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Full text of "Les origines du Musée d'Ethnographie. Histoire et documents"

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LES   OlimiNKS 


DU 


MUSÉE  D'ETHNOGli  APHIE 


HISTOIRE  ET   DOCUMENTS 


le    D^    E  -i.    HAMY 

Mtnibre  de  l'iiis'.itut, 
Conser\atPur  du  Mus.\  ,  et'. 


PARIS 

ERNEST    LEROUX,  ÉDITEUR 

28,    RUE   BONAPARTE,    *28 

1890 


<-^l,i.-f<: 


PUBLICATIONS 


DU 


MUSÉE    D'ETHNOGRAPHIE 


I 

LES  ORIGIKES  DU  MUSÉE  D'ETHNOGRAPHIE 


ANGERS,   IMP.   BORDIPf  ET  C'»,   4,   RUE  GARNIBH. 


LES   ORIGINES 


DU 


MUSÉE  D'ETHNOGRAPHIE 


HISTOIRE   ET   DOCUMENTS 


l'AK 

le  D^  E.-T.   HAMY 

Membre  de  rinstiliit, 
Conservateur  du  Musée  d'Ethnographie,  etc. 


%^iÊ 


&.L^-i:È 


PARIS 

ERNEST    LEROUX,  ÉDITEUR 

28,  RUE  BONAPARTE,  '28 


1890 


LES  ORIGINES 

DU  MUSÉE  D'ETHNOGRAPHIE 


A  M.  Xavier  Charmes,  membre  de  l'Institut,  directeur  du 
Secrétariat  et  de  la  Comptabilité  au  Ministère  de  l'Instruction 
publique. 

Mon  cher  Directeur, 

En.  me  faisant  connaître  le  rôle  très  important  qne,  pour  la 
première  fois,  le  Musée  d^ Ethnographie  du  Trocadéro  allait  jouer 
dans  une  de  nos  Expositions  îmiverselles\  vous  vouliez  bienine 
demander  un  rapport  résumant  tout  ce  qui  concerne  les  origines 
de  cet  établissement  sous  la  Convention. 

C'était  un  chapitre  que  vous  vouliez  ajouter  à  l'enquête  géné- 
rale sur  rétat  de  la  France  à  la  fin  du  siècle  dernier,  enquête  que 
vous  commenciez  à  préparer,  et  dont  quelques  pages  seulement 
ont  été  juscjiià  présent  mises  au  jour. 

Je  n'ai  point  tardé  à  m' apercevoir ,  en  poursuivant  les  recher^ 

\)  Le  Musée  devait  exposer,  dans  la  grande  salle  du  Palais  des  Arts  libé- 
raux, les  pièces  les  plus  importantes  venant  des  voyageurs  du  Ministère  de 
l'Instruction  publique  depuis  la  dernière  Exposition,  c'est-à-dire,  depuis  sa  fon- 
dation. Ce  programme,  si  vaste  qu'il  fût,  a  été  complètement  rempli.  Quatorze 
grandes  vitrines  droites,  deux  grandes  vitrines  horizontales  et  plusieurs  tables 
ont  reçu  les  meilleures  collections  de  MM.  Bonvalot  et  Capus,  Brau  de  Saint- 
PolLias,  Coudreau,  Chaffanjon,  Crevaux,  E.  de  la  Croix,  E.-T.  Hamy,  Huber, 
Labone,  Michaud,  Rabot,  Savorgnan  de  Brazza,  Tholon,  Varat,  Verneau,  etc. 
Les  écrits  de  la  plupart  de  ces  envoyés  figuraient  à  côté  de  leurs  objets,  ainsi 
que  des  itinéraires  résumant  leurs  voyages. 

1 


LES    ORIGINES 


chcs  dunl  fêtais  ainsi  chaïujr^  ////6',  bien  avant  les  premiers  essais 
(l'André  Barthélémy ,  (jui  groupait  en  l'an  III,  au  Muséum  des 
Antiques,  les  plus  anciens  objets  que  nousaijons  conservés,  des  ten- 
tatives plus  ou  moins  sérieuses  avaient  été  faites,  des  cabine lsjo/z<s 
ou  moins  importants  avaient  été  officiellement  organisés  à  Paris. 

D'autre  part,  la  réunion  dune  petite  collection  ethnographique 
au  Muséum  des  Antiques  n^avait  point  immédiatement  abouti  à 
doter  la  France  d'un  musée  spécial,  et  Ion  avait  tâtonné  pendant 
de  longues  années  avant  de  parvenir  à  la  création  définitive  à 
laquelle  vous  avez  attaché  votre  nom. 

J'avais  donc,  pour  compléter  l'étude  historique  dont  vous  nia- 
viez  entretenu,  à  faire  connaître  tout  d'abord  les  institutions  de 
l'ancienne  monarchie  devenues  le  point  de  départ  des  nôtres.  Je 
devais  exposer  ensuite  l'œuvre  d' André  Barthélémy ,  montrer  enfin 
par  quelle  suite  de  contrariétés  de  toute  sorte,  les  projets  adoptés 
par  P administration  dès  1831  n'ont  pu  aboutir  qu' après  un  peu 
moins  d'un  demi-siècle . 

Le  court  rapport,  présenté  à  l'Exposition  tmiverselle,  est  peu  à 
peu  devenu  tm  volume,  et  je  ne  crois  pas  pouvoir  mieux  faire,  en 
ï imprimant,  que  d'inscrire  à  la  première  page  le  nom  de  celui 
qui  en  fut  l inspirateur . 

Vous  y  trouverez  notamment,  avec  les  documents  à  ï  appui  tirés 
de  nos  archives.,  le  récit  détaillé  des  entreprises  de  Jomard,  qui, pen- 
dant quarante-cinq  années  de  sa  longue  carrière  administrative^  a 
vainement  poursuivi  la  réalisation  d'unprojet  de  Musée  malco?im., 
mal  présenté  et  qui  ne  pouvait  point  réussir.  J'ai  aussi  recueilli  les 
documents  relatifs  à  un  autre  précurseur ^  le  voyageur  Lamare- 
Picquot,  dont  le  retour  en  France  a  donné  le  signal  de  manifestations 
tout  à  fait  remarquables  en  faveur  de  ï  ethnographie.  Les  savants 
les  plus  illustres,  Cuvier,  Abel  Béînusat,  Burnoïif,  Siebold,  etc.,  ont 
successivement  insisté  sur  l'importance  des  études  ethnographiques 
pour  les  naturalistes  et  pour  les  historiens:  j'ai  rassemblé  avec  un 
soin  tout  particulier  ces  précieux  témoignages.  Enfin,  j'ai  dojiné 
dans  mon  recueil  une  large  place  atix  travaux  des  commissions 
ministérielles,  et  en  particulier  des  deux  dernières,  auxquelles 
vous  avez  pris  une  si  grande  part. 


DU    MUSEE    D  ETUNOGUAPllIE  ô 

Grâce  au  bon  vouloir  des  représentants  du  pays,  çjrâce  an  con- 
cours d'un  Ministre  éclairé,  grâce  surtout  à  votre  activité  et  à 
votre  dévouement,  mon  cher  Directeur,  nos  projets  ont  abouti  et  le 
modeste  dépôt  de  1795  est  devenu  en  quelques  années  un  établis- 
sejnenl  scientifique  dune  véritable  importance .  J'en  décrirai  plus 
tard  les  développements,  depuis  1880,  dans  un  autre  volume, 
dont  mes  rapports  annuels  fourniront  la  base,  lime  suffit  pour 
le  moment  d'en  avoir ^  aussi  complètement  que  possible,  tracé  les 
origines. 

Veuillez  agréer,  mon  cher  Directeur,  l'expression  de  mes  senti- 
ments les  plus  empressés. 


E.-T.  Hamy. 


PREMIÈRE  PARTIE 


HISTOIRE 


CHAPITRE  PREMIER 

Les  premières  collections  royales.  —  Missions  scientifiques  ordonnées  par 
François  l'^.  -  Cabinet  des  cariosités  du  Roi.  —  André  Thevet  eu  est  le 
premier  garde.  —  Jean  Mocqnet,  garde  du  cabinet  des  singularitez  de  Henri  IV. 
—  Ses  voyages  et  ses  collections. 

II  faudrait  remonter  bien  loin  dans  le  passé  do  la  monarchie, 
pour  trouver  les  premières  traces  de  ces  collections  royales  de  r^re- 
tés,  de  singularités,  de  curiosités,  qui  représentent  une  première 
phase  de  Thistoire  de  nos  musées  nationaux  et  du  Musée  d'Ethno- 
graphie, en  particulier,  dont  je  recherche  ici  les  origines. 

De  tout  temps,  en  effet,  les  ambassades  venues  de  quelque 
royaume  étranger'  ou  les  missions  diverses,  rentrant  de  lointains 
voyages,  ont  présenté  au  Roi  des  objets  exotiques,  naturels  ou 
fabriqués,  remarquables  par  la  matière  plus  ou  moins  choisie, 
l'arrangement  plus  ou  moins  ingénieux,  ou  tout  au  moins  inté- 
ressants par  un  certain  degré  d'originalité  bizarre. 

Toute  chose  inconnue,  apportée  du  dehors,  arrivait  ainsi  à  la 
Cour  et  pouvait  servir,  un  instant,  k  l'instruction  ou  à  l'amuse- 
ment du  monarque  et  de  son  entourage. 

On  conservait  les  plus  précieuses  de  ces  pièces  dans  l'un  des 
cabinets  du  Roi;  les  anciens  inventaires  que  l'on  a  publiés  men- 
tionnent deci-delà  des  ustensiles  et  des  bijoux"  do  l'Orient,  ou  de 

1)  Les  plus  anciennes  choses  exotiques,  venues  en  France,  dont  les  chroni- 
queurs aient  gardé  le  souvenir,  sont  sans  doute  les  présents  célèbres  offerts  par 
Haroun  ar-Raschid  à  Charlemagne  en 801  et  en  807. 

2)  Inventaire  du  Mobilier  de  Charles  V,  roi  deFrance,  publié  par  Jules  Labarte 
{Coll.  dedocum.  inéd.,  Paris,  tmp.  nat.,  1879,  in-4,  p.  16,  24, 135,  173,  203,  207, 


6  LES   ORIGINES 

rindc  '  ?  11  a  y  eut  toutefois  de  cabinet  spécial  pour  recueillir  les 
curiosités  proprement  dites  que  sous  le  règne  de  François  I". 

Ce  prince,  qu'un  contemporain  nous  représente,  prenant  «  un 
merveilleux  plaisir  d'estre  accompaigné  de  gens  sçavans,  qui 
avoient  veu  pays  estrangers  »,  n'a  jamais  cessé,  au  milieu  des 
préoccupations  les  plus  graves  de  la  politique,  d'envoyer  au  loin 
des  voyageurs  chargés  de  lui  rapporter  les  nouvelletez  des 
diverses  contrées.  K  peine  Sébastian  El  Cano  avait-il  ramené  à 
Séville  les  débris  de  l'expédition  espagnole,  qui,  par  le  détroit  de 
Magellan,  venait  d'accomplir  pour  la  première  fois  le  tour  du 
monde,  que  le  roi  de  France  expédiait  à  doux  reprises  Jean  Yer- 
razzano  chercher  un  passage  moins  difficile  vers  l'Océan  qu'on 
avait  ainsi  découvert. 

En  même  temps  que  s'accomplissaient  ces  voyages,  qui  procu- 
raient la  connaissance  du  littoral  des  États-Unis,  appelé  la  Fran- 
cii>cane  en  l'honneur  du  roi  ',  d'autres  tentatives  françaises  dont 


223,  etc.).  —  Comptes  de  Vargenterie  des  rois  de  France  au  xive  siècle,  publiés 
pour  la  Société  de  l'Histoire  de  France  par  L.  Douëtd'Arcq,  1850,  in-8,  p.  323, 
363,  393,  etc.  —  Nouveau  Recueil  de  Comptes  dz  l'argentene  des  rois  de  France, 
publié  par  le  même,  1874,  in-8,  p.  53-59,  etc.  —  Les  Comptes  des  bâtiments 
du  roi  {1528-loli)...,  recueillis  et  mis  en  ordre  par  le  marquis  Léon  de  Laborde. 
Paris,  Société  de  l'histoire  de  l'art  français,  J 877-1880,  t.  II,  pass.  —  Cf.  A. 
Lecoy  de  la  Marche,  Extraits  des  Comptes  et  Mémoriaux  du  Roi  Reiié  pour 
servir  à  l'histoire  desarts  au  xv^  siècle,  publiés  d'après  les  originauxdes  Archives 
nationales  (Documents  historiques  publiés  par  la  Société  de  V École  des  Chartes, 
Paris,  1873,  in-8,  pass.),  —  E.  BonnaiïéjXes  collectionneurs  de  l'ancienne  France. 
Paris,  1873,  in-12,  chap.  ii.  —  Etc. 

1)  Dans  l'inventaire  du  Cabinet  des  bagues  publié  par  Paul  Lacroix,  d'après 
une  copie  du  comte  de  Laborde  {Revue  universelle  des  arts,  t.  III,  p.  315-350; 
t.  IV,  p.  445-456,  518-530,  1856)  je  trouve  à  mentionner,  par  exemple,  «  ung 
carquan  façon  d'Inde  garny  de  rubis  et  petites  meschantes  perles  »,  vingt-cinq 
<(  patenostres  de  senteurs  avec  la  poire  garnie  de  rubizet  diamantz  façon  d'Inde»), 
un^  cuiller,  avec  sa  fourchette  «  garnie  d'or,  façon  d'Inde  »,  une  petite  noix 
d'Inde  garnie  d'argent  doré,  deux  œufs  d'autruche  et  deux  noix  d'Inde  montées 
{Inventaire  des  vaisselles  et,  joyaux  d'or  et  d'argent  doré,  pierres,  bagues  et  autres 
choses  précieuses,  trouvées  au  Cabinet  du  Roy  à  Fontainebleau,  1560). 

2)  Voir  sur  Verrazzano  les  publications  récentes  de  M.  C.  Desimoni  {Intorno  al 
Fiorentino  Giovanni  Verrazzano  scoprilore  in  nome  délia  Francia  di  regione  nell' 
America  Seltentrionale,  Genova,  1881,  in-8.  —  Alla  studio  seconda,  intorno  a 
Giovanni  Verrazzano  [Genova,  1882],  br.  in-8. 


DU    MUSÉE    D  ETHNOGRAPHIE  7 

il  n'est  demeuré  que  de  vagues  souvenirs,  avaient  lieu  le  long  de 
la  côte  brésilienne*? 

Sept  ans  plus  tard  (1330)  François  P^  profitera  de  ses  bonnes 
relations  avec  le  monde  musulman  pour  envoyer  à  diverses  re- 
prises à  Tunis  Jehan-François  Paillard  «  cappitaine  de  g-allaires  ». 

En  1532,  Pierre  Piton  et  Baptiste  Auxillian  vont  pour  le  roi  à 
Fez  et  on  rapportent,  entre  autres  choses  curieuses,  des  chameaux 
et  des  autruches,  des  chevaux  et  des  lévriers,  une  panthère,  un 
lion,  etc.'. 

Puis  c'est  Jacques  Cartier,  qui,  après  le  traité  de  Cambrai, 
reprend  l'œuvre  de  Yerrazzano  et  découvre  pour  le  roi  le  sud  du 
Labrador  (4534),  les  «  îles  de  Canada,  llochelag-a,  Saguenay  et 
autres  (1535-1536),  »  et  ramène  à  Saint-Malo  plusieurs  Indiens 
de  ces  contrées  nouvelles  3. 

Bizeret  visite  les  «  yles  et  terres  du  Brésil  »  avec  le  navire  Le 
Saint-Philippe  en  1538  et  charge  pour  le  Roi  «  certain  grant 
nombre  de  boys  dudit  Brésil  »  que  l'on  fait  ensuite  remonter  de 
Honfleur,  à  Paris  '. 

Plus  tard  ce  sont  encore  Guillaume  Postel  et  Pierre  Gille  qui 
gagnent  le  Levant,  dont  ils  rapporteront  des  manuscrits  précieux, 
des  objets  d"histoire  naturelle,  etc.  '. 

1)  Cf.  Harrisse,  Rev.  critiq.,  1876,  l^""  semestre,  p.  20.  —  On  pourrait  se 
demander  si  Cartier  ne  fit  pas  partie  d'une  de  ces  expéditions  (Cf.  Jouon  des 
Longrais,  Jacques  Cartier.  Nouveaux  documents.  Paris,  1885,  in-12,  p.  15). 

2)  L.  deLaborde,  loc.  cit.,  t.  H, p.  206,  216,  218,  269,  270,  271. 

3)  Cf.  Brief  récit  et  succincte  narration  de  la  Navigation  faite  en  MDXXXV 
et  MDXXXVI  par  le  Capitaine  Jacques  Cartier  aux  Iles  de  Canada,  Hochelaga, 
Saguenay  et  autres.  Réimpression  figurée  de  l'édition  originale  rarissime  do 
MDXLV  avec  les  variantes  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  impériale,  pré- 
cédée d'une  brève  et  succincte  introduction  par  M.  d'Avezac.  Paris,  Tross, 
1863,  in-12.  —  A.  Ramé,  Documents  inédits  sur  Jacques  Cartier  et  le  Canada.:. 
accompagnant  le  voyage  de  1534  publié  d'après  l'édition  de  1598  par  M.  Michelant 
Paris,  1805,  in-8.  — Id.,  Documents  inédits.  Nouvelle  série,  à  la  suite  de  la  relation 
originale  du  même  voyage,  découverte  et  publiée  par  les  mêmes,  Paris, 
1867,  in-8.  —  Jouon  des  Longrais,  Jacques  Cartier.  Documents  nouveaux,  Paris, 
1885,  in-12.  —  L.  de  Laborde,  op.  ci  t., t.  Il,  p.  413. 

4)  Cf.  L.  de  Laborde,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  272,  413. 

5)  Cf.  AndréThevet,  Cosmographie  universelle.  Paris,  1575,  in-f",  p.  261,643.  — 
l,e  voyage  de  M.  d' A  ramon  ambassadeur  pour  le  lioi  en  Levant,  escript  par 


LES    ORIGINES 


Le  lion  et  la  panthère  de  Pierre  l'iton  suivaient  la  Cour  dans 
ses  incessants  déplacements  ;  des  gardes  étaient  spécialement 
appointés,  nous  le  savons,  pour  le  service  de  ces  animaux*.  Mais 
les  autres  noitvelletez,  une  fois  présentées  au  monarque,  étaient 
bien  certainement  envoyées,  dans  l'une  ou  l'autre  des  résidences 
royales^,  en  quelque  dépôt  où  se  conservaient  les  objets  variés, 
dont  une  curiosité  toujours  en  éveil  provoquait  l'accumulation. 

Le  cosmog-raphe  André  Thevet  est  le  plus  ancien  garde  connu 
de  cette  collection,  premier  noyau  des  cabinets  royaux  devenus  de 
nos  jours  le  Muséum  d'Histoire  naturelle  et  le  Musée  d'Ethno- 
graphie. 

Nous  ne  savons  rien  de  bien  positif  sur  l'administration  de 
Thevet,  qui  put  durer  jusqu'à  sa  mort  (1592).  Le  soin  qu'il  avait 
pris  en  maintes  circonstances,  au  cours  de  ses  voyages,  de 
recueillir  toute  espèce  d'objets  qui  lui  paraissaient  intéressants, 
autorise  à  penser  qu'il  dut  mettre  un  véritable  zèle  à  remplir  les 
fonctions  dont  il  avait  été  ainsi  charg-é. 

Vêtements  et  ustensiles  des  Canadiens  ramenés  par  Cartier, 
«  bourses,  chausses,  sainctures  et  esg-uillettes  et  autres  ouvraiges 
faictz  a  la  façon  de  Barbarye  »  provenant  de  Rousso  Moro,  «  l'un 
des  forsaires  de  la  gallere  de  lEmporeur,  «^autres  objets  d'ethno- 
graphie exotique  offerts  par  Ango  au  roi,  lors  de  son  voyage  à 
Dieppe^  peaux  d'oiseaux  rares,  crocodiles  et  lézards  empaillés, 


noble  homme  Jean  Chesneau...  publié  et  annoté  par  M.  Ch.   Schiefer  {Recueil 
de  Voyages  et  de  Documents,  etc.).  Paris,  Leroux,  1887,  gr.  in-8,  pass.  —  Elc. 

1)  Il  y  avait  déjà  en  1451  un  lionnier  dans  la  ménagerie  du  roi  René  à  Angers 
(Cf.  Lecoy  de  la  Marche,  lac.  cit.,  p.  30).  Dès  1333,  Philippe  de  Valois  achetait, 
rue  Froimanteau,  à  Paris,  une  grange  qui  appartenait  à  Geoffroy  et  à  Jacques 
Vauriel,  pour  y  loger  ses  lions  (H.  Sauvai,  Histoire  et  Recherches  des  Anti- 
quités de  le  Ville  de  Paris,  t.  II,  p .  11-12.  Paris,  1733,  in-f").  Enfin  au  xii^  siècle, 
le  poète  Tortaire  a  décrit  avec  admiration  le  jeune  lion  et  les  autres  animaux 
de  la  ménagerie  que  le  roi  d'Angleterre  avait  montrée  aux  habitants  de  Caen. 

2)  C'est  ainsi  que  le  «  bois  de  brazil  »  rapporté  par  Bizerets,  était  allé  à  Fon- 
tainebleau. Il  en  fut  vendu  pour  564  liv.  16  s.  en  1566,  et  le  prix  de  cette  vente 
servit  à  payer  divers  artistes  et  notamment  Germain  Pilon,  pour  une  partie  des 
figures  du  célèbre  tombeau  de  François  !<=■■  (Cf.  L.  de  Laborde,  op.  cit.,  t.  II, 
p.  129). 

3)_L,  de  Laborde,  t.  II,  p.  25. 


DU    MUSÉE   d'ethnographie  9 

œufs  d'autruche  ot  noix  d'Inde,  plantes  médicinales,  bois  pré- 
cieux, roches  curieuses,  pierres  gravées,  médailles  et  autres  anti- 
ques;  tel  on  peut  se  représenter  vers  la  fin  des  Valois  l'mventaire 
du  cabinet  des  curiosité.^  sur  lequel  les  documents  positifs  font 
d'ailleurs  entièrement  défaut  ' . 

Jean  Mocquet  succède  à  Thevet,  et  sous  son  administration  le 
cabinet  prend  le  nom  de  cabinet  des  singularité z.  Mocquet,  dont 
la  famille  à  beaucoup  souiïert  pour  la  cause  de  Henri  lY,  a  été, 
encore  adolescent,  et  comme  à  titre  de  compensation,  attaché  à  la 
personne  royale,  en  qualité  d'apothicaire,  et  cette  charge  l'a  mis 
très  avant  dans  la  familiarité  du  monarque. 

Jean  Mocquet  entreprend,  avec  l'agrément  de  son  maître,  une 
série  de  voyages,  dont  il  publie  les  récits  fréquemment  réimpri- 
més'. Botaniste  et  embaumeur,  apothicaire  ou  médecin,  suivant 
les  circonstances,  au  milieu  de  mille  dangers,  il  visite  tour  à  tour 
de  4601  à  1612,  le  Maroc,  les  Guyanes,le  Mozambique  et  Goa,  la 
Syrie,  la  Terre  sainte,  etc. 

La  lecture  de  son  livre  nous  éclaire,  à  défaut  de  catalogue 
spécial,  sur  la  nature  des  singularités  qu'il  recherche  pour  le  Roi. 
Ce  sont  d'abord  et  avant  tout  des  plantes  utiles  ou  curieuses, 
criste  marine  de  Mazagan  ',  tabac  des  Yapocos  ' ,  bois  rouge  comme 
Brésil,  et  bois  dont  les  Indiens  font  leurs  arcs%  plantes  à  fleurs 

1)  La  description  du  cabinet  de  Tiraqueau  à  Bel-Esbat,  près  Fontenay,  donne 
une  idée  assez  exacte  des  curiosités  ethnographiques  que  l'on  rassemblait  alors. 
J'emprunte  à  VHymne  où  André  Rivaudeau  célèbre  les  merveilles  de  la  collec- 
tion de  son  oncle,  les  vers  qui  se  rapportent  aux  choses  de  l'ethnographie 
(Bonnaffé,  p.  92).  Le  poète  énumère  : 

...  les  habits  de  sauvages 
Composes  dextrement  de  petits  coquillages. 
De  racines  descorce  et  leurs  velus  chapeaux 
Leurs  brayes,  leurs  tapis  et  leurs  panaches  beaux 
Que  tu  as  arranges  en  ceste  chambre  oruee 
Où  tu  tiens,  Tiraqueau,  le  Pérou  et  Guinée. 

2)  Voyages  en  Afrique,  Asie,  Indes  orientales  et  occidentales,  faits  par  Jean 
Mocquet,  garde  du  Cabinet  des  singularitez  du  Roy  aux  Tuilleries,  divisez  en  six 
livres  et  enrichis  de  figures.  Rouen,  Caillove,  1645,  1  vol.  in-l2. 

3)  Ibid.,  p.  58. 

4)  Ibid.,  p.  86. 

5)  Ibid.,  p.  109. 


IQ  LES    ORIGINES 

odoriférantes  du  Liban  ou  des  environs  de  Tripoli.  Puis  ce  sont 
des  drogues  ou  des  mets  exotiques,  miel  blanc  d'Afrique  ou  miel 
des  Caribes,  dont,  au  retour,  Mocquet  régale  son  maître,  fruits 
des  Guyanes,  maïs,  patates,  aloès,  gomme  pour  le  catarrhe,  copal 
pour  Vaposteiime,  etc.  :  puis  encore  des  minéraux,  tels  que  ces 
roches  de  l'embouchure  de  l'Amazone  «  oii  il  y  avoit  des  veines 
de  couleur  d'ardoise  avec  quelques  veines  d'argent  meleos»  *;  des 
coquilles  «  les  plus  belles  du  monde  »  qu'il  ramasse  au  Rio  do 
Ouro  ((  et  sembloyent  qu'elles  fussent  émaillées  d'or  «^  ;  des 
œufs  d'autruches,  des  a  plumes  d'aigrettes  et  perroquets  »%  des 
poules  d'Inde,. une  sarigue,  et  un  unau  qu'il  embarque  vivants; 
la  peau  d'un  crocodile,  des  peaux  de  lézards  ou  gouyanas  de  l'île 
Blanche,  etc.,  etc.*. 

Au  retour  de  chaque  voyage,  Mocquet  <(  va  faire  la  révérence  » 
à  Henri  IV,  lui  rendre  compte  de  ce  qu'il  a  vu  «  et  luy  porter  les 
plantes  et  autres  singularitez  »  qu'il  a  ramassées,  «  Sa  Majesté  fort 
contente  s'enquierant  fort  curieusement  de  toutes  choses  »  \  Il 
exécute  des  expériences  devant  le  roi,  tire  du  feu  par  exemple  de 
deux  petits  basions  de  bois  à  la  façon  des  Indiens  de  l'Amazone  ou 
donne  des  explications  sur  les  sauvages  qu'on  présente  à  la  cour  ^ 
Enfin  les  jours  où  son  service  spécial  d'apothicaire  l'appelle  près 
(lu  maître,  il  occupe  par  ses  récits  les  heures  consacrées  à  soi- 
gner la  santé  du  monarque. 

Plus  heureux  que  son  collègue  Bagarris\  Mocquet  conserve 
la  faveur  de  Marie  de  Médicis,  qui,  en  juillet  1612,  installe  aux 
Tuileries  ses  collections. 

«  Estant  de  retour  de  Syrie  et  de  la  Terre  sainte,  dit  quelque  part 
notre  voyageur,  avec  quantité  de  Plantes  rares  et  autres  choses 

1)  Voyages  en  Afrique,   As/e,   Indes  orientales  et  occidentales     etc.,  p.  80. 

2)  Ibid.,  p.  73. 

3)  Ibid.,  p.  55  et  86. 

4)  Ibid.,  p.  123-127,  142,  etc. 

5)  Ibid.,  p.  210. 

6)  Ibid.,  p.  80  et  98. 

7)  Pierre-Antoine  Rascas,  sieur  de  Bagarris  et  du  Bouquet,  <(  mai^tre  des 
cabinets  des  médailles  et  antiquités  du  Roy  »  à  Fontainebleau,  dut  quitter  sa 
place  en  1611,  pour  rentrer  en  Provence. 


DU    .MUSÉE   d'ethnographie  H 

singulières  que  i'avois  pu  recouurer  çà  et  là  par  ma  curieuse  re- 
cherche, pour  présenter  au  Roy  et  à  la  Royne  Régente,  ie  ne 
manquay  si  tost  que  ie  fus  arrivé  à  Paris  d'aller  faire  la  reuerence 
a  leurs  Maiestez  qui  furent  bien  aises  de  voir  mes  singularitez,  et 
commandèrent  de  mo  faire  bailler  lieu  propre  en  leur  Palais  des 
Tuilleries  pour  y  dresser  vn  Cabinet  de  toutes  sortes  de  raretez 
et  choses  curieuses  que  i'avois  peu  ramasser  on  tous  mes  voyages 
par  le  monde.  Mais  après  l'auoir  assez  bien  commencé  de  ce  que 
i'avois  pour  lors  en  main,  ie  iugeay  que  pour  le  continuer  selon 
mon  désir,  il  m'estoit  nécessaire  de  faire  encor  quelques  voyages 
outremer  et  n'eus  pas  lors  moindre  dessein  que  de  faire  le  circuit 
de  toute  la  Terre  et  de  la  Mer,  par  la  route  de  l'Occident  et  de  la 
par  l'Orient  retourner  de  rechef  en  nostre  Occident  ;  entreprise 
a  la  vérité  si  grande  que  seulement  de  l'auoir  osé  mettre  en  mon 
esprit,  ie  pense  y  auoir  eu  assez  de  gloire*.   » 

Ce  vaste  projet  échoua  par  la  malveillance  des  Espagnols  et 
Mocquet  revint  à  Paris  «  remplir  tranquillement  son  emploi  », 
suivant  l'expression  de  ses  biographes. 

Ses  collections  ne  lui  ont  guère  survécu.  Moins  de  quarante 
années  après  sa  création,  le  cabinet  des  sinr/ularitcs  avait  disparu 
sans  laisser  la  moindre  trace.  Sauvai,  qui  décrivait  minutieuse- 
ment vers  1650  le  palais  des  Tuileries,  n'y  signale  rien  qui  rap- 
pelle le  souvenir  de  l'œuvre  de  l'apothicaire  voyageur. 

«  Le  magasin  des  Antiques  du  Roi,  dit  Sauvai,  est  dans  ce 
Palais  (les  Tuileries)  et  consiste  en  cinq  troncs  de  cèdres  du  Liban  ; 
en  plusieurs  morceaux  de  porphire  des  colonnes  et  des  degrés 
du  Temple  de  Salomon;  en  un  très  grand  nombre  do  statues,  de 
bustes  ot  do  basses-tailles  do  marbres  antiques  ;  en  quantité  de 
jets  des  meilleurs  reliefs  de  Rome  ;  et  en  quelques  débris  de  cette 
pyramide  qu'on  éleva  devant  le  Palais,  en  4593,  sur  les  ruines  de 
la  maison  paternelle  de  Jean  Chastel. 

«  Los  marbres  ont  été  amassés  dans  ce  tems  heureux,  mais 
qui  a  duré  si  peu,  où  l'on  a  vu  nos  Rois  aimer  les  belles  choses 
et  que  les  belles  choses  étoient  cultivées  en  France, 

1)  Voi/figes  en  Afrique^  Asie,  Indea  or.,  nccid.,  etc.,  p.  418, 


12  LES    ORIGINES 

«  Nous  lenons  les  cèdres  et  les  porphires  de  la  piété  de  saint 
Louis,  qui  les  apporta  au  retour  de  son  voyage  de  la  Terre 
Sainte  :  les  cèdres  sont  bruts  et  inutiles,  vêtus  de  leur  écorce,  et 
au  même  état  que  saint  Louis  les  a  laissés. 

((  Les  tronçons  des  colonnes  sont  la  plupart  gâtés  ou  rompuz  ; 
les  uns  ont  été  sciés  en  tranches  pour  en  faire  des  tables;  les 
autres  marqués  seulement  de  traces  qu'on  vouloit  faire  en 
tranches  :  et  il  n'y  a  que  les  marches  de  porphire,  où  l'on  n'a 
point  touché.  Comme  elles  portent  une  longueur  et  une  largeur 
inégale,  oh  juge  qu'elles  ont  servi  à  plusieurs  passages  et  plu- 
sieurs portes.  Les  Juifs  les  ont  si  souvent  pressées  et  foulées  à  force 
de  sortir  du  Temple  et  d'y  entrer,  que  leurs  pieds  en  ont  arrondi 
les  arêtes  et  leur  ont  donné  enfin  un  poli  qu'elles  n'auraient  pas 
et  qui  manque  ordinairement  à  une  matière  si  rebelle  et  si  opi- 
niâtre. Les  curieux  les  considèrent  à  cause  do  leur  vieillesse  et 
du  lieu  dont  elles  ont  été  tirées.  Les  dévots  les  honorent,  comme 
des  reliques,  qui  vraisemblablement  ont  servi  de  marche-pied  au 
Sauveur.  » 

La  description  continue  avecles  bustes,  statues,  etc.,  et  il  n'est 
rien  dit  du  cabinet  des  ùngularilés  de  1612. 


CHAPITRE  II 


Les  missions  scientifiques  soas  Louis  XIV.  —  Le  Cabinet  des  médailles.  — 
Collections  rapportées  par  Vansleb  et  Paul  Lucas.  —  Premières  collections 
ethnographiques  formées  sous  Louis  XVI.  —  Antiquités  recueillies  au 
Pérou  par  Dombey. 


François  P""  possédait,  à  côté  du  cabinet  de  curiosités  dont 
Tlievet  avait  Ja  garde,  quelques  séries  de  médailles,  dispersées 
après  sa  mort.  Charles  IX  reconstitua  au  Louvre  cette  collection, 
qui  fut  de  nouveau  dissipée  sous  le  règne  de  Henri  III,  rétablie 
par  Henri  IV  à  Fontainebleau  et  transférée  enfin  en  1667  à  la 
Bibliothèque  royale  de  la  rue  Yivienne.  C'est  dans  ce  célèbre 
établissement  dont  l'histoire  a  été  souvent  écrite,  qu'ont  été  prin- 
cipalement déposés,  au  xv:!""  et  au  xvni°  siècles,  les  objets 
d'ethnographie  ou  d'archéologie  rapportés  par  les  envoyés  du 
Roi  ou  directement  offerts  au  monarque. 

Pendant  presque  toute  la  durée  de  cette  long-ue  période,  les 
gouvernants  qui  subventionnent  les  voyages,  les  lettrés  qui  en 
rédig-ent  les  plans  ou  mettent  en  lumière  les  résultats  obtenus, 
les  voyageurs  eux-mêmes  qui  les  exécutent  ont  renoncé  pour  la 
plupart  aux  grandes  traditions  du  xv]''  siècle.  Si  l'on  voit  incidem- 
ment Colbert  encourager  Heemskerk  dans  ses  tentatives  au  Nord- 
Ouest^,,  ou  Pontchartrain  organiser  la  mission  de  l'infortuné  du 
Roule  au  Sennaar  et  en  Abyssinie^  on  peut  en  même  temps  cons- 
tater que  le  plus  grand  nombre  des  autres  voyarjes  officiels  s'ac- 
complissent dans  des  contrées  déjà  connues,  et  ont  pour  objet 

1)  Lettres,  instructions  et  mémoires  de  Colbert,  publiés  d'après  les  ordres  de 
l'Empereur  par  Pierre  Clément.  Paris,  1864,  in-8,  t.  III.  l^i^  parlie,  p.  238- 
239;  2'=  partie,  p.  493. 

2)  Ci".  V"-^  de  Caix  de  Sainl-Aymour.  La  France  en  Ethiopie.  Histoire  des 
relations  de  la  France  avec  l'Abyssinie  chrétienne  sous  les  règnes  de  Louis  XIll 
et  de  Louis  XIV.  Paris,  1886,  1  vol.  in-12,  p.  209,  303,  elc. 


14  LES    ORIGINES 

presque  constanl  de  recueillir  des  manuscrits,  des  antiques,  des 
médailles,  qui  intéressent  à  peu  près  exclusivement  les  esprits 
cultivés  de  l'époque. 

«  On  ne  peut  faire,  ce  me  semble,  écrit  Fourmont  l'aîné  \  que 
de  deux  sortes  de  voïages,  les  uns  dans  des  païs  absolument  in- 
connus^ que  l'on  découvre  et  dont  tout  ce  que  l'on  rapporte  peut 
passer  pour  nouveau  ;  les  autres  dans  des  lieux,  connus  à  la 
vérité  par  les  Anciens,  mais  dont  le  gouvernement  est  changé, 
ou  que  Féloignement  retire  en  quelque  façon  de  notre  veûe.  »  Et, 
le  classique  académicien  se  persuade  que  toutes  les  personnes  de 
bons  sens,  se  déclareront  toujours  pour  la  seconde  espèce.  «  Il 
s'en  trouvera  peu,  ajoute-t-il,  qui  n'aiment  mieux  lire  des  éclair- 
cissemens  sur  les  auteurs  grecs  et  latins,  des  additions  à  l'his- 
toire grecque  ou  sacrée,  ou  la  confirmation  des  traditions  an- 
ciennes, que  la  bêtise  d'un  sauvage  du  Mississipi^  ouïes  cruautés 
d'un  Iroquois  »  ;  et  la  raison  principale  qu'il  en  donne  c'est  que 
«  les  choses  ne  nous  sont  utiles  ou  désavantageuses,  fâcheuses 
ou  agréables  qu'autant  qu'elles  nous  touchent;  or  qui  peut  nier, 
que  les  événemens  de  l'histoire  romaine,  grecque,  ou  même 
persane  et  arabe,  nous  touchent  infiniment  plus,  que  ce  qu'on 
nous  rapporte  des  terres  nouvellement  découvertes  ?  » 
Ces  expéditions  en  pays  inconnus,  secondaires  aux  yeux  d'un 

1)  Préface,  -par  M.  F",  en  tèle  du  second  voyage  de  Paul  Lucas,  rédigé  par 
cet  académicien. 

2)  Je  me  suis  demandé  si  Fourmont  ne  faisait  pas  allusion  dans  ce  pas- 
sage aux  réflexions  de  ces  Indiens  dont  parle  Montaigne,  venus  à  Rouen,  au 
temps  de  Charles  IX,  et  qui  répondaienl  à  ceux  qui  leur  demandaient  ce  quils 
y  auoient  trouvé  de  plus  admirable  «  qu'ils  trouuoient  en  premier  lieu  fort  es- 
trange,  quêtant  de  grands  hommes  porlans  barbe,  forts  et  armez,  qui  estoient 
autour  du  Roy  (il  est  vraisemblable  qu'ils  parloient  des  Suisses  de  sa  garde, 
ajoute  Montaigne)  se  soumissent  à  obéir  à  un  enfant  et  qu'on  ne  choisissoit 
plutost  quelqu'un  d'entre  eux  pour  commander;  secondement  (ils  ont  une  façon 
lie  langage  telle,  dit  toujours  Montaigne,  qu'ils  nomment  les  hommes  moitié 
les  vns  des  autres)  qu'ils  auoient  apperceu  qu'il  y  auoit  parmy  nous  des  homes 
pleins  et  gorgez  de  toutes  sortes  de  commoditez  et  que  leurs  moitiés  estoient 
mendians  à  leurs  portes,  décharnez  de  faim  et  de  pauureté  et  trouuoient  es- 
trange  comme  ces  moitiez  icy  necessiteresses  pouuoient  souffrir  vne  telle  injustice, 
qu'ils  ne  prissent  les  autres  à  la  gorge  ou  missent  le  feu  à  leurs  maisons.  » 
(Essais,  liv.  I,  cl),  xxx,  in  fine.) 


DU    MUSÉE    d'etHNOGRAPIIIE  18 

Fourmoat,  ce  sont  celles  de  Cavelier  de  la  Salle  et  de  ses  con- 
tinuateurs. Ces  terres  nouvellement  découvertes,  c'est  le  Canada, 
c'est  le  bassin  entier  de  l'immense  Mississipi.  Et  il  traite  d'his- 
toires d'Indiens  bêtes  ou  cruelles,  les  sincères  relations  de  nos 
illustres  découvreurs,  qui  vont  demeurer  en  grande  partie  manus- 
crites pendant  deux  longs  siècles,  tandis  qu'on  rééditera enFrance 
et  à  l'étranger  les  rédactions  falsifiées  des  chercheurs  de  mé- 
dailles, ;ui  courent  le  monde  pour  satisfaire  les  caprices  du  Roi. 

Louis  XIV  n'avait,  suivant  l'expression  d'un  contemporain, 
aucun  goût  pour  les  choses  du  Nouveau  Monde,  Il  montrait  par 
contre,  une  prédilection  marquée  pour  l'antiquité  classique,  et  la 
numismatique  en  particulier  avait  toutes  ses  faveurs.  C'était  bien 
moins  d'ailleurs  le  passé  que  le  présent  qui  l'intéressait  dans 
cette  science  ;  les  monnaies  grecques  ou  romaines,  si  rares  et  si 
précieuses  qu'elles  fussent,  étaient,  en  somme,  un  accessoire  dans 
une  collection  dont  le  but  essentiel  était  de  constituer  une  histoire 
métallique  du  grand  Règne. 

heh  pierres  gravées  venaient  en  seconde  ligne  dans  les  prédi- 
lections de  Louis  XIV,  mais  trouvaient  un  accueil  plus  empressé 
chez  S.  A.  R.  Madame. 

On  rapportait,  grâce  à  Colbert,  des  inanuscrits  à  la  Bibliothèque 
du  Roi,  on  rassemblait  enfin,  tant  à  la  rue  Vivienne  que  dans 
quelques  cabinets  spéciaux,  des  antiques  de  diverses  prove- 
nances, mais  les  curiosités  ethnographiques  et  naturelles  si  re- 
cherchées jadis,  étaient  abandonnées  ^  On  en  trouve  de  rares 

1)  Quelques  curieux,  en  province,  continuaient  toutefois  la  tradition  de  Jean 
Mocquet,  Pierre  Borel,  par  exemple,  dans  son  ouvrage  sur  les  Antiquitez  de 
Castres,  publié  en  1642,  fait  connaître  son  cabinet  qui  était  divisé  en  dix-huit 
classes.  Il  comprend  :  l"  les  raretez  de  Vhomme;  2°  des  bestes  à  quatre  pieds  ; 
3°  des  oyseaux ;  i"  des  poissons  et  des  zoophytes  de  mer;  5"  autres  choses  marines; 
6o  insectes  et  serpens;  1°  des  plantes  et  premièrement  des  bois  et  racines;  8°  des 
feuilles;  9°  des  fleurs;  10°  des  gommes  et  liqueurs;  ii°  des  semences  ou  graines; 
12"  des  fruits  rares;  13°  autres  fruits  et  semences  :  14°  des  minéraux  et  premiè- 
rement des  pierres;  15°  choses  changées  en  pierres;  16°  autres  minéraux; 
17o  des  antiquitez;  18°  choses  artifLcielles. 

M.  Edmond  Bonnaffé  mentionne  dans  son  intéressant  petit  livre.  Les  calice 
Honneurs  de  l'ancienne  France,  quelques  cabinets  privés  du  xyu^^  siècle  plus  ou- 
moins  analogues  (op.  cit.,\  p.  9  et  suiv.). 


16  LES    ORIGINES 

mentions  dans  les  récils  du  temps;  les  voyageurs  officiels  en  tout 
cas,  Tournefort  excepté,  ne  s'en  occupent  guère  *. 

Vansleb,  par  exemple,  qui  a  donné  des  aperçus,  parfois  si  justes, 
sur  les  peuples  de  l'Egypte,  a  complètement  négligé  de  recueil- 
lir les  matériaux  d'une  ethnographie,  dont  il  ne  saisissait  point 
l'intérêt.  Il  a  rassemblé,  au  cours  de  sa  mission,  une  fort  belle 
collection  de  manuscrits  ^;  les  autres  curiosités  dont  il  parle  ^  ne 
comprennent  guère  que  des  «  oyseaux  embaumés  »  de  Sakhara*  et 
quelques  menues  antiquités  pharaoniques,  la  peau  d'un  varan  du 
Nil  et  du  bois  de  scorpion  ^ . 

Paul  Lucas,  envoyé  en  Levant  en  1704  «  pour  y  faire  recher- 
che de  toutes  sortes  de  curiositez,  médailles,  pierres  gravées, 
manuscrits,  etc.  »,  rassemble  en  quatre  années  plus  de  \  ,800  mé- 
dailles, une  soixantaine  de  pierres  gravées,  des  copies  d'inscrip- 
tions, quelques  précieux  antiques,  «  sept  petits  animaux  dont 
deux  sont  restez  en  vie  »  et  seulement  24  paquets  numérotés  de 
curiosités  dont  le  détail  ne  nous  est  point  parvenu,  mais  qui  ne 
lui  avaient  coûté  que  30  livres  ^ 

De  1714  à  1717,  le  même  voyageur  forme  en  Orient,  pour  le 
Roi,  de  nouvelles  collections.  Six  à  sept  cents  médailles,  presque 
toutes  grecques,  18  pierres  gravées,  25  manuscrits  hébreux, 
syriaques,  grecs,  turcs  et  arabes  en  composent  le  fonds  principal. 


1)  Je  reviendrai  plus  loin  sur  la  collection  de  Tournefort  à  propos  du  Jardin 
du  I\oi,  où  elle  a  séjourné  jusqu'à  la  Révolution. 

2)  Étal  général  de?,  ouvrages  envoyés  par  Vaiislcb  à  lu  Bibliothèque  du  Roi, 
en  1671,  1672  et  1&73  [Lettres,  instructions  et  mémoires  de  Colbert,  etc.,  par 
Pierre  Clément,  t.  VII,  p.  459). 

3)  Nouvelle  relation,  en  forme  de  Journal,  d'un  Voyage  fait  en  Egypte,  par 
le  P.  Vansleb.  R.  D.  en  1672  et  1673.  Paris,  1677,  in-12,  p.  333. 

4)  «  J'en  emporlay  avec  moy  en  sûrlanl,dit  Vansleb,  vue  demy-douzaine 
dont  j'en  envoyai  quelques  vns  à  la  bibliothèque  du  Roy.  »  [Ibid.,  p.  146.)  1! 
y  en  avait  encore  deux  au  Cabinet  en  janvier  1810;  à  celte  dale,  on  en  déve- 
loppa les  momies.  (Dumarsan,  Notice  des  Monumens  exposés  dans  la  Cabinet 
des  Médailles  et  Antiques  de  la  Bibliothèque  du  Roi.  Paris,  1819,  in-8o,  p.  49.) 

5)  Vansleb,  op.  cit.,  p.  292  et  333. 

6)  Mémoire  sur  la  valeur  des  médailles,  imcriptiom,  pierres  gravées  et  autres 
rarctez  apportées  du  Levant  par  le  sieur  Paul  Lucas.  (Bibl.  nat.,  Arch.  du 
Cabinet  des  médailles,  Ms.). 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  17 

L'ethnographie  et  les  sciences    naturelles   y  sont  représentées 
par  très  peu  de  chose'. 

Ce  n"est  que  bien  plus  tard,  sous  le  règne  de  Louis  XVI,  pro- 
tecteur éclairé  des  sciences  géographiques,  que  le  Cabinet  com- 
mença à  recevoirde  véritables  collections  d'ethnographie,  formées 
à  la  faconde  celles  que  nos  voyageurs  recueillent  encore  aujour- 

1)  Jerelève  dans  le  récit  de  ce  troisième  voyage  de  Paul  L\ics.s {Voyage du  sieur 
Paul  Lucas  fait  en  MDCCXIV,  etc.,  par  ordre  de  Louis  XIV  dans  la  Turquie, 
l'Asie,  Sourie,  Palestine,  Haute  et  Basse-Egypte,  Amsterdam,  1744,  3  vol.  in-12, 
pi.)  les  listes  d'objets  qui  suivent  :  21  échantillons  de  minéralogie  (variolite  de 
Caramanie,  baryte  de  Valachie,  pierres  de  serpent,  etc.),  un  bloc  de  por- 
phyre de  150  livres  envoyé  d'Alexandrie,  un  herbier  de  70  plantes  «  bien 
conservées  et  fort  curieuses  »  remis  à  Chirac  et  devenu  depuis,  la  propriété  du 
Muséum,  où  on  le  conserve  encore  (Cf.  D"^  Bonnet,  Un  explorateur  inconnu  de 
la  flore  orientale,  Paul  Lucas,  botaniste  [Le  Naturaliste,  1886]  ;  des  échantillons 
de  serquis,  plante  merveilleuse  dont  on  se  sert  au  sérail  pour  rajeunir  les  sul- 
tanes ;  du  baume  blanc  de  la  Mecque,  dit  de  la  première  goutte,  «  excellent  re- 
mède pour  la  poitrine  »  ;  de  la  graine  de  Bambour  «  que  les  botanistes  ont 
trouvée  très-singulière  »  ;  l'herbe  du  diable  et  quelques  autres  plantes  médici- 
nales. Puis  ce  sont  des  plantes  pétrifiées  «  qui  croissent  naturellement  dans  une 
espèce  de  terre,  à  Inchené,  et  ressemblent  assez  au  corail  blanc  que  l'on  trouve 
dans  la  mer  Rouge.  «  Comme  j'en  ai  apporté  en  France,  dit  Lucas,  et  que 
«  Mgr  le  duc  d'Orléans  (le  Régent)  en  a  donné  quelques-uns  à  l'Académie  des 
«  Sciences,  c'est  aux  sçavans  botanistes  de  cette  Compagnie  à  donner  au  Public 
«  leurs  conjectures  sur  un  sujet  si  curieux.  »  (T.  II,  p.  381.)  La  collection 
continue,  avec  des  châtaignes  et  hérissons  de  la  mer  Rouge,  l'étoile  de  mer 
«  qui  est  un  poisson  plat,  lequel  a  un  pied  de  diamètre»,  des  oursins  et  un  petit 
buisson  de  corail  blanc  de  la  même  mer,  des  coquilles  perlières  d'Ormuz,  des 
cheveux  de  nacre,  des  mâchoires  de  poissons,  des  cornes  de  céraste,  des  bezoars, 
les  ailes  du  trochilos,  l'oiseau  si  souvent  décrit  comme  parasite  du  crocodile  ; 
deux  momies  d'oiseaux  de  la  nécropole  d'Abou-Sir,  qui  furent  remises  à  l'Aca- 
démie des  inscriptions  et  belles-lettres  et  donnèrent  lieu  à  un  mémoire  sur  le 
culte  de  ces  oiseaux  dans  l'ancienne  Egypte  ;  deux  têtes  de  momies  de  bœuf 
trouvées  à  Sakharah  (l'une  de  ces  pièces  fut  remise  à  M.  de  Valincourt  de  la 
part  de  M.  Lemaire,  consul  de  France  en  Egypte);  la  peau  d'un  tigre  tué  par 
Lucas  près  de  Beyrouth;  enfin  la  dent  d'un  géant,  d'un  tombeau  d'Arel- 
Melen  près  Tripoli  de  Syrie,  présentée  à  Mgr  le  duc  de  Chartres  et  déposée  par 
lui  en  son  cabinet  «  où  elle  tient  sa  place  parmi  les  autres  curiositez  qu'il  a  eu 
la  bonté  d'accepter  ». 

L'ethnographie  comprend  :  un  mouchoir  brodé,  une  bourse,  une  chemise  et 
un  caleçon  de  soie,  offerts  par  la  sœur  du  Grand-Turc,  veuve  d'Assan-Pacha, 
guérie  par  Lucas  d'une  grave  maladie  :  deux  «  dez  de  jadde  dont  les  points  sont 
d'or  et  qui  ne  diffèrent  en  rien  des  nôtres  que  par  la  matière  »;  des  bardaques, 

2 


18  LES    ORIGINES 

d'hui'.  Je  noterai  en  passant,  à  titre  d'exemple,  quelques-unes 
des  pièces  curieuses  arrivées  ainsi  de  Russie  en  1776  :  «  un  calen- 
drier du  Kamtschalka,  g-ravé  sur  des  petites  planches  de  bois; 
un  calendrier  semblable  des  Samoïèdes;  un  harnois  trouvé  en 
Sybérie  et  composé  de  plusieurs  fragmens  de  fer;  une  figure  en 
fer  représentant  le  dieu  lare  des  Kamtschadales  ;  un  hameçon 
en  fer,  dit  le  dieu  de  la  pêche  chez  les  Samoïèdes;  une  balance 
chinoise,  les  caractères  d'un  alphabet  russe;  plusieurs  idoles 
tartares,  mongoles^  etc.*.  » 

Joseph  Dombey,  rapporta  du  Pérou,  en  1785',  des  antiquités 
d'autant  plus  précieuses  qu'elles  provenaient  des  fouilles  métho- 
diques exécutées  par  lui,  et  que  c'étaient  les  premières  pièces 
de  cette  région  qui  parvenaient  en  France. 

La  collection,  cataloguée  par  le  voyageur*,  fut  déposée  au 
Cabinet  du  Roi  le  31  janvier  1786.  Elle  comprenait  un  certain 
nombre  de  vases  en  terre  noire  finement  lustrée,  et  de  formes 
généralement  insolites  et  parfois  bizarres  ;  des  ornements  et  des 
objets  de  toilette  d'or  et  d'argent,  diadèmes,  épingles  dites  topos, 
épiloir,  stylet;  des  statuettes  d'or,  d'argent,  de  terre  cuite  ;  un 
superbe  poncho  de  cotonnade  blanche  brodé  de  grandes  figures 
en  laine  noire,  rouge  ou  jaune;  un  sceptre  ou  bâton  de  com- 
mandement en  bois  dur  sculpté,,  et  divers  outils  ou  instruments, 
haches  en  cuivres,  pierres  polies  et  trouées,  destinées  à  divers 

sortes  d'alcarazas,  pour  rafraîchir  l'eau;  une  trompe  faite  d'une  corne  de  bélier; 
des  dents  dorées  de  moutons  des  environs  de  Tyr  et  de  Saïda  ;  une  calotte  d'a- 
cier, d'un  tombeau  entre  Alexandrette  et  Alep  ;  plusieurs  idoles  d'Egypte,  etc. 
(Paul  Lucas,  op.  cit.,  \.  I,  p.  99  à  100,  190,  221,  246,  330,  332,  347;  t.' II, 
p.  29,  97,  109,  318;  t.  III,  p.  190,  311-346). 

1)  Les  missions  que  l'influence  de  Lemonnier  obtint  de  Louis  XV,  son  roya 
client,  ont  eu  presque  toujours  un  caractère  exclusivement  botanique. 

2)  L.  A.  Cointreau,  Histoire  abrégée  du  Cabinet  des  Médailles  et  Antiques  de 
la  Bibliothèque  nationale  ou  Etat  succinct  des  acquisitions  et  augmentations 
qui  ont  eu  lieu  à  dater  de  Vannée  1754  jusqu'à  la  fin  du  siècle  {an  VIII  de  la 
République  française),  Paris,  an  IX  (1800).  1  vol.  in-8°,  p.  11. 

3)  Cf.  J.  P.  F.  Deleuze,  Notice  historique  sur  Joseph  Dombey  (Ann,  du  Mus. 
d'Hist.  nat.,  t.  IV,  p.  136-169),  V.  —  Cap,  Études  biographiques  pour  servira 
l'histoire  des  sciences,  2"  sér.,  p.  141-169.  Paris,  1864,in-12. 

4)  Voy.  Documents,  pièce  no  IL 


DU   MUSÉE    d'ethnographie  lO 

iisag-es,  ustensiles  de  tissage,  balances  à  plateaux  de  cuivre  et  à 
fléau  de  bois^  etc.  *.  Ces  objets  tout  nouveaux  pour  l'ethnographie 
péruvienne,  provenaient  les  uns  des  abords  du  temple  du  Soleil, 
à  Pachacamac,  si  souvent  bouleversés  depuis  par  les  fouilleurs, 
les  autres  d'un  tombeau  «  qui  est  dans  une  grotte  immense  fort 
élevée  »  à  trois  lieues  de  Tarma,  d'autres  encore  de  Paucartambo, 
près  Guzco.  Ils  vinrent  former  dans  la  classification  du  Cabinet 
des  antiques  le  commencement  d'un  nouveau  groupe  ^  dont  les 
événements  politiques  allaient,  à  bref  délai,  entraver  d'abord,  puis 
hâter  pendant  quelques  années  le  développement. 

Durant  les  premiers  temps  de  la  période  révolutionnaire,  le 
Cabinet  eut  en  effet  bien  à  souffrir,  mais  dès  le  commencement 
de  l'an  III,  on  réorganisait  les  divers  services  du  grand  éta- 
blissement devenu  la  Bibliothèque  nationale. 

1)  La  plupart  de  ces  objets  sont  aujourd'hui  déposés  au  Musée  d'Ethnographie. 
On  y  peut  voir  notamment  le  poncho  brodé  de  Pachacamac  (n"  52  de  la  collec- 
tion) et  quelques  autres  pièces  ayant  encore  leurs  étiquettes  de  la  main  du 
voyageur. 

2)  On  conserve  au  Cabinet  des  médailles  une  lettre  de  Dombey  ainsi  conçue  : 

«  A  Paris,  le  25  janvier  1786.  Monsieur,  je  viens  d'être  autorisé  par  M.  de  Ga- 
lonné à  remettre  au  Cabinet  des  médailles  du  Roi,  les  vases  et  autres  curiosités 
que  j'ai  rapportées  du  Pérou;  j'ai  numéroté  les  pièces  et  fait  le  catalogue.  Si 
vous  voulez,  Monsieur,  me  donner  votre  jour  et  votre  heure,  j'aurai  l'honneur 
de  vous  les  porter  moi-même.  J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect,  Monsieur, 
votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

«  DOiMBEY.  » 

On  lit  en  marge  du  catalogue  annexé  à  cette  lettre  la  mention:  Envoi  au 
Cabinet  des  Antiques  du  Roi,  leSl  janvier  1786. 


CHAPITRE  III 


Le  Muséum  des  Antiquités  à  la  Bibliothèque  nationale.  —  Ethnographie  et 
archéologie.  —  Le  cabinet  du  Stathouder  envoyé  par  Thouin.  —  Confiscations 
chez  les  émigrés.  —  Le  cabinet  Bertin.  —  Anciennes  coUectionB  du  Jardin 
du  Roi.  — Collection  Gauthier.  —  Barthélémy  de  Oourçay  et  sa  classification. 


«  Au-dessus  du  Cabinet  des  médailles,  dit  un  rapport  de  Yillar 
de  la  Mayenne,  au  Comité  d'Instruction  publique,  en  date  du 
10  frimaire  (30  novembre  1794),  est  un  grand  grenier  rempli 
de  petites  idoles,  de  vases,  de  bustes,  de  lampes  et  autres 
intéressants  débris  de  l'antiquité,  en  terre,  en  marbre,  en 
bronze. 

«  Cette  collection  est  perdue  pour  l'instruction  et  la  curiosité. 

«  Comment  introduire  le  public  dans  un  lieu  aussi  indécent, 
où  aucun  objet  n'est  garanti  des  atteintes  de  la  maladresse  et  de 
Finfidélité?  »  Et  l'auteur  du  rapport  ajoute  qu'<(  un  autre  dépôt 
d'Antiques  d'un  poids  et  d'un  volume  plus  considérables  est  placé 
par  terre  dans  une  petite  salle  humide  et  obscure  au  rez-de- 
chaussée  ». 

Inscriptions,  autels,  trépieds,  urnes,  figures  divines,  etc.,  l'an- 
cien Cabinet  et  les  objets  qui  étaient  venus  récemment  s'y  joindre, 
tout  était  entassé  à  la  base  et  au  sommet  du  vieux  bâtiment  de 
l'arcade  Colbertetl'on  se  demandait  ce  qu'il  en  fallait  faire,  dans 
l'intérêt  de  la  science  et  du  pays. 

«  Depuis  longtemps  et  surtout  depuis  la  Révolution,  dit  tou- 
jours notre  rapporteur  de  l'an  III,  les  sciences  et  les  arts  solli- 
citent pour  ce  précieux  dépôt  un  emplacement  convenable,  un 
établissement  particulier  sous  le  titre  de  Muséum  d'Antiquités. 
Ce  vœu  est  plus  fortement  exprimé  aujourd'hui  que  la  Répu- 
blique est  propriétaire  d'un  nombre  considérable  d'autres  anti- 
quités, médailles  et  pierres  gravées.  Il  y  en  a  aux  ci-devant  Petits- 


22  LES    ORIGINES 

Augustins*,  à  la  Bibliothèque  de  Sainte-Geneviève ^  au  garde- 
meuble,  au  Muséum  du  Louvre',  aux  ci-devant  Cordeliers,  dans 
les  maisons  de  Nesle,  de  Nantouillet  et  autres  maisons  devenus 
dépôts  prov isoùes  * .  » 

Et  il  ajoute  que  F«  on  n'aura  heureusement  que  l'embarras  du 
choix  pour  déterminer  celle  des  maisons  nationales  qui  pourrait 
être  convertie  en  Muséum  des  Antiquités'^  w 

L'embarras  était  si  réel  qu'on  ne  sut  pas  choisir  entre  tant  de 
locaux  rendus  disponibles  par  la  loi  sur  les  émigrés.  Un  projet 
de  décret  fut  bien  rédigé  «  pour  transporter  et  réunir  dans  le  Mu- 
séum ainsi  fondé  tous  les  monumens  de  l'antiquité  déclarés  pro- 
priétés nationales  et  susceptibles  de  transport,  qui  sont  sous  la  sur- 

1)  Le  «  musée  des  monumens  français  »  de  Lenoir,  alors  en  formation,  a  été 
ouvert  au  public  le  15  fructidor  an  III  (i"  septembre  1795). 

2)  A  la  suite  d'une  tentative  de  vol  chez  Mongès,  garde  du  Cabinet  des  mé- 
dailles de  Sainte-Geneviève,  le  département  de  Paris  avait  ordonné,  le  7  mai  1793, 
que  le  médaillier  de  la  ci-devant  abbaye  fut  porté  à  la  Bibliothèque  nationale 
et  nommé  à  cet  effet  le  citoyen  Jacques-Louis  Vachard,  administrateur  du  dé- 
partement, qui  avait  effectué  ce  transport  le  13  du  même  mois.  Mais  les  autres 
objets  étaient  restés  dans  l'ancien  local  et  ne  furent  remis  à  Barthélémy  le 
jeune,  que  le  9  ventôse  an  V  (27  février  1797).  Le  bibliothécaire  et  garde  du 
Cabinet  des  antiques  et  d'histoire  naturelle,  Viallon,  n'envoya  qu'un  petit 
nombre  d'objets  ethnographiques  de  l'abbaye,  et  je  ne  trouve  à  mentionner 
dans  son  inventaire,  au  point  de  vue  spécial  où  je  suis  ici  placé,  qu'une  «  petite 
tête  d'africain  en  marbre  noir  »  déposée  dans  la  6e  armoire  du  côté  du  jardin, 
et  une  momie  entière  «  grande  comme  nature  »  déposée,  avec  les  jambes  et  les 
pieds  d'une  momie  d'enfant,  dans  !a  1"''^  armoire  du  même  côté,  au  fond  de  la 
salle.  (Bibl.  nat.,  Archiv.  du  cabinet  des  médailles.  iVIs.) 

3)  Le  Muséum  central  des  Arts,  ouvert  le  8  novembre  1793. 

4)  On  trouve  le  «  tableau  des  collections  et  dépôts  à  inventorier  par  la  Com- 
mission des  Arts  »,  en  tète  des  Instructions  sur  la  manière  d'inventorier  et  de 
conserver,  dans  toute  Vétendue  de  la  République,  tous  les  objets  qui  puissent 
servir  aux  arts,  aux  sciences  et  d  l'enseignement.  Ces  instructions  adoptées  par 
le  Comité  d'instruction  publique  de  la  Convention,  étaient  rédigées  par  Dom 
Poirier,  et  forment  une  brochure  iri-4°  de  88  pages,  imprimée  sans  doute  à 
l'Imprimerie  nationale  et  aujourd'hui  devenue  très  rare.  C'est  un  document  des 
plus  intéressants  et  des  plus  remarquables. 

5)  «  Le  faux  bourg  Germaia  seul  eo  contient  plus  de  vingt,  »  parmi  lesquelles 
le  rapporteur  distingue  plus  particulièrement  la  maison  de  Salm,  rue  de  Lille, 
aujourd'hui  la  grande  chancellerie  de  la  Légion-d'Honneur  et  le  Petit-Luxem- 
bourg, alors  occupé  par  la  Commission  d'instruction  publique  et  devenu  l'habi- 
tation du  président  du  Sénat, 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  23 

veillance  de  la  Commission  temporaire  des  arls  ».  Mais  ce  projet, 
où  l'on  n'abordait  aucune  des  questions  pratiques  que  soulève 
nécessairement  la  création  d'un  établissement  de  ce  genre,  ne 
fut  l'objet  d'aucune  décision  officielle,  et  les  pièces  d'archéologie 
et  d'ethnographie,  sur  lesquelles  on  comptait  pour  remplir  le  nou- 
veau Muséum,  s'accumulèrent  provisoirement  dans  les  locaux  de 
plus  en  plus  encombrés  de  l'ancien  Cabinet  des  médailles  et  de 
ses  dépendances. 

Barthélémy  le  jeune,  que  l'on  distingue  quelquefois  de  l'an- 
cien, sous  le  nom  de  Barthélémy  d()  Courçay*,  avait  été  chargé, 
avecMillin,  le  4  brumaire  an  IV,  delà  conservation  des  médailles, 
des  antiques  et  des  pierres  gravées  de  la  bibliothèque,  réor- 
ganisée sur  des  bases  nouvelles  par  décret  du  25  vendémiaire  pré- 
cédent (17  octobre  1795).  Il  était  loin  de  partager  les  idées  de  Van 
Praet  et  de  plusieurs  de  ses  collègues  sur  la  nécessité  de  res- 
treindre l'étendue  du  dépôt  que  lui  était  confié  ^  et  il  reprit  acti- 
vement, avec  son  nouveau  collaborateur,  l'œuvre  qu'il  avait  seul 
entreprise  dès  l'an  III  ^  Il  lui  semblait  que  pour  «  faire  refleurir  l'é- 
tude de  l'antiquité  »  il  fallait  réunir  le  plus  promptement  possible, 
non  seulement  les  monuments  «  qui  peuvent  conduire  à  l'explica- 
tion des  anciens  auteurs  »,  mais  encore  ceux  qui  aident  «  à  la  con- 
naissance des  mœurs  et  des  usages  des  différents  peuples  »*.  Il 
combinait  ainsi  dans  ses  proj  ets  l'étude  du  présent  et  celle  du  passé 
«  afin  d'offrir,  sous  un  même  point  de  vue,  ce  qui  peut  instruire 

1)  Le  vieux  Jean-Jacques  Barthélémy,  Je  célèbre  auteur  du  Jeune  Anacharsis, 
était  mort  le  30  août  précédent.  Il  était  garde  du  Cabinet  depuis  1754. 

2)  Les  bibliothécaires  se  plaignaient  depuis  longtemps  du  peu  de  place  dont 
ils  disposaient  et  de  l'encombrement  qui  entravait  tous  les  services.  Villar  avait 
proposé,  dès  l'an  III,  de  réduire  rétablissement  aux  livres  imprimés  et  aiux 
manuscrits.  «  En  détachant  de  son  sein  les  médailles  et  les  estampes,  il  trou- 
vera, disait-il,  dans  les  places  occupées  par  ces  deux  dépôts  l'espace  qui  lui  est 
rigoureusement  nécessaire  pour  attendre  l'époque  où  il  sera  possible  de  lui 
donner  un  nouveau  local.  »  On  pourra  établir  ce  u  monument  digne  de  la  plus 
belle  portion  des  propriétés  nationales  »,  sur  le  terrain  des  ci-devant  Grands- 
Augustins  «  ou  sur  celui  de  Notre-Dame,  dont  la  démolition  fournira  une  grande 
quantité  de  matériaux!  » 

3)  Voy.  Documents,  pièce  n»  VIL 

4)  Voy.  Documents,  pièce  n°  IV. 


24  LES    ORIGINES 

des  mœurs  et  des  usages  des  peuples  éloignés  par  les  temps  et  par 
les  lieux  ».  L'ethnographie  était  appelée,  on  le  voit,  à  contracter 
dès  lors  avec  l'archéologie  une  alliance  intime,  qui  ne  s'est  mal- 
heureusement accomplie  que  bien  longtemps  après  la  mort  de 
celui  qui  en  avait  entrevu  le  premier  les  féconds  résultats. 

L'ethnographie  était  représentée,  dès  lors,  assez  largement  dans 
le  Muséum  des  Antiques.  Aux  collections  anciennes  énumérées 
plus  haut  étaient  réunies ,  depuis  quelques  mois,  celles  du  Stathou- 
der,  envoyées  de  Hollande  *. 

L'armée  française,  sous  la  conduite  de  Pichegru,  venait  de 
s'emparer,  en  moins  de  deux  mois,  des  Pays-Bas  tout  entiers,  et  le 
premier  soin  des  Conventionnels  qui  accompagnaient  les  troupes 
avait  été  de  publier  une  proclamation,  dans  laquelle  ils  décla- 
raient, entre  autres  choses,  qu'ils  respecteraient  toutes  les  pro- 
priétés particulières,  excepté  celles  du  Stathouder  qui  venait  de 
fuir  abandonné  de  presque  tout  son  peuple.  Le  Stathouder  étant 
le  seul  ennemi  de  la  République,  ses  propriétés  étaient  dues  au 
vainqueur,  en  dédommagement  des  frais  de  la  guerre. 

L'une  des  conséquences  de  cette  décision  des  représentants  en 
mission  avait  été  la  confiscation  des  biens  du  prince  d'Orange,  et 
en  particulier,  des  collections  personnelles  de  toute  espèce  qu'il 
avait  réunies  dans  ses  diverses  résidences. 

André  Thouin,  ancien  jardinier  en  chef  du  Jardin  du  Roi, 
devenu  depuis  un  peu  plus  d'un  an  professeur-administrateur 
du  Muséum  d'Histoire  naturelle,  fut  envoyé  en  Hollande  à  la  tête 
d'une  mission  spéciale,  composée  du  géologue  Faujas  de  Saint- 
Fonds,  du  bibliothécaire  Leblond  et  du  dessinateur  Dewailly, 
pour  choisir  tout  ce  qui  pouvait  offrir  quelque  intérêt  pour  nos 
musées  nationaux. 

A  la  date  du  5  floréal  an  IH  (24  avril  1795),  il  annonçait  l'envoi 
d'un  premier  «  assortiment  »  d'objets  «  de  sciences,  de  beaux  arts 
et  des  arts  mechaniques  »  destinés  en  partie  dans  ses  projets, 

1)  Le  cabinet  du  Stathouder  comprenait  outre  les  curiosités  dont  il  est  ici 
question,  une  magnifique  collection  d'histoire  naturelle,  déposée  vers  le  même 
temps  au  Muséum  d'Histoire  naturelle  (Cf.  Magasin  encyclopédique,  l""»  année, 
t.  II,  p.  419,  1795). 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  25 

aux  musées  départementaux  que  venait  de  créer  la  Convention, 
mais  dont  les  meilleurs  étaient  déposés  le  12  messidor  suivant 
-  (31  mai  179o)  à  la  Bibliothèque  nationale.  Seize  caisses,  remises 
par  les  citoyens  Madaye  et  Mazade  «  commissaires  nommés  à 
cet  effet  par  la  Commission  executive  de  l'Instruction  publique  » 
contenaient  «  des  armes  et  divers  ouvrages  de  l'art  chez  les 
Indiens  ».  Ces  objets  furent  «  transportés  provisoirement»  au 
Cabinet,  oii  ils  sont  restés  jusqu'à  leur  retour  en  Hollande,  après 
les  événements  de  1815'. 

C'étaient,  pour  la  plupart,  des  œuvres  d'art  d'origine  chinoise, 
plusieurs  grandes  figures  drapées  «  un  jardin  avec  un  petit  pavil- 
lon dans  lequel  sont  deux  Chinois  occupés  à  fumer  n,  des  vases 
en  corne  de  rhinocéros  travaillée,  un  échiquier  en  corail,  etc.,  etc. 
C'étaient  aussi  des  pièces  d'orfèvrerie  orientale,  vases  d'argent 
en  filigrane,  gobelet  à  pied  d'argent  ciselé,  vase  à  parfum  d'ar- 
gent, trépied,  etc.,  etc.  Puis  quelques  objets  d'Amérique,  tels 
que  «  une  paire  de  bottines  blanches  en  peau  brodée  en  verro- 
teries, bleue,  noire  et  blanche  »,  ou  bien  encore  «  un  vase  de  terre 
du  Mexique  »\ 

Tout  cela,  s'ajoutant  à  l'ancien  fonds  des  Antiques  et  aux  acqui- 
sitions récentes  provenant  des  confiscations  pratiquées  chez  les 

1)  Il  n'est  demeuré  à  Paris  de  celte  partie  des  collections  du  Stathouder  que 
d'insignifiaats  débris.  Nous  n'avons  retrouvé  non  plus  aucune  trace  des  curiosités 
apportées  du  Piémont  et  probablement  rendues  aussi  en  1815.  Il  se  trouvait  entre 
autres  choses  dans  cet  envoi  «  plusieurs  momies  d'enfants  dont  une  très  bien 
conservée,  et  couchée  dans  une  caisse  de  bois  d'acajou  à  couvert  de  glace  » 
(Cointreau,  op.  cit.,  p.  199);  des  costumes  de  différents  pays  et  nommément 
«  deux  armures  chinoises  de  vieux  laque,  ayant  servi...  à  faire  reconnaître  l'au- 
thenticité de  deux  autres  armures  provenant  de  l'ancien  garde-meuble  et  par- 
faitement semblables  »  ;  enfin  des  «  armes  orientales,  fruit  d'une  victoire  rem- 
portée par  Emmanuel,  duc  de  Savoie,  sur  un  général  turc,  qui  portoit  avec  lui 
le  fetfa  ou  diplôme  du  Grand  Seigneur,  qui  le  mettoit  en  fonction  »  ;  le  dit  fetfa 
est  renfermé  dans  une  bourse  de  soie  »  (Cointreau,  op.  cit.,  p.  203). 

2)  Il  y  avait  bien  aussi  certaines  choses  de  moindre  valeur,  que  Thouin 
s'excusait  fort  d'avoir  ajouté  à  son  envoi,  en  faisant  remarquer  aux  dépositaires 
del'assoi'timent,  qu'elles  avaient  été  mises  dans  les  caisses  comme  remplissage. 
Je  trouve,  par  exemple,  dans  les  inventaires  sommaires  qui  sont  restés,  un 
«  fragment  de  pipe  »,  un. «vase  de  corne  et  un  réchaud  »  une,  «  bouteille  de 
verre  verd  »,  une  «  espèce  de  boèle  à  poudre  en  ivoire  fêlée  »,  etc.  (Voy.  Docu- 
ments, pièce  n°  III.) 


26  LES    ORIGINES 

émigrés,  aurait  pu  constituer  un  commencement  de  Musée  ethno- 
graphique intéressant,  si  la  place  eût  été  suffisante  dans  les  lo- 
caux delà  Bibliothèque.  Les  dépôts  formés  par  ordre  du  Comité 
de  l'Instruction  publique  et  en  particulier  ceux  qui  avaient  été 
compris  dans  le  tableau  des  collections  et  dépôts  à  inventorier 
sous  la  lettre  p  et  la  mention  «  collections  des  émigrés  et  du  ci- 
devant  clergé  »  commençaient  à  livrer  leurs  richesses. 

Le  20  messidor  an  III  (8  juillet  179S)  le  conservateur  du  Dépôt 
de  la  rue  de  Beaune,  le  citoyen  Naigeon,  envoyait  à  la  Biblio- 
thèque de  nombreux  objets  d'archéologie  et  d'ethnographie,  par- 
mi lesquels  se  distinguaient  quelques  vases  péruviens  provenant 
du  comte  de  la  Billarderie  d'Angeviller,  qui  les  avait  reçus  de 
Joseph  Dombey,  au  retour  de  la  mission  dont  nous  'avons  parlé 
plus  .haut.  Le  même  envoi  contenait  des  papiers  chinois  pris 
chez  «  l'émigré  Marçan  »,  un  poignard  indien  «  à  poignée 
damasquinée  en  or,  avec  fourreau  en  velours  jaune  »  trouvé  chez 
les  Brissac^  etc.  *. 

Le  conservateur  du  Dépôt  de  la  maison  de  Nesle  adressait  au 
Musée  des  Antiques  le  5  thermidor  et  le  17  fructidor  an  V  (23  juil- 
let et  7  septembre  1797)  d'autres  pièces  exotiques  venant  des  émi- 
grés d'Angeviller,  de  Belizard,  de  Brionne,  Castries,  Caumont- 
La-Force,  d'Esclignac,  Joly  de  Fleury,  d'Harcourt,  La  Tré- 
mouille,  de  Liancourt,  de  Noailles,  de  Yaudemont,  etc. 

Tous  ces  grands  seigneurs  possédaient,  dans  leurs  hôtels,  des 
précieuses  curiosités  de  l'Inde  ou  de  la  Chine,  du  Canada  ou  des 
Guyanes,  grandes  pièces  sur  socles,  objets  d'étagère  ou  de  pano- 
plies, rapportées  le  plus  souvent  par  un  membre  de  leur  maison 
qui  avait  pris  quelque  part  à  l'administration  ou  à  la  défense  des 
colonies. 

On  voyait,  par  exemple,  chez  les  Vaudemont  «  deux  figures 
chinoises,  homme  et  femme,  en  terre  vernissée,  recouvertes  de 
leur  costume  en  soie;  le  tout  sur  deux  piédestaux  cannelés  et 

1)  Les  vases  péruviens  de  d'Angeviller  (Voyez  Documents,  pièce  n»  V)  sont 
au  Musée  d'Ethnographie;  le  poignard  est  au  Musée  d'Artillerie,  où  il  a  été 
envoyé  le  3  messidor  an  VI  (21  juin  1797)  |sous  le | nom  de  crick  ou  poignard 
japonais  {pour  javanais). 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  27 

dorés  »  ;  chez  les  d'Harcourt  c'étaient  «  trois  figures  en  bronze 
sur  le  même  piédestal  »  qualifiées  «  dieux  malabars  »  ;  chez  les 
Castries,  les  Liancourt,  des  trophées  de  sabres,  d'arcs,  de  carquois 
de  flèches,  etc. 

Les  mêmes  envois  de  thermidor  et  fructidor  an  V  comprenaient, 
une  petite  collection  d'armes  et  d'ornements  caraïbes  et  une  corne 
sculptée  de  Chine,  apportés  de  Chantilly,  de  nombreux  objets 
du  Canada  provenant  de  l'émigré  d'Esclignac,  «  un  carton  ren- 
fermant une  parure  de  sauvage  d'Amérique  »  ayant  appartenu  à 
l'émigré  Joly  de  Fleury ',  diverses  antiquités  du  Pérou  prises  chez 
le  comte  d'Angeviller  ou  le  duc  de  Noailles. 

Dans  le  luxueux  hôtel  du  duc  de  Brissac,  gouverneur  de 
Paris  et  capitaine-colonel  des  Cent-Suisses,  massacré  à  Ver- 
sailles en  1792,  les  commissaires  spéciaux  avaient  recueilli  des 
armes  d'Orient,  bouclier  chinois,  cris  malais  à  manche  damas- 
quiné d'or,  sabres,  carquois  et  flèches,  déposées  entre  les  mains 
de  Barthélémy  et  Millin  le  17  fructidor  an  Y  (3  septembre  1797). 
On  avait  trouvé  chez  le  comte  d'Orsay  «  deux  figures  chinoises  de 
grandeur  naturelle,  assises  sur  des  fauteuils  rouges  devant  une 
table,  le  tout  de  laque  ».  La  table  était  «garnie  de  tasses  et  autres 
objets  d'usage  »  et  les  figures  étaient  «  vêtues  d'étoffes  à  la 
manière  du  pays  ».  Le  tout  monté  «  sur  une  estrade  de  bois  de 
chêne  peint  en  noir  »  fut  transporté  du  dépôt  de  la  rue  de  Beaune 
au  Cabinet,  le  18  nivôse  an  YI  (7  janvier  1798),  ainsi  qu'  «  une  pipe 
turque  de  cuivre,  ayant  la  forme  d'un  balustre  avec  tous  ses 
tuyaux,  un  tabouret  turc  à  vis,  garni  en  maroquin  rouge  porté 
sur  trois  pieds,  deux  plattes  longes,  garnies  de  cuivre,  sur  ma- 
roquin rouge  et  vert,  deux  tetiers  également  garnis,  une  fonte 
de  pistolet,  un  caveçon,  un  bonnet  turc  verd  et  deux  panlouffles 
en  maroquin  jaune,  le  tout  enfermé  dans  une  boite  en  bois  ». 

Il  y  avait,  dans  le  même  envoi,  «  un  poignard  indien  en  forme 
de  flamme  avec  son  fourreau  et  dix  figures  chinoises  découppées, 
velues  d'étoffes  en  or  du  pays,  dans  une  boîte  de  bois  »  provenant 

1)  «  Celle  parure  esl  de  plumes  el  composée  de  quatorze  pièces,  manque  le 
dossier,  plus  un  tablier  en  verroterie  à  l'usage  d'une  femme  indienne.  »  Il  s'agit 
manireslement  ici  d'ornements  de  Galibis  ou  de  Roucouyennes. 


28  LES    ORIGINES 

du  «  condamné  Bevy  »  ;  un  panier  «  fait  en  cordes  et  garni  de 
coquilles,  ouvrage  des  Indiens  »,  pris  chez  un  émigré  désigné 
par  les  initiales  G.  P.  ;  une  cuiller  d'ambre  mutilée  et  une  «  na- 
celle de  sauvage  venant  de  la  Chine  »  trouvées  chez  !'«  émigré 
Noailles-Mouchy  »;  enlin  un  modèle  de  pirogue  «  fait  en  clous 
de  girofle  par  un  sauvage  des  îles  Moluques,  venant  du  Cabinet 
de  Bomare,  sous  sa  case  de  verre  ».  Ce  dernier  objet  avait  été 
confisqué  à  Chantilly,  oii  le  prince  de  Condé  avait  fait  installer 
la  célèbre  collection  du  naturaliste  Yalmont  de  Bomare,  qu'il 
avait  acquise  en  1787  '. 

La  pirogue  en  clous  de  girofle  des  Moluques  est  au  Musée 
d'Ethnographie,  où  elle  a  été  portée  «  sous  sa  case  de  verre  » 
au  commencement  de  1880.  Notre  établissement  possède  aussi 
les  deux  fauteuils  rouges  et  la  table  de  laque  du  comte  d'Orsay, 
mais  les  tasses  et  les  autres  «  objets  d'usage  »  ont  disparu,  avec 
les  deux  personnages  «  vêtus  à  la  manière  du  pays  »  dont  il  est 
resté  quelques  vestiges  à  peine. 

Les  dieux  malabars  de  d'Harcourt,  les  chinoiseries  de  Vau- 
demont  et  de  Noailles,  les  choses  américaines  de  d'Angeviller 
ou  de  d'Esclignac,  etc.,  etc.,  ont  traversé,  sans  trop  d'altérations, 
le  siècle  qui  nous  sépare  de  leur  confiscation.  Mais  il  manque 
depuis  longtemps  au  Cabinet  un  certain  nombre  des  vieux  objets 
amassés  dans  ses  magasins  de  1795  à  1798.  A  plusieurs  reprises 
en  effet  des  pièces  plus  ou  moins  importantes  ont  été  distraites, 
par  ordre  supérieur,  du  Dépôt  qui  les  avait  d'abord  reçues. 

La  momie,  un  instant  célèbre,  envoyée  de  Sinzigpar  «  le  Com- 
missaire des  arts  en  Allemagne  »  fut  placée  au  Muséum  d'His- 
toire naturelle,  lorsqu'on  eutreconnu  que  ce  n'était  qu'un  cadavre 
dont  la  conservation  était  due  à  des  phénomèmes  naturels^  Dès 
le  3  messidor  an  VI  (21  juin  1798),  un  certain  nombre  d'armes  de 
la  Bibliothèque  prenaient  le  chemin  du  Dépôt  d'Artillerie  où  se 

1)  Je  trouve  ce  renseignement  dans  une  note  manuscrite,  de  l'époque  placée 
au  bas  d'un  catalogue,  également  manuscrit  se  rapportant  à  une  partie  de  la 
collection  Bomare  et  conservé  à  la  bibliothèque  du  Muséum  d'Histoire  natu- 
relle. 

2)  Cf.  Magas.  encyd.,  3«  année,  t.  II,  p.  231  (1797). 


DU    MUSÉE   d'ethnographie  29 

constituait  lo  Musée  du  même  nom  devenu  aujourd'hui  le  plus 
riche  de  toute  TEurope'. 

En  revanche,  le  Musée  d'Ethnographie  a  reçu  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  en  1880,  la  collection  encore  presque  complète 
de  Bertin,  venue  du  Dépôt  de  la  maison  de  Nesle,  à  la  date  du 
3  septembre  1796  (17  fructidor  an  V). 

Henri-Léonard- Jean-Baptiste  Bertin,  qui  avait  rassemblé  ces 
objets,  avait  été  lieutenant-général  de  police,  contrôleur  général 
des  finances,  puis  tour  à  tour  ministre  d'État  et  ministre  par 
intérim  des  affaires  étrangères,  et  s'était  acquis,  dans  ces  diverses 
fonctions,  une  durable  renommée  par  les  encouragements  qu'il 
avait  donnés  aux  lettres  et  aux  sciences  ^  Bertin  était  notamment 
en  correspondance  régulière  avec  le  P.  Amiot,  et  plusieurs  autres 
jésuites  de  Chine',  et  veillait  à  faire  imprimer  dans  les  Mémoires 
concernant  les  Chinois  les  dissertations  les  plus  intéressantes, 
envoyées  par  le  savant  missionnaire.  Avec  ses  lettres  dont  la 
plus  ancienne  remonte  à  1766,  le  P.  Amiot,  faisait  parvenir  à 

1)  L'anciea  musée  avait  été  pillé,  lors  de  l'envahissement  de  l'Arsenal,  le 
14  juillet  1789.  Un  arrêté  du  9  thermidor  an  III  (27  juillet  1795),  constituant 
le  Comité  d'Artillerie,  ordonna  le  transport  à  Saint-Thomas  d'Aquin  de  toutes 
les  pièces  d'armures,  armes,  etc.  provisoirement  rassemblées  dans  une  salle  des 
Feuillants  et  qui  devinrent  le  noyau  du  musée  actuel. 

Le  3  messidor  an  VI,  on  envoyait  du  Musée  des  Antiques  au  Dépôt  d'Artil- 
lerie, rue  Dominique,  maison  des  ci-devant  Jacobins,  un  certain  nombre  d'armes 
orientales,  et  notamment  un  sabre  persan,  pris  à  Chantilly,  le  cris  à  manche 
damasquiné  d'or  trouvé  chez  le  duc  de  Brissac,  un  bouclier  chinois  de  même 
provenance  et  diverses  autres  pièces  du  Cabinet  de  Sainte-Geneviève  et  de  la 
collection  d'Esclignac.  Cet  envoi,  que  je  mentionne  à  titre  d'exemple,  ne  fut 
certainement  pas  le  seul.  Ainsi  Cointreau  dit  que  «  en  thermidor  an  VI,  on 
enleva  du  secrétariat  de  la  Bibliothèque  nationale  diverses  armes  à  l'usage  de 
nos  anciens  chevaliers,  pour  lus  transporter  rue  Saint-Dominique,  maison  qu'oc- 
cupaient les  Jacobins  et  servant  aujourd'hui  au  Dépôt  de  l'Artillerie,  confié  à  la 
garde  du  C^°  Régnier.  » 

2)  «  Ce  fut  lui,  dit  la  Grande  Encyclopédie,  qui  fonda  le  Cabinet  des  Chartes  ■ 
il  favorisa  l'établissement  de  nombreuses  écoles  d'agriculture,  contribua  à  la 
fondation  de  l'Ecole  vétérinaire  de  Lyon,  la  plus  ancienne  de  France,  et  assura 
le  développement  de  la  manufacture  de  Sèvres,  qui  venait  d'être  fondée  lors  de 
son  arrivée  aux  affaires.  » 

3)  Cf.  H.  Cordier,  Bibliotheca  Sinica,  t.  I,  col.  501-505.  —  Les  lettres  du 
P.  Amiot  à  Bertin  forment  à  la  Bibliothèque  de  l'Institut  un  recueil  de  3  volumes 
in- fol. 


30  LES   ORIGINES 

Berlin  de  curieux  objets  de  toutes  sortes,  livres  et  dessins,  ins- 
truments de  musique,  d'astronomie,  etc.,  etc.,  qui  avaient  fini  par 
former  un  petit  cabinet  tout  à  fait  remarquable. 

Accusé  d'avoir  pris  une  part  activé  au  Pacte  de  famine,  me- 
nacé dans  sa  vie  et  dans  ses  biens,  l'ancien  ministre  de  Louis  XV 
avait  dû  fuir  à  l'étranger  oti  il  était  mort  tristement  dans  le 
cours  de  1793.  Ses  collections  confisquées,  en  vertu  de  la  loi  sur 
les  émig-rés,  venaient,  en  1796,  enrichir  les  diverses  sections  de 
la  Bibliothèque  nationale.  Les  livres  et  les  dessins  chinois  furent 
déposés  dans  les  départements  des  Imprimés  et  des  Manuscrits, 
et  les  objets  d'ethnographie  envoyés  au  Cabinet  des  Antiques,  où 
ils  sont  restés  dans  la  salle  du  haut,  jusqu'à  leur  entrée  au  Musée 
du  Trocadéro.  Ces  objets  ont  fourni  enl8U  et  1813,  à  Breton,  les 
matériaux  d'une  publication  fort  intéressante  en  six  volumes 
n-18,  intitulée  La  Chine  en  miniature,  dont  j'ai  pu  examiner  un 
joli  exemplaire  en  couleur  dans  la  riche  bibliothèque  de  mon  ami, 
M.  Henri  Cordier*.  Les  cent  deux  planches  qui  accompagnent 
l'ouvrage  sont  malheureusement  gravées  à  trop  petite  échelle  pour 
qu'il  soit  possible  d'identifier  aucune  des  reproductions  qu'elles 
donnent  avec  les  originaux  de  notre  collection  dont  Breton  as- 
sure les  avoir  tirées  ^ 

Ces  pièces  originales  dont  on  trouvera  la  liste  à  la  suite  de 

1)  Voici  le  titre  exact  de  l'ouvrage  :  La  Chine  en  miniature,  ouChoix  de  cos- 
tumes, arts  et  métiers  de  cet  empire,  représentés  par  74  gravures,  la  plupart 
d'après  les  originaux  inédits  du  Cabinet  de  feu  M.  Berlin,  ministi^e;  accom- 
pagnés de  notices  explicatives,  historiques  et  littéraires,  par  M.  Breton,  auteur 
de  la  Bibliothèque  géographique,  etc.  Paris,  Nepveu,  1811,  4  vol.  in-18.  —  La 
Chine  en  miniature,  ou  Choix  de  costumes,  -arts  et  métiers  de  cet  empire,  re- 
présentés par  28  gravures,  la  plupart  d'après  les  originaux  inédits  du  Cabinet 
de  feu  M.  Berlin,  ministre;  accompagnés  de  notices  explicatives,  historiques 
et  littéraires,  tirées  en  partie  de  la  Correspondance  non  imprimée  des  Mission- 
naires avec  le  Ministre,  parM.  Breton,  auteur  de  la  Bibliothèque  géographique,  etc. 
Paris,  Nepveu,  1812,  2  vol.  in-18.  — Cette  continuation,  dit  M.  Gordier, 
{Bibli.  Sin,,  col.  46)  auquel  j'emprunte  ces  renseignements  bibliographiques, 
forme  un  ouvrage  indépendant  et  un  grand  nombre  des  exemplaires  ont  été 
tirés  avec  le  titre  de  Coup  d'œil  sur  laChine,  etc.,  1812,  2  vol.  in-18. 

2)  On  retrouverait  peut-être  l'origine  détaillée  d'une  partie  des  pièces  du 
P.  Amiot,  en  dépouillant  à  la  Bibliothèque  de  l'Institut  les  trois  volumes  de  sa 
correspondance  manuscrite  avec  Bertin.  C'est  un  travail  de  longue  haleine,  que 


DU   MUSÉE    D  ETHNOGRAPHIE  31 

ce  travail',  présentent  généralement  autant  d'intérêt  pour  l'art 
que  pour  la  science.  Les  connaisseurs  s'accordent  à  admirer 
les  ivoires  finement  ciselés,  les  bambous  découpés  avec  une 
adresse  charmante,  les  pierres  dures  sculptées  à  merveille  et  les 
broderies  délicatement  ouvrées,  qui  donnent  une  si  haute  idée 
des  arts  industriels  de  la  Chine  au  dernier  siècle.  Ajoutons  qu'il 
est  fort  rare  de  rencontrer  parmi  les  innombrables  objets  que 
l'on  importe  aujourd'hui  du  Céleste  Empire  des  spécimens  com- 
parables à  ceux  dont  la  confiscation  de  la  collection  Bertin  enri- 
chissait le  Musée  des  Antiques  en  1796  ^ 

Ce  n'étaient  pas  seulement  les  collections  des  émigrés,  qui 
venaient  augmenter  le  Musée  de  Barthélémy.  Des  dons  impor- 
tants y  étaient  envoyés  par  des  établissements  publics  et  même 
par  de  simples  amateurs. 

Le  Muséum  d'Histoire  naturelle  se  distingua  particulièrement 
par  son  empressement  à  favoriser  la  nouvelle  entreprise  scienti- 
fique. 

Il  s'était  accumulé  au  Jardin  du  Roi,  après  la  mort  de  Tourne- 
forts,  un  assez  grand  nombre  d'objets  rapportés  des  Indes,  du 

je  me  propose  d'entreprendre  plus  tard  ;  je  me  contente,  pour  le  présent,  du 
catalogue  manuscrit,  que  M.  Chabouillet  a  bien  voulu  me  mettre  en  mains  et 
que  je  reproduis  plus  loin. 

1)  Voyez  Documents,  pièce  n»  XI. 

2)  Le  goût  des  chinoiseries,  très  développé  en  France  au  xvuie  siècle,  s'est 
manifesté  dans  notre  pays  dès  le  commencement  du  xvi^.  Dans  l'inventaire  de  la 
collection  de  Florimond  Robertet,  par  sa  veuve,  Michelle  Gaillard  de  Long- 
jumeau  en  1532,  on  voit  figurer  à  côté  des  poteries  de  «  terre  sigelée  de  Turquie  », 
les  «  belles  porcelaines  des  premières  qui  soient  venues  en  France  depuis  que  les 
Europeans  vont  à  la  Chine,  lesquelles  sout  d'un  blanc  si  net  et  si  bien  mes- 
langé  de  toutes  sortes  de  petites  peintures  ».  Peiresc,  Le  Nôtre,  le  duc  de 
RicheUeu  et  quelques  autres  furent  plus  tard  des  amateurs  éclairés  des  choses 
de  l'Extrême-Orient.  (Cf.  E.  Bonnaffé,  Les  collectionneurs  de  l'ancienne  France, 
p.  23-75.  —  Td.,  Recherches  sur  les  collections  de  Richelieu,  Paris,  1883,  in-8, 
p.  76.) 

3)  «  Il  (Tournefort)  ramassoit  aussi  des  habillemens,  des  armes,  des  instru- 
mens  de  Nations  éloignées,  autres  sortes  de  curiositez,  qui  quoyqu'ellesne  soient 
pas  sorties  immédiatement  des  mains  de  la  Nature,  ne  laissent  pas  de  devenir 
philosophiques,  pour  qui  sait  philosopher.  De  tout  cela  ensemble  il  s'étoit  fait  un 
cabinet  superbe  pour  un  particulier,  et  fameux  dans  Paris  ;  les  curieux  l'esti- 
moient  à  45  ou  50,000  livres.  »  (Fontenelle,  Éloge  de  Tournefort.) 


32  LES    ORIGINES 

Sénégal,  de  l'Amérique  par  des  employés  civils  ou  militaires  au 
service  de  l'État  ou  des  Compagnies  commerciales. 

Cette  collection,  léguée  par  son  illustre  possesseur' ,  ornait 
les  travées  du  plafond  et  les  dessus  d'armoires  de  la  principale 
galerie  du  Cabinet  du  Roi^ 

L'exiguïté  des  locaux  affectés  aux  collections  d'histoire  natu  ■ 
relie  proprement  dite,  faisait  désirer  à  l'administration  du  nou- 
veau Muséum,  récemment  transformé,  que  toutes  ces  curiosités^ 
auxquelles  Buffon  s'était  intéressé,  trouvassent  ailleurs  un  emploi 
utile.  Aussi  les  démarches  de  Barthélémy  pour  en  obtenir  le 
transport  à  la  Bibliothèque  furent-elles  accueillies  avec  une 
telle  faveur,  que  l'on  n'attendit  même  pas  les  ordres  minis- 
tériels qui  devaient  sanctionner  ce  transfert.  L'opération,  votée 

i)  Tournefort  avait  laissé  par  testament  son  cabinet  de  curiosités  au  Roi  pour 
l'usage  des  savants. 

2)  Voici  en  quels  termes  l'abbé  Expilly  décrivait  cette  galerie  en  1768  [Did. 
des  Gaules  et  de  la  France,  V  Paris,  T.  V,  p.  464-465)  :  «  La  salle  qui  précède 
la  galerie  d'histoire  naturelle  est  ornée  de  belles  armoires,  qui  renferment  parti- 
culièrement des  pièces  d'anatomie.  Le  milieu  est  occupé  par  un  grand  bureau 
qui  offre  un  parterre  élégant  de  coquilles  choisies. 

«  On  entre  dans  une  superbe  galerie,  dont  les  travées  du  plafond  sont 
chargées  de  toutes  sortes  d'armes,  d'équipages  et  d'habillements  de  sauvages, 
de  fruits  des  Indes,  de  reptiles,  quadrupèdes,  animaux  amphybies,  poissons, 
serpens,  etc.  Le  pourtour  des  murs  est  garni  avec  autant  d'ordre  et  de  pro- 
preté que  de  magnificence,  de  tout  ce  que  les  trois  règnes  ont  de  plus  précieux  en 
animaux,  métaux,  sels,  pierres,  talcs,  coquillages,  bezoards,  sucs,  gommes,  etc., 
le  tout  dans  des  phioles  et  des  bocaux  artistement  placés  sur  les  gradins  de 
grandes  armoires  avec  des  studioles  au  bas  qui  contiennent  toutes  sortes  de 
fossiles,  toutes  les  classes  de  pierres  fines,  topases,  jaspes,  agathes,  jades, 
cornalines,  pierres  de  Florence,  cailloux  d'Egypte  et  autres,  marbres,  albâtres, 
crystaux,  etc.  Puis  viennent  les  animaux  crustacés,  les  poissons  desséchés,  etc. 
D'autres  armoires  sont  remplies  de  bois,  fruits  et  graines  étrangères,  avec  leurs 
studioles  de  mines  et  de  pétrifications,  d'insectes  et  de  fragmens  d'animaux. 
Ces  armoires,  au  nombre  de  vingt-deux,  sont  toutes  surmontées  et  couronnées, 
les  unes  à'habillemens  et  de  plumagts  des  Indiens,  les  autres  de  diverses 
productions  marines,  madrépores  et  grosses  coquilles,  d'autres  de  quadrupèdes, 
d'oiseaux,  de  serpens  et  de  poissons;  d'autres  encore  de  bois  de  cerf,  de  daim, 
d'élan,  etc.  Enfin,  à  côté  de  cette  grande  et  magnifique  galerie,  est  un  cabinet 
dont  les  tablettes  du  contour  présentent  une  belle  suite  d'animaux  étrangers, 
bien  conservés  dans  la  liqueur.  «  On  pourroit  appeler  le  Cabinet  du  Roi,  dit  en 
terminant  Expilly,  '■'  le  trésor  de  la  nature  et  le  triomphe  du  bon  goût.  )^ 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  33 

le  14  messidor  an  V  (2  juillet  1796)  et  autorisée  officiellement 
le  22  vendémiaire  suivant  (13  octobre),  était  terminée  depuis  près 
d'un  mois  déjà.  Invité  le  15  messidor  (3  juillet)  à  venir  dresser 
un  état  des  objets  qui  lui  étaient  concédés,  Barthélémy  s'était 
empressé  de  faire  enlever  le  tout  le  21  juillet  et  le  16  septembre'. 

La  collection,  ainsi  transportée  dans  le  Musée  en  formation,  se 
composait  de  cent  cinquante  et  quelques  objets,  dont  nous  avons 
transcrit  plus  loin  la  liste".  Une  partie  de  ces  objets  venait  de 
Tournefort^  qui  les  tenait  de  provenances  fort  diverses;  d'autres 
avaient  été  rapportés  par  La  Galissonnière,  à  son  retour  de  son 
gouvernement  du  Canada.  Le  catalogue  attribue  notamment  à 
ce  célèbre  marin  le  don  d'une  très  curieuse  coiffure  de  chef 
Peau-Rouge,  qui  occupe  aujourd'hui  une  place  d'honneur  dans 
la  grande  vitrine  du  Musée  d'Ethnographie,  consacré  à  l'ethno- 
graphie des  États-Unis. 

Quelques  pièces  viennent  peut-être  de  Frézier,  ou  encore  de 
La  Condamine  et  de  ses  compagnons*,  de  Grandpré  ou  de  Pom- 
megorge,  de  Barrère,  de  Querhoëntou  de  quelque  autre  des  cor- 
respondants de  Buffon.  Il  en  est  une  (n°  44  du  premier  inven- 
taire), dont  l'origine  hawaïenne  permet  de  supposer  qu'elle  a  été 
recueillie  au  cours  du  troisième  voyage  de  Cook^  Mais  le  Jardin 

1)  Cointreau  rappelle  dans  son  Histoire  abrégée  du  Cabinet  des  médailles,  la 
part  qu'il  prit  à  cette  opération.  «  Je  fus  chercher,  dit-il,  au  Muséum  d'Histoire 
naturelle  des  caisses  renfermant  des  idoles  adorées  chez  les  sauvages,  des  armes 
et  des  meubles  usités  par  eux,  entre  autres  une  espèce^de  cuirasse  couverte  d'une 
peau  de  pangolin.  J'en  apportai  aussi  une  momie,  quelques  antiquités  égyp- 
tiennes, et  une  tête  de  momie  encore  remplie  du  bitume  qui  avoit  servi  à  son 
embaumement.  »  (Cointreau,  op.  cit.,  p.  43.)  —  Voy.  Documents,  pièces  n"' 
VII,  VIII,  IX. 

2)  Voy.  Documents,  pièces  n"  X  et  XII. 

3)  J'ai  déjà  dit  que  la  collection  de  cet  illustre  naturaliste  voyageur  avait  été 
laissée  au  Jardin  du  Roi.  Je  crois  pouvoir  lui  attribuer  diverses  pièces,  notam- 
ment de  Guyane,  ayant  encore  des  étiquettes  sur  gros  papier  encadrées  d'un 
décor  vermillon,  tracé  au  patron.  L'étiquette  est  à  la  main,  d'une  grosse  écriture 
restée  assez  visible. 

4)  M,  Bureau  a  depuis  retrouvé  au  Muséum  et  envoyé  au  Trocadéro  un  épi 
de  maïs  sculpté  en  pierre  provenant  de  Joseph  de  Jussieii. 

5)  Cette  idole  «  en  espèce  de  jonc,  recouverte  jadis  de  plumes  avec  des  yeux 
de  nacre  et  des  dents   de  cétacés  »,  est  identique  à  plusieurs  de  celles  que  le 

3 


34  LES    Or.KlINES 

du  Roi  n'avait  rien  reçu  de  Bougainville,  dont  les  Genovéfains 
détenaient,  au  moment  de  la  Révolution,  les  collections  ethno- 
graphiques tout  entières.  Quelques  objets  seulement,  de  la  Terre 
de  Feu  et  des  îles  Salomon,  furent  livrés  à  Barthélémy  pour  ses 
panoplies  et  sont  encore  conservés  aujourd'hui  au  Musée  du  Tro- 
cadéro*. 

En  même  temps  que  le  Muséum  se  dépouillait  au  profit  de  la 
collection  organisée  par  Barthélémy  de  Courçay,  des  particuliers 
généreux  y  apportaient  de  petites  séries  d'objets,  quelquefois 
fort  précieuses  pour  la  science.  Telle  est  la  collection  du  citoyen 
Gauthier  dont  nous  avons  retrouvé  un  inventaire  détaillé,  por- 
tant la  signature  du  propriétaire.  Cette  collection  formée  très  pro- 
bablement àla  Guyane  française ,  chez  les  Roucouyennes  du  Maroni, 
fut  donnée  à  l'État  par  Gauthier,  le  5  messidor  an  V  (23  juin  1796). 
Elle  comprenait  deux  magnifiques  costumes,  l'un  d'homme,  l'autre 
de  femme,  et  toute  une  série  d'armes  et  d'ustensiles  variés,  au 
nombre  de  plus  de  cent.  Conservées  au  Cabinet  des  Médailles  dans 
de  bonnes  conditions,  pendant  plus  de  quatre-vingts  ans,  ces 
pièces  me  sont  parvenues  à  peu  près  intactes  pour  la  plupart,  et 
j'ai  pu,  en  les  exposant  à  côté  de  choses  similaires  de  fabrication 
actuelle,  donner  aux  visiteurs  du  Musée  d'Ethnographie  l'impres- 
sion très  frappante  de  l'immobilité  complète  des  arts  et  des  in- 
dustries des  Indiens.  Les  ouvrages  de  plumes,  tours  de  têtes, 
plastrons,  bracelets,  genouillères,  etc.  du  xvni*  siècle  sont  abso- 
lument identiques  à  ceux  de  nos  jours,  et  pour  les  ornements  de 
verroteries,  on  constate  plutôt  un  recul  chez  les  brodeuses  mo- 
dernes, qui  sont  bien  loin  (à  en  juger  du  moins  parles  collec- 


peinlre  F.  Davies,compagnoa  deCook,  a  copiées  d'après  nature  dans  la  pi.  XLII 
du  grand  album  d'aquarelles,  qui  appartient  aujourd'hui  à  M*"^  Brassey. 
{Cf.  E.-T.  Hamy,  Catalogue  descriptif  et  méthodique  de  l'Exposition  organisée 
par  la  Société  de  géographie  à  l'occasion  du  centenaire  de  la  mort  de  Cook, 
Bull.  Soc.  de  géog.,  mai  1879,  p.  457). 

1)  Il  reste  encore  maintenant  à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  (nous  y 
reviendrons  plus  loin)  un  certain  nombre  de  pièces  venant  des  Genovéfains. 
Il  pourrait  se  faire  que  dans  le  nombre  il  se  rencontrât  d'autres  restes  de  l'expé- 
dition Bougainville. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  35 

lions  de  Crevaux  et  de  M.  Coudreau)  d'égaler  en  adresse  et  en 
bon  goût  leurs  devancières  du  dernier  siècle. 

Barthélémy  avait  fait  d'une  partie  de  ces  pièces  de  la  collection 
Gauthier  des  panoplies  appendues  «  sur  une  des  portes  d'entrée 
du  Cabinet  »  ou  l'on  voyait  aussi  divers  objets  d'Otaïti  (Taïti)  et 
d'Owihee  (Hawaii)  *. 

«  Les  armes  offensives  et  défensives,  telles  que  boucliers,  arcs, 
carquois,  flèches,  sabres^  crics,  ceintures,  poignards,  sceptres, 
javelots,  etc..  d'usag-e  en  Perse,  en  Tartarie,  au  Japon  et  chez 
d'autres  peuples  de  l'Asie  »,  étaient  suspendues  «  dans  les  em- 
brasures des  fenêtres  ». 

Le  Musée  d'Ethnographie  naissant  offrait  ainsi,  à  l'imitation 
du  Cabinet  des  Antiques  dont  il  formait  une  annexe,  un  com- 
mencement de  classification  géographique.  Il  n'est  pas  sans  intérêt 
de  rappeler  que  l'exemple  donné  par  Barthélémy  a  été  presque 
partout  suivi  à  l'étranger  et  en  France^  et  que  la  plupart  des 
grands  musées  ethnographiques  actuels  sont  classés,  comme 
'était,  en  1799,  le  petit  Cabinet  de  la  rue  de  la  Loi. 

I)  «  Les  boutons,  \es  panarés,  les  matoutous,  les  pag aras,  les  crawachi,  les 
quéyous,  les  pariparas,  les  taooités,  les  tenarés  et  autres  objets  à  l'usage  des 
habitans  de  la  Guiane  françoise  et  hollandoise,  et  des  îles  d'Otaïli  et  d'Owhihee, 
appendus  jadis  sur  une  des  portes  d'entrée  du  Cabinet,  avoient  été  cédés  à  la 
nation  par  le  citoyen  Gautier.  >>  (Cointreau,  lac.  cit.) 

Toutes  ces  pièces  ne  venaient  pas  de  Gauthier,  ainsi  que  le  donnerait  à  croire 
le  texte  de  Cointreau.  BufTon  parle  en  effet,  quelque  part,  dans  son  Histoire 
naturelle  de  l'homme  (chapitre  des  Insulaires  de  la  mer  du  Sud)  d'une  toilette 
entière  d'une  femme  d'Otahiti  qu'  «  on  peut  voir  au  Cabinet  du  Roi  ».  Ce  cos- 
tume n'aurait-il  pas  été  présenté  par  Bougainville  à  Louis  XVI? 

2)  On  verra  plus  loin  que  c'est  sur  ces  mêmes  bases  que  Zédé,  Lebas,  puis 
Morel-Fatio,  ont  classé  l'ethnographie  au  Louvre  ;  l'ordre  géographique  est 
encore  suivi  au  Trocadéro. 


CHAPITRE  IV 

Mort  de  Barthélémy.  —  Son  œuvre  est  abandonnée.  —  Création  d'un  dépôt  de 
géographie  à  la  Bibliothèque.  —  Efforts  de  Jomard  en  faveur  d'un  musée  géo- 
ethnographique.  —  Débats  du  Musée  de  Marine.  —  Lamare-Picquot  et  ses  col- 
lections. —  Constitution  d'une  commission  qui  propose  la  fondation  d'un 
établissement  spécial  à  la  Bibliothèque.  —  Revendications  de  la  Marine.  —Le 
Conservatoire  de  la  Bibliothèque  repousse  les  conclusions  de  la  commission 
du  Musée  d'Ethnographie.  —  Création  d'une  section  ethnographique  au 
Mcsée  de  Marine. 


André  Barthélémy  de  Courçay  avait  à  peine  terminé  la  mise  en 
place  des  collections  du  Cabinet  réorganisé  par  ses  soins,  qu'il 
succombait,  frappé  d'une  attaque  d'apoplexie  au  milieu  des  trésors 
si  péniblementrassemblés  (9  brumaire  an  VIII,  31  octobre  1799)'. 
Celte  mort  subite  arrêta  tout  net  le  développement  de  l'entre- 
prise scientifique  à  laquelle  le  persévérant  conservateur  consa- 
crait le  reste  de  ses  forces,  et  la  collection  à  la  fois  ethnographique 
et  archéologique,  dont  il  avait  entrevu  la  haute  portée  scienti- 
fique, fut  bien  vite  oubliée  malgré  sa  réelle  valeur.  On  l'ignorait 
si  bien  déjà,  dans  les  hautes  sphères  administratives,  que,  lorsque 
l'intervention  de  sir  J.  Banks  eut  fait  rendre  à  la  France  les 
caisses  de  Labillardière'  aucun  des  objets  qu'elles  contenaient  ne 
vint  au  Musée  des  Antiques ^  Et  quand,  plusieurs  années  après, 
les  navires  de  Baudin  rentrèrent  à  Cherbourg  avec  les  immenses 

1)  Voy.  dans  le  Magasin  encyclopédique  (V^  année,  1799,  t.  IV,  p.  213-214) 
la  notice  nécrologique  que  son  collègue  et  ami,  A.-L.  Millin,  lui  a  consacrée. 

2)  M.  le  docteur  Bonnet  a  retrouvé  tout  un  dossier  de  pièces  manuscrites 
relatives  à  cette  restitution.  Il  est  question  de  «  beaucoup  d'objets  à  l'usage  des 
habitants  des  mers  du  Sud  »  dans  l'inventaire  général  envoyé  par  Labillardière 
à  Charretié  «  commissaire  du  Directoire  exécutif  pour  le  cartel  d'échange  des 
prisonniers  français  ». 

3)  Ces  objets  ont  passé  entre  les  mains  de  B.  Delessert,  acquéreur  de  l'herbier 
de  Labillardière.  Il  les  a  légués  à  la  ville  du  Havre.où  ils  ornent  aujourd'hui  l'esca- 
lier et  les  vestibules  de  la  Bibliothèque.  Je  les  y  ai  reconnus,  grâce  à  certaines 
provenances  toutes  spéciales.  Le  Musée  de  Marine  du  Louvre  possède  un  seul 
objet  de  Labillardière  ;  c'est  un  sac  en  ficus  de  la  Nouvelle-Hollande. 


38  LES    ORIGINES 

collections  formées  par  Péron,  Lesueur  el  leurs  compagnons 
d'étude,  les  pièces,  si  particulièrement  intéressantes,  recueillies 
par  nos  voyageurs  en  Australie,  à  Van  Diémen,  etc.,  furent 
déposées  à  la  Malmaison*. 

L'expédition  d'Egypte  ne  procura  que  quelques  instruments 
de  musique*;  le  voyage  de  Cailliaud  ajouta,  il  est  vrai,  un  petit 
nombre  de  pièces  variées  des  tribus  de  Nubie  etdeSennaar'.  Puis 
les  choses  restèrent  en  l'état  à  la  Bibliothèque,  jusque  vers  la  fin 
de  la  Restauration. 

C'est  en  1828  seulement  que  la  création,  au  profit  d'Edme 
Jomard*  d'une  conservation  de  dépôt  de  géographie^  comprenant, 
entre  autres  les  objets  et  instruments  divers  produits  par  les  voyages 
scientifiques' ^  vint  remettre  à  l'ordre  du  jour  les  idées  qu'avait 
préconisées  André  Barthélémy. 

1)  Je  ne  connais  qu'une  seule  chose  de  la  collection  ethnographique  de  Péron 
et  Lesueur,  qui  ait  été  sauvée.  C'est  une  flûte  en  bambou,  que  j'ai  vue  au 
Havre  entre  les  mains  de  M.  Berryer,  beau-neveu  de  Lesueur;  elle  a  dû  être 
offerte  depuis  lors  au  Musée  d'Histoire  naturelle  de  la  ville.  Toutes  les  autres 
pièces  et  notamment  celles  qui  sont  figurées  dans  les  planches  XIII  et  XXII  de 
Y  Atlas  historique  du  Voyage  aux  Terres  Australes  ont  disparu,  probablement  en 
1814.  C'est  une  perte  irréparable  pour  nos  études  :1a  collection  Péron  et  Lesueur 
était,  en  effet,  la  seule  qui  pût  donner  une  idée  juste  de  l'ethnographie  des 
Tasmaniens  aujourd'hui  complètement  détruits. 

2)  On  verra  plus  loin  [Documents,  pièce  n°  LXVIII)  que  c'est  la  vue  d'un  de  ces 
instruments  qui  détermina  la  vocation  ethnographique  de  Jomard,  dont  il  sera 
beaucoup  question  dans  la  suite  de  ce  travail.  C'était  la  lyre  des  Nubiens  «.  la 
même  qu'on  a  découvert  depuis  lors  dans  la  Haute-Ethiopie,  la  lyre  à  cinq 
cordes,  dont  le  corps  sonore  est  la  carapace  d'une  tortue.  «  Voilà  donc,  me 
disais-je,  la  lyre  de  Mercure,  retrouvée  bien  loin  du  théâtre  de  la  mythologie 
grecque.  Je  commençai  dès  lors  une  collection,  dont  je  sentais  l'utilité  pour 
l'étude  de  l'homme  et  de  ses  diverses  races » 

3)  Les  objets  de  la  collection  Cailliaud  sont  figurés  sur  les  planches  LVI  etLVII 
dut.  Il  de  V  Atlas  du  Voyage  à  Méroé,  au  fleuve  Blanc  au  delà  de  Faz'ogl,  etc. 
Paris,  1823,  in-fol. 

Les  armes  sont  allées  depuis  au  Musée  d'Artillerie,  presque  toutes  les  autres 
pièces  sont  au  Musée  du  Trocadéro. 

4)  Edme-François  Jomard,  né  à  Versailles  le  17  novembre  1779,  ingénieur  géo- 
graphe de  l'expédition  d'Egypte,  plus  tard  commissaire  du  gouvernement  pour 
la  publication  du  grand  ouvrage  sur  cette  contrée,  et  membre  de  l'Académie 
des  inscriptions  et  belles-lettres  de  l'Institut  de  France. 

5)  Voy.  Documents,  pièce  n"  XIV. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  39 

Dès  1818^  Jomard,  chargé,  par  une  Commission  de  l'Institut, 
d'un  rapport  au  Ministre  de  l'Intérieur  sur  une  collection  faite  au 
Caire  par  un  consul  de  France,  M.  Thédenat  du  Venl^  avait  pro- 
posé de  former,  à  l'aide  des  séries  d'objets  divers  d'Egypte,  de 
Nubie  et  d'Abyssinie,  envoyées  avec  les  antiquités,  et  les  pièces 
d'histoire  naturelle,  le  noyau  d'une  collection  spéciale,  consacrée 
à  cette  troisième  espèce  d'objets  rapportés  des  voyages  lointains^ 

C'était  méconnaître  les  eftorls  de  Barthélémy,  dont  la  collec- 
tion était  pourtant  toujours  à  la  Bibliothèque  royale,  mais  c'était 
en  même  temps  proclamer  solennellement,  devant  le  premier 
corps  savant  de  France,  l'utilité  de  sa  tentative  oubliée.  Se  mêlait- 
il  dès  lors,  au  zèle  scientifique  de  Jomard,  des  préoccupations 
personnelles?  songeait-il,  à  ce  moment,  qu'il  pourrait  devenir  le 
conservateur  de  l'établissement  dont  il  provoquait  la  création? 
Quoiqu'il  en  soit,  le  projet  échoua,  le  cabinet  Thédenat  fut  vendu 
aux  enchères  et  dispersé  ^ 

A  peine  Jomard  a-t-il  reçu  de  Dacier,  le  3  avril  1828,  son 
investiture  de  conservateur  à  la  Bibliothèque  du  Roi,  qu'il  va 
s'efforcer  d'attirer  dans  la  sphère  de  son  action  administrative  le 
Musée  ethnographique  dont  l'Institut  avait  approuvé  dix  ans  plus 
tôt  la  fondation. 

{)  Le  rapport  de  Jomard  sur  la  collection  Thédenat  du  Vent  ne  s'est  retrouvé 
ni  à  l'Institut  ni  aux  Archives  nationales.  Il  n'en  existe  qu'un  résumé,  publié  par 
Jomard  lui-même  dans  le  Bulletin  de  la  Société   de  géographie  pour  1836. 

On  y  lit  (page 93)  que  «  le  consul  au  Caire,  M.  Thédenat  du  Vent,  ayant  envoyé, 
en  1818,  une  collection  assez  considérable,  une  Commission  de  l'Institut  fut 
chargée  par  le  Ministre  de  l'Intérieur  de  lui  faire  un  rapport  sur  le  projet 
d'acquisition  :  M.  Georges  Cuvier  était  l'un  de  ses  membres,  M.  Jomard  en  fut  le 
rapporteur.  La  Commission  conclut  à  ce  que  les  objets  d'antiquité  fussent  achetés 
pour  le  Cabinet  des  Antiques,  et  les  pièces  d'histoire  naturelle  pour  le  Muséum 
du  Jardin  du  Roi  ;  quant  aux  objets  divers,  venant  de  l'intérieur  de  l'Egypte, 
de  la  Nubie  et  de  l'Abyssinie,  savoir  :  les  instruments,  les  outils,  les  armes,  les 
armures,  les  vêtements,  les  ustensiles,  les  vases  et  objets  domestiques,  aucun 
établissement  n'existant  pour  les  recueillir,  la  Commission,  sur  la  proposition 
de  son  rapporteur,  émit  le  vœu  qu'on  en  formât  le  noyau  d'une  collection  spé- 
ciale, consacrée  à  cette  troisième  espèce  d'objets  rapportés  des  voyages  lointains. 
Le  rapport  en  fait  voir  l'utilité  scientifique  et  toute  l'importance  ». 

2)  M.  l'abbé  Thédenat,  neveu  du  consul  du  Caire,  a  bien  voulu  me  commu- 
niquer le  catalogue  de  cette  vente  qui  ne  comprend  que  des  objets  d'archéologie. 


40  LES    ORIGINES 

Les  termes  de  l'ordonnance  prêtent  à  des  ambiguïtés  qui 
peuvent  servir  les  desseins  du  nouveau  conservateur,  et  il  ne  se 
fait  pas  faute  d'en  tirer  parti  au  profit  de  ses  projets.  Dès  le  16  mai 
1828,  il  insère  au  Mo?iiteiir  un  article  où  il  montre,  entre  autres 
choses,  que  rassembler  dans  le  dépôt  de  géographie  de  la  Biblio- 
thèque «  les  collections  d'instruments,  d'armes  et  de  costumes 
propres  à  donner  une  idée  des  mœurs  et  des  usages  ou  du  degré 
de  civilisation  des  peuples,  serait  ajouter  un  nouveau  degré  d'inté- 
rêt à  l'établissement  »*.  Et  le  ISjanvier  1830il  entreprend,  auprès 
des  pouvoirs  publics,  une  campagne  en  faveur  de  ses  idées  qui  va 
durer  trente-deux  années  et  ne  se  terminera  qu'avec  sa  mort*. 

Ce  qu'il  veut,  ce  qu'il  sollicite  avec  une  persévérance  vérita- 
blement remarquable,  ce  n'est  pas  tant  la  création  uune  insti- 
tution quelconque,  oii  la  science  qu'il  aime  serait  largement 
pourvue,  que  la  constitution,  sous  son  autorité  directe,  dans  l'é- 
tablissement oii  il  a  déjà  des  fonctions,  d'un  cabinet  spécial,  plus 
ou  moins  restreint,  dont  il  pourra  régler  les  destinées  suivant 
ses  convenances  personnelles.  Les  questions  d'argent  sont  d'ail- 
leurs toutes  secondaires  à  ses  yeux;  nous  le  verrons  même  plus 
tard  acquérir  de  ses  deniers  des  collections  assez  coûteuses, 
destinées  à  favoriser  rétablissementnouveau,s'ilestétabli  confor- 
mément à  ses  vues.  Mais  pour  bénéficier  des  largesses  de  Jomard^ 
le  Musée  devra  être  rattaché  au  dépôt  de  géographie  dont  il  a  la 
garde  :  toute  autre  entreprise,  si  bien  engagée  qu'elle  puisse  être, 
sera  forcément  condamnée,  sans  être  même  examinée. 

Ainsi,  tandis  que  Jomard  cherche  à  intéresser  à  son  ébauche 
àeMu&ée  géo-ethnog7'aphiqtie  (le  néologisme  est  de  lui),  quelques 
correspondants  étrangers  et  français',  le  Ministère  de  la  Marine, 
qui  s'est  lentement  enrichi  d'un  certain  nombre  d'objets  rapportés 
des  contrées  lointaines  par  ses  voyageurs,  songe  à  utiliser  des  ma- 
tériaux précieux  pour  l'étude  des  civilisations  primitives.  Loin 
de  venir  en  aide  à  une  tentative  qui  offre  certaines  chances  de  suc- 
cès et  peut  servir  efficacement  les  intérêts  de  la  science,  Jomard 

1)  Voy.  Documents,  pièce  n°  XVI. 

2)  Voy.  Documents,  pièce  n°  XVIII,  etc. 

3)  Voy.  DocMmen<s,  "pièces  n°^  XVIII  à  XX. 


DIT    MUSÉE    d'ethnographie  41 

paraîtra  l'ignorer*,  et  il  faudra  que  le  baron  de  Férussac  lui  rap- 
pelle, non  sans  quelque  amertume*,  dans  une  petite  brochure 
imprimée  tout  exprès,  l'histoire  de  la  fondation  du  Musée  Dau- 
phin et  de  ses  premiers  accroissements. 

C'est  le  15  janvier  1828,  que  le  Moniteur  universel  avait  fait  con- 
naître la  décision  prise  par  le  Roi  do  créer  dans  le  palais  du  Louvre 
un  Musée  naval  qui  «  porterait  le  nom  de  son  auguste  fils,  M.  le 
Dauphin,  amiral  de  France  ».  Le  projet,  présenté  par  M.  de  Cha- 
brol, ministre  de  la  Marine,  sur  la  proposition  du  ministre  de 
la  Maison  du  Roi,  le  duc  de  Doudeauville,  comprenait  tout  à  la 
fois  un  Musée  de  Marine  et  un  Musée  d'Ethnographie.  C'était 
Férussac  qui  avait  eu  l'honneur  de  proposer  cette  dernière  créa- 
tion et  avait  rédigé  à  la  demande  du  vicomte  de  Larochefoucauld 
le  projet  de  rapport  spécial'  adressé  à  Charles  X.  Il  était  donc 
mieux  placé  que  personne,  pour  esquisser  les  débuts  du  jeune 
Musée,  qui  lui  devait  en  partie  l'existence. 

Son  petit  mémoire  nous  apprend  que  par  les  ordres  de  MM.  de 
Doudeauville  et  de  Larochefoucauld,  «  une  foule  d'objets  pré- 
cieux »  étaient  dès  lors  réunis  au  Louvre,  «  place  naturelle  de 
cet  établissement  »,  et  mis  provisoirement  sous  la  direction  de 
M.  Zédé;  que  des  instructions  avaient  été  données  à  divers  voya- 
geurs, et  en  particulier,  à  Dumont  d'Urville  et  à  d'Orbigny  lors 
de  leur  départ  de  France;  que  des  achats  avaient  été  faits  à 
plusieurs  reprises  pour  le  nouvel  établissement;  enfin  que 
certaines  collections  privées_,  celle  de  l'auteur  en  particulier, 
avaient  été  généreusement  offertes. 

L'examen  des  registres  du  temps*,  conservés  au  Musée  de  Ma- 
rine actuel,  permet  de  préciser  les  faits  indiqués  un  peu  vague- 
ment par  Férussac.  Les  objets  envoyés  par  la  Maison  du  Roi 
sont  au  nombre  de  plus  de  cent  vingt,  et  ont  fait  partie  en  majorité 

1)  Voy.  Documents,  pièce  n»  XXIV. 

2)  Voy.  Documents,  pièce  n°  XXV. 

3)  Voy.  Documents,  pièce  n°  XXV  in  fine. 

4)  Je  dois  à.  M.  l'amiral  Paris,  consfrvateur  actuel  du  Musée  de  marine,  la 
communication  de  ces  documents  si  intéressants  pour  l'histoire  des  études  eth- 
nographiques en  France. 


42  LES    ORIGINES 

du  célèbre  cabinet  Denon;  les  autres,  généralement  océaniens, 
viennent  de  VUranie  ou  de  la  Coquille.  Le  port  de  Rochefort  a 
livré  71  pièces,  les  unes  ayant  pour  la  marine  une  utilité  pratique, 
cordages  d'abaca  ou  de  bambou,  fibres  d'ananas  du  Loango  et  de 
pitte  de  l'Amérique  du  Sud  ;  les  autres  d'intérêt  exclusivement 
ethnographique,  vases  k  maté  du  Chili,  pipes  du  Sénégal,  parasols 
du  Malabar  ou  de  la  Chine,  écrans  de  l'Inde,  raquettes  du  Ca- 
nada, etc. 

L'École  de  santé  de  Brest,  la  Direction  des  colonies,  etc.,  sont 
représentées  par  d'autres  collections  encore,  au  milieu  desquelles 
on  remarque  principalement  une  série  sénégambienne  de  210 
pièces  au  moins. 

Le  dessinateur  Dubois  a  acquis  de  plusieurs  côtés  et  notam- 
ment à  la  vente  d'Hauterive  des  pièces  rares  des  Marquises,  de 
Kodiak,  etc.  Férussac  a  déposé  21  objets  curieux,  de  Oualan  et  de 
Waigiou,  de  Taïti  et  de  la  Nouvelle-Zélande,  qu'il  tenait  de  Frey- 
cinet  et  de  Duperrey.  Dillon  a  remis  une  cinquantaine  d'objets 
recueillis  pendant  qu'il  cherchait  les  traces  de  Lapérouse.  Enfin 
les  officiers  et  médecins,  ingénieurs  et  commissaires  de  la  marine 
royale  auxquels  on  avait  fait  appel,  ont  répondu  par  l'envoi  denom- 
breuses  pièces  isolées,  dont  quelques  unes  possèdent  un  fort  grand 
prix,  comme  le  casque  hawaiien  en  plumes  rouges  et  jaunes  donné 
par  Le  Goaran,  ou  le  magnifique  costume  sioux  offert  par  Zédé. 

Tout  cela  est  encore  fort  en  désordre,  mais  constitue  cepen- 
dant un  premier  fonds  très  respectable,  que  le  retour  de  Dumont 
d'Urville  (25  mars  1829)  va  bien  enrichir.  L'illustre  navigateur  rap- 
porte en  effet  au  Musée  Dauphin  plus  de  deux  cents  objets  choisis 
entre  les  plus  intéressants  de  l' Océanie,  et  en  particulier  des  terres 
des  Papous  et  des  îles  Viti,  de  la  Nouvelle-Zélande  et  de  l'archipel 
Tonga,  enfin  de  ce  groupe  de  Vanikoro,  oti  il  vient  de  relever 
les  épaves  des  deux  navires  de  Lapérouse .  Les  collaborateurs 
de  Dumont  d'Urville,  Gaimard  et  Sainson  entre  autres,  suivent 
l'exemple  de  leur  chef.  Puis  ce  sont  des  officiers  de  vaisseau, 
Billard,  Cosmao,  Dubouzet,  des  médecins  de  marine,  tels  que 
Busseuil,  Tisserand,  etc.,  des  commis  même,  comme  Requin,  qui 
oftrent  leurs  trouvailles. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  43 

Et  c'est  tout  ce  mouvement,  si  intéressant,  que  Jomard  affecte 
d'ignorer  et  dissimule,  autant  qu'il  peut,  aux  yeux  du  ministre 
qu'il  harcèle  de  ses  réclamations,  aux  yeux  des  hommes  de  science, 
naturalistes,  philologues,  etc.,  dont  il  cherche  à  s'assurer  le  bien- 
veillant concours'. 

Au  lieu  de  s'appuyer  sur  l'administration  de  la  marine  et  des  co- 
lonies, et  de  s'entendre  avec  les  navigateurs  ou  les  fonctionnaires 
envoyés  au  loin  par  l'État,  il  va  tenter  de  contrecarrer  des  efforts 
qui  s'exercent  en  dehors  de  son  action  personnelle*. 

L'exposition  de  la  collection  Lamare-Picquot,  et  les  proposi- 
tions d'achat  adressées  au  gouvernement  par  ce  laborieux  voya- 
geur viennent  fournir  une  occasion  d'entretenir  de  nouveau  le 
ministre  de  l'ordonnance  de  1828  et  de  tout  ce  que  Jomard  pré- 
tend tirer  de  ce  texte  indécis. 

Lamare-Picquot  est  un  voyageur  naturaliste  qui,  à  deux  re- 
prises, a  dirigé  ses  explorations  vers  l'Hindoustan.  Au  cours  de 
son  premier  voyage  (1821-1823),  il  s'est  presque  exclusivement 
occupé  de  recueillir  des  échantillons  d'histoire  naturelle,  mais 
pendant  le  séjour  prolongé  qu'il  vient  de  faire  de  1826  à  1829  à 
Calcutta  et  à  Ghandernagor,  à  Ghazipour,  Gulna,  etc.,  il  a  ras- 
semblé de  nombreux  monuments  des  cultes  brahmanique  et  boud- 
dhique, des  quantités  d'objets  de  toute  espèce^  produits  de  l'in- 
dustrie du  Bengale  et  du  Goromandel.  des  séries  de  figurines  de 
Krishnagar  représentant  les  types  et  les  attitudes,  les  costumes  et 
certains  traits  de  mœurs  des  différentes  castes  de  l'Inde,  etc. 
Bref,  c'est  une  collection,  comme  la  France  n'on  possède  point 
encore,  et  son  possesseur  est  tout  prêt  à  la  céder  au  gouverne- 
ment, sous  certaines  conditions  qui  restent  à  débattre. 

1)  Je  n'avais  pas  été  frappé  tout  d'abord,  comme  je  le  suis  maintenant,  de 
l'esprit  de  système  qui  domina  toute  l'entreprise  dont  je  retrace  l'histoire.  On 
constatera  très  aisément  en  lisant  les  pièces  Ytahllées  in  extenso  sousles  n°''  XXIV, 
XXVI,  etc.,  l'omission  constanteet  voulue  du  Musée  naval  et  la  perpétuelle  préoc- 
cupation de  ne  rien  chercher  autre  chose  que  la  concentration  de  tout  le  reste 
des  collections  de  l'État  à  la  Bibliothèque.  L'auteur  diminue  peu  à  peu  ses 
prétentions,  ilconsentà  toute  une  série  d'amoindrissements  successifs  de  l'œuvre 
qu'il  a  méditée,  pourvu  que  le  peu  qui  en  reste  se  développe  rue  Vivienne. 

2)  Voy.  Documents,  pièces  n»^  XXIV,  XXVI,  etc. 


44 


LKS    ORIGINES 


Le  voyageur  fait  successivement  appel  à  l'Académie  des  ins- 
criptions et  belles  lettres,  à  la  Société  asiatique,  à  la  Société  de 
géographie,  et  les  rapporteurs  des  commissions,  que  ces  trois  com- 
pagnies ont  chargé  d'examiner  le  cabinet  Lamare-Picquot,  sont 
unanimes  à  en  célébrer  la  richesse_,  à  en  proclamer  l'intérêt*. 

Abel  Rémusat  et  Eug.  Burnouf  terminent  leurs  rapports  en 
faisant  des  vœux  pour  qu'on  établisse  à  Paris  un  musée  spécial, 
dont  la  collection  Lamare-Picquot  pourra  devenir  le  noyau,  et 
Jomard,  fort  de  l'appui  de  ces  deux  grandes  autorités  scienti- 
fiques, va  solliciter,  une  fois  de  plus,  cette  fois  avec  un  succès 
relatif,  l'intervention  des  pouvoirs  publics.  Les  raisons  qu'il 
invoque,  lourdement  exposées  dans  une  longue  lettre  en  date  du 
14  août  1831,  ont  néanmoins  frappé  le  ministre,  et  M.  d'Argout, 
qui  n'ignore  point  ce  qui  se  passe  au  Louvre  et  entrevoit  dans 
l'avenir  de  fâcheuses  compétitions  administratives,  veut  pouvoir 
s'appuyer  sur  une  consultation  émanée  des  savants  les  plus  indis- 
cutés. 

Il  écrit  à  Cuvier,  qui  est  alors  en  France  l'arbitre  de  toutes  les 
questions  scientifiques.  Le  grand  naturaliste,  qui  dès  1818  s'est 
montré  bien  disposé  pour  les  projets  issus  des  offres  de  vente 
du  consul  Thédenat,  entre  dans  les  vues  du  ministre.  Ils  com- 
posent ensemble  une  Commission  oii  les  deux  rapporteurs  de 
l'Académie  et  de  la  Société  asiatique  constituent  d'avance  avec 
Cuvier  lui-même  et  Jomard,  l'auteur  de  la  lettre,  une  majorité 
décidée  à  proposer  nne  solution  favorable.  Kératry  etDuparquet, 
choisis  par  le  ministre,  sont  bienveillants,  mais  Letronne,  pré- 
sident du  Conservatoire  de  la  Bibliothèque,  et  par  là  même  plus 
intéressé  qu'aucun  autre  à  prendre  une  part  active  aux  travaux 
de  la  Commission,  s'est  dérobé,  sous  le  prétexte  d'une  tournée 
d'inspection*,  et  il  n'est  pas  trop  malaisé  de  pressentir  dès  lors 
une  opposition  très  décidée  des  administrateurs  de  la  rue  Riche- 
lieu contre  les  empiétements  de  leur  collègue,  le  Conservateur 
du  cinquième  département,  dit  dépôt  de  géographie.  L'un  d'entre 


1)  Voy.  Documents,  pièces  n»»  XX],  XXII,  XXIII. 

2)  Voy.  DocumenU,  pièces  n»»  XXVII-XXXII,  XXXV,  XXXVI. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  45 

eux,  Champollion-Figeac,  qui  a  pris  une  certaine  part  à  la  fon- 
dation du  Musée  de  Marine  au  Louvre,  écrit  même  le  10  mai  au 
ministre  une  lettre  confidentielle,  pour  lui  faire  observer  que 
«  l'auteur  de  ce  beau  projet  et  de  tant  d'autres  »  s'est  bien 
g-ardé  de  dire  que  le  musée  dont  il  propose  la  création  «  est 
établi,  commencé  et  en  voie  de  s'accroître  journellement  »  '. 

D'Argout  passe  outre,  la  Commission  se  constitue,  délibère, 
nomme  son  rapporteur,  et  le  i^'  novembre  1831,  M.  Abel 
Rémusat  fait  accepter  à  ses  collègues  les  conclusions  suivantes  à 
l'unanimité  : 

r  II  sera  établi  à  Paris  un  dépôt  ethnographique  où  seront 
réunis  les  objets  qui  pourraient  éclairer  l'histoire  de  l'homme 
physique  et  de  l'homme  moral; 

2°  Ce  dépôt  sera  placé  à  la  Bibliothèque  du  Roi; 

3^  Les  objets  qui  sont  de  nature  à  en  faire  partie  el  qui  se 
trouvent  actuellement  dispersés  dans  divers  établissements 
publics  de  Paris  seront,  de  concert  avec  les  administrateurs  de 
ces  établissements,  réunis  et  transportés  à  la  Bibliothèque  du 
Roi'. 

En  d'autres  termes  la  Commission  demande  qu'on  supprime, 
au  profit  du  département  de  Jomard  à  la  Bibliothèque  royale, 
toute  autre  collection  ethnographique  officielle  existant  à  Paris, 
et  par  suite  la  petite  salle  d'ethnographie  sise  au-dessus  du 
Cabinet  des  médailles  ;  la  galerie  B  III  du  Muséum  d'Histoire 
naturelle,  dont  Cuvier,  qui  l'a  créée,  semble  avoir  fait  son  deuil; 
enfin  et  surtout,  l'annexe  du  Musée  naval,  que  l'on  ne  nomme 
point  expressément  dans  le  rapport,  mais  contre  laquelle  sem- 
blent surtout  dirigés  les  efforts  de  la  Commission. 

On  dresse,  en  même  temps,  un  tableau  des  dépenses,  on  étudie 
la  question  du  local,  on  établit  la  liste  des  collections  à  acquérir  ^; 
mais  il  faudra  soumettre  tout  l'ensemble  des  propositions  formu- 
lées à  la  Commission  du  budget  de  1832  et  le  ministère  est  aux 
prises  avec  une  opposition  puissante,  qui  a  mis  en  tête  de  son 

1)  Voy.  Documents,  pièces  n»*  XXXIII  et  XXIV. 

2)  Voy.  Documents,  pièce  n»  XXXVII. 

3)  Voy.  Documents,  pièce  n°  XXXVIII. 


46  LES    ORIGINES 

programme  la  diminution  des  dépenses  ^  On  attendra  avant  de 
prendre  un  parti  définitif. 

On  redoute  d'ailleurs  à  l'Instruction  publique  des  résistances 
insurmontables  de  la  part  de  la  Marine  et  de  la  Maison  du  Roi 
dont  le  projet  tend  à  dépouiller  les  établissements  au  profit  du 
département  de  M.  Jomard.  Le  chef  de  division,  chargé  plus 
spécialement  d'étudier  l'affaire,  Hippolyte  Royer-Collard,  est 
sourdement  hostile.  S'il  accepte  en  principe  la  création  proposée, 
c'est  à  la  condition  de  n'attribuer  au  nouveau  dépôt  que  les 
objets  existant  déjà  dans  le  cabinet  des  Antiques,  ((  sauf  à  y  réunir 
ceux  qu'on  pourra  se  procurer  par  la  suite  ». 

C'est  un  simple  virement  qu'il  propose,  d'un  département  à  un 
autre,  pour  l'ancien  Musée  Barthélémy,  et  à  cette  occasion,  il 
attaque  l'existence  même,  comme  département,  du  dépôt  de 
géographie,  qui  lui  paraît  devoir  rentrer  dans  celui  des  livres 
«  dont  les  cartes  n'auraient  jamais  dû  être  séparées  »  '. 
Le  ministre  ajourne  toute  décision,  et  l'hiver  se  passe,  au 
milieu  des  luttes  parlementaires  soulevées  par  la  liste  civile,  le 
budget,  etc.  Sur  ces  entrefaites  le  choléra  éclate  à  Paris;  le 
minisire  d'Argout,  atteint  par  le  mal,  est  obligé  de  résigner  ses 
fonctions  (30  avril).  Cuvier  et  Rémusat,  le  président  et  le  rappor- 
teur de  la  Commission  du  Musée  d'ethnographie,  succombent 
coup  sur  coup  (13  mai,  2  juin). 

Pendant  ce  temps  la  Vendée  est  soulevée,  l'émeute  gronde 
derrière  le  cercueil  du  général  Lamarque  (5  et  6  juin)  et  tout  le 
monde,  Jomard  lui-même,  se  recueille,  en  attendant  la  pacifica- 
tion des  esprits.  Mais  le  calme  est  à  peine  rétabli  que  Lamare- 
Picquot  redouble  ses  demandes  auprès  du  ministre,  sous  l'au- 
torité duquel  est  désormais  placée  l'administration  de  l'Instruc- 
tion publique  ^  Il  se  fait  recommander  à  Guizot  par  des  person- 
nalités politiques,  comme  Félix  Bodin  et  Le  Carpentier,  tandis 
que  l'infatigable  Jomard  recommence  ses  tentatives,  à  l'appui 

1)  Le  budget  de  1832  fut,  du  reste,  en  diminution  de  79  millions  sur  celui  de 
i831. 

2)  Voy.  Documents,  pièce  n»  XXXIX. 

3)  Voy.  Documents,  pièce  n»  XLII. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  47 

desquelles  il  offre  sa  collection  privée  «  pour  être  jointe  au 
noyau  existant  dans  notre  grande  Bibliothèque  royale,  ou  mo- 
ment où  Ton  réaliserait  le  vœu  de  l'ordonnance  »  qui  lui  tient 
tant  à  cœur  '. 

Mais  le  conservateur  du  Musée  de  Marine,  s'agite  de  son 
côté,  et,  après  avoir  longtemps  conservé  une  attitude  expectante, 
devient  agresseur  à  son  tour.  Le  comte  de  Rigny,  ministre  de 
la  Marine  et  des  Colonies,  formule  sur  la  demande  de  Zédé, 
auprès  de  son  collègue  de  l'Instruction  publique,  diverses  récla- 
mations qui  ont  pour  résultat  de  faire  passer  au  Louvre  84  objets 
d'ethnographie  du  Muséum  d'Histoire  naturelle  (14  mai  1833)2 
et  provoquent  entre  la  Bibliothèque  et  le  cabinet  du  ministre  un 
échange  de  notes  et  d'explications,  à  la  suite  desquelles  le  Con- 
servatoire est  enfin  saisi  officiellement  des  propositions  de  la 
Commission  de  1831  (20  avril  1833)  ^ 

Letronne,  qui  se  réservait  du  vivant  de  Cuvieret  d'Abel  Rému- 
sat,  intervient  vigoureusement  pour  défendre  la  Bibliothèque 
contre  un  double  péril.  Les  revendications  de  la  Marine  sont  peu 
importantes  en  çlles-mêmes,  mais  elles  pourraient  en  susciter 
d'autres  qui  seraient  beaucoup  plus  graves.  Quant  au  projet 
Jomard,  il  est  inapplicable  à  la  Bibliothèque;  il  faudrait  pour  qu'il 
pût  aboutir,  un  local  étendu,  un  personnel,  un  matériel  relati- 
vement considérables,  que  l'établissement  n'est  point  on  état  de 
fournir,  et  le  Conservatoire,  suivant  l'impulsion  qui  lui  estdonnée 
par  son  directeur,  se  prononce  pour  la  négative,  tout  en  recon- 
naissant en  principe  l'utilité  de  l'établissement  qu'il  désire  voir 
créer  ailleurs. 

La  délibération  est  prise  à  l'unanimité,  moins  une  voix,  celle 
de  Jomard  et  la  cause  de  ce  dernier  est  dès  lors  définitivement 
perdue*. 

En  vain,  sollicité  une  fois  de  plus  par  Lamare-Picquot  qui 
continue  à  chercher  le  placement  de  sa  collection,  adressera-t-il  à 

1)  Voy.  Documents,  pièce  n»  XLIV. 

2)  Voy.  Documents,  pièces  n»»  XLII  et  XLIII. 

3)  Voy.  Documents,  pièces  n°*  XLV  et  suiv. 
•4)  Voy.  Documents,  pièce  no  LVIII. 


48  LES    ORIGINES 

Salvandy  et  à  M.  Félix  Ravaisson  de  nouvelles  requêtes  (octobre 
1838);  l'ordonnance  qu'il  obtiendra  en  faveur  du  département 
des  cartes  géographiques,  plans  et  collections  ethnographiques 
(11  mars  1839)  ne  sera  jamais  appliquée  ^ 

En  vain  après  la  célèbre  lettre  que  lui  écrit  Siebold'  sur  les 
collections  ethnographiques  (1843)  s'adresse-t-il  de  nouveau  au 
ministre,  en  lui  faisant  tenir  la  brochure  qui  contient  sa  réponse 
au  savant  japoniste  (1845)'.  Naudet,  consulté  par  Salvandy,  se 
montre  aussi  intraitable  que  Letronne  auquel  il  a  succédé,  et 
le  projet  d'un  dépôt  ethnographique  à  la  Bibliothèque  royale  est 
à  tout  jamais  enterré*. 

Cependant  l'œuvre  de  Zédé,  continuée  parLebasetMorel-Fatio, 
se  développe  à  son  aise  dans  le  second  étage  du  Louvre,  en  partie 
inoccupée 

La  Recherche  [\.mi)  y  la  Bonite  (1838),  Y  Astrolabe  et  la  Zélée 
(1843)  ont  rapporté  de  leurs  voyages  d'importantes  collections 
exotiques,  que  le  ministre  de  la  Marine  dépose  au  Musée  naval. 
Le  ministre  du  Commerce  y  envoie  les  collections  recueillies  en 
Chine  par  M.  de  Lagrenée  (1843),  l'administration  des  Musées 
royaux  y  place,  en  attendant  la  formation  d'une  petite  galerie 
spéciale,  les  Collections  d'archéologie  américaine  provenant  de 
Latour-AUard,  de  Séguin  et  de  Franck. 

Le  roi  Louis-Philippe  fait  remettre  diverses  pièces  remarqua- 
bles qu'il  a  reçues  du  négus  d'Abyssinie  (1842)  et  plus  tard  les 
curieux  objets  d'Océanie  que  lui  ont  présentés  les  missionnaires 
apostoliques  Pompallier  et  Douare,  et  parmi  lesquels  on  remarque 
le  casse-tête  de  ïupaea,  le  grand  chef  de  Touaranga. 

Le  célèbre  antiquaire  Scandinave  Rafn,  le  capitaine  Collet,  qui 
a  si  complètement  étudié  les  Marquises,  le  lieutenant-général  Ru- 


1)  Voy.  Documents,  pièces  nos  lX  el  suiv. 

2)  Voy.  Documents,  pièce  n»  LXVII. 

3)  Voy.  Documents,  pièce  n»  LXVIII. 

4)  Voy.  Documents,  pièces  n»»  LXIX  et  LXXI. 

5)  Cf.  L.  Morel-Falio,  Notice  des  collections  du  Musée  de  Marine  exposées 
dans  les  galeries  du  Musée  impérial  du  Louvre.  Paris,  de  Mourgue,  lbô2. 
1  vol.  in-12.  Introduction,  p.  xii-xiv. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  49 

migny,  etc.,  enrichissent  Fétablissemenl  de  leurs  dons  et  bientôt 
il  ne  suffit  plus  de  quelques  vitrines  pour  contenir  tout  cet  inté- 
ressant ensemble.  Jeanron,  puis  Nieuwerkerke,^en  composent 
une  subdivision  séparée.  Une  grande  salle  contiguë  au  Musée 
naval  et  y  faisant  suite  dans  le  pavillon  de  Beauvais  est  disposée 
pour  recevoir  le  Mmée  ethnographique  ;  quelques  mois  suffisent 
pour  l'installer  et  le  1''  août  1850,1a  collection  réorganisée  est 
livrée  à  la  curiosité  publique  ^  A  peine  ouvert,  le  Musée  nouveau 
s'enrichit  de  quelques  précieux  envois  de  Garcin  de  Tassy,  d'An- 
grand,  de  M.  Schœlcher,  etc.,  et  lorsque  l'administration  des 
Finances  vient  en  faire  l'inventaire  avec  Morel-Fatio,  qui  en 
est  devenu  le  conservateur,  elle  peut  constater  la  présence  de 
2,760  objets,  presque  tous  d'une  réelle  valeur^ 

1)  L.  Morel-Falio,  loc.  cit. 

2)  Le  seul  inventaire  général  du  Musée  de  Marine  qui  ait  été  dressé  par  les 
soins  de  l'administration  des  Finances  a  été  terminé  le  31  décembre  1856.  A 
cette  date  le  Musée  contenait  3,786  objets,  dont  1,026  dans  la  section,  navale  et 
2,760  dans  la  section  ethnographique.  Cette  dernière  section,  classée  dans 
l'ordre  géographique,  se  décomposait  en  douze  sous-sections,  de  la  manière 
suivante  : 

NOMS.  NOMBRE  DE  PIÈCES. 

Provinces  de  l'Asie 161 

Chine,  Indo-Chine  et  Japon 1014 

Afrique  orientale 24 

—  centrale 332 

—  occidentale 157 

—  septentrionale 23 

Amérique  du  Nord 128 

—       du  Sud 67 

Océanie  occidentale  ou  Malaisie 86 

—  australe  ou  Milanésie 253 

—  boréale  ou  Micronésie 38 

—  orientale  ou  Polynésie 447 

Total 2,760 


CHAPITRE  V 


Projets  de  1854.  —  Dernières  tentatives  et  mort  de  Joniard.  —  L'ethnographie 
au  Musée  des  Antiquités  nationales  do  Saint-Germain.  —  Plan  d'agrandis- 
sement de  la  Section  ethnographique  du  Louvre.  —  La  mission  Wiener  et 
le  legs  Angrand.  —  Création  et  exposition  provisoire  du  Muséum  ethnogra- 
phique des  Missions  scientifiques.  —  L'ethnographie  à  l'Exposition  univer- 
selle de  1878. 


Nous  sommes  en  1854;  les  préparatifs  de  notre  première  Expo- 
sition universelle,  les  négociations  qui  commencent  pour  l'ouver- 
ture du  Japon  au  commerce  européen,  l'annexion  de  la  Nouvelle- 
Calédonie,  le  mouvement  de  pénétration  qui  s'accentue  au 
Sénégal,  les  événements  de  Crimée,  tout  cela  vient  appeler  de 
plus  en  plus  l'attention  publique  vers  les  contrées  lointaines, 
et  le  projet  d^un  grand  musée,  spécialement  consacré  à  l'ethno- 
graphie et  aux  voyages,  préoccupe  de  nouveau  quelques  bons 
esprits. 

Poussé  par  les  bureaux  demeurés  fidèles  à  une  tradition  qui  re- 
monte déjà  à  près  de  vingt-cinq  ans,  H.  Fortoul  aborde  en  passant 
la  question  dansunrapportsur  la  Bibliothèque  nationale,  en  date 
du  31  août,  mais  c'est  malheureusement  pour  mettre  en  avant,  à 
propos  d'une  entreprise  à  la  fois  très  longue  et  très  délicate,  un 
vieillard  de  soixante-quinze  ans  dont  la  personnalité  se  dresse 
comme  un  insurmontable  obstacle  à  toute  entente  avec  la  Marine  et 
le  Louvre.  Il  est  vrai  que  le  nom  de  Jomard  fournit  à  Fortoul  le 
prétexte  d'une  belle  période  sur  ces  explorateurs  illustres  que 
l'auguste  fondateur  de  la  dynastie  a  jadis  conduits  en  Egypte... 

On  maintiendra  Jomard  à  la  Bibliothèque  malgré  son  âge  très 
avancé;  il  reprendra  le  titre  de  conservateur, et  Garcin  deTassy, 
qu'il  a  promis  de  désigner  pour  entreprendre  le  musée  neuf, 
posera  une  candidature  prématurée  à  des  fonctions  encore  hypo- 
thétiques. 


S2  LES    ORIGINES 

Le  ministre  a  lancé  sa  proposition,  sans  y  avoir  bien  réfléchi; 
il  est  fort  embarrassé  pour  y  répondre,  La  réalisation  de  ses  pro- 
jets est,  dit-il,  subordonnée  à  des  éventualités...  qu'il  espère  voir 
se  présenter  assez  prochainement. . .  et  dont  il  compte  avoir  l'occa- 
sion d'entretenir  le  pétitionnaire!!! 

En  voilà  pour  huit  ans  encore. 

On  reparle  alors  une  fois  de  plus  de  collections  d'ethnographie, 
à  propos  de  la  création  imminente  du  Musée  des  Antiquités  natio- 
nales au  château  de  Saint-Germain-en-Laye  et  Jomard  reprend 
la  plume  pour  recommander  sa  classification.  Ses  illusions  se 
sont  enfin  évanouies  ;  il  envoie  en  passant  un  triste  adieu  à 
«  ce  Musée  de  la  géographie  et  des  voyages,  longtemps  espéré, 
vainement  attendu  »  '. 

C'est  son  dernier  effort,  il  meurt  cinq  mois  après  la  publication 
de  sa  brochure  (23  septembre  1862),  et  la  collection  d'antiquités 
et  d'ethnographie,  laissée  à  sa  fille,  devient,  après  quelques  vicis- 
situdes', la  possession  de  M.  S.  Henry  Berthoud,  et  de  la  ville 
de  Douai  (23  octobre  1866). 

1)  Jomard,  Classification  méthodique  des  produits  de  Vindustrie  extra-euro- 
péenne ou  objets  provenant  de  voyages  lointains,  suivie  du  plan  delà  classifica- 
tion d'une  collection  ethnographique  complète,  fragment  lu  à  la  Société  d'Ethno- 
graphie le  12  avril  1852  (extr.  en  partie  de  la  Rev.  orient,  et  améric.).  Paris, 
Challamel,  1862,  br.  in-8  (Voy.  Documents,  pièce  n"  LXXV). 

2)  Le  catalogue  de  la  collection  Jomard  fut  imprimé  en  1863  [Catalogue  des 
objets  d'antiquité  et  de  la  collection  ethnographique  de  feu  M.  Jomard,  membre 
de  Vinstitut.  Paris,  Thunot,  1863,  br.  in-S).  L'introduction  de  ce  catalogue 
renfermait  cette  phrase  :  «  Aujourd'hui  dans  l'impossibilité  de  conserver  cette 
collection  on  serait  heureux  que  l'acquisition  qui  en  serait  faite  pût  être  un  pre- 
mier pas  vers  la  réalisation  de  la  pensée  éminemment  utile  qui  inspirait  le 
savant  aux  soins  duquel  on  en  doit  la  formation.  »  La  vente  projetée  n'eut  pas 
lieu,  et  le  legs  fait  en  1864  par  M.  Berthoud  à  la  ville  de  Douai  décida  M.  et 
M^^Boselli,  héritiers  de  Jomard,  à  user  de  la  même  générosité.  Ils  se  résolu- 
rent en  1866  à  donner  à  cette  ville  la  collection  Jomard  tout  entière  sous 
certaines  conditions,  dans  le  détail  desquelles  il  n'est  pas  utile  d'entrer  ici 
(Cf.  A.  Cahier,  Essai  sur  les  Musées  de  Bouai,  leurs  origines,  leurs  bienfai- 
teurs. Douai,  Crépin,  1869,  br.  in-8,  p.  31-34).  Absorbée  dans  le  musée 
Berthoud,  elle  a  été  remise  avec  les  collections  formant  ce  musée  à  la  ville  de 
Douai,  le  29  juin  1872.  (Cf.  Musée  Berthoud.  Inauguration  du  Musée  fondé  par 
M.  S.  Bmry  Berthoud,  29  et  30  juin  1872.  Discours  et  Conférence.  Douai, 
Ceret,  1872,  br.  in-8.) 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  53 

L'ulilité,  si  bien  comprise  par  Barthélémy  de  Courçay,  dos 
rapprochements  entre  les  choses  de  l'archéologie  et  de  l'ethno- 
graphie, ne  tarda  pas  à  se  manifester  avec  bien  plus  de  force  que 
jamais,  lorsqu'on  se  mit  à  l'étude  des  collections  primitives  aux- 
quelles se  trouvait  en  grande  partie  destiné  le  nouvel  établisse- 
ment de  Saint-Germain-en-Laye.  Avec  Boucher  de  Perthes  et 
Lartel,  il  fallait,  à  chaque  instant  emprunter  au  matériel  des 
sauvages  modernes  les  commentaires  des  instruments  les  plus 
antiques,  et  l'impérial  archéologue,  qui  s'intéressait  si  directe- 
ment aux  travaux  d'installation  du  musée,  séduit  surtout  par  cer- 
taines comparaisons  très  curieuses  que  suggérait  l'ethnographie 
néo-calédonienne,  demanda  un  jour  à  Adrien  de  Longpérier  d'é- 
tudier un  projet  de  section  ethnographique,  pour  la  magnifique 
salle  de  Mars  qu'il  songeait  à  restaurera  Longpérier  voulut  faire 
grand,  il  demanda  un  million,  et  les  choses  en  restèrent  là^ 

On  reçut  ou  Ton  acquit,  en  attendant,  à  titre  d'objets  de  compa- 
raisons, un  certain  nombre  d'armes  et  d'ustensiles  exotiques 
que  M.  Alex.  Bertrand,  conservateur  du  musée,  a  depuis  lors 
envoyés  au  Trocadéro. 

Les  collections  spéciales  offertes  à  l'État  à  la  suite  de  l'Expo- 
sition universelle  de  1867  furent  mises  dans  des  magasins,  notam- 
ment à  Saint-Germain  etau  Muséum  d'Histoire  naturelle,  où  je  les 
ai  retrouvées  depuis,  et  le  Ministère  de  l'Instruction  publique 
abandonna  si  complètement  tout  nouveau  projet  de  musée  spécial, 
qu'à  diverses  reprises,  et  notamment  en  1874,  des  collections 
offertes  par  des  correspondants  étrangers  ont  été  versées  dans 
des  cabinets  de  province  ^ 

J'avais  été  chargé  cette   année-là,   grâce  à  la  bienveillante 

1)  La  deslination  du  nouveau  Musée  est  fixée  dans  un  rapport  du  surinten- 
dant des  Beaux-Arts  en  date  du  14  juin  1863;  la  Commission  d'organisation  fut 
installée  le  1"  avril  1865,  et  l'inauguration  eut  lieu  le  12  mai  1867.  (Cf.  S. 
Reinach,  Description  raisonnée  du  Musée  de  Saint-Germain-en-Laye.  Paris, 
Didot,  1884,  t.  I,  p.  12  et  suiv.)- 

2)  C'est  de  de  Longpérier  lui-même  que  je  tiens  ces  détails. 

3)  C'est  ainsi  que  Douai  possède  les  premiers  envois  faits  au  Ministère  de  l'Ins- 
truction publique  par  M.  Harmsen,  de  Sumatra. 


o4  LES    ORIGINES 

intervention  de  M.  deQuatrefages,  d'aller  étudier  en  Danemark,  en 
Suède  et  en  Norvège,  l'organisation  des  musées  d'anthropologie. 
Tout  en  consacrant  une  attention  plus  spéciale  aux  collections  qui 
étaient  le  principal  objet  de  mes  recherches \  j'avais  examiné 
de  très  près  le  magnifique  Musée  royal  ethnographique  de  Copen- 
hague et  rapporté  de  mon  voyage  la  conviction  qu'il  ne  serait 
pas  bien  malaisé  d'instituer  chez  nous  quelque  chose  d'analogue, 
en  combinant  toutes  les  ressources  dont  on  disposait  à  Paris. 

Pour  que  la  chose  put  réussir,  il  fallait  bien  se  garder  de  pro- 
poser au  gouvernement  unQ  fondation  quelconque,  toujours  très 
onéreuse,  et  qui  soulèverait,  comme  celles  de  Jomard,  des  con- 
flits administratifs  ou  des  compétitions  personnelles.  On  avait  au 
Louvre  une  collection  spéciale,  déjà  fort  belle;  il  fallait,  à  mon 
sens,  en  y  joignant  toutes  les  autres  séries  d'objets  existant  entre 
les  mains  de  TÉtat,  lui  donner  une  incontestable  importance,  et 
le  reste  viendrait  par  surcroît.  On  reprenait  d'ailleurs  ainsi  la 
tradition  de  Barthélémy,  en  juxtaposant  de  nouveau  l'ethno- 
graphie et  l'archéologie.  Il  est  vrai  que  le  Louvre  étant  surtout 
un  musée  d'art^  on  pouvait  craindre  en  y  amenant  toutl'ensemble 
des  choses  ethnographiques  appartenant  à  l'Etat,  que  les  collec- 
tions utiles  à  l'histoire  de  l'art  et  aux  comparaisons  d'un  intérêt 
purement  esthétique,  fassent  seules  l'objet  des  attentions  d'une 
administration  aussi  spéciale  que  celle  de  la  rue  de  Yalois. 
L'exemple  du  Musée  égyptien  était  fait  cependant  pour  calmer 
les  appréhensions  de  cette  nature;  l'ethnographie  avait  conservé 
une  très  large  place  dans  ce  magnifique  ensemble,  sans  que  les 
collections  artistiques  aient  jamais  cherché  à  restreindre  le  déve- 
loppement des  séries  purement  scientifiques.  Il  pourrait  donc  en 
être  de  même  des  autres  collections  exotiques  dont  le  dévelop- 
pement me  paraissait  désirable. 

J'allai  trouver  M.  de  Chennevières,  directeur  des  Beaux-Arts, 
et  je  lui  communiquai  mes  idées.  Il  voulut  bien  en  reconnaître  la 
justesse,  et  me  promit  de  s'intéresser  à  leur  réalisation,  non  sans 

1)  Les  résultats  de  ces  iavestigations  particulières  sont  consignés  pour  la 
plupart  dans  les  Chronica  eihnica. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  55 

faire  observer  toutefois  que  le  défaut  de  place  était,  à  ses  yeux, 
un  obstacle  majeur  à  l'agrandissement  du  Musée  d'Ethnographie 
actuel.  Il  me  rappella  les  mésaventures  du  Musée  américain 
ouvert  par  Longpérier  en  1850  dans  une  salle  du  rez-de-chaus- 
sée, de  la  cour  d'honneur  du  Louvre,  transporté  dans  un  couloir 
du  second  étage,  redescendant  un  instant  dans  une  des  grandes 
salles  du  premier  que  la  dispersion  de  la  collection  Campana 
avait  rendue  disponible,  et  déménagée  une  quatrième  fois  dans 
un  vestibule  où  le  public  ne  pouvait  plus  le  voir^  L'adminis- 
tration centrale  n'était  pour  rien  dans  le  délaissement  systéma- 
tique de  cette  remarquable  collection^  mais  elle  pouvait  craindre, 
de  la  part  du  Conservatoire  qui  l'avait  toléré,  de  très  grosses 
difficultés,  si  elle  venait  un  jour  ou  l'autre  proposer  d'élargir 
le  domaine  de  l'ethnographie,  en  y  rattachant  les  antiquités  du 
Nouveau-Monde  et  de  l'Extrême-Orient.  M.  de  Chennevières 
était  dès  lors  fortement  sollicité  par  quelques-uns  de  transporter 
aux  Invalides  le  Musée  de  Marine  avec  ses  annexes,  afin  de  pou- 
voir exposer  dans  les  galeries  qu'occupent  ces  collections  de 
nombreux  dessins  de  maîtres  demeurés  en  portefeuille  et,  par 
suite,  ignorés  des  artistes  et  des  amateurs... 

M.  de  Chennevières  atteignit  l'honorariat  (27  mai  1878),  sans 
avoir  pu  rien  faire  pour  le  développement  du  Musée  d'Ethno- 
graphie, et  son  successeur,  M.  Guillaume,  s'en  désintéressa. 

Par  bonheur,  dans  le  même  temps  la  direction  des  Sciences 
et  Lettres  au  Ministère  de  l'Instruction  publique,  après  s'être 
abandonnée  à  tel  point  qu'elle  déposait  en  province  les  objets 
qui  pouvaient  lui  parvenir  %  reprenait  courage,  grâce  à  des  cir- 
constances particulièrement  favorables. 

Un  des  voyageurs,  envoyés  en  mission  en  Amérique  par  les 


1)  11  a  fini  par  venir  se  fondre  dans  le  Musée  du  Trocadéro,  grâce  à  l'active 
intervention  de  M.  Héron  de  Villefosse,  devenu  conservateur  des  Antiques. 

2)  De  novembre  1875  à  décembre  1877  cent  cinquante  objets,  envoyés  par 
M.  Harmsen,  ont  été  expédiés  à  Douai  par  la  direction  des  Sciences  et  des  Lettres. 
Les  pièces  postérieurement  offertes  par  M.  Harmsen  sont  restées  à  Paris,  et  il 
en  résulte  celte  situation  bizarre  que  la  collection  généreusement  donnée  à  lu 
France  par  ce  savant  hollandais  est  aujourd'hui  coupée  en  deux. 


56  LES    ORIGINES 

soins  de  M.  Oscar  de  Walteville,  avait  expédié,  coup  sur  coup, 
des  centaines  d'objets  plus  ou  moins  précieux  provenant  pour  la 
plupart  d'anciennes  sépultures  péruviennes  *.  De  même  que 
Dombey,  au  dernier  siècle,  introduisait  le  premier  les  antiquités 
exotiques  au  Cabinet  des  médailles  avec  ses  bijoux  et  ses  poteries 
du  Pérou,  de  même  M.  Ch.  Wiener,  en  encombrant  le  Ministère 
de  l'Instruction  publique  des  collections  énormes  qu'il  s'était 
procurées  dans  le  même  pays,  vint  fournir  enfin  dans  des  con- 
ditions exceptionnellement  heureuses,  l'occasion  depuis  si  long- 
temps attendue  des  administrateurs  et  des  hommes  de  science, 
de  fonder  dans  la  capitale  un  grand  musée  exotique. 

La  direction  des  Sciences  et  Lettres  ne  pouvait  laisser  à  l'aban- 
don les  volumineux  colis  que  M.  Ch.  Wiener  lui  faisait  parvenir, 
pour  ainsi  dire  de  mois  en  mois,  à  la  rue  de  Grenelle,  et  M.  de 
Watteville,  auquel  les  avances  consenties  par  le  commissaire 
générarde  l'Exposition  de  1878*  assuraient  quelque  liberté, 
se  décida,  sur  les  instances  du  voyageur  revenu  à  Paris  en  août 
1877,  à  tenter  une  exposition  particulière  du  Musée  péruvien 
qu'il  avait  réuni.  C'était  un  moyen  d'interroger  l'opinion;  si  la 
collection  intéressait,  on  pourrait  aviser  aux  moyens  de  faire  plus 
tard  quelque  chose  de  durable. 

M.  Wiener  fut  mis  en  possession  de  la  grande  salle  qui  occupe 
l'angle  N.-E.  du  premier  étage  du  Palais  de  llndustrie,  et  onlui 
ouvrit,  sur  les  fonds  de  l'Exposition,  un  crédit  suffisant  pour 
déballer  et  installer  modestement  ses  envois  ^  Aidé  de  son  ami, 
M.  E.  Soldi,  artiste  de  beaucoup  de  talent,  qui  avait  fait  une 

1)  J'ai  relevé  dans  les  archives  du  ministère,  la  mention  de  86  caisses  expé- 
diées du  Pérou  par  M.  Wiener  du  22  septembre  1876  au  3  septembre  1877. 
Huit  de  ces  caisses  renfermaient  la  colleclion  d'anliquilés  offerte  au  gouver- 
nement par  M.  Quesnel,  de  Lima. 

2)  Cf.  baron  de  Watleville,  Rapport  admiimtratif  sur  l'exposition  spéciale 
du  Ministère  de  Vlnstruclion  publique  à  l'Exposition  universelle  de  1878. 
Paris,  Hachette,  1886,  br.  in-8,  p.  23. 

3)  Le  rapport  administratif,  cité  plus  haut  (p.  37  et  40)  accuse  au  compte  de 
M.  Wiener  4,000  fr.  d'indemnité,  payés  du  30  octobre  1877  au  18  mai  1878. 
Les  dépenses  totales  occasionnées  par  ce  missionnaire  tant  au  Champ  de  Mars 
qu'au  Palais  de  flnduslrie  se  sont  élevées  à  8,449  fr.  64  cent. 


DU    MUSÉE  d'ethnographie  S7 

étude  spéciale  des  applications  de  la  sculpture  à  l'ethnographie  *, 
il  put  organiser  rapidement  des  restitutions  de  grandeur  na- 
turelle des  monuments  les  plus  célèbres  et  des  types  les  plus 
caractéristiques  du  Pérou  et  de  la  Bolivie.  M.  de  Cetner  lui 
donna  le  concours  d'un  pinceau  alerte  et  expressif,  et  bientôt 
les  collections  archéologiques  du  voyageur  se  trouvaient  au 
milieu  d'un  décor  approprié  qui  les  mettait  très  habilement  en 
relief. 

Les  portiques  de  Huanuco  Viejo,  le  monolithe  de  Tiahuanaco 
connu  sous  le  nom  de  porte  du  soleil,  la  fontaine  de  Concacha, 
le  siège  de  Villcas-Huaman,  le  monolithe  de  Chavin  de  Huantar, 
divers  fragments  d'architecture  et  de  sculpture,  et  plusieurs  mo- 
dèles de  tombeaux  étaient  reproduits  en  fac-similé,  tandis 
qu'une  suite  de  grandes  toiles  peintes  représentaient  les  ruines  de 
Paramonga,  Pachacamac,  Tarmatambo,  etc.,  etc.  Puis  c'étaient 
des  sculptures  en  bois,  des  objets  en  métal,  vases,  ustensiles, 
bijoux  ou  statuettes  en  or,  en  argent,  en  cuivre,  etc.,  des  céra- 
miques très  variées  de  la  côte  et  de  l'intérieur  du  pays,  des  tissus 
de  toute  espèce  en  fort  grand  nombre,  des  armes,  des  accessoires 
funéraires,  des  momies  enfin  et  une  longue  suite  de  crânes  des 
provenances  les  plus  variées  ^ 

Léonce  Angrand,  ancien  consul  général  et  chargé  d'affaires 
de  France  en  divers  pays  du  Nouveau-Monde,  avait  été  le  maître 
de  M.  Wiener,  et  la  recommandation  de  ce  savant  américaniste 
n'avait  pas  peu  contribué  à  assurer  au  jeune  débutant  l'obtention 
de  la  mission  scientifique  dont  on  l'avait  chargé.  Le  premier 
mouvement  de  Léonce  Angrand  fut  d'imiter  MM.  Quesnel, 
Macedo,  Droullion,  Dibos,  etc.,  qui  avaient  considérablement 
augmenté  les  récoltes  de  M.  Wiener^  et  de  donner,  lui  aussi,  ce 

1)  Les  crédits  ouverts  à  M.  Soldi  se  sont  élevés  à  1,153  fr.  pour  l'exposition 
provisoire,  puis  ont  atteint  11,970  fr.  pour  l'exposition  Delaporte  au  Champ 
de  Mars  {Ibid.,  p.  40). 

2)  Cf.  Notice  sur  le  Muséum  ethnographique  des  Missions  scientifiques,  rédigée 
par  chacun  des  missionnaires  scientifiques- sur  les  objets  qu'il  a  rapportés. 
Paris,  Palais  de  l'Industrie,  Pavillon  N.-E.,  br.  in-8,  p.  18-33.  —  Ch.  Wiener, 
Pérou  et  Bolivie,  récit  de  voyage  suivi  d'études  archéolog.  et  ethnographiques,  elc. 
Paris,  Hachette,  1880,  1  vol.  gr.  in-8,  1100  grav.  27  cartes  et  18  plans. 


58  LES    ORIGINES 

qu'il  avait  conservé  des  collections  de  toutes  sortes  rassem- 
blées pendant  vingt  années  de  séjour  dans  l'Amérique  latine. 
MM.  Wiener  et  Soldi  l'entretinrent  dans  ces  généreux  projets 
et  il  voulut  bien  faire  savoir  à  M.  0.  de  Watteville  que,  dans  le 
cas  où  le  gouvernement  organiserait  pour  les  études  ethnogra- 
phiques un  établissement  spécial,  il  offrirait,  pour  contribuer 
à  cette  fondation,  ses  séries  tout  entières  '. 

Le  directeur  des  Sciences  et  Lettres  comprit  tout  de  suite  le 
parti  qu'il  pouvait  tirer  de  semblables  dispositions.  Quelque 
précaire  que  fût  à  ce  moment  la  situation  du  cabinet,  il  rédigea 
bien  vite  un  rapport  pour  le  ministre,  et  le  Journal  officiel  du 
19  novembre  1877  imprimait  à  la  suite  de  ce  travail  un  arrêté 
de  M.  Joseph  Brunet  en  date  du  3  de  ce  mois,  centralisant  «  tous 
les  objets  relatifs  à  l'ethnographie,  provenant  de  missions,  de 
dons,  d'échanges  ou  d'acquisitions  »  dans  un  musée  spécial 
appelé  Muséum  ethnographique  des  Missions  scientifiques.  L'ar- 
rêté s'appuyait  à  la  fois  sur  «  le  nombre  considérable  des  objets 
rapportés  au  ministère  par  les  missions  accomplies  soit  en  France 
soit  à  l'étranger»  et  sur  «  les  donations  faites  par  M.  Angrand  à 
l'État,  représenté  par  le  Ministre  de  Flnslruction  publique  »  *. 

En  même  temps  M.  de  Watteville,  élargissant  le  cadre  de 
l'exposition  déjà  presque  prête  de  M.  Gh.  Wiener,  faisait  signer 
un  deuxième  arrêté  (3  novembre  1877  ')  instituant  une  exposition 
provisoire  de  la  Section  américaine  du  Muséum  ethnographique 
des  Missions  et  lançait  un  appel  à  ceux  des  envoyés  de  lEtatqui 
avaient  rapporté  depuis  peu  de  temps  des  collections  du  Nou- 
veau Monde. 

M.  Edouard  André,  rentré  en  novembre  1876  de  sa  mission 
en  Colombie,  Equateur,  etc.,  eut  à  sa  disposition  l'une  des  deux 

1)  Voy.  Documents,  pièce  n»  LXXVI.  Il  ne  faut  point  oublier  que  de  1837  à 
1855  Léonce  Angranr]  avait  donné  au  Louvre  près  de  quatre  cents  objets  anciens 
du  Nouveau  Monde. 

Pour  des  causes  diverses,  dans  le  détail  desquelles  je  n'ai  point  à  entrer  ici, 
le  donateur  a  révoqué  sa  dernière  donation  et  les  collections  qu'il  avait  officiel- 
lement promises  au  Musée,  sont  allées  au  comte  de  Paris,  à  la  ville  de  Genève,  etc  • 

2)  Voy.  Documents,  pièces  n°^  LXXVI  et  LXXVIL 

3)  Voy.  Documents,  pièce  n"  LXXVIIL 


DU    MUSÉE  d'ethnographie  59 

salles  contig-uës  à  celle  où  M.  Wiener  s'était  établi  \  Il  y  plaça, 
à  côté  de  nombreuses  collections  d'ornithologie  et  de  botanique, 
une  reconstitution,  faite  à  l'aide  de  la  photographie,  des  picto- 
graphies  indiennes  des  roches  de  Pandi,  des  copies  de  quelques- 
unes  des  idoles  de  la  vallée  de  Saint- Augustin,  près  des  sources 
de  la  Magdalena^,  que  M.  Manuel  M.  Paz  a  si  complètement  étu- 
diées depuis  lors,  deux  personnages  habillés  de  la  vallée  du 
Rio  Napo,  divers  objets  provenant  des  sépultures  des  anciens 
Indiens  de  la  Guacamaya  ou  des  environs  de  Cuenca,  enfin  une 
collection  de  ces  objets  en  bois  ou  calebasse,  décorés  avec  le 
vernis  de  Pasto,  dont  M.  José  Triana  a  récemment  fait  connaître 
les  applications  industrielles. 

Crevaux,  qui  venait  de  débuter  brillamment  dans  une  carrière, 
hélas!  si  vite  interrompue  par  une  mort  cruelle,  envoya  une  série 
d'objets  recueillis  principalement  dans  les  îles  du  Salut  et  chez  les 
Roucouyennes  du  Haut-Maroni.  M.  Léon  de  Cessac avait  expédié 
de  Lima  quinze  caisses  renfermant  les  produits  de  recherches 
méthodiquement  exécutées  dans  le  grand  cimetière  d'Ancon; 
c'étaient  principalement  des  squelettes,  des  bassins,  des  crânes 
humains  choisis  dans  les  divers  quartiers  de  la  nécropole,  des  mo- 
mies d'animaux,  chiens,  cobayes,  ara  raitna,  etc.,  des  plantes  ali- 
mentaires, tinctoriales,  textiles,  etc. ,  utilisées  parles  anciens  Yun- 
cas,  enfin  une  momie  de  Santa-Rosa  admirablement  conservée. 

Je  fus  chargé  d'installer  dans  une  troisième  salle  -  toutes  ces 
pièces  et  d'autres  encore  provenant  des  missions  en  cours  d'exé- 
cution dans  les  deux  Amériques.  M.  Pinart  avait  laissé  à  ma 
disposition  dans  un  magasin  du  Muséum,  en  vue  de  l'Exposition 
universelle,  toutes  ses  collections  d'archéologie  et  d'ethno- 
graphie américaines,  et  je  pus  y  puiser  à  pleines  mains,  pour  com- 
pléter un  ensemble  où  l'Amérique  du  Nord  se  trouva  ainsi  repré- 

1)  C'est  la  salle  IV  du  classement  actuel  des  expositions  de  beaux  arts.  Les 
dépenses  portées  au  compte  de  M.  André  se  sont  élevées  à  4,039  fr.  60  cent. 
{Rapp.  cit.,  p.  38). 

2)  La  salle  V  du  classement  actuel.  J'ai  dépensé  pour  toutes  les  installations 
dont  je  m'étais  chargé,  tant  dans  celte  salle  que  dans  les  vestibules,  la  modeste 
somme  de  702  fr. 


60  LES    ORIGINES 

senlée  jusqu'à  Vancouver,  Silka  et  l'embouchure  du  Youkon. 

Sur  ces  entrefaites,  M.  de  Ujfalvy,  qui  venait  de  l'Asie  Cen- 
trale, demanda  à  participer  à  l'Exposition  et  apporta  ses  col- 
lections d'archéologie  et  d'ethnographie  qu'il  installa  tant  bien 
que  mal,  en  quelques  jours,  sur  le  grand  vestibule.  M.  Harmant 
fit  tirer  des  épreuves  des  précieux  estampages  du  Cambodge, 
que  M.  Kern  commençait  seulement  à  déchiffrer,  et  je  lui  ins- 
tallai deux  panneaux  d'objets  très  curieux  recueillis  chez  diverses 
tribus  sauvages  du  Laos.  Nous  disposâmes,  dans  un  petit  coin 
demeuré  libre,  une  vitrine  contenant  les  produits  des  fouilles  de 
M.  C.  Lansberg  en  Syrie  et  nous  eûmes  ainsi  un  embryon  de 
musée  asiatique. 

L'Afrique  fut  représentée  sur  un  des  paliers  de  l'escalier  parles 
antiquités  des  Canaries  de  la  collection  Verneau,  que  j'avais  fait 
réparer  de  mon  mieux,  et  par  deux  panoplies  du  Gabon  et  de 
rOgooué  que  j'avais  composées  pour  le  Tour  du  Monde. 

Sur  l'autre  palier,  l'Océanie  était  rappelée  par  les  objets  popu- 
laires envoyés  de  Célèbes  par  le  docteur  de  la  Savinière  et 
quelques  pièces  anciennes  et  modernes  adressées  des  îles  Ha^vaii 
par  M.  Ballieu,  consul  à  Honolulu,  correspondant  du  Muséum 
d'Histoire  naturelle. 

L'inauguration  du  Muséum  provisoire  eut  lieu  le  23  janvier 
4878,  sous  la  présidence  de  M.  Bardoux,  Ministre  de  l'Instruction 
publique  %  et  pendant  six  semaines  le  public  se  pressa  dans 
les  trois  salles  qui  lui  étaient  ouvertes  «  heureux  de  pouvoir 
étudier  tant  de  richesses  nouvelles  et  d'entendre  les  conférences 
des  missionnaires  expliquant  eux-mêmes  leurs  travaux  et  leurs 
découvertes  »  3. 

Les  besoins  de  l'administration  des  Beaux-Arts  obligèrent 
d'interrompre  en  plein  succès  cette  exposition  si  fréquentée  et 

1)  Les  crédits  accordés  à  M.  de  Ujfalvy  s'élevèrent  à  1,804  fr.  80  cent.; 
M.  Rivière  dépensa  510  fr.  à  faire  tirer  les  estampages  des  inscriptions  du  lac 
des  Merveilles,  M.  Harmant  n'a  demandé  que  50  fr.  pour  reproduire  les  siens 
[Raipp.  cit.,  p.  39). 

2)  J'en  reproduis  plus  loin  le  récit  emprunté  au  Journal  officiel  du  25  janvier 
(Voy.  Documents,  pièce  n°  LXXIX.) 

3)  Baron  de  Watteville,  Rapp.  cit.,  p.  27.  —  Cf.  Ibid.,  p.  82. 


DU   MUSÉE    d'ethnographie  61 

les  objets  qui  l'avaient  composée  furent  transportés,  à  quelques 
exceptions  près  *,  soit  à  l'Exposition  universelle,  soit  dans  une 
maison  louée  rue  Surcouf,  au  Gros-Caillou,  par  l'administra- 
tion*. 

Le  succès,  que  venait  d'obtenir  le  service  des  Missions,  encou- 
rageait d'ailleurs  la  direction  des  Sciences  et  Lettres  à  poursuivre 
une  œuvre  qui  avait  si  heureusement  débuté,  et  M.  de  Watteville 
n'hésita  pas  à  donner  la  plus  large  place  à  l'ethnographie  dans 
l'exposition  qu'il  organisait  au  Champ  de  Mars. 

Une  restitution  partielle  par  M.  Soldi^  à  l'échelle  du  dixième, 
d'une  des  portes  de  la  citadelle  d'Angkôr-Tôm,  un  cavalier  usbeg 
du  Khokand  richement  équipé  de  la  collection  Ujfalvy  décoraient 
l'entrée  de  la  première  salle  ;  venaient  ensuite  deux  énormes  py- 
ramides de  vases  péruviens,  l'une  tirée  en  entier  de  la  mission 
\Viener_,  l'autre  fournie  par  MM.  de  Cessac^,  l'amiral  Serres  et  le 
docteur  Savatier;  plus  loin  on  pouvait  voir  la  fontaine  de  Con- 
cacha  moulée  cette  fois  en  ciment  et  montrant  sa  circulation 
hydraulique.  La  perspective  de  Huanucho  Viejo  était  reproduite 
sur  la  muraille  du  fond  ;  les  autres  murs  étaient  couverts  de  pa- 
noplies et  de  cartes  itinéraires,  ou  garnis  d'armoires,  renfermant 
des  choix  d'objets  provenant  des  missions  André  de  Cessac, 
Crevaux,  Harmant,  Marche,  Pinart,  Ruffray,  Rivière,  de  Sainte- 
Marie,  de  Ujfalvy,  Wiener,  etc.  \ 

Ainsi  disposée,  la  salle  des  Missions  fut  extrêment  appréciée 
des  visiteurs,  et  une  fois  encore  le  grand  public  montra  l'intérêt 
qu'il  prenait  à  ces  choses  lointaines,  qui  lui  étaient  si  long- 
temps demeurées  tout  à  fait  étrangères  et  vers  lesquelles  le 
portent  de  plus  en  plus  les  nécessités  du  moment. 

1)  Angrand,  par  exemple,  reprit  les  pièces  qu'il  avait  prêtées;  j'ai  déjà  dit 
qu'elles  ne  nous  étaient  point  revenues  après  sa  mort. 

2)  Voir  sur  ce  dépôt  de  la  rue  Surcouf  les  renseignements  consignés  dans  le 
rapport  administratif  (p.  28  et  79).  Cette  maison  qu'on  a  gardée  près  de  deux 
ans  servit  de  locaux  pour  le  bureau  de  l'Exposition  après  le  départ  des  Champs 
Élysées,  d'entrepôt  à  l'entrée  et  à  la  sortie  pour  les  colis  de  l'Exposition,  enfin 
de  magasin  pour  les  collections  non  exposées. 

3)  Cf.  Catalogue  du  Ministère  de  l'Instruction  publique,  des  Cultes  et  des 
Beaux-Arts,  t.  II,  Mimons  et  voyages  scientifiques,  p.  4  et  suiVi  Paris,  1878, 
n-12. 


CHAPITRE  VI 


Nomination  d'une  commission  chargée  d'étudier  l'organisation  définitive  du 
Musée.  —  Plans  irréalisables  de  Viollet-le-Duc.  —  Installation  provisoire 
des  collections  au  Trocadéro.  —  Bépartition  des  locaux  disponibles  du 
palais  entre  les  Beaux-Arts  et  l'Instruction  publique.  —  Commission  du 
Musée  d'Ethnographie.  —  Kapport  au  Ministre  et  vote  des  crédits  par  la 
Commission  du  budget.  —  Constitution  définitive  du  Musée. 


Le  Musée  d'Ethnographie  gagnait  tous  les  jours  dans  les 
esprits  :  on  en  comprenait  de  mieux  en  mieux  le  rôle  à  la  fois 
scientifique  et  économique  et  nous  eûmes  bientôt  des  alliés 
aussi  sûrs,  des  défenseurs  aussi  ardents  dans  le  monde  de  la 
politique  que  dans  le  monde  de  la  science.  MM.  Jules  Ferry, 
Georges Perrin,  Henri  Martin,  Brisson,  Thulié^  etc.,  soutenaient 
notre  entreprise  avec  le  même  dévouement  que  MM.  H.  Milne 
Edwards,  YioUet-le-Duc  ou  Maunoir,  et  ils  prirent  tous  une  part 
active  aux  travaux  de  la  commission  organisée  vers  la  fin  de 
l'Exposition*  pour  étudier  l'organisation  définitive  du  musée 
(18  octobre  1878).  Cette  commission  tint  séance  une  première 
fois  le  vendredi  25  octobre  sous  la  présidence  de  M.  Bardoux, 
qui  n'avait  point  cessé  de  témoigner  la  plus  grande  sympa- 
thie à  l'institution  nouvelle.  Après  une  allocution  du  ministre, 
montrant  l'urgence  de  la  création  d'un  muséum  ethnogra- 
phique que  devaient  enrichir  les  nombreuses  séries  d'objets 
promis  par  lus  nations  étrangères  présentes  au  Champ-de- 
Mars,  M.  de  Watteville  lut  un  projet  préparé  par  ses  soins 
et  dont  l'examen  fut  renvoyé  à  deux  sous-commissions  char- 
gées d'examiner,  l'une  la  question  du  local  et  l'autre  la  ques- 
tion budgétaire.  La  première  de  ces  sous-commissions  se 
réunit  tout  aussitôt  pour  étudier  les  questions  qui  lui  étaient 
soumises  et  après   une   longue    délibération,    dont  le  procès- 

1)  Voy.  Documents,  pièce  no  LXXX. 


64  LES    ORIGINES 

verbal  n'a  pas  été  conservé,  elle  aboutit  aux  conclusions  formu- 
lées dans  le  rapport  de  E.  Viollet-le-Duc  imprimé  ci-après  *. 

Une  deuxième  séance  eut  lieu  à  l'Exposition  le  dimanche  27  oc- 
tobre. La  commission  visita  la  salle  des  Missions  scientifiques  au 
Champ  de  Mars  et  divers  locaux  des  sections  étrangères  conte- 
nant les  principales  choses  offertes  à  l'Etat  pour  le  nouveau  mu- 
séum. 

Une  troisième  fois  on  se  réunit  le  mercredi  30  octobre  ;  je  donnai 
lecture  d'un  rapport  sur  la  visite  de  la  commission  à  l'Exposition 
universelle,  M.  Viollet-le-Duc  communiqua  le  résultat  de  ses 
études  sur  le  local  à  affecter  au  futur  musée  et  Ton  renvoya  au 
13  novembre  la  discussion  du  projet  de  budget  provisoire,  établi 
par  la  seconde  sous-commission  ^ 

Il  n'y  eut  plus  d'autre  séance  ;  le  devis  estimatif  des  travaux 
de  toute  nature  à  exécuter  pour  la  conservation  d'une  partie  du 
Palais  du  Champ  de  Mars,  destinée  à  loger  le  musée  dans  les 
projets  de  Viollet-le-Duc,  entraînait,  suivant  l'estimation  de 
M.  Hardy,  une  dépense  de  deux  millions  environ^,  devant  laquelle 
on  dut  reculer. 

D'autre  part  les  changements  introduits  dans  la  composition 

1)  Voy.  Documents,  pièce  no  LXXXI. 

2)  Voici  les  chiffres  auxquels  on  s'était  arrêté  : 

1  directeur Mémoire 

1  bibliolhécaire id. 

1  secrétaire  agent-complable 3,500  fr, 

1  commis 1,500 

1  chef  des  collections  scientiflques 3,500 

1  sous-chef                id.                     ...     Mémoire  pour  la  l'e  année 

1  chef  d'atelier .  2,000 

1  brigadier 1,500 

5  gardiens  (3  pour  la  1"  année) 3,600 

Jetons  de  présence  pour  les  démonstrateurs  *  (100  fr.  par 

démonstration) 10,000 

Acquisitions  et  frais  de  transport Mémoire 

Achat  de  vitrines id. 

Total  approximatif 25,600  fr, 

')  Le  grand  succès  des  conférences  du  Muséum  provisoire  avait  engagé  à  en  maintenir  l'usage 
dans  le  Musée  définitif  en  les  rétribuant;  c'était  un  véritable  enseignement  que  l'on  constituait 
ainsi  à  côté  des  collections.  • 


DU  MusÉK  d'ethnographik  65 

du  personnel  administratif  du  ministère,  en  février  1879,  venaient 
tout  remettre  en  question. 

Heureusement  le  ministre  qui  arrivait  aux  affaires,  M.  Jules 
Ferry,  avait  été  membre  actif  de  la  commission  du  musée,  auquel 
il  s'intéressait  et  le  nouveau  chef  de  la  division  du  secrétariat 
était  M.  Xavier  Charmes,  qui  avait  dirigé  jusqu'au  15  décembre 
1877  le  service  de  l'Exposition  au  Ministère  de  l'Instruction 
publique,  et  pris,  à  ce  titre  d'abord,  et  ensuite  comme  chef  de 
cabinet  de  M.  Bardoux,  une  part  fort  active  aux  débuts  de  notre 
musée  provisoire. 

M.  Charmes  était  absolument  acquis  à  l'idée  de  fonder  un 
grand  musée  d'ethnographie  et  il  mit  aussitôt  au  service  de  cette 
création  toute  son  habileté  administrative,  toute  son  intelligente 
activité.  Ne  pouvant  obtenir  aucune  partie  des  palais  du  Champ 
de  Mars  voués  à  la  destruction,  il  concentra  ses  efforts  sur  le 
Trocadéro,  que  chacun  désirait  conserver  et  utiliser,  et  après 
d'interminables  pourparlers  avec  l'Hôtel  de  Ville  et  les  Finances, 
il  obtint  le  décret  du  13  octobre  1879  S  qui  affectait  «  exclusive- 
ment aux  divers  services  du  Ministère  de  l'Instruction  publique 
et  des  Beaux- Arts  »  le  palais  du  Trocadéro  et  ses  dépendances. 

M.  Landrin  n'avait  pas  attendu  le  décret  pour  prendre  posses- 
sion. Chargé  à  titre  officieux  d'assurer  provisoirement  la  conser- 
vation des  collections  étrangères  données  à  la  France  à  la  suite 
de  l'Exposition  de  1878,  M.  Landrin,  qui  avait  mis  beaucoup  de 
zèle  à  rassembler,  pour  M.  de  Watteville,  ces  dons  plus  ou 
moins  exotiques,  les  avait  peu  à  peu  accumulés  dans  l'aile  de 
l'est  du  palais,  dite  aile  de  Paris.  Il  avait  utilisé  les  cloisons, 
demeurées  en  place,  de  l'Exposition  rétrospective,  pour  faire  des 
deux  côtés  de  l'axe  de  la  galerie  tournante  des  espèces  de  cham- 
bres, entre  lesquelles  on  distribuait  les  objets  dans  un  ordre 
géographique^  au  fur  et  à  mesure  qu'ils  étaient  apportés  du 
Champ  de  Mars  ou  de  la  rue  Surcouf. 

Le  décret  du  13  octobre  à  peine  paru,  l'administration  des 
Beaux-Arts,  représentée  par  la  Commission  des  monuments 
historiques,  vint  réclamer  sa  part  des  galeries  à  utiliser. 

1)  Voy.  Documents,  pièce  n°  LXXXII. 


f)fi  LES    (II-,  1(11  NES 

Pour  pouvoir  remonter  tout  entiers^  suivant  les  projets  de 
Viollet-le-Duc,  des  portails  ou  des  jubés,  moulés  sur  les  origi- 
naux, il  ne  fallait  rien  moins  que  ces  galeries,  où  justement 
l'ethnographie  se  trouvait  installée.  Médiocrement  larges,  il  est 
vrai,  elles  étaient  relativement  élevées,  éclairées  par  le  haut 
d'un  jour  favorable,  et  leur  courbe,  tout  en  se  prêtant  bien  à 
des  installations  pittoresques,  facilitait  l'isolement  perspectif  des 
îaçades  monumentales.  De  vastes  parois  pouvaient  d'ailleurs 
recevoir  des  plâtres  de  très  grandes  dimensions,  mais  de  relief 
médiocre^  comme  sont  la  plupart  des  spécimens  d'une  galerie 
d'architecture  et  de  sculpture  comparées.  M.  Antonin  Proust  et 
ses  collègues  demandèrent  donc  et  obtinrent  sans  trop  de 
peine  les  locaux  où  s'étalait  déjà  le  futur  musée  d'ethnogra- 
phie, tandis  qu'un  arrêté  du  24  novembre  attribuait  à  cet  éta- 
blissement la  propriété  définitive  des  étages  centraux  du 
palais  ^ 

Il  fallut,  une  fois  encore,  heureusement  la  dernière,  déménager 
les  collections  et  c'est  par  euphémisme  que  je  déclare  ici  que 
cette  opération,  dont  je  reconnais  sans  difficulté  la  convenance, 
et  qui  aurait  dû  se  faire  à  l'amiable,  ne  fut  pas  conduite  par 
Dusommerard,  qui  en  était  chargé,  avec  tous  les  égards  que  méri- 
taient d'importantes  collections  appartenant  à  l'Etat.  Des  équipes 
de  marins,  mandées  de  Cherbourg,  enlevèrent  en  quelques  heures 
tout  ce  qui  se  trouvait  amassé  dansTa/Ze  de  Paris,  et  ces  milliers 
de  choses,  portions  de  vitrines,  panneaux  garnis  ou  non,  manne- 
quins, objets  de  toute  sorte,  furent  entassés  dans  le  plus  pitto- 
resque désordre,  en  deux  salles  du  premier  étage,  où  j'ai  mis  de 
longs  mois  plus  tard  à  débrouiller  leur  inextricable  emmêlement. 

L'arrêté  du  24  novembre,  qui  assurait  au  musée  ainsi  déménagé 
un  asile  que  personne  ne  pourrait  plus  lui  disputer,  avait  été  pris, 
sur  la  demande  d'une  commission  d'organisation  créée  par 
M.  Jules  Ferry  le  30  octobre  précédent,  sur  la  proposition  de 
M.  Xavier  Charmes  ^  Cette  commission  se  composait  de  l'amiral 


1)  Voy.  Documents,  pièce  n»  LXXXIV. 

2)  Voy.  Docummls,  pièce  n"  LXXXIII. 


DU  MusÉK  d'ethnographie  67 

Paris,  président;  H.  Milne  Edwards,  vice-président;  Broca, 
Charton,  Maunoir,  G.  Périn  et  de  Quatrefages,  membres,  Hamy 
et  Landrin,  secrétaires.  Elle  n'a  eu  qu'un  petit  nombre  de  réu- 
nions, dans  lesquelles  elle  a  principalement  étudié  les  modes  de 
classement  proposées  à  différentes  époques  pour  le  Musée  d'Eth- 
nographie et  adopté  les  dispositions  de  l'article  2  de  l'arrêté  du 
3  novembre  1877  qui  avait  imposé  au  Muséum  des  Missions  un 
ordre  géographique,  tout  en  laissant  certaines  latitudes  aux  futurs 
conservateurs. 

M.  Charmes  demanda  en  décembre  un  rapport  sur  l'état  des 
collections  que  je  fus  chargé  de  rédiger  et  qui  fut  présenté  au 
ministre  le  26  janvier  1880.  C'est  ce  travail,  placé  sous  les  yeux 
de  la  commission  du  budget,  qui  clôt  la  longue  série  des  rap- 
ports relatifs  à  la  création  du  Musée  d'Ethnographie  de  Paris*. 

Un  projet  de  loi,  annexé  au  procès-verbal  de  la  séance  de  la 
Chambre  des  députés  du  29  juin  1880,  vint  fixer  le  modeste 
budget  du  nouvel  établissement  %  dont  un  arrêté  du  19  juillet 
suivant  nomma  le  personnel  '. 

Dernier  venu  de  tous  les  musées  de  même  ordre  que  possèdent 
la  plupart  des  grandes  villes  de  l'Europe,  le  Musée  d'Ethnographie 
du  Trocadéro  avait  fort  à  faire  pour  conquérir^  au  milieu  de  ses 
émules,  une  place  en  rapport  avec  l'importance  de  la  capitale,  où 
il  se  trouvait  institué.  Il  a  fallu  dix  ans  d'efforts  continus  pour 
arriver  à  ce  résultat,  que  l'Exposition  de  1889  a  définitivement 
consacré.  Les  collections  américaines,  en  particulier,  sont  mainte- 
nant parmi  les  plus  riches  du  monde^  et  c'est  à  les  faire  bien  con- 
naître que  sera  destiné  le  deuxième  volume  du  Recueil  spécial 
que  j'inaugure  aujourd'hui. 


1)  Voy.  Documents,  pièce  n"  LXXXV. 

2)  Ibid.,  pièce  n»  LXXXVI. 
3)Ibid.,  pièce  n»  LXXXVII. 


DEUXIÈME  PARTIE 


DOCUMEIVTS 


CHAPITRE  PREMIER 

L'ethnographie  au  Cabinet  du  Boi  et  au  Muséum  des  Antiques.  —  Anciens 
catalogues.  —  Collection  Dombey.  —  Musée  du  Stathouder.  —  Objets 
ethnographiques  des  émigrés.  —  Collections  Berlin  et  Gauthier.  —  Collec- 
tions du  Muséum  national  d'Histoire  naturelle. 

N°I 

Spécimen  d'un  catalogue  ethnographique  de  la  seconde  moitié  du 

xviii*  siècle  * 

Liste  des  objets  composant  ^  une  Collection  rassemblée  dans  un 
voyage  à  V Amérique  du  sud  chez  les  fndiois  sauvages  des 
Guyannes  françoises. 

Dénominations  françaises  Dénominations 

des  divers  articles.  en  langue  Galibi. 

Deux  jupons  ou  camissas  ornés  de  rassades.   .  Ouayougou. 

Un  camissa  en  passades  sur  coton — 

Deux  massues  ou  cassetêtes Poulou. 

Deux  massues  avec  un  tranchant Opoutou. 

Un  tablié  indien  fait  en  bois  supérieurement 

ouvragé   Couyou. 

1)  La  collection  énumérée  dans  ce  catalogue,  antérieur  de  quelques  années 
seulement  à  la  Révolution,  a  été  en  partie  sauvée  par  M.  Schœlcher,  sénateur, 
qui  l'a  généreusement  offerte  avec  toutes  ses  collections  ethnographiques  au 
Musée  du  Trocadéro.  Quelques-unes  des  pièces,  comme  la  «  Maison  indienne 
avec  tous  ses  attributs  faits  par  un  indien  galibi,  »  me  sont  parvenues  encore 
pourvues  de  leur  vieille  étiquette.  (E.  H.) 

2)  J'ai  reproduit  très  exactement  ce  catalogue  tel  qu'il  m'est  parvenu  dans  une 
liasse  de  vieux  papiers  venant  de  M.  Schœlcher.  (E.  H.) 


70  LES    ORIGINES 


Dénominations  françaises  Dénominations 

des  divers  articles.  en  langue  Galibi. 


Un  tablié  en  grains  de  verre  orné  de  dessins  .  Gouyou 

Une  paire  de  brasselets  très  curieux,     .     .     .  Amécouusesso. 

Une  paire  d'ornemens  pour  le  dessus  du  genou.  Tiamaga. 

Un  colier  orné  de  dents  d'animaux  sauvages  .  Taramara. 

Deux  paniers  à  l'usage  des  indiennes     .     .     .  Jematou. 

Une  ceinture  de  poil  de  makaque Ouachi. 

Une  ceinture  en  poil  de  couater  ou  singe  rouge.         — 
Un  bonnet  de  toile  naturelle  sans  couture  .     .  Troli. 
Un  bonnet  de  plumes  du  grand  habillement    .  Caneta  Caraou. 
Deux  bonnets  en  plumes  du  petit  habillement.  — 
Un  superbe  colier  en  plumes  du  grand  habil- 
lement       Oamari. 

Deux  manteaux  en  plumes  du  grand  habille- 
ment   Sariketto. 

Deux  couronnes  en  plumes Touéyou. 

Une  ceinture  en  graines  de  bois Caobé. 

Un  ornement  à  l'usage  des  prêtres  ou  piayes.  Oubatoroua. 

Un  tablié  d'écorce    à  l'usage  des  indiennes 

pauvres Pararipara. 

Deux  arcs  en  bois  de  couleur Ourapa. 

Trois  flûtes  indiennes Couama. 

Une  flûte  nègre — 

Un  instrument  à  vent  en  terre  cuite.     .     .     .  Conti. 

Une  aiguille  en  os  pour  faire  les  hamacs    .     .  Ténari. 

Deux  pagayes  pour  naviguer Taïmaga. 

Un  banc  à  l'usage  des  femmes  indiennes    .     .  Mouré. 

Un  instrument  de  danse  fait  en  graines    .     .  Cravvachi. 

Un  pot  en  terre  cuite .  Aoulé. 

Un  vase  en  terre  cuite Pyou. 

Une  maison  indienne  avec  tous  ses   attributs 

faite  par  un  indien  galibi Opo. 

Un  instrument  de  bois  de  fer  pour  préparer  les 

peaux Cici. 


DU    MUSÉE    d'kTIINOGRAPHIE  71 

Dénominations  françaises  Dénominations 

des  divers  articles.  en  langue  Galibi. 

Un  couteau  dont  la  lame  est  une  dent  de  goules 

d  ane Ootowa. 

Une  arme  en  dents  de  goules  de  mer     .     .     .     Tamahoo. 

Des  hameçons  en  coquille  et  nacre  de  perle     .     Ochou. 

Deux  peignes Taoité. 

Un  carquois  alï'ricain  avec  22  llèches  empoi- 
sonnées. 

Une  défense  nervale. 

Une  peau  de  serpent  de  15  pieds. 

Un  sabre  affricain. 

Plusieurs  pierres  du  fleuve  Marony  excellentes 
pour  la  gravure. 

Divers  col; ers. 

Quatre  dents  de  cheval  marin. 

Une  dent  d'éléphant. 

Deux  noix  de  Parinamari  Moutana. 

Noix  du  Brésil. 

Noix  d'acajou. 

Noix  du  Para. 

N"   II 

ANTIQUITÉS    PÉRUVIENNES* 

«  Enl776,M.Dombey,  médecinnaturalisle,  fut  envoyé  au  Pérou 
aux  frais  du  gouvernement  par  les  soins  de  M.  Turgot,  contrôleur 
général  des  finances;  il  en  revint  au  mois  d'octobre  1785,  et  en 
rapporta,  outre  une  très  grande  quantité  de  plantesetautres  objets 
d'histoire  naturelle  destinés  pour  le  Jardin  du  Roi,  diverses  anti- 
quités péruviennes  qui  ont  été  déposées,  par  ordre  de  M.  de  Ga- 
lonné, contrôleur  général  des  finances,  au  Cabinet  des  Antiques  de 
Sa  Majesté,  le  30  janvier  1786  ;  elles  sont  décrites  dans  la  notice 
suivante,  qui  a  été  faite  par  M.  Dombey.  » 

1)  On  lit  en  marge  de  cette  pièce  conservée  dans  les  archives  du  Cabinet  des 
Médailles  :  «  Renvoi  au  cabinet  des  Antiques  du  Roi,  le  31  janvier  1786.  » 


72  LES  ORIGINES 

1  à  30  Vases  de  terre  de  différentes  grandeurs. 
31       Une  navette. 

32-33    Deux  instruments  propres  à  resserrer  les  fils  passés  par 
la  navette. 
34       Un  petit  vase  de  terre  double. 
35-38  Quatre  idoles  de  terre,  de  différentes  grandeurs,  gros- 
sièrement dessinées. 

39  Deux  topos  d'arg-ent  ou  épeingles  arrondies 

de  femmes,  pesant 3  onces  1/2. 

40  Ornement  d'argent  en  croissant' pesant.  .   2oDcesniûinslgros. 

41  Deux  topos  d'argent  ou  épeingles  à  l'usage 

des   Péruviens,   en  forme  de  croissant, 

pesants 3  onces  1/2. 

42  Aplomb,  de  plomb. 

43  Une  pierre  représentant  un  épy  de  mays. 

44  Un  morceau  de  cuivre,  avec  mélange  d'or  percé  pour 

être  mis  au  bout  d'un  bâton,  avec  deux  têtes  qui  res- 
semblent à  celle  d'un  tigre. 

45  Idole  accroupie. 

46  Hache  de  cuivre. 

47-48-49  Trois  pierres  trouées   servant  à  donner  du  poids  aux 
fuseaux. 

50  Un  sceptre  de  bois,  avec  figures  d'une  espèce  de  Pélican 

alkatras. 

51  Fragment  de  l'habillement  d'un  prêtre  du  Temple  de  Pa- 

chacamac. 

52  Tunique  d'une  vierge  ou  vestale  du  Temple  de  Pacha- 

camac. 

1)  Il  est  déjà  question  de  quelques-unes  de  ces  pièces  dans  une  lettre  de  Doin- 
bey  à  Antoine-Laurent  de  Jussieu,  écrite  de  Limas  eus  la  date  du  2  novembre  1781, 
et  dont  feu  M.  Desnoyers  m'avait  communiqué  un  extrait.  Le  voyageur  parlait, 
dans  celte  lettre,  d'un  grand  caisson  plein  de  vases  des  tombeauxdes  Péruviens, 
d'un  «  diadème  d'argent  en  forme  de  lune  »  et  de  deux  toipos,  aussi  d'argent, 
«  rencontrés  dans  un  tombeau  remarquable  à  3  lieues  de  Tarma.  »  Le  vêtement 
d'un  Incas  «  envoyé  en  1779  à  M.  le  comte  d'Angeviller  pour  être  présenté  à 
S.  M.  T.  G.,  sortoit  du  même  tombeau  qui  est  dans  une  grotte  immense  fort 
élevée.  >'  (E.  H.) 


DU  MISÉE  d'ethnographie  73 

o3       Diadème  ou  borla  de  la  même  vestale. 

54       Un  stilet  d'or,  du  poids  d'une  once  moins  doux  gros, 

trouvé  dans  le  Tombeau  d'un  Incas  à  Paucortambau 

près  Cusco,  servant  à  percer 

les  oreilles '   1  once  moins  2  gros. 

05  Diadème  d'argent  du  poids  de       1  once  moins  2  gros- 

06  Fragmens  d'épeingles  d'argent       1  once  moins  2  gros. 

57  Une  épeingle  de  cuivre. 

58  Deux  balances, 

59  Une  Idole  d'or  représentant  une  vestale,  du 

poids  de 1  gros. 

60  Un  épilatoire  d'or,  du  poids  de     ....  2  gros  1/2 

61  Deux  petites  idoles  d'or,  du  poids  de     .     .  3  gros. 

62  Six  idoles  d'argent,  du  poids  de     .     .     .  2  onces. 

63  Deux  plaques  d'or,  trouvées  sur  les  yeux 

d'un  Incas •     •       'l  gros. 

64  Une  idole  d'argent  doré,  représentant  la 

vigogne 2  gros  1/2 

65  Sept  plaques  d'argent  arrondies  et  percées 

par  une  extrémité,  en  tout.     .     ,     .     .       1/2  once 

66  Petit  instrument  de  cuivre  représentant  une  hache  d'un 

côté  et  le  museau  d'un  animal  de  l'autre. 

67  Deuxpetites  pierres  trouvées  dans  la  main  d'un  Péruvien. 

68  Une  idole  de  bois  d'Otaiti. 

69  Collier  d'une  sauvage  péhvenche  du  Chili. 

«  Le  même  M.  Dombey  envoya  au  Cabinet  du  Roi  on  1783  par 
M.  de  la  Lande,  son  correspondant,  quatre  vases  semblables  à 
ceux  indiqués  aux  n^^  1-30,  et  un  autre  vase  représentant  un 
animal  à  quatre  pattes'.  » 

1)  J'ai  déjà  dit  que  les  collections  de  Dombey,  conservées  jusqu'en  1880  dans 
une  des  dépendances  du  Cabinet  des  Médailles  de  la  Bibliothèque  nationale, 
ont  été  transportées  à  cette  date  au  Musée  d'Ethnographie.  Quelques-unes  des 
pièces  avaient  encore  leurs  étiquettes  originales,  mais  il  manquait  plusieurs  des 
objets  marqués  à  l'inventaire  ci-dessus  reproduit.  (K-  H.) 


74  LES  ORIGINES 

N'III 

NOTE  DE  THOUIN,  RELATIVE  A  LA  COLLECTION  DU  STATHOUDER* 

22  juillet  1795. 

Je  prie  les  dépositaires  de  cet  assortiment  de  ne  pas  me 
savoir  mauvais  gré  s'ils  y  rencontrent  des  choses  de  mérite  infé- 
rieur et  qui  ne  sont  pas  dignes  d'entrer  dans  les  collections  na- 
tionales. Il  est  utile  qu'ils  sachent  : 

1°  Que  la  collection  composant  le  cabinet  du  stathouder  est 
tombée  en  totalité  au  pouvoir  de  la  nation  ; 

2°  Qu'il  s'agissoit  moins  de  faire  un  choix  des  objets  qui  pou- 
voient  servir  au  complément  des  collections  nationales,  que  de 
chercher  les  moyens  de  tirer  le  parti  le  plus  avantageux,  et  pour 
les  sciences  et  pour  les  finances,  de  l'état  de  cette  collection  ; 

3  Que  les  Hollandois  livrés  entièrement  au  commerce  s'oc- 
cupent peu  des  sciences  naturelles  et  qu'ils  ne  font  cas  des  beaux- 
arts  que  sous  le  rapport  de  leur  ameublement  et  des  commodités 
qu'ils  leur  procurent  ; 

4°  Que  si  on  eut  vendu  dans  ce  pays  les  objets  qui,  sans  avoir 
le  mérite  nécessaire  pour  entrer  dans  les  collections  nationales, 
en  ont  cependant  assez  pour  être  vendus  un  certain  prix,  on  eut  à 
peine  retiré  de  ces  objets,  surtout  dans  les  circonstances  présen- 
tes, la  valeur  des  frais  qu'auroit  occasionné  leur  vente  publique; 

5°  Que  d'un  autre  côté,  la  Convention  Nationale  ayant  décidé 
qu'il  seroit  établi  dans  chacun  des  départemens  de  la  République 
un  muséum  oii  se  réuniroient  des  assortimens  limités  d'objets  de 
sciences,  des  beaux-arts,  des  arts  mechaniques,  une  Bibliothèque 
et  un  jardin  de  Botanique  économique,  il  en  résulte  qu'il  faut  un 
approvisionnement  immense  de  tous  ces  objets  pour  fournir  les 
bases  et  les  noyaux  de  ces  collections  départementales,  et  que 
ce  qui  a  été  envoyé  pendant  le  cours  de  nos  voyages  trouvera 
aisément  sa  place  dans  ces  nouveaux  établissemens; 

1)  Cette  pièce  et  celles  qui  suivent,  sauf  le  n°  IX,  ibnt  partie  des  archives  du 
Cabinet  des  Médailles. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  75 

6*  Que  s'il  se  trouve  des  choses  triviales  et  de  nule  valeur,  il 
est  fort  aisé  de  les  jeter,  et  on  ne  doit  pas  regretter  les  dépenses 
de  leur  transport,  parce  que  ces  objets  se  trouvent  en  petite  quan- 
tité ;  que  souvent  ils  ont  été  mis  dans  les  caisses  comme  rem- 
plissage et  qu'enfin  les  transports  se  sont  faits  pour  la  plupart 
par  les  ag-ens  et  les  voitures  de  la  Republique  à  des  époques  où 
le  service  militaire  ne  les  requeroit  pas,  au  moyen  de  quoy  leur 
dépense  est  presque  nulle. 

7°  Et  enfin  que  d'après  touttes  ces  considérations,  convaincu 
de  mon  peu  de  connoissance  dans  différentes  sortes  des  sciences 
et  des  arts,  j'ai  préféré  de  pécher  par  abondance  plutôt  que  par 
deffaut,  parce  qu'il  y  a  du  remède  à  ce  dernier  péché,  tandis  qu'il 
n'i  en  a  pas  au  premier,  la  Hollande  ne  se  laissant  pas  assujetir 
tous  les  jours. 

Fait  à  La  Haye,  ce  5  floréal  l'an  3'^  de  la  République  Françoise 
(24  avril  4795). 

L'un  des  commissaires  du  Comité  d'Instruction 
publique  pour  la  recherche  des  objets  de  sciences 
et  d'arts  dans  les  pays  occupés  par  les  armées  du 
Nord  et  de  Sambre-et-Meuse. 

Thouin. 

N°  IV 

Les  conservateurs    du  Muséum  des  Antiques  aux   représentans 
du  peuple  composant  le  Comité  de  l Instruction  publique. 

Citoyens^ 
Empressés  de  remplir  les  devoirs  que  vous  nous  avez  imposés 
et  de  faire  refleurir  Tétude  de  l'antiquité,  en  réunissant  le  plus 
promptement  possible  les  monumens  qui  peuvent  conduire  à 
l'explication  des  anciens  auteurs  et  à  la  connoissance  des  mœurs 
et  des  usages  des  différens  peuples,  nous  avons  déjà  visité 
quelques  dépôts.  Nous  vous  soumettons  la  liste  des  objets  rela- 
tifs à  l'antiquité  que  renferme  celui  de  la  rue  de  Beaune.Ce  cata- 
logue vous  prouvera  que  sans  rien  négliger  de  ce  qui  peut  rendre 
notre  établissement  vraiment  utile,  nous  ne  demandons  que  ce 
qui  est  nécessaire  à  son  ensemble  et  indispensable  pour  le  corn- 


76  LES    ORIGINES 

pléteren  espérant  que  vous  voudrez  bien  ordonner  que  ces  objets 
nous  soient  remis. 

Salut  et  fraternité. 

Barthélémy,  A.-L.  Millin, 
Conservateurs  des  Antiques  de  la  Bibliothèque  nationale 

N"  V 

Etat  des  objets  cV Antiquités  conservés  au  dépôt  national  de  la 
rue  de  Beaune,  qui  d'après  arrêté  du  Comité  d Instruction 
publique^  du  20  messidor  de  la7i  3"  de  la  République  {8  juillet 
1795),  ont  été  transportés  au  Muséum  des  Antiques. 

(Extrait) 

Noms  des  émigrés.  Nature  des  objets. 

Dangevillers*.  Un  vase  péruvien  à  anse  et  deux  gouleaux.  Hau- 
teur 7  p.  1/2,  diamètre  6  p. 

id.  Un    double   vase   péruvien  avec  anse    et  deux 

gouleaux.  Hauteur  4  p.  1/2,  diamètre  3  p. 

id.  Un   double  vase  péruvien  à  anse  et   gouleau. 

Hauteur  7  pouces  sur  4. 

id.  Vase   péruvien  avec  anse  et  g-ouleau  orné  d'un 

mascaron  et  de  deux  cbouettes  dont  une 
cassée. 

id.  Autre  vase  péruoien  à  anse  et  g-ouleau  porté  par 

deux  oiseaux  mutilés;  hauteur  8  p.  1/2,  dia- 
mètre 4  p.  1/2. 

id.  Un  vase  péruvien  en  forme  de  chien,  avec  anse 

et  gouleau  ;  hauteur  7  p.  1/2  sur  6  p.  1/2. 

id.  Un   autre    vase    péruvien  en  forme  de  double 

bouteille,  avec  anse  et  gouleau,  un  mascaron  et 
dessins;  hauteur  7  p.  1/2,  diamètre  5  pouces. 

id.  Autre  vase  péruvien  à  anse  et  gouleau  cassé,  en 

i)  Pour  d'Angeviller.  Le  comte  de  la  Biilarderie  d'Angeviller,  dont  il  est  déjà 
question  dans  la  note  1  de  la  pièce  n°  III. 


DU  MusÉii  d'ethnographie  77 

Noms  des  émigrés.  Nature  des  objets. 

forme  de  double  bouteille  avec  une  tête  de 
chat  et  divers  ornemens  ;  hauteur  6  pouces, 
diamètre  4  pouces. 
Dangevillers.  Autre  vase  péruvien  avec  une  figure  et  à  anse  et 
gouleau  et  une  figure;  hauteur  7  pouces, dia- 
mètre 5  pouces  1/2. 

id.  Un  vase   péruvien  en  forme  de  sing-e,  anse  et 

gouleau  cassés,  la  queue  cassée  ;  hauteur  7  p., 
longueur  5  p.  1/3. 

id.  Un  vase  id.  à  anse  et  deux  gouleaux  avec  diffé- 

'  rentes  images  ;   hauteur  6  pouces,   diamètre 
5  pouces. 

id.  Autre  vase  péruvien  de  forme  pointue,  surmonté 

d'une  figure  fantastique,  gouleau  cassé;  hau- 
teur 8  p.  sur  7  de  longueur, 

id.  Autre  à  anse  et  gouleau  ;  hauteur  9  pouces   sur 

5  de  diamètre. 

id.  Un  autre,  en  forme  de  grenade,  à  deux  anses  en 

anneaux  et  gouleau  cassé  ;  hauteur  8  pouces 
sur  5  pouces  de  diamètre^ 

N°  VI 

État  des  Objets  Indiens  provenant  de  la  collection  du  C^"  Gau- 
thier^ transportés  au  Muséum  des  Antiques  de  la  Bibliothèque 
nationale  le  5  Messidor  an  5  (23  juin  1796). 

Habillement  d'un  Indien,  composé  de: 
Casque  ou  Tour  de  tête  en  plumes. 
Plastron  et  Dossier. 
Trois  Colliers. 

1)  Cet  extrait  d'inventaire  du  dépôt  de  la  rue  de  Beaune  est  donné  à  titre 
de  spécimen  des  inventaires  dressés  par  ordre  du  Comité  d'Instruction  publique. 
D'autres  objets  de  la  collection  de  d'Angeviller  sont  relevés  dans  un  «  Etat  des 
objets  enlevés  au  dépôt  de  la  maison  de  Néle  pour  le  Muséum  des  antiques,  le 
o  thermidor  an  cinq  de  la  République  française  {23  juillet  il9&)».  Ce  sont  des 
parties  d'habillement,  fuseaux  et  autres  articles,  trouvés  dans  le  tombeau  d'une 


78  LES  ORIGINES 

Un  Ornement. 

Ceinture,  devant  et  derrière. 

Double  Ceinture  en  trois  pièces. 

Bracelets. 

Genouillères. 

Deux  ornemens,  pour  les  pieds  et  la  main  gauche. 

Un  Bonnet  d'écorce  d'Arbre,  orné  de  Grelots. 

Cinq  Bonnets  de  peaux  d'Animaux. 

Habillement  d'une  Indienne,  composé  de  : 
Trois  Coiiyous  ou  petits  tabliers  en  verroterie  enfilée. 
Trois  Pierres  vertes  percées,  faites  en  Tubes,  servant  d'or- 
nement. 

Une  autre  en  Table. 

Trois  Colliers  doubles  en  graines. 

Un  simple  en  ailes  de  scarabées. 

Un  Bracelet  en  coton. 

Un  Peigne. 

Deux  Boutons  ou  casse-tête. 

Douze  Flûtes  indiennes. 

Une  Hachette. 

Une  Râpe. 

Deux  Haches  en  granit,  sans  manche. 

Trois  Arcs. 

Vingt-six  Flèches. 

Un  petit  Panier  contenant  un  nécessaire  des  Indiens. 

Huit  Vases  servant  de  vaisselle. 

Une  Marmite  de  Terre. 

Une  Urne  sépulcrale,  son  couvercle,  sa  lampe. 

Péruvienne  avant  la  conquête  :  trois  pièces  de  tapisserie  faites  d'écorce  d'arbre, 
un  chasse-mouche  à  manche  d'argent  venant  de  la  Chine.  Le  même  état 
contient,  comme  celui  auquel  est  emprunté  l'extrait  ci-dessus,  la  mention  d'une 
foule  d'objets  ethnographiques  enlevés  chez  les  émigrés,  Condé  (Chantilly), 
Noailles,  Liancourt,  d'Esclignac,  Créqui,  Fleury,  etc.,  et  conservés  pour  la 
plupart  aujourd'hui  dans  les  galeries  du   Musée  d'Ethnographie  du  Trocadéro. 

(E.  H.) 


Dr  MUSÉE  DliTHNOGRAfHlE  79 

Un  Chandellier. 

Une  Callebasse  servant  de  garde- manger. 
Une  Râpe. 
Un  ïamis.  1 

Deuj:  Soufflets.  \  en  jonc  du  pays. 
Une  Nappe.         j 
Deux  Pressoirs  pour  le  Manioc. 

Quinze  petits  Paniers  dits  Matoutous  d'usage  domestique, 
dans  l'un  desquels  se  trouve  de  l'Agaric  de  fourmi,  pour  les 

amputations. 

Gauthier. 

N-VII 

Aux  citoyens 

Les  citoyens  Professeurs  du  Muséum  d'histoire  naturelle  à  Paris, 

rue  Victor^  à  Paris. 

Citoyens, 

Il  y  a  près  de  deux  ans,  qu'avec  votre  permission,  un  de  nous' 
visita  les  magasins  de  votre  riche  collection  pour  mettre  à  part 
les  ustensiles  indiens,  les  meubles  de  sauvages  et  d'autres  objets 
de  même  nature  que  le  gouvernement  rassemble  au  Muséum 
des  Antiques,  afin  d'offrir  sous  le  même  point  de  vue  ce  qui  peut 
instruire' des  mœurs  et  des  usages  des  peuples  éloignés  par  les 
temps  et  par  les  lieux;  il  fit  ce  travail  avec  le  citoyen  Geoffroy, 
votre  estimable  collègue;  ces  objets  furent  mis  à  part,  ainsi 
qu'une  momie  qui  porte  sur  la  poitrine  un  plastron  peint,  et 
dont  la  caisse  est  chargée  de  hiéroglyphes. 

L'enlèvement  de  ces  objets  n'a  pas  été  effectué,  depuis  cette 
époque  la  momie  s'est  altérée,  et  sa  caisse  a  été  brisée.  Elle 
seroit  cependant  très  intéressante  pour  nous  qui  n'en  avons 
qu'une  dans  le  dernier  état  de  dégradation. 

Les  ustensiles  indiens  sont  encore  réunis  dans  la  salle  voisine 
de  celle  des  squelettes. 

Nous  vous  prions,  citoyens,  de  vouloir  bien  vous  occuper  de 

1)  C'était  André  Barthélémy. 


80  LES    ORIGINES 

cette  affaire;  aussitôt  que  nous  aurons  reçu  votre  agrément, 
nous  nous  occuperons  de  l'inventaire  des  pièces,  et  d'obtenir  la 
permission  du  minisire  de  l'intérieur  pour  cette  translation. 

Salut  fraternel. 

A.  Barthélémy,  A.-L.  Millin, 

CoLservateurs  des  Antiques  de  la  Jîibliothèque  nationale. 

N°  VIII 

PROCÈS-VERBAUX  DU    MUSÉUM   d'hISTOIRE    NATURELLE 

Séance  du  H  Messidor  de  l'an  cinq  (2  juillet  1796). 

Les  conservateurs  du  Muséum  des  Antiques  demandent  qu'on 
veuille  bien  leur  remettre  les  instrumens  de  sauvages  qui  exis- 
tent dans  les  magasins  de  l'Etablissement. 

L'assemblée  arrête  de  leur  faire  la  remise  qu'ils  réclament,  à 
l'exception  de  ceux  de  ces  objets  dont  les  matières  manqueroient 
à  la  collection  du  Muséum. 

N"  IX 

LIBERTÉ,  ÉGALITÉ,   FRATERNITÉ 
MUSÉUM  NATIONAL  d'hISTOIRE  NATURELLE 

Paris,  le  15  messidor  an  5  (3  juillet  1796). 
Le  Secrétaire  de  l'Assemblée  administrative  des  professeurs 
du  Muséum  national  d'Histoire  naturelle,  aux  Conservateurs  du 
Muséum  des  Antiques  à  la  Bibliothèque  nationale. 

Citoyens, 

Les  professeurs  du  Muséum  m'ont  chargé  de  vous  écrire  qu'ils 
vous  remettront  avec  plaisir,  pour  votre  intéressant  Muséum, 
les  objets  qui  y  ont  rapport,  comme  momie,  ustensiles  indiens, 
meubles  de  sauvages,  que  vous  réclamez.  Si  l'un  de  vous  veut 
bien  prendre  la  peine  d'en  venir  faire  l'état,  je  serai  très  flatté  de 
l'accompagner. 

Agréez,  citoyens,  mes  salutations  fraternelles. 

Geoffroy. 


DU  MUSÉE  D  ETHNOGRAPHIE 


No  X 


81 


Catalogue  des  Objets  enlevés  au  Mmeumd: Histoire  naturelle  pour 
le  Muséum  des  Antiques  de  la  Bibliothèque  nationale,  le  3  ther- 
midor an  5(21  juillet  1796), 

1  Deux  Chapeaux  ronds  en  paille. 

2  Un  de  la  même  forme,  en  plumes  de  différentes  couleurs. 

3  Cinq  Bonnets  en  plumes  à  l'usage  des  Canadiens  ;  l'un  porte 

deux  cornes. 

4  Un  pareil  en  poil,  ayant  deux  cornes  peintes,  apporté  en 

1753  par  M.  de  La  Galissonière. 

5  Coift'ure  de  sauvage  en  plumes  de  couleur. 

6  Trois  paquets  de  morceaux  d'iiabillemens  de  sauvages  en 

plumes,  idem,  dans  un  état  de  vétusté. 

7  Manteau  en  plumes  rouges,  montées  sur  un  filet,  auquel 

tient  le  capuchon. 

8  Autre  manteau  en  peau  de en  forme  de  vêtement  carré. 

9  Autre  manteau  ou  robe  en  laine  noire  avec  bordure. 

1 0  Tunique  à  manche  en  peau  rougeâtre  ornée  de  franges  et 

de  rosaces  en  tuyaux  de  plumes, 

1 1  Vêtement  de  prix  d'un  Indien  Peguenche  du  Chili,  en  laine 

rouge,  orné  de  franges, 

12  Manteau  ou  tablier  Illinois. 

13  Manteau  ou  Tapis,  très  grand,  en  coton  travaillé. 

14  Grande  Ceinture  en  laine  rouge,  à  l'usage   des  Indiens 

braves  des  Cordillères  du  Chili. 
45  Autre  Ceinture  en  laine  noire  portant  des  ornemens  de 
tuyeaux  de  plumes. 

16  Deux  autres  Ceintures  en  peau  recouvertes  de  tuyeaux  de 

plumes. 

17  Habit  de  guerre  en  écaille  de  Pangolin. 

18  Trois  étuis  en  peau  noire  pouvant  servir  de  manches  ou  de 

haut  de  chausses,  à  l'usage  des  Canadiens, 

19  Quatre  petits  Sacs  à  l'usage  des  mêmes  peuples.  Ils  les 

6 


82  LES    ORIGINES 

portent  au  col  et  y  mettent  tous  les  petits  meubles  à  leur 
usage,  tabac,  pipes,  etc. 

20  Sac  à  peigne  des  mêmes  peuples. 

21  Quatre  Bourses  d'Angola. 

22  Petit  Sac  en  filet  ouvert  par  les  côtés  à  l'usage  des  peuples 

du  même  pays. 

23  Qeyoïi  ou  petit  tablier  de  femmes  indiennes. 

24  Gibecière  en  lainage  ornée  de  verroteries. 

25  Bouteille  des  Orientaux. 

26  Petite   Bourse  en  cuir,  avec  des  franges,   à  l'usage  des 

Nègres  du  Sénégal. 

27  Amulettes  données  aux  Nègres  du  Sénégal  par  leurs  prê- 

tres. Dans  ces  amulettes  sont  des  paroles  avec  lesquelles 
ils  se  croyent  invulnérables  à  la  guerre. 

28  Deux  colliers  de  fruits  rouges  et  noirs. 

29  Un  autre  en  os  travaillé. 

30  Petite  Soucoupe  en  écorce  de  bouleau. 

31  Un  Éventail  en  feuille  palmier. 

32  Cinq  Chaussures  à  l'usage  des  habitants  du  Canada. 

33  Une  paire  de  Souliers  chinois'en  salin  bleu,  brodés  en  relief. 

34  Une  autre  paire  en  Maroquin. 

35  Petit  Chausson  de  Maroquin. 

36  Un  petit  Sceau  en  écorce  d'arbre  du  Canada. 

37  Naque^  espèce  d'arme  avec  laquelle  les  Indiens  du  Chili 

combattent  leurs  ennemis  et  chassent  les  chevaux  de 
Las  Pampas  de  Buenos-Aires. 

38  Deux  Poignards  du  Sénégal. 

39  Une   Ceinture   portant  des    amulettes  et   des   caractères 

orientaux. 

40  Deux  morceaux  de  bois  de  cerf    sculptés  dans  le  genre 

gothique. 

41  Quatre ïnstrumens  à  vent, deux  en  ivoire  et  deux  encorne. 

42  Table  à  conter  de  la  Chine. 

43  Maboya  ou  idole. 

44  Idole  en  espèce  de  jonc,  recouverte  jadis  de  plumes  avec  des 

yeux  de  nacre  et  des  dents  de  cétacés. 


DU  .Mi;SÉE  DKTnNOGRAPHIE  83 

45  Petit  Panier  de  jonc. 

46  Œuf  d'autruche  portant  des  peintures  et  paysages  indiens. 

47  Petit  Sac  de  lainages  et  plumes. 


N°  XI 

Catalogue  des  objets  chinois  provenants  du  cabinet  du  citoyen 
Bertiîî,  enlevé  à  la  maison  de  Nêle  le  17  fructidor  an  5  de  la 
Republique  (3  septembre  1796)  pour  le  Muséum  des  Aîitiques  de 
la  Bibliothèque  Nationale  '. 

1  Planisphère  Chinois  d'un  seul  morceau  de  bambou, 

dont  l'Assiette  est  en  bois  de  cèdre  sculpté  à  fleurs. 

2  Ching,  Instrument  Chinois  à  Tuyeaux. 

3  Boete  de  lacque  contenant  une  ecritoire  chinoise. 

4  2  Boetes  en  étoffe  de  soye  contenant  un  chapelet  de 

g-rand  mandarin  et  plusieurs  sachets  d'odeurs. 

5  Pilon  de  Bambou  sculpté  en  Arbres  et  figures. 

6  Autre  pilon  avec  une  figure  de  viellard  et  des  ca- 

ractères chinois. 
8  Haut  bois  chinois  dont  on  se  sert  dans  les  convois. 

iO  Bâton  de  vieillesse  donne  au  P.  Amiot  par  l'empe- 

reur. Il  est  en  trois  pièces. 

12  Flute  traversiere  chinoise,  dans  son  étui. 

13  Deux  portes  perruques  en  bambou. 
15            Levrette  en  tuile  verte. 

17  Quatre  petits  morceaux  de  Tuiles  chinoises  de  di- 

verses couleurs. 

19  Tasse   d'une  Espèce   de   bois   ou    d'un  fruit,   très 

curieux  pour  sa  légèreté  et  ses  reliefs. 

20  Boete  de  lacque  formant  double  quarré  avec  son  pied . 

26  Pilon  de  Bambou  sculpté. 

27  Ecritoire  en  lacque. 

28  Hache  des  Zelandois. 

30  Boete  contenant  de  l'encens  chinois. 


84  LKS   ORlGIiNES 

31  Autre  boete  contenant  des  Alumettes  chinoises. 

33  Autre  boete  contenant  un  petit  rameau  de  poivrier. 

34  Gibecière  Zelandoise  en  paille. 
36  Idole  indienne  en  terre  cuite. 

38  Huit  paquets  :  le  2"  collier  d'une  Péruvienne,  3«  deux 

plaques  de  cuivre  trouvées  dans  le  tombeau  d'une 
Péruvienne,  4«  fruits  du  convolvulus,  5"  pendant 
d'un  collier  de  Péruvienne,  6°  acacias,  8'^  pièces 
de  la  sépulture  d'une  Péruvienne. 

40  Quatre  écrans  chinois  avec  leur  enveloppe. 

41  Deux  pièces  d'étotfes  brochée  en  soie,  marque  de 

distinction  des  Mandarins. 

42  Tasse  faite  à  la  manufacture  de  l'Empereur.  Elle 

porte  un  poème  que  l'empereur  a  fait  à  lâchasse 
sous  un  arbre  qui  lui  plut  (mutilée). 

43  Petite  boete  de  vieux  lacque. 

44  Deux  jattes  et  leurs  soucoupes,  en  bambou  vernissé. 

45  Quatre  petits  magots  en  étoffe  de  soie  dont  la  figure 

est  peinte  sur  de  la  moelle  d'arbre. 

46  Six  magots  de  terre  un  peu  mutilés. 

47  Vase  de  4  pouces  en  quarré,  sculpté  en  relief  en 

pierre  de  lard. 

50  Boete  contenant  des  fleurs  artificielles. 

51  Seize  cuillers  en  bambou  verni. 

53  Moelle  d'arbre  pour  faire  des  fleurs  artificielles  et 

pour  peindre. 

54  Deux  bougies  de  Cire  végétale  à  l'usage  de  l'Em- 

pereur. 

55  Quatre  chandelles  en  suif  végétal  de  Cayenne. 

57  Vase  a  thé  de  terre  jaunâtre  avec  un  couvercle  de 

plomb  à  fleurs. 

58  Plusieurs  bourses  chinoises  (//  y  en  a  onze). 

59  Pierre  pour  les  filets  de  Zelandois. 

60  Boete  de  lacque. 

64  Boete  de  lacque  dont  un  pied  est  cassé,  représentant 

un  baril  sur  lequel  est  un  coq. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  85 

65  Une  flèche  indienne  en  roseau. 

66  Deux  boetes  couvertes  en  soie. 

75  Morceau  de  cuivre  rond  et  travaillé. 

79  Tabatière  chinoise  de  cristal  peint  en  fleurs  et  in- 

sectes, avec  la  cuiller  en  Ivoire. 

80  Thé  en  brique  enveloppé  de  papier  jaune. 

82  Cassolette  en  bambou  avec  sa  chaîne  dans  le  même 

morceau  sans  support. 

83  Doux  autres  morceaux  de  bois  rougeatre  de  même 

que  le  support  du  précèdent  n°. 

84  Racine  représentant  un  arbre  avec  ses  fruits  et  ses 

feuilles. 
86  Morceau  de  bois  noirâtre  sculpté  représentant  des 

fleurs  et  des  feuilles. 

88  Vache  avec  son  veau. 

89  Magot  en  bambou  à  califourchon  sur  un  cerf. 

90  Mandarine  chinoise  en  terre,  dans  le  grand  costume. 

91  Éventail  chinois  avec  son  étui. 

92  Bâton  de  mandarin,  de  couleur  jaune. 

93  Theyere  en  marbre  sculpté,  avec  son  couvercle. 

94  Vase  de  porcelaine  de  la  manufacture   de   l'Empe- 

reur. 
96  Flacon  de  porcelaine  à  l'usage  du  peuple  avec  des 

caractères  Chinois. 

98  Sept  statues  indiennes  en  bronze. 

99  Dragon  taillé  dans  une  seule  racine. 

100  Pavillon  en  bambou  avec  tiroir. 

101  Boete  vernissée. 

103-104         Trois  gros  rieurs  chinois  en  bambou. 
106  Tasse  ovale  d'une  racine. 

110  Une  boete  renfermant  52  pièces   de  mounoie  ro- 

maines, chinoises  et  tartares. 

111  Une  lame  de  poignard  avec  sa  gaine. 

114-115         Une   pierre  triangulaire   noire   et  sonore,  et   cinq 
autres  plus  petites. 
147  Toque  tartare  en  cheveux. 


86  LES  ORKllNES 

li8  Petite  boete  en  vieux  lacque,  contenant  deux  petites 

boetes  et  un  cabaret. 

119  Autre  petite  boete,  sur  laquelle  est  peint  un  dragon 

chinois. 

120  Un  bambou  naturel,  ayant  le  dedans  vernissé  en 

lacque. 

122  Une  boete  en  lacque,  couverte  d'un  vitrage  peint  et 

fêlé. 

123  Nattes,  habillement  des  Zel  andois  [Il  y  en  a  deux.) 
125  Barque  des  Esquimaux. 

129  Une  plaque  de  cuivre  portant  des  empreintes  de 

monnaies  du  Nord. 

131  Eventail  en  natte  d'Ivoire. 

132  Bâton  de  mandarin  en  bois  noir. 

133  Huit  petites  boetes  d'encre  de  la  Chine  contenant 

chacune  un  morceau. 

135  Deux  boetes  contenant  des  serpentaux. 

136  Une  boete  octogone  contenant  des  artifices  chinois. 

137  Un  petit  tlacon  des  reliques  de  la  garde-robe  du 

grand  Lama. 
141  Quatre  petites  Tasses  de  vernis. 

143  Un  petit  vase  bleuâtre  avec  son  socle. 

144  Quatre  tasses  à  Thé,  enterre,  à  l'usage  du  peuple. 

146  Quatre  cachets  chinois. 

147  Deux  petits  cabarets  chinois,  sans  lasse. 

148  Un  petit  vase  de  fer  peint. 

149  Une  boete  à  six  pans  d'un  pied  de  diamètre. 

150  Autre  ronde  à  larges  cotes,  d'un  pied  de  diamètre. 

151  Deux  écrans  avec  leurs  enveloppes,  et  cordons  en 

soie  jaune. 
164  Marbre  pour  délayer  de  l'encre  de  la  Chine. 

156  Deux  bourses  chinoises. 

157  Dessin  lavé,  d'un  bas-relief  égyptien. 

158  Deux  boetes  d'Ivoire  en  forme  de  colonnes,  renfer- 

mées dans  une  boete  de  soie  d'environ  1  pied. 

159  Une  espèce  de  lasse,  qui  paroit  venir  d'un  fruit. 


Di:  -MUSÉE  d'kthnoghaphie  87 


N°  XII 

État  des  objets  enlevés  au  Muséum  d'Histoire  naturelle  pour  le 
Muséum  des  Antiques 

le  SO  fructidor  an  5  [\Q  septembre  179G). 

1  Trois  Divinités  indiennes  en  bois  d'un  pied  et  demi  de 

haut.  Deux  sont  peintes,  l'une  des  deux  est  fracturée. 

2  Quatre  Œufs  d'autruche. 

3  Deux  Vases  indiens  portés  sur  des  pieds,  ornés  de  figures. 

avec  leurs  couvercles. 

4  Deux  Coupes  idem,  une  autre  plus  petite  et  fêlée. 

5  Deux  Vases  à  anses  en  terre  avec  leurs  couvercles. 

6  Autre  Vase  enterre,  sans  anse  ni  couvercle. 

7  Autre  Vase  oblong  avec  un  couvercle. 

8  Instrument  de  musique  orné  de  dessins  pareils  à  ceux  des 

vases  n°  3. 

9  Petite  Flûte  à  8  tuyaux,  de  roseaux. 

10  Deux  Carquois  d'Indiens  en  cuir  avec  leurs  flèches. 

11  Autre  Carquois  avec  quelques  flèches. 

12  Six  Flèches  indiennes  de  roseaux,  portant  quatre  pieds  de 

haut,  armées  en  bois  bardé. 

13  Une  autre  semblable,  mais  plus  courte. 

14  Morceau  de  dard. 

15  Pique  de  fer,  montée  sur  bois. 

16  Pique  en  bois  de  fer  avec  poignée,  et  armée  par  les  deux 

bouts,  d'environ  cinq  pieds  de  haut. 

17  Trois  Arcs    de  canne   plats,   deux  avec  leurs  courroies, 

l'autre  cassé  et  sans  courroie. 

18  Deux  autres  Arcs  sauvages. 

19  Trois  grands  Bâtons  pouvant  avoir  servis  pour  pêcher  à  la 

ligne. 

20  Très  grand  Bouton  ou  casse-tête  en  bois  de  fer,  long  do 

trois  pieds  et  demi. 


88  LES    ORIGINES 

21  Autre  Bouton  d'environ  seize  pouces. 

22  Morceau  de  bois  creux  ressemblant  à  une  flûte. 

23  Matoutou  en  forme  de  bonnet  orné  de  coquillages. 

24  Ornement  de  tète  en  plumes. 

25  Bonnet  en  écorce  d'arbre. 

26  Ornemens  d'Indiens  en  plumes. 

27  Trois  Robes  en  peaux. 

28  Autre  plus  petite  ornée  de  franges. 

29  Deux  fragmens  de  ceinture. 

30  Ceinture  en  cuir. 

31  Paire  de  chaussure  en  peau  avec  des  ornemens  de  paille. 

32  Petit  Bourlet,  jadis  orné  de  porcelaines  et  six  autres  plus 

petits. 

33  Sac  de  peau  terminé  en  coyou. 

34  Petite  Bourse  d'écorce  d'arbre. 

33  Trois  grands  Tabliers  ou  manteaux  en  peaux  peintes  à 
l'usage  des  Illinois. 

36  Espèce  de  Castagnettes  sauvages. 

37  Ceinture  en  écorce  d'arbre. 

38  Bottines  japonaises  en  satin  piqué. 

39  Petits  Souliers  brodés  en  or. 

40  Paire  de  Souliers  chinois. 

41  Petite  Savate  dépareillée. 

42  Hamac  en  filet. 

43  Un  grand  Hamac  en  coton. 

44  Deux  Couvertures  en  lainage. 

45  Paire  d'Étriers  du  Chili. 

46  Petit  Panier,  long  et  étroit. 

47  Porte-manteau  en  peau  découpée  et  peinte. 

48  Très  beau  Carreau  de  mosaïque  en  marbre  à  huit  pans  de 

dix-huit  pouces  de  diamètre,  orné  de  fruits,  fleurs  et 
animaux. 

49  Petit  modèle  de  vaisseau  sauvage. 

50  Difîérens  fragmens  de  verroteries,  bois,  etc. 

51  Collier  de  guerre  indien. 

52  Une  Tête  de  quadrupède  ayant  les  dens  dorées. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  89 


53  Tête  de  momie. 

54  Momie  avec  son  cercueil,  sans  tête  '. 


MINISTERE 
DE   l'intérieur 

l'e    DIVISION 


No  xni 

LIBERTÉ,    ÉGALITÉ. 


Paris,  le  22  vendémiaire  an  5®  de  la  Répu- 
Direction générale      blique  française,  une  et  indivisible  (13  octobre 

de   l'instruction  ^ 

publique.  4796). 

Le  Directeur  général  de  l'Instruction  publique  aux  Conservateurs 
de  la  Bibliothèque  nationale. 

Le  Ministre  me  charge,  Citoyens,  de  vous  autoriser  à  faire 
transporter  au  Cabinet  des  Antiques  de  la  Bibliothèque  nationale, 
les  objets  compris  dans  l'état  que  vous  avez  joint  à  votre  demande 
en  date  du  3  fructidor,  et  qui  se  trouvent  au  Muséum  d'Histoire 
naturelle.  Je  viens  d'adresser  cet  état  aux  Professeurs  de  cet 
établissement,  en  leur  faisant  part  de  l'autorisation  du  Ministre. 
Je  vous  invite  à  leur  donner  un  récépissé  de  ces  objets. 

Salut  et  fraternité. 

GiNGUENÉ. 

Aux  Conservateurs  de  la  Bibliothèque  nationale,  rue  de  la  Loi, 

à  Paris. 


1)  Un  état  portant  la  date  du  30  fructidor  an  5  (16  septembre  1796),  déposé 
aux  archives  du  Cabinet  des  Antiques  et  récapitulant  les  deux  catalogues  du 
Muséum  d'Histoire  naturelle  ci-dessus  transcrits,  ajoute  aux  objets  dont  on  vient 
de  lire  la  nomenclature  :  «  deux  chapeaux  en  cuir  très  dur  et  peint  »  et  «  un 
petit  vaisseau  orné  de  ses  voiles  ». 

Cette  pièce  termine  ainsi  :  «  Vu  et  approuvé  par  le  ministre  de  l'intérieur, 
«  signé  François  de  Neufchateau.  »  Et  au-dessous  :  «  J'ai  reçu  les  objets  ci- 
«  dessus  désignés.  A  Paris,  ce  30  fructidor  an  5,  signé  A.-L.  Millin.» 

«  Pour  copie  conforme  à  l'original  déposé  au  Secrétariat  du  Musée  d'Histoire 
naturelle,  Paris,  ce  l^'  nivôse  an  6. 

«  Geoffroy, 

«  Ex-Secrétaire.  " 


CHAPITRE  II 


Ordonnance  de  1828.  —  Commentaires  sur  cette  ordonnance.  —  Premières 
tentatives  de  Jomard  pour  constituer  le  dépôt  ethno-géographiqne  de  la 
Bibliothèque  du  Boi. 


N°  XIV 


ORDONJiANCE  DU  ROI 


(Extrait) 

Charles,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France  et  de  Navarre, 

A  tous  ceux  qui  ces  présentes  verront,  Salut. 

Sur  le  rapport  de  notre  Ministre  secrétaire  d'État  au  dépar- 
tement de  l'Intérieur,  Nous  avons  ordonné  et  ordonnons  ce  qui 
suit  : 

Article  2.  Le  sieur  Jomard,  membre  de  l'Académie  Royale 
des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  est  nommé,  à  la  Bibliothèque 
du  Roi,  Conservateur  du  dépôt  de  géographie.  Il  aura  sous  sa 
garde  les  plans  et  cartes  et  documens  statistiques,  objets  et  instru- 
mens  divers  produits  par  les  voyages  scientifiques,  et  notamment 
les  planches  et  dessins  manuscrits  et  imprimés  de  l'expédition 
d'Egypte.  Son  traitement  est  fixé  à  6,000  francs.  Il  en  jouira  à 
partir  du  1"  janvier  1829 

Article  4.  Notre  Ministre  secrétaire  d'État  de  l'Intérieur  est 
chargé  de  l'exécution  de  la  présente  ordonnance. 

1)  Les  pièces  n"^  XIV,  XV,  XVII  à  XX' font  partie  des  archives  de  la  Section 
de  Géographie  de  la  Bibliothèque  nationale. 


92  LES    ORIGINES 

Donné  en  notre  château  des  Tuileries,  le  30  mars  de  Fan  de 

grâce  1828,  et  de  notre  règne  le  4^ 

Sigjié  :  CHARLES. 

Le  Ministre  Secrétaire  d'État  de  l'Intérieur^ 

Signé:  Martignac. 
Pour  extrait  conforme  : 

Le  Conseiller  d'Etat,  Secrétaire  général  du  Ministère 
de  r Intérieur, 

Signé  :  Le  Baron  de  Balzac. 
Collationné. 

Le  Chef  du  bureau  des  Archives, 

Signé  :  Mourette. 
N°  XV 

BIBLIOTHÈQUE  DU  ROI 

Paris,  3  avril  1828. 
V Administrateur  de  la  Bibliothèque  du  Roi, 
Monsieur, 
Je    m'empresse    d'avoir   l'honneur  de    vous    informer    que 
S.  E.  le  Ministre  de  l'Intérieur  vient  de  m'adresser  une  ordon- 
nance   du    roi,    en    date    du     30    mars  dernier,    par    laquelle 
Sa  Majesté  a  bien  voulu  vous  nommer  conservateur  du  dépôt  de 
géographie  à  la  Bibliothèque  du  Roi,  dépôt  qui  comprendra  les 
plans    et   cartes,    documens   statistiques,  objets   et  instrumens 
divers  produits  par  les  voyages  scientifiques,  et  notamment  les 
planches   et  dessins,    manuscrits   et   imprimés    de  l'expédition 
d'Egypte  (art.  2  de  l'ordonnance). 

Je  me  félicite.  Monsieur  et  cher  collègue,  des  nouveaux 
rapports  que  le  titre  qu'il  a  plu  au  roi  de  vous  conférer,  doit 
établir  entre  nous,  et  j'ose  compter  d'avance  sur  votre  concours 
assidu  pour  assurer  les  intérêts  et  la  prospérité  du  vaste  et 
important  établissement  auquel  nous  devons  consacrer  tout 
notre  zèle  et  toute  notre  expérience. 
Veuillez  agréer,  etc. 

D  ACIER. 

A  M.  Jomard,  membre  de  l'Académie  royale  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres. 


DU  MUSÉK  d'ethnographie  93 

N»  XVI 

DÉPÔT  DE  GÉOGRAPHIE  CRÉÉ  A  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  ROI  * 

Sur  la  proposition  d'un  ministre  éclairé'  qui  a  déjà  donné  plus 
d'un  gage  de  son  amour  pour  les  lettres  et  les  sciences,  Sa  Ma- 
jesté vient  de  consacrer  à  la  géographie,  par  une  ordonnance  du 
30  mars  1828,  un  département  spécial,  qui  prendra  place  à  la 
Bibliothèque  du  Roi,  à  côté  des  départemens  des  livres,  des  ina- 
mtscrits,  des  antiques  et  des  estampes.  Le  public  français  appelait 
par  ses  vœux  une  création  aussi  éminemment  utile  et  conforme 
aux  besoins  de  l'époque  présente.  Peu  de  mots  suffiront  pour  en 
faire  sentir  les  avantages  à  ceux  qui  n'auraient  pas  aperçu  tous 
les  résultats  que  l'on  doit  s'en  promettre.  Aujourd'hui  le  progrès 
des  lumières  et  de  la  civilisation  dépend  autant  de  l'avancement 
de  la  géographie  que  celui-ci  dépend  lui-même  du  progrès  des 
connaissances.En  acquérant  chaquejourune  nouvelle  importance 
aux  yeux  des  nations  civilisées^  la  géographie  a  pris  un  tel  ac- 
croissement qu'elle  s'est  partagée  en  plusieurs  branches  qui  for- 
ment pour  ainsi  dire  autant  de  sciences  à  part.  En  effet,  la  géo- 
graphie physique,  la  géographie  comparée;,  la  géographie  civile 
et  politique  et  la  statistique,  la  géographie  mathématique  et  as- 
tronomique et  la  géodésie,  la  géographie  nautique  el  l'hydrogra- 
phie, la  géographie  critique  et  l'histoire  des  découvertes,  pour- 
raient occuper  chacune  un  homme  tout  entier.  C'est  pourquoi 


1)  Ce  commentaire  de  l'ordonnance  royale  du  30  mars  1828,  qui  a  certaine- 
ment Jomard  pour  auteur,  a  paru  dans  le  Moniteur  universel  du  16  mai  de  la 
même  année.  Il  a  été  réimprimé  après  1830,  avec  quelques  modifications,  en 
une  petite  plaquette  de  7  pages,  chez  Rignoux,  puis  reproduit  dans  l'appendice 
à  la  brochure  de  Jomard  intitulée  :  De  la  collection  géographique  créée  à  la 
Bibliothèque  royale,  examen  de  ce  qu'on  a  fait  et  de  ce  qui  reste  à  faire  pour 
compléter  cette  création  et  la  rendre  digne  de  la  France.  Paris,  Diiverger,  jan- 
vier 1848  (p.  58-62).  (E.  H.) 

2)  Les  mots  ministre  éclairé,  prince  protecteur  des  lettres  et  des  sciences, 
disparaissent  dans  les  deux  reproductions  du  document  primitivement  écrit,  je 
viens  de  le  dire,  en  1828.  (E-  H.) 


94  LES  ORIGINES 

renseignement  des  sciences  géographiques  a  été,  en  Allemagne 
surtout,  l'objet  de  la  plus  sérieuse  attention.  Pendant  que  les 
peuples  maritimes  ont  encouragé  à  Tenvi  les  expéditions  de  dé- 
couvertes, plusieurs  nations  continentales  ont  approfondi  de  leur 
côté,  avec  une  ardeur  extraordinaire,  l'étude  et  la  connaissance  du 
globe  ;  et  elles  ont  aussi,  comme  les  premières,  député  de  coura. 
geux  missionnaires  de  la  science  dans  les  contrées  les  plus  recu- 
lées. Ainsi  nous  avons  vu  et  nous  voyons  encore  la  Prusse,  l'Au- 
triche, la  Bavière,  la  Saxe,  tenter  des  découvertes  sur  terre  et 
sur  mer,  pendant  que  la  Russie,  l'Angleterre,  la  France,  l'Amé- 
rique du  Nord  couvrent,  pour  ainsi  dire,  le  monde  entier  de 
leurs  vaisseaux  explorateurs.  La  Suisse  elle-même  a  fourni  son 
contingent  de  voyageurs,  et  l'on  ne  voit  plus  guère  dans  l'inac- 
tion que  la  Hollande,  TEspagne  et  le  Portugal,  se  reposant  sur 
leur  gloire  passée.  Quelle' activité  en  Allemagne  pour  la  publica- 
tion des  travaux  des  voyageurs  et  des  conquêtes  de  la  science  ! 
Elle  se  glorifie  d'un  Ritter  et  de  tant  d'autres  géographes  illus- 
tres, qui  déjà  commencent  à  s'emparer  du  sceptre  de  la  géogra- 
phie, sceptre  si  longtemps  tenu  par  la  France,  alors  que  le  génie 
de  d'Anville  planait  sur  l'Europe  entière. 

Deux  causes  nuisent  en  France  au  progrès  de  la  géographie  : 
la  première  est  qu'elle  est  enseignée  d'une  manière  imparfaite  ; 
les  méthodes  sont  défectueuses,  et  quelquefois  on  enseigne 
sans  aucune  méthode.  Les  ouvrages  et  les  traités  français  sont 
la  plupart  arides,  incomplets  et  éloignés  d'être  à  la  hauteur  des 
connaissances  actuelles,  des  découvertes  progressives*.  On  ne 
traduit  pas  les  bons  livres  étrangers,  dans  la  crainte  malheureu- 
sement trop  fondée  de  ne  pas  couvrir  les  avances  de  la  publica- 
tion'.Les  cartes  élémentaires  pour  la  jeunesse  sont  trop  souvent 
mal  faites,  et  elles  ne  renferment  pas  les  résultats  des  excur- 
sions récentes;  les  bonnes,  du  moins,  sont  en  petit  nombre,  et 


1)  Depuis  quelque  temps  toutefois,  il  paraît  en  ce  genre  des  écrits  un  peu 
plus  solides,  où  l'on  découvre  des  vues  de  quelque  étendue.  Il  n'est  pas  question 
ici  des  travaux  scientifiques  des  Gossellin  et  des  Walckenaer, 

2)  Comment,  après  dix  années,  les  ouvrages  de  Ritter  n'ont-ils  pas  encore 
été  traduits  en  français  ! 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  95 

trop  chères.  C'est  surtout  le  manque  de  cartes  et  de  bonnes 
cartes  qui  est  dans  nos  écoles  le  vice  capital,  et  le  temps  ne  pa- 
raît pas  y  apporter  de  remède;  les  années  s'écoulent,  les  décou- 
vertes s'accumulent,  et  Ton  ne  voit  toujours  dans  les  mains  des 
élèves  que  des  atlas  insuffisans,  quand  ils  ne  sont  pas  déparés 
par  des  erreurs  choquantes. 

Une  autre  cause  de  l'imperfection  de  la  science  est  qu'on  ne 
trouve  pas  en  France  un  dépôt  général  des  productions  géogra- 
phiques. S'il  existait  complet,  ce  dépôt  remédierait  en  partie  aux 
inconvéniens  qui  viennent  d'être  signalés.  Qu'on  se  figure  un 
établissement  spécial,  réunissant  un  exemplaire  ou  une  copie  de 
toutes  les  cartes  gravées  et  manuscrites  qui  appartiennent  à  l'Etat  ; 
recevant  chaque  jour  les  nouvelles  productions  à  mesure  qu'elles 
paraissent  :  ouvert  à  la  jeunesse  studieuse,  au  navigateur  du 
commerce  qui  prépare  une  expédition  lointaine  ;  au  voyageur 
qui  veut  s'enfoncer  dans  les  terres  mal  connues  ;  au  savant  qui 
veut  comparer  les  travaux  de  tous  les  âges,  et  en  faire  jaillir  des 
vérités  utiles  pour  l'histoire  ;  aux  hommes  qui  ont  besoin  d'étu- 
dier la  force  des  Etats,  leur  puissance  et  leurs  limites  ;  au  natu- 
raliste qui  veut  étudier  ces  branches  nouvelles  de  la  science  ;  la 
géographie  des  végétaux,  celle  des  roches,  celle  des  animaux 
fixés  au  sol  natal  ;  au  physicien,  qui  ne  peut  assigner  les  lois  des 
phénomènes  dont  notre  globe  est  le  théâtre,  sans  en  avoir  la  pro- 
jection exacte  et  complète,  sans  connaître  tous  les  travaux  nau- 
tiques, la  direction  et  la  force  des  courans,  les  observations  de 
physique  dont  les  navigateurs  enrichissent  quelquefois  et 
devraient  enrichir  toujours  leurs  cartes  ;  à  l'historien  qui  n'a 
pas  moins  besoin  de  la  connaissance  parfaite  des  lieux  que 
de  celle  des  temps,  pour  se  guider  dans  le  labyrinthe  des  annales 
des  anciens  peuples  ;  à  l'astronome  enfin,  qui  s'occupe  de  fixer 
la  position  des  lieux  sur  la  terre,  à  l'aide  de  l'observation  du  ciel. 
Qu'on  se  représente,  disons-nous,  un  tel  dépôt  de  connaissances 
géographiques,  sans  cesse  complété  par  les  ouvrages  les  plus 
récens,  et  l'on  sera  aisément  convaincu  de  l'immense  service  qu'il 
rendrait  à  la  science  comme  un  centre  d'étude,  comme  un  ensem- 
ble de  recherches,  de  travaux  et  de  résultats  exacts  ;  comme  une 


96  LES    ORIGINES 

source  abondante  d'instruction,  nécessaire  et  ouverte  dans  tous 
les  instans. 

Sans  la  collection  des  nouveaux  voyages,  des  statistiques  gé- 
nérales et  spéciales,  et  des  descriptions  géographiques,  cet  éta- 
blissement n'aurait  qu'une  partie  de  son  utilité  :  il  faudrait  donc 
qu'on  y  trouvât  la  collection  de  tous  les  travaux  en  ce  genre  qui 
sont  l'ouvrage  des  savans,  des  voyageurs  et  des  géographes,  ou 
du  moins  tout  ce  qui  est  connu  jusqu'à  présent  en  France. 

Aujourd'hui  que  l'homme  a  beaucoup  avancé  le  plan  de  la  terre 
qu'il  habite,  il  a  encore  une  grande  lacune  à  remplir  :  à  mesure 
qu'il  y  parviendra,  de  nouvelles  recherches,  d'une  nature  essen- 
tiellement géographique,  viendront  enrichir  le  dépôt  qu'il  s'agit 
de  former,  nous  voulons  parler  du  nivellement  du  globe.  La  dis- 
tance verticale  des  lieux  à  la  surface  de  la  mer  est  au  moins  aussi 
importante  à  connaître  (si  elle  ne  l'est  davantage)  que  leur  dis- 
tance horizontale  à  l'équateur  ou  à  un  premier  méridien  ;  car  elle 
fait  connaître  la  position  des  sources,  l'inclinaison  des  rivières' 
et  la  pente  générale  des  bassins  des  fleuves.  Cette  donnée  manque 
aux  calculs  du  physicien,  de  l'économiste,  du  législateur.  Mille 
résultats  importans  y  sont  assujétis,  l'irrigation,  les  communica- 
tions, les  routes,  les  canaux  et  par  conséquent  l'agriculture,  le 
commerce  et  l'industrie  attendent  une  mesure  exacte  de  la  hauteur 
des  lieux.  On  comprend  partout  aujourd'hui  ce  que  ces  travaux 
offrent  d'utile,  et,  sans  doute,  ils  se  multiplieront.  Il  faut  les 
provoquer,  les  rassembler  et  les  conserver  avec  soin.  Il  est 
indubitable  que  la  connaissance  du  relief  du  globe  sera  un  jour  à 
elle  seule  une  nouvelle  géographie  qu'on  pourra  appeler  VBypso- 
métrie,  et  qui  sera  l'instrument  de  bien  des  améliorations. 

Enfin,  réunir  les  dessins  et  les  manuscrits  originaux  des 
voyages  qui  se  font  sous  les  auspices  du  ministère  de  l'intérieur, 
dispersés  et  trop  souvent  perdus  après  le  retour  des  voyageurs  ; 
rassembler  en  même  temps  les  collections  d'instrumens,  d'armes 
et  de  costumes  propres  à  donner  une  idée  des  mœurs  et  des 
usages  et  du  degré  de  civilisation  des  peuples,  serait  ajouter  un 
nouveau  degré  d'intérêt  à  l'établissement. 

Tel   est   l'ensemble   des   matériaux  que  le  Dépôt  général  de 


DU    MUSÉE  DETUNOGRAPHIE  97 

géographie  devrait  réunir  pour  être  porté  au  degré  d'utilité  que 
réclament  l'état  actuel  de  la  science  et  le  besoin  delà  société.  Ce 
n'est  pas  assez  qu'un  d'Anville  et  tant  d'habiles  hommes  aient 
porté  presque  partout  le  nom  français,  il  faut  encore  que  cet 
héritage  de  gloire  ne  soit  pas  abandonné  à  une  sorte  d'incurie 
qu'aujourd'hui  l'étranger  nous  reproche,  tout  en  s'emparant  d'une 
supériorité  que  nous  avons  laissé  échapper.  La  paix  qui  règne  sur 
presque  tout  le  globe  est  un  garant  des  succès  que  la  France 
peut  encore  se  promettre  pendant  une  longue  suite  d'années 
dans  cette  carrière  glorieuse.  Utilité  politique,  intérêt  des 
lettres,  avantage  du  commerce,  honneur  national,  que  de  motifs 
pour  que  la  faveur  publique  environne  le  nouveau  département 
scientifique  qui  vient  d'être  créé  par  un  prince  prolecteur  des 
lettres  et  des  sciences,  au  sein  du  plus  ancien  et  du  plus  bel 
établissement  littéraire  de  toute  l'Europe  !  Noble  et  grande 
pensée  qui  ouvrira  un  jour  la  carrière  à  ceux  que  leur  talent 
appelle  à  marcher  sur  les  traces  des  Ilumboldt,  et  qui  secondera 
merveilleusement  les  généreux  et  infatigables  efforts  de  la 
Société  de  géographie. 

No  XVII 

1  BIBLIOTHÈQUE  DU  ROI 

Parts,  15  janvier  1830. 
A  Son  Excellence  le  Ministre  Secrétaire  d'État  de  l'Intérieur. 
Monseigneur, 

Par  une  ordonnance  en  date  du  30  mars  1828,  S.  M.  a  ordonné 
la  formation  d'un  dépôt  de  géographie  à  la  Bibliothèque  du  Roi. 
Ce  dépôt  doit  recevoir  les  plans  et  cartes,  les  documens  statis- 
tiques, objets  et  instrumens  divers  produits  par  les  voyages 
scientifiques,  notamment  ceux  de  l'expédition  d'Egypte. 

Je  viens  demander  à  S.  E.   de   vouloir  bien  accorder  sa 

protection  à  ce  nouvel  établissement,  en  mettant  à  la  disposition 
de  l'administration  les  moyens  dont  elle  a  besoin 

Deux  autres  branches   de   la  collection  de   la  Bibliotiièque 


98  LES    ORIGINES 

peuvent  se   compléter  sans   frais,    ou   du  moins   avec  peu  de 
dépenses  :  1°  les  documens  statistiques;  2°  les  objets  provenant 

de  voyages  scientifiques 

...  En  deuxième  lieu,  plusieurs  voyageurs  récens  ont  rap- 
porté de  leurs  excursions  des  dessins  et  divers  objets  curieux 
qui  ne  rentrent  pas  dans  le  cadre  des  autres  collections  des 
Musées  royaux  et  qui  sont  relatifs  aux  usages  et  coutumes  des 
peuples.  Il  arrive  ordinairement  que  ces  personnes  sollicitent  les 
encouragemens  du  ministère  de  l'Intérieur  en  lui  offrant  les 
produits  de  leurs  voyages.  Ne  pourrait-on  pas,  par  voie  d'écbange 
ou  autrement,  se  procurer  ces  objets  pour  les  déposer  à  la  Biblio- 
thèque du  Roi?  C'est  ainsi  qu'il  serait  facile  peut-être  à  Y.  E. 
d'obtenir  de  M.  Bellenger  qui  a  réclamé  à  si  juste  titre  la  bien- 
veillance du  gouvernement,  ceux  des  objets  de  sa  précieuse  col- 
lection qui  n'appartiennent,  ni  à  l'histoire  naturelle,  ni  à  la  litté- 
rature  orientale 

Je  suis  avec  respect,  Monseigneur,  de  Votre  Excellence 
Le  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 

JOMARD, 


membre  de  rinstitut. 


N"  XVIII 

Paris,  17  mars  1831. 
A  M,  Rafinesque,  profes!>eiir  de  sciences  naturelles  à  Philadelphie. 

(Extrait) 

Monsieur, 
....Aujourd'hui,  je  vous  entretiendrai  d'une  affaire  qui  me 
regarde  personnellement,  comme  administrateur  du  départe- 
ment de  géographie  à  la  Bibliothèque  royale.  Ce  département 
comprend  la  géographie  proprement  dite  et  l'ethnographie.  Sous 
ce  dernier  rapport,  je  m'elTorce  de  réunir  les  objets  matériels  les 
plus  utiles  et  les  plus  instructifs,  comme  propres  à  caractériser 
le  degré  de  civilisation  des  peuples  peu  avancés.  Ce  sont  princi- 
palement les  instrumens  employés  dans  les  arts  de  toute  espèce; 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  99 

quelque  grossiers  et  informes  qu'ils  soient,  ils  ont  de  l'intérêt 
dans  une  série  plus  générale,  disposés  dans  un  ordre  compa- 
ratif * JOMARD. 

N°  XIX 

Paris,  le  3  juin  1831 

.-1  M.    le   chevalier   d'Abrahanison,  aide  de  camp  du  roi 
de  Danemark". 

(Extrait) 

...  Je  m'occupe  de  former  au  département  de  géographie  de 
la  Bibliothèque  du  Roi  une  collection  ethnographique.  C'est,  vous 
le  savez,  une  des  sections  de  ce  département,  mais  encore  au 
berceau.  Quel  moyen  y  aurait-il  de  l'enrichir  en  objets  provenant 
des  régions  boréales  ?  Intéressez,  je  vous  prie,  la  Société  royale 
des  Antiquaires,  dont  j'ai  l'honneur  de  faire  partie,  à  ce  projet 
scientifique.  Aujourd'hui,  dans  l'état  actuel  de  la  science,  on 
devrait  absolument  modifier  son  nom  et  l'appeler  l'Ethnographie 
ou  la  Géo-ethnographie,  car  les  lieux  et  les  hommes  sont  insépa- 
rables. La  Société  ne  peut  s'intéresser  aux  découvertes  géogra- 
phiques, sans  avoiren  vue  ses  relations  futures  avec  les  contrées 
inconnues  ou  mal  explorées,  et,  par  conséquent,  sans  chercher 
à  bien  connaître  les  mœurs  et  les  usages  des  peuplades.  Tous  les 
renseignemens    que  vous  pourrez   me   procurer,    en   attendant 

1)  Jomard  demandait  des  objets  d'ethnograptiie  indienne,  fiafinesque  répond 
en  offrant  de  procurer  une  collection  valant  de  2  à  3,000  francs.  Jomard  fait 
savoir  le  24  décembre  1834,  que  le  Conservatoire  de  la  Bibliothèque  royale  n"a 
pas  pu  réaliser  la  somme  et  accepte  l'oiïre  faite  par  Rafinesque  dans  une  lettre 
qui  ne  nous  a  pas  été  conservée,  d'envoyer  un  catalogue  détaillé  de  ses  illus- 
trations ethnographiques  sur  les  peuples  des  deux  Amériques,  de  ses  cartes 
rares  et  anciennes  non  comprises  dans  les  illustrations,  des  «  bonnes  cartes 
qui  se  publient  journellement)),  des  estampes  de  sites  pittoresques  et  dessins 
manuscrits  sur  ce  continent,  des  objets  d'antiquités,  usages,  cultes,  costumes, 
et  enfin  des  livres  rares  «  toujours  sur  l'Amérique  )>. 

2)  Le  chevalier  d'Abrahamson  s'occupait  principalement  de  pédagogie.  11 
s'était  attaché  à  propager  en  Danemark  les  méthodes  d'enseignement  mutuel; 
ses  relations  avec  Joaiard  s'expliquent  par  ce  côté  commun  de  leurs  préoccu- 
pations scientifiques.  l^'^-  "•) 


100  LES    ORIGINES 

mieux,  sur  les  objets  de  cette  nature  rassemblés  dans  les 
royaumes  du  nord,  seront  reçus  par  moi  avec  une  vive  recon- 
naissance. Une  collecliou  ethnog^raphique  doit  renfermer  tout  ce 
qui  tient  aux  usages,  aux  habitudes  des  tribus,  les  instrumens 
employés  dans  les  arts  et  les  sig'nes  extérieurs  des  croyances,  etc. 
Il  n^est  pas  d'outil  si  grossier  qui  ne  puisse  être  curieux,  en  le 
rapprochant  des  instrumens  et  ustensiles  analogues  des  autres 
nations.  Il  serait  trop  long  dans  une  lettre  de  développer  une 
matière  aussi  intéressante  :  c'est  ce  que  j'ai  fait  dans  plusieurs 
écrits  pour  déterminer  le  gouvernement  à  réaliser  enfin  une 
entreprise  qui  attend  l'exécution  depuis  plus  de  trois  années 

JOMARD. 

NoXX 

A  M.  Toulouza?i  [de  Marseille) 

(Extrait*) 

Paris,  10  octobre  1831. 

...Je  suis  bien  aise.  Monsieur,  que  vous  m'ayez  fourni  cette  oc- 
casion de  vous  entretenir  d'un  objet  qui  n'est  pas  sans  rapport 
avec  celui  de  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire. 
On  s'occupe  de  former  en  ce  moment  à  Paris  (et  selon  toute 
apparence  pour  la  Bibliothèque  du  Roi)  une  collection  d'objets 
ethnographiques,  c'est-à-dire,  rapportés  par  les  voyageurs  qui 

1)  Nicolas  TouloLizan,  le  correspondant  auquel  Jomard  adressait  cette  lettre, 
était  professeur  d'histoire  et  de  géographie  au  collège  royal  de  Marseille,  Il 
avait  pris  la  part  la  plus  large  dans  la  publication  de  la  Statistique  des  Bouches- 
du-Rhône,  véritable  monument  (4  vol.  in-4°)  élevé  sous  la  direction  du  comte 
de  Villeneuve,  préfet  du  département  (1821).  On  lui  devait,  en  outre,  un  grand 
nombre  de  mémoires  et  d'articles  sur  des  questions  d'archéologie  et  d'histoire 
locales,  d'économie  rurale,  etc.  Né  à  OUioules  le  6  mars  1781,  il  avait  alors 
cinquante  ans-,  il  est  mort  à  Marseille  le  27  mai  1840. 

M.  Paul  Armand,  secrétaire-général  de  la  Société  de  géographie  de  Mar- 
seille, qui  me  transmet  ces  renseignements,  n'a  pu  rien  me  dire  de  spécial  sur 
les  relations  de  Toulouzan  avec  Jomard.  «  Le  fils  de  Toulouzan,  m'écrit-il,  chef 
de  division  à  la  préfecture,  notre  collègue  à  la  Société  de  géographie,  est  mort 
le  28  octobre  1888.  Sa  bibliothèque  a  été  dispersée  au  feu  des  enchères  et  avec 

elle  a  probablement  disparu  la  correspondance  du  savant.  » 

(E.  H.) 


DU    MUSÉE   D^ETHNOGRAPHIE  104 

explorent  les  pays  peu  connus  et  propres  à  faire  connaître  l'in- 
dustrie et  les  arts  des  habitans  même  les  moins  civilisés.  Depuis 
longtemps  on  se  plaint  de  ce  que  les  instrumens  et  les  ustensiles 
de  cette  nature  sont  dispersés  après  le  retour  des  voyageurs  et 
souvent  anéantis,  faute  de  dépôt  spécial  pour  les  recueillir  et 
les  conserver.  La  plupart  sont  exportés  à  l'étranger  et  vont 
enrichir  les  musées  ethnographiques  de  Gôltingue,  Pétersbourg 
et  autres  villes  de  l'Europe.  S'il  en  reste  à  Paris  qui  échappent 
à  cette  destinée,  ils  sont  épars  et  sans  utilité.  La  plupart  vont 
s'enterrer  dans  d'ignobles  boutiques.  C'est  ainsi  que  l'histoire 
des  races  humaines  qu'il  est  déjà  temps  d'écrire,  perd  des  maté- 
riaux précieux. 

Je  voudrais  contribuer  à  faire  sortir  ces  curieux  objets  des 
maisons  de  bric-à-brac  où  ils  vont  s'engloutir  et  surtout  les 
enlever  aux  collections  étrangères, 

Aidez-moi,  Monsieur,  dans  ce  dessein  qui  intéresse  la  gloire 
nationale.  Toute  la  côte  nord  de  l'Afrique  vient  commercer 
avec  Marseille.  On  doit  y  transporter  à  tout  moment  des  objets 
curieux  et  instrumens  des  arts,  poids  et  mesures,  objets  servant 
aux  jeux  et  récréations,  au  culte  et  aux  superstitions,  au  travail 
des  métaux,  à  l'économie  domestique,  à  la  chasse  ou  à  la  pêche, 
des  tissus  variés,  des  instrumens  de  musique  et  mille  autres  qui 
font  connaître  l'état  de  la  civilisation  ou  le  degré  de  barbarie 
tels  que  les  armes  offensives  et  défensives  et  les  instrumens 
aratoires. 

Une  série  complète  de  tous  ces  objets  méthodiquement  classés 
formerait  un  des  musées  les  plus  instructifs  de  la  capitale. 

La  pensée  en  a  été  exprimée  dans  l'ordonnance  qui  a  fondé  à 
la  grande  Bibliothèque  nationale  un  dépôt  spécial  des  produc- 
tions géographiques  et  des  produits  des  voyages  scientifiques. 

L^établissement  renferme  déjà  un  certain  nombre  d'objets  de 
ce  genre.  Je  me  borne,  Monsieur,  à  signaler  à  votre  zèle  patrio- 
tique ce  court  aperçu  et  à  vous  demander  des  renseignemens 
sur  les  ressources  que  pourrait  offrir  la  ville  de  Marseille. 

JOMARD. 


CHAPITRE  III 


Collection  Lamare-Picquot.  —  Rapports  sur  cette  collection  à  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres,  à  la  Société  asiatique  et  à  la  Société  de 
géographie,  par  Abel-Rémusat,  Burnouf  et  Jomard. 


N°XXI 
INSTITUT    DE   FRANCE 

ACADÉMIE  ROYALE  DES   INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


RAPPORT 

SUR     LES    COLLECTIONS    d'oBJETS     RELATIFS     A    l' ARCHÉOLOGIE    ET    AUX 
RELIGIONS    DE    l'iNDE 

Rapportées  par  M,  Lamare-Picquot. 

L'Académie  nous  a  chargés,  MM.  E.  Quatremère,  Lajard  et 
moi,  de  prendre  connaissance  de  ceux  d'entre  les  objets  rap- 
portés de  l'Inde  par  M.  Lamare-Picquot,  qui  peuvent  avoir  de 
rintérêt  pour  Farchéolog-ie,  l'histoire  des  religions  orientales  et 
l'ethnographie.  Je  vais  avoir  l'honneur  de  lui  rendre  compte  de 
l'examen  auquel  nous  nous  sommes  livrés  pour  remplir  ses  inten- 
tions. 

Après  un  premier  voyage  au  Bengale  et  à  la  côte  de  Coro- 
mandel,  entrepris  de  1821  à  1823,  pour  des  alFaires  commer- 
ciales, M.  Lamare-Picquot  s'est  rendu  de  nouveau  dans  l'Hin- 
doustan,  en  1826,  avec  l'intention  de  rassembler  les  productions 
naturelles  de  cette  contrée  si  riche  et  si  intéressante  à  étudier 
pour  les  botanistes  et  les  zoologistes.  Dans  le  Bengale,  Dacca. 
Krishnagara,  les  comptoirs  européens,  sur  la  rivière  d'Hougli, 


104  LES    ORIGINES 

Calcutta,  Serampour,   Ghandernag-or,  Tchinsura,  les  bords  du 
Gang'o,  les  îles  qui  sont  situées  à  rembouchure  de  ce  fleuve; 
dans  le  Coromandel,  Madras,  Pondichéry,  Karikal,  furent  les 
principaux  points  sur  lesquels  il  dirigea  ses  recherches  en  histoire 
naturelle.  Les  résultats  qu'il  en  tira,  la  collection  qu  elles  ont 
produite,  ont  fixé  l'attention  de  l'Académie  des  Sciences.  Nous 
n'avions  point  à  nous  en  occuper  directement*.  Toutefois,  nous 
avons  vu  avec  plaisir  que  le  voyageur  n'avait  pas  négligé  un 
soin  qui,  dans  l'intérêt  de  l'histoire  des   sciences  naturelles, 
devrait  être  présent  à  la  pensée  de  tous  les  voyageurs  et  natura- 
listes, appelés  à  explorer  les  régions  plus  ou  moins  civilisées  de 
l'Asie  :  celui  de  recueillir  les  noms  par  lesquels  les  indigènes 
désignent  les  êtres  naturels  dans  leurs  langues,  soit  vulgaires, 
soit  savantes.  Il  faudrait  surtout,  et  c'est  ce  qui  a  été  demandé 
pour  augmenter  Futilité  de  ces  renseignemens  additionnels,  il 
faudrait  que  les  noms  fussent  écrits  avec  les  caractères  originaux, 
et,  autant  que  cela  serait  possible,  de  la  main  même  d'un  naturel 
instruit.  Cette  précaution,  si  elle  eût  été  prise  habituellement 
dans  les  voyages  scientifiques_,  eût  contribué  aux  progrès  des 
arts  et  de  l'industrie,  en  fournissant  des  synonymies  importantes 
et  facilitant  le  recours  aux  traités  de  médecine,  de  technologie 
et  d'agriculture,  composés  par  les  indigènes,  où  nous  aimerions 
à  puiser  la  connaissance  des  propriétés  et  des  usages  qu'une 
longue  expérience  a  fait  découvrir  aux  peuples  orientaux. 

Mais  vos  commissaires  avaient  surtout  à  faire  la  revue  des 
antiquités,  statues,  figurines,  bas-reliefs,  modèles  de  temples, 
peintures,  ustensiles  et  instrumens  qui  peuvent  servir  à  éclaircir 
quelques  points   des   usages  religieux  ou   civils   des  Hindous. 

1.  L'Académie  des  sciences,  à  la  date  du  9  mai  1831,  a  entendu  la  lecture 
d'un  «  rapport  sur  les  collections  ramassées  dans  les  Indes-Orientales  et  au 
Cap  de  Bonne-Espérance,  par  M.  Lamare-Picquot  »,  signé  de  GeolTroy  Saint- 
Hilaire,  Duméril  et  baron  Cuvier,  rapporteur. 

Nous  nous  bornerons  à  mentionner  ce  rapport,  exclusivement  consacré  à  des 
matières  d'histoire  naturelle  et  que  l'on  trouvera  réuni  dans  une  même  brochure 
in-4°,  par  M.  Lamare-Picquot,  avec  celui  que  nous  reproduisons  ci-dessus  et 
deux  autres  communiqués  à  la  Société  asiatique,  et  transcrits  plus  loin  sous 
les  n"^  XXII  et  XXIV,  note  2.  (E.  H.) 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  105 

M.  Lamare-Picquot,  par  un  zèle  louable,  n'a  négligé  aucune 
occasion  d'étendre  à  des  sujets  d'archéologie  l'attention  qu'il 
avait  principalement  vouée  aux  produits  naturels  du  sol  de  l'Hin- 
doustan.  C'est  à  Calcutta  et  dans  les  environs  qu'il  a  trouvé  le 
plus  grand  nombre  des  objets  qui  se  rapportent  au  culte  des 
Brahmanes,  Ceux  qui  tiennent  à  la  religion  bouddhique  provien- 
nent originairement  du  pays  des  Barmans,  d'où  ils  ont  été  enlevés 
par  suite  de  la  guerre  que  les  Anglais  ont  portée  en  1825  dans 
cette  contrée.  Quelques  autres  ont  été  trouvés  dans  les  îles  du 
Gange,  et  quoique  le  nombre  de  ces  derniers  soit  peu  considé- 
rable, ce  ne  sont  pas  les  moins  singuliers  de  ceux  qu'a  rassem- 
blés le  voyageur. 

M.  Lamare-Picquot  partage  en  deux  classes  les  morceaux  qui 
composent  sa  collection,  suivant  qu'ils  appartiennent  à  la  religion 
de  Brahma  ou  à  celle  de  Bouddha.  Nous  suivrons  aussi  cette 
division,  en  y  ajoutant  une  troisième  classe  pour  les  objets  rela- 
tifs aux  usages,  aux  coutumes,  aux  procédés  des  arts,  lesquels 
sont  plus  particulièrement  du  ressort  de  l'ethnographie. 

Les  représentations  des  divinités  brahmaniques  sont  au  nombre 
d'une  cinquantaine  environ.  Ce  sont,  en  diverses  matières,  en 
terre  cuite,  en  marbre,  en  bronze,  des  figurines  ou  des  bas-reliefs 
offrant  Brahma,  Vishnoit,  Shiva  et  sa  femme  Parvati,  Krishna 
et  sa  femme  Radha,  Garesa,  Bala-Rama  ou  Yishnou  enfant, 
Djagannâtha  (Jagrenat),  Dharmadeva  ou  le  dieu  de  la  loi  sous 
la  forme  d'un  bœuf,  Doiirga,  la  femme  de  Shiva,  Kali,  ou  la 
même  divinité  femelle,  avec  les  redoutables  attributs,  qui  la 
caractérisent  comme  déesse  de  la  mort  ou  avec  ceux  de  Djagad- 
dhâtri,  ou  protectrice  de  l'univers,  ou  dans  son  triomphe  sur 
Mahichaasoura ,  le  mauvais  génie  qui  l'avait  attaquée  en  prenant 
la  figure  d'uu  buffle.  Plusieurs  peintures  en  carton,  exécutées  par 
des  peintres  hindous,  représentent  divers  sujets  mythologiques. 
Une  grande  natte  offre  le  combat  de  Rama  contre  Ravana,  tyran 
de  l'île  de  Lanka,  sujet  pris  du  Ramayana  ou  du  Bagavata  Pou- 
rana. 

Outre  les  figures  des  divinités,  M.  Lamare-Picquot  a  réussi  à 
se  procurer  des  vases,  des  lampes,  des  réchauds  et  d'autres  instru- 


106 


LES    ORIGINES 


mens  dont  les  Hindous  font  usage  dans  les  pratiques  de  leur 
culte,  ou  qui  leur  servent  pour  les  différentes  circonstances  de 
leur  vie  domestique.  Il  a  rapporté  trois  ou  quatre  Berchocath  ; 
ce  terme  vulgaire  désigne  des  sculptures  en  bois  représentant 
une  sorte  de  tourelle  à  plusieurs  étages,  percée  à  jour  et  enrichie 
d'ornemens  et  de  peintures  variées^  lesquelles  sont  portées  dans 
les  cérémonies  funéraires  que  les  Hindous  font  en  l'honneur  de 
leurs  parens,  et  placées  ensuite  auprès  d'une  pagode  sur  les 
bords  du  Gange  ou  de  quelque  étang  consacré*.  H  a  fait  aussi 
exécuter,  en  plâtre,  des  modèles  exacts  de  diverses  formes  de 
temples  brahmaniques,  en  imitant  le  plus  soigneusement  possible 
le  style  indien;  soit  pour  la  forme  générale,  soit  pour  la  distri- 
bution des  ornemens  et  des  couleurs.  Une  sorte  de  fétiche 
trouvé  dans  une  île  du  Gange,  et  qui  représente  une  tête  sur- 
montée d'une  mitre,  grossièrement  modelée  et  coloriée  d'une 
manière  non  moins  grossière,  peut  être  regardée  comme  un 
spécimen  curieux  de  l'état  de  barbarie  où  les  arts  d'imitation 
sont  restés  long-temps  dans  les  parties  orientales  de  l'Inde  et 
notamment  au  Bengale. 

Les  figures  qui  se  rapportent  au  culte  de  Bouddha,  moins  nom- 
breuses et  moins  variées,  si  l'on  a  égard  aux  sujets  qu'elles 
représealent,  méritent  plus  d'attention  par  leur  dimension,  les 
matières  dont  elles  sont  faites  et  la  contrée  d'où  elles  ont  été 
rapportées.  Nous  avons  déjà  dit  que  le  voyageur  n'avait  pas  lui- 
même  dirigé  ses  courses  dans  le  pays  des  Barmans,  mais  qu'il 
avait  été  attentif  à  profiter  d'une  circonstance  heureuse,  celle  à 
laquelle  on  doit  la  possession  d'une  multitude  d'objets  de  culte 
et  de  livres  religieux,  produits  du  pillage  que  l'armée  indo- 
britannique a  fait  dans  les  provinces  de  l'Inde  au  delà  du  Gange 
en  1826,  et  qui  se  sont  répandus  en  grande  quantité  dans  les 


1)  J'ai  de  sérieuses  raisons  de  croire  que  l'un,  au  moins,  des  encombrants 
Berchocath  de  Lamare-Picquot,  et  quelques-uns  de  ses  moulages  de  modèles  de 
pagodes,  sont  restés  entre  les  mains  de  Jomard,  et  se  voient  dans  sa  collection 
au  Musée  Berthoud,  à  Douai.  Ce  sont  les  seules  pièces  que  j'aie  retrouvées 
jusqu'ici  de  la  grande  collection  asiatique  de  Lamare-Picquot. 

(E.  H.) 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  407 

possessions  anglaises,  d'oij  plusieurs  ont  été  apportées  à  Londres 
et  même  à  Paris.  La  collection  de  M.  Lamare-Picqu  ot  contient 
au  moins  trente  statues  de  Gaouatama^ ,  en  terre  cuite,  en  bois, 
en  cuivre,  en  marbre,  en  albâtre,  la  plupart  offrant  encore  des 
traces  de  dorure,  variant  entre  un  et  trois  pieds  six  pouces  de 
proportion.  Ce  personnage  est  constamment  représenté  à  l'état 
de  divinisation,  assis  dans  la  posture  de  l'extase,  la  tête  sur- 
montée du  tubercule  caractéristique  et  les  cheveux  annelés^  à 
moitié  nu  et  la  main  droite  pendante,  tel  qu'on  le  voit  figuré  sur 
les  planches  de  Pallas  (Samuel,  Hist.  nachr.,  u.  s.  w.,  t.  II,  pi.  II, 
fig.  1),  et  de  M.  Hodgson  {Tranmct.  of  theR.  Asiat.  Society,  t.  II, 
pi.  II_,  tig.  a  et  2).  Les  statues  qui  se  répètent  les  unes  les 
autres,  sauf  les  différences  de  matière  et  de  dimension,  et  qui 
sont  aussi  semblables  à  celle  que  possède  la  Société  Asiatique  de 
Paris,  montrent  la  constance  des  Bouddhistes  dans  leur  attache- 
ment aux  types  qu'ils  ont  adoptés.  Deux  seulement  portent  des 
inscriptions,  l'une  en  barman  et  l'autre  en  bengali.  Des  figurines 
en  bronze  ou  en  plomb  appartiennent  à  d'autres  divinités,  saints 
ou  agents  secondaires.  Nous  avons  distingué  un  petit  groupe 
que  le  voyageur  regarde  comme  plus  rare  que  les  autres,  et  qui 
représente  huit  divinités  assistant  à  la  naissance  de  Shakia.  Nous 
avons  vu  aussi  avec  intérêt  un  assez  grand  bas-relief  en  terre 
cuite,  d'un  travail  barman,  qui  doit  avoir  servi  de  couronnement 
à  la  porte  d'un  temple  et  dans  lequel  deux  lions  peints  de  couleur 
rouge  et  dans  l'attitude  du  repos,  et  séparés  par  une  Jtige  d'ananas, 
,  composent  un  ensemble  qui  rappelle  des  monumens  religieux 
célèbres  de  l'Asie  occidentale. 

Nous  passons  à  une  classe  d'objets  qui  n'ont  pas  un  rapport 
immédiat  aux  idées  religieuses.  Au  premier  rang  nous  devons 
placer  des  figures  représentant  des  personnages  Hindous  des 
deux  sexes,  des  hautes  et  des  basses  castes,  dans  le  costume  qui 
leur  appartient.  Les  corps  sont  en  terre  cuite  et  les  vêtemens  en 

1)  Le  texte  imprimé  porte  Gaonatuma.  C'est  évidemment  une  faute  typogra- 
phique. Le  Bouddha  birman  est  désigné  dans  les  travaux  spéciaux  dont  il  a  été 
l'objet  sous  le  nom  de  Gaitfnma.  Cf.  Bigandet,  The  life  of  the  Gautama  Piuddha. 
{Journ.  of  the  Ind.  Archipel.)  —  Etc.  (E.  H.) 


i08  LES    ORIGINES 

étoffes  réelles.  Le  but  qu'on  s'est  proposé  est  de  rendre  plus 
exactement  qu'on  ne  le  pourrait,  à  l'aide  des  meilleures  figures, 
l'habillement,  le  teint,  les  traits  du  visage  et  toute  la  constitution 
physique  des  diverses  classes  d'Hindous.  On  y  a  réussi  d'une 
manière  qui  rend  ces  figures  très  intéressantes  à  étudier  sous  le 
point  de  vue  des  races  humaines.  Plusieurs  sont  exécutées  avec 
une  rare  perfection,  et  pourtant  sont  l'ouvrage  des  Hindous  de 
Kishnagore',  qui,  depuis  quinze  ans  seulement,  se  sont  mis  à 
exécuter  ce  genre  de  travail. 

Après  ces  figures,  il  faudrait  énumérerles  produits  de  l'indus- 
trie des  Hindous,  tels  que  poterie,  ustensiles  de  ménage,  armes, 
instrumens  de  musique,  étoffes,  meubles  ;  mais  le  détail  nous 
entraînerait  trop  loin  et  répondrait  mal  à  l'intention  de  l'Aca- 
démie. Il  suffira  de  dire  que  l'étude  de  ces  différens  objets  pour- 
rait jeter  beaucoup  de  jour  sur  l'histoire  des  usages  et  des  habi- 
tudes de  plusieurs  nations  orientales  :  car  le  voyageur  a  réuni 
des  matériaux  du  même  genre,  quoiqu'en  nombre  moins  consi- 
dérable, pour  la  Chine,  le  Thibet  et  le  pays  des  Cafres. 

Les  détails  qui  précèdent,  quelque  succincts  qu'ils  soient, 
suffiront  peut-être  pour  donner  à  l'Académie  une  idée  des  collec- 
tions de  M.  Lamare-Picquot.  Dans  ce  cas,  la  mission  qu'elle  a 
bien  voulu  nous  confier  serait  remplie  et  nous  n'aurions  aucune 
conclusion  à  prendre  à  la  suite  d'un  rapport  purement  descriptif. 

La  Compagnie  serait  en  état  d'apprécier  le  degré  d'intérêt  et  le 
genre  particulier  d'utilité  qui  peut  résulter  pour  les  connaissances 
qu'elle  cultive  de  l'étude  directe  des  objets  qui  composent  ces 
collections.  Il  est  certain  qu'on  y  peut  puiser  immédiatement  un 
genre  d'instruction  que  ne  présentent  pas  toujours  les  meilleures 
relations  des  voyageurs.  Il  y  a  aussi  un  point  de  vue  qu'il  nous 
sera  permis  d'indiquer.  L'inspection  de  certains  objets  tenant 
aux  cultes  ou  aux  coutumes  nationales  peut  souvent  servir  à 
faire  mieux  entendre  le  texte  des  auteurs  qui  contiennent  des 

1)  Krishnagar  (Bengale).  —  Cf.  E.-T.  Hamy,  Études  ethnographiques  et 
archéologiques  sur  l'Exposition  coloniale  et  indienne  de  Londres.  {Rev.  d'Eth- 
nogr.,  t.  Vf,  p.  188,  etc.)  (E.  H.) 


DU    MUSÉE   d'ethnographie  109 

allusions  détournées  et  quelquefois  difficiles  à  saisir,  quand  on 
ne  connaît  que  par  les  descriptions,  les  choses  auxquelles  ces 
allusions  s'appliquent.  C'est,  entre  plusieurs  autres,  une  des 
raisons  qui  doivent  faire  désirer  qu'on  s'occupe  enfin  d'établir 
à  Paris,  ce  qui  existe  à  Pétersbourg  et  dans  plusieurs  villes 
savantes  de  l'Allemagne,  un  musée  ethnographique  où  puissent 
être  réunis  tous  les  objets,  de  quelque  nature  qu'ils  soient,  qui 
peuvent  servir  à  jeter  du  jour  sur  les  usages,  les  habitudes,  les 
procédés  des  arts,  des  nations  du  globe  où  la  civilisation  euro- 
péenne n'a  pas  encore  étouffé  les  restes  des  civilisations  indi- 
gènes. Un  des  motifs  qui  ont  engagé  M.  Lamare-Picquot  à  com- 
mencer sa  collection,  c'est  que,  durant  son  séjour  à  Paris,  il 
n'avait  vu  dans  nos  musées  aucun  des  objets  d'antiquité  qui 
l'avaient  frappé  à  son  premier  voyage  en  Orient.  Il  existe  pour- 
tant beaucoup  de  matériaux  de  cette  espèce  dans  différentes 
collections  ;  mais  ils  ne  forment  pas  d'ensemble  et  ne  sont  nulle- 
ment disposés  pour  l'étude.  C'est  une  lacune  qui  existe  encore 
dans  nos  établissemens  scientifiques.  Il  y  a^  chez  M.  Lamare- 
Picquot,  beaucoup  d'objets  qui  pourraient  aider  à  la  combler. 

Nous  avons  l'honneur  de  proposer  à  l'Académie  de  remercier 
M.  Lamare-Picquot  de  la  communication  qu'il  lui  a  faite;  de  lui 
exprimer  l'intérêt  qu'inspirent  les  efforts  qu'il  a  tentés  pour 
accroître  les  connaissances  relatives  aux  religions  et  aux  usages 
de  l'Inde,  et  de  l'inviter,  dans  le  cas  où  il  visiterait  de  nouveau 
les  mêmes  contrées,  à  continuer  des  recherches  qui  peuvent 
amener  d'utiles  résultats. 

Signé  :  Quatremère  ;  Félix  Lajard  ; 
Abel  Rémusat, 

Rapporteur. 

L'Académie  adopte  les  conclusions  de  ce  rapport. 

Certifié  conforme  : 

Le  Secrétaire  perpétuel, 

Dacier. 
8  avril  1831. 


110  LES    ORIGINES 

N»  XXII 
SOCIÉTÉ    ASL\TIOUE 


RAPPORT 

FAIT    AU    CONSEIL    DE    LA    SOCIÉTÉ    ASIATIQUE    SUR    LA 
COLLECTION    d'aNTIQUITÉS    INDIENNES 

De  M.  Lamare-Picquot. 

Vous  avez  chargé  une  commission  formée  de  MM.  J.  Mohl, 
Slahl  et  de  moi^,  de  vous  faire  un  rapport  sur  la  collection  d'anti- 
quités indiennes  rapportées  récemment  par  M.  Lamare-Picquot. 
Je  viens,  au  nom  de  cette  commission,  vous  exposer  les  résultats 
de  l'examen  auquel  elle  s'est  livrée. 

La  collection  de  M.  Lamare-Picquot  se  compose  d'un  nombre 
considérable  d'objets  relatifs  aux  deux  religions  les  plus  célèbres 
de  l'Asie  Orientale,  le  brahmanisme  et  le  bouddhisme  ;  d'usten- 
siles et  de  meubles  divers  destinés  aux  usages  religieux  et 
domestiques  chez  les  Hindous,  enfin  d'une  série  de  staluetles 
représentant  des  individus  appartenant  aux  castes  diverses  qui 
habitent  le  Bengale.  M.  Lamare-Picquot,  que  plusieurs  voyages 
dans  l'Inde  avaient  familiarisé  avec  les  usages  de  ce  pays,  fut 
frappé,  pendant  son  séjour  en  France,  en  1825,  de  l'absence 
d'un  dépôt  scientifique  où  se  trouvassent  réunis  les  monumens 
religieux  des  Hindous  et  les  objets  de  tout  genre  propres  à  jeter 
du  jour  sur  leurs  coutumes  et  le  caractère  de  leur  civilisation. 
Il  conçut,  dès  lors,  le  plan  d'un  nouveau  voyage  en  Orient,  dans 
le  but  de  rassembler  au  Bengale  et  à  la  côte. de  Coromandel  tout 
ce  qui  lui  paraîtrait  de  nature  à  satisfaire  la  curiosité  qu'excitent, 
depuis  plusieurs  années,  sur  le  continent,  les  usages  religieux 
et  domestiques  des  peuples  de  l'Inde.  C'est  à  cette  heureuse  idée 
et  au  zèle  avec  lequel  M.  Lamare-Picquot  Ta  mise  à  exécution 
que  l'on  doit  la  réunion  d'un  très  g-rand  nombre  d'objets  dont 
l'ensemble  éclaire  d'une  vive  lumière  les  habitudes  religieuses, 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  111 

les  coutumes  et  en  général  la  civilisation  des  peuples  de  l'Hin- 
doustan. 

De  fréquens  voyages  et  un  séjour  prolongé  dans  le  Bengale 
et  à  la  côte  de  Coromandel,  avaient  fourni  à  M.  Lamare-Picquot 
l'occasion  d'assister  aux  principales  cérémonies  du  culte  brahma- 
nique. Il  s'attacha  à  recueillir  les  images  des  divinités  que  les 
Hindous  exposent  dans  les  grandes  solennités  religieuses,  et 
qu'ils  détruisent  après  qu'elles  ont  reçu  leurs  hommages.  La 
réunion  de  ces  divinités  comprend  plus  de  trente  tableaux  sur 
toile,  sur  bois,  ou  en  terre  cuite,  représentant  la  triade  indienne, 
Shiva  couvert  des  cendres  du  Vibhoùti,  plusieurs  formes  de 
Dourgâ,  telles  que  KàHkâ  et  Djagaddhâtri,  Vichnou  et  ses  diverses 
incarnations,  entre  autres  Krichna  a.Yec Râd/iâ,  Râma^  Balarâma^ 
plusieurs  figures  de  Ganesha  et  de  Dharmadeva,  le  dieu  de  la 
justice,  spécialement  adoré  sous  la  forme  d'un  bœuf  :  la  collec- 
lion  de  M.  Lamare-Picquot  compte  plusieurs  Dharmadeva,  parmi 
lesquels  il  en  est  un  d'une  vérité  remarquable.  Un  nombre  égal 
de  statues  en  marbre,  en  terre  cuite  et  en  bois,  reproduisent 
avec  une  grande  exactitude  ces  mêmes  dieux,  et  particulièrement 
le  symbole  mystérieux  du  Lingam  sous  des  formes  diverses.  Mais 
de  toutes  les  images  des  divinités  indiennes,  les  plus  frappantes, 
comme  les  plus  variées,  sont  les  petites  figurines  de  bronze  au 
nombre  d'environ  quarante,  dont  plusieurs  se  recommandent  par 
leur  antiquité.  Les  plus  communes  sont,  comme  on  doit  s'y 
attendre,  celles  de  Ganesha  et  du  Lingam.  Indra  y  figure  monté 
sur  un  éléphant  richement  orné;  Krichna,  Balarâma,  Agtii, 
Pavana  y  sont  répétés  plusieurs  fois;  enfin,  nous  avons  surtout 
remarqué  un  groupe  de  Narasinha  avec  sa  Shakti  ou  son  énergie 
femelle,  qui  est  d^un  très  beau  travail. 

Au  nombre  des  monumens  religieux,  il  faut  compter  quatre 
pièces  de  bois  hautes  de  plus  de  sept  pieds,  que  l'on  nomme  au 
Bengale  Berchokath  ou  bois  dos  funérailles.  Ces  espèces  d'obé- 
lisques, à  plusieurs  étages,  sont  élevés  par  la  piété  filiale  au 
souvenir  d'un  père  ou  d'un  parent  chéri.  On  les  présente  à  la 
famille  du  défunt  réunie  dans  un  banquet  funèbre;  un  brahmane 
les  consacre  et  ils  sont  placés  en  terre  auprès  du  Gange  ou  d'un 


112  LES    ORIGINES 

étang.  Ils  doivent  rester  debout  pendant  une  année,  temps 
supposé  nécessaire  pour  que  l'àme  puisse  parvenir  au  séjour  des 
bienheureux.  Le  monument  est  soutenu  par  une  divinité  d'un 
ordre  inférieur  appelée  Dotton  (Devalâ?);  deux  éléphans  ou 
deux  tigres,  entre  lesquels  est  quelquefois  sculptée  une  tète 
d'homme,  supportent  le  second  étage  au  milieu  duquel  est  placé 
le  taureau  à  bosse,  image  de  Mrt/'m«f/cya;  au-dessous  s'élève  la 
forme  d'un  temple,  emblème  du  Kailàsa  ou  paradis  de  Shiva. 
M.  Lamare-Picquot  a,  en  même  temps,  cherché  à  se  procurer 
quelques  divinités  adorées  spécialementpar  les  castes  inférieures. 
De  ce  nombre  est  la  tète  grossièrement  sculptée  d'un  dieu  révéré 
par  les  bûcherons  qui  le  regardent  comme  leur  protecteur  contre 
les  attaques  des  tigres.  Elle  a  été  trouvée  dans  les  îles  boisées 
des  Sunderbunds.  Ce  n'est  pas  la  pièce  la  moins  curieuse  de  la 
collection,  et  il  faut  savoir  gré  à  M.  Lamare-Picquot  de  n'avoir 
pas  négligé  cette  divinité  rustique  pour  les  représentations  plus 
brillantes  et  plus  connues  du  culte  des  Brahmanes.  Elle  peut 
donner  une  idée  des  dieux  des  castes  presque  sauvages,  dont  les 
usages  et  les  mœurs  échappent  trop  souvent  aux  observations  des 
voyageurs. 

La  réunion  des  vases  et  objets  de  tout  genre,  employés  dans 
les  sacrifices  et  dans  les  cérémonies  religieuses  des  Brahmanes, 
forme  une  des  parties  les  plus  variées  de  la  collection  de  M.  La- 
mare-Picquot. On  y  remarque  les  vases  de  formes  diverses  qu'ils 
emploient  pour  leurs  ablutions  dans  le  Gange  et  dans  les  étangs 
consacrés,  tels  que  les  Kamandalou  pour  puiser  l'eau,  d'autres 
vases  en  terre  pour  le  culte,  dont  plusieurs  rappellent  le  Yoni  et 
sont  consacrés  à  Vkhion,  des  Sh^ouva  ou  cuillères  pour  verser 
le  beurre  clarifié  ,  avec  des  manches  surmontés  du  serpent 
Shecha;  des  boites  à  parfums  en  cuivre  ciselées  avec  soin  ;  des 
cassolettes  également  en  cuivre  pour  brûler  le  camphre  devant 
les  statues  des  dieux;  enfin,  des  lampes  de  toutes  grandeurs  en 
cuivre  et  en  terre.  Plus  de  vingt  modèles  en  plâtre  et  en  brique 
reproduisent  les  temples  les  plus  célèbres  du  Bengale  et  de  la 
côte  de  Coromandel;  divers  objets  de  l'adoration  populaire,  tels 
que  le  Limjam  et  Krichna,  sont  placés  sous  des  Mandapas  ou 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  113 

petits  temples  en  cuivre  d'un  travail  curieux.  Toutes  ces  pièces 
très  nombreuses,  et  qui  presque  toutes  sont  fort  bien  conservées, 
ont  le  mérite  de  donner  des  notions  précieuses  sur  les  céré- 
monies des  Brahmanes,  et,  en  voyant  ces  lampes,  ces  vases,  ces 
boîtes  à  parfum,  on  peut  se  faire  de  la  nature  et  des  détails  de 
ces  cérémonies  une  idée  bien  plus  exacte  qu'enlisant  les  descrip- 
tions minutieuses  des  voyageurs. 

La  partie  de  la  collection  de  M.  Lamare-Picquot  qui  est  relative 
au  culte  de  Bouddha,  quoique  moins  variée  peut-être,  n'offre 
pas  moins  d'intérêt;  elle  se  compose  de  plus  de  cinquante  statues 
de  grandeurs  et  de  matières  diverses.  La  plus  belle  n'a  pas  moins 
de  trois  pieds  et  demi  de  haut.  Les  statues  sont  en  marbre,  en 
albâtre,  en  bois  de  tek  doré  ou  recouvert  d'un  vernis  noir.  Une 
seule  est  de  cuivre,  et  il  y  a  lieu  de  croire  qu'elle  représente  ou 
un  personnage  de  la  triade  bouddhique,  ou  quelque  Bodhisattva, 
car  la  richesse  des  ornemens  dont  elle  est  chargée  contraste 
avec  la  simplicité  des  autres  Bouddha.  Plus  de  vingt-cinq  statues 
en  pierre  et  en  bois  doré  ou  argenté  et  un  nombre  égal  de 
figurines  en  cuivre  reproduisent  le  même  personnage  divin, 
assis  dans  l'attitude  d'une  méditation  profonde;  il  en  est  une  qui 
représente  le  dieu  les  mains  jointes  dans  la  position  appelée 
Kritândjali.  Parmi  les  pièces  en  cuivre  nous  avons  remarqué 
deux  morceaux  fort  intéressans  et  tout  à  fait  neufs  ;  l'un  repré- 
sente la  naissance  de  Shâkija  entouré  de  huit  divinités  gardiennes 
des  huit  points  du  monde,  et  l'autre  Bouddha  assis  sous  l'arbre 
Shâla,  dont  le  feuillage  est  artistcment  figuré.  Deux  morceaux 
non  moins  curieux  et  très  anciens  passent  pour  l'image  de  Mahà- 
mài/â,  la  mère  de  Shâkya.  Quoique  le  temps  ait  fait  disparaître 
les  signes  distinctifs  auxquels  on  pourrait  reconnaître  cette  divi- 
nité, on  peut,  avec  certitude,  la  rattacher  au  culte  de  Bouddha. 
C'est  aussi  à  cette  religion  qu'il  faut  rapporter  le  bas-relief 
représentant  l'animal  fabuleux  nommé  Rankos^  que  les  Tibétains 
et  les  Barmans  révèrent  comme  le  protecteur  des  temples  de 
Bouddha.  Ce  bas-relief,  sculpté  avec  soin,  représente  deux  de 
ces  animaux  ailés  enlacés  dans  les  feuilles  d'un  ananas  dont  le 
fruit  les  sépare. 

8 


H  4  LES    ORIGINES 

Votre  Commission  n'a  pas  examiné  avec  moins  d'intérêt  la 
série  de  figurines  en  terre  peinte,  qui  comprend  les  diverses 
castes  et  professions  des  deux  sexes  chez  les  Hindous  du  Ben- 
gale; elle  offre  une  galerie  à  peu  près  complète  de  tous  les  états, 
depuis  le  Brahmane  jusqu'aux  plus  basses  conditions  et,  ce  qu'il 
est  important  de  remarquer,  elle  se  recommande  moins  encore 
par  les  notions  précises  qu'elle  nous  donne  sur  les  distinctions 
extérieures,  et,  en  quelque  sorte,  sur  les  rapports  civils  de  ces 
castes  entre  elles,  que  par  les  variétés  de  races  qu'elle  révèle 
entre  la  plupart  des  individus  qui  les  composent.  Ces  variétés 
sont  marquées  par  des  nuances  très  tranchées  dans  la  teinte  de 
la  peau,  et  souvent  même  par  des  différences  plus  profondes 
dans  la  constitution  physique.  Aussi,  ces  quarante  statues,  qui 
embrassent  depuis  le  Brahmane  blanc  jusqu'à  l'esclave  presque 
noir,  donnent  les  moyens  de  vérifier  les  résultats  auxquels  a 
conduit  dans  ces  derniers  temps  l'étude  comparée  des  divers 
idiomes  de  l'Inde.  Nous  ne  craignons  pas  de  dire  que  c'est  une 
des  parties  les  plus  précieuses  de  la  collection  de  M.  Lamare- 
Picquot;  sa  nouveauté  et  son  importance  font  désirer  qu'un 
dépôt  public  s'enrichisse  de  ces  matériaux  dignes  de  former  la 
base  d'un  musée  ethnographique,  consacré  aux  peuples  de  l'Asie, 
musée  dont  le  progrès  des  études  orientales  fait  depuis  longtemps 
sentir  le  besoin  parmi  nous.  La  France  ne  possède  pas  encore 
de  dépôt  de  ce  genre,  et  il  serait  d'autant  plus  désirable  quelle 
put  acquérir  les  nombreux  objets  réunis  par  M.  Lamare-Picquot, 
que  cette  collection  deviendrait  ainsi  le  centre  auquel  ne  pour- 
raient manquer  d'aboutir  les  résultats  des  voyages  futurs  en 
Asie.  Le  dévouement  avec  lequel  M.  Lamare-Picquot  s'est  livré 
à  des  recherches  pour  lesquelles  il  n'avait  pas  de  guide,  la  per- 
sévérance qu'il  a  mise  à  les  poursuivre  malgré  les  obstacles  de 
tout  genre  qui  devaient  l'arrêter  dans  une  carrière  nouvelle, 
méritent  les  éloges  de  la  Société  Asiatique,  et  votre  Commission 
a  pensé  que  vous  aimeriez  à  les  lui  exprimer.  Elle  serait  heureuse 
que  le  témoignage  que  vous  rendrez  en  faveur  de  cette  collection 
put  concourir,  avecle  jugement  du  premier  de  nos  corps  savans', 

1)  Voy.  le  rapport  ci-dessus,  ii»  XXI. 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  115 

à  attirer  Tattention  du  gouvernement  sur  les  services  rendus  à 
la  science  par  ce  voyag^eur  zélé.  L'offre  généreuse  qu'a  faite 
M.  Lamare-Picquot  d'abandonner  à  l'Etat  la  totalité  de  ses  col- 
lections ethnographiques  et  d'histoire  naturelle  sont  des  titres  à 
la  faveur  et  aux  encouragemens  d'un  pouvoir  ami  des  études 
sérieuses.  L'acquisition  de  ces  matériaux  intéressans  aurait,  en 
outre,  l'avantage  d'assurer  pour  l'avenir  à  la  France  de  nouvelles 
richesses,  en  encourageant  le  zèle  de  M.  Lamare-Picquot  à 
recommencer  en  Asie  des  voyages  si  utiles  aux  sciences  natu- 
relles et  historiques. 

En  conséquence,  votre  Commission  vous  propose  d'arrêter 
que  les  efforts  de  M.  Lamare-Picquot  méritent  les  éloges  de  la 
Société  Asiatique,  et  en  même  temps  d^autoriser  M.  Lamare- 
Picquot  à  faire  connaître  publiquement,  s'il  le  juge  nécessaire, 
le  jugement  favorable  que  vous  portez  sur  sa  collection. 

Signé  :  J.  Mohl,  Stahl  ; 

EUG.  BURNOUF, 


Pour  copie  conforme 
Paris,  ce  4  mai  1831 . 


Rapporteur. 

EuG.  BuRNOUF, 
Secrétaire  '. 


N»  XXIII 
SOCIÉTÉ  DE  GÉOGRAPHIE 


RAPPORT 

SUR  LA  COLLECTION   ETHNOGRAPHIQUE  DE  M.    LaMARE-PiCQUOT, 

Par  une  commission  spéciale*. 

Depuis  que  les  connaissances  géographiques  sont  appréciées 

1)  Voir  aussi  sur  la  collection  Lamare-Picquot  le  rapport  fait  clans  V Assem- 
blée générale  de  la  Société  asiatique,  le  28  avril  1831,  reproduit  ci-après,  pièce 

no  XXIV,  2e  note. 

(E.H.) 

2)  Bulletin   de  la  Société  de  géographie,  t.   XVIi,   n»   106.   Février   1832, 
p.  86-96. 


116  LES    ORIGINES 

par  un   plus  grand  nombre  de  personnes,  el  ont  obtenu  dans 
l'opinion  le  rang  qui  leur  appartient,  on  a  mieux  conçu  le  but  et 
l'objet  de  la  science,  et  Ton  s'est  fait  une  plus  juste  idée  des  bran- 
ches dont  elle  se  compose.  Ce  n'est  pas  tout  de  connaître  les 
dimensions  exactes  d'un  espace  donpé  sur  le  globe,  la  distance 
mathématique  d'un  lieu  à    un  autre,  le  gisement  des  côtes,  les 
profondeurs  des  eaux  ou  le  relief  du  sol,   les  directions  et  les 
formes  des  chaînes  de  montagnes.  Toutes  ces  notions  sont  pré- 
cieuses et  indispensables  pour  la  navigation,  pour  les  communi- 
cations de  terre  et  demer,pourla  direction  à  donner  aux  rivières 
artificielles,  et  une  multitude  d'applications  à  la  vie  sociale.  Mais 
ce  n'est  encore  là  qu'une  partie  des  connaissances  que  doit  pro- 
curer la  géographie.  C'est  surtout  ce  qui  est  à  la  superficie  du 
sol  et  qui  habite  sur  cette  surface  qu'elle  doit  étudier  et  nous 
faire  connaître.  Or,  parmi  les  êtres  innombrables  qui  la  recou- 
vrent, aucun  n'est  plus  digne  de  notre  attention  que  l'homme,  et 
les  races  humaines,  si  diversifiées  pour  l'intelligence  et  les  habi- 
tudes, les  qualités  physiques  et  les  signes  extérieurs.  Connaître 
à  fond  les  différentes  branches  et  tribus  de  la  famille  humaine  est 
même  la  véritable  fin  de  la  science  géographique,  puisque,  des 
rapports  futurs  entre  elles  toutes^,  dérivera  pour  chacune  la  plus 
grande  somme  de  bien-être  et  de  prospérité.  L'ethnographie  se 
lie  ainsi  à  la  science,  ou  plutôt  elle  ne  fait  avec  elle  qu'une  seule 
et  même  science,  qu'il  faudrait  appeler  désormais  ethno-géogra- 
phie.  C'est  pour  cela  que  les  savants  navigateurs  à  qui  nous  de- 
vons les  dernières  explorations  dans  les  contrées  ignorées  ou 
peu  connues,  ont  mis  et  mettent  tant  de  soin  à  décrire  les  races 
diverses,  leur  physionomie  physique  et  morale,  les  produits  de 
leurs  arts  et  les  ouvrages  de  leur  industrie,  imparfaite  mais  ori- 
ginale. Ceux  qui,  aujourd'hui,  négligeraient  de  nous  peindre  les 
traits,  de  nous  retracer  le  langage  des  peuplades  lointaines,  se- 
raient lus  avec  moins  de  faveur  qu'autrefois,  et  leurs  relations 
n'exciteraient  qu'un  intérêt  médiocre.    Nous    n'avons    pas  ce 
reproche  à  faire  aux  chefs  des  expéditions   scientifiques  dont 
s'honore  la  France,  notamment  les  voyages  de  ÏUranie,  de  la 
Coquille,  de  l'Astrolabe.  Leurs  relations  sont  enrichies  de  re- 


DU   MDSÉE    d'kTHNOGRAPHIE  117 

marques  sur  tous  ces  points,  qui  caractérisent  les  peuples  et  leur 
degré  de  civilisation.  Les  voyageurs  qui  parcourent  l'intérieur 
des  continents  sont  appelés  à  faire  des  travaux  semblables,  à 
recueillir  les  observations  du  morne  genre,  et  à  rassembler  aussi 
les  objets  qui  se  rapportent  à  Y  ethnographie.  C'est  ce  qu'a  fait 
avec  succès,  surtout  sous  ce  dernier  rapport,  M.  Lamare-Picquot, 
dont  la  Société  nous  a  chargés  d'examiner  la  collection. 

Nous  devons  commencer  par  payer  un  juste  tribut  d'éloges  au 
zèle  de  ce  voyageur.  Il  a  fait  plusieurs  excursions  dans  l'Inde; 
d'abord  avec  le  dessein  d'enrichir  les  musées  d'histoire  naturelle, 
mais  les  circonstances  où  il  s'est  trouvé  lui  ont  donné  l'idée  et 
fourni  les  moyens  de  former  un  autre  genre  de  collection,  non 
moins  intéressant  pour  la  science.  Pendant  le  cours  de  son  pre- 
mier voyage  au  Bengale,  qui  a  duré  trois  années,  il  lui  fut  im- 
possible de  tirer  beaucoup  de  fruit  de  ses  recherches.  Mais  le 
second,  qui  date  de  1823,  fut  entrepris  dans  le  but  spécial  d'ob- 
server avec  soin,  et  de  recueillir  tout  ce  qu'il  trouverait  d'inté- 
ressant pour  l'histoire  des  peuples.  C'est  en  1826  qu'il  revint  sur 
les  bords  du  Gange.  Après  un  an  de  séjour  à  Calcutta,  employé 
à  préparer  ses  relations,  M.  Lamare-Picquot  s'établit  à  dessein 
à  Chandernagor,  lieu  propice  comme  point  de  départ  et  centre 
d'observation.  De  là  ses  excursions  ont  été  dirigées  :  1°  en  1827, 
au  nord  par  l'Hougly  et  le  Gange,  sur  Patna  et  les  lieux  voi- 
sins, sur  Gazipoor,  etc.;  2°  en  1828,  à  l'ouest,  dans  les  forêts  et 
les  environs  de  Rogonat-Gung,  Rogonapour  et  à  la  rive  droite  du 
Damoudour.  En  quittant  Chandernagor,  il  se  dirigea  sur  Burd- 
wan  par  la  rive  de  Mirzapour,  et  revint  par  le  Damoudour,  tra- 
versant le  canal  à  Oulberia,  qui  communique  depuis  quelques 
années  avec  l'Hougly,  et  revint  par  cette  rivière  à  Chandernagor; 
3*  à  l'est,  côté  moins  fréquenté  ou  peu  connu  des  Européens,  le 
voyageur  s'est  dirigé  par  le  canal  de  Keedrepour,  qui  sert  de 
communication  avec  les  branches  orientales  du  Gange  et  de 
l'Hougly.  Ici ,  pour  mieux  faire  connaître  l'exploration  de 
M.  Lamare-Picquot,  nous  allons  donner  un  extrait  des  notes 
qu'il  nous  a  communiquées  :  il  contribuera,  nous  l'espérons,  à 
augmenter  l'intérêt  qu'elle  inspire  par  ses  résultats,  et  à  recom- 


118  LES    ORIGINES 

mander  la  personne  et  les  services  de  ce  voyageur,  dont  on  ne 
saurait  louer  assez  le  dévouement  désintéressé. 

«  Le  dernier  voyage  de  M.  Lamare-Picquot  a  eu  lieu  pendant 
les  mois  de  décembre  1828  et  janvier  1829.  Il  avait  avec  lui  vingt- 
huit  personnes,  tant  marins  que  chasseurs,  préparateurs  et  deux 
domestiques.  Ces  contrées  sont  dangereuses  par  la  nature  des 
fièvres  qui  y  régnent  toute  l'année,  et  des  animaux  sauvages  qui 
peuplent  ces  vastes  solitudes,  que  les  Anglais  appellent  siindries 
ou  simder-bands.  Les  îles  renferment  plusieurs  petits  endroits 
habités  portant  le  nom  de  bazars  et  non  désignés  sur  les  cartes.  Il 
a  visité  la  ville  de  Dacca  et  les  grands  bazars  de  Culna,  Satalury, 
Baker  Gange.  Après  avoir  suivi  la  rive  droite  du  grand  Gange, 
il  est  revenu  vers  le  sud  aux  branches  diverses  de  ce  fleuve, 
telles  que  Harengotta  et  autres  peu  connues.  C'est  vers  ces  lieux 
et  au  centre  d'immenses  forêts  désertes  qu'il  a  rencontré  trois 
petits  bazars,  ou  réunion  de  plusieurs  cases  appelées  Tcham- 
paye,  Coëlha;,  Campoor,  tous  au  sud  de  Culna.  La  position  en  est 
difficile  à  préciser,  tant  ces  îles  sont  entrecoupées  de  canaux. 
Ce   sont  des  lieux  de  rendez-vous,  oii  les  bûcherons  viennent 
acheter  des  bambous  et  du  poisson,  ainsi  que  du  riz  que  les 
Indiens  du  nord  y  apportent.  On  vient  y  chercher  le  bois  pendant 
une  partie  de  la  mousson  nord-est,  du  mois  de  novembre  jus- 
qu'en février.  Le  sol  est  fangeux  et  l'insalubrité  de^  ces  îles  est 
funeste;  presque  toutes  ces  îles  sont  submergées  dans  les  grandes 
marées  et  lors  des  débordements  du  Gange;  cependant  quelques- 
unes  sont  assez  élevées  pour  servir  d'asile  aux  malheureux  qui 
ont  la  témérité  d'y  passer  la  mousson  sud-ouest,  du  mois  de 
mars  au  mois  de  septembre. 

<'  Les  individus  qui  y  résident  sont  musulmans,  d'un  caractère 
doux  ;  quelques-uns  sont  adonnés  au  vol,  et  vont  attendre,  vers 
le  nord,  les  voyageurs  qui  se  rendent  à  Dacca  et  à  Châtigan  ;  les 
cauries  sont  la  seule  monnaie  qui  soit  à  leur  usage  et  qu'ils  ac- 
ceptent. Dévorés  par  la  fièvre,  la  misère  ou  les  bêtes  farouches, 
ils  vivent  peu.  Ces  îles  sont  infestées,  comme  les  bouches  du 
fleuve,  par  les  crocodiles,  les  requins  et  les  dauphins.  La  végé- 
tation y  est  très  riche^  et  le  sol  garni  de  beaucoup  d'arbres  et 


DU  MUSÉE  d'ethnographik  H 9 

arbustes  particuliers  qui  se  plaisent  sur  ces  rives  inondées.  Peu 
d'Européens  ont  pénétré  dans  ces  solitudes.  Autrefois  la  Compa- 
gnie anglaise  y  envoya  quelques  pilotes  comme  explorateurs  ; 
mais,  depuis  très  longtemps,  elle  a  cessé  de  le  faire,  ayant  re- 
connu qu'aucune  de  ces  rivières  n'était  navigable.  Le  voyageur 
raconte  qu'il  était  pour  les  habitants,  à  cause  de  la  couleur  de 
son  teint,  un  objet  de  surprise  et  même  d'effroi. 

«  A  Chandernagor  et  à  Calcutta,  les  amis  de  M.  Lamare-Picquot 
avaient  voulu  le  détourner  de  ce  voyage,  à  cause  des  difficultés 
et  des  dangers  qu'ils  croyaient  insurmontables.  C'est  en  usant 
de  moyens  hygiéniques  pour  sa  nombreuse  caravane,  et  avec 
des  mesures  bien  combinées,  qu'il  est  venu  à  bout  de  son  entre- 
prise et  sans  grand  accident.  En  avril  1829,  il  a  quitté  le  Bengale. 
A  la  hauteur  du  cap  de  Bonne-Espérance,  le  tonnerre  est  tombé  à 
bord  du  navire,  a  détruit  tout  le  gréement,  et  il  a  fallu  aller  à 
l'Ile  de  France  pour  réparer  les  avaries.  Enfin  le  voyageur  est 
rentré  dans  sa  patrie  au  printemps  de  1830,  rapportant,  après 
quatre  années  d'absence,  la  précieuse  moisson  qu'il  avait  faite, 
déposée  dans  près  de  cent  caisses  de  toute  grandeur.  » 

C'est  de  ces  objets  qu'il  nous  reste  à  parler.  Déjà  les  savants 
naturalistes  auxquels  est  confiée  la  riche  collection  du  Muséum 
d'histoire  naturelle  ont  signalé,  dans  des  rapports  officiels,  l'im- 
portance et  la  nouveauté  des  objets  de  ce  genre  que  l'on  doit  au 
voyageur.  Nous  n'avons  pas  à  nous  en  occuper  ici,  et  nous  ren- 
voyons au  rapport  de  MM.  Cuvier,  Geoffroy  Saint-Hilaire, 
Duméril  et  Latreille.  L'Académie  des  belles-lettres  et  la  Société 
asiatique  ont  également  fait  connaître  leur  opinion  sur  les  objets 
relatifs  à  l'archéologie  et  aux  religions  de  l'Inde'.  Sans  entrer  ici 
dans  de  grands  détails  sur  les  antiquités  indiennes  de  la  collec- 
tion, sujet  traité  à  fond  par  ces  deux  compagnies  savantes,  nous 
nous  appliquerons  plus  particulièrement  à  ce  qui  regarde  les 
sciences  géographiques  et  ethnographiques. 

Les  circonstances  favorables  auxquelles  nous  avons  fait  allu- 
sion au  commencement  de  ce  rapport,  consistent  en  ce  que  les 

1)  Voyez  plus  haut  n"^  XXI  et  XXII.  (E.  H.) 


120  LES    ORIGINES 

soldats  anglais  revenus  de  la  conquête  du  pays  des  Barmans, 
faite  en  1825,  en  rapportèrent  au  Bengale  une  multitude  d'objets 
curieux.  M.  Lamare-Picquot  s'empressa  d'en  faire  l'acquisition. 
La  plupart  sont  relatifs  au  culte  de  Bouddha.  Ils  sont,  selon  lui, 
l'ouvrage  des  habitants  des  parties  orientales  du  Tibet.  Depuis 
trois  siècles  que  les  Européens  occupent  l'Inde,  ils  n'y  avaient 
pas  encore  porté  la  guerre.  En  1825,  les  temples  furent  pillés 
par  l'armée  anglaise,  et  c'est  ainsi  que  ces  objets  précieux  tom- 
bèrent pour  la  première  fois  au  pouvoir  des  Européens.  Les  sta- 
tues et  statuettes  de  la  collection  représentant  le  personnage  de 
Bouddha  sont  aussi  nombreuses  qu'elles  sont  variées  pour  les 
matières,  parmi  lesquelles  nous  citerons  le  bronze,  le  cuivre,  le 
marbre  doré,  le  plomb,  l'argent,  l'albâtre,  le  bois  de  tek  doré,  etc. 
Un  de  ces  Bouddahs  en  marbre  a  plus  de  treize  décimètres.  On  re- 
marque des  bas-reliefs  en  bois  où  estfiguré  l'animal  fabuleux  des 
bas-reliefs  de  Persépolis,  et  d'autres  objets  travaillés  aussi  par 
les  Barmans. 

Le  culte  de  Brahma  a  fourni  au  voyageur  plus  de  trois  cents 
statues,  statuettes,  figurines  ou  bas-reliefs  en  marbre,  en  terre 
cuite,  etc.  On  y  distingue  le  Dieu  forestier^  divinité  inférieure, 
protecteur  des  bûcherons  et  des  pêcheurs  contre  la  fureur  des 
tigres  et  des  crocodiles  :  cette  figure  a  été  trouvée  dans  l'île  la 
plus  méridionale  des  bouches  du  Gange.  On  remarque  encore  de 
grands  modèles  ou  imitations  des  temples  ou  pagodes,  en  plâtre 
et  en  terre  cuite,  ayant  deux  mètres  de  haut  ;  d'autres  sont  en 
cuivre. 

Les  nombreux  vases  recueillis  par  M.  Lamare-Picquot  sont 
destinés,  les  uns  aux  cérémonies  religieuses,  et  les  autres  aux 
usages  domestiques.  Ils  sont  en  cuivre,  en  terre  cuite,  en  pierre  : 
dans  le  nombre  sont  des  lampes  et  des  réchauds  servant  aux 
offrandes,  aux  sacrifices  et  aux  cérémonies  funèbres. 

On  trouve  dans  la  collection  des  tableaux  sur  toile,  représen- 
tant les  sujets  divers  de  la  mythologie  des  Indous  ;  plus  qua- 
rante-cinq figures  représentant  des  personnages  chinois  des  deux 
sexes,  travaillées  en  terre,  en  bois  et  autres  matières,  et  qui  se 
rapportent   aux  différentes  professions  civiles,   sans  parler  de 


DU   MUSÉE   d'eTHNOGRAPHTE  121 

quatre-vingts  autres  fragments  chinois  très  diversifiés,  en  marbre 
et  en  porcelaine. 

Nous  citerons  des  instruments  appelés  laipoor,  à  l'usage  des 
bayadères  ou  danseuses  ;  des  roullys  ou  bracelets  en  cuivre,  en 
laque;  des  modèles  de  palanquins,  des  pankas  (éventails),  à 
l'usage  des  dames  mongoles,  et  formés  d'une  grande  feuille  de 
mika  transparent,  des  boîtes  à  parfum,  des  instruments  de  mu- 
sique et  de  gymnastique  à  l'usage  des  Mongols  et  des  Tibétains, 
des  gourgoulis  (houka)  à  l'usage  des  deux  sexes,  semblables  aux 
narguilé  ou  caliun  (pipes  persanes),  des  instruments  à  corde  rap- 
pelant le  grand  rehab  des  Arabes  ;  les  armes  diverses  à  l'usage 
des  soldats  mongols  et  des  Tibétains^  telles  que  lances,  arcs, 
flèches,  le  dhall  (bouclier),  le  tarouar  (sabre),  le  tore  dar  (fusil  à 
mèche),  le  katak  (poignard)  ;  plus  des  poignards  tibétains  for- 
més de  deux  cornes,  à  l'usage  des  montagnards,  et  des  instru- 
ments de  jeux  jusqu'ici  inconnus. 

Parmi  les  objets  d'amusement,  on  distingue  des  règles  longues 
et  assez  larges,  travaillées  à  jour  et  en  spirales.  Des  pièces  mo- 
biles y  sont  ajustées,  et  quand  la  règle  est  debout,  ces  pièces 
abandonnées  à  la  pesanteur  descendent  le  long  de  l'hélice  avec 
bruit.  C'est  probablement  pour  récréer  ou  distraire  les  enfants 
que  ce  jeu  a  été  imaginé. 

Enfin  il  y  a  dans  la  collection  différents  meubles  et  ustensiles 
domestiques  à  l'usage  des  Indiens,  des  Mongols  et  des  Tibétains. 

Il  faut  insister  ici  sur  le  dunkara,  sorte  d'arc  très  grand,  dont 
la  corde  est  une  chaîne  en  fer  extrêmement  pesante,  mais 
cette  chaîne  est  composée  de  grands  anneaux  et  plaques  sonores  : 
il  est  à  l'usage  des  Tibétains  et  des  Mongols.  C'est  un  instrument 
de  gymnastique^  non  pour  tirer  de  l'arc,  mais  pour  exercer  les 
jeunes  gens,  et  donner  de  la  force  et  de  la  souplesse  à  leurs  mem- 
bres. En  efl'et,  celui  qui  s'exerce  doit  passer  la  tête  entre  l'arc  et 
et  la  corde,  ce  qui  exige  une  très  grande  force. 

Mais  une  des  suites  les  plus  curieuses  de  la  collection  est  une 
cinquantaine  de  figures  en  terre  cuite  représentant  les  différentes 
castes  des  Hindous  des  deux  sexes.  Cette  série  de  figures,  de 
trois  à  quatre  décimètres  d'élévation,  est  précieuse  sous  tous  les 


122  LES    ORIGINES 

rapports.  Non-seulement  elle  est  faite  dans  le  pays  même  et  par 
la  main  des  indigènes,  ce  qui  lui  donne  bien  plus  d'autorité  que 
les  dessins  des  voyageurs,  faits  plus  ou  moins  rapidement,  avec 
plus  ou  moins  de  fidélité,  et  ensuite  toujours  un  peu  altérés  par 
la  gravure  ;  mais  encore  elles  sont  exécutées  avec  une  adresse 
qu'on  n'aurait  pas  supposée  dans  les  artistes  du  pays.  Les  phy- 
sionomies surtout  sont  étudiées  avec  une  délicatesse  toute  parti- 
culière ;  les  traits  du  visage,  la  couleui"  du  teint,  la  chevelure  et 
tous  les  traits  de  la  conformation  extérieure   sont  retracés  avec 
un  soin  minutieux.  Ajoutons-y  les  poses  et  les  attitudes  des  per- 
sonnages des  deux  sexes,  les  instruments  et  les  attributs  des 
professions  diverses  et  des  conditions  civiles,  domestiques  ou 
religieuses  ;  p^r  exemple,  les  brahmes,  les  fakirs,  les  magistrats, 
les  artisans,  les  militaires,  et  jusqu'au  porteur  d'outre  à  eau^ 
qu'on  prendrait  pour  le  sacca  dÉgypte.  En  outre,  les  costumes 
sont  de  la  forme  exacte  et  de  l'étotïe  même  du  pays.  On  remar- 
quera encore  ici,  sous  le  rapport  de  l'art,  le  progrès  qu'ont  fait 
les  artistes  indigènes  pour  l'expression  des  muscles  du  corps  et 
de  toutes  les  parties  de  la  figure  humaine. 

Voilà  pour  ce  qui  regarde  les  objets  recueillis  dans  les  Indes 
orientales,  en  supprimant  un  grand  nombre  de  détails  minu- 
tieux. Mais  M.  Lamare-Picquot  n'a  pas  négligé  de  se  procurer  au 
Cap  des  objets  semblables  provenant  de  l'intérieur  de  l'Afrique. 
On  sait  que  l'industrie  des  Africains  est  plus  grossière  :  cepen- 
dant il  était  bon  de  recueillir  quelques  ouvrages  de  leurs  mains. 
Le  voyageur  a  rapporté  des  figurines  représentant  des  Cafres  et 
des  Hottentots  des  deux  sexes  avec  les  costumes  du  pays,  ainsi 
que  des  tabliers  ornés  de  perles,  des  costumes  plus  ou  moins  ri- 
ches, des  talismans  appartenant  à  des  princes  de  la  partie  orien- 
tale, tels  que  le  fanfoidi^  attribut  royal  que  le  prince  porte  à  la 
ceinture;  il  est  d'une  forme  compliquée,  bizarre  et  richement  garni 
en  argent  ;  ensuite  des  armes  et  des  armures  de  la  partie  nord- 
est,  des  boucliers  en  peau  d'hippopotames,  et  beaucoup  d'autres 
objets  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  ;  plusieurs  viennent  de 
Madagascar.  Quoique  d'un  aspect  peu  brillant  et  peu  flatteur  à 
l'œil,  tous  ces  ouvrages  de  l'industrie  orientale  et  africaine  sont 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  123 

bons  à  rassembler.  Ils  rempliront  des  lacunes  et  trouveront  place 
dans  une  bonne  disposition  méthodique. 

L'utilité  scientifique  d'une  collection  d'objets  de  cette  espèce 
est  la  première  chose  qu'on  doit  avoir  en  vue.  Il  ne  s'agit  pas 
seulement  de  les  rassembler  sans  ordre  ou  d'en  augmenter  le  nom- 
bredeplusenplus;  ilfaut  encore  qu'ils  soient  placésàla  portée  des 
sources  d'instruction  géographique,  c'est-à-dire  les  relations  des 
voyages  auxquelles  on  en  est  redevable,  la  description  des  lieux 
d'où  ils  viennent  et  des  peuples  qui  les  ont  façonnés,  les  cartes  du 
pays  d'oii  on  les  a  transportés  et  des  routes  qu'il  faut  suivre  pour 
en  recueillir  de  semblables,  ou  rapporter  des  objets  moins  connus. 
Tel  est  l'ensemble  des  moyens  d'instruction  qu'il  faut  rapprocher 
l'un  de  l'autre.  C'est  par  là  seulement  que  le  public  recueillera 
quelque  fruit  de  ces  collections,  et  c'est  alors  aussi  seulement 
que  les  gouvernements  seront  disposés  à  faire  des  sacrifices  pour 
acquérir  les  objets  d'ethnographie.  En  effet,  tant  que  ces  mor- 
ceaux ont  passé  pour  être  de  simples  pièces  de  curiosité,  sans 
aucun  rapport  avec  une  application  quelconque  aux  besoins  civils, 
au  commerce  ou  à  l'industrie,  on  conçoit  et  on  excuse  l'indiffé- 
rence avec  laquelle  ils  étaient  considérés.  Aussi  ceux  que  les 
voyageurs  ont  rapportés  avec  eux  depuis  un  siècle  ont  péri  pour 
la  plupart,,  ou  ont  été  disp'ersés  sans  aucun  résultat.  Nous  citerons 
un  seul  exemple  :  c'est  la  triple  collection  que  feu  Leschenaut  de  la 
Tour  a  transportée  à  Paris  et  dont  il  ne  reste  rien  dans  les  établis- 
sements publics.  Les  seuls  instruments  de  musique  auraient  dû 
déterminer  à  prendre  alors  une  mesure  pour  conserver  et  re- 
cueillir les  objets  de  cette  nature. 

Il  suit  de  ces  réflexions  que  l'on  doit  saisir  les  occasions  qui 
se  présentent  de  former  des  collections  d'ethnographie,  autant 
pour  le  progrès  de  la  science  et  des  études  géographiques  et 
historiques  que  pour  l'avantage  et  l'accroissement  de  nos  rela- 
tions avec  les  contrées  lointaines.  Nous  pensons  que  la  collec- 
tion de  M,  Lamare-Picquot  doit  être  placée  au  premier  rang  de 
celles  qu'il  est  désirable  de  posséder ,  pour  en  faire  jouir  la 
science  et  le  public  français.  Nous  pensons  aussi  que  ce  voyageur 


424  LES    ORIGINES 

a  bien  mérité  de  la  géographie,  et  qu'il  est  digne  des  éloges  de 
la  Société  pour  le  zèle  qu'il  a  déployé,  le  dévouement  dont  il  fait 
preuve  et  les  heureux  résultats   qui   ont  couronné  ses  efforts. 

Paris,  le  23  février  1832. 

Signé  :  Bianchi,  J.-B.  Eyriès  ; 

JOMARD, 

Rapporteur. 


CHAPITRE  IV 


Brochure  de  Jomard  sur  le  but  et  l  utilité  d'une  collection  ethnographique. 
Béponse  de  Férussac. 


N°  XXIV 

REMARQUES  SUR  LE  BUT  ET  l'uTILITÉ 

d'une 

COLLECTION    ETHNOGRAPHIQUE 

Et  les  moyens  de  la  former  '. 

L'état  actuel  des  sciences  géographiques  appelle  la  formation 
d'une  collection  spéciale  destinée  à  recevoir  les  produits  des 
voyages  lointains  (autres  que  les  productions  de  l'histoire  natu- 
relle), et  qui  sont  propres  à  éclaircir  les  mœurs  et  les  usages  des 
nations  et  des  peuplades  peu  connues.  Tel  serait  l'objet  principal 
d'une  collection  ethnographique,  supplément  utile  ou  même  né- 
cessaire aux  descriptions  géographiques  et  aux  relations  des 
découvertes.  Mais  quel  que  soit  l'intérêt  qu'une  telle  collection 
présente  pour  les  études  d'histoire  et  d'ethnographie,  l'on  ne 
propose  pas  ici  d'y  consacrer  un  nouvel  établissement  ;  d'abord 
parce  que  la  réunion  complète  des  objets  ne  peut  être  que  le 
fruit  du  temps  et  des  acquisitions  successives  ;  ensuite,  parce 

1)  Ces  remarques  forment  Yaxjpendice  (p.  63-92)  à  une  brochure  de  Jomard 
intitulée  :  Considérations  sur  l'objet  et  les  avantages  d'une  collection  spéciale 
consacrée  aux  cartes  géographiques  diverses  et  aux  branches  de  la  géographie. 
Paris,  Duverger,  1831,  br.  in-8o.  Ce  mémoire,  qu'il  eût  été  inutile  de  donner 
in  extenso,  contient,  en  outre,  p.  18-23,  un  paragraphe  sur  V ethnographie,  que 
l'on  trouvera  au  bas  des  pages  suivantes.  (E.  H.) 


126  LES    ORIGINES 

que  les  ressources  qui  pourraient  être  affectées  par  le  gouverne- 
ment à  cette  destination  scientifique  seront  nécessairement  bor- 
nées. Aussi  les  réflexions  qui  vont  suivre  s'appliquent  plus  par- 
ticulièrement à  un  établisssement  existant  et  dépendant  du 
ministère  de  l'Intérieur,  savoir  :  notre  grand  dépôt  scientifique 
et  littéraire  de  la  Bibliothèque  royale.  L'ordonnance  du 
30  mars  1828'  a  eu  entre  autres  buts,  celui  de  remplir  cette 

1)  Cette  ordonnance  veut  qu'on  réunisse  à  la  collection  géographique  les 
divers  objets  qui  proviennent  des  voyages  scientifiques,  ordonnéspar  le  ministère 
de  l'Intérieur  :  disposition  d'autant  plus  sage  que  ces  objets  sont  [dispersés  et 
souvent  perdus  au  retour  des  voyageurs;  je  pourrais  apporter  en  preuve  les 
voyages  de  feu  Baudin,  de  Leschenault  de  la  Tour  et  beaucoup  d'autres. 

Déjà  l'on  y  a  rassemblé  ceux  qui  provenaient  de  l'expédition  française  en 
Egypte  ;  des  fragmens  d'objets  modernes  recueillis  par  la  commission  qui  a 
publié  une  description  de  cette  contrée  par  ordre  du  gouvernement  ;  les  archives 
de  cette  commission  scientifique  ;  enfin  les  dossiers  originaux  de  l'expédition. 
On  doit  y  placer  dans  la  suite  les  produits  de  l'industrie  des  peuplades  lointai- 
nes, visitées  par  les  voyageurs  français. 

C'est  principalement  sous  le  rapport  ethnographique  que  cette  disposition  ac- 
querra de  l'importance,  aussitôt  qu'elle  pourra  être  réalisée  dans  le  local^conve- 
nable  que  l'on  prépare  en  ce  moment.  En  peu  d'années,  la  civilisation,  chez  cer- 
taines peuplades,  a  fait  des  progrès  tels,  qu'il  faudra,  si  l'on  veut  connaître  et 
conserver  l'histoire  des  races  humaines,  se  hâter  de  rassembler  les  élémens 
de  leur  état  natif,  non-seulement  leur  langage,  leur  écriture,  leur  physionomie 
propre,  mais  les  produits  mêmes  de  leur  industrie,  ouvrages  d'un  art  encore 
dans  l'enfance,  mais  qu'il  est  intéressant  d'observer  dans  ses  développemens. 
Ce  qui  se  passe  dans  l'Amérique  du  Nord,  chez  les  Cherokees,  dans  l'Océanie, 
aux  îles  Sandw^ich  (voyez  plus  loin  3e  note)  ;  l'imprimerie  étabhe  à  Eymeo  (où 
l'on  a  vu  le  roi  se  faire  imprimeur  lui-même),  et  tant  d'autres  exemples  qu'il 
serait  long  de  citer,  montrent  avec  quelle  rapidité  les  barbares  peuvent  adopter 
l'industrie,  les  moeurs  et  même  les  langues  européennes  et  abandonner  leurs 
idées  et  leurs  habitudes.  Une  collection  ethnographique,  formée  sur  un  plan  bien 
conçu,  ferait  voir  le  point  de  départ  de  la  civilisation  chez  les  peuples  sauvages 
et  ses  progrès  successifs.  Les  objets  curieux,  qui  se  perdent  ordinairement,  ou 
qui  sont  exportés  à  l'étranger,  seraient  ainsi  conservés  à  la  France  ;  enfin,  ils 
serviraient  de  supplément,  de  commentaire  ou  d'éclaircissement  à  la  description 
géographique  des  peuples  mal  connus  ;  ils  exciteraient  le  zèle  des  voyageurs  et 
stimuleraient  le  goût  des  voyages  ;  enfin  ils  formeraient  une  série  de  matériaux 
propres  à  donner  une  juste  idée  des  différentes  races  humaines,  classées  d'après 
leurs  caractères  physiques  en  même  temps  que  selon  leurs  notions  morales  et 
intellectuelles  et  les  fruits  de  leur  industrie. 

Outre  la  belle  collection  de  Gœtlingue  (voyez  plus  loin  l^e  note),  l'on  peut  citer, 
une  collection  semblable,  formée  dans  une  contrée  reculée  de  l'Europe.  La  France 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  127 

lacune,  remarquée  depuis  longtemps  par  les  bons  esprits,  signa- 

a  à  envier  à  la  Russie  le  Musôc  ethnographique,  collection  précieuse  dont  M.  Mer- 
tens  a  fait  don  à  l'Académie  des  sciences  de  Saint-Pétersbourg.  Les  objets  ont 
été  recueillis  principalement  dans  les  îles  du  grand  Océan.  Le  motif  qui  a  fait 
créer  ce  musée  est  précisément  le  même  que  celui  que  j'ai  mis  en  avant  plu- 
sieurs fois;  c'est  que  ces  objets  curieux,  ces  ustensiles,  ces  ornemens,  ces  vases 
et  ces  instrumens  divers  sont  de  vrais  raonumens  de  ^'industrie  des  peuplades 
et  qu'ils  deviendront  de  plus  en  plus  rares  et  précieux,  puisque,  même  dans 
certaines  localités  telles  que  Sandwich,  il  est  devenu  très  difficile  et  presque 
impossible  de  s'en  procurer. 

Parmi  les  ouvrages  de  l'industrie  extra-européenne,  il  semble  qu'on  devrait 
choisir  surtout  une  certaine  classe  d'objets,  comme  très  propres  à  caractériser 
le  degré  ou  le  genre  de  la  civilisation.  Je  veux  parler  des  instrumens,  qui  ser- 
vent à  exprimer  ou  à  transmettre  le  sentiment  musical,  mode  d'expression  inné 
chez  tous  les  hommes  ;  il  faudrait  s'attacher  à  réunir  le  plus  complètement  pos- 
sible tous  les  instrumens  à  vent,  à  corde  et  de  percussion  appartenant  aux  peu- 
plades. S'ils  sont  semblables  ou  analogues  à  ceux  dont  l'ancien  monde  civilisé 
a  fait  usage,  on  en  pourra  tirer  des  inductions  sur  l'origine  de  ces  peuplades; 
s'ils  en  diffèrent  absolument,  ils  donneront  lieu  à  d'utiles  remarques  sur  le 
génie  inventif  des  différentes  tribus  et  sur  le  goût  particulier  aux  hommes  des 
diverses  races.  On  peut  en  dire  autant  des  difîérens  jeux  et  des  objets  servant 
aux  exercices  gymnastiques.  Tous  ces  objets  dessinés  par  les  voyageurs,  sans 
vérité  ou  d'une  manière  fugitive  (quand  ils  ont  encore  le  temps  de  les  copier), 
perdent  encore  à  la  gravure  et  aucune  description  ne  peut  les  suppléer. 

Outre  les  armes  et  les  armures  de  toute  espèce,  il  faudra  rechercher  les  outils 
employés  dans  les  arts  et  le  travail  des  métaux,  les  ustensiles  variés  de  l'éco- 
nomie domestique  et  de  l'agriculture,  les  monnaies,  poids  et  mesures,  les  tissus 
de  tout  genre,  les  ornemens  de  parure,  souvent  très  riches  par  la  matière,  par 
la  forme  et  par  le  dessin;  puis  les  ornemens  et  les  symboles  du  culte  et  des  su- 
perstitions, tels  que  les  talismans,  les  trépieds  et  les  autels  portatifs,  les  divers 
signes  extérieurs  des  cérémonies  de  la  religion,  enfin  tout  ce  qui  constate  l'état 
des  mœurs,  des  préjugés  etdes  idées  sociales  et  religieuses.  Joignons  encore  à  cette 
énumération  les  peintures  elles  reliefs  qui  expriment  le  caractère  de  la  physiono- 
mie, quand  ils  sont  l'ouvrage  des  indigènes  même.  Je  n'en  excepterais  pas  cer- 
tains costumes,  comme  on  en  voit  dans  l'Afrique  centrale  et  occidentale,  dont 
les  voyageurs  ne  remarquent  souvent  que  la  bizarrerie,  mais  qui  éclaircissenl 
des  usages  civils  ou  religieux,  ou  des  superstitions  d'un  genre  particulier.  La 
collection  de  tous  les  instrumens  matériels  qui  servent  à  compter,  peser  et 
mesurer,  serait,  à  elle  seule,  d'un  haut  intérêt  ;  'que  de  matières  précieuses  et 
d'objets  des  trois  règnes,  mis  en  œuvre  parles  indigènes,  il  serait  avantageux  de 


reunir 


Si  les  Espagnols,  au  lieu  de  détruire  ou  de  laisser  disperser  les  ouvrages 
de  l'industrie  américaine,  les  produits  des  arts  des  Mexicains,  des  Péruviens  et 
surtout  de  l'Amérique  centrale  (*),  les  avaient,  au  contraire,  conservés  avec  soin 

{*)  a  11  est  à  présent  démuntré  que  la  péninsule  d'Yucatan  et  ses  monumens  appartiennent  à  une 


128  LES    ORIGINES 

lée  même  par  les  rapports  des  commissions  et  des  compagnies 
savantes  *. 

Il  ne  s'agirait  donc  que  de  réaliser  reffel  de  cette  ordonnance  j 
le  défaut  de  fonds  l'a  seul  empêché  jusqu'à  présent  de  recevoir 
son  exécution.  On  devrait  saisir  l'occasion  de  l'arrivée  à  Paris 
d'une  intéressante  série  d'objets  en  ce  genre,  rapportés  de  l'Inde 
et  de  l'Afrique  australe  par  M.  Lamare-Picquot.  L'Institut  de 
France  vient  de  porter  son  jugement  sur  le  mérite  et  l'intérêt  de 
cette  collection^  Le  moment  est  donc  favorable  pour  envisager 
la  question  sous  le  rapport  de  l'utilité  scientifique,  et  pour  pro- 
poser des  vues  sur  le  moyen  d'exécution  :  but  de  la  collection 
ethnographique  ;  convenances  et  avantages  de  l'établissement 
destiné  à  la  recevoir;  facilité  d'économie,  de  temps  et  d'argent 
dans  la  formation  de  cette  collection,  tels  sont  les  points  à  exa- 
miner ici,  et  les  conditions  à  remplir. 


et  rassemblés  dans  une  grande  collection;  si  l'on  avait  ainsi  constaté  la  situa- 
tion sociale  des  Américains  au  jour  de  la  conquête,  certes  on  aurait  aujourd'hui 
des  lumières  sur  leur  origine,  on  n'en  serait  pas  réduit  à  des  conjectures  sur 
ce  qu'il  faut  penser  de  l'état  primitif  des  aborigènes;  on  saurait  enfin  plus  posi- 
tivement, si  leur  civilisation  a  eu  plusieurs  sources,  plusieurs  degrés,  plusieurs 
périodes. 

i)  Voir  le  rapport  fait  au  ministre  de  l'Intérieur  en  1818  par  la  commission 
de  l'Institut  chargée  d'examiner  la  collection  de  Thédenat  du  Vent,  rapport  que 
j'ai  été  chargé  de  rédiger  ;  voyez  aussi  sur  le  même  sujet,  le  rapport  de  la  com- 
mission scientifique  attachée  au  ministère (*). 

2)  Voyez  plus  haut,  n»  XXI. 

époque  particulière;  que  le  système  d'architecture  et  de  sculpture  et  le  style  des  ouvrages  d'art  y 
diffèrent  de  ce  que  Ton  voit  dans  le  Mexique  proprement  dit.  On  peut  citer  en  preuve,  outre  les 
dessins  connus  jusqu'à  présent,  et  venant  des  voyages  de  Del-Rio  et  du  capitaine  Dupaix  à  Pa- 
lenqué,  les  collections  de  M.  Latour-Allard  et  .de  M.  BeuUoch,  des  fragmens  intéressans  rap- 
portés par  M.  Franck,  et  une  petite  collection  que  je  me  suis  procurée  depuis  deux  ans  ,  composée 
des  objets  rapportés  notamment  par  M.  Baradère.  Celle-ci  renferme  plusieurs  objets  provenant  des 
ruines  de  cette  ville  remarquable,  qu'on  a  appelée  la  Palmyre  du  nouveau  continent,  et  qui  sera 
peut-être  un  jour  surnommée  la  Thèbes  américaine.  On  y  trouve  des  ustensiles,  des  vases  et  des 
instrumens  très  curieux,  qui  non  seulement  annoncent  de  l'art  et  du  goût,  mais  encore  olfrentdes 
rapprochemens  singuliers  avec  l'ancien  continent.  Ces  similitudes  frappantes  ouvrent  dijà  un  vaste 
et  nouveau  champ  aux  recherches  sur  l'histoire  des  migrations  humaines.  » 

Les  collections  Latour-Allard  et  Franck,  dont  il  est  ici  question,  acquises  pour  le  Musée  Améri- 
cain du  Louvre,  sont  aujourd'hui  déposées  avec  les  autres  pièces  de  ce  Musée  au  Trocadéro.  La 
collection  de  Baradère  fait  partie  du  Musée  Berthoud  à  Douai;  j'ignore  ce  qu'est  devenue  la  collec- 
tion BeuUoch. 

(E.  H.) 

(*;  Malgré  des  recherches  très  attentives  il  a  été  impossible  de  retrouver  ces  documents,  soit 
aux  Archives  Nationales,  soit  à  l'Institut,  soit  enfin  au  Ministère  de  l'Instruction  publique. 

(E.  H.) 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  129 

L'énuméralion  des  objets  propres  à  entrer  dans  la  collection 
dépend  de  la  connaissance  distincte  du  but  qu'on  se  propose.  Or, 
ce  but  est  essentiellement  scientifique  :  il  consiste  principale- 
ment àfaire  connaître,  d'une  manière  exacte  et  positive,  le  degré 
de  civilisation  des  peuples  peu  avancés  dans  l'échelle  sociale,  en 
donnant  le  moyen  d'apprécier  leurs  ouvrages,  et  jetant  une  vive 
lumière  sur  l'état  de  leurs  arts  et  de  leur  économie  domestique, 
autant  que  sur  la  nature  de  leurs  idées  morales  et  religieuses.  Il 
faut,  pour  cela,  mettre  le  spectateur  en  présence  des  objets  eux- 
mêmes,  au  lieu  de  se  borner  à  placer  sous  ses  yeux  une  des- 
cription toujours  froide  et  incomplète.  Il  apprend  ainsi,  d'un 
coup  d'oeil,  à  juger  de  la  forme,  de  la  matière  et  de  la  nature 
même  des  objets  dont  il  s'agit  ;  il  en  comprend  mieux  l'usage  et 
la  destination  que  par  le  discours  seul  ;  les  usages,  les  mœurs  et 
les  coutumes  des  peuples  sont  par  là  plus  faciles  à  concevoir. 
Enfin,  avec  ce  secours,  l'observateur  philosophe  voit  mieux  par 
quels  progrès  Thomme  s'est  élevé  ou  s'élève  encore  de  nos  jours 
à  une  situation  perfectionnée,  en  imaginant  des  arts  nouveaux, 
en  inventant  des  outils  et  dos  instrumens  plus  ingénieux,  en 
devinant  quelquefois  des  arts  ou  des  procédés  que  l'Europe  n'a 
acquis  qu'à  l'aide  des  siècles.  Tel  instrument  de  gymnastique  en 
usage  chez  les  tribus  à  demi-sauvages,  tel  instrument  de  musique, 
tel  objet  servant  aux  jeux  et  aux  récréations  des  indigènes,  telles 
armures  ou  armes  offensives,  tel  instrument  propre  à  peser  les 
matières  précieuses,  tel  objet  de  goût,  en  or  ou  en  gemme,  tra- 
vaillé avec  recherche,  etc.,  etc.,  sont,  à  eux  seuls,  des  documens 
certains  sur  la  tendance  au  perfectionnement  et  doivent  servir 
à  faire  augurer,  pour  la  suite,  une  civilisation  croissante.  Cette 
question,  comme  on  le  voit,  se  rattache  immédiatement  au  ta- 
bleau moral  et  historique  des  peuples,  à  Y  ethnographie  propre- 
ment dite.  Il  se  lie  aux  considérations  tirées  du  caractère  des  na- 
tions, de  leurs  idées  dominantes  et  même  de  leur  langage  ;  car 
le  nom,  que  donnent  les  indigènes  à  ces  instrumens,  dépend  sou- 
vent de  la  forme  ou  de  la  matière.  Il  est  donc  utile  de  les  avoir 
sous  les  yeux,  pour  bien  savoir  ce  qu'en  disent  les  naturels,  pour 
mieux  concevoir  la  description,  et  surtout  Tusage  qu'ils  en  fout. 

9 


130  LES    ORIGINKS 

I]  ne  s'ag-it  point  ici  du  beau  clans  les  arts  :  mais  il  est  princi- 
palement question  des  objets  considérés  sous  le  rapport  de  l'uti- 
lité pratique  et  sociale,  de  leur  usage  économique  et  technolo 
gique,  c'est-à-dire,  des  progrès  dans  l'industrie  appliquée  aux 
besoins  ordinaires  de  la  vie.  Toutefois  il  serait  presque  impos- 
sible de  séparer  de  cette  série  les  objets  qui  se  rapportent 
aux  idées  morales  des  peuples,  à  leurs  rites  et  à  leurs  cérémo- 
nies, qui  servent  à  leur  culte  ou  sont  un  symbole  de  leurs  su- 
perstitions :  ils  trouvent  là  naturellement  leur  place,  même  ceux 
qui  sont  singuliers  ou  fantastiques,  parce  qu'ils  doivent  précisé- 
ment nous  éclairer  sur  le  goût  et  sur  la  tournure  d'esprit  des 
habilans.  Je  signalerai  même  ici  des  costumes  et  des  déguise- 
mens  bizarres,  en  usage  pour  les  divertissemens  ;  enfin  les  di- 
verses sortes  de  talismans  et  d'amulettes.  Toutes  ces  choses 
jettent  des  lumières  sur  Pétat  moral  des  tribus  et  des  peuplades. 
On  devrait,  selon  moi,  s'attacher  aussi  à  ce  qui  regarde  leurs 
jeux  et  leurs  amusemens  qui  reposent  sur  des  calculs  et  des 
combinaisons  :  c'est  là  une  source  de  remarques  curieuses  sur  le 
degré  d'intelligence  des  naturels. 

Par  l'étude  et  la  comparaison  de  tous  ces  objets,  on  serait  plus 
en  état  (ainsi  que  M.  Abel-Rémusat  l'a  judicieusement  observé') 
de  comprendre  les  passages  difficiles  de  certaines  descriptions 
des  auteurs  orientaux,  pour  ce  qui  regarde  les  rites  religieux; 
on  peut  ajouter,  pour  les  produits  naturels  travaillés  par  les  in- 
digènes avec  plus  ou  moins  d'habileté.  Ainsi  l'orientaliste  et 
l'observateur  philosophe,  aussi  bien  que  le  géographe  et  le  na- 
turaliste, sont  également  intéressés  à  la  réunion  des  matériaux 
dont  il  s'agit.  Tous  y  peuvent  puiser  une  instruction  qu'on  cher- 
cherait vainement  ailleurs.  Ainsi  les  ouvrages  de  ces  arts,  encore 
dans  l'enfance,  ne  seraient  plus  dédaignés  au  retour  de  nos  voya- 
geur?, qui  ne  savent  où  les  déposer  à  leur  arrivée  en  France  : 
circonstance  fâcheuse  sur  laquelle  nous  reviendrons  bientôt. 

Une  autre  considération  assez  importante,  déjà  exposée,  mérite 
ici  de  trouver  quelques  développemens.  Chez  plusieurs  peuples 

1)  Voyez  plus  haut,  pièce  ii"  XXI. 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  131 

de  la  mer  du  Sud_,  on  a  vu  la  civilisation  faire  en  peu  de  temps 
des  progrès  immenses.  Comment  conserver  et  écrire  l'histoire 
du  progrès  moral  et  intellectuel  des  races  humaines,  si  l'on  ne 
s'efforce  pas  de  recueillir  aujourd'hui  les  notions  positives  sur 
le  caractère  de  leur  physionomie  morale  et  physique,  et  les  pro- 
duits de  leur  industrie  naissante,  avant  que  celle-ci  n'emprunte 
aux  Européens  une  extension  peut-être  excessive  et  prématurée. 
Il  importe,  sans  doute,  que  notre  propre  industrie  se  fasse  des  tri- 
butaires en  Afrique  et  en  Amérique,  comme  dans  la  mer  du  Sud 
et  dans  l'Australie;  mais  ces  vastes  contrées  et,  par  exemple,  le 
monde  maritime,  sont-ils  bien  prêts  pour  recevoir  un  degré  de 
civilisation  si  avancée?  Ne  devrait-on  pas  procéder  avec  plus  de 
mesure  et  ne  faut-il  pas  d'abord  bien  constater  l'état  moral 
et  matériel  de  tous  ces  peuples,  afin  d'y  proportionner  les  efforts 
d'améliorations?  On  sait  qu'aux  îles  Sandwich,  Timprimerie, 
depuis  dix  ans,  a  été  introduite  avec  succès;  que  les  idées  des 
Européens  ont  pénétré  avec  leurs  arts  et  leurs  costumes,  et 
même  que  la  religion  anglicane  a  succédé  à  l'idolâtrie*. 

Un  phénomène  semblable  vient  d'être  observé  à  Eyméo.  On 
sait  que  les  Cherokees,  tribu  américaine,  ont  adopté  une  écriture 
semi-européenne,  pour  écrire  leur  propre  langue  :  ils  ont  fait 
plus,  ils  ont  un  journal*  et  une  constitution  libérale;  dans  peu, 
toutes  les  professions  européennes  y  seront  en  pratique.  Si,  à 
l'exception  de  l'Europe  et  de  quelques  contrées  privilégiées,  le 
genre  humain  est  resté  si  longtemps  dans  les  langes  de  la  bar- 
barie, il  n'en  peut  plus  être  de  même  aujourd'hui,  par  suite  des 
communications  continuelles  du  commerce  et  de  la  navigation, 
comme  avec  de  la  persévérance  et  du  temps,  on  viendra  proba- 
blement à  bout  de  faire  abandonner  aux  hommes  de  la  nature 
une  partie  de  leurs  habitudes  et  de  leurs  usages^;  il  est  urgent, 

1)  Hono-rorou  (Honolulu)  a  des  rues,  des  auberges  à  enseignes,  des  billards. 
La  flotte  de  Sandwich  fait  des  expéditions  et  compte  plusieurs  bricks.  Des  ré- 
gimens  y  sont  exercés  aux  manœuvres. 

2)  Le  Phenix-Cherokee;  c'est  le  pendant  du  Journal  du  Caire,  qui  a  apparu 
presque  en  même  temps  à  un  autre  bout  du  monde. 

3)  Il  n'est  pas  question  ici  des  missions  religieuses  dans  l'Inde  et  dans  la 
Chine. 


132  LES    ORIGINES 

en  quelque  sorte,  de  fixer  le  point  de  départ  de  la  civilisation, 
afin  d'apprécier  ses  développemens  et  ses  effets  successifs. 

Il  y  a  plus,  les  objets  dont  il  s'agit,  les  instrumens  et  usten- 
siles des  peuples  sauvages  commencent,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  à 
devenir  assez  rares  dans  leurs  propres  pays,  et  il  est  de  ces  con- 
trées où  l'on  aurait  de  la  peine  à  en  recueillir. 

Si  le  Muséum  d'Histoire  naturelle  de  Paris  a  pris  un  dévelop- 
pement qui  l'a  mis  au  premier  rang,  peut-être,  parmi  les  établis- 
semens  scientifiques  de  toute  l'Europe,  c'est  qu'il  a  reçu  et  con- 
servé, d'année  en  année,  toutes  les  richesses  naturelles  apportées 
par  les  voyageurs.  Pourquoi  n'en  serait-il  pas  de  même  des  objets 
ethnographiques,  qui  n'intéressent  pas  moins  la  géographie,  l'his- 
toire et  les  sciences  morales,  que  les  collections  de  plantes  et 
d'animaux  intéressent  le  naturaliste  et  les  sciences  physiques? 
Pourquoi  la  Bibliothèque  royale,  qui  est  aussi  un  vaste  musée, 
réunion  de  cinq  musées  différons,  n'aurait-elle  pas  aussi,  par  la 
suite,  ses  explorateurs,  avec  des  ressources  proportionnées  aux 
besoins  de  la  science  et  des  lettres?  N'est-il  pas  à  regretter  que, 
faute  d'un  lieu  central,  on  ait  laissé  périr  ou  disperser  des  objets 
précieux  rapportés,  depuis  trente  ans,  des  diverses  parties  de 
l'Asie  et  du  monde  maritime,  aussi  bien  que  de  l'Afrique  et 
des  deux  Amériques?  Or,  c'est  précisément  depuis  cette  époque 
que  les  explorateurs  ont  fait  le  plus  de  découvertes  par  tout  le 
globe.  11  n'en  est  pas  un  qui  n'ait  rapporté  quelques  objets  ins- 
tructifs pour  l'ethnographie;  mais  le  défaut  d'un  centre  commun 
est  cause  que  presque  tous  ont  été  dispersés.  Que  sont  devenues 
les  nombreuses  pièces  rapportées  par  feu  Leschenault  de  la  Tour 
et  par  un  grand  nombre  d'autres  voyageurs?  Ceux  même  de 
l'expédition  d'Egypte  n'ont  pas  été  tous  rassemblés,  mais  il  en 
reste  encore  beaucoup.  Plusieurs  des  voyageurs  de  cette  expédi- 
tion mémorable  seront,  sans  doute,  disposés  à  les  offrir,  aussitôt 
qu'il  existera  un  point  de  réunion. 

La  France  a  été  devancée  sous  ce  rapport  par  plusieurs  nations 
de  l'Europe,  et  même  par  la  Russie;  un  tel  état  de  choses  peut-il 
être  toléré?  N'entendons-nous  pas  souvent  les  étrangers  qui, 
après  avoir  admiré  nos  trésors  d'histoire  naturelle  et  nos  di- 


nu  MUSÉE  d'ethnographie  133 

verses  collections,  fout  des  réflexions  critiques  sur  notre  incurie 
pour  les  richesses  ethnographiques? 

Userait  superflu,  nous  le  pensons,  de  circonscrire  les  lieux  qui 
serviraient  de  théâtre  aux  explorations  des  voyageurs  ethnogra^ 
phes.  A  l'exception  de  l'Europe  civilisée,  presque  tout  le  globe 
habité  fournirait  des  matériaux  convenables  à  la  collection.  Il 
n'est  pas  une  seule  des  contrées  placées  en  dehors  du  système 
européen  qui  ne  pût  y  concourir.  Quelle  moisson  ne  ferait-on 
pas  dans  les  pays  du  nord  de  l'Inde  et  dans  l'Asie  centrale  !  Que 
d'objets  neufs  et  instructifs  à  rapporter  du  grand'  Océan  !  Enlin 
l'Afrique  tout  entière  est  à  exploiter. 

Par  les  détails  où  nous  venons  d'entrer,  nous  croyons  avoir 
suffisamment  tracé  la  démarcation  entre  les  objets  ethnographi- 
ques et  les  collections  d'un  autre  genre;  par  exemple,  celles  d'his- 
toire naturelle,  puisqu'il  s'agit  d'objets  ayant  été  travaillés,  pour 
servir  soit  à  une  destination  économique  ou  domestique,  soit  à 
un  usage  civil,  religieux  ou  militaire  ;  les  collections  d'antiquités^ 
parce  qu'ils  doivent  appartenir  aux  époques  modernes,  ou  du 
moins  à  des  peuples  autres  que  ceux  qui  composent  l'antiquité 
classique,  tels  que  les  Grecs  et  les  Romains,  les  anciens  Égyp- 
tiens, les  Perses  ;  avec  les  collections  des  beaux  arts,  parce  qu'ils 
sont  essentiellement  les  produits  des  arts  industriels  ;  enfin  avec 
les  monumens  de  l'écriture  et  des  langues,  Ainsi  le  lieu  où  on  les 
trouve,  l'époque  à  laquelle  ils  appartiennent,  et  la  nature  du  tra- 
vail les  distingueront  toujours  assez  des  objets  d'une  autre  espèce 
et  sans  aucune  crainte  de  confusion .  Qu'on  se  hâte  donc  de  remplir 
cette  lacune  ;  ce  n'est  pas  dans  la  capitale  de  la  civilisation  qu'on 
doit  regretter  plus  longtemps  l'absence  d'une  collection  sem- 
blable ,  il  suffit  d'ajouter  que  la  Russie,  la  Prusse  et  l'Angleterre 
et  d'autres  Etats  plus  petits  nous  ont  depuis  trop  longtemps  de- 
vancés. 

Quant  au  classement  des  objets,  il  devrait  être  fait  dans  un 
ordre  méthodique  et  non  dans  l'ordre  géographique,  pour  ofl"rir 
aux  recherches  un  plus  haut  degré  d'utilité.  C'est  d'après  la  na- 
ture des  choses,  c'est-à-dire  selon  leur  usage  et  leur  destination, 
et  non  d'après  l'ordre  des  lieux  et  l'espèce  de  la  matière  qu'il  fau- 


134  LES    ORIGINES 

drait  les  distribuer.  L'on  placerait  donc  à  la  suite  les  objets  du 
même  genre,  en  usage  chez  les  diverses  peuplades,  sous-divisées 
elles-mêmes  d'après  un  ordre  géographique  constant,  autant  que 
le  permettraient  des  séries  plus  ou  moins  "complètes. 

Il  nous  reste  à  présenter  des  vues  sur  les  moyens  d'exécution  ; 
c'est  ce  qu'on  va  faire  le  plus  succinctement  possible.  Outre  les 
objets  propres  à  former  la  collection  ethnographique,  et  dont  nous 
parlerons  tout  à  Theure,  il  faut  encore  trois  choses-  pour  que  le 
public  puisse  en  jouir  promptement  et  économiquement  :  un 
local,  des  arrangemens  intérieurs,  des  agens  chargés  de  la  con- 
servation. Nous  avons  bien  montré  la  nature  scientifique  et  litté- 
raire de  cette  collection;  ce  motif  seul  suffirait  pour  faire  choisir 
la  principale  bibliothèque  de  Paris,  si  le  choix  n'était  déjà  tout 
fait  par  l'ordonnance  du  30  mars  1828,  portant  qu'au  dépôt  de 
cette  bibliothèque  seront  réunis  les  objets  et  instrumens  divers 
produits  par  les  voîjages  scientifiques.  C'est  en  vertu  de  l'or- 
donnance que  cet  établissement  a  reçu  plusieurs  des  objets  pro- 
venant de  l'expédition  d'Egypte.  Le  local  est  donc  trouvé.  Les 
belles  constructions  qui  s'élèvent  en  ce  moment  rue  Vivienne 
fourniront  le  local  définitif  du  département  de  géographie,  qui 
aura  près  de  trois  cens  mètres  de  développement  ;  le  local  provi- 
soire actuel  est  lui-même  très  beau  et  convenable^  il  a  plus  de 
deux  cens  mètres  ;  c'est  quatre  fois  l'espace  suffisant  pour  ex- 
poser tous  les  objets  qu'on  pourrait  en  ce  moment  rassembler  à 
Paris. 

Les  agens  nécessaires  pour  la  garde  et  la  conservation  des 
objets  sont  également  tout  trouvés.  Il  n'y  a  pour  cet  objet  aucune 
espèce  de  frais  à  faire,  pas  plus  que  pour  le  local.  Le  conserva- 
teur du  département  de  géographie  et  ses  auxiliaires  suffisent  à 
ce  travail.  Quant  aux  dispositions  intérieures,  c'est  Tobjet  d'une 
dépense  très  modique,  ou  qui  ne  doit  pas  du  moins  être  d'une 
grande  importance.  Nous  venons  aux  moyens  d'opérer  la  réunion 
des  objets  ethnographiques  avec  les  moindres  sacrifices  possibles. 

1"  Il  est  d'abord  évident  que  si  l'on  veut  former  une  telle  collec- 
tion, dont  on  a  déjà  reconnu  et  proclamé  l'utilité,  et  en  faire  profi- 
ler la  science  le  plus  tôt  possible,  il  y  a  quelques  fonds  à  y  consa- 


DU  MiTSÉK  d'kthnographie  435 

crer.  Il  existe,  il  est  vrai,  des  fragmens  épars  qu'il  ne  faut  que 
rassembler;  mais  il  faudrait  joindre  à  ce  noyau  quelques  acqui- 
sitions, parmi  lesquelles  nous  indiquerons,  en  première  ligne,  la 
collection  intéressante  de  M.  Lamare-Picquot  '.  C'est  une  circons- 
tance heureuse  à  laquelle  on  en  est  redevable.  Ce  voyageur  était 
allé  deux  fois  dans  l'Inde  pour  un  tout  autre  objet  ;  mais  il  a  été 
servi  par  des  occasions  favorables  et  il  a  su  les  saisir  habilement  ; 
un  troisième  voyage,  s'il  était  aidé  par  le  gouvernement,  lui 
procurerait,  sans  nul  doute,  des  matériaux  encore  plus  intéres- 
sans  et  plus  riches.  Sa  collection  actuelle  est  composée  de  plus 
de  mille  articles,  dont  beaucoup,  à  la  vérité,  sont  doubles  et  tri- 
ples. Elle  embrasse  une  très  grande  variété  d'objets  en  tout  genre, 
relatifs  aux  coutumes,  aux  mœurs,  à  l'économie  domestique  et 
aux  arts  ;  des  instrumens  de  gymnastique  d'une  assez  grande 
proportion  ne  sont  pas  les  moins  remarquables  de  cette  collec- 
tion. Des  ouvrages  très  soignés,  appartenant  à  des  peuples  consi- 
dérés presque  comme  barbares,  méritent  une  attention  particu- 
lière. On  y  voit  qu'ils  ont  travaillé  avec  soin  les  métaux  et  les 
matières  végétales.  On  y  remarque  des  talismans  d'une  espèce 
particulière  et  beaucoup  d'autres  objets  relatifs  aux  superstitions 
et  aux  préjugés  des  indigènes.  On  distingue  surtout  de  nom- 
breuses figures  en  relief  et  faites  de  terre  cuite,  représentant  les 
différentes  castes  et  les  diverses  professions  des  Hindous,  avec  la 
physionomie  et  le  vêtement  propres  à  chacune  ;  ces  figures  sont 
travaillées  dans  le  pays  même  par  les  Hindous  de  Kishnagore  -, 
avec  un  certain  art.  Plusieurs  des  objets  relatifs  aux  religions 
viennent  du  Thibet  et  du  pays  des  Barmans  :  ils  ont  été  trans- 
portés à  Calcutta,  où  M.  Lamare-Picquot  les  a  recueillis.  11  serait 
superflu  de  décrire  plus  au  long  ces  objets  si  propres  à  éclairer 
l'ethnographie  des  Orientaux  et  celle  de  plusieurs  peuples  de 
l'Afrique  australe ,  puisque  l'Académie  des  Inscriptions  a  ex- 
primé à  cet  égard  une  opinion  très  favorable  ^  Il  importerait  de 

1)  Voyez  plus  loin  deuxième  note  et  ci-dessus  les  nos  XXI,  XXII  et  XXII   I. 

2)  Krishnagao,  Bengale.—  Cf.  Hevue  d'Ethnographie,  t.  VI,  p.  188,  etc.  1887. 

(E.  H.). 

3)  Voyez  le  rapport  de  M.  Abel  Rémusat  fait  au  nom  d'une  commission  spé- 


136  LES    ORIGINES 

ne  pas  laisser  échapper  l'occasion  de  réparer  les  pertes  que 
la  France  a  essuyées  en  ce  genre.  Le  voyageur  est  disposé  à, 
sa  collection  au  gouvernement  ;  il  serait  très  regrettable  que 
céder  ces  objets  curieux  et  instructifs  sortissent  de  France  et 
allassent  enrichir  un  musée  ethnographique  étranger. 

2°  Le  Musée  d'Histoire  naturelle  possède  un  certain  nombre  de 
produits  de  l'industrie  des  peuples  lointains  que  les  naturalistes 
y  ont  déposés  en  même  temps  que  leurs  collections  d'animaux  et 
de  plantes.  Il  paraît  que  ces  objets  sont  disponibles  dès  à  pré- 
sent pour  contribuer  à  former  la  collection  ethnographique  ;  un 
lieu  spécial  convient  mieux  à  cette  destination.  Les  greniers  du 
palais  de  l'Institut  renferment  aussi  plusieurs  objets  du  même 
genre  qu'on  a  apportés  autrefois  du  Louvre,  dans  un  temps  où 
l'attention  du  public  ne  se  portait  pas  de  ce  côté'. 

3"  La  conquête  d'Alger  ouvre  encore  une  fois  à  nos  armes  le  con- 
tinent africain.  Les  sciences,  aussi  bien  que  le  commerce,  devront 
en  profiter.  On  va  sans  doute  recueillir  des  objets  provenant  des 
tribus  de  l'intérieur.  Déjà  même  l'occupation  d'Alger  en  a  mis 
plusieurs  de  celte  espèce  au  pouvoir  de  l'armée  française.  11 
paraît  qu'il  s'en  est  trouvé  qui  intéressent  les  mœurs  et  les 
usages  des  peuplades  berbères  et  des  diverses  tribus  qui  habi- 
tent ou  avoisinent  l'Atlas,  tels  que  des  armes,  des  vases,  des 
instrumens  de  différentes  natures.  On  jugera  peut-être  con- 
venable de  les  demander  pour  enrichir  nos  bibliothèques.  Les 
découvertes  récentes  ont  fait  connaître  l'existence  ,  dans 
l'Afrique  centrale,  dans  le  Bornou  et  ailleurs*,  de  nombreux 
corps  de  cavalerie  revêtus  d'armures  semblables  à  celles  que 
portaient  les  cavaliers  numides.  Il  existe  à  Alger  de  ces  armures, 
et  on  doit  désirer  qu'elles  soient  apportées  en  France   :   il  est 

ciale  le  8  avril  dernier  {Moniteur  du  6  mai)  et  le  recueil  des  rapports  faits  s  u 
celle  collection,  in-4o,  20  pages. 

i)  Je  me  suis  assuré  qu'il  n'y  a  jamais  eu,  à  l'Institut,  de  dépôt  de  ce  genre. 

(E.  H.) 
2)  Allusion  aux  récits  et  aux  figures  de  Denliam,  Clapperton  et  Oudney  ré- 
cemment publiés. 

(B.  H.) 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  137 

facile  de  faire  réclamer  celles  qui  appartiennent  au  domaine  ou 
aequérir  les  autres  à  peu  de  frais.  Des  démarches  ont  déjà  été 
faites  à  cet  effet,  mais  elles  sont  restées  sans  suite  depuis  plus 
d'un  an*. 

4«  L'expédition  d'Egypte  a  procuré  un  certain  nombre  d'objets 
analogues  provenant  de  ce  pays  et  des  contrées  environnantes  ; 
on  doit  distinguer  surtout  les  instrumens  de  musique  moderne 
de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  qui  présentent  des  rapports  assez 
frappans  avec  les  instrumens  en  usage  chez  les  anciens.  Quel- 
ques-uns de  ces  objets  sont  déjà  déposés  au  département  de 
géographie.  Plusieurs  des  membres  de  l'expédition  sont  disposés 
à  y  joindre  ce  qu'ils  ont  rapporté  du  pays.  Nos  relations  d'amitié 
avec  le  gouvernement  d'Egypte  nous  feront  obtenir  facilement 
les  objets  du  Sennar  et  de  l'Abyssinie,  du  Kordofan  et  du  Dar- 
four,  et  par  suite  des  pays  de  Bargou  et  de  Bornou.  Le  dernier 
voyage  du  Defterdar  bey  dans  le  Kordofan  ^  a  procuré  Tacquisition 
d'objets  de  cette  espèce,  et  une  des  choses  curieuses  que  nous 
devons  à  cette  expédition,  c'est  une  carte  de  ce  pays  (jusqu'alors 
presque  inconnu)  et  ouvrage  du  Defterdar  lui-même.  Tout  im- 
parfait qu'il  est,  il  mérite  une  place  à  ce  double  titre  dans  la 
collection  géographique,  et  l'on  espère  qu'il  y  sera  déposé  ;  une 
carte  d'un  pays  ignoré,  dressée  par  un  Égyptien,  sera  vue  avec 
intérêt. 

5»  On  possède  des  instrumens,  des  ustensiles  et  d'autres  pro- 
duits curieux  de  Yindustrie  africaine,  recueillis  par  les  voyageurs 
français  qui  ont  pénétré  dans  la  Sénégambie,  MM.  Durantin,  de 
Beaufort  et  plusieurs  autres.  En  voyant  la  manière  dont  les 
Africains  travaillent  le  cuir  et  les  métaux,  notamment  l'or  et  le 
fer.  on  est  également  surpris,  et  de  ce  que  leur  état  social  est  si 
arriéré,  et  de  ce  que  les  Européens,  les  Français  en  particulier, 
n'aient  pas  su  mieux  profiter  du  goût  de  ces  peuples  pour  les 
parures  et  certains  produits  de  nos  arts.  Riches  de  leurs  produc- 

1)  On  a  vu  plus  haut  que  le  Musée  Dauphin  s'était  enrichi  d'une  partie  de  ces 
collections.  Le  Musie  d'Artillerie  en  a  eu  la  plus  large  part.         (E.  H.) 

2)  Cf.  A.  Peney,  Ethnographie  du  Soudan  égyptien.  {Rev.  d'Ethnogr.,  l.  I, 
p.  398,  484,  etc.,  1882.) 


138  LES    ORIGIiVES 

lions  en  tout  genre  et  des  abondantes  mines  d'or  de  Bambouket 
de  Bouré,  ces  divers  peuples  n'attendent  que  les  ouvrag-es  de 
notre  industrie  pour  les  échanger  contre  leurs  produits  naturels. 
Le  voyage  de  René  Caillé  a  fait  voir  que  c'est  à  Djenny  et  non  à 
Temboctou,  qu'il  faut  porter  nos  produits  ou  les  faire  parvenir 
par  la  voie  des  caravanes.  Alors  on  sera  maître  d'un  commerce 
immense  ;  car  la  population  de  ces  pays  répond  à  leur  grande 
fertilité,  et  plus  on  pénètre  dans  l'intérieur,  plus  on  trouve  les 
hommes  tolérans,  les  mœurs  douces  et  hospitalières.  Qu'on  y 
porte  le  commerce  au  lieu  de  la  guerre,  et  la  philosophie  au  lieu 
des  croyances  ;  que  l'humamté  à  son  tour  ait  ses  missionnaires 
et  l'Afrique  centrale  nous  ouvrira  ses  portes  comme  à  des  bien- 
faiteurs. Quelques  années  de  relations  amicales  y  feront  plus  que 
des  siècles  n'ont  pu  faire  dans  l'Inde  ou  la  Chine.  Voilà  sans 
doute  une  source  abondante  et,  quand  on  le  voudra,  très  pro- 
chaine, de  richesses  ethnographiques.  Il  suffit,  pour  cela,  qu'un 
ministre  éclairé,  patriote  zélé  autant  qu'homme  d'Etat,  entende 
la  voix  qui  appelle  à  grands  cris  ces  communications,  ces  amé- 
liorations si  désirées  par  le  commerce  et  l'industrie  de  la  France. 
Alors  la  science,  marchant  à  la  suite  des  progrès  de  l'industrie 
et  des  conquêtes  philanthropiques,  viendra  en  recueillir  le  fruit 
et  fournira,  en  retour,  de  nouveaux  moyens  d'investigation  et  de 
prospérité  commerciale. 

6"  Il  a  été  question  plus  haut  des  ouvrages  mexicains  qui  se- 
raient propres  à  enrichir  la  collection  ethnographique,  surtout 
sous  le  rapport  des  rapprochemens  que  l'on  veut  établir  aujour- 
d'hui entre  les  deux  continens.  La  même  remarque  s'applique 
aux  produits  péruviens  et  aux  objets  provenant  des  autres  con- 
trées du  Nouveau-Monde.  L'action  puissante  qu'exerce  aujour- 
d'hui la  république  des  Etats-Unis  sur  les  peuplades  indiennes, 
l'adjonction  successive  de  leur  territoire  au  sien,  tend  à  faire 
disparaître  par  degrés  le  type  natif  et  le  caractère  propre  des 
tribus  sauvages  et  jusqu'à  leurs  idiomes.  Il  faut  donc  se  hâter, 
pendant  qu'il  en  est  temps  encore,  de  recueillir  et  de  rassembler 
les  objets  matériels  propres  à  éclairer  le  tableau  moral  et  l'his- 
toire des  aborigènes.  Plusieurs  produits  intéressans  de  l'indus- 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  139 

trie  des  Mexicains  et  des  indigènes  de  l'Amérique  centrale  se 
trouvent,  en  ce  moment,  réunis  dans  la  capitale  ;  il  sera  peu  dif- 
ficile de  se  les  procurer.  On  y  trouve  des  fragmens  d'un  assez 
grand  intérêt  pour  la  connaissance  des  rites  et  des  usages  des 
natifs  et  même  sur  les  rapprochemens  à  faire  avec  l'Ancien- 
Monde.  Sur  deux  ou  trois  collections  de  cette  espèce  qui  sont 
ici,  une  sera  peut-être  offerte  au  gouvernement  à  titre  gratuit. 
On  y  remarque  des  objets  curieux,  tels  que  des  instrumens  à 
vent,  des  cachets  pour  empreinte,  des  vases  aussi  remarquables 
par  la  forme  que  par  la  matière,  des  miroirs  en  pyrite  et  en  pierre 
obsidienne,  des  terres  cuites  qui  représentent  le  caractère  de  là 
physionomie  d'une  manière  expressive,  des  matières  dures  tra- 
vaillées avec  art.  Des  fragmens  de  ce  genre  sont  utiles  et  pres- 
que indispensables,  pour  comprendre  les  dessins  et  les  figures 
de  toute  espèce  dont  sont  couvertes  les  peintures  mexicaines. 

7°  Les  collections  publiques  renferment,  la  plupart,  des  objets 
qui  ont  de  l'intérêt  sous  le  rapport  de  l'ethnographie,  mais  qui 
perdent  presque  tout  leur  prix  par  leur  isolement.  C'est  leur 
réunion  seule  qui  leur  donnera  une  véritable  utilité.  Cette  consi- 
dération d'intérêt  public  sera  peut-être  de  nature  à  frapper  les 
ministres  de  qui  dépendent  ces  collections,  et  à  leur  faire 
prendre  une  mesure  dans  le  sens  de  l'ordonnance  du  30  mars*. 
Mais  quand  même  on  laisserait  ces  objets  épars,  là  où  ils  se 
trouvent,  ce  ne  serait  pas  un  motif  pour  perdre  de  vue  le  but 
tout  scientifique  et  littéraire  d'une  collection  ethnographique,  et 
par  conséquent,  la  réunion  des  objets  disponibles  à  la  Biblio- 
thèque royale,  qui  en  possède  déjà  un  assez  grand  nombre. 

Enfin  il  existe  à  Paris  de  ces  mêmes  objets  chez  des  parti- 
culiers, des  amateurs  et  des  curieux,  ainsi  que  dans  des  maisons 
de  commerce  spéciales  ;  l'on  en  fait  des  ventes  assez  fréquentes, 
à  la  suite  desquelles  ils  se  dispersent,  se  donnent  à  vil  prix  ou 
sont  emportés  à  l'étranger.  On  peut  s'attendre  aussi  à  des  dons 
gratuits  lors  des  mutations  qui  ont  lieu  :  en  effet,  l'embarras  de 

1)  Jomard  vise  ici  manifestement  le  Musée  Naval,  dont  il  ne  parle  que  tout  à 
fait  en  passant,  en  tête  de  la  note  qui  suit  sous  le  nom  de  Collection  créée  au 
Louvre  pour  recevoir  les  modèles  des  constructions  navales.  (E.  H.) 


140  LES    ORIGINES 

les  loger,  leur  poids  et  leur  volume,  la  difficulté  de  les  vendre 
en  temps  utile  ou  avantageusement  engageront  les  possesseurs 
ou  leurs  héritiers  à  les  déposer  dans  un  établissement  public. 
En  tel  cas,  le  nom  des  donateurs  y  serait  inscrit,  en  signe 
de  reconnaissance  pour  leur  générosité  ou  celle  de  leurs 
familles. 

8°  L'on  peut  et  l'on  devrait  donner  à  nos  consuls  la  mission 
de  rassembler  des  o\y\&\.?>  ethnographiques .  Si  on  le  fait,  il  ne  faut 
pas  douter  de  leur  zèle  pour  contribuer  à  enrichir  une  collection 
nationale  d'un  genre  neuf  en  France;  ils  y  mettront  de  l'amour- 
propre  et  de  l'empressement.  Ce  que  l'on  paierait  très  cher  ici 
aux  voyageurs,  ils  peuvent  sur  les  lieux  mêmes  ou  parce  qu'ils 
sont  placés  favorablement ,  l'obtenir  au  moyen  des  échanges  ; 
ou  par  les  dons  des  personnes  de  leur  résidence,  intéressées  à  se 
ménager  la  faveur  du  gouvernement  ;  ou  enfin  à  des  conditions 
pécuniaires  peu  onéreuses  \ 

Nous  ne  prolongerons  pas  davantage  cette  indication  générale 
des  moyens  à  mettre  en  usage  pour  former  assez  promptement 
une  collection  ethnographique  ;  celles  qui  précédent  suffisent  sans 
doute  pour  en  montrer  la  possibilité:  autant  il  est  évident  qu'elle 
sera  très  utile  aux  sciences,  à  l'étude  et  aux  recherches  histo- 
riques, autant  il  paraît  facile  de  le  réaliser  dès  à  présent,  et  de 
commencer,  sans  retard,  à  en  faire  jouir  le  public  français  et 
étranger. 

En  résumé,  de  puissans  motifs  militent  en  faveur  du  pla- 
cement de  la  collection  ethnographique  à  la  Bibliothèque  royale  : 

h  L'ancien  noyau  qui  s'y  trouve,  et  qui  a  été  commencé,  il  y 
a  plus  d'un  siècle  ; 

2"  La  nature  de  cette  collection,  dont  l'objet  doit  être  tout 

(1)  La  collection  créée  au  Louvre  pour  recevoir  les  modèles  des  constructions 
navales  contient  plusieurs  objets  ethnographiques  intéressans;  il  en  existe  aussi 
au  dépôt  de  Versailles  et  ailleurs. 

Une  collection  japonaise  vient  d'arriver  à  Marseille  (voyez  plus  loin 
nos  XXXVIII,  etc.)  :  on  y  remarque  beaucoup  de  pièces  du  même  genre,  et  qui 
paraissent  tout  à  fait  neuves  en  France  ;  elle  renferme  des  objets  rares  de  Bor- 
néo, des  îles  de  la  mer  des  Indes  et  des  îles  de  la  mer  du  Sud.  Bien  d'autres 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  \i{ 

scientifique  et  historique,  et  non  Taliment  d'une  stérile  et  frivole 
curiosité  ; 

collections,  sans  nui  doute,  seront  signalées,  dès  qu'un  centre  sera  formé  et  son 
existence  connu  de  nos  navigateurs. 

PREMIÈRE  NOTE 

MUSÉUM    ETHNOGRAPHIQUE   DE    GOETTINGUE 

On  peut  être  surpris  de  ce  que,  dans  un  temps  où  l'on  fait  tant  de  choses 
pour  les  collections  relatives  aux  sciences,  on  n'ait  pas  encore  établi,  dans 
aucune  capitale  de  l'Europe,  un  Muséum  pour  la  géographie  des  divers  peuples 
de  la  terre,  qui,  disposé  d'après  un  plan  régulier,  fasse  voir  au  spectateur  la 
manière  de  vivre  de  ses  semblables  dans  d'autres  parties  du  monde,  et  sous 
d'autres  climats,  enfin  lui  montre  leurs  ustensiles,  leurs  vêtemens,  leurs  pa- 
rures, leurs  armes.  Le  cabinet  ethnographique  de  Gœllingue  peut  servir  de 
modèle  en  ce  genre;  il  fait  partie  du  Muséum  dont  il  occupe  deux  pièces;  il 
s'est  accru  peu  à  peu.  On  en  doit  le  commencement  à  la  libéralité  du  roi, 
qui  envoya  diverses  pièces  provenant  du  premier  voyage  de  Cook.  Le  désir  qui 
fut  manifesté  alors  de  posséder  quelques-unes  de  ces  curiosités,  en  procura  aus- 
sitôt UQ  grand  nombre.  A  la  mort  de  Forster  père,  la  collection  s'accrut  considéra- 
blement par  l'achat  de  la  sienne;  elle  serait  cependant  restée  bornée  à  une  seule 
partie,  si  un  événement  heureux  ne  lui  eût  fourni  de  grandes  richesses  dans  une 
autre;  elle  en  fut  redevable  à  la  libéralité  de  M.  le  baron  d'Asch,  mort  à  Saint- 
Pétersbourg,  et  qui  a  aussi  enrichi  la  collection  de  minéralogie,  ainsi  que  celle 
des  livres  russes.  Son  long  séjour,  comme  médecin  et  naturaliste  dans  la  capi- 
tale du  plus  vaste  empire  de  la  terre,  et  ses  liaisons  avec  les  provinces  les  plus 
éloignées,  lui  donnaient  la  facilité  d'obtenir  une  infinité  de  choses  curieuses. 
Tout  ce  qu'il  recevait  allait  à  Gœttingue.  Grâce  à  ce  bienfaiteur,  les  trésors  du 
Nord  se  joignirent  à  ceux  du  Sud,  De  cette  manière,  la  collection  s'est  étendue 
et  est  devenue  plus  complète  qu'aucune  de  celles  qui  existent. 

Elle  embrasse  tous  les  peuples  du  Grand  Océan,  tant  ceux  qui  habitent 
ses  îles  que  ceux  qui  vivent  sur  ses  côtes;  elle  commence  au  nord  par  l'extré- 
mité la  plus  septentrionale  de  la  Sibérie,  comprenant  les  Samoièdes,  les 
Tchouktchis  et  les  Kamtchadales,  puis  les  Kouriles,  les  Aléoutes,  les  indi- 
gènes d'Ounalaschka,  de  Kadiak  et  de  la  côte  nord-ouest  de  l'Amérique  ; 
elle  passe  ensuite  au  Japon,  à  la  Chine,  au  Tibet;  mais  elle  est  riche  surtout  en 
ce  qui  appartient  aux  archipels  du  Grand  Océan,  tels  que  ceux  des  îles 
Sandwich,  de  la  Société,  des  Amis,  des  Marquesas  et  principalement  de  la  Nou- 
velle-Zélande. Même  les  misérables  Pécherais  de  la  Terre  de  feu,  qui  vivent  sur 
le  point  du  globe  le  plus  avancé  au  sud,  ont  fourni  un  collier  de  coquilles  à  la 
collection.  Les  objets  sont  rangés  par  classes  de  la  manière  suivante:  habil- 
lement, parure,  ustensiles,  armes,  idoles.  La  première  offre,  soit  des  échan- 
tillons, soil  des  pièces  entières  d'étoffes,  faites  d'écorce  d'arbres,  unies  ou 
teintes,  ainsi  que  les  ustensiles  qui  servent  à  les  fabriquer  ;  des  nattes  tressées 
avec  un  art  infini;  des  vêtemens  complets  en  lin  de  la  Nouvelle-Zéland«  ;  des 


142  LES    ORIGINES 

3°  Sa  liaison  étroite  avec  la  géographie  et  ses  progrès  ; 

tiges  de  ce  végétal  en  nature.  Ensuite  viennent  les  étoffes  de  soie  et  les  belles 
ouates  du  Japon;  les  tuniques  contre  la  pluie,  faites  en  peau  de  poissons  et 
les  vêtemens  en  pelleterie  de  Kadiak  et  de  la  côte  nord-ouest  d'Amérique,  les 
habits  d'été  et  d'hiver  des  Samoïèdes,  des  Tchouktchis  et  des  autres  peuples 
de  l'extrémité  septentrionale  du  globe. 

La  classe  des  parures  est  encore  plus  riche  ;  beaucoup  de  colliers  et  de  bra- 
celets en  coquilles,  en  os.,  etc,  l'appareil  pour  tatouer,  le  costume  de  deuil  de 
Taïti  complet,  la  parure  de  guerre  des  chefs  des  îles  Sandwich,  l'ornement  des 
Chamans  de  Sibérie,  complet  avec  leur  tambour  magique.  Les  ustensiles  de 
pêche  remplissent  seuls  une  armoire  ;  il  serait  difficile  d'inventer  une  forme 
d'hameçon  qui  ne  s'y  trouve  pas.  Parmi  les  armes,  se  distingue  la  belle  lance 
des  îles  Sandwich,  si  bien  polie.  Les  instrumens  de  couture  du  nord-ouest  de 
l'Amérique,  les  arêtes  qui  tiennent  lieu  d'aiguilles  et  le  fil  tiré  des  tendons 
d'animaux  marins,  ne  sont  regardés  qu'avec  une  certaine  défiance  par  les 
dames,  mais  les  ouvrages  qu'elles  voient  auprès  et  qui  sont  plus  délicatement 
et  plus  régulièrement  faits  que  ceux  qui  sortent  de  leurs  mains,  dissipent  tous 
leurs  doutes  à  cet  égard.  Cet  exposé  suffit  pour  faire  connaître  combien  cette 
collection  possède  d'objets  intéressans  et  combien  il  en  manque  encore,  puis- 
qu'elle ne  comprend  que  les  régions  de  la  terre  nommées  plus  haut.  Elle  est 
d'ailleurs  très  utile,  car  elle  sert  non  seulement  à  satisfaire  la  curiosité  des 
étrangers,  mais  aussi  à  fournir  des  explications  pour  les  cours  da  géographie 
qui  ont  lieu  tous  les  étés  (Extrait  des  Nouvelles  Annales  des  Voyages, 
tome  III). 

Nota.  Les  collections  de  Berlin,  encore  plus  importantes,  et  celle  qui  a  été  formée  à  Weimar 
mériteraient  ici  une  mention  spéciale  ;  la  description  en  sera  donnée  ailleurs. 

DEUXIÈME  NOTE 

COLLECTION    DE    M.    LAMARE-PICQUOT 

Les  accroissemens,  que  la  Bibliothèque  du  roi  vient  de  recevoir  dans  ces 
derniers  temps,  ne  sont  que  le  prélude  d'acquisitions  plus  étendues  et  plus 
variées,  si  un  gouvernement,  ami  des  lumières  et  des  études  graves,  continue 
d'assurer  aux  travaux  des  voyageurs  d'honorables  encouragemens.  Partout  le 
goût  de  la  science,  si  répandu  de  nos  jours,  éveille  les  tentatives  individuelles. 
Aucun  des  objets,  qui  peuvent  intéresser  l'histoire  de  l'homme,  ne  reste  main- 
tenant étranger  à  la  curiosité  des  nombreux  explorateurs  de  l'Asie.  C'est  ainsi 
qu'un  naturaliste  français,  M.  Lamare-Picquot,  tout  en  donnant  l'attention  la 
plus  soutenue  à  la  branche  des  connaissances  humaines  qu'il  cultive  spécia- 
lement, a  trouvé  le  moyen  d'ajouter  à  ses  riches  collections  d'histoire  naturelle 
une  collection  certainement  plus  nouvelle  et  non  moins  précieuse.  Frappé 
du  spectacle  imposant  des  cérémonies  indiennes,  de  la  singularité  des  usages 
et  surtout  de  la  variété  des  traits  et  des  couleurs  qui  distinguent  les  diverses 
castes  du  Bengale,  M.  Lamare-Picquot  s'est  attaché  à  recueillir  des  images  de 
divinités,  des  ustensiles  employés  dans  les  cérémonies  religieuses,  des  meubles 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  143 

4°  Léconomie  qui  résultera  de  cette  disposition  ; 

et  armes,  et  particulièrement  de  petites  statues,  qui  représentent  les  Hindous 
dans  les  diverses  conditions  de  leur  vie  sociale.  Cette  collection  contient 
plusieurs  spécimens  de  ces  représentations  grossières  des  divinités  indiennes  qui 
figurent  dans  les  fêtes  sacrées,  pour  être  détruites  après  avoir  reçu  l'hommage 
de  la  superstition  populaire.  Des  figures  en  cuivre  variées  et  nombreuses 
offrent  des  images  plus  respectées  des  principaux  objets  du  culte  ;  des  vases, 
des  lampes  et  autres  instrumens  peuvent  servir  à  expliquer  quelques  particu- 
larités des  cérémonies  que  la  religion  impose  aux  Brahmanes.  Mais  ce  qui, 
parmi  tant  d'objets,  dignes  d'attention,  excite  au  plus  haut  degré  l'intérêt,  ce  sont 
les  statuettes  de  travail  hindou,  dont  quelques-unes  sont  exécutées  avec  une 
grande  perfection.  Elles  forment  une  galerie  à  peu  près  complète  des  castes  du 
Bengale,  depuis  le  Brahmane  jusqu'au  dernier  des  artisans  ;  et  chose  remar- 
quable, elles  se  distinguent  l'une  de  l'autre,  par  des  nuances  très  sensibles  dans 
la  teinte  de  la  peau,  quelquefois  même  par  des  différences  plus  profondes 
dans  les  traits  du  visage.  Ainsi,  outre  les  notions  positives  qu'elle  donne  sur 
la  vie  civile  et  religieuse  des  Hindous,  cette  collection  fournit  encore  des 
matériaux  intéressans  pour  ces  belles  recherches  de  l'ethnographie,  qui  sont 
quelquefois  la  seule  histoire  des  peuples.  Enfin  on  y  compte  plus  de  vingt  sta- 
tues de  Bouddha,  que  l'invasion  des  Anglais  chez  les  Barmans,  a  mis 
M.  Lamare-Picquot  à  même  de  rassembler.  Ces  statues,  dont  plusieurs  sont 
très  grandes,  d'autres  remarquables  par  la  beauté  de  la  matière,  complètent 
dignement  une  collection  qui  comprend  ainsi  les  divinités  de  deux  religions 
originaires  de  l'Inde,  celles  qui  comptent  en  Asie  le  plus  de  sectateurs,  le 
Brahmanisme  et  le  Bouddhisme.  {Extrait  du  rapport  général  de  M.  E. 
Burnouf,  secrétaire  de  la  Société  asiatique  lu  dans  la  séance  solennelle  du 
28  avril  183 f.) 

TROISIÈME  NOTE 

ILES    SANDWICH 

Parmi  les  mouvemens  divers,  qui  changent  aujourd'hui  l'aspect  de  la 
société  dans  toutes  les  parties  du  monde,  à  un  degré  et  avec  une  étendue  sans 
exemple  dans  les  siècles  précédens,  les  changemens  intellectuels  et  moraux,  qui 
sont  survenus  dans  les  îles  de  la  Société  et  de  Sandwich  sont  des  plus  inté- 
ressans et  des  plus  satisfaisans.  Ils  sont  tels  qu'aucun  ami  des  libertés  civiles, 
de  l'amélioration  intellectuelle  et  du  perfectionnement  religieux,  ne  les  peut 
contempler  sans  un  sentiment  d'encouragement  et  de  gratitude.  Les  habitans 
des  îles  de  la  mer  du  Sud  ont  maintenant  un  langage  écrit,  il  s'y  trouve  presque 
une  nation  entière  de  lecteurs.  A  l'exception  des  individus,  qui  étaient  trop  âgés 
avant  que  ces  changemens  eussent  lieu,  il  en  est  peu  qui  ne  soient  capables 
de  lire,  et  la  plupart  d'entre  eux,  d'écrire  leur  propre  langue.  Outre  des  livres 
d'épellation,  des  grammaires,  d'autres  livres  élémentaires  et  mélanges,  la  tota- 
lité du  Nouveau  Testament  et  plusieurs  portions  de  l'Ancien  circulent  au  loin 
et  sont  d'un  usage  journalier.   Dans    le  même  temps  des  flots    de   lumière 


144  LES    ORIGINES 

.  00  Enfin  le  texte  de  l'ordonnance  de  1828,  déjà  mise  à  exé- 
cution. JOMARD. 

sortent  de  ces  îles,  comme  d'une  source  centrale,  pour  se  répandre  chez  de 
nombreuses  peuplades  et  dans  les  îles  éloignées.  Partout  où  les  vaisseaux  des 
naturels  font  voile  (et  un  grand  nombre  d'entre  eux  traversent  maintenant  les 
eaux  de  l'Océan  Pacifique),  Vinstructeur  indigène,  ou  le  maître  d'école  est  au 
milieu  des  passagers  et  le  livre  d'alphabet  fait  partie  de  la  cargaison. 

La  plus  légère  comparaison  entre  l'état  présent  de  la  population  dans  les 
iles  Sandwich,  et  celui  qui  existait,  il  y  a  peu  d'années,  fournira  une  preuve 
aussi  claire  que  satisfaisante  des  effets  étonnans  qu'ont  produits  les  moyens 
mis  en  usage  pour  l'instruction  générale  et  religieuse  depuis  les  deux 
dernières  années.  Jusqu'à  l'année  1819,  le  peuple  entier  (et  sans  exception, 
autant  que  nous  pouvons  le  savoir)  était  livré  à  ridolâtrie,  et  ce  n'était  point 
un  système  de  pure  ignorance  et  de  mansuétude,  mais  un  système  aussi 
oppressif,  dégradant  et  sanguinaire,  qu'aucun  de  ceux  qui  ont  jamais  asservi 
la  portion  la  plus  obscure  du  monde  païen.  Jusquen  1820,  aucun  instructeur 
chrétien  n'avait  mis  le  pied  sur  les  rivages  de  Hawaï.  Cette  année,  une  réunion 
de  missionnaires  américains  dévoués  y  arriva  et  commença  ses  travaux  en 
essayant  d'apprendre  la  langue  du  pays,  jusqu'alors  non  écrite.  Bientôt  après, 
un  alphabet  fut  composé;  quand  les  missionnaires  eurent  acquis  la  connais- 
sance de  la  langue  naturelle,  ils  entreprirent  d'instruire  quelques-uns  des 
enfans;  et,  au  commencement  de  1822,  la  première  feuille  du  livre  d'épellation 
fut  imprimée.  Au  mois  de  mars,  je  visitai  les  îles  Sandv^ich  avec  MM.  Bennett 
et  Tyermann  et  deux  instituteurs  indigènes.  La  première  école  publique  pour 
es  naturels  fut  ouverte  bientôt  après  ;  elle  ne  contenait  que  deux  écoliers,  mais 
ces  écoliers  étaient  le  roi  et  la  reine.  Tel  était  l'état  des  îles  en  1822. 
Aujourd'hui,  d'après  les  nouvelles  les  plus  récentes,  on  n'y  trouverait  plus  un 
seul  idolâtre  et  50  à  60  mille  personnes  professent  le  christianisme... 

Le  langage  a  été  réduit  en  système  ;  des  livres  élémentaires  sont  préparés, 
des  portions  des  Saintes  Écritures  traduites,  des  presses  d'imprimerie  en 
activité  (*)...  Des  écoles  sont  établies  dans  toutes  les  principales  îles.  11  existe 
environ  cinq  cens  écoles  dirigées  par  les  soins  de  cinq  cens  maîtres  d'écoles 
indigènes,  visitées  de  temps  en  temps  par  les  missionnaires.  Ces  écoles 
reçoivent  quarante  mille  écoliers  et  il  n'y  eu  pas  moins  de  vingt-cinq  mille  en 
état  de  lire  les  Écritures.  Il  est  probable  qu'aujourd'hui  ce  nombre  est 
augmenté  et  qu'il  s'élève  à  un  tiers  de  la  popidation  (traduit  et  extrait  du 
Sunday-School  Teachers  Magazin,  April  1831). 

(')  Environ  134,000  exemplaires  de  divers  ouvrages  religieux,  de  traités,  etc.,  traduits  en  langue 
indigène,  ont  été  publiés,  sans  compter  ce  qui  a  été  imprimé  aux  États-Unis,  l'année  dernière. 


DU    MUSÉE    ETHNOGRAPHIQUE  145 

No  XXV 

SUR  LE  PROJET  D'Ui\  MUSÉE  ETHAGGRAPlIiQUE 

Par  le  baron  de  Férussac'. 

Un  journal-  vient  d'annoncer  le  projet  de  création  d'un  nou- 
veau Musée,  destiné  à  recueillir  les  monumens  divers  de  Tindus- 
trio  des  peuples  sauvages  ou  à  demi-civilisés,  monumens  qui, 
chaque  jour,  devenant  plus  rares,  emportent  avec  eux,  par  leur 
destruction,  presque  les  seuls  témoignages  sur  lesquels  on 
puisse  s'appuyer  pour  résoudre  une  foule  de  questions  qui  inté- 
ressent, au  plus  haut  point,  l'histoire  du  genre  humain,  et  sur- 

1)  Ce  petit  travail  a  été  imprimé  chez  Firmin-Didot  frères,  sous  la  forme  d'une 
plaquette  non  datée  de  seize  pages.  Il  est  devenu  introuvable.  L'exemplaire  qui  a 
servi  à  noire  réédition  avait  été  adressé  par  l'auteur  à  M.  d'Argout;  nous 
l'avons  rencontré  aux  archives  du  Ministère  de  l'Instruction  publique. 

(E.  H.) 

2)  Constitutionnel  du  12  nov.,  suppl. 

Il  est  question  de  fonder  incessamment,  en  France,  un  établissement  que 
nous  enviera  l'Europe  savante,  et  qui  n'a  jusqu'à  présent  de  modèle  qu'aux 
États-Unis  :  nous  voulons  parler  d'un  Musce  ethnographique. 

On  appellerait  ainsi  un  vaste  emplacement  divisé  en  une  foule  de  salle?,  por- 
tant le  nom  de  tous  les  peuples  qui  existent  aujourd'hui,  soit  à  l'état  sauvage, 
soit  à  l'état  demi-civilisé,  soit  avec  des  formes  sociales  essentiellement  diffé- 
rentes des  nôtres.  Le  but  de  cette  création  serait  de  ne  pas  laisser  perdre  dans 
le  naufrage  des  temps  le  souvenir  de  ce  qui  se  rattache  aux  nations  actuelles, 
et  de  conserver  tous  les  objets,  armes,  instrumens,  costumes,  débris  d'arts  et 
de  monumens,  etc.,  qui  leur  sont  particuliers. 

Les  salles  du  Musée  ethnographique  seraient  principalement  consacrées  ou  à 
ces  rares  tribus  indiennes,  que  refoule  constamment  dans  les  déserts  d'Amé- 
rique, et  qu'anéantira  bientôt  tout-à-fait,  l'envahissante  civilisation  moderne, 
ou  à  ces  insulaires  des  mers  du  Sud,  dont  les  missions  anglaises  effacent  et 
dénaturent  tous  les  jours  les  mœurs  et  le  caractère  primitif,  ou  bien  enfin  aux 
peuples  dont  les  usages  nous  sont  mal  connus,  tels  que  les  Mogols,  les  Chinois, 
les  Tatars,  les  Kamtchadales,  les  Lapons,  les  Samoièdes,  etc. 

C'est  la  Commission  nommée  par  le  ministre  du  commerce,  pour  l'organisa- 
tion du  matériel  des  bibliothèques,  qui  a  conçu  la  pensée  de  l'établissement 
dont  nous  parlons,  pensée  digne  d'une  nation  et  d'un  siècle  comme  les  nôtres. 
M.  Abel  Rémusat  a  été  chargé  de  faire  un  rapport  à  ce  sujet,  et  M.  d'Argout 
a  déjà  approuvé,  dit-on,  l'idée  première.  L'emplacement  qu'on  a  destiné  au 
Musée  ethnographique  est  le  bâtiment  qui  est  maintenant  en  construction,  rue 
Vivienne,  dans  l'ancien  local  du  Trésor  public. 

10 


146  LES    ORIGINES 

tout  cet  important  problème  de  l'établissement  successif  de  la 
population  dans  les  innombrables  Archipels  de  la  mer  du  Sud. 

Ce  projet  ne  peut  manquer  d'intéresser  vivement  les  amis  des 
sciences  géographiques  et  historiques  ;  mais  nous  devons  à  la 
vérité  des  faits  de  dire  qii'il  nest  point  nouveau.  Il  remonte  à 
l'année  1826^  et  c'est  à  M.  le  ducdeDoudeauville,  alors  ministre 
de  la  Maison  du  Roi,  et  à  M.  le  vicomte  de  Larochefoucauld, 
que  l'on  doit  reporter  l'honneur  d'avoir,  les  premiers^  adopté 
cette  belle  pensée.  La  création  de  ce  Musée  fut  décidée  par  eux, 
et  son  exécution  commencée.  Par  leurs  ordres  une  foule  d'objets 
précieux  ont  été  réunis  au  Louvre,  place  naturelle  de  cet  éta- 
blissement, et  placés  provhoirement  au  Musée  naval  dirigé  par 
M.  Zédé%  en  attendant  que  l'importance  des  acquisitions  deman- 
dât un  conservateur  spécial.  Des  instructions  furent  données  à 
divers  voyageurs,  entr'autres  à  M.  le  capitaine  d'Urville  pour 
son  voyage  de  circumnavigation,  et  à  M.  d'Orbigny^  qui  se  ren- 
dait dans  TAmérique  méridionale  ;  des  achats  ont  été  faits  par 
les  soins  de  M.  Dubois,  dessinateur  du  Musée  royal  du  Louvre  ; 
divers  particuliers  ou  des  voyageurs  se  sont  empressés  d'offrir 
pour  ce  Musée  naissant  les  objets  qu'ils  possédaient  ;  j'en  ai 
remis  moi-même  une  assez  grande  quantité,  que  je  devais  à  To- 
bligeance  des  officiers  des  deux  expéditions  commandées  par 
MM.  de  Freycinet  et  Duperrey,,  et,  à  bien  dire,  il  ne  peut  plus 
être  question  d'une  création^  mais  seulement  de  donner  à  ce 
Musée  tout  le  développement  qu'il  comporte  et  que  l'on  s'était 
promis  en  le  fondant. 

Nous  croyons  d'autant  plus  utile  de  faire  connaître  les  faits  à 
ce  sujet,  qu'il  serait  déplorable  que  les  bonnes  intentions  de 
l'autorité  fussent  paralysées  par  une  mesure  qui  enlèverait  ce 
Musée  à  la  place  naturelle  et  obligée  qu'il  doit  occuper,  pour  en 
faire  une  annexe  d'un  établissement  dont  la  spécialité  de  desti- 

1)  On  a  vu  plus  haut  que  si  le  preniier  projet  du  Musée  de  Marine  remonte  à 
1826,  ce  n'est  que  le  15  janvier  1828  que  le  Monitew  universel  a  fait  connaître 
la  décision  du  Roi.  (K.  H.) 

2)  M.  Zédé,  ingénieur  de  la  Marine,  nommé  en  1831  secrétaire  du  Comité  des 
Travaux  de  la  Marine.  (E.  H.) 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  147 

nalioii  exclut  haiilement  une  alliance  aussi  bizarre,  el  lorsque 
d'ailleurs  le  Musée  dont  il  s'agit  doit  compléter  celui  du  Louvre, 
pour  composer,  avec  le  Musée  égyptien  et  le  Musée  des  mouu- 
mens  grecs  et  romains,  ce  vaste  ensemble  au  moyen  duquel  on 
peut  tenter  d'entreprendre  l'histoire  des  peuples  par  les  monu- 
mens  des  arts  qu'ils  cultivaient,  de  leur  industrie,  de  leur  reli- 
gion, de  leurs  mœurs  et  de  leurs  usages  divers. 

L'idée  de  la  formation  d'un  Musée  ethnographique  a  été 
reprise  dans  ces  derniers  temps,  mais  bien  avant  la  création  de 
la  Commission  nommée  pour  l'organisation  du  matériel  des 
bibliothèques.  A  peine  M.  le  comte  d'Argout  venait-il  d'être 
nommé  ministre,  qu'un  des  savans  conservateurs  de  la  Biblio- 
thèque du  Roi,  M.  Jomard;  auquel  j'avais  eu,  dans  le  temps, 
l'honneur  de  communiquer  ce  projet,  ainsi  qu'à  MM.  de  Hum- 
boldt,  Cuvier  et  Abel-Rémusat,  crut  devoir,  à  ce  qu'il  paraît, 
appeler  l'attention  du  ministre  sur  cette  création.  L'on  était 
certain  qu'une  pensée  aussi  utile  serait  avidement  saisie  par 
M.  d'Argout,  lequel,  en  effet,  s'empressa  de  nommer  une  Com- 
mission qui,  sous  la  présidence  de  M.  le  baron  Cuvier,  fut  char- 
gée de  lui  faire  un  rapport. 

Ignorant  complètement  les  points  sur  lesquels  cette  Commis- 
sion a  été  appelée  à  donner  son  avis,  je  ne  puis  raisonner  que 
par  conjecture  ;  mais  il  m'est  permis  de  penser  que  le  rapport  de 
cette  Commission  n'étant  point  fait  encore,  le  ministre  n'a  pris 
aucune  détermination  qui  puisse  autoriser  à  dire  que  le  Musée 
ethnographique  sera  réuni  à  la  Bibliothèque  du  Roi  et  ne  conti- 
nuera pas  à  former  une  des  divisions  du  Musée  royal  du  Louvre  ; 
je  puis  d'autant  moins  croire  à  une  semblable  détermination 
que^  par  cet  arrangement,  il  faudrait  nécessairement  créer  une 
nouvelle  place  de  conservateur  à  la  charge  du  trésor  public,  et 
qu'on  est  aujourd'hui  peu  porté  à  augmenter  le  budget  des 
sciences.  En  eiïet,  il  n'est  pas  supposable  que  le  Musée  ethno- 
graphique soit  annexé  aux  imprimés,  ou  aux  manuscrits. 
MM.  Van  Praet,  de  Manne,  Abel-Rémusat,  Champollion  refuse- 
raient sans  doute  un  genre  de  surveillance  et  de  travaux  aux- 
quels ils  sont  étrangers,  et  qui  ne  pourrait  que  porter  un  préju- 


148  LES    ORIGINES 

dice  notable  à  tout  ce  qu'ils  font  pour  les  importans  dépôts  qui 
leur  sont  confiés.  On  ne  peut  supposer  qu'on  le  réunisse  à  la 
conservation  des  estampes  !  Resteraient  les  médailles  et  les 
cartes  géographiques.  Le  Musée  ethnographique  se  compose  de 
monumens  d'un  autre  ordre  que  les  médailles.  A  la  vérité, 
quelques  inscriptions,  quelques  vases,  quelques  figurines  et  des 
monumens  égyptiens,  grecs  ou  romains,  font  aussi  partie  de  la 
conservation  de  M.  Raoul-Rochette  ;  mais  la  véritable  place 
d'une  partie  d'entr'eux  serait  au  Louvre,  depuis  qu'il  est  devenu 
le  grand  dépôt  de  toutes  nos  richesses  de  l'antiquité,  et  il  y  a 
long-temps  que  les  savans  et  le  public  éclairé  réclament  un 
échange  entre  les  deux  établissemens  du  Louvre  et  de  la  Biblio- 
thèque, qui  permette  de  réunir  à  chacun  d'eux,  selon  sa  destina- 
tion particulière,  ce  que  l'autre  offre  d'étranger  à  sa  spécialité. 
On  ne  peut  penser  qu'en  appelant  l'attention  du  ministre  sur  le 
Musée  ethnographique,  M.  Jomard  ait  eu  en  vue  de  se  charger 
de  sa  direction  ;  on  ne  peut  pas  plus  réunir  aux  cartes  géogra- 
phiques qu'aux  estampes  les  pirogues,  les  casse-têtes,  les  arcs 
et  les  flèches  des  sauvages,  les  pagodes  de  l'Inde,  ou  les  fétiches 
des  insulaires  de  la  mer  du  Sud?  et  d'ailleurs  M.  Jomard  ne 
voudrait  point  se  détourner  de  ses  importans  travaux  habituels 
et  des  soins  que  demande  le  dépôt  dont  il  est  chargé  et  qui  est 
appelé  à  devenir  si  important,  pour  se  livrer  à  une  étude  labo- 
rieuse et  toute  nouvelle,  seul  moyen  cependant  pour  organiser 
convenablement  ce  nouveau  Musée,  et  le  mettre  en  état  d'être 
réellement  utile  et  de  remplir  son  importante  destination. 

Il  ne  s'agit  point,  en  effet,  de  réunir  simplement  dans  un  ordre 
quelconque  et  de  disposer  convenablement  dans  une  suite  de 
salles  les  monumens  dont  se  composerait  ce  Musée.  Et,  d'abord, 
il  faudra  beaucoup  d'activité  pour  le  former  ;  prendre  une  foule 
de  mesures,  rédiger  des  instructions,  et  entretenir  une  corres- 
pondance suivie  avec  les  voyageurs  et  les  agcns  du  gouverne- 
ment dans  les  diverses  contrées  lointaines. 

Dès  qu'un  acte  public  aura  manifesté  les  intentions  généreuses 
et  bienfaisantes  de  l'administration  à  cet  égard,  le  noyau  exis- 
tant sera  bientôt  accru  par  les  offrandes  volontaires  des  naviga- 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  449 

leurs  et  de  quelques  curieux  qui,  sans  avoir  de  collection,  pos- 
sèdent cependant  quelques  mouumens  qui  s'y  rapportent.  Ce 
noyau  peut  se  grossir  dès  à  présent  :  1°  de  quelques  beaux 
objets,  en  petit  nombre,  échappés  au  pillag-e  de  la  belle  collec- 
tion rapportée  par  Bougainville,  et  déposés  à  la  Bibliothèque 
de  Sainte-Geneviève'  ;  2"  de  quelques  monuniens  de  ce  genre,  né- 
gligés et  dédaignés,  placés  dans  les  magasins  ou  les  galeries  du 
Jardin  du  Roi,  de  l'Institut  et  à  la  Bibliothèque  royale  ;  3°  d'une 
grande  quantité  d'instrumens  divers,  d'armes,  de  vêtemens, 
d'ornemens,  etc.,  réunis  dans  les  divers  ports  de  France,  et  dont 
on  peut,  pour  des  motifs  d'intérêt  général,  demander  la  réunion 
au  Musée  ethnographique,  en  leur  laissant  tous  les  objets 
doubles  ;  4°  de  quelques  armes,  et  de  grands  bateaux  qui  se 
trouvent  dans  divers  établissemens  publics,  entr'autres  au  minis- 
tère de  la  Marine  ;  5"  enfin,  d'un  nombre,  à  ce  qu'il  paraît  fort 
considérable,  de  curiosités  indiennes  et  surtout  chinoises  dissé- 
minées dans  les  palais  et  châteaux  royaux.  Il  faudrait  les  recher- 
cher et  les  réunir  dans  l'établissement  qui  nous  occupe. 

Des  instructions  données  par  le  ministre  de  la  Marine  aux 
officiers  de  la  marine  royale  et  de  la  marine  marchande,  procure- 
ront successivement  une  foule  d'objets,  de  même  que  celles  que 
l'on  pourra  donner  aux  voyageurs  du  Muséum  d'Histoire  natu- 
relle et  à  nos  agens  consulaires,  aux  gouverneurs  de  nos  colo- 
nies d'Alger  et  du  Sénégal,  aux  chefs  de  nos  comptoirs  en  Asie, 
et  à  tous  les  voyageurs  que  l'amour  de  la  science  peut  porter  à 
parcourir  les  régions  centrales  de  l'Asie ,  de  l'Afrique  et  des 
deux  Amériques. 

Il  faudra  apporter  le  plus  grand  soin  à  constater  et  à  enregis- 
trer exactement  l'origine  de  chaque  objet,  c'est-à-dire  à  quel 
peuple,  à  quelle  tribu  il  appartient  ;  par  quel  voyageur  il  a  été 
apporté,  ou  comment  il  a  été  acquis  ;  quel  est  son  usage,  sa 
destination,  et  enfin  dresser  de  tous  ces  objets  un  catalogue 
exact  et  méthodique.  Tous  ces  travaux  devront  être  faits  ou 

1)  Il  sera  fréquemment  question  plus  loin  de  ces  objets  de  la  Bibliothèque  de 
Sainte-Geneviève,  encore  aujourd'hui  détenus  par  les  administrateurs  de  cet  éta- 
blissement. (E.  H.) 


150  LES    ORIGINES 

suivis  par  le  Conservateur  chargé  de  Ja  direction  do  ce  Musée. 
Mais  là  ne  doit  point  se  borner  sa  tâche.  11  devra  faire  une  revue 
consciencieuse  et  générale  de  toutes  les  relations  de  voyages, 
pour  connaître  tout  ce  qui  a  été  dit  à  Tégard  de  ces  monumens, 
les  descriptions  qui  en  ont  été  faites  ;  chercher  à  se  procurer 
ceux  que  l'on  ne  possède  point  ou  que  l'on  ne  reconnaît  que 
dans  les  récits  des  voyageurs  ;   constater  les  rapports  ou  les 
différences  des  objets  analogues  ;  déterminer  l'étendue,  la  cir- 
conscription  géographique   des   pays  où  chacun  d'eux  est  en 
usage,  enfin    créer   la  science  de  ces  monumens,  science  qui 
n'existe  pas  encore,  afin  de  pouvoir  les  reconnaître,  en  détermi- 
ner l'origine,  l'âge,  l'usage,  comme  les  antiquaires  sont  parve- 
nus à  le  faire  pour  les  monumens  égyptiens,  grecs  et  romains  '. 
Je  ne  citerai  qu'un  seul  exemple  de  Futilité  de  ce  genre  de 
recherches,  ce  sont  ces  petits  coussinets  en  bois  et  sculptés  que 
que  M.  de  Freycinet,  et  après  lui  MM.  Duperrey  et  d'Urville,  ont 
rapportés  de  la  Nouvelle-Guinée  \  où  les  insulaires  s'en  servent 
pour  tenir  leur  tête  éloignée,  lorsqu'ils  sont   couchés,  du  sol 
brûlant  sur  lequel  ils  s'étendent.  On  les  retrouve  absolument 
semblables  dans  les  tombeaux  de  l'antique  Egypte,  sous  la  tète 
des  momies  ;  on  les  voit  sculptés  sur  les  monumens,  avec  la 
même  destination,  et  M.  Cailliaud  en  a  retrouvé  l'usage  chez  les 
peuples  actuels  de  l'Ethiopie,  berceau  primitif  des  peuples  de  la 
partie  inférieure  de  la  vallée  du  Nil".  Lorsque  l'on  réfléchit  à  la 

1)  Le  texte  de  1831,  porte  NoaveWe-Zélande ;  c'est  évidemment  une  faute 
d'impression.  Férussac  connaissait  parfaitement  la  provenance  de  ces  objets 
mobiliers,  et  dans  le  catalogue  manuscrit  de  sa  petite  collection  du  Louvre,  on 
lit  sous  le  no  9  la  petite  note  que  voici  :  a  Coussinet  en  bois,  usité  dans  toutes 
les  îles  des  Papous  et  de  la  Nouvelle-Guinée.  Ce  coussinet  est  semblable  à  celui 
que  l'on  trouve  sous  la  tète  des  momies  égyptiennes,  qu'on  voit  dessiné  dans 
les  monumens  et  qui  est  encore  en  usage  en  Ethiopie,  d'où  l'a  rapporté 
M.  Cailliaud.  »  (E.  H.) 

2)  La  place  de  Conservateur  d'un  semblable  Musée  nous  paraît  appartenir 
de  droit  à  un  voyageur  qui  a  pu  parcourir  les  diverses  parties  du  monde,  sur- 
tout les  Archipels  de  la  mer  du  Sud,  et  qui  aura  étudié  les  langues,  les  mœurs, 
les  usages  de  leurs  habitans,  recueilli  leurs  monumens  de  toute  nature,  et  qui, 
par  l'ensemble  de  ses  connaissances,  serait  propre  au  genre  d'études  que  com- 
mande la  directioa  de  ce  Musée.  S'il  était  permis  d'émettre  un  vœu  à  cet  égard, 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  ISl 

simplicité,  à  la  constance  des  usages  des  peuples  non  civilisés, 
au  petit  nombre  des  objets  dont  ils  se  servent,  on  ne  peut  se 
refuser  à  admettre  que  chacun  de  ces  objets  est  caractéristique. 
Ce  coussinet  n'est  pas,  au  reste,  le  seul  témoignage,  fort  singu- 
lier, qui  semblerait  constater  les  rapports  des  peuples  les  plus 
anciens  avec  des  contrées  dont  on  croyait  la  découverte  toute 
récente  :  l'emploi  du  beurre  de  muscade,  constaté  dans  l'embau- 
mement de  quelques  momies,  vient  prouver  des  relations  fort 
anciennes  entre  l'Egypte  et  les  Moluques,  soit  directement,  soit 
par  l'intermédiaire  de  llnde.  Mais  on  conçoit  que  toutes  ces 
indications  précieuses  ont  besoin  d'être  étudiées  avec  soin,  dis- 
cutées avec  toute  la  rigueur  scientifique  ;  et  l'on  ne  pourra 
réussir  à  éclairer  ces  importantes  questions,  qui  tiennent  à  l'his- 
toire de  l'établissement  successif  de  la  population  sur  une  partie 
du  globe  et  des  premiers  rapports  des  peuples  anciens,  qu'à 
l'aide  des  données  comparatives  que  fournira  le  Musée  qui  nous 
occupe. 

Pour  qu'il  remplisse  cette  importante  destination,  il  ne  faut 
point  le  séparer  des  autres  collections  avec  lesquelles  il  est  dans 
une  dépendance  obligée.  Peut-on,  en  effet,  éloigner  les  monu- 
mens  indous  des  monumons  égyptiens?  Ne  faut-il  pas,  au  con- 
traire, les  rapprocher  pour  en  saisir  les  rapports,  ou  en  constater 
les  différences?  et  leur  comparaison  serait-elle  facile  quand,  pour 
les  étudier,  il  faudrait  se  transporter  dans  deux  élablissemens 
différens,  perdre  ces  aperçus,  fruits  d'une  inspiration  soudaine 
que  produisent  les  premières  impressions,  ou  s'adresser  à  deux 
administrations  distinctes  pour  obtenir  les  facilités  désirables  ? 
On  ne  sert  bien  la  science  qu'en  mettant  les  choses  et  les 
hommes  à  leur  véritable  place. 

Une  collection  d'un  haut  intérêt  est  offerte  en  ce  moment  au 

nous  serions  certains  d'être  généralement  applaudi,  en  nommant  M.  le  capit. 
de  Freycinet,  qui  réunit  tout  ce  que  l'on  peut  chercher  sous  ce  rapport,  s'il 
consentait  à  accepter  ce  poste  honorable,  et  qu'il  lui  fût  oflert.  A  son  défaut, 
j'avais  signalé  à  M.  le  duc  de  Doudeauville,  lorsqu'il  me  fit  l'honneur  de  me 
consulter  à  ce  sujet,  M.  Lesson,  l'un  des  plus  hiablles  collaborateurs  de  mon 
célèbre  ami  M.  de  Freycinet. 


152  LES    ORIGINES 

g-ouvernement  :  c'est  celle  de  M.  Lamarre-Picquot,  composée  de 
deux  parties  fort  distinctes.   L'une  est  une  suite   considérable 
d'objets  d'histoire  naturelle,  offrant  une  des  plus  riches  collec- 
tions zoologiques  de  l'Inde,  qui  soit  encore  parvenue  en  France, 
et  dans  laquelle  on  remarque  une  quantité  d'animaux  non  encore 
connus  des  naturalistes;  l'autre  est  une  magnifique  réunion  do 
monumens  indous  de  tout  genre  qui  font  connaître,  non-seule- 
ment toutes  les  castes  du  peuple  immuable  qui  habite  cette  vaste 
contrée,  mais  aussi  les  mœurs,  les  rites,  l'état  des  arls  et  la 
théogonie  de  ce  même  peuple.  Les  savans  rapports  des  profes- 
seurs du  Jardin  du  Roi,  de  la  Société  asiatique  et  de  la  Société 
de  géographie,  émettent  le  vœu  commun  que  cotte  précieuse 
collection  soit  conservée  à  la  France,  et  il  est  vivement  à  désirer 
que  la  première   de    ses    deux   divisions   soit   acquise   pour  le 
Muséum  d'Histoire  naturelle,  et  que  la  seconde  aille  augmenter 
le  noyau  des  objets  déjà  réunis  au  Louvre,  pour  former  le  Musée 
ethnographique,  d'autant  plus  que  nous  sommes  fort  pauvres  en  - 
France  dans  ce  genre  de  monumens. 

Les  conditions  auxquelles  M.  Lamarre-Picquot  offre  de  céder  le 
fruit  de  ses  pénibles  recherches  font  honneur  à  son  désintéresse- 
ment, et  nous  sommes  heureux  de  pouvoir  dire  que  M.  le  comte 
d'Argout  a  accueilli  avec  intérêt  ses  propositions.  Espérons 
qu'aucun  obstacle  ne  s'opposera  à  la  réalisation  de  ses  vues 
généreuses,  et  qu'il  n'en  sera  pas  de  ces  collections  comme  de 
colle  de  M.  Drovetti,  qui  a  laissé  de  si  vifs  regrets  à  la  France. 

Félicitons-nous  du  retour  à  une  position  qui  permet  de  s'oc- 
cuper de  ces  paisibles  objets  d'utilité  générale,  et  sachons  en 
rendre  grâce  au  gouvernement  du  Roi.  Le  public  éclairé,  comme 
le  monde  savant,  applaudiront  à  la  sollicitude  et  à  Tintérêt  que 
M.  le  comte  d'Argout  a  mis  à  s'occuper  du  Musée  ethnogra- 
phique, et  leur  reconnaissance  ne  peut  manquer  au  ministre 
jaloux  d'illustrer  le  nouveau  règne,  en  assurant  le  développe- 
ment d'un  établissement  d'un  haut  intérêt  et  qui  sera  un  nou- 
veau titre  de  gloire  nationale. 

Ce  Musée  aurait  d'autant  plus  d'importance  et  d'intérêt  qu'il 
n'en  existe,  à  bien  dire,  aucun  de  ce  genre  en  Europe  que  celui 


DU    MUSÉE  d'ethnographie  1S3 

de  Gœltingue  formé,  surtout,  par  la  collection  de  Forster,  et  où 
Ton  voit  quelques  pièces  rapportées  par  Cook,  et  une  belle  suite 
d'objets  de  l'Asie  septentrionale  et  de  la  côte  N.-O.  de  l'Amé- 
rique*. Quelques  collections  peu  considérables  et  plus  spéciales, 
telle  que  celles  de  Saint-Pétersbourg,  pour  les  îles  de  la  mer  du 
Sud,  celles  de  Vienne  et  de  Munich,  résultats  des  voyages  des 
savans  autrichiens  et  bavarois  au  Brésil  ;  celle  de  curiosités  chi- 
noises de  Dresde,  de  Munich,  etc.  ;  la  magnifique  collection  de 
manuscrits  astèques  de  lordKing•sbury^  les  collections  de  monu- 
mens  indous  de  la  Compagnie  des  Indes  et  de  la  Société  asiatique 
de  Londres,  et  quelques  autres  encore,  sont  presque  les  seules 
que  l'on  puisse  citer  ;  mais  elles  ne  forment  point  une  suite 
importante,  même  dans  la  partie  toute  spéciale  qu'elles  embras- 
sent, et  la  collection  particulière  d'un  amateur  de  Paris, 
M.  Panckoucke,  peut  seule  donner  une  idée,  sur  une  très-petite 
échelle  sans  doute,  de  ce  que  devrait  être  un  Musée  de  ce  genre. 
Nous  citerons  le  Musée  ethnographique  de  Salem  aux  Etats- 
Unis,  qui  paraît  fort  riche  et  bien  entendu. 

Nous  croyons  utile  de  donner  ici  le  projet  de  Rapport  au  Roi, 
dont  M.  le  duc  de  Doudeauville  et  M.  le  vicomte  de  La  Roche- 
foucauld voulurent  bien  me  demander  la  rédaction,  lorsqu'ils 
adoptèrent  avec  tant  d'empressement  l'idée  de  cette  création  que 
j'eus  l'honneur  de  leur  proposer.  J'ai  cherché  à  y  exposer  les 
motifs  de  l'utilité  de  cet  établissement,  et  à  préciser  ses  analo- 
gies et  sa  place  dans  l'organisation  générale  du  Musée  royal  du 
Louvre.  La  lecture  de  ce  rapport  achevra,  nous  le  pensons  du 
moins,  de  prouver  l'impossibilité  d'enlever  au  Louvre  ce  nou- 
veau Musée  projeté. 

PROJET  DE  RAPPORT  AU  ROI 

Sire, 
Le  moyen  le  plus  prompt  et  le  plus  sûr  de  hâter  les  progrès 
d'une  étude  est,  sans  contredit,  la  réunion  des  monumens  et 

1)  Voyez  plus  haut  pièce  nt>  XXIV,  l'-e  note. 

2)  Lisez  Kingsborougti.  (E.  H.) 


154  LES    ORIGINES 

des  documens  épars  qui  la  concernent  ;  car  les  forces  de  l'intelli- 
g-ence,  comme  les  rayons  lumineux,  n'acquièrent  toute  leur 
énergie  qu'en  les  concentrant  dans  un  seul  et  même  foyer.  Telle 
est  Torigine  des  musées,  des  cabinets,  dans  lesquels  les  particu- 
liers et  les  gouvcrnemens,  amis  des  sciences  et  des  arts,  se  sont 
empressés  en  tout  temps  de  rassembler  les  objets  dont  la  réu- 
nion pouvait  servir  à  constater,  soit  les  mœurs,  les  usages,  If's 
progrès  ou  la  décadence  de  la  civilisation  d\m  peuple,  soit  les 
procédés,  les  découvertes,  les  mouvemens  progressifs  ou  rétro- 
grades d'une  science  ou  d'un  art  quelconque,  ou  bien  enfin  l'en- 
semble des  productions  naturelles  du  globe,  d'une  contrée  déter- 
minée, ou  de  tel  règne  seulement. 

C'est  ainsi  que  chez  les  nations  savantes  de  l'Europe  et  de 
l'Amérique  les  musées  ou  cabinets  d'histoire  naturelle,  ceux  où 
Ton  a  réuni  un  grand  nombre  d'antiquités  ou  de  productions  des 
arts,  des  suites  de  médailles,  ont  offert  et  offrent  encore  les 
ressources  les  plus  variées  et  les  plus  fécondes  pour  les  études 
propres  à  augmenter  et  à  perfectionner  nos  connaissances. 

Ce  sont  ces  considérations.  Sire,  dont  V.  M.  a  apprécié  tout 
le  poids,  qui  ont  déterminé  la  création  d'un  Musée  égyptien, 
formé  d'après  ses  ordres  et  sous  ses  auspices,  lorsque  V.  M., 
voulant  consacrer  une  découverte  qui  honore  la  France,  désira 
fonder  une  école  nouvelle,  et  faciliter  aux  nationaux  et  aux 
étrangers  l'étude  de  la  langue  et  des  écritures  de  l'antique 
Egypte,  d'après  ses  monumens  mêmes. 

Si  l'utilité  d'une  collection  de  ce  genre  est  évidente  pour 
apprécier  avec  justesse  l'état  de  la  civilisation  des  anciens  Egyp- 
tiens, leurs  mœurs,  leurs  usages,  leurs  idées  religieuses,  leur 
degré  d'instruction,  leurs  progrès  dans  les  arts,  et  pour  y  ratta- 
cher avec  quelque  certitude  l'origine  de  la  plupart  des  pratiques 
sociales  de  l'Europe,  il  en  est  de  même  relativement  aux  monu- 
mens de  toute  nature  qui  peuvent  nous  mettre  à  portée  de  cons- 
tater l'état  des  peuples  non  anciennement  civilisés,  et  indigènes 
des  Deux- Amériques,  de  l'Afrique,  des  Archipels  de  l'Asie  et  de 
rOcéanie,  spécialement  des  îles  de  la  mer  du  Sud,  jusqu'au 
moment  où  la  civilisation  européenne  a  remplacé  par  ses  propres 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  155 

usag-es  leur  physionomie  primitive.  Parmi  tous  ces  peuples  si 
difîérens  par  leur  origine,  leurs  langues,  leurs  mœurs  et  leurs 
habitudes,  les  uns,  peu  visités  par  les  étrang-ers,  sont  encore  à 
l'état  sauvage,  d'autres  ont  acquis  par  eux-mêmes  un  certain 
degré  de  civilisation  ;  les  Malais,  les  Mexicains  et  les  Péruviens, 
qui  étaient  déjà  parvenus,  avant  l'arrivée  des  Européens  sur  leur 
territoire,  à  un  degré  de  culture  et  d'intelligence  très-remar- 
quable, ont  perdu  par  la  conquête  leur  manière  d'être  naturelle, 
comme  les  peuples  sauvages  qui  ont  subi  le  joug-  des  peuples 
civilisés.  Les  uns  semblables,  ou  à  peu  près,  à  ce  qu'ils  furent 
toujours,  n'ont  point  d'âge  pour  leurs  monumens  ;  à  l'égard  des 
autres,  on  pourrait  dire  que  leur  époque  antique  est  moderne 
comparativement  aux  anciens  peuples  de  l'Orient  :  leur  histoire 
semble  n'avoir  point  eu  de  moyen  âg-e  ;  les  derniers  enfin  ont 
passé  presque  sans  transition  de  leur  état  primitif  aux  exigences 
de  la  civilisation.  Malgré  ces  différences  notables,  l'étude  de  leurs 
monumens  doit  conduire  aux  mêmes  résultats  ;  c'est-à-dire  à  la 
connaissance  exacte  du  degré  du  culture,  des  usages,  des  mœurs, 
des  idées  religieuses  et  de  l'industrie  de  ces  peuples,  qui  sont 
aussi  des  fractions  de  la  race  humaine,  et  l'on  aperçoit  dès-lors 
l'avantage  réel  que  présenterait  pour  ce  genre  d'étude  une  réu- 
nion des  monumens  et  des  productions  des  arts  et  de  l'industrie 
de  ces  mêmes  peuples. 

Les  voyageurs  de  toutes  les  nations  qui  ont  successivement 
exploré  ces  diverses  parties  de  la  terre  nous  ont,  à  la  vérité, 
donné,  pour  la  plupart,  quelques  notions  plus  ou  moins  étendues 
à  cet  égard  ;  mais  toutes  ces  relations,  fruit  d'un  examen  rapide, 
pendant  le  court  séjour,  souvent  environné  de  périls,  que  pou- 
vait permettre  un  voyage  de  circumnavigation,  sont  bien  loin 
de  pouvoir  satisfaire  les  vœux  des  savans.  Sans  doute  il  n'en  est 
point  ainsi  pour  les  contrées  habitées  depuis  long-temps  par  les 
Européens  ;  la  colonisation  des  Archipels  de  l'Asie  et  celle  des 
Deux-Amériques  a  procuré  sur  l'histoire  de  leurs  peuples  indi- 
gènes plus  anciens  et  ayant  une  civilisation  bien  plus  avancée 
que  ceux  de  la  mer  du  Sud  ou  de  l'intérieur  de  l'Afrique,  des 
données  plus  positives  et  bien  plus  étendues  ;  on  connaît  les 


156  LKS    ORIGINES 

savantes  recherches  sur  les  Péruviens  et  les  Astèques,  d'un 
illustre  voyageur  qui,  quoique  étranger  à  la  France,  l'a  dotée  si 
g'énéreusement  de  travaux  importaas  ;  cependant  les  dévasta- 
tions qui  accompagnèrent  les  conquêtes,  et  le  peu  d'intérêt  qu'à 
cette  époque  on  accordait,  en  général,  aux  recherches  scienti- 
fiques, ont  fait  perdre  en  grande  partie  les  fruits  qu'on  aurait  pu 
retirer  des  circonstances  où  se  trouvèrent  les  premiers  colons. 
Les  monumens  de  l'ancienne  civilisation  des  Péruviens  et  des 
Astèques  sont  très-rares  en  Europe  et  même  en  Amérique,  à 
l'exception  des  constructions  qui  ont  résisté  aux  ravages  du 
temps  et  des  hommes  ;  Ton  est  surpris  du  petit  nombre  de  docu- 
mens  qui  ont  été  réunis  à  leur  sujet,  et  de  Tincertitude  qui 
accompagne  encore  les  questions  les  plus  importantes  concer- 
nant Thistoire  et  l'origine  de  ces  nations. 

Les  recherches  dont  il  s'agit,  Sire,  et  qui  pourraient  paraître 
à  des  esprits  peu  attentifs  plus  curieuses  qu'utiles,  sont  en  effet 
d'une  haute  importance  pour  résoudre  des  questions  d'un  grand 
intérêt  et  qui  tiennent  d'une  part  à  l'histoire  du  genre  humain 
en  général,  et  de  l'autre  à  l'origine,  aux  migrations,  au  déve- 
loppement successif  de  la  population  des  Archipels  de  l'Asie,  de 
i'Océanie,  de  l'Afrique  et  des  Deux-Amériques,  et  par  consé- 
quent aux  considérations  géographiques  les  plus  curieuses  et  les 
plus  importantes.  Les  caractères  physiques  de  leurs  hahitans  et 
l'étude  comparée  des  langues  qu'on  y  parle  ont  été  jusqu'ici 
presque  seuls  employés  comme  élémens  propres  à  résoudre  ces 
grandes  questions  ;  mais  l'étude  des  monumens  qui  constatent 
les  usages,  les  croyances,  l'état  des  arts,  offre  aussi  beaucoup 
d'utiles  moyens  pour  chercher  à  reconnaître,  ou  une  commu- 
nauté d'origine  ou  une  filiation  non  équivoque,  et  pour  fonder 
toutes  les  autres  considérations  sur  lesquelles  on  peut  appuyer 
la  solution  des  questions  que  la  science  s'est  proposées  ;  l'on 
peut  même  attendre  de  cette  étude  la  confirmation  des  indica- 
tions premières  qui  ont  été  recueillies  et  des  lumières  nouvelles 
pour  résoudre  complètement  ces  mêmes  questions. 

Mais,  si  l'on  veut  faire  servir  les  monumens  des  peuples  qui 
nous  oceupent^^à  la  solution  de  ces  importans  problèmes,  il  faut 


DU    MUSÉE   d'ethnographie  1o7 

se  hâter  de  les  arracher  à  une  destruction  totale  et  trop  certaine  ; 
et  en  effet,  les  discordes  intestines  et  les  guerres  continuelles 
entre  les  peuplades  qui  habitent  l'Afrique  et  les  îles  de  la  mer 
du  vSud,  et  entre  les  princes  malais  des  Archipels  de  l'Asie  ;  la 
domination  des  étrangers,  les  progrès  de  la  civilisation  par  l'in- 
troduction du  christianisme  et  des  goûts  et  des  jouissances  de 
l'Europe,  font  journellement  disparaître,  comme  autrefois  au 
Mexique  et  au  Pérou,  les  traces  de  l'existence  passée  et  du  culte 
de  ces  peuples.  On  s'aperçoit  déjà,  sur  les  lieux  mêmes,  de  la 
rareté  progressive  des  monumens,  et  l'on  peut  en  prédire  la  dis- 
parition totale  avant  un  quart  de  siècle,  du  moins  pour  les  con- 
trées qui  ne  sont  pas  de  l'intérieur  de  l'Afrique,  oii  l'influence 
européenne  a  eu  jusqu'ici  si  peu  d'empire.  Déjà  les  navigateurs 
qui,  dans  ces  derniers  temps,  ont  abordé  aux  îles  de  la  Société 
et  aux  îles  Sandwich,  n'ont  pu  y  reconnaître  les  peuples  dont 
Cook  et  Bougainville  ont  donné  des  descriptions  si  renommées. 
Les  Missionnaires  anglicans  ont  entièrement  changé  les  mœurs 
et  les  habitudes  de  leurs  habitans,  et  dans  ces  îles,  comme  dans 
beaucoup  d'autres,  les  usages  signalés  par  les  premiers  voya- 
geurs ont  disparu  entièrement  ;  en  sorte  qu'on  est  embarrassé 
aujourd'hui  pour  reconnaître  certains  objets  dont  ils  parlent 
dans  leur  relation. 

Il  paraît  donc  urgent,  Sire,  de  rassembler  tous  les  monumens 
des  peuples  dont  il  s'agit,  et  que  l'on  pourra  désormais  se  procu- 
rer, et  de  les  réunir  dans  un  dépôt  où  ils  seront  classés  dans  un 
ordre  méthodique  et  propre  à  éclairer  par  leur  étude  comparée 
les  grandes  questions  à  la  solution  desquelles  ils  se  rattachent. 
Presque  tous  ceux  de  ces  monumens  qui  ont  été  portés  en 
France,  souvent  en  très-grand  nombre,  pour  certains  d'entre 
eux,  depuis  les  premiers  voyages  autour  du  monde,  ont  été 
disséminés  et  sont  perdus  pour  la  science,  faute  d'un  dépôt  sem- 
blable destiné  à  les  réunir.  Les  marins  en  apportent  journelle- 
ment, qui  éprouvent  le  même  sort.  Ne  les  considérant  que 
comme  de  simples  objets  de  curiosité,  les  établissemens  publics 
ont  presque  toujours  dédaigné  de  les  recueillir.  A  la  vérité,  on  a 
eu  depuis  quelques  années,  dans  les  divers  ports  militaires  du 


138  LES    ORIGINES 

royaume.  Sire,  l'heureuse  idée  de  former,  de  ces  monumens, 
des  collections  qui  se  sont  accrues  par  les  dons  volontaires  des 
officiers  de  votre  Marine  royale  ;  dans  toutes  les  occasions  le 
zèle  éclairé  de  ces  officiers  saisit  les  moyens  d'être  utile  aux 
progrès  des  sciences,  et  par  là  ces  monumens  ont  échappé  à  leur 
dissémination,  et  enfin  à  la  perte  inévitable  qui  en  eût  été  la 
suite.  Les  deux  plus  brillantes  expéditions  autour  du  monde  qui 
aient  été  faites  dans  ces  derniers  temps,  sous  les  auspices  et  par 
les  ordres  de  feu  S.  M.  Louis  XYIII,  furent  très  riches  en  résul- 
tats de  ce  genre  ;  mais  presque  tout  ce  qu'avaient  rapporté  les 
officiers  qui  les  composaient  a  été  malheureusement  disséminé, 
ces  officiers  n'ayant  trouvé  aucun  dépôt  destiné  à  le  recueillir. 
Toutefois,  il  existe  à  Paris  et  dans  l'intérieur  du  royaume  une 
assez  grande  quantité  de  ces  monumens  qui,  dans  leur  isolement 
ont  peu  d'intérêt,  mais  qui,  par  leur  réunion,  acquerraient  beau- 
coup de  prix;  et  nul  doute,  Sire,  que  si  V.  M.  daigne  ordonner 
la  création  d'une  collection  spéciale  pour  tous  produits  de  l'in- 
dustrie et  des  arts  des  peuples  indigènes  de  TAfrique,  des  Archi- 
pels de  l'Asie,  de  FOcéanie  et  des  Deux-Amériques,  le  zèle  d'une 
foule  de  voyageurs,  de  savans,  de  quelques  particuliers  et  de 
tous  les  marias  de  votre  Marine  royale  ou  de  la  marine  mar- 
chande ne  les  porte  à  enrichir  successivement  cet  établissement 
royal  d'une  quantité  de  monumens  précieux  déjà  recueillis,  ou 
que  leur  désir  d'accroître  ces  richesses  leur  fera  rechercher  dans 
leurs  voyages  de  long  cours.  Déjà  des  dons  de  cette  nature  ont 
été  offerts  par  divers  officiers  de  marine  et  par  quelques  hommes 
zélés  pour  la  science,  dont  je  m'empresserai  de  mettre  les  tioms 
sous  les  yeux  de  Y.  M.,  si  elle  daigne  m'y  autoriser;  quelques 
monumens  de  cette  espèce  existent  ici  depuis  long-temps  dans 
des  élablissemens  publics,  où  ils  ont  été   relégués   dans   des 
magasins  parce  qu'ils  ne  sont  pas  en  harmonie  avec  le  but  spé- 
cial de  ces  établissemens  ;  dès  que  l'on  saura  qu'il  existe  un 
point  central  do  réunion  pour  ces  monumens,  il  est  dans  la 
nature  des  choses  que  bien  des  objets  isolés  soient  déposés  dans 
la  nouvelle  collection,  qui  pourra  ainsi,  en  peu  d'années,  être 
assez  riche  pour  remplir  son  utile  destination. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  159 

La  création  de  ce  Musée,  Sire^  sera  une  nouvelle  preuve  de  la 
sollicitude  de  V.  M.  pour  les  sciences  géographiques  et  histo- 
riques, honorées  d'une  constante  protection  par  les  illustres 
prédécesseurs  de  V.  M.,  et  dont  elle-même  a  donné  un  si  éclatant 
témoignage  par  les  importans  monumens  dont  sa  munificence 
a  doté,  l'année  dernière,  le  Musée  du  Louvre.  En  ouvrant  ainsi, 
dans  la  capitale  de  ses  États,  aux  nationaux  et  aux  étrangers  un 
nouveau  champ  d'observations  et  d'études,  pour  lequel  on 
n'avait  point  jusqu'ici  les  ressources  nécessaires,  V.  M.  assurera 
des  résultats  qui  ne  peuvent  manquer  d'avoir  le  plus  haut  intérêt 
pour  l'histoire  du  genre  humain,  en  général,  et  pour  toutes  les 
sciences  qui  sont  l'objet  des  plus  utiles  études. 

La  collection  que  j'ai  l'honneur  de  proposer  à  V.  M.  de  former, 
compléterait  ainsi  la  série  des  monumens  des  différens  peuples 
dans  son  Musée  royal  du  Louvre,  et  sur  lesquels  s'appuient  les 
recherches  historiques  auxquelles  ces  monumens  peuvent  servir 
de  base. 

Pour  mettre  cette  nouvelle  fondation  en  harmonie  avec  l'orga- 
nisation actuelle  du  Musée  royal  du  Louvre,  il  suffira  que  V.  M. 
daigne  considérer  :  1"  que  la  première  section  du  Musée  se  com- 
pose des  monumens  antiques  ou  du  moyen-âge,  provenant  de 
tous  les  peuples  de  l'Europe,  surtout  des  monumens  grecs  et 
romains  ;  2°  que  la  seconde  section  renferme  les  monumens 
égyptiens  et  orientaux  de  toute  origine,  dans  lesquels  sont  com- 
pris les  monumens  phéniciens  et  carthaginois  et  ceux  de  tous 
les  peuples  de  l'Asie  ^  Les  monumens  de  ces  derniers  peuples 
ne  peuvent  se  séparer  selon  l'ordre  des  temps,  malgré  l'antique 
civilisation  de  la  plupart  des  nations  asiatiques,  à  cause  de  l'im- 
mutabilité de  leurs  doctrines  et  de  leurs  habitudes,  ni  selon  leurs 

1)  Au  sujet  de  celte  classification  basée  sur  les  convenances  historiques,  et 
qui,  du  reste,  n'aurait  pas  rompu  l'ordonnance  géographique,  ni  les  divisions 
subordonnées  de  celle-ci,  d'après  la  nature  des  monumens,  nous  croyons  devoir 
rapporter  le  billet  ci-joint,  de  M.  de  Humboldt,  qui  m'avait  permis  de  recourir 
à  ses  lumières. 

«  C'est  une  belle  et  noble  entreprise  que  de  faire,  comme  vous  le  dites,  l'his- 
toire du  genre  hunaaia  par  les  monumens.  L'exécution  de  ce  projet  est  bien 
digne  d'un  ministre  qui  encourage  aussi  généreusement  les  arts  et  l'érudition, 


160  LES   ORIGINES 

divisions  géographiques,  à  cause  des  rapports  que  présentent 
tous  les  monumens  des  peuples  de  cette  vaste  contrée,  depuis  la 
Perse  jusqu'au  Japon.  Il  convenait  donc  de  rallier  dans  la  même 
section  tous  les  monumens  de  TAsie  et  ceux  des  nations  de  l'A- 
frique qui  ont  joué  un  rôle  dans  l'antiquité.  La  troisième  section 
projetée  comprendrait  tous  les  monumens  des  peuples  de  l'A- 
frique chez  lesquels  la  civilisation  europénne  n'a  point  encore 
pénétré  ;  ceux  de  tous  les  Archipels  de  l'Asie  (malgré  les  traces 
d'une  sorte  do  civilisation  assez  ancienne,  et  du  culte  do  Boud- 
dha chez  les  peuples  malais  de  quelques-unes  de  ces  îles,  dont  les 
moQumens  ont  par  là  des  rapports  avec  ceux  de  l'Inde  ;  mais 
afin  de  conserver  une  division  géographique ,  qui ,  sous  les 
points  de  vue  généraux,  est  plus  convenable),  des  îles  de  la  mer 
du  Sud  et  des  Deux-Amériques. 

Pour  la  plupart  de  ces  peuples  modernes,  on  trouve  plutôt  des 
témoignages  de  leurs  habitudes  physiques  que  de  leurs  opinions 
sociales  ;  leurs  monumens  formeraient  le  dernier  chaînon  du 
Musée,  qui  présenterait  ainsi  dans  un  vaste  ensemble  le  tableau 
méthodique  des  travaux  intellectuels  des  peuples  les  plus 
célèbres,  antérieurs  à  la  civilisation  moderne,  et  celui  des  pre- 
miers essais  des  peuplades  qui  n'ont  pas  encore  ressenti  ses 
bienfaits  :  ce  serait  l'histoire  entière  du  genre  humain  par  les 
monumens. 

Le  projet  d'ordonnance  qui  suit  ce  rapport  réalise  toutes  ces 
vues  :  je  les  soumets  respectueusement  à  l'approbation  de  V.  M. 

Note  additionnelle. 

Cette  note  était  imprimée  lorsque  M.  Jomard  a  bien  voulu 
m'adresser  un  exemplaire  d'un  écrit  publié  sous  le  titre  de 
Considérations  sur  l'objet  et  les  avantages  d'une  Collection  spc- 

que  d'autres  minisires  semblent  apporter  de  soin  à  les  élouITer.  Je  ne  querelle- 
rai pas  sur  la  division  en  3  sections,  dont  la  2"  me  paraît  renfermer  de.s  objets 
un  peu  hétérogènes.  Les  Égyptiens,  les  Assyriens  et  les  Perses  ;  les  embran- 
chemens  de  la  religion  de  Brahma  et  du  Bouddhisme  ;  les  Chinois  et  les  Japo- 
nais, me  paraissent  former  des  groupes  bien  distincts  ;  mais  ces  divisions 
peuvent  toujours  se  faire  dans  la  suite  »,  etc. 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  l6l 

ciale  consacrée  aux  cartes  géofjraphiques  et  aux  diverses  branches 
de  la  géographie.  Cet  écrit,  qui  iiï était  inconnu,  a  été  distribué 
à  un  très  petit  nombre  d'exemplaires,  et  j'ignore  s'il  vient  de  pa- 
raître ou  s'il  est  publié  depuis  quelques  mois.  Il  m'explique  d'ail- 
leurs le  nouveau  projet  d'uu  Musée  ethnographique  près  la 
Bibliothèque  du  Roi,  et  c'est  seulement  sous  ce  point  de  vue  que 
je  m'en  occuperai  ici. 

M.  Jomard,  cherchant  comment  la  Collection  des  cartes  peut 
atteindre  son  plus  haut  degré  d'intérêt  et  d'utilité  scientifique, 
arrive  à  cette  conclusion,  qu'il  faut  y  réunir  :  i^  tous  les  produits 
des  arts  et  de  ^industrie  des  peuples  sauvages  ;  2  '  les  représenta- 
tions topographiques  en  reliefs  dont  il  forme  une  division  sous  le 
nom  ôi'Hypsologie  ;  3"  les  cartes  hypsographiques  et  les  cartes  en 
relief. 

Il  est  évident  que  la  Collection  des  cartes  géographiques  ayant 
pour  objet  de  réunir  les  diverses  représentations  graphiques  de 
la  surface  terrestre  et  de  toutes  ses  parties,  on  peut,  on  doit  y 
réunir  les  cartes,  les  plans  ou  les  globes  qui,  par  des  procédés 
divers,  sont  également  destinés  à  reproduire  tout  ou  partie  de  la 
configuration  et  des  détails  de  cette  même  surface.  Ce  sont  des 
choses  de  même  nature,  qui  ont  un  but  semblable,  et  il  ne  peut, 
il  ne  doit  point  en  être  autrement.  Mais  il  n'en  est  plus  de  même 
pour  les  monumens  qui  doivent  composer  le  Musée  ethnogra- 
phique; ces  monumens  appartiennent  à  l'histoire  des  arts,  de 
l'industrie  et  de  la  civilisation  des  peuples;  ce  sont,  en  un  mot, 
des  monutnens  historiques. 

Il  est  incontestable  qu'ils  peuvent,  dans  bien  des  cas,  être 
utiles  aux  connaissances  géographiques,  qui  trouvent  dans  leur 
étude  des  secours  efficaces  ;  mais  il  en  est  ainsi  des  médailles  qui 
nous  ont  fait  connaître  quelques  municipimn  dont  Ptolémée  et 
Pline  n'ont  pas  fait  mention;  des  inscriptions  qui  constatent 
l'existence  de  peuples  dont  les  livres  des  anciens  ne  parlent  pas 
et  d'une  foule  de  monumens  grecs^  romains,  étrusques,  qui  nous 
font  seuls  connaître  certains  usages  des  peuples  qui  nous  ont 
devancés  dans  l'ordre  des  temps.  Le  dépôt  des  caries  géographi- 
ques pourrait-il  aussi  revendiquer  les  médailles,  les  inscriptions, 

11 


162  LES    ORIGINES 

les  monumens  antiques,  par  suite  de  ces  lumières  que  leur  em- 
pruntent les  connaissances  géographiques?  Les  produits  directs 
du  sol^  les  végétaux  et  les  animaux,  dont  les  espèces  les  plus 
marquantes  caractérisent  les  diverses  parties  de  la  surface  ter- 
restre auraient  plus  de  droit  à  être  considérés  comme  élémens 
de  la  géographie  physique  du  globe,  et  comme  tels,  réclamés 
pour  faire  partie  du  dépôt  géographique.  Le  Musée  tout  entier 
du  Louvre  et  le  Muséum  du  Jardin  du  Roi  devraient  ainsi  se 
réunir  à  la  conservation  des  cartes  géographiques.  Ce  serait 
alors  un  Musée  encyclopédique  ;  il  suffit  d'exposer  les  consé- 
quences rigoureuses  du  raisonnement  qu'établit  M.  Jomard  pour 
qu'il  en  reconnaisse  lui-même  le  peu  de  fondement.  Toutes  les 
sciences,  tous  les  arts,  comme  tous  les  Musées  qui  leur  sont  con- 
sacrés, se  prêtent  un  mutuel  secours,  mais  la  spécialité  d'étude 
et  de  destination  peut  seule  produire  cet  heureux  résultat  :  si 
tout  était  confondu  il  n'y  aurait  de  lumière  nulle  part. 

M.  Jomard  a,  du  reste,  oublié,  dans  sa  brochure,  de  faire  la 
plus  petite  mention  du  Musée  ethnographique  dont  l'établisse- 
ment au  Louvre  a  été  décidé  et  des  collections  qui  s'y  trouvent 
déjà,  réunies  en  conformité  de  cette  décision. 

P.-S.  —  On  nous  assure  que  le  Conservatoire  (la  réunion  des 
conservateurs)  de  la  Bibliothèque  royale  s'est  formellement  pro- 
noncé contre  l'adjonction  à  cet  établissement  d'un  Musée  qui  est 
tout  à  fait  étranger  à  sa  destination  spéciale. 


CHAPITRE  V 

Lettre  de  Jomard  sollicitant,  à  roccasion  de  la  collection  Lamare-Picquot, 
l'exécution  de  l'ordonnance  de  1828,  en  ce  qui  concerne  l'ethnographie.  — 
Constitution  d'une  Commission  spéciale.  — Objections  de  ChampoUion-Figeac, 
et  réponse  qui  leur  est  faite.  —  Rapport  de  la  Commission.  —  Calcul  approxi- 
matif de  l'espace  et  de  la  dépense  nécessaires  au  dépôt  ethnographique.  — 
Note  de  Hipp.  Royer-Collard.  —  Ajournement. 


IN»  XXVl 

BIBLIOTHÈQUE    DU  ROI  ' 

Paris,  14  août  1831. 

A  Monsieur  le  Ministre,  secrétaire  d'État  au  Département  du 
Commerce  et  des  Travaux  publics. 

Monsieur  le  Ministre, 

J'ai  l'honneur  de  mettre  sous  vos  yeux  quelques  réflexions 
très  succinctes  sur  l'utilité  d'une  collection  qui  manque  à  la 
France  et  sur  les  moyens  de  la  former.  C'est  une  lacune  qu'on 
est  surpris  de  trouver  encore  dans  la  capitale  de  la  civilisation  : 
il  sera  g-lorieux  pour  vous  de  la  remplir.  Cette  collection  est  une 
série  d'objets  qui  intéressent  ï Ethnographie. 

L'opinion  l'appelle;  les  sciences  géographiques  et  historiques 
la  réclament. 

Tout  récemment,  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres 
de  l'Institut  de  France  vient  de  manifester  son  vœu  à  cet  égard 
dans  un  rapport  qui  sera  mis  sous  vos  yeux  par  M.  Lamare- 
Picquot,  qui  a  eu  occasion,  dans  son  voyage  aux  Indes,  de 
recueillir  un  grand  nombre  d'objets  intéressans,  venant  des  con- 
trées de  l'intérieur  de  l'Asie.  J'ose  appeler,  Monsieur  le  comte, 
votre  attention  particulière  sur  ce  rapport,  en  même  tems  que 
sur  les  réflexions  que  j'ai  l'honneur  de  joindre  à  cette  lettre. 

1)  Cette  pièce  et  toutes  celles  qui  suivent  et  (li)nt  la  provenance  n'est  pas 
ndiquée,  constituent  un  fonds  d'archives  spécial,  acluellement  conservé  au 
Ministère  de  l'Instruction  publique. 


164  LES    ORIGINES 

Le  principe  de  cette  collection  est  posé  dans  une  ordonnance 
royale,  il  n'est  pas  question  d'une  création  nouvelle.  Cette 
ordonnance^  en  date  du  30  mars  1828  S  porte  qu'au  Département 
de  Géographie  de  la  Bibliothèque  du  Roi  seront  joints  les  objets 
provenant  des  voyages  scientifiques,  ordonnés  par  le  Ministère 
de  l'Intérieur.  En  exécution  de  cette  mesure,  les  objets  prove- 
nant de  l'expédition  d'Egypte  ont  été  déposés  avec  les  collections 
géographiques. 

Les  fragmeus  qu'il  s'agit  de  réunir  sont  principalement  ceux 
qui  peuvent  jeter  des  lumières  sur  le  degré  de  civilisation  des 
peuplades  et  des  tribus  peu  avancées  dans  l'échelle  sociale,  les 
produits  de  leurs  arts  encore  imparfaits,  les  représentations 
propres  à  faire  distinguer  le  caractère  des  races,,  les  outils,  les 
instrumens  et  ustensiles,  les  vases,  meubles  et  ornemens  de  l'éco- 
nomie domestique,  et  les  symboles  du  culte  et  des  superstitions. 

La  ville  de  Pétersbourg  possède  déjà  un  musée  [ethnogra- 
phique et  d'autres  villes  de  l'Europe  en  renferment  de  semblables 
ou  d'analogues. 

La  Bibliothèque  royale,  qui  est  en  réalité  la  réunion  de  cinq 
Musées  difîérens,  convient  mieux  que  tout  autre  à  cette  desti- 
nation. 

Il  n'y  a  pas  de  frais  à  faire  pour  ce  local.  Celui  qui  est  affecté 
au  Département  de  la  Géographie  suffit  et  convient  parfaitement 
pour  cet  objet  scientifique. 

La  garde  et  la  conservation  de  ces  objets  n'entraîneront  aucune 
dépense  ;  le  conservateur  actuel  et  l'employé  qui  le  seconde 
suffiront  à  ce  travail. 

Beaucoup  d'objets  de  la  nature  de  ceux  dont  il  s'agit  appar- 
tiennent à  l'État  ;  il  suffit  d'ordonner  qu'ils  soient  réunis  dans  un 
môme  local.  Il  en  est  qui  sont  dans  les  établissemens  publics, 
d'autres  dans  les  collections  royales,  d'autres  dans  les  mains  de 
voyageurs  qui  ne  demanderont  pas  mieux  que  de  les  déposer 
dans  un  établissement  public,  avec  les  noms  des  donateurs. 

Ce  n'est  que  par  leur  réunion  et  leur  rapprochement  que  ces 
objets  peuvent  avoir  de  l'utilité  et  répandre  l'instruction. 

1)  Voyez  plus  haut  pièce  n"  XIV. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  465 

1»  Le  Musée  d'Histoire  naturelle  *  possède  un  certain  nombre 
de  frag-mens  qui  ne  se  lient  point  avec  le  tableau  des  productions 
naturelles.  Les  voyageurs  les  y  ont  placés,  faute  d'un  local  spé- 
cial affecté  à  cette  destination.  L'administration  du  Musée  est 
toute  disposée  à  les  remettre  pour  cet  usage.  Il  est  d'autres  Eta- 
blissemens  publics  qui  peuvent  suivre  cet  exemple  ^ 

2°  Il  existe  à  Alger  des  objets  curieux  en  ce  genre.  Il  suffirait 
que  le  Ministre  de  la  guerre  écrivît  au  commandant  en  chef 
pour  qu'on  les  conserve,  qu'on  les  réunisse  et  qu'on  les  envoie  à 
Paris  :  ils  appartiennent  aux  tribus  berbères  et  aux  peuplades  de 
l'Atlas.  Déjà  l'attention  du  Ministère  a  été  appelée  sur  cette 
localité  ^ 

3°  J'offre  moi-même  de  céder  les  objets  que  j'ai  rapportés  de 
mes  voyages.  Il  me  sera  facile,  par  mes  relations  en  Egypte,  de 
me  procurer  des  objets  curieux  venant  de  TEtbiopie  intérieure. 
J'en  puis  dire  autant  du  Sénégal  et  de  plusieurs  contrées  de 
l'Afrique  centrale. 

4°  Plusieurs  produits  de  l'industrie  des  Mexicains  et  des  indi- 
gènes de  l'Amérique  centrale*  se  trouvent,  en  ce  moment,  réunis 
dans  la  capitale  ;  il  est  très  facile  de  se  les  procurer.  On  y 
trouve  des  fragmens  d'un  grand  intérêt  pour  l'histoire  des  rites 
et  usages  des  aborigènes  et  même  pour  les  rapprochemens  à 
faire  avec  l'ancien  monde.  Je  connais  à  Paris  deux  collections  de 
cette  espèce,  dont  l'une  sera  peut-être  offerte  au  gouvernement. 

5"  La  collection  que  M.  Lamare-Picquot  a  rapportée  de  l'Inde 
et  du  Cap  de  Bonne-Espérance,  ombrasse  une  très  grande  variété 
d'objets  en  tout  genre,  relatifs  aux  mœurs,  aux  coutumes,  à 
l'économie  domestique  et  aux  arts.  On  y  trouve  beaucoup  de 

1)  Voyez  plus  loin  pièces  nos  XLVI  et  suiv. 

2)  L'auteur  vise  les  colkctions  que  conservent  encore  la  Bibliothèque  Sainte- 
Geneviève  et  quelques  autres  établissements  de  Paris.  (E.  H.) 

3)  Une  partie  de  ces  objets  algériens  sont  devenus,  je  l'ai  déjà  dit,  la  propriété 
du  Musée  d'Artillerie,  d'autres  sont  allés  au  Musée  de  Marine,  au  Louvre. 

(E.H.) 

4)  Jomard  fait  allusion  encore  une  fois  ici  aux  collections  d'antiquités  mexi- 
caines de  Latour-Allard  et  Franck,  acquises  ensuite  par  le  Louvre,  à  celle  de 
Baradère,  et  à  une  petite  série  de  Colombie,  passées  plus  tard  avec  ses  propres 
collections  au  musée  Berthoud,  à  Douai.  (E.  H.) 


166  LES    ORIGINES 

figures  en  relief  qui  représentent  les  différentes  castes  et  les 
diverses  professions  des  indigènes  et  qui  sont  travaillées  dans  le 
pays  même,  avec  un  certain  art  :  elles  peuvent  contribuer  à 
éclaircir  l'ethnographie.  Le  voyageur  est  très  disposé  à  céder  au 
gouvernement  sa  collection,  sur  laquelle  l'Académie  a  exprimé 
une  opinion  très  favorable.  Il  importe  de  ne  pas  laisser  échap- 
per une  occasion  si  avantageuse  de  réparer  toutes  les  pertes  que 
nous  avons  faites  en  ce  genre. 

Cet  objet,  Monsieur  le  comte,  n'est  pas  indigne  de  votre  solli- 
citude et  je  l'invoque  avec  confiance,  persuadé  que  vous  recon- 
naîtrez l'utilité  d'une  collection  semblable.  C'est  une  affaire  qui 
intéresse  l'honneur  national  et  il  ne  faut  pas  qu'on  accuse  la 
France  de  négliger  aucune  des  gloires  scientifiques.  J'ai  regardé 
comme  un  de  mes  devoirs,  Monsieur  le  comte,  d'appeler  votre 
attention  sur  une  vue  nouvelle  qui  me  paraît  se  rattacher  essen- 
tiellement à  l'histoire  des  découvertes  et  à  la  principale  collec- 
tion géographique  dépendant  du  Ministère. 

Agréez,  Monsieur  le  comte,  l'hommage  du  respect  avec  lequel 
j'ai  l'honneur  d'être 

Vo^re  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

JOMARD, 
membre  de  Tlnstitut  *. 

1)  En  marge  de  la  pièce  le  Ministre  écrit  :  «  M.  Royer-Collard,  conférer.  »  — 
«  J'ai  parlé  à  M.  Cuvier  des  objets  qui  se  trouvent  au  Jardin  des  plantes  et  qui 
pourraient  trouver  place  dans  un  musée  ethnographique,  il  ne  demande,  pas 
mieux  de  les  céder.  —  Mais  on  avait  commencé  une  collection  ethnographique 
au  Louvre  sous  le  nom  de  Musée  Dauphin.  — •  Il  faudrait  me  proposer  la  nomi- 
nation d'une  commission  pour  examiner  la  proposition  de  Jomard  et  les  moyens 
d'exécution.  —  Consulter  M.  Cuvier  sur  la  composition  de  la  commission.  —  Il 
y  faudrait  M.  Cuvier,  M.  Kératry,  quelqu'un  de  la  Bibliothèque  royale, 
M.  Jomard,  etc.  —  Quant  à  la  collection  Lamarre,  il  propose  de  la  donner  gra- 
tuitement, mais  il  voudrait  être  renvoyé  comme  voyageur  du  Musée  dans  l'Hin- 
doustan,  cela  me  paraît  difficile.  »  Je  n'ai  pas  retrouvé  la  demande  à  laquelle  se 
rapporte  cette  dernière  note,  (E.  H.) 


3"  DIVISION 

I*""   Bureau. 

Beaux-Arts  et 
Sciences. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  167 

N°  XXVII 

MINISTÈRE  DU  COMMERCE  ET  DES  TRAVAUX  PUBLICS 

Paris,  24  août  1831. 


Le  Ministre, 
A  M.  le  baron  Cuvier,  conseiller  d'État,  etc. 

Monsieur  le  baron, 
M.  Jomard  a  proposé  la  création  d'un  Musée  Ethnographique 
près  du  Département  de  la  Géographie  à  la  Bibliothèque  du  Roi. 
Comme  une  collection  de  ce  genre  existe  déjà  au  Louvre  sous 
le  nom  de  Mmée  Dauphin,  je  voudrais,  avant  de  prendre  un 
parti,  avoir  votre  avis  et  celui  d'une  commission  sur  les  proposi- 
tions de  M.  Jomard  et  sur  les  moyens  d'exécution  dans  le  cas  oii 
il  serait  reconnu  utile  de  donner  suite  à  ces  propositions. 

Je  vous  serai  obligé.  Monsieur  le  baron,  de  vouloir  bien  me 
désigner  confidentiellement  les  personnes  dont  il  conviendrait 
de  composer  cette  commission  que  vous  présiderez  et  dont  il 
serait  bien  que  M.  Kératry,  député,  M.  Jomard  et  un  autre 
membre  du  Conservatoire  de  la  Bibliothèque  fissent  aussi  partie. 
Agréez,  etc. 

Le  pair  de  France,  miniatre-secrétaire  d'Etat 
du  Commerce  et  des  Travaux  piiblics, 
Comte  d'Argout. 


N»  XXYIII 

CONSEIL  d'état 

Paris,  27  août  1831. 
Monsieur  le  comte. 

Ce  sera  avec  plaisir  que  je  concourrai  pour  ma  part  à  l'examen 
d'un  projet  de  Musée  Ethnographique.  Il  me  paraît  que  MM.  A. 
Rémusat  et  Letronne,  membres  de  l'Académie  des  B.  B.  L.  L. 


168  LES    ORIGINES 

seraient  les  personnes  les  plus  propres  à  compléter  la  commis- 
sion. Le  premier,  comme  vous  le  désirez,  Tun  des  conservateurs 
de  la  Bibliothèque  du  Roi,  M.  Kératry,  y  sera  aussi  très  bien 
placé  et  y  consent  volontiers. 
Veuillez  agréer,  etc. 

CUVIER. 


N°  XXIX 


3e  DIVISION 

1^"^   Bureau. 

Beaux-Arts  et 
Sciences. 


MINISTÈRE  DU  COMMERCE  ET  DES  TRAVAUX  PUBLICS, 

Paris,  20  avril  1831. 


Le  Ministre, 

A  M.  Abel  Mémusat,  membre  de  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres^. 

Monsieur, 

Une  ordonnance  du  30  mars  1828  porte  que  les  objets  prove- 
nant des  voyages  scientifiques  effectués  sous  la  protection  du 
g-ouvernement  et  qui  n'auraient  pas  une  destination  spéciale, 
seront  joints  au  département  de  géographie  de  la  Bibliothèque 
royale.  Cette  ordonnance  a  suggéré  l'idée  d'établir  un  Musée 
Ethnographique.  Une  pareille  collection,  précieuse  pour  la  géo- 
graphie et  l'histoire,  sera  vue  généralement  avec  intérêt.  Déjà 
l'un  de  nos  voyageurs  naturalistes,  M.  Lamaro-Picquot,  propose 
au  gouvernement  l'abandon  d'un  assez  grand  nombre  d'objets 
recueillis  par  lui  dans  les  contrées  intérieures  de  l'Asie,  à  l'é- 
poque de  son  voyage  aux  Indes.  L'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres  paraît  elle-même  appuyer  le  projet  d'établissement 
dont  il  s'agit  et  dont  M.  Jomard  vient  de  m'entretenir  par  écrit. 
Avant  de  prendre  une  détermination  à  ce  sujet,  j'ai  pensé  que  je 
devais  m'entourer  de  tous  les  conseils  propres  à  m'éclairer  ;  j'ai 

(1.  Même  lettre  à  M.  Letronne  et  à  M.  Kératrv. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  169 

donc  décidé  qu'une  commission  serait  formée  à  l'efTet  d'exami- 
ner la  proposition  cl  d'en  discuter  les  moyens  d'exécution. 

Cette  commission  devant  être  composée  des  hommes  les  plus 
versés  dans  les  sciences  auxquelles  se  rattache  l'institution  pro- 
jetée, je  vous  ai  désigné,  Monsieur,  pour  en  faire  partie  et  j'ai 
cru  pouvoir  compter  en  cette  circonstance  sur  le  concours  de  vos 
lumières. 


Agréez,  etc. 


Le  pair  de  France^  mimstre-secrétaire  d'État 
du  Commerce  et  des  Travaux  publics, 

Comte  d'Argout. 


N°XXX 

INSTITUT  DE  FRANGE 

ACADÉMIE    ROYALE    DES    INSCRIPTIONS    ET    BELLES-LETTRES 

Varis,  le  6  mai  183i. 
Monsieur  le  comte, 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire 
et  par  laquelle  vous  m'annoncez  que  vous  m'avez  désigné  pour 
faire  partie  d'une  Commission  chargée  d'examiner  le  projet  rela- 
tif à  l'établissement  d'un  dépôt  ethnographique.  Je  suis  très  flatté 
de  cette  marque  de  confiance,  et  j'ai  l'honneur  de  vous  en  offrir 
mes  remercimens.  Je  serai  toujours  empressé  de  concourir, 
selon  mes  foibles  moyens,  aux  discussions  qui  peuvent  préparer 
ds  institutions  utiles  et  servir  la  cause  des  lettres  et  des  études 
auxquelles  je  suis  et  serai  toujours  dévoué. 

Veuillez,  Monsieur  le  comte,  agréer  les  hommages  de  mes 
sentimens  les  plus  respectueux. 

J.  P.  Abel  Rémusat. 


170  LES    ORIGINES 


3^  DIVISION 

1er    Bureau. 


N»  XXXI 

MINISTÈRE    DU    COMMERCE    ET   DES  TRAVAUX    PUBLICS 


Beaux-Arts  et  faris,  7  mai  1831, 

Sciences. 

Le  Ministre, 
A  M.  le  baron  Cuvier,  conseiller  d'Etat,  etc. 
Monsieur  le  baron, 

J'ai  l'honneur  de  vous  prévenir  que  je  viens  de  former  la  com- 
mission qui  doit  examiner  le  projet  d'établissement  d'un  Musée 
ethnographique.  Les  personnes  que  j'ai  désignées  pour  com- 
poser cette  commission,  sont  MM.  Abel  Rémusat  et  Letronne, 
membres  de  l'Académie  royale  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres, 
et  M.  Kératry,  membre  de  la  Chambre  des  députés,  que  vous 
avez  bien  voulu  m'indiquer.  Je  viens  de  leur  adjoindre  aussi 
M.  Duparquet  à  titre  de  membre  et  comme  devant,  en  outre, 
remplir  les  fonctions  de  secrétaire  de  la  commission. 

Je  compte  sur  le  concours  de  leurs  lumières  en  cette  circons- 
tance, ainsi  que  sur  la  promesse  que  vous  m'avez  faite  de  parti- 
ciper de  votre  côté,  comme  président^  à  l'examen  du  projet  dont 
il  s'ag-it. 


Agréez,  etc. 


Le  pair  de  France,  ministre-secrétaire  d'État 
du  Commerce  et  des  Travaux  Publics. 

Comte  d'Argout. 


N°  XXXII 

Paris,  le  7  mai  1831. 
Le  Ministre, 

A  M.  Duparquet. 
Monsieur, 
J'ai  l'honneur  do  vous  annoncer  que  je  vous  ai  désigné  pour 
faire  partie  de  la  commission  qui  doit  examiner  le  projet  d'éta- 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  471 

blissement  d'un  Musée  ethnographique,  et  pour  remplir  en  outre 
les  fonctions  de  secrétaire  de  cette  commission.  Les  personnes 
dont  j'ai  fait  choix  jusqu'ici,  sont  :  le  baron  Cuvier,  qui  doit 
présider  la  Commission;  MM.  Abel  Rémusat  et  Letronne,  mem- 
bres de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  et  M.  Ké- 
ratry,  député. 

J'ai  cru  pouvoir  compter,  en  cette  circonstance,  sur  le  con- 
cours de  vos  lumières. 

Agréez,  etc. 

Le  pair  de  France ^  ministre-secrétaire  d'Etat 
du  Commerce  et  des  Travaux  Publics. 

Comte  d'Argout. 


N"  XXXIIl 

BIBLIOTHÈQUE  DU   ROI 

Faris,  le  10  mai  1831. 
Monsieur  le  comte, 

J'entends  parler  d'un  Musée  ethnographique,  pour  lequel  on 
sollicite  votre  zèle  et  vos  lumières  :  mais  l'auteur  de  ce  beau 
projet  et  de  tant  d'autres  ne  vous  a  pas  dit  que  ce  Musée  est 
établi,  commencé  et  en  voie  de  s'accroître  journellement.  Il  a 
été  fondé  par  M.  le  duc  de  Doudeauville  durant  son  ministère  ; 
il  a  été  fixé  au  Louvre  sous  le  nom  de  Musée  d'Angoulême  ;  il 
renfermera  les  modèles  de  marine  et  les  productions  de  l'indus- 
trie des  peuples  de  l'Océanie,  de  l'Inde,  etc.  Enfin,  des  instruc- 
tions déjà  anciennes  du  Ministre  de  la  Marine,  ont  été  remises  à 
tous  les  officiers  de  la  marine  royale,  dans  l'objet  de  les  engager 
à  enrichir  le  nouveau  Musée.  C'est  aussi,  dans  ce  même  objet, 
qu'une  personne  que  je  désignai  à  M.  le  duc  de  Doudeauville  fut 
chargée  d'acheter  tout  ce  qui,  chez  les  marchands  de  curiosités 
et  même  dans  des  cabinets  particuliers,  pouvait  entrer  dans  ce 
Musée  ;  M.  Zédé,  officier  de  marine,  en  est  le  conservateur. 

J'ai  cru  devoir  vous  communiquer  ces  détails,  en  ayant  l'hon- 


172  LES    ORIGINES 

neur  de  vous  prier,  Monsieur  le  comte,  de  les  agréer  comme  un 
nouveau  témoignage  de  mon  respectueux  et  sincère  dévoue- 
ment. 

J.-J,  Ghampollion-Figeac. 


N°  XXXIV 


S*'  DIVISION 

le'  Bureau. 

Beaux-Arts  et 
Sciences. 


MINISTÈRE  DU    COMMERCE  ET    DES    TRAVAUX     PUBLICS 

Paris,  28  mai  1831. 


LE    MINISTRE, 

A  M.  Champollion-Figeac,  à  la  Bibliothèque  du  Roi. 

Monsieur, 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire 
concernant  le  projet  qui  m'a  été  soumis  de  former  un  Musée 
ethnographique,  que  vous  pensez  devoir  être  une  répétition  de 
celui  qui  a  été  fondé  au  Louvre,  il  y  a  quelques  années,  sous  le 
nom  de  Musée  d^Angoulême. 

Le  projet  du  Musée  ethnographique  est  une  combinaison  nou- 
velle, étrangère  à  celle  du  Musée  du  Louvre  dont  j'avais  eu 
connaissance,  lorsque  j'étais  au  ministère  de  la  Marine. 

Je  ne  vous  en  remercie  pas  moins,  Monsieur,  de  l'empresse- 
ment que  vous  avez  mis  à  m'entretenir  du  nouvel  établissement, 
qui  vous  avait  semblé  devoir  faire  double  emploi  avec  celui  qui 
existait  déjà. 


Agréez,  etc. 


Le  pair  de  France,  ministre-secrétaire  d'État 
du  Commerce  et  des  Travaux  Publics. 

Comte  d'Argout. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  173 

N»  XXXV 

Paris,  le  28  mai  1831. 
Le  Ministre, 

A  Monsieur  le  baron  Cuvier,  président  de  la  Commission 
du  Musée  ethnographique. 

Monsieur  le  baron, 

M.  Letronne,  qui  a  été  nommé  membre  de  la  Commission  du 
Musée  ethnographique,  étant  parti  pour  faire  sa  tournée  d'ins- 
pection des  études,  vous  avez  proposé  de  le  remplacer  par 
M.  Burnouf  fils. 

J'approuve  votre  proposition,  Monsieur  le  baron,  et  j'écris  à 
M.  Burnouf  pour  le  prévenir  de  sa  nomination. 

Agréez,  etc. 

Le  pair  de  France,  etc. 

Comte  d'Argout. 


iN^XXXVl 

Paris,  le  28  mai  1831. 
Le  Ministre, 

A  Monsieur  Burnouf  fils. 

Monsieur, 

J'ai  Ihonneur  de  vous  annoncer  que  je  vous  ai  nommé  mem- 
bre de  la  commission  chargée  d'examiner,  sous  la  présidence  de 
M.  le  baron  Cuvier,  les  moyens  d'établir  à  Paris  un  Musée 
ethnographique. 

J'ai  cru  pouvoir  compter,  en  cette  circonstance,  sur  le  con- 
cours de  votre  zèle  et  de  vos  lumières. 

M.  le  baron  Cuvier  vous  fera  connaître  le  jour  de  la  prochaine 
réunion  de  la  commission. 

Agréez,  etc. 

Le  pair  de  France,  etc. 

Comte  d'Argout. 


174  LES    ORIGINES 

N»  XXXVII 

RAPPORT 

DE  LA  Commission  nommée  par  M.  le  Ministre  du  commerce  et  des 

TRAVAUX   PUBLICS    POUR   EXAMINER  LA  CONVENANCE  DE  LA  FORMATION 

d'un  Musée  ethnogra'phique  a  Paris. 

Monsieur  le  Ministre  , 

La  Science  géographique,  plus  étendue  aujourd'hui  qu'elle  ne 
rélait  autrefois,  comprend,  avec  la  description  physique  et  ma- 
térielle des  différentes  parties  du  globe,  l'histoire  des  races  hu- 
maines qui  l'ont  peuplé  et  l'esquisse  de  leurs  progrès  dans  la 
civilisation.  Ce  développement,  qui  date  chez  nous  d'un  petit 
nombre  d'années,  exige  un  accroissement  correspondant  dans 
les  collections  consacrées  à  la  géographie.  Les  cartes,  les  plans, 
les  reliefs  font  connaître  la  configuration  des  continents,  le  cours 
des  rivières,  la  direction  des  chaînes  de  montagnes;  l'homme  se 
montre  dans  les  produits  de  son  industrie,  dans  ses  efforts  pour 
surmonter  les  obstacles  que  lui  opposent  la  nature  et  les  climats, 
et  dans  le  résultat  de  cette  faculté  toujours  active  et  tendant 
continuellement  à  la  perfection  qui  est  un  des  attributs  caracté- 
ristiques de  notre  espèce. 

De  tout  temps  on  a  senti  la  nécessité  de  s'entourer  da  rensei- 
gnements précis  sur  l'état  des  arts  et  des  procédés  industriels 
propres  aux  nations  qui  n'ont  pas  subi  rinflucnce  européenne. 
Les  nombreuses  figures  qui  remplissent  les  atlas  et  les  relations 
des  voyageurs  n'ont  pas  d'autre  objet,  ni  de  plus  utile  destina- 
lion.  Mais  l'instruction  qu'on  y  cherche  n'est  ni  aussi  sûre,  ni 
aussi  complète  que  celle  qui  résulterait  de  l'étude  immédiate  des 
produits  de  ces  industries  exotiques. 

Ce  n'est  pas  l'intérêt  d'une  curiosité  stérile  qu'il  est  question 
de  satisfaire.  Noire  industrie  européenne,  toute  perfectionnée 
qu'elle  puisse  être,  no  peut  que  gagner  à  des  comparaisons  qui 
doivent  l'enrichir  encore  en  suggérant  ou  des  procédés  plus  sim- 
ples ou  des  usages  nouveaux  de  substances  naturelles  négligées 
chez  nous  ou  étrangers  à  nos  climals;  enfin  l'histoire,  laphiloso- 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  175 

phie  et  même  la  littérature  peuvent  trouver  une  utile  assistance 
dans  l'inspection  d'armes,  d'instruments  ou  d'outils,  dont  les 
descriptions,  prises  dans  les  auteurs,  resteraient  souvent  vag-ues, 
obscures  ou  inintellig^ibles.  Ainsi  la  connaissance  de  l'homme, 
de  son  g-énie  commercial  et  industriel  et  de  son  état  social  aux 
difTérentes  époques  et  dans  les  difTérentes  parties  du  monde,  exige 
indispensablement  la  réunion  de  tous  les  objets  dont  cette  con- 
naissance peut  se  tirer  d'une  manière  directe,  complète  et  incon- 
testable. 

Ce  sont  des  motifs  de  cette  espèce  qui  ont  eng-agé  la  plupart 
des  nations  savantes  de  l'Occident  à  réunir  des  collections  elhno- 
g-raphiques.  C'est  ainsi  que  se  sont  formées  celles  que  l'on  voit  à 
Gœtting-ue,  à  Weimar,  à  Berlin,  à  Saint-Pétersbourg  et  à  Lon- 
dres. Paris  seul  a  été  jusqu'ici  privé  de  ce  moyen  d'instruction, 
non  qu'on  ait  dédaigné  en  France  les  objets  qui  s^  rapportaient, 
mais  parce  que  ces  objets,  recueillis  dans  toutes  les  parties  du 
monde,  par  les  marins,  les  missionnaires  et  les  voyageurs,  n'ont 
pas  été  réunis  dans  un  dépôt  unique,  classés,  conservés  et  livrés 
aux  investigations  des  savants. 

On  a  pu  regretter  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  matériaux 
ethnographiques,  dispersés  dans  des  collections  d'une  nature  dif- 
férente ou  tombés  entre  les  mains  de  personnes  peu  éclairées, 
aient  été  détruits  ou  soient  devenus  un  objet  de  brocantage  sans 
intérêt  pour  la  science. 

Le  moment  semble  venu  de  remplir  cette  lacune.  Une  collec- 
tion spéciale  de  plus  semble  devoir  s'ajouter  à  celles  que  la  mu- 
nificence du  gouvernement  livre  à  la  curiosité  d'un  public 
studieux.  Un  grand  nombre  d'éléments  existent  à  Paris  et  peuvent 
être  rassemblés  sans  difficulté.  On  tirerait  ainsi  de  l'oubli  des 
matériaux  ramassés  à  des  époques  anciennes,  et  on  y  joindrait 
pendant  qu'il  en  est  temps  encore  ceux  qui  se  rapportent  à  l'é- 
poque actuelle. 

De  nombreuses  peuplades  dans  l'Amérique  et  dans  l'Océan  ont 
déjà  renoncé  à  leurs  habitudes  natives  et  à  leur  civilisation  indi- 
gène, pour  adopter  les  coutumes  dont  le  modèle  leur  a  été  porté 
parles  navigateurs  européens.  Chaque  jour  voit  effacer  quelqu'un 


176  LES    ORIGINES 

des  traits  natifs  qui  distinguaient  les  habitants  primitifs  des 
différentes  parties  du  globe.  Dans  quelques  années,  peut-être,  il 
serait  trop  tard  pour  retrouver  les  traces  de  leurs  habitudes 
nationales,  et  l'on  ne  pourrait  plus  présenter  d'une  manière 
complète  le  tableau  moral  et  intellectuel  de  toutes  les  familles  du 
genre  humain. 

Le  moment  que  la  sollicitude  du  ministre  a  choisi  pour  appeler 
l'attention  des  savants  sur  cet  objet,  ne  pouvait  d'ailleurs  être 
plus  opportun,  puisque  les  principes  qui  doivent  présider  à  une 
fondation  de  cette  espèce,  sont  aujourd'hui,  plus  que  jamais, 
généralement  connus  et  appréciés  du  public. 

Sans  doute  on  ne  comprendrait  pas  dans  une  collection  sem- 
blable les  produits  de  l'industrie  européenne,  même  transplantée 
dans  les  régions  du  Nouveau-Monde  ou  de  l'Australie.  On  en 
exclurait  pareillement  ces  objets  d'une  curiosité  frivole  que  cer- 
tains peuples  asiatiques  fabriquent  tout  exprès  pour  satisfaire  ou 
provoquer  les  caprices  des  voyageurs.  Tout  y  devrait  être  subor- 
donné à  des  idées  d'utilité,  tout  y  devrait  porter  un  caractère 
scientifique. 

Il  n'y  faudrait  pas  comprendre  non  plus  les  monuments  de 
ces  nations  maintenant  éteintes,  dont  Tarchéologie  s'attache  à 
rechercher  l'histoire  et  les  vestiges.  A  cela  près,  rien  n'en  se- 
rait exclu  de  ce  qui  peut  jeter  du  jour  sur  les  différentes  races  hu- 
maines et  sur  les  progrès  qu'elles  ont  pu  faire  dans  la  culture 
des  arts  industriels. 

lin  Europe  même,  il  existe  encore  à  présent  des  peuplades  qui 
n'ont  point  adopté  nosmœurs  et  nos  habitudes.  Celles-là,  quoique 
moins  éloignées  de  nous  que  les  habitants  de  l'Afrique  et  de 
rOcéanie,  doivent  fournir  d'intéressants  matériaux  pour  la  col- 
lection ethnographique. 

Les  Lapons,  les  Valaques  elles  Moldaves,  peut-être  même  les 
débris  des  Basques  et  des  Calédoniens,  conservent  des  traces  d'un 
perfectionnement  natif  et  spontané.  Les  Turcs  ont  apporté  dans 
la  partie  du  monde  que  nous  habitons,  de  nombreux  vestiges  de 
leur  origine  étrangère.  En  Asie,  les  nations  musulmanes,  comme 
les  Arabes,  les  Persans,  lesTurcomans  et  les  Curdes;  les  peuples 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  177 

asiatiques  qui  ont  conservé  le  christianisme,  comme  les  Armé- 
niens, les  Géorgiens  et  d'autres  nations  caucasiques;  plus  loin 
les  Indiens,  les  Thibétains,  les  Tartares,  les  Chinois,  les  Japo- 
nais, les  Ainos,  les  habitants  de  la  presqu'île  ultérieure  du  Gange, 
les  Malais  qui  ont  couvert  l'Océan  de  leurs  émigrations  et  pénétré 
jusqu'aux  îles  les  plus  reculées  de  l'Océanie;  les  habitants  du 
grand  Archipel  oriental,  les  indigènes  de  la  Nouvelle-Zélande  et 
de  la  Nouvelle-Hollande;  en  Afrique,  les  Madécasses,  les  Cafres, 
les  Hotlentots,  les  peuplades  nègres  du  Congo,  de  la  Guinée,  du 
Sénégal,  celles  de  l'intérieur  de  ce  continent  encore  si  imparfai- 
tement connu,  les  Éthiopiens,  les  Nubiens,  les  Maures  et  les 
Berbères;  en  Amérique,  tout  ce  qui  a  pu  échapper  aux  conquêtes 
des  Européens  et  résister  aux  influences  de  leurs  colonies,  toutes 
les  tribus  qui  avoisinent  les  frontières  des  Etats-Unis  ou  les  côtes 
de  la  Mer  Pacifique,  les  débris  des  anciens  Mexicains  et  Péru- 
viens, les  indigènes  du  Chili  et  des  vastes  régions  qui  s'étendent 
jusqu'au  cap  Horn,  voilà  en  peu  de  mots  l'aperçu  des  princi- 
pales nations  dont  les  productions  de  toute  espèce  doivent 
concourir  à  la  formation  du  Musée  ethnographique. 

Peut-être  serait-il  superflu  d'indiquer  en  particulier  les  diffé- 
rentes classes  d'objets  qu'on  doit  s'attacher  à  réunir.  Nous  répé- 
tons qu'aucun  de  ceux  qui  peuvent  faire  connaître  l'homme 
physique  et  l'homme  moral  sous  les  rapports  précédemment 
indiqués,  ne  doit  être  exclu  de  la  collection.  Elle  devra  donc 
comprendre  les  instruments,  vases  et  ustensiles  qui  se  rappor- 
tent à  l'agriculture,  à  la  chasse,  à  la  pêche,  ou  qui  servent  à  la 
préparation  des  aliments,  les  tissus  et  les  étoffes,  les  vêtements 
et  les  parures  qu'on  fabrique,  les  armes  ollensives  et  défensives; 
ce  qui  tient  à  la  navigation  ;  les  instruments  de  musique  et  objets 
servant  aux  jeux  et  aux  divertissements;  les  meubles,  les  outils 
employés  dans  les  arts  et  l'industrie,  les  instruments  scientifi- 
ques et  métriques  servant  à  compter,  à  peser  et  à  mesurer,  et 
généralement  tout  ce  qui  est  relatif  aux  besoins  de  l'homme  et  à 
ses  premiers  progrès  dans  la  culture  sociale.  On  ne  négligera  pas 
non  plus  des  objets  d'une   autre  nature,  propres  à  mettre  dans 

tout  leur  jour  des  facultés  d'une  autre  espèce,  les  fétiches,  les 

12 


178  LES    ORIGINES 

idoles,  les  représentations  symboliques,  les  talismans  et  amu- 
lettes, et  tout  ce  qui  tient  aux  préjugés,  aux  cérémonies  reli- 
gieuses, aux  rites  idolâtriques,  à  l'astrologie,  à  l'empirisme 
médical,  en  un  mot,  aux  formes  diverses  que  peut  revêtir  l'esprit 
superstitieux  des  sociétés  dans  leur  enfance. 

Divers  établissements  de  Paris  pourraient  être  désignés  comme 
propres  à  recevoir  la  collection  nouvelle;  la  variété  des  objets 
qui  la  composeront  pourrait  la  rapprocher  des  musées  où  sont 
déjà  conservés  les  productions  de  la  nature,  les  produits  des 
arts  et  les  résultats  des  recherches  géographiques.  Le  Jardin  des 
Plantes,  le  Louvre,  la  Bibliothèque  du  Roi  pourraient  être  enri- 
,  chis  de  ce  dépôt  de  plus  consacré  à  une  branche  intéressante  des 
connaissances  humaines.  Mais  si  l'on  s'attache  au  point  de  vue 
que  nous  avons  indiqué  précédemment,  et  que  l'on  considère 
Tethnographie  dans  les  rapports  intimes  qui  la  lient  à  la  science 
géographique,  c'est  aux  monuments  de  celle-ci  qu'il  faut  joindre 
les  objets  propres  à  éclairer  la  première. 

La  Bibliothèque  du  Roi  possède  déjà  un  dépôt  de  cartes  et  de 
plans  qui  en  constitue  le  cinquième  département.  Un  vaste  local 
offrant  le  développement  de  300  mètres  existe  dès  à  présent  dans 
cet  établissement,  et  peut,  presque  sans  aucune  dépense,  être 
disposé  pour  recevoir  sur-le-champ  les  objets  appartenant  à 
l'ethnographie.  En  les  y  rassemblant,  on  ne  fera  que  mettre  à 
exécution  l'ordonnance  du  30  mars  1828,  qui  prescrit  la  réunion 
des  objets  scientifiques  apportés  par  les  voyageurs,  sous  la  di- 
rection et  la  surveillance  du  conservateur  du  dépôt  géographique. 
Celte  disposition  aurait  l'avantage  d'épargner  les  frais  superflus 
pour  le  matériel  de  la  collection,  et  de  n'en  point  réclamer  de 
nouveaux  pour  les  conservateurs  et  employés  qu'elle  exigerait. 

On  peut  dire,  à  l'appui  de  l'observation  qui  vient  d'être  pré- 
sentée, que  déjà  la  Bibliothèque  du  Roi  possède  un  assez  grand 
nombre  d'objets  appartenant  à  l'ethnographie,  et  qui  sont  restés 
jusqu'ici  déposés  au  Cabinet  des  antiques.  L'exiguïté  du  local 
affecté  à  ce  dernier  n'a  pas  permis  jusqu'ici  d'exposer  ces  objets 
aux  regards  du  public.  Un  simple  déplacement  intérieur  pourrait 
les  livrer  immédiatement  aux  investigations  des  étudiants. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  179 

Rien  ne  serait  plus  facile  que  d  y  réunir  ég-alemenl  tous  les 
objets  du  même  genre  qui  sont  actuellement  dispersés  dans  di- 
vers dépôts  publics,  à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  au 
Muséum  d'Histoire  naturelle,  et  d'autres  établissements.  Ces 
objets,  sans  rapports  réels  avec  la  destination  des  établissements 
où  ils  sont  déposés,  n'offrent  actuellement  qu'une  faible  utilité 
en  comparaison  de  celle  qu'ils  recevraient  par  leur  réunion 
même,  dans  un  dépôt  spécial,  où  viendraient  affluer  les  produits 
des  recherches  et  des  découvertes  des  voyageurs. 

Pour  ce  dernier  point,  il  faudrait  mettre  à  exécution  l'ar- 
ticle 2  de  l'ordonnance  précitée,  et  recueillir,  le  plus  tôt  possible, 
tout  ce  qui  peut  rester  disponible  des  collections  formées  par 
MM.  Freycinet,  Duperrey,  d'Urville,  et  plus  anciennement  par 
MM.  Cailliaud,  Leschenault,  etc.,  etc. 

Il  ne  serait  pas  moins  facile  de  mettre  à  profit  nos  relations 
avec  rÉgypte,  Constantinople,  l'occupation  d'Alger;  on  pourrait 
également  éveiller,  par  des  instructions  particulières,  le  zèle  des 
voyageurs  naturalistes,  celui  des  officiers  de  marine,,  des  com- 
mandants coloniaux  et  des  agents  consulaires  dans  les  contrées 
lointaines,  et  l'on  ouvrirait  ainsi  de  nombreux  canaux  par 
lesquels  viendrait  affluer,  au  Musée  ethnographique,  une  foule 
d'objets  précieux  pour  l'histoire  des  arts  et  de  la  civilisation. 

Des  occasions  qu'il  faudrait  s'empresser  de  saisir  se  présente- 
ront quelquefois  pour  enrichir  et  compléter  le  musée.  Un  heu- 
reux hasard  a  fait  arriver  à  Marseille  une  collection  d'objets 
chinois  et  japonais,  parmi  lesquels  il  en  est  plusieurs  qu'il  serait 
intéressant  d'acquérir '.Nous  ne  pouvons  nonplusnous  dispenser 
aussi  d'indiquer  au  ministre  la  collection  qua  formée,  dans 
l'Inde,  M.  Lamare-Picquot,  avec  un  zèle  et  des  soins  véritable- 
ment dignes  d'éloges,  et  qu'il  offre  d'abandonner  au  gouverue- 

1)  C'est  la  collection  Giniez  dont  il  était  déjà  question  plus  haut  (n"  XXIV 
in  fine).  Un  catalogue  autographiié,  sans  lieu  ni  date,  que  j'ai  dernièrement 
retrouvé,  nous  apprend  qu'elle  se  composait,  comme  le  dit  Jomard,  dans  la 
note  qui  suit,  d'environ  600  pièces,  statuettes  en  costumes,  meubles  d'appar- 
tement, de  table,  de  poche,  ouvrages  en  ivoire  et  en  écaille,  objets  du  culte, 
horlogerie  et  hydraulique,  imprimerie,  métiers,  ustensiles,  objets  d'amusement, 
instruments  de  musique,  de  chasse,  de  pêche,  peintures  et  dessins,  armes  et 


180  LES    ORIGINES 

ment,  moyennant  le  simple  renibourseniont  des  frais  où  ses 
voyages  l'ont  entraîné.  Les  rapports  spéciaux  qui  ont  été  faits 
dans  le  sein  des  Académies  des  Sciences  et  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres  ont  pu  mettre  le  ministre  en  état  de  juger  de 
l'importance  dos  matériaux  rassemblés  par  M.  Lamare-Picquol, 
et  nous  dispensent  d'entrer  ici  dans  de  plus  grands  détails. 

Gomme  une  très  grande  partie  des  objets  qu'il  a  rapportés  sont 
étrangers  à  l'ethnographie  et  semblent  propres  à  enrichir  le 
iMuséum  d'Histoire  naturelle,  nous  pensons  que  la  portion  de  la 
dépense  qui  serait  relative  à  la  formation  du  Musée  ethnogra- 
phique serait  assez  peu  considérable  pour  pouvoir  être  proposée 
au  ministre  comme  un  moyen  de  former  un  premier  fonds  pour 
la  collection  dont  il  s'agit. 

Nous  résumons  les  observations  contenues  dans  le  rapport  qui 
précède,  en  soumettant  au  ministre  les  questions  suivantes  : 

1"  Il  sera  établi  à  Paris  un  dépôt  ethnographique  où  seront 
réunis  les  objets  qui  pourraient  éclairer  l'histoire  de  l'homme 
physique  et  de  l'homme  moral. 
2"  Ce  dépôt  sera  placé  à  la  Bibliothèque  du  Roi. 
3°  Les  objets  qui  sont  de  nature  à  en  faire  partie  et  qui  se 
trouvent    actuellement  dispersés     dans    divers    établissements 
publics  de  Paris,  seront,  de  concert  avec  les  administrateurs  de 
ces  établissements,  réunis  et  transportés  à  la  Bibliothèque  du  Roi. 
Paris,  le  1"  novembre  1831. 

Ont  signé  :         Baron  Cuvieh, 
Kératry, 

E.    BuRNOUF, 

Achille  DuPARQUET, 

JOMARD, 

Abel  Remusat,  rapporteur. 

armures,   modèles  divers,    etc.    J'ignore   ce    qu'est   devenue    cette   collection 
considérable,  vendue  probablement  à  la  mort  de  son  possesseur. 

M.  Paul  Armand  a  eu  beau  consulter  les  contemporains  survivants  ou  les 
Marseillais  d'origine  sur  ce  personnage,  il  n'a  rien  su  de  précis.  L'Indicateur 
Marseillais,  de  1828,  mentionne  toutefois  un  sieur  G. -T.  Giniez,  ancien  négo- 
ciant, 2,  cour  du  Chajiitre.  (E-  H.) 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  181 

N"  XXXVIII 

CALCUL    APPROXIMATIF    DE    l'eSPACE    ET    DE     LA    DÉPENSE    NÉCESSAIRES 
AU    DÉPÔT    ETHNOGRAPHIQUE 

Il  y  a  deux  conditions  à  remplir  :  1°  celle  de  la.  localité  ;  2°  celle 
de  la  â?<?/>ense  nécessaires  pour  l'établissement. 

On  doit  désirer  sans  doute  un  aperçu  pour  une  collection 
complète  qui  embrasse  l'avenir.  Mais  les  éléments  de  ce  calcul 
sont  nécessairement  incertains  et  l'on  ne  peut  les  apprécier  qu'en 
partant  de  ce  qui  est  connu,  et,  par  approximation. 

Les  plus  grandes,  les  plus  belles  collections  existantes,  par 
exemple,  le  Muséum  d'Histoire  naturelle,  n'ont  pas  été  formées 
d'un  seul  jet  et  ne  peuvent  l'être  :  trop  d'obstacles  s'y  opposent. 

On  peut  aussi  faire  un  projet  pour  Yétat  actuel  des  choses, 
comprenant  toutefois  une  première  période  de  dix  ans.  Nous 
commençons  par  exposer  ce  projet,  mais  très  succinctement  en 
le  divisant  en  deux  parties.  Espace  et  dépense  ;  celle-ci  se  divise 
en  matériel  on  acquisition,  arrangements  intérieurs  &\.  personnel . 

(A)  Projet. 

Espace:  I,  Quatre  collections  sont  disponibles  ou  peuvent 
être  acquises  à  titre  gratuit,  savoir  : 

Espaces  en 
pieds  can-és. 

1°  A  la  Bibliothèque  du  Roi  (salle  haute  du  Cabinel 
des  antiques,  environ  500  objets  autres  que  les 
armes  françaises)  (à  placer  sur  deux  rangs)  .     .  200 

1°  Au  Dépôt  de  Géographie,   200  objets  (à  placer 

sur  deux  rangs) 100 

3°  Objets  provenant  de  l'expédition  d'Egypte,  ins- 
truments de  musique,  etc.  (à  acquérir  en  partie), 
environ  100  (à  placer  sur  deux  rangs).     ...  50 

4°  Objets  du  Muséum  d'Histoire  naturelle,  envi- 
ron 100    (à  placer  sur  deux  rangs)  ....  50 

Objets  provenant  de  divers  dépôts  dépendant  du 
Gouvernement  [pour  iriémoire). 

A  reporter.     .     .      .  400 


182  LES    ORIGINES 

Espaces  en 
pieds  carrés. 

Report.     ...  400 

IL  Six  autres  collections  intéressantes  sont  connues 

et  à  acquérir  si  les  fonds  le  permettent. 
Collection  de  M.    Lamare-Picquot,    de  700   à  800 

objets  (à  placer  sur  deux  rangs) i^o 

Collection  sino-japonaise\  environ  600  objets  plus 

grands  (à  placer  sur  deux  rangs) oOO 

Collection  de  M.  Latour-Allard,  480  objets  (à  pla- 
cer sur  deux  rangs)  , 60 

Collection  colombienne    en  or,  20  objets  (à  placer 

sur  deux  rangs) 10 

Deux  autres  petites  collections  ensemble  environ 

500  objets  (à  placer  sur  deux  rangs) 155 

1.300 

Le  local  actuellement  disponible  à  la  Bibliothèque  Royale 
(la  seule  galerie  du  rez-de-chaussée,  vers  la  rue  Vivienne)  a  une 
étendue  de  quarante  mètres  sur  dix  mètres,  ou  300  pieds  de 
tour,  et  une  superficie  de  8.000  pieds  carrés,  dont  3.000  au 
moins  sont  applicables  à  une  exposition  actuelle  :  cette  salle  est 
magnifique  pour  la  grandeur  et  l'aspect. 

Dépoise.  i"  Les  six  collections  à  acquérir  sont  estimées  .à  la 
somme  de  90.000  fr.,  supposée  payable  en  8  ou  10  années,  savoir  : 
Collection  de  M.  Lamare-Picquot.     20  à  25.000  fr. 
Collection    sino-japonaise^    environ.         20.000 
Collection    de    Latour-Allard.   id.    .  9.000 

Collection  colombienne 20.000 

Deux  autres  petites  collections,  en- 
semble              16^00_ 

Total.         90.000,  ci  p.  aa  9.000  fr. 
2"  Dispositions  des  casiers  existant  pour  rece- 
voir les  3.400    objets  ci-dessus,   dans  600 
cases  vitrées  à  10  fr.,  6.000,  ci  par  an  .     .  600 

A  reporter.     .     .     .  9.600  fr. 

i)  C'est  la  collecliûu  Giniez. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  183 

Report.     .     .  .           9.600  fr. 
3"  Un  employé  de  15  à  1800  francs  au  plus, 

et  peut-être  un  garçon  de  salle  à  700  fr.     .  2.500 

Total  pour  la  1"  année  et  les  neuf  suivantes     .  12.100  fr. 

(B)    APERÇU  POUR  UNE  LONGUE  SUITE  d'aNNÉES. 

Espace.  Les  dix  collections  actuellement  con- 
nues, disponibles  ou  à  acquérir  demandent.  1.300  p.  c. 
Il  faudrait  calculer,  en  plus,  sur  soixante  col- 
lections environ  (autant  qu'on  peut  le  suppo- 
ser pour  un  dépôtàpeu  près  complet),  chaque 
collection  serait  de  250  à  300  objets,  en  tout 
15.000  objets,  c'est  six  fois  l'espace  ci-dessus  7.800 
et  en  tout,  moins  de  mille  mètres. 

Au  reste,  un  choix  sévère  doit  présider  à  la  collection.  Or  la 
liste  dressée  par  la  Commission  ethnog^raphique  contient  environ 
66  principales  différentes  nations.  Il  y  a  neuf  classes  d'objets 
et  à  25  articles  pris  dans  chaque  classe,  c'est  encore  15.000 
articles. 

En  accordant  au  Dépôt  de  Géographie^  comme  on  l'a  fait  dans 
tous  les  plans,  une  surface  de  1.100  à  1.200  mètres,  il  resterait 
pour  les  cartes  géographiques  un  espace  suffisant  pour  recevoir 
200  à  300  mille  cartes. 

Nota.  Les  très  grands  objets  peuvent  se  mettre  au  plafond. 
Voir  au  Muséum  d'histoire  naturelle,  les  crocodiles,  les  reptiles. 

Dépense.  En  continuant  d'acheter  pendant  soixante 

années  une  collection  de  9.000  fr.  par  année,  ci.  9.000  fr. 

Pour  arrangement  d'armoires  vitrées  au  fur  et  à 
mesure  et  par  an  une  superficie  de  30  mètres  à 
40  francs  le  mètre 1.200 

Un  employé  de   15  à  1.800  fr.  et  un  garçon  de 

salle 2.500 

Total.     .         12.700  fr. 
D'où  il  suit  qu'en  demandant  un  crédit  spécial  annuel  de  13  à 

14.000  francs,  l'on  pourvoirait  au  besoin  de  l'établissement. 
Si  les  propriétaires  des  quatre  premières  collections  n'accor- 


184  LES    ORIGINES 

daientque  six  ans,  l'allocalion  annuelle  sérail  de  19  à  20.000  fr. 
pour  les  six  premières  années. 

On  doit  d'ailleurs  s'attendre  à  recevoir  des  dons  gratuits,  à 
cause  de  la  difficulté  qu'il  y  a  de  se  défaire  des  collections  de 
cette  espèce  et  de  l'embarras  qu'elles  causent  lors  des  mutations. 

[JOMARD.] 

K  XXXIX 

Paris,  le  16  décembre  1831.' 
NOTE  POUR   M.  LE  MINISTRE 

La  Commission,  que  M.  le  Ministre  a  nommée  pour  examiner 
la  question  d'opportunité  de  la  création  d'un  Musée  ethnogra- 
phique à  Paris,  a  fait  son  rapport. 

Les  propositions  que  ce  rapport  contient  sont  : 

1*  D'établir  à  Paris  un  dépôt  ethnographique  ; 

2°  De  le  placer  à  la  Bibliothèque  Royale  ; 

3°  D'y  réunir  tous  les  objets  susceptibles  d'en  faire  partie  et 
qui  se  trouvent  dans  d'autres  établissemens  ; 

4»  D'acheter,  d'après  la  quotité  des  crédits  dont  le  gouverne- 
ment pourrait  disposer,  tout  ou  partie  d'une  collection  qui  se 
trouve  à  Marseille  et  de  la  collection  de  M.  Lamare-Picquot. 

Les  deux  premièi'es  propositions  ne  semblent  devoir  donner 
lieu  à  aucunes  observations  importantes. 

Nul  doute,  en  effet,  qu'un  dépôt  ethnographique  ne  soit 
curieux  et  ne  soit  bien  placé  à  la  Bibliothèque  près  du  cinquième 
département  (géographie),  quoique  l'utilité  de  l'existence  de  ce 
dépôt  comme  département  ne  soit  nullement  démontrée  et  qu'il 
semble  naturel  et  convenable  de  rétablir  un  jour  les  choses  sur 
l'ancien  pied,  en  faisant  rentrer  la  fraction  de  géographie  dans  le 
dépôt  des  livres  dont  les  cartes  n'auraient  jamais  dû  être  séparées. 

Quant  à  la  troisième  proposition,  je  la  crois  d'une  exécution 
impossible,  parce  qu'elle  tend  à  dépouiller  au  profit  du  départe- 
ment de  M.  Jomard,  des  musées  et  des  établissements  divers  qui 
dépendent,  les  uns  de  la  Maison  du  Roi,  les  autres  de  la 
marine,  etc. 

Quant  à  la  quatrième^  qui  concerne  les  acquisitions  à  faire,  je 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  185 

ne  vois  pas  la  possibilité  d'y  donner  suite,  puisqu'il  n'y  a  point 
de  fonds  disponibles. 

En  résumé,  je  crois  :  que  le  dépôt  à  former  à  la  Bibliothèque 
près  du  Dépôt  des  Cartes,  peut  se  composer,  quant  àprésent;,  des 
objets  existants  dans  le  Cabinet  des  antiques,  auquel  ils  sont 
étrangers,  sauf  à  y  réunir  ceux  qu'on  pourra  se  procurer  par  la 
suite;  qu'il  ne  faut  pas  songer  à  dépouiller  d'autres  dépôts 
publics  au  profit  de  celui-ci  ;  enfin  qu'on  ne  peut  acheter  la  col- 
lection de  M.  Lamare-Picquot,  vu  l'absence  de  fonds. 

Si  vous  partagez  cette  opinion,  j'aurai  l'honnenr  de  vous 
proposer.  Monsieur  le  Ministre,  d'écrire  en  ce  sens  au  Conser- 
vatoire de  la  Bibliothèque,  à  la  commission  dont  le  rapport  est 
ci-joint  et  à  M.  Lamare-Picquot  qui  attend  avec  impatience 
depuis  plusieurs  mois  qu'il  soit  statué  sur  l'offre  par  lui  faite  de 
céder  au  gouvernement  une  collection  d'objets  indiens  de  nature 
à  entrer  dans  un  Musée  ethnographique. 

Je  vous  prie^  Monsieur  le  Ministre,  de  vouloir  faire  connaître 
votre  détermination*  et  d'agréer  l'hommage  de  mon  respect. 

Le  chef  de  la  3"  division, 

HlPP.  ROYER-COLLARD. 


N-XL 

Paris,  le  20  décembre  1831. 
Le  Ministre, 
à  M.  le  baron   Ctivier,  président  de  la  commission 
du  Musée  ethnographique. 

Monsieur  le  baron. 
J'ai  lu  avec  intérêt  le  rapport  que  la  Commission,  réunie  sous 
votre  présidence  pour  examiner  la  question  d'opportunité  de 
l'établissement  d'un  Musée  ethnographique  à   Paris,  a  adopté 
pour  m'être  transmis. 

1)  En  marge  on  lit  ces  mots  :  Ajourné  jusqu'après  le  budget  avec  le 
paraphe  d'à  (d'Argoul)  et  d'une  autre  main  :  «  En  faire  part  à  la  commission 
et  à  M.  Lamare-Picquot.  » 


186  LES    ORIGINES 

Je  ne  puis,  quant  à  présent,  statuer  sur  les  propositions  de  la 
Commission,  mais  aussitôt  après  le  vote  du  budget,  j'aurai 
l'honneur  de  vous  informer  de  la  décision  que  je  pourrai  prendre. 

Agréez,  etc. 

Le  Pair  de  France,  etc., 

C'^  d'Argout. 


N'  XLI 

Paris,  le  28  décembre  1831. 

LE  PAIR  DE  FRANCE,  MINISTRE.  CtC, 

à  M.    Lamare-Picquotj   à  Paris. 

Monsieur, 

Je  n'avais  point  perdu  de  vue  l'offre  que  vous  avez  faite  au 
Gouvernement  de  voire  collection,  lorsque  votre  dernière 
lettre  m'a  été  remise.  La  conclusion  et  l'examen  du  travail  de 
la  Commission  pour  l'établissement  du  Musée  ethnographique 
ont  contribué,  dans  le  temps,  aux  retards  dont  vous  vous  plai- 
gnez et  le  défaut  de  fonds  qui  puissent  être  consacrés,  non  seu- 
lement à  l'acquisition  de  votre  cabinet,  mais  encore  aux  autres 
frais  qu'exigeront  l'installation  et  l'ornement  du  Musée  dont  il 
s'agit,  ne  m'a  pas  permis  de  poursuivre,  avec  toute  l'activité  que 
j'aurais  voulu  y  apporter,  les  différentes  propositions  qui  se 
rattachent  à  cette  affaire.  Il  est  même  encore  à  craindre  qu'il  ne 
me  soit  pas  possible  d'accueillir  votre  offre  en  achetant  votre 
collection,  malgré  tout  Tintérêt  qu'elle  paraît  mériter  et  l'utilité 
qui  pourrait  résulter  de  son  acquisition. 

J'attendrai,  toutefois,  pour  prendre  un  parti  définitif  à  ce 
sujet  que  le  budget  de  1832  ait  été  voté. 

Agréez,  etc., 

'  Le  Pair  de  France,  etc., 

C'«  d'Argout. 


CHAPITRE  YI 


Pétitions  de  Lamare-Picquot.  —  Recommandation  du  député  Bodin. 
Nouvelle  lettre  de  Jomard  en  faveur  du  dépôt  ethnographique. 


N"  XLU 

Pans,  le  2  février  1832. 

A  Monsieur  le  comte  d'Argout^ 
ministre  du  Commerce  et  des  Travaux  publics. 

Monsieur  le  Ministre, 
J'ai  été  informé,  il  y  a  deux  mois  environ,  par  MM.  les 
membres  de  la  Commission  ethnographique  que,  dans  un  rap- 
port qu'elle  venait  de  mettre  sous  vos  yeux,  il  avait  été  question 
de  la  collection  dont  j'ai  déjà  eu  Thonneur  de  vous  entretenir 
par  Tune  de  mes  précédentes*.  Sur  l'invitation  de  son  prési- 
dent, M.  le  baron  Cuvier,  et  sur  celle  du  commissaire  rapporteur, 
M.  Abel  Rémusat,  je  me  suis  fait  un  devoir  de  me  rendre  aux 
observations  de  ces  Messieurs,  et  de  différer  toute  démarche 
jusqu'à  ce  que  les  affaires  de  la  liste  civile  et  celle  du  budget 
fussent  terminées.  J'ai  donc  attendu,  Monsieur  le  Ministre,  parce 
que  j'ai  compris  que  ces  occupations  d'une  urgente  utilité 
empêchaient  de  prendre  en  considération  ma  spécialité,  mais 
aujourd'hui,  Monsieur,  que  Tune  de  ces  grandes  affaires  est 
terminée,  que  l'autre  doit  incessamment  prendre  fin,  j'ose  me 
permettre  de  vous  renouveler  tout  le  désir  où  je  suis  d'apprendre 
qu'il  y  ait  une  détermination  de  prise  à  mon  égard. 

1)  J'ai  déjà  dit  que  la  première  pétition  de  Lamare-Picquot  n'avait  pas  été 
retrouvée.  Ce  passage  indique  que  d'autres  pièces  encore  manquent  à  la  corres- 
pondance de  ce  voyageur  avec  le  ministre.  (E.  H.) 


LES    ORIGINES 


Veuillez  encore  me  permettre  de  vous  dire,  Monsieur  le 
Ministre,  combien  est  grand  le  sacrifice  que  je  fais  de  prolonger 
ainsi  mon  séjour  à  Paris,  qu'il  y  a  long-temps  que  j'ai  refusé  les 
propositions  qui  m'ont  été  faites  pour  l'étranger,  parce  que  j'ai 
toujours  mis  la  plus  grande  importance  à  ce  que  ces  monumens 
restassent  aux  musées  des  Francs  (à  part,  daignez  m'en  croire, 
tout  intérêt  spécial  ou  personnel),  attendu  qu'ils  ne  possèdent 
aucun  de  ces  objets  rares  et  précieux,  qui  en  font  le  sujet,  qu'une 
circonstance  heureuse  a  fait  tomber  à  vil  prix  entre  mes  mains  et 
dont  je  fais  jouir  le  gouvernement,  considérant  toujours  comme 
un  premier  devoir  de  citoyen  celui  qui  fait  pour  la  chose 
publique.  Oui,  Monsieur  le  Ministre,  ce  serait  avec  une  extrême 
répugnance,  malgré  que  mes  intérêts  y  gagnassent  beaucoup, 
que  je  me  verrais  forcé  d'en  venir  à  cette  extrémité.  Les  hautes 
capacités,  les  amis  des  sciences  en  France,  partagent  mon  inquié- 
tude ;  mais  j'ose  croire,  malgré  la  position  difficile  oii  se  trouve 
momentanément  le  gouvernement  du  Roi,  que  les  sommités  du 
pouvoir,  amis  des  sciences  et  des  études  sérieuses,  ne  laisseront 
point  périr  les  vœux  que  fit  un  grand  génie  pour  la  science  en 
France. 

Napoléon  disait  un  jour  au  Muséum  d'Histoire  naturelle  : 
«  Je  veux  que  cet  endroit  soit  le  lieu  le  plus  attrayant  pour  les 
étrangers  savans  qui  seront  à  Paris.  Je  veux  qu'ils  y  viennent 
pour  y  voir  et  admirer  un  peuple  dans  son  amour  pour  les  sciences 
et  pour  les  arts.  Le  Muséum  d'Histoire  naturelle  doit  être  ce  que 
sera  aussi  le  Muséum  des  tableaux  et  des  statues,  ainsi  que  celui 
des  monumens  antiques.  Paris  doit  être  la  première  ville  du 
monde:  si  Dieu  m'accorde  une  assez  longue  vie,  je  veux  qu'il 
devienne  la  capitale  de  l'univers  par  l'ascendant  de  la  science  et 
du  pouvoir.  »  [Méynoires  de  la  duchesse  d'Abrantès,  t.  IV,  p.  156.) 

Certes,  les  vues  de  ce  grand  homme  sont  en  partie  accomplies, 
quant  au  Muséum  d'Histoire  naturelle  qui  surpasse  en  richesse 
ce  que  l'Europe  savante  possède  en  ce  genre  ;  mais.  Monsieur  le 
Ministre,  il  y  a  beaucoup  à  faire  pour  arriver  à  ce  but  de  perfec- 
tion, pour  les  sciences  archéologiques  et  ethnographiques  des 
peuples  de  l'Asie,  en  deçà  et  au-delà  du  Gange  et  du  Thibet  :  on 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  189 

sait  enfin  que  les  musées  de  Sa  Majesté  ne  possèdent  rien  en  ce 
genre.  Il  y  a  cependant  moyen  d'y  parvenir,  Monsieur  le  Ministre, 
quand  des  matériaux  précieux  sont  sous  les  yeux  et  à  ladispo- 
position  de  Votre  Excellence,  après  surtout  qu'ils  ont  été  consi- 
dérés par  les  premiers  corps  savans  de  la  capitale,  comme  les 
premiers  monumens  en  ce  genre  que  la  France  ait  vus  arriver 
dans  son  sein  par  les  soins  et  les  recherches  dun  citoyen  non 
assisté  de  son  gouvernement. 

Si  je  ne  craignais  d'être  indiscret,  Monsieur  le  Ministre, 
j'oserais  vous  demander  l'insertion  au  Moniteur  du  rapport  qui 
vous  a  été  fait  par  la  Commission  ethnographique  ;  la  France 
savante  serait  véritablement  heureuse  de  cette  sollicitude  de 
votre  part  pour  les  sciences,  et  ce  document,  publié  officiellement, 
vous  offrirait  ultérieurement  vis-à-vis  de  Sa  Majesté  et  des  man- 
dataires à  la  tribune,  les  moyens  d'arriver  au  but  que  vous  vous 
proposez,  qui  est  d'ajouter  chaque  jour  à  la  gloire  du  monarque 
et  à  celle  de  la  patrie*. 

C'est  dans  cet  espoir.  Monsieur  le  Ministre,  que  je  suis 
"Votre  très-obéissant  serviteur, 

Lamare-Picquot, 
Hôtel  de  Rouen,  cours  du  Commerce,  n*  2. 

1)  Une  note  au  crayon  indique  sur  la  pièce  la  réponse  à  faire  au  pélitionnaire 
«  dans  le  sens  de  la  lettre  du  mois  de  décembre»  (Voir plus  haut,  n»  XLI).  Une 
autre  annotation  relative  au  rapport  d'Abel  Rémusat  est  ainsi  conçue  {rapport 
trop  long,  on  ne  pourrait  l'imprimer).  Il  n'a  point,  en  effet,  été  inséré  au 
Moniteur,  comme  le  demandait  Lamare-Picquot,  et  c'est  dans  le  Bulletin  de  la 
SociHé  de  géographie  de  Paris  pour  1836  que  j'ai  trouvé  le  texte  inséré  plus 
haut  sous  le  n-  XXXVII. 

J'ai  rencontré  dans  les  archives  du  Ministère  de  l'Instruction  publique  quatre 
autres  pièces  émanées  de  Lamare-Picquot,  qu'il  suffira  d'analyser  brièvement  : 

1'  Lettre  adressée  à  Kéralry  à  la  date  du  25  novembre  1832.  Après  avoir 
rappelé  la  protection  dont  l'honorait  Cuvier,  les  rapports  consacrés  à  ses  collec- 
tions par  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  l'Académie  des  sciences, 
la  Société  asiatique  et  la  Société  de  géographie,  la  constitution  d'une  commis- 
sion spéciale  appelée  à  donner  son  opinion  au  comte  d'Argout  sur  la  formation 
d'un  Musée  ethnographique,  le  signataire  assure  qu'il  n'a  jamais  demandé  qu'à 
rentrer  «  dans  le  simple  remboursement  des  frais  «  où  ses  voyages  l'ont 
entraîné,  frais  qu'une  note  détaillée,  annexée  à  la  pièce,  fait  d'ailleurs  monter 
au  total  de  66,565  francs. 


{90  LES    ORIGINES 

N»  XLIII 

Paris,  11  janvier  1833. 
Monsieur  le  Ministre, 
Je  prends  la  liberté  d'appeler  votre  attention  sur  un  projet 
d'établissement  scientifique_,   dont  votre  esprit  élevé  saisira  tout 
d'abord  l'importance,  et  dont  la  fondation  honorerait  le  gouver- 
nement du  Roi. 

M.  Lamare-Picquot,  de  retour,  en  1830,  d'un  voyage  dans  les 

Le  signataire  a  attendu  une  solution  que  les  agitations  politiques,  puis  le 
choléra,  ont  fait  ajourner.  A  la  suite  des  émeutes  des  5  et  6  juin  il  a  quitté 
Paris  pour  rétablir  sa  santé  devenue  mauvaise.  Il  y  trouve,  au  ministère, 
en  rentrant,  M.  Guizot,  dans  les  attributions  duquel  sont  placées  les  sciences,  etc. 
Il  sollicite  une  audience  qui  lui  est  accordée  pour  le  21,  mais,  le  20,  il  est 
informé  qu'il  ait  à  s'adresser  au  chef  du  cabinet.  Il  craint  de  nouveaux  retards 
et  prie  M.  Kératry  d'intervenir.  Sa  situation,  «  qui  est  le  résultat  d'un  long 
dévouement  pour  la  science  depuis  plus  de  sept  ans  »,  est  devenue  difficile,  et 
ses  moyens  sont  ((  absorbés  »,  soit  par  ses  voyages,  soit  par  son  séjour  prolonge' 
à  Paris. 

«  En  avril  1831,  un  agent  me  fit  des  propositions  pour  la  Prusse,  MM.  Cuvier, 
Jomard  et  Rémusat,  auxquels  j'en  fis  part  alors,  me  dirent  que  je  devais  me 
considérer  comme  engagé  avec  l'administration.  »  Nouvelles  propositions  en 
mai  1832  du  général  russe  Tcheffkine,  agissant  au  nom  de  son  gouvernement, 
é"-alement  repoussées.  «  J'ose  croire  que  le  ministre  du  roi  saura  apprécier 
tant  de  sacrifices  de  ma  part.  » 

2''  Pétition  adressée  le  7  janvier  1833  à  Guizot,  presque  identique  à  la  pré- 
cédente. «  A  mon  retour  à  Paris,  en  juin  1830,  le  baron  Cuvier,  prenant  en 
considération  les  services  qu'il  pensait  que  je  venais  de  rendre  aux  sciences 
zoologiques,  archéologiques  et  ethnographiques...,  m'offrit  sa  puissante  protec- 
tion, etc.  »  —  Nous  y  trouvons  seulement  à  mentionner  le  rôle  actif  joué  par 
Lamare-Picquot  dans  la  répression  de  l'émeute  des  5  et  6  juin  «  où,  fortuitement, 
j'ai  été  appelé  par  mes  principes,  à  combattre,  comme  le  prouve  la  pièce 
ci-jointe,  l'anarchie  pendant  trente  heures  sans  faire  partie  d'aucune  légion.  » 
Il  se  recommande,  en  terminant,  de  M.  Le  Carpentier,  de  Honfieur. 

3»  Lettre  au  ministre  en  date  du  13  janvier,  accompagnant  l'envoi  d'une 
lettre  de  recommandation  du  député  Félix  Bodin,  datée  du  11,  et  reproduite 
ci-après. 

4°  Lettre  à  Jomard,  datée  de  Vienne,  en  Autriche,  le  25  septembre  1838. 

Lamare-Picquot,  inspiré  par  le  baron  de  Hammer,  y  a  transporté  ses  objets; 
il  y  a  trouvé  la  concurrence  de  la  collection  Hiigel.  Rien  ne  se  décide  et,  pour 
provoquer  une  solution,  il  s'est  déterminé  à  une  vente  publique,  annoncée  pour 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  191 

Indes  orientales  et  l'Afrique  méridionale,  entra  en  communica- 
tion avec  l'Académie  des  Sciences,  celle  des  Belles-Lettres,  les 
Sociétés  Asiatique  et  de  Géographie,  et  leur  déclara  que  son 
but,  en  rentrant  dans  sa  patrie,  était  de  faire  hommage  aux 
musées  du  Roi,  des  monumens  précieux  et  tout  nouveaux  pour 
la  France,  qu'il  y  apportait,  ne  demandant  qu'à  rentrer  dans  ses 
frais. 

L'illustre  Cuvier  prit  le  plus  vif  intérêt  à  cette  proposition. 
Quatre  rapports  favorables  furent  faits  par  les  corps  savans  dési- 
gnés ci-dessus  ;  puis  un  rapport  fut  rédigé  par  M.  Abel  Rémusat, 
au  nom  d'une  commission  spéciale,  nommée  par  M.  d'Argout  et 
présidée  par  M.  Cuvier. 

L'irruption  du  choléra  détourna  l'administration  de  cet  objet. 

Une  ordonnance  royale  du  30  mars  1828  a  décidé  la  création 
d'un  Musée  ethnographique  à  Paris.  Une  vaste  science,  qui  ne 

le  26  juillet,  mais  qui  n'a  pas  encore  eu  lieu.  Le  marquis  de  Saint-Aulaire  est 
venu  visiter  son  cabinet  et  a  engagé  Lamare-Picquot  à  renouer  des  négociations 
avec  le  gouvernement  français.  Il  prie  Jomard  d'intervenir  auprès  du  ministre 
Salvandy.  Des  achats  heureux,  à  Londres,  ont  encore  ajouté  à  l'importance  de 
la  collection. 

Nous  retrouvons  plus  tard  Lamare-Picquot  mentionné  dans  un  rapport  sur  le 
concours  fondé  par  le  duc  d'Orléans,  en  faveur  du  navigateur  ou  du  voyageur 
dont  les  travaux  géographiques  auront  procuré  la  découverte  la  plus  utile  à 
l'agriculture,  à  l'industrie  ou  à  l'humanité.  Lamare-Picquot  avait  rapporté  et 
fait  éclore  à  Bourbon  des  œufs  de  vers  à  soie  du  Bengale.  (Bull.  Soc.  géogr., 
2e  sér.,  t.  XV,  p.  236.  1841.)  En  1847  il  estde  retour  d'une  mission  scientifique 
en  Amérique  d'où  il  a  apporté,  entre  autres  choses,  h  psoralea  esculenta  {pic- 
quotiane)  elïapios  tuberosa,  plantes  farineuses  alimentaires  qu'il  s'efforce  de  pro- 
pager en  Europe.  Il  obtient  de  l'Agriculture  une  autre  mission  qui  se  prolonge 
jusqu'en  novembre  1848.  On  ne  parle  plus  de  lui  après  l'échec  de  la  picquo- 
tiane.  (Cf.  Lamare-Picquot,  Mémoire  présenté  à  la  Société  nationale  et  centrale 
d'Agriculture  sur  la  culture  et  V acclimation  en  France  du  psoralea  esculenta 
{picquotiane)  et  sur  sa  végétation  aux  prairies  du  territoire  de  Vlowa  [Amé- 
rique septentrionale),  suivi  de  quelques  réflexions  concernant  cette  plante.  Paris, 
PiUoy,  s.  d.,  br.  in-8  de  7  p.).  —  Cf.  Moniteur  du  22  mars  1849;  Comptes 
Rend.  Acad.  se,  t.  XXVI,  p.  326,  13  mars  1848  ;  t.  XXVIII,  11  juin  1849.  — 
Rapport  sur  un  mémoire  de  M.  Lamare-Picquot,  relatif  aux  résultats  scienti- 
fiques de  son  dernier  voyage  dans  l'Amérique  septentrionale  et  à  l'introduction 
en  France  de  deux  plantes  alimentaires,  la  psoralea  esculenta  et  /'apios  tuberosa. 
Commissaires  :  MM.  Cordier,  Payen,  Charles  Gaudichaud.  (Séance  du  11  juin 
1849.) 


492  LES    OBIGINES 

fait  que  de  naître,  recevrait  un  puissant  secours  d'une  telle  fon- 
dation. Vous  savez,  Monsieur  le  minisire,  que  plusieurs  capitales 
de  l'Europe,  et  notamment  La  Haye,  possèdent  de  curieuses  col- 
lections de  ce  genre.  Notre  Musée  égyptien,  et  même  nos  belles 
collections  d'antiquités,  seraient,  à  vrai  dire,  des  annexes  à  un 
grand  ensemble  d'exhibitions  ethnographiques,  où  les  curieux 
monumens,  offerts  par  M.  Lamare-Picquot,  représenteraient  une 
des  plus  antiques  civilisations  du  globe. 

.Je  sais  bien,  Monsieur  le  ministre,  qu'un  grand  obstacle  à 
l'accomplissement  d'un  tel  projet,  est  la  dépense  qu'il  nécessi- 
terait, mais  je  suis  bien  sur  également  que  cet  obstacle  est  le  seul 
et  qu'il  sera  levé  s'il  ne  dépend  que  de  vous. 

Recevez,  Monsieur  le  ministre,  l'assurance  de  ma  haute  con- 
sidération. 

Félix  Bodin, 

Député'. 


N-XLIV' 

Monsieur  le  Ministre, 
Qu'il  me  soit  permis  d'appeler  de  nouveau  votre  attention  sur 
une  question  scientifique  qui,  par  sa  nature,  semble  mériter  une 
part  dans  la  sollicitude  que  réclament  les  affaires  d'intérêt  géné- 
ral. Il  s'agit  de  la  continuation  et  de  l'achèvement  d'une  collec- 
lion  commencée  à  la  Bibliothèque  Royale  depuis  très  longtemps, 
c'est-à-dire  de  la  réunion  des  objets  matériels,  rapportés  des 
voyages  lointains,  ouvrages  d'une  industrie,  d'une  civilisation 
naissante  et  autres  que  les  antiquités  et  les  collections  d'histoire 
naturelle.  C'est  ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  rollpction  ethno- 
graphique. Ces  objets  sont  ceux  qui  font  connaître  les  usages, 
les  rites  et  l'industrie  des  peuples  encore  plus  avancés  :  ils  sont 
toujours  distincts  des  produits  des  trois  règnes,  comme  ils  se 

1)  L'auteur  de  cette  lettre,  mort  quatre  ans  plus  tard  à  Paris,  à  l'âge  de 
quarante-deux  ans,  était  député  depuis  1830.  Il  est  surtout  connu  pour  sa  célèbre 
Complainte  sur  le  droit  d'aînesse,  et  pour  la  part  qu'il  a  pris  à  l'Histoire  de  la 
Révolution  française,  dont  il  a  signé  les  premiers  volumes  avec  Tiiiers.     (E.  H.) 

2)  Cette  pièce  n'est  pas  datée.  Elle  doit  être  du  commencement  de  1833. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  193 

distinguent  des  fragmcus  antiques  ou  des  monumens  des  anciens 
peuples.  J'ose  me  féliciter  d'avoir  été,  un  des  premiers  en  France, 
à  mettre  hors  de  doute  l'utilité  et  même  la  nécessité  qu'il  y  a  de 
former  une  telle  collection.  L'incurie  était  telle,  à  cet  égard,  il  y 
a  peu  d'années  encore,  qu'on  laissait  perdre  ou  exporter  les  col- 
lections les  plus  précieuses,  les  plus  propres  àjeter  des  lumières 
sur  l'histoire,  les  mœurs  et  les  usages  des  peuples.  L'on  n'envi- 
sageait ici  tous  ces  objets  que  sous  l'aspect  d'une  curiosité  frivole 
et  stérile,  tandis  que  les  établissemens  des  sciences  formés  à 
l'étranger  s'enrichissaient  journellement  de  ce  que  nous  avions 
dédaigné.  Les  préventions  se  sont  enfin  dissipées  ;  les  savans 
ont  porté  leurs  regards  sur  cette  question  et  l'autorité,  à  son  tour, 
paraît  disposée  à  consacrer  quelques  ressources  pour  enrichir 
d'objets  de  cette  nature  nos  collections  scientifiques.  J'ai  eu  le 
bonheur  de  concourir  à  ce  résultat  par  une  correspondance 
suivie  depuis  quinze  ans,  par  des  rapports  adressés  en  plusieurs 
occasions  au  gouvernement,  et  plus  récemment  par  une  publi- 
cation spéciale  *. 

C'est  après  avoir  pris,  il  y  a  deux  ans,  une  lecture  attentive 
d'une  nouvelle  proposition,  par  moi  faite  à  M.  le  ministre  des 
Travaux  publics,  alors  chargé  de  la  direction  des  sciences  et  des 
lettres,  qu'il  résolut  de  former  une  commission  savante  pour 
l'examen  de  la  question.  Le  baron  Cuvier  était  un  de  ceux  à  qui 
j'avais  communiqué  le  plan,  avec  persévérance,  pendant  plusieurs 
années;  le  ministre  le  chargea  de  présider  la  Commission.  C'est 
ce  savant,  à  jamais  regrettable,  qui  a  pris  le  plus  de  part  aux 
réunions  et  aux  investigations  de  la  Commission.  Elle  est  venue 
s'assurer,  à  la  Bibliothèque  royale,  de  la  possibilité  d'exécuter 
l'ordonnance  de  mars  1828,  qui  prescrit  de  former  une  collec- 
tion semblable  dans  cet  établissement  public,  et  d'y  recevoir  les 
objets  provenant  des  voyages  scientifiques.  Le  résultat  des  nom- 
breuses réunions  de  la  Commission  ethnographique  a  été  un 
rapport  lumineux  de  MM.  Cuvier  et  Ahel  Rémusat,  suivi  d'une 
proposition  expresse,  qui  aurait  sans  doute  été  prise  immédiate- 

1)  C'est  la  brochure  de  1831,  dont  on  a  lu  des  extraits  plus  haut  (E.  H.). 

13 


194  LES    ORIGINES 

inent  en  considération  par  le  ministère,  sans  l'invasion  subite  de 
l'épidémie  qui  a  ravagé  la  capitale.  Les  événemens  qui  ont  suivi 
le  rétablissement  de  la  santé  publique  ont  fait  encore  ajourner 
cette  affaire. 

Aujourd'hui  que  les  esprits  se  portent  avec  une  nouvelle 
ardeur  vers  tout  ce  qui  touche  à  l'utilité  publique,  et  que,  d'un 
autre  côté,  le  possesseur  de  la  collection  principale^  qui  avait 
fixé  les  yeux  de  la  Commission,  M.  Lamare-Picquot,  semblerait 
un  peu  fatigué  d'attendre  une  décision  définitive,  c'est  une  sorte 
de  devoir  pour  celui  qui  avait  été  placé  par  l'ordonnance  à  la  tète 
de  cette  création,  de  solliciter  une  mesure  qui  appelle  tous  les 
vœux. 

Les  conclusions  de  la  Commission,  adoptées  par  le  gouverne- 
ment, n'entraîneraient  aucun  autre  sacrifice  que  des  frais  utiles 
et  productifs,  c'est-à-dire  la  dépense  matérielle  d'acquisition, 
sans  aucune  nouvelle  charge  quelconque  en  dépenses  personnelles^ 
source  constante  d'abus,  qui  font  abandonner  les  entreprises  les 
plus  avantageuses  pour  la  prospérité  publique. 

Je  suis  avec  respect^ 

Monsieur  le  ministre, 
Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

JOMARD , 

Membre  de  l'Institut. 

P. -S.  —  Je  renouvelle  au  besoin,  Monsieur  le  ministre,  l'offre 
déjà  faite  de  ma  collection  ethnographique,  pour  être  jointe  au 
noyau  existant  dans  notre  grande  Bibliothèque  royale,  au  moment 
où  l'on  réaliserait  le  vœu  de  l'ordonnance. 


CHAPITRE  VII 


Revendications  du  Ministre  de  la  marine  en  faveur  du  Musée  naval.  —  Corres- 
pondance du  Ministre  de  l'Instruction  publique  à  ce  sujet  avec  le  Muséum, 
Sainte-Geneviève  et  la  Bibliothèque  royale.  —  Lettre  confidentielle  de 
Letronne  pour  provoquer  une  discussion  du  Conservatoire  de  la  Bibliothèque 
royale  sur  le  Musée  ethnographique.  —  Délibération  du  Conservatoire  et 
rapport  au  Ministre.  —  Nouvel  ajournement. 


No  XLV 


20  janvier  1833. 


NOTE 


Poii7'  le  Ministre  de  r Instruction  publique. 

Il  se  forme  au  Louvre,  dans  le  Musée  de  Marine,  une  collec- 
tion complète  des  objets  provenant  des  pays  dans  lesquels  la 
civilisation  n'a  pas  encore  pénétré,  ou  avec  lesquels  la  France  ne 
peut  avoir  que  des  relations  maritimes. 

Cette  collection  comprend  déjà  un  très  grand  nombre  d'articles 
provenant,  soit  du  Ministère  de  la  Marine^  soit  d'achats  faits  au 
compte  de  ce  département. 

Il  existe,  tant  à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  qu'à  la 
Bibliothèque  royale,  une  quantité  considérable  de  ces  objets, 
dont  le  classement  ou  la  conservation  sont  plus  que  difticiles,  à 
défaut  de  local  spécial  suffisant.  Il  est  en  même  tems  présu- 
mable  que  ces  collections  ne  peuvent  pas  se  compléter. 

L'idée  de  réunir  dans  un  centre  commun  toutes  les  diverses 
parties  ainsi  isolées  vient  tout  naturellement  à  l'esprit,  et  il 
serait  utile,  dans  l'intérêt  de  la  science,  que  cette  réunion  ait 
lieu  le  plus  tôt  possible. 

\)  Cette  note  anonyme,  enregistrée  le  20  janvier  1833,  émanait  vraisembla- 
blement de  Zédé,  le  conservateur  du  Musée  naval. 


196  LES    ORIGINES 

Le  dépôt  au  Musée  naval  ne  serait  point  une  dépossession  pour 
le  Ministre  de  Uhistruction  publique  ou  les  bibliothèques. 

Il  serait  fait  pour  ces  objets,  comme  pour  ceux  fournis  par  la 
Marine  en  très  g^rand  nombre,  un  triple  inventaire,  dont  une 
copie  serait  pour  les  Chambres,  la  seconde  pour  le  Ministère  qui 
se  dessaisit,  la  troisième  pour  l'Administration  générale  des 
musées. 

De  cette  manière  les  droits  de  chacun  seraient  conservés  *. 


No  XL VI 

2e  DIRECTION 

—  MINISTÈRE  DE   LA  MARINE    ET    DES   COLONIES 

2^ Bureau. 

—  Paris,  le  20  février  1833. 
Travaux. 

Monsieur  et  cher  collègue, 

M.  Zédé,  conservateur  du  Musée  naval,  établi  au  Louvre, 
m'informe  qu'il  existe  dans  les  bibliothèques  Royale',  de  Sainte- 
Geneviève  et  du  Jardin  du  Roi,  une  grande  quantité  d'objets  de 
curiosité  et  d'ethnographie  qui,  pour  la  plupart,  ont  été  recueillis 
par  les  navigateurs  et  donnés  par  la  marine  à  ces  établisse- 
mens,  parce  qu'elle  ne  possédait  pas  de  local  convenable  pour  en 
former  une  collection  spéciale. 

Le  même  motif  ne  subsistant  plus  aujourd'hui,  il  serait  à 
désirer,  dans  l'intérêt  des  personnes  qui  voudront  s'occuper  de 
l'étude  des  objets  de  ce  genre,  qu'elles  pussent  les  trouver  tous 
réunis  dans  un  seul  endroit,  et  sous  ce  rapport  le  Musée  naval, 
qui  en  possède  déjà  un  très  grand  nombre,  semble  être  le  lieu  le 
plus  convenable  pour  en  faire  le  dépôt. 

Si  Votre  Excellence,  avant  d'accéder  à  cette  demande,  jugeait 

1)  En  marge  de  la  main  de  Guizot,  «  M,  H.  Royer-Collard,  qui  m'en  pariera  « , 
et  de  la  main  de  ce  dernier  «  ajourner  cette  affaire,  le  ministre  ne  peut  s'en 
occuper  actuellement  )>. 

2)  La  virgule  séparative  manque  sur  l'original,  et  il  va  résulter  de  cette  omis- 
sion du  copiste  toute  une  suite  de  malentendus. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  197 

nécessaire  de  charger  une  commission  d'en  examiner  la  conve- 
nance, je  la  prierais  de  vouloir  bien  y  adjoindre  M.  Zédé. 

Je  vous  prie,  Monsieur  et  cher  collègue,  de  vouloir  bien  m'in- 
former  de  la  décision  que  vous  aurez  prise  à  ce  sujet,  et  d'agréer 
l'assurance  de  ma  haute  considération. 

Le  ministre-secrétaire  d'État  de  la  Marine 
et  des  Colonies, 

C"  A.   DE   RiGNY. 

A  M.  le  Ministre  de  r Instruction  publicjue,  à  Paris  \ 


N'^  XLVII 

^^^'®'°^  MINISTÈRE    DE    l'iNSTRUCTION    PUBLIQUE 

Des  Sciences  et 
des  Lettres.  Pa^j,.^  le  26  février  1833. 

Le  Ministre, 

A  MM.  les  professeurs  administrateurs  du  Muséum 
d'Histoire  naturelle. 
Messieurs, 

M.  le  ministre  de  la  marine,  en  me  rappelant  que  son  dépar- 
tement a  fait  l'abandon  à  la  bibliothèque  du  Jardin  du  Roi,  d'une 
assez  grande  quantité  d'objets  de  curiosité  et  d'ethnographie, 
qu'il  ne  pouvait  placer,  faute  d'un  local  convenable,  me  demande 
que  ces  objets  lui  soient  remis  pour  être  déposés  au  Musée  naval 
établi  au  Louvre,  et  dont  le  conservateur  est  M.  Zédé. 

Je  vous  prie,  Messieurs,  de  me  faire  savoir  en  quoi  consistent 
ces  objets  qui,  pour  la  plupart,  d'après  la  lettre  de  M.  le  ministre 
de  la  Marine,  ont  été  recueillis  par  les  navigateurs.  Veuillez  me 
donner  en  même  temps  votre  avis  sur  la  convenance  qu'il  y 
aurait  à  faire  la  remise  demandée. 

Agréez,  etc. 

1)  En  noie,  de  la  main  d'Hipp.  Royer-Collard  :  «  Écrire  au  Muséum  et  à  la 
Bibl.  de  Sainte-Geneviève,  afin  de  savoir  en  quoi  consistent  ces  objets  d'ethno- 
graphie, recueillis  par  des  navigateurs  et  donnés  par  la  marine  à  ces  établisse- 
mens.  —  Répondre  à  M.  le  ministre  de  la  Marine  qu'on  a  reçu  sa  lettre  et  que 
le  ministre  va  s'empresser  de  lui  donner  la  suite  convenable.  H.  R.-C.  » 


198  LES    ORIGINES 

N«  XL  VIII 

BIBLIOTHÈQUE    ROYALE 

Paris,  le  19  mars  1833. 
Monsieur  le  ministre, 

Vous  m'avez  fait  savoir  que  M.  le  ministre  de  la  Marine  vous  a 
rappelé  que  son  département  a  fait  V abandon  à  la  Bibliothèque 
de  Sainte-Geneviève  dune  assez  grande  quantité  d'objets  relatifs 
à  l'ethnographie,  rapportés  par  des  navigateurs  et  qu^l  rede- 
mande ces  objets  pour  les  déposer  au  Musée  naval. 

S'il  n'y  a  point  d'erreur  dans  la  rédaction,  c'est  à  la  Bibliothè- 
que de  Sainte-Geneviève ,  non  à  la  Bibliothèque  royale,  que  la 
lettre  devait  être  adressée.  Les  administrateurs  ou  conservateurs 
de  la  Bibliothèque  de  Sainte-Geneviève  sont  seuls  en  état  de 
répondre  à  la  question  qu'elle  renferme,  puisqu'elle  concerne 
l'établissement  qu'ils  dirig-ent. 

Avant  de  communiquer  la  lettre  au  Conservatoire,  j'attends 
que  vous  ayez  eu  la  bonté  de  me  donner  quelques  éclaircisse- 
mens  à  ce  sujet. 

Je  suis  avec  respect,  Monsieur  le  ministre,  votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur. 

Letronne, 

Directeur,  président  du  Conservatoire  de  la 
Bibliothèque  royale. 


N»  XLIX 


°^^'^^'°'*'  MINISTÈRE    DE   L^INSTRUCTION    PUBLIQUE 

Des  Sciences  et 
des  Litres.  p^^.^^  ,^  27  mars  1833. 

Monsieur  le  directeur, 

En  vous  écrivant  le  26  février  dernier,  au  sujet  de  la  réclama- 
tion que  M.  le  Ministre  de  la  Marine  m'a  adressée  d'une  assez 

Mêmes  lettres,  avec  les  variantes  indiquées  par  la  différence  des  établisse- 
mens  à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  et  à  la  Bibliothèque  nationale. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  199 

grande  quantité  d'objets  relatifs  à  l'ethnographie,  dont  l'abandon 
aurait  été  fait  aux  bibliothèques  de  Sainte-Geneviève  et  du  Muséum 
d'Histoire  naturelle,  j'avais  en  vue  de  rendre  plus  complets  les 
renseignemens  que  je  dois  transmettre  à  mon  collègue. 

Il  se  pourrait,  en  effet,  que  la  Bibliothèque  royale  ait  été  com- 
prise, aussi  bien  que  celle  de  Sainte-Geneviève,  au  nombre  des 
établissemens  auxquels  ces  objets  ont  été  confiés  ;  aussi,  Mon- 
sieur le  directeur,  bien  que  la  lettre  de  M.  le  Ministre  de  la 
Marine  ne  fasse  aucune  mention  de  la  Bibliothèque  royale,  je 
n'en  ai  pas  moins  cru  devoir  m'adresser  à  vous,  en  même  tems 
que  j'écrivais  à  MM.  les  administrateurs  des  Bibliothèques  de 
Sainte-Geneviève  et  du  Jardin  du  Roi. 

Agréez,  Monsieur  le  directeur,  l'assurance  de  ma  considéra- 
tion la  'plus  distinguée. 

Le  ministre -secrétaire  d'Etat  au  département 
de  l'Instruction  publique, 

GUIZOT. 


.     NoL 

MUSÉUM  d'histoire  NATURELLE 

Taris,  le  28  mars  1833. 
Monsieur  le  ministre, 

Vous  nous  avez  fait  l'honneur  de  nous  écrire  le  26  du  mois 
dernier,  pour  nous  informer  de  la  demande  que  vous  a  faite 
M.  le  Ministre  de  la  Marine,  pour  le  Musée  naval  établi  au 
Louvre,  de  divers  objets  de  curiosités,  déposés  au  Muséum,  et 
vous  avez  bien  voulu  nous  inviter  à  vous  faire  connaître  notre 
avis  à  ce  sujet. 

Nous  n'avons  jamais  considéré  ces  objets,  tout  à  fait  étrangers 
au  but  du  Muséum,  et  qui  ne  nous  ont  été  remis  au  retour  des 
expéditions  maritimes,  que  parce  qu'ils  accompagnaient  des  col- 
lections d'histoire  naturelle,  que  comme  un  simple  dépôt,  et  c'est 
dans  cette  pensée  qu'il  y  a  environ  six  ans,  nous  avons  fait 
remettre  à  la  Bibliothèque  royale,  et  sur  la  demande  de  MM.  les 


200  LES    ORIGINES 

conservateurs  de  cet  établissement,  la  plus  grande  partie  de  ceux 
qui  se  trouvaient  alors  dans  les  magasins  du  Muséum. 

Nous  nous  sommes  empressés  de  faire  réunir  tous  les  objets 
du  même  genre  que  nous  avons  reçus  depuis  cette  époque  et 
nous  avons  l'honneur  de  prier  Votre  Excellence  de  vouloir  bien 
informer  M.  le  Ministre  de  la  Marine  qu'ils  sont,  dès  à  présent,  à 
sa  disposition. 

Nous  sommes,  avec  respect,  Monsieur  le  ministre,  de  Votre 
Excellence,  les  très  humbles  et  obéissans  serviteurs. 

L.  CoRDiER.  G.  Saint-Hilaire, 

Directeur.  A.    DE  JuSSIEU. 

A  Monsieur  le  ministre-secrétaire  d'État  ait  département 
de  r Instruction  publique  ' . 

1)  MUSÉUM  d'histoire  NATURELLE. 

Séance  du  14  mai  '1833. 

Note  des  produits  de  l'industrie  des  différens  peuples  non  civilisés,  déposés 
au  Muséum  d'histoire  naturelle. 

Numéros.    Quantités. 

1  14  Boutou,  casse-tête Amérique  méridionale. 

2  3  Arcs  en  bois —  — 

3  10  Flèches —  — 

4  2  Hamacs —  — 

5  1  Ceinture  en  fibres  de  palmier.   .  —  — 

6  5  Corbeilles  en  jonc —  — 

7  4  Ceintures    garnies    de    graines 

d'ako-eai —  — 

8  1  Warawaie,  instrument  de  musi- 

que    —  — 

9  1  Timtoaky  casse-tête Canada. 

10  4  Raquettes — 

11  1  Vase  en  bois  sculpté — 

12  1  Pagaie  en  bo's — 

13  3  Plats  en  bois  sculpté — 

14  1  Pirogue  en  écorce  de  bouleau.   .  — 

15  3  Cuillers  en  bois  sculpté — 

1(3  1  Instrument  de  musique Sénégal. 

17  2  Carquois — 

18  1  Poignard  et  son  fourreau.  ...  — 

i9  3  Flûtes  en  roseau — 

20  1  Éventail  de  l'Indostan "- 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  201 


N°LT 


'^'^''^'°-''  MINISTÈRE   DE    l'iNSTRUCTION    PUBLIQUE 

Des  Sciences  et 

^^'^^^'■''-  Prtm,  le  11  avril  1833. 

Monsieur  et  cher  collègue, 
Il  résulte  de  la  réponse  que  MM.  les  professeurs-administra- 
teurs du  Muséum  d'Histoire  naturelle  m'ont  adressée,  au  sujet 
des  objets  de  curiosité  et  d'ethnographie,  dont  le  département  de 
la  Marine  a  fait  le  dépôt  dans  quelques-uns  des  établissemens 
dépendans  de  mon  ministère,  que  tous  les  objets  de  ce  genre 
qu'ils  ont  reçus  depuis  six  ans  environ,  vont  être  rassemblés  par 
eux  pour  être  mis  à  votre  disposition. 

En  ce  qui  concerne  l'administration  de  la  Bibliothèque  de 
Sainte-Geneviève,  je  ne  puis  vous  transmettre  aucun  renseigne- 
ment, n'ayant  pas  encore  la  réponse  de  cette  administration. 

Agréez,  Monsieur  le  comte  et  cher  collègue,  l'assurance  de  ma 
haute  considération. 

Le  ministre-secrétaire  d'Etat  au  dépar- 
tement de  r Instruction  'publique. 
GuizoT. 
A  M.  le  ministre  de  la  Mari?ie. 

Numéros.     Quauliti's. 

21  2  Chaussures  en  bois  sculpté.  .  .  Sénégal. 

22  1  Poire  à  poudre  en  bois  sculpté,  — 

23  1  Masse  d'armes  en  fer — 

24  9  Lances  garnies  en  fer — 

25  1  Parasol Japon. 

26  1  Pirogue Groenland. 

27  1  Flûte Nouvelle-Zélande. 

28  2  Chapeaux  chinois 

29  1  Instrument  de  musique Madagascar. 

30  1  Clochette  en  bois  .' 

31  1  Collier  en  bois 

32  1  Bouclier  en  bois Nouvelle-Hollande. 

Reçu  de  M.   l'administrateur  du  Muséum  d'Histoire  naturelle  du  Jardin  du 

Roi,  les  trente-deux  articles  ci-dessus  mentionnés  pour  être  déposés  au  Musée 

naval. 

Paris,  le  11  mai  1833. 

Le  conservateur  du  Musée  naval. 
ZÉDÉ. 


202  LES    ORIGINES 

N°LII 

Parts,  le  11  avril  1832. 

Monsieur  le  comte  et  cher  collègue, 

Il  résulte  de  la  réponse,  que  MM.  les  professeurs-administra- 
teurs dii  Musée  d'Histoire  naturelle  m'ont  adressée,  au  sujet  des 
objets  de  curiosité  et  d'ethnographie^  dont  le  département  de  la 
Marine  a  fait  le  dépôt  dans  quelques-uns  des  établissemens 
dépendant  de  mon  ministère  : 

1°  Qu'ils  ont  fait  remettre,  il  y  a  environ  six  ans,  à  MM.  les 
conservateurs  de  la  Bibliothèque  royale  la  plus  grande  partie  de 
ceux  de  ces  objets  qui  se  trouvaient  alors  dans  les  magasins  du 
Muséum  ;  2°  qu'ils  ont  réuni  tous  les  objets  du  même  genre, 
qu'ils  ont  reçus  depuis  cette  époque^  pour  les  mettre  à  votre  dis- 
position. 

Je  vais  donc  écrire  à  MM.  les  conservateurs  delà  Bibliothèque 
royale,  au  sujet  des  objets  qu'ils  ont  reçus  de  MM.  les  profes- 
seurs-administrateurs du  Muséum  d'Histoire  naturelle.  Quant  au 
dépôt  qui  peut  avoir  été  confié  à  l'administration  de  la  Biblio- 
thèque Sainte-Geneviève,  je  ne  puis  vous  transmettre  aucun 
renseignement,  n'ayant  pas  encore  la  réponse  de  cette  adminis- 
tration. 

Agréez,  Monsieur  le  comte  et  cher  collègue,  etc. 

GuizoT. 
A  M.  le  ministre  de  la  Marine. 


N°  LHI 

Paris,  le  11  avril  1833. 

A  M.  Letronne,  directeur-président  du  Conservatoire  de  la 
Bibliothèque  royale. 

Monsieur  le  directeur. 

Depuis  la  dernière  lettre  que  j'ai  eu  Thonneur  de  vous  écrire 
au  sujet  des  collections  ethnographiques  déposées  dans  quelques- 
uns  des  établissemens  dépend aiil  de  mon  ministère,  j'ai  reçu  les 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  203 

renseig-nemens  que  j'avais  demandés  à  MM.  les  professeurs- 
administrateurs  du  Muséum  d'Histoire  naturelle. 

Ces  messieurs  m'annoncent,  qu'il  y  a  six  ans  environ,  ils  ont 
fait  remettre  à  la  Bibliothèque  royale,  sur  la  demande  de  MM.  les 
conservateurs  de  cet  établissement,  la  plus  grande  partie  des 
objets  qui  se  trouvaient  alors  dans  les  magasins  du  Muséum  et 
dont  ils  n'avaient  jusque-là  que  le  simple  dépôt. 

Je  m'empresse  de  vous  communiquer  cet  avis,  qui  vient  à 
l'appui  de  l'explication  que  j'ai  dû  vous  donner  dans  ma  lettre  du 
27  mars  dernier. 

Agréez,  Monsieur  le  directeur,  etc. 

GuiZOT. 


N«  LIV 

BIBLIOTHÈQUE    ROYALE 

Paris,  le  11  avril  1833. 

Le  directeur-président  du  Conservatoire  de  la  Bibliothèque  royale. 
Monsieur  le  ministre, 

Dans  une  précédente  lettre,  vous  m'avez  annoncé  que  M.  le 
ministre  de  la  Marine  vous  avait  écrit  pour  réclamer  certains 
objets,  relatifs  à  l'ethnographie,  qu'avant  la  Révolution  le  minis- 
tre de  la  Marine  avait  fait  déposer,  faute  de  place,  à  la  Biblio- 
thèque de  Sainte-Geneviève  et  au  Musée  d'Histoire  naturelle. 
Maintenant  que,  de  concert  avec  la  liste  civile,  il  réunit  au  Lou- 
vre un  Musée  naval  et  ethnographique,  il  désire  ravoir  ces  objets 
dispersés., 

Par  votre  dernière  lettre,  en  date  du  11  courant,  vous  m'an- 
noncez que  les  administrateurs  du  Musée  d'Histoire  naturelle 
déclarent  avoir  fait  remettre  à  la  Bibliothèque  royale  tous  les 
objets  de  ce  genre  qu'ils  possédaient  et  comme  ceux  que  contenait 
la  Bibliothèque  de  Sainte-Geneviève  ont  également  passé  dans 
la  bibliothèque  royale  ;  il  s'ensuit  que  c'est  en  définitive  à  cet 
établissement  seul  que  s'adresse  la  réclamation  de  M.  le  minis- 
tre de  la  Marine. 

Il  résulte  des  recherches  que  j'ai  faites  à  ce  sujet  : 


204  LES    ORIGINES 

1°  Que  parmi  les  curiosités  et  antiques,  provenant  de  laBiblio- 
thÎ3que  Sainte-Geneviève,  déposés  à  la  Bibliothèque  nationale,  en 
ventôse  an  V,  il  y  a  une  vingtaine  d'objets  ethnofjraphiques^  qui 
peuvent  avoir  l'origine  dont  parle  M.  le  ministre  de  la  Marine. 

2°  Que  les  objets  de  même  genre,  remis  par  le  Musée  d'His- 
toire naturelle,  en  thermidor  et  fructidor  an  Y  (il  y  a  trente-six 
et  non  pas  six  ans)^  sont  au  nombre  d'environ  une  centaine. 

Ce  serait  donc  environ  cent  vingt  objets  qu'il  faudrait  que  la 
bibliothèque  restituât  au  ministre  de  la  Marine,  si  son  droit  de 
propriété  était  bien  établi. 

On  peut  faire  à  ce  sujet  plus  d'une  observation. 

D'abord,  c'est  au  Ministère  de  la  Marine  à  prouver  que  les 
objets  ethnographiques.,  qui  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève 
et  du  Musée  d'Histoire  naturelle,  ont  passé  dans  notre  bibliothè- 
que, provenaient  réellement  de  dépôts  qu'il  avait  faits.  Tous  bien 
certainement  n'en  provenaient  pas,  quelques-uns  peuvent  y  être 
entrés  à  d'autres  titres.  C'est  donc  un  départ  à  faire. 

En  second  lieu,  ce  départ  étant  fait,  il  faut  prouver  que  les 
objets  ont  été  mis  à  Sainte-Geneviève,  à  titre  de  dépôt,  faute  de 
place,  et  non  à  titre  de  don  pur  et  simple  ;  auquel  cas  ce  minis- 
tère n'aurait  rien  à  réclamer. 

En  troisième  lieu,  dans  l'hypothèse  du  simple  dépôt,  il  y  aura 
à  examiner  si  le  décret  qui  ordonne  la  translation  de  ces  objets  à 
la  Bibliothèque  royale,  n'a  pas  annulé  toute  réserve  antérieure 
de  propriété,  et  n'a  pas  entendu  donner  à  ces  objets  le  caractère 
de  don,  car  la  bibliothèque  ne  reçoit  rien  à  titre  de  dépôt.  Tout 
ce  qui  y  entre  devient  propriété  publique. 

Telles  sont  les  recherches  à  faire  et  les  difficultés  à  résoudre, 
que  la  demande  de  M.  le  ministre  de  la  Marine  paraît  nécessiter. 
Je  les  soumets  à  votre  sagesse,  Monsieur  le  ministre,  d'après  le 
vœu  du  Conservatoire,  afin  que  sa  garantie  soit  parfaitement  à 
couvert,  si  la  remise  des  objets  en  question  était  exigée. 

Je  suis,  avec  respect.  Monsieur  le  ministre,  votre  très  humble 

et  très  obéissant  serviteur. 

Letronne. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  205 

N"  LV 

BIBLIOTHÈQUE    ROYALE 

Paris,  le  18  avril  1833. 
Confidentielle, 

Monsieur  le  ministre, 

Je  crois  devoir  joindre  aux  renseignemens  et  aux  observations 
contenus  dans  ma  lettre  de  ce  jour,  en  réponse  à  la  réclamation 
de  M.  le  ministre  de  la  Marine,  quelques  considérations  sur  le 
fond  même  de  la  question  qu'il  soulève  en  ce  moment. 

M.  le  ministre  de  la  Marine  désire  donner  tout  le  développe- 
ment possible  au  Musée  naval  et  ethnographique  formé  au 
Louvre  ;  il  veut  y  réunir  tous  les  objets  relatifs  à  l'ethnographie 
que  possède  déjà  l'administration,  afin  d'y  ajouter  successive- 
ment tous  ceux  que  les  voyageurs  rapportent. 

Il  est  certain  que  la  formation  d'un  musée  de  ce  genre  est  ou 
ne  peut  plus  désirable  ;  il  en  existe  de  pareils  à  Saint-Péters- 
bourg et  à  Berlin  ;  il  manque  parmi  nos  établissemens  scien- 
tifiques. Une  commission  nommée  en  1831,  pour  examiner  cette 
question,  s'est  prononcée  un  moment  pour  l'affirmative.  Mais  on 
conçoit  qu'un  établissement  de  cette  nature  n'est  vraiment  utile 
que  s'il  est  complet  ou  du  moins  s'il  peut  le  devenir  ;  et,  pour 
cela,  il  doit  être  unique,  il  doit  être  le  seul  centre  auquel  vien- 
nent se  réunir  toutes  les  acquisitions  que  fourniront  les  voyages 
subséquents.  Le  but  serait  manqué  s'il  y  avait  deux  musées 
ethnographiques. 

Or,  dans  l'état  actuel  des  choses,  cet  inconvénient  est  à 
craindre.  La  Bibliothèque  royale  possède  un  grand  nombre 
d'objets  qui  entreraient  dans  un  tel  musée,  indépendamment  de 
ceux  que  M.  le  ministre  de  la  Marine  réclame.  De  plus,  l'ordon- 
nance de  1828,  en  créant  un  S"  département,  avait  réglé  qu'on 
y  réunirait  les  objets  que  rapporteraient  les  voyageurs  ;  cette  dis- 
position n'a  pas  été  abrogée  par  l'ordonnance  de  1832,  qui  fait 
du  5"  département  une  annexe  de  celui  des  estampes,  et  le  con- 
servateur de  la  section  des  cartes  et  plans  considère  bien  cette 


206  LES    ORIGINES 

disposition  comme  subsistante  et  comme  appelant  la  formation 
d'un  musée  ethnographique  à  la  Bibliothèque  royale.  De  plus,  la 
commission,  dont  j'ai  déjà  parlé,  a  émis  l'opinion  que  ce  musée 
serait  bien  placé  à  la  bibliothèque. 

Il  est  temps  de  se  prononcer  d'une  manière  définitive  et  directe 
sur  la  formation  de  ce  musée  ;  sera-t-il  au  Louvre  ?  sera-t-il  à  la 
biblioth^eque  ?  Qui  achètera  la  collection  importante  de  M.  Lamarc- 
Picquot?  Ou  sera-t-elle  mise  ?  Un  autre  motif  tout  puissant  de 
se  décider  résulte  du  projet  de  translation  de  la  bibliothèque  et 
de  l'examen  des  plans  en  ce  moment  soumis  au  conseil  des 
bâtimens  civils.  Il  faut  observer  qu'un  musée  ethnographique  ne 
doit  pas  seulement  coûter  beaucoup  d'argent  en  acquisition,  en 
arrangement,  en  entretien,  en  personnel  ;  il  a  besoin  de  beau- 
coup de  place,  pour  s'étendre,  se  développer  par  suite  d'acquisi- 
tions successives  ;  il  faut  donc  lui  affecter  un  local  considérable. 
Ainsi  la  question  de  savoir  s'il  y  aura  ou  s'il  n'y  aura  pas  de 
musée  ethnographique  à  la  Bibliothèque  royale,  influe  extrême- 
ment sur  les  plans  de  la  construction  projetée  ;  et  je  déclare, 
quant  à  moi,  qu'appelé  à  discuter  ces  plans  au  conseil  des  bâti- 
mens civils,  je  ne  puis  émettre  une  opinion  définitive  que  si  le 
principe  est  décidé  d'avance. 

Je  désirerais  donc.  Monsieur  le  ministre,  que  vous  voulussiez 
bien  inviter  le  Conservatoire  à  discuter  cette  question  dans  une 
de  ses  plus  prochaines  séances,  et  à  vous  transmettre  son  avis 
dans  le  plus  bref  délai. 

Je  suis,  avec  respect,  Monsieur  le  ministre,  votre  très  humble 

et  très  obéissant  serviteur. 

Letronne. 


N°  LVI 

DIVISION 
Des  Sciences  et  MINISTÈRE    DE   L  INSTRUCTION    PUBLIQUE 

^^^  ^^^^^-  Paris,  le  20  avril  1833. 

Monsieur  le  directeur, 
J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire 
en  réponse  à  celle  que  je  vous  avais  adressée,  au  sujet  de  la 


DU    MUSÉE    D  ETHNOGRAPHIE 


207 


réclamation,  formée  par  M.  le  ministre  de  la  Marine,  de  plusieurs 
objets  de  curiosité  et  d  ethnographie,  qui  lui  paraîtraient  devoir 
être  restituées  à  son  département,  pour  concourir  à  la  formation 
du  Musée  naval  du  Louvre. 

J'examinerai,  avec  la  plus  grande  attention,  les  observations 
et  les  renseignemens  que  vous  me  présentez  dans  cette  lettre, 
mais,  avant  de  rien  décider  à  cet  égard,  il  me  semble  indispen- 
sable de  discuter  préalablement  une  autre  question,  que  je  vous 
prie  de  soumettre  au  Conservatoire. 

L'ordonnance  royale  de  1828,  en  créant  à  la  Bibliothèque 
royale  un  5"  département,  avait  réglé  qu'on  y  réunirait  les  objets 
que  rapporteraient  les  voijageurs  ;  cette  disposition  n'a  pas  été 
abrogée  par  l'ordonnance  de  1832,  qui  fait  du  5«  département 
une  annexe  de  celui  des  estampes. 

Depuis  lors,  une  commission  spéciale  a  été  nommée,  en  1831, 
par  M.  le  ministre  du  Commerce  et  des  Travaux  publics,  pour 
examiner  si  la  création  d'un  musée  ethnographique  serait  utile 
et,  dans  le  cas  de  l'affirmative,  indiquer  quel  emplacement 
devait  être  adopté  de  préférence  à  tout  autre  pour  l'établisse- 
ment de  ce  musée. 

Cette  commission  fut  d'avis  que  la  fondation  d'un  musée  de 
ce  genre  serait  une  mesure  utile  ;  quant  au  choix  du  local  le 
plus  convenable,  elle  pensa  que  ce  musée  serait  bien  placé  à  la 
Bibliothèque  royale. 

Au  moment  où,  d'une  part,  la  réclamation  de  M.  le  ministre 
de  la  Marine,  à  laquelle  je  voudrais  pouvoir  répondre  le  plus  tôt 
possible  ;  de  l'autre,  le  projet  de  translation  de  la  Bibliothèque 
royale  et  l'examen  des  plans  soumis  au  conseil  des  bâtimens 
civils,  me  fournissent  l'occasion  de  vous  rappeler  la  disposition 
de  l'ordonnance  de  4  828  et  Tavis  de  la  commission  créée  en  1831, 
je  désire  être  éclairé  d'une  manière  précise  sur  les  avantages  et 
les  inconvéniens  qui  pourraient  résulter  :  1°  de  la  formation 
d'un  musée  ethnographique  ;  2°  de  son  établissement  auprès  de 
la  Bibliothèque  royale. 

Je  voudrais  savoir  si  la  réalisation  d'un  tel  projet  n'entraîne- 
rait pas,  non  seulement  de  grandes  dépenses  de  personnel  et  de 


208  LES    ORIGINES 

matériel  pour  la  Bibliothèque,  mais  encore  une  modification 
considérable  dans  les  plans  qui  doivent  être  examinés  par  le 
conseil  des  bâtimens  civils. 

Je  vous  prie,  Monsieur  le  directeur,  de  vouloir  bien  commu- 
niquer au  Conservatoire,  dans  l'une  de  ses  plus  prochaines 
séances,  les  questions  que  j'ai  l'honneur  de  vous  proposer.  Je 
désire  être  mis  à  portée  de  prendre  à  cet  égard  une  décision 
définitive  et  motivée,  dans  le  plus  bref  délai  possible. 

Agréez,  etc. 

Le  mijiistre- secrétaire  d'Etat  au  département 
de  l'Instruction  publique. 

GUIZOT. 


N"  LVII 

Des'sci'eùcea  et  MINISTÈRE    DE    LINSTRLXTION    PUBLIQUE 

des  Lettres.  ^^^.^^  j^  ^5  avril  1833. 

RAPPORT  à  Monsieur  le  ministre-secrétaire  d'Etat 
au  département  de  V Instruction  -publique. 

Monsieur  le  ministre, 

M.  le  ministre  de  la  Marine  vous  a  écrit  plusieurs  lettres, 
par  lesquelles  il  réclame  divers  objets  d'ethnographie,  que  le 
Ministère  de  la  Marine  avait  fait  déposer,  faute  de  place,  à  la 
Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  à  la  Bibliothèque  royale  et  au 
Muséum  d'Histoire  naturelle. 

Aujourd'hui  que  le  ministre  de  la  Marine,  de  concert  avec 
l'administration  de  la  liste  civile,  s'applique  à  former  au  Louvre 
un  musée  naval  et  ethnographique,  je  pense  que  ces  objets,  dis- 
persés en  différens  lieux,,  doivent  être  enfin  réunis  dans  le 
musée  nouveau  et  les  considérant  comme  un  simple  dépôt,  il 
les  redemande  aux  établissemens  qui  en  sont  dépositaires. 

Vous  avez  communiqué,  Monsieur  le  ministre,  aux  adminis- 
trateurs de  ces  établissemens,  la  réclamation  de  M.  le  ministre 
de  la  Marine. 

La  Bibliothèque  de  Sainte-Geneviève  a  répondu  qu'elle  avait 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  209 

fait  transporter  à  la  Bibliothèquo  royale  tous  les  objets  de  celte 
nature  qu  elle  pouvait  avoir  reçus  à  diverses  époques  du  Minis- 
tère de  la  Marine. 

Le  Muséum  d'Histoire  naturelle  a  déclaré  qu'il  pouvait  mettre, 
dès  à  présent,  à  la  disposition  du  ministère,  tous  les  objets 
reçus  depuis  six  ans  seulement,  attendu  que  ces  objets  avaient 
été  véritablement  déposés,  et  non  donnés,  inscrits  sur  nn  registre 
spécial,  et  par  conséquent  qu'ils  ne  pouvaient  être  assimilés  aux 
propriétés  du  Muséum  ;  que  toutefois,  la  restitution  ne  pouvait 
être  faite  d'aucun  objet  déposé  au  Muséum  avant  1827,  puisque 
rien  n'attestait  ni  dans  les  archives,  ni  dans  la  correspondance 
du  Muséum  que  tel  ou  tel  objet  eût  été  remis  à  l'administration 
par  le  ministre  de  la  Marine,  soit  à  titre  de  don,  soit  à  titre  de 
dépôt  ;  enfin  que  le  Muséum  avait  fait  transporter,  ainsi  que  la 
Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  tout  ce  qui  pouvait  appartenir  à 
l'ethnographie. 

Il  résulte  donc  des  renseignemens  qui  ont  été  pris  que  la 
Bibliothèque  royale  est  le  seul  établissement  auquel  puisse 
s'adresser  maintenant  la  réclamation  du  Ministère  de  la 
Marine. 

Cependant  parmi  les  curiosités  et  antiques,  provenant  de  la 
Bibliothèque  de  Sainte-Geneviève  et  déposés  à  la  Bibliothèque 
nationale  en  ventôse,  an  V,  il  y  a,  tout  au  plus,  une  vingtaine 
d'ohjets  ethnographiques,  qui  peuvent  avoir  l'origine  dont  parle 
M.  le  ministre  de  la  Marine  ;  et  d'un  autre  côté,  les  objets  du 
même  genre,  remis  par  le  Muséum  en  thermidor  et  fructidor, 
an  V,  sont  au  nombre  d'environ  une  centaine. 

Ce  serait  donc  environ  ce)it  vingt  objets  que  la  Bibliothèque 
royale  devrait  restituer,  si  le  droit  de  propriété  du  Ministère  de 
la  Marine  était  convenablement  établi. 

Mais  là  est  toute  la  question  :  ce  droit  existe-t-il  ?  On  peut  faire 
à  ce  sujet  plus  d'une  observation  : 

1°  Le  ministre  de  la  Marine  n'ayant  aucun  moyen  de  déter- 
miner quels  objets  ethnographiques  proviennent  réellement  des 
dépôts  qu'il  a  effectués,  de  distinguer  ces  objets  de  ceux  qui 
n'en  provenaient  pas  et  qui  peuvent  être  entrés  à  la  Bibliothèque 

14 


210  LES    ORIGINES 

royale  par  quelqu'autre  voie,  il  faudrait,  avant  tout,  faire  un 
départ  qui  est  impossible  ;  il  faudrait  dire  où  commencerait  et 
où  finirait  ce  droit  de  réclamation. 

2°  Le  départ  étant  fait,  il  faut  prouver  que  les  objets  ont  été 
mis  à  Sainte-Geneviève  à  titre  de  dépôt,  faute  de  place,  et  non  à 
titre  de  don  pur  et  simple.  Il  faut  produire  des  pièces,  des  lettres, 
des  registres,  tout  cela  n'existe  pas  ;  mais  s'il  y  a  eu  don  et  non 
dépôt,  le  ministre  de  la  Marine  n'aura  rien  à  réclamer. 

3°  Enfin,  dans  l'hypothèse  même  du  simple  dépôt,  il  y  aurait  à 
examiner  si  le  décret  qui  ordonne  la  translation  de  ces  objets  à 
la  Bibliothèque  royale  n'a  pas  annulé  toute  réserve  antérieure 
de  propriété,  la  plus  grande  partie  de  ces  objets  ayant  été  reçue 
par  la  Bibliothèque  avant  la  Révolution,  si  le  dépôt  n'est  point 
devenu,  par  suite,  un  véritable  don.  En  règle  générale,  la  Biblio- 
thèque royale  ne  reçoit  rien  à  titre  de  dépôt  ;  tout  ce  qui  entre 
dans  ses  collections  acquiert  par  cela  même  le  caractère  de  pro- 
priété publique.  Si  donc  une  exception  a  pu  être  faite  à  cette 
règle  générale,  on  a  dû  s'expliquer  nettement  sur  la  condition 
du  dépôt  ;  des  précautions  doivent  avoir  été  prises  de  part  et 
d'autre  ;  or,  la  Bibliothèque  royale  n'a  dans  ses  archives,  aucune 
trace  de  dispositions  semblables  ;  que  le  Ministère  de  la  Marine 
établisse  doue  ses  preuves,  puisqu'il  réclame,  en  vertu  d'un  titre 
de  propriété. 

Telles  sont  les  questions,  qu'il  conviendrait  d'examiner,  avant 
de  répondre  définitivement,  d'une  manière  ou  d'une  autre,  à  M.  le 
ministre  de  la  Marine.  Je  vous  prie,  Monsieur  le  ministre,  de 
vouloir  bien  consulter  à  ce  sujet,  soit  le  Conseil  royal  de  l'Instruc- 
tion publique,  soit  le  comité  do  l'Intérieur  et  du  Commerce  en 
Bonseil  d'Etat.  Il  importe  que  la  garantie  du  Conservatoire  de  la 
Bibliothèque  royale  soit  parfaitement  à  couvert  dans  le  cas  où 
l'on  exigerait  la  remise  desdits  objets  au  ministre  de  la  Marine. 
Je  suis,  avec  respect,  Monsieur  le  ministre,  votre  très  humble 
et  très  obéissant  serviteur. 

HlPP.    ROYER-COLLARD. 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  211 

Renvoyé  à  l'examen   du  Conseil  royal  de   l'Instruction  pu- 
blique*. 

Approuvé  par  le  ministre, 

GuizoT. 


N»  LVIII 

BIBLIOTHÈQUE    ROYALE 

Pans,  le  29  avril  1833. 
Le  directeur-président  du  Conservatoire  de  la  Bibliothèque  royale. 

Monsieur  le  ministre, 

Je  me  suis  empressé  de  mettre  sous  les  yeux  du  Conservatoire, 
votre  lettre,  en  date  du  20  courant,  où  vous  nous  invitez  à  dis- 
cuter, dans  le  plus  bref  délai,  toutes  les  questions  relatives  à  la 
formation  d'un  Musée  ethnographique.  Il  a  consacré  deux 
séances  extraordinaires  à  cette  importante  délibération,  et  je 
vous  en  transmets  le  résultat. 

D'une  part,  les  réclamations  du  ministre  de  la  Marine  ;  de 
l'autre,  une  disposition  non  abrogée  de  l'ordonnance  de  1828  ; 
et  l'avis  de  la  commission,  chargée  en  1831,  d^examiner  cette 
question  ;  enfin,  les  nouveaux  projets  pour  la  construction  d'une 
bibliothèque,  vous  font  désirer  de  connaître  l'avis  du  Conser- 
vatoire :  , 

1°  Sur  les  avantages  et  les  inconvéniens  qui  résulteraient  de 
la  formation  d'un  Musée  ethnographique  ; 

2°  Si  l'existence  de  ce  musée,  à  la  Bibliothèque  royale,  n'en- 
traînerait pas  des  dépenses  considérables  pour  le  personnel,  le 
matériel,  l'entretien  et  n'exigerait  pas  un  très  vaste  local. 

1)  La  note  ci-après,  en  marge  de  la  pièce,  résume  l'avis  du  Conseil  royal  : 
«  D'après  les  renseignemens  nouveaux,  et  aucune  communication  de  pièces 
qui  puissent  constater  le  droit  du  Ministère  de  la  Marine,  sur  les  objets  d'ethno- 
graphie, n'ayant  eu  lieu,  le  Conseil  estime  qu'il  n'a  pas  à  émettre  d'autre  avi? 
que  le  rapport  ci-joint.  » 
Conclusion,  aussi  tracée  en  marge  :  Rien  à  faire  pour  le  moment. 


212 


LES    ORIGINES 


C'est  sur  ces  diverses  questions  que  je  vais  avoir  l'honneur 
de  vous  transmettre  l'avis  motivé  du  conservatoire. 

I.  Sur  la  pre?niè)'e  question,  le  Conservatoire,  après  avoir  pris 
lecture  altcnlive  du  rapport  de  la  commission  nommée  en  1831, 
et  des  éclaircissemens  transmis  par  un  des  commissaires,  mem- 
bre du  Conservatoire,  a  pleinement  et  unanimement  adopté  les 
vues  de  la  commission  sur  l'utilité  d'un  Musée  ethnographique, 
dans  le  genre  de  ceux  qui  existent  à  Saint-Pétersbourg,  à  Berlin, 
à  Weimar,  à  Gôttingue.  Mais  il  ne  serait  d'avis  de  la  formation 
d'un  tel  musée,  qu'aux  deux  conditions  sur  lesquelles  la  com- 
mission a  fortement  insisté  : 

i°  Qu'il  sera,  unique  ;  c'est-à-dire  que  tous  les  objets,  dissé- 
minés dans  divers  établissemens,  seront  réunis  dans  un  seul 
centre,  auquel  aboutiront  toutes  les  collections  que  le  gouverne- 
ment acquerra  par  la  suite,  ou  recevra  des  voyageurs  à  titre 
gratuit.  Si  l'on  devait  former  deux  ou  trois  collections  de  ce 
genre,  une  au  Louvre,  une  à  la  Bibliothèque  du  roi,  une  autre  à 
Versailles,  qui  seraient  nécessairement  et  à  tout  jamais  incom- 
plétés, le  Conservatoire  ne  conseillerait  de  donner  suite  à  aucune 
d'elles.  Quand  une  collection  pareille  n'est  plus  qu'un  magasin  de 
curiosités,  l'intérêt  scientifique  n'existe  pas  ;  il  n'y  a  rien  de  plus 
inutile  et  toutl'argentqu'ony  consacrerait  serait  de  l'argent  perdu, 
2°  Que  ce  musée  sera  formé  sur  le  plan  étendu,  conçu  par  la 
commission,  et  de  manière  à  pouvoir  s'étendre  indéfiniment,  par 
suite  d'acquisitions  successives,  et  contenir  tout  ce  qui  peut 
servir  à  faire  connaître  Tétat  moral  et  industriel  de  toutes  les 
nations  sauvages  et  à  demi-civilisées  du  globe,  au  moyen  d'us- 
tensiles de  tout  genre,  d'armes,  de  productions  d'industrie  et 
d'arts,  d'objets  consacrés  au  culte.  Ces  nations,  d'après  la  note 
présentée  par  un  des  membres  du  Conservatoire  ',  seraient  au 
nombre  d'environ  66,  mais  il  y  en  a  évidemment  davantage, 
depuis  les  Lapons  jusqu'aux  Pescherais. 

Le  Conservatoire  a  donc  été  unanime  sur  la  première  question. 
n.  Quant  à  la  deuxième  question,  relative  au  placement  de  ce 

1)M.  Jomard.  Voir  plus  haut  pièce  no XXXVIII.  (E.  H.). 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  213 

musée  à  la  Bibliothèque  royale,  il  a  été  d'un  autre  avis  que  la 
commission  de  1831.  Entrant  dans  tous  les  détails,  il  a  reconnu: 

1»  Quant  au  personnel,  que  la  formation  de  ce  musée  nécessi- 
terait, sinon  un  nouveau  conservateur,  au  moins  au  conservateur 
adjoint,  un  employé  et  un  garçon,  c'est-à-dire,  un  surcroît  de 
dépense  annuelle  de  6,000  fr.,  dépense  qui  serait  susceptible, 
plus  lard,  de  quelque  augmentation  ; 

2"  Quant  au  matériel,  qu'il  faudrait,  pour  commencer,  une 
allocation  extraordinaire  d'environ  100,000  fr.  pour  acheter  cinq 
à  six  collections,  maintenant  disponibles,  que  M.  Jomard  évalue 
à  90,000  fr.,  y  compris  celle  de  M.  Lamare-Picquot  ;  mais  sans 
compter  d'autres  collections  importantes  qui  ne  manqueront  pas 
d'être  offertes,  quand  on  saura  les  intentions  du  gouvernement. 
A  cette  allocation  extraordinaire,  il  en  faut  joindre  une  annuelle, 
qui  ne  pourra  être  de  moins  de  6,000  fr.,  lesquels  joints  aux 
6,000  fr.  du  personnel,  font  une  augmentation  totale  de  12,000  fr. 
par  an,  que  le  Conservatoire  regarde  comme  un  minimum. 

3°  Quant  aux  frais  d'arrangement,  ils  ne  peuvent  qu'être  fort 
considérables.  Le  conservateur  de  la  section  des  cartes  et  plans 
a  voulu  persuader  qu'on  pouvait,  dès  à  présent,  et  à  peu  de  frais, 
avec  4,000  ou  6,000  fr.  au  plus,  approprier  les  casiers  occupés 
par  l'ouvrage  sur  l'Egypte,  à  une  nouvelle  destination,  et  les 
convertir  en  armoires;  il  a  dit  que  la  moitié  environ  de  ces 
casiers  serait  disponible  pour  cet  usage.  On  lui  a  répondu  que 
ces  casiers  n'y  étaient  pas  propres  et  que  l'argent  qu'on  y  emploie- 
rait serait  perdu  ;  que,  dans  tous  les  cas,  comme  on  ne  pouvait 
songer  à  les  transporter  dans  un  nouveau  local,  cette  dépense 
ne  serait  que  pour  quatre  ou  cinq  ans  :  après  quoi  elle  serait  per- 
due entièrement  ;  qu'alors  il  faudrait  procéder  à  la  co  nfection 
de  nouvelles  armoires,  dont  la  dépense  ne  peut  être  au-dessous, 
et  sera  probablement  au-dessus  de  30,000  francs. 

Dans  ces  frais  ne  sont  pas  compris  ceux  de  réparation  des 
objets  avariés  ;  ces  frais,  qu'il  est  impossible  d'évaluer,  seront 
très  considérables.  Un  exemple  en  fera  juger.  Pour  réparer  les 
deux  tours  en  porcelaine  et  la  pagode  d'ivoire  que  possède  le 
cabinet,  il  faudrait  au  moins  1,000  fr. 


214  LES    ORIGINES 

Yoilà  où  conduira  l'établissement  à'unmusée  à  la  Bibliothèque 
royale.  Quand  les  Chambres  trouvent  déjà  le  budget  de  la  Biblio- 
thèque si  lourd,  serait-il  prudent  de  le  charger  encore  d'un  excé- 
dent si  fort?  Le  Conservatoire  ne  le  pense  pas. 

4"  Quant  au  local  qu'exigera  ce  musée,  le  Conservatoire  croit 
qu'il  doit  être  immense,  pour  suffire  à  tous  les  accroissemens 
successifs  d'un  pareil  musée,  au  classement  méthodique  des 
objets  relatifs  à  tant  de  peuples  divers,  objets  dont  quelques-uns, 
tels  que  pirogues,  charrues,  étoffes,  exigent  un  grand  dévelop- 
pement. Un  pareil  musée  ne  pourrait  que  nuire  aux  collections 
près  desquelles  il  serait  placé  ;  et  lui-même  ne  pourrait  s'éten- 
dre, comme  il  doit  le  faire. 

En  conséquence,  le  Conservatoire,  consulté  sur  la  question 
générale,  si  ce  musée  devait  être  placé  à  la  Bibliothèque,  a  ré- 
pondu négativement  à  l'unanimité,  moi7is  une  voix.  Tous  les 
membres  étaient  présens. 

Mais  il  a  émis  le  vœu  que  Àe  gouvernement  pût  s'occuper 
sérieusement  de  former  un  musée  dans  un  local  où  il  pourrait 
prendre  l'extension  dont  il  est  susceptible. 

Je  suis,  avec  respect.  Monsieur  le  ministre,  votre  très  humble 
et  très  obéissant  serviteur. 

Letronne. 


N'>  LIX 

MINISTÈRE    DE    l'iNSTRUCTION    PUBLIQUE 

Paris,  le  24  mai  1833 
Le  Ministre, 
A  M.  Zédé^  directeur  du  Musée  naval. 

Monsieur, 

Le  Conservatoire  de  la  Bibliothèque  royale,  que  j'ai  consulté 
sur  le  projet  de  formation  d'un  Musée  d'ethnographie,  m'a  fait 
connaître  son  avis. 

Le  rapport  qu'il  m'a  présenté  à  ce  sujet  est  sous  les  yeux  du 


DU  ]MusÉE  d'ethnographie  215 

Conseil  royal  de  l'Instruction  publique.  J'attendrai  le  résultat  de 
l'examen  du  conseil,  pour  prendre  une  décision  définitive. 

C'est  alors  que  nous  devrons  avoir  une  conférence,  mais  elle 
ne  pourra  avoir  lieu  qu'au  moment  où  la  clôture  de  la  session 
m'en  laissera  la  liberté  !  J'aurai  l'honneur  de  vous  écrire  pour 
vous  prévenir  du  jour  et  de  l'heure  que  j'aurai  choisis  à  cet 
effet. 

Agréez,  etc. 

GUIZOT. 


CHAPITRE  VIII 

Nouvelles  démarches  de  Jomard.  —  Projet  restreint  de  Musée  ethnographique 
à  la  Bibliothèque  1838).  —  Ordonnance  de  1839.  —  Mesure»  proposées  par 
Jomard  poar  la  mettre  à  exécution. 


N°LX 

2e  DIVISIO.N  MINISTÈRE    DE   LINSTRUCïION    PUBLIQUE 

!»■•  Bureau.  Pans,  le  8  octobre  1838. 

NOTE  POUR    M.   LE   MINISTRE 

M.  Jomard,  dans  une  note^  que  j'ai  l'honneur  de  mettre  sous 
vos  yeux,  en  rappelant  à  votre  attention  le  projet  d'établis- 
sement d'un  Musée  ethnographique  auprès  du  département  des 
plans,  estampes  et  cartes  géographiques  de  la  Bibliothèque 
royale,  vous  propose.  Monsieur  le  ministre,  d'acquérir  une 
série  de  collections  qu'il  indique  et  dont  le  prix  s'élèverait  à  80  ou 

1)  Je  n'ai  point  retrouvé  l'original  de  cette  note,  écrite  probablement  à  la 
suite  de  la  démarche  faite  auprès  de  Jomard  par  Lamare-Picquot,  le  28  sep- 
tembre 1838,  mais  je  rencontre,  annexée  à  la  pièce  ci-dessus,  la  copie  d'une  lettre 
de  Toulouzan  avec  lequel  nous  avons  vu  Jomard  en  correspondance  dès  1831, 
Cette  lettre  est  relative  à  la  collection  sino-japonaise  de  M.  Giniez,  que  Garcin 
de  Tassy  était  venu  récemment  visiter.  «  Il  l'a  trouvée  bien  supérieure  à  ce 
qu'il  croyait,  dit  Toulouzan  ;  elle  occupe  deux  immenses  salles,  et  encore  y 
a-l-il  encombrement.  Il  a  été  convenu  que  je  donnerai  un  sommaire  du  cata- 
logue à  M.  de  Tassy  pour  vous  être  remis;  ce  sommaire  sera  fini  sous  peu  de 
jours  (*)  et  il  suffira  pour  vous  donner  une  idée  juste  de  l'importance  de  cette 
belle  collection.  D'ailleurs,  M.  de  Tassy  l'ayant  vu  lui-raème,  pourra  vous 
renseigner  exactement.  Ce  dernier  m'a  dit  que  vous  désiriez  savoir  en  gros  à 
quelle  somme  M.  Giniez  porte  sa  collection,  je  puis  vous  dirg^u'à  100,000  francs 
elle  ne  serait  pas  payée  sa  valeur.  Outre  la  suite  du  petit  au  grand,  de  la 
chaumière  au  palais,  qui  a  le  mérite  rare  de  faire  apparaître,  en  quelque  sorte, 

(*)  J'eu  ai  suus  les  yeux  uu  eienaplaire  autograpliié  (E.  H.). 


218  LES    ORIGINES 

90  mille  francs.  Il  ajoute  que  sept  grandes  armoires  suffiraient 
et  que  leur  confection  coûterait  3,000  francs  environ.  Du  reste 
l'emplacement  existe^  les  employés  actuels  seraient  chargés  de 
ce  surcroît  de  travail,  sans  qu'aucune  augmentation  de  personnel 
fût  nécessaire. 

L'acquisition  des  collections  proposées  doit  être  ajournée, 
selon  mon  avis,  Monsieur  le  ministre.  Mais  il  existe  dans  les 
étages  supérieurs  de  la  Bibliothèque  royale  un  assez  grand 
nombre  d'objets  d'arts,  qui  s'y  trouvent  sans  destination  et  qui 
pourraient  former  le  noyau  d'une  collection  ethnographique; 
c'est  dans  ce  sens  que  je  vous  propose,  Monsieur  le  ministre, 
d'écrire  à  M.  Jomard,  en  l'invitant  en  même  temps  à  examiner  si, 
pour  l'année  1839  au  moins,  il  ne  serait  pas  possible  de  trouver 

à  nos  yeux,  l'état  social  des  Chinois  et  des  Japonais,  il  y  a  dans  cette  collection 
un  grand  nonabre  d'objets  précieux  et  tout  à  fait  inédits. 

«  M.  de  Tassy,  continue  l'auteur  de  la  lettre,  m'a  dit  que  peut-être  certains  de 
ces  objets,  principalement  dans  les  vernis  laqués,  ne  vous  paraîtraient  pas 
nécessaires  dans  la  collection  ethnographique  que  vous  voulez  former;  d'autant, 
ajoute-t-il,  que  ces  objets  sont  précisément  d'une  grande  valeur.  Là  dessus,  je 
dois  vous  dire  d'abord  qu'il  n'y  a  pas  deux  objets  semblables.  M.  Giniez  a 
cherché  à  remplir  tous  les  vides  et  à  compléter  chaque  article,  cette  suite  est 
un  des  plus  grands  mérites  de  la  collection,  mais  si  c'est  la  considération  du 
prix  qui  vous  retient,  il  sera  facile  à  M.  Giniez  de  se  défaire  très  avantageu- 
sement des  articles  que  vous  ne  voudrez  pas,  car  s'il  avait  voulu  vendre  en 
détail,  il  aurait  retiré  plus  que  ce  qu'il  demande  de  la  totalité.  Mais  M.  Giniez 
n'est  pas  marchand  dans  cette  affaire;  il  veut  rentrer  dans  ses  débours 
et  avoir  la  satisfaction  que  sa  collection  reste  à  son  pays.  Il  est  intéressé  dans 
une  des  premières  maisons  de  Batavia,  qui  continue  d'acheter  pour  son  compte 
tout  ce  qui  peut  enrichir  de  plus  en  plus  sa  collection.  C'est  une  passion  qu'il 
a  ;  il  la  satisfait  à  grands  frais,  pensant  être  utile  à  son  pays.  Du  reste  il  lais- 
sera toute  latitude  sur  le  mode  de  payement  et  sur  les  échéances  pourvu  qu'il 
ait  des  garanties;  il  est  disposé  à  prendre  avec  vous  les  engagemens  qu'il  vous 
plaira.  Il  se  chargera  encore  de  faire  rendre  les  objets  à  Paris  et  de  les 
déballer  lui-même  ;  car  c'est  un  homme  unique  pour  ces  sortes  de  soins,  et 
c'est  étonnant  de  voir  comment  tant  d'objets  précieux  et  fragiles  ont  pu  être 
si  bien  conservés. 

«  Il  importe,  termine  Toulouzan,  que  vous  preniez  une  détermination.  Le 
prince  Demidof  est  entré  en  négociation  ;  la  ville  de  Toulouse  fait  des  dé- 
marches :  à  Marseille  aussi  on  parait  disposé  à  prendre  des  arrangemens. 
M.  Giniez  n'est  pas  pressé;  il  se  débarrassera  même  à  regret  de  sa  collection  ; 
mais  pourtant  il  se  fait  vieux  et  il  tient  à  savoir  si  vous  pouvez  mener  cette  af- 
faire à  sa  fin.» 


DF    MUSÉE    d'ethnographie  219 

les  3,000  francs  nécessaires,  soit  sur  les  117,000  francs,  dont  se 
compose  le  crédit  du  matériel  de  la  Bibliothèque,  soit  sur  les 
150.000  francs  pour  lesquels  est  compris  le  département  des 
estampes  et  des  cartes  dans  l'annuité  extraordinaire  portée  au 

budget  de  l'exercice  indiqué. 

F.  Ravaisson. 


N«  LXI 

BIBLIOTHÈQUE  ROYALE 

Paris,  le  19  octobre  1838. 
Monsieur, 

A  l'époque  ou  l'ordonnance  a  paru,  le  nom  Cabinet  ou  de 
Musée  ethnographique  n'existait  pas;  à  peine  si  l'idée  de  la 
chose  avait  cours  ;  j"ai  contribué,  avant  et  depuis,  à  propager  ce 
mot,  et  à  fixer  l'attention  sur  la  nature  et  l'utilité  d'une  pareille 
collection.  Vous  verrez  par  l'ordonnance  ci-jointe,  que  les  mots 
équivalens  y  représentent  tout  à  fait  l'ethnographie,  c'est-à-dire 
la  connaissance  d'un  pays  par  ses  mœurs,  ses  arts,  ses  usages. 
Le  commentaire  ci-joint  aussi  \  que  M.  le  ministre  de  l'Inté- 
rieur fit  insérer  au  Moniteur  en  même  temps  que  Tordonnance, 
ne  laisse  aucun  doute  sur  ce  point.  Enfin,  dans  un  opuscule  qui 
a  paru  plus  tard,  je  suis  entré  dans  un  assez  grand  détail  sur 
la  matière  ^ 

Il  résulte  de  cette  ordonnance,  ainsi  que  de  ces  documens, 
que  la  collection  dont  il  s'agit  devrait  avoir  pour  base,  pour 
noyau,  les  objets  rapportés  de  l'expédition  d'Egypte,  et  devrait 
être  placée  à  la  Bibliothèque  royale,  à  la  source  de  toute  ins- 
truction. 

Si  je  le  puis  à  temps,  je  joindrai  encore  ici.  Monsieur,  l'opus- 
cule en  question  «  Considérations  sur  la  nature  et  rutilité  dune 
collection  spéciale  consacrée  aux   cartes  géograpliiques  et  aux 

1)  C'est  la  pièce  n°  XVI  imprimée  plus  haut. 

2)  Voy.  plus  haut  pièce  no  XXIV. 


220  LES    ORIGINES 

diverses  branches  de  la  géographie,  »  mais  cet  ouvrage  me 
manque  en  ce  moment.  On  y  démontre  entr'autres  choses  l'in- 
cohérence radicale  de  la  géographie  avec  les  estampes.  Aussi  le 
poiîit  de  départ,  même  pour  la  création  du  Cabinet  ethnogra- 
phique, est  la  séparation  de  deux  sections,  le  retour  à  l'ordonnance 
Martignac  ;  il  n'y  a  ni  plus  ni  moins  de  dépenses  dans  ce  parti, 
sauf  un  garçon  de  bureau  ou  quelques  misères. 

Pour  revenir  à  l'ethnographie,  j'ajouterai  que  la  conclusion 
ci-dessus  ressort  encore  pleinement  du  rapport  de  la  commission 
Cuvier  et  de  divers  rapports  faits  à  l'Institut,  à  la  Société 
Asiatique  et  à  la  Société  de  Géographie  depuis  huit  à  dix 
années'. 

Je  n'ignore  pas  qu'on  a  fait  quelques  objections,  mais  je  me 
fais  fort  de  les  battre  en  ruines  ;  la  Bibliothèque  royale  ne 
répugnerait  qu'à  une  charge  nouvelle,  imposée  à  son  crédit, 
mais  non  à  un  accroissement  de  splendeur  ou  d'utilité  ;  mais  il 
faut  d'abord  adopter  la  séparation. 

Agréez,  Monsieur,  etc. 

A  M.  Ravaisson.  Jomard. 


N«  LXII 

NOTE  POUR  M.  LE  MINISTRE. 

Paris,  le  24  octobre  1838. 

Réduire  le  projet  de  Musée  ethnographique  à  cette  idée  : 
réunir  au  dépôt  des  cartes  dans  des  armoires  ad  hoc,  sous  la 
garde  d'un  employé  spécial,  ce  qui  existe  à  la  Bibliothèque  royale 
des  objets  divers  provenant  de  voyages,  y  joindre  : 

4°  La  collection  de  M.  Jomard  qu'il  offre  de  donner. 

2°  Ce  qui  existe  d'analogue  au  Muséum. 

3«  La  première  salle  du  Musée  naval,  dont  le  ministre  de  la 
Marine  désire  se  débarrasser. 

1)  Voyez  plus  haut,  n"s  XXI,  XXII,  XXIII  et  XXXVII. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  221 

Ainsi  formée,  la  collection  ethnographique  sera  un  noyau, 
qui  sera  augmenté  plus  tard,  s'il  y  a  lieu. 

Les  dépenses  se  réduisent  donc  :  1°  au  traitement  d'un  em- 
ployé. 

2°  A  la  confection  de  quelques  armoires. 

Pour  cela,  demander  un  crédit  (peu  considérable)  aux 
Chambres.  En  effet:  1°  rien  ne  peut  être  affecté  à  celte  desti- 
nation sur  les  fonds  affectés  au  service  courant  du  matériel,  car 
il  s'ag-it  d'une  création  non  prévue. 

2°  Rien  sur  les  annuités  extraordinaires  votées  l'an  dernier, 
car  elles  ne  sont  destinées  qu'à  des  travaux  de  reliures  et  de 
catilogues. 

F.  Ravaisson. 


N«  LXIII 

MINISTÈRE  DE  l'iNSTRUCTION   PUBLIQUE 

Ordonnance  du  Roi. 

Sur  le  rapport  de  notre  Ministre,  secrétaire  d'État  au  dépar- 
tement de  l'Instruction  publique,  Grand-Maître  de  l'Université, 

Nous  avons  ordonné  et  ordonnons  ce  qui  suit  : 

Article  premier.  M.  Jomard,  membre  de  l'Académie  des  Ins- 
criptions et  Belles-Lettres,  conservateur  à  la  Bibliothèque  du 
Roi,  est  nommé  chef  du  département  des  cartes  géographiques, 
plans  et  collections  ethnographiques. 

Art.  2.  Notre  Ministre,  secrétaire  d'État  au  département  de 
l'Instruction  publique,  est  chargé  de  l'exécution  de  la  présente 
ordonnance. 

PAR    LE    ROI 

Le  Ministre,  secrétaire  d'État  au  département  de  thistr action 

piiblique, 

Salvandy . 


222  LES  ORIGINES 

N«  LXIV 

Paris,  le  11  mars  1839. 
Le  Ministre,  etc. 

A  M.    Jomard,  président  honoraire   du   Conservatoire  de  la 
Bibliothèque  Royale. 

Monsieur  le  président  honoraire, 

J'ai  l'honneur  de  vous  informer  que,  par  une  ordonnance  en 
date  de  ce  jour,  le  Roi  vous  a  nommé  chef  du  nouveau  dépar- 
lement des  cartes  géographiques,  plans  et  collections  ethnogra- 
phiques de  la  Bibliothèque  Royale. 

Cette  utile  création  vous  est  surtout  due,  Monsieur. 

J'attends  les  propositions  que  vous  m'avez  annoncées  pour  lui 
donner  les  développemens  et  l'importance  dont  elle  est  sus- 
ceptible. 

Vous  aurez  à  vous  occuper  immédiatement  de  la  consti- 
tution de  ce  département. 

Recevez,  Monsieur  le  président  honoraire,  l'assurance  de  ma 

considération  distinguée. 

Le  Ministre  de  l' Instruction  publique,  Grand  Maître 

de  r  Université, 

Salvandy. 


N°LXV 

BIBLIOTHÈQUE    ROYALE 

Paris,  le  l*""  avril  1839. 

A  M.  le  Ministre,  secrétaire  d'État  au  département  de 
l' Instruction  publique. 

Monsieur  le  ministre. 

Vous  avezbien  voulu  me  demander,  par  votre  lettre  du  11  mars 

dernier,   de  m'occuper   immédiatement    des  mesures    relatives 

à  la  constitution  du  département  des  cartes  géographiques,  plans 

et   collections  ethnographiques,   création   d'où  doivent   dériver 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  223 

d'utiles  résultats  pour  La  science  et  le  public  en  général,  et  pour 
l'accroissement  de  la  Bibliothèque  Royale  en  particulier. 

Je  dois  m'empresser  d'accomplir  le  devoir  qui  m'est  imposé. 

La  constitution  de  ce  département  exige  quelques  mesures 
fondamentales,  mais  simples  et  faciles,  ainsi  que  je  m'en  suis 
convaincu  par  une  étude  ancienne  et  approfondie  du  sujet.  Je 
vais  avoir  l'honneur,  Monsieur  le  ministre,  de  vous  les  exposer. 

Je  commencerai  par  rappeler  l'ordonnance  royale  du  30  mars 
1828,  pour  montrer  que  cette  vue  essentielle  d'utilité  publique 
avait  déjà  frappé  depuis  longtemps,  par  ses  avantages,  les 
meilleurs  esprits  et  des  hommes  d'État  éminens,  avantages  qui 
sont  aujourd'hui  reconnus  par  tout  le  monde. 

Ordonnance  royale.  «  Le  sieur  Jomard,  membre  de  l'Aca. 
demie  royale  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  est  nommé  à  la 
Bibliothèque  du  Roi,  conservateur  du  dépôt  de  géographie.  Il 
aura  sous  sa  garde  les  plans  et  cartes,  objets  et  instrumens 
divers  produits  par  les  voyages  scientifiques,  et  notamment  les 
planches  et  dessins,  manuscrits  et  imprimés  de  l'expédition 
d'Egypte.  » 

Ainsi,  Monsieur  le  ministre,  à  la  collection  des  cartes  géogra- 
phiques, et  pour  compléter  l'instruction  qu'on  retire  de  leur 
étude,  est  annexé  le  dépôt  des  voyages  scientifiques  ordonnés 
ou  encouragés  par  le  gouvernement  (sauf  les  pièces  d'histoire 
naturelle  qui  sont  destinées  pour  le  Muséum),  et  le  dépôt  du 
Voyage  d'Egypte  doit  être  le  noyau  de  ce  dépôt  des  voyages. 
Les  moyens  d'exécution  se  bornent,  quant  à  présent,  à  trois 
choses  principales. 

La  première  est  la  mise  en  état  du  local  où  seront  admis  le 
public  et  les  travailleurs  ;  la  deuxième  est  le  complément  du 
personnel  des  employés  ;  la  troisième  est  la  concession  d'un 
fond^  annuel  destiné  à  pourvoir  aux  acquisitions  courantes. 

§  I.  Dès  le  principe  de  la  création  du  département  des  cartes 
géographiques,  c'est-à-dire  en  mars  1828,  un  local  convenable 
et  provisoire  lui  a  été  affecté  à  la  Bibliothèque  Royale,  dans  des 
salles  alors  dépendantes  des  bâtimens  du  Trésor  ;  c'est  le  rez- 
de-chaussée   qui  est  inférieur  à  la  galerie  Mazarine  des  ma- 


224  LES    ORIGINES 

nuscrils,  avec  les  salles  avoisinanles  au  nord  et  au  midi.  Ce 
local  pouvait  suffire  jusqu'au  jour  où  seraient  élevées  les  galeries 
nouvelles  projetées  sur  la  rue  Vivienne;  mais  il  devait,  dès  lors, 
être  approprié  à  sa  destination.  Les  travaux  de  construction  de 
ces  galeries  ont  commencé  peu  de  temps  après,  mais  en  1834 
la  suspension  des  travaux  a  tout  arrêté  ;  malheureusement  elle 
s'est  perpétuée  jusqu'à  présent  d'une  manière  qui  semble  indé- 
finie, et  elle  a  empêché  défaire  aussi  les  travaux  d'appropria- 
tion dans  le  local  actuel. 

Aujourd'hui  rien  n'est  plus  facile  que  de  les  eiïectuer  ;  un 
devis  a  été  dressé  ;  la  dépense  en  est  modique,  comparée  surtout 
à  l'utilité  qui  doit  en  résulter  pour  l'étude.  Le  public  aurait  une 
entrée  convenable  au  pied  de  l'escalier  de  la  salle  de  lecture  des 
livres  imprimés  ;  il  s'agit  d'une  porte  à  ouvrir,  de  quelques 
fenêtres  à  agrandir  et  du  planchéiage  de  plusieurs  parties 
du  sol. 

Cette  dépense,  limitée  à  4,000  francs,  ne  grèverait  pas  le 
budget  de  la  Bibliothèque  Royale  ;  elle  doit  être  supportée  par 
le  Ministère  de  l'Intérieur  et  prise  sur  les  fonds  de  la  direction 
des  travaux  publics,  selon  les  règles  établies. 

Il  y  a  une  sorte  d'urgence  de  mettre  enfin  le  public  en  pos- 
session, en  jouissance  complète  des  collections  que  le  zèle  du 
conservateur  et  les  faibles  moyens  mis  à  sa  disposition  lui  ont 
permis  de  réunir  jusqu'à  présent  ;  mais  au  grand  dommage 
de  la  science,  rien  n'a  été  fait  jusqu'ici  pour  réaliser  la  nou- 
velle création.  Presque  tous  les  résultats  seront  acquis  en  exé- 
cutant quelques  dispositions  intérieures.  Quanta  la  séparation  du 
département  des  collections  géographiques  d'avec  celui  des 
estampes,  ce  qui  est  prescrit  par  l'ordonnance,  elle  n'est  pas 
moins  facile  à  effectuer  par  quelques  arrangemens  très  simples. 

§  II.  En  second  lieu,  il  y  a  nécessité  presque  aussi  urgente 
de  constituer  tout  de  suite  le  personnel  du  déparlement,  qui  ne 
compte  en  ce  moment  qu'un  deuxième  employé  et  un  auxiliaire  ; 
il  est  besoin  d'un  conservateur  adjoint  et  d'un  employé  de  plus. 
Cette  nécessité  résulte  :  T  de  l'ensemble  des  opérations  néces- 
saires pour  l'organisation  du  service  ;  2°  des  travaux  spéciaux 


DU    MUSÉE    DETHNUr.RAPHiE  225 

qu'exige  l'emploi  du  fonds  extraordinaire  voté  par  les 
Chambres  et  destiné  à  combler  l'arriéré  de  la  collection  ;  3°  de 
la  nécessité  qu'il  y  a  de  ne  pas  apporter  de  perturbation  dans  le 
service  courant  quotidien.  Au  traitement  de  ces  deux  personnes, 
il  faut  ajouter  les  gages  d'un  garçon  de  salle. 

§  III.  Le  troisième  besoin  du  département  des  cartes  et  col- 
lections géographiques  consiste  dans  l'établissement  d'un  fonds 
annuel  et  ordinaire  destiné  aux  acquisitions  courantes.  En  eU'et, 
le  fonds  extraordinaire  et  temporaire  voté  par  les  Chambres  est 
spécialement  réservé  pour  combler  un  ancien  vide  résultant  de 
ce  que  en  aucun  temps  il  n'a  été  consacré  de  fonds  à  la  géo- 
graphie. 

Depuis  quelques  années  on  avait  emprunté  aux  quatre  dé- 
partomens  existans  et  notamment  à  celui  des  estampes, 
une  somme  plus  ou  moins  forte,  et  ce  département  n'a  cessé 
de  réclamer  avec  assez  de  raison.  Une  somme  annuelle  de 
0,000  francs  pourrait  être  demandée  aux  Chambres  avec  con- 
fiance pour  satisfaire  ce  besoin  impérieux. 

Cette  demande,  Monsieur  le  ministre,  est  indépendante  d'une 
autre  plus  spécialement  consacrée  à  l'acquisition  des  précieuses 
collections  ethnographiques  aujourd'hui  proposées  à  votre  mi- 
nistère, et  qu'il  est  bien  à  désirer  qu'on  ne  laisse  pas  échapper, 
comme  tant  d'autres,  qui  sont  perdues  pour  la  France.  Au- 
jourd'hui cette  branche  d'un  dépôt  général  de  géographie  est 
pour  la  deuxième  fois  et  définitivement  rattachée  à  notre  grand 
musée  littéraire  qui,  pour  le  dire  on  passant,  est  appelé  impro- 
preme"nt  Bibliothèque^  puisqu'il  renferme,  en  eiïet,  d'autres  col- 
lections toutes  différentes  des  livres  et  toutes  étrangères  à  la 
bibliographie. 

En  agir  ainsi  était  suivre  la  voie  la  plus  économique  et  la  plus 
judicieuse  qu'on  pouvait  prendre  ;  c'était  se  borner  aux  dépenses 
utiles,  éviter  un  personnel  très  dispendieux  et  se  conformer  enfin 
à  l'avis  de  l'illustre  Cuvicr.  Au  reste,  un  assez  grand  nombre 
d'objets  importans,  à  la  disposition  de  l'administration  supé- 
rieure comme  à  celle   de  Sa  Majesté,    pourrait  dès  à  présent 

15 


226  ï'^S    ORIGINES 

entrer  gratuitement  dans  la  collection  publique,  et  je  serais  moi- 
même  assez  disposé,  quand  le  moment  sera  venu,  à  faire  hom- 
mage de  celle  que  m'ont  procurée  mes  correspondances  et  mes 
voyages. 

L'objet  de  cette  lettre  étant  général,  j'ai  du  me  borner  sur  ce 
point,  Monsieur  le  ministre,  à  des  observations  succinctes,  en  me 
référant  aux  documens  et  aux  pièces  qui  sont  déjà  déposées 
dans  vos  bureaux  :  il  me  suffira  de  rappeler  que  des  collections 
semblables  et  publiques  existent  partout,  excepté  en  France,  et 
ce  n'est  pas  seulement  dans  des  capitales  comme  Vienne,  Berlin, 
Pélersbourg,  Londres,  Munich,  La  Haye,  Copenhague,  Dresde, 
Sluttgard,  etc.,  mais  encore  dans  des  villes  de  second  ordre  et 
même  des  villes  continentales,  telles  que  Gôltingue,  Leyde, 
Weimar,  Gotha,  Cobourg,  etc.  Il  existe  en  outre  des  cabinets 
particuliers  à  Coblentz,  Dusseldorf,  Francfort,  Aix-la-Chapelle, 
Leipzick,  etc.  Il  serait  bien  extraordinaire  que  la  France,  elle 
qui  possède  tant  de  musées,  fut  le  seul  pays  où  Ion  ne  trouvât 
pas  de  semblables  collections  ouvertes  à  l'étude  et  un  dépôt 
public  destiné  à  recevoir  les  produits  des  voyages  que  l'Etat 
ordonne  ou  qu'il  encourage.  Paris  a  des  musées  de  toute 
espèce  et  il  s'en  forme  tous  les  jours  de  nouveaux  ;  seule 
l'ethnographie  en  est  dépourvue. 

En  résumé,  Monsieur  le  ministre,  pour  répondre  à  la  lettre 
que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'adresser,  je  pense  que  la 
constitution  du  département  des  collections  géographiques  peut 
se  réduire  quant  à  présent: 

1°  A  la  création  d'une  place  de  conservateur  adjoint,  d'une 
place   d'employé  et  d'un    garçon   de   service; 

2°  A  une  dotation  annuelle  pour  les  acquisitions  des  cartes 
géographiques  au  fur  et  à  mesure  de  la  publication; 

3°  Aux  frais  d'appropriation  du  local  actuel  (dépense  une  fois 

faite); 

4°  Aux  frais  de  mobilier  (dépense  pour  la  première  année). 

Au  moyen  de  celte  dépense  modique,  les  collections  géo- 
graphiques   seraient   enfin  mises    à    la    disposition    du  public 


DU    MUSÉE    DETHNOCiRAPHlK  227 

studieux   et  jose  assurer   qu'elles   ne   larderaient  pas  à  porter 
leurs  fruits. 

J'ai  l'honneur   dètre  avec  respect,  etc., 

J0MAIU3. 


N'  LXVI 


PROJET  DE  DÉCRliT  POUTANT  CRÉATION   d'lN    i(    MUSÉK  li  lHN0GRAPU[gUE    » 
(ou  DE  LA  GÉOGRAPHIE  ET  DES  VOYAGES)  ' 

Vu  rordoiinance  du  30  mars  1828  qui  crée  uu  Dépôt  gé- 
néral des  voyages  et  de  la  géographie  ; 

Vu  l'ordonnance  du  11  mars  1839  qui  établit  un  département 
des  Cartes  géographiques  et  Collections  ethnographiques  ; 

Il  est  créé  à  Paris  un  Musée  ethnographique  où  seront 
déposés  : 

1°  Tous  les  documens  et  objets  matériels  faisant  connaître 
l'industrie  et  les  arts  des  différentes  races  et  provenant  des 
voyages  faits  aux  frais  de  l'État^  ordonnés  ou  encouragés  par  le 
gouvernement,  autres  que  les  objets  qui  appartiennent  à  l'his- 
toire naturelle  ou  à  l'antiquité  classique,  lesquels  continueront 
d"être  déposés  et  conservés  au  Muséum  d'histoire  naturelle  et 
au  Louvre. 

2'  Les  objets  de  même  nature  et  de  même  origine  qui  seront 
jugés  dignes  d'entrer  dans  une  collection  publique, 

3"  Les  relations  de  voyages,  plans  et  cartes  géographiques 
et  topographiques,  atlas  et  livres  de  géographie  nécessaires  pour 
l'étude  de  la  collection,  globes  et  instrumens  principaux  d'ol)- 
servation,  monumens  de  la  géographie,  etc. 

Le  Musée  de  la  géographie  et  des  voyages  sera  public  et 
ouvert  toute  l'année  à  l'étude. 

Il  sera  institué  ultérieurement,  près  ledit  Musée,  des  cours  de 
géographie  physique;,  statistique  et  historique. 

2)  Ce  projet  non  daté  émane  ceriainemenl  Je  Jomard,  (jui  TaLirait  déposij  à 
l'appui  de  l'une  de  ses  nombreuses  ]eLtres  en  faveur  de  la  création  (ju'il 
sollicitait. 


CHAPITRE  IX 

Lettre  de  Siebold  à  Jomard  sur  1  utilité  des  Musées  ethnographiques. 

N"  LXVII 
LETTRE 

suu  l'i:tilité  des  musées  ethnographiques  et  sur  l'importance  de 

LEUR  CRÉATION  DANS  LES  ÉTATS  EUROPÉENS  QUI  POSSÈDENT  DES  COLONIES 
OU  QUI  ENTRETIENNENT  DES  RELATIONS  COMMERCIALES  AVEC  LES  AUTRES 
PARTIES  DU  MONDE. 

Par  M.  Ph.-Fr.  DE  SIEBOLD'. 

A  M.  Ed?ne- François  Joinard,  conservateur  du  dépôt  géographique 
de  la  Bibliothèque  royale,  membre  de  ï Institut  royal  de  France. 

Monsieur, 
Depuis  mon  retour  du  Japon  en  Europe,  où  j'ai  apporté  de 
nombreuses  et  riches  collections  d'histoire  naturelle  et  d'ethno- 
graphie, les  soins  et  les  efforts  que  vous  avez  employés  pour 
établir  un  musée  ethnographique  à  Paris  m'ont  paru  dignes 
d'admiration.  Après  m'être  moi-même,  pendant  sept  années, 
occupé,  dans  le  vaste  empire  auquel  le  lever  du  soleil  a  donné 
son  nom  [Nippon]^  à  rassembler  des  objets  matériels  et  des 
monuments  précieux  qu'une  civilisation  antique,  l'industrie  pro- 
digieuse, les  arts  et  les  sciences  du  peuple  le  plus  cultivé  de 
l'Asie,  ont  abondamment  produits,  je  puis  apprécier  d'autant 
mieux  vos  tentatives  en  faveur  des  sciences  ethnographiques  et 
concevoir  la  sollicitude  que  vous  avez  mise  à  désigner,  à  réunir 

1)  Paris,  Benjamin  Duprat,  1843,  br.  gr.  in-8  de  22  pages. 


230  I.KS    (JKTGINES 

et  à  conserver  les  matériaux  qui  se  rattachent  à  cette  spécia- 
lité, l'une  des  plus  importantes,  sans  contredit,  parmi  les 
connaissances  humaines.  Je  comprends  donc  parfaitement, 
Monsieur,  l'élévation  de  votre  pensée,  en  proposant,  à  plusieurs 
reprises,  au  gouvernement  français,  de  créer  à  la  Bihliothèque 
royale,  au  centre  de  ces  immenses  trésors  d'histoire,  de  littérature 
et  d'art,  un  établissement  public  où  les  produits  matériels  des 
voyages  lointains  que  le  g-ouvernement  a  fait  entreprendre 
seraient  déposés  à  demeure,  tandis  qu'aujourd'hui  ces  résultats 
ne  sont  que  trop  souvent  dispersés  après  le  retour  des  voj^ageurs, 
et  perdus  à  jamais  pour  la  science.  Je  me  rappelle  avec  un  vif 
intérêt  les  conceptions  éclairées  dont  vous  avez  bien  voulu  me 
faire  part,  sur  ce  sujet  important,  lorsque  j'eus  le  plaisir  de  revoir 
chez  vous  les  intéressants  produits  du  voyage  fait  par  MM.  d'Ar- 
naud, Thibaut  etSabatier,  en  Afrique,  sur  les  rives  du  Nil-Blanc, 
jusqu'au  4"  40"  de  latitude  nord  '. 

«  Les  peuples  récemment  découverts  et  encore  reculés  dans 
Téchelle  de  la  civilisation  marchent  maintenant,  disiez-vous, 
avec  une  rapidité  énorme,  à  l'aide  de  la  culture  que  viennent 
leur  apporter  les  nations  commerçantes  de  l'Europe  ;  mais  à 
mesure  qu'ils  s'en  éclairent,  qu'ils  adoptent  les  mœurs  ou  les 
besoins  des  nations  européennes,  leurs  usages  propres  s'effa- 
cent, leur  manière  d'être  se  modifie  ou  change  tout  à  fait  pour 
faire  place  à  d'autres.  De  nouvelles  idées  sociales  et  indus- 
trielles leur  font  abandonner  celles  de  leurs  aïeux.  Peut-être 
un  jour,  quand  on  voudra  tracer  le  tableau  historique  des  pro- 
grès des  peuplades  sauvages,  on  sera  réduit  à  de  vagues  ren- 
seignements, à  d'obscures  traditions.  Il  importerait  donc  à 
l'histoire  de  l'espèce  humaine  et  à  celle  de  la  civilisation  qu'on 
eût  constaté  le  point  où  ces  peuples  étaient  parvenus,  avant  de 
recevoir  le  bienfait  des  lumières  et  d'un  état  social  perfec- 
tionné. » 

Voilà,  Monsieur,  vos  propres  paroles  ;  elles  sont  sages  et  graves, 
J'v  reconnais  les  impressions  que  l'antique  Egypte  a  laissées  dans 

t)Ces  collections,  vues  ctiez  Joraarrl  en  1843  par  Ph.-Fi-.  de  Siebold,  sont 
inaiiilHnaiit  au  MusV  r!i^  Douai.  {E.  H.) 


DIT  MUSÉE  o'innNor.R APFiri':  231 

votre  âme,  lorsque  vous  vous  reposiez  sur  les  débris  des  monu- 
ments classiques  d'un  pays,  autrefois  civilisé  et  actuellement 
occupé  par  des  tribus  presque  barbares;  j'y  reconnais  les 
réflexions  sérieuses  que  l'aspect  du  berceau  primitif  de  l'huma- 
nité vous  suggéra  sur  l'origine  unique  et  divine  de  notre  espèce. 
A  mon  tour,  j'ai  médité  longtemps  ce  grand  principe,  lorsque 
j'eus  le  bonheur  de  retrouver  daus  la  nation  japonaise,  laquelle 
occupe,  je  l'ai  dit,  le  sommet  parmi  les  civilisations  de  l'Extrême- 
Orient,  quelques  anneaux  de  la  chaîne  qui  relie  les  antiques 
civilisations  de  l'Egypte,  de  Tlnde,  de  la  Perse,  de  la  Chine  et 
de  l'Amérique.  J'ai  osé  depuis  sonder  les  profondeurs  de  la 
source  d'où  le  genre  humain  a  tiré  son  origine_,  soutenu  dans 
mon  opinion,  tant  par  la  haute  antiquité  que  les  Chinois  et 
même  les  Japonais,  attribuent  à  la  culture  de  leurs  ancêtres,  que 
par  l'analogie  de  leurs  traditions  et  de  leur  chronologie  avec 
celles  des  Indous  et  des  Persans.  J'ai  tâché  de  m'expliquer  com- 
ment le  ruisseau  de  la  culture  sociale  primitive  a,  selon  toute 
probabilité,  pris  naissance  dans  l'Asie  centrale,  sur  les  versants 
des  plus  hautes  montagnes  du  Thibet  et  de  Cachemire,  qui  sin- 
clinent  vers  les  tropiques,  et  reçoivent  l'influence  de  la  zone 
torride  ;  comment  il  s'est  grossi  lentement  pendant  des  milliers 
d'années  ;  comment,  après  ces  accroissements  successifs,  il  s'est 
enfin  répandu  sur  la  surface  totale  de  notre  globe.  Néanmoins, 
cette  eau  limpide,  source  première  de  la  culture  du  genre  humain, 
a  le  plus  souvent  été  troublée  dans  le  vaste  parcours  de  ces 
embranchements  divers,  dont  les  uns  se  sont  ensablés  dans  les 
déserts,  dont  les  autres  se  sont  dissipés  dans  les  profondes  forêts, 
Cà  et  là  seulement,  ils  ont  laissé  dans  leurs  lits  desséchés  quel- 
ques cailloux  effacés,  débris  d'une  civilisation  antérieure  et  plus 
ou  moins  avancée.  Je  parle  des  monuments  vénérables  que  l'on 
retrouve  encore  aujourd'hui  dans  les  fertiles  vallées  de 
l'Ancien  Continent  ou  sur  les  plateaux  salubres  du  Nouveau 
Monde. 

Ainsi,  il  s'est  trouvé  des  peuples  qui  ont  laissé  dans  leur  ber- 
ceau même,  ou  sur  la  route  de  leurs  migrations,  des  traces  inef- 
façables  d'une    culture   antique  ;  mais  il   a  évidemment  existé 


2'.i2  Lr.s  oiUGiM-s 

encore  d'autres  peuples,  aussi  plus  ou  moins  éclairés,  et  dont  il 
ne  nous  a  été  donné  de  découvrir  nulle  part  les  vestiges.  L'his- 
toire nous  a  conservé  le  souvenir  des  premiers,  tour  à  tour 
absorbés  dans  la  civilisation  européenne,  dégénérés  ou  disparus. 
Les  autres  sont  demeurés  inconnus,  même  pendant  leurs  migra- 
tions lointaines  sur  la  face  du  globe  ;  parfois  ils  se  sont  ensevelis 
jusqu'à  nos  jours  dans  le  secret  de  leurs  asiles.  Ces  peuplades, 
que  les  physiologistes  se  sont  complu  à  nommer  aborigènes, 
abandonnées  à  elles-mêmes  de  temps  immémorial  et  sous  divers 
climats,  doivent  intéresser  spécialement  les  études  ethnogra- 
phiques ;  et  plus  chacune  d'elles  s'est  isolée  des  tribus  civilisées 
ou  barbares,  plus  elle  a  conservé  pur  dans  son  culte,  dans  ses 
mœurs  et  sa  culture  intellectuelle,  le  sceau  de  l'époque  où  elle 
se  sépara  des  autres  familles  humaines.  Dans  plusieurs  îles  de 
l'océan  Pacitique,  dans  les  Kouriles,  au  sein  du  Nouveau  Monde 
et  des  régions  hyperborcennes,  on  a  découvert  des  tribus  dont 
les  institutions  civiles  et  domestiques,  le  caractère  paisible  et 
droit,  viennent  à  l'appui  de  l'hypothèse  qui  place  leur  culture 
avant  l'époque  de  leur  arrivée  dans  les  lieux  où  elles  furent 
découvertes  par  nos  voyageurs.  C'est  ainsi  que  nous  reconnais- 
sons, chez  les  habitants  des  îles  Mariannes,  la  même  douceur  de 
mœurs  que  les  historiens  japonais  attribuent  à  leurs  ancêtres  du 
septième  siècle  avant  notre  ère  ;  et  la  peinture  que  La  Pérouse 
et  Krijsenstern  font  des  familles  d'Ainos  qu'ils  ont  rencontrées 
aux  îles  Kouriles,  établit  une  analogie  frappante  entre  la  vie 
sociale  de  ces  indigènes  et  celle  des  patriarches  de  la  Bible,  dont 
le  type  moral  s'est  également  conservé  chez  quelques  hordes 
arabes  visitées  par  nos  voyageurs  les  plus  récents. 

Dans  les  profondes  vallées  du  Népal,  où  depuis  le  deuxième 
siècle  les  sectateurs  du  bouddhisme,  chassés  par  les  Brahmines, 
se  sont  cachés  à  l'abri  des  montagnes,  le  culte  de  Bouddha  s'est 
conservé  pur  jusqu'à  nos  jours.  De  là  jaillit  une  grande  lumière 
sur  les  dogmes  et  les  rites  qui  constituent  cette  antique  religion; 
et  ses  rapports  avec  le  catholicisme  acquièrent  bien  plus  de  vrai- 
semblance par  l'inspection  des  temples  du  Népal,  car  elle  nous 
montre  l'identité  des  architectures  bouddhique  et  gothique,  sans 


DIT  MUSÉE  Dinnxor.iîAi'HTi':  233 

compter  que  dans  riulérieiir  de  ces  édiiicos  on  retrouve  même 
l'œil  qui  voit  tout,  l'un  des  symboles  les  plus  célèbres  parmi 
les  chrétiens. 

Il  existe  donc  des  preuves  réelles  do  la  filiation  des  peuples 
dans  toutes  les  parties  du  monde  ;  mais  ces  preuves,  nous  n'avons 
pas  toujours  su  les  dégager.  Souvent  nos  préoccupations  per- 
sonnelles nous  aveuglèrent  ;  d'autres  fois,  les  circonstances  sous 
l'empire  desquelles  nous  entrâmes  en  rapport  avec  les  peuples 
ne  nous  permirent  pas  de  les  contempler  dans  leur  véritable  jour. 
Troublés  par  nous  dans  le  repos  de  leurs  foyers,  blessés  dans 
leurs  sentiments  de  famille  par  la  violence  de  nos  passions,  ils 
nous  apparurent  tout  différents  de  ce  que  la  nature  les  avait 
faits.  Peu  d'Européens  eurent  le  privilège  et  l'art  de  surprendre 
dans  leur  état  calme  et  normal  ces  peuples,  que  des  préjugés 
injustes  avaient  llétris  du  nom  de  sauvages  ;  mais  le  petit  nom- 
bre de  voyageurs  qui  les  étudièrent  ainsi  ne  manquèrent  pas  de 
reconnaître  en  eux  des  qualités  qui  prouvaient  l'antique  filiation 
de  tous  les  habitants  du  globe.  Dès  lors,  .en  ce  qui  concerne 
celles  d'entre  les  races  humaines  qui  n'ont  pas  laissé  de  monu- 
ments, et  par  conséquent  pas  d'histoire,  il  est  impossible  de 
retrouver  des  vestiges  de  leur  filiation  ou  de  leurs  migrations 
sans  appeler  à  son  secours  l'étude  comparée  de  leurs  cultes  et 
de  leurs  mo'urs,  ainsi  que  la  connaissance  de  la  culture  intellec- 
tuelle ou  industrielle  que  chaque  nation  avait  acquise,  soit  à 
l'époque  de  sa  découverte,  soit  pendant  la  période  qu'elle  passa 
hors  du  contact  des  sociétés  qui  l'ont  devancée  dans  la  civilisa- 
tion. «  L'homme^  avez-vous  dit,  Monsieur,  avec  l'immortel 
Cuvier  *,  se  montre  dans  les  produits  de  son  industrie,  dans  ses 
efforls  pour  surmonter  les  obstacles  que  lui  opposent  la  nature 
et  les  climats,  et  dans  le  résultat  de  cette  faculté  toujours  active, 
et  tendant  continuellement  à  la  perfection,  qui  est  un  des  attri- 
buts caractéristiques  de  notre  espèce.  »  Le  contraire  a  lieu  pour 
les  peuples  qui  nous  ont  transmis  des  monuments  dans  les  lieux 
mêmes  où  ils  ont  été  jetés  par  le  hasard,  acculés  par  des  ennemis, 

1)  Ce  texte,  emprunté  au  Rapport  de  la  Comvnaslon  de  1831,  réimprimé  plus 
liiiul  (p.  174),  est  comme  on  l'a  vu,  d'Atjel  Rémusat.  (E.-H.) 


234  LES    ORIGINES 

entraînés  par  leurs  passions,  ou  danç  lesquels  la  richesse  fin 
pays,  la  beauté  du  sol  et  du  climat,  les  ont  invités  à  fixer  leur 
demeure.  Ceux-là,  quoique  disparus  pour  la  plupart,  ont  écrit 
en  traits  impérissables  le  tableau  de  leur  filiation  et  de  leurs 
migrations,  et  même  après  la  chute  de  leurs  œuvres  posthumes, 
ils  survivent  dans  la  mémoire  du  monde  éclairé. 

Il  faut  le  redire  :  ces  antiques  monuments,  qui  nous  sont  restés 
et  qui  témoignent  d'une  culture  intellectuelle  du  genre  humain, 
dont  l'origine  échappe  aux  calculs  de  la  chronologie,  n'appar- 
tiennent déjà  plus  à  sa  période  mythologique  ;  son  ère  historique 
coïncide  avec  leur  apparition.  L'archéologie  est  donc  devenue 
une  branche  féconde  des  études  historiques,  et  elle  a  gagné  suc- 
cessivement en  importance,  à  mesure  que  des  recherches  ont  pris 
plus  d'activité.  Dans  les  deux  derniers  siècles,  on  a  exploité  des 
matériaux  immenses  qui  se  sont  conservés  dans  nos  musées  ; 
mais  il  est  à  regretter  que  les  savants  archéologues  d'alors  se 
soient  occupés  presque  exclusivement  de  la  triple  antiquité  hel- 
lénique, romaine  et  sémitique.  En  thèse  générale,  leurs  recher- 
ches se  bornèrent  aux  peuples  anciens  des  terres  classiques,  ou 
du  moins  elles  ne  s'étendirent  pas  au  delà  des  populations  pri- 
mitives de  la  Germanie  et  de  la  Scandinavie.  Les  habitants  de 
l'Asie  orientale,  ceux  des  Indes,  de  la  Chine  et  de  l'Amérique, 
n'ont  qu'exceptionnellement  attiré  leurs  regards.  Les  autres  peu- 
ples exlraeuropéens  connus  ont  été  presque  oubliés  ;  et  l'épithète 
de  «  sauvages  »,  qu'on  leur  donne  vulgairement,  suffisait  par 
elle  seule  à  détourner  d'eux  l'attention  du  monde  savant.  Enfin, 
au  commencement  du  dix-huitième  siècle;,  on  créa,  dans  quelques 
capitales  de  l'Europe,  des  cabinets  de  raretés,  et  on  y  exposa  des 
armes,  des  costumes,  des  objets  du  culte  et  quelques  autres 
ustensiles  des  sauvages,  parmi  lesquels  on  avait  choisi,  comme 
à  dessein,  les  exemplaires  les  plus  hideux  pour  constater  la 
bizarrerie  et  l'inhumanité  de  leurs  mœurs.  Quelques  produits  de 
l'art  et  de  l'industrie  des  peuples  à  demi  civilisés  furent  con- 
servés également,  mais  bien  moins  dans  l'intérêt  de  la  science 
que  par  égard  pour  la  haute  perfection  des  arts  techniques  qu'on 
avait  trouvés  chez  ces  barbares.  Quant  aux  sciences  mêmes,  on 


DU    MUSKK    d'eTHXOGRAPHIK  2^^ 

n'osa  seulement  pas  supposer  qu'elles  pussent  exister  parmi  eux  ; 
el  dans  leurs  institutions  religieuses  et  morales,  dans  leurs  prin- 
cipes de  gouvernement  et  d'administration  et  dans  toutes  les 
applications  de  cet  ordre,  on  ne  voulut  à  toute  force  voir  que  des 
œuvres  païennes  et  des  maximes  despotiques.  Nous  passerons 
sous  silence  le  fanatique  vandalisme  qui  ne  s'était  rien  moins 
proposé  que  la  destruction  des  manuscrits  et  des  monuments  si 
précieux  du  Nouveau-Monde;  il  suffira  de  dire  qu'un  homme  des 
plus  éminents,  saint  François-Xavier,  crut  reconnaître  au  Japon, 
dans  tous  les  rites  du  bouddhisme  et  dans  les  ustensiles  de  ce 
culte,  une  imposture  diabolique,  à  cause  de  leur  analogie  pal- 
pable avec  ceux  du  catholicisme,  tandis  qu'il  regardait  les  bonzes 
comme  les  serviteurs  du  mauvais  esprit.  L'ignorance  en  matière 
d'ethnographie  fut  de  tout  temps  un  très  grand  obstacle  à  la 
propagation  de  la  foi  chrétienne;  et,  j'ose  le  dire,  elle  suscite 
encore  aujourd'hui  des  embarras  graves  aux  missionnaires  les 
plus  zélés. 

Je  me  suis  permis  cette  digression  afin  de  mettre  en  lumière 
la  faiblesse  des  connaissances  ethnographiques  et  l'imperfection 
des  collections  de  ce  genre  aux  siècles  passés.  Depuis  la  fin  du 
dix-huitième  siècle,  le  cercle  des  découvertes  géographiques  s'est 
beaucoup  étendu,  et  les  intéressantes  relations  de  voyages  faites 
par  Cook,  La  Pérouse,  Forster  et  Pallas,  ainsi  que  par  d'autres 
savants,  ont  excité  un  vif  intérêt  pour  l'étude  de  l'état  physique, 
intellectuel,  moral  et  industriel  des  peuples  récemment  décou- 
verts. Dès  lors,  on  a  senti  le  besoin  urgent  d'établir  des  collec- 
tions d'objets  matériels  rapportés  des  voyages  lointains  et  qui 
donnaient  des  renseignements  précis  sur  l'état  du  culte,  des  arts  et 
des  procédés  industriels,  dans  les  nations  qui  n'ont  pas  subi  l'in- 
fluence européenne.  La  fondation  des  collections  de  Goettingue, 
de  Saint-Pétersbourg,  deWeimaretde  Berlin  datedecetteépoque. 

L'expédition  d'Egypte,  dont  les  résultats  précieux  pour  les 
sciences  sont  dus  au  zèle  de  la  commission  qui  vous  compta, 
Monsieur,  parmi  ses  membres  les  plus  distingués  ;  ce  fameux 
pèlerinage,  entrepris  par  dévotion  pour  les  arts  et  les  sciences,  a 
imprimé  une  nouvelle  impulsion  aux  études  archéologiques  et 


236  LES    OKIGINES 

ethnographiques,  branches  de  la  science  qui  sont  si  propres  à  se 
féconder  l'une  par  l'autre.  Et  comme  on  admet  de  nos  jours, 
dans  le  domaine  de  l'archéolog-ie,  tous  les  monuments  et  les 
objets  quelconques  qui  nous  sont  restés  des  peuples  anciens  et 
disparus,  soit  civilisés  soit  barbares,  tandis  que,  d'autre  part, 
l'étude  de  l'ethnographie  comprend  toutes  les  connaissances  qui 
concernent  l'état  intellectuel,  moral  et  industriel  des  peuples 
vivants  sur  notre  globe,  il  s'ensuit  que  les  musées  ethnogra- 
phiques font  une  suite  indispensable  aux  musées  archéologiques. 
Les  monuments  de  ces  deux  ordres  de  dépôts  s'éclairent  les  uns 
par  les  autres,  et  jettent  un  grand  jour  sur  l'histoire  des  cultes, 
des  costumes,  des  mœurs  et  des  arts  parmi  les  nations  mortes 
et  vivantes. 

C'est  par  cette  double  conservation  des  ouvrages  de  l'un  et  de 
Tautre  ordre  qu'ont  produits  les  sociétés  humaines  séparées  dans 
le  temps  et  dans  l'espace  ;  c'est  par  des  recherches  que  Ton 
pourrait  intituler  recherches  d'archéologie  et  d'ethnologie  com- 
parées, et  qui  se  fondent  sur  les  analogies  frappantes  que  les 
peuples  désormais  éteints  et  les  peuples  survivants  présentent 
entre  eux;  c'est  à  eu  titre,  Monsieur,  que  les  collections  archéo- 
logiques et  ethnographiques  sont  aujourd'hui  devenues  indispen- 
sables pour  l'étude  sérieuse  de  l'histoire  ancienne  et  moderne, 
de  la  linguistique  et  de  la  géographie.  Les  recherches  comparées 
auront  pour  résultat  des  éclaircissements  importants  qui  pour- 
ront nous  conduire  à  retrouver  et  à  reconnaître  les  peuplades 
déviées  depuis  des  milliers  d'années  de  la  société  humaine  pri- 
mitive, et  séparées,  je  Tai  dit,  par  l'Océan  ou  par  des  chaînes  de 
montagnes.  De  tels  obstacles,  insurmontables  à  toute  culture 
par  voie  d'enseignement  mutuel  entre  les  tribus  ainsi  isolées, 
ont  beaucoup  contribué  à  conserver  chez  elles  quelques  impres- 
sions caractéristiques  de  leur  culture  et  les  rudiments  du  culte 
et  des  mœurs  qui  lui  ont  été  particuliers  ou  communs  avec  les 
autres  branches  de  la  grande  famille  humaine,  à  l'époque  où 
elles  s'en  sont  écartées.  Cependant,  les  traits  qui  font  reconnaî- 
tre ces  tribus  çà  et  là  dispersées  ne  sont  pas  toujours  évidents, 
car  ils  ont  été  affaiblis  par  le  temps  et  par  des  accidents  nom- 


DU  MUSÉE  d'ethnograph»:  237 

brcux,  modifiés  par  l'influence  du  sol  et  des  climats,  de  la  nour- 
riture et  des  habitudes  ;  souvent  enfin,  presque  eff'acés  par  le  con- 
cours de  circonstances  dont  l'action  est  puissante  sur  la  nature 
humaine.  L'auteur  de  l'Asie  centrale  s'exprime  en  ces  termes  : 
«  Il  est  dans  le  soulèvement  des  masses,  dans  l'étendue  et  l'orien- 
tation des  systèmes  de  montagnes^  dans  leurs  positions  relatives, 
des  traits  dominants  qui,  dès  la  plus  haute  antiquité,  ont  exercé 
de  l'influence  sur  l'état  des  sociétés  humaines,  déterminé  les 
tendances  de  leurs  mig-rations,  favorisé  ou  ralenti  les  progrès  de 
la  culture  intellectuelle.  » 

Ces  chang-ements  physiques  ou  moraux,  opérés  chez  les  diffé- 
rentes peuplades  du  monde,  créent  donc  des  embarras  sérieux 
aux  recherches  comparées  des  ethnog'raphes  ;  le  succès  dépendra 
beaucoup  du  choix  des  objets  rassemblés,  de  l'ordre  systéma- 
tique dans  lequel  on  les  dispose,  de  l'art  de  les  g^rouper  pour  en 
tirer  des  conséquences  générales. 

Au  point  où  nous  en  sommes  dans  cet  entretien,  permettez- 
moi,  Monsieur,  de  vous  céder  encore  la  parole  :  «  Il  semble, 
dites-vous,  que,  parmi  les  ouvrages  de  l'industrie  extraeuro- 
péenne, on  devrait  choisir  surtout  une  certaine  classe  d'objets, 
comme  étant  très  propres  à  caractériser  le  degré  ou  le  genre  de 
la  civilisation.  Je  veux  parler  des  instruments  qui  servent  à 
exprimer  et  à  transmettre  le  sentiment  musical,  mode  d'expres- 
sion inné  chez  tous  les  hommes  ;  il  faudrait  s'attacher  à  réunir  le 
plus  complètement  possible  tous  les  instruments  à  vent,  à  corde 
et  de  percussion  appartenant  aux  peuplades.  S'ils  sont  sembla- 
bles ou  analogues  à  ceux  dont  l'ancien  monde  civilisé  a  fait 
usage,  on  en  pourra  tirer  des  inductions  sur  l'origine  de  ces  peu- 
plades ;  s'ils  en  diffèrent  absolument,  ils  donneront  lieu  à  d'utiles 
remarques  sur  le  génie  inventif  des  différentes  tribus  et  sur  le 
goût  particulier  aux  hommes  des  diverses  races.  On  peut  en  dire 
autant  des  différents  jeux  et  des  objets  servant  aux  exercices 
gymnastiques.  Tous  ces  objets,  dessinés  par  les  voyageurs,  sans 
vérité  ou  d'une  manière  fugitive  (quand  encore  ils  ont  eu  le 
temps  de  les  copier),  perdent  encore  à  la  gravure,  cL  aucune  des- 
cription no  peut  les  suppléer. 


238  LES    ORIGINES 

«  Outre  les  armes  et  les  armures  de  toute  espèce,  il  faudra 
rechercher  les  outils  employés  dans  les  arts  et  dans  le  travail 
des  métaux,  les  ustensiles  variés  de  Féconomie  domestique  et  de 
l'agriculture,  les  monnaies,  poids  et  mesures,  les  tissus  de  tout 
genre,  les  ornements  de  parure,  souvent  très  riches  par  la 
matière,  par  la  forme  et  par  le  dessin  ;  puis,  les  ornements  et  les 
symboles  du  culte  et  des  superstitions,  tels  que  les  talismans, 
les  trépieds  et  les  autels  portatifs,  les  divers  signes  extérieurs 
des  cérémonies  de  la  religion  ;  enfin,  tout  ce  qui  constate  l'état 
des  mœurs,  des  préjugés  et  des  idées  sociales  et  religieuses.  Joi- 
gnons encore  à  cette  énumération  les  peintures  et  les  reliefs  qui 
expriment  le  caractère  de  la  physionomie,  quand  ils  sont  l'ou- 
vrage des  indigènes  mêmes.  Je  n'en  excepterais  pas  certains  cos- 
tumes, comme  on  en  voit  dans  l'Afrique  centrale  et  occidentale, 
dont  les  voyageurs  ne  remarquent  souvent  que  la  bizarrerie, 
mais  qui  éclaircissent  les  usages  civils  ou  religieux,  ou  des 
superstitions  d'un  genre  particulier.  La  collection  de  tous  les 
instruments  matériels  qui  servent  à  compter,  peser  et  mesurer, 
serait,  à  elle  seule,  d'un  haut  intérêt  :  enfin,  que  de  matières 
précieuses  et  d'objets  des  trois  règnes  mis  en  œuvre  par  les  indi- 
gènes, et  qu'il  serait  avantageux  de  réunir  ! 

«  Si  les  Espagnols,  au  lieu  de  détruire  ou  de  laisser  disperser 
les  ouvrages  de  l'industrie  américaine,  les  produits  des  arts  des 
Mexicains,  des  Péruviens  et  surtout  de  l'Amérique  centrale,  les 
avaient,  au  contraire,  conservés  avec  soin  et  rassemblés  dans  une 
grande  collection  ;  si  l'on  avait  constaté  la  situation  sociale  des 
Américains  au  jour  de  la  conquête,  certes,  on  aurait  aujourd'hui 
des  lumières  sur  leur  origine,  on  n'en  serait  pas  réduit  à  des  con- 
jectures sur  ce  qu'il  faut  penser  de  l'état  primitif  des  aborigènes  ; 
on  saurait  enfin  plus  positivement  si  leur  civilisation  a  eu  plu- 
sieurs sources,  plusieurs  degrés,  plusieurs  périodes  ^  » 

J'aurai  peu  d'observations  à  faire  sur  celte  exposition,  à 
laquelle  je  veux  seulement  ajouter  que  chez  les  peuples  extraeuro- 

1)  Considérations  sur  l'objet  et  les  avantages  d'une  collection  spéciale  con- 
sacrée aux  Cartes  géographiques  et  aux  diverses  branches  de  la  géographie, 
par  M.  .1.  Viuls,  1831.  Pa-e  20.  -  Voy.  plus  haut,  ir  XXIV. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  239 

péens  qui  sont  déjà  avancés  dans  la  civilisation,  l'intérêt  des 
recherches  d'ethnologie  comparée  demande  quelquefois  que 
l'on  se  procure  des  objets  domestiques  el  d'autres  ustensiles 
dont  leurs  grossiers  aïeux  ont  fait  usage^  et  qu'ils  ont  emportés 
dans  leurs  tombeaux.  Ces  objets,  quoiqu'ils  appartiennent  à 
l'archéolog-ie,  doivent  entrer  dans  les  collections  ethnographi- 
ques, car  les  produits  de  cette  période,  que  nos  antiquaires 
appellent  l'âge  des  pierres  {Steinzeitalter),  nous  donnent  les  ren- 
seignements les  plus  précieux  sur  la  filiation,  les  migrations  et 
les  relations  des  peuples  les  plus  éloignés  les  uns  des  autres. 
J'ai  démontré  ailleurs  l'importance  de  recherches  pareilles,  dans 
les  Archives  de  Nippon  \  oi\  j'ai  raconté  que  j'avais  trouvé  à 
grande  distance  du  Japon,,  dans  l'île  Silcha,  Tune  des  Aleutes, 
habitée  par  les  sauvages  Koljouches,  les  mêmes  pointes  en 
pierre  qui  étaient  autrefois  employées  par  les  anciens  Japonais, 
et  dont  les  Koljouches  font  encore  usage  en  les  fixant  sur  leurs 
flèches  et  leurs  lances  d'après  les  mêmes  procédés. 

En  ce  qui  concerne  les  ornements  et  les  symboles  du  culte, 
que  vous  recommandez  à  l'attention  des  ethnographes,  je  dois 
rapporter,  à  l'appui  de  votre  opinion,  un  résultat  très  curieux  de 
mes  recherches  comparées  sur  cette  matière.  Vous  connaissez. 
Monsieur,  le  signe  de  la  croix  brisée  %  vulgairement  nommé 
le  marteau  ou  signe  de  Thor  {Thorshammer^  T/iorszeichen).  Ce 
signe,  que  les  anciens  habitanls  de  la  Germanie  ont  sculpté  sur 
leurs  chênes  sacrés  et  gravé  sur  les  autres  monuments  relatifs  à 
leur  culte,  je  l'ai  retrouvé  au  Japon.  Dans  cet  empire,  il  est 
représenté  sur  les  pierres  funéraires,  marqué  sur  la  poitrine  des 
idoles  du  bouddhisme  et  appliqué  aux  ornements  symboliques. 

1)  Nippon,  Archiv  zur  Beschreibuny  von  Japmi,  Ablli.  II,  V<lk  iind  Staal  : 
Blick  aafdie.  Steinwaffen  der  TJrbeivohncr  der  Japaniachen  Inseln.  {Nippon,  ou 
Description  du  Japon,  part.  II,  Peuple  et  État:  Coup  d'ail  sur  les  armes  en 
pierre  des  habitante  primitifs  des  Iles  japonaises.)  Page  43. 

2)  Ce  signe  se  trouve  parmi  les  anciens  caractères  idéouTaphiqiies  chinois  et 
japonais,  et  on  le  prononce  ouan  ou  man,  ce  qui  signifie:  dix  mille.  Une  îles 
divinités  bouddhiques  qui  le  porte  sur  la  poitrine  s'appelle  en  conséquence: 
man  darono  mida  (dix  raille  ouan).  On  pourrait  reconnaître  dans  ce  symbole 
r.ittribut  d'une  chose  indéfinie,  d"un  être  étern»"]. 


240  LES    ORIGINES 

En  Chine,  ce  signe  sert  au  même  usage  ;  il  décore  les  frontispices 
des  pagodes  tubétaines,  et  on  l'a  découvert  aussi  dans  le  Boutan, 
où  domine  le  culte   de  Lama.    Tout    récemment,  des   fouilles 
exécutées  en  Allemagne,  dans  un  ancien  cimetière  des  Wendes, 
ont  mis  au  jour  une  urne  en  terre  cuite  qui  portait  encore  la 
mystérieuse  croix  brisée.  Au  Japon,  comme  en  Chine,  elle  est 
essentielle  dans  la  composition  des  cadres  et  des  autres  orne- 
ments de  l'architecture  et  de  la  peinture.  Elle  y  forme  aussi  le 
sujet  de  presque  toutes  les  bordures  qui  rappellent  le  style  grec, 
et  ce  genre  de  cadre,  ornement  très  compliqué  que  j'ai  voulu 
reproduire  sur  l'enveloppe  de  l'Atlas  de  mon  Nippon^  parce  que 
les  Chinois  et  les  Japonais  l'affectionnent  depuis  les  temps  les 
plus  reculés,  vient  d'êlre  aussi  découvert  en  Grèce.  Le  roi  des 
artistes,  à  Munich,  frappé  de  l'élégance  de  cette  antique  pein- 
ture, en  a  fait  une  décoration  pour  le  plafond  de  son  nouveau 
palais.  Voilà  donc  le  rameau  indien,  germain  et  pélasgique  de  la 
race  blanche  ou  caucasienne  qui  se  trouve  en  rapport  avec  le 
rameau  sinique  de  la  race  jaune  ou  mongole.  J'en  rapprocherai 
également  le  rameau  américain,  en  ajoutant  un  autre  fait  :  les 
reliefs  des  ruines  de  Mitla,   dans  la  province   Oaxaca,  dont  le 
nom  rappelle  la  ville  d'Oosaka,  premier  port  de  mer  de  l'empire 
japonais,  ces  reliefs  que  M.  le  baron  de  Humboldt  a  reproduits 
dans  ses  Vues  des  Cordillères,  ont  été  reconnus  par  mes  amis  du 
Japon  ;   ils  leur  ont  appliqué  les  noms  que  ces  ornements  des 
vieux  âges  portent  chez  eux  et  chez  les  Chinois.  On  sait  que  le 
zodiaque  commun  aux  Chinois,  aux  Mandchoux,  aux  ïubétains 
et  aux  Japonais,  se  retrouve  chez  les  Toltèques  et  les  Aztèques, 
anciens  habitants  du  Mexique  descendus  du  nord-ouest  du  con- 
tinent américain,  et  qui  apparurent  au  Mexique,  les  premiers, 
dès  l'an  648,  les  derniers,  dès  l'an  1196  après  notre  ère  ;  mais  un 
fait  non  moins  remarquable,  c'est  que  les  Botocudos,  peuplade 
sauvage  du  Brésil,  ont  des  mascarades  dans  lesquelles  j'ai  cru 
reconnaître  les  images  des  signes  du  zodiaque  anciennement 
représenté  par  les  Japonais  dans  leurs  fêtes  populaires. 

Mes  savants  amis  japonais,  qui  ont  examiné  soigneusement 
les  planches  des  Vues  des  Cordi Hères,  ont  également  reconnu  avec 


nu  MUSÉE  d'ethnographie  241 

moi  l'identité  des  nombres  cardinaux  et  la  grande  ressemblance 
qui  existe  entre  le  calendrier  des  Muyscas  de  Bogota  et  celui  de 
leurs  propres  ancêtres.  La  figure  do  l'oiseau  mythologique  Fô  ou 
Foung,  que  les  Chinois  et  les  Japonais  représentent  sur  les  fron- 
tispices de  leurs  temples  et  sur  les  sanctuaires  de  leurs  dieux 
domestiques,  nous  rappelle  le  globe  ailé  qui  pare  les  corniches 
des  temples  de  l'Egypte,  dont  plusieurs  outils  et  objets  domes- 
tiques sont  parfaitement  analogues  à  ceux  des  pays  que  je  viens 
de  nommer.  On  pourrait,  d'après  cet  indice,  retracer  un  rameau 
araméen  sur  le  tronc  commun  des  peuples. 

Les  systèmes  que  nous  avons  admis,  vous,  Monsieur,  et  moi, 
dans  la  classification  des  objets  ethnographiques,  sont,  il  est 
vrai,  différents  ;  le  vôtre  facilite  les  recherches  comparées  on 
rangeant  les  uns  après  les  aulros  les  objets  de  même  nature,  do 
même  destination,  empruntés  à  plusieurs  peuples  ;  le  mien,  au 
contraire,  conserve  l'ordre  géographique,  et  rassemble  les  pro- 
duits divers  d'une  seule  et  même  nation.  Dans  une  armoire  de 
votre  collection  on  pourrait,  par  exemple,  embrasser  d'un  seul 
coup  d'œil  la  série  entière  des  miroirs  en  bronze  de  toutes 
sortes  de  peuples  ;  elle  commencerait^  d'après  vous,  par  les 
miroirs  japonais,  objets  de  luxe  qui  sont  tout  à  fait  semblables 
à  ceux  dont  les  anciens  se  servaient  pour  le  même  usage.  D'autre 
part,  un  salon  de  ma  collection  expose  dans  tout  son  ensemble 
la  richesse  et  la  haute  perfection  des  objets  technologiques  au 
sein  de  la  société  japonaise  ;  un  autre  salon  vous  fora  connaître, 
chez  les  habitants  de  la  Nouvelle-Guinée,  la  pauvreté  et  l'imper- 
fection des  ustensiles,  dos  vêtements  et  des  autres  objets  indis- 
pensables, même  dans  l'état  de  l'homme  le  plus  sauvage. 

J'admire  d'ailleurs  l'enchaînement  ingénieux  dans  lequol  vous 
présentez  les  différents  objets  ethnographiques,  parce  qu'il  est 
établi  sur  un  système  naturel  et  qu'il  nous  montre  l'homme 
depuis  le  plus  bas  degré  de  son  développement  industriel  jusqu'au 
plus  haut  degré  de  son  développement  scientifique.  Vous  com- 
mencez vos  collections  par  les  objets  qui  sont  nécossau'os  aux 
premiers  besoins  de  l'homme  à  l'état  de  nature,  et  qui  se  rappor- 
tent à  sa  nutrition  ;  enfin,  votre   série  se  termine  par  les  plus 


242  LES    ORIGINES 

nobles  productions  des  arts  et  des  sciences.  Un  ordre  semblable 
est  assez  large  pour  embrasser  Fexistence  de  tous  les  peuples 
qui  sont  sur  la  terre,  soit  qu'on  se  propose  de  les  comparer  entre 
eux,  soit  que  l'on  cherche  à  les  étudier  séparément.  On  pourrait 
nommer  méthode  ethnologique  proprement  dite  cette  juxtapo- 
sition des  objets  de  même  nature  recueillis  chez  des  peuples 
différents,  laquelle  est  peut-être  plus  appropriée  à  l'étude  géné- 
rale de  l'ethnographie  ;  tandis  que  l'étude  pratique  des  peuples 
pris  séparément,  l'ethnographie  spéciale,  en  un  mot,  me  semble 
demander,  de  préférence,  une  division  par  peuple.  En  ce  cas,  le 
meilleur  parti,  c'est  de  subdiviser  les  peuples  en  grandes  familles 
naturelles,  sans  rigoureusement  s'astreindre  à  ce  qu'il  y  a  d'arti- 
ficiel dans  les  limites  posées  par  nos  géographes. 

Lorsqu'un  Etat  possède  des  colonies,  ou  qu'il  entrelient  des 
relations  suivies  avec  des  pays  extraeuropéens,  il  importe  que, 
dans  ses  collections,  les  produits  de  chaque  contrée  forment  une 
catégorie  distincte.  Une  collection  d'ethnographie,  classée  d'après 
ce  plan,  sera  l'école  primaire  des  hommes  qui  se  disposent  à 
partir  pour  les  colonies  ou  les  pays  étrangers,  surtout  quand  ils 
doivent  s'y  rendre  en  vertu  d'une  mission  spéciale  et  de  nature 
à  les  mettre  en  relation  intime  avec  les  habitants.  Missionnaires, 
savants,  voyageurs-naturalistes,  employés  militaires  ou  civils, 
marchands  et  marins,  tous  pourront,  avant  de  quitter  le  pays 
natal,  et  sous  la  simple  direction  d'un  catalogue  raisonné, 
acquérir,  dans  un  musée  de  ce  genre,  des  connaissances  prépa- 
ratoires qui  seront  d'ua  prix  inestimable  pour  leurs  travaux  ulté- 
rieurs. Ils  ne  seront  plus  étrangers  alors  aux  productions  usuelles 
du  pays  qu'ils  se  proposent  de  visiter  et  à  l'état  intellectuel  et 
industriel  du  peuple  qui  l'habite.  Le  missionnaire  qui  connaît  le 
culte  et  les  mœurs  du  peuple  dans  lequel  il  veut  répandre  les 
germes  de  la  foi,  ne  risquera  pas  de  les  voir  tomber  dans  une 
terre  que  la  charrue  n'aura  point  préparée.  Le  fonctionnaire  civil 
étudiera  la  nation  dans  ses  institutions  sociales.  L'officier  pourra 
d'avance  examiner  les  armes,  les  armures  et  les  autres  instru- 
ments de  défense  employés  par  les  indigènes.  Le  commerçant 
saura  quelles  matières  premières  offre  le  sol,  et  quelles  produc- 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  243 

lions  industrielles  le  peuple  livre  à  sa  spéculation.  Il  est  donc 
toujours  très  avanlag-eux  de  donner  à  ces  collections  ethnogra- 
phiques une  extension  qui  puisse  les  élever  au  rang  d'une  expo- 
sition de  l'industrie  des  peuples  avec  lesquels  on  entretient  des 
relations.  Elles  éveillent  l'attention  puhlique  sur  les  nouveaux 
articles  d'importation,  et  sollicitent  souvent  nos  artistes  et  nos 
fabricants  à  des  imitations  heureuses. 

Quelle  influence  les  objets  d'art  et  de  commerce  de  la  Chine, 
abondamment  importés  et  favorablement  accueillis  en  France 
dès  les  premiers  temps,  nont-ils  pas  exercée  sur  l'industrie  des 
Parisiens,  dont  le  goût  exquis  s'applique  avec  tant  de  succès  à 
l'anoblissement  des  formes  chinoises  primitives.  Vous-même, 
Monsieur,  vous  avez  dit  ainsi  que  Cuvier  :  «  Notre  industrie 
européenne^  toute  perfectionnée  qu'elle  puisse  être,  ne  peut  que 
gagner  à  des  comparaisons  qui  doivent  l'enrichir  encore  en  sug- 
gérant ou  des  procédés  plus  simples,  ou  des  usages  nouveaux  de 
substances  naturelles  négligées  chez  nous,  ou  étrangères  à  nos 
climats  ;  enfin,  l'histoire,  la  philosophie,  et  même  la  littérature, 
peuvent  trouver  une  utile  assistance  dans  l'inspection  d'armes, 
d'instruments  ou  d'outils  dont  les  descriptions,  prises  dans  les 
auteurs,  resteraient  souvent  vagues,  obscures  ou  inintelligibles. 
Ainsi,  la  connaissance  de  l'homme,  de  son  génie  commercial  et 
industriel  et  de  son  état  social  aux  différentes  époques  et  dans 
les  différentes  parties  du  monde,  exige  indispensablement  la 
réunion  de  tous  les  objets  dont  cette  connaissance  peut  se  tirer 
d'une  manière  directe,  complète  et  incontestable'.  » 

Un  dernier  mot.  Monsieur.  Je  m'aperçois,  quoique  un  peu 
tard,  que  je  ne  vous  ai  rien  appris  de  nouveau,  car  enfin  per- 
sonne plus  que  vous  n'est  pénétré  des  principes  que  j'ai  tâché 
d'établir.  Du  reste,  c'est  un  malheur  dont  je  suisamplement  con- 
solé parla  satisfaction  d'avoir  pu  vous  dire  combien  je  suis  moi- 
même  rempli  des  sentiments  qui  vous  animent,  vous  qui  recon- 
naissez avec  moi  qu'il  est  temps,  ou  jamais,  pour  les  capitales 
des  empires  de  l'Europe  civilisée  qui  possèdent  des  colonies  ou 

1)  Nouvel  emprunt  au  rapport  d'Abel-Rémusat,  attribué  ici  à  Jomard  et 
Cuvier.  (E.  H.) 


244  LES    ORIGINES 

qui  se  proposent  d'en  fonder,  de  créer  dans  leur  sein  des  musées 
de  géographie  et  d'ethnographie,  dont  l'existence  est  une  con- 
dition de  rigueur  à  la  réussite  de  leurs  entreprises. 

«  Si  l'on  veut  connaître  et  conserver  l'histoire  des  races  humai- 
neS;,  dites-vous,  il  faudra  se  hâter  de  rassembler  les  éléments  de 
leur  état  natif,  et  de  préférence  les  produits  de  leur  industrie, 
ouvrages  d'un  art  quelquefois  encore  dans  l'enfance,  mais  qu'il 
est  intéressant  d'observer  dans  ses  développements.  )> 

Aurai-je  besoin,  après  cela,  de  vous  donner  encore  l'assurance 
de  ma  sympathie  pour  votre  projet,  moi  qui,  depuis  mon  retour 
en  Europe,  m'occupe  d'un  projet  tout  pareil  en  tâchant  de  réa- 
liser en  Hollande,  dans  ma  seconde  patrie,    un   établissement 
analogue  à  celui  dont  vous,  Monsieur,  cherchez  à  doter  la  capi- 
tale de  la  France?  C'est  dans  cette  intention  que  j'ai  déposé 
dans  le  royaume  des   Pays-Bas  toute  la   collection  ethnogra- 
phique dont  j'avais  réuni  les  éléments  pendant  un  séjour  de  sept 
années  au  Japon,   et   qui  consiste  en  manuscrits,    imprimés, 
cartes,  dessins,  peintures,  monnaies,  vases,  idoles  et  pagodes, 
armes,  armures,  vêtements,  outils  et  instruments  divers,  pro- 
duits des  arts  de  toute  espèce;  enfin,  dans  mille  objets  curieux  et 
nouveaux.  Cette  collection,  la  plus  vaste  et  la  plus  précieuse  de 
ce  genre,  j'ose  le  dire,  qui  fut  jamais  formée  et  rapportée  des 
pays  lointains  par  aucun  voyageur,  je  l'ai  spontanément  cédée 
au  gouvernement  sous  les  auspices  duquel  j'avais  entrepris  mon 
voyage  au  Japon.  Voir  mes  collections  déposées  et  conservées 
dans  un  asile  national,  tel  fut  le  principal  motif  qui  me  détermina 
à  m'en  dessaisir,  et  le  sentiment  du  devoir  et  de  la  reconnais- 
sance  m'ont  rendue  facile  la  résolution  de  céder  à  l'Etat  ces 
souvenirs  précieux,  les  seuls  trésors,  je  l'avoue  sans  rougir,  que 
j'aie  rapportés  des  Indes  Orientales.  Toutes  les  fois  que  je  ren- 
contre des  objets  ethnographiques  exposés  en  plein  vent  aux 
devantures  des  magasins  ou  abandonnés  dans  les  bazars,  je  plains 
sincèrement  les  voyageurs  qui  les  ont  recueillis  dans  les  pays 
lointains,  au  prix  de  tant  de  peines  et  souvent  de  dangers,  qui 
les  onl  conservés  et  rapportés  en  Europe  dans  l'intention  d'orner 
les  musées  et  d'enrichir  les  arts  et  les  sciences  de  leur  patrie.  Je 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  245 

les  plains,  ces  pauvres  voyageurs,  qui  peut-être,  après  avoir  été 
longtemps  déçus  par  de  vaines  espérances,  se  seront  vus  forcés 
par  le  besoin  de  vendre  à  vil  prix  leurs  curiosités  exotiques. 
Dans  presque  toutes  les  grandes  villes  de  l'Europe  j'ai  rencontré 
ces  tristes  débris,  et  parfois  les  étiquettes  qu'ils  portaient  encore 
m'ont  appris  les  noms  des  voyageurs  distingués,  ou  même  des 
expéditions  scientifiques  entreprises  par  ordre  des  gouverne- 
ments auxquels  ces  objets  avaient  appartenu.  D'abord,  j'étais 
tenté  d'accuser  les  administrations  des  établissements  scientifi- 
ques d'avoir  perdu  de  vue  des  objets  d'un  intérêt  si  grand  ;  mais 
j'apprenais  bientôt  que,  pour  la  plupart  des  États  européens,  la 
principale  cause  de  cet  abandon  résidait  dans  l'inconcevable 
indifférence  des  gouvernements  à  l'égard  des  objets  d'ethnogra- 
phie, et  dans  l'économie  mal  entendue  des  départements  de 
l'instruction  publique. 

Parmi  les  obstacles  qui  s'opposent  à  l'extension  et  au  perfec- 
tionnement des  établissements  consacrés  aux  études  ethnogra- 
phiques, je  dois  compter  l'égoïsme  des  conservateurs  de  collec- 
tions publiques,  quelles  qu'elles  soient,  qui  jamais  ne  consen- 
tent à  céder  des  objets  qu'une  méprise  ou  le  hasard  ont  mis  en 
leur  pouvoir,  ou  qu'un  abus  invétéré  a  joints  aux  pièces  qui 
leur  sont  confiées.  Malheureusement,  ce  provincialisme  se 
retrouve  dans  toutes  les  capilales.  Après  avoir  examiné  presque 
tous  les  établissements  de  TEurope,  je  me  suis  convaincu 
qu'en  centralisant  sur  un  seul  point  les  trésors  ethnographiques 
dispersés  dans  plusieurs  musées,  et  cela  sans  ordre,  sans  but, 
sans  utilité,  rien  ne  serait  plus  facile  à  la  France,  à  l'Angleterre. 
à  la  Russie  et  à  plusieurs  États  de  l'Allemagne,  que  de  former 
des  collections  d'ethnographie  qui  seraient  importantes  pour  la 
science  et  curieuses  pour  le  public.  Ces  objets,  sans  rapports 
réels  avec  la  destination  des  établissements  où  ils  sont  déposés, 
n'offrent  actuellement  qu'une  faible  utilité,  en  comparaison  de 
celle  qu'ils  recevraient  par  leur  réunion  même,  dans  un  dépôt 
spécial,  où  viendraient  affluer  les  produits  des  recherches  et  des 
découvertes  dues  aux  voyageurs  divers. 

C'est  à  dessein  que  j'ai  passé  sous  silence  la  Hollande,  qui  ne 


246  LES    ORIGINES 

mérite  pas  d'être  comprise  dans  cette  catég-orie.  Son  gouverne- 
ment, depuis  l'an  1815,  a  fait  des  etTorts  prodigieux  et  consacré 
des  sommes  immenses  à  la  création  d'établissements  nationaux 
destinés  à  l'étude  des  sciences  physiques,  de  l'archéologie  et  de 
l'ethnographie,  établissements  dont  aucun  n'existait  dans  ce  pays 
avant  la  Restauration.  J'invoquerai  le  témoignage  des  illustres 
professeurs  du  Jardin  du  Roi^  vos  savants  collègues,  Monsieur, 
à  l'Institut  de  France,  et  dont  plusieurs,  comme  vous,  en  visi- 
tant nos  établissements  de  ce  genre,  ont  été  grandement  surpris 
de  rencontrer  à  Leyde  des  collections  qui  non  seulement  peuvent 
rivaliser  avec  celles  de  Paris,  mais  qui  même  les  surpassent 
dans  certaines  spécialités  par  leur  état  de  fraîcheur  et  de  parfaite 
conservation.  Les  noms  des  célèbres  fondateurs  de  ces  établisse- 
ments, MM.  Temminck,  Reinwardt,  Blume,  Reuvens  et  Lee- 
mans^  font  autorité  toutes  les  fois  qu'il  est  question  de  la  valeur 
scientifique  de  ces  collections  inappréciables.  Mais  après  avoir 
donné  de  justes  éloges  aux  fondateurs  des  établissements 
dont  je  viens  de  parler,  je  dois  remplir  un  autre  devoir  non  moins 
sacré,  en  rappelant  que  depuis  1815  le  gouvernement  des  Indes 
Orientales  hollandaises,  représenté  par  des  hommes  d'État  dont 
les  noms  sont  immortels  dans  les  fastes  des  colonies,  a  contribué 
puissamment  à  les  enrichir  par  les  recherches  scientifiques  qu'il 
a  ordonnées,  et  dont  il  a  supporté  les  frais  qui  se  montent  à 
plusieurs  millions  de  francs. 

Aussi  les  collections  d'ethnographie  acquises  dans  ces  der- 
niers temps  par  le  gouvernement  des  Pays-Bas  sont-elles  con- 
sidérables, et  il  suffira  de  signaler  les  trois  collections  formées 
au  Japon  par  MM.  Blomhoff,  Van  Overmeer-Fisscher  et  par  moi, 
qui  présentent  toutes  les  richesses  ethnographiques  de  cet 
empire  et  de  quelques  pays  voisins,  et  qui  s'élèvent  à  une  valeur 
de  plus  d'un  demi-million  de  francs.  Je  puis  donc  affirmer. 
Monsieur,  qu'aucun  Etat  d'Europe  n'a  fait  en  faveur  de  notre 
science  d'aussi  grands  efforts  que  la  Hollande^  même  à  l'époque 
de  ses  récents  embarras  politiques  et  pécuniaires.  On  n'a  pas 
encore,  il  est  vrai,  réuni  tous  ces  matériaux  pour  en  former  un 
seul  musée  spécial  ;  mais  telle  est  néanmoins  la  ferme  intention 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  247 

de  mon  gouvernement,  et  j'espère  voir  s'élever  bientôt,  sous  les 
auspices  du  roi  Guillaume  II,  ce  généreux  protecteur  des  arts 
et  des  sciences,  un  monument  national  dont  les  fondements  ont 
été  posés  par  son  auguste  père. 

Si  je  me  félicite  d'avoir  contribué  pour  ma  part  à  la  création 
en  Hollande  d'un  musée  pour  ma  science  favorite,  je  désirerais 
ardemment  aussi  me  voir  à  même  de  déposer  en  France  quelques 
objets  rapportés  du  Japon,  et  qui  pussent  aider  à  combler  les 
lacunes  de  la  collection.  Mais  il  ne  me  reste  qu'une  seule  pièce 
rapportée  de  ce  pays,  un  souvenir  curieux  et  intéressant,  il  est 
vrai  :  c'est  une  boîte  sortie  en  1828  de  la  main  d'un  artiste  japo- 
nais, avec  le  portrait  de  l'empereur  Napoléon,  copié  sur  le  fron- 
tispice de  V Histoire  de  Napoléon  et  de  la  Grande  Armée,  de  M.  de 
Ségur.  Le  portrait,  fait  en  mosaïque  de  nacre,  prouve,  par  sa 
frappante  ressemblance,  la  scrupuleuse  exactitude  de  cette  nation 
dans  l'imitation  des  objets  d'art.  La  boite  elle-même  est  faite 
du  bois  léger  de  la  Paulownia  Imperialis,  le  plus  bel  arbre  du 
Japon  et  de  la  Chine,  que  l'on  cultive  avec  succès  en  France 
depuis  quelque  temps  ;  et  le  vernis  noir  et  or  dont  elle  est  en; 
duite  peut  donner  une  idée  de  la  haute  perfection  atteinte  par 
les  Japonais  dans  l'art  de  vernir.  Cette  pièce,  qui  constate  que 
la  mémoire  de  l'Empereur  se  conserve  à  l'extrémité  du  monde, 
est  précieuse  pour  la  France.  Je  confie  donc  à  vos  soins,  Mon- 
sieur, cet  objet  d'art  exotique,  en  vous  priant  de  le  déposer  en 
mon  nom  au  centre  des  collections  géographiques  et  ethnogra- 
phiques, que  vous  formez  pour  la  grande  Bibliothèque  royale  ^ 
J'ai  l'espérance  de  voir,  par  ce  dépôt,  se  développer  le  noyau 
d'un  musée  ethnographique  à  Paris,  aussi  rapidement  que  les 
rayons  rejaillis,  de  la  gloire  du  grand  homme  dont  le  portrait  est 
reproduit  par  une  main  japonaise,  ont  illustré  la  France  et  se 
sont  répandus  jusqu'à  ses  antipodes. 


1)  Celte  boîte,  longtemps  conservée  à  la  Bibliothèque  de  la  rue  Richelieu,  a 
été  déposée  au  Musée  d'Ethnographie  du  Trocadéro,  le  30  novembre  1884  par 
M.  Léopold  Delisle.  Elle  porte  aujourd'hui  le  u°  13113  de  nos  inventaires. 

(E.-H.). 


248  LES    ORIGINES    DU    MUSÉE    d'eTHNOGRAPHIE 

Agréez,  Monsieur,  l'assurance  do  la  considération  la  plus  dis- 
tinguée de  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

De  Siebold. 

Paris,  avril  1843. 


CHAPITRE  X 

Réponse  de  Jomard  à  Siebold.  —  Plan  d'une  classification  ethnographique. 

N"  LXVIIi 
LETTRE 

A    M.    PH.-FR.   DE    SIEBOLD    SUR  LES  COLLECTIONS    ETHNOGRAPHIQUES  * 


Monsieur, 

Deux  ans  se  sont  écoulés  depuis  que  vous  avez  communiqué 
au  public  européen  vos  lumineuses  considérations  snrV utilité  des 
musées  ethnographiques,  dans  une  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'hon- 
neur de  m'adresser,  honneur  auquel  je  n'avais  d'autre  titre  que  la 
persévérance,  la  continuité  de  mes  efforts  pour  l'établissement  en 
France  d'une  collection  ethnographique  et  scientifique  générale, 
renfermant  les  produits  des  arts  et  de  l'industrie  des  peuples 
lointains  placés  en  dehors  de  la  civilisation  européenne.  Quel  a 
été  le  résultat  de  ces  deux  années  d'attente,  quelle  a  été  l'in- 
fluence de  l'appel  que  vous  avez  fait  au  public  lettré  des  divers 
Etats,  aux  esprits  méditatifs,  aux  observateurs  philosophes,  aux 
gouvernements  eux-mêmes?  J'ignore  s'il  s'est  élevé  quelque 
nouveau  musée  de  ce  genre  dans  une  partie  ou  dans  une  autre 
de  notre  continent,  ou  peut-être   dans  les   colonies.   Mais,  je 

1)  Celle  lettre,  qui  forme  une  bi'ociiiire  de  vingt  pages  (Paris,  impr. 
de  Bourgogne  et  Martinet,  1845,  in-8),  n'est  autre  qu'un  tirage  à  part  d'un  petit 
travail  intitulé  :  Des  colleciions  géograp/dques,  lu  à  la  Société  de  géographie  de 
Paris,  le  6  juin  1845,  et  imprimé  au  Bulletin  de  cette  Compagnie  (3o  série, 
t.  m,  p.  388-402,  juin  1845),  Jomard  a  tait  mettre  en  tête  de  cet  opuscule 
les  trois  pages  ci-dessus. 


250  LES    ORIGINES 

regrette  de  le  dire,  la  question  n'a  pas  fait  un  pas  parmi  nous, 
faute  de  ressources  apparemment,  plutôt  que  faute  d'attention 
ou  d'intérêt;  aucune  mesure  n'a  été  ordonnée  pour  commencer 
l'exécution  d'un  projet  aussi  utile,  aussi  digne  de  l'état  actuel 
des  connaissances,  aussi  bien  en  harmonie  avec  la  direction  des 
idées  et  la  tendance  des  études  vers  l'histoire  des  races  et  celle 
des  progrès  de  l'esprit  humain;  mais  je  ne  puis  me  persuader 
que  les  arguments  sans  réplique,  les  puissantes  réflexions  dont 
votre  lettre  abonde,  aient  laissé  indifférents  les  hommes  éclairés 
et  même  les  hommes  d'Etat  philosophes  qui  ne  manquent  pas 
en  France. 

Attendant  toujours  que  l'autorité  supérieure  prenne  en  consi- 
dération les  vues  et  les  idées  souvent  exposées  à  cet  égard,  idées 
corroborées  par  la  manifestation  éclatante  sortiede  votre  plume; 
craignant  cependant  encore  de  nouveaux  retards  malgré  le  poids 
d'un  suffrage  comme  le  vôtre.  Monsieur  ;  malgré  l'autorité  d'un 
voyageur  qui  s'est  illustré  par  ses  découvertes  et  ses  longues 
pérégrinations  à  Textrémité  orientale  du  globe,  j'ai  cru  devoir 
tracer  ici  en  peu  de  mots  V Essai  de  classi/icatio?ia.[ique\  vous  avez 
fait  allusion.  Ce  travail,  tout  imparfait  et  tout  incomplet  qu'il 
est,  trouvera,  je  l'espère,  grâce  à  vos  yeux,  à  cause  de  la  sym- 
pathie qui  vous  a  fait  venir  en  aide  à  l'entreprise,  sentiment 
libéral  et  généreux,  sur  l'appui  duquel  je  compte  toujours  pour 
le  succès.  Quand  la  première  idée  d'une  telle  collection  m'est 
venue,  j'étais,  vous  le  savez.  Monsieur,  au  delà  des  cataractes  (il 
y  a  de  cela,  malheureusement  pour  moi,  près  d'un  demi-siècle)  : 
ce  fut  à  la  vue  de  la  lyre  des  Nubiens,  la  même  qu'on  a  décou- 
verte depuis  lors  dans  la  Haute-Ethiopie,  la  lyre  à  cinq  cordes, 
dont  le  corps  sonore  est  la  carapace  d'une  tortue.  Voilà  donc, 
me  disais-je,  la  lyre  de  Mercure  retrouvée  bien  loin  du  théâtre 
de  la  mythologie  grecque.  Je  commençai  dès  lors  une  collection, 
dont  je  sentais  l'utilité,  pour  l'étude  de  l'homme  et  de  ses  diverses 
races,  comme  pour  constater  leur  degré  de  civilisation. 

Depuis,  j'ai  vu  passer  sous  mes  yeux  et  se  disperser  sans  fruit 
nombre  de  collections  ethnographiques,  faute  d'un  point  central 
qui  les  réunît  toutes.  Une  décision  fut  prise  il  y  a  dix-huit  ans, 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  251 

et  une  autre  dix  ans  plus  tard;  l'une  et  l'autre  sont  restées  lettre 
morte,  en  dépit  de  la  signature  royale;  mais  l'avenir  ne  man- 
quera pas  (j'espère  encore  le  voir)  à  une  pensée  à  la  fois  scien- 
tifique, patriotique  et  nationale. 

Quelle  que  soit  l'issue  de  ma  nouvelle  tentative,  veuillez, 
Monsieur,  agréer  cet  essai  comme  une  marque  de  ma  recon- 
naissance et  de  la  haute  considération  avec  laquelle  j'ai  l'hon- 
neur d'être, 

Monsieur, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

JOMARD, 

Membre  de  l'InFtitut  de  France,  ancien  Commissaire 
du  Gouvernement  pour  la  publication  de  la  des- 
cription de  l'Egypte,  Conservateur-Administrateur 
de  la  Bibliothèque  royale  (collection  géogra- 
phique). 


DES  COLLECTIONS  ETHNOGRAPHIQUES 

1.  Caractère  et  essai  de  classification  d'une  collection 
ethnographique. 

Ce  n'est  que  depuis  une  époque  assez  récente  que  les  voyages 
de  découvertes  et  les  études  géographiques  se  sont  dirigés  vers 
une  branche  d'observations  jadis  négligées,  ou  qui,  du  moins, 
dans  le  siècle  dernier,  occupaient  une  faible  place  parmi  les 
travaux  des  explorateurs  et  ceux  des  érudits.  Il  fallait,  il  est  vrai, 
pour  connaître  le  globe,  commencer  par  fixer  la  position  des 
lieux,  établir  leurs  distances  vraies  et  leurs  situations  respec- 
tives, leur  élévation  relative  et  absolue,  étudier  enfin  leurs  pro- 
ductions naturelles  :  en  d'autres  termes^  on  devait  commencer 
par  la  géographie  proprement  dite  et  la  géographie  physique. 
Aujourd'hui  le  plan  de  la  terre  ne  suffît  plus  à  notre  avide 
curiosité  ni  au  progrès  actuel  des  connaissances  ;  ce  plan  est, 
d'ailleurs,  assez  avancé  pour  qu'on  tourne  ses  efforts  d'un  autre 
côté,  plus  important  encore  ;  je  veux  parler  de  la  distinction  des 
races  humaines  et  de  la  connaissance  universelle  de  leurs  idiomes. 


2S2  LES    ORIGINES 

de  lear  caractère  physiog-nomonique  et  de  leur  état  social  :  c'est 
ce  que  l'on  commence  à  faire  chez  presque  toutes  les  nations  de 
l'Europe.  Il  est  maintenant  peu  de  voyages  où  cette  étude  ne 
soit  recommandée.  En  Allemagne,  en  Angleterre,  en  Russie 
comme  en  France,  les  déterminations  géographiques  et  l'histoire 
naturelle  ne  sont  plus  le  seul  objet  des  instructions  données  aux 
voyageurs,  et  Ton  y  ajoute  des  questions  spéciales  sur  l'homme 
et  son  état  physique.  L'objet  de  cette  sorte  de  recherches  est 
désigné  par  les  mots  d'Ethnographie  et  d'Ethnologie.  Après  tout_, 
n'est-ce  pas  le  but  final  que  l'on  doit  se  proposer  dans  la  descrip- 
tion de  la  terre  habitable  ?  Les  relations  d'échange  que  nous 
avons  ouvertes  ou  que  nous  voulons  ouvrir  sur  tous  les  points 
du  globe,  la  pensée  civilisatrice  dont  l'Europe  chrétienne  est 
animée  et  préoccupée,  le  plan  conçu  d'arriver  graduellement  à 
la  diffusion  générale  de  la  civilisation,  des  lumières,  quels  que 
soient  la  nature,  le  caractère  et  la  couleur  des  races  ;  ces  nobles 
vues,  ces  desseins  si  louables,  ne  reposent-ils  pas  sur  la  connais- 
sance approfondie  de  toutes  les  différentes  peuplades,  et  de  leur 
état  moral  et  physique  ?  N'est-ce  pas  enfin  marcher  à  l'accom- 
plissement de  la  destinée  humaine? 

Mais  quand  on  ne  porterait  pas  l'ambition  si  loin,  quand  ces 
projets  seraient  de  pures  utopies,  n'y  a-t-il  pas  encore  là,  pour 
l'esprit  et  l'intelligence,  un  noble  aliment  à  notre  curiosité  ? 
Le  rapprochement  complet  et  la  comparaison  de  tous  les  points 
de  vue  sous  lesquels  peut  être  envisagé  l'homme  actuel,  dans 
tous  les  climats,  ne  peuvent  manquer  d'éclairer  l'histoire  du 
passé.  Bien  des  problèmes  historiques  ne  pourront  être  résolus, 
ou  même  abordés,  qu'avec  la  connaissance  parfaite  de  ces  an- 
ciennes tribus  que  le  temps  a  peu  modifiées,  soit  sous  le  rapport 
de  la  constitution  physique,  soit  enfin  sous  l'aspect  des  usages, 
des  mœurs  et  des  institutions.  L'histoire  est  donc  intéressée, 
comme  les  sciences  philosophiques  et  les  sciences  naturelles, 
au  progrès  des  études  ethnographiques. 

Dans  le  principe  de  ces  études,  on  s'est  occupé  uniquement 
des  idiomes,  et  l'on  a  même  classé  les  différentes  races  d'après 
les  langues  dont  elles  font  usage.  Autant  de  langues  et  d'idiomes, 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  253 

disait-on,  autant  de  groupes  de  la  famille  humaine  ;  on  a  reconnu, 
depuis,  qu'il  était  indispensable  d'étendre  l'acception  du  terme 
d'Ethnographie  appliqué  à  cette  étude,  l'étymologie  du  mot  en 
faisant  d'ailleurs  une  loi.  Nous  pensons  en  avoir  donné  plus 
haut  une  définition  suffisante,  et  nous  revenons  à  l'objet  spécial 
qui  fait  le  sujet  principal  de  cet  essai. 

Les  œuvres  de  la  main  de  l'homme,  attentivement  considérées, 
peuvent  souvent  nous  révéler  ce  qui  a  échappé  à  l'histoire,  ou 
bien  n'a  pas  été  conservé  par  la  tradition  :  je  veux  dire  le  but 
de  leur  composition,  l'objet  que  leurs  auteurs  se  sont  proposé, 
les  moyens  même  dont  ils  ont  fait  usage  pour  les  exécuter. 
C'est  ainsi  que  par  l'étude  réfléchie  et  persévérante  des  monu- 
ments de  l'antiquité,  on  peut  deviner  les  secrets  de  son  archi- 
tecture. Il  est  même  permis  de  dire  que  toute  science  peut  être 
comprise,  appréciée  et  jugée  par  ses  productions  :  ce  principe^ 
que  je  crois  général,  est  surtout  applicable  à  la  science  ethno- 
graphique. 

L'histoire  a  gardé  le  plus  complet  silence  sur  les  arts  et  l'in- 
dustrie d'une  multitude  de  peuples,  et  la  plupart,  d'ailleurs, 
sont  restés  dépourvus  d'historiens.  Un  grand  nombre  de  ces 
nations  ont  toujours  ignoré  et  ignorent  encore  l'écriture.  Est-ce 
une  raison  pour  renoncer  à  les  étudier?  Je  ne  le  crois  pas. 
Toutes  ces  peuplades,  si  peu  civilisées,  si  grossières  qu'elles 
soient,  ont  su  travailler  la  pierre,  le  bois  ou  le  métal.  Toutes 
ont  eu  des  outils,  des  instruments  avec  lesquels  elles  ont  modi- 
fié les  formes  de  la  matière,  suivant  leurs  nécessités,  leurs  goûts» 
leurs  idées.  Toutes  ont  soumis  par  force  ou  par  adresse  les 
divers  êtres  vivants  de  la  création,  et  toutes  ont  agi  sur  la  nature 
morte  pour  l'approprier  à  leurs  besoins.  Il  est  donc  naturel  et 
convenable,  pour  juger  de  leur  aptitude  et  de  leur  industrie,  de 
rassembler  les  objets  sortis  de  leurs  mains,  et  de  comparer  ces 
objets  entre  eux  après  les  avoir  disposés  avec  ordre,  au  moyen 
d'une  classification  scientifique.  Bien  plus  :  quantité  de  ces  pro- 
duits de  l'industrie  portent  le  reflet  de  l'intelligence  des  hommes 
dont  ils  sont  l'ouvrage  ;  ils  montrent  quelle  était  chez  eux  la 
tournure  de  l'esprit  et  des  idées,  en  même  temps  qu'ils  font  con- 


254  LES    ORIGINES 

naître  matériellement  leur  dextérité  plus  ou  moins  ingénieuse. 
L'examen  de  ces  objets  peut  donc  servir  au  côté  moral  des  études 
ethnographiques,  comme  à  la  connaissance  de  l'état  des  arts  et 
de  l'industrie.  Par  exemple,  s'il  est  vrai  que  les  idées  religieuses 
ne  sont  étrangères  à  aucun  des  peuples  de  la  terre,  on  doit 
désirer  de  connaître  quelles  sont  les  formes  extérieures  de  leur 
culte,  et  par  quelles  images,  par  quels  symboles  de  la  nature, 
ils  ont  représenté  la  puissance  divine. 

Les  hommes,  même  peu  cultivés,  se  sont  élevés  à  la  considé- 
ration du  nombre  et  de  l'espace  ;  de  là  les  rudiments  plus  ou 
moins  grossiers,  ou  imparfaits,  de  calcul  ou  de  géométrie  élémen- 
taire. Des  instruments  leur  ont  servi  à  compter,  peser,  mesurer; 
il  importe  de  les  rassembler.  Il  est  plusieurs  de  ces  peuples  qui, 
promenant  leurs  regards  sur  la  voûte  céleste,  ont  divisé  la 
marche  annuelle  apparente  du  soleil,  et  donné  des  dénomina- 
tions aux  groupes  d'étoiles  ;  et  il  en  est  aussi  qui  ont  donné  une 
forme,  un  corps  à  leurs  idées  sur  ce  sujet,  et  qui  les  ont  figurées 
sur  le  bois  ou  sur  la  pierre.  Tous  ont  possédé  des  jeux,  et  ont 
eu  des  instruments  de  musique  :  rien  n'est  plus  général  peut-être 
que  la  pratique  des  fêtes,  des  jeux,  des  danses,  des  cérémoîjies, 
des  chants  ;  rien  de  plus  universel  que  l'instinct  musical  :  comme 
si,  partout,  l'homme  avait  besoin  de  chercher  un  adoucissement, 
un  dédommagement  à  ses  souffrances  physiques  et  morales  î 
Les  instruments  de  ces  jeux  sont  donc  infiniment  curieux  à 
étudier,  soit  qu'ils  n'aient  eu  pour  but  qu'un  pur  délassement, 
soit  qu'ils  supposent  un  certain  esprit  de  combinaison  ou  de 
calcul  numérique.  Bien  d'autres  points,  qui  ^touchent  au  moral 
et  à  l'intelligence  de  l'homme,  peuvent  être  connus  et  compris 
à  l'aide  des  produits  du  travail  de  ses  mains,  méthodiquement 
réunis  :  tel  est  le  double  objet  des  Collections  et  musées  ethnogra- 
phiques. 

Sous  un  autre  aspect  encore,  et  non  moins  utile,  ces  collec- 
tions méritent  d'être  appréciées.  On  a  des  exemples  de  figures 
exécutées  de  la  main  des  natifs,  retraçant,  comme  on  l'a  dit, 
les  nuances  délicates  de  la  physionomie,  avec  une  finesse  de 
travail  faite  pour  surprendre  chez  des  hommes  étrangers  aux 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  2S5 

arts  de  l'Europe.  Le  caractère  distinctif  des  individus  s'y  reflète 
pour  ainsi  dire  avec  autant  de  fidélité  que 'dans  un  miroir,  et 
mieux  même^  quand  ces  fig-ures  sont  de  plein  relief  ou  en  ronde- 
bosse;  avec  le  caractère  physique,  ces  images  semblent  donner 
aussi  l'expression,  l'air  du  visage  :  on  doit  les  étudier  avec  soin 
pour  la  connaissance  des  races. 

Les  progrès  que  fait  sur  le  globe  la  civilisation  chrétienne 
depuis  un  demi-siècle,  par  suite  des  guerres  et  des.  expéditions 
de  toute  espèce,  ont  commencé  à  modifier  profondément  l'état 
social  des  peuples  lointains:  les  mœurs,  les  usages,  les  instru- 
ments des  arts  et  les  ustensiles,  tout  jusqu'au  langage,  va  s'alté- 
rant  chaque  jour  davantage.  Bientôt  peut-être  il  ne  sera  plus 
temps  de  recueillir  ces  restes  d'un  passé  qui  disparaît  et  s'éva- 
nouit sans  retour.  11  faut  se  hâter  de  rassembler  ce  qui  subsiste 
encore  '. 

Une  collection  comme  celle  que  je  viens  de  définir,  pour  être 
utile  à  l'étude,  doit,  je  le  répète,  être  classée  avec  méthode  et 
d'après  un  plan  scientifique.  Il  faut  que  tous  les  pays  y  soient 
représentés,  moins  l'Europe  civilisée  bien  entendu,  moins  aussi 
les  autres  contrées  de  la  terre,  gouvernées  ou  colonisées  à  l'euro- 
péenne. —  Il  faut  également  que  la  collection  renferme  des 
spécimens  de  toutes  les  classes  d'objets  propres  à  peindre  le  degré 
d'avancement  et  l'état  de  l'industrie  ;  de  manière  que  les  pièces 
soient  assujetties  à  une  double  classification,  à  la  classification 
par  matière  et  à  la  classification  géographique.  On  va  voir  en 
détail  »  celle  que  j'ai  cru  devoir  adopter  et  que  je  crois  aussi 
pouvoir  recommander  comme  tout  à  fait  générale,  comme  suscep- 
tible d'admettre  les  objets  de  toute  nature,  rapportés  et  à 
rapporter  par  les  voyageurs.  La  méthode  est  fondée  à  la  fois 
sur  l'ordre  des  besoins  naturels  de  l'homme  et  sur  le  dévelop- 
pement ordinaire  des  sociétés  humaines.  En  étudiant  une  telle 
collection,  depuis  son  commencement  jusqu'à  sa  fin_,  l'on  aurait 

1)  Voir  :  Considérations  sur  l'objet  et  les  avantages  d'une  collection  spéciale, 
consacrée  aux  cartes  géographiques  et  aux  diverses  branches  de  la  géographie. 
In-8.  1831,  pages  18,  63  et  suivantes. 

2)  Voyez  ci-après,  page  16. 


256  LES    ORIGINES 

SOUS  les  yeux  un  tableau  successif  et  progressif  de  l'industrie 
de  l'homme,  depuis  ses  besoins  les  plus  impérieux  jusqu'aux 
développements  du  luxe. 

En  exposant  ce  plan  de  la  classification,  je  dois  rappeler  que 
les  productions  naturelles,  que  tout  ce  qui  n'est  pas  travaillé 
par  la  main  de  l'homme,  en  un  mot,  la  nature  brute,  sont  exclus 
de  la  collection,  de  même  que  tout  ce  qui  est  le  produit  de  nos 
arts  modernes  :  il  n'est  question  ici  que  des  œuvres  de  Tindus- 
trie  extra-européenne;  ajoutons  que  pour  être  complète,  la 
collection  doit  renfermer  des  dessins  ou  des  modèles  partout  où 
les  objets  manquent,  et  aussi  là  où  les  originaux  sont  de  trop 
grande  dimension,  par  exemple  s'il  s'agit  des  navires,  des  ma- 
chines et  des  appareils  divers  plus  ou  moins  volumineux. 

Si  l'on  réfléchit  à  l'essence  d'une  telle  collection,  l'on  ne 
s'étonnera  pas  que  le  classement  par  ordre  de  matières  précède 
l'ordre  géographique.  L'on  possède,  en  effet,  des  objets  appar- 
tenant à  toutes  les  classes  et  à  toutes  les  espèces  ;  mais  on  n'en 
a  point  de  tous  les  pays  de  la  terre.  La  collection  sera  donc 
divisée  par  nature  d'objet,  et  sous-divisée  par  lieux.  Cette  double 
division  est  propre  à  prévenir  la  confusion  ;  sans  elle,  la  collec- 
tion pourrait  ressembler  à  un  chaos,  ou  à  un  magasin  d'objets 
incohérents;  inconvénient  grave  qui,  sans  doute,  a  contribué  à 
retarder  chez  nous  la  formation  d'un  vrai  musée  de  cette  espèce, 
bien  que  l'utilité  en  soit  incontestable'. 

Les  objets  d'art  étrangers,  s'ils  sont  disposés  dans  un  ordre 
méthodique  et  instructif,  ne  seront  pas  examinés  sans  fruit 
par  les  industriels,  soit  pour  certains  usages  qui  pourraient 
entrer  dans  notre  économie  domestique,  soit  pour  les  produits 
qui  manquent  à  nos  arts,  soit  pour  la  beauté  des  nuances  tirées 
de  certaines  substances  colorantes,  etc.  Il  existe  en  Afrique,  par 
exemple,  des  alliages  ou  plutôt  des  plaques  longtemps  restés 
inconnus  à  notre  industrie.  Je  citerai  encore  un  instrument  qui 
a  pour  objet  l'éducation  physique,  c'est-à-dire  la  gymnastique; 

1)  Jomard  ajoutait  tristemenl  en  reproduisant  ce  pHlit  mémoire  à  la  veille  de 
sa  mon  (voir  plus  loin  pièce  no  LXXV)-  «  Mais,  on  ne  songe  guère  à  ce  Musée 
DE  LA  GÉOGRAPHIE  ET  DES  VOYAGES,  longtemps  cspéré,  Vainement  attendu.  » 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  257 

c'est  lin  arc  en  fer,  d'environ  deux  mètres  de  long  :  la  corde  est 
aussi  de  fer  ;  c'est  une  chaîne  très  forte,  et  qu'il  est  extrêmement 
difficile  de  tendre  et  d'écarter  de  l'arc.  Celui  qui  s'exerce  avec 
cet  instrument  doit  l'ouvrir  assez  pour  laisser  passage  à  la  tête, 
aux  bras  ou  aux  jambes,  et  successivement;  mais  ce  n'est  qu'avec 
un  assez  grand  cfîort  musculaire  qu'il  peut  en  venir  à  bout,  qu'il 
peut  séparer  suffisamment  l'arc  de  la  corde  et  prévenir  le  danger 
d'être  serré  comme  dans  un  étau  ;  d'autres  exercices  du  même 
genre  se  feront  sans  doute  remarquer  dans  une  collection  com- 
plète. 

II.  Plan  d'une  classification  ethnographique. 
Je  passe  maintenant  à  une  indication  un  peu  moins  générale, 
mais  très  sommaire  encore,  des  objets  de  la  collection  ethno- 
graphique, objets  propres  à  faire  apprécier  le  degré  de  civilisa- 
tion des  nations  lointaines  et  des  peuples  situés  en  dehors  de  la 
civilisation  européenne.  On  peut  diviser  en  dix  classes  les  pièces 
de  la  collection  des  objets  travaillés  de  la  main  de  l'homme. 
Ces  classes  sont  les  suivantes  : 

Classe  P«.  Images  représentant  la  physionomie  des  indigènes. 
II.  Objets  et  ustensiles  propres  à  procurer  la  nourriture. 

III.  Objets  relatifs  au  vêtement. 

IV.  Objets  relatifs  au  logement  et  aux  constructions. 
Y.  Économie  domestique. 

VI.  Objets  propres  à  la  défense  de  l'homme. 
VII.  Objets  relatifs  aux  arts  divers  et  aux  sciences. 
VIII.  Musique. 
IX.  Mœurs  et  usages. 
X.  Objets  de  culte*. 
La  liste  qui  suit  n'est  qu'un  abrégé  très  sommaire  d'une  liste 
dressée  méthodiquement,  qui  comprend  l'énumération  des  objets 
appartenant  à  une  collection  ethnographique  générale,   formée 
des  instruments,   outils,  ustensiles,   vases,   meubles   et   objets 
divers  de  science,  art  et  industrie  des  peuples  lointains. 

L'ordre  suivi  dans  ce  classement,  comme  je  l'ai  dit,  est  celui 

1)  Le  rang  qu'occupent  les  objets  de  culle  est  en  dehors  de  tout  classement. 

17 


2o8  LKS    ORIGINtS 

des  besoins  naturels  de  l'homme,  et  aussi  de  la  marche  progres- 
sive de  l'état  social,  telle  qu'elle  a  clé  observée  chez  toutes  les 
peuplades  encore  peu  avancées. 

Chacune  des  classes  se  divise  en  ordres;  chaque  ordre  se  divise 
en  plusieurs  genres.  La  matière,  la  forme,  la  dimension,  la  pro- 
venance des  objets  constituent  Y  espèce. 

Après  les  images  et  figures  diverses  représentant  la  physio- 
nomie (ce  qui  est  l'introduction  naturelle  à  la  collection),  viennent 
les  objets  eux-mêmes,  produits  de  l'industrie.  Exposons  d'abord 
ici  la  série  des  besoins  naturels  de  l'homme.  Le  premier,  le  plus 
impérieux  de  tous,  c'est  celui  de  se  nourrir;  le  second  est  celui 
de  se  vêtir;  le  troisième  est  de  s'abriter  contre  les  injures  de  l'air 
et  l'intempérie  des  saisons.  L'homme  une  fois  nourri,  vêtu,  logé, 
éprouve  le  besoin  de  se  créer  des  instruments,  ustensiles,  meu- 
bles, outils;  ces  objets  sont  plus  ou  moins  grossiers,  mais  indis- 
pensables pour  tous  les  actes  de  la  vie  :  c'est  ce  qui  constitue 
l'économie  domestique. 

Immédiatement  après  vient  le  besoin  de  sa  défense;  l'homme 
se  crée  alors  des  armures  pour  se  défendre  des  bêtes  féroces,  des 
armes  ofïensives  pour  les  attaquer. 

Arrivé  à  cet  état,  il  commence  à  songer  aux  arts,  aux  sciences 
et  aux  besoins  intellectuels  ;  il  recherche  les  jeux  et  les  diver- 
tissements, puis  il  s'occupe  de  chant  et  de  musique;  plus  tard 
des  moyens  de  compléter  l'expression  de  la  pensée  par  l'amélio- 
ration du  langage  et  de  fixer  celui-ci  par  le  moyen  de  l'écriture. 
Delà  dérive  une  série  de  coutumes,  d'usages,  de  mœurs  et  d'ha- 
bitudes diverses,  le  plus  souvent  dépendant  de  la  nature  du  cli- 
mat, quelquefois  aussi  transportés  de  pays  lointains  par  suite 
des  migrations.  C'est  alors  que  le  luxe  entre  dans  les  mœurs, 
et  que  les  peuples  commencent  à  se  policer  davantage.  Alors 
enfin  les  idées  religieuses,  innées  chez  l'homme,  prennent  une 
forme  plus  caractérisée  et  donnent  naissance  au  culte  extérieur 
et  aux  symboles  matériels. 

Classe  ^^  Représentation  de  la  figure  humaine. 

Les  objets  de  cette  classe  sont  destinés  à  faire  connaître  la 
physionomie  des    diverses   races  ;    quelquefois   ils    servent  en 


DU    MUSÉE    D  ETHNOGRAPHIE 


259 


même  temps  à  distinguer,  par  le  costume ,  les  métiers,  les  pro- 
fessions, les  dignités,  ainsi  que  les  castes  et  les  diverses  tribus  : 
princes,  magistrats,  officiers,  soldats,  artisans,  hommes  du 
peuple,  etc. 

On  s'attache  de  préférence  aux  objets  façonnés  de  la  main 
des  natifs,  surtout  quand  ces  objets  sont  travaillés  avec  soin^  et 
on  a  vu  qu'ils  le  sont  quelquefois  d'une  façon  remarquable.  Ces 
objets  soni,  ou  des  statuettes,  des  fig-urines  en  relief,  des 
groupes,  ou  bien  des  portraits  et  des  dessins,  revêtus  des  cou- 
leurs et  des  détails  nécessaires'. 
Ordre  I^'".  Les  figures  entières  et  les  genres.   Groupes  et  espèces  : 

figures  en  action,  en  mouvement^  etc. 
Ordre  IL  La  physionomie.  Genres,  etc.  :  portraits,  bustes,  têtes, 

profils,  etc. 

Classe  II.  Arts  qui  servent  à  proctirer  la  nourriture. 

Ordre  Ie^  L'agriculture.  Genres  et  espèces  :  les  instruments  : 
1°  boyaux,  houlettes,  bêches,  charrues,  socs, 
herses  ;  2°  faux,  faucilles,  brouettes,  fléaux,  vans, 
cribles;  3°  appendice  :  dessins  représentant  les 
travaux  agricoles. 

Ordre  II.  La  chasse.  Genres  et  espèces  :  1"  instruments,  cou- 
teaux, armes  de  chasse,  équipements;  2°  faucon- 
nerie. Voir  classe  VI. 

Ordre  III.  La  pêche.  Genres,  etc.  :  instruments  de  pêche  (filets, 
lignes,  hameçons,  liaces,  harpons,  cannes,  etc.). 

Classe  III.  Arts  qui  servent  à  l'habillement. 
Ordre  P^  Vêtement  du  corps.  Genres,  etc.  :  costumes,  tuniques, 
manteaux,  les  diverses  pièces  de  l'habillement; 
tabliers,  pag-nes  ,  ceintures  en  différentes  subs- 
tances et  étoffes,  manteaux  divers  en  peaux,  en 
plumes,  en  tissus,  en  peaux  travaillées,  peintes, 

1)  Selon  Cuvier,  il  faudrait  placer  ici  des  écliantillons  de  crânes  ou  des  pièces 
moulées  (Voyez  le  rapport  de  la  commission  Cuvier, au  ministre,  sur  la  création 
d'une  Collection  ethnographique.  {Bulletin  de  la  Soc.  de  géogr.  pour  1836,  tome  VI, 
page  89,  2o  série). —  Cf.  Documents,  pièce  n°  XXXVII. 


260  LES    ORIGINES 

ornées,  etc.;  étoffes  d'écorces  d'arbres,  étoffes 
en  paille  ;  tissus  divers  en  chanvre ,  lin ,  coton , 
soie,  etc.  (imitation  des  tissus  naturels,  végé- 
taux) ;  étoffes  teintes  de  diverses  couleurs. 

Ordre  IL  Coiffures.  Genres,  etc.  :  coiffures  en  plumes,  en  filets, 
en  tresse;  voiles,  capuchons,  calottes,  toques, 
turbans,  bonnets,  chapeaux,  perruques  et  couvre- 
chefs  divers,  casques,  feutres. 

Ordre  III.    Chaussures.   Genres,  etc.:    sandales   en  sparterie, 
cuir,  etc. ,  bottes  du  Nord ,  patins  de  bain  et  au- 
tres ,  raquettes  en  pays  de  neige  ,  etc. 
Nota.  Parure,  voy.  classe  IX. 

Classe  IV.  Arts  qui  servent  au  logement. 

Ordre  I''^  Modèles  de  constructions.  Genres.,  etc.  :  maisons, 
pagodes,  temples,  chapelles,  palais,  châteaux, 
tours,  ponts,    forts,  fortifications,    tombes,    etc. 

Ordre  II.  Outils  et  iîistru?nents.  Genres,  etc.  :  outils  des  maçons, 
des  charpentiers  et  des  autres  professions  qui 
s'occupent  de  constructions  :  truelles ,  pics ,  mar- 
teaux, scies,  haches  ;  échafaudages,  etc. 

Ordre  III.  Matériaux  travaillés  {échantilloîis).  Genres,  etc.  : 
briques,,  ciments,  mortiers,  stucs,  etc. 

Classe   V.  Economie  domestique. 

Ordre  I".  Meubles  de  la  maison  en  général.  Genres,  etc.  :  lits, 
hamacs,  berceaux,  oreillers  en  bois,  wampun,  — 
sièges  divers  en  bambou,  métal,  etc.,  tabourets, 
tables,  guéridons,  nattes,  tapis  (pour  les  autres 
meubles  non  portatifs,  des  modèles);  tentes,  wig- 
wams; — moyens  d'éclairage  :  lampes  en  métal,  en 
terre  cuite,  lanternes,  falots,  candélabres,  mè- 
ches; matières  combustibles  :  bois  résineux,  cire 
végétale,  blanc  de  baleine  ;  —  cadenas,  serrures, 
clefs.... 

Ordre  II.  Vases,  etc.  Genres  et  espèces:  1°  jarres,  calebasses, 
vases  de  table,  urnes,  coupes,  vases  réfrigérants  ; 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  2G1 

vases  plats,  plateaux  ;  vases  de  cuisine,  réchauds; 
chaudières  en  pierre  ollaire,  terre  cuite,  métaux 
(cuivre,  bronze,  étain,  etc.)  ;  vases  de  toute  sorte, 
en  métal,  pierre,  verre,  porcelaine,  petits  vases, 

—  Support,  en  argent  filigrane  et  à  jour  (zarf)  ; 
2°  corbeilles  ,  paniers,  couffes,  boîtes,  cassettes; 
coffrets,  cassolettes. 

Ordrk  III.  Imtruments  à  découper,  diviser,  etc.  Genres^  etc.  : 
en  silex,  en  métal  :  —  hachettes,  couperets,  do- 
loires,  etc.;  rasoirs,  ciseaux,  scies,  râpes,  limes, 

—  couteaux,  wedong,  couteaux  à  scalper. 
Ordre  IV.    Usages  divers.  Genres^  etc.  :  balanciers  pour  porter 

les  fardeaux,  pécoulans,  etc.,  palanquins,  etc 

Ordre  Y.  Objets  de  luxe.  Genres,  etc.  :  pankas,  éventails,  om- 
brelles, parasols,  payong,  écrans,  paravents, 
chasse-mouches  ;  magnifiques  miroirs  en  obsi- 
dienne,  en  métal,  etc.,  peignes  ornés. 
Ordre  YI.  Instruments  divers.  Genres.,  etc.  :  sifflets,  clochettes, 
sonnettes,  baguettes,  fouets,  cordes,  sacs,  gibe- 
cières, brosses  à  divers  usages;  soufflets;  —  four- 
neaux, enclumes,  marteaux,  pinces,  cognées, 
haches, — balais,  seaux,  râteaux,  pelles,  échelles. 

(jLasse  VI.   Objets  propres  à  la  défense  de  F  homme,   à  la 

guerre,  etc. 

Ordre  P'.  A7'mes  défensives.  Genres,  etc.  :  armures,  boucliers, 
casques,  cuirasses,  cottes  de  mailles,  brassards, 
casques  formés  de  la  dépouille  d'un  poisson  épi- 
neux, etc. 

Ordre  II.  Armes  offensives.  Genres,  etc.  :  casse-têtes,  massues, 
tomahawks,  haches  d'armes ,  frondes ,  arbalètes, 
javelots,  arcs,  flèches  et  carquois,  lances,  fers  de 
lance,  lames,  candjiars,.  camas ,  yatagans,  poi- 
gnards, krits,  goloks,  sabres,  épécs,  djérids , 
lacets  à  boule,  masses  d'armes,  sagayes,  épées 
à  dents  de  requin.  (  Les  poignards  et  krits  sont  à 


262  LES    ORIGINES 

manche    de    narval,    rhinocéros,     licorne^    am- 
bre,  etc.) 
Ordre  III.  Imignes  à  la  guerre.  Genres  et  espèces  :  drapeaux, 
enseignes,    étendards,  toncqs,    guidons,   instru- 
ments {voy.  classe  YIII). 
Appendice  :  modèles  et  dessins  des  forts  et  enceintes. 

Classe  VIL  Arts,  sciences,  industrie. 

Ordre  P^  Com?)ierce.    Genres,    etc.     :    monnaies,   cauris,   etc. 
mesures  linéaires  et  mesures  de  capacité  de  toutes 
sortes,  poids,  balances,  romaines,  pesons. 
Traîneaux,  chars,  chariots  (modèles). 

Ordre  IL  Comptes  et  calculs.  Genres,  etc.  :  instruments  de 
calcul,  abaques,  souan-pan  ;  instruments  pour  la 
mesure  du  temps,  horloges,  cadrans,  calen- 
driers, etc.  ;  compas. 

Ordre  III.  Ecriture.  Goires,  etc.  :  stylets,  plumes,  porte- 
plumes,  palettes,  encre  solide,  écritoires,  pin- 
ceaux; papiers  de  matières  diverses,  de  riz, 
d'écorce,  papyrus,  parchemin,  olles,  ou  tablettes 
écrites  sur  palmier,  cachots,  sceaux,  caractères 
d'imprimerie  et  ustensiles  (pour  la  Chine  et  le 
Japon)';  pierres,  terres  cuites,  bois,  feuilles 
ou  métaux  couverts  do  signes  d'écriture  et  d'hié- 
roglyphes, katouns,  etc. 

Ordre  IV.  Navigation,  sciences,  astronomie,  etc.  Genres,  etc.  : 
ustensiles  propres  à  la  navigation;  rames,  avi- 
rons, pagayes,  etc.,  voilure,  boussoles,  instru- 
ments divers,  etc.,  écopos  ;  instruments  pour 
observer  le  ciel,  optiques,  chambre  obscure; 
modèles  de  navires,  bateaux,  jonques,  pirogues, 
cajaks,  balancelles  (de  la  mer  du  Sud). 

Ordre  V.  Machines.  Genres,  etc.  :  métiers,  machines,  appa- 
reils;    coins,    leviers,    poulies,    vis;     navettes, 

\)  Si  quelqu'une  des  peuplades  possédait  des  livres,  ou  quelque  chose  d'ana- 
logue, c'est  dans  cette  série  qu'il  faudrait  les  placer. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  263 

fuseaux,  dévidoirs,  rouets,  étoiles,  etc.  Métiers 
à  tisser,  moulins ,  machines  d'irrig-ation  (modèles 
et  dessins). 

Ordre  IV.  Equitation.  Genres,  etc.  :  harnais,  équipement, 
brides,  mors,  selles,  étriers  en  bois  ou  en  métal. 

Ordre  Vil.  Matières  préparées  pour  les  arts.  Genres,  etc.  :  sub- 
stances employées  dans  les  arts  économiques  et 
chimiques;  matières  tinctoriales,  matières  miné- 
rales préparées. 

Ordre  VIII.  Métallurgie .  Genres ,  etc.  :  métaux  polis  (fer,  étain, 
argent)  ;  alliage. 

Ordre  IX.  Peinture  et  dessin.  Genres  et  espèces  :  peintures 
d'animaux,  etc.,  sur  peaux  —  dessins  représen- 
tant des  scènes  domestiques,  des  bâtiments_,  des 
paysages,  des  vues  diverses.  Boîtes  à  peinture, 
couleurs  préparées  pour  les  arts,  etc. 

Classe  VIII.  Musique. 

Ordre  I".  Instruments  de  percussion.  Gertres,  etc.:  cymbales, 
timbales,  tambours,  daraboukéh,  clochettes, 
triangles,  castagnettes,  gong,  etc. 

Ordre  II.  Instniments  à  vent.  Genres,  etc.  :  flûte  de  Pan,  trom- 
pettes, cors,  musettes,  flageolets,  fifres,  haut- 
bois. 

Ordre  III.  Instruments  à  cordes.  Genres,  etc.  :  violes  à  1  et 
2  cordes  ;  rebab ,  tympanons ,  luths ,  mandolines  , 
guitares^  lyres  à  3,  5,  7  cordes,  etc. 

Ordre  IV.  Chants  notés  :  (Ici,  comme  appendice,  certains 
chants  notés  par  les  voyageurs). 

Classe  IX.   Usages,  mœurs,   coutumes,  habitiales. 

Ordre  I".  Mariages.,  noces,  funérailles,  etc.  Genres,  etc.  :  céré- 
monies des  noces,  etc.  ;  —  deuil. 

Ordre  II.  Enfance,  éducation  plnjsique.  Genres,  etc.  :  jouets 
d'enfants,  instruments  pour  les  exercices;  dis- 
ques, cestes,  gants  de  bois;  l'arc  gymnastique 
en  fer. 


264 


LES    ORIGINES 


Ordre  III.  Fêtes  et  jeux.  Genres  et  e5/)èc(°5  :  cérémonies,  jeux 
divers;  amusements,  danses,  divertissements; 
usag-e  des  dés,  osselets_,  g-relots  ;  —  jeux  d'adresse, 
palets,  balles  ,  etc.  ;  —  dessins  des  jeux,  danses  , 
courses,  luttes. 

Ordre  IV.  Vsarjes.  Genres,  etc.  :  insignes,  cannes  des  chefs, 
bâtons  de  commandement  en  bambou,  liane, 
rotin;  sceptres,  diadèmes;  —  étuis  à  parfum, 
calumets,  —  pipes  et  fourneaux,  porte-pipes. 

Ordre  V.  Déguisements.  Genres,  etc.  :  costumes  fantastiques, 
masques,  mascarades;  —  tatouage. 

Ordre  YI.  Jeux  de  combinaison.  Genres,  etc.  :  jeux  de  calcul  et 
de  combinaison,  jetons,  mangaleh,  jeux  de  casse- 
tête,  damiers,  échiquiers,  trictrac  japonais. 

Ordre  YII.  Parures.  Genres,  etc.  :  1°  broderies,  écharpes,  cein- 
tures ,  bourses,  ceinturons,  tissus  en  perles  ;  ou- 
vrages en  plumes  ;  2"  colliers  en  griffes  d'ours , 
verroteries  ;  colliers  en  or,  nacre ,  gemme  ;  pen- 
dants d'oreilles,  chaînes  en  graines,  or,  ivoire; 
épingles  à  cheveux;  3°  bagues,  bracelets  (en 
métal,  coquilles);  anneaux  de  bras  en  ivoire, 
périscélides  ou  anneaux  de  jambes,  etc. 

Classe  X.  Religions,  cultes. 
Ordre  P'.  Idoles.   Genres  et  espèces  :  fétiches,  idoles,  figures 
des    divinités    locales    en    pierre,    bois,    métal, 
bronze,  tchakras,  plaques  sculptées,  etc. 
Ordre  II.  Superstitions.    Genres,  etc.   :  talismans,    amulettes, 

grigris,  etc. 
Ordre  III.  Modèles.  Genres,  etc.  :  1°  Modèles  d'autels,  trépieds, 
urnes,  etc. 
2°  Modèles  de  temples,  oratoires,  chapelles,  etc. 
Appendice.   Figures  clanhnaux. 
Figures  des  animaux  domestiques  ot  des  ani- 
maux sauvages ,  travaillés  par  les  natifs.  (Quadru- 
pèdes, oiseaux,  poissons,  etc.) 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  265 

Ici  se  joignent  les  objets  divers  se  rapportant  à 
l'usage  que  l'homme  fait  des  animaux  domestiques 
et  des  autres  espèces  d'animaux. 
Observation.  Pour  des  pays  comme  la  Chine  et  le  Japon,  qui 
sont  déjà  avancés  en  civilisation,  et  où  le  dessin  est  pratiqué , 
il  faut  réunir  les  peintures,  gouaches  et  dessins  des  indigènes, 
surtout  ceux  qui  sont  à  une  assez  grande  échelle,  attendu  qu'on 
y  voit  figurer  des  instruments  et  des  objets  rares  qu'on  ne  peut 
pas  toujours  se  procurer  en  nature  :  on  y  voit  aussi  des  cos- 
tumes, des  scènes  et  toutes  sortes  de  sujets  qui  montrent  claire- 
ment l'usage  qu'en  font  les  natifs'. 

1)  Voy.  Lettre  de  M.  de  SiebrAd  sur  VuliUlê  dei  musées  ethnographiques  et  sur 
l'importance  de  leur  création.  Paris,  DiipraL,  1843. 


CHAPITRE  XI 

Projet  restreint  de  1846.  —  Objections  de  Naudet;  le  projet  est  abandonné.  — 
Modifications  à  la  Bibliothèque  impériale  en  1854.  —  Nouveaux  projets  de 
Musée  d'Ethnographie  et  des  Voyages.  —  Pétition  da  Garcin  de  Tassy  et 
répoabe  qui  y  est  faite.  —  Nouvel  ajournement.  —  Dernier  mémoire  de  Jo- 
mard  sur  la  matière. 


^"  LXix 

CABINET  DD   MINISTRE,    GRAND    MAITRE    DE    l'uNIVERSITÉ 

NOTE  POUR    M.  LE  MINISTRE 

Paris,  le  13  novembre  1846. 

M.  le  ministre  a  décidé  en  1839  que  des  collections  ethno- 
graphiques, semblables  à  celles  qui  existent  dans  plusieurs  capi- 
tales de  l'Europe  feraient  partie  du  département  de  la  géogra- 
phie (à  la  Bibliothèque  royale). 

Cette  décision  n'a  pas  encore  reçu  son  exécution. 

Pour  l'exécuter,  il  faudrait  demander  aux  Chambres  les  fonds 
nécessaires  pour  payer  un  employé  el  acheter  quelques  armoires, 

M.  Jomard  fournirait  g-ratuitement  le  premier  fonds  de  la 
collection  que  des  dons  viendraient  rapidement  augmenter. 
S.  E.  consentirait-elle  à  demander  1,200  francs  pour  un  employé, 
3,000  francs  pour  des  armoires? 

En  marge  de  la  main  du  ministre. 

Demander  l'avis  de  M.  Naudet  en  lui  disant  que  cette  mesure  me  paraîtrait 
convenable  et  utile. 


268  LES    ORIGINES 

N»  LXX 

2^  DIVISION  MINISTÈRE    DE    LINSTRUCTION    PUBLIQUE 

l"'   Bureau.  -  Pans,  le  11  décembre  1846. 

Le  Ministre,  etc. 
A  Monsieur  le  directeur  de  la  Bibliothèque  royale. 

Monsieur  le  Directeur, 

J'avais,  dès  1839,  décidé  que  dos  collections  etlmor/raphigiies 
semblables  à  celles  qui  existent  dans  plusieurs  capitales  de  l'Eu- 
rope, feraient  partie  du  département  de  la  géographie  à  la 
Bibliothèque  royale. 

Pour  réaliser  cette  décision,  qui  n'a  reçu  jusqu'ici  aucun  com- 
mencement d'exécution,  de  nouveaux  fonds  seraient  nécessaires 
et  je  serais  disposé  à  les  demander. 

Je  ne  le  ferais  toutefois,  que  dans  le  cas  où  votre  avis  serait 

favorable  à  une  mesure  qui  m'a  toujours  paru  convenable  et 

utile,  et  sur  laquelle  je  viens  aujourd'hui  vous  prier  de  me  faire 

connaître  votre  opinion. 

Agréez,  etc. 

Le  Ministre,  etc. 

Salvandy. 


N"  LXXI 


DIRECTION    DE    LA    BIBLIOTHÈQUE    ROYALE 

Paris,  le  16  décembre  1846. 
Monsieur  le  Ministre, 
J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire 
le  11  de  ce  mois  pour  me  demander  un  avis  au  sujet  d'un  Musée 
ethnographique  à  établir  dans  la  Bibliothèque   royale  comme 
annexe  du  4"  département. 

Cette  question  a  été  traitée  d'une  manière  très  approfondie 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  269 

par  le   Conservaloire   et  par  le    directeur   de   la  Bibliothèque 

en  1833. 

Je  ne  puis  que  me  référer  à  l'avis  unanime  du  Conservatoire 
et  au  rapport  très  pertinemment  motivé  de  mon  prédécesseur, 
que  je  vous  prie  de  vouloir  bien  vous  faire  représenter*. 

Je  ne  puis  qu'ajouter  la  considération  des  circonstances  pré- 
sentes, qui  donnent  une  nouvelle  force  aux  conclusions  adoptées 
en  1833.  L'insuffisance  du  personnel  pour  les  services  de  pre- 
mière nécessité,  l'encombrement  de  toutes  les  parties  du  bâ- 
timent par  les  dépôts  amassés  en  une  quantité  immense  depuis 
treize  ans  et  les  réclamations  très  justes  de  tous  les  conservateurs 
pour  un  accroissement  des  lieux  mis  à  leur  disposition,  qui  ne 
peuvent  plus  contenir  leurs  collections,  bien  plus  intéressantes 
que  les  curiosités  ethnographiques,  auxquelles  il  faudrait  un 
vaste  emplacement  K 

Agréez,  Monsieur  le  Ministre,  l'hommage  de  mon  respect. 

Naudet. 


N«  LXXII 

RAPPORT    A    l'empereur 

Sire, 

Des  pertes  regrettables  survenues  dans  les  rangs  secondaires 
de  l'administration  de  la  Bibliothèque  Impériale  laissent  libres 
des  fonds  qui  pourraient  être  appliqués,  dès  à  présent,  à  rendre 
à  quelques  parties  affaiblies  de  ce  service  important  une  impul- 
sion plus  directe  et  plus  vive.  J'ai  l'honneur  de  soumettre  à 
l'approbation  de  Votre  Majesté  un  ensemble  de  dispositions-  qui 
donneraient  une  satisfaction  immédiate  aux  intérêts  les  plus 
dignes  de  sa  sollicitude. 

La  première  de  ces  dispositions  ferait  revivre  la  séparation  en 
deux  départements  différents  du  département  mixte  des  estampes, 
cartes  et  plans.  Cette  distinction,  déjà  consacrée  deux  fois  par 

\)  Voyez  plus  haut,  n°  LVIIi. 

2)  Une  noie  du  clief  i]e  cabinet,  annexée  à  celle  {jièce,  résume  la  lettre  de 
Naudet  et  conclut  dans  le  même  sens. 


270  LES    ORIGINES 

les  ordonnances  du  2  novembre  1828  et  du  22  février  1829, 
répondrait  aujourd'hui  à  un  besoin  impérieux. 

Au  moment  oii  des  luttes  lointaines  appellent  nos  armées  et 
nos  flottes,  où  les  relations  de  notre  commerce  n'ont  plus  de 
limites  que  celles  du  globe,  tous  les  intérêts  se  réunissent  pour 
nous  commander  de  seconder  le  progrès  des  sciences  géogra- 
phiques. En  faisant  des  collections  qui  s'y  rattachent,  l'objet  d'un 
département  unique,  placé  sous  une  direction  spéciale,  Votre 
Majesté  voudra  donner  à  ces  études  un  encouragement  nouveau 
et  jeter  en  môme  temps  les  bases  de  ce  Musée  de  l'Ethnographie 
et  des  VoyageSj  dont  les  premiers  éléments  ont  été  déjà  réunis, 
dont  le  plan  sera  courageusement  poursuivi  par  un  vétéran  de 
la  science,  par  le  dernier  survivant  de  ces  explorateurs  illustres 
que  l'auguste  fondateur  de  votre  dynastie  avait  conduits  en 
Egypte. 

Il  ne  sera  pas  moins  digne  de  Votre  Gouvernement  de  remettre 
les  deux  départements  des  manuscrits  et  des  médailles  en  posses- 
sion de  leur  organisation  première,  etc. 

(Suit  un  décret  du  31  août  1854,  par  lequel  sont  notamment  attachés  aux 
départements  des  caries  et  collections  géographiques  un  conservateur,  M.  Jomard, 
et  deux  conservateurs  adjoints,  M.  de  Pongeville  et  M.  Frank.) 

Par  l'Empereur  : 

Le  Ministre,  Secrétaire  d'État  au  département  de 
t Instruction  publique  et  des  Cultes, 

H.    FOURTOU. 


N"  LXXIII 


A   M.   Fourtou,   ministre,  secrétaire  d'Etat  au  département  de 
rinstrttction  publique  et  des  Cultes. 

Paris,  le  11  novembre  1854. 
Monsieur  le  Ministre, 
Permettez-moi  de  vous  parler  encore  un  instant  de  la  subdivi- 
sion et/mof/raphique  à  créer  au  département  des  cartes  et  collec- 
tions géographiques  de  la  Bibliothèque  Impériale. 

Depuis  1838,  époque  à  laquelle  MM.  Edwards,  de  Santaremet 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  271 

moi,  joints  à  quelques  autres  savants,  nous  fondâmes,  à  Paris, 
la  Société  Ethnologique,  je  me  suis  souvent  cnlrelonu  avec  mon 
respectable  confrère,  M.  Jomard,  de  l'importance  d'un  musée 
ethnographique  pour  le  département  des  cartes,  et  il  a  manifesté, 
toutes  les  fois,  l'intention  de  saisir  la  première  occasion  favorable 
pour  demander  l'établissement  de  ce  musée  et  me  désigner  pour 
en  être  le  conservateur. 

Votre  Excellence  a  bien  senti  que  le  musée  dont  il  s'agit  est 
le  complément  des  collections  géographiques  ;  aussi,  dans  sou 
rapport  àl'Empereur,  en  date  du  31  août  dernier',  mentionne-t-il 
le  Musée  Ethnographique  et  des  Voyages  «  dont  les  premiers 
éléments  ont  été  déjà  réunis  et  dont  le  plan  sera  courageusement 
poursuivi  ». 

Il  ne  manque,  ce  semble,  qu'une  personne  spécialement 
chargée  de  cette  branche  si  importante  des  sciences  géogra- 
phiques, pour  que  ce  musée  prenne  tout  de  suite,  ne  serait-ce 
que  par  les  cadeaux  qui  ne  manqueront  pas  d'arriver  de  tous 
côtés,  une  certaine  extension,  en  attendant  le  développement 
qu'il  est  nécessairement  destiné  à  avoir.  Il  serait  fâcheux  que  la 
France  continuât  à  rester,  sur  ce  point  seul,  en  arrière  des  autres 
pays  et  que,  tandis  qu'à  Londres^  à  New- York,  à  Stockholm  et 
ailleurs,  il  y  a  de  belles  collections  ethnographiques,  Paris  en 
fut  dépourvu. 

Si  Votre  Excellence  daignait  me  nommer  conservateur-adjoint 
au  département  des  cartes  de  la  Bibliothèque  Impériale  pour  la 
conservation  du  Musée  Ethnographique,  il  me  serait,  je  crois, 
possible,  d'accord  avec  mon  respectable  confrère  M.  Jomard, 
de  m'entendre  avec  l'architecte  de  la  Bibliothèque  pour  obtenir, 
avant  les  constructions  nouvelles,  quelques  salles  provisoires, 
et,  tandis  que  mes  correspondances  lointaines  et  variées  me 
procureraient  des  objets  curieux,  ma  connaissance  ethnologique 
des  langues  de  l'Orient  me  donnerait  la  facilité  de  classer  les 
plus  précieux. 

A  ces  considérations  d'intérêt  général,  j'oserai,  Monsieur  le 

1)  Voyez  plus  haut,  n°  LXXII. 


272  LES    ORIGINES 

Ministre,  en  ajouter  de  personnelles.  Je  ne  suis  pas  professeur 
au  Collèg^e  de  France,  quoique  j'en  aie  rempli,  pendant  cinq 
années,  les  fonctions  à  plusieurs  reprises,  et  je  n'ai  que  ma 
modeste  chaire  d'hindoustani  créée  à  la  demande  de  mon  illustre 
maître  et  ami,  le  baron  de  JSacy. 

Je  suis  avec  respect,  Monsieur  le  Ministre^  de  Votre  Excel- 
lence, le  très  humble  serviteur, 

Garcin  de  Tassy, 

P. -S.  —  Je  prends  la  liberté  de  rappeler  à  Monsieur  le  Ministre 
mon  ami,  M.  Eichhoff,  pour  la  quatrième  année  des  études  à 
organiser  à  l'Ecole  normale. 


N*^  LXXIV 

Paris,  le  12  décembre  1854. 

A  M.   Garcin  de  Tassy,  professeur  à  l'École  Impériale 
des  Langues  Orientales. 

Monsieur, 

J'ai  pris  connaissance  de  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'hon- 
neur de  m'adresser  touchant  les  améliorations  qui  vous  parais- 
sent pouvoir  être  apportées  au  service  du  département  des  cartes 
géographiques  à  la  Bibliothèque  Impériale. 

Les  vues  que  vous  m'avez  exposées  rentrent  tout  à  fait  dans 
les  développements  que  je  songe  à  donner  au  département  des 
caries  géographiques.  Mais  la  réalisation  de  mes  projets  est 
subordonnée  à  des  éventualités  que  j'espère  voir  se  présenter 
assez  prochainement  et  dont  je  compte  avoir  l'occasion  de  vous 
entretenir. 

En  attendant,  je  vous  remercie  de  m'avoir  communiqué  vos 
idées  sur  un  point  qui  mérite  tout  mon  intérêt. 

Agréez,  etc. 

H.    FOURTOU. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  273 

N°  LXXV 

CLASSIFICATION  MÉTHODIQUE  DES  PRODUITS  DE  l'lNDUSTRIE  EXTRA- 
EUROPÉENNE OU  OBJETS  PROVENANT  DES  VOYAGES  LOINTAINS,  SUIVIE 
DU  PLAN  DE  LA  CLASSIFICATION  d'uNE  COLLECTION  ETHNOGRAPHIQUE 
COMPLÈTE, 

FAR    M.    JOMAKD  '. 

L^Ethnographie  est  une  science  encore  nouvelle,  dontles  limit  s 
ne  sont  pas  arrêtées  d'une  façon  très  précise  ;  la  définition  de  ce 
mot  n'est  pas  sans  difficulté.  Cependant  Ton  ne  doit  pas  s'écarter 
de  la  vérité  absolue  en  l'appelant  la  science  ou  la  connaissance 
de  l'homme,  en  la  considérant  sous  ses  trois  aspects  principaux, 
comme  : 

L'étude  de  l'homme  dans  son  langage  ; 

L'étude  de  Thomme  dans  sa  constitution  physique  ; 

L'étude  de  l'homme  dans  l'œuvre  de  son  intelligence  et  dans 
celles  de  son  industrie. 

De  ces  trois  ordres  d'idées,  de  ces  trois  branches  d'un  aussi 
important  sujet,  nous  ne  voulons  aujourd'hui  toucher  qu'à  la 
dernière,  celle  qui  présente  le  moins  de  complication  ;  elle 
renferme  une  sorte  de  fil  conducteur,  qu'il  suffit  en  quelque 
sorte  de  saisir  pour  être  sur  de  ne  pas  s'égarer;  c'est  à  savoir 
la  connaissance  des  besoins  primitifs  de  l'homme,  soit  isolé,  soit 
en  société.  Nous  ferons  ici  usage  de  la  méthode  des  naturalistes, 
qui  réunit  les  avantages  de  l'analyse  à  ceux  de  la  synthèse, 
c'est-à-dire  àeVordre,  qui  met  chaque  chose  à  sa  place  et  l'y  fixe 
invariablement.  On  trouvera  peut-être  que  la  partie  matérielle 
de  l'Ethnographie  ne  mérite  pas,  à  un  bien  haut  degré,  l'attention 
des  hommes  de  science  et  d'étude;  mais  nous  devons  laisser  aux 
hommes  spéciaux  le  soin  de  traiter,  les  uns  Timmense  question 
de  la  linguistique,  les  autres  le  sujet  non  moins  difficile  de  l'an- 
thropologie proprement  dite  et  de  l'anatomie  humaine. 

Les  besoins  de  l'homme  et  les  fruits  de  son  industrie,  tel  est 

1)  Reproduction  d'une  brochure  parue  en  1862  chez  Challamel  aîné  et  extraite 
en  partie  de  la  Revue  orientale  et  américaine.  C'est  le  dernier  écrit  de  l'auteur, 
mort  celte  même  année,  le  23  septembre,  à  l'âge  de  quatre-vingt-cinq  ans.     (E.  H.) 

18 


274  LES    ORIGINES 

l'unique  sujet  que  nous  voulons  envisager  ;  mais  comme  les 
objets  qui  doivent  être  énumérés  sont  nombreux  et  très  divers, 
il  est  indispensable  de  les  soumettre  à  une  classification  métho- 
dique aussi  rigoureuse  que  possible  ;  c'est  donc  selon  le  système 
suivi  en  histoire  naturelle  que  nous  allons  procéder. 

Nous  divisons  les  objets  dont  il  s'agit  en  dix  classes*,  qui 
embrassent  à  peu  près  la  totalité  des  objets  d'étude  qui  se  pré- 
sentent à  l'observateur  en  voyage,  et  qui  satisfont  en  réalité  au 
besoin  d'une  classification  complète.  L'expérience,  en  effet,  nous 
a  montré  que  tout  objet  trouve  sa  place  marquée  dans  une  classe 
spéciale,  celle  à  laquelle  il  appartient  d'après  la  méthode. 

En  tète  de  la  nomenclature  se  trouve  naturellement  une  série 
spéciale  (la  première  classe),  consacrée  à  la  représentation  de  la 
figure  humaine.  En  outre  des  dessins  que  d'habiles  artistes  savent 
tracer  avec  fidélité,  on  sait  qu'il  y  a  dans  divers  pays,  dans  l'Inde 
par  exemple,  des  indigènes  qui  se  livrent,  non  sans  succès,  à 
l'imitation  des  portraits,  à  la  composition  même  des  figures  et 
figurines  entières,  en  relief,  avec  le  type  original  de  la  physio- 
nomie, et  qui  les  habillent  selon  leur  condition,  leur  caste,  leur 
profession,  donnant  à  chacun  le  teint  de  sa  race  et  son  caractère 
distinctif.  Ces  sortes  de  représentations  sont  préférables  à  toutes 
les  autres,  et  ne  le  cèdent  qu'à  des  collections  de  crânes  d'origine 
authentique  ;  celles-ci  forment  le  premier  ordre  de  la  première 
classe^  celles-là,  le  second  ;  les  simples  dessins  et  peintures 
forment  le  troisième  ordre  ;  tous  trois  se  divisent  en  plusieurs 
genres  et  espèces. 

La  seconde  classe  se  rapporte  aux  arts  qui  servent  à  procurer 
la  nourriture  ;  elle  se  divise  aussi  en  trois  ordres  :  la  chasse,  la 
pêche,  l'agriculture;  chacun  d'eux  se  subdivise  en  un  certain 
nombre  de  genres  et  ^'espèces  qu'il  serait  trop  long  ici  de  d'écrire 
ou  même  d'énumérer. 

Après  la  nourriture,  le  premier  besoin  physique  de  l'homme, 
vient  la  nécessité  de  se  mettre  à  Tabri  de  l'intempérie  des 
saisons  ;  ce  sont  les  arts  qui  servent  à  le  couvrir,  à  le  vêtir  : 
trois  ordres  composent  aussi  cette  troisième  classe,  ils  se  rappor- 

1)  Voy.  bocumcnls,  pièce  n"  LXVIII. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  27S 

tent  au  vêtement  du  corps,  à  celui  de  la  tête  et  à  l'art  de  la 
chaussure.  On  ne  parle  pas  ici  de  la  parure,  dont  le  goût  suppose 
le  luxe,  c'est-à-dire  une  période  plus  avancée  et  qui  fait  un  des 
objets  de  la  classe  neuvième  (usages,  mœurs  et  habitudes).  Les 
trois  ordres  se  divisent  aussi  en  un  grand  nombre  de  genres  cl 
d'espèces. 

La  quatrième  classe  a  la  même  destination,  celle  de  mettre 
l'homme  encore  mieux  à  l'abri  des  injures  du  temps  (ou  la  pluie, 
ou  le  vent,  ou  la  neige,  selon  la  contrée  et  la  saison),  mais  elle 
suppose  un  nouveau  progrès  dans  la  civilisation  ;  en  un  mot, 
ce  sont  les  arts  qui  servent  au  logement,  à  l'habitation,  depuis 
la  tente  et  la  case  jusqu'à  la  maison,  et  à  toute  espèce  de  cons- 
truction et  de  bâtiment.  Les  divers  ordres  de  cette  classe  consis- 
tent en  modèles  de  maisons,  matériaux,  outils  ou  instruments  ; 
beaucoup  de  genres  et  d'espèces  sont  compris  sous  ces  trois 
ordres. 

La  cinquième  classe  est  une  des  plus  étendues  ;  c'est  parce 
qu'elle  se  rapporte  aux  besoins  de  l'homme  de  plus  en  plus 
avancé  dans  les  arts  primitifs  :  c'est  l'économie  domestique.  Six 
ordres  distincts  composent  cette  classe  :  les  vases,  les  meubles  à 
usage  divers,  les  outils  servant  à  diviser,  les  différents  instru- 
ments, les  meubles  en  général,  enfin  les  objets  de  luxe  ou  d'agré- 
ment. On  comprend  pourquoi  il  y  a  beaucoup  de  sous-divisions 
dans  cette  classe. 

La  classe  sixième  aurait  peut-être  pu  prendre  le  pas  devant 
plusieurs  des  précédentes;  elle  se  rapporte  à  la  défense  de 
l'homme  :  c'est  un  besoin  primitif;  l'homme,  en  présence  des 
bêtes  fauves,  n'étant  point  armé  contre  elles  par  la  nature,  nu  et 
bien  plus  faible,  a  eu  besoin,  dès  Torigiue,  d'y  suppléer  par  des 
armes  artificielles  ;  mais  il  n'a  pas  connu  tout  de  suite  les  métaux, 
et  encore  moins  l'art  d'en  tirer  parti  ;  aussi  a-t-il  dû  en  souffrir 
pendant  bien  des  siècles.  Nous  n'avons  donc  fait  apparaître  qu'au 
sixième  rang  les  armes  défensives  et  les  armes  offensives,  ima- 
ginées par  l'homme  contre  les  animaux  féroces. 

Classe  septième.  Les  arts  se  multipliant  avec  l'expérience  de 
la  pratique,  la  dextérité  de  l'homme  faisant  chaque  jour  des 


276  LES    ORIGINES 

progrès,  est  née  l'industrie  proprement  dite  ;  bientôt  l'intelligence^ 
qui  est  propre  à  l'espèce  humaine,  a  conduit  aux  premiers  éléments 
des  sciences  :  les  échanges  ont  nécessité,  ont  amené  l'art  de 
compter,  de  peser^  de  mesurer  ;  le  calcul  a  conduit  ensuite  au 
dessin,  puis  à  la  peinture  de  la  parole,  enfin  à  l'écriture. 

Plus  le  genre  humain  a  marché  en  avant,  dans  cette  voie  de 
progrès  et  de  civilisation  (la  population  d'ailleurs  s'accroissant 
toujours),  plus  le  nombre  des  arts  s'est  accru.  Aussi,  cette 
septième  classe  a  plus  d'extension  que  les  autres  ;  nous  y  comp- 
tons jusqu'à  neuf  ordres  :  écriture,  comptes  et  calculs,  commerce, 
peinture  et  dessin,  substances  employées  dans  les  arts,  métallur- 
gie, machines,  navigation;  bientôt  le  ciel  a  été  observé.  Puis, 
l'homme  s'est  assujetti  le  cheval,  et  a  trouvé  l'art  de  l'équitation  ; 
ces  neuf  ordres  comprennent  un  grand  nombre  à'espcces. 

Il  est  une  autre  branche  des  arts,  la  musique,  tout  à  fait  en 
dehors  des  sept  classes  précédentes,  et  qui  est  une  des  attributions 
spéciales  de  l'homme,  qui  appartient  à  lui  seul,  comme  le  don 
d'articuler  la  parole  ;  en  un  mot,  c'est  le  chant  y  véritable  origine 
de  la  musique.  La  nature  en  a  doté  l'homme,  afin  qu'il  puisse 
exprimer  sa  douleur  ou  sa  joie,  ses  sentiments,  ses  passions,  ses 
affections,  ses  désirs.  11  n'est  pas  une  nation  chez  qui  Ton  n'ait 
pas  observé  ce  don  de  la  parole  chantée.  On  trouve  aussi  partout 
des  instruments  imaginés  par  l'homme  pour  accompagner  sa 
voix,  ou  bien  pour  donner  un  signal,  ou  bien  pour  embellir  des 
jeux  et  des  danses,  ou  enfin  pour  célébrer  des  fêtes  et  des  céré- 
monies. Les  instruments  de  percussion,  les  instruments  à  vent, 
les  instruments  à  cordes,  constituent  les  trois  ordres  de  cette 
huitième  classe,  consacrée  à  la  musique,  faculté,  comme  nous 
l'avons  dit,  tout  à  fait  distincte  et  à  part. 

Nota.  Les  chants  notés  sont  un  appendice  nécessaire  de  la 
huitième  classe. 

Classe  neuvième.  La  classe  qui,  par  sa  nature,  devait  être  et 
est,  en  effet,  des  plus  considérables,  est  la  neuvième,  celle  qui 
se  rapporte  aux  usages,  aux  mœurs,  aux  habitudes .  Elle  se  divise 
en  sept  ordres,  partagés  eux-mêmes  en  beaucoup  de  gemmes  et 
d'espèceSf  savoir  :  objets  qui  servent  dans  les  fêtes  relatives  aux 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  277 

principales  époques  de  la  vie,  la  naissance,  le  mariage,  la  mort; 
l'éducation  physique,  savoir  les  exercices  et  appareils  qui  s'y 
appliquent  ;  les  jeux  et  les  fêtes,  les  jeux  de  combinaison,  la  pa- 
rure ;  enfin  les  usages  divers,  par  exemple  :  tatouage,  masca- 
rades, etc. 

La  classe  dixième  eiàermhYe,  classée  à  part,  complète  le  tableau  ; 
elle  répond  à  un  besoin  qui  existe  chez  toutes  les  nations  de  la 
terre,  le  besoin  religieux.  Partout  l'homme  reconnaît  l'existence 
d'un  être  supérieur  et  tout-puissant  ;  consensus  omnium  popu- 
lorum  prohat  deum  esse,  dit  Cicéron.  Mais,  à  côté  de  cette  idée 
universelle,  habitent  la  superstition  et  l'idolâtrie.  Les  objets 
matériels  qui  se  rapportent  à  la  religion,  au  culte,  même  à  la 
superstition,  doivent  être  recueillis  avec  soin,  tels  que  les  amu- 
lettes, les  fétiches,  les  talismans  et  les  idoles. 

L'homme  est  appelé  vulgairement  le  roi  de  la  nature  parce 
qu'il  a  dompté,  parce  qu'il  a  domestiqué  un  petit  nombre 
d'animaux,  parce  qu'il  les  fait  servir  à  ses  besoins.  Bien  que 
cette  expression  soit  un  peu  exagérée,  il  est  de  fait  que  ses 
rapports  avec  ceux-ci  ne  permettent  pas  de  les  négliger  tout  à 
fait,  dans  cette  sorte  de  tableau  général  de  la  statistique  humaine. 
L'homme  les  a  rendus  domestiques  ;  il  en  a  fait  quelquefois  des 
amis  ;  il  les  a  même  acclimatés  dans  des  contrées  oii  ils  n'avaient 
jamais  vécu.  On  peut  donc  consacrer  un  appendice  à  une  série 
de  figures,  représentant  les  principaux  animaux  domestiques  de 
chaque  pays,  considérés  comme  les  auxiliaires  et  les  compa- 
gnons de  l'homme. 

Je  demande  ici  la  permission  de  reproduire  des  réflexions 
déjà  un  peu  anciennes,  mais  qui  sont  fort  peu  connues,  et  qui 
serviront  d'éclaircissements  à  tout  ce  qui  précède  ''. 

Puis-je  terminer  ces  réflexions  sur  la  branche  la  moins  savante 
de  l'Ethnographie,  savoir  les  collections  matérielles,  sans  rap- 
peler au  moins,  par  quelques  mots,  le  but  élevé  que  se  propose 
la  science  nouvelle,  bien  comprise,   sans  dire  sa  haute  portée 

1)  Jomard  reproduit  ici  les  paragraphes  1  et  2  de  sa  Lettre  à  Siebold  de 
1845.  —  Cf.  Documents,  pièce  n°  LXVIII. 


278  LES    ORIGINES 

sociale  el  son  influence  probable  sur  la  civilisation,  sur  les 
progrès  de  l'iiumanilé  ?  N'est-il  pas  vrai  que  quand  les  hommes 
se  connaîtront  plus,  ils  pourront  et- sauront  mieux  s'apprécier. 
De  toutes  les  barrières  qui  séparent  les  peuples,  il  n'en  est  pas 
de  plus  difficile  à  franchir  que  la  difîérence  des  langues  (car 
aujourd'hui  la  distance,  l'espace  n'est  plus  rien)  ;  l'Ethnographie 
peut  y  réussir  un  jour.  On  a  beaucoup  parlé,  au  temps  de  l'abbé 
de  Saint-Pierre,  et  depuis  cent  cinquante  ans,  de  la  paix  perpé- 
tuelle :  Jean-Jacques  en  parlait  aussi,  et,  aujourd'hui,  il  existe 
en  Angleterre  une  Société  des  Amis  de  la  Paix,  qui  professe 
celte  doctrine  ;  mais  rien  n'annonce  que  ces  vœux  soient  prêts 
à  se  réaliser  :  qui  sait  si  les  travaux,  les  découvertes  des  Ethno- 
graphes ne  conduiront  pas  un  jour  à  ce  but  désiré  ?  Que  les 
hommes,  je  le  répète,  se  connaissent  plus:  ils  s'estimeront,  et 
peut-être  s'aimeront  davantage. 


CHAPITRE  XII 

Création  d'un  Muséum  ethnographique  des  Misaions   scientifiques.  —  Exposi- 
tion provisoire  d'une  partie  des  collections  au  Palais  de  l'Industrie, 


No  LXXVI 
RAPPORT 

AU  MINISTRE  DE  l'iNSTRUCTION  PUBLIQUE,  DES  CULTES  ET  DES 
BEAUX-ARTS ' 

Paris,  le  2  novembre  1877. 
Monsieur  le  ministre, 

J'ai  l'honneur  de  proposer  à  Votre  Excellence  de  fonder  un  éta- 
blissement scientifique  nouveau  qui  s'appellerait  Muséum  ethno- 
graphique des  Missions  scientifiques. 

Dans  le  projet  que  j'ai  l'honneur  de  vous  soumettre,  je  me 
suis  efforcé  de  me  conformer  aux  règlements  qui  ont  déterminé 
les  attributions  des  divers  musées,  et  j'ai  cru  devoir  rattacher 
cette  institution  à  la  Commission  consultative  des  Missions 
scientifiques  qui  a  déjà  rendu  à  votre  administration  de  si  utiles 
services. 

L'établissement  projeté,  au  lieu  d'avoir  pour  objet  l'art,  serait 
exclusivement  consacré  à  la  science,  et  devrait  être  en  grande 
partie  alimenté  par  les  missions  entreprises  aux  frais  de  l'Etat. 
Il  importe  même,  avant  tout,  d'établir  les  besoins  impérieux  aux- 
quels répondrait  cette  fondation  et  le  caractère  essentiel  qui  la 
distinguerait  des  établissements  analogues.  Depuis  qu'il  a  été 
institué  auprès  du  Ministre  de  l'Instruction  publique  une  com- 
mission chargée  de  donner  son  avis  sur  les  demandes  de  missions 

i)  Journal  officiel  du  19  novembre  1877. 


280  LES    ORIGINES 

scientifiques,  des  travaux  nombreux  ont  été  accomplis  par  les 
savants  auxquels  des  missions  avaient  été  confiées. 

Parmi  les  instructions  données  par  Votre  Excellence  à  nos 
voyageurs,  il  leur  est  spécialement  recommandé  de  recueillir 
soit  en  France,  soit  à  l'étranger,  des  collections  de  toute  nature 
et  qui  intéressent  toutes  les  branches  de  la  science. 

MM.  Wiener,  de  Cessac,  Ilarmand,  de  Ujfalvy,  Marche,  Gre- 
vaux,  Delaporte  et  bien  d'autres,  en  se  conformant  à  ces  instruc- 
tions, ont  obtenu  des  résultats  qui  ont  dépassé  toutes  nos  espé- 
rances. Des  collections  de  grande  valeur  ont  été  réunies.  L'ethno- 
graphie a  particulièrement  été  l'objet  de  reclierches  actives  et 
de  découvertes  précieuses.  Le  nombre  des  objets  ethnographiques 
est  considérable.  Les  dons  des  particuliers  sont  déjà  venus  se 
joindre  à  ces  richesses,  et  TEtat  lui-même  a  acquis  des  collec- 
tions qui  les  ont  encore  augmentées. 

Dans  l'ordre  des  libéralités  des  particuliers,  je  vous  signalerai, 
Monsieur  le  ministre,  le  don  très  important  que  M.  Angrand 
déclare  vouloir  faire  à  l'Etat,  représenté  par  le  Ministre  de  l'Ins- 
truction publique,  d'une  collection  ambitionnée  par  des  puis- 
sances voisines  et  que,  dans  les  circonstances  actuelles,  il  est 
urgent  d'accepter  :  les  dons  de  M.  Quesnel  au  Pérou,  Carlo 
Lansberg  en  Syrie,  Harmsen  à  Java,  etc.,  etc.  *. 

Le  grand  nombre  et  la  valeur  des  collections  ethnographiques 
appartenant  aujourd'hui  à  l'État  rendent,  ce  me  semble,  évidente 
la  nécessité  de  créer  un  établissement  spécial  qui  les  puisse 
contenir  et  où  les  hommes  de  science  les  consulteraient  à  loisir. 

L'utilité  des  travaux  ethnographiques  ne  peut,  en  aucun  cas, 
être  contestée  par  personne  et  il  n'est  pas  contestable  non  plus 
que  leur  développement  se  soit  révélé  depuis  quelques  années 
d'une  manière  toute  particulière. 

Comme  le  dit  justement  M.  Worsaae,  ministre  de  l'Instruction 

1)  La  collection  de  M.  Quesnel,  dont  il  est  ici  fait  mention,  se  composait  de 
huit  caisses  qui  venaient  d'être  envoyées;  celle  de  M.  Lansberg  comprenait 
une  petite  série  d'antiquités  de  mince  valeur  trouvées  en  Syrie  ;  ces  deux  collec- 
tions étaient  entre  les  mains  de  l'administration;  mais  celle  de  M.  Harmsen  était 
devenue,  on  l'a  vu  plus  haut,  la  propriété  du  musée  Berlhoud,  à  Douai.  (E.  H.) 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  281 

publique  en  Danemark,  et  qui  a  fondé  à  Copenhague  un  des 
plus  beaux  musées  ethnographiques  de  l'Europe,  l'ethnographie 
et  l'archéologie  préhistorique  qui  en  est  inséparable  doivent 
arriver  à  donner  tous  les  éclaircissements  désirables  sur  la  pro- 
pagation des  premières  populations  sur  la  terre,  et  entre  autres 
sur  la  première  colonisation  de  l'Europe,  soit  qu'elle  provienne 
de  l'Asie  ou  de  l'Afrique,  ce  qui  est  encore  un  des  grands  sujets 
de  controverse.  On  doit  se  préparer,  dans  les  nouveaux  musées 
ethnographiques,  à  fournir  les  matériaux  les  plus  complets  qui 
permettent  d'établir  des  comparaisons  illimitées  entre  les  degrés 
de  civilisation  primitive  des  populations  existantes  ou  éteintes 
du  monde  entier. 

L'ethnographie,  l'anthropologie  et  les  études  préhistoriques 
sont  autant  de  sciences  nouvelles  dont  les  progrès  rapides  et 
constants  sont  en  majorité  dus  aux  savants  français.  L'ethno- 
graphie seule  n'a  été  jusqu'ici  ni  favorisée  ni  propagée.  Cette 
jeune  science  cependant  jette  un  jour  nouveau  sur  la  géographie 
qu'elle  vivifie  et  sur  les  études  préhistoriques.  Ce  serait  une 
garantie  à  lui  offrir  que  de  la  comprendre  dans  la  distribution 
des  faveurs  de  l'État.  C'est  aussi  un  témoignage  d'estime,  une 
sorte  de  protectorat,  un  haut  encouragement  enfin  à  donner  aux 
savants  qui  la  mettent  en  lumière  à  l'aide  d'efforts  si  soutenus 
et  qui  ont  obtenu  de  si  brillants  résultats. 

Les  services  considérables  que  peut  rendre  cette  science  sont 
étroitement  liés  à  la  fondation  que  j'ai  l'honneur  de  proposer  à 
Votre  Excellence.  Les  richesses  nouvelles  et  multiples  qu'elle 
nous  apporte  sont  d'une  nature  exceptionnelle  ;  il  lui  faut  un  local 
et  une  organisation  exceptionnels. 

A  Douai  (musée  Berthoud);  à  Lille,  à  Boulogne,  au  Havre, 
à  Caen,  à  Bordeaux,  à  Orléans  et  dans  un  grand  nombre  de  villes 
de  l'étranger,  il  existe  un  musée  d'ethnographie.  A  Paris,  ces 
objets  d'étude  sont  dispersés,  perdus  soit  dans  l'ensemble  du 
Musée  de  la  Marine,  du  Musée  de  Saint-Germain,  du  Muséum 
d'Histoire  naturelle  ou  dans  d'autres  établissements.  Cette  dis- 
persion des  éléments  constitutifs  de  l'ethnographie  décourage 
nos  voyageurs  en  détruisant  l'unité  de  leurs  recherches  et  lapos- 


282  LES    ORIGINES 

sibilité  de  comparer  entre   eux  les   divers  écliantillons  ethno- 
graphiques ou  les  spécimens  similaires  des  différents  peuples. 

Réunis  dans  un  même  local,  classés  avec  une  méthode  sévère, 
répartis  en  différentes  sections,  suivant  la  nature  des  missions 
et  la  situation  géographique  des  pays  explorés,  ces  objets  ana- 
logues ou  identiques,  recueillis  dans  des  contrées  différentes, 
offriraient  par  leur  nombre,  leur  diversité,  leur  groupement  une 
facilité  d'études  dont  les  hommes  de  travail  seraient  reconnais- 
sants à  Votre  Excellence. 

Dans  l'arrêté  que  j'ai  l'honneur  de  placer  sous  vos  yeux,  Mon- 
sieur le  ministre,  j'ai  essayé  de  sauvegarder  les  prérogatives  et 
les  spécialités  de  chacun  des  établissements  qui  existent  déjà.  La 
création  que  je  propose  ne  porterait  aucune  atteinte  à  leurs  droits 
ni  à  leurs  intérêts.  Le  Muséum  ethnographique,  en  effet, 
n'aurait  aucune  des  attributions  qui  distinguent  les  autres  éta- 
blissements du  même  ordre. 

Dans  le  Musée  d'Anthropologie,  l'homme  est  étudié  en  lui- 
même  et  comme  créature.  Dans  le  Musée  d'Ethnographie,  au 
contraire,  c'est  comme  créateur  qu'il  est  étudié.  Ce  sont  ses 
efforts  pour  vaincre  les  forces  de  la  nature,  pour  améliorer  sa 
situation,  pour  atteindre  le  progrès,  qui  sont  mis  sous  les  yeux 
du  public  d'abord,  des  savants  ensuite  :  ce  sont  ses  armes,  ses 
vêtements,  son  habitation,  ses  mœurs  et  ses  usages,  enfin,  qui 
sont  mis  en  lumière. 

Le  Muséum  ethnographique  est  un  musée  d'histoire  ;  le  Musée 
d'Anthropologie  est  un  musée  d'histoire  naturelle. 

Mais  ce  Muséum  ethnographique  ne  peut  et  ne  doit  pas  com" 
prendre  la  manifestation  la  plus  élevée  et  en  même  temps  la 
plus  spéciale  de  l'esprit  humain,  l'art  :  tout  objet  artistique  est 
réservé  pour  les  collections  du  Louvre,  qu'il  provienne  de  l'Italie 
ou  de  la  Grèce,  de  l'Orient  ou  de  l'Egypte. 

Son  intérêt  le  plus  grand  consisterait  surtout  dans  les  séries 
non  interrompues;  on  passerait  d'un  peuple  à  un  autre  et  on 
suivrait  facilement  les  modifications  des  civilisations.  Ce  ne  serait 
pas  seulement  une  collection  brillante  d'objets  de  luxe  et  de 
grande  valeur,   mais  un  musée  avant  tout  scientifique,  qui  ne 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  283 

dédaignerait  pas  l'objelle  plus  futile  quand  il  pourrait  faire  suivre 
une  évolution.  Ce  serait  le  meilleur  commentaire  des  théories 
préhistoriques,  qui  no  tiennent  pas  toujours  assez  compte  des 
progrès  ou  des  décadences  de  la  civilisation. 

Dans  le  Muséum  ethnographique  seraient  centralisés  tous  les 
objets  relatifs  à  l'ethnographie  et  provenant  de  missions,  de 
dons,  d'échanges  ou  d'acquisitions.  Les  objets  d'archéologie, 
sous  la  réserve  que  j'ai  indiquée,  en  feraient  aussi  partie. 

Les  collections  d'anthropologie  et  d'histoire  naturelle,  rappor- 
tées par  nos  missionnaires,  en  seraient  écartées.  Comme  par  le 
passé,  elles  seraient  placées  au  Muséum  d'Histoire  naturelle  où, 
si  elles  existaient  en  double,  on  en  enrichirait  les  musées  ou  les 
collections  des  facultés  des  départements. 

Les  collections  d'archéologie  préhistorique  ou  gallo-romaine, 
provenant  des  missions  faites  en  France,  demeureraient  la  pro- 
priété du  Musée  de  Saint-Germain.  Celles  provenant  des  missions 
entreprises  en  Italie,  en  Grèce,  en  Egypte  et  en  Orient,  relatives 
à  l'art  ou  à  l'histoire  de  ces  contrées,  seraient  réservées  au 
Musée  du  Louvre;  les  médailles,  les  livres,  les  manuscrits  de 
toutes  provenances,  à  la  Bibliothèque  nationale. 

Les  objets  doubles  ou  multiples,  provenant  des  missions  en 
général,  seraient  répartis,  soit  par  voie  de  dons  divers,  soit  par 
voie  d'échanges,  entre  les  grands  établissements  français  ou 
étrangers.  J'aurai  l'honneur  de  faire  remarquer  à  Votre  Excel- 
lence que  cette  partie  des  collections  aurait  l'avantage  de  béné- 
ficier du  service  des  échanges  qui  est  dans  les  attributions  de  la 
direction  à  la  tête  de  laquelle  j'ai  Thonneur  d'être  placé. 

Ce  qui  se  pratique  très  régulièrement  pour  les  livres,  les  cartes, 
les  documents,  se  ferait  avec  une  égale  régularité  pour  les  spé- 
cimens ethnographiques. 

Les  doubles  de  céramiques  seraient  nécessairement  réservés 
au  Musée  de  la  Manufacture  nationale  de  Sèvres. 

La  Commission  des  Missions  serait  appelée  à  donner  son  avis 
sur  les  questions  d'ordre  scientifique  que  soulèveraient  l'organi- 
sation et  la  direction  du  Musée  ethnographique. 

J'ai  la  conviction.  Monsieur  le  ministre,  que  celte  fondation 


284  LES    ORIGINES 

rendrait  des  services  signalés  à  nos  études  scientifiques,  dont 
elle  compléterait  l'ensemble,  et  qu'elle  provoquerait  immanqua- 
blement les  dons  des  collectionneurs  français  et  étrangers.  Les 
dispositions  présentées  à  votre  approbation  sous  forme  d'arrêté  ne 
sauraient  engager  l'avenir;  ce  n'est  qu'après  avoir  été  éclairé  par 
l'expérience  qu'il  sera  possible  de  proposer  à  Votre  Excellence 
une  réglementation  définitive  qui  serait  soumise  à  la  signature 
du  chef  de  l'État. 

En  attendant  ce  moment,  j'ai  l'honneur  de  vous  demander, 
Monsieur  le  ministre,  de  vouloir  bien  approuver  l'arrêté  ci-joint. 
Je  suis  avec  respect,  Monsieur  le  ministre,  de  Votre  Excellence, 
le  très  obéissant  serviteur. 

Le  Directeur  des  Sciences  et  Lettres, 

0.  DE  Watteville. 
Approuvé  : 
Le  Ministre  de  l Instruction  publique,  des  Cuites 
et  des  Beaux-Arts, 

Joseph  Brunet. 


N°  LXXVII 


Le  Ministre  de  l'Instruction  publique,  des  Cultes  et  des  Beaux- 
Arts, 

Vu  les  discussions  de  l'Assemblée  nationale,  ainsi  que  la  loi 
de  finances  en  date  du  29  décembre  1873,  qui  exprime  le  vœu 
de  voir  fonctionner  auprès  du  Ministre  de  l'Instruction  publique 
une  commission  chargée  de  donner  son  avis  sur  les  demandes 
de  missions  scientifiques; 

Vu  l'arrêté  ministériel  en  date  du  6  janvier  d874,  qui  institue 
cette  commission  ; 

Vu  le  nombre  considérable  des  objets  rapportés  au  ministère 
par  les  missions  accomplies  soit  en  France,  soit  à  l'étranger; 

Vu  les  inconvénients  qui  résultent  de  la  dispersion  de  ces 
collections  importantes; 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  285 

Vu  les  donations  faites  par  M.  Angraud  à  l'État,  représenté 
par  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  ; 

Arrête  : 

Article  l«^  —  Tous  les  objets  relatifs  à  l'ethnographie,  prove- 
nant de  missions,  de  dons^  d'échanges  ou  d'acquisitions,  seront 
centralisés  dans  un  Musée  spécial  appelé  Muséum  ethnographique 
des  Missions  scientifiques. 

Les  objets  d'archéologie  feront  également  partie  de  ce  musée. 

Art.  2.  —  Les  collections  seront  réparties  en  différentes  sec- 
lions,  suivant  la  nature  des  missions  et  la  situation  géographique 
des  pays  explorés. 

Art.  3.  —  Les  collections  d'anthropologie  et  d'histoire  natu- 
turelle  ne  peuvent  figurer  dans  le  Muséum  ethnographique. 

Art.  4.  —  Les  collections  d'archéologie  préhistorique  et  les 
antiquités  gallo-romaines  provenant  des  missions  entreprises  en 
France  seront  réservées  pour  le  Musée  de  Saint-Germain  ;  celles 
provenant  des  missions  entreprises  en  Italie,  en  Grèce,  en  Egypte 
et  en  Orient,  relatives  à  l'art  ou  à  l'histoire  de  ces  contrées 
seront  réservées  au  Musée  du  Louvre  ;  les  médailles,  les  livres, 
les  manuscrits  de  toute  provenance,  à  la  Bibliothèque  nationale. 

Art.  5.  —  Les  objets  doubles  ou  multiples  provenant  des 
missions  seront  répartis,  soit  par  voie  de  dons  directs,  soit  par 
voie  d'échanges,  entre  les  grands  établissements  français  ou 
étrangers. 

Les  doubles  des  objets  de  céramique  seront  réservés  au  Musée 
de  la  Manufacture  nationale  de  Sèvres. 

Art.  6.  —  La  Commission  consultative  des  Missions  instituée 
près  notre  ministère  est  chargée  de  donner  son  avis  sur  toutes 
les  questions  d'ordre  scientifique  que  pourra  soulever  la  création 
et  la  direction  de  ce  musée. 

Art.  7.  —  Le  Muséum  ethnographique,  étant  un  établissement 
purement  scientifique,  est  rattaché  à  la  direction  des  Sciences  et 
des  Lettres  chargée  de  l'organisation  et  de  la  direction  des 
missions. 

Art.  8.  —  Un  arrêté  ministériel  fixera  les  locaux  où  seront 


286  LES    ORIGINES 

exposés  les  objets  provenant  de  missions  ou  de  dons  et  l'organi- 
sation définitive  du  Muséum  ethnographique. 
Fait  à  Paris,  le  3  novembre  1877. 

Joseph  Brunet. 


xN"  LXXVIII 


Le  Ministre  de  l'Instruction  publique,  des  Cultes  et  des  Beaux- 
Arts, 

Vu  l'arrêté  en  date  du  3  novembre  1877,  qui  institue  un 
Muséum  ethnographique  ; 

Vu  l'importance  des  collections  rapportées  par  MM.  Wiener, 
de  Cessac,  Pinart,  André,  Grevaux,  etc.,  à  la  suite  des  missions 
dont  ils  ont  été  chargés  par  le  gouvernement  français; 

Arrête  : 

Article  l'=^  —  Une  exposition  provisoire  de  la  section  améri- 
caine (Amérique  du  Sud)  des  missions  ethnographiques  et  des 
missions  scientifiques  est  ouverte  au  public,  au  Palais  de  l'ins- 
dustrie  des  Champs-Elysées. 

Art.  2.  —  Cette  exposition  sera  gratuite.  Le  public  sera  admis 
à  la  visiter  les  mardis,  mercredis,  vendredis,  samedis,  avec  des 
billets  distribués  sur  demande  au  Ministère  de  l'Instruction 
publique,  et  sans  billets,  le  jeudi  et  le  dimanche. 

Art.  3.  —  L'exposition  restera  ouverte  du  15  janvier  au 
i''  mars  1878. 

Art.  4.  —  M.  le  baron  de  Watteville,  directeur  des  Sciences 
et  Lettres,  est  chargé  d'organiser  ladite  exposition. 

Fait  à  Paris,  le  3  novembre  1877. 

Joseph  Brunet. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  287 

N"  LXXIX 

Procès-verbal  de  P inauguration  du  Muséum  ethnographique  des 
Missions  scientifiques  ' . 

Hier,  mercredi  23  janvier  1878,  à  une  heure,  a  eu  lieu,  au 
Palais  de  l'Industrie,  sous  la  présidence  de  M.  le  Ministre  de 
l'Instruction  publique,  l'inauguration  du  Musée  ethnographique. 
Le  ministre  était  accompagné,  dans  cette  cérémonie,,  d'un  grand 
nombre  de  sénateurs  et  de  députés,  démembres  de  l'Institut,  de 
représentants  des  grands  corps  de  l'État,  et  de  plusieurs  membres 
des  Sociétés  de  géographie  et  d'anthropologie. 

M.  le  baron  de  Watte ville,  directeur  des  Sciences  et  Lettres, 
a  adressé  à  M.  Bardoux,  l'allocution  suivante  : 

Monsieur  le  Ministre, 

«  Je  fus  chargé  par  votre  prédécesseur  d'organiser  le  Muséum 
ethnographique  des  Missions  scientifiques.  Je  craignais  de  ne 
pouvoir  m'acquitter  de  cette  tâche  ;  je  suis  heureux  d'avoir  pu 
l'accomplir  en  moins  de  six  semaines. 

u  Une  semblable  entreprise  aurait  été  impossible,  sans  le 
dévouement  absolu  des  collaborateurs  qui  m'ont  prêté  leur 
concours,  sans  nos  savants  voyageurs,  MM.  Wiener,  de  Ujfalvy, 
Harmand,  André,  Velain,  Delaporte,  Sainte-Marie,  Rivière, 
Marche,  qui  m'ont  apporté  des  pays  lointains  les  collections 
reposées.  Elle  aurait  été  impossible  sans  le  zèle  de  M.  Hamy, 
qui  a  pu  remplacer  nos  missionnaires  actuellement  éloignés  de 
l'Europe,  MM.  Pinarl,  de  Cessac,  Grevaux,etc.,  qui  a  pu  disposer, 
classer  les  objets  précieux  qu'ils  nous  ont  envoyés,  enfin  sans 
l'aide  de  MM.  Soldi,  de  Getner,  Roux,  qui  ont  su,  avec  leur 
talent  habituel,  faire  revivre  les  types,  les  monuments,  les  pay- 
sages de  l'Amérique  et  de  l'Asie. 

«  Je  désire,  Monsieur  le  Ministre,  que  cette  création  nouvelle 
reçoive  la  sanction  de  votre  haute  approbation.  » 

1)  Journal  officiel  du  25  janvier  1878. 


288  LES    ORIGINES 

Monsieur  le  Ministre  a  répondu  à  M.  de  Watte ville. 
«  Je  sais  avec  quel  zèle  et  quelle  intelligence,  vous  et  vos  colla- 
borateurs, vous  vous  êtes  acquittés  de  la  mission  qui  vous  avait 
été  confiée.  Je  sais  aussi  que  le  succès  de  cette  œuvre  et  la  satis- 
faction du  devoir  accompli,  sont  pour  vous  la  meilleure  des 
récompenses.  Je  suis  heureux  de  vous  remercier  au  nom  de 
l'Instruction  publique.  » 

Après  cette  allocution,  M.  le  Ministre  a  prononcé  le  discours 
suivant  : 

Messieurs, 
«  Le  Musée  ethnographique  que  nous  ouvrons  aujourd'hui 
n'est  pas  complet.  Il  n'est  pas  installé  dans  son  local  définitif. 
Il  ne  représente  même  pas  toutes  nos  richesses. 

((  Disséminées  dans  un  grand  nombre  d'établissements,  elles  s'y 
perdaient  sans  profit  pour  la  science,  qui  ne  savait  où  les  trouver, 
sans  intérêt  pour  l'étude, qui  n'avait  plus  d'ensemble  et  de  suite, 
dans  ses  recherches  et  dans  ses  comparaisons. 

((  Le  moment  est  venu  de  les  réunir  et  de  les  classer  dans  un 
établissement  spécial.  Les  trois  salles  que  vous  allez  visiter  ne 
renferment  qu'une  seule  section,  celle  d'Amérique,  et  encore, 
n'avons-nous  pu  y  placer  de  magnifiques  collections  péruviennes, 
qui  ont  été  données  à  l'État'.  Nous  avons  même  été  obligé  de 
reléguer  jusque  sur  le  palier  de  l'escalier,  le  produit  d'impor- 
tantes explorations  dans  l'Asie  centrale. 

«  Et  pourtant,  avec  cette  installation  incomplète  et  provisoire, 
vous  pouvez  déjà  apprécier  l'importance  des  résultats  obtenus  et 
les  efforts  des  hommes  éminents  et  convaincus  qui  ont  mené 
à  bout,  au  prix  souvent  de  leur  santé,  la  mission  scientifique  qui 
leur  avait  été  confiée. 

«  Vous  pouvez  déjà  juger  de  l'avenirdu  Musée  ethnographique, 
quand  les  objets  réunis  dans  une  même  enceinte  auront  été  expo- 
sés avec  méthode,  répartis  entre  différentes  sections,  groupés 
selon  la  nature  des  pays  explorés. 


1;  Allusion  au  legs  (non  réalisé)  de  M.  Léonce  Angrand. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  289 

«  Ainsi  conçu,  avec  des  séries  non  interrompues,  le  Musée 
ethnographique  ne  sera  pas  une  collection  d'objets  bizarres, 
étrang-es,  quelquefois  futiles,  dispersés  çà  et  là,  mais  une  his- 
toire des  mœurs  et  des  usages,  histoire  parlant  aux  yeux,  où, 
depuis  les  armes  jusqu'aux  vêtements,  depuis  les  habitations 
jusqu'aux  bijoux  et  aux  meubles  les  plus  grossiers,  tout  objet 
concourra  à  former  cet  ensemble  de  matériaux,  qui  permettra 
d'établir  des  comparaisons  illimitées  entre  les  civilisations  pri- 
mitives des  populations,  existantes  ou  éteintes,  du  monde  entier. 

«  Inséparable  de  l'archéologie  préhistorique,  accessoire  essen- 
tiel de  l'anthropologie,  en  même  temps  que  commentaire  des 
sciences  géographiques,  l'ethnographie  aide  à  résoudre  plus  d'un 
problème,  obscur  encore,  de  nos  origines.  C'est  à  nous  qu'il  im- 
porte de  lui  fournir  les  moyens  de  sortir  des  ténèbres  oii  elle 
végète  et  de  prendre  ijn  vigoureux  essor. 

«  Notre  temps  doit  surtout  avoir  ce  caractère,  de  comprendre 
plus  que  tout  autre  la  grandeur  scientifique,  sous  les  formes  les 
plus  diverses,  et  de  la  remettre  en  lumière. 

«  Mais  en  créant  ce  Musée  ethnographique,  il  fallait  bien 
se  garder  de  porter  atteinte  à  d'autres  collections  qui  n'ont  pas 
moins  d'intérêt,  et  qui,  par  leur  caractère,  appartiennent  à  des 
genres  différents. 

((  Notre  admirable  Musée  de  Saint-Germain,  dont  le  savant 
M.  Bertrand  a  fait  son  œuvre,  reste  réservé  à  l'archéologie  pré- 
historique et  aux  antiquités  gallo-romaines,  provenant  des 
fouilles  faites  en  France,  tandis  que  le  Musée  du  Louvre  est  tou- 
jours destiné  à  recevoir  les  richesses  provenant  des  missions 
entreprises  en  Italie  et  en  Grèce,  en  Egypte  et  en  Orient,  et  que 
la  Bibliothèque  nationale  continue  à  recevoir  les  médailles,  les 
livres  et  les  manuscrits  de  toute  provenance. 

«  De  même,  nous  ne  pouvons  un  instant  avoir  la  pensée  d'ap- 
pauvrir les  grandes  collections  existantes  d'anthropologie  et 
d'histoire  naturelle. 

Le  Muséum  ethnographique  ne  sera  qu'un  musée  d'histoire 
où,  comme  l'a  excellemment  rapporté  mon  honorable  collabora- 
teur, M.  de  Watleville,  passeront  sous  les  yeux  du  savant,  dans 

19 


290  LES    ORIGINES 

les  formes  les  plus  variées,  tous  les  efforts  faits  par  les  hommes 
pour  vaincre  les  forces  de  la  nature,  pour  améliorer  sa  position 
précaire^  et  pour  atteindre  le  progrès, 

«  Grande  et  noble  idée,  Messieurs^,  dont  je  ne  revendique  pas 
l'initiative  et  dont  je  reporte  l'honneur  aux  hommes  modestes  et 
éminents  qui  m'entourent!  Nouvelle  porte  ouverte  à  l'étude  des 
prog-rès  et  décadences  de  la  race  humaine,*  et  qui  s'élargira  tous 
les  jours,  grâce  au  dévouement  des  missionnaires  de  Tlnstruc- 
tion  publique. 

«  Ce  sont  en  effet  les  missions  entreprises  au  nom  de  l'Etat 
qui  ont  alimenté  et  qui  alimentent  l'établissement  dont  nous 
jetons  aujourd'hui  'les  fondements,  en  attendant  que  nous  puis- 
sions l'édifier  complètement. 

<(  L'Exposition  universelle  nous  pressait;  elle  doit,  nous  l'espé- 
rons, procurer  tant  de  ressources  à  ce  Musée,  qu'il  fallait  l'inau- 
gurer même  dans  son  état  imparfait. 

«  Les  résultats  actuels  n'ont  pu  être  obtenus  que  grâce  à  la 
bonne  volonté  de  quelques  savants  et  voyageurs. 

«  C'est  à  M.  Charles  Wiener  que  nous  devons  l'organisation  des 
quatre  mille  pièces  qui  composent  sa  collection  péruvienne  ;  à 
M.  André  appartient  l'honneur  d'exposer  les  résultats  de  son 
voyage  dans  la  Colombie  et  l'Equateur;  à  M.  deUjfalvy,  revenu 
à  peine  depuis  quelques  jours  de  l'Asie  centrale^,  ces  remar- 
quables produits  que,  faute  de  place,  nous  avons  échelonnés  sur 
un  palier  ;  à  M.  Harmand,  les  inscriptions  du  Haut-Cambodge;  à 
M.  Sainte-Marie,  les  stèles  carthaginoises  ;  à  M.  Rivière,  les 
estampages  des  gravures  tracés  sur  les  rochers  du  lac  des  Mer- 
veilles ;  à  M.  de  la  Savinière,  les  collections  des  îles  Célèbes. 

«  C'est  M.  le  docteur  Hamy,  du  Muséum^  qui  a  classé  les 
collections  de  ceux  des  voyageurs  qui  n'ont  pu  encore  regagner 
la  France  ;  celle  de  M.  Alphonse  Pinart  qui  poursuit  depuis  sept 
ans,  avec  la  plus  louable  persévérance,  la  solution  du  grand  pro- 
blème des  origines  américaines,  et  qui,  malgré  une  santé  ébran- 
lée, vient  d'explorer  une  partie  de  la  Polynésie.  Nous  devons 
encore  à  M.  Hamy  le  classement  des  collections  de  M.  de  Cessac, 
qui  vient  d'explorer  avec  soin  la  grande  nécropole  d'Ancon,et  de 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  291 

celles  d'un  Jeune  médecin  de  la  marine,  M.  Crevaux,qui  vient  de 
mener  à  bonne  fin  une  expédition  des  plus  difficiles,  des  plus 
dangereuses,  autour  de  la  Guyane,  après  avoir  découvert  et 
suivi  dans  tout  son  cours  un  grand  affluent  de  gauche  de  l'Ama- 
zone, le  Yari,  dont  on  ne  connaissait  que  l'embouchure. 

»  Je  n'ai  pas  Tintention  de  nommer  tous  ces  hommes  hardis 
et  vaillants,  que  le  devoir  et  l'abnégation  soutiennent  dans  leurs 
explorations  lointaines;  mais  que  nos  remerciements  aillent 
jusqu'à  eux  et  les  encouragent,  qu'ils  sachent  bien  que  leurs 
noms  sont  acclamés  ici,  que  leurs  travaux  y  sont  admirés  et  que 
leur  pays  est  fier  d'eux  ! 

((  Je  ne  peux  cependant  pas  oublier  trois  jeunes  artistes,  qui 
ont  donné  avec  le  plus  complet  désintéressement,  leur  talent  et 
leur  travail  :  M.  de  Cetner  qui  a  peint  les  huit  toiles  représen- 
tant les  vues  du  Pérou  et  de  ses  anciens  temples  ;  M.  Paul  Roux, 
les  deux  vues  de  la  Colombie  ;  et  M.  Soldi,  qui  a  mis  ses  rares 
aptitudes  et  ses  connaissances  d'archéologue  au  service  de  ses 
collègues,  a  surveillé  les  moulages  et  a  fait,  d'après  les  dessins  de 
M.  Wiener_,  les  restitutions  des  types  placés  dans  la  grande  salle. 

«  Tous  ces  documents  nouveaux  et  multiples  apportés  aux 
éludes  scientifiques  n'auraient  pu  nous  parvenir  et  n'auraient 
pu  être  garantis  contre  les  chances  d'une  expédition,  sans  le 
concours  de  notre  marine  et  de  nos  agents  à  l'étranger.  Tous  se 
sont  solidarisés  pour  faciliter  le  succès  des  explorations  de  nos 
voyageurs.  M.  le  comte  de  Vernouillet,  alors  ministre  plénipo- 
tentiaire au  Pérou,  a  particulièrement  facilité  la  mission  si  heu- 
reuse de  M.  Wiener. 

«  Les  dons  de  quelques  collectionneurs  viennent  enfin  se 
joindre  à  nos  richesses,  et  grâce  à  la  libéralité  intelligente 
de  M.  Angrand^  l'État  va  bénéficier  d'une  collection  unique,  fort 
enviée,  et  dont  la  valeur  est  extrême. 

Le  Musée  ethnographique  est  donc  fondé,  et  nous  sommes 
convaincu  que  le  patriotisme  éclairé  des  représentants  de  la 
nation  viendra  en  aide  à  son  développement;  ils  mériteront  ainsi 
la  reconnaissance  de  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'avancement 
des  lumières. 


292  LES   ORIGINES 

«  C'est  l'amour  de  la  science  et  de  la  France  qui  a  inspiré  et 
qui  inspire,  tous  les  jours,  nos  voyageurs,  au  milieu  des  fatigues, 
au  milieu  des  solitudes,  et  en  face  souvent  des  plus  grands 
périls  ;  c'est  cette  double  flamme  qui  centuple  leurs  forces  mo- 
rales. C'est  aussi  l'amour  de  la  France  et  de  la  science  qui  garan- 
tit le  succès  et  la  durée  de  la  fondation  à  laquelle  votre  présence 
apporte  le  concours  des  sympathies  éclairées  et  la  force  de  l'opi- 
nion publique. 

u  Je  déclare  ouvert  le  Musée  ethnographique'.  » 

1)  En  terminant  ce  discours,  le  Ministre  a  décerné  un  certain  nombre  de 
récompenses  honorifiques,  dont  la  liste  est  imprimée  aux  pages  44-45  du  Bul- 
ktin  administratif  à\i  Ministre  pour  1878.  (E.  H.) 


CHAPITRE  XIII 

Nomination  dune  Commission  d'étude  à  la  suite  de  l'Exposition  universelle 
de  1878.  —  Travaux  de  cette  Oommission. 


N°  LXXX 

DIRECTION  ,  . 

,      „   .  ,      MINISTÈRE  DE  L  JNSTRUCTION  PUBLIQUE,  DES  CULTES  ET 

des  Sciences  et 

Lettres.  DES  BEAUX-ARTS  * 

1"  Bureau. 

Le  Ministre  de  l'Inslruclion  publique,  des  Cultes  et 
des  Beaux-Arts, 

Vu  le  rapport  en  date  du  2  novembre  1877  proposant  la  fon- 
dation d'un  établissement  scientifique  nouveau  qui  porterait  le 
nom  de  Muséum  ethnographique  des  Missions  scientifiques. 

Vu  l'arrêté  ministériel  en  date  du  3  novembre  1877  établissant 
la  nécessité  de  créer  ledit  Muséum  et  de  déterminer  ses  attri- 
butions et  sa  composition. 

Vu  l'arrêté  ministériel  en  date  du  3  novembre  1877  décidant 
l'ouverture  provisoire  du  Muséum  ethnographique  et  l'expo- 
sition de  la  section  américaine  (Amérique  du  Sud)  au  Palais  de 
l'Industrie, 

Arrête  : 
Article    l®^    Une    Commission   chargée    d'étudier    la    créa- 

1)  Bulletin  administratif  du  Ministère  de  l'Instruction  publique,  des  Cultes 
et  des  Beaux-Arts.  Nouv.  sér.,  t.  XXI,  p.  715-716,  1878.  —Un  arrêté  du 
29  octobre  imprimé  au  même  volume  (p.  744)  a  ajouté  sur  la  liste  des  membres 
de  la  Commission  M.  Langlois  de  Neuville,  directeur  des  bâtiments  civils  au 
Ministère  des  Travaux  publics.  (E.  H.) 


294  LES    ORIGINES 

tion  définitive  du  Muséum  ethnographique  est  instituée  auprès 
du  Ministre  de  llnslruction  publique,  des  Cultes  et  des  Beaux- 
Arts. 

Celte  Commission  devra  : 

\°  Étudier  et  rechercher  l'emplacement  le  plus  convenable 
pour  l'établissement  dudit  Muséum, 

2°  Elle  devra  se  faire  rendre  compte  des  objets  que  possède 
déjà  le  Ministère  et  provenant  des  résultats  des  missions,  du  legs 
de  M.  Ang-rand,  des  dons  faits  au  Muséum  par  les  différents 
commissaires  étrangers  de  l'Exposition  universelle,  ou  par  des 
particuliers  et  préparer  un  programme  de  classification  et 
d'agencement  des  salles. 

3°  Etablir  un  projet  de  budget  des  dépenses. 

Art.  2.  La  Commission  est  ainsi  composée  : 

MM.  le  Ministre,  président; 
le  Sous-Secrétaire  d'Etat, 
H.  MiLNE  Edwards, 

Sadi   Carnot,  y  vice-préside7ïts. 

le  Sous-Secrétaire  d'Etat  au  Ministère* 

des  Travaux  publics. 
Angrand,  ancien  consul  général,  chargé  de  missions  scien- 
tifiques. 
Brisson,  député. 

Charmes,  chef  de  cabinet  de  M.  le  Ministre. 
Charton,  sénateur. 
Jules  Ferry,  député. 
Germer-Bailltère,  conseiller  municipal. 
Albert  Grévy,  député. 

Henri  Martin,  sénateur,  membre  de  l Institut. 
Maunoir,  secrétaire  général  de  la  Société  de  géographie. 
Perin,  député. 
Scheurer-Kestner,  sénateur. 
Servaux,  sous-directeur  des  Sciences  et  Lettres. 
Thulié,  président  du  conseil  municipal. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  295 

MM.  VioLLET-LE-Duc,  Conseiller  mtmicipal, 

Watteville  (0.  de),  directeur  den  Sciences  et  Lettres. 

Hamy,  ] 

Landrin,  (  secrétaires. 


Wiener. 


Fait  à  Paris,  le  iS  octobre  1818. 
Signe'  :  A.  Bardoux. 

Pour  ampliation, 
Le  Chef  du  bureau  des  Archives, 
H.  Valmore. 


IN°  LXXXI 

3IIN1STÈRE  DE   l'iNSTRUCTION   PUBLIQUE,    DES  CULTES  ET   DES  BEAUX-ARTS 

Taris,  28  octobre  1878. 

RAPPORT  (lu  dans  la  séance  du  30  octobre  1878),  fait  au  nom 
de  la  sous-cotnmission  de  l'appropriation  d'un  local  pour  le 
Musée  ethnographique,  à  la  cormnission  du  Muséum  ethno- 
graphique, instituée  par  arrêté  ministériel  en  date  du  J9  octobre 
1878. 

Messieurs, 

Vous  avez  bien  voulu  nous  charger  d'étudier  la  question 
d'appropriation  d'un  local  à  l'établissement  d'un  Musée  ethno- 
graphique à  Paris. 

Depuis  longtemps  le  monde  savant,  en  Europe,  s'étonnait,  non 
sans  motifs,  de  ne  point  trouver  à  Paris  un  musée  ethnographi- 
que, tandis  que  la  plupart  des  capitales  et  certaines  villes  de 
second  ordre  offraient  à  l'étude,  des  collections  de  cette  nature, 
ayant  une  importance  considérable. 

Et  cependant,  les  éléments  ne  nous  font  pas  défaut.  Sans  parler 
du  grand  nombre  d'objets  qui  sont  dispersés  dans  nos  collections 
d'art,  d'archéologie,  d'histoire  naturelle  et  dans  nos  bibliothè- 


296  LES    ORIGINES 

ques  publiques,  les  magasins  de  l'Etat  contiennent  quantité  de 
documents  propres  à  composer  un  musée  ethnographique. 

L'exposition  provisoire  des  Missions  scientifiques  installée  au 
palais  des  Champs-Elysées,  l'hiver  dernier,  a  été,  pour  le  public^, 
une  révélation.  L'ethnographie  se  dévoilait,  pour  ainsi  dire,  aux 
yeux  de  ce  public  parisien,  avide  d'apprendre  et  accessible  à 
toutes  connaissances  nouvelles. 

Noire  sous-commission  n'a  pas  à  définir  l'ethnographie  et  à 
signaler  l'importance  des  études  qui  s'y  rattachent  au  point  de 
vue  g-éographique,  historique,  archéologique,  etc.  ;  son  rôle  doit 
se  borner  à  vous  indiquer  les  locaux  ou  le  local  qui  s'approprierait 
le  mieux  à  l'installation  et  au  classement  d'un  musée  ethnogra- 
phique; mais  il  était  difficile  à  notre  sous-commission  d'étudier 
celte  partie  de  la  question  et  de  vous  apporter  des  conclusions 
motivées  avant  de  s'être  rendu  compte  du  programme  imposé, 
c'est-à-dire  du  mode  de  classement  le  plus  convenable,  le  plus 
propre  à  faciliter  les  recherches,  puisque  la  nature  de  ce 
classement  doit,  jusqu'à  un  certain  point,  commander  la  disposi- 
tion des  locaux. 

Il  faut  bien  reconnaître  que  la  majeure  partie  des  collections 
composant  nos  musées  sont  disposées  dans  des  locaux  peu 
propres  à  en  recevoir  et,  par  conséquent,  peu  favorables  aux 
éludes  sérieuses. 

L'idée  du  classement  méthodique  des  objets  composant  un 
musée  est  une  idée  toute  moderne,  qui  se  rattache  à  une  série  de 
connaissances  très  récentes,  car  il  n'y  a  guère  longtemps  que  les 
musées  étaient  considérés  comme  des  locaux  ouverts  à  quelques 
dilettanti^  aux  curieux:  ou  même  aux  oisifs. 

Evidemment,  on  n'admettait  qu'au  Louvre,  par  exemple,  un 
chef-d'œuvre  do  l'antiquité;  les  toiles  des  grands  maîtres 
devaient  servir  d'exemples  aux  artistes,  mais  dans  le  classement 
de  ces  marbres  ou  de  ces  tableaux,  n'intervenaient  ni  la  méthode 
critique,  ni  la  connaissance  historique. 

Cela,  peut-être,  n'avait  pas  un  grand  inconvénient  lorsqu'il 
s'agissait  d'œùvresqui,par  elles-mêmes,  ont  une  valeur  telle  que 
toute  comparaison  est  superflue.  La  Vénus  de  Milo,  un  Raphaël, 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  297 

un  Titien  s'imposent  à  l'admiration,  fournissent  un  enseigne- 
ment d'une  qualité  intrinsèque,  peut-on  dire,  plus  que  suffi- 
sante pour  qui  veut  examiner  attentivement  et  étudier  ces  œuvres 
dues  à  la  plus  haute  expression  du  génie  humain. 

Pour  les  quatre-vingt-dix-neuf  centièmes  des  objets  réunis  dans 
un  musée,  il  n'en  est  pas  ainsi  ;  leur  valeur  est  relative  ;  ce  sont 
des  éléments  d'un  ensemble  qui,  pour  être  de  quelque  profit  au 
public  studieux,  doivent  être  classés  suivant  un  certain  ordre 
logique. 

Tel  objet  qui,  par  lui-même,  ne  présente  qu'un  intérêt 
médiocre  soit  comme  conception,  soit  comme  exécution  et  qui 
n'offre  à  l'esprit  aucun  repère  utile,  prend  une  valeur  con- 
sidérable s'il  est  classé  de  telle  sorte  qu'on  puisse  connaître  le 
milieu  dans  lequel  il  s'est  produit,  ce  qui  l'a  précédé,  ce  qui  l'a 
suivi  ;  alors,  il  devient  un  jalon  du  travail  humain  et  ainsi 
l'occasion  d'un  enseignement  éminemment  fructueux. 

Or,  il  est  évident  qu'un  musée  ethnographique  se  compose  en 
très  grande  partie  de  ces  objets  dont  l'intérêt  est  purement 
relatif,  qui  n'acquièrent  de  valeur  que  par  la  comparaison,  et 
c'est  à  cela  qu'il  convient  d'attribuer  chez  nous,  jusqu'à  présent, 
l'oubli  dans  lequel  ces  sortes  de  collections  ont  été  laissées. 

On  n'a  considéré  ces  collections  que  comme  des  amon- 
cellements d'objets  étrangers,  parfois  grotesques,  rarement 
pourvus  de  beauté,  sortes  de  produits  du  hasard  ou  d'une  fan- 
taisie barbare.  Et  cependant,  lorsque,  l'hiver  dernier,  les  apports 
des  Missions  scientifiques  ont  été  exposés  au  palais  des  Champs- 
Elysées  suivant  une  apparence  de  classement,  on  a  pu  voir 
combien  le  public  se  prenait  de  goût  sérieux  pour  les  études 
ethnographiques  et  comme  il  allait  au  devant  des  quelques 
explications  qui  pouvaient  lui  être  données. 

Nous  avons  été  témoins  des  mômes  dispositions  manifestées 
par  ce  public,  lorsqu'à  été  ouverte  l'Exposition  anthropologique, 
moins  attrayante  queue  peutl'être  une  exhibition  ethnographique. 
Reléguée  dans  un  coin  des  terrains  du  Trocadéro,  cette  exposition 
anthropologique  a  été  suivie  avec  le  plus  grand  empressement, 
grâce  au  classement  méthodique  adopté. 


298  LES    ORIGINES 

Ceci  est  une  preuve  que  le  public  est  attiré  surtout  vers  les 
collections  ou  musées  dans  lesquels  il  apprend  quelque  chose. 
Donc,  le  classement  rig-oureusement  méthodique  des  collections 
doit,  avant  tout,  préoccuper  ceux  qui  sont  chargés  d'installer  un 
Musée. 

Nous  avons  cru  devoir  introduire  ici  ces  observations,  afin  de 
motiver  le  choix  du  local  sur  lequel  notre  sous-commission 
appelle  particulièrement  votre  attention. 

Si  grande  que  soit  la  ville  de  Paris,  elle  n'offre  pas  un  seul 
bâtiment  libre  assez  vaste  pour  installer  un  musée  ethnogra- 
phique, lequel  exige  beaucoup  de  place. 

Le  Louvre,  on  du  moins  la  partie  du  Louvre  réservée  aux 
collections,  n'est  que  trop  rempli  et  si,  comme  il  faut  l'espérer, 
ces  collections  s'enrichissent  encore,  il  deviendra  bien  difficile 
de  les  placer. 

Il  y  aurait  le  palais  des  Tuileries,  si  l'on  se  décide  à  restaurer 
les  ruines  ;  mais  on  a  pensé  qu'il  serait  convenable  de  disposer 
dans  ce  palais  les  œuvres  dues  aux  artistes  vivants,  collections  si 
mal  installées  dans  le  palais  du  Luxembourg.  Puis,  en  admettant 
que  le  Parlement  fournisse  à  l'administration  les  ressources 
nécessaires  pour  rétablir  la  partie  centrale  des  Tuileries,  il 
faudra  attendre  trois  ou  quatre  ans  pour  que  les  locaux  soient 
appropriés. 

Il  y  aurait  le  palais  incendié  de  la  Cour  des  Comptes  ou  Conseil 
d'Etat,  quai  d'Orsay  ;  mais  la  restauration  de  ces  ruines  exigera 
une  très  grosse  dépense,  et  ces  locaux  seraient  beaucoup  mieux 
appropriés  à  un  service  administratif. 

Il  y  a  le  palais  du  Trocadéro,  qui  peut  rester  entre  les  mains 
de  l'Etat,  ou  être  acquis  par  la  ville  de  Paris. 

Sans  préjuger  ce  que-  résoudra  la  municipalité  parisienne, 
puisqu'elle  n'est  tenue  de  prendre  une  décision  à  cet  égard  que 
dans  un  délai  de  plusieurs  mois,  après  la  fermeture  de  l'Exposi- 
tion, les  galeries  du  Trocadéro  ne  seraient  pas  disposées  très 
favorablement,  pour  recevoir  un'musée  ethnographique,  et  voici 
pourquoi  :  si  l'on  entend  que  des  collections  de  cette  nature 
puissent  être  classées  suivant  un  ordre  méthodique   favorable 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  299 

aux  études,  il  importe  de  grouper  autour  de  certains  centres,  les 
dérivés  ou  les  limitrophes  de  ces  centres.  Cela  aura  une  très 
grande  importance  pour  l'Asie  centrale,  par  exemple,  et  encore 
pour  la  partie  septentrionale  de  l'Afrique,  pour  l'Extrême-Orient 
et  pour  l'Amérique  du  Sud.  Il  est  donc  nécessaire  que  le  local 
choisi  permettedesclassementspar  salles  secondaires  se  groupant 
autour  d'une  salle  centrale.  Do  plus,  conjointement  avec  le  clas- 
sement par  contrées  et  par  races  et  périodes,  il  est  indispensable 
de  fournir  un  classement  par  nature  d'objets  appartenant  ù  des 
populations  difïérenlcs. 

Des  galeries  longues,  relativement  étroites,  sans  annexes,  se 
prêteraient  fort  mal  au  classement  que  tout  ethnographe  sera 
entraîné  à  adopter. 

Le  meilleur  emplacement  serait  donc  une  large  surface  cou- 
verte, que  l'on  pourrait  diviser  en  raison  du  classement  par 
séries  ou  par  groupes  réunis  autour  d'un  centre,  ou  type,  ou 
précurseur  ethnographique. 

Or,  aucun  emplacement  ne  se  prête  mieux  à  cette  disposition 
que  le  palais  du  Champ  de  Mars. 

Le  plan  de  ce  palais  se  compose,  comme  on  sait,  de  larges  et 
hautes  galeries,  en  bordure  sur  l'Ecole  militaire,  sur  les  avenues 
de  la  Bourdonnaye  et  de  Sufîren  et  sur  le  jardin  planté  vers  la 
Seine.  Ce  grand  parallélogramme  renferme  d'autres  galeries 
couvertes,  plus  basses,  séparées  par  des  voies  de  circulation, 
longitudinalement,  et  coupées  par  deux  larges  voies  hautes, 
transversales.  Au  centre  est  ménagé  un  espace  découvert,  dans 
l'axe  duquel  s'élèvent  les  bâtiments  des  Beaux-Arts  et  de  la  Ville 
de  Paris. 

Le  plan  modifié  après  l'Exposition,  qui  semblerait  devoir 
concilier  les  intérêts  des  divers  services  qui  pourraient  y  être 
installés,  consisterait,  soit  à  conserver,  soit  à  démolir  la  galerie 
située  en  face  de  l'Ecole  militaire,  ainsi  que  toutes  les  cons- 
tructions intérieures  de  ce  côté,  jusqu'à  la  voie  transversale 
ouverte  en  face  do  l'avenue  Rapp,  mais  en  laissant  subsister  les 
deux  grandes  galeries  des  Machines  ;  puis  à  conserver  entière- 
ment, sauf  le  bâtiment  des  Beaux-Arts,  élevé  en  pans  de  bois, 


300  T'ES    ORIGINES 

toute  la  partie  du  palais  comprise  entre  cette  voie  transversale 
de  l'avenue  Rapp  et  le  jardin  vers  la  Seine. 

Les  deux  tronçons  des  galeries  des  Machines  laissés  du  côté 
de  l'École  militaire  jusqu'à  cette  voie  transversale,  seraient  des- 
tinés à  divers  services,  ainsi  que  le  vaste  espace  vide  situé  entre 
elles  deux.  Quant  à  la  partie  avoisinant  le  jardin,  côté  de  la  Seine, 
elle  serait  réservée  au  placement  de  collections. 

Ce  vaste  espace,  non  compris  le  jardin  d'axe  qui  serait  planté 
à  la  place  des  galeries  des  Beaux-Arls,  donnerait  une  surface 
couverte  de  64,000  mètres,  le  vestibule  et  les  deux  tronçons 
restant  des  galeries  des  Machines,  compris. 

La  moitié  de  celte  surface,  prise  soit  du  côté  de  l'avenue  de  la 
Bourdonnaye,  soit  du  côté  de  l'avenue  de  Suffren,  suffirait  large- 
ment à  l'installation  du  Musée  ethnographique,  d'autant  que 
certains  gros  objets  n'ayant  pas  à  redouter  les  intempéries, 
pourraient  être  placés  dans  le  jardin  central  et  sous  les  portiques 
extérieurs  que  nous  ne  comprenons  pas  dans  la  surface  couverte 
et  close. 

La  galerie  transversale  en  face  de  l'avenue  Rapp,  galerie  dont 
la  largeur  est  de  15  mètres,  devrait  être  livrée  jour  et  nuit  aux 
piétons  et  aux  voilures.  Il  y  aurait  donc  à  clore  cette  galerie  du 
côté  des  musées  qui  prendraient  leurs  entrées  dans  cette  clôture, 
ce  qui  permettrait  aux  visiteurs  de  descendre  de  voiture  à 
couvert. 

Chacune  de  ces  moitiés,  teintées  en  rose  sur  le  plan  joint  au 
présent  rapport,  se  compose,  outre  les  tronçons  des  galeries  des 
Machines  et  du  vestibule,  de  trois  nefs  de  25  mètres  de  largeur 
chacune,  séparées  par  des  passages  de  5  mètres. 

Ces  nefs  peuvent  être  divisées,  comme  elles  le  sont  déjà,  par 
des  cloisons  ne  montant  pas  de  fond,  de  façon  à  permettre  un 
classement  disposé  conformément  à  ce  qui  a  été  dit  plus  haut. 
Et,  comme  il  faut  prévoir,  dans  ce  classement,  des  modifications 
fréquentes  en  raison  des  découvertes  successives  delà  science  et 
des  apports  nouveaux,  il  serait  facile  sur  cette  large  surface  cou- 
verte de  modifier  les  divisions  au  fur  et  à  mesure  des  nécessités. 

Il  ne  serait  pas  très  dispendieux,  dans  la  galerie  des  Machines 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  301 

et  dans  le  vestibule,  dont  les  hauteurs  sous  comble  sont  consi- 
dérables, d'établir  des  galeries  supérieures  de  quelques  mètres 
de  largeur,  où  quantité  d'objets  pourraient  être  placés  et  qui 
serviraient  de  magasins  et  de  dépôt. 

A  rencontre  de  ce  projet,  une  seule  objection  a  été  opposée. 
Sera-t-il  possible  de  laisser,  sans  les  chauffer,  ces  locaux,  pendant 
l'hiver?  Les  objets  qu'ils  abriteront  ne  seront-ils  pas  altérés  par 
le  froid  et  l'humidité  ? 

A  cette  objection  nous  répondrons  que  ces  locaux  ne  sont  pas 
plus  difficiles  à  chauffer  que  ne  le  sont  les  grandes  serres, 
d'autant  qu'ils  sont  élevés  sur  des  sous-sols  de  3  mètres  de 
hauteur. 

Au  moyen  de  quatre  générateurs  disposés  dans  le  sous-sol, 
on  chaufferait  facilement,  à  la  vapeur  circulante,  le  cube  dair 
contenu  dans  ces  salles,  les  grandes  galeries  exceptées,  cube 
d'air  qui  serait  environ  de  130,000  mètres,  et  la  dépense  annuelle 
ne  s'élèverait  pas  à  23,000  francs. 

Les  grandes  galeries  des  Machines  et  du  vestibule  étant 
séparées  des  locaux  plus  bas,  par  des  clôtures,  ces  trois  galeries 
plus  basses,  au  moyen  d'un  double  vitrage  remplaçant  le  vehnn 
tendu  dans  chaque  division,  seraient  parfaitement  à  l'abri  de 
l'humidité  et  dans  des  conditions  excellentes,  pour  qu'on  y  pût 
maintenir  une  température  sèche  et  égale. 

Notre  sous-commission  s'est  rendue  au  Champ  de  Mars  pour 
examiner  les  locaux  au  point  de  vue  du  classement  des  collec- 
tions ethnographiques,  et  cette  visite  l'a  pleinement  confirmée 
dans  cette  opinion,  qu'aucun  bâtiment  ne  saurait  mieux  se  prêter 
à  ce  classement. 

Elle  a  projeté  sa  visite  à  l'Exposition,  pour  passer  en  revue 
les  éléments  ethnographiques  que  l'État  possède  et  qui  sont 
répartis  sur  quantité  de  points,  soit  au  Champ  de  Mars,  soit  au 
Trocadéro.  Ces  richesses  sont  considérables  déjà,  et  même,  en 
supposant  un  choix  scrupuleux,  conformément  à  la  méthode 
scientifique,  leur  réunion  couvrirait  la  moitié  de  l'espace  que 
nous  supposons  devoir  être  affecté  au  Musée  ethnographique. 
Or,  nous  n'ignorons   pas  que  beaucoup  de  nos  établissements 


302  LES    ORIGINES    DU    MUSÉE    D  ETHNOGRAPHIE 

d'art  et  de  science  possèdent  quantité  d'objets  en  magasin,  qui 
trouveront  leur  place  dans  un  Musée  ethnographique  et  que  des 
particuliers  n'attendent  qu'une  fondation  de  cette  nature  pour 
donner  à  l'État  leurs  collections  ;  il  est  donc  sage  en  organisant  ce 
musée  et  en  choisissant  un  local,  de  prévoir  celte  abondance  de 
biens. 

Quant  aux  grandes  galeries  des  Machines  et  du  vestibule,  elles 
pourraient  être  affectées  plus  spécialement  au  placement  de 
spécimens  et  moulages  de  monuments  qui  se  rattachent  aux 
études  ethnographiques,  de  plans  en  relief  dont  l'attrait  est  si 
grand  pour  le  public  ;  spécimens  et  plans  qui  encombreraient 
les  locaux  plus  spécialement  destinés  au  classement  des  objets, 
•  Paris  possède  aujourd'hui  tous  les  éléments  propres  à  réta- 
blissement du  plus  beau  Musée  ethnographique  du  monde,  mais, 
pour  donner  à  ce  musée  toute  la  valeur  scientifique  qu'il  doit 
atteindre,  il  sera  nécessaire  de  procéder  dans  le  choix  et  dans  le 
classement  des  objets  suivant  une  méthode  rigoureusement 
suivie  et  d'après  un  programme  dressé  avec  le  soin  le  plus  minu- 
tieux. 

En  conséquence,  notre  sous-commission  a  l'honneur  de  vous 
proposer  d'émettre  un  avis  favorable  à  l'affectation  de  la  partie 
du  palais  du  Champ  de  Mars  dont  elle  vient  de  vous  indiquer 
les  dispositions  futures,  au  Musée  ethnographique. 

Si  la  commission  adopte  ces  conclusions,  elle  n'aurait  plus 
qu'à  prier  M.  le  Ministre  de  poursuivre  auprès  du  Parlement  et 
des  administrations  compétentes,  la  réalisation  d'un  projet  qui, 
certainement  donnera  satisfaction  aux  tendances  tous  lesjours  plus 
prononcées,  du  public,  pour  les  études  qui  se  rattachent  à  la 
connaissance  des  travaux  de  l'homme,  et  qui  par  cela  même 
ouvrent  un  champ  de  plus  en  plus  vaste  à  notre  industrie. 

E.   VlOLLET-LE-DuC. 


CHAPITRE  XIV 

Décret  affectant  le  Palais  du  Trocadéro  au  Ministère  de  l'Instruction  publique 
et  des  Beaux -Arts.  —  Nomination  d'une  Commission  d'organisation  des 
collections  ethnographiques  et  arrêté  attribuant  à  ces  collections  les  étages 
supérieurs  du  Palais.  —  Rapport  sur  ces  collections  présenté  par  M.  Hamy 
au  nom  de  la  Commission.  —  Ouverture  des  crédits  nécessaires  et  nomina- 
tion du  personnel  du  Musée. 

No  LXXXII 

Le  Président  de  la  République  Française  *, 

Sur  le  rapport  du  Ministre  de  rinstruction  publique  et  des 
Beaux -Arts  ; 

Vu  l'ordonnance  dul4  juin  1833  sur  lesalTectations  d'immeu- 
bles domaniaux  à  un  service  public  de  l'Etat,  remise  en  vigueur 
par  le  décret  du  24  mars  1852  ; 

Vu  Tavis  favorable  de  M.  le  Ministre  des  Finances; 

Décrète  : 
Article  1".  — Le  palais  du  Trocadéro  et  ses  dépendances  sont 
désormais  affectés  exclusivement  aux  divers    services  du  Mi- 
nistère de  l'Instruction  publique  et  des   Beaux-Arts. 

Art,  2.  —  Le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux- 
Arts  est  chargé  de  l'exécution  du  présent  décret. 
Fait  à  Paris  le  13  octobre  1879. 

Jules  Grévy. 

Par  le  Président  de  la  République  : 

Le  Minisire  de  l  Instruction  publique 
et  des  Beaux- Arts, 

Jules  Ferry. 
1)  Bulletin  administratif ,  etc.,  t.  XXII,  p.  808-809.  1879. 


304  LES    ORIGINES 

LXXXIII 

Le  Ministre  de  rinslruction  publique  et  des  Beaux-Arts', 

Vu  l'importance  des  collections  ethnographiques  dépendant 
du  Ministère  de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux- Arts; 

Vu  raccroissement  rapide  de  ces  collections,  accroissement 
provenant  soit  de  missions  scientifiques,  soit  de  dons  particuliers; 

Vu  la  nécessité  de  centraliser  ces  collections  et  'de  leur  donner 
un  classement  scientifique  afin  de  préparer  l'org-anisation  d'un 
Musée  d'Ethnographie, 

Arrête  : 
Article  l''".  —  Une  commission  est  instituée  près  le  Ministre  de 
l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts   à  l'efîet  de  diriger  le 
classement  et  l'organisation  des  collections  ethnographiques  qui 
dépendent  de  ce  ministère. 
Art.  2.  —  Sont  nommés  membres  de  cette  commission  : 
MM.  l'amiral  Paris,  président; 

MiLNE  Edwards,  vice-président; 

D""  Broca,  secrétaire  général  de  la  Société  d'anthropologie  ; 

Charton,  sénateur; 

Maunoir,  secrétaire  général  de  la  Société  de  géographie  ; 

Georges  Périn,  député  ; 

De  Quatrefages,  membre  de  l'Institut; 

\rt.  3.  —  MM.  Armand  Landrin  et  le  docteur  Hamy  sont  char- 
gés du  classement  des  dites  collections  sous  la  direction  de  la 
commission.  Ils  assistent  aux  séances  à  titre  consultatif,  mais 
sans  avoir  voix  délibérative. 

Fait  à  Paris,  le  30  octobre  1879. 

Jules  Ferry. 

t)  Bulletin  administratif,  t.  XXII,  p.  886-887.  1879. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  305 

No  LXXXIV 

Le  Ministre  de  l'Inslruction  publique  et  des  Beaux-Arts', 
Vu  le  décret  en  date  du  13  octobre  1879,  sur  la  demande  de 
la  commission  instituée  par  arrêté  du  30  octobre  1879  près  le 
Ministère  de  l'Instruction  publique,  à  l'effet  de  diriger  l'organi- 
sation et  le  classement  des  collections  ethnographiques  dépen- 
dant de  ce  ministère. 
Arrête  : 

Les  salles,  péristyles,  galeries  et  dépendances  occupant  le 
premier  étagedu  palais  duTrocadéro,  les  combles  et  les  magasins 
situés  au-dessus  desdites  salles  et  le  pavillon  annexe,  placé  à 
l'entrée  du  Trocadéro,  du  côté  de  Passy,  sont  affectés  à  la  con- 
servation des  collections  ethnographiques  du  Ministère  de  l'Ins- 
truction publique  et  aux  services  qui  en  dépendent. 

Fait  à  Paris,  le  24  novembre  1879. 

Jules  Ferry. 


N«  LXXXV 


RAPPORT 

SUR   LE  MUSÉE    ETHNOGRAPHIQUE   PRÉSENTÉ  A    M.    LE  MINISTRE  DE  l'iNS- 
TRUCTION  PUBLIQUE  AU  NOM  DE  LA  COMMISSION  SPÉCIALE  [Extrait) 

Par  M.  Hamy,  rapporteur*. 

Monsieur  le  Ministre, 
La  commission  à  laquelle  vous  avez  confié,  par  arrêté  en  date 
du  30  octobre  dernier,  l'organisation  et  le  classement  des  collec- 
tions ethnographiques  appartenant  au  Ministère  de  l'Instruction 

1)  Bulletin  administratif,  etc.,  p.  969.  1879. 

2)  Ce  rapport,  imprimé  comme  Annexe  n°  III  à  l'exposé  des  motifs  du  projet 
de  loi  dont  je  donne  plus  loin  (no  LXXVI)  un  extrait  (no  2824,  Chambre  des 
députés,  etc..  Annexe  au  procés-verbal  de  la  séance  du  29  juin  1SS0),  a  été  re- 
produit dans  le  tome  VI  de  la  3»  série  des  Archives  des  Missions  scientifiques  et 
littéraires  (p.  399)  et  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  géographie  (6^  sér.,  t.  XX, 
p.  188).  Je  n'en  reproduis  ici  que  le  commencement  et  la  fin,  jugeant  inutile  de 
reprendre  en  raccourci  l'histoire  du  Musée,  donton  a  lu  plus  haut  tout  le  détail. 

20 


306  LES    ORIGINES 

publique,  s'est  mise  aussitôt  à  l'œuvre,  et  a  l'honneur  de  vous 
faire  connaître  le  résultat  de  ses  premiers  travaux. 

L'enquête  à  laquelle  se  sont  livrés  les  commissaires  leur  a 
montré  que  les  collections,  rassemblées  par  les  soins  des  mission- 
naires scientifiques  du  gouvernement  et  des  deux  conservateurs 
provisoires,  sont,  dès  à  présent,  assez  riches,  assez  nombreuses, 
assez  variées  pour  former  un  musée  public,  susceptible  de  rendre 
de  véritables  services  et  qui  prendrait,  tout  de  suite,  un  rang  très 
honorable  entre  les  établissements  de  même  genre  que  possèdent 
la  plupart  des  grandes  villes  de  TEurope. 

Les  services  qu'est  appelé  à  rendre  le  musée  spécial,  dont  la 
création  est  sollicitée  à  Paris  depuis  près  d'un  siècle,  sont  de 
divers  ordres.  En  effet,  les  collections  ethnographiques  ne  sont 
point  seulement  utiles  à  la  connaissance  de  l'anthropologie,  con- 
sidérée sous  ses  faces  diverses  ;  elles  contribuent  en  outre  dans 
une  large  mesure  aux  progrès  des  autres  sciences  naturelles,  et 
sont  appelées  à  fournir  des  renseignements  parfois  si  précieux 
aux  économistes,  aux  commerçants,  aux  industriels,  aux  ar- 
tistes,etc.,  etc. 

L'ethnographie,  prise  en  elle-même,  est  une  des  branches  les 
plus  importantes  de  la  science  de  l'homme.  L'étude  de  toutes  les 
manifestations  matérielles  de  V activité  humaine  lui  appartient  en 
effet,  tout  entière,  et  si,  dans  les  limites  qu'on  lui  assigne  aujour- 
d'hui, l'homme  lui-même  reste  en  dehors  de  son  contrôle,  elle  a  du 
moins  à  recueillir  et  à  coordonner  les  observations  auxquelles 
prêtent  les  groupes  ethniques  dans  leur  vie  intime  et  dans  leurs 
rapports  réciproques.  Alimentation  et  logis,  habillements  et 
parures,  armes  de  guerre  et  instruments  des  travaux  de  la  paix, 
chasse,  pêche,  cultures  et  industries,  moyens  de  transports  et 
d'échanges,  fêtes  et  cérémonies  civiles  et  religieuses,  jeux  de 
toute  sorte,  arts  plus  ou  moins  développés,  tout  ce  qui^  dans 
^existence  matérielle  des  individus,  des  familles  ou  des  sociétés, 
présejite  quelque  trait  bien  caractéristique,  est  du  domaine  de 
ï  ethnograiphie . 

Les  innombrables  documents,  qu'une  étude  aussi  vaste  vient 
chaque  jour  fournir,  ont,  à  la  longue,  formé  tout  un  ensemble 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  307 

d'une  nature  spéciale,  toute  une  science  nouvelle,  d'ordre  secon- 
daire sans  doute,  mais  ayant  sa  vie  propre,  son  but  bien  défini,  ses 
limites  circonscrites,  et  possédant  déjà  des  résultats  acquis  d'une 
manière  bien  assurée.  Maintes  sciences  connexes  utilisent  ses 
renseig^nements,  et  l'anthropologie  en  particulier,  dont  elle  est 
une  dépense,  vient  lui  demander  chaque  jour  de  précieuses  indi- 
cations. Elle  rinterrog-e  plus  particulièrement  sur  ces  grandes 
questions  d'origine,  qui  passionnent  à  bon  droit  tant  d'esprits 
élevés,  et  l'ethnographie  répond,  tantôt  en  mettant  en  évidence 
d'une  manière  irrésistible  la  doctrine  du  progrès  continu  des 
sociétés,  qu'attestent  les  âges  de  pierre,  de  cuivre,  etc.,  dont 
elle  retrouve  presque  partout  la  trace,  tantôt  en  démontrant  par 
la  similitude  des  usages  et  du  genrede  vie, lesrelations  premières 
de  peuples  séparés  comme  les  Guaranis  des  Andes  de  leurs  congé- 
nères, par  des  intervalles  énormes  dans  l'espace  et  dans  le  temps. 

L'ethnologie  ou  anthropologie  descriptive  complète,  à  l'aide 
des  données  ethnographiques,  le  tableau  des  caractères  différen- 
tiels dont  l'anatomie  lui  a  fourni  la  première  esquisse,  et  il  lui 
arrive  souvent  de  se  servir  de  quelque  trait  ethnographique  pour 
instituer  des  subdivisions  nécessaires  entre  des  groupes  secon- 
daires de  même  type  physique,  comme  les  Papouas. 

La  linguistique,  la  mythologie  comparée,  la  sociologie  utili- 
sent, de  semblable  manière,  les  documents  sur  l'épigrapliie,  les 
superstitions,  etc.,  sous  l'examen  desquels  ces  branches  de  la 
science  de  l'homme  demeureraient  insuffisamment  renseignées. 

Il  en  sera  de  même  de  toutes  les  autres  sciences  naturelles. 

Dans  le  matériel  funéraire  qu'un  ethnographe  aura  recueilli  le 
long  des  côtes  du  Pérou,  un  zoologiste,  M.  Alphonse  Mihie 
Edwards,  retrouvera  le  type  oublié  du  cobaye  primitif;  un  bota- 
niste, à  l'aide  des  mêmes  fouilles,  reconstituera  l'histoire  de 
plantes  utiles,  aujourd'hui  disparues  ;  un  minéralogiste  rencon- 
trera, sous  forme  d'amulettes,  dans  les  collections  du  docteur 
Crevaux,  la  véritable  pierre  des  Amazones,  bien  différente  de 
la  roche,  à  laquelle  on  applique  aujourd'hui  ce  nom  '. 

1)  Tous  ces  faits  sont  empruntés  à  l'histoire  du  Muséum  provisoire  d'ethno- 
graphie de  Paris. 


308  LES    ORIGINES 

Le  médecin  a  appris  de  l'ethnographe  à  connaître  le  quinquina, 
le  curare,  etc.  ;  le  chirurgien  lui  a  emprunté  l'acupuncture,  les 
moxas,  etc.;  l'hygiéniste  tient  de  lui  les  données  à  l'aide  des- 
quelles il  étudie  l'influence  des  habitudes  et  des  mœurs  sur  la 
santé  des  nations. 

Le  commerçant  lui  doit,  en  nombre  incalculable^  les  matières 
alimentaires,  textiles,  tinctoriales,  aromatiques,  etc.,  que  les 
barbares  connaissaient  avant  nous,  et  dont  l'ethnographe  a  le 
premier  révélé  les  propriétés  et  l'usage  :  manioc,  phormium, 
rocou,  caoutchouc,  santal,  etc.  *. 

Diverses  industries  perfectionnées  sont  sorties  de  l'examen 
des  procédés  tout  primitifs  de  quelques  grossiers  sauvages  ^ 

Les  arts  industriels  varieront  agréablement  leurs  modèles,  en 
étudiant  les  objets  de  toute  nature  décorés  par  les  peuples  exo- 
tiques. Enfin  l'art  lui-môme,  en  se  faisant  ethnographique, 
rencontrera  parfois  d'heureuses  inspirations. 

Tel  est,  en  quelques  mots,  le  rôle  de  l'ethnographie  ;  tels  sont 
les  résultats  que  peut  procurer  la  formation  d'un  musée  consacré 
à  cette  branche  de  la  science  de  l'homme. 


1)  Le  commerce  d'exportation  n'est  pas  moins  intéressé  aux  progrès  de 
l'ethnographie  que  le  commerce  d'importation.  La  connaissance  exacte  des  goûts 
et  des  mœurs  du  Japon,  que  représente  largement  à  Leyde  le  Musée  Siebold, 
eût  certainement  épargné,  il  y  a  quelques  années,  bien  des  déboires  à  plus 
d'une  grande  maison  de  Paris.  Hier  encore,  faute  de  renseignements  précis  sur 
les  objets  en  usage  chez  les  Soudaniens,  au  Bournou,  etc.,  renseignements 
qu'on  possède  au  Musée  ethnographique  de  Berlin,  et  qui  nous  font  complète- 
ment défaut,  nos  négociants  se  voyaient  dans  l'impossibilité  de  profiter  des  ser- 
vices que  l'expédition  Flatters  était  disposée  à  leur  rendre  en  introduisant,  dans 
le  Soudan,  des  produits  de  fabrication  française  en  harmonie  avec  les  besoins 
et  les  goûts  des  natifs. 

2)  Les  ateliers  de  Tilpman,  de  Philadelphie,  dans  lesquels  on  grave  le  verre, 
le  corindon,  etc.,  à  laide  d'un  courant  d'eau  chargé  de  sable  sous  une  fort 
pression  (3G0  livres  par  pouce  carré),  ne  font  en  somme  qu'appliquer  une  vieille 
découverte  dos  Kanakes  de  la  Nouvelle-Calédonie. 

3)  J'ai  supprimé  ici  l'histoire  abrégée  du  Musée,  qui  n'a  plus  sa  raison 
d'être  après  l'exposé  détaillé  qui  forme  la  première  partie  de  ce  travail,  et  qui 
d'ailleurs,  rédigée  précipitamment  pour  l'administration,  contenait  quelques 
appréciations  erronées.  (E.  H.) 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  309 

Quoique  le  dernier  venu  entre  tant  d'établissements  remar- 
quables*, quoique  privé,  d'une  grande  partie  des  collections  spé- 
ciales rapportées  au  gouvernement  depuis  la  Restauration  et 
dispersées  ou  perdues  aujourd'hui,  le  Musée  ethnographique 
provisoire  du  Ministère  de  l'Instruction  publique,  emmagasiné 
dans  les  locaux  que  lui  a  attribués  l'arrêté  du  24  novembre  der- 
nier^ est,  dès  à  présent,  assez  considérable  pour  mériter  d'appeler 
l'attention  de  tous  les  hommes  dont  les  études  ou  les  intérêts 
touchent  aux  questions  exotiques,  et  de  tous  ceux  aussi  qui  se 
préoccupent  en  France  de  la  connaissance  des  pays  étrangers 
et  du  développement  de  nos  relations  extérieures. 

Des  milliers  d'objets,  sont,  dès  à  présent,  groupés  dans  le 
premier  étage  du  palais  du  Trocadéro.  Le  fonds  dit  des  émigrés^ 
dont  il  était  question  plus  haut,  et  les  anciennes  collections  du 
Jardin  du  Roi  et  de  la  Ribliothèque  Sainte-Geneviève,  seuls 
témoins  des  voyages  de  La  Condamine,  de  Bougainvillo,  etc., 
qui  aient  échappé  à  la  destruction,  nous  ont  été  remis  par 
l'administration  de  la  Bibliothèque  nationale.  Nous  avons  reçu 
du  même  établissement  un  petit  nombre  d'objets  provenant  de 
la  grande  commission  d'Egypte.  Nous  avons  pu  extraire  de 
l'ancien  Musée  algérien  les  séries  fort  précieuses  qui  y  représen- 
taient l'ethnographie  arabe  et  kabylC;,  et  dont  nul  autre  établis- 
sement similaire  en  Europe  ne  pourrait  montrer  aujourd'hui  la 
deuxième  partie.  La  Bibliothèque  de  l'Arsenal  nous  a  offert  la 
petite  collection  fort  curieuse  réunie  auxviii"  siècle  parle  marquis 
de  Prony.  Le  Muséum  d'Histoire  naturelle  nous  a  remis  la  plupart 
des  pièces  qu'il  avait  reçues  depuis  1833' ,  ainsi  qu'un  grand 
nombre  de  moulages  dont  cette  institution  possède  les  creux. 
Enfin  le  Musée  des  Antiquités  nationales  a  mis  à  notre  dispo- 
sition les  objets  qu'il  possède  et  qui  ne  sont  pas  nécessaires  aux 

1)  J'énuraérais  dans  les  dernières  lignes  du  chapitre  supprimé  les  principaux 
musées  d'elhnograptiie  d'Europe  (Londres,  Copenliague,  Berlin,  elc.)     (E.  H.) 

2)  Voy.  Documents,  pièce  n"  LXXXIV. 

3)  On  a  vu  plus  haut  que  le  11  mai  1883  radministralion  de  cet  établissement 
avait,  sur  une  demande  du  ministre,  déposé  entre  les  mains  du  conservateur 
du  Musée  naval  trente-deux  lots  d'objets,  comprenant  85  pièces  entrées  depuis 
les  envois  faits  à  Millin  et  à  Barthélomy  en  l'an  V  {Dociim.,  pièces  n"'  Vif  à 
X,  XII,  XXXVIII,  L,  etc.). 


310  LES    ORIGINES 

comparaisons   sur   lesquelles   s'appuie    l'archéologie    préhisto- 
rique. 

Nous  n'avons  presque  rien  retrouvé  des  collections  recueillies 
sous  l'Empire  par  les  missionnaires  de  l'Etal,  et  notamment  par 
ceux  qui  ont  accompagné  l'expédition  française  au  Mexique. 
Mais  un  arrangement  conclu  avec  M.  Pinart,  il  y  a  deux  ans  et 
demi,  ayant  assuré  au  gouvernement  la  propriété  d'un  lot  impor- 
tant d'antiquités,  etc.,  acquis  par  ce  voyageur  d'un  de  nos 
anciens  résidents  à  Mexico,  les  pertes  faites  de  ce  côté  ont  pu 
être  en  partie  réparées. 

Les  missions  scientifiques  entreprises  depuis  la  paix  avaient, 
en  revanche^  accumulé  dans  les  magasins  du  Ministère  de 
véritables  montagnes  de  caisses  de  toute  provenance  dont  Je 
contenu,  trié  et  classé  par  les  conservateurs  provisoires,  formerait 
tout  un  musée.  Vous  avez  pu  voir,  Monsieur  le  Ministre,  dans 
l'exposition  qui  a  eu  lieu  au  Palais  de  l'Industrie  en  janvier  et 
février  1878  une  partie  de  ces  séries.  L'Asie  y  était  représentée 
par  des  envois  nombreux  et  variés  de  MM.  Delaporte,  Harmand, 
de  Ujfalvy,  Lansberg,  La  Savinière  ;  l'Afrique  par  les  panneaux 
de  MM.  Marche  et  Verneau,  l'Amérique  du  Nord  par  les  collec- 
tions de  M.  Pinart,  l'Amérique  du  Sud  par  celles  de  MM.  Crevaux 
Wiener,  André  de  Cessac,  l'Océanie  enfin,  par  les  objets  do 
MM.  Rafîray  et  Ballieu. 

Depuis  cette  exposition,  les  envois  des  missions  ont  continué  à 
arriver  de  plus  en  plus  nombreux  et  importants.  Certains  désor- 
mais que  les  pièces,  recueillies  au  prix  de  tant  de  fatigues  et  de 
dépenses,  seraient  soigneusement  conservées  et  montrées  au 
public,  nos  voyageurs  ont  redoublé  d'efforts. 

C'est  ainsi  que  M.  Pinart  a  recueilli  pour  le  nouvel  établisse- 
mont,  dans  les  archipels  Fidji,  des  Amis,  do  la  Société,  une 
incomparable  série  d'objets  de  toute  espèce  que  remplacent,  de 
plus  en  plus,  chaque  jour,  chez  les  naturels,  des  produits  euro- 
péens. 

M.  Gharnay  a  rapporté  d'Australie  tout  un  matériel  acquis  de 
tribus  sauvages  dont  l'anéantissement  est  proche.  M.  Cabun  a 
enrichi  notre  dépôt  de  plusieurs  pièces  inédites  du  pays   des 


DU    MUSÉE    d'ethnographie  311 

Ansariés,  où  il  a  récemment  pénétré.  MM.  Verneau  et  Soleillet 
nous  ont  remis  un  certain  nombre  de  choses  rares  des  Canaries 
et  du  Soudan  occidental.  M.  Crevaux,  dont  la  collection  ne  com- 
prenait en  1878  qu'une  soixantaine  de  numéros,  a  rempli  toute 
une  salle  des  documents  les  plus  curieux  sur  les  Indiens  de 
la  Ilaute-Guyane  et  du  Haut-Amazone.  M.  Ber  a  déposé  au 
Trocadéro  les  résultats  de  fouilles  nombreuses  dans  les 
ruines  de  Tiaguanaco.  M.  de  Cossac,  enfin,  ramène  en  ce  mo- 
ment de  Californie  plusieurs  milliers  de  pièces  d'ethnographie 
indienne. 

En  même  temps  que  les  collections  des  voyageurs  de  l'Etat 
augmentent  dans  ces  proportions,  les  dons  affluent  d'une  manière 
inattendue  entre  les  mains  des  conservateurs.  A  la  suite  de 
l'Exposition  universelle,  un  certain  nombre  de  commissions 
étrangères  avaient  cédé  tout  ou  partie  des  pièces  exposées  par 
leurs  gouvernements.  Ainsi  que  le  Journal  officiel  du  19  octobre 
1878  l'apprenait  au  pays,  vingt-sept  États,  parmi  lesquels 
l'Egypte,  la  Chine,  le  Japon  et  plusieurs  colonies  anglaises  se 
signalaient  tout  particulièrement,  s'étaient  ainsi  constitués  les 
collaborateurs  de  l'œuvre  que  le  Ministère  de  l'Instruction 
publique  avait  reprise  avec  tant  de  bonheur. 

A  ces  dons  d'origine  officielle  sont  venus  s'en  joindre  un  bon 
nombre  d'autres  émanés  d'institutions  scientifiques,  de  groupes 
coloniaux  ou  de  particuliers.  L'Académie  indo-chinoise,  par 
exemple,  s'est  défait  à  notre  profit  des  documents  que  M.  Vossion 
lui  avait  rapportés  de  Birmanie.  Le  conseil  du  Sénégal  a  voté 
une  somme  destinée  à  réunir  pour  le  nouveau  musée  parisien  les 
choses  les  plus  caractéristiques  de  l'ethnographie  coloniale.  Un 
premier  envoi  est  déjà  parvenu  à  destination.  M.  Merle,  de 
Bordeaux,  vient  d'envoyer  quatre  caisses  d'objets  variés  de 
même  provenance,  d'autant  plus  intéressants  qu'ils  remontent 
plus  haut  dans  le  passé  do  cette  ancienne  et  honorable  maison. 
M.  Goldthammer  nous  a  libéralement  enrichis  de  bien  des 
pièces  curieuses  du  Maroc  et  des  côtes  occidentales  d'Afrique. 
MM.  Bischoff"sheim,  Djedjienski,  FoUiet,  Mir,  Boucart,  Rcy, 
Quesnel,  DrouUion,  Harmsen,  et  d'autres  encore,  Français  et 


312  LES    ORIGINES 

étrangers,  figurent  dans  l'inventaire  en  cours  d'exécution  pour 
des  dons  plus  ou  moins  importants. 

N'oublions  pas,  en  terminant  cette  énumération  rapide,  le 
legs  généreux  de  M.  Léonce  Angrand,  à  l'occasion  duquel  le 
musée  provisoire  a  été  constitué. 

Vous  le  voyez,  Monsieur  le  Ministre,  les  collections  dont  vous 
nous  avez  confié  l'organisation  et  le  classement  sont  riches, 
nombreuses  et  variées,  et  nous  sommes  en  droit  de  penser  que  les 
services  que  le  musée  est  appelé  à  rendre  et  sur  la  nature  des- 
quels nous  insistions  en  commençant  ce  rapport,  seront  déprime 
abord  considérables. 

La  question  d'espace,  qui  avait  entravé  l'essor  des  premières 
collections  confinées  dans  d'étroits  locaux,  au  Louvre  et  à  la 
Bibliothèque,  a  été  résolue  par  votre  arrêté  du  24  novembre  der- 
nier, qui  assure  aux  collections  ethnographiques  leur  libre  déve- 
loppement dans  les  salles  du  premier  et  du  second  étage  du 
palais  du  Trocadéro. 

Il  reste  à  aborder  l'étude  du  budget  du  nouvel  établissement. 

Les  dépenses  nécessaires  pour  assurer  son  installation  maté- 
rielle et  son  fonctionnement  régulier  ont  été  évaluées  à  diverses 
reprises,  et  vous  avez  entre  les  mains.  Monsieur  le  Ministre,  les 
renseignements  les  plus  complets  sur  la  matière.  Nous  espérons 
que  les  représentants  du  pays,  auxquels  vous  voudrez  bien 
demander  un  crédit  spécial  en  faveur  du  Musée  d'ethnographie, 
désireux  d'encourager  des  efforts  qui  ont  pour  but  de  développer 
dans  notre  pays  une  science  des  plus  utiles  et  des  moins  répan- 
dues, n'hésiteront  pas  à  vous  fournir  les  moyens  de  donner  un 
caractère  définitif  au  musée  provisoire  et  de  réaliser  ainsi 
l'accomplissement  d'une  œuvre  scientifique  dont  Lakanal, 
Cuvier^  Rémusat  et  tant  d'autres  bons  esprits  ont  successivement 
réclamé  l'exécution  *. 

1)  Ce  rapport,  adopté  par  la  Commission  du  Musée  d'ethnographie,  composée, 
ain?i  qu'on  l'a  vu  plus  haut,  de  MM.  l'amiral  Paris,  président,  H.  Milne  Edwards, 
vice-président;  Broca,  Charton,  Maunoir,  G.  Perrin,  de  Quatrefages,  membres; 
Hamy,  Landrin,  membres  adjoints,  a  été  présenté  à  M.  le  Ministre  de  l'Ins- 
truction publique  le  26  janvier  1880. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  3i3 

N-  LXXXVI 

CHAMBRE    DES   DÉPUTÉS 
Deuxième  législature. 

SESSION        DE        4880. 

Annexe  au  procès-verbal  de  la  séance  du  W  juin  iSSO.  —  Projet 
de  loi  concernant  ï ouverture  de  crédits  supplémentaires  sur 
l'exercice  i 879  ;  l'ouverture  et  l'annulation  de  crédits  supplé- 
mentaires et  extraordinaires  sur  l'exercice  1880,  etc.  *. 

exposé  des  motifs 

Ministère  de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts, 
PREMIÈRE  SECTION.  —  Chapitre 26,  Voyages  et  Missions  scientifiques. 

Crédit  supplémentaire  demandé  :  12,230  francs. 

Les  Chambres  ont,  en  principe,  approuvé  la  création  d'un  éta- 
blissement qui  centraliserait  les  richesses  ethnographiques  appar- 
tenant au  Ministère  de  l'Instruction  publique  et  les  résultats 
matériels,  chaque  année  plus  considérables,  des  missions  scienli- 
fiques . 

A  cet  effet,  elles  ont  accordé  au  chapitre  26  de  l'exercice  1880 
une  légère  augmentation  destinée  «  à  préparer  l'établissement 
d'un  Musée  ethnographique  ». 

Depuis  le  vote  du  budget,  le  «  Musée  provisoire  d'ethno- 
graphie »  a  pris  un  caractère  plus  défini.  LeTrocadéro  a  été  cédé 
au  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts,  qui  a 
réservé  une  partie  des  bâtiments  de  ce  palais  pour  que  les  riches 
collections  du  Ministère  y  soient  déposées,  'classées  et  conservées. 

La  somme  supplémentaire  inscrite  au  chapitre  26  du  budget 
courant  a  reçu  son  atfectation.  Les  frais  de  premier  établisse- 
ment, d'aménagement,  de  transport,  de  centralisation  Tout  com- 
plètement absorbée. 

Le  Musée  d'ethnographie  existe  en  réalité,  mais  il  ne  saurait 
vivre  sans  que  l'Etat  subvienne,  dès  cette  année,  par  un  crédit 

1)  Joiirn.  officiel. 


314  LES   ORIGINES 

additionnol,  à  une  larg-e  part  des  dépenses   qu'il  nécessitera  à 
partir  de  1881. 

Ces  dépenses  s'élèvent  à  24,500  francs,  qu'on  répartira  ainsi  : 

PERSONNEL. 

Deux  conservateurs  à  4,000  francs,  ci  .  .  .  .  8,000  fr. 
Ils  seront  chargés  de  veiller  à  l'entretien ,  au  clas- 
sement scientiPiquo  et  à  l'accroissoinent  des  collec- 
tions et  delà  bibliothèque;  ils  dresserontle  catalogue 
des  collections,  tiendront  note  des  entrées  et  des 
sorties  d'objets  divers  provenant  des  dons,  acqui- 
sitions, échanges  ou  cessions.  L'un  de  ces  deux 
conservateurs  remplira,  en  outre,  les  fonctions 
d'agent  comptable  du  musée  et  celles  d'administra- 
tem-  du  Trocadéro. 

Uu  gardien  chef,  ci ....         I,.i00 

Quatre  gardiens  à  1,200  francs,  ci  .  .  .  :  .  4,800 
Un  atelier  de  moulage  oii  seront  reconstitués,  à 
l'aide  des  éléments  divers  qui  se  trouvent  au  Mu- 
séum d'Histoire  naturelle  ou  de  ceux  que  recueillent 
nos  missionnaires  scientifiques,  les  types  des  races 
inconnues  ou  étrangères,  sera  confié  aux  soins  d'un 
moulour-modeleur,  qui  doit  être  choisi  parmi  les 
plus  expérimentés  et  dont,  par  conséquent,  le  trai- 
tement ne  peut  être  inférieur  à 2,000 


Total  des  dépenses  du  personnel     .     .     .       16,300  fr. 

MATÉRIEL. 

Le  service  des  missions,  porté  au  budget  ordi- 
naire pour  une  somme  de  200,000  francs,  fournira 
au  Musée  d'ethnographie  un  nombre  d'objets  assu- 
rément considérable,  car  toute  la  partie  ethnogra- 
phique des  collections  réunies  par  les  vo5'ageurs 
chargés  démissions  scientifiques  lui  sera  néces- 
sairement réservée. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  31 5 

Il  convient  cependant  d'établir  un  chapitre  spé- 
cial au  profit  d'un  matériel  indispensable  h  la  mise 
en  valeur  de  ces  objets  et  au  fonctionnement  régu- 
lier du  musée. 

Quelque  désir  que  l'on  ait  de  restreindre  ce  cha- 
pitre, il  semble  impossible  de  le  réduire  à  une 
somme  inférieure  à  8,200  francs. 

Cette  somme  pourrait  être  divisée  ainsi  qu'il  suit  : 

Frais  de  modèles  relatifs  à  l'atelier  de  moulage, 
reproduction  d'estampag-es,  achats  de  plâtre,  de 
documents,  d'outils,  elc 2,200    fr. 

Matériel  général,  c'est-à-dire  l'éclairage,  le 
chauffage  dos  bureaux,  les  frais  de  reliure,  d'im- 
pression, d'achats  de  papier  de  toute  nalure.     ,     .         2,500 

Enfin,  l'entretien  de  la  bibliothèque  et  des  col- 
lections, les  réparations  très  nombreuses  et  assez 
coûteuses  des  objets  délicats  qui,  dans  les  voyages 
ou  les  divers  transports,  subissent  des  détériora- 
tions inévitables  ;  l'obligation  d'acquérir  des  spé- 
cimens curieux,  offerts  souvent  à  l'Administration 
à  un  prix  infiniment  inférieur  à  leur  valeur  réelle, 
nécessitent  des  dépenses  importantes,  pour  les- 
quelles le  chiffre  minimum  du  budget  nécessaire 

serait  de 3,500 

Total  des  dépensf.s  du  personnel   ,     .     .       16,300 


Total  géxéhal 24,500   fr. 

On  a  tout  lieu  d'espérer  qu'après  avoir  lu  le  rapport  ci- 
annexé  de  la  Commission  d^organisation,  les  Chambres  en  ap- 
prouveront entièrement  les  conclusions. 

Mais,  comme  l'emploi  de  ce  crédit  additionnel  sur  l'exercice 
courant  ne  peut  avoir  son  effet  que  pour  le  second  semestre  de 
1880,  on  ne  demande  que  la  moitié  du  crédit,  soit  12,250  francs. 

1)  Voy.  Dncummtfi,  pièce  n°  LXXXV. 


316 


LES    ORIGINES 


N°  LXXXV 


MINISTÈRE 
de    l'Instruction 

et  dil^Beaux-Arts.  ^^  Ministre  de  F  Instruction  publique 

et  des  Beaux-Arts  \ 


BUREi^U 

de  l'Enseignement 

général 
et  des  Archives. 


Vu  la  loi  du  17  juillet  1880,  portant  ouverture  au  chapitre  26 
du  budget  d'un  crédit  supplémentaire  de  11,050  francs  destiné  à 
réunir  en  un  musée  les  collections  ethnographiques  du  Ministère 
de  rinslruetion  publique, 

ARRÊTE  : 

Article  premier. 

Les  collections  ethnographiques  provenant  soit  de  dons,  acqui- 
sitions ou  échanges,  opérés  au  profit  du  Ministère  de  l'Instruc- 
tion publique,  soit  des  missions  scientifiques  ordonnées  par  ce 
ministère,  seront  organisées  en  musée  d'ethnographie. 

Article  2. 

Ce  musée  demeure  installé  au  palais  du  Trocadéro,  dans  le 
local  qu'occupent  lesdites  collections. 

Le  personnel  comprendra  : 

Une  commission  de  surveillance  et  de  classement,  deux  con- 
servateurs et  divers  agents. 

Article  3. 

La  commission  do  surveillance  reste  telle  qu'elle  a  été  cons- 
tituée par  arrêté  du  30  octobre  1879.  Elle  donnera  son  avis  sur 
la  détermination  et  le  classement  des  collections  et  pourra   être 

1)  Bulletin  administratif,  etc.,  t.  XXIII,  p,  843-844.  1880. 


DU  MUSÉE  d'ethnographie  317 

consultée  sur  la  répartition  entre  les  difTérents  établissements  de 
l'État  des  objets  scientifiques  qui  parviendront  au  ministère. 

Article  4. 

M.  le  docteur  Ilamy,  aide  naturaliste  au  Muséum  d'histoire 
naturelle,  membre  des  Sociétés  de  géographie  et  d'anthropologie 
de  Paris,  est  nommé  conservateur  dudit  musée. 

Il  sera  chargé  du  classemeot  scientifique  et  de  l'installation 
des  collections. 

Article  5. 

M.  Landrin,  Armand,  membre  de  la  Société  d'anthropologie, 
est  également  nommé  conservateur  dudit  musée. 

Article  6. 

Chacun  des  deux  conservateurs  recevra  un  traitement  de 
4,000  francs. 

Article  7. 

M.  Hébert,  Jules,  sculpteur  modeleur,  sera  chargé  des  mou- 
lages, reproductions  et  restaurations  destinées  au  Musée  d'ethno- 
graphie. 

Il  recevra,  à  ce  titre,  un  traitement  de  2,000  francs. 

Article  8. 

M.  Renardeux,  Jules,  est  nommé  brigadier  des  gardiens  du 
Musée  d'ethnographie. 

Il  recevra,  à  ce  titre,  un  traitement  de  i  ,500  francs. 

Article,  9. 

Les  sieurs  Landry,  Charles,  et  Fossard,  Lucien,  sont  nommés 
gardiens  du  Musée  d'ethnographie. 

Chacun  d'eux  recevra,  en  cette  qualité,  un  traitement  de 
1,200  francs. 


3l8  LES  ORIGINES 


Article  10. 


Les  Iraitemenls  de  tous  les  fonctionnaires  et  agents  ci-dessus 
désignés  seront  soumis  à  retenue  et  payables  à  partir  du  1"  juil- 
let courant  sur  le  chapitre  26  du  budget  de  l'exercice  1880. 

Fait  à  Paris,  le  19  juilleli880. 

Signé  :  Jules  Ferry. 
Pour  ampliation  : 

Le  chef  du  bureau  des  Archives, 

H.  Valmore. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PREMIÈRE  PARTIE 

HISTOIRE  Pages. 

Lettre  à  M.  Xavier  Charmes,  membre  de  l'Iastilut 1 

Chapitre  premier.  —  Les  premières  collections  royales.  —  Missions 
scientifiques  ordonnées  par  François  I".  —  Cabinet  des  curiodtés 
du  Roi.  —  André  Thevet  en  est  le  premiBr  garde.  —  Jean  Mocquet, 
garde  du  cabinet  des  sinijularitcz  de  Henri  IV.  —  Ses  voyages  et 

ses  collections « ^ 

Chapitre  IL  — Les  missions  scientifiques  sous  Louis  XIV.  — Le  Cabinet 
des  médailles.  —  Collections  rapportées  par  Vansleb  et  Paul  Lucas. 

—  Premières  collections  ethnographiques  formées  sous  Louis  XVI. 

—  Antiquités  recueillies  au  Pérou  par  Dombey l*^ 

Chapitre  III.  —  Le  Muséum  des  Antiquités  à  la  Bibliothèque  nationale. 

—  Ethnographie  et  archéologie.  —  Le  cabinet  du  stathouder  en- 
voyé par  Thouin.  —  Confiscations  chez  les  émigrés.  —  Le  cabinet 
Berlin.  —  Anciennes  collections  du  Jardin  du  Roi.  —  Collection 
Gauthier.  —  Barthélémy  de  Courçay  et  sa  classification '■^'■ 

Chapitre  IV.  —  Mort  de  Barthélémy.  —  Son  œuvre  est  abandonnée.  — 
Création  d'un  dépôt  de  géographie  à  la  Bibliothèque.  —  ElTorts  de 
Jomard  en  faveur  d'un  musée  géo-ethnographi(|ue.  —  Débuts  du 
Musée  de  Marine.  —  Lamare-Picquot  et  ses  collections,  — Constitution 
d'une  commission  qui  propose  la  fondation  d'un  établissement  spé- 
cial à  la  Bibliothèque.  — Revendications  de  la  Marine.  —  Le  Conser- 
vatoire de  la  Bibliothèque  repousse  les  conclusions  de  la  commission 
du  Musée  d'Ethnographie. —  Création  d'une  section  ethnographique 
au  Musée  de  Marine 37 

Chapitre  V.  —  Projets  de  1854.  —  Dernières  tentatives  et  mort  de 
Jomard.  —  L'ethnographie  au  Musée  des  Antiquités  nationales  de 
Saint-Germain.  —  Plan  d'agrandissement  de  la  Section  ethnogra- 
phique du  Louvre.  —  La  mission  Wiener  et  le  legs  Angrand.  — 
Création  et  exposition  provisoire  du  Musée  ethnographique  des 
Missions  scientifiques.  —  L'ethnographie  à  l'Exposition  universelle 
de  1878 51 


320  TABLE    DES    MATIÈHES 


Pages 


Chapitre  VI.  —  Nomination  d'une  commission  chargée  d'étudier  l'orga- 
nisation définitive  du  Musée.  —  Plans  irréalisables  de  Viollet-le- 
Duc,  —  Installation  provisoire  des  collections  au  Trocadéro.  — 
Répartition  des  locaux  disponibles  du  palais  entre  les  Beaux-Arts  et 
l'Instruction  publique.  —  Commission  du  Musée  d'Ethnographie. 
—  Rapport  au  ministre  et  vote  des  crédits  par  la  Commission  du 
budget.  —  Constitution  définitive  du  Musée 63 


DEUXIEME  PARTIE 

DOCUMENTS 

Chapitre  premier.  —  L'ethnographie  au  Cabinet  du  Roi  et  au  Muséum 
desAntiques.  — Anciens  catalogues.  — Collection  Dombey.  —  Musée 
du  Stalhouder.  —  Objets  ethnographiques  des  émigrés.  —  Collec- 
tions Bertin  et  Gauthier.  —  Collections  du  Muséum  national  d'His- 
toire naturelle 69 

Chapitre  II.  —  Ordonnance  de  1828.  —  Commentaires  sur  celte  ordon- 
nance. —  Premières  tentatives  de  Jomard  pour  constituer  le  dépôt 
ethno-géographique  de  la  Bibliothèque  du  Roi. 90 

Chapitre  III.  —  Collection  Lamare-Picquot.  —  Rapports  sur  cette  collec- 
tion à  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  à  la  Société  asia- 
tique et  à  la  Société  de  géographie,  par  Abel  Rémusat,  Burnouf  et 
Jomard 103 

Chapitre  IV.  —  Brochure  de  Jomard  sur  le  but  et  l'utilité  d'une  collection 

ethnographique.  —  Réponse  deFérussac 125 

Chapitre  V.  —  Lettre  de  Jomard  sollicitant,  à  l'occasion  de  la  collection 
Lamare-Picquot,  l'exécution  de  l'ordonnance  de  1828  en  ce  qui  concerne 
l'ethnographie.  —  Constitution  d'une  commission  spéciale.  —  Objec- 
tions de  Champollion-Figeac  et  réponse  qui  leur  est  faite.  —  Rapport 
de  la  Commission.  —  Calcul  approximatif  de  l'espace  et  de  la  dépense 
nécessaires  au  dépôt  ethnographique.  —  Noie  de  Hipp.  Royer-Col- 
lard.  —  Ajournement , 103 

Chapitre  VI.  —  Pétitions  de  Lamare-Picquot.  —  Recommandation  du 
député  Bodin.  —  Nouvelle  lettre  de  Jomard  en  faveur  du  dépôt  eth- 
nographique. . 187 

Chapitre  VIL  —  Revendications  du  Ministre  de  la  Marine  en  faveur  du 
Musée  naval.  —  CorrespondanceduMinistre  de  l'Instruction  publique 
à  ce  sujet  avecle  Muséum,  Saint-Geneviève  et  la  Bibliothèque  royale. 
—  Lettre  confidentielle  de  Letronne  pour  provoquer  une  discussion 
du  Conservatoire  de  la  Bibliothèque  royale  sur  le  Musée  ethnogra- 
phique. —  Délibération  du  Conservatoire  et  rapport  au  Ministre.  — 
Nouvel  ajournement 195 


TABLE    DES    MATIÈRES  321 

Pages. 

Chapitre  VIII.  —  Nouvelles  démarches  de  Jonaard.  —  Projet  restreint 
du  Musée  ethnographique  à  la  Bibliothèque  (1838).  —  Ordonnance 
de  1839.  — Mesures  proposées  par  Jomard  pour  la  mettre  à  exécu- 
tion        217 

Chapitre  IX,  —  Lettre  de  Siebold  à  JomarJ  sur  l'utilité   des   Musées 

ethnographiques 229 

Chapitre  X.  —  Réponse  de  Jomard  à  Siebold.  —  Plan  d'une  classifica- 
tion ethnographique 249 

Chapitre  XI.  —  Projet  restreint  de  1846.  —  Objections  de  Naudet  ;  le 
projet  est  abandonné.  —  Modifications  à  la  Bibliothèque  impériale  en 
1854.  —  Nouveau  projet  de  Musée  d'Ethnographie  et  des  Voyages. 
—  Pétition  de  Garcin  de  Tassy  et  réponse  qui  y  est  faite.  —  Dernier 
mémoire  de  Jomard  sur  la  matière 267 

Chapitre  XII.  —  Création  d'un  Muséum  ethnographique  des  Missions 
scientifiques.  —  Exposition  provisoire  d'une  partie  des  collections  au 
Palais  de  l'Industrie 279 

Chapitre  XIII.  —  Nomination  d'une  Commission  d'étude  à  la  suite  de 

l'Exposition  universelle  de  1878.  —  Travaux  de  cette  Commission   .       293 

Chapitre  XIV.  —  Décret  affectant  le  Palais  du  Trocadéro  au  Ministère 
de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts.  —  Nomination  d'une 
Commission  d'organisation  des  collections  ethnographiques  et  arrêté 
attribuant  à  ces  collections  les  étages  supérieurs  du  Palais.  —  Rap- 
port sur  ces  collections  présenté  par  M.  Hamy  au  nom  de  la  Commis- 
sion. —  Ouverture  des  crédits  nécessaires  et  nomination  du  personnel 
du  Musée 303 


21 


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ERNEST   LEROUX,    EDITEUR 

28,    RUE   BONAPARTE,    '2S 

PARIS  

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DU 

mmitU  DE  L'INSTRICTION  PIBLIQIE  ET  DES  BEAIX-ARTN 
DU  COMITÉ  DES  TRAVAUX  HISTORIQUES 

ET   SCIENTIFIQUES 

'SECTION  D'NHTOIHE  ET  DE  PHILOLOGIE 

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Années  !  à  8  (1882-1889) ,     •     ■     ■  ^^^  fr. 

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Xnnées  1  à  4  (188G-18S0).  Chacune,  en  o  fascicnles,  avL-c  plarictjos  tl  carte.?     1U  \v 
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Pur  M.  le  Df  IIamy,  conservateur  du  Musée. 

ANGEOS,    l.Mr.    A.    LiLIUJlN    ET    €'«,    HUE    CAHMEK. 


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