  cum  tunicnm  sacer  ipse  dedisset  egenti 

Ac  sibi  pars  tunicaî  reddita  parva  foret, 
Quod  non  texerunt  manichy;  per  brachia  curtœ 
Visa  tegi  gemmis  est  manus  illa  viri  » 
(Fortunat,  X,  6,  éd.  Didot,  p.  2*^9.;  adde  p.  241  suiv.). 

Cf.  Moine  de  Saint-Gall,  II,  27,  II.  F.  V,  133  A  :  «  Carolus  habebat 
pellicium  berbicinum,  non  muitum  amplioris  prelii  quam  erat  roccus 
nie  S.  Martini  quo  pectus  ambitus,  nudis  brachiis  Dec  sacrificium 
obtulisse  astipulatione  divina  comprobatur  ». 

2  Voyez  les  notes  suivantes. 

8  Fuissit  judecatum,  ut...  sua  mano  septima,...  in  oraturio  nostro, 
super  capella  domni  Martine,  ubi  reiiqua  sacramenta  percurribant, 
hoc  dibirit  conjurare  (Dipl.  de  Thierry  III,  30  juin  679,  Dipl.  n*  49, 
p.  45,  H.  F.  IV,  659).  —  «  In  oraturio  suo  super  cappella  S*  Marchthyni 
...  hoc  deberent  conjurare  »  (Dipl.  de  ChiJdebert  III,  14  déc.  710, 
Dipl.  n°  78,  p.  69,  H.  F.  IV,  685).  —  «  Fuit  judicatum,  ut...  sua  manu 
septima,  tune  in  palatio  nostro,  super  capella  domni  Martini,  ubi 
reliqua  sacramenta  percurrunt,  debeat  conjurare  »  (Marculf,  I,  38, 
Formulœy  éd.  Zeumer,  p.  68).  —  «  Super  altario  Sancti  illius,  in  illa 
capella,  que  est  in  curte  fisci,  ubi  reliqua  sacramenta  soluta  sunt, 
jurati  dixerunt  »  {FormuL  Senon,  recent,,n^  3, Zeumer, p.  212-213).  — 
Éginhard  rapporte  que  Tassilon  a  prêté  serment  de  fidélité  à  CharJe- 
magne  sur  Je  corps  de  saint  Martin  (I,  p.  134,  éd.  Teulet). 

♦  «  In  capellam  suam  assumpsit  (quemdam  optimum  dictatorem  et 
scriptorem)  quo  nomine  Fr.  reges  propter  cappam  S'  Martini  quam 
secum  ob  sui  tuitionem  et  hostium  oppressionem  jugiter  ad  bella 
portabant,  sancta  sua  appellare  solebant  »  (Moine  de  Saint-Gall,  H. 
F.  V,  107). 

*  «  Dicti   sunt  autem  primitus  cappellani  a  cappa  beati  Martini, 


460  UVRE   IV.    —   CHAPITRE   VI. 

veillaient  et  sur  la  relique  et  sur  les  archives'  ou  les  ob- 
jets précieux  qui  se  mettaient  en  sûreté  sous  son  égide, 
ils  rempli^ïsaient  auprès  de  lui  les  fonctions  religieuses 
et  rofGce  de  secrétaires.  Ils  devaient  notamment  tenir 
procès-verbal  des  serments  prêtés  dans  la  chapelle.  Rele- 
vant directement  du  souverain,  affranchis  de  la  juridiction 
de  rordinaire'-,  ils  voyaient  s'ouvrir  librement  devant  eux 
la  route  de  l'influence  et  du  pouvoir*.  Un  hagiographe 
nous  dépeindra  Tarrogance  du  chapelain  portant  devant 
le  roi  l'étendard  royal  {labarumy.  Leur  chef,  le  custoi 
capellw,  deviendra  un  jour  custos  polalii^  puis  custoi 
regni. 

Si  le  ministère  des  chapelains  touchait  directement  à 
la  confection  et  à  la  délivrance  des  diplômes  royaux,  les 
clercs,  par  profession  déjà,  étaient  les  plus  aptes  à  de 
telles  fonctions.  Il  ne  saurait  donc  étonner  que,  dès  l'a- 
vènement de  la  seconde  race,  la  chancellerie  ne  fût  plus 
composée  que  de  clercs  du  palais.  Mais,  comme  nous  l'a- 
vons vu,  la  rédaction  des  actes  judiciaires  en  fut  détachée 
à  la  même  époque,  et  placée  dans  les  attributions  du  comte 
du  palais.  Cette  réorganisation  avait  pour  conséquence 
logique  que  les  scribes  ou  référendaires  de  la  chancellerie 
ne  relevèrent  plus  désormais  de  ce  comte,  mais  du  chef  des 
chapelains,  du  sumtmis clericorum  palatiij de Varchichape* 
laiti.  Leur  supérieur  immédiat,  au  nom  exclusif  duquel  se 
firent  dorénavant  les  expéditions,  vit  croître  son  autorité  et 
son  prestige,  et  échangea  son  titre  de  chancelier  contre  celui 

quam  reges  Francorum  ob  adjutorium  victoriœ  in  prœliis  solebant 
secum  habere,  quam  ferentes  et  custodientes  cum  ceteris  sanclonim 
reliquiis  clerici  cappellani  cœperunt  vocari  »  (Walafrid  Strabon,  c.32; 
Capil.  II,  p.  51-)).  Cf.  Capit.  de  Karloman  (742),  c.  2  (I,  p.  25). 

*  Synod.  Francof.  794,  c.  3  in  fine,  Capit.  I,  p.  74. 

*  Ducange,  v<»  Capella^p,  124,  col.  3. 

^  Wakrrid  Strabon  les  assimile  aux  vassi  dominici  :  «  Capelianî 
minores  ita  sunt,  sicut  hi,  quos  vassos  dominicos  gallica  consuetudine 
numinamus  »  (/oc.  cit,]. 

*  Vie  dcyotker,  Mabillon  S.  B.  Sœc,  V,  p.  14. 


ORGANES  ET  MOYENS  d' ACTION  DE  LA  ROYAUTÉ.   461 

de  siimmus  cancellarius.  Au  lieu  donc  de  le  subordonner 
à  Tarchichapelain,  on  réunit,  à  dater  de  856,  les  deux  di- 
gnités sur  la  mênae  tête.  Et  ainsi,  se  trouva  constituée 
cette  grande  charge  ecclésiastique  qu'Hincmar  (sous  le  nom 
d'apocrisaire)  a  opposé  à  l'office  laïque  de  comte  du  palais, 
l'une  et  l'autre  conférant  de  pleins  pouvoirs  politiques,  ju- 
diciaires, administratifs,  l'une  pour  les  affaires  du  clergé, 
l'autre  pour  les  intérêts  civils ^ 

De  même  que  le  comitat  du  palais  fut  attribué  à  des 
seigneurs  laïques  et  contribua  à  Télaboration  de  la  pairie 
de  France,  de  même  la  grande  chancellerie  fut  octroyée 
fréquemment  au  premier  d'entre  les  seigneurs  ecclé- 
siastiques, qui  devint  le  premier  des  pairs  de  France,  Tar- 
chevêque  de  Reims*.  Mais  ici  la  fonction  était  trop  spé- 

*  De  même  Walalrid  Strabon  :  «  Quemadmodum  sunt  in  palatiis 
praetores  (ou  prœceptores)  vel  comités  palatii,  qui  sœcularium  causas 
ventilant,  ita  sunt  et  illi,  quos  summos  cappellanos  Franci  appellant, 
clericorum  causis  praelati  »  (  loc,  cit.). 

*  Je  ne  pense  pas  qu'il  soit  exact,  comme  on  l'admet,  que  la  dignité 
d'archichancelier  revenait  de  droit,  et  dès  le  x*  siècle,  à  Tarchevôque 
de  Reims.  Ce  n'est  qu'à  partir  de  Lothaire  qu'une  sorte  de  succes- 
sion régulière  se  laisse  constater,  et  je  ne  vois  l'usage  allégué  comme 
un  droit  que  pour  Gervais,  lors  du  sacre  du  jeune  Philippe  («  ibi 
constituit  eum  summum  cancellarium,  sicut  antecessores  sui  anteces- 
sores  suos  fecerant  ».  H.  F.  XI,  33  B),  Voici  un  tableau  sommaire  que 
j'ai  dressé,  des  archichanceliers  des  xe  et  xie  siècles  en  attendant  que 
nous  ayons  une  édition  critique  des  diplômes  royaux  : 

898  à  900,  Foulque,  archevêque  de  Reims. 

911  à  919,  Hervée,  archevêque  de  Reims. 

919  à  922,  Roger,  archevêque  de  Trêves. 

923  à  931  (sous  Robert  1er  et  Raoul),  Abbon,  évêque  de  Soissons. 

931  Ansegise,  évoque  de  Troyes. 

Sous  Louis  d'Outremer  :  Ansegise,  év.  de  Troyes  ;  Artaud,  arche- 
vêque de  Reims;  Heric,  évêque  de  Langres;  Hugues  de  Verman- 
dois,  archevêque  de  Reims  ;  Geronce,  archevêque  de  Bourges  ;  Acard 
ou  Achard  (évoque  de  Langres?). 

Sous  Lothaire  :  Arthaud,  Odolric,  Adalberon,  archevêques  de 
Reims. 

Sous  Hugues  Capet  :  Gerbert,  archevêque  de  Reims. 


462  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   VI. 

ciale,  trop  technique,  trop  essentielle  pour  qu'elle  pût  se 
fondre  dans  la  pairie.  Quoique  l'archevêque  de  Reims  ait 
porté  fréquemment  le  titre  de  grand  chancelier  et  qu'il  ait 
atteint  une  influence  politique  prépondérante  en  la  per- 
sonne de  Gervais,  il  y  eut  un  chancelier  effectif  qui  alla 
jusqu'à  prendre  lui-même  le  titre  d'archichancelier^ ^  tout 
comme  il  fît  revivre  le  titre  d'archichapelain*.  Non  seu- 
lement, il  remplit  ad  vicem  summi  cancellarii  toutes  les 
fonctions  anciennes,  mais  il  lui  échut  de  plus  une  grande 
partie  des  attributions  primitives  du  comte  du  palais.  Tous 
les  actes  royaux  rentrèrent  dans  son  service,  il  eut  la 
garde  du  grand  sceau  royal,  il  fut  investi  d'un  pouvoir 
judiciaire  étendu ^  De  la  sorte  la  chancellerie  devint  l'un 
des  cinq  grands  offices  de  la  couronne,  tels  que  nous  les 
trouvons  dominants  à  la  fin  du  xi*  siècle,  et,  pendant  un 
temps,  il  en  tint  même  la  tête*. 

3°  Le  chambrier,  —  Les  fonctions  organiques  du  cham- 

Soua  Robert  :  Arnuif,  archevêque  de  Reims. 

Francon  qualifié,  en  1007,  siimmus  cancellarius. 

Soîts  Philippe  :  Gervais,  arclievêque  de  Reims. 

Geoffroi,  évoque  de  Paris. 

Il  y  a  donc  eu  une  prélérence  manifeste  accordée  à  l'archevôque 
de  Reims,  depuis  le  milieu  du  xe  siècle;  mais  elle  n'était  pas  absolue, 
puisqu'à  ma  connaissance  le  titre  d'archichancelier  n'est  porté  ni 
par  Elle  de  Roucie,  ni  par  Oui  l^r  de  Châtillon,  et  qu'après  Gervais  ii 
l'est  par  l'évoque  de  Paris,  GeofTroi  [Cartul.  de  saint  Corneille^  publié 
par  Tabbé  E.  Morel,  Compiègne,  1894.  Dipl.  de  Philippe  I«'de  1085: 
«  GosFrido  Parisiorum  episcopo,  archicancellario  nostro  »,  p.  43  ;  de 
1092  :  «  Gaufridus  archicancellarius  scripsit  et  suscripsit  »,  p.  48; 
même  date  ;  «  Ego  Gaufridus  archicancellarius  relegi  atque  subs- 
cripsi  »,  p.  51). 

*  Voyez  la  note  précédente. 

-  «  Ego  Balduinus  in  palalio  Henrici  régis  Francorum  cancella- 
rius... S.  Balduini  (irchicapellani  qui  hoc scriptumfierij assit  »  (Charte 
de  10i7,  Ducange,  v**  Capella,  128,  col.  2).  Voir  de  môme  Cart.  Saint- 
Père  de  Chartres,  I,  p.  154  et  174. 

^  Cf.  Luchaire,  I,  p.  175,  note  5  et  p.  187. 

*  Diplôme  de  1060  pour  Saint-Martin-des-Champs,  suprà^  p.  454, 
note  3. 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.       463 

briep  étaient  radministpation  financière  et  Tintroduction 
auprès  du  souverain.  Cubiculum^  caméra  désignaient  à 
la  fois  le  Trésor  dont  il  avait  la  garde  et  Tappartement  du 
roi  dont  il  défendait  Taccès.  La  prenriière  de  ces  locutions, 
legs  direct  de  la  hiérarchie  du  Bas-Empire,  fut  d'abord  en 
faveur  :  le  chambrier  s'appelait  cubicularius  à  Tépoque 
mérovingienne,  ses  subordonnés  camerariiK  Sous  les  Ca- 
rolingiens ce  fut  l'inverse',  le  titre  de  cubiculaire  resta 
aux  subalternes  que  nous  retrouvons  encore  sous  ce  nom 
au  xi°  siècle',  tandis  que  le  chef  d'office  retint  la  qualifi- 
cation de  chambrier.  Représentant  de  la  reine,  de  laquelle 
il  relevait  directement  en  qualité  de  trésorier,  intermé- 
diaire obligé  entre  le  roi  et  les  grands,  il  dut  sans  doute  à 
cette  double  qualité  d'être  membre  de  droit  du  grand 
conseil  décrit  par  Hincmar  et  de  faire  grande  figure  dans 
rhistoire  pohtique  du  ix"  siècle.  Le  célèbre  Bernard,  duc 
deSeptimanie,  chef  du  parti  de  la  reine  Judith,  son  amant, 
disaient  leurs  ennemis,  devint  le  second  de  l'empire  quand 
il  fut,  en  829,  élevé  par  Louis  le  Pieux  à  la  dignité  de 
chambrier*.  Engelramne,  chambrier  de  Charles  le  Chauve, 
envoyé  par  lui  en  mission  auprès  de  Salomon,  duc  des 
Bretons  (868),  est  appelé  par  l'Annaliste  de  saint  Bertin 
«  camerarium  et  hostariorum  magistrum  atque  a  secretis 
consiliarium  suum'  ».  Theoderic,  chambrier  de  Charles  le 
Chauve  et  de  Louis  le  Bègue,  fut  un  égal  ou  un  rival  en 
puissance  de  Hugues  l'Abbé  et  de  Boson^ 

*  Cf.  Tardif,  Etudes  sur  les  institut,  politiques  (Paris,  1881),  p.  61. 
Brunner,  II,  p.  101. 

2  Dans  les  Capitulaires,   caméra  désigne  régulièrement  le  trésor 
ou  Gsc.  Édit  de  Pistes,  II,  p.  316.  Cf.  Gapit.  832,  c.  7,  II,  p.  64. 

3  Par  exemple  CartuL  de  Longpontf  p.  90,  200,  etc. 

*  Éginhard,  I,  p.  400;  Manuel  de  Dhuoda,  p.  18  suiv.  et  les  textes 
cités  par  Himly,  Wala,  p.  113,  121,  etc. 

^  Hincmar,  Annales  de  saint  Bertin,  ad  an.  868,  p.  183;  ad  an.  875, 
p.  241. 
^  Ibid.f  p.  272,  278,  etc.  —  Sur  le  rôle  considérable  joué  par  Théo- 


46i  LIVRE   IV.    —    CHAPITRE   Vf. 

Le  chambrier,  au  xi*  siècle,  n'est  pas  déchu  de  ce  rang 
élevé.  Il  n'en  décherra  qu'au  siècle  suivant.  Il  figure  en 
tête  des  grands  officiers*;  il  aurait  même  été  investi  da 
commandement  de  l'armée  royale,  comme  le  sera  plus 
tard  le  sénéchal,  s'il  fallait  en  croire  un  chroniqueur  da 
xii"  siècle*.  Lechambrier  de  Philippe  l",  Galeran,  est,  du- 
rant plus  de  trente  ans,  un  des  personnages  les  plus  puis- 
sants de  la  cour  du  roi*. 

Ici  donc  encore  le  caractère  politique  de  l'office,  le  drdt 

(leric,  voir  notamment  Poupardin,  Le  royaume  de  Provence^  p.  M, 
9i  suiv. 

*  Dans  un  diplôme  de  Henri  !•'  de  1048  (Cart.  de  Notre-Dame  de 
Chartres,  I,  p.  89  suiv.),  le  chambricr  Ragenald  ou  Renaud,  qui  Uent 
une  grande  placesous  ce  règne,  appose  sa  souscription  immëdiatemeat 
au-dessous  de  celle  des  comtes  (Thibaud  de  Blois,  comte  du  palais, 
Ive,  comte  de  Beaumont-sur-Oise,  Enguerrand,  comte  du  Pôathiea, 
Raoul  II  de  Crépy),  viennent  ensuite  des  vicomtes  et  seigneurs,  puis 
le  sénéchal  Bernard,  le  connétable  Gauthier.  Cf.  De  mdme.  Diplôme 
pour  la  Chaise-Dieu  (1051)  (H.  F.  XI,  589),  etc. 

-  Henri  de  Iluntingdon,  qui,  à  deux  reprises  parle  de  la  mort  à 
Mortemer  (1054)  de  Raoul,  le  chambrier,  chef  suprême  de  l'année  de 
Henri  !•'  :  «  interfectus  est  Radulphus  camerarius,  princeps  exercitùi 
Francorum  ».  «  Radulfo  summo  duce  Francorum  interfecto  »  (H.  F. 
XI,  207  C,  208  E);  mais  je  note  que  Renaud  n'a  cessé  d'être  cham- 
brier de  1048  à  1060  (Dipl.  de  Henri  pour  Saint-Martin-des-Champi) 
et  qu'Orderic  Vital,  si  riche  en  détails  sur  la  bataille  de  Mortemer, 
ne  souffle  mot  du  chambrier  Raoul.  Il  énumère  pourtant  les  chels  de 
Tarmée  française  et  parmi  eux  Raoul  le  Grand  de  Valois,  qui  fut  mis 
en  fuite  (III,  p.  160,  p.  234, 237).  Si  Ton  remarque  que  le  fils  de  Raoul 
a  été  appelé  primipilus  régis  Francorum,  probablement  comme  porte- 
oriflamme  de  saint  Denis,  on  voit  déjft  d'où  la  confusion  a  pu  ualtre. 
D'autre  part,  Guillaume  de  Poitiers,  le  plus  voisin  des  événements 
puisqu^il  a  composé  ses  Gesta  Guillelmi  de  1071  à  1077,  désigne 
3omme  l'un  des  chefs  de  l'armée  Renaud,  familiarissimu$  régi»  (H- 
F.  XI,  83  C),  que  nous  savons  par  Orderic  Vital  avoir  été  Renaud, 
comte  de  Clermont-en-Beauvoisis  et  qu'on  a  pu  facilement  prendre 
plus  tard  pour  Renaud,  le  chambrier. 

'  Il  est  qualifié  magister  régis  domus  dans  un  diplôme  de  Phi- 
lippe I*' pour  Saint-Benoît-sur-Loire  (1071)  (Prou,  Mélanges  Haioei^ 
185). 


ORGANES   ET  MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.       465 

qu'il  donnait  au  gouvernement  général  du  royaume,  fut  lar- 
gement prédominant.  Les  attributions  propres  de  la  charge 
ne  s'en  concentreront  que  davantage  aux  mains  des  sous- 
chambriers*,  et  Tadministration  financière  notamment 
passera  d'autant  plus  aisément  à  ces  auxiliaires  plus  obs- 
curs du  trône,  ces  économes  royaux,  sortis  des  rangs  du 
clergé  et  du  peuple,  qui  précéderont  les  légistes  ^ 

4*"  Le  sénéchal.  —  J'ai  décrit  les  vicissitudes  que  le  se- 
néchalat  a  traversées  jusqu'au  ix*  siècle.  Il  est  àcroire  que 
la  tradition  de  son  importance  ancienne  ne  s'est  jamais 
perdue,  et  que  ses  fonctions  palatines  n'ont  subi  aucune 
atteinte,  alors  que  son  étoile  politique  était  éclipsée  par  le 
comte  du  palais  ou  le  chambrier.  Au  xi°  siècle,  à  mesure 
que  le  prestige  de  la  royauté  se  rehausse,  que  ses  cours 
solennelles  ou  couronnées  devinrent  une  institution  régu- 
lière, que  s'accrut  le  nombre  de  ceux  qui  venaient  cher- 
cher fortune  à  la  cour  du  roi  ou  qui  y  étaient  nourris  dès 
l'enfance,  le  rang  du  sénéchal  s'éleva.  Il  était  le  maître 
de  l'hospitalité  du  palais,  il  admettait  les  nouveaux  venus 
à  la  table  royale  ou  les  en  excluait^  Il  était  le  principal 
distributeur  des  largesses,  comme  l'avait  été  l'ancien  maire 
du  palais  ;  l'adoubement  des  nouveaux  chevaliers,  leur  équi- 
pement, dépendaient  en  grande  partie  de  lui;  il  avait  sous 
sa  direction  les  jeunes  gens  qu'on  élevait  à  la  cour*.  La 
maisnie  guerrière  relevait  ainsi  de  son  office.  Il  lui  appar- 

*  Luchaire,  I,  p.  170-171. 
'^  Supràf  p.  74. 

^  C'est  la  fonction  où  nous  le  montrent  sans  cesse  nos  vieilles  chan- 
sons de  geste. 

*  Sur  les  nourris,  voy.T.  II,  p.  456  suiv.  La  direction  des  nourris  et 
en  général  du  palais,  qui  s^appelait  schola  (Cf. moine  de  Saint-Gall,  S. 
S.  II,  736  :  «  militares  vin  vel  scholares  aulaî  »;  Lettre  des  évéques, 
858,  Cap.,  II,  p.  436  :  «  Domus  régis  scola  dicitur,  id  est  disciplina  ») 
a  pu  faire  naître  le  titre  de  prœceptor  palatinuSy  pour  désigner  soit' 
le  sénéchal,  soit  le  comte  du  palais.  La  Vita  Aldrici  (Mabillon  S.  B. 
IV,  I,  570)  définit  ainsi  la  fonctio)i  :  «  Ut  vita  imperialis  aulae  et  majora 
negotia  suœ  discretionis  arbitrio  definerentur  ». 

F. —Tome  III.  30 


466  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   VI. 

tenait  de  maintenir  le  bon  ordre  dans  la  population  et  flot- 
tante et  Qxe  du  palais,  de  discipliner  les  uns,  d'instruire 
les  autres,  de  transmettre  à  tous  les  ordres  souverains. 
Cette  situation  lui  permit,  au  cours  du  xi*  siècle,  d'être 
mis  à  la  tête  de  l'armée  et  de  succéder  avec  le  chance- 
lier aux  attributions  judiciaires  du  comte  du  palais^.  Elle 
permettra,  dès  laube  du  siècle  suivant,  aux  maisons  de 
Rochefort  et  de  Garlande,  investies  de  l'ofBce,  de  l'ériger 
à  la  hauteur  d'une  vice-royauté.  N'est-il  pas  remarquable 
aussi  qu'après  la  chute  retentissante  des  Garlande,  le  séné- 
chalat  fut  attribué  aux  maisons  de  Vermandois  et  de  Blois, 
qui,  de  longue  date,  avaient  été  en  possession  du  comilat 
du  palais,  et  qu'ainsi  les  pleins  pouvoirs  qu'il  avait  absor- 
bés parurent  faire  retour  à  cette  dernière  dignité*?  L'éner- 
gie de  son  action  dans  la  constitution  de  la  pairie  de  France 
s'en  trouva  avivée. 

S°  Le  bouteiller  et  le  connétable.  —  Je  réunis  ces  deux 
ofGces  puisqu'à  l'époque  qui  nous  occupe  tous  deux  étaient 
au  second  plan.  Ce  n'est  qu'au  xii*  siècle  que  la  charge  de 
bouteiller  jeta  de  l'éclat,  grâce  à  sa  transmission  ininter- 
rompue dans  la  maison  de  la  Tour  de  Senlis,  et  à  la  faveur 
personnelle  donteile  jouit  auprès  des  rois.  Quant  à  la  con- 
nétablie,  si  elle  devait  être  appelée  un  jour  à  des  destinées 
plus  brillantes  que  le  sénéchalat  lui-même,  ce  ne  fut  que 
trois  siècles  plus  tard,  avec  Duguesclin,  en  pleine  guerre 
de  Cent  ans. 

La  fonction  du  bouteiller  parait  déjà  considérable  dans  le 
capitulairerfc  Villis^.  Hincmarnous  dit  qu'il  alaci/ra/io/e/^; 
mais  nous  voyons  clairement  par  les  hagiographes  que  dès 

»  Cf.  Luchaire,  I,  p.  175. 
•  ^  La  chronique  de  Morigny  parle  en  ces  termes  de  Tbibaud  IV, 
comte  de  Blois  :  «  Theobaldum  nomine  comitem  Carnotensium, 
Blesensium,  Meldensium,  aliarumque  multanum  proFinciarum,  qui 
cornes  palatiniis  et  intra  Franciam  secundus  a  rege^  divitiis  et  nobi- 
litate  tumelactus  «...  (Duchesne,  IV,  p.  365), 
'  G.  16,  I,  p.  84. 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION   DE   LA    ROYAUTÉ.       467 

le  viii**  siècle  loffice  était  conféré  à  des  milites^  11  donnait 
le  titre  de  princeps  pincemarum^y  exactement  conarae  au 
xi«  siècle  encore  le  bouteiller  est  qualifié  magister  pincer- 
narum^.  Les  services  domestiques  étaient  remplis  par  les 
pincerned  ou  échansons,  mais  les  fonctions  administrati- 
ves ou  économiques  devaient  être  exercées  par  le  bouteil- 
ler lui-même,  car  elles  étaient  lucratives,  elles  compor- 
taient des  profits  ou  prélèvements  de  toute  sorte.  Le  vin 
représentait  un  élément  fort  précieux  des  revenus  du  do- 
maine ou  du  fisc,  qu'il  provînt  de  redevances  en  nature, 
ou  fût  le  produit  direct  des  vignobles  royaux,  si  abon- 
dants dans  la  région  orléanaise.  Le  bouteiller  s'immisçait 
par  là  dans  l'administration  du  domaine  et  la  gestion  du 
fisc, il  ne  devait  pas  veiller  seulement  à  l'alimentation  des 
caves  du  roi,  mais  à  la  vente  des  excédents  de  récoltes, 
à  l'établissement  de  pressoirs  banaux,  à  la  rentrée  ou 
au  rachat  des  impôts  de  tonlieu,  forage,  pressurage,  etc., 
au  jugement  des  contestations  auxquelles  ils  donnaient 
lieu.  Son  champ  d'action  s'élargit  ainsi  à  vue  d'œil,  dans 
l'ordre  financier  et  politique. 

Nous  trouvons  de  fréquentes  mentions  du  corner  stabuH 
dans  Grégoire  de  Tours  et  pouvons  y  relever  l'expression 
àecomitatus  stabulorum\  A  l'époque  carolingienne,  cet 
officier  avait  plusieurs  marescalci  sous  ses  ordres,  et  tel 
nous  apparaît-il  aassi  au  xI'*siècle^  La  fonction  avait  ga- 
gné en  importance  politique  et  militaire  quand  la  cavalerie 
était  devenue,  au  viii*  siècle,  la  force  vitale  de  l'armée,  et 
sa  dignité  ne  pouvait  que  se  relever  de  plus  en  plus,  comme 

*  Vie  de  saint  Ilerbland  (Mabillon,  S.  B.  III,  385). 
«  Eod.  loc. 

3  Luchaire,  I,  p.  171,  note  2. 

*  SS.  rermerov.,  I,  p.  239»^ 

^  Luchaire,  I,  p.  167.  —  Marbode  dans  la  Vie  de  saint  Lezin  (Migne, 
171,  c.  1494)  fait  du  cornes  stabuli  un  tribiinus  militum.  La  pre- 
mière vie  du  même  saint  indique  également  que  le  connétable  avait 
des  fonctions  milittiires  (II.  F.  III,  486), 


468  LITRE   IV.    —    CHAPITRE   VI. 

son  autorité  grandir,  à  mesure  que  la  chevalerie  deve- 
nait une  institution  sociale.  Nos  vieux  chants  épiques  glo- 
rifient le  cheval,  ils  le  personnifient,  ils  célèbrent  ses 
prouesses,  ils  en  font,  en  quelque  manière,  un  preux*.  Il  y 
a  là  plus  qu'une  fiction  poétique.  Ainsi  que  pour  l'Arabe  de 
nos  jours,  le  cheval  est  un  compagnon  pour  le  chevalier 
du  Moyen  âge.  Pourquoi  n'y  aurait-il  pas  eu  un  comte  de 
l'écurie  à  côté  du  comte  du  palais?  La  qualification  est 
romaine',  Tacception  est  médiévale. 

Je  terminerai  cet  exposé  par  une  double  remarque.  La 
première,  que  l'autorité,  le  pouvoir  que  nous  avons  cons- 
tatés aux  mains  de  tel  ou  tel  grand  officier  ne  sont  pas  né- 
cessairement inhérents  à  sa  charge,  qu'ils  peuvent  tenir  à 
la  faveur  toute  personnelle  dont  le  titulaire  a  joui  auprès 
du  souverain.  Il  ne  faudrait  donc  pas  attacher  une  valeur 

*  «  Equos  qui  nominibus  propriis  vulgo  sunt  nobilitati  »,  dira  Guil- 
laume de  Poitiers  (H.  F.  Xï,  77-78).  —  J'aurai  à  revenir  sur  ce  siyet 
en  traitant  des  mœurs  publiques  et  privées.  Je  me  borne  ici  à  rele- 
ver la  circonstance  que  le  cheval  est  un  héros  dans  nos  plus  vieilles 
chansons  de  geste.  Tel  Broiefort,  dans  Ogier  lô  Danois.  Il  sauve  son 
maître  on  une  chevauchée  épique  de  plusieurs  jours  et  plusieurs 
nuits.  L'armée  de  Charlemagne,  incessamment  pourvue  de  chevaux 
de  rechange,  ne  parvient  pas  à  l'atteindre  (Ogier,  v.5825  suiv.,  surtout 
V.  5970  suiv.).  Toute  la  France  est  en  suspens  sur  cette  question  : 
Broielbrt  est -il  vivant  ou  mort?  S*il  est  mort  : 

«  France  est  perdue  et  la  crestienté  ». 

(v.l(©91). 

Ogier  ne  pourra  pas  combattre  le  champion  des  Sarrasins  : 
(«  Kn  la  bat  Ail  le  ne  me  verres  entrer 
Se  nai  cheval  ou  me  puisse  fier  ». 

Aussi  quelle  joie  quand  on  le  retrouve  réduit  par  son  maître  d'oc- 
casion aune  condition  obscure,  humble  roncin  tirant  une  charge  dont 
quatre  chevaux  gascons  ne  viendraient  pas  à  bout  (v.  10555  suiv.). 
Voir  tout  cet  épisode  jusqu'à  la  reconnaissance  entre  le  coursier  et 
N'  preux,  qui  arrache  des  larmes  à  Charlemagne  et  à  sa  cour  (v.  10701 
suiv.). 

-  Cornes  stabnli  (C.  Theod.,  G.  3,  De  eqxior,  co//.,  XI,  17). 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.      469 

trop  absolue  aux  fluctuations  historiques  que  j  ai  notées 
dans  la  hiérarchie  des  divers  ofBces. 

Je  veux  observer  d'autre  part  qu'en  énumérant,  pour 
autant  que  les  documents  historiques  strictement  contem- 
porains (x'-xi°  siècle)  me  l'ont  permis,  les  attributions 
particulières  de  chacun  des  grands  dignitaires  du  palais, 
je  n'ai  pas  cru  devoir  rappeler  chaque  fois  les  attribu- 
tions générales  qui  leur  sont  communes  en  qualité  de 
palatins  et  de  domestici^  la  place  prépondérante,  en 
d'autres  termes,  qu'ils  occupent  à  la  cour  du  palais, 

§  2.  —  Vost  du  roi. 

Depuis  la  fédération  primitive  des  tribus  franques  jus- 
qu'au vaste  empire  fédératif  de  Charlemagne,  dans  sa 
période  de  croissance  et  dans  sa  période  d'épanouissement, 
la  monarchie  franque  a  été  d'essence  guerrière.  Elle  le 
demeura  par  la  force  des  événements,  dans  les  luttes 
qui  s'engagèrent  autour  d'elle  au  ix''  et  au  x*  siècle,  et 
dans  la  laborieuse  reconstitution  de  son  unité  entreprise 
par  les  Capétiens  du  xi*.  C'est  dans  l'armée,  dans  l'ost 
royale  que  se  reflète  peut-être  le  mieux  le  jeu  des  institu- 
tions. Le  service  de  guerre,  auxilium,  l'emporte,  à  ce 
point  de  vue,  sur  le  service  de  cour.  Suprématie  franque, 
hommage  lige  naturel  ou  leudesamio,  bénéfice  et  hom- 
mage exprès,  maisnie  royale  et  pairie  vassalique  ou  prin- 
cière  y  ont  imprimé,  avec  une  netteté  particulière,  l'effigie 
de  leurs  vicissitudes  successives. 

Au  moment  de  la  conquête  des  Gaules,  l'armée  franque 
faisait  un  avec  la  nation  légale,  celle-ci  n'était  que  la  nation 
armée.  Tous  les  Francs  libres,  aptes  au  métier  des  armes, 
et  eux  seuls,  la  composaient.  Ils  étaient  des  leudes,  desari- 
mans  (kerimanni)^  activement  et  passivement,  ayant  droit 
à  porter  les  armes,  et  étant  tenus  à  combattre  en  vertu 
de  la  fidélité  jurée  (leudesamio)  au  chef  de  la  nation. 

A  l'époque  carolingienne,  il  n'en  fut  plus  de  même^ 


470  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   VI. 

L'armée  présenta  l'aspect  d'une  fédération  placée  sous 
rhégémonie,  sous  la  suprématie  du  groupe  ethnique  des 
Francs.  Ce  ne  fut  pas  un  privilège  des  Francs  de  composer 
Tarmée,  mais  ce  fut  un  privilège  du  roi  des  Francs  de  la 
commander.  Elle  comprenait  maintenantles  nationalités  ger- 
maines les  plus  diverses,  de  même  que  les  populations  ro- 
manisées,  elle  comprenait  des  affranchis  à  côté  des  hommes 
libres  de  race.  Mais  les  groupes  nationaux  ne  se  confon- 
daient pas  ou  ne  se  mêlaient  que  dans  de  faibles  propor- 
tions. Le  groupe  ethnique  des  Francs,  renforcé  par  voie 
d'assimilation,  resta  distinct  et  prépotent  sous  les  armes, 
comme  il  l'était  dans  l'État.  Son  chef,  le  réx  Francorum, 
était  le  maître  de  l'armée  recrutée  parmi  les  autres  natio- 
nalités*. Chacune  d'elles  formait  un  organisme  militaire*, 
un  corps  d'armée  conduit  par  son  duxoxx  princeps^.  C'était 
l'ensemble  de  ces  contingents  qui  constituait  VhosliSy  Tost. 
Chaque  contingent  {exerciius,  ^cara)*  avait  son  enseigne, 
son  signum  ou  vexillum^.  Le  signe  de  ralliement  des  Francs, 

*  «  Carolus  imperator...  cum  omnibus  copiis  in  Franciam  venit  et 
cum  Langobardis,  Baioariis,  Alamannis,  Thuringis,  Saxonibus,  Fre- 
sonibus  et  omnibus  regnis  suae  dilioni  subditis,  NorUnannos...  obsi- 
dere  exorsus  est  »  (Reginon,  ad  an.  882,  p.  119). 

^  Voyez  par  exemple  :  Ann.  Sl-Bertin.,  ad  an.  867  :  «  Hludovicus, 
Hludovicum  filium  suum  cum  Saxonibus  et  Toringis  adversus  Abodri- 
tos  hostiliter  dirigit;  et  reliquum  populum  regni  sui  paratumesse  prae- 
cipit  »;  Aniu  Fuld.^  ad  an.  888  :  «  Rex  (Arnulfus)...  misso  Alaman- 
nico  exercitu,  ipse  per  Franciam  Baiowariam  reversas  est,  etc  »;  Ann. 
Fuld.y  ad  an.  802,  p.  121  ;  «  consultum  est  ut  tribus  exercitibus 
armatis  rognum  illud  invaderet.Rex  equidem  assumptis  secum  Fran- 
cis, Baioariis,  Alamannis...  » 

3  Cf.  Baldamus,  Das  Ileerwesen  tinter  dcn  spàteren  Karolingem 
(Brcslau,  1879),  p.  59. 

*  Le  sens  général  du  mot  scara  (Allem.:  schar)  est  turma  ou  cohorz^ 
corps  de  troupe.  Eginhard,  en  paraphrasant  les  Ann.  Lauresh.,  lui 
substitue  d'ordinaire  le  mot  exercitiis.  Adémar  de  Chabannes  le  con- 
serve, en  reproduisant  les  mêmes  Annales. 

^  w  Arnulfus  rex  excrcitumdirigit...  Principes...  consulunt...  Pos- 
tera flie...  omnes  armantur  et  levatis  vexillis,,.  ad  pugnam  gradiun* 


ORGANES  ET  MOYENS   D* ACTION   DE    LA   ROYAUTÉ.      471 

de  la  scara  francisca  *,  était  l'enseigne  royale,  le  regium 
vexillum  *,  que  portait  un  signifer  d'élite  ^  et  que,  dans  les 
conjonctures  extrêmes,  on  voit  porté  par  le  roi  lui-môme*. 
L'avant-garde  ou  le  nerf  (roiwr)  àeVexercitusfranciscusAQ- 
vaitêtre  formé  par  la  maisnie,  la  maison  du  roi,  dont  nous 
reparlerons,  par  sa  scara  propre,  la  scara  rey fa',  corps  per- 

tur...  Unusquisque  procerum  duodecim  ex  suis  milleret,  etc.  »  (Re- 
ginon,  ad  an.  891,  p.  136-137). 

*  La  scara  Francisca  ou  scara  Franconim  apparaît,  dans  les  Annales 
Carolingiennes,  sans  cesse  au  premier  rang,  pour  rétablir  le  combat, 
fixer  la  victoire,  suppléer  à  Tinsuffisance  ou  à  la  mauvaise  volonté  des 
autres  contingents.  En  876,  à  la  bataille  d'Andernach,  les  Saxons, 
avant-garde  de  Louis  III  de  Saxe,  tléchissent,  les  Francs  remportent 
Ja  victoire  sur  Charles  le  Chauve,  dont  les  porte-étendards  [signiferi) 
sont  tués  [Ann,  Fuld.,  ad  an.  876,  p.  88).  En  891,  Arnulf  se  met  en 
marche  contre  les  Normands  avec  une  armée  de  Francs  et  une  armée 
d'Alamans.  Ceux-ci  restent  en  route  :  «  in  Nordmannos  cum  Francis, 
Alamannico  exercitu  inutile  secum  assumpto  iter  arripuit.  Sed  Ala- 
manni  quasi  egrotantes  in  rege  domum  relapsi  sunt  »  {Ibid,  ad  an. 
881,  p.  119). 

2  «  Reginarius  comes,  qui  regium  vexillum  ferebat  »  (Reginon,  ad 
an.  876,  p.  112). 

3  De  là  l'histoire  légendaire  d'Ingon,  racontée  par  Richer  :  «  Cum 
agitaretur,  quis  regium  signum  efferret,  eo  quod  in  tanta  nobilium 
manu  nullus  sine  vulnere  videbatur,...  Odo  rex  dixit  :  «  Nostro 
inquit,  dono  ac  principum  voluntate  signifer  esto  »...  Factusque 
cunei  militaris  acumen,..  »  (Richer  I,  9).  Cf.  Dudon  de  St-Quentin, 
éd.  Lair,  p.  155  :  «  Tum  quidam  Francisci  agminis  signifer j  nomine 
Rotlandus...  »  —  Chaque  scara  pouvait  avoir  plusieurs  porte-éten- 
dards. Le  capitulaire  de  846,  qui  convoque,  pour  Texpédition  contre 
les  Sarrasins  d'Italie,  des  contingents  de  laFrancie,  de  la  Bourgogne 
et  de  la  Provence  (cap.  9),  distingue  trois  scarae  :  la  scara  Francisca, 
et  deux  autres  (probablement  de  Bourgogne  et  de  Provence),  et  dans 
chacune  d'elles  désigne  plusieurs  signifer  (cap.  13)  (Capit.  II,  p.  67-68). 

*  Pour  décider  les  Francs  à  combattre  à  pied  contre  les  Normands, 
genre  de  combat  dont  ils  avaient,  (lès  la  fin  du  ix*  siècle,  perdu 
l'usage  (quia  Francis  pedetemptim  certare  inusitatum  est),  Arnulf  les 
harangue  en  ces  termes  :  «  Nunc  milites  agite,...  me  primum  equo 
descendentem,  signa  manu  praeferentem  sequimini  »  [Ann.  Fuld., 
ad  an.  891,  p.  120). 

5  Eu  778,  les  Annales  de  Lorsch  relatent  l'envoi  par  Charlemagne, 


472  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   VI. 

manent  toujours  sous  sa  main,  prêt  pour  les  suprises  ou  les 
expéditions  rapides,  sans  convocation  ni  ordre  d'appel  \ 

Il  est  superflu  de  s'appesantir  ici  sur  le  mode  de  recru- 
tement très  variable  des  corps  d'armée  de  nationalité 
diverse^,  puisqu'à  Texception  de  celui  des  Francs  de 
chaque  royaume  ils  ne  relevèrent  plus,  dès  la  fin  du 
ix**  siècle,  que  des  principes,  rois,  ducs  ou  comtes,  aux- 
quels les  groupes  ethniques  qu'ils  représentaient  furent 
soumis.  iMais  il  importe  de  déterminer  la  nature  et  le  sort 
des  assises  sur  lesquelles  le  recrutement  reposait. 

Le  principe  fondamental  n'a  pas  varié,  durant  toute  la 
période  franque  :  c'était  l'obligation  du  service  pour  tous 
ceux  qui  devaient  fidélité  au  roi,  quelle  que  fût  leur  con- 
dition sociale,  qu'ils  fussent  riches  ou  pauvres,  posses- 
seurs du  sol  ou  sans  terre,  alleutiers  ou  bénéficiers'.  Mais 
à  raison  de  la  fréquence  des  appels,  de  la  longue  durée 
des  expéditions  lointaines,  de  l'extension,  de  la  généralisa- 
tion même  du  service  de  cavalerie  ^,  du  perfectionnement 
de  l'armement',  de  l'obligation  d'autant  plus  lourde  pour 

contre  les  Saxons,  d*une  scara  Prancisca  :  a  mittens  scaram  Fran- 
ciscain... ad  resistendos  Saxones  »  (Ann.  Laur.,  ad  an.  778.  Cf.  Ade- 
mar  de  Chabannes  II,  5,  p.  70).  Reginon  rappelle  le  fait  en  ces  termes  : 
«  misit  scaram  iinam  ex  eleetis  viris  quae  eorum  violentiae  resisteret 
Saxones  audientes...  adventum  Franeorum  »  (ad  an.  778,  p.  52).  La 
mention  de  la  scara  du  roi,  scara  sua,  est  fréquente  chez  les  anna  - 
listes  carolingiens. 

*  Cf.  Ann,  Lauresh,  ad  an.  803  :  «  sine  hoste  fecit  eodem  auno» 
excepto  quod  scaras  suas  transmisit  in  circuitu,  ubi  necesse  fuit  ». 

*  Il  n*y  avait  pas  de  réglementation  fixe.  L'ordre  d'appel  variait 
selon  les  circonstances.  Un  capitulaire  spécial  en  décidait  pour  chaque 
expédition. 

^  Cf.  Brunner,  Rechtsgeschichte,  II,  p.  203  suiv. 

*  Voyez  note  4  de  la  page  précédente. 

^  L'armure  lourde  se  substitue  à  Tarmure  légère,  de  même  que  la 
lance  prend  décidément  le  dessus  sur  les  armes  de  jet,  à  mesure  que 
le  service  de  cavalerie  se  développe.  Dès  805,  la  broigne  {brunia, 
lorica)  devient  obligatoire,  mais  elle  ne  Test  que  pour  le  possesseur 
d'au  moins  douze  manses  (Cap.  miss.  c.  6,  L  p-  i23).  Broigne  et 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION    DE   LA   ROYAUTÉ.       473 

le  soldai  de  s'équiper  et  de  s'entretenir,  le  service,  dès  le 
règne  de  Charlemagne,  ne  put  plus  être  exigé  en  fait  de 
ceux  qui  ne  possédaient  pas  un  certain  avoir  mobilier  ou 
immobilier*,  ou  que  leurs  occupations  (clercs,  ministe- 
riales)  retenaient  à  demeure.  En  échange  on  leur  imposa 
des  contributions  en  argent  ou  en  nature  qui  devaient 
servir  à  équiper  et  à  entretenir  les  recrues  que  le  comte 
choisirait,  soit  dans  leurs  rangs,  soit  même  en  dehors.  Ce 
n'est  qu'en  cas  d'invasion,  pour  la  défense  générale  du 
royaume  [landwer)  que  tous,  y  compris  les  clercs,  pou- 
vaient être  l'objet  d'une  levée  en  masse  '. 

Ainsi  l'effectif  de  l'ost  royal  baissa  dans  une  très  forte 
proportion;  En  outre  son  recrutement  fut  médiatisé.  C'était 
aux  ducs  et  comtes  que  l'ordre  d'appel  était  personnelle- 
ment adressé  '.  Le  roi  leur  réclamait  un  certain  contin- 

heaume  (galea)  sonl  déjà  exigés  des  évoques,  comtes,  abbés  :  «  Ha- 
beant  loricas  vel  galeas  »  (Cap.  Aquisgr.  801-813,  c.  9,  I,  p.  171). 
Cf.  Reginon,  ad  an.  867  :  «  R.  nimio  calore  exestuans,  gaUam  et 
loricam  déposait  ». 

*  Le  principe  devint  fixe,  mais  le  taux  varia  sans  cesse  avec  les 
convocations.  Ainsi,  en  807,  pour  les  habitants  de  la  Gaule  occidentale 
(Sud  et  Ouest  de  la  Seine)  le  cens  militaire  est  fixé  à  3  manses  ou 
600  sols,  pouvant  être  constitué  par  la  réunion  de  six  contribuables, 
de  sorte  qu'il  est  en  réalité  de  100  sols  (Cap.  I,  p.  134-135).  L'année 
suivante,  et  très  probablement  pour  la  même  région,  il  est  élevé  à 
4  manses  [Ibid,  p.  137). 

*  «  Nisi  talis  regni  invasio,  quam  lantweri  dicunt,  quod  absit,  acci- 
dent ut  omnis  populus  illius  regni  ad  eam  repellendam  communiter  per- 
gat  »  (Conv.  apud,  Marsn.  847,  Capit.  II,  p.  71).  —  a  Cuncti  sint  prae- 
parati  ad  quamcumque  necessitatem  imminentem,  ut  secundum  con- 
suetudinem,  prout  nécessitas  evenerit...  ad  defendendam  sanctam  Dei 
ecclesiam  et  regnum  omnes  sint  praeparati  »  (Cap.  Silvac,  853,  c.  10,  II, 
p.  273-4).  — Cap.  Caris.  877,  c.  10,  II,  p.  358.  —Cf.  Reginon,  ad  an. 
882,  p.  1 18  :  «  Innumera  multitudo  peditum  ex  agris  et  villis  in  unum 
agmen  conglobata  eos  (Nortmannos)  quasi  pugnatura  adgreditur.  Sed 
Nortmanni  cémentes  ignobile  vulgus  non  tantum  inerme  quantum 
disciplina  militari  nudatum,...  tanta  caede  prosternunt,  ut  bruta 
animalia  non  homines  mactari  viderentur  ». 

>  Cf.  Brunner,  II,  p.  215,  216. 


474  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   VI. 

gent.  A  eux  de  le  fournir  par  les  hommes  qu'ils  levaieut 
parmi  leurs  vassaux  propres  ou  leurs  admiDistrés,  en  les 
obligeant  à  s'équiper  eux-mêmes  ou  en  les  faisant  équiper 
par  les  contribuables  *. 

Un  phénomène  analogue,  marqué  par  la  diminution  du 
nombre  des  recrues  et  Tin terposition  de  répondants,  se  pro- 
duisit pour  les  hommes  des  grands  propriétaires,  laïques 
ou  ecclésiastiques,  que  ceux-ci  avaient  mis  en  mesure,  par 
des  concessions  de  bénéfices  ou  de  tenures,  de  s'acquitter 
du  service  de  Tost  royale.  L'enrôlement  procédcdt  ici,  en 
définitive,  du  bon  vouloir  des  concédants  :  sa  possibilité 
naissait  de  la  tenure  seigneuriale  et  prenait  fin  par  sa  ré- 
vocation. Le  roi  n'atteignait  donc  les  hommes  ainsi  posses- 
siennes  que  s'il  pouvait  semondre  leur  seigneur*  en  vertu 
de  la  fidélité  qu'il  lui  avait  jurée  (fidélité  plus  stricte  pour 
le  bénéficier  royal  ou  pour  le  délenteur  de  biens  ecclésias- 
tiques sur  lesquels  le  souverain  prétendait  avoir  la  haute 
main).  La  catégorie  de  ces  recrues  purement  éventuelles 
et  en  sous-ordre  s'étendit  par  l'usage  des  précaires,  qui 
permirent  aux  petits  propriétaires  d'éluder  robligation 
du  service  direct  en  abandonnant  leurs  biens  en  pleine 
propriété  à  des  seigneurs  et  les  reprenant  à  titre  d'usu- 
fruit. 

L'ost  royale  se  disloqua  de  la  sorte  en  contingents  com- 
taux,  ducaux,  seigneuriaux'.  Le  chef  de  chaque  contingent 
fut  le  seul  obligé.  Il  fut  rendu  responsable  de  ses  hommes^ 


*  Capit.  Olon.  825,  c.  1,  I,  p.  329,  330. 

'^  Voyez  le  très  typique  ordre  d'appel  adressé  à  Tabbé  de  Saint- 
Quentin,  Fuirade  (804-811)  (Capit.  I,  p.  168). 

3  Cliaque  seigneur,  dès  le  ixe  siècle,  paraît  avoir  eu  son  gonfanon, 
et  son  gonl'anonier  :  w  unusquisque  episcopus,  vel  abbas,  seu  abba- 
tissa,  cum  omni  plenitudine  et  neeessario  hostiii  apparatuet  adtempus 
suos  homines  illuc  transmiserit  cum  guntfanonario  »  (Cap.  Tusiac., 
865,  c.  13,  II,  p.  331).  Les  hommes  du  seigneur  sont  ses  scariti  (Cf. 
Cap.  805,  c.  5,  II,  p.  92). 

*  «  Omnes  qui  in  suo  obsequio  in  tali  itinere  pergunt,  sive  sui  sînt 


ORGANES   ET  MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.       475 

chargé  de  leur  équipement  et  deleur  entretien*,  il  reçut  sur 
eux  tout  pouvoir  disciplinaire*.  De  combattants  auxquels  il 
put  commander  directement,  le  roi  fut  réduit  à  n'en  plus 
trouver  que  dans  son  armée  personnelle,  sa^cara,  sa  mais- 
nie.  Nous  savons  de  quels  éléments  elle  se  compose  :  ce 
sont  tous  ceux  qui  sont  rattachés  de  près  ou  de  loin  au 
palais,  à  la  casa^  qui  sont  casati^.  Les  uns  sont  pourvus 
d'offices  de  la  cour  {austaldi,  ministerîales)\  et  de  ce  chef 
astreints  à  un  service  continu  auprès  de  la  personne  du 
roi,  obligés  à  raccompagner  et  à  l'assister  dans  ses  fonc- 
tions guerrières;  d'autres,  soldats  éprouvés  {milites)  et 
jeunes  recrues  {lirones,  nutriti),  sont  entretenus  au  palais 

sive  alieni,  ut  ille  de  eorum  factis  rationem  se  sciât  redditurum,  et 
quicquid  ipsi  in  pace  violanda  delinquerint,  ad  ipsius  débet  plivium 
pervenire  »  {Admon.  ad  omnes  regni  ordines,  823-25,  c.  17,  I, 
p.  305). 

*  Cf.  par  exemple,  l'ordre  d*appel  cité  note  2,  suprà, 
»  Cf.  Capit.  Silv.  855,  c.  13,  II,  p.  274. 

3  J'ai  déjà  indiqué  plus  haut  (p.  76,  note)  le  sens  fondamental  des 
mots  casatiy  casamentum.  Leur  étroite  connexité  avec  la  maisnie,  la 
synonymie  de  casatus  et  de  domesticus  ressorlent  très  clairement,  à 
mes  yeux,  des  textes  suivants  :  Capit.  de  exercitii  promov.,  808,  c.  4 
(I,  p.  137)  :  «  De  hominibus  comitum  casatis  isti  sunt  excipiendi... 
duo  qui  dimissi  fuerunt  cum  uxore  illius  et  duo  qui  propter  minis- 
feriwmejuscustodiendum  et  servitium  nostrum  iaciendum  remanere 
jussi  sunt...  Episcopus  vero  vel  abbas  duo  tantum  de  casatis  etlaicis 
hominibus  suis  domi  dimittant  ».  —  Cap.  de  rébus  exercitalibus,  8H, 
c.  4  (I,  p.  165)  :  «  quod  episcopi  et  abbates  sive  comités  dimittunt 
eorum  liberos  homines  ad  casarrij  in  nomine  miniaterialium,  simi- 
liter  et  abbatissae  :  hi  sunt  falconarii,  venatores,  telonearii,  praepositi, 
decani  et  alii  qui  missos  recipiunt  et  eorum  sequentes  ».  —  Capit.  Bo- 
non.  811,  c.  7  (I,  p.  1G7)  :  «  De  vassis  dominicis  qui  adhuc  intra 
casam  seniunt,  et  lamen  bénéficia  habere  noscuntur,  statutum  est, 
ut  quicumque  ex  eis  cum  domno  imperatore  domi  remanserint  vas- 
sallos  suos  casatos  secum  non  retineant,  sed  cum  comité  cujus  pa- 
genses  sunt  ire  permittat  ». 

*  c<  Austaldi  nostri  in  nostris  ministeriis  »  (Capit.,  801-810,  c.  10, 
I,  p.  210).  —  u  Dominici  vassi  qui  austaldi  sunt  et  in  nostro  palatio 
fréquenter  serviunt  »  (Cap.  de  exped.  Corsica,  825,  c.  1, 1,  p.  325). 


476  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  VI. 

et  participent  à  d'incessantes  largesses  :  ils  doivent  être  en 
tout  temps  prêts  à  marcher.  D'autres  encore,  après  êire 
entrés  par  la  recommandation  dans  la  familia  du  roi,  et 
l'avoir  vaillamment  servi,  ont  reçu  de  lui  des  bénéBces  ou 
possèdent  des  alleux  sur  lesquels  ils  résident  et  vivent*. 
Il  en  est  enfin  qui  sont  enrôlés  spécialement  en  vue  d'une 
expédition  ou  pour  un  temps  donné  {soldurti). 

Je  viens  de  me  placer  vers  la  6n  du  ix*  siècle.  Deman- 
dons-nous maintenant  comment  l'évolution  à  laquelle  nous 
venons  d'assister  s'est  poursuivie  dans  les  deux  siècles 
postérieurs.  Les  honorait,  ducs,  comtes,  évoques,  des  sei- 
gneurs aussi  ou  de  grands  propriétaires  deviennent  prin- 
cipes^ chefs  de  groupes  ethniques.  Ce  sont  eux  qui  se 
trouvent  les  maîtres  de  l'armée  composée  de  leurs  pa- 
irienseSj  ou  pagemes^  sujets  ou  vassaux.  En  dehors  de 
la  Francie,  ils  ne  sont  plus  rattachés  au  roi  que  par  le  lien 
de  suprématie;  ils  ne  sont  plus  tenus  de  lui  amener  Tost 
que  comme  pares  Francorunij  lui  devant  la  fidélité  et  non 

^  La  distinction  entre  les  vassi  domtntctqui  soni  minùterialety  ceux 
qui  résident  sur  leurs  alleux,  et  ceux  qui  résident  sur  leurs  bénéfices, 
est  très  nettement  faite  dans  le  Capit.  pour  l'expédition  de  Gone 
(825),  et  elle  justifie  pleinement  mon  opinion  qu'en  principe  le  se^ 
vice  n'était  pas  dû  à  raison  du  bénéfice,  mais  à  raison  de  la  fidélité 
(suprày  p.  67].  Le  bénéfice,  comme  la  propriété  allodiale,  n'était 
qu'une  condition  de  fait,  plus  ou  moins  rigoureuse,  du  devoir  mili- 
taire. Par  Toctroi  d'un  bénéfice,  elle  était  réalisée  pleinement  (sauf 
dispense  à  raison  du  service  de  cour);  quanta  Talleu  le  roi  ou  ses 
représentants  (comtes,  etc.)  appréciaient  les  obligations  dont  son 
détenteur  pouvait  être  tenu.  Ainsi  trois  catégories  de  vasH  dominid  : 
les  officiers  de  la  cour  dispensés  de  Tost  pour  rester  auprès  du  roi; 
les  alleutiers  résidant  sur  leurs  terres  et  que  le  roi,  suivant  les  cas,  ap- 
pelle ou  dispense;  les  bénéficiers  qui  doivent  marcher  en  tout  cas, 
s'ils  résident  sur  leurs  bénéfices,  c'est-à-dire  s'ils  ne  sont  pas  retenus 
à  la  cour  :  u  Dominici  vassi  qui  austaldi  sunt  et  in  nostro  palatio 
fréquenter  scrviunt,  volumus  ut  remaneant...  qui  autem  in  eorum 
propriotate  manent,  volumus  scire  qui  sint  et  adhuc  considerare  vo- 
lumus quis  eant  aut  quis  remaneant;  illi  vero  qui  bénéficia  nostra 
habent  et  foris  manent,  volumus  ut  eant  »  (CapiU  I,  p.  325). 


ORGANES  ET  MOYENS  d' ACTION  DE  LA  ROYAUTE.   477 

l'hommage*.  La  levée  en  masse  pour  la  défense  de  la 
petite  patrie,  la  landwer  locale  ou  régionale,  c'est  le/?rm- 
ceps  qui  Topère^.  Toutefois  Tidée  de  grande  patrie  n'est 
pas  oblitérée.  Que  la  Gaule  tout  entière  eût  à  lutter  contre 
un  ennemi  commun,  le  chef  qui  devrait  la  mener  au 
combat  ce  serait  le  roi  des  Francs.  Dans  les  récits  légen- 
daires où  Richer  nous  raconte  les  combats  du  roi  Eudes 
et  du  duc  des  Francs,  Robert,  contre  les  Normands,  il  nous 
montre  le  premier  convoquant  par  ban  royal,  edicto  regio^ 
les  guerriers  de  l'Aquitaine,  de  la  Provence,  de  la  Gothie, 
pour  former  avec  eux  une  armée  de  seize  mille  hommes 
(10.000  équités,  6.000  pedites)^  et  le  second  recrutant 
quarante  mille  hommes  de  la  Neustrie,  de  l'Aquitaine  et 
de  la  Belgique*.  Ce  sont,  je  le  veux  bien,  des  fictions  poé- 
tiques, transcrites  sans   doute  de  vieilles   chansons  de 

*  Nous  reviendrons  en  détail  sur  ce  sujet  en  traitant  du  Principal, 
Je  me  borne  en  ce  moment  à  citer  quelques  exemples  de  service 
d'ost  fourni  par  des  principes  de  la  Gaule  :  u  Rex  Robertus,  coUecto 
in  unum  exercitu  valido,  tam  de  gente  Francorum,  quam  Normanno- 
rum,  habens  secum  Richardum  potentissimum  ducem  ipsorum,  » 
(1003,  Hist,  episc.  Autiss,.,  H.  F.  X,  171  D)  —  «  exercitum  deductume 
Normannia  solà  regio  majorem,  omnique  collegio  quantum  adduxe- 
rant  vel  miserant  comités  plurimi  »  (après  1047,  Guill.  le  Poitevin, 
H.  F.  XI,  77  G).  —  «  Rex  (Philippus)...  undequaque  militum  contrahit 
manum.  Intor  reliquos  etiam  auxiliares  exercitum  de  Burgundia  ad- 
ventare  jubet  qui,  accepto  mandato,  in  Franciam  properant,  dux  vide- 
licet  ejusdem  Burgundiae  Odo,  Nivernensium  comes  Guillelmus,  Au- 
tissiodorensium  pontifex  Gaufredus,  et  alii  quamplures  »  (Miracles 
de  saint-Benoit,  H.  F.  XI,  487  A). 

2  Voyez  entre  autres  les  textes  que  j'ai  groupés,  T.  I,  p.  317- 
318). 

•^  «  Odo...  quotquot  ex  Aquitania  potuit,  edicto  regio  congregari 
precepit  milites  peditesque.  Ex  Provintia  quoque...  Arelatenses  ac 
Aurasicanos  habuit.  Sed  et  ex  Gothia  Tholosanos  atque  Nemausinos. 
Quibus  collectis,  exercitus  regius  inXmilibus  equitum,  peditum  vero 
VI  milibus  erat  »  (Richer,  I,  7).  —  «  Dux  vero  (Rotbertus)  ex  tota 
Neustria  copias  collegerat.  Plures  quoque  ex  Aquitania  accersiverat. 
Aderant  etiam  ab  rege  missae  IV  cohortes  ex  Bclgica.,.  Sicque  totus 
ducis  exercitus  in  XL.M.  equitum  consistebat  «  (I,  28). 


478  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   VI. 

geste,  mais  le  fait  qu'un  chroniqueur  de  la  seconde  moitié 
du  X*  siècle  nous  les  présente  comme  des  récits  histori- 
ques prouve  qu*ils  ne  choquaient  pas  la  vraisemblance, 
qu'ils  s'accordaient  avec  la  réalité  possible  de  son  temps. 
Et,  en  effet,  dans  un  passage  de  son  livre  dont  la  vérité 
objective  n'est  pas  contestée,  nous  voyons  les  rois  Hugoes 
Capet  et  Robert  envoyer  leurs  messagers  aussi  bien  dans 
TÂquitaine  et  le  Languedoc  qu'en  Francie,  pour  lever  une 
armée  de  6.000  équités,  qu'ils  conduiront  contre  Charles 
de  Lorraine*. 

Au  siècle  suivant,  des  levées  analogues  se  produisent 
En  1054,  les  principes  de  la  Gaule  se  sont  coalisés  contre 
Guillaume  le  Conquérant,  auquel  ils  reprochent  précisément 
de  ne  pas  se  rendre  aussi  fréquemment  qu'ils  le  font 
eux-mêmes  à  l'appel,  à  la  semonce  du  roi  *.  Henri  I"  par- 
vient, en  conséquence,  à  lever  par  édit  royal'  une  immense 

1  «  Legatos  qimquavcrsum  dirigunt.  Gallos,  quos  hinc  Hatrona, 
inde  «ibluit  Ganinna  contra  tirannum  invitant...  collectis  itaque  VI 
M.  eqiiitum,  in  hostem  vadunt  »  (Richer,  IV,  48). 

-  «  Coiidolentes,  Tctbaldiis,  Pictavorum  cornes  Gaufredus  itemque 
rcJiqiii  siininiates,  quadam  indignations  privata  intolerandum  duce- 
bant  sese  régis  qvocnmqnc  praevia  vocarent  signis  parère^  Ouillel- 
mum  Norman  nom  m  nequaquam  pro  rege  sed  conÛdenter  atque  in- 
desinenter  ad  ejus  magnitudinem,  quam  aliquantum  attri^t,  uUerius 
atterendam,  vel  quà  via  valeat  conterendam,  in  armis  agitare  «  (GuilL 
le  Poitevin,  H.  F.  XI,  83). 

3  (c  Qua  magnanimitate  Francorum  asperneretur  enses  atque  unî- 
versorum  qui  contra  se  regia  cclicto  fuerunt  evocati  »  {Ibid.,  H.  F. XI, 
78  B).  La  convocation  se  faisait  par  messagers  ou  hrefÉ.  Les  chansons 
de  geste  surtout  nous  la  montrent  en  action.  Il  suffira  de  citer  ce 
passage  d'Ogier  : 

o  II  (CharlemagDo)  fist  ses  cartes  et  ses  briës  seeler 
Par  son  roialme  ses  messages  aler 
Ses  barons  fist  et  semondrc  et  mander 
N'i  reniaijrne  Iiom  qi  armes  puisl  porter 
Que  il  ne  viegne  a  Loon  la  cité  ». 

(v.  4835  et  suiv.). 

Nous  savons  d'autre  part,  qu'edictum  et  bannum  sont  synonymes 
(Cf.  suprà,  p.  340  et  suiv.).  —  Dans  un  des  premiers  monuments  du 
théâtre  français,  le  jeu  de  Saint-Nicolas,  par  Jean  Bodel  (xii^ziii*  siè- 


ORGANES   ET  MOYENS   d'aCTION  DE  LA  ROYAUTÉ.      479 

armée  dans  la  Gaule,  ingens  exercitus  Galliae\  Elle  com- 
prend les  Celto-Gaulois,  les  Belges,  les  Aquitains,  c'est-à- 
dire,  à  côté  des  contingents  de  la  Francie,  ceux  de  l'Aqui- 
taine, de  la  Bourgogne,  de  la  Flandre,  de  la  Bretagne  même 
et  de  la  Gascogne*.  Le  succès  malheureusement  ne  répon- 
dit pas  à  Teffort  :  des  deux  corps  d'armée  qui  envahirent  la 
Normandie,  commandés  l'un  par  Eude,  frère  du  roi',  l'autre 
par  le  roi  en  personne*,  le  premier  fut  écrasé  à  Mortemer, 

des),  je  retrouve  un  écho,  probablement  fidèle,  d'une  convocation 
par  ban  de  Tost  royal  : 

«  Oiiés,  oiiés,  oies  signeur, 

Oies  vo  preu  et  vo  honneur, 

Je  fac  le  ban  le  roy  d'Aufrike 

Que  tout  à  viegnent,  povre  et  rique 

Garni  de  leurs  armes,  par  ban... 

Tout  vegnent  garni  ceste  part 

Et  toute  l'autre  gent  grifaigne, 

Séurs  soit  quiconque  remaigne 

Que  li  roys  le  fera  tuer. 

N'i  a  plus,  or  poès  huer  ». 

(Monmerqué,  Théâtre  fr.  au  M.  A,,  p.  165-6). 

*  «  Ingentem  exercitum  Galliae  in  duas  partes  divisit  rex  Henri- 
cus  »  (Orderic  Vital,  III,  p.  234). 

'  «  Innumerosissimae  copiae  in  Normanniam  expeditae  sunt.  Bur- 
gundiam,  Arverniam  atque  V^asconiam  properare  videres  horribiles 
ferro;  immo  vires  tanti  regni  quantum  in  climata  mundi  quatuor  pa- 
tent cunctas;  Franci'arn  tamen  et  Britanniam  quantô  nobis  viciniores, 
tantô  ardentius  infestas  »  (GuiQ.  le  Poitevin,  H.  F.  XI,  83  B).  —  La 
présence  de  contingents  gascons  est  très  naturelle  si  Ton  admet,  avec 
VArt  de  vérifier  les  dates  (II,  p.  256,  p.  356)  que  le  ducatus  de  Gas- 
cogne a  été  dès  1052  cédé  par  Bernard  Tumapaler  au  comte  de  Poi- 
tiers Guy  GeofTroi.  —  Cette  date  est  contredite,  sans  aucune  preuve 
ni  motif  plausible,  par  M.  Alfred  Richard,  dans  un  livre  qui  paraît 
au  moment  où  je  révise  cette  note  {Histoire  des  comtes  de  Poitou^ 
1. 1  (Paris,  1903),  p.  290-291. 

^  Ducibus  fratre  régis  Odone  et  Rainaldo  familiarissimo,  interflu- 
men  Rhenum  et  Sequanam  collecti,  quae  Gallia  Belgica  nuncupa- 
tur  »  (H.  F.  XI  83  C). 

*  «  Quantus  miles  inter  Sequanam  et  Garonnam  fluvios  colligere-» 
tur,  quas  gentes  multas  uno  nomine  Celtigallos  appellant  ;  ii  nos  hac 
rege  ipso  duce  invaderent...  regera  in  super  comitabatur  Aquitania, 


480  LIVRE   IV.    —   CHAPITRB  VI. 

et  le  second  dut  se  replier  en  désordre.  Heari  I"  as  se  tint 
pas  pour  battu.  II  renouvela  sa  tentative  quelques  années 
plus  tard,  avec  une  armée  un  peu  moins  nombreuse  ^  Elle 
échoua  de  môme. 

La  campagne  que  Philippe  I*'  mena  en  1071  contre 
Robert  le  Frison  soutenu  par  la  Flandre  flamingantei  la 
Hollande  et  la  Frise,  prit  toutes  les  apparences  d'une 
guerre  nationale.  S'il  faut  ajouter  foi  aux  chroniqueurs 
flamands,  les  évêques  de  Paris,  Lyon,  Amiens,  des  troupes 
de  Francs,  de  Normands,  de  Champenois,  de  Poitevins,  de 
Bourguignons  et  une  multitude  d'autres,  composaient  Tost 
royale ^  Elle  succomba  à  la  bataille  de  Cassel  (22  février 
1071). 

Le  principe  des  levées  générales  ne  s'est  donc  jamais 
perdu  et  c'est  de  lui  qu'a  pu  procéder,  en  partie  au  moins, 
le  droit  pour  la  royauté  de  réclamer  lé  concours  armé  des 
associations  de  paix  et  des  milices  paroissiales'.  Ici,  du 

f»ars  Galliae  terlia  et  latitudine  regionum  et  muUiiudine  hominum  a 
plerisque  aestimata  »  (Ibid.), 

*  1057-1058,  H.  F.  XI,  84D-E  :  «  exercitu  coacto  copioso  quidem, 
ol  minus  quam  antea  immani  ». 

'^  «<  Aflvenit  rex  Phiiippus  el  cum  eo  validus  armatorum  cuneus. 
Guirridus  Farisiensis  episcopus...  Ep.  Lugdunensis,  Ep.  Ambianensis, 
Francij  Normamii,  Rocinenses,  Noviomenses  Campanienses,  Seno- 
nenses,  Ton»tenses,  Remensefi,  Catalaunenses,  Camotenses,  Aurelia- 
nenses,  Stampenses,  Monliacutenses,  Ribelmontenses,  Suessionen- 
ses,  Andegavcnses,  Pictavicnses,  Barrolonenses,  Nadaveroenses, 
Burgundienses,  et  caeteri  innumerabiles  »  {GeneaL  Comit,  Plandr., 
H.  F.  XI,  391  B). 

•'  Nous  traiterons  des  premières  en  même  temps  que  de  la  paix  de 
Dieu,  au  volume  suivant.  Quantiaux  milices  paroissiales,  sous  la  con- 
duite de  leurs  prêtres,  qui  portent  des  bannières  (vexiUa)^  elles  vont 
dès  1094  aider  le  roi  Philippe  et  le  duc  Robert  Courte  Heuse  à  as- 
siéger Bréval,  sur  les  confins  de  la  Normandie  et  du  pays  Mantois. 
Un  ordre  de  convocation  a  du  être  adressé  à  leurs  prêtres,  de  même 
que  les  abbos  sont  tenus  (coacti)  d'amener  leurs  hommes  :  «  Illuc 
prosbyteri  cum  jmrocliianis  suis  vexilla  tulerunt,  et  abbates  cum  ho- 
minibus  suis  coacti  convenerunt  »  (Orderic  Vital,  III,  p.  415).  — 
Quelques  années  plus  tard,  le  môme  chroniqueur  nous  dira  que, 


ORGANES  ET  MOYENS  D  ACTION  DE  LA  ROYAUTÉ.   481 

reste,  entrait  enjeu,  soil  l'autorité  quels  roi  avait  sur  les 
populations  pour  lesquelles  le  principat  se  confondait  avec 
la  royauté  \  soit  son  pouvoir  général  sur  l'Église ',  pou- 
voir qui  lui  subordonnait  plus  étroitement  les  clercs  que 
les  laïques,  et  qui  a  pu  s'étendre  sans  peine  sur  les  grou- 
pements religieux  (paroisses  ou  associations). 

Mais  les  effectifs  fournis,  aux  x°  et  xi"  siècles,  par  les  levées 
générales  étaient  en  somme  peu  élevés,  ou,  quand  ils  l'é- 
taient, peu  solides.  Je  n'ai  pu  qu'enregistrer  leurs  défaites. 
Le  nombre  ne  suppléait  pas  à  la  qualité  et  à  la  cohésion 
manquantes.  Les  lenteurs  des  recrutements  lointains,  les 
résistances  auxquelles  ils  se  heurtaient  étaient  autant  de 
causes  de  faiblesse  ide  l'ost  royal.  Et  puis  il  y  avait  en 
dehors  des  guerres  nationales  ou  des  guerres  déclarées, 
bellum  publicum,  nominatum^ ^  expediiio  généralisa ^  les 

durant  la  vieillesse  de  Philippe  et  pour  rétablir  Tordre,  son  fils  Louis 
ayant  dû,  par  toute  la  Gaule,  requérir  l'aide  des  évoques,  le  grou- 
pement du  peuple  en  communautés  fut  décidé  par  eux,  afin  que  les 
prêtres  accompagnassent  le  roi  aux  sièges  et  aux  combats,  la  ban- 
nière au  vent,  suivis  de  tous  leurs  paroissiens  :  «  auxilium  totam  per 
Galliam  deposcere  coactus  est  episcoporum.  Tune  ergo  communitas 
in  Francia  popularis  statuta  est  a  prœsulibus,  et  presbyteri  comita- 
rentur  régi  ad  obsidionem  vel  pugnam  cum  vexillis  et  parochianis 
omnibus  »  (Ihid,^  IV,  p.  285). 
*  Suprà,  p.  231. 

2  Supràj  p.  243  suiv. 

3  Cf.  Charte  de  Guillaume  d'Aquitaine  (1087)  (Besly,  p.  404)  : 
«  liberos  et  francos...  ab  omni  exercitu  et  expeditione  excepta  illa  que 
vocatur  nomine  belli,  cum  scilicet  dominus  Pictavis  bellum  acturus  est 
cum  aliquo  inimicorum  suorum  ».  (La  charte  dont  celle-ci  est  la  con- 
firmation porte  :  «  agatur  nomine  belli  »)  Les  expressions  «  nomine 
belli,  bellum  denominatum,  nominatum  sont  opposées  fréquemment  à 
celles  d*  «  equitatus,  cavalcata,  expeditio  »,  etc.  —  Guillaume  le  Poit- 
tevin  admire  Guillaume  le  Conquérant  d'avoir  déclaré,  dénoncé  une 
guerre  quarante  jours  à  l'avance  :  «  Ut  magis  admirere,  ipsum  hostem 
incautum  vel  imparatum  non  aggreditur  ;  sed  prius  ei  diebus  XL  ubi, 
quando,  cujus  rei  gratia  sit  adventurus,  denuntiat  »  (H.  F.  XI,  84  B). 

*  Cf.  Orderic  Vital  (III,  p.  36)  :  «  Nec  eant  nisi  in  generaJem  prin- 
cipis  Normanniae  expcditionem  ». 

F.  —Tome  111.  31 


482  LIVRE  IV.    —   CHAPITRE  VI. 

expéditions  royales,  les  razzias,  les  coups  de  maiD,  les 
parties  de  guerre,  comme  nous  disons  aujourd'hui  les 
parties  de  chasse,  expédition  cavalcata,  equitaius^  pour 
lesquels  une  longue  mobilisation  était  impraticable.  Il  fal- 
lait, dès  lors,  au  roi  une  armée  sur  qui  il  pût  compter  en 
tout  temps,  qu'il  eût  toujours  à  ses  ordres,  prête  à  partir. 
Il  la  trouva,  d'une  part,  dans  les  seigneuries  ecclésiasti- 
ques, abbayes  et  évêchés,  qui  continuaient  à  relever  direc- 
tement de  lui,  d'autre  part,  dans  sa  maisnie. 

Les  évêques  et  abbés  placés  dans  le  mundium  du  roi, 
soumis  à  son  autorité,  et  lui  devant,  nous  l'avons  vu,  une 
fidélité  à  toute  épreuve*,  ont  comme  devoir  essentiel  de 
le  suivre  à  la  guerre  avec  le  contingent  de  leurs  hommes. 
Et  ce  devoir,  ils  le  remplissent  régulièrement*,  alors  que  les 
princes  de  la  Gaule  trop  souvent  le  violent  ou  l'éludent  et 
que  les  princes  de  la  Francie  ne  s'en  acquittent  que  par 
intermittence*.  Ils  le  remplissent  même  si  bien  qu'un  chro- 

<  Suprà.  p.  272-3. 

*  Voyez,  pîir  exemple,  Dipl.  de  Hugues  Capel  pour  Saint-Benoît 
(993,  chartes  de  Saint-Benoît  f,  p.  182),  de  Robert  pour  Corbie(1016) 
(H.  F.  X,  598),  d'Henri  I  pour  Saint-Thierri  de  Reims  (H.  F.  XI, 
586-7),  Vita  Arnulfi  (Mabillon,  SB.  VI,  2,  p.  517-518)  :«  Rex...  cum 
exercituni  promovisset,  missis  legatis  monuit  domnum  Arnulfiim  (abbé 
de  Saint-Médard  de  Soissons),  ut  cum  armata  mililiain  expeditionem 
secum  abiret...  Rex  Philippus  misit  denuo  legatos  qui  dicerent  fmsu 
morem  antiquum  ut  milites  ahbatisBj  abbate  prasvio,  regali  expedi- 
tioni  inservirent.  Aut  faceret  juxta  morem  antiquum  aut  daret  locum 
ut  fieret  régis  imperium  ».  Arnoul,  ne  voulant  servir,  préfère  renoncer 
à  rahl>aye.  En  vain  ses  moines  cherchent-ils  à  le  retenir  en  lui  disant 
qu'ils  conduiraient  eux-mtoes  k  J'ost  le  contingent  de  l'abbaye  :  «  Si 
molestum  tibi  erat  oxercitum  régis  subire,  sedisses  tranquilJus  in  loco 
tuo,  nos  cum  nostris  militibus  paruissemus  régis  imperio  ».  —  Cf. 
Vita  Udalrici  (Mabillon,  V,  p.  425)  :  Un  neveu  de  Tévôque  est  admis 
à  le  suppléer  dans  le  service  d'ost  :  «  concessum  est...  ut  A.  in  ejus 
vice  itinera  hostilia  cum  militia  episcopali  in  voluntatem  imperatoris 
peragcret  ». 

*  il  est  douteux  qu'il  faille  prendre  au  pied  de  la  lettre  l'expres- 
sion d'Adémar  de  Chabannes  :  omnis  Francia  bellatrix,  quand  Guil- 


ORGANES   ET   MOYENS   d'aCTION   DE   LA   ROYAUTÉ.       483 

niqueur  (ecclésiastique,  il  est  vrai)  a  pu  dire,  au  milieu  du 
XI*  siècle,  que  c'était  en  eux  que  résidait  la  principale  force 
militaire  du  royaume  \ 

Quant  à  la  maisnie,  où  des  éléments  venus  de  toutes  les 
régions  de  la  Gaule  pouvaient  entrer  et  se  fondre,  elle  pré- 
sente en  somme  la  même  physionomie  que  nous  lui  avons 
vue  vers  la  fin  du  ix*"  siècle,  sauf  que  pour  les  anciens  bé- 
néficiers,  Thommage  tend  à  s'incorporer  au  fief  et  à  trans- 
former les  vassi  dominici  en  feudalaires,  sauf  aussi  que  le 
service  de  cavalerie,  en  se  développant  et  se  perfection- 
nant, permet  à  la  maisnie  de  tenir  lieu  de  Tost.  Au-dessous 
des  chevaliers  {milites)  et  des  écuyers  [équités)  qui  la 
composent,  les  hommes  d'armes  à  pied  {pedites\  servi- 
teurs ou  soudoyers,  forment  une  élite  habile  à  manier  l'arc 
ou  la  lance,  à  manœuvrer  la  baliste  ou  le  mangonneau. 

L'importance  de  cette  manus  privata  se  laisse  entrevoir 
clairement  au  xi°  siècle,  et  elle  éclate  aux  yeux,  dès  le  dé- 
but du  siècle  suivant,  sitôt  que  les  documents  deviennent 
plus  abondants  et  plus  précis  ^  Elle  était  en  rapport  évi- 
dent avec  le  prestige  dont  jouissait  la  cour  du  roi,  elle 
dépendait  surtout  aussi  de  l'étendue  des  ressources  mo- 
bilières ou  foncières,  dont  le  roi  disposait.  Grâce  à  elles 

laume  le  Grand  d'Aquitaine,  en  lutte  avec  le  comte  de  la  Marche 
Boson  et  pour  assiéger  Bellac,  appelle  à  son  secours  le  roi  Robert  : 
«  Rotberlum  regem  accersivit  ad  capiendum  castrum  Bellacum,  quod 
tenebat  Boso.  Omnis  Francia  bellatrix  eo  conflixil,  sed  frustrata  post 
multos  dies  cum  suo  rege  recessit  »  (Adémar,  111,  34,  p.  156). 

*  «  Principes  suos  et  totius  exercitus  sui  potentiam  commovere  in 
rebelles,  ipsos  eliam  episcopos  et  abbates  pênes  quos  maxima  pars 
facultatum  regni  est,  censent  immunes  hujus  expeditionis  esse  non 
debere  »  (Anselme,  Dédicace  de  Saint-Remi,  Mabillon,  SB.  VI,  1, 
p.  716). 

2  Suger,  par  exemple,  nous  en  fournit  de  multiples  preuves  : 
1107-1108  :  «  (Ludovicus)  rogatus  non  cum  hoste,  sed  doniesticorum 
militari  manu  fines  illos  ingressus  »  (éd.  Molinier,  p.  87);  1108 
«  cum  rex  pauca  curialium  manUj  ne  publicaretur,  accelerasset  » 
[ibid,,  p.  42),  etc. 


484  LIVRB  IV.    —   CHAPITRE  VI. 

il  attirait  et  retenait,  stipendiait  et  récompensait  les 
hommes  d'audace  et  d'ambition,  les  guerriers  avides  de 
conquérir  gloire  et  fortune  par  d'éclatantes  prouesses. 

§  3.  —  Le  domaine  et  le  trésor  ou  fisc  du  roi. 

Les  historiens  ont  accordé  une  place  démesurée  au  do- 
maine royal,  lui  ont  assigné  une  fonction  excessive  dans 
la  reconstitution  de  Tunité  française.  Partant  de  l'idée  que 
la  féodalité  foncière  régnait  sans  partage  dès  la  fin  da 
ix""  siècle,  ils  ont  imaginé  que  le  roi,  simple  suzercdn  féo- 
dal, à  leurs  yeux,  avait  le  siège  de  sa  puissance  où  était 
sa  propriété  territoriale.  A  cette  propriété  était  lié  le  sort  du 
royaume.  L'avènement  de  la  troisième  race  ne  s'explique- 
rait pas  autrement.  Si  Hugues  Capet  est  parvenu  au  troue, 
c'est  d'abord  qu'il  était  le  plus  grand  propriétaire  foncier 
de  la  Gaule,  tandis  que  les  Carolingiens  avaient  perdu 
leur  domaine  à  force  de  Tinféoder.  C'est  ensuite  que  sa 
principale  seigneurie  était  le  duché  territorial  de  France, 
situé  au  cœur  même  du  pays.  Ce  duché  joint  aux  divers 
comtés  dont  Hugues  Capet  était  propriétaire  aurait  été  le 
noyau  de  cristallisation  autour  duquel  l'État  français  se 
serait  reformé. 

La  théorie  est  devenue  classique;  je  ne  la  tiens  pas 
pour  moins  fausse.  M.  Anatole  de  Barthélémy*  avait  dé- 
montré déjà  et  M.  Luchaire  a  reconnu  qu'il  faut  abandon- 
ner l'idée  d'un  duché  de  France  formant  un  territoire  net- 
tement délimité  et  compact  autour  de  la  région  parisienne*; 
j'espère  avoir  achevé  cette  démonstration  en  précisant  le 
vrai  caractère  du  ducatus  Francorum*.  M.  Luchaire 
avait  réagi  avec  force  contre  la  conception  d'une  royauté 
exclusivement  féodale  et  prouvé  qu'on  s'était  abusé  étran- 

*  Hevue  des  questions  historiques,  XIII  (1873)  p.  108  suiv. 

2  Luchaire,  I,  p.  85. 

3  Suprà,  p.  173  suiv.,  p.  210-211,  etc. 


ORGANES  ET  MOYENS   D*ACTION   DE  LA  ROYAUTÉ.       485 

gement  sur  Timportance  des  possessions  territoriales  de 
Hugues  Capet^;  je  viens,  à  mon  tour,  dans  ce  volume,  de 
montrer  en  détail  sur  quelles  bases,  autrement  larges  que 
la  propriété  foncière,  la  monarchie  des  derniers  Carolin- 
giens et  des  premiers  Capétiens  reposait.  Est-ce  à  dire  que 
la  richesse  n'ait  pas  été  aux  mains  de  nos  rois  un  moyen 
d'action  d'une  grande  énergie  pour  étendre  ou  asseoir 
leur  puissance?  Évidemment  non,  puisque  je  l'ai  présen- 
tée moi-même  comme  un  insirumentum  regni^.  Mais  le 
moyen  était  d'une  nature  très  différente  de  celle  qu'on 
lui  a  prêtée  et,  à  y  regarder  de  près,  le  domaine  foncier  ou 
territorial  rentre  singulièrement  dans  l'ombre.  L'élément 
primordial,  principiel,  dirai-je,  ce  n'est  pas  le  domaine, 
tel  qu'on  l'entend,  c'est  le  trésor,  où  tombent  les  revenus 
patrimoniaux  du  roi  en  même  temps  que  les  produits  utiles 
dont,  à  des  titres  extrêmement  multiples,  la  royauté  dis- 
pose. Voilà  ce  que  je  voudrais  bien  établir. 

Linfluence  du  roi  franc  a  tenu,  de  tout  temps,  à  sa  ri- 
chesse. C'était  elle  qui  lui  permettait  d'avoir  des  com- 
pagnons nombreux  et  des  sujets  fidèles.  La  couronne 
(regmim)  symbolise  le  royaume,  le  trésor  en  assure  la  pos- 
session. Il  est  vraiment  le  nerf  du  pouvoir.  Avec  les  lin- 
gots d'or  ou  d'argent,  les  espèces  monnayées,  les  joyaux 
de  toute  sorte,  les  riches  étoffes  et  les  fourrures,  les  armes 
de  prix,  qui  le  composent,  la  royauté  s'acquiert,  se  perd 
ou  se  divise.  Les  Mérovingiens  s'entr'égorgent,  en  se  le 
disputant.  Un  des  grands  soucis  de  Charlemagne  est  de 
l'augmenter  et  de  l'alimenter  avec  une  régularité  par- 
faite, par  les  impôts,  les  tributs,  les  dona,  par  les  reve- 
nus des  possessions  territoriales.  Terre  et  trésor  consti- 
tuaient le  fiscus  du  roi.  Il  n'y  a  pas,  en  effet,  de  fisc  de 
l'État  franc  :  il  n'y  a  que  le  fisc  du  roi  franc.  Ce  qu'au- 
jourd'hui nous  appelons  le  domaine  public  se  confond  alors 

*Luchaire  II,  p.  496-198. 
2  Suprà,  p.  73,  438,  etc. 


486  LIVRE   IV.   —   CHAPITAB  VI. 

avec  le  domaine  privé  du  souverain.  Celui-ci  emploie  à 
son  gré,  soit  pour  son  usage  personnel,  soit  dans  l'intérêt 
public,  toutes  les  ressources  foncières  ou  mobilières  qui 
parviennent  en  ses  mains.  Il  en  a  la  pleine  propriété  et  el- 
les se  transmettent  à  son  successeur.  Par  l'accession  an 
trône  d'une  dynastie  nouvelle,  le  fisc  du  roi  pouvait  donc 
recevoir  un  accroissement  subit  quand  venait  s'y  joindre 
la  fortune  privée  ou  familiale  du  nouveau  souverain,  mais 
ce  fut  plus  pleinenient  peut-être  le  cas  pour  les  Carolin- 
giens que  pour  les  Capétiens. 

Au  point  de  vue  du  régime  sous  lequel  le  fisc  royal 
était  placé,  il  se  partage  dès  l'époque  carolingienne  en 
deux  grandes  catégories  :  1*  les  biens  ou  les  sources  de 
revenus  qui  sont  soumis  à  Texploitation  et  à  la  jouissance 
directe  du  souverain  :  a  qux  ad'opus  régis  conslUuta 
habentur  »  *;  2°  ceux  dont  la  possession  et  l'usage  sont  con- 
cédés à  des  serviteurs  ou  à  des  compagnons,  à  des  corps 
religieux  ou  à  des  tenanciers,  soit  gratuitement,  soit  à 
charge  de  redevances  :  «  quœ  adpartem  régis  habentur  ». 

Cette  distinction  entre  ïindominicatum^  res  in  domifii" 
catUj  et  le  beneficiiim^  res  in  bénéficia,  s'est  généralisée 
aux  x^  et  XI*  siècles^;  mais  elle  est,  en  somme,  moins  es- 
sentielle, au  point  de  vue  politique,  que  la  distinction  entre 
le  domaine  foncier  et  la  souveraineté  directe  du  roi. 

On  se  figure  d'ordinaire  le  domaine  concédé  comme 
formé  surtout  de  fiefs  militaires.  Je  crois  que  c'est  une 
erreur.  Les  mentions  de  fiefs  proprement  dits  tenus  du  roi 
et  constitués  à  Taide  de  biens  domaniaux  sont  extrême- 
ment rares  avant  le  xii*  siècle'.  De  beaucoup  plus  nom- 

*  Cf.  Brunner,  II,  p.  72. 

2  Nous  montrerons  et  son  extension  et  sa  véritable  portée,  en  dé- 
crivant la  condition  des  personnes  et  des  terres. 

^  M.  Pfister  convient  que  «  les  documents  qui  les  concernent  sont 
encore  beaucoup  plus  rares  que  ceux  qui  nous  parlent  du  domaine 
direct  »  (c'est-à-dire  non  concédé  à  des  tenanciers)  (p.  103).  Les  men- 
tions qu  il  cite  des  chevaliers  du  roi  à  Paris,  dans  le  Pincernais,  etc. 


ORGANES  ET  MOYENS  d' ACTION  DE  LA  ROYAUTÉ.   487 

breuses  apparaissent  les  concessions  faites  à  des  tenanciers, 
à  charge  de  redevances  ea  nature  ou  en  argent  et  de  pres- 
tations très  diverses.  Les  biens  des  abbayes  royales  y  ren- 
trent dans  la  mesure  où  ils  proviennent,  réellement  ou 
fictivement,  d'une  douation  avec  charges  faites  par  le  roi, 
en  particulier  à  titre  de  fondateur  :  pour  le  surplus,  nous  le 
savons  déjà,  ils  relèvent  surtout  de  la  souveraineté  royale. 
C'est  même  presque  exclusivement  cette  nature  de  biens 
que  nous  voyons  concédés  en  fief  par  le  roi*.  L'opération 
était  séduisante.  L'abbaye  continuait  à  devoir  des  dona 
ou  des  services,  le  roi  s'assurait  la  fidéhté  de  seigneurs 
ou  de  milites  par  des  libéralités  foncières  qui  ne  sem- 
blaient pas  une  aliénation  proprement  dite. 

En  réalité,  la  distinction  du  domaine  concédé  et  du  do- 
maine propre  ou  direct  est  surtout  d'ordre  économique  et 
nous  aurons  à  en  traiter  en  décrivant  le  régime  général 
des  biens,  à  l'époque  que  nous  étudions. 

Si  maintenant  on  compare  le  domaine  privé  du  roi,  le- 
quel comprend  des  droits  fonciers  et  mobiliers  de  toute 
espèce^,  au  trésor,  on  ne  tarde  pas  à  voir  que  le  premier 
n'est  qu'une  des  sources  multiples  du  second.  C'est  donc 
celui-ci  qu'il  faut  considérer  dans  l'ensemble  de  ses  par- 
ties constitutives  :  droits  domaniaux,  droits  seigneuriaux, 
droits  royaux. 

Les  droits  royaux,  on  les  a,  jusqu'à  M.  Luchaire',  passés 
généralement  sous  silence,  les  droits  sergneuriaux,  on  les  a 
confondus  avec  les  droits  domaniaux,  et  aux  uns  et  aux 

ne  supposent  en  aucune  façon  des  détenteurs  de  fiefs  royaux, 
pas  plus  que  les  droits  de  relief  {relevamenta,  relevationes)  ne 
peuvent  être  considérés,  en  règle,  comme  des  produits  de  Tinféoda- 
tion  militaire.  Ce  sont  la  plupart  du  temps  des  finances  perçues  sur 
les  tenures  d'exploitation  rurale,  mainferme,  bail,  précaire,  etc. 

1  Cf.  Pfister,  p.  107. 

2  Les  legitimœ  exactiones^  consuetudinariœ  exactiones,  etc.   (Cf. 
Dipl.  Robert,  1030,  H.  F.  X,  621  ;  1005,  H.  F.  X,  585,  etc. 

3  Luchaire,  I,  p.  114  suiv. 


488  UVRE  IV.    —   CHAPITRE   VI. 

autres  on  a  attribué  un  caractère  lerrilorial.  J'ai  montré  au 
contraire  que  le  comté  royal,  au  lieu  de  s'absorber  dans 
le  domaine,  s'est  absorbé  dans  la  souveraineté,  que  sou- 
veraineté et  domaine  sont  de  nature  beaucoup  plus  per- 
sonnelle que  réelle,  que  la  dispersion  pour  tous  deux  est  la 
règle.  Ce  n'est  qu'exceptionnellement  qu'ils  portent  sur  un 
territoire  d'un  seul  tenant,  ayant  quelque  étendue*.  Par 
cela  même  le  groupement  leur  était  indispensable  à  tous 
deux  et  c'est  le  groupement  domanial  qui,  pour  tous  deux, 
a  servi. 

Les  aspects  que  nous  avons  à  mettre  en  lumière  ressor- 
tent  ainsi  de  soi.  Nous  avons  à  déterminer  les  diverse» 
sources  qui  alimentent  le  trésor  et  les  points  fixes  vers 
lesquels  l'administration  royale  les  a  fait  confluer.  Com- 
mençons par  le  domaine. 

La  première  question  qui  se  présente  a  trait  à  la  situation 
des  biens  fonciers  qui  composent  le  domaine,  en  compre- 
nant sous  cette  qualification  aussi  bien  la  pleine  propriété 
que  ses  démembrements,  les  jura  in  rem  ou  propier  rem. 
Notre  appareil  documentaire  est  beaucoup  trop  pauvre 
pour  la  résoudre.  Nous  ne  pouvons  dresser  un  inventaire 
même  approximatif  de  la  fortune  patrimoniale  de  nos 
rois  des  x*  et  xi*  siècles.  Tout  au  plus  nos  sources  nous 
permettent-elles  de  constater  que  leurs  propriétés  étaient 

*  Ni  M.  Luchaire  ni  M.  Pfister  n'en  citent  d'exemple  saillant,  et 
celui-ci  a  été  très  frappé  de  Tétat  de  dispersion  du  domaine  :  <c  Dans 
tel  village,  dit-il,  le  roi  possède  trente  manses,  dans  tel  autre  vingt»  ici 
deux,  là  un  seul.  Souvent  nous  trouvons  des  demi-manses...  Ce  n^est 
pas  tout  encore.  Déjà  le  manse  ne  forme  plus  dans  tous  les  cas  une 
unité  de  propriété.  Des  prés,  des  vignes,  des  champs  isolés  sont 
donnés  par  le  roi  »  (p.  90).  —  Quand  exceptionnellement  un  domaine 
d'un  seul  tenant  s'est  conservé,  c'est  un  phénomène  ou,  suivant  l'ex- 
pression d'un  diplôme  royal,  une  mirabilis  divisio :aEsi  ipsa  potestas 
(domaine  de  l'abbaye  Sainte-Colombe  de  Sens  sur  lequel  le  roi  avait 
exercé  des  vicariœ  inlicitae)  undique  determinata  atque  divisa,  ita  ut 
usque  hodie  permaneat  illa  mirabilis  divisio  »  (H.  Capet,  988,  H.  F. 
X,  554). 


ORGANES  ET  MOYENS  D  ACTION  DE  LA  KOYAUTÉ.   489 

clairsemées,  dispersées  un  peu  partout  et  qu'en  dehors 
des  forêts,  dont  Tappropriation  était  encore  fort  Jàche,  elles 
n'avaient  presque  aucune  continuité. 

M.  Anatole  de  Barthélémy  s'est  appliqué  avec  grand 
soin  au  relevé  de  la  fortune  des  Robertiens  *.  Il  a  trouvé, 
en  suivant  Tordre  chronologique,  leurs  possessions  dissé- 
minées dans  le  Blésois,  le  Poitou,  l'Orléanais  et  le  pays 
Chartrain,  la  Touraine,  le  Berry,  le  comté  de  Troyes  et 
Meaux,  le  Parisis,  mais  il  n'a  pu  signaler  nulle  part  un 
vaste  domaine. 

M.  Pfister  a  tenté  d'inventorier  les  propriétés  du  roi 
Robert  '.  Il  en  a  signalé  un  assez  grand  nombre  dans  les 
comtés  de  Paris,  Orléans,  Meaux,  Poissy,  Étampes,  de 
moins  nombreuses  dans  le  pays  Chartrain,  en  Touraine, 
en  Bourgogne,  quelques-unes  en  Auvergne.  Mais  ce  qu'il 
a  constaté  surtout,  c'est  Témiettement  de  ce  patrimoine. 
L'étude  des  actes  de  Henri  I"  et  de  Philippe  P'  m'a  conduit 
à  un  résultat  analogue.  Il  n'est  que  la  suite  nécessaire  du 
phénomène  général  de  démembrement  delà  propriété  que 
j'ai  décrit  dans  les  deux  précédents  volumes. 

Passons  maintenant  à  la  nature  des  biens.  Nous  trouvons 
des  terres  arables,  des  vignes',  des  prés  ou  pâturages,  des 
eaux*  et  forêts*,  puis  des  métairies  ou  des  m/te,  des  églises 

*  H.  des  quest.  historiques^  XIII,  p.  128-132. 
2  Pfister,  p.  86  suiv. 

'  Les  vignobles  royaux  étaient  nombreux  dans  TOrléanais  et  le 
Parisis  (Voyez  pour  le  détail  Luchaire,  I,  p.  91,  Pfister,  p.  86).  Le  crû 
le  plus  estimé  qu'ils  produisaient  était  celui  de  Rebréchien,  près 
d'Orléans.  Henri  I"  en  faisait  toujours  portera  la  suite  des  armées,  et 
Louis  VI  s'en  servit  pour  faire  des  cadeaux. 

*  «  Libertatem  perlustrandi  totam  aquam  nostri  juris  Ligeriti  fluvii, 
quolibet  modo  piscationis...  concedimus  »  (1023,  Robert,  H.  F.  X, 
607  A). 

^  Le  roi  possédait  beaucoup  et  de  vastes  forêts  :  Saint-Germain,  Rou- 
vrai  (Boulogne),  Vincennes,  Iveline  (Rambouillet),  Cuise  (Compiègne), 
Othe,  Orléans,  Bourges.  Comme  les  eaux,  elles  faisaient  Tobjet  de 
concessions  souveraines  de  droits  d'usage,  soit  gratuites  soit  à  charge 
de  redevances. 


490  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  VI. 

et  des  palais,  des  châteaux-forts  ou  des  villes.  enQu  des 
droits  d'usage  sur  ces  diverses  sortes  de  biens,  et  l'extrême 
variété  des  obligations  coutumiôrés  dues  par  leurs  déten- 
teurs. Ces  biens  procuraient  au  roi  des  produits  en  nature 
et  des  produits  en  argent,  soit  par  un  faire-valoir  direct, 
soit  sous  forme  d'amodiation.  Les  produits  en  nature 
étaient  centralisés  en  des  granges,  des  celliers,  des  gre- 
niers', les  redevances  en  argent  versées  au\  officiers  que 
le  roi  préposait  aux  centres  d'exploitation. 

Ces  centres  quels  étaient-ils?  Au  bas  de  Téchelie  nous 
trouvons  le  chefmanse,  puis  la  villa^  puis  le  groupement  de 
plusieurs  villae  en  prévôtés  ou  vicairies,  sans  qu'il  existe, 
à  vrai  dire,  de  circonscriplions  territoriales.  Ce  sont  autant 
de  petites  cours  (curtis)  royales  où  les  produits  des  biens  et 
les  redevances  des  hommes,  disséminés  souvent  sur  une 
grande  surface,  doivent  être  portés  ou  concentrés.  Elles 
sont  rattachées  aux  nombreux  palais  du  roi',  de  même  que 
les  cens  de  toute  nature  que  le  roi  percevait  dans  les  villes 
étaient  dépendances  du  castellum^,  ou  de  la  tour,  qui  domi- 
nait celles-ci.  Peu  de  villes,  en  effet,  rentraient  dans  le  do- 
maine, tel  que  je  l'entends,  et  je  doute  même  qu'aucune  y 
soit  jamais  entièrement  rentrée,  que  le  roi  notamment  ait 
été  propriétaire  de  tout  Varea  de  la  ville.  S'il  en  avait  le 
comté,  son  droit  était  un  droit  de   souveraineté  et  non 

*  Voyez  une  liste  de  greniers  igranarium)  et  de  ceQiers  (cellarium) 
royaux  dans  l'ouvrage  de  Luchaire  I,  p.  90-91. 

2  «  Rex  (Henricus)...  suo  dominio  multa  vendicans,  inter  estera... 
famosissimam  possessionem  quandam  super  Mosam  fluvium  sitam, 
qux  Doncheredus  nominatur,  palatio  suo  servituram  propriis  minis- 
teriis  delegavit.  Qiiam  demum  a  fundis,  rerum  et  frugum  opulentiam 
regalihus  palatiis  exuberantibus,  siibministrantibus  longe  positam 
considerans,  cum  ejus  minime  reditibus  ad  usus  proprios  egeret...  » 
(Miracles  de  Saint-Sébastien,  H.  F.  X,  p.  455-56). 

3  En  1076  (1077),  Philippe  P'  cède  à  l'évoque  de  Noyon  son  castel- 
lum  de  Kiersy  «  et  quidquid  castelli  possessor  de  nobis  in  dominica- 
tum  tenebat  »  (Mabillon,  Dere  diplom,^  p.  264).  Cette  expression  ne 
peut  s'entendre  que  d'une  propriété  du  roi  que  le  chàtelaio  administre. 


ORGANES  ET  MOYENS   d'ACTION  DE   LA   ROYAUTÉ.      491 

un  droit  de  propriété.  S'il  ne  possédait  que  certaines  parties 
de  la  ville,  la  cité,  certains  bourgs,  son  droit  de  propriété 
était  fragmentaire,  dispersé^  ainsi  qu'il  l'était  dans  les  cam- 
pagnes, et  relié  dès  lors,  comme  à  un  centre,  au  castrum. 

Dans  l'organisation  que  je  viens  d'esquisser  il  eût  été 
absurde  de  distinguer,  au  prix  de  superfélations  etde  double 
emploi,  entre  les  diverses  sortes  de  revenus  du  roi,  qui 
tous,  nous  l'avons  dit,  se  trouvaient  à  l'état  de  dispersion. 
Les  préposés  de  la  cour  villageoise,  de  la  prévôté,  du 
palais,  du  château,  percevaient  aussi  bien  que  les  produits 
du  domaine  proprement  dit  les  contributions  qui  à  tous 
autres  titres  entraient  dans  le  trésor.  Ces  contributions  ce 
sont  d'une  part  celles  que  le  roi  recevait  des  priticipes  de 
la  Gaule  et  de  la  Francie  ou  qu'il  prélevait  sur  leurs 
sujets,  d'autre  part,  les  impôts  dus  par  les  populations 
pour  lesquelles  la  royauté  se  confondait  avec  le  principat. 
Ces  derniers  droits  sont  en  général  analogues  aux  droits 
seigneuriaux  que  nous  avons  passés  en  revue*  et  sur  les- 
quels nous  aurons  à  revenir  en  traitant  du  principat.  Les 
autres  constituent  des  droits  royaux  ou  régalieiu  d'un 
caractère  plus  général.  Nous  devons  nous  y  arrêter. 

Il  est  aussi  difficile  de  distinguer  les  droits  régaliens  des 
droits  comtaux  ou  seigneuriaux  que  ceux-ci  des  droits  do- 
maniaux ou  féodaux.  Les  feudistes  avaient  donc  la  partie 
belle  pour  représenter  le  roi  comme  étant  comte  dans  ses 
domaines,  suzerain  dans  le  reste  du  pays,  et  la  plupart  des 
historiens,  jusqu'à  nos  jours,  ne  les  ont  que  trop  fidèlement 
crus  sur  parole.  M.  Luchaire  le  premier  a  vu  plus  clair; 
il  a  reconnu  que  le  roi  n'était  pas  que  comte  et  suzerain, 
mais  qu'il  était  roi  et  avait  conservé  des  droits  régaliens. 
Ces  droits,  nous  les  avons  maintes  fois  déjà  rencontrés  sur 
notre  route  et  c'est  de  l'ensemble  de  notre  ouvrage  que 
leur  consistance  doit  ressortir  avec  une  pleine  certitude. 
J'ai  surtout  à  marquer  ici  des  points  de  repère. 

*  T.  I,  p.  315  etsuiv. 


492  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  VI. 

Tout  d'abord  je  rappelle  quelques  traits  généraux. 

Quel  que  fût  le  développement  qu'avait  pris  leprincipaty 
il  restait  beaucoup  de  fidèles  au  roi,  en  dehors  des  cadres 
seigneuriaux  ou  féodaux.  Outre  les  alleutiers  indépen- 
dants*, des  particuliers,  isolés  ou  par  groupes,  pou- 
vaient sur  les  points  les  plus  distants  de  la  Gaule  se 
prévaloir  du  mundium  royal.  S'ils  furent  peu  nombreux 
quand  la  puissance  royale  déchut  sous  les  derniers 
Carolingiens*,  ils  le  redevinrent  à  mesure  qu'elle  se  re- 
constitua sous  la  troisième  race.  Au  xii*  siècle  leur 
multiplication  devient  certaine.  Il  en  va  surtout  ainsi 
du  clergé.  Le  pouvoir  fragmenté  que  le  roi  conserve 
sur  lui  n'est  ni  seigneurial,  ni  féodal;  le  clergé  forme 
une  grande  et  puissante  catégorie  de  propriétaires  et 
de  seigneurs  qui  restent  sans  conteste  soumis  à  l'an- 
cien droit  royal.  Ni  les  abbayes  royales  ne  peuvent  être 
assimilées  à  des  fiefs,  ni  les  évéchés  royaux  à  des  pro- 
priétés %  et  pourtant  il  n'est  pas  douteux  que  les  premiers 
Capétiens  en  tiraient  leurs  principales  ressources*.  Je 
remarque  seulement  que  la  régale  ne  paraît  pas  encore 
constituée.  Aucun  texte  antérieur  au  xii*  siècle  n'y  fait 
allusion  et  tout  porte  à  croire  que,  si  elle  a  existé  avant 
cette  époque,  ce  fut  à  l'état  de  fait  et  non  point  comme  un 
droit  régulier*. 

Considérez  maintenant  l'ensemble  des  sujets  auxquels 
commandent  les  princes  de  la  Gaule  ou  de  la  Francie,  et 
vous  trouverez  soit  à  Tétat  sporadique,  sous  forme  de -sur- 
vivances, soit  à  l'état  général,  sous  forme  de  traditions 
susceptibles  d'être  renouées,  des  droits  régaliens  nom- 
breux. Ils  peuvent  perdre  en  énergie  ce  qu'ils  gagnent  en 

*  Snpràf  p.  227  suiv. 

2  T.  I,  p.  158. 

3  Supràf  p.  2o8  suiv. 

*  Luchaire,  I,  p.  119  et  suiv.,  II,  p.  54  suiv.,  etc. 

*  CVst  un  point  que  nous  éluciderons  en  traitant  du  gouvememerU 
de  r Église, 


ORGANES  ET  MOYENS  d'àCTION  DE   LA  ROYAUTE.       493 

surface,  mais  ils  sont  loin  d'avoir  perdu  leur  germe  de 
vie.  Nous  en  avons  passé  la  plupart  en  revue  quand  nous 
avons  étudié  les  caractères  et  les  attributs  de  la  royauté; 
nous  les  retrouverons  en  détail  quand  nous  décrirons  la 
condition  des  personnes  et  des  terres.  Je  m'en  tiendrai 
en  ce  moment  à  une  classification  sommaire. 

Les  droits  régaliens  peuvent  se  ramener  à  quatre  gran- 
des catégories.  Ce  sont  d'abord  les  impôts  directs  que,  sous 
le  nom  de  cens  royal,  le  roi  a  perçus  dans  les  campagnes 
et  dans  les  villes,  et  que,  sous  le  nom  de  taille,  d'aides,  de 
conjectus^  etc.,  il  a  levés  dans  des  conjonctures  excep- 
tionnelles *.  Ce  sont  surtout  aussi  les  do7ia  ou  les  contribu- 
tions plus  ou  moins  volontaires  que  les  seigneurs  de  tout 
ordre,  ecclésiastiques  et  laïques,  venaient  apporter  aux 
cours  solennelles  *. 

Une  seconde  catégorie  est  représentée  parYhospita/ilé 
forcée  avec  ses  accessoires  ou  ses  dépendances  :  le  droit 
de  gîte,  le  droit  de  past,  le  droit  deprise,  le  rotaticunij  faU 
conaticum^  etc..  pour  les  besoins  du  roi  et  de  sa  maison*. 
C'était  pour  user  de  ces  droits  que  le  roi  se  déplaçait,  de 
même  que  les  déplacements  motivés  par  d'autres  causes 
étaient  autant  d'occasions  ou  de  prétextes  de  les  exercer, 
les  faire  revivre,  parfois  de  les  aggraver  ou  de  les  multi- 
plier. 

Je  rangerai  dans  un  autre  groupe  les  produits  de  la  sau- 
vegarde  royale.  Le  roi  se  fait  payer  sa  protection.  11  en 
tire  les  proQtsles  plus  variés,  des  redevances  sous  le  nom 
de  salvamenta^  ou  d'autres  noms  équivalents,  des  émolu- 
ments pour  les  confirmations  de  biens*,  des  droits  lucra- 

*  Suprà,  p.  349-50. 

2  Suprà,  p.  437. 

3  Des  chartes  trop  nombreuses  ont  trait  à  ces  droits  pour  qu'il  soit 
utile  ici  d'en  citer  des  exemples. 

*  Voyez,  par  exemple,  pour  les  abus  auxquels  ils  donnent  ouver- 
ture :  Dipl.  de  Robert  pour  Saint-Denis,  996-1003,  H.  F.X,  581. 

*  Suprà,  p.  326  suiv. 


494  LIVRE   IV.  —  CHAPITRE  VI. 

tifs  pour  les  affranchissements  auxquels  il  procède,  etc.  Il 
réalise  au  môme  titre  des  bénéfices  souvent  considérables 
sur  les  aubaias,  les  hôles  et  les  juifs. 

Une  dernière  catégorie  comprend  les  produits  de  la 
justice  et  du  ban\  Les  amendes  judiciaires,  frtda,  les  cod- 
Qscalions,  les  mainmises,  les  gains  directs  on  indirects 
en  cas  d'arbitrage,  forment  les  revenus  principaux  de  la 
justice  royale,  les  impôts  sur  le  commerce,  rindustrie  el 
Tagriculture,  les  droits  de  marché,  de-tonlieu,  de  péage, 
de  monnaie,  etc.,  sont  les  produits  du  ban.  J'ai  montré 
déjà  que  ces  droits  sont  loin  de  se  limiter  à  une  région 
étroite^  et  je  note  la  surprise  que  les  historiens  ont 
éprouvée  en  rencontrant  des  monnaies  frappées  par  le  roi 
bien  en  dehors  de  son  domaine*. 

Si  nous  étions  en  mesure  de  dresser  le  budget  d'un  roi 
de  France  du  xi*  siècle,  nous  aurions  aussi  à  y  faire  ren- 
trer les  bénéfices  licites  et  illicites  que  lui  procurait  la  puis- 
sance dont  il  était  armé,  depuis  les  détroussements  de 
marchands  étrangers  jusqu'au  trafic  des  évêchés,  depuis 
les  rançons  des  prisonniers  de  guerre  jusqu'aux  courtages 
dont  se  payait  son  entremise.  Guillaume  d'Aquitaine,  par 
exemple,  fait  demander  au  roi  Robert  ses  bons  offices  pour 
traverser  l'entente  des  seigneurs  lorrains  avec  le  roi  Con- 
rad, à  qui  il  voudrait  disputer,  en  faveur  de  son  fils,  la  cou- 
ronne d'Italie.  Et  que  lui  offrit-il  pour  cette  affaire^  <tpro 
hoc  iiegotio  »  ?  Mille  livres,  cent  vêtements  de  prix,  cinq 
cents  livres  d  épingles  pour  la  reine  Constance*. 

*  Supràj  p.  344  suiv. 
2  Suprày  p.  270. 

^  En  particulier  à  Chalon-sur-Saône  et  à  Màcon.  Cf.  Pfisler, 
pp.  125  J  26. 

*  Lettre  de  Foulque  Nerra  d'Anjou  à  Robert  (1024-1 025)  :«  Guillel- 
mus  Piclavorum  cornes,  herus  meus...  mandat  vobis,  postulans  sup- 
pliciter  gratiam  vestram,  ut  delineatis  homines  de  Lotharingia,  et 
Fredericum  ducem,  atque  alios  quos  poterïtis,  ne  concordent  ciim 
rege  Cono,  inflcctendo  eos  quantum  quivcritis  ad  auxilium  ejus. 
Dabit  vobis  pro  hoc  neyotio  mille  libras  denariorum  et  centum  pallia 


ORGANES   ET  MOYENS   d'aCTION   DE    LA   ROYAUTE.      495 

On  voit  combien  étaient  multiples  et  variées  les  ressour- 
ces de  la  royauté  en  dehors  de  ce  que  les  historiens  ont 
appelé  son  domaine. 

§  4.  —  Les  officiers  locaux  et  les  agents  domaniaux. 

Il  n'existe  pas,  au  fond,  de  véritable  distinction  entre 
les  ofQciers  proprement  dits  du  roi  et  les  agents  de  son 
domaine.  Les  premiers  font  rentrer  des  produits  doma- 
niaux et  les  seconds  des  droits  seigneuriaux  ou  royaux. 
Les  uns  et  les  autres  exercent,  au  nom  du  roi,  son  droit 
de  ban,  de  police  [districtio)  et  de  justice,  avec  une  com- 
pétence et  une  autorité  plus  ou  moins  large,  suivant 
leur  rang  et  Timportance  des  ressorts  qui  leur  sont  conQés. 
Les  uns  et  les  autres  font  partie  de  sa  familia  ou  de  sa 
maisnie.  Cela  tient  à  ce  que  le  fisc  public  ne  se  distingue 
pas  du  fisc  privé,  que  le  trésor,  dont  le  roi  dispose  libre- 
ment et  en  maître,  comprend  les  revenus  les  plus  divers, 
que  le  groupement  domanial  fournit  ses  cadres  à  la  sou- 
veraineté royale,  enfin  qu'à  mesure  que  les  plus  puissants 
des  fonctionnaires  carolingiens  — qui,  eux  aussi,  faisaient 
partie  de  \d^  familia  An  roi  *  — acquirent  plus  d'autonomie 
et  finalement  s'émancipèrent,  le  roi  resserra  d'autant  le 

et  dominae  reginae  Gonstantiœ  quingentas  libras  nummorum  »  (H.  F. 
X,  p.  500-501). 

*  Sous  la  première  race,  les  principaux  fonctionnaires  étaient  pris 
parmi  les  compagnons  {comites)6LM  roi.  Tous  devaient  prêter  un  serment 
de  fidélité  plus  rigoureux  que  les  simples  sujets.  Leur  désobéissance 
entraînait  la  peine  de  mort  ou  tout  au  moins  la  perte  de  la  grâce  du  roi 
(gratia  nostra),  c'est-à-dire  l'exclusion  de  la  maisnie  et,  par  voie  de 
conséquence,  la  privation  de  l'office.  Sous  les  Carolingiens  la  vassalité 
continua  à  être  la  condition  préalable  de  la  fonction  et  je  ne  pense 
pas  que  le  terme  de  domesticus  ait  jamais  désigné  un  fonctionnaire 
spécial.  Le  domesticus  était  le  serviteur  du  roi,  l'homme  de  sa  mais- 
nie qui  était  envoyé  au  loin  administrer  une  villa,  régir  un  domaine, 
s'acquitter  d'un  service  royal  quelconque,  ou  bien  qui  restait  à  la 
cour  dans  des  fonctions  diverses. 


496  LIVRE  IV.  —   CHAPITRE  VI. 

lien  personnel  et  familial  englobant  les  serviteurs  qu'il 
gardait.  A  considérer  spécialement  ces  derniers,  nous 
avons,  sur  une  moindre  échelle  et  avec  les  modiQcatious 
qu'entraînaient  la  dispersion  et  Témiettementdes  pouvoirs 
royaux,  une  survivance  du  régime  domanial  de  Tépoque 
franqiie,  qui  lui,  à  son  tour,  plonge  ses  racines,  dans  l'ad- 
ministration romaine. 

Si  vous  interrogez  lès  diplômes  de  notre  période  sur  le 
nombre,  la  qualité,  les  attributions  des  officiers  royaux, 
vous  n'obtenez  que  des  réponses  vagues  et  évasives.  La 
raison  en  est  claire.  Les  qualifications  anciennes  ont  changé 
de  sens,  leur  valeur  nouvelle  n^est  pas  encore  QxéeV  Les 
offices  qu'elles  désignent  ou  bien  ont  cessé  d'être  des  fonc- 
tions, ou  bien  ne  sont  pas  encore  nettement  délimitées  et 
n'ont  que  de  rares  occasions  d'apparaître  dans  le  genre 
d'actes  royaux  qui  nous  ont  été  conservés. 

Les  titres  de  duc,  comte,  marquis,  vicomte,  vicaire  ou 
viguier,  correspondent  maintenant  à  des  seigneuries  et  à 
des  principats.  S'ils  continuent  à  figurer  dans  les  formules 
injonctives  des  immunités  royales,  ce  n'est  pas  seulement 
parce  qu'elles  sont  calquées  sur  des  types  anciens, 
c'est  surtout  aussi  parce  que,  la  protection  ayant  pris  un 
caractère  plus  idéal  que  réel,  ces  formules  s'adressent  à 

^  Tous  les  officiers  ou  agents  sont  appelés  indifTéremment  saiel- 
UteSf  ministeriales,  mhmtri,  clientes,  exactores,  officiâtes  :  DipL 
Henri  IV,  1033  (H.  F.  XI,  569)  :  «  de  violentiis  satellitum  nos- 
trorum  »  u  ne  quis  deinceps  regalium  ministrorum  seu  clientiutn  ». 
—  Dipl.  de  Robert  (102-2-23)  (H.  F.  X,  605  E,  607  B)  :  «  ab  omni  potes- 
tate  ministerialium  noslTor\xm  libram».  —  «  UUus  omnino  ministeria- 
lium  nostrorum,  neque  cornes  neque,  missus,  neque  judez  aul  villicus, 
aut  quislibel  publica  potestate  pra'ditus  ».  —  Dipl.  Robert  (1007)  (H, 
F.  X,  587  B):  «  ut  nullus  officialis  Iiabeat  in  ipsa  villa  aliquid  domi- 
nium,  sive  cornes,  sive  vicecomes,  seu  quilibet  improbus  exactoff 
neque  in  bannis,  neque  in  legibus,  etc.  ».  —  Il  est  aisé  de  voir,  en 
comparant  les  deux  diplômes  de  1033  et  de  1094  que  je  cite  à  la  note 
suivante,  comment  de  Tune  à  Tautre  date  les  termes  se  sont  pré- 
cisés. 


ORGANES   ET  MOYENS  d'aCTION  DB   LA   ROYAUTE.      497 

toute  autorité  quelconque,  dépendante  ou  non.  Ne  voyons- 
nous  pas  des  princes  proclamer  l'immunité  d'une  abbaye 
an  regard  de  tout  souverain,  y  compris  le  pape? 

Quant  aux  agents  domaniaux  des  rois  francs  qui  se  re- 
trouvent aux  X*  et  XI*  siècles,  nous  ne  possédons  pas  d'actes 
€ontemporains  qui  leur  soient  adressés  pour  leur  tracer 
leurs  devoirs,  comme  nous  en  avons  parmi  les  capitulaires 
carolingiens,  et  le  roi  fait  beaucoup  plus  fréquemment  cause 
oommune  avec  eux*,  à  lencontre  des  corps  religieux,  qu'il 


*  Une  allusion  assez  claire  à  un  tel  concert  est  faite  dans  le  diplôme 
de  Henri  I«'  pour  Saint-Pierre  de  Melun  (1033),  surtout  si  vous  le  rap- 
prochez de  l'acte  confirmatif  de  Philippe  P»(10^4).  Je  place  en  regard 
les  passages  essentiels.  —  Dipi.  de  Henri  !•'  (H.  F.  XI,  569)  :  «  Questus 
est  (abbas)  de  irruptione  et  violentiis  satellitum  nostrorum  quas  in 
terris  praed.  monast.  faciebant  :  justum  nobis  ac  salubre  visum  est... 
manum  nostri  levaminis  porrigere...  Imperamus  itaque...  ne  quis 
praepotens  aut  nobilis,  seu  quilibet  nostrae  curam  gerens  praefeeturae 
(prévôté)  vel  alicujus  officii  ad  nos  pertinens  aliqua  temeritate,  vblut 
REQiA  Fisus  TuiTiONB,  res  jamdictî  mon.  audeat  inradere.  Consuetadi- 
nés  vero  pessimas,  quae  hactenus  ibidem,  id  est  in  suburbio,  per- 
versorum  hominum  calliditate  adinvenise  creverunt...  et  si  forte 
quaelibet  nostrae  ditioni  vel  portioni  immerito  adscribebantur,.. 
omne  quod  postremo  dici  vel  excogitari  saecularium  negotiorum  vel 
exactionum  ac  tributorum  judiciorumque  humanitus  potesl,  remiiti' 
mtis,  perdonamus,  indulgemus...  Praeterea  id  quod  ad  nos  pertinbrb 

CRBDEBAMUS   ET   QUOD  NOSTRAE  PROPRIETATI  VINDICABAMUS,  Scilicet  Tiam 

publicam  extra  atrium...  in  augmentum  et  confirmationem  hujus 
iibertatis  concedimus  ».  —  Dipl.  de  Philippe  I^^'  (1094)  (Mabillon,  De 
re  diplom,,  p.  589)  :  «  Querebantur  de  violentia  et  mvasionibtis  quas 
noster  praepositus  ceterique  nostri  satellites  injuste  illis  et  iliorum 
hominibus  inferebant,  inquiétantes  eos,  juditia  et  alia  multa  saeeth 
laris  censurx  ab  eorum  suburbanis  exigentes...  nostrum  praepositum 
et  vicecomitis  ministres  pro  suis  hominibus  saepissime  tristes  prose- 
quebantur...  Remitto  igitur,  indulgeo,,.  omne  quod  saeculares  occa- 
sioNE  LEGis  MUNDANAB  mcutes  concipi  que  un  t.  Callem  etiam  publicum, 
quem  nostri  ministri  nostro  juri  injuste  vendicabant...  liberum  ab 
omni  inquietudine  concedo,  ne  aliquis  nostrorum  clientum  occasione 
praedicti  callis  aUquam  molestiam  inférât  ad  refugium  suburbii  con- 
fugientibus  ». 

F.  —  Tome  111.  32 


498  LIVRE  IV.    —    CHAPITRE   VI. 

ne  délivre  des  privilèges  pour  mettre  à  l'abri  de  leurs 
exactions*. 

Quels  étaient  donc  à  vrai  dire  les  officiers  royaux  dans 
Tordre  politique?  Un  certain  nombre  d'entre  eux  peuvent 
se  retrouver  sous  les  anciennes  qualifications,  telles  que 
de  vicomte*  ou  de  vicaire',  parfois  même  de  comte.  Au 
lieu  d'être  liés  seulement  au  roi,  en  qualité  de  seigneurs, 

<  Combien  peu  le  roi  tenait  la  main  à  l'observation  de  tels  pri- 
vilèges, c'est  ce  que  démontre  Tincessante  nécessité  de  leur  renou- 
vellement. Les  plaintes,  par  exemple,  qui  avaient  donné  naissance  au 
diplôme  de  Henri  !«'  de  1033  non  seulement  se  reproduisirent  sous 
Philippe  P'  (1094),  mais  un  siècle  plus  tard,  en  1141,  sous  Louis  VII 
{Ordonn,  XI,  p.  191).  Les  termes  des  actes  prouvent  avec  évidence 
qu'il  ne  s'agit  pas  d'une  confirmation  pure  et  simple. 

*  M.  Sohm  en  Allemagne  {R.  u.  Ger.  Verfassung^  I,  p.  513  suiv.), 
M.  Robert  de  Lasteyrie  en  France  (Études  sur  les  comtes  et  vicomtes 
de  Limogesj  Paris  1874,  p.  46  suiv.)  ont  prouvé  que  le  vicomte  caro- 
lingien était  un  missus^  un  alter  ego  du  comte,  que  c'était  celui-ci  et 
non  le  roi  qui  le  nommait.  Du  xe  au  xii0  siècle,  la  vicomte,  comme  la 
plupart  des  offices  ou  tenures,  est  devenue  héréditaire.  Le  vicomte, 
par  suite,  a  perdu  son  caractc're  de  représentant  du  comte.  L'hérédité 
et  l'indépendance  conquises  en  ont  fait  son  égal,  parfois  son  supérieur 
en  puissance,  et  lui  ont  permis  de  s'appeler  indifféremment  \ncomte 
ou  comte.  —  Je  ne  crois  donc  pas  que  les  vicomtes  royaux  aient 
jamais  été  les  successeurs  des  vicomtes  carolingiens.  La  vicomte  es 
règle  était  une  seigneurie  comme  le  comté.  Ce  qui  est  vrai  seule- 
ment c'est  que  le  titre  de  vicomte  put  être  donné  à  des  officiers  pré* 
posés  par  le  roi  à  une  ville,  un  castrum,  une  circonscription  doma- 
niale, etc.,  pour  y  exercer  comme  son  représentant  les  droits  comtaux. 
Vtcécomesadoncpuêtre  synonyme  et  de  c(Mto//anu5,  et  depraeposUut 
et  de  vicarius  (ainsi  que  nous  le  voyons  en  Normandie,  où  Orderic 
Vital  II,  470,  dit  :  «  vice  comitia  id  est  viaria  »)  et,  d'uue  façon  géné- 
rale, de  cliens  ou  minister  regius. 

'  Ce  que  j'ai  dit,  dans  la  note  précédente,  du  vicomte  se  vériÛe  en 
grande  partie  pour  le  vicaire.  Lui,  non  plus,  n'est  pas  un  successeur 
direct  du  vicaire  carolingien,  subalterne  du  comte,  nommé  par  lui  : 
M.  Lot  l'a  fort  bien  prouvé  {Nouv,  Revue  histor.  de  droit,  T.  XVII, 
1893,  p.  281  suiv.).  La  vicairie  ou  viguerie  est,  elle  aussi,  devenue  une 
seigneurie  parfois  considérable;  ou  bien  le  terme  de  viguier,  par  cor- 
ruption coyerj  etc.  a  servi  h  désigner  des  fonctionnaires  fort  divers* 
maires,  villici,  prévôts,  officiers  de  justice,  de  finance,  de  voirie. 


ORGANES  ET   MOYENS    d'aCTION  DE   LA  ROYAUTÉ.      499 

par  l'hommage  lige  naturel  ou  exprès,  ils  sont  ses  repré- 
sentants, ministri  rei  publicae\  gouvernant  pour  son 
compte,  encore  que  leur  office  constitue  pour  eux  un  bé- 
néfice, une  tenure  viagère  ou  héréditaire,  et  leur  procure  à 
ce  titre  des  émoluments  plus  ou  moins  considérables.  Mais 
c'est  là  l'exception.  Les  fonctionnaires  proprement  dits 
nous  les  trouvons  soit  dans  le  clergé,  soit  dans  l'admi- 
nistration domaniale. 

J'ai  dit  que  le  clergé  formait  le  principal  corps  des 
fidèles  du  roi;  ses  chefs  faisaient  la  principale  force  de 
l'administration  royale.  Quant  à  eux,  le  système  carolingien 
persistait,  du  moins  dans  la  région  sise  au  nord  de  la 
Loire;  évêques,  abbés,  doyens,  etc.,  continuaient  à  être, 
comme  à  l'époque  franque,  à  la  fois  des  dignitaires  ecclé- 
siastiques et  des  fonctionnaires  royaux.  Nous  en  avons  la 
preuve  dans  une  foule  de  circonstances  et  des  documents 
multiples  en  témoignent*. 

Mais  les  agents  les  plus  nombreux,  les  plus  souples,  les 
plus  vigilants,  souvent  aussi  les  plus  âpres  au  gain  et  les 
plus  ardents  à  étendre  l'autorité  royale,  c'est  le  régime  do- 
manial qui  les  fournit.  Là  aussi  se  survivent,  en  s'adaptant 
aux  besoins  nouveaux,  les  institutions  de  l'ère  germanique. 

*  Expression  extrêmement  fréquente,  dès  le  viiie  siècle,  dans  les 
capitulaires  (Voyez  la  table  Boretius-Krause).  Elle  se  retrouve  aux  xe 
et  xi«  siècles  et,  par  exemple,  sous  cette  forme  :  «  quilibet  superioris 
aut  inferioris  ordinis  reipublicae  procurator  »  (Dipl.  Robert,  1007, 
H.F.X,  590  G). 

2  M.  Luchaire  s'en  est  expliqué  avec  une  netteté  et  une  force  qui 
me  dispensent,  à  cette  place,  de  tout  développement  :  «  C'est  par  le 
clergé,  dit-il,  que  l'influence  capétienne  devait  se  conserver,  grandir 
et  pénétrer  même  dans  les  pays  les  plus  éloignés  du  centre  d'action 
de  la  dynastie.  Ce  phénomène  historique  est  aussi  curieux  qu'incon- 
testable  Le  roi  n'a  plus  de  fonctionnaires  (c'est  trop  dire),  mais  il 

les  remplace  par  le  clergé  et  retrouve  ainsi  les  moyens  de  gouverne- 
ment que  la  féodalité  lui  a  enlevés...  Les  seigneurs  ecclésiastiques 
peuvent  être  considérés  comme  les  véritables  représentants  de  la 
Monarchie  au  sein  des  provinces.  L'histoire  des  premiers  Capétiens 
en  donne  à  chaque  instant  la  preuve  »  (I,  p.  204). 


500  LIVRE  IV.    —   CHAPTTRB  VI. 

Sous  la  première  race  il  est  fait  mentioD  d*QD  domesiiems 
par  province,  qu'on  suppose  à  bon  droit  avoir  été  chargé 
spécialement  de  l'administration  des  domaines  royaux  ^ 
En  effet,  il  existait  de  pareils  administrateurs  sous  le 
régime  romain  :  ils  portaient  le  titre  de  rationaleSy  procu- 
ratores,  praepositi  rei  privaiae  *. 

L'opposition  entre  les  praepositi  rei  privaiae  et  les 
ministri  rei  publicae  a  pu  contribuer  à  transmettre,  sous 
les  Carolingiens,  le  nom  de  praepositus  au  principal  agent 
local  du  domaine,  à  celui  qui  était  préposé  à  un  complexe 
de  biens,  à  un  fiscus.  Le  fiscus  était  divisé  en  ministeria^ 
subdivisé  en  villae  capitaneae  et  mansianiles.  A  la  tête 
de  chaque  ministerium  se  trouvait  un  major^  à  la  tête  à% 
la  villa  un  subordonné  du  mdXve^deeanus^  junior,  mims- 
terialis).  Le  chef  commun  de  ce  personnel  était  dans  chaque 
domaine  Vactor  fisci*  :  procurator  regisy  judex  on  ml- 
licus,  praeposiius.  La  qualification  de  villieus^  de  judex^ 
d'actor  s'employait  également  pour  les  subalternes,  mais 
celle  de  praepositus  fut  réservée  de  plus  en  plus  pour  le 
chef  du  groupe  domanial.  C'est  avec  cette  signiBcation 
(équivalente  à  prior  ou  vice-dominus)  que  le  terme  est 
courant  dans  les  domaines  ecclésiastiques,  et  c'est  le  sens 
aussi  qu'il  paraît  bien  avoir  dans  les  capitulaires^,  où,  du 
reste,  les  fonctions  de  vicaire  et  de  prévôt  tendent  déjà  i 
se  confondre. 

Cette  confusion  est  devenue  très  fréquente  dans  la 
période  que  nous  étudions,  et  j'y  vois  une  des  principales 
raisons  pour  lesquelles  le  terme  de  praepositus  n'est 
guère  usité  avant  la  fin  du  xi""  siècle  pour  désigner  le 
fonctionnaire  domanial  du  roi.  Le  terme  de  vicarius^  qui 
éveillait  plus  directement  l'idée  de  service  public,    en 

*  Brunner,  II,  p.  120. 
^Bninner,  II,  p.  121. 

^  Capitul.  Missoruniy  821,  cap.  3, 1,  p.  300. 
^  Cap.  Aquisgr.  809,  I,  p.  149.  Ansegise,  I,  p.  431.  Cap.  809,  I, 
p.  151.  Cap.  829,  II,  p.  16,  etc. 


ORGANES   ET  MOYENS   d'aCTION   DE   LA    ROYAUTÉ.       501 

tenait  lieu.  Mais  la  condition  du  prévôt  grandit,  ses  attri- 
butions de  tout  ordre,  politiques  et  domaniales,  s'éten- 
dirent, il  eut  besoin  d'auxiliaires,  de  substituts,  de  vicaires. 
Ce  furent  eux  qui  retinrent  ce  dernier  nom  :  la  prévôté 
domina  de  haut  l'ancienne  vicairie.  11  n'est  pas  douteux, 
en  effet,  à  mes  yeux,  qu'elle  a  réuni  les  fonctions  publi- 
ques de  comte,  de  vicomte  ou  de  châtelain  à  la  charge 
d'administrateur  du  domaine,  pour  devenir  la  prévôté 
royale  du  déclin  du  xi**  et  du  début  du  xii°  siècle. 

L'agent  domanial,  le  villicus^  était  nécessairement  un 
juge  et  un  policier,  armé  du  bannum  et  de  la.  jurisdiclio ; 
d'autre  part  les  droits  royaux  et  comtaux  étant  morcelés, 
divisés,  là  même  où  il  n'y  avait  pas  de  princeps  interposé 
entre  le  roi  et  les  sujets,  l'officier  qui  avait  mission  de  sur- 
veiller les  divers  bénéficiaires  ou  tenanciers  de  ces  droits 
multiples,  de  recevoir  la  quote-part  des  redevances,  et  de 
veiller  à  l'acquit  des  services  qui  revenaient  au  roi,  cet 
officier  qu'était-il  sinon  un  administrateur  ou  un  inten- 
dant? En  d  autres  termes,  le  représentant  du  roi,  comme 
celui  même  d'un  petit  seigneur,  voire  d'un  alleutier,  avait, 
par  la  force  des  choses,  le  double  caractère  de  gérant  et 
d'officier  public.  Seulement  pour  le  petit  seigneur  et  l'al- 
leutier  la  qualité  d'officier  public  était  subsidiaire  et  de- 
vint d'autant  moins  importante  que  le  principat  s'étendit, 
que  la  franchise  diminua;  au  contraire  pour  le  prince  et 
pour  le  roi  elle  prévalut  avec  l'extension  du  pouvoir  sou- 
verain. De  là,  tout  à  la  fois,  Taugmentation  graduelle  du 
nombre  des  prévôts  royaux  et  la  diversité  de  leurs  attri- 
butions. 

C'est  par  pur  arbitraire  que  des  historiens  ont  fixé 
soit  à  seize,  soit  à  vingt-cinq  le  nombre  des  prévôtés  anté- 
rieures à  1060  \  à  tort  aussi  qu'on  a  voulu  y  voir  des  cir- 
conscriptions territoriales,  alors  qu'elles  n'étaient  qu'une 
action^  une  autorité  administrative  ayant  son  centre  dans 

*  Vuilry,  Éludes  sur  le  régime  financier^  I,  p.  169,  Laferrière^ 
Jlist.  du  dr.  français^  IV,  p.  60. 


502  UVRE   IV.    —  CHAPITRE  VI. 

une  possession  domaniale  d'où  elle  rayonnait  dans  tous  les 
sens.  Je  ne  suis  donc  pas  loin  de  souscrire  à  la  proposi- 
tion de  M.  Luchaire  «  qu'il  y  avait  un  prévôt  dans  toutes 
les  localités  de  quelque  importance  autour  desquelles  la 
royauté  possédait  des  terres  et  une  exploitation  rurale*»; 
mais  je  ne  me  représente  pas  cette  organisation  tout  à  fait 
comme  lui.  Je  ne  peuse  pas  qu'il  y  eût  au  xi*  siècle  de 
véritables  praepositi  locorum.  La  localité  avec  les  lieax 
d'alentour  ne  formait  pas  une  prévôté,  mais  le  prévôt  était 
établi  dans  une  localité.  11  n'y  avait  pas  encore,  à  propre- 
ment parler,  de  prévôt  de  Paris,  d'Étampes  ou  de  Meluo, 
mais  un  ou  plusieurs  prévôts  dans  chacune  de  ces  villes. 
M.  Luchaire  a  expliqué  cette  multiplicité  en  supposant  que 
l'un  était  le  fonctionnaire  principal  et  les  autres  ses  subor- 
donnés. L'hypothèse  ne  s'impose  pas.  Plusieurs  prévôts 
pouvaient  résider  en  un  lieu  avec  des  ressorts  circonvoisins 
différents,  de  même  qu'aujourd'hui  en  un  chef-lieu  de 
canton  plusieurs  percepteurs  de  communes  suburbaines. 
Quant  aux  attributions  des  prévôts,  les  documents  de  la 
fin  (lu  xi*  siècle  montrent  avec  une  parfaite  évidence  qu'elles 
étaient  tout  ensemble,  politiques,  financières,  judiciaires 
et  militaires^,  qu'en  d'autres  termes  l'agent  domanial  était 
devenu  un  fonctionnaire  royal. 

>  LuclKiin\  I,  p.  8G;  II,  p.  295-98.  Dans  la  liste  des  prévôtés  sous 
HtMïri  l*"",  Philippe  I,  Louis  VI  el  Louis  VII,  se  trouvent  mentionnés 
trois  prévôts  sous  Henri  I  (Étarapes,  1046;  Orléans,  1057;  Melun, 
1058;.  Il  faut  y  ajouter  le  prévôt  de  Paris  Etienne  (Stephanus  prae- 
posilus)  qui  a  souscrit  le  diplôme  pour  Saint-Martin  des  Champs 
(i060)  (H.  F.  XI,  605  C;  Cart.  de  Paris,  I,  p.  122  suiv.)  et  que  nous 
voyons  reparaît n^ sous  Philippe  I  l'année  suivante  —  Sous  Philippe  I*', 
M.  Luchaire  signale  environ  neuf  prévôts  :  Senlis  (Eude,  1060-1068), 
Sens  (plusieurs  prévôts,  1064),  Paris  (Etienne,  1061,1067;  Pierre, 
1082),  Poissy  (Gautier  1067),  Mantes  (Garin,  1076),  Bourges  (Jean, 
H02),  Beauvais  (Garin,  1092).  J'y  ajoute  Melun  (Garin  1067,  proeior 
Guarinus,  Ch.  de  Saint-Benoît-sur-Loire,  p.  202;  1094,  meus  proepo- 
situSf  Mabiilon,  De  te  diplom.^  p.  589),  Étampes  {Durandus  praetor, 
1067,  Ch.  de  Saint-Benoit,  p.  202). 

^  Cf.  Luchaire,  I,  p.  219  et  s. 


ORGANES  ET  MOYENS  d' ACTION  DE  LA  ROYAUTÉ.   503 

Fonctionnaire  royal,  il  Tétait  essentiellement,  quoique 
son  office  fût  une  tenure  et  dût  en  règle  se  transmettre  à 
titre  héréditaire.  Il  devait  Thommage  lige  comme  serviteur 
et  il  se  payait  lui-même  de  ses  services  à  l'aide  de  droits 
(villicatio,  etc.)  ou  d'exactions  levés  pour  son  propre  compte, 
beaucoup  plus  qu'au  moyen  de  prélèvements  opérés  sur 
les  rentrées  qu'il  faisait  pour  le  compte  du  roi.  Les  pro- 
duits divers  des  terres  ou  des  censitaires,  il  était  tenu  de 
les  livrer  aux  magasins  ou  au  trésor  du  roi,  sans  quoi  toute 
exploitation  directe  du  domaine  aurait  fini  par  disparaître, 
les  agents  domaniaux  seraient  devenus  de  simples  amo- 
diateurs  redevables  d'un  prix  ou  d'une  quote-part.  Les 
textes  nous  montrent  clairement  que  le  prévôt  percevait 
sur  ses  administrés  des  finances  à  titre  personnel,  pro 
praepositura,  en  dehors  et  en  sus  des  redevances  régu- 
lières qu'il  levait  au  profit  du  roi  seul*.  C'est  précisément 
de  la  sorte  que  s'ouvrit  devant  lui  un  champ  quasi-légal 
d'exactions,  puisque  de  l'aveu  du  souverain  il  exploitait 
les  populations  à  titre  de  salaire.  Ne  nous  exagérons  pas 
pourtant  ces  exactions.  Elles  s'exerçaient  souvent  moins 
au  détriment  des  contribuables  qu'aux  dépens  des  seigneurs 
qui  réclamaient  des  droits  sur  eux*.  Les  prévôts,  en  pareil 
cas,  loin  de  faire  un  tort  direct  ou  indirect  au  roi  travail- 
laient à  élargir  sa  puissance  et  à  grossir  ses  ressources. 

Ce  que  je  viens  de  dire  peut  s'appliquer  de  même  aux 
divers  offices  qui  ont  leur  siège  dans  une  partie  constitutive 
du  domaine,  les  offices  des  châtelains',  des  curatores  ou 

*  Tel  était  aussi  le  cas  des  avoués^  sur  lesquels  nous  sommes  très 
exactement  renseignés. 

2  Voy.  suprà,  p.  497,  etc. 

3  Le  châtelain,  k  notre  époque,  se  confond  fréquemment  avec  le 
prévôt,  et  je  ne  suis  pas  surpris  si  plus  tard  chàtellenie  et  prévôté 
formèrent  une  même  circonscription.  Dans  un  passage  très  remar- 
quable de  la  chronique  de  Saint- Riquier,  nous  voyons  trois  oppida 
de  l'abbaye  transformés  par  Hugues  Gapet  en  castella  royaux,  des 
villae  et  des  revenus  en  grand  nombre  y  être  rattachés,  à  titre  de 


504  LIVRE   IV.    —  CHAPITRB  VI. 

provisores  civitatis^  et  aussi  des  vicomtes,  là  où  ils  sont  des 
fonctionnaires.  Pour  les  ans  et  pour  les  autres,  les  attii- 
butions  domaniales  et  les  fonctions  judiciaires  ou  admi- 
nistratives se  sont  intimement  soudées.  Tous  ont  été  rat- 
tachés au  palais.  Leurs  ofGces  sont,  au  fond,  des  charges 
de  la  maison  du  roi.  Comme  celui  des  grands  ofQces  de  la 
couronne,  leur  caractère  se  modifiera  avec  la  croissance, 
à  partir  du  xii®  siècle,  de  l'autorité  royale.  Le  roi  n'ac- 
querra pas  plus  d'action  sur  ses  serviteurs,  mais  la  com- 
plication des  services  entraînera  la  multiplication  de  ses 
officiers  et  les  fera  assimiler  davantage  aux  fonctionnaires 
d'un  État  moderne. 

dotation,  et  les  châtelains  qui  y  commandent  préposés  à  l'adminiB- 
tration  du  Ponthieu  :  «  Quo  primum  igitur  lempore  Pontiva  patrîola 
munitionibus  castrorum  aucta  est,  ablatis  monasterio  Centulo  tribus 
oppidis,  Abbatis  villa,  Sancto  Medardo,  et  Tncra,  et  bis  castellis  efléo- 
tis,  in  eorumque  stipendia  multis  aliis  Sancti  Ricfaarii  viUis  et  rediti- 
bus  ab  Hugone  rege  praerogatis,  nostra  haec  provincia  non  comité 
utebatur,  sed  regiis  militibus  hinc  inde  prxpositis  conservabatur  » 
(Hariulf,  IV,  21,  éd.  Lot,  p.  229). 

'  Je  relève  à  titre  de  comparaison  dans  le  nécrologe  de  Notre-Dame 
de  Chartres  (Merlet  et  Lépinois,  p.  172.  Cf.  p.  115)  un  «  Arduinus 
miles  et  provisor  Carnotene  civitatis  »  ("I-  après  985).  —  En  Italie  le 
terme  de  provisor  civitatis  est  fréquent  et  signifie  comte  de  la  ville. 


505 


III.  —  LE  PRINGIPAT 


PREMIÈRE  PARTIE 

La  genèse  historique  des  grandes  principautés 
et  leurs  rapports  avec  la  royauté. 

La  formation  des  grandes  principautés  est  d'autant  plus 
nécessaire  à  envisager  par  nous  que  d'elle  dépendait 
l'avenir  même  de  la  monarchie  des  Gaules.  Le  regnum 
Francorum  ne  fut  pas  seulement  disputé  entre  compéti- 
teurs à  la  couronne.  Il  fut  menacé  de  démembrements  qui 
auraient  pu  donner  naissance  à  une  unité  nationale  diffé- 
rente de  l'unité  carolingienne  ou  capétienne. 

Les  phases  de  croissance  et  de  déclin  des  principautés 
rivales,  alliées  ou  vassales  de  la  royauté,  nous  permet- 
tront de  saisir  sur  le  vif  Tétroitesse  de  la  relation  d'hom- 
mage qui  unit  au  roi  les  seigneurs  de  la  Francie  et  de 
mettre  à  nu  le  simple  lien  de  pariage  ou  de  Bdélité  qui 
rattache  à  lui  les  princes  de  la  Gaule. 

Nous  avons  donc  à  observer  successivement  ce  spec- 
tacle dans  la  Francie  d'abord,  sous  le  double  aspect  du 
principat  laïque  et  de  la  seigneurie  ecclésiastique,  puis 
dans  le  surplus  du  pays  de  Gaule,  que  j'appellerai  par 
réminiscence  de  nos  chansons  de  geste  la  France  ma- 
jeure^. 

*  J'ai  dû,  au  cours  de  cette  étude,  côtoyer  sans  cesse  les  problèmes 
de  généalogie  que  soulève,  sans  toujours  les  résoudre  définitivement, 
y  Art  de  vérifier  les  dates;  mais  je  n'ai  pu  avoir  la  pensée  de  les  re- 
prendre ab  ovo.  Les  historiens  généalogistes  ou  les  historiens  locaux 


506  LIVRB  IV. 


§  I.  —  LA  FRANCIC 

Dans  ce  môme  dixième  siècle  où  la  famille  robertienne, 
en  concentrant  domination  et  domaines  entre  ses  mains, 
faisait  le  siège  de  la  couronne  et  finissait  par  s^en  emparer, 
de  grandes  maisons  rivales  s'édifiaient  au  centre  ou  sur 
le  pourtour  de  la  Francie  et  menaçaient  de  Tétouffer  ou  de 
la  mettre  en  pièces.  Ce  furent,  après  la  maison  de  Verman- 
dois,  celles  de  Blois,  de  Valois  et  d'Anjou.  Celles-ci  surtout 
prirent  un  merveilleux  essor.  Des  trois  comUalusde  Blois, 
Tours  et  Angers  que  détenait  le  grand  ancêtre  des  Capé- 
tiens, Robert  le  Fort^  et  du  comté  de  Vexin  qu'a  pu  pos- 
séder son  petit-fils  Hugues  le  Grand,  elles  étaient  maî- 
tresses dans  la  seconde  moitié  du  x®  siècle.  Pour  saisir  sur 
le  vif  l'action  concurrente  du  principal  et  de  la  royauté, 
c'est  l'origine  et  la  croissance  de  ces  dominations  qu^iJ 
convient  d'étudier. 


pourront  donc  rectifier  ultérieurement  sur  certains  points,  en  ligne 
collatérale  surtout,  des  généalogies  que  j'ai  acceptées  avec  l'opinion 
commune.  Mais  ce  sont  là  questions  secondaires  et  rectifications  de 
détail  qui  ne  sauraient  altérer  les  grandes  lignes  de  révolution  his- 
torique que  j*ai  retracée,  les  seules  qui  soient  essentielles  pour  l'his- 
toire des  institutions. 
*  Favre,  Eudes,  p.  69,  note  5. 


507 


Les  principautés  laïques. 


CHAPITRE  PREMIER 

LÀ    MAISON    DE    YERMÀNDOIS. 

Le  chef  des  Viromandui^  à  la  fin  du  ix*  siècle,  avait  la 
fortune  d'être  un  Carolingien,  petit-fils  de  Bernard  roi 
d'Italie,  arrière-petit-fils,  par  les  mâles,  de  Pépin;  mais 
la  force  lui  manquait  même  pour  résister  à  ses  voisins 
flamands,  à  Raoul,  frère  de  Baudoin  II,  qui  lui  enlevait 
en  895  Saint-Quentin  sa  capitale  et  Péronne  son  principal 
castrum^.  C'est  Eudes,  auquel  il  se  rallie,  après  avoir 
reconnu  Charles  le  Simple  pour  son  seigneur  lige  et  avoir 
contribué  à  Télire  à  Reims,  c'est  Eudes  qui  le  remet  en 
possession  de  ces  deux  villes*.  En  899,  Charles  le  Simple 
lui  rendra  un  service  analogue,  en  reprenant,  pour  le  lui 
restituer,  Péronne  dont  Baudoin  II  s'était  emparé,  et  en 
resserrant  par  là  le  lien  qui  unissait  le  Vermandois  à  la 
Francie. 

Ce  lien,  le  successeur  d'Herbert  fut  loin  tout  d'abord 
de  vouloir  le  rompre  ou  le  relâcher.  Il  tenta,  au  con- 
traire, de  grands  efforts  pour  en  tirer  parti.  Assurément 
il  est  fort  difficile,  au  milieu  des  sinuosités  et  des  volte- 
faces  d'une  conduite  tortueuse  et  fuyante,  de  démêler 
la  politique  qu'Herbert  II  a  entendu  poursuivre.  Je  crois 
pourtant  y  découvrir  deux  phases  bien  tranchées,  une 

1  Annal  Vedast.,  ad  ad.  895  et  896,  p.  351-353. 
«  Ibid.,  p.  353.  Cf.  Favre,  Eudes,  p.  182. 


508  LIVRB  IV.    —  CHAPITRE   I. 

première  où  il  tend  à  se  rendre  maître  de  la  Francis,  une 
seconde  où  il  vise  à  se  tailler,  à  ses  dépens  et  par  des  em- 
piétements en  dehors  d'elle,  une  seigneurie  indépendante. 
Placé  entre  les  Robertiens  et  les  Carolingiens,  parent 
de  ceux-ci,  allié  de  ceux-là,  il  passe  alternativement  de 
Tun  à  Tautre  camp  pour  étendre  pas  à  pas  sa  domination 
sur  la  Francie.  Son  premier  et  principal  objectif  est  Reims, 
le  cœur  ou  la  tête  de  la  France,  caput  FranciaB^^  caput 
regni  Francorum^,  Il  s'en  empare  en  faisant  donner  l'ar- 
chevêché à  son  fils  Hugues,  âgé  de  cinq  ans  à  peine',  et  il 
ne  cesse  de  lutter  pour  le  reprendre  quand  il  l'a  perdu. 
Tout  autour,  comme  une  ceinture  armée,  du  Nord  au  Sud, 
il  veut  avoir  un  réseau  de  places  fortes  par  lesquelles  sa 
domination  prenne  pied.  Saint-Quentin,  Péronne,  Ham, 
Laon,  Château-Thierry,  Châlons-sur-Marne,  et  à  l'extrême 
limite  sud-est  de  la  France,  Vitry-en-Perthois,  sont  occu- 
pés, pris  et  repris.  Pour  maîtriser  ainsi  la  Francie  propre- 
ment dite,  il  s'appuie  sur  la  Francie  orientale  (Germanie) 
et  médiane  (Lorraine)  et  sur  les  Normands  de  la  Neusirie. 
Il  veut  refouler  Raoul  le  bourguignon,  et  Hugues  le  nea- 
strien.  Son  seigneur  lige  naturel  est  Charles  le  Simple  : 
c'est  pourquoi  le  guet-apens  où  il  l'a  fait  tomber  et  la  cap- 
tivité où  il  la  tenu  jusqu'à  sa  mort  ont  soulevé  une  «ni- 
madversion  si  unanime,  si  véhémente  et  si  durable^.  li  le 
tient  en  son  pouvoir  et  néanmoins  il  renoue,  par  un  bom- 


«  Cf.  Manteyer,  Études  dédiées  à  Monod^  p.  191-2. 

*  «  Remensis  ecclesiac  qiiœ  caput  regni  Franeorum  est  »  {Oerbwl,. 
Lettres,  n.  i54,  p.  137,  n.  181,  p.  165,  éd.  Havet). 

3  «  Admodiim  parvulum,  qui  nec  adhuc  quinquenni  tempus  expies- 
sel.  »  :Flodoard,  Hist,  eccL  Rem.,  IV,  20). 

♦  «  H.  cornes  Virm.,  infando  scelere  dominum  suum  regemque 
totius  Francise  Carolum,  dolo  captum,  vincuiis  quoque  îrretitum, 
Peronnœ  direxit  tenebroso  carcere  recludendum  »  (Aimoin,  Mtrac(et 
de  saint  Benoit,  II,  3,  p.  99).  —  Sur  les  récils  légendaires  de  la  mort 
d'Herbert,  voyez  les  lexles  groupés  par  M.  Lauer,  Louis  d'Outremer^ 
p.  9i-95,  292-299,  et  M.  Eckel,  Charles  le  SimpU,  p.  134-5. 


LA  MAISON  DR   VBRMANDOIS.  509 

mage,  la  foi  rompue  S  il  reconnaît  sa  souveraineté  et  essaie 
même  de  la  restaurer  m  extremis^  dans  Tespoirque,  dési- 
gné par  lui,  reconnu  par  le  pape  Jean  X  (qu'il  convie  à 
user  de  son  autorité  apostolique  pour  rétablir  Charles  sur 
le  trône)  ^,  il  puisse  lui  succéder  en  qualité  de  Carolingien 
et  de  maître  du  cœur  de  la  Francie,  par  préférence  à  Louis 
d'Outremer,  hors  d'âge  encore  de  régner,  et  qui,  nourri 
à  rétranger,  avait  cessé  presque  d'être  un  Franc '. 

Cette  tactique  audacieuse,  sans  scrupule  mais  non  sans 
habileté,  se  heurte  à  la  résistance  collective  du  roi  Raoul 
et  de  Hugues  le  Grand.  Il  fallut  Tintervention  du  roi  de 
Germanie  pour  qu'Herbert  II  parvînt  seulement  à  se  re- 
mettre en  possession  de  Saint-Quentin  et  de  Péronne(93S). 

C'est  à  ce  moment  que  sa  politique  entre  dans  une 
phase  nouvelle.  Il  se  rapproche  de  Hugues  le  Grand. 
D'accord  avec  lui,  il  va,  après  la  mort  de  Raoul,  offrir  la 
couronne  au  jeune  Louis,  rappelé  d'Angleterre*;  fort  de 
son  alliance,  il  s'attaque,  dès  938,  au  nouveau  souverain.  Il 
réussit  à  étendre  sa  domination  surMeaux,Melun,  Provins, 
et  à  conquérir  en  Bourgogne  le  comitalus  de  Troyes', 

*  «  Rursusque  Heriberlus  committit  se  illo  »  (Rodiilfo  régi)  (Flo- 
doard,  op.  ciU,  IV,  22). 

2  Richer,  Histor.y  I,  54. 

3  Louis  n'avait  que  sept  ans  en  928,  et  il  fut  élevé  à  la  cour  de  son 
grand-père  maternel  Edouard  I  (f  924),  puis  de  son  oncle  Athelstan. 
Flodoard  n*a  pas  manqué  de  relever  cette  dernière  circonstance  (quem 
rex  Alstannus  avunculus  ipsius  nutriebat,  IV,  26}  dont  la  gravité,  au 
point  de  vue  politique,  ressort  du  surnom  d'uUramarinuSy  c'est-à-dire 
d'Angf/aw,  que  les  contemporains  donnèrent  au  roi  (souscription  d'une 
charte  de  saint  Julien  de  Tours,  941,  H.  F.,  IX,  583,  B.).  Cf.  Lauer, 
op.  cit,^  p.  300-302. 

*  Cf.  Lauer,  op.  cit. y  p.  12,  note  7. 

"  Qu'Herbert  ait  été  comte  de  Troyes,  c'est  ce  qui  ressort  notam- 
ment d'une  charte  de  sa  fille  Ledgarde  qui  lui  donne  ce  titre  :  «  Pa- 
tris  mei  HerLberli,  Trecassini  comitis  «(Cartul.  Saint-Père-de-Chartres, 
I,  65.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  p.  90,  note  3),  mais  il  est  inexact, 
comme  l'avait  cru  M.  d'Arbois,  que  le  comitatus  lui  provenait  de  la 
succession  de  son  beau-père  Robert  !•'.  M.  Giry  a  prouvé,  à  Taide 


510  LITRE  IV.   —   CHAPITRE  I. 

sur  l'allié  de  Louis  d'Outremer,  Hugues  le  Noir,  auquel  le 
diocèse  de  Langres  avait  été  attribué  par  le  traité  conclu, 
avec  ses  deux  compétiteurs,  Gilbert  de  Vergy  et  Hugues 
le  Grand*.  L'objectif  d'Herbert  est  dorénavant  de  saisir 
la  vieille  Francie  comme  dans  un  étau  entre  le  Verman- 
dois,  marche  septentrionale,  et  le  diocèse  de  Troyes, 
marche  bourguignonne,  pour  en  faire  non  pas  un  grand 
fief,  comme  l'a  dit  mon  savant  collègue  M.  d'Arboîs*,  mais 
une  principauté,  un  principat  indépendant,  analogue  à  la 
Flandre  ou  à  la  Normandie. 

Ce  plan  fut  traversé  par  les  succès  de  Louis  d'Outremer, 
qui  lui  reprit  Reims  et  en  fit  une  seigneurie  ecclésiastique. 
Il  fut  arrêté  par  sa  mort  (943). 

de  fragments  du  cartulaire  de  Montieramey  (Études  cThistoire  dédiées 
à  Monody  p.  i24  et  s.)  : 

io  Qu'Eudes,  comte  de  Troyes,  mort  avant  871,  a  été  confondu  à 
tort  avec  Eudes,  comte  de  Paris  ; 

2°  Que  son  successeur  a  élé  le  comte  Robert,  qui,  lui  non  plus,  n'est 
pas  le  futur  roi  de  France,  mais  le  gendre  de  Louis  le  Bègue,  et  seloo 
toute  probabilit(^,  le  comte  Robert  tué  à  Test  de  Paris,  en  février  886, 
dans  un  combat  contre  les  Normands; 

3°  Que  Robert  eut  pour  successeur  son  neveu  le  comte  Aleaume,  qui 
figure  dans  une  charte  du  1«'  mars  891  publiée  par  Camuzat  et  dans 
une  autre  de  février  893  publiée  par  M.  Giry  ; 

4°  Qu'on  trouve  après  Aleaume  un  comte  Richard  de  Troyes,  dont 
M.  d'Arbois  avait  nié  Texistence  et  qui  figure  encore  dans  un  diplôme 
de  Raoul  daté  de  Sens  (du  10  décembre  926)  :  «  Asisus,  Trecassina 
urbe  pontifex,  atque  Richard  us,  ejusdem  loci  cornes  »  (Giry,  loc,  cit.f 
p.  134). 

Depuis  lors  M.  Merlet  (Mélanges  Havct,  p.  105-8)  a  cherché  àprou* 
ver  que  le  comte  de  Troyes,  Eudes,  était  le  propre  frère  de  Robert 
le  Fort  et  que  leur  père  était  Guillaume,  comte  de  Blois.  De  son  côté^ 
M.  Manteyer  (Origines  de  la  maison  de  Savoie,  p.  454-55)  a  voulu 
identiGer  le  comte  Richard  avec  le  fils  de  Garnier,  vicomte  de  Sens. 

Ce  sont  là  de  pures  hypothèses;  le  fait  certain  est  qu'Herbert  II 
de  Vermandois  n  a  pas  hérité  en  923,  à  la  mort  de  Robert  I«»,  son 
beau-père,  du  comté  de  Troyes. 

'  Art  de  vérifier  les  dates,  II,  p.  494. 

^  Op,  cit.,  p.  89. 


LA  MAISON   DE   VERMANDOIS.  SU 

La  domination  qu'Herbert  H  s'était  acquise,  après  être 
restée  indivise  entre  ses  fils,  fut  partagée  par  eux  en  945*. 
Elle  se  morcela  en  deux  tronçons  principaux,  qui  ne  purent 
plus  se  rejoindre  :  le  Vermandois  échu  à  son  fils  Albert,  le 
comté  de  Troyes  qui  revint  à  son  autre  fils  Robert,  le  gen- 
dre de  l'ancien  duc  de  Bourgogne,  Gilbert  de  Vergy. 

Le  premier  de  ces  tronçons  fut  progressivement  attiré 
vers  les  Carolingiens*,  et  ainsi  se  rétablit  sa  subordination 
et  son  rattachement  à  la  Francie.  Le  second  put  servir  de 
base  d'opération  à  un  principal  puissant  qui  ne  menaça 
pas  seulement  de  se  rendre  indépendant  du  regjium  Fran- 
corum  mais  de  devenir  son  rival,  le  principal  de  la  maison 
de  Blois.  Il  ofiTrail,  en  effet,  un  point  d'appui  précieux  en 
dehors  de  la  Francie,  dans  la  Bourgogne  dont  le  diocèse 
de  Troyes  faisait  partiel  L'autorité  de  son  chef  revêtait 
par  là  un  caractère  exceptionnel.  Il  était  comte  pala- 
tin*, comme  le  comte  de  Flandre,  et  le  comte  de  Tou- 
louse le  furent,  cornes  palatinus  régis  Francorum.  Que 
cette  dignité,  suivant  Thypothèse  récente  d'un  ingénieux 
érudit,  conférât  Tautorité  sur  les  Francs  établis  hors  de 
Francie^  ou,  comme  je  le  pense,  qu'elle  eût  pour  résultat 
de  placer  le  chef  ethnique  qui  en  était  revêtu  sous  la 
suprématie  directe  du  roi*,  c'est  elle  sans  doute  qui  ex- 
plique et  justifie  le  titre  de  cofnes  Francorum  que  prend  le 

*  Lauer,  Louis  d'Outremer,  p.  97  et  s.,  p.  139. 
2  Cf.  Lot,  Les  derniers  Carolingiens,  p.  90, 114. 

'  Pfister,  Robert  le  Pieux,  p.  139  el  p.  248  et  s. 

*  Le  comte  de  Troyes  Robert  est  qualifié  déjà  minister  palatinus 
dans  Hne  charte  que  M.  Giry  place  entre  878  et  886  {loc.  cit.j  p.  129). 
En  980  Lothaire  appelle  Herbert  II  de  Troyes  «  cornes  palatii  nostri, 
nobis  karus  et  fîdelis  in  omnibus  »  (H.  F.  IX,  p.  642  A).  Il  est  à  noter 
pourtant  que,  dès  924,  dans  un  diplôme  relatif  à  Blois,  un  Thibaut,  qui 
a  pu  être  le  père  de  Thibaut  le  Tricheur,  est  qualifié  par  le  roi  Raoul  : 
«  inclytus  cornes  Palatii  »  (H.  F.  IX,  566). 

*  Manteyer,  L'origine  des  XII  pairs  de  France.  Etudes  dédiées  à 
Monod,  p.  197. 

6  Suprà,  p.  457-8. 


S12  LIVRE  lY.    —  CHAPITRS   I. 

comte  de  Troyes*  et  c'est  elle  encore  qui  désignera  son 
loiataic  successeur  pour  être  un  des  pairs  du  rex  Fran- 
comm. 


*  Dans  la  charte  en  faveur  de  Montier-en-Der,  dont  le  diplôme  de 
Lothaire  cité  plus  haut  est  la  confirmation,  Herbert  II  de  Troyes  s'in- 
titule :  «  Heribertus,  Francorum  cornes  inclitus  »  et  il  dit  agir  :  «  cum 
consilio  Francorum  procerum  atque  omnium  fidelium  nostronim»  tam 
clericorum  quam  laicorum  »  (Cartul,  de  Montier-en-Der,  éd.  Lalore, 
Cart.  de  Troyes,  IV,  p.  139-i42).  Cf.  charte  de  968  (Camuzat,  Pron^ 
tHarium,  fo  85  r®)  :  a  Heribertus  gloriosus  Francorum  cornes  ». 


813 


CHAPITRE    11 


LE   PRINCIPAT   DE   BLOIS    ET    CHAMPAGNE. 


Le  noyau  de  formation  de  ce  groupe  a  été  la  cité  de 
Tours,  le  pagus  Turonicus^  joyau  de  l'ancienne  Neustrie, 
dont  les  destinées  sont  étroitement  liées,  durant  le  x*  et  le 
XI®  siècle,  à  celles  du  Blésois  et  de  TAnjou.  Sous  les  ordres 
des  fils  de  Robert  le  Fort,  Eudes  et  Robert,  puis  de  son 
petit-fils,  Hugues  le  Grand,  le  comitatus  est  délégué  à 
des  vicomtes  qui  tendront  tout  naturellement  à  se  rappro- 
cher du  Nord-Est.  La  Francie  centrale  les  attire;  autour 
d'elle  gravitent  leurs  populations.  C'est  en  878  que  se 
rencontre,  sous  Hugues  Tabbé,  le  premier  vicomte  de 
Tours,  Atton  I*.  Ses  fils,  Ardrad  et  Alton  II,  lui  succè- 
dent^  Après  eux  nous  voyons,  le  5  juillet  905,  le  vicomte 

*  Mabille,  La  Pancarte  noire  de  Saint-Martin  de  Tours,  p.  119, 
n°  102.  —  C'est  sans  aucun  doute  Atton  I  qui  reparaît  dans  la  charte 
d'Eudes  de  886  (ou  avril  887,  d'après  M.  Favre,  Eudes,  p.  72)  donnée 
à  Tours  en  faveur  de  Saint-Martin  (Mabille,  Chron,  des  comtes 
d'Anjou,  p.  Lix,  note  1  :  Signum  Attonis), 

2  Si  les  chartes  suivantes  sont  bien  datées  par  leur  dernier  éditeur 
M.  Favre,  les  deux  fils  d* Atton  I  lui  ont  succédé  conjointement  : 
22  mars  890.  Notice  de  Robert,  frère  d'Eudes,  abbé  de  Saint-Martin  de 
Tours  :  Signum  Ardradi  vicecomitis  (FQ.yTe,  op.  cit.,  p.  241)  ;  13  juin 
892,  notice  du  même  :  Signum  Attonis  vicecomitis  (ibid,,  p.  243). 
Mais  on  peut  avec  M.  Mabille  (Pancarte  noire,  n^»  94-95,  Chron.  des 
comtes  d'Anjou,  p.  lx),  dater  la  première  du  22  mars  892  et  la  se- 
conde du  13  juin  891.  Celle-ci  concernerait  donc  encore  Atton  I,  au- 
quel Ardrad  seul  aurait  succédé.  En  tout  cas  Atton  II  fut  seul  vicomte 
à  la  mort  de  son  frère  Ardrad,  survenue  en  septembre  898  (charte 
posthume  d'Ardrad,  rédigée  à  Tours,  le  29  septembre,  jour  de  sa 
sépulture,  publiée  par  Mabille,  Chron.  d'Anjou,  p.  xcii  :  «  Signum 
F.  —  Tome  III.  33 


514  LIVRE    IV.  —   CHAPITRE   II. 

d'Anjou  Foulque  le  Roux  prendre  dans  une  charte  le  titre 
de  vicomte  des  Tourangeaux*,  puis  ce  dernier  titre  être 
porté,  en  909,  par  un  Thibaut,  au-dessus  duquel  Foulque 
se  qualifie,  dans  le  même  acte,  comte  d'Anjou*.  La  con- 
clusion logique  à  en  tirer  est  que  Foulque  d'Anjou  a  suc- 
cédé à  Alton  II,  puis  cédé  ou  laissé  passer  le  vicecomitat9is 
à  Thibaut. 

Dorénavant  ce  n'est  plus  que  sous  le  nom  de  Thibaut 
que  les  chartes  nous  font  connaître  le  vicomte  de  Tours*. 
Depuis  Tan  931,  au  moins,  il  doit  s'agir  de  Thibaut  le 
Tricheur,  ûls  ou  neveu  présumé  du  Thibaut  de  909.  Il 
a  pu  être  nanti  dès  924  du  comilatus  blésois^,  puisque 
c'est  à  sa  sollicitation  que  le  roi  Raoul  restaure  et  dote,  eD 
cette  année,  Tabbaye  de  Saint-Lomer  de  Blois.  La  qualité 
de  Cornes  Palatii^  que  le  roi  lui  donne  dans  ce  diplôme 
permet  de  conjecturer,  si  Tacte  est  authentique  *,  que  Je» 
possessions  de  Thibaut  le  Tricheur  sur  les  conOns  de  la  Bour- 
gogne et  de  la  Francie,  Bray-sur-Seine  et  Chaloutre-la- 
Grande,  remontent  bien  au  delà  de  son  mariage  avec  Led- 
garde  de  Vermandois.  Quoi  qu'il  en  soit,  sur  Blois  comme 

Attonis  fratris  sui  vicecomitis)  et  on  retrouve  sa  souscription  dans 
des  chartes  du  comte-abbé  Robert  du  22  mai  899  (Mabille,  Ckran* 
d'Anjou,  p.  Lx,  note  3),  et  du  13  septembre  900,  t6td..  p.  lix,  note  1. 

<  «  Signum  Fulconis  Turoiiorum  et  Andecavorum  vicecomUis  » 
(Mabille,  ibid,,  p.  xcv). 

^  30  octobre  909  :  «  Signum  domni  Fulconis  Andecafforum  co* 
mitis;  signum  Tedbaidi  Tuwnorum  vicecomitis  »  (i6ûi.,  p.  xcfin). 

3  En  924  {infrà,  note  5),  925  (Ann.  Bened.  IIL  p.  384,  cfa.  79). 
931  (Mabille,  op.  cit.,  p.  xcviii,  H.  F.  IX,  720  G),  939  (H.  F.  IX, 
722  A),  9*1  (Coll.  D.  Housseau  I,  170),  etc. 

^  On  paraît  d'accord  aujourd'hui  pour  voir  une  simple  légende 
épique  dans  l'histoire  du  palefrenier  Ingon  racontée  par  Rieber 
(I,  9-12)  (Voyez  Kalckstein,  Geschichte  des  Franz.  Kônigthwm, 
Leipzig,  1877,  p.  478-9;  Lex,  Eudes  de  Biais,  p.  13-14;  Favre,  faidfi, 
p.  232;  Lauer,  Louis  d'Outremer,  p.  267-8). 

s  «  Dono  et  concedo,  prooibus  amici  mei  Theobaldi  inciyti  Conûtis 
Pabitii  victus  >»  (H.  F.  IX.  566  C). 

^  a.  Lippert,  Kônig  Rudolf,  p.  109,  Reg.  5. 


LE   PRINCIPAT  DB   BLOIS   ET   CHAMPAGNE.  545 

sur  Tours,  le  comitatus  est  sorti,  seloû  toute  vraisemblance, 
d'une  extension  graduelle  du  vicecomitatus^qm  des  mains 
de  Guarnegaud,  que  nous  trouvons  vicomte  de  Blois  de 
887  à  905  *,  a  dû  passer  au  primitif  Thibaut. 

Est-ce  de  ce  même  Thibaut  que  le  Tricheur  tenait  ses 
droits  sur  Chartres,  et  d^où  lui  étaient-ils  venus?  Une 
coïncidence  étrange  frappe  aussitôt  l'esprit  :  la  vente  de 
Chartres  à  un  comte  Thibaut  par  le  chef  normand  Has- 
ting,  auquel  le  rex  Francorum  l'aurait  abandonné.  L'exac- 
titude historique  de  ces  faits  a  été  contestée  très  vive- 
ment par  l'éditeur  de  Dudon  de  Saint-Quentin,  M.  Jules 
Lair^.  Mais  la  critique,  d'ordinaire  si  mesurée  et  si  péné- 
trante de  cet  érudit,  me  semble  avoir  ici  dépassé  le  but. 
Le  tout  est  de  s'entendre  sur  la  nature  des  conventions 
qui  ont  pu  être  faites  et  sur  les  circonstances  qui  les 
entourent.  Si  une  cession  a  été  consentie  à  Hasiing  par 
le  roi  de  France,  ce  n'a  pu  être  par  Louis  III,  en  882, 
car  la  paix  conclue  alors  éloignait  Hasting  du  royaume  •. 
Suivant  Guillaume  de  Jumièges,  c'est  par  un  roi  Charles 

*  Gua^ne^^aud  souscrit  en  886  (887),  890  et  900  les  diplômes  d'Eu- 
des et  de  Robert  ëmis  à  Tours  (suprà,  p.  513,  note  2)  et  en  905  la 
charte  où  Foulque  prend  la  qualité  de  vicomte  de  Tours  et  d'Angers 
(p.  514,  note  1).  Il  porte  dans  cette  dernière  charte  le  titre  de  vicecames 
vel  graphiOj  dans  les  diplômes  de  890  et  de  900  le  titre  de  vicecomes. 
Il  possède  des  biens  en  Touraine  et  y  donne,  avec  sa  fenmie  Hélène^ 
deux  églises  à  saint- Martin  de  Tours,  le  29  juillet  895  (ch.  publiée  par 
Favre,  Eudes,  p.  243-4.  Cf.  Salmon,  Chroniques  de  Touraine,  p.  46 
et  106),  donation  que  le  roi  Charles  le  Simple  confirme,  avec  d'au- 
tres, en  919  (H.  F.  IX,  543).  Dans  l'acte  de  895  on  le  voit  tenir  un 
plaid  à  Blois  :  «  In  Castro  Bliso,  in  mallo  publico,  quod  tenuit  prae- 
scriptus  hujus  cessionis  auctor  G.  »  et  déclarer  que  les  biens  donnés 
lui  proviennent  d'une  largesse  du  roi  Eudes,  faite  à  la  prière  de  son 
seigneur  le  comte  Robert  (frère  du  roi)  «  inlerventu  eximii  senioris 
nostri  domini  Rotberti  comitum  potentissimo  >». 

2  Introd.,  p.  36-47. 

>  Annales  de  saint'Vaasty  ad  an.  882,  p.  313  :  «  Hludovicus  vero  rex 
Ligerem  petiit,  Nortmannos  volens  e  regno  sua  ejicere  atque  Alstin- 
gum  in  amicitiam  recipere;  quod  et  fecit  ». 


516  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   II. 

que  Chartres  a  été  cédé  *.  Nous  sommes  donc  reportés,  sans 
aucun  doute,  après  la  mort  d'Eudes,  après  898.  Précisé- 
ment à  cette  époque,  la  vie  de  saint  Vivent  signale  la  pré- 
sence de  Hasling  à  la  tête  des  Normands,  en  Bourgogne 
d'abord,  puis  dans  le  pays  chartrain^.  En  outre  des  in- 
cursions répétées  de  ces  pirates  se  laissent  entrevoir  de 
898  à  903 ^  Aussi  le  chroniqueur  postérieur  qui  a  repro- 
duit, en  l'arrangeant,  le  fait  rapporté  par  Guillaume  de  Ju- 
mièges  n'a-l-il  pas  manqué  de  lui  assigner  la  date  de  904  ^ 

J'estime  donc  qu'il  y  a  eu  deux  traités,  séparés  par  un 
assez  long  intervalle,  et  que  Dudon  de  Saint-Quentin,  dont 
la  chronologie  est  très  boiteuse,  les  a  confondus  en  un  seul. 
Il  ne  donne  pas,  en  conséquence,  le  nom  du  roi*  et  il  ne 
mentionne  pas  Chartres.  Mais  ce  qu'il  dit  s'accorde  au  fond 
très  bien  avec  le  récit  de  Guillaume  de  Jumièges.  Hasting, 
nous  apprend-il,  a  été  apaisé  par  un  vectigal^  par  «  une 
somme  de  redevances  et  de  tributs  »•.  El  Guillaume  de 
Jumièges?  Chartres  a  été  cédé  à  Hasting,  à  titre  d'émo- 
lument, de  stipendium\ 

Nous  avons  donc  affaire  à  un  abandon  des  droits  fiscaux 

1  Voyez  iiifrà,  la  note  7. 

2  Vita  sancti  Viventii  (Boll.  13  janvier,  p.  813)  :  «  Invadente  Astingo 
Normannorum  principe  cum  suis  Burgundionum  fines...  cum  tola 
penè  provincia  ab  eisdem  Normannis  depopulata  incendie  cremaretur. 
Praeterea  paiilo  post...  quidam  Francorum  ac  Burgundionum  primo- 
res...  irruerunt  in  eos  in  pago  Carnoteiise,  tantaque  strage  illos  dele- 
verunt,ut  ulterius  in  exterorum fines  minime  raptim  exire  tentèrent.» 

3  Cf.  Eckel,  Charles  le  Simple,  p.  66-67. 

*  Aubry  des  Trois-Fontaines  (xiiio  s.),  ad  an.  904,  HF.  IX.  63  A. 

5  Dudon  de  Saint-Quentin,  I,  8,  éd.  Lair,  p.  136-7.  Il  dit  simplement 
rex  Francorum j  ou  rex. 

6  «  Dirigunlur  legati  ad  atrocem  Alstignumpacifici.  Dehinc  vectigali^ 
pensorum  (  =  census)  trihutorum  summa  mitigatus,  et  a  Francige- 
nis  c.vacti  muncris  pondère  sensim  placatus,  pacem  quae  postulabatur 
non  abdical  diulius,  verum  dat  ultroneus  »  [ibid.^  p.  137). 

^  «  Hastingus  vero  Garolum  Francorum  regem  adiens,  pacem  petiit, 
quam  adipiscendi  urbem  Carnotensem  stipendii  munere  ab  ipso  ac- 
cepit  »  (G.  de  Jumièges,  I,  10.  Migne,  149,  788). 


LB   PRINCIPAT   DE   BLOIS   ET   CHAMPAGNE.  517 

que  le  roi  possédait  à  Chartres  et  dont  l'ensemble  consti- 
tuait, au  x*  siècle,  le  comitatus  :  abandon  temporaire,  en 
principe,  puisqu'à  prendre  le  chroniqueur  normand  an  pied 
de  la  lettre,  le  traité  n'était  conclu  que  pour  quatre  ans*. 

L'indignation  de  Dudon  contre  Hasting,  les  épithètes 
malsonnantes  qu'il  lui  prodigue,  les  crimes  qu'il  lui  impute, 
prouvent  bien  que  le  chef  normand  a  fait  cause  commune 
avec  les  Francs.  Il  n'y  a  rien  d'invraisemblable  à  ce  qu'il 
se  soit  lassé  de  ce  rôle  et,  pour  reprendre  sa  liberté  et  sa 
vie  d'aventure,  ait  vendu  à  un  Franc,  du  nom  de  Thibaut, 
les  droits  pécuniaires  qu'il  possédait  sur  Chartres*.  D'autre 
part,  la  légende  bourguignonne  qui  fait  de  Hasting  un  faux 
normand,  un  paysan  des  environs  de  Troyes,  enrôlé  parmi 
les  pirates',  est  un  léger  mais  curieux  indice  de  ses  rapports 
avec  l'ancêtre  reculé  des  comtes  de  Troyes  et  de  Cham- 
pagne. 

Depuis  941  au  plus  tard,  Thibaud  le  Tricheur  prend  ré- 
gulièrement le  titre  de  comte*.  En  943  il  jette  les  fonde- 
ments définitifs  de  la  maison  de  Blois  par  son  mariage  avec 
Ledgarde,  fille  d'Herbert  II,  qui  transmettra  à  sa  race  le 
droit  de  succéder  un  jour  aux  domaines  de  la  maison  de 
Vermandois.  A  celle  expectative,  prompte  à  se  réaliser*,  une 

*  «  Pepigitque  inextricabili  fœdere  olympiadis  cum  eomunera  pacis  »>• 
(eod.  /oc). 

2  u  Considerans  Tetboldus  cornes  se  reperisse  tempus  opportun um... 
Haslingum  lalibus  verbis  falso  appétit...  Hastingus...  confestim  Car- 
notenam  urbem  Tetboldi  vendidit  et  distractis  omnibus  peregre  pro- 
fectus  disparuit  »  (G.  de  Jumièges,  II,  11,  Migne,  149, 797).  Cf.  Wace, 
Roman  de  RoUy  II,  v.  526  et  s.,  éd.  Andresen,  p.  57  : 

«  E  Tiebalt  a  Hastein  de  Chartres  engignie. 

La  cite  achata  tut  a  fin  par  marchie. 

Tiebalt  fu  nez  de  France,  uns  des  plus  halz  baruns, 

Mult  aveit  par  la  terre  chastels  e  forz  maisuns  ». 

3  Raoul  Glaber,  I,  19,  éd.  Prou,  p.  18. 

*  Lex,  Eudes  de  Blois,  p.  16. 

^  Si  l'opinion  de  M.  Longnon  est  exacte  {Atlas  historique,  p.  281  ; 
Adde,  Lot,  Les  derniers  Carolingiens,  p.  371  et  s.),  le  comté  de  Troyes 


818  UYIIB  I¥.  —  OHAPITB»  II. 

autre  vint  se  joindre,  ainsi  qu'on  noavwui  lustre.  Le  soc- 
cesseur  de  Thibaut,  Eudes  l*'(97i-99S),  en  époosaotBorthe, 
Qile  du  roi  de  Bourgogne,  Conrad  le  Pacifique,  petke*fil>ey 
par  sa  mère  Mathilde  de  Louis  d'Oatremer,  omnrut  i  ses 
descendants  le  chemin  du  trône  de  Bourgogne  et  les  rap- 
prochait du  trône  de  France.  En  ligne  fémiaioe  ils  allaieal 
être  Carolingiens  et  les  secondes  noces  de  leor  mère  d»- 
Yaient  les  élever  au  rang  de  beaui-flls  du  rei  Robert  IL 

La  comtesse  Berthe,  restée  veuYe  eocore  jeane  (995)t 
s*était  placée  avec  ses  enfants  en  bas  âge  soos  le  mxmr 
dium^  sous  la  protection  du  nn,  circonatanee  de  Datare  à 
jeter  un  jour  asses  vif  sur  les  rapports  de  la  royanté  et  des 
grandes  seigneuries  de  la  Francie  pour  qa*il  convienne  de 
s'y  arrêter. 

Eudes  I,  eu  incessant  conflit  avec  le  comte  d^Aïqoa, 
Foulque  Nerra,  avait  vu  les  deux  rois  Hugues  et  Robert 
prendre  parti  et  marcher  contre  lui.  Une  maladie  mortdle 
le  frappe  en  pleine  guerre  et,  devant  sa  fin  prochaine,  il 
redoute  Teffondrement  de  sa  maison.  Les  rois  ne  dépos- 
séderont-ils pas  ses  jeunes  enfants  ?  Ceux-ci  auroot-ib  ]e 
moindre  espoir  de  succéder  i  sa  domination?  «  naiis  do- 
minandi  spes  nulla  relinqueretur  »*.  Eudes  envoie  m 
extremis  des  messagers  aux  rois  pour  offrir  son  entière 
soumission.  Hugues  est  disposé  à  Taccepler,  mais  Robert 
s'indigne  et  fait  repousser  Toffre.  C'est  ce  même  Robert 
que  la  jeune  veuve  réussit  à  gagner,  pour  elle  et  sa  maison, 
comme  avoué  et  protecteur  :  «  suarum  rerum  defensorem 
atque  advocaium  Robertum  regem  accepit  »*•  Il  aurait  dû 
l'être  de  plein  droit,  en  sa  qualité  de  seigneur  lige  de  la 
Francie,  mais  il  aurait  pu  échanger  ce  rôle  contre  celui 
de  spoliateur,  puisqu'il  y  avait  guerre  ouverte.  Il  s'y  tint, 

aurait  été  acquis  dès  980  à  un  fils  de  Thibaut  et  de  Ledgarde,  qui  se 
serait  appelé  Herbert  Ilf  de  Troyes  et  aurait  eu  pour  successeur  son 
fils  Etienne  ler,  mort  en  1023  sans  descendants. 

«  Richer,  IV,  94  (T.  Il,  p.  280-2). 

'  Notef  additionnelles  autographes  de  Rieher,  II,  p.  206-308. 


LE   PRINCIPAT  DE    BLOIS   ET   CHAMPAGNE.  5i9 

sans  qu'il  dous  soit  possible  aujourd'hui  de  savoir  quelle 
part  la  raison  d'Élat  ou  le  respect  du  droit  et  quelle  le 
charme  séducteur  de  la  veuve  éplorée  ont  eue  dans  la  ré- 
solution du  jeune  roi. 

L'essor  que  prit  depuis  lors  la  puissance  du  principat 
blésois  et  champenois  ne  fut  ni  ralenti  ni  entravé  par  la 
coutume  de  l'égalité  des  droits  entre  les  enfants  (y  compris 
les  filles)  que  la  maison  de  Blois  pratiqua  et  qu'aux  x*  et 
xi*  siècles,  pratiquaient  de  même  la  plupart  des  maisons 
princières  ou  seigneuriales.  Quoique  le  comte  Eudes  1  eût 
laissé  cinq  enfants,  Eudes  II,  élevé  à  la  cour  du  roi  Robert, 
put  réunir,  dès  l'âge  de  vingt-deux  ans,  l'ensemble  des 
possessions  ancestrales,  et  ce  sont  les  droits  de  sa  grand'- 
mère  Ledgarde  aux  comtés  de  Troyes  et  de  Meaux  qu'il 
fit  valoir  dans  la  succession  de  son  cousin  Etienne  I  (après 
1019),  de  même  qu'il  revendiqua  du  chef  de  sa  mère 
Berthe  la  couronne  de  Bourgogne,  à  la  mort  du  roi  Ro- 
dolphe 111  le  Fainéant  (1032). 

Des  comtés  de  Troyes  et  de  Meaux  il  parvint,  au  prix 
de  luttes  acharnées  contre  le  roi  Robert  et  contre  Foulque 
Nerra,  à  se  rendre  définitivement  maître,  posant  ainsi  les 
assises  du  duché  de  Champagne.  Le  royaume  de  Bourgo- 
gne, il  entendait  sans  doute  le  tenir  en  pleine  indépen- 
dance *,  puisqu'il  n'avait  offert,  en  1032,  qu'à  titre  transac- 
tionnel, de  le  gouverner  sous  l'autorité  du  roi  de  Germanie, 
Conrad  11,  et  que  cette  soumission  même  n'était,  au  dire 
du  chroniqueur  allemand  Wipon,  qu'un  voile  jeté  sur  les 
visées  les  plus  hautes  :  dominer  la  royauté  sans  ceindre  la 
couronne,  être  le  maître  du  roi,  sans  être  roi  '. 

*  Nous  verrons  plus  tard  que  la  suprématie  de  Tempereur  d'Alle- 
magne n'avait  été  reconnue  encore  que  par  intermittence  et  dans 
des  conditions  fort  précaires  par  Rodolphe  III  lui-même. 

2  «  Nec  et  regem  ausus  est  facere,  nec  tamen  regnum  voluit  dimit- 
tere.  Referebant  quidam  iUum  dixisse  sœpe  quod  nunquam  rex 
fieri,  sed  tamen  semper  magister  esse  régis  vellet  »  (Wipon,  Gesta 
€huonradiy  cap.  29,  SS.  (in  us.  schol.)  p.  36. 


520  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  II. 

Eût-il  pris  même  le  titre  de  roi  —  ce  qu'il  s  est  abstenu 
de  faire  dans  ses  diplômes*,  alors  qu'en  Provence  et  dans 
le  Lyonnais  d'autres  le  lui  donnaient*  —  ne  valait-il  pas 
mieux  qu'un  prince  français  dominât  du  seuil  de  la  Lorraine 
jusqu'à  Arles  et  à  Nice  et  commandât  les  passages  des 
Alpes  que  d'y  laisser  s'implanter  la  souveraineté  alle- 
mande '?  Au  point  de  vue  de  la  patrie  gauloise,  la  ques- 
tion n'était  pas  douteuse.  Elle  ne  le  parut  pas  non  plus, 
mais  dans  un  sens  opposé,  au  point  de  vue  de  l'intérêt 
dynastique  des  Capétiens.  Le  roi  de  France  Henri,  voyant 
dans  Eudes  le  plus  redoutable  compétiteur  à  la  couronne, 
prit  fait  et  cause  pour  l'empereur  teuton  Conrad.  Une  entre- 
vue* eutlieu  en  Lorraine,  à  Deville-sur-Meuse  (mai  1033)', 
une  alliance  étroite  fut  conclue,  que  le  mariage  d'Henri 

^  Voyez  le  catalogue  de  ses  actes  dressé  par  M.  Lex  et  les  diplô- 
mes publiés  par  cet  érudit  (Eudes^  comte  de  Blois,  p.  99  suiv.,  p.  121 
suiv.).  —  Le  seul  titre  qu'il  prend  est  celui  de  cornes  tout  court  ou,  à 
partir  de  1021,  mais  dans  un  petit  nombre  d  actes,  le  titre  de  cornes 
palatinus  (Lez,  op.  ci^,  p.  85).  Cf.  cependant  au  sujet  du  titre  de 
roi  :  Hugues  de  Flavigny,  H.  F.  XI,  143  D. 

2  Cartul,  de  Saint-Victor  de  Marseille,  I,  p.  92,  123,  207,  212.  — 
CartuL  d'Ainay,  ch.  22  :  '<  Oddone  Campanensi  regnum  GallisB 
summis  juribus  (viribus?)  sibi  vindicante  ». 

•  Du  côté  germanique  on  en  avait  parfaite  conscience  :  Vtto  S. 
Leonis  (Mabillon,  SB.  VI,  2,  65)  :  «  Nam  ejus  intercurrente  sapien- 
tia,  legatione  et  consilio,  est  Romano  adjunctum  et  corroboratum 
imperio  regnum  Âustrasiœ,  quod  dudum  ab  origine  tenebat  Rodul- 
fus  rex  Jurensis  Burgundiœ  »  —  Hist,  mon.  S.  Laur.  Leod.  (H.  F. 
XI,  171  C)  :  «  Dux  Gozelo...  rogat...  ut  non  solum  sibi,  verum  etiam 
omni  Lotharingiae,  immo  vero  universo  subveniret  Imperio.  quod 
leterno  notaretur  elogio  (opprobrio)  si  praeualeret  praed.  Odo; 
omnes  Francigenas  omnemque  Burgundiam  conjurasse  cum  illo.  » 

*  Entrevue  négociée  par  l'évêque  de  Toul,  Brunon,  le  futur  Léon  IX 
Mab.  SB.  VI,  2,  64-65)  et  Tabbé  de  Stavelot  Poppon  {Vita  Poppo» 
nis,  Mab.  SB.  VI,  1,  584).  —  Cf.  Brucker,  L'Alsace  et  l'Église  au 
temps  de  LéonIX,  Strasbourg,  1889,  p.  130-1. 

^  Ch.  de  Stavelot  (D.  Calmet,  IlisL  de  Lorr.,  2e  édil.,  II,  cclxix)  : 
'<  Facta  est  ha-c  commutatio  apud  Diiiillam,  ubi  colloquium  fuit  inter 
imperatorem  Cuonradum  et  Heinricum  regem  Francorum.  » 


LE   PRINCIPAT   DE   BLOIS   ET   CHAMPAGNE.  521 

avec  la  fille  de  Conrad  devait  cimenter,  et  Raoul  Glaber 
nous  apprend  glorieusement  qu'en  signe  d'amitié  Conrad 
envoya  à  son  allié  un  lion  de  grande  taille,  leonem  per- 
ffrandem\  C'était  bien  le  moins  qu'il  pût  faire  pour  lui 
marquer  sa  reconnaissance  d'un  traité  qui  livrait  à  l'Alle- 
magne le  quart  de  la  Gaule! 

L'excès  de  son  ambition  acheva  de  perdre  le  prince 
français.  Eudes,  non  content  de  la  Bourgogne,  s'attaqua 
à  la  Lorraine  et  convoita  la  couronne  de  fer  d'Italie, 
qu'en  1036  des  évoques  lombards  vinrent,  en  effet, 
lui  offrir.  Il  succomba  sous  les  coups  des  Lorrains,  aux 
champs  d'Honol,  près  de  Bar  (1037)  et  l'imagination 
populaire,  frappée  d'un  tel  écroulement,  dramatisa  sa  fin 
comme  la  légende  devait  le  faire  pour  le  dernier  roi  anglo- 
saxon  Harold*.  Ennemi  du  roi  de  France  et  du  roi  de  Ger- 
manie, du  duc  de  Lorraine  et  du  comte  d'Anjou,  sa  mé- 
moire ne  pouvait  trouver  grâce  auprès  des  chroniqueurs*. 

*  Raoul  Glaber,  IV,  9,  p.  111-112  :  «  Gui  eliam leonem  pergrandem 
amicilie  gratia  misit  ». 

2  Telle  Edith  au  cou  de  Cygne,  la  comtesse  Ermengarde  dut, 
selon  la  légende,  reconnaître  parmi  les  morts,  en  sa  nudité  lamentable, 
le  corps  mutilé  de  son  époux.  Une  main  du  xii*  siècle  a  consigné  ce 
bruit  populaire  dans  une  note  ajoutée  au  MS  de  Raoul  Glaber  : 
«  Narrant  etiam  plerique  quod  corpus  ejus  diu  multumque  quesitum 
inveniri  non  potuit  donec  uxor  ejus  veniens  tali  intersigno  invenit; 
habebat  enim  verrucam  in  ter  genitalia  et  anum  ». 

'  Presque  seule  l'Église  prit  sa  défense,  reconnaissante  des  libéra- 
lités dont  il  Pavait  comblée.  A  Tours,  histoires  pieuses  et  sermons 
montrèrent  Eudes  racheté  de  l'enfer  par  saint  Martin  (Cf.  d'Arbois 
de  Jubain ville,  p.  345-53)  ;  à  Chartres,  le  nécrologe  de  la  cathédrale 
célébra  ses  grandes  qualités,  exalta  sa  gloire  et  s'apitoya  sur  sa 
tragique  fin  :  «  XVII  Kal.  Dec.  Odo,  palatii  comes,  cum  ingenuilate 
et  potentia  illustrissimus,  tum  magnitudine  animi  et  constancia  pres- 
tantissimus,  incognita  quidem  nostri  Jesu  dispositione,  sed,  ut  sem- 
per,  aliquo  modo  misericordissima,  ab  inimicis  in  proeiio  morte  affec- 
tus  est  »  {Merlet  et  Clerval,  Un  MS.  chartrain,  p.  182). 

Des  historiens  modernes  Eudes  attend  encore  un  jugement  tout  à 
fait  équitable.  Celui  de  M.  d'Arbois  me  paraît  trop  sévère  et  la  con- 
clusion de  l'excellente  étude  de  M.  Lex  trop  molle  ou  trop  discrète. 


522  LIVRE    IV.    —   CHAPITRB   11. 

Le  sentiment  d'unité  nationale  de  la  Gaule  était  trop 
fugace  encore  et  trop  peu  éclairé  pour  que  le  patriotisme 
local  et  rintérêt  dynastique  des  Ottoniens  et  des  Capétiens 
ne  prévalussent  pas  sur  lui  *. 

Avec  moins  d'éclat  et  des  alternatives  de  revers  et  de 
succès,  les  descendants  d'Eudes  II  poursuivirent  sa  poli- 
tique de  domination  sur  la  Francie  et  de  constitution  d'un 
grand  Etat  dont  le  groupe  blésois  et  champenois  fût  le 
noyau.  Ses  deux  fils,  Thibaut  IIP  et  Etienne*,  se  retrouvè- 
rent en  face  d'une  coalition  du  roi  et  de  l'empereur,  des 
Angevins  et  des  Lorrains,  à  laquelle  le  comte  de  Flandre 
Baudoin  V  vint  s'adjoindre.  Ils  perdent  la  cité  de  Tours 
et  le  comitatus  dont  elle  était  la  base  et  leur  maison  ne 
pourra  les  ressaisir  que  sur  Foulque  Réchin  ou  sur  Geof- 
froi  le  Bel*. 

*  Du  moins  subsislail-il  un  point  d'honneur  national  :  «  Odo  cornes, 
Henrioi  régis  sprela  jussione,  cum  magno  apparatu  Francorum,  contra 
Alamannos  et  Lotharingios  properans  ad  bellum,  de  se  suisque  ma- 
gnum exieris  pracbuit  triumphum...occubuit,  proh  nefasl  Quod  huic 
simile  nnnquam  semper  victrici  nostrœ  acciderat  genti  »  (André  de 
Fleury  ;i043-10r)6).  Miracles  de  saint  Benott,  VI,  21,  p.  248). 

2  C'est  celui  que  les  historiens  ont  appelé  Thibaut  II;  mais  un 
changement  de  nume^ralion  s'impose  puisque  nous  connaissons  au- 
jourd'hui un  Thibaut  antérieur  au  Tricheur. 

*  Etienne  eut  les  comtes  de  Troyes  et  de  Meaux  et,  suivant 
M.  d'Arbois,  en  fit  hommage  k  son  frère.  Le  savant  historien  recon- 
naît qu'aucun  texte  ne  le  dit  :  il  admet,  mais  il  ne  démontre  pas, 
que  «  les  règles  du  droit  féodal  permettent  d^ affirmer  qu'il  en  fut 
ainsi  »  (p.  3r)r),  note  1).  Les  règles  dont  il  parle  sont  celles  du  xu*  et 
du  xiii*  siècle,  et  nous  sommes  au  xi\ 

*  D'après  VArt  de  vérifier  les  dates  (II,  840)  et  d*aprè8  M.  d'Arbois 
de  Jubainville  (I,  p.  369-371)  Thibaut,  en  cédant  Tours,  aurait  retenu 
la  mouvance  :  prisonnier  un  instant  auparavant,  il  aurait  reçu  comme 
suzerain  l'hommage  de  son  vainqueur.  C'est  un  anachronisme.  Sur 
quels  documents,  en  efTet,  se  fonde-t-on?  Sur  des  chroniques  de  la 
seconde  moitié  du  xii*^"  siècle,  tout  imprégnées  des  idées  de  leur  temps, 
la  Chronica  de  gestis  consiiliim  Andegav.  (éd.  Mabille,  p.  124),  les 
Gesta  Ambaziensium  dominorum  [ibid,,  p.  170),  puis  sur  les  Feoda 
Campante,  cités  comme  le  4^  livre  des  vassaux  de  Champagne,  alors 


LE    PRINCIPAT   DE   BLOIS   ET   CHAMPAGNE.  523 

Son  unilé  se  reconstitue,  en  effet,  avec  Thibaut  III*  d'a- 
bord, puis  avec  son  petit-Bis  Thibaut  IV  * ,  et  on  la  verra  alors 
chercher  en  Normandie  le  point  d'appui  qu'elle  ne  trouve 
plus  en  Bourgogue. 

Le  fils  d'Élienne,  Eudes,  évincé  par  son  oncle  Thibaut  III, 
qui,  après  i063*,  concentra  dans  sa  main  la  domination  de 
la  maison  de  Blois,  se  réfugia  en  Normandie,  participa  à  la 
conquête  de  l'Angleterre,  devint  comte  d'Aumale  (Alber- 
male)  en  Normandie,  et  en  Angleterre  comte  d'Holderness '. 

que  la  mention  de  l'hommage  dû  par  les  comtes  d'Anjou  ne  se 
trouve  même  qu'au  2®  registre,  que  M.  Longnon  date  de  1200-1201 
{éd.  A.  Longnon,  n**  2422,  p.  90,  Documents  relatifs  au  comté  de 
Champagne,  I  (Paris,  1901). 

Que  dans  la  seconde  moitié  du  xn*  siècle,  la  mouvance  de  Tours 
ait  appartenu  à  la  maison  de  Blois,  cela  n'est  pas  douteux,  mais  elle 
ne  doit  dater  que  de  l'accord  passé  en  1141  par  Geoffroi  le  Bel  et 
Thibaut  IV',  le  premier  rétrocédant  Tours,  en  échange  de  Tabandon 
par  Thibaut  de  ses  prétentions  sur  les  couronnes  de  Normandie  et 
d'Angleterre  (Orderic  Vital  XIII,  43,  t.  V,  p.  131).  Tout  au  plus  pour- 
rait-elle remonter  à  la  fin  du  xi«  siècle,  au  jour  où  Foulque  Rechin, 
en  lutte  avec  Geoffroi  le  Barbu,  voulut  détacher  Henri-Étienne  du  parti 
de  son  frère,  et  en  conséquence  lui  fit  hommage.  Mais  la  Ckronica 
de  gestis  ne  parle  pas,  à  cette  occasion,  de  Tours  (éd.  Mabille,  p.  139) 
et  la  chronique  attribuée  à  Foulque  Rechin  lui-même  assure  qu'il 
reprit  Tours  sur  son  frère  et  le  posséda  au  même  titre  qu'Angers, 
Loches  et  Loudun  :  «  Accepi  civitatem  Andegavem  et  Turonum  et 
Lochas  castrum  et  Lausdunum,  quœ  sunt  capita  honoris  Andegavo- 
rum  comitum  »  (éd.  Mabille,  p.  380).  Il  ne  doit  donc  s'agir  dans  le 
passage  ci-dessus  que  d'une  alliance  jurée. 

J'ajoute,  en  ce  qui  concerne  la  prétendue  mouvance  de  1044,  que 
les  chroniques  contemporaines  des  Églises  d'Anjou  et  les  chroniques 
anciennes  de  Touraine  n'y  font  pas  la  moindre  allusion.  La  chronique 
de  saint  Aubin  d\Àngers  se  borne  à  dire  :  «  T...  urbem  Turonicam 
reddidit  »  (éd.  Marchegay  et  Mabille,  p.  24),  la  chronique  de  Pierre 
Bechin  :  «  G.-M...  Turonis  pro  redemptione  accipiens  »  (éd.  Salmon, 
p.  55). 

*  Voyez  la  note  2  de  la  page  précédente. 

2  Cartul.  de  Châlons-sur- Marne  iWarin),  p.  49-50. 

3  Orderic  Vital,  IV,  7  (II,  p.  221),  VIII,  9  (III,  p.  319). 


524  LIVRE   IV.  —  CHAPITRE    II. 

Le  fils  de  Thibaut,  Etienne-Henri  %  épousa  Adèle  de  Nor- 
mandie, fille  de  Guillaume  le  Conquérant,  et  il  acquit  par 
là  à  son  successeur  Thibaut  IV  (seul  chef,  à  partir  de  1 425, 
du  groupe  blésois  et  champenois)  des  dr&its  à  la  couronne 
ducale  de  Normandie  et  à  la  couronne  royale  d'Angleterre, 
pour  le  jour  où  mourrait,  sans  hoirs  de  son  corps,  Henri  I 
Beauclerc,  oncle  maternel  de  Thibaut  IV.  Celui-ci  essaya 
de  faire  valoir  ses  droits  en  se  réconciliant  pour  la  circons- 
tance avec  son  seigneur  lige  le  roi  de  France,  mais  il 
était  plus  grand  seigneur  que  grand  politique  et  grand 
homme  de  guerre,  et  ni  lui  ni  son  frère  Etienne  de  Blois 
ne  purent  l'emporter  sur  Geofi'roi  le  Bel  d'Anjou,  le  mari 
de  Maihilde,  le  gendre  d'Henri  Beauclerc*.  Et  ainsi,  ce  fut 
la  rivale  séculaire  delà  maison  deBlois,  la  maison  d'Anjou, 
qui  réussit  mieux  qu'elle-même  à  s'approcher  du  bat 
qu'elles  visaient  toutes  deux  :  dominer  la  Francie,  et,  par 
la  Francie,  la  Gaule. 


^  Orderic  Vital  appelle  à  deux  reprises  Étienne-Henri  cornes  paUUi- 
nus  (II.  p.  393,  IV,  p.  118),  probablement  parce  qu'il  le  savait  Ois  de 
Thibaut  qu'il  qualifie  palatinus  cornes.  Selon  la  juste  remarque  de 
M.  Le  Prévost  (II,  p.  393,  note  1)  ce  titre  n*a  pas  dû  passer  à  Étienne- 
Henri,  qui  eut  le  comté  de  Blois,  mais  à  son  puîné  Eudes  III,  qui  eut 
le  comte  de  Troyes.  À  celui-ci  succéda  leur  plus  jeune  frère  Hugues, 
dont  la  mort  sans  enfants  légitimes,  en  Terre-Sainte,  permit  au  fils 
d'Étien ne-Henri,  Thibaut  IV,  de  devenir  le  chef  unique  de  la  maiiOQ 
de  Blois. 

«  Cf.  Orderic  Vital,  II,  p.  394,  IV,  p.  189,  V,  p.  54-56. 


525 


CHAPITRE  m 


LE   PRINCIPAT   DU   VEXIN   ET   DU   VALOIS. 


Dans  le  voisinage  immédiat  de  Paris,  au  nord-ouest,  entre 
rOise,  la  Seine  et  TAndelle,  s'étendait  un  territoire  dont 
Tabbaye  de  Saint-Denis  disait  tenir  la  possession  du  roi 
Dagobert,  ou  avoir  acquis  au  plus  tard  la  souveraineté  au 
vil*  siècle.  C'était  le  territoire  des  Vilcassini^  le  Vexin. 
L'origine  et  la  nature  des  droits  de  l'abbaye  sont  fort  énig- 
matiques  et  fort  incertaines.  Selon  toute  vraisemblance, 
elle  avait  obtenu,  dans  celte  région,  de  divers  monar- 
ques francs,  des  concessions  de  grandes  terres  immunes, 
dont  les  comtes  du  pagus  devinrent  les  protecteurs  atti- 
trés, les  avoués*.  L'existence  des  comtes  carolingiens 
du  Vexin  (institués  donc  par  le  roi,  et  non  par  l'abbaye) 
ne  paraît  pas  douteuse  et  plus  tard  les  comtes  du  Vexin 
furent  régulièrement  avoués  de  Saint-Denis,  portant  son 
oriflamme^  Quand,  en  911,  la  partie  du  Vexin  située  entre 
TEpte  et  TAndelle  eut  été  abandonnée  à  Rollon  par  le  traité 
de  Saint-Clair-sur-Epte,  les  ducs  de  Normandie  prétendi- 
rent à  la  charge  d'avoué  dans  le  Vexin  normand*.  Dans 
le  Vexin  français,  l'avouerie  finit  par  se  confondre  avec  le 
comUatus.  Les  comtes  du  Vexin  qui  avaient  dû  la  fidélité 
en  qualité  d'avoués  la  durent  en  qualité  de  comtes,  et  c'est 

*  lis  ne  relaient  pas  encore  en  l'an  783,  où  l*on  voit  un  avoué  Ado 
se  présenter  devant  un  plaid  du  comte  Riphero  (H.  F.,  V,  746;  Mùhl- 
bacher,  Regesten,  2*  éd.,  n.  247). 

2  Art  de  vérifier  les  dateSy  II,  p.  680. 

^  Art  de  vérifier  les  dates,  L  c. 


526  LIVRB   IV.  —   CHAPITRE    III. 

ainsi  qu*au  xii*  siècle  le  comté  lui-même  appara tira  comme 
un  fief  de  Saint-Denis*. 

Dès  le  x*  siècle,  du  reste,  le  comte  du  Vexin  avait  élargi 
sa  dominalion  bien  au  delà  de  TEpte,  de  TOise,  du  Theraia, 
jusque  dans  TAmiénois.  Son  comté  se  souda  cl*autant  plus 
étroitement  à  la  Francie,  tandis  que  le  groupe  de  popula- 
tion assis  entre  TEpte  et  TAndelIe  fit  corps  avec  la  Nor- 
mandie. 

Le  titre  de  cognes  Vilcassinorum  ne  paraît  avoir  été 
pris,  au  x*  siècle,  ni  par  Galeran  ni  par  son  flls  Gautier  I, 
que  Y  Art  de  vérifier  les  dates  donne  comme  successeurs 
à  Hugues  le  Grand  dans  le  comté  du  Vexin.  Peut-être  le 
premier  n'a-t-il  été  tout  d'abord  qu'un  vicomte  des  Rober- 
tiens.  Il  figure,  il  est  vrai,  avec  le  titre  de  comte  dans  la 
souscription  d*une  charte  du  mois  de  mars  967*,  mais  il 
pouvait  s'agir  d'un  comitatus  différent.  Galeran  avait 
épousé  Eldegarde,  petite-fille  d'Herbert  II,  fllle  d'Eudes 
de  Vermandois  (f  peu  après  946)*,  veuve,  semble-t-il, 
de  Raoul  I  de  Valois,  qui  apparaît,  vers  949,  dans  un  récit 
de  la  translation  du  corps  de  saint  Arnoul. 

Nous  sommes,  en  effet,  ici  en  présence  de  deux  hypo- 
thèses également  plausibles.  Ou  bien  Gautier  I,  comte  du 
Vexin,  successeur  de  Galeran,  était  son  fils  ;  dans  ce  cas, 
il  est  ilislinct  de  Gautier,  fils  de  Raoul  I  de  Valois*  et  Ton 

*  SiJprer.  éd,  Lee.  de  la  Marche,  p.  116.  Diplôme  de  Louis  VI  de 
1124  ;Liicliaire,  Annules,  n.  3i8). 

*  «  Sif^Mumi  Walaramni  comilis  d  (charte  de  Sainl-Julien-de-Tours, 
Dibl.  Éc.  (les  charteSy  t.  47,  p.  229). 

'  Ils  se  marièrent  selon  la  loi  saliqne,  comme  nous  Tapprend  une 
charte  d'Kldegarde  :  «<  Alodum  juris  mei,  tjuem  senior  mous  ;Wale- 
rannus)  sccundnm  leyem  salicam  et  aecunclum  co7isuetudinem  qwi  viri 
proprias  uxores  dotant^  michi  in  propriam  concessit  »  [Cart.  de  Saint- 
Pure  de  Chartres^  I,  p.  88). 

*  Ce  Gautier  figure,  vers  095,  cumme  comte  de  Valois,  dans  une 
charte  publi<'^e  par  Mahillou  'Annales  ord.  S.  Bcned,  IV,  app.  p.  690], 
que  mon  savant  ami  M.Longnon  a  bien  voulu  me  signaler  et  qui  doit 
être  la  même  q4ie  le  texte  du  Cartulaire  de  Saint-Crépin  de  Soissons 


LE   PRINCIPAT   DU   VEXIN   ET   DU   VALOIS.  327 

ne  voit  plus  à  quel  moment  le  Vexin  et  le  Valois  ont  pu 
être,  avant  la  mort  de  Gautier  III,  réunis  dans  la  même 
main*.  Ou  bien  Gautier  I  n'était  que  beau-fils  de  Galeran*, 
qui  serait  mort  sans  enfants  et  auquel  il  aurait  succédé. 

En  tout  cas,  Gauthier  I,  comte  du  Vexin,  a  succédé 
dans  le  comté  d'Amiens  aux  anciens  comtes  Ermenfroi  et 
Gozbert%  et  peut-être  a-t-il  acquis  Dreux  par  mariage*. 
II  était  avoué  de  Saint-Denis;  son  fils  Gauthier  II  le  fut 
en  plus  de  Saint-Germedn-des-Prés  et  de  Jumièges,  et  du 
chef  de  sa  femme  devint  comte  d'une  partie  de  Senlis. 

A  la  mort  de  Gautier  II  (vers  1027)  un  partage  fut 
opéré  entre  ses  fils.  L'un  d'eux,  Drogon,  ou  Dreu,  devint 
comte  du  Vexin  et  comte  d'Amiens,  il  obtint  la  partie  du 
comitatus  de  Senlis  qui  procédait  de  sa  mère.  Un  autre, 
Raoul  II,  eut  le  comté  de  Valois,  si  l'on  s'en  tient  à  la 
seconde  des  hypothèses  que  j'ai  relatées,  le  troisième, 
Foulque,  reçut  févêché  d'Amiens.  Drogon  et  Raoul  II 
furent  parmi  les  plus  puissants  seigneurs  de  la  Fran- 
cie.  Ce  dernier  jouit   d'un  grand    crédit  à  la  cour  de 

auquel  M.  Depoin  {Gart.  de  Saint-Martin  de  Pantoise,  p.  245,  noté  7) 
fait  allusion.  C'est  une  restitution  à  Saint-Crépin  par  Gautier  et  sea 
deux  fils,  Raoul  et  Gautier,  de  terres  du  comté  de  Valois  usurpées  par 
son  père  Raoul  :  «  terras  que  sunt  in  comitatu  Vadense,  quasque 
geoitor  meus  Rodulfus  praed.  sanctis  injuste  abstulit  ». 

*  M.  Longnon  incline  en  ce  sens. 

^  C'est  l'opinion  de  M.  Depoin,  loc,  cit, 

^  Voyez  charte  de  987  :  «  ipsorum  haîres  et  successor  »  (Levillain^ 
Chartes  de  Corbie^  Paris  1902,  p.  305-6).  Gautier  a  pour  fils  Gui, 
évêque  de  Soissons,  Gautier,  Raoul,  Geofroi  et  Foulque  (Cf.  ibid., 
p.  303-306).  Il  signa,  en  qualité  de  comte  d'Amiens,  avec  ses  trois. 
fils,  Gautier,  Raoul  et  Geofroi,  un  diplôme  de  Hugues  Capet  (988)  en 
faveur  de  Corbie  (H.  F.  X,  553).  L  Art  de  vérifier  les  dates  indique 
comme  fils  du  comte  du  Vexin,  Gautier  I  :  Gui,  Gautier,  Raoul  et 
Godefroi  (II,  p.  682). 

*  Il  aurait  épousé  en  ce  cas  Eve,  fille  et  héritière  de  Landri,  comte 
de  Dreux,  et  serait  devenu  «  cornes  Dorcassini  comitatus  »  (965, 
Car  t.  de  Saint-Père  de  Chartres,  I,  p.  55-56)  ;  mais  il  peut  s'agir  d'un 
autre  Gauthier. 


528  LIVRE   IV.  —   CHAPITRE   III. 

Robert  II,  et  quant  à  Drogon,  sous  lequel  dous  rançon- 
troQs  uQ  vicomte  du  Vexin^,  Use  pare  du  titre  pompeux  de 
«  niilH  solummodo  Dominorum  creatoris  cornes*  n.  Il  n'en 
est  pas  moins  le  vassal,  le  Gdèle,  du  roi  de  France,  qui 
rappelle  noster  cornes^  et  nous  apprend  que  Drogon  avait 
mis  sous  le  couvert  d*uD  bénéfice  royal  des  usurpations 
commises  contre  Saint-Germain-des-Prés,  dont  il  était 
Tavoué^  S'il  faut  en  croire  Orderic  Vital,  cette  vassalité 
directe  se  serait,  peu  de  temps  après  (1032),  changée  en 
une  arrière-vassalité.  Henri  I",  en  reconnaissance  du  se- 
cours que  Robert  de  Normandie  lui  avait  fourni  contre  la 
reine  Constance,  aurait  cédé  à  ce  duc  le  Vexin  français,  i 
titre  (le  bénéfice^  et  Drogon  aurait  consenti  à  lui  en  faire 
hommage*. 

Ce  fait,  qui  a  été  admis  par  tous  les  historiens  comme 

*  L'abbaye  de  Saint-Père  de  Chartres  le  fit  renoncer  à  la  vicairie 
qu'il  revendiquait  sur  une  de  ses  terres,  comme  l'ayant  obtenue  en 
béniMico  de  son  seigneur  le  comte  Drogon  :  «  Notum  esse  voie...  de 
Hu^^uno  vicecomite  Vilcasini.  Vendicaverat  enim  sibi  violenter  idem 
vicecomes  vicariam  quandam  in  terra  S^  Pétri...  gurpivit  eam...  cum 
voluntate  et  jussu  senioris  sui  comitis  Droconis,  de  cujus  bénéficie  se 
eam  fat('batur  tenere  »  {Cart,  Saint-Père  de  Chartres,  l,  p.  175,  ar. 
103 1). 

'^  Art  de  vérifier  les  dates,  II,  p.  683. —  Vo\ez  au'jsi  rintituié  :  «  E^ 
Dro^^o,  nutu  super  ni  reyis  cornes  patriœ  Ambianensis  »  (1030,  Mabil- 
lon,  SB.  III,  2,  p.  624). 

^  a  (juldam  noster  cornes,  Drogo  nomine,  sub  advocationis  jure 
quasdam  terras  de  abbatia  S.  V.  et  S.  Germ.  tenebat  in  benefîcio... 
ad  (]Uiis  pater  et  antccessores  sui  addiderant  multas  et  injustas  con- 
suetudincs  in  villa  <;ua)  dicitur  Domni  Martini  cum  omnibus  sibi  adjac. 
terris  et  mansilibus...  quarum  terrarum  injuriosas  exactiones  nostri 
bonolicii  tuebatur  auctoritate  et  occasions  »  (Bouillart,  Hist.  de  Saint- 
Gennain-des-PrcSf  Preuves,  p.  XXIV.  —  Dipl.  de  Roberl  II,  1030- 
1031). 

*  "  Henricus  autem,  in  regno  confîrmalus,  Roberto  duci  gratias  agit, 
ei(|ue  pro  beneficio  suo  tolum  Vulcassinum  a  fluvio  Isara  usque  ad 
Eptani  donavil.  Hoc  nimirum  Drogo,  ejusdem  pro vinciae  cornes,  iiben- 
tissime  concessil,  hominioque  facto,  dum  vixit,  prsefato  duci  fideliter 
servi  vit  »  i  Orderic  Vital,  III,  p.  22  i). 


LE   PRINOIPAT   DU   VEXIN    BT   DU   VALOIS.  529 

constant,  dans  les  termes  où  Orderic  Vilal  le  rapporte,  et 
encore  qu'il  ne  soit  relaté  par  nul  document  contemporain, 
me  paraît  présenté  sous  un  jour  trop  avantageux  aux  inté- 
rêts des  ducs  de  Normandie,  que  le  chroniqueur  voulait 
servir.  Gomment  Henri  I"  aurait-il  pu  céder  un  fief  qui  ne 
lui  appartenait  pas?  Ne  savons-nous  pas  que  le  comté  du 
Vexin  était  un  fief  de  l'abbaye  de  Saint-Denis  et  que  le  jour 
où  le  roi  acquit  le  comté  (1076)  il  devint  lui-même  le  vassal 
de  Tabbaye? 

D'autre  part,  il  semble  certain  que  Drogon  était  déjà, 
bien  avant  1032,  l'homme  du  duc  de  Normandie,  en  même 
temps  qu'il  était  le  fidèle  lige  du  roi  de  France.  Cela  résulte 
de  sa  présence  très  fréquente  à  la  cour  des  ducs,  du  ma- 
riage qu'il  y  contracte  avec  Edith,  sœur  d'Édoufiu:'d  le  Con- 
fesseur, des  chartes  qu'il  y  souscrit,  et  spécialement  d'une 
charte  de  1031,  rédigée  du  vivant  du  roi  Robert.  Drogon 
y  reconnaît  qu'il  n'a  pas  seulement  un  dominuSy  mais  des 
domini\  La  charte  est  confirmée  par  le  roi  de  France 
Henri  et  souscrite  par  le  duc  de  Normandie*. 

Dans  quel  sens  devons-nous  donc  interpréter  le  passage 
d'Orderic  Vital?  A  mes  yeux,  Drogon  ne  possédait  pas  le 
Vexin  comme  un  bénéfice  ou  un  fief  du  roi  de  France, 
mais  en  qualité  de  bénéficier  de  Saint-Denis.  Il  était  en 
même  temps  l'homme  lige  naturel  du  roi,  puisque  le  Vexin 
auquel  il  commandait  était  partie  intégrante  de  la  Francie. 
Henri  I  renonça  à  cette  foi  lige  naturelle,  il  détacha  le  Vexin 
français  de  la  Francia  pour  Punir  au  Vexin  normand.  Dro- 
gon continuait  donc  à  le  tenir  à  titre  de  bénéfice  de  l'ab- 
baye, mais  le  roi  n'avait  plus  sur  lui,  de  même  que  sur  le 

*  «  Volo  nolum  esse  tam  dominis  meis  quam  fidelibus  sociis  et 
haeredibas  »  (1030-i,  Mabillon,  S.  B.  III,  2,  p.  624). 

*  «  Ego  Henricus  gratia  Dei  Francorum  rex  hanc  chartam  a  bealœ 
memoriae  paire  meo  Rotberto  confîrmatam  regia  auctoritate  simililer 
confinno,  laudo  et  slabilio.  S.  Rotberti  Northmannorum  Ducis  »  [Ibid,, 
p.  625). 

F.  —  Tome  III.  34 


330  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   UI. 

reste  de  la  Normandie,  qa  un  droit  de  suprématie.  Le  duc 
devenait  le  seigneur  lige  naturel  du  comte*. 

On  comprend,  dès  lors,  les  protestations  que  firent  en- 
tendre les  Français  et  le  retentissement  qu'elles  ont  eu. 
Leur  écho  se  répercute  dans  Wace*,  plus  tard  dans  la 
chronique  de  Normandie'.  On  s'explique  aussi  qu'un  tel 
changement  de  patria,  qui  entraînait  un  changement 
de  coutume  \  eût  peine  à  durer.  Drogon,  sans  doute,  resta 
le  fidèle  vassal,  devint  même  l'intime  ami,  inséparable 
jusque  dans  la  mort,  de  Robert  de  Normandie,  qu'il  ac- 
compagna en  Palestine,  mais  son  fils  Gautier  HI  (1035- 
1063)  se  replaça  sous  la  souveraineté,  dans  la  fidélité  lige 
de  Henri  I,  et  combattit  Guillaume  le  B&tard.  Mis  en  goût, 
il  voulut  même  tenter  l'inverse  de  ce  qu'Henri  I  avait 
fait,  du  vivant  de  son  père,  il  voulut  distraire  le  Vexin 
normand  de  la  Normandie  et  le  réunir  à  la  Francie  en 
l'annexant  à  ses  États.  Il  n*y  réussit  pas.  Guillaume  le  fit 
périr  avec  sa  femme  Biote,  du  chef  de  laquelle  il  revendi- 

1  11  est  tout  à  fait  inexact  de  traduire  «  pro  suo  bénéficie  »  par  «  à 
tilro  de  bénéfice  ou  de  fief  ».  Que  raconte,  en  effet,  le  chroniqueur T 
Henri,  rentre  en  possession  de  son  royaume  par  Taide  du  duc  Robot, 
Vcn  remercie  et  en  échange  du  service  rendu  lui  cède  tout  le  Vexin 
entre  l'Oise  et  l'Kpte,  «  Roberto  duci  gratias  egit^  eique  pro  benefido 
suo  totum  Vulcassinum  donavit  »>.  C'est  exactement  ce  que  dit  Wacc  : 

«  Pur  l'onur  e  pur  le  servise 
Qu'il  H  oui  fait  de  mainte  guise. 
Ad  fait  li  reis,  al  départir, 
Robert  de  Vegueisin  saisir  » 

[Homan  de  Rou,  3"  partie,  v.  2587  et  s.,  éd.  Andresen,  II,  p.  133). 

-î  «  Dunt  Franceis  orent  grant  envie  »  {IbidL,  p.  134). 

■^  u  Dont  François  eurent  moult  grant  desplaisir  »  (H.  F.,  XI, 
32'*  B). 

*  Voyez  ce  qu'un  choniqueur  rapporte  quand  le  Gâtinaîs  fut,  en 
lOCO,  détaché  de  l'Anjou  et  cédé  par  Foulque  Rcchin  à  Philippe  I  : 
«  Wastinense.  sicut  promiserat,  régi  werpivit.  Rex  autem  juravit  se 
servaturum  consuetudinem  terrœ  illius;  aliter  enim  nolebant  mî- 
lites  facere  ei  hominia  sua  »  (Excerptum  historicum^  H.  F.,  XI,  <58 
A-B). 


LE   PRINCIPAT   DU   VEXIN   ET  DU   VALOIS.  331 

quait  le  Maine.  Sa  tentative  n'en  présente  pas  moins  un 
grand  intérêt  historique.  Nous  verrons  que  les  rois  de 
France,  de  leur  côté,  firent  plus  que  de  ressaisir  la  sou- 
veraineté sur  le  Vexin  français,  ils  parvinrent  en  1076  à 
l'incorporera  leur  domaine. 

Gautier  III  étant  mort  sans  postérité,  la  presque  totalité 
de  son  héritage  fut  accaparée  par  son  neveu  ou  son  cousin 
germain  Raoul  III,  comte  de  Valois,  qui  réunit  en  sa  main 
toutes  les  possessions  de  la  maison,  accrues  depuis  le  temps 
de  Gautier  II.  Dans  le  comté  de  Valois  il  n'avait  dû  aban- 
donner à  son  frère  Thibaut  que  quelques  terres  et  une  par- 
lie  du  château  de  Crépi,  que  celui-ci  tint  de  lui  à  pariage, 
et  sa  femme  Adèle  lui  avait  apporté  en  dot  Vitri  et  Bar- 
sur-Aube.  Il  y  ajouta  de  force*  le  comté  de  Montdidier,  de 
même  qu'il  s'empara  de  Péronne  sur  le  comte  de  Verman- 
dois.  Quand,  après  1063,  il  se  trouva  mis  en  possession  de 
l'héritage  de  Gautier  III,  l'étendue  de  son  pouvoir  et  de  ses 
ressources  lui  permettait  toutes  les  ambitions.  Dès  1060, 
on  voit  dans  une  charte  royale  son  nom  figurer  avant  celui 
des  grands  officiers  de  la  couronne',  et  n'avait-il  pas,  en 
1062,  au  grand  déplaisir  de  Philippe  I,  épousé  la  mère  du 
roi,  Anne  de  Russie,  veuve  d'Henri  P? 

Quelle  puissance  redoutable  se  constituait  ainsi  au  cœur 
même  de  la  Francie  en  face  de  la  royauté  capétienne! 
Celle-ci  parviendrait-elle  à  la  briser,  à  l'évincer,  ou  devait- 
elle  succomber  dans  la  lutte,  comme,  aux*  siècle,  les  derniers 
Carolingiens?  Le  rattachement  môme  du  Vexin  à  la  Nor- 
mandie, où  la  maison  de  Valois  trouvait  un  point  d'appui, 
n'ajoutait-il  pas  encore  au  danger?  Une  solution  imprévue 
fut  donnée  à  ce  grave  problème.  Ce  ne  fut  pas  par  la  force, 
ce  fut  volontairement,  par  dévotion,  par  piété,  que  le  fais- 

*  Voyez  p.  533. 

2  Fondation  du  prieuré  de  Sainl-Martin-des-Champs,  1060,  Las- 
teyrie,  Cart.  gén,  de  Paris,  I,  p.  124. 

3  Cf.  Gaix  de  Saint-Aymour,  Anne  de  Russie ^  Paris,  1896. 


332  LIVRE   IV.    —   CHIPITRE   III. 

ceau  se  rompit  et  que  la  royauté,  par  une  boQue  fortune 
inespérée,  s'agrandit  là  mêtne  où  elle  était  le  plus  menacée 
de  tout  perdre. 

Le  fils  de  Raoul  le  Grand,  Simon  de  Crépy  ou  de  Valois, 
auquel  son  biographe  contemporain  donne  le  titre  de  pri- 
mipilus  régis  Francorum\  et  qu'il  répute  le  plus  riche 
après  le  roi,  dans  toute  la  région  (Francie)  *,  avait  élé  élevé, 
nourri^  à  la  cour  de  Guillaume  le  Conquérant,  qui  deve- 
nait par  là  doublement  son  lige  seigneur  et  qui  lui  offrit 
plus  tard  sa  fille  et  son  alliance  '.  Il  succéda  jeune  à  son  père 
(1072),  et  se  vit  exposé  aussitôt  aux  attaques  de  Philippe  L 
Une  latte  acharnée  s'engagea  où  la  victoire  resta  à  Simon 
de  Crépy,  puis  soudain,  en  1076  ou  1077,  après  avoir, 
comme  saint  Alexis,  passé  sa  nuit  de  noces  à  prêcher  la 
chasteté  à  sa  jeune  et  belle  épouse,  Judith,  fille  du  comte 
d'Auvergne,  il  se  fait  moine  à  Saint-Claude  et  entraîne,  par 
son  exemple,  de  nombreux  seigneurs  à  quitter  le  monde. 

C'était  un  nouvel  eiïondrement  de  la  puissance  seigneu- 

*  ((  Consul  primum,  et  régis  Francorum  primipilus  »  (Vita  B,  Si- 
monis,  cap.  2.  Mabillon,  S.  B.  VI,  2,  p.  375).  Ce  titre,  emprunté  comnifi 
tant  d'autres  k  Tantiquité  romaine,  est  évidemment  détourné  de  son 
sens  originaire.  Mais  que  veut-il  dire?  M.  Luchaire,  qui  cite  le  pas- 
sage d'après  un  chroniqueur  postérieur,  Âubri  des  Fontaines,  traduit 
primipilus  par  sénéchal  ou  dapifer  (I,  p.  175).  Pourtant,  ni  Simon 
de  Crépy,  ni  son  père  Raoul  ne  figurent  en  cette  qualité  dans  aucun 
acte  à  ma  connaissance,  et  je  ne  les  retrouve  pas  non  plus  dans  la  lista 
des  sénéchaux  dressée  par  Ducange  (v^  SenescalcuSf  p.  179).  Je  croi- 
rais volontiers  que  Thagiographe  a  pris  le  mot  primipilus  dans  le  sens 
de  signifcr  ou  vexillarius  (le  vexiliariuSf  en  effet,  comptait  parmi  les 
principales  de  Tarmée  romaine)  et  qu'il  fait  allusion  à  la  charge  des 
comtes  du  Vexin  de  porter  l'oriflamme  de  Saint-Denis. 

'^  M  Paene  post  regem,  in  Iota  regione,  nuUus  ditior,  nec  rébus  opu- 
lentiur  videretur  «  (Vita  B.  Simonis,  cap.  8,  p.  378).  —  La  chronique 
de  Bèze  l'appelle  «  cornes  Francorum  nobilissimus  a  (Analecta  D^., 
p.  381). 

3  «  Nutrimentum  mcum,quod  in  te  est  augmentare  cupiens...  tibieam 
(filiîim)  tradens  in  uxorem,  te  elegi,  te  hereditatis  me»  filium  adop- 
tavi  :  ...  amici  mei  tui  erunt,etinimici  similiter  »(/&t(f.,cap.  7,  p.377).. 


LE   PRINCIPAT   DU   VEXIN  ET   DU   VALOIS.  533 

riale.  L'imagination  populaire  en  fut  aussi  vivement  frappée 
que  de  la  chute  d*Eudes  de  Blois.  Le  spectacle  était  autre, 
sa  grandeur  n'était  pas  moindre.  Écoutez  les  contemporains. 
—  Simon,  nous  disent-ils,  inquiet  pour  le  repos  de  Tâme  de 
son  père,  dont  le  corps  reposait  dans  une  terre  usurpée,  le 
fit  exhumer.  Mais  quand  il  vit,  dans  le  sépulcre  ouvert, 
ce  qu'avait  fait  la  mort  d'un  prince  si  puissant  et  si  redouté *, 
le  néant  de  la  chair  le  terrifia*.  Il  résolut  de  renoncer  au 
siècle.  —  Le  fait  de  la  translation  nous  est  attesté  par 
Simon  lui-même,  qui,  dans  une  charte  de  1077,  nous 
apprend  qu'elle  eut  lieu  de  Montdidier  à  Crépy,  trois  ans 
après  la  mort  du  comte  RaouP.  Pour  le  surplus,  la  tra- 
dition fût-elle  purement  légendaire*,  la  légende  serait  du 
moins  un  émouvant  symbole.  A  l'image  du  corps  de  Raoul, 
dissous  par  la  mort  naturelle,  sa  puissance  princière  nV 
t-elle  pas  été  désagrégée  par  la  mort  civile  de  son  fils? 

Le  groupe  vexinois  et  valésien  se  disloque,  en  effet. 
Philippe  I  se  met  en  possession  du  Vexin,  le  réunit  au 

*  «  Es-ce  donc  mes  pères  qui  tant  chastiax  broi? 

Ja  n'avoit-ii  en  France  nuz  prince  si  hardi 
Qui  osast  vers  li  fère  une  guerre  ne  estri  », 

dira  au  xiii«  siècle  Thibaud  de  Mailli  {Hist.  litt.  de  la  France,  XVIII, 
p.  826). 

2  C'est  le  bruit  populaire  que  Guibert  de  Nogent  a  rapporté  :  «  Cau- 
sam  maturatœ  conversionis  hanc  aliqui  fuisse  ferurU,  In  quodam  op- 
pido  quod  sibi  usurpatione  potius  quam  hœreditate  provenerat  ejus- 
dem  patris  reliquiœ  conditae  fuerant.  Quod  filius,  verens  ne  animae 
patris  officeret,  ad  illud  quod  sibi  ex  jure  constiterat,  déferre  propo- 
suit  :  quo  ante  delationem  detecto,  et  sub  oculis  fîlii  ad  nudum  reve- 
iato,  cum  potentissimi  genitoris,  quondamque  ferocissimi  tabidum 
attendisset  corpus,  ad  contemplationem  miserœ  conditionis  se  contu- 
lit  «  (Guibert  de  Nogent,  De  vita  sud^  I,  cap.  10.  Migne,  156,  852-3). 

3  «  R.  patrem  meum  de  Monte-Desiderio,  jam  per  très  annos  post 
sui  dissolutionem  corporis  ibi  jacentem,  asportare  feci,  et  ecclesiae 
S.  Arnulfî...  in  castello  Crespeïaci...  reddidi  »  (1077,  charte  publiée  par 
Mabillon,  S.  B.  VI,  2,  p.  372). 

*  Dans  la  charte  précitée,  Simon  dit  pourtant  lui-même  :  «  Prœ- 
sentis  vitae  dies  nihil  esse  conspiciens  ». 


534  LIVRE   IV.    —    CHAPITRE   IH. 

domaine  de  la  couronne,  par  force  beaucoup  plus  que 
par  droite  11  acquiert  ainsi  pour  lui  et  ses  successeurs 
Tavouerie  de  Saint-Denis  et  la  charge  d'en  porter  rori- 
flamme'. 

Le  comté  d'Amiens  paraît  avoir  été  déchiqueté  arbitrai- 
rement ou  violemment  entre  Enguerrand  de  Boves  et  les 
seigneurs  Gui  et  [ves,  sans  qu'on  sache  à  quel  titre*. 

Le  comté  de  Bar-sur-Aube  fut  revendiqué  par  le  comte 
de  Blois,  Étienne-Henri.  Son  père  Thibaut  III  de  Cham- 
pagne avait  épousé  en  secondes  noces  Alix,  sœur  de  Raoul 
le  Grand  ;  mais  comme  il  était  né  de  la  première  femme 
de  Thibaut,  Gersende  du  Mans,  il  ne  se  trouvait  qu'eD 
apparence  cousin  germain  de  Simon. 

Le  comté  de  Valois  seul  fut  hérité  légalement.  Il  passa 
à  Adèle,  sœur  de  Simon,  mariée  à  Herbert  IV  de  Verman- 
dois.  La  maison  de  Vermandois  rentrait  donc  en  possession 
du  Valois.  Ce  pouvait  être  un  danger  nouveau,  une  riva- 
lité redoutable  pour  la  royauté  capétienne,  si  précaire  et 
si  faible  encore.  Une  autre  succession  féminine  et  un  ma- 
riage heureux  le  conjurèrent.  Les  comtés  de  Vermandois 
et  de  Valois  furent,  par  exclusion  d'un  enfant  mâle  déclaré 
incapable*,  attribués  à  la  fille  d'Adèle  et  d'Herbert  IV, 


^  «  Malitia  crescente,  concupiscentia  tnvaleseente,  rex  Vilcassînum 
occupavit,  8U0  illud  adjungens  dominio  »  (Rveerpt.  histor,^  H.  F.,  XI» 
1R8  B). 

^  Voyez  suprà,  p.  320-t. 

'  Ducange  (Histoire  (V Amiens,  Amiens,  4840,  p.  234)  a  émis  Vhy- 
pothèse,  acceptée  sans  référence  et  sans  preuve  par  Augustin  Thierry 
(^fon^^ments  du  Tiers  État,  I,  p.  21),  que  Gui  et  Ives  étaient  fils  de 
Raoul,  issus  de  son  mariage  avec  Anne  de  Russie.  Rs  auraient  donc 
été  les  frères  utérins  du  roi  Philippe  l. 

♦  D'après  les  auteurs  do  VArt  de  vérifier  les  dates  (II,  p.  705),  qui 
ne  citent  pas  leur  source,  le  fils  d'Herbert  de  Vermandois  et  d'Adèle 
de  Valois,  «  Kudes,  dit  Tlnsensé,  fut  deshérité  à  la  demande  des  ba- 
rons». C'est  de  lui,  ajoutent-ils,  que  descendent  les  anciens  seigneurs* 
de  Saint-Simon. 


LE   PRINCIPAT  DU   VEXIN   ET   DU   VALOIS.  535 

Adélaïde  ou  Adèle,  qui  avait  épousé  Hugues  le  Grand, 
fils  de  Henri  I*. 

La  ceinture  formée  par  les  seigneuries  ecclésiastiques 
se  doublait  de  la  sorte  et  se  complétait  d'une  puissante 
seigneurie  laïque  aux  mains  d'une  branche  de  la  famille 
capétienne.  Elle  faisait  front  à  la  Flandre,  tandis  que  du  côté 
de  rOuest  le  Vexin  couvrait  la  frontière  de  Normandie.  Et 
ainsi,  par  la  retraite  du  monde  de  Simon  de  Crépy,  la  sou- 
veraineté du  roi  sur  la  Francie  devint  singulièrement  plus 
solide  et  plus  compacte.  Le  principat  s'aËFaiblit  d'autant. 

*  a  Hugo  factus  juvenis  uxorem  duxil  fîliam  Herberti  Comitis  Ver- 
mandensis,  natam  ex  filia  Rodulphi  Comïiis  ;  per  quam  obtinuit  comU 
tatus  duos  Vermandensem  et  Vadensem  »  (Hugues  de  Fleury,  C/irom- 
que,  H.  F.  XI,  159  D). 


537 


CHAPITRE  IV 


LE   PRINCIPAT    DE  L  ANJOU   ET   DU   MAINE. 


L'Anjou  est  l'avant-poste  du  royaume  au  regard  de  la 
Normandie,  de  la  Bretagne  et  de  l'Aquitaine.  Il  est  resté 
une  véritable  marche,  étroitement  lié  à  la  Francie  par  ses 
chefs  Robertiens.  Sa  population  est  assise  solidement  sur 
les  deux  rives  de  la  Loire,  appuyée  à  Angers  et,  depuis 
1025,  au  moins,  à  Saumur.  Elle  a  gardé  son  unité  ethnique 
et,  par  le  grand  nombre  de  ses  places  fortes  (castra),  sa 
cohésion  territoriale.  Elle  participe  de  la  culture  du  Midi 
et  de  l'énergie  ou  de  la  rudesse  des  hommes  du  Nord.  Les 
luttes  auxquelles  l'expose  sa  position  avancée  ou  interca- 
laire développent  ses  vertus  guerrières. 

Robert  le  Fort,  d'abord  missus  dominicus  dans  l'Anjou 
et  la  Touraine,  le  Maine  et  l'Hiémois,  avec  Osbert*  et  l'évo- 
que d'Angers  Dodon^,  avait  été  nommé  par  Charles  le 
Chauve  comte  angevin,  Andegavensis  cornes^,  investi  de 
tout  le  commandement  militaire  d'entre  Seine  et  Loire,  du 
ducatus  inter  Sequanam  et  Ligerim*.  Hugues  l'Abbé  suc- 
céda à  ces  pouvoirs*  et,  après  lui,  ils  revinrent  à  Eudes, 

»  CapituL  Silv.  (853),  LL.  II,  p.  276. 

^  C'est  peut-être  la  base  historique  de  la  légende  qui  fait  de  saint 
Lezin,  évèque  d'Angers,  un  comte  des  Angevins,  nommé  par  le  roi 
Clotaire  (Vie  de  saint  Lezin^  Migne,  471, 1496). 

'  '<  Robertus,  Andegavensis  cornes,  ...  oui  per  id  locorum  a  rage 
summa  rerum  delegata  fuerat  »  (Miracles  de  saint  Benoit,  II,  4, 
p.  93). 

^  «  Rodberto  comiti  ducatum  inter  Ligerim  adversus  Brittones 
commendavit  »  (Reginon,  ad  an.  961,  p.  79). 

^  «  Hugoni  clerico...  comitatum  Turonicum  et  comitatum  Andega- 


538  LIVRE   IV.    —    CHAPITRE   IV. 

Bis  de  Robert*.  Quand  Eudes  fut  devenu  roi  et  son  frère 
Robert  diix  Francomm,  le  comitatus  se  confondit  avec  le 
pouvoir  royal  ou  le  pouvoir  ducal.  Nous  voyons  apparaître 
des  vicomtes  à  la  tête  des  Angevins  comme  nous  en  avons 
vu  apparaître,  dans  le  même  temps,  à  la  tête  des  Touran- 
geaux et  des  Blésois.  A  côté  d'Adrad,  vicomte  deTours  (890), 
de  Guernegaud,  vicomte  de  Blois(890),  se  place,  entre  886 
et  898,  Foulque  le  Roux,  vicomte  d'Angers*.  Dès  909,  il 
commence  à  se  qualifier  comte,  mais  ce  titre  ne  lui  semble 
acquis  que  vers  930'.  Dans  l'intervalle ,  il  avait  repris  le 
simple  litre  de  vicomte*. 

Les  comtes  d'Anjou  tenaient  donc  leur  pouvoir  des  Ro- 
bertiens  :  on  les  trouve  sans  cesse,  au  x*  siècle,  dans 
leur  entourage  immédiat.  Ils  durent  louvoyer  néanmoins 
entre  eux  et  les  Carolingiens.  Geoffroi  Grisegonelle  (960- 
987)  fut,  nous  dit-on,  avant  tout  fidèle  à  Lothaire*,  dont, 
selon  la  tradition,  il  aurait  été  gonfalonier';  mais  ses  rap- 
ports avec  Hugues  Capet  n'en  étaient  pas  moins  étroits.  Il 
l'avouait  pour  son  seigneur  et  la  source  directe  de  son  au- 
torité ^ 

S'ils  cherchaient  par  là  à  s'étendre  dans  la  Francie, 
du  côté  de  la  Touraine  notamment,  les  comtes  angevins 
s'efforcèrent  de  même,  avec   succès,  à  prendre  pied  en 

vensem...  donat  eumque  in  Neustriam  loco  Rotberti  dirigit  »  (Anna- 
les  de  Saint-Bertin,  ad  an.  866,  p.  160-464). 

*  Ci.  Annales  de  Saint- Vaast,  ad  an.  886,  p.  327.  Eudes  eut  mAme, 
comme  Hugues  l'Abbë,  le  ducatus  regni  {suprà,  p.  486). 

•^  886  ou  887  (Favre,  p.  74)  :  «  Signum  Fulconis  »  (Mabille,  ComU$ 
d'Anjou,  p.  Lix)  —  898  :  «  Signum  Fulconis  vice  comitis  »  (i6£d., 
p.  xciii). 

^  009  :  "  Signum  domni  Fulconis  Andecavorum  cornes  »  [ibid^ 
p.  xcviii),  929  :  «Ego  Fulco,  Andecavorum  cornes  »  (i6td.,  p.  ci). 

*  En  Oit  (ibid.,  p.  c)  et  924  {ibid,,  p.  lxii). 
^  Lot,  Les  derniers  Caroiingiens,  p.  472. 

®  Lot,  ibid.j  et  p.  101,  note  2;  suprà,  p.  202,  note  3. 
'  ('  Gratia  Dci  et  senioris  mei  domni  Hugonis  largitione  AndegaTO- 
rum  cornes  »  (Mabille,  p.  lxix). 


LE   PRINCIPAT  DE  L*ANJOU  ET  DU  MAINE.  539 

Aquitaine,  dans  le  Poitou,  la  Saintonge  et  le  Berry.  Ils 
y  avaient  des  domaines  assez  considérables  dès  le  milieu 
du  X*  siècle \  mais  les  origines  et  le  caractère  de  leur  do- 
mination proprement  dite  sont  assez  obscurs. 

Dans  le  Berry,  où  ils  furent  mattres  de  Chfttillon-siir- 
lodre,  de  Ruzançais,  de  Villantrois*,  et  rayonnèrent  môme^ 
au  XI*  siècle,  jusqu'à  Grançay*,  les  historiens  font  remonter 
leurs  droits  jusqu'à  des  acquisitions  qu'auraient  faites,  par 
mariage,  Foulque  le  Roux  et  son  père  Ingelger  (îx*  et 
X*  siècles)  4.  L'asseKion  ne  se  fonde  que  sur  le  récit,  en 
grande  paKie  controuvé  ou  légendaire,  des  Gesia  conm* 
lum  Andegavorum. 

Dans  le  Poitou,  les  chroniques  ne  sont  d'accord  ni  sur 
les  circonstances  où  sont  nés  les  droits  du  comte  d'Anjou 
Qeoffroi  Grisegonelle  sur  Loudun*et  le  Loudunois',  ni,  par 
suite,  sur  la  nature  même  et  l'étendue  de  ces  droits.  A 
ce  dernier  point  de  vue,  qui  surtout  nous  importe,  elles 
se  prêtent  à  deux  interprétations,  suivant  que  la  victoire 
a  été  réellement  de  l'un  ou  de  l'autre  c6té.  Ou  bien 
Geoffroi  possédait  antf^rieurement  déjà  Loudun,  mais  avait 
refusé  jusqu'à  ce  qu'il  y  fut  contraint  par  les  armes,  de 
reconnaître,  au  nom  de  la  population  loudunoise,  le 
duc  d'Aquitaine  pour  seigneur  lige  naturel  :  son  échec 
aurait  incorporé  le  Loudunois  à  l'Aquitaine.  On  bien  il 
s'empara  de  cette  région  de  vive  force,  mais  ne  contesta 
pas  la  seigneurie  lige  du  duc  d'Aquitaine  :  la  foi  lige  nato- 

*  Voyez  les  chartes  citdes  ou  mentionnées  par  Mabille,  p.  Lzviii  et 

p.  LXIX-LTX. 

'  Lonpnon,  Atlaa  Schrader,  carte  n»  21. 
^  Haynal,  lïiatoirc  du  Berry,  \,  p.  350. 

*  Cf.  I^aynal,  I,  p.  349. 

'  Cf.  Halphen,  Exsai  sur  l'authenticité  delà  ehroniqve  de  Foulque 
le  Hrrhin,  HiM.  (!•'  la  Fac.  des  lettres  de  Paris,  XIII,  p.  17-18.  — 
Ce  nVst  [>as  la  chronique  de  Saint-Maixent  quMl  fallait  opposer  à  la 
chroni.pi'  •!»•  Foulque  (Mabille.  p.  376),  car  elle  ne  fait  que  reproduire 
la  «hronique  d'Adémar  de  Chabannes,  III,  36,  p.  152. 


540  LIVRB   IV.   —   CHAPITRE   IV. 

relie  que,  malgré  sa  victoire,  il  lui  aurait  portée  par  un 
hommage  exprès,  aurait  servi  plus  tard  de  prétexte  aux 
chroniqueurs  méridionaux  pour  pallier  Téchec  des  Aqui- 
tains. 

Le  fait  certain  est  que  les  comtes  d'Anjou  eurent  désor- 
mais deux  seigneurs  liges  naturels  :  le  roi  de  France,  en  leur 
qualité  de  chefs  des  Angevins,  le  duc  d'Aquitaine,  à  titre  de 
représentants  des  populations  poitevines  et  berrichonnes 
auxquelles  ils  commandaient.  Cette  situation  se  retrouva  et 
s'accentua  encore  sous  Foulque  Nerra,  à  qui  Guillaume  le 
Grand  concéda  le  comitatusde  Saintes.  Foulquese  reconnut 
son  homme  *;  il  l'appelle  son  herus  dans  unelettre  qu'il  écrit 
au  roi  Robert,  mais  il  donne  au  roi  lui-même  le  titre  de 
suiis  dominus  et  l'assure  de  son  fidèle  service*.  Grand  bâ- 
tisseur de  châteaux  forts,  Foulque  Nerra  créa  l'ossature  de 
rÉtat  angevin  et  le  munit  en  même  temps  d'une  armure 
offensive  et  défensive  qui  en  fit  un  voisin  redoutable. 
Après  l'Aquitaine,  les  comtes  d*Anjou  purent  s'attaquer 
à  la  Bretagne  et  &  la  Normandie.  Ils  n'en  restaient  pas 
moins,  avant  tout,  des  comités  regum  Prancorum  ',  des 
principes  de  la  Francie.  C'est  dans  la  Francie,  en  s'y 
agrandissant,  qu'ils  érigèrent  leur  puissance.  Nous  les 
avons  vus  acquérir  le  comilatus  de  Tours,  quand  le  fils 
de  Foulque  Nerra,  GeoËFroi  Martel,  battit  à  Nouy,  près  de 
Saint-Martin  (10i4),  Thibaut  III  de  Blois  et  obtint  de  lui, 
en  échange  de  sa  liberté,  l'abandon  de  Tours,  Langeais  et 

*  «  Cumque  comilem  Andegavensem  Fulchonem  in  manibus  suis 
commendatum  haberel,  concesserat  ei  pro  benefîcio  Losdunum  cum 
aliis  nonnullis  castris  in  Pictavorum  solo,  Santonas  quoque  cum  qui- 
busdam  caslellis  »  (vers  1014)  (Ademar,  III,  41,  p.  164). 

2  Lettre  de  Foulque  au  roi  Robert  (vers  1022),  «  Domino  suo  régi 
Roberto  Fulco  Andegavorum  cornes  salutem  et  fidèle  servitium.  Guil- 
lelmus  Pictavorum  cornes,  herus  meusn  (Migne,  141,  938;. 

3  Cf.  charte  du  comte  d'Anjou,  Geoffroi  le  Barbu,  pour  Saint-Florent 
de  Saumur  :  «  In  nomine  Domini...  ego  Gaufridus,  ipsius  gratia,  non 
pauci  populi  sui  princeps  et  Francorum  régis  cornes  »  (1062,  coll.  D. 
Housseau,  H",  f»  102). 


LE    PRINCIPAT   DE    l'aNJOU   ET  DU   MAINE.  541 

Chinon*.  Nous  allons  les  voir  à  l'œuvre  dans  le  Maine. 

Les  péripéties  au  travers  desquelles  s'est  accomplie  la 
subordination  du  Maine  à  la  maison  d'Anjou  sont  impor- 
tantes à  suivre  dans  le  détail,  car  elles  mettent  en  vive 
lumière  la  base  ethnique,  le  groupement  de  populations 
congénères  sous  des  chefs  nationaux.  Elles  nous  montrent 
\sLpatria  attachée  fidèlement  à  des  gouvernants  tradition- 
nels, dont  les  sentiments  et  les  usages  s'accordent  avec  les 
siens,  tandis  que  le  pouvoir  d'un  dominateur  étranger  est 
pour  elle  un  joug  intolérable,  qu'elle  s'eËForce  sans  relâche 
de  le  secouer  ou  de  le  rejeter.  En  même  temps  assistons- 
nous  à  la  conjonction  de  deux  groupes  ethniques.  Le  groupe 
angevin  et  le  groupe  manceau  s'unissent  sous  l'autorité 
d'une  même  maison,  issue  de  Talliance  de  leurs  chefs  res- 
pectifs. 

A  raison  de  l'étendue  considérable  de  la  civiias  qu'il 
constituait,  puis  de  sa  situation  aux  frontières,  comme 
marche  de  la  Bretagne  {Britannicuslimes),delsi  Bretagne 
qui  n'avait  jamais  été  soumise,  à  raison  peut-être  aussi 
du  caractère  turbulent  de  ses  habitants,  lô  pays  manceau 
{pagus  cenomannicus)  ne  fut  passons  les  Carolingiens  ad- 
ministré par  un  simple  comte,  mais  par  un  chef  militaire, 
un  dux^.  Ce  ducatus  fut  même  retenu  aux  mains  de  la 

*  D'après  M.  Luchaire  [Kist,  de  France,  t.  II,  p.  64),  Henri  I  lui 
avait  par  avance  transféré  la  suzeraineté  de  la  Touraine,  tandis  que 
M.  d'Arbois  voudrait  que  cette  suzeraineté  eût  été  retenue  par  le 
comte  de  Blois  Thibaut.  Les  deux  points  de  vue  me  paraissent 
inexacts.  C'est  la  pleine  domination  [dominium)^  c'est  le  comitatus 
de  Tours  sous  l'autorité  immédiate  du  roi  de  France,  qu*a  acquis 
GeofTroi  Martel.  J'ai  montré  précédemment  {suprà,  p.  522-3)  que  les 
comtes  de  Blois  n'avaient  pas  retenu  la  suzeraineté,  et  les  récits  des 
chroniqueurs  prouvent  que  la  concession  royale  ne  s'y  était  pas  da- 
vantage bornée.  Tous  les  droits  de  la  maison  de  Blois  sur  Tours  de- 
vaient, en  cas  de  victoire,  passer  à  la  maison  d'Anjou  :  «  contigil, 
dit  Raoul  Glaber,  ut  rex,  ablato  ab  eisdem  dominio  Turomcx  urbis, 
daret  illud  Gozfredo  »  (V,  19,  p.  129)  (Cf.  Chron.  de  Verdun,  H.  F., 
XI,  14i  et  Chron,  de  Foulque  Rechin,  éd.  Mabille,  p.  378). 

2  II  y  avait  de  plus  alors  au  Mans  un  comte  particulier  qui  dépen- 


542  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  IV. 

famille  royale,  conQé  a  ses  membres.  Dès  749,  le  frère  de 
Pépin  le  Bref,  Griffon  en  est  investi*.  En  790,  c'est  Charles, 
le  fils  aîné  de  Charlemagne.  Confondu,  en  853,  dans  le 
missaticiim  de  Robert  le  Fort,  Drogon  et  Osbert,  il  repa- 
raît trois  ans  plus  tard,  comme  ducatus  cenomannicm^ 
attribué  par  Charles  le  Chauve  à  son  fils  Louis  le  Bègue*. 
Mais,  par  suite  du  jeune  âge  de  ce  prince,  il  dut  être  compris, 
en  fait,  dans  le  ducatus  inter  Sequanam  ei  Ligerim  de 
Lambert  (f  860),  auquel  Robert  le  Fort  succéda.  Probable- 
ment en  fut-il  détaché  de  nouveau  à  la  mort  de  Robert 
(866),  puisque  les  Annales  de  Saint-Bertin  ne  le  mention- 
nent pas,  à  côté  des  comtés  d*Angers  et  de  Tours,  comme 
transmis  à  Hugues  TAbbé,  et  puisque  nous  trouvons,  en 
883,  un  Ragnold  dux  cenomannicus*.  Celui-ci  est  qualifié 
par  Dudon  princeps  totius  Franciœ^, 

L'exagération  est  manifeste,  mais  elle  prouve  du  moÎDS 
que,  tout  en  étant  marche  de  Bretagne,  le  pays  manceaa 
faisait,  au  temps  de  Dudon,  partie  de  la  Prancie.  Ragnold 
ayant  péri,  avec  son  signifer  Roland*,  dans  un  combat 

dait  du  duc.  C'est  uu  fait  i^uord  que  mon  savant  collègue  M.  Lon- 
gnon  a  mis  en  lumière  dans  son  cours  du  Collège  de  France. 

*  «  Pippinus...  Gripponi  Cinomannicam  urbem  cum  XII  comitatîbus 
dédit  »  (\nnalcs  Mcttenscs,  H.  F.,  H,  689  C).  —  «c  GrifTonem,  mon 
ducum,  duodecim  comilalibus  donavit  »  (Eginhard,  éd.  Teulet,  I, 
p.  127).  GrifTon  fut  en  même  temps  comte  de  Paris.  M.  Longnon  a 
prouvé  que  son  véritable  nom  était  Gairefredus  et  qu*il  doit  être 
identifié  avec  le  a  Gairel'redus  Parisius  cornes  >»  qui  figure  dans  le 
diplôme  de  Pépin  du  8  juillet  753  (Longnon,  Polyptyque  de  SotiU- 
Gennain-flcs-Prcs^TA,  (Introd.),  p.  273. 

-  «  Karlus  rex,  cum  Rv>spogio  Britonum  paciscens,  fîiiam  ejus  filio 
su'j  Hiudowico  despondet,  dato  illi  ducatu  Cenomannico  usqueadviam 
quu)  a  Lotitia  Parisiorum  CiBsaredunum  Turonum  ducit  »  {Annales  de 
Saint-DeHin,  ad  an.  856,  p.  88). 

3  «  Contigît  ruere  Ragnoldum,  ducem  Cinomannicum  »  (Annales  de 
Saint'Vaast,  ad  an.  885,  p.  322,. 

*  Dudon,  If,  13,  p.  15*. 

^  «  Rotlandus,  signifer  Ragnoldi,  cum  acie  quam  prsibat  ezercî- 
luum,  violenter  per  aditum  miraî  prolixitatis  super  eos  irruil,  et  de- 


LE   PRINCIPAT   DE   l'aNJOU   ET   DU   MAINE.  543 

contre  les  pirates  normands,  son  ducatus  passa,  selon  toute 
vraisemblance,  à  Hugues  TAbbé,  puis  à  Eudes.  Après  Pavè- 
nement  de  ce  dernier  au  trône,  un  comte  Bérenger  tient 
un  plaid  au  Mans,  le  13  juin  892,  et  nous  apprend  lui-même 
qu'il  est  le  fidèle,  Vami  de  Robert  frère  du  roi*.  C'est 
Robert  certainement  aussi  qui,  après  s'être  emparé  du 
Mans  en  904,  en  concéda  le  comitatus  au  comte  Gauzlin 
(905-91 4)  ^  Son  fils  Hugues  le  Grand  se  fait  donner  ou 
reconnaître  la  civitas  du  Mans  par  le  roi  Raoul,  en  924*. 

Les  Robertiens  ne  cessent  ainsi  de  dominer  au  Mans.  Le 
pays  manceau,  grâce  à  eux,  garde  davantage  son  individua- 
lité propre,  tout  en  étant  plus  étroitement  lié  à  la  Francie. 

Hugues  le  Grand  institua  comte  des  Manceàux  un  de  ses 
vassaux,  Hugues  (peut-être  fils  de  Roger)\  quia  souscrit, 
le  26  mars  931,  avec  les  vicomtes  Foulques  d'Angers  et 
Thibaut  de  Tours,  une  charte  de  ce  duc,  et  qui  prit  part, 
le  31  juillet  939,  à  la  bataille  de  Trans.  A  cette  occasion, 
une  chronique  bretonne  le  qualifie  comte  du  Mans,  ce  qui 
Ta  fait  confondre  par  M.  de  la  Borderie  avec  Hugues  le 
Grand.  Nous  retrouvons,  le  25  juin  954,  sa  signature  au  bas 
d'un  acte  du  cartulaire  de  Saint-Père  de  Chartres  (p.  199)  : 

bellare  eos  cœpit  »  (Dudon,  II,  14,  p.  456).  —  Il  vaudrait  la  peine  de 
rechercher  quelle  influence  cet  épisode  a  pu  avoir  sur  la  formation 
de  la  légende  épique  de  Roland,  «  prœfectus  Britannici  limitis  ». 

*  «  Venit  E.  praepositus...  in  civitate  Cinomannis...  ante  Beringe- 
rium  comitem...  Beringerius  cornes  respondit  quod  esset  ( Pater icus)... 
potius  vasaUus  Rotberti  amici  sui  »  (13  juin  892,  charte  publiée  en 
dernier  lieu  par  Favre,  Eudes,  p.  242). 

2  Kalckstein,  Gesch.  des  Fr,  Kônigth,,  p.  119.  Mabille,  Comtes  d* An- 
jou, p.  Lxi,  etc.  Ce  n'est  pas  seulement  en  qualité  de  comte  que 
Gauzlin  figure  dans  des  chartes  de  905  à  914,  il  prend,  dès  905,  le  titre 
de  «  comes  et  yppocomes  palatii  »  (5  juillet  905,  Mabille,  p.  xcv). 

3  Flodoard,  Ann.,  ad  an.  924;  Migne,  135,  431  ;  Hugues  de  Fieury, 
Libellus,  H.  F.,  VIII,  315  G. 

*  Toute  cette  période  originaire  de  l'histoire  du  Maine  est  pleine 
d'obscurité,  et  je  tiens  à  remercier  derechef  mon  cher  et  savant 
collègue  M.  Longnon  de  m' avoir  aidé  par  ses  conseils  à  l'élucider. 


544  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IV. 

«  Signum  Hiigonis^  comitis  Cenomannorum  ».  Je  rappel- 
lerai, en  conséquence,  Hugues  I.  Il  a  dû  avoir  pour  fils  et 
successeur  David,  qui  fut  le  bienfaiteur  de  l'église  collé- 
giale de  Saint-Pierre-de-la-Cour,  au  Mans  *  et  le  père  du 
comte  Hugues  II  *.  Selon  les  éditeurs  du  D.  Bouquet,  David 
aurait  été  institué  par  Lothaire  en  957  et  serait  mort  en 
970'.  Toutefois,  son  fils  Hugues  II,  qui  eut  des  démêlés 
avec  Tévêque  Sigefroi  de  Bellême  (parvenu  à  1  evêché  en 
achetant  Tappui,  auprès  du  roi  de  France,  du  comte  d'Anjou 
Foulque  le  Bon^),  paraît,  en  qualité  de  comte  du  Mans, 
dès  967.  11  souscrit,  à  cette  date,  une  charte  de  Hu- 
gues Capet,  où  son  signum  précède  ceux  de  comtes  tels 
que  Thibaut  III  de  Blois,  Bouchard  de  Vendôme,  Gale- 
ran  de  MeuIan^  Il  était  donc  un  des  principaux  fidèles  du 
dux  Francorum  et  il  transmit  certainement  son  pouvoir  i 
son  fils  Hugues^  qui  figure  dans  la  même  charte*.  C'est  ce 

>  «  Ego  Hugo  David  fiiius,  Cenomanorum  cornes,  donc  et  confirme 
cuncta  donaria  que  pater  meus  Daxid  Ecclesie  B.-P.  de  Curia  dédit  » 
(Charte  publiée  par  Piolin,  Hist.  de  l  Église  du  Mans,  III,  p.  631). 

'^  Voyez  la  charte  citée  dans  la  note  précédente  et  une  autre  da 
môme  comte  publiée  par  Piolin  (III,  p.  630)  :  «  Ego  Hugo  David  filius, 
cornes  Cenomanorum...  pro  remedio  anime...  mei  genitoris  David  ». 
Une  v.triante  de  MS.  du  Cartul.  de  la  Couture  du  Mans  (p.  7)  porte 
également  «  Hugo  David  comes  Cenomannus  ». 

3  H.  F.  XI,  631. 

*  Il  lui  avait  abandonné  de  riches  possessions  dans  le  Maine  (H.  F., 
X,  384  B-C). 

^  Charte  de  Saint-Julien  de  Tours  (mars  967)  publiée  par  Grand- 
maison  [BihL  École  des  Chartes,  1886,  p.  226-229). 

^  Il  est  inadmissible  que  Hugues,  fils  de  David,  ait,  comme  le  veut 
VArt  de  vérifier  les  dates  (II,  p.  831),  vécu  jusqu'en  1015  ou  au  delà. 
Pétigny  avait  remarqué  (Histoire  du  Vendômois,  151)  que,  selon  le  sys- 
tème reçu,  il  serait  resté  en  fonctions  pendant  plus  de  soixante  ans.  Mais 
il  y  a  mieux.  Nous  savons,  par  la  charte  que  j'ai  citée  de  Saint-Julien 
de  Tours,  qu'en  967  au  plus  tard  Hugues  avait  déjà  deux  fils,  Hugues 
et  Foulques,  qui  signent  avec  lui.  Or,  cinquante  ans  après,  il  aurait 
laissé  pour  successeur  un  autre  fils  en  bas  âge  {admodum  juvenis)^ 
Herbert  Éveille-Chien.  Bien  plus,  son  frère  Herbert  Bacon  aurait  vécu 
jusque  vers  le  milieu  du  m^  siècle  et,  presque  centenaire,  aurait  dis- 


LB   PRINCIPAT  DB   l' ANJOU   BT   DU   MAINE.  545 

Hugues  —  qu'il  faut  appeler  Hugues  III  et  qui  vivait  eacore 
«a  1015,  —  que  Foulque  Nerra  a  dû  soumettre  violem- 
ment selon  l'expression  d'Orderic  Vital*. 

Cette  domination  angevine  resta  longtemps  fort  pré- 
caire, et  le  chroniqueur  normand  nous  raconte  que  le 
successeur  d'Hugues  III,  Herbert,  reçut  le  surnom  d'jÉ- 
veille-Chten  pour  avoir  harcelé  nuit  et  jour  les  Ange- 
vins *.  Mais  les  conflits  entre  les  comtes  et  les  évoques 


puté  avec  une  ardeur  toute  juvénile  le  comté  manceau  à  son  petit- 
neveu  Hugues.  Ce  sont  trop  d'invraisemblances,  et  je  n'hésite  pas  à 
penser  que  le  fils  de  Hugues  H,  qui  portait  le  même  nom,  loin  de  mourir 
avant  lui,  ainsi  qu'on  Ta  avancé  sans  preuves,  lui  a  succédé  et  doit 
être  appelé  Hugues  HI.  Et,  en  effet,  nous  trouvons,  en  992,  dans  une 
charte  de  Saint-Maixent,  un  comte  Hugues  du  Maine  et  son  frère 
Foulques,  qu'il  faut  évidemment  identifier  avec  Hugues  et  Foulques 
présentés  comme  les  fils  du  comte  Hugues  H,  dans  la  charte  de  967 
et  dans  une  autre  de  971.  Ils  eurent  pour  frère  Herbert  Bacon  qui 
n'était  pas  encore  né  en  967  et  971  et  n'était  donc  au  plus  que  sexa- 
génaire en  1036,  à  la  mort  d'Herbert  Éveille-Chien.  Il  figure  comme 
frater  comitis  (donc  frère  du  comte  Hugues  III)  dans  des  chartes  de 
1000  à  1014  {Cart.  Saint-Victeur  du  Afan5,p.i4,  6). 

La  généalogie  des  comtes  du  Maine  doit  dès  lors  être  rectifiée  comme 
suit  : 

Hugues  I 

I 

David 

I 

Hugues  11 

Hugues  III    Herbert  Bacon 

I  (régent  du  Maine  de  1036  à  1040). 

Herbert  I  Éveille-Chien. 

I 
Hugues  IV 

ï  «  Quem  Fulco  senior  sibi  violenter  subjugarat  »  (Ord.  Vital,  II, 
p.  252). 

^  «  Cognominari  Evigilans-Canem  pro  ingenti  probitate  (prouesse) 
promeruit...  Andegavenses  homines  et  canes  in  ipsa  urbe,  vel  in 
munitioribus  oppidis  terrebat,  et  horrendis  assultibus  pavidos  vigi  - 
lare  cogebat  »  (Ord.  Vital,  /.  c). 

F.  —  Tome  lil.  3s 


546  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IV. 

du  Mans  favorisèrent  Tambilion  de  la  maison  d'Anjou. 
Geoffroi  Martel,  appelé  à  l'aide  par  Tévêque  Gervais, 
commence  par  se  faire  céder  par  le  roi  Henri  I  le  droit 
d'élection  à  l'évêché*,  chasse  Herbert  Bacon,  le  grand- 
oncle  et  tuteur  de  Hugues  IV,  puis  se  retournant  contre 
Tévêque  qui  avait  pris  la  place  du  tuteur  évincé,  Tévince 
lui  aussi,  le  retient  captif  pendant  sept  années  entières, 
exerce  le  pouvoir  au  nom  du  jeune  comte  qu'il  annihile,  et, 
quand  celui-ci  meurt,  se  fait  reconnaître  parles  Manceaux, 
familiarisés  avec  lui,  pour  leur  seigneur  direct  (1051)*. 
Il  entre  par  une  des  portes  du  Mans,  où  il  est  accueilli  à 
bras  ouverts,  pendant  que  la  veuve  de  Hugues,  Berlhe  de 
Blois,  sort  éplorée  par  l'autre,  emmenant  ses  enfants*. 

Voilà  le  comte  des  Angevins,  du  moins  pour  un  temps, 
comte  des  Manceaux.  Désormais  ils  flottent  entre  lui  et  la 
famille  de  leurs  anciens  comtes,  tout  en  repoussant  avec 
la  dernière  énergie  la  domination  que  veut  leur  imposer 
une  puissance  étrangère  à  la  Francie,  le  groupe  normand. 

La  veuve  de  Hugues  IV  avait  cherché  asile  à  la  cour 
de  Guillaume  le  Conquérant.  Son  jeune  fils,  Herbert  11, 
sur  son  conseil,  recommanda  au  duc  de  Normandie  sa  per- 
sonne el  son  patrimoine,  se  plaça,  en  d'autres  termes,  sous 
sa  garde*.  Il  fit  plus.  Avec  la  main  de  sa  sœur  Margue- 

*  C'est  l'evéque  Gervais  lui-même  qui  aurait  demandé  cette  conces- 
sion pour  Gt^offroi  Martel  :  «  petivit  a  rege  Henrico...  ut  daret  epis- 
copatum  Gaufrido  Andegavorum  comiti,  solummodo  dum  viveret  ut 
liberius  a  comité  Cenomannico  illum  defenderet  »  {Gesta  pont.  Cen.^ 
H.  F.,  XI,  135  D).  De  temporaire  la  concession  devint  définitive, 
et  le  droit  de  nomination  à  Tévéché  du  Mans  échappa  ainsi  au  roi  de 
France  pour  passer  aux  comtes  d'Anjou. 

^  «  Gaufridus  comes  honorem  suscepit  usque  ad  decem  annos  >» 
(c'est-à-dire  jusqu'à  sa  movl)  (Gesta  pont.  Cen.,  H.  F.,  XI,  136  B). 

3  «  Cives  Cenomannici  uxorem  Hugonis  cum  infantibus  ploranlem 
per  unam  portam  projecerunt,  et  Gaufridum  comitem  gaudenlem  in- 
trare  fecerunt  ^>  (Ibid.). 

*  «  Consilio  Bertœ  matris  sua»,  se  sttumque  patrimonium  fortissimo 
duci  Normannorum  commendaverat  »  (Ord.  Vital,  II,  p.  102)  —  «  Du- 


LE   PRINCIPAT   DE   l'aNJOU    ET   DU   MAINE.  547 

rileS  qu'il  promit  à  ftoberl  Courlô-Heuse,  il  lui  céda,  pour 
le  cas  où  il  mourrait  saus  enfants,  tous  ses  droits  sur  le 
comitatus  du  Mans.  Cette  mort  arriva  à  bref  délai  (1062). 
Mais  les  Manceaux  n'entendaient  pas  se  soumettre  aux 
Normands.  Comme  Geoffroi  Martel  était  mort  lui-même 
sans  descendants  (4060)  et  que  sa  succession  se  trouvait  dis- 
putée entre  ses  deux  neveux  Geoffroi  le  Barbu  et  Foulque  le 
Réchin,  ils  se  rallièrent  à  Gautier,  comte  du  Vexin,  le  mari 
de  Biote,  fille  d'Herbert  Éveille-Chien.  Le  comitatus  passa, 
en  grande  partie,  dans  sa  main;  la  ville  du  Mans  fut 
occupée  par  ses  fidèles  et  la  population  se  serra  autour 
de  lui.  Pour  briser  la  résistance,  Guillaume  le  Conqué- 
rant ne  recula  pas  devant  un  odieux  forfait.  Il  fit  empoi- 
sonner Gautier  et  Biote.  Le  Maine  fut  ensuite  subjugué 
par  les  armes  (1063)^. 

Il  semblait  que  Texistence  ethnique  des  Manceaux  et 
l'autorité  des  Angevins  sur  eux  fussent  à  jamais  com- 
promises ou  perdues.  La  lutte  continuait  ardente  entre 
les  deux  frères  Geoffroi  le  Barbu  et  Foulque  le  Réchin. 
Elle  devait  durer  cinq  années  encore,  ruiner  la  terre 
d'Anjou,  permettre  au  duc  d'Aquitaine  de  reprendre  la 
Saintonge,  au  roi  de  France  de  se  faire  céder  le  Gâlinois, 

cem  G.  sub  quo  tutus  foret,  supplex  adiit,  manibus  ei  sese  dédit, 
cuncta  sua  ab  eo  ut  miles  a  domiao  recepit  »  (Guill.  de  Poitiers, 
H.  F.,  XI,  85  D). 

*  Orderic  Vital  dit  expressément  qu'elle  était  sa  sœur  (loc.  cit.)  et 
son  assertion,  bien  qu'il  se  contredise  ensuite  (II,  p.  253),  est  plus 
vraisemblable  que  celle  de  G.  de  Poitiers  qui  en  fait  sa  fille.  Ces 
événements  doivent  être,  en  effet,  postérieurs  de  peu  à  1051  et  Ton 
ne  connaît  pas  de  femme  à  Herbert  II.  La  fiancée  mourut  avant  d'a- 
voir atteint  l'âge  nubile  (Ord.  Vital,  II,  p.  104).  Les  Manceaux  pou- 
vaient dès  lors  considérer  l'institution  d'héritier  comme  caduque, 
n'ayant  été  faite  qu'en  vue  du  mariage  :  «  Margaritam  sororem 
suam,  dit  Orderic  Vital,  Rodberto...  in  conjugium  dederat,  cum  qua 
hœreditatem  suam,  comitatum  scilicet  Cenomannensem,  si  sine  liberis 
obiret,  concesserat  ». 

2  Orderic  Vital,  II,  p.  102-103. 


548  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

à  la  maison  de  Blois,  peut-être,  de  faire  accepter  sa  suze- 
raiDeté  sur  le  comté  de  Tours  ^  Elle  devait  donc  incorporer 
sans  retour  le  Maine  à  la  Normandie?  Il  n'en  fut  rien. 

Les  Manceaux  se  soulevèrent  contre  les  Normands. 
Ils  appelèrent  d'Italie  la  611e  et  le  gendre  d'Herbert 
Éveille-Chien,  Gersende  et  Âzon,  seigneur  d*Este,  pais, 
l'énergie  d'Azon  ne  répondant  pas  à  leur  attente,  ils 
ourdirent  une  conjuration,  une  commune  jurée,  dirigée 
en  droite  ligne  contre  la  domination  normande  '  et  son- 
tenue  par  Foulque'.  La  commune  fut,  il  est  vrai,  vaincue 
et  dissoute  par  Guillaume  le  Conquérant,  mais  ni  les  Man- 
ceaux ne  furent  domptés  ni  leurs  anciens  chefs  ne  furent 
dépossédés  légalement.  Les  comtes  d'Anjou,  la  famille  des 
comtes  du  Mans,  les  vicomtes  ne  cessèrent  de  revendiquer 
leurs  droits  et  de  les  exercer  par  intervalle.  Ces  droits  se 
réunirent  même  en  faisceau,  se  fortifièrent  réciproquement 
en  se  superposant  les  uns  aux  autres.  Les  comtes  d'Anjoa 
prirent  rang  de  chefs  supérieurs,  de  suzerains;  les  comtes 
(lu  Mans  de  seigneurs  directs.  Les  vicomtes  étaient  leurs 
vassaux.  D'un  commun  accord  tous  luttèrent  pour  rendre 
leurs  droits  effectifs.  Ils  y  réussirent,  par  successives  es- 
cousses,  en  s'appuyant  sur  la  population  mancelle. 

Remarquons  que  la  suzeraineté,  au  moins  nominale,  des 
comtes  d'Anjou  sur  le  pays  manceau  est  acceptée  parles 
Normands  eux-mêmes.  Quand  Geoffroi  le  Barbn,  pour  se 
concilier  Guillaume  le  Conquérant,  consent  à  ratifier,  après 
la  mort  d'Herbert  II,  Tinstitution  de  Robert  Conrte-Heose 

^  Los  historiens  Tout  admis  sur  la  foi  des  Gesta  Andeg.  (éd.  Mtr 
bille,  p.  139),  mais  voyez  suprà^  p.  523,  note. 

-  «  Pariconspiratione  contra  Normannos  insurgunt  i»  (Orderic  Vittl, 
II,  p.  254).  —  «  Facta  conspiratione  quam  communionem  Yocani  » 
(Gesta  pont,  Cen.,  II.  F.,  XII,  540  A). 

3  u  Fulcone  nimium  mœsto  quod  Normanni  Cenomannicis  imperarent» 
sedlliosî  cives  et  oppidani  confines...  unanime consilium  ineunt  »  (Or- 
deric, loc.  cit.),  — Voyez  sur  l'intervention  de  Foulque,  les  Gesta  pont, 
Cen.  (H.  F.,  XII,  p.  540-541)  et  sur  la  commune  du  Mans  mon  T.  II, 
p.  409  et  s. 


LE   PRINCIPAT  DE   l' ANJOU    ET  DU   MAINE.  549 

en  qualité  d'héritier  du  comitatus^  c'est  par  lui  que  Robert 
se  fait  investir  de  son  pouvoir,  le  reconnaissant  pour  son 
seigneur  et  lui  jurant  Odélité*.  Il  en  va  de  même  quand, 
en  4078,  Foulque  le  Rechin  se  voit  contraint  de  traiter  avec 
le  duc  normand*.  Une  nouvelle  révolte  des  Manceaux 
menace-t-elle  ensuite  d'éclater  (4089),  Robert  recourt  à 
Foulque  pour  la  conjurer*. 

Mais  une  telle  situation  ne  pouvait  se  prolonger,  et  elle 
n'était  même  possible  que  dans  des  conjonctures  exception- 
nelles :  le  conflit  entre  deux  prétendants  au  comté  ange- 
vin, lappui  fourni  aux  Normands  par  un  représentant 
des  comtes  du  Mans,  Jean  de  la  Flèche  et  de  Beaugenci, 
petit-fils  par  les  femmes  d'Herbert  Éveille-Chien*. 

Tout  changea  de  face  parla  mort  du  duc  Guillaume  et  de 
Jean  de  la  Flèche.  Profitant  de  la  disparition  du  Conqué- 
rant et  de  la  discorde  qui  régnait  entre  ses  fils,  les  Man- 
ceaux s'adressèrent  de  nouveau  aux  descendants  les  plus 
proches,  aux  héritiers  les  plus  directs  de  leur  famille  com- 
tale,  à  Foulque  et  à  Hugues,  fils  de  Gersende  et  d'Azzon, 
pour  les  placer  à  leur  tête  et  secouer  le  joug  normand'. 

*  «  Goisfredus  cornes  Rodberto  juveni...  totum  honorem  concemt^ 
et  hominium  debitamque  fidelitatem  in  praesentia  patris  apud  Alen- 
cionem  recepit  »  (Orderic  Vital,  II,  p.  253). 

2  a  Rodberto  juveni...  cornes  Andegavensis  Cenomannense  jtis  con- 
cedit.,,  Denique  Rodbertus  Fulconi  debitum  homagium,  ut  minor 
majori,  legaliter  impendit  »  (Ord.  Vit.,  Il,  p.  257). 

3  Orderic  Vital,  III,  p.  320-32i. 

*  Paule,  fille  d'Herbert  Éveille-Chien,  avait  épousé  Lancelin  de  Beau- 
genci et  avait  eu  pour  fils  Jean  de  Beaugenci  ou  de  la  Flèche.  Celui- 
ci,  nous  dit  Orderic  Vital,  était  le  principal  ennemi  de  Foulque  le 
Rechin,  parce  qu'il  adhérait  aux  Normands  :  «  Tune  ei  (Fulconi) 
Johannes  de  Flecchia  potentissimus  Andegavorum  praecipue  infensus 
erat,  qiiia  Normannis  adhœrebat  »  (II,  p.  256). 

*  «  Ccnomanni...  qui  vivente  Guillelmo  rege  contra  eum  rebellare 
multolies  conati  sunt,  ipso  mortuo,  statim  de  rebellione  machinari 
cœperunt.  Legationem  igitur  fîliis  Azsonis...  direzerunt,  eisque... 
per  legatum  dixerunt  :  «  ...  Mortui  sunt  omnes  Cenomannensis  prin- 
cipatus  legitimi  heredes,  jamque  nullus  nobis  vicinior  est  hères.  Guil- 


B^ÎO  LIVRB   IV.    —   CHAPITRE  IV. 

Le  Bis  de  Jean  de  la  Flèche,  Hélie,  non  seulement  prend 
[larti  pour  son  cousin  Hugues,  qui  arrive  au  Mans,  mais  il 
em prisonne  le  principal  partisan  des  Normands,  Tévèque  du 
Mans,  Hoel*;  puis,comme  Hugues  se  montre  faible  etinaple 
à  gouverner,  il  lui  achète,  au  prix  de  dix  mille  sols,  la  re- 
nonciation à  sa  vocation  héréditaire,  à  ses  droits  sur  le 
comitattis*.  Hugues  retourne  en  Ilalie,  Hélie  de  la  Flèche, 
le  plus  proche  héritier  après  lui,  prend  sa  place.  La  dy- 
nastie nationale  est  donc  rétablie,  et  d'accord,  semble-t-il, 
avec  Foulque  le  Rechin,  dont  Hélie  a  dû  reconnaître  la 
haute  seigneurie.  Au  dessous  d'elle  se  tient  une  famille  vi- 
comtale  qui  avait  résisté  victorieusement  à  Guillaume  le 
Conquérant  et  obtenu  de  lui  la  reconnaissance  de  son  pou- 
voir héréditaire,  paternumjus^. 

lelmus  ctiam,  violentas  multorum  invasor  jom  decidit...  Filii  ejus  sibi 
iiivicem  adversantur...  nos  autem  Cenomannicam  urbem  et  oppida 
ejus  in  pace  possidemus,  vobisque  fideliter  mandamus,  ut  hue  con- 
festim  veniatis,  et  hereditario  jure  nobis  prxsideaiis  »  (Orderic 
Vital,  III,  p.  327-8). 

^  »  tloellus  antistes,  qui  dono  GuiUelmi  régis  praesulatum  habuit^ipsi 
filiisque  ejus  semper  fidelis  extitit  »  ...  «  Helias  de  Flechîa  eum  com- 
preliendit,  et  in  carcere  donec  Hugo  in  urbe  Cenomannica  susceptus 
fuisset,  vinclum  prœsulem  lenuit  »  (Orderic  Vital,  III,  p.  328-9).  — 
Les  Gesta  pont.  Cenom,  présentent  les  faits  sous  un  jour  manifeste- 
ment hostile  à  Hélie. 

'^  Les  termes  dans  lesquels  Hc^lie  propose  ce  marché  k  Hugues  sont 
très  remarquables  :  «  Cognatus  tuus  sum,  Domine,  sufTragioque  mec 
sublimatus  es  in  consulatus  honore,  quem  nuUipotes  nisi  mihidare  vel 
vendcre...  Me  quoque  libcrtaiis  amor  nihilominus  stimulai,  et  heredi" 
tatis  avitx  rectitudo  dimicandi  pro  illa  (iduclam  in  Deo  mihi  suppe- 
dit!il  »  (Orderic  Vital,  III,  331). 

3  Huberi  (le  Sainte-Suzanne,  vicomte  du  Mans,  avait,  avec  Geofifroî 
de  May  (Mine,  dôtendu  le  Mans  contre  Guillaume  le  Conquérant,  en 
1003  :  '(  quia  Nurmannicum  ju^'um  his  quibus  imminet  gravissimum 
est,  subire  nimis  rorniidabant  >»  Orderic  Vital,  II,  p.  102).  De  1083  à 
i08!),  il  lui  tient  t<>te,  dans  son  castnim  de  Sainte-Suzanne,  où  par 
l'éclat  di*  sa  ronommee.  il  attire  de  l'Aquitaine,  de  la  Bourgogne,  de 
toute  la  Gaule,  des  chevaliers  d'élite  qui  bnilent  de  le  servir  eo  riva- 
lisant de  prout^sses  :  a  Flrat  enim  nobilitate  clarus,  sensu  et  probitata 


LE   PRINCIPAT  DE   l' ANJOU   ET   DU   MAINE.  SSl 

Habile  autant  que  hardi,  épris  à  la  fois  de  justice  et 
d'honneur,  —  mérite  singulier  en  son  temps*  —  Hélie  de  la 
Flèche  devient  le  champion  de  l'indépendance  ethnique  des 
Manceaux.  Il  revendique  pour  eux  le  droit  d'être  gouver- 
nés par  leurs  chefs  traditionnels^  et,  de  l'aveu  même  du 
chroniqueur  normand,  il  les  gouverne  avec  sagesse  et 
équité  ^  Le  duc  de  Normandie,  Robert  Courte-Heuse  le 
laisse  en  paisible  possession  de  son  pouvoir.  Mais  quand 
il  eut  engagé  son  duché  à  son  frère,  pour  partir  en  Terre- 
Sainte,  et  qu'Hélie  de  la  Flèche  résolut,  lui  aussi,  de  se 
croiser,  Ten gagiste  Guillaume  le  Roux  revendiqua  de  plus 
belle  la  domination  du  Maine*. 

praQcipuus,  vigenli  virtule  et  audacia  fervidus  et  pro  bis  insigniis 
longe  lateque  famosus...  De  Aquitania  et  Burgundia,  aliisque  provin- 
ciis  Galliae  probati  milites  ad  Hubertum  convolabant,  eique  totius  nisi- 
bus  auxiliari,  suamque  probitatem  ostentare  ferventer  optabant  » 
{Ibid.,  III,  p.  196).  Les  Normands  n'en  vinrent  pas  à  bout  (Hubertum 
nec  prohilate  nec  felicitate  superare  valebant)  et  ils  durent  traiter. 
Hubert  fut  maintenu  dans  la  possession  de  ses  droits  et  de  son  indé- 
pendance, un  simple  pacte  d'amitié  fut  conclu  —  ce  qui  doit  bien 
vouloir  dire  qu'au  regard  du  vicomte  la  domination  normande  devenait 
nominale  —  :  «  Facta  inter  eos  amicitiay  omne  paternumjus  honorifice 
recepit...  Deinde  quandiu  rex  W.  vixit,  prœfatus  héros  ei  fidus  extitit, 
honoremque  suum  libertate  plaudens,  gratanter  tenuit,  fîliisque  suis 
Rodulfo  et  Huberto  moriens  dimisit  »  (Ibid.^  III,  p.  200-201).  —  Je 
remarque  qu'un  vicomte  Raoul  apparaît  dès  la  fin  du  x*  siècle,  vers 
994  (CartuL  Saint'Victeur  du  Mans,  p.  1-2). 

*  Voyez  le  portrait  très  flatteur  qu'O.  Vital  a  tracé  d'Hélie  (IV, 
p.  38-39). 

2  Cf.  p.  550,  note  2. 

3  «  Subjectis  aequitatem  servavit,  pacemque  pauperibus  pro  posse 
suo  tenuit  »  (Orderic  Vital,  III,  p.  332).  Adde,  IV,  p.  35  :  «  populi 
regimen  in  timoré  Dei  salubriter  servavit  ». 

*  Quel  vif  tableau  de  mœurs  que  le  dialogue,  vrai  ou  supposé, 
entre  Guillaume  et  Hélie,  dans  Orderic  Vital  (IV,  p.  37)  :  on  le  dirait 
emprunté  à  une  chanson  de  geste.  —  Hélie  veut  prendre  congé  en 
bonne  amitié,  le  roi  lui  répond  :  «  Va  où  il  te  plaît,  mais  rends-moi 
la  ville  avec  tout  le  comitatus,  car  tout  ce  que  mon  père  a  eu,  je  veux 
l'avoir  ».  --  Hélie  :  »  Je  tiens  mon  principal  de  mes  ancêtres,  et, 
Dieu  aidant,  je  le  transmettrai  à  mes  enfants,  aussi  libre  que  je  le  pos- 


552  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE  IV. 

La  lutte  reprend  (1098)  et,  malgré  rintervention  en  fa- 
veur d'Hélie  du  comte  d'Anjou  Foulque  le  Rechin,  seter^ 
mine  à  l'avantage  des  Normands.  Guillaume  rentre  de  vive 
force  dans  le  Mans  qui  avait  précédemment  ouvert  ses 
portes  à  Foulque  comme  à  son  chef  seîgnear,  capitalis 
domtnus  K  Maître  de  la  ville,  le  Normand  en  confie  la  garde 
à  deux  de  ses  fidèles,  la  défense  de  la  tour  royale  à  un  au- 
tre, Gautier  de  Rouen,  puis  il  reçoit  la  soumission  des  sei- 
gneurs de  la  région^.  Hélie  de  la  Flèche  s'offre  à  entrer 
dans  la  maisnie  de  Guillaume  le  Roux,  pour  mériter  par 
ses  services  la  restitution  de  son  comitattis^.  Il  est  re* 

sède.  Si  tu  veux  plaider,  soit  :  rois,  comtes  et  évèques  décideront  si  jfr 
dois  perdre  mon  héritage  paternel  ou  si  je  dois  le  garder  ».  —  Le  roi  : 
«  Ost  à  coups  d'épées,  de  lances  et  d'innombrables  javelots  que  je 
plaiderai  avec  toi  ».  ~  Hélie  :  «  Je  voulais  chercher  au  loin  le  coin* 
bat  contre  les  ennemis  de  Dieu  et  voici  que  je  le  trouve  tout  près. 
L'ennemi  de  Dieu  est  qui  résiste  à  la  vérité  et  à  la  justice.  Dieu  m*a 
préposé  aux  Msinceaux,  je  ne  dois  pas  les  abandonner  aux  loups  ra- 
visseurs. V^ous  tous,  grands,  qui  m'écoutez,  sachez  quelle  résolution 
Dieu  m'inspire  :  Je  ne  la  quitterai  pas  la  croix  de  pèlerin  que  fai 
prise,  mais  je  la  mettrai  et  sur  mon  bouclier  et  sur  mon  heaume  et  sur 
toutes  mes  armes,  sur  ma  selle  et  sur  mon  frein...  C'est  un  soldat  du 
Christ  que  mes  adversaires  devront  combattre...  »  —  Le  roi  :  «  Va- 
t-en  où  tu  voudras  et  fais  ce  qui  te  plaira.  Je  n'attaque  pas  les  croiséSt 
mais  je  revendique  la  ville  que  possédait  mon  père  quand  il  est  morU 
Quant  à  toi,  tu  feras  bien  de  réparer  tes  remparts  au  plus  vite»  de 
convoquer  en  toute  hâte  maçons  et  tailleurs  de  pierres,  avides  de 
gains.  Annonce  aux  Manceaux  ma  visite  ;  ils  me  verront  à  leurs  por- 
tes, avec  cent  mille  lances  et  gonfanons,  ils  verront  les  chariots  char- 
gés de  javelots  et  de  flèches,  qu'amèneront  mes  bouviers  d'un  pas 
pressé.  C'est  parole  certaine,  mande-la  à  tes  partisans.  »  ■ 

1  «  Fulco...  ut  Heliam  captum  audivit,  Cenomannis,  quia  capiÂoH» 
dominus  erat,  actutum  advenit  et,  a  civibus  libenter  msceptus,  mifi- 
tibus  et  fundibulariis  munivit  »  (Ord.  Vital,  IV,  p.  47). 

'^  a  Radulfus  vicecome.-i...  aliique  totius  provincis  proceres  regican/' 
fœderati  sinit,  redditisque  munitionibus,  datis  ab  eo  iegibus  soler- 
ter  ohaecundarunt  »  (ihid,,  p.  53-54). 

3  «  Obsecro  ut...  in  tua  me  suscipias  familia  et  ego  tibi  condîgna 
exhibebo  servitia.  Cenomannorum  non  requiro  urbem,  vel  oppidai 
donec  idonea  sorvitute  illa  promeruero...  »  (Orderic  Vital,  IV,  p.  5i)« 


LE   PRINCIPAT  DE   l'aNJOU   ET    DU    MAINE.  553 

poussé  *  et  va  mettre  alors  en  état  de  défense  les  cinq 
places  fortes  de  son  domaine  paternel  et  de  Théritage  de 
sa  femme  :  La  Flèche,  Château-du-Loir,  Maiet,  Lucé-le- 
Gra^detOutillé^ 

La  population  du  Mans  ne  reconnaissait  toujours  qu*Hé- 
lie  pour  son  légitime  chef,  son  seigneur  lige,  et  éprouvait 
une  répulsion  croissante  pour  le  joug  des  Normands^  Elle 
le  reçoit  dans  ses  murs*,  malgré  la  présence  des  fidèles  de 
Guillaume,  qui,  occupant  la  tour  ou  le  château  {arx),  ne 
manqueront  pas  de  brûler  la  ville;  puis,  à  la  mort  du  duc 
de  Normandie,  elle  aide  Hélie  de  la  Flèche  et  son  allié, 
Foulque  d'Anjou,  à  attaquer  les  châtelains  (1100)*.  Le 
siège  se  prolonge  :  assiégeants  et  assiégés  insensiblement 
s'accointent;  ils  échangent  moins  de  coups  que  de  propos 
plaisants  ou  malicieux,  de  gabes,  dont  on  se  gaudira  long- 
temps au  pays  manceau®,  et  qui  rendront  populaire  la 
figure  d'Hélie  sous  le  nom  du  blanc  bachelier'^.  Chaque  fois, 

*  Guillaume  deMalmesbury,  comme  le  remarque  M.  Le  Prévost  (éd. 
d'Orderic  Vital,  IV,  p.  52,  note  1),  rapporte  un  dialogue  où  se  reflètent 
avec  éclat  l'indomptable  énergie  du  comte manceau  et  la  violence  du  roi 
anglais  :  «  Jeté  tiens,  mon  maître  ».  —  «  Tu  m'as  pris,  par  hasard;  si 
je  puis  m'évader,  je  sais  ce  que  je  ferai.  >>  —  «  Toi,  toi!  ce  que  tu 
feras?  hors  d1ci,  va-t-en,  fuis  !  Je  te  permets  de  faire  ce  que  tu  pour- 
ras, et  par  le  Voult  de  Lucques,  rien,  si  tu  me  vaincs,  ne  te  sera  déduit 
pour  cette  grâce  »  :  «  Tu,  inquit,  tu  !  quid  faceres?  discede,  abi,  fuge! 
concède  tibi  utfacias  quicquid  poteris;  et  per  vultum  de  Luca,  nihil, 
si  me  viceris,  pro  bac  venia  tibi  paciscar.  » 

2  Sa  femme,  fille  de  Gervais  du  Château-du-Loir,  avait  hérité  de 
son  père  ces  quatre  derniers  châteaux  (Orderic  Vital,  IV,  p.  36)  — 
«  Quinque  oppida  sua  cum  adjacentibus  vicis  instruxit  »  (lôtrf., 
p.  53). 

^  «  Cives  Heliam  multum  diligebant,  ideoque  dominatum  ejus  ma- 
gis  quam  Normannorum  affectabant  »  (Ibid.^  p.  56). 

^  «  Helias  a  gaudentibus  urbanis  in  civitate  susceptus  est  » 
(p.  57). 

5  Orderic  Vital,  IV,  p.  99. 

*  «  Ludicra  utritique  agitabantur,  unde  in  illa  regione  futuri  pro 
adrairatione  et  delectamine  loquentur  »  (Ihid.^  p.  100). 

^  Candidus  bacularis,  sobriquet  faisant  image,  puisqu'Hélie,  pour 


554  LIVRE   IV.  —    CHAPITRB  IV. 

en  effet,  que,  revêtu  d'une  tunique  blanche  et  se  fiant  à  la 
loyauté  de  ses  adversaires,  il  se  présente  à  la  tour  poor 
confabuler  avec  eux,  on  le  reçoit,  on  Taccueille  si  fami- 
lièrement qu'un  armistice  Bnit  par  se  conclure.  Les  défen- 
seurs du  château  ne  savent  plus  en  vérité  pour  le  compte 
de  qui  ils  le  gardent  :  est-ce  pour  le  duc  de  Normandie 
Robert  Courte-Heuse?  est-ce  pour  le  roi  d'Angleterre 
Henri  I?  Ils  leur  députent  des  messagers.  L'un  et  Tau- 
tre  se  dérobent.  Les  embarras  des  deux  princes  sont 
trop  grands,  leur  rivalité  trop  menaçante  pour  qu'ils  y 
ajoutent  le  souci  de  réduire  une  population  étrangère*. 
Les  châtelains  sont  laissés  libres  de  traiter  comme  ils  Ten- 
tendront.  Ils  livrent  alors  le  château  à  Hélie,  qui,  devenu 
maître  du  Mans,  est  par  cela  même  remis  en  possession 
de  son  comilatus,  redevient,  comme  ils  le  lui  disent, 
moitié  plaisants,  moitié  sérieux,  de  blanc  bachelier  prince 
des  Manceaux,  nprinceps  Cenomannorum^n.  Preuve  nou- 
velle que  c'est  bien  la  place  forte  qui  constitue  le  centre 
de  gravité  de  la  Hominalion', 

11  ressort  de  tout  ce  qui  précède  que  le  Maine,  auxi* 
siècle,  n'a  jamais  été  rattaché  à  la  Normandie  ni  cessé  de 
Taire  partie  de  la  Francie,  que  le  duc  de  Normandie  a  pu 
être  comle  des  Manceaux,  comme  il  a  été  roi  d'Angleterre, 
mais  que  la  souveraineté  légale  sur  le  groupe  manceau  a 
toujours  appartenu  au  roi  de  la  Francie,  ou  directement 
ou  par  rintermédiaire  du  comle  d'Anjou.  Cela  est  si 
vrai  qu'Hélie  de  la  Flèche,  une  fois  rentré  en  possession 

récupérer  le  comté,  était  obligé  de  subir  une  sorte  de  noviciat.  Il  était 
candidat  au  comté. 

^  «  Callide  maluit,  dit  Ord.  Vital  de  Henri  h  sibi  débita  legaliter 
amplecti,  quaui  peregrinis  prœ  superbia  et  indebitis  laboribus  nimis 
onerari  »  (IV,  p.  101). 

'  ((  Candirie  lUicularis,  merito  nunc  vales  lœtari,  quia  tempus  ins- 
tat  quod  diu  desiderasti...  Ilanc  nimirum  arcem  tibi  damus  et  te 
amodoCeiiumaiiDorum  comitem  esse  concedimus  »  (I6ùl.,  p.  101-102). 

^  C\'st  en  ce  seus  qu'Ordcric  V^ital  appelle  le  Mans  eaput  prootM-* 
ciœ  (II,  p.  102). 


LE  PRINCIPAT  DE   l'aNJOU   ET  DU   MAINE.  555 

définitive  du  comté  du  Maus  (HOO),  n'apparaît  jamais 
comme  vassal  des  ducs  de  Normandie  ou  des  rois  d'Angle- 
terre, mais  comme  leur  allié*.  Son  supérieur  immédiat  est 
le  comte  d*Anjou,  qui  deviendra  même  son  successeur. 
Quelques  années  plus  tard,  en  effet,  Hélie  donne  à  Foul- 
que le  jeune  sa  fille  Eremburge  en  mariage,  et  l'institue 
son  héritier*.  Foulque  succède  à  son  père,  le  Rechin,  en 
1109;  il  succède  à  son  beau-père  l'année  suivante;  il  réunit 
ainsi,  sans  guerre  ni  combat,  le  groupe  angevin  et  le  groupe 
manceau,  sous  l'autorité  lige  du  roi  de  la  Francie,  comme 
leur  dominiis  naturalis, 

La  suzeraineté  royale  sur  le  Maine  ne  tarda  pas  toute- 
fois à  péricliter.  Une  guerre  met  Foulque  V  et  Louis  VI  aux 
prises  avec  Henri  I,  et  se  termine  par  le  traité  de  GiSors 
(1H4).  Louis  VI  consent  à  détacher  le  pays  manceau  delà 
Francie,  et  à  transmettre  de  la  sorte  son  droit  de  domination 
au  duc  (le  Normandie^,  ne  retenant  sur  lui  que  la  préémi- 
nence. Entre  le  comte  d'Anjou  et  le  roi  d'Angleterre  les 
rôles  se  trouvèrent  donc  intervertis,  par  rapport  au  passé. 
La  possession  effective  du  pouvoir,  le  comitatus  du  Mans, 
que  les  prédécesseurs  de  Henri  avaient  revendiqué  et  exercé 
furent  acquis  au  comte  d'Anjou,  et  la  suzeraineté,  qu'ils 
reconnaissaient  jadis  au  comte  d'Anjou,  fut  le  partage  des 
ducs  de  Normandie.  C'est  en  exécution  de  ce  traité  que 
Foulque  V  jura  fidélité  à  Henri  I*.  • 

Si  donc  la  Francie  a  été  diminuée  du  Maine,  cela  n'a  eu 

*  €Fœdus  amicitiœ  cum  Rodberto  duce  et  Henrico  rege  postmodum 
copulavit  »  (Ord.  Vital,  IV,  p.  103). 

'^  «  Posl  aliqijol  annos,  Eremburgam  filiam  suamFuiconi  filio  domini 
suif  Andegavorum  comiti,  dédit,  ipsumque  Cenomannis  dominumsibi 
successorem  constituit  i>  (Ibid.,  p.  102-103). 

^  «  Ex  utraque  parte  jurata  pace.  .  Ludovicus  Heorico  Belismum  et 
Cenomanensiuin  comitatum,  totamque  concessit  Britanniam  »  (Orde- 
ric  V^ital,  IV,  p.  307-8).  —  Le  vrai  caractère  de  cette  concession  est 
bien  marqué  par  la  cession  antérieure  de  Bellôme  qui  est  ratifiée  ici. 
—  Voyez  p.  556,  note  1). 

*  Cf.  Orderic  Vital,  IV,  p.  306-307. 


556  UVRE  IV.    —   CHAPITRE  IV. 

lieu  qu'au  xii'  siècle  et  par  un  abandon  royal,  de  même 
qu'elle  avait  été,  par  un  abandon  analogue,  diminuée,  au 
temps  de  Philippe  I,  de  la  seigneurie  de  Bellême  qui  y 
était  comprise  ^  Cette  seigneurie  consistait  essentiellement 
en  34  caslella  avec  la  population  que,  grâce  à  eux  et  par 
la  terreur  qu'il  inspirait,  le  seigneur  de  Bellême  tenait  sous 
le  joug  *.  Robert  de  Bellême  ayant  pris  parti  pour  Foul- 
que V  et  Louis  VI,  le  traité  de  Gisors  ratiGa  l'abandon  fait 
par  Philippe  I. 

Nous  n'avons  pas  à  suivre  plus  loin  les  destinées  du 
groupe  angevin  et  manceau.  C'est  dans  une  période  très 
différente  de  celle  que  nous  étudions  qu'il  atteint  son  apo- 
gée de  puissance  et  d'éclat,  quand  le  comte  d'Anjou,  Geof- 
froi  le  Bel,  gendre  de  Henri  I,  parvient  à  se  faire  couronner 
duc  de  Normandie  (1144)  et  que  son  fils  Henri  Planiagenet 
étend  sa  domination  sur  l'Angleterre  et  sur  la  moitié  de  la 
Gaule. 

*  «  Licet  pagus  Bellismensis  non  ad  ducatum  Northmanniœ  perti- 
neret,  sed  ad  regnutn  Francorutnf  dederat  tamen  dominium  ejusdem 
pagi^  vei,  ut  quidam  dicunt,  vendiderat  dudum  Philippus  rez  Fran- 
corum  cognato  suo  Willelmo  seniori  regi  Anglorum  et  duci  Norih- 
mannorum  »  (Guil.  de  Jumièges,  VIII,  35,  Migne,  149,  904.  H.  F.  XI, 
57  B). 

2  <(  Triginta  quatuor  castellamunitissimapossidebat,  multisquemil- 
libus  hominiim  dominatu  prœeminebat  »  (Orderic  Vital,  III,  p.  423). 
—  «  Provinciales...  sub  jugo  ejus  sua  colla,  licet  inviti,  flexerunt, 
eique,  non  tam  amore  quam  timoré t  adhœserunt  »  (16irf.,  IV,  p.  182). 


557 


II.  —  Les  principautés  ecclésiastiques 

DE  LA    FRANCIS. 


Une  circoDstance  capitale  qui  empêcha  de  se  rejoindre 
les  deux  tronçons  de  la  maison  de  Vermandois  et  qui  arrêta 
l'expansion  vers  le  Nord-Est  de  la  maison  de  Blois  fut  la 
formation  des  seigneuries  ecclésiastiques.  Elles  prirent  la 
place  du  réseau  armé  dont  Herbert  II  avait  voulu  s'en- 
tourer. Elles  s'installèrent  d'autant  plus  aisément  que  la 
territorialité  du  comitatus  était  dans  cette  région  réduite 
au  minimum.  Il  n'est  pas  présumable  qu'elles  fussent  le 
résultat  d'une  conception  politique,  d'une  vue  d'ensemble, 
mais  elles  sortirent  de  la  mêlée  presque  ininterrompue 
dont  la  province  de  Reims  fut,  au  x*  siècle,  le  théâtre  et  à 
laquelle  la  défense  de  leur  ville  épiscopale,  comme  la  gravité 
d'une  lutte  qui  avait  la  monarchie  franque  pour  enjeu,  obli- 
gèrent les  évêques  de  participer  les  armes  à  la  main.  Nos 
chansons  de  geste  sont,  une  fois  de  plus,  unmiroirfidèle  de 
la  vérité  historique  quand  elles  font  de  l'archevêque  de 
Reims  le  type  de  l'évêque  batailleur.  Seigneurs  toujours 
armés  en  guerre,  les  évêques  devinrent  comtes  de  fait. 
Partisans  du  parti  royal  victorieux,  celui-ci  leur  confiait 
tours  et  châteaux,  et  légalisait,  en  la  reconnaissant,  leur 
prise  de  possession  du  comitatus.  Ce  fut  tout  gain  pour  la 
royauté,  puisque,  grâce  à  son  droit  de  disposer  des  évêchés, 
elle  avait  la  haute  main  sur  les  seigneuries  épiscopales. 

Je  ne  partage  donc  pas  *  le  sentiment  des  historiens  qui 
assignent  aux  seigneuries  ecclésiastiques  l'immunité  pour 

*  Cf.  T.  II,  p.  281  et  suiv.  (à  rectifier  sur  quelques  points  par  ce  qui 
va  suivre). 


558  LIVRE   IV.   —   CHAPITRE   IV. 

source  directe  ^  Je  oe  l'admettrai  qu'exceplionnelIemeDt 
ou  pour  des  seigneuries  monastiques  telles  que  Corbie*. 
La  source  immédiate,  je  la  trouve  dans  la  qualité  de  chef 
militaire  reconnue  à  Tévêque  et  entraînant  pour  lui  la  con- 
cession expresse  ou  tacite  des  droits  comtaux.  L'immunité 
et  les  anciens  privilèges  royaux  ne  servirent  en  règle  que 
d'arme,  de  rempart  ou  de  voile.  On  peut  s'en  persuader 
en  jetant  un  coup  d'œil  sur  les  évêchés-seigneuries  de  la 
province  rémoise,  les  seules  qui  rentrent  dans  la  Francie. 
1*  Reims.  —  Le  comitat  fut,  d'après  Flodoard*,  concédé, 
vers  940,  par  Louis  d'Outremer  à  l'archevêque  Artaud, 
son  partisan,  qu'il  avait  fait  introniser  en  remplacement 
de  Hugues  de  Vermandois.  Concession  bien  précaire  au 
début!  Dès  940,  Herbert  II  et  Hugues  le  Grand  repri- 
rent Reims,  et  Artaud  ne  récupéra  son  évêché  qu'en 
948  ^  D'autre  part,  il  avait  certainement  un  copartageant 
du  comté  :  c'était  le  comte  Ragenold  ou  Renaud,  par- 
tisan lui  aussi  de  Louis  d'Outremer,  adversaire  de  la 
maison  de  Vermandois^  qui  construisit  en  948  le  chftleau 

^  Luchairo,  II,  p.  r)2,  53.  M.  Longnon  n'accepte  cette  opinion  que 
sous  une  l'orme  dubitative  :  «  L'origine  de  ces  seigneuries,  dit-il, 
dont  quelques-unes  comprenaient  une  vaste  étendue  de  pays^  est  or- 
dinairement fert  obscure;  mais  il  semble  qu'à  rezception  de  Tévôque 
de  Beau  vais,  cette  origine  doit  être  cherchée  dans  les  inununités  acc<v- 
dées  par  les  rois  francs  :  c'est  là  d'ailleurs  un  fut  qui  ne  paraît  point 
douteux  en  ce  qui  concerne  l'évéché  de  Langres.  »  [Atlas  hisioriqtœf 
p.  223).  Je  ferai  remarquer  que  le  diplôme  de  Charles  le  Gros  (886), 
pour  Langres  est  plus  qu'une  concession  d'immunité  et  que  lecomt- 
tatus  .1  étô  conc(^d(>  formellement  à  cette  église  par  un  dipldme  de 
Lothaire  du  30  août  967  [Gallia  Christ,,  IV,  547.  Musée  des  Aroh. 
dep.,  pi.  XII,  n°  lo,  texte  n»  32-34). 

2  H.  F.  IX,  493. 

^  ce  Post  ha?c  rex  Ludovicus  dédit  Artoido  episcopo,  ac  per  eum 
ecclesia*  Remonsi,  per  prœceptionis  régi»  paginam,  Remensis  urbis 
monelam,  jure  perpetuo  possidendam.  Sed  et  omnem  comitatum  Ae- 
meiuem  eidem  contvlit  ecclesix,  »  (Flodoard,  Hist,  eccl.  Hem.,  IV, 
27,  Migne,  135,  298). 

*  Flodoard,  op.  ciL^  l\\  28  suiv.;  IV,  34  suiv. 


LES   PRINCIPAUTÉS   ECCLÉSIASTIQUES.  559 

de  Rouci^  Il  est  appelé  comte  de  Reims  par  Aimoin" 
et  son  autorité  comtale  paraît  bien  établie.  Sans  nul 
doute  elle  était  antérieure  à  940  et  provenait  du  par- 
tage d'attribution  et  de  puissance,  que  nous  avons  con^- 
talé  dans  les  villes,  entre  le  comte  et  ^évêque^  Ce  n'est 
qu'en  1021,  par  l'élection  au  siège  métropolitain*  d'Ebles  I, 
comte  de  Rouci  et  de  Reims,  que  l'ensemble  des  droits 
comtaux  sur  la  ville  et  ses  dépendances  se  trouva,  en 
vertu  d'une  consolidation,  aux  mains  de  l'archevêque.  La 
seigneurie  ecclésiastique  de  Reims,  devint  alors  un  pou- 
voir grandissant  :  au  xi*  siècle,  les  comtes  de  Porcien, 
d'Omont,  ou  Rethel,  de  Vitry  sont  les  vassaux  de  l'arche- 
vêque ^  Elle  est  pour  la  royauté  plus  qu'une  citadelle  et 
un  boulevard.  Elle  est  à  la  fois  une  marche  qui  garde  la 
frontière  de  la  Gaule,  un  réservoir  de  subsides  guerriers 
et  de  ressources  pécuniaires,  un  foyer  spirituel  où  s'ali- 
mente et  se  renouvelle  la  majesté  royale®. 

2°  Châlons  -sur-Marne.  —  La  seigneurie  se  constitua  cer- 
tainement  au  cours  des  luttes  que  Louis  d'Outremer  eut  à 
soutenir  pour  conserver  le  trône.  Pour  que  les  évêques  de 
la  Francie  pussent  défendre  leurs  villes  épiscopales,  le  roi 
les  choisit  de  préférence  dans  les  familles  comtales,  et  c'est 
ainsi  qu'en  948  il  pourvut  Gibuin,  fils  d'Hugues,  comte  de 

*  «  Quandam  munitionem  quam  Raj^^enoldus  cornes  Ludowici  super 
Axonam  fluviumin  loco  qui  dicitur  Rauciacus  œdifîcabat  »  (Fiodoard, 
Amial.y  ad  an.  948,  Migne,  135,  472  . 

2  Au  dire  de  Marlot  {Metrop.  Rem.  Historia,  T.  II,  Reims,  4679, 
p.  195;  :  ic  Hic  Albradam  (Aude)  Ludovici  Transmarini  ac  Geberg» 
filiam  duxit  an.  955,  Retnensisque  cornes  nominatur  apud  Aimonium  ». 
—  Je  n'ai  pas  retrouvé  le  texte  d'Aimoin. 

3  T.  II,  p.  280  suiv. 

*  Art  de  vérifier  les  dates,  II,  p.  738,  col.  1.  Cf.  d'Arbois  de  Jubain- 
villo,  I,  p.  247. 

'^  Longnon,  Atlas  historique,  p.  222. 

^  Cf.  Diplôme  de  la  reine  Gerberge  (968)  :  <  Locus  Sancli  Remi- 
gii,  qui  semper  ab  antiquo  regiis  donationibus,  ut  pote  caput  Fran^ 
c/a?,  fuerat  honoratus  »  (H.  F.  IX,  666  C). 


560  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE   IV. 

DijoD^  (le  l'évêché  de  Châioas.  Il  trouva  en  lui  un  aun- 
liaire  fidèle  et  actif  contre  Hugues  de  Vermandois*,  et  Képis- 
copat  demi-séculaire  de  Gibuin'  dut  permettre  i  celui- 
ci  d'acquérir  tous  les  pouvoirs  comtaux.  Son  successeur 
presque  immédiat,  Gui,  prend  le  titre  d'évêque  par  la 
grâce  de  Dieu*;  un  peu  plus  tard,  Roger  II  se  comporte 
de  tout  point  en  seigneur  féodal  '.  Si  deux  diplômes  de 
Charles  le  Chauve  compris  dans  le  cartulaire  de  Saint- 
Étienne  de  Châlons  (qu*a  rédigé  au  début  du  xn*  siècle 
le  chantre  Warin  et  qui  n'a  été  que  tout  récemment  publié) 
sont  authentiques,  ils  ont  pu  être  d*un  très  grand  secours 
aux  évèques  pour  leur  faciliter  Tacquisitioa  du  comitaim. 
Mais  la  teneur  insolite  de  ces  actes  me  les  rend  suspects  et 
me  porte  à  croire  qu'ils  ont  été  fabriqués  pour  légitimer 
après  coup  des  empiétements  progressifs'.  Aux  diploma-^ 
listes  de  se  prononcer. 

^  Lot,  Les  derniers  Carol.f  p.  39,  332.  Cf.  Richer,  II,  60. 

*  Lot,  p.  39,  Lauer,  op.  cit.^  p.  159. 

3  948-998,  Lot,  p.  90,  note  2. 

'*  n  Guido  gratiaDei  Cathalaunensium  episcopus  »  (1004-1008).  Corf. 
de  Saint-Etienne f  p.  43. 

•^  Voyez  son  traité  avec  Eudes  II,  comte  de  Troyes  (1048-1053), 
ibid.,  p.  49-50. 

^  Le  premier  de  ces  diplômes,  daté  du  13  février  845,  confînne 
rimmunitë  à  tout  le  diocèse  de  Chàlons  :  «  Quia  inluster  vir  venera- 
i)ilis  Lupus  civitatis  Cathalaunis  ecclesiœ  episcopus,  quœ  est  con- 
structa  in  honore  Scli  Stephani...  cujus  parrochia  sita  est  ia  pagis 
Virtudinense,  Camsicense  et  Stadînense  et  Pertiase,  necnon  et  ret 
quu;  in  ducatu  Turingia)  esse  noscuntur,  similiter  et  res  qu»  in  pago 
Warmacinse  situ;  sunt,  veniens  ad  nos  detulit  nobis  emunitates  regum 
predecessoruiu...  etc.  »  (CartuL  de  Saint-ÉUenne  de  Chdlons,  p*  7-0). 

Le  second  diplôme,  du  22  novembre  865,  en  établissant  un  atelier  mo- 
nétaire à  Cliàlons,  pour  y  frapper  des  deniers  avec  le  monogramme  du 
rui,  «  monogramma  nominis  nostri  illi  jussimus  insigniri  »,  le  concède 
à  Tévéque  à  charge  d'en  abandonner  les  revenus  au  chapitre  de  Saint- 
Ëtionne  :  «  Tilandem  monelam  cum  omni  redditu  possidere  valeat 
eternaliter  et  possidendo  ordinare  legaJiter  ut  ipse  et  successores  sui 
quicquid  inde  exigere  potuerint  eisdem  IVatribus  conférant  »  {VddL^ 
p.  23-24). 


LES  PRINCIPAUTÉS   ECCLÉSIASTIQUES.  561 

3**  Noyoji.  —  L'évêché  échut  à  un  membre  de  la  maison 
même  de  Vermandois,  après  qu'elle  se  fut  unie  étroitement 
aux  Carolingiens*  :  Liudulf,  fils  du  comte  Albert  de  Verman- 
dois et  de  la  propre  sœur  de  Lothaire,  Gerberge,  devint 
évoque  en  977. 

Par  la  puissance  de  sa  maison  et  sa  parenté  avec  la 
famille  royale,  il  se  trouva  placé  dans  les  conditions  les 
plus  favorables  pour  asseoir  sa  domination  séculière,  pour 
tirer  tout  le  parti  possible  de  l'immunité  accordée  à  son 
siège  par  Charles  le  Simple  (901)  et  par  le  pape  (988).  Il 
supplanta  le  comte  '.  Son  successeur  évinça  le  châtelain  du 
roi(J027)^ 

4**  Laon.  —  On  rencontre  encore  des  comtes  laïques  de 
Laon  vers  le  milieu  du  x*  siècle*,  tandis  que  vers  la  fin  de 
ce  siècle  et  au  commencement  du  suivant,  la  seigneurie 
ecclésiastique  est  constituée.  Autant  il  serait  téméraire  de 
conclure  à  Texistence  du  comitatus  épiscopal,  dès  988,  en  se 

*  Lot,  op.  cit.,  p.  90. 

2  Cf.  Lefrane,  Hist.  de  NoyoUj  p.  91  suiv.,  p.  180. 

3  T.  II,  p.  278.  —  Je  note  pourtant  que  dans  la  Vie  de  saint  Gé~ 
raudy  de  Sauve  Majeure,  écrite  à  la  fin  du  xi"  siècle,  il  est  fait  men- 
tion d'un  miles  regiuSy  originaire  de  Noyon  et  frère  du  châtelain  de 
la  cité  :  «  Berfegius  nomine...  armorum  probitate  strenuus...  divitiia 
seecularibus  et  dignitate  ad  plénum  munitus  :  fuit  enim  Francigena, 
ex  regiis  militibus  non  infîmus,  ex  Noviomo  civitate  Franciœ  oriun- 
dus,  castellani  ipsius  civitatis  germanus,,.  nimirum  quia  nobilis  et 
nobili  génère  ortus,  etc.  »  (Mabillon  SB.  VI.  2,  887).  —  Est-ce  d'un 
châtelain  du  roi  ou  d'un  châtelain  de  Tévêque  qu'il  est  question?  Je 
l'ignore. 

*  En  940  le  comte  Roger  se  recommande  au  roi  de  Germanie  Othon, 
en  môme  temps  que  Hugues  le  Grand  et  Herbert  II  de  Vermandois 
(Flodoard,  Ann.,  ad.  an.  940,  Migne,  135,  455).  Louis  d*Outremer, 
l'année  suivante,  le  fait  prisonnier  et,  se  réconciliant  avec  lui,  lui  con- 
cède à  nouveau  le  comté  de  Laon  :  «  Rotgario  Laudunensem  comi- 
tatum  dédit  .>  (Flodoard,  ad.  an.  941,  Migne,  135,  457).  Son  fils  Hu- 
gues meurt  tout  jeune,  en  961,  en  instituant  le  roi  Lothaire  son  héri- 
tier (Flodoard,  ad  an.  961,  i6id.,  c.  485).  — Diplôme  de  Lothaire,  961 
(H.  F.  IX,  62 4f)  :  «  Hugo  cornes ,  nosterque  consanguineus,  etc.  ». 

F.  —  Tome  HT.  36 


562  hlYBM  lY.   —  CHAPITRB  lY. 

basaotsur  la  mentioo  par  Ricber*  d'ane  lexaçrioria  abusive 
qi]*anrait  iDtrodaite  Adalberoo  (Ascelio)  \  aotant  il  me 
paraît  manifeste  qae  Thabileté  sans  scrupule  et  Téoergie 
tenace  d'Adalberon  (fauteur  du  poème  adressé  an  roi  Ro- 
bert; furent  la  véritable  source  du  pouvoir  qu^il  a  légué  à 
ses  successeurs.  Sa  base  de  nouveau  fut  surtout  militaire. 
Hugues  Capet  qni  croyait  pouvoir  compter  sur  Ascelin  lui 
avait  confié  la  forteresse  de  Laon  en  991.  En  995,  il  la  lui 
rerlemanda  en  vain  ',  et  une  réquisition  analogue  de  son 
fils  Robert  n'eut  pas  plus  de  succès  en  999  ^.  L'évêque  par 
là  était  maître  de  la  ville  et  domina  le  Laonnais'. 

5*  Beautais. — Le  rôle  des  évoques  de  Beauvais  nous  est 
peu  connu  dans  la  première  moitié  du  x*  siècle.  Hildegaire 
apparaît  sur  la  scène  en  949  comme  partisan  d'Hugues  de 
Vermandois',  Hervé  siège  et  prononce  un  discours  au 
concile  de  Saint-Basie,  réuni  par  Hugues  Capet  pour  juger 
Arnoul  de  Reims  \  C'est  d'eux,  sans  nul  doute,  et  non  pas 

«  Richer,  IV,  15. 

'  C'était  d*abord  TopinioD  de  M.  Lot,  p.  182,  note  1,  mais  il  a  re- 
connu ensuite  qu'il  ne  devait  s'agir  dans  le  passage  de  Richer  que 
d'une  perception  abusive  de  redevances  foncières  (Cf.  p.  221,  note  1). 

»  Richer,  IV,  95,  96. 

*  Lettre  de  Gerbert,  p.  241,  éd.  Havet.  Cf.  Pfister,  p.  59. 

•  Les  premières  monnaies  connues  des  évêques  de  Laon  sont  pré- 
cisément d'Adalbéron. 

Elles  portent  d'un  côté  Teffigie  en  buste  du  roi  Robert  avec  une 
couronne  crénelée  et  la  légende  : 

•{•    Ht)BT    FRANC   RKX 

de  l'antre  le  buste,  figuré  de  face,  de  l'évêque  avec  un  capuchon  et 
la  légende  : 

f  ADALBERO    LAD.   EP. 

Voyez  Poey  d'Avant,  Description  des  monnaies  seigneuriales  fran^ 
çaises  (Fontenay,  1853),  p.  389-90. 

«  Richer,  II,  82.  T.  I,  p.  250-1. 

'  Il  y  parle  en  seigneur  ecclésiastique  :  «  Cavendum  summopere  est^ 
ne  leges  divinas  forensibus  comparemus.  Plurimum  enim  a  se  diffe- 
runt,  cum  divinarum  sit  de  ecclesiasticis  negotiis  tractare  et  secula- 
riura  secularibus  adhiberi  »  (Richer,  IV,  55). 


LES   PRINCIPAUTÉS   ECCLÉSIASTIQUES.  563 

seulement  de  leur  successeur  Roger,  que  date  la  naissance 
de  la  seigneurie  ecclésiastique  de  Beauvais.  Que  Roger  ait 
fait  un  échange  avec  Eudes  II,  comte  de  Blois*,  ou  qu'il 
ait  reçu  de  lui  une  simple  libéralité,  peu  nous  importe. 
Mais  des  circonstances  notables  ressortent  pour  nous  du 
diplôme  fameux  de  Robert  II  de  Tan  1015*  : 

1**  Sur  le  faubourg  de  Beauvais  et  sur  certains  villages, 
le  comte  avait  antérieurement  déjà  concédé  à  Tévêque 
tous  les  droits  et  revenus  du  comté,  comté  qu'il  tenait  lui- 
même  en  bénéfice  du  roi'. 

2°  Sur  d'autres  villages  sa  concession  actuelle  consiste 
tantôt  dans  la  totalité,  tantôt  dans  la  moitié  d\x  comitatus^ . 

3*  Les  droits  comtaux  sur  la  ville  même  de  Beauvais 
ne  semblent  plus  exister.  Ils  sont  passés  sous  silence. 

4°  Le  comte  abandonne  à  l'évêque  toute  sa  part  du 
comté*. 

Soit  en  totalité  sur  la  cité,  soit  partiellement  sur  les 
villâB  qui  s'y  rattachent,  le  comitatus  appartenait  donc 
déjà  à  l'évêque.  Il  s'est  agi  seulement  de  le  compléter 
et  de  le  consolider  entre  ses  mains  pour  qu'il  le  tînt  en 
entier  et  directement  du  roi.  Aussi  l'activité  guerrière  des 
évOques  de  Beauvais,  qui  nous  échappe  en  partie  au  x* 
siècle,  s'affirme-t-elle  désormais.  On  la  verra  s'épanouir 
pleinement  avec  Philippe  de  Dreux*. 

^  M.  Labande  (Histoire  de  Beauvais^  Paris,  1892)  Ta  contesté  avec 
beaucoup  de  force  (p.  30-31). 

'^  Ce  diplôme  a  été  publié  à  nouveau  par  M.  Labande,  p.  259-60. 

3  «  Omnes  exactiones  et  redditus  comitatus,  quem  tenebat  ex  nos- 
tro  benefiçio  in  suburbio  Belvacensis  urbis,  et  in  villis  extra  ambitum 
civitatis  constitutis,  sicMt;am  ipsiepiscopo  concesserat  ac  diviserat  ». 

*  «  Quidquid  pertinebat  ad  comitatum  in  villis...  medietatem  quo- 
que  comitatus  in  villa...  ». 

*  «  Fecit  haeredem  prœscripti  comitatus...  ut  habeat,  teneat  atque 
possideat  suprad.  episcopus  prœfatam  divisianem  comitatus,  cum 
omnibus  suis  successoribus  ». 

6  Géraud,  Le  Comte-Évéque,  Bibl.  Ec.  des  Charteg,  V  (1843),  p.  8- 
30. 


565 


CHAPITRE  FINAL 


FRANCIS      ET     GAULE. 


Au  priQcipat  delà  Francie  que  nous  venons  d'envisager 
dans  sa  genèse  et  dans  ses  rapports  particuliers  avec  la 
couronne,  nous  aurons  à  opposer,  du  même  point  de  vue, 
le  principat  du  surplus  de  la  Gaule.  Nous  avons  vu  la 
Francie  se  démembrer  en  grandes  principautés  et  celles-ci 
entrer  en  collision  soit  entre  elles,  soit  avec  la  royauté. 
Nous  verrons  se  disloquer  de  même  et  donner  naissance 
à  des  groupes  soumis  à  d'incessantes  et  souvent  à  de  vio- 
lentes fluctuations  les  duchés  et  les  royaumes  secondaires 
qui  existaient  en  dehors  de  la  Francie.  La  force  de  disper- 
sion, alimentée  par  les  convoitises  et  l'esprit  particulariste, 
l'emporta  même  davantage  ici  sur  l'affinité  ou  la  cohésion 
et  favorisa  avec  excès  l'indépendance  des  seigneuries  infé- 
rieures. 

En  Bourgogne,  Otte-Guillaume  acquiert  un  comitatus 
qui  le  fait  appeler  par  un  hagiographe  contemporain 
«  comte  de  la  majeure  partie  de  la  Bourgofçne*  »,  et  qui 
deviendra  la  Franche-Comté.  En  Aquitaine,  le  principat  est 
disputé  entre  les  comtes  de  Poitiers  et  ceux  de  Toulouse,  et 
quand  il  demeure  définitivement  aux  premiers,  leurs  rivaux 
s'affranchissent  du  ducatus  et  créent,  au  cours  des  siècles, 
un  principat  distinct  d'où  sortira  le  Languedoc.  La  Gasco- 
gne reste  indépendante  de  l'Aquitaine  et  n'est  placée  sous 

*  «  Comité  maximœ  partis  Burgundiae  Wilielmo  »  (Vie  de  iaint 
Guillaume,  abbé  deSaint-Bënigne,  par  Raoul  Glaber,  Mabiilon,  SB. 
VI,  I,  p.  329). 


566  LIVRE   IV.    —   CHAPITRE  FINAL. 

raulorilé  des  ducs  que  par  Guy  Geoffroy,  fils  de  Guillaume 
le  Grand. 

Dans  tous  ces  pays,  des  seigneuries,  laïques  ou  ecclé- 
siastiques, conquièrent  une  autonomie  presque  complète, 
échappent  presque  entièrement  à  Taction  des  grands  prio- 
cipats.  Quand  le  duc  d'Aquitaine  récupère  la  Gascogne, 
c'est  presque  un  titre  nu  qui  lui  échoit.  Quand  s'ouvre  en 
Bourgogne  (1002)  la  succession  du  duché,  par  la  mort  sans 
enfants  légitimes  de  Henri  de  France,  les  droits  du  duc 
sont  réduits,  pour  ainsi  dire,  à  néant.  11  eu  va  de  même 
dans  le  royaume  de  Bourgogne  et  de  Provence.  Non  seu- 
lement des  comtes  puissants  accaparent  la  souveraineté 
effective  (comtes  de  Bourgogne,  de  Genève,  de  Lyon, 
comtes  d'Albon,  comtes  d'Arles,  etc.),  mais  le  roi  bourgui- 
gnon lui-même  abandonne,  par  largesse  ou  libéralité,  ses 
droits  comtaux,  cédant  comtés  de  Vienne  et  de  Tarentaise, 
comté  de  Valais  et  pays  de  Vaud,  si  bien  que  le  jour  où  le 
royaume  de  Bourgogne  passe  à  rAIIemagne,  sous  Conrad 
le  Salique  (1033-1034),  ce  ne  fut  qu'une  suprématie  très 
lâche  qui  se  trouva  acquise  au  souverain  étranger. 

Le  démembrement  dont  je  viens  de  donner  des  exem- 
ples saillants,  en  attendant  que  je  le  décrive  en  détail,  eut 
une  influence  profonde  sur  l'avenir  de  la  France  et  de  la 
monarchie  française.  Il  fit  obstacle  a  ce  qu'aucun  des 
principats  pût  s'assurer  l'hégémonie  (encore  que  TAquitaioe 
prît  parfois,  comme  la  Francie*,  le  nom  de  Gaule*),  il  pro- 
cura au  rex  Francorum  des  sujets  latents  ou  expectants 

*  C'est  ainsi  que  le  beau-frère  de  Hugues  Capet,  Frédéric,  duc  de 
Lorraine  [Francia  média]  est  appelé  «  dux  Galliœ  medianss  ».  We 
d'Adalbéron  II  de  Metz  /Migne,  439,  1553;  Mabilion,  SB.  VI,  I, 
29)  :  «  Adalbero,  patre  Friderico,  qui  Galliœ  medianse  dux,  geaero- 
sitatis  excellentia...  multos  prœdecessorum  in  id  offtcii  superavit.  » 

2  Penilant  la  minorité  de  son  fils  Guillaume  Aigrel,  Agnès,  Teuve 
de  Guillaume  le  Grand,  gouvernait  sagement,  nous  dit  une  charte  de 
i041,  le  pays  des  Gaules  (Charte  de  Saint-Maixent,  I,  p.  il5).  En 
1060-61,  le  duc  d'Aquitaine,  Guy  Geoffroy,  est  qualifié  dux  Gallorum 
(Richard,  Comtes  de  Poitiers^  I,  p.  268,  note  m  fine). 


FRANCIE   BT   GAULE.  567 

dans  le  grand  nombre  des  seigneuries  que  le  principal  ne 
pouvait  maîtriser,  il  empêcha  l'union  intime  avec  l'Alle- 
magne des  populations  qui  nominalement  plus  qu'effecti- 
vement y  furent  rattachées  et  rendit  possible  ce  soulève- 
ment des  seigneurs  lorrains  qui  rouvrait  périodiquement  la 
porte  aux  revendications  de  la  maison  de  France  sur  leur 
pays,  enBn  c'est  en  partie  grâce  à  lui  que  la  royauté  des 
X"  et  XI*  siècles  ne  risqua  point  d'être  dépossédée  de  la 
couronne  par  un  des  principats  de  la  Gaule. 

En  dehors  de  l'Aquitaine,  la  Normandie  qui  était  restée 
compacte  et  s'était  agrandie  du  Maine  et  de  la  Bretagne 
aurait  pu  y  prétendre,  mais  elle  avait  à  compter  elle  aussi 
—  je  crois  l'avoir  suffisamment  prouvé  pour  le  Maine  et 
je  le  prouverai  pour  la  Bretagne  —  avec  l'indépendance 
ethnique  des  populations  annexées,  et  ses  chefs  n'avaient 
pas  à  leur  actif  le  prestige  traditionnel  de  la  suprématie 
franque.  N'est-ce  pas  un  fait  singulièrement  remarquable 
que  ce  fut  par  Tinlerposition  d'un  principat  de  la  Francie, 
la  réunion  aux  mains  de  la  maison  d'Anjou  des  grands 
principats  de  Normandie  et  d'Aquitaine,  que  naquit  au 
XII*  siècle  le  péril  pour  la  dynastie  capétienne  d'être  dé- 
pouillée de  la  couronne,  pour  la  Gaule  entière  le  danger 
d'être  privée  de  son  indépendance  nationale? 

On  s'est  exagéré,  il  est  vrai,  la  solidité  et  trompé  sur  la 
nature  du  lien  qui  unissait,  au  xi*  siècle,  les  principats  de 
la  Gaule  au  roi  de  France,  et  je  me  suis  engagé  à  démon- 
trer par  les  sources  qu'il  était  juridiquement  très  diffé- 
rent de  celui  qui  existait  entre  le  roi  et  les  princes  de  la 
Francie.  En  outre,  toute  subordination  légale  au  regnum 
Fmncorwm  avait  cessé  pour  les  pays  d'empire.  Ils  étaient, 
comme  le  dira  un  archevêque  de  Reims  du  xi*  siècle, 
extra  regnum  Francorum,  le  roi  de  France  n'y  avait  ni 
juridiction  [cognitio)  ni  autorité  suprême  {reverentia)  *. 

*  «  Quid  vel  apud  Lugdunum  vel  alibi  extra  regnum  Francorum 
perturbatio  nostra  posset,  ubi  nec  Régis  noslri,  nec  nostra  cognitio 


568  LIVRE  IV.   —  CHAPITRE  FINAL. 

Mais  nous  nous  rendrons  compte  que,  pour  être  dissem- 
blable,  la  fidélité  des  princes  de  la  Gaule  n'en  fat  pas 
moins  réelle,  et  que  si  la  puissance  flamande,  par  exem- 
ple, s'est  élevée  assez  haut  pour  viser  i  la  ccnstitatîoD 
d'un  royaume  mitoyen  entre  l'Allemagne  et  la  France,  ce 
fut  au  détriment  du  premier  pays  plus  que  du  nôtre.  Là 
même  où  la  sujétion  royale  se  relâcha  le  plus,  là  môme* 
dirai-je,  où  elle  s^évanouit,  nous  découvrirons  au-dessous 
du  principal,  et  chez  les  seigneurs,  et  dans  rÉglise,  et  dans 
les  classes  populaires,  des  fibres  multiples  et  vivaces  qui 
ne  cessèrent  de  rattacher  dinrex  Francorum^  au  successeur 
de  Charlemagne,  du  grand  empereur  épique,  jusqu'aux 
parties  les  plus  reculées  delà  Gaule.  Dans  les  faits,  comme 
dans  les  sentiments  et  les  idées,  nous  retrouverons  à  la 
fois  cette  suprématie  carolingienne  et  franque  et  ce  pou- 
voir spirituel  des  rois  francs  que  je  me  suis  efforcé,  dans 
ce  volume,  de  dégager  des  obscurités  dont  un  passé  mil* 
lénaire  les  avait  recouvertes. 

Le  principat  lui-même  se  révélera  à  nous  comme  une 
image  réduite  de  la  majesté  carolingienne,  image  exposée 
journellement  aux  regards  des  peuples  qu'il  gouverne.  En 
rétudiant  dans  sa  structure  et  dans  son  fonctionnement, 
aussi  bien  dans  la  Francie  que  dans  le  reste  de  la  Gaule, 
nous  le  verrons  se  modeler  sur  la  royauté,  en  réfléchir 
Téclat  comme  de  brillants  satellites,  s'ériger  en  souverai- 
netés au  petit  pied  et  préparer  de  la  sorte,  pour  sa  part, 
si  inconsciemment  que  ce  pût  être,  à  la  fois  Tunité  politi- 
que du  pays  et  cette  autre  unité,  plus  féconde  encore, 
l'unité  organique  de  la  société  française. 

aut  rêveront  la  ulla  viget?  Quapropter  si  vultis.  satis  cognoscitis, 
quod  de  illis  Galliarum  partibus  sine  dubio  dictum  est  ubi  regnum 
FraiicisD  sitiim  est  »  (Apologie  de  IVchevéque  de  Reims  MaDassès, 
adressée  au  légat  Hugues  de  Die,  archevêque  de  Lyon;  BlabîUon, 
Muséum  italicurriy  Paris,  1724^  I,  2,  pp.  124e-125). 


APPENDICE 

ADDITIONS    ET    RECTIFICATIONS 


I.  —  Bibliographie  des  sources. 

U  Cartulaires. 

Angers  (Saint-Laud),  chapitre.  Carlulaire  retrouvé  en  1898 
(voir  :  Bibl.  École  des  Chartes,  1898,  p.  533  et  suiv.),  pu- 
blié par  A.  Planchenault  (19  chartes  du  xi"  siècle),  An- 
gers, 1903. 

Angoulême,  cathédrale.  Cartulaire  publié  par  J.  Nanglard 
(r»7  chartes  de  908  à  1100),  Angoulême,  1900. 

Bayeux  (Livre  noir),  cathédrale.  Cartulaire  publié  par 
V.  Bourrienne  (Chartes  des  xi*  et  xii"  siècles),  Rouen  et 
Paris,  1902. 

CoRBiÉ,  abbaye.  Chartes  des  ix®  et  x*  siècles  publiées  par  Le- 
villain,  dans  Examen  critique  des  chartes  mérovingiennes  et 
carolingiennes  de  Vabb.  de  Corbie,  Paris,  1902. 

CoMPiÈGNE  (Saint-Corneille).  Carlulaire  publié  par  E.  Morel 
(Chartes  du  ix«  au  xii«  siècle),  Compiègne,  1894-99. 

Mas  d'Azil...  lisez  :  publié  par  Cau-Durban. 

Vierzon.  Abbaye,  chartes  des  x*  et  xi®  siècles,  tirées  surtout  du 
Cartulaire  MS.  de  Vierzon,  publiées  par  le  conate  de  Toul- 
goët-Tréanna,  dans  Histoire  de  Vierzon  el  de  l'abbaye  de 
Saint-Pierre^  Paris,  188i. 


570  APPENDICE. 

2*  Vies  des  saints,  translations  et  miracles. 

AaiLK  (Saiot),  premier  abbé  de  Rebais  (f  v.  650),  Miracles 
(xi^-xii*  siècle).  Mabillon,  SB.  II,  326-34  (Prose  farcie 
d*hexaiDètres). 

Ansblmb  (Saint),  archevêque  de  Caotorbéry  (f  1109).  Vie  par 
Eadmer  son  disciple  (1060-1124),  Migoe  158,  49-120. — 
Miracles  par  le  même,  Liebermann  Angla-normann,  Ge- 
schichUq.,  Strasbourg,  1879,  p.  303-17. 

Ayoul  (Saint),  abbé  de  Lérins(f  675),  Translation  à  Fleury, 
puis  à  Provins  (x«  siècle).  Mabillon,  SB.  II,  666-7.  —  Mira- 
cles à  Provins  (milieu  xi*  siècle),  ibid.,  667-72. 

Bavon  (Saint)...  ajoutez  :  autre  recueil  de  miracles  (xi«  siècle), 
SS.  XV,  608-9. 

BâNiGNB  (Saint),  marlyr  à  Dijon.  Miracles  (x*-xi»  siècle).  Bol. 
AS.  1^'nov.  I,  p.  173-9. 

Bbrtin  (Saint)...  lisez  :  Miracles  x^-xii°  siècle. 

EuGâNB  (Saint),  évêque  de  Tolède.  Translation  de  saint  Denis 
à  Brogne  par  saint  Gérard.  Relation  contemporaine  (928- 
937)  et  miracles  (x«  siècle),  Anal.  Boll.  III,  1884,  29-64. 

Gautier  (Saint),  abbé  de  l'Eslerp,  diocèse  de  Limoges  (f  1070). 
Vie  par  Marbode  (avant  1096).  Bol.  AS.  il  mai,  II,  701-6; 
Migne,  171,  1565-74. 

Géraud  (Saint),  fondateur  de  Sauve-Majeure  (f  1095).  Vie  par 
un  contemporain.  Mabillon,  SB.  VI.  2,  877-92;  Migne,  147, 
1023-46. 

Godon  (Saint),  abbé  d'Oye,  diocèse  de  Troyes  (f  690).  Vie  et 
miracles  (xi*  s.)  dans  Martèné,  AtnpUss.  Coll.,  VI,  795-804 

GuDULK  (Sainte)  (f  706-14).  Vie  et  miracles  par  Hubert  do  Bra- 
bant  (vers  1047).  Bol.  AS.  8  janvier  I,  514-23;  Duchesne, 
Hist.  Fr.  I,  656  suiv. 

Guillaume  (^Saint),  duc  d'Aquitaine,  ajoutez  :  miracles  (vers 
1006)  par  un  moine  de  Gellone.  Mabillon,  SB.  IV,  2.  556- 
61. 


APPENDICE.  571 

Hélène  (Sainte),  mère  de  Constantin.  Revelatio,  par  Notcher, 
abbé  de  Hautvilliers  (1095).  Mabillon,  SB.  IV.  2,  154-6. 
Miracles  (1"  moitié  xi«  s.).  Bol.  AS.  18  août  III,  618-22. 

Herluin  (Bienh.),  fondateur  de  l'abbaye  du  Bec  (f  1078).  Vie 
par  Gilbert  Crispin  (f  1114).  Mabillon  SB.  VI.  2,  342-55. 

Hubert  (Saint),  évêque  de  Liège  (f  727).  Miracles  par  un 
moine  d'Andagine  Cxi«  siècle,  avant  1087),  Mabillon.  SB. 
IV.  1,  297-305. 

HuMBBRT  (^Saint),  ajoutez  :  Mabillon,  SB.  II,  800-806. 

HuNEGONDE  (Sainte).  L'indication  :  Mabillon,  SB.  11,1018-30, 
se  réfère  à  la  vie.  La  translation  de  946  se  trouve  ibid.^ 
p.  213-21  et  une  autre  de  1051,  p.  221-226. 

JossE  (Judocus)  (Saint),  fils  du  roi  breton  Judhael  (f  669). 
Vie  par  Florent  de  Saint-Josse-sur-Mer  (1015),  Surius, 
13  décembre  VII,  100711.  — Inventio  (977),  décrite  par 
Isembard  de  Fleury(sous  Robert  II).  Fragm.dansDuchesne, 
IV,  144-47  et  Mabillon.  SB.  II,  571.—  Translation  et  mira- 
cles dans  Orderic  Vital,  II,  p.  136  suiv.  (éd.  Le  Prévost). 

Léger  (Saint),  évéque  d'Autun  (f  678).  Vie  et  miracles  par  Fru- 
land,  moine  de  Murbach  (vers  1041),  dans  Pitra,  Histoire 
de  saint  Léger,  Paris,  1846,  p.  527-68. 

Lewine  (Sainte)  (vu''  s.).  Translation  (1058)  d'Ançleterre  à  Ber- 
gues  et  miracles  par  le  moine  Drogon  (1060-1070).  Mabil- 
ion,  SB.  VI.  2, 112-126. 

LiETBERT  \^Saint),  évêque  de  Cambrai  (1051-76).  Vie  par  un 
contemporain  (Rodolphe,  moine  du  Saint-Sépulcre  de 
Cambrai).  Bol.  AS.  13  juin,  IV,  586-606.  —  Migne,  146, 
1449-84. 

Marius  (Saint),  solitaire  à  Mauriac  (v.  600).  Miracles  et  trans- 
lation (xi«s.).  Bol.  AS.  Juin,  II,  114-26. 

NicAiSE  (Saint).  Translation  à  Rouen  (1032).  Migne,  162, 1163- 
66. 

Nicolas  (Saint).  Translation  à  Angers  (v.  1080)  et  miracles  par 
Joël,  abbé  de  la  Couture  du  Mans  (f  1097).  Catal.  cod.  Hag. 
III,  158-62. 


572  APPENDICE. 

OuEN  (Saint),  ajoutez  :  Translation  (918),  Migne,  162,  1153- 
116:^.  Complément  des  miracles,  Anal.  BolL,  xx,  169-76. 

OuRY  (Udalricus)  (Saint),  évêque  d'Augsbourg  (f  973).  Vie 
contemporaine  par  Gerhard,  prêtre  d'Augsbourg  (982)  (em- 
brasse la  période  de  890  à  892).  Mabillon  SB.  V,  419-60. 
Migne,  135,  1009-58.  —  Miracles.  Mabillon,  V,  460-70. 
Migne,  135,  1059-70. 

Quentin  (Saint),  ajoutez  :  Passion  et  inventions  en  vers  (ix®-x* 
siècle).  AnaLBoll.,  XX,  1901,  1-44. 

PoppoN  (Saint),  lisez  :  Everhelm  au  lieu  de  Everheino,  qui  est 
une  faute  d'impression.  C'est  sans  doute  une  faute  analo- 
gue qui  fait  dire  à  M.  Molinier  [a°  1719)  qu'Everhelm  était 
abbé  d'Hautmont  «  un  peu  avant  1132  ».  Il  Tétait  avant 
1052. 

Prudence  (Saint)...  ajoutez  :  le  recueil  de  miracles  n'a  été 
que  compilé  par  Thibaut  de  Bèze.  Il  date  du  xi*  siècle. 

RicTRUDE  (Sainte)...  ajoutez  :  Miracles  antérieurs  au  xi*  siècle. 
Bol.  AS.  III,  p.  89-118. 

Servais  (Saint),  évoque  de  Tongres  (f  iv®  siècle).  Translation 
et  miracles  par  le  prêtre  Jocundus  (1088).  SS.  XII,  87-126. 

SiMÉON  (Saint),  moine  à  Trêves  (-[-  1035).  Vie  contemporaine 
(1035-1047),  par  Bberwin,  abbé  de  Saint- Martin  de  Trêves. 
Mabillon,  SB.  VI,  371-81. 

TiiiBAUD  (Saint),  archevêque  de  Vienne  (vers  952).  Fragments 
d'une  vie  ancienne  publiés  par  Manteyer  dans  Moyen-Age, 

1901,  p.  26-4-:i68. 

Thiekuy  (Saint)...  ajoutez  :  Mabillon  SB.  VI,  2,  559-82. 

Ulrich  (Udalricus)  (Saint),  de  Gluny,  fondateur  de  la  Celle 
(forêt  noire)  (f  1093).  Vie  récrite  de  1109-1120,  Mabillon, 
SB.  Vl.L>,781-80-i. 

Vivien  (Saint).  Vojiox^  :  Bibien. 

3°  liwgrapliies,  chroniques  et  opuscules. 

Anselme  de  Reims,  Hiatoria  dedicationis  ecdesias  Sancti  Re- 
migii.  xMabillon,  SB.  VI,  I,  711-727. 


APPENDICE.  573 

Chronique  de  Bonneval  (diocèse  de  Chartres)  (milieu  du 
xi«  siècle),  Mabillon,  SB.  ÏV.  2,  504-6.  Rééditée  avec  une 
S""  partie  qui  date  du  xii*  siècle,  par  R.  Merlet,  Chartres, 
1890. 

Chronique  DE  Morigny,  assignée  par  mégarde  à  la  Bourgogne, 
au  lieu  de  la  Francie. 

Chronique  de  Geoffroy  du  Yigeois  (Aquitaine),  ajoutez  : 
Labbe,  Biblioth.  nova  MSS.  Il,  279-342. 

Falcon,  Chronique  de  Tournus  (v.  1087).  Mabillon,  IV,  1, 
560-3. 

Garnier  (Vie  de)  (prévôt  de  Saint-Étienne  de  Dijon),  dans 
Fyot,  Hist.  de  Saint-Etienne  de  Dijon,  Dijon,  1696. 

Gilbert,  de  Saint-Amand  (f  1095),  Carmen  de  incendia 
S.  Amandi,  SS.  XI,  409-32. 

Hugues,  archidiacre  de  Tours,  Dialogus  ad  Fulbertuniy  de  mi- 
raculo  S.  Martini  (iOi^-iO'iS).  Mabillon,  Vetera  Analecta, 
Paris,  1723,213-7. 

Ulrich  (Saint),  de  Cluny,  Consuetudines  Cluniacensea  (1082- 
1087),  Migne,  149,  635-778.  —Un  MS.  du  xi"  siècle,  pro- 
venant de  Cluny,  vient  d'entrer  à  la  Bibliothèque  nationale, 
Douv.  acq.  lat.,  638. 


II.  —  Texte  et  notes. 

Page  463,  note  3.  —  Ajoutez:  Miracles  de  saint  Agile  (1,  3, 
Mabillon,  SB.  II,  p.  326)  :  «  Rodberto  (Robert  II)  apud  Mero- 
vingiam  quœ  alio  nomine  dicitur  Francia,  tenente  jus  regium, 
post  mille  a  Passione  Domini  volumina  annorum.  » 

Page  211 ,  note  4,  —  Louis  IV  dit,  en  parlant  de  Hugues  le 
Grand  :  «  consilio...  Hugonis  dilectissimi  nosiri  et  Francarum 

duCiSj  QUI  est  in  omnibus  RBONiS  NOSTRIS  SBCUNDU8  A  NOBIS.  » 

(55  décembre  936,  Diplôme  pourCompiègne,  CartuL  de  Saint- 
Corneille,  p.  36).  —  Dudon  de  Saint-Quentin  appelle  le  même 
prince  :  «  Totius  regni  dux  etprinceps  »  (éd.  Jiair,  p.  192). 


574  APPENDICE. 

Pages  238-239.  — Cf.,  pour  les  prétentions  de  faire  du  sacre 
une  coDdition  du  pouvoir  temporel,  un  passage  de  la  vie  de 
saint  Oury.  Saint  Pierre  apparaît  au  saint,  lui  montre  deux 
épées  dont  Tune  est  dépourvue  de  poignée,  et  le  charge  de  rap- 
porter ces  paroles  au  roi  Henri  l'Oiseleur  :  «  Die  régi  Henrico, 
ille  ensis  qui  est  sinecapuIo,signiGcalregem  qui  sine  benedic- 
tione  pontifical!  regnum  tenebit;  capulatus  autem,  qui  bene- 
dictione  divina  regni  tenebit  gubernacula  »  {Vita  S.  Udalrici 
al.  12,  Mabillon,  SB.  V,  p.  425). 

Page  252,  note  2.  —  Sur  la  nécessité  du  consentement  royal 
pour  la  tenue  d'un  concile,  voyez  la  lettre  du  pape  Etienne  IX 
à  Tarchevêque  de  Reims  Gervais  (7^"-8^  1057,  Jaflfé,  n.  4372, 
H.  F.  XI,  492  A)  :  «  De  concilio  Remis  habendo  quid  aliud 
dicendum,  nisi  quod  beatae  memoriae  Victor  Dei  judicio  hinc 
est  raptus,  et  quod  tu,  sicut  inler  vos  {nos  d'après  JafTé)  con- 
venit,  non  remandasti  an  in  hoc  esset  régis  consensus  ». 

Page  273.  —  L*appel  des  notes  est  défectueux  ;  il  doit  être 
rectiOé  ainsi  : 

')  après  «  compréhensive  »  (1'®  ligne),  *)  après  «  dons  »,  ') 
après  «  guerre  ».  Supprimer  le  chiffre ')  après  «  roi  »  (4«  ligne). 

Page  34 â.  —  Voyez  pour  les  rapports  que,  malgré  son  excom- 
munication,  Philippe  I  a  entretenus  avec  le  clergé  français  en 
1095,  la  Translation  de  sainte  Hélène  par  l'abbé  d'Hautvilliers 
Notcher:  »  Quoniam  pro  negotiis  regni  statuendis..,  occursuri 
erant  (l'arch.  de  Reims,  les  évoques  de  Soissons,  Térouanne^ 
Amiens)  glorioso  régi  Philippo  cum  aliis  Galliarum  coepisco- 
pis  in  vico  SuessionicsB  sedi  subjecto,  qui  vocatur  Mons  Sanc- 
tae  Mariœ,  placuit  ut  tantœ  rei  consensus  in  conspectu  régis 
et  procerum  ejus  deferretur  etediclo  ipsius  sive  omnium  auli- 
corum  el  episcoporum  qui  venturi  ibi  erant  autbentica  confîr- 
matione  corroboraretur  (la  reconnaissance  de  l'authenticité  des 
reliques  de  sainte  Hélène)  ;  quod  ita  et  l'actum  est.  Divina  enim 
dispositione  credimus  contigissé,  quod  ibi  totius  GaUiœ  majores 
metropolitœ  affxLerunt,  scilicet  domnus  noster  Raginoldus,  Re- 
mensis  archiepiscopus,  et  Rodulfus  Turonensis  archiep.  et  Ri- 
carius  Senonensis  archiep.  singuli  cum  aliquantis  suœ  dioece- 
seos  suffraganeis  et  abbatibuselc.  »  (Mabillon  SB.  IV,  2, 154-5). 


APPENDICE.  575 

Page  360.  —  La  note  qui  porte  le  chiffre  *)  n'est  que  la  suite 
de  la  note  '.  —  La  note  ^  a  été  omise;  c*est  un  simple  renvoi 
aux  pages  364  suiv. 

Page  392,  note  2,  au  lieu  de  211,  lisez  212. 

Page  47 8 y  note  3.  —  Les  paysans  sont  requis  par  bau  pour 
le  service  de  Tost  royal  (défrichement,  ravitaillement,  etc.). 
Cf.  Ogier,  v.  6135  suiv.  : 

n  Dont  fu  li  bans  par  tote  l'ost  criés 
Que  li  bois  soit  et  tranchiés  et  copés 
Dont  véissiés  ces  vilains  aroter 
A  lors  granshaces  ces  alnois  essarter.  » 

V.  8122  suiv.  : 

n  Par  le  païs  a  fait  li  rois  bucier 
Que  à  i*ost  viegne  qi  voira  gaagnier. 
Gart  n*i  remaigne  vilain  ne  manovrier.  » 

Pages  484-82,  —  La  distinction  entre  Tost  levé  pour  la  dé- 
fense du  pays  et  la  simple  expédition  peut  se  suivre  jusque 
dans  les  coutumes  du  xv«  siècle.  Voyez,  par  exemple,  les 
((  Coustumes  d'Anjou  et  du  Maine  selon  les  rubriches  de  Code  » 
(U37)  (Beauteraps-Beaupré,II,  p.  561)  :  <«  11  a  différence  entre 
houst  et  chevauchée  :  car  houst  est  pour  deffendre  le  pais,  qui 
est  pour  le  prouffit  commun  ;  et  chevauchée  est  pour  deffendre 
son  seigneur.  » 

Page  484,  note  3.  —  Ajoutez  ce  passage  de  la  Vita  Herluini  : 
«  ad  potentise  suse  ostentatum  per  nuncios  eis  non  prope 
diem  belli,  sed  per  plures  an  te  dies  id  se  facturum,  et  quando, 
transmisit  »  (Mabillon,  SB.  VI,  2,  343. 

Page  483.  —  Quand,  à  la  bataille  de  Val-des-Dunes,  le  roi  de 
France,  Henri  I,  est  renversé  de  cheval,  sa  maisnie  accourt  et 
tue  son  agresseur  :  «  Haimo  (Haimon-aux-Dents,  seigneur  de 
Torigny,  etc.),  in  aciecsesus;  cujus  insignis  violentia  laudatur, 
quod  ipsum  regem  equo  dejecerat  :  quare  a  concurrentibus 
stipatorilnis  interemptus  »  (Guillaume  de  Malmesbury,  H.  F. 
XI,  178,  A-B). 


576  APPENDICE. 

Page  A90.  —  Aux  églises  devenues  propriétés  privées  appen- 
daieut,  comme  aux  châteaux  forts,  des  villœ,  des  droits  doma- 
niaux ou  seigneuriaux,  que  les  chartes  appellent:  a  appendiçia 
quae  ad  illam  ecclesiam  respiciunt  ».  Nous  les  rencontrerons 
en  traitant  de  l'Église. 


TABLE    DES  MATIÈRES 


Pages. 

Introduction 1 

Bibliographie  complémentaire  des  sonrces  manascrites 
et  imprimées. 

10  Cartulaires  et  polyptyques 43 

2''  Collections  de  documents  imprimés 16 

30  Vies  des  saints^  translations  et  miracles 18 

4°  Biographies 42 

5°  Chroniques  (par  régions) 43 

6°  Lettres,  sermons  et  opuscules 48 


LIVRE  QUATRIÈME 
La  renaissance  de  l'État. 

Vue  d'ensemble 53 

PREMIÈRE  PARTIE 
LES   BASES   ET  LES   ÉLÉMENTS   CONSTITUTIFS    DE  L'ÉTAT 

§  I.  Les  bases  de  FÉtot. 

Chapitre     I.  Que  la  base  essentielle  de  l'État  est  la  foi  lige 

naturelle 55 

Chapitre   II.  Le  rôle  du  bénéfice  dans  TÉtat 67 

I.  La  largesse  et  Vhonneur 67 

II.  La  lente  formation  de  i*élat  féodal 75 

F. —Tome  III.  37 


578  Table  dbs  matières. 

PageL 

Chapitre  III.  Que  les  progrès  de  Torganisation  féodale  derËtat 
sont  en  raison  directe  de  rhomogénéité  poli- 
tique et  de  la  force  du  pouvoir 87 

Appendice.  —  Le  fief  languedocien  de  900  à  4074 94 

§  II.  Les  éléments  constitutifs  de  l'État. 

Chapitre  I.  Que  le  groupement  territorial  est  clairsemé  et  se- 
condaire         99 

Chapitre   II.  La  seigneurie  personnelle 119 

Chapitre  III.  Les  groupements  fondamentaux 127 

I.  Le  groupement  ethnique 127 

II.  Le  groupement  familial, 133 

III.  Le  groupement  domanial 137 

IV.  Le  groupement  religieux 141 

DEUXIÈME  PARTIE 
LES  ORGANES  GOUVERNEMENTAUX 

§  1.  Le  gouvemement  laïqae. 

I.  La  royauté  et  le  principat. 

Chapitre     I.  Aspect  général 143 

Chapitre   II.  La  théorie  historique  léguée  par  les  feudistes. . .     147 

Chapitre  III.  Qu'aux  quatre  groupements  fondamentaux  de 
l'État  correspondent  quatre  caractères  distincts 
de  la  royauté  et  du  principat 151 

II.  La  royauté. 

Chapitre  I.  Les  destinées  du  droit  royal  de  Louis  le  Débon- 
naire à  Hugues  Capet 155 

§  i.  La  suprématie  franque  et  la  préémin^ce  carolin- 
gienne       157 

§  2.  L'unité  du  Regnum  Francorum  et  la  prééminence  im- 
périale      163 

§  3.  Les  royautés  nouvelles  et  le  droit  royal  carolingien . .     173 

\°  La  royauté  de  Bourgogne  et  de  Provence 175 

2**  La  royauté  de  Bourgogne  transjurane 179 

3°  La  royauté  d'Italie 183 

4°  La  royauté  neustrienne 184 

§  4.  La  royauté  de  Germanie  et  la  prééminence  franque 

et  carolingienne 187 

§  5.  L'avènement  de  la  dynastie  capétienne  et  la  transmis- 
sion de  la  prééminence  franque 199 


TABLE   DES   MATIERES.  579 

PagsB. 

Chapitre   IL  Les  quatre  faces  de  ;la  royauté 209 

8  1 .  La  prééminence  sur  les  princes  de  la  Gaule 209 

§  2.  La  souveraineté  sur  les  princes  de  la  Prancie 243 

§  3«  Le  pouvoir  royal  sur  le  peuple  et  sur  les  seigneurs 

indépendants,  soit  de  la  Gaule^  soit  de  la  Francie..  224 
§  4.  Le  caractère  sacré  de  la  royauté  et  le  pouvoir  sur 

l'Église 235 

I.  Le  caractère  sacré  de  la  royauté 236 

IL  Le  pouvoir  sur  TÉglise  et  sur  le  clergé 242 

1®  Le  pouvoir  général  du  roi  sur  TÉglise,  le  clergé 

et  les  fidèles 243 

2°  Les  pouvoirs  particuliers  du  roi  sur  le  clergé..  258 

1°  Tuitio  ou  garde  et  immunité 259 

2*»  Droit  d'élection  aux  évôchés  et  aux  abbayes 

ou  chapitres 276 

Chapitre  III.  L'indépendance  de  la  couronne 285 

§  1.  La  royauté  et  le  saint  Empire  romain 287 

§  2.  La  royauté  et  le  Saint-Siège 295 

Chapitre  IV.  Les  prérogatives  et  les  attributs  de  la  royauté. . .  3i7 

%  i.  Les  prérogatives 317 

§  2.  Le  pouvoir  législatif 329 

§  3.  Le  pouvoir  exécutif  et  le  pouvoir  d'imposer.  —  Le 

ban  royal 339 

§  4.  Le  pouvoir  judiciaire 356 

/.  Théorie  du  pouvoir  royal 358 

IL  Survivance  de  la  justice  palatine 363 

I.  Le  ressort  de  justice 364 

4.  La  compétence  générale 370 

2.  La  juridiction  spéciale 370 

3.  Les  degrés  de  juridiction.  —  Appel  de  dé- 

faute de  droit  et  appel  de  faux  jugement.  372 

4.  L'appel  d'équité  et  l'arbitrage 376 

II.  Le  plaid  royal 378 

4.  La  procédure  privilégiée.  —  L'enquête...  378 

2.  Le  caractère  définitif  de  la  sentence 384 

3.  La  mainmise  du  roi 85 

Chapitre   V.  Les  «  compagnons  en  la  majesté  royale  » 387 

§  1.  La  famille  du  roi  et  la  transmission  de  la  couronne.  389 

I.  La  transmission  de  la  couronne 389 

II.  Le  roi  désigné 395 

III.  Les  princes  du  sang 401 

IV.  La  reine 405 


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4  2,  La  pairie  priMiaért, . .  41] 

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CiiAfJTitti  VL  Les  organes  et  les  moyôti^  d'ciclioii  fié  (a  royttil^    i20 
§  t .  ta  Qùur  du  rùi  tt  ks  grands  ûffiekn  Ûê  h  c^mrmme,     4iO 

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I  3,  te  di>miiinff  <!f  k  trt$ivr  ou  fistc  du  ro*,^,^  , , 
§  4,  Lm  çffieitrii  Iftcaux  fi  (r^  ttq^nU  dmttanioMx 

ÎÎL  —  Lf  PWNCIFAT* 

PremiÀf ff  part iV.  —  La  Mit.vcsie  iimTouï^^ui:  ihe«  anA-Mow  l'AltwapA^n 

.^  L  La  Prancie ».. ^«6 

\ ,  ben  prmdpautét  èaiqua .  ♦ .  *  ?>(r: 

CieAnTUK     1,  Lit  nmison  de  Vermaîidoia .  » fi07 

DiArïTBB   ïi,  Lw  prindfwtt  (k*  Hlyi>  r*l  Champii^n**. , .  -  l'AA 

CiiAHTHJS  in*  Le  prineipai  ^!u  Vexin  el  du  Vaïob.  53 

CiîAPiTriK  IV ^  Ln  prmcipat  d*;  rAîijtiu  ut  du  Mmiruv. ,.  ^  ^'t 

IL  Les  prindpautéÊ  mûié$i<uttiqut^ S*j7 

CiiAf'iTtiE  Fn*AU  Frande  et  Gaule, .  favr^ 

ApPKNDiGE*  —  âdditiûns  et  rôctiiiciiuotis.,  riUj 


TiAa-tinur.  —  t&^AXicâaia  D^artAirr^Lj&aiiaiiR*. 


LES  ORIGINES 


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L'ANCIENNE  FRANCE 


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JACQUliS  FLACÎT 

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LA    KHNAISSANCh    1>H    L  KTAT 
LA     ROYArTh     in      LH     l'KlNCIPAT 


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