LES OlimiNKS
DU
MUSÉE D'ETHNOGli APHIE
HISTOIRE ET DOCUMENTS
le D^ E -i. HAMY
Mtnibre de l'iiis'.itut,
Conser\atPur du Mus.\ , et'.
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, *28
1890
<-^l,i.-f<:
PUBLICATIONS
DU
MUSÉE D'ETHNOGRAPHIE
I
LES ORIGIKES DU MUSÉE D'ETHNOGRAPHIE
ANGERS, IMP. BORDIPf ET C'», 4, RUE GARNIBH.
LES ORIGINES
DU
MUSÉE D'ETHNOGRAPHIE
HISTOIRE ET DOCUMENTS
l'AK
le D^ E.-T. HAMY
Membre de rinstiliit,
Conservateur du Musée d'Ethnographie, etc.
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&.L^-i:È
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, '28
1890
LES ORIGINES
DU MUSÉE D'ETHNOGRAPHIE
A M. Xavier Charmes, membre de l'Institut, directeur du
Secrétariat et de la Comptabilité au Ministère de l'Instruction
publique.
Mon cher Directeur,
En. me faisant connaître le rôle très important qne, pour la
première fois, le Musée d^ Ethnographie du Trocadéro allait jouer
dans une de nos Expositions îmiverselles\ vous vouliez bienine
demander un rapport résumant tout ce qui concerne les origines
de cet établissement sous la Convention.
C'était un chapitre que vous vouliez ajouter à l'enquête géné-
rale sur rétat de la France à la fin du siècle dernier, enquête que
vous commenciez à préparer, et dont quelques pages seulement
ont été juscjiià présent mises au jour.
Je n'ai point tardé à m' apercevoir , en poursuivant les recher^
\) Le Musée devait exposer, dans la grande salle du Palais des Arts libé-
raux, les pièces les plus importantes venant des voyageurs du Ministère de
l'Instruction publique depuis la dernière Exposition, c'est-à-dire, depuis sa fon-
dation. Ce programme, si vaste qu'il fût, a été complètement rempli. Quatorze
grandes vitrines droites, deux grandes vitrines horizontales et plusieurs tables
ont reçu les meilleures collections de MM. Bonvalot et Capus, Brau de Saint-
PolLias, Coudreau, Chaffanjon, Crevaux, E. de la Croix, E.-T. Hamy, Huber,
Labone, Michaud, Rabot, Savorgnan de Brazza, Tholon, Varat, Verneau, etc.
Les écrits de la plupart de ces envoyés figuraient à côté de leurs objets, ainsi
que des itinéraires résumant leurs voyages.
1
LES ORIGINES
chcs dunl fêtais ainsi chaïujr^ ////6', bien avant les premiers essais
(l'André Barthélémy , (jui groupait en l'an III, au Muséum des
Antiques, les plus anciens objets que nousaijons conservés, des ten-
tatives plus ou moins sérieuses avaient été faites, des cabine lsjo/z<s
ou moins importants avaient été officiellement organisés à Paris.
D'autre part, la réunion dune petite collection ethnographique
au Muséum des Antiques n^avait point immédiatement abouti à
doter la France d'un musée spécial, et Ion avait tâtonné pendant
de longues années avant de parvenir à la création définitive à
laquelle vous avez attaché votre nom.
J'avais donc, pour compléter l'étude historique dont vous nia-
viez entretenu, à faire connaître tout d'abord les institutions de
l'ancienne monarchie devenues le point de départ des nôtres. Je
devais exposer ensuite l'œuvre d' André Barthélémy , montrer enfin
par quelle suite de contrariétés de toute sorte, les projets adoptés
par P administration dès 1831 n'ont pu aboutir qu' après un peu
moins d'un demi-siècle .
Le court rapport, présenté à l'Exposition tmiverselle, est peu à
peu devenu tm volume, et je ne crois pas pouvoir mieux faire, en
ï imprimant, que d'inscrire à la première page le nom de celui
qui en fut l inspirateur .
Vous y trouverez notamment, avec les documents à ï appui tirés
de nos archives., le récit détaillé des entreprises de Jomard, qui, pen-
dant quarante-cinq années de sa longue carrière administrative^ a
vainement poursuivi la réalisation d'unprojet de Musée malco?im.,
mal présenté et qui ne pouvait point réussir. J'ai aussi recueilli les
documents relatifs à un autre précurseur ^ le voyageur Lamare-
Picquot, dont le retour en France a donné le signal de manifestations
tout à fait remarquables en faveur de ï ethnographie. Les savants
les plus illustres, Cuvier, Abel Béînusat, Burnoïif, Siebold, etc., ont
successivement insisté sur l'importance des études ethnographiques
pour les naturalistes et pour les historiens: j'ai rassemblé avec un
soin tout particulier ces précieux témoignages. Enfin, j'ai dojiné
dans mon recueil une large place atix travaux des commissions
ministérielles, et en particulier des deux dernières, auxquelles
vous avez pris une si grande part.
DU MUSEE D ETUNOGUAPllIE ô
Grâce au bon vouloir des représentants du pays, çjrâce an con-
cours d'un Ministre éclairé, grâce surtout à votre activité et à
votre dévouement, mon cher Directeur, nos projets ont abouti et le
modeste dépôt de 1795 est devenu en quelques années un établis-
sejnenl scientifique dune véritable importance . J'en décrirai plus
tard les développements, depuis 1880, dans un autre volume,
dont mes rapports annuels fourniront la base, lime suffit pour
le moment d'en avoir ^ aussi complètement que possible, tracé les
origines.
Veuillez agréer, mon cher Directeur, l'expression de mes senti-
ments les plus empressés.
E.-T. Hamy.
PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE
CHAPITRE PREMIER
Les premières collections royales. — Missions scientifiques ordonnées par
François l'^. - Cabinet des cariosités du Roi. — André Thevet eu est le
premier garde. — Jean Mocqnet, garde du cabinet des singularitez de Henri IV.
— Ses voyages et ses collections.
II faudrait remonter bien loin dans le passé do la monarchie,
pour trouver les premières traces de ces collections royales de r^re-
tés, de singularités, de curiosités, qui représentent une première
phase de Thistoire de nos musées nationaux et du Musée d'Ethno-
graphie, en particulier, dont je recherche ici les origines.
De tout temps, en effet, les ambassades venues de quelque
royaume étranger' ou les missions diverses, rentrant de lointains
voyages, ont présenté au Roi des objets exotiques, naturels ou
fabriqués, remarquables par la matière plus ou moins choisie,
l'arrangement plus ou moins ingénieux, ou tout au moins inté-
ressants par un certain degré d'originalité bizarre.
Toute chose inconnue, apportée du dehors, arrivait ainsi à la
Cour et pouvait servir, un instant, k l'instruction ou à l'amuse-
ment du monarque et de son entourage.
On conservait les plus précieuses de ces pièces dans l'un des
cabinets du Roi; les anciens inventaires que l'on a publiés men-
tionnent deci-delà des ustensiles et des bijoux" do l'Orient, ou de
1) Les plus anciennes choses exotiques, venues en France, dont les chroni-
queurs aient gardé le souvenir, sont sans doute les présents célèbres offerts par
Haroun ar-Raschid à Charlemagne en 801 et en 807.
2) Inventaire du Mobilier de Charles V, roi deFrance, publié par Jules Labarte
{Coll. dedocum. inéd., Paris, tmp. nat., 1879, in-4, p. 16, 24, 135, 173, 203, 207,
6 LES ORIGINES
rindc ' ? 11 a y eut toutefois de cabinet spécial pour recueillir les
curiosités proprement dites que sous le règne de François I".
Ce prince, qu'un contemporain nous représente, prenant « un
merveilleux plaisir d'estre accompaigné de gens sçavans, qui
avoient veu pays estrangers », n'a jamais cessé, au milieu des
préoccupations les plus graves de la politique, d'envoyer au loin
des voyageurs chargés de lui rapporter les nouvelletez des
diverses contrées. K peine Sébastian El Cano avait-il ramené à
Séville les débris de l'expédition espagnole, qui, par le détroit de
Magellan, venait d'accomplir pour la première fois le tour du
monde, que le roi de France expédiait à doux reprises Jean Yer-
razzano chercher un passage moins difficile vers l'Océan qu'on
avait ainsi découvert.
En même temps que s'accomplissaient ces voyages, qui procu-
raient la connaissance du littoral des États-Unis, appelé la Fran-
cii>cane en l'honneur du roi ', d'autres tentatives françaises dont
223, etc.). — Comptes de Vargenterie des rois de France au xive siècle, publiés
pour la Société de l'Histoire de France par L. Douëtd'Arcq, 1850, in-8, p. 323,
363, 393, etc. — Nouveau Recueil de Comptes dz l'argentene des rois de France,
publié par le même, 1874, in-8, p. 53-59, etc. — Les Comptes des bâtiments
du roi {1528-loli)..., recueillis et mis en ordre par le marquis Léon de Laborde.
Paris, Société de l'histoire de l'art français, J 877-1880, t. II, pass. — Cf. A.
Lecoy de la Marche, Extraits des Comptes et Mémoriaux du Roi Reiié pour
servir à l'histoire desarts au xv^ siècle, publiés d'après les originauxdes Archives
nationales (Documents historiques publiés par la Société de V École des Chartes,
Paris, 1873, in-8, pass.), — E. BonnaiïéjXes collectionneurs de l'ancienne France.
Paris, 1873, in-12, chap. ii. — Etc.
1) Dans l'inventaire du Cabinet des bagues publié par Paul Lacroix, d'après
une copie du comte de Laborde {Revue universelle des arts, t. III, p. 315-350;
t. IV, p. 445-456, 518-530, 1856) je trouve à mentionner, par exemple, « ung
carquan façon d'Inde garny de rubis et petites meschantes perles », vingt-cinq
<( patenostres de senteurs avec la poire garnie de rubizet diamantz façon d'Inde»),
un^ cuiller, avec sa fourchette « garnie d'or, façon d'Inde », une petite noix
d'Inde garnie d'argent doré, deux œufs d'autruche et deux noix d'Inde montées
{Inventaire des vaisselles et, joyaux d'or et d'argent doré, pierres, bagues et autres
choses précieuses, trouvées au Cabinet du Roy à Fontainebleau, 1560).
2) Voir sur Verrazzano les publications récentes de M. C. Desimoni {Intorno al
Fiorentino Giovanni Verrazzano scoprilore in nome délia Francia di regione nell'
America Seltentrionale, Genova, 1881, in-8. — Alla studio seconda, intorno a
Giovanni Verrazzano [Genova, 1882], br. in-8.
DU MUSÉE D ETHNOGRAPHIE 7
il n'est demeuré que de vagues souvenirs, avaient lieu le long de
la côte brésilienne*?
Sept ans plus tard (1330) François P^ profitera de ses bonnes
relations avec le monde musulman pour envoyer à diverses re-
prises à Tunis Jehan-François Paillard « cappitaine de g-allaires ».
En 1532, Pierre Piton et Baptiste Auxillian vont pour le roi à
Fez et on rapportent, entre autres choses curieuses, des chameaux
et des autruches, des chevaux et des lévriers, une panthère, un
lion, etc.'.
Puis c'est Jacques Cartier, qui, après le traité de Cambrai,
reprend l'œuvre de Yerrazzano et découvre pour le roi le sud du
Labrador (4534), les « îles de Canada, llochelag-a, Saguenay et
autres (1535-1536), » et ramène à Saint-Malo plusieurs Indiens
de ces contrées nouvelles 3.
Bizeret visite les « yles et terres du Brésil » avec le navire Le
Saint-Philippe en 1538 et charge pour le Roi « certain grant
nombre de boys dudit Brésil » que l'on fait ensuite remonter de
Honfleur, à Paris '.
Plus tard ce sont encore Guillaume Postel et Pierre Gille qui
gagnent le Levant, dont ils rapporteront des manuscrits précieux,
des objets d"histoire naturelle, etc. '.
1) Cf. Harrisse, Rev. critiq., 1876, l^"" semestre, p. 20. — On pourrait se
demander si Cartier ne fit pas partie d'une de ces expéditions (Cf. Jouon des
Longrais, Jacques Cartier. Nouveaux documents. Paris, 1885, in-12, p. 15).
2) L. deLaborde, loc. cit., t. H, p. 206, 216, 218, 269, 270, 271.
3) Cf. Brief récit et succincte narration de la Navigation faite en MDXXXV
et MDXXXVI par le Capitaine Jacques Cartier aux Iles de Canada, Hochelaga,
Saguenay et autres. Réimpression figurée de l'édition originale rarissime do
MDXLV avec les variantes des manuscrits de la Bibliothèque impériale, pré-
cédée d'une brève et succincte introduction par M. d'Avezac. Paris, Tross,
1863, in-12. — A. Ramé, Documents inédits sur Jacques Cartier et le Canada.:.
accompagnant le voyage de 1534 publié d'après l'édition de 1598 par M. Michelant
Paris, 1805, in-8. — Id., Documents inédits. Nouvelle série, à la suite de la relation
originale du même voyage, découverte et publiée par les mêmes, Paris,
1867, in-8. — Jouon des Longrais, Jacques Cartier. Documents nouveaux, Paris,
1885, in-12. — L. de Laborde, op. ci t., t. Il, p. 413.
4) Cf. L. de Laborde, op. cit., t. Il, p. 272, 413.
5) Cf. AndréThevet, Cosmographie universelle. Paris, 1575, in-f", p. 261,643. —
l,e voyage de M. d' A ramon ambassadeur pour le lioi en Levant, escript par
LES ORIGINES
Le lion et la panthère de Pierre l'iton suivaient la Cour dans
ses incessants déplacements ; des gardes étaient spécialement
appointés, nous le savons, pour le service de ces animaux*. Mais
les autres noitvelletez, une fois présentées au monarque, étaient
bien certainement envoyées, dans l'une ou l'autre des résidences
royales^, en quelque dépôt où se conservaient les objets variés,
dont une curiosité toujours en éveil provoquait l'accumulation.
Le cosmog-raphe André Thevet est le plus ancien garde connu
de cette collection, premier noyau des cabinets royaux devenus de
nos jours le Muséum d'Histoire naturelle et le Musée d'Ethno-
graphie.
Nous ne savons rien de bien positif sur l'administration de
Thevet, qui put durer jusqu'à sa mort (1592). Le soin qu'il avait
pris en maintes circonstances, au cours de ses voyages, de
recueillir toute espèce d'objets qui lui paraissaient intéressants,
autorise à penser qu'il dut mettre un véritable zèle à remplir les
fonctions dont il avait été ainsi charg-é.
Vêtements et ustensiles des Canadiens ramenés par Cartier,
« bourses, chausses, sainctures et esg-uillettes et autres ouvraiges
faictz a la façon de Barbarye » provenant de Rousso Moro, « l'un
des forsaires de la gallere de lEmporeur, «^autres objets d'ethno-
graphie exotique offerts par Ango au roi, lors de son voyage à
Dieppe^ peaux d'oiseaux rares, crocodiles et lézards empaillés,
noble homme Jean Chesneau... publié et annoté par M. Ch. Schiefer {Recueil
de Voyages et de Documents, etc.). Paris, Leroux, 1887, gr. in-8, pass. — Elc.
1) Il y avait déjà en 1451 un lionnier dans la ménagerie du roi René à Angers
(Cf. Lecoy de la Marche, lac. cit., p. 30). Dès 1333, Philippe de Valois achetait,
rue Froimanteau, à Paris, une grange qui appartenait à Geoffroy et à Jacques
Vauriel, pour y loger ses lions (H. Sauvai, Histoire et Recherches des Anti-
quités de le Ville de Paris, t. II, p . 11-12. Paris, 1733, in-f"). Enfin au xii^ siècle,
le poète Tortaire a décrit avec admiration le jeune lion et les autres animaux
de la ménagerie que le roi d'Angleterre avait montrée aux habitants de Caen.
2) C'est ainsi que le « bois de brazil » rapporté par Bizerets, était allé à Fon-
tainebleau. Il en fut vendu pour 564 liv. 16 s. en 1566, et le prix de cette vente
servit à payer divers artistes et notamment Germain Pilon, pour une partie des
figures du célèbre tombeau de François !<=■■ (Cf. L. de Laborde, op. cit., t. II,
p. 129).
3)_L, de Laborde, t. II, p. 25.
DU MUSÉE d'ethnographie 9
œufs d'autruche ot noix d'Inde, plantes médicinales, bois pré-
cieux, roches curieuses, pierres gravées, médailles et autres anti-
ques; tel on peut se représenter vers la fin des Valois l'mventaire
du cabinet des curiosité.^ sur lequel les documents positifs font
d'ailleurs entièrement défaut ' .
Jean Mocquet succède à Thevet, et sous son administration le
cabinet prend le nom de cabinet des singularité z. Mocquet, dont
la famille à beaucoup souiïert pour la cause de Henri lY, a été,
encore adolescent, et comme à titre de compensation, attaché à la
personne royale, en qualité d'apothicaire, et cette charge l'a mis
très avant dans la familiarité du monarque.
Jean Mocquet entreprend, avec l'agrément de son maître, une
série de voyages, dont il publie les récits fréquemment réimpri-
més'. Botaniste et embaumeur, apothicaire ou médecin, suivant
les circonstances, au milieu de mille dangers, il visite tour à tour
de 4601 à 1612, le Maroc, les Guyanes,le Mozambique et Goa, la
Syrie, la Terre sainte, etc.
La lecture de son livre nous éclaire, à défaut de catalogue
spécial, sur la nature des singularités qu'il recherche pour le Roi.
Ce sont d'abord et avant tout des plantes utiles ou curieuses,
criste marine de Mazagan ', tabac des Yapocos ' , bois rouge comme
Brésil, et bois dont les Indiens font leurs arcs% plantes à fleurs
1) La description du cabinet de Tiraqueau à Bel-Esbat, près Fontenay, donne
une idée assez exacte des curiosités ethnographiques que l'on rassemblait alors.
J'emprunte à VHymne où André Rivaudeau célèbre les merveilles de la collec-
tion de son oncle, les vers qui se rapportent aux choses de l'ethnographie
(Bonnaffé, p. 92). Le poète énumère :
... les habits de sauvages
Composes dextrement de petits coquillages.
De racines descorce et leurs velus chapeaux
Leurs brayes, leurs tapis et leurs panaches beaux
Que tu as arranges en ceste chambre oruee
Où tu tiens, Tiraqueau, le Pérou et Guinée.
2) Voyages en Afrique, Asie, Indes orientales et occidentales, faits par Jean
Mocquet, garde du Cabinet des singularitez du Roy aux Tuilleries, divisez en six
livres et enrichis de figures. Rouen, Caillove, 1645, 1 vol. in-l2.
3) Ibid., p. 58.
4) Ibid., p. 86.
5) Ibid., p. 109.
IQ LES ORIGINES
odoriférantes du Liban ou des environs de Tripoli. Puis ce sont
des drogues ou des mets exotiques, miel blanc d'Afrique ou miel
des Caribes, dont, au retour, Mocquet régale son maître, fruits
des Guyanes, maïs, patates, aloès, gomme pour le catarrhe, copal
pour Vaposteiime, etc. : puis encore des minéraux, tels que ces
roches de l'embouchure de l'Amazone « oii il y avoit des veines
de couleur d'ardoise avec quelques veines d'argent meleos» *; des
coquilles « les plus belles du monde » qu'il ramasse au Rio do
Ouro (( et sembloyent qu'elles fussent émaillées d'or «^ ; des
œufs d'autruches, des a plumes d'aigrettes et perroquets »% des
poules d'Inde,. une sarigue, et un unau qu'il embarque vivants;
la peau d'un crocodile, des peaux de lézards ou gouyanas de l'île
Blanche, etc., etc.*.
Au retour de chaque voyage, Mocquet <( va faire la révérence »
à Henri IV, lui rendre compte de ce qu'il a vu « et luy porter les
plantes et autres singularitez » qu'il a ramassées, « Sa Majesté fort
contente s'enquierant fort curieusement de toutes choses » \ Il
exécute des expériences devant le roi, tire du feu par exemple de
deux petits basions de bois à la façon des Indiens de l'Amazone ou
donne des explications sur les sauvages qu'on présente à la cour ^
Enfin les jours où son service spécial d'apothicaire l'appelle près
(lu maître, il occupe par ses récits les heures consacrées à soi-
gner la santé du monarque.
Plus heureux que son collègue Bagarris\ Mocquet conserve
la faveur de Marie de Médicis, qui, en juillet 1612, installe aux
Tuileries ses collections.
« Estant de retour de Syrie et de la Terre sainte, dit quelque part
notre voyageur, avec quantité de Plantes rares et autres choses
1) Voyages en Afrique, As/e, Indes orientales et occidentales etc., p. 80.
2) Ibid., p. 73.
3) Ibid., p. 55 et 86.
4) Ibid., p. 123-127, 142, etc.
5) Ibid., p. 210.
6) Ibid., p. 80 et 98.
7) Pierre-Antoine Rascas, sieur de Bagarris et du Bouquet, <( mai^tre des
cabinets des médailles et antiquités du Roy » à Fontainebleau, dut quitter sa
place en 1611, pour rentrer en Provence.
DU .MUSÉE d'ethnographie H
singulières que i'avois pu recouurer çà et là par ma curieuse re-
cherche, pour présenter au Roy et à la Royne Régente, ie ne
manquay si tost que ie fus arrivé à Paris d'aller faire la reuerence
a leurs Maiestez qui furent bien aises de voir mes singularitez, et
commandèrent de mo faire bailler lieu propre en leur Palais des
Tuilleries pour y dresser vn Cabinet de toutes sortes de raretez
et choses curieuses que i'avois peu ramasser on tous mes voyages
par le monde. Mais après l'auoir assez bien commencé de ce que
i'avois pour lors en main, ie iugeay que pour le continuer selon
mon désir, il m'estoit nécessaire de faire encor quelques voyages
outremer et n'eus pas lors moindre dessein que de faire le circuit
de toute la Terre et de la Mer, par la route de l'Occident et de la
par l'Orient retourner de rechef en nostre Occident ; entreprise
a la vérité si grande que seulement de l'auoir osé mettre en mon
esprit, ie pense y auoir eu assez de gloire*. »
Ce vaste projet échoua par la malveillance des Espagnols et
Mocquet revint à Paris « remplir tranquillement son emploi »,
suivant l'expression de ses biographes.
Ses collections ne lui ont guère survécu. Moins de quarante
années après sa création, le cabinet des sinr/ularitcs avait disparu
sans laisser la moindre trace. Sauvai, qui décrivait minutieuse-
ment vers 1650 le palais des Tuileries, n'y signale rien qui rap-
pelle le souvenir de l'œuvre de l'apothicaire voyageur.
« Le magasin des Antiques du Roi, dit Sauvai, est dans ce
Palais (les Tuileries) et consiste en cinq troncs de cèdres du Liban ;
en plusieurs morceaux de porphire des colonnes et des degrés
du Temple de Salomon; en un très grand nombre do statues, de
bustes ot do basses-tailles do marbres antiques ; en quantité de
jets des meilleurs reliefs de Rome ; et en quelques débris de cette
pyramide qu'on éleva devant le Palais, en 4593, sur les ruines de
la maison paternelle de Jean Chastel.
« Los marbres ont été amassés dans ce tems heureux, mais
qui a duré si peu, où l'on a vu nos Rois aimer les belles choses
et que les belles choses étoient cultivées en France,
1) Voi/figes en Afrique^ Asie, Indea or., nccid., etc., p. 418,
12 LES ORIGINES
« Nous lenons les cèdres et les porphires de la piété de saint
Louis, qui les apporta au retour de son voyage de la Terre
Sainte : les cèdres sont bruts et inutiles, vêtus de leur écorce, et
au même état que saint Louis les a laissés.
(( Les tronçons des colonnes sont la plupart gâtés ou rompuz ;
les uns ont été sciés en tranches pour en faire des tables; les
autres marqués seulement de traces qu'on vouloit faire en
tranches : et il n'y a que les marches de porphire, où l'on n'a
point touché. Comme elles portent une longueur et une largeur
inégale, oh juge qu'elles ont servi à plusieurs passages et plu-
sieurs portes. Les Juifs les ont si souvent pressées et foulées à force
de sortir du Temple et d'y entrer, que leurs pieds en ont arrondi
les arêtes et leur ont donné enfin un poli qu'elles n'auraient pas
et qui manque ordinairement à une matière si rebelle et si opi-
niâtre. Les curieux les considèrent à cause do leur vieillesse et
du lieu dont elles ont été tirées. Les dévots les honorent, comme
des reliques, qui vraisemblablement ont servi de marche-pied au
Sauveur. »
La description continue avecles bustes, statues, etc., et il n'est
rien dit du cabinet des ùngularilés de 1612.
CHAPITRE II
Les missions scientifiques soas Louis XIV. — Le Cabinet des médailles. —
Collections rapportées par Vansleb et Paul Lucas. — Premières collections
ethnographiques formées sous Louis XVI. — Antiquités recueillies au
Pérou par Dombey.
François P"" possédait, à côté du cabinet de curiosités dont
Tlievet avait Ja garde, quelques séries de médailles, dispersées
après sa mort. Charles IX reconstitua au Louvre cette collection,
qui fut de nouveau dissipée sous le règne de Henri III, rétablie
par Henri IV à Fontainebleau et transférée enfin en 1667 à la
Bibliothèque royale de la rue Yivienne. C'est dans ce célèbre
établissement dont l'histoire a été souvent écrite, qu'ont été prin-
cipalement déposés, au xv:!"" et au xvni° siècles, les objets
d'ethnographie ou d'archéologie rapportés par les envoyés du
Roi ou directement offerts au monarque.
Pendant presque toute la durée de cette long-ue période, les
gouvernants qui subventionnent les voyages, les lettrés qui en
rédig-ent les plans ou mettent en lumière les résultats obtenus,
les voyageurs eux-mêmes qui les exécutent ont renoncé pour la
plupart aux grandes traditions du xv]'' siècle. Si l'on voit incidem-
ment Colbert encourager Heemskerk dans ses tentatives au Nord-
Ouest^,, ou Pontchartrain organiser la mission de l'infortuné du
Roule au Sennaar et en Abyssinie^ on peut en même temps cons-
tater que le plus grand nombre des autres voyarjes officiels s'ac-
complissent dans des contrées déjà connues, et ont pour objet
1) Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés d'après les ordres de
l'Empereur par Pierre Clément. Paris, 1864, in-8, t. III. l^i^ parlie, p. 238-
239; 2'= partie, p. 493.
2) Ci". V"-^ de Caix de Sainl-Aymour. La France en Ethiopie. Histoire des
relations de la France avec l'Abyssinie chrétienne sous les règnes de Louis XIll
et de Louis XIV. Paris, 1886, 1 vol. in-12, p. 209, 303, elc.
14 LES ORIGINES
presque constanl de recueillir des manuscrits, des antiques, des
médailles, qui intéressent à peu près exclusivement les esprits
cultivés de l'époque.
« On ne peut faire, ce me semble, écrit Fourmont l'aîné \ que
de deux sortes de voïages, les uns dans des païs absolument in-
connus^ que l'on découvre et dont tout ce que l'on rapporte peut
passer pour nouveau ; les autres dans des lieux, connus à la
vérité par les Anciens, mais dont le gouvernement est changé,
ou que Féloignement retire en quelque façon de notre veûe. » Et,
le classique académicien se persuade que toutes les personnes de
bons sens, se déclareront toujours pour la seconde espèce. « Il
s'en trouvera peu, ajoute-t-il, qui n'aiment mieux lire des éclair-
cissemens sur les auteurs grecs et latins, des additions à l'his-
toire grecque ou sacrée, ou la confirmation des traditions an-
ciennes, que la bêtise d'un sauvage du Mississipi^ ouïes cruautés
d'un Iroquois » ; et la raison principale qu'il en donne c'est que
« les choses ne nous sont utiles ou désavantageuses, fâcheuses
ou agréables qu'autant qu'elles nous touchent; or qui peut nier,
que les événemens de l'histoire romaine, grecque, ou même
persane et arabe, nous touchent infiniment plus, que ce qu'on
nous rapporte des terres nouvellement découvertes ? »
Ces expéditions en pays inconnus, secondaires aux yeux d'un
1) Préface, -par M. F", en tèle du second voyage de Paul Lucas, rédigé par
cet académicien.
2) Je me suis demandé si Fourmont ne faisait pas allusion dans ce pas-
sage aux réflexions de ces Indiens dont parle Montaigne, venus à Rouen, au
temps de Charles IX, et qui répondaienl à ceux qui leur demandaient ce quils
y auoient trouvé de plus admirable « qu'ils trouuoient en premier lieu fort es-
trange, quêtant de grands hommes porlans barbe, forts et armez, qui estoient
autour du Roy (il est vraisemblable qu'ils parloient des Suisses de sa garde,
ajoute Montaigne) se soumissent à obéir à un enfant et qu'on ne choisissoit
plutost quelqu'un d'entre eux pour commander; secondement (ils ont une façon
lie langage telle, dit toujours Montaigne, qu'ils nomment les hommes moitié
les vns des autres) qu'ils auoient apperceu qu'il y auoit parmy nous des homes
pleins et gorgez de toutes sortes de commoditez et que leurs moitiés estoient
mendians à leurs portes, décharnez de faim et de pauureté et trouuoient es-
trange comme ces moitiez icy necessiteresses pouuoient souffrir vne telle injustice,
qu'ils ne prissent les autres à la gorge ou missent le feu à leurs maisons. »
(Essais, liv. I, cl), xxx, in fine.)
DU MUSÉE d'etHNOGRAPIIIE 18
Fourmoat, ce sont celles de Cavelier de la Salle et de ses con-
tinuateurs. Ces terres nouvellement découvertes, c'est le Canada,
c'est le bassin entier de l'immense Mississipi. Et il traite d'his-
toires d'Indiens bêtes ou cruelles, les sincères relations de nos
illustres découvreurs, qui vont demeurer en grande partie manus-
crites pendant deux longs siècles, tandis qu'on rééditera enFrance
et à l'étranger les rédactions falsifiées des chercheurs de mé-
dailles, ;ui courent le monde pour satisfaire les caprices du Roi.
Louis XIV n'avait, suivant l'expression d'un contemporain,
aucun goût pour les choses du Nouveau Monde, Il montrait par
contre, une prédilection marquée pour l'antiquité classique, et la
numismatique en particulier avait toutes ses faveurs. C'était bien
moins d'ailleurs le passé que le présent qui l'intéressait dans
cette science ; les monnaies grecques ou romaines, si rares et si
précieuses qu'elles fussent, étaient, en somme, un accessoire dans
une collection dont le but essentiel était de constituer une histoire
métallique du grand Règne.
heh pierres gravées venaient en seconde ligne dans les prédi-
lections de Louis XIV, mais trouvaient un accueil plus empressé
chez S. A. R. Madame.
On rapportait, grâce à Colbert, des inanuscrits à la Bibliothèque
du Roi, on rassemblait enfin, tant à la rue Vivienne que dans
quelques cabinets spéciaux, des antiques de diverses prove-
nances, mais les curiosités ethnographiques et naturelles si re-
cherchées jadis, étaient abandonnées ^ On en trouve de rares
1) Quelques curieux, en province, continuaient toutefois la tradition de Jean
Mocquet, Pierre Borel, par exemple, dans son ouvrage sur les Antiquitez de
Castres, publié en 1642, fait connaître son cabinet qui était divisé en dix-huit
classes. Il comprend : l" les raretez de Vhomme; 2° des bestes à quatre pieds ;
3° des oyseaux ; i" des poissons et des zoophytes de mer; 5" autres choses marines;
6o insectes et serpens; 1° des plantes et premièrement des bois et racines; 8° des
feuilles; 9° des fleurs; 10° des gommes et liqueurs; ii° des semences ou graines;
12" des fruits rares; 13° autres fruits et semences : 14° des minéraux et premiè-
rement des pierres; 15° choses changées en pierres; 16° autres minéraux;
17o des antiquitez; 18° choses artifLcielles.
M. Edmond Bonnaffé mentionne dans son intéressant petit livre. Les calice
Honneurs de l'ancienne France, quelques cabinets privés du xyu^^ siècle plus ou-
moins analogues (op. cit.,\ p. 9 et suiv.).
16 LES ORIGINES
mentions dans les récils du temps; les voyageurs officiels en tout
cas, Tournefort excepté, ne s'en occupent guère *.
Vansleb, par exemple, qui a donné des aperçus, parfois si justes,
sur les peuples de l'Egypte, a complètement négligé de recueil-
lir les matériaux d'une ethnographie, dont il ne saisissait point
l'intérêt. Il a rassemblé, au cours de sa mission, une fort belle
collection de manuscrits ^; les autres curiosités dont il parle ^ ne
comprennent guère que des « oyseaux embaumés » de Sakhara* et
quelques menues antiquités pharaoniques, la peau d'un varan du
Nil et du bois de scorpion ^ .
Paul Lucas, envoyé en Levant en 1704 « pour y faire recher-
che de toutes sortes de curiositez, médailles, pierres gravées,
manuscrits, etc. », rassemble en quatre années plus de \ ,800 mé-
dailles, une soixantaine de pierres gravées, des copies d'inscrip-
tions, quelques précieux antiques, « sept petits animaux dont
deux sont restez en vie » et seulement 24 paquets numérotés de
curiosités dont le détail ne nous est point parvenu, mais qui ne
lui avaient coûté que 30 livres ^
De 1714 à 1717, le même voyageur forme en Orient, pour le
Roi, de nouvelles collections. Six à sept cents médailles, presque
toutes grecques, 18 pierres gravées, 25 manuscrits hébreux,
syriaques, grecs, turcs et arabes en composent le fonds principal.
1) Je reviendrai plus loin sur la collection de Tournefort à propos du Jardin
du I\oi, où elle a séjourné jusqu'à la Révolution.
2) Étal général de?, ouvrages envoyés par Vaiislcb à lu Bibliothèque du Roi,
en 1671, 1672 et 1&73 [Lettres, instructions et mémoires de Colbert, etc., par
Pierre Clément, t. VII, p. 459).
3) Nouvelle relation, en forme de Journal, d'un Voyage fait en Egypte, par
le P. Vansleb. R. D. en 1672 et 1673. Paris, 1677, in-12, p. 333.
4) « J'en emporlay avec moy en sûrlanl,dit Vansleb, vue demy-douzaine
dont j'en envoyai quelques vns à la bibliothèque du Roy. » [Ibid., p. 146.) 1!
y en avait encore deux au Cabinet en janvier 1810; à celte dale, on en déve-
loppa les momies. (Dumarsan, Notice des Monumens exposés dans la Cabinet
des Médailles et Antiques de la Bibliothèque du Roi. Paris, 1819, in-8o, p. 49.)
5) Vansleb, op. cit., p. 292 et 333.
6) Mémoire sur la valeur des médailles, imcriptiom, pierres gravées et autres
rarctez apportées du Levant par le sieur Paul Lucas. (Bibl. nat., Arch. du
Cabinet des médailles, Ms.).
DU MUSÉE d'ethnographie 17
L'ethnographie et les sciences naturelles y sont représentées
par très peu de chose'.
Ce n"est que bien plus tard, sous le règne de Louis XVI, pro-
tecteur éclairé des sciences géographiques, que le Cabinet com-
mença à recevoirde véritables collections d'ethnographie, formées
à la faconde celles que nos voyageurs recueillent encore aujour-
1) Jerelève dans le récit de ce troisième voyage de Paul L\ics.s {Voyage du sieur
Paul Lucas fait en MDCCXIV, etc., par ordre de Louis XIV dans la Turquie,
l'Asie, Sourie, Palestine, Haute et Basse-Egypte, Amsterdam, 1744, 3 vol. in-12,
pi.) les listes d'objets qui suivent : 21 échantillons de minéralogie (variolite de
Caramanie, baryte de Valachie, pierres de serpent, etc.), un bloc de por-
phyre de 150 livres envoyé d'Alexandrie, un herbier de 70 plantes « bien
conservées et fort curieuses » remis à Chirac et devenu depuis, la propriété du
Muséum, où on le conserve encore (Cf. D"^ Bonnet, Un explorateur inconnu de
la flore orientale, Paul Lucas, botaniste [Le Naturaliste, 1886] ; des échantillons
de serquis, plante merveilleuse dont on se sert au sérail pour rajeunir les sul-
tanes ; du baume blanc de la Mecque, dit de la première goutte, « excellent re-
mède pour la poitrine » ; de la graine de Bambour « que les botanistes ont
trouvée très-singulière » ; l'herbe du diable et quelques autres plantes médici-
nales. Puis ce sont des plantes pétrifiées « qui croissent naturellement dans une
espèce de terre, à Inchené, et ressemblent assez au corail blanc que l'on trouve
dans la mer Rouge. « Comme j'en ai apporté en France, dit Lucas, et que
« Mgr le duc d'Orléans (le Régent) en a donné quelques-uns à l'Académie des
« Sciences, c'est aux sçavans botanistes de cette Compagnie à donner au Public
« leurs conjectures sur un sujet si curieux. » (T. II, p. 381.) La collection
continue, avec des châtaignes et hérissons de la mer Rouge, l'étoile de mer
« qui est un poisson plat, lequel a un pied de diamètre», des oursins et un petit
buisson de corail blanc de la même mer, des coquilles perlières d'Ormuz, des
cheveux de nacre, des mâchoires de poissons, des cornes de céraste, des bezoars,
les ailes du trochilos, l'oiseau si souvent décrit comme parasite du crocodile ;
deux momies d'oiseaux de la nécropole d'Abou-Sir, qui furent remises à l'Aca-
démie des inscriptions et belles-lettres et donnèrent lieu à un mémoire sur le
culte de ces oiseaux dans l'ancienne Egypte ; deux têtes de momies de bœuf
trouvées à Sakharah (l'une de ces pièces fut remise à M. de Valincourt de la
part de M. Lemaire, consul de France en Egypte); la peau d'un tigre tué par
Lucas près de Beyrouth; enfin la dent d'un géant, d'un tombeau d'Arel-
Melen près Tripoli de Syrie, présentée à Mgr le duc de Chartres et déposée par
lui en son cabinet « où elle tient sa place parmi les autres curiositez qu'il a eu
la bonté d'accepter ».
L'ethnographie comprend : un mouchoir brodé, une bourse, une chemise et
un caleçon de soie, offerts par la sœur du Grand-Turc, veuve d'Assan-Pacha,
guérie par Lucas d'une grave maladie : deux « dez de jadde dont les points sont
d'or et qui ne diffèrent en rien des nôtres que par la matière »; des bardaques,
2
18 LES ORIGINES
d'hui'. Je noterai en passant, à titre d'exemple, quelques-unes
des pièces curieuses arrivées ainsi de Russie en 1776 : « un calen-
drier du Kamtschalka, g-ravé sur des petites planches de bois;
un calendrier semblable des Samoïèdes; un harnois trouvé en
Sybérie et composé de plusieurs fragmens de fer; une figure en
fer représentant le dieu lare des Kamtschadales ; un hameçon
en fer, dit le dieu de la pêche chez les Samoïèdes; une balance
chinoise, les caractères d'un alphabet russe; plusieurs idoles
tartares, mongoles^ etc.*. »
Joseph Dombey, rapporta du Pérou, en 1785', des antiquités
d'autant plus précieuses qu'elles provenaient des fouilles métho-
diques exécutées par lui, et que c'étaient les premières pièces
de cette région qui parvenaient en France.
La collection, cataloguée par le voyageur*, fut déposée au
Cabinet du Roi le 31 janvier 1786. Elle comprenait un certain
nombre de vases en terre noire finement lustrée, et de formes
généralement insolites et parfois bizarres ; des ornements et des
objets de toilette d'or et d'argent, diadèmes, épingles dites topos,
épiloir, stylet; des statuettes d'or, d'argent, de terre cuite ; un
superbe poncho de cotonnade blanche brodé de grandes figures
en laine noire, rouge ou jaune; un sceptre ou bâton de com-
mandement en bois dur sculpté,, et divers outils ou instruments,
haches en cuivres, pierres polies et trouées, destinées à divers
sortes d'alcarazas, pour rafraîchir l'eau; une trompe faite d'une corne de bélier;
des dents dorées de moutons des environs de Tyr et de Saïda ; une calotte d'a-
cier, d'un tombeau entre Alexandrette et Alep ; plusieurs idoles d'Egypte, etc.
(Paul Lucas, op. cit., \. I, p. 99 à 100, 190, 221, 246, 330, 332, 347; t.' II,
p. 29, 97, 109, 318; t. III, p. 190, 311-346).
1) Les missions que l'influence de Lemonnier obtint de Louis XV, son roya
client, ont eu presque toujours un caractère exclusivement botanique.
2) L. A. Cointreau, Histoire abrégée du Cabinet des Médailles et Antiques de
la Bibliothèque nationale ou Etat succinct des acquisitions et augmentations
qui ont eu lieu à dater de Vannée 1754 jusqu'à la fin du siècle {an VIII de la
République française), Paris, an IX (1800). 1 vol. in-8°, p. 11.
3) Cf. J. P. F. Deleuze, Notice historique sur Joseph Dombey (Ann, du Mus.
d'Hist. nat., t. IV, p. 136-169), V. — Cap, Études biographiques pour servira
l'histoire des sciences, 2" sér., p. 141-169. Paris, 1864,in-12.
4) Voy. Documents, pièce no IL
DU MUSÉE d'ethnographie lO
iisag-es, ustensiles de tissage, balances à plateaux de cuivre et à
fléau de bois^ etc. *. Ces objets tout nouveaux pour l'ethnographie
péruvienne, provenaient les uns des abords du temple du Soleil,
à Pachacamac, si souvent bouleversés depuis par les fouilleurs,
les autres d'un tombeau « qui est dans une grotte immense fort
élevée » à trois lieues de Tarma, d'autres encore de Paucartambo,
près Guzco. Ils vinrent former dans la classification du Cabinet
des antiques le commencement d'un nouveau groupe ^ dont les
événements politiques allaient, à bref délai, entraver d'abord, puis
hâter pendant quelques années le développement.
Durant les premiers temps de la période révolutionnaire, le
Cabinet eut en effet bien à souffrir, mais dès le commencement
de l'an III, on réorganisait les divers services du grand éta-
blissement devenu la Bibliothèque nationale.
1) La plupart de ces objets sont aujourd'hui déposés au Musée d'Ethnographie.
On y peut voir notamment le poncho brodé de Pachacamac (n" 52 de la collec-
tion) et quelques autres pièces ayant encore leurs étiquettes de la main du
voyageur.
2) On conserve au Cabinet des médailles une lettre de Dombey ainsi conçue :
« A Paris, le 25 janvier 1786. Monsieur, je viens d'être autorisé par M. de Ga-
lonné à remettre au Cabinet des médailles du Roi, les vases et autres curiosités
que j'ai rapportées du Pérou; j'ai numéroté les pièces et fait le catalogue. Si
vous voulez, Monsieur, me donner votre jour et votre heure, j'aurai l'honneur
de vous les porter moi-même. J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur.
« DOiMBEY. »
On lit en marge du catalogue annexé à cette lettre la mention: Envoi au
Cabinet des Antiques du Roi, leSl janvier 1786.
CHAPITRE III
Le Muséum des Antiquités à la Bibliothèque nationale. — Ethnographie et
archéologie. — Le cabinet du Stathouder envoyé par Thouin. — Confiscations
chez les émigrés. — Le cabinet Bertin. — Anciennes coUectionB du Jardin
du Roi. — Collection Gauthier. — Barthélémy de Oourçay et sa classification.
« Au-dessus du Cabinet des médailles, dit un rapport de Yillar
de la Mayenne, au Comité d'Instruction publique, en date du
10 frimaire (30 novembre 1794), est un grand grenier rempli
de petites idoles, de vases, de bustes, de lampes et autres
intéressants débris de l'antiquité, en terre, en marbre, en
bronze.
« Cette collection est perdue pour l'instruction et la curiosité.
« Comment introduire le public dans un lieu aussi indécent,
où aucun objet n'est garanti des atteintes de la maladresse et de
Finfidélité? » Et l'auteur du rapport ajoute qu'<( un autre dépôt
d'Antiques d'un poids et d'un volume plus considérables est placé
par terre dans une petite salle humide et obscure au rez-de-
chaussée ».
Inscriptions, autels, trépieds, urnes, figures divines, etc., l'an-
cien Cabinet et les objets qui étaient venus récemment s'y joindre,
tout était entassé à la base et au sommet du vieux bâtiment de
l'arcade Colbertetl'on se demandait ce qu'il en fallait faire, dans
l'intérêt de la science et du pays.
« Depuis longtemps et surtout depuis la Révolution, dit tou-
jours notre rapporteur de l'an III, les sciences et les arts solli-
citent pour ce précieux dépôt un emplacement convenable, un
établissement particulier sous le titre de Muséum d'Antiquités.
Ce vœu est plus fortement exprimé aujourd'hui que la Répu-
blique est propriétaire d'un nombre considérable d'autres anti-
quités, médailles et pierres gravées. Il y en a aux ci-devant Petits-
22 LES ORIGINES
Augustins*, à la Bibliothèque de Sainte-Geneviève ^ au garde-
meuble, au Muséum du Louvre', aux ci-devant Cordeliers, dans
les maisons de Nesle, de Nantouillet et autres maisons devenus
dépôts prov isoùes * . »
Et il ajoute que F« on n'aura heureusement que l'embarras du
choix pour déterminer celle des maisons nationales qui pourrait
être convertie en Muséum des Antiquités'^ w
L'embarras était si réel qu'on ne sut pas choisir entre tant de
locaux rendus disponibles par la loi sur les émigrés. Un projet
de décret fut bien rédigé « pour transporter et réunir dans le Mu-
séum ainsi fondé tous les monumens de l'antiquité déclarés pro-
priétés nationales et susceptibles de transport, qui sont sous la sur-
1) Le « musée des monumens français » de Lenoir, alors en formation, a été
ouvert au public le 15 fructidor an III (i" septembre 1795).
2) A la suite d'une tentative de vol chez Mongès, garde du Cabinet des mé-
dailles de Sainte-Geneviève, le département de Paris avait ordonné, le 7 mai 1793,
que le médaillier de la ci-devant abbaye fut porté à la Bibliothèque nationale
et nommé à cet effet le citoyen Jacques-Louis Vachard, administrateur du dé-
partement, qui avait effectué ce transport le 13 du même mois. Mais les autres
objets étaient restés dans l'ancien local et ne furent remis à Barthélémy le
jeune, que le 9 ventôse an V (27 février 1797). Le bibliothécaire et garde du
Cabinet des antiques et d'histoire naturelle, Viallon, n'envoya qu'un petit
nombre d'objets ethnographiques de l'abbaye, et je ne trouve à mentionner
dans son inventaire, au point de vue spécial où je suis ici placé, qu'une « petite
tête d'africain en marbre noir » déposée dans la 6e armoire du côté du jardin,
et une momie entière « grande comme nature » déposée, avec les jambes et les
pieds d'une momie d'enfant, dans !a 1"''^ armoire du même côté, au fond de la
salle. (Bibl. nat., Archiv. du cabinet des médailles. iVIs.)
3) Le Muséum central des Arts, ouvert le 8 novembre 1793.
4) On trouve le « tableau des collections et dépôts à inventorier par la Com-
mission des Arts », en tète des Instructions sur la manière d'inventorier et de
conserver, dans toute Vétendue de la République, tous les objets qui puissent
servir aux arts, aux sciences et d l'enseignement. Ces instructions adoptées par
le Comité d'instruction publique de la Convention, étaient rédigées par Dom
Poirier, et forment une brochure iri-4° de 88 pages, imprimée sans doute à
l'Imprimerie nationale et aujourd'hui devenue très rare. C'est un document des
plus intéressants et des plus remarquables.
5) « Le faux bourg Germaia seul eo contient plus de vingt, » parmi lesquelles
le rapporteur distingue plus particulièrement la maison de Salm, rue de Lille,
aujourd'hui la grande chancellerie de la Légion-d'Honneur et le Petit-Luxem-
bourg, alors occupé par la Commission d'instruction publique et devenu l'habi-
tation du président du Sénat,
DU MUSÉE d'ethnographie 23
veillance de la Commission temporaire des arls ». Mais ce projet,
où l'on n'abordait aucune des questions pratiques que soulève
nécessairement la création d'un établissement de ce genre, ne
fut l'objet d'aucune décision officielle, et les pièces d'archéologie
et d'ethnographie, sur lesquelles on comptait pour remplir le nou-
veau Muséum, s'accumulèrent provisoirement dans les locaux de
plus en plus encombrés de l'ancien Cabinet des médailles et de
ses dépendances.
Barthélémy le jeune, que l'on distingue quelquefois de l'an-
cien, sous le nom de Barthélémy d() Courçay*, avait été chargé,
avecMillin, le 4 brumaire an IV, delà conservation des médailles,
des antiques et des pierres gravées de la bibliothèque, réor-
ganisée sur des bases nouvelles par décret du 25 vendémiaire pré-
cédent (17 octobre 1795). Il était loin de partager les idées de Van
Praet et de plusieurs de ses collègues sur la nécessité de res-
treindre l'étendue du dépôt que lui était confié ^ et il reprit acti-
vement, avec son nouveau collaborateur, l'œuvre qu'il avait seul
entreprise dès l'an III ^ Il lui semblait que pour « faire refleurir l'é-
tude de l'antiquité » il fallait réunir le plus promptement possible,
non seulement les monuments « qui peuvent conduire à l'explica-
tion des anciens auteurs », mais encore ceux qui aident « à la con-
naissance des mœurs et des usages des différents peuples »*. Il
combinait ainsi dans ses proj ets l'étude du présent et celle du passé
« afin d'offrir, sous un même point de vue, ce qui peut instruire
1) Le vieux Jean-Jacques Barthélémy, Je célèbre auteur du Jeune Anacharsis,
était mort le 30 août précédent. Il était garde du Cabinet depuis 1754.
2) Les bibliothécaires se plaignaient depuis longtemps du peu de place dont
ils disposaient et de l'encombrement qui entravait tous les services. Villar avait
proposé, dès l'an III, de réduire rétablissement aux livres imprimés et aiux
manuscrits. « En détachant de son sein les médailles et les estampes, il trou-
vera, disait-il, dans les places occupées par ces deux dépôts l'espace qui lui est
rigoureusement nécessaire pour attendre l'époque où il sera possible de lui
donner un nouveau local. » On pourra établir ce u monument digne de la plus
belle portion des propriétés nationales », sur le terrain des ci-devant Grands-
Augustins « ou sur celui de Notre-Dame, dont la démolition fournira une grande
quantité de matériaux! »
3) Voy. Documents, pièce n» VIL
4) Voy. Documents, pièce n° IV.
24 LES ORIGINES
des mœurs et des usages des peuples éloignés par les temps et par
les lieux ». L'ethnographie était appelée, on le voit, à contracter
dès lors avec l'archéologie une alliance intime, qui ne s'est mal-
heureusement accomplie que bien longtemps après la mort de
celui qui en avait entrevu le premier les féconds résultats.
L'ethnographie était représentée, dès lors, assez largement dans
le Muséum des Antiques. Aux collections anciennes énumérées
plus haut étaient réunies , depuis quelques mois, celles du Stathou-
der, envoyées de Hollande *.
L'armée française, sous la conduite de Pichegru, venait de
s'emparer, en moins de deux mois, des Pays-Bas tout entiers, et le
premier soin des Conventionnels qui accompagnaient les troupes
avait été de publier une proclamation, dans laquelle ils décla-
raient, entre autres choses, qu'ils respecteraient toutes les pro-
priétés particulières, excepté celles du Stathouder qui venait de
fuir abandonné de presque tout son peuple. Le Stathouder étant
le seul ennemi de la République, ses propriétés étaient dues au
vainqueur, en dédommagement des frais de la guerre.
L'une des conséquences de cette décision des représentants en
mission avait été la confiscation des biens du prince d'Orange, et
en particulier, des collections personnelles de toute espèce qu'il
avait réunies dans ses diverses résidences.
André Thouin, ancien jardinier en chef du Jardin du Roi,
devenu depuis un peu plus d'un an professeur-administrateur
du Muséum d'Histoire naturelle, fut envoyé en Hollande à la tête
d'une mission spéciale, composée du géologue Faujas de Saint-
Fonds, du bibliothécaire Leblond et du dessinateur Dewailly,
pour choisir tout ce qui pouvait offrir quelque intérêt pour nos
musées nationaux.
A la date du 5 floréal an IH (24 avril 1795), il annonçait l'envoi
d'un premier « assortiment » d'objets « de sciences, de beaux arts
et des arts mechaniques » destinés en partie dans ses projets,
1) Le cabinet du Stathouder comprenait outre les curiosités dont il est ici
question, une magnifique collection d'histoire naturelle, déposée vers le même
temps au Muséum d'Histoire naturelle (Cf. Magasin encyclopédique, l""» année,
t. II, p. 419, 1795).
DU MUSÉE d'ethnographie 25
aux musées départementaux que venait de créer la Convention,
mais dont les meilleurs étaient déposés le 12 messidor suivant
- (31 mai 179o) à la Bibliothèque nationale. Seize caisses, remises
par les citoyens Madaye et Mazade « commissaires nommés à
cet effet par la Commission executive de l'Instruction publique »
contenaient « des armes et divers ouvrages de l'art chez les
Indiens ». Ces objets furent « transportés provisoirement» au
Cabinet, oii ils sont restés jusqu'à leur retour en Hollande, après
les événements de 1815'.
C'étaient, pour la plupart, des œuvres d'art d'origine chinoise,
plusieurs grandes figures drapées « un jardin avec un petit pavil-
lon dans lequel sont deux Chinois occupés à fumer n, des vases
en corne de rhinocéros travaillée, un échiquier en corail, etc., etc.
C'étaient aussi des pièces d'orfèvrerie orientale, vases d'argent
en filigrane, gobelet à pied d'argent ciselé, vase à parfum d'ar-
gent, trépied, etc., etc. Puis quelques objets d'Amérique, tels
que « une paire de bottines blanches en peau brodée en verro-
teries, bleue, noire et blanche », ou bien encore « un vase de terre
du Mexique »\
Tout cela, s'ajoutant à l'ancien fonds des Antiques et aux acqui-
sitions récentes provenant des confiscations pratiquées chez les
1) Il n'est demeuré à Paris de celte partie des collections du Stathouder que
d'insignifiaats débris. Nous n'avons retrouvé non plus aucune trace des curiosités
apportées du Piémont et probablement rendues aussi en 1815. Il se trouvait entre
autres choses dans cet envoi « plusieurs momies d'enfants dont une très bien
conservée, et couchée dans une caisse de bois d'acajou à couvert de glace »
(Cointreau, op. cit., p. 199); des costumes de différents pays et nommément
« deux armures chinoises de vieux laque, ayant servi... à faire reconnaître l'au-
thenticité de deux autres armures provenant de l'ancien garde-meuble et par-
faitement semblables » ; enfin des « armes orientales, fruit d'une victoire rem-
portée par Emmanuel, duc de Savoie, sur un général turc, qui portoit avec lui
le fetfa ou diplôme du Grand Seigneur, qui le mettoit en fonction » ; le dit fetfa
est renfermé dans une bourse de soie » (Cointreau, op. cit., p. 203).
2) Il y avait bien aussi certaines choses de moindre valeur, que Thouin
s'excusait fort d'avoir ajouté à son envoi, en faisant remarquer aux dépositaires
del'assoi'timent, qu'elles avaient été mises dans les caisses comme remplissage.
Je trouve, par exemple, dans les inventaires sommaires qui sont restés, un
« fragment de pipe », un. «vase de corne et un réchaud » une, « bouteille de
verre verd », une « espèce de boèle à poudre en ivoire fêlée », etc. (Voy. Docu-
ments, pièce n° III.)
26 LES ORIGINES
émigrés, aurait pu constituer un commencement de Musée ethno-
graphique intéressant, si la place eût été suffisante dans les lo-
caux delà Bibliothèque. Les dépôts formés par ordre du Comité
de l'Instruction publique et en particulier ceux qui avaient été
compris dans le tableau des collections et dépôts à inventorier
sous la lettre p et la mention « collections des émigrés et du ci-
devant clergé » commençaient à livrer leurs richesses.
Le 20 messidor an III (8 juillet 179S) le conservateur du Dépôt
de la rue de Beaune, le citoyen Naigeon, envoyait à la Biblio-
thèque de nombreux objets d'archéologie et d'ethnographie, par-
mi lesquels se distinguaient quelques vases péruviens provenant
du comte de la Billarderie d'Angeviller, qui les avait reçus de
Joseph Dombey, au retour de la mission dont nous 'avons parlé
plus .haut. Le même envoi contenait des papiers chinois pris
chez « l'émigré Marçan », un poignard indien « à poignée
damasquinée en or, avec fourreau en velours jaune » trouvé chez
les Brissac^ etc. *.
Le conservateur du Dépôt de la maison de Nesle adressait au
Musée des Antiques le 5 thermidor et le 17 fructidor an V (23 juil-
let et 7 septembre 1797) d'autres pièces exotiques venant des émi-
grés d'Angeviller, de Belizard, de Brionne, Castries, Caumont-
La-Force, d'Esclignac, Joly de Fleury, d'Harcourt, La Tré-
mouille, de Liancourt, de Noailles, de Yaudemont, etc.
Tous ces grands seigneurs possédaient, dans leurs hôtels, des
précieuses curiosités de l'Inde ou de la Chine, du Canada ou des
Guyanes, grandes pièces sur socles, objets d'étagère ou de pano-
plies, rapportées le plus souvent par un membre de leur maison
qui avait pris quelque part à l'administration ou à la défense des
colonies.
On voyait, par exemple, chez les Vaudemont « deux figures
chinoises, homme et femme, en terre vernissée, recouvertes de
leur costume en soie; le tout sur deux piédestaux cannelés et
1) Les vases péruviens de d'Angeviller (Voyez Documents, pièce n» V) sont
au Musée d'Ethnographie; le poignard est au Musée d'Artillerie, où il a été
envoyé le 3 messidor an VI (21 juin 1797) |sous le | nom de crick ou poignard
japonais {pour javanais).
DU MUSÉE d'ethnographie 27
dorés » ; chez les d'Harcourt c'étaient « trois figures en bronze
sur le même piédestal » qualifiées « dieux malabars » ; chez les
Castries, les Liancourt, des trophées de sabres, d'arcs, de carquois
de flèches, etc.
Les mêmes envois de thermidor et fructidor an V comprenaient,
une petite collection d'armes et d'ornements caraïbes et une corne
sculptée de Chine, apportés de Chantilly, de nombreux objets
du Canada provenant de l'émigré d'Esclignac, « un carton ren-
fermant une parure de sauvage d'Amérique » ayant appartenu à
l'émigré Joly de Fleury ', diverses antiquités du Pérou prises chez
le comte d'Angeviller ou le duc de Noailles.
Dans le luxueux hôtel du duc de Brissac, gouverneur de
Paris et capitaine-colonel des Cent-Suisses, massacré à Ver-
sailles en 1792, les commissaires spéciaux avaient recueilli des
armes d'Orient, bouclier chinois, cris malais à manche damas-
quiné d'or, sabres, carquois et flèches, déposées entre les mains
de Barthélémy et Millin le 17 fructidor an Y (3 septembre 1797).
On avait trouvé chez le comte d'Orsay « deux figures chinoises de
grandeur naturelle, assises sur des fauteuils rouges devant une
table, le tout de laque ». La table était «garnie de tasses et autres
objets d'usage » et les figures étaient « vêtues d'étoffes à la
manière du pays ». Le tout monté « sur une estrade de bois de
chêne peint en noir » fut transporté du dépôt de la rue de Beaune
au Cabinet, le 18 nivôse an YI (7 janvier 1798), ainsi qu' « une pipe
turque de cuivre, ayant la forme d'un balustre avec tous ses
tuyaux, un tabouret turc à vis, garni en maroquin rouge porté
sur trois pieds, deux plattes longes, garnies de cuivre, sur ma-
roquin rouge et vert, deux tetiers également garnis, une fonte
de pistolet, un caveçon, un bonnet turc verd et deux panlouffles
en maroquin jaune, le tout enfermé dans une boite en bois ».
Il y avait, dans le même envoi, « un poignard indien en forme
de flamme avec son fourreau et dix figures chinoises découppées,
velues d'étoffes en or du pays, dans une boîte de bois » provenant
1) « Celle parure esl de plumes el composée de quatorze pièces, manque le
dossier, plus un tablier en verroterie à l'usage d'une femme indienne. » Il s'agit
manireslement ici d'ornements de Galibis ou de Roucouyennes.
28 LES ORIGINES
du « condamné Bevy » ; un panier « fait en cordes et garni de
coquilles, ouvrage des Indiens », pris chez un émigré désigné
par les initiales G. P. ; une cuiller d'ambre mutilée et une « na-
celle de sauvage venant de la Chine » trouvées chez !'« émigré
Noailles-Mouchy »; enlin un modèle de pirogue « fait en clous
de girofle par un sauvage des îles Moluques, venant du Cabinet
de Bomare, sous sa case de verre ». Ce dernier objet avait été
confisqué à Chantilly, oii le prince de Condé avait fait installer
la célèbre collection du naturaliste Yalmont de Bomare, qu'il
avait acquise en 1787 '.
La pirogue en clous de girofle des Moluques est au Musée
d'Ethnographie, où elle a été portée « sous sa case de verre »
au commencement de 1880. Notre établissement possède aussi
les deux fauteuils rouges et la table de laque du comte d'Orsay,
mais les tasses et les autres « objets d'usage » ont disparu, avec
les deux personnages « vêtus à la manière du pays » dont il est
resté quelques vestiges à peine.
Les dieux malabars de d'Harcourt, les chinoiseries de Vau-
demont et de Noailles, les choses américaines de d'Angeviller
ou de d'Esclignac, etc., etc., ont traversé, sans trop d'altérations,
le siècle qui nous sépare de leur confiscation. Mais il manque
depuis longtemps au Cabinet un certain nombre des vieux objets
amassés dans ses magasins de 1795 à 1798. A plusieurs reprises
en effet des pièces plus ou moins importantes ont été distraites,
par ordre supérieur, du Dépôt qui les avait d'abord reçues.
La momie, un instant célèbre, envoyée de Sinzigpar « le Com-
missaire des arts en Allemagne » fut placée au Muséum d'His-
toire naturelle, lorsqu'on eutreconnu que ce n'était qu'un cadavre
dont la conservation était due à des phénomèmes naturels^ Dès
le 3 messidor an VI (21 juin 1798), un certain nombre d'armes de
la Bibliothèque prenaient le chemin du Dépôt d'Artillerie où se
1) Je trouve ce renseignement dans une note manuscrite, de l'époque placée
au bas d'un catalogue, également manuscrit se rapportant à une partie de la
collection Bomare et conservé à la bibliothèque du Muséum d'Histoire natu-
relle.
2) Cf. Magas. encyd., 3« année, t. II, p. 231 (1797).
DU MUSÉE d'ethnographie 29
constituait lo Musée du même nom devenu aujourd'hui le plus
riche de toute TEurope'.
En revanche, le Musée d'Ethnographie a reçu de la Biblio-
thèque nationale, en 1880, la collection encore presque complète
de Bertin, venue du Dépôt de la maison de Nesle, à la date du
3 septembre 1796 (17 fructidor an V).
Henri-Léonard- Jean-Baptiste Bertin, qui avait rassemblé ces
objets, avait été lieutenant-général de police, contrôleur général
des finances, puis tour à tour ministre d'État et ministre par
intérim des affaires étrangères, et s'était acquis, dans ces diverses
fonctions, une durable renommée par les encouragements qu'il
avait donnés aux lettres et aux sciences ^ Bertin était notamment
en correspondance régulière avec le P. Amiot, et plusieurs autres
jésuites de Chine', et veillait à faire imprimer dans les Mémoires
concernant les Chinois les dissertations les plus intéressantes,
envoyées par le savant missionnaire. Avec ses lettres dont la
plus ancienne remonte à 1766, le P. Amiot, faisait parvenir à
1) L'anciea musée avait été pillé, lors de l'envahissement de l'Arsenal, le
14 juillet 1789. Un arrêté du 9 thermidor an III (27 juillet 1795), constituant
le Comité d'Artillerie, ordonna le transport à Saint-Thomas d'Aquin de toutes
les pièces d'armures, armes, etc. provisoirement rassemblées dans une salle des
Feuillants et qui devinrent le noyau du musée actuel.
Le 3 messidor an VI, on envoyait du Musée des Antiques au Dépôt d'Artil-
lerie, rue Dominique, maison des ci-devant Jacobins, un certain nombre d'armes
orientales, et notamment un sabre persan, pris à Chantilly, le cris à manche
damasquiné d'or trouvé chez le duc de Brissac, un bouclier chinois de même
provenance et diverses autres pièces du Cabinet de Sainte-Geneviève et de la
collection d'Esclignac. Cet envoi, que je mentionne à titre d'exemple, ne fut
certainement pas le seul. Ainsi Cointreau dit que « en thermidor an VI, on
enleva du secrétariat de la Bibliothèque nationale diverses armes à l'usage de
nos anciens chevaliers, pour lus transporter rue Saint-Dominique, maison qu'oc-
cupaient les Jacobins et servant aujourd'hui au Dépôt de l'Artillerie, confié à la
garde du C^° Régnier. »
2) « Ce fut lui, dit la Grande Encyclopédie, qui fonda le Cabinet des Chartes ■
il favorisa l'établissement de nombreuses écoles d'agriculture, contribua à la
fondation de l'Ecole vétérinaire de Lyon, la plus ancienne de France, et assura
le développement de la manufacture de Sèvres, qui venait d'être fondée lors de
son arrivée aux affaires. »
3) Cf. H. Cordier, Bibliotheca Sinica, t. I, col. 501-505. — Les lettres du
P. Amiot à Bertin forment à la Bibliothèque de l'Institut un recueil de 3 volumes
in- fol.
30 LES ORIGINES
Berlin de curieux objets de toutes sortes, livres et dessins, ins-
truments de musique, d'astronomie, etc., etc., qui avaient fini par
former un petit cabinet tout à fait remarquable.
Accusé d'avoir pris une part activé au Pacte de famine, me-
nacé dans sa vie et dans ses biens, l'ancien ministre de Louis XV
avait dû fuir à l'étranger oti il était mort tristement dans le
cours de 1793. Ses collections confisquées, en vertu de la loi sur
les émig-rés, venaient, en 1796, enrichir les diverses sections de
la Bibliothèque nationale. Les livres et les dessins chinois furent
déposés dans les départements des Imprimés et des Manuscrits,
et les objets d'ethnographie envoyés au Cabinet des Antiques, où
ils sont restés dans la salle du haut, jusqu'à leur entrée au Musée
du Trocadéro. Ces objets ont fourni enl8U et 1813, à Breton, les
matériaux d'une publication fort intéressante en six volumes
n-18, intitulée La Chine en miniature, dont j'ai pu examiner un
joli exemplaire en couleur dans la riche bibliothèque de mon ami,
M. Henri Cordier*. Les cent deux planches qui accompagnent
l'ouvrage sont malheureusement gravées à trop petite échelle pour
qu'il soit possible d'identifier aucune des reproductions qu'elles
donnent avec les originaux de notre collection dont Breton as-
sure les avoir tirées ^
Ces pièces originales dont on trouvera la liste à la suite de
1) Voici le titre exact de l'ouvrage : La Chine en miniature, ouChoix de cos-
tumes, arts et métiers de cet empire, représentés par 74 gravures, la plupart
d'après les originaux inédits du Cabinet de feu M. Berlin, ministi^e; accom-
pagnés de notices explicatives, historiques et littéraires, par M. Breton, auteur
de la Bibliothèque géographique, etc. Paris, Nepveu, 1811, 4 vol. in-18. — La
Chine en miniature, ou Choix de costumes, -arts et métiers de cet empire, re-
présentés par 28 gravures, la plupart d'après les originaux inédits du Cabinet
de feu M. Berlin, ministre; accompagnés de notices explicatives, historiques
et littéraires, tirées en partie de la Correspondance non imprimée des Mission-
naires avec le Ministre, parM. Breton, auteur de la Bibliothèque géographique, etc.
Paris, Nepveu, 1812, 2 vol. in-18. — Cette continuation, dit M. Gordier,
{Bibli. Sin,, col. 46) auquel j'emprunte ces renseignements bibliographiques,
forme un ouvrage indépendant et un grand nombre des exemplaires ont été
tirés avec le titre de Coup d'œil sur laChine, etc., 1812, 2 vol. in-18.
2) On retrouverait peut-être l'origine détaillée d'une partie des pièces du
P. Amiot, en dépouillant à la Bibliothèque de l'Institut les trois volumes de sa
correspondance manuscrite avec Bertin. C'est un travail de longue haleine, que
DU MUSÉE D ETHNOGRAPHIE 31
ce travail', présentent généralement autant d'intérêt pour l'art
que pour la science. Les connaisseurs s'accordent à admirer
les ivoires finement ciselés, les bambous découpés avec une
adresse charmante, les pierres dures sculptées à merveille et les
broderies délicatement ouvrées, qui donnent une si haute idée
des arts industriels de la Chine au dernier siècle. Ajoutons qu'il
est fort rare de rencontrer parmi les innombrables objets que
l'on importe aujourd'hui du Céleste Empire des spécimens com-
parables à ceux dont la confiscation de la collection Bertin enri-
chissait le Musée des Antiques en 1796 ^
Ce n'étaient pas seulement les collections des émigrés, qui
venaient augmenter le Musée de Barthélémy. Des dons impor-
tants y étaient envoyés par des établissements publics et même
par de simples amateurs.
Le Muséum d'Histoire naturelle se distingua particulièrement
par son empressement à favoriser la nouvelle entreprise scienti-
fique.
Il s'était accumulé au Jardin du Roi, après la mort de Tourne-
forts, un assez grand nombre d'objets rapportés des Indes, du
je me propose d'entreprendre plus tard ; je me contente, pour le présent, du
catalogue manuscrit, que M. Chabouillet a bien voulu me mettre en mains et
que je reproduis plus loin.
1) Voyez Documents, pièce n» XI.
2) Le goût des chinoiseries, très développé en France au xvuie siècle, s'est
manifesté dans notre pays dès le commencement du xvi^. Dans l'inventaire de la
collection de Florimond Robertet, par sa veuve, Michelle Gaillard de Long-
jumeau en 1532, on voit figurer à côté des poteries de « terre sigelée de Turquie »,
les « belles porcelaines des premières qui soient venues en France depuis que les
Europeans vont à la Chine, lesquelles sout d'un blanc si net et si bien mes-
langé de toutes sortes de petites peintures ». Peiresc, Le Nôtre, le duc de
RicheUeu et quelques autres furent plus tard des amateurs éclairés des choses
de l'Extrême-Orient. (Cf. E. Bonnaffé, Les collectionneurs de l'ancienne France,
p. 23-75. — Td., Recherches sur les collections de Richelieu, Paris, 1883, in-8,
p. 76.)
3) « Il (Tournefort) ramassoit aussi des habillemens, des armes, des instru-
mens de Nations éloignées, autres sortes de curiositez, qui quoyqu'ellesne soient
pas sorties immédiatement des mains de la Nature, ne laissent pas de devenir
philosophiques, pour qui sait philosopher. De tout cela ensemble il s'étoit fait un
cabinet superbe pour un particulier, et fameux dans Paris ; les curieux l'esti-
moient à 45 ou 50,000 livres. » (Fontenelle, Éloge de Tournefort.)
32 LES ORIGINES
Sénégal, de l'Amérique par des employés civils ou militaires au
service de l'État ou des Compagnies commerciales.
Cette collection, léguée par son illustre possesseur' , ornait
les travées du plafond et les dessus d'armoires de la principale
galerie du Cabinet du Roi^
L'exiguïté des locaux affectés aux collections d'histoire natu ■
relie proprement dite, faisait désirer à l'administration du nou-
veau Muséum, récemment transformé, que toutes ces curiosités^
auxquelles Buffon s'était intéressé, trouvassent ailleurs un emploi
utile. Aussi les démarches de Barthélémy pour en obtenir le
transport à la Bibliothèque furent-elles accueillies avec une
telle faveur, que l'on n'attendit même pas les ordres minis-
tériels qui devaient sanctionner ce transfert. L'opération, votée
i) Tournefort avait laissé par testament son cabinet de curiosités au Roi pour
l'usage des savants.
2) Voici en quels termes l'abbé Expilly décrivait cette galerie en 1768 [Did.
des Gaules et de la France, V Paris, T. V, p. 464-465) : « La salle qui précède
la galerie d'histoire naturelle est ornée de belles armoires, qui renferment parti-
culièrement des pièces d'anatomie. Le milieu est occupé par un grand bureau
qui offre un parterre élégant de coquilles choisies.
« On entre dans une superbe galerie, dont les travées du plafond sont
chargées de toutes sortes d'armes, d'équipages et d'habillements de sauvages,
de fruits des Indes, de reptiles, quadrupèdes, animaux amphybies, poissons,
serpens, etc. Le pourtour des murs est garni avec autant d'ordre et de pro-
preté que de magnificence, de tout ce que les trois règnes ont de plus précieux en
animaux, métaux, sels, pierres, talcs, coquillages, bezoards, sucs, gommes, etc.,
le tout dans des phioles et des bocaux artistement placés sur les gradins de
grandes armoires avec des studioles au bas qui contiennent toutes sortes de
fossiles, toutes les classes de pierres fines, topases, jaspes, agathes, jades,
cornalines, pierres de Florence, cailloux d'Egypte et autres, marbres, albâtres,
crystaux, etc. Puis viennent les animaux crustacés, les poissons desséchés, etc.
D'autres armoires sont remplies de bois, fruits et graines étrangères, avec leurs
studioles de mines et de pétrifications, d'insectes et de fragmens d'animaux.
Ces armoires, au nombre de vingt-deux, sont toutes surmontées et couronnées,
les unes à'habillemens et de plumagts des Indiens, les autres de diverses
productions marines, madrépores et grosses coquilles, d'autres de quadrupèdes,
d'oiseaux, de serpens et de poissons; d'autres encore de bois de cerf, de daim,
d'élan, etc. Enfin, à côté de cette grande et magnifique galerie, est un cabinet
dont les tablettes du contour présentent une belle suite d'animaux étrangers,
bien conservés dans la liqueur. « On pourroit appeler le Cabinet du Roi, dit en
terminant Expilly, '■' le trésor de la nature et le triomphe du bon goût. )^
DU MUSÉE d'ethnographie 33
le 14 messidor an V (2 juillet 1796) et autorisée officiellement
le 22 vendémiaire suivant (13 octobre), était terminée depuis près
d'un mois déjà. Invité le 15 messidor (3 juillet) à venir dresser
un état des objets qui lui étaient concédés, Barthélémy s'était
empressé de faire enlever le tout le 21 juillet et le 16 septembre'.
La collection, ainsi transportée dans le Musée en formation, se
composait de cent cinquante et quelques objets, dont nous avons
transcrit plus loin la liste". Une partie de ces objets venait de
Tournefort^ qui les tenait de provenances fort diverses; d'autres
avaient été rapportés par La Galissonnière, à son retour de son
gouvernement du Canada. Le catalogue attribue notamment à
ce célèbre marin le don d'une très curieuse coiffure de chef
Peau-Rouge, qui occupe aujourd'hui une place d'honneur dans
la grande vitrine du Musée d'Ethnographie, consacré à l'ethno-
graphie des États-Unis.
Quelques pièces viennent peut-être de Frézier, ou encore de
La Condamine et de ses compagnons*, de Grandpré ou de Pom-
megorge, de Barrère, de Querhoëntou de quelque autre des cor-
respondants de Buffon. Il en est une (n° 44 du premier inven-
taire), dont l'origine hawaïenne permet de supposer qu'elle a été
recueillie au cours du troisième voyage de Cook^ Mais le Jardin
1) Cointreau rappelle dans son Histoire abrégée du Cabinet des médailles, la
part qu'il prit à cette opération. « Je fus chercher, dit-il, au Muséum d'Histoire
naturelle des caisses renfermant des idoles adorées chez les sauvages, des armes
et des meubles usités par eux, entre autres une espèce^de cuirasse couverte d'une
peau de pangolin. J'en apportai aussi une momie, quelques antiquités égyp-
tiennes, et une tête de momie encore remplie du bitume qui avoit servi à son
embaumement. » (Cointreau, op. cit., p. 43.) — Voy. Documents, pièces n"'
VII, VIII, IX.
2) Voy. Documents, pièces n" X et XII.
3) J'ai déjà dit que la collection de cet illustre naturaliste voyageur avait été
laissée au Jardin du Roi. Je crois pouvoir lui attribuer diverses pièces, notam-
ment de Guyane, ayant encore des étiquettes sur gros papier encadrées d'un
décor vermillon, tracé au patron. L'étiquette est à la main, d'une grosse écriture
restée assez visible.
4) M, Bureau a depuis retrouvé au Muséum et envoyé au Trocadéro un épi
de maïs sculpté en pierre provenant de Joseph de Jussieii.
5) Cette idole « en espèce de jonc, recouverte jadis de plumes avec des yeux
de nacre et des dents de cétacés », est identique à plusieurs de celles que le
3
34 LES Or.KlINES
du Roi n'avait rien reçu de Bougainville, dont les Genovéfains
détenaient, au moment de la Révolution, les collections ethno-
graphiques tout entières. Quelques objets seulement, de la Terre
de Feu et des îles Salomon, furent livrés à Barthélémy pour ses
panoplies et sont encore conservés aujourd'hui au Musée du Tro-
cadéro*.
En même temps que le Muséum se dépouillait au profit de la
collection organisée par Barthélémy de Courçay, des particuliers
généreux y apportaient de petites séries d'objets, quelquefois
fort précieuses pour la science. Telle est la collection du citoyen
Gauthier dont nous avons retrouvé un inventaire détaillé, por-
tant la signature du propriétaire. Cette collection formée très pro-
bablement àla Guyane française , chez les Roucouyennes du Maroni,
fut donnée à l'État par Gauthier, le 5 messidor an V (23 juin 1796).
Elle comprenait deux magnifiques costumes, l'un d'homme, l'autre
de femme, et toute une série d'armes et d'ustensiles variés, au
nombre de plus de cent. Conservées au Cabinet des Médailles dans
de bonnes conditions, pendant plus de quatre-vingts ans, ces
pièces me sont parvenues à peu près intactes pour la plupart, et
j'ai pu, en les exposant à côté de choses similaires de fabrication
actuelle, donner aux visiteurs du Musée d'Ethnographie l'impres-
sion très frappante de l'immobilité complète des arts et des in-
dustries des Indiens. Les ouvrages de plumes, tours de têtes,
plastrons, bracelets, genouillères, etc. du xvni* siècle sont abso-
lument identiques à ceux de nos jours, et pour les ornements de
verroteries, on constate plutôt un recul chez les brodeuses mo-
dernes, qui sont bien loin (à en juger du moins parles collec-
peinlre F. Davies,compagnoa deCook, a copiées d'après nature dans la pi. XLII
du grand album d'aquarelles, qui appartient aujourd'hui à M*"^ Brassey.
{Cf. E.-T. Hamy, Catalogue descriptif et méthodique de l'Exposition organisée
par la Société de géographie à l'occasion du centenaire de la mort de Cook,
Bull. Soc. de géog., mai 1879, p. 457).
1) Il reste encore maintenant à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (nous y
reviendrons plus loin) un certain nombre de pièces venant des Genovéfains.
Il pourrait se faire que dans le nombre il se rencontrât d'autres restes de l'expé-
dition Bougainville.
DU MUSÉE d'ethnographie 35
lions de Crevaux et de M. Coudreau) d'égaler en adresse et en
bon goût leurs devancières du dernier siècle.
Barthélémy avait fait d'une partie de ces pièces de la collection
Gauthier des panoplies appendues « sur une des portes d'entrée
du Cabinet » ou l'on voyait aussi divers objets d'Otaïti (Taïti) et
d'Owihee (Hawaii) *.
« Les armes offensives et défensives, telles que boucliers, arcs,
carquois, flèches, sabres^ crics, ceintures, poignards, sceptres,
javelots, etc.. d'usag-e en Perse, en Tartarie, au Japon et chez
d'autres peuples de l'Asie », étaient suspendues « dans les em-
brasures des fenêtres ».
Le Musée d'Ethnographie naissant offrait ainsi, à l'imitation
du Cabinet des Antiques dont il formait une annexe, un com-
mencement de classification géographique. Il n'est pas sans intérêt
de rappeler que l'exemple donné par Barthélémy a été presque
partout suivi à l'étranger et en France^ et que la plupart des
grands musées ethnographiques actuels sont classés, comme
'était, en 1799, le petit Cabinet de la rue de la Loi.
I) « Les boutons, \es panarés, les matoutous, les pag aras, les crawachi, les
quéyous, les pariparas, les taooités, les tenarés et autres objets à l'usage des
habitans de la Guiane françoise et hollandoise, et des îles d'Otaïli et d'Owhihee,
appendus jadis sur une des portes d'entrée du Cabinet, avoient été cédés à la
nation par le citoyen Gautier. >> (Cointreau, lac. cit.)
Toutes ces pièces ne venaient pas de Gauthier, ainsi que le donnerait à croire
le texte de Cointreau. BufTon parle en effet, quelque part, dans son Histoire
naturelle de l'homme (chapitre des Insulaires de la mer du Sud) d'une toilette
entière d'une femme d'Otahiti qu' « on peut voir au Cabinet du Roi ». Ce cos-
tume n'aurait-il pas été présenté par Bougainville à Louis XVI?
2) On verra plus loin que c'est sur ces mêmes bases que Zédé, Lebas, puis
Morel-Fatio, ont classé l'ethnographie au Louvre ; l'ordre géographique est
encore suivi au Trocadéro.
CHAPITRE IV
Mort de Barthélémy. — Son œuvre est abandonnée. — Création d'un dépôt de
géographie à la Bibliothèque. — Efforts de Jomard en faveur d'un musée géo-
ethnographique. — Débats du Musée de Marine. — Lamare-Picquot et ses col-
lections. — Constitution d'une commission qui propose la fondation d'un
établissement spécial à la Bibliothèque. — Revendications de la Marine. —Le
Conservatoire de la Bibliothèque repousse les conclusions de la commission
du Musée d'Ethnographie. — Création d'une section ethnographique au
Mcsée de Marine.
André Barthélémy de Courçay avait à peine terminé la mise en
place des collections du Cabinet réorganisé par ses soins, qu'il
succombait, frappé d'une attaque d'apoplexie au milieu des trésors
si péniblementrassemblés (9 brumaire an VIII, 31 octobre 1799)'.
Celte mort subite arrêta tout net le développement de l'entre-
prise scientifique à laquelle le persévérant conservateur consa-
crait le reste de ses forces, et la collection à la fois ethnographique
et archéologique, dont il avait entrevu la haute portée scienti-
fique, fut bien vite oubliée malgré sa réelle valeur. On l'ignorait
si bien déjà, dans les hautes sphères administratives, que, lorsque
l'intervention de sir J. Banks eut fait rendre à la France les
caisses de Labillardière' aucun des objets qu'elles contenaient ne
vint au Musée des Antiques ^ Et quand, plusieurs années après,
les navires de Baudin rentrèrent à Cherbourg avec les immenses
1) Voy. dans le Magasin encyclopédique (V^ année, 1799, t. IV, p. 213-214)
la notice nécrologique que son collègue et ami, A.-L. Millin, lui a consacrée.
2) M. le docteur Bonnet a retrouvé tout un dossier de pièces manuscrites
relatives à cette restitution. Il est question de « beaucoup d'objets à l'usage des
habitants des mers du Sud » dans l'inventaire général envoyé par Labillardière
à Charretié « commissaire du Directoire exécutif pour le cartel d'échange des
prisonniers français ».
3) Ces objets ont passé entre les mains de B. Delessert, acquéreur de l'herbier
de Labillardière. Il les a légués à la ville du Havre.où ils ornent aujourd'hui l'esca-
lier et les vestibules de la Bibliothèque. Je les y ai reconnus, grâce à certaines
provenances toutes spéciales. Le Musée de Marine du Louvre possède un seul
objet de Labillardière ; c'est un sac en ficus de la Nouvelle-Hollande.
38 LES ORIGINES
collections formées par Péron, Lesueur el leurs compagnons
d'étude, les pièces, si particulièrement intéressantes, recueillies
par nos voyageurs en Australie, à Van Diémen, etc., furent
déposées à la Malmaison*.
L'expédition d'Egypte ne procura que quelques instruments
de musique*; le voyage de Cailliaud ajouta, il est vrai, un petit
nombre de pièces variées des tribus de Nubie etdeSennaar'. Puis
les choses restèrent en l'état à la Bibliothèque, jusque vers la fin
de la Restauration.
C'est en 1828 seulement que la création, au profit d'Edme
Jomard* d'une conservation de dépôt de géographie^ comprenant,
entre autres les objets et instruments divers produits par les voyages
scientifiques' ^ vint remettre à l'ordre du jour les idées qu'avait
préconisées André Barthélémy.
1) Je ne connais qu'une seule chose de la collection ethnographique de Péron
et Lesueur, qui ait été sauvée. C'est une flûte en bambou, que j'ai vue au
Havre entre les mains de M. Berryer, beau-neveu de Lesueur; elle a dû être
offerte depuis lors au Musée d'Histoire naturelle de la ville. Toutes les autres
pièces et notamment celles qui sont figurées dans les planches XIII et XXII de
Y Atlas historique du Voyage aux Terres Australes ont disparu, probablement en
1814. C'est une perte irréparable pour nos études :1a collection Péron et Lesueur
était, en effet, la seule qui pût donner une idée juste de l'ethnographie des
Tasmaniens aujourd'hui complètement détruits.
2) On verra plus loin [Documents, pièce n° LXVIII) que c'est la vue d'un de ces
instruments qui détermina la vocation ethnographique de Jomard, dont il sera
beaucoup question dans la suite de ce travail. C'était la lyre des Nubiens «. la
même qu'on a découvert depuis lors dans la Haute-Ethiopie, la lyre à cinq
cordes, dont le corps sonore est la carapace d'une tortue. « Voilà donc, me
disais-je, la lyre de Mercure, retrouvée bien loin du théâtre de la mythologie
grecque. Je commençai dès lors une collection, dont je sentais l'utilité pour
l'étude de l'homme et de ses diverses races »
3) Les objets de la collection Cailliaud sont figurés sur les planches LVI etLVII
dut. Il de V Atlas du Voyage à Méroé, au fleuve Blanc au delà de Faz'ogl, etc.
Paris, 1823, in-fol.
Les armes sont allées depuis au Musée d'Artillerie, presque toutes les autres
pièces sont au Musée du Trocadéro.
4) Edme-François Jomard, né à Versailles le 17 novembre 1779, ingénieur géo-
graphe de l'expédition d'Egypte, plus tard commissaire du gouvernement pour
la publication du grand ouvrage sur cette contrée, et membre de l'Académie
des inscriptions et belles-lettres de l'Institut de France.
5) Voy. Documents, pièce n" XIV.
DU MUSÉE d'ethnographie 39
Dès 1818^ Jomard, chargé, par une Commission de l'Institut,
d'un rapport au Ministre de l'Intérieur sur une collection faite au
Caire par un consul de France, M. Thédenat du Venl^ avait pro-
posé de former, à l'aide des séries d'objets divers d'Egypte, de
Nubie et d'Abyssinie, envoyées avec les antiquités, et les pièces
d'histoire naturelle, le noyau d'une collection spéciale, consacrée
à cette troisième espèce d'objets rapportés des voyages lointains^
C'était méconnaître les eftorls de Barthélémy, dont la collec-
tion était pourtant toujours à la Bibliothèque royale, mais c'était
en même temps proclamer solennellement, devant le premier
corps savant de France, l'utilité de sa tentative oubliée. Se mêlait-
il dès lors, au zèle scientifique de Jomard, des préoccupations
personnelles? songeait-il, à ce moment, qu'il pourrait devenir le
conservateur de l'établissement dont il provoquait la création?
Quoiqu'il en soit, le projet échoua, le cabinet Thédenat fut vendu
aux enchères et dispersé ^
A peine Jomard a-t-il reçu de Dacier, le 3 avril 1828, son
investiture de conservateur à la Bibliothèque du Roi, qu'il va
s'efforcer d'attirer dans la sphère de son action administrative le
Musée ethnographique dont l'Institut avait approuvé dix ans plus
tôt la fondation.
{) Le rapport de Jomard sur la collection Thédenat du Vent ne s'est retrouvé
ni à l'Institut ni aux Archives nationales. Il n'en existe qu'un résumé, publié par
Jomard lui-même dans le Bulletin de la Société de géographie pour 1836.
On y lit (page 93) que « le consul au Caire, M. Thédenat du Vent, ayant envoyé,
en 1818, une collection assez considérable, une Commission de l'Institut fut
chargée par le Ministre de l'Intérieur de lui faire un rapport sur le projet
d'acquisition : M. Georges Cuvier était l'un de ses membres, M. Jomard en fut le
rapporteur. La Commission conclut à ce que les objets d'antiquité fussent achetés
pour le Cabinet des Antiques, et les pièces d'histoire naturelle pour le Muséum
du Jardin du Roi ; quant aux objets divers, venant de l'intérieur de l'Egypte,
de la Nubie et de l'Abyssinie, savoir : les instruments, les outils, les armes, les
armures, les vêtements, les ustensiles, les vases et objets domestiques, aucun
établissement n'existant pour les recueillir, la Commission, sur la proposition
de son rapporteur, émit le vœu qu'on en formât le noyau d'une collection spé-
ciale, consacrée à cette troisième espèce d'objets rapportés des voyages lointains.
Le rapport en fait voir l'utilité scientifique et toute l'importance ».
2) M. l'abbé Thédenat, neveu du consul du Caire, a bien voulu me commu-
niquer le catalogue de cette vente qui ne comprend que des objets d'archéologie.
40 LES ORIGINES
Les termes de l'ordonnance prêtent à des ambiguïtés qui
peuvent servir les desseins du nouveau conservateur, et il ne se
fait pas faute d'en tirer parti au profit de ses projets. Dès le 16 mai
1828, il insère au Mo?iiteiir un article où il montre, entre autres
choses, que rassembler dans le dépôt de géographie de la Biblio-
thèque « les collections d'instruments, d'armes et de costumes
propres à donner une idée des mœurs et des usages ou du degré
de civilisation des peuples, serait ajouter un nouveau degré d'inté-
rêt à l'établissement »*. Et le ISjanvier 1830il entreprend, auprès
des pouvoirs publics, une campagne en faveur de ses idées qui va
durer trente-deux années et ne se terminera qu'avec sa mort*.
Ce qu'il veut, ce qu'il sollicite avec une persévérance vérita-
blement remarquable, ce n'est pas tant la création uune insti-
tution quelconque, oii la science qu'il aime serait largement
pourvue, que la constitution, sous son autorité directe, dans l'é-
tablissement oii il a déjà des fonctions, d'un cabinet spécial, plus
ou moins restreint, dont il pourra régler les destinées suivant
ses convenances personnelles. Les questions d'argent sont d'ail-
leurs toutes secondaires à ses yeux; nous le verrons même plus
tard acquérir de ses deniers des collections assez coûteuses,
destinées à favoriser rétablissementnouveau,s'ilestétabli confor-
mément à ses vues. Mais pour bénéficier des largesses de Jomard^
le Musée devra être rattaché au dépôt de géographie dont il a la
garde : toute autre entreprise, si bien engagée qu'elle puisse être,
sera forcément condamnée, sans être même examinée.
Ainsi, tandis que Jomard cherche à intéresser à son ébauche
àeMu&ée géo-ethnog7'aphiqtie (le néologisme est de lui), quelques
correspondants étrangers et français', le Ministère de la Marine,
qui s'est lentement enrichi d'un certain nombre d'objets rapportés
des contrées lointaines par ses voyageurs, songe à utiliser des ma-
tériaux précieux pour l'étude des civilisations primitives. Loin
de venir en aide à une tentative qui offre certaines chances de suc-
cès et peut servir efficacement les intérêts de la science, Jomard
1) Voy. Documents, pièce n° XVI.
2) Voy. Documents, pièce n° XVIII, etc.
3) Voy. DocMmen<s, "pièces n°^ XVIII à XX.
DIT MUSÉE d'ethnographie 41
paraîtra l'ignorer*, et il faudra que le baron de Férussac lui rap-
pelle, non sans quelque amertume*, dans une petite brochure
imprimée tout exprès, l'histoire de la fondation du Musée Dau-
phin et de ses premiers accroissements.
C'est le 15 janvier 1828, que le Moniteur universel avait fait con-
naître la décision prise par le Roi do créer dans le palais du Louvre
un Musée naval qui « porterait le nom de son auguste fils, M. le
Dauphin, amiral de France ». Le projet, présenté par M. de Cha-
brol, ministre de la Marine, sur la proposition du ministre de
la Maison du Roi, le duc de Doudeauville, comprenait tout à la
fois un Musée de Marine et un Musée d'Ethnographie. C'était
Férussac qui avait eu l'honneur de proposer cette dernière créa-
tion et avait rédigé à la demande du vicomte de Larochefoucauld
le projet de rapport spécial' adressé à Charles X. Il était donc
mieux placé que personne, pour esquisser les débuts du jeune
Musée, qui lui devait en partie l'existence.
Son petit mémoire nous apprend que par les ordres de MM. de
Doudeauville et de Larochefoucauld, « une foule d'objets pré-
cieux » étaient dès lors réunis au Louvre, « place naturelle de
cet établissement », et mis provisoirement sous la direction de
M. Zédé; que des instructions avaient été données à divers voya-
geurs, et en particulier, à Dumont d'Urville et à d'Orbigny lors
de leur départ de France; que des achats avaient été faits à
plusieurs reprises pour le nouvel établissement; enfin que
certaines collections privées_, celle de l'auteur en particulier,
avaient été généreusement offertes.
L'examen des registres du temps*, conservés au Musée de Ma-
rine actuel, permet de préciser les faits indiqués un peu vague-
ment par Férussac. Les objets envoyés par la Maison du Roi
sont au nombre de plus de cent vingt, et ont fait partie en majorité
1) Voy. Documents, pièce n» XXIV.
2) Voy. Documents, pièce n° XXV.
3) Voy. Documents, pièce n° XXV in fine.
4) Je dois à. M. l'amiral Paris, consfrvateur actuel du Musée de marine, la
communication de ces documents si intéressants pour l'histoire des études eth-
nographiques en France.
42 LES ORIGINES
du célèbre cabinet Denon; les autres, généralement océaniens,
viennent de VUranie ou de la Coquille. Le port de Rochefort a
livré 71 pièces, les unes ayant pour la marine une utilité pratique,
cordages d'abaca ou de bambou, fibres d'ananas du Loango et de
pitte de l'Amérique du Sud ; les autres d'intérêt exclusivement
ethnographique, vases k maté du Chili, pipes du Sénégal, parasols
du Malabar ou de la Chine, écrans de l'Inde, raquettes du Ca-
nada, etc.
L'École de santé de Brest, la Direction des colonies, etc., sont
représentées par d'autres collections encore, au milieu desquelles
on remarque principalement une série sénégambienne de 210
pièces au moins.
Le dessinateur Dubois a acquis de plusieurs côtés et notam-
ment à la vente d'Hauterive des pièces rares des Marquises, de
Kodiak, etc. Férussac a déposé 21 objets curieux, de Oualan et de
Waigiou, de Taïti et de la Nouvelle-Zélande, qu'il tenait de Frey-
cinet et de Duperrey. Dillon a remis une cinquantaine d'objets
recueillis pendant qu'il cherchait les traces de Lapérouse. Enfin
les officiers et médecins, ingénieurs et commissaires de la marine
royale auxquels on avait fait appel, ont répondu par l'envoi denom-
breuses pièces isolées, dont quelques unes possèdent un fort grand
prix, comme le casque hawaiien en plumes rouges et jaunes donné
par Le Goaran, ou le magnifique costume sioux offert par Zédé.
Tout cela est encore fort en désordre, mais constitue cepen-
dant un premier fonds très respectable, que le retour de Dumont
d'Urville (25 mars 1829) va bien enrichir. L'illustre navigateur rap-
porte en effet au Musée Dauphin plus de deux cents objets choisis
entre les plus intéressants de l' Océanie, et en particulier des terres
des Papous et des îles Viti, de la Nouvelle-Zélande et de l'archipel
Tonga, enfin de ce groupe de Vanikoro, oti il vient de relever
les épaves des deux navires de Lapérouse . Les collaborateurs
de Dumont d'Urville, Gaimard et Sainson entre autres, suivent
l'exemple de leur chef. Puis ce sont des officiers de vaisseau,
Billard, Cosmao, Dubouzet, des médecins de marine, tels que
Busseuil, Tisserand, etc., des commis même, comme Requin, qui
oftrent leurs trouvailles.
DU MUSÉE d'ethnographie 43
Et c'est tout ce mouvement, si intéressant, que Jomard affecte
d'ignorer et dissimule, autant qu'il peut, aux yeux du ministre
qu'il harcèle de ses réclamations, aux yeux des hommes de science,
naturalistes, philologues, etc., dont il cherche à s'assurer le bien-
veillant concours'.
Au lieu de s'appuyer sur l'administration de la marine et des co-
lonies, et de s'entendre avec les navigateurs ou les fonctionnaires
envoyés au loin par l'État, il va tenter de contrecarrer des efforts
qui s'exercent en dehors de son action personnelle*.
L'exposition de la collection Lamare-Picquot, et les proposi-
tions d'achat adressées au gouvernement par ce laborieux voya-
geur viennent fournir une occasion d'entretenir de nouveau le
ministre de l'ordonnance de 1828 et de tout ce que Jomard pré-
tend tirer de ce texte indécis.
Lamare-Picquot est un voyageur naturaliste qui, à deux re-
prises, a dirigé ses explorations vers l'Hindoustan. Au cours de
son premier voyage (1821-1823), il s'est presque exclusivement
occupé de recueillir des échantillons d'histoire naturelle, mais
pendant le séjour prolongé qu'il vient de faire de 1826 à 1829 à
Calcutta et à Ghandernagor, à Ghazipour, Gulna, etc., il a ras-
semblé de nombreux monuments des cultes brahmanique et boud-
dhique, des quantités d'objets de toute espèce^ produits de l'in-
dustrie du Bengale et du Goromandel. des séries de figurines de
Krishnagar représentant les types et les attitudes, les costumes et
certains traits de mœurs des différentes castes de l'Inde, etc.
Bref, c'est une collection, comme la France n'on possède point
encore, et son possesseur est tout prêt à la céder au gouverne-
ment, sous certaines conditions qui restent à débattre.
1) Je n'avais pas été frappé tout d'abord, comme je le suis maintenant, de
l'esprit de système qui domina toute l'entreprise dont je retrace l'histoire. On
constatera très aisément en lisant les pièces Ytahllées in extenso sousles n°'' XXIV,
XXVI, etc., l'omission constanteet voulue du Musée naval et la perpétuelle préoc-
cupation de ne rien chercher autre chose que la concentration de tout le reste
des collections de l'État à la Bibliothèque. L'auteur diminue peu à peu ses
prétentions, ilconsentà toute une série d'amoindrissements successifs de l'œuvre
qu'il a méditée, pourvu que le peu qui en reste se développe rue Vivienne.
2) Voy. Documents, pièces n»^ XXIV, XXVI, etc.
44
LKS ORIGINES
Le voyageur fait successivement appel à l'Académie des ins-
criptions et belles lettres, à la Société asiatique, à la Société de
géographie, et les rapporteurs des commissions, que ces trois com-
pagnies ont chargé d'examiner le cabinet Lamare-Picquot, sont
unanimes à en célébrer la richesse_, à en proclamer l'intérêt*.
Abel Rémusat et Eug. Burnouf terminent leurs rapports en
faisant des vœux pour qu'on établisse à Paris un musée spécial,
dont la collection Lamare-Picquot pourra devenir le noyau, et
Jomard, fort de l'appui de ces deux grandes autorités scienti-
fiques, va solliciter, une fois de plus, cette fois avec un succès
relatif, l'intervention des pouvoirs publics. Les raisons qu'il
invoque, lourdement exposées dans une longue lettre en date du
14 août 1831, ont néanmoins frappé le ministre, et M. d'Argout,
qui n'ignore point ce qui se passe au Louvre et entrevoit dans
l'avenir de fâcheuses compétitions administratives, veut pouvoir
s'appuyer sur une consultation émanée des savants les plus indis-
cutés.
Il écrit à Cuvier, qui est alors en France l'arbitre de toutes les
questions scientifiques. Le grand naturaliste, qui dès 1818 s'est
montré bien disposé pour les projets issus des offres de vente
du consul Thédenat, entre dans les vues du ministre. Ils com-
posent ensemble une Commission oii les deux rapporteurs de
l'Académie et de la Société asiatique constituent d'avance avec
Cuvier lui-même et Jomard, l'auteur de la lettre, une majorité
décidée à proposer nne solution favorable. Kératry etDuparquet,
choisis par le ministre, sont bienveillants, mais Letronne, pré-
sident du Conservatoire de la Bibliothèque, et par là même plus
intéressé qu'aucun autre à prendre une part active aux travaux
de la Commission, s'est dérobé, sous le prétexte d'une tournée
d'inspection*, et il n'est pas trop malaisé de pressentir dès lors
une opposition très décidée des administrateurs de la rue Riche-
lieu contre les empiétements de leur collègue, le Conservateur
du cinquième département, dit dépôt de géographie. L'un d'entre
1) Voy. Documents, pièces n»» XX], XXII, XXIII.
2) Voy. DocumenU, pièces n»» XXVII-XXXII, XXXV, XXXVI.
DU MUSÉE d'ethnographie 45
eux, Champollion-Figeac, qui a pris une certaine part à la fon-
dation du Musée de Marine au Louvre, écrit même le 10 mai au
ministre une lettre confidentielle, pour lui faire observer que
« l'auteur de ce beau projet et de tant d'autres » s'est bien
g-ardé de dire que le musée dont il propose la création « est
établi, commencé et en voie de s'accroître journellement » '.
D'Argout passe outre, la Commission se constitue, délibère,
nomme son rapporteur, et le i^' novembre 1831, M. Abel
Rémusat fait accepter à ses collègues les conclusions suivantes à
l'unanimité :
r II sera établi à Paris un dépôt ethnographique où seront
réunis les objets qui pourraient éclairer l'histoire de l'homme
physique et de l'homme moral;
2° Ce dépôt sera placé à la Bibliothèque du Roi;
3^ Les objets qui sont de nature à en faire partie el qui se
trouvent actuellement dispersés dans divers établissements
publics de Paris seront, de concert avec les administrateurs de
ces établissements, réunis et transportés à la Bibliothèque du
Roi'.
En d'autres termes la Commission demande qu'on supprime,
au profit du département de Jomard à la Bibliothèque royale,
toute autre collection ethnographique officielle existant à Paris,
et par suite la petite salle d'ethnographie sise au-dessus du
Cabinet des médailles ; la galerie B III du Muséum d'Histoire
naturelle, dont Cuvier, qui l'a créée, semble avoir fait son deuil;
enfin et surtout, l'annexe du Musée naval, que l'on ne nomme
point expressément dans le rapport, mais contre laquelle sem-
blent surtout dirigés les efforts de la Commission.
On dresse, en même temps, un tableau des dépenses, on étudie
la question du local, on établit la liste des collections à acquérir ^;
mais il faudra soumettre tout l'ensemble des propositions formu-
lées à la Commission du budget de 1832 et le ministère est aux
prises avec une opposition puissante, qui a mis en tête de son
1) Voy. Documents, pièces n»* XXXIII et XXIV.
2) Voy. Documents, pièce n» XXXVII.
3) Voy. Documents, pièce n° XXXVIII.
46 LES ORIGINES
programme la diminution des dépenses ^ On attendra avant de
prendre un parti définitif.
On redoute d'ailleurs à l'Instruction publique des résistances
insurmontables de la part de la Marine et de la Maison du Roi
dont le projet tend à dépouiller les établissements au profit du
département de M. Jomard. Le chef de division, chargé plus
spécialement d'étudier l'affaire, Hippolyte Royer-Collard, est
sourdement hostile. S'il accepte en principe la création proposée,
c'est à la condition de n'attribuer au nouveau dépôt que les
objets existant déjà dans le cabinet des Antiques, (( sauf à y réunir
ceux qu'on pourra se procurer par la suite ».
C'est un simple virement qu'il propose, d'un département à un
autre, pour l'ancien Musée Barthélémy, et à cette occasion, il
attaque l'existence même, comme département, du dépôt de
géographie, qui lui paraît devoir rentrer dans celui des livres
« dont les cartes n'auraient jamais dû être séparées » '.
Le ministre ajourne toute décision, et l'hiver se passe, au
milieu des luttes parlementaires soulevées par la liste civile, le
budget, etc. Sur ces entrefaites le choléra éclate à Paris; le
minisire d'Argout, atteint par le mal, est obligé de résigner ses
fonctions (30 avril). Cuvier et Rémusat, le président et le rappor-
teur de la Commission du Musée d'ethnographie, succombent
coup sur coup (13 mai, 2 juin).
Pendant ce temps la Vendée est soulevée, l'émeute gronde
derrière le cercueil du général Lamarque (5 et 6 juin) et tout le
monde, Jomard lui-même, se recueille, en attendant la pacifica-
tion des esprits. Mais le calme est à peine rétabli que Lamare-
Picquot redouble ses demandes auprès du ministre, sous l'au-
torité duquel est désormais placée l'administration de l'Instruc-
tion publique ^ Il se fait recommander à Guizot par des person-
nalités politiques, comme Félix Bodin et Le Carpentier, tandis
que l'infatigable Jomard recommence ses tentatives, à l'appui
1) Le budget de 1832 fut, du reste, en diminution de 79 millions sur celui de
i831.
2) Voy. Documents, pièce n» XXXIX.
3) Voy. Documents, pièce n» XLII.
DU MUSÉE d'ethnographie 47
desquelles il offre sa collection privée « pour être jointe au
noyau existant dans notre grande Bibliothèque royale, ou mo-
ment où Ton réaliserait le vœu de l'ordonnance » qui lui tient
tant à cœur '.
Mais le conservateur du Musée de Marine, s'agite de son
côté, et, après avoir longtemps conservé une attitude expectante,
devient agresseur à son tour. Le comte de Rigny, ministre de
la Marine et des Colonies, formule sur la demande de Zédé,
auprès de son collègue de l'Instruction publique, diverses récla-
mations qui ont pour résultat de faire passer au Louvre 84 objets
d'ethnographie du Muséum d'Histoire naturelle (14 mai 1833)2
et provoquent entre la Bibliothèque et le cabinet du ministre un
échange de notes et d'explications, à la suite desquelles le Con-
servatoire est enfin saisi officiellement des propositions de la
Commission de 1831 (20 avril 1833) ^
Letronne, qui se réservait du vivant de Cuvieret d'Abel Rému-
sat, intervient vigoureusement pour défendre la Bibliothèque
contre un double péril. Les revendications de la Marine sont peu
importantes en çlles-mêmes, mais elles pourraient en susciter
d'autres qui seraient beaucoup plus graves. Quant au projet
Jomard, il est inapplicable à la Bibliothèque; il faudrait pour qu'il
pût aboutir, un local étendu, un personnel, un matériel relati-
vement considérables, que l'établissement n'est point on état de
fournir, et le Conservatoire, suivant l'impulsion qui lui estdonnée
par son directeur, se prononce pour la négative, tout en recon-
naissant en principe l'utilité de l'établissement qu'il désire voir
créer ailleurs.
La délibération est prise à l'unanimité, moins une voix, celle
de Jomard et la cause de ce dernier est dès lors définitivement
perdue*.
En vain, sollicité une fois de plus par Lamare-Picquot qui
continue à chercher le placement de sa collection, adressera-t-il à
1) Voy. Documents, pièce n» XLIV.
2) Voy. Documents, pièces n»» XLII et XLIII.
3) Voy. Documents, pièces n°* XLV et suiv.
•4) Voy. Documents, pièce no LVIII.
48 LES ORIGINES
Salvandy et à M. Félix Ravaisson de nouvelles requêtes (octobre
1838); l'ordonnance qu'il obtiendra en faveur du département
des cartes géographiques, plans et collections ethnographiques
(11 mars 1839) ne sera jamais appliquée ^
En vain après la célèbre lettre que lui écrit Siebold' sur les
collections ethnographiques (1843) s'adresse-t-il de nouveau au
ministre, en lui faisant tenir la brochure qui contient sa réponse
au savant japoniste (1845)'. Naudet, consulté par Salvandy, se
montre aussi intraitable que Letronne auquel il a succédé, et
le projet d'un dépôt ethnographique à la Bibliothèque royale est
à tout jamais enterré*.
Cependant l'œuvre de Zédé, continuée parLebasetMorel-Fatio,
se développe à son aise dans le second étage du Louvre, en partie
inoccupée
La Recherche [\.mi) y la Bonite (1838), Y Astrolabe et la Zélée
(1843) ont rapporté de leurs voyages d'importantes collections
exotiques, que le ministre de la Marine dépose au Musée naval.
Le ministre du Commerce y envoie les collections recueillies en
Chine par M. de Lagrenée (1843), l'administration des Musées
royaux y place, en attendant la formation d'une petite galerie
spéciale, les Collections d'archéologie américaine provenant de
Latour-AUard, de Séguin et de Franck.
Le roi Louis-Philippe fait remettre diverses pièces remarqua-
bles qu'il a reçues du négus d'Abyssinie (1842) et plus tard les
curieux objets d'Océanie que lui ont présentés les missionnaires
apostoliques Pompallier et Douare, et parmi lesquels on remarque
le casse-tête de ïupaea, le grand chef de Touaranga.
Le célèbre antiquaire Scandinave Rafn, le capitaine Collet, qui
a si complètement étudié les Marquises, le lieutenant-général Ru-
1) Voy. Documents, pièces nos lX el suiv.
2) Voy. Documents, pièce n» LXVII.
3) Voy. Documents, pièce n» LXVIII.
4) Voy. Documents, pièces n»» LXIX et LXXI.
5) Cf. L. Morel-Falio, Notice des collections du Musée de Marine exposées
dans les galeries du Musée impérial du Louvre. Paris, de Mourgue, lbô2.
1 vol. in-12. Introduction, p. xii-xiv.
DU MUSÉE d'ethnographie 49
migny, etc., enrichissent Fétablissemenl de leurs dons et bientôt
il ne suffit plus de quelques vitrines pour contenir tout cet inté-
ressant ensemble. Jeanron, puis Nieuwerkerke,^en composent
une subdivision séparée. Une grande salle contiguë au Musée
naval et y faisant suite dans le pavillon de Beauvais est disposée
pour recevoir le Mmée ethnographique ; quelques mois suffisent
pour l'installer et le 1'' août 1850,1a collection réorganisée est
livrée à la curiosité publique ^ A peine ouvert, le Musée nouveau
s'enrichit de quelques précieux envois de Garcin de Tassy, d'An-
grand, de M. Schœlcher, etc., et lorsque l'administration des
Finances vient en faire l'inventaire avec Morel-Fatio, qui en
est devenu le conservateur, elle peut constater la présence de
2,760 objets, presque tous d'une réelle valeur^
1) L. Morel-Falio, loc. cit.
2) Le seul inventaire général du Musée de Marine qui ait été dressé par les
soins de l'administration des Finances a été terminé le 31 décembre 1856. A
cette date le Musée contenait 3,786 objets, dont 1,026 dans la section, navale et
2,760 dans la section ethnographique. Cette dernière section, classée dans
l'ordre géographique, se décomposait en douze sous-sections, de la manière
suivante :
NOMS. NOMBRE DE PIÈCES.
Provinces de l'Asie 161
Chine, Indo-Chine et Japon 1014
Afrique orientale 24
— centrale 332
— occidentale 157
— septentrionale 23
Amérique du Nord 128
— du Sud 67
Océanie occidentale ou Malaisie 86
— australe ou Milanésie 253
— boréale ou Micronésie 38
— orientale ou Polynésie 447
Total 2,760
CHAPITRE V
Projets de 1854. — Dernières tentatives et mort de Joniard. — L'ethnographie
au Musée des Antiquités nationales do Saint-Germain. — Plan d'agrandis-
sement de la Section ethnographique du Louvre. — La mission Wiener et
le legs Angrand. — Création et exposition provisoire du Muséum ethnogra-
phique des Missions scientifiques. — L'ethnographie à l'Exposition univer-
selle de 1878.
Nous sommes en 1854; les préparatifs de notre première Expo-
sition universelle, les négociations qui commencent pour l'ouver-
ture du Japon au commerce européen, l'annexion de la Nouvelle-
Calédonie, le mouvement de pénétration qui s'accentue au
Sénégal, les événements de Crimée, tout cela vient appeler de
plus en plus l'attention publique vers les contrées lointaines,
et le projet d^un grand musée, spécialement consacré à l'ethno-
graphie et aux voyages, préoccupe de nouveau quelques bons
esprits.
Poussé par les bureaux demeurés fidèles à une tradition qui re-
monte déjà à près de vingt-cinq ans, H. Fortoul aborde en passant
la question dansunrapportsur la Bibliothèque nationale, en date
du 31 août, mais c'est malheureusement pour mettre en avant, à
propos d'une entreprise à la fois très longue et très délicate, un
vieillard de soixante-quinze ans dont la personnalité se dresse
comme un insurmontable obstacle à toute entente avec la Marine et
le Louvre. Il est vrai que le nom de Jomard fournit à Fortoul le
prétexte d'une belle période sur ces explorateurs illustres que
l'auguste fondateur de la dynastie a jadis conduits en Egypte...
On maintiendra Jomard à la Bibliothèque malgré son âge très
avancé; il reprendra le titre de conservateur, et Garcin deTassy,
qu'il a promis de désigner pour entreprendre le musée neuf,
posera une candidature prématurée à des fonctions encore hypo-
thétiques.
S2 LES ORIGINES
Le ministre a lancé sa proposition, sans y avoir bien réfléchi;
il est fort embarrassé pour y répondre, La réalisation de ses pro-
jets est, dit-il, subordonnée à des éventualités... qu'il espère voir
se présenter assez prochainement. . . et dont il compte avoir l'occa-
sion d'entretenir le pétitionnaire!!!
En voilà pour huit ans encore.
On reparle alors une fois de plus de collections d'ethnographie,
à propos de la création imminente du Musée des Antiquités natio-
nales au château de Saint-Germain-en-Laye et Jomard reprend
la plume pour recommander sa classification. Ses illusions se
sont enfin évanouies ; il envoie en passant un triste adieu à
« ce Musée de la géographie et des voyages, longtemps espéré,
vainement attendu » '.
C'est son dernier effort, il meurt cinq mois après la publication
de sa brochure (23 septembre 1862), et la collection d'antiquités
et d'ethnographie, laissée à sa fille, devient, après quelques vicis-
situdes', la possession de M. S. Henry Berthoud, et de la ville
de Douai (23 octobre 1866).
1) Jomard, Classification méthodique des produits de Vindustrie extra-euro-
péenne ou objets provenant de voyages lointains, suivie du plan delà classifica-
tion d'une collection ethnographique complète, fragment lu à la Société d'Ethno-
graphie le 12 avril 1852 (extr. en partie de la Rev. orient, et améric.). Paris,
Challamel, 1862, br. in-8 (Voy. Documents, pièce n" LXXV).
2) Le catalogue de la collection Jomard fut imprimé en 1863 [Catalogue des
objets d'antiquité et de la collection ethnographique de feu M. Jomard, membre
de Vinstitut. Paris, Thunot, 1863, br. in-S). L'introduction de ce catalogue
renfermait cette phrase : « Aujourd'hui dans l'impossibilité de conserver cette
collection on serait heureux que l'acquisition qui en serait faite pût être un pre-
mier pas vers la réalisation de la pensée éminemment utile qui inspirait le
savant aux soins duquel on en doit la formation. » La vente projetée n'eut pas
lieu, et le legs fait en 1864 par M. Berthoud à la ville de Douai décida M. et
M^^Boselli, héritiers de Jomard, à user de la même générosité. Ils se résolu-
rent en 1866 à donner à cette ville la collection Jomard tout entière sous
certaines conditions, dans le détail desquelles il n'est pas utile d'entrer ici
(Cf. A. Cahier, Essai sur les Musées de Bouai, leurs origines, leurs bienfai-
teurs. Douai, Crépin, 1869, br. in-8, p. 31-34). Absorbée dans le musée
Berthoud, elle a été remise avec les collections formant ce musée à la ville de
Douai, le 29 juin 1872. (Cf. Musée Berthoud. Inauguration du Musée fondé par
M. S. Bmry Berthoud, 29 et 30 juin 1872. Discours et Conférence. Douai,
Ceret, 1872, br. in-8.)
DU MUSÉE d'ethnographie 53
L'ulilité, si bien comprise par Barthélémy de Courçay, dos
rapprochements entre les choses de l'archéologie et de l'ethno-
graphie, ne tarda pas à se manifester avec bien plus de force que
jamais, lorsqu'on se mit à l'étude des collections primitives aux-
quelles se trouvait en grande partie destiné le nouvel établisse-
ment de Saint-Germain-en-Laye. Avec Boucher de Perthes et
Lartel, il fallait, à chaque instant emprunter au matériel des
sauvages modernes les commentaires des instruments les plus
antiques, et l'impérial archéologue, qui s'intéressait si directe-
ment aux travaux d'installation du musée, séduit surtout par cer-
taines comparaisons très curieuses que suggérait l'ethnographie
néo-calédonienne, demanda un jour à Adrien de Longpérier d'é-
tudier un projet de section ethnographique, pour la magnifique
salle de Mars qu'il songeait à restaurera Longpérier voulut faire
grand, il demanda un million, et les choses en restèrent là^
On reçut ou Ton acquit, en attendant, à titre d'objets de compa-
raisons, un certain nombre d'armes et d'ustensiles exotiques
que M. Alex. Bertrand, conservateur du musée, a depuis lors
envoyés au Trocadéro.
Les collections spéciales offertes à l'État à la suite de l'Expo-
sition universelle de 1867 furent mises dans des magasins, notam-
ment à Saint-Germain etau Muséum d'Histoire naturelle, où je les
ai retrouvées depuis, et le Ministère de l'Instruction publique
abandonna si complètement tout nouveau projet de musée spécial,
qu'à diverses reprises, et notamment en 1874, des collections
offertes par des correspondants étrangers ont été versées dans
des cabinets de province ^
J'avais été chargé cette année-là, grâce à la bienveillante
1) La deslination du nouveau Musée est fixée dans un rapport du surinten-
dant des Beaux-Arts en date du 14 juin 1863; la Commission d'organisation fut
installée le 1" avril 1865, et l'inauguration eut lieu le 12 mai 1867. (Cf. S.
Reinach, Description raisonnée du Musée de Saint-Germain-en-Laye. Paris,
Didot, 1884, t. I, p. 12 et suiv.)-
2) C'est de de Longpérier lui-même que je tiens ces détails.
3) C'est ainsi que Douai possède les premiers envois faits au Ministère de l'Ins-
truction publique par M. Harmsen, de Sumatra.
o4 LES ORIGINES
intervention de M. deQuatrefages, d'aller étudier en Danemark, en
Suède et en Norvège, l'organisation des musées d'anthropologie.
Tout en consacrant une attention plus spéciale aux collections qui
étaient le principal objet de mes recherches \ j'avais examiné
de très près le magnifique Musée royal ethnographique de Copen-
hague et rapporté de mon voyage la conviction qu'il ne serait
pas bien malaisé d'instituer chez nous quelque chose d'analogue,
en combinant toutes les ressources dont on disposait à Paris.
Pour que la chose put réussir, il fallait bien se garder de pro-
poser au gouvernement unQ fondation quelconque, toujours très
onéreuse, et qui soulèverait, comme celles de Jomard, des con-
flits administratifs ou des compétitions personnelles. On avait au
Louvre une collection spéciale, déjà fort belle; il fallait, à mon
sens, en y joignant toutes les autres séries d'objets existant entre
les mains de TÉtat, lui donner une incontestable importance, et
le reste viendrait par surcroît. On reprenait d'ailleurs ainsi la
tradition de Barthélémy, en juxtaposant de nouveau l'ethno-
graphie et l'archéologie. Il est vrai que le Louvre étant surtout
un musée d'art^ on pouvait craindre en y amenant toutl'ensemble
des choses ethnographiques appartenant à l'Etat, que les collec-
tions utiles à l'histoire de l'art et aux comparaisons d'un intérêt
purement esthétique, fassent seules l'objet des attentions d'une
administration aussi spéciale que celle de la rue de Yalois.
L'exemple du Musée égyptien était fait cependant pour calmer
les appréhensions de cette nature; l'ethnographie avait conservé
une très large place dans ce magnifique ensemble, sans que les
collections artistiques aient jamais cherché à restreindre le déve-
loppement des séries purement scientifiques. Il pourrait donc en
être de même des autres collections exotiques dont le dévelop-
pement me paraissait désirable.
J'allai trouver M. de Chennevières, directeur des Beaux-Arts,
et je lui communiquai mes idées. Il voulut bien en reconnaître la
justesse, et me promit de s'intéresser à leur réalisation, non sans
1) Les résultats de ces iavestigations particulières sont consignés pour la
plupart dans les Chronica eihnica.
DU MUSÉE d'ethnographie 55
faire observer toutefois que le défaut de place était, à ses yeux,
un obstacle majeur à l'agrandissement du Musée d'Ethnographie
actuel. Il me rappella les mésaventures du Musée américain
ouvert par Longpérier en 1850 dans une salle du rez-de-chaus-
sée, de la cour d'honneur du Louvre, transporté dans un couloir
du second étage, redescendant un instant dans une des grandes
salles du premier que la dispersion de la collection Campana
avait rendue disponible, et déménagée une quatrième fois dans
un vestibule où le public ne pouvait plus le voir^ L'adminis-
tration centrale n'était pour rien dans le délaissement systéma-
tique de cette remarquable collection^ mais elle pouvait craindre,
de la part du Conservatoire qui l'avait toléré, de très grosses
difficultés, si elle venait un jour ou l'autre proposer d'élargir
le domaine de l'ethnographie, en y rattachant les antiquités du
Nouveau-Monde et de l'Extrême-Orient. M. de Chennevières
était dès lors fortement sollicité par quelques-uns de transporter
aux Invalides le Musée de Marine avec ses annexes, afin de pou-
voir exposer dans les galeries qu'occupent ces collections de
nombreux dessins de maîtres demeurés en portefeuille et, par
suite, ignorés des artistes et des amateurs...
M. de Chennevières atteignit l'honorariat (27 mai 1878), sans
avoir pu rien faire pour le développement du Musée d'Ethno-
graphie, et son successeur, M. Guillaume, s'en désintéressa.
Par bonheur, dans le même temps la direction des Sciences
et Lettres au Ministère de l'Instruction publique, après s'être
abandonnée à tel point qu'elle déposait en province les objets
qui pouvaient lui parvenir % reprenait courage, grâce à des cir-
constances particulièrement favorables.
Un des voyageurs, envoyés en mission en Amérique par les
1) 11 a fini par venir se fondre dans le Musée du Trocadéro, grâce à l'active
intervention de M. Héron de Villefosse, devenu conservateur des Antiques.
2) De novembre 1875 à décembre 1877 cent cinquante objets, envoyés par
M. Harmsen, ont été expédiés à Douai par la direction des Sciences et des Lettres.
Les pièces postérieurement offertes par M. Harmsen sont restées à Paris, et il
en résulte celte situation bizarre que la collection généreusement donnée à lu
France par ce savant hollandais est aujourd'hui coupée en deux.
56 LES ORIGINES
soins de M. Oscar de Walteville, avait expédié, coup sur coup,
des centaines d'objets plus ou moins précieux provenant pour la
plupart d'anciennes sépultures péruviennes *. De même que
Dombey, au dernier siècle, introduisait le premier les antiquités
exotiques au Cabinet des médailles avec ses bijoux et ses poteries
du Pérou, de même M. Ch. Wiener, en encombrant le Ministère
de l'Instruction publique des collections énormes qu'il s'était
procurées dans le même pays, vint fournir enfin dans des con-
ditions exceptionnellement heureuses, l'occasion depuis si long-
temps attendue des administrateurs et des hommes de science,
de fonder dans la capitale un grand musée exotique.
La direction des Sciences et Lettres ne pouvait laisser à l'aban-
don les volumineux colis que M. Ch. Wiener lui faisait parvenir,
pour ainsi dire de mois en mois, à la rue de Grenelle, et M. de
Watteville, auquel les avances consenties par le commissaire
générarde l'Exposition de 1878* assuraient quelque liberté,
se décida, sur les instances du voyageur revenu à Paris en août
1877, à tenter une exposition particulière du Musée péruvien
qu'il avait réuni. C'était un moyen d'interroger l'opinion; si la
collection intéressait, on pourrait aviser aux moyens de faire plus
tard quelque chose de durable.
M. Wiener fut mis en possession de la grande salle qui occupe
l'angle N.-E. du premier étage du Palais de llndustrie, et onlui
ouvrit, sur les fonds de l'Exposition, un crédit suffisant pour
déballer et installer modestement ses envois ^ Aidé de son ami,
M. E. Soldi, artiste de beaucoup de talent, qui avait fait une
1) J'ai relevé dans les archives du ministère, la mention de 86 caisses expé-
diées du Pérou par M. Wiener du 22 septembre 1876 au 3 septembre 1877.
Huit de ces caisses renfermaient la colleclion d'anliquilés offerte au gouver-
nement par M. Quesnel, de Lima.
2) Cf. baron de Watleville, Rapport admiimtratif sur l'exposition spéciale
du Ministère de Vlnstruclion publique à l'Exposition universelle de 1878.
Paris, Hachette, 1886, br. in-8, p. 23.
3) Le rapport administratif, cité plus haut (p. 37 et 40) accuse au compte de
M. Wiener 4,000 fr. d'indemnité, payés du 30 octobre 1877 au 18 mai 1878.
Les dépenses totales occasionnées par ce missionnaire tant au Champ de Mars
qu'au Palais de flnduslrie se sont élevées à 8,449 fr. 64 cent.
DU MUSÉE d'ethnographie S7
étude spéciale des applications de la sculpture à l'ethnographie *,
il put organiser rapidement des restitutions de grandeur na-
turelle des monuments les plus célèbres et des types les plus
caractéristiques du Pérou et de la Bolivie. M. de Cetner lui
donna le concours d'un pinceau alerte et expressif, et bientôt
les collections archéologiques du voyageur se trouvaient au
milieu d'un décor approprié qui les mettait très habilement en
relief.
Les portiques de Huanuco Viejo, le monolithe de Tiahuanaco
connu sous le nom de porte du soleil, la fontaine de Concacha,
le siège de Villcas-Huaman, le monolithe de Chavin de Huantar,
divers fragments d'architecture et de sculpture, et plusieurs mo-
dèles de tombeaux étaient reproduits en fac-similé, tandis
qu'une suite de grandes toiles peintes représentaient les ruines de
Paramonga, Pachacamac, Tarmatambo, etc., etc. Puis c'étaient
des sculptures en bois, des objets en métal, vases, ustensiles,
bijoux ou statuettes en or, en argent, en cuivre, etc., des céra-
miques très variées de la côte et de l'intérieur du pays, des tissus
de toute espèce en fort grand nombre, des armes, des accessoires
funéraires, des momies enfin et une longue suite de crânes des
provenances les plus variées ^
Léonce Angrand, ancien consul général et chargé d'affaires
de France en divers pays du Nouveau-Monde, avait été le maître
de M. Wiener, et la recommandation de ce savant américaniste
n'avait pas peu contribué à assurer au jeune débutant l'obtention
de la mission scientifique dont on l'avait chargé. Le premier
mouvement de Léonce Angrand fut d'imiter MM. Quesnel,
Macedo, Droullion, Dibos, etc., qui avaient considérablement
augmenté les récoltes de M. Wiener^ et de donner, lui aussi, ce
1) Les crédits ouverts à M. Soldi se sont élevés à 1,153 fr. pour l'exposition
provisoire, puis ont atteint 11,970 fr. pour l'exposition Delaporte au Champ
de Mars {Ibid., p. 40).
2) Cf. Notice sur le Muséum ethnographique des Missions scientifiques, rédigée
par chacun des missionnaires scientifiques- sur les objets qu'il a rapportés.
Paris, Palais de l'Industrie, Pavillon N.-E., br. in-8, p. 18-33. — Ch. Wiener,
Pérou et Bolivie, récit de voyage suivi d'études archéolog. et ethnographiques, elc.
Paris, Hachette, 1880, 1 vol. gr. in-8, 1100 grav. 27 cartes et 18 plans.
58 LES ORIGINES
qu'il avait conservé des collections de toutes sortes rassem-
blées pendant vingt années de séjour dans l'Amérique latine.
MM. Wiener et Soldi l'entretinrent dans ces généreux projets
et il voulut bien faire savoir à M. 0. de Watteville que, dans le
cas où le gouvernement organiserait pour les études ethnogra-
phiques un établissement spécial, il offrirait, pour contribuer
à cette fondation, ses séries tout entières '.
Le directeur des Sciences et Lettres comprit tout de suite le
parti qu'il pouvait tirer de semblables dispositions. Quelque
précaire que fût à ce moment la situation du cabinet, il rédigea
bien vite un rapport pour le ministre, et le Journal officiel du
19 novembre 1877 imprimait à la suite de ce travail un arrêté
de M. Joseph Brunet en date du 3 de ce mois, centralisant « tous
les objets relatifs à l'ethnographie, provenant de missions, de
dons, d'échanges ou d'acquisitions » dans un musée spécial
appelé Muséum ethnographique des Missions scientifiques. L'ar-
rêté s'appuyait à la fois sur « le nombre considérable des objets
rapportés au ministère par les missions accomplies soit en France
soit à l'étranger» et sur « les donations faites par M. Angrand à
l'État, représenté par le Ministre de Flnslruction publique » *.
En même temps M. de Watteville, élargissant le cadre de
l'exposition déjà presque prête de M. Gh. Wiener, faisait signer
un deuxième arrêté (3 novembre 1877 ') instituant une exposition
provisoire de la Section américaine du Muséum ethnographique
des Missions et lançait un appel à ceux des envoyés de lEtatqui
avaient rapporté depuis peu de temps des collections du Nou-
veau Monde.
M. Edouard André, rentré en novembre 1876 de sa mission
en Colombie, Equateur, etc., eut à sa disposition l'une des deux
1) Voy. Documents, pièce n» LXXVI. Il ne faut point oublier que de 1837 à
1855 Léonce Angranr] avait donné au Louvre près de quatre cents objets anciens
du Nouveau Monde.
Pour des causes diverses, dans le détail desquelles je n'ai point à entrer ici,
le donateur a révoqué sa dernière donation et les collections qu'il avait officiel-
lement promises au Musée, sont allées au comte de Paris, à la ville de Genève, etc •
2) Voy. Documents, pièces n°^ LXXVI et LXXVIL
3) Voy. Documents, pièce n" LXXVIIL
DU MUSÉE d'ethnographie 59
salles contig-uës à celle où M. Wiener s'était établi \ Il y plaça,
à côté de nombreuses collections d'ornithologie et de botanique,
une reconstitution, faite à l'aide de la photographie, des picto-
graphies indiennes des roches de Pandi, des copies de quelques-
unes des idoles de la vallée de Saint- Augustin, près des sources
de la Magdalena^, que M. Manuel M. Paz a si complètement étu-
diées depuis lors, deux personnages habillés de la vallée du
Rio Napo, divers objets provenant des sépultures des anciens
Indiens de la Guacamaya ou des environs de Cuenca, enfin une
collection de ces objets en bois ou calebasse, décorés avec le
vernis de Pasto, dont M. José Triana a récemment fait connaître
les applications industrielles.
Crevaux, qui venait de débuter brillamment dans une carrière,
hélas! si vite interrompue par une mort cruelle, envoya une série
d'objets recueillis principalement dans les îles du Salut et chez les
Roucouyennes du Haut-Maroni. M. Léon de Cessac avait expédié
de Lima quinze caisses renfermant les produits de recherches
méthodiquement exécutées dans le grand cimetière d'Ancon;
c'étaient principalement des squelettes, des bassins, des crânes
humains choisis dans les divers quartiers de la nécropole, des mo-
mies d'animaux, chiens, cobayes, ara raitna, etc., des plantes ali-
mentaires, tinctoriales, textiles, etc. , utilisées parles anciens Yun-
cas, enfin une momie de Santa-Rosa admirablement conservée.
Je fus chargé d'installer dans une troisième salle - toutes ces
pièces et d'autres encore provenant des missions en cours d'exé-
cution dans les deux Amériques. M. Pinart avait laissé à ma
disposition dans un magasin du Muséum, en vue de l'Exposition
universelle, toutes ses collections d'archéologie et d'ethno-
graphie américaines, et je pus y puiser à pleines mains, pour com-
pléter un ensemble où l'Amérique du Nord se trouva ainsi repré-
1) C'est la salle IV du classement actuel des expositions de beaux arts. Les
dépenses portées au compte de M. André se sont élevées à 4,039 fr. 60 cent.
{Rapp. cit., p. 38).
2) La salle V du classement actuel. J'ai dépensé pour toutes les installations
dont je m'étais chargé, tant dans celte salle que dans les vestibules, la modeste
somme de 702 fr.
60 LES ORIGINES
senlée jusqu'à Vancouver, Silka et l'embouchure du Youkon.
Sur ces entrefaites, M. de Ujfalvy, qui venait de l'Asie Cen-
trale, demanda à participer à l'Exposition et apporta ses col-
lections d'archéologie et d'ethnographie qu'il installa tant bien
que mal, en quelques jours, sur le grand vestibule. M. Harmant
fit tirer des épreuves des précieux estampages du Cambodge,
que M. Kern commençait seulement à déchiffrer, et je lui ins-
tallai deux panneaux d'objets très curieux recueillis chez diverses
tribus sauvages du Laos. Nous disposâmes, dans un petit coin
demeuré libre, une vitrine contenant les produits des fouilles de
M. C. Lansberg en Syrie et nous eûmes ainsi un embryon de
musée asiatique.
L'Afrique fut représentée sur un des paliers de l'escalier parles
antiquités des Canaries de la collection Verneau, que j'avais fait
réparer de mon mieux, et par deux panoplies du Gabon et de
rOgooué que j'avais composées pour le Tour du Monde.
Sur l'autre palier, l'Océanie était rappelée par les objets popu-
laires envoyés de Célèbes par le docteur de la Savinière et
quelques pièces anciennes et modernes adressées des îles Ha^vaii
par M. Ballieu, consul à Honolulu, correspondant du Muséum
d'Histoire naturelle.
L'inauguration du Muséum provisoire eut lieu le 23 janvier
4878, sous la présidence de M. Bardoux, Ministre de l'Instruction
publique % et pendant six semaines le public se pressa dans
les trois salles qui lui étaient ouvertes « heureux de pouvoir
étudier tant de richesses nouvelles et d'entendre les conférences
des missionnaires expliquant eux-mêmes leurs travaux et leurs
découvertes » 3.
Les besoins de l'administration des Beaux-Arts obligèrent
d'interrompre en plein succès cette exposition si fréquentée et
1) Les crédits accordés à M. de Ujfalvy s'élevèrent à 1,804 fr. 80 cent.;
M. Rivière dépensa 510 fr. à faire tirer les estampages des inscriptions du lac
des Merveilles, M. Harmant n'a demandé que 50 fr. pour reproduire les siens
[Raipp. cit., p. 39).
2) J'en reproduis plus loin le récit emprunté au Journal officiel du 25 janvier
(Voy. Documents, pièce n° LXXIX.)
3) Baron de Watteville, Rapp. cit., p. 27. — Cf. Ibid., p. 82.
DU MUSÉE d'ethnographie 61
les objets qui l'avaient composée furent transportés, à quelques
exceptions près *, soit à l'Exposition universelle, soit dans une
maison louée rue Surcouf, au Gros-Caillou, par l'administra-
tion*.
Le succès, que venait d'obtenir le service des Missions, encou-
rageait d'ailleurs la direction des Sciences et Lettres à poursuivre
une œuvre qui avait si heureusement débuté, et M. de Watteville
n'hésita pas à donner la plus large place à l'ethnographie dans
l'exposition qu'il organisait au Champ de Mars.
Une restitution partielle par M. Soldi^ à l'échelle du dixième,
d'une des portes de la citadelle d'Angkôr-Tôm, un cavalier usbeg
du Khokand richement équipé de la collection Ujfalvy décoraient
l'entrée de la première salle ; venaient ensuite deux énormes py-
ramides de vases péruviens, l'une tirée en entier de la mission
\Viener_, l'autre fournie par MM. de Cessac^, l'amiral Serres et le
docteur Savatier; plus loin on pouvait voir la fontaine de Con-
cacha moulée cette fois en ciment et montrant sa circulation
hydraulique. La perspective de Huanucho Viejo était reproduite
sur la muraille du fond ; les autres murs étaient couverts de pa-
noplies et de cartes itinéraires, ou garnis d'armoires, renfermant
des choix d'objets provenant des missions André de Cessac,
Crevaux, Harmant, Marche, Pinart, Ruffray, Rivière, de Sainte-
Marie, de Ujfalvy, Wiener, etc. \
Ainsi disposée, la salle des Missions fut extrêment appréciée
des visiteurs, et une fois encore le grand public montra l'intérêt
qu'il prenait à ces choses lointaines, qui lui étaient si long-
temps demeurées tout à fait étrangères et vers lesquelles le
portent de plus en plus les nécessités du moment.
1) Angrand, par exemple, reprit les pièces qu'il avait prêtées; j'ai déjà dit
qu'elles ne nous étaient point revenues après sa mort.
2) Voir sur ce dépôt de la rue Surcouf les renseignements consignés dans le
rapport administratif (p. 28 et 79). Cette maison qu'on a gardée près de deux
ans servit de locaux pour le bureau de l'Exposition après le départ des Champs
Élysées, d'entrepôt à l'entrée et à la sortie pour les colis de l'Exposition, enfin
de magasin pour les collections non exposées.
3) Cf. Catalogue du Ministère de l'Instruction publique, des Cultes et des
Beaux-Arts, t. II, Mimons et voyages scientifiques, p. 4 et suiVi Paris, 1878,
n-12.
CHAPITRE VI
Nomination d'une commission chargée d'étudier l'organisation définitive du
Musée. — Plans irréalisables de Viollet-le-Duc. — Installation provisoire
des collections au Trocadéro. — Bépartition des locaux disponibles du
palais entre les Beaux-Arts et l'Instruction publique. — Commission du
Musée d'Ethnographie. — Kapport au Ministre et vote des crédits par la
Commission du budget. — Constitution définitive du Musée.
Le Musée d'Ethnographie gagnait tous les jours dans les
esprits : on en comprenait de mieux en mieux le rôle à la fois
scientifique et économique et nous eûmes bientôt des alliés
aussi sûrs, des défenseurs aussi ardents dans le monde de la
politique que dans le monde de la science. MM. Jules Ferry,
Georges Perrin, Henri Martin, Brisson, Thulié^ etc., soutenaient
notre entreprise avec le même dévouement que MM. H. Milne
Edwards, YioUet-le-Duc ou Maunoir, et ils prirent tous une part
active aux travaux de la commission organisée vers la fin de
l'Exposition* pour étudier l'organisation définitive du musée
(18 octobre 1878). Cette commission tint séance une première
fois le vendredi 25 octobre sous la présidence de M. Bardoux,
qui n'avait point cessé de témoigner la plus grande sympa-
thie à l'institution nouvelle. Après une allocution du ministre,
montrant l'urgence de la création d'un muséum ethnogra-
phique que devaient enrichir les nombreuses séries d'objets
promis par lus nations étrangères présentes au Champ-de-
Mars, M. de Watteville lut un projet préparé par ses soins
et dont l'examen fut renvoyé à deux sous-commissions char-
gées d'examiner, l'une la question du local et l'autre la ques-
tion budgétaire. La première de ces sous-commissions se
réunit tout aussitôt pour étudier les questions qui lui étaient
soumises et après une longue délibération, dont le procès-
1) Voy. Documents, pièce no LXXX.
64 LES ORIGINES
verbal n'a pas été conservé, elle aboutit aux conclusions formu-
lées dans le rapport de E. Viollet-le-Duc imprimé ci-après *.
Une deuxième séance eut lieu à l'Exposition le dimanche 27 oc-
tobre. La commission visita la salle des Missions scientifiques au
Champ de Mars et divers locaux des sections étrangères conte-
nant les principales choses offertes à l'Etat pour le nouveau mu-
séum.
Une troisième fois on se réunit le mercredi 30 octobre ; je donnai
lecture d'un rapport sur la visite de la commission à l'Exposition
universelle, M. Viollet-le-Duc communiqua le résultat de ses
études sur le local à affecter au futur musée et Ton renvoya au
13 novembre la discussion du projet de budget provisoire, établi
par la seconde sous-commission ^
Il n'y eut plus d'autre séance ; le devis estimatif des travaux
de toute nature à exécuter pour la conservation d'une partie du
Palais du Champ de Mars, destinée à loger le musée dans les
projets de Viollet-le-Duc, entraînait, suivant l'estimation de
M. Hardy, une dépense de deux millions environ^, devant laquelle
on dut reculer.
D'autre part les changements introduits dans la composition
1) Voy. Documents, pièce no LXXXI.
2) Voici les chiffres auxquels on s'était arrêté :
1 directeur Mémoire
1 bibliolhécaire id.
1 secrétaire agent-complable 3,500 fr,
1 commis 1,500
1 chef des collections scientiflques 3,500
1 sous-chef id. ... Mémoire pour la l'e année
1 chef d'atelier . 2,000
1 brigadier 1,500
5 gardiens (3 pour la 1" année) 3,600
Jetons de présence pour les démonstrateurs * (100 fr. par
démonstration) 10,000
Acquisitions et frais de transport Mémoire
Achat de vitrines id.
Total approximatif 25,600 fr,
') Le grand succès des conférences du Muséum provisoire avait engagé à en maintenir l'usage
dans le Musée définitif en les rétribuant; c'était un véritable enseignement que l'on constituait
ainsi à côté des collections. •
DU MusÉK d'ethnographik 65
du personnel administratif du ministère, en février 1879, venaient
tout remettre en question.
Heureusement le ministre qui arrivait aux affaires, M. Jules
Ferry, avait été membre actif de la commission du musée, auquel
il s'intéressait et le nouveau chef de la division du secrétariat
était M. Xavier Charmes, qui avait dirigé jusqu'au 15 décembre
1877 le service de l'Exposition au Ministère de l'Instruction
publique, et pris, à ce titre d'abord, et ensuite comme chef de
cabinet de M. Bardoux, une part fort active aux débuts de notre
musée provisoire.
M. Charmes était absolument acquis à l'idée de fonder un
grand musée d'ethnographie et il mit aussitôt au service de cette
création toute son habileté administrative, toute son intelligente
activité. Ne pouvant obtenir aucune partie des palais du Champ
de Mars voués à la destruction, il concentra ses efforts sur le
Trocadéro, que chacun désirait conserver et utiliser, et après
d'interminables pourparlers avec l'Hôtel de Ville et les Finances,
il obtint le décret du 13 octobre 1879 S qui affectait « exclusive-
ment aux divers services du Ministère de l'Instruction publique
et des Beaux- Arts » le palais du Trocadéro et ses dépendances.
M. Landrin n'avait pas attendu le décret pour prendre posses-
sion. Chargé à titre officieux d'assurer provisoirement la conser-
vation des collections étrangères données à la France à la suite
de l'Exposition de 1878, M. Landrin, qui avait mis beaucoup de
zèle à rassembler, pour M. de Watteville, ces dons plus ou
moins exotiques, les avait peu à peu accumulés dans l'aile de
l'est du palais, dite aile de Paris. Il avait utilisé les cloisons,
demeurées en place, de l'Exposition rétrospective, pour faire des
deux côtés de l'axe de la galerie tournante des espèces de cham-
bres, entre lesquelles on distribuait les objets dans un ordre
géographique^ au fur et à mesure qu'ils étaient apportés du
Champ de Mars ou de la rue Surcouf.
Le décret du 13 octobre à peine paru, l'administration des
Beaux-Arts, représentée par la Commission des monuments
historiques, vint réclamer sa part des galeries à utiliser.
1) Voy. Documents, pièce n° LXXXII.
f)fi LES (II-, 1(11 NES
Pour pouvoir remonter tout entiers^ suivant les projets de
Viollet-le-Duc, des portails ou des jubés, moulés sur les origi-
naux, il ne fallait rien moins que ces galeries, où justement
l'ethnographie se trouvait installée. Médiocrement larges, il est
vrai, elles étaient relativement élevées, éclairées par le haut
d'un jour favorable, et leur courbe, tout en se prêtant bien à
des installations pittoresques, facilitait l'isolement perspectif des
îaçades monumentales. De vastes parois pouvaient d'ailleurs
recevoir des plâtres de très grandes dimensions, mais de relief
médiocre^ comme sont la plupart des spécimens d'une galerie
d'architecture et de sculpture comparées. M. Antonin Proust et
ses collègues demandèrent donc et obtinrent sans trop de
peine les locaux où s'étalait déjà le futur musée d'ethnogra-
phie, tandis qu'un arrêté du 24 novembre attribuait à cet éta-
blissement la propriété définitive des étages centraux du
palais ^
Il fallut, une fois encore, heureusement la dernière, déménager
les collections et c'est par euphémisme que je déclare ici que
cette opération, dont je reconnais sans difficulté la convenance,
et qui aurait dû se faire à l'amiable, ne fut pas conduite par
Dusommerard, qui en était chargé, avec tous les égards que méri-
taient d'importantes collections appartenant à l'Etat. Des équipes
de marins, mandées de Cherbourg, enlevèrent en quelques heures
tout ce qui se trouvait amassé dansTa/Ze de Paris, et ces milliers
de choses, portions de vitrines, panneaux garnis ou non, manne-
quins, objets de toute sorte, furent entassés dans le plus pitto-
resque désordre, en deux salles du premier étage, où j'ai mis de
longs mois plus tard à débrouiller leur inextricable emmêlement.
L'arrêté du 24 novembre, qui assurait au musée ainsi déménagé
un asile que personne ne pourrait plus lui disputer, avait été pris,
sur la demande d'une commission d'organisation créée par
M. Jules Ferry le 30 octobre précédent, sur la proposition de
M. Xavier Charmes ^ Cette commission se composait de l'amiral
1) Voy. Documents, pièce n» LXXXIV.
2) Voy. Docummls, pièce n" LXXXIII.
DU MusÉK d'ethnographie 67
Paris, président; H. Milne Edwards, vice-président; Broca,
Charton, Maunoir, G. Périn et de Quatrefages, membres, Hamy
et Landrin, secrétaires. Elle n'a eu qu'un petit nombre de réu-
nions, dans lesquelles elle a principalement étudié les modes de
classement proposées à différentes époques pour le Musée d'Eth-
nographie et adopté les dispositions de l'article 2 de l'arrêté du
3 novembre 1877 qui avait imposé au Muséum des Missions un
ordre géographique, tout en laissant certaines latitudes aux futurs
conservateurs.
M. Charmes demanda en décembre un rapport sur l'état des
collections que je fus chargé de rédiger et qui fut présenté au
ministre le 26 janvier 1880. C'est ce travail, placé sous les yeux
de la commission du budget, qui clôt la longue série des rap-
ports relatifs à la création du Musée d'Ethnographie de Paris*.
Un projet de loi, annexé au procès-verbal de la séance de la
Chambre des députés du 29 juin 1880, vint fixer le modeste
budget du nouvel établissement % dont un arrêté du 19 juillet
suivant nomma le personnel '.
Dernier venu de tous les musées de même ordre que possèdent
la plupart des grandes villes de l'Europe, le Musée d'Ethnographie
du Trocadéro avait fort à faire pour conquérir^ au milieu de ses
émules, une place en rapport avec l'importance de la capitale, où
il se trouvait institué. Il a fallu dix ans d'efforts continus pour
arriver à ce résultat, que l'Exposition de 1889 a définitivement
consacré. Les collections américaines, en particulier, sont mainte-
nant parmi les plus riches du monde^ et c'est à les faire bien con-
naître que sera destiné le deuxième volume du Recueil spécial
que j'inaugure aujourd'hui.
1) Voy. Documents, pièce n" LXXXV.
2) Ibid., pièce n» LXXXVI.
3)Ibid., pièce n» LXXXVII.
DEUXIÈME PARTIE
DOCUMEIVTS
CHAPITRE PREMIER
L'ethnographie au Cabinet du Boi et au Muséum des Antiques. — Anciens
catalogues. — Collection Dombey. — Musée du Stathouder. — Objets
ethnographiques des émigrés. — Collections Berlin et Gauthier. — Collec-
tions du Muséum national d'Histoire naturelle.
N°I
Spécimen d'un catalogue ethnographique de la seconde moitié du
xviii* siècle *
Liste des objets composant ^ une Collection rassemblée dans un
voyage à V Amérique du sud chez les fndiois sauvages des
Guyannes françoises.
Dénominations françaises Dénominations
des divers articles. en langue Galibi.
Deux jupons ou camissas ornés de rassades. . Ouayougou.
Un camissa en passades sur coton —
Deux massues ou cassetêtes Poulou.
Deux massues avec un tranchant Opoutou.
Un tablié indien fait en bois supérieurement
ouvragé Couyou.
1) La collection énumérée dans ce catalogue, antérieur de quelques années
seulement à la Révolution, a été en partie sauvée par M. Schœlcher, sénateur,
qui l'a généreusement offerte avec toutes ses collections ethnographiques au
Musée du Trocadéro. Quelques-unes des pièces, comme la « Maison indienne
avec tous ses attributs faits par un indien galibi, » me sont parvenues encore
pourvues de leur vieille étiquette. (E. H.)
2) J'ai reproduit très exactement ce catalogue tel qu'il m'est parvenu dans une
liasse de vieux papiers venant de M. Schœlcher. (E. H.)
70 LES ORIGINES
Dénominations françaises Dénominations
des divers articles. en langue Galibi.
Un tablié en grains de verre orné de dessins . Gouyou
Une paire de brasselets très curieux, . . . Amécouusesso.
Une paire d'ornemens pour le dessus du genou. Tiamaga.
Un colier orné de dents d'animaux sauvages . Taramara.
Deux paniers à l'usage des indiennes . . . Jematou.
Une ceinture de poil de makaque Ouachi.
Une ceinture en poil de couater ou singe rouge. —
Un bonnet de toile naturelle sans couture . . Troli.
Un bonnet de plumes du grand habillement . Caneta Caraou.
Deux bonnets en plumes du petit habillement. —
Un superbe colier en plumes du grand habil-
lement Oamari.
Deux manteaux en plumes du grand habille-
ment Sariketto.
Deux couronnes en plumes Touéyou.
Une ceinture en graines de bois Caobé.
Un ornement à l'usage des prêtres ou piayes. Oubatoroua.
Un tablié d'écorce à l'usage des indiennes
pauvres Pararipara.
Deux arcs en bois de couleur Ourapa.
Trois flûtes indiennes Couama.
Une flûte nègre —
Un instrument à vent en terre cuite. . . . Conti.
Une aiguille en os pour faire les hamacs . . Ténari.
Deux pagayes pour naviguer Taïmaga.
Un banc à l'usage des femmes indiennes . . Mouré.
Un instrument de danse fait en graines . . Cravvachi.
Un pot en terre cuite . Aoulé.
Un vase en terre cuite Pyou.
Une maison indienne avec tous ses attributs
faite par un indien galibi Opo.
Un instrument de bois de fer pour préparer les
peaux Cici.
DU MUSÉE d'kTIINOGRAPHIE 71
Dénominations françaises Dénominations
des divers articles. en langue Galibi.
Un couteau dont la lame est une dent de goules
d ane Ootowa.
Une arme en dents de goules de mer . . . Tamahoo.
Des hameçons en coquille et nacre de perle . Ochou.
Deux peignes Taoité.
Un carquois alï'ricain avec 22 llèches empoi-
sonnées.
Une défense nervale.
Une peau de serpent de 15 pieds.
Un sabre affricain.
Plusieurs pierres du fleuve Marony excellentes
pour la gravure.
Divers col; ers.
Quatre dents de cheval marin.
Une dent d'éléphant.
Deux noix de Parinamari Moutana.
Noix du Brésil.
Noix d'acajou.
Noix du Para.
N" II
ANTIQUITÉS PÉRUVIENNES*
« Enl776,M.Dombey, médecinnaturalisle, fut envoyé au Pérou
aux frais du gouvernement par les soins de M. Turgot, contrôleur
général des finances; il en revint au mois d'octobre 1785, et en
rapporta, outre une très grande quantité de plantesetautres objets
d'histoire naturelle destinés pour le Jardin du Roi, diverses anti-
quités péruviennes qui ont été déposées, par ordre de M. de Ga-
lonné, contrôleur général des finances, au Cabinet des Antiques de
Sa Majesté, le 30 janvier 1786 ; elles sont décrites dans la notice
suivante, qui a été faite par M. Dombey. »
1) On lit en marge de cette pièce conservée dans les archives du Cabinet des
Médailles : « Renvoi au cabinet des Antiques du Roi, le 31 janvier 1786. »
72 LES ORIGINES
1 à 30 Vases de terre de différentes grandeurs.
31 Une navette.
32-33 Deux instruments propres à resserrer les fils passés par
la navette.
34 Un petit vase de terre double.
35-38 Quatre idoles de terre, de différentes grandeurs, gros-
sièrement dessinées.
39 Deux topos d'arg-ent ou épeingles arrondies
de femmes, pesant 3 onces 1/2.
40 Ornement d'argent en croissant' pesant. . 2oDcesniûinslgros.
41 Deux topos d'argent ou épeingles à l'usage
des Péruviens, en forme de croissant,
pesants 3 onces 1/2.
42 Aplomb, de plomb.
43 Une pierre représentant un épy de mays.
44 Un morceau de cuivre, avec mélange d'or percé pour
être mis au bout d'un bâton, avec deux têtes qui res-
semblent à celle d'un tigre.
45 Idole accroupie.
46 Hache de cuivre.
47-48-49 Trois pierres trouées servant à donner du poids aux
fuseaux.
50 Un sceptre de bois, avec figures d'une espèce de Pélican
alkatras.
51 Fragment de l'habillement d'un prêtre du Temple de Pa-
chacamac.
52 Tunique d'une vierge ou vestale du Temple de Pacha-
camac.
1) Il est déjà question de quelques-unes de ces pièces dans une lettre de Doin-
bey à Antoine-Laurent de Jussieu, écrite de Limas eus la date du 2 novembre 1781,
et dont feu M. Desnoyers m'avait communiqué un extrait. Le voyageur parlait,
dans celte lettre, d'un grand caisson plein de vases des tombeauxdes Péruviens,
d'un « diadème d'argent en forme de lune » et de deux toipos, aussi d'argent,
« rencontrés dans un tombeau remarquable à 3 lieues de Tarma. » Le vêtement
d'un Incas « envoyé en 1779 à M. le comte d'Angeviller pour être présenté à
S. M. T. G., sortoit du même tombeau qui est dans une grotte immense fort
élevée. >' (E. H.)
DU MISÉE d'ethnographie 73
o3 Diadème ou borla de la même vestale.
54 Un stilet d'or, du poids d'une once moins doux gros,
trouvé dans le Tombeau d'un Incas à Paucortambau
près Cusco, servant à percer
les oreilles ' 1 once moins 2 gros.
05 Diadème d'argent du poids de 1 once moins 2 gros-
06 Fragmens d'épeingles d'argent 1 once moins 2 gros.
57 Une épeingle de cuivre.
58 Deux balances,
59 Une Idole d'or représentant une vestale, du
poids de 1 gros.
60 Un épilatoire d'or, du poids de .... 2 gros 1/2
61 Deux petites idoles d'or, du poids de . . 3 gros.
62 Six idoles d'argent, du poids de . . . 2 onces.
63 Deux plaques d'or, trouvées sur les yeux
d'un Incas • • 'l gros.
64 Une idole d'argent doré, représentant la
vigogne 2 gros 1/2
65 Sept plaques d'argent arrondies et percées
par une extrémité, en tout. . , . . 1/2 once
66 Petit instrument de cuivre représentant une hache d'un
côté et le museau d'un animal de l'autre.
67 Deuxpetites pierres trouvées dans la main d'un Péruvien.
68 Une idole de bois d'Otaiti.
69 Collier d'une sauvage péhvenche du Chili.
« Le même M. Dombey envoya au Cabinet du Roi on 1783 par
M. de la Lande, son correspondant, quatre vases semblables à
ceux indiqués aux n^^ 1-30, et un autre vase représentant un
animal à quatre pattes'. »
1) J'ai déjà dit que les collections de Dombey, conservées jusqu'en 1880 dans
une des dépendances du Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale,
ont été transportées à cette date au Musée d'Ethnographie. Quelques-unes des
pièces avaient encore leurs étiquettes originales, mais il manquait plusieurs des
objets marqués à l'inventaire ci-dessus reproduit. (K- H.)
74 LES ORIGINES
N'III
NOTE DE THOUIN, RELATIVE A LA COLLECTION DU STATHOUDER*
22 juillet 1795.
Je prie les dépositaires de cet assortiment de ne pas me
savoir mauvais gré s'ils y rencontrent des choses de mérite infé-
rieur et qui ne sont pas dignes d'entrer dans les collections na-
tionales. Il est utile qu'ils sachent :
1° Que la collection composant le cabinet du stathouder est
tombée en totalité au pouvoir de la nation ;
2° Qu'il s'agissoit moins de faire un choix des objets qui pou-
voient servir au complément des collections nationales, que de
chercher les moyens de tirer le parti le plus avantageux, et pour
les sciences et pour les finances, de l'état de cette collection ;
3 Que les Hollandois livrés entièrement au commerce s'oc-
cupent peu des sciences naturelles et qu'ils ne font cas des beaux-
arts que sous le rapport de leur ameublement et des commodités
qu'ils leur procurent ;
4° Que si on eut vendu dans ce pays les objets qui, sans avoir
le mérite nécessaire pour entrer dans les collections nationales,
en ont cependant assez pour être vendus un certain prix, on eut à
peine retiré de ces objets, surtout dans les circonstances présen-
tes, la valeur des frais qu'auroit occasionné leur vente publique;
5° Que d'un autre côté, la Convention Nationale ayant décidé
qu'il seroit établi dans chacun des départemens de la République
un muséum oii se réuniroient des assortimens limités d'objets de
sciences, des beaux-arts, des arts mechaniques, une Bibliothèque
et un jardin de Botanique économique, il en résulte qu'il faut un
approvisionnement immense de tous ces objets pour fournir les
bases et les noyaux de ces collections départementales, et que
ce qui a été envoyé pendant le cours de nos voyages trouvera
aisément sa place dans ces nouveaux établissemens;
1) Cette pièce et celles qui suivent, sauf le n° IX, ibnt partie des archives du
Cabinet des Médailles.
DU MUSÉE d'ethnographie 75
6* Que s'il se trouve des choses triviales et de nule valeur, il
est fort aisé de les jeter, et on ne doit pas regretter les dépenses
de leur transport, parce que ces objets se trouvent en petite quan-
tité ; que souvent ils ont été mis dans les caisses comme rem-
plissage et qu'enfin les transports se sont faits pour la plupart
par les ag-ens et les voitures de la Republique à des époques où
le service militaire ne les requeroit pas, au moyen de quoy leur
dépense est presque nulle.
7° Et enfin que d'après touttes ces considérations, convaincu
de mon peu de connoissance dans différentes sortes des sciences
et des arts, j'ai préféré de pécher par abondance plutôt que par
deffaut, parce qu'il y a du remède à ce dernier péché, tandis qu'il
n'i en a pas au premier, la Hollande ne se laissant pas assujetir
tous les jours.
Fait à La Haye, ce 5 floréal l'an 3'^ de la République Françoise
(24 avril 4795).
L'un des commissaires du Comité d'Instruction
publique pour la recherche des objets de sciences
et d'arts dans les pays occupés par les armées du
Nord et de Sambre-et-Meuse.
Thouin.
N° IV
Les conservateurs du Muséum des Antiques aux représentans
du peuple composant le Comité de l Instruction publique.
Citoyens^
Empressés de remplir les devoirs que vous nous avez imposés
et de faire refleurir Tétude de l'antiquité, en réunissant le plus
promptement possible les monumens qui peuvent conduire à
l'explication des anciens auteurs et à la connoissance des mœurs
et des usages des différens peuples, nous avons déjà visité
quelques dépôts. Nous vous soumettons la liste des objets rela-
tifs à l'antiquité que renferme celui de la rue de Beaune.Ce cata-
logue vous prouvera que sans rien négliger de ce qui peut rendre
notre établissement vraiment utile, nous ne demandons que ce
qui est nécessaire à son ensemble et indispensable pour le corn-
76 LES ORIGINES
pléteren espérant que vous voudrez bien ordonner que ces objets
nous soient remis.
Salut et fraternité.
Barthélémy, A.-L. Millin,
Conservateurs des Antiques de la Bibliothèque nationale
N" V
Etat des objets cV Antiquités conservés au dépôt national de la
rue de Beaune, qui d'après arrêté du Comité d Instruction
publique^ du 20 messidor de la7i 3" de la République {8 juillet
1795), ont été transportés au Muséum des Antiques.
(Extrait)
Noms des émigrés. Nature des objets.
Dangevillers*. Un vase péruvien à anse et deux gouleaux. Hau-
teur 7 p. 1/2, diamètre 6 p.
id. Un double vase péruvien avec anse et deux
gouleaux. Hauteur 4 p. 1/2, diamètre 3 p.
id. Un double vase péruvien à anse et gouleau.
Hauteur 7 pouces sur 4.
id. Vase péruvien avec anse et g-ouleau orné d'un
mascaron et de deux cbouettes dont une
cassée.
id. Autre vase péruoien à anse et g-ouleau porté par
deux oiseaux mutilés; hauteur 8 p. 1/2, dia-
mètre 4 p. 1/2.
id. Un vase péruvien en forme de chien, avec anse
et gouleau ; hauteur 7 p. 1/2 sur 6 p. 1/2.
id. Un autre vase péruvien en forme de double
bouteille, avec anse et gouleau, un mascaron et
dessins; hauteur 7 p. 1/2, diamètre 5 pouces.
id. Autre vase péruvien à anse et gouleau cassé, en
i) Pour d'Angeviller. Le comte de la Biilarderie d'Angeviller, dont il est déjà
question dans la note 1 de la pièce n° III.
DU MusÉii d'ethnographie 77
Noms des émigrés. Nature des objets.
forme de double bouteille avec une tête de
chat et divers ornemens ; hauteur 6 pouces,
diamètre 4 pouces.
Dangevillers. Autre vase péruvien avec une figure et à anse et
gouleau et une figure; hauteur 7 pouces, dia-
mètre 5 pouces 1/2.
id. Un vase péruvien en forme de sing-e, anse et
gouleau cassés, la queue cassée ; hauteur 7 p.,
longueur 5 p. 1/3.
id. Un vase id. à anse et deux gouleaux avec diffé-
' rentes images ; hauteur 6 pouces, diamètre
5 pouces.
id. Autre vase péruvien de forme pointue, surmonté
d'une figure fantastique, gouleau cassé; hau-
teur 8 p. sur 7 de longueur,
id. Autre à anse et gouleau ; hauteur 9 pouces sur
5 de diamètre.
id. Un autre, en forme de grenade, à deux anses en
anneaux et gouleau cassé ; hauteur 8 pouces
sur 5 pouces de diamètre^
N° VI
État des Objets Indiens provenant de la collection du C^" Gau-
thier^ transportés au Muséum des Antiques de la Bibliothèque
nationale le 5 Messidor an 5 (23 juin 1796).
Habillement d'un Indien, composé de:
Casque ou Tour de tête en plumes.
Plastron et Dossier.
Trois Colliers.
1) Cet extrait d'inventaire du dépôt de la rue de Beaune est donné à titre
de spécimen des inventaires dressés par ordre du Comité d'Instruction publique.
D'autres objets de la collection de d'Angeviller sont relevés dans un « Etat des
objets enlevés au dépôt de la maison de Néle pour le Muséum des antiques, le
o thermidor an cinq de la République française {23 juillet il9&)». Ce sont des
parties d'habillement, fuseaux et autres articles, trouvés dans le tombeau d'une
78 LES ORIGINES
Un Ornement.
Ceinture, devant et derrière.
Double Ceinture en trois pièces.
Bracelets.
Genouillères.
Deux ornemens, pour les pieds et la main gauche.
Un Bonnet d'écorce d'Arbre, orné de Grelots.
Cinq Bonnets de peaux d'Animaux.
Habillement d'une Indienne, composé de :
Trois Coiiyous ou petits tabliers en verroterie enfilée.
Trois Pierres vertes percées, faites en Tubes, servant d'or-
nement.
Une autre en Table.
Trois Colliers doubles en graines.
Un simple en ailes de scarabées.
Un Bracelet en coton.
Un Peigne.
Deux Boutons ou casse-tête.
Douze Flûtes indiennes.
Une Hachette.
Une Râpe.
Deux Haches en granit, sans manche.
Trois Arcs.
Vingt-six Flèches.
Un petit Panier contenant un nécessaire des Indiens.
Huit Vases servant de vaisselle.
Une Marmite de Terre.
Une Urne sépulcrale, son couvercle, sa lampe.
Péruvienne avant la conquête : trois pièces de tapisserie faites d'écorce d'arbre,
un chasse-mouche à manche d'argent venant de la Chine. Le même état
contient, comme celui auquel est emprunté l'extrait ci-dessus, la mention d'une
foule d'objets ethnographiques enlevés chez les émigrés, Condé (Chantilly),
Noailles, Liancourt, d'Esclignac, Créqui, Fleury, etc., et conservés pour la
plupart aujourd'hui dans les galeries du Musée d'Ethnographie du Trocadéro.
(E. H.)
Dr MUSÉE DliTHNOGRAfHlE 79
Un Chandellier.
Une Callebasse servant de garde- manger.
Une Râpe.
Un ïamis. 1
Deuj: Soufflets. \ en jonc du pays.
Une Nappe. j
Deux Pressoirs pour le Manioc.
Quinze petits Paniers dits Matoutous d'usage domestique,
dans l'un desquels se trouve de l'Agaric de fourmi, pour les
amputations.
Gauthier.
N-VII
Aux citoyens
Les citoyens Professeurs du Muséum d'histoire naturelle à Paris,
rue Victor^ à Paris.
Citoyens,
Il y a près de deux ans, qu'avec votre permission, un de nous'
visita les magasins de votre riche collection pour mettre à part
les ustensiles indiens, les meubles de sauvages et d'autres objets
de même nature que le gouvernement rassemble au Muséum
des Antiques, afin d'offrir sous le même point de vue ce qui peut
instruire' des mœurs et des usages des peuples éloignés par les
temps et par les lieux; il fit ce travail avec le citoyen Geoffroy,
votre estimable collègue; ces objets furent mis à part, ainsi
qu'une momie qui porte sur la poitrine un plastron peint, et
dont la caisse est chargée de hiéroglyphes.
L'enlèvement de ces objets n'a pas été effectué, depuis cette
époque la momie s'est altérée, et sa caisse a été brisée. Elle
seroit cependant très intéressante pour nous qui n'en avons
qu'une dans le dernier état de dégradation.
Les ustensiles indiens sont encore réunis dans la salle voisine
de celle des squelettes.
Nous vous prions, citoyens, de vouloir bien vous occuper de
1) C'était André Barthélémy.
80 LES ORIGINES
cette affaire; aussitôt que nous aurons reçu votre agrément,
nous nous occuperons de l'inventaire des pièces, et d'obtenir la
permission du minisire de l'intérieur pour cette translation.
Salut fraternel.
A. Barthélémy, A.-L. Millin,
CoLservateurs des Antiques de la Jîibliothèque nationale.
N° VIII
PROCÈS-VERBAUX DU MUSÉUM d'hISTOIRE NATURELLE
Séance du H Messidor de l'an cinq (2 juillet 1796).
Les conservateurs du Muséum des Antiques demandent qu'on
veuille bien leur remettre les instrumens de sauvages qui exis-
tent dans les magasins de l'Etablissement.
L'assemblée arrête de leur faire la remise qu'ils réclament, à
l'exception de ceux de ces objets dont les matières manqueroient
à la collection du Muséum.
N" IX
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
MUSÉUM NATIONAL d'hISTOIRE NATURELLE
Paris, le 15 messidor an 5 (3 juillet 1796).
Le Secrétaire de l'Assemblée administrative des professeurs
du Muséum national d'Histoire naturelle, aux Conservateurs du
Muséum des Antiques à la Bibliothèque nationale.
Citoyens,
Les professeurs du Muséum m'ont chargé de vous écrire qu'ils
vous remettront avec plaisir, pour votre intéressant Muséum,
les objets qui y ont rapport, comme momie, ustensiles indiens,
meubles de sauvages, que vous réclamez. Si l'un de vous veut
bien prendre la peine d'en venir faire l'état, je serai très flatté de
l'accompagner.
Agréez, citoyens, mes salutations fraternelles.
Geoffroy.
DU MUSÉE D ETHNOGRAPHIE
No X
81
Catalogue des Objets enlevés au Mmeumd: Histoire naturelle pour
le Muséum des Antiques de la Bibliothèque nationale, le 3 ther-
midor an 5(21 juillet 1796),
1 Deux Chapeaux ronds en paille.
2 Un de la même forme, en plumes de différentes couleurs.
3 Cinq Bonnets en plumes à l'usage des Canadiens ; l'un porte
deux cornes.
4 Un pareil en poil, ayant deux cornes peintes, apporté en
1753 par M. de La Galissonière.
5 Coift'ure de sauvage en plumes de couleur.
6 Trois paquets de morceaux d'iiabillemens de sauvages en
plumes, idem, dans un état de vétusté.
7 Manteau en plumes rouges, montées sur un filet, auquel
tient le capuchon.
8 Autre manteau en peau de en forme de vêtement carré.
9 Autre manteau ou robe en laine noire avec bordure.
1 0 Tunique à manche en peau rougeâtre ornée de franges et
de rosaces en tuyaux de plumes,
1 1 Vêtement de prix d'un Indien Peguenche du Chili, en laine
rouge, orné de franges,
12 Manteau ou tablier Illinois.
13 Manteau ou Tapis, très grand, en coton travaillé.
14 Grande Ceinture en laine rouge, à l'usage des Indiens
braves des Cordillères du Chili.
45 Autre Ceinture en laine noire portant des ornemens de
tuyeaux de plumes.
16 Deux autres Ceintures en peau recouvertes de tuyeaux de
plumes.
17 Habit de guerre en écaille de Pangolin.
18 Trois étuis en peau noire pouvant servir de manches ou de
haut de chausses, à l'usage des Canadiens,
19 Quatre petits Sacs à l'usage des mêmes peuples. Ils les
6
82 LES ORIGINES
portent au col et y mettent tous les petits meubles à leur
usage, tabac, pipes, etc.
20 Sac à peigne des mêmes peuples.
21 Quatre Bourses d'Angola.
22 Petit Sac en filet ouvert par les côtés à l'usage des peuples
du même pays.
23 Qeyoïi ou petit tablier de femmes indiennes.
24 Gibecière en lainage ornée de verroteries.
25 Bouteille des Orientaux.
26 Petite Bourse en cuir, avec des franges, à l'usage des
Nègres du Sénégal.
27 Amulettes données aux Nègres du Sénégal par leurs prê-
tres. Dans ces amulettes sont des paroles avec lesquelles
ils se croyent invulnérables à la guerre.
28 Deux colliers de fruits rouges et noirs.
29 Un autre en os travaillé.
30 Petite Soucoupe en écorce de bouleau.
31 Un Éventail en feuille palmier.
32 Cinq Chaussures à l'usage des habitants du Canada.
33 Une paire de Souliers chinois'en salin bleu, brodés en relief.
34 Une autre paire en Maroquin.
35 Petit Chausson de Maroquin.
36 Un petit Sceau en écorce d'arbre du Canada.
37 Naque^ espèce d'arme avec laquelle les Indiens du Chili
combattent leurs ennemis et chassent les chevaux de
Las Pampas de Buenos-Aires.
38 Deux Poignards du Sénégal.
39 Une Ceinture portant des amulettes et des caractères
orientaux.
40 Deux morceaux de bois de cerf sculptés dans le genre
gothique.
41 Quatre ïnstrumens à vent, deux en ivoire et deux encorne.
42 Table à conter de la Chine.
43 Maboya ou idole.
44 Idole en espèce de jonc, recouverte jadis de plumes avec des
yeux de nacre et des dents de cétacés.
DU .Mi;SÉE DKTnNOGRAPHIE 83
45 Petit Panier de jonc.
46 Œuf d'autruche portant des peintures et paysages indiens.
47 Petit Sac de lainages et plumes.
N° XI
Catalogue des objets chinois provenants du cabinet du citoyen
Bertiîî, enlevé à la maison de Nêle le 17 fructidor an 5 de la
Republique (3 septembre 1796) pour le Muséum des Aîitiques de
la Bibliothèque Nationale '.
1 Planisphère Chinois d'un seul morceau de bambou,
dont l'Assiette est en bois de cèdre sculpté à fleurs.
2 Ching, Instrument Chinois à Tuyeaux.
3 Boete de lacque contenant une ecritoire chinoise.
4 2 Boetes en étoffe de soye contenant un chapelet de
g-rand mandarin et plusieurs sachets d'odeurs.
5 Pilon de Bambou sculpté en Arbres et figures.
6 Autre pilon avec une figure de viellard et des ca-
ractères chinois.
8 Haut bois chinois dont on se sert dans les convois.
iO Bâton de vieillesse donne au P. Amiot par l'empe-
reur. Il est en trois pièces.
12 Flute traversiere chinoise, dans son étui.
13 Deux portes perruques en bambou.
15 Levrette en tuile verte.
17 Quatre petits morceaux de Tuiles chinoises de di-
verses couleurs.
19 Tasse d'une Espèce de bois ou d'un fruit, très
curieux pour sa légèreté et ses reliefs.
20 Boete de lacque formant double quarré avec son pied .
26 Pilon de Bambou sculpté.
27 Ecritoire en lacque.
28 Hache des Zelandois.
30 Boete contenant de l'encens chinois.
84 LKS ORlGIiNES
31 Autre boete contenant des Alumettes chinoises.
33 Autre boete contenant un petit rameau de poivrier.
34 Gibecière Zelandoise en paille.
36 Idole indienne en terre cuite.
38 Huit paquets : le 2" collier d'une Péruvienne, 3« deux
plaques de cuivre trouvées dans le tombeau d'une
Péruvienne, 4« fruits du convolvulus, 5" pendant
d'un collier de Péruvienne, 6° acacias, 8'^ pièces
de la sépulture d'une Péruvienne.
40 Quatre écrans chinois avec leur enveloppe.
41 Deux pièces d'étotfes brochée en soie, marque de
distinction des Mandarins.
42 Tasse faite à la manufacture de l'Empereur. Elle
porte un poème que l'empereur a fait à lâchasse
sous un arbre qui lui plut (mutilée).
43 Petite boete de vieux lacque.
44 Deux jattes et leurs soucoupes, en bambou vernissé.
45 Quatre petits magots en étoffe de soie dont la figure
est peinte sur de la moelle d'arbre.
46 Six magots de terre un peu mutilés.
47 Vase de 4 pouces en quarré, sculpté en relief en
pierre de lard.
50 Boete contenant des fleurs artificielles.
51 Seize cuillers en bambou verni.
53 Moelle d'arbre pour faire des fleurs artificielles et
pour peindre.
54 Deux bougies de Cire végétale à l'usage de l'Em-
pereur.
55 Quatre chandelles en suif végétal de Cayenne.
57 Vase a thé de terre jaunâtre avec un couvercle de
plomb à fleurs.
58 Plusieurs bourses chinoises (// y en a onze).
59 Pierre pour les filets de Zelandois.
60 Boete de lacque.
64 Boete de lacque dont un pied est cassé, représentant
un baril sur lequel est un coq.
DU MUSÉE d'ethnographie 85
65 Une flèche indienne en roseau.
66 Deux boetes couvertes en soie.
75 Morceau de cuivre rond et travaillé.
79 Tabatière chinoise de cristal peint en fleurs et in-
sectes, avec la cuiller en Ivoire.
80 Thé en brique enveloppé de papier jaune.
82 Cassolette en bambou avec sa chaîne dans le même
morceau sans support.
83 Doux autres morceaux de bois rougeatre de même
que le support du précèdent n°.
84 Racine représentant un arbre avec ses fruits et ses
feuilles.
86 Morceau de bois noirâtre sculpté représentant des
fleurs et des feuilles.
88 Vache avec son veau.
89 Magot en bambou à califourchon sur un cerf.
90 Mandarine chinoise en terre, dans le grand costume.
91 Éventail chinois avec son étui.
92 Bâton de mandarin, de couleur jaune.
93 Theyere en marbre sculpté, avec son couvercle.
94 Vase de porcelaine de la manufacture de l'Empe-
reur.
96 Flacon de porcelaine à l'usage du peuple avec des
caractères Chinois.
98 Sept statues indiennes en bronze.
99 Dragon taillé dans une seule racine.
100 Pavillon en bambou avec tiroir.
101 Boete vernissée.
103-104 Trois gros rieurs chinois en bambou.
106 Tasse ovale d'une racine.
110 Une boete renfermant 52 pièces de mounoie ro-
maines, chinoises et tartares.
111 Une lame de poignard avec sa gaine.
114-115 Une pierre triangulaire noire et sonore, et cinq
autres plus petites.
147 Toque tartare en cheveux.
86 LES ORKllNES
li8 Petite boete en vieux lacque, contenant deux petites
boetes et un cabaret.
119 Autre petite boete, sur laquelle est peint un dragon
chinois.
120 Un bambou naturel, ayant le dedans vernissé en
lacque.
122 Une boete en lacque, couverte d'un vitrage peint et
fêlé.
123 Nattes, habillement des Zel andois [Il y en a deux.)
125 Barque des Esquimaux.
129 Une plaque de cuivre portant des empreintes de
monnaies du Nord.
131 Eventail en natte d'Ivoire.
132 Bâton de mandarin en bois noir.
133 Huit petites boetes d'encre de la Chine contenant
chacune un morceau.
135 Deux boetes contenant des serpentaux.
136 Une boete octogone contenant des artifices chinois.
137 Un petit tlacon des reliques de la garde-robe du
grand Lama.
141 Quatre petites Tasses de vernis.
143 Un petit vase bleuâtre avec son socle.
144 Quatre tasses à Thé, enterre, à l'usage du peuple.
146 Quatre cachets chinois.
147 Deux petits cabarets chinois, sans lasse.
148 Un petit vase de fer peint.
149 Une boete à six pans d'un pied de diamètre.
150 Autre ronde à larges cotes, d'un pied de diamètre.
151 Deux écrans avec leurs enveloppes, et cordons en
soie jaune.
164 Marbre pour délayer de l'encre de la Chine.
156 Deux bourses chinoises.
157 Dessin lavé, d'un bas-relief égyptien.
158 Deux boetes d'Ivoire en forme de colonnes, renfer-
mées dans une boete de soie d'environ 1 pied.
159 Une espèce de lasse, qui paroit venir d'un fruit.
Di: -MUSÉE d'kthnoghaphie 87
N° XII
État des objets enlevés au Muséum d'Histoire naturelle pour le
Muséum des Antiques
le SO fructidor an 5 [\Q septembre 179G).
1 Trois Divinités indiennes en bois d'un pied et demi de
haut. Deux sont peintes, l'une des deux est fracturée.
2 Quatre Œufs d'autruche.
3 Deux Vases indiens portés sur des pieds, ornés de figures.
avec leurs couvercles.
4 Deux Coupes idem, une autre plus petite et fêlée.
5 Deux Vases à anses en terre avec leurs couvercles.
6 Autre Vase enterre, sans anse ni couvercle.
7 Autre Vase oblong avec un couvercle.
8 Instrument de musique orné de dessins pareils à ceux des
vases n° 3.
9 Petite Flûte à 8 tuyaux, de roseaux.
10 Deux Carquois d'Indiens en cuir avec leurs flèches.
11 Autre Carquois avec quelques flèches.
12 Six Flèches indiennes de roseaux, portant quatre pieds de
haut, armées en bois bardé.
13 Une autre semblable, mais plus courte.
14 Morceau de dard.
15 Pique de fer, montée sur bois.
16 Pique en bois de fer avec poignée, et armée par les deux
bouts, d'environ cinq pieds de haut.
17 Trois Arcs de canne plats, deux avec leurs courroies,
l'autre cassé et sans courroie.
18 Deux autres Arcs sauvages.
19 Trois grands Bâtons pouvant avoir servis pour pêcher à la
ligne.
20 Très grand Bouton ou casse-tête en bois de fer, long do
trois pieds et demi.
88 LES ORIGINES
21 Autre Bouton d'environ seize pouces.
22 Morceau de bois creux ressemblant à une flûte.
23 Matoutou en forme de bonnet orné de coquillages.
24 Ornement de tète en plumes.
25 Bonnet en écorce d'arbre.
26 Ornemens d'Indiens en plumes.
27 Trois Robes en peaux.
28 Autre plus petite ornée de franges.
29 Deux fragmens de ceinture.
30 Ceinture en cuir.
31 Paire de chaussure en peau avec des ornemens de paille.
32 Petit Bourlet, jadis orné de porcelaines et six autres plus
petits.
33 Sac de peau terminé en coyou.
34 Petite Bourse d'écorce d'arbre.
33 Trois grands Tabliers ou manteaux en peaux peintes à
l'usage des Illinois.
36 Espèce de Castagnettes sauvages.
37 Ceinture en écorce d'arbre.
38 Bottines japonaises en satin piqué.
39 Petits Souliers brodés en or.
40 Paire de Souliers chinois.
41 Petite Savate dépareillée.
42 Hamac en filet.
43 Un grand Hamac en coton.
44 Deux Couvertures en lainage.
45 Paire d'Étriers du Chili.
46 Petit Panier, long et étroit.
47 Porte-manteau en peau découpée et peinte.
48 Très beau Carreau de mosaïque en marbre à huit pans de
dix-huit pouces de diamètre, orné de fruits, fleurs et
animaux.
49 Petit modèle de vaisseau sauvage.
50 Difîérens fragmens de verroteries, bois, etc.
51 Collier de guerre indien.
52 Une Tête de quadrupède ayant les dens dorées.
DU MUSÉE d'ethnographie 89
53 Tête de momie.
54 Momie avec son cercueil, sans tête '.
MINISTERE
DE l'intérieur
l'e DIVISION
No xni
LIBERTÉ, ÉGALITÉ.
Paris, le 22 vendémiaire an 5® de la Répu-
Direction générale blique française, une et indivisible (13 octobre
de l'instruction ^
publique. 4796).
Le Directeur général de l'Instruction publique aux Conservateurs
de la Bibliothèque nationale.
Le Ministre me charge, Citoyens, de vous autoriser à faire
transporter au Cabinet des Antiques de la Bibliothèque nationale,
les objets compris dans l'état que vous avez joint à votre demande
en date du 3 fructidor, et qui se trouvent au Muséum d'Histoire
naturelle. Je viens d'adresser cet état aux Professeurs de cet
établissement, en leur faisant part de l'autorisation du Ministre.
Je vous invite à leur donner un récépissé de ces objets.
Salut et fraternité.
GiNGUENÉ.
Aux Conservateurs de la Bibliothèque nationale, rue de la Loi,
à Paris.
1) Un état portant la date du 30 fructidor an 5 (16 septembre 1796), déposé
aux archives du Cabinet des Antiques et récapitulant les deux catalogues du
Muséum d'Histoire naturelle ci-dessus transcrits, ajoute aux objets dont on vient
de lire la nomenclature : « deux chapeaux en cuir très dur et peint » et « un
petit vaisseau orné de ses voiles ».
Cette pièce termine ainsi : « Vu et approuvé par le ministre de l'intérieur,
« signé François de Neufchateau. » Et au-dessous : « J'ai reçu les objets ci-
« dessus désignés. A Paris, ce 30 fructidor an 5, signé A.-L. Millin.»
« Pour copie conforme à l'original déposé au Secrétariat du Musée d'Histoire
naturelle, Paris, ce l^' nivôse an 6.
« Geoffroy,
« Ex-Secrétaire. "
CHAPITRE II
Ordonnance de 1828. — Commentaires sur cette ordonnance. — Premières
tentatives de Jomard pour constituer le dépôt ethno-géographiqne de la
Bibliothèque du Boi.
N° XIV
ORDONJiANCE DU ROI
(Extrait)
Charles, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre,
A tous ceux qui ces présentes verront, Salut.
Sur le rapport de notre Ministre secrétaire d'État au dépar-
tement de l'Intérieur, Nous avons ordonné et ordonnons ce qui
suit :
Article 2. Le sieur Jomard, membre de l'Académie Royale
des Inscriptions et Belles-Lettres, est nommé, à la Bibliothèque
du Roi, Conservateur du dépôt de géographie. Il aura sous sa
garde les plans et cartes et documens statistiques, objets et instru-
mens divers produits par les voyages scientifiques, et notamment
les planches et dessins manuscrits et imprimés de l'expédition
d'Egypte. Son traitement est fixé à 6,000 francs. Il en jouira à
partir du 1" janvier 1829
Article 4. Notre Ministre secrétaire d'État de l'Intérieur est
chargé de l'exécution de la présente ordonnance.
1) Les pièces n"^ XIV, XV, XVII à XX' font partie des archives de la Section
de Géographie de la Bibliothèque nationale.
92 LES ORIGINES
Donné en notre château des Tuileries, le 30 mars de Fan de
grâce 1828, et de notre règne le 4^
Sigjié : CHARLES.
Le Ministre Secrétaire d'État de l'Intérieur^
Signé: Martignac.
Pour extrait conforme :
Le Conseiller d'Etat, Secrétaire général du Ministère
de r Intérieur,
Signé : Le Baron de Balzac.
Collationné.
Le Chef du bureau des Archives,
Signé : Mourette.
N° XV
BIBLIOTHÈQUE DU ROI
Paris, 3 avril 1828.
V Administrateur de la Bibliothèque du Roi,
Monsieur,
Je m'empresse d'avoir l'honneur de vous informer que
S. E. le Ministre de l'Intérieur vient de m'adresser une ordon-
nance du roi, en date du 30 mars dernier, par laquelle
Sa Majesté a bien voulu vous nommer conservateur du dépôt de
géographie à la Bibliothèque du Roi, dépôt qui comprendra les
plans et cartes, documens statistiques, objets et instrumens
divers produits par les voyages scientifiques, et notamment les
planches et dessins, manuscrits et imprimés de l'expédition
d'Egypte (art. 2 de l'ordonnance).
Je me félicite. Monsieur et cher collègue, des nouveaux
rapports que le titre qu'il a plu au roi de vous conférer, doit
établir entre nous, et j'ose compter d'avance sur votre concours
assidu pour assurer les intérêts et la prospérité du vaste et
important établissement auquel nous devons consacrer tout
notre zèle et toute notre expérience.
Veuillez agréer, etc.
D ACIER.
A M. Jomard, membre de l'Académie royale des Inscriptions
et Belles-Lettres.
DU MUSÉK d'ethnographie 93
N» XVI
DÉPÔT DE GÉOGRAPHIE CRÉÉ A LA BIBLIOTHÈQUE DU ROI *
Sur la proposition d'un ministre éclairé' qui a déjà donné plus
d'un gage de son amour pour les lettres et les sciences, Sa Ma-
jesté vient de consacrer à la géographie, par une ordonnance du
30 mars 1828, un département spécial, qui prendra place à la
Bibliothèque du Roi, à côté des départemens des livres, des ina-
mtscrits, des antiques et des estampes. Le public français appelait
par ses vœux une création aussi éminemment utile et conforme
aux besoins de l'époque présente. Peu de mots suffiront pour en
faire sentir les avantages à ceux qui n'auraient pas aperçu tous
les résultats que l'on doit s'en promettre. Aujourd'hui le progrès
des lumières et de la civilisation dépend autant de l'avancement
de la géographie que celui-ci dépend lui-même du progrès des
connaissances.En acquérant chaquejourune nouvelle importance
aux yeux des nations civilisées^ la géographie a pris un tel ac-
croissement qu'elle s'est partagée en plusieurs branches qui for-
ment pour ainsi dire autant de sciences à part. En effet, la géo-
graphie physique, la géographie comparée;, la géographie civile
et politique et la statistique, la géographie mathématique et as-
tronomique et la géodésie, la géographie nautique el l'hydrogra-
phie, la géographie critique et l'histoire des découvertes, pour-
raient occuper chacune un homme tout entier. C'est pourquoi
1) Ce commentaire de l'ordonnance royale du 30 mars 1828, qui a certaine-
ment Jomard pour auteur, a paru dans le Moniteur universel du 16 mai de la
même année. Il a été réimprimé après 1830, avec quelques modifications, en
une petite plaquette de 7 pages, chez Rignoux, puis reproduit dans l'appendice
à la brochure de Jomard intitulée : De la collection géographique créée à la
Bibliothèque royale, examen de ce qu'on a fait et de ce qui reste à faire pour
compléter cette création et la rendre digne de la France. Paris, Diiverger, jan-
vier 1848 (p. 58-62). (E. H.)
2) Les mots ministre éclairé, prince protecteur des lettres et des sciences,
disparaissent dans les deux reproductions du document primitivement écrit, je
viens de le dire, en 1828. (E- H.)
94 LES ORIGINES
renseignement des sciences géographiques a été, en Allemagne
surtout, l'objet de la plus sérieuse attention. Pendant que les
peuples maritimes ont encouragé à Tenvi les expéditions de dé-
couvertes, plusieurs nations continentales ont approfondi de leur
côté, avec une ardeur extraordinaire, l'étude et la connaissance du
globe ; et elles ont aussi, comme les premières, député de coura.
geux missionnaires de la science dans les contrées les plus recu-
lées. Ainsi nous avons vu et nous voyons encore la Prusse, l'Au-
triche, la Bavière, la Saxe, tenter des découvertes sur terre et
sur mer, pendant que la Russie, l'Angleterre, la France, l'Amé-
rique du Nord couvrent, pour ainsi dire, le monde entier de
leurs vaisseaux explorateurs. La Suisse elle-même a fourni son
contingent de voyageurs, et l'on ne voit plus guère dans l'inac-
tion que la Hollande, TEspagne et le Portugal, se reposant sur
leur gloire passée. Quelle' activité en Allemagne pour la publica-
tion des travaux des voyageurs et des conquêtes de la science !
Elle se glorifie d'un Ritter et de tant d'autres géographes illus-
tres, qui déjà commencent à s'emparer du sceptre de la géogra-
phie, sceptre si longtemps tenu par la France, alors que le génie
de d'Anville planait sur l'Europe entière.
Deux causes nuisent en France au progrès de la géographie :
la première est qu'elle est enseignée d'une manière imparfaite ;
les méthodes sont défectueuses, et quelquefois on enseigne
sans aucune méthode. Les ouvrages et les traités français sont
la plupart arides, incomplets et éloignés d'être à la hauteur des
connaissances actuelles, des découvertes progressives*. On ne
traduit pas les bons livres étrangers, dans la crainte malheureu-
sement trop fondée de ne pas couvrir les avances de la publica-
tion'.Les cartes élémentaires pour la jeunesse sont trop souvent
mal faites, et elles ne renferment pas les résultats des excur-
sions récentes; les bonnes, du moins, sont en petit nombre, et
1) Depuis quelque temps toutefois, il paraît en ce genre des écrits un peu
plus solides, où l'on découvre des vues de quelque étendue. Il n'est pas question
ici des travaux scientifiques des Gossellin et des Walckenaer,
2) Comment, après dix années, les ouvrages de Ritter n'ont-ils pas encore
été traduits en français !
DU MUSÉE d'ethnographie 95
trop chères. C'est surtout le manque de cartes et de bonnes
cartes qui est dans nos écoles le vice capital, et le temps ne pa-
raît pas y apporter de remède; les années s'écoulent, les décou-
vertes s'accumulent, et Ton ne voit toujours dans les mains des
élèves que des atlas insuffisans, quand ils ne sont pas déparés
par des erreurs choquantes.
Une autre cause de l'imperfection de la science est qu'on ne
trouve pas en France un dépôt général des productions géogra-
phiques. S'il existait complet, ce dépôt remédierait en partie aux
inconvéniens qui viennent d'être signalés. Qu'on se figure un
établissement spécial, réunissant un exemplaire ou une copie de
toutes les cartes gravées et manuscrites qui appartiennent à l'Etat ;
recevant chaque jour les nouvelles productions à mesure qu'elles
paraissent : ouvert à la jeunesse studieuse, au navigateur du
commerce qui prépare une expédition lointaine ; au voyageur
qui veut s'enfoncer dans les terres mal connues ; au savant qui
veut comparer les travaux de tous les âges, et en faire jaillir des
vérités utiles pour l'histoire ; aux hommes qui ont besoin d'étu-
dier la force des Etats, leur puissance et leurs limites ; au natu-
raliste qui veut étudier ces branches nouvelles de la science ; la
géographie des végétaux, celle des roches, celle des animaux
fixés au sol natal ; au physicien, qui ne peut assigner les lois des
phénomènes dont notre globe est le théâtre, sans en avoir la pro-
jection exacte et complète, sans connaître tous les travaux nau-
tiques, la direction et la force des courans, les observations de
physique dont les navigateurs enrichissent quelquefois et
devraient enrichir toujours leurs cartes ; à l'historien qui n'a
pas moins besoin de la connaissance parfaite des lieux que
de celle des temps, pour se guider dans le labyrinthe des annales
des anciens peuples ; à l'astronome enfin, qui s'occupe de fixer
la position des lieux sur la terre, à l'aide de l'observation du ciel.
Qu'on se représente, disons-nous, un tel dépôt de connaissances
géographiques, sans cesse complété par les ouvrages les plus
récens, et l'on sera aisément convaincu de l'immense service qu'il
rendrait à la science comme un centre d'étude, comme un ensem-
ble de recherches, de travaux et de résultats exacts ; comme une
96 LES ORIGINES
source abondante d'instruction, nécessaire et ouverte dans tous
les instans.
Sans la collection des nouveaux voyages, des statistiques gé-
nérales et spéciales, et des descriptions géographiques, cet éta-
blissement n'aurait qu'une partie de son utilité : il faudrait donc
qu'on y trouvât la collection de tous les travaux en ce genre qui
sont l'ouvrage des savans, des voyageurs et des géographes, ou
du moins tout ce qui est connu jusqu'à présent en France.
Aujourd'hui que l'homme a beaucoup avancé le plan de la terre
qu'il habite, il a encore une grande lacune à remplir : à mesure
qu'il y parviendra, de nouvelles recherches, d'une nature essen-
tiellement géographique, viendront enrichir le dépôt qu'il s'agit
de former, nous voulons parler du nivellement du globe. La dis-
tance verticale des lieux à la surface de la mer est au moins aussi
importante à connaître (si elle ne l'est davantage) que leur dis-
tance horizontale à l'équateur ou à un premier méridien ; car elle
fait connaître la position des sources, l'inclinaison des rivières'
et la pente générale des bassins des fleuves. Cette donnée manque
aux calculs du physicien, de l'économiste, du législateur. Mille
résultats importans y sont assujétis, l'irrigation, les communica-
tions, les routes, les canaux et par conséquent l'agriculture, le
commerce et l'industrie attendent une mesure exacte de la hauteur
des lieux. On comprend partout aujourd'hui ce que ces travaux
offrent d'utile, et, sans doute, ils se multiplieront. Il faut les
provoquer, les rassembler et les conserver avec soin. Il est
indubitable que la connaissance du relief du globe sera un jour à
elle seule une nouvelle géographie qu'on pourra appeler VBypso-
métrie, et qui sera l'instrument de bien des améliorations.
Enfin, réunir les dessins et les manuscrits originaux des
voyages qui se font sous les auspices du ministère de l'intérieur,
dispersés et trop souvent perdus après le retour des voyageurs ;
rassembler en même temps les collections d'instrumens, d'armes
et de costumes propres à donner une idée des mœurs et des
usages et du degré de civilisation des peuples, serait ajouter un
nouveau degré d'intérêt à l'établissement.
Tel est l'ensemble des matériaux que le Dépôt général de
DU MUSÉE DETUNOGRAPHIE 97
géographie devrait réunir pour être porté au degré d'utilité que
réclament l'état actuel de la science et le besoin delà société. Ce
n'est pas assez qu'un d'Anville et tant d'habiles hommes aient
porté presque partout le nom français, il faut encore que cet
héritage de gloire ne soit pas abandonné à une sorte d'incurie
qu'aujourd'hui l'étranger nous reproche, tout en s'emparant d'une
supériorité que nous avons laissé échapper. La paix qui règne sur
presque tout le globe est un garant des succès que la France
peut encore se promettre pendant une longue suite d'années
dans cette carrière glorieuse. Utilité politique, intérêt des
lettres, avantage du commerce, honneur national, que de motifs
pour que la faveur publique environne le nouveau département
scientifique qui vient d'être créé par un prince prolecteur des
lettres et des sciences, au sein du plus ancien et du plus bel
établissement littéraire de toute l'Europe ! Noble et grande
pensée qui ouvrira un jour la carrière à ceux que leur talent
appelle à marcher sur les traces des Ilumboldt, et qui secondera
merveilleusement les généreux et infatigables efforts de la
Société de géographie.
No XVII
1 BIBLIOTHÈQUE DU ROI
Parts, 15 janvier 1830.
A Son Excellence le Ministre Secrétaire d'État de l'Intérieur.
Monseigneur,
Par une ordonnance en date du 30 mars 1828, S. M. a ordonné
la formation d'un dépôt de géographie à la Bibliothèque du Roi.
Ce dépôt doit recevoir les plans et cartes, les documens statis-
tiques, objets et instrumens divers produits par les voyages
scientifiques, notamment ceux de l'expédition d'Egypte.
Je viens demander à S. E. de vouloir bien accorder sa
protection à ce nouvel établissement, en mettant à la disposition
de l'administration les moyens dont elle a besoin
Deux autres branches de la collection de la Bibliotiièque
98 LES ORIGINES
peuvent se compléter sans frais, ou du moins avec peu de
dépenses : 1° les documens statistiques; 2° les objets provenant
de voyages scientifiques
... En deuxième lieu, plusieurs voyageurs récens ont rap-
porté de leurs excursions des dessins et divers objets curieux
qui ne rentrent pas dans le cadre des autres collections des
Musées royaux et qui sont relatifs aux usages et coutumes des
peuples. Il arrive ordinairement que ces personnes sollicitent les
encouragemens du ministère de l'Intérieur en lui offrant les
produits de leurs voyages. Ne pourrait-on pas, par voie d'écbange
ou autrement, se procurer ces objets pour les déposer à la Biblio-
thèque du Roi? C'est ainsi qu'il serait facile peut-être à Y. E.
d'obtenir de M. Bellenger qui a réclamé à si juste titre la bien-
veillance du gouvernement, ceux des objets de sa précieuse col-
lection qui n'appartiennent, ni à l'histoire naturelle, ni à la litté-
rature orientale
Je suis avec respect, Monseigneur, de Votre Excellence
Le très-humble et très-obéissant serviteur,
JOMARD,
membre de rinstitut.
N" XVIII
Paris, 17 mars 1831.
A M, Rafinesque, profes!>eiir de sciences naturelles à Philadelphie.
(Extrait)
Monsieur,
....Aujourd'hui, je vous entretiendrai d'une affaire qui me
regarde personnellement, comme administrateur du départe-
ment de géographie à la Bibliothèque royale. Ce département
comprend la géographie proprement dite et l'ethnographie. Sous
ce dernier rapport, je m'elTorce de réunir les objets matériels les
plus utiles et les plus instructifs, comme propres à caractériser
le degré de civilisation des peuples peu avancés. Ce sont princi-
palement les instrumens employés dans les arts de toute espèce;
DU MUSÉE d'ethnographie 99
quelque grossiers et informes qu'ils soient, ils ont de l'intérêt
dans une série plus générale, disposés dans un ordre compa-
ratif * JOMARD.
N° XIX
Paris, le 3 juin 1831
.-1 M. le chevalier d'Abrahanison, aide de camp du roi
de Danemark".
(Extrait)
... Je m'occupe de former au département de géographie de
la Bibliothèque du Roi une collection ethnographique. C'est, vous
le savez, une des sections de ce département, mais encore au
berceau. Quel moyen y aurait-il de l'enrichir en objets provenant
des régions boréales ? Intéressez, je vous prie, la Société royale
des Antiquaires, dont j'ai l'honneur de faire partie, à ce projet
scientifique. Aujourd'hui, dans l'état actuel de la science, on
devrait absolument modifier son nom et l'appeler l'Ethnographie
ou la Géo-ethnographie, car les lieux et les hommes sont insépa-
rables. La Société ne peut s'intéresser aux découvertes géogra-
phiques, sans avoiren vue ses relations futures avec les contrées
inconnues ou mal explorées, et, par conséquent, sans chercher
à bien connaître les mœurs et les usages des peuplades. Tous les
renseignemens que vous pourrez me procurer, en attendant
1) Jomard demandait des objets d'ethnograptiie indienne, fiafinesque répond
en offrant de procurer une collection valant de 2 à 3,000 francs. Jomard fait
savoir le 24 décembre 1834, que le Conservatoire de la Bibliothèque royale n"a
pas pu réaliser la somme et accepte l'oiïre faite par Rafinesque dans une lettre
qui ne nous a pas été conservée, d'envoyer un catalogue détaillé de ses illus-
trations ethnographiques sur les peuples des deux Amériques, de ses cartes
rares et anciennes non comprises dans les illustrations, des « bonnes cartes
qui se publient journellement)), des estampes de sites pittoresques et dessins
manuscrits sur ce continent, des objets d'antiquités, usages, cultes, costumes,
et enfin des livres rares « toujours sur l'Amérique )>.
2) Le chevalier d'Abrahamson s'occupait principalement de pédagogie. 11
s'était attaché à propager en Danemark les méthodes d'enseignement mutuel;
ses relations avec Joaiard s'expliquent par ce côté commun de leurs préoccu-
pations scientifiques. l^'^- "•)
100 LES ORIGINES
mieux, sur les objets de cette nature rassemblés dans les
royaumes du nord, seront reçus par moi avec une vive recon-
naissance. Une collecliou ethnog^raphique doit renfermer tout ce
qui tient aux usages, aux habitudes des tribus, les instrumens
employés dans les arts et les sig'nes extérieurs des croyances, etc.
Il n^est pas d'outil si grossier qui ne puisse être curieux, en le
rapprochant des instrumens et ustensiles analogues des autres
nations. Il serait trop long dans une lettre de développer une
matière aussi intéressante : c'est ce que j'ai fait dans plusieurs
écrits pour déterminer le gouvernement à réaliser enfin une
entreprise qui attend l'exécution depuis plus de trois années
JOMARD.
NoXX
A M. Toulouza?i [de Marseille)
(Extrait*)
Paris, 10 octobre 1831.
...Je suis bien aise. Monsieur, que vous m'ayez fourni cette oc-
casion de vous entretenir d'un objet qui n'est pas sans rapport
avec celui de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire.
On s'occupe de former en ce moment à Paris (et selon toute
apparence pour la Bibliothèque du Roi) une collection d'objets
ethnographiques, c'est-à-dire, rapportés par les voyageurs qui
1) Nicolas TouloLizan, le correspondant auquel Jomard adressait cette lettre,
était professeur d'histoire et de géographie au collège royal de Marseille, Il
avait pris la part la plus large dans la publication de la Statistique des Bouches-
du-Rhône, véritable monument (4 vol. in-4°) élevé sous la direction du comte
de Villeneuve, préfet du département (1821). On lui devait, en outre, un grand
nombre de mémoires et d'articles sur des questions d'archéologie et d'histoire
locales, d'économie rurale, etc. Né à OUioules le 6 mars 1781, il avait alors
cinquante ans-, il est mort à Marseille le 27 mai 1840.
M. Paul Armand, secrétaire-général de la Société de géographie de Mar-
seille, qui me transmet ces renseignements, n'a pu rien me dire de spécial sur
les relations de Toulouzan avec Jomard. « Le fils de Toulouzan, m'écrit-il, chef
de division à la préfecture, notre collègue à la Société de géographie, est mort
le 28 octobre 1888. Sa bibliothèque a été dispersée au feu des enchères et avec
elle a probablement disparu la correspondance du savant. »
(E. H.)
DU MUSÉE D^ETHNOGRAPHIE 104
explorent les pays peu connus et propres à faire connaître l'in-
dustrie et les arts des habitans même les moins civilisés. Depuis
longtemps on se plaint de ce que les instrumens et les ustensiles
de cette nature sont dispersés après le retour des voyageurs et
souvent anéantis, faute de dépôt spécial pour les recueillir et
les conserver. La plupart sont exportés à l'étranger et vont
enrichir les musées ethnographiques de Gôltingue, Pétersbourg
et autres villes de l'Europe. S'il en reste à Paris qui échappent
à cette destinée, ils sont épars et sans utilité. La plupart vont
s'enterrer dans d'ignobles boutiques. C'est ainsi que l'histoire
des races humaines qu'il est déjà temps d'écrire, perd des maté-
riaux précieux.
Je voudrais contribuer à faire sortir ces curieux objets des
maisons de bric-à-brac où ils vont s'engloutir et surtout les
enlever aux collections étrangères,
Aidez-moi, Monsieur, dans ce dessein qui intéresse la gloire
nationale. Toute la côte nord de l'Afrique vient commercer
avec Marseille. On doit y transporter à tout moment des objets
curieux et instrumens des arts, poids et mesures, objets servant
aux jeux et récréations, au culte et aux superstitions, au travail
des métaux, à l'économie domestique, à la chasse ou à la pêche,
des tissus variés, des instrumens de musique et mille autres qui
font connaître l'état de la civilisation ou le degré de barbarie
tels que les armes offensives et défensives et les instrumens
aratoires.
Une série complète de tous ces objets méthodiquement classés
formerait un des musées les plus instructifs de la capitale.
La pensée en a été exprimée dans l'ordonnance qui a fondé à
la grande Bibliothèque nationale un dépôt spécial des produc-
tions géographiques et des produits des voyages scientifiques.
L^établissement renferme déjà un certain nombre d'objets de
ce genre. Je me borne, Monsieur, à signaler à votre zèle patrio-
tique ce court aperçu et à vous demander des renseignemens
sur les ressources que pourrait offrir la ville de Marseille.
JOMARD.
CHAPITRE III
Collection Lamare-Picquot. — Rapports sur cette collection à l'Académie des
inscriptions et belles-lettres, à la Société asiatique et à la Société de
géographie, par Abel-Rémusat, Burnouf et Jomard.
N°XXI
INSTITUT DE FRANCE
ACADÉMIE ROYALE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
RAPPORT
SUR LES COLLECTIONS d'oBJETS RELATIFS A l' ARCHÉOLOGIE ET AUX
RELIGIONS DE l'iNDE
Rapportées par M, Lamare-Picquot.
L'Académie nous a chargés, MM. E. Quatremère, Lajard et
moi, de prendre connaissance de ceux d'entre les objets rap-
portés de l'Inde par M. Lamare-Picquot, qui peuvent avoir de
rintérêt pour Farchéolog-ie, l'histoire des religions orientales et
l'ethnographie. Je vais avoir l'honneur de lui rendre compte de
l'examen auquel nous nous sommes livrés pour remplir ses inten-
tions.
Après un premier voyage au Bengale et à la côte de Coro-
mandel, entrepris de 1821 à 1823, pour des alFaires commer-
ciales, M. Lamare-Picquot s'est rendu de nouveau dans l'Hin-
doustan, en 1826, avec l'intention de rassembler les productions
naturelles de cette contrée si riche et si intéressante à étudier
pour les botanistes et les zoologistes. Dans le Bengale, Dacca.
Krishnagara, les comptoirs européens, sur la rivière d'Hougli,
104 LES ORIGINES
Calcutta, Serampour, Ghandernag-or, Tchinsura, les bords du
Gang'o, les îles qui sont situées à rembouchure de ce fleuve;
dans le Coromandel, Madras, Pondichéry, Karikal, furent les
principaux points sur lesquels il dirigea ses recherches en histoire
naturelle. Les résultats qu'il en tira, la collection qu elles ont
produite, ont fixé l'attention de l'Académie des Sciences. Nous
n'avions point à nous en occuper directement*. Toutefois, nous
avons vu avec plaisir que le voyageur n'avait pas négligé un
soin qui, dans l'intérêt de l'histoire des sciences naturelles,
devrait être présent à la pensée de tous les voyageurs et natura-
listes, appelés à explorer les régions plus ou moins civilisées de
l'Asie : celui de recueillir les noms par lesquels les indigènes
désignent les êtres naturels dans leurs langues, soit vulgaires,
soit savantes. Il faudrait surtout, et c'est ce qui a été demandé
pour augmenter Futilité de ces renseignemens additionnels, il
faudrait que les noms fussent écrits avec les caractères originaux,
et, autant que cela serait possible, de la main même d'un naturel
instruit. Cette précaution, si elle eût été prise habituellement
dans les voyages scientifiques_, eût contribué aux progrès des
arts et de l'industrie, en fournissant des synonymies importantes
et facilitant le recours aux traités de médecine, de technologie
et d'agriculture, composés par les indigènes, où nous aimerions
à puiser la connaissance des propriétés et des usages qu'une
longue expérience a fait découvrir aux peuples orientaux.
Mais vos commissaires avaient surtout à faire la revue des
antiquités, statues, figurines, bas-reliefs, modèles de temples,
peintures, ustensiles et instrumens qui peuvent servir à éclaircir
quelques points des usages religieux ou civils des Hindous.
1. L'Académie des sciences, à la date du 9 mai 1831, a entendu la lecture
d'un « rapport sur les collections ramassées dans les Indes-Orientales et au
Cap de Bonne-Espérance, par M. Lamare-Picquot », signé de GeolTroy Saint-
Hilaire, Duméril et baron Cuvier, rapporteur.
Nous nous bornerons à mentionner ce rapport, exclusivement consacré à des
matières d'histoire naturelle et que l'on trouvera réuni dans une même brochure
in-4°, par M. Lamare-Picquot, avec celui que nous reproduisons ci-dessus et
deux autres communiqués à la Société asiatique, et transcrits plus loin sous
les n"^ XXII et XXIV, note 2. (E. H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 105
M. Lamare-Picquot, par un zèle louable, n'a négligé aucune
occasion d'étendre à des sujets d'archéologie l'attention qu'il
avait principalement vouée aux produits naturels du sol de l'Hin-
doustan. C'est à Calcutta et dans les environs qu'il a trouvé le
plus grand nombre des objets qui se rapportent au culte des
Brahmanes, Ceux qui tiennent à la religion bouddhique provien-
nent originairement du pays des Barmans, d'où ils ont été enlevés
par suite de la guerre que les Anglais ont portée en 1825 dans
cette contrée. Quelques autres ont été trouvés dans les îles du
Gange, et quoique le nombre de ces derniers soit peu considé-
rable, ce ne sont pas les moins singuliers de ceux qu'a rassem-
blés le voyageur.
M. Lamare-Picquot partage en deux classes les morceaux qui
composent sa collection, suivant qu'ils appartiennent à la religion
de Brahma ou à celle de Bouddha. Nous suivrons aussi cette
division, en y ajoutant une troisième classe pour les objets rela-
tifs aux usages, aux coutumes, aux procédés des arts, lesquels
sont plus particulièrement du ressort de l'ethnographie.
Les représentations des divinités brahmaniques sont au nombre
d'une cinquantaine environ. Ce sont, en diverses matières, en
terre cuite, en marbre, en bronze, des figurines ou des bas-reliefs
offrant Brahma, Vishnoit, Shiva et sa femme Parvati, Krishna
et sa femme Radha, Garesa, Bala-Rama ou Yishnou enfant,
Djagannâtha (Jagrenat), Dharmadeva ou le dieu de la loi sous
la forme d'un bœuf, Doiirga, la femme de Shiva, Kali, ou la
même divinité femelle, avec les redoutables attributs, qui la
caractérisent comme déesse de la mort ou avec ceux de Djagad-
dhâtri, ou protectrice de l'univers, ou dans son triomphe sur
Mahichaasoura , le mauvais génie qui l'avait attaquée en prenant
la figure d'uu buffle. Plusieurs peintures en carton, exécutées par
des peintres hindous, représentent divers sujets mythologiques.
Une grande natte offre le combat de Rama contre Ravana, tyran
de l'île de Lanka, sujet pris du Ramayana ou du Bagavata Pou-
rana.
Outre les figures des divinités, M. Lamare-Picquot a réussi à
se procurer des vases, des lampes, des réchauds et d'autres instru-
106
LES ORIGINES
mens dont les Hindous font usage dans les pratiques de leur
culte, ou qui leur servent pour les différentes circonstances de
leur vie domestique. Il a rapporté trois ou quatre Berchocath ;
ce terme vulgaire désigne des sculptures en bois représentant
une sorte de tourelle à plusieurs étages, percée à jour et enrichie
d'ornemens et de peintures variées^ lesquelles sont portées dans
les cérémonies funéraires que les Hindous font en l'honneur de
leurs parens, et placées ensuite auprès d'une pagode sur les
bords du Gange ou de quelque étang consacré*. H a fait aussi
exécuter, en plâtre, des modèles exacts de diverses formes de
temples brahmaniques, en imitant le plus soigneusement possible
le style indien; soit pour la forme générale, soit pour la distri-
bution des ornemens et des couleurs. Une sorte de fétiche
trouvé dans une île du Gange, et qui représente une tête sur-
montée d'une mitre, grossièrement modelée et coloriée d'une
manière non moins grossière, peut être regardée comme un
spécimen curieux de l'état de barbarie où les arts d'imitation
sont restés long-temps dans les parties orientales de l'Inde et
notamment au Bengale.
Les figures qui se rapportent au culte de Bouddha, moins nom-
breuses et moins variées, si l'on a égard aux sujets qu'elles
représealent, méritent plus d'attention par leur dimension, les
matières dont elles sont faites et la contrée d'où elles ont été
rapportées. Nous avons déjà dit que le voyageur n'avait pas lui-
même dirigé ses courses dans le pays des Barmans, mais qu'il
avait été attentif à profiter d'une circonstance heureuse, celle à
laquelle on doit la possession d'une multitude d'objets de culte
et de livres religieux, produits du pillage que l'armée indo-
britannique a fait dans les provinces de l'Inde au delà du Gange
en 1826, et qui se sont répandus en grande quantité dans les
1) J'ai de sérieuses raisons de croire que l'un, au moins, des encombrants
Berchocath de Lamare-Picquot, et quelques-uns de ses moulages de modèles de
pagodes, sont restés entre les mains de Jomard, et se voient dans sa collection
au Musée Berthoud, à Douai. Ce sont les seules pièces que j'aie retrouvées
jusqu'ici de la grande collection asiatique de Lamare-Picquot.
(E. H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 407
possessions anglaises, d'oij plusieurs ont été apportées à Londres
et même à Paris. La collection de M. Lamare-Picqu ot contient
au moins trente statues de Gaouatama^ , en terre cuite, en bois,
en cuivre, en marbre, en albâtre, la plupart offrant encore des
traces de dorure, variant entre un et trois pieds six pouces de
proportion. Ce personnage est constamment représenté à l'état
de divinisation, assis dans la posture de l'extase, la tête sur-
montée du tubercule caractéristique et les cheveux annelés^ à
moitié nu et la main droite pendante, tel qu'on le voit figuré sur
les planches de Pallas (Samuel, Hist. nachr., u. s. w., t. II, pi. II,
fig. 1), et de M. Hodgson {Tranmct. of theR. Asiat. Society, t. II,
pi. II_, tig. a et 2). Les statues qui se répètent les unes les
autres, sauf les différences de matière et de dimension, et qui
sont aussi semblables à celle que possède la Société Asiatique de
Paris, montrent la constance des Bouddhistes dans leur attache-
ment aux types qu'ils ont adoptés. Deux seulement portent des
inscriptions, l'une en barman et l'autre en bengali. Des figurines
en bronze ou en plomb appartiennent à d'autres divinités, saints
ou agents secondaires. Nous avons distingué un petit groupe
que le voyageur regarde comme plus rare que les autres, et qui
représente huit divinités assistant à la naissance de Shakia. Nous
avons vu aussi avec intérêt un assez grand bas-relief en terre
cuite, d'un travail barman, qui doit avoir servi de couronnement
à la porte d'un temple et dans lequel deux lions peints de couleur
rouge et dans l'attitude du repos, et séparés par une Jtige d'ananas,
, composent un ensemble qui rappelle des monumens religieux
célèbres de l'Asie occidentale.
Nous passons à une classe d'objets qui n'ont pas un rapport
immédiat aux idées religieuses. Au premier rang nous devons
placer des figures représentant des personnages Hindous des
deux sexes, des hautes et des basses castes, dans le costume qui
leur appartient. Les corps sont en terre cuite et les vêtemens en
1) Le texte imprimé porte Gaonatuma. C'est évidemment une faute typogra-
phique. Le Bouddha birman est désigné dans les travaux spéciaux dont il a été
l'objet sous le nom de Gaitfnma. Cf. Bigandet, The life of the Gautama Piuddha.
{Journ. of the Ind. Archipel.) — Etc. (E. H.)
i08 LES ORIGINES
étoffes réelles. Le but qu'on s'est proposé est de rendre plus
exactement qu'on ne le pourrait, à l'aide des meilleures figures,
l'habillement, le teint, les traits du visage et toute la constitution
physique des diverses classes d'Hindous. On y a réussi d'une
manière qui rend ces figures très intéressantes à étudier sous le
point de vue des races humaines. Plusieurs sont exécutées avec
une rare perfection, et pourtant sont l'ouvrage des Hindous de
Kishnagore', qui, depuis quinze ans seulement, se sont mis à
exécuter ce genre de travail.
Après ces figures, il faudrait énumérerles produits de l'indus-
trie des Hindous, tels que poterie, ustensiles de ménage, armes,
instrumens de musique, étoffes, meubles ; mais le détail nous
entraînerait trop loin et répondrait mal à l'intention de l'Aca-
démie. Il suffira de dire que l'étude de ces différens objets pour-
rait jeter beaucoup de jour sur l'histoire des usages et des habi-
tudes de plusieurs nations orientales : car le voyageur a réuni
des matériaux du même genre, quoiqu'en nombre moins consi-
dérable, pour la Chine, le Thibet et le pays des Cafres.
Les détails qui précèdent, quelque succincts qu'ils soient,
suffiront peut-être pour donner à l'Académie une idée des collec-
tions de M. Lamare-Picquot. Dans ce cas, la mission qu'elle a
bien voulu nous confier serait remplie et nous n'aurions aucune
conclusion à prendre à la suite d'un rapport purement descriptif.
La Compagnie serait en état d'apprécier le degré d'intérêt et le
genre particulier d'utilité qui peut résulter pour les connaissances
qu'elle cultive de l'étude directe des objets qui composent ces
collections. Il est certain qu'on y peut puiser immédiatement un
genre d'instruction que ne présentent pas toujours les meilleures
relations des voyageurs. Il y a aussi un point de vue qu'il nous
sera permis d'indiquer. L'inspection de certains objets tenant
aux cultes ou aux coutumes nationales peut souvent servir à
faire mieux entendre le texte des auteurs qui contiennent des
1) Krishnagar (Bengale). — Cf. E.-T. Hamy, Études ethnographiques et
archéologiques sur l'Exposition coloniale et indienne de Londres. {Rev. d'Eth-
nogr., t. Vf, p. 188, etc.) (E. H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 109
allusions détournées et quelquefois difficiles à saisir, quand on
ne connaît que par les descriptions, les choses auxquelles ces
allusions s'appliquent. C'est, entre plusieurs autres, une des
raisons qui doivent faire désirer qu'on s'occupe enfin d'établir
à Paris, ce qui existe à Pétersbourg et dans plusieurs villes
savantes de l'Allemagne, un musée ethnographique où puissent
être réunis tous les objets, de quelque nature qu'ils soient, qui
peuvent servir à jeter du jour sur les usages, les habitudes, les
procédés des arts, des nations du globe où la civilisation euro-
péenne n'a pas encore étouffé les restes des civilisations indi-
gènes. Un des motifs qui ont engagé M. Lamare-Picquot à com-
mencer sa collection, c'est que, durant son séjour à Paris, il
n'avait vu dans nos musées aucun des objets d'antiquité qui
l'avaient frappé à son premier voyage en Orient. Il existe pour-
tant beaucoup de matériaux de cette espèce dans différentes
collections ; mais ils ne forment pas d'ensemble et ne sont nulle-
ment disposés pour l'étude. C'est une lacune qui existe encore
dans nos établissemens scientifiques. Il y a^ chez M. Lamare-
Picquot, beaucoup d'objets qui pourraient aider à la combler.
Nous avons l'honneur de proposer à l'Académie de remercier
M. Lamare-Picquot de la communication qu'il lui a faite; de lui
exprimer l'intérêt qu'inspirent les efforts qu'il a tentés pour
accroître les connaissances relatives aux religions et aux usages
de l'Inde, et de l'inviter, dans le cas où il visiterait de nouveau
les mêmes contrées, à continuer des recherches qui peuvent
amener d'utiles résultats.
Signé : Quatremère ; Félix Lajard ;
Abel Rémusat,
Rapporteur.
L'Académie adopte les conclusions de ce rapport.
Certifié conforme :
Le Secrétaire perpétuel,
Dacier.
8 avril 1831.
110 LES ORIGINES
N» XXII
SOCIÉTÉ ASL\TIOUE
RAPPORT
FAIT AU CONSEIL DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE SUR LA
COLLECTION d'aNTIQUITÉS INDIENNES
De M. Lamare-Picquot.
Vous avez chargé une commission formée de MM. J. Mohl,
Slahl et de moi^, de vous faire un rapport sur la collection d'anti-
quités indiennes rapportées récemment par M. Lamare-Picquot.
Je viens, au nom de cette commission, vous exposer les résultats
de l'examen auquel elle s'est livrée.
La collection de M. Lamare-Picquot se compose d'un nombre
considérable d'objets relatifs aux deux religions les plus célèbres
de l'Asie Orientale, le brahmanisme et le bouddhisme ; d'usten-
siles et de meubles divers destinés aux usages religieux et
domestiques chez les Hindous, enfin d'une série de staluetles
représentant des individus appartenant aux castes diverses qui
habitent le Bengale. M. Lamare-Picquot, que plusieurs voyages
dans l'Inde avaient familiarisé avec les usages de ce pays, fut
frappé, pendant son séjour en France, en 1825, de l'absence
d'un dépôt scientifique où se trouvassent réunis les monumens
religieux des Hindous et les objets de tout genre propres à jeter
du jour sur leurs coutumes et le caractère de leur civilisation.
Il conçut, dès lors, le plan d'un nouveau voyage en Orient, dans
le but de rassembler au Bengale et à la côte. de Coromandel tout
ce qui lui paraîtrait de nature à satisfaire la curiosité qu'excitent,
depuis plusieurs années, sur le continent, les usages religieux
et domestiques des peuples de l'Inde. C'est à cette heureuse idée
et au zèle avec lequel M. Lamare-Picquot Ta mise à exécution
que l'on doit la réunion d'un très g-rand nombre d'objets dont
l'ensemble éclaire d'une vive lumière les habitudes religieuses,
DU MUSÉE d'ethnographie 111
les coutumes et en général la civilisation des peuples de l'Hin-
doustan.
De fréquens voyages et un séjour prolongé dans le Bengale
et à la côte de Coromandel, avaient fourni à M. Lamare-Picquot
l'occasion d'assister aux principales cérémonies du culte brahma-
nique. Il s'attacha à recueillir les images des divinités que les
Hindous exposent dans les grandes solennités religieuses, et
qu'ils détruisent après qu'elles ont reçu leurs hommages. La
réunion de ces divinités comprend plus de trente tableaux sur
toile, sur bois, ou en terre cuite, représentant la triade indienne,
Shiva couvert des cendres du Vibhoùti, plusieurs formes de
Dourgâ, telles que KàHkâ et Djagaddhâtri, Vichnou et ses diverses
incarnations, entre autres Krichna a.Yec Râd/iâ, Râma^ Balarâma^
plusieurs figures de Ganesha et de Dharmadeva, le dieu de la
justice, spécialement adoré sous la forme d'un bœuf : la collec-
lion de M. Lamare-Picquot compte plusieurs Dharmadeva, parmi
lesquels il en est un d'une vérité remarquable. Un nombre égal
de statues en marbre, en terre cuite et en bois, reproduisent
avec une grande exactitude ces mêmes dieux, et particulièrement
le symbole mystérieux du Lingam sous des formes diverses. Mais
de toutes les images des divinités indiennes, les plus frappantes,
comme les plus variées, sont les petites figurines de bronze au
nombre d'environ quarante, dont plusieurs se recommandent par
leur antiquité. Les plus communes sont, comme on doit s'y
attendre, celles de Ganesha et du Lingam. Indra y figure monté
sur un éléphant richement orné; Krichna, Balarâma, Agtii,
Pavana y sont répétés plusieurs fois; enfin, nous avons surtout
remarqué un groupe de Narasinha avec sa Shakti ou son énergie
femelle, qui est d^un très beau travail.
Au nombre des monumens religieux, il faut compter quatre
pièces de bois hautes de plus de sept pieds, que l'on nomme au
Bengale Berchokath ou bois dos funérailles. Ces espèces d'obé-
lisques, à plusieurs étages, sont élevés par la piété filiale au
souvenir d'un père ou d'un parent chéri. On les présente à la
famille du défunt réunie dans un banquet funèbre; un brahmane
les consacre et ils sont placés en terre auprès du Gange ou d'un
112 LES ORIGINES
étang. Ils doivent rester debout pendant une année, temps
supposé nécessaire pour que l'àme puisse parvenir au séjour des
bienheureux. Le monument est soutenu par une divinité d'un
ordre inférieur appelée Dotton (Devalâ?); deux éléphans ou
deux tigres, entre lesquels est quelquefois sculptée une tète
d'homme, supportent le second étage au milieu duquel est placé
le taureau à bosse, image de Mrt/'m«f/cya; au-dessous s'élève la
forme d'un temple, emblème du Kailàsa ou paradis de Shiva.
M. Lamare-Picquot a, en même temps, cherché à se procurer
quelques divinités adorées spécialementpar les castes inférieures.
De ce nombre est la tète grossièrement sculptée d'un dieu révéré
par les bûcherons qui le regardent comme leur protecteur contre
les attaques des tigres. Elle a été trouvée dans les îles boisées
des Sunderbunds. Ce n'est pas la pièce la moins curieuse de la
collection, et il faut savoir gré à M. Lamare-Picquot de n'avoir
pas négligé cette divinité rustique pour les représentations plus
brillantes et plus connues du culte des Brahmanes. Elle peut
donner une idée des dieux des castes presque sauvages, dont les
usages et les mœurs échappent trop souvent aux observations des
voyageurs.
La réunion des vases et objets de tout genre, employés dans
les sacrifices et dans les cérémonies religieuses des Brahmanes,
forme une des parties les plus variées de la collection de M. La-
mare-Picquot. On y remarque les vases de formes diverses qu'ils
emploient pour leurs ablutions dans le Gange et dans les étangs
consacrés, tels que les Kamandalou pour puiser l'eau, d'autres
vases en terre pour le culte, dont plusieurs rappellent le Yoni et
sont consacrés à Vkhion, des Sh^ouva ou cuillères pour verser
le beurre clarifié , avec des manches surmontés du serpent
Shecha; des boites à parfums en cuivre ciselées avec soin ; des
cassolettes également en cuivre pour brûler le camphre devant
les statues des dieux; enfin, des lampes de toutes grandeurs en
cuivre et en terre. Plus de vingt modèles en plâtre et en brique
reproduisent les temples les plus célèbres du Bengale et de la
côte de Coromandel; divers objets de l'adoration populaire, tels
que le Limjam et Krichna, sont placés sous des Mandapas ou
DU MUSÉE d'ethnographie 113
petits temples en cuivre d'un travail curieux. Toutes ces pièces
très nombreuses, et qui presque toutes sont fort bien conservées,
ont le mérite de donner des notions précieuses sur les céré-
monies des Brahmanes, et, en voyant ces lampes, ces vases, ces
boîtes à parfum, on peut se faire de la nature et des détails de
ces cérémonies une idée bien plus exacte qu'enlisant les descrip-
tions minutieuses des voyageurs.
La partie de la collection de M. Lamare-Picquot qui est relative
au culte de Bouddha, quoique moins variée peut-être, n'offre
pas moins d'intérêt; elle se compose de plus de cinquante statues
de grandeurs et de matières diverses. La plus belle n'a pas moins
de trois pieds et demi de haut. Les statues sont en marbre, en
albâtre, en bois de tek doré ou recouvert d'un vernis noir. Une
seule est de cuivre, et il y a lieu de croire qu'elle représente ou
un personnage de la triade bouddhique, ou quelque Bodhisattva,
car la richesse des ornemens dont elle est chargée contraste
avec la simplicité des autres Bouddha. Plus de vingt-cinq statues
en pierre et en bois doré ou argenté et un nombre égal de
figurines en cuivre reproduisent le même personnage divin,
assis dans l'attitude d'une méditation profonde; il en est une qui
représente le dieu les mains jointes dans la position appelée
Kritândjali. Parmi les pièces en cuivre nous avons remarqué
deux morceaux fort intéressans et tout à fait neufs ; l'un repré-
sente la naissance de Shâkija entouré de huit divinités gardiennes
des huit points du monde, et l'autre Bouddha assis sous l'arbre
Shâla, dont le feuillage est artistcment figuré. Deux morceaux
non moins curieux et très anciens passent pour l'image de Mahà-
mài/â, la mère de Shâkya. Quoique le temps ait fait disparaître
les signes distinctifs auxquels on pourrait reconnaître cette divi-
nité, on peut, avec certitude, la rattacher au culte de Bouddha.
C'est aussi à cette religion qu'il faut rapporter le bas-relief
représentant l'animal fabuleux nommé Rankos^ que les Tibétains
et les Barmans révèrent comme le protecteur des temples de
Bouddha. Ce bas-relief, sculpté avec soin, représente deux de
ces animaux ailés enlacés dans les feuilles d'un ananas dont le
fruit les sépare.
8
H 4 LES ORIGINES
Votre Commission n'a pas examiné avec moins d'intérêt la
série de figurines en terre peinte, qui comprend les diverses
castes et professions des deux sexes chez les Hindous du Ben-
gale; elle offre une galerie à peu près complète de tous les états,
depuis le Brahmane jusqu'aux plus basses conditions et, ce qu'il
est important de remarquer, elle se recommande moins encore
par les notions précises qu'elle nous donne sur les distinctions
extérieures, et, en quelque sorte, sur les rapports civils de ces
castes entre elles, que par les variétés de races qu'elle révèle
entre la plupart des individus qui les composent. Ces variétés
sont marquées par des nuances très tranchées dans la teinte de
la peau, et souvent même par des différences plus profondes
dans la constitution physique. Aussi, ces quarante statues, qui
embrassent depuis le Brahmane blanc jusqu'à l'esclave presque
noir, donnent les moyens de vérifier les résultats auxquels a
conduit dans ces derniers temps l'étude comparée des divers
idiomes de l'Inde. Nous ne craignons pas de dire que c'est une
des parties les plus précieuses de la collection de M. Lamare-
Picquot; sa nouveauté et son importance font désirer qu'un
dépôt public s'enrichisse de ces matériaux dignes de former la
base d'un musée ethnographique, consacré aux peuples de l'Asie,
musée dont le progrès des études orientales fait depuis longtemps
sentir le besoin parmi nous. La France ne possède pas encore
de dépôt de ce genre, et il serait d'autant plus désirable quelle
put acquérir les nombreux objets réunis par M. Lamare-Picquot,
que cette collection deviendrait ainsi le centre auquel ne pour-
raient manquer d'aboutir les résultats des voyages futurs en
Asie. Le dévouement avec lequel M. Lamare-Picquot s'est livré
à des recherches pour lesquelles il n'avait pas de guide, la per-
sévérance qu'il a mise à les poursuivre malgré les obstacles de
tout genre qui devaient l'arrêter dans une carrière nouvelle,
méritent les éloges de la Société Asiatique, et votre Commission
a pensé que vous aimeriez à les lui exprimer. Elle serait heureuse
que le témoignage que vous rendrez en faveur de cette collection
put concourir, avecle jugement du premier de nos corps savans',
1) Voy. le rapport ci-dessus, ii» XXI.
DU MUSÉE d'ethnographie 115
à attirer Tattention du gouvernement sur les services rendus à
la science par ce voyag^eur zélé. L'offre généreuse qu'a faite
M. Lamare-Picquot d'abandonner à l'Etat la totalité de ses col-
lections ethnographiques et d'histoire naturelle sont des titres à
la faveur et aux encouragemens d'un pouvoir ami des études
sérieuses. L'acquisition de ces matériaux intéressans aurait, en
outre, l'avantage d'assurer pour l'avenir à la France de nouvelles
richesses, en encourageant le zèle de M. Lamare-Picquot à
recommencer en Asie des voyages si utiles aux sciences natu-
relles et historiques.
En conséquence, votre Commission vous propose d'arrêter
que les efforts de M. Lamare-Picquot méritent les éloges de la
Société Asiatique, et en même temps d^autoriser M. Lamare-
Picquot à faire connaître publiquement, s'il le juge nécessaire,
le jugement favorable que vous portez sur sa collection.
Signé : J. Mohl, Stahl ;
EUG. BURNOUF,
Pour copie conforme
Paris, ce 4 mai 1831 .
Rapporteur.
EuG. BuRNOUF,
Secrétaire '.
N» XXIII
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
RAPPORT
SUR LA COLLECTION ETHNOGRAPHIQUE DE M. LaMARE-PiCQUOT,
Par une commission spéciale*.
Depuis que les connaissances géographiques sont appréciées
1) Voir aussi sur la collection Lamare-Picquot le rapport fait clans V Assem-
blée générale de la Société asiatique, le 28 avril 1831, reproduit ci-après, pièce
no XXIV, 2e note.
(E.H.)
2) Bulletin de la Société de géographie, t. XVIi, n» 106. Février 1832,
p. 86-96.
116 LES ORIGINES
par un plus grand nombre de personnes, el ont obtenu dans
l'opinion le rang qui leur appartient, on a mieux conçu le but et
l'objet de la science, et Ton s'est fait une plus juste idée des bran-
ches dont elle se compose. Ce n'est pas tout de connaître les
dimensions exactes d'un espace donpé sur le globe, la distance
mathématique d'un lieu à un autre, le gisement des côtes, les
profondeurs des eaux ou le relief du sol, les directions et les
formes des chaînes de montagnes. Toutes ces notions sont pré-
cieuses et indispensables pour la navigation, pour les communi-
cations de terre et demer,pourla direction à donner aux rivières
artificielles, et une multitude d'applications à la vie sociale. Mais
ce n'est encore là qu'une partie des connaissances que doit pro-
curer la géographie. C'est surtout ce qui est à la superficie du
sol et qui habite sur cette surface qu'elle doit étudier et nous
faire connaître. Or, parmi les êtres innombrables qui la recou-
vrent, aucun n'est plus digne de notre attention que l'homme, et
les races humaines, si diversifiées pour l'intelligence et les habi-
tudes, les qualités physiques et les signes extérieurs. Connaître
à fond les différentes branches et tribus de la famille humaine est
même la véritable fin de la science géographique, puisque, des
rapports futurs entre elles toutes^, dérivera pour chacune la plus
grande somme de bien-être et de prospérité. L'ethnographie se
lie ainsi à la science, ou plutôt elle ne fait avec elle qu'une seule
et même science, qu'il faudrait appeler désormais ethno-géogra-
phie. C'est pour cela que les savants navigateurs à qui nous de-
vons les dernières explorations dans les contrées ignorées ou
peu connues, ont mis et mettent tant de soin à décrire les races
diverses, leur physionomie physique et morale, les produits de
leurs arts et les ouvrages de leur industrie, imparfaite mais ori-
ginale. Ceux qui, aujourd'hui, négligeraient de nous peindre les
traits, de nous retracer le langage des peuplades lointaines, se-
raient lus avec moins de faveur qu'autrefois, et leurs relations
n'exciteraient qu'un intérêt médiocre. Nous n'avons pas ce
reproche à faire aux chefs des expéditions scientifiques dont
s'honore la France, notamment les voyages de ÏUranie, de la
Coquille, de l'Astrolabe. Leurs relations sont enrichies de re-
DU MDSÉE d'kTHNOGRAPHIE 117
marques sur tous ces points, qui caractérisent les peuples et leur
degré de civilisation. Les voyageurs qui parcourent l'intérieur
des continents sont appelés à faire des travaux semblables, à
recueillir les observations du morne genre, et à rassembler aussi
les objets qui se rapportent à Y ethnographie. C'est ce qu'a fait
avec succès, surtout sous ce dernier rapport, M. Lamare-Picquot,
dont la Société nous a chargés d'examiner la collection.
Nous devons commencer par payer un juste tribut d'éloges au
zèle de ce voyageur. Il a fait plusieurs excursions dans l'Inde;
d'abord avec le dessein d'enrichir les musées d'histoire naturelle,
mais les circonstances où il s'est trouvé lui ont donné l'idée et
fourni les moyens de former un autre genre de collection, non
moins intéressant pour la science. Pendant le cours de son pre-
mier voyage au Bengale, qui a duré trois années, il lui fut im-
possible de tirer beaucoup de fruit de ses recherches. Mais le
second, qui date de 1823, fut entrepris dans le but spécial d'ob-
server avec soin, et de recueillir tout ce qu'il trouverait d'inté-
ressant pour l'histoire des peuples. C'est en 1826 qu'il revint sur
les bords du Gange. Après un an de séjour à Calcutta, employé
à préparer ses relations, M. Lamare-Picquot s'établit à dessein
à Chandernagor, lieu propice comme point de départ et centre
d'observation. De là ses excursions ont été dirigées : 1° en 1827,
au nord par l'Hougly et le Gange, sur Patna et les lieux voi-
sins, sur Gazipoor, etc.; 2° en 1828, à l'ouest, dans les forêts et
les environs de Rogonat-Gung, Rogonapour et à la rive droite du
Damoudour. En quittant Chandernagor, il se dirigea sur Burd-
wan par la rive de Mirzapour, et revint par le Damoudour, tra-
versant le canal à Oulberia, qui communique depuis quelques
années avec l'Hougly, et revint par cette rivière à Chandernagor;
3* à l'est, côté moins fréquenté ou peu connu des Européens, le
voyageur s'est dirigé par le canal de Keedrepour, qui sert de
communication avec les branches orientales du Gange et de
l'Hougly. Ici , pour mieux faire connaître l'exploration de
M. Lamare-Picquot, nous allons donner un extrait des notes
qu'il nous a communiquées : il contribuera, nous l'espérons, à
augmenter l'intérêt qu'elle inspire par ses résultats, et à recom-
118 LES ORIGINES
mander la personne et les services de ce voyageur, dont on ne
saurait louer assez le dévouement désintéressé.
« Le dernier voyage de M. Lamare-Picquot a eu lieu pendant
les mois de décembre 1828 et janvier 1829. Il avait avec lui vingt-
huit personnes, tant marins que chasseurs, préparateurs et deux
domestiques. Ces contrées sont dangereuses par la nature des
fièvres qui y régnent toute l'année, et des animaux sauvages qui
peuplent ces vastes solitudes, que les Anglais appellent siindries
ou simder-bands. Les îles renferment plusieurs petits endroits
habités portant le nom de bazars et non désignés sur les cartes. Il
a visité la ville de Dacca et les grands bazars de Culna, Satalury,
Baker Gange. Après avoir suivi la rive droite du grand Gange,
il est revenu vers le sud aux branches diverses de ce fleuve,
telles que Harengotta et autres peu connues. C'est vers ces lieux
et au centre d'immenses forêts désertes qu'il a rencontré trois
petits bazars, ou réunion de plusieurs cases appelées Tcham-
paye, Coëlha;, Campoor, tous au sud de Culna. La position en est
difficile à préciser, tant ces îles sont entrecoupées de canaux.
Ce sont des lieux de rendez-vous, oii les bûcherons viennent
acheter des bambous et du poisson, ainsi que du riz que les
Indiens du nord y apportent. On vient y chercher le bois pendant
une partie de la mousson nord-est, du mois de novembre jus-
qu'en février. Le sol est fangeux et l'insalubrité de^ ces îles est
funeste; presque toutes ces îles sont submergées dans les grandes
marées et lors des débordements du Gange; cependant quelques-
unes sont assez élevées pour servir d'asile aux malheureux qui
ont la témérité d'y passer la mousson sud-ouest, du mois de
mars au mois de septembre.
<' Les individus qui y résident sont musulmans, d'un caractère
doux ; quelques-uns sont adonnés au vol, et vont attendre, vers
le nord, les voyageurs qui se rendent à Dacca et à Châtigan ; les
cauries sont la seule monnaie qui soit à leur usage et qu'ils ac-
ceptent. Dévorés par la fièvre, la misère ou les bêtes farouches,
ils vivent peu. Ces îles sont infestées, comme les bouches du
fleuve, par les crocodiles, les requins et les dauphins. La végé-
tation y est très riche^ et le sol garni de beaucoup d'arbres et
DU MUSÉE d'ethnographik H 9
arbustes particuliers qui se plaisent sur ces rives inondées. Peu
d'Européens ont pénétré dans ces solitudes. Autrefois la Compa-
gnie anglaise y envoya quelques pilotes comme explorateurs ;
mais, depuis très longtemps, elle a cessé de le faire, ayant re-
connu qu'aucune de ces rivières n'était navigable. Le voyageur
raconte qu'il était pour les habitants, à cause de la couleur de
son teint, un objet de surprise et même d'effroi.
« A Chandernagor et à Calcutta, les amis de M. Lamare-Picquot
avaient voulu le détourner de ce voyage, à cause des difficultés
et des dangers qu'ils croyaient insurmontables. C'est en usant
de moyens hygiéniques pour sa nombreuse caravane, et avec
des mesures bien combinées, qu'il est venu à bout de son entre-
prise et sans grand accident. En avril 1829, il a quitté le Bengale.
A la hauteur du cap de Bonne-Espérance, le tonnerre est tombé à
bord du navire, a détruit tout le gréement, et il a fallu aller à
l'Ile de France pour réparer les avaries. Enfin le voyageur est
rentré dans sa patrie au printemps de 1830, rapportant, après
quatre années d'absence, la précieuse moisson qu'il avait faite,
déposée dans près de cent caisses de toute grandeur. »
C'est de ces objets qu'il nous reste à parler. Déjà les savants
naturalistes auxquels est confiée la riche collection du Muséum
d'histoire naturelle ont signalé, dans des rapports officiels, l'im-
portance et la nouveauté des objets de ce genre que l'on doit au
voyageur. Nous n'avons pas à nous en occuper ici, et nous ren-
voyons au rapport de MM. Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire,
Duméril et Latreille. L'Académie des belles-lettres et la Société
asiatique ont également fait connaître leur opinion sur les objets
relatifs à l'archéologie et aux religions de l'Inde'. Sans entrer ici
dans de grands détails sur les antiquités indiennes de la collec-
tion, sujet traité à fond par ces deux compagnies savantes, nous
nous appliquerons plus particulièrement à ce qui regarde les
sciences géographiques et ethnographiques.
Les circonstances favorables auxquelles nous avons fait allu-
sion au commencement de ce rapport, consistent en ce que les
1) Voyez plus haut n"^ XXI et XXII. (E. H.)
120 LES ORIGINES
soldats anglais revenus de la conquête du pays des Barmans,
faite en 1825, en rapportèrent au Bengale une multitude d'objets
curieux. M. Lamare-Picquot s'empressa d'en faire l'acquisition.
La plupart sont relatifs au culte de Bouddha. Ils sont, selon lui,
l'ouvrage des habitants des parties orientales du Tibet. Depuis
trois siècles que les Européens occupent l'Inde, ils n'y avaient
pas encore porté la guerre. En 1825, les temples furent pillés
par l'armée anglaise, et c'est ainsi que ces objets précieux tom-
bèrent pour la première fois au pouvoir des Européens. Les sta-
tues et statuettes de la collection représentant le personnage de
Bouddha sont aussi nombreuses qu'elles sont variées pour les
matières, parmi lesquelles nous citerons le bronze, le cuivre, le
marbre doré, le plomb, l'argent, l'albâtre, le bois de tek doré, etc.
Un de ces Bouddahs en marbre a plus de treize décimètres. On re-
marque des bas-reliefs en bois où estfiguré l'animal fabuleux des
bas-reliefs de Persépolis, et d'autres objets travaillés aussi par
les Barmans.
Le culte de Brahma a fourni au voyageur plus de trois cents
statues, statuettes, figurines ou bas-reliefs en marbre, en terre
cuite, etc. On y distingue le Dieu forestier^ divinité inférieure,
protecteur des bûcherons et des pêcheurs contre la fureur des
tigres et des crocodiles : cette figure a été trouvée dans l'île la
plus méridionale des bouches du Gange. On remarque encore de
grands modèles ou imitations des temples ou pagodes, en plâtre
et en terre cuite, ayant deux mètres de haut ; d'autres sont en
cuivre.
Les nombreux vases recueillis par M. Lamare-Picquot sont
destinés, les uns aux cérémonies religieuses, et les autres aux
usages domestiques. Ils sont en cuivre, en terre cuite, en pierre :
dans le nombre sont des lampes et des réchauds servant aux
offrandes, aux sacrifices et aux cérémonies funèbres.
On trouve dans la collection des tableaux sur toile, représen-
tant les sujets divers de la mythologie des Indous ; plus qua-
rante-cinq figures représentant des personnages chinois des deux
sexes, travaillées en terre, en bois et autres matières, et qui se
rapportent aux différentes professions civiles, sans parler de
DU MUSÉE d'eTHNOGRAPHTE 121
quatre-vingts autres fragments chinois très diversifiés, en marbre
et en porcelaine.
Nous citerons des instruments appelés laipoor, à l'usage des
bayadères ou danseuses ; des roullys ou bracelets en cuivre, en
laque; des modèles de palanquins, des pankas (éventails), à
l'usage des dames mongoles, et formés d'une grande feuille de
mika transparent, des boîtes à parfum, des instruments de mu-
sique et de gymnastique à l'usage des Mongols et des Tibétains,
des gourgoulis (houka) à l'usage des deux sexes, semblables aux
narguilé ou caliun (pipes persanes), des instruments à corde rap-
pelant le grand rehab des Arabes ; les armes diverses à l'usage
des soldats mongols et des Tibétains^ telles que lances, arcs,
flèches, le dhall (bouclier), le tarouar (sabre), le tore dar (fusil à
mèche), le katak (poignard) ; plus des poignards tibétains for-
més de deux cornes, à l'usage des montagnards, et des instru-
ments de jeux jusqu'ici inconnus.
Parmi les objets d'amusement, on distingue des règles longues
et assez larges, travaillées à jour et en spirales. Des pièces mo-
biles y sont ajustées, et quand la règle est debout, ces pièces
abandonnées à la pesanteur descendent le long de l'hélice avec
bruit. C'est probablement pour récréer ou distraire les enfants
que ce jeu a été imaginé.
Enfin il y a dans la collection différents meubles et ustensiles
domestiques à l'usage des Indiens, des Mongols et des Tibétains.
Il faut insister ici sur le dunkara, sorte d'arc très grand, dont
la corde est une chaîne en fer extrêmement pesante, mais
cette chaîne est composée de grands anneaux et plaques sonores :
il est à l'usage des Tibétains et des Mongols. C'est un instrument
de gymnastique^ non pour tirer de l'arc, mais pour exercer les
jeunes gens, et donner de la force et de la souplesse à leurs mem-
bres. En efl'et, celui qui s'exerce doit passer la tête entre l'arc et
et la corde, ce qui exige une très grande force.
Mais une des suites les plus curieuses de la collection est une
cinquantaine de figures en terre cuite représentant les différentes
castes des Hindous des deux sexes. Cette série de figures, de
trois à quatre décimètres d'élévation, est précieuse sous tous les
122 LES ORIGINES
rapports. Non-seulement elle est faite dans le pays même et par
la main des indigènes, ce qui lui donne bien plus d'autorité que
les dessins des voyageurs, faits plus ou moins rapidement, avec
plus ou moins de fidélité, et ensuite toujours un peu altérés par
la gravure ; mais encore elles sont exécutées avec une adresse
qu'on n'aurait pas supposée dans les artistes du pays. Les phy-
sionomies surtout sont étudiées avec une délicatesse toute parti-
culière ; les traits du visage, la couleui" du teint, la chevelure et
tous les traits de la conformation extérieure sont retracés avec
un soin minutieux. Ajoutons-y les poses et les attitudes des per-
sonnages des deux sexes, les instruments et les attributs des
professions diverses et des conditions civiles, domestiques ou
religieuses ; p^r exemple, les brahmes, les fakirs, les magistrats,
les artisans, les militaires, et jusqu'au porteur d'outre à eau^
qu'on prendrait pour le sacca dÉgypte. En outre, les costumes
sont de la forme exacte et de l'étotïe même du pays. On remar-
quera encore ici, sous le rapport de l'art, le progrès qu'ont fait
les artistes indigènes pour l'expression des muscles du corps et
de toutes les parties de la figure humaine.
Voilà pour ce qui regarde les objets recueillis dans les Indes
orientales, en supprimant un grand nombre de détails minu-
tieux. Mais M. Lamare-Picquot n'a pas négligé de se procurer au
Cap des objets semblables provenant de l'intérieur de l'Afrique.
On sait que l'industrie des Africains est plus grossière : cepen-
dant il était bon de recueillir quelques ouvrages de leurs mains.
Le voyageur a rapporté des figurines représentant des Cafres et
des Hottentots des deux sexes avec les costumes du pays, ainsi
que des tabliers ornés de perles, des costumes plus ou moins ri-
ches, des talismans appartenant à des princes de la partie orien-
tale, tels que le fanfoidi^ attribut royal que le prince porte à la
ceinture; il est d'une forme compliquée, bizarre et richement garni
en argent ; ensuite des armes et des armures de la partie nord-
est, des boucliers en peau d'hippopotames, et beaucoup d'autres
objets qu'il serait trop long d'énumérer ; plusieurs viennent de
Madagascar. Quoique d'un aspect peu brillant et peu flatteur à
l'œil, tous ces ouvrages de l'industrie orientale et africaine sont
DU MUSÉE d'ethnographie 123
bons à rassembler. Ils rempliront des lacunes et trouveront place
dans une bonne disposition méthodique.
L'utilité scientifique d'une collection d'objets de cette espèce
est la première chose qu'on doit avoir en vue. Il ne s'agit pas
seulement de les rassembler sans ordre ou d'en augmenter le nom-
bredeplusenplus; ilfaut encore qu'ils soient placésàla portée des
sources d'instruction géographique, c'est-à-dire les relations des
voyages auxquelles on en est redevable, la description des lieux
d'où ils viennent et des peuples qui les ont façonnés, les cartes du
pays d'oii on les a transportés et des routes qu'il faut suivre pour
en recueillir de semblables, ou rapporter des objets moins connus.
Tel est l'ensemble des moyens d'instruction qu'il faut rapprocher
l'un de l'autre. C'est par là seulement que le public recueillera
quelque fruit de ces collections, et c'est alors aussi seulement
que les gouvernements seront disposés à faire des sacrifices pour
acquérir les objets d'ethnographie. En effet, tant que ces mor-
ceaux ont passé pour être de simples pièces de curiosité, sans
aucun rapport avec une application quelconque aux besoins civils,
au commerce ou à l'industrie, on conçoit et on excuse l'indiffé-
rence avec laquelle ils étaient considérés. Aussi ceux que les
voyageurs ont rapportés avec eux depuis un siècle ont péri pour
la plupart,, ou ont été disp'ersés sans aucun résultat. Nous citerons
un seul exemple : c'est la triple collection que feu Leschenaut de la
Tour a transportée à Paris et dont il ne reste rien dans les établis-
sements publics. Les seuls instruments de musique auraient dû
déterminer à prendre alors une mesure pour conserver et re-
cueillir les objets de cette nature.
Il suit de ces réflexions que l'on doit saisir les occasions qui
se présentent de former des collections d'ethnographie, autant
pour le progrès de la science et des études géographiques et
historiques que pour l'avantage et l'accroissement de nos rela-
tions avec les contrées lointaines. Nous pensons que la collec-
tion de M, Lamare-Picquot doit être placée au premier rang de
celles qu'il est désirable de posséder , pour en faire jouir la
science et le public français. Nous pensons aussi que ce voyageur
424 LES ORIGINES
a bien mérité de la géographie, et qu'il est digne des éloges de
la Société pour le zèle qu'il a déployé, le dévouement dont il fait
preuve et les heureux résultats qui ont couronné ses efforts.
Paris, le 23 février 1832.
Signé : Bianchi, J.-B. Eyriès ;
JOMARD,
Rapporteur.
CHAPITRE IV
Brochure de Jomard sur le but et l utilité d'une collection ethnographique.
Béponse de Férussac.
N° XXIV
REMARQUES SUR LE BUT ET l'uTILITÉ
d'une
COLLECTION ETHNOGRAPHIQUE
Et les moyens de la former '.
L'état actuel des sciences géographiques appelle la formation
d'une collection spéciale destinée à recevoir les produits des
voyages lointains (autres que les productions de l'histoire natu-
relle), et qui sont propres à éclaircir les mœurs et les usages des
nations et des peuplades peu connues. Tel serait l'objet principal
d'une collection ethnographique, supplément utile ou même né-
cessaire aux descriptions géographiques et aux relations des
découvertes. Mais quel que soit l'intérêt qu'une telle collection
présente pour les études d'histoire et d'ethnographie, l'on ne
propose pas ici d'y consacrer un nouvel établissement ; d'abord
parce que la réunion complète des objets ne peut être que le
fruit du temps et des acquisitions successives ; ensuite, parce
1) Ces remarques forment Yaxjpendice (p. 63-92) à une brochure de Jomard
intitulée : Considérations sur l'objet et les avantages d'une collection spéciale
consacrée aux cartes géographiques diverses et aux branches de la géographie.
Paris, Duverger, 1831, br. in-8o. Ce mémoire, qu'il eût été inutile de donner
in extenso, contient, en outre, p. 18-23, un paragraphe sur V ethnographie, que
l'on trouvera au bas des pages suivantes. (E. H.)
126 LES ORIGINES
que les ressources qui pourraient être affectées par le gouverne-
ment à cette destination scientifique seront nécessairement bor-
nées. Aussi les réflexions qui vont suivre s'appliquent plus par-
ticulièrement à un établisssement existant et dépendant du
ministère de l'Intérieur, savoir : notre grand dépôt scientifique
et littéraire de la Bibliothèque royale. L'ordonnance du
30 mars 1828' a eu entre autres buts, celui de remplir cette
1) Cette ordonnance veut qu'on réunisse à la collection géographique les
divers objets qui proviennent des voyages scientifiques, ordonnéspar le ministère
de l'Intérieur : disposition d'autant plus sage que ces objets sont [dispersés et
souvent perdus au retour des voyageurs; je pourrais apporter en preuve les
voyages de feu Baudin, de Leschenault de la Tour et beaucoup d'autres.
Déjà l'on y a rassemblé ceux qui provenaient de l'expédition française en
Egypte ; des fragmens d'objets modernes recueillis par la commission qui a
publié une description de cette contrée par ordre du gouvernement ; les archives
de cette commission scientifique ; enfin les dossiers originaux de l'expédition.
On doit y placer dans la suite les produits de l'industrie des peuplades lointai-
nes, visitées par les voyageurs français.
C'est principalement sous le rapport ethnographique que cette disposition ac-
querra de l'importance, aussitôt qu'elle pourra être réalisée dans le local^conve-
nable que l'on prépare en ce moment. En peu d'années, la civilisation, chez cer-
taines peuplades, a fait des progrès tels, qu'il faudra, si l'on veut connaître et
conserver l'histoire des races humaines, se hâter de rassembler les élémens
de leur état natif, non-seulement leur langage, leur écriture, leur physionomie
propre, mais les produits mêmes de leur industrie, ouvrages d'un art encore
dans l'enfance, mais qu'il est intéressant d'observer dans ses développemens.
Ce qui se passe dans l'Amérique du Nord, chez les Cherokees, dans l'Océanie,
aux îles Sandw^ich (voyez plus loin 3e note) ; l'imprimerie étabhe à Eymeo (où
l'on a vu le roi se faire imprimeur lui-même), et tant d'autres exemples qu'il
serait long de citer, montrent avec quelle rapidité les barbares peuvent adopter
l'industrie, les moeurs et même les langues européennes et abandonner leurs
idées et leurs habitudes. Une collection ethnographique, formée sur un plan bien
conçu, ferait voir le point de départ de la civilisation chez les peuples sauvages
et ses progrès successifs. Les objets curieux, qui se perdent ordinairement, ou
qui sont exportés à l'étranger, seraient ainsi conservés à la France ; enfin, ils
serviraient de supplément, de commentaire ou d'éclaircissement à la description
géographique des peuples mal connus ; ils exciteraient le zèle des voyageurs et
stimuleraient le goût des voyages ; enfin ils formeraient une série de matériaux
propres à donner une juste idée des différentes races humaines, classées d'après
leurs caractères physiques en même temps que selon leurs notions morales et
intellectuelles et les fruits de leur industrie.
Outre la belle collection de Gœtlingue (voyez plus loin l^e note), l'on peut citer,
une collection semblable, formée dans une contrée reculée de l'Europe. La France
DU MUSÉE d'ethnographie 127
lacune, remarquée depuis longtemps par les bons esprits, signa-
a à envier à la Russie le Musôc ethnographique, collection précieuse dont M. Mer-
tens a fait don à l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. Les objets ont
été recueillis principalement dans les îles du grand Océan. Le motif qui a fait
créer ce musée est précisément le même que celui que j'ai mis en avant plu-
sieurs fois; c'est que ces objets curieux, ces ustensiles, ces ornemens, ces vases
et ces instrumens divers sont de vrais raonumens de ^'industrie des peuplades
et qu'ils deviendront de plus en plus rares et précieux, puisque, même dans
certaines localités telles que Sandwich, il est devenu très difficile et presque
impossible de s'en procurer.
Parmi les ouvrages de l'industrie extra-européenne, il semble qu'on devrait
choisir surtout une certaine classe d'objets, comme très propres à caractériser
le degré ou le genre de la civilisation. Je veux parler des instrumens, qui ser-
vent à exprimer ou à transmettre le sentiment musical, mode d'expression inné
chez tous les hommes ; il faudrait s'attacher à réunir le plus complètement pos-
sible tous les instrumens à vent, à corde et de percussion appartenant aux peu-
plades. S'ils sont semblables ou analogues à ceux dont l'ancien monde civilisé
a fait usage, on en pourra tirer des inductions sur l'origine de ces peuplades;
s'ils en diffèrent absolument, ils donneront lieu à d'utiles remarques sur le
génie inventif des différentes tribus et sur le goût particulier aux hommes des
diverses races. On peut en dire autant des difîérens jeux et des objets servant
aux exercices gymnastiques. Tous ces objets dessinés par les voyageurs, sans
vérité ou d'une manière fugitive (quand ils ont encore le temps de les copier),
perdent encore à la gravure et aucune description ne peut les suppléer.
Outre les armes et les armures de toute espèce, il faudra rechercher les outils
employés dans les arts et le travail des métaux, les ustensiles variés de l'éco-
nomie domestique et de l'agriculture, les monnaies, poids et mesures, les tissus
de tout genre, les ornemens de parure, souvent très riches par la matière, par
la forme et par le dessin; puis les ornemens et les symboles du culte et des su-
perstitions, tels que les talismans, les trépieds et les autels portatifs, les divers
signes extérieurs des cérémonies de la religion, enfin tout ce qui constate l'état
des mœurs, des préjugés etdes idées sociales et religieuses. Joignons encore à cette
énumération les peintures elles reliefs qui expriment le caractère de la physiono-
mie, quand ils sont l'ouvrage des indigènes même. Je n'en excepterais pas cer-
tains costumes, comme on en voit dans l'Afrique centrale et occidentale, dont
les voyageurs ne remarquent souvent que la bizarrerie, mais qui éclaircissenl
des usages civils ou religieux, ou des superstitions d'un genre particulier. La
collection de tous les instrumens matériels qui servent à compter, peser et
mesurer, serait, à elle seule, d'un haut intérêt ; 'que de matières précieuses et
d'objets des trois règnes, mis en œuvre parles indigènes, il serait avantageux de
reunir
Si les Espagnols, au lieu de détruire ou de laisser disperser les ouvrages
de l'industrie américaine, les produits des arts des Mexicains, des Péruviens et
surtout de l'Amérique centrale (*), les avaient, au contraire, conservés avec soin
{*) a 11 est à présent démuntré que la péninsule d'Yucatan et ses monumens appartiennent à une
128 LES ORIGINES
lée même par les rapports des commissions et des compagnies
savantes *.
Il ne s'agirait donc que de réaliser reffel de cette ordonnance j
le défaut de fonds l'a seul empêché jusqu'à présent de recevoir
son exécution. On devrait saisir l'occasion de l'arrivée à Paris
d'une intéressante série d'objets en ce genre, rapportés de l'Inde
et de l'Afrique australe par M. Lamare-Picquot. L'Institut de
France vient de porter son jugement sur le mérite et l'intérêt de
cette collection^ Le moment est donc favorable pour envisager
la question sous le rapport de l'utilité scientifique, et pour pro-
poser des vues sur le moyen d'exécution : but de la collection
ethnographique ; convenances et avantages de l'établissement
destiné à la recevoir; facilité d'économie, de temps et d'argent
dans la formation de cette collection, tels sont les points à exa-
miner ici, et les conditions à remplir.
et rassemblés dans une grande collection; si l'on avait ainsi constaté la situa-
tion sociale des Américains au jour de la conquête, certes on aurait aujourd'hui
des lumières sur leur origine, on n'en serait pas réduit à des conjectures sur
ce qu'il faut penser de l'état primitif des aborigènes; on saurait enfin plus posi-
tivement, si leur civilisation a eu plusieurs sources, plusieurs degrés, plusieurs
périodes.
i) Voir le rapport fait au ministre de l'Intérieur en 1818 par la commission
de l'Institut chargée d'examiner la collection de Thédenat du Vent, rapport que
j'ai été chargé de rédiger ; voyez aussi sur le même sujet, le rapport de la com-
mission scientifique attachée au ministère (*).
2) Voyez plus haut, n» XXI.
époque particulière; que le système d'architecture et de sculpture et le style des ouvrages d'art y
diffèrent de ce que Ton voit dans le Mexique proprement dit. On peut citer en preuve, outre les
dessins connus jusqu'à présent, et venant des voyages de Del-Rio et du capitaine Dupaix à Pa-
lenqué, les collections de M. Latour-Allard et .de M. BeuUoch, des fragmens intéressans rap-
portés par M. Franck, et une petite collection que je me suis procurée depuis deux ans , composée
des objets rapportés notamment par M. Baradère. Celle-ci renferme plusieurs objets provenant des
ruines de cette ville remarquable, qu'on a appelée la Palmyre du nouveau continent, et qui sera
peut-être un jour surnommée la Thèbes américaine. On y trouve des ustensiles, des vases et des
instrumens très curieux, qui non seulement annoncent de l'art et du goût, mais encore olfrentdes
rapprochemens singuliers avec l'ancien continent. Ces similitudes frappantes ouvrent dijà un vaste
et nouveau champ aux recherches sur l'histoire des migrations humaines. »
Les collections Latour-Allard et Franck, dont il est ici question, acquises pour le Musée Améri-
cain du Louvre, sont aujourd'hui déposées avec les autres pièces de ce Musée au Trocadéro. La
collection de Baradère fait partie du Musée Berthoud à Douai; j'ignore ce qu'est devenue la collec-
tion BeuUoch.
(E. H.)
(*; Malgré des recherches très attentives il a été impossible de retrouver ces documents, soit
aux Archives Nationales, soit à l'Institut, soit enfin au Ministère de l'Instruction publique.
(E. H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 129
L'énuméralion des objets propres à entrer dans la collection
dépend de la connaissance distincte du but qu'on se propose. Or,
ce but est essentiellement scientifique : il consiste principale-
ment àfaire connaître, d'une manière exacte et positive, le degré
de civilisation des peuples peu avancés dans l'échelle sociale, en
donnant le moyen d'apprécier leurs ouvrages, et jetant une vive
lumière sur l'état de leurs arts et de leur économie domestique,
autant que sur la nature de leurs idées morales et religieuses. Il
faut, pour cela, mettre le spectateur en présence des objets eux-
mêmes, au lieu de se borner à placer sous ses yeux une des-
cription toujours froide et incomplète. Il apprend ainsi, d'un
coup d'oeil, à juger de la forme, de la matière et de la nature
même des objets dont il s'agit ; il en comprend mieux l'usage et
la destination que par le discours seul ; les usages, les mœurs et
les coutumes des peuples sont par là plus faciles à concevoir.
Enfin, avec ce secours, l'observateur philosophe voit mieux par
quels progrès Thomme s'est élevé ou s'élève encore de nos jours
à une situation perfectionnée, en imaginant des arts nouveaux,
en inventant des outils et dos instrumens plus ingénieux, en
devinant quelquefois des arts ou des procédés que l'Europe n'a
acquis qu'à l'aide des siècles. Tel instrument de gymnastique en
usage chez les tribus à demi-sauvages, tel instrument de musique,
tel objet servant aux jeux et aux récréations des indigènes, telles
armures ou armes offensives, tel instrument propre à peser les
matières précieuses, tel objet de goût, en or ou en gemme, tra-
vaillé avec recherche, etc., etc., sont, à eux seuls, des documens
certains sur la tendance au perfectionnement et doivent servir
à faire augurer, pour la suite, une civilisation croissante. Cette
question, comme on le voit, se rattache immédiatement au ta-
bleau moral et historique des peuples, à Y ethnographie propre-
ment dite. Il se lie aux considérations tirées du caractère des na-
tions, de leurs idées dominantes et même de leur langage ; car
le nom, que donnent les indigènes à ces instrumens, dépend sou-
vent de la forme ou de la matière. Il est donc utile de les avoir
sous les yeux, pour bien savoir ce qu'en disent les naturels, pour
mieux concevoir la description, et surtout Tusage qu'ils en fout.
9
130 LES ORIGINKS
I] ne s'ag-it point ici du beau clans les arts : mais il est princi-
palement question des objets considérés sous le rapport de l'uti-
lité pratique et sociale, de leur usage économique et technolo
gique, c'est-à-dire, des progrès dans l'industrie appliquée aux
besoins ordinaires de la vie. Toutefois il serait presque impos-
sible de séparer de cette série les objets qui se rapportent
aux idées morales des peuples, à leurs rites et à leurs cérémo-
nies, qui servent à leur culte ou sont un symbole de leurs su-
perstitions : ils trouvent là naturellement leur place, même ceux
qui sont singuliers ou fantastiques, parce qu'ils doivent précisé-
ment nous éclairer sur le goût et sur la tournure d'esprit des
habilans. Je signalerai même ici des costumes et des déguise-
mens bizarres, en usage pour les divertissemens ; enfin les di-
verses sortes de talismans et d'amulettes. Toutes ces choses
jettent des lumières sur Pétat moral des tribus et des peuplades.
On devrait, selon moi, s'attacher aussi à ce qui regarde leurs
jeux et leurs amusemens qui reposent sur des calculs et des
combinaisons : c'est là une source de remarques curieuses sur le
degré d'intelligence des naturels.
Par l'étude et la comparaison de tous ces objets, on serait plus
en état (ainsi que M. Abel-Rémusat l'a judicieusement observé')
de comprendre les passages difficiles de certaines descriptions
des auteurs orientaux, pour ce qui regarde les rites religieux;
on peut ajouter, pour les produits naturels travaillés par les in-
digènes avec plus ou moins d'habileté. Ainsi l'orientaliste et
l'observateur philosophe, aussi bien que le géographe et le na-
turaliste, sont également intéressés à la réunion des matériaux
dont il s'agit. Tous y peuvent puiser une instruction qu'on cher-
cherait vainement ailleurs. Ainsi les ouvrages de ces arts, encore
dans l'enfance, ne seraient plus dédaignés au retour de nos voya-
geur?, qui ne savent où les déposer à leur arrivée en France :
circonstance fâcheuse sur laquelle nous reviendrons bientôt.
Une autre considération assez importante, déjà exposée, mérite
ici de trouver quelques développemens. Chez plusieurs peuples
1) Voyez plus haut, pièce ii" XXI.
DU MUSÉE d'ethnographie 131
de la mer du Sud_, on a vu la civilisation faire en peu de temps
des progrès immenses. Comment conserver et écrire l'histoire
du progrès moral et intellectuel des races humaines, si l'on ne
s'efforce pas de recueillir aujourd'hui les notions positives sur
le caractère de leur physionomie morale et physique, et les pro-
duits de leur industrie naissante, avant que celle-ci n'emprunte
aux Européens une extension peut-être excessive et prématurée.
Il importe, sans doute, que notre propre industrie se fasse des tri-
butaires en Afrique et en Amérique, comme dans la mer du Sud
et dans l'Australie; mais ces vastes contrées et, par exemple, le
monde maritime, sont-ils bien prêts pour recevoir un degré de
civilisation si avancée? Ne devrait-on pas procéder avec plus de
mesure et ne faut-il pas d'abord bien constater l'état moral
et matériel de tous ces peuples, afin d'y proportionner les efforts
d'améliorations? On sait qu'aux îles Sandwich, Timprimerie,
depuis dix ans, a été introduite avec succès; que les idées des
Européens ont pénétré avec leurs arts et leurs costumes, et
même que la religion anglicane a succédé à l'idolâtrie*.
Un phénomène semblable vient d'être observé à Eyméo. On
sait que les Cherokees, tribu américaine, ont adopté une écriture
semi-européenne, pour écrire leur propre langue : ils ont fait
plus, ils ont un journal* et une constitution libérale; dans peu,
toutes les professions européennes y seront en pratique. Si, à
l'exception de l'Europe et de quelques contrées privilégiées, le
genre humain est resté si longtemps dans les langes de la bar-
barie, il n'en peut plus être de même aujourd'hui, par suite des
communications continuelles du commerce et de la navigation,
comme avec de la persévérance et du temps, on viendra proba-
blement à bout de faire abandonner aux hommes de la nature
une partie de leurs habitudes et de leurs usages^; il est urgent,
1) Hono-rorou (Honolulu) a des rues, des auberges à enseignes, des billards.
La flotte de Sandwich fait des expéditions et compte plusieurs bricks. Des ré-
gimens y sont exercés aux manœuvres.
2) Le Phenix-Cherokee; c'est le pendant du Journal du Caire, qui a apparu
presque en même temps à un autre bout du monde.
3) Il n'est pas question ici des missions religieuses dans l'Inde et dans la
Chine.
132 LES ORIGINES
en quelque sorte, de fixer le point de départ de la civilisation,
afin d'apprécier ses développemens et ses effets successifs.
Il y a plus, les objets dont il s'agit, les instrumens et usten-
siles des peuples sauvages commencent, ainsi qu'on l'a dit, à
devenir assez rares dans leurs propres pays, et il est de ces con-
trées où l'on aurait de la peine à en recueillir.
Si le Muséum d'Histoire naturelle de Paris a pris un dévelop-
pement qui l'a mis au premier rang, peut-être, parmi les établis-
semens scientifiques de toute l'Europe, c'est qu'il a reçu et con-
servé, d'année en année, toutes les richesses naturelles apportées
par les voyageurs. Pourquoi n'en serait-il pas de même des objets
ethnographiques, qui n'intéressent pas moins la géographie, l'his-
toire et les sciences morales, que les collections de plantes et
d'animaux intéressent le naturaliste et les sciences physiques?
Pourquoi la Bibliothèque royale, qui est aussi un vaste musée,
réunion de cinq musées différons, n'aurait-elle pas aussi, par la
suite, ses explorateurs, avec des ressources proportionnées aux
besoins de la science et des lettres? N'est-il pas à regretter que,
faute d'un lieu central, on ait laissé périr ou disperser des objets
précieux rapportés, depuis trente ans, des diverses parties de
l'Asie et du monde maritime, aussi bien que de l'Afrique et
des deux Amériques? Or, c'est précisément depuis cette époque
que les explorateurs ont fait le plus de découvertes par tout le
globe. 11 n'en est pas un qui n'ait rapporté quelques objets ins-
tructifs pour l'ethnographie; mais le défaut d'un centre commun
est cause que presque tous ont été dispersés. Que sont devenues
les nombreuses pièces rapportées par feu Leschenault de la Tour
et par un grand nombre d'autres voyageurs? Ceux même de
l'expédition d'Egypte n'ont pas été tous rassemblés, mais il en
reste encore beaucoup. Plusieurs des voyageurs de cette expédi-
tion mémorable seront, sans doute, disposés à les offrir, aussitôt
qu'il existera un point de réunion.
La France a été devancée sous ce rapport par plusieurs nations
de l'Europe, et même par la Russie; un tel état de choses peut-il
être toléré? N'entendons-nous pas souvent les étrangers qui,
après avoir admiré nos trésors d'histoire naturelle et nos di-
nu MUSÉE d'ethnographie 133
verses collections, fout des réflexions critiques sur notre incurie
pour les richesses ethnographiques?
Userait superflu, nous le pensons, de circonscrire les lieux qui
serviraient de théâtre aux explorations des voyageurs ethnogra^
phes. A l'exception de l'Europe civilisée, presque tout le globe
habité fournirait des matériaux convenables à la collection. Il
n'est pas une seule des contrées placées en dehors du système
européen qui ne pût y concourir. Quelle moisson ne ferait-on
pas dans les pays du nord de l'Inde et dans l'Asie centrale ! Que
d'objets neufs et instructifs à rapporter du grand' Océan ! Enlin
l'Afrique tout entière est à exploiter.
Par les détails où nous venons d'entrer, nous croyons avoir
suffisamment tracé la démarcation entre les objets ethnographi-
ques et les collections d'un autre genre; par exemple, celles d'his-
toire naturelle, puisqu'il s'agit d'objets ayant été travaillés, pour
servir soit à une destination économique ou domestique, soit à
un usage civil, religieux ou militaire ; les collections d'antiquités^
parce qu'ils doivent appartenir aux époques modernes, ou du
moins à des peuples autres que ceux qui composent l'antiquité
classique, tels que les Grecs et les Romains, les anciens Égyp-
tiens, les Perses ; avec les collections des beaux arts, parce qu'ils
sont essentiellement les produits des arts industriels ; enfin avec
les monumens de l'écriture et des langues, Ainsi le lieu où on les
trouve, l'époque à laquelle ils appartiennent, et la nature du tra-
vail les distingueront toujours assez des objets d'une autre espèce
et sans aucune crainte de confusion . Qu'on se hâte donc de remplir
cette lacune ; ce n'est pas dans la capitale de la civilisation qu'on
doit regretter plus longtemps l'absence d'une collection sem-
blable , il suffit d'ajouter que la Russie, la Prusse et l'Angleterre
et d'autres Etats plus petits nous ont depuis trop longtemps de-
vancés.
Quant au classement des objets, il devrait être fait dans un
ordre méthodique et non dans l'ordre géographique, pour ofl"rir
aux recherches un plus haut degré d'utilité. C'est d'après la na-
ture des choses, c'est-à-dire selon leur usage et leur destination,
et non d'après l'ordre des lieux et l'espèce de la matière qu'il fau-
134 LES ORIGINES
drait les distribuer. L'on placerait donc à la suite les objets du
même genre, en usage chez les diverses peuplades, sous-divisées
elles-mêmes d'après un ordre géographique constant, autant que
le permettraient des séries plus ou moins "complètes.
Il nous reste à présenter des vues sur les moyens d'exécution ;
c'est ce qu'on va faire le plus succinctement possible. Outre les
objets propres à former la collection ethnographique, et dont nous
parlerons tout à Theure, il faut encore trois choses- pour que le
public puisse en jouir promptement et économiquement : un
local, des arrangemens intérieurs, des agens chargés de la con-
servation. Nous avons bien montré la nature scientifique et litté-
raire de cette collection; ce motif seul suffirait pour faire choisir
la principale bibliothèque de Paris, si le choix n'était déjà tout
fait par l'ordonnance du 30 mars 1828, portant qu'au dépôt de
cette bibliothèque seront réunis les objets et instrumens divers
produits par les voîjages scientifiques. C'est en vertu de l'or-
donnance que cet établissement a reçu plusieurs des objets pro-
venant de l'expédition d'Egypte. Le local est donc trouvé. Les
belles constructions qui s'élèvent en ce moment rue Vivienne
fourniront le local définitif du département de géographie, qui
aura près de trois cens mètres de développement ; le local provi-
soire actuel est lui-même très beau et convenable^ il a plus de
deux cens mètres ; c'est quatre fois l'espace suffisant pour ex-
poser tous les objets qu'on pourrait en ce moment rassembler à
Paris.
Les agens nécessaires pour la garde et la conservation des
objets sont également tout trouvés. Il n'y a pour cet objet aucune
espèce de frais à faire, pas plus que pour le local. Le conserva-
teur du département de géographie et ses auxiliaires suffisent à
ce travail. Quant aux dispositions intérieures, c'est Tobjet d'une
dépense très modique, ou qui ne doit pas du moins être d'une
grande importance. Nous venons aux moyens d'opérer la réunion
des objets ethnographiques avec les moindres sacrifices possibles.
1" Il est d'abord évident que si l'on veut former une telle collec-
tion, dont on a déjà reconnu et proclamé l'utilité, et en faire profi-
ler la science le plus tôt possible, il y a quelques fonds à y consa-
DU MiTSÉK d'kthnographie 435
crer. Il existe, il est vrai, des fragmens épars qu'il ne faut que
rassembler; mais il faudrait joindre à ce noyau quelques acqui-
sitions, parmi lesquelles nous indiquerons, en première ligne, la
collection intéressante de M. Lamare-Picquot '. C'est une circons-
tance heureuse à laquelle on en est redevable. Ce voyageur était
allé deux fois dans l'Inde pour un tout autre objet ; mais il a été
servi par des occasions favorables et il a su les saisir habilement ;
un troisième voyage, s'il était aidé par le gouvernement, lui
procurerait, sans nul doute, des matériaux encore plus intéres-
sans et plus riches. Sa collection actuelle est composée de plus
de mille articles, dont beaucoup, à la vérité, sont doubles et tri-
ples. Elle embrasse une très grande variété d'objets en tout genre,
relatifs aux coutumes, aux mœurs, à l'économie domestique et
aux arts ; des instrumens de gymnastique d'une assez grande
proportion ne sont pas les moins remarquables de cette collec-
tion. Des ouvrages très soignés, appartenant à des peuples consi-
dérés presque comme barbares, méritent une attention particu-
lière. On y voit qu'ils ont travaillé avec soin les métaux et les
matières végétales. On y remarque des talismans d'une espèce
particulière et beaucoup d'autres objets relatifs aux superstitions
et aux préjugés des indigènes. On distingue surtout de nom-
breuses figures en relief et faites de terre cuite, représentant les
différentes castes et les diverses professions des Hindous, avec la
physionomie et le vêtement propres à chacune ; ces figures sont
travaillées dans le pays même par les Hindous de Kishnagore -,
avec un certain art. Plusieurs des objets relatifs aux religions
viennent du Thibet et du pays des Barmans : ils ont été trans-
portés à Calcutta, où M. Lamare-Picquot les a recueillis. 11 serait
superflu de décrire plus au long ces objets si propres à éclairer
l'ethnographie des Orientaux et celle de plusieurs peuples de
l'Afrique australe , puisque l'Académie des Inscriptions a ex-
primé à cet égard une opinion très favorable ^ Il importerait de
1) Voyez plus loin deuxième note et ci-dessus les nos XXI, XXII et XXII I.
2) Krishnagao, Bengale.— Cf. Hevue d'Ethnographie, t. VI, p. 188, etc. 1887.
(E. H.).
3) Voyez le rapport de M. Abel Rémusat fait au nom d'une commission spé-
136 LES ORIGINES
ne pas laisser échapper l'occasion de réparer les pertes que
la France a essuyées en ce genre. Le voyageur est disposé à,
sa collection au gouvernement ; il serait très regrettable que
céder ces objets curieux et instructifs sortissent de France et
allassent enrichir un musée ethnographique étranger.
2° Le Musée d'Histoire naturelle possède un certain nombre de
produits de l'industrie des peuples lointains que les naturalistes
y ont déposés en même temps que leurs collections d'animaux et
de plantes. Il paraît que ces objets sont disponibles dès à pré-
sent pour contribuer à former la collection ethnographique ; un
lieu spécial convient mieux à cette destination. Les greniers du
palais de l'Institut renferment aussi plusieurs objets du même
genre qu'on a apportés autrefois du Louvre, dans un temps où
l'attention du public ne se portait pas de ce côté'.
3" La conquête d'Alger ouvre encore une fois à nos armes le con-
tinent africain. Les sciences, aussi bien que le commerce, devront
en profiter. On va sans doute recueillir des objets provenant des
tribus de l'intérieur. Déjà même l'occupation d'Alger en a mis
plusieurs de celte espèce au pouvoir de l'armée française. 11
paraît qu'il s'en est trouvé qui intéressent les mœurs et les
usages des peuplades berbères et des diverses tribus qui habi-
tent ou avoisinent l'Atlas, tels que des armes, des vases, des
instrumens de différentes natures. On jugera peut-être con-
venable de les demander pour enrichir nos bibliothèques. Les
découvertes récentes ont fait connaître l'existence , dans
l'Afrique centrale, dans le Bornou et ailleurs*, de nombreux
corps de cavalerie revêtus d'armures semblables à celles que
portaient les cavaliers numides. Il existe à Alger de ces armures,
et on doit désirer qu'elles soient apportées en France : il est
ciale le 8 avril dernier {Moniteur du 6 mai) et le recueil des rapports faits s u
celle collection, in-4o, 20 pages.
i) Je me suis assuré qu'il n'y a jamais eu, à l'Institut, de dépôt de ce genre.
(E. H.)
2) Allusion aux récits et aux figures de Denliam, Clapperton et Oudney ré-
cemment publiés.
(B. H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 137
facile de faire réclamer celles qui appartiennent au domaine ou
aequérir les autres à peu de frais. Des démarches ont déjà été
faites à cet effet, mais elles sont restées sans suite depuis plus
d'un an*.
4« L'expédition d'Egypte a procuré un certain nombre d'objets
analogues provenant de ce pays et des contrées environnantes ;
on doit distinguer surtout les instrumens de musique moderne
de l'Egypte et de la Nubie, qui présentent des rapports assez
frappans avec les instrumens en usage chez les anciens. Quel-
ques-uns de ces objets sont déjà déposés au département de
géographie. Plusieurs des membres de l'expédition sont disposés
à y joindre ce qu'ils ont rapporté du pays. Nos relations d'amitié
avec le gouvernement d'Egypte nous feront obtenir facilement
les objets du Sennar et de l'Abyssinie, du Kordofan et du Dar-
four, et par suite des pays de Bargou et de Bornou. Le dernier
voyage du Defterdar bey dans le Kordofan ^ a procuré Tacquisition
d'objets de cette espèce, et une des choses curieuses que nous
devons à cette expédition, c'est une carte de ce pays (jusqu'alors
presque inconnu) et ouvrage du Defterdar lui-même. Tout im-
parfait qu'il est, il mérite une place à ce double titre dans la
collection géographique, et l'on espère qu'il y sera déposé ; une
carte d'un pays ignoré, dressée par un Égyptien, sera vue avec
intérêt.
5» On possède des instrumens, des ustensiles et d'autres pro-
duits curieux de Yindustrie africaine, recueillis par les voyageurs
français qui ont pénétré dans la Sénégambie, MM. Durantin, de
Beaufort et plusieurs autres. En voyant la manière dont les
Africains travaillent le cuir et les métaux, notamment l'or et le
fer. on est également surpris, et de ce que leur état social est si
arriéré, et de ce que les Européens, les Français en particulier,
n'aient pas su mieux profiter du goût de ces peuples pour les
parures et certains produits de nos arts. Riches de leurs produc-
1) On a vu plus haut que le Musée Dauphin s'était enrichi d'une partie de ces
collections. Le Musie d'Artillerie en a eu la plus large part. (E. H.)
2) Cf. A. Peney, Ethnographie du Soudan égyptien. {Rev. d'Ethnogr., l. I,
p. 398, 484, etc., 1882.)
138 LES ORIGIiVES
lions en tout genre et des abondantes mines d'or de Bambouket
de Bouré, ces divers peuples n'attendent que les ouvrag-es de
notre industrie pour les échanger contre leurs produits naturels.
Le voyage de René Caillé a fait voir que c'est à Djenny et non à
Temboctou, qu'il faut porter nos produits ou les faire parvenir
par la voie des caravanes. Alors on sera maître d'un commerce
immense ; car la population de ces pays répond à leur grande
fertilité, et plus on pénètre dans l'intérieur, plus on trouve les
hommes tolérans, les mœurs douces et hospitalières. Qu'on y
porte le commerce au lieu de la guerre, et la philosophie au lieu
des croyances ; que l'humamté à son tour ait ses missionnaires
et l'Afrique centrale nous ouvrira ses portes comme à des bien-
faiteurs. Quelques années de relations amicales y feront plus que
des siècles n'ont pu faire dans l'Inde ou la Chine. Voilà sans
doute une source abondante et, quand on le voudra, très pro-
chaine, de richesses ethnographiques. Il suffit, pour cela, qu'un
ministre éclairé, patriote zélé autant qu'homme d'Etat, entende
la voix qui appelle à grands cris ces communications, ces amé-
liorations si désirées par le commerce et l'industrie de la France.
Alors la science, marchant à la suite des progrès de l'industrie
et des conquêtes philanthropiques, viendra en recueillir le fruit
et fournira, en retour, de nouveaux moyens d'investigation et de
prospérité commerciale.
6" Il a été question plus haut des ouvrages mexicains qui se-
raient propres à enrichir la collection ethnographique, surtout
sous le rapport des rapprochemens que l'on veut établir aujour-
d'hui entre les deux continens. La même remarque s'applique
aux produits péruviens et aux objets provenant des autres con-
trées du Nouveau-Monde. L'action puissante qu'exerce aujour-
d'hui la république des Etats-Unis sur les peuplades indiennes,
l'adjonction successive de leur territoire au sien, tend à faire
disparaître par degrés le type natif et le caractère propre des
tribus sauvages et jusqu'à leurs idiomes. Il faut donc se hâter,
pendant qu'il en est temps encore, de recueillir et de rassembler
les objets matériels propres à éclairer le tableau moral et l'his-
toire des aborigènes. Plusieurs produits intéressans de l'indus-
DU MUSÉE d'ethnographie 139
trie des Mexicains et des indigènes de l'Amérique centrale se
trouvent, en ce moment, réunis dans la capitale ; il sera peu dif-
ficile de se les procurer. On y trouve des fragmens d'un assez
grand intérêt pour la connaissance des rites et des usages des
natifs et même sur les rapprochemens à faire avec l'Ancien-
Monde. Sur deux ou trois collections de cette espèce qui sont
ici, une sera peut-être offerte au gouvernement à titre gratuit.
On y remarque des objets curieux, tels que des instrumens à
vent, des cachets pour empreinte, des vases aussi remarquables
par la forme que par la matière, des miroirs en pyrite et en pierre
obsidienne, des terres cuites qui représentent le caractère de là
physionomie d'une manière expressive, des matières dures tra-
vaillées avec art. Des fragmens de ce genre sont utiles et pres-
que indispensables, pour comprendre les dessins et les figures
de toute espèce dont sont couvertes les peintures mexicaines.
7° Les collections publiques renferment, la plupart, des objets
qui ont de l'intérêt sous le rapport de l'ethnographie, mais qui
perdent presque tout leur prix par leur isolement. C'est leur
réunion seule qui leur donnera une véritable utilité. Cette consi-
dération d'intérêt public sera peut-être de nature à frapper les
ministres de qui dépendent ces collections, et à leur faire
prendre une mesure dans le sens de l'ordonnance du 30 mars*.
Mais quand même on laisserait ces objets épars, là où ils se
trouvent, ce ne serait pas un motif pour perdre de vue le but
tout scientifique et littéraire d'une collection ethnographique, et
par conséquent, la réunion des objets disponibles à la Biblio-
thèque royale, qui en possède déjà un assez grand nombre.
Enfin il existe à Paris de ces mêmes objets chez des parti-
culiers, des amateurs et des curieux, ainsi que dans des maisons
de commerce spéciales ; l'on en fait des ventes assez fréquentes,
à la suite desquelles ils se dispersent, se donnent à vil prix ou
sont emportés à l'étranger. On peut s'attendre aussi à des dons
gratuits lors des mutations qui ont lieu : en effet, l'embarras de
1) Jomard vise ici manifestement le Musée Naval, dont il ne parle que tout à
fait en passant, en tête de la note qui suit sous le nom de Collection créée au
Louvre pour recevoir les modèles des constructions navales. (E. H.)
140 LES ORIGINES
les loger, leur poids et leur volume, la difficulté de les vendre
en temps utile ou avantageusement engageront les possesseurs
ou leurs héritiers à les déposer dans un établissement public.
En tel cas, le nom des donateurs y serait inscrit, en signe
de reconnaissance pour leur générosité ou celle de leurs
familles.
8° L'on peut et l'on devrait donner à nos consuls la mission
de rassembler des o\y\&\.?> ethnographiques . Si on le fait, il ne faut
pas douter de leur zèle pour contribuer à enrichir une collection
nationale d'un genre neuf en France; ils y mettront de l'amour-
propre et de l'empressement. Ce que l'on paierait très cher ici
aux voyageurs, ils peuvent sur les lieux mêmes ou parce qu'ils
sont placés favorablement , l'obtenir au moyen des échanges ;
ou par les dons des personnes de leur résidence, intéressées à se
ménager la faveur du gouvernement ; ou enfin à des conditions
pécuniaires peu onéreuses \
Nous ne prolongerons pas davantage cette indication générale
des moyens à mettre en usage pour former assez promptement
une collection ethnographique ; celles qui précédent suffisent sans
doute pour en montrer la possibilité: autant il est évident qu'elle
sera très utile aux sciences, à l'étude et aux recherches histo-
riques, autant il paraît facile de le réaliser dès à présent, et de
commencer, sans retard, à en faire jouir le public français et
étranger.
En résumé, de puissans motifs militent en faveur du pla-
cement de la collection ethnographique à la Bibliothèque royale :
h L'ancien noyau qui s'y trouve, et qui a été commencé, il y
a plus d'un siècle ;
2" La nature de cette collection, dont l'objet doit être tout
(1) La collection créée au Louvre pour recevoir les modèles des constructions
navales contient plusieurs objets ethnographiques intéressans; il en existe aussi
au dépôt de Versailles et ailleurs.
Une collection japonaise vient d'arriver à Marseille (voyez plus loin
nos XXXVIII, etc.) : on y remarque beaucoup de pièces du même genre, et qui
paraissent tout à fait neuves en France ; elle renferme des objets rares de Bor-
néo, des îles de la mer des Indes et des îles de la mer du Sud. Bien d'autres
DU MUSÉE d'ethnographie \i{
scientifique et historique, et non Taliment d'une stérile et frivole
curiosité ;
collections, sans nui doute, seront signalées, dès qu'un centre sera formé et son
existence connu de nos navigateurs.
PREMIÈRE NOTE
MUSÉUM ETHNOGRAPHIQUE DE GOETTINGUE
On peut être surpris de ce que, dans un temps où l'on fait tant de choses
pour les collections relatives aux sciences, on n'ait pas encore établi, dans
aucune capitale de l'Europe, un Muséum pour la géographie des divers peuples
de la terre, qui, disposé d'après un plan régulier, fasse voir au spectateur la
manière de vivre de ses semblables dans d'autres parties du monde, et sous
d'autres climats, enfin lui montre leurs ustensiles, leurs vêtemens, leurs pa-
rures, leurs armes. Le cabinet ethnographique de Gœllingue peut servir de
modèle en ce genre; il fait partie du Muséum dont il occupe deux pièces; il
s'est accru peu à peu. On en doit le commencement à la libéralité du roi,
qui envoya diverses pièces provenant du premier voyage de Cook. Le désir qui
fut manifesté alors de posséder quelques-unes de ces curiosités, en procura aus-
sitôt UQ grand nombre. A la mort de Forster père, la collection s'accrut considéra-
blement par l'achat de la sienne; elle serait cependant restée bornée à une seule
partie, si un événement heureux ne lui eût fourni de grandes richesses dans une
autre; elle en fut redevable à la libéralité de M. le baron d'Asch, mort à Saint-
Pétersbourg, et qui a aussi enrichi la collection de minéralogie, ainsi que celle
des livres russes. Son long séjour, comme médecin et naturaliste dans la capi-
tale du plus vaste empire de la terre, et ses liaisons avec les provinces les plus
éloignées, lui donnaient la facilité d'obtenir une infinité de choses curieuses.
Tout ce qu'il recevait allait à Gœttingue. Grâce à ce bienfaiteur, les trésors du
Nord se joignirent à ceux du Sud, De cette manière, la collection s'est étendue
et est devenue plus complète qu'aucune de celles qui existent.
Elle embrasse tous les peuples du Grand Océan, tant ceux qui habitent
ses îles que ceux qui vivent sur ses côtes; elle commence au nord par l'extré-
mité la plus septentrionale de la Sibérie, comprenant les Samoièdes, les
Tchouktchis et les Kamtchadales, puis les Kouriles, les Aléoutes, les indi-
gènes d'Ounalaschka, de Kadiak et de la côte nord-ouest de l'Amérique ;
elle passe ensuite au Japon, à la Chine, au Tibet; mais elle est riche surtout en
ce qui appartient aux archipels du Grand Océan, tels que ceux des îles
Sandwich, de la Société, des Amis, des Marquesas et principalement de la Nou-
velle-Zélande. Même les misérables Pécherais de la Terre de feu, qui vivent sur
le point du globe le plus avancé au sud, ont fourni un collier de coquilles à la
collection. Les objets sont rangés par classes de la manière suivante: habil-
lement, parure, ustensiles, armes, idoles. La première offre, soit des échan-
tillons, soil des pièces entières d'étoffes, faites d'écorce d'arbres, unies ou
teintes, ainsi que les ustensiles qui servent à les fabriquer ; des nattes tressées
avec un art infini; des vêtemens complets en lin de la Nouvelle-Zéland« ; des
142 LES ORIGINES
3° Sa liaison étroite avec la géographie et ses progrès ;
tiges de ce végétal en nature. Ensuite viennent les étoffes de soie et les belles
ouates du Japon; les tuniques contre la pluie, faites en peau de poissons et
les vêtemens en pelleterie de Kadiak et de la côte nord-ouest d'Amérique, les
habits d'été et d'hiver des Samoïèdes, des Tchouktchis et des autres peuples
de l'extrémité septentrionale du globe.
La classe des parures est encore plus riche ; beaucoup de colliers et de bra-
celets en coquilles, en os., etc, l'appareil pour tatouer, le costume de deuil de
Taïti complet, la parure de guerre des chefs des îles Sandwich, l'ornement des
Chamans de Sibérie, complet avec leur tambour magique. Les ustensiles de
pêche remplissent seuls une armoire ; il serait difficile d'inventer une forme
d'hameçon qui ne s'y trouve pas. Parmi les armes, se distingue la belle lance
des îles Sandwich, si bien polie. Les instrumens de couture du nord-ouest de
l'Amérique, les arêtes qui tiennent lieu d'aiguilles et le fil tiré des tendons
d'animaux marins, ne sont regardés qu'avec une certaine défiance par les
dames, mais les ouvrages qu'elles voient auprès et qui sont plus délicatement
et plus régulièrement faits que ceux qui sortent de leurs mains, dissipent tous
leurs doutes à cet égard. Cet exposé suffit pour faire connaître combien cette
collection possède d'objets intéressans et combien il en manque encore, puis-
qu'elle ne comprend que les régions de la terre nommées plus haut. Elle est
d'ailleurs très utile, car elle sert non seulement à satisfaire la curiosité des
étrangers, mais aussi à fournir des explications pour les cours da géographie
qui ont lieu tous les étés (Extrait des Nouvelles Annales des Voyages,
tome III).
Nota. Les collections de Berlin, encore plus importantes, et celle qui a été formée à Weimar
mériteraient ici une mention spéciale ; la description en sera donnée ailleurs.
DEUXIÈME NOTE
COLLECTION DE M. LAMARE-PICQUOT
Les accroissemens, que la Bibliothèque du roi vient de recevoir dans ces
derniers temps, ne sont que le prélude d'acquisitions plus étendues et plus
variées, si un gouvernement, ami des lumières et des études graves, continue
d'assurer aux travaux des voyageurs d'honorables encouragemens. Partout le
goût de la science, si répandu de nos jours, éveille les tentatives individuelles.
Aucun des objets, qui peuvent intéresser l'histoire de l'homme, ne reste main-
tenant étranger à la curiosité des nombreux explorateurs de l'Asie. C'est ainsi
qu'un naturaliste français, M. Lamare-Picquot, tout en donnant l'attention la
plus soutenue à la branche des connaissances humaines qu'il cultive spécia-
lement, a trouvé le moyen d'ajouter à ses riches collections d'histoire naturelle
une collection certainement plus nouvelle et non moins précieuse. Frappé
du spectacle imposant des cérémonies indiennes, de la singularité des usages
et surtout de la variété des traits et des couleurs qui distinguent les diverses
castes du Bengale, M. Lamare-Picquot s'est attaché à recueillir des images de
divinités, des ustensiles employés dans les cérémonies religieuses, des meubles
DU MUSÉE d'ethnographie 143
4° Léconomie qui résultera de cette disposition ;
et armes, et particulièrement de petites statues, qui représentent les Hindous
dans les diverses conditions de leur vie sociale. Cette collection contient
plusieurs spécimens de ces représentations grossières des divinités indiennes qui
figurent dans les fêtes sacrées, pour être détruites après avoir reçu l'hommage
de la superstition populaire. Des figures en cuivre variées et nombreuses
offrent des images plus respectées des principaux objets du culte ; des vases,
des lampes et autres instrumens peuvent servir à expliquer quelques particu-
larités des cérémonies que la religion impose aux Brahmanes. Mais ce qui,
parmi tant d'objets, dignes d'attention, excite au plus haut degré l'intérêt, ce sont
les statuettes de travail hindou, dont quelques-unes sont exécutées avec une
grande perfection. Elles forment une galerie à peu près complète des castes du
Bengale, depuis le Brahmane jusqu'au dernier des artisans ; et chose remar-
quable, elles se distinguent l'une de l'autre, par des nuances très sensibles dans
la teinte de la peau, quelquefois même par des différences plus profondes
dans les traits du visage. Ainsi, outre les notions positives qu'elle donne sur
la vie civile et religieuse des Hindous, cette collection fournit encore des
matériaux intéressans pour ces belles recherches de l'ethnographie, qui sont
quelquefois la seule histoire des peuples. Enfin on y compte plus de vingt sta-
tues de Bouddha, que l'invasion des Anglais chez les Barmans, a mis
M. Lamare-Picquot à même de rassembler. Ces statues, dont plusieurs sont
très grandes, d'autres remarquables par la beauté de la matière, complètent
dignement une collection qui comprend ainsi les divinités de deux religions
originaires de l'Inde, celles qui comptent en Asie le plus de sectateurs, le
Brahmanisme et le Bouddhisme. {Extrait du rapport général de M. E.
Burnouf, secrétaire de la Société asiatique lu dans la séance solennelle du
28 avril 183 f.)
TROISIÈME NOTE
ILES SANDWICH
Parmi les mouvemens divers, qui changent aujourd'hui l'aspect de la
société dans toutes les parties du monde, à un degré et avec une étendue sans
exemple dans les siècles précédens, les changemens intellectuels et moraux, qui
sont survenus dans les îles de la Société et de Sandwich sont des plus inté-
ressans et des plus satisfaisans. Ils sont tels qu'aucun ami des libertés civiles,
de l'amélioration intellectuelle et du perfectionnement religieux, ne les peut
contempler sans un sentiment d'encouragement et de gratitude. Les habitans
des îles de la mer du Sud ont maintenant un langage écrit, il s'y trouve presque
une nation entière de lecteurs. A l'exception des individus, qui étaient trop âgés
avant que ces changemens eussent lieu, il en est peu qui ne soient capables
de lire, et la plupart d'entre eux, d'écrire leur propre langue. Outre des livres
d'épellation, des grammaires, d'autres livres élémentaires et mélanges, la tota-
lité du Nouveau Testament et plusieurs portions de l'Ancien circulent au loin
et sont d'un usage journalier. Dans le même temps des flots de lumière
144 LES ORIGINES
. 00 Enfin le texte de l'ordonnance de 1828, déjà mise à exé-
cution. JOMARD.
sortent de ces îles, comme d'une source centrale, pour se répandre chez de
nombreuses peuplades et dans les îles éloignées. Partout où les vaisseaux des
naturels font voile (et un grand nombre d'entre eux traversent maintenant les
eaux de l'Océan Pacifique), Vinstructeur indigène, ou le maître d'école est au
milieu des passagers et le livre d'alphabet fait partie de la cargaison.
La plus légère comparaison entre l'état présent de la population dans les
iles Sandwich, et celui qui existait, il y a peu d'années, fournira une preuve
aussi claire que satisfaisante des effets étonnans qu'ont produits les moyens
mis en usage pour l'instruction générale et religieuse depuis les deux
dernières années. Jusqu'à l'année 1819, le peuple entier (et sans exception,
autant que nous pouvons le savoir) était livré à ridolâtrie, et ce n'était point
un système de pure ignorance et de mansuétude, mais un système aussi
oppressif, dégradant et sanguinaire, qu'aucun de ceux qui ont jamais asservi
la portion la plus obscure du monde païen. Jusquen 1820, aucun instructeur
chrétien n'avait mis le pied sur les rivages de Hawaï. Cette année, une réunion
de missionnaires américains dévoués y arriva et commença ses travaux en
essayant d'apprendre la langue du pays, jusqu'alors non écrite. Bientôt après,
un alphabet fut composé; quand les missionnaires eurent acquis la connais-
sance de la langue naturelle, ils entreprirent d'instruire quelques-uns des
enfans; et, au commencement de 1822, la première feuille du livre d'épellation
fut imprimée. Au mois de mars, je visitai les îles Sandv^ich avec MM. Bennett
et Tyermann et deux instituteurs indigènes. La première école publique pour
es naturels fut ouverte bientôt après ; elle ne contenait que deux écoliers, mais
ces écoliers étaient le roi et la reine. Tel était l'état des îles en 1822.
Aujourd'hui, d'après les nouvelles les plus récentes, on n'y trouverait plus un
seul idolâtre et 50 à 60 mille personnes professent le christianisme...
Le langage a été réduit en système ; des livres élémentaires sont préparés,
des portions des Saintes Écritures traduites, des presses d'imprimerie en
activité (*)... Des écoles sont établies dans toutes les principales îles. 11 existe
environ cinq cens écoles dirigées par les soins de cinq cens maîtres d'écoles
indigènes, visitées de temps en temps par les missionnaires. Ces écoles
reçoivent quarante mille écoliers et il n'y eu pas moins de vingt-cinq mille en
état de lire les Écritures. Il est probable qu'aujourd'hui ce nombre est
augmenté et qu'il s'élève à un tiers de la popidation (traduit et extrait du
Sunday-School Teachers Magazin, April 1831).
(') Environ 134,000 exemplaires de divers ouvrages religieux, de traités, etc., traduits en langue
indigène, ont été publiés, sans compter ce qui a été imprimé aux États-Unis, l'année dernière.
DU MUSÉE ETHNOGRAPHIQUE 145
No XXV
SUR LE PROJET D'Ui\ MUSÉE ETHAGGRAPlIiQUE
Par le baron de Férussac'.
Un journal- vient d'annoncer le projet de création d'un nou-
veau Musée, destiné à recueillir les monumens divers de Tindus-
trio des peuples sauvages ou à demi-civilisés, monumens qui,
chaque jour, devenant plus rares, emportent avec eux, par leur
destruction, presque les seuls témoignages sur lesquels on
puisse s'appuyer pour résoudre une foule de questions qui inté-
ressent, au plus haut point, l'histoire du genre humain, et sur-
1) Ce petit travail a été imprimé chez Firmin-Didot frères, sous la forme d'une
plaquette non datée de seize pages. Il est devenu introuvable. L'exemplaire qui a
servi à noire réédition avait été adressé par l'auteur à M. d'Argout; nous
l'avons rencontré aux archives du Ministère de l'Instruction publique.
(E. H.)
2) Constitutionnel du 12 nov., suppl.
Il est question de fonder incessamment, en France, un établissement que
nous enviera l'Europe savante, et qui n'a jusqu'à présent de modèle qu'aux
États-Unis : nous voulons parler d'un Musce ethnographique.
On appellerait ainsi un vaste emplacement divisé en une foule de salle?, por-
tant le nom de tous les peuples qui existent aujourd'hui, soit à l'état sauvage,
soit à l'état demi-civilisé, soit avec des formes sociales essentiellement diffé-
rentes des nôtres. Le but de cette création serait de ne pas laisser perdre dans
le naufrage des temps le souvenir de ce qui se rattache aux nations actuelles,
et de conserver tous les objets, armes, instrumens, costumes, débris d'arts et
de monumens, etc., qui leur sont particuliers.
Les salles du Musée ethnographique seraient principalement consacrées ou à
ces rares tribus indiennes, que refoule constamment dans les déserts d'Amé-
rique, et qu'anéantira bientôt tout-à-fait, l'envahissante civilisation moderne,
ou à ces insulaires des mers du Sud, dont les missions anglaises effacent et
dénaturent tous les jours les mœurs et le caractère primitif, ou bien enfin aux
peuples dont les usages nous sont mal connus, tels que les Mogols, les Chinois,
les Tatars, les Kamtchadales, les Lapons, les Samoièdes, etc.
C'est la Commission nommée par le ministre du commerce, pour l'organisa-
tion du matériel des bibliothèques, qui a conçu la pensée de l'établissement
dont nous parlons, pensée digne d'une nation et d'un siècle comme les nôtres.
M. Abel Rémusat a été chargé de faire un rapport à ce sujet, et M. d'Argout
a déjà approuvé, dit-on, l'idée première. L'emplacement qu'on a destiné au
Musée ethnographique est le bâtiment qui est maintenant en construction, rue
Vivienne, dans l'ancien local du Trésor public.
10
146 LES ORIGINES
tout cet important problème de l'établissement successif de la
population dans les innombrables Archipels de la mer du Sud.
Ce projet ne peut manquer d'intéresser vivement les amis des
sciences géographiques et historiques ; mais nous devons à la
vérité des faits de dire qii'il nest point nouveau. Il remonte à
l'année 1826^ et c'est à M. le ducdeDoudeauville, alors ministre
de la Maison du Roi, et à M. le vicomte de Larochefoucauld,
que l'on doit reporter l'honneur d'avoir, les premiers^ adopté
cette belle pensée. La création de ce Musée fut décidée par eux,
et son exécution commencée. Par leurs ordres une foule d'objets
précieux ont été réunis au Louvre, place naturelle de cet éta-
blissement, et placés provhoirement au Musée naval dirigé par
M. Zédé% en attendant que l'importance des acquisitions deman-
dât un conservateur spécial. Des instructions furent données à
divers voyageurs, entr'autres à M. le capitaine d'Urville pour
son voyage de circumnavigation, et à M. d'Orbigny^ qui se ren-
dait dans TAmérique méridionale ; des achats ont été faits par
les soins de M. Dubois, dessinateur du Musée royal du Louvre ;
divers particuliers ou des voyageurs se sont empressés d'offrir
pour ce Musée naissant les objets qu'ils possédaient ; j'en ai
remis moi-même une assez grande quantité, que je devais à To-
bligeance des officiers des deux expéditions commandées par
MM. de Freycinet et Duperrey,, et, à bien dire, il ne peut plus
être question d'une création^ mais seulement de donner à ce
Musée tout le développement qu'il comporte et que l'on s'était
promis en le fondant.
Nous croyons d'autant plus utile de faire connaître les faits à
ce sujet, qu'il serait déplorable que les bonnes intentions de
l'autorité fussent paralysées par une mesure qui enlèverait ce
Musée à la place naturelle et obligée qu'il doit occuper, pour en
faire une annexe d'un établissement dont la spécialité de desti-
1) On a vu plus haut que si le preniier projet du Musée de Marine remonte à
1826, ce n'est que le 15 janvier 1828 que le Monitew universel a fait connaître
la décision du Roi. (K. H.)
2) M. Zédé, ingénieur de la Marine, nommé en 1831 secrétaire du Comité des
Travaux de la Marine. (E. H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 147
nalioii exclut haiilement une alliance aussi bizarre, el lorsque
d'ailleurs le Musée dont il s'agit doit compléter celui du Louvre,
pour composer, avec le Musée égyptien et le Musée des mouu-
mens grecs et romains, ce vaste ensemble au moyen duquel on
peut tenter d'entreprendre l'histoire des peuples par les monu-
mens des arts qu'ils cultivaient, de leur industrie, de leur reli-
gion, de leurs mœurs et de leurs usages divers.
L'idée de la formation d'un Musée ethnographique a été
reprise dans ces derniers temps, mais bien avant la création de
la Commission nommée pour l'organisation du matériel des
bibliothèques. A peine M. le comte d'Argout venait-il d'être
nommé ministre, qu'un des savans conservateurs de la Biblio-
thèque du Roi, M. Jomard; auquel j'avais eu, dans le temps,
l'honneur de communiquer ce projet, ainsi qu'à MM. de Hum-
boldt, Cuvier et Abel-Rémusat, crut devoir, à ce qu'il paraît,
appeler l'attention du ministre sur cette création. L'on était
certain qu'une pensée aussi utile serait avidement saisie par
M. d'Argout, lequel, en effet, s'empressa de nommer une Com-
mission qui, sous la présidence de M. le baron Cuvier, fut char-
gée de lui faire un rapport.
Ignorant complètement les points sur lesquels cette Commis-
sion a été appelée à donner son avis, je ne puis raisonner que
par conjecture ; mais il m'est permis de penser que le rapport de
cette Commission n'étant point fait encore, le ministre n'a pris
aucune détermination qui puisse autoriser à dire que le Musée
ethnographique sera réuni à la Bibliothèque du Roi et ne conti-
nuera pas à former une des divisions du Musée royal du Louvre ;
je puis d'autant moins croire à une semblable détermination
que^ par cet arrangement, il faudrait nécessairement créer une
nouvelle place de conservateur à la charge du trésor public, et
qu'on est aujourd'hui peu porté à augmenter le budget des
sciences. En eiïet, il n'est pas supposable que le Musée ethno-
graphique soit annexé aux imprimés, ou aux manuscrits.
MM. Van Praet, de Manne, Abel-Rémusat, Champollion refuse-
raient sans doute un genre de surveillance et de travaux aux-
quels ils sont étrangers, et qui ne pourrait que porter un préju-
148 LES ORIGINES
dice notable à tout ce qu'ils font pour les importans dépôts qui
leur sont confiés. On ne peut supposer qu'on le réunisse à la
conservation des estampes ! Resteraient les médailles et les
cartes géographiques. Le Musée ethnographique se compose de
monumens d'un autre ordre que les médailles. A la vérité,
quelques inscriptions, quelques vases, quelques figurines et des
monumens égyptiens, grecs ou romains, font aussi partie de la
conservation de M. Raoul-Rochette ; mais la véritable place
d'une partie d'entr'eux serait au Louvre, depuis qu'il est devenu
le grand dépôt de toutes nos richesses de l'antiquité, et il y a
long-temps que les savans et le public éclairé réclament un
échange entre les deux établissemens du Louvre et de la Biblio-
thèque, qui permette de réunir à chacun d'eux, selon sa destina-
tion particulière, ce que l'autre offre d'étranger à sa spécialité.
On ne peut penser qu'en appelant l'attention du ministre sur le
Musée ethnographique, M. Jomard ait eu en vue de se charger
de sa direction ; on ne peut pas plus réunir aux cartes géogra-
phiques qu'aux estampes les pirogues, les casse-têtes, les arcs
et les flèches des sauvages, les pagodes de l'Inde, ou les fétiches
des insulaires de la mer du Sud? et d'ailleurs M. Jomard ne
voudrait point se détourner de ses importans travaux habituels
et des soins que demande le dépôt dont il est chargé et qui est
appelé à devenir si important, pour se livrer à une étude labo-
rieuse et toute nouvelle, seul moyen cependant pour organiser
convenablement ce nouveau Musée, et le mettre en état d'être
réellement utile et de remplir son importante destination.
Il ne s'agit point, en effet, de réunir simplement dans un ordre
quelconque et de disposer convenablement dans une suite de
salles les monumens dont se composerait ce Musée. Et, d'abord,
il faudra beaucoup d'activité pour le former ; prendre une foule
de mesures, rédiger des instructions, et entretenir une corres-
pondance suivie avec les voyageurs et les agcns du gouverne-
ment dans les diverses contrées lointaines.
Dès qu'un acte public aura manifesté les intentions généreuses
et bienfaisantes de l'administration à cet égard, le noyau exis-
tant sera bientôt accru par les offrandes volontaires des naviga-
DU MUSÉE d'ethnographie 449
leurs et de quelques curieux qui, sans avoir de collection, pos-
sèdent cependant quelques mouumens qui s'y rapportent. Ce
noyau peut se grossir dès à présent : 1° de quelques beaux
objets, en petit nombre, échappés au pillag-e de la belle collec-
tion rapportée par Bougainville, et déposés à la Bibliothèque
de Sainte-Geneviève' ; 2" de quelques monuniens de ce genre, né-
gligés et dédaignés, placés dans les magasins ou les galeries du
Jardin du Roi, de l'Institut et à la Bibliothèque royale ; 3° d'une
grande quantité d'instrumens divers, d'armes, de vêtemens,
d'ornemens, etc., réunis dans les divers ports de France, et dont
on peut, pour des motifs d'intérêt général, demander la réunion
au Musée ethnographique, en leur laissant tous les objets
doubles ; 4° de quelques armes, et de grands bateaux qui se
trouvent dans divers établissemens publics, entr'autres au minis-
tère de la Marine ; 5" enfin, d'un nombre, à ce qu'il paraît fort
considérable, de curiosités indiennes et surtout chinoises dissé-
minées dans les palais et châteaux royaux. Il faudrait les recher-
cher et les réunir dans l'établissement qui nous occupe.
Des instructions données par le ministre de la Marine aux
officiers de la marine royale et de la marine marchande, procure-
ront successivement une foule d'objets, de même que celles que
l'on pourra donner aux voyageurs du Muséum d'Histoire natu-
relle et à nos agens consulaires, aux gouverneurs de nos colo-
nies d'Alger et du Sénégal, aux chefs de nos comptoirs en Asie,
et à tous les voyageurs que l'amour de la science peut porter à
parcourir les régions centrales de l'Asie , de l'Afrique et des
deux Amériques.
Il faudra apporter le plus grand soin à constater et à enregis-
trer exactement l'origine de chaque objet, c'est-à-dire à quel
peuple, à quelle tribu il appartient ; par quel voyageur il a été
apporté, ou comment il a été acquis ; quel est son usage, sa
destination, et enfin dresser de tous ces objets un catalogue
exact et méthodique. Tous ces travaux devront être faits ou
1) Il sera fréquemment question plus loin de ces objets de la Bibliothèque de
Sainte-Geneviève, encore aujourd'hui détenus par les administrateurs de cet éta-
blissement. (E. H.)
150 LES ORIGINES
suivis par le Conservateur chargé de Ja direction do ce Musée.
Mais là ne doit point se borner sa tâche. 11 devra faire une revue
consciencieuse et générale de toutes les relations de voyages,
pour connaître tout ce qui a été dit à Tégard de ces monumens,
les descriptions qui en ont été faites ; chercher à se procurer
ceux que l'on ne possède point ou que l'on ne reconnaît que
dans les récits des voyageurs ; constater les rapports ou les
différences des objets analogues ; déterminer l'étendue, la cir-
conscription géographique des pays où chacun d'eux est en
usage, enfin créer la science de ces monumens, science qui
n'existe pas encore, afin de pouvoir les reconnaître, en détermi-
ner l'origine, l'âge, l'usage, comme les antiquaires sont parve-
nus à le faire pour les monumens égyptiens, grecs et romains '.
Je ne citerai qu'un seul exemple de Futilité de ce genre de
recherches, ce sont ces petits coussinets en bois et sculptés que
que M. de Freycinet, et après lui MM. Duperrey et d'Urville, ont
rapportés de la Nouvelle-Guinée \ où les insulaires s'en servent
pour tenir leur tête éloignée, lorsqu'ils sont couchés, du sol
brûlant sur lequel ils s'étendent. On les retrouve absolument
semblables dans les tombeaux de l'antique Egypte, sous la tète
des momies ; on les voit sculptés sur les monumens, avec la
même destination, et M. Cailliaud en a retrouvé l'usage chez les
peuples actuels de l'Ethiopie, berceau primitif des peuples de la
partie inférieure de la vallée du Nil". Lorsque l'on réfléchit à la
1) Le texte de 1831, porte NoaveWe-Zélande ; c'est évidemment une faute
d'impression. Férussac connaissait parfaitement la provenance de ces objets
mobiliers, et dans le catalogue manuscrit de sa petite collection du Louvre, on
lit sous le no 9 la petite note que voici : a Coussinet en bois, usité dans toutes
les îles des Papous et de la Nouvelle-Guinée. Ce coussinet est semblable à celui
que l'on trouve sous la tète des momies égyptiennes, qu'on voit dessiné dans
les monumens et qui est encore en usage en Ethiopie, d'où l'a rapporté
M. Cailliaud. » (E. H.)
2) La place de Conservateur d'un semblable Musée nous paraît appartenir
de droit à un voyageur qui a pu parcourir les diverses parties du monde, sur-
tout les Archipels de la mer du Sud, et qui aura étudié les langues, les mœurs,
les usages de leurs habitans, recueilli leurs monumens de toute nature, et qui,
par l'ensemble de ses connaissances, serait propre au genre d'études que com-
mande la directioa de ce Musée. S'il était permis d'émettre un vœu à cet égard,
DU MUSÉE d'ethnographie ISl
simplicité, à la constance des usages des peuples non civilisés,
au petit nombre des objets dont ils se servent, on ne peut se
refuser à admettre que chacun de ces objets est caractéristique.
Ce coussinet n'est pas, au reste, le seul témoignage, fort singu-
lier, qui semblerait constater les rapports des peuples les plus
anciens avec des contrées dont on croyait la découverte toute
récente : l'emploi du beurre de muscade, constaté dans l'embau-
mement de quelques momies, vient prouver des relations fort
anciennes entre l'Egypte et les Moluques, soit directement, soit
par l'intermédiaire de llnde. Mais on conçoit que toutes ces
indications précieuses ont besoin d'être étudiées avec soin, dis-
cutées avec toute la rigueur scientifique ; et l'on ne pourra
réussir à éclairer ces importantes questions, qui tiennent à l'his-
toire de l'établissement successif de la population sur une partie
du globe et des premiers rapports des peuples anciens, qu'à
l'aide des données comparatives que fournira le Musée qui nous
occupe.
Pour qu'il remplisse cette importante destination, il ne faut
point le séparer des autres collections avec lesquelles il est dans
une dépendance obligée. Peut-on, en effet, éloigner les monu-
mens indous des monumons égyptiens? Ne faut-il pas, au con-
traire, les rapprocher pour en saisir les rapports, ou en constater
les différences? et leur comparaison serait-elle facile quand, pour
les étudier, il faudrait se transporter dans deux élablissemens
différens, perdre ces aperçus, fruits d'une inspiration soudaine
que produisent les premières impressions, ou s'adresser à deux
administrations distinctes pour obtenir les facilités désirables ?
On ne sert bien la science qu'en mettant les choses et les
hommes à leur véritable place.
Une collection d'un haut intérêt est offerte en ce moment au
nous serions certains d'être généralement applaudi, en nommant M. le capit.
de Freycinet, qui réunit tout ce que l'on peut chercher sous ce rapport, s'il
consentait à accepter ce poste honorable, et qu'il lui fût oflert. A son défaut,
j'avais signalé à M. le duc de Doudeauville, lorsqu'il me fit l'honneur de me
consulter à ce sujet, M. Lesson, l'un des plus hiablles collaborateurs de mon
célèbre ami M. de Freycinet.
152 LES ORIGINES
g-ouvernement : c'est celle de M. Lamarre-Picquot, composée de
deux parties fort distinctes. L'une est une suite considérable
d'objets d'histoire naturelle, offrant une des plus riches collec-
tions zoologiques de l'Inde, qui soit encore parvenue en France,
et dans laquelle on remarque une quantité d'animaux non encore
connus des naturalistes; l'autre est une magnifique réunion do
monumens indous de tout genre qui font connaître, non-seule-
ment toutes les castes du peuple immuable qui habite cette vaste
contrée, mais aussi les mœurs, les rites, l'état des arls et la
théogonie de ce même peuple. Les savans rapports des profes-
seurs du Jardin du Roi, de la Société asiatique et de la Société
de géographie, émettent le vœu commun que cotte précieuse
collection soit conservée à la France, et il est vivement à désirer
que la première de ses deux divisions soit acquise pour le
Muséum d'Histoire naturelle, et que la seconde aille augmenter
le noyau des objets déjà réunis au Louvre, pour former le Musée
ethnographique, d'autant plus que nous sommes fort pauvres en -
France dans ce genre de monumens.
Les conditions auxquelles M. Lamarre-Picquot offre de céder le
fruit de ses pénibles recherches font honneur à son désintéresse-
ment, et nous sommes heureux de pouvoir dire que M. le comte
d'Argout a accueilli avec intérêt ses propositions. Espérons
qu'aucun obstacle ne s'opposera à la réalisation de ses vues
généreuses, et qu'il n'en sera pas de ces collections comme de
colle de M. Drovetti, qui a laissé de si vifs regrets à la France.
Félicitons-nous du retour à une position qui permet de s'oc-
cuper de ces paisibles objets d'utilité générale, et sachons en
rendre grâce au gouvernement du Roi. Le public éclairé, comme
le monde savant, applaudiront à la sollicitude et à Tintérêt que
M. le comte d'Argout a mis à s'occuper du Musée ethnogra-
phique, et leur reconnaissance ne peut manquer au ministre
jaloux d'illustrer le nouveau règne, en assurant le développe-
ment d'un établissement d'un haut intérêt et qui sera un nou-
veau titre de gloire nationale.
Ce Musée aurait d'autant plus d'importance et d'intérêt qu'il
n'en existe, à bien dire, aucun de ce genre en Europe que celui
DU MUSÉE d'ethnographie 1S3
de Gœltingue formé, surtout, par la collection de Forster, et où
Ton voit quelques pièces rapportées par Cook, et une belle suite
d'objets de l'Asie septentrionale et de la côte N.-O. de l'Amé-
rique*. Quelques collections peu considérables et plus spéciales,
telle que celles de Saint-Pétersbourg, pour les îles de la mer du
Sud, celles de Vienne et de Munich, résultats des voyages des
savans autrichiens et bavarois au Brésil ; celle de curiosités chi-
noises de Dresde, de Munich, etc. ; la magnifique collection de
manuscrits astèques de lordKing•sbury^ les collections de monu-
mens indous de la Compagnie des Indes et de la Société asiatique
de Londres, et quelques autres encore, sont presque les seules
que l'on puisse citer ; mais elles ne forment point une suite
importante, même dans la partie toute spéciale qu'elles embras-
sent, et la collection particulière d'un amateur de Paris,
M. Panckoucke, peut seule donner une idée, sur une très-petite
échelle sans doute, de ce que devrait être un Musée de ce genre.
Nous citerons le Musée ethnographique de Salem aux Etats-
Unis, qui paraît fort riche et bien entendu.
Nous croyons utile de donner ici le projet de Rapport au Roi,
dont M. le duc de Doudeauville et M. le vicomte de La Roche-
foucauld voulurent bien me demander la rédaction, lorsqu'ils
adoptèrent avec tant d'empressement l'idée de cette création que
j'eus l'honneur de leur proposer. J'ai cherché à y exposer les
motifs de l'utilité de cet établissement, et à préciser ses analo-
gies et sa place dans l'organisation générale du Musée royal du
Louvre. La lecture de ce rapport achevra, nous le pensons du
moins, de prouver l'impossibilité d'enlever au Louvre ce nou-
veau Musée projeté.
PROJET DE RAPPORT AU ROI
Sire,
Le moyen le plus prompt et le plus sûr de hâter les progrès
d'une étude est, sans contredit, la réunion des monumens et
1) Voyez plus haut pièce nt> XXIV, l'-e note.
2) Lisez Kingsborougti. (E. H.)
154 LES ORIGINES
des documens épars qui la concernent ; car les forces de l'intelli-
g-ence, comme les rayons lumineux, n'acquièrent toute leur
énergie qu'en les concentrant dans un seul et même foyer. Telle
est Torigine des musées, des cabinets, dans lesquels les particu-
liers et les gouvcrnemens, amis des sciences et des arts, se sont
empressés en tout temps de rassembler les objets dont la réu-
nion pouvait servir à constater, soit les mœurs, les usages, If's
progrès ou la décadence de la civilisation d\m peuple, soit les
procédés, les découvertes, les mouvemens progressifs ou rétro-
grades d'une science ou d'un art quelconque, ou bien enfin l'en-
semble des productions naturelles du globe, d'une contrée déter-
minée, ou de tel règne seulement.
C'est ainsi que chez les nations savantes de l'Europe et de
l'Amérique les musées ou cabinets d'histoire naturelle, ceux où
Ton a réuni un grand nombre d'antiquités ou de productions des
arts, des suites de médailles, ont offert et offrent encore les
ressources les plus variées et les plus fécondes pour les études
propres à augmenter et à perfectionner nos connaissances.
Ce sont ces considérations. Sire, dont V. M. a apprécié tout
le poids, qui ont déterminé la création d'un Musée égyptien,
formé d'après ses ordres et sous ses auspices, lorsque V. M.,
voulant consacrer une découverte qui honore la France, désira
fonder une école nouvelle, et faciliter aux nationaux et aux
étrangers l'étude de la langue et des écritures de l'antique
Egypte, d'après ses monumens mêmes.
Si l'utilité d'une collection de ce genre est évidente pour
apprécier avec justesse l'état de la civilisation des anciens Egyp-
tiens, leurs mœurs, leurs usages, leurs idées religieuses, leur
degré d'instruction, leurs progrès dans les arts, et pour y ratta-
cher avec quelque certitude l'origine de la plupart des pratiques
sociales de l'Europe, il en est de même relativement aux monu-
mens de toute nature qui peuvent nous mettre à portée de cons-
tater l'état des peuples non anciennement civilisés, et indigènes
des Deux- Amériques, de l'Afrique, des Archipels de l'Asie et de
rOcéanie, spécialement des îles de la mer du Sud, jusqu'au
moment où la civilisation européenne a remplacé par ses propres
DU MUSÉE d'ethnographie 155
usag-es leur physionomie primitive. Parmi tous ces peuples si
difîérens par leur origine, leurs langues, leurs mœurs et leurs
habitudes, les uns, peu visités par les étrang-ers, sont encore à
l'état sauvage, d'autres ont acquis par eux-mêmes un certain
degré de civilisation ; les Malais, les Mexicains et les Péruviens,
qui étaient déjà parvenus, avant l'arrivée des Européens sur leur
territoire, à un degré de culture et d'intelligence très-remar-
quable, ont perdu par la conquête leur manière d'être naturelle,
comme les peuples sauvages qui ont subi le joug- des peuples
civilisés. Les uns semblables, ou à peu près, à ce qu'ils furent
toujours, n'ont point d'âge pour leurs monumens ; à l'égard des
autres, on pourrait dire que leur époque antique est moderne
comparativement aux anciens peuples de l'Orient : leur histoire
semble n'avoir point eu de moyen âg-e ; les derniers enfin ont
passé presque sans transition de leur état primitif aux exigences
de la civilisation. Malgré ces différences notables, l'étude de leurs
monumens doit conduire aux mêmes résultats ; c'est-à-dire à la
connaissance exacte du degré du culture, des usages, des mœurs,
des idées religieuses et de l'industrie de ces peuples, qui sont
aussi des fractions de la race humaine, et l'on aperçoit dès-lors
l'avantage réel que présenterait pour ce genre d'étude une réu-
nion des monumens et des productions des arts et de l'industrie
de ces mêmes peuples.
Les voyageurs de toutes les nations qui ont successivement
exploré ces diverses parties de la terre nous ont, à la vérité,
donné, pour la plupart, quelques notions plus ou moins étendues
à cet égard ; mais toutes ces relations, fruit d'un examen rapide,
pendant le court séjour, souvent environné de périls, que pou-
vait permettre un voyage de circumnavigation, sont bien loin
de pouvoir satisfaire les vœux des savans. Sans doute il n'en est
point ainsi pour les contrées habitées depuis long-temps par les
Européens ; la colonisation des Archipels de l'Asie et celle des
Deux-Amériques a procuré sur l'histoire de leurs peuples indi-
gènes plus anciens et ayant une civilisation bien plus avancée
que ceux de la mer du Sud ou de l'intérieur de l'Afrique, des
données plus positives et bien plus étendues ; on connaît les
156 LKS ORIGINES
savantes recherches sur les Péruviens et les Astèques, d'un
illustre voyageur qui, quoique étranger à la France, l'a dotée si
g'énéreusement de travaux importaas ; cependant les dévasta-
tions qui accompagnèrent les conquêtes, et le peu d'intérêt qu'à
cette époque on accordait, en général, aux recherches scienti-
fiques, ont fait perdre en grande partie les fruits qu'on aurait pu
retirer des circonstances où se trouvèrent les premiers colons.
Les monumens de l'ancienne civilisation des Péruviens et des
Astèques sont très-rares en Europe et même en Amérique, à
l'exception des constructions qui ont résisté aux ravages du
temps et des hommes ; Ton est surpris du petit nombre de docu-
mens qui ont été réunis à leur sujet, et de Tincertitude qui
accompagne encore les questions les plus importantes concer-
nant Thistoire et l'origine de ces nations.
Les recherches dont il s'agit, Sire, et qui pourraient paraître
à des esprits peu attentifs plus curieuses qu'utiles, sont en effet
d'une haute importance pour résoudre des questions d'un grand
intérêt et qui tiennent d'une part à l'histoire du genre humain
en général, et de l'autre à l'origine, aux migrations, au déve-
loppement successif de la population des Archipels de l'Asie, de
i'Océanie, de l'Afrique et des Deux-Amériques, et par consé-
quent aux considérations géographiques les plus curieuses et les
plus importantes. Les caractères physiques de leurs hahitans et
l'étude comparée des langues qu'on y parle ont été jusqu'ici
presque seuls employés comme élémens propres à résoudre ces
grandes questions ; mais l'étude des monumens qui constatent
les usages, les croyances, l'état des arts, offre aussi beaucoup
d'utiles moyens pour chercher à reconnaître, ou une commu-
nauté d'origine ou une filiation non équivoque, et pour fonder
toutes les autres considérations sur lesquelles on peut appuyer
la solution des questions que la science s'est proposées ; l'on
peut même attendre de cette étude la confirmation des indica-
tions premières qui ont été recueillies et des lumières nouvelles
pour résoudre complètement ces mêmes questions.
Mais, si l'on veut faire servir les monumens des peuples qui
nous oceupent^^à la solution de ces importans problèmes, il faut
DU MUSÉE d'ethnographie 1o7
se hâter de les arracher à une destruction totale et trop certaine ;
et en effet, les discordes intestines et les guerres continuelles
entre les peuplades qui habitent l'Afrique et les îles de la mer
du vSud, et entre les princes malais des Archipels de l'Asie ; la
domination des étrangers, les progrès de la civilisation par l'in-
troduction du christianisme et des goûts et des jouissances de
l'Europe, font journellement disparaître, comme autrefois au
Mexique et au Pérou, les traces de l'existence passée et du culte
de ces peuples. On s'aperçoit déjà, sur les lieux mêmes, de la
rareté progressive des monumens, et l'on peut en prédire la dis-
parition totale avant un quart de siècle, du moins pour les con-
trées qui ne sont pas de l'intérieur de l'Afrique, oii l'influence
européenne a eu jusqu'ici si peu d'empire. Déjà les navigateurs
qui, dans ces derniers temps, ont abordé aux îles de la Société
et aux îles Sandwich, n'ont pu y reconnaître les peuples dont
Cook et Bougainville ont donné des descriptions si renommées.
Les Missionnaires anglicans ont entièrement changé les mœurs
et les habitudes de leurs habitans, et dans ces îles, comme dans
beaucoup d'autres, les usages signalés par les premiers voya-
geurs ont disparu entièrement ; en sorte qu'on est embarrassé
aujourd'hui pour reconnaître certains objets dont ils parlent
dans leur relation.
Il paraît donc urgent, Sire, de rassembler tous les monumens
des peuples dont il s'agit, et que l'on pourra désormais se procu-
rer, et de les réunir dans un dépôt où ils seront classés dans un
ordre méthodique et propre à éclairer par leur étude comparée
les grandes questions à la solution desquelles ils se rattachent.
Presque tous ceux de ces monumens qui ont été portés en
France, souvent en très-grand nombre, pour certains d'entre
eux, depuis les premiers voyages autour du monde, ont été
disséminés et sont perdus pour la science, faute d'un dépôt sem-
blable destiné à les réunir. Les marins en apportent journelle-
ment, qui éprouvent le même sort. Ne les considérant que
comme de simples objets de curiosité, les établissemens publics
ont presque toujours dédaigné de les recueillir. A la vérité, on a
eu depuis quelques années, dans les divers ports militaires du
138 LES ORIGINES
royaume. Sire, l'heureuse idée de former, de ces monumens,
des collections qui se sont accrues par les dons volontaires des
officiers de votre Marine royale ; dans toutes les occasions le
zèle éclairé de ces officiers saisit les moyens d'être utile aux
progrès des sciences, et par là ces monumens ont échappé à leur
dissémination, et enfin à la perte inévitable qui en eût été la
suite. Les deux plus brillantes expéditions autour du monde qui
aient été faites dans ces derniers temps, sous les auspices et par
les ordres de feu S. M. Louis XYIII, furent très riches en résul-
tats de ce genre ; mais presque tout ce qu'avaient rapporté les
officiers qui les composaient a été malheureusement disséminé,
ces officiers n'ayant trouvé aucun dépôt destiné à le recueillir.
Toutefois, il existe à Paris et dans l'intérieur du royaume une
assez grande quantité de ces monumens qui, dans leur isolement
ont peu d'intérêt, mais qui, par leur réunion, acquerraient beau-
coup de prix; et nul doute, Sire, que si V. M. daigne ordonner
la création d'une collection spéciale pour tous produits de l'in-
dustrie et des arts des peuples indigènes de TAfrique, des Archi-
pels de l'Asie, de FOcéanie et des Deux-Amériques, le zèle d'une
foule de voyageurs, de savans, de quelques particuliers et de
tous les marias de votre Marine royale ou de la marine mar-
chande ne les porte à enrichir successivement cet établissement
royal d'une quantité de monumens précieux déjà recueillis, ou
que leur désir d'accroître ces richesses leur fera rechercher dans
leurs voyages de long cours. Déjà des dons de cette nature ont
été offerts par divers officiers de marine et par quelques hommes
zélés pour la science, dont je m'empresserai de mettre les tioms
sous les yeux de Y. M., si elle daigne m'y autoriser; quelques
monumens de cette espèce existent ici depuis long-temps dans
des élablissemens publics, où ils ont été relégués dans des
magasins parce qu'ils ne sont pas en harmonie avec le but spé-
cial de ces établissemens ; dès que l'on saura qu'il existe un
point central do réunion pour ces monumens, il est dans la
nature des choses que bien des objets isolés soient déposés dans
la nouvelle collection, qui pourra ainsi, en peu d'années, être
assez riche pour remplir son utile destination.
DU MUSÉE d'ethnographie 159
La création de ce Musée, Sire^ sera une nouvelle preuve de la
sollicitude de V. M. pour les sciences géographiques et histo-
riques, honorées d'une constante protection par les illustres
prédécesseurs de V. M., et dont elle-même a donné un si éclatant
témoignage par les importans monumens dont sa munificence
a doté, l'année dernière, le Musée du Louvre. En ouvrant ainsi,
dans la capitale de ses États, aux nationaux et aux étrangers un
nouveau champ d'observations et d'études, pour lequel on
n'avait point jusqu'ici les ressources nécessaires, V. M. assurera
des résultats qui ne peuvent manquer d'avoir le plus haut intérêt
pour l'histoire du genre humain, en général, et pour toutes les
sciences qui sont l'objet des plus utiles études.
La collection que j'ai l'honneur de proposer à V. M. de former,
compléterait ainsi la série des monumens des différens peuples
dans son Musée royal du Louvre, et sur lesquels s'appuient les
recherches historiques auxquelles ces monumens peuvent servir
de base.
Pour mettre cette nouvelle fondation en harmonie avec l'orga-
nisation actuelle du Musée royal du Louvre, il suffira que V. M.
daigne considérer : 1" que la première section du Musée se com-
pose des monumens antiques ou du moyen-âge, provenant de
tous les peuples de l'Europe, surtout des monumens grecs et
romains ; 2° que la seconde section renferme les monumens
égyptiens et orientaux de toute origine, dans lesquels sont com-
pris les monumens phéniciens et carthaginois et ceux de tous
les peuples de l'Asie ^ Les monumens de ces derniers peuples
ne peuvent se séparer selon l'ordre des temps, malgré l'antique
civilisation de la plupart des nations asiatiques, à cause de l'im-
mutabilité de leurs doctrines et de leurs habitudes, ni selon leurs
1) Au sujet de celte classification basée sur les convenances historiques, et
qui, du reste, n'aurait pas rompu l'ordonnance géographique, ni les divisions
subordonnées de celle-ci, d'après la nature des monumens, nous croyons devoir
rapporter le billet ci-joint, de M. de Humboldt, qui m'avait permis de recourir
à ses lumières.
« C'est une belle et noble entreprise que de faire, comme vous le dites, l'his-
toire du genre hunaaia par les monumens. L'exécution de ce projet est bien
digne d'un ministre qui encourage aussi généreusement les arts et l'érudition,
160 LES ORIGINES
divisions géographiques, à cause des rapports que présentent
tous les monumens des peuples de cette vaste contrée, depuis la
Perse jusqu'au Japon. Il convenait donc de rallier dans la même
section tous les monumens de TAsie et ceux des nations de l'A-
frique qui ont joué un rôle dans l'antiquité. La troisième section
projetée comprendrait tous les monumens des peuples de l'A-
frique chez lesquels la civilisation europénne n'a point encore
pénétré ; ceux de tous les Archipels de l'Asie (malgré les traces
d'une sorte do civilisation assez ancienne, et du culte do Boud-
dha chez les peuples malais de quelques-unes de ces îles, dont les
moQumens ont par là des rapports avec ceux de l'Inde ; mais
afin de conserver une division géographique , qui , sous les
points de vue généraux, est plus convenable), des îles de la mer
du Sud et des Deux-Amériques.
Pour la plupart de ces peuples modernes, on trouve plutôt des
témoignages de leurs habitudes physiques que de leurs opinions
sociales ; leurs monumens formeraient le dernier chaînon du
Musée, qui présenterait ainsi dans un vaste ensemble le tableau
méthodique des travaux intellectuels des peuples les plus
célèbres, antérieurs à la civilisation moderne, et celui des pre-
miers essais des peuplades qui n'ont pas encore ressenti ses
bienfaits : ce serait l'histoire entière du genre humain par les
monumens.
Le projet d'ordonnance qui suit ce rapport réalise toutes ces
vues : je les soumets respectueusement à l'approbation de V. M.
Note additionnelle.
Cette note était imprimée lorsque M. Jomard a bien voulu
m'adresser un exemplaire d'un écrit publié sous le titre de
Considérations sur l'objet et les avantages d'une Collection spc-
que d'autres minisires semblent apporter de soin à les élouITer. Je ne querelle-
rai pas sur la division en 3 sections, dont la 2" me paraît renfermer de.s objets
un peu hétérogènes. Les Égyptiens, les Assyriens et les Perses ; les embran-
chemens de la religion de Brahma et du Bouddhisme ; les Chinois et les Japo-
nais, me paraissent former des groupes bien distincts ; mais ces divisions
peuvent toujours se faire dans la suite », etc.
DU MUSÉE d'ethnographie l6l
ciale consacrée aux cartes géofjraphiques et aux diverses branches
de la géographie. Cet écrit, qui iiï était inconnu, a été distribué
à un très petit nombre d'exemplaires, et j'ignore s'il vient de pa-
raître ou s'il est publié depuis quelques mois. Il m'explique d'ail-
leurs le nouveau projet d'uu Musée ethnographique près la
Bibliothèque du Roi, et c'est seulement sous ce point de vue que
je m'en occuperai ici.
M. Jomard, cherchant comment la Collection des cartes peut
atteindre son plus haut degré d'intérêt et d'utilité scientifique,
arrive à cette conclusion, qu'il faut y réunir : i^ tous les produits
des arts et de ^industrie des peuples sauvages ; 2 ' les représenta-
tions topographiques en reliefs dont il forme une division sous le
nom ôi'Hypsologie ; 3" les cartes hypsographiques et les cartes en
relief.
Il est évident que la Collection des cartes géographiques ayant
pour objet de réunir les diverses représentations graphiques de
la surface terrestre et de toutes ses parties, on peut, on doit y
réunir les cartes, les plans ou les globes qui, par des procédés
divers, sont également destinés à reproduire tout ou partie de la
configuration et des détails de cette même surface. Ce sont des
choses de même nature, qui ont un but semblable, et il ne peut,
il ne doit point en être autrement. Mais il n'en est plus de même
pour les monumens qui doivent composer le Musée ethnogra-
phique; ces monumens appartiennent à l'histoire des arts, de
l'industrie et de la civilisation des peuples; ce sont, en un mot,
des monutnens historiques.
Il est incontestable qu'ils peuvent, dans bien des cas, être
utiles aux connaissances géographiques, qui trouvent dans leur
étude des secours efficaces ; mais il en est ainsi des médailles qui
nous ont fait connaître quelques municipimn dont Ptolémée et
Pline n'ont pas fait mention; des inscriptions qui constatent
l'existence de peuples dont les livres des anciens ne parlent pas
et d'une foule de monumens grecs^ romains, étrusques, qui nous
font seuls connaître certains usages des peuples qui nous ont
devancés dans l'ordre des temps. Le dépôt des caries géographi-
ques pourrait-il aussi revendiquer les médailles, les inscriptions,
11
162 LES ORIGINES
les monumens antiques, par suite de ces lumières que leur em-
pruntent les connaissances géographiques? Les produits directs
du sol^ les végétaux et les animaux, dont les espèces les plus
marquantes caractérisent les diverses parties de la surface ter-
restre auraient plus de droit à être considérés comme élémens
de la géographie physique du globe, et comme tels, réclamés
pour faire partie du dépôt géographique. Le Musée tout entier
du Louvre et le Muséum du Jardin du Roi devraient ainsi se
réunir à la conservation des cartes géographiques. Ce serait
alors un Musée encyclopédique ; il suffit d'exposer les consé-
quences rigoureuses du raisonnement qu'établit M. Jomard pour
qu'il en reconnaisse lui-même le peu de fondement. Toutes les
sciences, tous les arts, comme tous les Musées qui leur sont con-
sacrés, se prêtent un mutuel secours, mais la spécialité d'étude
et de destination peut seule produire cet heureux résultat : si
tout était confondu il n'y aurait de lumière nulle part.
M. Jomard a, du reste, oublié, dans sa brochure, de faire la
plus petite mention du Musée ethnographique dont l'établisse-
ment au Louvre a été décidé et des collections qui s'y trouvent
déjà, réunies en conformité de cette décision.
P.-S. — On nous assure que le Conservatoire (la réunion des
conservateurs) de la Bibliothèque royale s'est formellement pro-
noncé contre l'adjonction à cet établissement d'un Musée qui est
tout à fait étranger à sa destination spéciale.
CHAPITRE V
Lettre de Jomard sollicitant, à roccasion de la collection Lamare-Picquot,
l'exécution de l'ordonnance de 1828, en ce qui concerne l'ethnographie. —
Constitution d'une Commission spéciale. — Objections de ChampoUion-Figeac,
et réponse qui leur est faite. — Rapport de la Commission. — Calcul approxi-
matif de l'espace et de la dépense nécessaires au dépôt ethnographique. —
Note de Hipp. Royer-Collard. — Ajournement.
IN» XXVl
BIBLIOTHÈQUE DU ROI '
Paris, 14 août 1831.
A Monsieur le Ministre, secrétaire d'État au Département du
Commerce et des Travaux publics.
Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de mettre sous vos yeux quelques réflexions
très succinctes sur l'utilité d'une collection qui manque à la
France et sur les moyens de la former. C'est une lacune qu'on
est surpris de trouver encore dans la capitale de la civilisation :
il sera g-lorieux pour vous de la remplir. Cette collection est une
série d'objets qui intéressent ï Ethnographie.
L'opinion l'appelle; les sciences géographiques et historiques
la réclament.
Tout récemment, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
de l'Institut de France vient de manifester son vœu à cet égard
dans un rapport qui sera mis sous vos yeux par M. Lamare-
Picquot, qui a eu occasion, dans son voyage aux Indes, de
recueillir un grand nombre d'objets intéressans, venant des con-
trées de l'intérieur de l'Asie. J'ose appeler, Monsieur le comte,
votre attention particulière sur ce rapport, en même tems que
sur les réflexions que j'ai l'honneur de joindre à cette lettre.
1) Cette pièce et toutes celles qui suivent et (li)nt la provenance n'est pas
ndiquée, constituent un fonds d'archives spécial, acluellement conservé au
Ministère de l'Instruction publique.
164 LES ORIGINES
Le principe de cette collection est posé dans une ordonnance
royale, il n'est pas question d'une création nouvelle. Cette
ordonnance^ en date du 30 mars 1828 S porte qu'au Département
de Géographie de la Bibliothèque du Roi seront joints les objets
provenant des voyages scientifiques, ordonnés par le Ministère
de l'Intérieur. En exécution de cette mesure, les objets prove-
nant de l'expédition d'Egypte ont été déposés avec les collections
géographiques.
Les fragmeus qu'il s'agit de réunir sont principalement ceux
qui peuvent jeter des lumières sur le degré de civilisation des
peuplades et des tribus peu avancées dans l'échelle sociale, les
produits de leurs arts encore imparfaits, les représentations
propres à faire distinguer le caractère des races,, les outils, les
instrumens et ustensiles, les vases, meubles et ornemens de l'éco-
nomie domestique, et les symboles du culte et des superstitions.
La ville de Pétersbourg possède déjà un musée [ethnogra-
phique et d'autres villes de l'Europe en renferment de semblables
ou d'analogues.
La Bibliothèque royale, qui est en réalité la réunion de cinq
Musées difîérens, convient mieux que tout autre à cette desti-
nation.
Il n'y a pas de frais à faire pour ce local. Celui qui est affecté
au Département de la Géographie suffit et convient parfaitement
pour cet objet scientifique.
La garde et la conservation de ces objets n'entraîneront aucune
dépense ; le conservateur actuel et l'employé qui le seconde
suffiront à ce travail.
Beaucoup d'objets de la nature de ceux dont il s'agit appar-
tiennent à l'État ; il suffit d'ordonner qu'ils soient réunis dans un
môme local. Il en est qui sont dans les établissemens publics,
d'autres dans les collections royales, d'autres dans les mains de
voyageurs qui ne demanderont pas mieux que de les déposer
dans un établissement public, avec les noms des donateurs.
Ce n'est que par leur réunion et leur rapprochement que ces
objets peuvent avoir de l'utilité et répandre l'instruction.
1) Voyez plus haut pièce n" XIV.
DU MUSÉE d'ethnographie 465
1» Le Musée d'Histoire naturelle * possède un certain nombre
de frag-mens qui ne se lient point avec le tableau des productions
naturelles. Les voyageurs les y ont placés, faute d'un local spé-
cial affecté à cette destination. L'administration du Musée est
toute disposée à les remettre pour cet usage. Il est d'autres Eta-
blissemens publics qui peuvent suivre cet exemple ^
2° Il existe à Alger des objets curieux en ce genre. Il suffirait
que le Ministre de la guerre écrivît au commandant en chef
pour qu'on les conserve, qu'on les réunisse et qu'on les envoie à
Paris : ils appartiennent aux tribus berbères et aux peuplades de
l'Atlas. Déjà l'attention du Ministère a été appelée sur cette
localité ^
3° J'offre moi-même de céder les objets que j'ai rapportés de
mes voyages. Il me sera facile, par mes relations en Egypte, de
me procurer des objets curieux venant de TEtbiopie intérieure.
J'en puis dire autant du Sénégal et de plusieurs contrées de
l'Afrique centrale.
4° Plusieurs produits de l'industrie des Mexicains et des indi-
gènes de l'Amérique centrale* se trouvent, en ce moment, réunis
dans la capitale ; il est très facile de se les procurer. On y
trouve des fragmens d'un grand intérêt pour l'histoire des rites
et usages des aborigènes et même pour les rapprochemens à
faire avec l'ancien monde. Je connais à Paris deux collections de
cette espèce, dont l'une sera peut-être offerte au gouvernement.
5" La collection que M. Lamare-Picquot a rapportée de l'Inde
et du Cap de Bonne-Espérance, ombrasse une très grande variété
d'objets en tout genre, relatifs aux mœurs, aux coutumes, à
l'économie domestique et aux arts. On y trouve beaucoup de
1) Voyez plus loin pièces nos XLVI et suiv.
2) L'auteur vise les colkctions que conservent encore la Bibliothèque Sainte-
Geneviève et quelques autres établissements de Paris. (E. H.)
3) Une partie de ces objets algériens sont devenus, je l'ai déjà dit, la propriété
du Musée d'Artillerie, d'autres sont allés au Musée de Marine, au Louvre.
(E.H.)
4) Jomard fait allusion encore une fois ici aux collections d'antiquités mexi-
caines de Latour-Allard et Franck, acquises ensuite par le Louvre, à celle de
Baradère, et à une petite série de Colombie, passées plus tard avec ses propres
collections au musée Berthoud, à Douai. (E. H.)
166 LES ORIGINES
figures en relief qui représentent les différentes castes et les
diverses professions des indigènes et qui sont travaillées dans le
pays même, avec un certain art : elles peuvent contribuer à
éclaircir l'ethnographie. Le voyageur est très disposé à céder au
gouvernement sa collection, sur laquelle l'Académie a exprimé
une opinion très favorable. Il importe de ne pas laisser échap-
per une occasion si avantageuse de réparer toutes les pertes que
nous avons faites en ce genre.
Cet objet, Monsieur le comte, n'est pas indigne de votre solli-
citude et je l'invoque avec confiance, persuadé que vous recon-
naîtrez l'utilité d'une collection semblable. C'est une affaire qui
intéresse l'honneur national et il ne faut pas qu'on accuse la
France de négliger aucune des gloires scientifiques. J'ai regardé
comme un de mes devoirs, Monsieur le comte, d'appeler votre
attention sur une vue nouvelle qui me paraît se rattacher essen-
tiellement à l'histoire des découvertes et à la principale collec-
tion géographique dépendant du Ministère.
Agréez, Monsieur le comte, l'hommage du respect avec lequel
j'ai l'honneur d'être
Vo^re très humble et très obéissant serviteur.
JOMARD,
membre de Tlnstitut *.
1) En marge de la pièce le Ministre écrit : « M. Royer-Collard, conférer. » —
« J'ai parlé à M. Cuvier des objets qui se trouvent au Jardin des plantes et qui
pourraient trouver place dans un musée ethnographique, il ne demande, pas
mieux de les céder. — Mais on avait commencé une collection ethnographique
au Louvre sous le nom de Musée Dauphin. — • Il faudrait me proposer la nomi-
nation d'une commission pour examiner la proposition de Jomard et les moyens
d'exécution. — Consulter M. Cuvier sur la composition de la commission. — Il
y faudrait M. Cuvier, M. Kératry, quelqu'un de la Bibliothèque royale,
M. Jomard, etc. — Quant à la collection Lamarre, il propose de la donner gra-
tuitement, mais il voudrait être renvoyé comme voyageur du Musée dans l'Hin-
doustan, cela me paraît difficile. » Je n'ai pas retrouvé la demande à laquelle se
rapporte cette dernière note, (E. H.)
3" DIVISION
I*"" Bureau.
Beaux-Arts et
Sciences.
DU MUSÉE d'ethnographie 167
N° XXVII
MINISTÈRE DU COMMERCE ET DES TRAVAUX PUBLICS
Paris, 24 août 1831.
Le Ministre,
A M. le baron Cuvier, conseiller d'État, etc.
Monsieur le baron,
M. Jomard a proposé la création d'un Musée Ethnographique
près du Département de la Géographie à la Bibliothèque du Roi.
Comme une collection de ce genre existe déjà au Louvre sous
le nom de Mmée Dauphin, je voudrais, avant de prendre un
parti, avoir votre avis et celui d'une commission sur les proposi-
tions de M. Jomard et sur les moyens d'exécution dans le cas oii
il serait reconnu utile de donner suite à ces propositions.
Je vous serai obligé. Monsieur le baron, de vouloir bien me
désigner confidentiellement les personnes dont il conviendrait
de composer cette commission que vous présiderez et dont il
serait bien que M. Kératry, député, M. Jomard et un autre
membre du Conservatoire de la Bibliothèque fissent aussi partie.
Agréez, etc.
Le pair de France, miniatre-secrétaire d'Etat
du Commerce et des Travaux piiblics,
Comte d'Argout.
N» XXYIII
CONSEIL d'état
Paris, 27 août 1831.
Monsieur le comte.
Ce sera avec plaisir que je concourrai pour ma part à l'examen
d'un projet de Musée Ethnographique. Il me paraît que MM. A.
Rémusat et Letronne, membres de l'Académie des B. B. L. L.
168 LES ORIGINES
seraient les personnes les plus propres à compléter la commis-
sion. Le premier, comme vous le désirez, Tun des conservateurs
de la Bibliothèque du Roi, M. Kératry, y sera aussi très bien
placé et y consent volontiers.
Veuillez agréer, etc.
CUVIER.
N° XXIX
3e DIVISION
1^"^ Bureau.
Beaux-Arts et
Sciences.
MINISTÈRE DU COMMERCE ET DES TRAVAUX PUBLICS,
Paris, 20 avril 1831.
Le Ministre,
A M. Abel Mémusat, membre de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres^.
Monsieur,
Une ordonnance du 30 mars 1828 porte que les objets prove-
nant des voyages scientifiques effectués sous la protection du
g-ouvernement et qui n'auraient pas une destination spéciale,
seront joints au département de géographie de la Bibliothèque
royale. Cette ordonnance a suggéré l'idée d'établir un Musée
Ethnographique. Une pareille collection, précieuse pour la géo-
graphie et l'histoire, sera vue généralement avec intérêt. Déjà
l'un de nos voyageurs naturalistes, M. Lamaro-Picquot, propose
au gouvernement l'abandon d'un assez grand nombre d'objets
recueillis par lui dans les contrées intérieures de l'Asie, à l'é-
poque de son voyage aux Indes. L'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres paraît elle-même appuyer le projet d'établissement
dont il s'agit et dont M. Jomard vient de m'entretenir par écrit.
Avant de prendre une détermination à ce sujet, j'ai pensé que je
devais m'entourer de tous les conseils propres à m'éclairer ; j'ai
(1. Même lettre à M. Letronne et à M. Kératrv.
DU MUSÉE d'ethnographie 169
donc décidé qu'une commission serait formée à l'efTet d'exami-
ner la proposition cl d'en discuter les moyens d'exécution.
Cette commission devant être composée des hommes les plus
versés dans les sciences auxquelles se rattache l'institution pro-
jetée, je vous ai désigné, Monsieur, pour en faire partie et j'ai
cru pouvoir compter en cette circonstance sur le concours de vos
lumières.
Agréez, etc.
Le pair de France^ mimstre-secrétaire d'État
du Commerce et des Travaux publics,
Comte d'Argout.
N°XXX
INSTITUT DE FRANGE
ACADÉMIE ROYALE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Varis, le 6 mai 183i.
Monsieur le comte,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
et par laquelle vous m'annoncez que vous m'avez désigné pour
faire partie d'une Commission chargée d'examiner le projet rela-
tif à l'établissement d'un dépôt ethnographique. Je suis très flatté
de cette marque de confiance, et j'ai l'honneur de vous en offrir
mes remercimens. Je serai toujours empressé de concourir,
selon mes foibles moyens, aux discussions qui peuvent préparer
ds institutions utiles et servir la cause des lettres et des études
auxquelles je suis et serai toujours dévoué.
Veuillez, Monsieur le comte, agréer les hommages de mes
sentimens les plus respectueux.
J. P. Abel Rémusat.
170 LES ORIGINES
3^ DIVISION
1er Bureau.
N» XXXI
MINISTÈRE DU COMMERCE ET DES TRAVAUX PUBLICS
Beaux-Arts et faris, 7 mai 1831,
Sciences.
Le Ministre,
A M. le baron Cuvier, conseiller d'Etat, etc.
Monsieur le baron,
J'ai l'honneur de vous prévenir que je viens de former la com-
mission qui doit examiner le projet d'établissement d'un Musée
ethnographique. Les personnes que j'ai désignées pour com-
poser cette commission, sont MM. Abel Rémusat et Letronne,
membres de l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres,
et M. Kératry, membre de la Chambre des députés, que vous
avez bien voulu m'indiquer. Je viens de leur adjoindre aussi
M. Duparquet à titre de membre et comme devant, en outre,
remplir les fonctions de secrétaire de la commission.
Je compte sur le concours de leurs lumières en cette circons-
tance, ainsi que sur la promesse que vous m'avez faite de parti-
ciper de votre côté, comme président^ à l'examen du projet dont
il s'ag-it.
Agréez, etc.
Le pair de France, ministre-secrétaire d'État
du Commerce et des Travaux Publics.
Comte d'Argout.
N° XXXII
Paris, le 7 mai 1831.
Le Ministre,
A M. Duparquet.
Monsieur,
J'ai l'honneur do vous annoncer que je vous ai désigné pour
faire partie de la commission qui doit examiner le projet d'éta-
DU MUSÉE d'ethnographie 471
blissement d'un Musée ethnographique, et pour remplir en outre
les fonctions de secrétaire de cette commission. Les personnes
dont j'ai fait choix jusqu'ici, sont : le baron Cuvier, qui doit
présider la Commission; MM. Abel Rémusat et Letronne, mem-
bres de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et M. Ké-
ratry, député.
J'ai cru pouvoir compter, en cette circonstance, sur le con-
cours de vos lumières.
Agréez, etc.
Le pair de France ^ ministre-secrétaire d'Etat
du Commerce et des Travaux Publics.
Comte d'Argout.
N" XXXIIl
BIBLIOTHÈQUE DU ROI
Faris, le 10 mai 1831.
Monsieur le comte,
J'entends parler d'un Musée ethnographique, pour lequel on
sollicite votre zèle et vos lumières : mais l'auteur de ce beau
projet et de tant d'autres ne vous a pas dit que ce Musée est
établi, commencé et en voie de s'accroître journellement. Il a
été fondé par M. le duc de Doudeauville durant son ministère ;
il a été fixé au Louvre sous le nom de Musée d'Angoulême ; il
renfermera les modèles de marine et les productions de l'indus-
trie des peuples de l'Océanie, de l'Inde, etc. Enfin, des instruc-
tions déjà anciennes du Ministre de la Marine, ont été remises à
tous les officiers de la marine royale, dans l'objet de les engager
à enrichir le nouveau Musée. C'est aussi, dans ce même objet,
qu'une personne que je désignai à M. le duc de Doudeauville fut
chargée d'acheter tout ce qui, chez les marchands de curiosités
et même dans des cabinets particuliers, pouvait entrer dans ce
Musée ; M. Zédé, officier de marine, en est le conservateur.
J'ai cru devoir vous communiquer ces détails, en ayant l'hon-
172 LES ORIGINES
neur de vous prier, Monsieur le comte, de les agréer comme un
nouveau témoignage de mon respectueux et sincère dévoue-
ment.
J.-J, Ghampollion-Figeac.
N° XXXIV
S*' DIVISION
le' Bureau.
Beaux-Arts et
Sciences.
MINISTÈRE DU COMMERCE ET DES TRAVAUX PUBLICS
Paris, 28 mai 1831.
LE MINISTRE,
A M. Champollion-Figeac, à la Bibliothèque du Roi.
Monsieur,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
concernant le projet qui m'a été soumis de former un Musée
ethnographique, que vous pensez devoir être une répétition de
celui qui a été fondé au Louvre, il y a quelques années, sous le
nom de Musée d^Angoulême.
Le projet du Musée ethnographique est une combinaison nou-
velle, étrangère à celle du Musée du Louvre dont j'avais eu
connaissance, lorsque j'étais au ministère de la Marine.
Je ne vous en remercie pas moins, Monsieur, de l'empresse-
ment que vous avez mis à m'entretenir du nouvel établissement,
qui vous avait semblé devoir faire double emploi avec celui qui
existait déjà.
Agréez, etc.
Le pair de France, ministre-secrétaire d'État
du Commerce et des Travaux Publics.
Comte d'Argout.
DU MUSÉE d'ethnographie 173
N» XXXV
Paris, le 28 mai 1831.
Le Ministre,
A Monsieur le baron Cuvier, président de la Commission
du Musée ethnographique.
Monsieur le baron,
M. Letronne, qui a été nommé membre de la Commission du
Musée ethnographique, étant parti pour faire sa tournée d'ins-
pection des études, vous avez proposé de le remplacer par
M. Burnouf fils.
J'approuve votre proposition, Monsieur le baron, et j'écris à
M. Burnouf pour le prévenir de sa nomination.
Agréez, etc.
Le pair de France, etc.
Comte d'Argout.
iN^XXXVl
Paris, le 28 mai 1831.
Le Ministre,
A Monsieur Burnouf fils.
Monsieur,
J'ai Ihonneur de vous annoncer que je vous ai nommé mem-
bre de la commission chargée d'examiner, sous la présidence de
M. le baron Cuvier, les moyens d'établir à Paris un Musée
ethnographique.
J'ai cru pouvoir compter, en cette circonstance, sur le con-
cours de votre zèle et de vos lumières.
M. le baron Cuvier vous fera connaître le jour de la prochaine
réunion de la commission.
Agréez, etc.
Le pair de France, etc.
Comte d'Argout.
174 LES ORIGINES
N» XXXVII
RAPPORT
DE LA Commission nommée par M. le Ministre du commerce et des
TRAVAUX PUBLICS POUR EXAMINER LA CONVENANCE DE LA FORMATION
d'un Musée ethnogra'phique a Paris.
Monsieur le Ministre ,
La Science géographique, plus étendue aujourd'hui qu'elle ne
rélait autrefois, comprend, avec la description physique et ma-
térielle des différentes parties du globe, l'histoire des races hu-
maines qui l'ont peuplé et l'esquisse de leurs progrès dans la
civilisation. Ce développement, qui date chez nous d'un petit
nombre d'années, exige un accroissement correspondant dans
les collections consacrées à la géographie. Les cartes, les plans,
les reliefs font connaître la configuration des continents, le cours
des rivières, la direction des chaînes de montagnes; l'homme se
montre dans les produits de son industrie, dans ses efforts pour
surmonter les obstacles que lui opposent la nature et les climats,
et dans le résultat de cette faculté toujours active et tendant
continuellement à la perfection qui est un des attributs caracté-
ristiques de notre espèce.
De tout temps on a senti la nécessité de s'entourer da rensei-
gnements précis sur l'état des arts et des procédés industriels
propres aux nations qui n'ont pas subi rinflucnce européenne.
Les nombreuses figures qui remplissent les atlas et les relations
des voyageurs n'ont pas d'autre objet, ni de plus utile destina-
lion. Mais l'instruction qu'on y cherche n'est ni aussi sûre, ni
aussi complète que celle qui résulterait de l'étude immédiate des
produits de ces industries exotiques.
Ce n'est pas l'intérêt d'une curiosité stérile qu'il est question
de satisfaire. Noire industrie européenne, toute perfectionnée
qu'elle puisse être, no peut que gagner à des comparaisons qui
doivent l'enrichir encore en suggérant ou des procédés plus sim-
ples ou des usages nouveaux de substances naturelles négligées
chez nous ou étrangers à nos climals; enfin l'histoire, laphiloso-
DU MUSÉE d'ethnographie 175
phie et même la littérature peuvent trouver une utile assistance
dans l'inspection d'armes, d'instruments ou d'outils, dont les
descriptions, prises dans les auteurs, resteraient souvent vag-ues,
obscures ou inintellig^ibles. Ainsi la connaissance de l'homme,
de son g-énie commercial et industriel et de son état social aux
difTérentes époques et dans les difTérentes parties du monde, exige
indispensablement la réunion de tous les objets dont cette con-
naissance peut se tirer d'une manière directe, complète et incon-
testable.
Ce sont des motifs de cette espèce qui ont eng-agé la plupart
des nations savantes de l'Occident à réunir des collections elhno-
g-raphiques. C'est ainsi que se sont formées celles que l'on voit à
Gœtting-ue, à Weimar, à Berlin, à Saint-Pétersbourg et à Lon-
dres. Paris seul a été jusqu'ici privé de ce moyen d'instruction,
non qu'on ait dédaigné en France les objets qui s^ rapportaient,
mais parce que ces objets, recueillis dans toutes les parties du
monde, par les marins, les missionnaires et les voyageurs, n'ont
pas été réunis dans un dépôt unique, classés, conservés et livrés
aux investigations des savants.
On a pu regretter ainsi qu'un grand nombre de matériaux
ethnographiques, dispersés dans des collections d'une nature dif-
férente ou tombés entre les mains de personnes peu éclairées,
aient été détruits ou soient devenus un objet de brocantage sans
intérêt pour la science.
Le moment semble venu de remplir cette lacune. Une collec-
tion spéciale de plus semble devoir s'ajouter à celles que la mu-
nificence du gouvernement livre à la curiosité d'un public
studieux. Un grand nombre d'éléments existent à Paris et peuvent
être rassemblés sans difficulté. On tirerait ainsi de l'oubli des
matériaux ramassés à des époques anciennes, et on y joindrait
pendant qu'il en est temps encore ceux qui se rapportent à l'é-
poque actuelle.
De nombreuses peuplades dans l'Amérique et dans l'Océan ont
déjà renoncé à leurs habitudes natives et à leur civilisation indi-
gène, pour adopter les coutumes dont le modèle leur a été porté
parles navigateurs européens. Chaque jour voit effacer quelqu'un
176 LES ORIGINES
des traits natifs qui distinguaient les habitants primitifs des
différentes parties du globe. Dans quelques années, peut-être, il
serait trop tard pour retrouver les traces de leurs habitudes
nationales, et l'on ne pourrait plus présenter d'une manière
complète le tableau moral et intellectuel de toutes les familles du
genre humain.
Le moment que la sollicitude du ministre a choisi pour appeler
l'attention des savants sur cet objet, ne pouvait d'ailleurs être
plus opportun, puisque les principes qui doivent présider à une
fondation de cette espèce, sont aujourd'hui, plus que jamais,
généralement connus et appréciés du public.
Sans doute on ne comprendrait pas dans une collection sem-
blable les produits de l'industrie européenne, même transplantée
dans les régions du Nouveau-Monde ou de l'Australie. On en
exclurait pareillement ces objets d'une curiosité frivole que cer-
tains peuples asiatiques fabriquent tout exprès pour satisfaire ou
provoquer les caprices des voyageurs. Tout y devrait être subor-
donné à des idées d'utilité, tout y devrait porter un caractère
scientifique.
Il n'y faudrait pas comprendre non plus les monuments de
ces nations maintenant éteintes, dont Tarchéologie s'attache à
rechercher l'histoire et les vestiges. A cela près, rien n'en se-
rait exclu de ce qui peut jeter du jour sur les différentes races hu-
maines et sur les progrès qu'elles ont pu faire dans la culture
des arts industriels.
lin Europe même, il existe encore à présent des peuplades qui
n'ont point adopté nosmœurs et nos habitudes. Celles-là, quoique
moins éloignées de nous que les habitants de l'Afrique et de
rOcéanie, doivent fournir d'intéressants matériaux pour la col-
lection ethnographique.
Les Lapons, les Valaques elles Moldaves, peut-être même les
débris des Basques et des Calédoniens, conservent des traces d'un
perfectionnement natif et spontané. Les Turcs ont apporté dans
la partie du monde que nous habitons, de nombreux vestiges de
leur origine étrangère. En Asie, les nations musulmanes, comme
les Arabes, les Persans, lesTurcomans et les Curdes; les peuples
DU MUSÉE d'ethnographie 177
asiatiques qui ont conservé le christianisme, comme les Armé-
niens, les Géorgiens et d'autres nations caucasiques; plus loin
les Indiens, les Thibétains, les Tartares, les Chinois, les Japo-
nais, les Ainos, les habitants de la presqu'île ultérieure du Gange,
les Malais qui ont couvert l'Océan de leurs émigrations et pénétré
jusqu'aux îles les plus reculées de l'Océanie; les habitants du
grand Archipel oriental, les indigènes de la Nouvelle-Zélande et
de la Nouvelle-Hollande; en Afrique, les Madécasses, les Cafres,
les Hotlentots, les peuplades nègres du Congo, de la Guinée, du
Sénégal, celles de l'intérieur de ce continent encore si imparfai-
tement connu, les Éthiopiens, les Nubiens, les Maures et les
Berbères; en Amérique, tout ce qui a pu échapper aux conquêtes
des Européens et résister aux influences de leurs colonies, toutes
les tribus qui avoisinent les frontières des Etats-Unis ou les côtes
de la Mer Pacifique, les débris des anciens Mexicains et Péru-
viens, les indigènes du Chili et des vastes régions qui s'étendent
jusqu'au cap Horn, voilà en peu de mots l'aperçu des princi-
pales nations dont les productions de toute espèce doivent
concourir à la formation du Musée ethnographique.
Peut-être serait-il superflu d'indiquer en particulier les diffé-
rentes classes d'objets qu'on doit s'attacher à réunir. Nous répé-
tons qu'aucun de ceux qui peuvent faire connaître l'homme
physique et l'homme moral sous les rapports précédemment
indiqués, ne doit être exclu de la collection. Elle devra donc
comprendre les instruments, vases et ustensiles qui se rappor-
tent à l'agriculture, à la chasse, à la pêche, ou qui servent à la
préparation des aliments, les tissus et les étoffes, les vêtements
et les parures qu'on fabrique, les armes ollensives et défensives;
ce qui tient à la navigation ; les instruments de musique et objets
servant aux jeux et aux divertissements; les meubles, les outils
employés dans les arts et l'industrie, les instruments scientifi-
ques et métriques servant à compter, à peser et à mesurer, et
généralement tout ce qui est relatif aux besoins de l'homme et à
ses premiers progrès dans la culture sociale. On ne négligera pas
non plus des objets d'une autre nature, propres à mettre dans
tout leur jour des facultés d'une autre espèce, les fétiches, les
12
178 LES ORIGINES
idoles, les représentations symboliques, les talismans et amu-
lettes, et tout ce qui tient aux préjugés, aux cérémonies reli-
gieuses, aux rites idolâtriques, à l'astrologie, à l'empirisme
médical, en un mot, aux formes diverses que peut revêtir l'esprit
superstitieux des sociétés dans leur enfance.
Divers établissements de Paris pourraient être désignés comme
propres à recevoir la collection nouvelle; la variété des objets
qui la composeront pourrait la rapprocher des musées où sont
déjà conservés les productions de la nature, les produits des
arts et les résultats des recherches géographiques. Le Jardin des
Plantes, le Louvre, la Bibliothèque du Roi pourraient être enri-
, chis de ce dépôt de plus consacré à une branche intéressante des
connaissances humaines. Mais si l'on s'attache au point de vue
que nous avons indiqué précédemment, et que l'on considère
Tethnographie dans les rapports intimes qui la lient à la science
géographique, c'est aux monuments de celle-ci qu'il faut joindre
les objets propres à éclairer la première.
La Bibliothèque du Roi possède déjà un dépôt de cartes et de
plans qui en constitue le cinquième département. Un vaste local
offrant le développement de 300 mètres existe dès à présent dans
cet établissement, et peut, presque sans aucune dépense, être
disposé pour recevoir sur-le-champ les objets appartenant à
l'ethnographie. En les y rassemblant, on ne fera que mettre à
exécution l'ordonnance du 30 mars 1828, qui prescrit la réunion
des objets scientifiques apportés par les voyageurs, sous la di-
rection et la surveillance du conservateur du dépôt géographique.
Celte disposition aurait l'avantage d'épargner les frais superflus
pour le matériel de la collection, et de n'en point réclamer de
nouveaux pour les conservateurs et employés qu'elle exigerait.
On peut dire, à l'appui de l'observation qui vient d'être pré-
sentée, que déjà la Bibliothèque du Roi possède un assez grand
nombre d'objets appartenant à l'ethnographie, et qui sont restés
jusqu'ici déposés au Cabinet des antiques. L'exiguïté du local
affecté à ce dernier n'a pas permis jusqu'ici d'exposer ces objets
aux regards du public. Un simple déplacement intérieur pourrait
les livrer immédiatement aux investigations des étudiants.
DU MUSÉE d'ethnographie 179
Rien ne serait plus facile que d y réunir ég-alemenl tous les
objets du même genre qui sont actuellement dispersés dans di-
vers dépôts publics, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, au
Muséum d'Histoire naturelle, et d'autres établissements. Ces
objets, sans rapports réels avec la destination des établissements
où ils sont déposés, n'offrent actuellement qu'une faible utilité
en comparaison de celle qu'ils recevraient par leur réunion
même, dans un dépôt spécial, où viendraient affluer les produits
des recherches et des découvertes des voyageurs.
Pour ce dernier point, il faudrait mettre à exécution l'ar-
ticle 2 de l'ordonnance précitée, et recueillir, le plus tôt possible,
tout ce qui peut rester disponible des collections formées par
MM. Freycinet, Duperrey, d'Urville, et plus anciennement par
MM. Cailliaud, Leschenault, etc., etc.
Il ne serait pas moins facile de mettre à profit nos relations
avec rÉgypte, Constantinople, l'occupation d'Alger; on pourrait
également éveiller, par des instructions particulières, le zèle des
voyageurs naturalistes, celui des officiers de marine,, des com-
mandants coloniaux et des agents consulaires dans les contrées
lointaines, et l'on ouvrirait ainsi de nombreux canaux par
lesquels viendrait affluer, au Musée ethnographique, une foule
d'objets précieux pour l'histoire des arts et de la civilisation.
Des occasions qu'il faudrait s'empresser de saisir se présente-
ront quelquefois pour enrichir et compléter le musée. Un heu-
reux hasard a fait arriver à Marseille une collection d'objets
chinois et japonais, parmi lesquels il en est plusieurs qu'il serait
intéressant d'acquérir '.Nous ne pouvons nonplusnous dispenser
aussi d'indiquer au ministre la collection qua formée, dans
l'Inde, M. Lamare-Picquot, avec un zèle et des soins véritable-
ment dignes d'éloges, et qu'il offre d'abandonner au gouverue-
1) C'est la collection Giniez dont il était déjà question plus haut (n" XXIV
in fine). Un catalogue autographiié, sans lieu ni date, que j'ai dernièrement
retrouvé, nous apprend qu'elle se composait, comme le dit Jomard, dans la
note qui suit, d'environ 600 pièces, statuettes en costumes, meubles d'appar-
tement, de table, de poche, ouvrages en ivoire et en écaille, objets du culte,
horlogerie et hydraulique, imprimerie, métiers, ustensiles, objets d'amusement,
instruments de musique, de chasse, de pêche, peintures et dessins, armes et
180 LES ORIGINES
ment, moyennant le simple renibourseniont des frais où ses
voyages l'ont entraîné. Les rapports spéciaux qui ont été faits
dans le sein des Académies des Sciences et des Inscriptions et
Belles-Lettres ont pu mettre le ministre en état de juger de
l'importance dos matériaux rassemblés par M. Lamare-Picquol,
et nous dispensent d'entrer ici dans de plus grands détails.
Gomme une très grande partie des objets qu'il a rapportés sont
étrangers à l'ethnographie et semblent propres à enrichir le
iMuséum d'Histoire naturelle, nous pensons que la portion de la
dépense qui serait relative à la formation du Musée ethnogra-
phique serait assez peu considérable pour pouvoir être proposée
au ministre comme un moyen de former un premier fonds pour
la collection dont il s'agit.
Nous résumons les observations contenues dans le rapport qui
précède, en soumettant au ministre les questions suivantes :
1" Il sera établi à Paris un dépôt ethnographique où seront
réunis les objets qui pourraient éclairer l'histoire de l'homme
physique et de l'homme moral.
2" Ce dépôt sera placé à la Bibliothèque du Roi.
3° Les objets qui sont de nature à en faire partie et qui se
trouvent actuellement dispersés dans divers établissements
publics de Paris, seront, de concert avec les administrateurs de
ces établissements, réunis et transportés à la Bibliothèque du Roi.
Paris, le 1" novembre 1831.
Ont signé : Baron Cuvieh,
Kératry,
E. BuRNOUF,
Achille DuPARQUET,
JOMARD,
Abel Remusat, rapporteur.
armures, modèles divers, etc. J'ignore ce qu'est devenue cette collection
considérable, vendue probablement à la mort de son possesseur.
M. Paul Armand a eu beau consulter les contemporains survivants ou les
Marseillais d'origine sur ce personnage, il n'a rien su de précis. L'Indicateur
Marseillais, de 1828, mentionne toutefois un sieur G. -T. Giniez, ancien négo-
ciant, 2, cour du Chajiitre. (E- H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 181
N" XXXVIII
CALCUL APPROXIMATIF DE l'eSPACE ET DE LA DÉPENSE NÉCESSAIRES
AU DÉPÔT ETHNOGRAPHIQUE
Il y a deux conditions à remplir : 1° celle de la. localité ; 2° celle
de la â?<?/>ense nécessaires pour l'établissement.
On doit désirer sans doute un aperçu pour une collection
complète qui embrasse l'avenir. Mais les éléments de ce calcul
sont nécessairement incertains et l'on ne peut les apprécier qu'en
partant de ce qui est connu, et, par approximation.
Les plus grandes, les plus belles collections existantes, par
exemple, le Muséum d'Histoire naturelle, n'ont pas été formées
d'un seul jet et ne peuvent l'être : trop d'obstacles s'y opposent.
On peut aussi faire un projet pour Yétat actuel des choses,
comprenant toutefois une première période de dix ans. Nous
commençons par exposer ce projet, mais très succinctement en
le divisant en deux parties. Espace et dépense ; celle-ci se divise
en matériel on acquisition, arrangements intérieurs &\. personnel .
(A) Projet.
Espace: I, Quatre collections sont disponibles ou peuvent
être acquises à titre gratuit, savoir :
Espaces en
pieds can-és.
1° A la Bibliothèque du Roi (salle haute du Cabinel
des antiques, environ 500 objets autres que les
armes françaises) (à placer sur deux rangs) . . 200
1° Au Dépôt de Géographie, 200 objets (à placer
sur deux rangs) 100
3° Objets provenant de l'expédition d'Egypte, ins-
truments de musique, etc. (à acquérir en partie),
environ 100 (à placer sur deux rangs). ... 50
4° Objets du Muséum d'Histoire naturelle, envi-
ron 100 (à placer sur deux rangs) .... 50
Objets provenant de divers dépôts dépendant du
Gouvernement [pour iriémoire).
A reporter. . . . 400
182 LES ORIGINES
Espaces en
pieds carrés.
Report. ... 400
IL Six autres collections intéressantes sont connues
et à acquérir si les fonds le permettent.
Collection de M. Lamare-Picquot, de 700 à 800
objets (à placer sur deux rangs) i^o
Collection sino-japonaise\ environ 600 objets plus
grands (à placer sur deux rangs) oOO
Collection de M. Latour-Allard, 480 objets (à pla-
cer sur deux rangs) , 60
Collection colombienne en or, 20 objets (à placer
sur deux rangs) 10
Deux autres petites collections ensemble environ
500 objets (à placer sur deux rangs) 155
1.300
Le local actuellement disponible à la Bibliothèque Royale
(la seule galerie du rez-de-chaussée, vers la rue Vivienne) a une
étendue de quarante mètres sur dix mètres, ou 300 pieds de
tour, et une superficie de 8.000 pieds carrés, dont 3.000 au
moins sont applicables à une exposition actuelle : cette salle est
magnifique pour la grandeur et l'aspect.
Dépoise. i" Les six collections à acquérir sont estimées .à la
somme de 90.000 fr., supposée payable en 8 ou 10 années, savoir :
Collection de M. Lamare-Picquot. 20 à 25.000 fr.
Collection sino-japonaise^ environ. 20.000
Collection de Latour-Allard. id. . 9.000
Collection colombienne 20.000
Deux autres petites collections, en-
semble 16^00_
Total. 90.000, ci p. aa 9.000 fr.
2" Dispositions des casiers existant pour rece-
voir les 3.400 objets ci-dessus, dans 600
cases vitrées à 10 fr., 6.000, ci par an . . 600
A reporter. . . . 9.600 fr.
i) C'est la collecliûu Giniez.
DU MUSÉE d'ethnographie 183
Report. . . . 9.600 fr.
3" Un employé de 15 à 1800 francs au plus,
et peut-être un garçon de salle à 700 fr. . 2.500
Total pour la 1" année et les neuf suivantes . 12.100 fr.
(B) APERÇU POUR UNE LONGUE SUITE d'aNNÉES.
Espace. Les dix collections actuellement con-
nues, disponibles ou à acquérir demandent. 1.300 p. c.
Il faudrait calculer, en plus, sur soixante col-
lections environ (autant qu'on peut le suppo-
ser pour un dépôtàpeu près complet), chaque
collection serait de 250 à 300 objets, en tout
15.000 objets, c'est six fois l'espace ci-dessus 7.800
et en tout, moins de mille mètres.
Au reste, un choix sévère doit présider à la collection. Or la
liste dressée par la Commission ethnog^raphique contient environ
66 principales différentes nations. Il y a neuf classes d'objets
et à 25 articles pris dans chaque classe, c'est encore 15.000
articles.
En accordant au Dépôt de Géographie^ comme on l'a fait dans
tous les plans, une surface de 1.100 à 1.200 mètres, il resterait
pour les cartes géographiques un espace suffisant pour recevoir
200 à 300 mille cartes.
Nota. Les très grands objets peuvent se mettre au plafond.
Voir au Muséum d'histoire naturelle, les crocodiles, les reptiles.
Dépense. En continuant d'acheter pendant soixante
années une collection de 9.000 fr. par année, ci. 9.000 fr.
Pour arrangement d'armoires vitrées au fur et à
mesure et par an une superficie de 30 mètres à
40 francs le mètre 1.200
Un employé de 15 à 1.800 fr. et un garçon de
salle 2.500
Total. . 12.700 fr.
D'où il suit qu'en demandant un crédit spécial annuel de 13 à
14.000 francs, l'on pourvoirait au besoin de l'établissement.
Si les propriétaires des quatre premières collections n'accor-
184 LES ORIGINES
daientque six ans, l'allocalion annuelle sérail de 19 à 20.000 fr.
pour les six premières années.
On doit d'ailleurs s'attendre à recevoir des dons gratuits, à
cause de la difficulté qu'il y a de se défaire des collections de
cette espèce et de l'embarras qu'elles causent lors des mutations.
[JOMARD.]
K XXXIX
Paris, le 16 décembre 1831.'
NOTE POUR M. LE MINISTRE
La Commission, que M. le Ministre a nommée pour examiner
la question d'opportunité de la création d'un Musée ethnogra-
phique à Paris, a fait son rapport.
Les propositions que ce rapport contient sont :
1* D'établir à Paris un dépôt ethnographique ;
2° De le placer à la Bibliothèque Royale ;
3° D'y réunir tous les objets susceptibles d'en faire partie et
qui se trouvent dans d'autres établissemens ;
4» D'acheter, d'après la quotité des crédits dont le gouverne-
ment pourrait disposer, tout ou partie d'une collection qui se
trouve à Marseille et de la collection de M. Lamare-Picquot.
Les deux premièi'es propositions ne semblent devoir donner
lieu à aucunes observations importantes.
Nul doute, en effet, qu'un dépôt ethnographique ne soit
curieux et ne soit bien placé à la Bibliothèque près du cinquième
département (géographie), quoique l'utilité de l'existence de ce
dépôt comme département ne soit nullement démontrée et qu'il
semble naturel et convenable de rétablir un jour les choses sur
l'ancien pied, en faisant rentrer la fraction de géographie dans le
dépôt des livres dont les cartes n'auraient jamais dû être séparées.
Quant à la troisième proposition, je la crois d'une exécution
impossible, parce qu'elle tend à dépouiller au profit du départe-
ment de M. Jomard, des musées et des établissements divers qui
dépendent, les uns de la Maison du Roi, les autres de la
marine, etc.
Quant à la quatrième^ qui concerne les acquisitions à faire, je
DU MUSÉE d'ethnographie 185
ne vois pas la possibilité d'y donner suite, puisqu'il n'y a point
de fonds disponibles.
En résumé, je crois : que le dépôt à former à la Bibliothèque
près du Dépôt des Cartes, peut se composer, quant àprésent;, des
objets existants dans le Cabinet des antiques, auquel ils sont
étrangers, sauf à y réunir ceux qu'on pourra se procurer par la
suite; qu'il ne faut pas songer à dépouiller d'autres dépôts
publics au profit de celui-ci ; enfin qu'on ne peut acheter la col-
lection de M. Lamare-Picquot, vu l'absence de fonds.
Si vous partagez cette opinion, j'aurai l'honnenr de vous
proposer. Monsieur le Ministre, d'écrire en ce sens au Conser-
vatoire de la Bibliothèque, à la commission dont le rapport est
ci-joint et à M. Lamare-Picquot qui attend avec impatience
depuis plusieurs mois qu'il soit statué sur l'offre par lui faite de
céder au gouvernement une collection d'objets indiens de nature
à entrer dans un Musée ethnographique.
Je vous prie^ Monsieur le Ministre, de vouloir faire connaître
votre détermination* et d'agréer l'hommage de mon respect.
Le chef de la 3" division,
HlPP. ROYER-COLLARD.
N-XL
Paris, le 20 décembre 1831.
Le Ministre,
à M. le baron Ctivier, président de la commission
du Musée ethnographique.
Monsieur le baron.
J'ai lu avec intérêt le rapport que la Commission, réunie sous
votre présidence pour examiner la question d'opportunité de
l'établissement d'un Musée ethnographique à Paris, a adopté
pour m'être transmis.
1) En marge on lit ces mots : Ajourné jusqu'après le budget avec le
paraphe d'à (d'Argoul) et d'une autre main : « En faire part à la commission
et à M. Lamare-Picquot. »
186 LES ORIGINES
Je ne puis, quant à présent, statuer sur les propositions de la
Commission, mais aussitôt après le vote du budget, j'aurai
l'honneur de vous informer de la décision que je pourrai prendre.
Agréez, etc.
Le Pair de France, etc.,
C'^ d'Argout.
N' XLI
Paris, le 28 décembre 1831.
LE PAIR DE FRANCE, MINISTRE. CtC,
à M. Lamare-Picquotj à Paris.
Monsieur,
Je n'avais point perdu de vue l'offre que vous avez faite au
Gouvernement de voire collection, lorsque votre dernière
lettre m'a été remise. La conclusion et l'examen du travail de
la Commission pour l'établissement du Musée ethnographique
ont contribué, dans le temps, aux retards dont vous vous plai-
gnez et le défaut de fonds qui puissent être consacrés, non seu-
lement à l'acquisition de votre cabinet, mais encore aux autres
frais qu'exigeront l'installation et l'ornement du Musée dont il
s'agit, ne m'a pas permis de poursuivre, avec toute l'activité que
j'aurais voulu y apporter, les différentes propositions qui se
rattachent à cette affaire. Il est même encore à craindre qu'il ne
me soit pas possible d'accueillir votre offre en achetant votre
collection, malgré tout Tintérêt qu'elle paraît mériter et l'utilité
qui pourrait résulter de son acquisition.
J'attendrai, toutefois, pour prendre un parti définitif à ce
sujet que le budget de 1832 ait été voté.
Agréez, etc.,
' Le Pair de France, etc.,
C'« d'Argout.
CHAPITRE YI
Pétitions de Lamare-Picquot. — Recommandation du député Bodin.
Nouvelle lettre de Jomard en faveur du dépôt ethnographique.
N" XLU
Pans, le 2 février 1832.
A Monsieur le comte d'Argout^
ministre du Commerce et des Travaux publics.
Monsieur le Ministre,
J'ai été informé, il y a deux mois environ, par MM. les
membres de la Commission ethnographique que, dans un rap-
port qu'elle venait de mettre sous vos yeux, il avait été question
de la collection dont j'ai déjà eu Thonneur de vous entretenir
par Tune de mes précédentes*. Sur l'invitation de son prési-
dent, M. le baron Cuvier, et sur celle du commissaire rapporteur,
M. Abel Rémusat, je me suis fait un devoir de me rendre aux
observations de ces Messieurs, et de différer toute démarche
jusqu'à ce que les affaires de la liste civile et celle du budget
fussent terminées. J'ai donc attendu, Monsieur le Ministre, parce
que j'ai compris que ces occupations d'une urgente utilité
empêchaient de prendre en considération ma spécialité, mais
aujourd'hui, Monsieur, que Tune de ces grandes affaires est
terminée, que l'autre doit incessamment prendre fin, j'ose me
permettre de vous renouveler tout le désir où je suis d'apprendre
qu'il y ait une détermination de prise à mon égard.
1) J'ai déjà dit que la première pétition de Lamare-Picquot n'avait pas été
retrouvée. Ce passage indique que d'autres pièces encore manquent à la corres-
pondance de ce voyageur avec le ministre. (E. H.)
LES ORIGINES
Veuillez encore me permettre de vous dire, Monsieur le
Ministre, combien est grand le sacrifice que je fais de prolonger
ainsi mon séjour à Paris, qu'il y a long-temps que j'ai refusé les
propositions qui m'ont été faites pour l'étranger, parce que j'ai
toujours mis la plus grande importance à ce que ces monumens
restassent aux musées des Francs (à part, daignez m'en croire,
tout intérêt spécial ou personnel), attendu qu'ils ne possèdent
aucun de ces objets rares et précieux, qui en font le sujet, qu'une
circonstance heureuse a fait tomber à vil prix entre mes mains et
dont je fais jouir le gouvernement, considérant toujours comme
un premier devoir de citoyen celui qui fait pour la chose
publique. Oui, Monsieur le Ministre, ce serait avec une extrême
répugnance, malgré que mes intérêts y gagnassent beaucoup,
que je me verrais forcé d'en venir à cette extrémité. Les hautes
capacités, les amis des sciences en France, partagent mon inquié-
tude ; mais j'ose croire, malgré la position difficile oii se trouve
momentanément le gouvernement du Roi, que les sommités du
pouvoir, amis des sciences et des études sérieuses, ne laisseront
point périr les vœux que fit un grand génie pour la science en
France.
Napoléon disait un jour au Muséum d'Histoire naturelle :
« Je veux que cet endroit soit le lieu le plus attrayant pour les
étrangers savans qui seront à Paris. Je veux qu'ils y viennent
pour y voir et admirer un peuple dans son amour pour les sciences
et pour les arts. Le Muséum d'Histoire naturelle doit être ce que
sera aussi le Muséum des tableaux et des statues, ainsi que celui
des monumens antiques. Paris doit être la première ville du
monde: si Dieu m'accorde une assez longue vie, je veux qu'il
devienne la capitale de l'univers par l'ascendant de la science et
du pouvoir. » [Méynoires de la duchesse d'Abrantès, t. IV, p. 156.)
Certes, les vues de ce grand homme sont en partie accomplies,
quant au Muséum d'Histoire naturelle qui surpasse en richesse
ce que l'Europe savante possède en ce genre ; mais. Monsieur le
Ministre, il y a beaucoup à faire pour arriver à ce but de perfec-
tion, pour les sciences archéologiques et ethnographiques des
peuples de l'Asie, en deçà et au-delà du Gange et du Thibet : on
DU MUSÉE d'ethnographie 189
sait enfin que les musées de Sa Majesté ne possèdent rien en ce
genre. Il y a cependant moyen d'y parvenir, Monsieur le Ministre,
quand des matériaux précieux sont sous les yeux et à ladispo-
position de Votre Excellence, après surtout qu'ils ont été consi-
dérés par les premiers corps savans de la capitale, comme les
premiers monumens en ce genre que la France ait vus arriver
dans son sein par les soins et les recherches dun citoyen non
assisté de son gouvernement.
Si je ne craignais d'être indiscret, Monsieur le Ministre,
j'oserais vous demander l'insertion au Moniteur du rapport qui
vous a été fait par la Commission ethnographique ; la France
savante serait véritablement heureuse de cette sollicitude de
votre part pour les sciences, et ce document, publié officiellement,
vous offrirait ultérieurement vis-à-vis de Sa Majesté et des man-
dataires à la tribune, les moyens d'arriver au but que vous vous
proposez, qui est d'ajouter chaque jour à la gloire du monarque
et à celle de la patrie*.
C'est dans cet espoir. Monsieur le Ministre, que je suis
"Votre très-obéissant serviteur,
Lamare-Picquot,
Hôtel de Rouen, cours du Commerce, n* 2.
1) Une note au crayon indique sur la pièce la réponse à faire au pélitionnaire
« dans le sens de la lettre du mois de décembre» (Voir plus haut, n» XLI). Une
autre annotation relative au rapport d'Abel Rémusat est ainsi conçue {rapport
trop long, on ne pourrait l'imprimer). Il n'a point, en effet, été inséré au
Moniteur, comme le demandait Lamare-Picquot, et c'est dans le Bulletin de la
SociHé de géographie de Paris pour 1836 que j'ai trouvé le texte inséré plus
haut sous le n- XXXVII.
J'ai rencontré dans les archives du Ministère de l'Instruction publique quatre
autres pièces émanées de Lamare-Picquot, qu'il suffira d'analyser brièvement :
1' Lettre adressée à Kéralry à la date du 25 novembre 1832. Après avoir
rappelé la protection dont l'honorait Cuvier, les rapports consacrés à ses collec-
tions par l'Académie des inscriptions et belles-lettres, l'Académie des sciences,
la Société asiatique et la Société de géographie, la constitution d'une commis-
sion spéciale appelée à donner son opinion au comte d'Argout sur la formation
d'un Musée ethnographique, le signataire assure qu'il n'a jamais demandé qu'à
rentrer « dans le simple remboursement des frais « où ses voyages l'ont
entraîné, frais qu'une note détaillée, annexée à la pièce, fait d'ailleurs monter
au total de 66,565 francs.
{90 LES ORIGINES
N» XLIII
Paris, 11 janvier 1833.
Monsieur le Ministre,
Je prends la liberté d'appeler votre attention sur un projet
d'établissement scientifique_, dont votre esprit élevé saisira tout
d'abord l'importance, et dont la fondation honorerait le gouver-
nement du Roi.
M. Lamare-Picquot, de retour, en 1830, d'un voyage dans les
Le signataire a attendu une solution que les agitations politiques, puis le
choléra, ont fait ajourner. A la suite des émeutes des 5 et 6 juin il a quitté
Paris pour rétablir sa santé devenue mauvaise. Il y trouve, au ministère,
en rentrant, M. Guizot, dans les attributions duquel sont placées les sciences, etc.
Il sollicite une audience qui lui est accordée pour le 21, mais, le 20, il est
informé qu'il ait à s'adresser au chef du cabinet. Il craint de nouveaux retards
et prie M. Kératry d'intervenir. Sa situation, « qui est le résultat d'un long
dévouement pour la science depuis plus de sept ans », est devenue difficile, et
ses moyens sont (( absorbés », soit par ses voyages, soit par son séjour prolonge'
à Paris.
« En avril 1831, un agent me fit des propositions pour la Prusse, MM. Cuvier,
Jomard et Rémusat, auxquels j'en fis part alors, me dirent que je devais me
considérer comme engagé avec l'administration. » Nouvelles propositions en
mai 1832 du général russe Tcheffkine, agissant au nom de son gouvernement,
é"-alement repoussées. « J'ose croire que le ministre du roi saura apprécier
tant de sacrifices de ma part. »
2'' Pétition adressée le 7 janvier 1833 à Guizot, presque identique à la pré-
cédente. « A mon retour à Paris, en juin 1830, le baron Cuvier, prenant en
considération les services qu'il pensait que je venais de rendre aux sciences
zoologiques, archéologiques et ethnographiques..., m'offrit sa puissante protec-
tion, etc. » — Nous y trouvons seulement à mentionner le rôle actif joué par
Lamare-Picquot dans la répression de l'émeute des 5 et 6 juin « où, fortuitement,
j'ai été appelé par mes principes, à combattre, comme le prouve la pièce
ci-jointe, l'anarchie pendant trente heures sans faire partie d'aucune légion. »
Il se recommande, en terminant, de M. Le Carpentier, de Honfieur.
3» Lettre au ministre en date du 13 janvier, accompagnant l'envoi d'une
lettre de recommandation du député Félix Bodin, datée du 11, et reproduite
ci-après.
4° Lettre à Jomard, datée de Vienne, en Autriche, le 25 septembre 1838.
Lamare-Picquot, inspiré par le baron de Hammer, y a transporté ses objets;
il y a trouvé la concurrence de la collection Hiigel. Rien ne se décide et, pour
provoquer une solution, il s'est déterminé à une vente publique, annoncée pour
DU MUSÉE d'ethnographie 191
Indes orientales et l'Afrique méridionale, entra en communica-
tion avec l'Académie des Sciences, celle des Belles-Lettres, les
Sociétés Asiatique et de Géographie, et leur déclara que son
but, en rentrant dans sa patrie, était de faire hommage aux
musées du Roi, des monumens précieux et tout nouveaux pour
la France, qu'il y apportait, ne demandant qu'à rentrer dans ses
frais.
L'illustre Cuvier prit le plus vif intérêt à cette proposition.
Quatre rapports favorables furent faits par les corps savans dési-
gnés ci-dessus ; puis un rapport fut rédigé par M. Abel Rémusat,
au nom d'une commission spéciale, nommée par M. d'Argout et
présidée par M. Cuvier.
L'irruption du choléra détourna l'administration de cet objet.
Une ordonnance royale du 30 mars 1828 a décidé la création
d'un Musée ethnographique à Paris. Une vaste science, qui ne
le 26 juillet, mais qui n'a pas encore eu lieu. Le marquis de Saint-Aulaire est
venu visiter son cabinet et a engagé Lamare-Picquot à renouer des négociations
avec le gouvernement français. Il prie Jomard d'intervenir auprès du ministre
Salvandy. Des achats heureux, à Londres, ont encore ajouté à l'importance de
la collection.
Nous retrouvons plus tard Lamare-Picquot mentionné dans un rapport sur le
concours fondé par le duc d'Orléans, en faveur du navigateur ou du voyageur
dont les travaux géographiques auront procuré la découverte la plus utile à
l'agriculture, à l'industrie ou à l'humanité. Lamare-Picquot avait rapporté et
fait éclore à Bourbon des œufs de vers à soie du Bengale. (Bull. Soc. géogr.,
2e sér., t. XV, p. 236. 1841.) En 1847 il estde retour d'une mission scientifique
en Amérique d'où il a apporté, entre autres choses, h psoralea esculenta {pic-
quotiane) elïapios tuberosa, plantes farineuses alimentaires qu'il s'efforce de pro-
pager en Europe. Il obtient de l'Agriculture une autre mission qui se prolonge
jusqu'en novembre 1848. On ne parle plus de lui après l'échec de la picquo-
tiane. (Cf. Lamare-Picquot, Mémoire présenté à la Société nationale et centrale
d'Agriculture sur la culture et V acclimation en France du psoralea esculenta
{picquotiane) et sur sa végétation aux prairies du territoire de Vlowa [Amé-
rique septentrionale), suivi de quelques réflexions concernant cette plante. Paris,
PiUoy, s. d., br. in-8 de 7 p.). — Cf. Moniteur du 22 mars 1849; Comptes
Rend. Acad. se, t. XXVI, p. 326, 13 mars 1848 ; t. XXVIII, 11 juin 1849. —
Rapport sur un mémoire de M. Lamare-Picquot, relatif aux résultats scienti-
fiques de son dernier voyage dans l'Amérique septentrionale et à l'introduction
en France de deux plantes alimentaires, la psoralea esculenta et /'apios tuberosa.
Commissaires : MM. Cordier, Payen, Charles Gaudichaud. (Séance du 11 juin
1849.)
492 LES OBIGINES
fait que de naître, recevrait un puissant secours d'une telle fon-
dation. Vous savez, Monsieur le minisire, que plusieurs capitales
de l'Europe, et notamment La Haye, possèdent de curieuses col-
lections de ce genre. Notre Musée égyptien, et même nos belles
collections d'antiquités, seraient, à vrai dire, des annexes à un
grand ensemble d'exhibitions ethnographiques, où les curieux
monumens, offerts par M. Lamare-Picquot, représenteraient une
des plus antiques civilisations du globe.
.Je sais bien, Monsieur le ministre, qu'un grand obstacle à
l'accomplissement d'un tel projet, est la dépense qu'il nécessi-
terait, mais je suis bien sur également que cet obstacle est le seul
et qu'il sera levé s'il ne dépend que de vous.
Recevez, Monsieur le ministre, l'assurance de ma haute con-
sidération.
Félix Bodin,
Député'.
N-XLIV'
Monsieur le Ministre,
Qu'il me soit permis d'appeler de nouveau votre attention sur
une question scientifique qui, par sa nature, semble mériter une
part dans la sollicitude que réclament les affaires d'intérêt géné-
ral. Il s'agit de la continuation et de l'achèvement d'une collec-
lion commencée à la Bibliothèque Royale depuis très longtemps,
c'est-à-dire de la réunion des objets matériels, rapportés des
voyages lointains, ouvrages d'une industrie, d'une civilisation
naissante et autres que les antiquités et les collections d'histoire
naturelle. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui rollpction ethno-
graphique. Ces objets sont ceux qui font connaître les usages,
les rites et l'industrie des peuples encore plus avancés : ils sont
toujours distincts des produits des trois règnes, comme ils se
1) L'auteur de cette lettre, mort quatre ans plus tard à Paris, à l'âge de
quarante-deux ans, était député depuis 1830. Il est surtout connu pour sa célèbre
Complainte sur le droit d'aînesse, et pour la part qu'il a pris à l'Histoire de la
Révolution française, dont il a signé les premiers volumes avec Tiiiers. (E. H.)
2) Cette pièce n'est pas datée. Elle doit être du commencement de 1833.
DU MUSÉE d'ethnographie 193
distinguent des fragmcus antiques ou des monumens des anciens
peuples. J'ose me féliciter d'avoir été, un des premiers en France,
à mettre hors de doute l'utilité et même la nécessité qu'il y a de
former une telle collection. L'incurie était telle, à cet égard, il y
a peu d'années encore, qu'on laissait perdre ou exporter les col-
lections les plus précieuses, les plus propres àjeter des lumières
sur l'histoire, les mœurs et les usages des peuples. L'on n'envi-
sageait ici tous ces objets que sous l'aspect d'une curiosité frivole
et stérile, tandis que les établissemens des sciences formés à
l'étranger s'enrichissaient journellement de ce que nous avions
dédaigné. Les préventions se sont enfin dissipées ; les savans
ont porté leurs regards sur cette question et l'autorité, à son tour,
paraît disposée à consacrer quelques ressources pour enrichir
d'objets de cette nature nos collections scientifiques. J'ai eu le
bonheur de concourir à ce résultat par une correspondance
suivie depuis quinze ans, par des rapports adressés en plusieurs
occasions au gouvernement, et plus récemment par une publi-
cation spéciale *.
C'est après avoir pris, il y a deux ans, une lecture attentive
d'une nouvelle proposition, par moi faite à M. le ministre des
Travaux publics, alors chargé de la direction des sciences et des
lettres, qu'il résolut de former une commission savante pour
l'examen de la question. Le baron Cuvier était un de ceux à qui
j'avais communiqué le plan, avec persévérance, pendant plusieurs
années; le ministre le chargea de présider la Commission. C'est
ce savant, à jamais regrettable, qui a pris le plus de part aux
réunions et aux investigations de la Commission. Elle est venue
s'assurer, à la Bibliothèque royale, de la possibilité d'exécuter
l'ordonnance de mars 1828, qui prescrit de former une collec-
tion semblable dans cet établissement public, et d'y recevoir les
objets provenant des voyages scientifiques. Le résultat des nom-
breuses réunions de la Commission ethnographique a été un
rapport lumineux de MM. Cuvier et Ahel Rémusat, suivi d'une
proposition expresse, qui aurait sans doute été prise immédiate-
1) C'est la brochure de 1831, dont on a lu des extraits plus haut (E. H.).
13
194 LES ORIGINES
inent en considération par le ministère, sans l'invasion subite de
l'épidémie qui a ravagé la capitale. Les événemens qui ont suivi
le rétablissement de la santé publique ont fait encore ajourner
cette affaire.
Aujourd'hui que les esprits se portent avec une nouvelle
ardeur vers tout ce qui touche à l'utilité publique, et que, d'un
autre côté, le possesseur de la collection principale^ qui avait
fixé les yeux de la Commission, M. Lamare-Picquot, semblerait
un peu fatigué d'attendre une décision définitive, c'est une sorte
de devoir pour celui qui avait été placé par l'ordonnance à la tète
de cette création, de solliciter une mesure qui appelle tous les
vœux.
Les conclusions de la Commission, adoptées par le gouverne-
ment, n'entraîneraient aucun autre sacrifice que des frais utiles
et productifs, c'est-à-dire la dépense matérielle d'acquisition,
sans aucune nouvelle charge quelconque en dépenses personnelles^
source constante d'abus, qui font abandonner les entreprises les
plus avantageuses pour la prospérité publique.
Je suis avec respect^
Monsieur le ministre,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
JOMARD ,
Membre de l'Institut.
P. -S. — Je renouvelle au besoin, Monsieur le ministre, l'offre
déjà faite de ma collection ethnographique, pour être jointe au
noyau existant dans notre grande Bibliothèque royale, au moment
où l'on réaliserait le vœu de l'ordonnance.
CHAPITRE VII
Revendications du Ministre de la marine en faveur du Musée naval. — Corres-
pondance du Ministre de l'Instruction publique à ce sujet avec le Muséum,
Sainte-Geneviève et la Bibliothèque royale. — Lettre confidentielle de
Letronne pour provoquer une discussion du Conservatoire de la Bibliothèque
royale sur le Musée ethnographique. — Délibération du Conservatoire et
rapport au Ministre. — Nouvel ajournement.
No XLV
20 janvier 1833.
NOTE
Poii7' le Ministre de r Instruction publique.
Il se forme au Louvre, dans le Musée de Marine, une collec-
tion complète des objets provenant des pays dans lesquels la
civilisation n'a pas encore pénétré, ou avec lesquels la France ne
peut avoir que des relations maritimes.
Cette collection comprend déjà un très grand nombre d'articles
provenant, soit du Ministère de la Marine^ soit d'achats faits au
compte de ce département.
Il existe, tant à la Bibliothèque Sainte-Geneviève qu'à la
Bibliothèque royale, une quantité considérable de ces objets,
dont le classement ou la conservation sont plus que difticiles, à
défaut de local spécial suffisant. Il est en même tems présu-
mable que ces collections ne peuvent pas se compléter.
L'idée de réunir dans un centre commun toutes les diverses
parties ainsi isolées vient tout naturellement à l'esprit, et il
serait utile, dans l'intérêt de la science, que cette réunion ait
lieu le plus tôt possible.
\) Cette note anonyme, enregistrée le 20 janvier 1833, émanait vraisembla-
blement de Zédé, le conservateur du Musée naval.
196 LES ORIGINES
Le dépôt au Musée naval ne serait point une dépossession pour
le Ministre de Uhistruction publique ou les bibliothèques.
Il serait fait pour ces objets, comme pour ceux fournis par la
Marine en très g^rand nombre, un triple inventaire, dont une
copie serait pour les Chambres, la seconde pour le Ministère qui
se dessaisit, la troisième pour l'Administration générale des
musées.
De cette manière les droits de chacun seraient conservés *.
No XL VI
2e DIRECTION
— MINISTÈRE DE LA MARINE ET DES COLONIES
2^ Bureau.
— Paris, le 20 février 1833.
Travaux.
Monsieur et cher collègue,
M. Zédé, conservateur du Musée naval, établi au Louvre,
m'informe qu'il existe dans les bibliothèques Royale', de Sainte-
Geneviève et du Jardin du Roi, une grande quantité d'objets de
curiosité et d'ethnographie qui, pour la plupart, ont été recueillis
par les navigateurs et donnés par la marine à ces établisse-
mens, parce qu'elle ne possédait pas de local convenable pour en
former une collection spéciale.
Le même motif ne subsistant plus aujourd'hui, il serait à
désirer, dans l'intérêt des personnes qui voudront s'occuper de
l'étude des objets de ce genre, qu'elles pussent les trouver tous
réunis dans un seul endroit, et sous ce rapport le Musée naval,
qui en possède déjà un très grand nombre, semble être le lieu le
plus convenable pour en faire le dépôt.
Si Votre Excellence, avant d'accéder à cette demande, jugeait
1) En marge de la main de Guizot, « M, H. Royer-Collard, qui m'en pariera « ,
et de la main de ce dernier « ajourner cette affaire, le ministre ne peut s'en
occuper actuellement )>.
2) La virgule séparative manque sur l'original, et il va résulter de cette omis-
sion du copiste toute une suite de malentendus.
DU MUSÉE d'ethnographie 197
nécessaire de charger une commission d'en examiner la conve-
nance, je la prierais de vouloir bien y adjoindre M. Zédé.
Je vous prie, Monsieur et cher collègue, de vouloir bien m'in-
former de la décision que vous aurez prise à ce sujet, et d'agréer
l'assurance de ma haute considération.
Le ministre-secrétaire d'État de la Marine
et des Colonies,
C" A. DE RiGNY.
A M. le Ministre de r Instruction publicjue, à Paris \
N'^ XLVII
^^^'®'°^ MINISTÈRE DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE
Des Sciences et
des Lettres. Pa^j,.^ le 26 février 1833.
Le Ministre,
A MM. les professeurs administrateurs du Muséum
d'Histoire naturelle.
Messieurs,
M. le ministre de la marine, en me rappelant que son dépar-
tement a fait l'abandon à la bibliothèque du Jardin du Roi, d'une
assez grande quantité d'objets de curiosité et d'ethnographie,
qu'il ne pouvait placer, faute d'un local convenable, me demande
que ces objets lui soient remis pour être déposés au Musée naval
établi au Louvre, et dont le conservateur est M. Zédé.
Je vous prie, Messieurs, de me faire savoir en quoi consistent
ces objets qui, pour la plupart, d'après la lettre de M. le ministre
de la Marine, ont été recueillis par les navigateurs. Veuillez me
donner en même temps votre avis sur la convenance qu'il y
aurait à faire la remise demandée.
Agréez, etc.
1) En noie, de la main d'Hipp. Royer-Collard : « Écrire au Muséum et à la
Bibl. de Sainte-Geneviève, afin de savoir en quoi consistent ces objets d'ethno-
graphie, recueillis par des navigateurs et donnés par la marine à ces établisse-
mens. — Répondre à M. le ministre de la Marine qu'on a reçu sa lettre et que
le ministre va s'empresser de lui donner la suite convenable. H. R.-C. »
198 LES ORIGINES
N« XL VIII
BIBLIOTHÈQUE ROYALE
Paris, le 19 mars 1833.
Monsieur le ministre,
Vous m'avez fait savoir que M. le ministre de la Marine vous a
rappelé que son département a fait V abandon à la Bibliothèque
de Sainte-Geneviève dune assez grande quantité d'objets relatifs
à l'ethnographie, rapportés par des navigateurs et qu^l rede-
mande ces objets pour les déposer au Musée naval.
S'il n'y a point d'erreur dans la rédaction, c'est à la Bibliothè-
que de Sainte-Geneviève , non à la Bibliothèque royale, que la
lettre devait être adressée. Les administrateurs ou conservateurs
de la Bibliothèque de Sainte-Geneviève sont seuls en état de
répondre à la question qu'elle renferme, puisqu'elle concerne
l'établissement qu'ils dirig-ent.
Avant de communiquer la lettre au Conservatoire, j'attends
que vous ayez eu la bonté de me donner quelques éclaircisse-
mens à ce sujet.
Je suis avec respect, Monsieur le ministre, votre très humble et
très obéissant serviteur.
Letronne,
Directeur, président du Conservatoire de la
Bibliothèque royale.
N» XLIX
°^^'^^'°'*' MINISTÈRE DE L^INSTRUCTION PUBLIQUE
Des Sciences et
des Litres. p^^.^^ ,^ 27 mars 1833.
Monsieur le directeur,
En vous écrivant le 26 février dernier, au sujet de la réclama-
tion que M. le Ministre de la Marine m'a adressée d'une assez
Mêmes lettres, avec les variantes indiquées par la différence des établisse-
mens à la Bibliothèque Sainte-Geneviève et à la Bibliothèque nationale.
DU MUSÉE d'ethnographie 199
grande quantité d'objets relatifs à l'ethnographie, dont l'abandon
aurait été fait aux bibliothèques de Sainte-Geneviève et du Muséum
d'Histoire naturelle, j'avais en vue de rendre plus complets les
renseignemens que je dois transmettre à mon collègue.
Il se pourrait, en effet, que la Bibliothèque royale ait été com-
prise, aussi bien que celle de Sainte-Geneviève, au nombre des
établissemens auxquels ces objets ont été confiés ; aussi, Mon-
sieur le directeur, bien que la lettre de M. le Ministre de la
Marine ne fasse aucune mention de la Bibliothèque royale, je
n'en ai pas moins cru devoir m'adresser à vous, en même tems
que j'écrivais à MM. les administrateurs des Bibliothèques de
Sainte-Geneviève et du Jardin du Roi.
Agréez, Monsieur le directeur, l'assurance de ma considéra-
tion la 'plus distinguée.
Le ministre -secrétaire d'Etat au département
de l'Instruction publique,
GUIZOT.
. NoL
MUSÉUM d'histoire NATURELLE
Taris, le 28 mars 1833.
Monsieur le ministre,
Vous nous avez fait l'honneur de nous écrire le 26 du mois
dernier, pour nous informer de la demande que vous a faite
M. le Ministre de la Marine, pour le Musée naval établi au
Louvre, de divers objets de curiosités, déposés au Muséum, et
vous avez bien voulu nous inviter à vous faire connaître notre
avis à ce sujet.
Nous n'avons jamais considéré ces objets, tout à fait étrangers
au but du Muséum, et qui ne nous ont été remis au retour des
expéditions maritimes, que parce qu'ils accompagnaient des col-
lections d'histoire naturelle, que comme un simple dépôt, et c'est
dans cette pensée qu'il y a environ six ans, nous avons fait
remettre à la Bibliothèque royale, et sur la demande de MM. les
200 LES ORIGINES
conservateurs de cet établissement, la plus grande partie de ceux
qui se trouvaient alors dans les magasins du Muséum.
Nous nous sommes empressés de faire réunir tous les objets
du même genre que nous avons reçus depuis cette époque et
nous avons l'honneur de prier Votre Excellence de vouloir bien
informer M. le Ministre de la Marine qu'ils sont, dès à présent, à
sa disposition.
Nous sommes, avec respect, Monsieur le ministre, de Votre
Excellence, les très humbles et obéissans serviteurs.
L. CoRDiER. G. Saint-Hilaire,
Directeur. A. DE JuSSIEU.
A Monsieur le ministre-secrétaire d'État ait département
de r Instruction publique ' .
1) MUSÉUM d'histoire NATURELLE.
Séance du 14 mai '1833.
Note des produits de l'industrie des différens peuples non civilisés, déposés
au Muséum d'histoire naturelle.
Numéros. Quantités.
1 14 Boutou, casse-tête Amérique méridionale.
2 3 Arcs en bois — —
3 10 Flèches — —
4 2 Hamacs — —
5 1 Ceinture en fibres de palmier. . — —
6 5 Corbeilles en jonc — —
7 4 Ceintures garnies de graines
d'ako-eai — —
8 1 Warawaie, instrument de musi-
que — —
9 1 Timtoaky casse-tête Canada.
10 4 Raquettes —
11 1 Vase en bois sculpté —
12 1 Pagaie en bo's —
13 3 Plats en bois sculpté —
14 1 Pirogue en écorce de bouleau. . —
15 3 Cuillers en bois sculpté —
1(3 1 Instrument de musique Sénégal.
17 2 Carquois —
18 1 Poignard et son fourreau. ... —
i9 3 Flûtes en roseau —
20 1 Éventail de l'Indostan "-
DU MUSÉE d'ethnographie 201
N°LT
'^'^''^'°-'' MINISTÈRE DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE
Des Sciences et
^^'^^^'■''- Prtm, le 11 avril 1833.
Monsieur et cher collègue,
Il résulte de la réponse que MM. les professeurs-administra-
teurs du Muséum d'Histoire naturelle m'ont adressée, au sujet
des objets de curiosité et d'ethnographie, dont le département de
la Marine a fait le dépôt dans quelques-uns des établissemens
dépendans de mon ministère, que tous les objets de ce genre
qu'ils ont reçus depuis six ans environ, vont être rassemblés par
eux pour être mis à votre disposition.
En ce qui concerne l'administration de la Bibliothèque de
Sainte-Geneviève, je ne puis vous transmettre aucun renseigne-
ment, n'ayant pas encore la réponse de cette administration.
Agréez, Monsieur le comte et cher collègue, l'assurance de ma
haute considération.
Le ministre-secrétaire d'Etat au dépar-
tement de r Instruction 'publique.
GuizoT.
A M. le ministre de la Mari?ie.
Numéros. Quauliti's.
21 2 Chaussures en bois sculpté. . . Sénégal.
22 1 Poire à poudre en bois sculpté, —
23 1 Masse d'armes en fer —
24 9 Lances garnies en fer —
25 1 Parasol Japon.
26 1 Pirogue Groenland.
27 1 Flûte Nouvelle-Zélande.
28 2 Chapeaux chinois
29 1 Instrument de musique Madagascar.
30 1 Clochette en bois .'
31 1 Collier en bois
32 1 Bouclier en bois Nouvelle-Hollande.
Reçu de M. l'administrateur du Muséum d'Histoire naturelle du Jardin du
Roi, les trente-deux articles ci-dessus mentionnés pour être déposés au Musée
naval.
Paris, le 11 mai 1833.
Le conservateur du Musée naval.
ZÉDÉ.
202 LES ORIGINES
N°LII
Parts, le 11 avril 1832.
Monsieur le comte et cher collègue,
Il résulte de la réponse, que MM. les professeurs-administra-
teurs dii Musée d'Histoire naturelle m'ont adressée, au sujet des
objets de curiosité et d'ethnographie^ dont le département de la
Marine a fait le dépôt dans quelques-uns des établissemens
dépendant de mon ministère :
1° Qu'ils ont fait remettre, il y a environ six ans, à MM. les
conservateurs de la Bibliothèque royale la plus grande partie de
ceux de ces objets qui se trouvaient alors dans les magasins du
Muséum ; 2° qu'ils ont réuni tous les objets du même genre,
qu'ils ont reçus depuis cette époque^ pour les mettre à votre dis-
position.
Je vais donc écrire à MM. les conservateurs delà Bibliothèque
royale, au sujet des objets qu'ils ont reçus de MM. les profes-
seurs-administrateurs du Muséum d'Histoire naturelle. Quant au
dépôt qui peut avoir été confié à l'administration de la Biblio-
thèque Sainte-Geneviève, je ne puis vous transmettre aucun
renseignement, n'ayant pas encore la réponse de cette adminis-
tration.
Agréez, Monsieur le comte et cher collègue, etc.
GuizoT.
A M. le ministre de la Marine.
N° LHI
Paris, le 11 avril 1833.
A M. Letronne, directeur-président du Conservatoire de la
Bibliothèque royale.
Monsieur le directeur.
Depuis la dernière lettre que j'ai eu Thonneur de vous écrire
au sujet des collections ethnographiques déposées dans quelques-
uns des établissemens dépend aiil de mon ministère, j'ai reçu les
DU MUSÉE d'ethnographie 203
renseig-nemens que j'avais demandés à MM. les professeurs-
administrateurs du Muséum d'Histoire naturelle.
Ces messieurs m'annoncent, qu'il y a six ans environ, ils ont
fait remettre à la Bibliothèque royale, sur la demande de MM. les
conservateurs de cet établissement, la plus grande partie des
objets qui se trouvaient alors dans les magasins du Muséum et
dont ils n'avaient jusque-là que le simple dépôt.
Je m'empresse de vous communiquer cet avis, qui vient à
l'appui de l'explication que j'ai dû vous donner dans ma lettre du
27 mars dernier.
Agréez, Monsieur le directeur, etc.
GuiZOT.
N« LIV
BIBLIOTHÈQUE ROYALE
Paris, le 11 avril 1833.
Le directeur-président du Conservatoire de la Bibliothèque royale.
Monsieur le ministre,
Dans une précédente lettre, vous m'avez annoncé que M. le
ministre de la Marine vous avait écrit pour réclamer certains
objets, relatifs à l'ethnographie, qu'avant la Révolution le minis-
tre de la Marine avait fait déposer, faute de place, à la Biblio-
thèque de Sainte-Geneviève et au Musée d'Histoire naturelle.
Maintenant que, de concert avec la liste civile, il réunit au Lou-
vre un Musée naval et ethnographique, il désire ravoir ces objets
dispersés.,
Par votre dernière lettre, en date du 11 courant, vous m'an-
noncez que les administrateurs du Musée d'Histoire naturelle
déclarent avoir fait remettre à la Bibliothèque royale tous les
objets de ce genre qu'ils possédaient et comme ceux que contenait
la Bibliothèque de Sainte-Geneviève ont également passé dans
la bibliothèque royale ; il s'ensuit que c'est en définitive à cet
établissement seul que s'adresse la réclamation de M. le minis-
tre de la Marine.
Il résulte des recherches que j'ai faites à ce sujet :
204 LES ORIGINES
1° Que parmi les curiosités et antiques, provenant de laBiblio-
thÎ3que Sainte-Geneviève, déposés à la Bibliothèque nationale, en
ventôse an V, il y a une vingtaine d'objets ethnofjraphiques^ qui
peuvent avoir l'origine dont parle M. le ministre de la Marine.
2° Que les objets de même genre, remis par le Musée d'His-
toire naturelle, en thermidor et fructidor an Y (il y a trente-six
et non pas six ans)^ sont au nombre d'environ une centaine.
Ce serait donc environ cent vingt objets qu'il faudrait que la
bibliothèque restituât au ministre de la Marine, si son droit de
propriété était bien établi.
On peut faire à ce sujet plus d'une observation.
D'abord, c'est au Ministère de la Marine à prouver que les
objets ethnographiques., qui de la Bibliothèque Sainte-Geneviève
et du Musée d'Histoire naturelle, ont passé dans notre bibliothè-
que, provenaient réellement de dépôts qu'il avait faits. Tous bien
certainement n'en provenaient pas, quelques-uns peuvent y être
entrés à d'autres titres. C'est donc un départ à faire.
En second lieu, ce départ étant fait, il faut prouver que les
objets ont été mis à Sainte-Geneviève, à titre de dépôt, faute de
place, et non à titre de don pur et simple ; auquel cas ce minis-
tère n'aurait rien à réclamer.
En troisième lieu, dans l'hypothèse du simple dépôt, il y aura
à examiner si le décret qui ordonne la translation de ces objets à
la Bibliothèque royale, n'a pas annulé toute réserve antérieure
de propriété, et n'a pas entendu donner à ces objets le caractère
de don, car la bibliothèque ne reçoit rien à titre de dépôt. Tout
ce qui y entre devient propriété publique.
Telles sont les recherches à faire et les difficultés à résoudre,
que la demande de M. le ministre de la Marine paraît nécessiter.
Je les soumets à votre sagesse, Monsieur le ministre, d'après le
vœu du Conservatoire, afin que sa garantie soit parfaitement à
couvert, si la remise des objets en question était exigée.
Je suis, avec respect. Monsieur le ministre, votre très humble
et très obéissant serviteur.
Letronne.
DU MUSÉE d'ethnographie 205
N" LV
BIBLIOTHÈQUE ROYALE
Paris, le 18 avril 1833.
Confidentielle,
Monsieur le ministre,
Je crois devoir joindre aux renseignemens et aux observations
contenus dans ma lettre de ce jour, en réponse à la réclamation
de M. le ministre de la Marine, quelques considérations sur le
fond même de la question qu'il soulève en ce moment.
M. le ministre de la Marine désire donner tout le développe-
ment possible au Musée naval et ethnographique formé au
Louvre ; il veut y réunir tous les objets relatifs à l'ethnographie
que possède déjà l'administration, afin d'y ajouter successive-
ment tous ceux que les voyageurs rapportent.
Il est certain que la formation d'un musée de ce genre est ou
ne peut plus désirable ; il en existe de pareils à Saint-Péters-
bourg et à Berlin ; il manque parmi nos établissemens scien-
tifiques. Une commission nommée en 1831, pour examiner cette
question, s'est prononcée un moment pour l'affirmative. Mais on
conçoit qu'un établissement de cette nature n'est vraiment utile
que s'il est complet ou du moins s'il peut le devenir ; et, pour
cela, il doit être unique, il doit être le seul centre auquel vien-
nent se réunir toutes les acquisitions que fourniront les voyages
subséquents. Le but serait manqué s'il y avait deux musées
ethnographiques.
Or, dans l'état actuel des choses, cet inconvénient est à
craindre. La Bibliothèque royale possède un grand nombre
d'objets qui entreraient dans un tel musée, indépendamment de
ceux que M. le ministre de la Marine réclame. De plus, l'ordon-
nance de 1828, en créant un S" département, avait réglé qu'on
y réunirait les objets que rapporteraient les voyageurs ; cette dis-
position n'a pas été abrogée par l'ordonnance de 1832, qui fait
du 5" département une annexe de celui des estampes, et le con-
servateur de la section des cartes et plans considère bien cette
206 LES ORIGINES
disposition comme subsistante et comme appelant la formation
d'un musée ethnographique à la Bibliothèque royale. De plus, la
commission, dont j'ai déjà parlé, a émis l'opinion que ce musée
serait bien placé à la bibliothèque.
Il est temps de se prononcer d'une manière définitive et directe
sur la formation de ce musée ; sera-t-il au Louvre ? sera-t-il à la
biblioth^eque ? Qui achètera la collection importante de M. Lamarc-
Picquot? Ou sera-t-elle mise ? Un autre motif tout puissant de
se décider résulte du projet de translation de la bibliothèque et
de l'examen des plans en ce moment soumis au conseil des
bâtimens civils. Il faut observer qu'un musée ethnographique ne
doit pas seulement coûter beaucoup d'argent en acquisition, en
arrangement, en entretien, en personnel ; il a besoin de beau-
coup de place, pour s'étendre, se développer par suite d'acquisi-
tions successives ; il faut donc lui affecter un local considérable.
Ainsi la question de savoir s'il y aura ou s'il n'y aura pas de
musée ethnographique à la Bibliothèque royale, influe extrême-
ment sur les plans de la construction projetée ; et je déclare,
quant à moi, qu'appelé à discuter ces plans au conseil des bâti-
mens civils, je ne puis émettre une opinion définitive que si le
principe est décidé d'avance.
Je désirerais donc. Monsieur le ministre, que vous voulussiez
bien inviter le Conservatoire à discuter cette question dans une
de ses plus prochaines séances, et à vous transmettre son avis
dans le plus bref délai.
Je suis, avec respect, Monsieur le ministre, votre très humble
et très obéissant serviteur.
Letronne.
N° LVI
DIVISION
Des Sciences et MINISTÈRE DE L INSTRUCTION PUBLIQUE
^^^ ^^^^^- Paris, le 20 avril 1833.
Monsieur le directeur,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
en réponse à celle que je vous avais adressée, au sujet de la
DU MUSÉE D ETHNOGRAPHIE
207
réclamation, formée par M. le ministre de la Marine, de plusieurs
objets de curiosité et d ethnographie, qui lui paraîtraient devoir
être restituées à son département, pour concourir à la formation
du Musée naval du Louvre.
J'examinerai, avec la plus grande attention, les observations
et les renseignemens que vous me présentez dans cette lettre,
mais, avant de rien décider à cet égard, il me semble indispen-
sable de discuter préalablement une autre question, que je vous
prie de soumettre au Conservatoire.
L'ordonnance royale de 1828, en créant à la Bibliothèque
royale un 5" département, avait réglé qu'on y réunirait les objets
que rapporteraient les voijageurs ; cette disposition n'a pas été
abrogée par l'ordonnance de 1832, qui fait du 5« département
une annexe de celui des estampes.
Depuis lors, une commission spéciale a été nommée, en 1831,
par M. le ministre du Commerce et des Travaux publics, pour
examiner si la création d'un musée ethnographique serait utile
et, dans le cas de l'affirmative, indiquer quel emplacement
devait être adopté de préférence à tout autre pour l'établisse-
ment de ce musée.
Cette commission fut d'avis que la fondation d'un musée de
ce genre serait une mesure utile ; quant au choix du local le
plus convenable, elle pensa que ce musée serait bien placé à la
Bibliothèque royale.
Au moment où, d'une part, la réclamation de M. le ministre
de la Marine, à laquelle je voudrais pouvoir répondre le plus tôt
possible ; de l'autre, le projet de translation de la Bibliothèque
royale et l'examen des plans soumis au conseil des bâtimens
civils, me fournissent l'occasion de vous rappeler la disposition
de l'ordonnance de 4 828 et Tavis de la commission créée en 1831,
je désire être éclairé d'une manière précise sur les avantages et
les inconvéniens qui pourraient résulter : 1° de la formation
d'un musée ethnographique ; 2° de son établissement auprès de
la Bibliothèque royale.
Je voudrais savoir si la réalisation d'un tel projet n'entraîne-
rait pas, non seulement de grandes dépenses de personnel et de
208 LES ORIGINES
matériel pour la Bibliothèque, mais encore une modification
considérable dans les plans qui doivent être examinés par le
conseil des bâtimens civils.
Je vous prie, Monsieur le directeur, de vouloir bien commu-
niquer au Conservatoire, dans l'une de ses plus prochaines
séances, les questions que j'ai l'honneur de vous proposer. Je
désire être mis à portée de prendre à cet égard une décision
définitive et motivée, dans le plus bref délai possible.
Agréez, etc.
Le mijiistre- secrétaire d'Etat au département
de l'Instruction publique.
GUIZOT.
N" LVII
Des'sci'eùcea et MINISTÈRE DE LINSTRLXTION PUBLIQUE
des Lettres. ^^^.^^ j^ ^5 avril 1833.
RAPPORT à Monsieur le ministre-secrétaire d'Etat
au département de V Instruction -publique.
Monsieur le ministre,
M. le ministre de la Marine vous a écrit plusieurs lettres,
par lesquelles il réclame divers objets d'ethnographie, que le
Ministère de la Marine avait fait déposer, faute de place, à la
Bibliothèque Sainte-Geneviève, à la Bibliothèque royale et au
Muséum d'Histoire naturelle.
Aujourd'hui que le ministre de la Marine, de concert avec
l'administration de la liste civile, s'applique à former au Louvre
un musée naval et ethnographique, je pense que ces objets, dis-
persés en différens lieux,, doivent être enfin réunis dans le
musée nouveau et les considérant comme un simple dépôt, il
les redemande aux établissemens qui en sont dépositaires.
Vous avez communiqué, Monsieur le ministre, aux adminis-
trateurs de ces établissemens, la réclamation de M. le ministre
de la Marine.
La Bibliothèque de Sainte-Geneviève a répondu qu'elle avait
DU MUSÉE d'ethnographie 209
fait transporter à la Bibliothèquo royale tous les objets de celte
nature qu elle pouvait avoir reçus à diverses époques du Minis-
tère de la Marine.
Le Muséum d'Histoire naturelle a déclaré qu'il pouvait mettre,
dès à présent, à la disposition du ministère, tous les objets
reçus depuis six ans seulement, attendu que ces objets avaient
été véritablement déposés, et non donnés, inscrits sur nn registre
spécial, et par conséquent qu'ils ne pouvaient être assimilés aux
propriétés du Muséum ; que toutefois, la restitution ne pouvait
être faite d'aucun objet déposé au Muséum avant 1827, puisque
rien n'attestait ni dans les archives, ni dans la correspondance
du Muséum que tel ou tel objet eût été remis à l'administration
par le ministre de la Marine, soit à titre de don, soit à titre de
dépôt ; enfin que le Muséum avait fait transporter, ainsi que la
Bibliothèque Sainte-Geneviève, tout ce qui pouvait appartenir à
l'ethnographie.
Il résulte donc des renseignemens qui ont été pris que la
Bibliothèque royale est le seul établissement auquel puisse
s'adresser maintenant la réclamation du Ministère de la
Marine.
Cependant parmi les curiosités et antiques, provenant de la
Bibliothèque de Sainte-Geneviève et déposés à la Bibliothèque
nationale en ventôse, an V, il y a, tout au plus, une vingtaine
d'ohjets ethnographiques, qui peuvent avoir l'origine dont parle
M. le ministre de la Marine ; et d'un autre côté, les objets du
même genre, remis par le Muséum en thermidor et fructidor,
an V, sont au nombre d'environ une centaine.
Ce serait donc environ ce)it vingt objets que la Bibliothèque
royale devrait restituer, si le droit de propriété du Ministère de
la Marine était convenablement établi.
Mais là est toute la question : ce droit existe-t-il ? On peut faire
à ce sujet plus d'une observation :
1° Le ministre de la Marine n'ayant aucun moyen de déter-
miner quels objets ethnographiques proviennent réellement des
dépôts qu'il a effectués, de distinguer ces objets de ceux qui
n'en provenaient pas et qui peuvent être entrés à la Bibliothèque
14
210 LES ORIGINES
royale par quelqu'autre voie, il faudrait, avant tout, faire un
départ qui est impossible ; il faudrait dire où commencerait et
où finirait ce droit de réclamation.
2° Le départ étant fait, il faut prouver que les objets ont été
mis à Sainte-Geneviève à titre de dépôt, faute de place, et non à
titre de don pur et simple. Il faut produire des pièces, des lettres,
des registres, tout cela n'existe pas ; mais s'il y a eu don et non
dépôt, le ministre de la Marine n'aura rien à réclamer.
3° Enfin, dans l'hypothèse même du simple dépôt, il y aurait à
examiner si le décret qui ordonne la translation de ces objets à
la Bibliothèque royale n'a pas annulé toute réserve antérieure
de propriété, la plus grande partie de ces objets ayant été reçue
par la Bibliothèque avant la Révolution, si le dépôt n'est point
devenu, par suite, un véritable don. En règle générale, la Biblio-
thèque royale ne reçoit rien à titre de dépôt ; tout ce qui entre
dans ses collections acquiert par cela même le caractère de pro-
priété publique. Si donc une exception a pu être faite à cette
règle générale, on a dû s'expliquer nettement sur la condition
du dépôt ; des précautions doivent avoir été prises de part et
d'autre ; or, la Bibliothèque royale n'a dans ses archives, aucune
trace de dispositions semblables ; que le Ministère de la Marine
établisse doue ses preuves, puisqu'il réclame, en vertu d'un titre
de propriété.
Telles sont les questions, qu'il conviendrait d'examiner, avant
de répondre définitivement, d'une manière ou d'une autre, à M. le
ministre de la Marine. Je vous prie, Monsieur le ministre, de
vouloir bien consulter à ce sujet, soit le Conseil royal de l'Instruc-
tion publique, soit le comité do l'Intérieur et du Commerce en
Bonseil d'Etat. Il importe que la garantie du Conservatoire de la
Bibliothèque royale soit parfaitement à couvert dans le cas où
l'on exigerait la remise desdits objets au ministre de la Marine.
Je suis, avec respect, Monsieur le ministre, votre très humble
et très obéissant serviteur.
HlPP. ROYER-COLLARD.
DU MUSÉE d'ethnographie 211
Renvoyé à l'examen du Conseil royal de l'Instruction pu-
blique*.
Approuvé par le ministre,
GuizoT.
N» LVIII
BIBLIOTHÈQUE ROYALE
Pans, le 29 avril 1833.
Le directeur-président du Conservatoire de la Bibliothèque royale.
Monsieur le ministre,
Je me suis empressé de mettre sous les yeux du Conservatoire,
votre lettre, en date du 20 courant, où vous nous invitez à dis-
cuter, dans le plus bref délai, toutes les questions relatives à la
formation d'un Musée ethnographique. Il a consacré deux
séances extraordinaires à cette importante délibération, et je
vous en transmets le résultat.
D'une part, les réclamations du ministre de la Marine ; de
l'autre, une disposition non abrogée de l'ordonnance de 1828 ;
et l'avis de la commission, chargée en 1831, d^examiner cette
question ; enfin, les nouveaux projets pour la construction d'une
bibliothèque, vous font désirer de connaître l'avis du Conser-
vatoire : ,
1° Sur les avantages et les inconvéniens qui résulteraient de
la formation d'un Musée ethnographique ;
2° Si l'existence de ce musée, à la Bibliothèque royale, n'en-
traînerait pas des dépenses considérables pour le personnel, le
matériel, l'entretien et n'exigerait pas un très vaste local.
1) La note ci-après, en marge de la pièce, résume l'avis du Conseil royal :
« D'après les renseignemens nouveaux, et aucune communication de pièces
qui puissent constater le droit du Ministère de la Marine, sur les objets d'ethno-
graphie, n'ayant eu lieu, le Conseil estime qu'il n'a pas à émettre d'autre avi?
que le rapport ci-joint. »
Conclusion, aussi tracée en marge : Rien à faire pour le moment.
212
LES ORIGINES
C'est sur ces diverses questions que je vais avoir l'honneur
de vous transmettre l'avis motivé du conservatoire.
I. Sur la pre?niè)'e question, le Conservatoire, après avoir pris
lecture altcnlive du rapport de la commission nommée en 1831,
et des éclaircissemens transmis par un des commissaires, mem-
bre du Conservatoire, a pleinement et unanimement adopté les
vues de la commission sur l'utilité d'un Musée ethnographique,
dans le genre de ceux qui existent à Saint-Pétersbourg, à Berlin,
à Weimar, à Gôttingue. Mais il ne serait d'avis de la formation
d'un tel musée, qu'aux deux conditions sur lesquelles la com-
mission a fortement insisté :
i° Qu'il sera, unique ; c'est-à-dire que tous les objets, dissé-
minés dans divers établissemens, seront réunis dans un seul
centre, auquel aboutiront toutes les collections que le gouverne-
ment acquerra par la suite, ou recevra des voyageurs à titre
gratuit. Si l'on devait former deux ou trois collections de ce
genre, une au Louvre, une à la Bibliothèque du roi, une autre à
Versailles, qui seraient nécessairement et à tout jamais incom-
plétés, le Conservatoire ne conseillerait de donner suite à aucune
d'elles. Quand une collection pareille n'est plus qu'un magasin de
curiosités, l'intérêt scientifique n'existe pas ; il n'y a rien de plus
inutile et toutl'argentqu'ony consacrerait serait de l'argent perdu,
2° Que ce musée sera formé sur le plan étendu, conçu par la
commission, et de manière à pouvoir s'étendre indéfiniment, par
suite d'acquisitions successives, et contenir tout ce qui peut
servir à faire connaître Tétat moral et industriel de toutes les
nations sauvages et à demi-civilisées du globe, au moyen d'us-
tensiles de tout genre, d'armes, de productions d'industrie et
d'arts, d'objets consacrés au culte. Ces nations, d'après la note
présentée par un des membres du Conservatoire ', seraient au
nombre d'environ 66, mais il y en a évidemment davantage,
depuis les Lapons jusqu'aux Pescherais.
Le Conservatoire a donc été unanime sur la première question.
n. Quant à la deuxième question, relative au placement de ce
1)M. Jomard. Voir plus haut pièce no XXXVIII. (E. H.).
DU MUSÉE d'ethnographie 213
musée à la Bibliothèque royale, il a été d'un autre avis que la
commission de 1831. Entrant dans tous les détails, il a reconnu:
1» Quant au personnel, que la formation de ce musée nécessi-
terait, sinon un nouveau conservateur, au moins au conservateur
adjoint, un employé et un garçon, c'est-à-dire, un surcroît de
dépense annuelle de 6,000 fr., dépense qui serait susceptible,
plus lard, de quelque augmentation ;
2" Quant au matériel, qu'il faudrait, pour commencer, une
allocation extraordinaire d'environ 100,000 fr. pour acheter cinq
à six collections, maintenant disponibles, que M. Jomard évalue
à 90,000 fr., y compris celle de M. Lamare-Picquot ; mais sans
compter d'autres collections importantes qui ne manqueront pas
d'être offertes, quand on saura les intentions du gouvernement.
A cette allocation extraordinaire, il en faut joindre une annuelle,
qui ne pourra être de moins de 6,000 fr., lesquels joints aux
6,000 fr. du personnel, font une augmentation totale de 12,000 fr.
par an, que le Conservatoire regarde comme un minimum.
3° Quant aux frais d'arrangement, ils ne peuvent qu'être fort
considérables. Le conservateur de la section des cartes et plans
a voulu persuader qu'on pouvait, dès à présent, et à peu de frais,
avec 4,000 ou 6,000 fr. au plus, approprier les casiers occupés
par l'ouvrage sur l'Egypte, à une nouvelle destination, et les
convertir en armoires; il a dit que la moitié environ de ces
casiers serait disponible pour cet usage. On lui a répondu que
ces casiers n'y étaient pas propres et que l'argent qu'on y emploie-
rait serait perdu ; que, dans tous les cas, comme on ne pouvait
songer à les transporter dans un nouveau local, cette dépense
ne serait que pour quatre ou cinq ans : après quoi elle serait per-
due entièrement ; qu'alors il faudrait procéder à la co nfection
de nouvelles armoires, dont la dépense ne peut être au-dessous,
et sera probablement au-dessus de 30,000 francs.
Dans ces frais ne sont pas compris ceux de réparation des
objets avariés ; ces frais, qu'il est impossible d'évaluer, seront
très considérables. Un exemple en fera juger. Pour réparer les
deux tours en porcelaine et la pagode d'ivoire que possède le
cabinet, il faudrait au moins 1,000 fr.
214 LES ORIGINES
Yoilà où conduira l'établissement à'unmusée à la Bibliothèque
royale. Quand les Chambres trouvent déjà le budget de la Biblio-
thèque si lourd, serait-il prudent de le charger encore d'un excé-
dent si fort? Le Conservatoire ne le pense pas.
4" Quant au local qu'exigera ce musée, le Conservatoire croit
qu'il doit être immense, pour suffire à tous les accroissemens
successifs d'un pareil musée, au classement méthodique des
objets relatifs à tant de peuples divers, objets dont quelques-uns,
tels que pirogues, charrues, étoffes, exigent un grand dévelop-
pement. Un pareil musée ne pourrait que nuire aux collections
près desquelles il serait placé ; et lui-même ne pourrait s'éten-
dre, comme il doit le faire.
En conséquence, le Conservatoire, consulté sur la question
générale, si ce musée devait être placé à la Bibliothèque, a ré-
pondu négativement à l'unanimité, moi7is une voix. Tous les
membres étaient présens.
Mais il a émis le vœu que Àe gouvernement pût s'occuper
sérieusement de former un musée dans un local où il pourrait
prendre l'extension dont il est susceptible.
Je suis, avec respect. Monsieur le ministre, votre très humble
et très obéissant serviteur.
Letronne.
N'> LIX
MINISTÈRE DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE
Paris, le 24 mai 1833
Le Ministre,
A M. Zédé^ directeur du Musée naval.
Monsieur,
Le Conservatoire de la Bibliothèque royale, que j'ai consulté
sur le projet de formation d'un Musée d'ethnographie, m'a fait
connaître son avis.
Le rapport qu'il m'a présenté à ce sujet est sous les yeux du
DU ]MusÉE d'ethnographie 215
Conseil royal de l'Instruction publique. J'attendrai le résultat de
l'examen du conseil, pour prendre une décision définitive.
C'est alors que nous devrons avoir une conférence, mais elle
ne pourra avoir lieu qu'au moment où la clôture de la session
m'en laissera la liberté ! J'aurai l'honneur de vous écrire pour
vous prévenir du jour et de l'heure que j'aurai choisis à cet
effet.
Agréez, etc.
GUIZOT.
CHAPITRE VIII
Nouvelles démarches de Jomard. — Projet restreint de Musée ethnographique
à la Bibliothèque 1838). — Ordonnance de 1839. — Mesure» proposées par
Jomard poar la mettre à exécution.
N°LX
2e DIVISIO.N MINISTÈRE DE LINSTRUCïION PUBLIQUE
!»■• Bureau. Pans, le 8 octobre 1838.
NOTE POUR M. LE MINISTRE
M. Jomard, dans une note^ que j'ai l'honneur de mettre sous
vos yeux, en rappelant à votre attention le projet d'établis-
sement d'un Musée ethnographique auprès du département des
plans, estampes et cartes géographiques de la Bibliothèque
royale, vous propose. Monsieur le ministre, d'acquérir une
série de collections qu'il indique et dont le prix s'élèverait à 80 ou
1) Je n'ai point retrouvé l'original de cette note, écrite probablement à la
suite de la démarche faite auprès de Jomard par Lamare-Picquot, le 28 sep-
tembre 1838, mais je rencontre, annexée à la pièce ci-dessus, la copie d'une lettre
de Toulouzan avec lequel nous avons vu Jomard en correspondance dès 1831,
Cette lettre est relative à la collection sino-japonaise de M. Giniez, que Garcin
de Tassy était venu récemment visiter. « Il l'a trouvée bien supérieure à ce
qu'il croyait, dit Toulouzan ; elle occupe deux immenses salles, et encore y
a-l-il encombrement. Il a été convenu que je donnerai un sommaire du cata-
logue à M. de Tassy pour vous être remis; ce sommaire sera fini sous peu de
jours (*) et il suffira pour vous donner une idée juste de l'importance de cette
belle collection. D'ailleurs, M. de Tassy l'ayant vu lui-raème, pourra vous
renseigner exactement. Ce dernier m'a dit que vous désiriez savoir en gros à
quelle somme M. Giniez porte sa collection, je puis vous dirg^u'à 100,000 francs
elle ne serait pas payée sa valeur. Outre la suite du petit au grand, de la
chaumière au palais, qui a le mérite rare de faire apparaître, en quelque sorte,
(*) J'eu ai suus les yeux uu eienaplaire autograpliié (E. H.).
218 LES ORIGINES
90 mille francs. Il ajoute que sept grandes armoires suffiraient
et que leur confection coûterait 3,000 francs environ. Du reste
l'emplacement existe^ les employés actuels seraient chargés de
ce surcroît de travail, sans qu'aucune augmentation de personnel
fût nécessaire.
L'acquisition des collections proposées doit être ajournée,
selon mon avis, Monsieur le ministre. Mais il existe dans les
étages supérieurs de la Bibliothèque royale un assez grand
nombre d'objets d'arts, qui s'y trouvent sans destination et qui
pourraient former le noyau d'une collection ethnographique;
c'est dans ce sens que je vous propose, Monsieur le ministre,
d'écrire à M. Jomard, en l'invitant en même temps à examiner si,
pour l'année 1839 au moins, il ne serait pas possible de trouver
à nos yeux, l'état social des Chinois et des Japonais, il y a dans cette collection
un grand nonabre d'objets précieux et tout à fait inédits.
« M. de Tassy, continue l'auteur de la lettre, m'a dit que peut-être certains de
ces objets, principalement dans les vernis laqués, ne vous paraîtraient pas
nécessaires dans la collection ethnographique que vous voulez former; d'autant,
ajoute-t-il, que ces objets sont précisément d'une grande valeur. Là dessus, je
dois vous dire d'abord qu'il n'y a pas deux objets semblables. M. Giniez a
cherché à remplir tous les vides et à compléter chaque article, cette suite est
un des plus grands mérites de la collection, mais si c'est la considération du
prix qui vous retient, il sera facile à M. Giniez de se défaire très avantageu-
sement des articles que vous ne voudrez pas, car s'il avait voulu vendre en
détail, il aurait retiré plus que ce qu'il demande de la totalité. Mais M. Giniez
n'est pas marchand dans cette affaire; il veut rentrer dans ses débours
et avoir la satisfaction que sa collection reste à son pays. Il est intéressé dans
une des premières maisons de Batavia, qui continue d'acheter pour son compte
tout ce qui peut enrichir de plus en plus sa collection. C'est une passion qu'il
a ; il la satisfait à grands frais, pensant être utile à son pays. Du reste il lais-
sera toute latitude sur le mode de payement et sur les échéances pourvu qu'il
ait des garanties; il est disposé à prendre avec vous les engagemens qu'il vous
plaira. Il se chargera encore de faire rendre les objets à Paris et de les
déballer lui-même ; car c'est un homme unique pour ces sortes de soins, et
c'est étonnant de voir comment tant d'objets précieux et fragiles ont pu être
si bien conservés.
« Il importe, termine Toulouzan, que vous preniez une détermination. Le
prince Demidof est entré en négociation ; la ville de Toulouse fait des dé-
marches : à Marseille aussi on parait disposé à prendre des arrangemens.
M. Giniez n'est pas pressé; il se débarrassera même à regret de sa collection ;
mais pourtant il se fait vieux et il tient à savoir si vous pouvez mener cette af-
faire à sa fin.»
DF MUSÉE d'ethnographie 219
les 3,000 francs nécessaires, soit sur les 117,000 francs, dont se
compose le crédit du matériel de la Bibliothèque, soit sur les
150.000 francs pour lesquels est compris le département des
estampes et des cartes dans l'annuité extraordinaire portée au
budget de l'exercice indiqué.
F. Ravaisson.
N« LXI
BIBLIOTHÈQUE ROYALE
Paris, le 19 octobre 1838.
Monsieur,
A l'époque ou l'ordonnance a paru, le nom Cabinet ou de
Musée ethnographique n'existait pas; à peine si l'idée de la
chose avait cours ; j"ai contribué, avant et depuis, à propager ce
mot, et à fixer l'attention sur la nature et l'utilité d'une pareille
collection. Vous verrez par l'ordonnance ci-jointe, que les mots
équivalens y représentent tout à fait l'ethnographie, c'est-à-dire
la connaissance d'un pays par ses mœurs, ses arts, ses usages.
Le commentaire ci-joint aussi \ que M. le ministre de l'Inté-
rieur fit insérer au Moniteur en même temps que Tordonnance,
ne laisse aucun doute sur ce point. Enfin, dans un opuscule qui
a paru plus tard, je suis entré dans un assez grand détail sur
la matière ^
Il résulte de cette ordonnance, ainsi que de ces documens,
que la collection dont il s'agit devrait avoir pour base, pour
noyau, les objets rapportés de l'expédition d'Egypte, et devrait
être placée à la Bibliothèque royale, à la source de toute ins-
truction.
Si je le puis à temps, je joindrai encore ici. Monsieur, l'opus-
cule en question « Considérations sur la nature et rutilité dune
collection spéciale consacrée aux cartes géograpliiques et aux
1) C'est la pièce n° XVI imprimée plus haut.
2) Voy. plus haut pièce no XXIV.
220 LES ORIGINES
diverses branches de la géographie, » mais cet ouvrage me
manque en ce moment. On y démontre entr'autres choses l'in-
cohérence radicale de la géographie avec les estampes. Aussi le
poiîit de départ, même pour la création du Cabinet ethnogra-
phique, est la séparation de deux sections, le retour à l'ordonnance
Martignac ; il n'y a ni plus ni moins de dépenses dans ce parti,
sauf un garçon de bureau ou quelques misères.
Pour revenir à l'ethnographie, j'ajouterai que la conclusion
ci-dessus ressort encore pleinement du rapport de la commission
Cuvier et de divers rapports faits à l'Institut, à la Société
Asiatique et à la Société de Géographie depuis huit à dix
années'.
Je n'ignore pas qu'on a fait quelques objections, mais je me
fais fort de les battre en ruines ; la Bibliothèque royale ne
répugnerait qu'à une charge nouvelle, imposée à son crédit,
mais non à un accroissement de splendeur ou d'utilité ; mais il
faut d'abord adopter la séparation.
Agréez, Monsieur, etc.
A M. Ravaisson. Jomard.
N« LXII
NOTE POUR M. LE MINISTRE.
Paris, le 24 octobre 1838.
Réduire le projet de Musée ethnographique à cette idée :
réunir au dépôt des cartes dans des armoires ad hoc, sous la
garde d'un employé spécial, ce qui existe à la Bibliothèque royale
des objets divers provenant de voyages, y joindre :
4° La collection de M. Jomard qu'il offre de donner.
2° Ce qui existe d'analogue au Muséum.
3« La première salle du Musée naval, dont le ministre de la
Marine désire se débarrasser.
1) Voyez plus haut, n"s XXI, XXII, XXIII et XXXVII.
DU MUSÉE d'ethnographie 221
Ainsi formée, la collection ethnographique sera un noyau,
qui sera augmenté plus tard, s'il y a lieu.
Les dépenses se réduisent donc : 1° au traitement d'un em-
ployé.
2° A la confection de quelques armoires.
Pour cela, demander un crédit (peu considérable) aux
Chambres. En effet: 1° rien ne peut être affecté à celte desti-
nation sur les fonds affectés au service courant du matériel, car
il s'ag-it d'une création non prévue.
2° Rien sur les annuités extraordinaires votées l'an dernier,
car elles ne sont destinées qu'à des travaux de reliures et de
catilogues.
F. Ravaisson.
N« LXIII
MINISTÈRE DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE
Ordonnance du Roi.
Sur le rapport de notre Ministre, secrétaire d'État au dépar-
tement de l'Instruction publique, Grand-Maître de l'Université,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Article premier. M. Jomard, membre de l'Académie des Ins-
criptions et Belles-Lettres, conservateur à la Bibliothèque du
Roi, est nommé chef du département des cartes géographiques,
plans et collections ethnographiques.
Art. 2. Notre Ministre, secrétaire d'État au département de
l'Instruction publique, est chargé de l'exécution de la présente
ordonnance.
PAR LE ROI
Le Ministre, secrétaire d'État au département de thistr action
piiblique,
Salvandy .
222 LES ORIGINES
N« LXIV
Paris, le 11 mars 1839.
Le Ministre, etc.
A M. Jomard, président honoraire du Conservatoire de la
Bibliothèque Royale.
Monsieur le président honoraire,
J'ai l'honneur de vous informer que, par une ordonnance en
date de ce jour, le Roi vous a nommé chef du nouveau dépar-
lement des cartes géographiques, plans et collections ethnogra-
phiques de la Bibliothèque Royale.
Cette utile création vous est surtout due, Monsieur.
J'attends les propositions que vous m'avez annoncées pour lui
donner les développemens et l'importance dont elle est sus-
ceptible.
Vous aurez à vous occuper immédiatement de la consti-
tution de ce département.
Recevez, Monsieur le président honoraire, l'assurance de ma
considération distinguée.
Le Ministre de l' Instruction publique, Grand Maître
de r Université,
Salvandy.
N°LXV
BIBLIOTHÈQUE ROYALE
Paris, le l*"" avril 1839.
A M. le Ministre, secrétaire d'État au département de
l' Instruction publique.
Monsieur le ministre.
Vous avezbien voulu me demander, par votre lettre du 11 mars
dernier, de m'occuper immédiatement des mesures relatives
à la constitution du département des cartes géographiques, plans
et collections ethnographiques, création d'où doivent dériver
DU MUSÉE d'ethnographie 223
d'utiles résultats pour La science et le public en général, et pour
l'accroissement de la Bibliothèque Royale en particulier.
Je dois m'empresser d'accomplir le devoir qui m'est imposé.
La constitution de ce département exige quelques mesures
fondamentales, mais simples et faciles, ainsi que je m'en suis
convaincu par une étude ancienne et approfondie du sujet. Je
vais avoir l'honneur, Monsieur le ministre, de vous les exposer.
Je commencerai par rappeler l'ordonnance royale du 30 mars
1828, pour montrer que cette vue essentielle d'utilité publique
avait déjà frappé depuis longtemps, par ses avantages, les
meilleurs esprits et des hommes d'État éminens, avantages qui
sont aujourd'hui reconnus par tout le monde.
Ordonnance royale. « Le sieur Jomard, membre de l'Aca.
demie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, est nommé à la
Bibliothèque du Roi, conservateur du dépôt de géographie. Il
aura sous sa garde les plans et cartes, objets et instrumens
divers produits par les voyages scientifiques, et notamment les
planches et dessins, manuscrits et imprimés de l'expédition
d'Egypte. »
Ainsi, Monsieur le ministre, à la collection des cartes géogra-
phiques, et pour compléter l'instruction qu'on retire de leur
étude, est annexé le dépôt des voyages scientifiques ordonnés
ou encouragés par le gouvernement (sauf les pièces d'histoire
naturelle qui sont destinées pour le Muséum), et le dépôt du
Voyage d'Egypte doit être le noyau de ce dépôt des voyages.
Les moyens d'exécution se bornent, quant à présent, à trois
choses principales.
La première est la mise en état du local où seront admis le
public et les travailleurs ; la deuxième est le complément du
personnel des employés ; la troisième est la concession d'un
fond^ annuel destiné à pourvoir aux acquisitions courantes.
§ I. Dès le principe de la création du département des cartes
géographiques, c'est-à-dire en mars 1828, un local convenable
et provisoire lui a été affecté à la Bibliothèque Royale, dans des
salles alors dépendantes des bâtimens du Trésor ; c'est le rez-
de-chaussée qui est inférieur à la galerie Mazarine des ma-
224 LES ORIGINES
nuscrils, avec les salles avoisinanles au nord et au midi. Ce
local pouvait suffire jusqu'au jour où seraient élevées les galeries
nouvelles projetées sur la rue Vivienne; mais il devait, dès lors,
être approprié à sa destination. Les travaux de construction de
ces galeries ont commencé peu de temps après, mais en 1834
la suspension des travaux a tout arrêté ; malheureusement elle
s'est perpétuée jusqu'à présent d'une manière qui semble indé-
finie, et elle a empêché défaire aussi les travaux d'appropria-
tion dans le local actuel.
Aujourd'hui rien n'est plus facile que de les eiïectuer ; un
devis a été dressé ; la dépense en est modique, comparée surtout
à l'utilité qui doit en résulter pour l'étude. Le public aurait une
entrée convenable au pied de l'escalier de la salle de lecture des
livres imprimés ; il s'agit d'une porte à ouvrir, de quelques
fenêtres à agrandir et du planchéiage de plusieurs parties
du sol.
Cette dépense, limitée à 4,000 francs, ne grèverait pas le
budget de la Bibliothèque Royale ; elle doit être supportée par
le Ministère de l'Intérieur et prise sur les fonds de la direction
des travaux publics, selon les règles établies.
Il y a une sorte d'urgence de mettre enfin le public en pos-
session, en jouissance complète des collections que le zèle du
conservateur et les faibles moyens mis à sa disposition lui ont
permis de réunir jusqu'à présent ; mais au grand dommage
de la science, rien n'a été fait jusqu'ici pour réaliser la nou-
velle création. Presque tous les résultats seront acquis en exé-
cutant quelques dispositions intérieures. Quanta la séparation du
département des collections géographiques d'avec celui des
estampes, ce qui est prescrit par l'ordonnance, elle n'est pas
moins facile à effectuer par quelques arrangemens très simples.
§ II. En second lieu, il y a nécessité presque aussi urgente
de constituer tout de suite le personnel du déparlement, qui ne
compte en ce moment qu'un deuxième employé et un auxiliaire ;
il est besoin d'un conservateur adjoint et d'un employé de plus.
Cette nécessité résulte : T de l'ensemble des opérations néces-
saires pour l'organisation du service ; 2° des travaux spéciaux
DU MUSÉE DETHNUr.RAPHiE 225
qu'exige l'emploi du fonds extraordinaire voté par les
Chambres et destiné à combler l'arriéré de la collection ; 3° de
la nécessité qu'il y a de ne pas apporter de perturbation dans le
service courant quotidien. Au traitement de ces deux personnes,
il faut ajouter les gages d'un garçon de salle.
§ III. Le troisième besoin du département des cartes et col-
lections géographiques consiste dans l'établissement d'un fonds
annuel et ordinaire destiné aux acquisitions courantes. En eU'et,
le fonds extraordinaire et temporaire voté par les Chambres est
spécialement réservé pour combler un ancien vide résultant de
ce que en aucun temps il n'a été consacré de fonds à la géo-
graphie.
Depuis quelques années on avait emprunté aux quatre dé-
partomens existans et notamment à celui des estampes,
une somme plus ou moins forte, et ce département n'a cessé
de réclamer avec assez de raison. Une somme annuelle de
0,000 francs pourrait être demandée aux Chambres avec con-
fiance pour satisfaire ce besoin impérieux.
Cette demande, Monsieur le ministre, est indépendante d'une
autre plus spécialement consacrée à l'acquisition des précieuses
collections ethnographiques aujourd'hui proposées à votre mi-
nistère, et qu'il est bien à désirer qu'on ne laisse pas échapper,
comme tant d'autres, qui sont perdues pour la France. Au-
jourd'hui cette branche d'un dépôt général de géographie est
pour la deuxième fois et définitivement rattachée à notre grand
musée littéraire qui, pour le dire on passant, est appelé impro-
preme"nt Bibliothèque^ puisqu'il renferme, en eiïet, d'autres col-
lections toutes différentes des livres et toutes étrangères à la
bibliographie.
En agir ainsi était suivre la voie la plus économique et la plus
judicieuse qu'on pouvait prendre ; c'était se borner aux dépenses
utiles, éviter un personnel très dispendieux et se conformer enfin
à l'avis de l'illustre Cuvicr. Au reste, un assez grand nombre
d'objets importans, à la disposition de l'administration supé-
rieure comme à celle de Sa Majesté, pourrait dès à présent
15
226 ï'^S ORIGINES
entrer gratuitement dans la collection publique, et je serais moi-
même assez disposé, quand le moment sera venu, à faire hom-
mage de celle que m'ont procurée mes correspondances et mes
voyages.
L'objet de cette lettre étant général, j'ai du me borner sur ce
point, Monsieur le ministre, à des observations succinctes, en me
référant aux documens et aux pièces qui sont déjà déposées
dans vos bureaux : il me suffira de rappeler que des collections
semblables et publiques existent partout, excepté en France, et
ce n'est pas seulement dans des capitales comme Vienne, Berlin,
Pélersbourg, Londres, Munich, La Haye, Copenhague, Dresde,
Sluttgard, etc., mais encore dans des villes de second ordre et
même des villes continentales, telles que Gôltingue, Leyde,
Weimar, Gotha, Cobourg, etc. Il existe en outre des cabinets
particuliers à Coblentz, Dusseldorf, Francfort, Aix-la-Chapelle,
Leipzick, etc. Il serait bien extraordinaire que la France, elle
qui possède tant de musées, fut le seul pays où Ion ne trouvât
pas de semblables collections ouvertes à l'étude et un dépôt
public destiné à recevoir les produits des voyages que l'Etat
ordonne ou qu'il encourage. Paris a des musées de toute
espèce et il s'en forme tous les jours de nouveaux ; seule
l'ethnographie en est dépourvue.
En résumé, Monsieur le ministre, pour répondre à la lettre
que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, je pense que la
constitution du département des collections géographiques peut
se réduire quant à présent:
1° A la création d'une place de conservateur adjoint, d'une
place d'employé et d'un garçon de service;
2° A une dotation annuelle pour les acquisitions des cartes
géographiques au fur et à mesure de la publication;
3° Aux frais d'appropriation du local actuel (dépense une fois
faite);
4° Aux frais de mobilier (dépense pour la première année).
Au moyen de celte dépense modique, les collections géo-
graphiques seraient enfin mises à la disposition du public
DU MUSÉE DETHNOCiRAPHlK 227
studieux et jose assurer qu'elles ne larderaient pas à porter
leurs fruits.
J'ai l'honneur dètre avec respect, etc.,
J0MAIU3.
N' LXVI
PROJET DE DÉCRliT POUTANT CRÉATION d'lN i( MUSÉK li lHN0GRAPU[gUE »
(ou DE LA GÉOGRAPHIE ET DES VOYAGES) '
Vu rordoiinance du 30 mars 1828 qui crée uu Dépôt gé-
néral des voyages et de la géographie ;
Vu l'ordonnance du 11 mars 1839 qui établit un département
des Cartes géographiques et Collections ethnographiques ;
Il est créé à Paris un Musée ethnographique où seront
déposés :
1° Tous les documens et objets matériels faisant connaître
l'industrie et les arts des différentes races et provenant des
voyages faits aux frais de l'État^ ordonnés ou encouragés par le
gouvernement, autres que les objets qui appartiennent à l'his-
toire naturelle ou à l'antiquité classique, lesquels continueront
d"être déposés et conservés au Muséum d'histoire naturelle et
au Louvre.
2' Les objets de même nature et de même origine qui seront
jugés dignes d'entrer dans une collection publique,
3" Les relations de voyages, plans et cartes géographiques
et topographiques, atlas et livres de géographie nécessaires pour
l'étude de la collection, globes et instrumens principaux d'ol)-
servation, monumens de la géographie, etc.
Le Musée de la géographie et des voyages sera public et
ouvert toute l'année à l'étude.
Il sera institué ultérieurement, près ledit Musée, des cours de
géographie physique;, statistique et historique.
2) Ce projet non daté émane ceriainemenl Je Jomard, (jui TaLirait déposij à
l'appui de l'une de ses nombreuses ]eLtres en faveur de la création (ju'il
sollicitait.
CHAPITRE IX
Lettre de Siebold à Jomard sur 1 utilité des Musées ethnographiques.
N" LXVII
LETTRE
suu l'i:tilité des musées ethnographiques et sur l'importance de
LEUR CRÉATION DANS LES ÉTATS EUROPÉENS QUI POSSÈDENT DES COLONIES
OU QUI ENTRETIENNENT DES RELATIONS COMMERCIALES AVEC LES AUTRES
PARTIES DU MONDE.
Par M. Ph.-Fr. DE SIEBOLD'.
A M. Ed?ne- François Joinard, conservateur du dépôt géographique
de la Bibliothèque royale, membre de ï Institut royal de France.
Monsieur,
Depuis mon retour du Japon en Europe, où j'ai apporté de
nombreuses et riches collections d'histoire naturelle et d'ethno-
graphie, les soins et les efforts que vous avez employés pour
établir un musée ethnographique à Paris m'ont paru dignes
d'admiration. Après m'être moi-même, pendant sept années,
occupé, dans le vaste empire auquel le lever du soleil a donné
son nom [Nippon]^ à rassembler des objets matériels et des
monuments précieux qu'une civilisation antique, l'industrie pro-
digieuse, les arts et les sciences du peuple le plus cultivé de
l'Asie, ont abondamment produits, je puis apprécier d'autant
mieux vos tentatives en faveur des sciences ethnographiques et
concevoir la sollicitude que vous avez mise à désigner, à réunir
1) Paris, Benjamin Duprat, 1843, br. gr. in-8 de 22 pages.
230 I.KS (JKTGINES
et à conserver les matériaux qui se rattachent à cette spécia-
lité, l'une des plus importantes, sans contredit, parmi les
connaissances humaines. Je comprends donc parfaitement,
Monsieur, l'élévation de votre pensée, en proposant, à plusieurs
reprises, au gouvernement français, de créer à la Bihliothèque
royale, au centre de ces immenses trésors d'histoire, de littérature
et d'art, un établissement public où les produits matériels des
voyages lointains que le g-ouvernement a fait entreprendre
seraient déposés à demeure, tandis qu'aujourd'hui ces résultats
ne sont que trop souvent dispersés après le retour des voj^ageurs,
et perdus à jamais pour la science. Je me rappelle avec un vif
intérêt les conceptions éclairées dont vous avez bien voulu me
faire part, sur ce sujet important, lorsque j'eus le plaisir de revoir
chez vous les intéressants produits du voyage fait par MM. d'Ar-
naud, Thibaut etSabatier, en Afrique, sur les rives du Nil-Blanc,
jusqu'au 4" 40" de latitude nord '.
« Les peuples récemment découverts et encore reculés dans
Téchelle de la civilisation marchent maintenant, disiez-vous,
avec une rapidité énorme, à l'aide de la culture que viennent
leur apporter les nations commerçantes de l'Europe ; mais à
mesure qu'ils s'en éclairent, qu'ils adoptent les mœurs ou les
besoins des nations européennes, leurs usages propres s'effa-
cent, leur manière d'être se modifie ou change tout à fait pour
faire place à d'autres. De nouvelles idées sociales et indus-
trielles leur font abandonner celles de leurs aïeux. Peut-être
un jour, quand on voudra tracer le tableau historique des pro-
grès des peuplades sauvages, on sera réduit à de vagues ren-
seignements, à d'obscures traditions. Il importerait donc à
l'histoire de l'espèce humaine et à celle de la civilisation qu'on
eût constaté le point où ces peuples étaient parvenus, avant de
recevoir le bienfait des lumières et d'un état social perfec-
tionné. »
Voilà, Monsieur, vos propres paroles ; elles sont sages et graves,
J'v reconnais les impressions que l'antique Egypte a laissées dans
t)Ces collections, vues ctiez Joraarrl en 1843 par Ph.-Fi-. de Siebold, sont
inaiiilHnaiit au MusV r!i^ Douai. {E. H.)
DIT MUSÉE o'innNor.R APFiri': 231
votre âme, lorsque vous vous reposiez sur les débris des monu-
ments classiques d'un pays, autrefois civilisé et actuellement
occupé par des tribus presque barbares; j'y reconnais les
réflexions sérieuses que l'aspect du berceau primitif de l'huma-
nité vous suggéra sur l'origine unique et divine de notre espèce.
A mon tour, j'ai médité longtemps ce grand principe, lorsque
j'eus le bonheur de retrouver daus la nation japonaise, laquelle
occupe, je l'ai dit, le sommet parmi les civilisations de l'Extrême-
Orient, quelques anneaux de la chaîne qui relie les antiques
civilisations de l'Egypte, de Tlnde, de la Perse, de la Chine et
de l'Amérique. J'ai osé depuis sonder les profondeurs de la
source d'où le genre humain a tiré son origine_, soutenu dans
mon opinion, tant par la haute antiquité que les Chinois et
même les Japonais, attribuent à la culture de leurs ancêtres, que
par l'analogie de leurs traditions et de leur chronologie avec
celles des Indous et des Persans. J'ai tâché de m'expliquer com-
ment le ruisseau de la culture sociale primitive a, selon toute
probabilité, pris naissance dans l'Asie centrale, sur les versants
des plus hautes montagnes du Thibet et de Cachemire, qui sin-
clinent vers les tropiques, et reçoivent l'influence de la zone
torride ; comment il s'est grossi lentement pendant des milliers
d'années ; comment, après ces accroissements successifs, il s'est
enfin répandu sur la surface totale de notre globe. Néanmoins,
cette eau limpide, source première de la culture du genre humain,
a le plus souvent été troublée dans le vaste parcours de ces
embranchements divers, dont les uns se sont ensablés dans les
déserts, dont les autres se sont dissipés dans les profondes forêts,
Cà et là seulement, ils ont laissé dans leurs lits desséchés quel-
ques cailloux effacés, débris d'une civilisation antérieure et plus
ou moins avancée. Je parle des monuments vénérables que l'on
retrouve encore aujourd'hui dans les fertiles vallées de
l'Ancien Continent ou sur les plateaux salubres du Nouveau
Monde.
Ainsi, il s'est trouvé des peuples qui ont laissé dans leur ber-
ceau même, ou sur la route de leurs migrations, des traces inef-
façables d'une culture antique ; mais il a évidemment existé
2'.i2 Lr.s oiUGiM-s
encore d'autres peuples, aussi plus ou moins éclairés, et dont il
ne nous a été donné de découvrir nulle part les vestiges. L'his-
toire nous a conservé le souvenir des premiers, tour à tour
absorbés dans la civilisation européenne, dégénérés ou disparus.
Les autres sont demeurés inconnus, même pendant leurs migra-
tions lointaines sur la face du globe ; parfois ils se sont ensevelis
jusqu'à nos jours dans le secret de leurs asiles. Ces peuplades,
que les physiologistes se sont complu à nommer aborigènes,
abandonnées à elles-mêmes de temps immémorial et sous divers
climats, doivent intéresser spécialement les études ethnogra-
phiques ; et plus chacune d'elles s'est isolée des tribus civilisées
ou barbares, plus elle a conservé pur dans son culte, dans ses
mœurs et sa culture intellectuelle, le sceau de l'époque où elle
se sépara des autres familles humaines. Dans plusieurs îles de
l'océan Pacitique, dans les Kouriles, au sein du Nouveau Monde
et des régions hyperborcennes, on a découvert des tribus dont
les institutions civiles et domestiques, le caractère paisible et
droit, viennent à l'appui de l'hypothèse qui place leur culture
avant l'époque de leur arrivée dans les lieux où elles furent
découvertes par nos voyageurs. C'est ainsi que nous reconnais-
sons, chez les habitants des îles Mariannes, la même douceur de
mœurs que les historiens japonais attribuent à leurs ancêtres du
septième siècle avant notre ère ; et la peinture que La Pérouse
et Krijsenstern font des familles d'Ainos qu'ils ont rencontrées
aux îles Kouriles, établit une analogie frappante entre la vie
sociale de ces indigènes et celle des patriarches de la Bible, dont
le type moral s'est également conservé chez quelques hordes
arabes visitées par nos voyageurs les plus récents.
Dans les profondes vallées du Népal, où depuis le deuxième
siècle les sectateurs du bouddhisme, chassés par les Brahmines,
se sont cachés à l'abri des montagnes, le culte de Bouddha s'est
conservé pur jusqu'à nos jours. De là jaillit une grande lumière
sur les dogmes et les rites qui constituent cette antique religion;
et ses rapports avec le catholicisme acquièrent bien plus de vrai-
semblance par l'inspection des temples du Népal, car elle nous
montre l'identité des architectures bouddhique et gothique, sans
DIT MUSÉE Dinnxor.iîAi'HTi': 233
compter que dans riulérieiir de ces édiiicos on retrouve même
l'œil qui voit tout, l'un des symboles les plus célèbres parmi
les chrétiens.
Il existe donc des preuves réelles do la filiation des peuples
dans toutes les parties du monde ; mais ces preuves, nous n'avons
pas toujours su les dégager. Souvent nos préoccupations per-
sonnelles nous aveuglèrent ; d'autres fois, les circonstances sous
l'empire desquelles nous entrâmes en rapport avec les peuples
ne nous permirent pas de les contempler dans leur véritable jour.
Troublés par nous dans le repos de leurs foyers, blessés dans
leurs sentiments de famille par la violence de nos passions, ils
nous apparurent tout différents de ce que la nature les avait
faits. Peu d'Européens eurent le privilège et l'art de surprendre
dans leur état calme et normal ces peuples, que des préjugés
injustes avaient llétris du nom de sauvages ; mais le petit nom-
bre de voyageurs qui les étudièrent ainsi ne manquèrent pas de
reconnaître en eux des qualités qui prouvaient l'antique filiation
de tous les habitants du globe. Dès lors, .en ce qui concerne
celles d'entre les races humaines qui n'ont pas laissé de monu-
ments, et par conséquent pas d'histoire, il est impossible de
retrouver des vestiges de leur filiation ou de leurs migrations
sans appeler à son secours l'étude comparée de leurs cultes et
de leurs mo'urs, ainsi que la connaissance de la culture intellec-
tuelle ou industrielle que chaque nation avait acquise, soit à
l'époque de sa découverte, soit pendant la période qu'elle passa
hors du contact des sociétés qui l'ont devancée dans la civilisa-
tion. « L'homme^ avez-vous dit, Monsieur, avec l'immortel
Cuvier *, se montre dans les produits de son industrie, dans ses
efforls pour surmonter les obstacles que lui opposent la nature
et les climats, et dans le résultat de cette faculté toujours active,
et tendant continuellement à la perfection, qui est un des attri-
buts caractéristiques de notre espèce. » Le contraire a lieu pour
les peuples qui nous ont transmis des monuments dans les lieux
mêmes où ils ont été jetés par le hasard, acculés par des ennemis,
1) Ce texte, emprunté au Rapport de la Comvnaslon de 1831, réimprimé plus
liiiul (p. 174), est comme on l'a vu, d'Atjel Rémusat. (E.-H.)
234 LES ORIGINES
entraînés par leurs passions, ou danç lesquels la richesse fin
pays, la beauté du sol et du climat, les ont invités à fixer leur
demeure. Ceux-là, quoique disparus pour la plupart, ont écrit
en traits impérissables le tableau de leur filiation et de leurs
migrations, et même après la chute de leurs œuvres posthumes,
ils survivent dans la mémoire du monde éclairé.
Il faut le redire : ces antiques monuments, qui nous sont restés
et qui témoignent d'une culture intellectuelle du genre humain,
dont l'origine échappe aux calculs de la chronologie, n'appar-
tiennent déjà plus à sa période mythologique ; son ère historique
coïncide avec leur apparition. L'archéologie est donc devenue
une branche féconde des études historiques, et elle a gagné suc-
cessivement en importance, à mesure que des recherches ont pris
plus d'activité. Dans les deux derniers siècles, on a exploité des
matériaux immenses qui se sont conservés dans nos musées ;
mais il est à regretter que les savants archéologues d'alors se
soient occupés presque exclusivement de la triple antiquité hel-
lénique, romaine et sémitique. En thèse générale, leurs recher-
ches se bornèrent aux peuples anciens des terres classiques, ou
du moins elles ne s'étendirent pas au delà des populations pri-
mitives de la Germanie et de la Scandinavie. Les habitants de
l'Asie orientale, ceux des Indes, de la Chine et de l'Amérique,
n'ont qu'exceptionnellement attiré leurs regards. Les autres peu-
ples exlraeuropéens connus ont été presque oubliés ; et l'épithète
de « sauvages », qu'on leur donne vulgairement, suffisait par
elle seule à détourner d'eux l'attention du monde savant. Enfin,
au commencement du dix-huitième siècle;, on créa, dans quelques
capitales de l'Europe, des cabinets de raretés, et on y exposa des
armes, des costumes, des objets du culte et quelques autres
ustensiles des sauvages, parmi lesquels on avait choisi, comme
à dessein, les exemplaires les plus hideux pour constater la
bizarrerie et l'inhumanité de leurs mœurs. Quelques produits de
l'art et de l'industrie des peuples à demi civilisés furent con-
servés également, mais bien moins dans l'intérêt de la science
que par égard pour la haute perfection des arts techniques qu'on
avait trouvés chez ces barbares. Quant aux sciences mêmes, on
DU MUSKK d'eTHXOGRAPHIK 2^^
n'osa seulement pas supposer qu'elles pussent exister parmi eux ;
el dans leurs institutions religieuses et morales, dans leurs prin-
cipes de gouvernement et d'administration et dans toutes les
applications de cet ordre, on ne voulut à toute force voir que des
œuvres païennes et des maximes despotiques. Nous passerons
sous silence le fanatique vandalisme qui ne s'était rien moins
proposé que la destruction des manuscrits et des monuments si
précieux du Nouveau-Monde; il suffira de dire qu'un homme des
plus éminents, saint François-Xavier, crut reconnaître au Japon,
dans tous les rites du bouddhisme et dans les ustensiles de ce
culte, une imposture diabolique, à cause de leur analogie pal-
pable avec ceux du catholicisme, tandis qu'il regardait les bonzes
comme les serviteurs du mauvais esprit. L'ignorance en matière
d'ethnographie fut de tout temps un très grand obstacle à la
propagation de la foi chrétienne; et, j'ose le dire, elle suscite
encore aujourd'hui des embarras graves aux missionnaires les
plus zélés.
Je me suis permis cette digression afin de mettre en lumière
la faiblesse des connaissances ethnographiques et l'imperfection
des collections de ce genre aux siècles passés. Depuis la fin du
dix-huitième siècle, le cercle des découvertes géographiques s'est
beaucoup étendu, et les intéressantes relations de voyages faites
par Cook, La Pérouse, Forster et Pallas, ainsi que par d'autres
savants, ont excité un vif intérêt pour l'étude de l'état physique,
intellectuel, moral et industriel des peuples récemment décou-
verts. Dès lors, on a senti le besoin urgent d'établir des collec-
tions d'objets matériels rapportés des voyages lointains et qui
donnaient des renseignements précis sur l'état du culte, des arts et
des procédés industriels, dans les nations qui n'ont pas subi l'in-
fluence européenne. La fondation des collections de Goettingue,
de Saint-Pétersbourg, deWeimaretde Berlin datedecetteépoque.
L'expédition d'Egypte, dont les résultats précieux pour les
sciences sont dus au zèle de la commission qui vous compta,
Monsieur, parmi ses membres les plus distingués ; ce fameux
pèlerinage, entrepris par dévotion pour les arts et les sciences, a
imprimé une nouvelle impulsion aux études archéologiques et
236 LES OKIGINES
ethnographiques, branches de la science qui sont si propres à se
féconder l'une par l'autre. Et comme on admet de nos jours,
dans le domaine de l'archéolog-ie, tous les monuments et les
objets quelconques qui nous sont restés des peuples anciens et
disparus, soit civilisés soit barbares, tandis que, d'autre part,
l'étude de l'ethnographie comprend toutes les connaissances qui
concernent l'état intellectuel, moral et industriel des peuples
vivants sur notre globe, il s'ensuit que les musées ethnogra-
phiques font une suite indispensable aux musées archéologiques.
Les monuments de ces deux ordres de dépôts s'éclairent les uns
par les autres, et jettent un grand jour sur l'histoire des cultes,
des costumes, des mœurs et des arts parmi les nations mortes
et vivantes.
C'est par cette double conservation des ouvrages de l'un et de
Tautre ordre qu'ont produits les sociétés humaines séparées dans
le temps et dans l'espace ; c'est par des recherches que Ton
pourrait intituler recherches d'archéologie et d'ethnologie com-
parées, et qui se fondent sur les analogies frappantes que les
peuples désormais éteints et les peuples survivants présentent
entre eux; c'est à eu titre, Monsieur, que les collections archéo-
logiques et ethnographiques sont aujourd'hui devenues indispen-
sables pour l'étude sérieuse de l'histoire ancienne et moderne,
de la linguistique et de la géographie. Les recherches comparées
auront pour résultat des éclaircissements importants qui pour-
ront nous conduire à retrouver et à reconnaître les peuplades
déviées depuis des milliers d'années de la société humaine pri-
mitive, et séparées, je Tai dit, par l'Océan ou par des chaînes de
montagnes. De tels obstacles, insurmontables à toute culture
par voie d'enseignement mutuel entre les tribus ainsi isolées,
ont beaucoup contribué à conserver chez elles quelques impres-
sions caractéristiques de leur culture et les rudiments du culte
et des mœurs qui lui ont été particuliers ou communs avec les
autres branches de la grande famille humaine, à l'époque où
elles s'en sont écartées. Cependant, les traits qui font reconnaî-
tre ces tribus çà et là dispersées ne sont pas toujours évidents,
car ils ont été affaiblis par le temps et par des accidents nom-
DU MUSÉE d'ethnograph»: 237
brcux, modifiés par l'influence du sol et des climats, de la nour-
riture et des habitudes ; souvent enfin, presque eff'acés par le con-
cours de circonstances dont l'action est puissante sur la nature
humaine. L'auteur de l'Asie centrale s'exprime en ces termes :
« Il est dans le soulèvement des masses, dans l'étendue et l'orien-
tation des systèmes de montagnes^ dans leurs positions relatives,
des traits dominants qui, dès la plus haute antiquité, ont exercé
de l'influence sur l'état des sociétés humaines, déterminé les
tendances de leurs mig-rations, favorisé ou ralenti les progrès de
la culture intellectuelle. »
Ces chang-ements physiques ou moraux, opérés chez les diffé-
rentes peuplades du monde, créent donc des embarras sérieux
aux recherches comparées des ethnog'raphes ; le succès dépendra
beaucoup du choix des objets rassemblés, de l'ordre systéma-
tique dans lequel on les dispose, de l'art de les g^rouper pour en
tirer des conséquences générales.
Au point où nous en sommes dans cet entretien, permettez-
moi, Monsieur, de vous céder encore la parole : « Il semble,
dites-vous, que, parmi les ouvrages de l'industrie extraeuro-
péenne, on devrait choisir surtout une certaine classe d'objets,
comme étant très propres à caractériser le degré ou le genre de
la civilisation. Je veux parler des instruments qui servent à
exprimer et à transmettre le sentiment musical, mode d'expres-
sion inné chez tous les hommes ; il faudrait s'attacher à réunir le
plus complètement possible tous les instruments à vent, à corde
et de percussion appartenant aux peuplades. S'ils sont sembla-
bles ou analogues à ceux dont l'ancien monde civilisé a fait
usage, on en pourra tirer des inductions sur l'origine de ces peu-
plades ; s'ils en diffèrent absolument, ils donneront lieu à d'utiles
remarques sur le génie inventif des différentes tribus et sur le
goût particulier aux hommes des diverses races. On peut en dire
autant des différents jeux et des objets servant aux exercices
gymnastiques. Tous ces objets, dessinés par les voyageurs, sans
vérité ou d'une manière fugitive (quand encore ils ont eu le
temps de les copier), perdent encore à la gravure, cL aucune des-
cription no peut les suppléer.
238 LES ORIGINES
« Outre les armes et les armures de toute espèce, il faudra
rechercher les outils employés dans les arts et dans le travail
des métaux, les ustensiles variés de Féconomie domestique et de
l'agriculture, les monnaies, poids et mesures, les tissus de tout
genre, les ornements de parure, souvent très riches par la
matière, par la forme et par le dessin ; puis, les ornements et les
symboles du culte et des superstitions, tels que les talismans,
les trépieds et les autels portatifs, les divers signes extérieurs
des cérémonies de la religion ; enfin, tout ce qui constate l'état
des mœurs, des préjugés et des idées sociales et religieuses. Joi-
gnons encore à cette énumération les peintures et les reliefs qui
expriment le caractère de la physionomie, quand ils sont l'ou-
vrage des indigènes mêmes. Je n'en excepterais pas certains cos-
tumes, comme on en voit dans l'Afrique centrale et occidentale,
dont les voyageurs ne remarquent souvent que la bizarrerie,
mais qui éclaircissent les usages civils ou religieux, ou des
superstitions d'un genre particulier. La collection de tous les
instruments matériels qui servent à compter, peser et mesurer,
serait, à elle seule, d'un haut intérêt : enfin, que de matières
précieuses et d'objets des trois règnes mis en œuvre par les indi-
gènes, et qu'il serait avantageux de réunir !
« Si les Espagnols, au lieu de détruire ou de laisser disperser
les ouvrages de l'industrie américaine, les produits des arts des
Mexicains, des Péruviens et surtout de l'Amérique centrale, les
avaient, au contraire, conservés avec soin et rassemblés dans une
grande collection ; si l'on avait constaté la situation sociale des
Américains au jour de la conquête, certes, on aurait aujourd'hui
des lumières sur leur origine, on n'en serait pas réduit à des con-
jectures sur ce qu'il faut penser de l'état primitif des aborigènes ;
on saurait enfin plus positivement si leur civilisation a eu plu-
sieurs sources, plusieurs degrés, plusieurs périodes ^ »
J'aurai peu d'observations à faire sur celte exposition, à
laquelle je veux seulement ajouter que chez les peuples extraeuro-
1) Considérations sur l'objet et les avantages d'une collection spéciale con-
sacrée aux Cartes géographiques et aux diverses branches de la géographie,
par M. .1. Viuls, 1831. Pa-e 20. - Voy. plus haut, ir XXIV.
DU MUSÉE d'ethnographie 239
péens qui sont déjà avancés dans la civilisation, l'intérêt des
recherches d'ethnologie comparée demande quelquefois que
l'on se procure des objets domestiques el d'autres ustensiles
dont leurs grossiers aïeux ont fait usage^ et qu'ils ont emportés
dans leurs tombeaux. Ces objets, quoiqu'ils appartiennent à
l'archéolog-ie, doivent entrer dans les collections ethnographi-
ques, car les produits de cette période, que nos antiquaires
appellent l'âge des pierres {Steinzeitalter), nous donnent les ren-
seignements les plus précieux sur la filiation, les migrations et
les relations des peuples les plus éloignés les uns des autres.
J'ai démontré ailleurs l'importance de recherches pareilles, dans
les Archives de Nippon \ oi\ j'ai raconté que j'avais trouvé à
grande distance du Japon,, dans l'île Silcha, Tune des Aleutes,
habitée par les sauvages Koljouches, les mêmes pointes en
pierre qui étaient autrefois employées par les anciens Japonais,
et dont les Koljouches font encore usage en les fixant sur leurs
flèches et leurs lances d'après les mêmes procédés.
En ce qui concerne les ornements et les symboles du culte,
que vous recommandez à l'attention des ethnographes, je dois
rapporter, à l'appui de votre opinion, un résultat très curieux de
mes recherches comparées sur cette matière. Vous connaissez.
Monsieur, le signe de la croix brisée % vulgairement nommé
le marteau ou signe de Thor {Thorshammer^ T/iorszeichen). Ce
signe, que les anciens habitanls de la Germanie ont sculpté sur
leurs chênes sacrés et gravé sur les autres monuments relatifs à
leur culte, je l'ai retrouvé au Japon. Dans cet empire, il est
représenté sur les pierres funéraires, marqué sur la poitrine des
idoles du bouddhisme et appliqué aux ornements symboliques.
1) Nippon, Archiv zur Beschreibuny von Japmi, Ablli. II, V<lk iind Staal :
Blick aafdie. Steinwaffen der TJrbeivohncr der Japaniachen Inseln. {Nippon, ou
Description du Japon, part. II, Peuple et État: Coup d'ail sur les armes en
pierre des habitante primitifs des Iles japonaises.) Page 43.
2) Ce signe se trouve parmi les anciens caractères idéouTaphiqiies chinois et
japonais, et on le prononce ouan ou man, ce qui signifie: dix mille. Une îles
divinités bouddhiques qui le porte sur la poitrine s'appelle en conséquence:
man darono mida (dix raille ouan). On pourrait reconnaître dans ce symbole
r.ittribut d'une chose indéfinie, d"un être étern»"].
240 LES ORIGINES
En Chine, ce signe sert au même usage ; il décore les frontispices
des pagodes tubétaines, et on l'a découvert aussi dans le Boutan,
où domine le culte de Lama. Tout récemment, des fouilles
exécutées en Allemagne, dans un ancien cimetière des Wendes,
ont mis au jour une urne en terre cuite qui portait encore la
mystérieuse croix brisée. Au Japon, comme en Chine, elle est
essentielle dans la composition des cadres et des autres orne-
ments de l'architecture et de la peinture. Elle y forme aussi le
sujet de presque toutes les bordures qui rappellent le style grec,
et ce genre de cadre, ornement très compliqué que j'ai voulu
reproduire sur l'enveloppe de l'Atlas de mon Nippon^ parce que
les Chinois et les Japonais l'affectionnent depuis les temps les
plus reculés, vient d'êlre aussi découvert en Grèce. Le roi des
artistes, à Munich, frappé de l'élégance de cette antique pein-
ture, en a fait une décoration pour le plafond de son nouveau
palais. Voilà donc le rameau indien, germain et pélasgique de la
race blanche ou caucasienne qui se trouve en rapport avec le
rameau sinique de la race jaune ou mongole. J'en rapprocherai
également le rameau américain, en ajoutant un autre fait : les
reliefs des ruines de Mitla, dans la province Oaxaca, dont le
nom rappelle la ville d'Oosaka, premier port de mer de l'empire
japonais, ces reliefs que M. le baron de Humboldt a reproduits
dans ses Vues des Cordillères, ont été reconnus par mes amis du
Japon ; ils leur ont appliqué les noms que ces ornements des
vieux âges portent chez eux et chez les Chinois. On sait que le
zodiaque commun aux Chinois, aux Mandchoux, aux ïubétains
et aux Japonais, se retrouve chez les Toltèques et les Aztèques,
anciens habitants du Mexique descendus du nord-ouest du con-
tinent américain, et qui apparurent au Mexique, les premiers,
dès l'an 648, les derniers, dès l'an 1196 après notre ère ; mais un
fait non moins remarquable, c'est que les Botocudos, peuplade
sauvage du Brésil, ont des mascarades dans lesquelles j'ai cru
reconnaître les images des signes du zodiaque anciennement
représenté par les Japonais dans leurs fêtes populaires.
Mes savants amis japonais, qui ont examiné soigneusement
les planches des Vues des Cordi Hères, ont également reconnu avec
nu MUSÉE d'ethnographie 241
moi l'identité des nombres cardinaux et la grande ressemblance
qui existe entre le calendrier des Muyscas de Bogota et celui de
leurs propres ancêtres. La figure do l'oiseau mythologique Fô ou
Foung, que les Chinois et les Japonais représentent sur les fron-
tispices de leurs temples et sur les sanctuaires de leurs dieux
domestiques, nous rappelle le globe ailé qui pare les corniches
des temples de l'Egypte, dont plusieurs outils et objets domes-
tiques sont parfaitement analogues à ceux des pays que je viens
de nommer. On pourrait, d'après cet indice, retracer un rameau
araméen sur le tronc commun des peuples.
Les systèmes que nous avons admis, vous, Monsieur, et moi,
dans la classification des objets ethnographiques, sont, il est
vrai, différents ; le vôtre facilite les recherches comparées on
rangeant les uns après les aulros les objets de même nature, do
même destination, empruntés à plusieurs peuples ; le mien, au
contraire, conserve l'ordre géographique, et rassemble les pro-
duits divers d'une seule et même nation. Dans une armoire de
votre collection on pourrait, par exemple, embrasser d'un seul
coup d'œil la série entière des miroirs en bronze de toutes
sortes de peuples ; elle commencerait^ d'après vous, par les
miroirs japonais, objets de luxe qui sont tout à fait semblables
à ceux dont les anciens se servaient pour le même usage. D'autre
part, un salon de ma collection expose dans tout son ensemble
la richesse et la haute perfection des objets technologiques au
sein de la société japonaise ; un autre salon vous fora connaître,
chez les habitants de la Nouvelle-Guinée, la pauvreté et l'imper-
fection des ustensiles, dos vêtements et des autres objets indis-
pensables, même dans l'état de l'homme le plus sauvage.
J'admire d'ailleurs l'enchaînement ingénieux dans lequol vous
présentez les différents objets ethnographiques, parce qu'il est
établi sur un système naturel et qu'il nous montre l'homme
depuis le plus bas degré de son développement industriel jusqu'au
plus haut degré de son développement scientifique. Vous com-
mencez vos collections par les objets qui sont nécossau'os aux
premiers besoins de l'homme à l'état de nature, et qui se rappor-
tent à sa nutrition ; enfin, votre série se termine par les plus
242 LES ORIGINES
nobles productions des arts et des sciences. Un ordre semblable
est assez large pour embrasser Fexistence de tous les peuples
qui sont sur la terre, soit qu'on se propose de les comparer entre
eux, soit que l'on cherche à les étudier séparément. On pourrait
nommer méthode ethnologique proprement dite cette juxtapo-
sition des objets de même nature recueillis chez des peuples
différents, laquelle est peut-être plus appropriée à l'étude géné-
rale de l'ethnographie ; tandis que l'étude pratique des peuples
pris séparément, l'ethnographie spéciale, en un mot, me semble
demander, de préférence, une division par peuple. En ce cas, le
meilleur parti, c'est de subdiviser les peuples en grandes familles
naturelles, sans rigoureusement s'astreindre à ce qu'il y a d'arti-
ficiel dans les limites posées par nos géographes.
Lorsqu'un Etat possède des colonies, ou qu'il entrelient des
relations suivies avec des pays extraeuropéens, il importe que,
dans ses collections, les produits de chaque contrée forment une
catégorie distincte. Une collection d'ethnographie, classée d'après
ce plan, sera l'école primaire des hommes qui se disposent à
partir pour les colonies ou les pays étrangers, surtout quand ils
doivent s'y rendre en vertu d'une mission spéciale et de nature
à les mettre en relation intime avec les habitants. Missionnaires,
savants, voyageurs-naturalistes, employés militaires ou civils,
marchands et marins, tous pourront, avant de quitter le pays
natal, et sous la simple direction d'un catalogue raisonné,
acquérir, dans un musée de ce genre, des connaissances prépa-
ratoires qui seront d'ua prix inestimable pour leurs travaux ulté-
rieurs. Ils ne seront plus étrangers alors aux productions usuelles
du pays qu'ils se proposent de visiter et à l'état intellectuel et
industriel du peuple qui l'habite. Le missionnaire qui connaît le
culte et les mœurs du peuple dans lequel il veut répandre les
germes de la foi, ne risquera pas de les voir tomber dans une
terre que la charrue n'aura point préparée. Le fonctionnaire civil
étudiera la nation dans ses institutions sociales. L'officier pourra
d'avance examiner les armes, les armures et les autres instru-
ments de défense employés par les indigènes. Le commerçant
saura quelles matières premières offre le sol, et quelles produc-
DU MUSÉE d'ethnographie 243
lions industrielles le peuple livre à sa spéculation. Il est donc
toujours très avanlag-eux de donner à ces collections ethnogra-
phiques une extension qui puisse les élever au rang d'une expo-
sition de l'industrie des peuples avec lesquels on entretient des
relations. Elles éveillent l'attention puhlique sur les nouveaux
articles d'importation, et sollicitent souvent nos artistes et nos
fabricants à des imitations heureuses.
Quelle influence les objets d'art et de commerce de la Chine,
abondamment importés et favorablement accueillis en France
dès les premiers temps, nont-ils pas exercée sur l'industrie des
Parisiens, dont le goût exquis s'applique avec tant de succès à
l'anoblissement des formes chinoises primitives. Vous-même,
Monsieur, vous avez dit ainsi que Cuvier : « Notre industrie
européenne^ toute perfectionnée qu'elle puisse être, ne peut que
gagner à des comparaisons qui doivent l'enrichir encore en sug-
gérant ou des procédés plus simples, ou des usages nouveaux de
substances naturelles négligées chez nous, ou étrangères à nos
climats ; enfin, l'histoire, la philosophie, et même la littérature,
peuvent trouver une utile assistance dans l'inspection d'armes,
d'instruments ou d'outils dont les descriptions, prises dans les
auteurs, resteraient souvent vagues, obscures ou inintelligibles.
Ainsi, la connaissance de l'homme, de son génie commercial et
industriel et de son état social aux différentes époques et dans
les différentes parties du monde, exige indispensablement la
réunion de tous les objets dont cette connaissance peut se tirer
d'une manière directe, complète et incontestable'. »
Un dernier mot. Monsieur. Je m'aperçois, quoique un peu
tard, que je ne vous ai rien appris de nouveau, car enfin per-
sonne plus que vous n'est pénétré des principes que j'ai tâché
d'établir. Du reste, c'est un malheur dont je suisamplement con-
solé parla satisfaction d'avoir pu vous dire combien je suis moi-
même rempli des sentiments qui vous animent, vous qui recon-
naissez avec moi qu'il est temps, ou jamais, pour les capitales
des empires de l'Europe civilisée qui possèdent des colonies ou
1) Nouvel emprunt au rapport d'Abel-Rémusat, attribué ici à Jomard et
Cuvier. (E. H.)
244 LES ORIGINES
qui se proposent d'en fonder, de créer dans leur sein des musées
de géographie et d'ethnographie, dont l'existence est une con-
dition de rigueur à la réussite de leurs entreprises.
« Si l'on veut connaître et conserver l'histoire des races humai-
neS;, dites-vous, il faudra se hâter de rassembler les éléments de
leur état natif, et de préférence les produits de leur industrie,
ouvrages d'un art quelquefois encore dans l'enfance, mais qu'il
est intéressant d'observer dans ses développements. )>
Aurai-je besoin, après cela, de vous donner encore l'assurance
de ma sympathie pour votre projet, moi qui, depuis mon retour
en Europe, m'occupe d'un projet tout pareil en tâchant de réa-
liser en Hollande, dans ma seconde patrie, un établissement
analogue à celui dont vous, Monsieur, cherchez à doter la capi-
tale de la France? C'est dans cette intention que j'ai déposé
dans le royaume des Pays-Bas toute la collection ethnogra-
phique dont j'avais réuni les éléments pendant un séjour de sept
années au Japon, et qui consiste en manuscrits, imprimés,
cartes, dessins, peintures, monnaies, vases, idoles et pagodes,
armes, armures, vêtements, outils et instruments divers, pro-
duits des arts de toute espèce; enfin, dans mille objets curieux et
nouveaux. Cette collection, la plus vaste et la plus précieuse de
ce genre, j'ose le dire, qui fut jamais formée et rapportée des
pays lointains par aucun voyageur, je l'ai spontanément cédée
au gouvernement sous les auspices duquel j'avais entrepris mon
voyage au Japon. Voir mes collections déposées et conservées
dans un asile national, tel fut le principal motif qui me détermina
à m'en dessaisir, et le sentiment du devoir et de la reconnais-
sance m'ont rendue facile la résolution de céder à l'Etat ces
souvenirs précieux, les seuls trésors, je l'avoue sans rougir, que
j'aie rapportés des Indes Orientales. Toutes les fois que je ren-
contre des objets ethnographiques exposés en plein vent aux
devantures des magasins ou abandonnés dans les bazars, je plains
sincèrement les voyageurs qui les ont recueillis dans les pays
lointains, au prix de tant de peines et souvent de dangers, qui
les onl conservés et rapportés en Europe dans l'intention d'orner
les musées et d'enrichir les arts et les sciences de leur patrie. Je
DU MUSÉE d'ethnographie 245
les plains, ces pauvres voyageurs, qui peut-être, après avoir été
longtemps déçus par de vaines espérances, se seront vus forcés
par le besoin de vendre à vil prix leurs curiosités exotiques.
Dans presque toutes les grandes villes de l'Europe j'ai rencontré
ces tristes débris, et parfois les étiquettes qu'ils portaient encore
m'ont appris les noms des voyageurs distingués, ou même des
expéditions scientifiques entreprises par ordre des gouverne-
ments auxquels ces objets avaient appartenu. D'abord, j'étais
tenté d'accuser les administrations des établissements scientifi-
ques d'avoir perdu de vue des objets d'un intérêt si grand ; mais
j'apprenais bientôt que, pour la plupart des États européens, la
principale cause de cet abandon résidait dans l'inconcevable
indifférence des gouvernements à l'égard des objets d'ethnogra-
phie, et dans l'économie mal entendue des départements de
l'instruction publique.
Parmi les obstacles qui s'opposent à l'extension et au perfec-
tionnement des établissements consacrés aux études ethnogra-
phiques, je dois compter l'égoïsme des conservateurs de collec-
tions publiques, quelles qu'elles soient, qui jamais ne consen-
tent à céder des objets qu'une méprise ou le hasard ont mis en
leur pouvoir, ou qu'un abus invétéré a joints aux pièces qui
leur sont confiées. Malheureusement, ce provincialisme se
retrouve dans toutes les capilales. Après avoir examiné presque
tous les établissements de TEurope, je me suis convaincu
qu'en centralisant sur un seul point les trésors ethnographiques
dispersés dans plusieurs musées, et cela sans ordre, sans but,
sans utilité, rien ne serait plus facile à la France, à l'Angleterre.
à la Russie et à plusieurs États de l'Allemagne, que de former
des collections d'ethnographie qui seraient importantes pour la
science et curieuses pour le public. Ces objets, sans rapports
réels avec la destination des établissements où ils sont déposés,
n'offrent actuellement qu'une faible utilité, en comparaison de
celle qu'ils recevraient par leur réunion même, dans un dépôt
spécial, où viendraient affluer les produits des recherches et des
découvertes dues aux voyageurs divers.
C'est à dessein que j'ai passé sous silence la Hollande, qui ne
246 LES ORIGINES
mérite pas d'être comprise dans cette catég-orie. Son gouverne-
ment, depuis l'an 1815, a fait des etTorts prodigieux et consacré
des sommes immenses à la création d'établissements nationaux
destinés à l'étude des sciences physiques, de l'archéologie et de
l'ethnographie, établissements dont aucun n'existait dans ce pays
avant la Restauration. J'invoquerai le témoignage des illustres
professeurs du Jardin du Roi^ vos savants collègues, Monsieur,
à l'Institut de France, et dont plusieurs, comme vous, en visi-
tant nos établissements de ce genre, ont été grandement surpris
de rencontrer à Leyde des collections qui non seulement peuvent
rivaliser avec celles de Paris, mais qui même les surpassent
dans certaines spécialités par leur état de fraîcheur et de parfaite
conservation. Les noms des célèbres fondateurs de ces établisse-
ments, MM. Temminck, Reinwardt, Blume, Reuvens et Lee-
mans^ font autorité toutes les fois qu'il est question de la valeur
scientifique de ces collections inappréciables. Mais après avoir
donné de justes éloges aux fondateurs des établissements
dont je viens de parler, je dois remplir un autre devoir non moins
sacré, en rappelant que depuis 1815 le gouvernement des Indes
Orientales hollandaises, représenté par des hommes d'État dont
les noms sont immortels dans les fastes des colonies, a contribué
puissamment à les enrichir par les recherches scientifiques qu'il
a ordonnées, et dont il a supporté les frais qui se montent à
plusieurs millions de francs.
Aussi les collections d'ethnographie acquises dans ces der-
niers temps par le gouvernement des Pays-Bas sont-elles con-
sidérables, et il suffira de signaler les trois collections formées
au Japon par MM. Blomhoff, Van Overmeer-Fisscher et par moi,
qui présentent toutes les richesses ethnographiques de cet
empire et de quelques pays voisins, et qui s'élèvent à une valeur
de plus d'un demi-million de francs. Je puis donc affirmer.
Monsieur, qu'aucun Etat d'Europe n'a fait en faveur de notre
science d'aussi grands efforts que la Hollande^ même à l'époque
de ses récents embarras politiques et pécuniaires. On n'a pas
encore, il est vrai, réuni tous ces matériaux pour en former un
seul musée spécial ; mais telle est néanmoins la ferme intention
DU MUSÉE d'ethnographie 247
de mon gouvernement, et j'espère voir s'élever bientôt, sous les
auspices du roi Guillaume II, ce généreux protecteur des arts
et des sciences, un monument national dont les fondements ont
été posés par son auguste père.
Si je me félicite d'avoir contribué pour ma part à la création
en Hollande d'un musée pour ma science favorite, je désirerais
ardemment aussi me voir à même de déposer en France quelques
objets rapportés du Japon, et qui pussent aider à combler les
lacunes de la collection. Mais il ne me reste qu'une seule pièce
rapportée de ce pays, un souvenir curieux et intéressant, il est
vrai : c'est une boîte sortie en 1828 de la main d'un artiste japo-
nais, avec le portrait de l'empereur Napoléon, copié sur le fron-
tispice de V Histoire de Napoléon et de la Grande Armée, de M. de
Ségur. Le portrait, fait en mosaïque de nacre, prouve, par sa
frappante ressemblance, la scrupuleuse exactitude de cette nation
dans l'imitation des objets d'art. La boite elle-même est faite
du bois léger de la Paulownia Imperialis, le plus bel arbre du
Japon et de la Chine, que l'on cultive avec succès en France
depuis quelque temps ; et le vernis noir et or dont elle est en;
duite peut donner une idée de la haute perfection atteinte par
les Japonais dans l'art de vernir. Cette pièce, qui constate que
la mémoire de l'Empereur se conserve à l'extrémité du monde,
est précieuse pour la France. Je confie donc à vos soins, Mon-
sieur, cet objet d'art exotique, en vous priant de le déposer en
mon nom au centre des collections géographiques et ethnogra-
phiques, que vous formez pour la grande Bibliothèque royale ^
J'ai l'espérance de voir, par ce dépôt, se développer le noyau
d'un musée ethnographique à Paris, aussi rapidement que les
rayons rejaillis, de la gloire du grand homme dont le portrait est
reproduit par une main japonaise, ont illustré la France et se
sont répandus jusqu'à ses antipodes.
1) Celte boîte, longtemps conservée à la Bibliothèque de la rue Richelieu, a
été déposée au Musée d'Ethnographie du Trocadéro, le 30 novembre 1884 par
M. Léopold Delisle. Elle porte aujourd'hui le u° 13113 de nos inventaires.
(E.-H.).
248 LES ORIGINES DU MUSÉE d'eTHNOGRAPHIE
Agréez, Monsieur, l'assurance do la considération la plus dis-
tinguée de votre très humble et très obéissant serviteur.
De Siebold.
Paris, avril 1843.
CHAPITRE X
Réponse de Jomard à Siebold. — Plan d'une classification ethnographique.
N" LXVIIi
LETTRE
A M. PH.-FR. DE SIEBOLD SUR LES COLLECTIONS ETHNOGRAPHIQUES *
Monsieur,
Deux ans se sont écoulés depuis que vous avez communiqué
au public européen vos lumineuses considérations snrV utilité des
musées ethnographiques, dans une lettre que vous m'avez fait l'hon-
neur de m'adresser, honneur auquel je n'avais d'autre titre que la
persévérance, la continuité de mes efforts pour l'établissement en
France d'une collection ethnographique et scientifique générale,
renfermant les produits des arts et de l'industrie des peuples
lointains placés en dehors de la civilisation européenne. Quel a
été le résultat de ces deux années d'attente, quelle a été l'in-
fluence de l'appel que vous avez fait au public lettré des divers
Etats, aux esprits méditatifs, aux observateurs philosophes, aux
gouvernements eux-mêmes? J'ignore s'il s'est élevé quelque
nouveau musée de ce genre dans une partie ou dans une autre
de notre continent, ou peut-être dans les colonies. Mais, je
1) Celle lettre, qui forme une bi'ociiiire de vingt pages (Paris, impr.
de Bourgogne et Martinet, 1845, in-8), n'est autre qu'un tirage à part d'un petit
travail intitulé : Des colleciions géograp/dques, lu à la Société de géographie de
Paris, le 6 juin 1845, et imprimé au Bulletin de cette Compagnie (3o série,
t. m, p. 388-402, juin 1845), Jomard a tait mettre en tête de cet opuscule
les trois pages ci-dessus.
250 LES ORIGINES
regrette de le dire, la question n'a pas fait un pas parmi nous,
faute de ressources apparemment, plutôt que faute d'attention
ou d'intérêt; aucune mesure n'a été ordonnée pour commencer
l'exécution d'un projet aussi utile, aussi digne de l'état actuel
des connaissances, aussi bien en harmonie avec la direction des
idées et la tendance des études vers l'histoire des races et celle
des progrès de l'esprit humain; mais je ne puis me persuader
que les arguments sans réplique, les puissantes réflexions dont
votre lettre abonde, aient laissé indifférents les hommes éclairés
et même les hommes d'Etat philosophes qui ne manquent pas
en France.
Attendant toujours que l'autorité supérieure prenne en consi-
dération les vues et les idées souvent exposées à cet égard, idées
corroborées par la manifestation éclatante sortiede votre plume;
craignant cependant encore de nouveaux retards malgré le poids
d'un suffrage comme le vôtre. Monsieur ; malgré l'autorité d'un
voyageur qui s'est illustré par ses découvertes et ses longues
pérégrinations à Textrémité orientale du globe, j'ai cru devoir
tracer ici en peu de mots V Essai de classi/icatio?ia.[ique\ vous avez
fait allusion. Ce travail, tout imparfait et tout incomplet qu'il
est, trouvera, je l'espère, grâce à vos yeux, à cause de la sym-
pathie qui vous a fait venir en aide à l'entreprise, sentiment
libéral et généreux, sur l'appui duquel je compte toujours pour
le succès. Quand la première idée d'une telle collection m'est
venue, j'étais, vous le savez. Monsieur, au delà des cataractes (il
y a de cela, malheureusement pour moi, près d'un demi-siècle) :
ce fut à la vue de la lyre des Nubiens, la même qu'on a décou-
verte depuis lors dans la Haute-Ethiopie, la lyre à cinq cordes,
dont le corps sonore est la carapace d'une tortue. Voilà donc,
me disais-je, la lyre de Mercure retrouvée bien loin du théâtre
de la mythologie grecque. Je commençai dès lors une collection,
dont je sentais l'utilité, pour l'étude de l'homme et de ses diverses
races, comme pour constater leur degré de civilisation.
Depuis, j'ai vu passer sous mes yeux et se disperser sans fruit
nombre de collections ethnographiques, faute d'un point central
qui les réunît toutes. Une décision fut prise il y a dix-huit ans,
DU MUSÉE d'ethnographie 251
et une autre dix ans plus tard; l'une et l'autre sont restées lettre
morte, en dépit de la signature royale; mais l'avenir ne man-
quera pas (j'espère encore le voir) à une pensée à la fois scien-
tifique, patriotique et nationale.
Quelle que soit l'issue de ma nouvelle tentative, veuillez,
Monsieur, agréer cet essai comme une marque de ma recon-
naissance et de la haute considération avec laquelle j'ai l'hon-
neur d'être,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
JOMARD,
Membre de l'InFtitut de France, ancien Commissaire
du Gouvernement pour la publication de la des-
cription de l'Egypte, Conservateur-Administrateur
de la Bibliothèque royale (collection géogra-
phique).
DES COLLECTIONS ETHNOGRAPHIQUES
1. Caractère et essai de classification d'une collection
ethnographique.
Ce n'est que depuis une époque assez récente que les voyages
de découvertes et les études géographiques se sont dirigés vers
une branche d'observations jadis négligées, ou qui, du moins,
dans le siècle dernier, occupaient une faible place parmi les
travaux des explorateurs et ceux des érudits. Il fallait, il est vrai,
pour connaître le globe, commencer par fixer la position des
lieux, établir leurs distances vraies et leurs situations respec-
tives, leur élévation relative et absolue, étudier enfin leurs pro-
ductions naturelles : en d'autres termes^ on devait commencer
par la géographie proprement dite et la géographie physique.
Aujourd'hui le plan de la terre ne suffît plus à notre avide
curiosité ni au progrès actuel des connaissances ; ce plan est,
d'ailleurs, assez avancé pour qu'on tourne ses efforts d'un autre
côté, plus important encore ; je veux parler de la distinction des
races humaines et de la connaissance universelle de leurs idiomes.
2S2 LES ORIGINES
de lear caractère physiog-nomonique et de leur état social : c'est
ce que l'on commence à faire chez presque toutes les nations de
l'Europe. Il est maintenant peu de voyages où cette étude ne
soit recommandée. En Allemagne, en Angleterre, en Russie
comme en France, les déterminations géographiques et l'histoire
naturelle ne sont plus le seul objet des instructions données aux
voyageurs, et Ton y ajoute des questions spéciales sur l'homme
et son état physique. L'objet de cette sorte de recherches est
désigné par les mots d'Ethnographie et d'Ethnologie. Après tout_,
n'est-ce pas le but final que l'on doit se proposer dans la descrip-
tion de la terre habitable ? Les relations d'échange que nous
avons ouvertes ou que nous voulons ouvrir sur tous les points
du globe, la pensée civilisatrice dont l'Europe chrétienne est
animée et préoccupée, le plan conçu d'arriver graduellement à
la diffusion générale de la civilisation, des lumières, quels que
soient la nature, le caractère et la couleur des races ; ces nobles
vues, ces desseins si louables, ne reposent-ils pas sur la connais-
sance approfondie de toutes les différentes peuplades, et de leur
état moral et physique ? N'est-ce pas enfin marcher à l'accom-
plissement de la destinée humaine?
Mais quand on ne porterait pas l'ambition si loin, quand ces
projets seraient de pures utopies, n'y a-t-il pas encore là, pour
l'esprit et l'intelligence, un noble aliment à notre curiosité ?
Le rapprochement complet et la comparaison de tous les points
de vue sous lesquels peut être envisagé l'homme actuel, dans
tous les climats, ne peuvent manquer d'éclairer l'histoire du
passé. Bien des problèmes historiques ne pourront être résolus,
ou même abordés, qu'avec la connaissance parfaite de ces an-
ciennes tribus que le temps a peu modifiées, soit sous le rapport
de la constitution physique, soit enfin sous l'aspect des usages,
des mœurs et des institutions. L'histoire est donc intéressée,
comme les sciences philosophiques et les sciences naturelles,
au progrès des études ethnographiques.
Dans le principe de ces études, on s'est occupé uniquement
des idiomes, et l'on a même classé les différentes races d'après
les langues dont elles font usage. Autant de langues et d'idiomes,
DU MUSÉE d'ethnographie 253
disait-on, autant de groupes de la famille humaine ; on a reconnu,
depuis, qu'il était indispensable d'étendre l'acception du terme
d'Ethnographie appliqué à cette étude, l'étymologie du mot en
faisant d'ailleurs une loi. Nous pensons en avoir donné plus
haut une définition suffisante, et nous revenons à l'objet spécial
qui fait le sujet principal de cet essai.
Les œuvres de la main de l'homme, attentivement considérées,
peuvent souvent nous révéler ce qui a échappé à l'histoire, ou
bien n'a pas été conservé par la tradition : je veux dire le but
de leur composition, l'objet que leurs auteurs se sont proposé,
les moyens même dont ils ont fait usage pour les exécuter.
C'est ainsi que par l'étude réfléchie et persévérante des monu-
ments de l'antiquité, on peut deviner les secrets de son archi-
tecture. Il est même permis de dire que toute science peut être
comprise, appréciée et jugée par ses productions : ce principe^
que je crois général, est surtout applicable à la science ethno-
graphique.
L'histoire a gardé le plus complet silence sur les arts et l'in-
dustrie d'une multitude de peuples, et la plupart, d'ailleurs,
sont restés dépourvus d'historiens. Un grand nombre de ces
nations ont toujours ignoré et ignorent encore l'écriture. Est-ce
une raison pour renoncer à les étudier? Je ne le crois pas.
Toutes ces peuplades, si peu civilisées, si grossières qu'elles
soient, ont su travailler la pierre, le bois ou le métal. Toutes
ont eu des outils, des instruments avec lesquels elles ont modi-
fié les formes de la matière, suivant leurs nécessités, leurs goûts»
leurs idées. Toutes ont soumis par force ou par adresse les
divers êtres vivants de la création, et toutes ont agi sur la nature
morte pour l'approprier à leurs besoins. Il est donc naturel et
convenable, pour juger de leur aptitude et de leur industrie, de
rassembler les objets sortis de leurs mains, et de comparer ces
objets entre eux après les avoir disposés avec ordre, au moyen
d'une classification scientifique. Bien plus : quantité de ces pro-
duits de l'industrie portent le reflet de l'intelligence des hommes
dont ils sont l'ouvrage ; ils montrent quelle était chez eux la
tournure de l'esprit et des idées, en même temps qu'ils font con-
254 LES ORIGINES
naître matériellement leur dextérité plus ou moins ingénieuse.
L'examen de ces objets peut donc servir au côté moral des études
ethnographiques, comme à la connaissance de l'état des arts et
de l'industrie. Par exemple, s'il est vrai que les idées religieuses
ne sont étrangères à aucun des peuples de la terre, on doit
désirer de connaître quelles sont les formes extérieures de leur
culte, et par quelles images, par quels symboles de la nature,
ils ont représenté la puissance divine.
Les hommes, même peu cultivés, se sont élevés à la considé-
ration du nombre et de l'espace ; de là les rudiments plus ou
moins grossiers, ou imparfaits, de calcul ou de géométrie élémen-
taire. Des instruments leur ont servi à compter, peser, mesurer;
il importe de les rassembler. Il est plusieurs de ces peuples qui,
promenant leurs regards sur la voûte céleste, ont divisé la
marche annuelle apparente du soleil, et donné des dénomina-
tions aux groupes d'étoiles ; et il en est aussi qui ont donné une
forme, un corps à leurs idées sur ce sujet, et qui les ont figurées
sur le bois ou sur la pierre. Tous ont possédé des jeux, et ont
eu des instruments de musique : rien n'est plus général peut-être
que la pratique des fêtes, des jeux, des danses, des cérémoîjies,
des chants ; rien de plus universel que l'instinct musical : comme
si, partout, l'homme avait besoin de chercher un adoucissement,
un dédommagement à ses souffrances physiques et morales î
Les instruments de ces jeux sont donc infiniment curieux à
étudier, soit qu'ils n'aient eu pour but qu'un pur délassement,
soit qu'ils supposent un certain esprit de combinaison ou de
calcul numérique. Bien d'autres points, qui ^touchent au moral
et à l'intelligence de l'homme, peuvent être connus et compris
à l'aide des produits du travail de ses mains, méthodiquement
réunis : tel est le double objet des Collections et musées ethnogra-
phiques.
Sous un autre aspect encore, et non moins utile, ces collec-
tions méritent d'être appréciées. On a des exemples de figures
exécutées de la main des natifs, retraçant, comme on l'a dit,
les nuances délicates de la physionomie, avec une finesse de
travail faite pour surprendre chez des hommes étrangers aux
DU MUSÉE d'ethnographie 2S5
arts de l'Europe. Le caractère distinctif des individus s'y reflète
pour ainsi dire avec autant de fidélité que 'dans un miroir, et
mieux même^ quand ces fig-ures sont de plein relief ou en ronde-
bosse; avec le caractère physique, ces images semblent donner
aussi l'expression, l'air du visage : on doit les étudier avec soin
pour la connaissance des races.
Les progrès que fait sur le globe la civilisation chrétienne
depuis un demi-siècle, par suite des guerres et des. expéditions
de toute espèce, ont commencé à modifier profondément l'état
social des peuples lointains: les mœurs, les usages, les instru-
ments des arts et les ustensiles, tout jusqu'au langage, va s'alté-
rant chaque jour davantage. Bientôt peut-être il ne sera plus
temps de recueillir ces restes d'un passé qui disparaît et s'éva-
nouit sans retour. 11 faut se hâter de rassembler ce qui subsiste
encore '.
Une collection comme celle que je viens de définir, pour être
utile à l'étude, doit, je le répète, être classée avec méthode et
d'après un plan scientifique. Il faut que tous les pays y soient
représentés, moins l'Europe civilisée bien entendu, moins aussi
les autres contrées de la terre, gouvernées ou colonisées à l'euro-
péenne. — Il faut également que la collection renferme des
spécimens de toutes les classes d'objets propres à peindre le degré
d'avancement et l'état de l'industrie ; de manière que les pièces
soient assujetties à une double classification, à la classification
par matière et à la classification géographique. On va voir en
détail » celle que j'ai cru devoir adopter et que je crois aussi
pouvoir recommander comme tout à fait générale, comme suscep-
tible d'admettre les objets de toute nature, rapportés et à
rapporter par les voyageurs. La méthode est fondée à la fois
sur l'ordre des besoins naturels de l'homme et sur le dévelop-
pement ordinaire des sociétés humaines. En étudiant une telle
collection, depuis son commencement jusqu'à sa fin_, l'on aurait
1) Voir : Considérations sur l'objet et les avantages d'une collection spéciale,
consacrée aux cartes géographiques et aux diverses branches de la géographie.
In-8. 1831, pages 18, 63 et suivantes.
2) Voyez ci-après, page 16.
256 LES ORIGINES
SOUS les yeux un tableau successif et progressif de l'industrie
de l'homme, depuis ses besoins les plus impérieux jusqu'aux
développements du luxe.
En exposant ce plan de la classification, je dois rappeler que
les productions naturelles, que tout ce qui n'est pas travaillé
par la main de l'homme, en un mot, la nature brute, sont exclus
de la collection, de même que tout ce qui est le produit de nos
arts modernes : il n'est question ici que des œuvres de Tindus-
trie extra-européenne; ajoutons que pour être complète, la
collection doit renfermer des dessins ou des modèles partout où
les objets manquent, et aussi là où les originaux sont de trop
grande dimension, par exemple s'il s'agit des navires, des ma-
chines et des appareils divers plus ou moins volumineux.
Si l'on réfléchit à l'essence d'une telle collection, l'on ne
s'étonnera pas que le classement par ordre de matières précède
l'ordre géographique. L'on possède, en effet, des objets appar-
tenant à toutes les classes et à toutes les espèces ; mais on n'en
a point de tous les pays de la terre. La collection sera donc
divisée par nature d'objet, et sous-divisée par lieux. Cette double
division est propre à prévenir la confusion ; sans elle, la collec-
tion pourrait ressembler à un chaos, ou à un magasin d'objets
incohérents; inconvénient grave qui, sans doute, a contribué à
retarder chez nous la formation d'un vrai musée de cette espèce,
bien que l'utilité en soit incontestable'.
Les objets d'art étrangers, s'ils sont disposés dans un ordre
méthodique et instructif, ne seront pas examinés sans fruit
par les industriels, soit pour certains usages qui pourraient
entrer dans notre économie domestique, soit pour les produits
qui manquent à nos arts, soit pour la beauté des nuances tirées
de certaines substances colorantes, etc. Il existe en Afrique, par
exemple, des alliages ou plutôt des plaques longtemps restés
inconnus à notre industrie. Je citerai encore un instrument qui
a pour objet l'éducation physique, c'est-à-dire la gymnastique;
1) Jomard ajoutait tristemenl en reproduisant ce pHlit mémoire à la veille de
sa mon (voir plus loin pièce no LXXV)- « Mais, on ne songe guère à ce Musée
DE LA GÉOGRAPHIE ET DES VOYAGES, longtemps cspéré, Vainement attendu. »
DU MUSÉE d'ethnographie 257
c'est lin arc en fer, d'environ deux mètres de long : la corde est
aussi de fer ; c'est une chaîne très forte, et qu'il est extrêmement
difficile de tendre et d'écarter de l'arc. Celui qui s'exerce avec
cet instrument doit l'ouvrir assez pour laisser passage à la tête,
aux bras ou aux jambes, et successivement; mais ce n'est qu'avec
un assez grand cfîort musculaire qu'il peut en venir à bout, qu'il
peut séparer suffisamment l'arc de la corde et prévenir le danger
d'être serré comme dans un étau ; d'autres exercices du même
genre se feront sans doute remarquer dans une collection com-
plète.
II. Plan d'une classification ethnographique.
Je passe maintenant à une indication un peu moins générale,
mais très sommaire encore, des objets de la collection ethno-
graphique, objets propres à faire apprécier le degré de civilisa-
tion des nations lointaines et des peuples situés en dehors de la
civilisation européenne. On peut diviser en dix classes les pièces
de la collection des objets travaillés de la main de l'homme.
Ces classes sont les suivantes :
Classe P«. Images représentant la physionomie des indigènes.
II. Objets et ustensiles propres à procurer la nourriture.
III. Objets relatifs au vêtement.
IV. Objets relatifs au logement et aux constructions.
Y. Économie domestique.
VI. Objets propres à la défense de l'homme.
VII. Objets relatifs aux arts divers et aux sciences.
VIII. Musique.
IX. Mœurs et usages.
X. Objets de culte*.
La liste qui suit n'est qu'un abrégé très sommaire d'une liste
dressée méthodiquement, qui comprend l'énumération des objets
appartenant à une collection ethnographique générale, formée
des instruments, outils, ustensiles, vases, meubles et objets
divers de science, art et industrie des peuples lointains.
L'ordre suivi dans ce classement, comme je l'ai dit, est celui
1) Le rang qu'occupent les objets de culle est en dehors de tout classement.
17
2o8 LKS ORIGINtS
des besoins naturels de l'homme, et aussi de la marche progres-
sive de l'état social, telle qu'elle a clé observée chez toutes les
peuplades encore peu avancées.
Chacune des classes se divise en ordres; chaque ordre se divise
en plusieurs genres. La matière, la forme, la dimension, la pro-
venance des objets constituent Y espèce.
Après les images et figures diverses représentant la physio-
nomie (ce qui est l'introduction naturelle à la collection), viennent
les objets eux-mêmes, produits de l'industrie. Exposons d'abord
ici la série des besoins naturels de l'homme. Le premier, le plus
impérieux de tous, c'est celui de se nourrir; le second est celui
de se vêtir; le troisième est de s'abriter contre les injures de l'air
et l'intempérie des saisons. L'homme une fois nourri, vêtu, logé,
éprouve le besoin de se créer des instruments, ustensiles, meu-
bles, outils; ces objets sont plus ou moins grossiers, mais indis-
pensables pour tous les actes de la vie : c'est ce qui constitue
l'économie domestique.
Immédiatement après vient le besoin de sa défense; l'homme
se crée alors des armures pour se défendre des bêtes féroces, des
armes ofïensives pour les attaquer.
Arrivé à cet état, il commence à songer aux arts, aux sciences
et aux besoins intellectuels ; il recherche les jeux et les diver-
tissements, puis il s'occupe de chant et de musique; plus tard
des moyens de compléter l'expression de la pensée par l'amélio-
ration du langage et de fixer celui-ci par le moyen de l'écriture.
Delà dérive une série de coutumes, d'usages, de mœurs et d'ha-
bitudes diverses, le plus souvent dépendant de la nature du cli-
mat, quelquefois aussi transportés de pays lointains par suite
des migrations. C'est alors que le luxe entre dans les mœurs,
et que les peuples commencent à se policer davantage. Alors
enfin les idées religieuses, innées chez l'homme, prennent une
forme plus caractérisée et donnent naissance au culte extérieur
et aux symboles matériels.
Classe ^^ Représentation de la figure humaine.
Les objets de cette classe sont destinés à faire connaître la
physionomie des diverses races ; quelquefois ils servent en
DU MUSÉE D ETHNOGRAPHIE
259
même temps à distinguer, par le costume , les métiers, les pro-
fessions, les dignités, ainsi que les castes et les diverses tribus :
princes, magistrats, officiers, soldats, artisans, hommes du
peuple, etc.
On s'attache de préférence aux objets façonnés de la main
des natifs, surtout quand ces objets sont travaillés avec soin^ et
on a vu qu'ils le sont quelquefois d'une façon remarquable. Ces
objets soni, ou des statuettes, des fig-urines en relief, des
groupes, ou bien des portraits et des dessins, revêtus des cou-
leurs et des détails nécessaires'.
Ordre I^'". Les figures entières et les genres. Groupes et espèces :
figures en action, en mouvement^ etc.
Ordre IL La physionomie. Genres, etc. : portraits, bustes, têtes,
profils, etc.
Classe II. Arts qui servent à proctirer la nourriture.
Ordre Ie^ L'agriculture. Genres et espèces : les instruments :
1° boyaux, houlettes, bêches, charrues, socs,
herses ; 2° faux, faucilles, brouettes, fléaux, vans,
cribles; 3° appendice : dessins représentant les
travaux agricoles.
Ordre II. La chasse. Genres et espèces : 1" instruments, cou-
teaux, armes de chasse, équipements; 2° faucon-
nerie. Voir classe VI.
Ordre III. La pêche. Genres, etc. : instruments de pêche (filets,
lignes, hameçons, liaces, harpons, cannes, etc.).
Classe III. Arts qui servent à l'habillement.
Ordre P^ Vêtement du corps. Genres, etc. : costumes, tuniques,
manteaux, les diverses pièces de l'habillement;
tabliers, pag-nes , ceintures en différentes subs-
tances et étoffes, manteaux divers en peaux, en
plumes, en tissus, en peaux travaillées, peintes,
1) Selon Cuvier, il faudrait placer ici des écliantillons de crânes ou des pièces
moulées (Voyez le rapport de la commission Cuvier, au ministre, sur la création
d'une Collection ethnographique. {Bulletin de la Soc. de géogr. pour 1836, tome VI,
page 89, 2o série). — Cf. Documents, pièce n° XXXVII.
260 LES ORIGINES
ornées, etc.; étoffes d'écorces d'arbres, étoffes
en paille ; tissus divers en chanvre , lin , coton ,
soie, etc. (imitation des tissus naturels, végé-
taux) ; étoffes teintes de diverses couleurs.
Ordre IL Coiffures. Genres, etc. : coiffures en plumes, en filets,
en tresse; voiles, capuchons, calottes, toques,
turbans, bonnets, chapeaux, perruques et couvre-
chefs divers, casques, feutres.
Ordre III. Chaussures. Genres, etc.: sandales en sparterie,
cuir, etc. , bottes du Nord , patins de bain et au-
tres , raquettes en pays de neige , etc.
Nota. Parure, voy. classe IX.
Classe IV. Arts qui servent au logement.
Ordre I''^ Modèles de constructions. Genres., etc. : maisons,
pagodes, temples, chapelles, palais, châteaux,
tours, ponts, forts, fortifications, tombes, etc.
Ordre II. Outils et iîistru?nents. Genres, etc. : outils des maçons,
des charpentiers et des autres professions qui
s'occupent de constructions : truelles , pics , mar-
teaux, scies, haches ; échafaudages, etc.
Ordre III. Matériaux travaillés {échantilloîis). Genres, etc. :
briques,, ciments, mortiers, stucs, etc.
Classe V. Economie domestique.
Ordre I". Meubles de la maison en général. Genres, etc. : lits,
hamacs, berceaux, oreillers en bois, wampun, —
sièges divers en bambou, métal, etc., tabourets,
tables, guéridons, nattes, tapis (pour les autres
meubles non portatifs, des modèles); tentes, wig-
wams; — moyens d'éclairage : lampes en métal, en
terre cuite, lanternes, falots, candélabres, mè-
ches; matières combustibles : bois résineux, cire
végétale, blanc de baleine ; — cadenas, serrures,
clefs....
Ordre II. Vases, etc. Genres et espèces: 1° jarres, calebasses,
vases de table, urnes, coupes, vases réfrigérants ;
DU MUSÉE d'ethnographie 2G1
vases plats, plateaux ; vases de cuisine, réchauds;
chaudières en pierre ollaire, terre cuite, métaux
(cuivre, bronze, étain, etc.) ; vases de toute sorte,
en métal, pierre, verre, porcelaine, petits vases,
— Support, en argent filigrane et à jour (zarf) ;
2° corbeilles , paniers, couffes, boîtes, cassettes;
coffrets, cassolettes.
Ordrk III. Imtruments à découper, diviser, etc. Genres^ etc. :
en silex, en métal : — hachettes, couperets, do-
loires, etc.; rasoirs, ciseaux, scies, râpes, limes,
— couteaux, wedong, couteaux à scalper.
Ordre IV. Usages divers. Genres^ etc. : balanciers pour porter
les fardeaux, pécoulans, etc., palanquins, etc
Ordre Y. Objets de luxe. Genres, etc. : pankas, éventails, om-
brelles, parasols, payong, écrans, paravents,
chasse-mouches ; magnifiques miroirs en obsi-
dienne, en métal, etc., peignes ornés.
Ordre YI. Instruments divers. Genres., etc. : sifflets, clochettes,
sonnettes, baguettes, fouets, cordes, sacs, gibe-
cières, brosses à divers usages; soufflets; — four-
neaux, enclumes, marteaux, pinces, cognées,
haches, — balais, seaux, râteaux, pelles, échelles.
(jLasse VI. Objets propres à la défense de F homme, à la
guerre, etc.
Ordre P'. A7'mes défensives. Genres, etc. : armures, boucliers,
casques, cuirasses, cottes de mailles, brassards,
casques formés de la dépouille d'un poisson épi-
neux, etc.
Ordre II. Armes offensives. Genres, etc. : casse-têtes, massues,
tomahawks, haches d'armes , frondes , arbalètes,
javelots, arcs, flèches et carquois, lances, fers de
lance, lames, candjiars,. camas , yatagans, poi-
gnards, krits, goloks, sabres, épécs, djérids ,
lacets à boule, masses d'armes, sagayes, épées
à dents de requin. ( Les poignards et krits sont à
262 LES ORIGINES
manche de narval, rhinocéros, licorne^ am-
bre, etc.)
Ordre III. Imignes à la guerre. Genres et espèces : drapeaux,
enseignes, étendards, toncqs, guidons, instru-
ments {voy. classe YIII).
Appendice : modèles et dessins des forts et enceintes.
Classe VIL Arts, sciences, industrie.
Ordre P^ Com?)ierce. Genres, etc. : monnaies, cauris, etc.
mesures linéaires et mesures de capacité de toutes
sortes, poids, balances, romaines, pesons.
Traîneaux, chars, chariots (modèles).
Ordre IL Comptes et calculs. Genres, etc. : instruments de
calcul, abaques, souan-pan ; instruments pour la
mesure du temps, horloges, cadrans, calen-
driers, etc. ; compas.
Ordre III. Ecriture. Goires, etc. : stylets, plumes, porte-
plumes, palettes, encre solide, écritoires, pin-
ceaux; papiers de matières diverses, de riz,
d'écorce, papyrus, parchemin, olles, ou tablettes
écrites sur palmier, cachots, sceaux, caractères
d'imprimerie et ustensiles (pour la Chine et le
Japon)'; pierres, terres cuites, bois, feuilles
ou métaux couverts do signes d'écriture et d'hié-
roglyphes, katouns, etc.
Ordre IV. Navigation, sciences, astronomie, etc. Genres, etc. :
ustensiles propres à la navigation; rames, avi-
rons, pagayes, etc., voilure, boussoles, instru-
ments divers, etc., écopos ; instruments pour
observer le ciel, optiques, chambre obscure;
modèles de navires, bateaux, jonques, pirogues,
cajaks, balancelles (de la mer du Sud).
Ordre V. Machines. Genres, etc. : métiers, machines, appa-
reils; coins, leviers, poulies, vis; navettes,
\) Si quelqu'une des peuplades possédait des livres, ou quelque chose d'ana-
logue, c'est dans cette série qu'il faudrait les placer.
DU MUSÉE d'ethnographie 263
fuseaux, dévidoirs, rouets, étoiles, etc. Métiers
à tisser, moulins , machines d'irrig-ation (modèles
et dessins).
Ordre IV. Equitation. Genres, etc. : harnais, équipement,
brides, mors, selles, étriers en bois ou en métal.
Ordre Vil. Matières préparées pour les arts. Genres, etc. : sub-
stances employées dans les arts économiques et
chimiques; matières tinctoriales, matières miné-
rales préparées.
Ordre VIII. Métallurgie . Genres , etc. : métaux polis (fer, étain,
argent) ; alliage.
Ordre IX. Peinture et dessin. Genres et espèces : peintures
d'animaux, etc., sur peaux — dessins représen-
tant des scènes domestiques, des bâtiments_, des
paysages, des vues diverses. Boîtes à peinture,
couleurs préparées pour les arts, etc.
Classe VIII. Musique.
Ordre I". Instruments de percussion. Gertres, etc.: cymbales,
timbales, tambours, daraboukéh, clochettes,
triangles, castagnettes, gong, etc.
Ordre II. Instniments à vent. Genres, etc. : flûte de Pan, trom-
pettes, cors, musettes, flageolets, fifres, haut-
bois.
Ordre III. Instruments à cordes. Genres, etc. : violes à 1 et
2 cordes ; rebab , tympanons , luths , mandolines ,
guitares^ lyres à 3, 5, 7 cordes, etc.
Ordre IV. Chants notés : (Ici, comme appendice, certains
chants notés par les voyageurs).
Classe IX. Usages, mœurs, coutumes, habitiales.
Ordre I". Mariages., noces, funérailles, etc. Genres, etc. : céré-
monies des noces, etc. ; — deuil.
Ordre II. Enfance, éducation plnjsique. Genres, etc. : jouets
d'enfants, instruments pour les exercices; dis-
ques, cestes, gants de bois; l'arc gymnastique
en fer.
264
LES ORIGINES
Ordre III. Fêtes et jeux. Genres et e5/)èc(°5 : cérémonies, jeux
divers; amusements, danses, divertissements;
usag-e des dés, osselets_, g-relots ; — jeux d'adresse,
palets, balles , etc. ; — dessins des jeux, danses ,
courses, luttes.
Ordre IV. Vsarjes. Genres, etc. : insignes, cannes des chefs,
bâtons de commandement en bambou, liane,
rotin; sceptres, diadèmes; — étuis à parfum,
calumets, — pipes et fourneaux, porte-pipes.
Ordre V. Déguisements. Genres, etc. : costumes fantastiques,
masques, mascarades; — tatouage.
Ordre YI. Jeux de combinaison. Genres, etc. : jeux de calcul et
de combinaison, jetons, mangaleh, jeux de casse-
tête, damiers, échiquiers, trictrac japonais.
Ordre YII. Parures. Genres, etc. : 1° broderies, écharpes, cein-
tures , bourses, ceinturons, tissus en perles ; ou-
vrages en plumes ; 2" colliers en griffes d'ours ,
verroteries ; colliers en or, nacre , gemme ; pen-
dants d'oreilles, chaînes en graines, or, ivoire;
épingles à cheveux; 3° bagues, bracelets (en
métal, coquilles); anneaux de bras en ivoire,
périscélides ou anneaux de jambes, etc.
Classe X. Religions, cultes.
Ordre P'. Idoles. Genres et espèces : fétiches, idoles, figures
des divinités locales en pierre, bois, métal,
bronze, tchakras, plaques sculptées, etc.
Ordre II. Superstitions. Genres, etc. : talismans, amulettes,
grigris, etc.
Ordre III. Modèles. Genres, etc. : 1° Modèles d'autels, trépieds,
urnes, etc.
2° Modèles de temples, oratoires, chapelles, etc.
Appendice. Figures clanhnaux.
Figures des animaux domestiques ot des ani-
maux sauvages , travaillés par les natifs. (Quadru-
pèdes, oiseaux, poissons, etc.)
DU MUSÉE d'ethnographie 265
Ici se joignent les objets divers se rapportant à
l'usage que l'homme fait des animaux domestiques
et des autres espèces d'animaux.
Observation. Pour des pays comme la Chine et le Japon, qui
sont déjà avancés en civilisation, et où le dessin est pratiqué ,
il faut réunir les peintures, gouaches et dessins des indigènes,
surtout ceux qui sont à une assez grande échelle, attendu qu'on
y voit figurer des instruments et des objets rares qu'on ne peut
pas toujours se procurer en nature : on y voit aussi des cos-
tumes, des scènes et toutes sortes de sujets qui montrent claire-
ment l'usage qu'en font les natifs'.
1) Voy. Lettre de M. de SiebrAd sur VuliUlê dei musées ethnographiques et sur
l'importance de leur création. Paris, DiipraL, 1843.
CHAPITRE XI
Projet restreint de 1846. — Objections de Naudet; le projet est abandonné. —
Modifications à la Bibliothèque impériale en 1854. — Nouveaux projets de
Musée d'Ethnographie et des Voyages. — Pétition da Garcin de Tassy et
répoabe qui y est faite. — Nouvel ajournement. — Dernier mémoire de Jo-
mard sur la matière.
^" LXix
CABINET DD MINISTRE, GRAND MAITRE DE l'uNIVERSITÉ
NOTE POUR M. LE MINISTRE
Paris, le 13 novembre 1846.
M. le ministre a décidé en 1839 que des collections ethno-
graphiques, semblables à celles qui existent dans plusieurs capi-
tales de l'Europe feraient partie du département de la géogra-
phie (à la Bibliothèque royale).
Cette décision n'a pas encore reçu son exécution.
Pour l'exécuter, il faudrait demander aux Chambres les fonds
nécessaires pour payer un employé el acheter quelques armoires,
M. Jomard fournirait g-ratuitement le premier fonds de la
collection que des dons viendraient rapidement augmenter.
S. E. consentirait-elle à demander 1,200 francs pour un employé,
3,000 francs pour des armoires?
En marge de la main du ministre.
Demander l'avis de M. Naudet en lui disant que cette mesure me paraîtrait
convenable et utile.
268 LES ORIGINES
N» LXX
2^ DIVISION MINISTÈRE DE LINSTRUCTION PUBLIQUE
l"' Bureau. - Pans, le 11 décembre 1846.
Le Ministre, etc.
A Monsieur le directeur de la Bibliothèque royale.
Monsieur le Directeur,
J'avais, dès 1839, décidé que dos collections etlmor/raphigiies
semblables à celles qui existent dans plusieurs capitales de l'Eu-
rope, feraient partie du département de la géographie à la
Bibliothèque royale.
Pour réaliser cette décision, qui n'a reçu jusqu'ici aucun com-
mencement d'exécution, de nouveaux fonds seraient nécessaires
et je serais disposé à les demander.
Je ne le ferais toutefois, que dans le cas où votre avis serait
favorable à une mesure qui m'a toujours paru convenable et
utile, et sur laquelle je viens aujourd'hui vous prier de me faire
connaître votre opinion.
Agréez, etc.
Le Ministre, etc.
Salvandy.
N" LXXI
DIRECTION DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE
Paris, le 16 décembre 1846.
Monsieur le Ministre,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
le 11 de ce mois pour me demander un avis au sujet d'un Musée
ethnographique à établir dans la Bibliothèque royale comme
annexe du 4" département.
Cette question a été traitée d'une manière très approfondie
DU MUSÉE d'ethnographie 269
par le Conservaloire et par le directeur de la Bibliothèque
en 1833.
Je ne puis que me référer à l'avis unanime du Conservatoire
et au rapport très pertinemment motivé de mon prédécesseur,
que je vous prie de vouloir bien vous faire représenter*.
Je ne puis qu'ajouter la considération des circonstances pré-
sentes, qui donnent une nouvelle force aux conclusions adoptées
en 1833. L'insuffisance du personnel pour les services de pre-
mière nécessité, l'encombrement de toutes les parties du bâ-
timent par les dépôts amassés en une quantité immense depuis
treize ans et les réclamations très justes de tous les conservateurs
pour un accroissement des lieux mis à leur disposition, qui ne
peuvent plus contenir leurs collections, bien plus intéressantes
que les curiosités ethnographiques, auxquelles il faudrait un
vaste emplacement K
Agréez, Monsieur le Ministre, l'hommage de mon respect.
Naudet.
N« LXXII
RAPPORT A l'empereur
Sire,
Des pertes regrettables survenues dans les rangs secondaires
de l'administration de la Bibliothèque Impériale laissent libres
des fonds qui pourraient être appliqués, dès à présent, à rendre
à quelques parties affaiblies de ce service important une impul-
sion plus directe et plus vive. J'ai l'honneur de soumettre à
l'approbation de Votre Majesté un ensemble de dispositions- qui
donneraient une satisfaction immédiate aux intérêts les plus
dignes de sa sollicitude.
La première de ces dispositions ferait revivre la séparation en
deux départements différents du département mixte des estampes,
cartes et plans. Cette distinction, déjà consacrée deux fois par
\) Voyez plus haut, n° LVIIi.
2) Une noie du clief i]e cabinet, annexée à celle {jièce, résume la lettre de
Naudet et conclut dans le même sens.
270 LES ORIGINES
les ordonnances du 2 novembre 1828 et du 22 février 1829,
répondrait aujourd'hui à un besoin impérieux.
Au moment oii des luttes lointaines appellent nos armées et
nos flottes, où les relations de notre commerce n'ont plus de
limites que celles du globe, tous les intérêts se réunissent pour
nous commander de seconder le progrès des sciences géogra-
phiques. En faisant des collections qui s'y rattachent, l'objet d'un
département unique, placé sous une direction spéciale, Votre
Majesté voudra donner à ces études un encouragement nouveau
et jeter en môme temps les bases de ce Musée de l'Ethnographie
et des VoyageSj dont les premiers éléments ont été déjà réunis,
dont le plan sera courageusement poursuivi par un vétéran de
la science, par le dernier survivant de ces explorateurs illustres
que l'auguste fondateur de votre dynastie avait conduits en
Egypte.
Il ne sera pas moins digne de Votre Gouvernement de remettre
les deux départements des manuscrits et des médailles en posses-
sion de leur organisation première, etc.
(Suit un décret du 31 août 1854, par lequel sont notamment attachés aux
départements des caries et collections géographiques un conservateur, M. Jomard,
et deux conservateurs adjoints, M. de Pongeville et M. Frank.)
Par l'Empereur :
Le Ministre, Secrétaire d'État au département de
t Instruction publique et des Cultes,
H. FOURTOU.
N" LXXIII
A M. Fourtou, ministre, secrétaire d'Etat au département de
rinstrttction publique et des Cultes.
Paris, le 11 novembre 1854.
Monsieur le Ministre,
Permettez-moi de vous parler encore un instant de la subdivi-
sion et/mof/raphique à créer au département des cartes et collec-
tions géographiques de la Bibliothèque Impériale.
Depuis 1838, époque à laquelle MM. Edwards, de Santaremet
DU MUSÉE d'ethnographie 271
moi, joints à quelques autres savants, nous fondâmes, à Paris,
la Société Ethnologique, je me suis souvent cnlrelonu avec mon
respectable confrère, M. Jomard, de l'importance d'un musée
ethnographique pour le département des cartes, et il a manifesté,
toutes les fois, l'intention de saisir la première occasion favorable
pour demander l'établissement de ce musée et me désigner pour
en être le conservateur.
Votre Excellence a bien senti que le musée dont il s'agit est
le complément des collections géographiques ; aussi, dans sou
rapport àl'Empereur, en date du 31 août dernier', mentionne-t-il
le Musée Ethnographique et des Voyages « dont les premiers
éléments ont été déjà réunis et dont le plan sera courageusement
poursuivi ».
Il ne manque, ce semble, qu'une personne spécialement
chargée de cette branche si importante des sciences géogra-
phiques, pour que ce musée prenne tout de suite, ne serait-ce
que par les cadeaux qui ne manqueront pas d'arriver de tous
côtés, une certaine extension, en attendant le développement
qu'il est nécessairement destiné à avoir. Il serait fâcheux que la
France continuât à rester, sur ce point seul, en arrière des autres
pays et que, tandis qu'à Londres^ à New- York, à Stockholm et
ailleurs, il y a de belles collections ethnographiques, Paris en
fut dépourvu.
Si Votre Excellence daignait me nommer conservateur-adjoint
au département des cartes de la Bibliothèque Impériale pour la
conservation du Musée Ethnographique, il me serait, je crois,
possible, d'accord avec mon respectable confrère M. Jomard,
de m'entendre avec l'architecte de la Bibliothèque pour obtenir,
avant les constructions nouvelles, quelques salles provisoires,
et, tandis que mes correspondances lointaines et variées me
procureraient des objets curieux, ma connaissance ethnologique
des langues de l'Orient me donnerait la facilité de classer les
plus précieux.
A ces considérations d'intérêt général, j'oserai, Monsieur le
1) Voyez plus haut, n° LXXII.
272 LES ORIGINES
Ministre, en ajouter de personnelles. Je ne suis pas professeur
au Collèg^e de France, quoique j'en aie rempli, pendant cinq
années, les fonctions à plusieurs reprises, et je n'ai que ma
modeste chaire d'hindoustani créée à la demande de mon illustre
maître et ami, le baron de JSacy.
Je suis avec respect, Monsieur le Ministre^ de Votre Excel-
lence, le très humble serviteur,
Garcin de Tassy,
P. -S. — Je prends la liberté de rappeler à Monsieur le Ministre
mon ami, M. Eichhoff, pour la quatrième année des études à
organiser à l'Ecole normale.
N*^ LXXIV
Paris, le 12 décembre 1854.
A M. Garcin de Tassy, professeur à l'École Impériale
des Langues Orientales.
Monsieur,
J'ai pris connaissance de la lettre que vous m'avez fait l'hon-
neur de m'adresser touchant les améliorations qui vous parais-
sent pouvoir être apportées au service du département des cartes
géographiques à la Bibliothèque Impériale.
Les vues que vous m'avez exposées rentrent tout à fait dans
les développements que je songe à donner au département des
caries géographiques. Mais la réalisation de mes projets est
subordonnée à des éventualités que j'espère voir se présenter
assez prochainement et dont je compte avoir l'occasion de vous
entretenir.
En attendant, je vous remercie de m'avoir communiqué vos
idées sur un point qui mérite tout mon intérêt.
Agréez, etc.
H. FOURTOU.
DU MUSÉE d'ethnographie 273
N° LXXV
CLASSIFICATION MÉTHODIQUE DES PRODUITS DE l'lNDUSTRIE EXTRA-
EUROPÉENNE OU OBJETS PROVENANT DES VOYAGES LOINTAINS, SUIVIE
DU PLAN DE LA CLASSIFICATION d'uNE COLLECTION ETHNOGRAPHIQUE
COMPLÈTE,
FAR M. JOMAKD '.
L^Ethnographie est une science encore nouvelle, dontles limit s
ne sont pas arrêtées d'une façon très précise ; la définition de ce
mot n'est pas sans difficulté. Cependant Ton ne doit pas s'écarter
de la vérité absolue en l'appelant la science ou la connaissance
de l'homme, en la considérant sous ses trois aspects principaux,
comme :
L'étude de l'homme dans son langage ;
L'étude de Thomme dans sa constitution physique ;
L'étude de l'homme dans l'œuvre de son intelligence et dans
celles de son industrie.
De ces trois ordres d'idées, de ces trois branches d'un aussi
important sujet, nous ne voulons aujourd'hui toucher qu'à la
dernière, celle qui présente le moins de complication ; elle
renferme une sorte de fil conducteur, qu'il suffit en quelque
sorte de saisir pour être sur de ne pas s'égarer; c'est à savoir
la connaissance des besoins primitifs de l'homme, soit isolé, soit
en société. Nous ferons ici usage de la méthode des naturalistes,
qui réunit les avantages de l'analyse à ceux de la synthèse,
c'est-à-dire àeVordre, qui met chaque chose à sa place et l'y fixe
invariablement. On trouvera peut-être que la partie matérielle
de l'Ethnographie ne mérite pas, à un bien haut degré, l'attention
des hommes de science et d'étude; mais nous devons laisser aux
hommes spéciaux le soin de traiter, les uns Timmense question
de la linguistique, les autres le sujet non moins difficile de l'an-
thropologie proprement dite et de l'anatomie humaine.
Les besoins de l'homme et les fruits de son industrie, tel est
1) Reproduction d'une brochure parue en 1862 chez Challamel aîné et extraite
en partie de la Revue orientale et américaine. C'est le dernier écrit de l'auteur,
mort celte même année, le 23 septembre, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. (E. H.)
18
274 LES ORIGINES
l'unique sujet que nous voulons envisager ; mais comme les
objets qui doivent être énumérés sont nombreux et très divers,
il est indispensable de les soumettre à une classification métho-
dique aussi rigoureuse que possible ; c'est donc selon le système
suivi en histoire naturelle que nous allons procéder.
Nous divisons les objets dont il s'agit en dix classes*, qui
embrassent à peu près la totalité des objets d'étude qui se pré-
sentent à l'observateur en voyage, et qui satisfont en réalité au
besoin d'une classification complète. L'expérience, en effet, nous
a montré que tout objet trouve sa place marquée dans une classe
spéciale, celle à laquelle il appartient d'après la méthode.
En tète de la nomenclature se trouve naturellement une série
spéciale (la première classe), consacrée à la représentation de la
figure humaine. En outre des dessins que d'habiles artistes savent
tracer avec fidélité, on sait qu'il y a dans divers pays, dans l'Inde
par exemple, des indigènes qui se livrent, non sans succès, à
l'imitation des portraits, à la composition même des figures et
figurines entières, en relief, avec le type original de la physio-
nomie, et qui les habillent selon leur condition, leur caste, leur
profession, donnant à chacun le teint de sa race et son caractère
distinctif. Ces sortes de représentations sont préférables à toutes
les autres, et ne le cèdent qu'à des collections de crânes d'origine
authentique ; celles-ci forment le premier ordre de la première
classe^ celles-là, le second ; les simples dessins et peintures
forment le troisième ordre ; tous trois se divisent en plusieurs
genres et espèces.
La seconde classe se rapporte aux arts qui servent à procurer
la nourriture ; elle se divise aussi en trois ordres : la chasse, la
pêche, l'agriculture; chacun d'eux se subdivise en un certain
nombre de genres et ^'espèces qu'il serait trop long ici de d'écrire
ou même d'énumérer.
Après la nourriture, le premier besoin physique de l'homme,
vient la nécessité de se mettre à Tabri de l'intempérie des
saisons ; ce sont les arts qui servent à le couvrir, à le vêtir :
trois ordres composent aussi cette troisième classe, ils se rappor-
1) Voy. bocumcnls, pièce n" LXVIII.
DU MUSÉE d'ethnographie 27S
tent au vêtement du corps, à celui de la tête et à l'art de la
chaussure. On ne parle pas ici de la parure, dont le goût suppose
le luxe, c'est-à-dire une période plus avancée et qui fait un des
objets de la classe neuvième (usages, mœurs et habitudes). Les
trois ordres se divisent aussi en un grand nombre de genres cl
d'espèces.
La quatrième classe a la même destination, celle de mettre
l'homme encore mieux à l'abri des injures du temps (ou la pluie,
ou le vent, ou la neige, selon la contrée et la saison), mais elle
suppose un nouveau progrès dans la civilisation ; en un mot,
ce sont les arts qui servent au logement, à l'habitation, depuis
la tente et la case jusqu'à la maison, et à toute espèce de cons-
truction et de bâtiment. Les divers ordres de cette classe consis-
tent en modèles de maisons, matériaux, outils ou instruments ;
beaucoup de genres et d'espèces sont compris sous ces trois
ordres.
La cinquième classe est une des plus étendues ; c'est parce
qu'elle se rapporte aux besoins de l'homme de plus en plus
avancé dans les arts primitifs : c'est l'économie domestique. Six
ordres distincts composent cette classe : les vases, les meubles à
usage divers, les outils servant à diviser, les différents instru-
ments, les meubles en général, enfin les objets de luxe ou d'agré-
ment. On comprend pourquoi il y a beaucoup de sous-divisions
dans cette classe.
La classe sixième aurait peut-être pu prendre le pas devant
plusieurs des précédentes; elle se rapporte à la défense de
l'homme : c'est un besoin primitif; l'homme, en présence des
bêtes fauves, n'étant point armé contre elles par la nature, nu et
bien plus faible, a eu besoin, dès Torigiue, d'y suppléer par des
armes artificielles ; mais il n'a pas connu tout de suite les métaux,
et encore moins l'art d'en tirer parti ; aussi a-t-il dû en souffrir
pendant bien des siècles. Nous n'avons donc fait apparaître qu'au
sixième rang les armes défensives et les armes offensives, ima-
ginées par l'homme contre les animaux féroces.
Classe septième. Les arts se multipliant avec l'expérience de
la pratique, la dextérité de l'homme faisant chaque jour des
276 LES ORIGINES
progrès, est née l'industrie proprement dite ; bientôt l'intelligence^
qui est propre à l'espèce humaine, a conduit aux premiers éléments
des sciences : les échanges ont nécessité, ont amené l'art de
compter, de peser^ de mesurer ; le calcul a conduit ensuite au
dessin, puis à la peinture de la parole, enfin à l'écriture.
Plus le genre humain a marché en avant, dans cette voie de
progrès et de civilisation (la population d'ailleurs s'accroissant
toujours), plus le nombre des arts s'est accru. Aussi, cette
septième classe a plus d'extension que les autres ; nous y comp-
tons jusqu'à neuf ordres : écriture, comptes et calculs, commerce,
peinture et dessin, substances employées dans les arts, métallur-
gie, machines, navigation; bientôt le ciel a été observé. Puis,
l'homme s'est assujetti le cheval, et a trouvé l'art de l'équitation ;
ces neuf ordres comprennent un grand nombre à'espcces.
Il est une autre branche des arts, la musique, tout à fait en
dehors des sept classes précédentes, et qui est une des attributions
spéciales de l'homme, qui appartient à lui seul, comme le don
d'articuler la parole ; en un mot, c'est le chant y véritable origine
de la musique. La nature en a doté l'homme, afin qu'il puisse
exprimer sa douleur ou sa joie, ses sentiments, ses passions, ses
affections, ses désirs. 11 n'est pas une nation chez qui Ton n'ait
pas observé ce don de la parole chantée. On trouve aussi partout
des instruments imaginés par l'homme pour accompagner sa
voix, ou bien pour donner un signal, ou bien pour embellir des
jeux et des danses, ou enfin pour célébrer des fêtes et des céré-
monies. Les instruments de percussion, les instruments à vent,
les instruments à cordes, constituent les trois ordres de cette
huitième classe, consacrée à la musique, faculté, comme nous
l'avons dit, tout à fait distincte et à part.
Nota. Les chants notés sont un appendice nécessaire de la
huitième classe.
Classe neuvième. La classe qui, par sa nature, devait être et
est, en effet, des plus considérables, est la neuvième, celle qui
se rapporte aux usages, aux mœurs, aux habitudes . Elle se divise
en sept ordres, partagés eux-mêmes en beaucoup de gemmes et
d'espèceSf savoir : objets qui servent dans les fêtes relatives aux
DU MUSÉE d'ethnographie 277
principales époques de la vie, la naissance, le mariage, la mort;
l'éducation physique, savoir les exercices et appareils qui s'y
appliquent ; les jeux et les fêtes, les jeux de combinaison, la pa-
rure ; enfin les usages divers, par exemple : tatouage, masca-
rades, etc.
La classe dixième eiàermhYe, classée à part, complète le tableau ;
elle répond à un besoin qui existe chez toutes les nations de la
terre, le besoin religieux. Partout l'homme reconnaît l'existence
d'un être supérieur et tout-puissant ; consensus omnium popu-
lorum prohat deum esse, dit Cicéron. Mais, à côté de cette idée
universelle, habitent la superstition et l'idolâtrie. Les objets
matériels qui se rapportent à la religion, au culte, même à la
superstition, doivent être recueillis avec soin, tels que les amu-
lettes, les fétiches, les talismans et les idoles.
L'homme est appelé vulgairement le roi de la nature parce
qu'il a dompté, parce qu'il a domestiqué un petit nombre
d'animaux, parce qu'il les fait servir à ses besoins. Bien que
cette expression soit un peu exagérée, il est de fait que ses
rapports avec ceux-ci ne permettent pas de les négliger tout à
fait, dans cette sorte de tableau général de la statistique humaine.
L'homme les a rendus domestiques ; il en a fait quelquefois des
amis ; il les a même acclimatés dans des contrées oii ils n'avaient
jamais vécu. On peut donc consacrer un appendice à une série
de figures, représentant les principaux animaux domestiques de
chaque pays, considérés comme les auxiliaires et les compa-
gnons de l'homme.
Je demande ici la permission de reproduire des réflexions
déjà un peu anciennes, mais qui sont fort peu connues, et qui
serviront d'éclaircissements à tout ce qui précède ''.
Puis-je terminer ces réflexions sur la branche la moins savante
de l'Ethnographie, savoir les collections matérielles, sans rap-
peler au moins, par quelques mots, le but élevé que se propose
la science nouvelle, bien comprise, sans dire sa haute portée
1) Jomard reproduit ici les paragraphes 1 et 2 de sa Lettre à Siebold de
1845. — Cf. Documents, pièce n° LXVIII.
278 LES ORIGINES
sociale el son influence probable sur la civilisation, sur les
progrès de l'iiumanilé ? N'est-il pas vrai que quand les hommes
se connaîtront plus, ils pourront et- sauront mieux s'apprécier.
De toutes les barrières qui séparent les peuples, il n'en est pas
de plus difficile à franchir que la difîérence des langues (car
aujourd'hui la distance, l'espace n'est plus rien) ; l'Ethnographie
peut y réussir un jour. On a beaucoup parlé, au temps de l'abbé
de Saint-Pierre, et depuis cent cinquante ans, de la paix perpé-
tuelle : Jean-Jacques en parlait aussi, et, aujourd'hui, il existe
en Angleterre une Société des Amis de la Paix, qui professe
celte doctrine ; mais rien n'annonce que ces vœux soient prêts
à se réaliser : qui sait si les travaux, les découvertes des Ethno-
graphes ne conduiront pas un jour à ce but désiré ? Que les
hommes, je le répète, se connaissent plus: ils s'estimeront, et
peut-être s'aimeront davantage.
CHAPITRE XII
Création d'un Muséum ethnographique des Misaions scientifiques. — Exposi-
tion provisoire d'une partie des collections au Palais de l'Industrie,
No LXXVI
RAPPORT
AU MINISTRE DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE, DES CULTES ET DES
BEAUX-ARTS '
Paris, le 2 novembre 1877.
Monsieur le ministre,
J'ai l'honneur de proposer à Votre Excellence de fonder un éta-
blissement scientifique nouveau qui s'appellerait Muséum ethno-
graphique des Missions scientifiques.
Dans le projet que j'ai l'honneur de vous soumettre, je me
suis efforcé de me conformer aux règlements qui ont déterminé
les attributions des divers musées, et j'ai cru devoir rattacher
cette institution à la Commission consultative des Missions
scientifiques qui a déjà rendu à votre administration de si utiles
services.
L'établissement projeté, au lieu d'avoir pour objet l'art, serait
exclusivement consacré à la science, et devrait être en grande
partie alimenté par les missions entreprises aux frais de l'Etat.
Il importe même, avant tout, d'établir les besoins impérieux aux-
quels répondrait cette fondation et le caractère essentiel qui la
distinguerait des établissements analogues. Depuis qu'il a été
institué auprès du Ministre de l'Instruction publique une com-
mission chargée de donner son avis sur les demandes de missions
i) Journal officiel du 19 novembre 1877.
280 LES ORIGINES
scientifiques, des travaux nombreux ont été accomplis par les
savants auxquels des missions avaient été confiées.
Parmi les instructions données par Votre Excellence à nos
voyageurs, il leur est spécialement recommandé de recueillir
soit en France, soit à l'étranger, des collections de toute nature
et qui intéressent toutes les branches de la science.
MM. Wiener, de Cessac, Ilarmand, de Ujfalvy, Marche, Gre-
vaux, Delaporte et bien d'autres, en se conformant à ces instruc-
tions, ont obtenu des résultats qui ont dépassé toutes nos espé-
rances. Des collections de grande valeur ont été réunies. L'ethno-
graphie a particulièrement été l'objet de reclierches actives et
de découvertes précieuses. Le nombre des objets ethnographiques
est considérable. Les dons des particuliers sont déjà venus se
joindre à ces richesses, et TEtat lui-même a acquis des collec-
tions qui les ont encore augmentées.
Dans l'ordre des libéralités des particuliers, je vous signalerai,
Monsieur le ministre, le don très important que M. Angrand
déclare vouloir faire à l'Etat, représenté par le Ministre de l'Ins-
truction publique, d'une collection ambitionnée par des puis-
sances voisines et que, dans les circonstances actuelles, il est
urgent d'accepter : les dons de M. Quesnel au Pérou, Carlo
Lansberg en Syrie, Harmsen à Java, etc., etc. *.
Le grand nombre et la valeur des collections ethnographiques
appartenant aujourd'hui à l'État rendent, ce me semble, évidente
la nécessité de créer un établissement spécial qui les puisse
contenir et où les hommes de science les consulteraient à loisir.
L'utilité des travaux ethnographiques ne peut, en aucun cas,
être contestée par personne et il n'est pas contestable non plus
que leur développement se soit révélé depuis quelques années
d'une manière toute particulière.
Comme le dit justement M. Worsaae, ministre de l'Instruction
1) La collection de M. Quesnel, dont il est ici fait mention, se composait de
huit caisses qui venaient d'être envoyées; celle de M. Lansberg comprenait
une petite série d'antiquités de mince valeur trouvées en Syrie ; ces deux collec-
tions étaient entre les mains de l'administration; mais celle de M. Harmsen était
devenue, on l'a vu plus haut, la propriété du musée Berlhoud, à Douai. (E. H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 281
publique en Danemark, et qui a fondé à Copenhague un des
plus beaux musées ethnographiques de l'Europe, l'ethnographie
et l'archéologie préhistorique qui en est inséparable doivent
arriver à donner tous les éclaircissements désirables sur la pro-
pagation des premières populations sur la terre, et entre autres
sur la première colonisation de l'Europe, soit qu'elle provienne
de l'Asie ou de l'Afrique, ce qui est encore un des grands sujets
de controverse. On doit se préparer, dans les nouveaux musées
ethnographiques, à fournir les matériaux les plus complets qui
permettent d'établir des comparaisons illimitées entre les degrés
de civilisation primitive des populations existantes ou éteintes
du monde entier.
L'ethnographie, l'anthropologie et les études préhistoriques
sont autant de sciences nouvelles dont les progrès rapides et
constants sont en majorité dus aux savants français. L'ethno-
graphie seule n'a été jusqu'ici ni favorisée ni propagée. Cette
jeune science cependant jette un jour nouveau sur la géographie
qu'elle vivifie et sur les études préhistoriques. Ce serait une
garantie à lui offrir que de la comprendre dans la distribution
des faveurs de l'État. C'est aussi un témoignage d'estime, une
sorte de protectorat, un haut encouragement enfin à donner aux
savants qui la mettent en lumière à l'aide d'efforts si soutenus
et qui ont obtenu de si brillants résultats.
Les services considérables que peut rendre cette science sont
étroitement liés à la fondation que j'ai l'honneur de proposer à
Votre Excellence. Les richesses nouvelles et multiples qu'elle
nous apporte sont d'une nature exceptionnelle ; il lui faut un local
et une organisation exceptionnels.
A Douai (musée Berthoud); à Lille, à Boulogne, au Havre,
à Caen, à Bordeaux, à Orléans et dans un grand nombre de villes
de l'étranger, il existe un musée d'ethnographie. A Paris, ces
objets d'étude sont dispersés, perdus soit dans l'ensemble du
Musée de la Marine, du Musée de Saint-Germain, du Muséum
d'Histoire naturelle ou dans d'autres établissements. Cette dis-
persion des éléments constitutifs de l'ethnographie décourage
nos voyageurs en détruisant l'unité de leurs recherches et lapos-
282 LES ORIGINES
sibilité de comparer entre eux les divers écliantillons ethno-
graphiques ou les spécimens similaires des différents peuples.
Réunis dans un même local, classés avec une méthode sévère,
répartis en différentes sections, suivant la nature des missions
et la situation géographique des pays explorés, ces objets ana-
logues ou identiques, recueillis dans des contrées différentes,
offriraient par leur nombre, leur diversité, leur groupement une
facilité d'études dont les hommes de travail seraient reconnais-
sants à Votre Excellence.
Dans l'arrêté que j'ai l'honneur de placer sous vos yeux, Mon-
sieur le ministre, j'ai essayé de sauvegarder les prérogatives et
les spécialités de chacun des établissements qui existent déjà. La
création que je propose ne porterait aucune atteinte à leurs droits
ni à leurs intérêts. Le Muséum ethnographique, en effet,
n'aurait aucune des attributions qui distinguent les autres éta-
blissements du même ordre.
Dans le Musée d'Anthropologie, l'homme est étudié en lui-
même et comme créature. Dans le Musée d'Ethnographie, au
contraire, c'est comme créateur qu'il est étudié. Ce sont ses
efforts pour vaincre les forces de la nature, pour améliorer sa
situation, pour atteindre le progrès, qui sont mis sous les yeux
du public d'abord, des savants ensuite : ce sont ses armes, ses
vêtements, son habitation, ses mœurs et ses usages, enfin, qui
sont mis en lumière.
Le Muséum ethnographique est un musée d'histoire ; le Musée
d'Anthropologie est un musée d'histoire naturelle.
Mais ce Muséum ethnographique ne peut et ne doit pas com"
prendre la manifestation la plus élevée et en même temps la
plus spéciale de l'esprit humain, l'art : tout objet artistique est
réservé pour les collections du Louvre, qu'il provienne de l'Italie
ou de la Grèce, de l'Orient ou de l'Egypte.
Son intérêt le plus grand consisterait surtout dans les séries
non interrompues; on passerait d'un peuple à un autre et on
suivrait facilement les modifications des civilisations. Ce ne serait
pas seulement une collection brillante d'objets de luxe et de
grande valeur, mais un musée avant tout scientifique, qui ne
DU MUSÉE d'ethnographie 283
dédaignerait pas l'objelle plus futile quand il pourrait faire suivre
une évolution. Ce serait le meilleur commentaire des théories
préhistoriques, qui no tiennent pas toujours assez compte des
progrès ou des décadences de la civilisation.
Dans le Muséum ethnographique seraient centralisés tous les
objets relatifs à l'ethnographie et provenant de missions, de
dons, d'échanges ou d'acquisitions. Les objets d'archéologie,
sous la réserve que j'ai indiquée, en feraient aussi partie.
Les collections d'anthropologie et d'histoire naturelle, rappor-
tées par nos missionnaires, en seraient écartées. Comme par le
passé, elles seraient placées au Muséum d'Histoire naturelle où,
si elles existaient en double, on en enrichirait les musées ou les
collections des facultés des départements.
Les collections d'archéologie préhistorique ou gallo-romaine,
provenant des missions faites en France, demeureraient la pro-
priété du Musée de Saint-Germain. Celles provenant des missions
entreprises en Italie, en Grèce, en Egypte et en Orient, relatives
à l'art ou à l'histoire de ces contrées, seraient réservées au
Musée du Louvre; les médailles, les livres, les manuscrits de
toutes provenances, à la Bibliothèque nationale.
Les objets doubles ou multiples, provenant des missions en
général, seraient répartis, soit par voie de dons divers, soit par
voie d'échanges, entre les grands établissements français ou
étrangers. J'aurai l'honneur de faire remarquer à Votre Excel-
lence que cette partie des collections aurait l'avantage de béné-
ficier du service des échanges qui est dans les attributions de la
direction à la tête de laquelle j'ai Thonneur d'être placé.
Ce qui se pratique très régulièrement pour les livres, les cartes,
les documents, se ferait avec une égale régularité pour les spé-
cimens ethnographiques.
Les doubles de céramiques seraient nécessairement réservés
au Musée de la Manufacture nationale de Sèvres.
La Commission des Missions serait appelée à donner son avis
sur les questions d'ordre scientifique que soulèveraient l'organi-
sation et la direction du Musée ethnographique.
J'ai la conviction. Monsieur le ministre, que celte fondation
284 LES ORIGINES
rendrait des services signalés à nos études scientifiques, dont
elle compléterait l'ensemble, et qu'elle provoquerait immanqua-
blement les dons des collectionneurs français et étrangers. Les
dispositions présentées à votre approbation sous forme d'arrêté ne
sauraient engager l'avenir; ce n'est qu'après avoir été éclairé par
l'expérience qu'il sera possible de proposer à Votre Excellence
une réglementation définitive qui serait soumise à la signature
du chef de l'État.
En attendant ce moment, j'ai l'honneur de vous demander,
Monsieur le ministre, de vouloir bien approuver l'arrêté ci-joint.
Je suis avec respect, Monsieur le ministre, de Votre Excellence,
le très obéissant serviteur.
Le Directeur des Sciences et Lettres,
0. DE Watteville.
Approuvé :
Le Ministre de l Instruction publique, des Cuites
et des Beaux-Arts,
Joseph Brunet.
N° LXXVII
Le Ministre de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-
Arts,
Vu les discussions de l'Assemblée nationale, ainsi que la loi
de finances en date du 29 décembre 1873, qui exprime le vœu
de voir fonctionner auprès du Ministre de l'Instruction publique
une commission chargée de donner son avis sur les demandes
de missions scientifiques;
Vu l'arrêté ministériel en date du 6 janvier d874, qui institue
cette commission ;
Vu le nombre considérable des objets rapportés au ministère
par les missions accomplies soit en France, soit à l'étranger;
Vu les inconvénients qui résultent de la dispersion de ces
collections importantes;
DU MUSÉE d'ethnographie 285
Vu les donations faites par M. Angraud à l'État, représenté
par le Ministre de l'Instruction publique ;
Arrête :
Article l«^ — Tous les objets relatifs à l'ethnographie, prove-
nant de missions, de dons^ d'échanges ou d'acquisitions, seront
centralisés dans un Musée spécial appelé Muséum ethnographique
des Missions scientifiques.
Les objets d'archéologie feront également partie de ce musée.
Art. 2. — Les collections seront réparties en différentes sec-
lions, suivant la nature des missions et la situation géographique
des pays explorés.
Art. 3. — Les collections d'anthropologie et d'histoire natu-
turelle ne peuvent figurer dans le Muséum ethnographique.
Art. 4. — Les collections d'archéologie préhistorique et les
antiquités gallo-romaines provenant des missions entreprises en
France seront réservées pour le Musée de Saint-Germain ; celles
provenant des missions entreprises en Italie, en Grèce, en Egypte
et en Orient, relatives à l'art ou à l'histoire de ces contrées
seront réservées au Musée du Louvre ; les médailles, les livres,
les manuscrits de toute provenance, à la Bibliothèque nationale.
Art. 5. — Les objets doubles ou multiples provenant des
missions seront répartis, soit par voie de dons directs, soit par
voie d'échanges, entre les grands établissements français ou
étrangers.
Les doubles des objets de céramique seront réservés au Musée
de la Manufacture nationale de Sèvres.
Art. 6. — La Commission consultative des Missions instituée
près notre ministère est chargée de donner son avis sur toutes
les questions d'ordre scientifique que pourra soulever la création
et la direction de ce musée.
Art. 7. — Le Muséum ethnographique, étant un établissement
purement scientifique, est rattaché à la direction des Sciences et
des Lettres chargée de l'organisation et de la direction des
missions.
Art. 8. — Un arrêté ministériel fixera les locaux où seront
286 LES ORIGINES
exposés les objets provenant de missions ou de dons et l'organi-
sation définitive du Muséum ethnographique.
Fait à Paris, le 3 novembre 1877.
Joseph Brunet.
xN" LXXVIII
Le Ministre de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-
Arts,
Vu l'arrêté en date du 3 novembre 1877, qui institue un
Muséum ethnographique ;
Vu l'importance des collections rapportées par MM. Wiener,
de Cessac, Pinart, André, Grevaux, etc., à la suite des missions
dont ils ont été chargés par le gouvernement français;
Arrête :
Article l'=^ — Une exposition provisoire de la section améri-
caine (Amérique du Sud) des missions ethnographiques et des
missions scientifiques est ouverte au public, au Palais de l'ins-
dustrie des Champs-Elysées.
Art. 2. — Cette exposition sera gratuite. Le public sera admis
à la visiter les mardis, mercredis, vendredis, samedis, avec des
billets distribués sur demande au Ministère de l'Instruction
publique, et sans billets, le jeudi et le dimanche.
Art. 3. — L'exposition restera ouverte du 15 janvier au
i'' mars 1878.
Art. 4. — M. le baron de Watteville, directeur des Sciences
et Lettres, est chargé d'organiser ladite exposition.
Fait à Paris, le 3 novembre 1877.
Joseph Brunet.
DU MUSÉE d'ethnographie 287
N" LXXIX
Procès-verbal de P inauguration du Muséum ethnographique des
Missions scientifiques ' .
Hier, mercredi 23 janvier 1878, à une heure, a eu lieu, au
Palais de l'Industrie, sous la présidence de M. le Ministre de
l'Instruction publique, l'inauguration du Musée ethnographique.
Le ministre était accompagné, dans cette cérémonie,, d'un grand
nombre de sénateurs et de députés, démembres de l'Institut, de
représentants des grands corps de l'État, et de plusieurs membres
des Sociétés de géographie et d'anthropologie.
M. le baron de Watte ville, directeur des Sciences et Lettres,
a adressé à M. Bardoux, l'allocution suivante :
Monsieur le Ministre,
« Je fus chargé par votre prédécesseur d'organiser le Muséum
ethnographique des Missions scientifiques. Je craignais de ne
pouvoir m'acquitter de cette tâche ; je suis heureux d'avoir pu
l'accomplir en moins de six semaines.
u Une semblable entreprise aurait été impossible, sans le
dévouement absolu des collaborateurs qui m'ont prêté leur
concours, sans nos savants voyageurs, MM. Wiener, de Ujfalvy,
Harmand, André, Velain, Delaporte, Sainte-Marie, Rivière,
Marche, qui m'ont apporté des pays lointains les collections
reposées. Elle aurait été impossible sans le zèle de M. Hamy,
qui a pu remplacer nos missionnaires actuellement éloignés de
l'Europe, MM. Pinarl, de Cessac, Grevaux,etc., qui a pu disposer,
classer les objets précieux qu'ils nous ont envoyés, enfin sans
l'aide de MM. Soldi, de Getner, Roux, qui ont su, avec leur
talent habituel, faire revivre les types, les monuments, les pay-
sages de l'Amérique et de l'Asie.
« Je désire, Monsieur le Ministre, que cette création nouvelle
reçoive la sanction de votre haute approbation. »
1) Journal officiel du 25 janvier 1878.
288 LES ORIGINES
Monsieur le Ministre a répondu à M. de Watte ville.
« Je sais avec quel zèle et quelle intelligence, vous et vos colla-
borateurs, vous vous êtes acquittés de la mission qui vous avait
été confiée. Je sais aussi que le succès de cette œuvre et la satis-
faction du devoir accompli, sont pour vous la meilleure des
récompenses. Je suis heureux de vous remercier au nom de
l'Instruction publique. »
Après cette allocution, M. le Ministre a prononcé le discours
suivant :
Messieurs,
« Le Musée ethnographique que nous ouvrons aujourd'hui
n'est pas complet. Il n'est pas installé dans son local définitif.
Il ne représente même pas toutes nos richesses.
(( Disséminées dans un grand nombre d'établissements, elles s'y
perdaient sans profit pour la science, qui ne savait où les trouver,
sans intérêt pour l'étude, qui n'avait plus d'ensemble et de suite,
dans ses recherches et dans ses comparaisons.
(( Le moment est venu de les réunir et de les classer dans un
établissement spécial. Les trois salles que vous allez visiter ne
renferment qu'une seule section, celle d'Amérique, et encore,
n'avons-nous pu y placer de magnifiques collections péruviennes,
qui ont été données à l'État'. Nous avons même été obligé de
reléguer jusque sur le palier de l'escalier, le produit d'impor-
tantes explorations dans l'Asie centrale.
« Et pourtant, avec cette installation incomplète et provisoire,
vous pouvez déjà apprécier l'importance des résultats obtenus et
les efforts des hommes éminents et convaincus qui ont mené
à bout, au prix souvent de leur santé, la mission scientifique qui
leur avait été confiée.
« Vous pouvez déjà juger de l'avenirdu Musée ethnographique,
quand les objets réunis dans une même enceinte auront été expo-
sés avec méthode, répartis entre différentes sections, groupés
selon la nature des pays explorés.
1; Allusion au legs (non réalisé) de M. Léonce Angrand.
DU MUSÉE d'ethnographie 289
« Ainsi conçu, avec des séries non interrompues, le Musée
ethnographique ne sera pas une collection d'objets bizarres,
étrang-es, quelquefois futiles, dispersés çà et là, mais une his-
toire des mœurs et des usages, histoire parlant aux yeux, où,
depuis les armes jusqu'aux vêtements, depuis les habitations
jusqu'aux bijoux et aux meubles les plus grossiers, tout objet
concourra à former cet ensemble de matériaux, qui permettra
d'établir des comparaisons illimitées entre les civilisations pri-
mitives des populations, existantes ou éteintes, du monde entier.
« Inséparable de l'archéologie préhistorique, accessoire essen-
tiel de l'anthropologie, en même temps que commentaire des
sciences géographiques, l'ethnographie aide à résoudre plus d'un
problème, obscur encore, de nos origines. C'est à nous qu'il im-
porte de lui fournir les moyens de sortir des ténèbres oii elle
végète et de prendre ijn vigoureux essor.
« Notre temps doit surtout avoir ce caractère, de comprendre
plus que tout autre la grandeur scientifique, sous les formes les
plus diverses, et de la remettre en lumière.
« Mais en créant ce Musée ethnographique, il fallait bien
se garder de porter atteinte à d'autres collections qui n'ont pas
moins d'intérêt, et qui, par leur caractère, appartiennent à des
genres différents.
(( Notre admirable Musée de Saint-Germain, dont le savant
M. Bertrand a fait son œuvre, reste réservé à l'archéologie pré-
historique et aux antiquités gallo-romaines, provenant des
fouilles faites en France, tandis que le Musée du Louvre est tou-
jours destiné à recevoir les richesses provenant des missions
entreprises en Italie et en Grèce, en Egypte et en Orient, et que
la Bibliothèque nationale continue à recevoir les médailles, les
livres et les manuscrits de toute provenance.
« De même, nous ne pouvons un instant avoir la pensée d'ap-
pauvrir les grandes collections existantes d'anthropologie et
d'histoire naturelle.
Le Muséum ethnographique ne sera qu'un musée d'histoire
où, comme l'a excellemment rapporté mon honorable collabora-
teur, M. de Watleville, passeront sous les yeux du savant, dans
19
290 LES ORIGINES
les formes les plus variées, tous les efforts faits par les hommes
pour vaincre les forces de la nature, pour améliorer sa position
précaire^ et pour atteindre le progrès,
« Grande et noble idée, Messieurs^, dont je ne revendique pas
l'initiative et dont je reporte l'honneur aux hommes modestes et
éminents qui m'entourent! Nouvelle porte ouverte à l'étude des
prog-rès et décadences de la race humaine,* et qui s'élargira tous
les jours, grâce au dévouement des missionnaires de Tlnstruc-
tion publique.
« Ce sont en effet les missions entreprises au nom de l'Etat
qui ont alimenté et qui alimentent l'établissement dont nous
jetons aujourd'hui 'les fondements, en attendant que nous puis-
sions l'édifier complètement.
<( L'Exposition universelle nous pressait; elle doit, nous l'espé-
rons, procurer tant de ressources à ce Musée, qu'il fallait l'inau-
gurer même dans son état imparfait.
« Les résultats actuels n'ont pu être obtenus que grâce à la
bonne volonté de quelques savants et voyageurs.
« C'est à M. Charles Wiener que nous devons l'organisation des
quatre mille pièces qui composent sa collection péruvienne ; à
M. André appartient l'honneur d'exposer les résultats de son
voyage dans la Colombie et l'Equateur; à M. deUjfalvy, revenu
à peine depuis quelques jours de l'Asie centrale^, ces remar-
quables produits que, faute de place, nous avons échelonnés sur
un palier ; à M. Harmand, les inscriptions du Haut-Cambodge; à
M. Sainte-Marie, les stèles carthaginoises ; à M. Rivière, les
estampages des gravures tracés sur les rochers du lac des Mer-
veilles ; à M. de la Savinière, les collections des îles Célèbes.
« C'est M. le docteur Hamy, du Muséum^ qui a classé les
collections de ceux des voyageurs qui n'ont pu encore regagner
la France ; celle de M. Alphonse Pinart qui poursuit depuis sept
ans, avec la plus louable persévérance, la solution du grand pro-
blème des origines américaines, et qui, malgré une santé ébran-
lée, vient d'explorer une partie de la Polynésie. Nous devons
encore à M. Hamy le classement des collections de M. de Cessac,
qui vient d'explorer avec soin la grande nécropole d'Ancon,et de
DU MUSÉE d'ethnographie 291
celles d'un Jeune médecin de la marine, M. Crevaux,qui vient de
mener à bonne fin une expédition des plus difficiles, des plus
dangereuses, autour de la Guyane, après avoir découvert et
suivi dans tout son cours un grand affluent de gauche de l'Ama-
zone, le Yari, dont on ne connaissait que l'embouchure.
» Je n'ai pas Tintention de nommer tous ces hommes hardis
et vaillants, que le devoir et l'abnégation soutiennent dans leurs
explorations lointaines; mais que nos remerciements aillent
jusqu'à eux et les encouragent, qu'ils sachent bien que leurs
noms sont acclamés ici, que leurs travaux y sont admirés et que
leur pays est fier d'eux !
(( Je ne peux cependant pas oublier trois jeunes artistes, qui
ont donné avec le plus complet désintéressement, leur talent et
leur travail : M. de Cetner qui a peint les huit toiles représen-
tant les vues du Pérou et de ses anciens temples ; M. Paul Roux,
les deux vues de la Colombie ; et M. Soldi, qui a mis ses rares
aptitudes et ses connaissances d'archéologue au service de ses
collègues, a surveillé les moulages et a fait, d'après les dessins de
M. Wiener_, les restitutions des types placés dans la grande salle.
« Tous ces documents nouveaux et multiples apportés aux
éludes scientifiques n'auraient pu nous parvenir et n'auraient
pu être garantis contre les chances d'une expédition, sans le
concours de notre marine et de nos agents à l'étranger. Tous se
sont solidarisés pour faciliter le succès des explorations de nos
voyageurs. M. le comte de Vernouillet, alors ministre plénipo-
tentiaire au Pérou, a particulièrement facilité la mission si heu-
reuse de M. Wiener.
« Les dons de quelques collectionneurs viennent enfin se
joindre à nos richesses, et grâce à la libéralité intelligente
de M. Angrand^ l'État va bénéficier d'une collection unique, fort
enviée, et dont la valeur est extrême.
Le Musée ethnographique est donc fondé, et nous sommes
convaincu que le patriotisme éclairé des représentants de la
nation viendra en aide à son développement; ils mériteront ainsi
la reconnaissance de tous ceux qui s'intéressent à l'avancement
des lumières.
292 LES ORIGINES
« C'est l'amour de la science et de la France qui a inspiré et
qui inspire, tous les jours, nos voyageurs, au milieu des fatigues,
au milieu des solitudes, et en face souvent des plus grands
périls ; c'est cette double flamme qui centuple leurs forces mo-
rales. C'est aussi l'amour de la France et de la science qui garan-
tit le succès et la durée de la fondation à laquelle votre présence
apporte le concours des sympathies éclairées et la force de l'opi-
nion publique.
u Je déclare ouvert le Musée ethnographique'. »
1) En terminant ce discours, le Ministre a décerné un certain nombre de
récompenses honorifiques, dont la liste est imprimée aux pages 44-45 du Bul-
ktin administratif à\i Ministre pour 1878. (E. H.)
CHAPITRE XIII
Nomination dune Commission d'étude à la suite de l'Exposition universelle
de 1878. — Travaux de cette Oommission.
N° LXXX
DIRECTION , .
, „ . , MINISTÈRE DE L JNSTRUCTION PUBLIQUE, DES CULTES ET
des Sciences et
Lettres. DES BEAUX-ARTS *
1" Bureau.
Le Ministre de l'Inslruclion publique, des Cultes et
des Beaux-Arts,
Vu le rapport en date du 2 novembre 1877 proposant la fon-
dation d'un établissement scientifique nouveau qui porterait le
nom de Muséum ethnographique des Missions scientifiques.
Vu l'arrêté ministériel en date du 3 novembre 1877 établissant
la nécessité de créer ledit Muséum et de déterminer ses attri-
butions et sa composition.
Vu l'arrêté ministériel en date du 3 novembre 1877 décidant
l'ouverture provisoire du Muséum ethnographique et l'expo-
sition de la section américaine (Amérique du Sud) au Palais de
l'Industrie,
Arrête :
Article l®^ Une Commission chargée d'étudier la créa-
1) Bulletin administratif du Ministère de l'Instruction publique, des Cultes
et des Beaux-Arts. Nouv. sér., t. XXI, p. 715-716, 1878. —Un arrêté du
29 octobre imprimé au même volume (p. 744) a ajouté sur la liste des membres
de la Commission M. Langlois de Neuville, directeur des bâtiments civils au
Ministère des Travaux publics. (E. H.)
294 LES ORIGINES
tion définitive du Muséum ethnographique est instituée auprès
du Ministre de llnslruction publique, des Cultes et des Beaux-
Arts.
Celte Commission devra :
\° Étudier et rechercher l'emplacement le plus convenable
pour l'établissement dudit Muséum,
2° Elle devra se faire rendre compte des objets que possède
déjà le Ministère et provenant des résultats des missions, du legs
de M. Ang-rand, des dons faits au Muséum par les différents
commissaires étrangers de l'Exposition universelle, ou par des
particuliers et préparer un programme de classification et
d'agencement des salles.
3° Etablir un projet de budget des dépenses.
Art. 2. La Commission est ainsi composée :
MM. le Ministre, président;
le Sous-Secrétaire d'Etat,
H. MiLNE Edwards,
Sadi Carnot, y vice-préside7ïts.
le Sous-Secrétaire d'Etat au Ministère*
des Travaux publics.
Angrand, ancien consul général, chargé de missions scien-
tifiques.
Brisson, député.
Charmes, chef de cabinet de M. le Ministre.
Charton, sénateur.
Jules Ferry, député.
Germer-Bailltère, conseiller municipal.
Albert Grévy, député.
Henri Martin, sénateur, membre de l Institut.
Maunoir, secrétaire général de la Société de géographie.
Perin, député.
Scheurer-Kestner, sénateur.
Servaux, sous-directeur des Sciences et Lettres.
Thulié, président du conseil municipal.
DU MUSÉE d'ethnographie 295
MM. VioLLET-LE-Duc, Conseiller mtmicipal,
Watteville (0. de), directeur den Sciences et Lettres.
Hamy, ]
Landrin, ( secrétaires.
Wiener.
Fait à Paris, le iS octobre 1818.
Signe' : A. Bardoux.
Pour ampliation,
Le Chef du bureau des Archives,
H. Valmore.
IN° LXXXI
3IIN1STÈRE DE l'iNSTRUCTION PUBLIQUE, DES CULTES ET DES BEAUX-ARTS
Taris, 28 octobre 1878.
RAPPORT (lu dans la séance du 30 octobre 1878), fait au nom
de la sous-cotnmission de l'appropriation d'un local pour le
Musée ethnographique, à la cormnission du Muséum ethno-
graphique, instituée par arrêté ministériel en date du J9 octobre
1878.
Messieurs,
Vous avez bien voulu nous charger d'étudier la question
d'appropriation d'un local à l'établissement d'un Musée ethno-
graphique à Paris.
Depuis longtemps le monde savant, en Europe, s'étonnait, non
sans motifs, de ne point trouver à Paris un musée ethnographi-
que, tandis que la plupart des capitales et certaines villes de
second ordre offraient à l'étude, des collections de cette nature,
ayant une importance considérable.
Et cependant, les éléments ne nous font pas défaut. Sans parler
du grand nombre d'objets qui sont dispersés dans nos collections
d'art, d'archéologie, d'histoire naturelle et dans nos bibliothè-
296 LES ORIGINES
ques publiques, les magasins de l'Etat contiennent quantité de
documents propres à composer un musée ethnographique.
L'exposition provisoire des Missions scientifiques installée au
palais des Champs-Elysées, l'hiver dernier, a été, pour le public^,
une révélation. L'ethnographie se dévoilait, pour ainsi dire, aux
yeux de ce public parisien, avide d'apprendre et accessible à
toutes connaissances nouvelles.
Noire sous-commission n'a pas à définir l'ethnographie et à
signaler l'importance des études qui s'y rattachent au point de
vue g-éographique, historique, archéologique, etc. ; son rôle doit
se borner à vous indiquer les locaux ou le local qui s'approprierait
le mieux à l'installation et au classement d'un musée ethnogra-
phique; mais il était difficile à notre sous-commission d'étudier
celte partie de la question et de vous apporter des conclusions
motivées avant de s'être rendu compte du programme imposé,
c'est-à-dire du mode de classement le plus convenable, le plus
propre à faciliter les recherches, puisque la nature de ce
classement doit, jusqu'à un certain point, commander la disposi-
tion des locaux.
Il faut bien reconnaître que la majeure partie des collections
composant nos musées sont disposées dans des locaux peu
propres à en recevoir et, par conséquent, peu favorables aux
éludes sérieuses.
L'idée du classement méthodique des objets composant un
musée est une idée toute moderne, qui se rattache à une série de
connaissances très récentes, car il n'y a guère longtemps que les
musées étaient considérés comme des locaux ouverts à quelques
dilettanti^ aux curieux: ou même aux oisifs.
Evidemment, on n'admettait qu'au Louvre, par exemple, un
chef-d'œuvre do l'antiquité; les toiles des grands maîtres
devaient servir d'exemples aux artistes, mais dans le classement
de ces marbres ou de ces tableaux, n'intervenaient ni la méthode
critique, ni la connaissance historique.
Cela, peut-être, n'avait pas un grand inconvénient lorsqu'il
s'agissait d'œùvresqui,par elles-mêmes, ont une valeur telle que
toute comparaison est superflue. La Vénus de Milo, un Raphaël,
DU MUSÉE d'ethnographie 297
un Titien s'imposent à l'admiration, fournissent un enseigne-
ment d'une qualité intrinsèque, peut-on dire, plus que suffi-
sante pour qui veut examiner attentivement et étudier ces œuvres
dues à la plus haute expression du génie humain.
Pour les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des objets réunis dans
un musée, il n'en est pas ainsi ; leur valeur est relative ; ce sont
des éléments d'un ensemble qui, pour être de quelque profit au
public studieux, doivent être classés suivant un certain ordre
logique.
Tel objet qui, par lui-même, ne présente qu'un intérêt
médiocre soit comme conception, soit comme exécution et qui
n'offre à l'esprit aucun repère utile, prend une valeur con-
sidérable s'il est classé de telle sorte qu'on puisse connaître le
milieu dans lequel il s'est produit, ce qui l'a précédé, ce qui l'a
suivi ; alors, il devient un jalon du travail humain et ainsi
l'occasion d'un enseignement éminemment fructueux.
Or, il est évident qu'un musée ethnographique se compose en
très grande partie de ces objets dont l'intérêt est purement
relatif, qui n'acquièrent de valeur que par la comparaison, et
c'est à cela qu'il convient d'attribuer chez nous, jusqu'à présent,
l'oubli dans lequel ces sortes de collections ont été laissées.
On n'a considéré ces collections que comme des amon-
cellements d'objets étrangers, parfois grotesques, rarement
pourvus de beauté, sortes de produits du hasard ou d'une fan-
taisie barbare. Et cependant, lorsque, l'hiver dernier, les apports
des Missions scientifiques ont été exposés au palais des Champs-
Elysées suivant une apparence de classement, on a pu voir
combien le public se prenait de goût sérieux pour les études
ethnographiques et comme il allait au devant des quelques
explications qui pouvaient lui être données.
Nous avons été témoins des mômes dispositions manifestées
par ce public, lorsqu'à été ouverte l'Exposition anthropologique,
moins attrayante queue peutl'être une exhibition ethnographique.
Reléguée dans un coin des terrains du Trocadéro, cette exposition
anthropologique a été suivie avec le plus grand empressement,
grâce au classement méthodique adopté.
298 LES ORIGINES
Ceci est une preuve que le public est attiré surtout vers les
collections ou musées dans lesquels il apprend quelque chose.
Donc, le classement rig-oureusement méthodique des collections
doit, avant tout, préoccuper ceux qui sont chargés d'installer un
Musée.
Nous avons cru devoir introduire ici ces observations, afin de
motiver le choix du local sur lequel notre sous-commission
appelle particulièrement votre attention.
Si grande que soit la ville de Paris, elle n'offre pas un seul
bâtiment libre assez vaste pour installer un musée ethnogra-
phique, lequel exige beaucoup de place.
Le Louvre, on du moins la partie du Louvre réservée aux
collections, n'est que trop rempli et si, comme il faut l'espérer,
ces collections s'enrichissent encore, il deviendra bien difficile
de les placer.
Il y aurait le palais des Tuileries, si l'on se décide à restaurer
les ruines ; mais on a pensé qu'il serait convenable de disposer
dans ce palais les œuvres dues aux artistes vivants, collections si
mal installées dans le palais du Luxembourg. Puis, en admettant
que le Parlement fournisse à l'administration les ressources
nécessaires pour rétablir la partie centrale des Tuileries, il
faudra attendre trois ou quatre ans pour que les locaux soient
appropriés.
Il y aurait le palais incendié de la Cour des Comptes ou Conseil
d'Etat, quai d'Orsay ; mais la restauration de ces ruines exigera
une très grosse dépense, et ces locaux seraient beaucoup mieux
appropriés à un service administratif.
Il y a le palais du Trocadéro, qui peut rester entre les mains
de l'Etat, ou être acquis par la ville de Paris.
Sans préjuger ce que- résoudra la municipalité parisienne,
puisqu'elle n'est tenue de prendre une décision à cet égard que
dans un délai de plusieurs mois, après la fermeture de l'Exposi-
tion, les galeries du Trocadéro ne seraient pas disposées très
favorablement, pour recevoir un'musée ethnographique, et voici
pourquoi : si l'on entend que des collections de cette nature
puissent être classées suivant un ordre méthodique favorable
DU MUSÉE d'ethnographie 299
aux études, il importe de grouper autour de certains centres, les
dérivés ou les limitrophes de ces centres. Cela aura une très
grande importance pour l'Asie centrale, par exemple, et encore
pour la partie septentrionale de l'Afrique, pour l'Extrême-Orient
et pour l'Amérique du Sud. Il est donc nécessaire que le local
choisi permettedesclassementspar salles secondaires se groupant
autour d'une salle centrale. Do plus, conjointement avec le clas-
sement par contrées et par races et périodes, il est indispensable
de fournir un classement par nature d'objets appartenant ù des
populations difïérenlcs.
Des galeries longues, relativement étroites, sans annexes, se
prêteraient fort mal au classement que tout ethnographe sera
entraîné à adopter.
Le meilleur emplacement serait donc une large surface cou-
verte, que l'on pourrait diviser en raison du classement par
séries ou par groupes réunis autour d'un centre, ou type, ou
précurseur ethnographique.
Or, aucun emplacement ne se prête mieux à cette disposition
que le palais du Champ de Mars.
Le plan de ce palais se compose, comme on sait, de larges et
hautes galeries, en bordure sur l'Ecole militaire, sur les avenues
de la Bourdonnaye et de Sufîren et sur le jardin planté vers la
Seine. Ce grand parallélogramme renferme d'autres galeries
couvertes, plus basses, séparées par des voies de circulation,
longitudinalement, et coupées par deux larges voies hautes,
transversales. Au centre est ménagé un espace découvert, dans
l'axe duquel s'élèvent les bâtiments des Beaux-Arts et de la Ville
de Paris.
Le plan modifié après l'Exposition, qui semblerait devoir
concilier les intérêts des divers services qui pourraient y être
installés, consisterait, soit à conserver, soit à démolir la galerie
située en face de l'Ecole militaire, ainsi que toutes les cons-
tructions intérieures de ce côté, jusqu'à la voie transversale
ouverte en face do l'avenue Rapp, mais en laissant subsister les
deux grandes galeries des Machines ; puis à conserver entière-
ment, sauf le bâtiment des Beaux-Arts, élevé en pans de bois,
300 T'ES ORIGINES
toute la partie du palais comprise entre cette voie transversale
de l'avenue Rapp et le jardin vers la Seine.
Les deux tronçons des galeries des Machines laissés du côté
de l'École militaire jusqu'à cette voie transversale, seraient des-
tinés à divers services, ainsi que le vaste espace vide situé entre
elles deux. Quant à la partie avoisinant le jardin, côté de la Seine,
elle serait réservée au placement de collections.
Ce vaste espace, non compris le jardin d'axe qui serait planté
à la place des galeries des Beaux-Arls, donnerait une surface
couverte de 64,000 mètres, le vestibule et les deux tronçons
restant des galeries des Machines, compris.
La moitié de celte surface, prise soit du côté de l'avenue de la
Bourdonnaye, soit du côté de l'avenue de Suffren, suffirait large-
ment à l'installation du Musée ethnographique, d'autant que
certains gros objets n'ayant pas à redouter les intempéries,
pourraient être placés dans le jardin central et sous les portiques
extérieurs que nous ne comprenons pas dans la surface couverte
et close.
La galerie transversale en face de l'avenue Rapp, galerie dont
la largeur est de 15 mètres, devrait être livrée jour et nuit aux
piétons et aux voilures. Il y aurait donc à clore cette galerie du
côté des musées qui prendraient leurs entrées dans cette clôture,
ce qui permettrait aux visiteurs de descendre de voiture à
couvert.
Chacune de ces moitiés, teintées en rose sur le plan joint au
présent rapport, se compose, outre les tronçons des galeries des
Machines et du vestibule, de trois nefs de 25 mètres de largeur
chacune, séparées par des passages de 5 mètres.
Ces nefs peuvent être divisées, comme elles le sont déjà, par
des cloisons ne montant pas de fond, de façon à permettre un
classement disposé conformément à ce qui a été dit plus haut.
Et, comme il faut prévoir, dans ce classement, des modifications
fréquentes en raison des découvertes successives delà science et
des apports nouveaux, il serait facile sur cette large surface cou-
verte de modifier les divisions au fur et à mesure des nécessités.
Il ne serait pas très dispendieux, dans la galerie des Machines
DU MUSÉE d'ethnographie 301
et dans le vestibule, dont les hauteurs sous comble sont consi-
dérables, d'établir des galeries supérieures de quelques mètres
de largeur, où quantité d'objets pourraient être placés et qui
serviraient de magasins et de dépôt.
A rencontre de ce projet, une seule objection a été opposée.
Sera-t-il possible de laisser, sans les chauffer, ces locaux, pendant
l'hiver? Les objets qu'ils abriteront ne seront-ils pas altérés par
le froid et l'humidité ?
A cette objection nous répondrons que ces locaux ne sont pas
plus difficiles à chauffer que ne le sont les grandes serres,
d'autant qu'ils sont élevés sur des sous-sols de 3 mètres de
hauteur.
Au moyen de quatre générateurs disposés dans le sous-sol,
on chaufferait facilement, à la vapeur circulante, le cube dair
contenu dans ces salles, les grandes galeries exceptées, cube
d'air qui serait environ de 130,000 mètres, et la dépense annuelle
ne s'élèverait pas à 23,000 francs.
Les grandes galeries des Machines et du vestibule étant
séparées des locaux plus bas, par des clôtures, ces trois galeries
plus basses, au moyen d'un double vitrage remplaçant le vehnn
tendu dans chaque division, seraient parfaitement à l'abri de
l'humidité et dans des conditions excellentes, pour qu'on y pût
maintenir une température sèche et égale.
Notre sous-commission s'est rendue au Champ de Mars pour
examiner les locaux au point de vue du classement des collec-
tions ethnographiques, et cette visite l'a pleinement confirmée
dans cette opinion, qu'aucun bâtiment ne saurait mieux se prêter
à ce classement.
Elle a projeté sa visite à l'Exposition, pour passer en revue
les éléments ethnographiques que l'État possède et qui sont
répartis sur quantité de points, soit au Champ de Mars, soit au
Trocadéro. Ces richesses sont considérables déjà, et même, en
supposant un choix scrupuleux, conformément à la méthode
scientifique, leur réunion couvrirait la moitié de l'espace que
nous supposons devoir être affecté au Musée ethnographique.
Or, nous n'ignorons pas que beaucoup de nos établissements
302 LES ORIGINES DU MUSÉE D ETHNOGRAPHIE
d'art et de science possèdent quantité d'objets en magasin, qui
trouveront leur place dans un Musée ethnographique et que des
particuliers n'attendent qu'une fondation de cette nature pour
donner à l'État leurs collections ; il est donc sage en organisant ce
musée et en choisissant un local, de prévoir celte abondance de
biens.
Quant aux grandes galeries des Machines et du vestibule, elles
pourraient être affectées plus spécialement au placement de
spécimens et moulages de monuments qui se rattachent aux
études ethnographiques, de plans en relief dont l'attrait est si
grand pour le public ; spécimens et plans qui encombreraient
les locaux plus spécialement destinés au classement des objets,
• Paris possède aujourd'hui tous les éléments propres à réta-
blissement du plus beau Musée ethnographique du monde, mais,
pour donner à ce musée toute la valeur scientifique qu'il doit
atteindre, il sera nécessaire de procéder dans le choix et dans le
classement des objets suivant une méthode rigoureusement
suivie et d'après un programme dressé avec le soin le plus minu-
tieux.
En conséquence, notre sous-commission a l'honneur de vous
proposer d'émettre un avis favorable à l'affectation de la partie
du palais du Champ de Mars dont elle vient de vous indiquer
les dispositions futures, au Musée ethnographique.
Si la commission adopte ces conclusions, elle n'aurait plus
qu'à prier M. le Ministre de poursuivre auprès du Parlement et
des administrations compétentes, la réalisation d'un projet qui,
certainement donnera satisfaction aux tendances tous lesjours plus
prononcées, du public, pour les études qui se rattachent à la
connaissance des travaux de l'homme, et qui par cela même
ouvrent un champ de plus en plus vaste à notre industrie.
E. VlOLLET-LE-DuC.
CHAPITRE XIV
Décret affectant le Palais du Trocadéro au Ministère de l'Instruction publique
et des Beaux -Arts. — Nomination d'une Commission d'organisation des
collections ethnographiques et arrêté attribuant à ces collections les étages
supérieurs du Palais. — Rapport sur ces collections présenté par M. Hamy
au nom de la Commission. — Ouverture des crédits nécessaires et nomina-
tion du personnel du Musée.
No LXXXII
Le Président de la République Française *,
Sur le rapport du Ministre de rinstruction publique et des
Beaux -Arts ;
Vu l'ordonnance dul4 juin 1833 sur lesalTectations d'immeu-
bles domaniaux à un service public de l'Etat, remise en vigueur
par le décret du 24 mars 1852 ;
Vu Tavis favorable de M. le Ministre des Finances;
Décrète :
Article 1". — Le palais du Trocadéro et ses dépendances sont
désormais affectés exclusivement aux divers services du Mi-
nistère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts.
Art, 2. — Le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-
Arts est chargé de l'exécution du présent décret.
Fait à Paris le 13 octobre 1879.
Jules Grévy.
Par le Président de la République :
Le Minisire de l Instruction publique
et des Beaux- Arts,
Jules Ferry.
1) Bulletin administratif , etc., t. XXII, p. 808-809. 1879.
304 LES ORIGINES
LXXXIII
Le Ministre de rinslruction publique et des Beaux-Arts',
Vu l'importance des collections ethnographiques dépendant
du Ministère de l'Instruction publique et des Beaux- Arts;
Vu raccroissement rapide de ces collections, accroissement
provenant soit de missions scientifiques, soit de dons particuliers;
Vu la nécessité de centraliser ces collections et 'de leur donner
un classement scientifique afin de préparer l'org-anisation d'un
Musée d'Ethnographie,
Arrête :
Article l''". — Une commission est instituée près le Ministre de
l'Instruction publique et des Beaux-Arts à l'efîet de diriger le
classement et l'organisation des collections ethnographiques qui
dépendent de ce ministère.
Art. 2. — Sont nommés membres de cette commission :
MM. l'amiral Paris, président;
MiLNE Edwards, vice-président;
D"" Broca, secrétaire général de la Société d'anthropologie ;
Charton, sénateur;
Maunoir, secrétaire général de la Société de géographie ;
Georges Périn, député ;
De Quatrefages, membre de l'Institut;
\rt. 3. — MM. Armand Landrin et le docteur Hamy sont char-
gés du classement des dites collections sous la direction de la
commission. Ils assistent aux séances à titre consultatif, mais
sans avoir voix délibérative.
Fait à Paris, le 30 octobre 1879.
Jules Ferry.
t) Bulletin administratif, t. XXII, p. 886-887. 1879.
DU MUSÉE d'ethnographie 305
No LXXXIV
Le Ministre de l'Inslruction publique et des Beaux-Arts',
Vu le décret en date du 13 octobre 1879, sur la demande de
la commission instituée par arrêté du 30 octobre 1879 près le
Ministère de l'Instruction publique, à l'effet de diriger l'organi-
sation et le classement des collections ethnographiques dépen-
dant de ce ministère.
Arrête :
Les salles, péristyles, galeries et dépendances occupant le
premier étagedu palais duTrocadéro, les combles et les magasins
situés au-dessus desdites salles et le pavillon annexe, placé à
l'entrée du Trocadéro, du côté de Passy, sont affectés à la con-
servation des collections ethnographiques du Ministère de l'Ins-
truction publique et aux services qui en dépendent.
Fait à Paris, le 24 novembre 1879.
Jules Ferry.
N« LXXXV
RAPPORT
SUR LE MUSÉE ETHNOGRAPHIQUE PRÉSENTÉ A M. LE MINISTRE DE l'iNS-
TRUCTION PUBLIQUE AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE [Extrait)
Par M. Hamy, rapporteur*.
Monsieur le Ministre,
La commission à laquelle vous avez confié, par arrêté en date
du 30 octobre dernier, l'organisation et le classement des collec-
tions ethnographiques appartenant au Ministère de l'Instruction
1) Bulletin administratif, etc., p. 969. 1879.
2) Ce rapport, imprimé comme Annexe n° III à l'exposé des motifs du projet
de loi dont je donne plus loin (no LXXVI) un extrait (no 2824, Chambre des
députés, etc.. Annexe au procés-verbal de la séance du 29 juin 1SS0), a été re-
produit dans le tome VI de la 3» série des Archives des Missions scientifiques et
littéraires (p. 399) et dans le Bulletin de la Société de géographie (6^ sér., t. XX,
p. 188). Je n'en reproduis ici que le commencement et la fin, jugeant inutile de
reprendre en raccourci l'histoire du Musée, donton a lu plus haut tout le détail.
20
306 LES ORIGINES
publique, s'est mise aussitôt à l'œuvre, et a l'honneur de vous
faire connaître le résultat de ses premiers travaux.
L'enquête à laquelle se sont livrés les commissaires leur a
montré que les collections, rassemblées par les soins des mission-
naires scientifiques du gouvernement et des deux conservateurs
provisoires, sont, dès à présent, assez riches, assez nombreuses,
assez variées pour former un musée public, susceptible de rendre
de véritables services et qui prendrait, tout de suite, un rang très
honorable entre les établissements de même genre que possèdent
la plupart des grandes villes de TEurope.
Les services qu'est appelé à rendre le musée spécial, dont la
création est sollicitée à Paris depuis près d'un siècle, sont de
divers ordres. En effet, les collections ethnographiques ne sont
point seulement utiles à la connaissance de l'anthropologie, con-
sidérée sous ses faces diverses ; elles contribuent en outre dans
une large mesure aux progrès des autres sciences naturelles, et
sont appelées à fournir des renseignements parfois si précieux
aux économistes, aux commerçants, aux industriels, aux ar-
tistes,etc., etc.
L'ethnographie, prise en elle-même, est une des branches les
plus importantes de la science de l'homme. L'étude de toutes les
manifestations matérielles de V activité humaine lui appartient en
effet, tout entière, et si, dans les limites qu'on lui assigne aujour-
d'hui, l'homme lui-même reste en dehors de son contrôle, elle a du
moins à recueillir et à coordonner les observations auxquelles
prêtent les groupes ethniques dans leur vie intime et dans leurs
rapports réciproques. Alimentation et logis, habillements et
parures, armes de guerre et instruments des travaux de la paix,
chasse, pêche, cultures et industries, moyens de transports et
d'échanges, fêtes et cérémonies civiles et religieuses, jeux de
toute sorte, arts plus ou moins développés, tout ce qui^ dans
^existence matérielle des individus, des familles ou des sociétés,
présejite quelque trait bien caractéristique, est du domaine de
ï ethnograiphie .
Les innombrables documents, qu'une étude aussi vaste vient
chaque jour fournir, ont, à la longue, formé tout un ensemble
DU MUSÉE d'ethnographie 307
d'une nature spéciale, toute une science nouvelle, d'ordre secon-
daire sans doute, mais ayant sa vie propre, son but bien défini, ses
limites circonscrites, et possédant déjà des résultats acquis d'une
manière bien assurée. Maintes sciences connexes utilisent ses
renseig^nements, et l'anthropologie en particulier, dont elle est
une dépense, vient lui demander chaque jour de précieuses indi-
cations. Elle rinterrog-e plus particulièrement sur ces grandes
questions d'origine, qui passionnent à bon droit tant d'esprits
élevés, et l'ethnographie répond, tantôt en mettant en évidence
d'une manière irrésistible la doctrine du progrès continu des
sociétés, qu'attestent les âges de pierre, de cuivre, etc., dont
elle retrouve presque partout la trace, tantôt en démontrant par
la similitude des usages et du genrede vie, lesrelations premières
de peuples séparés comme les Guaranis des Andes de leurs congé-
nères, par des intervalles énormes dans l'espace et dans le temps.
L'ethnologie ou anthropologie descriptive complète, à l'aide
des données ethnographiques, le tableau des caractères différen-
tiels dont l'anatomie lui a fourni la première esquisse, et il lui
arrive souvent de se servir de quelque trait ethnographique pour
instituer des subdivisions nécessaires entre des groupes secon-
daires de même type physique, comme les Papouas.
La linguistique, la mythologie comparée, la sociologie utili-
sent, de semblable manière, les documents sur l'épigrapliie, les
superstitions, etc., sous l'examen desquels ces branches de la
science de l'homme demeureraient insuffisamment renseignées.
Il en sera de même de toutes les autres sciences naturelles.
Dans le matériel funéraire qu'un ethnographe aura recueilli le
long des côtes du Pérou, un zoologiste, M. Alphonse Mihie
Edwards, retrouvera le type oublié du cobaye primitif; un bota-
niste, à l'aide des mêmes fouilles, reconstituera l'histoire de
plantes utiles, aujourd'hui disparues ; un minéralogiste rencon-
trera, sous forme d'amulettes, dans les collections du docteur
Crevaux, la véritable pierre des Amazones, bien différente de
la roche, à laquelle on applique aujourd'hui ce nom '.
1) Tous ces faits sont empruntés à l'histoire du Muséum provisoire d'ethno-
graphie de Paris.
308 LES ORIGINES
Le médecin a appris de l'ethnographe à connaître le quinquina,
le curare, etc. ; le chirurgien lui a emprunté l'acupuncture, les
moxas, etc.; l'hygiéniste tient de lui les données à l'aide des-
quelles il étudie l'influence des habitudes et des mœurs sur la
santé des nations.
Le commerçant lui doit, en nombre incalculable^ les matières
alimentaires, textiles, tinctoriales, aromatiques, etc., que les
barbares connaissaient avant nous, et dont l'ethnographe a le
premier révélé les propriétés et l'usage : manioc, phormium,
rocou, caoutchouc, santal, etc. *.
Diverses industries perfectionnées sont sorties de l'examen
des procédés tout primitifs de quelques grossiers sauvages ^
Les arts industriels varieront agréablement leurs modèles, en
étudiant les objets de toute nature décorés par les peuples exo-
tiques. Enfin l'art lui-môme, en se faisant ethnographique,
rencontrera parfois d'heureuses inspirations.
Tel est, en quelques mots, le rôle de l'ethnographie ; tels sont
les résultats que peut procurer la formation d'un musée consacré
à cette branche de la science de l'homme.
1) Le commerce d'exportation n'est pas moins intéressé aux progrès de
l'ethnographie que le commerce d'importation. La connaissance exacte des goûts
et des mœurs du Japon, que représente largement à Leyde le Musée Siebold,
eût certainement épargné, il y a quelques années, bien des déboires à plus
d'une grande maison de Paris. Hier encore, faute de renseignements précis sur
les objets en usage chez les Soudaniens, au Bournou, etc., renseignements
qu'on possède au Musée ethnographique de Berlin, et qui nous font complète-
ment défaut, nos négociants se voyaient dans l'impossibilité de profiter des ser-
vices que l'expédition Flatters était disposée à leur rendre en introduisant, dans
le Soudan, des produits de fabrication française en harmonie avec les besoins
et les goûts des natifs.
2) Les ateliers de Tilpman, de Philadelphie, dans lesquels on grave le verre,
le corindon, etc., à laide d'un courant d'eau chargé de sable sous une fort
pression (3G0 livres par pouce carré), ne font en somme qu'appliquer une vieille
découverte dos Kanakes de la Nouvelle-Calédonie.
3) J'ai supprimé ici l'histoire abrégée du Musée, qui n'a plus sa raison
d'être après l'exposé détaillé qui forme la première partie de ce travail, et qui
d'ailleurs, rédigée précipitamment pour l'administration, contenait quelques
appréciations erronées. (E. H.)
DU MUSÉE d'ethnographie 309
Quoique le dernier venu entre tant d'établissements remar-
quables*, quoique privé, d'une grande partie des collections spé-
ciales rapportées au gouvernement depuis la Restauration et
dispersées ou perdues aujourd'hui, le Musée ethnographique
provisoire du Ministère de l'Instruction publique, emmagasiné
dans les locaux que lui a attribués l'arrêté du 24 novembre der-
nier^ est, dès à présent, assez considérable pour mériter d'appeler
l'attention de tous les hommes dont les études ou les intérêts
touchent aux questions exotiques, et de tous ceux aussi qui se
préoccupent en France de la connaissance des pays étrangers
et du développement de nos relations extérieures.
Des milliers d'objets, sont, dès à présent, groupés dans le
premier étage du palais du Trocadéro. Le fonds dit des émigrés^
dont il était question plus haut, et les anciennes collections du
Jardin du Roi et de la Ribliothèque Sainte-Geneviève, seuls
témoins des voyages de La Condamine, de Bougainvillo, etc.,
qui aient échappé à la destruction, nous ont été remis par
l'administration de la Bibliothèque nationale. Nous avons reçu
du même établissement un petit nombre d'objets provenant de
la grande commission d'Egypte. Nous avons pu extraire de
l'ancien Musée algérien les séries fort précieuses qui y représen-
taient l'ethnographie arabe et kabylC;, et dont nul autre établis-
sement similaire en Europe ne pourrait montrer aujourd'hui la
deuxième partie. La Bibliothèque de l'Arsenal nous a offert la
petite collection fort curieuse réunie auxviii" siècle parle marquis
de Prony. Le Muséum d'Histoire naturelle nous a remis la plupart
des pièces qu'il avait reçues depuis 1833' , ainsi qu'un grand
nombre de moulages dont cette institution possède les creux.
Enfin le Musée des Antiquités nationales a mis à notre dispo-
sition les objets qu'il possède et qui ne sont pas nécessaires aux
1) J'énuraérais dans les dernières lignes du chapitre supprimé les principaux
musées d'elhnograptiie d'Europe (Londres, Copenliague, Berlin, elc.) (E. H.)
2) Voy. Documents, pièce n" LXXXIV.
3) On a vu plus haut que le 11 mai 1883 radministralion de cet établissement
avait, sur une demande du ministre, déposé entre les mains du conservateur
du Musée naval trente-deux lots d'objets, comprenant 85 pièces entrées depuis
les envois faits à Millin et à Barthélomy en l'an V {Dociim., pièces n"' Vif à
X, XII, XXXVIII, L, etc.).
310 LES ORIGINES
comparaisons sur lesquelles s'appuie l'archéologie préhisto-
rique.
Nous n'avons presque rien retrouvé des collections recueillies
sous l'Empire par les missionnaires de l'Etal, et notamment par
ceux qui ont accompagné l'expédition française au Mexique.
Mais un arrangement conclu avec M. Pinart, il y a deux ans et
demi, ayant assuré au gouvernement la propriété d'un lot impor-
tant d'antiquités, etc., acquis par ce voyageur d'un de nos
anciens résidents à Mexico, les pertes faites de ce côté ont pu
être en partie réparées.
Les missions scientifiques entreprises depuis la paix avaient,
en revanche^ accumulé dans les magasins du Ministère de
véritables montagnes de caisses de toute provenance dont Je
contenu, trié et classé par les conservateurs provisoires, formerait
tout un musée. Vous avez pu voir, Monsieur le Ministre, dans
l'exposition qui a eu lieu au Palais de l'Industrie en janvier et
février 1878 une partie de ces séries. L'Asie y était représentée
par des envois nombreux et variés de MM. Delaporte, Harmand,
de Ujfalvy, Lansberg, La Savinière ; l'Afrique par les panneaux
de MM. Marche et Verneau, l'Amérique du Nord par les collec-
tions de M. Pinart, l'Amérique du Sud par celles de MM. Crevaux
Wiener, André de Cessac, l'Océanie enfin, par les objets do
MM. Rafîray et Ballieu.
Depuis cette exposition, les envois des missions ont continué à
arriver de plus en plus nombreux et importants. Certains désor-
mais que les pièces, recueillies au prix de tant de fatigues et de
dépenses, seraient soigneusement conservées et montrées au
public, nos voyageurs ont redoublé d'efforts.
C'est ainsi que M. Pinart a recueilli pour le nouvel établisse-
mont, dans les archipels Fidji, des Amis, do la Société, une
incomparable série d'objets de toute espèce que remplacent, de
plus en plus, chaque jour, chez les naturels, des produits euro-
péens.
M. Gharnay a rapporté d'Australie tout un matériel acquis de
tribus sauvages dont l'anéantissement est proche. M. Cabun a
enrichi notre dépôt de plusieurs pièces inédites du pays des
DU MUSÉE d'ethnographie 311
Ansariés, où il a récemment pénétré. MM. Verneau et Soleillet
nous ont remis un certain nombre de choses rares des Canaries
et du Soudan occidental. M. Crevaux, dont la collection ne com-
prenait en 1878 qu'une soixantaine de numéros, a rempli toute
une salle des documents les plus curieux sur les Indiens de
la Ilaute-Guyane et du Haut-Amazone. M. Ber a déposé au
Trocadéro les résultats de fouilles nombreuses dans les
ruines de Tiaguanaco. M. de Cossac, enfin, ramène en ce mo-
ment de Californie plusieurs milliers de pièces d'ethnographie
indienne.
En même temps que les collections des voyageurs de l'Etat
augmentent dans ces proportions, les dons affluent d'une manière
inattendue entre les mains des conservateurs. A la suite de
l'Exposition universelle, un certain nombre de commissions
étrangères avaient cédé tout ou partie des pièces exposées par
leurs gouvernements. Ainsi que le Journal officiel du 19 octobre
1878 l'apprenait au pays, vingt-sept États, parmi lesquels
l'Egypte, la Chine, le Japon et plusieurs colonies anglaises se
signalaient tout particulièrement, s'étaient ainsi constitués les
collaborateurs de l'œuvre que le Ministère de l'Instruction
publique avait reprise avec tant de bonheur.
A ces dons d'origine officielle sont venus s'en joindre un bon
nombre d'autres émanés d'institutions scientifiques, de groupes
coloniaux ou de particuliers. L'Académie indo-chinoise, par
exemple, s'est défait à notre profit des documents que M. Vossion
lui avait rapportés de Birmanie. Le conseil du Sénégal a voté
une somme destinée à réunir pour le nouveau musée parisien les
choses les plus caractéristiques de l'ethnographie coloniale. Un
premier envoi est déjà parvenu à destination. M. Merle, de
Bordeaux, vient d'envoyer quatre caisses d'objets variés de
même provenance, d'autant plus intéressants qu'ils remontent
plus haut dans le passé do cette ancienne et honorable maison.
M. Goldthammer nous a libéralement enrichis de bien des
pièces curieuses du Maroc et des côtes occidentales d'Afrique.
MM. Bischoff"sheim, Djedjienski, FoUiet, Mir, Boucart, Rcy,
Quesnel, DrouUion, Harmsen, et d'autres encore, Français et
312 LES ORIGINES
étrangers, figurent dans l'inventaire en cours d'exécution pour
des dons plus ou moins importants.
N'oublions pas, en terminant cette énumération rapide, le
legs généreux de M. Léonce Angrand, à l'occasion duquel le
musée provisoire a été constitué.
Vous le voyez, Monsieur le Ministre, les collections dont vous
nous avez confié l'organisation et le classement sont riches,
nombreuses et variées, et nous sommes en droit de penser que les
services que le musée est appelé à rendre et sur la nature des-
quels nous insistions en commençant ce rapport, seront déprime
abord considérables.
La question d'espace, qui avait entravé l'essor des premières
collections confinées dans d'étroits locaux, au Louvre et à la
Bibliothèque, a été résolue par votre arrêté du 24 novembre der-
nier, qui assure aux collections ethnographiques leur libre déve-
loppement dans les salles du premier et du second étage du
palais du Trocadéro.
Il reste à aborder l'étude du budget du nouvel établissement.
Les dépenses nécessaires pour assurer son installation maté-
rielle et son fonctionnement régulier ont été évaluées à diverses
reprises, et vous avez entre les mains. Monsieur le Ministre, les
renseignements les plus complets sur la matière. Nous espérons
que les représentants du pays, auxquels vous voudrez bien
demander un crédit spécial en faveur du Musée d'ethnographie,
désireux d'encourager des efforts qui ont pour but de développer
dans notre pays une science des plus utiles et des moins répan-
dues, n'hésiteront pas à vous fournir les moyens de donner un
caractère définitif au musée provisoire et de réaliser ainsi
l'accomplissement d'une œuvre scientifique dont Lakanal,
Cuvier^ Rémusat et tant d'autres bons esprits ont successivement
réclamé l'exécution *.
1) Ce rapport, adopté par la Commission du Musée d'ethnographie, composée,
ain?i qu'on l'a vu plus haut, de MM. l'amiral Paris, président, H. Milne Edwards,
vice-président; Broca, Charton, Maunoir, G. Perrin, de Quatrefages, membres;
Hamy, Landrin, membres adjoints, a été présenté à M. le Ministre de l'Ins-
truction publique le 26 janvier 1880.
DU MUSÉE d'ethnographie 3i3
N- LXXXVI
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Deuxième législature.
SESSION DE 4880.
Annexe au procès-verbal de la séance du W juin iSSO. — Projet
de loi concernant ï ouverture de crédits supplémentaires sur
l'exercice i 879 ; l'ouverture et l'annulation de crédits supplé-
mentaires et extraordinaires sur l'exercice 1880, etc. *.
exposé des motifs
Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts,
PREMIÈRE SECTION. — Chapitre 26, Voyages et Missions scientifiques.
Crédit supplémentaire demandé : 12,230 francs.
Les Chambres ont, en principe, approuvé la création d'un éta-
blissement qui centraliserait les richesses ethnographiques appar-
tenant au Ministère de l'Instruction publique et les résultats
matériels, chaque année plus considérables, des missions scienli-
fiques .
A cet effet, elles ont accordé au chapitre 26 de l'exercice 1880
une légère augmentation destinée « à préparer l'établissement
d'un Musée ethnographique ».
Depuis le vote du budget, le « Musée provisoire d'ethno-
graphie » a pris un caractère plus défini. LeTrocadéro a été cédé
au Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, qui a
réservé une partie des bâtiments de ce palais pour que les riches
collections du Ministère y soient déposées, 'classées et conservées.
La somme supplémentaire inscrite au chapitre 26 du budget
courant a reçu son atfectation. Les frais de premier établisse-
ment, d'aménagement, de transport, de centralisation Tout com-
plètement absorbée.
Le Musée d'ethnographie existe en réalité, mais il ne saurait
vivre sans que l'Etat subvienne, dès cette année, par un crédit
1) Joiirn. officiel.
314 LES ORIGINES
additionnol, à une larg-e part des dépenses qu'il nécessitera à
partir de 1881.
Ces dépenses s'élèvent à 24,500 francs, qu'on répartira ainsi :
PERSONNEL.
Deux conservateurs à 4,000 francs, ci . . . . 8,000 fr.
Ils seront chargés de veiller à l'entretien , au clas-
sement scientiPiquo et à l'accroissoinent des collec-
tions et delà bibliothèque; ils dresserontle catalogue
des collections, tiendront note des entrées et des
sorties d'objets divers provenant des dons, acqui-
sitions, échanges ou cessions. L'un de ces deux
conservateurs remplira, en outre, les fonctions
d'agent comptable du musée et celles d'administra-
tem- du Trocadéro.
Uu gardien chef, ci .... I,.i00
Quatre gardiens à 1,200 francs, ci . . . : . 4,800
Un atelier de moulage oii seront reconstitués, à
l'aide des éléments divers qui se trouvent au Mu-
séum d'Histoire naturelle ou de ceux que recueillent
nos missionnaires scientifiques, les types des races
inconnues ou étrangères, sera confié aux soins d'un
moulour-modeleur, qui doit être choisi parmi les
plus expérimentés et dont, par conséquent, le trai-
tement ne peut être inférieur à 2,000
Total des dépenses du personnel . . . 16,300 fr.
MATÉRIEL.
Le service des missions, porté au budget ordi-
naire pour une somme de 200,000 francs, fournira
au Musée d'ethnographie un nombre d'objets assu-
rément considérable, car toute la partie ethnogra-
phique des collections réunies par les vo5'ageurs
chargés démissions scientifiques lui sera néces-
sairement réservée.
DU MUSÉE d'ethnographie 31 5
Il convient cependant d'établir un chapitre spé-
cial au profit d'un matériel indispensable h la mise
en valeur de ces objets et au fonctionnement régu-
lier du musée.
Quelque désir que l'on ait de restreindre ce cha-
pitre, il semble impossible de le réduire à une
somme inférieure à 8,200 francs.
Cette somme pourrait être divisée ainsi qu'il suit :
Frais de modèles relatifs à l'atelier de moulage,
reproduction d'estampag-es, achats de plâtre, de
documents, d'outils, elc 2,200 fr.
Matériel général, c'est-à-dire l'éclairage, le
chauffage dos bureaux, les frais de reliure, d'im-
pression, d'achats de papier de toute nalure. , . 2,500
Enfin, l'entretien de la bibliothèque et des col-
lections, les réparations très nombreuses et assez
coûteuses des objets délicats qui, dans les voyages
ou les divers transports, subissent des détériora-
tions inévitables ; l'obligation d'acquérir des spé-
cimens curieux, offerts souvent à l'Administration
à un prix infiniment inférieur à leur valeur réelle,
nécessitent des dépenses importantes, pour les-
quelles le chiffre minimum du budget nécessaire
serait de 3,500
Total des dépensf.s du personnel , . . 16,300
Total géxéhal 24,500 fr.
On a tout lieu d'espérer qu'après avoir lu le rapport ci-
annexé de la Commission d^organisation, les Chambres en ap-
prouveront entièrement les conclusions.
Mais, comme l'emploi de ce crédit additionnel sur l'exercice
courant ne peut avoir son effet que pour le second semestre de
1880, on ne demande que la moitié du crédit, soit 12,250 francs.
1) Voy. Dncummtfi, pièce n° LXXXV.
316
LES ORIGINES
N° LXXXV
MINISTÈRE
de l'Instruction
et dil^Beaux-Arts. ^^ Ministre de F Instruction publique
et des Beaux-Arts \
BUREi^U
de l'Enseignement
général
et des Archives.
Vu la loi du 17 juillet 1880, portant ouverture au chapitre 26
du budget d'un crédit supplémentaire de 11,050 francs destiné à
réunir en un musée les collections ethnographiques du Ministère
de rinslruetion publique,
ARRÊTE :
Article premier.
Les collections ethnographiques provenant soit de dons, acqui-
sitions ou échanges, opérés au profit du Ministère de l'Instruc-
tion publique, soit des missions scientifiques ordonnées par ce
ministère, seront organisées en musée d'ethnographie.
Article 2.
Ce musée demeure installé au palais du Trocadéro, dans le
local qu'occupent lesdites collections.
Le personnel comprendra :
Une commission de surveillance et de classement, deux con-
servateurs et divers agents.
Article 3.
La commission do surveillance reste telle qu'elle a été cons-
tituée par arrêté du 30 octobre 1879. Elle donnera son avis sur
la détermination et le classement des collections et pourra être
1) Bulletin administratif, etc., t. XXIII, p, 843-844. 1880.
DU MUSÉE d'ethnographie 317
consultée sur la répartition entre les difTérents établissements de
l'État des objets scientifiques qui parviendront au ministère.
Article 4.
M. le docteur Ilamy, aide naturaliste au Muséum d'histoire
naturelle, membre des Sociétés de géographie et d'anthropologie
de Paris, est nommé conservateur dudit musée.
Il sera chargé du classemeot scientifique et de l'installation
des collections.
Article 5.
M. Landrin, Armand, membre de la Société d'anthropologie,
est également nommé conservateur dudit musée.
Article 6.
Chacun des deux conservateurs recevra un traitement de
4,000 francs.
Article 7.
M. Hébert, Jules, sculpteur modeleur, sera chargé des mou-
lages, reproductions et restaurations destinées au Musée d'ethno-
graphie.
Il recevra, à ce titre, un traitement de 2,000 francs.
Article 8.
M. Renardeux, Jules, est nommé brigadier des gardiens du
Musée d'ethnographie.
Il recevra, à ce titre, un traitement de i ,500 francs.
Article, 9.
Les sieurs Landry, Charles, et Fossard, Lucien, sont nommés
gardiens du Musée d'ethnographie.
Chacun d'eux recevra, en cette qualité, un traitement de
1,200 francs.
3l8 LES ORIGINES
Article 10.
Les Iraitemenls de tous les fonctionnaires et agents ci-dessus
désignés seront soumis à retenue et payables à partir du 1" juil-
let courant sur le chapitre 26 du budget de l'exercice 1880.
Fait à Paris, le 19 juilleli880.
Signé : Jules Ferry.
Pour ampliation :
Le chef du bureau des Archives,
H. Valmore.
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE
HISTOIRE Pages.
Lettre à M. Xavier Charmes, membre de l'Iastilut 1
Chapitre premier. — Les premières collections royales. — Missions
scientifiques ordonnées par François I". — Cabinet des curiodtés
du Roi. — André Thevet en est le premiBr garde. — Jean Mocquet,
garde du cabinet des sinijularitcz de Henri IV. — Ses voyages et
ses collections « ^
Chapitre IL — Les missions scientifiques sous Louis XIV. — Le Cabinet
des médailles. — Collections rapportées par Vansleb et Paul Lucas.
— Premières collections ethnographiques formées sous Louis XVI.
— Antiquités recueillies au Pérou par Dombey l*^
Chapitre III. — Le Muséum des Antiquités à la Bibliothèque nationale.
— Ethnographie et archéologie. — Le cabinet du stathouder en-
voyé par Thouin. — Confiscations chez les émigrés. — Le cabinet
Berlin. — Anciennes collections du Jardin du Roi. — Collection
Gauthier. — Barthélémy de Courçay et sa classification '■^'■
Chapitre IV. — Mort de Barthélémy. — Son œuvre est abandonnée. —
Création d'un dépôt de géographie à la Bibliothèque. — ElTorts de
Jomard en faveur d'un musée géo-ethnographi(|ue. — Débuts du
Musée de Marine. — Lamare-Picquot et ses collections, — Constitution
d'une commission qui propose la fondation d'un établissement spé-
cial à la Bibliothèque. — Revendications de la Marine. — Le Conser-
vatoire de la Bibliothèque repousse les conclusions de la commission
du Musée d'Ethnographie. — Création d'une section ethnographique
au Musée de Marine 37
Chapitre V. — Projets de 1854. — Dernières tentatives et mort de
Jomard. — L'ethnographie au Musée des Antiquités nationales de
Saint-Germain. — Plan d'agrandissement de la Section ethnogra-
phique du Louvre. — La mission Wiener et le legs Angrand. —
Création et exposition provisoire du Musée ethnographique des
Missions scientifiques. — L'ethnographie à l'Exposition universelle
de 1878 51
320 TABLE DES MATIÈHES
Pages
Chapitre VI. — Nomination d'une commission chargée d'étudier l'orga-
nisation définitive du Musée. — Plans irréalisables de Viollet-le-
Duc, — Installation provisoire des collections au Trocadéro. —
Répartition des locaux disponibles du palais entre les Beaux-Arts et
l'Instruction publique. — Commission du Musée d'Ethnographie.
— Rapport au ministre et vote des crédits par la Commission du
budget. — Constitution définitive du Musée 63
DEUXIEME PARTIE
DOCUMENTS
Chapitre premier. — L'ethnographie au Cabinet du Roi et au Muséum
desAntiques. — Anciens catalogues. — Collection Dombey. — Musée
du Stalhouder. — Objets ethnographiques des émigrés. — Collec-
tions Bertin et Gauthier. — Collections du Muséum national d'His-
toire naturelle 69
Chapitre II. — Ordonnance de 1828. — Commentaires sur celte ordon-
nance. — Premières tentatives de Jomard pour constituer le dépôt
ethno-géographique de la Bibliothèque du Roi. 90
Chapitre III. — Collection Lamare-Picquot. — Rapports sur cette collec-
tion à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, à la Société asia-
tique et à la Société de géographie, par Abel Rémusat, Burnouf et
Jomard 103
Chapitre IV. — Brochure de Jomard sur le but et l'utilité d'une collection
ethnographique. — Réponse deFérussac 125
Chapitre V. — Lettre de Jomard sollicitant, à l'occasion de la collection
Lamare-Picquot, l'exécution de l'ordonnance de 1828 en ce qui concerne
l'ethnographie. — Constitution d'une commission spéciale. — Objec-
tions de Champollion-Figeac et réponse qui leur est faite. — Rapport
de la Commission. — Calcul approximatif de l'espace et de la dépense
nécessaires au dépôt ethnographique. — Noie de Hipp. Royer-Col-
lard. — Ajournement , 103
Chapitre VI. — Pétitions de Lamare-Picquot. — Recommandation du
député Bodin. — Nouvelle lettre de Jomard en faveur du dépôt eth-
nographique. . 187
Chapitre VIL — Revendications du Ministre de la Marine en faveur du
Musée naval. — CorrespondanceduMinistre de l'Instruction publique
à ce sujet avecle Muséum, Saint-Geneviève et la Bibliothèque royale.
— Lettre confidentielle de Letronne pour provoquer une discussion
du Conservatoire de la Bibliothèque royale sur le Musée ethnogra-
phique. — Délibération du Conservatoire et rapport au Ministre. —
Nouvel ajournement 195
TABLE DES MATIÈRES 321
Pages.
Chapitre VIII. — Nouvelles démarches de Jonaard. — Projet restreint
du Musée ethnographique à la Bibliothèque (1838). — Ordonnance
de 1839. — Mesures proposées par Jomard pour la mettre à exécu-
tion 217
Chapitre IX, — Lettre de Siebold à JomarJ sur l'utilité des Musées
ethnographiques 229
Chapitre X. — Réponse de Jomard à Siebold. — Plan d'une classifica-
tion ethnographique 249
Chapitre XI. — Projet restreint de 1846. — Objections de Naudet ; le
projet est abandonné. — Modifications à la Bibliothèque impériale en
1854. — Nouveau projet de Musée d'Ethnographie et des Voyages.
— Pétition de Garcin de Tassy et réponse qui y est faite. — Dernier
mémoire de Jomard sur la matière 267
Chapitre XII. — Création d'un Muséum ethnographique des Missions
scientifiques. — Exposition provisoire d'une partie des collections au
Palais de l'Industrie 279
Chapitre XIII. — Nomination d'une Commission d'étude à la suite de
l'Exposition universelle de 1878. — Travaux de cette Commission . 293
Chapitre XIV. — Décret affectant le Palais du Trocadéro au Ministère
de l'Instruction publique et des Beaux-Arts. — Nomination d'une
Commission d'organisation des collections ethnographiques et arrêté
attribuant à ces collections les étages supérieurs du Palais. — Rap-
port sur ces collections présenté par M. Hamy au nom de la Commis-
sion. — Ouverture des crédits nécessaires et nomination du personnel
du Musée 303
21
^mu t
^ W CDoo
^f
ERNEST LEROUX, EDITEUR
28, RUE BONAPARTE, '2S
PARIS
PUBLICATIONS
DU
mmitU DE L'INSTRICTION PIBLIQIE ET DES BEAIX-ARTN
DU COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES
ET SCIENTIFIQUES
'SECTION D'NHTOIHE ET DE PHILOLOGIE
BULLETIN HISTORIQUE ET PHILOLOGIQUE
Années ! à 8 (1882-1889) , • ■ ■ ^^^ fr.
Année 1890 ^ ^^■
SECTION D'ARCHÉOLOGIE
BULLETIN ARCHÉOLOGIQUE
Années 1 à 8 (1882-1S89) • ■ -• ^^ fr.
Année 1890, avec dessius et plancha? i" t
SECTION DES SCIÎl^CÊsllOPMlQllES ET SOCIALES
RULLETIX DES SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
Années 1882-1889. Ch-ique • ^ [,'"■
Année 1890 (en cour.- d'impression) -J »'•
SECTION DE GÉOfiRAPiïiE ISTORIODE ET DESCRIPTIVE
BULLETIN
DE GÉOGRAPHIE HIS» ORIQUE ET DESCRIPTIVE
Xnnées 1 à 4 (188G-18S0). Chacune, en o fascicnles, avL-c plarictjos tl carte.? 1U \v
Année 1890. Ai)Ouneinent . • -, ' '.
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GUIDE DANS LA GALERIE AMÉRICAINE
UU MCSÉE d'ethnographie DU TROCADÉRO
Pur M. le Df IIamy, conservateur du Musée.
ANGEOS, l.Mr. A. LiLIUJlN ET €'«, HUE CAHMEK.
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