il
BIBLIOTHEQUE ORIENTALE ELZEVIRIENNE
LUI
LES ORIGINES
DE
LA POÉSIE PERSANE
LE PUV. — IMPRIMERIE MARCHE3SOU FILS
LES
ORIGINES
DR
LA POÉSIE PERSANE
PAR
.if^
( m),J. DARMESTETER
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1887
LES ORIGINES
DE
LA POÉSIE PERSANE^
I
1 N jour le roi Behram Gor, d'histori-
I 9
(Ique et légendaire mémoire, était,;
aux pieds de sa maîtresse, la belle Dil A-
ram. Il lui disait son amour, elle lui
répondait le sien. Comme les deux cœurs
battaient d^accord, les paroles battaient
de même et retombèrent sur le même son,
comme un écho. C'est ainsi que naquit en
Perse la poésie, et le rythme, et la rime.
I. Les pages qui suivent ont paru d'abord dans
le Journal des Débats d'avril 1886.
II
La légende est gracieuse, mais en re-
tard. Au moment ou soupirait le roi
Behram, la Perse ancienne touchait à sa
fin ; elle avait derrière elle dix siècles de
littérature et la poésie n'avait pas attendu
pour s'éveiller le caprice d'un cœur de
roi. Sept siècles avant Behram Gor et
Dil Aram, les compagnons d'Alexandre
avaient entendu les poètes de Suse chanter
les amours de Zariarès et d"Odatis, qui se
virent et s'aimèrent en rêve, le seul
amour qui n'ait point de déception'. Plus
tard, les chants de la Perse païenne
avaient plus d'une fois, à la veille des
batailles, scandalisé leschrétiens, à Theure
où le Christ et Ormuzds'entre-égorgeaient
I. Charis de Mitylène. — Firdousi (épisode de
Gouchtasp.
LES ORIGINES DE LA POESIE PERSANE 3
sur le plateau d'Arménie. Mais toute cette
vieille poésie est perdue pour nous : il ne
nous en reste qu'un débri sans grand
charme, les fameuses Gâthas du Zend
Avesta, sermons rythmés d'une morale
irréprochable et qui offrent tout l'inté-
rêt poétique d'un catéchisme.
Au milieu du vii^ siècle de notre ère,
trois batailles livrèrent la Perse aux Ara-
bes, comme jadis à Alexandre. La littéra-
ture nationale sombra avec l'indépen-
dance; la langue du Coran chassa le
pehlvi de la littérature, de la religion, de
Tadministration, et la muse persane
chanta en arabe.
La tradition nationale se réveilla bien
vite. Au bout d'un siècle, Tempire arabe
voyait déjà commencer l'irréparable déca-
dence. Le rêve des Mille et Une Nuits
n'avait été que le rêve d'une nuit d'été.
Le fils d'Haroun al Rachid, Mamoun, le
dernier des grands Califes, fut obligé,
pour monter sur un trône disputé, de
faire appel aux Persans de Khorasan.
Quand il fit son entrée triomphante à
LES ORIGINES
Merv, capitale de la province, un poète
de Merv, connu pour ses poésies arabes,
Abbas, Taccueillit avec une ode persane
composée en son honneur, premier mani-
feste de la poésie nationale :
Nul avant moi, disait-il, n"a chanté poème
de ce genre ; la langue persane a fort à faire pour
s'élever à cette dignité.
Pourtant je l'ai choisie pour chanter tes louan-
ges, afin qu'à glorifier ta grandeur, elle en de-
vienne plus noble et plus belle.
Le charme était rompu : la langue vul-
gaire avait élevé la voix; la poésie per-
sane allait naître ou renaître. Ses débuts
furent lents et obscurs; nous ne la retrou-
vons formée et maîtresse d'elle-même que
deux siècles plus tard, vers l'an looo, à la
Table-Ronde de Mahmoud le Ghazné-
vide; c'est le siècle de Firdousi et du
Livre des Rois. Mais Firdousi a si bien
éclipsé ses contemporains, et plus encore
ses précurseurs, que les deux siècles qui
vont d'Abbas à Firdousi sont vides en
DE LA POESIE PERSANE D
apparence; il ne reste que des noms,
l'œuvre a péri.
Il existe par bonheur, en Perse comme
ailleurs, une race qu'on ne saurait trop
bénir, celle des compilateurs. Une com-
pilation ancienne est un trésor, si nul que
soit rhomme, et moins il a mis de lui-
même. Or, il reste dans la poussière des
bibliothèques persanes une douzaine d'his-
toires poétiques, composées sans critique
et sans goût, mais à une époque où les
vieuK maîtres étaient encore connus. Un
orientaliste, M. Hermann Ethé, un des
plus acharnés fouilleurs de manuscrits
qu'ait produits l'Allemagne, s'est donné
pour tâche de recueillir dans cette pous-
sière tout ce qu'elle cache de débris épars
des poètes d'autrefois '. Il a ainsi exhumé
quinze cents ou deux mille vers, apparte-
nant à une vingtaine de poètes, souvent
insignifiants, mais souvent aussi riches en
surprises pour un lecteur de nos pays et
I. Comptes-rendus de l'Académie de Bavière,
1872-1875, iSjS; Nouvelles de Gœttingue, iSjb;
Recherches orientales^ 18 j5.
O LES ORIGINES DE LA POESIE PERSANE
de nos temps. Ces Persans d'il y a mille
ans sont plus près de nous que quelques-
uns de leurs plus glorieux successeurs. Il
nous faut un effort d'esprit pour entrer
dans le génie de Saadi, de Hafiz, de
Djami, de tous ces habiles artistes, rhéto-
riciens de génie qui auraient pu être
autre chose, mais rhétoriciens, emprison-
nés dans la convention littéraire. Ici, la
convention déjà puissante n'a pas encore
eu le temps de tout glacer; elle n'a pas
encore hgé dans son moule ces éternels
lieux communs du cœur, toujours si
neufs quand ils repassent par une âme de
poète. Par instants aussi, les angoisses de
la pensée et le sentiment du mal univer-
sel éclatent en cris modernes, sûrs d'é-
veiller un écho dans des âmes d^aujour-
d'hui, et de tout l'horizon de nos poésies,
des voix se lèvent pour répondre à ces
maitres lointains du Héri-Roud et de
l'Amou-Daria.
m
D'Abbas à Firdousi, du Calife Ma-
moun au Sultan Mahmoud, de la pre-
mière ondulation de la poésie persane au
moment où elle bat son plein, passèrent
deux siècles et quatre dynasties. Quand
Mamoun vainqueur avait quitté Merv
pour se rendre à Bagdad, son général,
Abdallah, hls de Tahir, s'était payé en
demandant ou prenant l'investiture de la
Perse orientale et avait fondé la dynastie
des Tahérides. Au bout de cinquante ans,
un chaudronnier du Seistan, Yaqoub,
renversa les Tahérides, arracha toute la
Perse au Califat, fonda la dynastie des
Safïarides ou Chaudronniers, et menaça
Bagdad. Le Califat aux abois appela d au-
delà de rOxus les Samanides, famille
turque qui descendait ou prétendait des-
s LES ORIGINES
cendre d'un des derniers he'ros de la Perse
indépendante, mort en exil dans le Tur-
kestan. Ces Samanides régnent un siècle
avec gloire et tombent vers l'an looo de-
vant le Louis XIV du moyen âge oriental,
Mahmoud le Ghaznévide, le roi de Fir-
dousi. Cette époque des Samanides a
laissé dans la mémoire de la Perse le sou-
venir d'une aurore éclatante, d'un âge d'or
de la poésie : c'est la période de création.
Abbas, le poète de Mamoun, n'avait
pas eu de successeur, « bien qu'il eût
« élevé la petite Ourse de l'éloquence à la
« hauteur des Pléiades. » Les Tahérides,
bien que fondateurs de fait de l'indépen-
dance persane, tenaient plus à la Perse
qu'au persan; ils étaient bons musulmans
et le Coran suffit à tout. Le premier d'en-
tre eux avait fait brûler le vieux poème
pehlvi qui chantait les amours de \Va-
mik et dWsra, en disant : « Nous lisons le
« Coran et les traditions du Prophète; ce
« livre est un livre des Mages, c'est donc
« un livre maudit. »
Les Chaudronniers furent moins durs :
DE LA POESIE PERSANE 9
SOUS le second d'entre eux parut Firouz,
« qui sauva la poésie persane de l'anéan-
« tissement; car ses vers sont plus doux
« qu'un baiser de'robé et plus gracieux
« que la lumière des yeux. « Il est dom-
mage que Tunique spécimen donné par
les biographes ne permette pas de sa-
vourer toute la douceur de ce baiser. Un
autre poète de la même époque, Abou
Salik, d'Hyrcanie, est plus heureux. Il
nous transporte du coup en plein hôtel
Rambouillet, ou, mieux, chez Mascarille,
mais avec un sourire qui prouve qu'il
n'est point dupe :
Avec les cils de tes yeux tu m'as volé mon
cœur; tu me voles avec tes cils et tu prétends
me condamner avec tes lèvres.
Faudra-t-il que je te paye l'amende pour m'a-
voir volé mon cœur: Avez-vous vu jamais pa-
reille merveille : un voleur qu'on indemnise!
Vous entendez d'ici Mascarille : Aie
voleur! au voleur! Mais c'est un Masca-
rille qui sait prendre Taccent de Cor-
neille :
1»
lO LES ORIGINES DE F. A POESIE PERSANE
Laisse couler ton sang sur la terre, cela vaut
mieux que de laisser s'écouler ton honneur.
Crois-moi, mieux vaut encore s'agenouiller de-
vant les idoles que s'agenouiller devant l'homme.
On voudrait entendre davantage de
cette voix, si mobile d^accent, tour à
tour d'une mièvrerie si raffinée et d'une
fierté si simple. C'est un regret que nous
ressentirons plus d'une fois en passant
devant ces ombres, qui ouvrent les lèvres
pour un mot ou deux et rentrent dans
leur silence éternel. Mais tel mot qui
sort de Tabîme éveille plus d'échos que
bien des discours : c'est encore la voix la
plus haute que celle qui crie dans le dé-
sert, et il y a une beauté d'isolement pour
la parole, comme pour les ruines, comme
pour les âmes.
'4^
IV
Avec les Samanides, la poésie monte
sur le trône. Un nom domine toute cette
époque, le nom de Roudagui, le poète
aveugle de Boukhara, que la poésie per-
sane met à son berceau comme une sorte
d'Homère.
Roudagui était né à Boukhara au mi-
lieu du ix^ siècle, le siècle des serments
de Strasbourg. Il était né aveugle, « mais
il avait l'œil intérieur » ; il l'avait assez
clairvoyant pour nous faire douter par-
fois de l'authenticité de la légende, car
les couleurs jouent dans les poésies qui
nous restent de lui ou qu'on lui attribue
un rôle que l'on n'attendrait pas, et par
instants il semble par trop oublier qu'il
est aveugle. A huit ans, il savait par
cœur le Coran et commençait à cumpo-
12 LES ORIGINES
ser. Le prince samanide Nasr, fils d'Ah-
med, charmé de son génie, Tattacha à sa
personne. Nul poète ne fut jamais plus
comblé, pas même Ansari à la cour de
Mahmoud. Il avait deux cents pages à
son service, quatre cents chameaux pour
porter ses bagages, et il put laisser à ses
héritiers « plus de richesses que jamais
poète n'en vit en rêve >;.
Une anecdote, célèbre en Orient, met
en scène le pouvoir merveilleux de sa
poésie sur son maître royal. L^Emir Nasr
avait quitté Boukhara pour Merv, et « la
Reine du monde » le retenait tellement
par ses charmes que les grands seigneurs
de Boukhara craignirent pour la capitale.
Les poètes du Khorasan ne tarissaient
point de sarcasmes contre la grande par-
venue de la Transoxiane, ses rues étroi-
tes et ses ordures.
« Le plus noble cheval, en arrivant à
Boukhara, disait Tun, y deviendrait bien-
tôt un âne. Mes yeux n'ont jamais vu un
cloaque plus infect que cette ville dont
l'Emir de TOrient a fait sa capitale. »
DE LA POÉSIE PERSANE l3
u Tandis qu'ailleurs, disait un autre,
la tiède haleine des vents répand chaque-
matin le doux parfum des villes, Bou-
khara est comme le cadavre du monde K »
Les sei^neurs boukhariotes prièrent
Roudagui de chanter à TEmir quelque
poésie qui réveillât en lui l'amour et le
reoret de Boukhara. Un malin, à déjeuner,
Roudagui saisit la lyre et dit :
Le parfum des ondes du Molian ^ monte vers
nous; le souvenir de l'ami bien-aimé monte vers
nous.
Le sable de l'Amou ^ et ses cailloux glissent
sous le pied comme la soie.
Les eaux du Djihoun et leurs bouillonnements
montent dans leur fraîcheur jusqu'à la ceinture
du roi.
Réjouis-toi, o Boukhara, et sois heureuse! Le
roi revient en hôte dans tes murs.
Le roi est la lune, Boukhara est le ciel : la
lune remonte dans son ciel.
Le roi est le cyprès, Boukhara le jardin; le
cyprès revient à son jardin.
1. Barbier de Meynard, Tableau littéraire du
Khorasan et de la Transoxiaiie, dans le Journal
Asiatique.
2. Rivière de Boukhara.
3. L'Amou-Daria ou Djihoun. l'ancien Oxus.
1 4 LES ORIGINES
Le roi, touché de ces souvenirs, à l'ins-
tant, en robe de nuit et en pantoufles,
monta à cheval et ne fit qu'une traite
jusqu'à Boukhara.
Roudagui, dit la légende, avait une
voix divine et le musicien valait le poète.
Entre autres dons, il était merveilleuse-
ment doué dans le thought-reading et
sentait si bien battre les cœurs autour de
lui qu'il pouvait improviser sur la lyre
un chant ou un air en accord avec le
sentiment qui les traversait. Un jour, un
incrédule demanda l'épreuve. Roudagui
le convainquit à sa confusion en chan-
tant ces vers :
Si tu sais dominer tes passions, tu es un
homme, si tu ne te moques point de l'aveugle et
du sourd, tu es un homme.
Frapper du pied l'homme à terre n'est pas d'un
homme; si tu prends la main de l'homme à terre,
lu es un homme.
Sa gloire n'était pas seulement une
gloire de cour. Une de ses œuvres avait
charmé toute la Perse et couru de ville en
DE LA POÉSIE PERSANE J 5
ville; c'était une traduction en vers, au-
jourd'hui peidue, de Kalila et Dimna, ce
fameux livre d'apologues, né dans l'Inde
bouddhique, ancêtre des Mille et Une
Nuits et de tant de nos fabliaux et de nos
fables, et qui est allé plus loin que ni la
Bible, ni le Coran, ni la parole du Boud-
dha. L'admiration lui resta fidèle après sa
mort. Il fut salué le maître incomparable,
le créateur de la poésie, le modèle inimité
dans tous les genres, Tétoile polaire de la
poésie, le Sultan, TAdam des poètes. Un
de ses émules, Chahid de Bactriane, di-
sait :
La poésie chez les autres poètes ressemble
à la parole ; chez Roudagui, la parole est faite de
couleurs.
Pour les poètes, Très bien! Bravo! est un
éloge; pour Roudagui, Bravo! Très bien! est
une impertinence.
L'œuvre de Roudagui fut immense : il
laissa, dit-on, un million trois cent mille
vers; il ne nous en reste que quelques
centaines^ où il y a assez de belles choses
l6 LES ORIGINES
pour regretter qu'il n^en reste pas davan-
tage et d'assez froides pour se féliciter que
la masse soit perdue.
Ces débris peuvent se ranger sous trois
chefs : poésie de cour, poésie d'amour,
poésie de désillusion.
C'est comme poète de cour que Rouda-
gui lit sa fortune; mais, comme on peut
bien s'y attendre, ce ne sont pas ses pané-
gyriques royaux qui sont pour beaucoup
nous toucher. Cependant il y aurait de
curieuses comparaisons à établir entre les
procédés du panégyriste persan et ceux du
maître panégyriste de la Grèce. Pindare
se demande : Ayant à louer X... qui me
paye, mais qui est peu intéressant, com-
ment passer de là à un sujet qui intéresse?
Pour Roudagui, qui n'a qu'un maître et
toujours le même, la question est celle-ci :
Etant donné un sujet quelconque, com-
ment en faire sortir l'éloge de TÉmir? La
solution est des plus simples : il emman-
che le sujet par une comparaison. Des-
cription du printemps : la nature est en
joie, la tulipe est en fleur, le vent est par-
DE LA POESIE PERSANE
fumé, la branche élancée tremble au souf-
fle du printemps, comme Vœil de Vennemi
devant le glaive de l'Emir. L'Emir est le
lieu de la victoire et du bonheur, etc. —
Description de Tautomne : le vent d'au-
tomne est un alchimiste, autrement com-
ment changerait-il en or les fruits du jar-
din ? Le vent du Kharizm a répandu les
pièces d'or (les feuilles jaunies) dans le
sein du bocage, comme la -pluie de la main
du roi dans le sein de ceux qui viennent
le voir. Car le roi, tant qu'il a un ennemi,
n'a affaire que de se battre ; tant qu'il a
un dirèm, il n'a affaire que de donner,
etc. (A bon entendeur, salut!) Peine d'a-
mour : Roudagui est prisonnier d'une
belle qui l'a enlacé de mille liens; mais il
ne craint point la captivité, car la libéra-
lité du prince l'a affranchi; le prince qui
écoute la voix du faible, comme la mère
écoute celle de l'enfant égaré, etc. Plus la
transition est inattendue, plus la vanité
du prince est agréablement surprise par
la plus douce des trahisons. Et les dinars
de pleuvoir sur l'heureux poète : à un
l8 LES ORIGINES
poète lauréat que faut-il? des pensions et
des titres : acceperunt mercedem siiam,
vani vanam.
Roudagui, par bonheur, a été autre
chose encore qu'un poète de cour. Il a
aimé et, quoique enfant gâté du succès, il
a souffert. La plupart de ses chants d'a-
mour, il est vrai, rentrent un peu trop
dans la convention et la rhétorique amou-
reuse, ce fléau des littératures raffinées,
qui rend intolérable la plus grande pariie
de la poésie persane et qui, comme on
voit, paraît de bien bonne heure : il est
probable que la Perse nouvelle ne faisait
que reprendre la tradition des soupirants
d'autrefois; je ne doute pas que Ton ne
tournât déjà des madrigaux à la cour du
roi Darius. Dans notre poète, toute cette
rhétorique stérile, qui séduisit si fort Goe-
the vieilli, est déjà là, quoique encore
contenue, et avec des traits de naturel :
Une seule fois dans l'année vient le grand jour
de fête; ton regard est pour moi une fête éter-
nelle.
Une seule fois dans l'année vient la rose;
DE LA l'OÉSIE PERSANE ig
ton visage est pour moi une rose éternelle.
Une seule fois dans le jardin je cueille la vio-
lette en bouquet; tes tresses parfumées sont un
éternel bouquet de violettes.
Une seule fois éclot le narcisse dans les champs ;
le narcisse de tes yeux éclot toute l'année.
Le narcisse endormi ne revient pas; ton nar-
cisse noir endormi revient et se réveille.
Il y a bien le cyprès qui dans le jardin verdoie
toute l'année; mais près de ta taille il est courbé
et penché, etc.
Dans ces mièvreries spirituelles, rien
de cette passion sincère, qui peut très
bien s'allier avec le rafHnemeni et le
mauvais goût et y jeter un éclair de vé-
rité; rien de ces transfigurations, qui font
de Tamour une religion, où Timagination
peut-être a autant de part que le cœur,
mais oij l'imagination ne pourrait rien,
si le cœur n'y était; rien de ces agrandis-
sements de Timage aimée, qui, à force de
remplir tout Tœil du poète, remplit tout
son horizon et tout son ciel. Le ruisseau
où la bien-aimée de Roudagui lave sa
joue devient couleur de rose ; la terre où
elle fait flotter ses cheveux devient du
20 LES ORIGINES
musc; ainsi eût parlé Oronte, s'il eût rimé,
à Boukhara. Roudagui s'étonne que la
tulipe sorte de la rouille de la terre, tan-
dis que, chez sa bien-aimée, c'est la rouille
qui sort de la tulipe, ce qui veut dire
qu'elle a un grain de beauté. Le jour où
l'on récita ces vers dans le harem de
Nasr, toutes les Philaminte de Boukhara
auront éié dans le ravissement.
Ce qui domine dans les pièces amou-
reuses de Roudagui, c'est avant tout Tes-
prit, forme que prend l'amour chez ceux
qui n'ont pas l'amour :
Avec deux ou trois baisers, déhvre ce cœur de
l'angoisse et du tourment, afin de mériter qu'en
retour un dieu te rende la pareille !
Mais, hélas! deux ou trois baisers ne
suffisent pas :
Il en est des baisers comme de l'eau amère ;
plus on en boit, plus la soif augmente.
Avec bien du jargon encore, il y a des
élans de naturel dans ce chant triomphal
d'amour heureux :
DE LA. POESIE PERSANE 2 1
Maintenant nous sommes réunis et tout est
oublié •• qu'il est doux d'être réuni à sa bien-
aimée après la séparation !
Elle me dit avec caresse : « Loin de moi, com-
ment était ton cœur? » Elle me dit en rougis-
sant : « Loin de moi, comment était ton âme? »
Je lui répondis en disant : « O ma belle du
paradis, toi qui es le malheur de mon âme et le
tourment de toutes les belles du monde!
« Tes tresses d'ambre ont pour moi fait du
monde un collier, car pour moi le monde est une
balle dont ta tresse est la raquette.
« Telle a été ma douleur pour ces deux yeux
qui lancent la flèche.; telle a été ma douleur pour
ces deux tresses qui répandent le musc. »
Et dans les caresses de cette fleur de hyacinthe,
ma poitrine devint un sachet d'ambre; sous les
baisers de ce corail ma lèvre se fondit comme le
sucre.
Par instant, un triste retour sur lui-
même, devant toute cette beauté du
monde qu'il ne connaît que par l'imagi-
nation et l'œil d'autrui :
O mon idole, on m'a dit qu'au cours de sa vie
de tristesse ou de joie Joseph dépouilla trois tu-
niques.
22 LES ORIGINES
L'une fut noyée de sang par la ruse ^; la se-
conde déchirée par la calomnie 2; la troisième
par son parfum rendit la lumière à l'œil humide
de larmes de Jacob ^.
Ma joue ^ ressemble à la première, mon cœur
à la seconde. Oh ! si je pouvais obtenir la troi-
sième 1
Le naturel et, par suite, la poésie vien-
nent avec rémotion vraie et la douleur :
Quand lu me verras mort et ces deux lèvres
fermées, et vide de son âme ce corps pour qui
est fini tout désir,
Assieds-toi à mon chevet et dis doucement : O
toi que j'ai tué et que tant je regrette à présent!
x\insi passèrent les années, aux pieds
des belles et la coupe à la main, chantant
1. La tunique ensanglantée par ses frères.
2. La tunique déchirée par la femme de Puti-
phar.
i. D'après la légende arabe, Jacob était devenu
aveugle à force de pleurer sur Joseph. Joseph lui
envoya la tunique qu'il avait reçue de l'ange Ga-
briel dans le puits où ses frères l'avaient jeté :
elle avait encore le parfum du paradis et guéris-
sait tous les maux.
4. Noyée de larmes de sang.
DE LA POESIE PERSANE 2 3
comme Horace le Carpe diem et les roses
trop fugitives.
Vis joyeux avec les belles joyeuses aux yeux
noirs : carie monde n'est que conte et que vent.
Moi et cette belle aux cheveux en tresses, odo-
rants de musc; moi et cette belle au visage blanc
comme la lune, de la race des Houris!
Bonne fortune à qui donne et jouit! Malheur a
qui ne donne ni ne jouit!
Ce monde n'est que nue'e et que vent, hélas!
Apporte donc du vin et advienne que voudra!
Ce vin, il le décrit avec les mêmes miè-
vreries, les mêmes raffinements qu'une
amante :
Roudagui prit la harpe et chanta : il faisait
jaillir le vin, tandis qu'il faisait jaillir le chant.
C'est un vin fait de cornaline : à le voir on ne
le distinguerait point de la cornaline fondue.
C'est la même substance, mais l'une est solide,
l'autre est fondue.
Sans qu'on le touche, il teint les mains; sans
qu'on le goûte, il court dans la tête.
Ailleurs, c'est du pur rubis en fusion,
une épée tirée devant le soleil; si pur, que
l'on dirait une coupe d'eau de rose, si
24 LES ORIGINES
doux, qu'on dirait le repos sur les yeux
de l'insomnie : « Bois donc, car par le vin
a vieillit le chagrin nouveau-né. Quand
<< le tonnerre retentit au ciel, bois et
f( écoute le son du luth et de la lyre » :
Suave mari magno. Qu'importent les
jours qui passent? « Il y a deux jours
(f dont je ne me soucierai jamais, dira plus
(( tard Omar Khayyam, le jour d'hier et
(( le jour de demain. » Roudagui l'a su
avant lui : « Sois joyeux du jour qui
« vient et ne te désole pas de celui qui
« s'en va. »
Mais à la longue, quand beaucoup de
jours ont passé, le jour présent perd de
son ivresse :
For the days of our youîh are the days of ow
[gloiy!
Ces jours de jeunesse et de gloire pas-
sèrent aussi pour Roudagui et il en fut
lui aussi, comme Villon, comme Musset,
comme Byron, comme tous les poètes
trop tôt vieillis, acculé à la poésie du re-
gret. L'amour était parti avec la jeunesse :
DE r.A POÉSIE PERSANE 25
son puissant protecteur, l'Emir Nasr, était
mort :
O belle au visage de lune, aux cheveux de
musc! Sais-tu ce qu'était jadis ton esclave?
Que de belles jeunes filles qui l'aimèrent et
venaient en secret le voir dans la nuit!
Que de cœurs mes chants ont amollis comme
la soie, qui e'taient jadis comme la pierre et l'en-
clume !
Tu voisleRoudagui d'à présent; tu ne Tas pas
vu au temps qu'il vivait avec les libertins.
Tu ne Tas pas vu au temps qu'il allait par le
monde, disant des chansons, alors qu'il était
l'homme des Mille Histoires '.
Passé est le temps que ses vers couvraient le
monde; passé le temps qu'il était le poète de
Khorasan...
Le temps est changé et je suis changé de même ;
apporte-moi mon bâton, car voici venu le temps
cki bâton et de la besace.
*
Roudagui pourtant ne se résigna pas
sans lutte à la vieillesse. — J'admire, di-
sait rudement un poète contemporain,
Khosravani,
I. Le livre de Kalila, origine des Mille et
Une A^tdts.
26 LES ORIGINES
« J'admire ces vieux qui se teignent la barbe :
avec toute leur peinture, ils ne se gareront pas
de la mort.
« Ils ne font que se préparer un châtiment
dans l'enfer. »
Roudagui se sentit visé et répondit avec
grâce :
« Je ne me noircis pas les cheveux pour rede-
venir jeune et pécher à nouveau.
a On met des vêtements noirs au jour de
malheur; je noircis mes cheveux pour pleurer
ce malheur, ma vieillesse.
Remède stérile. La mort frappait à ses
côtés pour l'avertir. Il perdit son admira-
teur et son ami, Chahid de Bactriane, un
vrai poète, et il crut avoir perdu avec lui
le meilleur de son génie. Que n'est-il allé,
jeune, chercher la paix dans la cellule
d'un couvent, aux pieds du cheikh?
Vois-tu ce cavalier, jeune et riche, qui vient
du lointain pour le service de Dieu?
Son maître' ne sera content que dix ans plus
tard, quand il s'en retournera, vieilli, à pied et
mendiant.
DE LA POÉSIE PERSANE 27
Gomme le monde Tabandonnait, il
abandonna le monde : il dit adieu au
plaisir, h la science profane, à ces philo-
sophes grecs qui étaient alors si à la mode
et que lui aussi peut-être avaient adorés;
il se tourna vers le Prophète qui sans
doute, aux beaux jours, avait eu bien
peu de ses pensées.
0 mon âme, pourquoi tant te meUre en peine
pour nourrir ce corps r C'est pitié que le Saint-
Esprit se meue à garder les chiens.
J'ai part à la vérité enseignée des Prophètes;
qu'ai-je affaire de puiser au ruisseau desséché
de la science grecque r
Est-ce là qu'il trouva la paix des der-
niers jours ou dans le fatalisme résigné
de la philosophie humaine?
O toi, qui es dans la douleur et mènes le
deuil, toi qui verses des pleurs en secret.
Tu voudrais rendre le monde plus égal : le
monde est le monde, comment le rendre moins
changeant?
Ne gémis point, car il ne regarde pas aux gé-
missements; ne te plains pas, car il n'entend pas
les plaintes.
28 LES ORIGINES DE LA POÉSIE PERSANE
Tu irais pleurant jusqu'au jour de la résurrec-
tion, les pleurs ramèneront-ils ceux qui sont
partis ?
Vois! sans qu'il y ait nuage ni éclipse, la lune
rentre pourtant en elle-même et le monde rentre
dans les ténèbres.
C'est ainsi que le vieux poète aveugle
put attendre en paix Tinstant de rentrer
à son tour dans les ténèbres secondes :
plus heureux que d'autres, l'âge seul Ta-
vait acheminé vers cette vertu, la plus
morne de toutes, la Résignation, sœur aî-
née de la Mort.
/?
#
»•
V
Autour de Roudagui se groupait toute
une armée de poètes. Nous avons déjà
rencontré ]'un d^entre eux, son admira-
teur admiré, Cliahid de Bactriane. On
dit que Roudagui le mettait au-dessus de
lui-même : les quatre ou cinq fragments
qui restent de lui semblent donner raison
à la modestie du maître. Chahid est le
pessimiste du siècle. Il a l'imagination
sombre et grandiose, avec la sobriété de
la force et des éclairs de douceur et de
grâce Le monde sans doute avait eu pour
lui des déceptions et il avait éprouvé par
lui-même que a le talent et la fortune
« sont le narcisse et la rose qui ne s'épa-
« nouissent jamais ensemble. •» La guerre
civile et la guerre étrangère ravageaient
sa patrie et dans les ruines de Tous il a
DO LES ORIGINES DE LA POESIE PERSANE
rencontré le corbeau qui plus tard viisita
la nuit d'Edgar Poe :
La nuit dernière je passais dans le désert de
Tous ; je vis un hibou perché là où jadis per-
chait le coq.
Je lui dis : Quelles nouvelles m'apportes-tu du
désert r
Il me répondit : La nouvelle. la voici ; Mal-
heur! Malheur!
Poète de cour comme Roudagui, il songe
devant le trône à la fataliLé des conditions
humaines, à la volonté aveugle du firma-
ment :
Il y a deux ouvriers à l'œuvre sur la sphère
céleste, l'un est tailleur et l'autre est tisserand.
L'un ne coud que des coiffures de rois, l'autre
ne tisse que des saraus noirs de mendiants.
Il a fait le tour du monde d'un bout à
l'autre, sans rencontrer un sage satisfait,
et toute sa philosophie vient se condenser
dans une image, grande et sombre comme
le monde :
Si ia douleur jetait de ia fumée comme le feu,
le monde serait éternellement dans la nuit.
Tiiiiiiiiiiim\Tm-miiiiiiiiii?^-nTTTTTT
VI
Roudagui avait trouvé des disciples
dans tous les styles et tous les i;enres :
regardons- en passer quelques uns. Voici
Aboul Abbas de Boukhara, le panégy-
riste, qui a charge de célébrer ravènement
deNuh, fils de Nasr, succédant à son père;
c'est toujours une chose délicate pour un
poète lauréat que d'avoir à chanter un
avènement légitime : il lui faut, à lui
aussi, une larme dans les yeux, un sou-
rire à la lèvre,
With a tear iii his eyes and a smile on fiis lips.
Aboul Abbas se tire d'affaire fort hon-
nêtement et ni le mort ni le vivant n'au-
ront à réclamer : /
Un noble prince vient de passer, un prince il-
lustre vient de s'introniser.
32 LES ORIGINES
Le monde est dans les pleurs pour celui qui
vient de passer, le monde est dans la joie pour
celui qui vient de s'introniser.
Considère à présent, avec l'œil de l'inielligence,
toute la bonté de Dieu à notre égard.
Pour le flambeau qui nous a été enlevé, il a
mis une autre lumière à la place.
Saturne nous avait montré sa colère, Jupiter
nous montre sa bonté.
Voici les amoureux en madrigal ; comme
Aboul Muvayyad, de Bactriane, qui ne
peut voir sans soupir le rouge de Tongle
de sa bien-aimée, car c'est lui-même qui
a teint cet ongle avec le sang de son
cœur; ou Nasr de Nichapour, qui re-
trouve tous les astres dans le visage de
celle qu'il admire :
Elle ressemblerait à la lune, n'était sa tresse
noire.
Elle ressemblerait à \'énus, n'éiait son grain
de musc (son grain de beauté).
Vraiment on dirait que sa joue est le soleil
même,
Si le soleil n'avait ses éclipses et ses déclins.
Voici Mohammed de Djounaid, le bu-
DE LA POÉSIE PERSANE 33
veur enlhousiaste, qui fait de l'ivrognerie
une vertu :
Dès l'aurore mets-toi à boire, au chant du coq
et au gémissement de la lyre.
Il faut que le soleil, en dressant la tête de des-
sus la montagne, rougisse des reflets du verre.
Va de ta coupe à la couche, à la nuit tom-
bante; va de ta couche à ta coupe, au point du
jour.
Il faut du lait au petit enfant, il faut du vin au
vieillard.
Voici le pieux Sâlih, de Hérat, qui de-
vant les charmes d'une jeune chrétienne,
devant ces yeux de gazelle, ces tresses
annelées, ces joues de tulipe, cette poi-
trine d^argent, songe avec extase à tout
ce que l'enfer peut revêtir d'apparences
célestes : on sent que l'apparence du ciel
lui suffira.
Voici le poète mendiant, Abou Zarrah,
qui est tout pi et à avoir le génie de Rou-
dagui, si TEmir a la générosité de Nasr.
Si ma fortune n'est pas à la hauteur de celle
de Roudagui, cependant — ne l'éionne pas — je
le vaux pour l'éloquence.
04 LES ORIGINES
Si, avec ses yeux aveugles, il a su obtenir les
biens du monde, moi, qui ai des yeux, comment
les fermerais-je à ces biens:
Donne-moi le millième de ce que lui ont donné
les princes, et mon éloquence dépassera mille
fois la sienne.
Voici le soldat poète, Ali de Boukhara,
qui, devant les flocons de neige en fuite,
rêve de bataille :
Regarde au ciel, vois comme les bataillons de
neige voltigent; on dirait des colombes blanches
qui fuient en déroute, eft'rayées du faucon.
Voici le poète désabusé, Khosravani,
celui qui faisait si durement la morale à
Roudagui, et ancien servant du culte d'a-
mour :
Jamais pagode n'a eu d'idole ni de prêtre, tels
que loi et Khosravani, ô mon idole!
Il reste de lui une épigramme écrite à
Tagonie :
Je vois à mes côtés quatre sortes de gens im-
puissants et qui ne m'ont pas apporté un atome
de soulagement :
DE LA POESIE PERSANE DD
Le médecin, le moine, l'astrologue et l'enchan-
teur, avec leurs drogues, leurs prières, leurs ho-
roscopes et leurs talismans.
Mais avant de mourir, il avait eu le
temps de lancer un cri qui laissa un long
écho et que Firdousi n"a pas dédaigné de
recueillir et de nous transmettre, ce cri
éternel de la jeunesse qui s'enfuit :
Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années!
Son grand œuvre achevé et ses espé-
rances de fortune trompées, le pauvre
poète du Livre des Rois s'écriait :
Je me suis donné tant de peine, j'ai lu tant
d'histoires, tant de récits arabes et de récits
pehlvis.
Sauf le soupir et le mal de mes fautes, quelle
trace me reste-t-il de ma jeunesse?
Au souvenir de ma jeunesse, à présent, je
gémis et je répète le vers de Bou Tahir Khosra-
vani :
« Je revois ma jeunesse jusqu'à mon enfance.
Ilélas ! ma jeunesse î Hélas ! oii est ma jeunesse r »
Le refrain courut dans la poésie du siè-
36 LES ORIGINES
cle et fit pousser plus d'un soupir, « Tel
que pluie de printemps, disait un poète
du Guilan :
Tel que pluie de printemps et vent d'automne,
s'est écoulé de mes mains le temps de ma jeu-
nesse.
Que de fois je me suis assis, dispos de corps,
joyeux de cœur, la joue en pourpre!
Jamais mon oreille n'était lasse du chant des
musiciens, ni ma main de la coupe de vin de Mo-
ghan.
Au souvenir de ma jeunesse, à présent je gé-
mis : « Hélas, ma jeunesse! Hélas! où est ma
jeunesse r »
La poésie ne visitait point seulement la
cour, elle descendait aussi dans l'échoppe
du marchand. Elle eut son Reboul, un
boulanger de Nichapour, a qui ne savait
« pas seulement faire de bon pain, mais
« enfiler aussi les perles de la poésie. »
Le galant boulanger savait tourner le ma-
drigal comme pas un :
Tu vois ces deux tresses de cheveux que le vent
ballotte;
DE LA POÉSIE PERSANE $7
On dirait un amant qui ne sait où trouver le
repos.
Ou bien c'est ia main du chambellan du géné-
ral,
Qui de loin fait signe que Ton ne reçoit pas
aujourd'hui.
Il est probable que le commerce allait
mal, car notre boulanger cumula et se fit
médecin. Il en coûta à ses malades, et à
lui aussi, car, pour son malheur, il avait
un fils, poète également, mais qui man-
quait de respect et inaugura, aux dépens
de son père, la tradition de Molière :
Je donnais un bon conseil au Docteur Boulan-
ger; je lui disais : a Tâche que le patient quitte
ta porte guéri de son mal. 11 ne faut pas que le
malade impotent, espérant le salut, frappe joyeux
à ta porte et Ja quitte désolé. »
Papa m'a répondu : « Tu ne vois pas que ce
n'est pas de ma faute. Quand sonne pour le gibier
l'heure fatale, il court de lui-même vers le chas-
seur. »
Le jour où Ton voudra faire l'histoire
de la médecine devant la comédie, une
Jô LES ORIGINES DE LA POESIE PERSANE
des premières voix sera celle de ce con-
temporain d'Avicenne, le fils irrévéren-
cieux du docteur boulanger.
mmMmmmmmmû
VII
Dans cette pléiade de poetœ minores,
dont les ombres se pressent autour de
Roudagui, il en est deux auquels Dante
eût arrêté Virgile Ils se nomment Daqîqi
et Kisâi.
Daqîqi est resté célèbre en Perse,
comme le précurseur de Firdousi, comme
le premier poète du Livre des Rois. De-
puis que la Perse était rendue à elle-même,
elle se reportait avec passion aux souve-
nirs de son passé : malgré l'abîme infran-
chissable que l'Islam avait mis entre son
passé et son présent, et qu'elle-même
n'aurait point voulu combler, reùt-elle
pu, elle aimait à réveiller tout ce monde
de légendes, que la mythologie et l'his-
toire, remaniées par la poésie populaire,
avaient accumulées sur ses héros imagi-
40 LES ORIGINES
naires ou réels, les Féridoun, les Gou-
chtasp, les Roustem, les Alexandre, les
Behram. Les derniers rois nationaux
avaient commencé cette œuvre, inter-
rompue par la conquête arabe; les nou-
velles dynasties nationales la reprirent.
Vers le temps où régnait en France le
roi Hugues Capet, et où commençait la
Chanson de Geste, on avait réuni assez de
matériaux pour en faire un livre continu
que Ton appelait le Livre des Rois. Mais
ce livre était en prose : il lui fallait la
consécration poétique. L'Emir Nuh fit
appel au poète le plus en renom de l'épo-
que, Mohammed, que l'on avait sur-
nommé Daqîqi ou le Subtil, à cause des
raffinements de sa poésie.
« En ce temps-là, dit Firdousi, les
chanteurs chantaient à tout venant maint
récit de ce livre et le monde se prit d^a-
mour pour ces histoires. Vint un jeune
homme à la langue déliée, qui dit : « Je
a mettrai ce livre en vers », et le cœur des
hommes se réjouit en Tentendant. Mais la
mort fondit soudain sur lui et lui mit sur
DE LA POESIE PERSANE 41
la tête son casque noir. 11 partit et le livre
resta non chanté. » Daqîqi n'avait laissé
qu'un millier de vers, relatifs à l'histoire
de Zoroastre et de Gouchtasp et que Fir-
dousi inséra dans son poème, sur la
prière du poète dont l'ombre lui était
apparue. Le pauvre Daqîqi n'était point
de taille à mener à bonne fin la grande
œuvre; il n'avait point l'âme assez forte
ni assez haute. Il était avant tout le poète
du vin et de l'amour, et le seul titre qui
pût le désigner au choix de l'Émir pour
une œuvre si austère est sans doute qu'il
était un des derniers fidèles de l'ancienne
religion. Il disait lui-même dans une de
ses poésies d'amour et en un mélange
sceptique du sacré et du profane :
De toutes les choses de ce monde, bonnes ou
mauvaises, Daqîqi en a choisi quatre :
Les lèvres aux teintes de hyacinthe, le gémisse-
ment de la guitare, le vin couleur de sang et la
loi de Zoroastre.
Mais la loi de Zoroastre n'était point
pour lui un joug bien lourd et ne servait
42 LES ORIGINES
guère qu'à l'affranchir de celle du Coran.
11 périt assassiné dans une nuit de dé-
bauches par un esclave trop aimé.
Les fragments Ivriques qui restent de
lui justifient pleinement son surnom. En
voici un spécimen, où pourtant le trait
final est d'un Catulle :
Plût à Dieu qu'il n'y eût point de nuit dans le
monde, ou que je n'eusse jamais à me séparer de
ces lèvres !
L'aiguillon du scorpion ne percerait point mon
cœur, si elle n'avait ces tresses tordues en scorpion
Si elle n'avait cette fossette au-dessous des lè-
vres, les étoiles ' ne seraient point jusqu'au jour
les confidentes de ma douleur.
Si elle n'était toute faite de perfection, mon
âme ne serait point toute faite de son amour.
Et pourtant s'il me faut passer la vie sans mon
amie, ô Seigneur 1 plût à Dieu que la vie ne fût pas.
Par instant, l'épine de Yamari aliqiiid
semble l'avoir, lui aussi, mordu sous la
rose; peut-être quelque déception du
I. Le poète joue sur les mots étoile cl fossette,
qui sont presque identiques en persan {Kaukab et
Kaukâb).
DE LA POÉSIE PEKSANE 4D
cœur, quelque amitié ou quelque amour
qu'il avait lassé :
Je suis resté trop longtemps, on m'a pris en
dédain ; l'ami qui reste trop longtemps perd
dans l'estime.
L'eau qui reste trop longtemps dans le bassin
s'empoisonne à force de reposer.
Un sentiment plus triste et plus grave
vint traverser cette âme légère, trop lard
pour la transformer; c'est peut-être à la
veille de la nuit fatale qu'il écrivait :
On me dit : « Supporte ; Dieu te le rendra. »
Il me le rendra sans doute, mais dans une
autre vie.
J'ai passé ma vie dans la souffrance;
Il me faut une autre vie pour me le rendre.
Hélas! en dépit de son vœu, en dépit
du vœu pieux de Firdousi : « O Dieu!
« pardonne-lui ses fautes et au jour de la
« résurrection donne-lui large place au
a paradis », il n'était pas entré dans la
mort par la voie qui force Dieu à rendre,
et tel que son frère de France, le pauvre
44
LES ORIGINES DE LA POESIE PERSANE
Hégcsippe, il resta sans doute le créancier
de Dieu dans l'autre monde, comme Hé-
gésippe dans celui-ci :
Pauvre écolier rêveur et qu'on disait sauvage,
Quand j'émiettais mon pain à l'oiseau du rivage,
L'onde semblait me dire : « Espère! Aux mauvais jours,
Dieu te rendra ton pain! » Dieu me le doit toujours!
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VIII
Vers la même époque vivait le poète
Abti Ishaq, de Merv, surnommé Kisâi,
« rhomme au manteau », parce qu'il por-
tait sur l'épaule le manteau de Fascéte.
Mais comme tant d^ascètes, il avait porté
d'autres manteaux avant celui-là : le
manteau de l'ascète n'est bon à s'en en-
velopper que dans le froid de 1 âge :
Le petit oiseau de la salle de chant s'est mis à
chanter, comme un amant qui donne rendez-
vous à sa bien-aimée.
Que dit-il donc r — Il dit : « Amant, à la nuit
tombante, prends la main de ta bien-aimée et
va-t-en vite au bosquet. »
Horace lui-même n'a point chanté la
rose avec plus de grâce et d'esprit :
3*
4G LES ORIGINES
La rose est un trésor descendu du ciel ; l'homme
au milieu des roses en devient plus noble.
Marchand de roses, pourquoi vends-tu des
roses pour de l'argent?
Que pourrais-tu bien acheter avec l'argent de
tes roses qui soit plus précieux que tes roses:*
Omar Khayvam se souvenait de ces
vers quand il disait, choisissant son thème
avec moins de grâce :
Je ne puis en revenir de ces marchands de vin :
Que veulent-ils donc acheter qui vaille mieux
que le vin qu'ils vendent ?
Si la rose avait eu à choisir entre les
quatre jolis vers de Kisâi et les intermi
nables dithyrambes de Hafiz, je crois que,
sans hésiter, elle eût dit à Haliz : « La
rose aime mieux une seule note du rossi-
gnol que tous les chants du jardinier ».
Kisâi, par malheur, n'a point toujours
cette discrétion ni cette mesure, et quand
il s'en mêle il en remontrerait aux eu-
phuistes les plus consommés. Sa bien-
aimée ne se contente pas de prêter à la
lune le reflet de son visage, de faire éclore
DE LA POÉSIE PERSANE 47
les narcisses partout où elle jette le re-
gard, de faire lever la lune partout où
elle passe; son visage et sa chevelure for-
ment le livre même de la beauté, car, je
vous prie, qu'est-ce qu'un livre, sinon du
noir sur du blanc? Il ne faut pas qu'elle
laisse flotter ses tresses sur sa joue : car
il ne faut pas laisser l'argent à la portée
des voleurs (et Ton sait quelles voleuses
de cœur sont en poésie les tresses des
belles Persanes). Il y avait un jeune blan-
chisseur dont la beauté avait ému le futur
ascète : ce jeune homme blanchit les vê-
tements et assombrit les cœurs. L'émir
Noé (Nuh) vient de mourir et son cercueil
passe dans les rues de Merv en pleurs :
le flot des larmes sur son passage
refait le déluge de Noé; la bière au mi-
lieu de ce déluge est l'arche même de
Noé.
Kisài, comme Roudagui, prenait des
mesures offensives contre les cheveux
blancs, et il s'en défendit comme lui con-
tre les esprits moroses, mais avec un
demi-aveu de repentir.
48 LES ORIGINES
Cela le fait de la peine que je me farde et me
teigne les cheveux.
Je ne cherche pas à me rajeunir : seulement
j'ai peur qu'on ne cherche en moi la sagesse du
vieillard et qu'on ne la trouve point.
Elle vint enfin, cette sagesse, sans at-
tendre la pleine vieillesse. Il chanta Ali
et les prophètes et mourut à peine âgé de
cinquante ans. Son dernier chant, écrit,
dit-on, une heure avant l'agonie, est un
long regret de sa jeunesse perdue et de la
vie qui s'enfuit plus qu'un regret de ses
fautes.
C'était l'an 341 de l'hégire (gSS) : j'entrai dans
ce monde, pour voir ce que je pourrais bien y
dire et y faire :
— Y dire des vers, y faire la vie.
Or, j'ai passé toute ma vie dans ce bas monde
sous le faix comme un chameau, esclave de mes
enfants, enchaîné dans les liens de la famille.
Tout compte fait, que me laissent dans la
main mes cinquante ans? Un livre Je compte
avec cent mille fautes.
Comment à la lin solderai-je ce compte qui
s'ouvre avec le mensonge et se ferme avec le
néani r
Hélas! où est la gloire de ma jeunesse r où est
DE LA POÉSIE PERSANE 49
le charme de la vier Hclas! où est la beaulér où
csi la grâce :^
Ma tête est blanche comme le lait, mon cœur
est noir comme la poix. Mes joues sont comme
le nénuphar, mon corps comme le maigre ra-
meau.
Jour et nuit, la crainte de la mort me fait
trembler, comme un enfant indocile qui tremble
devant le fouet.
Tout est passé, et je suis passé. Ce qui devait
être a été. J'ai été, et mon chant n'est plus qu'un
conte d'enfant.
O Kisâi, la cinquantaine a étendu sur toi ses
cinq doigts; elle abat tes ailes à coups de poing
et de griffe!
Dans ces cris poignants du mourant, il
y a autre chose que le repentir du iidele
qui a péché. Tous ces ascètes de la Perse
rappellent le Pénitent de Browning qui
regrette moins la faute que de ne plus
pouvoir la commettre :
How bad ! iww saJ. ! Iioiv mad it was !
But oh ! Iiow it was sweet !
Peut-être, après tout, ce repentir im-
^o
LES ORIGINES DE LA POESIE PEHSANE
posé est-il le plus sincère et le plus sûr,
puisqu'il ne permet pas les récidives et
qu'il est irréparable.
ro^td'i
IX
Depuis longtemps la dynastie des Sa-
manides penchait. Elle comptait déjà un
siècle, ce qui est long pour une dynastie
persane.
Les pi-inces de la famille de Saman ont apparu
un moment, - disait d'avance le poète arabe Abu
Taieb, de l'ancienne famille des Tahérides et
comme tel ennemi mortel des Emirs, — et ils tom-
bent; chaque jour leur trône se mine davantage.
Ils étaient étendus sur une couche moelleuse,
mais la fortune la remplace parle lit rocailleux
de la terre.
Ils pleureront, ei leurs larmes ne tariront ja-
mais. Laisse-les donc à l'enfer et bois gaiement :
déjà l'aurore se lève à l'Occident.
Ce n'est pas à l'Occident que se leva
Taurore invoquée par la haine du poète,
mais au Midi, avec la jeune dynastie de
^2 LES ORIGINES
Ghazna, fille d'un esclave fugitif, qui al-
lait asservir la Perse et Tlnde. Le dernier
Samanide, Ibrahim Muntasir, monta
presque enfant sur ce trône croulant. Il
passa sa courte carrière à cheval, sous un
manteau déchiré ; toujours sur les che-
mins, prisonnier, fugitif, vaincu, vain-
queur, trahi, traqué, digne de relever
l'empire de ses pères, « si contre le dé-
cret du ciel l'effort humain n'était impuis-
sant. » Un jour, dans une éclaircie de for-
tune, les courtisans qui lui revenaient lui
dirent : « Sire, pourquoi ne donnez-vous
pas des banquets et des concerts? C'est
un des insignes de la royauté. » Et le
jeune roi répondit en vers, sur le rythme
ha:iaj :
On me dit : ;< Pourquoi ne fais-lu pas bonne
chère? Pourquoi n'ornes-iu pas ta demeure de ta-
pis bigarrés i »
Que ferais-je du chant des musiciens dans la
clameur des guerriers: Que ferais-je des séances
au bosquet de roses, sous le piétinement des che-
vaux?
A quoi bon à présent le bouillonnement du
vin et l'ambroisie bue aux lèvres de l'échansonr
DE LA POÉSIE PERSANE 53
C'est le sang qui doit bouillonner sur les anneaux
de la cuirasse.
Mon cheval et mon armure, voilà ma table de
banquet et mon jardin. Ma flèche et mon arc,
voilà ma tulipe et mon lis.
Bientôt le jeune prince, réfugié dans un
campement de Bédouins, périssait assas-
siné la nuit par ses hôtes. Du moins cette
maison de Saman, qui avait tant aimé la
poésie, en était récompensée; elle mou-
rait avec un poète et la chanson aux lè-
vres.
■<i^^^û^
La poésie ne mourut pas avec eux. Elle
trouva un abri roval à la cour de leurs hé-
ritiers, les Ghaznévides Mahmoud lui-
même était poète à ses heures et raflolait
de poésie. Le meilleur moyen de faire sa
cour à ce rude guerrier était encore de lui
chanter de jolis vers, surtout s'ils étaient
à sa louange. Toute sa cour poétisa : il
avait quatre cents poètes à sa suite et,
pour meitre l'ordre dans cette volière, il
créa une dignité nouvelle, qui subsiste
encore, celle de Roi des Poètes. Le Roi
des Poètes n'était pas un simple poète
lauréat : c'était le ministre des affaires
poétiques; tout ce qui écrivait en vers dé-
pendait de lui; c'était lui qui examinait
les vers des poètes de cour, décidait s'ils
méritaient d'être présentés à Sa Majesté,
LES ORIGINES DE LA POESIE PERSANE OD
les corrigeait s'il y avait lieu, distribuait
les pensions. Le premier roi des poètes
fut Ansari qui est oublié; parmi ses su-
bordonne's était un paysan de Tous,
nommé Firdousi, qui écrivit le Livre des
Rois, « prophète de l'épopée, bien que
Mohammed eût déclaré qu'il n'y aurait
plus de prophète après lui », et qui est
entré dans la poésie européenne et univer-
selle.
Je ne parlerai point de Firdousi dont
la vie et l'œuvre sont suffisamment con-
nus par les beaux travaux de M. Mohl \
ni de ses successeurs : car après lui This-
toire de la poésie persane se suit réguliè-
rement. Je veux seulement parler de
quelques poètes qui se rattachent au mou-
vement samanide et qui mériteni un sou-
venir; car, même à cette distance, ils ont
quelque chose à nous dire.
Oumara, de Merv, était astronome. Un
siècle plus tard, le premier poète du
I. Le Livre des Rois, traduit par Jules Mohl,
Paris, 1876, 7 vol. in- 12.
56 LES ORIGINES
temps, Omar Kheyyam, sera un algé-
briste : on ne connaissait pas alors ce
prétendu divorce de la poésie et de la
science dont nous ont rabattu les oreilles
tant de poétereaux et de savantasses. Un
peu de science éloigne de la poésie et plus
de science y ramène. La vie idéale serait
celle qui s'enchanterait de science au dé-
but pour savoir ce qui en est, et de poé-
sie à la tin, pour finir sur un rêve plus
doux.
Cet astronome est resté immortel en
Perse, parmi les amateurs de beaux vers,
pour deux lignes que Pétrarque lui eût
enviées :
Je voudrais pouvoir me cacher dans mes vers,
afin de baiser ta lèvre au passage, tandis que tu
les chantes.
Quelque temps après la mort d'Ou-
mara, le saint cheikh Abou Saïd tenait
séance avec ses disciples et l'on disait des
vers. Un des assistants récita ces deux
vers, a De qui sont-ils? s'écria le cheikh
tout ému. — Ils sont d'Oumara. — Le-
DE LA POÉSIE PERSANE bj
vez-vous, s'écria le cheikh, et allons en
pèlerinage à sa tombe ! » Et suivi de tous
ses disciples, il alla prier à la tombe
du poète.
Quel était ce cheikh qui aimait tant les
beaux vers et qui à sa façon disait déjà
de Pétrarque :
J'irais à Rome à pied pour un sonnet de lui.
Ce cheikh est en date le premier des poè-
tes mystiques de la Perse, comme il en est
le plus grand. Il va clore, avec son rival
Avicenne, cette esquisse de l'âge héroïque
de la poésie de Perse.
"M.
T^^, ?v^^ rv'» «v^, f\.'» r^^, ?v-» ,n..^, «v^, r-^, ^.'» jv^, «v^
XI
A l'époque où nous sommes arrivés,
une crise se produisait dans la pensée de
la Perse musulmane.
Un instant, Tlslam avait semblé prêt à
ouvrir les portes à la philosophie et à la
libre pensée. La philosophie grecque,
chassée d'Alexandiie et d'Athènes par
Justinien et le christianisme et réfugiée à
la cour des Khosroès, était revenue à la
cour des Califes de Bagdad; il y eut un
instant un islamisme libéral. La question
s'était posée sur l'origine du Coran : le
Coran était-il créé ou incréé? Etait-ce
une révélation faite dans le temps, où
était-ce le verbe éternel? Le Calife Ma-
moun décréta que le Coran était créé;
c'était le triomphe de la libre pensée et
l'on pendit ceux qui parlaient d'un Coran
LES ORIGINES DE I.A POESIE l'ERSANE 59
iiiciéé. Sous les successeurs de Mamoun,
il y eut une réaction; le Coran incréé fut
le dogme orthodoxe et la potence fut re-
tournée dans Tautre sens; elle y est restée.
Mais l'orthodoxie de Bagdad ne pou-
vait longtemps satisfaire les instincts de
la Perse, soit mythologiques, soit philo-
sophiques. Dans le peuple, l'islamisme
se transforma bien vite en recevant dans
son sein toute la vieille mythologie popu-
laire qui se concentra autour de la figure
héroïque d'Ali. L.a religion nouvelle qui
sortit de là, le chiisme, qui combinait en
elle les éléments inférieurs des deux reli-
gions mères, Textravagance mythologique
de la Perse ancienne et l'intolérance dog-
matique de l'Islam, et qui a tant fait pour
la dégradation morale de la Perse, était
bonne pour la populace et la plupart de
ses prêtres : elle était insuffisante pour
les âmes d'élite. Les uns sortirent plus
ou moins ouvertement de l'Islam par la
science et l'incrédulité : les autres en sor-
tirent par le mysticisme. Deux poètes re-
présentent ces deux mouvements con-
6o
LES ORIGINES DE LA POESIE PERSANE
traires, à Tépoque de Firdousi : Tun est
le médecin Avicenne, Tautre est le dervi-
che Abou Saïd.
I
iÊ/<)
^®®^®®^®®^®®^
^®®'^®®^®®^^®®^
XII
Le noQi d'Avicenne a été vénéré en
Europe. Dante le rencontra dans TEnfer
parmi les sages qui n'ont pas connu le
Christ. Mais la vénération du moyen âge
lui a fait une réputation équivoque qu'il
ne méritait point. Il fut dans son temps
et dans son pays un des plus hardis com-
battants du bon combat, et notre moyen
âge en a fait l'incarnation de la routine
et de Tautorité. Ses Canons ont tyrannisé
la médecine jusqu'au siècle dernier, et ce
champion de la libre recherche l'a entra-
vée en Europe, grâce à l'imbécilité de ses
disciples d'Occident. Quel est l'apôtre qui
jamais ouvrirait les lèvres s^il pouvait voir
d'avance la masse de ses prosélytes? Quel
initiateur dirait sa pensée, s'il voyait ce
qu'elle deviendra dans le cerveau de ses
élèves ?
02 LES ORIGINES
Avicenne naquit, vers 983, près de
Boukhara. Il étudia sous un Piiédecin cé-
lèbre du temps, qui était Thôte de son
père, toute la science d'alors, V Isagoge
de Porphyre, Euclide et TAlmageste. A
seize ans, il guérissait l'émir dont il de-
venait le médecin favori. A la chute des
Samanides. il alla de cour en cour, chez
le roi de Kharizm (le Khivaj, chez les
princes de Tous, de Djoidjan, de Rei, de
Hamadan, dispahan, partout accueilli
comme un prince, chargé d'honneurs,
nommé vizir, chassé par les séditions,
menacé de mort par la soldatesque, jeté
en prison par ses maîtres, exilé, fugitif et
toujours menant de front les affaires,
le plaisir et la science : le jour était
aux affaires, le plaisir et la science se
partageaient la nuit. N'ayant pas de
temps pour le sommeil, il prétendit
le remplacer par le vin et mourut à
cinquante ans, épuisé par le travail
et le plaisir. Une tradition le fait mou-
rir dans le cachot oili le prince d'Is-
pahan, son protecteur, l'avait fait jeter
DE LA POÉSIE PERSANE 63
après l'avoir mis au carcan. « J'ai vu, dit
« un poète, Avicenne, que recherchaient
« tous les grands, hnir en prison de la
a pire des morts. Son livre de la Guéri-
« son n'a pu le guérir; son livre du Salut
«n'a pu le sauvera » Il laissait toute
une bibliothèque de science naturelle, de
médecine, de métaphysique, d'alchimie
même et un renom suspect parmi les or-
thodoxes : « ses ouvrages sont dangereux
a etont perdu beaucoup degens. » Homme
politique, médecin et viveur, Avicenne
était encore poète à ses heures,
La plupart des poésies qui nous restent
de lui sont des poésies en l'honneur du
vin ; je ne dis pas : des poésies bachi-
ques. L'étranger est d'abord étonné et
un peu scandalisé de la place que le vin
occupe dans la poésie persane. Rien pour-
tant qui ressemble moins à nos vaudevii es
et à nos chansons à boire. Les chansons
à boire de l'Europe ne sont que des chan-
sons divrogne; celles de la Perse sont un
1. Schefer, ChrestomMhie persane, II.
64 LES ORIGINES
chant de révolte contre le Coran, contre
les bigots, contre l'oppression de la na-
ture et de la raison par la loi religieuse.
L'homme qui boit est pour le poète le
symbole de Thomme émancipé : pour le
mystique, le vin est plus encore, c'est le
symbole de Tivresse divine. Dans les pro-
testations d'Avicenne, le médecin et le
libre penseur parlent tour à tour. Voici
la part du médecin :
Le vin est l'ennemi de l'ivrogne et l'ami de
l'homme sobre.
A petite dose, c'est de l'antidote; à forte dose,
c'est du poison.
Un vin généreux nourrit l'esprit, la chose est
sûre; car en vérité sa couleur éclipse la couleur
de la rose.
De goût amer, comme le conseil d'un père,
mais aussi utile : permis aux gens d'esprit, in-
terdit aux sots.
Le bigot devait froncer le sourcil en li-
sant ces ver.s ; mais que devenait-il en li-
sant la suite ?
Est-ce la faute du vin, si c'est un sot qui le
DE LA POESIE PERSANE
65
boit et s'il s'en va à Taveugle dans la nuit: Nous,
c'est vers Dieu qu'il nous guide.
Le de'cret de la religion le permet au sage, si
celui de la raison le défend aux ânes.
Bois sagement d'un vin pur, comme Bou Ali ';
aussi vrai que Dieu existe, ton être en deviendra
Dieu même.
Le blasphème à peine voilé ne pouvait
échapper à des yeux d'inquisiteur. Les ac-
cusations d'impiété pleuvaient autour de
lui sans Témouvoir :
Avec ces deux ou trois sots, si sots qu'ils s'i-
maginent qu'ils sont tout l'esprit du monde, fais
l'âne :
Car de ces gens-là telle est l'ânerie que qui-
conque n'est pas un âne, ils l'appellent mécréant.
Ailleurs il repousse avec une indigna-
tion insolente, qui est un nouveau blas-
phème, cette accusation d'impiété: n'a-t-il
pas la foi suprême, celle de la science, et
si lui est un mécréant, oia sera donc le
vrai croyant?
I . Avicenne.
4*
66 LES ORIGINES
Une impiété comme la mienne n'est pas chose
futile ni facile : de foi plus solide que la mienne
il n'y en a pas.
Dans mon siècle il n'y en a qu'un comme moi ^
et c'est un mécréant! Ainsi donc il n'y a pas dans
tout ce siècle un Musulman!
Il est fier de cette science qui le met à
part dans le monde : du fond de la terre
jusqu'à Saturne, il a résolu tous les pro-
blèmes de r Univers ; il a échappé à tous
les pièges et à toutes les ruses de la na-
ture; il n'y a qu'un lien qu'il n'ait pu
délier, celui de la mort. Pourtant cette
science si puissante, elle a aussi en elle
son poison, la conscience. Le pessimisme
de Hartmann l'a visité et il l'exprime
avec quelle profondeur de simplicité!
Plijt à Dieu que j'ignorasse ce que je suis et
pourquoi je suis pris dans le vertige du monde!
Heureux, je vivrais dans le calme et la joie;
malheureux, je pourrais pleurer les larmes de
mille yeux.
Mi'^érabie grandeur de la pensée, des-
I . Lui-même.
DE LA POESIE PERSANE
67
séchée par l'analyse et le retour sur elle-
même, qui ne sait plus ni jouir, ni souf-
frir! La raison a élevé l'humanité de la
brute à la conscience; si l'humanité tient
à vivre, il faut qu'une raison plus haute
la ramène à l'inconscient et à la brute. Le
gnôthi séauton est le premier pas vers le
suicide.
Il revient alors vers Dieu, le Dieu bon
et clément, l'appui le plus commode,
après tout, que la faiblesse de l'homme
ait encore inventé :
Dans la bonté de Dieu nous avons un protec-
teur et il nous affranchit du fruit de nos œuvres,
bonnes ou mauvaises.
Là où est ta grâce, ce qui n'a pas éié tait est
comme s'il était fait et ce qui a e'té fait n'est
plus.
g^l2/?^^^l^ 5^1^ fS>^l2/^6vS!
SsS^^Ji\S^'^^\S>S^^c^\S>S'i/?:
œ
XIII
Non! répond une voix, celle du dervi-
che Abou Saïd :
O toi qui n'as pas fait le bien, qui as fait le
mal et t'imagines sauvé après cela.
Ne compte pas sur la bonté de Dieu! car jamais
ne se pourra que ce qui n"a pas été, ait été et que
ce qui fut n'ait pas été.
Abou Saïd était né dans le Khorasan,
une quinzaine d'années avant Avicenne;
voici comment il se fit derviche :
Un jour, il entrait dans la ville de Sa-
rakhs; à la porte, sur un tas de cendres,
il trouva le cheikh Loqman. surnommé
le Fou, qui était occupé à coudre une
pièce dans sa tunique de peau. Abou Saïd
monta près de lui et le regarda faire :
Loqman cousit la pièce sur laquelle tom-
LES ORIGINES DE LA POÉSIE PERSANE 69
bait l'ombre d'Abou Saïd, debout au so-
leil; puis, relevant la tête, il lui dit :
(( Bou Saïd, je viens de te coudre à cette
a peau de derviche. » Là-dessus, il le prit
par la main, le conduisit au couvent voi-
sin et le remit aux mains du cheikli en lui
disant : « Aboul Fadhl, prends soin de ce
c( jeune homme, il est des tiens. »
Abou Saïd resta dans un coin sept ans
durant, les oreilles bouchées, sans dor-
mir, ni nuit ni jour, appelant sans cesse
Allah! Allah! jusqu'à ce qu'enfin la porte
et le mur répondirent : Allah! Allah! Il
disparut alors dans le désert, où il vécut
dans l'amitié des bêtes fauves, se nour-
rissant de fleurs de tamarin. Sa réputa-
tion de sainteté se répandit et devint telle
qu'on achetait 20 dinars les écorces de
concombre tombées de sa main : des
hommes se frottaient la tête avec les excré-
ments de son chameau.
Ce saint n'était pas un dévot selon le
monde. On le dénonça au cadi comme in-
fidèle, et les femmes, quand il passait
dans le village, montaient sur les toits
70 LES ORIGINES
pour lui jeter des ordures. 11 se retira à
Amol, dans le Tabaristan, auprès du
cheikh Aboul Abbas, de qui il vit tout ce
qu'il connut plus tard. Il mourut le ven-
dredi 4 chaban 440 (1062), âgé de mille
mois.
Les poésies qui nous restent de cet ascète
sont presque toutes des poésies d'amour.
Il y a loin d'un derviche comme
Abou Saïd à un moine de Tan icoo. Le
moine chrétien a peur et horreur de la
femme : la femme est l'instrument de
perdition, Tamour est le piège de Satan.
Pour le derviche aussi l'amour est un
piège, mais du ciel. On demandait un
jour à Abou Saïd : a Qu'est-ce que Ta-
mour? » Il répondit : « L'amour est le
« hlet de Dieu, l'amour est le piège du
« Seigneur. )> La philosophie contempo-
raine a retrouvé une formule analogue,
mais cruelle de sens; pour elle, l'amour
est le piège de la nature, qui, pour peu-
pler et dépeupler ses mondes, a besoin
d'aveugler les cœurs et arrive à ses tins à
travers l'illusion et la déception des êtres.
DE LA POÉSIE PERSANE 7I
La pensée du derviche est autre et toute
de gratitude. C'est dans Famour humain
que l'homme, pour la première fois, s'é-
lève au-dessus de lui-même, entrevoit
dans les yeux de l'objet aimé un rayon de
la splendeur divine, « étreint l'infini dans
ses bras. » — a Séraphin du ciel, trop
« doux pour être humain, qui voiles sous
(( cette forme radieuse de femme tout ce
« qu'il y a d^insupportable en toi, de lu-
« mière, d'amour et d'immortalité! Douce
« bénédiction dans la malédiction éter-
« nelle! Gloire voilée de cet univers sans
a lampe! Lune par delà les nuages!
« Forme vivante parmi les morts! Etoile
(. par-dessus l'orage ! Miroir, en qui,
« comme dans la splendeur du soleil,
«■ prennent un aspect de gloire toutes les
« formes que tu regardes!... Forme mor-
(i telle vêtue d'amour, de vie, de lumière,
« de divinité, image de quelque brillante
« éternité, ombre de quelque rêve d'or,
« tendre reflet de Téternelle lune d'amour,
« aux mouvements de qui se meuvent les
« lourdes vagues de la vie! »
72 LES ORIGINES
Seraph of Heaven ! too gentle to be human,
Veiling beneath ihat radiant form of Woman
AU ihat is iinsupporiable in thee
Of light, and love, and immortality !...
An image of some bright Eternity.
A shadow of some golden dream;... a tender
Réfection on the etevnal Moon of Love
Under whose motions life's dull billows move!
(Shelley)
UEpipsycllidîon est le meilleur com-
mentaire des quatrains ^ d'Abou Saïd.
Notre ascète avait connu aussi, comme
Shelley, l'amour purement humain, sans
arrière-plan céleste, Tamour d'Albertus :
Comme emparadisés dans les bras l'un de l'autre
Nous ne concevions point d'autre ciel que le nôtre.
I. Un mot sur la forme du quatrain persan. Le
quatrain eu rubdi se compose de quatre vers dont
le premier, le second et le quatrième riment en-
semble ; le troisième est blanc. Le quatrain est
tout un poème qui a son unité de forme et d'i-
dée; manié par un vrai poète, c'est le genre le
plus puissant de la poésie persane. La répercus-
sion des rimes, enveloppant et accentuant le si-
lence du vers blanc, produit des harmonies et des
contrastes de sons qui donnent un relief étrange
aux harmonies et aux contrastes de l'idée.
DE LA POÉSIE PERSANE jS
C'est sans doute avant d'avoir eu l'om-
bre piquée par l'aiguille de Loqman le
Fou qu'il écrivait ce joli quatrain, que
Musset eût avoué et pour lequel point
n'était grand besoin de mysticisme :
Nous étions ensemble la nuit dernière, moi et
mon idole, si douce à son serviteur :
Ce n'e'tait de moi que prières et d'elle que ca-
resses.
La nuit partit et notre histoire n'était point
finie.
Ce n'est point la faute de la nuit : nous avions
tant à nous dire.
Il est douteux qu'il y ait dans ces vers
non plus aucune ombre mystique :
Crainte des rivaux, je ne rôderai plus par ta
rue; crainte du qu'en dira-t-on, je ne courrai plus
après toi.
Je ferme la lèvre et reste assis. Mais ce que je
ne puis faire, c'est cesser de te désirer.
Mais à mesure que la pensée mystique
s'éveille, Dieu envahit l'amante. La terre
et le ciel s'effondrent, plus de paradis et
plus d'enfer; il n'y a plus au monde que
74
LES ORIGINES
deux êtres, l'être infini, la bien-aimée, et
l'amant qui veut se fondre, s'annihiler en
elle, en lui. Mais le double sens, le sens
humain et le sens divin, continue à cou-
rir à travers ces cris, le sens humain sou-
levant dans le vide le sens mystique et
lui prêtant une réalité étrange :
Le jour que je serai uni à toi, je mépriserai le
sort des anges du paradis.
Et si l'on m'appelle sans toi dans les plaines
du paradis,
Mon cœur se sentira à l'étroit dans les plaines
du paradis.
Est-ce lindignalion de Tamour repous-
sant une félicité non partagée?
C'estassez d'un tombeau, je ne veux pasd'un monde
Qui se dresse entre nous !
Ou bien est-ce le dédain des joies bour-
geoises du ciel dans une âme qui a rêvé
plus haut pour le réveil? Qu'a-t-il à faire
du ciel celui qui a rêvé l'amour su-
prême?
DE LA POÉSIE PERSANE JD
Gloire aux anges! honneur à Ridhwan '!
Aux méchants l'enfer, aux bons le paradis!
Au Jem, au César, au Khaqan 2 le monde d'ici-
bas !
A moi ma bien-aimée et à ma bien-aimée mon
âme!
N'est-elle pas celle dont la rose prend
le rayonnement de beauté qui éclaire tout
le bosquet? N'est ce pas elle dont le vi-
sai^e prête sa pureté au miroir du cœur?
En toute maison qu'éclaire la lumière
de sa joue, le soleil emporte de la fenêtre
des atomes de lumière; soleil de Dieu,
qui dore les âmes et fait de leur poussière
un rayon de l'âme et de la splendeur di-
vine. Tout est en elle, même l'amant qui
revient en elle :
Je lui dis : Pourquoi te pares-tu ainsi ?
Elle me répondit : Pour moi-même. Car je suis
tout à la fois et l'amour et l'amant et l'aimée?
Je suis le miroir, la beauté et l'œil.
Mourra-t-il sans Tavoir entrevue? « Lève
1. Le gardien du paradis.
2. Aux rois de Perse, de Constantinople et des
Turcs.
yÔ LES ORIGINES
le voile de ta face et montre ta beauté,
atin que je n"'en emporte pas le regret
jusqu'au jour de la résurrection! » Son
cœur a feuilleté bien des fois le livre de
l'amour, sans jamais trouver de visage,
que ce beau visage, qui fût digne d'a-
mour. Malade, il s'en va trouver le mé-
decin, lui confie sa peine cachée, demande
le remède :
11 m'a dit : N'ouvrir la lèvre que pour l'amie.
Je lui dis : De quoi me nourrir: 11 me dit :
Du sang de ton cœur.
Je lui dis : De quoi m'abstenir : 11 médit : Des
biens des deux mondes.
Mais est-il fait pour elle? La grâce des-
cendra t-elle sur lui! Oui, plus que la
grâce : la prédestination de l'amour.
«• Les niariages sont écrits au ciel », dit le
proverbe juif, et Yamî, l'amante védique,
dit à Yama : « Dans le sein maternel, les
dieux nous ont faits Tun pour Tautre. »
On nous dit, il est vrai, que dans ce
monde de tous les jours, tel que Dieu Ta
fait un instant qu'il se négligeait, n'im-
DE LA POÉSIE PERSANE 77
porte qui peut aimer n'importe qui et en
être aimé; peut-être au fond sagesse su-
prême pour assurer la continuité des cho-
ses et le pot au feu de Tunivers. La poésie
n'en est pas encore là et veut croire à
Téleciion suprême. Mais quand Pâmante
est la vérité éternelle et que Pâmant est
l'âme divine dans sa forme mortelle, l'é-
lection est de toute éternité :
Avant que les dieux eussent dressé la voûte
du firmament, avant qu'ils eussent bâti le palais
céleste de cristal, quand je dormais encore en
paix dans la Cite du Néant, leur main avait déjà
imprimé ton nom sur le mien.
Alors que n'existaient encore ni ces étoiles, ni
le firmament, que ni les eaux, ni l'air, ni le feu,
ni la terre n'existaient encore,
Déjà j'avais proclamé le mystère de l'Unité.
Ni ce corps, ni cette voix, ni cette pensée n'exis-
taient encore.
On voudrait savoir sur quelles lèvres
mortelles tour à tour le vieux derviche
lut le mystère divin ; à quelles roses il as-
pira le parfum céleste et, comme la statue
y8 LES ORIGINES
de Condillac, devint parfum de rose. Le
nom de ses Zuleika et de ses Leila pren-
drait place près des Mary, des Emilia, des
Madonna de Shelley ; on entendrait l'éter-
nel dialogue de tous les héros de la Lé-
gende divine, de Dante et de Béatrice, de
Pétrarque et de Laure, de Shelley et d' An-
tigone, de Faust et d'Hélène :
(( — T'ai je rencontrée dans les réalités
d'ici-bas, ou es-tu le rêve de Tâme malade ?
— Tu m"as rencontrée dans les réalités
d'ici-bas. et je suis le rêve de ton âme ma-
lade. »
Ainsi se passa la vie de l'ascète, célé-
brant, en action ou en rêve, ce qu'un
jeune poète anglais, à neuf siècles et mille
lieues de là, appelait naguère, en un vers
digne de Shelley ou de Keats,
Le culte de lame au temple de la chair,
SoiiVs wursliip at the temyle of the Jlesh '.
Ainsi, dans sa cellule ou au désert, le
vieux derviche persan disait :
I. Tuberoses and Meadoivsweets.
DE LA POtSIE l'EKSANE 79
Celui qui a enchaîné son cœur aux belles res-
tera toujours là et ne rompra jamais la chaîne de
l'idole.
Dans la forme d'argile il a lu le sens de l'àme
et il restera, le pied du cœur pris dans l'argile,
jusqu'au jour de la résurreciion.
Le moine chrétien croit et pratique. Le
derviche croit-il? J'en doute. Comme le
prêtre de Némi, il est trop avant dans le
Divin pour s'attarder à Dieu. Quant au
culte, qu'en ferait-il? Le culte rapproche de
Dieu celui qui en est loin, il ne peut qu'en
éloigner qui en est proche, qui est en lui.
Le derviche est si saint qu'il est dispensé
de la piété. Il y avait vers ce temps là, à
Tous, un cheikh vénéré, qui fut l'ami et
le conseiller de Firdousi et que visita
Abou Saïd : le cheikh Machouq ; de sa vie
il n'avait jamais prié. Pourtant, « au jour
« de la résurreciion, les justes diront :
« — Plût à Dieu que nous eussions été la
« poussière sur laquelle le cheikh Ma-
<( chouq aura mis le pied ! » Ces saints, si
dégagés du joug pesant lie la Loi, inspi-
raient à la foule une vénération mêlée de
8o LES ORIGINES
soupçons. Le vulgaire dans un siècle de
foi comprend mal aisément le
Nec pietas iilla est velatum scepe videri
Vortier ad lapidem...
Quant le cœur est lorlu, dit Abou Saïd, à quoi
sert un front dans la poussière:'
Quand le poison est descendu jusqu'au cœur,
à quoi sert l'antidote?
Tu pares de vêtements ton corps : à quoi ser-
vent des vêtements blancs sur un cœur impur.'
Abou Saïd avait éprouvé à ses dépens
que la piété de la foule veut autre chose
de ses saints. Peut-être au fond de sa
conscience donnait-il raison aux pauvres
femmes qui Tinsultaient et répétait-il aussi
sous leurs affronts : Sancta simplicitas!
Plus tard, entré vivant dans Tapothéose, il
songe, avec le remords d'une hypocrisie,
au malentendu qui lui vaut tant d'adora-
tions et au peu de chose de commun qu'il
y a entre lui et ses fanatiques :
Ceux qui parlent si bien de moi ne savent pas
tout le mal qui est au fond.
DE LA POÉSIE PERSANE 8l
S'ils tiraient au dehors ce qu'il y a au dedans,
il faudrait qu'ils me brûlent.
Abou Saïd avait écrit des quatrains ré-
sumant les attributs de Dieu et que les
fidèles récitaient en façon de prière. Ils
auraient frémi s'ils avaient vu le sens qu'y
mettait l'écrivain . Deux siècles aupara-
vant, on avait supplicié en grande pompe
le premier soufi, Hallaj, qui sous les tor-
tures n'avait prononcé qu'un mot : « Je
suis Dieu ». Et à présent les grands et les
prêtres venaient baiser les pieds du dervi-
che qui disait :
Le sage instruit des mystères de la Science sort
de lui-même et fait route avec Dieu.
Nie ta propre existence, affirme celle de Dieu.
Voilà le sens de la formule : « Il n'y a de Dieu
que Dieu. »
Pourtant, le panthéisme d'Abou Saïd
n'a pas la décision et la certitude des poè-
tes qui viendront plus tard; et c'est pour
cela qu'il est si grand poète. La Science,
comme on appelait alors l'intuition mys-
tique, n'est pas pour lui, comme elle le
82 LES ORIGINES
sera pour ses successeurs, une doctrine
arrêtée et fixée, une tradition qu'ils ont
reçue de leurs maîtres, une matière à met-
tre en vers. Cette science, il la crée, il la
nourrit de son sang et de ses larmes, avec
les angoisses, les doutes, les contradic-
tions de son cœur. Son grand imitateur,
Omar Kheyyam, Talgébriste poète, aura
la force de la certitude implacable; mais
c'est une force qui, en poésie, est presque
une faiblesse, car elle est mortelle à l'é-
motion. La soutTrance humaine est l'é-
cueil du panthéisme. Il essaye en vain du
stoïcisme et du silence :
O mon cœur, quand la séparation de la bien-
aimée fait éclater les veines de ton âme, ne mon-
tre à personne tes haillons tachés de sang.
Gémis sans qu'on entende ta plainte. Consume-
toi, sans que la fumée en sorte.
Mais, en dépit de lui, ce n'est pas la fu-
mée, c'est la tîamme même qui éclate du
volcan. Il est beau de s'écrier :
Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse.
Mais ce cri même est déjà une plainte et
DE LA rOÉSIE PERSANE 83
une faiblesse, et c'est alors que vient
l'heure de Dieu, non pas du Dieu univer-
sel, morne et aveugle, mais du Dieu vi-
vant, qui dit : Moi ! qui écoute et qui ré-
pond. Vous savez bien que ce Dieu' n'est
qu'en vous-même; qu'importe! priez tou-
jours? il y aura bien pour recueillir tes
prières quelqu'un quelque part, ne fût-ce
qu'au fond de ton propre cœur.
Comme Moïse, il est seul, il se sent
irrévocablement seul, isolé parmi les
hommes par la grandeur du rêve, et à lui
aussi le cri lui échappe :
O Dieu, vous m'avez fait puissant et solitaire!
le grand cri de reproche douloureux et
d'orgueil :
O Dieu, viens à mon secours, car je suis seul.
Tu m'as fait sans confident, sans ami, sans
compagnon; tu m'as fait vivre avec la peine, la
souffrance et le chagrin.
C'est là le sort de ceux qui approchent ton seuil.
O Dieu! pour quelle oeuvre m'as-tu donc fait
ainsi .''"
Pauvre étranger, las de cette vie, qui
84 LES ORIGINES
n'attend plus le repos que dans la cité du
néant, il veille dans le silence de la nuit;
peut-être Dieu viendra :
Toutes les portes sont fermées, les hommes
sont endormis. O Seigneur! ouvre-moi les portes
de ta bonté!
Et dans les heures d'impuissance ou
de remords, où l'âme, effarée de sa des-
tinée ou de ses fautes, cherche éperdù-
ment autour d'elle une voix qui Tencou-
rage ou l'éclairé, à qui elle puisse dire :
« Sois ma force » ou « sois ma conscience »,
quel bonheur si elle peut projeter au ciel
le meilleur d'elle-même et entendre de là
revenir sur elle, agrandie et irrésistible,
la voix intérieure, la voix de noblesse
étouffée, la voix qui disait : Courage!
mais si bas dans la tempête des autres
qu'il l'entendait à peine.
O Seigneur! Je suis confondu Je mes fautes
honteuses; je rougis de mes paroles mauvaises
ei de mes^actions mauvaises.
Fais descendre sur mon cœur une etiiuve du
DE LA POÉSIE PERSANE 85
monde invisible afin d'effacer les imaginations
mauvaises de mon cœur!
La plus sûre des effluves descendre\,
celle de la clémence divine :
Mes fautes sont plus nombreuses que les gout-
tes de la pluie, et ma tête se penche sous la honte
de mes fautes.
Mais une voix descend qui me dit : Rassure-
toi, derviche. Tu as agi selon ta nature et j'agirai
selon la mienne.
L''Evani^ile n'a pas une parole de su-
blimité plus douce.
Pour sentir tout ce qu'il y a de chrétien
dans Abou Saïd, il faut reprendre ces
vers et voir ce qu'ils deviennent chez son
grand disciple, Talgébriste de Nichapour.
Un soir qu'Omar Kheyyam s'entrete-
nait avec ses amis, au clair de lune, sur
la terrasse, la coupe en main et dans les
chansons, un coup de vent éteignit les
lampes et l'cnversa la cruche qui se brisa.
86 LES ORIGINES
Le poète irrité lança ce quatrain au Dieu
qui troublait ses plaisirs :
Tu as brisé ma cruche de vin. Seigneur :
Tuas fermé sur moi la porte du plaisir, Seigneur.
Tu as versé à terre mon vin pur :
(Dieu m'étrangle!)— mais serais-iu ivre par
hasard, Seigneur !
A peine le blasphème lancé, le poète,
jetant les yeux sur la glace, vit sa face
noire comme le charbon : il s'écria :
Quel est Thomme ici-bas qui n'a point péché,
dis? Celui qui n'aurait point péché, comment
aurait-il vécu, dis?
Si parce que je fais le mal, tu me punis par le
mal.
Quelle différence y a-t-il entre toi et moi, dis?
Ainsi Abou SaïJ finissait par reprendre
pour son compte les espérances quil avait
condamnées en Avicenne. Ces deux hom-
mes s'étaient connus ; la légende du moii s
les mit en rapport. Un jour, dit-on, ils se
rencontrèrent chez un ami commun et
DE LA POÉSIE PERSANE 87
s'entretinrent : au sortir, on leur demanda
ce qu'ils pensaient Tun de Tautre. Avi-
cenne dit : « 11 voit aussi tout ce que je
sais. » Abou Saïd dit : « Il sait tout ce
que je ne vois pas. » La légende avait
bien mesuré Tabîme qui sépare les deux
classes dames et les deux méthodes. Il
est peu douteux que, pour elle, elle met-
lait le savant bien au-dessus du voyant.
La science fera toujours pauvre figure
devant l'intuition; elle est trop pratique,
elle nous laisse trop en nous-méme, nous
parle trop de nous et de notre petit monde,
pauvre sujet qui lasse bien vite. « Une
a science qui ne t'arrache pas à toi même,
a l'ignorance vaut mieux cent fois que
<i cette science-là! i ». Le derviche sous
sa robe de laine en sait plus que le grand
médecin avec tout son Aristote : « plus
« on sait du monde, moins on sait de
<i Dieu. » On demandait un jour à Abou
Saïd ce que c'est qu'un derviche. Il ré-
pondit :
1. Vers de Senâi, poêle du xi*-' siècle.
88 LES ORIGINES DE LA POÉSIE PERSANE
« Dépose tout ce que tu as dans la tête,
donne tout ce que tu as dans la main, ne
tressaille de rien de ce qui t'arrive, tu
seras un derviche.
— Où faut-il que nous le cherchions,
le derviche ?
— Où donc l'as-tu cherché que tu ne
l'aies pas trouvé? »
XIV
(( Console-toi : ta ne me chercherais
point si tu ne m'avais trouvé ^ »
Dans le grand dialogue qui, depuis que
l'homme est né, va éternellement courant
entre la terre et le ciel, quelle brise avait
poussé jusqu'à la Caspienne un écho de
la parole que Pascal aussi, dans Thorreur
de la nuit, entendit le Christ lui murmu-
rer?
I. Mystère de Jésus.
^^^^îîS'^P-^^T-ft^^
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
I. — Origine légendaire de la poésie
persane i
II. — Réveil de la poésie nationale en
Perse 2
III. — La poésie sous les Tahérides. . ... 7
IV. — Son épanouissement sous les Sa-
manides-Roudagui 11
V. — Les contemporains de Roudagui :
Chahid de Bactriane 29
VI. — Les contemporains de Roudagui,
suite 3 I
VIL — Suite : Dâqîqî et le Livre des Rois. 3g
VIII. — Suite: Kisâi et la poésie religieuse. 4!)
IX. — Fin de la période samanide 5 i
X. — La période ghynévide b4
XI. — Incrédulité et mysticisme 58
XIL — Avicenne et la poésie incrédule. . 61
XllI. — Abou Saïd et la poésie mystique.. 68
Fin.
Le Puy, imprimerie Marchessou fils.
'BI'BUOTHÈQUE ORIENTALE ELZÉVIRIENNE
LES
ORIGINES
DE
LA POÉSIE PERSANE
PAR
M. J. DARMESTETER
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1887
m
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
I
Le Mahdi. (Librairie E. Leroux).
Coup d'œil sur l'histoire de la Perse.' (Ibid).
Eludes Iraniennes. (Librairie Vieweg).
Essais Orientaux. (Librairie A. Lévy).
Essais de litte'rature anglaise. (Librairie Delà-
grave.
XXIX. — Les Religions et les Langues de l'Inde p^iir R. Cust. d fr.
XXX.— La poésie arabe anté-islamique, par René Basset. 2 fr. 5o
XXXi. — Le livre des dames de la Perse, traduit par J. Thonne-
LiER. In-i8 :•/•.•••/•• -J,''- '^P
XXXII. — L'Encre de chine, son histoire et sa fabrication, d après
des documents chinois, par Maurice JAMETEL.,ln-i8 illustré.. 5 fr.
XXXIII. — Le livre des morts des anciens Egyptiens, par Paul
PlERRET. lN-18 ÏOfr.
XXXIV. — Le Koran, sa poésie et ses lois, par Stanley Lane-
PooLE. In-i8 2 fr. 00
XXXV. — Fables turques , traduites par J.-A. Decourdemanche.
In-tS ...••• ll^-
XXXVI. — La Civilisation japonaise, par L. de Rosnv. In-i8. o fr.
XXXVII. —La Civilisation musulmane, par Stanislas Guyard, pro-
fesseur au collège de France. In-i8 2 fr. 5o
XXXVIII. — Voyage en Espagne d'un ambassadeur marocain (1090-
1691), t.raduit de l'arabe par H. Sauvaire. Iu-iS 5 fr.
XXXIX. — Les langues d'Afrique, par Robert Cust. Traduit par
L. deMilloué. In- 18... - 2 fr. :o
^h. — Les fraudes archéologiques en Palestine, suivi de quelques
monuments phéniciens apocryphes, par Ch, Clermont-Ganneau.
In 18 illustré de 33 gravures '••■ • 5 fr.
XLI. — Les langues perdues de la Perse et de l'Assyrie, par J. Me-
nant. In- 1^^. . . 2 fr. :o
XLII. — Mddhava et Mdlatî, drame sanscrit, traduit par M. Strehly,
avec une préface par M. Bergaigne in-iS • 2 fr. 5o
XLIII. — Le Mahdi, depuis les origines de l'Islam jusqu'à nos jours,
par James Darmesteter. In- 18. 2 fr. 5o
XLIV. — Coup d'œil sur l'histoire de la Perse, par James Darmes-
teter, professeur au Collège de France. In-i8 2 fr. 5o
XLV. — Trois nouvelles chinoises, traduites par M. le marquis
d'Hervey de Saint-Denys , de l'Institut. In- 18 3 fr.
XLVl. — La poésie chinoise, par Imbault-Huart. In-i8... 2 fr. 5o
XLVII. — La Science des Religions et l'Islamisme, par Hartwig
Derenbourg. In-i8 2 fr. 5o
XL VI II. — Le Cabous Nameh. ou Livre de Cabous, de Cabous Onsor
el Moali, souverain du Djordjanetdu Guilan. Traduit pour la pre-
mière fois en français avec des notes, par A. Quèrrv, consul de
France. Fort volume in-i8 7 fr 5o
XLIX. — Les peuples orientaux connus des anciens Chinois, par LÉon
de Rosny. Nouvelle édition. In- 18.. 5 fr.
L. — Les langues perdues de la Perse et de l'Assyrie, par J. Me-
nant. II. Assyrie. In- 18 5 fr.
LI. — Un jnariage impérial chinois. Cérémonial, par G. Devéria.
Jn-i8 illustré.. 5 fr.
LU. — Les Confréries musulmanes du Hedja^, par A. Le Chate-
LiER. In- 18 . . 5 fr.
LUI. — Les Origines de la Poésie persane, par M. L. Darmes-
teter. In-i8..." 2 fr. 5o
Le Boustan de Saadi, poème persan, traduit pour la première fois en
français par A.-C. Barbier de Meynard, membre de l'Institut.
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ERNEST LEROUX, EDITEUR, RUE BONAPARTE, 28
"BIBLIOTHEQUE ORIEXTALE ELZEVIRIEM\E
I. — Les Religieuses bouddhistes, depuis Sakya Mouni jusqu'à nos
jours, par Mary Summer. 1 vol. in-iS 2 fr. io
II. — Histoire du Bouddha Sakya Mouni, depuis sa naissance jus-
qu'à sa moit, par Mary Summer. i vol. in- 18 5 fr.
III. — Les Stances erotiques, morales et religieuses de Bhartrihari,
traduites du sar.-scrit par P. Regnaud. In-i8 2 fr. 5o
IV. — La Palestine inconnue, par CLERiicsT-GANNEAU. 2 fr. 5o
V. — Lesp'iisanteries de yasr-Eddin-Hodja. Traduit du turc par
J.-A. Decourdemanche. I vol. in-i8 2 fr. 5o
VI-IX. — Le Chariot de terre cuite (Mricchakatika), drame sanscrit.
Traduit en français, par P. Regnaud. 4 volumes in-i8 10 fr.
X. — Iter persicum ou description du voyage en Perse entrepris en
1602 par Etienne Kakasch de Zalonkemeny, ambassadeur de Rodol-
phe II, près de Chah Abbas. Traduction publiée par Gh. Schefer.
In- 18 avec portrait et carte 5 fr.
XI. — Le Chevalier Jean, conte magyar, par Alexandre Petœfi,
traduit par A.Dozon, consul de France. In-i8 2 fr. 5o
XII. — La poésie en Perse, par Barbier de Mevnard 2 fr. 5o
XIII. — Voyage de Guillaume de Rubrouck en Orze?zf, publié par
de Hacker. In- 18 5 fr.
XI\'. — Malavika et Agniviitra, drame sanscrit, traduit par Ph.
Ed. FouCAUx. In-i8 2 fr. 5o
XV. — L'islamisme, son institution, son état présent, son avenir, par
le docteur Perron. In-i8 2 fr. 5o
XVI. — La Piété filiale en Chine, par P. Dabry de Thiersant.
In-i8, avec 2 5 grav. d'après le originaux chinois 5 fr.
X\'1I. — Contes et légendes de l'Inde ancienne, par Mary Sum.mer,
avec introd. par Ph. Ed Foucaux. In-iS 2 fr 5o
XVIII. — Galatée, drame grec, de Basiliadis, publié, traduit et an-
noté par d'Estourxelles de Constant. In-iS 5 fr.
XIX. — Théâtre Persan, traduit par A. Chodzko. In-i8.... 3 fr.
XX. — Mille et tut Proverbes turcs, recueillis, traduits, et mis en
ordre par J.-A. Decourdemanche. In-i8 2 fr. 5o
XXI. — Le Dhammapada, traduit par F. Hû, suivi du Sûtra en 42
articles, par Léon Feer. In- 18 5 f-
XXII. — Légendes et traditions historiques de l'archipel indien,
par L. .Marcel Devic. In-i8 2 tr. 5o
XXIII.— La puissance paternelle en Chine , étude de droit chmois,
par F. Scherzer, interprète-chancelier. In-i8 2 fr. 5o
XXIV. — Les Héroïnes de Kdlidasa et les Héroïnes de Shakespeare,
par Mary Summer. In-i8 2 fr. 5o
XXV. — Le Livre des femmes, traduit du turc, par J.-A. Decour-
demanche. In-i8 ... 2 fr. 5o
XXVI. — Vikramorvaci. Ourvâci donnée pour prix de l'héroïsme,
drame sanscrit, trad. et annoté par Ph. Ed. Foucaux. In-i8. 2 fr. 5o
XXVII. — Xdgdnanda. La Joie des Serpents , drame bouddhique,
traduit et annoté par A. Bergaigne. In-i8 2 fr 5o
XXVIII. — La Bibliothèque du palais de Ninive,pav J. Menant.
In-i8 2 fr. 5o
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