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Full text of "Les petits Bollandistes : vies des saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, des martyrs, des pères, des auteurs sacrés et ecclésiastiques ..., notices sur les congrégations et les ordres religieux, histoire des reliques, des pèlerinages, des dévotions polulaires, ..."

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Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  CoUection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michaers  Collège,  Toronto 


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RM.Y'BEiEEMER  Llip^RY,  WINDSOR 


LES  PETITS  BOLLANDISTES 


VIES  DES  SAINTS 


TOME  SEPTIÈME 


Cet  Ouvrage,  aussi  bien  pour  le  plan  (f  après  lequel  il  est  conçu  que  pour 
les  matières  qu'il  contient,  et  qui  sont  le  résultat  des  recherches  de  P Auteur,  est 
la  propriété  de  l'Editeur  qui,  ayant  rempli  les  formalités  légales,  poursuivra 
toute  contrefaçon,  sous  quelque  forme  quelle  se  produise.  L'Editeur  se  réserve 
également  le  droit  de  reproduction  et  de  traduction. 


LES  ,  GA  3 

PETITS  BOLLANDISTES  '"' 

VIES  DES  SAINTS 

de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament 

des  Martyrs,  des  Pères,  des  Auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques 

DBS  VBHÉBIBLBS  ET  ACIBES  PERSONNES  HOBTES  EN  OUEDR  DB  SAINTETÉ 

NOTICES  SUR  LES  CONGRÉGATIONS  ET  LES  ORDRES  RELIGIEUX 

Histoire  des  Reliques,  des  Pèlerinages,  des  Dévolions  populaires,  des  Monuments  dus  à  la  piété 
depuis  le  commencement  du  monde  jusqu'aujourd'hui 

D'APRÈS  LE  PÈRE  GIRY 

dont  le  tiavall,  pour  les  Vies  qu'il  a  traitées,  forme  le  fond  de  cet  ourrage 

LES  GRANDS  BOLLANDISTES  QUI  ONT   ÉTÉ  DE  NODVEAD   INTÉGRALEMENT  ANALYSÉS 

SURIUS,   RIBADENEIRA,  GODESCARO,   BAILLET,  LES   HAGIOLOGIES   ET  LES  PROPRES  DE   CHAQUE   DIOCÈSE 

tant  de  France  que  de  l'Etranger 

ET  LES  TRAVAUX,   SOIT  ARCHÉOLOGIQUES,  SOIT  HAGIOGBAPHIQDES,  LES  PLUS  RÉCENTS 

Arec  rhistoiredeN«tre-SeigneurJésu$-Chri:>t  et  (le  la  Sainte  Vierge,  des  Discours  sur  les  Mystères  et  les  FÔtes 

une  Année  chrétienne 

le  martyrologe  romain,  les  martyrologes  français  et  les  martyrologes  de  tous  les  Ordres  religieux 

ane  Table  alphabétique  de  tous  les  Saints  connus,  une  autre  selon  l'ordre  chronologique 

nno  autre  de  toutes  les  Matières  répandues  dans  l'Ouvrage,  destinée  aux  Catéchistes,  aux  Prédicateurs,  etc. 

CAMÉEIEB  DB  SA   SAINTETÉ  LÉON  XUI 


SEPTIÈME  ÉDITION,  BEVUE,  CORRIGÉE  ET  CONSIDÉRABLEMENT  AUGMENTÉE 

(Haitiëme   tirage) 


TOME  SEPTIEME 

DU     U    JUIN    AU     2     JUILLET 


PARIS 

BLOUD      ET     BARRAL,      LIBRAIRES-EDITEURS 

4.  RUE  MADAME,  ET  RUE  DE  RENNES,  59 

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VIES  DES   SAINTS 


XIY*  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Césarée,  en  Cappadoce,  rordiaation  de  saiat  Basile,  évêqae,  qni,  du  temps  de  l'empereur 
Valens,  jeta  un  merveilleux  éclat  par  sa  science,  par  sa  sagesse  et  par  toutes  sortes  de  vertus,  et 
défendit  l'Eglise  contre  les  Ariens  et  les  Macédoniens  avec  une  constance  admirable.  Vers  379.  — 
A  Samarie,  en  Palestine,  saint  Elisée  t,  prophète,  dont  le  sépulcre  fait  trembler  les  démons,  aa 
rapport  de  saint  Jérôme.  Le  prophète  Abdias  *  y  repose  aussi.  835  avant  Jésus-Christ.  —  A  Sy- 
racuse, saint  Marcien,  qui  fut  ordonné  évoque  par  saint  Pierre,  apôtre,  et,  après  avoir  prêché 
l'Evangile,  fut  tué  par  les  Juifs,  m»  s.  —  A  Soissons,  les  saints  martyrs  Valère  et  Rdfin,  qui 
furent  décapités,  après  beaucoup  de  tourments,  dans  la  persécution  de  Dioclétien,  par  le  commao- 
deraent  de  Rictiovare.  Vers  287.  —  A  Cordoue,  les  saints  martyrs  Anastase,  prêtre,  Félix,  moine, 
et  Digne,  vierge.  853.  —  A  Constantinople,  saint  Méthode,  évèque  '.  846.  —  A  Vienne,  en  Dau- 
phiné,  saint  Ethère,  évèque.  Vers  620.  —  A  Rodez,  saint  Quintien,  évèque  *.  527. 

1.  n  qnitta  la  charme  ponr  suivre  Elle  et  reçnt  de  Ini,  avec  son  mantean  sacre,  l'esprit  prophdtlqtitt 
ii  le  don  des  miracles.  Il  rendit  saines  les  eaos  de  la  fontaine  de  Jéricho,  qui  étaient  malfaisantes,  maa- 
dlt  des  enfants  de  Béthel  qni  l'insultaient,  et  qui  furent  aussitôt  dévorés  par  des  onrs,  prédit  à  Joram  et 
à  Josaphat,  qui  se  voyaient  sur  le  point  de  périr  de  soif  avec  leur  armée  au  milieu  des  déserts,  qu'ils 
allaient  trouver  de  l'ean  en  abondance  et  qu'ils  battraient  les  Moabltes  ;  fit  cesser  la  stérilité  d'une  femma 
de  Sunam;  ressuscita  quelques  années  après  le  fils  que  cette  femme  avait  perdu;  guérit  Nahaman  de  la 
Ibpre;  frappa  d'aveuglement  les  soldats  de  Ben-Adad,  et  prédit  au  roi  Joas,  assiégé  dans  Samarie,  qu'il 
triompherait  des  Syriens.  Il  mourut  à  Samarie.  Saint  Jérôme  dit  que  de  son  temps  on  voyait  à  Césaréo 
le  tombeau  du  Prophète.  Quelqoes-uns  de  ses  ossements,  échappés  aux  profanations  des  soldats  de  Julien 
l'Apostat,  furent  portés  à  Alexandrie,  en  463,  dans  le  monastère  de  Saint-Paul  le  Lépreux,  un  antre  à 
Constantinople,  un  antre  en  Abyssinie.  En  761.  on  enrichit  de  ces  reliques  l'église  Saint-Laurent  de  Ra- 
venne.  Dans  l'église  Saint-Apollinaire,  de  la  même  ville,  on  conserva  longtemps  une  tête  qu'on  croyait 
être  celle  du  Prophète.  Les  Carmélites  honorent  le  saint  Prophète  d'un  culte  particulier.  —  L'auteur  de 
l'Ecclésiastique  (lxviii,  13-15)  fait  ainsi  son  éloge  :  t  Elie  avait  été  enlevé  dans  un  tourbillon  de  feu, 
mais  son  esprit  se  reposa  tout  entier  sur  Elisée.  Dans  les  Jours  de  sa  vie,  nul  prince  ne  le  fit  trembler, 
nulle  puissance  humaine  ne  triompha  de  son  courage,  aucune  menace  ne  le  détourna  de  sa  ronte,  et  ses 
ossements  eux-mêmes  conservèrent  la  vertu  qu'avait  eue  le  Prophète.  H  sema  sa  vie  de  prodiges  et  s» 
mort  fut  elle-même  féconde  en  miracles  >. 

2.  Voir  sa  Vie  an  19  novembre. 

3.  Issu  d'une  des  plus  illustres  familles  de  Sicile,  il  prit  d'abord  l'habit  dans  un  monastère  de  l'Ile  de 
Chio,  qu'il  avait  fondé.  Le  saint  patriarche  Nicéphore  l'attacha  plus  tard  k  l'église  de  Constantinople,  oh 
Il  eut  beaucoup  à  souffrir  pour  son  zèle  contre  l'hérésie  des  Iconoclastes.  Les  temps  étant  devenus  meil- 
leurs, l'impératrice  Théodora  le  fit  placer  sur  le  siège  de  Constantinople,  devenu  vacant  par  la  mort  de 
Nicéphore  qni  expira  dans  l'exil.  Le  nouveau  patriarche  s'attacha  à  faire  disparaître  complètement  l'hé- 
résie; il  y  arriva  et  institua,  par  reconnaissance,  la  fête  de  l'Orthodoxie.  Il  mourut  après  un  épiscopat 
de  quatre  ans,  et  l'on  commença  à  célébrer  sa  fête  sons  saint  Ignace,  son  successeur.  Saint  Méthode  • 
laissé  des  Canons  pénitentiaux,  des  Sermons,  et  un  Eloge  de  saint  Denis  l'Aréopagite. 

4.  Il  fut  successivement  évèque  de  Rodez  et  de  Clermont,  en  Auvergne.  Le  martyrologe  romain  lut 
donne  ce  dernier  titre  au  13  novembre,  que  l'on  pense  être  le  véritable  Jour  de  sa  mort.  Nous  lui  consa- 
crons une  notice  sous  ce  jour. 

Vies  des  Saints.  —  Tomk  VIL  i 


14  JUIN. 


MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVO  ET  ADGMENTE. 

A  Bourges,  saint  Simplice,  évêque,  loué  dans  une  lettre  de  saint  Sidoine  Apollinaire  à  saint 
Perpet,  de  Tours.  11  était  engagé  dans  le  mariage  et  avait  plusieurs  enfants,  quand  les  évêques  de 
la  province  s'assemblèrent  à  Bourges,  en  472,  pour  donner  un  successeur  à  saint  Eulode.  Tous  les 
suffrages  se  réunirent  sur  Simplice,  déjà  célèbre  par  sa  sainteté.  11  s'acquitta  avec  zèle  de  sa  nou- 
velle charge,  s'opposa  vigoureusement  à  l'hérésie  des  Ariens,  et  combattit  la  simonie  qui  infestait 
son  clergé.  Il  mourut,  après  quatre  ans  d'épiscopat,  le  i"  mars,  jour  où  il  est  mentionné  aussi 
au  martyrologe  de  France  '.  477.  —  A  Vienne,  eu  Dauphiné,  saint  Bohoa  ou  Bobolin,  évêque.  Vers 
718.  —  A  Paris,  le  décès  de  saint  Euspice,  prêtre,  fondateur  de  l'abbaye  de  Saint-Mesmin,  près 
d'Orléans.  Il  était  prêtre  du  clergé  de  Verdun,  quand  les  habitants  de  cette  ville  le  députèrent  à 
Clovis,  qui  assiégeait  la  place  (498),  pour  le  faire  désister  de  son  entreprise.  Le  roi  se  laissa  tou- 
cher, et  charmé  des  vertus  d'Euspice,  il  voulut  même  le  placer  sur  le  siège  de  Verdun,  alors  va- 
cant par  la  mort  de  saint  Firmin.  L'humble  prêtre  refusa  et  fit  tomber  le  choix  sur  saint  Vannes, 
son  neveu;  il  suivit  alors  Clovis  qui  lui  donna,  près  d'Orléans,  une  terre  où  il  fit  constraire  l'ab- 
baye de  Micy  ou  de  Saint-Mesmin,  dont  il  fut  le  premier  abbé.  Commencement  du  vi»  siècle.  — 
Eu  l'abbaye  de  Moissac,  au  diocèse  de  Cabors,  saint  Léophaire,  Liphary,  Naufary  ou  Naufray,  ho- 
noré comme  évêque.  —  A  Verdun,  le  vénérable  Richard,  abbé  du  monastère  de  Saint-Vannes  de 
cette  ville,  dont  la  vie  a  été  écrite  par  son  disciple  Hugues  de  Flavigny.  An  1046.  —  A  Lansle- 
villard,  au  diocèse  de  Maurienne,  saint  Landry,  curé  de  cette  paroisse,  xi»  s.  —  Au  diocèse  d'Au- 
tun,  le  bienheureux  Jean  de  Portugal,  religieux  du  monastère  des  Pères  Cordeliers  de  Châlon,  qui 
édifia  longtemps  cette  ville  par  ses  vertus.  1525.  —  En  Bresse,  Claude-Antoine  BiUaud,  prêtre, 
victime  des  fureurs  révolutionnaires.  1794. 

MARTYROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  A  Césarée,  en  Cappadoce,  l'ordination  de  notre  Père  saint  Ba- 
sile le  Grand. 

Martyrologes  des  Bénédictins,  des  Camaldules,  de  Vallombreuse.  —  A  Cordoue,  les  saints 
martyrs  Anastase,  prêtre,  Félix,  moine,  et  Digne,  vierge,  qui  souffrirent  dans  la  persécution  des 
Arabes. 

Martyrologe  des  Carmes.  —  A  Samarie,  en  Palestine,  saint  Elisée  notre  Père.  —  A  Césarée, 
en  Cappadoce,  l'ordination  de  saint  Basile. 

ADDITIONS  FAITES  d'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Laodicée,  en  Phrygie,  saint  Anthéon,  martyr.  —  A  Ephèse,  en  Asie,  les  saints  Miggène, 
Gallien,  Juvin  ou  Vivin,  martyrs,  indiqués  au  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  En  Afrique,  les 
saints  Quintien  et  Théodole,  et  les  saintes  Tècle  et  Festine,  martyrs.  —  A  Sphécie,  dans  l'ile 
d'Eubée,  les  saints  Antonin,  Afre,  Cantionella,  martyrs.  —  A  Lucera  delli  Pagani,  dans  la  Pouille, 
saint  Marc,  évêque  de  cette  ville  et  patron  de  Bovine,  où  fut  transporté  son  corps.  Vers  l'an  328. 
—  A  Pembrock,  dans  le  pays  de  Galles,  saint  Uogmaël,  en  l'honneur  duquel  une  abbaye  fut  fondée 
au  xii»  siècle  dans  le  bourg  qui  porte  son  nom.  Il  était,  sous  le  nom  de  saint  Toël,  patron  titu- 
laire d'une  chapelle  aujourd'hui  détruite,  qui  était  située  sur  le  territoire  de  la  paroisse  de  Pomérit- 
Jandi,  autrefois  du  diocèse  de  Tréguier.  vi»  siècle.  —  Chez  les  Grecs,  sainte  Julitte,  différente  des 
saintes  Julitte  d'Ancyre,  de  Césarée  et  de  Séleucie.  —  A  Bénévent,  en  Italie,  saint  Martien,  évêque  de 
ce  siège,  vi»  s.  —  En  Calabre,  saint  Gérasime,  moine  de  l'Ordre  de  Saint-Basile.  —  Au  diocèse 
de  Salzbourg,  saint  Hartwich,  archevêque  de  ce  siège,  qui  se  distingua  par  sa  chanté  et  sou  dé- 
nouement durant  la  peste  et  la  famine  qui  ravagèrent  cette  partie  de  l'Allemagne  en  994.  Après 
avoir  passé  de  longues  années  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus,  il  termina  sa  glorieuse  car- 
rière par  une  sainte  mort.  1023.  —  A  Sainl-Auge  m  Vado,  en  Italie,  la  bienheureuse  Castore- 
Gabrielli,  veuve,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  et  le  bienheureux  Bartholo,  de  l'Ordre  des 
Servîtes.  La  première  fut  ensevelie  à  Macérala,  dans  la  Marche  d'Ancône,  et  son  corps  est  tous  les 
ans  exposé  à  la  vénération  des  fidèles,  le  jour  de  l'Ascension,  xiv»  s. 

L  Voir  le  !••  m«i»  et  le  17  joia. 


SAINT  RUrm  ET   SAINT  VALÈRE,   MARTYRS  DANS   LE   SOISSONXAIS. 


SAINT  RUFIN  &  SAINT  YALERB, 

MARnaS  DANS  LE  SOISSONNAIS 
Î87.  —  Pape  :  Saint  Calus.  —  Empereur  :  Dioclétien. 

Cuncti  martyres  devotissine  percolendi  tunt,  sed  spc- 

lialUer  ii  venerandi  sunt  a  nobi*  quorum  reliquiai 

possidemus. 

Nous  devons  avoir  une  grande  dévotion  pour  tous  les 

Martyrs,  mais  nous  devons  honorer  sartout  ceux 

dont  nons  possédons  les  reliques. 

S.  Ambr.,  Serm.  Lxjnni. 

Rufln  et  Valère,  selon  les  uns,  étaient  de  nobles  romains,  venus  avec 
d'autres  ouvriers  évangéliques  pour  implanter  la  religion  chrétienne  dans 
la  Gaule  Belgique  et  le  Soissonnais;  selon  d'autres  auteurs,  ils  étaient  origi- 
naires du  pays  môme  où  ils  ont  été  martyrisés,  c'est-à-dire  d'une  bourgade 
située  sur  la  Vesle,  à  une  lieue  et  demie  de  Braine,  et  qui  a  pris  dans  la 
suite  le  nom  de  Bazoches,  où  était  le  palais  impérial.  Ce  qui  est  hors  de 
doute,  c'est  que  Rufin  et  Valère  étaient  préposés  à  la  garde  des  grains  des- 
tinés à  l'approvisionnement  du  palais  impérial  élevé  par  les  Romains  en  ce 
pays.  Ces  deux  fervents  chrétiens  ne  perdirent  pas  de  vue  les  obligations  de 
leur  baptême  et  de  la  mission  qui  leur  avait  été  confiée  à  leur  départ  de 
Rome,  et,  soit  parleur  vie  édifiante  et  mortifiée,  soit  par  leurs  discours,  soit 
par  leurs  aumônes,  ils  se  concilièrent  peu  à  peu  la  confiance  et  rafl"ection 
des  populations  au  milieu  desquelles  ils  vivaient;  aussi  le  nom  de  Jésus- 
Christ  commença  à  être  vénéré  dans  toute  la  contrée  et  beaucoup  sollici- 
tèrent la  grâce  de  la  régénération.  C'était  à  l'époque  où  le  Préfet  du  pré- 
toire, Rictiovare,  parcourait  la  Gaule  Belgique  pour  exécuter  les  ordres 
sanguinaires  de  l'empereur  Maximien-Hercule  et  détruire  jusqu'aux  der- 
niers vestiges  du  christianisme.  En  quittant  la  ville  de  Fismes  (Marne),  où  il 
venait  de  faire  subir  le  martyre  à  sainte  Macre,  il  s'arrôta  au  palais  impé- 
rial dont  nous  avons  parlé  ci-dessus.  11  eut  bientôt  découvert  que  les  deux 
intendants  étaient  chrétiens,  et  il  ordonna  qu'on  les  fît  comparaître  devant 
son  tribunal;  mais  ceux-ci  ayant  été  instruits  à  temps  de  ses  desseins, 
avaient  pris  la  fuite  et  s'étaient  cachés  dans  une  caverne,  près  du  chemin 
public,  non  loin  de  Bazoches,  et  dont  l'entrée  était  obstruée  par  d'épais 
buissons  d'épines,  résolus  d'attendre  dans  ce  lieu  sombre  que  la  persécution 
fut  passée  ou  de  s'élancer  de  là  dans  la  carrière  du  combat.  Mais  ayant  été 
bientôt  découverts  par  les  satellites  du  tyran,  ils  furent  arrêtés,  chargés  de 
chaînes  et  conduits  en  prison  au  palais  de  Bazoches.  Amenés  à  son  tribu- 
nal, les  deux  préposés  subirent  un  interrogatoire  où,  en  exposant  la  pureté 
de  leur  foi,  ils  lirent  ressortir  l'opposition  de  la  religion  nouvelle  avec  celle 
de  Rome. 

—  «Rufin  et  Valère  »,  leur  dit  le  gouverneur,  a  quel  Dieu  adorez- 
vous?  »  —  «  Nous  adorons  »,  répondirent-ils,  «  un  seul  Dieu  tout-puis- 
sant, immuable,  éternel,  créateur  de  toutes  les  choses  visibles,  remplissant 
tout,  gouvernant  tout,  et  un  seul  Seigneur  Jésus-Christ,  réparateur  de  tout 
ce  qu'il  y  a  dans  les  cieux  et  sur  la  terre.  Quant  à  ces  dieux,  vains  simu- 


4  il  JUIN. 

lacres  formés  par  l'art  des  hommes  avec  une  matière  sujette  à  la  corrup-' 
tion  et  à  l'altération,  auxquels  il  a  donné  une  forme  et  le  génie  de  la  beauté, 
nous  ne  les  adorons  pas.  En  effet,  la  substance  divine  ne  tire  pas  d'elle- 
même  son  origine.  Existant  avant  le  temps,  elle  n'est  pas  sujette  à  ses 
vicissitudes.  Elle  n'éprouve  pas  de  diminution,  mais  elle  demeure  éternel- 
lement dans  la  plénitude  d'elle-même;  elle  est  toujours  simple,  uniforme, 
constante,  parfaite.  C'est  par  son  Verbe  que  le  monde  a  été  fait  avec  ses 
ornements,  c'est  par  son  Esprit  que  toute  créature  est  établie  et  gouvernée, 
et  c'est  à  lui  que  nous  immolons  chaque  jour  une  hostie  de  louange  et  que 
nous  offrons  le  sacrifice  d'un  cœur  contrit  ».  —  Le  préfet  dit  :  «  Nos  princes 
invincibles  vous  ordonnent  de  quitter  une  superstition  qui  vous  fait  adorer 
un  Dieu  crucifié  pour  honorer  les  dieux  puissants  de  la  République  romaine, 
car  c'est  un  crime  d'abandonner  la  religion  de  ses  ancêtres  qui  a  élevé 
l'Empire,  qui  le  gouverne  et  le  protège,  et  de  passer,  par  légèreté,  à  des 
nouveautés  puériles  ».  — Rufm  et  Valère  répondirent  :  «  Nous  ne  rougis- 
sons pas  de  la  croix  du  Christ  qui  a  donné  le  salut  au  monde,  ni  de  celui 
qui,  par  sa  mort,  nous  a  procuré  la  résurrection  et  la  vie  ».  Et  ils  lui  déve- 
loppèrent les  mystères  du  Fils  de  Dieu,  auxquels  ils  ajoutèrent,  selon  les 
actes  de  leur  passion,  une  foule  d'autres  considérations  non  moins  spiritua- 
listes  sur  la  rédemption  des  hommes,  sur  la  religion  nouvelle,  sur  le  ridi- 
cule des  faux  dieux,  les  crimes  et  les  infamies  que  leur  attribuaient  les 
païens,  leur  contradiction  avec  la  morale  enseignée  par  les  philosophes,  la 
vanité  des  idoles  et  l'impuissance  de  ces  dieux.  —  «  Trop  longtemps  »,  s'é- 
cria le  préfet,  «  notre  modération  a  supporté  vos  calomnies  contre  nos 
dieux.  Si,  conformément  aux  ordres  des  Augustes,  vous  ne  leur  rendez  pas 
le  culte  qui  leur  est  dû,  je  vous  ferai  endurer  divers  supplices.  Et  il  ordonna 
qu'on  les  chargeât  de  chaînes  et  qu'on  les  mît  en  prison  dans  l'espoir  qu'ils 
apostasieraient,  mais  il  se  trompait;  les  saints  confesseurs,  se  réjouissant  de 
participer  aux  souffrances  de  Jésus- Christ,  trouvèrent  ces  chaînes  légères, 
bien  loin  de  succomber  sous  leurs  poids  ». 

Le  lendemain,  le  préfet  les  fit  de  nouveau  paraître  devant  lui  et  essaya 
sur  eux  les  séductions  de  la  flatterie  et  des  présents  : 

«  Croyez-moi,  Rufin  et  Valère,  honorez  nos  Dieux  Jupiter  et  Mercure, 
Diane  et  Vénus,  et  aussitôt  je  vous  comblerai  d'or  et  d'argent  et  vous  serez 
les  premiers  dans  le  palais  de  l'empereur  ».  —  «  Que  ton  or  et  ton  argent  », 
répondirent-ils,  «  soient  avec  toi  dans  l'enfer,  et  qu'on  les  verse  liquéfiés 
dans  ta  bouche,  là  où  tu  verras  le  démon  ton  père  brûler  dans  un  feu  inex- 
tinguible; mais  pour  nous,  rien  ne  pourra  nous  séparer  de  la  charité  du 
Christ  » . 

Rictiovare  indigné  ordonna  alors  d'étendre  sur  le  chevalet  Rufin  et  Va- 
lère et  de  les  battre  avec  des  lanières  armées  de  plomb.  Les  martyrs,  durant 
ce  supplice,  disaient  :  «  Nombreuses  sont  les  tribulations  des  justes,  mais 
le  Seigneur  les  délivrera  de  chacune  d'elles;  le  Seigneur  veille  à  la  garde  de 
leurs  ossements,  pas  un  seul  ne  sera  brisé  ». 

Mais  plus  ils  invoquaient  le  Dieu  de  majesté,  plus  le  tyran  donnait  des 
ordres  sévères  pour  augmenter  leurs  tourments;  il  pressait  les  bourreaux 
de  décharger  sur  eux  toute  la  vigueur  de  leurs  bras  nerveux.  En  quoi  il  fut 
parfaitement  obéi;  et  toute  la  charpente  du  corps  des  bienheureux  martyrs 
fut  disloquée,  au  point  que  les  os  se  déboitaient  et  qu'on  entendait  à  peine 
un  léger  souffle  s'échapper  de  leur  poitrine. 

Le  tyran  dit  alors  :  «  Enlevez-les  du  chevalet  et  reconduisez-les  dans 
le  cachot  jusqu'à  ce  que  j'aie  inventé  quelques  nouvelles  tortures  ». 


SAINT  RUFIN  ET  SAINT  VALÈRE,  MARTYRS  DANS  LE  SOISSONNAIS.  S 

Les  Bienheureux,  étant  rentrés  dans  la  prison,  chantaient  les  louanges  du 
Seigneur  et  disaient  :  «  Aidez-nous,  ô  notre  Sauveur,  et  pour  l'honneur  de 
votre  nom,  délivrez-nous  ».  Dans  la  nuit,  un  ange  du  Seigneur  leur  apparut 
et  leur  dit  :  «  Rufin  et  Valère,  agissez  virilement  et  que  votre  cœur  s'atTer« 
misse,  notre  maître  ne  tardera  pas  à  vous  admettre  dans  les  rangs  des 
saints  martyrs;  là  vous  recevrez  les  couronnes  qu'il  vous  destine  et  que  je 
vais  vous  montrer  en  ce  moment  ».  En  parlant  ainsi  il  déposa  ces  couronne^ 
sur  leurs  tôles;  elles  étaient  d'une  beauté  merveilleuse,  et  resplendissantes 
comme  des  émeraudes. 

Le  matin  étant  venu,  Rictiovare  ordonna  de  lui  présenter  de  nouveau 
les  saints  Martyrs.  Il  vit  avec  étonnement  sur  leurs  joues  la  fraîcheur  et 
l'éclat  des  roses,  et  sur  leurs  corps  la  blancheur  des  lis.  Mais  au  lieu  d'at- 
tribuer ce  prodige  à  une  vertu  divine,  il  l'attribua  à  la  magie.  Il  traita  ces 
hommes  innocents  de  scélérats  et  d'impies,  et  ordonna  à  ses  gardes  de  leur 
lier  les  mains  derrière  le  dos  pour  les  traîner  à  sa  suite.  Ils  allèrent  ainsi 
l'espace  de  cinq  ou  sept  raille  cinq  cents  pas,  jusque  vers  un  lieu  nommé 
Quincampoix,  et  on  leur  trancha  la  tête  près  de  la  voie  publique,  sur  les 
bords  de  la  Vesle,  le  18  des  calendes  de  juillet.  —  Selon  la  plus  commune 
opinion,  ce  serait  sur  l'emplacement  même  du  château  de  Bazoches,  où 
une  fontaine  rappelle  leur  souvenir,  qu'ils  auraient  été  décapités  et  leurs 
corps  jetés  dans  un  cloaque.  Les  fidèles  les  en  auraient  retirés  pour  leur 
donner  une  sépulture  honorable. 

La  persécution  étant  passée,  on  leva  leurs  corps  de  terre  et  on  leur 
construisit  un  énorme  tombeau.  C'est  de  dessous  cet  édifice  qu'on  tira  de 
nouveau  leurs  reliques  pour  les  placer  dans  la  basilique  qu'on  bâtit  en  leur 
honneur  à  Bazoches. 

La  crainte  des  ravages  des  Normands  fit  transporter  dans  le  ex"  siècle 
les  corps  des  saints  Martyrs  tantôt  à  Reims,  tantôt  à  Soissons;  mais  quand 
le  danger  était  passé  on  les  rendait  à  la  basilique  de  Bazoches.  —  Au  com- 
mencement du  xvn'  siècle^  les  reliques  de  saint  Rufin  et  de  saint  Valère 
étaient  placées  à  Soissons  dans  l'église  de  Saint-Etienne.  En  1617  elles 
furent  déposées  à  la  cathédrale,  les  échevins  ayant  présenté  une  requête  à 
l'évêque  Hennequin  pour  empêcher  que  les  religieuses  de  l'abbaye  de  Saint- 
Paul  ne  les  emportassent  avec  elles  à  Reiras  où  elles  avaient  acheté  par 
échange  un  nouveau  couvent. 

Saint  Loup,  treizièrae  évoque  de  Soissons,  au  commencement  du  vi* 
siècle,  avait  établi  un  collège  de  soixante-douze  clercs  à  Bazoches,  dans 
l'église  dédiée  à  saint  Rufin  et  saint  Valère.  C'est  le  premier  séminaire  du 
diocèse  de  Soissons.  Il  a  subsisté  pendant  quatre  cents  ans  après  la  raort  de 
son  fondateur.  Bazoches  a  donné,  dans  le  xni'  siècle,  trois  évoques  au  siège 
de  saint  Sixte  et  de  saint  Sinice.  Jacques  de  Bazoches  a  sacré  saint  Louis, 
en  1226,  et  Milon  de  Bazoches,  Philippe  le  Hardi,  en  1272.  —  Le  troisième 
évêque  originaire  de  Bazoches,  est  Nivelon  II,  prédécesseur  de  Milon. 

Le  nouveau  Propre  Soissonnais  met  la  fête  de  saint  Rufin  et  de  saint 
Valère  le  15  juin,  au  lieu  du  14,  jour  de  leur  raort.  —  Ces  saints  martyrs 
sont  les  patrons  de  Bézu-le-Guéry,  de  Coulonges,  de  Loupeigne,  de  Vierzy 
et  de  Vregny,  ainsi  que  de  Braine,  du  mont  Notre-Dame,  de  Paars  et  de 
Sermoise,  situés  près  de  la  Vesle,  dans  le  diocèse  de  Soissons. 

Nous  avons  composé  cette  vis  d'après  Tillemont;  les  Actes  des  Martyrs,  par  les  HR.  PP.  Bifnddîctins 
éîo  la  Cougrdgation  de  France;  les  Annales  du  diocèse  de  Soissons,  p&r  Vabbd  PiSchtur ;  tt  des  Notes 
locales  fournies  par  M.  Henry  Congnet,  doyen  du  chapitre  de  la  cathédrale  de  Soissons. 


6  14  JUIN. 

S.  BASILE  LE  GRAND,  ARCHEVÊQUE  DE  GÉSARÉE 

DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE 
329-379.  —  Papes  :  Saint  Sylvestre  I*';  saint  Damase.  —  Empereurs  :  Constantin  !••■;  Gratien. 


Clades  un  et  calamitas  erat  quod  non  sxpe  po»$et 
martyrwn  pro  veritate  certamina  îmitari. 

Il  regrettait  profondément  nne  chose,  c'était  de  ne 
pouvoir  endurer  plusieurs  martyres  pour  la  défense 
de  la  vérité. 
S.  Grég.  de  Naz.,  Orais.  funèbre  de  saint  Basile. 

Saint  Basile,  d'une  famille  où  la  sainteté  semblait  héréditaire,  naquit  à 
Césarée,  métropole  de  la  Cappadoce,  vers  la  fin  de  l'année  329.  Ceux  dont 
il  avait  reçu  le  jour  étaient  nés  aussi  dans  le  même  pays.  Son  père  cepen- 
dant était  originaire  du  Pont,  et  ses  ancêtresy  avaient  joui  longtemps  d'une 
haute  considéi"ation.  Sainte  Macrine  fut  son  aïeule  paternelle.  Cette  sainte 
et  son  mari,  dont  le  nom  n'est  pas  parvenu  jusqu'à  nous,  furent  dépouillés 
de  leurs  biens  et  souffrirent  de  cruelles  tortures  pour  la  foi,  sous  le  règne 
de  Maximin  II,  en  331.  Ayant  une  autre  fois  pris  la  fuite  pour  se  soustraire 
aux  recherches  des  persécuteurs,  ils  restèrent  sept  ans  cachés  dans  les  forêts 
du  Pont,  où  Dieu,  selon  saint  Grégoire  de  Nazianze  *,  pourvut  miraculeu- 
sement à  leur  subsistance. 

Saint  Basile  l'Ancien  et  sainte  Eramélie,  dont  Dieu  se  servit  pour  don- 
ner au  monde  le  saint  archevêque  de  Césarée,  se  rendirent  recommanda- 
bles  par  la  pratique  de  toutes  les  vertus  chrétiennes.  Le  ciel  bénit  leur  ma- 
riage par  la  naissance  de  dix  enfants.  Il  y  en  eut  neuf  qui  lui  survécurent  et 
qui  tous  se  distinguèrent  par  une  sainteté  éminente  ;  ceux  qui  restèrent 
dans  le  monde,  dit  saint  Grégoire  de  Nazianze,  parurent  ne  le  pas  céder  en 
piété  à  ceux  qui  embrassèrent  l'état  de  virginité  pour  se  consacrer  plus 
parfaitement  au  service  de  Dieu.  Sainte  Macrine  était  l'aînée  de  tous  ces 
enfants  ;  elle  aida  sa  mère  dans  l'éducation  de  ses  frères  et  de  ses  sœurs,  et 
travailla  de  concert  avec  elle  à  leur  inspirer  de  vifs  sentiments  de  religion. 
Il  y  avait  quatre  garçons  ;  saint  Basile,  Naucrace,  saint  Grégoire  de  Nysse  et 
saint  Pierre  de  Sébaste. 

Sainte  Emmélie  dut  à  ses  prières  la  naissance  de  son  fils  Basile  ;  mais  à 
peine  était-il  au  monde,  qu'il  causa  de  vives  alarmes  à  la  tendresse  de  sa 
famille.  Il  fut  attaqué  d'une  maladie  dangereuse  que  les  médecins  jugèrent 
incurable.  Le  rétablissement  de  sa  santé  fut  regardé  comme  le  fruit  des 
prières  que  l'on  avait  faites  pour  lui.  Nous  apprenons  ces  particularités  de 
saint  Grégoire  de  Nysse. 

On  l'envoya,  dès  son  enfance,  chez  sainte  Macrine  l'Ancienne,  son  aïeule, 
qui  demeurait  à  la  campagne,  auprès  de  Néocésarée,  dans  le  Pont  :  ce  fut 
là  qu'il  puisa  les  premiers  principes  de  vertu.»  Je  n'ai  jamais  oublié  »,  disait- 
il  depuis,  «  les  foiles  impiessions  que  faisaient  sur  mon  âme  encore  tendre 
les  discours  et  les  exemples  de  cette  sainte  femme  ».  Son  père,  qui  passait 
la  plus  grande  partie  de  sa  vie  dans  le  Pont,  et  qui  était  l'ornement  de  cette 

1.  Or.  2LJC. 


SAINT  BASILE   LE   GRAND,   DOCTEUR  DE   L'ÉGLISE.  7 

province,  autant  par  sa  piété  que  par  son  éloquence,  se  chargea  lui-même 
de  lui  enseigner  les  premiers  éléments  de  la  littérature;  et  il  le  fît  jusqu'à 
sa  mort,  arrivée  peu  de  temps  après  la  naissance  de  saint  Pierre  de  Sébasle. 
Le  jeune  Basile  fut  alors  envoyé  à  Césarée,  où  les  sciences  étaient  très-tlo- 
rissantes  ;  il  s'y  distingua  au-dessus  de  ceux  de  son  âge  par  la  rapidité  de 
ses  progrès,  et  il  s'attira  en  même  temps  par  sa  régularité  et  par  sa  ferveur 
l'admiration  de  toutes  les  personnes  qui  le  connaissaient.  Il  était,  dit  saint 
Grégoire  de  Nazianze,  «  au-dessus  de  son  âge  par  son  instruction,  au-des- 
sus de  son  instruction  par  la  fermeté  de  ses  mœurs  :  rhéteur  parmi  les  rhé- 
teurs, même  avant  de  s'asseoir  devant  les  chaires  des  sophistes  ;  philoso- 
phe avant  les  dogmes  de  la  philosophie,  et,  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand, 
prêtre  pour  les  chrétiens  avant  le  sacerdoce  ». 

Les  plus  habiles  maîtres  de  Césarée  n'ayant  plus  rien  à  lui  apprendre,  ses 
parents  le  firent  partir  pour  Constantinople,  oîi  Libanius,  le  plus  célèbre 
rhéteur  de  son  temps,  et  l'un  des  premiers  hommes  de  l'empire,  donnait 
des  leçons  publiques  avec  un  applaudissement  universel  '.  Ce  grand  maître 
sut  distinguer  Basile  dans  la  foule  de  ses  disciples  ;  il  ne  pouvait  se  lasser 
d'admirer  en  lui  les  plus  heureuses  dispositions  pour  les  sciences,  jointes  à 
une  modestie  rare  et  à  une  vertu  extraordinaire.  Il  dit,  dans  ses  épîtres,  qu'il 
se  sentait  comme  ravi  hors  de  lui-même  toutes  les  fois  qu'il  entendait  Basile 
parler  en  public.  11  entretint  toujours  depuis  avec  lui  un  commerce  de  lettres, 
et  il  ne  cessa  de  lui  donner  des  marques  de  cette  haute  estime  et  de  cette 
vénération  profonde  qu'il  avait  conçues  pour  son  mérite  '.  De  Constanti- 
nople, Basile  se  rendit  à  Athènes,  dans  le  dessein  d'v  puiser  de  nouvelles 
connaissances'.  Cette  ville  avait  toujours  été  regard  Je  comme  le  temple 
des  muses  depuis  Péricîès.  On  s'y  rendait  de  toutes  parts  pour  se  former  à 
cette  pureté  de  langage  et  à  cette  élégance  antique  qui  ont  rendu  si  célèbres 
les  bons  écrivains  de  la  Grèce  *. 

1.  Libanius,  païen  de  religion,  enseigna  m  rhétorique  k  constantluopio,  a  Nlcomédle  et  k  Antiocbe.  U 
fnt  singulièrement  honoré  de  Julien  l'Apostat.  Il  survécut  à  l'empereur  Théodose,  qui  l'éleva  îi  la  dignito' 
de  préfet  du  prétoire.  Nous  avons  encore  do  lui  des  Epitres,  des  Oraisons  et  des  Déclamations,  oh  l'eu 
trouve  de  fréquentes  invectives  contre  l'empereur  Constantin  le  Grand  et  contre  la  religion  chrétienne. 

3.  Libanius,  ap.  S.  Basil.,  Ep.  145,  152. 

8.  Saint  Basile  fait  une  excellente  remarque  dans  «on  traité  de  Legendit  gentilium  libris.  L'Ecriture  et 
les  maximes  de  la  vie  éternelle  doivent,  dit-il,  faire  la  principale  étude  des  chrétiens;  mais  11  ne  faot 
pa$  conclure  de  là  que  l'éloquence  et  les  autres  parties  de  la  littérature  leur  soient  inutiles;  on  doit  au 
contraire  les  regarder  comme  les  feuilles  qui  servent  aux  fruits  d'ornement  et  de  protection.  Partant  de 
ce  principe,  il  veut  que  l'on  prépare  la  jeunesse  à  l'étude  sublime  des  oracles  sacrés,  par  la  lecture  ré- 
fléchie des  meilleurs  poètes  et  des  meilleurs  orateurs  de  l'antiquité  profane;  il  ordonne  en  même  temps 
que  l'on  use  de  discrétion  dans  le  choix  des  livres  que  l'on  met  entre  les  mains  des  jeunes  gens.  On  doit, 
ajoute-t-il,  leur  interdire  absolument  tous  ceux  oh  il  se  trouverait  des  exemples  et  des  maximes  ca- 
pables de  leur  corrompre  le  cœur. 

Julien  l'Apostat  sentait  mieux  que  personne  l'utilité  qne  notre  religion  retirait  de  l'étude  des  belles- 
lettres;  il  Jugeait  qu'il  lui  serait  impossible  d'anéantir  le  christianisme,  comme  il  se  l'était  proposé,  tant 
qu'il  aurait  pour  défenseurs  les  plus  savants  hommes  de  l'empire,  tels  qu'un  saint  Athanase,  un  saint 
Grégoire  de  Nazianze,  un  saint  Hilaire,  un  Diodore  de  Tarse,  nn  Apollinaire.  Ce  fut  ce  qui  le  porta  & 
défendre  aux  chrétiens  d'enseigner  la  grammaire,  l'éloquence  et  la  philosophie.  Les  Pères  ne  furent  pas 
les  seuls  qui  regardèrent  cet  édit  comme  un  acte  Insigne  de  tyrannie  ;  les  païens  en  portèrent  le  même 
Jugement.  On  peut  voir  ce  qu'en  dit  Ammien-Marcellln,  qui  était  de  la  religion  de  Julien,  et  le  panégy- 
riste de  ce  prince,  1.  xxti,  c.  10;  1.  xxv,  c.  4.  On  lira  aussi  avec  beaucoup  de  satisfaction  ce  qui  concerne 
ce  trait  d'iiistoire,  dans  l'Histoire  du  Bas-Empire,  par  Le  Beau,  1.  xii,  n.  24,  t.  lu,  p.  171. 

Cet  historien  observe,  d'après  le  témoignage  des  Pères  et  des  historiens  contemporains,  que  Julien 
donna  un  second  édit,  par  lequel  il  était  défendu  aux  chrétiens  de  lire  les  auteurs  piofanes.  Pour  suppléer 
k  cette  perte,  Apollinaire  et  saint  Grégoire  de  Nazianze  composèrent  des  poèmes  sur  des  sujets  de  piété; 
mais  on  n'était  pas  dédommagé  des  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité  par  des  ouvrages  faits  à  la  bâte, 
quelques  beautés  qu'ils  pussent  d'ailleurs  renfermer. 

4.  La  langue  grecque  se  conserva  dans  l'Orient  avec  nne  grande  partie  de  sa  pureté  primitive,  Jusqu'à 
1*  prise  de  Constantim^ple  par  les  Turcs,  au  milieu  du  xv«  siècle.  Le  goût  de  la  belle  littcrature  périt 
plus  tôt  en  Occident.  Il  commença  à  déchoir  sous  le  règne  de  Tibère,  et  il  s'évanouit  entièrement  à  l'ar- 
rivée des  Barbares,  dont  les  incursions  ramenèrent  les  ténèbres  de  l'ignorance. 


8  f  4  JUIN. 

Ce  fut  en  352  que  saint  Basile  arriva  à  Athènes.  Il  y  trouva  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  avec  lequel  il  avait  formé  à  Césarée  la  liaison  la  plus 
intime.  Comme  celui-ci  connaissait  déjà  les  mœurs  des  Athéniens,  il  donna 
de  sages  avis  à  son  ami,  et  disposa  tous  les  esprits  à  le  bien  recevoir.  La 
gravité  de  Basile,  jointe  à  l'idée  avantageuse  que  Ton  avait  conçue  de  lui, 
le  préserva  des  mauvais  traitements  auxquels  les  nouveaux  venus  étaient 
toujours  exposés  de  la  part  de  ceux  qui  fréquentaient  les  écoles  publiques  '. 

L'amitié  de  nos  deux  Saints  était  bien  différente  de  celle  des  jeunes  gens, 
qui  n'est  fondée  d'ordinaire  que  sur  l'intérêt  ou  l'amour  du  plaisir.  Ils 
s'aimaient,  parce  qu'ils  s'estimaient  et  se  respectaient  mutuellement.  Il  y 
avait  d'ailleurs  en  eux  une  admirable  conformité  de  penchants  et  une 
ardeur  égale  pour  l'acquisition  de  la  vertu  et  des  sciences.  Leur  unique 
objet  était  de  se  consacrer  parfaitement  au  service  de  Dieu  ;  et,  pour  par- 
venir à  cette  grande  fin,  ils  saisissaient  toutes  les  occasions  de  s'animer  et 
de  se  soutenir  l'un  et  l'autre  :  mais  comme  il  peut  se  glisser  des  abus  dans 
les  amitiés  même  les  plus  saintes,  ils  étaient  continuellement  sur  leurs 
gardes,  afin  de  ne  pas  tomber  dans  les  pièges  de  l'ennemi.  Ils  priaient  assi- 
dûment, et  vivaient  dans  une  mortification  continuelle  de  leurs  sens.  A  ju- 
ger d'eux  par  la  gravité  de  leur  conduite,  on  les  aurait  pris  pour  des  anges 
dénués  de  corps.  Avec  cette  vigilance  sur  eux-mêmes,  ils  trouvaient  dans 
leur  amitié  réciproque  mille  consolations  et  mille  moyens  pour  s'entr'exci- 
ter  à  la  pratique  du  bien.  Ils  demeuraient  ensemble  et  avaient  une  table 
commune.  Leur  union  n'était  jamais  interrompue  par  la  diversité  des  sen- 
timents, et  ils  paraissaient  n'avoir  qu'une  même  volonté.  L'esprit  de  pro- 
priété ne  régnait  point  parmi  eux.  Dans  toutes  leurs  actions,  ils  n'envisa- 
geaient que  la  gloire  de  Dieu  :  c'était  là  qu'ils  rapportaient  leurs  travaux, 
leurs  études,  leurs  veilles,  leurs  jeûnes  et  généralement  l'emploi  de  toutes 
les  facultés  de  leur  âme. 

Mais  inutilement  auraient-ils  apporté  les  précautions  dont  nous  venons 
de  parler,  pour  mettre  leur  innocence  à  l'abri  du  danger,  s'ils  n'eussent  été 
fidèles  à  éviter  les  mauvaises  compagnies.  C'est  la  remarque  que  fait  saint 
Grégoire  de  Nazianze  *.  «  Nous  n'avions  »,  dit-il,  «  aucune  liaison  avec  les 
étudiants  qui  montraient  de  la  grossièreté,  de  l'impudence  et  du  mépris 
pour  la  religion  :  nous  ne  fréquentions  que  ceux  qui  étaient  paisibles  et  ré- 
guliers, que  ceux  dont  la  conversation  pouvait  nous  être  profitable  Nous 
nous  étions  persuadés  que  c'était  une  illusion  de  se  mêler  avec  les  pécheurs 
sous  prétexte  de  travailler  à  les  convertir,  et  que  nous  devions  toujours 
craindre  qu'ils  ne  nous  communiquassent  leur  poison  ». 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  ajoute,  en  parlant  de  lui  et  de  son  ami  : 
«  Nous  ne  connaissions  que  deux  rues  de  la  ville  :  l'une  conduisait  à  l'église 
et  aux  ministres  sacrés  qui  y  célébraient  les  divins  mystères  et  nourrissaient 
le  troupeau  de  Jésus- Christ  du  pain  de  vie  ;  l'autre,  pour  laquelle  nous 
n'avions  pas  à  beaucoup  près  la  même  estime,  conduisait  aux  écoles  pu- 
bliques et  chez  ceux  qui  nous  enseignaient  les  sciences.  Nous  laissions  aux 
autres  les  rues  par  lesquelles  on  allait  au  théâtre,  aux  spectacles  et  aux  lieux 
où  se  donnaient  les  divertissements  profanes.  Notre  sanctification  faisait 
notre  grande  affaire  ;  notre  unique  but  était  d'être  appelés  et  d'être  effecti- 
vement chrétiens:  c'était  en  cela  que  nous  faisions  consister  toute  notre 
gloire  ». 

Saint  Basile  se  rendit  fort  habile  dans  la  connaissance  des  différentes 
parties  de  la  littérature.  Il  savait  que  cette  connaissance  contribue  beau- 

1.  s.  Greg.  de  Naz.,  Or.  xx.  —  2.  Ibid. 


SAINT  BASILE   LE   GRAND,   DOCTEUR  DE  l'ÉGLISE.  9 

coup  à  étendre  les  facultés  de  l'esprit,  et  qu'elle  est  absolument  nécessaire 
à  quiconque  veut  exceller  en  quelque  science,  surtout  dans  l'art  oratoire, 
qui  était  en  grande  estime  chez  les  Grecs  et  chez  les  Romains.  Ayant  des- 
sein, ainsi  que  son  ami,  de  se  mettre  en  état  de  servir  utilement  l'Eglise,  ils 
s'appliquèrent  l'un  et  l'autre  à  se  perfectionner  dans  la  véritable  éloquence. 

Saint  Basile  excellait  aussi  dans  la  philosophie,  dans  la  poésie  et  dans 
les  autres  parties  de  la  littérature.  Pour  peu  qu'on  lise  attentivement  ses 
écrits,  et  surtout  son  livre  de  la  Création  ou  de  l'ouvrage  de  six  jours,  qu'il  a 
intitulé  Ilexaèmeron,  on  reconnaîtra  qu'il  avait  sur  l'histoire  naturelle  des 
idées  plus  justes  et  des  connaissances  plus  étendues  qu'Aristote,  malgré  les 
secours  que  procuraient  à  celui-ci  les  trésors  d'Alexandrie.  Il  possédait  si 
supérieurement  la  dialectique  et  l'art  d'enchaîner  les  conséquences  aux 
principes,  qu'on  ne  pouvait  résister  à  la  force  de  ses  raisonnements  ;  ils 
étaient  si  liés  et  si  pressants,  selon  saint  Grégoire  de  Nazianze,  qu'on  aurait 
eu  plus  de  peine  à  s'en  débarrasser  qu'à  sortir  d'un  labyrinthe.  Il  prit  une 
teinture  générale  de  la  géométrie,  de  la  médecine,  et  d'autres  sciences 
semblables,  étant  persuadé  avec  raison  que  sans  cette  teinture  on  ne  peut 
guère  exceller  dans  aucun  art  en  particulier  ;  mais  il  méprisa  tout  ce  qui 
était  inutile  à  un  homme  uniquement  dévoué  à  la  défense  et  à  la  gloire  de 
la  religion.  En  mettant  ainsi  des  bornes  à  sa  curiosité,  dit  saint  Grégoire  de 
Nazianze,  il  ne  se  montra  pas  moins  admirable  pour  ce  qu'il  négligea  dans 
les  sciences  que  pour  ce  qu'il  en  apprit.  Le  cours  de  ses  études  prélimi- 
naires étant  achevé,  il  s'appliqua  sérieusement  à  méditer  l'Ecriture,  cette 
source  inépuisable  de  sentiments  et  de  connaissances  qui  élèvent  l'homme 
jusqu'au  ciel.  Il  lisait  aussi  les  ouvrages  des  Pères  de  l'Eglise  avec  beaucoup 
d'assiduité.  Par  tous  ces  moyens  réunis,  il  amassa  un  riche  trésor  de 
sciences,  et  se  rendit  capable  d'exercer,  avec  cette  supériorité  que  l'on 
connaît,  l'important  ministère  de  la  parole  divine,  et  de  contribuer  avec 
une  force  merveilleuse  à  l'avancement  de  la  piété  dans  les  âmes. 

Basile  fut  bientôt  regardé  à  Athènes  comme  un  oracle  qu'on  devait  con- 
sulter sur  les  sciences,  soit  divines  soit  humaines.  Les  étudiants  et  les 
maîtres  de  cette  ville,  pleins  d'estime  pour  son  mérite,  employèrent  toutes 
sortes  de  moyens  pour  le  fixer  parmi  eux  ;  mais  ils  ne  purent  y  réussir  : 
Basile  crut  qu'il  était  comptable  à  sa  patrie  des  talents  que  Dieu  lui  avait 
donnés.  Ayant  donc  laissé  son  cher  Grégoire  à  Athènes,  il  en  partit  en  335 
pour  se  rendre  à  Césarée  en  Cappadoce,  où  Grégoire  ne  tarda  pas  à  le  suivre. 
Quoiqu'il  fût  jeune  encore,  il  ouvrit  dans  cette  ville  une  école  de  rhéto- 
rique. Ses  amis  le  déterminèrent  aussi  à  faire  partie  du  barreau  :  car  c'était 
par  ces  deux  voies  que  les  orateurs  et  les  personnes  de  qualité  commen- 
çaient à  se  faire  connaître  et  se  perfectionnaient  dans  l'éloquence. 

Déjà  la  philosophie  avait  élevé  Basile  au-dessus  de  l'ambition,  et  il  ne  se 
sentait  que  du  mépris  pour  les  places  distinguées  et  pour  tous  les  vains 
avantages  qu'il  pouvait  se  promettre  dans  le  monde.  Toujours  il  avait  mené 
une  vie  fort  régulière  et  ne  s'était  occupé  qu'à  chercher  le  royaume  de 
Dieu  ;  mais  l'accueil  honorable  qu'on  lui  fit  dans  son  pays,  joint  aux  ap- 
plaudissements qu'il  recevait  de  toutes  parts,  l'exposa  à  une  tentation  bien 
délicate,  à  celle  de  la  vaine  gloire.  Il  ne  se  fut  pas  plus  tôt  aperçu  du  dan- 
ger qu'il  courait,  que  la  frayeur  s'empara  de  son  âme.  Peu  de  temps  après, 
il  résolut  de  renoncer  entièrement  au  monde,  afin  de  s'éloigner  davantage 
du  précipice  sur  le  bord  duquel  il  avait  marché.  Sainte  Macrine,  sa  soeur, 
et  saint  Grégoire  de  Nazianze  ne  contribuèrent  pas  peu  à  l'affermir  dans 
cette  résolution.  En  lui  représentant  les  avantages  de  la  pauvreté  volontaire. 


10  l'ï  JinN. 

ils  firent  naître  en  lui  le  mépris  d'une  gloire  périssable  et  lui  inspirèrent  un 
désir  ardent  de  tendre  à  la  perfection.  Basile,  par  leur  avis,  donna  aux 
pauvres  la  plus  grande  partie  de  ses  biens,  et,  semblable  à  un  homme  qui 
sort  de  léthargie,  il  commença  à  voir  la  lumière  de  la  sagesse  céleste,  et  à 
sentir  tout  le  néant  des  choses  créées.  Dans  ces  dispositions,  il  se  consacra 
aux  travaux  de  la  pénitence  en  embrassant  l'état  monastique.  Libanius  fut 
singulièrement  frappé  d'un  si  généreux  mépris  du  monde,  et  il  ne  pouvait 
se  lasser  d'admirer  la  grandeur  d'âme  qui  en  était  le  principe. 

Saint  Basile  et  saint  Grégoire  de  Nazianze  mettent  souvent  l'éloquence 
au  nombre  des  choses  qu'ils  abandonnèrent  en  renonçant  au  monde  ;  mais 
par  là  ils  entendent  ce  vain  assemblage  de  fleurs  et  d'ornements  qui  n'ont 
d'autre  effet  que  de  charmer  les  oreilles.  Peut-être  parlent-ils  de  l'usage 
profane  de  l'éloquence,  auquel  on  ne  renonçait  point  à  leur  âge  sans  faire 
un  grand  sacrifice.  Quoi  qu'il  en  soit  de  leur  pensée,  on  voit  par  leurs 
écrits  qu'ils  n'ont  point  condamné  l'éloquence  considérée  en  elle-même; 
et  leur  exemple  servira  toujours  à  confondre  ceux  qui,  sous  prétexte  d'imi- 
ter la  simplicité  des  Apôtres,  annoncent  la  parole  de  Dieu  avec  une  rusti- 
cité qui  vient  de  leur  paresse  ou  de  leur  ignorance. 

Mais  laissons  parler  saint  Grégoire  de  Nazianze,  et  nous  verrons  ce  qu'il 
pensait  sur  ce  point.  «  Après  avoir  abandonné  le  monde  »,  dit-il,  «je  ne 
me  suis  réservé  que  l'éloquence.  Je  ne  me  repens  point  des  peines  et  des 
fatigues  que  j'ai  essuyées  tant  sur  mer  que  sur  terre  pour  acquérir  la  con- 
naissance de  cet  art  ;  je  voudrais,  et  pour  moi  et  pour  mes  amis,  que  nous 
en  possédassions  toute  la  force  et  toute  la  perfection  '  ».  Il  dit  dans  un 
autre  endroit  *  :  «  Il  ne  me  reste  que  l'éloquence  de  tout  ce  que  j'ai  pos- 
sédé ;  je  l'offre  et  la  consacre  entièrement  à  mon  Dieu.  La  voix  de  ses  com- 
mandements et  l'impulsion  de  son  esprit  m'ont  fait  abandonner  tout  le 
reste,  afin  d'échanger  ce  que  j'avais  contre  la  pierre  précieuse  de  l'Evangile. 
Je  suis  donc  devenu,  ou  plutôt  je  souhaite  avec  ardeur  devenir  cet  heureux 
marchand  qui  donne  des  biens  périssables  pour  s'en  procurer  d'éternels  : 
mais ,  en  qualité  de  ministre  de  l'Evangile  ,  je  me  dévoue  uniquement 
au  soin  de  le  prêcher;  voilà  mon  partage,  et  jamais  je  ne  manquerai  au 
devoir  qui  m'est  imposé  ». 

Basile,  après  sa  retraite,  ne  voulut  plus  vivre  que  pour  Dieu.  Persuadé 
que  le  nom  de  moine  ne  servirait  qu'à  sa  condamnation,  s'il  ne  remplissait 
fidèlement  les  obligations  de  son  état,  il  entreprit,  en  357,  de  voyager  dans 
la  Syrie,  dans  la  Mésopotamie  et  dans  l'Egypte.  Son  but  était  de  visiter  les 
moines  et  les  ermites  qui  habitaient  les  déserts  de  ce  pays,  afin  d'acquérir 
une  connaissance  parfaite  des  devoirs  auxquels  son  nouveau  genre  de  vie 
l'assujétissait.  Il  fut  très-édifié  en  voyant  ces  saints  solitaires,  qui  mon- 
traient par  toute  leur  conduite  qu'ils  se  regardaient  comme  étrangers  sur 
la  terre,  et  comme  les  citoyens  du  ciel.  Leurs  exemples  et  leurs  discours 
l'affermirent  encore  dans  sa  première  résolution.  Nous  apprenons  de  lui- 
même  *  que  dans  tous  ses  voyages  il  ne  choisit  pour  directeurs  que  ceux 
dont  la  foi  était  conforme  à  celle  de  l'Eglise  catholique. 

En  358,  il  revint  dans  la  Cappadoce.  Diane,  son  évêque,  qui  l'avait  au- 
trefois baptisé,  l'ordonna  lecteur.  Ce  prélat  faisait  profession  d'être  attaché 
à  la  doctrine  de  l'Eglise;  mais  il  eut  l'imprudence  de  s'engager  dans  des 
démarches  favorables  aux  Ariens.  Cette  conduite  causa  une  vive  douleur  à 
Basile,  qui  respectait  Diane  comme  son  pasteur,  et  qui  de  plus  remarquait 
en  lui  plusieurs  belles  qualités;  mais  l'obligation  de  garder  l'unité  dans  la 

l.  Or.  ui.  —  2.  Or,  xn 3.  Ep.  coiT. 


SAINT  BASILE  LE   GRAND,   DOCTEUR  DE   L'ÉGLISE.  41 

foi  agissant  sur  lui  plus  puissamment  que  tout  autre  motif,  il  se  sépara  de 
sa  communion,  surtout  lorsqu'il  l'eut  vu  souscrire  le  formulaire  de  Rimini. 

Le  Saint  quitta  la  Cappadoce  en  358,  et  se  retira  dans  le  Ponl,  où  il 
choisit  pour  demeure  la  maison  de  son  aïeule,  qui  était  située  sur  le  bord 
de  l'Iris,  à  Annési.  Emraélie,  sa  mère,  et  Macrine,  sa  sœur,  avaient  fondé 
\h  un  monastère  pour  les  personnes  de  leur  sexe.  Ce  monastère  était  alors 
gouverné  par  Macrine.  Basile  en  fonda  un  pour  des  hommes  de  l'autre  côté 
de  la  rivière,  et  il  en  eut  la  conduite  pendant  quatre  années,  c'est-à-dire 
jusqu'à  l'an  362,  époque  à  laquelle  il  se  démit  de  cette  place  en  faveur  de 
saint  Pierre  de  Sébaste,  son  frère.  A  sept  ou  huit  stades  du  monastère  de 
Sainte-Macrine  était  l'église  des  Quarante-Martyrs,  enrichie  d'une  portion 
considérable  des  reliques  de  ces  bienheureux  soldats  de  Jésus-Christ,  et  si 
renommée  dans  les  écrits  de  saint  Basile  et  de  ses  amis.  Cette  église  n'était 
pas  éloignée  de  Néocésarée. 

Outre  le  monastère  dont  nous  avons  parlé,  saint  Basile  en  fonda  plu- 
sieurs autres,  tant  pour  des  hommes  que  pour  des  femmes,  dans  différents 
endroits  du  Pont.  Il  conserva  une  inspection  générale  sur  ces  communau- 
tés, même  durant  son  épiscopat.  Ce  futpour  leur  instruction  qu'il  composa 
ses  ouvrages  ascétiques,  entre  autres  ses  grandes  et  ses  petites  règles.  Il  y 
donne  à  l'état  des  cénobites  la  préférence  sur  celui  des  ermites;  le  premier 
lui  paraissait  en  général  beaucoup  plus  sûr  que  le  second.  Souvent  il  y  ré- 
pète qu'un  moine  doit  découvrir  à  son  supérieur  ce  qu'il  y  a  de  plus  secret 
dans  son  âme,  et  se  soumettre  en  tout  à  ses  décisions.  En  môme  temps 
qu'il  prescrit  l'hospitalité  envers  les  étrangers,  il  défend  qu'on  lui  serve  des 
mets  délicats;  ce  qui,  selon  lui,  serait  aussi  ridicule  que  si  les  moines  chan- 
geaient d'habit  pour  les  recevoir.  Une  vie  austère,  continue-t-il  en  parlant 
à  ses  religieux,  vous  délivrera  des  visites  inutiles,  et  éloignera  de  chez  vous 
les  personnes  qui  ont  l'esprit  du  monde.  Votre  table  doit  prêcher  la  sobriété 
même  aux  étrangers  '.  Il  fait  l'énumération  des  heures  canoniales  et  en 
montre  l'excellence.  Par  celle  de  Prime,  dit-il  *,  nous  consacrons  à  Dieu 
les  prémices  de  nos  pensées,  nous  remplissons  nos  cœurs  de  pieux  senti- 
ments et  de  cette  joie  salutaire  qu'excite  en  nous  la  pensée  de  Dieu  '.  Les 
Constitutions  monastiques,  qui  portent  le  nom  de  saint  Basile,  diffèrent  en 
plusieurs  articles  des  règles  dont  nous  venons  de  parler,  et  ne  sont  point 
attribuées  à  ce  Père  par  les  anciens  auteurs  :  elles  paraissent  être  d'une 
date  un  peu  postérieure  *.  La  Règle  de  Saint-Basile  est  suivie  encore  au- 
jourd'hui par  tous  les  moines  d'Orient,  par  ceux  même  qui  se  disent  de 
l'Ordre  de  Saint-Antoine. 

Basile  s'est  peint  dans  ses  écrits  avec  la  plus  grande  vérité  :  mais  il  faut 
le  représenter  dans  sa  retraite,  pour  ne  pas  priver  sa  vertu  des  hommages 
qui  lui  sont  dus;  d'ailleurs,  considéré  sous  ce  rapport,  il  a  toujours  servi 
de  modèle  à  ceux  qui,  dans  les  différents  siècles,  ont  voulu  parvenir  à  une 
sainteté  éminente.  Jamais  il  ne  portait  qu'une  tunique  et  un  manteau;  il 
couchait  sur  la  dure,  veillait  quelquefois  les  nuits  entières  et  ne  faisait  point 
usage  du  bain,  ce  qui  était  une  grande  mortification  dans  les  pays  chauds, 
surtout  avant  qu'on  se  servît  de  linge.  Il  se  couvrait  pendant  la  nuit  d'un 
cilice,  qu'il  quittait  le  jour,  afin  de  cacher  aux  hommes  son  amour  pour  la 

1.  RegulJB  fusius  expiicatas,  reg.  xx.  —  î.  Ibid.,  reg.  xxxvii. 

8.  Dom  Cellier,  t.  iv,  p.  384,  a  réfuté  solidement  Bulteau,  qui.  dans  son  Histoire  monastique  d'Orient, 
1.  II,  avait  avancé  que  l'heure  de  Prime  était  Inconnue,  du  temps  de  saint  Basile,  aux  moinei  de  Cap- 
padoce. 

4.  Voir  Dom  Ceiller,  t.  Tl> 


19  14   JUINe 

pénitence.  Il  s'accoutuma,  malgré  toutes  les  répugnances  de  la  nature,  à 
souffrir  le  froid  excessif  qui  règne  sur  les  montagnes  du  Pont.  Chaque  jour 
il  ne  faisait  qu'un  repas,  et  ce  repas  consistait  en  un  peu  d'eau  et  de  pain, 
à  quoi  il  ajoutait  quelques  herbes  les  jours  de  fêtes.  La  nourriture  qu'il 
prenait  était  en  si  petite  quantité  qu'on  eût  presque  dit  qu'il  vivait  sans 
manger.  Saint  Grégoire  de  Nysse  comparait  son  abstinence  au  jeûne  d'Elie; 
et  saint  Grégoire  de  Nazianze  lui  disait,  à  l'occasion  de  son  extrême  pâleur, 
que  son  corps  paraissait  à  peine  animé  '.  Il  ajoute  dans  un  autre  endroit  % 
en  parlant  toujours  du  Saint,  qu'il  était  dénué  de  biens,  de  chair,  et  presque 
de  sang.  Basile  nous  apprend  lui-même  qu'il  traitait  son  corps  comme  un 
esclave  toujours  prêt  à  se  révolter,  s'il  n'avait  soin  de  le  tenir  continuelle- 
ment en  bride.  On  voit  par  ses  épîtres  qu'il  était  sujet  à  des  infirmités  fré- 
quentes et  même  continuelles.  Il  dit  dans  une  lettre  que  dans  le  temps  où 
il  se  portait  le  mieux,  il  était  plus  faible  que  ne  le  sont  ordinairement  lea 
malades  abandonnés  des  médecins  '. 

La  mortification  des  sens  était  accompagnée  en  lui  de  celle  de  la  vo- 
lonté ;  et  celle-ci  tenait  en  quelque  sorte  du  prodige  :  il  y  joignait  encore 
une  humilité  extraordinaire.  C'était  par  un  effet  de  cette  vertu  qu'il  avait 
un  désir  si  ardent  de  s'ensevelir  pour  ainsi  dire  dans  la  solitude  et  de  vivre 
entièrement  inconnu  aux  hommes.  La  solitude  cependant  ne  lui  communi- 
quait rien  de  triste  ni  d'austère  ;  il  était  d'une  douceur  et  d'une  patience  à 
l'épreuve  de  tous  les  événements.  Son  inaltérable  douceur  de  caractère 
avait  causé  à  Libanius  la  plus  grande  admiration  ;  elle  tirait  un  nouveau 
lustre  d'une  aimable  gravité  par  laquelle  elle  était  tempérée.  La  moindre 
faute  contre  la  chasteté  lui  faisait  horreur,  et  son  amour  pour  cette  vertu  le 
porta  à  bâtir  plusieurs  monastères  pour  des  vierges  auxquelles  il  donna  une 
règle  écrite. 

Durant  une  famine  qui  fit  sentir  ses  ravages  vers  l'an  359,  il  vendit  le 
reste  de  ses  biens  pour  assister  les  malheureux.  Il  voulut  vivre,  dit  saint  Gré- 
goire de  Nazianze,  dans  la  plus  grande  pauvreté  possible,  et  jamais  rien  ne 
put  l'ébranler  dans  sa  résolution.  En  se  dépouillant  de  tout  ce  qu'il  possé- 
dait au  monde,  il  se  mettait  en  état  de  passer  plus  sûrement  la  mer  orageuse 
de  cette  vie.  Son  dépouillement  fut  si  entier  qu'il  ne  se  réserva  pas  la  plus 
petite  partie  de  ses  biens  ;  et  même,  quand  il  eut  été  élevé  à  l'épiscopat,  il 
n'avait,  pour  fournir  à  sa  subsistance,  que  les  libéralités  de  ses  amis.  Suivre 
dans  une  nudité  parfaite  Jésus  crucifié,  voilà  quelles  étaient  ses  richesses. 

Dans  les  différents  exercices  de  la  vie  monastique,  il  s'efforçait  d'imiter 
et  même  de  surpasser  les  excellents  modèles  qu'il  avait  vus  en  Syrie  et  en 
Egypte.  A  l'exemple  de  ces  pieux  solitaires,  il  portait  un  habit  fait  d'une 
étoile  grossière  qu'il  attachait  avec  une  ceinture  ;  mais  ces  mirques  exté- 
rieures de  pénitence  n'étaient  en  lui,  comme  en  eux,  que  les  symboles  d'un 
grand  fond  d'humilité,  de  détachement  et  de  mortification.  Il  partageait 
son  temps  entre  la  prière,  le  travail  des  mains  et  la  méditation  de  l'Ecriture 
Souvent  il  allait  dans  les  villages  voisins  pour  enseigner  les  principes  de  lu 
foi  aux  paysans  et  pour  les  exhorter  à  la  pratique  de  la  vertu  *. 

Il  manqua  d'abord  quelque  chose  à  son  bonheur,  parce  qu'il  ne  jouissait 
pas  de  la  présence  de  saint  Grégoire  de  Nazianze.  Il  lui  écrivit  donc  plusieurs 
lettres  pour  l'engager  à  venir  partager  avec  lui  les  charmes  de  la  solitude, 
et  il  le  pressa  de  la  manière  la  plus  vive  de  ne  pas  lui  refuser  le  secours  qu'il 
attendait  de  sa  compagnie  et  de  ses  exemples.  Dans  une  de  ses  lettres,  il  lui 
dépeint  admirablement  les  avantages  que  fournit  la  retraite  pour  prier  avec 

1.  Ep.  VI —  8,  Or.  xa.  —  3.  Ep.  ccLvii.  —  4.  Ep.  II,  éd.  Ben. 


SAJNT   BASILE  LE   GRAND,    DOCTEUR  DE  L'ÉGUSB.  l3 

ferveur  et  pour  remporter  une  victoire  complète  sur  ses  passions.  Un  moine, 
selon  la  définition  qu'il  en  donne,  est  un  homme  qui  prie  continuellement  ; 
qui  sanctifie  le  travail  des  mains  par  une  union  continuelle  avec  Dieu,  sur- 
tout par  le  chant  des  psaumes  ;  un  homme  dont  le  cœur  est  toujours  élevé 
vers  Dieu  et  qui  n'a  d'autre  objet  que  d'orner  son  âme  des  vertus  par  la 
méditation  des  livres  saints.  Il  dit  qu'un  moine  ne  doit  vivre  que  de  pain  et 
d'eau,  et  ne  faire  qu'un  repas  par  jour  ;  que  son  sommeil  ne  peut  être  pro- 
longé au-delà  du  milieu  de  la  nuit,  et  qu'il  faut  que,  se  levant  alors,  il  per- 
sévère jusqu'au  jour  dans  la  prière.  Basile,  au  rapport  des  deux  saints  Gré- 
goire, a  tracé  son  véritable  portrait  dans  la  lettre  dont  il  est  ici  question. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  se  rendit  aux  invitations  de  son  ami  et  alla  le 
joindre  dans  le  Pont.  Renfermés  l'un  et  l'autre  dans  une  pauvre  cabane,  ils  y 
menaient  une  vie  fort  austère.  Ils  avaient  un  petit  jardin  dont  le  sol  était  extrê- 
mement stérile  et  qu'ils  cultivaient  eux-mêmes*.  Grégoire,  ayant  été  depuis 
tiré  de  sa  solitude,  regrettait  amèrement  la  tranquillité  et  le  bonheur  dont 
lui  et  Basile  jouissaient  en  chantant  les  psaumes,  en  veillant  dans  la  prière, 
qui  élevait  leurs  âmes  jusqu'au  ciel,  en  exerçant  leurs  corps  par  le  travail 
des  mains,  qui  consistait  à  porter  du  bois,  à  tailler  des  pierres,  à  planter  des 
arbres,  à  creuser  des  canaux  ',  etc.  Les  deux  Saints  avaient  aussi  des  heures 
réglées  pour  l'étude  de  l'Ecriture.  En  362,  Basile  prit  avec  lui  quelques-uns 
de  ses  moines,  et  retourna  à  Césarée  en  Cappadoce. 

Julien  l'Apostat  avait  été  revêtu  de  la  pourpre  l'année  précédente.  A 
son  avènement  à  l'empire,  il  écrivit  à  Basile,  qu'il  avait  autrefois  connu  à 
Athènes,  pour  l'inviter  à  venir  à  sa  cour.  Le  Saint  lui  répondit  qu'il  ne 
pouvait  se  rendre  à  ses  désirs,  à  cause  du  genre  de  vie  qu'il  menait.  Le 
prince  dissimula  pour  lors  son  ressentiment;  mais  quand  Basile  fut  arrivé  à 
Césarée,  il  lui  écrivit  une  seconde  lettre  pleine  d'artifice,  où,  après  lui  avoir 
dit  qu'il  conservait  toujours  pour  lui  les  mêmes  sentiments,  il  lui  ordonnait 
de  payer  mille  livres  d'or  aux  officiers  chargés  de  ses  finances  ;  ajoutant 
qu'en  cas  de  refus  il  ferait  raser  la  ville  de  Césarée  '.  Le  Saint  ne  se  laissa  point 
effrayer  par  de  telles  menaces;  il  répondit  tranquillement  qu'il  n'était  pas  en 
état  de  fournir  une  telle  somme  et  qu'il  n'avait  pas  même  de  quoi  subsister 
pour  un  jour.  Prenant  ensuite  un  ton  plus  ferme,  il  marque  au  prince  qu'il 
est  surpris  de  voir  qu'il  néglige  les  devoirs  essentiels  de  la  souveraineté  et 
qu'il  allume  contre  lui  la  colère  céleste  en  méprisant  ouvertement  le  culte 
du  Seigneur*.  L'empereur  fut  vivement  piqué  de  ce  relus,  et  il  jura  d'im- 
moler saint  Basile  et  saint  Grégoire  de  Nazianze  à  son  ressentiment,  après 
son  retour  de  l'expédition  de  Perse,  où  l'on  sait  qu'il  périt  en  363. 

Vers  le  même  temps,  Diane,  évêque  de  Césarée,  tomba  malade.  Il  en- 
voya chercher  le  Saint  ;  il  lui  protesta  qu'en  souscrivant  le  formulaire  de 
Rimini,  il  n'avait  pas  connu  le  venin  qu'elle  contenait  ;  que  jamais  il  n'avait 
eu  d'autre  foi  que  celle  des  Pères  de  Nicée,  et  qu'il  déclarait  y  être  sincère- 
ment attaché.  Sur  cette  déclaration,  Basile  se  réconcilia  avec  lui. 

Diane  étant  mort,  Eusèbe,  encore  laïque,  fut  élu  pour  remplir  son  siège. 
Peu  de  temps  après,  ce  prélat  éleva  Basile  au  sacerdoce  ;  mais  il  fallut  faire 
une  sorte  de  violence  au  Saint  pour  l'engager  à  consentir  à  son  ordination. 
C'est  ce  que  nous  apprenons  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  qui,  en  cette 
occasion,  lui  écrivit  pour  le  consoler  et  pour  lui  donner  des  avis  relatifs  aux 
circonstances  où  il  se  trouvait*. 

Basile  continua  de  vivre  à  Césarée  comme  il  avait  vécu  dans  sa  retraite. 
n  y  établit  des  monastères  pour  les  personnes  des  deux  sexes.  A  ses  travaux 

1.  Naz.,  Ep.  VIII.  —  3.  Kp.  ix.  —  3.  S.  Bas.,  Ep.  ccvii   —  4.  Ep.  ccvui.  ~  5,  Ep.  XI. 


14  1-4  JUTN. 

ordinaires  il  joignit  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu.  Eusèbe,  en  l'or- 
donnant prêtre,  s'était  proposé  de  s'attacher-  un  homme  qui  pût  instruire 
les  peuples  et  l'aider  dans  le  gouvernement  de  son  diocèse  ;  mais,  par  une  de 
ces  faiblesses  où  tombent  ceux  qui  n'ont  pas  soin  de  veiller  sur  eux-mêmes  ', 
il  se  brouilla  depuis  avec  lui  et  le  chassa  même  de  son  église.  Le  peuple 
de  Césarée  et  plusieurs  évêques  se  déclarèrent  contre  Eusèbe  et  condam- 
nèrent hautement  sa  conduite.  Le  Saint  ressentit  une  grande  joie  en  se 
revoyant  en  liberté  ;  il  sortit  secrètement  de  la  ville,  et  retourna  dans  le 
Pont  en  363.  Saint  Grégoire  de  Nazianze  alla  l'y  joindre. 

Des  auteurs  ont  rapporté  que  saint  Basile  avait  été  quelque  temps  en 
correspondance  et  uni  de  communion  avec  Basile  d'Ancyre,  Eustate  de  Sé- 
baste  et  Sylvain  de  Tarse,  qui  furent  les  chefs  du  parti  des  semi-Ariens  :  car 
ces  trois  prélats  cachaient  alors  leurs  erreurs  sous  des  déclarations  ortho- 
doxes. Saint  Athanase  et  saint  Hilaire  se  comportèrent  envers  eux  comme 
saint  Basile,  dont  nous  parlons,  lorsqu'ils  écrivirent  leurs  livres  des  Synodes. 

Cependant,  Valens,  associé  h  l'empire  (364)  par  son  frère  Valentinien, 
qui  lui  abandonna  l'Orient,  s'étant  laissé  séduire  par  Eudoxe  de  Constanti- 
nople  et  par  Euzoïus  d'Antioche,  se  déclara  le  protecteur  de  l'arianisme. 
En  366,  il  fît  un  voyage  à  Césarée,  dans  l'intention  de  mettre  les  églises  de 
cette  ville  entre  les  mains  des  hérétiques.  Basile  fut  alors  rappelé  par 
l'évoque  Eusèbe.  Alarmé  du  danger  que  courait  la  foi,  il  se  hâta  de  voler  à 
son  secours.  Il  montra  tant  de  zèle  et  de  prudence,  que  les  Ariens  furent 
obligés,  après  plusieurs  tentatives  inutiles,  de  se  désister  de  leurs  préten- 
tions. Les  discours  qu'il  prononça  confirmèrent  le  peuple  dans  la  doctrine 
de  l'Eglise.  Il  ne  se  borna  pas  à  prémunir  les  fidèles  contre  le  venin  de 
l*hérésie  ;  il  les  exhorta  encore  à  pratiquer  l'Evangile  de  la  manière  la  plus 
parfaite.  Il  réunit  les  cœurs  divisés,  par  de  sincères  réconciliations,  et  vint 
à  bout  d'étouffer  toutes  les  semences  de  discorde.  Durant  une  famine  qui 
désola  le  pays,  il  donna  des  preuves  d'une  charité  sans  bornes  et  fît  trouver 
aux  pauvres  une  ressource  assurée  dans  les  aumônes  des  personnes  riches. 
Il  leur  lavait  les  pieds,  les  servait  à  table  et  leur  distribuait  de  ses  propres 
mains  toutes  les  provisions  nécessaires  à  leur  subsistance.  Une  telle  con- 
duite lui  gagna  l'amitié  d'Eusèbe  ;  ce  prélat  conçut  même  pour  lui  une 
haute  estime  et  n'entreprit  plus  rien  d'important  sans  l'avoir  consulté.  Après 
sa  mort,  arrivée  vers  le  milieu  de  l'année  370,  Basile  fut  élu  pour  lui  succé- 
der. La  nouvelle  de  ce  choix  causa  une  satisfaction  extraordinaire  à  saint 
Athanase,  et  il  annonça  dès  lors  les  victoires  que  saint  Basile  remporterait 
sur  l'hérésie  régnante. 

Cette  nouvelle  dignité  fit  briller  plus  que  jamais  les  vertus  de  Basile;  il 
parut  autant  se  surpasser  lui-même  qu'il  avait  précédemment  surpassé  les 
autres.  11  prêchait  soir  et  matin,  même  les  jours  où  les  fidèles  vaquent  à 
leurs  travaux  ordinaires.  Son  auditoire  était  si  nombreux  qu'il  lui  donne  le 
titre  de  mer  '.  On  courait  à  ses  discours  avec  un  tel  empressement,  qu'il  se 
compare  à  une  mère  qui,  lorsque  ses  mamelles  sont  épuisées,  ne  laisse  pas 
de  les  présenter  encore  à  son  enfant,  afin  que  par  là  elle  puisse  empêcher  ses 
cris.  Son  troupeau,  comme  il  nous  l'apprend  lui-même,  avait  une  si  grande 
faim  de  la  parole  de  Dieu,  qu'il  était  obligé  de  faire  entendre  sa  voix  dans 
un  temps  où  une  longue  maladie  lui  avait  ravi  ses  forces,  et  où  il  était  à 
peine  en  état  de  parler*.  Il  établit  à  Césarée  plusieurs  pratiques  de  dévotion 

1.  L'expression   dont  se  sert  saint  Grégoire  do  Nazianze  donne  lieu  de  croire  qu'Eusëtte  agit  par  l« 
motif  d'une  Jalousie  secrète. 

t.  Hexaem.,  hom.  u  et  lu 3.  In  P».  La. 


SAIÎJT  BASILE  LE   GRAND,  DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE j  15 

qu'il  avait  vu  observer  en  Egypte,  en  Syrie  et  en  d'autres  endroits,  surtout 
celle  de  s'assembler  le  malin  à  l'église  pour  faire  la  prière  en  commun  et 
pour  chanter  certains  psaumes  avant  le  lever  du  soleil.  La  plupart  de  ceux 
qui  se  trouvaient  à  cette  assemblée  paraissaient  pénétrés  d'une  vive  com- 
ponction et  versaient  un  torrent  de  larmes'.  Le  peuple  communiait  le 
dimanche,  le  mercredi,  le  vendredi,  le  samedi  et  toutes  les  fôtes  des  mar- 
tyrs *. 

La  province  ayant  été  affligée  d'une  grande  sécheresse,  Basile  demanda 
au  ciel  la  cessation  du  fléau  ;  et  ses  prières,  au  rapport  de  saint  Grégoire  de 
Nysse,  furent  exaucées.  Aucun  évoque  ne  porta  plus  loin  que  lui  l'amour 
des  pauvres,  dont  il  se  regardait  comme  le  défenseur  et  le  père.  Non  con- 
tent de  faire  d'abondantes  aumônes,  il  fonda  à  Césarée  un  vaste  hôpital, 
appelé  par  saint  Grégoire  de  Nazianze  une  nouvelle  ville,  qui,  à  cause  de  son 
fondateur,  fut  nommée  Basiliade,  et  qui  était  célèbre  longtemps  encore  après 
l'épiscopat  du  Saint.  «  On  peut  »,  ajoute  saint  Grégoire  de  Nazianze  en  par- 
lant du  môme  hôpital,  «  être  compté  parmi  les  merveilles  du  monde,  tant 
est  grand  le  nombre  des  pauvres  et  des  malades  qu'on  y  reçoit,  tant  sont 
admirables  l'ordre  et  le  soin  avec  lesquels  on  y  pourvoit  aux  divers  besoins 
des  malheureux  ».  Saint  Basile  y  allait  souvent  pour  consoler  ceux  qui  souf- 
fraient et  pour  les  instruire  à  faire  un  bon  usage  de  leurs  peines. 

Ils  s'attendrissaient  spécialement  sur  le  déplorable  état  de  ceux  que  le 
vice,  le  schisme  et  l'hérésie  avaient  écartés  de  la  voie  du  salut  ;  il  sollicitait 
leur  conversion  par  des  prières  ferventes  et  des  larmes  continuelles.  Il  n'y 
avait  ni  peines  ni  dangers  qui  pussent  ralentir  son  zèle  quand  il  s'agissait 
de  les  ramener  i  Dieu.  Rien  ne  prouva  mieux  la  force  et  l'activité  de  ce  zèle 
que  la  victoire  qu'il  remporta  sur  l'empereur  Valons. 

Ce  prince,  voyant  que  Basile  était  comme  une  tour  imprenable  contre 
laquelle  les  eflbrts  de  l'hérésie  ne  pouvaient  rien,  résolut  d'employer  contre 
lui  les  voies  de  rigueur.  Déjà  il  avait  jeté  par  ce  moyen  de  vifs  sentiments 
de  crainte  dans  l'âme  des  évoques  orthodoxes.  Après  avoir  traversé  plusieurs 
provinces  oti  il  avait  déchargé  tout  son  ressentiment  sur  ceux  qui  ne  vou- 
laient pas  embrasser  l'arianisme,  il  arriva  dans  la  Cappadoce.  Son  intention 
était  de  perdre  l'archevêque  de  Césarée,  dans  lequel  il  trouvait  plus  de  ré- 
sistance à  ses  volontés  que  dans  tous  les  autres  prélats.  Il  se  fil  devancer 
par  le  préfet  Modeste,  avec  ordre  d'engager  Basile,  par  menaces  ou  par 
promesses,  à  communiquer  avec  les  Ariens.  Le  préfet,  s'étant  assis  sur  son 
tribunal  et  ayant  autour  de  lui  les  licteurs  armés  de  leurs  faisceaux,  cita 
l'archevôque  à  venir  comparaître  devant  lui.  Basile  se  présenta  avec  un 
visage  serein  et  tranquille.  Modeste  le  reçut  avec  honnêlcLé,  elle  pressa, 
par  des  paroles  insinuantes,  de  faire  ce  que  l'empereur  exigeait  de  lui.  Ce 
moyen  ne  lui  ayant  pas  réussi,  il  prit  un  air  menaçant,  et  dit  avec  un  ton 
de  colère  :  «  Y  pensez-vous,  Basile,  de  vouloir  vous  opposer  à  un  si  grand 
empereur,  aux  volontés  duquel  tout  le  monde  obéit?  Est-ce  que  vous  ne 
craignez  pas  de  ressentir  les  eilets  de  la  puissance  dont  nous  sommes  armés? 
—  Basile.  A  quoi  peut  donc  s'étendre  cette  puissance? — Modeste.  A  la 
confiscation  des  biens,  à  l'exil,  aux  tourments,  à  la  mort.  —  Basile.  Mena- 
cez-moi de  quelque  autre  chose  ;  car  rien  de  tout  cela  ne  fait  impression 
sur  moi.  —  Modeste.  Que  dites-vous? — Basile.  Celui  qui  n'a  rien  est  à 
couvert  de  la  confiscation.  Je  n'ai  que  quelques  livres  et  les  haillons  que  je 
porte  ;  je  ne  m'imagine  pas  que  vous  soyez  jaloux  de  me  les  enlever.  Quant 
à  l'exil,  il  ne  vous  sera  pas  facile  de  m'y  condamner  ;  c'est  le  ciel,  et  non  pas 

1.  £p.  LX7.  —  £p.  CCLS22IS. 


16  14  JITN. 

le  pays  que  j'habite,  que  je  regarde  comme  ma  patrie.  Je  crains  peu  les 
tourments.  Mon  corps  est  dans  un  tel  état  de  maigreur  et  de  faiblesse,  qu'il 
ne  pourra  les  souffrir  longtemps  ;  le  premier  coup  terminera  ma  vie  et  mes 
peines.  Je  crains  encore  moins  la  mort,  qui  me  parait  une  faveur  ;  elle  me 
réunira  plus  tôt  à  mon  Créateur,  pour  qui  seul  je  vis.  —  Modeste.  Jamais 
personne  n'a  parlé  à  Modeste  avec  une  telle  audace.  —  Basile.  C'est  sans 
doute  la  première  fois  que  vous  avez  affaire  à  un  évêque.  Dans  les  circons- 
tances ordinaires,  nous  sommes,  nous  autres  évêques,  les  plus  doux  et  les 
plus  soumis  de  tous  les  hommes  ;  nous  n'avons  nulle  fierté  avec  le  moindre 
particulier,  à  plus  forte  raison  avec  ceux  qui  sont  revêtus  d'une  telle  puis- 
sance ;  mais  quand  il  s'agit  de  la  religion,  nous  n'envisageons  que  Dieu,  et 
nous  méprisons  tout  le  reste.  Le  feu,  le  glaive,  les  bêtes,  les  ongles  de  fer 
font  alors  nos  délices.  Employez  donc  les  menaces  et  les  tortures,  rien  ne 
sera  capable  de  nous  ébranler.  —  Modeste.  Je  vous  donne  jusqu'à  demain 
à  délibérer  sur  le  parti  que  vous  avez  à  prendre.  —  Basile.  Ce  délai  est 
inutile  ;  je  serai  demain  tel  que  je  suis  aujourd'hui  '  ». 

Le  préfet  ne  put  s'empêcher  d'admirer  l'intrépidité  du  saint  archevêque. 
Le  lendemain,  il  alla  trouver  l'empereur,  qui  était  arrivé  à  Césarée,  et  l'in- 
forma de  tout  ce  qui  s'était  passé.  Valens,  irrité  du  mauvais  succès  de  la 
conférence,  voulut  qu'il  s'en  tînt  une  autre,  où  il  assista  avec  Modeste  et 
un  des  officiers  de  sa  maison  nommé  Démosthène.  Cette  tentative  ne  réussit 
pas  mieux  que  la  précédente.  Le  préfet  en  fit  une  troisième  ;  mais  elle  ne 
servit,  comme  les  autres,  qu'à  couvrir  le  Saint  de  gloire.  A  la  fin,  Modeste 
dit  à  l'empereur  ;  «  Nous  sommes  vaincus  ;  c'est  un  homme  au-dessus  des 
menaces,  invincible  à  tous  les  discours,  inébranlable  à  toutes  les  persuasions. 
On  peut  tenter  d'abattre  ceux  qui  ont  moins  de  courage  ;  mais  pour  lui,  il 
le  faut  chasser  par  une  violence  ouverte,  ou  ne  pas  s'attendre  à  le  faire  céder 
par  des  menaces  ».  Valens  le  laissa  donc  tranquille  pour  quelque  temps. 
Ayant  été  le  jour  de  l'Epiphanie  à  la  grande  église,  il  fut  autant  surpris 
qu'édifié  du  bel  ordre  et  de  la  manière  respectueuse  avec  lesquels  on  y  cé- 
lébrait l'office  divin.  Ce  qui  le  frappa  surtout,  ce  fut  la  piété  et  le  recueille- 
ment dont  l'archevêque  était  pénétré  à  l'autel.  Il  n'osa  se  présenter  à  la 
communion,  de  crainte  qu'on  la  lui  refusât  ;  mais  il  fit  son  offrande,  qui  fut 
acceptée  comme  celle  des  orthodoxes,  Basile  croyant  que  dans  une  pareille 
occasion  il  était  de  la  prudence  de  ne  pas  observer  la  discipline  ecclésias- 
tique dans  toute  sa  rigueur. 

Cependant  l'empereur,  obsédé  par  les  Ariens,  changea  bientôt  de  dis- 
positions ;  il  se  laissa  persuader  de  donner  un  ordre  pour  l'exil  de  l'arche- 
vêque de  Césarée  :  mais  Dieu  prit  visiblement  en  main  la  cause  de  son  ser- 
viteur. La  nuit  même  du  jour  où  l'ordre  avait  été  expédié,  Valentinien-Galate, 
fils  de  Yalens,  et  âgé  d'environ  six  ans,  fut  attaqué  d'une  fièvre  violente,  à 
laquelle  les  médecins  ne  purent  apporter  aucun  remède.  L'impératrice 
Dominica  dit  à  l'empereur  que  cette  maladie  était  une  juste  punition  de 
l'exil  du  saint  archevêque  ;  elle  ajouta  de  plus  qu'elle  avait  été  fort  inquiétée 
par  des  songes  effrayants.  Là-dessus,  Valens  envoya  chercher  Basile,  qui  se 
préparait  à  quitter  la  ville.  Le  Saint  ne  fut  pas  plus  tôt  entré  dans  le  palais, 
que  le  jeune  prince  se  trouva  mieux,  et  Basile  assura  qu'il  ne  mourrait  point, 
pourvu  qu'on  s'engageât  à  le  faire  élever  dans  les  maximes  de  la  doctrine 
catholique.  La  condition  ayant  été  acceptée,  il  se  mit  en  prières,  et  l'enfant 
fut  guéri.  Valens,  obsédé  de  nouveau  par  les  hérétiques,  ne  tint  point  la 
parole  qu'il  avait  donnée  ;  il  permit  à  un  évoque  arien  de  baptiser  son  fils, 

1.  s.  Greg.  Nyss.,  in  Emom..  1.  i,  p.  818;  Théodoret,  1.  iv,  c.  16;  Bufln,  1.  ii,  c.  ». 


SAINT  BASILE  LE  GRAND,   DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  17 

qui  retomba  malade  et  mourut  peu  de  temps  après  \  Ce  coup  ne  converlit 
pas  Valons  ;  il  condamna  une  seconde  fois  Basile  à  l'exil.  Lorsqu'on  lui  eut 
apporté  l'ordre  pour  le  signer,  il  prit  un  de  ces  roseaux  dont  on  se  servait 
alors  au  lieu  de  plumes  -  ;  mais  il  se  rompit  entre  ses  mains,  comme  s'il  eût 
refusé  de  servir  à  l'iniquité.  Il  en  demanda  un  second  et  un  troisième,  qui 
se  rompirent  également.  En  ayant  demandé  un  quatrième,  il  sentit  dans  sa 
main  et  même  dans  son  bras  un  tremblement  et  une  agitation  extraordi- 
naires. Saisi  de  frayeur,  il  déchira  le  papier  et  laissa  l'archevêque  en  paix  '. 
Le  préfet  Modeste  se  montra  plus  reconnaissant  que  Valens  envers  Basile. 
Comme  il  avait  été  guéri,  par  ses  prières,  d'une  maladie  dangereuse,  il  pu- 
blia hautement  qu'il  lui  était  redevable  de  la  vie  ;  depuis  il  lui  fut  toujours 
sincèrement  attaché. 

Ce  ne  fut  pas  la  seule  persécution  que  souffrit  Basile,  ni  le  seul  service 
qu'il  rendit  à  l'Eglise.  Eusèbe,  vicaire  du  préfet  du  prétoire  d'Orient,  ou 
gouverneur  des  provinces  du  diocèse  du  Pont,  oncle  de  l'impératrice  Domi- 
nique, et  arien  comme  elle,  fut  un  des  persécuteurs  de  saint  Basile,  et  ce 
fut  à  l'occasion  d'une  veuve  de  grande  naissance,  qu'un  assesseur  de  ce  ma- 
gistrat voulait  épouser  par  force.  Elle  se  réfugia  dans  l'église  et  alla  embras- 
ser l'autel,  d'où  elle  espérait  qu'on  ne  l'arracherait  pas.  Eusèbe  la  demanda, 
et  saint  Basile  refusa  de  la  rendre,  d'abord  à  cause  de  la  sainteté  de  l'asile, 
et  ensuite  parce  que  les  évoques  sont  obligés  de  protéger  les  veuves  et  les 
vierges.  Le  gouverneur,  transporté  de  colère,  envoya  de  ses  gens  pour 
chercher  cette  femme  jusque  dans  la  chambre  de  saint  Basile,  espérant  par 
là  décrier  un  Saint  dont  la  chasteté  exemplaire  était  à  l'abri  de  tout  soup- 
çon. Eusèbe  n'en  demeura  point  là  :  il  donna  ordre  aussi  qu'on  lui  amenât 
saint  Basile  pour  l'obliger  à  répondre  devant  lui  comme  un  criminel.  Etant 
assis  sur  son  tribunal,  et  saint  Basile  debout,  il  commanda  qu'on  lui  arra- 
chât le  méchant  manteau  qui  le  couvrait.  Le  Saint  offrit  de  se  dépouiller 
encore  de  sa  tunique,  s'il  le  voulait.  Cette  généreuse  disposition  offensa  en- 
core Eusèbe,  qui  osa  le  menacer  de  le  faire  frapper.  Le  saint  évêque  présenta 
son  corps,  c'est-à-dire  le  squelette  de  ses  os  couvert  de  sa  peau,  pour  rece- 
voir les  coups.  Le  gouverneur,  irrité  encore  davantage,  comme  si  le  Saint 
l'eût  insulté,  lui  dit  en  fureur  qu'il  le  ferait  déchirer  avec  des  ongles  de  fer  et 
lui  ferait  arracher  le  foie  des  entrailles.  Saint  Basile  lui  répondit  en  souriant  : 
«  Vous  m'obligerez  en  me  débarrassant  d'une  chose  qui  m'est  si  incom- 
mode ».  Cependant,  le  bruit  de  ce  qui  se  passait  se  répandit  par  la  ville  de 
Césarée,  qui  s'émut  aussitôt  du  péril  de  son  évêque.  Chacun  regarda  l'in- 
jure qu'on  lui  faisait  comme  son  propre  mal.  Tout  le  monde  en  rumeur 
commença  à  se  soulever  et  à  marcher  pour  la  défense  du  père  commun  du 
peuple.  Les  armuriers,  les  brodeurs  et  drapiers,  qui  travaillaient  pour  la 
cour,  se  montrèrent  les  plus  ardents.  Chacun  se  faisait  des  armes  des  outils 
de  son  métier  ou  de  ce  qui  se  rencontrait  sous  sa  main.  On  courait  au  lieu 
où  était  le  gouverneur,  le  flambeau  d'une  main,  des  pierres  ou  des  bâtons 
de  l'autre  ;  les  femmes  mêmes  s'armaient  de  leurs  fuseaux  et  de  leurs  que- 
nouilles, et  tout  le  peuple  ensemble,  ne  suivant  que  le  mouvement  de  sa 
fureur,  cherchait  le  gouverneur  pour  le  mettre  en  pièces.  Cet  homme  si  fier, 
se  voyant  environné  si  subitement  d'un  danger  imprévu,  changea  en  un 
instant  de  langage  et  de  maintien  ;  il  parut  tremblant  et  humilié,  réduit  à 
faire  le  personnage  de  suppliant.  Saint  Basile  en  eut  compassion  lui-même, 

1,  Voir  saint  Grégoire  de  Nazianie,  Théodoret,  Socrate,  Sozomfene. 

3.  U  y  a  encore  aujourd'hui  des  peuples  en  Orient  qui  se  servent  do  roseaux  pour  éfii'ilA. 

I.  Voir  saint  Grégoire  de  Nysse,  saint  Ephrem  et  The'odoret. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  2 


18  14  JUIN. 

et  il  employa  son  autorité  pour  le  tirer  du  péril  et  lui  sauver  la  vie. 

Il  déploya  toujours  la  même  constance  et  le  même  zèle.  Il  ne  se  plaignit 
pas  lorsqu'on  dénatura  sa  doctrine  pour  le  rendre  odieux,  ni  même  lorsqu'on 
le  maltraita.  Il  veilla  non-seulement  sur  le  clergé  de  son  diocèse,  dont  tout 
le  monde  admirait  la  régularité,  mais  sur  les  évêques  et  les  métropolitains 
des  onze  provinces  dont  il  était  primat  ;  il  s'entendait  avec  d'autres  prélats, 
surtout  avec  le  souverain  Pontife,  pour  déraciner  les  abus  dans  toute  l'Eglise, 
et  détruire  les  hérésies.  Il  convertit  beaucoup  d'hérétiques,  entre  autres 
les  Macédoniens. 

Il  eut  en  273  une  maladie  si  dangereuse,  qu'on  désespéra  de  sa  vie  :  on 
crut  même  une  fois  qu'il  était  mort  '.  Il  se  vit  obligé  d'avoir  recours  aux 
remèdes  de  la  médecine  et  de  se  servir  de  bains  chauds.  Enfin  le  mal  dimi- 
nua, et  il  parvint  à  recouvrer  une  entière  guérison.  Le  rétablissement  de 
sa  santé  le  mit  en  état  de  continuer  ses  travaux  ordinaires  pour  l'utilité  de 
l'Eglise. 

Trois  ans  après,  Démosthène,  vicaire  du  préfet  du  prétoire,  eut  le  gou- 
vernement de  la  Cappadoce.  Il  se  déclara  le  protecteur  d'Eustate  de  Sébaste 
et  de  tous  ceux  qui  professaient  l'arianisme.  En  même  temps  il  excita  une 
violente  persécution  contre  les  catholiques  et  surtout  contre  les  amis  de 
saint  Basile.  Cette  persécution  dura  tout  le  reste  du  règne  de  Valens,  qui 
mourut  au  mois  d'août  de  l'année  378.  Gratien,  successeur  de  ce  prince  *, 
rendit  la  paix  à  l'Eglise. 

La  même  année,  saint  Basile  tomba  malade  et  sentit  qu'il  devait  se 
préparer  au  passage  de  l'éternité.  La  nouvelle  du  danger  que  courait  sa  vie 
ne  fut  pas  plus  tôt  répandue,  que  la  consternation  devint  générale.  Il  se 
faisait  à  sa  maison  un  concours  prodigieux,  tant  était  vif  l'intérêt  qu'on 
prenait  à  sa  santé  ;  mais  le  Saint  touchait  au  moment  où  ses  travaux 
allaient  être  couronnés.  Il  mourut  le  1"  janvier  379,  après  avoir  dit  :  «  Sei- 
gneur, je  remets  mon  âme  entre  vos  mains  ».  Il  était  âgé  de  cinquante  et 
un  ans. 

Nous  ajouterons  à  ce  que  nous  avons  déjà  dit  de  son  amour  pour  la  pau- 
vreté, qu'il  ne  se  laissa  point  de  quoi  se  faire  faire  une  tombe  en  pierre  ; 
mais  ses  diocésains,  non  contents  de  lui  élever  dans  leur  cœur  un  monu- 
ment durable,  l'honorèrent  aussi  par  de  magnifiques  funérailles.  Son  corps 
fut  porté  par  les  mains  des  Saints  et  accompagné  par  une  multitude  innom- 
brable de  peuple.  Chacun  s'empressait  de  toucher  le  drap  mortuaire  qui  le 
couvrait,  ainsi  que  le  lit  sur  lequel  on  le  portait,  dans  la  persuasion  qu'il 
en  retirerait  quelque  utilité.  Les  gémissements  et  les  soupirs  étoufi"aient  le 
chant  des  psaumes.  Les  païens  et  les  juifs  pleuraient  avec  les  chrétiens  : 
tous  déploraient  la  mort  de  Basile,  qu'ils  regardaient  comme  leur  père 
commun  et  comme  le  plus  célèbre  docteur  du  monde.  Ceux  qui  l'avaient 
connu  prenaient  plaisir  à  raconter  ses  plus  petites  actions  et  à  rappeler  ce 
qu'ils  lui  avaient  entendu  dire.  Plusieurs  afi'ectaient  d'imiter  son  extérieur, 
sa  démarche  et  même  sa  lenteur  à  parler.  On  le  copiait  j  usque  dans  la  forme 
de  son  lit  et  de  ses  habits. 

C'est  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  que  l'on  apprend  toutes  ces  particu- 
larités. Dans  le  panégyrique  qu'il  prononça  en  l'honneur  de  son  ami,  il 
peignit  ses  vertus  avec  les  couleurs  les  plus  vives  et  les  plus  touchantes  ;  et 
l'on  peut  assurer  que  son  discours  ne  sera  pas  moins  immortel  sur  la  terre 

1.  Ep.  CXI.I. 

2.  Valens  ayant  été  défait  dans  la  Thrace  par  les  Goths,  qu'il  avait  lui-même  infectés  de  l'nérésie 
trienne,  fut  brûlé  par  ces  peuples  dans  une  chaumière  où  il  s'était  sauvé. 


SAINT  BASILE  LE  GRAND,   DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE.  19 

que  la  mémoire  de  celui  qu'il  s'était  chargé  de  célébrer  *.  Saint  Grégoire  de 
Nysse,  saint  Amphiloque  et  saint  Ephrera  firent  aussi  des  panégyriques  en 
l'honneur  du  saint  archevêque  de  Césarée.  Selon  les  deux  premiers,  les 
Grecs,  immédiatement  après  sa  mort,  célébrèrent  sa  fête  le  i"  juin,  jour 
auquel  ils  la  font  encore  aujourd'hui.  Les  Latins  l'ont  remise  au  quatorzième 
du  môme  mois,  qui  fut  le  jour  de  son  ordination  cpiscopale. 

Théodoret  donne  à  saint  Basile  le  titre  de  Grand,  et  ce  titre  lui  a  été 
confirmé  par  le  suffrage  des  siècles  suivants.  Il  est  appelé  parle  même  Père, 
le  flambeau  de  l'univers;  par  saint  Sophrone,  l'honneur  et  l'ornement  de  l'Eglise; 
par  saint  Isidore  de  Péluse,  un  homme  inspiré  de  Dieu  ;  par  le  Concile  général 
de  Chalcédoine,  le  Grand  Basile^  le  ministre  de  la  grâce,  qui  a  expliqué  la 
vérité  à  toute  la  terre. 

Saint  Grégoire  de  Nazianze  dit,  en  parlant  des  écrits  de  saint  Basile  •  : 
«  Quand  je  lis  son  traité  de  la  création,  il  me  semble  voir  mon  Créateur 
tirer  toutes  les  choses  du  néant.  Quand  je  lis  ses  ouvrages  contre  les  héré- 
tiques, je  crois  voir  le  feu  de  Sodome  tomber  sur  les  ennemis  de  la  foi  et 
réduire  en  cendres  leurs  langues  criminelles.  Si  je  parcours  son  livre  du 
Saint-Esprit,  je  sens  en  moi  l'opération  de  Dieu,  et  je  ne  crains  plus  d'an- 
noncer hautement  la  vérité.  En  lisant  son  explication  de  l'Ecriture  sainte, 
je  pénètre  dans  l'abîme  le  plus  profond  des  mystères.  Ses  panégyriques  des 
martyrs  me  font  mépriser  mon  corps  et  m'inspirent  une  noble  ardeur  pour 
le  combat.  Ses  discours  moraux  m'aident  à  purifier  mon  corps  et  mon  âme, 
afin  que  je  puisse  devenir  un  temple  digne  de  Dieu  et  un  instrument  propre 
à  le  louer,  à  le  bénir  et  à  manifester  sa  gloire  avec  sa  puissance  ». 

On  le  représente  'A"  portant  une  église  sur  la  main,  pour  marquer  qu'il 
est  le  fondateur  des  Basiliens  ;  2°  présentant  à  un  pauvre  un  plateau  chargé 
de  nourriture,  sans  doute  parce  qu'il  avait  fondé  un  hôpital  où  il  servait 
les  malades  et  nourrissait  les  malheureux;  3°  recevant  les  offrandes  des 
fidèles  ;  4°  devant  le  préfet  Modeste,  qu'il  confond  par  ses  réponses. 

ÉCRITS  DE  SAINT  BASILE. 

Dans  l'indication  des  ouvrages  de  saint  Basile,  nous  suirrons  l'ordre  selon  leqnel  ils  sont  rangés 
dans  l'édition  en  3  vol.  in-fol. 

Le  premier  volume  contient  :  l"  L'Hexameron,  ou  l'eiplication  de  l'ouvrage  des  six  jours,  en 
neuf  homélies.  Cet  ouvrage  a  toujours  été  singulièrement  estimé  des  anciens  et  des  modernes,  tant 
pour  l'érudition  qui  y  est  déployée,  que  pour  l'élégance  incomparable  qui  se  fait  remarquer  dans 
la  composition.  2°  Treize  homélies  sur  les  Psaumes.  Saint  Basile,  au  rapport  de  Cassiodoie.  avait 
expliqué  toute  l'Ecriture;  mais  ses  explications  ne  sont  point  parvenues  jusqu'à  nous.  Le  commen- 
taire sur  [saie  ne  peut  être  contesté  au  saint  Docteur,  comme  Dom  Cellier  l'a  prouvé  contre  Dom 
Carnier.  3"  Les  cinq  Livres  contre  Eunomius.  C'est  une  réfutation  de  l'arianisme;  elle  fut  écrite 
contre  l'apologie  de  celte  hérésie,  faite  par  Eunomius.  Cet  hérésiarque,  né  en  Cappadoce,  avait  été 
élevé  au  diaconat  par  Eudoxe,  patriarche  arien  d'Antioche.  Il  eut  dans  son  parti  encore  plus  de 
réputation  qu'Aétius,  dont  il  était  disciple.  Ayant  causé  de  grands  troubles  à  Antioche,  à  Chalcé- 
doine et  à  Constantinople,  il  fut  exilé  par  l'empereur  Théodose  à  Halmyride,  sur  le  Danube.  Peu 
de  temps  après,  on  lui  permit  de  retourner  à  Césarée,  en  Cappadoce.  Il  se  retira  dans  une  terre 
qu'il  avait  à  Dacore,  dans  la  même  province,  et  y  mourut  en  393.  Il  ne  se  contentait  pas  de  sou- 
tenir que  le  Verbe  était  une  pure  créature,  il  ajoutait  encore  à  l'arianisme  plusieurs  autres  erreurs. 

Les  ouvrages  contenus  dans  le  second  volume  sunt  :  l»  Vingt-quatre  Homélies  sur  divers  su- 
jets de  morale  et  sur  les  fêtes  des  martyrs.  On  doit  principalement  distinguer,  pour  la  beauté  et 
l'élégance,  celles  où  le  saint  Docteur  combat  l'usure,  la  gourmandise  et  l'ivrognerie.  2»  Les  Ascé' 
tiques.  Sous  ce  titre,  on  comprend  trois  discours  détachés  intitulés  Ascétiques  :  les  traités  du  ju- 
gement de  Dieu  et  de  la  Foi,  les  Morales,  les  Grandes  Règles  (au  nombre  de  cinquante-cinq), 
les  trois  cent  treize  Petites  Règles.  Saint  Basile  composa  ces  ouvrages  en  difléreots  temps,  pour 

1.  Or.  xz.  —  3.  Jbid. 


20  ï-î  JUIN. 

l'instruction  de  ceux  qui  l'avaient  suivi  dans  sa  retraite  ou  qui  s'étaient  rangés  sous  sa  conduite. 
Les  Morales  sont  un  recueil  de  passages  de  l'Ecriture  sur  la  pénitence  et  sur  les  principaux  de- 
voirs de  la  vie  chrétienne.  Dans  le  même  volume  sont  deux  discours  qui  n'out  point  de  titre  par- 
ticulier, quelques  règlements  pour  la  punition  des  moines  et  des  religieuses,  des  constitutions 
monastiques.  11  n'est  pas  certain  que  les  deux  discours  soient  de  saint  Basile.  Les  Règlements  et 
les  Constitutions  monastiques  ne  peuvent  lui  être  attribués. 

On  trouve,  dans  le  troisième  volume  :  1"  Le  livre  du  Saint-Esprit,  qui  est  adressé  à  saint 
Amptiiloque,  et  qui  fut  écrit  eu  375.  La  divinité  du  Saint-Esprit  y  est  prouvée  par  divers  passages 
de  l'Ecriture,  par  la  création  du  monde,  par  les  dous  de  la  grâce  et  des  miracles,  et  par  tous  les 
divins  attributs  que  l'on  reconnaît  en  lui.  L'auteur  prouve  la  même  chose  par  la  tradition  de 
l'Eglise,  dont  il  montre  supérieurement  l'usage  et  la  nécessité,  c.  xxvii,  p.  54.  La  divinité  du 
Saint-Esprit,  ainsi  que  la  nécessité  de  la  tradition,  est  aussi  très-bien  prouvée  dans  le  premier  des 
livres  contre  Eunomius.  2°  Des  Lettres,  au  nombre  de  336.  Photius  les  propose  pour  modèles  à 
ceux  qui  veulent  exceller  dans  le  genre  épistolaire.  Trois  sont  appelées  canoniques.  Le  Saint  y 
fixe  le  terme  de  la  pénitence  publique  qui  devait  être  enjointe  aux  pécheurs.  Béveridge  en  a 
donné  une  bonne  édition  dans  le  recueil  des  canons  de  l'Eglise  grecque.  Dans  la  lettre  à  Césaria, 
qui  fut  écrite  en  372,  saint  Basile  dit  que,  durant  la  persécution  de  Valens,  temps  où  les  prêtres 
se  voyaient  souvent  dans  la  nécessité  de  se  cacher,  il  était  permis  aux  fidèles  d'emporter  chez  eux 
l'Eucharistie  et  de  se  communier  eux-mêmes  *.  Dans  la  lettre  207,  p.  311,  il  fait  une  belle  apo- 
logie des  moines  qui  se  levaient  à  minuit  pour  prier,  qui  louaient  Dieu  dans  l'exercice  continuel 
de  la  componction,  La  seule  vengeance  qu'il  souhaite  tirer  de  leurs  ennemis  est  qu'ils  se  déter- 
minent aussi  dans  les  larmes  et  la  pénitence.  Dans  une  autre  lettre,  il  exhorte  Suranus,  son  pa« 
rent,  qui  était  duc  ou  gouverneur  de  Scythie,  à  continuer  de  soulager  les  chrétiens  qui  souffraient 
en  Perse,  et  le  prie  de  lui  procurer  des  reliques  des  Martyrs  qui  depuis  peu  avaient  donné  leur 
vie  pour  Jésus-Christ  ^.  Saint  Basile  exhorte  souvent  les  fidèles  à  célébrer  les  fêtes  des  Martyrs  '. 
Il  témoigne  une  grande  vénération  pour  les  reliques  des  Saints,  devant  lesquelles  il  dit  que  les 
chrétiens  prient  dans  leurs  besoins,  et  que  ce  n'est  point  inutilement  qu'ils  réclament  l'interces- 
sion de  ces  amis  de  Dieu  *. 

30  Le  livre  de  la  Virginité  est  indigne  de  saint  Basile,  quoiqu'il  porte  le  nom  de  ce  Père  et 
qu'il  ait  été  écrit  dans  le  même  siècle.  11  est  adressé  à  Letoïus,  évêque  de  Mélitine,  auquel  saint 
Grégoire  de  Nysse  écrivit  sa  lettre  canonique.  Letoïus  ne  fut  fait  évêque  qu'en  381,  deux  ans 
après  la  mort  de  saint  Basile.  On  trouve,  dans  le  livre  de  la  Virginité,  deux  exemples  de  la  con- 
fession sacramentelle,  p.  646.  Saint  Basile  inculque  souvent  lui-même  l'usage  de  la  confession  au- 
riculaire des  péchés  ^. 

Nous  avons,  sous  le  nom  de  saint  Basile,  une  Liturgie  qui  est  suivie  par  presque  toutes  lea 
Eglises  grecques,  au  moins  depuis  le  vi»  siècle  *.  Les  liturgies  des  Cophtes  et  des  Egyptiens  n'ea 
sont  qu'une  traduction,  selon  Benaudot  ''. 

Nous  apprenons  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  de  saint  Procle,  de  Pierre  Diacre,  du  septième 
concile  général,  etc.,  que  saint  Basile  avait  compilé  une  liturgie;  mais  nous  n'osons  affirmer  qu'elle 
soit  précisément  la  même  que  celle  qui  porte  aujourd'hui  son  nom,  et  qui  est  suivie  parles  Grecs, 
les  Cophtes,  les  Arabes,  etc. 

Erasme,  dans  la  belle  préface  qu'il  a  mise  à  la  tête  de  l'édition  qu'il  donna  des  œuvres  de 
saint  Basile,  appelle  ce  Père  l'orateur  le  plus  accompli  qui  ait  jamais  paru;  il  ajoute  que  son  style 
doit  servir  de  modèle  à  ceux  qui  aspirent  à  la  véritable  éloquence.  Son  jugement  a  été  confirmé 
par  celui  des  critiques  modernes.  Bollin  dit  qu'on  doit  au  moins  placer  saint  Basile  dans  la  pre- 
mière classe  des  orateurs,  et  le  regarder  comme  un  des  plus  habiles  maîtres  de  l'éloquence. 

Mais  écoutons  Photius,  qui  était  si  bon  connaisseur  en  ce  genre.  «  Quiconque  »,  dit-il,  cod. 
141,  «  veut  devenir  un  panégyriste  ou  un  orateur  accompli,  n'aura  besoin  ni  de  Platon  ni  de  Dé- 
mosthène,  s'il  prend  Basile  pour  modèle.  11  n'y  a  point  d'écrivain  dont  la  diction  soit  plus  pure, 
plus  belle,  plus  énergique,  ni  qui  pense  avec  plus  de  force  et  de  solidité.  Il  réunit  tout  ce  qu'il 
faut  pour  persuader,  avec  la  douceur,  la  clarté  et  la  précision.  Son  style,  toujours  naturel,  coule 
avec  la  même  facilité  qu'un  ruisseau  qui  sort  de  sa  source  ». 

Semblable  à  Thucydide  et  à  Démosthène,  il  pense  beaucoup  et  sait  lier  ensemble  les  pensées 
qui  se  présentent  en  foule  à  son  esprit.  Il  y  a  autant  de  clarté  dans  ses  expressions  que  de  viva- 
cité et  de  justesse  dans  ses  idées,  que  de  brillant  et  de  fécondité  dans  son  imagination.  En  lui,  la 
profondeur  ne  nuit  point  à  l'harmonie  des  périodes.  Il  possède  si  bien  l'art  des  transitions  et  celui 
de  placer  les  figures  à  propos,  qu'il  le  dispute  en  douceur  à  Platon  et  à  Xéno-pbou.  Ce  qui  le  rend 
surtout  recommandable,  c'est  le  talent  de  concevoir  les  choses  sans  confusion,  de  les  présenter 
sous  un  jour  convenable,  de  les  animer,  de  leur  communiquer  une  sorte  de  vie,  de  porter  la  lu- 

1.  Ep.  xcni,  p.  186.  —  2.  Ep.  CLV,  p.  244.  —  3.  Ep.  xcv,  clxxvi,  ccxiiii,  CCHI,  cclxxzii,  et*. 

4.  Hom.  in  Quadrag.  Mart.,  p.  155  ;  Hom.  in  Barlaam  Mart.,  p.  139,  etc. 

6.  In  Ps.  XXXII,  Ep.  canonic.  11,  can.  xxxiv,  etBeg.  brev.,  c.  228. 

e.  Voir  r-sric  Diacie,  L.  de  Incarn.,  c.  8.  —  7.  Liturgie  orient.,  t.  i,  et  le  P.  Le  Brun,  Liturg.,  t.  u. 


LE  VÉNÉRABLE   RICHARD,   ABBÉ  DE   SAINT-V.mNE3  DE   VERDUN.  21 

mière  dan?  ce  qu'il  y  a  de  plus  obscur,  et  d'imprimer  dans  l'esprit  de  ses  lecteurs  ces  imaç^es  vives 
qu'il  s'était  lui-même  formées. 

La  meilleure  édition  que  nous  ayons  des  œuvres  de  saint  Basile  est  celle  que  les  Bénédictins 
de  la  Congrégation  de  Saint-Maur  ont  donnée  à  Paris.  Les  deux  premiers  volumes  parurent  en 
1721  et  1722,  par  les  soins  de  Dom  Garder.  Dom  Prudent  Maran  publia  le  troisième  volume  en 
1730,  et  y  joignit  la  Vie  du  saint  Docteur. 

Cette  édition  a  été  reproduite  par  MM.  Gaume  et  par  M.  l'abbé  Migne. 

Pour  l'histoire  de  cette  Vie,  nons  avons  snivi  et  le  pins  sonvent  reproduit  Godescard,  qui  en  a  mieux 
mis  en  luniiferc  que  le  Père  Giry  les  principaux  traits.  —  Voir  les  panégyriques  et  oraisons  funbbres  pro- 
noncées en  son  honneur  par  saint  Grégoire  de  Nysse,  saint  Grécoire  de  Nazianzo,  saint  Amphiloque  et  saint 
ïplirem,  qui  tons  l'avaient  connu  particulil'reraent,  ainsi  que  les  anciens  historiens  ecclésiastiques;  Her- 
mant,  Tillemont,  Cave,  Jos.  Assemanl,  in  Calend.  univ.  ad  1  jan.,  t.  vi,  p.  4  ;  Fialon,  éttide  litt.  sur  S.  Bas. 


LE  VÉNÉRABLE  RICHARD, 

ABBÉ    DE    SAINT-VANNES    DE    VERDUN    (1046). 

Au  nombre  des  saints  dont  Dieu  se  servit  pour  rétablir  dans  le  nord  de  la  France  l'état 
monastique,  que  de  longues  gucn-es  et  surtout  les  invasions  des  Normands  et  des  Hongrois  avaient 
presque  entièrement  anéanti,  il  faut  compter  le  bienheureux  Richard,  abbé  de  Saint- Vannes  de  Verdun. 

11  naquit  d'une  illustre  famille  du  royaume,  et  fit  de  brillantes  études  à  Reims,  dont  les  écoles 
jouissaient  à  cette  époque  d'une  grande  réputation.  Richard  y  acquit  la  vertu  et  la  science,  et  s'y 
fit  admirer  par  les  aimables  qualités  de  son  cœur.  L'archevêque  de  Reims,  voulant  l'attacher  à  son 
église,  le  nomma  chanoine  et  précenteur  de  sa  métropole  ;  mais  Richard  sentait  que  Dieu  l'appelait 
à  un  autre  genre  de  vie  et  à  une  retraite  plus  entière  du  monde.  Il  était  tout  pénétré  de  cette  idée, 
lorsqu'un  jour  le  noble  comte  Frédéric,  parent  de  1" empereur  saint  Henri,  vint  lui  communiquer  le 
dessein  qu'il  avait  formé  de  quitter  le  siècle  pour  embrasser  l'état  religieux.  Richard  vit  dans  cette 
rencontre  on  avertissement  du  ciel.  Il  communiqua  à  son  tour  à  Frédéric  les  sentiments  dont  son 
âme  était  remplie,  et  tous  deux,  le  cœur  plein  de  joie,  se  rendirent  à  l'abbaye  de  Saint-Vannes,  à  Verdun. 

A  la  mort  de  l'irlandais  Finden,  qui  gouvernait  cette  communauté,  l'évêque  de  Verdun,  Haimon, 
choisit  Richard  pour  lui  succéder.  Le  nouvel  abbé  ne  tarda  pas  à  se  concilier  le  respect  et  l'af- 
fection des  religieux  par  la  sagesse  et  la  fermeté  qu'il  déploya  dans  son  administration.  11  y  avait 
dans  ses  manières  comme  un  charme  irrésistible,  qui  lui  gagnait  tous  les  cœurs  ;  aussi  beaucoup 
lui  avaient-ils  donné  le  surnom  de  Grâce  de  Dieu,  pour  indiquer  ce  don  particulier  que  le  ciel 
lui  avait  départi.  La  réputation  de  l'humble  abbé  de  Saint-Vannes  devint  telle  que  beaucoup  de 
princes,  de  prélats  et  de  nobles  seigneurs,  lui  confiaient  la  direction  ou  la  Réforme  des  monastères 
qui  leur  étaient  soumis,  ou  qui  se  trouvaient  dans  leurs  Etats.  Sur  la  demande  de  Baudri,  évêque 
de  Liège,  il  entreprit  la  Réforme  de  l'abbaye  de  Lobbes  qui,  pour  le  temporel,  dépendait  de 
ce  diocèse.  Baudouin,  comte  de  Flandre,  lui  soumit  aussi,  dans  la  même  intention,  les  monastères 
de  Saint-Amand,  de  Saint-Bertin,  de  Saint-Josse-sur-Mer,  et  plusieurs  autres.  Gérard  !«',  évêque  de 
Cambrai  et  d'Arras,  qui  avait  pour  Richa<d  une  aflection  toute  particulière,  lui  confia  la  Réforme 
de  celui  de  Saint- Vaast  d'Arras,  où  le  vénérable  abbé  eut  à  déployer  toutes  les  ressources  de  son 
zèle  et  de  sa  prudence  *. 

Cette  œuvre  importante  du  rétablissement  de  la  discipline  soulevait  quelquefois  des  oppositions 
très-vives,  et  qui,  sans  être  générales,  n'en  devenaient  pas  moins  un  obstacle  au  bien.  Plus  d'une 
fois  même,  la  vie  des  saints  réformateurs  ne  fut  pas  en  sûreté  dans  ces  asiles  de  la  religion,  où, 
à  côté  d'âmes  pieuses,  douces  et  pacifiques,  on  trouvait  aussi  des  natures  ardentes,  des  caractères 
inflexibles  et  souvent  d'anciens  hommes  d'armes,  à  qui  la  violence  n'était  pas  encore  tout  à  fait 
étrangère.  Richard  rencontra,  au  monastère  de  Saint-Vaast  d'Arras,  un  de  ces  religieux  que  la 
passion  poussa  à  un  attentat  horrible  et  que  le  repentir  conduisit  ensuite  à  l'héroïsme  de  la  vertu. 
Leduin,  c'était  son  nom,  ne  supportait  qu'avec  un  dépit  mal  dissimulé  les  changements  apportés 
par  le  Bienheureux  dans  certaines  pratiques  contraires  aux  prescriptions  de  saint  Benoit.  Ce  senti- 
ment, nourri  dans  son  cœur,  y  souleva  une  de  ces  tempêtes  qui  deviennent  d'autant  plus  terribles, 

1.  On  trouve  le  bienheureux  Richard  dans  le  catalogue  des  abbés  de  ces  monastères  ;  il  est  lo  trentième 
dan*  celui  de  Saint-Amand,  la  vingt-huitième  dans  celui  de  Saint-Vaast  d'Arras. 


22  14  JUIN. 

qu'elles  surgissent  dans  une  âme  que  la  grâce  enveloppe  pour  ainsi  dire  de  toutes  parts.  Une  nuit 
donc,  pendant  que  la  communauté  était  plongée  dans  le  plus  profond  sommeil,  Leduin,  accompagné 
d'un  autre  religieux  à  qui  il  avait  inspiré  sa  haine,  se  lève  en  silence,  et,  prenant  un  glaive  qu'il 
cache  sous  sa  robe,  il  se  rend  auprès  de  Richard,  qui  reposait  sur  sa  couche.  Le  malheureux  allait 
frapper,  quand  tout  à  coup  son  bras  se  roidit  et  refusa  de  servir  sa  vengeance.  Malgré  la  fureur 
qui  le  transportait,  Leduin  comprit  que  le  ciel  prenait  lui-même  la  défense  de  sa  victime.  Cette 
pensée  le  fit  aussitôt  rentrer  en  lui-même  et  jeta  dans  son  âme  le  trouble  et  le  remords.  Quelques 
heures  plus  tard,  tous  les  religieux  arrivèrent  au  chœur  pour  chanter  l'office.  Leduin,  malgré  la 
fièvre  violente  qui  l'avait  saisi  et  les  terreurs  dont  son  âme  était  remplie,  se  rendit  à  sa  place 
ordinaire,  au  milieu  de  ses  frères.  11  voyait  k  quelques  pas  de  lui  le  vénérable  abbé  qu'il  avait 
voulu  assassiner,  et  sa  présence  réveillait  en  lui  les  remords  les  plus  poignants.  Le  souvenir  de 
Jésus-Christ,  dont  on  rappelait  ce  jour-là  même  la  douloureuse  passion,  contribuait  encore  à  ins- 
pirer à  l'âme  du  coupable  des  sentiments  de  tristesse  et  de  repentir.  Tout  à  coup,  au  moment  où 
l'on  chantait  la  prière  :  «  Seigneur,  ayez  pitié  de  nous  »,  Leduin,  quittant  sa  place,  vient  se  jeter 
aux  pieds  du  vénérable  Ricliard,  et  répète  ces  paroles  avec  l'accent  le  plus  touchant  :  «  Seigneur, 
ayez  pitié  de  moi  ».  L'abbé  le  relève  avec  bonté,  et,  comme  l'office  finissait,  il  le  prend  à  l'écart 
et  lui  demande  ce  que  signifient  cette  douleur  et  ces  pleurs  qu'il  répand  en  abondance.  Leduin, 
prosterné  de  nouveau  contre  la  terre  qu'il  frappait  de  son  front  en  signe  de  repentir,  était  suffoqué 
par  les  sanglots  et  avait  tous  les  membres  violemment  agités.  Faisant  un  effort  sur  lui-même,  il 
prend  enfin  la  parole  pour  répondre  à  Richard,  qui  le  presse  de  lui  dire  le  sujet  d'une  semblable 
douleur.  «  Mon  père  »,  dit  Leduin,  «  j'ai  péché  contre  le  ciel  et  contre  vous  :  moi  qui  ne  voulais 
plus  être  votre  fils,  je  me  suis  fait  votre  persécuteur  ».  Tirant  alors  le  glaive  qu'il  tenait  caché 
sous  ses  habits  :  «  Voilà  »,  continue-t-il,  «  le  glaive  que  j'ai  levé  celte  nuit  sur  votre  tête  pour 
vous  frapper  ;  mais  le  Seigneur  vous  a  défendu.  J'ai  tiré  l'épée  contre  vous  ;  mais  Celui  à  qui 
appartient  la  force  a  arrêté  mon  bras  ;  il  vous  a  délivré  de  la  mort  et  m'a  délivré  en  même  temps 
du  malheur  de  commettre  un  homicide.  Pardonnez-moi  donc,  car  je  suis  disposé  à  me  convertir, 
à  me  rendre  à  vos  avertissements  et  à  me  soumettre  aux  règles  par  vous  établies  :  seulement  par- 
donnez-moi l'offense  dont  je  me  suis  rendu  coupable  envers  vous  et  priez  Dieu  pour  moi  ».  Le 
vénérable  Richard  reçut  avec  bonté  le  fils  pénitent  que  la  grâce  ramenait  à  ses  pieds.  Il  lui  donna 
tous  les  témoignages  de  l'affection  la  plus  sincère  et  l'assurance  du  pardon.  Dès  ce  jour,  Leduin 
devint  le  modèle  de  ses  frères,  et,  dans  la  suite,  il  fut  choisi  pour  remplir  les  fonctions  d'abbé 
sous  le  vénérable  Richard  lui-même,  que  des  affaires  importantes  appelaient  souvent  hors  de 
sa  communauté. 

Après  avoir  travaillé  longtemps  et  avec  grand  succès  à  sa  mission,  le  Bienheureux  se  sentit 
inspiré  du  désir  d'entreprendre  le  voyage  de  Jérusalem.  Il  y  alla  avec  sept  compagnons  qu'il  édifia 
par  son  esprit  de  pénitence  et  sa  tendre  piété.  A  son  retour  en  France,  il  alla  prêcher  dans  la 
Normandie  la  Trêve  de  Dieu,  par  laquelle  on  cherchait  à  mettre  un  terme  aux  guerres  continuelles 
que  se  faisaient  beaucoup  de  seigneurs.  Cette  dernière  œuvre  accomplie,  le  digne  abbé  rentra  dans 
son  monastère  de  Saint- Vannes,  où,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  il  continua  de  donner  à  ses  enfants 
spirituels  les  exemples  de  la  perfection  religieuse.  Il  mourut  entre  les  bras  de  l'évêque  de  Verdun, 
le  14  juin  1040.  Il  fut  enterré  dans  un  caveau  sous  le  maitre-autel  de  l'église  de  son  monastère, 
d'où  il  a  été  depuis  transféré  sous  un  tombeau  de  marbre. 

L'abbé  Destombes  :  Vies  des  Saints  des  diocèses  de  Cambrai  et  d'Arrat. 


SAINT  LANDRY,  CURÉ  DE  LANSLEVILLARD  (xi"  siècle). 

Au  nombre  des  religieux  qui  vinrent  consoler  et  ramener  à  Dieu  les  malheureuses  populations 
du  diocèàe  de  Maurienne,  après  l'expulsion  des  Sarrasins,  était  Landry.  On  ne  sait  rien  ni  de  ses 
parents,  ni  de  sa  naissance,  dont  on  ne  connaît  pas  même  la  date.  La  tradition  nous  apprend  seu- 
lement qu'il  était  né  à  Bonneval  ou  à  Lanslevillard  et  que,  dégoûté  du  monde,  il  s'était  retiré  à  la 
Novalaise  pour  se  consacrer  au  Seigneur,  dans  la  prière,  le  travail  et  l'observance  de  la  Règle  de 
saint  lienoil,  que  ce  monastère  avait  adoptée  depuis  l'an  726. 

Ses  supérieurs,  qui  appréciaient  son  mérite,  le  chargèrent  de  desservir,  avec  l'aide  d'un  autre 
religieax,  Lanslebourg,  Bessans,  Bonneval  et  Lanslevillard,  où  il  fixa  sa  résidence.  La  tradition 


SALM  LANDRY,  CURÉ  DE  LANSLEVILLARD.  13 

BOUS  montre  saint  Landry  visitant  fréquemment  sa  paroisse,  pour  consoler  les  affligés,  terminer 
les  différends,  réconcilier  les  ennemis  et  recommandera  tous,  à  l'exemple  de  saint  Jean,  de  s'aimer 
les  uns  les  autres.  On  ne  ?ait  pas  combien  de  temps  Landry  exerça  ce  ministère  aussi  méritoire 
devant  Dieu  que  fructueux  pour  les  âmes  ;  on  sait  seulement  qu'il  aboutit  au  martyre. 

Boiineval  se  composait,  au  temps  de  notre  Saint,  de  deux  hameaux  :  celui  do  l'Ecot,  et  celui 
de  Faudant.  Les  habitants  du  dernier  étaient,  en  grande  partie,  des  Sarrasins  qu'avaient  attirés  les 
mines  découvertes  dans  les  environs.  Ils  avaient  acquis  des  richesses  considérables  ;  mais  en  même 
temps  le  luxe,  la  fréquentation  des  infidèles,  la  privation  de  prêtres  et  de  secours  religieux  pen- 
dant bien  des  années,  avaient  développé  parmi  les  chrétiens  de  ce  hameau  le  germe  de  tous  les 
vices.  Landry  courut  à  la  recherche  de  ces  brebis  égarées.  Hais  tous  les  efforts  qu'il  fit  pour  les 
ramener  au  bercail  furent  inutiles  :  il  ne  recueillit  que  de  la  haine,  et  enfin  quelques-uns  des  plus 
endurcis,  ne  voulant  plus  supporter  la  fermeté  tout  évangélique  de  ses  réprimandes,  résolurent  de 
se  défaire  de  lui.  Un  jour  que  le  Saint  allait  à  l'Ecot,  ils  l'attendirent  au  passage,  fondirent  sur  lui 
et  le  précipitèrent  dans  la  rivière  de  l'Arc. 

Le  Seigneur  avertit  lui-même  les  habitants  de  Lanslevillard  de  la  mort  de  leur  pasteur  bien- 
aimé.  Tout  à  coup  les  cloches  sonnent  comme  aux  grandes  fêtes.  Ces  sons  inusités  mettent  la 
population  en  émoi.  On  court  au  clocher  :  mais  on  n'y  trouve  personne,  et  cependant  les  joyeuses 
volées  continuent.  Alors  l'anxiété  est  à  son  comble  :  tout  le  peuple  va  à  l'église  attendre  qu'il 
plaise  à  Dieu  de  faire  connaître  sa  volonté.  A  peine  y  est-il  assemblé,  que  la  croix  des  proces- 
sions, s'élevant  à  hauteur  d'homme,  s'avance  vers  la  porte.  Le  prêtre  qui  dessert  la  paroisse  avec 
saint  Limdry,  la  suit,  revêtu  du  surplis  et  de  l'étole,  et  le  peuple  l'accompagne,  désireux  de  voir 
la  fin  d'un  événement  aussi  merveilleux.  La  procession  descend  le  chemin  qui  conduit  à  la  rivière. 
Enfin  la  croix,  que  personne  n'a  portée,  s'arrête  près  d'une  caverne  creusée  sous  un  rocher  que 
baignent  les  flots  de  l'Arc.  On  entre,  et  la  première  chose  qu'on  aperçoit,  c'est  le  corps  de  saint 
Landry,  la  tête  appuyée  sur  la  main  droite,  appuyée  elle-même  sur  une  pierre;  de  la  main  gauche 
il  tient  une  palme.  Après  avoir  vénéré  le  saint  corps  que  le  Seigneur  confie  à  la  piété  filiale  des 
habitants  de  Lanslevillard,  on  le  met  dans  un  linceul  dont  quatre  personnes  prennent  les  coins,  et 
la  procession  reprend,  au  chant  des  hymnes,  le  chemin  de  l'église  >. 

Le  corps  de  saint  Landry  fut  déposé  dans  la  sacristie,  où  il  resta  jusqu'en  1765.  Le  23  juil- 
let 1764,  Mgr  Filippa  de  Mariiniana,  revenant  d'une  mission  à  laquelle  il  avait  présidé  lui-même  à 
Bessans,  scella  la  cliàsse  dans  laquelle  les  saintes  reliques  venaient  d'être  transportées,  et  permit 
de  les  exposer  publiquement  à  la  vénération  des  fidèles.  M.  Esprit  Combet,  curé  de  Lanslevillard, 
avait,  malgré  de  fortes  oppositions,  fait  ouvrir,  du  côté  de  l'Evangile,  une  chapelle  pour  les  rece- 
voir. Elle  fut  bénite  le  19  mars  1765,  sous  le  vocable  de  saint  Joseph.  Le  10  juin  suivant,  la 
châsse  y  fut  solennellement  placée  sur  l'autel,  après  avoir  été  portée  en  procession  au  lieu  oîi  le 
corps  avait  été  trouvé  et  où  l'on  avait  élevé,  en  l'honneur  du  Saint,  un  petit  oratoire  qui  existe 
encore,  à  côté  du  chemin  qui  conduit  à  Dessans. 

Pendant  les  mauvais  jours  de  la  Révolution,  les  saintes  reliques  eurent  beaucoup  à  souffrir  des 
profanations.  Toutefois,  Dieu  ne  permit  pas  qu'elles  fussent  perdues  totalement.  Ce  qui  en  reste 
repose  dans  une  magnifique  châsse  en  bois  doré,  qui  décore  la  chapelle  de  Saint-Joseph  de  Lans- 
levillard. La  châsse  a  environ  cinq  pieds  et  demi  de  longueur  sur  trois  pieds  de  largeur;  des  anges 
la  surmontent,  tenant  une  couronne. 

Le  corps  de  saint  Landry  est  presque  entier  ;  il  n'y  manque  que  quelques  os,  le  bras  droit,  le 
crâne  et  la  mâchoire  supérieure,  dont  l'église  de  Lanslebourg  a  été  enrichie,  on  ne  sait  à  quelle 
époque.  Mais  les  sceaux  des  reliquaires  qui  les  renferment  ayant  été  brisés,  ces  dernières  reliques 
sont  aujourd'hui  privées  d'authenticité. 

Il  y  a  encore  dans  l'église  de  Lanslevillard  un  petit  reliquaire,  en  forme  de  bras,  que  l'on  porte 
aux  processions  et  dans  lequel  on  a  mis,  en  1809,  de  la  chair  du  bras  gauche  de  saint  Landry. 

Rien  de  si  touchant  que  la  confiance  que  les  habitants  de  la  Haute-.Maurienne  ont  toujours  eue 
en  saint  Landry.  Les  prodiges  qui  amenèrent  la  découverte  de  son  corps  au  xi'  siècle  étaient  un 
témoignage  suffisant  de  la  gloire  dont  il  jouissait  dans  le  sein  de  Dieu.  Aussi  la  paroisse  de  Lans- 
levillard l'honora-trelle  tout  aussitôt  comme  un  Saint  et  comme  son  protecteur  naturel. 

La  fête  de  saint  Landry  se  célébrait,  avant  la  révolution,  le  10  juin.  Son  origine  devait  re- 
monter à  plusieurs  siècles,  car  on  ne  trouve  aucun  vestige  de  son  institution.  On  exposait  sur  le 
maître-autel  le  reliquaire,  qui  contient  de  la  chair  du  bras  de  saint  Landry  ;  on  chantait  ensuite  le 

1.  Tons  ces  faits  furent  représentés  sur  deux  plaques  d'airain  que  l'on  plaça  de  chaque  côté  du  maître- 
antel.  Elles  furent  rendues,  au  xviii»  siècle,  par  le  conseil  communal,  qui,  avec  le  prix  qu'il  en  retira, 
•cheta  les  trois  lampe»  qui  sont  dans  le  chœur  de  l'église. 


24  *5  JUIN. 

Vent  Creator  et  VIste  Confessor,  et  l'on  se  rendait  en  procession  à  la  chapelle  de  Saint-Joseph. 
Là  le  curé,  après  avoir  chanté  l'oraison  du  Saint,  bénissait  le  peuple  avec  le  reliquaire,  et  l'on 
rentrait  à  l'église  au  chant  de  l'hymne  arabroisienne.  A  l'autel  de  Saint-Joseph,  le  curé  bénissait 
une  seconde  fois  le  peuple  avec  le  reliquaire,  et  la  cérémonie  se  terminait  par  la  célébration  du 
saint  sacrifice  et  la  bénédiction  du  Saint-Sacrement. 

Celte  fête,  interrompue  depuis  1793,  a  été  rétablie  en  1847,  par  Mgr  Vibert,  et  fixée  au  14  juin. 

Nous  avons  abrégé  ce  que  nous  venons  de  dire  de  saint  Landry  de  la  notice  détaillée  qu'on  peut  lire 
dans  l'Histoire  hagiologique  du  diocèse  de  Maurienne,  par  l'abbé  Truchet,  curé  de  Saint-Jean-d'Arves. 


XV'  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

Dans  la  Lucanie,  près  de  la  rivière  du  Silaro,  le  triomphe  des  saints  martyrs  Vite,  ou  Vit  oa 
GcY,  Modeste  et  Crescence  *,  qui,  de  la  Sicile,  furent  amenés  dans  cette  province  soiis  l'em- 
pereur Dioclétien,  et,  après  avoir  enduré  courageusement,  par  le  secours  divin,  la  chaudière  de 
plomb  bouillant,  les  bêtes  féroces  et  les  chevalets,  achevèrent  le  cours  de  leur  glorieux  combat. 
Vers  303.  —  A  Dorostore,  en  Mysie,  saint  Hesyque,  soldat,  qui  fut  arrêté  avec  le  bienheureux 
Jules,  et  martyrisé  après  lui  sous  le  juge  Maxime,  m»  s.  —  A  Cordoue,  en  Espagne,  sainte  Rénilde, 
martyre.  853.  —  A  Zéphyre,  en  Cilicie,  saint  Dulas,  martyr,  qui  fut  battu  de  verges  pour  le  nom 
de  Jésus-Christ,  sous  le  président  Maxime,  étendu  sur  un  gril  arrosé  d'huile  bouillante,  passa  par 
beaucoup  d'autres  tortures,  et,  victorieux,  reçut  la  palme  du  martyre.  304.  —  A  Palmyre,  en  Sy- 
rie, les  saintes  martyres  Lybie  et  Léonide,  sœurs,  et  Entropie,  jeune  fille  de  douze  ans,  qui  par- 
vinrent à  la  palme  du  martyre  par  divers  tourments.  —  A  Valenciennes,  le  décès  de  saint  Lande- 
lin,  abbé  *.  686.  —  A  Clermont,  en  Auvergne,  saint  Abraham,  confesseur,  illustre  par  sa  sain- 
teté et  par  ses  miracles.  472.  —  En  Valais,  sur  le  mont  Jou,  saint  Bernard  de  Menthon, 
confesseur.  1008.  —  A  Venise,  le  bienheureux  Grégoire-Louis  Barbadigo  '.  1697. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Aux  diocèses  de  Lyon  et  de  Paris,  saint  Ferréol,  prêtre,  et  saint  Ferjeux,  diacre,  martyrs,  dont 
saint  Grégoire  de  Tours  loue  la  constance*.  211.  —  A  Espalion,  sur  le  Lot,  en  Rouergue,  saint 
HiLARiAN,  massacré  par  des  impies,  viii»  s.  —  A  Séez,  saint  Lothaire  ou  Loyer,  évêque,  qui 
fut  tiré  d'un  ermitage  pour  être  placé  sur  ce  siège  épiscopal  avant  saint  Godegrand,  frère  de 
sainte  Opportune.  756.  —  Dans  l'ancien  diocèse  de  Léon,  aujourd'hui  diocèse  de  Quimper,  saint 
Vouga  ou  Vio,  évêque,  qui  quitta  son  siège  d'Armagh,  en  Irlande,  pour  vivre  solitaire  dans  les 
déserts  de  notre  Bretagne.  Au  siècle  dernier,  on  montrait  encore,  dans  la  chapelle  de  Saint-Vio, 
dans  la  paroisse  de  Tréguennec  (diocèse  de  Quimper),  une  partie  des  reliques  de  notre  Saint,  ainsi 
qu'un  missel  qu'on  prétendait  lui  avoir  servi.  Les  églises  dédiées  en  son  honneur  prouvent  qu'on 
lui  a  toujours  rendu  un  culte  public  en  Bretagne.  585.  —  A  Soissons,  saint  Rufîn  et  saint  Valère, 

1.  Les  dioc'eses  de  Mayence,  de  Naples,  de  Montpellier  et  de  Nevers  en  font  un  oflSce  particulier  en 
ce  Jour;  ceux  de  Cologne,  de  Viviers,  do  Limoges  et  de  Lyon,  une  simple  mémoire. 

2.  Leb  diocbses  de  Cambrai  et  d'Arras  en  font  un  ofiSce  particulier  sous  ce  jour. 

3.  Il  naquit  à  Venise  en  1028,  fut  sacré  évêque  de  Bergame  en  1657,  créé  cardinal  trois  ans  après  par 
Alexandre  Vil,  et  transfévé  en  1(;64  à  l'évêché  de  Padoue.  Cette  villfe  lui  fut  redevable  de  l'établissement 
de  son  séminaire  qui  fait  encore  aujourd'hui  l'ornement,  non-seulement  de  l'Etat  de  Venise,  mais  encore 
de  l'Italie  et  de  toute  la  chrétienté.  Il  y  plaça  des  professeurs  habiles  dans  la  théologie  et  les  langues 
étrangères,  y  forma  une  bibliothèque  des  meilleurs  livres  en  chaque  genre,  et  y  fonda  une  imprimerie 
pour  l'usage  de  cette  bibliothèque.  Sa  mort  fut  édifiante  comme  sa  vie  avait  été  sainte.  Divers  miracles 
opérés  par  son  intercession  ayant  été  prouve's,  Clément  XIII  publia  la  bulle  de  sa  béatification  le  13 
février  1761. 

4.  Voir  an  jour  suivant. 


MARTYROLOGES.  25 

martyrs,  nommés  hier.  Vers  304.  —  A  Beauvais,  saint  Constantin,  évêqne  de  celle  ville  et  con- 
fesseur. Vers  700.  —  A  Mnntbrison,  au  diocèse  de  Lyon,  le  décès  de  saint  Albrique  ou  Aldriqiie, 
évèque  d'Autun.  On  rapporte  que,  s'élant  rendu  à  Montbrison  pour  le  synode  provincial,  il  tomba 
malade  dans  cette  ville  et  y  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-André.  On  y  conserve  la  chaussure 
et  la  ceinture  du  saint  évèque,  et  cette  dernière  relique  a  déjà  guéri  miraculeusement  plus  d'un 
malade.  —  A  Pibrac,  diocèse  de  Toulouse,  sainte  Germaine  Cousin.  Vers  1601.  —  A  Limoges, 
saint  Saumay  ou  Psalmode,  solitaire,  qui  guérit  miraculeusement  la  fille  du  duc  d'Aquitaine 
d'une  morsure  de  vipère.  589.  —  A  Viviers,  saint  Mélan,  évèque  de  ce  siège,  apôtre  du  Vivarais  et 
confesseur»,  vi"  s.  — A  Nogent-le-Roi,  en  Bassigny,  la  vénérable  Jeanne  Mance,  vierge.  Elle  se 
dévoua  au  soulagement  des  malades  et  parcourut,  dans  cette  intention,  le  Canada  pour  y  créer 
ëes  établissements  hospitaliers,  et  fonda  l'Hôtel-Dicu  de  Montréal  (Bas-Canada).  Elle  y  mourut 
ea  odeur  de  sainteté,  et  fut  inhumée  dans  l'église  de  cette  maison.  1673. 

UARTYROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  Dans  le  Valais,  au  Mont-Jou,  saint  Bernard,  qui 
fonda  en  ce  lieu  un  monastère  des  Chanoines  réguliers,  dont  il  avait  embrassé  l'Ordre  dans  la  ville 
d'Aoste  ;  il  mourut  à  Novare,  au  monastère  de  Saint-Laurent,  et  il  y  fut  enseveli  ;  mais  son  chef 
fut  porté  au  mont  Saint-Bernard.  1008. 

Martyrologe  des  Prémontrés.  —  Saint  Isfrid  ou  Isfroi,  qui,  de  prieur  du  monastère  de  Jéri- 
chow,  devint  évèque  de  Ratzbourg,  et  s'envola  au  ciel,  illustre  par  le  zèle  qu'il  mit  à  confirmer 
les  Vandales  dans  la  foi,  et,  entre  autres  miracles,  par  la  guérison  d'un  aveugle.  1204. 

Martyrologe  des  Bénédictins,  des  Camaldules  et  de  Vallombreuse.  —  Saint  Jean  de  Saint- 
Facond. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  A  la  Cambre,  en  Brabant,  au  monastère  de  Sainte-Marie,  de 
l'Ordre  de  Cîteaux,  sainte  Aliz  de  Scarembec,  vierge  d'une  sainteté  extraordinaire,  qui  éclata  par 
de  grands  miracles.  Elle  émigra  vers  son  époux  céleste  le  11  de  ce  mois. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  Saint  Jean  de  Sainl-Facond. 

Martyrologe  des  Carmes.  —  Saint  Basile,  évèque. 

Martyrologe  des  Hiéronymites.  —  A  Rome,  au  mont  Janicule,  saint  Nicolas,  de  Forca-Palena, 
dans  le  diocèse  de  Sulmone,  propagateur  de  l'Ordre  de  Saint-Jérôme,  de  la  congrégation  de  Saint- 
Pierre  de  Gamba-Curta,  de  Pise,  et  fondateur  du  monastère  de  Saint-Onuplire,  de  Rome,  de  Sainte- 
Marie-de-Grâces,  à  Naples,  lequel,  après  de  longs  pèlerinages  et  de  nombreuses  alllictions  corpo- 
relles, rendit  son  âme  à  Dieu  le  29  septembre.  Son  corps  repose  sous  le  niaitre-autel  de  l'église  de 
Saint-Onuphre,  où  il  est  entouré  d'une  grande  vénération.  Clément  XIV  a  confirmé,  en  1774,  le 
culte  qu'on  lui  rendait  de  temps  immémorial.  1449. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

Au  diocèse  de  Cologne,  sainte  Marguerite,  reine  d'Ecosse,  mentionnée  au  10  juin  par  le  mar- 
tyrologe romain.  —  A  Alexandrie  d'Egypte,  saint  Cerdon,  quatrième  évèque  de  cette  ville.  An  110. 
—  Dans  l'ancienne  ville  de  Barbarie,  en  Mauritanie,  les  saints  Gaïen,  Jovien,  Philippe,  martyrs, 
mentionnés  par  le  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  En  Lucanie,  les  saints  Nivile,  Candide,  Can- 
tien,  Canlianille,  Proie,  Chrysogone,  Antéon,  Quintien,  Théodule,  Joconde,  Silvius,  martyrs,  indi- 
qués par  le  même.  —  A  Aquilée,  les  saints  Clément,  Prodite  et  quatre  de  leurs  compagnons,  martyrs, 
cités  au  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Constantinople,  les  saints  Mucius,  Mégétias,  Mingin, 
martyrs.  —  En  Abyssinie,  saint  Timothée,  martyr,  et  sainte  More,  son  épouse,  ni"  s.  —  Chez  les 
Grecs,  saint  Nerse  et  sainte  Vetula,  martyrs  ;  et  les  saints  Fortuné,  Achaïque,  Stéphanas,  appelés 
apôtres,  c'est-à-dire  confesseurs  de  la  foi.  —  A  Naples,  saint  Fortunat,  neuvième  évèque  de  cette 
ville.  Son  corps  fut  enseveli  d'abord  au-delà  des  murs  de  la  ville,  dans  une  église  dédiée  sous  son 
Toc'ible  ;  dans  la  suite  on  le  transféra  en  l'église  Saint-Etienne  de  Naples.  11  repose  actuellement 
dans  l'ijglise  de  Saint-Euphèbe,  de  la  même  ville,  enfermé  dans  une  châsse  de  plomb  avec  celui  de 
saint  Maxime,  autre  évèque  du  même  siège.  Vers  l'an  350.  —  En  Egypte,  saint  Orsise,  abbé,  se- 
cond successeur  de  saint  Pacôme  dans  son  monastère  de  Tabenne,  dans  la  haute  Thébaïde.  11  continua 
glorieusement  l'œuvre  si  !;ien  commencée  par  saint  Pacôme,  gouvernant  avec  sagesse  les  nombreux 
monastères  de  la  dépendance  de  celui  de  Tabenne  et  en  fondant  de  nouveaux.  Il  eut  de  grandes 
relations  avec  saint  Athanase  d'Alexandrie,  à  qui  il  avait  été  recommandé  par  le  grand  saint  An- 
toine, le  plus  célèbre  des  solitaires  de  la  Thébaïde.  On  l'appelle  quelquefois  Orcèse,  Orsièse  et 
Orièse.  Vers  l'an  380-  —  A  Winchester,  en  Angleterre,  sainte  Edburge,  fille  du  roi  Edouard  I»'. 

1.  Ce  prélat  vénérable  est  connu  par  les  larges  libéralités  qu'il  fit  à  son  église  et  par  les  actes  du  cin- 
quième concile  d'Orléans,  célébré  en  549.  Entre  autres  biens,  il  donna  à  son  église  le  monastère  de  Clia»- 
•iers  qu'il  avait  fondé  et  doté. 


26  *5  JUIN. 

Vers  l'aa  960.  —  A  Oviédo,  en  Espagne,  le  bienheureux  Pierre,  surnommé  le  père  des  malheu- 
reux de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  Il  fonda  le  premier  monastère  de  son  Ordre  à  Oviédo,  où  il 
mourut  après  avoir  longtemps  édifié  tous  ceux  qui  eurent  quelque  rapport  avec  lui.  Les  habitants 
d'Oviédo  entourent  son  tombeau  d'un  culte  tout  particulier».  1216.  —  A  Sainte-Marie  d'Aspre, 
dans  la  Basilicate,  en  Italie,  le  bienheureux  Ange  de  Cingoli,  second  supérieur  de  l'Ordre  des  Cla- 
rins,  institut  qui  porta  d'abord  le  nom  d'Ermites-Céleslins,  et  qui  était  soumis  aux  ordinaires  sous 
la  Règle  de  Saint-François.  Il  mena  une  vie  tout  angélique  et  de  nombreux  miracles  illustrèrent 
son  tombeau  ».  1337.  —  A  Kiew,  en  Russie,  saint  Jonas,  archevêque  de  ce  siège,  et  thauma- 
turge. 1470. 


SAINTS  VITE,  MODESTE  &  GRESGENGE,  MARTYRS 

Vers  303.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereurs  :  Dioclétiea  et  Maximien. 


Ipsa  mors  mariyrum  prxmium  vitx  e$t. 
Les  martyrs  trouvent  dans  leur  mort  la  récompeni* 
de  leur  vie, 

S.  Ambr.,  Orat.  de  fide  resurr. 

Vite,  appelé  aussi  Vit  ou  Guy,  était  d'une  illustre  famille  de  Sicile,  et  fils 
d'un  seigneur  nommé  Hylas,  que  ses  emplois  et  ses  richesses  faisaient  beau- 
coup honorer  dans  le  pays.  Cet  homme  était  païen  et  extrêmement  adonné 
au  culte  des  faux  dieux  ;  mais  Vite  eut  le  bonheur  d'avoir  pour  gouverneur 
un  chrétien  nommé  Modeste,  et  pour  nourrice  une  femme  chrétienne, 
nommée  Crescence,  qui  relevèrent  dans  une  juste  aversion  des  idoles,  et 
dans  un  amour  sincère  et  ardent  pour  Jésus-Christ.  Il  fut  baptisé  à  l'insu  de 
son  père  ;  et,  comme  il  était  prévenu  d'une  grâce  extraordinaire,  il  brilla 
parmi  les  infidèles  par  des  actions  héroïques  et  par  le  zèle  avec  lequel  il  ga- 
gnait des  âmes  à  Dieu  ;  il  reçut  aussi  le  don  des  miracles  ;  et,  par  ses  prières, 
les  aveugles  recouvraient  la  vue,  les  malades  la  santé,  et  les  possédés  étaient 
délivrés  de  la  tyrannie  du  démon. 

Vite  n'avait  encore  que  douze  ans  lorsque  Valérien  vint  en  Sicile,  de  la 
part  de  l'empereur  Dioclétien,  moins  comme  préfet  et  gouverneur  que 
comme  persécuteur  des  chrétiens  et  bourreau.  Parmi  ceux  qu'on  lui  dé- 
nonça fut  Vite,  qui,  tout  petit  qu'il  était,  ne  laissait  pas  d'être  considéré  par 
les  idolâtres  comme  le  plus  fort  et  le  plus  dangereux  de  leurs  ennemis. 
Valérien  fit  venir  Hylas,  son  père,  et  lui  dit  qu'ayant  appris  que  son  fils  était 
de  la  secte  des  chrétiens,  il  avait  droit  de  le  faire  arrêter  et  de  le  punir 
selon  les  lois  impériales  ;  mais  qu'en  sa  considération  il  voulait  bien  surseoir 
celte  poursuite,  dans  l'espérance  que  son  père  le  remettrait  en  son  devoir  ; 
Hylas  devait  donc  employer  toute  son  autorité  paternelle,  et  même  quelque 
chose  de  plus,  pour  lui  faire  quitter  le  culte  de  Jésus-Christ  et  l'amener  au 
culte  des  dieux,  qui  était  la  religion  de  l'empire.  Hylas  promit  de  le  faire  ; 
et,  en  effet,  étant  retourné  chez  lui,  il  emplo3'a  toutes  sortes  de  moyens 
pour  gagner,  ou,  pour  mieux  dire,  pour  séduire  ce  bienheureux  enfant.  Il 
l'embrassa,  lui  baigna  les  joues  de  ses  larmes,  lui  remontra  que,  s'il  ne  se 
rendait  aux  volontés  de  l'empereur,  il  allait  perdre  en  un  instant,  non-seu- 
lement tous  les  grands  biens  qu'il  lui  avait  acquis  et  dont  il  était  l'unique 
héritier,  mais  aussi  l'honneur  et  la  vie  ;  qu'il  allait  diffamer  sa  famille  et 

1.  Voir  notre  Palmier  séraphique. 

t.  Voir  sa  vie  dans  notre  Palmier  Séraphique,  an  10  juin. 


SAINTS  VITE,  MODESTE  ET  tSlESCENCE,  MARTYRS.  Î7 

laisser  son  père  dans  une  amertume  et  un  chagrin  qui  le  conduiraient  bien- 
tôt au  tombeau  ;  enfin,  il  tâcha  de  lui  inspirer  du  mépris  pour  une  religion 
dans  laquelle  on  adorait  un  crucifié,  un  homme  mort  ignominieusement 
sur  un  gibet  ;  mais  tous  ces  artifices  ne  firent  point  d'impression  sur  le  cœur 
invincible  de  Vile  ;  au  contraire,  comme  il  était  fort  bien  instruit  de  la  sain- 
teté de  nos  mystères  et  de  l'extravagance  du  culte  des  dieux,  il  en  parla 
divinement  à  son  père,  et  lui  donna  de  puissantes  raisons  pour  l'obliger  à 
suivre  son  exemple  ;  lui  protestant,  au  reste,  que  ni  promesses,  ni  menaces, 
ni  pertes  de  biens,  ni  tourments,  quelque  cruels  qu'ils  pussent  être,  ni  la 
mort  môme,  ne  pourraient  jamais  le  séparer  de  la  charité  de  Jésus-Christ. 

Valérien  fut  averti  du  mauvais  succès  d'Hylas  auprès  de  Vite  ;  appre- 
nant, d'ailleurs,  que  cet  enfant  continuait  de  faire  des  prodiges  qui  propa- 
geaient le  christianisme,  il  le  fit  arrêter  et  commanda  qu'on  l'amenât  devant 
son  tribunal.  11  lui  demanda  pourquoi,  n'étant  encore  qu'un  enfant,  il  ré- 
sistait aux  volontés  de  son  père  et  ne  se  soumettait  pas  aux  lois  des  empe- 
reurs, et  s'il  ne  savait  pas  bien  que  lui,  Valérien,  avait  ordre  de  châtier 
rudement  ces  sortes  d'opiniâtres  et  même  de  les  faire  mourir.  L'enfant 
répondit  «  qu'il  ne  désobéissait  aux  empereurs  et  à  son  père  que  pour  obéir 
à  Dieu,  qui  était  son  souverain  seigneur  et  son  premier  père;  quant  aux 
châtiments,  il  les  endurerait  très-volontiers  pour  ne  pas  adorer  des  démons, 
qui  sont  les  ennemis  jurés  des  hommes  ».  Hylas,  qui  était  présent,  jeta  des 
cris  de  douleur  et  dit  «  qu'il  était  bien  malheureux  d'avoir  un  fils  assez 
insensé  pour  se  perdre  lui-même  par  son  opiniâtreté  ».  Mais  Vite  répondit 
que  «  bien  loin  de  se  perdre,  il  travaillait  à  son  salut  en  restant  fidèle  à  celui 
qui,  lui  ayant  donné  la  vie.  lui  donnerait  aussi  la  gloire  immortelle  ».  Le 
préfet,  perdant  patience,  commanda  qu'on  lui  donnât  des  coups  de  bâton  ; 
ce  qui  fut  exécuté,  mais  sans  que  le  martyr  perdît  rien  de  son  courage  et  de 
sa  résolution.  Le  préfet  ajouta  :  «  Qu'on  le  dépouille  et  qu'on  le  fouette 
comme  il  le  mérite!  »  Les  bourreaux  se  mirent  en  état  d'obéir;  mais  leurs 
bras  perdirent  leur  force  et  devinrent  desséchés  ;  il  en  arriva  de  même  à  la 
main  de  Valérien,  qu'il  avait  étendue  pour  prononcer  cette  sentence.  Alors 
ce  juge  s'écria  que  «  cet  enfant  était  un  magicien  et  qu'il  savait  user  de 
sortilèges  »  ;  mais  le  Saint  répondit  «  qu'il  n'était  point  magicien,  et  qu'il 
n'avait  jamais  appris  d'autre  sortilège  que  de  louer  et  bénir  Jésus-Christ, 
qui  est  le  maître  tout-puissant  de  toutes  les  créatures  ».  Il  guérit  ensuite  ses 
propres  persécuteurs,  pour  faire  voir  que  l'esprit  de  Jésus-Christ  est  un 
esprit  de  simplicité  et  de  douceur,  et  que  ses  véritables  disciples  n'ont  que 
de  l'amour  pour  tous  leurs  ennemis. 

Valérien,  touché  de  ce  miracle,  rendit  Vite  à  son  père,  avec  ordre  de  ne 
rien  épargner  pour  lui  faire  changer  de  sentiment.  Le  père,  s'imaginant 
que  le  meilleur  moyen  était  de  le  plonger  dans  les  délices,  tâcha  d'amollir 
son  cœur  par  mille  caresses  ;  le  nourrit  plus  délicatement  qu'à  l'ordinaire  ; 
l'environna  de  fêtes,  de  danses,  le  confia  à  de  jeunes  servantes  chargées  de 
le  corrompre.  Mais  le  saint  enfant,  au  milieu  de  tous  ces  pièges,  ne  faisait 
autre  chose  que  gémir  et  soupirer  ;  et,  ayant  perpétuellement  les  yeux  bai- 
gnés de  larmes  et  le  cœur  élevé  vers  le  ciel,  il  disait  à  Dieu  :  «  Seigneur,  ne 
méprisez  pas  et  n'abandonnez  pas  un  cœur  contrit  et  humilié  ».  On  lui  dis- 
posa aussi  une  chambre  magnifique,  et  dont  l'ameublement  était  relevé  de 
broderies  d'or  et  de  pierres  précieuses,  et  on  l'obligea  d'y  loger  ;  mais  à 
peine  y  eut-il  fait  sa  prière,  qu'une  lumière  céleste  et  un  parfum  délicieux 
la  remplit  et  qu'il  y  parut  douze  pierres  d'une  couleur  et  d'un  éclat  mer- 
veilleux. Les  domestiques  furent  témoins  de  ce  prodige,  et  ils  s'écrièrent 


28  15  JUIN. 

d'admiration,  que,  dans  leurs  temples  mêmes,  il  ne  s'était  jamais  rien  vu 
de  semblable.  Hylas  accourut  pour  voir  ce  qui  se  passait  dans  la  chambre 
de  son  fils,  et  il  y  vit  douze  anges  d'une  splendeur  et  d'une  beauté  indi- 
cibles ;  mais  à  peine  les  eut-il  vus  qu'il  se  trouva  aveugle  et  qu'il  sentit 
une  douleur  insupportable  aux  yeux.  Il  alla  sur-le-champ  chercher  un  re- 
mède dans  le  temple  de  Jupiter  ;  mais  ce  fut  sans  aucun  résultat  ;  il  lui 
fallut  s'humilier  devant  son  fils,  et  le  prier  de  lui  rendre  la  vue,  que  sa  cu- 
riosité et  son  incrédulité  lui  avaient  ôtée.  Vite  connut  bien  qu'un  si  grand 
bienfait  ne  le  convertirait  pas  ;  néanmoins,  pour  faire  voir  la  puissance 
infime  de  Jésus-Christ  et  pour  gagner  une  partie  des  assistants  à  la  foi,  il 
lui  mit  la  main  sur  les  yeux,  et,  ayant  fait  cette  prière  :  «  Seigneur,  qui 
avez  donné  la  vue  à  un  homme  qui  était  aveugle  de  naissance,  donnez-la 
aussi  à  mon  père,  afin  que  vos  ennemis  soient  confondus,  et  que  ceux  qui 
confessent  votre  nom  soient  comblés  de  joie»,  il  le  guérit  parfaitement, 
apaisant  toutes  ses  douleurs  et  lui  rendant  la  faculté  de  voir. 

Ce  miracle  n'empêcha  pas  ce  père  dénaturé,  qui  craignait  de  perdre  sa 
fortune  en  irritant  l'esprit  du  préfet,  de  tourmenter  son  fils  et  de  former  le 
dessein  de  le  faire  mourir.  Mais  un  ange  apparut  à  Modeste,  gouverneur  de 
Vite,  et  lui  ordonna,  de  la  part  de  Dieu,  de  le  prendre  avec  lui  et  de  l'em- 
mener en  Italie  ;  ils  montèrent  donc  sur  mer,  accompagnés  de  Crescence, 
et  arrivèrent,  sous  la  conduite  de  cet  esprit  bienheureux,  au  royaume  de 
Naples,  au  bord  du  fleuve  Silaro.  Un  aigle  les  y  nourrit  quelque  temps, 
pendant  lequel  ils  s'occupèrent  à  louer  Dieu  et  à  le  remercier  de  l'abon- 
dance de  ses  grâces  ;.  mais  comme  Vite  fit  de  grands  miracles,  et  que  les 
possédés  publièrent  partout  sa  venue,  il  fut  bientôt  reconnu,  et  on  s'em- 
pressa de  le  venir  voir  et  de  lui  amener  des  malades  pour  être  guéris. 

Il  arriva  en  ce  temps-là  que  le  fils  de  Dioclétien,  ce  grand  persécuteur 
des  chrétiens,  fut  possédé  d'un  démon  qui  le  tourmentait  cruellement.  Ce 
prince  employa  toutes  sortes  de  superstitions  pour  sa  délivrance  ;  mais  le 
démon  répondit  toujours  insolemment  qu'il  ne  sortirait  pas  avant  que  Vite, 
qui  était  en  Lucanie,  vînt  le  chasser.  L'empereur  fit  donc  chercher  Vite  de 
tous  côtés  ;  on  le  trouva  enfin,  on  l'amena  à  Rome  avec  Modeste  et  Cres- 
cence, et  on  le  fît  entrer  dans  le  palais.  Dioclétien  lui  demanda  s'il  pouvait 
guérir  le  jeune  prince.  Il  lui  répondit  :  «  Qu'il  ne  le  pouvait  pas,  mais  que 
Jésus-Christ,  qui  est  un  Dieu  tout-puissant,  le  pouvait  par  son  moyen  ». 
Dioclétien  le  supplia  d'employer  tout  ce  qu'il  avait  de  crédit  auprès  de  ce 
Dieu.  Vite  s'approcha  du  possédé,  et,  lui  mettant  les  mains  sur  la  tête,  il 
parla  au  démon,  au  nom  de  Jésus-Christ,  avec  une  force  et  une  autorité  si 
grandes,  qu'il  le  contraignit  de  sortir  :  cela  se  fit  avec  un  bruit  horrible,  et 
beaucoup  d'idolâtres,  qui  avaient  insulté  les  saints  Martyrs,  furent  frappés 
de  mort. 

Dioclétien,  loin  de  reconnaître  la  puissance  de  Jésus-Christ  qui  venait 
de  délivrer  son  fils,  n'épargna  rien  pour  corrompre  le  jeune  Vite  et  le  déta- 
cher du  christianisme.  Il  lui  ofi"rit  pour  cela  sa  faveur  et  son  amitié,  un  lo- 
gement dans  son  palais,  une  place  à  sa  table,  une  grande  partie  de  ses  tré- 
sors et  même  une  portion  de  son  empire.  Mais  l'admirable  Serviteur  de 
Dieu  lui  répondit  généreusement  a  que  ce  qu'il  lui  offrait  n'était  rien  en 
comparaison  de  ce  qu'il  lui  voulait  ôter  ;  que  Jésus-Christ  était  un  trésor 
incomparable  qu'il  ne  quitterait  pas  pour  tous  les  empires  du  monde  ;  que, 
le  possédant  lui  seul,  il  possédait  toutes  choses,  et  qu'ainsi  il  n'avait  pas  à 
délibérer  sur  ses  propositions  ».  L'empereur  lui  dit  qu'il  parlait  en  enfant  ; 
mais  que,  s'il  méprisait  ses  faveurs,  il  lui  ferait  souffrir  des  tourments  si 


SAINTS  VITE,   MODESTE  ET  CRESGENCE,   MARTYRS.  29 

terribles  et  si  inouïs,  qu'il  y  succomberait  enfin.  «  Je  parle  en  serviteur  du 
vrai  Dieu  »,  répondit  Vite  ;  «  mais  sachez  que  les  supplices  ne  me  font  point 
peur,  et  que  je  les  attends  au  contraire  avec  impatience,  pour  endurer 
quelque  chose  pour  mon  Maître  ».  Sur  cette  réponse,  cet  empereur  ingrat 
et  infidèle  commanda  que  Vite,  avec  les  deux  personnages  qui  l'accompa- 
gnaient, fussent  jetés  dans  un  cachot  et  chargés  chacun  d'une  chaîne  du 
poids  de  quatre-vingts  livres,  sans  qu'il  fût  permis  à  personne  de  les  visiter 
ni  de  leur  donner  aucun  soulagement.  Cet  ordre  fut  exécuté  ;  mais  les  saints 
Martyrs,  qui  étaient  dépouillés  du  secours  des  hommes,  furent  visités  par 
les  anges  et  par  Jésus-Christ  même,  qui  remplit  leur  prison  d'une  lumière 
et  d'une  odeur  toutes  célestes  ;  puis  il  anima  saint  Vite  en  lui  disant  : 
«  Courage,  Vite,  mon  fils,  persévère  constamment  dans  la  fidélité  à  mon 
service  ;  je  serai  avec  toi  jusqu'à  la  fin  de  tes  combats  ». 

Dioclétien  ayant  appris  que  le  cachot  était  devenu  pour  les  Martyrs  un 
lieu  de  délices,  les  en  fit  tirer  et  fit  jeter  ensuite  saint  Vite  dans  un  four 
embrasé  où  il  avait  fait  mettre  de  la  poix-résine  et  du  plomb  fondu.  Mais  le 
Saint  ayant  fait  le  signe  de  la  croix  et  invoqué  Celui  qui  conserva  les  trois 
enfants  au  milieu  de  la  fournaise  de  Babylone,  y  demeura  sans  aucun  mal 
et  en  sortit  sans  que  la  violence  du  feu  eût  grillé  un  seul  de  ses  cheveux  ;  il 
semblait,  au  contraire ,  qu'il  eût  acquis  dans  ce  fourneau  une  nouvelle 
beauté  ;  il  dit  à  Dioclétien  :  «  Est-il  possible,  misérable,  que  tu  ne  recon- 
naisses pas  ton  aveuglement,  et  que  tant  de  prodiges  ne  te  convainquent 
pas  de  la  puissance  souveraine  et  infinie  du  Dieu  des  chrétiens  ?  »  Mais  ce 
Pharaon,  plus  endurci  que  jamais,  fit  exposer  le  martyr  à  un  lion  terrible 
dont  le  rugissement  seul  épouvantait  toute  l'assemblée  ;  le  lion,  au  lieu  de 
se  jeter  sur  le  Martyr  et  de  le  dévorer,  vint  doucement  le  flatter  et  lui  lécher 
les  pieds  :  ce  qui  fut  cause  de  la  conversion  d'un  grand  nombre  d'idolâtres. 

L'empereur,  attribuant  ce  nouveau  miracle  à  l'art  magique,  dans  lequel 
il  se  persuadait  que  les  chrétiens  étaient  fort  savants,  fit  étendre  saint  Vite 
avec  saint  Modeste  et  sainte  Crescence,  sur  le  chevalet,  et,  par  la  violence 
des  supplices,  leurs  os  furent  déboîtés,  leurs  nerfs  rompus,  et  leurs  corps 
tellement  déchirés  qu'on  voyait  jusqu'à  leurs  entrailles.  Le  temps  était  fort 
beau  et  le  ciel  serein  ;  mais  saint  Vite  ayant  fait  sa  prière  au  milieu  de  ses 
tourments,  l'air  se  troubla  en  un  instant,  le  tonnerre  commença  à  gronder 
d'une  manière  épouvantable,  et  ce  bruit,  joint  à  une  infinité  d'éclairs,  rem- 
plit tout  l'amphithéâtre  d'une  horrible  frayeur.  La  foudre  tomba  ensuite 
sur  les  temples  des  idoles,  qui  écrasèrent  par  leurs  ruines  beaucoup  de 
païens.  L'empereur  même  s'enfuit  plein  de  confusion  et  de  dépit  de  se  voir 
vaincu  par  un  jeune  enfant. 

Alors  un  ange  descendit  du  ciel,  détacha  les  Martj'rs  du  chevalet,  les 
rétablit  en  santé  et  les  ramena  miraculeusement  de  Rome  au  bord  du  fleuve 
Silaro,  d'oti  Dioclétien  les  avait  fait  venir.  Lorsqu'ils  y  furent  arrivés,  saint 
Vite  fit  sa  prière  à  Dieu  et  lui  demanda  qu'après  les  avoir  rendus,  par  sa 
grâce,  victorieux  de  tant  de  tourments,  il  daignât  retirer  leurs  âmes  des 
dangers  de  ce  monde,  pour  aller  jouir  de  lui  dans  l'éternité.  Sa  prière  fut 
exaucée,  et  une  voix  du  ciel  apprit  aux  saints  Martyrs  que  le  temps  de  leur 
récompense  était  venu.  Ils  en  rendirent  leurs  actions  de  grâces  à  Dieu  ;  et 
lorsque  le  même  saint  Vite  eut  supplié  ceux  qui  étaient  présents  de  les  en- 
terrer en  ce  lieu,  et  les  eut  assurés  qu'on  obtiendrait  par  son  intercession  et 
par  celle  de  ses  bienheureux  associés,  tout  ce  qu'on  demanderait  à  Dieu 
pour  son  salut,  ils  envoyèrent  leurs  âmes  au  ciel  chargées  de  mérites  et  de 
gloire  ;  ce  qui  arriva  le  d 5  juin  de  l'an  303,  ou  environ. 


30  *5  JUIN. 

On  représente  saint  Vite  dans  une  chaudière  pleine  de  résine,  de  poix 
ou  de  plomb  fondu  ;  il  est  souvent  accompagné  de  sa  nourrice,  sainte  Cres- 
cence,  et  de  saint  Modeste,  son  père  nourricier,  qui  partagèrent  avec  lui 
ce  supplice,  mais  ne  moururent  que  sur  le  chevalet.  —  En  Italie,  on  le 
trouve  représenté  çà  et  là  tenant  un  chien  en  laisse,  peut-être  pour  expri- 
mer la  fidélité  touchante  de  ses  gouverneurs  qui  se  livrèrent  au  martyre 
pour  sauver  de  l'apostasie  leur  nourrisson  qu'un  père  idolâtre  entourait  de 
séductions  sataniques.  —  Les  Allemands  ont  coutume  de  peindre  saint  Vite 
avec  un  coq,  peut-être  à  cause  de  leur  usage  d'invoquer  ce  jeune  martyr 
contre  le  sommeil  trop  prolongé  et  la  léthargie  et  pour  obtenir  de  se  réveil- 
ler exactement  à  une  heure  fixe.  —  Enfin  on  le  trouve  représenté  ayant  à 
ses  côtés  des  lions  et  autres  animaux  farouches  pour  rappeler  qu'il  fut 
exposé  aux  bêtes. 

Saint  Vite  est  le  patron  des  comédiens  et  des  danseurs,  par  allusion, 
sans  doute,  à  l'affection  connue  en  médecine  sous  le  nom  de  Danse  de  saint 
Gui.  —  On  l'invoque  contre  la  chorée  et  le  sommeil  trop  prolongé,  peut- 
être  parce  qu'il  souffrit  le  martyre  de  bonne  heure,  et  étant  encore  enfant. 
—  On  l'invoque  aussi,  et  nous  avons  dit  pourquoi,  pour  les  chiens  et  contre 
la  rage. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  corps  de  nos  saints  Martyrs  furent  inhumés  par  les  fidèles  en  un  endroit  nommé  Mariano. 
Depuis,  celui  de  saint  Vite  fut  transporté  à  Rome,  et  de  là  il  fui  apporté  à  Saint-Denis,  en  France, 
par  l'abbé  Fulrade,  sous  le  règne  de  Pépin,  père  de  Charlemagne.  Mais,  plusieurs  années  après,  la 
foi  ayant  été  portée  en  Saxe,  et  l'Ordre  de  Saint-Benoît  y  ayant  fondé  un  célèbre  monastère, 
appelé  la  Nouvelle-Corbie,  Warin,  qui  en  était  abbé,  supplia  Hilduin,  abbé  de  Saint-Denis,  de  lui 
donner  ce  précieux  trésor  pour  en  enrichir  son  église  ;  ce  qu'il  fit,  du  consentement  du  roi  et 
empereur  Louis  le  Débonnaire.  Ainsi,  l'an  836,  les  reliques  de  saint  Vite  furent  transportées  avec 
beaucoup  de  solennité  à  la  Nouvelle-Corbie,  qu'on  appelle  Corwey,  en  Saxe,  sur  le  Weser,  entre 
la  Westphalie  et  le  duché  de  Brunswick.  Cette  translation  se  fit  avec  une  pompe  si  solennelle,  qu'il 
ne  s'était  encore  rien  vu  de  semblable  en  ce  genre.  Ce  ne  fut  qu'une  procession  de  prêtres,  de 
moines,  de  peuples  en  foule,  depuis  Saint-Denis  jusqu'à  Corwey,  le  long  d'un  chemin  de  près  de  cent 
cinquante  lieues.  Ses  reliques  faisaient  beaucoup  de  miracles  à  Saint-Denis  ;  mais  celui  qui  a  écrit 
l'histoire  de  cette  translation,  dit  qu'elles  en  firent  plus  de  quatre  cents  dans  les  vingt  stations  de  ce 
voyage,  et  qu'elles  apportèrent  avec  elles  l'ahnnil^mre  et  le  bonheur  en  ce  pays.  Saint  Veuceslas, 
duc  de  Dotiéuie,  en  obtint  quelques  ossemeats  pour  Prague,  ville  capitale  de  son  Etat. 

Les  trois  saints  martyrs  sont  patrons  de  Ligny-sur-Canche,  au  diocèse  d'Arras.  Des  reliques  de 
saint  Vite  sont  conservées  à  Saint-Paul  et  aux  Ursulines  d'Âbbevllle,  an  Carmel  d'Amiens. 

Ces  actes  sont  tirés  d'un  ancien  manuscrit  que  Surius  nous  a  donné.  Baronius  parle  aussi  de  saint 
Vite,  de  saint  Modeste  et  de  sainte  Cresconce,  tant  en  ses  Annales  qu'en  son  Martyrologe. 


SAINT  CONSTANTIN,  EYÈQUE  DE  BEAU  VAIS 

700.  —  Pape  :  Sergius  !«'.  —  Roi  de  France  :  Childebert  IIL 

Utile  et  salutare  est  cum  se  episcopus  fratribus  prxbct 

imitandum. 
C'est  une  chose  utile  et  salutaire  que  l'évêqne  puisse 

se  donner  pour  modèle  à  ses  frères. 

s.  Cyprien,  Episf.  iv. 

Constantin  descendait  de  la  noble  famille  des  comtes  de  Bulles,  en  Beau- 
vaisis.  Il  fut  élevé  à  la  célèbre  école  du  Palais,  qui  a  donné  à  nos  rois  d'ha- 


SAINT  CONSTANTIN,  ÊVÊQUB  DE  BEAUVAIS.  31 

biles  ministres,  à  l'Etat  des  guerriers  intrépides,  et  à  l'Eglise  des  Pontifes, 
des  prêtres,  des  religieux,  souvent  aussi  remarquables  par  leurs  vertus  que 
par  leur  science.  Au  nombre  de  ses  condisciples,  nous  voyons  saint  Phili- 
bert, le  futur  fondateur  de  Jumiéges  et  saint  Amalbert,  avec  lesquels  il 
vécut  dans  une  louable  émulation  de  piété  et  d'étude. 

Le  Saint  renonça,  jeune  encore,  aux  honneurs  qui  l'attendaient  dans  le 
monde.  La  reine  Bathilde  et  saint  Ouen,  son  ministre,  lui  voyant  des  dispo- 
sitions pour  la  vie  religieuse,  contribuèrent  beaucoup,  par  leurs  conseils,  à 
la  résolution  qu'il  prit  de  se  retirer  dans  un  monastère.  Philibert  l'y  avait 
déjà  précédé,  et  guidait  vers  le  ciel  une  sainte  et  nombreuse  phalange  de 
religieux.  Jumiéges,  fondé  et  gouverné  par  ce  pieux  abbé,  comptait  neuf 
cents  moines  et  quinze  cents  frères  convers'.  Constantin  alla  augmenter  le 
nombre  de  ces  fidèles  serviteurs  de  Jésus-Christ.  Il  ne  se  fut  pas  plus  tôt  cou- 
sacré  à  Dieu  dans  l'abbaye  de  Jumiéges,  qu'il  mit  généreusement  la  main  à 
l'œuvre  de  sa  sanctification.  En  môme  temps  qu'il  ornait  son  esprit  par 
l'étude  des  saintes  Lettres,  il  se  formait  à  l'humilité,  à  l'abnégation  et  à  la 
patience.  Pour  empêcher  son  corps  de  devenir  un  instrument  de  péché,  il  le 
soumettait  au  jeûne  et  à  de  rudes  pénitences.  Il  ne  croyait  pas  déroger  à 
la  noblesse  de  son  extraction,  en  travaillant  de  ses  propres  mains,  comme 
le  plus  humble  de  ses  frères. 

Elevé  au  sacerdoce,  Constantin,  accompagné  de  quelques  religieux  de 
Jumiéges,  sortit  souvent  de  son  abbaye  pour  aller  évangéliser  les  popula- 
tions voisines.  Dans  ses  courses  apostoliques,  il  n'oublia  pas  de  visiter  le 
Beauvaisis,  où  il  possédait  de  riches  domaines.  Partout  oîi  il  fit  entendre  sa 
voix,  il  se  concilia  le  respect  et  l'admiration  des  peuples,  et  réveilla  dans 
les  cœurs  l'amour  de  la  loi  de  Dieu.  Jamais  il  ne  s'éloigna  du  diocèse  de 
Beauvais  sans  laisser  aux  pauvres,  aux  églises  et  aux  monastères,  des  mar- 
ques de  sa  généreuse  libéralité.  La  ville  de  Beauvais  trouva  bientôt  l'occa- 
sion de  montrer  au  zélé  et  charitable  religieux,  en  même  temps  que  sa 
reconnaissance,  la  haute  estime  qu'elle  avait  pour  son  savoir  et  ses  vertus. 
Clément,  son  évêque,  étant  mort,  elle  eut  Constantin  pour  son  successeur, 
après  le  jeûne  et  les  prières  usitées  alors  en  pareille  circonstance. 

Constantin,  redoutant  la  responsabilité  attachée  à  la  dignité  qui  lui  était 
offerte,  opposa  une  vive  résistance  aux  vœux  des  Beauvaisiens.  L'obéissance 
seule  put  avoir  raison  de  son  refus.  Convaincu  par  ses  supérieurs  que  son 
élévation  était  l'œuvre  de  Dieu,  il  consentit  enfin  à  recevoir  l'onction  épis- 
copale.  Suivant  la  jurisprudence  ecclésiastique  de  cette  époque,  ayant  fait 
agréger  son  élection  par  le  roi,  il  fut  sacré  dans  l'assemblée  des  évêques  de 
la  province  *. 

Le  nouvel  évêque  arriva  au  milieu  de  sou  troupeau  avec  la  résolution 
de  lui  sacrifier  ses  biens,  ses  forces  et  sa  vie  même,  s'il  le  fallait.  Il  se  mon- 
tra le  débiteur  de  tous,  réservant  toutefois  une  plus  large  part,  dans  sa  sol- 
licitude, aux  petits,  aux  ignorants  et  aux  affligés.  Son  zèle,  béni  du  Sei- 
gneur, contribua  au  retour  d'un  grand  nombre  de  pécheurs  et  à  la  persé- 
vérance des  justes.  Persuadé  que  les  prières  et  les  mérites  des  âmes  pieuses 

1.  L'abbaye  de  Jamiéges  fut  fondée,  en  655,  par  saint  Philibert,  à  l'ouest,  et  à  cinq  lieues  environ  do 
la  ville  de  Rouen,  dans  une  presqu'île  forme'e  par  la  Seine.  Elle  était  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit.  Elle 
•Bbit,  à  la  Be'volution,  le  sort  des  autres  maisons  religieuses. 

3.  Avant  l'e'lection  de  Constantin,  un  évoque  de  la  province  avait  fait  publier  le  vingt-cinquième 
canon  du  concile  de  Reims  de  l'annde  625.  conçu  en  ces  termes  :  •  On  n'élira  pour  évêque  d'une  ville 
qu'une  personne  qui  soit  du  pays,  et  l'élection  se  fera  par  le  suffrage  de  tout  le  peuple,  du  consentement 
des  évêques  de  la  province.  Si  quelqu'un  est  élu  à  l'épiscopat  par  une  autre  voie,  qu'il  soit  déposé  et  que 
ceux  qui  l'auront  ordoaaé,  soient  suspendus  trois  an»  dea  foactious  de  leur  ministère  ».  (Dict.  uni»,  ie» 
Conciles,  par  M.  Peltier,  u,  48ô.) 


32  iS  JUIN. 

désarment  le  courroux  du  ciel  et  attirent  sur  les  hommes  les  divines  misé- 
ricordes, il  fonda  de  nouveaux  monastères,  dota  les  anciens  et  travailla  à 
maintenir  dans  tous  une  sage  discipline.  Les  abbayes  de  Précis-sur-Oise  et 
de  Tussonval  *  furent  érigées  par  ses  soins;  celles  de  Saint-Lucien  et  de 
Saint-Denis  virent  leur  prospérité  augmentée  et  affermie  par  ses  dons  et  par 
la  constance  qu'il  mit  à  défendre  leurs  droits  ^;  tandis  que,  sous  sa  pater- 
nelle surveillance,  les  communautés  de  l'Oratoire  et  de  Saint-Germer  obser- 
vaient leurs  Règles  avec  une  édifiante  ponctualité. 

Constantin  jouit  d'un  grand  crédit  auprès  des  rois  Thierry  I",  Clovis  III 
et  Childebert  III.  Il  siégea  plusieurs  fois  dans  les  solennelles  assemblées  de 
ces  princes,  et  y  défendit  les  intérêts  de  la  religion  et  de  l'Eglise  avec  une 
indépendance  aussi  ferme  que  respectueuse.  Indifférent,  pour  lui-même, 
aux  honneurs  et  aux  biens  de  ce  monde,  il  faisait  tourner  au  profil  des  cou- 
vents et  des  pauvres  l'ascendant  que  ses  vertus  lui  donnaient  sur  le  cœur 
des  puissants  de  la  terre.  Il  donna  souvent  des  preuves  de  sa  tendre  dévo- 
tion envers  les  Saints,  dont  le  culte  est  si  propre  à  ramener  et  à  soutenir  la 
foi  des  chrétiens  ;  on  le  vit  honorer  de  sa  présence  la  solennelle  translation 
des  reliques  du  bienheureux  martyr  Firmin,  dans  la  cathédrale  d'Amiens. 
Le  nom  de  ce  glorieux  apôtre  rappelait  d'ailleurs  des  souvenirs  trop  chers 
à  l'Eglise  de  Beauvais,  pour  que  la  reconnaissance  ne  fît  pas  un  devoir  à 
Constantin  d'aller  prendre  part  à  une  cérémonie  destinée  à  en  relever  la 
gloire  '. 

Notre  Saint  avait  conservé,  au  milieu  des  honneurs  de  l'épiscopat,  l'hu- 
milité et  les  habitudes  d'un  religieux.  Il  aimait  beaucoup  la  vie  solitaire  à 
laquelle  il  ne  se  dérobait  que  pour  l'accomplissement  des  devoirs  de  sa 
charge  ou  l'exercice  de  la  charité.  Souvent  il  allait  s'enfermer  et  prier  pour 
les  besoins  de  son  diocèse,  dans  une  petite  cellule  du  monastère  de  Saint- 
Lucien.  Quelquefois  aussi,  il  se  plaisait  à  visiter  l'abbaye  de  Jumiéges,  et  à 
recueillir  son  âme  dans  ce  pieux  asile,  témoin  de  ses  premiers  pas  dans  la 
vie  religieuse.  Pendant  une  meurtrière  épidémie  qui  décima  les  membres 
de  cette  communauté,  Constantin  s'empressa  de  leur  porter  secours,  se  dé- 
vouant courageusement  au  service  et  au  soulagement  des  malades,  les  soi- 
gnant de  ses  propres  mains,  les  consolant  dans  leurs  souffrances  et  prépa- 
rant leurs  âmes  à  paraître  devant  Dieu.  Avant  de  regagner  son  diocèse,  pré- 
voyant que  l'heure  de  sa  mort  n'était  pas  éloignée,  il  exprima  la  volonté 
d'être  inhumé  au  milieu  de  la  bien-aimée  famille  de  saint  Philibert,  et  dé- 
signa lui-même  le  lieu  de  sa  sépulture.  Peu  de  temps  après,  il  fit  donation 
de  son  château  de  Bulles  aux  religieux  de  Saint-Lucien,  déposa  le  fardeau 
de  l'épiscopat  et  alla  demander  à  cette  même  abbaye  de  Jumiéges  le  repos 
et  le  calme  nécessaires  à  l'âme  prête  à  entreprendre  le  voyage  de  l'éternité. 

La  mort  du  Saint  arriva  vers  l'an  700.  Plusieurs  miracles  ayant  eu  lieu  à 
son  tombeau,  son  corps  fut  levé  de  terre  et  solennellement  transféré  dans 
l'église  du  monastère.  Au  ix*  siècle,  la  crainte  des  Normands  porta  les  reli- 
gieux à  le  confier  une  seconde  fois  à  la  terre.  Il  fut  exhumé  dans  la  suite, 
placé  dans  un  riche  reliquaire,  et  exposé  à  la  vénération  publique.  En  l'an- 

1.  Abbaye  détruite,  prfes  de  Chambly,  on  de  Blaincourt  (Oise). 

2.  Citons  encore  le  monastère  de  Sainte-Marie  sur  Loire,  dont  il  reçut  et  confirma  la  dotation  avec 
quatorze  autres  prélats.  Sa  Biguature  se  trouve  à  l'acte  rédigé  a  cette  fin.  —  Le  P.  ilabillon  a  fait  graver 
cet  acte  tel  qu'il  était  écrit  primitivement,  et  nous  l'a  conservé  au  tome  i"  de  sa  Diplomatique,  p.  383  : 
on  y  voit  la  signature  de  Constantin. 

3.  Le  lieu  oii  reposaient  les  reliques  de  saint  Firmin  avait  été  révélé  d'une  manière  surnaturelle  à 
saint  Salve,  évoque  d'Amiens.  Les  évêquas  de  Hoyon,  de  Cambrai  et  de  Thérouanno,  se  trouvaient  aussi 
k  cette  célèbre  translation. 


s.    DERNARD   DE   MENTHON,    FONDATEUR  DES   HOSPICES   DU   SAINT-BERNARD.      33 

née  1G67,  un  religieux  de  l'abbaye  de  Jumiéges,  le  révérend  Père  Dom  Cé- 
sarée  Robillard,  s'exprimait  en  ces  termes,  au  sujet  du  culte  rendu  au  saini 
évoque  :  «  Nous  célébrons  de  temps  immémorial,  en  ce  monastère  de  Ju- 
miéges, la  fêle  de  la  translation  des  saints  Conslanlin  et  Pérégrin,  confes- 
seurs ponliles,  et  en  faisons  l'office  (/o/<<{'/e.  Autrefois,  on  en  faisait  grande 
fête  avec  chapes,  ainsi  qu'on  le  voit  par  un  Directoire  manuscrit  fort  ancien, 
qui  a,  je  pense,  plus  de  six  ou  sept  cents  ans  *  ». 

Ce  religieux  ajoute  que  les  reliques  de  ces  deux  Saints  ont  été  conservées 
à  Jumiéges  jusqu'à  l'époque  où  l'abbaye  fut  pillée  par  les  Huguenots. 

Vie  des  Saints  de  Beauvais,  par  l'abbé  Sabatier. 


SAINT  BERNARD  DE  MENTHON, 

APOTRE  DES  ALPES 
FONDATEUR   DES  HOSPICES  DU   SAINT  -  BERNARD 

1008.  —  Pape  :  Jean  XVIII.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Henri  II. 


Singularis  profecio   est  vocatio,   qua  in  beneficiontm 

cœlestium  agitur  spécula. 
C'est  une  admirable  vocation    que    celle  qni    noua 

donne  en  perspective  les  biens  célestes. 

S.  Laur.  Just.  Lib.  ii  de  Spirit.  resurr.,  c.  22. 

Saint  Bernard  naquit  en  Savoie,  au  mois  de  juin  de  l'année  923,  de 
Richard,  seigneur  de  Menthon,  et  de  Bernoline  de  Duingt,  petite-fille  du 
chevalier  Olivier,  comte  de  Genève,  pair  de  France  et  compagnon  des 
conquêtes  de  Charlemagne.  Honneurs,  richesses,  alliances,  tout  concourait 
à  rendre  cette  famille  une  des  plus  puissantes  du  pays.  Ses  parents  vertueux 
mirent  tous  leurs  soins  à  cultiver  de  bonne  heure  les  excellentes  disposi- 
tions de  cet  enfant,  unique  objet  de  leurs  tendresses.  Dès  l'âge  le  plus  ten- 
dre, il  montra  un  goût  décidé  pour  les  exercices  religieux  et  une  grande 
facilité  pour  l'instruction  qu'il  recevait  au  sein  de  sa  famille. 

A  l'âge  de  sept  ans,  on  lui  donna  un  pi-écepteur,  homme  distingué  par 
ses  talents  et  ses  vertus  ;  le  pieux  Germain  lui  fît  faire  de  grands  progrès 
dans  les  sciences  ;  cet  homme  sage  se  montra  digne  d'être  l'ange  tutélaire 
de  cet  enfant  de  bénédiction.  Ses  premières  études  étant  avancées,  ses  pa- 
rents jugèrent  à  propos  de  l'envoyer  à  Paris,  sous  la  conduite  de  son  pré- 
cepteur, pour  y  faire  des  études  plus  étendues  et  plus  solides  ;  il  n'avait  que 
quatorze  ans  quand  il  arriva  dans  cette  ville.  Il  fît  son  cours  de  philosophie, 
€t  se  livra  ensuite  avec  beaucoup  d'application  à  l'étude  du  droit  et  surtout 
delà  théologie  ;  toujours  docile  aux  sages  conseils  de  son  guide,  fidèle  aux 
impressions  de  cette  religion  sainte  qui  remplit  toutes  ses  pensées,  il  sut 
mettre  sa  vertu  à  l'abri  de  toutes  les  séductions. 

La  vue  des  désordres  et  des  ravages  affreux  que  le  vice  causait  parmi  les 
Jeunes  étudiants  de  son  âge  révoltait  son  cœur  innocent  et  pur  ;  entouré 

1.  Eist.  de  Gerberoy,  p.  309. 

Vies  des  Saints.  •—  Tome  VU.  -^ 


34  IS  JUL\. 

de  périls,  suspendu  sur  les  bords  d'un  abîme,  ses  regards  se  levaient  vers  le 
ciel  •  c'est  alors  qu'il  confia  à  son  précepteur  le  vif  désir  qu'il  éprouvait 
d'entrer  dans  la  carrière  ecclésiastique  pour  fuir  davantage  la  corruption 
du  siècle.  Son  précepteur,  sans  toutefois  combattre  son  dessein,  lui  lit  ob- 
server qu'il  ne  devait  rien  décider  à  cet  égard,  sans  avoir  auparavant,  dans 
une  affaire  si  importante,  consulté  Dieu,  son  directeur,  des  personnes 
prudentes  et  ses  inclinations.  Bernard  suivit  ce  conseil,  et,  de  l'avis  de 
son  directeur,  il  consulta  Dieu  pendant  les  trois  années  qu'il  étudia  la 

théologie. 

Une  si  longue  épreuve,  bien  loin  de  le  rebuter,  ne  fit  qu'augmenter  son 
penchant  et  sa  ferveur  ;  alors  il  forma  la  résolution  de  ne  plus  vivre  que 
pour  le  ciel  et  de  chercher  dans  le  sanctuaire  un  asile  assuré  pour  sa  vertu  : 
il  fréquentait  les  sacrements  deux  fois  le  mois  ;  il  s'éloignait  des  plaisirs  et 
des  divertissements  permis  aux  jeunes  gens  de  son  rang  ;  toujours  il  avait 
en  souvenir  la  piété  et  la  science  qui  sont  nécessaires  à  un  prêtre.  Son 
directeur  lui  déclara  enfm  que  l'état  auquel  Dieu  l'appelait  était  le  sacer- 
doce et  que  son  salut  y  était  attaché.  Cette  décision  fixa  pour  toujours  sa 
vocation  ;  il  fit  à  l'instant  vœu  de  virginité  et  d'entrer  dans  l'état  ecclésias- 
tique ;  son  précepteur,  qui  partageait  ses  desseins  et  qui  avait  formé  la 
résolution  d'embrasser  l'état  religieux,  affermit  Bernard  dans  sa  vocation  ; 
et  pour  ne  rien  omettre  de  ce  qui  pouvait  assurer  leur  choix,  ils  prièrent 
saint  Nicolas  d'être  le  prolecteur  de  leur  entreprise. 

Cependant  les  parents  de  Bernard,  ne  pouvant  supporter  une  plus  longue 
absence  de  leur  fils  unique,  le  rappelèrent  au  château  de  Menthon  ;  le  père, 
en  faisant  soigner  son  éducation,  s'était  proposé  d'en  faire  un  gentilhomme 
accompli,  capable  de  soutenir  un  rang  élevé  et  la  gloire  de  sa  famille  ;  l'hé- 
ritier de  son  nom  et  de  sa  fortune  devait  être  un  grand  homme,  selon  les 
idées  du  temps.  Bernard,  qui  sait  que  l'obéissance  est  la  première  vertu 
•d'un  enfant  bien  né,  se  rend  sans  hésiter  au  sein  de  sa  famille. 

Arrivé  au  château  de  Menthon,  il  goûte  avec  délices  le  plaisir  de  se 
retrouver  au  sein  de  sa  famille.  Toute  la  noblesse  du  voisinage  est  venue 
prendre  part  à  la  fête,  chacun  s'empresse  d'accueillir  un  jeune  homme  au- 
quel se  rattachent  tant  d'intérêts  ;  on  se  livre  avec  transports  aux  amuse- 
ments, aux  plaisirs  naïfs  de  cet  âge.  On  sait  quelles  étaient  la  courtoisie,  la 
gaîté  et  toutes  les  aimables  folies  qui  embellissaient  les  fêtes  d'un  vieux 
manoir  gothique.  Bernard,  qui  avait  renoncé  aux  plaisirs  du  monde,  fut  peu 
sensible  aux  réjouissances  que  son  retour  causa,  aussi  son  père  ne  put  s'em- 
pêcher de  lui  faire  sentir  son  indifférence,  et  comme  pour  le  remettre  des 
fatigues  du  voyage  qu'il  prétexta  à  cette  occasion,  et  dans  Tintention  de  le 
rendre  plus  joyeux,  il  lui  déclare  ses  desseins  :  «  Mon  fils  »,  lui  dit-il,  a  il  est 
temps  de  régler  votre  sort  et  de  me  décharger  sur  vous  des  fatigues  d'une 
pénible  administration  :  vous  allez  être  le  consolateur  de  ma  vieillesse  ; 
c'est  de  vous  que  dépend  tout  mon  bonheur  ;  c'est  vous  qui  devez  perpétuer 
ma  famille,  dont  vous  êtes  le  seul  espoir.  Il  faut  donc  vous  décider  à  con- 
clure bientôt  une  alliance  honorable  que  je  vous  ai  ménagée  ». 

A  ce  discours,  le  trouble  s'empare  du  jeune  Bernard  ;  il  se  jette  aux 
genoux  de  son  père,  le  suppliant  de  ne  pas  lui  imposer  des  engagements  qui 
l'effraient. 

Par  ménagement  pour  le  cœur  de  son  père,  il  n'ose  lui  découvrir  son 
âme  ;  il  se  contente  d'en  être  surpris  ;  il  s'excuse  sur  sa  jeunesse,  et  le  vif 
désir  qu'il  avait  de  voyager  pour  son  instruction  lui  fournit  un  motif  plau- 
sible ;  mais  le  baron  de  Menthon,  au  lieu  de  se  laisser  attendrir,  s'emporte 


s.    P.ERNARD  DE   MENTHON,    FOXDITEUR  LES  HOSPICES  DU   SAINT-BERNARD,      35 

contre  son  (ils  et  le  menace  de  le  priver  de  sa  succession,  s'il  ne  se  rendait 
au  plus  tôt  à  ses  vœux. 

La  baronne  se  joint  à  son  époux  pour  exercer  sur  le  cœur  de  son  fils  un 
pouvoir  plus  irrésistible  :  les  caresses,  les  pleurs,  les  prières,  les  menaces, 
cette  tendre  mère  employa  tout.  Comment  résister  aux  accents  de  la  voix 
maternelle?  Bernard,  tout  ému,  ne  sachant  comment  se  défendre,  se  con- 
tente de  demander  quelque  délai. 

Le  baron,  persuadé  que  la  vocation  de  son  fils  et  ses  dégoûts  pour  le 
monde  ont  été  inspirés  par  le  pieux  Germain,  prend  le  parti  d'éloigner  ce 
conseiller  importun  ;  Germain  qui,  de  son  côté,  brûlait  du  désir  de  suivre 
sa  vocation,  profita  de  l'occasion  pour  se  retirer  à  Talloires,  où  vivaient  quel- 
ques cénobites  sous  la  conduite  de  saint  Benoît,  et  oh  il  trouva  la  paix  de 
l'âme,  qu'il  cherchait. 

L'éloignement  de  Germain  ne  fit  rien  changer  aux  vœux  de  Bernard  ;  ce 
fut  dès  lors  au  contraire  qu'il  conçut  pour  la  pureté  cet  amour  vif  qui  ne 
fit  qu'influer  davantage  sur  toute  sa  conduite.  Cependant  le  père,  persuadé 
que  son  fils  serait  vaincu,  dès  qu'il  verrait  celle  qu'on  lui  proposait  pour 
épouse,  lui  ordonna  d'aller  rendre  visite  au  baron  deMiolans,  qui  était  venu 
le  voir  à  son  retour  de  Paris  ;  il  crut  même  devoir  le  conduire  lui-même 
dans  la  famille  de  l'épouse  qu'il  lui  avait  choisie. 

Marguerite  de  Miolans  réunissait  toutes  les  qualités  les  plus  distinguées 
pour  captiver  le  cœur  d'un  époux  ;  mais  celui  de  Bernard  ne  pouvait  s'atta- 
cher à  aucun  bien  périssable  ;  Marguerite  n'obtint  que  son  respect  et  son 
estime  ;  les  parents,  qui  ne  pouvaient  se  douter  de  ce  qui  se  passait  dans 
l'esprit  de  Bernard,  croyant  apercevoir  sa  sympathie  dans  cette  entrevue, 
ne  songent  plus  qu'à  régler  les  conditions  et  les  préparatifs  du  mariage  ; 
tous  sont  dans  la  joie,  excepté  Bernard  :  sa  conscience  et  ses  goûts  repous- 
sent les  chaînes  qu'on  lui  veut  imposer.  Cependant  il  n'ose  se  jyononcer; 
la  piété  filiale  ne  peut  lutter  avec  les  prétentions  paternelles  ;  le  contrat  est 
dressé  ;  ne  voyant  aucun  moyen  de  refuser,  le  jeune  baron  le  signe. 

Le  jour  fixé  pour  la  cérémonie  avance  ;  il  faut  partir  pour  Miolans. 
Bernard  dissimule  son  chagrin  pendant  ce  voyage,  ayant  sans  cesse  dans 
l'esprit  le  vœu  qu'il  avait  fait  à  Paris,  jusqu'à  ce  que,  de  retour  au  château 
de  Menthon,  la  veille  de  la  célébration  du  mariage,  il  se  retire  le  soir  dans 
sa  chambre,  et  là,  se  prosternant  devant  un  crucifix,  il  adresse  à  Dieu  cette 
prière  :  «  Seigneur,  vous  voyez  l'extrémité  à  laquelle  je  me  trouve  réduit  ; 
vous  savez  que  je  vous  appartiens  et  que  je  ne  puis  être  à  vous  sans  prati- 
quer cette  vertu  que  je  vous  ai  vouée  et  qui  vous  a  fait  choisir  la  sainte 
Vierge  pour  Mère  ;  et  puisque  je  ne  saurais  être  à  mon  épouse,  sans  cesser 
d'être  à  vous  autant  que  je  le  dois,  si  mon  sacrifice  vous  plaît,  aidez-moi, 
Seigneur,  à  vous  le  présenter,  en  m'apprenant  les  moyens  de  m'éloigner  de 
celle  qui  est  à  la  veille  de  me  séparer  de  vous  ».  Puis,  s'adressant  à  saint 
Nicolas  :  «  Grand  Saint  »,  lui  dit-il,  «  vous  qui  vous  êtes  déclaré  autrefois 
pour  des  vierges  que  la  nécessité  allait  perdre,  me  refuserez-vous  le  secours 
que  je  vous  demande,  pour  rester  vierge,  comme  je  l'ai  promis  à  mon 
Dieu?  C'est  vous-même  qui  m'avez  fait  connaître  que  je  devais  être  un  jour 
tout  à  lui  ;  que  ce  soit  donc  vous,  grand  Saint,  qui  m'aidiez  à  lui  conserver 
mon  âme  et  mon  corps  dans  une  inviolable  pureté  ». 

On  est  aisément  écouté,  quand  on  ne  fait  des  vœux  que  pour  plaire  au 
ciel  !  Il  croit  entendre  une  voix  qui  lui  commande  la  fuite.  Il  trace  quelques 
lignes  pour  faire  connaître  à  ses  parents  les  desseins  du  Seigneur  sur  lui  et 
leur  donner  le  dernier  adieu.  La  prière  qu'il  vient  de  faire  le  remplit  d'une 


36  13  JUL\. 

force  toute  divine  ;  ne  pouvant  sortir  par  les  portes  qui  étaient  toutes  fer- 
mées, il  s'échappe  par  une  fenêtre  de  sa  chambre,  en  rompant  une  barre 
de  fer  qui  lui  faisait  obstacle.  On  montre  encore  aujourd'hui  la  fenêtre  par 
laquelle  a  eu  lieu  son  évasion.  De  là,  errant  à  l'aventure,  il  arrive,  après 
quelques  jours  de  marche,  aux  portes  de  la  ville  d'Aoste,  oti  il  se  présente 
au  vénérable  Pierre  de  la  Val-d'Isère,  archidiacre,  qui  le  reçut  avec  beau- 
coup de  bienveillance  et  de  charité  ;  il  eut  le  bonheur  de  rencontrer  un 
autre  père  dans  ce  personnage  de  haute  sainteté. 

Cette  fuite,  qui  avait  rnis  en  repos  Bernard,  ne  produisit  pas  le  môme 
effet  dans  le  château  de  son  père  ;  les  officiers  qui  allèrent  le  matin  pour 
l'habiller,  trouvant  la  porte  fermée,  furent  contraints  de  l'enfoncer. 

On  trouva,  au  lieu  d'un  époux  qu'on  cherchait,  une  lettre  à  l'adresse  de 
son  père,  dans  laquelle  il  lui  expose  qu'il  serait  indigne  d'être  appelé  son 
fils,  s'il  lui  dissimulait  sa  vocation  ;  que  s'il  lui  doit  l'éducation,  il  en  doit  à 
Dieu  la  première  grâce  ;  que  sa  volonté  divine  doit  être  écoutée  quand 
elle  parle. 

11  lui  déclare  le  vœu  de  chasteté  qu'il  a  fait  à  Paris,  en  le  priant  de  ne 
pas  le  blâmer  s'il  quitte  tout  pour  suivre  Dieu  ;  qu'il  abandonne  sa  fortune 
pour  suivre  celle  de  la  Providence  ;  qu'il  abandonne  son  épouse,  pour  ne 
pas  manquer  à  sa  parole,  ayant  promis  fidélité  à  la  croix  ;  il  termine  ainsi  : 

«  Je  conjure  ma  charitable  mère  d'agréer  avec  vous  les  résolutions  de 
mon  cœur,  puisque  je  ne  m'éloigne  de  vous  que  pour  vous  retrouver  tous 
un  jour  dans  l'éternité  bienheureuse  ». 

Nous  laissons  au  lecteur  le  soin  de  deviner  le  trouble  que  cette  terrible 
nouvelle  causa  dans  le  château  ;  nous  dirons  seulement,  en  peu  de  mots,  le 
ressentiment  que  le  baron  de  Miolans  éprouva,  et  combien  il  fut  sensible  à 
un  affront  dont  le  seigneur  de  Menthon  n'était  point  coupable  ;  il  est  rap- 
porté qu'il  en  aurait  tiré  vengeance  à  main  armée  si  Marguerite,  se  jetant 
aux  pieds  de  son  père,  ne  l'eût  intercédé  pour  obtenir  son  pardon  ;  et  si 
elle  n'eût  choisi  elle-même  pour  époux  Jésus-Christ,  dans  un  couvent  du 
Dauphiné. 

Cependant  le  saint  fugitif  eut  grand  soin  de  taire  son  pays  et  sa  famille 
à  Aoste  ;  il  changea  même  de  nom.  Soit  que  Bernard  eût  confié  à  l'archi- 
diacre le  secret  de  sa  noble  origne  ;  soit  que  le  sage  vieillard  ait  respecté  le 
silence  mystérieux  du  jeune  inconnu,  il  est  certain  qu'il  sut  apprécier  le 
trésor  que  le  ciel  lui  confiait.  Lui-môme  se  chargea  de  cultiver  cette  jeune 
plante  ;  il  trouvait  de  la  consolation  à  former  un  sujet  doué  de  si  heureuses 
dispositions  et  dont  il  semblait  présager  la  glorieuse  carrière.  A  l'ombre  du 
sanctuaire,  ce  nouveau  Samuel  respirait  le  calme  de  la  paix  que  le  monde 
n'avait  pu  lui  donner.  Tout  entier  au  recueillement,  à  la  prière,  à  l'étude, 
docile  aux  leçons  du  vertueux  archidiacre,  il  ne  cessait  d'orner  sa  belle  âme 
des  connaissances  et  des  vertus  qu'exige  le  sacerdoce,' auquel  il  ne  tarda  pas 
à  être  élevé.  Pierre  de  la  Val-d'Isère  parlait  souvent  aux  chanoines  des 
vertus  et  des  talents  de  l'étranger  ;  charmés  de  ses  mérites,  ils  voulurent  le 
recevoir  parmi  eux  et  lui  obtinrent  un  canonicat. 

Le  zèle  et  les  talents  de  Bernard  l'appelaient  aux  fonctions  apostoliques; 
il  lui  eût  été  difficile  de  contenir  en  lui-môme  le  feu  divin  qui  le  consumait. 
Ses  travaux  dans  l'œuvre  des  missions  ne  tardèrent  pas  à  être  accompagnés 
des  fruits  les  plus  abondants  et  les  plus  heureux.  Son  bienfaiteur,  le  vénéra 
ble  archidiacre,  étant  venu  à  mourir,  Bernard  fut  élu  pour  lui  succédera 
cette  dignité.  L'évêque  d'Aoste,  qui  connaissait  aussi  tout  son  mérite  et  sa 
prudence,  désirant  se  reposer  sur  lui  pour  la  conduite  de  son  diocèse,  le 


I 


s.    BERNARD   DE  MENTIION,    FONDATEUR  DES  HOSPICES  DU  SAINT-BERNARD.      37 

nomma  grand  vicaire  ;  ce  nouvel  emploi  fit  éclater  tout  son  zèle  et  ce  que 
peut  une  âme  forte  inspirée  de  l'amour  de  Dieu  ;  bientôt  la  Vallée  se  trouva 
renouvelée  par  ses  soins.  Ses  travaux  apostoliques  s'étendirent  encore  dans 
les  diocèses  de  Novarc,  de  Sion  en  Valais,  de  Taren taise  et  de  Genève;  par- 
tout on  lui  voit  déployer  son  zèle  infatigable,  partout  ses  efforts  prodigieux 
obtiennent  les  plus  heureux  succès. 

Persuadé  que  les  vices  n'ont  jamais  plus  d'empire  que  sous  le  règne  de 
l'ignorance,  source  de  tous  les  désordres,  il  organise  l'instruction  publique, 
très-négligée  dans  ce  pays.  Bernard  réunit  des  hommes  dignes  et  capables 
à  la  cité  ;  il  fonde  des  écoles  dans  les  campagnes  ;  il  se  fait  un  devoir  de 
n'accepter  pour  cette  mission  que  des  hommes  vertueux  et  instruits  ;  par 
ses  visites  assidues,  il  rétablit  le  respect  qu'on  doit  aux  églises,  et  remet  en 
vigueur  la  discipline  ecclésiastique  par  l'observance  des  canons  et  par  la 
piété  dont  lui-môme  donne  l'exemple. 

Pendant  que  ce  saint  homme  marquait  ainsi  chaque  jour  par  quelques 
bonnes  œuvres,  il  apprend  les  désastres  que  l'idolâtrie  causait  très-fré- 
quemment sur  les  Alpes,  en  attaquant  les  voyageurs  et  les  pèlerins  qui  se 
rendaient  aux  tombeaux  des  saints  Apôtres,  par  les  deux  voies  romaines  qui 
existaient. 

L'une  de  ces  voies  établissait  la  communication  entre  la  vallée  d'Aoste 
et  la  haute  ïarenlaisc,  en  coupant  les  Alpes  grecques  par  la  montagne 
appelée  Colonne-Joux,  à  cause  d'une  colonne  consacrée  au  culte  de  Jupiter. 
L'autre  voie  traversait  les  Alpes  Pennines  et  conduisait  dans  le  Valais,  par 
un  col  étroit  et  difficile,  nommé  Mont-Joux.  Sur  cette  montagne  existait 
un  ancien  temple  païen  dans  lequel  on  adorait  encore  une  statue  de  Jupiter- 
Pennin  ;  l'Olympe  chassé  de  toute  part  s'était  réfugié  sur  ce  dernier  rempart 
où  il  se  croyait  inexpugnable. 

Les  voyageurs  qui  échappaient  à  la  violence  des  tempCtes  et  aux  rigueurs 
du  froid,  ainsi  qu'à  la  cruauté  des  brigands,  descendaient  à  la  cité  h  demi 
morts  de  fatigues  et  de  terreur  et  faisaient  un  tableau  effrayant  des  dangers 
qu'ils  avaient  courus  et  des  horribles  cruautés  éprouvées  par  leurs  frères 
victimes  des  monstres  qui  habitaient  ces  lieux. 

Bernard  ne  pu  résister  plus  longtemps  aux  mouvements  de  son  cœur; 
inspiré  par  cette  religion  sublime,  qui  ne  connaît  aucun  obstacle  quand  il 
y  a  des  larmes  à  essuyer,  il  prend  la  résolution  d'aller  planter  la  croix  au 
sommet  des  Alpes  et  d'y  dresser  une  tente  hospitalière.  L'entreprise  était 
périlleuse  ;  il  s'agissait  de  conquérir  un  désert  presque  inabordable  et  d'hu- 
maniser les  féroces  habitants  de  ce  dernier  repaire  de  l'idolâtrie.  On  sait 
combien  il  est  difficile  d'extirper  de  vieux  préjugés,  surtout  quand  l'igno- 
rance et  le  fanatisme  sont  liés  à  une  infâme  cupidité  ;  notre  Saint  ne  se 
laisse  point  abattre  par  toutes  ces  difficultés;  sa  grande  confiance  en  la 
Providence  lui  aplanit  toutes  les  voies  ;  sa  vie  même,  il  en  fait  le 
sacrifice. 

Nous  rapportons,  d'après  Richard  de  la  Val-d'Isère,  successeur  de  saint 
Bernard,  qui  fut  témoin  de  ses  miracles  sur  les  Alpes,  comment  il  apporta 
remède  à  lant  de  maux.  «  Ce  fut  à  la  suite  d'une  mission  que  saint  Bernard 
exécuta  son  dessein  ;  après  avoir  laissé  au  pied  de  la  montagne  l'évêque,  le 
clergé  et  le  peuple  qui  y  étaient  venus  en  procession,  il  monta  accompagné 
de  neuf  pèlerins  français  qui  avaient  été  cruellement  maltraités  à  leur  pas- 
sage sur  les  Alpes,  où  un  brigand  appelé  Procus,  adorateur  de  l'idole  et  sur- 
nommé le  Géant  h  cause  de  la  grandeur  de  sa  taille,  venait  de  leur  ravir  un  de 
leurs  compagnons,  comme  par  droit  de  dîme.  Arrivés  vers  l'idole,  au  pied  de 


38  Î5  JUIN. 

laquelle  était  le  Géant,  ce  monstre  de  cruauté  se  fit  voir  sous  la  forme  d'un 
dragon  prêt  à  les  dévorer  ;  mais  le  Saint,  ayant  fait  le  signe  de  la  croix,  en- 
treprend de  le  terrasser,  et  plein  d'un  zèle  intrépide  et  d'une  sainte  con- 
fiance, il  lui  jette  son  étole  au  cou,  qui  se  change  aussitôt  en  chaîne  de  fer, 
excepté  les  deux  bouts  qu'il  tenait  à  la  main.  C'est  ainsi  qu'un  zèle  accom- 
pagné de  la  prière  et  de  la  confiance  en  Dieu  désarme  l'enfer  ».  Les 
compagnons  de  saint  Bernard  le  mirent  aussitôt  à  mort.  On  conserve 
encore  les  deux  bouts  de  l'élole  de  saint  Bernard  dans  le  trésor  des  reliques 
de  l'abbaye  de  Saint-Maurice,  en  Valais  ;  de  là  cette  coutume  de  voir  par- 
tout saint  Bernard  représenté  tenant  le  démon  enchaîné.  Le  corps  de  ce 
monstre  d'iniquité  fut  mis  dans  une  grotte  près  du  monastère  ;  car,  en  creu- 
sant les  fondements  de  l'église  qui  subsiste  aujourd'hui,  on  déterra  une 
pierre  en  forme  de  sépulcre,  qui  portait  cette  épitaphe  :  Ci-gît  un  magicien^ 
appelé  Procus,  ministre  du  démon. 

Mais  notre  Saint,  peu  content  de  ses  victoires  s'il  ne  pouvait  en  assurer 
les  fruits  et  mettre  en  sûreté  ces  deux  montagnes,  crut  qu'il  était  néces- 
saire d'y  établir  un  asile  assuré  aux  voyageurs,  et  dans  cette  intention,  il 
jeta,  l'an  962,  les  fondements  des  deux  hôpitaux  qui  y  sont  encore  aujour- 
d'hui, appelés  de  son  nom  :  le  Grand  et  le  Petit-Saint-Bernard. 

Les  épargnes  qu'il  fit  sur  son  bénéfice,  et  les  pieuses  libéralités  de  l'évo- 
que d'Aoste  et  de  plusieurs  autres  personnes  vertueuses  lui  fournirent  des 
sommes  considérables  avec  lesquelles  il  mit  bientôt  les  deux  maisons  en 
état  de  recevoir  et  de  loger  tous  les  voyageurs.  Il  les  fit  habiter  et  desservir 
par  des  religieux,  sous  le  titre  et  la  Règle  des  chanoines  réguliers  de  saint 
Augustin,  tels  qu'ils  subsistent  encore  aujourd'hui.  Les  deux  maisons  éta- 
blies sur  les  ruines  de  l'idolâtrie  parurent,  au  jugement  de  tout  le  monde, 
d'un  si  grand  avantage  pour  la  sûreté  et  la  commodité  des  voyageurs  que, 
de  son  vivant  même,  on  lui  donna  le  nom  si  glorieux  d'Apôtre  des  Alpes  et 
de  père  des  pauvres.  L'idolâtrie  ne  put  tenir  devant  tant  de  charité  et  tant 
de  miracles  ;  il  convertit  môme  à  Jésus-Christ  un  riche  nommé  Polycarpe, 
qui  avait  élevé  l'escarboucle  à  Jupiter  sur  les  Alpes  grecques. 

En  peu  d'années  les  pieux  cénobites  de  saint  Augustin  firent  bénir  le 
nom  de  Bernard  dans  toute  l'Europe  ;  la  reconnaissance  des  voyageurs  ne 
se  borna  pas  à  une  stérile  admiration  :  les  princes  de  l'Eglise  et  les  grands 
de  la  terre  voulurent  s'associer  au  mérite  d'une  si  grande  œuvre,  pour 
offrir  à  Bernard  les  moyens  de  perpétuer  cet  établissement  de  charité  dans 
ces  lieux  où  règne  un  hiver  presque  perpétuel. 

La  haute  opinion  qu'on  avait  de  son  mérite  et  de  sa  sainteté  ne  lui  per- 
mettait phis  de  vivre  inconnu  ;  sa  grande  réputation  devint  pour  le  Saint  la 
cause  d'une  épreuve  assez  singulière  :  des  pèlerins  revenant  de  Rome  passè- 
rent à  Menthon,  oh  ils  furent  bien  reçus  ;  la  conversation  s'engagea  après 
le  souper  ;  le  baron  de  Menthon  interrogea  les  étrangers  sur  les  choses 
curieuses  qu'ils  avaient  observées  dans  leur  voyage  ;  ceux-ci  lui  exposèrent 
ce  qu'ils  avaient  vu  de  plus  intéressant,  et  en  particulier  ils  lui  firent  con- 
naître que  la  route  des  Alpes  commençait  à  être  bien  fréquentée:  que  le 
grand  vicaire  d'Aoste  procurait  à  tous  les  voyageurs  des  secours  de  toute 
espèce,  avec  une  charité  la  plus  admirable  ;  qu'eux-mêmes  avaient  été  très- 
bien  reçus  dans  les  maisons  hospitalières  qu'il  avait  fait  bâtir  au  point  le 
plus  élevé  de  la  Colonne-Joux  ;  en  un  mot,  que  le  personnage  passait 
partout  pour  un  juste  et  un  saint;  qu'il  avait  même  fait  des  prodiges  en 
renversant  une  idole  par  un  signe  de  croix,  en  terrassant  un  géant  et  en 
défendant  au  démon  de  ne  plus  faire  la  désolation  de  ce  pays  ;  qu'enfin  il 


8.    BERNARD   DE  MENTIION,    FONDATEUR   DES   HOSPICES   DU   SAINT-BERNARD.      'dd 

avait  détruit  l'idolâtrie  et  ramené  au  culte  du  vrai  Dieu  les  habitants  do  ces 
montagnes. 

Le  baron  et  la  baronne  de  Menthon,  qui  n'avaient  point  encore  cessé  de 
regretter  leur  (ils  unique,  résolurent  d'aller  auprès  de  cet  homme  extraor- 
dinaire, pour  le  prier  de  consulter  le  ciel  sur  le  sort  de  leur  enfant  perdu  ; 
le  baron  de  Beaut'ort  les  en  découragea  à  cause  de  leur  grand  âge  ;  mais  il 
était  réservé  à  eux-mêmes  de  découvrir  celui  qu'ils  pleuraient  depuis  tant 
d'années.  Arrivés  au  Mont-Joux,  avec  le  baron  de  Beanfort  qui  avait  voulu 
les  accompagner,  la  première  personne  qui  se  présenta  à  eux  fut  l'illustre 
archidiacre. 

Le  visage  angélique  du  Saint,  ses  manières  polies  et  honnêtes,  quoiqu'il 
y  eût  plus  de  vingt-six  ans  qu'il  eût  quitté  le  monde  ;  celte  charité  grande 
qui  embellissait  son  extérieur  les  remplit  de  l'espoir  qu'ils  apprendraient 
par  son  organe  ce  qu'était  devenu  leur  fils.  Quel  combat  pénible  pour  Ber- 
nard qui  a  reconnu  son  père  et  sa  mère  !  Quoique  maître  absolu  de  tousses 
sens,  la  nature  à  cette  occasion  ne  laissa  pas  de  réveiller  en  lui  des  senti- 
naents  que  la  vertu  la  plus  solide  ne  peut  étouder,  mais  peut  diflicilement 
dissimuler  ;  c'est  ce  que  fit  saint  Bernard.  Le  baron  de  Menthon  n'eut  rien 
de  plus  pressé  (jue  de  faire  part  à  l'archidiacre  du  sujet  de  leur  voyage  ;  il 
raconta  la  fuite  de  son  fils  unique,  leurs  regrets,  leurs  larmes,  qui  depuis 
plus  de  vingt-six  ans  n'avaient  pu  tarir  ;  et  après  bien  des  plaintes  :  «  Je 
m'aperçois  »,  conclut-il,  «  que  mes  souhaits  sont  inutiles  ;  et  puisque  c'est 
la  volonté  du  Seigneur,  que  ce  (ils  m'a  abandonné,  je  m'y  résigne  ;  si  au 
moins  je  le  savais  en  lieu  de  sûreté  ».  On  peut  diflicilement  se  faire  une  idée 
des  souilVances  que  dut  éprouver  le  Saint  en  entendant  répéter  les  al'llic- 
tions  qu'il  avait  causées  h.  ses  parents  par  sa  fuite,  et  quelle  violence  il  dut 
se  taire  pour  cacher  extérieurement  ce  qui  se  passait  au  fond  de  son  âme. 
o  Sans  doute  »,  leur  dit-il,  «  avec  la  plus  aimable  modestie,  c'est  le  ciel  qui 
a  inspiré  à  votre  111s  une  résolution  si  extraordinaire.  Gonsolez-voas  ;  espé- 
rez que  Dieu  le  ramènera  peut-être  au  moment  où  vous  y  penserez  le 
moins  ».  La  mère,  prenant  alors  la  parole,  s'écria  :  «  Que  je  plains  les 
mères  infortunées  qui  vont  quelquefois  jusqu'à  demander  au  ciel  des 
enfants  qui  doivent  causer  tant  de  chagrins  aux  auteurs  de  leurs  jours  !...  » 
L'archidiacre  lui  répond  :  «  Dieu  mit  le  cœur  d'Abraham  à  une  épreuve 
bien  plus  rude  ;  mais  la  foi  de  ce  patriarche  lui  rendit  son  fils.  Si  Dieu  a 
voulu  exiger  de  vous  un  sacrifice  de  ce  genre,  ne  murmurez  pas  contre  sa 
divine  Providence  :  le  chemin  de  la  croix  est  la  route  du  chrétien  ». 

Après  avoir  dit  ces  mots,  le  Saint  se  sépare  d'eux  et  va  se  prosterner  au 
pied  du  Crucifix.  Pendant  son  absence,  les  deux  étrangers  se  communiquent 
mutuellement  les  pressentiments  qui  s'étaient  emparés  de  leur  âme.  Les 
traits  du  vénérable  archidiaci'e  leur  avaient  rappelé  ceux  du  tendre  objet 
de  leur  amour...  Mais  ils  repoussent  une  idée  si  inconcevable...;  ils  gardent 
ensuite  le  silence,  et  leurs  larmes  continuent  d'exprimer  des  sentiments 
que  leurs  paroles  ne  peuvent  plus  rendre... 

Enfin,  l'homme  de  Dieu  rentre  dans  la  chambre  :  «  Consolez- vous  », 
leur  dll-il,  «  votre  fils  est  en  parfaite  sauté  :  il  ne  vous  a  abandonné  que 
pour  suivre  sa  vocation...  » 

Alors  ses  larmes,  ti'op  longtemps  comprimées,  coulent  en  abondance  ;  il 
n'est  plus  maître  des  élans  de  son  cœur.  Il  se  jette  au  cou  du  vieillard,  en 
disant:  C'est  moi  gui  suis  votive  fils  Bernard! —  «  0  mon  fils!  »  s'écrie 
son  père...  ;  et  sa  mère,  ivre  de  joie,  répète  :  «  0  mon  fils  !...  »  Elle  veut 
continuer,  mais  ses  paroles  expirent  sur  ses  lèvres...  Il  se  fit  un  instant  de 


40  15  jum. 

silence  que  la  plume  retrace  difficilement,  le  cœur  seul  pourra  ie  rendre. 

Cependant  le  baron  de  Beaufort,  qui  était  présent  à  celte  scène  atten- 
drissante, craignant  des  suites  fâcheuses  pour  la  tendresse  paternelle,  prit 
la  parole,  en  proposant  au  père  ainsi  qu'à  l'archidiacre  un  moyen  de  les 
consoler,  en  proposant  de  demander  un  évêché  pour  l'Apôtre  des  Alpes  ;  le 
Saint  lui  répondit  que  les  charges  et  surtout  les  dignités  éclatantes  de 
l'Eglise  le  faisaient  trembler  et  qu'il  refuserait  toujours,  comme  il  avait 
déjà  refusé  l'évêché  d'Aoste,  qui  lui  avait  été  offert  par  l'évoque  lui-même. 
Le  Saint  remercia  ses  parents  de  toutes  les  offres  les  plus  obligeantes  qu'ils 
lui  firent  ;  seulement,  comme  il  désirait  faire  prospérer  les  deux  établisse- 
ments qu'il  avait  fondés,  il  leur  demanda  seulement  de  l'aider  de  leur  for- 
tune pour  augmenter  le  revenu  de  ses  hôpitaux,  leur  déclarant  le  vœu  qu'il 
avait  fait  de  ne  changer  jamais  ni  d'état,  ni  de  pays. 

Après  avoir  donné,  pendant  quelques  jours,  un  libre  cours  à  l'effusion 
de  leurs  sentiments,  le  père  et  la  mère  de  saint  Bernard  revinrent  au  châ- 
teau de  Menthon,  admirant  les  voies  de  la  Providence  et  bénissant  Dieu 
comme  le  vieillard  Siméon,  quand  il  eut  vu  l'objet  de  ses  longs  désirs  ;  ils 
revirent  pleins  de  joie  et  de  consolation  leur  antique  demeure.  Désormais 
la  plainte  ne  s'élèvera  plus  au  fond  de  leur  cœur  ;  ils  ne  cesseront  d'unir 
leurs  voix  pour  célébrer  les  bienfaits  du  Seigneur  ;  trop  heuriux  d'avoir  un 
Saint  dans  leur  famille,  ils  s'efforceront  d'imiter  ses  vertus. 

Cependant  Bernard  continuait  ses  travaux  et  s'appliquait  'i  perfection- 
ner son  ouvrage  ;  ses  soins  les  plus  assidus  furent  appliqués  à  se  îormer  des 
disciples  dont  le  zèle  et  le  dévouement  fussent  à  l'abri  du  relâchement  et 
de  toutes  les  vicissitudes.  Il  se  transportait  alternativement  de  l'un  à  l'autre 
de  ses  deux  monastères,  pour  diriger  ses  confrères,  pour  les  consoler  et 
partager  leurs  travaux.  Sa  présence  seule  était  pour  eux  la  plus  efficace  de 
toutes  les  leçons.  Il  mettait  aussi  beaucoup  de  soins  à  suivre  les  règlements 
et  les  sages  constitutions  qui  donnent  la  stabilité  aux  établissements  et  en 
perpétuent  les  heureux  fruits.  Bernard  parlait  le  langage  de  la  foi  à  des 
cœurs  dociles  ;  le  feu  divin  qui  le  ccasumait  passa  dans  l'âme  de  ses  chers 
hospitaliers. 

Pendant  que  Bernard  travaillait  avec  tant  de  zèle  à  raffermir  son  œuvre, 
il  reçut  la  nouvelle  de  la  mort  de  ses  parents  ;  ce  fut  Germain,  son  ancien 
ami,  qui  fut  chargé  de  l'informer  de  cette  perte. 

Cette  nouvelle  toucha  vivement  notre  Saint  ;  mais  il  modéra  sa  douleur 
en  apprenant  qu'ils  étaient  morts  de  manière  à  vivre  avec  le  Seigneur  ;  il 
savait  aussi  se  résigner  à  la  volonté  de  Dieu  ;  il  ne  laissa  pas  néanmoins  de 
prier  tous  ses  prêtres  d'offrir  pendant  un  an  le  saint  sacrifice  de  la  messe 
pour  le  repos  de  leurs  âmes. 

N'ayant  plus  rien  qui  pût  l'attacher  à  la  terre,  saint  Bernard  se  livra 
plus  que  jamais  aux  soins  de  ses  hôpitaux.  Les  sommes  considérables  que 
les  héritiers  de  ses  parents  lui  envoyèrent,  et  les  fonds  qu'on  lui  assignait 
de  toutes  parts,  contribuèrent  même  à  recevoir  gracieusement  tous  les 
voyageurs.  Sur  ces  entrefaites,  un  gentilhomme  Anglais,  curieux  de  voir 
par  lui-môme  tout  ce  que  le  bruit  public  en  répandait,  passa  à  ces  hôpitaux, 
fit,  en  reconnaissance  de  la  charité  avec  laquelle  il  fut  reçu,  une  cession  de 
tout  ce  qu'il  possédait  et  finit  par  entrer  dans  l'Ordre. 

Malgré  l'attachement  particulier  du  Saint  pour  ses  établissements,  son  zèle 
ardent  pour  la  vérité  et  la  religion  le  poussa  à  partir  pour  la  Lombardie,  où 
des  hérésies  s'étaient  manifestées  ;  le  succès  couronna  l'entreprise  ;  il  obtint 
la  conversion  des  hérétiques.  C'est  alors  que,  prévoyant  qu'il  avait  besoin  de 


s.    BERNARD   DE   MENTHON,   FONDATEUR  DES  HOSPICES   DU   SAINT-BERNARD.      41 

la  confirmation  du  Saint-Siège  pour  assurer  l'existence  de  ses  hôpitaux,  il 
alla  k  Rome  l'an  996.  Le  pape  Grégoire  V  le  reçut  avec  l'affection  la  plus 
tendre  et  lui  accorda  plusieurs  privilèges  ;  il  lui  permit,  entre  autres,  de  rece- 
voir des  novices  à  la  profession  religieuse  pour  perpétuer  sa  congrégation 
naissante. 

De  retour  au  Mont-Joux,  Bernard  s'étudia  près  de  neuf  ans  à  former 
lui-môme  à  la  piété,  à  la  science,  et  surtout  à  la  pratique  de  la  charité,  une 
quantité  de  sujets  vertueux  qui  se  présentèrent  pour  le  noviciat  ;  il  leur  re- 
présentait avec  une  honte  et  une  douceur  insinuante  qu'étant  destinés  pat 
leur  état  de  chanoines  hospitaliers  à  passer  leurs  jours  à  loger  et  à  secourir 
les  étrangers,  la  charité  devait  être  leur  étude  continuelle.  Il  leur  donnait 
en  tout  l'exemple  :  il  recevait  les  passants  et  les  servait  lui-môme  ;  il  avait 
surtout  un  soin  tout  particulier  des  malades. 

Cependant  ses  forces  commençant  à  dmiinuer,  il  sentit  approcher  le 
terme  de  sa  carrière  ;  mais  Dieu,  qui  se  plaît  à  faire  connaître  ceux  qui 
cherchent  le  plus  à  se  cacher,  lui  réservait  une  autre  gloire  avant  sa  mort. 
Dans  une  ville  assez  considérahle,  deux  seigneurs  de  Novare,  bienfaiteurs 
distingués  de  ses  hôpitaux,  avaient  entre  eux  un  différend  qui  pouvait 
amener  leur  ruine  ;  notre  Saint  l'ayant  appris,  n'hésita  pas,  malgré  son  âge 
et  sa  faiblesse,  d'aller  les  réconcilier;  il  eut  encore  le  bonheur  de  réussir 
dans  cette  occasion.  Il  prôcha  même  dans  cette  ville,  au  monastère  Saint- 
Laurent,  avec  une  force  et  une  onction  merveilleuses.  Comme  il  se  dispo- 
sait à  retourner  à  ses  hôpitaux,  il  tomba  malade  ;  il  fît  appeler  aussitôt 
quelques-uns  de  ses  religieux  qui  se  rendirent  près  de  lui.  11  leur  donna 
alors  ses  derniers  avis,  leur  recommandant  de  fuir  toute  nouveauté  en  ma- 
tière de  religion,  de  rester  inviolablement  attachés  à  la  chaire  de  saint 
Pierre,  de  regarder  l'hospitalité  comme  un  devoir  sacré  qu'ils  ne  pouvaient 
négliger  sans  crime  ;  il  leur  défendit  même  de  laisser  jamais  bâtir  aucune 
auberge  sur  la  montagne,  parce  qu'elle  serait  directement  opposée  à  sa 
dernière  volonté,  et  qu  elle  empocherait  une  bonne  œuvre  telle  que  l'hospi- 
talité ;  il  leur  recommanda  encore  l'observance  exacte  de  la  Règle  de  saint 
Augustin,  qu'il  leur  avait  donnée,  et  de  faire  porter  son  corps  au  monastère, 
pour  être  enterré  dans  le  lieu  de  la  sépulture  des  voyageurs.  Puis  il  leur 
demanda  les  derniers  sacrements,  qu'il  reçut  avec  une  ferveur  et  une  piété 
admirables.  Il  récita  ensuite  les  psaumes  de  la  pénitence,  et,  voyant  les 
anges  descendre  au-devant  de  lui,  il  rendit  son  esprit  à  Dieu  pour  être 
associé  à  leur  bonheur,  le  28  mai  de  l'an  1008,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
cinq  ans,  dans  le  monastère  de  Saint-Laurent,  à  Novare,  en  Milanais. 

D'après  ces  dispositions,  son  modeste  héritage  appartenait  à  sa  Congré- 
gation et  son  corps  devait  reposer  dans  le  sépulcre  des  hôpitaux  ;  mais  les 
Bénédictins  de  Novare  retinrent  la  sainte  relique  dans  leur  monastère,  qui 
fut  ruiné  dans  la  suite  par  Charles  V,  en  1352.  De  là  le  corps  du  Bienheu- 
reux a  été  transféré  dans  l'église  cathédrale  de  Novare,  où  on  le  conserve 
avec  grande  vénération.  Son  chef  est  à  Mont-Joux,  au  diocèse  d'Aoste,  dans 
le  monastère  qui  porte  son  nom. 

A  peine  avait-il  quitté  la  terre,  que  l'admiration  et  la  reconnaissance  des 
peuples  lui  décerna  un  culte  religieux,  autorisé  d'ailleurs  par  des  prodiges 
incontestables  et  par  l'approbation  de  l'Eglise  ;  le  pape  Innocent  XI  le  fil 
inscrire  dans  le  catalogue  des  Saints,  l'an  1681. 

On  le  représente  :  1"  enchaînant  le  démon  près  de  la  montagne  qui  a 
pris  depuis  lors  le  nom  du  Saint.  Ce  pourrait  sembler  une  manière  de  dire 
qu'il  établit  le  culte  de  Notre-Seigneur  sur  cette  cime  où  les  idoles  avaient 


42  13  JUIN. 

été  honorées.  Peut-être  aussi  prétendrait-on  exprimer  de  la  sorte  les  nom- 
breux malheurs  et  pertes  d'hommes  auxquels  le  Saint  obvia  par  rétablisse- 
ment hospitalier  qu'il  institua  sur  une  route  si  dangereuse;  2°  enfermé 
dans  le  château  de  son  père,  où  il  est  délivré  par  saint  Nicolas,  qui  le  fait 
évader  par  la  fenêtre. 

NOTICE  SUR  LE  GRAND -SAINT-BERNARD. 

La  partie  des  Alpes,  où  est  situé  l'iiospice  du  Grand-Saiut-Bernard,  fut  connue  anciennement 
sous  le  nom  d'Alpes  Pennines  ou,  selon  quelques-uns,  Pœnines.  Ce  mot  parait  dérivé  de  Pennus, 
ancienne  divinité  adorée  dans  le  Valais.  Le  docteur  Schidner  prétend  qu'il  vient  de  Pœni,  Cartlia- 
ginois,  à  raison  de  leur  fameux  passage  des  Alpes.  On  l'appela  aussi  le  Mont-Joux,  à  cause  de 
Jupiter  à  qui  l'on  y  avait  érigé  un  temple.  Le  plateau  sur  lequel  est  assis  l'hospice  est  élevé  de 
1237  toises  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  suivant  MM.  de  Saussure  et  Pictet.  La  liauteur  moyenne 
du  baromètre  y  est  de  20  pouces  et  deux  lignes. 

A  partir  de  Martigny,  le  chemin  qui  conduit  au  Grand-SaintrBernard  a  huit  lieues  de  montée 
plus  ou  moins  rapide.  On  traverse  successivement  les  vallées  de  Saint-Brauclier,  d'Oisières,  de 
Lidder,  et  l'on  anive  au  bourg  de  Saint-Pierre.  11  est  impossible  de  rendre  les  impressions  diverses 
qu'éprouve  le  voyageur  au  milieu  de  ces  masses  gigantesques  de  rochers  qui  s'élèvent  sur  sa  tète. 
Des  torrents  impétueux  dont  les  eaux  se  brisent  à  grand  bruit  parmi  les  rocs,  à  des  profondeurs 
effrayantes;  de  vieux  arbres  à  demi  tombés  ou  roules  par  les  avalanches;  des  sites  enchanteurs 
que  vous  découvrez  tout  à  coup,  après  avoir  été  comme  perdu  dans  des  labyrinthes  ténébreux;  des 
abimes  sans  fond,  des  précipices  horribles,  un  vaste  silence,  tout  provoque  à  la  fois  l'admiratiou 
et  l'épouvante. 

Après  qu'on  a  quitté  le  bourg  de  Saint-Pierre,  on  voit  changer  tout  à  coup  le  spectacle  que 
présente  cette  route.  La  montée  devient  plus  rapide  et  la  nature  plus  sauvage  et  plus  ai  ide.  Bientôt 
on  n'aperçoit  plus  ni  sapin,  ni  chalet,  ni  culture.  On  découvre  des  amas  de  rocs  brisés  par  la 
foudre,  ou  rainés  et  usés  par  le  temps,  des  croix  qui  rappellent  le  souvenir  des  morts,  des  cimes 
qui  se  pcideul  dans  les  nues  :  on  entend,  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année,  les  vents  qui 
mugissent,  les  avalanches  qui  bruissent  et  glacent  d'effroi. 

Avant  d'arriver  à  l'Hospice,  on  traverse  une  dernière  vallée  qui  porte  le  nom  de  Vallée  des 
Morts.  Ou  y  rencontre  d'abord  un  petit  édifice  appelé  la  Chapelle  des  Morts;  il  est  destiné  à  rece- 
voir les  cadavres  des  infortunées  victimes  des  orages  et  du  froid.  Ensuite  on  parvient  à  un  autre 
bâtimeut  qui  seit  d'asile  à  ceux  qui  sont  assaillis  par  la  tourmente.  C'est  dans  ce  dernier  endroit 
que  le  Maronier,  ou  domestique,  se  rend  chaque  jour,  en  hiver,  portant  avec  lui  tout  ce  qui  est 
nécessaire  pour  secourir  les  voyageurs. 

Enfin,  l'on  arrive  à  l'Hospice  du  Grand-Sainl-Bernard,  situé  sur  un  plateau  qui  n'a  que  quelques 
toises  de  largeur.  Au  bas,  et  tout  près  de  l'Hospice,  du  côté  d'Aoste,  se  trouve  un  petit  lac  alimenté 
par  la  fonte  des  neiges.  A  peu  de  distance  du  monastère,  on  découvre  encore  les  débris  d'un  temple 
de  Jupiter.  Le  sol,  ou  plutôt  le  roc  n'est  découvert  que  durant  trois  mois  :  pendant  tout  le  reste 
de  l'année,  l'hiver  règne  dans  ces  hautes  régions.  Pour  toute  végétation,  on  y  voit,  dans  le  mois  de 
juillet,  quelques  mousses  et  quelques  chétifs  gazons.  Les  vents  souffient  avec  impétuosité  dans  cette 
gorge  resserrée  :  on  ne  peut  y  faire  croître  le  plus  petit  arbuste.  Tout  ce  qui  est  nécessaire  à  la 
vie  y  est  transporté  à  dos  de  mulet.  La  neige  y  tombe  en  telle  quantité  que  souvent  elle  cache 
presque  enliereuieut  l'hospice.  C'est  là  le  séjour  des  eufants  de  Bernard  de  Menlhon. 

La  cougiégalion  est  composée  d'un  prévôt,  d'un  prieur,  d'un  chantre,  d'un  sacristain,  d'un  pro- 
cureur et  de  queli|ues  autres  chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin.  Leur  habit  ordinaire  est  celui 
des  prêtres  séculiers,  à  l'exceptioil  d'une  écharpe  étroite  de  toile  blanche  qu'ils  portent  constam- 
ment. De  vigoureux  domestiques,  suivis  de  chiens  dont  l'instinct  est  presque  l'intelligence,  vont, 
chaque  jour,  pendant  ces  longs  hivers,  à  une  grande  distance  du  couvent.  Les  religieux  se  trans- 
portent aussi  sur  divers  points,  ou  pour  observer  du  haut  de  quelque  roche,  ou  pour  fouiller  des 
monceaux  de  neige  et  enlever  les  cadavres  ensevelis,  ou,  enfin,  pour  conduire  et  transporter  même, 
au  besoin,  les  voyageurs  à  l'Hospice.  Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail  des  soins  touchants  qu'ils 
leur  prodiguent.  L'on  conviendra,  dit  M.  de  Saussure,  dans  son  Histoire  des  Alpes,  qu'il  n'y  a  que 
l'aspect  des  récompenses  de  l'avenir  qui  puisse  engager  des  hommes  d'une  condition  honnête  à  se 
vouer  à  un  genre  de  vie  aussi  triste  et  aussi  pénible. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  compdser  cette  vie.  d'une  brochure  intitule'e  :  Vie  de  saint  Bernard  de 
Menlhon,  Ci/oire  du  ai^jl-»  et  /onUaiùur  de»  /iOàpices  <i-i  Saint- Bernard.  Annecy,  1852- 


SAINTE   GERMAINE   COUSIN,    VIERGE,    BERGÈRE   DE   PIBRAC.  43 

SAINTE  GERMALNE  COUSIN,  YIERGE, 

BERGÈRE   DE   PIBRAG 
£579-1601.  —  Papes  :  Grégoire  XIII;  Clément  VIII.  —  Rois  de  France  :  Henri  III;  Ilenri  IV. 

Familiaris  est  Donùnus  simpUcibus,  quitus  non  dedi- 
gnatur  arcana  sua  revelare. 

Dieu  aime  les  âmes  simples  ;  il    ne  dédaigne  pas  da 
leur  re'véler  ses  mystères. 

S.  Albert  le  Grand,  De  Parad.  animx. 

Germaine  Cousin  naquit  à  Pibrac,  petit  village  à  quinze  kilomètres  de 
Toulouse,  vers  l'an  1579.  Son  père  était  un  pauvre  cultivateur,  auquel  la 
tradition  donne  le  nom  de  Laurent,  et  sa  mère  s'appelait  Marie  Laroche; 
mais  leurs  mœurs  honnêtes  et  leur  ardente  piété  remplaçaient  les  biens  ter- 
restres dont  ils  étaient  dénués.  L'enfant  qui  venait  accroître  cette  famille 
indigente  parut,  dès  les  premiers  instants,  vouée  à  la  souffrance  et  aux  afllic- 
tions.  Elle  apportait  en  naissant  de  cruelles  infirmités,  étant  percluse  de  la 
main  droite  et  atteinte  de  scrofules.  A  peine  sortie  du  berceau,  elle  devint 
orpheline  ;  Dieu  lui  retira  sa  mère.  Son  père  ne  tarda  pas  à  se  remarier,  et 
il  eut  des  enfants  de  sa  seconde  femme.  Celle-ci,  comme  il  arrive  presque 
toujours,  au  lieu  de  prendre  en  pitié  l'orpheline  que  la  Providence  lui  con- 
fiait, n'eut  pour  elle  que  des  regards  de  haine  et  de  mépris,  auxquels  elle 
joignit  bientôt  les  plus  barbares  traitements.  Ainsi  notre  Bienheureuse,  déjà 
pauvre,  intirme,  orpheline,  fut  placée  sous  le  joug  d'une  marAtre  cruelle. 
Ce  furent  là  les  premières  grâces  de  Dieu,  qui  jeta  tout  de  suite  dans  le 
creuset  l'or  de  cette  belle  âme,  pour  en  tirer  le  trésor  dont  il  voulait  enri- 
chir la  terre  et  le  ciel.  Voilà  l'école  où  Germaine  apprit  de  bonne  heure 
l'humilité,  la  patience  et  les  autres  vertus.  Elle  aima  la  douleur  comme  une 
sœur  née  avec  elle,  placée  avec  elle  dans  son  berceau,  et  qui  fut  sa  constante 
et  unique  compagne  depuis  son  premier  cri  jusqu'à  son  dernier  soupir. 

Sous  prétexte  que  c'était  un  grand  danger  pour  leurs  autres  enfants  de 
vivre  avec  une  scrofuleuse,  sa  marâtre  persuada  à  son  mari  de  la  tenir  éloi- 
gnée de  la  maison,  en  lui  confiant  la  garde  des  troupeaux.  A  peine  sortie  de 
l'enfance,  elle  remplit,  jusqu'à  la  tin  de  sa  vie,  l'humble  fonction  de  bergère. 

Dans  ce  métier  où  l'on  vit  trop  souvent  avec  soi-même,  ou  presque  tou- 
jours avec  les  mêmes  personnes,  Germaine  vivait  continuellement  avec 
Dieu  :  aussi,  loin  de  perdre  son  innocence,  comme  beaucoup  d'enfants,  ou 
de  rester  dans  l'ignorance  des  choses  spirituelles,  elle  trouvait  dans  la  soli- 
tude une  source  de  lumière  et  de  bénédiction.  Le  grand  Dieu  qui  se  cache 
aux  savants  et  aux  superbes,  mais  qui  prend  plaisir  à  se  révéler  aux  petits 
et  aux  humbles,  se  faisait  entendre  à  son  cœur.  Elle  sut  de  bonne  heure  ce 
que  n'apprennent  jamais  ceux  qui  ne  lui  demandent  pas  de  les  instruire. 
Entourée  des  créatures  de  Dieu,  elle  les  entendait  louer  Dieu  :  tous  les  mou- 
vements de  son  cœur  s'unissaient  à  leur  cantique  éternel.  Le  monde  n'avait 
plus  rien  à  enseigner  à  cette  ignorante  qui  connaissait  Dieu,  et  rien  à  don- 
ner à  cette  indigente  qui  aimait  Dieu.  Prévenue  d'une  telle  grâce,  la  soli- 
tude que  lui  imposait  sa  profession  lui  devint  délicieuse,  non  pas  tant  parce 


44  '15  JUIN. 

qu'elle  y  était  à  l'abri  des  duretés  et  des  mauvais  traitements  de  sa  marâtre, 
que  parce  qu'elle  y  jouissait  de  la  présence  de  celui  que  son  cœur  cherchait 
seul.  Elle  devait  dire  comme  un  Père  du  désert  :  0  beata  solitudo!  0  sola 
beatitudo  /  «  0  bienheureuse  solitude  !  0  seul  bonheur!  » 

A  l'exemple  des  plus  grands  Saints,  elle  se  créait  une  retraite  dans  la  re- 
traite même.  Jamais  on  ne  lui  vit  rechercher  la  compagnie  des  autres  jeunes 
bergères  :  leurs  jeux  ne  l'attiraient  point,  et  leurs  rires  ne  troublaient  point 
son  recueillement.  Si  quelquefois  elle  parlait  aux  filles  de  son  âge,  c'était 
pour  les  exhorter  doucement  à  se  souvenir  de  Dieu.  Soumise  aux  ordres  de 
la  Providence,  elle  s'occupait  uniquement  de  donner  à  Dieu,  d'une  manière 
toujours  plus  parfaite,  ce  qu'il  voulait  d'elle  dans  l'état  où  sa  main  miséri- 
cordieuse et  sage  l'avait  placée.  Elle  estimait  sa  pauvreté  et  ses  infirmités 
comme  des  moyens  de  salut.  Exposée  aux  rigueurs  des  saisons,  elle  y  voyait, 
elle  y  bénissait  des  occasions  de  pénitence.  Après  que  Dieu  lui  eut  témoigné 
sa  complaisance  en  suspendant  pour  elle,  pauvre  petite,  les  lois  ordinaires 
de  la  nature,  elle  ne  le  pria  point  de  guérir  un  seul  des  maux  qui  l'acca- 
blaient. Il  lui  sembla  meilleur,  quand  Dieu  l'aimait,  de  rester  dans  le  rebut 
du  monde,  et  de  garder  ce  fardeau  de  misère  qui  la  détachait  d'elle-même. 
Elle  ne  supportait  pas  avec  moins  de  constance  et  de  résignation  les 
peines  bien  autrement  sensibles  qui  atteignaient  son  cœur.  Il  n'y  avait  rien 
pour  elle  dans  le  cœur  de  son  père,  qui  aurait  dû,  par  ses  caresses,  lui  faire 
oublier  les  duretés  de  sa  marâtre  :  on  ne  lui  faisait  point  sa  place  au  foyer  : 
loin  de  satisfaire  en  rien  le  plus  grand  besoin,  celui  d'être  aimé  sous  le  toit 
qui  nous  a  vu  naître,  à  peine  lui  accordait-on  dans  la  maison  paternelle  un 
asile  et  un  abri.  La  marâtre,  toujours  irritée,  la  renvoyait  dans  quelque 
coin  et  la  réduisait  à  prendre  son  repos  dans  l'étable  ou  sur  un  tas  de  sar- 
ments, au  fond  d'un  couloir.  Peu  satisfaite  de  tant  de  dureté,  cette  femme, 
par  un  caprice  de  son  humeur  méchante,  défendait  encore  à  Germaine 
d'approcher  les  autres  enfants  de  la  famille,  ses  frères  et  ses  sœurs,  qu'elle 
aimait  tendrement,  cherchant  toutes  les  occasions  de  les  servir,  sans  té- 
moigner aucune  jalousie  des  préférences  odieuses  dont  ils  étaient  l'objet  et 
elle  la  victime. 

Dieu  lui  apprenait  à  aimer  assez  les  souffrances  pour  accepter  avec  joie 
les  humiliations  et  les  injustices.  Elle  se  taisait  et  se  cachait  :  et  comme  si  sa 
croix  lui  eût  paru  encore  trop  légère,  elle  y  ajoutait  des  austérités.  Elle  se 
refusa  durant  toute  sa  vie  toute  autre  nourriture  qu'un  peu  de  pain  et  d'eau. 
Malgré  sa  faiblesse  et  ses  incommodités,  elle  assistait  tous  les  jours  au  saint 
sacrifice  de  la  messe.  Les  obligations  même  de  son  état  ne  l'en  dispensaient 
pas.  Pleine  de  confiance,  elle  laissait  son  troupeau  dans  la  campagne  et 
et  courait  se  réfugier  aux  pieds  du  divin  Pasteur.  Une  telle  conduite  eût  été 
blâmable  en  beaucoup  d'autres,  et  ceux-là  ont  une  dévotion  mal  entendue, 
qui,  pour  la  satisfaire,  négligent  les  devoirs  de  leur  état.  Mais  Germaine  ne 
faisait  qu'obéir  à  l'inspiration  de  Dieu  ;  elle  savait  qu'aucun  accident  n'ar- 
riverait à  son  troupeau  et  que  le  bon  Dieu  le  garderait  en  son  absence  ; 
aussi,  môme  lorsque  ses  moutons  paissaient  sur  la  lisière  de  la  forêt  de 
Boucône,  riveraine  des  champs  de  Pibrac,  et  dans  laquelle  les  loups  sont  en 
grand  nombre,  notre  sainte  bergère,  au  son  de  la  cloche,  plantait  en  terre 
sa  houlclle  ou  sa  quenouille  et  courait  à  l'appel  de  celui  qui  a  dit  :  «  Ne 
craignez  rien,  petit  troupeau,  je  serai  avec  vous  ».  A  son  retour,  elle  retrou- 
vait ses  moutons  où  elle  les  avait  laissés,  tranquilles  et  en  sécurité  comme 
au  bercail  ;  jamais  les  loups  ne  lui  en  enlevèrent  un  seul,  et  jamais  ce  trou- 
peau, gardé  par  la  quenouille  de  la  bergère  absente,  ne  s'écarta  des  limites 


SAINTE    GERM.VrNE   COUSIN,    VIERGE,    BERGÈRE   DE   PIDRAC.  45 

qu'elle  lui  avait  marquées,  ni  ne  causa  le  moindre  dommage  dans  les  champs 
voisins.  El,  comme  Dieu  s'était  plu  à  bénir  les  troupeaux  de  Laban,  sous  la 
conduite  de  son  serviteur  Jacob,  de  même  il  bénissait  celui  que  conduisait 
sa  servante  GiM-inaine.  Dans  tout  le  village,  il  n'y  en  avait  pas  de  plus  nom- 
breux, il  n'y  en  avait  pas  de  plus  beau.  La  marâtre  n'en  prenait  pas  moins 
occasion  des  absences  de  noire  Bienheureuse  pour  l'accabler  de  reproches 
et  d'injures,  malgré  les  remontrances  des  habitants  de  Pibrac,  plus  d'une 
fois  témoins  du  prodige  qui  enveloppait  le  troupeau  quand  l'innocente  ber- 
gère était  à  l'église. 

Sainte  Germaine  avait  une  dévotion  d'autant  plus  grande  au  samt  Sacre- 
ment de  nos  autels,  qu'elle  devait  connaître  les  sacrilèges  que  les  protes- 
tants commettaient  de  tous  côtés  dans  les  églises  des  environs  :  on  peut 
supposer  qu'elle  était  dévorée  d'une  sainte  ardeur  de  réparer  tant  d'ou- 
trages, en  pleurant  aux  pieds  de  son  Sauveur,  sur  l'aveuglement  de  ceux  qui 
méconnaissent  les  excès  de  son  amour.  Elle  n'était  pas  moins  assidue  à  re- 
courir au  sacrement  de  la  Pénitence,  pour  recevoir  avec  plus  de  fruit  le 
corps  et  le  sang  de  Notre-Seigneur  :  persuadée  de  la  nécessité  de  ses  secours 
pour  quiconque  veut  suivre  avec  constance  et  fermeté  la  voie  de  lajustice, 
on  la  voyait  s'en  approcher  chaque  dimanche  et  chaque  fôte  de  l'année.  La 
ferveur  avec  laquelle  elle  recevait  la  sainte  comuiunion  offrait  un  spectacle 
si  touchant,  que  ceux  qui  la  voyaient  en  étaient  ravis,  et  que  l'impression 
n'en  put  être  effacée  par  une  longue  suite  d'années.  Dès  son  bas  âge  elle 
avait  donné  des  preuves  de  cette  tendre  et  solide  piété  envers  la  Mère  de 
Dieu,  qui,  selon  la  doctrine  des  saints  Pères,  est  une  marque  de  prédesti- 
nation. Son  chapelet,  qu'elle  récitait  souvent,  était  son  seul  livre.  Elle  trou- 
vait dans  VAve  Maria  une  source  intarissable  de  lumières,  de  consolations 
et  de  ravissements.  Elle  le  prononçait  encore  d'un  cœur  plus  tendre  aux 
heures  où  l'airain  sacré  nous  invile  i\  saluer  avec  l'ange,  avec  sainte  Elisa- 
beth et  avec  l'Eglise,  Mane  pleine  de  grâce.  Au  premier  son  de  la  cloche,  elle 
se  mettait  à  genoux,  en  quelque  lieu  qu'elle  se  trouvât.  On  la  vit  souvent 
s'agenouiller  ainsi  au  milieu  de  la  neige  et  de  la  boue,  sans  prendre  le 
temps  de  chercher  une  meilleure  place,  et  si  la  cloche  se  faisait  entendre 
dans  le  moment  qu'elle  traversait  le  ruisseau  qui  arrose  le  territoire  de 
Pibrac,  sans  hésiter,  elle  tombait  i\  genoux  dans  l'eau  et  faisait  sa  prière. 
Toutes  les  fêtes  de  la  Reine  des  saints  augmentaient  la  ferveur  de  Germaine  : 
elle  s'appliquait  à  les  sanctifier  par  quelques  œuvres  de  piété  cl  de  péni- 
tence. Une  de  ces  œuvres  que  lui  inspirait  Tamour  de  Jésus  et  de  ÀLarie 
était  de  réunir  autoiu-  d'elle,  quand  elle  le  pouvait,  quelques-uns  des  petits 
enfants  du  village.  Elle  s'appliquait  fi  leur  faire  comprendre  les  vérités  de 
la  religion,  et  leur  persuadait  doucement  d'aimer  ce  qu'elle  aimait  elle- 
même  uniquement. 

Comme  elle  cherchait  en  tout  les  intérêts  de  son  Sauveur  et  non  les 
siens  propres,  le  monde,  qui  fait  le  contraire,  devait  s'indigner  de  trouver 
en  elle  la  condamnation  de  ses  maximes  et  de  sa  conduite  :  il  rit  de  sa  sim- 
plicité et  tâcha  de  la  décourager  par  ses  railleries  ;  mais,  à  l'exemple  de 
son  Sauveur,  elle  n'opposa  que  le  silence  et  la  prière  à  ses  ennemis.  En  ré- 
compense, le  ciel  voulut  montrer  par  des  miracles  combien  celte  tille  si 
pauvre  et  si  délaissée  lui  était  agréable. 

Pour  se  rendre  à  l'église  du  village,  elle  était  obligée  de  traverser  un 
ruisseau  qu'elle  passait  à  gué,  sans  difficulté,  dans  les  temps  ordinaires, 
mais  que  les  pluies  d'orage  rendaient  quelquefois  infranchissable.  Un  jour, 
des  paysans,  qui  la  voyaient  venir  de  loin,  s'arrêtèrent  à  quelque  dislance, 


46  15  JUIN. 

se  demandant  entre  eux,  d'un  ton  railleur,  comment  elle  passerait  :  car  la 
nuit  avait  été  pluvieuse,  et  le  ruisseau,  extrêmement  gonflé,  roulait  avec 
fracas  ses  eaux  qui  auraient  opposé  une  barrière  à  l'homme  le  plus  vigou- 
reux. Germaine  arrive  sans  songer  à  l'obstacle,  peut-être  sans  le  voir;  elle 
approche  :  ô  merveille  de  la  puissance  et  de  la  bonté  divines  I  les  eaux 
s'ouvrent  devant  elle,  comme  autrefois  devant  les  enfants  d'Israël,  et  elle 
passe  sans  mouiller  seulement  sa  robe.  A  la  vue  de  ce  prodige,  que  Dieu 
renouvela  dans  la  suite  très-souvent,  les  paysans  s'entre-regardèrent  avec 
crainte,  et  les  plus  hardis  commencèrent  à  respecter  celle  dont  ils  avaient 
voulu  se  railler. 

Si  quelqu'un  sur  la  terre  pouvait  se  croire  dispensé  d'exercer  la  charité 
en  faisant  l'aumône,  c'était  notre  Bienheureuse.  Certes,  elle  n'avait  point 
de  superflu  à  donner,  puisque  le  nécessaire  même  lui  manquait.  Quelle 
convoitise  à  retrancher  dans  cette  vie  de  privation  et  de  pénitence  ?  Quelle 
épargne  faire  sur  les  fruits  du  travail  pour  lequel  elle  ne  recevait  qu'un 
peu  de  pain  et  d'eau,  des  injures  et  des  mauvais  traitements  ?  Mais,  d'un 
autre  côté,  comment,  en  voyant  un  pauvre,  n'aurait-elle  pas  vu  dans  ce 
pauvre  Jésus  soufl'rant  ?  et  comment  aurait-elle  pu  voir  dans  les  souffrances 
celui  qui  l'avait  aimée  jusqu'à  la  mort,  sans  le  secourir  ?  Elle  partageait 
son  pain  avec  lui  dans  la  personne  des  pauvres.  Ses  pieuses  libéralités,  que 
Dieu  multipliait  peut-être,  rendirent  sa  fidélité  suspecte  :  on  l'accusa  de 
voler  le  pain  de  la  maison.  Sa  marâtre  la  crut  aisément  coupable  et  n'en 
demanda  pas  davantage  pour  la  traiter  avec  la  dernière  rigueur.  Un  jour, 
pendant  la  plus  grande  rigueur  de  l'hiver,  elle  apprend  ou  croit  s'aperce- 
voir que  notre  Sainte  avait  emporté,  dans  son  tablier,  quelques  petits  mor- 
ceaux de  pain.  Elle  court  aussitôt  après  elle,  pleine  de  fureur,  un  bâton  à 
la  main  et  gesticulant  déjà,  lui  jetant  des  injures  avant  d'avoir  pu  l'at- 
teindre. Deux  habitants  de  Pibrac,  qui  cheminaient  de  ce  côté,  voyant  cette 
femme  hors  d'elle-même,  devinèrent  son  projet  et  la  suivirent  en  doublant 
le  pas,  dans  le  charitable  dessein  d'arrêter  les  coups  prêts  à  tomber  sur 
l'innocente  victime.  Ils  rejoignent  donc  la  marâtre,  et  apprenant  le  sujet  de 
son  emportement,  ils  arrivent  avec  elle  auprès  de  Germaine  :  on  ouvre  son 
tablier;  mais,  au  lieu  de  pain  qu'on  y  croyait  trouver,  il  n'en  tomba  que 
de  belles  et  fraîches  fleurs  nouées  en  bouquet.  Le  sol  de  Pibrac  n'en  avait 
jamais  produit  de  semblables,  et  d'où  pouvaient-elles  venir  dans  cette  ri- 
goureuse saison,  sinon  du  ciel  ?  Saisis  d'admiration,  les  témoins  de  ce  mi- 
racle allèrent  aussitôt  dans  Pibrac  publier  ce  qu'ils  venaient  de  voir.  Depuis 
cette  époque  on  ne  la  regarda  plus  que  comme  une  Sainte.  Son  père,  pre- 
nant des  sentiments  plus  tendres,  défendit  à  sa  femme  de  la  maltraiter  da- 
vantage et  voulut  lui  donner  place  dans  sa  maison  avec  ses  autres  enfants. 
Mais  l'humble  bergère  refusa  une  telle  faveur;  elle  le  pria  de  la  laisser  dans 
le  lieu  obscur  où  l'avait  confinée  sa  marâtre. 

Après  l'avoir  ainsi  sanctifiée  par  l'humiliation  et  les  souffrances,  Dieu  la 
retira  de  ce  monde  lorsque  les  hommes,  devenus  plus  équitables,  commen- 
çaient à  rendre  à  sa  vertu  les  honneurs  qu'elle  méritait.  Un  matin,  son  père 
ne  l'ayant  pas  vue  sortir  comme  à  l'ordinaire,  alla  l'appeler  sous  l'escalier 
où  elle  avait  voulu  continuer  de  prendre  son  repos.  Elle  ne  répondait 
point;  il  entra  et  la  trouva  morte  sur  son  lit  de  sarments.  Elle  s'était  sans 
doute  endormie  dans  la  prière.  Dieu  l'avait  appelée  :  a  Venez,  ma  douce 
colombe  »  ;  —  Veni,  columba  mea,  lui  avait-il  dit,  et  son  âme  était  partie 
vers  son  Bien- Aimé,  qui  lui  adressait  de  si  tendres  invitations.  Ce  fut  l'an 
4C0J,  vers  le  commencement  de  l'été.  Elle  avait  vingt-deux  ans. 


SAINTE   GERMAIiNE   COUSIN,   VIERGE,    BERGÈRE  DE   PIDRA.G.  47 

La  nuit  môme  de  sa  mort,  deux  religieux  allant  vers  Pibrac,  surpris  par 
l'obscurité,  avaient  été  obligés  de  se  reposer  parmi  les  ruines  du  vieux  châ- 
teau des  anciens  seigneurs  de  Pibrac,  situé  sur  la  route  qui  conduisait  à  la 
demeure  des  parents  de  la  servante  de  Dieu  et  d'y  attendre  le  jour.  Au  mi- 
lieu des  ténèbres,  ils  virent  passer  deux  jeunes  filles,  velues  de  blanc,  qui 
se  dirigeaient  vers  la  ferme;  quelques  instants  après,  l'apparition  reprit  le 
même  chemin,  mais  au  milieu  des  deux  vierges  il  y  en  avait  une  autre, 
vêtue  aussi  de  blanc  et  couronnée  de  fleurs.  Etonnés  de  celte  vision,  les 
deux  religieux  pensèrent  qu'une  âme  sainte  avait  quitté  la  terre.  Le  lende- 
main, au  point  du  jour,  les  religieux  entraient  dans  le  village  :  ils  deman- 
dèrent si  quelqu'un  était  mort  ;  il  leur  fut  répondu  négativement,  car  on 
ignorait  encore  que  Dieu  eût  appelé  à  lui  la  pieuse  Gerniaine.  A  la  nou- 
velle de  sa  mort,  la  foule  accourut  la  voir;  les  funérailles  furent  célébrées 
au  milieu  d'un  immense  concours  de  peuple  :  on  voulut  honorer  celle  qu'on 
avait  trop  longtemps  méprisée  et  trop  tard  connue. 

Elle  fut  enterrée  dans  l'église  paroissiale  de  Pibrac,  suivant  l'usage  de 
cette  époque,  en  face  de  la  chaire.  Toutefois,  sa  place  n'eut  rien  qui  la  dis- 
tinguât des  autres,  et  ne  fut  marquée  par  aucune  inscription.  Le  souvenir 
de  ses  bons  exemples  et  de  ses  vertus  ne  périt  point  parmi  les  habitants  de 
Pibrac.  Mais  ceux  qui  l'avaient  connue  disparaissaient  peu  à  peu;  on  oublia 
la  place  où  elle  reposait,  iorsqu'enfin  il  plut  à  Dieu  de  manifester  haute- 
ment la  gloire  de  son  humble  servante  et  de  lui  donner  en  quelque  sorte 
une  vie  nouvelle.  Ce  fut  vers  l'an  1644,  à  l'occasion  de  l'inhumation  d'une 
de  ses  parentes,  nommée  Endoualle  :  le  sonneur,  se  disposant  à  creuser  la 
fosse  dans  l'église,  avait  à  peine  levé  le  premier  carreau,  qu'un  corps  ense- 
veli se  montra.  Aux  cris  que  poussa  cet  homme,  effrayé  de  trouver  un  ca- 
davre, quelques  personnes,  venues  pour  entendre  la  messe,  accoururent 
près  de  lui;  elles  virent  et  elles  ont  constaté  que  le  corps  était  à  fleur  de 
terre,  et  que  l'endroit  du  visage,  qui  avait  été  touché  par  la  pioche,  ofl'rait 
l'aspect  de  la  chaire  vive. 

Le  bruit  de  cet  étrange  événement  s'étant  aussitôt  répandu,  les  habitants 
du  village  vinrent  en  foule  à  l'église  pour  voir,  par  eux-mêmes,  ce  qu'on 
leur  avait.annonc-é.  Alors,  et  en  présence  de  tout  le  peuple,  ce  corps,  qui 
n'avait  pu  que  par  miracle  être  ainsi  élevé  presque  sur  la  surlace  du  sol,  fut 
découvert  entièrement.  On  le  trouva  entier  et  préservé  de  la  corruption  : 
les  membres  étaient  attachés  les  uns  aux  autres  et  couverts  même  de  l'épi- 
derme.  La  chair  paraissait  sensiblement  molle  en  plusieurs  parties;  les 
ongles  des  pieds  et  des  mains  étaient  parfaitement  adhérents  :  la  langue 
même  et  les  oreilles,  desséchées  seulement,  étaient  conservées  comme  le 
reste.  Les  linges  et  le  suaire  qui  revêtaient  ces  restes  précieux,  avaient  pris 
la  couleur  de  la  terre;  mais  ils  n'avaient  pas  été  plus  atteints  que  le  corps 
lui-même.  Les  mains  tenaient  un  petit  cierge  et  une  guirlande  formée 
d'oeillets  et  d'épis  de  seigle.  Les  fleurs  n'étaient  que  légèrement  fanées,  les 
épis  n'avaient  rien  perdu  de  leurs  couleurs;  ils  contenaient  encore  leurs 
grains,  frais  comme  au  temps  de  la  moisson.  A  l'une  des  mains  se  remar- 
quait une  diflbrraité,  et  le  cou  portait  des  cicatrices;  à  ces  signes,  tous  les 
anciens  de  la  paroisse  publièrent  que  c'était  là  le  corps  de  Germaine  Cou- 
sin, morte  depuis  quarante-trois  ans,  qu'ils  avaient  eux-mêmes  connue  et 
dont  ils  avaient  vu  les  funérailles.  Tous  les  souvenirs  aussitôt  se  réveillèrent  : 
la  miraculeuse  apparition  et  la  miraculeuse  conservation  de  ce  corps  n'é- 
tonnèrent plus  personne.  On  le  plaça  debout,  près  de  la  chaire  de  l'église, 
et  il  y  fut  laissé  dans  la  même  situation^  exposé  à  la  vue  de  tout  le  monde. 


48  15  JUIN. 

jusqu'à  ce  qu'un  nouveau  miracle  donna  lieu  de  le  placer  plus  décemment. 
Vers  l'an  1645,  dame  Marie  de  Clément  Gras,  épouse  de  noble  François 
de  Beauregard,  éprouvant  quelque  sentiment  de  répulsion  pour  ce  corps 
qui  était  placé  près  du  banc  qu'elle  occupait  dans  l'église,  avait  ordonné 
qu'on  l'éloignât.  Peu  de  temps  après,  cette  dame  fut  affligée  d'un  ulcère  au 
sein,  et  sonenfant  unique,  qu'elle  nourrissait,  devint  malade  et  fut  bientôt 
à  la  dernière  extrémité.  Les  médecins  et  les  chirurgiens  de  Toulouse,  qu'elle 
fit  venir  à  diverses  reprises,  ne  purent  donner  aucun  soulagement  à  ses  ex- 
trêmes souffrances.  Son  mari  alors  lui  rappela  le  mépris  qu'elle  avait  témoi- 
gné pour  le  corps  de  Germaine,  et  lui  dit  que  peut-être  Dieu  s'en  était 
offensé  et  voulait  la  punir  parce  mal  cruel  dont  elle  souffrait.  A  ces  paroles, 
la  dame  de  Beauregard,  rentrant  en  elle-même,  s'agenouilla  humblement 
et  demanda  pardon. 

Le  pardon  ne  se  fit  pas  longtemps  attendre.  Durant  la  nuit  suivante,  la 
malade,  s'éveillant  tout  à  coup,  vit  dans  sa  chambre  une  grande  clarté  et 
crut  môme  reconnaître  la  bienheureuse  Germaine,  qui  l'assurait  de  sa  gué- 
rison  et  de  celle  de  son  enfant.  Pleine  de  joie,  elle  appela  ses  domestiques 
et  leur  dit  ce  qui  venait  de  se  passer;  jetant  ensuite  les  yeux  sur  la  plaie, 
elle  la  trouva  déjà  presque  entièrement  fermée.  Elle  se  fit  apporter  aussitôt 
son  fils,  et  l'enfant,  parfaitement  guéri,  suça  abondamment  le  lait  qu'il  re- 
fusait depuis  plusieurs  jours. 

Dès  le  lendemain,  la  dame  de  Beauregard  se  rendit  à  l'église,  où  elle 
répara  publiquement  l'outrage  qu'elle  avait  fait  aux  restes  de  la  bienheu- 
reuse Germaine.  Pénétrée  en  même  temps  de  reconnaissance,  elle  offrit 
une  caisse  de  plomb  pour  recevoir  ce  corps  saint.  Le  curé  et  les  plus  no- 
tables habitants  y  enfermèrent  eux-mêmes  le  dépôt  vénérable,  et  il  fut 
porté  dans  la  sacristie. 

Soixante  ans  s'étaient  écoulés  depuis  la  mort  de  Germaine,  et  un  grand 
nombre  de  grâces  et  de  miracles  avaient  été  obtenus  par  son  intercession, 
sans  que  l'autorité  épiscopale  eût  paru  en  avoir  aucune  connaissance;  mais 
Dieu  voulait  que  le  nom  et  les  œuvres  de  sa  servante  sortissent  de  cette 
longue  obscurité. 

Le  22  septembre  1661,  Jean  Dufour,  prêtre  vénérable  par  ses  vertus  et 
sa  piété,  archidiacre  de  l'église  métropolitaine  et  vicaire  général  de  l'arche- 
vêque de  Toulouse,  Pierre  de  Marca,  vint  àPibrac  pour  faire  la  visite  pas- 
torale au  nom  de  ce  prélat.  Sa  présence  avait  attiré  une  foule  considérable, 
et  les  curieux  étaient  entrés  avec  lui  dans  la  sacristie.  Là,  son  attention  fut 
attirée  par  la  caisse  qui  renfermait  les  restes  de  Germaine.  Etonné  de  voir 
un  cercueil  en  pareil  lieu,  il  le  fit  ouvrir,  après  avoir  pris  quelques  infor- 
mations. Les  témoins  étaient  en  grand  nombre  :  le  corps  fut  trouvé  tel 
qu'on  l'avait  vu  seize  années  auparavant,  enveloppé  de  même,  intact,  ad- 
mirablement conservé  et  flexible. 

Alors  on  raconta  au  vicaire  général  les  particularités  de  la  vie  de  Ger- 
maine, et  de  quelle  manière  son  corps  avait  été  retiré  de  terre.  Pour  ajouter 
plus  de  force  à  ces  récits.  Dieu  permit  que  deux  vieillards,  Pierre  Paillés  et 
Jeanne  Salaires,  âgés  l'un  et  l'autre  de  quatre-vingts  ans,  se  rencontrassent 
là  pour  confirmer  toutes  les  dépositions.  Non-seulement  ils  avaient  connu 
Germaine,  mais  ils  étaient  ceux-là  mêmes  qui  se  trouvaient  présents  au 
miracle  des  fleurs. 

Voulant  s'assurer  de  leur  véracité,  Jean  Dufour  se  fit  indiquer  dans 
l'Eglise  le  lieu  où  le  corps  avait  séjourné  plus  de  quarante  ans.  Par  son 
ordre  et  en  sa  présence,  on  ouvrit  la  fosse,  on  creusa,  et,  à  la  profondeur 


SAINTE   GERMAINE   COUSIN,   VIERGE,    BERGÈRE   DE   PIBRAC.  49 

ordinaire,  on  trouva  les  restes  brisés  et  décomposés  de  cette  femme  nom- 
mée Endoualle,  enterrée  vingt  ans  auparavant  à  la  place  môme  d'oii  le 
corps  de  Germaine  avait  surgi  par  miracle.  On  ne  pouvait  donc  plus  douter 
de  la  nature  du  sol  :  c'était  par  la  seule  volonté  de  Dieu  que  les  dépouilles 
de  sa  servante  Germaine  avaient  été  préservées  de  la  corruption  commune. 

Le  curé  de  Pibrac  fît  ensuite  connaître  au  vicaire  général  un  registre 
authentique  des  nombreuses  guérisons  opérées  par  l'intercession  de  Ger- 
maine. Ces  relations  étaient  signées  des  personnes  guéries,  attestées  par  les 
témoins,  certifiées  par  les  notaires.  Plusieurs  habitants  se  présentèrent,  dé- 
clarant qu'ils  avaient  reçu  des  grâces  semblables,  et  confirmant  par  leurs 
paroles  ces  nombreux  témoignages  écrits. 

Le  vicaire  général  admira  les  voies  de  la  Providence,  fit  renfermer  le 
cercueil  et  dressa  procès-verbal  du  tout.  En  môme  temps,  il  défendit  au 
curé,  sous  peine  d'excommunication,  d'exposer  le  corps  à  la  vénération  pu- 
blique ni  de  le  changer  du  lieu  où  il  venait  d'ôtre  replacé  dans  la  sacristie. 
Il  permit,  toutefois,  de  recevoir  les  offrandes  que  les  fidèles  pourraient  faire 
au  nom  de  la  pieuse  Germaine,  jusqu'à  ce  qu'il  plût  au  Seigneur  de  mani- 
fester plus  clairement  sa  volonté  à  cet  égard,  ainsi  que  la  sainteté  de  la 
personne  de  sa  servante,  et  que  l'Eglise  en  eût  autrement  ordonné. 

D'année  en  année,  de  nouveaux  et  nombreux  prodiges  montrèrent  visi- 
blement que  Dieu  voulait  glorifier,  aux  yeux  des  hommes,  celle  dont  la 
condition  avait  été  si  basse,  l'humilité  si  profonde,  la  vie  si  pauvre  et  si  cachée. 
C'est  pourquoi,  en  1700,  on  songea  sérieusement  à  demander  au  Saint-Siège 
sa  béatification,  et  à  commencer,  dans  ce  but,  le  procès  informatif  de  l'Or- 
dinaire. Déjà  une  enquête  juridique  sur  les  vertus  et  les  miracles  de  Ger- 
maine Cousin  avait  été  ordonnée ,  non-seulement  par  l'archidiacre  Jean 
Dufour,  grand  vicaire  de  l'archevêque  Pierre  de  Marca,  mais  aussi  successi- 
vement par  plusieurs  autres  évoques,  et,  entre  autres,  en  1698,  par  Colbert, 
qui  occupait  à  cette  époque  le  siège  de  Toulouse.  Jacques  de  Lespinasse, 
syndic  de  la  commune  de  Pibrac,  fut  chargé  de  poursuivre  la  cause  en  qua- 
lité de  postulateur. 

A  sa  requête,  le  5  janvier  1700,  le  révérend  Père  de  Morel,  vicaire  géné- 
ral de  l'archevêque  Colbert,  se  rendit  dans  l'église  de  Pibrac  pour  com- 
mencer le  procès.  Cette  première  visite  fut  suivie  de  deux  autres,  durant 
lesquelles  il  procéda,  comme  nous  Talions  dire,  à  l'enquête  qu'il  nous  a 
laissée. 

Le  bruit  de  son  arrivée  s'étant  répandu,  avait  attiré  un  grand  concours 
de  peuple.  Le  premier  jour,  il  eut  la  consolation  de  donner  la  communion 
à  près  de  cinq  cents  personnes.  Toutes  les  fois  qu'il  reprit  le  cours  de  ses 
opérations,  il  célébra  la  sainte  messe  et  fit  une  exhortation  à  cette  multitude 
de  gens  qui  accouraient  de  toutes  parts. 

Plusieurs  encore  avaient  vu  les  reliques  lorsqu'elles  furent  levées  de 
terre.  On  les  leur  montra,  et  ils  assurèrent  qu'elles  étaient  entièrement  les 
mêmes. 

Le  révérend  Père  de  Morel  eut  soin  de  faire  assigner  toutes  les  personnes 
qui  pouvaient  attester  quelques  miracles.  Il  entendit  lui-même  leurs  dépo- 
sitions, faites  sous  la  garantie  du  serment. 

Il  dressa  un  procès-verbal  de  l'état  où  il  trouva  le  corps,  que  l'on  re- 
connut tel  exactement  qu'il  avait  été  décrit  en  1661,  par  l'archidiacre  Jean 
Dufour. 

En  outre,  sa  prudence  l'obligea  de  faire  procéder  au  même  examen  par 
deux  maîtres  chirurgiens,  auxquels  il  imposa  préalablement  le  serment 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  4 


50  15  JUIN. 

solennel  de  dire  en  tout  la  vérité.  On  lit  dans  leurs  actes,  après  le  détail  de 
la  vérificalion,  qu'ils  ont  remarqué  que  le  corps  n'avait  jamais  été  embaumé, 
en  sorte  qu'il  n'a  pu  se  conserver  sans  altération  par  les  moyens  naturels,  et 
que  la  Providence  seule  a  pu  opérer  ce  prodige. 

II  convient  d'ajouter  ici  que  le  révérend  Père  de  Morel  et  les  chirurgiens 
essayèrent  de  rompre  les  linges  et  le  suaire,  où  avait  été  enveloppé  le  corps 
de  Germaine  ;  mais  quelque  effort  qu'ils  Qssent,  ils  ne  purent  y  parvenir. 
Tout  ce  qui  touchait  à  ce  corps  béni  avait  été  soustrait,  comme  lui-même, 
aux  effets  ordinaires  de  la  mort  et  du  temps. 

Revenons  à  l'histoire  de  la  bienheureuse  Germaine  : 

Les  actes  de  l'enquête  de  1700  furent  confiés  à  un  religieux  Minime, 
qu'une  obédience  appelait  à  Rome.  En  même  temps,  le  titre  de  postulateur 
fut  expédié  dans  cette  môme  ville  au  curé  de  Saint-Louis  des  Français.  Mais, 
d'une  part,  le  religieux  qui  avait  porté  les  pièces  du  procès  reçut,  dès  le 
lendemain  de  son  arrivée,  l'ordre  de  partir  pour  les  missions  du  Levant  ;  et, 
d'autre  part,  après  la  remise  des  pièces  à  la  Congrégation  des  Rites  et  un 
commencement  d'exécution,  les  travaux  préparatoires  furent  bientôt  arrêtés 
par  défaut  de  ressources  pour  parer  aux  frais  de  la  procédure.  Dans  les  ré- 
volutions qui  suivirent,  ces  premiers  travaux  se  sont  perdus. 

Toutefois,  la  confiance  des  peuples  aux  prières  de  sainte  Germaine  et  le 
concours  à  son  cercueil  allaient  croissant.  Dieu  se  plaisant  toujours  à  ré- 
compenser la  piété  des  fidèles  par  de  nouvelles  grâces  et  de  nombreux 
miracles.  Les  archives  de  Malte  en  ont  conservé  la  mémoire.  Les  procès- 
verbaux  de  la  visite  générale  du  grand  prieuré  de  Toulouse,  auquel  Pibrac 
appartenait,  attestent  unanimement  ces  faits  :  «  Nous  avons  vu  dans  la  sa- 
cristie »,  disent  les  visiteurs,  «  un  petit  monument  où  repose  le  corps  de  la 
dévote  et  bienheureuse  Germaine,  qui  naquit  et  mourut  à  Pibrac,  faisant 
des  miracles  :  ce  qui  attire  un  grand  concours  de  fidèles  infirmes  et  estropiés, 
qui  recouvrent  instantanément  la  santé  ou  obtiennent  une  amélioration 
dans  leur  état  par  son  intercession  auprès  du  Dieu  tout-puissant  ». 

On  atteignit  ainsi  les  funèbres  jours  de  1793.  L'impiété  régnant  en  sou- 
veraine s'appliquait  à  soustraire  à  la  vénération  des  fidèles  et  à  détruire  tout 
ce  qui  avait  un  caractère  religieux.  Elle  voulut  anéantir  le  corps  de  la  sainte 
bergère,  qui  s'était  conservé  jusque-là  dans  une  intégrité  parfaite,  tel  qu'on 
l'avait  trouvé  cent  cinquante  ans  auparavant,  lors  de  sa  miraculeuse  exhu- 
mation. 

Un  fabricant  de  vases  d'étain,  membre  du  district  révolutionnaire  de 
Toulouse,  le  trop  fameux  Toulza,  dont  le  nom  est  resté  couvert  de  l'exécra- 
tion publique,  se  chargea  de  cette  opération  sacrilège.  Quatre  hommes  du 
village  furent  requis  pour  l'aider.  L'un  d'eux  se  sauva,  les  autres  consen- 
tirent volontiers  à  l'ingratitude  et  à  l'infamie  qu'on  leur  demandait.  Après 
avoir  retiré  le  corps  de  la  caisse  en  plomb,  qui  fut  confisquée  pour  faire 
des  balles,  ils  l'enfouirent  dans  la  sacristie  môme,  et  jetèrent  dessus  en  abon- 
dance de  l'eau  et  de  la  chaux  vive,  afin  d'en  assurer  la  prompte  et  complète 
dissolution. 

Un  prompt  châtiment  frappa  ces  trois  misérables  :  l'un  fut  paralysé 
d'un  bras,  l'autre  devint  difforme  ;  son  cou  se  raidit  et  lui  tourna  hideuse- 
ment la  tête  vers  l'une  des  épaules  ;  le  troisième  fut  atteint  d'un  mal  aux 
reins  qui  le  plia  pour  ainsi  dire  en  deux,  Tobligeant  à  marcher  le  corps  en- 
tièrement courbé  vers  la  terre.  Ce  dernier  porta  son  infirmité  au  tombeau. 
Les  deux  autres,  plus  de  vingt  ans  après,  recoururent  humblement  à  l'inno- 
cente vierge,  dont  ils  avaient  si  indignement  profané  les  précieux  restes. 


I 


SAINTE   GERMAINE   COUSIN,    VIERGE.   BERGÈRE   DE   PIBRAC.  51 

et   obtinrent  leur  guérison  de  ses   prières  et  de   la  clémence   de  Dieu. 

Dès  que  les  temps  devinrent  meilleurs,  le  maire  de  Pibrac,  Jean  Cabri- 
force  et  l'abbé  Montrastruc,  tout  administrateur  intrus  qu'il  était  de  la 
paroisse,  cédant  au  vœu  de  la  population,  firent  ouvrir  la  fosse.  Ils  eurent 
la  consolation  de  voir  que  le  complot  scélérat  des  révolutionnaires  n'avait 
pas  entièrement  réussi.  Sauf  les  chairs,  que  la  chaux  vive  avait  dévorées, 
le  reste  du  corps  s'était  conservé  miraculeusement. 

Le  suaire  de  soie  qui  entourait  la  tête,  des  fleurs,  plusieurs  autres  objets, 
précipitamment  enfouis  avec  la  vénérable  relique,  par  les  violateurs  de  1793, 
furent  retrouvés  intacts.  Le  tout,  soigneusement  recueilli  et  enveloppé  d'un 
très-beau  suaire,  don  de  la  piété  du  peuple,  reprit  place,  dans  la  sacristie, 
au  même  endroit  que  les  fidèles  de  Pibrac  et  les  pèlerins  du  dehors  connais- 
saient depuis  si  longtemps. 

Du  reste,  les  malheurs  de  l'époque  ne  purent  interrompre  le  concours 
des  affligés  qui  venaient,  auprès  du  cercueil  de  Germaine,  la  prier  d'inter- 
céder pour  eux.  Il  fallut  môme  que  l'autorité  diocésaine  mît  des  bornes  à 
cette  dévotion  ;  car,  dans  le  désir  de  vénérer  de  plus  près  les  reliques  de  la 
servante  de  Dieu,  les  catholiques  entraient  dans  l'église  de  Pibrac,  desservie, 
comme  nous  venons  de  le  dire,  par  un  schismatique,  et  y  prenaient  part  à 
son  culte  réprouvé.  A  celte  occasion,  le  vénérable  administrateur  catho- 
lique de  l'église  toulousaine,  Mgr  Du  Bourg,  mort  évêque  de  Limoges,  leur 
adressait  cette  instruction  : 

«  Les  canons  de  l'Eglise  »,  leur  disait-il,  «  défendaient  aux  fidèles  de  se 
prosterner  devant  les  sépulcres  des  martyrs  pour  implorer  leur  secours, 
afin  d'obtenir  la  santé,  quand  ils  étaient  au  pouvoir  des  hérétiques;  et  notre 
souverain  Pontife  nous  défend  d'entrer  dans  les  églises  des  constitutionnels, 
comme  Paul  V,  dont  il  cite  le  Bref,  le  défendait  aux  Anglais.  Une  pareille 
défense  a  été  renouvelée  par  les  supérieurs  ecclésiastiques.  Ces  règlements 
doivent  être  rappelés  au  souvenir  des  fidèles  qui  habitent  la  campagne,  et 
qui,  dans  leurs  infirmités,  vont  présenter  leurs  vœux  au  pied  des  pré- 
cieuses cendres  de  cette  sainte  fille,  connue  sous  le  nom  de  sainte  Germaine, 
Il  n'est  jamais  permis  de  faire  un  mal  pour  un  bien,  quel  qu'il  soit;  on 
n'honore  point  les  saints,  on  ne  mérite  pas  leurs  bienfaits  par  un  acte 
contraire  à  la  fidélité  due  à  l'Eglise  ». 

Ces  avis  étaient  imprimés  dans  un  journal  religieux,  le  Catholique  du 
pays,  que  le  pieux  administrateur  faisait  publier  chaque  mois,  afin  de  sup- 
pléer au  défaut  d'instructions,  dont  le  malheur  des  temps  privait  alors  les 
chrétiens.  Les  Evangiles  et  les  Epîtres  du  dimanche  y  étaient  reproduits 
avec  quelques  explications.  On  y  exposait  difl'érents  points  de  doctrine  ;  on 
y  rapportait  les  nouvelles  religieuses  ;  on  y  donnait  des  avertissements  aux 
fidèles  ;  on  y  annonçait  les  bonnes  œuvres  ;  on  y  proposait  jusqu'à  un  sujet 
d'oraison.  Enfin,  cette  feuille  périodique  était  consacrée  à  la  gloire  du 
Sacré-Cœur  de  Jésus,  dévotion  alors  très-répandue  et  à  laquelle  tout  porte 
à  croire  que  la  France  dut  le  terme  de  ses  malheurs. 

Un  aveugle  était  le  distributeur  du  journal  et  le  portait  secrètement  aux 
familles  catholiques  de  Toulouse.  Sans  autre  guide  que  son  bâton,  il  allait 
dans  toutes  les  rues,  montait  à  tous  les  étages,  et  déjouait  ainsi  la  police 
révolutionnaire,  si  minutieuse  et  si  tyrannique  à  l'endroit  de  la  religion. 

Soumis  aux  ordonnances  de  l'autorité  légitime,  les  catholiques  n'entrè- 
rent plus  dans  l'église  de  Pibrac.  Ils  se  contentèrent  d'aller  prier  en  dehors 
du  cimetière,  du  côté  correspondant  à  la  sacristie,  où  reposait  le  corps  de 
la  Bienheureuse.  Le  Seigneur,  récompensant  la  dévotion  et  surtout  l'obéis- 


52  15  JUIN. 

sance  de  ces  fervents  chrétiens,  leur  accordait  des  grâces  extraordinaires, 
dont  ces  années  de  douloureuse  mémoire  n'ont  pu  interrompre  la  chaîne  ni 
étouffer  le  retentissement. 

Enfin  le  schisme  disparut;  la  paix,  en  rendant  à  l'église  l'unité,  lui  ren- 
dit aussi  ses  temples.  Dès  lors,  les  fidèles  purent  avoir  la  consolation  de 
s'approcher  du  cercueil  de  la  pieuse  bergère,  de  le  toucher,  de  contempler 
de  leurs  yeux  ses  vénérables  restes.  Le  pèlerinage  de  Pibrac  reprit  une 
splendeur  nouvelle. 

Dans  les  derniers  jours  de  l'année  1813,  la  Confrérie  de  la  Sainte-Epine, 
établie  à  Toulouse,  après  la  Révolution,  par  un  saint  prêtre,  et  composée 
des  catholiques  les  plus  fervents,  amèrement  affligée  de  voir  se  prolonger  la 
captivité  du  souverain  pontife  Pie  VII,  demandait  à  Dieu  sa  délivrance. 
Confiants  au  crédit  de  sainte  Germaine,  les  confrères,  dans  cette  doulou- 
reuse circonstance  ,  implorèrent  son  appui  auprès  de  Dieu,  et  firent  vœu 
d'aller  tous  les  ans  en  pèlerinage  à  son  tombeau,  si  le  Seigneur  daignait 
exaucer  leur  prière. 

Quelques  temps  après,  le  Saint-Père,  quittant  sa  prison  sans  avoir  néan- 
moins encore  reconquis  sa  liberté,  prenait  la  route  dllalie  à  travers  le  midi 
de  la  France.  Le  2  février  1814,  il  longeait  tristement  les  murs  de  Toulouse, 
dans  une  voiture  fermée  à  clef.  Une  population  immense,  accourue  de  tous 
côtés,  se  pressait  sur  son  passage.  A  genoux,  et  les  larmes  aux  yeux,  elle 
implorait  avec  amour  la  bénédiction  de  l'illustre  et  saint  captif.  On  distin- 
guait surtout  les  nombreux  confrères  de  la  Sainte-Epine,  levant  les  mains 
au  ciel,  conjurant  le  Seigneur  d'achever  son  œuvre  et  de  rendre  enfin  à 
son  siège  le  chef  de  l'Eglise. 

Dès  cette  année,  la  Confrérie  de  la  Sainte-Epine  accomplit  son  vœu  et 
n'a  cessé,  depuis  ce  temps-là,  de  se  rendre  à  Pibrac  le  jour  de  Saint-Pierre. 
La  Messe  et  les  Vêpres  sont  chantées  dans  l'église  du  village  avec  la  plus 
grandesolennite.il  est  ordinaire  d'y  voir  ce  jour-là  jusqu'à  huit  ou  neuf 
cents  personnes  s'approcher  de  la  table  sainte. 

Le  pape  Léon  XII  a  favorisé  ce  pieux  pèlerinage  d'une  indulgence  plé- 
nière. 

Pour  la  Saint-Pierre  de  1849,  l'affluence  au  tombeau  delà  bienheureuse 
Germaine  fut  plus  considérable  que  jamais.  Les  confrères  venaient  encore 
cette  fois  pour  la  fin  de  l'exil  et  le  retour  dans  son  siège  du  Vicaire  de  Jésus- 
Christ,  l'illustre  successeur  et  ami  du  Pontife  qui  avait  été  l'objet  de  leur 
premier  vœu. 

Présentées  au  Seigneur  par  la  pieuse  bergère,  leurs  prières  furent  exau- 
cées. La  nuit  suivante ,  l'armée  française  prenait  d'assaut  la  ville  sainte, 
occupée  et  profanée  par  des  hordes  d'impies  venus  de  tous  les  coins  du 
monde,  et  replaçait  sur  son  trône  l'immortel  Pie  IX.  On  raconte  que  depuis 
le  commencement  du  siège  (aux  premiers  jours  de  juin),  un  des  confrères, 
homme  grave,  d'une  piété  reconnue  et  honorée,  était  poursuivi  nuit  et  jour, 
surtout  dans  ses  prières,  par  la  pensée  que  Rome  serait  prise  sitôt  après  le 
pèlerinage  de  la  Congrégation  au  tombeau  de  la  bienheureuse  Germaine,  et 
qu'en  conséquence  il  devait  en  demander  aux  supérieurs  l'anticipation,  afin 
que  la  capitale  du  monde  chrétien  lut  plus  tôt  délivrée.  Après  avoir  résisté 
plusieurs  jours  à  celte  pensée,  il  no  put  s'empêcher  davantage  de  la  com- 
muniquer au  directeur  de  la  Confrérie,  qui  ne  voulut  rien  changer  à  l'usage 
ordinaire.  Néanmoins  le  siège  se  prolongea  et  n'eut  réellement  sa  fin  que  la 
nuit  qui  suivit  le  jour  du  pèlerinage. 

Plus  on  approchait  de  l'époque  marquée  par  la  divine  Providence,  pour 


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l'exaltation  et  la  glorification  de  son  humble  servante,  plus  on  voj'ait  s'ac- 
croître le  nombre  des  fidèles  qui  venaient  implorer  sa  protection  ou  attester 
leur  reconnaissance. 

L'hiver  conmie  l'été  les  pèlerins  affluaient  àPibrac,  non-seulement  des 
cantons  voisins,  mais  même  des  provinces  de  la  France  les  plus  éloignées. 
Ils  se  tenaient  dans  l'église  avec  respect  et  recueillement ,  et  la  plupart  y 
communiaient.  On  remarquait  parmi  eux  des  personnes  de  la  plus  haute 
classe  de  la  société,  des  prêtres  en  grand  nombre  ;  on  y  vit  aussi  quelques 
évêques.  Deux  illustres  princesses  qui,  l'une  et  l'autre,  connurent  longtemps 
les  douleurs  de  l'exil,  regrettant  de  ne  pouvoir  visiter  elles-mêmes  le  tom- 
beau de  Germaine,  y  firent  porter  leur  offrande.  Les  congrégations  reli- 
gieuses, établies  à  Toulouse  ou  dans  les  environs,  les  filles  de  Saint- Vincent 
de  Paul,  les  sœurs  de  la  Croix,  les  dames  du  Sacré-Cœur,  en  faisaient  sou- 
vent le  but  d'une  pieuse  excursion  ;  les  Pères  Jésuites  y  envoyaient  de  temps 
en  temps  leurs  novices  ;  les  curés  du  voisinage  avaient  pris  l'usage  de  s'y 
rendre  tous  les  ans,  accompagnés  des  enfants  de  leur  paroisse  admis  à  la 
première  communion. 

Il  faut  dire  que  le  culte  rendu  h  la  vénérable  Germaine  alla  même  trop 
loin,  car  il  dépassa  les  bornes  voulues  par  l'Eglise,  dans  les  honneurs  à 
rendre  aux  serviteurs  de  Dieu  dont  elle  n'a  pas  encore  reconnu  la  sainteté. 

La  sacristie,  étant  devenue  trop  étroite  pour  cette  affluence  de  visiteurs, 
on  en  dût  bâtir  une  nouvelle,  plus  belle  et  plus  spacieuse,  où  le  corps  fut 
transféré.  ISIais  cette  construction  étant  humide  et  défectueuse,  au  bout  de 
quelques  années,  il  parut  convenable  de  déposer  les  reliques  dans  un  lieu 
plus  sain,  et  le  vénérable  curé  de  Pibrac,  M.  Dupoix,  entraîné  autant  par 
sa  tendre  dévotion  que  par  la  piété  reconnaissante  des  fidèles,  les  porta 
dans  l'église.  On  pratiqua  dans  le  mur  de  la  chapelle  de  saint  François  de 
Sales,  exposé  au  midi,  une  ouverture  que  les  dévots  de  Germaine,  dirigés 
par  le  zélé  vicaire  de  la  paroisse.  M,  Montagne,  aujourd'hui  curé,  s'empres- 
sèrent d'orner  d'une  magnifique  grille  et  de  marbres  précieux,  enrichis  eux- 
mêmes  d'une  inscription  en  lettres  d'or.  Le  corps  fut  exposé  à  la  vénération 
des  fidèles,  heureux  de  le  voir.  Les  prêtres  ouvraient  la  grille  tous  les  jours, 
et  passaient  une  partie  de  la  lïiatinée  à  faire  toucher  aux  ossements  bénis 
les  linges  qui,  portés  ensuite  aux  malades,  leur  rendaient  souvent  la  santé. 

Cette  translation  et  cette  exposition  dans  le  lieu  saint,  violaient  formel- 
lement les  sages  décrets  d'Urbain  VIII.  Les  conseils  d'un  ecclésiastique 
romain,  attaché  à  la  sainte  Congrégation  des  Rites  et  appelé  à  Toulouse  par 
Mgr  d'Astros,  firent  promptement  supprimer  ce  culte  public.  Il  eût  été  un 
obstacle  insurmontable  au  succès  du  procès  de  béatification  qu'on  avait  ré- 
solu d'entreprendre  une  seconde  fois. 

Le  corps  de  la  servante  de  Dieu  fut  placé  en  dehors  de  l'église,  dans  un 
monument  construit  sur  le  sol  du  cimetière. 

Il  était  temps  de  reprendre  cette  cause,  entamée  il  y  avait  cent  qua- 
rante-trois ans.  Un  plus  long  retard  pouvait  la  perdre  à  tout  jamais.  La  tra- 
dition, qui  s'était  conservée  à  l'aide  des  miracles,  passant  sans  altération 
des  pères  aux  enfants,  allait  s'obscurcir  ou  disparaître.  Les  troubles  de  la 
Révolution,  surtout  les  guerres  de  l'empire,  en  retenant  et  en  dispersant  la 
jeunesse  loin  des  foyers  paternels,  avaient  rompu  la  chaîne  jusque-là  si 
nette  des  témoignages  domestiques.  Les  générations  nouvelles  n'auraient  pu 
attester  que  le  souvenir  général  de  l'héroïcité  des  vertus  de  la  Bienheureuse 
et  l'évidente  continuité  des  miracles.  Il  importait  d'interroger  les  anciens, 
ceux  qui,  venus  au  jour  dans  un  temps  plus  tranquille,  et  ne  connaissant 


54  45  JUIN. 

guère  d'autre  histoire  que  celle  de  leur  village,  la  savaient  parfaitement 
pour  l'avoir  recueillie  de  leurs  ancêtres,  presque  contemporains  eux-mêmes 
de  cette  bergère  dont  la  vie  était  le  grand  événement  local.  Dieu  semblait 
conserver  ces  témoins  chargés  d'années  pour  leur  donner  le  temps  de  re- 
mettre à  l'Eglise  le  dépôt  des  pieuses  traditions  qui,  autrement,  allaient 
mourir  avec  eux. 

Toutefois,  avant  de  mettre  la  main  à  ce  grand  ouvrage  et  d'embrasser 
tant  de  fatigues  et  de  sacrifices,  le  sage  archevêque  consulta  ses  collègues 
dans  l'épiscopat,  voulant  s'assurer  si  la  réputation  des  vertus  et  des  miracles 
de  Germaine  était  aussi  établie  et  répandue  qu'on  le  disait.  Un  de  ses  prêtres 
parcourut  les  diocèses  où  la  vierge  de  Pibrac  était  connue,  chargé  de  re- 
cueillir tous  les  témoignages  qui  la  concernaient,  et  de  demander  en  même 
temps  aux  évêques  leur  concours.  Des  procès-verbaux  attestant  légalement 
plus  de  quatre  cents  miracles  ou  grâces  extraordinaires  attribuées  à  l'inter- 
cession de  Germaine  Cousin,  et  trente  lettres  postulatoires  d'archevêques 
et  évêques  français  qui ,  conjointement  avec  le  Chapitre  de  leur  cathédrale 
et  leur  clergé,  s'unirent  à  l'archevêque  de  Toulouse  pour  solliciter  du  Saint- 
Siège  la  béatification  de  la  servante  de  Dieu  :  tel  fut  le  résultat  de  ces  dé- 
marches préliminaires. 

Le  vénérable  métropolitain  n'hésita  plus,  et  il  confia  spécialement  le 
soin  de  la  cauze  au  zèle  du  prêtre  qu'il  y  avait  déjà  employé. 

Parmi  les  nombreux  miracles  dont  nous  venons  de  parler ,  nous  ne 
raconterons  que  ceux  que  Dieu  a  opérés  dans  notre  siècle  pour  glorifier  sa 
servante  : 

Un  jeune  homme  de  la  paroisse  de  Mauvesin,  au  diocèse  d'Auch,  nommé 
Dominique  Gauté ,  perdit  tout  à  coup  la  vue  et  demeura  entièrement 
aveugle.  Il  sortit  de  son  pays  pour  aller  consulter  les  médecins  les  plus  cé- 
lèbres, et  ne  réussit  qu'à  acquérir  la  triste  certitude  qu'il  ne  guérirait  pas. 
Il  avait  été  atteint  de  la  goutte  sereine,  mal  de  sa  nature  incurable. 

Son  frère  Georges,  qui  l'avait  accompagné,  non  moins  désolé  que  lui, 
lui  dit  alors  de  recourir  à  Germaine,  et  tous  deux  firent  bientôt  le  pèlerinage 
de  Pibrac,  avec  une  vive  espérance  et  une  vive  foi.  Ils  entendirent  la  messe 
en  se  recommandant  à  la  servante  de  Dieu.  Les  yeux  de  Dominique  étaient 
couverts  d'un  linge  qui  avait  touché  le  corps  de  la  bergère.  Dieu  voulut  les 
éprouver  un  peu,  et  les  deux  frères  sortirent  de  l'église  et  se  remirent  en 
route  tels  qu'ils  étaient  venus,  mais  cependant  pleins  d'espérance.  Ils  avaient 
raison  d'espérer.  Bientôt  Dominique  put  apercevoir  au  loin  les  ailes  des 
moulins  qui  tournaient,  et  avant  de  rentrer  dans  sa  paroisse,  il  avait  recou- 
vré la  vue. 

Elisabeth  Gay,  jeune  fille  de  dix-huit  ans,  depuis  longtemps  aveugle  par 
suite  d'une  humeur  qui  s'était  portée  à  son  visage  et  sur  ses  yeux,  fut  guérie 
à  Pibrac,  où  ses  parents  l'avaient  menée.  Jusqu'à  sa  mort,  qui  n'arriva 
que  longtemps  après,  elle  n'eut  aucune  atteinte  du  mal  dont  elle  avait 
souffert. 

M.  de  Castex,  curé  d'Angoumer,  atteste  que  Françoise  Perrière,  sa  pa- 
roissienne, aveugle  depuis  sa  naissance,  a  été  guérie  par  le  moyen  d'un  linge 
qui  avait  touché  le  corps  de  Germaine. 

Le  premier  août  1839,  on  porta  à  Pibrac  un  enfant  de  dix  mois,  aveugle- 
né,  fils  d'Antoine  Nous,  patron  sur  le  canal  du  Languedoc.  L'enfant  recou- 
vra la  vue  par  l'intercession  de  la  bienheureuse  Germaine.  Une  enquête 
dressée  à  ce  sujet,  par  M.  l'abbé  du  Bourg,  vicaire  général,  est  déposée  dans 
les  archives  de  l'archevêché  de  Toulouse. 


SAINTE   GERMAINE   COUSIN,    VIERGE,    BERGÈRE   DE  PIBRAC.  55 

Antoinette  Estelle,  habitante  de  Pibrac,  atteste  que  son  fils  avait  perdu 
la  vue  à  l'âge  de  deux  ans  et  demi.  On  plaçait  devant  ses  yeux  divers  objets, 
on  faisait  avec  la  main  le  geste  de  le  frapper,  ses  paupières  restaient  im- 
mobiles. On  le  porta  au  tombeau  de  Germaine,  et  il  vit  :  «  Il  a  maintenant 
quarante-trois  ans  »,  ajoute  l'heureuse  mère,  «  et  il  a  conservé  la  vue  et  le 
souvenir  de  la  grâce  que  Germaine  a  obtenue  pour  lui  ». 

Un  miracle  plus  signalé  récompensa  la  foi  de  Bertrande  Lafon.  C'est 
trop  peu  dire  que  l'intercession  de  Germaine  rendit  la  vue  à  son  fils  :  elle 
lui  donna  des  yeux.  Cet  enfant,  nommé  François,  était  né  avec  une  infir- 
mité pire  que  la  cécité.  Lorsqu'on  soulevait  ses  paupières,  toujours  abat- 
tues, on  ne  distinguait  ni  pupille,  ni  cornée;  mais  seulement  une  matière 
informe  comme  un  morceau  de  chair. 

Deux  habiles  médecins  de  Toulouse,  MM.  Massol  et  Duclos,  après  avoir 
essayé  pendant  trois  mois  toutes  les  ressources  de  leur  science,  finirent  par 
déclarer  à  Bertrande  qu'il  n'y  avait  rien  à  faire,  que  son  enfant  était  né 
aveugle  et  resterait  aveugle.  Dans  son  affliction,  Bertrande  ne  désespéra 
pas  de  la  bonté  divine.  Elle  implora  la  protection  de  Germaine,  et,  dès  le 
soir  môme,  en  couchant  le  petit  François,  elle  posa  sur  ses  yeux  un  linge 
qui  avait  touché  le  corps  de  la  bergère  bénie.  Vers  minuit,  elle  priait  en- 
core auprès  de  son  cher  enfant,  demandant  à  Dieu  de  le  guérir,  lorsque 
tout  à  coup  elle  crut  apercevoir  au-dessus  du  berceau  une  lumière,  une 
sorte  d'auréole.  Sa  prière  en  devint  plus  fervente.  Se  sentant  comme  assu- 
rée en  son  cœur  d'obtenir  ce  qu'elle  demandait,  elle  oublia  le  sommeil  et 
pria  jusqu'au  jour.  Alors,  s'approchant  du  berceau,  elle  enlève  d'une  main 
émue  le  linge  qui  couvrait  le  visage  de  l'enfant.  Bonté  céleste  !  ce  petit  vi- 
sage, auparavant  si  morne,  est  animé  de  deux  yeux  vifs  et  brillants  qui  se 
fixent  sur  elle.  Son  enfant  la  voit  et  lui  sourit  !  Folle  de  joie,  elle  s'agite, 
elle  pleure,  elle  crie  miracle  !  et,  se  précipitant  à  la  fenêtre,  elle  appelle  du 
geste  et  de  la  voix  tous  ses  voisins,  leur  criant  de  venir  voir  ce  que  Dieu  ve- 
nait de  faire  pour  elle.  Les  voisins,  qui  savaient  combien  elle  s'affligeait  du 
triste  état  de  son  enfant,  crurent  que  l'excès  de  la  douleur  lui  avait  ôté  la 
raison.  Us  montèrent  avec  un  sentiment  de  compassion,  pour  la  calmer  et 
l'empêcher  de  se  porter  à  quelque  extravagance  dangereuse.  Ils  virent  son 
bonheur.  L'enfant  souriait  comme  s'il  eût  eu  conscience  de  la  grâce  qu'il 
avait  reçue,  et  les  regardait  de  ses  beaux  yeux  tout  pleins  de  vie;  et  tous 
ensemble  rendirent  grâces  à  Dieu  qui  daigne  accorder  aux  hommes  de 
telles  faveurs  par  les  mérites  de  ses  Saints. 

Plusieurs  paralytiques  reçurent  l'usage  de  leurs  membres  par  l'interces- 
sion de  notre  Bienheureuse.  Nous  nous  contenterons  de  rapporter  la  gué- 
rison  récente  de  Jean-Charles-Raymond  Cahusac. 

Une  maladie  de  l'épine  dorsale  l'avait  depuis  plusieurs  mois  privé  de 
l'usage  de  ses  membres.  Il  ne  pouvait  ni  se  tenir,  ni  marcher.  Quand  on  le 
soutenait  perpendiculairement,  ses  jambes  étaient  flottantes  con.me  celles 
d'un  squelette;  si  l'on  appuyait  ses  pieds  à  terre,  elles  fléchissaient  aux  ar- 
ticulations, sans  offrir  au  poids  du  corps  la  moindre  résistance.  La  para- 
lysie de  ces  extrémités  inférieures  était  complète,  il  y  avait  atrophie.  Les 
soins  de  la  médecine  avaient  été  entièrement  infructueux.  Le  28  avril 
18iO,  il  fut  porté  dans  l'église  de  Pibrac. 

Pendant  la  messe,  au  moment  de  l'élévation,  le  jeune  malade  se  lève  et 
se  met  à  genoux,  en  disant  :  Je  suis  guéri  !  Il  reste  dans  cette  position  jus- 
qu'à la  fin  de  la  messe.  Incontinent  après,  il  marche  légèrement  appuyé  sur 
le  bras  de  la  baronne  de  Guilhermy,  sa  grand'mère.  C'était  environ  à  neuf 


56  15  JOIN. 

heures  du  matin.  A  cinq  heures  du  soir,  le  même  jour,  il  parcourut  à  pied, 
sans  être  soutenu,  plusieurs  rues  de  Toulouse,  fit  des  visites,  monta  des 
escaliers.  Saisi  d'étonnement,  le  médecin  distingué,  qui  avait  soigné 
jusque-là  ce  jeune  enfant,  déclara  que  Dieu  seul  avait  pu  opérer  cette  gué- 
:ison  si  subite  et  qui  s'est  parfaitement  soutenue. 

Pour  tout  dire  en  quelques  mots,  on  peut  avancer  qu'il  n'y  a  point  de 
sortes  de  maladies  et  d'infirmités  que  Dieu  n'ait  guéries  miraculeusement 
pour  glorifier  l'humble  bergère,  et  presque  toujours  instantanément  à  la 
seule  invocation  du  nom  ou  au  contact  des  précieuses  reliques.  Nous  alloQs 
signaler  quelques  miracles  qui,  après  mûr  examen,  ont  reçu  l'approbation 
de  la  Congrégation  des  Rites  et  ont  été  confirmés  comme  tels  par  le  souve- 
rain Pontife. 

Vers  l'année  1845,  il  y  avait,  dans  la  communauté  des  religieuses  dites 
du  Bon  Pasteur,  à  Bourges,  dix-sept  religieuses,  cinquante-neuf  pénitentes 
et  quarante  jeunes  filles  :  en  tout  cent  seize  personnes.  Ce  nombre  crois- 
sant toujours  et  les  ressources  diminuant,  la  maison  se  trouva  dans  la  dé- 
tresse. Dans  cette  gêne,  la  sœur  Marie  du  Sacré-Cœur,  supérieure  du  mo- 
nastère, se  sentit  portée  à  demander  secours  à  la  bienheureuse  Germaine. 
Elle  ordonna  de  commencer  une  neuvaine  de  prières  dans  toutes  les  classes; 
elle  voulut  qu'on  lût  chaque  jour  quelques  passages  de  la  vie  de  la  Bien- 
heureuse, que  l'on  plaçât  une  médaille  à  son  image  dans  le  grenier,  et  que 
chaque  Sœur  en  portât  une  sur  elle,  en  priant  avec  une  foi  vive.  Deux  reli- 
gieuses converses  étaient  chargées  de  faire  tous  les  cinq  jours  le  pain  néces- 
saire à  la  consommation  de  la  Communauté;  elles  y  employaient  chaque 
fois  vingt-quatre  corbeilles  de  farine,  qui  donnaient  quarante  gros  pains, 
pesant  chacun  vingt  livres.  Pleine  de  confiance,  la  supérieure  ordonna  aux 
Sœurs  de  n'employer  pour  les  prochaines  fournées  que  seize  corbeilles  de 
farine,  au  lieu  de  vingt-quatre  qui  étaient  nécessaires,  et  elle  pria  la  véné- 
rable Germaine  de  suppléer  à  ce  qui  manquerait.  Les  sœurs  obéirent,  mais 
point  de  miracle.  Les  pains  suffisaient  à  peine  pour  trois  jours.  Enfin,  à  la 
troisième  fois,  la  bonne  mère  s'adressa  à  la  vénérable  Germaine  et  la  sup- 
plia de  ne  pas  permettre  que  les  pains  fussent  si  petits.  Les  deux  panetières, 
ennuyées  d'être  encore  obligées  de  faire  le  pain  avec  huit  corbeilles  seule- 
ment pour  chaque  fournée  au  lieu  de  douze,  l'expérience  leur  ayant  prouvé 
que  la  chose  ne  réussissait  pas,  résolurent,  la  pâte  faite,  de  bien  remplir 
les  corbeilles,  pour  que  l'on  vît  clairement  qu'il  y  avait  un  plus  petit  nombre 
de  pains  el  que  la  supérieure  connût  bien  qu'on  ne  pouvait  réussira  ce 
qu'elle  désirait.  Mais  à  mesure  qu'on  remplissait  les  corbeilles,  on  voyait 
que  la  pâte  ne  diminuait  pas  en  proportion  dans  la  huche.  Il  y  en  eut  assez 
pour  remplir  toutes  les  corbeilles;  il  en  resta  même  assez  pour  ajouter  à 
tous  les  pains  et  deux  ou  trois  livres  de  plus  dans  la  huche.  Il  y  eut  donc 
dans  cette  fournée,  avec  huit  corbeilles,  vingt  pains  qui  furent  encore  plus 
gros  que  les  pains  ordinaires  produits  par  douze  corbeilles  de  farine  :  il  en 
fut  de  même  pour  la  seconde.  Le  miracle  étant  connu,  les  religieuses,  les 
élèves  accoururent  au  four  pour  voir  de  leurs  propres  yeux  le  pain  que  Dieu 
leur  avait  donné.  La  supérieure  fit  rendre  des  actions  de  grâces  à  Dieu  et  à 
la  bienheureuse  Germaine,  qui  s'était  souvenue  de  leur  détresse;  le  même 
prodige  se  renouvela  deux  autres  fois. 

Les  bienfaits  temporels  de  notre  Bienheureuse  pour  cette  maison  ne 
•'arrêtèrent  pas  là;  à  la  multiplication  du  pain  succéda  la  multiplication  de 
la  farine  Dans  la  môme  année  1843,  il  y  avait  dans  le  grenier  trois  cents 
mesures  de  farine  qui,  entamées  le  4  novembre,  devaient  être  épuisées  dans 


SAINTE   GERMAINE    COUSIN,    VIERGE,    BERGÈRE   DE  riBRAC.  57 

les  premiers  jours  du  mois  de  janvier  suivant.  Cependant  la  farine  dura 
jusqu'au  mois  de  février.  Il  y  eut  donc  une  augmentation  miraculeuse  de 
cent  cinquante  mesures  environ.  Le  premier  dimanche  de  janvier,  la  supé- 
rieure avait  conduit  les  religieuses  dans  le  grenier,  afin  qu'elles  vissent  de 
leurs  propres  yeux  le  miracle  qui  les  nourrissait.  Prosternées  et  laissant 
couler  leurs  larmes,  elles  baissèrent  la  tête  et  restèrent  quelque  temps  à 
prier  les  bras  en  croix. 

Jacquetle,  lille  de  Jean  Catala  et  de  Louise  Morens,  naquit  le  7  avril 
1821.  A  l'âge  de  trois  mois,  elle  eut  la  petite  vérole.  Promptement  guérie, 
elle  se  porta  bien  jusqu'à  dix-huit  mois;  mais  alors  elle  fut  prise  d'un  mal 
qui  la  jeta  dans  une  extrême  faiblesse,  et  qui,  croissant  de  jour  en  jour,  la 
réduisit  au  plus  triste  état.  La  cheville  du  pied  et  la  rotule  du  genou  s'en- 
flèrent extraordinairement;  les  jambes  et  les  cuisses  s'amaigrirent  au  point 
que  la  peau  était  collée  aux  os;  une  fièvre  lente  la  consumait.  Sa  mère, 
dans  sa  sollicitude,  lui  fit  longtemps  prendre  une  multitude  de  remèdes,  et, 
enfin  découragée,  laissa  le  mal  suivre  son  cours.  Les  douleurs  de  la  malheu- 
reuse petite  fille,  loin  de  diminuer,  augmentaient  avec  l'âge.  Au  commen- 
cement, elle  avait  pu  faire  quelque  pas,  quoique  avec  beaucoup  de  peine; 
bientôt  ses  pieds  contournés  et  son  extrême  faiblesse  obligèrent  de  la  tenir 
sans  cesse  au  lit  ou  attachée  sur  une  chaise.  Parfois  encore  son  ventre  se 
gonflait,  et  elle  souflrait  alors  des  coliques  affreuses.  La  désolation  de  ses 
parents  était  sans  mesure,  surtout  celle  de  sa  mère,  qui  la  voyait  privée  de 
toute  espérance  de  guérison.  Dans  l'excès  de  son  malheur,  cette  mère  puisa 
une  confiance  sans  bornes  dans  la  miséricorde  de  Dieu;  et  comme  elle  avait 
une  grande  dévotion  à  la  bienheureuse  Germaine,  elle  fit  vœu  d'aller  trois 
fois  en  pèlerinage  à  Pibrac,  les  deux  premières  fois  seule,  la  troisième  fois 
avec  son  enfant.  Elle  s'acquitta  bientôt  delà  première  partie  de  ce  vœu. 
Des  afiaires  domestiques  étant  survenues,  l'empêchèrent  longtemps  d'ac- 
complir la  dernière,  ou  sa  foi  peut-être  avait  chancelé.  Quoi  qu'il  en  soit, 
ce  ne  fut  qu'au  bout  de  trois  ans  qu'elle  conduisit  l'enfant  infirme  à  Pibrac, 
en  1828  ;  la  petite  infirme  était  dans  sa  septième  année.  Voici  sa  déposition  : 
«  Je  partis  à  pied  »,  dit-elle,  «  avec  une  de  mes  amies.  Devant  nous 
marchait  une  bête  de  somme  chargée  de  deux  paniers.  Dans  l'un  j'avais  ma 
petite  Jacquette,  dans  l'autre  un  autre  de  mes  enfants,  et,  entre  les  deux, 
un  troisième  âgé  de  dix  ans.  Le  voyage  n'eut  rien  d'extraordinaire.  Nous 
entrâmes  dans  l'église.  C'était  un  dimanche,  et  Monsieur  le  curé  prêchait. 
Je  pris  place  sur  un  banc  avec  mes  enfants,  Jacquette  entre  son  frère  et 
moi;  et  nous  la  gardions  tous  deux.  Je  suivais  la  messe.  Lorsqu'on  sonna 
pour  le  Sanctus,  Jacquette  poussa  un  cri,  et  j'entendis  moi-môme  un  cra- 
quement qui  me  sembla  venir  de  sts  os.  J'étais  dans  un  état  difficile  h  ex- 
pliquer. Il  me  vint  à  l'esprit  que  ma  fille  était  guérie;  cette  pensée  venait 
me  distraire  sans  cesse  de  mes  prières.  Au  moment  de  la  communion,  je 
recommandai  à  mon  aîné  de  surveiller  sa  sœur  :  à  cause  des  regards  des 
assistants,  il  m'avait  répugné  d'attacher  cette  pauvre  petite  à  la  chaise, 
comme  je  faisais  d'ordinaire.  J'arrivai  à  la  sainte  Table.  Quand  j'y  fus  age- 
nouillée, grand  Dieu  !  voilà  que  Jacquette  se  retire  des  mains  de  son  frère 
et  vient  s'agenouiller  auprès  de  moi,  toute  seule,  sans  que  personne  la  sou- 
tienne, sans  que  personne  la  guide  !  Mon  émotion  redoubla  et  je  ne  puis 
dire  ce  qui  se  passa  en  moi,  quand  je  vis  cette  innocente,  imitant  ce  qu'elle 
me  voyait  faire,  prendre  la  nappe  comme  pour  communier.  De  la  main, 
je  fis  signe  à  Monsieur  le  curé  qu'elle  ne  devait  point  communier,  et  je  re- 
vins à  ma  place.  Elle  me  suivit.  Elle  s'assit;  elle  resta  assise  sans  avoir  be- 


58  15  JUIN. 

soin  d'être  soutenue.  Ses  pieds  avaient  repris  leur  position  naturelle.  Elle 
était  toute  joyeuse.  A  la  bénédiction  du  prêtre,  voyant  tout  le  monde  se 
mettre  à  genoux,  elle  se  lève  sans  être  aidée,  et,  prenant  une  chaise  sur 
laquelle  elle  était  assise,  elle  la  tourne  avec  adresse  et  s'agenouille  dessus. 

«  Mon  vœu  était  accompli.  Je  repartis  de  suite,  le  cœur  ravi  et  plein  de 
reconnaissance  pour  une  guérison  si  prompte.  Ni  mes  enfants,  ni  moi,  ni  la 
personne  qui  nous  accompagnait,  nous  ne  songeâmes  seulement  à  manger. 
Nous  arrivâmes  à  Toulouse  vers  les  trois  heures  après-midi.  Dès  que  nous 
fûmes  arrivés  devant  la  maison,  Jacquette  apercevant  son  père,  se  mit  à 
crier:  «  Je  suis  guérie  !  Prenez-moi  dans  vos  bras,  et  puis  mettez-moi  à 
terre,  et  vous  verrez  comme  je  marche  bien,  et  comment  Germaine  Cousin 
ma  rendu  la  santé  ». 

«  En  effet,  le  père  la  prit  sur  ses  bras,  puis  la  posa  à  terre  et  la  vit  mar- 
cher à  l'instant  môme,  en  présence  des  habitants  du  quartier,  qui  est  très- 
populeux.  Elle  marchait  libre  et  agile,  sans  fatigue,  sans  la  moindre  diffi- 
culté. Elle  était  bien  guérie,  et,  depuis  ce  jour,  elle  n'a  plus  ressenti  aucun 
mal  » . 

Philippe  Luc,  enfant  du  village  de  Cornebarrieu,  avait  environ  douze 
ans ,  lorsqu'il  éprouva  dans  la  hanche  des  douleurs  très-vives  que  le 
moindre  mouvement  excitait  et  qu'on  ne  put  faire  disparaître.  Après  deux 
ans,  il  y  vint  une  tumeur  qui  perça  sous  l'action  d'un  onguent  et  qui  se 
ferma  après  avoir  légèrement  suppuré,  mais  qui  ne  tarda  pas  à  se  rouvrir 
avec  un  caractère  inquiétant.  Trois  habiles  médecins,  consultés  tour  à  tour, 
reconnurent  une  fistule.  Elle  était  large  de  deux  lignes,  profonde  de  deux 
pouces,  livide  et  violacée;  les  bords  de  l'ouverture  étaient  abaissés  et  cal- 
leux. On  conseilla  au  malade  de  se  faire  porter  à  l'hôpital  Saint-Jacques  de 
Toulouse.  Là,  pendant  deux  mois  consécutifs,  les  médecins  le  soignèrent 
avec  tout  le  zèle  possible,  mais  sans  résultat.  La  fistule  avait  toujours  fait 
des  progrès  :  elle  arrivait  jusqu'à  l'os,  qui  commençait  à  se  carier.  L'enfant 
sortit  de  l'hôpital  et  revint  à  Cornebarrieu  plus  malade  qu'il  n'était  parti. 
Ce  fut  alors  qu'il  sentit  naître  en  son  cœur  une  vive  confiance  qu'il  obtien- 
drait sa  guérison  par  l'intercession  de  la  bienheureuse  Germaine. 

Cornebarrieu  n'est  qu'à  une  lieue  de  Pibrac;  mais  c'était  une  longue 
distance  pour  le  pauvre  malade.  Il  partit  néanmoins  à  pied,  avec  sa  mère, 
souffrant  des  douleurs  si  aiguës,  qu'il  fut  obligé  de  s'arrêter  assez  longtemps 
à  moitié  chemin.  Enfin  il  arrive,  il  entend  la  messe  et  prie  auprès  du  tom- 
beau de  Germaine.  Il  n'obtient  rien,  mais  il  ne  perd  ni  confiance,  ni  espoir. 
Durant  le  retour,  il  s'excitait  dans  ses  sentiments,  disant  à  sa  mère  que 
Germaine  lui  accorderait  certainement  plus  tard  ce  qu'elle  semblait  encore 
lui  avoir  refusé.  Rentré  chez  lui,  il  se  coucha,  et  sa  mère,  ayant  enveloppé 
la  plaie  des  linges  qu'ils  avaient  posés  sur  le  corps  de  la  Bienheureuse,  il 
s'endormit  paisiblement. 

Après  un  court  sommeil,  Philippe  appela  sa  mère  et  lui  demanda  de 
panser  de  nouveau  sa  plaie.  Elle  accourt  avec  empressement  comme  elle 
avait  coutume  de  faire.  Elle  enlève  les  linges  :  ils  étaient  secs,  la  fistule 
était  entièrement  fermée. 

Les  médecins  furent  frappés  d'étonnement  :  u  Je  restai  stupéfait»,  dit 
M.  Laurent  Stevenet,  l'un  d'eux,  h  quand  on  me  présenta  cet  enfant  parfai- 
tement guéri.  J'examinai  l'endroit  où  était  la  plaie  :  une  cicatrice  bien 
formée  indiquait  que  le  mal  avait  existé;  mais  maintenant  il  n'existait 
plus;  il  n'y  avait  aucune  difformité  dans  l'os,  pas  la  moindre  disposition  au 
retour  du  mal.  La  fistule  était  fermée,  aucune  autre  ouverture  ne  s'était 


SAJ.\T   ABRAHAM,   ABBÉ  DE   SAINT-GIRGUES,    A  CLERMONT  59 

faite.  Je  dois  indiquer  encore  un  caractère  merveilleux  de  cette  guérison  : 
c'est  la  mobilité  de  la  peau  et  la  reprise  du  tissu  fibreux  qui  forme  la  cica- 
trice intérieure  de  la  cavité  fistuleuse  ». 

Germaine  fut  béatifiée  par  le  pape  Pie  IX,  le  7  mai  1834.  Il  serait  trop 
long  de  décrire  avec  quelle  pompe,  quelle  piété,  quel  concours  de  fidèles, 
on  célébra  aussitôt  des  fêtes  en  l'honneur  de  la  Bienheureuse,  à  Toulouse 
et  àPibrac.  Dans  ce  village,  patrie  de  Germaine,  la  sainte  communion  fut 
distribuée  à  huit  mille  personnes,  et  beaucoup  furent  obligées  de  se  retirer 
de  l'autel,  tristes  et  résignées,  sans  avoir  pu  apaiser  leur  faim  spirituelle. 
En  trois  jours,  environ  soixante-dix  mille  fidèles,  au  fort  de  la  moisson, 
par  des  journées  très-chaudes  et  après  une  année  de  disette,  accoururent 
dans  un  petit  village  honorer  une  bergère;  on  se  pressait  pour  baiser,  voir 
ces  ossements,  auxquels,  lorsqu'ils  faisaient  partie  d'un  corps  vivant,  on  re- 
fusait un  abri  sous  le  chaume,  et  qu'on  vénère  aujourd'hui  dans  une  chasse 
reluisante  d'or  et  de  lumière,  en  attendant  que,  réunis  à  l'âme,  ils  parti- 
cipent à  sa  gloire  immortelle. 

Monseigneur  Pie,  évêque  de  Poitiers,  et  le  R.  P.  Corail,  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus,  ont  fait  l'éloge  de  la  Bienheureuse;  le  discours  du  vénérable 
et  éloquent  successeur  de  saint  Ililaire  se  trouve  à  la  fin  de  la  Vie  de  la 
bienheureuse  Germaine^  par  M.  L.  Yeuillot.  Apprenons  surtout,  en  méditant 
cette  vie  pauvre,  humble  et  cachée,  que  le  Seigneur  abat  la  fausse  gran- 
deur, confond  la  fausse  science  et  la  fausse  sagesse,  et  qu'il  relève  l'humble 
et  celui  qui  fait  passer  avant  toutes  les  sciences  celle  de  Jésus  crucifié.  Notre 
bergère  n'a  jamais  fréquenté  d'autres  leçons  que  celles  de  la  religion. 

«  On  se  demande  si  elle  savait  lire  »,  dit  Mgr  l'évoque  de  Poitiers,  «  et 
tout  porte  à  croire  que,  de  l'alphabet,  elle  ne  connut  jamais  que  le  signe 
q  :  ^  nos  pères  n'oubliaient  jamais  de  mettre  au  frontispice  de  l'Abécédaire 
chrétien  :  je  veux  dire  la  Croix  de  Dieu.  Mais  ce  qu'elle  apprit  sous  l'empire 
de  la  grâce  divine,  à  l'école  de  cette  croix  du  Sauveur  et  à  celle  des  se- 
crètes inspirations  de  l'Esprit-SainL,  lui  tint  lieu  de  toutes  les  autres  con- 
naissances. Son  ignorance  fut  si  savante,  sa  simplicité  si  éclairée  aux  yeux 
de  Dieu,  que,  non  content  de  lui  donner  dans  les  cieux  l'auréole  des  élus, 
il  a  voulu  glorifier  son  tombeau,  depuis  deux  siècles,  par  une  série  non  in- 
terrompue de  miracles,  et  couronner  enfin  sa  tête  du  nimbe  radieux  par 
lequel  l'Eglise  signale  juridiquement  la  sainteté  de  ses  enfants  ». 

Le  29  juin  1867,  le  souverain  pontife  Pie  IX,  après  avoir  approuvé  de 
nouveaux  miracles,  l'inscrivit  au  livre  des  Vierges. 

On  peut  la  représenter  avec  une  houlette,  un  chien  de  garde  ou  un 
simple  mouton,  pour  marquer  l'office  de  bergère  qu'elle  remplissait;  avec 
des  fleurs  dans  son  tablier,  ou  avec  une  quenouille.  Nous  avons  donné  dans 
sa  vie  l'explication  de  ces  caractéristiques. 

Xie  d»  In  bienheureuse  Germaine,  pux  M.  L.  Veuillot  ;  Eloge  de  la  bienhertrwse  Germaine,  par  Mgr  l'6~ 


SAINT  ABRAHAM, 

ABBÉ  DE  SAINT- CIRQUES,   A  CLERMONT  (472). 

Saint  Abraham  vint  au  monde  en  Syrie,  sur  les  bords  de  l'Euphrate,  vers  la  fin  du  iv»  siècle. 
Après  avoir  fait  de  grands  progrès  dans  les  voies  de  Dieu,  où  il  était  entré  dès  sa  jeunesse,  il 
pensa  que,  pour  y  réussir  et  s'y  perfectionner,  il  devait  imiter  le  grand  patriarche  du  peuple  de 


60  i5  JUIN. 

Dieu,  dont  il  portait  Is  nom,  et  sortir  comme  lui  de  son  pays.  Il  voulut  aller  voir  les  saints  ana- 
chorètes de  l'Egypte,  pour  tâcher  de  s'en  faire  des  modèles  ;  mais  il  fut  pris  par  des  Sarrasins  qui, 
après  l'avoir  dépouillé,  le  maltraitèrent  indignement  en  haine  de  Jésus-Christ,  et  le  mirent  dans  les 
fers  où  ils  le  retinrent  pendant  cinq  ans. 

Après  que  Dieu  l'eut  délivré,  il  quitta  l'Orient.  Traversant  alors  la  Méditerranée,  il  vint  dans  les 
Gaules,  et  s'arrêta  dans  la  ville  de  Clermont,  en  Auvergne,  auprès  d'une  église  dont  on  venait  de 
poser  les  fondements,  et  qu'il  acheva  de  bâtir  lui-même  en  l'honneur  de  saint  Cirgues ',  martyr.  A 
cette  église  il  ajouta  un  monastère,  où  il  forma  un  grand  nombre  de  disciples  par  ses  exemples 
et  ses  instructions,  et  où  il  parvint  lui-même  à  la  plus  haute  perfection. 

Saint  Abraham  fut  même  favorisé  pendant  sa  vie  du  don  des  miracles.  Nous  en  choisissons  un 
entre  mille.  Le  jour  de  la  fête  de  saint  Cirgues,  une  foule  de  pèlerins  affluaient  à  l'église,  et  le  mo- 
nastère avait  la  coutume  de  leur  fournir  le  vin  nécessaire  à  leur  réfection.  Saint  Abraham  recom- 
mandait un  jour  au  cellérier  de  tenir  prêts,  pour  cette  occasion,  des  tonneaux  pleins  de  vin. 
«  Vous  ne  considérez  pas,  mon  père  »,  lui  repartit  l'économe,  «  qu'outre  la  foale  qui  doit  rem- 
plii-  demain  la  ville,  vous  avez  invité  Monseigneur  l'évêque,  le  comte  de  Clermont  et  les  notables 
de  la  contrée,  et  que  toutefois  il  ne  vous  reste  pas  à  la  cave  une  mesure  de  vin  ».  Le  saint  abbé 
descendit  alors  à  la  cave  :  «  Faites-nous  cette  faveur,  ô  mon  Dieu  »,  s'écna-t-il,  «  que  le  vin  ne 
vienne  pas  à  manquer  avant  que  tout  ce  peuple,  qui  va  venir  honorer  votre  serviteur,  en  ait  bu 
suffisamment  ».  Sa  prière  fut  exaucée.  Non-seulement  le  vin  ne  manqua  pas,  mais  on  constata 
qu'il  n'avait  même  pas  diminué. 

Notre  saint  Abbé  parvint  à  une  rare  vieillesse  ;  sa  bienheureuse  mort  arriva  vers  l'an  472.  Son 
corps  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Cirgues,  qui  était  autrefois  une  paroisse  de  Clermont. 

Ceux  qui  sont  tourmentés  de  la  fièvre  trouvent  ordinah-ement  du  soulagement  devant  son 
tombeau. 

Propre  de  Clermont;  Cf.  J.  Branche  :  Vies  des  Saints  et  Saintes  d'Auvergne. 


SAINT  PSALMODE  OU  SAUMAY,  SOLITAIRE  DANS  LE  LIMOUSIN  (589). 

Psalmode,  contemporain  de  Grégoire  le  Grand,  issu  d'une  noble  famille,  dans  la  Grande-Bre- 
tagne, fut  élevé  dans  les  lettres  divines  et  les  mœurs  chrétiennes  par  Brandan.  abbé.  Il  était  en- 
core jeune,  lorsqu'un  jour,  s'étant  endormi  au  bord  de  la  mer,  sur  un  faisceau  d'algue,  l'algue  fut 
soulevée  par  les  eaux,  jusqu'à  ce  que  les  flots,  en  se  retirant  par  le  reflux,  le  laissèrent  sain  et 
sauf  sur  le  rivage,  occupé  à  chanter  les  louanges  de  Dieu.  Un  peu  plus  tard,  voulant  vaquer  plus 
librement  à  la  contemplation,  il  se  retira  à  Saintes,  ville  d'Aquitaine,  où  l'évêque  saint  Léonce  le 
reçut  avec  honneur.  Un  fait  miraculeux  vint  confirmer  l'opinion  que  saint  Léonce  avait  conçue  de 
sa  sainteté.  L'évêque  ayant  fait  conserver  de  l'eau  dans  laquelle  Psalmode  avait  lavé  ses  mains, 
une  femme  aveugle  en  baigna  ses  yeux,  et  aussitôt  elle  recouvra  la  ^'ue. 

Le  bruit  de  ses  miracles  attira  tant  de  monde,  qu'il  fut  obligé  de  s'éloigner  de  Saintes  pour  re- 
trouver la  solitude.  Il  vint  dans  le  Limousin,  trouva  dans  un  bois  très-épais,  non  loin  d'Eymoutiers, 
un  lieu  tel  qu'il  le  désirait,  et  s'y  fixa  pour  y  passer  ses  jours  dans  la  contemplation  et  la  prière. 
Chaque  jour  il  récitait,  outre  d'autres  prières,  le  Psautier  tout  entier,  d'où  lui  est  venu  le  nom  de 
Psalmode.  Il  jeûnait  tous  les  jours,  excepté  les  jours  de  fête. 

Il  guérit,  avec  de  l'eau  bénite,  la  fille  du  duc  d'Aquitaine,  laquelle  avait  été  mordue  par  une 
vipère.  11  délivra  un  possédé,  et  rendit  la  vue  à  une  femme  aveugle.  Mais  ces  prodiges  lui 
procurant  une  gloire  dont  soufl'rait  son  humilité,  il  demanda  à  Dieu  de  lui  retirer  le  pouvoir 
d'opérer  des  miracles.  Il  s'envola  au  séjour  de  la  gloire  immortelle  le  15  juin. 

Son  corps  fut  enseveli  à  Eymoutiers  (Haute-Vienne),  où  il  est  honoré  religieusement. 

Propre  de  Limoges. 

1.  Plusieurs  hagioj^raphes  pensent  que  ce  saint  Cirgues  est  le  même  que  saint  Cyr,  fils  de  sainte 
Julitte,  dont  nous  donnons  la  vie  au  16  juin. 


SAINT  LOTHAÎRE,   ÉVÊQUE  DE   SÉEZ.  61 

SAINT  LANDELIN, 

FONDATEUR  DE  LOBEES,   ET  PREMIER   ABBÉ   DE   CRESPIN  (686). 

Landelin,  de  la  noble  race  des  Francs,  naquit  soiis  le  règne  de  Dagobert,  entre  Bapaume  et 
Cambrai,  dans  une  villa  nommée  la  Vallée  ou  Vaulx.  Dès  son  enfance  il  montra  uu  heureux  nalu- 
rel,  et  ses  parents  confièrent  le  soin  de  son  éducation  à  saint  Aubert,  évêque  de  Cambrai.  Celui-ci 
exhortait  le  jeune  homme  à  vivre  pieusement  et  saintement,  et  le  prémunissait  contre  les  dangers 
du  monde.  D'un  autre  côté,  quelques  membres  de  sa  famille  ne  négligeaient  rien  pour  le  détour- 
ner des  choses  célestes  et  lui  faire  préférer  les  voluptés  et  les  délices  de  la  terre.  Il  finit  par 
prêter  l'oreille  à  leurs  perfides  conseils;  il  se  montra  rebelle  aux  exhortations  de  l'évêque,  et 
même  il  le  quitta,  et  se  jeta  bientôt  dans  tous  les  égarements  d'une  vie  coupable,  jusqu'à  se  mettre 
à  la  tête  d'une  troupe  de  voleurs.  Le  bon  Père  pleurait  déjà  son  disciple  comme  mort.  Après  un 
intervalle  de  temps  assez  long,  la  mort  horrible  et  imprévue  d'un  de  ses  compagnons  frappa  Lan- 
delin d'une  si  grande  terreur,  qu'abandonnant  tout  le  reste,  il  vint  se  jeter  aux  pieds  de  l'évêque 
pour  implorer  le  remède  de  la  pénitence. 

Son  maître  le  reçut  avec  une  grande  effusion  de  joie  et  de  tendresse  ;  pendant  quelque  temps 
il  lui  fit  suivre  les  exercices  des  clercs  en  lui  laissant  l'habit  séculier.  Landelin  renonça  cette  fois 
au  monde  pour  toujours  :  ses  vertus  progressèrent  de  jour  en  jour  ;  il  entra  dans  les  ordres,  fit 
trois  fois  le  voyage  de  Rome  pour  y  vénérer  le  tombeau  des  saints  Apôtres,  et  partout  il  édifia  les 
étrangers  par  sa  piété  et  sa  charité,  comme  il  avait  édifié  ses  frères  par  son  obéissance,  son  hu- 
milité, sa  douceur.  Quand  il  fut  prêtre,  il  demanda  et  obtint  de  saint  Aubeit  la  permission  de 
se  retirer  dans  la  solitude  pour  y  pleurer  les  désordres  de  sa  vie  passée.  Il  choisit  pour  le  lieu 
de  sa  retraite  le  désert  de  Laubac,  où  il  s'exerça  aux  œuvres  de  pénitence.  Un  grand  nombre 
de  disciples  étant  venus  se  mettre  sous  sa  direction,  il  fonda  le  monastère  de  Lobbes,  sur  la 
Sambre.  Il  en  construisit  bientôt  deux  autres,  celui  d'Aune  ou  Aine,  et  celui  de  Wallers.  Il  dota 
ces  monastères  avec  les  biens   qu'il  tenait  de  la  libéralité  des  rois  de  France. 

Ces  monastères  une  fois  fondés,  se  jugeant  indigne  de  les  gouverner,  il  les  crfnfia  à  la  direc- 
tion d'Ursmar  et  de  Dodon,  qu'il  avait  fait  élever  à  la  dignité  épiscopale.  Puis,  voulant  se  donner 
plus  complètement  à  Dieu  dans  l'oraison  et  la  macération  du  corps,  il  s'enfonça,  accompagné  de 
saint  Adelin  et  de  saint  Domitien,  dans  une  épaisse  forêt,  entre  Mons  et  Valenciennes.  Les  trois 
solitaires  vécurent  là  dans  des  cellules  de  branches  d'arbres.  Leur  renommée  leur  attira  des  dis- 
ciples ;  ils  bâtirent  une  chapelle  qui  fut  le  grain  de  sénevé  d'où  s'éleva  l'abbaye  de  Crespin,  sur 
la  rivière  de  Hon,  non  loin  de  l'Escaut  et  de  la  ville  de  Coudé.  Croyant  alors  que,  pour  opérer  un 
grand  bien,  il  serait  bon  de  séparer  Adelin  et  Domitien,  il  les  envoya  dans  des  lieux  différents 
travailler  à  la  gloire  de  Dieu  et  à  la  sanctification  des  âmes.  Le  premier  se  fixa  près  de  la  rivière 
de  Hon,  le  second,  sur  la  Raine.  Pour  lui,  il  resta  au  monastère  de  Crespin,  dont  il  prit  le  gou- 
vernement, et  se  prépara  à  la  mort  par  la  méditation  des  choses  divines. 

Saint  Landelin,  en  effet,  n'était  pas  loin  du  terme  de  sa  longue  pénitence.  Attaqué  soudain 
d'une  fièvre  violente,  il  fit  venir  ses  religieux  et,  leur  faisant  ses  adieux,  il  leur  déclara  que  c'était 
pour  la  dernière  fois  qu'ils  le  voyaient  sur  la  terre.  A  ces  mots  tous  fondirent  en  larmes,  mais 
Landelin  les  rassura  :  «  Ne  vous  attristez  point  de  ma  mort,  mes  enfants  »,  leur  dit-il,  «  Jésus- 
Christ,  votre  premier  père,  sera  toujours  avec  vous,  et  l'ennemi  de  vos  âmes  ne  pourra  pas  vous 
nuire  »,  Il  se  fit  alors  coucher  sur  la  cendre  et  remit  paisiblement  son  âme  à  Dieu.  C'était  le 
15  juin  686. 

Son  corps  fut  enseveli  dans  le  monastère  même  de  Crespin. 

Propre  d'Arras;  —  Cf.  Destombes  :  Vies  det  Saints  des  diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras;  Van  Drivai  : 
Bagiologie  du  diocèse  d'Arras. 


SAINT  LOTHAIRE  OU  LOYER,  ÉVÊQUE  DE  SÉEZ  (756). 

Lothaire  était  lorrain,  issu  d'un  sang  très-noble.  Quelques  hagiographcs  le  font  fils  de  Lambert, 
prince  de  Moselle  et  Lorraine.  11  fut  élevé  à  la  cour  des  rois  de  France  et  porta  les  armes.  Mais, 


62  15   JDTN. 

ayant  vu  mourir  sa  femme  Tarente,  fille  d'Astolphe,  roi  des  Lombards,  il  ouvrit  les  yeux  à  l'in- 
constance des  choses  humaines,  embrassa  la  pauvreté  de  Jésus-Christ,  et,  renonçant  au  monde,  il 
entra  dans  les  sentiers  d'une  vie  plus  calme  et  plus  sûre. 

Il  partagea  ses  biens  à  ses  fils,  et,  prenant  un  habit  pauvre,  il  se  mit  à  visiter  les  lieux  de 
pèlerinage.  Ensuite  il  chercha  dans  les  plus  âpres  déserts  de  Neustrie  une  solitude  où  il  pût 
demeurer  ignoré  de  tous.  Il  la  trouva  près  d'Argentan,  sur  une  colline  alors  couverte  de  grands 
arbres  ;  il  s'y  construisit  une  cellule  en  forme  de  tombeau  ;  et  oubliant  le  monde  et  lui-même,  il 
vaquait  nuit  et  jour  à  l'oraison,  au  jeûne  et  à  Dieu  seul.  Le  désert  se  peupla,  par  suite  de  la  foule 
de  fidèles  qu'y  attirèrent  les  miracles  du  saint  anachorète,  et  il  s'y  forma  un  village  qui  prit  le 
nom  du  pieux  solitaire,  appelé  vulgairement  Lohier  ou  Loyer;  c'est  aujourd'hui  Saint-Loyer  des 
■champs  (Orne). 

Mais  la  renommée  de  sa  sainteté  se  répandit  de  plus  en  plus.  Il  en  résultat  que  les  habitants  de 
Séez  le  demandèrent  pour  évêque,  et  malgré  sa  résistance  il  fut  élevé  sur  ce  siège  par  les  suffrages 
unanimes  du  peuple. 

11  gouverna  el  défendit  son  Eglise  aves  autant  de  sagesse  que  de  courage.  Après  un  long  épis- 
copat,  se  sentant  brisé  par  les  travaux  et  les  ans,  il  demanda  à  ses  diocésains  la  permission  de 
déposer  la  mitre,  et  reprit  le  chemin  de  son  ermitage.  Là  il  vécut  encore  de  longues  années,  se 
préparant  par  la  prière,  les  jeûnes  et  les  mortifications,  à  sa  bienheureuse  mort  qui  arriva  le  15  juin 
de  l'année  756. 

Propre  de  Séez,  —  Nous  dormons,  au  Supplément,  des  di^tails  snr  les  reliqnes  de  ce  saint  Evêqnc, 
d'après  des  documents  qui  ne  nous  sont  parvenus  qu'après  l'impression  de  catt'î  Notice. 


SAIiNT  HILARIAN,  PRÊTRE  ET  MARTYR  EN  ROUERGUE  (viii«  siècle). 

Saint  Hilarian  naquit  dans  le  viii»  siècle,  à  Espalion  on  dans  les  environs,  de  parents  nobles 
et  pieux  qui  prirent  soin  de  lui  donner  une  éducation  chrétienne.  Il  fut  instruit  dans  les  lettres 
sacrées  et  profanes,  dont  il  acquit  une  connaissance  approfondie.  Ses  vertus  furent  encore  plus 
remarquables  que  sa  science  :  de  bonne  heure,  il  se  fit  admirer  par  la  ferveur  de  sa  piété  et  la 
candeur  de  son  âme  qui  se  traduisaient  sur  son  extérieur.  Son  visage  riant  et  agréable,  ses  manières 
aimables  et  douces,  la  distinction  et  la  beauté  qui  régnaient  dans  toute  sa  personne  n'étaient  que 
le  doux  reflet  de  la  beauté  et  de  la  sérénité  de  son  âme  innocente  et  vertueuse.  Tant  de  qualités 
lui  attirèrent  l'estime  et  l'atTection  de  tous  :  û  fut  choisi  pour  être  élevé  aux  sublimes  fonctions 
du  sacerdoce. 

Hilarian,  par  son  savoir  et  ses  vertus,  attira  les  regards  de  l'illustre  Charlemagne  :  ce  prince 
lui  confia  la  direction  de  quelques  écoles  ;  et  il  professa  une  telle  estime  et  une  telle  vénération 
pour  ce  saint  prêtre,  qu'il  le  choisit  pour  son  confesseur.  Il  put  avoir  occasion  de  se  servir  de  son 
ministère,  pendant  le  séjour  qu'il  faisait  quelquefois  dans  sa  villa  de  Cassaneuil,  située  sur  les  bords 
solitaires  du  Lot.  Hilarian  se  livra  donc  avec  succès  à  l'œuvre  delà  régénération  morale  de  son  pays, 
qui,  depuis  longtemps,  était  converti  au  christianisme. 

Mais,  à  cette  époque  tourmentée,  on  ne  pouvait  se  promettre  une  tranquillité  de  longue  durée. 
Les  Sarrasins,  plusieurs  fois  repoussés  du  Rouergue  par  Charlemagne,  firent  souvent  dans  ce  pays 
des  incursions  et  des  ravages,  même  sous  le  grand  empereur.  Ils  s'établissaient  dans  des  forts  ùiac- 
cessibles,  et  de  là,  comme  d'un  repaire,  ils  s'élançaient  dans  toutes  les  directions  pour  piller,  quand 
ils  se  voyaient  hors  de  la  portée  de  leur  vainqueur.  C'est  ainsi  qu'ils  restèrent  quelque  temps  les 
maîtres  du  territoire  d'Espalion  ;  et,  sous  leur  domination,  la  religion  fut  persécutée  et  les  prêtres 
dispersés  ou  mis  à  mort. 

Hilarian  ne  voulut  pas  abandonner  son  peuple  dans  la  persécution  ;  il  se  cacha  avec  sa  mère 
dans  quelque  retraite  ignorée;  et  de  là  il  se  portait  dans  tous  les  lieux  où  son  ministère  pouvait 
être  utile.  Et  alin  de  célébrer  avec  plus  de  sécurité  le  saint  sacrifice,  il  se  rendait  souvent  à  Lévi- 
gnac,  à  un  quart  de  lieue  seulement  de  l'église  de  Perse,  qu'il  desservait;  et,  comme  il  lui  fallait 
traverser  le  Lot,  plusieurs  fois,  à  défaut  de  barque,  il  étendait  son  manteau  sur  les  eaux,  et,  par 
ce  moyen,  passait  et  repassait  la  rivière. 

Ses  ennemis  s'elforcèrent  souvent  de  s'emparer  de  lui,  pour  le  faire  périr  ;  mais  le  ciel  le  pro- 
tégea quelque  temps  visiblement,  ne  voulant  pas  priver  trop  tôt  le  peuple  du  secours  de  son  minis- 
tère. Un  jour  même,  ses  persécuteurs  ayant  tenté  de  le  poursuivre  au-delà  du  Lot,  furent  sub- 
mergés dans  ses  eaux  en  les  traversant.  En  ce  même  endroit,  on  voit  une  croix  devant  laquelle  la 


SAINT  niLARIAN,   PRÊTRE   ET  MARTYR  EN  ROUERGUE.  63 

procession  s'arrêtait  autrefois,  aux  jours  des  Ro-jations.  Oa  montre  aussi,  dans  les  environs,  un  roc 
creusé  en  forme  de  sarcopliage  et  à  la  mesure  d'un  liomme,  cavité  qu'on  croit  s'être  formée  pour 
recevoir  et  cacher  le  Saint,  un  jour  qu'on  le  cherchait  pour  le  faire  mourir.  Une  croix  y  est  aussi 
plantée  sur  le  rocher,  et  la  procession  y  faisait  pareillement  une  station. 

On  raconte  que  la  mère  d'Hilarian,  pleine  d'inquiétude  pour  la  vie  de  son  fils  exposée  si  sou- 
vent, lui  disait  quelquefois  :  «  Mon  fils,  vous  finirez  par  laisser  la  tête  dans  l'une  de  vos  excur- 
sions ».  —  «  Ma  mère  »,  lui  répondit  celui-ci  avec  enjouement,  «  s'il  m'arrived'y  perdre  la  tète,  je 
vous  la  rapporterai  ». 

Enfin  le  ciel  voulut  couronner  tant  de  vertus  et  tant  de  dévouement  par  la  gloire  du  martyre. 
Le  saint  prêtre  fut  atteint  un  jour  par  ses  persécuteurs,  qui  lui  tranchèrent  la  tète.  Le  vaillant 
athlète  du  Christ  donna  volontiers  sa  vie  pour  son  divin  Maître  ;  mais,  dès  que  les  meurtriers  se 
furent  éloignés,  il  se  releva,  prit  entre  ses  mains  sa  tête  sanglante  et  la  lava  lui-même  à  une  fon- 
taine appelée  depuis  Fontsange  ;  il  lui  communiqua  ainsi,  dit-on,  une  vertu  mirai  uleuse  ;  les  habi- 
tants de  ce  pays  viennent  souvent  y  puiser. 

Le  saint  Martyr,  ayant  donc  repris  sa  tête,  se  dirigea  ainsi  vers  la  demeure  de  sa  mère  et  vint 
remettre  son  chef  entre  ses  mains,  comme  un  gage  de  piété  filiale,  selon  la  promesse  qu'il  lui  en 
avait  faite  de  son  vivant.  D'autres  prétendent  qu'il  le  porta  dans  l'église  de  Perse.  Son  peuple 
fidèle  inhuma  le  corps  du  saml  Martyr  dans  cette  église,  et,  pénétré  de  la  plus  légitime  admiration 
pour  ses  vertus  et  pour  sa  mort  glorieuse,  il  s'empressa  de  lui  rendre  un  culte  public  et  de  l'in- 
voquer comme  son  protecteur  et  son  patron. 

Un  manuscrit  sur  parchemin,  daté  de  1450,  rappelle  avec  quel  concours  de  peuple  et  quelle 
pompe  la  fête  du  Saint  était  célébrée,  le  15  juin.  A  l'occasion  des  ravages  exercés  par  la  peste,  en 
1451  et  en  1456,  les  habitants  d'Espalion  se  vouèrent  à  saint  Ililarian. 

On  peut  voir  encore,  sur  les  deux  colonnes  du  raaltre-autel  de  l'église  paroissiale  d'Espalion, 
an  bas-relief  qui  représente  le  martyre  de  saint  Ililarian  et  le  miracle  qui  l'accompagna.  Cette 
sculpture  date  du  xv«  siècle  ou  du  commencement  du  xvi«. 

Le  12  octobre  1524,  François  d'Eslaing,  évêque  de  Rodez,  fit  sa  visite  pastorale  à  la  ville 
d'Espalion  et  y  consacra  solennellement  l'église  dont  nous  venons  de  parier  ;  le  procès-verbal  fait 
mention  d'une  relique  de  saint  Hilarian  qu'on  y  vénérait.  Les  habitants  de  la  ville  profitèrent  de  la 
présence  de  leur  pasteur,  pour  faire  l'ouverture  du  tombeau  de  leur  saint  patron,  afin  d'opérer  la 
translation  de  ses  reliques  dans  un  lieu  plus  honorable.  Le  pieux  François  d'Estaing  voulut  lui- 
même  présider  la  cérémonie.  Une  procession  fut  organisée  avec  une  pompe  extraordinaire,  et  la 
foule  se  pressa  dans  l'église  de  Perse,  trop  étroite  pour  la  contenir.  Cette  église,  construite  au 
H»  siècle,  subsiste  encore  et  est  un  beau  monument  d'architecture  romane. 

On  procéda  donc  à  l'ouverture  du  tombeau  massif  et  volumineux  du  saint  Martyr.  Le  prélat 
recueillit  soigneusement  tous  les  os  du  corps  et  de  la  tête,  qui  se  trouvaient  renfermés  dans  cette 
tombe,  ainsi  que  des  lambeaux  de  vêtements  sacerdotaux  que  le  temps  n'avait  pas  encore  consumés. 
Ces  reliques,  déposées  sur  l'autel,  furent  soigneusement  mises  en  ordre  par  le  pieux  prélat  et  placées 
par  lui  dans  une  châsse  précieuse  ;  il  ordonna  que  cette  châsse  fût  renfermée  à  son  tour  dans  un 
vase  de  cuivre  ou  de  bronze,  et  exposée  à  la  vénération  des  fidèles  dans  un  endroit  élevé. 

Un  procès-verbal  d'une  visite  du  même  évêque  constatait  la  présence  d'une  relique  de  saint 
Hilarian  dans  l'église  de  Flaujac.  L'abbaye  de  Bonneval,  dans  le  Rouergue,  possédait  une  châsse 
d'argent  très-précieuse  où  l'on  gardait  un  os  du  bras  de  saint  Hilarian. 

Une  autre  relique  de  saint  Hilarian  était  vénérée  à  Thérondels,  où  elle  avait  été  apportée  par 
un  vicaire  général  de  Voyer  de  Paulmy,  en  1668,  ainsi  que  le  constate  le  procès-verbal  encore  existant. 

On  conservait  avant  la  Révolution,  dans  l'église  de  Perse,  une  ancienne  châsse  dorée,  qui  con- 
tenait presque  tous  les  os  d'un  même  corps,  très-blancs  et  très-solides.  On  croit  que  c'étaient  les 
reliques  de  saint  Hilarian  ;  mais  cette  châsse  fut  vendue  par  les  profanateurs  révolutionnaires  e/ 
les  ossements  jetés  au  vent. 

Abrégé  de  la  Vie  qu'en  »  donnée  M.  l'abbé  L.  Servières,  dans  les  Saints  du  Rouergue. 


64  16  JTiîT. 


XVr  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Besançon,  dans  les  Gaules,  les  saints  martyrs  Ferréol  ou  Fargeau,  prêtre,  et  Ferjedx, 
on  Feugeon  ou  Ferhdtion,  diacre,  qui  furent  envoyés  par  saint  Irénée,  évèque,  pour  prêcher  la 
parole  de  Dieu,  et  endurèrent  plusieurs  tourments  sous  le  juje  Claude,  qui  leur  ût  trancher  la 
tète  1.  212.  —  A  Tarse,  en  Cilicie,  les  saints  martyrs  Cyr  et  Julitte,  sa  mère,  mis  à  mort  sous 
l'empereur  Dioclétien;  Cyr  n'était  qu'un  petit  enfant  de  trois  ans  ;  mais,  en  voyant  sa  mère  entre 
les  mains  des  bourreaux,  qui  la  fouettaient  crnellement  avec  des  nerfs  de  bœuf,  en  présence  du 
président  Alexandre,  il  jeta  de  si  grands  cris,  sans  pouvoir  être  apaisé,  qu'on  lui  brisa  la  tête  contre 
les  degrés  dn  tribunal.  Pour  Julitte,  après  cette  llagellation  et  d'autres  grands  tourments,  elle  fut 
décapitée,  et  acheva  ainsi  le  cours  de  son  martyre  2.  30i.  —  A  Mayence,  le  martyre  de  saint 
.VuRÉE,  de  sainte  Justine,  sa  sœur,  et  de  leurs  compagnons,  qui,  célébrant  Ids  saints  mystères 
dans  l'église,  furent  massacrés  par  les  Huns,  qui  ravagaient  l'Allemagne.  451.  —  A  Amathoule,  en 
Chypre,  saint  Tychon,  évèque,  du  temps  de  Théodose  le  Jeune,  v»  s. —  A  Lyon,  le  décès  de  saint 
AuRÉLiEN,  évèque  d'Arles.  551.  —  A  Nantes,  saint  Similien,  Siuilin,  Sambin  ou  Semblin, 
évèque  et  confesseur.  310.  —  A  Misne,  en  Allemagne,  saint  Benuon,  évèque  ^.  HOC.  —  Au  vil- 
lage de  La  Louvesc,  au  diocèse  de  Viviers,  saint  Jean-François  Régis,  confesseur,  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus,  homme  d'une  charité  et  d'une  patience  admirables  dans  ses  travaux  pour  le  salut 
des  âmes.  Il  a  été  mis  au  nombre  des  Saints  par  le  pape  Clément  XII.  1640.  —  En  Brabanl,  sainte 
LuTGARDE,  vierge.  1246. 

MARTYROLOGE  DE   FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Mende,  saint  lipide,  martyr,  lequel,  après  avoir  enseveli  un  grand  nombre  de 
martyrs  que  la  persécution  moissonnait  tous  les  jours,  mérita  d'être  joint  à  leur  compagnie  par 
une  mort  glorieuse,  iii"  s.  —  A  Auxerrc,  saint  Censure  ou  Censoir,  évèque  de  ce  siège,  men- 
tionné au  martyrologe  romain  du  10  juin*. —  A  Vienne,  en  Daiiphiné,  saint  Domnole,  archevêque 
de  ce  siège,  qu'il  gouverna  avec  autant  de  piété  que  de  sagesse.  Parmi  ses  vertus,  on  remarquait 
surtout  sa  charité  pour  les  pauvres  et  sa  générosité   pour  le  rachat  des  captifs,  œuvre  à  laquelle 

1.  Outre  le  diocèse  de  Besançon,  ceux  de  Paris,  de  Saint-Dié  et  de  Strasbourg  ont  un  oflfice  propre  de 
saint  Ferréol  et  de  saint  Ferjeux. 

2.  Les  diocèses  d'Arles,  de  Nevers  et  de  Saint-Flour  en  font  une  office  particulier  :  le  culte  des  saints 
Martyrs  est  surtout  célèbre  a  Nevers  dont  ils  sont  les  patrons  principaux. 

3.  11  a  un  office  propre  dans  le  dlocfeso  de  Coloi^nc.  —  Né  l'an  1010,  à  Hildcsheim,  dans  la  dasse  Saxe, 
11  fut  placé  sur  le  siège  do  Misne  par  saint  Aniion,  évoque  de  Cologne.  Non  content  d'évangéliser  son 
diocèse,  il  prêcha  la  foi  chrétienne  aux  Slaves.  Dieu  bénit  ses  travaux,  et  un  grand  nombre  de  barbares  se 
convertirent.  Dieu  honora  son  tombeau  de  plusieurs  miracles.  Son  corps  fut  lové  de  terre  vers  1270  par 
révoque  Witiijon  qui  lui  érigea  un  supeibe  tombeau  dans  l'église  de  Misne.  Les  papes  Alexandre  VI 
et  Jules  II  s'occupèrent  de  sa  canonisation,  et  le  décret  en  fut  publié  en  1523  par  Adrien  VI.  Ce  fut  à 
l'occasion  de  la  publication  de  cette  bulle  que  Luther  fit  paraître  un  livre  imi)ie  intitulé  Contre  la  nou- 
velle idole  qu'on  doit  élèvera  Misne.  En  1.^76,  ses  reliques  furent  transférées  a  Munich,  d'après  la  demande 
de  l'électeur  <le  Bavière.  Dans  l'église  coIléi,'iale  de  Sainte-Marie  de  cette  ville,  on  admire  de  nos  jours 
une  magnififiue  cliapelle  qui  lui  est  consacrée.  Sous  un  dôme  splendide  se  dresse  un  autel  de  tonte  beauté 
(style  l'.enaissaiice),  avec  cette  inscription  : 

A  la  gloire  du  Dieu  tout-ptiiasant  et  à  la  pieuse  mémoire  de  saint  Bennon,  ancien  évèque  de  Misne.  La 
bonté  de  Dieu  et  le  zèle  du  très- illustre  Albert  Y,  électeur  de  Bavière,  ont  valu,  au  peuple  de  Munich 
l'insigne  honnmr  de  posséder  ses  reliques.  Elles  reposent  dans  cette  chapelle  élevée  en  1604  par  la  géné- 
rosité des  fidèUs. 

La  mitre,  la  chasuble  et  la  crosse  du  saint  évèque  se  conservent  dans  le  trésor  de  l'église. 

Les  Bollandistes  (t.  iv  jun.),  donnent  trois  planches  magnifiques  à  ce  sujet.  C'est  là  que  nous  avon» 
puisé  ces  détails  archéolo;,'iqucs. 

■4.  Voir  a  es  jour  une  note  qui,  le  conserne. 


MARTYROLOGES.  65 

il  consacra  des  sommes  considérables.  Vers  627.  —  A  Chaumont-Porcien,  au  diocèse  de  Reims,  les 
saints  Berlaud  et  Amand,  prêtres  et  solitaires,  sous  l'invocation  desquels  était  dédiée  l'ancienae 
abbaye  de  Cliaumont-la-Piscine.  C'était  un  monastère  de  l'Ordre  des  Prémonlrés  fondé,  en  1140,  par 
Régiuald  de  Roset  ;  il  a  donné  naissance  sans  doute  au  bourg  actuel  de  Chaumont-Porcien,  aujour- 
d'hui chef-lieu  de  canton  du  département  des  Ardennes.  Vers  540.  —  A  Ruffey,  en  Franche-Comté, 
le  martyre  de  saint  Anlide,  évèque  de  Besançon  '.  411.  —  A  Limoges,  l'apparition  de  Notre-Sei- 
gneur  à  saint  Martial  «.  —  A  Avranches,  saint  Ausbert  ou  Autbert,  qui,  au  témoignage  de  Sige- 
bert,  fit  bâtir  l'église  de  Saint-Michel  du  Mont,  où  il  fut  enterré.  Vers  720.  —  Au  Forêt,  en  Bra- 
bant,  sainte  Alêne,  vierge  et  martyre.  640.  —  A  Périgueux,  saint  Léonce  ou  Léon,  évèque  de  ce 
siège  et  confesseur.  Son  corps  fut  enseveli  dans  l'église  de  Saint-Pierre  le  Vieux  où  il  demeura  long- 
temps en  grande  vénération.  Quand  cette  église  fut  ruinée,  on  lit  des  fouilles  sur  son  emplacement  et  on 
découvrit,  entre  autres  tombeaux,  celui  du  saint  évèque  que  l'anneau  d'or  qu'il  portait  au  doigt 
avec  son  chilfre  fit  reconnaître.  Ses  reliques  furent  alors  transférées  en  l'église  de  Saint-Etienne, 
et  enfermées  dans  une  chisse  d'argent.  Celle  translation  eut  lieu  en  1034.  Eu  1127,  ces  restes 
précieux  furent  profanés  comme  beaucoup  d'autres  et  jetés  au  vent. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Misne,  en  Allemagne,  saint  Bennon,  confesseur, 
de  l'Ordre  des  Chanoines  réguliers,  et  évèque  de  cette  ville,  qui  resta  invinciblement  attaché  à 
saint  Grégoire  VU,  dans  la  défense  de  la  liberté  ecclésiastique. 

Martyrologes  des  Bénédictins,  des  Camaldules  et  de  Vallombreuse.  —  Saint  Basile,  évoque... 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  A  Cuistres,  en  Brabant,  sainte  Lutgarde. 

Martyrologe  des  Franciscains  mineurs.  —  A  Gnesn,  en  Pologne  ,  la  bienheureuse  Jolente, 
fille  de  Bêla  IV,  roi  de  Hongrie,  qui,  ayant  été  mariée  à  Boleslas,  grand  duc  de  Pologne,  embrassa, 
après  sa  séparation  d'avec  lui,  la  vie  monastique  dans  l'Ordre  de  Sainte-Claire  ;  elle  s'y  exerça  à  la 
pratique  de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  jusqu'à  ce  que,  comblée  de  mérites,  elle  s'envola  auprès 
de  l'Epoux  céleste  le  11  de  juin. 

Martyrologe  des  liiéronymites.  —  Saint  Léon  111,  pape,  mentionné  le  12  juin. 

ADDITIONS    FAITES  D'APRÈS   LES  BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

En  Afrique,  les  saints  Cyriaque,  Valérie,  Marcie,  Diogène  et  Mica,  martyrs,  portés  au  marty- 
rologe de  saint  Jérôme  et  dans  plusieurs  autres.  —  A  Messine,  en  Sicile,  les  saints  Saturnin  et 
Cendène,  mentionés  par  les  mêmes.  —  A  Volaterres  (aujourd'hui  Volterra),  en  Elrurie,  les  saintes 
Actiuée  et  Grécinienne,  vierges  et  martyres,  honorées  en  l'église  de  Saint-Just  des  Camaldules  de 
cette  ville.  Règnes  de  Dioclélien  et  de  Maximien.  —  A  Apollonias,  en  Asie-Mineure,  saint  Marc, 
évèque  et  martyr.  —  Chez  les  Grecs,  le  martyre  de  cinq  confesseurs  de  la  foi,  natifs  de  Nicomédie. 

—  A  Rome,  le  supplice  de  quarante  martyrs  qui  furent  brûlés  ensemble  en  haine  de  la  religion. 

—  A  Spoléte,  en  Ombrie,  saint  Maur,  prêtre,  avec  son  fils,  Félix,  et  sa  nourrice,  étrangers  venus  de 
Césarée  à  Rome,  qui  délivrèrent  la  contrée  d'un  serpent  monstrueux,  et  dont  la  sainteté  fut  révélée 
par  des  miracles.  vi<:  s.  —  Au  diocèse  de  Constance,  en  Allemagne,  les  saintes  Cuoégonde,  Mech- 
tonde,  Wibrande  et  Chrischone  ou  Chrétienne,  vierges.  Leurs  corps  furent  levés  de  terre,  en  1504 
(16  juin),  et  déposés  avec  honneur  dans  l'église  d'Eichsel,  au  diocèse  de  Constance,  à  l'exception 
de  celui  de  la  dernière  qui  vint  enrichir  l'église  de  Sainte-Chrétienne  du  Mont,  au  même  diocèse. 
ixe  ou  xe  s.  —  A  Carrare,  ville  forte  du  duché  de  Modène,  saint  Cécard,  évèque  de  l'ancien  siège 
de  Luna,  en  Etrurie  (diocèse  actuel  de  Sarzane),  et  martyr.  En  1600,  son  corps  fut  levé  de  terre 
et  placé  dans  une  belle  chapelle  de  marbre  eu  l'église  de  Carrare.  Il  est  le  patron  de  celte  ville  et 
on  l'invoque  avec  succès  dans  toute  espèce  de  nécessité,  x*  s. 

1.  Voir  sa  notice  au  25  julu.  —  2.  Voir  sa  vie  au  30  juin* 


y;E3  DES  Saints.  —  Tome  VII, 


66  16  JUIN. 

SAINT  FERRÉOL  '  &  SAINT  FERJEUX  ', 

FONDATEURS  DE  L'ÉGLISE  DE  BESANÇON 
212.  —  Pape  ;  Saint  Zéphirin.  —  Présideat  de  la  Séquanie  :  Glande. 


Martyres  risque  ad  morUm  suorum  co)-porum  pr» 
veritate  certarunt,  ut  innotesceret  vera  religio,  falsis 
religionibus  fictisque  convictis. 

Les  Martyrs  ont  combattu  pour  la  vérité  jusqu'à  sa- 
crifier leurs  corps  a  la  mort,  afin  de  faire  connaître 
la  vraie  religion  en  démasquant  la  fausseté  des 
autres  prétendues  religions. 

S.  Aug.,  De  civit.  Dei,  lib.  m,  cap.  27. 

La  mort  de  saint  Potliin,  fondateur  de  l'Eglise  de  Lyon,  laissait  à  saint 
Irénée  le  soin  de  cultiver  un  sol  fécondé  par  le  sang  des  martyrs.  Compre- 
nant toute  l'importance  et  toutes  les  difficultés  de  sa  mission,  il  se  rendit  à 
Rome  pour  prendre  les  ordres  du  pape  saint  Eleuihère,  et  reçut  de  sa  main  la 
consécration  épiscopale.  De  retour  dans  son  église,  il  s'efforça  d'imiter,  en 
l'administrant,  saint  Polycarpe,  son  maître,  ce  modèle  parfait,  formé  lui- 
même  à  l'école  du  disciple  qui  avait  reposé  sur  le  cœur  de  Jésus-Christ. 
C'est  pourquoi,  sans  cesser  de  se  dévouer  à  son  peuple,  il  s'appliqua  à  for- 
mer des  prêtres  pleins  de  zèle  et  de  talents,  à  l'exemple  du  grand  évêque 
de  Smyrne,  dont  le  clergé  avait  été  une  pépinière  de  Saints.  Sous  l'inspira- 
tion de  l'illustre  docteur,  Lyon  devint  en  Occident  ce  que  Smyrne  avait  été 
en  Orient,  le  foyer  de  la  tradition,  le  gymnase  où  l'orthodoxie  se  fortifia  par 
la  discussion  des  doctrines,  le  séminaire  des  apôtres  et  des  martyrs.  Alors 
commencèrent  les  grandes  missions  entreprises  sous  ses  ordres.  Il  envoya 
presque  en  même  temps  Bénigne  à  Dijon  et  à  Lan  grès,  Thyrse  et  Andoche 
sur  les  bords  de  l'Ain,  Félix,  Fortunat  et  Achillée  à  Valence,  Ferréol  et  Fer- 
jeux  à  Besançon. 

Ferréol  et  Ferjeux,  amis  intimes  selon  les  uns,  frères  selon  les  autres, 
avaient  reçu  le  jour  dans  l'Asie  mineure.  Selon  l'usage  du  temps,  ils  ache- 
vèrent leurs  études  dans  les  écoles  d'Athènes,  où  ils  se  firent  remarquer  par 
l'élévation  de  leur  esprit  et  par  l'étendue  de  leurs  connaissances.  Ayant  eu 
le  bonheur  de  connaître  et  d'adorer  Jésus-Christ  dès  leur  enfance,  ils  por- 
tèrent dans  la  pratique  dés  vertus  chrétiennes  la  beauté  d'une  âme  que  l'er- 
reur et  le  vice  n'ont  jamais  souillée.  Pleins  de  jeunesse,  de  force  et  de  zèle, 
ils  brillaient  dans  le  sanctuaire  comme  des  pierres  précieuses  dont  la  pureté 
égale  la  splendeur.  Ferréol  était  prêtre,  et  quelques  critiques  croient  même, 
non  sans  raison,  qu'il  avait  reçu  le  caractère  d'évêque.  Ferjeux,  qui  n'était 
que  diacre,  assistait  son  compagnon  dans  la  célébration  des  saints  mystères, 
et  s'occupait  particulièrement  du  soin  des  pauvres  et  des  veuves.  Les  deux 
frères  arrivèrent  à  Besançon  vers  l'an  180,  sur  la  fin  du  règne  de  Marc-Au- 
rèle.  La  tradition  nous  apprend  que  dès  leur  entrée  dans  cette  ville,  des 
signes  éclatants  annoncèrent  la  ruine  du  paganisme.  Les  prêtres  des  idoles 
se  troublèrent,  les  démons  ne  rendirent  plus  leurs  oracles  accoutumés,  des 

1.  AUas.  Fargeau  —  2.  Ahas,  Fergeon  ou  Ferrution. 


SAINT   FERRÉOI.  ET   SMNT  FERJEUX.  67 

présages  funestes  apparurent  dans  les  entrailles  des  victimes,  et  on  crut  que 
les  dieux  irrités  refusaient  l'encens  des  mortels. 

Les  deux  étrangers  vivaient  pauvrement  et  prêchaient,  tantôt  dans  les 
villes,  tantôt  dans  les  campagnes  environnantes,  les  vérités  évangéliques. 
Cette  doctrine  nouvelle  étonna  d'abord  ceux  qui  l'entendaient,  car  les  es- 
prits, préoccupés  de  toutes  les  erreurs  de  l'idolâtrie  ,  ne  pouvaient  guère 
s'accommoder  de  la  profondeur  de  nos  mystères,  et  la  rigueur  de  la  morale 
chrétienne  révoltait  naturellement  des  cœurs  accoutumés  à  ne  rien  refuser 
à  leurs  désirs.  Cependant  la  grâce  triompha  peu  à  peu  des  passions  aussi 
bien  que  des  préjugés  dans  l'âme  de  quelques  païens.  Les  nombreux  mi- 
racles des  deux  apôtres  attestèrent  la  divinité  de  leur  mission  ;  leurs  vertus, 
plus  éloquentes  encore  que  leurs  paroles,  achevèrent  de  l'accréditer,  et 
Dieu,  qui  a  tout  promis  à  ceux  qui  l'invoquent  en  l'imitant,  daigna  enfin  se 
laisser  fléchir  en  faveur  d'une  terre  arrosée  par  tant  de  sueurs. 

A  mesure  que  le  nombre  des  fidèles  augmentait  dans  cette  chrétienté 
nouvelle,  Ferréol  et  Ferjeux  redoublaient  de  zèle  et  de  ferveur.  Ils  vaquaient 
pendant  le  jour  aux  travaux  de  la  prédication,  et  passaient  la  nuit  dans 
l'exercice  de  la  prière.  Non  loin  de  Besançon,  se  trouve  une  grotte  profonde, 
creusée  dans  le  roc,  et  dont  l'accès  fut  longtemps  défendu  par  les  buissons 
qui  la  couvraient.  Cette  crypte  solitaire  servit  d'asile  aux  deux  apôtres.  Ce 
fut  vraisemblablement  la  première  église  de  la  Séquanie.  Tandis  que  le  pa- 
ganisme célébrait  ses  orgies  dans  de  somptueux  édifices,  l'assemblée  des 
chrétiens,  peu  nombreuse  et  bien  timide  encore,  se  réunissait  à  l'entrée  de 
la  nuit  dans  l'obscurité  sainte  de  cette  humble  retraite.  Ferjeux  lisait  d'abord 
quelques  écrits  des  Prophètes  ou  des  Apôtres,  et  Ferréol  les  expliquait  en- 
suite en  exhortant  les  fidèles  à  mettre  en  pratique  les  belles  leçons  contenues 
dans  la  lecture  du  jour.  «  L'Eglise  »,  disait-il,  «  croit  en  Dieu,  Père  tout- 
puissant  ,  créateur  du  ciel,  de  la  terre,  de  la  mer,  et  de  tout  ce  qu'ils  ren- 
ferment, et  en  un  seul  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  incarné  à  cause  de  notre 
salut,  et  au  Saint-Esprit,  qui  a  prédit  par  les  Prophètes  les  desseins  de  Dieu, 
l'avènement  de  Jésus-Christ,  sa  naissance  miraculeuse,  sa  passion,  sa  résur- 
rection d'entre  les  morts,  et  son  ascension  dans  les  cieux.  L'Eglise  croit  qu'il 
s'y  est  élevé  avec  notre  chair,  et  qu'il  viendra  dans  la  gloire  de  son  Père 
pour  ressusciter  tous  les  hommes,  afin  que,  selon  l'ordre  qu'en  a  porté  le 
Père,  tout  genou  fléchisse  au  nom  de  Jésus-Christ  Notre-Seigneur,  notre 
Dieu,  notre  Sauveur,  notre  Roi,  que  toute  langue  le  confesse,  que  Jésus 
lui-même  juge  tous  les  hommes,  qu'il  condamne  au  feu  les  rebelles  et  les 
apostats,,  les  hommes  impies,  injustes,  iniques  et  blasphémateurs,  qu'il 
admette  à  l'incorruptibiUté,  à  une  vie  heureuse,  à  une  gloire  éternelle,  les 
hommes  justes,  équitables,  soumis  à  ses  préceptes,  fidèles  à  son  amour,  ou 
depuis  le  commencement  de  leur  vie,  ou  depuis  leur  retour  à  Dieu  par  la 
pénitence  '  ».  Après  avoir  récité  ce  symbole,  que  saint  Irénée  avait  composé, 
Ferréol  développait  quelque  point  important  de  la  doctrine  chrélienne.  A 
l'exemple  de  son  maître,  qui  le  tenait  lui-même  du  saint  évoque  de  Smyrne, 
disciple  des  Apôtres,  tantôt  il  enseignait  l'unité  de  la  nature  divine  dans  la 
trinité  des  personnes  ;  tantôt  il  racontait  les  bienfaits,  les  miracles  et  la  vie 
du  Sauveur  ;  tantôt,  s'étendant  sur  l'institution  de  l'Eucharistie,  autant 
pour  satisfaire  son  amour  qu'à  cause  de  l'importance  de  la  matière,  il  rap- 
pelait les  figures  qui  ont  annoncé  ce  sacritice  auguste,  la  manière  dont 
Jésus-Christ  l'a  institué,  les  prodiges  ineffables  qui  s'y  opèrent,  et  les  dispo- 
sitions qu'il  faut  apporter  en  le  recevant  ^.  «  Jésus-Christ  »,  disait-il  encore, 

1.  s.  Iren.,  ad  hxres.,  1.  i,  c.  10.  —  2.  Ibid.,  1.  iv,  c.  17. 


(38  i6  JUIN- 

«  a  laissé  ici-bas  une  société  dont  il  a  confié  le  soin  au  zèle  de  ses  Apôtres 
et  de  leurs  successeurs.  Là  oh  est  l'Eglise,  là  est  aussi  l'Esprit-Saint.  Là  où 
est  l'Esprit-Saint,  là  se  trouve  la  vérité  ;  donc  la  vérité  est  dans  l'Eglise. 
Elle  a  été  fondée  et  constituée  à  Rome  par  saint  Pierre  et  saint  Paul.  C'est 
dans  elle  que  les  fidèles  trouvent  la  tradition  transmise  par  les  Apôtres  ;  c'est 
à  elle  que  doivent  nécessairement  s'unir  toutes  les  Eglises  répandues  sur  la 
terre.  Après  avoir  fondé  l'Eglise,  les  Apôtres  en  confièrent  le  gouvernement 
à  Linus,  dont  parle  saint  Paul  dans  ses  épîtres  à  Timothée.  A  Linus  succéda 
Anaclet,  qui  eut  à  son  tour  Clément  pour  successeur.  Le  siège  de  Rome  fut 
ensuite  occupé  par  Alexandre,  Sixtus,  Télesphore,  Hygin,  Plus,  Anicet,  Soter 
et  Eleuthère,  qui  règne  aujourd'hui  *  », 

Quand  les  instructions  étaient  terminées,  on  se  levait  et  on  adressait  en 
commun  des  prières  au  Père  céleste  pour  la  persévérance  des  chrétiens  et 
pour  la  conversion  des  infidèles.  Saint  Ferréol  offrait  ensuite  le  divin  sacri- 
fice de  l'Eucharistie.  Après  s'être  nourri  lui-même  de  la  manne  divine,  il  se 
tournait  du  côté  du  peuple  et  lui  présentait  le  pain  vivant  descendu  du 
ciel.  Chacun  des  assistants  le  recevait  de  sa  main  dans  les  transports  d'une 
piété  tendre  et  sincère.  Saint  Ferjeux,  remplissant  ensuite  son  ministère  de 
diacre,  recueillait  dans  un  voile  bénit  ce  qui  restait  de  l'aliment  céleste,  et 
le  portait  aux  frères  absents  que  leurs  infirmités  ou  d'autres  raisons  graves 
avaient  retenus  loin  de  l'assemblée  des  fidèles. 

Cependant  l'apostolat  des  deux  disciples  d'Irénée  ne  se  prolongea  pas 
bien  longtemps  ;  Dieu  fit  connaître  aux  apôtres  de  Besançon  et  de  Valence 
les  desseins  qu'il  avait  sur  eux.  Voulant  les  disposer  d'avance  au  témoignage 
de  sang  qu'ils  devaient  lui  rendre,  il  les  instruisit  de  leur  sort  par  une  voie 
extraordinaire.  Félix,  Fortunat  et  Achillée  occupaient  aux  portes  de  Valence 
une  humble  cabane,  qui  était  devenue  le  berceau  d'une  chrétienté  nouvelle, 
comme  à  Besançon,  la  grotte  des  saints  Ferréol  et  Ferjeux.  Un  jour  Félix 
raconta  à  ses  deux  compagnons  une  vision  qu'il  avait  eue.  «  J'ai  vu  des 
lieux  enchantés  qu'éclairait  une  lumière  céleste.  Au  milieu  était  un  taber- 
nacle élincelant  d'or  et  de  pierres  précieuses.  Cinq  agneaux  sans  tache  pais- 
saient au  milieu  des  roses  et  des  lis.  J'entendis  alors  une  voix  qui  me  criait 
avec  force  :  «  Courage,  bons  serviteurs,  parce  que  vous  avez  été  fidèles  dans 
de  petites  choses,  je  vous  établirai  sur  de  plus  grandes.  Entrez  dans  la  joie 
du  Seigneur  votre  Dieu.  Venez ,  disciples  d'Irénée ,  joignez-vous  à  vos 
frères  ».  A  ces  mots,  Fortunat  et  Achillée  s'écrièrent  dans  le  transport  de 
leur  amour  :  a  Gloire  vous  soit  rendue,  ô  divin  Jésus,  qui  daignez  soutenir 
notre  faiblesse  par  les  promesses  que  vous  avez  faites  à  votre  serviteur  Félix. 
Maintenant,  ô  roi  de  gloire,  remplissez-nous  tous  de  vos  célestes  consola- 
tions, afin  que  nous  soyons  dignes  de  souffrir  la  mort  pour  votre  nom  ». 

Cette  prière  était  à  peine  terminée  qu'un  chrétien  envoyé  par  Ferréol  et 
Ferjeux  vint  leur  remettre  de  leur  part  une  lettre  conçue  en  ces  termes  : 
«  Ferréol  et  Ferjeux,  aux  très- pieux  frères  de  Jésus-Christ,  Félix,  Fortunat 
et  Achillée,  salut  dans  Notre-Seigneur.  Celui  dont  la  sagesse  gouverne  le 
temps  et  régit  le  monde,  a  bien  voulu  découvrir  à  ses  serviteurs  les  secrets 
de  son  cœur  et  les  exhorter  à  une  courageuse  persévérance  dans  leur  foi. 
M'élant  endormi  dans  une  des  veilles  de  la  nuit,  je  vis  au  ciel,  autour  d'une 
croix  lumineuse,  cinq  anges  resplendissants  de  clarté,  qui  tenaient,  chacun 
dans  leurs  mains,  une  couronne  brillante  faite  de  l'or  le  plus  pur  et  ornée 
de  pierres  précieuses.  Comme  je  considérais  tout  hors  de  moi  un  spectacle 
si  ravissant,  une  voix  céleste  me  dit  avec  force  :  «  Venez,  disciples  d'Irénée, 

1.  s.  lien.,  ad  hsres.,  1.  lu,  c.  3. 


SAETT   FERRÉOL  ET   SAIXT   FERJEUX.  69 

recevez  la  récompense  que  votre  Père  vous  a  préparée.  Vous  avez  fait  sur  la 
terre  la  volonté  de  Dieu,  possédez  maintenant  dans  les  cieux  un  royaume 
éternel  ».  Ranimons  donc  notre  courage,  veillons,  prions  avec  ferveur,  afin 
que  Satan  ne  nous  dérobe  pas  notre  trésor  ». 

Les  apôtres  de  Valence  répondirent  à  ceux  de  Besançon  par  le  récit  de 
la  vision  de  Félix.  Dès  lors  les  cinq  disciples  d'Irénée,  adorant  les  desseins 
du  Seigneur,  redoublèrent  de  zèle  et  multiplièrent  leurs  prières  en  vue  d'ob- 
tenir la  grâce  du  martyre.  Félix,  Fortunat  et  Achillée  eurent  le  lionheur  de 
mourir  les  premiers  pour  le  nom  de  Jésus-Christ.  Ils  durent  cette  faveur  à 
l'arrivée  du  général  romain  Cornélius  qui  visitait,  au  nom  de  l'empereur, 
les  provinces  lyonnaises,  accompagné  des  préfets  des  villes  principales, 
venus  à  sa  rencontre  pour  exécuter  ses  ordres  sanglants. 

Les  apôtres  de  Besançon  ne  tardèrent  pas  à  rejoindre  dans  le  ciel  les 
autres  compagnons  de  saint  Irénée.  Parmi  les  personnages  distingués  qui 
étaient  venus  à  la  rencontre  de  Cornélius,  se  trouvait  Claudius,  préfet  de  la 
Séquanie.  Après  avoir  assisté  à  l'interrogatoire  et  au  supplice  des  trois  con- 
fesseurs, il  crut  que  l'occasion  était  favorable  pour  se  plaindre  des  progrès 
que  le  christianisme  faisait  à  Besançon,  soit  qu'il  voulût  par  là  faire  sa  cour 
à  Cornélius,  soit  qu'il  crût  servir  la  cause  des  empereurs,  soit  enfin  que  la 
conversion  de  son  épouse  à  la  religion  nouvelle  lui  parût  un  outrage  assez 
grave  pour  être  dénoncé  au  général  romain.  «  Deux  étrangers  »,  lui  dit-il, 
«  sont  récemment  arrivés  dans  notre  ville  pour  prêcher  une  doctrine  nou- 
velle. Ils  adorent  un  homme  crucifié,  persuadent  aux  vierges  de  ne  pas  se 
marier,  et  ont  poussé  l'audace  jusqu'à  entraîner  ma  femme  dans  la  pratique 
de  leur  culte  ».  —  «  Dieux  invincibles  !  s'écria  alors  Cornélius,  votre  nom 
serait  donc  méprisé  et  votre  puissance  anéantie  par  ces  chrétiens  !  Que  fai- 
sons-nous, cher  Claudius?  Je  vais  vous  donner  mes  volontés  par  écrit,  et 
quand  vous  serez  de  retour  en  Séquanie,  vous  ferez  subir  à  ces  deux  hommes 
des  tourments  tels,  que  leurs  partisans  mêmes  en  seront  effrayés  et  qu'ils 
renonceront  au  christianisme  ».  —  «  Vos  ordres  seront  exécutés»,  répondit 
Claudius. 

A  peine  le  préfet  est-il  arrivé  à  Besançon,  qu'il  envoie  chercher  Ferréol  et 
Ferjeux.  Il  les  presse  de  sacrifier  aux  faux  dieux,  en  leur  offrant,  s'ils  con- 
sentent à  le  faire,  les  plus  brillantes  récompenses.  A  cette  proposition,  les 
deux  confesseurs  se  hâtent  de  marquer  leur  front  du  signe  de  la  croix, 
pour  fortifier  leur  âme  contre  la  tentation.  Ensuite,  Ferréol,  prenant  la  pa- 
role :  «  Que  votre  argent  périsse  avec  vous  »,  répondit-il  au  préfet  ;  «  faites 
de  nous  ce  qu'il  vous  plaira,  nous  n'avons  d'espoir  et  de  confiance  que  dans 
le  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ».  Cette  confession  augmente  la 
jalousie  et  la  fureur  du  tjTan.  Il  ordonne  qu'on  étende  les  deux  apôtres  sur 
un  chevalet,  et  qu'on  les  fouette  cruellement.  Pendant  cette  flagellation  , 
Dieu,  dans  sa  miséricorde,  les  rend  insensibles  à  la  douleur  ;  une  douceur 
angélique  brille  sur  leur  front,  et  le  peuple,  frappé  de  ce  spectacle,  témoigne 
hautement  l'admiration  qu'il  lui  inspire.  Claude,  rougissant  de  s'avouer 
vaincu,  s'imagine  alors  qu'en  gagnant  du  temps  il  triomphera  de  la  sainte 
persévérance  des  deux  confesseurs.  Il  fait  donc  cesser  les  tourments,  et  or- 
donne qu'on  les  reconduise  en  prison. 

Trois  jours  après,  Ferréol  et  Ferjeux  paraissent  de  nouveau  devant  le 
gouverneur  de  la  province.  «  Sacrifiez  aux  dieux  »,  s'écrie  Claude ,  «  ou  mou- 
rez ».  —  «  Je  suis  chrétien  »,  répond  Ferréol  ;  Ferjeux  répète  les  mêmes  pa- 
roles :  «  Je  suis  chrétien  !  »  A  ces  mots,  la  colère  du  préfet  ne  connaît  plus 
de  bornes.  Il  fait  signe  au  bourreau,  qui  les  étend  de  nouveau  sur  le  che- 


70  16  JUIN. 

valet.  On  leur  arrache  la  langue  ;  mais,  par  un  prodige  inattendu,  ces 
bouches  éloquentes  ne  cessent  pas  de  parler.  Ce  miracle  ne  fait  qu'endurcir 
le  cœur  du  tyran.  D'après  ses  ordres,  on  enfonce  trente  alênes  aiguës  dans 
les  pieds,  dans  les  mains  et  dans  la  poitrine  des  deux  apôtres  ;  mais  leur 
courage  croît  avec  les  tourments,  et  leur  sérénité  déconcerte  de  plus  en 
plus  les  persécuteurs.  On  plante  dans  leur  tête  d'énormes  clous  en  forme  de 
couronne  ;  mais  ils  sourient,  sous  le  diadème  sanglant,  au  meurtrier  qui 
les  déchire.  Enfin,  on  leur  tranche  la  tête  avec  une  épée  ;  ils  priaient  encore, 
leur  prière  s'acheva  dans  le  ciel. 

Tels  sont  les  actes  des  saints  Ferréol  et  Ferjeux.  Ils  furent  mis  à  mort 
le  16  des  calendes  de  juillet  de  l'an  de  grâce  212. 

On  les  représente  l'un  à  côté  de  l'autre,  tenant  dans  la  main  leurs  têtes 
que  le  bourreau  vient  d'abattre  ;  c'est  la  caractéristique  ordinaire  de  la 
décollation. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  saints  Ferréol  et  Ferjeux,  si  glorieusement  martyrisés  à  Besançon,  furent  bientôt  comius 
et  invoqués  dans  toutes  les  Gaules.  On  trouve  dans  un  missel  gallican,  ouvrage  du  v^  siècle,  une 
messe  composée  en  leur  honneur.  Un  martyrologe  du  même  temps,  qu'on  attribue  à  saint  Jérôme, 
fait  mention  de  leur  mort  héroïque.  Saint  Germain  de  Paris  consacra  un  autel  à  leur  culte,  et  à 
mesure  que  le  christianisme  se  répandit  dans  la  contrée  arrosée  de  leurs  sueurs  et  fécondée  de 
leur  sang,  nombre  d'églises  furent  placées  sous  leur  vocable.  On  en  compte  encore  aujourd'hui  plu- 
sieurs qui  les  honorent  comme  leurs  patrons.  Ce  sont,  dans  le  diocèse  de  Besançon,  les  églises  de 
Saint-Ferjeux  (Doubs),  Lavernay,  Miserey,  Vaux,  Villers-Buzon,  Amagney,  Trepot,  Flangebouche, 
Cubrial,  Fontenelle-lez-i\Iontby,  Etray,  Etouvans,  Seing,  Chenevrey,  Bard-lez-Pesmes,  Gevigney, 
Betoncourt^sur-Mance  et  Saint-Ferjeux  (Haute-Saône),  et  dans  le  diocèse  de  Saint-Claude,  les  églises 
de  Saligney,  Auraont,  Fay  et  Champagne. 

Les  coj'ps  des  saints  Martyrs  furent  recueillis  avec  sciii  par  leurs  disciples,  et  inhumés  dans  la 
grotte  qui  leur  avait  servi  de  retraite  pendant  leur  apostolat. 

Oubliée  pendant  quelque  temps,  leur  mémoire  fut  rappelée  au  respect  et  à  la  vénération  des 
fidèles,  et  il  fut  réservé  à  saint  Agnan  de  découvrir  et  de  reconnaître  leurs  corps.  Le  5  sep- 
tembre 370,  dit  la  légende,  un  tribun  militaire,  préposé  à  la  garde  de  Besançon,  sortit  un  jour 
pour  faire  une  partie  de  chasse.  A  peine  s'était^il  avancé  à  un  mille  et  demi  de  la  cité,  que  ses 
chiens  ayant  fait  lever  un  renard,  il  se  mit  à  le  poursuivre.  L'animal,  vivement  pressé,  s'enfuit 
dans  une  caverne  où  les  chiens  ne  peuvent  l'atteindre.  Or,  cette  grotte  souterraine  n'était  pas  autre 
chose  que  la  crypte  même  où  avaient  été  déposés  les  restes  sacrés  de  nos  saints  apôtres.  Le  tri- 
bun persiste  à  poursuivre  sa  proie.  11  ordonne  à  ses  soldats  d'élargir  l'ouverture  de  la  caverne,  et, 
lorsqu'ils  y  sont  descendus,  ils  découvrent  tout  à  coup  le  sépulcre  où  reposaient  les  corps  des 
saints  Ferréol  et  Ferjeux.  Le  tribun  fit  aussitôt  prévenir  l'évêque  de  ce  merveilleux  événement. 
Saint  Agnan  s'empressa  d'accourir  sur  les  lieux,  car  il  savait  déjà  que  la  tradition  populaire  pla- 
çait en  cet  endroit  le  tombeau  des  saints  Martyrs,  et  il  saisit  avec  joie  cette  heureuse  occasion  de 
manifester  son  zèle  pour  leur  gloire.  Par  son  ordre,  on  ouvrit  aussitôt  le  monument,  et  l'on  y 
trouva  les  corps  des  saints  Ferréol  et  Ferjetix.  Les  Martyrs  olfraient  encore  les  traces  glorieuses 
du  supplice  où  avait  brillé  leur  constance,  car  leurs  t6tes  vénérables  portaient  les  clous  dont  ils 
avaient  été  percés  :  couronne  glorieuse  qui  ceignait  leurs  fronts  et  attestait  tout  à  la  fois  la 
cruauté  des  bourreaux  et  le  courage  des  victimes.  Saint  Agnan  voulut  que  ce  trésor  précieux  re- 
posât dès  lors  dans  un  lieu  plus  convenable.  Le  tribun  et  ses  soldats  formèrent  une  garde  d'hon- 
neur autour  du  saint  Pontife,  et  les  corps  des  Martyrs  furent  aussitôt  rapportés  en  triomphe  dans 
la  cité  de  Besançon.  On  les  déposa  avec  le  plus  grand  respect  dans  l'église  cathédrale  de  Saint- 
Jean  l'Evangéliste,  l'an  370,  sous  le  règne  des  euipereurs  Valentinien  et  Valens. 

Trop  heureux  d'avoir  trouvé  un  pareil  trésor,  saint  Agnan  s'occupa  dès  ce  moment  de  faire  bâ- 
tir une  église  sur  la  crypte  même  où  l'on  avait  découvert  les  saintes  reliques,  et  quand  cet  édi- 
fice fut  achevé,  il  y  fit  porter  les  restes  des  Martyrs,  les  embauma  et  les  recouvrit  d'une  tombe 
d'albâtre  sur  laquelle  ils  étaient  représentés.  Dieu  glorifia  le  tombeau  de  ses  serviteurs.  Celte 
solitude,  auparavant  inaccessible,  devint  dès  lors  le  rendez-vous  de  tous  les  pieux  fidèles.  Les 
peuples  accouraient  pour  vénérer  les  restes  sacrés  de  nos  pères  dans  la  foi,  et  des  grâces  mira- 
culeuses obtenues  en  les  invoquant,  attestèrent  plus  d'une  fois  leur  puissance  auprès  de  Dieu.  A 
côté  de  l'église  élevée  sur  la  sépulture  dîs  saints  Ferréol  et  Ferjeux,  saint  A;;nan  fit  constiiiire 
une  maison  pour  une  communauté  de  cleics  soumis  aux  règles  de  la  vie  religieuse,  lis  étaient 
destinés  à  veiller  à  la  garde  des  saintes  reliques  et  à  servir  Dieu  en  honorant  ses  Martyrs. 


SALNT   FERRÉOL  ET  SAINT   FERJEUX.  71 

Le  monastère  de  Samt-Ferjeux  était  habité  du  x*  au  xi»  siècle,  par  quelques  prêtres  indisci- 
plinés et  ignorants  qm  veillaient  avec  peu  de  zèle  à  la  conservation  des  snintes  reliques.  On  avait 
déjà  tenté  plusieurs  fois  de  les  enlever,  quand  Hugues  I»',  archevêque  de  Besançon,  résolut  de 
mettre  en  sûreté  ce  précieux  dépôt.  Il  ordonna  une  procession  solennelle  au  tombeau  de  nos 
apôtres  et  y  invita  le  peuple  et  le  clergé.  Jamais  pins  grand  concours  de  fidèles  ne  répondit  ï 
l'appel  du  prélat.  Une  foule  immense,  accourue  des  campagnes  les  plus  éloignées,  vint  entendre  la 
messe  qu'il  célébra  ponlificalement,  et  l'accompagna  jusqu'à  la  grotte  de  Saint-Ferjeux.  L'arche- 
vêque fit  ouvrir  le  sépulcre  en  présence  de  toute  l'assemblée.  L'odeur  agréable  qui  s'en  exhala 
fut,  pour  le  peuple  et  pour  l'évèque,  un  nouveau  témoignage  du  mérite  et  de  la  gloire  des  deux 
Martyrs.  A  la  vue  de  leurs  corps,  les  assistants  versèrent  des  larmes  d'attendrissement,  et  plusieurs 
furent  ravis  en  extase  par  la  douce  joie  qu'ils  éprouvaient.  Hugues  l"  mit  une  partie  de  ces  re- 
liques dans  l'autel  de  la  grotte  et  rapporta  l'autre  dans  la  cathédrale  de  Saint-Jean  où  elles  furent 
déposées  sons  l'autel  de  la  sainte  Vierge.  Celte  translation  eut  lieu  le  30  mai  1033  ;  l'Eglise  de 
Besançon  en  fait  encore  mémoire,  chaque  année,  dans  l'office  et  dans  la  messe  de  ce  jour. 

Le  2  septembre  1246,  Guillaume,  archevêque  de  Besançon,  fit  faire  une  reconnaissance  authen- 
tique des  reliques  des  saints  Ferréol  et  Ferjeux.  Il  les  tira  de  l'autel  où  son  prédécesseur  les  avait 
placées,  et  les  mit  dans  des  châsses  de  bois  doré,  en  présence  de  Jean,  évèque  de  Lausanne,  de 
Séguin,  évèque  de  Màcon,  d'Alexandre,  évèque  de  Chàlons,  et  d«  plusieurs  autres  prélats.  Le 
31  mai  1421,  veille  de  la  fête  de  la  Pentecôte,  Robert  de  Combeton,  abbé  de  Saint-Paul,  trans- 
féra une  partie  de  ces  reliques  de  la  cathédrale  de  Saint-Jean  dans  l'église  abbatiale  de  Saint-Vin- 
cent. Le  8  mai  1424,  Thiébaud  de  Rougeinont,  archevêque  de  Besançon,  mit  dans  une  châsse 
nouvelle  celles  qui  étaient  restées  dans  la  cathédrale  de  Saint-Jean.  Ce  fut  dans  cette  circonstance 
qu'on  détacha  quelques  parties  des  corps  saints  pour  en  enrichir  quelques  églises.  Les  paroisses  de 
Sainte-Madeleine  et  de  Saint-Pierre  obtinrent  chaïune  une  côte,  les  Cordeliers  de  Salins  un  os,  et 
le  prélat  garda  deiux  dents  pour  lui.  Antoine  de  Vergy,  archevêque  de  Besançon,  les  plaça,  en 
4539,  dans  une  châsse  d'argent  du  poids  de  quarante  marcs,  offerte  par  le  chapitre  et  les  gouver- 
neurs de  la  ville.  Enfin,  le  12  juin  1636,  comme  les  Suédois  ravageaient  les  campagnes  de  Franche- 
Comté,  les  reliques  qui  se  trouvaient  encore  dans  la  grotte  de  Saint-Ferjeux  fuient  transforées 
solennellement  dans  l'abbaye  de  Saint-Vincent.  L'abbé  et  les  religieux  de  ce  monastère,  sainte- 
ment jaloux  du  dépôt  sacré  qui  leur  avait  été  confié,  établirent  dans  leur  église  une  association 
pieuse,  destinée  à  invoquer  spécialement  les  saints  apôtres,  et  à  rendre  à  leurs  reliqies  la  \'énéra- 
tion  qui  leur  était  due.  Le  pape  Clément  X,  par  une  bulle  donnée  en  1674,  accorda  à  celte  con- 
frérie un  gjand  nombre  d'iudulgeuces.  Eulin,  Antoine-Pierre  II  de  Grammont,  archevêque  de 
Besançon,  ayant  examiné  les  statuts  qu'elle  lui  présenta,  reconnut  qu'elle  contribuerait  à  l'ac- 
croissemenl  de  la  religion,  et  l'approuva  par  une  ordonnance  rendue  le  16  juin  1736. 

L'association  établie  en  l'honneur  des  saints  Ferréol  et  Ferjeux  subsiste  encore  aujourd'hui 
dans  l'ancienne  église  de  Saint-Vincent,  devenue  l'église  paroissiale  de  Notre-Dame.  Quant  aux 
restes  des  illustres  protecteurs  de  Besançon,  la  ville  a  eu  le  bonheur  de  les  conserver.  Il  en  existe 
des  parcelles  dans  l'église  de  la  métropole,  dans  celle  du  séminaire,  dans  la  grotte  de  Saint-Fer- 
jeux et  dans  plusieurs  autres  églises  et  chapelles.  On  conserve  dans  l'église  du  diocèse  de  .Saint- 
Pierre  le  chef  de  saint  Ferréol,  sur  lequel  les  archevêques  de  Besançon  prêtaient  serment  le  jour 
de  leur  sacre. 

C'est  la  paroisse  de  Notre-Dame  qui  possède  aujourd'hui  la  portion  la  plus  considérable  des 
reliques  des  saints  Ferréol  et  Ferjeux. 

L'Eglise  de  Besançon  célèbre,  le  21  du  même  mois,  une  fête  qui  se  rattache  au  culte  de  nos 
saints  Martyrs,  et  dont  il  est  juste  de  dire  ici  quelques  mots.  La  ville  de  Besançon  s'est  distinguée 
de  tout  temps  par  son  inébranlable  attachement  à  la  religion  catholique.  En  vain  les  novateurs  du 
XVI»  siècle  lentèrent-ils  d'y  semer  leurs  erreurs,  ils  ne  parent  y  parvenir.  Pour  s'en  venger,  les 
Calvinistes  imaginèrent,  en  1373,  de  surprendre  la  ville  pendant  la  nuit  et  de  la  punir  de  sa  fidé- 
lité à  l'anlique  foi.  Ils  descendirent  en  etlel  le  Doubs  dans  des  bateaux  légers,  et  parvinrent,  pro- 
tégés par  l'obscurité  de  la  nuit,  à  escalader  le  faubourg  de  Battant.  Les  gardes  fardent  tailhies  en 
pièces,  et  les  hérétiques  étaient  sur  le  point  d'entrer  en  ville;  mais  l'intrépide  archevêque  Claude 
de  la  Baume,  conjointement  avec  le  comte  de  Vergy,  gouverneur  de  la  Franche-Comle  au  nom  du 
roi  d'Espagne,  se  mirent  à  la  tète  de  la  bourgeoisie,  fondirent  sur  les  Calvinistes,  en  tuèrent  un 
grand  nombre,  en  firent  prisonniers  beaucoup  d'autres  et  délivrèrent  ainsi  la  ville.  Les  habitants 
attribuèrent  la  victoire  qu'ils  venaient  de  remporter  à  la  protection  des  saints  Ferréol  et  Ferjeux, 
pendant  l'octave  desquels  celte  affaire  avait  eu  lieu.  L'archevêque  institua  une  fêle  annuelle  pour 
rendre  de  solennelles  actions  de  grâces  au  ToutrPuissant,  qui  avait  si  visibleiiienl  protégé  la  ville. 

Le  bras  des  illustres  Martyrs  ne  s'est  pas  raccourci,  et  la  piété  de  notre  siècle  n'a  rien  à  en- 
vier à  celle  des  âges  précédents.  En  1849,  comme  le  choléra  menaçait  d'envahir  la  Franche- 
Comté,  Mgr  Mathieu,  archevêque  de  Besançon,  recommanda  son  troupeau  à  .Notre-Dame  de  Gray 
et  aux  saints  Ferréol  et  Ferjeux.  La  ville  de  Gray  fut  atteinte  par  le  fléau,  mais  le  reste  du  dio- 
cèse fut  épargné.  Pour  témoigner  sa  reconnaissance  envers  .Marie  et  nos  saints  patrons,  Mgr  l'ar- 
chevêque, aidé  des  otTrandes  des  fidèles,  a  offert  à  iNolre-Dame  de  Gray  une  statue  en  argent, 
ornée  de  pierreries.  C'est  dans  les  mêmes  vues  qu'ayant  découvert  de  nouvelles  reliques  des  saints 


72  16  JUIN. 

Ferréol  et  Ferjeux,  il  en  a  fait  présent  au  Chapitre  métropolitain,  après  les  avoir  enfermées  dans 
un  reliquaire  très-riche,  en  forme  de  châsse,  que  l'on  porte  processionnellement  à  Saint-Ferjeux, 
le  jour  de  la  fête  de  la  Délivrance. 

On  lit  sur  cette  châsse  l'inscription  suivante  :  Sandis  Ferreolo  et  Ferrucio,  urbis  Bisuntinx 
et  totius  diœceseos  defensorihus  et  patronis,  in  memoriam  prxstitutœ  salutis  tempore  cho- 
lera-morbi,  J.-.M.-Ad.-C.  Mathieu,  Arch.  Bisunt.,  voto  vovens  gratus  solvit  et  venerabili 
capitula  dono  dédit,  die  quindecimd  junii,  anno  Domini  MDCCCL. 

Abrégé  de  la  Vie  des  Saints  de  Franche-Comté,  par  les  professeurs  du  collège  de  Saint-Frangois- 
Xavier  de  Besançon  ;  —  Cf.  Hunckler,  \ie  des  Saints  d'Alsace. 


SAINT  QUIRIG  OU  GYR  ET  SAINTE  JULITTE, 

MARTYRS,  PATRONS  DU  DIOCÈSE  DE  NEVERS 
304.  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereurs  :  Dioclétien  et  Maximien. 

Marttjrium   appellatur  lam   corona   çuam   baptismm 
quia  baptizat  pariter  et  eoronat. 

Le  martyre  est  appelé  a  la  fois  et  couronne  et  bap- 
tême, parce  qu'il  baptise  et  couronne  également. 
S.  Cypr.,  De  singular,  cleric,  c.  xx. 

Les  édits  de  Dioclétien  contre  le  christianisme  étant  arrivés  dans  la 
Lycaonie,  Domitien,  qui  en  était  gouverneur,  les  exécuta  avec  la  dernière 
cruauté.  Une  femme  d'iconium,  nommée  Julitte,  qui  était  du  nombre  des 
fidèles,  résolut  de  prendre  la  fuite,  conformément  à  ce  qui  est  conseillé 
dans  l'Evangile  pour  les  temps  de  persécution  :  elle  se  sauva  donc  à  Séleucia 
avec  Cyr,  son  flls,  qui  n'avait  encore  que  trois  ans,  et  deux  filles  qui  la  ser- 
vaient. Elle  ne  balança  point  de  quitter  tous  les  avantages  dont  elle  eût  pu 
jouir  dans  le  monde  ;  car  elle  était  issue  du  sang  des  rois  de  l'Asie,  et  pos- 
sédait des  biens  considérables.  Au  reste,  son  cœur  n'avait  jamais  été  attaché 
aux  richesses,  et  elle  ne  s'en  était  servie  que  pour  satisfaire  aux  besoins  in- 
dispensables de  la  nature. 

En  arrivant  à  Séleucie,  elle  sut  bientôt  que  le  gouverneur,  nommé 
Alexandre,  ne  haïssait  pas  moins  les  chrétiens  que  le  préfet  d'Icône  ;  elle  se 
mit  donc  en  route  pour  aller  à  Tarse  de  Cilicie  ;  Alexandre  entra  dans  cette 
ville  à  peu  près  en  môme  temps  qu'elle.  Ayant  été  reconnue,  on  l'arrêta 
avec  son  fils  qu'elle  tenait  entre  ses  bras,  et  on  la  conduisit  devant  le  tribu- 
nal du  gouverneur.  Les  deux  filles  de  sa  suite  l'abandonnèrent  et  s'enfui- 
rent, de  peur  que  l'on  ne  se  saisît  aussi  de  leurs  personnes  ;  mais  elles  se 
tinrent  à  portée,  afin  d'observer  au  moins  à  distance  les  supplices  et  le  com- 
bat de  leur  maîtresse. 

Alexandre  demanda  à  Julitte  quels  étaient  son  nom,  sa  qualité  et  son 
pays.  Elle  ne  répondit  à  ces  diverses  questions  que  par  ces  mots  :  «  Je 
suis  chrétienne  ».  Alors  le  gouverneur,  outré  de  colère,  lui  fit  ôter  son 
enfant,  puis  ordonna  qu'elle  fût  étendue  et  frappée  avec  des  nerfs  de  bœuf. 
Quant  au  petit  Cyr,  il  se  le  fit  apporter.  Rien  n'était  plus  aimable  que 
cet  enfant  :  un  certain  air  de  dignité  qui  annonçait  son  illustre  naissance, 
joint  à  la  douceur  et  à  l'innocence  du  premier  âge,  intéressait  en  sa  faveur 
tous  ceux  qui  étaient  présents.  On  eut  beaucoup  de  peine  à  l'arracher  des 


SAINT  QUIRIC   OU  CYR,    ET   SAINTE   JULITTE,   MARTYRS.  73 

bras  de  sa  mère,  et  il  étendait  continuellement  les  siens  vers  elle  de  la  ma- 
nière la  plus  touchante.  Ses  cris  et  ses  pleurs  marquaient  toute  la  peine 
qu'il  ressentait  de  la  violence  qu'on  lui  faisait.  Le  gouverneur  le  mit  sur  ses 
genoux,  essayant  de  le  baiser  et  de  l'apaiser  ;  mais  l'enfant  avait  toujours 
les  yeux  sur  sa  mère,  et  s'élançait  fortement  de  son  côté.  Il  égratignait  le 
visage  odieux  du  gouverneur  et  lui  donnait  des  coups  de  pieds  dans  l'esto- 
mac ;  et  lorsque  sa  mère,  au  milieu  des  tourments,  s'écriait  :  «  Je  suis  chré- 
tienne !  »  il  redisait  aussitôt  :  «  Je  suis  chrétien  !  »  Alors  le  monstre  furieux 
saisit  l'enfant  par  le  pied,  et,  du  haut  de  son  siège,  le  jette  à  terre.  La  tôte 
de  cette  noble  et  innocente  victime  se  brisa  contre  les  angles  des  degrés; 
par  la  violence  du  coup,  la  cervelle  jaillit,  et  le  tribunal  tout  entier  fut 
arrosé  de  sang.  Ainsi,  l'enfant  remettait  son  âme  entre  les  mains  de  Dieu 
son  père,  dont  il  s'était  montré  digne. 

Julilte,  ayant  vu  ce  qui  s'était  passé,  remercia  Dieu  d'avoir  accordé  à 
son  fils  la  couronne  du  martyre.  La  joie  qu'elle  témoignait,  augmentait  en- 
core la  fureur  du  juge.  Il  ordonna  au  bourreau  d'élever  la  Martyre  et  de  la 
suspendre  pour  l'écorcher  vive ,  puis  de  verser  sur  ses  pieds  de  la  poix 
bouillante.  Pendant  l'exécution,  un  héraut  criait  à  Julitte  :  «  Aie  pilié  de 
toi,  et  sacrifie  aux  dieux  ;  délivre-toi  de  ces  tortures,  redoute  la  mort  af- 
freuse qui  vient  de  frapper  ton  fils  ».  Mais  la  bienheureuse  Martyre,  inébran- 
lable au  milieu  des  supplices,  élevait  à  son  tour  la  voix,  et  répondait  avec 
une  généreuse  constance  :  «  Je  ne  sacrifie  point  h  des  démons,  à  des  statues 
sourdes  et  muettes  ;  mais  j'honore  le  Christ,  le  Fils  unique  de  Dieu,  celui 
par  qui  le  Pèr^  a  créé  toutes  choses  :  j'ai  hâte  de  retrouver  mon  fils.  C'est 
dans  le  royaume  des  cieux  qu'il  me  sera  donné  de  le  voir  ».  Après  cette  ré- 
ponse, le  gouverneur  voyant  qu'il  ne  pouvait  vaincre  le  courage  de  sa  vic- 
time, la  condamna  à  avoir  la  tête  tranchée:  il  ordonna  de  plus  que  le 
corps  de  Julitte  et  celui  de  son  fils  fussent  portés  au  lieu  où  l'on  jetait  les 
cadavres  des  malfaiteurs.  Les  remords  et  la  confusion  qu'il  éprouvait,  à 
l'occasion  du  crime  qu'il  avait  commis  en  faisant  périr  un  enfant  de  trois 
ans,  l'avaient  rendu  semblable  à  une  bête  féroce  qui  ne  suit  que  la  fougue 
d'une  aveugle  impétuosité. 

Les  bourreaux  fermèrent  la  bouche  de  Julitte  au  moyen  d'un  bâillon 
qu'ils  attachèrent  avec  violence,  puis  ils  la  conduisirent,  d'après  des  ordres 
du  tyran,  au  lieu  de  l'exécution.  Julitte  leur  demanda  par  signe  quelques 
instants  pour  prier  Dieu.  Les  bourreaux  se  laissèrent  fléchir  ;  ils  lui  accor- 
dèrent un  moment,  et  détachèrent  le  bâillon.  Alors  la  Sainte  se  mit  à  ge- 
noux, et  fit  à  Dieu  cette  prière  :  «  Je  vous  rends  grâces.  Seigneur,  d'avoir 
appelé  mon  fils  avant  moi,  et  d'avoir  daigné  lui  accorder,  pour  la  gloire  de 
votre  nom  terrible  et  saint,  en  échange  d'une  vie  passagère  et  vaine,  la  vie 
éternelle  dans  le  séjour  des  Bienheureux  ;  recevez  aussi  votre  indigne  ser- 
vante, et  que  j'aie  le  bonheur  d'être  réunie  aux  vierges  prudentes,  à  qui  il 
a  été  donné  d'entrer  dans  la  demeure  des  esprits  célestes,  où  rien  de  souillé 
ne  peut  pénétrer  ,  où  mon  âme  bénira  Dieu  votre  Père,  le  Créateur  et  le 
Conservateur  de  toutes  choses,  ainsi  que  l'Esprit-Saint,  dans  les  siècles  des 
siècles.  Amen  ».  Au  moment  où  elle  achevait  de  dire  ce  dernier  mot,  le 
bourreau  brandissant  son  glaive  avec  effort,  abattit  la  tête  de  la  généreuse 
Martyre.  Ceci  eut  lieu  en  304,  ou  au  plus  tard  l'année  suivante.  Les  deux 
filles  de  sa  suite  enlevèrent  secrètement  son  corps  avec  celui  de  son  fils,  et 
les  enterrèrent  dans  un  champ  près  de  la  ville. 

Quand  on  représente  saint  Cyr  et  sainte  Julitte  ensemble,  sainte  Julilte, 
jeune  femme  richement  costumée,  pour  rappeler  sa  royale  origine,  donne 


74  16  JUIN. 

la  main  droite  à  son  enfant  et  tient  une  palme  de  l'autre  main  ;  une  sem- 
blable palme  est  dans  la  main  droite  du  petit  saint  Cyr.  M.  Chantrier  a  eu 
l'heureuse  idée  de  représenter  saint  Cyr  sans  palme,  mais  cherchant  à  s'éle- 
ver pour  saisir  la  palme  de  sa  mère  ;  on  voit  à  leurs  pieds  une  couronne 
royale  et  un  sceptre.  —  Quand  saint  Cyr  est  seul,  il  est  nu,  monté  sur  un 
sanolier  ;  c'est  ainsi  qu'on  le  voit  sur  les  armes  du  chapitre.  Sur  les  méraux 
d'Issoudun,  il  est  seulement  auprès  de  son  sanglier,  qu'il  retient  par  les 
soies  ou  par  les  oreilles.  Ailleurs,  on  complète  le  tableau  en  plaçant  Charle- 
magne,  soit  debout,  soit  à  genoux,  devant  le  saint  enfant,  souvent  perçant 
de  son  glaive  l'animal  furieux.  C'est  ainsi  qu'on  le  voit  sur  un  pilier  de  la 
cathédrale,  sur  un  des  méraux  d'Issoudun,  sur  les  vitraux  de  Saint-Saulge, 
diocèse  de  Nevers,  et  de  Saint-Julien-du-Sault,  diocèse  de  Sens.  —  Cette 
manière  de  représenter  saint  Cyr  rappelle  le  songe  suivant  de  Charlemagne  : 
Il  lui  sembla  un  jour,  pendant  son  sommeil,  être  à  la  chasse,  quand  tout  à 
coup,  se  trouvant  seul  au  milieu  d'une  forêt,  il  aperçut  un  sanglier  furieux 
qui  allait  s'élancer  sur  lui  ;  sa  première  pensée,  dans  ce  pressant  danger, 
fut  de  se  jeter  à  genoux  et  d'implorer  la  protection  de  Dieu.  En  même 
temps,  il  vit  auprès  de  lui  un  enfant  nu,  qui  lui  promit  de  le  délivrer  du  péril 
qu'il  courait,  s'il  voulait  lui  donner  un  voile  pour  le  couvrir.  L'empereur  ne 
balança  pas  à  faire  cette  promesse  ;  aussitôt  l'enfant  sauta  sur  le  sanglier, 
et,  le  tenant  par  ses  défenses,  il  le  conduisit  à  l'empereur  qui  le  perça  de 
son  épée  et  le  tua. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Quelques  années  après  la  mort  de  nos  saints  Martyrs,  le  grand  Constantin  mit  Bn  à  toutes  les  persé- 
cutions dirigées  depuis  si  longtemps  contre  les  clirétiens,  en  se  déclarant  lui-même  disciple  de  Jésus- 
Christ.  Une  des  servantes  de  sainte  Julitte  vivait  encore  ;  elle  lit  connaître  le  lieu  où  elle  avait  déposé 
les  corps  des  saints  Martyrs.  On  lit  dans  leurs  Actes,  que,  après  cette  découverte,  «  les  fidèles  du  pays 
s'empressèrent  de  se  procurer  quelque  portion  de  leurs  reliques,  espérant  y  trouver  une  sauvegarde 
contre  les  accidents  de  la  vie,  et  qu'ils  se  rendirent  en  foule  à  leur  tombeau  pour  y  glorilier  Dieu». 
Les  plus  anciennes  maisons  de  Lycaonie  se  faisaient  gloire  de  reconnaître  sainte  Julitte  comme  leur 
parente  ;  tous  les  ans,  au  rapport  de  Théodore,  évêque  d'Iconium,  elles  s'assemblaient  pour  célébrer 
sa  fête,  avec  une  pc-mpe  digne  d'une  Sainte  et  d'une  lille  des  rois. 

Saint  Amateur,  évéque  d'Auxerre  ',  prédécesseur  de  saint  Germain,  dans  \\n  voyage  qu'il  fit  en 
Orient,  rapporta,  dit-on,  d'Anlioche,  les  corps  de  saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte.  Il  donna  un  bras 
de  saiut  Cyr  à  Savin,  homme  de  qualité  et  compagnon  de  son  voyage,  et  renferma  le  reste  a 
Auxerre,  dans  l'église  qui  a  ensuite  porté  son  nom  ;  mais,  craignant  que  ce  précieux  dépôt  ne  vînt 
à  se  dissiper  et  à  se  perdre,  soit  dans  les  guer"°s,  soit  dans  d'antres  calamités  publiques,  il  le 
plaça  dans  un  mur  sur  lequel  il  fit  peindre  une  petite  image  de  saint  Cyr  et  nue  inscription  qui 
devait  servir  d'authentique  ;  puis,  au  moyen  d'un  contre-mur,  il  cacha  ce  tombeau. 

Longtemps  les  habiiauts  d'Auxerre  ignorèrent  le  précieux  dépôt  qu'ils  possédaient  ;  ce  ne  fut 
que  du  temps  de  saint  Jérôme,  évêque  de  Nevers,  qu'il  fut  découvert.  Ce  saint  évéque  avait  une 
dévotion  toute  particulière  à  saint  Cyr  et  à  sainte  Julitte,  sa  mère.  Il  avait  fait  construire  en  leur 
honneur  une  chaitcUe  attenante  à  sa  cathédrale,  et  désirait  mettre  son  diocèse  tout  entier  sous  leur 
protection,  en  dédiant  à  ces  Saints  la  nouvelle  église  qu'il  espérait  faire  construire,  quand  il  plai- 
rait à  la  Providence  de  seconder  ses  vœux. 

Bieuiôl,  grâce  aux  libéralités  de  Charlemagne,  il  entreprit  la  reconstruction  de  sa  cathédrale. 
Sur  ces  eulrefaitcs,  le  mur  que  saint  Amateur  avait  fait  construire  à  AuxeiTe  s'écroula  tout  à  coup, 
el  découvrit  le  diipôt  sacré  que  le  saint  évêque  avait  caché,  avec  les  images  des  saints  et  les  ins- 
eriplions  qui  indiquaient  les  noms  et  les  reliques  de  chacun.  Les  peuples  se  rendaient  en  foule  à 
Auxerre  pour  vénérer  ces  précieuses  reliques  ;  Jérôme  s'y  rendit  lui-même,  et  fut  assez  heureux 
pour  eu  obtenir  une  partie;  ou  lui  remit  le  bras  du  saint  enfant,  ce  même  bras,  dit-on,  que  saint 
Amateur  avait  autrefois  donné  à  Savin,  el  que  celui-ci  laissa  h  Auxerre  lorsqu'il  partit  pour  le  Poitou. 

Jérôme  transporta  avec  solennité  ce  précieux  trésor  à  Nevers,  où  il  fut  reçu  avec  joie  et  bon- 
heur. L'n  grand  nombre  de  miracles  s'opérèrent  par  son  intercession,  et  les  malades,  guéris  de  leurs 

L  Saint  ÂntAtear  moarat  en  418. 


SAIKT   QUIRIG  OU  CYR,   ET   SAINTE   JULITTE,   MARTYRS.  75 

infirmités,  proclamaient  au  loin  les  louanges  des  saints  Martyrs.  Le  bras  de  saint  Cyr  fut  déposé 
dans  la  nouvelle  basilique  et,  depuis  cette  époque,  saint  Cyr  et  sainte  Julitte  devinrent  les  patrons 
da  diocèse  de  Nevers. 

A  la  tin  de  l'année  1857,  dans  nne  opération  de  drainage,  on  a  trouvé  à  Itnpby  un  certain 
nombre  de  pièces  de  monnaies  de  Pépin,  la  plupart  inédites.  Une  de  ces  pièces,  timbrée  d'un  côté 
du  sigle  de  Pépin  p.  R.  Pipinus  rex,  porte  au  revers  cet  exergue  :  Sancti  Cii-ici.  On  sait  que, 
pendant  les  guerres  d'Aquitaine,  Pépin  tint  son  quartier  général  à  Nevers,  de  761  à  763.  —  Le 
culte  de  saint  Cyr  était-il  déjà  célèbre  dans  le  Nivernais  à  cette  époque  ?  Cette  pièce  curieuse 
autorise  à  le  penser.  Dans  ce  cas,  saint  Jérôme  l'aurait  trouvé  établi,  et  n'aurait  fait  que  lui  donner 
plus  d'extension.   "^ 

Tcdalgrin,  évoque  de  Nevers,  qui  monta  sur  ce  siège  en  932,  reçut  de  Guy,  évêque  d'Ânxerre, 
une  partie  du  chef  de  saint  Cyr,  que  le  roi  Raoul  fit  enchâsser  en  or.  Nulle  part,  le  culte  de  saint  Cyr 
ne  fut  répandu  autant  que  dans  le  diocèse  de  Nevers  ;  quatre  jours  dans  le  courant  de  l'année  étaient 
consacrés  à  honorer  le  jeune  Martyr  et  sa  sainte  mère.  Dans  le  Bréviaire  imprimé  en  1494,  par  les 
soins  de  Pierre  de  Fontenay,  évêque  de  Nevers,  on  trouve,  au  4  juin,  mémoire  de  saint  Cyr  et  de 
ses  compagnons,  martyrs  ;  au  16  du  même  mois,  la  fête  solennelle  de  saint  Cyr  et  de  sainte 
Julitte;  au  15  juillet,  leur  martyre;  et  enfin,  an  27  octobre,  la  fête  de  la  Susception  du  bras  de  saint  Cyr. 

Outre  la  cathédrale  de  Nevers  qui  est  sons  le  vocable  de  saint  Cyr,  les  paroisses  de  La  Nocle, 
dans  le  doyenné  de  Flours,  et  de  Chevannes,  dans  celui  de  Brinon-les-AUemands,  sont  placées  sous 
son  patronage. 

Un  grand  nombre  d'églises,  en  France,  se  faisaient  gloire  de  posséder  une  partie  des  reliques  de 
saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte  ;  telles  que  celles  d'issoudnn,  au  diocèse  de  Bourges  ;  de  Saint-Cyr  de 
Berchères,  au  diocèse  de  Chartres  ;  de  Saint-Cyrgues,  au  diocèse  de  Clermont  en  Auvergne  ;  de 
Saint-Sernin  de  Toulouse,  où  on  en  Toit  encore  des  portions  considérables  ;  le  couvent  des  Malhu- 
rins  d'Arles,  d'où,  avec  l'autorisation  du  pape  Clément  Vil,  on  transporta,  au  xvi»  siècle,  à  Ville- 
juif,  au  diocèse  de  Paris,  un  os  d'une  jambe  de  saint  Cyr,  et  une  partie  de  la  mâchoire  de  sainte 
Julitte  ^.  Sancerges,  au  diocèse  de  Bourges,  qui  honore  saint  Cyr  comme  son  patron,  devait  aussi 
posséder  autrefois  quelques  reliques  de  ce  saint  Martyr.  Saint-Amand,  en  Hainaut,  possède  aussi 
quelques  reliques  de  saint  Cyr. 

Beaucoup  d'autrtà  localités  sont  placées  sous  le  vocable  de  ce  saint  Martyr,  telles  que  Saint- 
Cyr-sur-Loire,  près  de  Tours  ;  Saint-Cyr,  au  diocèse  de  Limoges,  dans  l'archiprètrédeRochechouart; 
Saint-Cyr-le-Cordière,  près  de  Toulon,  dans  le  diocèse  de  Fréjus,  etc. 

En  1493,  Philibert  de  Champange  fit  la  remise  à  ia  cathédrale  des  reliques  assez  importantes 
de  saint  Cyr  qu'il  avait  en  sa  possession. 

Quant  au  reliquaire  d'or  donné  par  le  roi  Raoul,  on  ne  sait  aujourd'hui  ce  qu'il  est  devenu.  Les 
reliques  de  sainte  Julitte  et  de  saint  Cyr  demeurèrent  renfermées  avec  d'autres  dans  le  rétable  vitré 
qui  surmontait  l'autel  de  Sainte-Julitte,  autrefois  nommé  de  6ainl-Cyr.  Il  fut  démoli,  en  1858, 
pour  être  remplacé  par  un  autel  roman  plus  en  rapport  avec  le  style  de  la  chapelle.  Le  2  brumaire 
an  n  (24  octobre  1793),  le  représentant  du  peuple  Fouché,  ayant  ordonné  de  dépouiller  les  églises 
du  département  de  la  f^ièvre  de  tout  ce  qu'elles  pouvaient  avoir  de  précieux,  le  vicaire  épiscopal 
Goussot  réussit  à  sauver  les  reliques  déposées  dans  la  cathédrale.  Ces  reliques,  accompugnées  de 
leurs  authentiques,  furent  transportées  à  Nolay,  où  elles  se  trouvent  encore  aujourd'hui  dans 
plusieurs  reliquaires. 

Le  plus  précieux  de  ces  reliquaires  est  celui  qu'on  nomme  Chrisf-aux-Reliqites,  à  cause  du 
grand  nombre  de  reliques  renfermées  dans  la  croix.  Elles  ont  été  vérifiées  de  nouveau  et  authen- 
tiquées par  Mgr  Dufétre,  évêque  de  Nevers.  On  y  remarque  entre  autres  un  ossement  de  sainte 
Julitte,  de  dix  centimètres,  et  un  os  du  bras  de  saint  Cyr,  de  cinq  centimètres. 

1.  M.  l'abbé  Prnvost,  cnré  de  Villejnif,  nons  écrivait  le  22  mars  1859  : 

•  J'cxtrnis  d'un  petit  livre  intitulé  :  Abrégé  de  la  Vie  de  saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte,  sa  mère,  patrons 
de  la  paroisse  de  Villejuif,  proche  Paris,  imprimé  en  1686,  les  détails  suivants  :  «  M.  Guillaume  Leva- 
vasseur,  né  à  Rouen,  chirurgien  et  valet  de  chambre  ordinaire  du  roi  François  I*',  obtint  du  pape  Clé- 
ment VU,  le  3  novembre  1533,  et  da  roi  son  maître,  alors  à  Marseille,  le  10  da  même  mois,  que  le  supé- 
rieur des  RR.  PP.  Matliurins  d'Arles  lui  donnât  :  1°  l'os  da  col  de  saint  Roch,  appelé  cspondille  ;  2»  l'os 
de  la  cuisse  de  saint  Cyr  et  une  partie  de  la  mâchoire  de  sainte  Julitte  oii  tenait  encore  une  dent.  Ces 
reliques  reconnues  par  Jean  da  Bellay,  évêque  de  Paris,  furent  déposées  à  Villejuif,  le  premier  dimanche 
de  mai  1535.  Guillaume  Levavasseur  demanda  qu'à  perpétuité  on  chantât  pour  lui  et  les  siens  VO  salu- 
taris  pendant  l'élévation  de  la  grand'messe,  par  acte  passé  par-devant  notaire,  ce  que  nous  esécntons 
encore  ». 

«  La  tradition  de  Villejaif  porte  qu'une  crois  fut  érigée  à  l'entrée  da  pays  à  l'endroit  oii  le  clergé 
vint  recevoir  les  saintes  reliques.  Cette  croix  a  été  déplacée,  il  y  a  5  oa  6  ans,  et  relevée  tout  à  côté  par 
les  soins  de  la  fabrique  et  de  mon  prédécesseur.  Tous  les  premiers  dimanches  de  mai,  nous  faisons  l'office 
de  la  Susception  des  saintes  reliqnes  ;  avant  la  grand'messe,  nous  allons  en  procession  jusqu'à  cette  croix 
en  chantant  des  hymnes  et  répons  tirés  de  l'office  de  saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte  pendant  l'aller  et  le 
retour,  et  aux  pieds  de  la  croix  le  psaume  De  Profundis  pour  le  repos  de  Levavasseur  et  sa  famille. 
Tous  les  ans,  au  16  août,  nous  faisons  l'office  de  saint  Roch  :  la  grand'messe  est  précédée  d'une  proces- 
sion autour  du  pays  à  laquelle  deux  membres  de  la  Confr.'irje  de  Saint-Rocb  portent  nos  saintes  reliques  ». 


76  16  JUIN. 

Il  parait  que  le  sieur  Goussot  ne  put  enlever  qu'une  partie  des  reliques  déposées  dans  le  rétable 
de  sainte  Julitte,  car  l'abbé  Guérin,  de  son  côté,  sauva  une  dent  de  sainte  Julitte,  et  un  os  de  saint 
Mathieu.  Ces  deux  reliques  ont  été  déposées  dans  le  reliquaire  de  la  cathédrale,  scellé  du  sceau  de 
Mgr  Charles  de  Houdet  d'Auzers,  avec  un  acte  authentique  du  28  novembre  1830.  Les  autres  reli- 
ques renfermées  dans  ce  reliquaire  sont  celles  de  saint  Jacques  le  Majeur,  de  saint  Sulpice,  arche- 
vêque de  Bourges,  de  saint  Anselme,  de  saint  Jérôme,  évêque  de  Nevers,  et  des  saintes  Eugénie 
et  Euphémic  ;  plus  un  ossement  assez  considérable  de  saint  Cyr. 

Enfin  on  possède,  à  l'évêché,  la  mâchoire  inférieure  de  sainte  Julitte,  à  laquelle  il  ne  reste  plus 
qu'une  deut,  et  des  fragments  d'ossements  de  saint  Cyr  ;  ces  reliques  avaient  été  primitivement 
examinées  par  Mgr  d'Auzers  et  scellées  de  son  sceau  ;  ce  sceau  a  été  remplacé  depuis  par  celui  de 
Mgr  Dufêtre. 

Plusieurs  églises  du  diocèse  de  Nevers  ont  aussi  des  reliques  de  saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte, 
déposées  dans  le  tombeau  de  leurs  autels  ;  nous  pouvons  citer  entre  autres  les  églises  de  Saiat- 
Benin  d'Azy,  de  Donzy,  de  Fours,  d'Arbourse,  de  Saint-Agnan  de  Cosne. 

En  1845,  Mgr  Dufêtre  détacha  quelques  parcelles  des  ossements  de  saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte, 
en  faveur  de  l'église  de  Saint-Cyr-sur-Loire,  au  diocèse  de  Tours.  La  cérémonie  de  la  translation 
solennelle  de  ces  reliques,  si  précieuses  pour  cette  paroisse,  eut  lieu  le  20  juillet,  et  Mgr  Dufêtre 
voulut  bien  présider  lui-même  cette  fête,  qui  avait  attiré  une  foule  immense. 

Quelquesannées  plus  tard,en  1856,  la  paroisse  d'Angres,  au  diocèse  d'Arras,  obtint  la  même  faveur. 

Le  16  juin  1857,  eut  lieu,  à  Nuits-sur-Armançon,  la  translation  solennelle  des  reliques  de  saint 
Cyr  et  de  sainte  Julitte. 

Saint  Cyr  et  sainte  Julitte  sont  nommés  dans  le  martyrologe  romain  sous  le  16  juin  ;  mais  il 
est  plus  probable  qu'ils  furent  martyrisés  le  15  juillet.  C'est  en  ce  dernier  jour  qu'on  célèbre  leur 
fête  chez  les  Grecs,  chez  les  Moscovites  *,  chez  les  Arméniens  *  et  chez  les  Nestoriens  3.  Les 
Abyssins  *  les  honorent  deux  jours  avant  le  19  de  leur  mois  de  Hamle  et  le  20  janvier. 

Tiré  de  leurs  actes  sincères,  publiés  par  Dom  Roinart  ;  de  VHagiologie  Nîvemaîse,  par  Mgr  Crosnier. 
■-  Cf.  Tillemont,  t.  v,  p.  349;  le  P.  Papebrock;  les  Actes  des  Martyrs,  par  les  RR.  PP.  Bénédictins. 


SAINTE  ALENE  OU  ALINE  \  YIERGE  ET  MARTYRE 

640.  —  Pape  :  Séveria.  —  Rois  de  France  :  Sigebert  II;  Clovis  U. 


Non  ideo  laudabilis  virginitas  quia  in  martyribuM 
reperitur,  sed  quia  ipsa  martyres  faciat. 

La  virginité  n'est  pas  louable  parce  qu'elle  se  trouve 
dans  les  martyrs,  mais  parce  qu'elle  fait  les  martyrs. 
S.  Ambr.,  lib.  1  de  Virginitate. 

Alêne  naquit  dans  les  premières  années  du  septième  siècle  de  parents 
nobles  et  puissants;  son  père,  appelé  Levolde,  était  chef  ou  seigneur  de 
Dielbeck  en  Brabant,  et  sa  mère  avait  nom  Hildegarde.  Gomme  la  plupart 
des  habilanls  du  pays,  ils  étaient  idolâtres  et  très-attachés  à  leurs  fausses 
divinités.  Un  jour  que  Levolde,  selon  sa  coutume,  était  allé  à  la  chasse,  il 
rencontra,  sur  les  bords  de  la  Senne,  un  chrétien  que  les  prédications  des 
apôtres  de  l'Evangile  avaient  gagné  depuispeu  à  Jésus-Christ.  La  conversation 
s'engageant  entre  eux,  ils  ne  tardèrent  pas  à  parler  de  la  nouvelle  doctrine 
que  l'on  entendait  annoncer  dans  le  Brabant,  et  tous  deux  avec  une  égale 
ardeur  se  mirent  à  défendre  leur  religion.  La  discussion  se  prolongeait, 
lorsque  le  chrétien,  pour  la  terminer  et  sans  doute  dans  l'espérance  d'un 
plus  facile  succès,  proposa  au  seigneur  de  Dielbeck  de  recevoir  chez  lui 

1.  Voir  le  P.  Papebrock,  ante  Maium,  t.  i,  p.  36,  et  M.  Jos.  Assemanl,  Cal.,  univ.,  t.  vi. 

2.  Jos.  Assomaiil,  DilA.  Orient.,  t.  m,  p.  647,  6.52.  —  3.  Ibid.,  t.  iv,  p.  366. 

\.  Voir  le  calendrier  des  Abyssins,  dans  Ludolf,  et  celui  qui  a  été  publié  dans  lo  journal  do  Berne,  en 
1T61.  t.  t,  p.  14(5. 
t.  Alias  :  Uélbne. 


SAINTE  ALÊNE,   YIERGE  ET  MARTYRE.  77 

l'hospitalité.  «  Demain  »,  dit-il,  a  quand  les  sacrés  mystères  seront  célé- 
brés, vous  verrez  par  vous-même  combien  le  Dieu  des  chrétiens  est  bon,  et 
combien  sont  heureux  ceux  qui  espèrent  en  lui  ». 

Cette  proposition  était  bien  de  nature  à  étonner  Levolde  :  une  secrète 
curiosité  le  détermina  à  accepter,  et  il  se  dirigea  vers  le  Forêt  où  on  lui 
témoigna  tous  les  égards  dus  à  sa  qualité.  La  maison  qu'habitait  le  fer- 
vent néophyte,  et  qui  dans  la  suite  fut  changée  en  église  par  saint  Amand, 
renfermait  une  petite  chapelle  dans  laquelle  un  prêtre  qui  servait  Dieu 
avec  beaucoup  de  piété,  célébrait  quelquefois  le  sacriûce  de  la  messe. 
C'est  là  que  la  famille  convertie  se  réunissait ,  avec  quelques  fidèles 
des  environs,  pour  assister  à  la  prière,  aux  enseignements  de  la  foi  et  à  la 
participation  des  Sacrements,  renouvelant  ainsi,  dans  les  forêts  de  la  Bel- 
gique, les  scènes  touchantes  qu'avait  offertes  l'église  dans  les  catacombes 
de  Rome  ou  dans  les  déserts  de  la  Thébaide. 

Le  prêtre  célébra  donc  le  divin  sacrifice  au  lever  de  l'aurore,  en  pré- 
sence de  Levolde  qui  considérait  attentivement  ce  qui  se  passait  sous  ses 
yeux,  et  écoutait  toutes  les  paroles  que  prononçait  l'assemblée.  Que  de 
vœux  ardents,  de  prières  ferventes  montaient  alors  au  ciel  pour  sa  conver- 
sion !  mais  l'heure  de  la  grâce  n'était  pas  encore  arrivée.  Opiniâtrement 
attaché  à  ses  idoles,  il  méprisa  dans  son  cœur  la  loi  de  Jésus-Christ,  et  c'est 
avec  ces  sentiments  qu'il  revint  dans  son  château.  Là,  il  raconta  à  son 
épouse  et  à  Alêne  sa  fille,  tout  ce  qui  lui  était  arrivé,  et  blasphémant  le 
Dieu  des  chrétiens,  il  jura  que  les  siens  étaient  plus  grands  et  plus  puissants. 

Que  les  voies  de  Dieu  sont  admirables,  et  qu'il  sait  bien  par  toutes  sortes 
de  moyens  arriver  à  la  sanctification  de  ses  élus  !  Ces  paroles  qui  auraient 
dû,  ce  semble,  confirmer  dans  l'erreur  deux  âmes  idolâtres,  devinrent  le 
principe  de  la  conversion  d'Alêne  qui,  par  l'effusion  de  son  sang,  obtiendra 
plus  tard  celle  de  ses  parents  eux-mêmes.  Dès  ce  moment,  en  eU'et,  la  grâce 
commença  à  agir  sur  cette  innocente  jeune  fille  qui,  sans  pouvoir  s'expli- 
quer ce  qui  se  passait  dans  son  cœur,  éprouva  un  vif  désir  de  voir  le  chré- 
tien dont  son  père  lui  avait  parlé,  et  chez  qui  il  avait  reçu  l'hospitalité. 
Quelque  chose  la  pressait  de  chercher  à  connaître  cette  loi  des  chrétiens 
qu'il  méprisait  et  avait  en  horreur.  Pour  cela  il  fallait  user  d'adresse  et  agir 
avec  le  plus  profond  secret,  car  d'un  côté  Alêne  redoutait  la  colère  de  Le- 
volde qui  ne  manquerait  pas  de  s'opposer  à  son  dessein,  de  l'autre  elle 
craignait  que  les  gardes  du  château  ne  l'aperçussent.  Oubliant  donc  la  timi- 
dité naturelle  à  son  sexe  et  les  dangers  d'une  fuite  nocturne,  elle  partit 
seule,  à  travers  des  taillis  et  des  bois,  et  arriva  au  Forêt  sans  avoir  rencon- 
tré personne  dans  sa  course.  C'est  là  que  la  grâce  l'attendait,  et  elle  triom- 
pha aisément  dans  un  cœur  simple  et  droit  où  la  vérité  ne  trouvait  point 
d'obstacles.  Avec  quelle  ardeur  Alêne  priait  dans  ce  modeste  et  solitaire 
oratoire,  où  Dieu  commençait  à  se  communiquer  à  elle  !  Quels  pieux  .désirs 
elle  formait  pour  le  salut  de  son  père  et  de  sa  mère  I  Quel  amour  de  Dieu 
s'allumait  dans  son  cœur,  quand  elle  considérait  la  grâce  inestimable  qu'il 
lui  avait  accordée  1 

Ce  fut  pendant  ce  temps,  que  saint  Amand,  comme  on  le  voit  dans  de 
très-anciens  hagiographes,  instruisit  dans  la  religion  la  pieuse  néophyte, 
et  eut  la  consolation  de  la  baptiser  :  il  ne  paraissait  pas  possible  qu'elle 
continuât  longtemps  de  venir  en  ce  lieu,  sans  que  son  père  en  eût  connais- 
sance. 

En  effet,  Levolde,  informé  des  visites  fréquentes  que  rendait  sa  fille  à  la 
famille  chrétienne  de  Forêt,  s'abandonna  à  toute  la  brutalité  de  son  carac- 


78  16  JUIN. 

tère  ;  et  son  fanatique  attachement  à  l'idolâtrie  le  rendant  encore  plus 
furieux,  il  donna  aussitôt  à  ses  hommes  d'armes  les  ordres  les  plus  sévères. 
Quels  étaient  ces  ordres  ?  De  quelle  manière  furent-ils  exécutés  ?  Quels 
sombres  incidents  signalèrent  le  tragique  événement  qui  se  passa  alors  ? 
On  ne  trouve  point  dans  les  auteurs  un  récit  qui  offre  assez  de  garanties 
d'authenticité  pour  entrer  dans  ce  détail.  Bornons-nous  à  dire  qu'Alêne 
mourut,  soit  dans  la  lutte  contre  les  gens  qui  voulurent  l'arrêter,  soit  entre 
les  mains  des  ministres  sanguinaires  d'un  père  irrité. 

Un  sang  pur,  versé  pour  la  cause  de  Jésus-Christ,  n'est  jamais  stérile,  et 
Dieu  se  plaît  souvent  à  montrer  par  des  lémoignages  sensibles,  combien 
lui  est  agréable  ce  sacrifice  de  la  vie  que  lui  font  ses  fidèles  servi  leurs  :  on 
le  reconnut  bientôt  au  Forêt,  où  avait  été  enterré  le  corps  de  la  jeune 
vierge.  Les  nombreuses  guérisons  qui  s'y  opéraient  firent  grand  bruit  dans 
les  contrées  voisines  :  aussi  le  modeste  sanctuaire  ne  tarda  pas  à  être  fré- 
quenté par  toutes  sortes  de  personnes,  qui  venaient  réclamer  le  secours  de 
Dieu  sur  le  tombeau  de  la  nouvelle  Martyre. 

C'est  alors,  dit-on,  qu'un  seigneur  du  pays,  nommé  Osmonde,  homme 
illustre  et  riche,  mais  aveugle  et  impotent,  se  fit  amener  près  de  Levolde, 
et  lui  parla  en  ces  termes  :  «  Puisque  les  malades  se  portent  en  foule  vers  la 
tombe  d'Alêne  et  que  par  ses  mérites  ils  y  trouvent  la  guérison,  je  vais  y  aller 
moi-même  et  j'espère  y  recouvrer  la  vue  ».  «  Jusqu'ici  »,  répondit  Levolde, 
((j'ai  regardé  comme  des  fables  tout  ce  qu'on  m'a  rapporté,  mais  si  tu  reviens 
guéri,  j'abandonne  mes  dieux  et  j'embrasse  la  loi  des  chrétiens  ».  Osmonde, 
satisfait  de  cette  promesse,  se  fit  conduire  à  la  chapelle  où  était  enseveli  le 
corps  d'Alêne,  pria  le  Seigneur  de  l'exaucer  par  les  mérites  de  la  jeune 
vierge  et  recouvra  incontinent  la  vue.  Transporté  de  joie,  il  retourna  au- 
près de  Levolde  qui  abjura  au  même  instant  le  culte  de  ses  idoles  et  cou- 
rut, les  yeux  baignés  de  lai'raes,  au  tombeau  de  sa  fille,  confessant  publi- 
quement qu'il  était  lui-même  l'auteur  de  sa  mort.  Aussitôt  il  se  fît  instruire 
des  vérités  de  l'Evangile,  reçut  le  Baptême,  changea  son  nom  en  celui 
d'Harold  et  eut  la  consolation  de  voir  son  épouse  partager  sa  foi  et  son  bon- 
heur. Tous  deux  commencèrent  à  mener  une  vie  nouvelle  et  pratiquèrent 
avec  ferveur  les  vertus  chrétiennes  jusqu'au  jour  de  leur  mort.  On  les  en- 
terra à  Dielbeek  dans  l'église  de  Saint-Ambroise  qu'ils  avaient  fait  bâtir 
eux-mêmes. 

On  la  représente  avec  un  bras  arraché  ;  et  quelquefois  ayant  près  d'elle, 
ou  sur  sa  tête,  une  couronne. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

La  chapelle  de  Sainte-Alène  est  Irès-célèbre  par  les  bienfaits  et  les  guérisons  miraculeuses  que 
Dieu  y  accorda  de  tout  temps.  Ces  prodiges  mullipliés  ont  inspiré  aux  habitants  du  pays  une 
grande  dévotion  pour  leur  patronne.  Nicolas,  de  la  famille  de  Chièvres,  qui  monta  sur  le  siège  de 
Cambrai  en  U40,  se  proposait  de  consacrer  celte  église  à  cause  de  l'aftluence  extraordinaire  du 
peuple  ;  mais,  dit  un  historien  contemporain,  ayant  appris  qu'elle  l'avait  été  par  saint  Amand  dans 
des  temps  très-reculés,  il  s'en  abstint,  par  respect  pour  le  saint  apôtre  du  Brabant. 

En  1193,  Gui,  aussi  évèque  de  Cambrai,  ordonna  à  Godescalc,  abbé  d'Afflighem,  d'aller  au  Forêt 
lever  les  reliques  de  la  Sainte  et  de  les  exposer  à  la  vénération  publique  :  de  nombreux  miracles 
furent  encore  opérés  en  cette  occasion.  On  cite  spécialement  la  guérison  d'une  jeune  personne 
d'Enghien  qui  avait  perdu  un  œil,  et  qui  soullVait  tellement  de  l'autre  depuis  sept  ans,  qu'à  peine 
pouvait-elle  diriger  sûrement  sa  marche.  Elle  recouvra  parfaitement  la  vue  et  retourna  chez  ses 
parenis  sans  la  moindre  trace  de  son  infirmité.  En  1523,  le  3  janvier,  la  châsse  qui  renfermait 
ces  reliques  fut  ouverte  et  visitée  sur  l'ordre  de  Robert  de  Croy,  évêque  de  Cambrai,  par  Adrien, 
évêque  in  partibus  et  vicaire-évèque  du  même  diocèse.  Le  corps  fut  trouvé  intact  et  parfaitement 
recoanu.  Ea  1660,  Mgr  Malhias  Hove,  archevêque  de  Malines,  dans  le  diocèse  duquel  se  trouvait 


I 


SAINTE  LUTGARDE,   VIERGE  ET  RELIGIEUSE.  79 

jlors  cette  éjçlise,  la  fil  pareillement  yisiter  par  un  doyen  de  Bruxelles,  licencié  en  théologie,  avec 
toutes  les  procédures  ordinaires.  Cette  châsse  fut,  en  1644,  remplacée  par  une  autre  en  argent,  et 
appartenant  au  monastère. 

Lors  de  la  révolution  de  1793,  au  moment  où  les  troupes  républicaines  pénétraient  dans  la 
Belgique,  les  religieuses  du  Forêt  émigièrent  en  Allemagne,  avec  le  corps  de  leur  sainte  patronne. 
Elles  le  rapportèrent  aprèa  les  jours  de  la  terreur,  et  l'autorité  ecclésiastique  le  reconnut  solen- 
nellement en  1823. 

Ou  voit  encore  aujourd'hui  la  petite  chapelle  élevée  sur  le  tombeau  de  sainte  Alêne  ;  elle  a  été 
incorporée  dans  l'église  bâtie  en  1482.  Ce  tombeau  est  couvert  d'une  pierre  de  marbre  noir,  posée 
sur  des  arcades  de  même  matière. 

La  fête  patronale  se  célèbre  le  dimanche  avant  la  Saint-Jean  ;  on  voit  affluer  ce  jour-là  au 
Forêt  une  multitude  d'habitants  de  Bruxelles  et  des  lieux  voisins  qui  viennent  vénérer  les  reliques 
de  leur  patronne  et  implorer  sa  protection  auprès  de  Dieu. 

Vies  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes  ;  —  Cf.  Ac(.  Sonet.,  t.  iv  Jnn. 


SAINTE   LUTGARDE,  VIERGE, 

ET  REUGIEUSE  A  L'ABBAYE  D'AYWIÈRES 
4246.  —  Pape  :  Innocent  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 


Ipse  mundus  dum.  tôt  amaritudinibus  crvciat,  dum  tôt 
calamitatibus  ingeminat,  quid  aliud  nisi  ut  non 
ametur  clamât  ? 

Le  monde   même,  par  les  amertumes  dont  il  nous 
abreuve,  par  les  calamités   dont    il    nous   accabla, 
que  nous  crie-t-il,  sinon  de  ne  pas  l'aimer? 
Saint  Antonin. 

Lutgarde  était  de  Tongres,  ancien  séjour  des  évoques  de  Liège.  Son 
père,  qui  l'aimait  tendrement,  pensa  d'avance  à  son  avenir,  et  pour  lui 
préparer  une  dot  (car  il  n'était  pas  riche),  il  donna  à  un  marchand  de  ses 
amis  vingt  marcs  d'argent  qui  devaient  rapporter  davantage  dans  le  négoce. 

Pour  elle,  elle  ne  s'éloignait  nullement  des  intentions  de  son  père,  et 
quoiqu'elle  ne  fit  rien  contre  l'honnêteté  et  la  pudeur,  elle  aimait  néan- 
moins la  vanité  et  s'attendait  tout  à  fait  à  être  mariée;  mais  Dieu,  qui  l'a- 
vait choisie  de  toute  éternité  pour  en  faire  une  de  ses  plus  belles  épouses, 
renversa  tous  ces  projets;  le  marchand  fit  de  mauvaises  affaires;  au  lieu  de 
tirer  un  gain  considérable  des  vingt  marcs  d'argent  qu'il  avait  pris  en  so- 
ciété, il  perdit  le  capital  même  en  divers  voyages  qu'il  fit  en  Angleterre,  et, 
de  vingt,  se  vit  réduit  à  un. 

Ce  malheur  affligea  Lutgarde,  sans  la  dégoûter  du  monde.  Elle  continua 
à  se  parer,  à  rechercher  les  divertissements  ordinaires  de  son  âge,  à  faire 
et  à  recevoir  des  visites,  et  à  écouter  des  paroles  de  mariage  que  divers 
jeunes  hommes  lui  portaient.  Sa  mère,  qui  voyait  bien  qu'après  la  perte 
qu'ils  avaient  faite,  il  n'était  pas  possible  de  doter  Lutgarde  selon  sa  condi- 
tion, la  sollicita  souvent  de  renoncer  à  toutes  choses  et  d'entrer  dans  un 
monastère,  où  elle  pourrait  avoir  Jésus-Christ  pour  Epoux  :  néanmoins 
cette  sage  mère  n'usa  point  d'artifice  ni  de  violence.  Lutgarde  résista  long- 
temps à  ces  désirs  qui  n'étaient  point  les  siens.  A  la  fin,  elle  consentit  ^à 
être  mise  en  pension  au  monastère  de  Sainte-Catherine,  auprès  de  la  ville 
de  Saint-Trond,  à  trois  petites  lieues  de  Tongres,  sur  les  limites  du  Brabant 


go  i6  JUIN. 

et  du  pays  de  Liège.  C'est  là  que  Noire-Seigneur  avait  résolu  de  lui  ouvrir 
les  yeux  et  de  changer  l'amour  qu'elle  avait  pour  la  créature  en  un  amour 
très-pur  et  très-parfait  pour  sa  bonté. 

Quoique  pensionnaire,  elle  vit  encore  les  jeunes  gens  qui  la  recher- 
chaient dans  le  monde.  Un  jour  qu'elle  s'entretenait  avec  l'un  d'eux,  Jésus- 
Christ  lui  apparut  subitement  dans  la  même  forme  qu'il  avait  sur  la  terre, 
et,  lui  découvrant  sa  poitrine  sacrée,  il  lui  dit  :  «  Contemple  ici,  Lutgarde, 
ce  que  tu  dois  aimer  et  comme  tu  dois  aimer;  laisse  là  les  attraits  de  l'a- 
mour insensé  des  créatures,  et  tu  trouveras  en  mon  cœur  les  pures  délices 
du  divin  amour  ».  Ces  paroles  furent  comme  une  flèche  ardente  qui  lui  en- 
flamma le  cœur;  elle  se  sentit  à  l'heure  même  si  merveilleusement  changée, 
que  le  monde  ne  lui  était  plus  rien,  et  que  toutes  ses  aff"ections  étaient  pour 
Dieu  ;  de  sorte  que  le  même  jeune  homme  l'étant  ensuite  revenu  voir,  elle  lui 
dit,  comme  sainte  Agnès  à  celui  qui  la  recherchait  pour  épouse  :  «  Retirez- 
vous  de  moi,  j'appartiens  à  un  autre  fiancé  ».  Elle  demeura  néanmoins,  en- 
core quelques  années,  séculière.  Elle  sortit  une  fois  de  son  monastère  pour 
aller  chez  sa  sœur  :  un  gentilhomme,  qu'elle  avait  souvent  rebuté,  même 
avec  injure,  fit  tousses  eff'orts  pour  l'enlever;  mais  Dieu  la  sauva  miracu- 
leusement par  le  ministère  d'un  Ange,  et  fit  voir,  par  un  châtiment  ter- 
rible dont  il  punit  l'écuyer  de  ce  gentilhomme,  que  celte  vierge  était  sous 
sa  protection. 

Etant  retournée  à  ce  monastère,  elle  commença  une  vie  si  pénitente,  si 
retirée  et  si  adonnée  à  l'oraison,  que  les  autres  religieuses  disaient  que  cela 
ne  durerait  pas,  et  que  ce  n'était  qu'un  feu  qui  passerait.  Ces  paroles  rem- 
plirent Lutgarde  de  crainte  et  de  défiance  d'elle-même,  et  lui  firent  ré- 
pandre beaucoup  de  larmes  ;  mais  la  sainte  Vierge  lui  apparut  et  l'assura 
qu'elle  ne  perdrait  jamais  la  grâce  qu'elle  avait  reçue  de  son  Fils,  et  qu'au 
contraire,  elle  en  recevrait  des  accroissements  continuels.  Depuis  ce  temps- 
là,  elle  entra  dans  une  si  grande  familiarité  avec  son  Epoux,  qu'elle  lui  par- 
lait cœur  à  cœur,  et  que,  lorsqu'elle  était  obligée  par  l'obéissance  de  vaquer 
à  quelque  affaire,  elle  lui  disait  avec  une  simplicité  pleine  d'amour  :  a  At- 
tendez-moi, je  vous  prie,  mon  divin  Epoux;  lorsque  j'aurai  expédié  cette 
affaire  pour  votre  gloire,  je  reviendrai  sur-le-champ  vous  trouver  ».  Sainte 
Catherine,  martyre,  patronne  du  monastère,  la  consola  d'une  visite  et  lui 
dit  d'avoir  bon  courage,  parce  que  Notre-Seigneur  avait  résolu  de  l'élever 
au  mérite  des  plus  excellentes  d'entre  les  vierges.  Mais,  afin  que  la  commu- 
nauté ne  doutât  plus  de  l'excellence  de  sa  vocation,  le  jour  de  la  Pente- 
côte, lorsqu'on  chantait  au  chœur  le  Vent  Ci^eator,  on  la  vit  élevée  de  terre 
de  deux  coudées  par  la  ferveur  de  son  oraison,  et,  peu  de  temps  après,  il 
parut  sur  sa  tête,  au  milieu  de  la  nuit,  une  flamme  dont  la  vive  lumière 
surpassait  celle  du  soleil. 

Dieu  lui  donna  aussi  la  grâce  de  guérir  toutes  sortes  de  maladies;  sa 
salive  était  un  remède  efficace;  mais,  comme  le  grand  nombre  des  per- 
sonnes qui  venaient  implorer  son  secours  interrompaient  son  silence,  elle 
pria  son  cher  Epoux  de  lui  changer  cette  grâce  en  une  autre  plus  utile  pour 
son  salut  :  il  lui  demanda  ce  qu'elle  souhaitait;  elle  lui  dit  que  c'était  l'in- 
telligence de  tout  le  Psautier,  afin  que,  comprenant  ce  qu'elle  disait  en 
chantant  ses  divines  louanges,  elle  le  fît  avec  plus  de  ferveur  et  de  dévo- 
tion. Celle  faveur  lui  fut  incontinent  accordée,  et  elle  entra  d'une  manière 
admirable  dans  les  sens  cachés  de  ces  cantiques  sacrés  ;  mais  elle  connut 
par  expérience  que  son  humble  ignorance,  qui  l'obligeait  de  s'unir  à  son 
Epoux  en  lui-même,  ne  lui  était  pas  moins  avantageuse  <jue  la  connaissance 


SALNTE  LUTGARDE,   VIERGE  ET  RELIGIEUSE,  81 

du  sens  de  l'Ecriture  ;  ainsi  elle  retourna  à  notre  Sauveur  et  lui  dit  : 
«  Qu'est-il  nécessaire,  Seigneur,  qu'une  pauvre  sœur  comme  moi  pénètre 
les  secrets  de  vos  divines  paroles?  Changez-moi,  je  vous  prie,  encore  cette 
grâce  ».  —  ((  Que  veux-tu  donc?  »  lui  dit  son  Bien-Aimé.  —  a  Ce  que  je 
veux  et  ce  que  je  vous  demande  »,  dit-elle,  «  c'est  votre  cœur  ».  —  «  Mais 
moi  »,  dit  le  Sauveur,  «  je  veux  plutôt  avoir  le  tien  ».  Cette  réponse,  bien 
loin  de  l'affliger,  la  combla  d'une  joie  incomparable  :  «  Qu'il  en  soit  ainsi!  » 
dit-elle  aussitôt;  «  prenez  mon  cœur,  purifiez-le  par  le  feu  de  votre  amour, 
mettez-le  dans  votre  poitrine  sacrée,  et  que  je  ne  le  possède  jamais  qu'en 
vous  et  pour  vous!  »  De  sorte  qu'il  se  fit  entre  Jésus  et  Lutgarde  un  heu- 
reux échange  de  cœurs,  non  d'une  manière  corporelle,  mais  spirituelle  : 
c'est-à-dire  qu'il  se  fit  une  union  si  étroite  et  si  parfaite  de  l'esprit  créé 
avec  l'esprit  incréé,  que  Jésus  était  toujours  dans  Lutgarde  pour  l'occuper 
et  pour  l'enflammer,  et  que  Lutgarde  était  toujours  hors  d'elle-même  pour 
ne  vivre  qu'en  Jésus  et  pour  Jésus.  Cela  fit  que  son  cœur  était  si  bien  gardé 
et  si  parfaitement  muni,  que  nulle  tentation  de  la  chair,  et  nulle  autre  pen- 
sée mauvaise  n'en  osaient  approcher. 

Peu  de  jours  après,  une  grande  sueur  lui  ayant  pris  pendant  la  nuit, 
elle  crut  qu'il  était  à  propos  qu'elle  se  dispensât  des  Matines,  pour  ne  pas  y 
aller  toute  trempée,  et  ne  pas  s'exposer  au  danger  de  tomber  malade  ;  mais 
elle  entendit  une  voix  qui  lui  dit  :  «  Pourquoi  demeures-tu  ainsi  dans  le 
lit?  lève-toi  promptement;  tu  ne  dois  pas  avoir  égard  à  cette  sueur,  mais 
commencer  à  faire  pénitence  pour  les  pécheurs  ».  Elle  se  leva  prompte- 
ment et  tout  épouvantée  ;  puis,  lorsqu'elle  fut  à  la  porte  du  chœur  où  l'on 
chantait  déjà  Matines,  Notre-Seigneur  lui  apparut  attaché  en  croix  et  tout 
couvert  de  sang;  et,  s'approchant  d'elle,  il  détacha  un  de  ses  bras  pour 
l'embrasser  avec  beaucoup  d'amour,  et  lui  fit  porter  ses  lèvres  sur  la  plaie 
sanglante  de  son  côté.  Cette  grâce  la  remplit  de  tant  de  suavité,  que  les 
plus  grandes  austérités  ne  lui  paraissaient  plus  rien,  et  sa  bouche  avait 
contracté,  par  l'attouchement  de  la  plaie  sacrée  du  Fils  de  Dieu,  une  dou- 
ceur merveilleuse. 

Lorsqu'elle  ressentait  quelque  peine,  ou  du  corps  ou  de  l'esprit,  toute 
sa  consolation  était  de  se  mettre  devant  l'image  de  Jésus-Christ  crucifié  ;  et 
alors  cette  plaie  du  côté  s'ouvrant  en  sa  faveur,  elle  répandait  dans  son  âme 
une  si  grande  plénitude  de  joie  et  d'onction,  que  toutes  ses  peines  se  dissi- 
paient en  un  instant.  Un  jour  qu'elle  était  affligée  d'une  fièvre  intermit- 
tente, elle  se  consolait  en  pensant  à  saint  Jean  l'Evangéliste,  qui  a  eu  le 
bonheur  de  coucher  sa  tête  sur  la  poitrine  sacrée  de  Notre-Seigneur,  et  d'y 
puiser  les  eaux  salutaires  de  l'Evangile.  En  ce  moment,  un  grand  aigle  lui 
apparut  en  esprit;  il  avait  des  ailes  si  éclatantes,  qu'elles  étaient  capables 
d'éclairer  tout  le  monde  de  leur  splendeur;  et,  lui  aj^ant  mis  le  bec  dans  la 
bouche,  il  remplit  son  âme  d'une  telle  lumière,  qu'elle  lui  découvrit  les 
plus  grands  mystères  de  notre  religion  et  de  la  conduite  de  Dieu  sur  les 
âmes.  Aussi  le  pieux  Thomas  de  Cantimpré,  qui  a  écrit  sa  vie,  nous  assure 
que  ce  qu'elle  disait  était  si  profond  et  si  relevé,  et  qu'elle  y  mêlait  des  pa- 
roles si  efficaces  et  si  enflammées,  qu'il  ne  pouvait  l'entendre  sans  un  ex- 
trême étonnement,  et  que,  si  l'extase  où  son  entretien  le  mettait  eût  duré 
longtemps,  il  n'eût  jamais  pu  la  supporter  sans  mourir. 

Elle  entrait  aussi  quelquefois  dans  cet  état  que  nous  appelons  l'ivresse 
spirituelle,  qui  faisait  qu'étant  tout  hors  d'elle-même,  elle  allait  de  côté  et 
d'autre  inviter  tout  le  monde  à  l'amour  de  son  Epoux  :  cela  lui  arriva  sur- 
tout un  jour  qu'elle  était  dans  l'ermitage  d'une  recluse.  Cette  grande  fer- 
YiES  DES  Saints.  —  Tome  VU,  û 


g2  16  JUIN. 

veur,  dont  elle  était  remplie,  lui  fit  souhaiter  de  recevoir  la  consécration 
virginale  des  mains  de  son  prélat,  nommé  Huart,  évêque  de  Liège;  car, 
quoiqu'elle  fût  religieuse,  elle  n'avait  pas  encore  reçu  cette  bénédiction. 
Plusieurs  autres  filles  reçurent  cette  faveur  avec  elle;  mais,  quoique  l'é- 
vêque  ne  leur  mît  à  toutes  que  la  même  couronne  faite  de  fil,  il  y  ent 
néanmoins  un  saint  homme  qui  le  vit  en  mettre  une  d'or  d'une  beauté  ex- 
traordinaire sur  la  tête  de  Lutgarde.  Son  admiration  fut  d'autant  plus 
grande,  qu'ayant  demandé  à  l'aumônier  pourquoi  on  faisait  cette  diffé- 
rence, l'aumônier  l'assura  qu'on  n'en  faisait  point.  Depuis  ce  moment  elle 
s'attacha  ;\  Jésus-Christ  d'une  union  encore  plus  étroite  ;  et  elle  était  une 
de  ces  âmes  chastes  qui  suivent  l'Agneau  partout  oh  il  va.  Son  humilité 
était  si  parfaite,  que  rien  n'était  capable  de  lui  donner  un  sentiment  d'or- 
gueil; personne  n'était  plus  pauvre  qu'elle;  et  elle  était  même  détachée  de 
ce  qui  était  le  plus  nécessaire  à  la  vie,  toute  sa  joie  étant  de  souffrir  quel- 
que chose  pour  Dieu  ;  mais  elle  faisait  tout  son  possible  pour  que  les  autres 
ne  souffrissent  point,  parce  que  la  miséricorde  et  la  compassion  avaient 
pris  une  entière  possession  de  son  cœur. 

La  prieure,  qui  gouvernait  alors  le  monastère  de  Sainte-Catherine,  étant 
venue  à  mourir,  les  religieuses  l'élurent  pour  leur  prieure.  Elle  s'acquitta 
quelque  temps  de  ce  devoir  avec  beaucoup  de  vigilance  et  de  perfection; 
mais  son  humilité  lui  donnant  horreur  du  commandement,  et  étant  d'ail- 
leurs avertie  de  la  part  de  Dieu  de  le  quitter,  elle  passa  au  monastère 
d'Apvières  *,  de  l'Ordre  de  Gîteaux,  dans  le  Brabant  :  pour  n'être  point 
élue  supérieure,  ni  dans  cette  maison,  ni  dans  les  autres  du  même  Ordre 
que  l'on  fondait  en  France,  elle  demanda  à  Notre-Seigneur  une  incapacité 
d'apprendre  la  langue  française  ;  cette  faveur  lui  fut  accordée  jusqu'à  un  tel 
point,  que  dans  l'espace  de  quarante  ans  qu'elle  fut  avec  des  religieuses  qui 
la  parlaient,  à  peine  put-elle  apprendre  à  demander  du  pain  en  français; 
cela  fit  qu'on  ne  l'occupa  point  aux  ministères  extérieurs,  et  qu'on  lui  donna 
tout  le  temps  de  s'appliquer  à  la  contemplation. 

En  ce  temps-là,  les  hérétiques  albigeois  faisaient  de  terribles  ravages 
dans  beaucoup  de  provmces  de  l'Europe,  et  surtout  dans  le  Languedoc.  La 
sainte  Vierge,  à  qui  l'on  donne  cet  éloge,  que  c'est  elle  qui  combat,  qui 
surmonte  et  qui  vainc  toutes  les  hérésies,  voulant  rendre  l'Eglise  victorieuse 
de  celle-ci,  apparut  à  Lutgarde  avec  un  visage  triste  et  défiguré,  et  avec 
des  habits  de  deuil  et  une  manière  toute  négligée.  La  Sainte  lui  demanda 
d'où  venait,  qu'étant  belle  comme  la  lune  et  éclatante  comme  le  soleil,  elle 
était  dans  un  état  si  digne  de  compassion  ?  Elle  lui  dit  :  Le  sujet  de  mon 
affliction  est  que  les  hérétiques  albigeois  crucifient  de  nouveau  mon  Fils; 
en  punition  d'un  si  grand  crime,  la  colère  de  Dieu  est  près  d'éclater  sur  la 
terre  et  d'y  exercer  partout  des  vengeances  terribles  et  inouïes;  pour  re- 
médier à  ces  maux,  il  vous  faut  entreprendre  un  jeûne  de  sept  ans,  sans 
autre  nourriture  que  du  pain  et  de  l'eau;  et  durant  ce  même  temps,  effor- 
cez-vous d'apaiser  par  vos  larmes  la  rigueur  de  cette  redoutable  justice. 
Lutgarde  s'y  offrit  de  très-grand  cœur,  et  observa  en  effet  ce  long  jeûne 
avec  un  courage  et  une  patience  invincibles.  Lorsqu'elle  l'eut  achevé,  Notre- 
Seigneur  lui  en  commanda  un  autre  aussi  long  et  aussi  sévère,  en  faveur 

L  Cette  abbaye  (Aquiria,  ou  AviriaJ  fut  fondée  en  1202,  dans  un  village  nommé  Aywiers,  k  deux  lieues 
de  Liège  ;  mais  les  guerres  continuelles  qui  régnaient  dans  ce  pays  contiai^nirent  les  religieuses  à  se 
retirer  dans  le  Brabant.  Elles  choisirent  «n  1210  un  village  nommé  le  Loux,  qu'elles  abandonnèrent  «n 
1217  pour  aller  ue  fixer  dans  un  endroit  plus  avantageusement  situé,  et  éloigné  de  deux  lieues  et  demie 
de  Kivelles.  Le»  religieuse»  dépendaient  pour  le  spirituel  de  l'abbaye  d'Aine.  —  Continuateurs  do 
Cbdetcard. 


i 


SAINTE  LUTGARDE,   VIERGE   ET  RELIGIEUSE,  83 

des  catholiques  qui  vivaient  dans  le  péché,  lui  permettant  seulement  d'y 
ajouter  quelques  légumes;  et  pour  l'y  obliger  avec  plus  de  suavité,  il  lui 
apparut  tout  couvert  de  plaies  et  de  sang,  et  lui  dit  :  «  Vois-tu,  ma  fille, 
en  quel  état  je  me  présente  à  mon  Père  pour  attirer  sa  miséricorde  sur  les 
pécheurs  ?  je  veux  aussi  que  tu  souffres  pour  eux,  et  que  tu  m'offres  tous 
les  jours  au  sacrifice  de  la  messe,  pour  les  réconcilier  avec  lui  ».  Elle  ac- 
complit encore  ce  second  septénaire  avec  la  même  ferveur  que  le  premier, 
et  elle  conçut,  sur  l'exemple  de  son  divin  Epoux,  une  si  grande  tendresse 
pour  les  pécheurs,  qu'il  appelle  siens,  parce  qu'ils  lui  ont  été  donnés  pour 
les  rendre  justes,  qu'elle  ne  cessait  jamais  de  prier  et  de  pleurer  pour  eux. 

Aussi  ses  prières  étaient  si  efficaces,  que  la  bienheureuse  Marie  d'Oi- 
gmes  assurait  qu'il  n'y  avait  personne  sur  la  terre  qui  eût  tant  de  pouvoir 
pour  impétrer  la  conversion  des  pécheurs  et  la  délivrance  des  âmes  du  pur- 
gatoire, que  cette  fidèle  amante  de  Jésus.  Sa  sainte  confiance  allait  jusqu'au 
point  de  dire  quelquefois  à  Notre-Seigneur,  dans  l'ardeur  de  ses  prières  : 
«  Seigneur,  ou  effacez-moi  de  votre  livre,  ou  faites  miséricorde  à  cette 
créature  pour  laquelle  je  vous  prie  ».  Et  par  cette  sainte  importunité,  elle 
a  obtenu  à  plusieurs  personnes,  tant  religieuses  que  séculières,  une  parfaite 
contrition  de  cœur.  Nous  avons  aussi  beaucoup  d'exemples  d'âmes  du  pur- 
gatoire dont  elle  a  abrégé  les  peines,  ou  qu'elle  a  entièrement  délivrées  par 
la  force  de  son  intercession  et  de  ses  larmes;  tels  furent  un  abbé  de  l'Ordre 
de  Cîteaux,  nommé  Simon,  qui  était  condamné  i  onze  ans  de  tourments, 
et  le  prieur  d'Oignies,  appelé  Baudoin,  qui,  à  l'heure  de  sa  mort,  lui  fut 
recommandé  dans  une  vision  céleste. 

Elle  fut,  toute  sa  vie,  la  terreur  des  démons,  et  ces  monstres  d'enfer  la 
craignaient  si  fort,  qu'ils  n'osaient  pas  même  s'approcher  d'elle,  ni  de  l'ora- 
toire où  elle  faisait  ordinairement  son  oraison.  C'était  assez,  pour  les  mettre 
en  fuite,  qu'elle  dît,  en  esprit,  ce  premier  verset  du  psaume  lxk"  :  «  Mon 
Dieu,  venez  à  mon  aide;  Seigneur,  hâtez-vous  de  me  secourir  !  »  Quelque 
peine  et  quelque  tentation  qu'eussent  les  personnes  qui  avaient  recours  à 
elle,  elle  les  en  délivrait  aisément  par  ses  entretiens  ou  par  ses  prières; 
celles  mêmes  que  les  différentes  agitations  de  leur  cœur  avaient  portées 
jusqu'au  désespoir,  elle  les  calmait  par  la  douceur  de  ses  paroles,  et  les 
remplissait  d'une  ferme  confiance  en  Dieu.  Elle  avait  excellemment  le  don 
de  prophétie  et  la  grâce  de  connaître  les  choses  cachées  ou  éloignées,  et 
les  plus  secrètes  pensées  du  cœur.  Elle  prédit,  par  ce  moyen,  que  les  Tar- 
tares,  qui  s'étaient  jetés  sur  la  Pologne,  la  Russie  et  la  Bohême,  ne  passe- 
raient pas  outre  et  ne  viendraient  pas  dans  les  Pays-Bas,  et  elle  apprit  aussi 
la  mort,  précieuse  devant  Dieu,  du  bienheureux  Jourdain,  général  de 
l'Ordre  des  Jacobins,  et  du  cardinal  Jacques  de  Vitry.  Bien  qu'elle  ne  sût 
pas  la  langue  française,  lorsque  des  personnes  ne  parlant  que  cette  langue 
avaient  besoin  de  ses  consolations,  elle  les  entendait  et  se  faisait  aussi  en- 
tendre à  elles  par  miracle,  en  parlant  la  langue  tudesque.  Elle  a  souvent 
guéri  plusieurs  malades  qui  lui  étaient  recommandés.  Mathilde,  grande 
dame  du  pays  de  Liège,  était  si  sourde  qu'elle  n'entendait  pas  même  le 
chant  des  religieuses  au  chœur  :  Lutgarde,  en  lui  touchant  du  doigt  les 
oreilles,  lui  donna  sur-le-champ  l'usage  de  l'ouïe.  Une  religieuse  nommée 
Elisabeth  ne  pouvait  se  lever  du  lit  à  cause  de  la  grande  faiblesse  de  ses 
membres  :  elle  lui  obtint  ses  forces  premières  par  ces  paroles,  que  lui  dit 
Notre-Seigneur  :  «Levez-vous,  levez-vous,  fille  de  Jérusalem,  qui  avez  bu 
jusqu'à  présent  le  calice  de  la  colère  de  Dieu  ».  Un  enfant  étant  extrême- 
ment tourmenté  du  mal  caduc,  elle  lui  mit  un  doigt  dans  la  bouche,  im- 


84  Ib  JUIN. 

prima  le  signe  de  la  croix  sur  sa  poitrine,  et,  depuis  ce  temps-là,  il  n'en 
ressentit  plus  aucune  attaque. 

Les  visites  des  anges  et  des  âmes  bienheureuses  lui  étaient  ordinaires; 
mais  rien  n'était  capable  de  la  contenter  que  la  vue  et  la  possession  de  son 
Epoux.  Comme  elle  passait  sa  vie  dans  des  gémissements  et  des  pleurs  con- 
tinuels pour  les  pécheurs,  de  sorte  que  ses  yeux  semblaient  être  deux 
sources  inépuisables  de  larmes,  ce  Seigneur  infiniment  aimable  lui  apparut 
un  jour,  et,  après  l'avoir  remerciée  de  ce  qu'elle  avait  si  bien  plaidé  la  cause 
de  ses  pécheurs,  il  lui  essuya  le  visage  de  cette  môme  main  qu'il  a  étendue 
pour  eux  sur  la  croix,  et  la  dispensa  de  pleurer  dans  la  suite,  l'assurant 
qu'elle  n'obtiendrait  pas  moins  par  la  ferveur  d'une  oraison  tranquille,  que 
par  ses  soupirs  et  par  les  cris  continuels  qu'elle  avait  si  longtemps  envoyés 
vers  le  ciel. 

Au  reste,  malgré  toutes  ces  faveurs,  elle  vivait  dans  une  telle  humilité 
de  cœur,  qu'elle  craignait  en  toutes  choses  de  déplaire  à  Dieu;  de  sorte 
qu'elle  pouvait  dire,  comme  Job,  qu'elle  a  surveillait  toutes  ses  œuvres  ». 
Elle  eut  surtout  de  grandes  peines  pour  la  récitation  de  ses  heures  cano- 
niales; et,  quoiqu'elle  ne  s'arrêtât  jamais  volontairement  à  aucune  distrac- 
lion,  néanmoins,  lorsqu'elle  reconnaissait  que  quelque  pensée  étrangère  lui 
avait  occupé  l'esprit,  elle  répétait  une  et  deux  fois  ce  qu'elle  avait  déjà  dit. 
Mais  Notre-Seigneur  la  délivra  de  ce  scrupule  :  un  berger  vint  dire  à  Lut- 
garde  de  sa  part  de  ne  plus  s'inquiéter  à  ce  sujel.  Il  lui  dit  aussi  lui-même 
dans  une  vision  :  «  Ne  crains  rien,  ma  (ille  ;  je  suppléerai  à  ce  défaut  ». 
Enfin,  il  l'assura  une  autre  fois,  par  un  ambassadeur  céleste,  qui  lui  vint 
parler  sous  la  forme  d'un  homme  fort  vénérable,  que  sa  vie  était  selon  son 
cœur,  et  qu'elle  devait  être  en  repos.  A  la  suite  de  ces  assurances,  elle  eut 
un  grand  désir  de  sortir  de  ce  monde,  pour  aller  jouir  de  son  Bien-Aimé; 
elle  le  priait  jour  et  nuit  d'abréger  son  exil,  pour  la  faire  jouir  de  ses  divins 
embrassements;  mais  il  lui  apprit,  dans  un  ravissement  oii  elle  le  vit  tout 
couvert  de  plaies,  et  les  pieds,  les  mams  etle  côté  toutensanglantés,  qu'elle 
devait  plutôt  souhaiter  de  souffrir  pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  le  salut 
des  âmes,  que  de  mourir  pour  sa  propre  consolation.  Le  désir  du  martyre 
l'embrassa  aussi  de  telle  sorte  qu'elle  demandait  instamment  à  son  Epoux 
de  répandre  son  sang  pour  lui,  comme  sainte  Agnès.  Elle  fut  exaucée  en 
quelque  manière  :  car,  un  jour  que  ce  désir  était  si  véhément  qu'il  la  fai- 
sait presque  mourir,  elle  se  rompit  une  veine  auprès  du  cœur,  ce  qui  lui  fit 
verser  une  si  grande  abondance  de  sang,  que  tous  ses  habits  en  furent 
teints.  Elle  garda  cette  plaie  jusqu'à  la  mort,  et  Notre-Seigneur  lui  promit 
que,  pour  ce  sang  que  le  désir  du  martyre  lui  avait  fait  répandre,  elle  au- 
rait dans  le  ciel  une  récompense  semblable  à  celle  de  sainte  Agnès. 

Elle  eut  encore  d'autres  croix  par  lesquelles  son  céleste  Epoux  la  puri- 
fiait entièrement  et  la  conduisait  à  un  degré  très-éminent  de  sainteté.  Sa 
coutume  était  de  communier  tous  les  dimanches,  selon  le  conseil  de  saint 
Augustin,  qui  exhorte  les  fidèles  à  ne  pas  s'approcher  plus  rarement  de  la 
sainte  table;  mais,  quoique,  pour  une  âme  aussi  embrasée  que  la  sienne 
du  feu  de  l'amour  divin,  ces  longs  intervalles  d'une  communion  à  l'autre 
pussent  paraître  insupportables,  cependant  son  abbesse,  appelée  Agnès, 
portée  par  le  relâchement  et  l'indévotion  de  ce  temps-là,  crut  qu'elle  com- 
muniait trop  souvent,  et  lui  prescrivit  à  sa  guise  un  autre  règlement.  Lut- 
garde  reçut  les  ordres  de  sa  supérieure  avec  beaucoup  de  douceur  et  de 
soumission;  elle  l'avertit  seulement  que  Notre-Seigneur  l'en  punirait;  en 
effet,  il  envoya  à  cette  abbesse  un  mal  insupportable  aui  l'attacha  au  lit 


I 


SAINTE  LUTGARDE,   VIERGE   ET  RELIGIEUSE.  85 

et  la  mil  dans  l'impossibilité,  non-seulement  de  communier,  mais  aussi 
d'aller  à  l'église  et  d'assister  au  sacrifice  de  la  messe  :  ce  qui  dura  jusqu'à 
ce  qu'elle  eût  reconnu  sa  faute  et  permis  à  Lutgarde  de  communier  à  son 
ordinaire. 

Onze  ans  avant  sa  mort,  Dieu  la  visita  par  un  fléau  qui  eût  paru  intolé- 
rable à  toute  autre  personne,  mais  qu'elle  reçut  avec  une  joie  merveilleuse  : 
celui  de  la  cécité;  elle  fut  donc  privée  de  la  vue  de  toutes  les  choses  sen- 
sibles et  extérieures,  et  ne  pouvait  plus  marcher  qu'en  tâtonnant;  mais  son 
âme  fut,  en  récompense,  éclairée  d'une  lumière  admirable,  qui  lui  décou- 
vrit les  vérités  de  l'autre  vie  et  les  mystères  de  la  Divinité.  Elle  ne  laissa 
pas,  durant  ce  temps,  d'assister  au  chœur  et  d'y  chanter  avec  une  ardeur 
et  une  allégresse  extraordinaires  :  ce  qui  fit  qu'une  religieuse  vit  un  jour 
un  grand  l'eu  sortir  de  sa  bouche.  A  la  quatrième  année  de  cécité,  Notre- 
Seigneur  lui  commanda  de  faire  un  troisième  septénaire  déjeunes,  c'est-à- 
dire  de  jeûner  encore  sept  ans,  pour  détourner  un  grand  mal  dont  l'Eglise 
était  menacée  :  elle  le  fit  avec  la  même  ardeur  qu'elle  avait  fait  les  deux 
autres,  et  ne  le  termina  qu'avec  la  vie.  Dieu  ayant  égard  à  cette  pénitence, 
rompit  les  desseins  et  les  embûches  d'un  ennemi  secret  du  peuple  chrétien. 
Deux  ans  après,  c'est-à-dire  cinq  ans  avant  son  décès,  elle  prédit  à  sa  com- 
pagne qu'elle  mourrait  le  dimanche  d'après  la  fôtc  de  la  sainte  Trinité,  au- 
quel on  lit  la  parabole  d'un  homme  qui  fit  un  grand  festin  :  ce  qui  arriva 
effectivement.  Le  reste  du  temps  qu'elle  vécut,  et  surtout  les  deux  dernières 
années,  Notre-Seigneur  lui  apparut  souvent  pour  l'avertir  que  l'heure  et  le 
moment  de  sa  récompense  approchaient.  Il  lui  dit  un  jour  «  qu'il  ne 
voulait  pas  qu'elle  fût  plus  longtemps  séparée  de  lui,  mais  que,  comme 
disposition  à  leur  union  consommée,  il  lui  demandait  trois  choses  :  la 
première,  qu'elle  rendît  des  grâces  infinies  à  son  Père  éternel  pour  les  fa- 
veurs qu'elle  avait  reçues  de  lui;  et  que,  comme  elle  n'était  pas  capable  de 
reconnaître  ses  miséricordes,  elle  invitât  tous  les  anges  et  les  Saints  à  l'ai- 
der dans  ce  devoir  de  justice;  la  seconde,  qu'elle  ne  cessât  point  de  le  prier 
pour  les  pécheurs,  afin  qu'ils  se  convertissent;  la  troisième,  qu'elle  se  re- 
posât sur  lui  de  toutes  choses,  et  que  toute  son  occupation  fût  de  désirer 
ardemment  et  d'attendre  avec  une  sainte  impatience  de  le  posséder  ». 

Ses  incommodités  ne  l'empêchaient  pas  de  faire  une  correction  chari- 
table à  ses  sœurs,  lorsqu'elle  les  voyait  dans  le  relâchement.  Entre  autres 
choses,  elle  les  reprit  souvent  de  l'indévotion  et  de  l'irrévérence  avec  les- 
quelles elles  chantaient  les  divins  offices,  leur  représentant  que  la  majesté 
d'un  Dieu,  à  qui  elles  parlaient,  méritait  bien  qu'elles  le  fissent  avec  atten- 
tion et  avec  une  sainte  frayeur;  mais  comme  elle  vit  qu'elles  ne  s'amen- 
daient point,  elle  les  assura  que  Dieu  les  punirait  sévèrement.  En  effet, 
peu  de  temps  après  sa  mort,  la  peste  se  déclara  dans  ce  couvent,  et  qua- 
torze religieuses  des  plus  considérables  en  furent  atteintes  et  en  moururent. 

Enfin,  le  temps  qui  lui  avait  si  souvent  été  prédit  étant  arrivé,  elle  eut 
diverses  extases,  dans  lesquelles  elle  vit  des  choses  tout  à  fait  surnaturelles; 
et  ses  yeux,  qui  étaient  fermés  depuis  onze  ans,  s'ouvrirent  miraculeuse- 
ment pour  apercevoir  une  armée  de  bienheureux  qui  la  venaient  congra- 
tuler de  la  gloire  qu'elle  devait  bientôt  posséder.  Elle  reçut  tous  les  Sacre- 
ments avec  une  dévotion  digne  de  son  grand  amour;  et  au  milieu  d'une 
allégresse  dont  elle  était  comme  inondée,  son  âme  s'envola  dans  le  sein  de 
Dieu,  pour  y  régner  éternellement  avec  lui.  Cette  mort  arriva  le  16  juin  de 
l'an  1246,  le  samedi  au  soir  d'après  la  sainte  Trinité,  l'office  du  dimanche 
étant  déjà  commencé,  selon  sa  prédiction.  Son  corps  fut  ouvert  à  l'instant 


gg  16  JUIN. 

d'une  blancheur  si  éclatante,  qu'elle  surpassait  celle  des  lis,  et  ses  yeux 
demeurèrent  très-beaux  et  ouverts  vers  le  ciel,  sans  que  jamais  on  les  pût 

former. 

11  s'est  fait  tant  de  miracles  à  son  tombeau,  que,  bien  qu'elle  n'ait  pas 
été  canonisée  avec  les  cérémonies  ordinaires,  elle  est  néanmoins  reconnue 
et  publiée  pour  Sainte  dans  le  martyrologe  romain.  Surius  a  rapporté  sa 
vie,  composée,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  par  Thomas  de  Cantimpré. 
Ceux  qui  ont  écrit  sur  les  saints  et  les  saintes  de  l'Ordre  des  Qteaux,  en 
parlent  aussi  avec  beaucoup  d'honneur.  Ses  relique»  reposent  actuellement 
à  Bas-Ittre,  près  de  Nivelles;  leur  authenticité  a  été  reconnue  par  l'évêque 

de  Malines. 

On  représente  sainte  Lutgarde  en  face  de  Notre-Seigneur  qui  \m  appa- 
raît et  lui  montre  son  cœur  blessé  pour  la  faire  renoncer  à  tout  autre  amour 
que  le  sien.  On  la  représente  encore  avec  Notre-Seigneur  qui  lui  apparaît 
montrant  ses  plaies  à  Dieu,  son  Père,  afin  d'arrêter  sa  colère  prête  à  frap- 
per la  terre  à  cause  des  crimes  des  Albigeois. 

Vie  de  sainte  Lutgarde,  par  Thomas  de  Cantimpré.  —  Cf..  Godescard,  éd.  Bruxelles. 


SAINT  JEAN -FRANÇOIS  REGIS, 

DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS 
1397-1640.—  Papes  :  Clément  VIII;  Urbain VIII.  —  Rois  de  France  :  Henri  IV;  Louis  XIIL 

Officium  prsedicationis  Patri  misei-icordiarum  omni 
sacrificio  est  acccptius,  maxime  si  fuerit  studio  cha- 
rilatis  impensum. 

L'office  de  la  prédication  est  pins  agréable  au  Përo 
des  miséricordes  que  toute  espèce  de  sacrifice,  sur- 
tout quand  un  l'accomplit  avec  une  ardente  charité. 
S.  François  d'Assise,  in  suis  Opusc.  collât.  17. 

Quoique  moins  remplie  d*évênements  extraordinaires  que  celles  de  beau- 
coup d'autres  saints  Apôtres,  la  vie  de  saint  Jean-François  Régis  n'en  est 
pas  moins  propre  à  nous  donner  le  spectacle  édifiant  de  toutes  les  merveilles 
que  la  grâce  a  coutume  d'opérer  dans  les  âmes.  Un  désir  immense  de  pro- 
curer la  gloire  de  Dieu  ;  un  courage  que  nul  obstacle,  que  nul  danger  ne 
rebutèrent  jamais  ;  une  application  infatigable  à  la  conversion  des  pé- 
cheurs; une  douceur  inaltérable  qui  le  rendait  maître  des  cœurs  les  plus; 
rebelles  ;  une  inépuisable  charité  pour  les  pauvres  ;  une  patience  à  l'épreuve 
de  toutes  les  contradictions  et  de  tous  les  mauvais  traitements  ;  une  fermeté 
que  les  menaces  et  la  vue  même  de  la  mort  ne  purent  jamais  ébranler; 
l'humilité  la  plus  profonde,  l'abnégation  la  plus  entière,  le  dépouillement 
le  plus  absolu,  l'obéissance  la  plus  exacte,  une  pureté  d'ange,  un  souverain 
mépris  du  monde,  un  amour  insatiable  pour  les  souffrances,  en  un  mot, 
toutes  les  vertus  par  lesquelles  on  se  sanctifie  soi-même  et  on  sanctifie  les 
autres,  tel  est  le  résumé  de  cette  admirable  vie. 

Jean-François  Régis  naquit  le  31  janvier  de  l'an  1597,  à  Fontcouverte, 
dans  le  diocèse  de  Narbonne,  d'une  famille  qui  s'était  signalée  par  sa  fidélité 


SAINT  JEAN-FRANÇOIS  RÉSIS,   D2  LA   COMPAGNIE  DE   JÉSUS.  87 

à  la  foi  catholique  dans  un  pays  hérétique.  Son  père,  Jean  de  Régis,  était 
fils  d'un  cadet  de  la  maison  des  Desplas,  sans  contredit  l'une  des  plus  illus- 
tres du  Rouergue,  et  sa  mère,  Madeleine  d'Arse,  était  fille  de  M.  d'Arse, 
seigneur  de  Ségure,  très-brave  et  très-digne  gentilhomme.  Notre  Saint  fut 
tenu  sur  les  fonts  da  Baptême  par  François  de  Breltes  de  Turin,  baron  de 
Pcchairic,  et  par  Claire  d'Aban.  Encore  enfant,  il  se  faisait  déjà  remarquer 
par  sa  pieté.  Il  était  né  apôtre,  il  le  fut  dès  le  collège.  Son  zèle  s'exerça  sur 
ses  compagnons  d'études,  dont  plusieurs  s'amendèrent  par  ses  exemples  et 
par  ses  conseils.  Ses  entretiens  n'étaient  que  sur  les  choses  de  piété  ;  il  en 
parlait  avec  tant  d'onction  et  de  vivacité,  qu'il  inspirait  à  tous  l'amour  de 
la  vertu.  Plusieurs  de  ceux  que  sa  piété  édifiait,  pour  être  plus  à  portée 
de  ses  conseils  et  de  ses  exemples,  vinrent  habiter  la  môme  maison  que  lui. 
Non  content  d'ôtre  lui-même  leur  règle  vivante,  il  composa  une  règle  écrite. 
Les  heures  d'étude  étaient  fixées,  les  conversations  inutiles  interdites,  on 
lisait  pendant  le  repas  un  livre  de  piété.  Il  y  avait  examen  de  conscience  le 
soir  ;  tous  les  dimanches  on  communiait  et  on  entendait  la  parole  de  Dieu. 
Régis  se  trouvait  chef  d'une  petite  communauté  la  plus  régulière  et  la  plus 
exemplaire.  Il  vécut  de  la  sorte  jusqu'à  l'âge  de  dix-huit  ans.  Une  maladie 
très-grave  qu'il  fit  alors  et  dont  Dieu  le  délivra  lorsqu'on  s'y  attendait  le 
moins,  changea  en  résolution  invincible  le  désir  qu'il  nourrissait  dès  long- 
temps de  consacrer  sa  vie  au  salut  des  âmes. 

Le  8  décembre  de  l'an  161  G,  dans  sa  dix-neuvième  année,  il  entra  comme 
novice,  à  Toulouse,  dans  la  Compagnie  de  Jésus.  Dès  les  premiers  jours,  il 
se  fit  admirer  des  plus  fervents.  Il  ne  trouva  rien  de  pénible  dans  la  Règle, 
accoutumé  dès  longtemps  à  tout  ce  qu'elle  prescrit  :  silence,  recueillement, 
humilité,  obéissance,  abnégation,  mortification.  Une  des  épreuves  auxquelles 
on  soumet  les  novices,  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  c'est  de  les  envoyer  à 
l'hôpital  pour  les  accoutumer  à  vaincre  leur  délicatesse  et  à  exercer  les  plus 
pénibles  ministères  de  la  charité  chrétienne.  Régis  fut  admirable  dans  cet 
exercice.  Les  malades  les  plus  rebutants  étaient  ceux  auxquels  il  s'attachait 
de  préférence  :  il  les  consolait,  il  aidait  à  panser  leurs  plaies,  il  faisait  leur 
lit,  et  cela  avec  un  épanchement  de  cœur  qui  montrait  assez  qu'il  ne  voyait 
que  Jésus-Christ  dans  la  personne  des  pauvres. 

Son  noviciat  fini,  Régis  reprit  ses  études  d'éloquence  et  de  philosophie, 
comme  c'est  l'usage  chez  les  Jésuites.  L'ardeur  qu'il  avait  mise  à  se  rendre 
pieux,  il  l'apporta  de  même  à  acquérir  la  science.  Toutefois,  chose  assez 
peu  ordinaire,  son  application  à  l'étude  ne  diminua  en  rien  sa  piété.  La  ré- 
putation de  sa  sainteté  perça  au  dehors,  et,  quand  il  sortait,  ceux  qui  le 
voyaient  passer  le  montraient  sous  le  nom  de  l'Ange  du  Collège.  Ce  fut  pen- 
dant qu'il  étudiait  la  philosophie  à  Tournon  qu'il  débuta  dans  la  carrière 
des  missions,  où  il  devait  plus  tard  opérer  tant  de  merveilles.  Il  entreprit 
la  sanctification  du  bourg  d'Andance.  Le  succès  de  cette  première  mission 
du  grand  serviteur  de  Dieu  fut  admirable.  On  vit  les  vices  qui  régnaient  le 
plus  dans  ce  bourg,  l'ivrognerie,  les  jurements,  l'impureté  bannis,  et  le  fré- 
quent usage  des  Sacrements  rétabli.  L'odeur  de  sainteté  qu'il  y  laissa,  subsiste 
encore  aujourd'hui.  Cest  là  qu'il  établit,  pour  la  première  fois,  la  Confrérie 
du  Saint-Sacrement,  pour  ramener  parmi  les  fidèles  le  culte  de  la  divine 
Eucharistie.  Il  dressa  lui-même  les  règlements  d'une  si  sainte  institution, 
qui  depuis  s'est  répandue  partout,  mais  dont  on  doit  reconnaître  pour 
fondateur  Régis,  âgé  seulement  de  vingt-deux  ans. 

Quoique  Régis  eut  recueilli  des  fruits  si  abondants  dans  cette  première 
mission,  ses  supérieurs  l'appelèrent  cependant,  au  moins  pour  un  temps,  à 


88  16  JUIN. 

d'autres  occupations.  En  1625,  il  fut  désigné  pour  aller  enseigner  les  belles- 
lettres  dans  la  ville  du  Puy.  Là  il  fut  le  modèle  des  professeurs  :  tout  entier 
à  ses  élèves,  il  ne  s'occupait  que  de  ce  qui  pouvait  les  faire  avancer  dans  la 
science  et  dans  la  vertu.  Il  se  préparait  à  faire  sa  classe,  comme  à  une  aQaire 
de  la  plus  grande  importance  ;  la  préparation  à  laquelle  il  était  le  plus 
fidèle,  c'était  d'aller  prier  devant  le  saint  Sacrement.  Des  exhortations  à  la 
piété,  courtes  et  vives,  se  mêlaient  d'elles-mêmes  à  ses  enseignements,  et 
produisaient  les  plus  heureux  effets  sur  les  esprits  des  jeunes  gens.  Il  avait 
pour  ses  élèves  la  tendresse  d'une  mère.  Il  s'empressait  particulièrement  de 
soulager  ceux  qui  étaient  pauvres.  L'un  d'eux,  Jacques  Gigon,  étant  dange- 
reusement malade,  Régis  s'approcha  de  son  lit,  fit  le  signe  de  la  croix  sur 
lui  en  disant  :  «  Ayez  bon  courage,  mon  fils,  vous  guérirez  ;  Dieu  veut  que 
vous  le  serviez  désormais  avec  plus  de  ferveur  que  vous  n'en  n'avez  fait  ». 
Aussitôt  l'enfant  se  trouva  mieux,  et  en  quelques  jours  il  fut  guéri. 

En  1628,  il  fut  envoyé  à  Toulouse  pour  y  étudier  la  théologie.  La  nuit, 
il  sortait  secrètement  de  sa  chambre  et  se  rendait  à  la  chapelle  de  la  maison. 
Le  supérieur  en  fut  averti.  «  Ne  troublez  pas  »,  répondit-il,  «  les  entretiens 
de  cet  ange  avec  son  Dieu.  Ce  jeune  homme  est  un  Saint,  et  je  serais  bien 
trompé  si  l'on  ne  célèbre  pas  sa  fête  quelque  jour  dans  l'Eglise  ».  On  ne 
douta  pas  que  ce  supérieur,  qui  était  le  Père  François-Tarbes,  homme  très- 
pieux  et  très-austère,  n'eiit  été  éclairé  extraordinairement  de  Dieu  sur 
l'éminente  sainteté  du  jeune  théologien. 

Régis  fut  ordonné  prêtre  en  1630.  Il  célébra  sa  première  messe  avec  une 
dévotion  si  tendre,  qu'il  ne  fit  que  fondre  en  larmes  pendant  les  sacrés  mys- 
tères :  les  assistants  ne  purent  s'empêcher  de  pleurer  eux-mêmes.  Ils 
croyaient  voir  un  ange  à  l'autel,  par  sa  modestie  et  par  le  feu  divin  qui  bril- 
lait sur  son  visage.  Le  respect  et  la  sainte  frayeur  que  la  présence  de  Jésus- 
Christ  imprimait  dans  son  âme,  paraissaient  dans  toute  sa  personne. 

Les  pestiférés  de  Toulouse  eurent  les  prémices  du  ministère  de  notre 
Saint.  Ses  supérieurs,  qui  craignaient  d'exposer  sa  jeunesse,  ne  lui  accor- 
dèrent, qu'à  force  d'instances  de  sa  part,  la  permission  d'aller  servir  et  con- 
soler les  victimes  du  fléau.  Mais  la  permission  obtenue,  l'héroïque  jeune 
homme  ne  s'épargna  guère.  Il  voulait  mourir  martyr  et  gagner  le  ciel  par 
un  effort  unique  et  violent. 

Comme  la  piété  vaut  mieux  encore  que  la  science,  c'est  par  des  exercices 
de  piété  que  saint  Ignace  a  voulu  non-seulement  commencer,  mais  encore 
terminer  et  compléter  l'instruction  et  la  formation  de  ses  enfants.  Une 
année  entière,  vouée  uniquement  à  la  piété,  couronne  heureusement  l'ad- 
mirable éducation  des  Pères  Jésuites.  Il  est  inutile  de  dire  comment  Régis 
passa  cette  dernière  année  de  noviciat  ;  comme  il  n'y  a  pas  de  bornes  à  la 
sainteté,  la  sienne  s'accrut  encore  à  cette  occasion. 

Un  ordre  du  général  de  la  Compagnie  le  tira  de  sa  retraite  et  l'envoya  à 
Fontcouverte  pour  y  régler  certaines  affaires  de  famille.  Cependant  les 
choses  du  ciel  continuèrent  de  l'occuper  beaucoup  plus  que  celles  de  la 
terre.  Les  matins,  il  prêchait  au  peuple  et  faisait  le  catéchisme  aux  enfants  : 
après  quoi  il  entendait  les  confessions  de  tous  ceux  qui  se  présentaient.  Le 
soir,  un  peu  avant  la  nuit,  il  faisait  un  second  sermon.  Le  reste  du  jour 
était  employé  à  visiter  les  pauvres,  et  même  à  mendier  pour  eux.  Ses  frères 
en  rougissaient  et  lui  reprochaient  d'oublier  sa  naissance.  Un  jour,  comme 
il  traversait  la  place,  portant  sur  ses  épaules  une  paillasse  à  un  malade,  le 
Saint  fut  hué  par  des  soldats  à  qui  ce  spectacle  parut  nouveau. 

Les  frères  de  Régis  résolurent  alors  de  mettre  des  bornes  à  ce  zèle  qui 


SAINT   JEAN-FRANÇOIS   RÉGIS,   DE   LA  COMPAGNIE   DE  JÉSUS.  89 

l'exposait  à  la  risée  publique.  Ils  lui  parlèrent  de  bienséance.  Il  répondit 
que  toutes  les  ignominies  du  monde  ne  le  détourneraient  pas  des  exercices 
de  la  charité.  —  «  A  la  bonne  heure  »,  répliquèrent  les  frères,  «  exercez  les 
œuvres  de  miséricorde  ;  mais  ne  le  pouvez-vous  sans  nous  couvrir  de  con- 
fusion, en  vous  rendant  ridicule  par  les  scènes  que  vous  donnez  en  public?  » 
Régis  répondit  alors  que  ce  n'est  pas  en  s'humiliant  que  les  ministres  de 
l'Evangile  déshonorent  leur  caractère  ;  que,  pour  lui,  il  était  bien  résolu  à 
régler  sa  conduite  par  les  vertus  de  l'Evangile  et  non  par  les  maximes  du 
inonde.  Mais  ce  qui  le  justifia  mieux  que  toutes  les  paroles  qu'il  aurait  pu 
dire,  ce  fut  le  changement  de  mœurs  qu'il  opéra  dans  toute  la  ville. 

Les  conversions  nombreuses  opérées  à  Fontcouverte  déterminèrent  les 
supérieurs  de  Régis  à  le  destiner  uniquement  aux  missions:  l'été  il  évangé- 
lisait  les  villes,  et  l'hiver  les  campagnes. 

Il  commença  par  Montpellier  ;  son  langage  était  simple  et  populaire, 
mais  le  feu  de  la  charité,  dont  il  était  brûlé  au  dedans  de  lui-même,  donnait 
à  ses  discours  une  puissance  telle  que  toute  la  ville  venait  l'écouter,  et  que 
personne  ne  pouvait  l'entendre  sans  fondre  en  larmes.  On  sortait  de  ses  ins- 
tructions là  contrition  dans  le  cœur,  on  se  convertissait  en  foule.  Un  prédi- 
cateur éloquent  et  renommé  l'ayant  entendu,  dit  :  «  C'est  bien  en  vain  que 
nous  travaillons  tous  à  orner  nos  discours.  Tandis  que  les  catéchismes  de  ce 
saint  Missionnaire  convertissent,  notre  beau  langage  ne  fait  qu'amuser  sans 
produire  aucun  fruit  ». 

Régis  s'adressait  à  toutes  les  conditions  ;  il  n'avait  de  préférence  que 
pour  les  pauvres  :  «  Venez,  mes  chers  enfants  »,  leur  disait-il,  «  vous  êtes 
mon  trésor  et  les  délices  de  mon  cœur  ». 

Souvent  il  restait  dans  son  confessionnal  entouré  de  pauvres,  jusqu'au 
soir,  sans  prendre  de  nourriture.  Quelqu'un  lui  en  ayant  fait  l'observation  : 
«  Je  vous  assure  »,  répondit-il  avec  simplicité,  «  que,  quand  je  suis  occupé 
auprès  de  ces  pauvres  gens,  je  ne  puis  penser  à  autre  chose  ».  On  le  vit  en- 
core à  Montpellier,  comme  à  Fontcouverte,  aller  par  les  rues,  chargé  de 
bottes  de  paille  qu'il  avait  mendiées  pour  coucher  les  pauvres  malades.  Les 
enfants  attroupés  se  divertirent  du  bizarre  équipage  ;  et  quelqu'un  lui  ayant 
dit  qu'il  s'était  rendu  ridicule  :  <(  A  la  bonne  heure  » ,  répondit-il ,  «  on 
gagne  doublement  quand  on  soulage  ses  frères  au  prix  de  son  humiliation 
propre  » . 

Un  grand  nombre  de  femmes  pécheresses  corrompaient  la  jeunesse  de 
Montpellier;  le  Saint  en  convertit  un  bon  nombre,  et,  joignant  la  prudence 
au  zèle,  il  assurait  leur  conversion  en  les  confiant  à  la  garde  de  personnes 
charitables.  Les  difficultés  particulières  à  cette  œuvre  n'empêchèrent  pas  le 
Saint  d'y  travailler  toute  sa  vie  et  d'y  obtenir  des  succès  merveilleux.  Plus 
tard,  le  nombre  des  conversions  augmentant,  il  créa,  pour  les  recevoir,  des 
maisons  de  refuge,  dont  il  confia  le  soin  à  de  saintes  religieuses.  Il  fonda  plus 
tard  un  refuge  du  même  genre  dans  la  ville  du  Puy,  devenue  le  centre  de 
ses  travaux.  Il  trouva  des  embarras  et  des  déboires  inouïs  dans  cette  entre- 
prise vingt  fois  mise  en  péril  par  des  écueils  de  tout  genre,  et  vingt  fois 
sauvée  par  son  zèle  et  par  sa  persévérance. 

La  carrière  apostolique  du  Père  Régis  dura  dix  ans,  pendant  lesquels  il 
fit  refleurir  la  religion  à  Montpellier,  dans  le  Languedoc  et  le  Vivarais, 
dans  la  ville  du  Puy  et  dans  tout  le  Velay.  Il  opéra  une  véritable  transfor- 
mation dans  les  pays  désolés  par  l'hérésie  et  par  la  corruption  des  mœurs, 
qui  en  est  la  conséquence  naturelle. 

L'irréligion  et  le  dérèglement  étaient  très-grands  à  Sommières,  capitale 


90  16  JUIN. 

d'un  beau  pays  qu'on  appelle  le  Lavonage,  laquelle  est  à  quatre  lieues  de 
Montpellier.  Une  mission  suffit  pour  tout  changer.  Le  serviteur  de  Dieu, 
étonné  lui-même  des  miracles  de  conversion  que  Dieu  opéra  par  son  minis^ 
tère,  écrivit  après  sa  mission  à  son  général,  que  le  fruit  avait  surpassé  soa 
attente,  et  qu'il  n'avait  point  d'expression  pour  l'expliquer.  On  eût  dit  que 
les  habitants  étaient  devenus  d'autres  hommes,  tant  la  ville  était  devenue 
pieuse  et  réglée. 

Le  saint  "homme  institua  la  Confrérie  du  Saint-Sacrement  à  Sommières 
et  dans  tous  les  bourgs  et  villages  du  Lavonage.  Il  mit  la  paix  dans  toutes 
les  familles  ;  il  établit  la  prière  du  soir  et  du  matin  dans  chaque  ménage  ;  il  ré- 
gla la  manière  de  secourir  le  pauvres  de  chaque  paroisse  ;  il  prit  enfin  toutes 
les  mesures  nécessaires  pour  maintenir  le  bien  qu'il  avait  fait  dans  le  pays. 

La  rigueur  de  la  saison  ne  l'empêchait  point  de  pénétrer  dans  les  lieux 
les  plus  inaccessibles  de  tout  le  pays.  Ses  austérités  étaient  extraordinaires. 
Toute  sa  nourriture  se  réduisait  au  pain  et  à  l'eau  ;  quelquefois  il  y  ajoutait 
un  peu  de  lait  et  quelques  fruits.  Dès  ce  temps-là,  il  s'était  interdit  la  viande, 
le  poisson,  les  œufs  et  le  vin.  Jamais  il  ne  quittait  le  cilice  ;  et  le  peu  de 
repos  qu'il  accordait  à  la  nature,  il  le  prenait  sur  un  banc  ou  sur  le  plan- 
cher. Des  soldats  calvinistes  se  préparant  à  piller  une  église,  il  s'avança  vers 
eux  le  crucifix  à  la  main,  et  il  leur  parla  avec  tant  de  force,  qu'ils  se  désis- 
tèrent de  la  résolution  sacrilège  qu'ils  avaient  prise.  Une  autre  fois,  il  alla 
demander  à  un  officier,  aussi  calviniste,  la  restitution  des  biens  qu'on  avait 
enlevés  à  un  pauvre  homme.  L'officier,  instruit  des  mauvais  traitements  que 
Régis  avait  essuyés  de  la  part  des  soldats,  fut  si  édifié  du  silence  qu'il  garda 
sur  ce  qui  le  concernait  personnellement,  qu'il  lui  accorda  sa  demande. 

Nul  pays  de  France  n'avait  autant  souffert  de  l'hérésie  calviniste  que  le 
diocèse  de  Viviers  et  tout  le  Vivarais.  La  religion  y  était  presque  éteinte. 
Les  églises  de  ce  pays,  qui  n'étaient  pas  dépourvues  de  pasteurs,  étaient 
desservies  par  des  curés  ignorants  et  scandaleux.  Les  vices  les  plus  abomi- 
nables régnaient  partout. 

La  mission  du  Père  Régis  dans  le  Vivarais  dura  trois  ans  :  que  de  tra- 
vaux et  de  fatigues  pour  le  saint  homme  dans  ces  montagnes  qu'il  parcou- 
rait en  toute  saison  et  par  tous  les  temps  !  Mais  aussi  quelle  abondante 
moisson  vint  récompenser  sa  peine  !  Au  bout  de  ces  trois  ans,  le  pays  n'était 
plus  le  môme  :  l'hérésie  vaincue  et  presque  étouffée,  la  religion  universel- 
lement connue  et  pratiquée,  les  bonnes  mœurs  rétablies,  les  églises  relevées 
de  leurs  ruines  et  pourvues  de  pasteurs  instruits  et  pieux,  l'autorité  divine 
et  humaine  respectée  :  voilà  ce  qui  s'était  fait  dans  l'espace  de  trois  ans. 

Parmi  les  nombreuses  conversions  opérées  par  le  Saint,  il  y  en  eut  sur- 
tout deux  qui  en  entraînèrent  beaucoup  d'autres.  Ce  fut  celle  du  comte  de 
La  Molhe-Brion,  qui,  après  avoir  vécu  comme  les  sages  du  monde,  entra 
dans  la  carrière  de  la  pénitence,  et  se  dévoua  tout  entier  à  la  pratique  des 
bonnes  œuvres,  et  celle  d'une  dame  calviniste  fort  riche,  qui  habitait  le 
village  d'Uscz.  Celle-ci  était  connue  par  son  zèle  pour  l'hérésie.  Le  Père 
Régis  l'alla  trouver. 

—  «  Madame  »,  lui  dit-il  en  l'abordant,  «  il  y  a  longtemps  que  Dieu  vouî 
appelle  ;  voulez-vous  donc  être  toujours  rebelle  à  la  grâce  qui  vous  pressa 
intérieurement?  Avez-vous  dessein  de  perdre  votre  âme,  pour  laquelle  un 
Dieu  a  bien  voulu  répandre  son  sang  sur  la  croix?  Avez-vous  jamais  compris 
ce  que  c'est  de  se  perdre  pour  une  éternité  ?  » 

Cette  dame  parut  un  peu  surprise  ;  mais  charmée  de  l'air  modeste  de 
l'houune  de  Dieu,  elle  lui  répondit  ; 


SAINT  JEAN-FRANÇOIS   RÉGIS,   DE  LA  COMPAGNIE   DE   JÉSUS.  91 

—  «  A  Dieu  ne  plaise,  mon  Père,  que  je  veuille  perdre  mon  âme  !  je 
n'ai  rien  plus  à  cœur  que  de  la  sauver. 

—  «  Il  faut  donc  »,  reprit  le  Saint,  a  que  vous  embrassiez  la  religion 
catholique,  qui  a  été  la  religion  de  vos  pères,  et  qui  est  la  seule  fondée  par 
Jésus-Christ,  la  seule  où  l'on  trouve  le  salut. 

—  «  "Vous  me  demandez  ma  conversion  »,  dit-elle,  «  et  je  suis  étonnéa 
de  n'avoir  rien  à  répliquer.  J'ai  résisté  jusqu'ici  à  tous  ceux  qui  m'ont  parlé; 
mais  je  ne  sais  quelle  impulsion  intérieure  du  Saint-Elsprit  me  force  à  me 
rendre  présentement.  Je  veux  être  catholique  :  instruisez-moi,  je  m'aban- 
donne à  votre  direction.  Il  se  passe  en  moi  quelque  chose  de  surnaturel  que 
je  ne  comprends  pas  et  dont  je  ne  puis  me  rendre  compte  ». 

Elle  abjura,  en  effet,  entre  les  mains  de  l'évoque  de  Viviers.  Cette  der- 
nière conversion  donna  un  nouveau  lustre  à  la  sainteté  de  Régis,  et  confirma 
les  peuples  dans  l'opinion  oti  ils  étaient  déjà  que  Dieu  agissait  visiblement 
par  son  ministère. 

Yers  le  même  temps,  le  ciel  permit  qu'il  s'élevât  un  violent  orage  contre 
le  saint  missionnaire.  On  l'accusa  de  troubler  le  repos  des  familles  par  un 
zèle  indiscret,  de  remplir  ses  discours  de  personnalités  et  d'invectives  con- 
traires à  la  décence.  L'cvêque  de  Viviers  prit  d'abord  son  pai'ti  ;  mais  à  la 
fin,  il  écoula  les  plaintes  réitérées  qu'on  lui  portait.  Croyant  qu'elles  étaient 
au  moins  fondées  en  partie,  il  écrivit  au  supérieur  des  Jésuites,  afin  qu'il 
rappelât  Régis.  En  même  temps  il  envoya  chercher  celui-ci  ;  puis,  après  lui 
avoir  fait  de  sévères  réprimandes,  il  lui  dit  qu'il  était  obligé  de  le  renvoyer. 
Régis  n'eut  recours  à  aucune  des  raisons  qui  auraient  pu  le  justifier  ;  il  se 
contenta  de  répondre  qu'il  n'était  que  trop  coupable  devant  Dieu,  et  que, 
vu  son  peu  de  lumières,  il  lui  était  sans  doute  échappé  bien  des  fautes.  «  Au 
reste  »,  ajouta-t-il,  «  Dieu,  qui  voit  le  fond  de  mon  cœur,  sait  que  je  n'ai 
eu  d'autre  fin  que  sa  gloire  ».  Le  prélat;  charmé  d'une  réponse  si  humble 
et  si  modeste,  soupçonna  qu'il  pouvait  avoir  été  trompé.  Les  éclaircisse- 
ments qu'on  lui  donna  ensuite,  le  firent  entièrement  revenir  de  ses  préjugés. 
Il  rendit  publiquement  hommage  à  la  vertu  de  Père  Régis,  jusqu'au  com- 
mencement de  l'année  163 i,  époque  à  laquelle  celui-ci  fut  appelé  au  Puy 
par  ses  supérieurs.  Le  prélat,  en  renvoyant  le  missionnaire,  écrivit  au  pro- 
vincial une  lettre  où  il  faisait  de  grands  éloges  de  la  vertu  et  de  la  prudence 
du  digne  ouvrier  qui  avait  travaillé  dans  son  diocèse,  et  un  seul  reproche, 
celui  de  prodiguer  trop  sa  santé.  «C'est  la  seule  chose»,  ajoutait-il,  «  en 
quoi  nous  n'avons  jamais  pu  nous  accorder  ;  je  lui  reprochais  toujours  qu'il 
en  faisait  trop  ;  et  lui  prétendait  qu'il  n'en  faisait  pas  assez.  Je  vous  le  remets 
entre  les  mains;  c'est  à  vous  de  vous  servir  de  votre  autorité  pour  l'obliger 
à  ménager  plus  qu'il  ne  fait  une  santé  si  précieuse,  et  d'empêcher  que  le 
plus  charitable  de  tous  les  hommes  envers  les  autres  ait  tant  de  dureté 
pour  lui-même  » . 

Régis,  après  avoir  pris  congé  de  l'évêque,  se  rendit  au  Puy,  selon  l'ordre 
qu'il  avait  reçu  de  ses  supérieurs.  Ce  fut  alors  qu'il  exprima  le  désir  d'aller 
porter  l'Evangile  aux  Canadiens.  Il  voulait  aller  chercher  dans  l'Amérique 
du  Nord,  chez  les  sauvages,  la  palme  du  martyre,  objet  suprême  de  son 
ambition.  Mais  Dieu  voulut  le  conserver  à  la  France. 

Au  commencement  de  1635,  le  comte  de  La  Mothe  ayant  à  cœur  de  ra- 
mener à  la  vraie  foi  la  ville  du  Cheylard,  infectée  des  erreurs  de  Calvin,  se 
ressouvint  de  celui  à  qui  il  devait  lui-même  son  retour  à  la  vérité,  et  il  ap- 
pela le  Père  Régis.  Celui-ci  ne  trouva  au  Cheylard  qu'un  triste  assemblage 
d'hérétiques  et  de  mauvais  catholiques.  Au  bout  de  quelque  temps,  le  même 


92  16  jum. 

miracle  de  conversion  et  de  retour  à  Dieu,  qui  suivait  partout  les  pré- 
dications de  Régis,  fut  accompli.  Il  ne  renfermait  pas  son  zèle  dans  l'en- 
ceinte de  la  ville.  Il  faisait  de  fréquentes  excursions  dans  les  villages 
environnants  et  dans  les  habitations  isolées.  Il  s'égarait  dans  les  sentiers 
inconnus  de  ces  montagnes  ;  il  fut  plusieurs  fois  obligé  de  passer  la  nuit 
dans  les  bois. 

Le  zôle  du  saint  homme  se  communiquait  à  toute  la  population.  C'était 
un  spectacle  touchant  de  voir,  au  milieu  de  l'hiver ,  des  villages  entiers 
abandonner  leurs  maisons  et  leurs  affaires  domestiques,  faire  trois  et  quatre 
lieues  à  travers  les  neiges  et  les  glaces,  pour  avoir  la  consolation  d'entendre 
le  serviteur  de  Dieu  et  de  se  confessera  lui.  Du  reste,  leurs  démarches 
n'étaient  jamais  vaines.  A  quelque  heure  du  jour  ou  de  la  nuit  qu'ils  vins- 
sent, Régis  était  à  eux.  Un  jour  qu'il  sortait  de  l'église  bien  fatigué,  après 
avoir  fini  les  fonctions  de  la  matinée,  il  trouva  une  troupe  de  gens  qui  ar- 
rivaient de  fort  loin.  «  Mon  Père  »,  lui  dit  l'un  d'entre  eux,  «  pour  l'amour 
de  Dieu  ne  nous  refusez  pas  le  secours  de  votre  charité.  Nous  avons  marché 
toute  la  nuit,  et  nous  avons  fait  depuis  hier  douze  lieues  par  d'horribles 
chemins,  pour  profiter  de  vos  instructions  :  donnez-nous  la  consolation  que 
nous  sommes  venus  chercher  de  si  loin  et  avec  tant  d'incommodités  ».  Le 
saint  missionnaire,  attendri  de  ce  discours  jusqu'aux  larmes  :  «  Venez,  mes 
enfants  »,  leur  dit-il,  «  je  vous  porte  tous  dans  mon  cœur».  Soutenu  par 
son  zèle  qui  lui  donnait  des  forces,  il  prêcha  tout  de  nouveau,  comm.o  s'il 
n'eût  rien  fait  ce  jour-là  ;  il  entendit  leurs  confessions  ;  et,  après  avoir 
donné  à  chacun  des  conseils  salutaires,  il  les  renvoya  comblés  de  joie  et 
animés  du  désir  de  vivre  en  véritables  chrétiens. 

Après  cette  mission,  le  Saint  alla  en  faire  une  à  Privas,  qui  ne  produisit 
pas  moins  de  fruits.  Jamais  il  ne  refusait  le  bienfait  de  son  ministère  à  ceux 
qui  venaient  le  chercher  de  loin,  excepté  lorsque  sa  fidélité  à  sa  parole  et 
sa  ponctualité,  qu'il  mettait  avant  tout,  s'y  opposaient.  Un  jour  qu'il  don- 
nait une  mission  à  Sainle-Aggrève ,  une  nombreuse  troupe  de  paysans  se 
présenta  à  lui,  demandant  à  entendre  ses  instructions.  Mais  il  avait  fait  an- 
noncer la  mission  pour  le  lendemain  à  Saint-André,  et  rien  ne  put  l'empê- 
cher de  partir.  On  vit  alors  une  chose  merveilleuse  et  qui  rappelle  assez 
bien  les  courses  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  à  travers  les  montagnes  de 
la  Judée.  Ces  bonnes  gens,  avides  de  la  parole  de  Dieu,  prirent  le  parti  de 
l'accompagner  :  ils  le  suivirent  tout  le  jour  pour  se  confesser  à  lui  sans 
penser  à  manger.  Le  voyage  fut  une  espèce  de  mission  :  le  Saint  s'arrêtait 
de  temps  en  temps  pour  produire  et  faire  produire  à  la  troupe  des  actes  de 
contrition  et  d'amour  de  Dieu  ;  toutes  ies  montagnes  d'alentour  retentis- 
saient d'hymnes  sacrées  et  de  cris  d'allégresse,  qui  annonçaient  la  venue 
du  sainl  apôtre  ;  à  mesure  qu'il  avançait,  les  habitants  des  villages  qui  se 
trouvaient  sur  la  route,  venaient  grossir  le  nombre  de  ceux  qui  l'avaient 
suivi. 

Le  Père  Clément,  procureur  des  Jésuites  de  Tournon,  passait  alors  sur 
ces  montagnes.  Apercevant  de  loin  tant  de  gens  qui  marchaient  ensemble, 
il  demanda  ce  que  ce  pouvait  être,  et  ce  que  signifiaient  tant  de  voix  con- 
fuses qu'il  entendait  :  «  C'est  »,  lui  dit-on,  «  le  Saint  qui  passe  accompagné 
des  habitants  de  plusieurs  villages  ».  Continuant  son  chemin,  il  vit  à  l'entrée 
d'un  gros  bourg,  beaucoup  de  monde  qui  en  sortait  et  qui  courait  avec  pré- 
cipilalion  :  il  eut  encore  la  curiosité  de  s'informer  où  ces  gens  allaient  : 
«  Ils  vont  »,  lui  répondit-on,  «  au-devant  du  Saint  qui  approche  ».  Il  entra 
ensuite  dans  le  village  de  Saint-André,  et,  ayant  aperçu  devant  l'église 


SALNT  JEA.X-FRANÇOIS  REGIS,   DE   LA   COMPAGNIE   DE   JÉSUS.  93 

une  foule  prodigieuse  de  peuple,  tant  du  village  que  des  lieux  voisins,  il 
demanda  à  quelques-uns  ce  qu'ils  faisaient  là  :  «  Nous  attendons  le  Saint  qui 
vient  faire  la  mission  »,  dirent-ils. 

«  Il  exposait  les  vérités  chrétiennes  »,  dit  le  comte  de  La  Mothe,  à  l'oc- 
casion de  cette  mission  dont  il  fut  témoin,  «  avec  une  netteté  et  une  sim- 
plicité qui  les  rendaient  sensibles  aux  plus  stupides  ;  avec  une  solidité  et 
une  force  qui  convainquaient  les  plus  opiniâtres  ;  avec  une  onction  divine 
qui  forçait  les  plus  insensibles  à  les  aimer.  Sa  vie  sainte  donnait  une  nou- 
Telle  efficacité  à  ses  discours  :  sans  parler,  il  persuadait  et  touchait. 

Une  autre  mission  eut  lieu  à  Marlhes. 

Quelques  jours  après  qu'il  y  fut  arrivé,  une  femme,  voyant  son  manteau 
percé  de  toutes  parts,  et  qui  s'en  allait  en  lambeaux,  le  pria  de  lui  permettre 
de  le  recoudre  et  d'y  mettre  des  pièces  :  à  quoi  il  consentit.  L'opinion  que 
cette  femme  avait  de  sa  sainteté,  fit  qu'elle  retint  les  morceaux  déchirés  et 
qu'elle  les  garda  précieusement.  Elle  fut  bientôt  payée  de  sa  charité  par  un 
double  miracle  que  Dieu  opéra  sur  deux  de  ses  enfants.  L'un  était  malade 
d'une  hydropisie  formée,  l'autre  d'une  fièvre  continue  très-ardente  ;  elle 
appliqua  à  chacun  d'eux  un  des  morceaux  qu'elle  avait  conservés;  sur-le- 
champ  ils  recouvrèrent  une  santé  parfailc.  Ces  mômes  morceaux  d'étoffe 
furent  depuis  une  source  féconde  de  guérisons  miraculeuses.  Les  fruits  de 
la  mission  répondirent  à  ce  début  :  «Après  la  mission»,  dit  le  curé  de 
Marlhes,  «  je  ne  reconnus  plus  mes  paroissiens,  tant  je  les  trouvai  changés 
et  transformés  en  d'autres  hommes.  Dans  l'espace  d'un  mois,  il  entendit, 
lui  seul,  dans  ma  paroisse,  plus  de  deux  mille  confessions,  presque  toutes 
générales.  Non  content  de  se  sacrifier  tout  entier  au  service  de  ma  paroisse, 
il  faisait  des  courses  dans  tout  le  voisinage,  avec  un  courage  qui  étonnait 
tous  ceux  qui  le  voyaient.  Je  l'ai  vu  moi-môme,  dans  les  temps  les  plus  ri- 
goureux, obligé  de  s'arrêter  au  milieu  des  forêts,  pour  contenter  l'avidité 
de  ceux  qui  voulaient  l'entendre  parler  du  salut.  Je  l'ai  vu  sur  le  haut  d'une 
montagne,  élevé  sur  un  monceau  de  neige  durcie  par  le  froid,  distribuer  au 
peuple  le  pain  de  la  parole  de  Dieu,  passer  les  jours  entiers  dans  cet  exer- 
cice, et  s'occuper  encore  toute  la  nuit  à  entendre  les  confessions  ». 

Il  employa  les  quatre  dernières  années  de  sa  vie  à  la  sanctification  du 
Velay.  Pendant  l'été,  il  prêchait  au  Puy  ;  l'hiver,  il  parcourait  les  villages 
et  les  montagnes.  La  ville  du  Puy  changea  bientôt  d'aspect  par  l'apostolat 
du  saint  homme.  Tous  les  jours,  il  faisait  une  instruction  aux  enfants  sur  le 
catéchisme.  La  foule  y  était  si  grande,  qu'on  y  retenait  les  places  deux  ou 
trois  heures  à  l'avance.  Bientôt  l'église  du  collège  des  Jésuites  se  trouvant 
trop  petite,  il  passa  à  celle  de  Saint-Pierre-le-Moustiers,  qui  appartenait 
aux  Bénédictins.  Les  catéchismes  du  Père  Régis  attiraient  dans  cette  église 
jusqu'à  cinq  mille  auditeurs.  Voici  ce  qu'en  rapportait  le  Père  Mangeon, 
qui  devint  plus  tard  confesseur  de  la  duchesse  d'Orléans. 

«  Les  catéchismes  du  Père  Régis  »,  dit-il,  «  étaient  touchants  et  élo- 
quents, mais  d'une  éloquence  plutôt  infuse  que  naturelle  ou  acquise.  Le 
Père  Jean  Filleau,  provincial,  quoiqu'il  dût  partir  le  lendemain,  voulut  que 
je  le  conduisisse  à  l'église  où  le  Père  Régis  les  faisait  :  il  était  environ  midi 
et  demi  ;  comme  je  lui  disais  qu'il  n'y  aurait  plus  de  place  pour  lui  et  pour 
moi  :  N'importe  »,  répondit-il,  «  je  veux  avoir  encore  une  fois  la  consola- 
tion de  voir  cette  foule  infinie  de  peuple  qui  me  fît  hier  tant  de  plaisir.  Nous 
y  allâmes  et  je  lui  trouvai  place,  non  sans  beaucoup  de  peine.  Il  l'écouta 
debout  pendant  une  heure.  Il  versa  tant  de  larmes  et  fut  si  touché,  qu'il  me 
dit  en  sortant  ;  Si  ce  Père  prêchait  à  quarante  lieues  d'ici,  j'irais  l'entendre 


94  46  JUIN. 

à  pied.  Cet  homme  est  plein  de  Dieu  et  de  l'amour  de  Jésus-Christ  ;  il  n'y  a 

pas  son  pareil».  .  ,        •  ^  .x  j 

Mais  rien  ne  faisait  tant  d'impression  que  la  samteté  de  sa  vie,  qui 
n'éclata  nulle  part  autant  qu'au  Puy.  Il  redoublait  ses  austérités  :  il 
ne  faisait  plus  qu'un  repas  par  jour,  qui  consistait  en  quelques  fruits  ou 
quelques  légumes.  «  Pendant  deux  ans  que  j'ai  vécu  avec  lui  »,  dit  Antoine 
de  Mangeon,  «  je  ne  lui  ai  jamais  vu  manger  de  viande.  Pour  le  vin,  tout  le 
monde  sait  qu'il  se  l'était  interdit  depuis  longtemps  ». 

A  la  prédication,  le  Père  Régis  joignait  une  application  continuelle  et 
infatigable  à  secourir  les  pauvres. 

A  peine  avait-il  fini  le  catéchisme,  que,  tout  épuisé  et  tout  couvert  de 
sueur,  il  allait  les  visiter  dans  leurs  maisons,  dans  les  prisons  et  dans  les 
hôpitaux.  Il  assemblait  trois  fois  la  semaine  tous  ceux  de  la  ville,  et  comme 
il  ne  séparait  jamais  l'instruction  de  l'aumône,  il  commençait  par  leur  faire 
faire  la  prière,  qui  était  suivie  d'une  exhortation  fervente  ;  il  distribuait 
ensuite  du  pain  ou  de  l'argent.  Il  finissait  cet  exercice  de  charité  par  l'ac- 
tion de  grâces  que  l'on  rendait  à  Dieu.  Il  fonda  parmi  les  dames  de  la  ville 
une  association  charitable  pour  le  soulagement  des  familles  pauvres.  Non 
content  de  cela,  il  sollicitait  sans  cesse  les  riches  en  faveur  de  ceux  qui 
étaient  dans  le  besoin.  Il  obtenait  ainsi  des  aumônes  considérables.  Argent, 
blé,  vêtements,  lits,  linge,  tout  lui  était  bon.  Il  avait  une  chambre  où  il  dé- 
posait tout  cela,  et  qui  devint  vraiment  le  trésor  des  pauvres. 

Il  avait  un  magasin  de  blé  oti  tous  les  nécessiteux  de  la  ville  venaient 
puiser.  On  ne  les  renvoyait  jamais.  Le  magasin  contenait  toujours  de  quoi  les 
satisfaire.  Il  y  eut  une  disette  pendant  laquelle  le  Saint  nourrit  miraculeuse- 
ment tous  les  pauvres.  Marguerite  Baud,  une  femme  pieuse,  était  la  gar- 
dienne et  la  distributrice  de  son  blé.  Un  jour  que  Marguerite  Baud  l'avait 
averti  qu'elle  n'avait  plus  ni  blé  ni  argent  pour  en  acheter,  il  ne  laissa  pas 
de  lui  envoyer  une  pauvre  femme  chargée  de  plusieurs  enfants,  avec  ordre 
de  lui  donner  le  blé  qu'elle  lui  demandait.  Marguerite,  surprise  de  cet 
ordre,  alla  le  trouver  sur-le-champ,  et  lui  dit  qu'il  paraissait  étrange  qu'il 
lui  donnât  un  tel  ordre,  sachant  fort  bien  qu'elle  était  dans  l'impuissance 
de  l'exécuter.  «  Allez  »,  lui  répondit-il,  «  retournez  et  remplissez  le  sac  de 
cette  pauvre  femme».  Marguerite  répliqua  qu'il  ne  lui  restait  pas  un  grain 
de  blé. —  «  Allez,  vous  dis-je  »,  reprit  le  Saint,  «  vous  trouverez  abondam- 
ment du  blé  pour  elle  et  pour  plusieurs  autres  » .  Marguerite  obéit  ;  et,  s'en 
étant  allée,  elle  trouva  son  magasin  qui  regorgeait  de  blé.  Ce  miracle  de 
multiplication  se  renouvela  plusieurs  fois  pendant  la  même  disette  :  et  tous 
les  pauvres  qui  s'adressèrent  à  Régis  furent  secourus. 

Assister  les  mourants  était  une  œuvre  à  laquelle  il  se  livrait  avec  un 
zèle  et  un  succès  tout  particuliers.  Lorsqu'on  l'appelait  pour  confesser  les 
malades,  il  quittait  tout  sur-le-champ.  Dieu  lui  avait  donné  une  grâce  par- 
ticulière pour  les  disposer  à  mourir  saintement.  Aussi,  les  malades  vou- 
laient-ils tous  avoir  la  consolation  de  mourir  entre  ses  bras.  Pour  être 
plus  â  portée  de  courir  où  le  besoin  le  demandait,  il  ne  se  déshabillait 
jamais  la  nuit. 

On  raconte  plusieurs  miracles  que  Dieu  fit  à  la  prière  de  Régis  pour  ma- 
nifester sa  propre  puissance  avec  la  vertu  de  son  serviteur. 

Il  avait  confessé  une  femme  abandonnée  des  médecins  et  qui  était,  en 
effet,  sur  le  point  d'expirer.  Les  parents  le  conjurèrent  de  demander  sa  gué- 
rison.  Régis,  touché  de  leur  foi,  mit  la  médaille  de  son  chapelet  dans  un 
vase  d'eau,  et,  après  avoir  béni  l'eau,  il  la  fit  boire  à  la  mourante,  qui  se 


SAINT  JEAN-FRAJVÇOrS   RÉGIS,   DE  LA   COMPAGNIE   DE  JÉSUS.  95 

trouva  au  même  moment  sans  fièvre  et  dans  une  santé  aussi  parfaite  que  si 
elle  n'eût  point  été  malade. 

Une  demoiselle  qui  l'avait  aidé  dans  ses  œuvres  charitables,  se  trouvait  à 
l'extrémité.  Le  Père  Régis  se  jeta  à  ses  genoux,  et,  au  nom  des  pauvres,  il 
conjura  le  bon  Dieu  de  ne  pas  leur  enlever  celle  qu'ils  aimaient  comme 
leur  mère.  Après  cette  prière,  il  se  leva,  et,  appelant  la  mourante  par  son 
nom  :  «  Rendez  grâces  à  Dieu  »,  dit-il,  «  qui  a  la  bonté  de  prolonger  vos 
jours,  afin  que  vous  le  serviez,  et  les  pauvres,  ses  enfants,  avec  plus  de  fer- 
veur ».  Revenue  alors  comme  d'un  profond  sommeil,  et  reprenant  ses  esprits 
à  la  vue  du  saint  homme  :  «  Ah  !  mon  Père  !  »  lui  dit-elle,  «  en  quel  état 
me  trouvez-vous?  »  —  «  Bien  »,  répondit-il,  «  vous  voilà  guérie;  faites  un 
bon  usage  de  la  santé  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  vous  rendre  ». 

Il  n'y  avait  rien  qu'il  ne  fit  pour  s'opposer  au  mal  et  au  péché,  de  quel- 
que nature  qu'il  fût.  11  y  exposait  sa  vie  sans  la  moindre  hésitation.  Un  jour, 
il  apprend  qu'un  homme  de  qualité  avait  attiré  une  jeune  orpheline  dans 
une  maison,  où  il  cherchait  à  la  séduire  par  ses  promesses.  Le  Saint  s'y  rend 
à  l'instant  :  sa  vue  trouble  d'abord  cet  homme  ;  mais  il  se  remet  et  lui  dit 
avec  hauteur  :  «  Que  venez-vous  chercher  ici,  mon  Père?  vous  vous  mêlez 
de  bien  des  choses  qui  ne  vous  regardent  point  ».  —  «  Je  viens  »,  répond 
Régis,  «  chercher  cette  innocente  brebis  que  vous  enlevez  à  Dieu  comme 
un  loup  ravissant  ».  —  «  Retirez-vous  »,  reprend  ce  furieux  ;  a  autrement 
votre  imprudence  pourra  vous  coûter  cher  ».  —  «  Je  ne  me  retirerai  pas 
que  je  n'aie  sauvé  cette  orpheline  ;  quant  aux  menaces  que  vous  me  faites, 
sachez  qu'elles  ne  sont  pas  capables  de  m'ébranler,  et  que  je  me  ferai 
gloire  d'être  exposé  à  votre  aveugle  fureur  ».  Cet  homme,  ne  se  possédant 
plus,  tira  son  épée  et  s'avança  sur  le  Saint  pour  l'en  percer.  —  «  Ah  !  très- 
volontiers  »,  s'écria  le  serviteur  de  Dieu,  «  je  répandrai  mon  sang  pour 
Jésus-Christ  ».  Et,  découvrant  sa  poitrine  :  «  Frappez  »,  dit-il,  «je  mourrai 
content,  pourvu  que  Dieu  ne  soit  pas  offensé  ».  Surpris  de  tant  d'intrépi- 
dité, le  libertin  se  retira  tout  confus.  La  jeune  fille  fut  placée  dans  une 
maison  pieuse,  où  elle  vécut  et  mourut  saintement. 

Il  fit  plusieurs  prophéties  qui  s'accomplirent  toutes.  Marcellin  du 
Fornel,  jeune  gentilhomme  de  Saint-Didier,  dans  le  Velay,  passant  par  le 
Puy,  lui  fit  visite,  et  lui  dit  qu'il  allait  se  faire  recevoir  docteur  en  droit  à 
Valence. 

«  N'avez-vous  nul  autre  dessein  ?  »  lui  répondit  le  saint  homme.  —  «  Je 
pense  à  me  marier  »,  repartit  le  jeune  gentilhomme;  «  on  m'olTre  un  parti 
considérable,  et  l'affaire  doit  se  conclure  au  premier  jour  ».  —  «  Dans  peu 
de  jours  »,  lui  dit  le  Saint,  «  vos  espérances  s'évanouiront  avec  vos  projets 
ambitieux  ;  et  avant  que  l'année  se  passe,  vous  serez  novice  de  notre  Com- 
pagnie* 

Le  mariage  se  rompit  bientôt  ;  le  jeune  homme,  dégoûté  du  monde,  se 
donna  à  Dieu  dans  la  Compagnie,  comme  le  Père  Régis  le  lui  avait  prédit. 

Pendant  les  hivers  des  quatre  dernières  années  de  sa  vie,  notre  Saint 
parcourut  les  bourgs  et  les  villages  des  diocèses  du  Puy,  de  Valence  et  de 
Viviers,  qui  se  trouvent  dans  le  Velay.  11  fit  sa  première  mission  dans  la  pe- 
tite ville  de  Fay  et  dans  les  lieux  voisins,  au  commencement  de  l'année 
1636. 11  rendit  la  vue  à  un  jeune  homme  de  quatorze  ans,  Claude  Sourdon, 
chez  le  père  duquel  le  saint  homme  avait  accepté  un  logement  ;  puis  à  un 
homme  qui  était  dans  sa  quarantième  année,  et  qui  avait  perdu  la  vue  de- 
puis huit  ans.  Ces  deux  miracles  disposèrent  merveilleusement  les  esprits, 
et  la  mission  produisit  les  fruits  les  plus  abondants.  Pour  donner  une  juste 


96  ^6  JUIN. 

idée  de  la  conduite  qu'y  tint  Régis,  nous  allons  insérer  ici  ce  que  Claude 
Sourdon  en  a  déposé  juridiquement  en  présence  des  évêques  du  Puy  et  de 

Valence. 

«  Tout  en  lui  inspirait  la  sainteté.  On  ne  pouvait  ni  le  voir,  ni  l'enten- 
dre, sans  se  sentir  embrasé  de  l'amour  divin.  Il  célébrait  les  saints  mystères 
avec  une  dévotion  si  tendre  et  si  ardente,  que  l'on  croyait  voir  à  l'autel, 
non  pas  un  homme,  mais  un  ange.  Je  l'ai  vu  quelquefois  dans  les  entretiens 
familiers  se  taire  tout  à  coup,  se  recueillir  et  s'enflammer,  après  quoi  il 
parlait  des  choses  divines  avec  un  feu  et  une  véhémence  qui  marquaient 
que  son  cœur  était  transporté  par  une  impulsion  céleste.  Il  s'exprimait, 
dans  les  instructions  qu'il  faisait  au  peuple,  avec  une  onction  qui  pénétrait 
tous  ses  auditeurs.  Il  passait  le  jour  et  une  partie  considérable  de  la  nuit  à 
entendre  les  confessions,  et  il  fallait  lui  faire  une  sorte  de  violence  pour 
l'obliger  à  prendre  un  peu  de  nourriture.  Jamais  il  ne  se  plaignait  de  la 
fatigue  ni  des  manières  inconvenantes  de  ceux  qui  s'adressaient  à  lui. 

«  Après  avoir  travaillé  avec  une  ardeur  infatigable  au  salut  des  habi- 
tants de  Fay,  il  se  donna  tout  entier  à  celui  des  peuples  voisins.  Il  partait 
tous  les  jours  de  grand  matin  pour  aller  visiter  les  paysans  dispersés  dans 
les  bois  et  sur  les  montagnes.  Les  pluies,  la  neige  et  les  autres  rigueurs  de 
la  saison  ne  pouvaient  le  retenir.  Pendant  tout  le  jour,  il  allait  de  chau- 
mière en  chaumière,  et  cela  à  pied  et  à  jeun,  si  ce  n'était  que  ma  mère  le 
forçait  quelquefois  à  prendre  une  pomme  qu'il  mettait  dans  sa  poche.  Nous 
ne  le  revoyions  qu'à  la  nuit,  étalons  toutes  les  fatigues  du  jour  ne  l'empê- 
chaient pas  de  reprendre  ses  fonctions  ordinaires  ;  il  ne  se  délassait  du  tra- 
vail que  par  de  nouveaux  travaux.  Les  calvinistes  le  suivaient  avec  autant 
d'empressement  que  les  catholiques  ». 

Au  mois  de  novembre  de  l'année  1637,  il  alla  faire  à  Marlhes  une 
seconde  mission.  Les  chemins  par  où  il  passa  auraient  eflVayé  les  personnes 
les  plus  hardies.  Il  fallait,  tantôt  grimper  sur  des  rochers  couverts  de  glace, 
tantôt  descendre  dans  de  profondes  vallées  remplies  de  neige,  tantôt  mar- 
cher à  travers  les  ronces  et  les  épines.  Comme  il  grimpait  avec  beaucoup 
de  peine  sur  une  des  plus  hautes  montagnes  du  Velay,  n'ayant  d'autre 
appui  que  des  broussailles  auxquelles  il  se  tenait,  la  main  et  le  pied  lui 
manquèrent  tout  à  coup  ;  il  tomba,  et  se  cassa  une  jambe.  Cet  accident  ne 
l'empêcha  point  de  continuer  sa  route  avec  sa  tranquillité  ordinaire,  et  de 
faire  encore  deux  lieues  appuyé  sur  son  bâton,  et  soutenu  par  celui  qui 
l'accompagnait.  Arrivé  à  Marlhes,  il  ne  lui  vint  pas  seulement  dans  l'esprit 
d'envoyer  chercher  un  chirurgien.  Il  alla  droit  à  l'église,  où  une  grande 
multitude  de  peuple  l'attendait,  et  il  y  entendit  les  confessions  pendant 
plusieurs  heures.  Le  curé,  averti  par  le  compagnon  de  Régis  de  l'accident 
qui  lui  était  arrivé,  le  pria,  mais  inutilement,  de  se  retirer.  Après  que  le 
Saint  eut  satisfait  pleinement  sa  charité,  il  laissa  visiter  sa  jambe,  qui  se 
trouva  parfaitement  guérie. 

A  ces  immenses  travaux  il  ajoutait  des  macérations  étonnantes.  Le  rec- 
teur du  collège  du  Puy  en  ayant  été  informé,  lui  ordonna  d'obéir  au  curé 
de  Marlhes  dans  tout  ce  qui  concernait  le  soin  de  sa  santé.  Le  Saint  fit  ce 
que  son  supérieur  exigeait  de  lui  ;  il  se  soumit  avec  la  dernière  exactitude 
a  tout  ce  qu'il  plut  au  curé  de  lui  prescrire,  quoique  les  ménagements 
qu'on  avait  pour  sa  personne  lui  fussent  à  charge.  Le  curé  se  levait 
quelquefois  la  nuit  pour  l'observer  :  il  le  voyait  tantôt  à  genoux  ,  le 
visage  prosterné  contre  terre  et  baigné  de  larmes  ;  tantôt  debout ,  les 
yeux  tournés  vers  le  ciel ,  absorbé   dans  une  profonde  contemplation  ; 


SAINT  JEAN-FRANÇOIS  RÉGIS,   DE   LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  97 

d'autres  fois  il  l'entendait  pousser  de  profonds  soupirs,  et  s'écrier  dans  les 
transports  de  son  amour  :  «  Qu'y  a-t-il  au  monde  qui  puisse  attacher  mon 
cœur,  si  ce  n'est  vous,  ô  mon  Dieu  ?  »  Il  lui  arriva  de  le  voir  souvent, 
tandis  qu'il  priait,  enflammé  comme  un  séraphin,  immobile  pendant  plu- 
sieurs heures,  ne  paraissant  avoir  ni  sentiment,  ni  connaissance.  C'est  ce 
qu'il  attesta  depuis  dans  une  déposition  juridique.  Il  ajouta  encore  que  le 
Saint  avait  guéri  en  sa  présence,  par  une  simple  bénédiction,  un  homme 
qui  s'était  démis  l'épaule,  et  que,  par  le  signe  de  la  croix,  il  avait  délivré  du 
démon  un  énergumène  qui  souffrait  depuis  plus  de  huit  ans,  sans  que  les 
exorcismes  réitérés  de  l'Eglise  lui  eussent  procuré  aucun  soulagement. 

Régis  étant  à  Saint-Bonnet-le-Froid,  le  curé  du  lieu,  qui  s'aperçut  que 
toutes  les  nuits  il  sortait  secrètement  de  sa  chambre,  eut  la  curiosité  d'exa- 
miner où  il  allait  et  ce  qu'il  faisait.  Après  l'avoir  inutilement  cherché  dans 
la  maison,  il  s'avança  vers  l'église,  qui  n'en  était  pas  éloignée  ;  il  le  trouva 
en  prières  de\'ant  la  porte,  à  genoux,  les  mains  jointes  et  la  tête  nue,  malgré 
le  froid  qui  était  excessif.  Il  lui  représenta  le  danger  auquel  il  exposait  sa 
santé  ;  mais  le  voyant  déterminé  à  continuer  ses  entretiens  avec  Dieu,  il 
lui  donna  la  clef  de  l'église,  aQn  qu'il  y  fût  à  couvert  des  injures  de  l'air. 

En  retournant  au  Puy  à  la  fin  de  l'hiver,  il  s'arrêta  chez  le  curé  de 
Vourcy,  qui  autrefois  avait  été  son  écolier,  et  qui  lui  était  tendrement  atta- 
ché. Celui-ci  lui  représentant  qu'il  ne  ménageait  point  sa  santé,  et  qu'il 
était  important,  pour  la  sanctification  des  âmes,  qu'il  mesurât  son  travail 
sur  ses  forces,  le  saint  homme  lui  dit  en  confidence  ce  qui  lui  était  arrivé 
quelques  mois  auparavant,  lorsque,  s'étant  cassé  une  jambe.  Dieu  l'avait 
guéri  miraculeusement.  «  Après  une  marque  si  visible  de  la  bonté  de 
Dieu  »,  ajouta-t-il,  «  ne  dois-je  pas  mettre  ma  vie  entre  ses  mains,  et  me 
reposer  entièrement  sur  lui  du  soin  de  ma  santé  ?  » 

Dans  l'hiver  de  1638,  il  reprit  ses  missions  de  la  campagne,  commençant 
par  le  bourg  de  Montregard.  Etant  arrivé  de  nuit  en  ce  lieu,  il  alla,  selon  sa 
coutume,  droit  à  l'église,  qu'il  trouva  fermée.  Il  se  mit  à  genoux  devant  la 
porte  ;  il  y  pria  si  longtemps,  et  avec  un  recueillement  si  profond,  qu'il  ne 
s'aperçut  pas  qu'il  était  tout  couvert  de  la  neige  qui  tombait  en  abondance. 
Des  paysans  qui  le  virent  en  cet  état,  le  pressèrent  d'entrer  dans  une  maison 
voisine  pour  y  prendre  un  peu  de  nourriture. 

La  moisson  fut  très-abondante  à  Montregard.  Régis  y  retira  de  l'erreur 
un  grand  nombre  de  calvinistes,  entre  autres  Louise  de  Remezin.  C'était 
une  jeune  veuve  de  vingt-deux  ans,  qui  était  singulièrement  estimée  dans 
sa  secte  pour  son  savoir  et  sa  naissance.  Le  saint  missionnaire  se  fit  estimer 
d'elle  dans  divers  entretiens  qu'ils  eurent  ensemble.  Il  éclaircit  les  difficultés 
qu'elle  lui  proposa  sur  les  points  controversés,  et  principalement  sur  l'Eu- 
charistie, dissipa  tous  ses  préjugés,  et  l'amena  au  point  de  faire  abjuration 
de  l'hérésie.  La  nouvelle  de  son  changement  souleva  contre  elle  sa  famille 
et  tous  les  chefs  du  parti  huguenot.  On  voulut  la  rengager  dans  la  secte 
qu'elle  avait  abandonnée  ;  mais  sa  foi  était  trop  solide  pour  céder  à  une 
pareille  épreuve. 

Sur  la  fin  de  l'automne  1639,  le  Saint  alla  reprendre  ses  missions  aux 
environs  de  Montregard,  à  Issengeaux,àMarcoux,  auChambon,  à  Monistrol, 
où  il  n'avait,  pour  ainsi  dire,  fait  que  paraître.  Au  mois  de  janvier  1640,  il 
se  rendit  à  la  petite  ville  de  Montfaucon,  qui  est  à  sept  lieues  du  Puy.  Le 
succès  répondait  à  son  zèle  et  à  son  désir,  lorsque  le  travail  fut  interrompu 
par  les  ravages  de  la  peste.  Régis  se  dévoua  généreusement  au  service  de 
ceux  qui  étaient  attaqués  de  ce  fléau.  Lorsqu'en  traversant  les  rues  il  trou- 
ViBS  DES  Saints.  —  Tome  VII.  1 


98  16  JUIN, 

vait  un  malade  abandonné,  il  le  portait  sur  ses  épaules  à  l'hôpital.  Sa  cha- 
rité ranima  celle  des  ecclésiastiques.  Le  danger  auquel  il  s'exposait  donna 
de  vives  inquiétudes  au  curé  de  Montfaucon  ;  il  lui  ordonna  de  sortir  de  la 
ville,  de  peur  qu'il  ne  devînt  la  victime  de  son  zèle,  comme  cela  était  déjà 
arrivé  à  plusieurs  ecclésiastiques.  Il  obéit,  mais  ce  fut  en  versant  un  torrent 
de  larmes.  «  Eh  quoi  !  »  dit-il  alors,  «  on  est  donc  jaloux  de  mon  bonheur? 
Faut-il  que  l'on  m'envie,  par  une  fausse  compassion,  le  mérite  d'une  mort 
si  précieuse,  et  que  l'on  m'enlève  la  couronne,  lorsque  je  suis  sur  le  point 
de  la  recevoir  ?  » 

La  peste  ayant  cessé  peu  de  temps  après  à  Montfaucon,  Régis  y  alla 
reprendre  sa  mission  ;  mais  il  fut  bientôt  rappelé  par  le  recteur  du  collège 
du  Puy,  afin  de  remplacer  un  professeur  qui  manquait.  Ce  contre-temps  le 
pénétra  de  la  plus  vive  douleur.  Il  obéit  toutefois  par  respect  pour  l'ordre 
de  son  supérieur  ;  mais  il  écrivit  à  son  général  pour  lui  demander  la  permis- 
sion de  se  dévouer  le  reste  de  ses  jours  aux  missions  de  la  campagne,  et  d'y 
employer  au  moins  six  mois  chaque  année.  Le  général,  qui  connaissait  son 
zèle,  ne  balança  pas  de  souscrire  à  ses  désirs. 

Au  commencement  de  l'automne  de  1640,  le  Père  Régis  reprit  sa  mission 
de  Montfaucon.  Les  heureuses  dispositions  qu'il  trouva  parmi  le  peuple  re- 
doublèrent sa  ferveur  et  son  courage.  Après  un  mois  de  travail,  il  passa  à 
Raucoules,et  de  là  à  Veirines,  oti  il  s'appliqua  à  la  sanctification  des  âmes 
avec  la  même  ardeur  et  le  même  succès  ;  il  annonça  ensuite  la  mission  de 
la  Louvesc  pour  le  dernier  jour  de  l'Avent  ;  mais  ayant  connu  par  une 
lumière  céleste  qu'il  approchait  de  sa  fin,  il  alla  faire  une  retraite  au  Puy, 
pour  se  préparer  à  la  mort.  Au  bout  de  trois  jours,  passés  dans  une  entière 
solitude,  il  fit  sa  confession  générale  comme  s'il  eût  dû  mourir  ce  jour-là  ; 
puis  s'entretenant  avec  son  confesseur,  il  lui  témoigna,  avec  les  sentiments 
les  plus  tendres  et  les  plus  vifs,  l'impatience  où  il  était  de  posséder  Dieu.  Il 
ne  soupirait  plus  qu'après  l'éternité.  Il  dit  confidemment  à  un  de  ses  amis 
qu'il  ne  reviendrait  point  de  la  mission  qu'il  allait  entreprendre  ;  il  déclara 
aussi  la  même  chose  à  d'autres  personnes,  mais  ce  ne  fut  qu'en  termes  mys- 
térieux. 

Il  partit  du  Puy  le  22  décembre,  afin  de  se  trouver  à  la  Louvesc  pour  la 
veille  de  Noël.  Outre  qu'il  eut  beaucoup  à  souffrir  de  la  difficulté  du  che- 
min, il  Ivx  Arriva  encore  de  s'égarer  le  second  jour.  La  nuit  l'ayant  surpris 
au  milieu  de»  j'/ùis.  il  marcha  longtemps  sans  savoir  où  il  allait.  Enfin  il  se 
trouva  près  du  village  de  Veirines,  Accablé  de  fatigues,  il  se  retira  dans  une 
maison  abandonnée  qui  était  ouverte  de  tous  côtés  et  qui  tombait  en 
ruines  ;  il  y  passa  la  nuit  couché  sur  la  terre  et  exposé  à  la  violence  d'une 
bise  très-piquante.  Le  passage  subit  du  froid  au  chaud  lui  occasionna  une 
pleurésie,  qui  fut  accompagnée  d'une  fièvre  très-ardente.  Ses  douleurs 
devinrent  bientôt  très-vives.  La  vue  de  la  maison  où  il  était  couché  lui  rap- 
pelait l'étable  de  Bethléem,  et  il  s'estimait  heureux  de  pouvoir  imiter  dans 
la  même  saison  la  pauvreté  et  les  souffrances  de  son  divin  Maître. 

Le  lendemain  matin,  il  gagna  la  Louvesc  avec  beaucoup  de  peine,  et  y 
fit  l'ouverture  de  la  mission  par  un  discours  qui  ne  se  ressentait  nullement 
de  la  faiblesse  de  son  corps.  Il  prêcha  trois  fois  le  jour  de  Noël  et  le  jour  de 
saint  Etienne,  et  passa  le  reste  du  temps  au  confessionnal.  Après  le  troi- 
sième sermon  du  jour  de  saint  Etienne,  il  lui  prit  deux  défaillances  pendant 
qu'il  entendait  les  confessions.  Les  médecins  jugèrent  que  son  mal  était 
sans  remède.  Il  recommença  sa  confession  générale,  puis  demanda  le  saint 
Viatique  et  l'Extrême-Onction,  qu'il  reçut  en  homme  tout  embrasé  de 


SAINT  JEAN-FRANÇOIS  RÉGIS,   DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  99 

l'amour  divin.  Comme  on  lui  présentait  ensuite  un  bouillon,  il  le  refusa,  en 
disant  qu'il  souhaitait  d'être  nourri  de  la  même  manière  que  les  pauvres, 
et  qu'on  lui  ferait  plaisir  de  lui  donner  un  peu  de  lait;  il  demanda  ensuite, 
comme  une  grâce,  qu'on  le  laissât  seul. 

Il  souffrait  des  douleurs  violentes  ;  mais  la  vue  d'un  crucifix,  qu'il  tenait 
entre  ses  mains  et  qu'il  baisait  continuellement,  adoucissait  ses  souffrances. 
Son  visage  fut  toujours  tranquille,  et  l'on  n'entendait  sortir  de  sa  bouche 
que  des  aspirations  tendres  et  affectueuses,  que  des  soupirs  ardents  vers  la 
céleste  patrie.  Il  demanda  à  être  porté  dans  une  étable,  afin  d'avoir  la  con- 
solation d'expirer  dans  un  état  semblable  à  celui  de  Jésus-Christ  naissant 
sur  la  paille.  On  lui  fit  entendre  que  la  faiblesse  extrême  où  il  était  ne  per- 
mettait pas  de  le  transporter.  Il  remerciait  Dieu  sans  cesse  du  bonheur  qu'il 
avait  de  mourir  au  pied  des  pauvres. 

Il  demeura  tout  le  dernier  jour  de  décembre  dans  une  paix  parfaite,  les 
yeux  tendrement  attachés  sur  Jésus  crucifié,  qui  seul  occupait  ses  pensées. 
Sur  le  soir,  il  dit  à  son  compagnon  avec  un  transport  extraordinaire  :  «  Oh! 
mon  frère,  quel  bonheur  !  que  je  meurs  content  !  Je  vois  Jésus  et  Marie  qui 
daignent  venir  au-devant  de  moi  pour  me  conduire  dans  le  séjour  des 
Saints  ».  Un  moment  après,  il  joignit  les  mains,  puis  levant  les  yeux  au  ciel, 
il  prononça  distinctement  ces  paroles  :  a  Jésus-Christ,  mon  Sauveur,  je  vous 
recommande  mon  âme,  et  la  remets  entre  vos  mains  ».  En  les  achevant,  il 
rendit  doucement  l'esprit  vers  minuit  du  dernier  jour  de  l'année  1640.  Il 
avait  près  de  quarante-quatre  ans,  et  il  en  avait  passé  vingt-quatre  dans  la 
compagnie  de  Jésus.  On  l'enterra  le  2  janvier  dans  l'église  de  la  Louvesc.  Il 
y  eut  à  ses  funérailles  un  concours  prodigieux  du  clergé  et  du  peuple. 

La  douleur  que  sa  mort  avait  causée  se  changea  bientôt  en  vénération. 
On  accourut  de  toutes  parts  pour  visiter  son  tombeau  oii  s'accomplirent 
bientôt  de  nombreux  miracles.  Nous  allons  en  rapporter  quelques-uns. 
En  1656,  une  religieuse  du  Puy,  nommée  Madeleine  Arnaud,  attaquée  d'une 
hydropisie,  et  paralytique  de  tout  le  corps,  sans  pouvoir  se  remuer,  était  si 
mal  qu'on  lui  administra  les  derniers  Sacremints.  Elle  s'affaiblit  au  point 
que  l'on  crut  qu'elle  allait  expirer,  et  les  méckcins  ne  lui  donnaient  plus 
qu'une  demi-heure  de  vie.  Comme  elle  était  encore  en  pleine  connaissance, 
on  lui  présenta  une  relique  du  serviteur  de  Dieu.  Ayant  prié  avec  ferveur, 
elle  la  mit  sur  sa  poitrine,  et  dans  le  moment  elle  se  trouva  parfaitement 
guérie.  Ce  fait  a  été  attesté,  avec  serment,  par  quatorze  témoins  oculaires. 
Un  bourgeois  du  Puy  obtint  par  le  même  moyen  la  guérison  d'une  maladie 
absolument  incurable.  Deux  femmes  aveugles,  plusieurs  paralytiques  et 
d'autres  malades  de  toute  espèce,  furent  aussi  iiuéris  par  l'intercession  du 
serviteur  de  Dieu.  On  comptait  parmi  ces  malades  des  personnes  distinguées 
par  leur  naissance. 

En  présence  de  tant  de  prodiges,  vingt-deux  archevêques  et  évoques  du 
Languedoc  écrivirent  au  pape  Clément  XI  :  «  Nous  sommes  témoins  que 
devant  le  tombeau  du  Père  Jean-François  Régis,  les  aveugles  voient,  les 
boiteux  marchent,  les  sourds  entendent,  les  muets  parlent,  et  le  bruit  de 
ces  étonnantes  merveilles  est  répandu  chez  toutes  les  nations  ». 

L'héroïsme  des  vertus  du  Père  Régis  ayant  été  mûrement  examiné  à 
Rome,  et  la  vérité  des  miracles  opérés  par  son  intercession  y  ajant  été  juri- 
diquement attestée,  il  fut  béatifié  en  1716  par  Clément  XI.  Clément  Xlf  lo 
canonisa  en  1737,  sur  la  requête  de  Louis  XV,  roi  de  France,  de  Philippe  V, 
roi  d'Espagne,  et  du  clergé  de  France,  assemblé  à  Paris  en  1735.  Sa  lete  a 
été  fixée  au  16  juin. 


100 


16  JUIN. 


On  le  représente  tantôt  avec  la  pèlerine  de  cuir,  et  le  bourdon  surmonté 
d'un  crucifix  ;  tantôt  avec  un  cruciflx  à  la  main  comme  missionnaire. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  ASSOCIATION  DE  SAINT-FRANÇOIS  RÉGIS. 

Le  corps  de  saint  François  Régis  ayant  été  levé  de  terre  par  l'archevêque  devienne,  le  30  sep- 
tembre 1716,  fut  placé  sur  un  autel  qui  lui  était  dédié  dans  l'église  delà  Louvesc.  Avant  la  Révo- 
lution, les  reliques  étaient  dans  un  coffret  de  bois  et  renfermées  dans  une  châsse  d'argent.  A  cette 
époque  désastreuse,  quatre  jeunes  gens  du  lieu,  qui  étaient  frères  et  appartenaient  à  une  famille 
chrétienne,  pénétrèrent  de  nuit,  avec  l'agrément  de  leur  curé,  dans  l'église,  ouvrirent  la  châsse,  en 
retirèrent  les  reliques,  afin  de  les  préserver  de  la  profanation,  et  les  emportèrent  chez  leur  père 
nommé  Buisson,  où  elles  restèrent  cachées  pendant  plusieurs  années.  Peu  de  temps  après  ce 
pieux  larcin,  la  châsse  d'argent  fut  enlevée  et  détruite  par  les  autorités  révolutionnaires. 

Lorsque  l'Eglise  de  France  eut  recouvré  quelque  tranquillité  après  la  publication  du  concordat, 
on  songea  à  rendre  les  précieux  restes  de  saint  Jean-François  Régis  à  la  vénération  des  fidèles.  Le 
13  juillet  1802,  Mgr  de  Chabot,  évêque  de  Mende,  dans  le  diocèse  duquel  se  trouvait  alors  la 
Louvesc,  se  rendit  dans  ce  village  et  procéda  à  la  vérification  des  reliques  qui  furent  trouvées  dans 
l'état  que  désignait  le  procès-verbal.  La  tête  était  entière,  à  l'exception  de  la  mâchoire  inférieure, 
et  il  y  avait  à  peu  près  la  moitié  des  ossements.  Elles  furent  portées  processionnellement  à  l'église, 
exposées  au  miheu  du  chœur  et  replacées  ensuite  dans  le  lieu  qu'elles  occupaient  autrefois.  Depuis 
ce  moment,  le  pèlerinage  de  la  Louvesc  n'a  cessé  d'être  fréquenté  par  un  très-grand  nombre  de 
fidèles,  qui  accourent  de  toutes  parts  réclamer  la  protection  auprès  de  Dieu  du  saint  apôtre  du  Velay. 

Saint  Fiançois  Régis  est  le  patron  d'une  association  pieuse,  formée  de  nos  jours,  à  l'effet  de 
réhabiliter  les  unions  illégitimes  et  de  mettre  un  frein  aux  désordres  des  mœurs  qui  affligent  la 
société  civile  et  religieuse. 

Un  pieux  laïque,  M.  Gossin,  alors  vice-président  au  tribunal  de  première  instance  de  la  Seine, 
et  depuis  conseiller  à  la  cour  royale  de  Paris,  fonda,  en  1826,  cette  association,  qui  s'est  étendue 
à  un  très-grand  nombre  de  villes  de  France  et  de  l'étranger. 

Nous  laisserons  M.  Gossin  rapporter  lui-même  le  vœu  qu'il  fit  au  tombeau  de  saint  François 
Régis  et  les  conséquences  qui  en  résultèrent  : 

«  Au  nom  de  la  sainte  Trinité,  Père,  Fils  et  Saint-Esprit  : 

«  Je  soussigné,  vice-président  du  tribunal  de  première  instance  du  département  de  la  Seine, 
demeurant  à  Paris,  atteint,  depuis  plusieurs  mois,  de  diverses  infirmités  graves  et  craignant  pour 
le  rétablissement  de  ma  santé; 

«  Me  suis  rendu  au  tombeau  de  saint  Jean-François  Régis,  au  village  de  la  Louvesc,  diocèse  de 
Viviers,  le  mardi  29  juin  1824,  jour  de  la  fête  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul,  dans  l'intention 
de  demander  à  Dieu,  avec  une  ferme  foi,  ma  guérison,  par  Tintercession  puissante  du  saint  Apôtre 
du  Velay  et  du  Vivarais.  Après  avoir,  aussitôt  mon  arrivée,  fait  ma  prière  au  tombeau  de  ce  grand 
serviteur  de  Dieu,  m'èlre  confessé  dans  la  sacristie  de  l'église  et  en  avoir  conféré  avec  mon  con- 
fesseur qui  m'a  donné  son  approbation,  j'ai  mis  par  écrit  le  vœu  ci-après  pour  icelui  être  placé  sur 
l'autel  et  être  fait  par  moi,  de  cœur,  au  moment  de  la  consécration,  pendant  la  messe  à  laquelle 
j'aurai,  s'il  plait  à  Dieu,  le  bonheur  de  communier  aujourd'hui  30  juin  1824,  fête  de  la  commémo- 
ration de  saint  Paul,  à  six  heures  du  matin. 

Teneur  du  vœu.  —  «  S'il  plaît  à  Dieu  de  me  rendre  la  plénitude  de  mes  anciennes  forces  et 
de  mon  ancienne  santé,  je  fais  le  vœu  d'entreprendre  aussitôt  et  de  continuer  jusqu'à  ma  mort, 
pour  l'extirpation  du  concubinage  et  la  célébration  des  mariages  religieux  dans  la  capitale  de  ce 
royaume,  l'exécution  des  projets  que  Dieu  sait  que  je  médite  à  celte  fin  depuis  nombre  d'années, 
sans  que  j'aie  eu,  jusqu'à  ce  jour,  le  courage  d'essayer  de  les  réaliser.  Cette  œuvre  sera  le  but  prin- 
cipal de  mes  pensées,  de  mes  travaux  et  de  mes  efforts,  je  m'y  consacrerai  tout  entier,  sous  la 
direction  de  l'autorité  ecclésiastique,  dans  les  moments  dont  mes  autres  et  plus  anciens  devoirsme 
permettront  de  disposer.  Tout  ce  qui,  dans  le  moment  actuel,  serait,  sous  ce  rapport,  considéré 
comme  inexécutable,  je  le  tenterai  de  nouveau  dans  des  temps  meilleurs.  Si  je  ne  puis  réussir  à 
fonder  pour  toujours  l'œuvre  dont  la  conception  est,  depuis  tant  d'années,  présente  à  mon  esprit, 
je  m'occuperai  sans  cesse  (pour  me  consoler  de  ce  défaut  de  succès)  de  la  réhabilitation  isolée  d'un 
certain  nombre  d'unions  illicites  par  le  moyen  du  saint  Sacrement  de  mariage.  Si  je  cesse  d'habiter 
Paris,  je  porterai  celle  œuvre  et  toutes  ses  conséquences  dans  le  lieu  de  ma  nouvelle  résidence. 

«  En  un  mot,  si  je  reviens  à  la  santé,  je  ne  vivrai  plus  que  pour  procurer,  selon  mes  faibles 
moyens,  la  gloire  de  Dieu  et  l'édification  du  prochain,  notamment  sous  le  rapport  de  l'amélioration 
des  mœ,nrs  et  de  la  cessation  des  scandales,  ainsi  qu'il  est  ci-dessus  expliqué. 

«  Plaise  à  la  divine  Bonté  m'accorder,  dans  ce   cas,  l'inlelligeoce,  la  force,  la  persévérance, 

jl'humilité  et  la  confiance  dont  j'aurai  besoin  pour  l'accomplissement  du  présent  vœu,  et  agréerque 

celle  œuvre  (placée  immédialçmeat  sous  la  protection  de  la  sainte  Vierge  et  de  saint  Joseph) 


SAINT  AURÉE,  ÉVÊQUE  DE  MAYENCE,   SAINTE  JUSTINE,   SA  SCEUR,  ETC.       10! 

reçoive  le  nom  de  Saint-François  Régis.  S'il  entre  dans  les  desseins  de  Dieu  de  rejeter  ce  vœn 
et  de  me  laisser  dans  mon  étal  de  souffrance  et  de  maladie,  ou  même  de  mettre  incessamment  un 
terme  à  mes  jours,  plaise  à  sa  miséricorde  infinie  m'accorder  surtout  l'esprit  de  patience,  de  repen- 
tir, de  mortification  et  de  résignation  qui  m'est  et  qui  me  sera  si  nécessaire  pour  saûctifler  le  reste 
de  ma  vie  et  le  redoutable  passage  de  la  vie  à  l'éternité.  —  Ainsi  soit-il. 

«  Fait  à  la  Louvesc,  le  30  juin  1824,  avant  la  messe  de  six  heures  ». 

La  santé  fut  rendue  au  pieux  magistrat,  et  il  s'occupa  dès  lors  à  mettre  son  vœu  à  exécution. 
Le  12  février  1826,  Monseigneur  l'archevêque  de  Paris  donna  son  approbation  à  l'œuvre  qui  porta 
dès  lors  le  nom  de  Saint-François  Régis.  Jusqu'à  ce  jour,  dans  la  ville  de  Paris  seule,  la  société 
de  Saint-Régis  a  rétabli  l'ordre  dans  plus  de  quinze  mille  familles.  M.  Gossin  fut  particulièrement 
secondé  dans  sa  sainte  entreprise  par  M.  P.-X.  Fougeroux,  chef  de  bureau  au  ministère  des  finances, 
qui  mourut  en  odeur  de  sainteté  en  l'année  1838.  M.  Gossin  a  écrit  la  vie  de  ce  serviteur  de  Dieu, 
et  de  plusieurs  autres  de  ses  dignes  collaborateurs  de  la  société  de  Saint-Régis  (1  vol.  in-18,  Paris, 
Gaume  frères,  1839).  Lui-même,  après  une  vie  pleine  de  travaux  et  de  mérites,  a  rendu  son  âme 
à  Dieu,  le  1«'  avril  1855,  à  l'âge  de  soixante-six  ans. 

Vie  de  saint  Jean- François  Régis,  par  lo  P.  Danbeuton,  jésuite  ;  Vies  des  Saints,  par  le  P.  Croisot; 
Oodescard  ;  Notes  locales. 


SAINT  SIMILIEN,  ÉVÊQUE  DE  NANTES  (iv»  siècle). 

Saint  Similien,  évêque  de  Nantes,  après  avoir  gouverné  son  église  avec  toute  la  vigilance  et  la 
fidélité  d'un  excellent  pasteur,  fut  enterré  par  les  chrétiens  dans  le  lieu  où  fut  depuis  bâtie  une 
église  qui  porte  son  nom,  et  qui  est,  dit-on,  située  dans  le  lieu  où  l'on  croit  qu'il  se  retira  au 
temps  de  la  persécution  de  Dioclétien,  et  où  il  construisit  un  oratoire.  Elle  subsistait  déjà  du  temps 
de  Clovis  !•».  Les  Barbares  assiégèrent  Nantes  vers  la  fin  du  iv»  siècle  ;  le  siège  avait  déjà  duré 
deux  mois,  lorsque,  selon  Grégoire  de  Tours,  les  peuples  virent  vers  minuit  des  hommes,  habillés 
de  blanc,  sortir  de  la  basilique  des  martyrs  Donatien  et  Rogatien  avec  des  cierges  allumés,  et  une 
pareille  troupe  sortir  de  la  basilique  du  grand  confesseur  l'évêque  Similin.  Ces  deux  troupes  paru- 
rent se  joindre,  se  saluer,  prier  ensemble,  et  puis  se  retirer  chacune  au  lieu  où  elle  était  d'abord 
partie.  Il  pourrait  bien  se  faire  qu'il  n'y  eût  pas  de  vision  véritable,  et  que  ce  fussent  effective- 
ment deux  processions  qui  unissaient  leurs  prières  pour  attirer  le  secours  du  ciel.  Quoi  qu'il  en 
soit,  les  Barbares  prirent  l'épouvante,  et  s'enfuirent  avec  tant  de  précipitation,  que  le  lendemain 
malin  il  n'en  demeura  pas  un  seul  au  siège.  La  même  vision  produisit  un  autre  effet  sur  celui  qui 
commandait  celte  armée  ;  il  s'appelait  Chilon,  et  n'était  pas  encore  régénéré  par  l'eau  et  le  Saiut- 
Esprit.  Touché  intérieurement,  il  se  convertit  et  reçut  le  Baptême. 

L'église  de  Saint-Similien  fut  depuis  ruinée  par  les  Normands,  qui,  plusieurs  fois,  ont  pris  et 
saccagé  la  ville  de  Nantes.  11  y  avait  dans  cette  église  un  puits,  où  ils  jetèrent  le  chef  du  saint 
évêque  ;  depuis  elle  fut  donnée  en  propre  par  l'évêque  Waltier,  aux  Chanoines  de  Nantes,  à  con- 
dition qu'ils  la  répareraient.  C'est  apparemment  à  leurs  soins  qu'on  est  redevable  de  celle  qui 
subsiste  aujourd'hui,  et  qui  a  été  considérablement  agrandie  et  embellie  en  1834. 

Dom  Loblnean,  Saints  de  Bretagne i—  Cf.  Bréviaire  de  Nantes;  S.  Orég.  de  Tonri,  De  la  gloire  des 
Martyrs,  ch.  40. 


S.  AURÉE,  ÉVÊQUE  DE  MAYENCE,  S"  JUSTINE,   SA  SOEUR, 
ET  LEURS  COMPAGNONS,   MARTYRS  (451). 

Dans  le  temps  que  les  Huns  infestaient  de  leurs  incursions  les  provinces  des  bords  du  Rhin,  et 
que,  animés  de  la  fureur  de  l'hérésie  arienne,  ils  portaient  partout  dans  les  églises  catholiques  le 
trouble  et  la  désolation,  Aurée,  évêque  de  Mayence,  très-célèbre  par  sa  sainteté  comme  par  sa 
doctrine,  fut  chassé  de  son  siège  et  exilé  de  sa  ville  épiscopale.  Sa  sœur  Justine,  vierge  consacrée 
à  Dieu,  le  suivit,  ainsi  que  quelques  autres  personnes  dévouées  à  la  foi  catholique.  Les  Barbares 
renversèrent  la  cité  et  dispersèrent  les  fidèles,  et,  lorsque  le  prélat  revint,  il  ne  trouva  plus  que 
des  ruines  à  relever.  Ce  fut  l'occupation  à  laquelle  il  consacra  les  dernières  années  de  son  épiscopat. 


i02  16  JUIN. 

Les  Ariens  ne  purent  souffrir  le  spectacle  d'une  église  catholique  qui  renaissait  à  une  vie 
nouvelle.  Ils  attaquèrent  le  prélat  comme  il  était  à  l'autel,  le  massacrèrent  avec  sa  sœur,  et  préci- 
pitèrent leurs  cadavres  dans  un  puits  voisin,  ils  restèrent  là  enfouis  sous  un  amas  de  décombres 
jusqu'au  règne  de  Charlemagne,  époque  à  laquelle  l'archevêque  de  Cologne,  Riculphe,  les  fit  porter 
au  monastère  de  Saint-Âlban,  qu'il  venait  de  construire.  Ils  y  furent  placés  avec  honneur. 

Dans  la  suite  des  temps,  leurs  tombeaux  furent  oubliés.  .Mais  il  arriva  que  les  pavés  usés  du 
monastère  furent  renouvelés;  alors,  entre  autres  corps  saints,  on  retrouva  ceux  de  saint  Aurée  et 
de  sainte  Justine.  Ils  étaient  encore  tout  couverts  de  sang,  d'une  conservation  parfaite  et  fort  beaux. 
Dieu,  en  outre,  les  honora  par  des  miracles  nombreux  et  des  guérisons  surnaturelles  de  toutes  sortes. 

Propre  de  Mayence. 


SAINT  AURÉLIEN,  ÉYÊQUE  D'ARLES  ET  CONFESSEUR  (551). 

Aurèle  ou  Aurélien  succéda  à  Auxane,  sur  le  siège  d'Arles  (546).  Il  florissait  au  temps  du  pape 
Vigile  et  de  Childebert  \",  roi  des  Francs.  Quel  homme  il  fut,  quel  rôle  important  il  joua,  quel 
zèle  il  déploya,  de  quelle  autorité  il  jouit  auprès  des  rois  et  des  évêques,  quelle  était  sa  vigueur, 
sa  vigilance,  son  amour  de  la  discipline  et  ses  autres  vertus  :  on  en  peut  facilement  juger  par  les 
lettres  des  souverains  pontifes  Vigile  et  Grégoire.  Vigile,  à  la  demande  du  roi  Childebert,  le  nomma 
vicaire  du  Saint-Siège  dans  les  Gaules  et  lui  accorda  le  Pallium.  II  assista  au  saint  concile  d'Or- 
léans, célébré  sous  le  pontificat  de  Vigile,  la  trente-huitième  année  du  règne  du  roi  Childebert,  le 
28  octobre  549. 

11  donna,  en  une  mémorable  circonstance,  une  preuve  frappante  de  son  attachement  à  la  saine 
doctrine.  L'empereur  Justinien  avait  condamné  ce  qu'on  appela  les  trois  Chapitres,  c'est-à-dire  les 
écrits  de  Théodoret  contre  saint  Cyrille,  la  lettre  d'ibas,  évèque  d'Edesse,  à  Maris  Persan,  et  les 
écrits  et  la  personne  de  Théodore  de  Mopsueste,  le  coryphée  du  nestorianisme.  Les  Eutychiens 
avaient  poursuivi  avec  ardeur  cette  condamnation  dont  ils  espéraient  tirer  de  grands  avantages,  et 
la  plupart  des  catholiques  eu  étaient  alarmés,  dans  la  crainte  qu'on  n'en  abusât  pour  donner  atteinte 
au  concile  général  de  Chalcédoine.  Cet  édit  fut  publié  en  546.  Le  pape  Vigile,  qui  s'était  rendu  à 
Constantinople  en  547,  refusa  d'abord  de  recevoir  l'édit  impérial,  mais,  séduit  ensuite  par  l'espé- 
rance de  voir  la  paix  rétablie  dans  l'Eglise,  il  condamna  lui-même  les  trois  Chapitres  avec  cette 
réserve:  «  Sauf  l'autorité  du  concile  de  Chalcédoine  ».  Celte  décipion  ne  contenta  personne,  et  des 
diacres  de  l'Eglise  de  Rome  écrivirent  à  quelques  églises  d'Occident  que  le  Pape  avait  abandonné 
le  saint  concile.  Aurélien,  ayant  reçu  une  de  leurs  lettres,  voulut  s'assurer  de  la  vérité,  et  envoya 
à  Constantinople  un  clerc  de  son  église,  nommé  Anastase,  avec  des  lettres  pour  Vigile.  Celui-ci 
répondit,  le  29  avril  550,  au  saint  évèque  d'Arles  :  «  Qu'il  n'avait  rien  admis  qui  fût  contraire, 
soit  aux  constitutions  de  ses  prédécesseurs,  soit  à  la  foi  identique  des  quatre  conciles  de  Nicée, 
de  Constantinople,  d'Ephèse  et  de  Chalcédoine,  ni  rien  qui  pût  faire  injure  soit  aux  personnes  de 
ceux  qui  avaient  souscrit  à  la  définition  de  cette  foi  sainte,  soit  aux  décrets  de  ses  prédécesseurs 
Célestin,  Xiste,  Léon  et  les  autres  ;  que  son  respect,  sa  vénération  pour  les  conciles  susdits  ne 
pouvait  être  mise  en  doute  ;  qu'il  condamnait  au  contraire  tous  ceux  qui  s'écartaient  de  la  ligne 
de  foi  de  ces  conciles,  tous  ceux  qui  la  rejetaient,  soit  partiellement,  soit  totalement. 

«  Que  Votre  Fraternité  »,  continuait  le  Pape,  «  en  qualité  de  vicaire  du  Saint-Siège,  avertisse 
tous  les  évêques  qu'ils  ne  doivent  point  se  laisser  surprendre  par  les  écrits  supposés  que  l'on 
répand,  ou  par  les  faux  bruits  qu'on  débite...  Votre  envoyé  Anastase  vous  rapportera  ce  qu'il  a  été 
en  notre  pouvoir  de  faire  pour  la  défense  du  dépôt  de  la  foi,  qui  nous  a  été  transmis  par  les  saints 
conciles  et  nos  prédécesseurs.  Lorsque  l'empereur  nous  aura  permis  de  retourner  en  Italie,  nous 
vous  enverrons  quelqu'un  pour  vous  instruire  plus  en  détail  de  ce  qui  se  sera  passé  ».  Le  Pape 
Exhorte  ensuite  Aurélien  à  prier  instamment  Childebert  de  protéger  l'Eglise  dans  la  triste  nécessité 
où  elle  se  trouvait  ;  à  écrire  au  roi  des  Goths,  Totila,  qui  venait  d'entrer  à  Rome,  de  ne  porter 
aucun  dommage  à  l'Eglise  romaine,  do  ne  rien  faire  qui  fût  de  nature  à  troubler  la  foi  catholique. 
Totila  se  laissa  lléchir  par  les  prières  d'Aurélien,  et  s'abstint  de  piller  Rome. 

Aurélien  soutint,  par  ses  talents  et  par  ses  vertus,  la  gloire  d'un  siège  illustré  par  tant  de  grands 
et  de  saints  évêques.  En  548,  il  fonda  à  Arles  un  monastère  pour  les  hommes  et  fut  secondé 
dans  cette  œuvre  par  le  roi  Childebert  qui  avait  pour  lui  la  plus  haute  estime.  Il  enrichit  l'église 
de  ce  nouveau  monastère  de  reliques  fort  précieuses  et  la  consacra  sous  le  titre  des  Apôtres  et 


MARTYROLOGES.  403 

des  martyrs.  Il  donna  aux  religieux  uue  règle  pleine  de  l'esprit  de  sagesse  et  de  mortification. 
La  même  année,  il  fonda,  dans  sa  ville  épiscopale,  un  autre  monastère  destiné  à  réunir  les  lilles 
qui  voudraient  se  consacrer  à  Dieu  dans  la  retraite.  Il  le  mit  sous  la  protection  de  la  sainte  Vierge 
et  donna,  aux  religieuses  qui  y  vivaient,  une  règle  copiée  presque  mot  à  mot  de  celle  qu'il  avait 
donnée  aux  moines. 

Quelques  écrivains  mettent  la  mort  du  saint  évoque  en  550,  d'autres  la  reculent  jusqu'en  553, 
mais  une  inscription  découverte,  en  1308,  sur  son  tombeau,  dans  l'église  de  Sainl-Nizier  de  Lyon, 
en  fixe  la  véritable  époque.  Il  y  est  dit  expressément  qu'Aurélien  mourut  dans  cette  ville  le  16  des 
calendes  de  juillet,  la  onzième  année  après  le  consulat  de  Justin,  indiction  XIV,  ce  qui  revient  au 
vendredi  16  juin  551. 

L'Eglise  d'Aix,  d'Arles  et  d'Embrun  célèbre  bous  le  rit  double,  le  17  juin,  la  fête  de  saint 
Aurélien,  évêque  et  confesseur. 

Propre  d'Aix;  —  Cf.  La  France  pontificale,  par  Flsqnet. 


XVir  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAIN, 

A  Rome,  la  fête  de  deux  cent  soixante-deux  bienheureux  Martyrs,  qui  furent  mis  à  mort  pour  la  foi 
de  Jésus-Christ,  dans  la  persécution  de  Dioctétien,  et  furent  ensevelis  sur  l'ancienne  voie  Salaria,  au 
bas  de  la  colline  du  Concombre  '.  —  A  Terracine,  saint  Montan,  soldat,  qui,  après  beaucoup  de 
tourments,  reçut   la  couronne  du  martyre,  sous   l'empereur  Adrien  et  le  consulaire  Léonce.  ii«  s. 

—  A  Vénafro,  les  saints  martyrs  Mcandre  et  Marcien,  décapités  durant  la  persécution  de  Maxi- 
mien '.  173.  —  A  Chalcédoine,  les  saints  martyrs  Manuel,  Sabel  et  Ismaël,  qui,  faisant  la  fonction 
d'ambassadeurs  du  roi  de  Perse  auprès  de  Julien  l'Apostat,  pour  traiter  de  la  paix  avec  lui,  reçu- 
rent l'ordre,  de  la  part  de  cet  empereur,  de  vénérer  les  idoles,  et  sur  le  refus  qu'ils  en  firent, 
eurent  la  tète  tranchée.  362.  —  A  Apollonie,  ville  de  Macédoine,  les  saints  martyrs  Isaure,  diacre, 
Innocent,  P^éiix,  Jéremie  et  Pérégrin,  natifs  d'Athènes,  qui  eurent  la  tête  tranchée  après  divers 
tourments,  par  arrêt  du  tribun  Triponce.  —  A  Amélia,  en  Ombrie,  saint  Himère  s,  évêque,  dont  lo 
corps  a  été  transféré  à  Crémone.  Vers  500.  —  EnBerry,  saint Gondon  ou  Gondulfe,  évêque*.  vies. 

—  A  Orléans,  saint  Avit  ou  Avy,  prêtre  et  confesseur.  530.  —  En  Phrygie,  saint  Hypace,  con- 
fesseur. 452.  —  De  plus,  saint  Bessarion,  anachorète.  v«  s.  —  A  Pise,  en  Toscane,  saint  Raynier, 
confesseur.  1160. 

1.  Les  Bollandistcs  adjoignent  k  ces  denx  cent  soixante-denx  bienheureux  Martyrs,  Qniriacus,  Blastns, 
Tribun,  Dlogfene,  Anas,  Nlcandre,  Dorostole,  Eusicins,  Aqnila,  Cantianus,  Longin  et  Jean,  prêtre. 

2.  Maxime  et  Nicandre  avaient  servi  quelque  temps  dans  les  armées  romaines.  Les  actes  nous  repré- 
«entent  Darle,  femme  de  N'icandre,  exhortant  son  mari  à  rester  fidèle  à  Je'sus-Christ  et  le  suivant  avec  son 
enfant  au  martyre.  —  La  femme  de  Marcien  donna  un  spectacle  bien  différent;  mais  le  martyr  sut  rester 
ferme.  Les  saints  Marcien,  Nicandre  et  Darie,  sont  patrons  de  Vénafro. 

3.  Saint  Himère  était  calabrais.  Il  mena  d'abord  la  vie  anachorétique  dans  une  île  déserte  ;  l'admira- 
tion qu'excita  sa  sainteté  le  fit  appeler  à  la  vie  cénobitique.  Ensuite  il  fut  élu  évêque  d'Amélia,  en 
Ombrie.  Diligent  dans  l'observation  de  la  discipline,  une  des  choses  à  quoi  il  tenait  le  plus,  c'était  de  ne 
rien  prescrire  aux  antres  qu'il  ne  se  fût  premièrement  commandé  à  lui-même.  Lorsqu'il  visitait  les  ma- 
lades, il  se  souciait  encore  plus  de  la  santé  de  leurs  âmes  que  de  celle  de  leurs  corps.  Il  mourut  avec  la 
même  piété  qu'il  avait  vécu.  Son  corps,  enseveli  d'abord  à  Amélia,  fut  transféré  solennellement  à  Cré- 
mone, vers  le  milieu  du  x*  siècle. 

4.  On  pense  que  saint  Gondulfe  avait  été  d'abord  évêque  de  Milan.  La  Nova  Bibliotheca  du  savant 
jésuite  le  l'ère  Labbe  de  Bourges  (tome  ii,  p.  316),  le  compte  parmi  les  Saints  de  son  diocèse  parce  qu'il 
y  termina  sa  vie  sous  le  froc  de  l'ermite  et  qu'il  y  fut  enseveli  dans  une  localité  il  laquelle  il  donna  son 
nom,  le  bourg  de  Saint-Gondon,  à  trois  lieues  de  Gien  (Loiret),  où  les  Bollandistcs  assurent  que  son  culte 
était  autrefois  des  plus  célèbres. 


104  17  JUIN. 


MARTYROLOGE  DE  FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTE. 

A  Arles,  Aix  et  Embrun,  saint  Aurélien,  évêque  d'Arles,  mentionné  hier.  —  Au  diocèse  da 
Nantes,  saint  Cyr  et  sainte  Julitte,  nommés  au  jour  précédent.  —  Aux  diocèses  de  Paris,  de  Laval 
et  du  Mans,  saint  Avit,  nommé  en  ce  jour  au  martyrologe  romain.  —  Au  diocèse  de  Saint-Flour, 
saint  Jean-François  Régis,  nommé  hier  au  même  martyrologe.  —  A  Châtillon-sur-Seine,  saint 
VÉRODL  ou  VoRLES  (VerolusJ,  confesseur  et  patron  de  cette  ville,  où  son  corps  fut  transféré  du 
bourg  de  Marcenay  au  diocèse  de  Langres,  dans  lequel  il  était  décédé.  591.  —  A  Bourges,  saint 
SiMPLicE,  évêque  de  cette  ville  et  confesseur,  nommé  le  14  de  ce  mois.  477.  —  Aux  diocèses  de 
Quimper  et  Léon  et  de  Rennes,  saint  Hervé,  Hoiiarné  ou  Harvian,  ermite,  qui  eut  l'âme  d'autant 
plus  éclairée  des  lumières  de  la  grâce  et  de  la  connaissance  des  choses  célestes,  que  son  corps 
était  privé  par  la  cécité  de  la  vue  du  soleil  et  de  tout  ce  qui  est  sur  la  terre.  Le  lieu  où  notre 
Saint  fut  enterré,  a  depuis  porté  son  nom  et  s'appelle  encore  aujourd'hui  Lan-Hoùarné  :  c'est  une 
église  paroissiale  de  l'ancien  diocèse  de  Léon,  entre  Landiviziau  et  Lesneven  (Finistère).  Le  précieux 
corps  y  resta  jusqu'en  878,  époque  à  laquelle,  pour  éviter  la  fureur  des  Normands,  il  fut  transféré 
à  la  chapelle  du  château  de  Brest,  où  il  resta  jusqu'en  1002.  Le  duc  Geoffroi  l"  l'ayant  alors  fait 
mettre  dans  une  châsse  d'argent,  le  donna  en  présent  à  l'évêque  de  Nantes,  qui  en  enrichit  le 
trésor  de  son  église,  où  les  précieuses  reliques  se  sont  conservées  jusqu'à  la  Révolution.  Les  ser 
ments  ordonnés  par  la  justice  se  faisaient  autrefois  sur  cette  châsse.  L'église  de  Faouet,  dans 
l'ancien  diocèse  de  Tréguier,  a  saint  Hervé  pour  patron  et  possède  une  petite  portion  de  ses  reli- 
ques. 11  y  en  a  aussi  dans  l'ancienne  cathédrale  de  Léon.  Vers  568.  —  Au  diocèse  de  Digne, 
fêle  de  saint  OcRS,  archidiacre  d'Aoste,  qui  évaugélisa  la  vallée  de  Barceloonelte  :  sa  fête,  mar- 
quée .'lu  le'  février,  est  transférée  à  ce  jour,  à  cause  de  l'encombrement  des  neiges,  vi»  s.  —  A 
Aviiiiicn,  saint  Vérédème  ou  Vrime,  évêque,  successeur  de  saint  Agricole,  et  qui  fut  tiré  de  la 
solitude  pour  remplir  ce  siégea  720. —  Au  Forêt,  près  de  Bruxelles,  sainte  Alêne,  vierge  et  mar- 
tyre, nommée  hier  2.  Vers  640.  —  Au  diocèse  de  Quimper,  saint  Herbadd,  qui  passa  sa  vie  dans 
une  profonde  solitude  de  la  Bretagne,  qu'il  illustra  par  ses  vertus  et  ses  miracles,  viii»  s.  —  A 
LHrechl,  saint  Adulfe,  évêque  et  confesseur,  dont  la  vie  était  si  admirable  que,  bien  qu'il  fût 
étranger  et  Anglais,  ou  l'éleva  néanmoins  avec  une  joie  universelle  sur  la  chaire  de  cette  église. 
vue  s,  —  Aux  Pays-Bas,  saint  Julien,  compagnon  de  saint  Landoald.  —  A  Rouen,  saint  Romain, 
évêque  de  ce  siège,  dont  le  décès  est  marqué  au  23  octobre.  Le  plus  pieux  des  pontifes  rouen- 
nais,  il  lutta  énergiquement  contre  l'idolàlrie.  C'est  à  lui  qu'on  doit  la  fermeture  et  peut-être  la 
destruction  des  autels  consacrés  à  Vénus,  à  Apollon  et  à  Mercure,  dont  on  découvrit  les  images 
dans  !e  sol  de  Rouen.  Son  plus  beau  triomphe  fut  la  démolition  du  grand  amphithéâtre  romain  de 
celte  ville,  alors  païenne.  Le  tombeau  de  notre  Saint  était  primitivement  dans  la  crypte  de  Saint- 
Godard  de  Rouen.  A  présent,  il  forme  le  maitre-autel  de  l'église  qui  lui  est  dédiée  depuis  1802. 
C'est  une  auge  de  marbre  rouge  qui  présente  tous  les  caracières  des  sépultures  mérovingiennes. 
639.  —  \  Châtillon-sur-Loire,  en  Nivernais,  saint  Pozan,  prêtre,  recommandable  par  sa  merveil- 
leuse simplicité.  —  A  Pamiers,  saint  Raymond,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  —  A  Bourges, 
saint  David,  archevêque,  ix^  s.  —  Au  diocèse  de  Reims,  le  vénérable  Foulques,  archevêque  de  ce 
siège.  Foulques,  issu  d'une  famille  très-illustre,  fut  successivement  chanoine  de  Notre-Dame  de 
Saint-Omer,  abbé  de  Saint-Bertin,  abbé  élu  de  Saint-Vaast  d'Arras,  en  851,  chanoine  et  archi- 
diacre de  Reims,  en  852.  11  fut  ordonné  évêque  sufTragant  de  Reims  en  876,  et  élu  archevêque  en 
882,  à  la  mort  d'Hincmar.  L'année  suivante,  il  reçut  le  Pallium  du  pape  Marin.  Le  10  février  892, 
il  sacra  Charles  le  Simple,  dont  il  devint  le  chancelier  et  le  ministre.  Foulques  fit  don  à  l'Egliic 
de  plusieurs  domaines,  restaura  les  écoles,  entoura  la  ville  de  murs  en  896  ;  il  fut  assassiné  par 

1.  Saint  Vérédème,  grec  de  nation,  résolut  dès  sa  jeunesse  de  mener  la  vie  érémitique.  La  colère  do 
•on  père  l'obligea  de  fuir  en  Ganle.  Il  y  vivait.  Jeûnant  et  priant,  dans  un  petit  réduit  situé  pi-ès  du 
confluant  de  la  Durance,  ou,  selon  d'autres,  dans  une  grotte,  près  du  Gardon,  lorsque  saint  Gilles,  qu'ani- 
mait la  même  ferveur  cénobitique,  et  qui  d'Athènes  était  allé  à  Arles,  vint  le  trouver,  passa  quelques 
années  avec  lui,  opérant  l'un  et  l'autre  uu  grand  nombre  de  miracles,  et  attirant  auprès  d'eux  une  grande 
afflucnce  de  personnes  pieuses.  Gilles  quitta  ensuite  notre  Saint  et  chercha  plus  loin  une  solitude  plu» 
profonde.  Quant  à  Vérédème,  sa  renommée  se  répandit  dans  tout  le  pays,  au  point  que  le  bienheureux 
Agricole,  en  mourant,  le  désigna  pour  son  successeur  à  l'évêché  d'Avignon  (700).  Elevé  malgré  lui  à  la 
dignité  épiscopale,  sa  sainteté  brilla  encore  d'un  nouveau  lustre.  Pendant  vingt  ans,  il  illustra  ce  siégo 
par  sa  prudence  et  sa  piété,  et  continua,  dans  ce  poste  élevé,  ses  habitudes  d'anachorète.  Il  mourut  la 
17  Juin  720  ou  722. 

Ses  précieuses  reliques,  déposées  d'abord  dans  l'église  de  Saint-Agricole,  furent  transférées  dans  la 
mite  par  le  pape  Jean  XII  dans  l'église  cathédrale  de  Notre-Dame  des  Dons,  où  elles  étaient  exposées 
sur  le  maître-autel,  enfermées  dans  un  buste  d'argent.  Elles  ont  été  dispersées  par  les  impies  pendant 
la  Kévointion  française. 

On  honorait  autrefois  notre  Saint  à  Saint-PauKTrois-Châteaux,  à  Cavalllon,  à  Arles,  à  Apt,  k  Car- 
pentras,  etc.  —  Propre  d'Avignon. 

2.  Voir  le  16  Juin. 


MARTYROLOGES.  105 

Wincmare,  à  l'instigation  de  Baudouin,  couite  de  Flandre,  le  17  juin  901.  H  fut  enterré  dans 
l'église  de  Sainl-Remi,  de  Reims.  —  Au  même  diocèse,  saint  Rigobcrt,  archevêque  de  ce  siège  et 
confesseur.  —  A  Aix,  la  fête  de  saint  Aurélien,  dont  le  décès  est  mnrqué  le  16  de  ce  mois  ^  — 
A  Sens,  la  fôte  de  saint  Agrice,  dont  le  décès  est  marqué  le  13  de  ce  mois  2.  —  A  Bayeux,  la  fête 
de  saint  Ursin,  dont  la  translation  des  reliques  est  indiquée  au  9  novembre  et  le  décès  marqué  au 
29  décembre  ^.  —  Encore  à  Bayeux,  la  fête  de  saint  Imcre,  mentionné  au  martyrologe  de  ce  jour. 
—  Au  diocèse  d'Arras,  le  vénérable  Lambert  do  Guines ,  évèque  de  ce  siège.  1115.  —  A  Bru- 
xelles, sainte  Marie  surnommée  la  douloureuse.  1294.  —  A  Sarlat,  au  diocèse  de  Périgueux, 
s:iint  Avit,  solitaire,  distinct  de  l'abbé  de  Micy,  fêté  ce  même  jour.  Il  servait  dans  les  armées  d'Alaric, 
lorsqu'il  fut  fait  prisonnier  à  la  bataille  de  Vouillé  (Voulon)  par  les  soldats  de  Clovis.  Ayant  payé 
sa  rançon,  il  prit  l'habit  monastique  dans  le  Poitou,  mena  ensuite  la  vie  érémitique  à  Mauroy, 
puisa  Ruffec,  en  Périgord,  où  il  mourut  vers  l'an  518.  —  A  Neuffontaines,  au  diocèse  d'Autun, 
Adelon,  curé  de  cette  paroisse,  et  victime  de  la  Révolution  de  1793.  Il  mourut  à  l'hôpital  Saint- 
Louis.  i794r 

MARTYROLOGES   DES   ORDRES  RELIGIEUX» 

Martyrologe  des  Camaldules.  —  Saint  Léon  III,  pape. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  Saint  Jean  de  Saint-Facond. 

Martyrologe  des  Hiéronymites.  —  A  Venise,  le  bienheureux  Pierre  Gambacorla  de  Pisc, 
qui,  après  avoir  fondé  notre  Congrégation  sous  le  nom  de  Saint-Jérôme,  et  selon  la  Règle  de  Saint- 
Augustin,  mena  la  vie  solitaire  pendant  environ  cinquante-cinq  ans  au  Mont-Cessano,  près  d'Urbin, 
jusqu'à  ce  que,  comblé  de  mérites,  il  s'endormit  dans  le  Seigneur,  le  18  mai.  Il  fut  béatifié  par  les 
Bouverains  Pontifes,  et  nous  avons  obtenu  la  permission  de  célébrer  sa  fête  avec  messe  et  office. 

Martyrologe  des  Théatins.  —  Le  bienheureux  Paul  d'Arezzo.  1578. 

ADDITIONS  FAITES  D* APRÈS  LES  BOLLAISDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES.      ^ 

Au  diocèse  de  Naples,  le  bienheureux  Paul  Bural,  évêque  de  ce  siège.  —  A  Brescia,  en  Italie, 
«ainte  Digna-Merita  et  ses  deux  enfants,  martyrs,  à  une  époque  incertaine.  —  En  Egypte,  saint 
Joseph  et  saint  Prior  ou  PiOR,  anachorètes,  iv»  s.  —  A  Côme,  en  Italie,  saint  Agrippin,  évêque.  Vers 
l'an  586.  —  En  Angleterre,  avec  saint  Adulphe,  mentionné  ci-dessus,  saint  Botulplie,  abbé,  soa 
compagnon.  Peu  de  Saints  ont  été  honorés  en  Angleterre  avec  plus  de  dévotion.  Quatre  églises 
de  Londres  lui  sont  encore  dédiées.  Différents  lieux  portent  aussi  son  nom,  tels  que  le  bourg  de 
Botulphe,  aujourd'hui  Boston,  dans  le  comté  de  Lincoln,  le  pont  de  Botulphe,  aujourd'hui  liotlle- 
bridge,  dans  le  comté  de  Huntingdon.  L'abbaye  de  Thorney,  dont  l'abbé  avait  droit  de  siéger  au 
Parlement,  fut  fondée  en  l'honneur  de  Notre-Dame  et  de  saint  Botulphe,  et  c'est  là  que  son  corps 
fut  enterré,  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'autres  Saints  et  Saintes  anglo-saxons.  655.  —  En  Irlande, 
saint  Molingue  ou  Dayrgelle,  évêque  de  Fearnes.  vus  s.  —  A  Ratisbonne,  en  Bavière,  saint  Ramuold, 
abbé  de  Saint-Emméran  de  cette  ville.  Comme  tous  les  Saints,  Ramuold  rencontra  plus  d'une 
épreuve  dans  la  vie.  Privé  de  l'usage  de  ses  yeux  pendant  deux  ans,  tombé  dans  la  disgrâce  de 
l'empereur,  il  supporta  ce  double  malheur  avec  une  résignation  angélique.  An  1001.  —  En  Bavière 
également,  la  bienheureuse  Euphémie,  abbesse  du  monastère  de  Saint-Alton,  entre  Munich  et  Augs- 
bourg  :  elle  était  sœur  de  Mechlilde  de  Diessen.  An  1180.  —  En  Portugal,  les  saintes  Taraise, 
veuve,  et  Sanche  ou  Sancie,  vierge,  toutes  deux  filles  du  roi  Sanche,  et  religieuses  de  l'Ordre  de 
Citeaux.  1230  et  1250. 

1.  Voir  le  jour  précédent.  —  2.  Voir  ce  joof, 
t.  Nous  donnons  sa  vie  au  9  novemine. 


106  il  "JiN. 

SAINT  PEIOR,  ERMITE  DE  NITRIB 

Fin  du  iv»  siècle. 

Melius  est  habitare  in  extrema  solitudine  quant  inter 
hominum  scelera  commorari. 

Mieux  Taut  habiter  le  fond  d'an   désert  que  de  de- 
meurer au  mineu  des  crimes  des  hommes. 

S.  Hier.,  lib.  ii  sup.  Jerem.,  c.  9. 

Prior,  originaire  d'Egypte,  fut  un  des  premiers  disciples  de  saint  An- 
toine. Il  quitta,  étant  encore  fort  jeune,  la  maison  de  ses  parents,  et  pro- 
mit à  Dieu,  dans  le  mouvement  de  sa  ferveur,  de  ne  plus  les  revoir  des 
yeux  du  corps,  tant  était  ferme  la  résolution  qu'il  avait  prise  de  renoncer 
parfaitement  au  monde.  Il  alla  se  mettre  sous  la  conduite  de  saint  Antoine, 
et  il  fit  de  si  rapides  progrès  dans  la  perfection,  qu'en  peu  d'années  il  fut  en 
état  de  vivre  seul  dans  le  désert.  Ayant  communiqué  à  son  père  spirituel  le 
désir  qu'il  se  sentait  pour  la  vie  érémitique,  Antoine  l'approuva  et  lui  dit  ; 
«  Allez,  Prior,  demeurez  où  vous  voudrez.  Vous  reviendrez  me  voir  lors- 
qu'il s'en  présentera  une  occasion  raisonnable  ».  Il  avait  alors  vingt-cinq 
ans. 

II  fixa  sa  demeure  dans  le  désert  de  Nitrie,  du  côté  de  celui  de  Scété.  Sa 
vertu  était  principalement  fondée  sur  la  mortification,  l'humilité,  le  déta- 
chement du  monde  et  de  lui-même.  Il  ne  mangeait  ordinairement  par  jour 
qu'une  demi-livre  de  pain  et  quelques  olives,  encore  marchait-il  en  prenant 
ce  peu  de  nourriture.  Quelqu'un  lui  en  ayant  demandé  la  raison,  il  répon- 
dit ;  «  J'agis  de  la  sorte,  parce  que  le  manger  n'est  pas  une  action  à  laquelle 
on  doive  s'appliquer,  ainsi  je  la  fais  comme  une  chose  passagère.  Je  neveux 
pas  non  plus  que  mon  âme  éprouve  de  satisfaction  sensuelle  lorsque  je 
mange  ».  Voici  un  exemple  de  son  détachement  des  choses  de  la  terre.  Il 
avait  été  faire  la  moisson  chez  un  laboureur,  et  en  cela  il  imitait  d'autres 
solitaires  qui,  par  là,  voulaient  gagner  leur  vie  à  la  sueur  de  leur  front.  La 
moisson  finie,  le  laboureur  remit  à  un  autre  temps  à  lui  payer  son  salaire. 
Prior,  sans  insister,  retourna  à  sa  cellule.  L'année  suivante,  il  revint  tra- 
vailler chez  le  même  laboureur.  Celui-ci  le  renvoya  encore  sans  lui  rien 
donner,  et  en  fit  autant  l'année  d'après.  Prior  ne  témoigna  aucune  impa- 
tience et  ne  diminua  rien  de  son  ardeur  pour  le  travail.  Sa  conduite  toucha 
le  laboureur,  qui,  à  la  fin,  résolut  de  s'acquitter.  L'ayant  cherché  dans  plu- 
sieurs monastères,  il  le  trouva  avec  beaucoup  de  peine.  Lorsqu'il  l'aperçut, 
il  se  jeta  à  ses  pieds,  lui  demanda  pardon  et  lui  offrit  ce  qu'il  lui  devait. 
Prior  allégua  d'abord  diverses  raisons  pour  ne  pas  l'accepter,  puis  il  lui  dit 
de  le  porter  au  prêtre. 

Nous  avons  observé  que  Prior,  en  quittant  le  monde,  avait  résolu  de  ne 
plus  revoir  ses  proches.  Il  y  avait  environ  cinquante  ans  qu'il  était  sorti  de 
sa  patrie,  lorsque  sa  sœur,  devenue  veuve,  apprit  qu'il  vivait  encore.  Elle 
obtint  de  l'évêque  qu'il  écrivît  aux  supérieurs  des  monastères,  afin  qu'ils 
ordonnassent  à  son  frère  de  venir  lui  rendre  une  visite  pour  la  con- 
soler. Là-dessus  saint  Antoine  l'envoya  chercher,  puis,  après  l'avoir  instruit 
de  l'intention  de  l'évêque,  lui  commanda  d'aller  procurer  à  sa  sœur  la  con- 


SAINT  AVrr  ou  AVY,   ABBÉ  DE  MICY.  107 

solalion  qu'elle  demandait.  Prior,  prenant  un  des  frères  avec  lui,  partit  san'^ 
aucun  délai.  Lorsque  sa  sœur  eut  ouvert  la  porte,  il  lui  parla  les  yeux  fer- 
més et  ne  voulut  point  entrer  dans  la  maison  ;  il  fit  ensuite  sa  prière  et  re- 
tourna dans  sa  solitude. 

Le  lieu  qu'il  habitait  était  un  des  plus  affreux  de  l'Egypte  ;  il  n'y  avait 
d'autre  eau  que  celle  d'un  puits  creusé  de  ses  propres  mains  :  celte  eau, 
d'ailleurs,  était  si  amère  et  si  salée  que  personne  ne  pouvait  en  boire  ;  en 
sorte  que  ceux  qui  venaient  le  voir  étaient  obligés  d'en  apporter  pour 
leur  usage. 

Quoique  dur  envers  lui-même,  il  était  plein  de  douceur  pour  les  autres, 
sans  en  excepter  ceux  qui  tombaient  dans  de  grandes  fautes.  Se  trouvant  à 
une  assemblée  qui  se  tenait  à  Scété,  les  solitaires,  après  le  sacrifice,  se 
mirent  à  conférer  ensemble.  Quelques-uns  parlèrent  d'une  faute  commise 
par  un  frère  qui  était  absent.  Prior  gardait  le  silence  ;  mais,  voyant  à  la  fin 
qu'on  blessait  la  charité,  il  sortit  de  l'assemblée,  prit  un  sac  qu'il  remplit  de 
sable,  et  le  mit  sur  ses  épaules  derrière  son  dos  ;  il  prit  ensuite  un  petit  pa- 
nier, qu'il  remplit  aussi  de  sable,  et  le  porta  devant  lui.  Les  autres  lui  ayant 
demandé  quel  était  son  dessein,  il  leur  fit  cette  réponse  :  «  Ce  sac  rempli 
de  sable  représente  mes  péchés,  qui  sont  en  grand  nombre  ;  c'est  pour  cela 
que  je  les  ai  mis  derrière  mon  dos  pour  ne  les  pas  voir  et  pour  m'épargner 
un  sujet  de  confusion  et  de  larmes.  Ce  panier  que  je  porte  devant  moi,  et 
qui  ne  contient  qu'un  peu  de  sable,  représente  les  péchés  de  ce  frère  que 
j'ose  considérer  pour  le  juger  et  le  condamner.  Il  vaudrait  bien  mieux  que 
je  misse  mes  péchés  devant  moi  pour  y  penser  sans  cesse  et  pour  prier  Dieu 
de  me  les  pardonner  ».  Tous  les  solitaires  furent  touchés  de  ce  discours  et 
convinrent  que  c'était  le  chemin  par  lequel  on  devait  parvenir  au  salut*. 

On  lit  dans  Pallade  ^  que  saint  Prior  fut  favorisé  du  don  des  miracles.  Il 
mourut  à  la  fin  du  iv°  siècle,  âgé  d'environ  cent  ans.  Il  est  honoré  par  les 
Grecs  le  17  juin. 

Acia  Sanctorum,  17  junii  ;  —  Cf.  Vies  des  Pires  du  désert,  parle  P.  Michel-Ange  Marin  ;  Godescard,  etc. 


SAINT  AYIT  OU  AYY, 

TROISIÈME  ABBÉ  DE  MIGY  OU  SAINT-MESMIN,  PRÈS  D'ORLÉANS 
530.  —  Pape  :  Boniface  II.  —  Roi  de  France  :  Childebert  I»'. 


Vita  socialis  necessaria  est  ad  exercihtm  perfectîonis, 

solitudo  autem  perfectis  competit. 
La  vie  en  communauté  est  utile  pour   former  à  la 
'  perfection  ;   mais   la   solitude   ne    convient  qu'aux 

parfaits.  Thomas  à  Kempis. 

Puisque  Dieu  a  fait  le  riche  et  le  pauvre,  et  que  l'un  et  l'autre  sont  éga- 
lement l'ouvrage  de  ses  mains,  il  n'est  pas  plus  avantageux  devant  sa 
majesté  d'être  né  d'une  princesse  que  d'avoir  une  paysanne  ou  une  men- 
diante pour  mère.  Celle  du  Saint  dont  nous  écrivons  la  vie,  étant  encore  fille, 

1.  Rosweide,  1.  5,  lib.  ix,  n.  9.  —  2.  Ap.  Rosweide,  1.  viii,  c.  88,  et  Ammon,  Tabennas,  ep.  ad  Bolland. 
ad  14  maii,  in  Vit.  sancH  Pachomii,  n.  21. 


108  17  JUIN. 

fut  contrainte,  par  l'extrême  pauvreté  de  ses  parents,  de  quitter  la  ville  de 
Verdun,  dont  elle  était  native,  pour  chercher  ailleurs  de  quoi  subsister.  La 
Providence  divine  la  conduisit  à  Orléans,  où,  après  quelque  temps  de  séjour, 
elle  épousa  un  laboureur  du  pays  de  la  Beauce.  Comme  ce  mariage  se  fit 
dans  la  crainte  de  Dieu,  il  porta  bientôt  après  un  fruit  de  sa  bénédiction. 
Lorsque  la  mère  de  saint  Avit  le  mit  au  monde,  sa  chambre,  toute  pauvre 
qu'elle  était,  fut  remplie  d'une  lumière  céleste,  comme  une  autre  étable 
de  Bethléem.  C'était  une  marque  sensible  de  la  bienveillance  de  Dieu  sur 
cet  enfant,  et  du  haut  degré  de  sainteté  où  il  s'élèverait  dans  la  suite  du 

temps. 

Après  une  éducation  toute  sainte,  il  se  fit  religieux  en  l'abbaye  de  Micy, 
qui,  depuis,  a  été  appelée  de  Saint-Mesmin,  à  cause  de  saint  Mesmin  ou 
Maximin,  son  principal  fondateur  et  son  second  abbé,  au  diocèse  d'Orléans. 
Sa  bonté  et  sa  simplicité  étaient  si  i^randes,  qu'il  obéissait  sans  résistance  à 
tous  les  autres  religieux  :  ce  qui  faisait  que  quelques-uns  d'entre  eux  le 
traitaient  d'idiot  et  de  stupide  ;  mais  le  saint  abbé  Maximin,  qui  lui  avaiV 
donné  l'habit,  pénétrant  mieux  que  les  autres  dans  les  excellentes  disposi- 
tions de  son  âme,  admirait  surtout  sa  grande  charité  pour  les  pauvres,  qui 
faisait  qu'il  se  dépouillait  pour  les  revêtir,  et  qu'il  se  privait  tous  les  jours 
d'une  grande  partie  de  sa  portion  pour  les  nourrir  ;  il  lui  donna  une  cellule 
à  part,  et  lui  permit,  selon  la  coutume  de  ce  temps-là,  d'y  vivre  solitaire, 
pour  y  exercer  en  secret  les  austérités  que  l'esprit  de  Dieu  lui  inspirerait, 
sans  pouvoir  être  taxé  de  singularité  ni  de  vaine  gloire.  Quelque  temps 
après,  les  religieux  ne  pouvant  plus  douter  de  la  solidité  de  sa  vertu,  sup- 
plièrent l'abbé  de  lui  donner  l'office  de  eellérier  du  monastère  ;  il  le  fit,  et 
notre  Saint  accepta  cet  emploi  par  la  seule  inclination  de  l'obéissance, 
regrettant  d'ailleurs  d'être  arraché  de  sa  chère  retraite,  où  il  goûtait,  avec 
une  heureuse  plénitude,  les  délices  sacrées  de  la  contemplation.  Mais, 
comme  ceux  mômes  qui  lui  avaient  procuré  cet  office  lui  firent  plusieurs 
insultes,  et  n'étaient  guère  contents  de  la  régularité  avec  laquelle  il  s'en 
acquittait,  il  forma  le  dessein,  par  un  mouvement  particulier  du  Saint- 
Esprit,  de  s'enfuir  secrètement  et  d'aller  vivre  seul  dans  un  désert. 

Ainsi,  ayant  mis  toutes  les  clefs  de  son  office  dans  le  lit  de  son  abbé 
pendant  qu'il  était  endormi,  il  se  retira  la  nuit  dans  une  forêt  fort  épaisse 
du  pays  de  Sologne,  éloignée  de  cinq  lieues  de  son  monastère.  Là,  s'étant 
fait  une  pauvre  cellule  avec  des  branches  d'arbre,  il  commença  à  vivre  dans 
un  dégagement  si  parfait  de  toutes  les  choses  du  monde,  et  une  si  grande 
élévation  d'esprit  en  Dieu,  qu'il  n'était  plus  que  de  corps  sur  la  terre.  Saint 
Maximin,  homme  très-éclairé  dans  les  voies  de  l'esprit,  vit  bien  que  sa 
sortie  ne  venait  pas  de  légèreté  ni  d'impatience,  mais  de  l'inspiration  de 
cette  souveraine  Sagesse  qui  dispense  les  hommes,  quand  il  lui  plaît,  des 
conduites  ordinaires,  et  les  mène  par  des  voies  dont  il  ne  nous  est  pas  per- 
mis de  juger.  Il  le  laissa  donc  en  repos  dans  le  lieu  de  sa  retraite,  d'autant 
plus  agréable  au  Saint,  qu'elle  était  plus  destituée  de  toutes  les  choses  qui 
sont  nécessaires  à  la  vie,  et  qu'il  n'y  pouvait  avoir  pour  nourriture  que  les 
feuilles,  les  racines  et  les  fruits  sauvages  qui  croissent  d'eux-mêmes  dans 
les  forêts. 

Peu  de  temps  après,  le  môme  saint  Maximin  mourut,  et  il  se  fit  un  si 
grand  changement  dans  les  sentiments  et  les  inclinations  des  religieux  de 
Micy,  qu'ils  élurent  unanimement  saint  Avit  pour  leur  abbé.  Ils  l'allèrent 
donc  chercher  dans  son  désert,  et,  l'ayant  trouvé,  l'emmenèrent  par  force 
avec  eux,  et  l'obligèrent  de  recevoir  la  bénédiction  et  l'investiture  des 


SAINT  AVIT  OU  AVY,   ABBÉ  DE  MICY.  109 

mains  de  Léonce,  évoque  d'Orléans.  Cette  nouvelle  dignité  fut  pour  lui  une 
source  de  gémissements  et  de  larmes  ;  il  pleurait  continuellement  de  n'être 
plus  dans  un  état  où  l'oubli  des  créatures  lui  donnait  le  moyen  de  jouir  des 
délices  du  ciel  et  de  goûter  parfaitement  Dieu  au  fond  de  son  cœur.  Cepen- 
dant, il  ne  laissa  pas  de  s'appliquer  avec  grand  soin  à  toutes  les  fonctions 
de  sa  charge  et  de  travailler  avec  un  grand  courage  en  son  monastère  à  ré- 
primer les  vices  naissants,  à  augmenter  le  règne  de  la  vertu,  et  à  maintenir 
l'observance  et  la  discipline  régulières.  Mais  comme  il  vit  que,  malgré 
toutes  ses  remontrances,  le  relâchement  se  glissait  parmi  ses  religieux,  il 
médita  une  seconde  fuite,  et  se  retira  dans  un  autre  désert  extrêmement 
affreux  du  comté  du  Perche  et  du  diocèse  de  Chartres.  Ce  lieu  était  si  éloi- 
gné de  tous  les  villages,  qu'il  y  demeura  longtemps  inconnu  sans  avoir 
d'autre  aliment  que  les  pommes  et  les  autres  fruits  qui  naissent  naturelle- 
ment dans  les  bois.  Mais  il  y  passait  joyeusement  les  jours  et  les  nuits  avec 
un  saint  religieux,  qui  l'avait  accompagné  dans  cet  exil  volontaire  ',  à 
chanter  les  louanges  de  Dieu,  à  contempler  les  mystères  de  sa  divinité  et  de 
son  incarnation,  et  à  le  remercier  des  œuvres  de  sa  miséricorde. 

Cependant  la  Providence  divine,  qui  en  voulait  tirer  plus  de  gloire,  le 
découvrit  enGn  par  un  événement  miraculeux.  Comme  la  forêt  où  il  avait 
bâti  son  ermitage,  était  fort  abondante  en  glands,  deux  porchers,  dont  l'un 
était  muet,  y  amenèrent  leurs  troupeaux,  selon  la  coutume,  pour  y  paître 
quelque  temps.  Un  soir,  qu'ils  avaient  allumé  leurs  flambeaux  pour  se  con- 
duire dans  les  ténèbres  de  la  nuit,  il  survint  une  si  grande  tempête  et  un 
orage  si  furieux,  qu'il  éteignit  ces  flambeaux  et  fit  fuir  les  animaux  de  côté 
et  d'autre,  sans  qu'il  leur  fût  possible  de  les  arrêter.  Ils  furent  obligés  de  se 
séparer  l'un  de  l'autre  pour  les  rassembler,  et  l'un  d'eux,  qui  était  le  muet, 
entra  si  avant  dans  le  bois,  qu'il  ne  savait  plus  ni  où  il  était  ni  par  où  il  en 
pouvait  sortir.  Dans  cette  inquiétude,  jetant  les  yeux  de  tous  côtés,  il  aper- 
çut de  loin  une  lumière,  au  lieu  où  était  la  cellule  du  Saint  :  ce  fut  pour  lui 
un  grand  sujet  de  joie;  mais,  y  étant  accouru,  il  y  trouva  plus  de  secours 
qu'il  n'eût  osé  espérer  :  car  le  serviteur  de  Dieu,  non-seuleiiient  ralluma 
son  flambeau  et  lui  montra  son  chemin,  mais  ayant  aussi  fait  le  signe  de  la 
croix  sur  sa  bouche,  il  lui  rendit  l'usage  de  la  parole,  qu'il  avait  perdue  de- 
puis longtemps.  Ce  miracle,  que  ce  pauvre  homme,  malgré  la  défense  du 
Saint,  ne  put  s'empêcher  de  divulguer,  le  fit  connaître  dans  tout  le  pays. 
On  vint  le  visiter  en  foule,  on  lui  amena  toutes  sortes  de  malades  pour  être 
guéris  par  l'imposition  de  ses  mains,  et  le  nombre  de  ceux  qui  vinrent 
implorer  sou  secours  fut  si  grand,  que  son  désert  fut  changé,  pour  ainsi 
dire,  en  une  ville. 

Comme,  parmi  ceux  qui  s'adressaient  à  lui,  il  y  en  eut  plusieurs  qui 
souhaitèrent  de  se  mettre  sous  sa  conduite,  il  fut  obligé  de  bâtir  un  monas- 
tère qu'il  gouverna  avec  tant  de  prudence  et  de  sainteté,  que  l'on  y  a  vu 
longtemps  fleurir,  avec  beaucoup  d'éclat,  la  discipline  régulière  de  cette 
manière  de  vivre  tout  angélique,  dont  le  grand  saint  Antoine  a  donné 
l'exemple  et  les  règles.  Ce  monastère  fut  depuis  appelé  la  Celle  de  saint  Avit. 
Quelque  affection  qu'il  eût  pour  la  solitude,  la  charité  néanmoins  le  tira 
quelquefois  de  son  désert  pour  venir  à  Orléans.  Ce  fut  en  l'un  de  ses  voyages 
qu'un  nombre  infini  de  malades,  d'estropiés  et  de  misérables  étant  sortis  au- 
devant  de  lui  pour  être  soulagés  par  son  attouchement,  il  guérit,  entre 
autres,  un  enfant  qui  était  aveugle  de  naissance  :  ce  que  l'auteur  de  sa  vie 

1.  Ce  religieux  était  Lœtas,  que  nous  appelons  maintenant  saint  Lié,  attiré  du  diocèse  de  Bourges  par 
U  réputation  d'Avit. 


1{Q  17   JUIN. 

dit  avoir  appris  de  la  bouche  même  de  l'aveugle  qui  avait  été  guéri.  Il  eut 
aussi  tant  de  pouvoir  sur  l'esprit  des  magistrats  de  cette  ville,  qu'à  sa  prière, 
ils  en  ouvrirent  les  prisons  et  donnèrent  la  liberté  à  tous  ceux  qui  étaient 
dans  les  fers.  En  un  autre  voyage,  il  exhorta  le  roi  Clodomir,  fils  du  grand 
Clovis,  qui  avait  l'Orléanais  dans  son  partage,  de  traiter  avec  douceur  Sigis- 
mond,  roi  de  Bourgogne,  sa  femme  et  ses  enfants,  qu'il  avait  faits  prison- 
niers de  guerre.  Comme  il  le  vit  résolu  à  les  faire  mourir,  il  lui  déclara  que, 
s'il  en  usait  envers  eux  d'une  manière  si  cruelle,  il  périrait  lui-môme  mal- 
heureusement, et  serait  tué  dans  la  première  bataille  qu'il  donnerait  :  ce 
qui  arriva  effectivement,  comme  nous  l'avons  dit,  dans  la  vie  du  même  saint 
Sigismond,  au  premier  jour  de  mai. 

C'était  la  coutume  de  saint  Avit  de  faire,  de  temps  en  temps,  des 
retraites  dans  le  plus  épais  de  la  forêt  où  était  son  monastère,  ou  en  quel- 
que autre  lieu  plus  éloigné,  pour  s'y  appliquer  avec  plus  de  tranquillité  à 
l'oraison.  Un  jour  qu'il  s'était  écarté  fort  loin,  le  religieux  qui  l'avait  suivi 
lorsqu'il  s'enfuit  de  l'abbaye  de  Saint-Mesmin,  mourut  ;  et,  en  mourant,  il 
pria  ses  confrères  de  ne  le  point  enterrer  avant  que  le  saint  abbé  fût  de  re- 
tour. On  l'alla  avertir  promptement  de  cette  mort  ;  il  revint  sur  ses  pas,  fort 
triste  d'avoir  perdu  un  si  saint  religieux,  et  le  trouva  déjà  exposé  au  milieu 
de  l'église.  Ce  spectacle  ne  le  découragea  point  :  il  se  mit  en  prières,  se 
prosterna  humblement  le  visage  contre  terre,  arrosa  longtemps  le  pavé 
de  ses  larmes,  et  sentit  enfin  que  Dieu  lui  avait  accordé  la  vie  de  ce  cher 
disciple  ;  il  se  leva,  et  lui  commanda,  au  nom  de  Dieu,  le  Père  tout-puis- 
sant, de  ressusciter.  Le  mort,  ne  pouvant  résister  à  la  force  de  ce  nom, 
obéit  aussitôt,  et,  donnant  la  main  à  son  bienheureux  Père,  il  descendit  de 
son  cercueil  et  se  mit  avec  ses  confrères  à  chanter  les  miséricordes  infinies 
de  Notre-Seigneur.  Ce  miracle  devint  fort  célèbre,  et  saint  Lubin,  évêque 
de  Chartres,  assura  son  peuple,  dans  l'un  de  ses  sermons,  qu'il  l'avait  appris 
du  religieux  même  qui  avait  été  ressuscité. 

Enfin,  il  plut  à  Dieu  de  terminer  les  travaux  de  saint  Avit  par  une  heu- 
reuse mort,  qui  le  mit  dans  la  jouissance  de  ce  qu'il  souhaitait  uniquement. 
Elle  arriva  le  17  juin  de  l'année  S30  ou  environ.  Il  y  eut  grande  discussion 
entre  les  habitants  d'Orléans  et  ceux  de  Châteaudun,  pour  la  possession  de 
son  corps  ;  ceux-ci  disaient  qu'il  leur  appartenait,  puisqu'il  était  mort  dans 
leur  voisinage,  et  qu'il  y  avait  demeuré  depuis  sa  sortie  de  Micy  ;  les  Orléa- 
nais, au  contraire,  prétendaient  qu'il  était  à  eux,  puisque  sa  première 
maison  et  le  lieu  de  sa  profession  était  l'abbaye  de  Micy.  Mais  cette  contes- 
tation fut  terminée  au  contentement  des  uns  et  des  autres,  comme  lui- 
même  l'avait  prédit  :  car  les  Orléanais  eurent  la  plus  grande  partie  de  cette 
sainte  dépouille,  et  ceux  de  Châteaudun  obtinrent  un  membre  considérable. 
Ainsi,  il  fut  transporté  avec  beaucoup  de  solennité  à  Orléans,  et  déposé  dans 
l'église  de  Saint-Georges,  à  cent  pas  des  portes  de  la  ville.  Depuis,  le  roi 
Childebert,  étant  revenu  d'Espagne  chargé  de  gloire  et  de  dépouilles,  fît 
bâtir  un  temple  magnifique  sur  ce  tombeau,  reconnaissant  qu'il  devait 
l'heureux  succès  de  ses  voyages  aux  mérites  de  saint  Avit.  Cette  église  fut 
démolie  en  1710  pour  étendre  les  constructions  du  séminaire.  Les  Ghâteau- 
dunois,  de  leur  côté,  édifièrent  aussi  une  église  pour  y  placer,  avec  honneur, 
la  relique  qu'ils  avaient  obtenue,  selon  la  promesse  qu'ils  en  avaient  faite 
au  Saint  avant  sa  mort.  Au  rapport  de  saint  Grégoire  de  Tours,  un  vigneron 
ayant  répondu  à  quelques  personnes  qui  le  reprenaient  de  ce  qu'il  osait  tra- 
vailler ce  jour-là  :  «  Qu'Avit  avait  été  un  pauvre  jeune  homme  comme  lui,  et 
que  son  père  et  sa  mère  avaient  été  obligés,  aussi  bien  que  lui,  de  gagner 


SAINT   OURS,    AUCniDIACRE   d'AOSTE.  Hi 

leur  vie  à  la  sueur  de  leur  front  »,  la  tête  lui  tourna  à  l'heure  même  sur  les 
épaules,  et  il  fut  obligé  de  venir  en  cet  état  dans  l'église  du  Saint,  oh  une 
foule  immense  était  assemblée,  pour  lui  demander  pardon,  et  implorer  son 
assistance  :  ce  qui  lui  fit  obtenir  sa  guérison  '. 

Le  martyrologe  romain  et  les  autres  martyrologes  font  mention  de 
saint  Avit.  Il  est  honoré  à  Orléans,  à  Paris  et  dans  d'autres  lieux. 

On  le  représente  ressuscitant  un  de  ses  moines  qui,  comme  il  était  sur  le 
point  de  mourir  durant  l'absence  de  l'abbé,  avait  demandé  à  ne  pas  être 
enterré  avant  que  le  Saint  eût  prié  sur  son  corps. 

Nous  avons  sa  Vie  dans  Siirius,  composée  par  un  auteur  qui  était  presque  de  son  temps.  De  la  Sans- 
saye,  doyen  d'Orléans,  eu  parle  aussi  fort  honorablement  au  livre  m  des  Antiquités  de  cette  Eglise.  On 
trouvera  dans  les  Notes  de  Buronius  los  autres  auteurs  qui  en  eut  parle'. 


SAINT  OURS,  ARGIIIDÏAGRE  D'AOSTE 

FONDATEUR  DE  LA  COLLÉGIALE  DE  SAINT-PIEHIIE  ET  DE  SAINT-OUUS 

Ti»  siècle. 


Ant»  fores  gehennm  stat  misericordia,  tt  neminem 
permittit  in  carcerem  milti  qui  misericordiam  fecerit. 

La  miséricorde  se  tient  à  la  porto  de  l'vnfer,  et  elle 
ne  permet  pas  iiu'aucun  de  ceux  i;ui  l'ont  pratiquée 
soit  jeté  dans  l'ubinie. 

S.  Aug.,  Hom.  XXXI2. 

Saint  Ours  naquit  dans  l'île  d'Ecosse  *.  Tous  les  auteurs  qui  ont  parlé 
de  lui  sont  d'accord  sur  le  pays  de  son  origine,  mais  ne  le  sont  pas  de  même 
sur  l'époque  précise  de  sa  vie  ;  cependant,  il  paraît  certain  qu'il  a  vécu  vers 
la  fin  du  v*  siècle  ou  au  commencement  du  VI^  C'est  à  cette  époque  qu'il 
quitta  sa  patrie  et  vint  se  fixer  à  Aoste.  Le  motif  qui  guida  ainsi  ses  pas,  fut 
le  zèle  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut  des  âmes,  le  désir  de  soutenir  la  foi 
chancelante,  et  de  propager  les  vertus  chrétiennes  et  religieuses  qui  bril- 
laient de  son  temps  dans  l'île  des  Saints.  Ce  fut  le  même  motif  qui,  dans  le 
même  siècle  ,  porta  saint  Gall,  saint  Colomban  et  leurs  douze  compagnons 
à  quitter  l'Irlande  pour  venir  en  Bretagne  d'abord,  puis  en  Suisse  et  enfin 
en  Italie,  où  ils  opérèrent  une  multitude  de  conversions  et  fondèrent  des 
établissements  à  l'ombre  desquels  fleurirent  un  nombre  prodigieux  de  saints. 

Saint  Ours,  en  quittant  l'Irlande,  s'arrêta  quelque  temps  à  Meyronnes, 
dans  le  diocèse  de  Digne.  Cette  vallée  était  alors  désolée  par  l'arianisme.  Il 
s'empressa  d'annoncer  au  peuple  la  parole  de  vérité,  et  il  eut  la  consolation 
de  ramener  à  la  vraie  foi  ceux  qui  étaient  dans  l'erreur.  Après  avoir  évan- 

1.  D'après  certains  auteurs,  il  y  a  un  autre  saint  Avit  auquel  il  faut  attribuer  quelques-unes  des  ac- 
tions racontées  dans  la  Vie  de  saint  Avit  de  Micy.  Voici  en  deux  mots  ce  qui  se  rapporte  à  cet  autre 
saint  Avit,  ou  bien  au  précédent,  s'il  n'y  a  que  lui  :  Il  passa  par  le  monastère  de  Menât,  en  Auvergne,  sur 
la  rivière  de  Sioule.  vers  les  limites  du  Bourbonnais,  fut  le  compagnon  de  saint  Calais  (voir  le  1"  juillet), 
et  bâtit,  en  l'iionneur  de  saint  Pierre,  une  chapelle  qui  devint  plus  tard  un  prieuré,  à  Vibraye,  dans  le 
Maine. 

8.  Jusqu'au  IX*  Siècle,  par  les  noms  de  Scotia,  Ecosse,  et  Scotus,  Ecossais,  on  entendait  l'Irlande  et 
les  Irlandais. 


112  *7  JUIN. 

gélisé  cette  contrée  et  y  avoir  laissé  des  traces  si  profondes  de  son  passage, 
qu'elles  subsistent  encore  après  plus  de  treize  siècles,  il  arriva  à  Aoste,  où 
il  déploya  une  telle  supériorité  de  génie,  de  science  et  de  vertu,  que  non- 
seulement  il  trouva  place  dans  les  rangs  du  clersé,  mais  il  fut  bientôt  élevé 
à  la  dignité  d'archidiacre  *. 

Il  répondit  parfaitement  à  sa  sublime  vocation,  car  ce  fut  dans  l'exercice 
des  fonctions  et  l'accomplissement  des  devoirs  qui  se  rattachaient  à  cette 
dignité,  qu'il  se  concilia  l'admiration  et  la  confiance  des  peuples,  et  qu'il 
mérita  le  titre  glorieux  de  Saint.  En  effet,  il  embrassa  dans  sa  solitude  toutes 
les  parties  du  ministère  pastoral,  annonçant  la  parole  de  Dieu  avec  un  zèle 
apostolique  et  avec  le  succès  qui  accompagne  ordinairement  la  sainteté, 
donnant  des  conseils  aux  uns,  des  encouragements  aux  autres,  tantôt  repre- 
nant le  vice  avec  une  sévérité  tempérée  par  la  charité,  tantôt  donnant  à  la 
vertu  les  éloges  et  les  récompenses  qu'elle  mérite,  visitant  les  paroisses  du 
diocèse,  pour  y  affermir  les  fidèles  et  arracher  au  paganisme  ou  à  l'hérésie 
les  âmes  qui  n'avaient  pas  encore  ouvert  les  yeux  à  la  lumière  de  l'Evangile, 
ou  qui  avaient  été  induites  en  erreur  ;  veillant  sur  les  pasteurs  et  les  ouailles, 
sur  les  jeunes  lévites  comme  sur  les  anciens  du  sanctuaire. 

Quelque  pénibles,  au  reste,  que  fussent  pour  saint  Ours  les  travaux  de 
son  niinislère,  ils  étaient  supportables  pendant  qu'il  ne  faisait  que  seconder 
le  zèle  et  la  sollicitude  du  saint  évêque  qui  régissait  alors  le  diocèse  d'Aoste; 
c'était  le  pieux  Joconde,  honoré  à  Aoste  sous  le  nom  de  saint  Joconde  I". 
Ce  digne  pasteur  déployait,  lui  aussi,  de  concert  avec  son  archidiacre,  le 
zèle  le  plus  ardent,  le  plus  actif  et  le  plus  industrieux  pour  le  salut  des 
âmes  ;  mais  les  temps  qui  couraient  étaient  des  temps  mauvais.  L'hérésie 
d'Arius,  soutenue  par  ceux  qui  disposaient  alors  de  la  force  et  des  faveurs 
temporelles,  s'insinuait  partout  comme  un  poison  subtil.  Déjà  même  elle 
infectait  quelques  membres  du  clergé.  Ceux-ci  ne  pouvant  s'accommoder 
des  mesures  adoptées  par  le  saint  évêque  pour  conserver  ou  ramener  la  pu- 
reté de  la  foi  et  des  mœurs,  soulevèrent  contre  lui  la  plus  terrible  persé- 
cution ;  ils  l'accusèrent  de  félonie,  de  trahison  et  de  crime  de  lèse-majesté 
royale.  Ils  surent  si  bien  donner  à  la  calomnie  l'apparence  de  la  vérité, 
qu'ils  réussirent  à  faire  expulser  Joconde  du  siège  épiscopal  avec  privation 
de  toutes  les  rentes  attachées  à  l'évôché.  Ce  revers  causa  par  contre-coup 
au  cœur  si  bon  de  l'archidiacre  saint  Ours  la  plus  grande  douleur  et  lui 
procura  en  môme  temps  un  surcroît  de  travail  et  de  sollicitude. 

Mais,  après  avoir  partagé  avec  son  évoque  le  poids  de  son  affliction,  il 
eut  le  bonheur  de  partager  bientôt  avec  lui  la  joie  qu'il  éprouva  lorsque  le 
roi  Théodoric,  après  un  mûr  examen  des  accusations  dirigées  contre  l'évêque 
d'Aoste,  reconnut  qu'elles  étaient  le  fruit  de  l'envie,  restitua  ce  prélat  à  sa 
première  dignité,  et  le  réintégra  dans  le  droit  de  percevoir  les  rentes  ap- 
partenant à  l'évêché. 

Saint  Ours  priait  cent  fois  le  jour  et  cent  fois  la  nuit,  à  l'exemple  de  saint 

1.  La  dignité  d'archidiacre  est  trfes-ancienne  dans  l'Eglise.  Ce'cilien,  évêque  de  Carthage,  et  saint 
Jdrôme  la  supposent  déjà  établie  de  leur  temps.  Les  attributs  des  archidiacres  étaient  alors  et  furent 
longtemps  trfes-considérables.  Ils  exerçaient,  en  vertu  de  leur  dignité,  les  mêmes  droits,  la  même  juri- 
diction qu'exercent  maintenant  les  vicaires 'généraux  ou  grands  vicaires  dans  le  diocèse  de  leur  évêque 
respectif.  Bien  plus,  c'était  U  l'archidiacre  qu'était  réservée  l'éducation  cléricale  des  sujets  qui  aspiraient 
à  l'état  ecclésiastique,  le  soin  des  veuves,  des  orphelins  et  des  pèlerins,  la  surveillance  des  prêtres  et  des 
pasteurs  subalternes.  I\  avait  le  droit  et  l'obligation  de  visiter  les  paroisses  du  diocèse,  et  d'y  régler  tout 
ce  qui  pouvait  concerner  l'office  divin.  C'est  pour  cela  qu'on  appelait  l'archidiacre  l'œil  ou  la  main  de 
l'évêque  :  l'œil,  qui  devait  voir  tout  ce  qui  méritait  d'être  réglé  ;  la  main,  qui  devait  exécuter  ce  que  l'œil 
avait  observé.  Aussi,  selon  le  témoignage  do  saint  Jérôme,  l'archidiacre  était  choisi  parmi  les  membres 
les  plu»  Instruits,  les  plus  vertueux  et  les  plus  zélés  du  cler;;é. 


SAINT  OURS,   ARCHIDIACRE  d'AOSTB,  H3 

Patrice,  apôtre  de  l'Irlande,  qu'il  vénérait  comme  son  modèle  et  son  maître. 
U  faisait  souvent  le  signe  de  la  croix  sur  son  front',  couchait  sur  la  dure, 
ne  se  mettait  jamais  à  table  qu'il  n'eût  avec  lui  quelque  pauvre.  L'église, 
quand  il  pouvait  s'y  rendre,  était  le  lieu  qu'il  choisissait  de  préférence  pour 
ses  prières,  parce  que  c'est  là  qu'habite  spécialement  et  comme  sur  le  trône 
de  sa  miséricorde,  Celui  qui  a  passé  sur  la  terre  en  faisant  le  bien,  et  qui 
tient  entre  ses  mains  toutes  les  grâces  dont  nous  avons  besoin. 

Sa  douceur  et  son  affabilité  donnaient  libre  accès  auprès  de  sa  per- 
sonne à  tous  ceux  qui  avaient  besoin  de  consolation  et  de  conseil.  Sa 
charité  ne  se  bornait  pas  à  des  paroles,  sa  main  était  toujours  ouverte  pour 
répandre  ses  bienfaits  sur  les  indigents.  Il  planta  de  sa  propre  main  une 
vigne  sur  laquelle  le  Seigneur  versa  avec  tant  d'abondance  ses  bénédictions, 
que  les  raisins,  ou  le  vin  qui  en  provenait,  guérissaient  les  malades  lors- 
qu'ils en  usaient  avec  foi.  Il  acheta  aussi  un  champ,  dont  le  produit  était 
partagé  avec  les  pauvres.  Dans  ce  partage,  les  oiseaux  mêmes  n'étaient  pas 
oubliés. 

Il  était  assidu  auprès  des  malades,  pour  les  exhorter  à  la  patience  et  les 
préparer  à  la  mort.  La  veuve  et  l'orphelin  trouvaient  toujours  en  lui  un 
appui  et  un  père.  Il  avait  un  grand  respect  pour  les  églises  où  reposent  le 
saint  Sacrement  et  les  reliques  des  Saints,  et  il  aurait  voulu  que  tous  par- 
tageassent le  même  sentiment. 

La  divine  Providence  ménage  souvent  aux  hommes  qu'elle  veut  élever 
à  un  haut  degré  de  sainteté,  certaines  épreuves,  qui,  en  épurant  leur  vertu, 
leur  fournissent  l'occasion  de  la  faire  éclater  davantage,  et  forment,  pour 
ainsi  dire,  le  noyau  de  leur  sainteté.  Telle  a  été  pour  saint  Ours  la  circons- 
tance dont  nous  allons  faire  le  récit. 

Pendant  que  saint  Ours  travaillait  sans  cesse  à  sa  sanctification  par  la 
pratique  des  œuvres  de  piété,  de  charité  et  de  pénitence,  pendant  qu'il  pour- 
suivait avec  zèle  l'exercice  du  saint  ministère,  le  siège  d'Aoste  vint  à  vaquer 
par  la  mort  de  saint  Joconde.  La  faction  des  Ariens,  alors  nombreuse  et 
intrigante,  favorisée  d'ailleurs  par  Théodoric,  roi  d'Itî^lie,  arien  lui-même, 
se  donna  tant  de  mouvement  qu'elle  réussit  à  élever  sur  Je  siège  d'Aoste  un 
certain  Plocéan,  infecté  de  l'hérésie  dominante  et  qui  était  au  surplus  d'un 
caractère  dur,  violent,  cruel  même ,  sévissant  contre  quiconque  osait  lui 
résister.  Non  content  de  professer  lui-même  une  doctrine  contraire  à  l'en- 
seignement de  l'Eglise,  il  employait  tous  les  moyens  de  propager  dans  sod 
troupeau  le  venin  de  l'hérésie. 

Saint  Ours,  en  sa  qualité  d'archidiacre,  fut  le  premier  à  s'opposer  aux 
entreprises  du  faux  pasteur.  Il  n'oublia  rien  pour  le  retirer  lui-même  de 
l'erreur  et  pour  en  préserver  du  moins  le  troupeau  dont  il  avait  la  garde  ; 
remontrances,  prières,  exhortations,  prédications,  tout  ce  que  le  zèle  le 
plus  ardent  et  le  plus  charitable  peut  suggérer  de  moyens  pour  conjurer  le 
fléau  de  l'hérésie,  tout  fut  mis  en  œuvre.  Mais,  si  ses  efforts  réussirent  à  pré- 
server ou  à  retirer  de  l'erreur  une  multitude  de  personnes  dociles  à  sa  voix, 
rien  ne  put  vaincre  l'obstination  de  Plocéan. 

Ce  fut  alors  que  saint  Ours,  pour  écarter  tout  soupçon  de  connivence 
avec  cet  hérétique,  et  pour  être  lui-même  plus  libre  dans  l'exercice  de  son 
zèle  pastoral,  prit  le  parti  de  se  retirer  hors  des  murs  de  la  ville,  à  l'endroit 
où  était  une  ancienne  église  bâtie  en  l'honneur  de  l'apôtre  saint  Pierre.  Il 

1.  Cens  qni  ont  fait  une  étude  particulière  sur  les  antiquités  chrétiennes,  ont  découvert  qu'au  siècle 
de  saint  Ours  le  signe  de  la  croix,  que  nous  faisons  en  portant  successivement  la  main  sur  le  front,  la 
poitrine,  l'épaule  gauche  et  l'épaule  droite,  se  faisait  simplement  sur  le  front. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VU.  8 


H4  17  JUIN. 

fut  suivi  dans  sa  retraite  par  le  tiers  des  chanoines  de  la  cathédrale,  avec 
lesquels  il  commença  le  service  de  cette  église. 

C'est  là  l'origine  de  la  Collégiale  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Ours,  la  plus 
ancienne  de  toutes  les  collégiales  et  de  tous  les  établissements  religieux  des 
Etats-Sardes. 

En  fondant  sa  Congrégation  de  prêtres  restés  fidèles  au  milieu  des  plus 
rudes  épreuves,  il  les  soumit  à  une  règle,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  vie  com- 
mune possible  sans  une  règle  quelconque.  Dans  sa  nouvelle  position,  saint 
Ours  continuait  ses  exercices  de  piété,  de  mortification  et  de  charité,  et  ses 
compagnons,  ou  plutôt  ses  disciples,  s'efforçaient  de  suivre  les  exemples  de 
celui  qu'ils  respectaient  comme  leur  maître  et  leur  modèle. 

Saint  Ours  ne  perdait  pas  de  vue  les  obligations  que  lui  imposait  sa 
charge  d'archidiacre  ;  car  c'était  pour  y  vaquer  plus  librement  et  avec  plus 
de  succès  qu'il  s'était  séparé  de  Plocéan.  Partout  où  la  gloire  de  Dieu  et  le 
salut  des  âmes  l'appelaient,  il  s'y  trouvait  ou  personnellement  ou  par  le 
moyen  de  ses  compagnons,  qui  étaient  autant  de  missionnaires  dépendant 
de  sa  volonté. 

Toutes  les  vertus  brillaient  dans  la  vie  de  notre  Saint.  Mais  il  en  est  une 
qui  était  pour  lui  un  vrai  besoin  ;  c'est  la  bienfaisance.  En  lui  cette  noble 
disposition  n'embrassait  pas  seulement  les  maux  spirituels,  il  l'étendait  en- 
core à  toutes  les  calamités  publiques  et  particulières  qui  affligent  notre 
humanité.  Nous  allons  en  reproduire  quelques  traits. 

Le  torrent  du  Buthier,  qui  prend  sa  source  dans  les  Alpes  Pennines  et 
passe  près  de  la  ville  d'Aoste,  grossit  un  jour  au  point  que  non-seulement 
les  propriétés  riveraines,  mais  la  ville  même  et  ses  habitants  allaient  en  être 
Tictimes.  L'église  surtout  de  Saint-Pierre,  desservie  par  saint  Ours  et  les 
prêtres  de  sa  Congrégation,  était  tellement  envahie  par  les  eaux,  que  per- 
sonne ne  pouvait  plus  y  entrer,  et  ceux  qui  s'y  étaient  réfugiés  comme  en 
un  lieu  de  sûreté,  ne  pouvaient  plus  en  sortir.  Alors  saint  Ours,  voyant  que 
tous  les  secours  humains  étaient  inutiles,  s'adressa  avec  la  foi  la  plus  vive  à 
celui  qui  commande  aux  éléments,  et,  après  s'être  muni  du  signe  de  la 
croix,  il  lui  adressa  cette  prière  que  la  tradition  nous  a  conservée  : 

«  Seigneur,  qui,  après  avoir  créé  le  monde,  continuez  à  le  gouverner; 
qui,  lors  du  déluge  universel,  avez  sauvé  des  eaux  le  genre  humain,  la  race 
de  tous  les  animaux  et  la  semence  de  toutes  les  productions  de  la  terre; 
qui  avez  frayé  à  travers  la  mer  Rouge  une  route  pour  soustraire  les  enfants 
d'Israël  à  la  captivité  dans  laquelle  ils  gémissaient  sous  le  règne  de  Pharaon  ; 
qui  avez  sauvé  le  prophète  Jonas  du  gouffre  de  la  mer  et  du  ventre  de  la 
baleine  ;  qui,  à  la  prière  du  prophète  Elle,  avez  suspendu  le  bienfait  de  la 
pluie  pendant  trois  ans  et  six  mois  ;  qui  avez  donné  la  main  h  votre  fidèle 
apôtre  saint  Pierre  pour  le  préserver  du  naufrage  ;  qui,  par  la  force  de  votre 
parole,  avez  apaisé  la  fureur  des  vents  et  de  la  mer,  abaissez  maintenant  un 
regard  favorable  sur  ce  peuple  qui  vous  invoque,  ne  trompez  pas  l'espé- 
rance qu'il  a  mise  en  vous.  Selon  votre  miséricorde,  exaucez  ma  prière,  or- 
donnez que  la  pluie  cesse  et  que  la  rivière  rentre  dans  son  lit  ». 

Saint  Ours  n'eut  pas  plus  tôt  achevé  sa  prière  que  les  nuages  se  dissi- 
pèrent, la  pluie  cessa,  le  ciel  reparut  et  la  rivière  retirant  ses  eaux  reprit  son 
cours  ordinaire.  Cet  événement  parut  trop  frappant  et  porta  trop  évidem- 
ment le  cachet  de  la  main  toute-puissante  de  Dieu  pour  ne  pas  en  perpétuer 
le  souvenir.  C'est  pourquoi  on  en  fit  tous  les  jours  à  Matines  une  commémo- 
raison  spéciale  jusqu'à  l'an  1608,  époque  à  laquelle  le  Chapitre  de  Saint-Ours 
a  quitté  l'usage  d'Aoste  pour  adopter  le  romain. 


SAINT   OURS,   ARCHIDIACRE   D'AOSTE.  Ho 

Pendant  la  saison  d'été,  saint  Ours,  se  trouvant  au  hameau  de  Busseia, 
à  peu  de  distance  du  lieu  de  sa  résidence,  entendit  des  paysans  se  plaindre 
de  l'extrême  chaleur  et  de  la  soif  qu'ils  enduraient.  Et,  comme  il  faisait  ses 
délices  à  exercer  les  œuvres  de  miséricorde,  il  se  rappela  la  parole  de  l'Evan- 
gile :  «  Tout  est  possible  à  celui  qui  a  la  foi»;  il  frappe  de  son  bàlon  la 
roche  qu'il  avait  sous  les  pieds,  et  aussitôt  il  en  jaillit  une  source  d'eau  claire 
et  limpide  qui  a  continué  à  couler  et  coule  encore  de  nos  jours,  sans  jamais 
Cesser,  quelque  temps  qu'il  fasse.  Cette  fontaine  porte  le  nom  de  Fontaine 
i9am/-0w;s  dans  des  actes  fort  anciens.  Il  existe  dans  les  archives  du  chapitre 
un  titre  de  1290  par  lequel  un  certain  Jacquemet  donne  à  l'église  de  Saint- 
Ours  douze  pièces  de  terre  dont  la  première  était  située  au  lieu  dit  la  Fon- 
taine Saint-Ours. 

On  voit  un  grand  nombre  de  personnes  accourir  à  cette  fontaine  pour  y 
boire  ou  emporter  l'eau  qui  en  découle,  dans  la  confiance  d'en  recevoir 
un  soulagement  dans  leurs  infirmités,  conllance  souvent  justifiée  par  le 
succès. 

-    Voici  un  trait  qui  prouve  la  bonté  de  son  cœur  et  le  respect  qu'il  profes- 
sait pour  la  maison  de  Dieu  et  les  reliques  des  Saints  : 

Un  jeune  homme,  auquel  son  maître  avait  confié  le  soin  de  ses  chevaux, 
passait  souvent  devant  l'église  de  Saint-Pierre  sans  se  soucier  de  descendre 
de  cheval  ni  même  de  se  découvrir  par  respect  pour  le  saint  Sacrement  et 
les  reliques  des  Saints  qui  reposaient  dans  l'église  :  ce  que  saint  Ours  ayant 
remarqué  avec  peine,  il  l'en  avertit  et  le  corrigea  avec  un  zèle  plein  de 
douceur  ;  mais,  le  jeune  homme  n'ayant  pas  tenu  compte  de  son  avis,  pour 
le  punir  de  sa  résistance.  Dieu  le  livra  à  une  espèce  d'illusion  assez  singu- 
lière, mais  qui  lui  fit  trouver  sa  punition  dans  sa  faute  même.  Il  crut,  un 
jour,  avoir  perdu  un  des  chevaux  confiés  à  sa  garde,  celui  que  son  maître 
affectionnait  le  plus.  Son  trouble  était  tel  que  ,  monté  sur  le  cheval,  il  le 
cherchait  partout  avec  la  plus  grande  anxiété.  Il  passait  et  repassait,  comme 
il  avait  coutume  de  le  faire,  devant  l'église  de  Saint-Pierre  en  pleurant  et 
en  poussant  des  sanglots.  Saint  Ours,  le  voyant,  fut  ému  de  compassion  et 
lui  demanda  le  sujet  de  ses  pleurs.  Le  jeune  homme,  devenu  plus  docile, 
lui  déclara  le  motif  de  sa  douleur  et  lui  promit  d'être  désormais  plus  soumis 
à  ses  avis,  s'il  lui  faisait  trouver  le  cheval  qu'il  cherchait.  Saint  Ours  accepta 
la  condition  et  dit  au  jeune  homme  :  Combien  de  chevaux  votre  maître 
vous  a-t-il  confiés?  Six.  A  qui  appartient  le  beau  cheval  que  vous  montez? 
Le  jeune  homme,  baissant  les  yeux,  reconnut  le  cheval  qu'il  cherchait  avec 
tant  de  peine,  et  voyant  dans  son  illusion  la  main  de  Dieu,  il  descendit  de 
cheval,  entra  à  l'église  pour  remercier  le  Seigneur,  et  promit  d'être  plus 
respectueux  envers  son  temple  et  les  reliques  des  Saints. 

Saint  Ours,  plein  de  charité  pour  le  prochain,  ne  manquait  jamais  l'oc- 
casion de  rendre  service  aux  malheureux  qui  avaient  recours  à  lui.  En  voici 
un  exemple  frappant  : 

Un  domestique  de  l'évêque  Plocéan  s'était  rendu  coupable  d'une  faute 
grave  pour  laquelle  il  craignait  d'avoir  encouru  l'indignation  de  son  maître 
qu'il  savait  être  d'une  humeur  fort  irascible.  Pour  se  soustraire  au  châti- 
ment qui  l'attendait,  il  se  réfugia  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  où,  selon 
les  lois  canoniques,  il  devait  jouir  de  la  franchise.  Saint  Ours  l'ayant  vu  au 
pied  de  l'aulel  dans  la  contenance  d'un  homme  troublé  et  déconcerté,  s'ap- 
proche de  lui  et  le  prie  de  lui  découvrir  confidentiellement  le  sujet  de  son 
alarme.  Ce  serviteur,  qui  ne  demandait  pas  mieux  que  de  trouver  un  cœur 
compatissant  et  un  protecteur,  lui  fit  naïvement  le  récit  de  son  crime  et  le 


iiQ  n  jDiN. 

pria  d'intercéder  pour  lui  auprès  de  l'évêque.  Saint  Ours,  qui  ne  laissait 
échapper  aucune  occasion  de  rendre  service  aux  malheureux,  se  rendit  vo- 
lonliers  au  désir  et  à  la  prière  du  serviteur,  alla  de  suite  auprès  de  l'évêque 
et  lui  dit  :  «  Monseigneur  et  mon  père,  un  de  vos  serviteurs,  sachant  qu'il 
vous  a  gravement  offensé,  est  venu  chercher  un  asile  dans  l'église  de  Saint- 
Pierre  ;  je  vous  prie,  pour  l'amour  de  celui  dans  le  temple  duquel  il  s'est  ré- 
fugié, de  lui  pardonner  ».  Plocéan,  croyant  l'occasion  favorable  de  satisfaire 
sa  colère  et  d'exercer  sa  vengeance  contre  son  serviteur  et  surtout  contre 
saint  Ours,  dissimula  adroitement  son  dessein,  et,  affectant  un  air  de  bien- 
veillance, il  dit  au  Saint  :  «  Allez,  mon  frère,  et  dites  à  mon  serviteur  qu'il 
se  présente  à  moi  avec  une  parfaite  assurance,  aucun  mal  ne  lui  sera  fait  ». 
Saint  Ours  n'eut  rien  de  plus  empressé  que  d'aller  annoncer  à  ce  serviteur 
le  succès  de  son  ambassade.  «Allez»,  lui  dit-il,  «vous  présentera  votre 
maître,  je  vous  promets  qu'aucun  mal  ne  vous  arrivera  ».  Mais,  en  mesu- 
rant le  cœur  de  Plocéan  sur  le  sien,  saint  Ours  s'était  grandement  trompé, 
car  à  peine  était-il  sorti  de  chez  l'évêque,  que  celui-ci  ordonna  à  ses  gens 
d'aller  de  suite  attendre  le  malheureux  serviteur  au  sortir  de  l'église, 
et  de  le  lui  conduire  sous  peine  de  subir  eux-mêmes  les  peines  qu'il  lui  ré- 
servait. Cet  ordre  fut  ponctuellement  exécuté.  Le  serviteur,  qui,  sur  la 
parole  de  saint  Ours,  avait  compté  sur  l'indulgence  de  son  maître,  fut  saisi 
sur  la  porte  de  l'église  et  conduit  immédiatement  à  Plocéan,  qui,  dans  l'ac- 
cès de  sa  fureur,  le  fit  cruellement  flageller  depuis  la  tête  jusqu'aux  pieds, 
au  point  qu'il  faillit  expirer  sous  les  coups  de  fouet.  Il  lui  fit  ensuite  raser  les 
cheveux  et  verser  sur  la  tête  de  la  poix  bouillante,  et  le  renvoya  dans  l'état 
le  plus  pitoyable.  Cet  infortuné,  s'imaginant  que  saint  Ours  l'avait  trompé, 
son  indignation  lui  prêta  assez  de  force  pour  se  rendre  auprès  de  lui,  et, 
dans  l'amertume  dont  son  cœur  était  navré,  il  lui  adressa  ce  reproche  : 
«  Pourquoi,  mon  père,  m'avez-vous  ainsi  trompé  ?  Fallait-il  me  tirer  de 
l'église  où  je  m'étais  réfugié,  pour  me  faire  tomber  sous  la  main  de  ce  cruel 
tyran  ?  Au  lieu  de  ra'excuser,  vous  m'avez  livré  à  un  traître,  à  mon  plus 
cruel  ennemi.  Que  le  souverain  Juge  prononce  entre  vous  et  moi  !  » 

Un  reproche  si  amer_,  joint  à  l'aspect  déchirant  que  présentait  le  serviteur 
et  à  l'insigne  mauvaise  foi  de  Plocéan,  excita  dans  le  cœur  si  généreux  de 
saint  Ours,  le  sentiment  le  plus  profond  de  compassion  et  d'indignation,  et, 
se  sentant  animé  d'un  esprit  prophétique,  il  dit  à  ce  malheureux  serviteur  : 
«  Allez  trouver  Plocéan  et  dites-lui  de  ma  part  :  Sachez  que  dans  peu  de 
jours  vous  mourrez  suffoqué  par  les  démons  et  entraîné  par  eux  dans  les 
enfers.  11  est  juste  que  vous  soyez  reçu  par  ceux  que  vous  avez  servis  en  ne 
craignant  pas  de  violer  le  temple  du  Seigneur  ».  Ensuite  il  dit  au  serviteur  : 
«  Quant  à  vous,  préparez-vous  à  la  mort,  car  vous  ne  tarderez  pas  à  suivre 
votre  maître  pour  recevoir  l'un  et  l'autre  du  souverain  Juge  ce  que  vous 
avez  mérité  ;  pour  moi,  je  vous  suivrai  de  près,  et  je  serai  peut-être  le  té- 
moin du  jugement  qui  sera  prononcé  sur  votre  altercation». 

L'événement  justifia  en  effet  la  prédiction  du  Saint.  Plocéan  mourut  la 
nuit  même  qui  suivit,  renversé  de  son  lit  par  une  main  invisible,  et  il  expira 
ainsi  misérablement.  Le  domestique,  selon  la  parole  de  saint  Ours,  mourut 
le  même  jour.  Pour  le  Saint,  après  s'être  préparé  à  la  mort  par  un  redou- 
blement de  piété  et  de  ferveur,  et  par  le  jeûne  et  la  prière,  il  ne  tarda  pas 
h  rendre  son  âme  à  celui  qu'il  avait  servi  avec  tant  de  fidélité. 

Il  y  a  plusieurs  Saints  qui  portent  le  même  nom,  et  qui  sont  honorés  en 
divers  pays,  entre  autres  saint  Ours,  martyrisé  dans  la  vallée  d'Aoste,  com- 
pagnon de  saint  Alban,  martyr  de  Mayence,  honoré  le  21  juin,  dans  la  pa- 


SAINT  Oims,    ARCHIDIACRE   D'AOSTE.  117 

roîsse  de  Burano,  port  de  la  ville  d'Allino,  île  dans  les  lagunes  de  Venise, 
diocèse  de  Torcello,  où  l'on  conserve  son  corps. 

Il  y  a  un  autre  saint  Ours,  compagnon  de  saint  Victor,  martyr  de  la  légion 
thébaine,  dont  le  corps  repose  à  Soleure.  Sa  fête  se  fait  le  30  septembre. 

Le  Saint  dont  nous  venons  de  donner  la  vie  est  honoré  comme  confes- 
seur ;  il  est  fêté  le  1"  février,  et  son  corps  est  conservé  à  Aoste.  Ainsi  toute 
confusion  devient  impossible. 

Tous  les  tableaux,  toutes  les  statues  de  saint  Ours,  antiques  et  modernes, 
le  représentent  avec  les  insignes  d'archidiacre,  c'est-à-dire,  tenant  d'une 
main  le  bourdon  comme  l'emblème  de  l'autorité  et  de  la  juridiction,  et, 
de  l'autre  main,  serrant  sur  la  poitrine  un  livre,  comme  le  symbole  de  la 
science  religieuse  qu'il  devait  posséder  éminemment  lui-môme  et  commu- 
niquer aux  fidèles.  —  On  le  représente  aussi  avec  des  oiseaux  sur  les  épaules 
ou  sur  les  bras.  —  On  le  voit  très-souvent  en  costume  religieux,  por- 
tant les  cheveux  courts  et  une  large  tonsure,  qui  réduit  sa  chevelure  à  une 
espèce  de  couronne  semblable  à  celle  des  révérends  Pères  Capucins.  On  le 
peint  parfois  avec  des  sandales,  et  une  espèce  de  vêtement  de  peau  que  l'on 
conserve  dans  une  grande  châsse  enveloppés  dans  un  linge  avec  l'inscription  : 
Vestimenta  S.  6^rsî,  vêtements  de  saint  Ours. —  On  le  dépeint  encore  frap- 
pant de  son  bourdon,  ou  d'un  bâton,  la  roche  d'où  jaillit  une  eau  miracu- 
leuse. C'est  ainsi  qu'il  est  représenté  dans  le  chapiteau  d'une  colonne  de 
marbre  du  xii°  siècle,  placé  au  cloître  de  la  Collégiale,  avec  l'inscription  : 
Fons  S.  Ursi.  —  Il  y  a  quelques  années,  on  a  découvert,  dans  un  réduit  de 
l'église  de  Saint-Christophe,  un  devant  d'autel  en  bois  sculpté,  représentant 
saint  Ours,  entouré  de  pauvres  et  leur  distribuant  des  chaussures. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  nom  de  saint  Ours  est  resté  attaché  non-seulement  à  la  Congrégation  de  prêtres  qu'il  a 
fondée,  mais  au  lieu  de  sa  résidence  ;  c'est  le  bourg  Saint-Ours,  ainsi  nommé  de  temps  immé- 
morial. On  le  trouve  dans  un  acte  de  1119,  dans  un  autre  de  1174.  Au  xi«  siècle  existait,  et  on  ne 
sait  depuis  quel  temps,  la  noble  famille  de  Porta  Snncti  Ursi,  qui  a  donné  un  évêque  à  Aoste. 

Non-seulement  le  bourg,  qui  s'est  formé  autour  du  lieu  de  la  résidence  de  saint  Ours,  a  pris  son 
nom,  mais  encore  le  territoire  adjacent,  et  ce  territoire  était  devenu  célèbre.  Car,  dans  l'acte  passé 
publiquement  le  20  octobre  1026  entre  l'évèque  Burchard  et  Katelme,  il  y  est  fait  mention  d'une 
propriété  située  sur  le  territoire  de  Saint-Ours,  en  Italie.  Déjà  cette  terre  était  mentionnée  dans 
l'acte  passé  en  1013,  par  lequel  le  prêtre  Létard  donne  aux  Chanoines  de  Saint-Ours  certaines 
propriétés  contiguës  à  la  terre  de  Saint-Ours. 

Tout  ceci  prouve  qu'au  moins  au  commencement  du  xi»  siècle  saint  Ours  était  en  pleine  pos- 
session du  titre  de  Saint,  et  par  conséquent  l'objet  d'un  culte  religieux. 

Dans  tout  le  diocèse  d'Aoste,  saint  Ours  est  vénéré,  de  temps  immémorial  ;  mais  il  l'a  été,  d'une 
manière  spéciale,  par  un  grand  nombre  de  paroisses. 

Nous  avons  sous  les  yeux  une  bulle  d'Alexandre  III  du  20  avril  1176  dans  laquelle  il  mentionne 
la  paroisse  de  Saint-Pierre  et  Saint-Ours  de  Donnas. 

Donnas  avait  donc  à  cette  époque  saint  Pierre  et  saint  Ours  pour  titulaires.  Or,'  Donnas  com- 
prenait alors  les  deux  paroisses  actuelles  de  Vert  et  de  Pont-Saint-Martin,  et  ainsi  les  populations 
de  ces  trois  paroisses  étaient  sous  le  patronage  de  saint  Ours,  l'an  1184.  Luce  III  compte  Perlo  et 
Issime  entre  les  paroisses  qui  appartenaient  au  Chapitre  de  Saint-Ours.  Perlo  comprenait  alors  les 
deux  paroisses  actuelles  de  Lillianes  et  de  Fontainemore,  et  Issime  les  deux  paroisses  de  Gres- 
soney  ;  ces  cinq  paroisses  ne  pouvaient  manquer  d'être  spécialement  attachées  au  culte  de  saint  Ours. 

La  très-ancienne  paroisse  de  Derby  qui,  dès  1040,  était  du  patronat  des  Chapitres  de  la  cathé- 
drale et  de  Saint-Ours,  avait  aussi  saint  Ours  pour  patron. 

Les  anciennes  paroisses  de  Cogne  et  de  Jovençan  ont  toujours  eu  et  ont  encore  saint  Ours  pour  patron. 

Le  bienheureux  Eméry  de  Quart,  dans  sa  constitution  de  1307,  énumère  parmi  les  fêtes  de  pré- 
cepte du  diocèse,  celle  de  saint  Ours. 

Saint  Ours,  copatron  du  diocèse  d'Aoste,  est  célébré  sous  le  rite  de  première  classe  avec  octave 
dans  tout  le  diocèse. 


418 


47  jum. 


A  Mcyronncs,  dans  !c  diocisc  do  Digne,  le  culte  de  saint  Ours  remonte  anx  temps  les  plus 
reculés.  Mais  làVcomme  à  Aoste,  il  est  infiniment  à  regreller  que  les  archives  du  célèbre  sanc- 
tuaire aient  été  dispersées  par  le  vent  révolutionnaire.  Que  de  clioses   elles  nous  apprendraient! 

11  y  avait,  au  lieu  ayipelé  le  Vieux  Saint-Ours,  une  chapelle  (lui,  au  rapport  des  anciens,  était 
très-vaste.  Elle  est  tombée  en  ruine  au  commencement  du  xvii«  siècle.  Pour  la  plus  grande  com- 
modiié  des  pèlerins  et  des  habitants  du  lieu,  elle  a  été  rebâtie  à  un  kilomètre  de  distance,  au  lieu 
appelé  Plan  Saint-Ours,  au  milieu  d'un  charmant  village  qui  est  devenu  le  chef-lieu  de  la  paroisse 
de  Saint-Ours,  depuis  le  décret  impérial  du  4  avril  1855,  par  lequel  cette  section  de  Meyronnes  est 
érigée  en  succursale.  Le  culte  de  saint  Ours  aura  beaucoup  à  gagner  à  cette  circonstance,  car  les 
pèlerins  sont  maintenant  assurés  de  trouver  un  prêtre  dans  le  sanctuaire  qui  est  le  terme,  le  but 
de  leur  pèlerinage,  et  il  leur  sera  plus  facile  d'y  faire  leurs  dévotions,  non-seulement  le  jour  de  la 
fêle  principale,  mais  toute  l'année. 

Un  oratoire  construit  sur  l'emplacement  de  l'ancienne  chapelle  et  une  croix  de  pierre  de  taille 
sont  là  pour  en  perpétuer  la  précieuse  mémoire.  Là  est  aussi  une  fontaine  que  les  pèlerins  regar- 
dent comme  un  souvenir  de  la  fontaine  miraculeuse  de  saint  Ours. 

Voici,  à  propos  de  ce  pèlerinage,  ce  qu'en  dit  l'historien  du  diocèse  d'Embrun.  Après  avoir 
parlé  (le  l'origine  de  la  paroisse  de  Meyronnes,  il  ajoute  : 

«  Le  lieu  de  Meyronnes  est  renommé  à  cause  d'une  chapelle  sous  le  titre  de  Saint-Onrs,  qui  est 
dans  son  territoire.  Saint  Ours,  sanctus  Vrsus,  avait  été  prévôt  (il  devait  dire  fondateur)  d'ua 
Chapitre  dans  le  Val  d'Aoste.  Sa  mémoire  est  en  grande  vénération,  non-seulement  dans  la  vallée 
de  Bari'elonette,  mais  encore  dans  plusieurs  vallées  en  Piémont.  Il  y  a  toujours  eu,  de  tempg 
immémorial  une  chapelle  dédiée  en  son  honneur  dans  le  district  de  Meyronnes.  On  l'a  changée  de 
place  et  rebâtie  en  1773.  Elle  est  actuellement  dans  le  hameau  qu'on  appelle  le  Plan  de  Saint- 
Ours.  Les  fidèles  s'y  rendent  en  foule,  le  17  juin,  pour  la  fête  de  ce  Saint.  Les  Piémontais  y 
accourent  de  la  Val  de  Maire,  de  la  Val  de  Stura  et  de  la  Val  de  Sanpeire.  Les  Français  ne  le 
cèdent  pas  en  ce  point  aux  Piémontais.  On  y  voit  une  multitude  de  personnes  non-seulement  de 
Barcelonette,  mais  encore  de  l'Embrunais  et  du  Gapençais.  Ce  qui  y  attire  un  si  grand  concours,  ce 
sont  les  miracles  qui  s'y  sont  opérés. 

«  La  légende  de  saint  Ours  apprend  que,  l'an  16S5,  il  fut  fait  des  informations,  par  l'autorité 
de  l'archevêque  d'Embrun,  sur  les  miracles  opérés  à  la  chapelle  de  Saint-Ours,  à  Meyronnes,  et 
qu'il  fut  prouvé  que  les  nommés  Jean  Bovis  de  Meyronnes,  Pierre  Pautriers  des  Sannières,  hameau 
de  Jausiers,  et  Boniface  Pascal  d'ÂIlas,  tous  trois  atteints  de  paralysie  et  abandonnés  des  médecins, 
avaient  été  guéris  miraculeusement  par  l'intercession  de  saint  Ours,  après  avoir  fait  vœu  à  cette 
chapelle.  En  l'année  1749,  le  17  juin,  jour  de  la  fête  du  même  Saint,  un  enfant  âgé  de  huit  ans, 
de  la  paroisse  de  Risout,  en  Dauphine,  paralytique  depuis  quatre  ans,  fut  porté  par  ses  parents  à 
cette  solennité;  il  y  fut  guéri,  se  leva  à  l'instant  et  marcha  librement.  De  quoi  le  curé  de  la  pa- 
roisse de  Meyronnes  fit  dresser  un  procès-verbal  qu'on  conserve  avec  soin  dans  la  chapelle  ».  Tel 
est  le  récit  de  l'histoire  du  diocèse  d'Embrun. 

Il  en  résulte  qu'à  Meyronnes,  comme  à  Aoste,  le  culte  de  saint  Ours  est  immémorial. 

En  France  encore,  dans  le  diocèse  de  Langres,  la  ville  de  Montbard,  sur  la  Brenne,  a  laissé 
une  multitude  de  Saints  pour  s'attacher  à  saint  Ours  et  l'honorer  comme  son  patron. 

A  Guillestre  (Ilautes-Alpes),  saint  Ours  a  aussi  une  chapelle  qui,  sous  la  direction  du  zélé 
M.  le  chanoine  Garnier,  sera  de  plus  en  plus  visitée  par  les  habitants  du  lieu  et  des  environs. 

En  Savoie,  dans  le  diocèse  d'Annecy,  province  du  Chablais,  les  paroisses  de  Bernex  et  it 
Vacheresse  ont  eu,  de  temps  immémorial,  saint  Ours  pour  titulaire  ou  patron.  Ces  deux  paroisses 
sont  très-anciennes.  Oernex  est,  par  sa  position,  très-exposée  aux  inondations,  c'est  probablemen' 
le  motif  qui  a  porté  la  population  à  se  mettre  sous  la  protection  spéciale  de  saint  Ours. 

Saint  Ours  est  encore  connu  et  honoré  dans  la  paroisse  de  La-Thuile,  dépendante  du  même 
diocèse  d'Annecy. 

Dans  le  diocèse  d'Ivrée,  de  temps  immémorial,  saint  Ours  a  été  honoré,  non-seulement  comme 
un  Saint  ordinaire,  mais  comme  patron  de  la  ville.  Il  y  avait  une  église  érigée  en  son  honneur  à 
peu  de  distance  de  la  ville.  11  y  avait  aussi  un  bénéfice  sous  le  titre  de  Saint-Ours. 

Dans  le  mfme  diocèse,  la  très-ancienne  paroisse  de  Campiglia,  de  laquelle  furent  démembrées, 
eu  divers  temps,  toutes  les  églises  de  Valsoana  (Vallis  Soquanx),  honore,  de  temps  immémorial, 
saint  Ours  pour  son  patron  et  son  Apôtre. 

Dans  le  diocèse  de  Verceil  existait  déjà,  avant  le  xiii»  siècle,  un  couvent  de  Saint-Ours  hors 
des  murs  de  la  ville,  appelé  tantôt  l'hôpital  des  Ecossais  ou  des  Irlandais,  tantôt  le  couvent  de  Saint- 
Ours.  Cet  hôpital  était  surtout  destiné  pour  le  service  des  pèlerins  d'Irlande  et  d'Ecosse.  On  le 
Irouve  mentionné  comme  existant  jusque  vers  le  milieu  du  xu»  siècle.  11  résulte  des  titres  contem- 
porains qu'il  fut  uni  au  grand  hôpital  de  Verceil  le  27  août  1343.  On  montre  encore  le  lieu  où  était 
cet  hôpital. 

Dans  le  diocèse  de  Verceil,  on  ne  fait  pas  l'office  de  saint  Ours  ;  mais  le  nom  et  l'invocation  du 
Saint  figurent  dans  les  très-anciennes  litanies  usitées  avant  l'introduction  du  rite  romain.  Dans  un 
nécrologe  de  l'église  de  Verceil  du  xn»  siècle,  le  l»r  février,  sont  mentionnés  sainte  Brigide  et 
saint  Ours. 


SAINT  OUBS,  ARCniDIACRE  D'aOSTE.  119 

n  y  a  cependant,  dans  le  diocèse  de  Verceil,  une  paroisse  qui  a  saint  Ours  pour  patron,  c'est 
Rongio,  près  du  grand  bourg  de  Masserano.  Le  curé  du  lien,  interrogé  sur  le  culte  de  saint  Ours  à 
Rongio.  répond  que  le  culte  est  immémorial  dans  cette  paroisse  et  qu'on  y  nourrit  une  vive  con- 
fiance en  sa  protection. 

Dans  la  célèbre  collégiale  de  Saint-Gandens,  à  Novare,  on  vénère  également  saint  Ours. 

Dans  le  diocèse  de  Turin,  on  fait  l'office  de  saint  Ours,  et  dans  la  métropole  il  y  a  un  autel  où 
est  un  tableau  très-ancien  au  bas  duquel  on  lit  sanctus  Ursus.  Autrefois,  à  Turin,  saint  Ours  était 
le  patron  des  corroyeurs. 

A  Sion,  en  Valais,  saint  Ours  figurait  déjà  sur  un  missel  du  xiii*  siècle,  au  i"  février,  comme 
k  Aoste. 

On  implore  la  protection  de  saint  Ours  pour  tous  les  besoins,  toutes  les  infirmités  et  les  cala- 
mités qui  assiègent  notre  pauvre  humanité.  Nous  voyons  en  effet  figurer,  dans  le  récit  de  ses  mira- 
cles, des  malheureux  atteints  de  diverses  infirmités  du  corps  et  de  l'âme.  Ce  sont  des  paralytiques, 
des  individus  perclus  de  leurs  membres,  des  démoniaques  qui  recouvrent,  par  son  pouvoir  auprès 
de  Dieu,  la  santé  et  l'usage  de  leurs  facultés  corporelles  ou  mentales. 

Toutefois  on  recourt  spécialement  à  saint  Ours  contre  le  débordement  des  eaux,  contre  les 
intempéries  qui  menacent  les  moissons,  dans  les  enfantements  laborieux  qui  mettent  en  danger  la 
vie  des  mères  et  la  double  vie  des  enfants.  On  recourt  aussi  à  la  protection  de  saint  Ours,  pour 
demander,  en  faveur  des  enfants  morts  sans  Baptême,  un  petit  retour  à  la  vie  afin  de  recevoir  le 
Daptème,  et  nous  avons  vu  des  rapports  revêtus  de  tous  les  caractères  de  la  vérité,  qui  nous  auto- 
risent à  penser  que  la  grande  foi  des  parents  inconsolables,  jointe  au  crédit  du  bon  saint  Ours,  » 
obtenu,  du  souverain  Arbitre  de  la  vie  et  de  la  mort,  quelques  moments  pour  recevoir  la  grâce  du 
Baptême. 

On  recourt  à  saint  Ours  pour  être  guéri  ou  préservé  des  maux  de  reins,  du  rhumatisme  et 
autres  maladies  de  celte  espèce.  En  France  surtout,  c'est  sur  les  enfants  qu'on  appelle  particuliè- 
rement la  protection  de  saint  Ours.  Il  devait  en  effet  aimer  les  enfants  et  être  aimé  des  enfants  ce 
Saint  dont  la  bonté  et  la  douceur  charmaient  jusqu'aux  oiseaux  qui  voltigeaient  autour  de  lui. 

L'ancienne  église  dédiée  à  saint  Pierre,  que  saint  Ours  avait  desservie,  fut  le  lieu  de  sa  sépul- 
ture. Son  corps  fut  déposé  dans  une  chapelle  souterraine,  qui  existe  encore,  et  qui  prit  le  nom  de 
Confession  de  Saint-Ours.  Elle  est  située  au-dessous  du  grand  chœur  de  l'église  actuelle  de  la 
Collégiale  de  Saint-Ours,  On  y  descend  par  deux  escaliers  ayant  chacun  douze  degrés  en  marbre 
déjà  bien  usés  par  les  visiteurs.  Cette  double  entrée,  commune  aux  monuments  de  ce  genre,  sert  à 
éviter  la  rencontre  et  la  confusion  de  ceux  qui  entrent  et  de  ceux  qui  sortent.  Neuf  colonnes  de 
pierre,  chacune  d'un  seul  bloc,  soutiennent  la  voûte  de  la  chapelle.  Ces  colonnes  son'  toutes  de 
forme  romaine,  semblables  à  plusieurs  autres  qu'on  a  déterrées  en  divers  temps  ;  mais  elles  diffè- 
rent presque  toutes  les  unes  des  autres  pour  la  forme  et  la  nature  de  la  pierre.  Les  unes  sont 
rondes,  les  autres  carrées,  il  y  en  a  deux  pentagones,  il  y  en  a  de  marbre  d'Aymavilles,  d'autres 
de  pierre  de  grès,  une  de  tuf.  Il  y  a  un  autel  où  l'on  célèbre  souvent  la  sainte  messe.  Le  buste  de 
saint  Ours  y  est  exposé  sous  un  pavillon  soutenu  de  six  colonnes  de  marbre  d'Aymavilles,  d'ordre  dorique. 

La  Confession  de  Saint-Ours  est  de  temps  immémorial  le  titre  d'une  prébende  ou  d'un  bénéfice 
qui  a  son  recteur. 

Les  archives  de  la  Collégiale  conservent  un  grand  nombre  de  parchemins  constatant  les  donations 
faites  en  divers  temps  à  la  chapelle  de  la  Confession  de  Saint-Ours.  Ce  qui  prouve  la  grande  dévo- 
tion de  nos  ancêtres  pour  le  lieu  qui  a  été  le  dépositaire  du  corps  de  notre  saint  patron. 

C'est  dans  ce  souterrain  que  le  corps  de  saint  Ours  resta  enfermé  dans  une  châsse  de  bois  avec 
ses  vêtements  et  ses  sandales,  jusqu'à  ce  que  .M.  le  prieur  Guillaume  de  Lyddcs  fit  construire,  en 
1358,  à  ses  frais,  une  riche  chasse  en  argent  destinée  à  renfermer  ce  précieux  trésor.  Celte  châsse 
a  été  déposée  d'abord  dans  une  niche  assez  élevée,  pratiquée  à  dessein  dans  le  rétable  de  l'ancien 
maitre-autel,  et  y  resta  jusqu'en  1738.  Alors  fut  construit  le  grand  autel  en  marbre  qui  existe 
maintenant,  et  l'on  réserva  pour  le  grand  reliquaire  de  saint  Ours  un  vide  pratiqué  dans  l'autel  même. 

Dans  tous  les  temps,  les  fidèles  ont  professé  pour  ce  sacré  dépôt  une  grande  vénération.  Ils  en 
font  plus  de  cas  que  d'un  trésor  d'or  ou  d'argent. 

C'est  à  cette  disposition  que  la  Collégiale  de  Saint-Ours  est  redevable  du  bonheur  de  posséder 
presque  en  entier  le  corps  de  son  saint  fondateur.  Nous  disons  presque  en  entier,  car,  en  divers  temps, 
le  Chapitre  de  Saint-Ours  a  bien  voulu  accéder  aux  vives  instances  qui  lui  furent  faites  pour  avoir 
quelque  parcelle  de  ces  précieuses  reliques. 

Ainsi,  en  1273,  à  la  prière  de  Son  Eminence  le  cardinal  Anchérus,  passant  par  Aoste  pour  se 
rendre  au  Concile  de  Lyon,  et  à  celle  de  Mgr  Aymoa  de  Challand,  évèque  d'Aoste,  le  vénérable 
Chapitre  de  Saiul-Ours,  assemblé  en  juillet  même  année,  délibéra  d'accorder  au  révérend  Jean,  du 
monastère  de  Saint-Jean,  chupelain  dudit  cardinal  et  curé  de  l'église  de  Saint-Ours  à  Moutbard, 
diocèse  de  Langres,  des  reliques  de  saint  Ours  que  cette  ville  a  adopté  de  temps  immémorial  pour 
son  patron.  Alors  on  détacha  avec  le  plus  grand  respect,  en  présence  de  tout  le  couvent,  une  par- 
ticule de  la  tète  de  saint  Ours.  On  y  unit  un  certificat  muni  du  sceau  du  Chapitre  pour  en  constater 
l'authenticité,  et  on  la  remit  ainsi  au  révérend  curé  de  Montbard.  On  conserve,  dans  les  archives 
de  la  Collégiale,  l'acte  authentique  qui,  en  attestant  le  fait^  prouve  encore  le  respect  qu'on  pro- 


420  *'  ^™' 

fessait,  il  y  a  cinq  cents  ans,  pour  les  reliques  de  saint  Ours.  Sur  le  reliquaire  de  saint  Onrs,  dans 
réHisè  de  Montbard,  on  lit  :  Reliquis  sancti  Ursi  patroni  hujus  urbis  e  manibus  commùsa- 
riornm  (93)  excerptx,  Pairia  parochus.  Montbard  est  une  petite  ville  de  Bourgogne,  sur  la  Breane 
(Côte  d'Or),  chef-lieu  de  canton. 

Le  célèbre  sanctuaire  de  Saint-Ours,  dont  nous  avons  parlé,  qui  existe  de  temps  immémorial  à 
Meyrounes  (Basses-Alpes),  où  afflue  un  nombre  prodigieux  de  pèlerins,  reçut  une  côte  du  Saint  ; 
mais  ce  précieux  trésor  fut  enlevé  et  reporté  à  Aoste,  puis  remis  dans  la  châsse  de  saint  Ours, 
Toutefois,  le  Chapitre  de  Saint-Ours,  pour  consoler  les  habitants  de  Meyronnes  de  la  perte  qu'ils 
avaient  faite,  ne  tarda  pas  à  leur  envoyer  une  relique  du  Saint.  A  la  Révolution,  on  fut  obligé  de 
la  soustraire  à  la  fureur  des  nouveaux  Vandales  et  de  la  cacher  sous  le  plancher  de  la  chapelle,  où 
l'humidité  la  réduisit  en  poussière.  En  1835,  M.  Caire,  curé  de  Meyronnes,  obtint  une  nouvelle 
relique  ;  c'est  une  côte,  la  même  probablement  qui  avait  été  accordée  et  reprise  en  1676. 

A  Guillestre  (Ilautes-Alpes),  on  possède  un  petit  reliquaire  contenant  des  reliques  de  saint  Oprs, 
qui  furent  apportées  d'Aoste  en  1862. 

Nous  pouvons  encore  mettre  au  nombre  des  reliques  de  saint  Ours  le  calice  auquel  son  nom  est 
resté  attaché,  parce  que  la  tradition  porte  que  c'est  celui  dont  il  se  servait  lui-même  pour  la  célé- 
bration des  saints  mystères. 

Ce  calice  d'argent  a  vingt  centimètres  de  hauteur,  seize  centimètres  de  diamètre  ;  le  nœud  et 
le  pied  sont  garnis  de  huit  pierres  précieuses.  On  y  voit  des  fleurs  de  lis  comme  on  en  remarque 
dans  la  mosaïque  de  la  cathédrale,  qui  est  du  vi»  siècle.  On  a  coutume  de  présenter  ce  calice  aux 
femmes  dont  l'accouchement  laborieux  expose  leur  vie  et  celle  des  enfants. 

La  Collégiale  possède  des  reliques  bien  précieuses. 

L'an  1481,  le  28  et  le  29  du  mois  de  décembre,  sous  le  pontificat  de  Sixte  IV,  le  très-illnslre 
George  de  Challand,  prieur  de  la  Collégiale,  avec  l'assistance  du  Chapitre,  procéda  à  la  reconnais- 
sance des  reliques  contenues  dans  la  sacristie.  La  plupart  étaient  munies  de  leur  authentique  ;  elles 
furent  renfermées  dans  des  reliquaires,  et  on  en  fit  un  recensement  qui  y  fut  aussi  inséré. 

Voici  quelques  articles  de  ce  recensement  : 

Nous  avons  xme  dent  et  quelqu'autre  relique  du  corps  de  saint  Pierre,  en  l'honneur  duquel  cette 
basilique  a  été  instituée.  Ces  reliques  sont  renfermées  dans  le  buste  d'argent  construit  en  forme 
apostolique. 

Le  corps  de  saint  Ours,  patron  de  notre  Collégiale,  repose  dans  la  grande  châsse  d'argent  en 
partie  dorée.  Sa  tête  est  renfermée  dans  la  statue  d'argent  nouvellement  construite.  Il  existe  de  ses 
reliques  en  plusieurs  endroits  du  diocèse  et  ailleurs. 

Abrégé  de  la  Yie  de  saint  Ours,  archidiacre  d'Aoste,  par  un  membre  de  la  Collégiale  de  Saint-Pierre 
et  de  Saint-Onrs.  Aoste,  1863. 


SAINTE  MARIE,  SURNOMMEE  LA  DOULOUREUSE, 

VIERGE  ET  MARTYRE 
1294.  — -  Pape  :  Nicolas  IV.  —  Duc  de  Brabant  :  Jean  II. 


Castitas  pulchra  possessio  est  qux  a  feris  non  vasta- 
tiir  et  ab  igné  non  comburitiir. 

La  chasteté  est  une  belle  possession  que  les  bêtes 
féroces  ne  ravagent  pas  et  que  le  feu  ne  brûle  pas. 
S.  Ephrem,  De  Castitate. 

Marie  naquit  dans  le  village  de  Woluve-Saint-Pierre,  près  de  Bruxelles, 
de  parents  très-pieux  et  dont  elle  était  l'unique  consolation.  A  l'exemple 
de  la  Reine  des  Vierges  dont  elle  portait  le  nom  et  pour  qui  elle  avait  une 
tendre  dévotion,  elle  résolut  de  consacrer  à  Dieu  sa  virginité  et  de  se  dé- 
vouer cnlièrement  à  son  service.  Une  vie  de  pénitence  et  de  retraite  lui 
plaisait,  et  Dieu,  qui  avait  mis  en  elle  ce  désir,  lui  donna  les  moyens  de 
l'exécuter.  Ayant  donc  obtenu  la  permission  de  ses  parents,  qui  applaudis- 


SAINTE  MARIE,   SURNOMMÉE  LA  DOULOUREUSE,   VIERGE  ET  MARTYRE.        121 

mienl  eux-mêmes  à  sa  généreuse  résolution,  elle  alla  vivre  à  quelque  dis- 
tance, dans  une  petite  habitation  contigu5  à  une  église  dédiée  à  la  Mère 
du  Sauveur.  Là,  sous  la  protection  de  Dieu  et  de  la  sainte  Vierge,  et  à  la 
grande  satisfaction  des  habitants  du  pays,  qui  savaient,  dans  ces  temps  de 
foi  vive  et  sincère,  apprécier  ce  que  c'était  que  la  prière  et  la  pénitence, 
elle  commença  le  nouveau  genre  de  vie  auquel  le  ciel  l'avait  appelée.  Il  y 
avait  déjà  plusieurs  années  qu'elle  habitait  ce  lieu  dans  une  application  con- 
tinuelle aux  choses  de  Dieu,  et  vivant  des  aumônes  que  lui  donnaient  à 
l'envi  les  personnes  pieuses  de  la  contrée,  lorsqu'un  infâme  libertin  conçut 
l'horrible  pensée  de  la  faire  tomber  dans  le  crime.  Poussé  par  l'esprit  du 
mal  qui  le  possédait,  il  n'eut  pas  honte  de  faire  à  la  vertueuse  recluse  des 
propositions  coupables  ;  mais  elle  les  rejeta  aussitôt  avec  énergie  et  indi- 
gnation. «  Le  démon  »,  dit  ici  le  biographe  de  la  Sainte,  «  était  jaloux  de 
ses  vertus,  et  en  excitant  la  passion  de  l'homme  pervers,  il  voulait  tout  à 
la  fois  l'enfoncer  encore  davantage  dans  le  bourbier  du  vice  et  renverser 
l'édifice  de  sainteté  que  construisait  la  pieuse  Marie  ;  mais  il  ne  parvint  qu'à 
donner  à  l'Eglise  de  Jésus-Christ  une  martyre  de  plus,  et  bientôt  après  un 
nouvel  exemple  de  la  puissance  de  l'intercession  des  Saints  auprès  de  Dieu». 
En  effet,  le  perfide  tentateur,  voyant  qu'il  ne  pouvait  rien  obtenir  par 
ses  paroles,  eut  recours  à  la  ruse.  Ayant  su  que  la  pieuse  fille  allait  quel- 
quefois chez  un  respectable  père  de  famille  des  environs,  qui  la  recevait 
avec  empressement,  à  cause  de  sa  piété  et  afin  que  par  ses  prières  elle  atti- 
rât les  bénédictions  du  ciel  sur  ses  enfants,  il  entra  furtivement  dans  cette 
maison,  un  jour  qu'elle  s'y  trouvait,  et  enleva  une  coupe  d'argent  qu'il 
déposa  avec  adresse  dans  le  petit  sac  dont  se  servait  Marie.  L'innocente 
jeune  fille,  après  avoir  édifié  la  famille  qui  la  recevait,  retourna  pleine  de 
joie  dans  sa  demeure,  emportant  avec  les  petites  provisions  que  la  charité 
de  son  hôte  lui  avait  données,  la  coupe  fatale  qui  allait  devenir  la  cause  de 
sa  mort.  Bientôt,  en  effet,  on  remarqua  qu'un  vase  en  argent  avait  disparu, 
et  l'on  fit  de  toutes  parts,  pour  le  retrouver,  des  recherches  inutiles.  Pen- 
dant ce  temps,  l'infâme  calomniateur  était  allé  près  de  la  demeure  de 
Marie,  l'accusant  de  ce  larcin,  et  lui  déclarant  qu'elle  ne  pourrait  échapper 
aux  poursuites  de  la  justice  qu'en  cédant  à  sa  passion.  Stupéfaite  en  enten- 
dant une  pareille  calomnie,  la  pieuse  fille  se  remet  promptement  de  sa 
première  émotion,  et  déclare  de  nouveau  qu'elle  aimerait  mieux  mourir 
mille  fois  que  de  consentir  à  ce  qu'il  lui  propose.  Et  comme  le  malheureux 
la  menaçait  de  la  traduire  devant  les  juges  :  «  Ce  serait  bien  mal  à  vous  », 
répond-elle  avec  l'assurance  et  le  calme  de  la  vérité,  «  de  livrer  une  inno- 
cente  au  danger  de  la  mort,  lorsque  j'ai  la  conscience  que  je  n'ai  point 
commis  ce  vol  ».  Alors  cet  homme,  saisissant  adroitement  le  petit  sac  qui 
était  à  la  portée  de  sa  main,  en  retire  la  coupe  et  la  présentant  à  Marie  ; 
«  Vous  voilà  convaincue  par  un  témoin  oculaire  »,  s'écrie-t-il,  «  obéissez 
donc  à  ce  que  je  demande  de  vous,  je  vous  soustrairai  à  la  justice  et  il  ne 
vous  sera  fait  aucun  mal  ».  La  jeune  fille  était  comme  hors  d'elle-même; 
elle  ne  pouvait  en  croire  ses  yeux  ni  ses  oreilles.  Se  jetant  aussitôt  par  la 
pensée  dans  les  bras  du  Dieu  qui  connaît  la  vérité  et  qui  sonde  le  cœur  et 
les  reins  ,  elle  repoussa  avec  une  énergique  indignation  le  calomniateur  et 
le  tentateur,  qui  se  dirigea  à  l'instant  vers  la  maison  du  juge  de  la  contrée. 
Là  il  formule  son  accusation  contre  la  Sainte  et  présente,  comme  pièce  de 
conviction,  la  coupe  qu'il  avait  trouvée  dans  le  sac.  «  D'ailleurs  »,  ajou- 
tait-il, «  cette  femme  est  une  magicienne  qui  ensorcelle  les  hommes;  j'ai 
été  moi-même  tellement  fasciné  par  ses  artifices  et  ses  séductions,  que  ja 


122  17  JUIN. 

ne  peux  plus  ni  boire,  ni  manger,  ni  trouver  de  repos  ».  Le  juge  qui, 
comme  tous  les  habitants  de  la  contrée,  connaissait  la  grande  vertu  de  la 
pieuse  Marie,  ne  voulait  point  ajouter  foi  à  ce  qu'il  entendait,  et  paraissait 
disposé  à  repousser  l'accusateur  ;  mais  le  malheureux,  qui  voyait  que  sa 
proie  allait  lui  échapper,  présenta  de  nouveau  la  coupe  qu'il  tenait  dans  ses 
mains  et  força  le  magistrat  de  procéder  contre  la  prétendue  coupable  avec 
toute  la  rigueur  des  lois  de  cette  époque  contre  les  voleurs.  Pendant  que 
ces  choses  se  passaient,  Marie  s'était  hâtée  de  venir  auprès  de  ses  parents 
pour  leur  dire  tout  ce  qui  était  arrivé.  Ceux-ci  la  consolèrent  avec  empres- 
sement et  l'exhortèrent  à  mettre  sa  confiance  en  Dieu  et  en  la  très-sainte 
Vierge,  sa  patronne  et  la  consolatrice  des  âmes  affligées.  Tandis  qu'ils  s'ef- 
forçaient de  la  rassurer  en  lui  disant  que  son  innocence  serait  bientôt  re- 
connue, on  vit  arriver  à  la  porte  de  la  modeste  habitation  le  juge  du  lieu, 
que  le  calomniateur  avait  contraint  à  cette  mesure  rigoureuse.  Les  parents 
aussitôt  se  mettent  en  devoir  de  justifier  leur  fille,  et  de  montrer  combien 
est  invraisemblable,  absurde  même  l'accusation  portée  contre  elle;  mais  le 
juge  déclare  que  malgré  tout,  pour  satisfaire  à  la  loi,  il  faut  qu'il  procède 
à  son  jugement.  Quelques  hommes  d'armes  alors  s'approchent  de  l'inno- 
cente victime,  l'attachent  avec  des  liens  et  se  disposent  à  la  conduire  h  la 
prison  publique.  Le  père  et  la  mère  étaient  dans  une  désolation  inexpri- 
mable et  ne  voulaient  point  laisser  s'éloigner  leur  enfant.  Marie,  de  son 
côté,  en  voyant  ses  parents  repoussés,  ne  put  s'empêcher  de  répandre  des 
larmes  en  abondance.  Tous  ceux  qui  la  voyaient  dans  cet  état,  ne  pouvaient 
aussi  retenir  leurs  sanglots,  et  convaincus  de  l'innocence  de  la  pieuse  fille, 
ils  lui  donnaient  le  nom  de  Douloureuse. 

Après  avoir  passé  quelque  temps  dans  la  prison,  où  l'on  espérait  que  la 
crainte  lui  arracherait  des  aveux,  l'innocente  accusée  fut  amenée  devant  le 
juge,  qui  l'interrogea  sur  la  coupe.  «  Il  est  vrai  »,  répond  Marie,  a  que  cette 
coupe  a  été  trouvée  dans  mon  sac;  mais  elle  y  a  été  mise  par  une  autre 
personne  sans  que  j'en  eusse  connaissance  ».  En  entendant  ces  paroles,  le 
calomniateur  se  lève,  et  interpellant  le  juge,  il  lui  montre  comment  sa 
victime  vient  d'avouer  son  crime  en  cherchant  malicieusement  à  en  rejeter 
sur  un  autre  la  responsabilité. 

A  cette  époque  encore,  et  surtout  dans  certaines  localités,  le  vol  était 
sévèrement  puni,  et  il  n'était  pas  rare  de  voir  condamner  ceux  qui  s'en  ren- 
daient coupables  à  la  peine  capitale.  Trop  faible  pour  résister  aux  instances 
impérieuses  du  calomniateur  de  la  jeune  vierge,  ou  trompé  peut-être  par 
ses  mensonges  habilement  déguisés,  le  juge  prononça  contre  la  jeune  fille 
une  sentence  de  mort  qui  devait  être  immédiatement  exécutée.  Marie  l'en- 
tendit avec  calme  et  résignation,  remettant  à  Dieu  le  soin  de  dévoiler  son 
innocence.  Le  jour  approchait  de  son  déclin  quand  on  la  conduisit  au  lieu 
de  son  supplice.  La  petite  habitation,  où  pendant  quelques  années  elle  avait 
servi  Dieu  avec  tant  de  bonheur,  se  trouvait  sur  le  chemin.  Quand  on  y  fut 
arrivé,  elle  demanda  permission,  avant  de  mourir,  de  dire  une  dernière 
prière  à  la  très-sainte  Vierge.  Le  juge  y  consentit,  et  Marie,  l'âme  navrée 
de  douleur,  tomba  sur  ses  genoux.  Elle  supplia  la  douce  Reine  du  ciel,  celle 
qui  est  le  refuge  de  tous  les  affligés,  de  lui  venir  en  aide  dans  ses  angoisses, 
et  demanda  en  môme  temps  le  pardon  pour  tous  ceux  qui  avaient  pu  con- 
tribuer en  quelque  chose  à  sa  mort.  Elle  demanda  encore  que  ceux  qui 
viendraient  en  ce  lieu  rendre  leurs  hommages  à  la  très-sainte  Vierge, 
fussent  préservés  de  douleurs  ou  blessures,  de  contusions  et  de  condamna- 
tions; et  cela  en  considération  de  la  douleur,  peine  et  anxiété  de  son  âme. 


SAINTE   MARIE,   SURNOMMÉE  LA   DOULOUREUSE,   VIERGE  ET  MARTYRE.         123 

Enfin  elle  pria  pour  elle-même,  afin  qu'après  celle  vie  passagère,  elle  mé- 
ritai d'ôlre  inlroduile,  par  la  Reine  des  Vierges,  dans  le  glorieux  Paradis, 
avec  la  double  couronne  de  la  virginilé  et  du  martyre.  Sa  prière  achevée, 
Marie  se  leva  et  marcha  tranquillement  jusqu'au  lieu  du  supplice.  Là,  le 
bourreau  lui  lia  les  pieds  et  les  mains,  et  fit  ensuite  un  trou  dans  la  terre. 
Pendant  tous  ces  apprêts  funèbres,  les  nombreux  spectateurs  qui  environ- 
naient l'innocente  victime,  répandaient  des  larmes  en  abondance.  L'exé- 
cuteur lui-môme  disait,  en  s'adressant  à  la  jeune  fille  :  «  Marie,  intercédez 
pour  moi,  je  vous  prie,  auprès  de  Dieu  ».  —  «  Je  prie  Dieu  »,  lui  répondit- 
elle,  «  qu'il  vous  pardonne  ce  que  vous  allez  faire  ainsi  que  tous  vos  péchés. 
Je  pardonne  aussi  de  tout  mon  cœur  à  ceux  qui  ont  pu  m'oCTenser  parleurs 
paroles  et  leurs  actions,  et  je  me  propose  de  demander  leur  grâce  auprès 
du  Dieu  miséricordieux  ». 

Cependant  le  calomniateur  de  Marie  la  Douloureuse  était  là  au  milieu 
de  la  foule,  considérant  d'un  œil  sec  tous  les  apprêts  du  supplice.  Quand 
ils  furent  terminés,  le  bourreau  saisit  la  jeune  fille  et  la  plaça  dans  le  trou 
qu'il  avait  pratiqué.  L'ayant  alors  recouverte  de  terre,  il  prit  un  pieu  qua- 
drangulaire,  en  posa  le  bout,  taillé  en  pointe,  sur  le  corps,  puis  trois 
homines,  armés  de  lourds  marteaux,  l'enfoncèrent  avec  violence.  Un  mo- 
menl  après,  le  supplice  de  l'innocenle  vierge  élait  achevé  et  celui  de  son 
calomniateur  allait  commencer.  En  effet,  ce  malheureux,  rentré  dans  sa 
demeure,  chercha  vainement  le  sommeil;  son  âme,  livrée  aux  remords, 
était  agitée  par  les  visions  les  plus  épouvantables.  Bientôt  môme  il  jeta  des 
cris  horribles  et  devint  si  furieux  qu'on  fut  obligé  de  lui  lier  les  pieds  et  les 
mains  pour  l'empêcher  de  s'arracher  la  vie.  Pendant  sept  ans,  ce  grand 
coupable  resta  dans  cet  élat,  qui  était  pour  tous  une  preuve  sensible  de  la 
vengeance  du  ciel.  Ses  parents  et  ses  amis  avaient  déjà  fait  tout  ce  qui  était 
en  leur  pouvoir  pour  le  rappeler  à  la  raison  et  à  la  confiance  en  Dieu,  lors- 
qu'un jour  ils  conçurent  le  projet  de  le  conduire  à  l'église,  près  de  laquelle 
avait  habité  Marie  la  Douloureuse.  Quand  il  fallut  descendre  le  malade  du 
chariot  sur  lequel  on  l'avait  amené,  il  entra  dans  une  telle  fureur,  que  ses 
amis,  désespérant  de  le  pouvoir  faire  pénétrer  dans  l'église,  sonnèrent  la 
cloche  pour  appeler  des  habitants  à  leur  secours.  Ceux-ci  les  aidèrent  à 
conduire  leur  malheureux  parent  devant  l'autel  de  la  sainte  Vierge,  et 
tous  ensemble  y  adressèrent  au  ciel  une  fervente  prière.  Aussilôt  l'esprit 
mauvais  qui  possédait  cet  homme  l'abandonna  :  celui-ci,  se  sentant  guéri, 
tomba  lui-même  à  genoux  et  adressa  sa  prière  à  la  sainte  Mère  de  Dieu  et  à 
la  bienheureuse  Marie  la  Douloureuse.  En  même  temps  il  avoua  publique- 
ment le  crime  dont  il  s'était  rendu  coupable  envers  l'innocente  recluse,  et 
tous  ceux  qui  étaient  présents  adorèrent  la  justice  et  la  miséricorde  de 
Dieu  qui  s'étaient  manifestées  sur  lui  d'une  manière  si  éclatanlc. 

L'auteur  presque  contemporain,  qui  rapporte  la  vie  de  la  vierge  de  Wo- 
luve-Saint-Pierre,  signale  un  grand  nombre  de  guérisons  miraculeuses  opé- 
rées de  son  temps  et  dont  les  détails  étaient  connus  de  tout  le  monde.  Ces 
faits  prodigieux  se  sont  reproduits  encore  très-souvent  depuis  cette  époque, 
surtout  dans  la  chapelle  près  de  laquelle  elle  avait  habité.  Ce  fut  pour  cette 
raison  que,  sur  la  demande  de  douze  prélats,  le  pape  Urbain  V  accorda  en 
1363  des  indulgences  «  en  faveur  des  fidèles  qui  visiteraient  la  chapelle  de 
Sainte-Marie,  vulgairement  appelée  la  Douloureuse,  dans  la  paroisse  de 
Woluve,  au  diocèse  de  Cambrai,  à  différents  jours  de  l'année  ».  Cette  Bulle 
fut  publiée  l'année  suivante  par  Pierre  André,  évêque  de  Cambrai;  elle  le 
fut  de  nouveau  en  1611  par  Mathias  Hovius,  archevêque  deMalines,  diocèse 


424  17  JUIN. 

auquel  appartient  depuis  la  paroisse  de  Woluve-Saint-Pierre.  Le  corps  de  la 
bienheureuse  Martyre  repose  dans  cette  église,  sous  le  maître-autel  :  elle  y 
était  surtout  honorée  le  17  juin,  qui  est  probablement  le  jour  de  sa  mort. 
Des  auteurs  la  fixent  à  l'année  1290,  d'autres  à  1294,  sous  Jean  II,  duc  de 
Brabant. 

Kous  avons  emprunté  cette  biographie  aux  VieM  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Arras,  par  l'abbé  Destombes. 


LE  BIENHEUREUX  PAUL  D'AREZZO,  CARDINAL, 

ARCHEVÊQUE  DE  NAPLES 
1578.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  de  France  :  Henri  III. 


Nihil  est  aliud  pastorale  o/Jicium  quam  ovîbus  sibt 
commissis  sanctitatis  et  laudabilis  conservationis 
exempîum  ostendcre. 

Le  devoir  d'un  pasteur  ne  consiste  que  dans  l'obliga- 
tion oii  il  est  de  donner  l'esemple  de  la  sainteté  et 
d'une  admirable  vigilance. 

S.  Laur.  Just.,  De  Begim.  prxlat.,  cap.  rv. 

Le  bienheureux  Paul  d'Arezzo .  issu  d'une  famille  noble  et  ancienne, 
naquit  en  15ilàltri,  petite  ville  du  royaume  de  Naples,  au  diocèse  de 
Gaëte.  Il  annonça  dès  son  enfance  qu'il  serait  un  jour  un  grand  serviteur 
de  Dieu.  Ses  premières  études  achevées,  il  s'appliqua  au  droit,  et  fut  reçu 
docteur  en  cette  faculté  dans  l'université  de  Bologne.  Il  exerça  près  de  dix 
ans  la  charge  d'avocat  à  Naples,  où  son  désintéressement  et  son  intégrité  le 
firent  universellement  respecter.  A  l'âge  de  trente-sept  ans,  il  retourna  dans 
sa  patrie  pour  s'y  occuper,  dans  la  retraite,  de  sa  propre  sanctification  ;  on 
le  força  depuis  de  revenir  à  Naples  en  qualité  de  conseiller  royal.  Il  choisit 
pour  confesseur  le  bienheureux  Marinon,  supérieur  des  Théatins  de  cette 
ville.  Peu  de  temps  après,  il  renonça  aux  espérances  qu'il  avait  de  s'avancer 
dans  le  monde,  entra  chez  les  Théatins,  et  y  fit  son  noviciat  avec  saint 
André  Avelin  ;  puis  il  prononça  ses  vœux  entre  les  mains  du  bienheureux 
Marinon,  le  2  février  1358.  A  peine  eut-il  été  ordonné  prêtre  qu'il  se  livra 
avec  zèle  aux  fonctions  du  saint  ministère.  Ses  vertus  éminentes  le  firent 
choisir  pour  supérieur  de  la  maison  de  Saint-Paul  de  Naples,  et  sa  conduite 
prouva  qu'il  avait  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  le  gouvernement.  On 
fit  ensuite  d'inutiles  efiorts  pour  le  tirer  de  sa  retraite;  on  lui  ofi'rit  deux  évê- 
chés,  qu'il  refusa  constamment,  et  il  refusa  également  de  se  charger,  au- 
près de  la  cour  d'Espagne,  d'une  commission  importante  qui  intéressait  la 
ville  de  Naples.  Saint  Charles  Borromée  lui  écrivit  deux  fois  à  ce  sujet, 
pour  lui  représenter  qu'il  devait  céder  aux  sollicitations  des  Napolitains. 
Enfin  il  lui  adressa  une  troisième  lettre,  où  il  lui  ordonnait,  au  nom  du 
Pape,  de  partir  au  plus  tôt.  Le  bienheureux  obéit  alors.  L'objet  de  sa  de- 
mande éprouva  d'abord  de  grandes  difficultés  ;  mais  il  ne  se  rebuta  point, 
et  il  obtint  par  sa  persévérance,  qu'il  ne  serait  porté  aucune  atteinte  à  la 
liberté  et  aux  privilèges  de  la  ville  de  Naples.  En  revenant,  il  passa  par  Rome, 
où  il  eut  audience  de  Pie  lY.  De  retour  à  Naples,  il  fut  élu  président  du  cha- 


LE  B.   PAUL  D'AREZZO,   CARDINAl,   ARCHEVÊQUE  DE  NAPLES.  lâS 

pitre  de  sa  congrégation  ;  on  le  nomma  ensuite  supérieur  à  Rome.  Pie  V, 
qui  occupait  alors  le  Saint-Siège,  le  consulta  sur  des  affaires  importantes. 

Ce  Pape,  qui  s'appliquait  ù  donner  à  l'Eglise  des  pasteurs  zélés,  le 
nomma  à  l'évôché  de  Plaisance.  Le  bienheureux  Paul  lui  fit  d'humbles  re- 
présentations, mais  le  Ponlife  n'y  eut  point  égard  et  lui  ordonna  d'accepter. 
Paul  partit  pour  son  diocèse  immédiatement  après  son  sacre.  Là  il  eut  la 
douleur  de  voir  qu'on  n'approchait  presque  plus  des  Sacrements,  qu'on  né- 
gligeait les  pratiques  de  piété,  que  la  corruption  s'était  introduite  jusque 
dans  le  sanctuaire.  Pour  remédier  à  ces  abus,  il  employa  tous  les  moyens 
que  peut  suggérer  un  zèle  éclairé  ;  mais,  parmi  ces  moyens,  il  n'y  en  eut 
point  de  plus  efficace  que  son  exemple.  Sa  ferveur,  sa  modestie,  son  affabi- 
lité, sa  douceur,  son  amour  pour  la  simplicité,  la  rigueur  et  la  continuité 
de  sa  pénitence,  et  l'abondance  de  ses  aumônes,  lui  méritèrent  la  vénéra- 
lion  et  la  confiance  de  tous  les  diocésains. 

Pie  V  l'ayant  nommé  cardinal,  il  fut  obligé  de  venir  à  Rome,  oh  une 
maladie  dont  il  fut  alors  attaqué  le  retint  quelque  temps.  Après  le  rétablis- 
sement de  sa  santé,  il  retourna  à  Plaisance,  oti  il  établit  les  clercs  réguliers 
de  sa  congrégation  ;  puis  la  maladie  de  Pie  V  le  rappela  à  Rome.  Là  il  as- 
sista au  conclave  oh  Grégoire  XIII  fut  élu.  Ce  Pape  le  consultant  sur  la  ma- 
nière de  bien  gouverner  l'Eglise,  le  Bienheureux  répondit  qu'il  fallait  sur- 
tout obliger  les  évoques  à  la  résidence.  Il  repartit  pour  son  diocèse,  lorsque 
sa  présence  ne  fut  plus  nécessaire  à  Rome,  et  il  assista  au  troisième  con- 
cile provincial  de  saint  Charles  Borromée,  appuyant  de  son  suffrage  les  sages 
règlements  qui  y  furent  faits.  11  forma  à  Plaisance  divers  établissements;  il 
y  fonda  entre  autres  deux  maisons,  l'une  pour  les  orphelines,  et  l'autre  pour 
les  filles  ou  femmes  pénitentes  ;  enfin  il  y  tint  deux  synodes,  oh  il  publia 
des  règlements  qui  seront  un  monument  éternel  de  son  zèle  pour  la  disci- 
pline ecclésiastique. 

Grégoire  XIII  le  transféra  du  siège  de  Plaisance  à  celui  de  Naples,  malgré 
tout  ce  qu'il  put  alléguer  pour  empocher  cette  translation.  Le  Saint  fut 
reçu  dans  cette  dernière  ville  avec  les  plus  grandes  démonstrations  de  joie. 
Il  travailla,  comme  il  avait  fait  ù  Plaisance,  à  réformer  les  abus  qui  avaient 
pu  se  glisser  dans  son  nouveau  diocèse.  La  conversion  des  juifs,  des  héré- 
tiques et  des  esclaves  mahométans,  devint  un  des  principaux  objets  de  sa 
sollicitude. 

Cependant  sa  santé  s'affaiblissait  de  jour  en  jour.  On  l'obligea  d'aller 
prendre  l'air  à  la  campagne.  Malheureusement  il  y  fit  une  chute  et  se  cassa 
la  cuisse,  ce  qui  obligea  de  le  rapporter  à  Naples.  La  fièvre  se  joignit  aux 
douleurs  que  lui  causaient  la  fracture  de  sa  cuisse  et  une  toux  continuelle. 
Son  état  devint  bientôt  dangereux.  Il  se  soumit  à  la  volonté  de  Dieu  avec 
une  parfaite  résignation  ;  puis,  après  avoir  fait  son  testament,  il  reçut  les 
derniers  Sacrements  et  se  prépara  avec  un  redoublement  de  ferveur  au  pas- 
sage de  l'éternité.  Il  mourut  le  17  juin  1578,  à  l'âge  d'environ  soixante-sept 
ans.  Il  fut  enterré,  comme  il  l'avait  demandé,  dans  le  cimetière  commun 
des  Théatins  de  Saint-Paul  de  Naples.  On  peut  juger  de  ses  vertus  par  l'es- 
time singulière  qu'eurent  pour  lui  le  saint  pape  Pie  V,  saint  Charles  Borro- 
mée, saint  Philippe  de  Néri,  saint  André  Avellin,  le  bienheureux  Marinon. 
Il  fut  béatifié  le  13  mai  1772.  Les  Théatins  font  sa  fête  le  17  juin. 

Ad.  Sanctorum;  —  Cf.  Godescard,  et  1«  P.  do  Traey.  Paris,  1774. 


126  17  JUIN. 


SAINT  SIMPLICE,  ÉVÉQUE  DE  BOURGES  (477). 

SimpUce  était  issu  d'une  famille  illustre,  qui  avait  donné  des  évêqiies  et  des  gouverneurs,  les 
nns  et  les  autres  d'un  grand  mérite.  Lui-même  ne  dégénéra  pas.  Il  suivit  la  carrière  des  aimes 
dans  sa  jeunesse,  ce  qui  ne  l'empèclia  pas  de  cultiver  toutes  les  vertus.  11  construisit  une  église  à 
ses  frais.  Il  épousa  une  femme  de  l'illustre  famille  des  Palladius;  cette  noble  dame  l'aida  beaucoup 
à  faire  l'éducation  de  leurs  enfants. 

Le  soin  de  sa  famille  n'excluait  pas  celui  de  la  cité  et  de  la  religion.  Il  eut  des  luttes  difficiles 
à  soutenir  contre  les  Goths  ariens,  qui  avaient  importé  l'hérésie  dans  le  midi  de  la  Gaule.  Ces 
hérétiques  le  mirent  en  prison  pour  n'avoir  plus  affaire  à  un  adversaire  si  courageux.  Mais  les  portes 
de  la  prison  s'ouvrirent  miraculeusement  devant  lui.  Ses  services  envers  la  patrie  et  envers  l'Eglise 
le  désiguèrent  aux  suffrages  de  ses  concitoyens  lorsque  le  siège  épiscopal  vint  à  vaquer.  Mais  i) 
déclina  l'élection  pour  la  faire  tomber  sur  son  beau-père  Palladius. 

A  Palladius  succéda  Eulode  ;  après  la  mort  de  celui-ci,  arrivée  en  472,  l'élection  de  l'évêque 
causa  de  violentes  querelles  dans  la  ville  de  Bourges.  On  finit  par  s'en  rapporter  à  l'arbitrage  de 
saint  Sidoine  Apollinaire,  qui  élut  Simplice.  Notre  Saint  fut  enseveli  dans  l'église  qu'il  avait  bâtie, 
et  qui  fut  nommée  plus  tard  Saint-Outrille-du-Chàteau. 

Propre  de  Bourges. 


SAINT  VÉROUL  OU  YORLES,  CURÉ  DE  MARGENAY  (591). 

Suivant  une  ancienne  tradition,  saint  Vorles  reçut  le  jour,  vers  le  milieu  du  vi»  siècle,  au  vil- 
lage de  iMarcenay,  près  de  Chàlillon-sur-Seine,  d'une  famille  alliée  aux  rois  de  Bourgogne.  Il  pré' 
fera,  dès  sa  jeunesse,  les  combats  du  Seigneur  à  ceux  des  princes  de  la  terre,  la  gloire  éternelle  à 
ce  qui  passe,  et  entra  dans  la  cléricalure.  Ordonné  prêtre,  il  se  dévoua  au  salut  des  âmes,  et  il  eu 
fut  à  la  fois  le  guide  et  le  modèle.  Autant  il  était  avide  de  connaître  la  volonté  de  Dieu,  manifes- 
tée par  les  saintes  Ecritures,  autant  il  était  soigneux  de  s'en  nourrir  et  de  l'observer  dans  sa  con- 
duite :  une  modestie  angélique,  une  aimable  simplicité,  toutes  les  vertus  que  Notre-Seigneur  a 
béatifiées  dans  le  sermon  sur  la  montagne,  brillaient  à  son  front  comme  les  diamants  d'une  riche 
couronne. 

Il  consuma  sa  vie  dans  les  fonctions  du  saint  ministère  à  Marcenay,  prenant  une  part  active  à 
l'œuvre  d'apaisement  et  de  civilisation  que  l'Eglise  accomplissait  alors,  et  confirmant  par  des  mi- 
racles l'autorité  de  son  enseignement  et  l'efficacité  de  sa  prière.  Sa  réputation  était  grande,  et  de 
toutes  parts  des  malades  venaient  lui  demander  la  guérisou,  et  des  affligés  la  résignation  et  la 
paix. 

Aganon,  écolâtre  de  Châtillon  au  ix»  siècle,  raconte,  dans  une  homélie  qu'il  fit  le  jour  de  sî 
fête,  le  prodige  suivant  :  Le  roi  Contran,  attiré  par  le  désir  de  voir  les  merveilles  que  la  renom- 
mée publiait  de  saint  Vorles,  vint  à  Marcenay,  et,  pendant  qu'il  assistait  à  la  Messe  avec  les  gens 
de  sa  suite,  il  s'aperçut  que  le  Bienheureux,  saisi  d'un  ravissement  extatique  au  moment  de 
l'Evangile,  comme  saint  Ambroise  à  l'heure  du  trépas  de  saint  Martin,  se  tenait  immobile  et  silen- 
cieux... Après  une  heure  entière  d'attente,  car  personne  n'osait  approcher  de  l'autel,  il  le  vit  re- 
prendre ses  sens  et  continuer  le  sacrifice.  Aussitôt  la  Messe  dite,  il  s'empressa  de  lui  demander  ce 
qu'il  avait  eu  et  pourquoi  il  avait  interrompu  si  longtemps  les  saints  Mystères. 

«  A  l'heure  même  »,  lui  répondit  le  Bienheureux,  «  que  j'offrais  le  divin  Sacrifice,  les  habi 
tants  de  Plaines  l'entendaient  à  Mussy,  et,  en  leur  absence,  le  feu  prenait  à  une  maison  où  dor 
mait  un  enfant;  Dieu  me  l'ayant  fait  connaître,  je  courus  en  toute  hâte  arrêter  l'incendie  et  sau- 
ver l'enfant  ». 

A  ce  récit,  GoQtran,  émerveillé,  dépêche  à  Plaines  des  messagers  fidèles  qui  trouvent  en  effet 
le  peuple  en  émoi,  et  apprennent  que  le  saint  prêtre  de  Marcenay  avait  emporté,  du  milieu  des 
flammes,  un  enfant  dans  ses  bras  et  l'avait  rendu  plein  de  santé  à  ses  parents.  Ainsi  assuré  du 
miracle  par  son  propre  témoignage  et  celui  de  ses  officiers,  il  honora  saint  Vorles  d'une  vénération 


SAINT  VÉROUL  OU  VORLES,    CURÉ  DE   MARCENAT.  127 

plus  profonde  encore  et  le  prit  pour  conseiller.  C'est  à  son  inQuence,  sans  donte^  qu'il  dut  sa  con- 
version et  la  gloire  de  son  règne. 

Oq  u'a  point  d'autres  détails  de  la  vie  de  saint  Vorles;  mais  les  miracles  éclatants  que  Dieu  a 
opérés  à  son  tombeau  servent  de  suffisant  témoignage  pour  démontrer  combien  il  a  saintement  et 
religieusement  marché  dans  la  voie  de  ses  commandements,  et  comme  il  a  porté  sa  croix  en  ce 
monde,  se  conformant  en  tout  à  la  volonté  de  Dieu. 

Le  corps  de  saint  Vorles  reposa  à  Marcenay  depuis  sa  bienheureuse  mort  jusqu'au  ix«  siècle. 
A  l'approche  des  Normands,  qui  ravageaient  le  pays  de  France,  n'épargnant  lien,  brûlant  châteaux, 
chaumières,  églises  et  monastères,  outrageant  sans  pudeur  Dieu  et  ses  Saints,  l'évêque  de  Langres, 
Isaac  le  Bon,  transféra  le  corps  du  saint  Prêtre  de  Marcenay  à  Châtillon,  comme  dans  un  lieu  de 
sûreté  :  «  Une  assistance  nombreuse  l'accompagna  avec  des  flambeaux  et  au  chant  des  hymnes, 
qui  ne  fut  pas  interrompu  durant  toute  la  marche  ».  Il  le  déposa  dans  la  chapelle  Notre-Dame  du 
chilteau,  le  26  mai  de  l'an  868.  «  On  croit  »,  dit  Courtépée,  «  que  l'oratoire  du  château  a  été 
élevé  par  saint  Didier,  évèque  de  Langres  et  martyr,  au  lu»  siècle  ».  Agrandi,  quand  la  foi  devint 
féconde  sur  le  sol  châtillonnais  et  dédié  à  saint  Martin,  il  a  été  encadré,  pour  ainsi  dire,  à  la  fin 
du  .x«  siècle,  dans  l'église  romane  si  belle  et  ei  pieuse  que  l'evèque  de  Langres,  Bruno  de  Roucy, 
fit  bâtir,  et  qui  domine  aujourd'hui  encore  la  ville  de  Châtillon.  Pendant  huit  siècles,  les  reliiiue? 
de  saint  Vorles  y  furent  l'objet  d'une  admirable  dévotion  :  chaque  année,  les  paroisses  voisines 
venaient  en  procession  le  jour  de  la  fête,  et  l'aflluence  était  si  grande  que,  pour  satisfaire  à  la 
piélé  des  pèlerins,  on  disait  une  Messe  en  nleiu  air. 

La  châsse  qui  renfermait  le  très-sainl  corps,  placée  d'abord  sur  deux  colonnes  de  marbre,  fut 
ensuite  suspendue  sous  le  dôme,  au-dessus  du  maitre-autel.  On  la  descendait  pour  les  solennités 
religieuses  et  dans  les  temps  de  calamités.  En  1015,  elle  fut  portée  au  concile  d'Airy,  près  d'Au- 
xerre,  convoqué  par  le  roi  Robert  le  Pieux,  et,  quelque  temps  après,  une  grande  sécheresse  ayant 
amené  dans  le  Châtillonnais  la  famine  et  la  peste,  on  l'exposa  sous  une  tente,  près  de  l'église 
Saint-Mametz,  voisine  du  château  ducal.  La  confiance  des  nombreux  pèlerins  accourus  en  toute 
bâte  fut  aussitôt  récompensée  :  le  fléau  cessa,  et  la  terre,  arrosée  par  une  pluie  abondante,  donna 
une  riche  moisson. 

En  1181,  sous  le  pontificat  d'Alexandre  IV  et  le  règne  de  Philippe-Auguste,  le  vingt-quatrième 
jour  de  mai,  Manassès,  évèque  de  Langres,  fit  l'ouverture  juridique  de  la  châsse,  et  y  trouva  le 
corps  avec  sa  légende.  Il  le  fit  placer  dans  une  châsse  et  élever  sur  deux  piliers  de  marbre.  La 
tète  fut  mise  à  part  pour  être  garnie  somptueusement. 

En  1636  et  1646,  les  habitants  de  Marcenay  ressentirent  les  effets  de  la  protection  de  leur  vé- 
néré patron,  à  l'occasion  d'une  grande  sécheresse  qui  désola  leur  contrée.  En  1784,  la  paroisse  de 
Châtillon  alla  aussi  en  procession,  à  Plaines,  prier  devant  les  reliques  du  Saint,  qui  y  sont  con- 
servées. Elle  n'était  pas  de  retour  à  Sainl-Vorles,  que  les  vœux  de  tous  étaient  exaucés  :  la  séche- 
resse avait  fait  place  à  une  pluie  bienfaisante.  Enfin,  en  1832,  quand,  dans  l'espace  de  douze  jours, 
le  village  de  Plaines  se  vit  enlever  cinquante-deux  de  ses  habitants  par  le  choléra,  saint  Vorles 
fit  connaître  le  crédit  qu'il  avait  auprès  de  Dieu  et  la  protection  qu'il  aimait  à  répandre  sur  ceuv 
qui  l'invoquent.  A  la  suite  d'une  procession  où  furent  portées  ses  reliques,  l'épidémie  ne  lit  plus 
aucune  victime,  et  les  malades  furent  guéris. 

Une  petite  chapelle  est  élevée  à  Plaines,  en  l'honneur  de  saint  Vorles,  à  l'endroit  même  ou 
éclata  l'incendie  dont  nous  avons  parlé.  Elle  rappelle  aux  habitants  qu'ils  ont  au  ciel  un  protecteur 
aussi  puissant  que  dévoué.  Ses  reliques,  conservées  dans  un  buste  et  un  bras  de  bois  doré,  cod 
sistent  dans  une  partie  de  vertèbre  du  saint  Pasteur. 

La  Révolution  a  jeté  au  vent  les  saintes  reliques  conservées  à  Châtillon,  et  brisé  la  châsse  en 
ébène  revêtue  d'argent,  dans  laquelle  Mgr  de  Montmorin  les  avait  renfermées  en  1751,  ainsi  que 
le  buste  et  le  reliquaire  d'argent,  donné  en  1613  par  les  pieux  fidèles  de  Marcenay;  mais  elle  n'a 
pu  détruire  le  culte  du  bienheureux  Prêtre  :  il  vit  dans  les  âmes  et  son  nom  est  resté  populaire» 

On  représente  saint  Vorles  en  habits  sacerdotaux,  tenant  un  enfant  à  la  main.  C'est  ainsi  qu'à 
Chaource,  en  face  de  la  chapelle  dite  du  Paradis,  on  remarque,  fixé  à  un  pilier,  un  groupe  de 
sculpture  qui  représente  saint  Vorles  retirant  un  enfant  d'une  maison  enflammée. 

Tiré  de  la  Vie  des  Saint»  du  diocèse  de  Dijon,  par  l'abbé  Diiplas  ;  et  de  la  Vie  des  Saints  du  diocèse  de 
Troyes,  par  l'abbé  Defer. 


128  17  JUIN. 


SAINT  HERBAUD,  SOLITAIRE  AU  DIOCÈSE  DE  QUIMPER  (viii«  siècle). 

Deux  époux  nobles  et  pieux  de  la  Grande-Bretagne  obtinrent  ce  Saint  par  leurs  prières.  Ils 
étaient  sans  enfants,  et  demandaient  hurablement  au  Seigneur  qu'il  daignât  leur  en  accorder.  Leurs 
vœux  furent  exaucés,  et  Dieu  leur  donna  ce  fils  de  bénédiction,  qui  reçut  le  nom  d'Herbaud  au 
Baptême.  Son  mépris  pour  les  biens  et  les  honneurs  du  monde  croissant  en  lui  avec  les  années,  il 
s'enfonça  dans  une  forêt.  Il  y  trouva  dans  une  caverne  solitaire  un  serviteur  de  Dieu  qui  lui  donna 
les  plus  sages  conseils,  et  qui  l'exhorta  surtout  à  se  détacher  de  tout,  pour  suivre  plus  parfaite- 
ment Jésus-Christ.  Docile  à  ces  leçons,  Herbaud  retourne  à  la  maison  paternelle,  et  annonce  à  ses 
parents,  avec  tout  le  respect  possible,  qu'il  est  dans  la  résolution  de  les  quitter,  afin  de  marcher 
plus  sûrement  dans  la  voie  qui  conduit  au  ciel. 

Ceux-ci  firent  quelque  difficulté,  mais  enfin  ils  cédèrent.  Notre  Saint  s'enfonça  alors  dans  une 
solitude  profonde,  au  diocèse  de  Quimper.  Les  malades  et  les  infirmes  accouraient  de  toutes  parts 
à  sa  cellule,  afin  d'y  trouver  la  guérison  de  leurs  maux.  Il  l'obtenait  par  ses  prières;  et  sa  charité 
ne  se  bornant  pas  à  soulager  leur  corps,  il  profitait  de  ces  occasions  ponr  porter  les  pécheurs  à  la 
pénitence;  il  prêchait  avec  une  ardeur  qui  montrait  combien  il  était  dévoré  de  zèle  pour  le  salut 
des  âmes. 

Après  avoir  mené  une  vie  pure  et  toute  consacrée  au  service  de  Dieu,  Herbaud  connut  que  le 
temps  de  sa  mort  approchait,  et  qu'il  allait  bientôt  recevoir  la  couronne  de  justice  qui  lui  était 
préparée.  Lorsqu'il  se  crut  à  ses  derniers  moments,  il  se  revêtit  de  son  habit  d'ermite  et  s'étendit 
sur  la  terre  nue,  se  plaçant  les  bras  en  croix.  Jaloux  de  sa  sainteté,  et  voulant  profiter  de  l'état  de 
langueur  dans  lequel  se  trouvait  le  serviteur  de  Dieu,  le  démon  l'attaqua  par  diverses  tentations; 
mais  Herbaud,  fidèle  à  implorer  le  secours  du  ciel  par  la  prière,  triompha  de  tous  les  efforts  de 
l'ennemi  du  salut. 

Cette  tempête  étant  apaisée,  le  pieux  solitaire  fut  visité  par  un  religieux,  qui  lui  apporta  le 
saint  Viatique.  Il  le  reçut  avec  larmes  et  avec  une  grande  humilité,  priant  Jésus-Christ  d'être  fa- 
vorable à  un  pauvre  pécheur.  Ce  fut  avec  les  mêmes  sentiments  qu'il  se  munit  des  derniers  Sacre- 
ments de  l'Eglise.  Enfin,  après  avoir  prononcé  ces  paroles  :  «  Seigneur  Dieu,  recevez  mon  esprit  », 
il  rendit  son  âme  à  son  Créateur.  L'auteur  de  sa  Vie  rapporte  qu'à  l'instant  de  son  bienheureux 
trépas,  le  ciel  brilla  d'une  clarté  telle,  qu'il  semblait  que  ce  fût  un  nouveau  soleil  qui  éclairât. 
Les  prêtres  et  les  clercs  du  voisinage  vinrent  prendre  le  corps  du  serviteur  de  Dieu,  et  l'iuhu- 
mèrent  dans  l'église  qui  a  depuis  porté  son  nom.  «  Dans  le  chœur  de  cette  église  »,  dit  M.  de 
Fréminville  (Antiquités  du  Finistère),  «  est  le  tombeau  du  pieux  anachorète  saint  Herbaud.  Il 
consiste  en  un  sarcophage  d'un  granit  assez  grossier;  sur  le  dessus  est  sculptée  en  relief  la  statue 
couchée  du  Saint,  placée  sous  une  arcade  gothique.  Il  est  représenté  en  robe  d'ermite  avec  un  ca- 
mail  rabattu;  il  a  les  cheveux  et  la  barbe  longs;  son  Bréviaire  est  suspendu  à  son  côté  droit.  Du 
bras  gauche  il  soutient  son  bourdon;  ses  pieds,  qui  sont  nus,  reposent  sur  un  lion  couché,  ce  qui 
est  assez  remarquable  dans  la  statue  tumulaire  d'un  religieux.  Le  tombeau  de  saint  Herbaud  ne 
porte  ni  inscription  ni  date,  mais  il  paraît  être  du  même  temps  que  l'église  qui  le  renferme  ». 

Les  guerres  attirant  souvent,  dans  les  xiii»  et  xiv«  siècles,  les  Anglais  en  Bretagne,  des  sol- 
dats de  cette  nation,  alors  catholique,  pénétrèrent  dans  l'église  de  Saint-Herbaud,  et  enlevèrent 
son  chef,  qui  était  orné  d'or  et  d'argent.  Ils  prirent  aussi  la  Légende  qui  contenait  l'histoire  de  sa 
vie,  et  emportèrent  le  tout  dans  leur  pays.  Le  reste  du  corps  fut  respecté,  et  servait  aux  serments 
solennels  que  faisaient,  les  gens  qui  avaient  des  procès. 

Tiré  d«  D.  Lobineau  ;  Lot  Vies  des  Saints  de  Bretagne: 


MARTI'IIOLOGES.  129 


XVIir  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  sur  la  voie  Ârdéatine,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Marc  et  Marcellien, 
frères,  qui,  ayant  été  arrêtés  dans  la  persécution  de  Dioctétien,  par  le  président  Fabien,  furent  at- 
tachés à  un  poteau  et  eurent  les  yeux  percés  avec  des  clous;  et  comme  ils  ne  cessaient  point  de 
louer  Jcsus-Clirist,  on  leur  perça  les  côtés  avec  des  lances,  ce  qui  leur  ouvrit  la  porte  du  ciel,  où 
ils  allèrent  régner  avec  la  gloire  du  martyre.  286.  —  A  Malaga,  en  Espagne,  les  martyrs  saint 
Cyriaque  et  sainte  Paule,  vierge,  qui  rendirent  leurs  âmes  au  ciel,  sous  les  pierres  dont  ils 
furent  accablés.  300.  —  A  Tripoli,  eu  Pliénicie,  saint  Léonce,  soldat,  qui,  par  les  cruels  tour- 
ments qu'il  endura  sous  le  juge  Adrien,  parvint  à  la  couronne  du  martyre,  avec  le  tribun  llypace, 
et  Théodule,  qu'il  avait  convertis  à  Jésus-Christ.  Sous  Vespasien.  —  A  Nicomédie,  en  Bithyiiie, 
saint  Ethère,  martyr,  qui,  dans  la  persécution  de  Dioclétien,  après  le  supplice  du  feu  et  d'autres 
tourments,  eut  la  tète  tranchée,  iv*  s.  —  A  Alexandrie,  la  passion  de  sainte  Marine,  vierge  '. 
Epoque  incertaine.  —  A  Sacca,  au  diocèse  d'Agrigenle,  en  Sicile,  saint  Caloger,  ermite,  dont  la 
sainteté  parait  principalement  dans  la  délivrance  des  possédés.  Vers  4SG.  —  Aux  diocèses  de  La 
Rochelle  et  de  Bordeaux,  saint  Auand,  évèque  de  ce  dernier  siège  et  confesseur.  Vers  431.  —  A 
Schœnaug,  sainte  Elisabeth,  vierge,  célèbre  par  son  exactitude  à  observer  tous  les  devoirs  de  la 
vie  monastique.  1165. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Paris,  sainte  Marine,  surnommée  la  Déguisée,  vierge  et  religieuse  en  Bithy- 
nie.  Vers  150.  —  Aux  diocèses  de  Cologne  et  de  Montpellier,  les  saints  Marc  et  Marcellien,  frères, 
nommés  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  —  A  Nantes,  saint  Hervé  ou  Hai-vian,  nommé  hier  au 
martyrologe  de  France.  —  Au  diocèse  de  Laval,  la  fête  de  saint  Innocent,  évèque  du  Mans  2. 
— Au  village  de  Woluve-Saint-Pierre,  près  de  Bruxelles,  sainte  Marie,  surnommée  la  Douloureuse, 
qui  finit  sa  vie  dans  l'innocence,  par  un  glorieux  martyre  s.  —  A  Lyon,  saint  Jubin,  archevêque 
de  ce  siège,  dont  la  sépulture,  qui  est  dans  l'église  de  Sainl-Irénée,  est  souvent  honorée  de  grands 
miracles.  On  l'invoque  particulièrement  contre  les  douleurs  de  la  goutte.  Son  décès  est  marqué  le 
18  avril  *.  1082.  —  A  Avranches,  saint  Aubert,  évèque,  déjà  nommé  au  16  juin,  qui  bâtit  en 
Normandie  la  célèbre  église  de  Saint-Michel,  sur  une  montagne  au  milieu  de  la  mer.  —  Dans  l'an- 
cien village  de  Celles,  aujourd'hui  La  Grande  Paroisse,  au  diocèse  de  Meaux,  saint  Fortcnat  ou 
Fortuné,  évèque,  ami  de  saint  Germain  de  Paris,  et  écrivain  de  la  Vie  de  saint  Marcel,  évèque  du 
même  siège.  Vers  569.— A  Brioude,  au  diocèse  du  Puy,  saint  Elpide  ou  llpise,  martyr,  et  saint  Arçons 
ou  Archonte,  confesseur,  son  compagnon.  C'étaient  deux  vieillards  dont  l'occupation  journalière 
était  de  paitre  les  troupeaux  dans  les  pâturages  de  l'Auvergne.  On  rapporte  qu'un  Ange  leur  appa- 
rut dans  la  plaine  et  leur  enjoignit  d'ensevelir  à  Brioude  le  corps  du  glorieux  martyr  saint  Julien; 
ils  se  prêtèrent  de  grand  cœur  à  cet  acte  d'un  dévouement  alors  dangereux,  vu  le  temps  de  persé- 
cution où  ils  vivaient,  et,  par  un  prodige  du  ciel,  ils  devinrent  tout  à  coup  aussi  sveltes  et  aussi 
vigoureux  que  des  jeunes  gens  dans  la  fleur  de  l'âge.  Dès  lors,  ils  se  convertirent  :  Elpide  gagna 
bientôt  la  palme  du  martyre;  Arçons  mourut  dans  une  solitude,  rempli  d'années  et  de  mérites. 
iv»  s.  —  Au  Mans,  saint  Innocent,  évèque  de  ce  siège  ^  542.  —  A  Louhans  (Saône-et-Loire), 
Antoine  Boutilier,  prêtre,  natif  de  cette  ville,  et  victime  de  la  Révolution.  1798. 

1.  Quelques  hagiographes  confondent  cette  sainte  Marine,  vierge  et  martyre  à  Alexandrie,  avec  sainte 
Marine  la  Déguisée,  vierge,  dont  nous  donnons  la  vie  ci-aprfes.  Mais  il  faut  absolument  les  distinguer. 
La  sainte  Marine  du  martyrologe  romain  et  des  Bollandistes  est  vierge  et  martyre,  la  nôtre  est  vierge  et 
religieuse,  mais  nullement  martyre. 

2.  Voir  au  jour  suivant.  —  3.  Sa  vie  se  trouve  au  jour  précédent. 

4.  Nous  avons  donné  sa  notice  à  ce  jour,  tome  rv,  p.  481.  —•  5.  Voir  sa  jour  «ttivaat. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  vu.  o 


130  18  JUIN. 


MARTYROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  A  Schœnaug,  sainte  Elisabeth,  vierge,  nommée  au  martyro- 
loge romain  de  ce  jour. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  A  Mantoue,  la  bienheureuse  OzANNE,  vierge,  du  Tiers 
Ordre  de  notre  Père  saint  Dominique,  qui,  dès  l'âge  de  sept  ans,  voua  sa  virginité  à  Dieu,  et  qui 
la  conserva  sans  tache  jusqu'à  sa  mort,  par  le  moyen  dçs  jeûnes,  des  cilices,  des  fouets  et  des 
autres  macérations  corporelles.  1505. 

Martyrologe  des  Hiéronymites.  —  Saint  Jean  de  Saint-Facond. 

ADDITIONS  FAITES  d'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

Au  diocèse  de  Naples,  le  bienheureux  Pierre  de  Pise,  fondateur  de  l'Ordre  des  Ermites  de 
Saint-Jérome,  déjà  nommé  hier.  1435.  —  En  Afrique,  les  saints  Emile,  Félix  et  Marcie,  martyrs, 
indiqués  par  le  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Ravenne,  en  Italie,  les  saints  Félix,  Emile, 
Crispin,  martyrs,  mentionnés  par  le  même.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Léonce,  berger,  et  saint 
Erasme,  qui  s'endormit  dans  la  paix,  après  une  vie  éditiante.  —  A  Steinfeld,  au  diocèse  de  Co- 
logne, les  saints  Potentin,  Félix  et  Simplice,  confesseurs  ou  martyrs,  patrons  de  cette  ville,  vi^  s. 

En  Egypte,  saint  Moïse  d'Ethiopie,  et  sept  autres  saints  anachorètes,  martyrs.  —  En  Sicile, 

les  saints  Grégoire,  évèque  et  primat,  Démétrius,  son  archidiacre,  et  Caloger,  héguraène.  v»  s.  — 
A  Pavie,  sainte  Spécieuse,  vierge,  dont  les  reliques  furent  transférées  en  Saxe.  Commencement  da 
vne  s.  —  Au  diocèse  de  Syracuse,  en  Sicile,  le  bienheureux  Gerland,  chevalier  de  l'Ordre  des 
Templiers  ou  des  Hospitaliers,  xiiie  s.  —  A  Spolète,  «n  Ombrie,  la  vénérable  Marine  Yallarino, 
religieuse  de  Sainte-Marie  de  l'Etoile,  sous  la  Règle  de  Saint-Augustin,  et  fondatrice  du  monas- 
tère de  Saint-Mathieu  de  Spolète.  1300. 


SAINT  MARC  ET  SAINT  MARGELLIEN,  MARTYRS 

286.  —  Pape  :  Saint  Caîus.  —  Empereurs  :  Dioclétien  et  Maximien. 


Qui  amat  patrem  auf  matrem  plus  guam  me,  non  ett 

me  dignus. 
Celui  qni  aime  son  père   on  sa  mère  plas  que  mol, 

n'est  pas  digue  de  moi. 

Matth.,  X,  87. 

Ces  bienheureux  martyrs  étaient  chevaliers  romains,  fils  de  Tranquillin 
et  de  Marcia,  que  leur  noblesse  et  leurs  grands  biens  rendaient  très-considé- 
rables dans  Rome.  Bien  que  toute  leur  famille  fût  païenne,  ils  ne  laissèrent 
pas,  par  une  grâce  singulière  de  la  divine  Providence,  d'être  instruits  et 
élevés  dans  le  christianisme.  Il  y  a  sujet  de  croire  qu'ils  rencontrèrent  heu- 
reusement quelque  précepteur  ou  gouverneur  chrétien  qui  leur  procura  ce 
bonheur.  Cependant  ils  n'en  firent  rien  paraître  à  leurs  parents  ;  et  lorsqu'ils 
furent  en  âge  de  se  marier,  ils  épousèrent  des  filles  de  leur  condition,  sans 
déclarer  leur  religion,  et  en  eurent  môme  des  enfants.  Mais  l'amour  qu'ils 
avaient  pour  Jésus-Christ  ne  leur  permit  pas  de  se  tenir  cachés  plus  long- 
temps ;  ils  furent  arrêtés  l'un  et  l'autre  par  Agreste  Ghromace,  préfet  de  la 
ville  ;  il  les  envoya  en  prison  sous  la  garde  de  Nicostrate,  qui  avait  l'office 
de  premier  greffier.  Après  quelques  interrogations,  dans  lesquelles  ils 
témoignèrent  que  rien  n'était  capable  de  leur  faire  quitter  le  culte  ni  la 
religion  du  vrai  Dieu,  ils  furent  diversement  tourmentés  par  les  bourreaux; 
et,  comme  les  supplices  ne  les  ébranlèrent  pas  plus  que  les  promesses,  ils 


SAINT  MARC   ET   SAINT   MARCELLIEN,    MARTYRS.  131 

furent  condamnés  à  avoir  la  tête  tranchée  :  néanmoins,  on  leur  donna 
trente  jours  de  délai,  parce  qu'on  fit  espérer  à  ce  préfet  que  les  prières  et 
les  larmes  de  leurs  proches  les  amolliraient  enfin  et  les  feraient  changer  de 
résolution. 

Pendant  ces  trente  jours,  les  autres  chevaliers  romains  avec  qui  ils 
avaient  vécu  avec  beaucoup  d'amitié  les  vinrent  trouver,  et  employèrent 
tous  les  artifices  que  leur  fausse  bienveillance  et  la  malice  du  démon  leur 
purent  suggérer  pour  les  corrompre. 

a  Quelle  folie  est  ceci,  chers  amis?  »  leur  dirent-ils.  «  Est-il  possible 
que  vous  soyez  nés  à  Rome  et  élevés  parmi  les  chevaliers  romains  ?  que  ni 
la  vieillesse  de  votre  pauvre  père  ni  les  larmes  de  votre  mère  désolée  ne 
puissent  rien  sur  vous,  pour  vous  faire  quitter  les  rêveries  que  ces  mau- 
dits chrétiens  vous  ont  mises  en  la  tête  ?  Est-ce  là  la  récompense  que  vous 
devez  à  vos  parents,  à  un  père  et  à  une  mère  qui  vous  aiment  tant,  et  qui 
ont  sans  cesse  travaillé  pour  vous  ?  Si  vous  n'avez  compassion  de  ceux  qui 
vous  ont  engendrés,  prenez  au  moins  pi  lié  de  vos  pauvres  enfants  qui  perdent 
tous  leurs  biens  et  leur  noblesse  si  vous  persévérez  dans  cette  opiniâtreté, 
et  deviendront  tout  d'un  coup  nécessiteux,  infâmes  et  orphelins.  Pensez  à 
vos  femmes  et  ne  leur  donnez  pas  le  coup  de  la  mort  de  vos  propres 
mains  » . 

Pendant  que  ces  faux  amis  leur  tenaient  ce  langage,  Marcia,  leur  mère, 
survint,  chargée  d'années  et  de  tristesse.  Elle  se  jeta  à  leurs  pieds  et,  d'une 
voix  entrecoupée  par  les  sanglots  :  «  0  mes  enfants  »,  s'écria- t-elle,  «  vous 
qui  êtes  sortis  de  mes  entrailles,  que  j'ai  nourris  de  mon  lait  et  que  j'ai 
pris  tant  de  peine  à  élever,  pourquoi  courez-vous  ainsi  à  la  mort  ?  A'^oulez- 
vous  tuer  tout  d'un  coup  votre  père,  votre  mère,  vos  femmes  et  vos  en- 
fants ?  0  malheur  inouï,  que  je  voie  les  enfants  que  j'ai  portés  en  mon  sein 
courir  éperdûment  à  la  mort,  sans  que  mes  larmes,  ni  les  regrets  de  toute 
la  ville  de  Rome  puissent  les  retenir  !  Malheureuse  que  je  suis,  puisque  mes 
propres  enfants  prient  le  bourreau  de  les  tuer  et  n'aiment  leur  vie  que  pour 
la  perdre  !  »  Tranquillin,  leur  père,  que  sa  vieillesse  et  les  douleurs  de  la 
goutte  mettaient  hors  d'état  de  marcher,  se  fît  aussi  porter  par  ses  servi- 
teurs dans  la  prison  011  étaient  ses  enfants;  et  déplorant  son  malheur  de 
perdre  ainsi  ceux  qu'il  avait  élevés  avec  tant  de  soin,  il  les  supplia,  s'ils 
avaient  encore  quelque  reste  des  sentiments  de  la  nature,  d'épargner  sa 
vieillesse  et  de  ne  pas  lui  arracher  la  vie  en  prodiguant  inconsidérément 
la  leur. 

a  Tenez,  enfants»,  disait  ce  vieillard  infortuné,  «venez  et  pleurez  avec 
moi  ces  jeunes  hommes  qui  se  livrent  volontairement  à  la  mort.  Venez, 
vieillards,  et  compatissez  à  la  douleur  qui  empoisonne  mes  vieux  jours,  à 
cause  de  ceux  qui  ne  veulent  pas  vivre,  afin  que  je  meure  ». 

Enfin,  pour  rendre  la  tentation  encore  plus  forte,  les  femmes  des  bien- 
heureux Confesseurs  vinrent,  tout  éch^evelées,  se  jeter  à  leurs  pieds. 

«  0  infortunées  et  malheureuses  les  femmes  qui  vous  ont  choisis  pour 
leurs  maris  »,  soupiraient-elles,  «  puisque  vous  les  voulez  fuir  de  la  sorte  et 
abandonner  avec  ces  petits  enfants  I  Où  est  cette  foi  et  ce  nœud  indissoluble 
dont  vous  étiez  liés  avec  nous  et  qui  ne  peut  être  dissous  que  par  la  mort  ? 
Oti  est  maintenant  cet  amour  et  cette  cordiale  affection  qui  nous  ont  valu 
de  si  longues  années  de  bonheur?  Appelez-vous  cela  piété,  que  de  meurtrir 
de  vos  propres  mains  et  de  faire  mourir  tout  d'un  coup  et  ceux  qui  vous 
ont  donné  la  vie,  et  vos  femmes  qui  ne  respirent  que  pour  vous,  et  ces 
petits  êtres  qui  ne  vivront  que  par  vous  ?  Enfants,  approchez-vous  de  vos 


132  18  JUIN. 

pères,  embiassez-les  et  les  tenez  bien,  mourez  avec  eux  puisque  vivre  sans 
eux  ce  vous  serait  une  mort  trop  cruelle  ». 

Quelque  constants  que  fussent  nos  généreux  soldats  de  Jésus-Christ,  ils 
ne  laissèrent  pas  d'être  attendris  par  un  spectacle  si  touchant  et  si  lamen- 
table :  ils  commençaient  à  joindre  leurs  larmes  à  celles  de  leurs  parents,  de 
leurs  femmes  et  de  leurs  enfants  ;  ils  ne  répondaient  plus  avec  la  même  fer- 
meté et  le  même  détachement  de  toutes  choses  ;  la  nature  semblait  avoir 
déjà  quelque  avantage  sur  la  grâce,  et  il  y  avait  danger  qu'ils  ne  se  rendis- 
sent enlin,  et  que  l'amour  ne  fît  sur  eux  ce  que  les  supplices  n'avaient  pu 
faire,  s'ils  n'étaient  promptement  secourus.  Saint  Sébastien,  capitaine  de  la 
première  compagnie  des  gardes  de  l'empereur  Dioclétien,  était  présent  à  ce 
spectacle  :  il  avait  jusqu'alors  tenu  sa  religion  secrète,  pour  mieux  assister 
les  chrétiens  ;  mais  il  vit  bien  qu'il  était  temps  de  se  découvrir  et  de  s'expo- 
ser lui-même  à  la  mort,  pour  empêcher  que  ces  deux  frères,  qui  avaient  si 
généreusement  combattu  contre  la  rage  des  tyrans  et  des  bourreaux,  ne 
fussent  vaincus  par  des  femmes  et  des  enfants.  Il  s'adressa  donc  à  eux  au 
milieu  de  toute  cette  assemblée,  et  leur  parla  sur  la  vanité  et  l'inconstance 
des  choses  de  la  terre,  sur  l'obligation  qu'ils  avaient  de  garder  leur  foi  à 
Dieu,  sur  les  châtiments  terribles  qui  leur  étaient  préparés  en  l'autre  vie, 
s'ils  lui  étaient  infidèles,  et  sur  la  sainte  haine  qu'ils  devaient  avoir  contre 
tous  ceux  qui  voulaient  les  empêcher  de  sauver  leurs  âmes  ;  son  discours 
fut  si  fort,  si  touchant,  qu'il  les  rendit  immobiles  dans  leur  première  réso- 
lution et  leur  fit  mépriser  courageusement  tous  ces  sentiments  humains 
qui  avaient  déjà  fait  impresssion  sur  leur  cœur. 

La  constance  de  ces  deux  Martyrs,  la  force  du  discours  de  saint  Sébastien, 
et  un  grand  miracle  qu'il  fit  en  la  personne  de  Zoé,  femme  de  Nicostrate,  im- 
pressionnèrent vivement  le  père,  la  mère,  les  femmes  et  les  enfants  de  Marc 
et  de  Marcellien  ;  tous,  ainsi  que  Nicostrate  môme  avec  sa  femme  et  toute 
sa  famille,  furent  convertis  et  embrassèrent  le  christianisme. 

On  ne  peut  dire  quelle  fut  la  joie  de  nos  deux  Saints,  en  voyant  ceux  qui 
avaient  fait  tous  leurs  efforts  pour  les  arracher  à  Jésus-Christ,  devenus  eux- 
mêmes  ses  disciples.  Saint  Marc  leur  fit  un  discours,  où,  s'adressant  particu- 
lièrement à  son  père,  à  sa  mère,  à  sa  femme  et  à  celle  de  son  frère,  il  les 
exhorta  à  soutenir  généreusement  la  foi  qu'ils  témoignaient  vouloir  em- 
brasser, à  ne  point  craindre  tout  ce  que  le  démon  pourrait  entreprendre 
pour  la  leur  ravir,  et  à  mépriser,  pour  obtenir  une  félicité  sans  fin  et  sans 
bornes,  une  vie  que  mille  accidents  peuvent  nous  ravir,  et  qui  n'est  qu'une 
source  d'afflictions  et  de  misères.  Toute  l'assemblée  fondait  en  larmes  et 
mêlait  les  regrets  de  son  infidélité  passée  avec  les  actions  de  grâces  qu'elle 
rendait  à  Dieu  de  l'en  avoir  délivrée.  Nicostrate  protesta  alors  aux  Saints 
qu'il  ne  boirait  et  ne  mangerait  point  qu'il  n'eût  reçu  le  saint  Baptême. 

Nicostrate,  devenu  chrétien,  offrit  à  saint  Marc  et  à  saint  Marcellien  une 
entière  liberté  de  s'en  aller  où  ils  voudraient,  pour  éviter  l'exécution  de  la 
sentence  prononcée  contre  eux  ;  mais  ils  lui  répondirent  avec  un  zèle  digne 
de  leur  foi  et  de  leur  constance  :  «  Que  si  lui,  qui  n'était  encore  que  caté- 
chumène, et  qui  venait  de  quitter  les  idoles  pour  embrasser  la  foi  de  Jésus- 
Christ,  avait  néanmoins  la  résolution  de  s'exposer  à  la  mort  pour  la  confes- 
sion de  son  nom,  eux,  qui  étaient  depuis  si  longtemps  ses  serviteurs,  ne 
devaient  pas  abandonner  le  champ  de  bataille  et  quitter  la  couronne  qui  leur 
était  préparée  «.Ainsi,  ils  demeurèrent  chez  ce  nouveau  chrétien,  atten- 
dant avec  une  sainte  impatience  que  le  terme  qui  leur  avait  été  accordé  fût 
expiré.  Au  bout  des  trente  jours,  il  arriva  ce  que  nous  avons  dit  fort  au 


SAINT  MARC  ET   SAINT  MARCELLIEN,    MARTYRS.  133 

long  dans  la  vie  de  saint  Sébastien  :  Tranquillin  leur  père  vint  trouver  le 
préfet  Chromace,  et  lui  déclara  que  ses  enfants  n'étaient  nullement  résolus 
de  donner  de  l'encens  aux  idoles,  et  qu'il  était  entré  lui-même  dans  leur  sen- 
timent, s'élant  fait  chrétien  comme  eux.  Chromace  fut  alors  éclaire  d'une 
lumière  divine,  et  renonça  volontiers  à  sa  préfecture,  qui  le  rendait  homi- 
cide de  tant  d'innocents,  pour  se  faire  disciple  de  Jésus-Christ.  Fabien, 
homme  fort  cruel,  lui  succéda.  Celui-ci  donc,  apprenant  la  sentence  de 
mort  donnée  par  son  prédécesseur  contre  saint  Marc  et  saint  Marcellien, 
ordonna  qu'elle  fût  exécutée  ;  mais,  au  lieu  de  les  faire  décapiter  selon 
qu'elle  portait,  il  les  fit  clouer  à  un  poteau,  où  ils  demeurèrent  vingt-quatre 
heures,  donnant  mille  louanges  à  Dieu  de  la  grâce  qu'il  leur  faisait  de  souf- 
frir ce  tourment  pour  sa  gloire. 

«  Rentrez  en  vous-mftmes,  malheureux  »,  leur  disait  le  juge,  «  et  arra- 
chez-vous à  ces  tourments  ».  —  «Jamais  »,  lui  répondaient  les  bienheureux 
Martyrs,  a  nous  n'avons  goûté,  dans  aucun  festin,  des  délices  comparables 
à  celles  que  nous  éprouvons  en  supportant  ceci  pour  Jésus-Christ  dans 
l'amour  duquel  nous  commençons  à  être  Qxés.  Puisse-t-il  nous  permettre 
de  souffrir  aussi  longtemps  que  nous  serons  revêtus  de  ce  corps  corrup- 
tible !  » 

Après  un  jour  et  une  nuit,  comme  ils  étaient  encore  pleins  de  vie  et 
qu'ils  témoignaient  toujours  la  joie  qu'ils  avaient  de  ce  supplice,  on  les 
perça  à  coups  de  lance.  Ainsi,  en  perdant  le  reste  de  leur  sang,  ils  perdirent 
aussi  la  vie,  le  18  juin  de  l'an  286. 

Leurs  corps  sacrés  furent  d'abord  inhumés  sur  la  voie  Ardéatine,  à  trois 
quarts  de  lieue  de  la  ville,  en  un  endroit  appelé  les  Arèties,  où  l'on  a  vu 
depuis  un  cimetière  de  leur  nom,  entre  le  chemin  d'Appius  et  celui  d'Ardée. 
Quelque  temps  après,  ils  furent  transférés  dans  Rome;  en  1?82,  le  29  juillet, 
sous  le  pontiûcat  de  Grégoire  Xlll,  ils  furent  trouvés  avec  celui  de  saint 
Tranquillin,  leur  père,  sous  un  tombeau  de  marbre,  dans  l'église  de  Saint- 
Côme  et  Saint-Damien,  et  l'on  trouva  aussi,  à  côté,  le  corps  de  saint  Félix  II, 
pape  et  martyr,  celui  qui  condamna  l'empereur  Constance. 

Quand  la  sculpture  ou  la  peinture  représentent  nos  saints  Confesseurs, 
elles  les  réunissent  en  un  groupe  ;  à  leur  côté  se  voit  une  lance,  caractéris- 
tique de  leur  martyre. 

Ils  sont  particulièrement  honorés  àBadajoz  (Espagne),  parce  qu'au  jour 
de  leur  fête  cette  ville  échappa,  comme  par  miracle,  à  l'entière  destruction 
dont  la  menaçait  l'explosion  d'une  poudrière. 

Il  est  fait  mention,  en  ce  jour,  de  nos  saints  Martyrs,  non-seulement  dans  tous  les  mariyrologes,  mait 
aussi  dans  VAntiphonaire  de  saint  Grégoire.  Baronius  en  parle  en  ses  Annales,  aux  années  284  et  286.  — 
Cf.  Acta  Sanctorum,  Ribadeneira,  Godescard,  et  surtout  la  v'..<  de  saint  Sébastien,  que  nou»  avons  insérée, 
au  JO  janvier,  1. 1",  p.  4S9. 


SAINTE  MARINE,  SURNOMMÉE  LA  DÉGUISÉE, 

VIERGE  ET  RELIGIEUSE  EN  BITHYNIE 
750.  —.  Pape  :  Zacharie.  —  Rois  de  France  :  Pépiu  et  Carloman. 


Omni   tempore    calumniam  stistineas   ei  sis   semper 

calumniam  sustinens. 
Vous  porterez  en  tout  temps  le  poids  de  la  calomnie, 

et  sans  cesse  vous  serez  livre'  à  l'opprobre. 
Deuteron.,  xxvni,  29. 

La  Bienheureuse  que  nous  honorons  sous  le  nom  de  Marine  avait 
d'abord  pour  nom  Marie.  On  pense  qu'elle  naquit  en  Bithynie.  Son  père, 
nommé  Eugène,  ayant  perdu  son  épouse,  se  sentit  touché  du  désir  de  re- 
noncer au  siècle.  Ayant  recommandé  sa  fille  à  l'un  de  ses  parents,  il  se 
rendit  dans  un  monastère  à  quelque  distance  de  là.  Il  y  fit  de  grands  pro- 
grès dans  les  exercices  de  la  vie  religieuse.  L'abbé  le  voyant  si  pieux,  si 
humble,  si  obéissant,  s'était  pris  pour  lui  d'une  affection  particulière.  Il 
n'aurait  rien  manqué  au  bonheur  d'Eugène,  s'il  avait  pu  avoir  avec  lui  la 
chère  enfant  qu'il  avait  laissée  dans  le  monde.  Son  souvenir,  en  mouillant 
parfois  ses  yeux  de  larmes,  mettait  quelque  trouble  dans  son  âme  et  la 
remplissait  de  mélancolie.  L'abbé  s'en  étant  aperçu  :  a  Qu'avez-vous,  mon 
frère  »,  lui  dit-il;  «  quelle  est  la  cause  de  votre  tristesse?  Dites-le-moi  en 
toute  franchise,  et  Dieu,  qui  aide  les  affligés,  vous  consolera  ».  —  a  Mon 
père  )),  lui  répondit  le  religieux  en  se  jetant  à  ses  pieds,  «  j'ai  laissé  dans  le 
monde  un  enfant  encore  bien  jeune,  et  c'est  son  souvenir  qui  cause  mes 
peines  ».  —  «  Je  vous  permets  »,  lui  dit  l'abbé,  «  d'aller  le  chercher  et  de 
l'amener  au  couvent  ».  Le  père,  plein  de  joie,  alla  chercher  sa  fille,  lui 
coupa  les  cheveux,  changea  son  nom  de  Marie  en  celui  de  Marin,  et  l'ayant 
vêtue  d'un  habit  de  garçon,  il  lui  recommanda  le  secret  jusqu'à  sa  mort,  et 
l'emmena  au  couvent.  Là,  il  l'instruisit  avec  toute  la  tendresse  d'un  père, 
la  conduisant  dans  les  voies  de  Dieu,  moins  encore  par  ses  leçons  que  par 
ses  exeaiples. 

Fièie  Marin  (c'est  ainsi  que  nous  le  nommerons  maintenant)  n'avait  en- 
core que  dix-sept  ans  quand  il  perdit  son  excellent  père.  Ce  fut  une  grande 
perte,  et  par  suite  aussi  une  grande  douleur.  Marin,  dès  lors,  demeura  seul 
dans  sa  cellule.  Fidèle  aux  leçons  de  vertu  qu'il  avait  reçues,  il  se  faisait  aimer 
de  tout  le  monde,  et  on  le  regardait  comme  le  plus  humble,  le  plus  zélé, 
le  plus  exemplaire  des  frères  de  la  maison.  Comme  le  monastère  était  près 
de  la  mer,  et  qu'il  se  tenait  un  marché  à  trois  lieues  de  là,  les  solitaires  y 
allaient  souvent  chercher,  avec  une  charrette,  ce  qui  était  nécessaire  à  la 
maison.  On  se  plaignit  que  frère  Marin  n'y  allait  point  avec  les  autres. 
L'abbé,  qui  ne  s'en  était  point  aperçu  jusque-là,  lui  dit  un  jour  :  «  Pour- 
quoi n'allez-vous  point  avec  les  autres  pour  les  soulager?  »  Marin  répondit 
humblement  :  «  Je  n'y  manquerai  plus,  puisque  vous  me  le  commandez, 
mon  père  ».  Depuis  ce  jour,  il  alla  au  marché  avec  les  autres,  et  lorsqu'il 
était  trop  tard  pour  revenir  coucher  au  monastère,  il  demeurait  avec 


SAJNTE  MABTNE,   SURNOMMÉE  LA  DÉGUISÉE,   VIERGE  ET  RELIGIEUSE.         135 

les  autres  frères  dans  un  hôtel,  au  lieu  même  où  se  tenait  le  marché. 
L'hôtelier  avait  une  fille  qui,  s'étant  laissée  séduire  par  un  soldat,  com- 
mit une  faute.  Ses  parents,  s'en  étant  aperçus,  la  maltraitèrent  rudement  et 
la  forcèrent  de  nommer  son  complice.  Elle  nomma  frère  Marin.  Là-dessus,  le 
père  court  au  couvent,  et  plein  de  colère,  il  raconte  à  l'abbé  l'outrage  que 
lui  a  fait  le  solitaire  Marin.  L'abbé,  quoiqu'il  ne  pût  croire  le  frère  Marin 
coupable  d'un  si  grand  crime,  le  fait  venir  et  lui  dit  de  quoi  il  était  accusé. 
Marin,  après  avoir  jeté  ses  regards  au  ciel  et  réfléchi  un  instant,  ne  voulut 
point  révéler  son  secret,  il  se  contenta  de  dire  en  soupirant  :  «  Je  suis  très- 
coupable,  mais  je  suis  disposé  à  faire  pénitence  ».  L'abbé,  le  croyant  alors 
convaincu  par  sa  bouche,  le  fit  châtier  selon  toutes  les  rigueurs  de  la  disci- 
pline, et  le  chassa  du  couvent. 

L'humble  religieux  demeura  trois  ans  à  la  porte  du  monastère,  accep- 
tant la  pénitence  qui  lui  était  imposée,  couchant  sur  la  terre  nue,  jeûnant, 
pleurant  et  conjurant  les  solitaires  qui  entraient  et  sortaient  d'implorer 
pour  lui  la  miséricorde  divine,  et  leur  demandant  un  peu  de  pain,  quand  il 
était  dans  une  extrême  nécessité.  Bientôt  môme  il  fallut  un  surcroît  de  pé- 
nitence. La  fille  de  l'hôtelier,  ayant  mis  au  monde  un  fils,  l'envoya,  aussitôt 
qu'il  fut  sevré,  au  frère  Marin,  en  lui  disant  :  «  Yoilà  votre  enfant,  nourris- 
sez-le comme  vous  pourrez  ».  Marin  l'accepta,  comme  s'il  était  le  sien,  lui 
donna  tous  ses  soins  sans  jamais  murmurer,  et  le  nourrit  pendant  deux  ans 
du  fruit  de  ses  aumônes. 

Après  ce  temps,  les  frères  étant  touchés  de  compassion  vinrent  trouver 
l'abbé,  le  priant  de  recevoir  Marin  dans  la  communauté  et  lui  disant: 
«  Mon  père,  pardonnez  à  notre  frère  et  recevez-le  ;  il  y  a  cinq  ans  qu'il 
couche  à  terre  et  qu'il  fait  pénitence,  exposé  à  toutes  les  injures  de  l'air, 
aux  reproches  et  au  mépris  des  passants.  Recevez-le  donc  à  merci,  ainsi 
que  Notrc-Seigneur  Jésus-Christ  l'ordonne  ».  L'abbé,  vaincu  par  leurs  ins- 
tances, lui  permit  enfin  de  rentrer,  et  quand  il  le  vit  prosterné  à  ses  pieds  : 
«  Je  vous  fais  grâce  »,  dit-il,  «  en  considération  de  votre  père  qui  était  un 
saint  homme.  Mais  comme  votre  faute  est  énorme,  il  faut  que  la  pénitence 
soit  proportionnée.  C'est  pourquoi  je  vous  demande  de  balayer  seul  toute 
la  maison,  d'apporter  l'eau  nécessaire,  de  nettoyer  les  chaussures  des  frères, 
et  de  les  servir  tous. 

Marin  accepta  la  pénitence  d'un  grand  cœur  et  s'en  acquitta  avec  cou- 
rage. Mais  le  fardeau  était  bien  certainement  au-dessus  de  ses  forces  déjà 
usées  par  tant  de  privations  et  d'austérités.  Il  y  succomba  et  mourut  après 
quelques  jours  de  maladie.  Les  frères  ayant  rapporté  sa  mort  à  l'abbé,  il 
leur  dit  :  «  Voyez  quelle  était  la  grandeur  de  son  crime,  puisque  Dieu 
ne  lui  a  pas  môme  laissé  le  temps  d'en  faire  pénitence  !  Ne  laissez  pas 
néanmoins,  par  charité,  de  l'ensevelir,  et  enterrez-le  bien  loin  du  mo- 
nastère ». 

Pendant  qu'ils  exécutaient  cet  ordre,  quelle  ne  fut  pas  leur  surprise,  en 
découvrant  que  ce  n'était  pas  un  frère,  mais  une  sainte  sœur  qui  avait  vécu 
parmi  eux.  Ils  se  mirent  tous  à  crier  en  se  frappant  la  poitrine  :  a  Com- 
ment a-t-elle  pu  souffrir  tant  de  peines,  tant  de  mauvais  traitements,  tant 
de  mépris,  quand  d'un  seul  mot  elle  aurait  pu  s'en  garantir?  »  Ils  cou- 
rurent tous  en  pleurs  vers  l'abbé  pour  lui  apprendre  cette  nouvelle. 

L'abbé  étant  accouru  auprès  des  dépouilles  mortelles  de  la  Sainte,  se 
laissa  tomber  de  douleur,  et,  se  frappant  la  tête  contre  terre,  il  s'écriait  : 
«  Servante  de  Dieu,  je  vous  conjure  par  Jésus-Christ,  ne  m'accusez  pas  des 
peines  que  je  vous  ai  fait  soufFriri  vous  savez  que  je  l'ai  fait  par  ignorance. 


136  18  JUIN, 

Vous  ne  m'aviez  point  déclaré  votre  secret,  hélas  !  je  n'ai  point  eu  assez 
de  lumières  pour  distinguer  la  pureté  de  vos  actions  ».  Il  commanda  en- 
suite que  le  saint  corps  fût  enterré  dans  l'oratoire  du  monastère.  La 
méchante  fille  qui  avait  diffamé  saint  Marin  ayant  appris  ce  qui  se  passait, 
tomha  dans  des  accès  de  fureur,  et  le  démon  s'empara  d'elle.  Heureuse- 
ment qu'on  la  conduisit  au  monastère,  où,  ayant  avoué  son  crime  avec 
larmes,  elle  fut  délivrée,  le  septième  jour,  par  l'intercession  de  la  Sainte. 
Les  monastères  qui  étaient  situés  dans  le  voisinage,  et  les  habitants  qui 
étaient  aux  environs,  ayant  appris  ce  miracle,  vinrent,  avec  la  croix  et  des 
cierges  allumés,  honorer  le  tombeau  de  la  Bienheureuse.  Ils  bénirent  Dieu 
en  chantant  des  hymnes  et  des  cantiques,  et  le  glorifièrent  d'avoir  ainsi 
sanctifié  sa  servante  par  des  grâces  extraordinaires,  et  d'avoir  manifesté 
sa  sainteté  par  des  miracles. 

Sainte  Marine  mourut  vers  l'an  750.  En  1230,  ses  reliques  furent  trans- 
portées de  Constantinople  h  Venise,  ori  elles  se  gardent  dans  une  église  de 
son  nom.  L'Eglise  de  Venise  célèbre  cette  translation  le  17  juillet. 

Cette  Sainte  était  patronne  d'une  paroisse  de  Paris,  dont  l'église  subsiste 
encore  ;  mais  elle  sert  à  des  usages  profanes.  Des  reliques  s'y  conservaient; 
il  reste  une  côte  de  la  Sainte  :  elle  se  garde  maintenant  dans  l'église  métro- 
politaine de  Paris. 

On  représente  sainte  Marine  avec  un  petit  enfant  à  ses  côtés  ;  nous  avons 
donné  dans  sa  Vie  l'explication  de  cette  caractéristique.  Quelquefois  on  la  voit 
peinte  en  ermite,  probablement  à  cause  des  années  d'humiliation  qu'elle 
passa  hors  de  son  monastère,  victime  d'une  infâme  calomnie.  A  côté  d'elle 
se  voit  parfois  une  possédée  ;  c'est  sa  calomniatrice  qui  ne  put  trouver  que 
près  d'elle  sa  délivrance.  Enfin  on  la  peint  souvent  avec  des  vêtements 
d'homme,  pour  rappeler  le  déguisement  sous  lequel  elle  parvint  à  entrer 
dans  le  monastère  de  son  père. 


M.  l'abbé  CaiUet. 


SAINTE   OZÂNNE,    YIERGE, 

DU  TIERS  ORDRE  DE  SAINT-DOMINIQUE 
1505.  —  Pape  :  Jules  II.  —  Roi  de  France  :  Louis  XII. 


In  carne  angelicam  vitam  acquirere  majus  est  meritum 

quam  habere  ;   esse  angelum,  felicitatis  est  ;  esse 

vero  virginem  virtutis. 
H  est  plus  méritoire  de  mener  une  vie  angjîiique 

dans  une  chair  mortelle  que  d'être  ange  par  nature; 

car  être  ange  est  Un  bonheur  et  être  vierge  est  une 

vertu. 

s.  Hier.,  ep.  x  ad  Paulam  et  Euslochium. 


Ozanne  vint  au  monde  àMantoue  :  son  père  s'appelait  Nicolas,  et  sa  mère 
Agnès;  ils  étaient  chrétiens,  et  ils  élevèrent  leur  enfant  dans  les  maximes 
de  la  vraie  foi.  La  petite  fille  profita  merveilleusement  des  grâces  que  le 
Seigneur  lui  fit  dès  son  enfance.  A  l'âge  de  six  ans  elle  sentit  son  cœur 
s'embraser  de  l'amour  de  Dieu,  et  tout  entière  à  sa  dévotion,  ayant  demandé 


SAINTE   OZA.NNE,   VIERGE.  137 

au  Saint-Esprit  la  lumière  pour  bien  connaître  ses  devoirs  et  la  force  pour 
les  bien  accomplir,  elle  entendit,  au  dedans  d'elle-même,  une  voix  qui  lui 
dit  intelligiblement  :  «  Ma  fille,  la  bonne  vie  consiste  à  aimer  Dieu  de  tout 
son  cœur  » . 

Le  bon  ange  conduisit  un  jour  la  petite  Ozanne,  en  esprit,  au  séjour  du 
ciel,  où  il  lui  montra  la  gloire  des  Saints;  quand  elle  fut  revenue  à  ses  sens, 
elle  s'offrit  à  Dieu,  sans  nulle  réserve,  lui  demandant  pour  unique  faveur  de 
lui  être  agréable  pendant  tout  le  cours  de  sa  vie.  Aussitôt  Notre-Seigneur 
lui  apparut,  sous  la  forme  d'un  petit  enfant  ravissant  de  beauté,  le  front 
couvert  de  belles  boucles  de  cheveux  blonds,  mais  ceint  d'une  couronne 
d'épines,  et  une  lourde  croix  sur  les  épaules;  il  tendit,  en  souriant,  ses 
petits  bras  vers  la  jeune  vierge,  et  ouvrant  sa  bouche  divine,  il  lui  dit  : 
«  Chère  Ozanne,  je  suis  le  Fils  de  Marie  :  à  mon  exemple,  il  faut  te  disposer 
à  beaucoup  souflrir  ;  cependant,  ne  crains  point,  jamais  je  ne  t'abandon- 
nerai ».  Il  disparut  ensuite,  et  la  jeune  enfant  demeura  toute  pleine  d'un 
amour  brûlant  pour  son  Dieu,  et  du  désir  de  beaucoup  endurer  pour  lui  plaire. 

A  dater  de  ce  moment,  la  jeune  fille  se  livra  plus  entièrement  et  plus 
avidement  encore  aux  exercices  de  la  plus  tendre  piété,  à  la  prière,  h  l'aus- 
térité de  vie,  à  la  méditation  de  la  passion  du  Sauveur  et  à  la  fréquentation 
des  Sacrements.  Le  divin  Sauveur  s'éprit  pour  celte  vierge,  si  humble  et  si 
pure,  d'une  admirable  affection  :  il  descendit  souvent  vers  elle  d'une  façon 
toute  familière,  lui  enseignant  à  comprendre  les  choses  de  Dieu.  Un  jour  de 
la  Purification,  comme  elle  voyait  en  esprit  l'offrande  que  faisait  Marie  de 
son  enfant  céleste,  au  temple  de  Jérusalem,  et  l'enfant  Jésus  au  bras  du 
vieillard  Siméon,  la  Vierge-Mère  le  prit,  se  tourna  vers  elle,  le  lui  donna 
pour  le  baiser,  et  le  reposa  sur  son  cœur  :  Ozanne  en  reçut  une  joie  et  une 
consolation  inexprimables. 

Ces  faveurs  insignes  de  Jésus  et  de  Marie  ne  cessèrent  point  à  son  égard, 
pendant  toute  l'étendue  de  sa  vie  :  elle  eut  le  douloureux  bonheur  de  se 
voir  marquée  des  stigmates  de  la  croix,  de  la  couronne  d'épines  et  de  la 
lance  déicide  ;  elle  reçut,  plus  d'une  fois,  dans  ses  extases,  lorsqu'elle  était 
intimement  unie  à  son  Bien-Aimé,  la  communion  de  la  main  des  anges; 
Dieu  lui  communiqua  souvent  les  secrets  de  l'avenir  et  lui  remit  en  main 
le  pouvoir  d'opérer  des  miracles. 

Si  la  pieuse  vierge  s'était  donnée  tout  entière  à  Dieu,  ce  n'est  point 
qu'elle  n'eût  été  détournée  de  sa  voie  et  poussée  à  se  donner  au  monde. 
Ses  parents  eux-mêmes,  comme  il  arrive,  hélas  !  trop  souvent,  avaient  été 
les  premiers  à  la  solliciter  à  une  conduite  moins  parfaite.  A  l'âge  de  quinze 
ans,  ils  lui  avaient  proposé  l'état  du  mariage  ;  mais  elle  leur  avait  franche- 
ment répondu  qu'elle  s'était  irrévocablement  donnée,  et  qu'elle  espérait  ne 
se  reprendre  jamais  :  Jésus  lui  seul  devait  posséder  tout  son  cœur.  Néan- 
moins, se  voyant,  malgré  sa  résolution  bien  exprimée,  en  butte  à  des  solli- 
citations nouvelles,  dans  l'espoir  d'y  couper  court,  elle  prit  l'habit  du  Tiers 
Ordre  de  Saint-Dominique,  et  le  porta  publiquement.  Ses  parents  lui 
demandèrent  pour  combien  de  temps  elle  s'était  choisi  cet  habit  :  «  Pour 
toute  ma  vie  »,  répondit-elle,  «  et  je  l'emporterai  avec  moi  en  terre  quand 
je  mourrai  ».  Ils  eurent  assez  de  religion  pour  la  laisser  en  paix. 

L'ardeur  de  l'amour  divin  s'agrandit  tellement  dans  cette  âme  sainte, 
qu'elle  ne  vivait  plus  et  n'agissait  plus  que  par  lui  ;  cet  amour  sacré  éclatait 
dans  toutes  ses  paroles  et  dans  toute  sa  conduite.  Elle  avait  coutume  de 
dire  :  u  Oui,  j'aimerais  mieux,  aimant  mon  Dieu,  me  trouver  avec  Judas  en 
enfer,  que  d'être,  sans  amour,  la  première  sainte  du  paradis  ». 


138  18  JUEf. 

On  peut  juger  par  là  de  l'amour  qu'elle  avait  pour  son  prochain  ;  car 
l'amour  du  prochain  est  dans  une  âme  en  raison  de  son  amour  pour  Dieu. 
Elle  assistait  les  pauvres  au-delà  de  ses  moyens  ;  elle  visitait  les  malades, 
leur  procurant  tous  les  secours  qui  étaient  en  son  pouvoir  ;  elle  aimait  à 
consoler  ceux  qui  gémissaient  dans  les  angoisses  de  l'affliction  ;  elle  se  pri- 
vait pour  soulager  les  malheureux,  se  tirant,  comme  on  dit,  le  morceau  de 
la  bouche  pour  leur  donner  à  manger. 

Sa  charité  reposait  sur  la  base  d'une  humilité  profonde  ;  elle  s'estimait 
la  dernière  des  créatures,  la  plus  ingrate  et  la  plus  indigne,  ne  sachant  pas 
remercier  Dieu  pour  toutes  les  grâces  qu'il  lui  avait  faites  et  que  lui  versait 
journellement  sa  main  libérale,  et  sans  cesse  multipliant  le  nombre  de  ses 
offenses.  Elle  sentait  une  répugnance  extrême  pour  toute  espèce  de  louanges, 
et  fuyait  tout  ce  qui  pouvait  tourner  à  sa  propre  gloire,  notamment  pour 
les  sacrés  stigmates  dont  l'avait  empreinte  le  Sauveur,  et  qu'elle  cachait  de 
tout  son  possible,  de  peur  d'en  être  estimée  et  honorée. 

Elle  eut,  cette  humble  fille,  ce  qu'elle  souhaitait,  le  mépris  des  hommes, 
la  haine  des  démons,  les  persécutions  et  les  railleries.  On  la  calomnia  bas- 
sement ;  on  la  traita  d'hypocrite  et  de  sorcière  ;  on  la  voulut  faire  passer  pour 
folle,  et  on  alla  jusqu'à  la  confier  aux  médecins  pour  guérir  sa  tête  déran- 
gée. Ces  tracasseries  lui  remplirent  l'âme  de  perplexités  et  d'inquiétudes  ; 
elle  tomba  en  proie  aux  scrupules,  et  fut  tentée  un  moment  de  se  livrer  à 
un  fatal  désespoir.  Les  démons,  animés  contre  elle  d'une  étrange  furie,  la 
maltraitèrent  plus  d'une  fois,  l'accablant  de  coups  pendant  la  nuit,  et  la 
laissant  presque  sans  vie.  Ils  essayèrent  d'enflammer  son  âme  des  feux 
impurs  de  la  concupiscence  charnelle,  lui  disant,  par  moquerie,  qu'elle  pou- 
vait bien  tant  se  gêner  et  se  vaincre,  puisqu'elle  était  destinée  aux  flammes 
de  l'enfer.  «  Allez,  maudits  »,  leur  dit-elle;  «  oui,  mes  péchés  méritent 
l'enfer,  mais  je  me  confie  aux  mérites  de  mon  Sauveur  ;  il  aura  pitié  de  mon 
âme  )). 

Enfin  la  paix  lui  re\int  :  la  prière,  la  confession,  la  confiance  en  Dieu, 
avaient  triomphé  de  tout  ;  rien  ne  put  ébranler  cette  âme  uniquement  appuyée 
sur  son  amour  pour  le  Seigneur.  Après  avoir  ainsi  triomphé  du  monde,  des 
démons  et  d'elle-même  ;  après  avoir  soutenu  tant  de  combats  d'où  elle  sortit 
toujours  victorieuse  ;  arrivée  à  la  cinquante-sixième  année  de  sa  vie,  Ozanne 
sentit  qu'elle  allait  mourir.  Elle  se  recueillit  en  son  Dieu,  recommanda  son 
âme  à  l'Epoux  sacré  qu'elle  avait  aimé  de  toutes  les  affections  de  son  cœur, 
puis  elle  s'endormit  du  sommeil  paisible  de  la  mort  des  justes,  le  18  juin 
loOo.  Son  corps  fut  inhumé  en  grande  pompe  dans  l'église  des  Dominicains, 
où  Dieu  l'honora  de  nombreux  miracles.  Léon  X  a  permis  son  office  pour 
le  diocèse  de  Mantoue. 


La  vie  d'une  Sainte  pour  chaque  jour  de  l'année,  par  l'abbé  Chapia. 


SAINT   CYRIAQUE   ET  SAINTE  PAULE, 

MARTYRS  A  MAIAGA  EN  ESPAGNE  (300). 

Pendant  les  dix  années  que  la  sanglante  persécution  de  Dioclétien  et  de  Maximien  exerça  se 
fureurs  et  sa  rage  contre  tous  les  membres  du  Christ,  il  y  eut  une  si  grande  multitade  de  fidèles 
qui  trionifilièrenl  en  mourant  pour  la  foi,  que,  dans  un  seul  mois,  dix-sept  mille  obtinrent  la  palme 
du  martyre.    \lorà  l'Espagne  compta  une  foule  de  vaillants  soldats  du  Christ  :  la  Bétique  brilla 


SAINT  AMAM),    ÉVÉQUE  DE   BORDEAUX.  139. 

par  réclatante  confession  de  ses  Saints;  les  prisons  et  les  bagnes  furent  remplis  par  des  légions 
de  Martyrs,  les  tribunaux  retentirent  de  la  gloire  du  Seigneur,  les  idoles  furent  rejetées  avec  dé- 
dain, des  borames  dignes  de  Dieu  et  prodigues  de  leur  vie,  lui  consacrèrent  leur  sang,  qu'ils  ré- 
pandirent pour  la  gloire  de  son  nom. 

Les  plus  illustres  athlètes  dans  cette  persécution  furent  Cyriaque  et  la  vierge  Paule.  Amenés  au 
tribunal  du  juge  païen,  à  Malaga,  ils  rendirent  compte  de  leur  foi  et  souffrirent  pour  la  défendre 
d'innombrables  tortures  et  de  cruels  supplices.  Rien  ne  pouvant  leur  faire  renier  Jés'js-Chrisl,  le 
juge  impie  ordonna  qu'ils  fussent  lapidés.  Aussitôt  les  .maints  Martyrs  courent  pleins  de  joie  au 
combat,  et  reçoivent  avec  intrépidité  une  grêle  de  pierres  qui  broycnt  leur  corps,  et  sous  lesquelles 
ils  tombent  ensevelis.  Les  pierres  se  choquaient  encore  sur  leurs  membres  brisés,  quanJ  ils  ren- 
dirent leurs  Ames  à  Dien,  environ  l'an  du  salut  300,  le  IS  juin.  La  noble  cité  de  Malaga  fut  em- 
pourprée de  leur  sang  vénérable.  Plus  tard,  cette  ville,  après  avoir  été  six  cent  soixante-dix  ans  aa 
pouvoir  des  perfides  mahométans,  rentra  sous  la  domination  des  cluétiens,  le  19  août  de  l'an  du 
Seigneur  1487,  sous  le  règne  des  princes  catholiques  Ferdinand  et  Isabelle,  qui,  le  même  jour, 
prenant  possession  de  la  très-noble  cité,  y  entièrent  en  triomphe.  Les  deux  souverams,  après  avoir 
purifié  la  ville  des  souillures  musulmanes,  rendirent  à  Dieu  de  joyeuses  actions  de  grûces  et  in- 
formèrent de  leur  victoire  Innocent  Vlli,  qui  occupait  alors  le  Siège  Apostolique.  Dans  la  joie  que 
lui  causa  ce  triomphe  et  le  rétablissement  de  la  foi  dans  un  lieu  qu'elle  avait  autrefois  possédé,  le 
Pontife  romain  adressa  à  Leurs  Majestés  catholiques  un  rescrit  où  il  disait  que  la  ville  de  Malaga 
a  été  consacrée  par  le  martyre  de  saint  Cyriaque  et  de  sainte  Paule,  lapidés  autrefois  comme 
Etienne,  le  premier  martyr.  C'est  pourquoi  les  habitants  de  Malaga  se  sont  mis  sous  la  tutelle  et 
le  patronage  des  deux  Saints,  et  ont  bâti  une  église  sous  leur  invocation.  A  leur  fête,  qui  est 
très-renommée,  le  clergé  et  le  sénat  en  corps  se  rendent  solennellement  dans  cette  basilique;  et 
tous  les  ans,  en  présence  du  Seigneur,  ils  célèbrent  par  des  réjouissances  extraordinaires  la  mé- 
moire de  la  mort  très-précieuse  de  ces  saints  Martyrs. 

Légendes  du  Bréviaire  romain. 


SAINT  AMAND,  ÉVÉQUE  DE  BORDEAUX  (vers  431). 

Les  lettres  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Paulin  de  Noie  sont  tout  un  long  panégyrique  de  saint 
Amand  de  Bordeaux.  On  ne  connaît  aucun  détail  ni  sur  sa  naissance  ni  sur  sa  famille;  on  croit 
ordinairement  qu'il  est  né  après  le  milieu  du  iv»  siècle,  dans  la  ville  même  de  Bordeaux  ou  dans 
le  diocèse. 

Dès  son  enfance,  il  fut  élevé  dans  l'étude  des  Lettres  sacrées,  où  il  puisa  une  doctrine  toute 
sainte.  Jamais  il  ne  fut  souillé  par  le  commerce  du  monde  ni  par  les  péchés  de  la  chair.  Cette  pu- 
reté de  vie  le  rendit  si  agréable  ii  Dieu,  que  saint  Paulin  de  Noie  le  charge  de  dire  au  Seigneur, 
en  sa  faveur,  comme  autrefois  Moïse  pour  le  peuple  d'Israël  :  «  Ou  pardonnez-lui,  ou  effacez-moi 
de  votre  livre  ». 

Il  fut  un  des  principaux  instruments  dont  Dieu  se  servit  pour  opérer  la  conversion  du  même 
saint  Paulin,  et  la  manière  dont  celui-ci  en  parle  fait  juger  que  ce  fut  saint  Amand  qui  le  caté- 
chisa et  le  présenta  sur  les  fonts  sacrés  du  Baptême.  Après  que  saint  Paulin  eut  renoncé  au 
monde  et  quitté  les  Gaules,  saint  Amand  et  lui  lièrent  ensemble  un  commerce  réglé  de  lettres,  se 
servant  pour  cet  office  de  charité  d'un  nommé  Cardumas,  que  saint  Amand  avait  porté  à.  s'a- 
donner à  la  piété. 

Saint  Delphin  étant  mort,  le  prêtre  Amand,  qu'il  avait  chargé,  de  son  vivant,  du  ministère  de 
la  parole,  fut  élu,  à  sa  place,  évêque  de  Bordeaux. 

Une  parole  de  saint  Paulin  montrera  combien  ce  siècle  était  fertile  en  grands  et  saints  évoques, 
et  en  particulier  quel  était  le  mérite  d'Amand.  «  Si  vous  voulez  voir  »,  dit-il,  «  des  évêques 
dignes  de  Dieu,  des  défenseurs  zélés  de  la  foi  et  de  la  religion,  regardez  Exupère  de  Toulouse, 
Simplice,  de  Vienne,  Amand  de  Bordeaux,  Diogénien  d'Alby,  Dyname  d'Angoulème,  Vénérand  de 
Clermont,  Alythius  de  GaUors,  Pacat  de  Périgueux  ». 

Lorsque  l'âge  et  les  fatigues  l'eurent  mis  dans  l'impuissance  de  prendre  pour  son  troupeau  les 
mêmes  soins  qu'auparavant,  il  fut  si  chagrin  de  voir  que  les  mœurs  et  la  religion  de  ses  diocésains 
en  souffraient,  qu'il  se  mit  à  prier  Dieu  d'envoyer  un  évèque  dont  la  vigueur  et  l'application 
pussent  remédier  au  mal  qu'il  ne  pouvait  guérir  pour  sa  part.  Dieu  envoya  saint  Séverin,  Amand, 


IIO  18  JUIN. 

iûstruit  de  son  arrivée,  s'avança  à  sa  rencontre,  l'iulroduisit  dans  la  ville  et  l'intronisa  à  sa  place 
sur  le  siège  épiscopal.  Amand,  heureux  de  voir  ses  vœux  exaucés  et  les  mœurs  s'améliorer,  resta 
avec  saint  Séverin,  auquel  il  survécut  de  quelques  années. 

Le  martyrologe  romain  marque  au  18  juin  la  fête  de  saint  Amand,  dont  les  reliques  furent  dé- 
posées dans  l'église  de  Saint-Seurin  de  Bordeaux.  On  ignore  l'année  de  sa  mort;  mais,  comme  il 
était  à  peu  près  du  même  âge  que  saint  Paulin  de  Noie,  on  peut  aussi  placer  sa  mort  à  peu  près 
vers  le  même  temps  que  celle  de  cet  illustre  évêque,  c'est-à-dire  vers  431. 

Il  ne  paraît  aujourd'hui  nulle  part  aucun  des  écrits  de  saint  Amand,  sinon  le  précis  d'une  de 
ses  lettres  que  saint  Jérôme  nous  a  conservée.  Il  serait  cependant  à  souhaiter,  remarquent  les 
continuateurs  de  BoUandus,  que  si  ses  autres  lettres  se  trouvaient  cachées  dans  quelque  biblio- 
thèque, on  en  enrichit  le  public.  On  juge,  par  l'éloge  que  saint  Paulin  fait  des  lettres  de  saint 
Amand  dans  les  siennes,  qu'elles  seraient  tout  à  fait  propres  à  éclairer  les  âmes  qui  font  profes- 
sion de  la  piété  chrétienne.  Saint  Paulin  les  regardait  comme  telles,  lorsqu'il  disait  qu'elles  fai- 
saient la  joie  de  son  cœur,  qu'elles  lui  étaient  plus  douces  que  le  miel,  et  qu'elles  formaient  la 
consolation  et  la  nourriture  la  plus  délicieuse  de  l'âme. 

C'est  à  saint  Amand,  suivant  une  opinion  assez  accréditée,  mais  qui  rencontre  pourtant  des 
contradicteurs,  entre  autres  Dora  Rivet,  qu'on  est  redevable  de  la  conservation  des  écrits  de  saint 
Paulin.  Celui-ci  faisait  aussi  peu  de  cas  de  ses  écrits  que  de  ses  richesses  et  de  lui-même;  il  les 
laissait  se  perdre,  malgré  l'estime  qu'en  faisaient  saint  Augustin  et  saintJérôme;  et  cette  grande 
perle  se  serait  consommée  si  saint  Amand  n'y  avait  mis  obstacle.  «  C'est  par  le  titre  que  vous 
avez  mis  à  ces  lettres  »,  dit-il  à  saint  Amand,  «  que  j'ai  appris  qu'elles  étaient  les  miennes.  C'est 
pourquoi  j'ai  reçu  une  preuve  rare  de  votre  amitié  pour  moi,  puisque  j'ai  acquis  la  certitude  que 
vous  me  connaissiez  mieux  que  je  ne  me  connais  moi-même.  Je  me  réjouis  d'avoir  reçu  les  hymnes 
que  je  désirais,  etc.  »  —  «  Cette  lettre  d'où  ce  passage  est  tiré  »,  dit  Baronius,  «  existe  mani'scrite 
dans  les  archives  du  Nord;  je  regarde  comme  un  grand  présent  la  copie  que  m'en  a  envoyée 
Athonius  Agelluis,  clerc  régulier,  homme  très-savant  ». 

Propre  de  Bordeaux.  Baronius,  Godescard,  Dom  Riret. 


SAINT  FORTUNAT  OU  FORTUNÉ,  ÉVÊQUE, 

SURNOMMÉ  LE  PHILOSOPHE   DES   LOMBARDS   (569). 

On  est  fort  partagé  sur  les  circonstances  de  l'histoire  de  ce  prélat.  La  similitude  des  noms  l'a 
fait  confondre  par  plusieurs  avec  le  célèbre  Venance  Fortunat,  évêque  de  Poitiers,  d'origine  ita- 
lienne comme  lui,  et  son  contemporain;  mais  l'histoire  détaillée  de  la  vie  de  l'un  et  de  l'autre 
permet  de  les  distinguer. 

Celui  qui  fait  le  sujet  de  celte  notice  naquit  à  Verceil,  ville  forte  de  la  Haute-Italie.  Dès  sa 
première  jeunesse,  il  fut  instruit  dans  les  lettres  et  s'y  rendit  si  habile,  qu'il  acquit  dans  la  suite 
le  litre  de  Philosophe  des  Lombards  :  peut-être  fut-il  évêque  chez  ces  peuples.  Il  est  du  moins 
constaté  qu'il  fut  élevé  à  l'épiscopat,  quoiqu'on  ignore  le  siège  qu'il  ait  pu  remplir. 

Certaines  raisons  qui  nous  sont  inconnues,  mais  qui  devaient  être  graves,  l'obligèrent  à  quitter 
son  église  et  à  se  retirer  en  France.  11  y  fut  particulièrement  connu  de  saint  Germain,  évêque  de 
Paris,  avec  qui  il  lia  une  étroite  et  sainte  amitié,  et  qui  l'engagea  à  écrire  une  Vie  de  saint  .Marcel, 
l'un  de  ses  prédécesseurs.  On  ne  sait  rien  de  l'époque  où  il  quilta  l'Italie,  ni  du  temps  qu'il  passa 
en  France.  Toujours  est-il  qu'il  se  relira  près  de  Celles,  village  appelé  aujourd'hui  La  Grande- 
Paroisse  (Seine-et-Marne),  au  diocèse  de  iMeaux.  Ayant  appris  que  saint  Germain  était  tombé  ma- 
lade, il  se  mit  en  chemin  pour  lui  rendre  visite;  mais  il  fut  lui-même  arrêté  sur  sa  route  par  une 
maladie  qui  le  fit  passer  de  la  terre  au  ciel  avant  saint  Germain,  son  ami.  L'on  croit  que  sa  mort 
arriva  en  569. 

Ce  fut  à  Celles  même  qu'il  mourut;  sa  fête  y  est  marquée  comme  d'un  saint  évêque,  confes- 
seur, au  5  mai  et  au  18  juin.  Quatre  martyrologes  manuscrits  de  l'Eglise  de  Paris  font  mention 
de  ce  Saint,  et  le  lieu  où  il  fut  inhumé  porte  encore  aujourd'hui  son  nom.  Ses  reliques  s'y  gardent 
avec  beaucoup  de  respect,  et  son  culte  a  passé  successivement  à  plusieurs  endroits  circonvoisms. 
On  voit  plusieurs  églises  dédiées  en  son  honneur.  Une  partie  de  son  chef  se  conserve  religieuse- 
ment, de  nos  jours,  à  Vernot  (Cùte-d'Or),  dans  une  église  qui  porte  son  nom. 


SALNTE   ÊLISABETIJ,    VIEKGE.  14i 

On  attribue  à  notre  Saint  la  Vie  de  saint  Marcel,  évêque  de  Paris,  et  celle  de  saint  Ililaire, 
évêqiie  (le  Poitiers.  11  n'est  pas  coiislalé,  cependant,  que  ces  écrits  soient  sortis  de  sa  plume,  et 
ils  pourraient  bien  avoir  pour  auteur  saint  Fortuaat  de  Poitiers,  comme  l'ont  soutenu,  non  sans 
raisons,  plusieurs  critiques. 

Propre  de  Meaux;  —  Cf.  Dom  Rivet,  Hist.  littéraire  de  la  France. 


SAINTE  ELISABETH,  VIERGE, 

ABBESSE  DE  SCUCENAUG  AU  DIOCÈSE  DE  TRÊVES  (1163). 

sainte  Iliidegarde,  dont  l'Eglise  célèbre  la  fêle  le  17  septembre,  était  liée  d'amitié  avec  une 
autre  Sainte  d'Allemagne  qui  la  visitait  quelquefois  et  qui  avait  fait  des  révélations  semblables. 
C'est  sainte  Elisabeth,  abbesse  de  Schœnaug,  c'est-à-dire  Belle-Vue,  dans  le  diocèse  de  Trêves,  à  seize 
milles  du  monastère  de  sainte  Iliidegarde.  En  l'année  1152,  étant  âgée  de  vingt-trois  ans,  Elisa- 
beth commença  à  avoir  des  extases  et  des  visions,  ce  qui  lui  arrivait  ordinairement  les  dimanches 
et  les  fêtes,  aux  heures  de  l'office  divin.  Comme  plusieurs  personnes  désiraient  savoir  ce  que  Dieu 
lui  révélait,  elle  le  découvrit,  par  ordre  de  l'abbé  Ilildelin,  à  un  frère  qu'elle  avait,  nommé  Ecbert, 
chanoine  de  l'église  de  Bonn;  mais  elle  eut  bien  de  la  peine  à  s'y  résoudre,  craignant  que  les  uns 
ne  la  prissent  pour  une  sainte,  les  autres  pour  une  hypocrite  qui  voulût  en  imposer,  ou  pour  une 
folle.  Enfin,  de  peur  de  résister  à  la  volonté  de  Dieu,  elle  racontait  à  son  frère  ce  qu'elle  voyait  et 
entendait  de  jour  en  jour,  et  il  l'écrivit  dans  un  style  simple,  où  il  ne  paraît  rien  ajouter  du  sien. 

Il  en  composa  quatre  livres,  dont  le  troisième,  intitulé  les  Voies  du  Seigneur,  contient  plu- 
sieui-s  exhortations  utiles  pour  les  différents  états  des  chrétiens  :  la  vie  contemplative,  la  vie  ac- 
tive, le  mariage,  la  contmence  parfaite.  Elisabeth  y  fait  de  terribles  reproches  aux  prélats  de  son 
temps,  qui  vivaient  la  plupart  dans  le  faste  et  la  pompe  séculière,  dans  les  richesses  et  les  dé- 
lices, oubliant  leurs  devoirs  essentiels  et  ne  songeant  plus  qu'ils  étaient  les  successeurs  de  Jésus- 
Christ  et  des  Apôtres;  mais  dans  le  quatrième  livre  de  ce  recueil,  il  se  trouve,  sur  l'histoire  de 
sainte  Ursule,  des  erreurs  historiques  qui  viennent  on  ne  sait  d'où  :  si  c'est  de  la  Sainte,  qui 
n'aurait  point  démêlé  ses  opinions  particulières  des  révélations  surnaturelles;  si  c'est  de  son  frère, 
qui  les  aurait  ajoutées  au  récit  de  sa  sœur,  ou  bien  d'une  main  étrangère,  qui  les  aurait  insérées 
après  coup.  Mais,  de  quelque  part  que  viennent  ces  erreurs  ou  ces  difficultés,  toujours  est-il 
qu'elles  nuisent  beaucoup  à  l'autorité  de  tout  le  recueil.  En  général,  ces  révélations  particulières 
n'ayant  pas  été  examinées  ni  approuvées  d'une  manière  spéciale  par  l'Eglise,  on  ne  peut  guère 
s'en  servir  pour  établir  soit  des  dogmes  théologiques,  soit  des  faits  d'histoire. 

On  a  de  plus  de  sainte  Elisabeth  quinze  lettres,  dont  la  plus  considérable  est  adressée  à  sainte 
Hildegarde.  Elle  l'écrivit  vers  l'an  1160,  étant  déjà  supérieure  des  religieuses  de  Schœnaug.  Elle 
s'y  plaint  des  mauvais  discours  que  tiennent  d'elle  les  religieux  mêmes,  et  de  quelques  fausses 
lettres  qu'on  faisait  courir  sous  son  nom  ;  elle  assure  qu'elle  n'a  découvert  les  grâces  que  Dieu  lui 
a  faites  que  par  l'ordre  exprès  d'un  Ange,  plusieurs  fois  réitéré.  Après  avoir  reçu  de  ces  grâces 
surnaturelles  pendant  treize  ans,  elle  mourut  le  dix-huitième  jour  de  juin  1165,  dans  sa  trente- 
sixième  année.  Quoiqu'elle  n'ait  pas  été  formellement  canonisée,  son  nom  a  été  inséré  dans  le 
martyrologe  romain  l'an  1584,  et,  depuis  ce  temps,  elle  est  honorée  comme  sainte  au  monastère 
d'hommes  de  Schœnaug,  car  celui  de  filles  a  été  ruiné  par  les  Suédois. 

On  la  représente  foulant  aux  pieds  un  dragon,  ce  qui  peut  signifier  ou  les  triomphes  qu'elle 
remporta  par  une  longue  patience  dans  des  maladies  cruelles,  ou  les  écrits  par  lesquels  cette  Sainte 
«'opposa  aux  Manichéens  du  moyen  âge  en  défendant  l'Eucharistie. 

Acta  Sanctorum,  Traduction  de  l'abbé  Rohrbachor. 


^4'i 


19  JUIN. 


Xir  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Florence,  sainte  Julienne  Falconierf,  vierge,  institutrice  des  Sœurs  de  l'Ordre  des  Ser- 
vîtes, qui  a  été  mise  au  nombre  des  vierges  saintes,  par  le  pape  Clément  XII.  1340.  —  A  Milan, 
la  fêle  des  saints  martyrs  Gervais  et  Protais,  frères  ;  le  juge  Ast«se  fit  battre  le  premier  avec 
des  cordes  plombées,  jusqu'à  ce  qu'il  rendit  le  dernier  soupir  ;  pour  le  second,  il  le  fît  bâtonner 
cruellement,  puis  décapiter.  Saint  Ânibroise,  par  révélation  divine,  trouva  leurs  corps  encore  teints 
de  sang  et  aussi  entiers  que  s'ils  eussent  été  martyrisés  le  même  jour.  Dans  la  translation  de  leurs 
corps,  un  aveugle  recouvra  la  vue  en  touchant  leur  cercueil,  et  plusieurs  possédés  furent  délivrés. 
jn  s.  —  A  Ravenne,  saint  Ursicin  ',  martyr,  qui,  demeurant  inébranlable  après  beaucoup  de  tour- 
ments endurés  sous  le  juge  Paulin,  pour  la  confession  du  nom  du  Seigneur,  eut  la  tête  tranchée, 
et  accomplit  ainsi  son  martyre.  Yers  l'an  67.  —  A  Sozopolis,  saint  Zozime,  martyr,  qui,  dans  la 
persécution  de  Trajan,  après  beaucoup  d'horribles  tortures  endurées  sous  le  juge  Domitien,  eut  la 
tête  tranchée  et  s'en  alla  ainsi  victorieux  au  ciel.  Vers  110.  —  A  Arezzo,  en  Toscane,  les  saints 
martyrs  Gaudence,  évêque,  et  Culmace,  diacre,  massacrés  par  la  fureur  des  Gentils  du  temps  de 
Valentinien.  Vers  365.  —  Le  même  jour,  saint  Boniface  ou  Brunon,  martyr,  disciple  de  saint 
Romuaid,  qui  fut  envoyé  par  le  Pape  pour  prêcher  l'Evangile  en  Russie,  où,  après  avoir  passé  par 
le  feu  sans  en  recevoir  de  mal,  il  baptisa  le  roi  et  son  peuple,  et,  ayant  été  tué  par  le  frère  du 
roi,  furieux  de  ce  succès,  remporta  la  couronne  du  martyre  qu'il  avait  toujours  souhaitée  *.  Vers 
1009.  —  A  Ravenne,  saint  Romuaid,  anachorète,  père  des  moines  Camaldules,  qui  rétablit  et  pro- 
pagea merveilleusement  la  discipline  éréraitique  en  Italie,  où  elle  était  fort  relâchée.  Il  est  encore 
mentionné  le  7  février  '.  1027. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Soissons,  les  saints  martyrs  Gervais  et  Protais,  nomnoés  au  martyrologe  romain 
de  ce  jour.  —  Au  Mans,  saint  Innocent,  évêque,  successeur  de  saint  Principe,  qui,  durant  son 
pontificat  qui  fut  de  près  de  quarante-six  ans,  ordonna  trois  cent  dix-huit  prêtres  et  fonda  l'église 

1.  Venaaco  FortaiMt,  parlant  des  saints  de  Ravenne  dans  la  vie  de  saint  Martin,  livra  iv,  écrit 
ees  vers  : 

Inde  Ravennatnm  placltam  pete  dnlclus  urbem  : 
Pulpita  sanctorum  per  religiosa  recurres  : 
Martyris  egregii  tumnlnm  Vitalis  adora, 
Mitis  et  Ursicini,  Paull  sub  sorte  beati, 
Kursus  ApoUinaris  pretiosi  limina  Ïambe, 
Fusas  liumi  supples,  et  templa  per  omnia  cutre. 

«  Gagne  ensuite  l'aimable  ville  de  Ravenne  ;  va  visiter  les  lieux  consacrés  aux  Saints  ;  adore  le  tom- 
beau de  Vital,  l'illustre  martyr,  celui  du  doux  Ursicin,  du  bienheureux  Paul;  va  baiser  le  seuil  du  grand 
Apollinaire,  prosterne-toi  la  face  contre  terre,  parcours  tous  les  temples  ». 

Saint  Pierre  Damien  a  écrit  à  la  louange  d'Ursicin  une  très-belle  hymne  oîi  11  dit,  «n  faisant  adroKa- 
ment  allusion  a  sa  profession  de  médecin  : 

Sis  animarum  œedicns, 
Affer  opem  languentibus, 
Haustu  cœlestis  gratiae 
iEgraî  curentur  animas. 

•  Sois  le  médecin  des  âmes;  rends  la  vie  aux  membres  languissants  des  malades;  présente-leur  pour 
le»  guérir  la  coupe  fortifiante  de  la  grâce  céleste  ». 

2.  Voir  au  15  octobre,  oîi  il  est  mentionné  par  le  martyrologe  romain  sous  le  nom  de  Brunon. 

3.  Nous  avons  donné  sa  vie  sous  ce  jour,  tome  ii,  p.  361. 


MARTYROLOGES.  143 

dite  le  Saint-Sépulcre,  au-delà  de  la  Sarthe.  543.  —  A  Bar-sur-Aube,  sainte  Germaine,  martyre  ^. 
V»  s.  —  Au  Forêt,  près  de  Bruxelles,  sainte  Alêne,  vierge  et  martyre,  déjà  nommée  le  16  et  le  17 
de  ce  mois.  640.  —  A  Nevers,  saint  Dieddonné  ou  DiÉ,  évoque  de  ce  siège,  qui  se  retira  dans 
les  déserts  des  Vosges,  pour  y  vivre  inconnu  au  monde  et  dans  la  méditation  des  vérités  éternelles; 
mais,  ayant  été  reconnu  à  cause  de  ses  miracles,  il  rassembla  beaucoup  de  disciples  et  bûtit  plu- 
sieurs monastères  où,  mourant  plein  de  jours  et  de  mérites,  il  laissa  une  heureuse  semence  de 
sainteté.  679.  —  A  Werthin  ou  Werden,  au  diocèse  de  Cologne,  le  bienheureux  IIiLDEGRm, 
évêque  de  Châlons-sur-Marne,  qui  annonça  la  foi  aux  habitants  de  Selingestadt  et  d'Halberstadt, 
dont  il  est  regardé  comme  le  premier  évèque.  827.  —  En  l'abbaye  d'Anschin,  aux  Pays-Bas,  le 
bienheureux  Odon,  natif  d'Orléans,  premier  abbé  de  Saint-Martin  de  Tournay,  puis  évèque  de 
Cambrai,  célèbre  par  ses  écrits  et  sa  patience.  1113.  —  A  Mâcon,  laméinoirede  Louis  Agut, 
prêtre, natif  de  cette  villeetfondateur  de  laCongrégationdes  Sœurs  du  très-saint  Sacrement.  1778. 

MARTYROLOGES   DES   ORDRES   RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Camaldules.  —  Saint  Bomuald  et  saint  Boniface. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  A  Pésaro,  dans  la  Marche  d'Ancône,  la  bienheureuse  Miche- 
line, veuve,  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François,  qui,  issue  d'une  famille  noble,  se  recommanda  par 
son  assiduité  aux  œuvres  de  la  pénitence  et  brilla  par  des  miracles  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort*.  1356. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  Saint  Jean  de  Saint-Facond. 

Martyrologe  des  Servites.  —  A  Florence,  sainte  Julienne  Falconieri,  vierge,  institutrice  de» 
religieuses  de  l'Ordre  des  Servites  :  sur  le  point  de  mourir,  elle  ne  pouvait  avaler  la  sainte  Eucha- 
ristie à  cause  de  la  faiblesse  de  son  corps,  suite  de  ses  longues  macérations  ;  mais  l'hostie,  étant 
approchée  de  sa  poitrine,  disparut  subitement,  laissant  son  empreinte  indélébile  du  côté  du  cœur, 
à  l'instant  même  où  la  Sainte  passait  dans  les  bras  de  l'Epoux  céleste. 

ADDITIONS  FAITES  d' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Arara,  en  Arménie,  l'apôtre  saint  Jdde,  surnommé  Baksabé,  un  des  soixante-douze  disciples, 
martyrisé  dans  cette  ville.  1*^  s.  —  A  Rome,  les  saints  Honorius,  Evode,  Pierre,  martyrs  ;  ailleurs, 
un  autre  saint  martyr  du  nom  de  Marcel  ;  mentionnés  dans  le  martyrologe  de  saint  Jérôme  et 
ensevelis  dans  le  cimetière  de  Saint-Hippolyte.  —  A  Arezzo,  en  Toscane,  saint  André  et  ses  cin- 
quante-trois compagnons  du  martyre,  tous  membres  de  sa  famille.  Ils  souffrirent  avec  l'évêque 
Gaudence  et  le  diacre  Culmaee,  mentionnés  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  André  fut  baptisé 
par  le  bienheureux  Gélase,  et  décapité  en  haine  de  la  rehgioa  de  Jésus-Christ,  ainsi  que  ses  com- 
pagnons, par  les  ordres  du  juge  Marcellien.  Vers  365.  —  Près  de  Saint-Hippolyte,  en  Autriche,  la 
mémoire  de  deux  saints  confesseurs  dont  les  noms  nous  sont  inconnus,  et  dont  on  découvrit  les 
corps,  en  1209,  sous  les  ruines  de  l'ancien  monastère  de  Saint-Hippolyte,  vulgairement  Saint- 
Polten,  que  l'évêque  de  Passau,  saint  Altmann,  faisait  restaurer.  L'invention  de  ces  précieuses 
reliques  fut  marquée  par  de  nombreux  miracles,  d'où  le  culte  dont  on  les  honore  en  ce  pays.  — 
En  Egypte,  saint  Zenon,  anachorète,  iv»  s.  —  En  Abyssinie,  saint  Pierre,  prieur  du  monastère 
d'Eygag  et  docteur,  mentionné  par  les  hagiologies  d'Ethiopie.  —  En  Istrie,  en  Autriche,  saint 
Wazaire,  évêque  de  Justinopolis  ou  Capo-d'lstria,  près  du  golfe  de  Venise.  —  En  Bavière,  saint 
Ratlion  ou  Basson,  comte  d'Andeck.  Vers  l'an  953.  —  A  Ferrare,  en  Italie,  saint  Boumercato  ou 
Bonmarché,  clerc  et  martyr.  S'étant  laissé  trancher  la  tête  à  la  place  d'un  homicide  qu'il  ne  voulait 
pas  dénoncer,  il  fut  proclamé  innocent  par  la  voix  d'un  mort  ressuscité  au  même  instant.  1378. 
—  En  Orient,  saint  Bessarion,  solitaire  de  Scété  ^.  Fin  du  iv"  s.  —  A  Milan,  saint  Dace  ou  Datius, 
évêque  et  confesseur,  qui  céda  à  saint  Innocent,  évêque  du  Mans,  fêté  en  ce  jour,  des  reliques  des 
saints  Gervais  et  Protais  *.  352. 

1.  Des  reliques  de  sainte  Germaine  existent  à  Saint-Pierre  et  &  Saint-Maclou  de  Bar-snr-Anbe,  oh 
elles  ont  e'té  reconnues  :  les  premières  le  11  janvier  183i,  et  les  secondes  le  26  juin  de  la  même  année. 

2.  La  bienheureuse  llicheline,  ne'e  b.  Pésaro,  dans  le  duché  d'Urbin,  fut  dès  l'à^'e  de  douze  ans  mariée 
ti  nn  seigneur  de  la  maison  de  Malatesta,  une  des  plus  anciennes  de  l'Italie.  Elle  n'avait  que  \ingt  ans 
lorsqu'elle  perdit  son  époux  et,  peu  de  temps  après,  son  fils  unique.  Cette  double  perte,  qui  la  toucha  sen- 
siblement, la  détacha  entièrement  du  monde  et  la  détermina  à  entrer  dans  le  Tiers  Ordre  de  Saint-Fran- 
çois. Sa  piété  parut  bientôt  une  folie  à  ses  parents  qui  la  firent  charger  de  chaînes  et  enfermer  dans  une 
tour.  Aj'ant  recouvré  sa  liberté,  elle  en  profita  pour  se  livrer  à  la  pratique  des  œuvres  de  miséricorde  et 
pour  faire  un  pèlerinage  en  Terre-Sainte.  Elle  mourut  dans  sa  patrie,  âgée  de  cinquante-six  ans,  le 
19  juin  1356.  Le  Saint-Siège  approuva  son  culte  en  1737. 

On  représente  sainte  Micheline  servant  les  malades.  Outre  que  visitant  les  hôpitaux,  elle  s'y  mettait 
volontiers  au  service  des  infirmes,  on  raconte  qu'elle  guérit  une  lépreuse  en  l'embrassant  et  que  sou  voile 
fit  cesser  sur-le-champ  un  violent  mal  de  tête. 

3.  Nous  avons  donné  sa  notice  sous  le  20  février,  t.  ii,  p.  605. 

4.  Il  'Cst  nommé  an  14  janwer  par  le  martyrologe  romain.  Voirxe  Jottr. 


144  1^  JUIN. 


SAliNïS  YITAL,  VALÉRIE,  GERVAIS  ET  PROTAIS, 

PREMIERS  MARTYRS  DE  MILAN 
l»r  siècle.  —  Pape  :  S  unt  Pierre.  —  Empereur  :  Néron. 


Sanctorum  corpora  et  prxdpue  beatorum  martyrum 
reliquix,  ac  si  Christi  membra  sincerissime  honoranda. 

Les  corps  des  Saints  et  surtout  les  restes  des  bien- 
heureux Martyrs,  doivent  être  honorés  respectueu- 
sement, comme  s'ils  étaient  les  membres  de  Jésus- 
Christ. 

S.  Aug.,  De  vera  relig.,  cap.  lxv. 

Lorsque  saint  Ambroise,  comme  nous  le  raconterons  tout  à  l'heure  avec 
détails,  commença,  sur  la  foi  d'une  vision,  les  fouilles  qui  aboutirent  à  l'in- 
Tention  des  corps  de  nos  saints  Martyrs,  il  trouva  sous  leur  chevet  un  écrit 
qui  fournit  la  relation  de  leurs  actes  la  plus  simple,  mais  aussi  la  plus  tou- 
chante que  nous  connaissions.  11  était  conçu  en  ces  termes  : 

«  Moi,  Philippe,  serviteur  du  Christ,  j'ai,  assisté  de  mon  fils,  enlevé 
et  enseveli  dans  ma  maison  les  corps  de  ces  deux  Saints.  Leur  mère  se 
nommait  Valérie  et  leur  père  Vital.  C'étaient  deux  jumeaux,  dont  l'un 
s'appelait  Protais  et  l'autre  Gervais. 

«  Vital,  leur  père,  était  un  personnage  consulaire  qui  avait  servi  avec 
distinction  dans  les  armées.  Il  était  venu  à  Ravenne  avec  le  juge  Paulin,  qu'il 
assistait  dans  ses  fonctions.  Un  jour,  il  vit  devant  le  tribunal  un  chrétien 
nommé  Ursicin,  médecin  de  profession  et  ligurien  d'origine,  qui,  après  avoir 
subi  d'affreux  tourments,  venait  d'être  condamné  à  avoir  la  tête  tranchée. 
Le  lieu  d'exécution  pour  les  chrétiens  se  nommait  à  la  Palme  (ad  Palmam)^ 
parce  qu'il  était  planté  de  vieux  palmiers.  Lors  donc  que  le  condamné  fut 
arrivé  à  la  Palme,  il  eut  peur  et  allait  prendre  honteusement  la  fuite,  quand 
Vital  lui  cria  :  «  Arrête,  Ursicin,  arrête  !  toi  qui  guérissais  les  autres,  tu 
voudrais  enfoncer  dans  ton  âme  le  trait  de  l'éternelle  mort  ?  Arrivé  par 
mille  supplices  jusqu'à  la  Palme,  ne  vas  pas  perdre  la  couronne  que  le  Sei- 
gneur t'a  préparée  ».  Ursicin,  entendant  ces  paroles,  se  mit  à  genoux  et 
demanda  au  bourreau  de  le  frapper  ;  ainsi  il  réparait  par  le  repentir  un 
moment  de  frayeur  et  mourait  martyr  du  Christ.  Aussitôt  Vital  lui-même 
enleva  son  corps,  l'ensevelit  à  Ravenne,  avec  tous  les  honneurs  dus  à  son 
martyre,  et  ne  voulut  plus  reprendre  ses  fonctions  auprès  du  juge.  C'est 
pourquoi  Paulin  le  fit  arrêter,  moins  à  cause  de  ce  refus  que  parce  qu'il 
s'était  déclaré  chrétien,  en  empêchant  Ursicin  de  sacrifier,  lui  rendant  ainsi 
la  couronne  du  martyre,  et  à  Dieu  une  perle  précieuse  que  le  démon  allait 
lui  enlever. 

«  Paulin  fit  étendre  Vital  sur  le  chevalet,  espérant,  par  les  supplices, 
l'amener  à  sacrifier  aux  idoles.  Mais  le  Martyr  lui  dit  :  «  C'est  une  grande 
folie  à  toi  de  croire  que  je  me  jetterai  dans  l'erreur  de  tes  mensonges,  après 
en  avoir  arraché  les  autres  ».  Paulin  dit  aux  gardes  :  «  Conduisez-le  à  la 
Palme,  et  là,  s'il  refuse  de  sacrifier,  vous  ne  lui  trancherez  pas  la  tête;  mais, 
creusant  une  fosse  profonde  jusqu'à  ce  que  vous  trouviez  l'eau,  vous  l'y 


SAINTS  VITAL,  VALÉRIE,    GERVAIS  ET  PROTAIS,   MARTYRS.  t45 

étendrez  tout  de  son  long  sur  ie  dos  et  vous  l'écraserez  sous  une  masse  de 
pierres  et  de  sable  ».  L'ordre  fut  exécuté  ;  et  tel  fut  le  supplice  par  lequel 
Dieu  donna  à  Vital  la  consécration  du  martyre.  Mais  le  prêtre  d'Apollon, 
qui  avait  donné  ce  conseil  à  Paulin,  fut  saisi  par  le  démon,  et  pendant  sept 
jours,  au  lieu  môme  où  saint  Vital  avait  été  enseveli  vivant,  le  nouvel  éner- 
gumène  ne  cessa  de  crier  :  «  Tu  me  brûles.  Vital,  saint  Martyr  du  Christ,  tu 
me  déchires  dans  d'affreux  supplices  !  »  Au  bout  des  sept  jours,  il  fut  en- 
traîné par  le  démon.  Le  corps  du  glorieux  Martyr  fut  enseveli  près  des 
murs  de  Ravenne,  où  il  est  honoré  par  les  fidèles. 

«  Valérie,  son  épouse,  revint  à  Milan.  En  approchant  de  la  ville,  elle 
rencontra  des  idolâtres  qui  sacrifiaient  à  Sylvain.  Ils  la  firent  descendre  de 
son  char  et  l'invitèrent  à  prendre  part  à  leurs  festins.  Valérie  répondit  : 
«  Je  suis  chrétienne,  et  il  ne  m'est  pas  permis  de  manger  des  victimes 
offertes  à  votre  Sylvain  ».  L'entendant  parler  ainsi,  ces  hommes  sauvages  la 
frappèrent  si  cruellement  que  ses  serviteurs  la  reconduisirent  avec  peine  et 
mourante  jusqu'à  Milan,  où,  trois  jours  après,  son  âme  s'envola  vers  le 
Christ.  Gervais  et  Protais  recueillirent,  sans  testament,  la  succession  de  leur 
père  et  de  leur  mère.  Ils  s'empressèrent  de  vendre  leur  propre  maison,  los 
biens  et  les  modestes  habitations  de  leurs  parents,  et  en  distribuèrent  le 
prix  aux  pauvres  et  à  la  petite  famille  de  leurs  esclaves  qu'ils  affranchirent. 
Pour  eux,  ils  s'enfermèrent  dans  une  petite  chambre,  où  ils  s'exercèrent, 
pendant  dix  ans,  à  la  prière,  à  la  lecture  et  aux  jeûnes.  La  dixième  année, 
qui  était  la  onzième  depuis  leur  conversion,  ils  parvinrent  à  la  palme  du 
martyre  de  la  manière  que  nous  allons  raconter. 

«  Le  général  romain  Astasius  partait  contre  les  Marcomans  qui  venaient 
de  déclarer  la  guerre  à  l'empire,  quand  les  adorateurs  des  dieux,  avec  leurs 
prêtres,  vinrent  au-devant  de  lui  et  lui  dirent  :  «  Si  tu  veux  revenir  de  la 
guerre,  à  la  cour  de  nos  princes,  dans  l'éclat  d'un  joyeux  triomphe,  con- 
trains Gervais  et  Protais  à  sacrifier  ;  car  nos  dieux  sont  tellement  irrités  de 
se  voir  méprisés  par  ces  deux  misérables,  qu'ils  refusent  de  nous  rendre 
leurs  oracles  ».  Astasius,  sur  cette  dénonciation,  les  fit  arrêter  et  conduire 
devant  son  tribunal  :  «  Je  vous  exhorte  »,  leur  dit-il,  «  à  cesser  vos  injures 
contre  nos  divinités  et  à  leur  sacrifier  au  contraire  avec  un  zèle  religieux, 
afin  que  mon  expédition  soit  heureuse  ».  Gervais  répondit  :  «  Il  est  vrai, 
c'est  du  ciel  que  vient  la  victoire  ;  mais  c'est  au  Dieu  tout-puissant  qu'il  la 
faut  demander,  et  non  à  de  vaines  images  qui  ont  des  yeux  et  ne  voient  pas, 
des  oreilles  et  n'entendent  pas,  un  nez  et  ne  sentent  pas,  une  bouche  et  ne 
parlent  pas,  des  mains  et  ne  touchent  pas,  des  pieds  et  ne  marchent  pas,  et 
qui  n'ont  point  en  elles  le  souffle  de  la  vie  ».  Astasius,  irrité  de  celte  ré- 
ponse, le  condamna  à  être  frappé  à  coups  de  fouets  garnis  de  plomb,  jus- 
qu'à ce  qu'il  expirât. 

«  On  l'emmena  aussitôt,  et  Protais  fut  à  son  tour  présenté  au  tribunal 
d'Astasius,  qui  lui  dit  :  «  Malheureux  !  songe  à  vivre,  et  ne  cours  pas,  comme 
ton  frère,  à  une  mort  violente  ».  Protais  répondit  :  «  Qui  donc  ici  est  mal- 
heureux ?  Est-ce  moi,  qui  ne  te  crains  pas  ?  ou  bien  toi,  qui  ne  dissimules 
pas  les  frayeurs  que  je  t'inspire?  »  Astasius  dit  :  «  Moi,  craindre  un  misé- 
rable comme  toi  !  »  Le  bienheureux  Protais  répondit  :  «  Oui,  toi  ;  car  tu 
crains  de  recevoir  de  moi  quelque  dommage,  si  je  ne  sacrifie  à  tes  dieux  ;  et 
si  tu  ne  le  craignais,  tu  n'essaierais  point  de  me  forcer  à  sacrifier.  Moi,  au 
contraire,  je  ne  te  crains  pas  et  je  méprise  tes  menaces  ;  toutes  tes  idoles 
sont  pour  moi  comme  de  dégoûtantes  ordures  ;  je  n'adore  que  le  seul  Dieu 
qui  règne  au  ciel  ».  Astasius,  pour  punir  cette  hardiesse,  le  fit  frapper  à 
Vies  des  Saints.  —  Tour:  VIL  10 


446  19  JUIN. 

coups  de  bâton  ;  puis,  le  faisant  relever,  il  lui  dit  :  a  Eh  bien  !  misérable, 
pourquoi  te  montres-tu  si  fier  et  si  rebelle  ?  Veux-tu  périr  comme  a  péri  ton 
frère  ?  »  Protais  répondit  :  «  Astasius,  je  n'ai  contre  toi  ni  emportement  ni 
colère,  et  je  ne  me  permets  pas  même  de  te  condamner;  car  les  yeux  de 
ton  ccÉur  sont  fermés  à  la  lumière  ;  l'incrédulité  pèse  sur  ton  âme  et  ne  te 
permet  pas  de  voir  les  choses  de  Dieu.  Jésus-Christ,  mon  maître,  n'a  pas 
maudit  ceux  qui  le  crucifiaient;  au  contraire,  il  a  demandé  grâce  pour  eux, 
en  disant  qu'ils  ne  savaient  pas  ce  qu'ils  faisaient.  C'est  pourquoi,  moi  aussi, 
j'ai  compassion  de  ta  misère,  parce  que  tu  ne  sais  pas  ce  que  tu  fais.  Achève 
donc  ce  que  tu  as  commencé,  afm  que  la  douce  bénignité  de  notre  Sau- 
veur daigne  m'accueillir  aujourd'hui  avec  mon  frère  ».  Astasius  lui  fit  tran- 
cher la  tête. 

«  Apres  son  supplice,  moi,  Philippe,  serviteur  du  Christ,  avec  mon  fils, 
j'ai  enlevé  secrètement,  pendant  la  nuit,  les  saints  corps  ;  et  dans  ma  mai- 
son, sous  les  yeux  de  Dieu  seul,  je  les  ai  déposés  dans  ce  tombeau  de  mar- 
bre, plein  de  confiance  que,  parla  prière  des  bienheureux  Martyrs,  j'obtien- 
drai miséricorde  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  vit  et  règne  avec  le 
Père  et  l'Esprit-Saint,  dans  les  siècles  des  siècles.  Ainen  ». 

Dans  les  gravures  qui  représentent  saint  Gervais  et  saint  Protais,  un 
arbre  ordinairement  les  sépare.  On  pourrait  s'imaginer  au  premier  abord 
que  cela  indique  la  stérilité  de  l'Eglise  milanaise,  qui  ne  retrouva  sa  gloire 
qu'après  le  martyre  de  ces  deux  Saints  ;  mais  cette  représentation  doit  avoir 
un  fondement  historique.  On  prétend  que  cela  aurait  pris  naissance  à  Paris, 
où  le  fief  de  Monceau-Saint-Gervais  et  la  place  du  parvis  de  l'église  étaient 
caractérisés  par  l'orme  seigneurial  sous  lequel  se  tenaient  les  assises  du  bailli. 
Des  monuments  nous  les  montrent  quelquefois  en  dalmatiques,  non  qu'ils 
aient  été  ordonnés  diacres,  mais  parce  que,  comme  prédicateurs  de  l'Evan- 
gile et  confesseurs  de  la  foi,  ils  remplissaient  réellement  les  fonctions  diaco- 
nales.  On  voit  parfois  à  la  main  de  saint  Gervais  un  marteau,  manière  assez 
bizarre  de  symboliser  les  plombeaux  ou  cordes  plombées,  qui  furent  l'ins- 
trument de  son  supplice. 

Saint  Gervais  et  saint  Prolais  sont  les  patrons  d'une  infinité  de  pa- 
roisses de  France  et  de  l'étranger,  entre  autres  Milan,  Citta  délia  Pieve, 
Lectoure,  Le  Mans,  Nevers,  Paris,  Soissons,  Gisors,  Mâcon,  Vitry-sur- 


CULTE  ET  RELIQUES. 


Dans  le  iv^  siècle,  on  avait  perdu  tout  souvenir  de  la  sépulture  des  saints  Gervais  et  Protais. 
Sais,  en  386,  Dieu  leur  permit  d'en  révéler  l'endroit  à  saint  Ambroise;  il  se  disposait  à  dédier 
la  nouvelle  église  de  Milan,  qui  depuis  a  été  appelée  de  son  nom  la  basilique  Ambrosienne,  et 
qui  se  nomme  encore  aujourd'hui  Saint-Ambroise  le  Grand.  Les  fidèles  désiraient  qu'il  la  consacrât 
avec  autant  de  solennité  qu'il  avait  consacré  celle  des  Apôtres,  où  il  avait  mis  une  portion  de 
leurs  reliques.  Le  saint  évèque  était  prêt  à  satisfaire  ce  désir,  mais  il  ne  savait  où  prendre  des 
reliques.  Aussitôt  il  sentit  en  lui-môme  un  mouvement  subit  et  une  certaine  cbaleur  qui  lui  fut 
comme  un  présage  de  ce  qui  lui  devait  arriver.  S'étant  endormi  l'esprit  occupé  de  cette  pensée,  il 
apprit  le  lieu  où  reposaient  les  corps  de  ces  saints  Martyrs,  par  une  révélation  que  saint  Augustin 
qualifie  de  vision  en  un  endroit,  et  de  songe  en  un  autre,  et  il  sut  d'eux-mêmes  qu'ils  étaient 
dans  l'église  des  martyrs  saint  Nabor  et  saint  Félix.  Il  communiqua  la  chose  à  son  clergé  :  et 
malgré  l'app-éhension  ou  la  répugnance  que  témoignaient  quelques-uns  des  clercs  de  son  église, 
il  fit  fouiller  la  terre  au-delà  des  barreaux  qui  environnaient  les  sépultures  de  ces  martyrs,  en  ua 
endroit  que  l'on  foulait  même  aui  pieds  pour  en  approcher.  On  y  trouva  effectivement  les  corps 
de  deux  hommes,  qui  par  leur  [ongueur  faisaient  juger  qu'ils  avaient  été  d'une  taille  extraordi- 
uairement  grande.  Les  chairs  étaient  consumées,  mais  les  os  étaient  séparés  des  corps  :  le  fond 


SAINTS   VITAL,    VALÉRIil,    GEIIYAI3   ET  PHOTAIS,   MARTYRS.  147 

du  tombeau  était  couvert  de  sang,  et  l'oa  y  voyait  toutes  les  marques  qui  pouvaient  faire  conjec- 
turer que  c'étaient  des  martyrs.  Peut-être  y  trouva-t-on  aussi  leurs  noms  gravés  sur  le  cercueil, 
ou  sur  uue  lame  :  au  moins  saiut  Ambroise  n'a-t-il  point  marqué  qu'il  les  eût  appris  par  la  révé- 
lation. 

Avant  de  lever  les  os  de  terre  et  de  chanter  des  hymnes,  on  amena  divers  possédés  au  tom- 
beau pour  leur  imposer  les  mains  :  c'était  peut-être  la  coutume  de  vérifier  les  reliques  des  mar- 
tyrs par  les  miracles.  Une  femme,  du  nombre  de  ces  possédés  qu'on  avait  amenés,  fut  saisie  par 
le  démon  avant  qu'on  eût  commencé  les  exorcismes,  et  jetée  sur  la  sépulture  ;  cela  fut  regardé 
comme  un  premier  témoignage  que  Dieu  voulait  donner  du  mérite  de  ses  serviteurs.  Les  os  ayant 
été  tirés  du  cercueil,  furent  mis  dans  des  litières,  et  couverts  de  quelques  ornements  ;  on  les 
transporta  dès  le  même  jour  (le  mercredi  17  juin),  dans  la  basilique  de  Fauste,  qui  s'ajipelle 
aujourd'hui  de  saint  Vital  et  de  saint  Agricole  :  et  parce  qu'il  était  tard,  on  les  y  déposa  jusiju'au 
lendemain.  Durant  toute  la  nuit,  ou  fit  des  prières,  et  l'on  imposa  les  mains  sur  les  possédés,  qui 
se  débattaient  extraordinairemeul;  les  populations  y  accoururent  en  foule  de  la  ville  et  du  dehors  ; 
ce  concours  pro'iigieux  dura  jour  et  nuit,  autant  que  la  cérémonie.  Le  jour  d'après,  on  porta  les 
saintes  reliques  dans  la  basilique  Ambrosienne,  avec  une  pompe  religieuse  qui  fut  suivie  des 
réjouissances  publiques  de  toute  la  ville.  Ce  fut  durant  la  marche  de  la  procession  qu'arriva  la 
guérison  d'un  aveugle  connu  de  tout  le  monde  dans  la  ville  de  Milan.  Il  se  nommait  Sévère  et 
avait  été  boucher  de  profession.  Mais  ayant  été  obligé  de  quitter  cet  emploi  par  l'infirmité  qui  lui 
était  survenue,  il  s'était  vu  réduit  à  vivre  des  charités  que  lui  faisaient  quelques  personnes.  Dès 
qu'il  avait  su  ce  qui  faisait  le  sujet  de  la  nouvelle  fête,  il  s'y  était  fait  conduire  dans  l'espérance 
d'en  profiter,  et  ayant  obtenu  la  permission  de  toucher  le  bord  des  ornements  qui  couvraient  les 
reliques  des  martyrs,  il  recouvra  la  vue  à  l'heure  même.  Sa  reconnaissance  pour  une  si  grande 
faveur  ne  se  borna  point  à  publier  partout  ce  miracle,  arrivé  en  présence  d'une  multitude  incroyable, 
et  sur  un  homme  dont  la  maladie  n'était  ignorée  de  personne  dans  la  ville.  Il  promit  encore  de 
servir  Dieu  toute  sa  vie  dans  l'église  de  ces  Saints,  c'est-à-dire  dans  l'église  Ambrosienne,  pour 
contribuer  sans  cesse  à  leur  culte  :  ce  qu'il  exécuta  ponctuellement.  D'autres  personnes  furent 
guéries  encore  de  diverses  maladies  par  le  même  moyen.  On  jetait  sur  les  reliques  des  linges,  des 
écharpes  et  des  vêtements  auxquels  elles  communiquaient  leur  vertu  pour  faire  aussi  des  miracles  ; 
et  l'on  vit  des  malades  guéris  pour  avoir  seulement  touché  de  ces  linges.  D'autres  le  furent  par 
l'ombre  seule  des  corps  ou  de  la  châsse  des  martyrs,  comme  l'assure  saint  Ambroise,  qui  témoigne 
que  les  dénions  mêmes  déclaraient  par  la  bouche  des  possédés  que  ces  Saints  étaient  de  véritables 
martyrs,  et  qu'ils  en  étaient  tourmentés.  Us  mêlaient  aussi  le  nom  d'Âmbroise  à  ceux  de  Gervais 
et  de  Protais,  quoiqu'il  fût  alors  éloigné  et  occupé  à  toute  autre  chose,  et  ils  croyaient  que  ce 
saiut  prélat  les  tourmentait  aussi  bien  que  ces  martyrs.  Plusieurs  d'entre  eux  furent  délivrés 
devant  tout  le  monde. 

Lorsque  les  corps  saints  furent  arrivés  dans  la  basilique  Ambrosienne,  saint  Ambroise,  placé 
entre  les  deux  châsses,  harangua  le  peuple  sur  ce  sujet,  et  nous  avons  encore  son  discours  dans  la 
lettre  qu'il  en  écrivit  à  sainte  Marcelline,  sa  sœur.  Ce  saint  prélat  avait  fait  pratiquer  un  caveau 
pour  sa  sépulture  sous  l'autel  de  la  nouvelle  église  ;  la  seule  modification  qu'il  apporta  à  son  des- 
sein fut  de  destiner  le  côté  droit  de  ce  caveau  aux  saintes  reliques  et  de  réserver  l'autre  pour  lui. 
La  cérémonie  de  la  déposition  ou  sépulture  des  deux  .Martyrs  eut  lieu  le  vendredi  19  juin.  Les 
miracles  recommencèrent  comme  la  veille,  surtout  à  l'égard  des  possédés,  par  la  bouche  desquels 
le  démon  confessa  hautement  la  sainte  Trinité,  ajoutant  que  ceux  qui  la  niaient  seraient  condam- 
nés aux  supplices  qu'il  endurait  ;  il  disait  que  les  martyrs  Gervais  et  Protais  augmentaient  ses 
souffrances  par  la  vertu  nouvelle  que  Dieu  venait  de  leur  donner  en  faveur  des  catholiques.  Ce 
malheureux  esprit,  qui  n'aime  que  le  mensonge  et  les  ténèbres,  parlait  ainsi  surtout  par  un  arien, 
dans  le  corps  duquel  il  était  entré  tout  nouvellement.  Ceux  de  sa  secte,  qui  étaient  alors  puis- 
sants dans  la  ville,  à  cause  de  la  protection  que  leur  donnait  l'impératrice  Justine,  veuve  de 
Valentiuiea  l»',  furent  si  mortifiés  de  cet  incident,  qu'au  lieu  d'en  profiter  pour  leur  salut,  ils  se 
Saisirent  de  leur  confrère  et  le  uoyèrent.  Si  ces  miracles  n'eurent  point  la  force  de  convertir  les 
hérétiques,  ils  contribuèrent  au  moins  à  faire  ralentir  la  fureur  avec  laquelle  l'impératrice  persécutait 
les  catholiques  dans  Milan.  Saint  Ambroise,  considérant  cette  obstination  des  Ariens  plus  inexcu- 
sable que  celle  des  Juifs  et  des  démons  mêmes,  fît  un  nouveau  discours  à  son  peuple  immédia- 
tement avant  de  renfermer  les  corps  des  Martyrs  sous  l'autel  :  il  l'envoya  à  sa  sœur  avec  celui 
qu'il  avait  fait  la  veille,  afin  d'achever  toute  l'histoire  de  cette  translation  dont  il  lui  faisait  le 
récit. 

Depuis  cette  époque,  l'église  de  Milan  a  toujours  célébré  cette  mémorable  découverte  par  une 
fête  solennelle  qui  se  répandit  bientôt  dans  les  provinces  voisines.  Elle  passa  même  en  Afrique 
dès  le  temps,  et  peut-être  par  le  moyen  de  saint  Augustin,  qui  était  encore  à  Milan  quand  la  chose 
arriva,  et  qui  fit,  étant  évèque,  un  sermon  à  son  peuple  le  19  de  juin,  dans  une  église  dédiée  sous 
le  nom  des  deux  Martyrs.  En  plusieurs  églises  de  France  on  célèbre  leur  invention  le  27  mars, 
et  leur  translation,  conjointement  avec  cette  découverte,  le  11  décembre.  On  trouve  encore  les 
noms  de  ces  saints  Martyrs  marqués  dans  divers  martyrologes  anciens  et  modernes  au  20  mai, 
au  28  juillet  et  à  d'autres  jours  qui  semblent  être  ceux  auxquels  on  a  reçu  des  portions  dd 


{48  19  jum. 

leurs  reliques  dans  les  lieux  où  l'nn  en  célèbre  la  mémoire  ;  car  il  s'est  fait  une  grande  distribu- 
tion de  ces  reliques  en  divers  temps.  On  en  a  porté  en  Afrique,  où  l'on  a  bâti  plus  d'une  église 
en  leur  nom,  conforuji^ment  à  l'esprit  du  cin  luième  concile  de  Carthage,  qui  défend  de  bâtir  des 
églises  aux  martyrs,  a  moins  que  l'on  en  ait  des  reliques  certaines.  Saint  Augustin  témoigne  que 
celles  de  nos  deux  Saints  y  firent  divers  miracles,  et  il  en  rapporte  un  considérable  arrivé  dans 
une  de  ses  églises  à  dix  ou  douze  lieues  d'Hippone.  Saint  Séverin  de  Bavière,  dont  nous  avons 
rappoi  lé  la  vie  au  8  janvier,  en  reçut  aussi  avec  beaucoup  de  respect.  Il  les  fil  mettre,  par  le 
ministère  de  quelques  évêques,  dans  l'église  de  son  monastère  de  Faviane,  en  Autriche.  Saint  Pau- 
lin, évoque,  en  avait  eu  aussi,  peu  de  temps  après  la  mort  de  saint  Arabroise,  et  les  avait  mises 
dans  une  église  qu'il  avait  fait  bâtir  à  Fondi.  On  en  vit  depuis  en  beaucoup  d'autres  endroits 
de  l'ilulie,  el  plusieurs  églises  de  France  en  étaient  pourvues  dès  le  vi"  siècle.  On  trouva  moyen 
de  multiplier  beaucoup  ces  reliques  en  recueillant  le  sang  qui  se  trouvait  au  fond  du  tombeau,  ou 
qui  jaillit  miraculeusement  du  corps  même  des  martyrs,  en  le  mêlant,  disons-nous,  à  une  espèce 
de  pâte  ou  en  y  trempant  des  linges,  que  l'on  distribua  en  divers  endroits  de  l'Europe.  Voilà  ce 
qui  a  priucip.ileuieut  contribué  à  étendre  leur  culte  dans  l'Occident,  surtout  en  France,  où  ils  sont 
devenus  patrons  de  quatre  ou  cinq  cathédrales  et  d'un  nombre  surprenant  d'églises  paroissiales  : 
on  n'en  voit  guère  de  plus  célèbre  que  celle  qui  fut  bâtie  à  Paris  du  temps  de  l'évèque  saint  Ger- 
main, vers  l'an  560.  Les  Grecs,  peu  enclins  à  remplir  leurs  menées  et  leurs  raénologes  de  Saints 
de  l'Eglise  latine,  n'ont  pas  laissé  d'établir  aussi  chez  eux  le  culte  de  saint  Gervais  et  de  saint 
Protais.  Ils  le»  honorent  le  14  octobre  et  eu  font  même  le  grand  office.  On  voit  aussi  que  l'on  en 
faisait  mémoire  le  30  du  même  mois  à  Antioche  de  Syrie,  capitale  de  l'Orient  :  ce  qui  a  donné 
lieu  de  croire  à  quelques  personnes  que  l'on  pourrait  avoir  porté  en  ce  jour-là  quelque  relique  de 
nos  Saints  dans  celte  ville. 

M.  l'abbé  Conguet  nous  a  fourni,  en  juin  1866,  les  renseignements  qui  suivent  sur  les  reliques 
de  nos  saints  Martyrs  :  «  Frédéric  Barberousse,  vingt-deuxième  empereur  d'Allemagne,  dans  une 
de  ses  six  expéditions  contre  l'Italie,  ayant  entièrement  ruiné,  en  1162,  la  ville  de  Milan  avec  ses 
églises  et  ses  palais,  fit  enlever  les  reliques  des  tempKs  abandonnés  et  les  destina  à  diverses 
églises  d'Allemagne.  Parmi  les  plus  célèbres  se  trouvaient  les  corps  des  trois  mages  et  ceux  des 
saints  Gervais  et  Protais,  qu'avait  découverts  saint  Ambroise  en  387.  —  Ces  précieux  ossements 
furent  embarqués  sur  le  Rhin.  A  Brisach  (grand-duché  de  Bade),  autrefois  capitale  du  Brisgaw,  on 
y  déposa  les  corps  de  saint  Gervais  et  de  saint  Protais,  comme  l'atteste  Louis  Vives,  commenta- 
teur de  la  cité,  chap.  8,  livre  xxii  :  corpora  sanch  Gervasii  et  Protasii  translata  sunt  Brisa' 
cum  Germanix  a  Frederico.  —  Ceux  des  trois  mages  furent  portés  à  Cologne,  où  leur  châsse  se 
voit  encore  dans  la  cathédrale.  —  Les  annales  de  Soissons  constatent  que,  sous  l'épiscopat  de 
Charles  de  Bourlon,  quatre-vingt-cinquième  évêque  de  Soissons,  le  Chapitre  de  la  cathédrale  de 
Soissons  qui  a  pour  patrons  saint  Gervais  et  saint  Protais,  obtint  de  l'abbé  de  Munster  une  portion 
assez  notable  des  restes  des  saints  Martyrs,  savoir  :  un  os  occipital,  un  temporal,  un  fémur  gauche 
et  un  tibia.  Les  procès-verbaux  des  magistrats  de  Brisach  et  autres  pièces  en  attestèrent  l'authen- 
ticité, que  reconnut  aussi  l'évèque  Charles  de  Bourlon  >.  Les  reliques  de  saint  Gervais  et  de  saint 
Protais  ont  été  obtenues,  à  Soissons,  par  l'intendant  de  l'Alsace,  qui  avait  son  beau-frère  chanoine 
de  la  cathédrale.  L'abbé  de  Munster  se  chargea  lui-même  de  ce  précieux  dépôt  et  vint  l'offrir  en 
personne  au  Chapitre  de  Saint-Gervais.  Les  chanoines  se  chargèrent  des  frais  de  la  châsse.  Ils  la 
firent  faire  en  argent,  enrichie  de  figures  et  de  médaillons  dorés.  Cette  translation  se  célèbre  tous  les 
ans  dans  tout  le  diocèse,  le  26  juin,  jour  de  l'octave  de  la  fête.  La  cérémonie  de  cette  translation 
fut  des  plus  magnifiques.  Tous  les  chapitres,  communautés,  ordres  et  paroisses  de  la  ville  assis- 
tèrent à  celte  procession,  ainsi  que  les  corps  du  Présidial,  de  l'Election,  de  la  maréchaussée.  Aia 
tête  marchait  la  compagnie  des  arquebusiers.  La  châsse  des  saints  Martyrs  fut  portée  pendant  un 
quart  de  lieue,  depuis  Saint-Crépin  le  Grand  jusqu'à  la  cathédrale,  par  deux  chanoines  accompagnés 
de  douze  diacres  ayant  des  palmes  en  leurs  mains.  Dans  le  trajet  on  avait  élevé  cinq  reposoirs. 
L'évèque  de  Soissons  fit  le  panégyrique  des  saints  Gervais  et  Prolais.  Le  frère  de  Bossuet,  évêque 
de  Meaux,  était  présent  à  la  cérémonie  en  qualité  d'intendant  de  la  province.  —  Nous  avons 
donné  ces  détails  comme  preuve  de  la  croyance  de  l'évèque  en  l'authenticité  des  reliques  de  saint 
Gervais  el  de  saint  Protais,  déposées  depuis  plusieurs  siècles  à  Brisach.  —  La  cathédrale  de  Sois- 
sons les  a  conservées  avec  beaucoup  de  soins  jusqu'en  1793,  époque  où  leurs  châsses  ont  été  bri- 
sées et  les  saints  ossements  dispersés  ou  brûlés.  11  n'eu  reste  rien  aujourd'hui  à  Soissons. 

«  In  événement  inattendu  s'est  produit  tout  à  coup  eu  l'année  1864.  —  Un  religieux  de  la  com- 
munauté de  Sainte-Croix  du  Mans,  et  supérieur  d'une  Institution  établie  aux  Ternes,  à  Paris,  le 
R.  P.  Ctiampeau,  connu  avantageusement  par  la  publication  de  plusieurs  ouvrages  estimés,  an- 
nonça, par  la  voie  des  journaux,  qu'on  venait  de  découvrir  à  Milan,  pendant  son  séjour  dans  cette 
ville,  en  janvier,  le  corps  de  saint  Ambroise  el  ceux  de  saint  Gervais  el  de  saint  Protais  dont  on 
avait  perdu  la  trace  depuis  l'année  835,  époque  où  Angilbert  Puslerlo,  archevêque  de  Milan,  les 
avait  enfouis  profondément  dans  la  terre  pour  les  préserver  de  toute  profanation.  —  C'est  sous  le 

..»?■  ^'°'/.  '*  '■®'*"°°  "^^  >»  translation  de  ces  reliques  par  P»ul  Moreau,  1685.  — i/ercure  Galant,  15  juin 
1885.  —  iiss  du  clianoine  Cabaret. 


SAINTS   VITAL,   VALÉRIE,    GERVAIS   ET  PROTAIS,   MARTYRS. 
!  l'antique  église  de  saint  Ambroise,  bûtie  par  ce  saint,  à  la  fin  du  iv* 


149 


grand  autel  de  l'antique  église  de  saint  Ambroise,  bûtie  par  ce  saint,  à  la  fin  du  iv*  siècle,  et  dans 
un  large  cl  m.ijrnilique  tombeau  de  porphyre  égyptien,  que  le  Chapitre  de  cette  église  pense  avoir 
retrouvé  le  corps  de  saint  Ambroise  et  ceux  de  saint  Gervais  et  de  saint  Prolais.  —  M.  Fossé 
Darcosse  ayant  paru  douter  de  la  réalité  de  cette  découverte  et  ayant,  dans  son  journal  VArgus 
Soissonnais,  fait  pirt  au  public  de  son  sentiment,  reçut  directement  de  Milan  une  réponse  aux 
objections  qu'il  avait  présentées.  —  Nous  sommes  porté  il  croire  qu'on  aurait  pu,  à  une  certaine 
époque,  détacher  quelques  ossements  des  saints  Martyrs  et  avoir  laissé  les  autres  dans  leur  tom- 
beau. —  Le  temps  éclaircira  le  fait  que  nous  venons  de  sigualer  aux  investigations  des  hagio- 
graphcs  ». 

M.  Congnet  s'appuyait  sur  l'opinion  du  Père  Papebrock  et  sur  les  traditions  de  l'Eglise  de  Sois- 
sons;  mais  il  oublijil  que  le  savant  BoUandisle,  après  avoir  en  effet  avancé  que  les  corps  de  saint 
Gervais  et  de  saint  Protais  avaient  été  transférés  à  Brisach,  se  voyant  réfuté  par  Saxi,  préfet  de  la 
bibliothèque  Ambrosienne,  s'était  entièrement  rétracté.  D'ailleurs  cette  prétendue  translation  des 
saintes  reliques  d'Italie  en  Allemagne  se  trouve  démentie  par  la  découverte  que  M.  Congnet  signa- 
lait lui-mémo.  En  effet,  la  vérité  évidente  aujourd'hui  est  que  depuis  sept  ou  huit  cents  ans,  on 
ignorait  la  place  des  tombeaux  de  ces  trois  saints  patrons  de  Milan.  On  doutait  qu'il  fût  possible 
de  les  retrouver  ;  on  savait  seulement  que  d'anciennes  chroniques,  d'une  autorité  douteuse,  racon- 
taient à  la  date  de  l'an  lOOi  une  sorte  de  translation  des  restes  de  saint  Ambroise,  auxquels  on 
avait  uni,  dans  le  même  tombeau  de  porphyre,  les  restes  des  saints  Gervais  tt  Protais.  Mais  où 
était  ce  tombeau  de  porphyre  rouge  ?  En  1864,  en  faisant  des  réparations  à  l'église,  une  crypte 
fut  signalée,  et  l'on  supposa  que  celte  crypte  devait  contenir  des  choses  massives  sous  l'autel. 
Mais  on  ne  vérifia  la  présence  d'un  sarcophage  de  porphyre  que  dans  le  courant  de  la  dernière 
quinzaine  de  juillet  1871. 

Le  tombeau  fut  enfin  tout  à  fait  découvert  dans  les  premiers  jours  d'août  1871.  Le  monde  reli- 
gieux de  Milan  était  fort  ému  de  cet  événement.  Il  fut  convenu  que,  le  9  août,  le  sarcophage  serait 
ouvert  en  présence  de  l'archevêque,  du  Chapitre  du  dôme,  du  clergé  de  Saint-Ambroise,  du  syndic, 
d'une  représentation  municipale,  etc.  C'est  ce  qui  a  été  fait.  Le  couvercle  soudé  du  tombeau  a  été 
enlevé,  et,  chose  extraordinaire,  on  aperçut  d'abord  une  eau  calme  et  très-limpide,  qui  n'était  point 
courante,  qui  n'était  amenée  par  aucun  conduit,  et  qu'on  imagina  tout  d'abord  être  produite  par  un 
phénomène  singulier  de  filtration. 

Au  fond  de  celte  eau  de  cristal,  on  distinguait  parfaitement  trois  corps  admirablement  conservés 
et  revêtus  d'habits  d'or.  Les  corps  étaient  exactement  dans  l'attitude  décrite  par  la  tradition  : 
Scilicet  quod  S.  Ambrosius  est  in  medio  sanctorum  Protaxi  et  Gervaxi.  (A  savoir  que  le  corps 
de  saint  Ambroise  est  entre  les  saints  Protais  et  Gervais.)  La  tète  de  chacun  des  trois  corps  regarde 
le  côté  de  l'Evangile.  On  a  remarqué  que  le  crâne  de  saint  Ambroise  est  plus  petit  que  celui  des 
deux  autres  Saints.  Reste  à  savoir  si  l'eau  que  contenait  le  coffre  a  été  préparée  chimiquement, 
du  temps  d'Aogilbert,  pour  la  conservation  des  trois  corps,  ou  si  elle  s'est  infiltrée  de  toute  autre 
manière.  En  tous  cas,  on  a  résolu  de  refermer  et  sceller  le  coffre,  qui  sera  de  nouveau  ouvert 
devant  les  autorités  civiles  et  religieuses,  et  avec  le  concours  de  chimistes  qui  soumettront  cette 
eau  à  une  analyse  scientifique  "''. 

Qu'on  nous  permette,  en  terminant,  de  dire  quelques  mots  du  culte  si  célèbre  de  nos  saints 
Martyrs  dans  l'église  cathédrale  du  Mans.  Nous  empruntons  ces  intéressants  détails  au  savant  béné- 
dictin Dom  Paul  Piolin. 

«  L'église  cathédrale  du  Mans  avait  trois  autels  ;  à  l'entrée  de  l'abside  se  trouvait  l'autel  prin- 
cipal ;  il  fut  consacré  aux  saints  Gervais  et  Protais,  et  saint  Innocent  y  plaça  des  reliques  de  ces 
saints  Martyrs. 

«  Innocent  ne  se  contenta  pas  des  reliques  des  Martyrs  milanais,  que  saint  Martin  avait  données  à 
saint  Victorius,  et  que  celui-ci  avait  déposées  dans  l'église  cathédrale,  il  envoya  un  message  à  saint 
Datius,  qui  gouvernait  alors,  avec  autant  de  gloire  que  de  sainteté,  l'Eglise  de  Milan,  et  il  en  obtint 
de  nouvelles  reliques  plus  considérables  que  les  premières.  Innocent  écrivit  une  lettre  de  remer- 
ciement à  ce  prélat  pour  un  don  aussi  précieux,  et  l'on  remarque  dans  sa  lettre  le  passage  où  il 
rappelle  avec  complaisance  que  ces  saints  Martyrs,  étant  originaires  de  Milan,  avaient  versé  pour 
la  gloire  de  Dieu  un  sang  manceau  *. 

«  Déjà  il  avait  plu  à  la  Providence  de  permettre  que  la  présence  des  reliques  de  saint  Gervais 
et  de  saint  Prolais,  dans  notre  cité,  fût  signalée  par  de  nombreux  miracles  ;  la  dévotion  de  nos 
pères  envers  les  saints  Martyrs  milanais  prit  aussitôt  un  nouvel  essor.  De  toutes  parts,  à  cette 
époque,  l'on  bâtissait  des  basiliques  en  l'honneur  de  ces  glorieux  frères  ;  mais,  dans  toute  la  Gaule, 
l'Eglise  du  Mans  était  regardée  comme  le  principal  sanctuaire,  en-deçà  des  Alpes,  consacré  à  ces 
deux  Martyrs,  et  on  accourait  de  loin  pour  les  y  honorer.  Selon  certaines  expressions  de  diplômes 
accordés  par  des  rois  mérovingiens  à  notre  Eglise,  ces  princes  avaient  adopté  comme  patrons  de  la 

1.  M.  l'abbé  Corblet. 

5.  Debitum  exsolvisti,  si  enim  originem  longius  quaesiveris,  tu  nobis  nostros  Cenomanos  martyres 
reddere  debuisti.  Ce  texte  renferme  une  allusion  aa  fait  incontestable  de  l'occupation  d'une  partie  da 
Milanais  par  les  Cénomanâ,  vers  l'an  de  Rome  364. 


150  *^  JUIN. 

monarchie,  et  comme  leurs  protecteurs  particuliers,  les  patrons  mêmes  de  notre  Eglise.  De  là  vint 
la  munificence  qu'ils  signalèrent  envers  notre  cathédrale  et  le  siège  épiscopal  du  Mans  '. 

«  La  consécration  de  l'église  cathédrale,  sous  le  patronage  de  ces  saints  Martyrs,  fut  un  événement 
dont  les  Manceaux  aimèrent  à  conserver  et  à  propager  le  souvenir.  On  connaît  un  onyx  gravé  en 
mémoire  de  cette  consécration,  et  qui  est  l'un  des  monuments  les  plus  curieux  de  l'époque  méro- 
vingienne. Cette  pierre  représente  les  deux  saints  Martyrs,  patrons  de  notre  Eglise,  et  elle  les 
désigne  par  leurs  noms  ;  ils  sont  figurés  dans  l'attitude  de  la  protection,  et  le  monument  lui-même 
qu'ifs  prennent  sous  leur  patronage,  porte  inscrit  le  nom  de  la  cité  de  nos  aïeux,  Caemom.  La  maia 
divine,  symbole  expressif  de  consécration,  qui  se  voit  sur  les  plus  anciens  monuments  figurés  des- 
chrétiens", plaue  sur  le  groupe  tout  entier. 

«  Un  monument  d'un  autre  genre,  et  qui  est  anssi  du  plus  haut  ialéi'êt,  sert  à  prouver  la  dévotion 
du  peuple  manceau  envers  les  saints  patrons  de  notre  Eglise  ;  nous  voulons  parler  d'un  saiga,  oa 
denier  d'argent,  qui  est  conservé  au  cabinet  des  médailles,  à  la  Bibliothèque  nationale.  L'un  des 
côtés  de  cette  pièce  présente  deux  personnages  étendant  leurs  mains,  comme  pour  bénir  et  protéger 
en  monument  qui  est  placé  au  milieu  d'eux,  et  qui  est  surmonté  d'une  croix,  avec  la  légende 
Cexomamms;  au  revers,  on  voit  une  croix  haussée  sur  un  degré.  Les  savants  font  observer  que 
celte  monnaie  est  l'une  des  plus  anciennes  de  la  numismatique  mérovingienne,  et  qu'elle  n'a  nulle 
part  d'analogue.  Nos  deux  monuments  s'expliquent  l'un  par  l'autre,  et  sont  destinés  à  rappeler  le 
souvenir  de  la  consécration  de  notre  église  cathédrale,  en  l'honneur  des  saints  martyrs  Gervais 
et  Protais. 

<!  Ce  fut  à  la  dévotion  des  rois  mérovingiens  envers  ces  Saints,  bien  plus  qu'à  toute  autre  consi- 
dération personnelle,  que  l'Eglise  du  Mans  fut  redevable  du  privilège  de  battre  monnaie,  droit  dont 
elle  resta  en  possession  pendant  plusieurs  siècles.  Aussi  les  noms  des  saints  Gervais  et  Protais 
figurèrent-ils  d'abord  sur  cette  monnaie  ;  ensuite,  lorsque  la  royauté  mérovingienne,  mieux  affermie, 
fut  devenue  plus  jalouse  de  ses  droits,  peut-être  aussi  par  le  désir  de  faire  circuler  cette  monnaie 
dans  un  pays  plus  étendu,  on  associa  le  nom  du  roi  à  celui  de  nos  saints  patrons,  mais  il  n'en  avait 
point  été  ainsi  au  commencement  ». 

Koas  avons  composé  cette  Biographie  avec  les  diîtails  intéressants  que  nous  ont  fournis  M.  l'ai)!) é  Henri 
Con^et,  doyen  du  Chapitre  de  la  cathédrale  de  Soissons  :  M.  l'abbé  Corblet,  historiographe  du  diocèse 
d'Amiens  ;  et  le  R.  P.  Dom  Paul  Piolin,  bénédictin  de  la  Congrégation  de  France.  —  Cf.  Acta  Sanctorum, 
ad  diem  xix  junii. 


S.  DIE,  DIDIER,  DEODAT,  ADEODAT  OU  DIEUDONNE 

ÉYÉQUE  DE  NEVERS, 
FONDATEUR  DE  L'ABBAYE  D'EBERSMUNSTER,  APOTRE  DES  VOSGES 

6Î9.  —  Pape  :  Agathou.  —  Roi  des  Francs  :  Thierry  I". 


On  voit  des  hommes  enflammés  de  l'amonr  de  Dien, 
renoncer  à  tout,  fuir  loin  du  monde,  pour  lequel 
ils  n'ont  que  du  mépris,  et  trouver  dans  une  soli- 
tude entière  des  charmes  infinis. 

Saint  Augustin. 

Saint  Dié  ou  Didier  était  d'une  famille  illustre  de  la  France  occidentale  ; 
il  possédait  dans  un  degré  éminent  les  dons  de  la  nature  et  ceux  de  la 
grâce.  Dès  l'âge  le  plus  tendre,  il  s'appliqua  à  mettre  en  pratique  le  double 
précepte  de  l'Evangile  :  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain.  La  vertu,  pour  lui, 
était  préférable  à  toutes  les  richesses  :  aussi  il  ne  négligeait  rien  pour  la 
conserver  dans  son  cœur. 

1.  ;•  ;    i;  ick,  Acta  Sanctorum,  ad  diem  xrx  junii,  de  sanctis  Gervasio  et  Protasio,  8  8.   PecuUari» 
mului  Cisnuinani. 


SAINT  DIE,   DIDIER,    DÉODxVT,   ADÉODAT   OU  DIEUDONNÉ.  151 

Après  la  mort  d'Héchérius,  il  fut  élu  évêque  de  Nevers,  vers  Tan  655  ;  il 
remplit  les  fonctions  de  son  ministère  comme  un  pasteur  qui  ne  cherche 
que  la  gloire  de  Dieu  et  le  salut  des  âmes. 

11  assista,  en  657,  au  concile  de  Sens,  avec  ses  comprovinciaux  et  trente 
autres  évêques  sous  la  présidence  d'Emmon,  archevêque  de  cette  province. 
Tous  les  prélats  les  plus  illustres  de  France  par  leur  savoir  et  leur  sainteté 
se  trouvaient  à  ce  concile.  Outre  notre  saint  évêque,  on  comptait  parmi  les 
Pères,  saint  Ouen,  évêque  de  Rouen,  saint  Faron  de  Meaux,  saint  Eloi  de 
Noyon,  saint  Amand  de  Maëstricht,  saint  Pallade  d'Auxerre,  saint  Lençon 
de  Troyes. 

Saint  Dié  ne  resta  que  trois  ans  sur  le  siège  de  Nevers;  l'attrait  qu'il 
avait  pour  la  retraite  et  le  désir  d'une  plus  grande  perfection  le  portèrent 
à  renoncer  aux  honneurs  de  l'épiscopat,  pour  se  retirer  dans  la  solitude;  il 
engagea  donc  le  clergé  et  les  fidèles  de  son  diocèse  à  lui  chercher  un  suc- 
cesseur, et  il  quitta  Nevers  pour  s'enfoncer  dans  les  montagnes  des  Vosges, 
avec  ses  compagnons  Villigod,  Domnole  et  un  autre  Dieudonné.  Il  vint  à 
Romont,  puis  à  Argentelle,  lieu  ainsi  nommé  à  cause  de  la  pureté  de  ses 
eaux,  et  que  le  peuple  appela  du  nom  corrompu  d'Arrentelle.  En  cet  en- 
droit solitaire  il  pensait  terminer  les  ennuis  de  son  voyage.  Il  songea  donc 
à  y  construire  un  monastère.  Déjà  les  murailles  s'élevaient  assez  haut, 
lorsque  les  habitants  du  pays  en  prirent  ombrage  et  en  conçurent  de  la 
jalousie  :  ils  se  mirent  à  lui  susciter  toute  espèce  de  persécutions,  comme 
s'il  eût  dû  empiéter  chaque  jour  sur  leur  territoire.  Saint  Dié  fut  obligé 
d'abandonner  cet  endroit  et  les  fondements  de  son  monastère,  et  de  conti- 
nuer sa  route  vers  l'orient  des  montagnes.  Le  Seigneur  ne  voulait  point 
que  le  saint  évoque  fixât  sa  demeure  sur  les  rives  d'Arrentelle;  il  le  destinait 
à  éclairer  par  ses  vertus  d'autres  lieux,  avant  de  lui  accorder  une  demeure 
permanente.  Le  serviteur  de  Dieu  traversa  donc  une  longue  suite  de  gorges 
tortueuses,  et  à  travers  une  sauvage  solitude  il  atteignit  l'Alsace. 

Il  y  choisit  un  lieu  retiré  dans  la  forêt  de  Haguenau  et  se  lia  d'amitié 
avec  saint  Arbogaste,  qui  y  menait  depuis  quelque  temps  la  vie  érémitique, 
et  qui  devint  depuis  évêque  de  Strasbourg.  Forcé  de  quitter  ce  lieu  par 
suite  des  contrariétés  qu'il  éprouva  de  la  part  des  habitants  voisins  de  cette 
forêt,  il  se  retira  dans  l'île  de  Novientum  ^  qui  dans  la  suite  prit  le  nom  de 
Ebersheim;  quelques  solitaires  s'y  étaient  réfugiés  vers  661,  pour  y  vivre  en 
communauté.  Saint  Dié,  à  qui  le  voisinage  donnait  quelque  connaissance 
de  ces  saints  personnages,  embrassa  leur  discipline,  ravi  d'avoir  trouvé  tout 
ensemble  la  sainteté  de  vie,  l'extrême  rigueur  de  la  pénitence  et  l'obscurité. 
Il  fut  accueilli  avec  bonheur  par  les  solitaires,  et  il  commença  de  vivre  au 
milieu  d'eux  de  telle  sorte  qu'il  fut  en  admiration  à  ces  anges  terrestres. 
Comme  ils  le  voyaient  toujours  croître  en  vertu,  ils  le  supplièrent  de  se 
mettre  à  leur  tête.  La  réputation  de  sa  sainteté  attira  un  grand  nombre  de 
disciples  qui  vinrent  se  ranger  sous  sa  conduite,  et  furent  les  imitateurs  de 
sa  vie  retirée  et  pénitente.  Avec  l'aide  de  Ghildéric  II,  roi  d'Austrasie,  il 
bâtit  une  église  en  l'honneur  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  et  l'enrichit 
des  reliques  de  saint  Maurice,  chef  de  la  légion  thébaine.  La  dédicace  en 
fut  faite  par  notre  saint  évêque,  en  présence  d'un  grand  concours  de  peuple 
accouru  des  pays  voisins.  Telle  fut  l'origine  de  l'abbaye  d'Ebersmunster,  au 
diocèse  de  Strasbourg.  Ce  monastère  se  formait  sous  les  yeux  d'Attic  ou 
Adalric ,  duc  d'Alsace  et  père  de  sainte  Odile,  à  qui  appartenait  le  fonds  de 

1-  Cet  endroit  est  situé  snr  Vlll,  à  deux  lieues  an-dessous  de  Schelestadt  et  à  sept  lieues  de  Stras- 
bourg. 


152  19  JTHN. 

l'île  d'Ebersheim;  ce  noble  seigneur  donna  à  celte  abbaye  naiss?nte  plu- 
sieurs de  ses  domaines,  situés  dans  la  haute  Alsace,  ainsi  que  les  dîmes  d'un 
grand  nombre  de  villages  de  la  basse  Alsace  et  du  Brisgau. 

Comme  le  gouvernement  de  ce  monastère  ne  permettait  pas  à  notre 
Saint  de  se  livrer  aux  exercices  de  la  contemplation,  il  se  retira  et  chercha 
un  lieu  plus  solitaire;  ce  fut  dans  les  environs  d'Angiville,  au  diocèse  de 
Bâle,  qu'il  alla  se  fixer.  Il  y  bâtit  un  ermitage;  mais  il  fut  bientôt  obligé  de 
le  quitter,  forcé  par  les  habitants  du  pays  qui,  vivant  de  brigandage,  crai- 
gnaient que  ce  nouveau  venu  n'entreprît  de  changer  leurs  mœurs. 

Enfin,  après  bien  des  traverses  de  ce  genre,  par  lesquelles  Dieu  voulut 
éprouver  sa  patience,  un  riche  seigneur  du  pays,  nommé  Hunnon,  avec 
lequel  il  avait  fait  connaissance,  lui  offrit  une  de  ses  terres.  Didier  refusa 
celle  offre ,  disant  qu'il  n'avait  pas  quitté  son  évêché  pour  chercher 
ailleurs  des  domaines  et  des  richesses;  que  son  dessein  était  de  se  retirer 
dans  un  lieu  entièrement  désert,  afin  de  ne  plus  exciter  la  jalousie  de  per- 
sonne. 

11  retourna  dans  les  montagnes  des  Vosges,  traversa  la  vallée  de  Kai- 
sersberg  et  s'arrêta  quelque  temps  dans  un  endroit  depuis  appelé,  de  son 
nom,  Diedolshofen  ou  Diedolshausen  (Bon-Homme);  de  là  il  descendit  dans 
une  vallée  qu'il  nomma  Val  de  Galilée  S  et  qu'on  appelle  aujourd'hui  val 
de  Saint-Dié.  11  y  bâtit  une  cellule  et  une  chapelle  sous  l'invocation  de 
saint  Martin.  Il  eut  d'abord  extrêmement  à  souffrir  dans  cette  vallée,  où  il 
ne  trouva  pour  nourriture  que  des  herbes,  des  racines  et  des  fruits  sau- 
vages. Il  se  réjouissait  en  Notre-Seigneur  de  ce  qu'il  le  jugeait  digne,  avec 
ses  compagnons,  d'endurer  quelque  chose  pour  son  amour,  et  il  croyait 
être  bien  récompensé  de  son  abstinence  et  des  autres  rigueurs  de  sa  soli- 
tude, pouvant  vivre  dans  l'oubli  de  toutes  choses  de  la  terre  et  dans  la  con- 
versation continuelle  avec  son  Dieu.  Mais  la  divine  bonté,  qui  veille  perpé- 
tuellement au  soulagement  de  ses  serviteurs,  inspira  au  seigneur  Hunnon 
et  à  sa  sainte  épouse  Hunne  ou  Hunna  de  lui  envoyer  les  aliments  qui  lui 
étaient  nécessaires.  Le  Saint  avait  baptisé  leur  fils  et  avait  lié,  ainsi  que 
nous  l'avons  dit,  une  étroite  amitié  avec  eux  avant  d'entrer  au  Val  de  Ga- 
lilée; mais  ils  ne  savaient  pas  ce  qu'il  était  devenu  depuis.  Hunnon  enten- 
dit donc,  durant  son  sommeil,  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Pourquoi  laisses-tu 
mourir  de  faim  dans  le  désert  le  vénérable  Dieudonné,  ton  ami,  qui  a  tout 
quitté  pour  mon  service  et  s'est  réduit  volontairement  à  une  pauvreté 
extrême  ?  »  Hunnon  répondit  qu'il  souhaitait  de  toute  son  âme  de  l'assis- 
ter, mais  qu'il  ne  savait  pas  le  lieu  de  sa  retraite,  ni  le  chemin  pour  y  aller. 
«  Charge  les  chevaux  de  provisions  »,  répliqua  la  voix,  «  et  laisse-les  aller 
d'eux-mêmes,  et  ma  providence  les  conduira  ».  Il  obéit  :  il  chargea  ses 
chevaux  de  pain,  de  vin  et  d'autres  nourritures,  et  ils  allèrent  d'eux-mêmes 
au  Val  de  Galilée.  Quelques  serviteurs  les  suivirent  et  surent,  par  ce  moyen, 
le  lieu  où  résidait  le  saint  Prélat  :  ce  qui  fit  que,  depuis,  rien  ne  lui  man- 
qua, ni  à  ses  confrères.  On  ajoute  qu'un  âne,  qui  leur  portait  des  aliments, 
ayant  été  mang  >  par  un  loup,  l'épouse  de  Hunnon  commanda  au  loup 
môme  de  faire  dans  la  suite  cet  office  et  de  servir  de  bête  de  charge  :  ce 
que  ce  cruel  animal  exécuta.  D'autres  personnes  vinrent  au  secours  de  notre 
Saint.  Le  bruit  de  sa  sainteté  se  répandit  bientôt  non-seulement  dans  les 
contrées  voisines,  mais  dans  les  régions  les  plus  éloignées.  On  vit  accourir 

1.  II  appela  cette  vallée  le  Val  de  Galilée,  pour  signifier  que  cet  endroit  serait  le  dernier  gîte  de  ses 
longues  pérégrinations  et  le  lieu  de  sa  mort.  Dans  les  processions  du  temps  pascal,  les  anciens  rituels,  et 
PMticuIièrement  ceux  de  rOrdre  de  Saint-Benott,  appellent  GaUlée  la  dermère  station. 


SAINT  DLÉ,   DIDIER,   DÉODAT,   ADÉODAT   OU  DIEUDONNÉ.  133 

à  sa  cellule  une  foule  de  peuples  que  la  bonne  odeur  de  ses  vertus  y  attirait 
de  toutes  parts  et  qui  demandaient  à  vivre  sous  sa  discipline. 

En  6G9,  comme  le  nombre  augmentait  toujours,  notre  Saint  fut  obligé 
de  bûtir  sur  la  colline  un  vaste  monastère  où  il  établit  la  Règle  de  saint 
Colomban,  à  laquelle  fut  substituée  plus  tard  celle  de  saint  Benoît.  Il  y 
bâtit  aussi  une  église  qu'il  dédia  à  la  Mère  de  Dieu. 

En  môme  temps  le  roi  Childéric  II  lui  donna  la  propriété  de  toute  la 
vallée.  Ce  monastère,  appelé  d'abord  Jointures,  à  cause  de  la  jonction  du 
ruisseau  de  Rothba'^h  avec  la  Meurthe,  prit  depais  le  nom  de  son  saint 
fondateur.  Dans  le  cours  de  ce  siècle,  la  religion  peupla  les  vastes  déserts 
des  Vosges;  outre  le  monastère  de  Jointures,  que  saint  Didier  avait  fondé, 
saint  Gombert  ou  Gondelbert,  archevêque  de  Sens,  qui  avait  aussi  aban- 
donné son  siège  pour  se  retirer  dans  la  solitude,  fonda  celui  de  Senones; 
l'évêque  de  Toul,  saint  Badon,  construisit  Badon-Moûtier,  nommé  plus 
tard  Saint-Sauveur,  et  celui  d'Etival  ;  saint  Hidulphe,  évêque  de  Trêves, 
qui  avait  choisi  le  môme  désert  pour  retraite,  en  construisit  un  nouveau 
qu'on  appela  Moyen-Moûlier. 

Il  faudrait  la  plume  d'un  ange  pour  décrire  dignement  dans  quelle  sain- 
teté vivait  ce  grand  homme.  Il  se  nourrissait  plus  du  pain  des  larmes  et  de 
l'aliment  de  la  parole  de  Dieu,  que  du  pain  matériel  qui  sert  à  nourrir  le 
corps.  Ses  veilles  étaient  fréquentes,  son  oraison  assidue,  sa  dévotion  dans 
le  chant  des  psaumes  et  dans  la  célébration  des  divins  mystères  si  généreuse 
et  si  constante,  que  son  exemple  était  capable  d'amollir  les  cœurs  les  plus 
endurcis.  Il  avait  d'ailleurs  une  prudence  céleste  pour  le  gouvernement,  et 
tant  de  bonté  et  de  douceur  envers  ses  enfants  spirituels,  que  chacun  s'es- 
timait heureux  de  vivre  sous  sa  conduite. 

Cependant  les  religieux  affluaient  de  toutes  parts  sous  sa  discipline. 
Bientôt  le  monastère  ne  put  plus  les  contenir.  Alors  quelques-uns  des  dis- 
ciples de  saint  Dié,  parvenus  à  un  plus  haut  degré  de  perfection,  s'enfon- 
cèrent plus  avant  dans  les  forets,  alin  d'y  mener  la  vie  érémitique  et  con- 
templative. Saint  Dié  ne  voulut  point  contrister  leur  piété  et  construisit 
plusieurs  cellules  en  divers  endroits  du  val  de  Galilée  *. 

Saint  Hidulphe  ^  et  saint  Dié  s'unirent  ensemble  d'une  amitié  très- 
étroite;  ils  se  visitaient  tous  les  ans  une  fois,  et,  lorsque  saint  Dié  allait  voir 
saint  Hidulphe,  ce  saint  Prélat  sortait  au-devant  de  lui  avec  ses  disciples, 
pour  le  recevoir;  ensuite,  l'ayant  pris  par  la  main  avec  beaucoup  de  révé- 
rence, il  le  conduisait  à  l'oratoire  pour  prier;  de  là,  l'ayant  conduit  dans 
le  monastère,  il  s'occupait  toute  la  nuit  avec  lui  à  chanter  les  louanges  de 
Dieu  et  à  s'entretenir  des  vérités  de  l'autre  vie;  saint  Dié  faisait  de  même 
lorsque  saint  Hidulphe  le  venait  visiter  à  son  tour,  rendant  à  ce  bienheu- 
reux archevêque  tous  les  devoirs  d'une  sainte  hospitalité. 

Notre  Saint,  dont  les  forces  étaient  tout  à  fait  affaiblies,  soit  par  les  fa- 
tigues, soit  par  les  austérités  de  la  pénitence,  craignant  que  ses  infirmités 
ne  nuisissent  à  la  régularité  de  sa  communauté,  se  retira  vers  la  fin  de  ses 

1.  Peu  à  peu  l'on  s'approcha  des  cellules  des  religieux,  et  les  habitants  du  voisinage  vinrent  labourer 
la  terre,  bâtir  des  maisons  pour  se  loger  eux  et  leur  bétail.  Des  hameaux  se  formèrent,  qui  devinrent  dans 
la  suite  des  villages.  Les  cellules  furent  alors  érigées  en  paroissi-s.  Bertrimoutier,  Provenchères,  Coiroy, 
Lusse,  Vissembach,  Luveline,  dont  depend.<iit  Saint-Nicolas  de  la  Croi.x  ;  Mandray,  Le  Valtin,  Anould, 
Clefcy,  Saint-Léonard,  Saulcy,  Sainte-Marguerite  et  Saint-Martin.  Toutes  ces  paroisses  formaient 
anciennement  le  territoire  du  Val  de  Saint-Dié,  qui  était  enclavé  dans  les  diocèses  de  Strasbourg,  de 
Bâle  et  de  Toul.  Il  avait  son  orient  en  Alsace,  son  septentrion  du  côté  de  Senones  et  de  Moyen-Moûtier, 
l'occident  au  ban  d'Etival  et  le  midi  sur  le»  montagnes  de  Bruyères.  Il  comprenait  en  tout  <lix-huit 
églises,  y  compris  Fraize  et  Plaiufaing. 

3.  Voir  la  vie  de  saint  Hidulphe  au  11  juillet. 


154  ^9  JUIN. 

jours  dans  son  ancienne  cellule,  près  de  la  chapelle  de  Saint-Martin,  et  de 
là  il  gouvernait  ses  religieux  avec  autant  de  zèle  et  de  vigilance  que  s'il  eût 
été  au  milieu  d'eux. 

Saint  Dié  étant  tombé  malade  à  la  mort,  saint Hidulphe  en  fut  averti  par 
une  voix  du  ciel,  et  vint  promptement  à  sa  cellule  pour  lui  donner  le  Via- 
tique et  lui  rendre  les  autres  assistances  que  l'on  est  obligé  de  rendre  aux 
moribonds;  le  saint  malade  fut  parfaitement  consolé  par  sa  présence;  il  lui 
recommanda  ses  disciples,  qu'il  allait  laisser  orphelins,  et  le  pria  d'en 
prendre  la  conduite;  et,  en  effet,  saint  Hidulphe  s'en  chargea,  pour  ne  pas 
affliger  un  si  parfait  ami;  ainsi  ce  bienheureux  évêque  de  Nevers,  qui  avait 
passé  si  saintement  sa  vie  dans  le  service  de  Dieu,  lui  rendit  son  âme  char- 
gée de  grâces  et  de  mérites,  pour  recevoir  de  sa  main  la  couronne  de  l'im- 
mortalité, le  dix-neuvième  jour  de  juin  de  l'an  679,  âgé  d'environ  quatre- 
vingt-dix  ans. 

Les  religieux  portèrent  avec  vénération  le  corps  de  saint  Dié  à  l'église 
de  la  bienheureuse  Mère  de  Dieu.  Ils  l'arrosèrent  de  leurs  larmes.  Saint 
Hidulphe  offrit  la  victime  du  salut,  et,  selon  les  rites  de  la  sainte  Eglise  ca- 
tholique, confia  à  la  terre,  bien  indigne  sans  doute  d'un  tel  honneur,  le 
précieux  corps  du  vénérable  défunt. 

L'année  de  la  mort  de  saint  Dié  étant  révolue,  pendant  laquelle  saint 
Hidulphe  venait  fréquemment  visiter  le  monastère  de  Galilée,  et  immoler 
pour  le  repos  de  lame  de  son  ami  décédé,  la  victime  de  propitiation,  les 
religieux  reprirent  le  cours  ordinaire  de  leurs  exercices  et  solennités. 
Comme  les  deux  saints  évêques  avaient  coutume  de  visiter  mutuellement 
chaque  année  leur  cellule,  ils  désirèrent  continuer  cette  sainte  coutume. 
Lorsque  saint  Hidulphe  venait  au  Val  de  Galilée,  les  religieux  de  celte  abbaye 
ne  manquaient  pas  de  lui  présenter  sa  tunique;  ils  la  lui  portaient  même 
lorsque,  dans  sa  grande  vieillesse,  il  n'était  plus  en  état  de  sortir  de  Moyen- 
Moûtier.  Aussi,  le  saint  archevêque  avait  tant  de  vénération  pour  cette 
relique,  qu'il  la  baisait  les  genoux  en  terre,  et  l'appliquait  dévotement  sur 
ses  membres,  étant  bien  persuadé  que  l'honneur  qu'il  rendait  à  ce  vête- 
ment insensible  se  rapportait  à  saint  Dié,  qu'il  croyait  régner  avec  Dieu 
dans  le  ciel.  Après  sa  mort,  les  religieux  de  saint  Dié  et  ceux  de  saint  Hi- 
dulphe allaient  processionnellement  les  uns  chez  les  autres,  y  portant  réci- 
proquement les  tuniques  sacrées  de  leurs  pères,  et  lorsque  leurs  corps 
furent  levés  de  terre  et  déposés  dans  des  châsses,  ils  les  portaient  sembla- 
blementdans  leurs  processions.  11  s'est  fait  plusieurs  grands  miracles  aux 
tombeaux  de  ces  saints  Prélats. 

Dans  quelques  gravures,  on  voit  saint  Dié  portant  une  église  sur  sa  main. 
La  pieuse  amitié  de  saint  Dié  avec  saint  Hidulphe  dans  leur  retraite  méri' 
terait  bien  que  l'on  fît  un  groupe  de  ces  deux  saints  évêques. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  NOTRE-DAME  DU  VAL  DE  GALILÉE. 

En  787,  le  corps  de  saiat  Dié  fui  transporté  par  ses  religieux  dans  le  même  cercueil  où  saint 
Hidulphe  l'avait  déposé,  et  placé  devant  l'autel  Sainte-Croix,  dans  l'église  dédiée  à  saint  Maurice. 
En  1003,  Béatrii,  duchesse  de  Lorraine,  en  fit  faire  la  translation  pour  le  placer  dans  un  endroit 
plus  convenable  dans  la  même  église.  Ce  lieu  devint  si  célèbre  qu'il  se  forma  autour  du  monastère 
une  ville  qui  prit  et  porte  encore  aujourd'hui  le  nom  du  Saint. 

En  1049,  le  pape  saint  Léon  IX,  dans  un  voyage  qu'il  fit  au  val  de  Galilée,  consacra  quelques 
auUls  près  du  sépulcre  de  saint  Dié,  et  notamment  les  autels  de  la  Croisée  ou  Transept,  construits 
depuis  la  translation  de  ses  reliques. 

Le  culte  de  saint  Dié  passa  bientôt  les  montagnes  des  Vosges  et  se  répandit  dans  toute  la  France. 


SALNT   DIE,    DIDIER,    DÉODAT,    ADÉODAT   OU  DIEUDONNÉ.  155 

Dans  le  martyrologe  monastique  de  l'abbaye  de  Saial-Nabor,  on  lit  au  19  juin  :  «  On  fait  mémoire 
de  saint  Dié,  évêqiie  et  confesseur  ». 

Grevenus.  dans  le  recueil  d'Usuard,  imprimé  en  1515  et  1521,  célèbre  Dieudonné,  évêque  de 
Nevers  et  confesseur.  Saussaie  lui  consacre  un  long  éloge.  Trithème,  an  troisième  livre  des  Ordres 
illustres  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  écrit  :  «  Adéodat,  abbé  du  monastère  du  val  de  Galilée, 
brilla  par  de  grandes  vertus  et  de  grands  mérites  ».  \Yion  et  Dorg;in,  Menard  et  Bucelin  répètent 
les  paroles  de  Trithème.  Cameriarius,  dans  son  ménologe  écossais,  place  saint  Dié  au  23  mars  et 
au  19  juin. 

En  1279,  le  pape  Nicolas  III  ayant  accordé  des  indulgences  à  ceux  qui  visiteraient  les  sanc- 
tuaires de  Galilée,  on  y  vit  affluer  les  pèlerins  ;  avec  les  oITrandes  des  fidèles,  on  répara  l'église  de 
Kotre-Danie,  et  l'on  construisit  les  transepts  et  l'abside  de  l'église  de  Saint-Dié.  A  celte  époque, 
les  reliques  du  saint  anachorète  furent  déposées  dans  une  châsse  d'argent  ornée  de  tous  les  décors 
de  l'art  an  xnie  siècle. 

En  1540,  le  premier  jour  d'octobre,  on  ouvrit  capitulairement  la  châsse  de  saint  Dié  et  on  en 
retira  trois  jointures  de  l'une  de  ses  mains,  avec  une  dent.  On  envoya  une  de  ces  jointures,  avec  la 
dent,  à  Lambert,  évéque  de  Caserte,  qui  demeurait  alors  à  Rome.  Qaant  aux  deux  autres  jointures, 
elles  furent  déposées  dans  la  sacristie,  puis,  en  1618,  placées  dans  un  bras  d'argent  fin. 

L'abbaye  fut  sécularisée  en  954.  Elle  devint  un  célèbre  Chapitre  de  Chanoines,  lequel  a  été 
érigé  en  évêché  par  bulle  du  pape  Pie  VI,  du  21  juillet  1777,  et  Barthélemy-Louis-Martin  Chau- 
mont  de  la  Galainères  fut  sacré  premier  évêque  de  Saint-Dié  le  21  septembre  1777.  Il  mourut  le 
30  juin  1808.  Par  le  concordat  de  1801,  le  siège  épiscopjl  de  Saint-Dié  avait  été  supprimé  et  incor- 
poré au  diocèse  de  Nancy;  mais  il  fut  rétabli,  en  1817,  par  la  convention  arrêtée  entre  Pie  VII  et 
Louis  XVIII.  Cet  évèché  comprend  aujourd'hui  le  département  des  Vosges,  entre  les  diocèses  de 
Nancy  et  de  Strasbourg. 

En  1635,  l'armée  suédoise  brûla  la  châsse  de  saint  Dié  avec  une  partie  de  ses  reliques.  Le  reste 
fut  épargné  miraculeusement. 

Le  7  novembre  1792,  l'évêque  constitutionnel,  Antoine  Maudru,  livra  à  la  municipalité  l'urne 
d'argent  qui  renfermait  les  reliques  de  saint  Dié,  et  les  déposa  dans  une  châsse  de  bois.  Instruments 
de  tant  de  vertus,  sanctifiées  par  une  foi  si  vive,  tout  imprégnées  et  frémissantes  de  catholicisme, 
elles  étaient  déplacées  dans  cette  châsse  fermée  par  le  schisme.  Le  18  juin  1808,  ces  précieuses 
reliques  furent  déposées  dans  un  colTre  d'ébène  donné  par  M.  le  chanoine  Raulin. 

Le  19  juillet  1851,  Mgr  Louis- .Marie  Cavorol  tra:isféra  les  précieuses  reliques  de  saint  Dié  dans 
nne  châsse  de  la  plus  grande  richesse  et  du  style  le  plus  pur  de  l'art  catholique.  Cette  châsse 
splendide  et  gracieuse  est  un  monument  de  la  pieuse  libéralité  du  prélat  et  de  son  amour  pour  les  arts. 

Nevers  n'oublia  pas  son  saint  évéque  ;  dès  le  viii»  siècle,  il  y  avait,  sous  les  murs  de  la  ville, 
un  oratoire  sous  l'invocatioa  de  ce  Saint;  ce  fut  là  que,  plus  tard,  fut  construit  l'hôpital  de  Saint- 
Didier,  actuellement  la  halle  aux  blés. 

Saint  Dié  était  le  patron  de  l'ancienne  paroissse  de  Saint-Dié,  maintenant  réunie  à  Lys.  Billy, 
près  Clamecy,  l'honore  aussi  comme  patron  secondaire. 

Le  culte  de  saint  Didier  était  très-répandu  ;  dans  un  Concile  tenu  à  Rome,  le  pape  saint  Léon  IX 
permit  de  lire  dans  l'église  la  vie  de  ce  saint  évéque. 

Le  sanctuaire  que  saint  Dié  éleva,  au  val  de  Galilée,  sous  le  vocable  de  la  Mère  de  Dieu,  acquit 
bientôt  un  grand  renom  et  devint  un  lieu  célèbre  de  pèlerinage,  grâce  aux  nombreux  miracles  qui 
s'y  opérèrent,  tels  que  des  InQrmes  guéris,  des  captifs  délivrés,  des  sourds  qui  entendent,  des  aveu- 
gles qui  recouvrent  la  vue,  des  gens  perclus  de  leurs  membres  qui  en  recouvrent  l'usage,  des 
paralytiques  guéris,  des  incendies  éteints.  On  a  vu  suspendus  aux  murs  de  Notre-Dime  de  Saint- 
Dié  grand  nombre  de  chaînes,  de  colliers,  de  menottes  et  ceps  de  fer,  qui  attestaient  de  miraculeuses 
délivrances.  En  1386,  des  malfaiteurs  ayant  entrepris  pendant  la  nuit  d'escalader  les  murailles  pour 
piller  le  pieux  sanctuaire,  les  cloches,  mises  en  branle  sans  le  secours  d'aucune  main  humaine, 
sonnèrent  falarme  ;  les  bourgeois,  éveillés,  accoururent,  et,  trouvant  les  malfaiteurs  précipités  du 
haut  des  murs,  les  uns  morts,  les  autres  cherchant  leur  salut  dans  la  fuite,  ils  passèrent  le  reste  de 
la  nuit  à  bénir  la  sainte  Vierge  et  à  lui  chanter  de  pieux  cantiques.  D'autres  accidents  arrivèrent  à 
cette  chapelle  ;  plusieurs  fois  elle  fut  brûlée,  et  toujours  elle  renaquit  de  ses  cendres  plus  vénérée 
et  plus  fréquentée.  Ses  voûtes  et  ses  murailles  séculaires  conservent  encore  la  trace  du  feu.  Echappée 
à  la  destruction  de  l'iiérésie,  vendue  en  93  et  léguée  par  le  dernier  des  acquéreurs  à  la  commune 
de  Saint-Dié,  à  condition  qu'elle  ne  servirait  qu'au  culte  catholique,  sous  la  direction  de  l'évêque 
diocésain,  elle  continue  d'être  l'objet  de  la  vénération  générale. 

Tiré  de  V Hagiologie  Nioemaise  de  Mgr  Crosnier  ;  des  Saints  d'Alsace,  par  l'abbé  Hunckler  ;  des  Saint* 
4li  Val  de  Galilée,  par  l'abbé  Guinot  ;  et  de  Noire-Dame  de  France. 


156  19  3mN. 

LE  BIENHEUUEUX  ODON, 

ABBÉ  DE  SAINT-MARTIN  DE  TOURNAI,  PUIS  ÉYÊQUE  DE  CAMBRAI 
1113.  —  Pape  :  Pascal  II.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Henri  V. 


Via  bona  et  recta  est,  cum  ad  religiosam  vitam  eon- 

vertimur. 
Nous  suivons  nne  voie  sainte  et  droite  quand  notre 

conversion  nous  conduit  à  la  vie  religieuse. 
S.  Greg.  Mag.,  lib.  v  Moral. 

Le  caractère,  les  écrits,  et  la  vie  tout  entière  du  bienheureux  Odon  ré- 
vèlent une  de  ces  âmes  pressées  par  le  désir  de  trouver  la  vérité  et  la  paix 
du  cœur,  et  qui,  après  les  avoir  cherchées  quelque  temps  dans  les  opinions 
humaines,  en  reconnaissent  bientôt  la  faiblesse  et  la  vanité,  et  s'attachent 
irrévocablement  à  Dieu,  source  de  tout  bien.  Il  parut  à  cette  époque  inté- 
ressante du  moyen  âge,  où  le  goût  renaissant  des  études  éveillait  partout 
les  esprits  et  les  portait  à  approfondir  les  questions  les  plus  abstraites  et 
les  plus  ardues.  On  verra  comment  il  sut  éviter  les  pièges  qu'un  esprit  pré- 
somptueux rencontre  bien  souvent  dans  ces  sortes  d'études  et  comment  son 
cœur  droit  et  sincère  trouva  dans  la  science  de  nouveaux  motifs  pour  se 
donner  à  Dieu. 

Le  bienheureux  Odon,  ou  Oudard,  était  natif  d'Orléans  :  son  père  s'appe- 
lait Gérard  et  sa  mère  Cécile.  Son  enfance  et  les  premières  années  de  sa  jeu- 
nesse ne  sont  point  connues;  on  voit  seulement  qu'elles  furent  consacrées 
à  l'étude  des  sciences,  et  surtout  de  la  philosophie,  pour  laquelle  Odon 
avait  un  attrait  particulier.  Il  l'enseignait  déjà  avec  éclat  dans  la  ville  de 
Toul,  quand  les  Chanoines  de  l'Eglise  de  Tournai,  aux  oreilles  de  qui  la  ré- 
putation du  jeune  professeur  était  parvenue,  lui  adressèrent  une  lettre  très- 
flatteuse,  le  priant  de  venir  prendre  la  direction  de  l'école  fondée  dans  cette 
ville  par  les  soins  du  clergé.  Odon  s'y  rendit,  et  à  peine  avait-il  enseigné 
quelques  jours,  qu'il  vit  deux  cents  jeunes  gens  se  presser  autour  de  sa 
chaire  pour  recevoir  les  leçons  publiques  de  philosophie  qu'il  donnait.  Les 
écoles  retentissaient  alors  de  la  querelle  des  Réalistes  et  des  Nominaux. 
«  Odon  »,  dit  un  chroniqueur,  «  n'enseignait  pas  la  philosophie  d'après  les 
nouveaux  professeurs  {in  voce),  mais  à  la  manière  de  Boèce  et  des  anciens 
docteurs  réalistes  fin  re).  Pendant  ce  temps-là,  un  autre  philosophe,  nom- 
mé Raimbert,  professait  à  Lille  la  doctrine  opposée.  Mais  de  ces  deux  écoles 
voisines  et  rivales,  l'une  ne  tarda  pas  à  éclipser  l'autre  ;  Raimbert  fut  aban- 
donné, et  Odon  vit  de  jour  en  jour  la  foule  se  presser  plus  nombreuse  pour 
l'entendre,  soit  que  dans  le  cloître  du  Chapitre  il  enseignât  les  subtilités  de 
la  dialectique,  soit  qu'au  milieu  de  la  nuit,  assis  devant  la  porte  de  l'église 
cathédrale,  il  montrât  à  ses  disciples  émerveillés  les  constellations  du  firma- 
ment, et  leur  fit  comprendre  le  mouvement  des  astres.  Il  exerçait  un  tel 
ascendant  sur  ses  écoliers,  que  ceux-ci  le  regardaient  moins  encore  comme 
leur  maître,  en  fait  de  sciences,  que  comme  le  père  et  le  pasteur  de  leurs 
âmes.  Voulant  lui  témoigner  leur  gratitude,  ils  lui  offrirent  un  anneau  d'or, 


LE   BIENHEUREUX   ODON,   ÉYÊQUE  DE    CAMBRAI.  157 

avec  une  légende  qui  offrait  un  jeu  de  mois  allusif  à  la  patrie  du  célèbre 
professeur  : 

Annulus  Odonem  decet  aureus  Aurelieasem. 

La  réputation  d'Odon  s'étendait  de  plus  en  plus,  et  il  lui  venait  des  élèves 
des  pays  les  plus  éloignés,  de  la  Flandre,  de  la  Bourgogne,  de  la  Norman- 
die, et  des  autres  provinces  de  la  France,  de  l'Italie  même  et  de  la  Saxe.  La 
ville  de  Tournai  était  devenue  comme  un  centre  pour  la  jeunesse  studieuse 
que  l'on  rencontrait  partout  à  la  suite  d'Odon. 

Le  maître  répondait  dignement  à  cet  empressement  de  ses  élèves  par  les 
vertus  qu'il  pratiquait  déjà  alors.  Il  était  doux,  patient,  humble,  d'une  con- 
versation agréable  et  d'un  abord  tranquille  et  attrayant.  La  médisance  et 
la  flatterie  lui  étaient  également  en  horreur,  et  il  les  fuyait  avec  un  soin 
continuel.  Il  avait  pour  la  chasteté  un  amour  extrême,  et  qui  était  d'un 
grand  exemple  pour  ses  nombreux  disciples.  «  Tout  entier  à  la  recherche 
de  la  science,  il  ne  se  donnait  aucun  repos  et  travaillait  sans  cesse.  Gram- 
maire, rhétorique,  dialectique,  toutes  les  sciences,  en  un  mot,  lui  étaient 
familières,  et  il  les  approfondissait  toutes.  Son  esprit  était  vif  et  ardent,  sa 
mémoire  tenace,  ses  mœurs  pures  et  à  l'abri  de  tout  reproche.  Il  était  sobre 
de  paroles,  actif  dans  la  recherche  de  la  vérité,  prudent  dans  les  discus- 
sions, prompt  dans  la  solution  des  questions  ». 

Ce  ne  fut  pas  seulement  par  l'étendue  et  la  solidité  de  son  savoir  qu'Odon 
se  rendit  célèbre,  il  le  devint  encore  par  son  éminente  vertu.  Lorsqu'il  con- 
duisait à  l'église  ses  disciples,  environ  au  nombre  de  deux  cents,  il  marchait 
le  dernier,  pour  mieux  observer  leur  maintien,  et  leur  faisait  garder  une 
aussi  exacte  discipline  que  dans  un  monastère  le  plus  régulier.  Aucun  n'eût 
osé  ou  rire,  ou  parler  à  son  compagnon,  quelque  bas  qu'il  l'eût  pu  faire, 
ou  regarder  ni  à  droite  ni  à  gauche  ;  et  lorsqu'ils  étaient  dans  le  chœur,  on 
les  eût  pris,  à  leur  modestie,  pour  des  moines  de  Cluny.  Cette  modestie  se 
faisait  encore  remarquer  dans  leurs  habits  et  leurs  cheveux  ;  Odon  ne  souf- 
frait point  qu'ils  y  usassent  de  parure.  Encore  moins  leur  souffrait-il  de  fré- 
quentation avec  les  femmes  :  autrement  il  les  eût  chassés  de  son  école, 
comme  des  pestes,  ou  l'eût  abandonnée  lui-même. 

Il  faisait  ses  leçons  publiques  dans  le  cloître  des  Chanoines.  Mais  quand 
il  enseignait,  il  ne  permettait  à  aucun  laïque  d'y  entrer.  Et  il  ne  craignit 
pas  d'offenser  par  cette  défense  Evrard,  châtelain  de  Tournai.  Il  avait  pour 
maxime  de  ne  rien  moins  craindre  que  les  injustes  ressentiments  des  grands 
de  la  terre,  et  disait,  à  cette  occasion,  qu'il  était  honteux  à  un  homme  sage 
de  se  détourner  tant  soit  peu  du  droit  chemin  par  leur  considération.  Cette 
régularité  de  conduite  le  faisait  aimer  et  honorer,  non-seulement  des  ci- 
toyens et  des  Chanoines,  mais  aussi  de  l'évêque  Radbod,  qui  gouvernait 
alors  en  cette  qualité  Noyon  et  Tournai.  Quelques-uns  disaient  cependant, 
que  tout  cela  venait  moins  d'un  principe  de  religion,  que  du  génie  de  phi- 
losophe ;  mais  Odon  ne  tarda  pas  à  faire  voir  le  contraire. 

Il  y  avait  près  de  cinq  ans  qu'il  dirigeait  Técole  de  Tournai,  lorsqu'il  fit 
acquisition  du  traité  Du  libre  arbitre,  par  saint  Augustin.  Comme  il  avait 
alors  plus  de  goût  pour  la  philosophie  séculière,  que  pour  les  écrits  des 
Pères,  il  le  jeta  dans  un  coffre  et  lui  préféra  la  lecture  de  Platon.  Mais  au 
bout  de  deux  mois  environ,  expliquant  à  ses  disciples  l'ouvrage  de  Boèce, 
De  la  consolation  de  la  Philosophie,  et  étant  venu  au  quatrième  livre  où  il 
est  parlé  du  libre  arbitre,  il  se  souvint  du  livre  qu'il  avait  acheté,  et  se  le  fit 
apporter.  Après  en  avoir  lu  deux  ou  trois  pages,  il  goûta  peu  à  peu  la  beauté 


138  19  JUIN. 

du  style  et  en  fut  charmé.  Appelant  alors  ses  disciples  pour  leur  faire  part 
du  trésor  qu'il  avait  découvert,  il  leur  avoua  que  jusque-là  il  avait  ignoré 
que  saint  Augustin  fût  si  éloquent  et  si  agréable,  et  commença  aussitôt  à 
leur  lire  et  expliquer  ce  traité,  à  quoi  il  employa  tout  ce  jour-là  et  le  sui- 
vant. Lorsqu'il  en  fut  au  troisième  livre,  oii  saint  Augustin  compare  l'âme 
pécheresse  à  un  esclave,  Odon  jeta  de  profonds  soupirs  et  s'écria  :  «  Hélas! 
que  cette  pensée  est  touchante  !  Elle  me  paraît  nous  regarder  aussi  natu- 
rellement que  si  elle  n'était  écrite  que  pour  nous.  En  effet,  nous  ornons  du 
peu  de  science  que  nous  avons,  ce  monde  corrompu,  et  après  la  mort  nous 
3ie  serons  pas  dignes  de  la  gloire  céleste,  parce  que  nous  ne  rendons  à  Dieu 
aucun  service,  et  qu'au  lieu  d'y  employer  notre  science,  nous  en  abusons 
pour  rechercher  la  gloire  du  monde  et  courir  après  la  vanité  ».  Ayant  ainsi 
parle,  il  se  leva  et  entra  dans  l'église  en  fondant  en  larmes.  Aussitôt  toute 
son  école  fut  troublée  et  les  Chanoines  remplis  d'admiration.  Dès  lors  Odon 
commença  à  cesser  peu  à  peu  ses  leçons  publiques,  à  aller  plus  souvent  à 
l'église,  et  à  distribuer  aux  pauvres,  surtout  aux  clercs  qui  étaient  dans  le 
besoin,  l'argent  qu'il  avait  amassé. 

Tels  furent  les  commencements  de  sa  conversion.  Elle  devint  si  parfaite, 
qu'il  n'eut  plus  dans  la  suite  que  de  l'horreur  pour  ce  qu'il  avait  aimé  illé- 
gitimement, et  de  l'amour  pour  ce  qu'il  avait  haï.  L'abstinence,  le  jeûne, 
les  autres  macérations  furent  pour  lui  des  exercices  continuels  ;  et  il  tourna 
à  l'élude  de  la  vraie  philosophie  l'ardeur  qu'il  avait  eue  auparavant  pour  les 
sciences  profanes.  Souvent  il  jeûnait  si  rigoureusement,  qu'il  ne  prenait 
pour  toute  nourriture  que  ce  qu'il  pouvait  tenir  de  pain  dans  sa  main  fer- 
mée. De  sorte  qu'en  peu  de  temps  cette  austérité  de  vie  lui  fit  perdre  son 
embonpoint  et  le  rendit  si  maigre  et  si  exténué,  qu'à  peine  il  était  recon- 
naissable. 

Plusieurs  des  élèves  d'Odon  ne  tardèrent  pas  à  connaître  les  dispositions 
de  leur  maître  et  le  dessein  qu'il  avait  formé  de  s'éloigner  du  siècle,  pour 
aller  vivre  dans  la  solitude.  Ils  résolurent  aussitôt  de  le  suivre  et  d'embras- 
ser avec  lui  la  vie  religieuse.  Il  ne  s'agissait  plus  que  de  savoir  dans  quel 
lieu  on  se  retirerait.  Mais  pendant  qu'ils  délibéraient  tous  entre  eux  sur  ce 
sujet,  des  habitants  de  Tournai,  informés  par  hasard  du  projet  de  leur  sa- 
vant professeur  et  de  ses  meilleurs  élèves,  et  craignant  de  perdre  des 
hommes  si  précieux,  se  transportèrent  auprès  de  leur  évoque,  Radbod  II. 
Ils  témoignèrent  au  prélat  le  regret  sincère  que  leur  causait  le  départ 
d'Odon,  et  le  prièrent  en  même  temps  de  lui  demander,  puisqu'il  était  dis- 
posé à  embrasser  la  vie  religieuse,  qu'il  se  retirât  dans  le  monastère  de 
Saint-Martin.  Cette  antique  abbaye,  située  sur  une  petite  montagne  à  peu 
de  distance  de  la  ville,  avait  été  autrefois  détruite  par  les  Normands,  et  de- 
puis lors  on  ne  l'avait  point  relevée.  Les  Tournaisiens  s'engagèrent  à  la 
rendre  habitable  et  à  l'approprier  aux  besoins  d'Odon  et  des  disciples  qui 
l'accompagnaient. 

L'évoque  accueillit  avec  empressement  des  offres  si  généreuses,  et  les 
communiqua  à  son  Chapitre  qui  en  ressentit  une  grande  joie.  Les  prépara- 
tifs du  départ  étant  terminés,  et  les  travaux  suffisamment  achevés,  Odon  et 
sa  petite  colonie  furent  conduits  processionnellement  à  leur  nouvelle  de- 
meure par  l'évoque  lui-même  (1092).  Là  ils  prirent  l'habit  de  Chanoines 
réguliers,  et  embrassèrent  la  Règle  de  Saint- Augustin.  Odon  dirigea  ses  dis- 
ciples, devenus  maintenant  ses  fils  spirituels,  avec  une  sagesse  et  une  pru- 
dence admirables.  Il  vivait  avec  eux  comme  un  père  au  milieu  de  ses  en- 
fants, et  quoique,  dans  les  commencements,  on  eût  à  supporter  toutes  sortes 


LE  BIENHEUREUX   ODON,   ÉVÊQUE   DE   C.VMBRAI.  159 

de  privations,  l'exemple  de  sa  patience  et  de  sa  conformité  parfaite  à  la  vo- 
lonté de  Dieu  inspirait  à  tous  les  mômes  sentiments.  Malgré  la  disette  assez 
ordinaire  des  choses  les  plus  nécessaires  à  la  vie,  le  bienheureux  Odon  trou- 
vait encore  le  moyen  de  soulager  les  pauvres.  Il  était  pénétré  pour  eux 
d'une  si  grande  charité,  qu'il  ne  savait  rien  leur  refuser.  On  pourrait  même 
dire  que  la  bonté  de  son  cœur  l'entraîna  quelquefois  trop  loin,  et  exposa 
en  plusieurs  circonstances  l'avenir  de  sa  communauté  ;  ce  fut  pour  cette 
raison  que  ses  disciples  le  prièrent  de  confier  à  un  prévôt  l'administration 
temporelle  du  monastère. 

Le  bienheureux  Odon,  dès  ce  moment,  ne  s'occupa  plus  que  de  la  direc- 
tion spirituelle  de  ses  religieux,  dont  le  nombre  augmentait  sans  cesse. 
Beaucoup  de  jeunes  gens,  en  effet,  attirés  par  la  réputation  de  sainteté  de 
l'abbé  et  de  ses  disciples,  rompaient  généreusement  avec  le  siècle  pour  ve- 
nir embrasser  la  vie  religieuse  au  monastère  de  Saint-Martin.  Parmi  ceux 
qui  se  distinguèrent  surtout  par  leur  courageuse  constance,  il  faut  citer 
Adolphe,  fils  de  Sohier,  chantre  à  l'église  cathédrale  de  Tournai.  Son  père 
ayant  appris  qu'il  voulait  renoncer  à  tous  les  avantages  auxquels  il  pouvait 
prétendre  dans  le  monde,  et  qu'il  s'était  même  déjà  retiré  au  monastère  de 
Saint-Martin,  s'y  rendit  aussitôt  avec  plusieurs  de  ses  amis,  saisit  son  fils 
par  les  cheveux,  l'accabla  d'injures  et  de  coups,  et  le  força  de  rentrer  chez 
lui.  Quelques  jours  après,  le  jeune  homme  retourna  au  monastère  à  l'insu 
de  ses  parents  qui  le  croyaient  à  la  cathédrale.  Le  père  irrité  s'y  transporta 
de  nouveau,  et,  après  avoir  maltraité  son  fils,  le  ramena  dans  sa  maison,  où 
il  le  tint  étroitement  renfermé.  Le  vertueux  Adolphe  persévéra  néanmoins 
dans  ses  intentions,  et  Dieu  accorda  même  à  ses  prières  que  son  père  chan- 
geât tout  à  coup  de  dispositions  à  son  égard.  Sohier,  en  effet,  ne  consentit 
pas  seulement  à  ce  que  son  fils  embrassât  la  vie  religieuse  dans  l'abbaye  de 
Saint-Martin,  mais  encore  il  demanda  à  y  être  admis  lui-môme,  ainsi  que 
son  frère  Herman,  dont  le  cœur  avait  été  également  touché  par  la  grâce. 
Ce  changement  extraordinaire  fit  grand  bruit  dans  la  ville  .de  Tournai  et  y 
produisit  les  plus  salutaires  impressions. 

Notre  Bienheureux  surtout  se  réjouissait  de  ces  témoignages  éclatants 
de  la  miséricorde  de  Dieu  envers  sa  communauté  naissante.  Toutefois  il 
n'était  pas  sans  inquiétude  à  cause  de  certaines  relations  qu'entretenaient 
ses  religieux  avec  des  clercs  de  la  ville.  Il  craignait  que  ces  rapports  ne  nui- 
sissent à  leurs  progrès  dans  la  perfection.  Un  jour  il  en  conféra  avec  son 
ami  Aymeric,  abbé  du  monastère  d'Anchin,  en  qui  il  avait  une  entière  con- 
fiance et  qui  venait  souvent  le  visiter.  Celui-ci  lui  conseilla  alors  d'adopter 
la  Règle  de  Saint-Benoît,  afin  de  mettre  une  séparation  plus  entière  entre 
ses  religieux  et  les  personnes  du  monde,  de  quelque  condition  qu'elles 
fussent.  Cette  proposition  fut  goûtée  du  bienheureux  Odon,  qui  en  parla 
aussitôt  à  ses  religieux.  Ceux-ci  l'accueillirent  aussi  avec  joie,  et  deman- 
dèrent à  recevoir,  comme  leur  vénérable  Père,  l'habit  de  Saint-Benoît  des 
mains  de  l'abbé  Aymeric  lui-même. 

Le  bienheureux  Odon  fut  de  nouveau  élu  abbé  par  ses  disciples  selon  les 
ordonnances  de  la  Règle  de  Saint-Benoît,  et  s'appliqua,  avec  une  nouvelle 
ferveur,  à  leur  donner  à  tous  les  exemples  d'une  vie  sainte  et  laborieuse. 
«  Voué  à  la  pauvreté  évangélique,  il  continua  d'y  assujétir  sa  communauté. 
Il  ne  voulut  admettre  pour  son  église  ni  croix  d'argent  ni  aucun  ornement 
précieux  ;  il  refusa  les  autels  et  les  dîmes  qu'on  lui  offrait.  Tous  ses  reli- 
gieux devaient  vivre  du  travail  de  leurs  mains  et  du  produit  de  leur  culture. 
Si  on  lui  donnait  des  sommes  d'argent,  ce  qui  arrivait  quelquefois,  il  les 


160  ^9  JUIN. 

employait  avec  une  généreuse  libéralité,  ou  à  racheter  les  captifs,  ou  à 
soulager  la  misère  des  pauvres.  En  une  année  de  famine  qui  désola  tout  le 
pays, le  compatissant  abbé  leur  distribua  tout  ce  qu'il  y  avait  de  provision 
dans  sa  maison,  jusqu'à  la  laisser  sans  son  propre  nécessaire.  Les  personnes 
de  l'autre  sexe  qui  se  retiraient  à  son  monastère  se  trouvèrent  en  si  grand 
nombre,  que  ne  pouvant  les  loger  commodément  toutes  ensemble,  illes 
partagea  en  deux  bandes,  chacune  de  soixante  environ,  et  les  distribua  dans 
deux  monastères  :  l'un  auquel  il  donna  pour  supérieure  sa  sœur  Ermen- 
burge,  auprès  de  l'abbaye  de  Saint-Martin,  et  l'autre  dans  l'enceinte  de  la 

ville  ». 

Odon,  après  avoir  été  pour  Tournai  une  source  de  lumière  et  de  doc- 
trine, y  devint  encore  une  source  de  renouvellement  dans  la  piété  chré- 
tienne. L'exemple  de  ses  vertus  et  les  exhortations  qu'il  faisait  en  public  y 
inspirèrent  le  mépris  des  choses  passagères  et  le  désir  des  biens  futurs. 
Grand  nombre  de  Tournaisiens  ne  regardèrent  plus  leur  ville  que  comme 
une  prison,  et  le  cloître  que  comme  un  paradis  anticipe.  De  là  tant  de 
saints  divorces  faits  de  concert  entre  le  mari  et  la  femme,  et  tant  de  salu- 
taires séparations  des  enfants  d'avec  les  pères,  et  des  pères  d'avec  les  en- 
fants. Le  pieux  abbé  ayant  su  se  faire  tout  à  tous,  il  était  comme  le  père 
de  tous,  et  comme  l'âme  qui  donnait  le  mouvement  à  tous. 

Déchargé  de  tout  autre  soin  extérieur  sur  la  sagacité  et  la  vigilance  d'un 
de  ses  élèves,  tout  le  temps  que  lui  laissaient  ses  exercices  de  piété,  il  l'em- 
ployait ou  à  lire  ou  à  copier  les  bons  livres.  Son  exemple  en  ceci  animait 
ses  frères  à  l'imiter;  et  l'abbaye  de  Saint-Martin,  sous  son  gouvernement, 
ne  devint  pas  moins  célèbre  par  la  culture  des  lettres,  que  par  son  exacte 
discipline.  Il  y  avait  alors  plusieurs  habiles  écrivains  ou  copistes,  ce  qui 
était  un  grand  agrément  pour  le  savant  abbé.  Ordinairement  douze  des 
plus  jeunes  n'avaient  point  d'autre  travail  que  celui  de  transcrire  les  livres 
de  l'Ecriture  sainte,  les  ouvrages  des  Pères  et  autres  écrivains  ecclésias- 
tiques, tant  anciens  que  modernes.  Odon  réussit  par  là  à  former  une 
des  plus  nombreuses  et  des  mieux  conditionnées  bibliothèques  qu'on  vît 
alors. 

Après  qu'Odon  eut  rendu  tous  ces  services  au  diocèse  de  Tournai,  la 
Providence  l'envoya  travailler  dans  celui  de  Cambrai.  Il  y  avait  dix  ans  que 
Gaucher,  qui  en  était  évêque,  avait  été  déposé  au  concile  de  Clermont 
{i09o)  pour  cause  de  simonie,  et  s'y  maintenait  néanmoins  parla  protec- 
tion de  l'empereur  Henri  IV.  Le  pape  Pascal  II,  ne  pouvant  plus  supporter 
cette  infraction  des  règles,  écrivit  enfin  à  Manassé,  archevêque  de  Reims, 
métropolitain  de  la  province,  lui  ordonnant  d'y  faire  élire  au  plus  tôt  un 
autre  évêque,  et  de  le  sacrer  sans  délai.  En  conséquence,  Manassé  assembla 
son  concile,  auquel  tous  les  abbés  de  sa  métropole,  et  nommément  celui 
de  Saint-Martin,  furent  appelés.  C'était  le  second  jour  de  juillet;  l'abbé 
Odon  fut  élu  évêque  de  Cambrai  et  sacré  sur-le-champ  par  l'archevêque 
assisté  de  ses  sulfragants.  Odon  ayant  refusé  de  recevoir  l'investiture  des 
mains  de  l'empereur  Henri  IV,  l'entrée  de  sa  ville  épiscopale,  où  se  trouvait 
toujours  l'intius  Gaucher,  lui  fut  interdite,  malgré  les  vœux  d'une  grande 
partie  de  la  population. 

Le  vertueux  prélat,  laissant  à  la  Providence  le  soin  d'aplanir  les  diffi- 
cultés qu'il  rencontrait  de  toutes  parts,  ne  songea  qu'à  réparer  au  plus  tôt 
les  maux  causés  par  de  longues  et  funestes  divisions.  Tout  entier  à  ses  de- 
voirs de  pasteur,  il  parcourait  les  différentes  contrées  de  son  vaste  diocèse, 
pour  y  prêcher  la  parole  de  Dieu  et  remplir  les  fonctions  de  sa  charge 


LE  BIENHEUREUX  ODON,   ÉVÊQUE  DE  CAMBRAI.  161 

épiscopale  ;  puis  il  se  retirait  au  monastère  de  Saint-Martin  pour  y  prendre 
quelque  repos. 

Lorsque  le  bienheureux  Odon  fut  ordonné  évoque,  il  y  avait  près  de 
treize  ans  qu'il  était  abbé  de  Saint-Martin,  dont  il  confia  alors  le  gouverne- 
ment à  Segard,  qui  en  était  prieur,  et  en  devint  bientôt  abbé.  Ce  monas- 
tère,  dont  on  a  représenté  le  triste  état  au  temps  qu'Odon  entreprit  de  le 
rétablir,  se  trouvait  riche  et  puissant  lorsqu'il  le  quitta;  on  y  comptait 
alors  plus  de  soixante-dix  moines. 

En  M06,  à  la  morl  de  l'empereur  Henri  IV,  protecteur  de  Gaucher, 
Henri  V  donna  ses  ordres  pour  que  cet  évoque  excommunié  fût  chassé,  et 
Odon,  légitime  évoque,  mis  à  sa  place,  ce  qui  fut  exécuté  la  môme  année. 
Odon  conserva  dans  l'épiscopat  la  même  simplicité  et  la  môme  pauvreté 
qu'il  avait  pratiquées  auparavant,  et  ne  laissa  pas  néanmoins  d'y  paraître 
comme  une  lumière  brillante  qui  éclaira  la  maison  du  Seigneur.  Il  le  fît 
non-seulement  par  l'éclat  de  ses  vertus,  mais  encore  par  le  brillant  de  ses 
écrits.  Au  reste,  nous  savons  peu  de  chose  de  sa  vie  épiscopale.  Il  eut  quel- 
que part  à  divers  établissements  de  piété,  nommément  à  celui  de  la  collé- 
giale de  Dendermonde.  Il  étendit  aussi  ses  bienfaits  sur  quelques  abbayes, 
comme  à  celle  de  Saint-Denis,  près  de  Paris,  et  à  son  ancien  monastère  de 
Saint-Martin  de  Tournai.  Il  accorda  à  celui-ci,  à  la  prière  de  Benoît,  son 
frère,  qui  en  était  moine  et  aumônier,  la  paroisse  de  Mande,  pour  aider  à 
soutenir  les  aumônes  qu'on  faisait  aux  pauvres.  Odon  concourut  encore, 
avec  le  châtelain  de  Bruxelles,  à  transporter  à  Forest  le  monastère  des  reli- 
gieuses, que  Fulgence,  abbé  d'Afflighem,  avait  établi  près  d'Alost,  afin 
qu'elles  fussent  plus  commodément  et  en  plus  grande  sûreté.  Il  confirma 
encore,  en  1106,  la  fondation  de  l'abbaye  de  Jette,  en  Brabant;  en  H07,  celle 
de  l'abbaye  de  Saint-Jean  de  Valenciennes;  en  HIO,  celle  de  l'abbaye  de 
Cortemberg;  et  en  1112,  celle  de  Bornhem.  Dès  H06,  il  s'était  trouvé  au 
concile  tenu  à  Poitiers  par  le  légat  Brunon  de  Segni,  en  faveur  de  la  croi- 
sade. Au  bout  de  deux  ans,  en  1108,  il  fut  de  l'assemblée  des  évoques,  des 
abbés  et  autres,  dans  laquelle  on  termina  le  différend  entre  les  Chanoines 
de  la  cathédrale  et  les  moines  de  Saint-Martin  de  Tournai. 

Après  ce  que  Henri  V  avait  fait  pour  favoriser  l'entrée  de  notre  pieux 
Evoque  dans  son  siège,  on  ne  devait  pas  s'attendre  qu'il  l'y  inquiétât.  Il  le 
fit  néanmoins,  en  exigeant  qu'il  reçût  de  lui  l'investiture,  c'est-à-dire  la 
crosse  et  l'anneau,  qu'il  avait  déjà  reçus  de  la  main  de  son  archevêque  à 
son  ordination.  Le  refus  d'Odon  fut  puni  par  l'exil,  ce  qui  l'obligea  à  se  re- 
tirer à  l'abbaye  d'Anchin,  où  il  s'occupa  à  la  composition  de  quelques  livres 
de  piété,  comme  il  nous  l'apprend  lui-même.  Cet  événement  arriva  en  1110, 
lorsque  Henri  V,  s'étant  brouillé  avec  le  pape  Pascal  II,  voulut  rentrer  dans 
le  droit  de  donner  les  investitures.  Il  retourna  cependant  à  son  siège,  où, 
se  sentant  atteint  d'une  maladie  dangereuse,  il  abdiqua  l'épiscopat  et  se  fit 
porter  à  Anchin. 

L'abbé  Ségard  l'ayant  appris,  courut  promptement  à  Anchin,  accompa- 
gné de  quelques-uns  de  ses  frères,  pour  tâcher  d'obtenir  que  le  saint  Evêqiie 
fût  transporté  à  Saint-Martin  de  Tournai,  dont  il  avait  été  lui-même  abbé. 
Mais  Alvise,  abbé  d'Anchin,  protesta  qu'il  ne  souffrirait  jamais  qu'on  lui 
enlevât  un  dépôt  que  Dieu  même  lui  avait  confié. 

La  maladie  d'Odon  dura  huit  jours,  qu'il  employa  à  recevoir  les  Sacre- 
ments et  à  se  préparer  par  d'autres  bonnes  œuvres  à  paraître  devant  Dieu. 
Ceux  qui  étaient  présents  attestent  qu'il  attendait  sa  dernière  heure  avec  la 
même  sécurité  que  si  c'eût  été  un  autre  qui  eût  dû  mourir  pour  lui.  Il  ne 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  li 


462  *9  JUIN* 

laissa  pas,  toutefois,  de  demander  instamment  le  secours  des  prières  de  la 
communauté,  «  parce  que  »,  disait-il,  «  je  ne  pourrai  soutenir  le  jugement 
de  Dieu  s'il  en  sépare  sa  miséricorde  ».  Ainsi  mourut  ce  bienheureux 
Evoque,  le  19  juin  H13,  dans  la  huitième  année  de  son  épiscopat,  à  comp- 
ter du  jour  de  son  ordination.  Il  fut  enterré  avec  honneur  dans  l'église 
d'Anchin,  devant  le  crucifix,  sous  une  tombe  de  marbre  blanc,  où  l'on  ut 
représenter  sa  figure  et  graver  l'inscription  suivante  : 

Hic  tegitur  Prœsul  Odo, 
Qui  perspectus  omni  mundo, 
Fuit  exul,  Deo  fidus  : 
Fulget  cselo  quasi  sidus. 

c  Ici  repose  l'évêque  Odon,  célèbre  dans  le  monde  j  il  fut  exilé  et  fidèle  à  Dieu  :  il  brille 
maintenant  dans  le  ciel  comme  un  astre  ». 

Odon  est  honoré  depuis  longtemps  comme  bienheureux  dans  plusieurs 
églises  des  Pays-Bas. 

ÉCRITS  DU  BIENHEUREUX  ODON. 

Outre  un  ouvrage  intitulé  :  De  VEtre  et  de  la  Chose,  Odon  avait  composé  deux  autres  ouvrages 
philosophiques,  le  Sophiste  elles  C omp lexions,  c'esi-k-àire  des  conclasions  ou  raisonnements.  Ces 
ouvrages  sont  perdus  ainsi  que  son  poème  sur  la  Guerre  de  Troie.  On  possède  encore  d'Odon  de 
Cambrai  une  Explication  du  Canon  de  la  Messe  ;  un  ouvrage  snrle Péché  originel;  un  dialogue 
sur  V Incarnation  ;  un  traité  du  Blasphème  contre  le  Saint-Esprit  ;  un  écrit  sur  les  Canons  des 
Evangiles;  une  Homélie  sur  l'évangile  du  mauvais  fermier;  quelques  Homélies;  un  Poëme 
sur  les  premiers  versets  du  livre  de  la  Genèse,  ou  V Ouvrage  des  six  jours;  un  recueil  de 
Paraboles  ;  un  recueil  de  Lettres  ;  un  traité  sur  le  Canon  ;  un  traité  du  Corps  et  du  Sang  du 
Seigneur;  les  Tétraples  du  Psautier;  une  Lettre  à  Lambert,  évêque  d'An  as;  on  lui  attribue 
aussi  une  Introduction  à  la  Théologie,  et  un  Traité  ou  Exposition  du  nombre  trois. 

Nous  avons  composd  cette  biographie  avec  la  Vie  des  Saints  de  Cambrai  et  d'Amas,  par  Tabbé  Dei- 
tombes,  et  avec  l'Histoire  littéraire  de  la  France,  par  Dom  Rivet. 


SAINTE  JULIENNE  DE  FALGONIERI,  VIERGE 

1340.  —  Pape  :  Benoît  XII.  —  Empereur  :  Louis  V  de  Bavière. 


Swge  et  seguere  me,  ut  non  ulterius  cakes  terrai», 
sed  ascendas  in  cœlum. 

Levez-vous  et  suivez-moi,  afin  que  vous  ne  fouliez 
pas  davantage  la  terre,  mais  que  vous  monties 
au  ciel. 

S.  Ant.  de  Pad.,  De  passion.  Salvat. 

Sainte  Julienne,  de  la  noble  famille  de  Falconieri,  naquit  de  parents 
déjà  avancés  en  âge  et  qui,  jusque-là,  n'avaient  pas  eu  d'enfants  (1270).  Sa 
mère  se  nommait  Reguardata.  Son  père,  homme  distingué,  éleva  dans  la 
ville  de  Florence,  à  ses  frais,  la  magnifique  église  de  Notre-Dame  de  l'An- 
nonciade  qui,  pour  la  richesse  et  la  beauté  de  l'architecture,  est  encore  au- 
jourd'hui regardée  comme  une  merveille.  Dès  le  berceau,  on  prévit  ce  que 
Julienne  serait  plus  tard  ;  car,  de  ses  lèvres  qui  ne  savaient  encore  exhaler 


SAINTE  JULIENNE   DE  PALCONIERI,   VIERGE.  1C3 

que  des  vagissements,  on  entendit  sortir  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie. 
Parvenue  à  l'âge  de  raison,  elle  se  livra  à  la  pratique  des  vertus  chrétiennes, 
et  y  fit  de  tels  progrès,  que  le  bienheureux  Alexis,  son  oncle,  ne  craignit 
pas  de  dire  h  la  mère  de  cette  sainte  enfant,  qu'elle  avait  mis  au  monde, 
non  pas  une  femme,  mais  un  ange.  Julienne  avait  une  telle  horreur  du 
péché,  même  le  plus  léger,  que  jamais  elle  ne  leva  les  yeux  sur  le  visage 
d'uu  homme.  Le  nom  seul  du  péché  la  faisait  trembler  ;  il  lui  arriva  môme 
de  ressentir  une  si  forte  impression  au  récit  d'un  crime,  qu'elle  tomba  ina- 
nimée. Quand  elle  eut  accompli  sa  quinzième  année,  elle  abandonna  son 
patrimoine  et  refusa  de  se  marier  pour  consacrer  à  Dieu  sa  virginité,  entre 
les  mains  de  saint  Philippe  Béniti  ;  la  première,  elle  reçut  de  lui  le  voile  des 
Mantellales,  Tiers  Ordre  des  Servîtes.  Elle  en  médita  pieusement  les  mystères 
pendant  l'année  de  sa  probalion.  La  tunique  noire  lui  représentait  la  tris- 
tesse de  Marie  sur  le  Calvaire  et  la  longueur  de  son  martyre  parmi  les 
souifrances  de  son  Fils  ;  la  ceinture  de  peau  lui  représentait  la  peau  du  Sau- 
veur, déchirée  par  les  fouets,  les  clous  et  la  lance  ;  le  voile  blanc,  la  pureté 
de  la  Vierge  ;  la  couronne,  les  louanges  qui  lui  ont  été  données  par  l'Ar- 
change ;  le  livre  lui  suggérait  des  méditations  sur  la  passion  de  Jésus- 
Christ  ;  le  manteau  lui  rappelait  la  protection  de  la  Mère  de  Dieu,  à  qui  elle 
se  réjouissait  d'appartenir  ;  le  cierge,  cette  lampe  allumée  qu'on  l'avertissait 
de  tenir  prête,  comme  une  vierge  sage,  pour  aller  au-devant  du  céleste 
Epoux.  En  méditant  ainsi  son  pieux  costume,  Julienne  fut  une  édification 
continuelle  à  sa  mère,  à  sa  famille  et  à  toutes  ses  sœurs. 

Elle  passait  les  jours  entiers  dans  la  prière,  ravie  très-souvent  en  extase. 
Le  temps  qui  lui  restait,  elle  l'employait  à  éteindre  les  discussions  qui  ré- 
gnaient entre  les  citoyens,  à  ramener  à  Dieu  les  coupables  et  à  servir  les 
malades.  Pour  mortifier  son  corps,  elle  employait  les  fouets,  les  cordes,  les 
ceintures  de  fer,  les  veilles,  et  couchait  sur  la  terre  nue.  Elle  ne  prenait  un 
peu  de  nourriture  que  quatre  fois  par  semaine  ;  les  autres  jours,  k  commu- 
nion lui  tenait  lieu  d'aliment,  excepté  le  samedi,  où  elle  mangeait  un  peu 
de  pain  et  buvait  un  peu  d'eau. 

Une  vie  si  exemplaire,  qui  était  accompagnée  de  plusieurs  miracles  que 
Dieu  opérait  par  son  moyen,  fit  que  les  Converses  ou  Oblates  des  Servîtes 
l'élurent  pour  supérieure  l'an  1306.  Elle  leur  prescrivit  une  règle  qui  fut 
approuvée  depuis  par  le  pape  Martin  V,  l'an  1424;  ainsi  ces  Converses  ou 
Oblates,  ayant  pour  lors  une  règle,  se  purent,  ajuste  titre,  qualifier  sœurs 
Tertiaires  ou  du  Tiers  Ordre  des  Servîtes. 

La  bienheureuse  Julienne  souffrait  beaucoup  d'un  mal  d'estomac  qui, 
s'augmentant  avec  l'âge,  la  réduisit  à  l'extrémité.  Elle  souffrit  les  incom- 
modités d'une  longue  maladie,  avec  un  visage  g:ii  et  une  âme  remplie  de 
courage  ;  elle  ne  se  plaignait  que  d'une  seule  chose,  c'était  que  son  estomac 
refusant  toute  nourriture,  elle  se  trouvait  par  là  môme  privée  de  la  com- 
munion. Dans  cette  pénible  situation,  elle  pria  un  prêtre  de  lui  apporter  le 
pain  Eucharistique  et  de  l'approcher,  au  moins,  de  sa  poitrine.  Le  prêtre 
se  rendit  à  sa  prière,  et  alors,  ô  prodige  !  l'hostie  sainte  disparut,  et  Julienne 
expira  le  19  juin  1340,  portant  sur  sa  figure  la  joie  et  la  sérénité.  Quand  on 
rendit  à  son  corps  les  devoirs  accoutumés,  on  trouva  la  preuve  de  ce  qui, 
auparavant,  avait  paru  incroyable;  car,  au  côté  gauche  de  sa  poitrine,  on 
aperçut  imprimée  sur  sa  chair,  la  forme  d'une  hostie  représentant  l'image 
de  Jésus-Christ  crucifié.  Le  bruit  de  ce  prodige,  qui  fut  suivi  d'autres  mira- 
cles, attirèrent  à  Julienne  la  vénération  de  Florence  et  de  tout  l'univers 
chrétien  ;  cette  vénération  s'est  accrue  pendant  près  de  quatre  siècles,  au 


164  *9  jum. 

point  que  le  pape  Benoît  XIII  la  béatifia  en  1729,  et  Clément  XII  l'inscrivit 
au  nombre  des  saintes  vierges. 

Le  plus  souvent  elle  est  représentée  à  genoux,  laissant  voir  sur  sa  poi- 
trine, par  une  fente  de  sa  robe,  une  bostie  ;  ordinairement,  on  la  repré- 
sente dans  son  lit,  au  moment  où  cette  faveur  du  ciel  lui  fut  accordée. 


Cf.  Vies  de»  Saints,  par  Eohrbacher. 


S.  JUDE  SURNOMMÉ  BARSABÉ,  L'UN  DES  SOIXANTE-DOUZE  DISQPLES, 

MARTYR  EN  ARMÉNIE   (l"   siècle). 

Jude,  surnommé  Barsabé,  est  différent  de  l'apôtre  saint  Jude.  Pour  les  distinguer,  l'Ecritnre 
donne  à  ce  dernier,  c'est-à-dire  à  l'Apôtre,  le  surnom  de  Thaddée  ou  de  Lebbée,  en  laissant  au 
premier  celui  de  Barsabé.  iude  Barsabé  était  du  nombre  des  soixante-douze  disciples  qui  accom- 
pagnèrent Notre-Seigneur  Jésus-Cbrist  dans  ses  courses  évangéliques  au  milieu  des  tribus  d'Israël. 

Après  l'Ascension,  il  porta  la  lumière  de  la  foi  en  divers  lieux,  puis  il  revint  à  Jérusalem, 
prêcha  conjointement  avec  les  Apôtres  dans  la  Judée,  et  se  trouva  avec  eux  lors  de  la  célébration 
du  concile  de  Jérusalem.  Il  y  était  regardé  comme  l'un  des  premiers  d'entre  les  hommes  apostoli- 
ques, et  c'est  pour  cela  qu'il  fut  député  avec  Silas,  par  les  Apôtres  mêmes,  auprès  des  chrétiens 
dAnlioche,  pour  leur  faire  accepter  les  décisions  du  concile.  Voici  ce  que  saint  Luc  dit  à  ce  sujet: 

«  Alors  il  fut  résolu  par  les  Apôtres  et  les  prêtres,  avec  toute  l'Eglise,  de  choisir  quelques-uns 
d'entre  eux  pour  les  envoyer  à  Antioche  avec  Paul  et  Barnabe.  Ils  choisirent  donc  Jude,  surnommé 
Barsabé,  et  Silas,  qui  étaient  les  principaux  d'entre  les  frères,  et  ils  les  chargèrent  d'une  lettre 
dans  laquelle  ils  disaient  en  parlant  de  ces  deux  disciples  :  Nous  vous  envoyons  Jude  et  Silas, 
qui  vous  feront  entendre  les  mêmes  choses.  Ayant  donc  été  envoyés  de  la  sorte,  ces  deux  dis- 
ciples vinrent  à  Antioche,  où  ils  assemblèrent  les  fidèles,  et  leur  rendirent  cette  lettre,  qu'ils  lurent 
avec  beaucoup  de  consolation  et  de  joie.  Jude  et  Silas  était  eux-mêmes  prophètes,  consolèrent 
et  fortifièrent  aussi  les  frères  par  plusieurs  discours.  Et  après  qu'ils  eurent  demeuré  là  quelque 
temps,  les  frères  les  renvoyèrent  en  pais  à  ceux  qui  les  avaient  envoyés.  Silas  néanmoins  jugea  à 
propos  de  demeurer  à  Antioche,  et  Jude  retourna  seul  à  Jérusalem  ». 

Cet  illustre  ministre  du  Christ,  tout  rempli  du  Saint-Esprit,  habile  dans  la  prédication  évangé- 
lique,  resta  quelque  temps  en  Judée  avec  les  Apôtres,  visitant  avec  eux  les  églises  ;  il  accompagna 
saint  Pierre  à  Antioche,  s'embarqua  l'année  suivante  pour  l'ile  de  Chypre,  et,  après  avoir  visité 
Rome  avec  le  prince  des  Apôtres,  il  partit  pour  l'Espagne  avec  Epenaetus,  .Marcellus,  Apollinaire, 
Bainal.é  et  d  autres  corupjguons.  De  là  il  revint  en  Palestine,  par  l'Afrique  et  l'Egypte. 

Enfin,  d'après  les  hagiographes  abyssins  et  orientaux,  et  le  synaiaire  des  Grecs,  saint  Jude  Barsabé, 
aysnt  prêche  l'Evaagiie  dans  l'Orieut  et  étant  arrivé  à  Arara,  ville  d'Arménie,  pays  borné  par  la 
Mésopotamie,  fut  suspendu  à  un  arbre  par  les  infidèles  et  percé  de  flèches.  Ce  fut  par  ce  tourment 
qu'il  remporta  la  paime  du  martyre. 

M.  rabbé  Maistre,  Histoire  des  soixante-douze  disciples  de  Notre-Seigneur  Jésus-Chritt. 


SAINT  INNOCENT,  ÉVÊQUE  DU  MANS  (543). 

Saint  Innocent  était  natif  du  Mans  ;  il  fut  instruit  dans  la  piété  et  les  lettres  au  sein  de  l'école 
épiscopale  de  cette  ville,  par  les  soins  de  saint  Victorius  II.  Ce  grand  prélat  avait  eu  pour  lui  une 
affection  particulière  et  s'était  plu  à  former  en  lui  un  digne  ministre  du  Seigneur;  dès  son  entrée 
dans  la  vie  chrétienne  par  le  Baptême,  il  lui  servit  de  père,  et,  depuis,  il  se  montra  constamment 
fidèle  à  celte  adoption  spirituelle.  Victorius  l'attacha  de  bonne  heure  à  sa  personne  et  ne  voulut 
jamais  s'en  séparer  ;  il  lui  ouvrit  le  sanctuaire  et  lui  conféra  les  premiers  ordres  sacrés. 

A  la  mort  du  bienheureux  Sévérien,  le  suffrage  universel  plaça  Innocent  sur  le  siège  épiscopal 
ou  Mans  (532).  Le  nouveau  pasteur  mit  un  soin  extrême  à  instruire  son  peuple  par  la  parole  et 


I 


SAINT  HILDEGRIN,  ÉVÊQUE.  165 

par  l'exemple  ;  il  aimait  la  vie  ascétique  et  ne  négligeait  rien  pour  la  propager.  Les  lieux  incultes 
et  (léserls  de  son  diocèse,  il  les  donnait  à  défricher  aux  moines  et  aux  solitaires  qui  venaient  de 
(ons  eûtes  se  mettre  sous  sa  direction  :  plusieurs,  parmi  eux,  devinrent  célèbres,  tels  que  Calais, 
Ulpliace,  Rigomer,  Constanlien,  Fraimbault,  Léonard  de  Vandœuvre,  Borner  et  beaucoup  d'autres. 

L'année  même  qui  suivit  la  consécration  d'Innocent,  il  se  tint  un  concile  dans  la  ville  d'Orléans, 
le  second  célébré  dans  cette  cité  (23  juin  533).  11  se  trouva  à  cette  assemblée  trente  et  un  prélats, 
entre  autres  saint  Innocent  ;  elle  est  restée  célèbre  par  l'importance  des  canons  disciplinaires  qui 
y  furent  dressés,  et  qu'appliqua  dans  son  Eglise,  on  n'en  saurait  douter,  le  zèle  de  notre  pieux 
évèque. 

Un  de  ses  premiers  soins,  une  fois  de  retour  du  concile,  fut  de  continuer  l'œuvre  entreprise  par 
saint  Victorius  !«',  en  travaillant  à  la  réédification  de  son  église  cathédrale.  Les  évoques,  ses  pré- 
décesseurs, avaient  sans  doute  été  retardés  dans  l'achèvement  de  cette  grande  œuvre  par  les 
désordres  qui  contrarièrent  leur  ministère.  Mais  le  degré  de  prospérité  temporelle  auquel  parvint 
l'Kglise  du  Mans  pendant  l'épiscopat  d'Innocent  donna  à  ce  prélat  les  moyens  de  la  poursuivre  et 
de  la  terminer.  11  consacra  le  maître-autel  aux  saints  martyrs  Gervais  et  Protais  et  y  plaça  de  leurs 
reliques  ;  toutefois,  il  ne  se  contenta  pas  de  celles  que  saint  Martin  avait  données  à  saint  Victorius; 
il  envoya  un  message  à  saint  Datius  qui  gouvernait  alors  avec  tant  de  gloire  que  de  sainteté 
l'Eglise  de  Milan,  et  il  en  obtint  de  nouvelles  reliques  plus  considérables  que  les  premières. 

Les  sentiments  de  piété  filiale,  que  saint  Innocent  avait  conservés  pour  son  maître  saint  Vic- 
torius, lui  firent  concevoir  le  dessein  de  construire  en  son  honneur  une  basilique.  Elle  étaU  près 
de  l'ancien  cimetière  des  chrétiens,  où  l'on  avait  d'abord  déposé  les  restes  précieux  du  saint  évèque. 
Quand  elle  fut  achevée.  Innocent  y  transporta  les  reliques  de  Victorius  ainsi  que  celles  de  saint 
Victor.  11  apporta  le  plus  grand  soin  à  orner  ces  deux  tombeaux,  et  il  choisit  le  sien  dans  la  même 
enceinte. 

Pour  honorer  saint  Julien  et  ses  premiers  successeurs,  dont  les  cendres  reposaient  toujours  dans 
l'église  des  saints  Apôtres,  Innocent  l'orna  de  tout  l'éclat  des  arts  de  l'époque,  et  la  ragrandit 
considérablement.  Il  augmenta  aussi  le  nombre  des  moines  qui  la  desservaient  et  accrut  leur  monas* 
tère  ;  il  leur  confia  le  soin  de  donner  l'hospitalité  aux  pèlerins  qui  venaient  implorer  la  protection 
de  saint  Julien  et  des  autres  saints  qui  avaient  leur  sépulture  dans  ce  sanctuaire.  A  cet  effet,  il 
construisit  des  hôpitaux  pour  les  pauvres  et  des  hôtelleries  séparées  pour  les  étrangers  et  les  voya- 
geurs, assurant  par  des  dotations  suffisantes  tous  les  secours  dont  ils  auraient  besoin,  tant  pour  la 
nourriture  que  pour  le  logement. 

Nous  avons  dit  que  notre  saint  évèque  s'occupait  activement  de  la  formation  des  solitaires  et 
de  la  fondation  des  maisons  religieuses.  Ce  fut  au  milieu  de  ces  soins  qu'il  vieillit  et  qu'il  vit 
arriver  le  terme  de  ses  jours.  11  fut  enterré,  suivant  la  coutume,  dans  le  cimetière  qui,  dès  l'ori- 
gine, avait  été  réservé  aux  chrétiens,  non  dans  la  basilique  des  Apôtres,  ainsi  que  ses  prédéces- 
seurs, mais  dans  celle  qu'il  avait  lui-même  fait  construire  en  l'honneur  de  saint  Victorius  II.  Sa 
mort  arriva  le  treize  des  calendes  de  juillet,  c'est-à-dire  le  19  juin,  jour  de  la  fête  des  saints 
Gervais  et  Protais.  Les  innombrables  miracles  qui,  après  sa  mort,  s'opérèrent  à  son  tombeau, 
signalèrent  la  gloire  dont  il  jouissait  dans  le  ciel.  Un  religieux  du  Maine,  contemporain  d'Innocent, 
a  célébré  les  grâces  merveilleuses  qui  s'obtenaient  près  de  la  tombe  du  saint  évèque.  Au  xii»  siècle, 
le  cours  de  ces  prodiges  n'était  pas  encore  interrompu,  et  le  vénérable  Hildebert,  qui  faisait  alors 
la  gloire  de  l'Eglise  du  Mans,  les  célébrait  dans  ses  vers. 

Tiré  de  VEistoire  de  l'Eglise  du  Mans,  par  Dom  Piolin,  et  du  Propre  du  Mans. 


SAINT  HILDEGRIN, 

ÉVÈQUE  DE  CHALONS-SCR-MARNE,   EN  FRANGE,   ET  DE   SAIINGESTADT 
EN  D'hALBERSTADT,   EN  ALLEMAGNE  (827). 

Thiatgrîn  et  Liafburge,  Frisons  d'origine,  se  distinguaient  par  leur  noblesse  et  plus  encore  par 
Icir  vertus.  Ils  eurent  pour  enfants  saint  Ludger  et  saint  Hildegrin,  et  plusieurs  filles  qui  fuient 
mères  de  .quelques  autres  évêques. 

Saint  Hildegrin,  pendant  la  persécution  de  Witikind,  chef  des  Saxons,  contre  les  chrétiens. 


166  20  mm. 

vers  l'an  784,  accompagna  saint  Ludger  dans  son  voyage  à  Rome,  puis  pendant  son  séjour  au 
Mout-Cassin,  où  il  resta  trois  ans  et  demi.  Il  pratiqua  toutes  les  austérités  de  cette  maison.  Dans  la 
suite,  il  aida  saint  Ludger  soit  à  amener  à  la  foi  de  Jésus-Chrisl  les  Frisons  et  les  Saxons,  dont  il 
fut  l'apôtre,  soit  à  gouverner  le  monastèie  de  Werden,  qu'il  fonda  dans  le  comté  de  h  Mark,  soit 
à  administrer  le  diocèse  de  Munster,  dont  il  fut  sacré  évèque  en  802,  jusqu'à  l'année  807  où  ii  fut 
élevé  lui-même  à  l'épiscopat  de  Cliâlons. 

On  ne  rapporte  qu'un  trait  de  sa  vie  épiscopale  :  il  décèle  une  profonde  piété.  Saint  Anségise, 
premier  abbé  régulier  de  l'abbaye  de  Sainl-Meramie,  voulait  se  défaire  du  supériorat  :  Hildegrin 
fil  tous  ses  efforts  pour  le  retenir,  mais,  n'ayant  pu  obtenir  cette  faveur,  il  prit  la  résolution  de 
passer  quelque  temps  avec  les  moines  de  ce  monastère,  afin  d'y  maintenir  la  régularité  qui  venait 
d'y  être  établie.  Au  milieu  de  ces  œuvres  de  dévouement,  il  éprouva  un  grand  chagrin  :  le 
26  mars  809,  il  perdit  son  frère  Ludger  et  l'enterra  lui-même  dans  son  monastère  de  Werden. 

Combien  d'années  saint  Hildegrin  fut-il  évèque  de  Cbâlons  ?  Cette  question  est  difficile  à  résou- 
dre. Le  Galh'a  chrisUann  observe  qu'il  est  appelé  dans  tous  les  titres  évèque  de  Châlons  jusqu'à 
l'an  809.  Ce  n'est  qu'après  cette  époque  qu'il  quitta  ce  siège.  Cbarlemague,  émerveillé  de  ses 
vertus,  voulut,  avec  l'approbation  du  pape  Adrien,  lui  confier  une  mission  plus  importante,  infini- 
ment plus  difficile  ;  il  l'arracha  à  l'amour  des  Chîlonnais,  et  le  choisit  pour  aller  établir  le  chris- 
tianisme en  Saxe.  Il  le  mit  d'abord  à  Salingestadt  ;  on  le  transféra  plus  tard  à  Halberstadt.  La 
parole  de  ce  saint  évoque  eut  plus  de  puissance  que  les  armées  invincibles  du  grand  monarque  j 
elle  transforma  ces  peuples  barbares  et  en  fit  d'humbles  disciples  de  l'Evangile. 

C'est  ainsi  qu'on  peut  fixer  avec  raison  les  années  qu'Iiildegrin  passa  sur  chaque  siège.  Saint 
Ludger  avait  été  ordonné  premier  évèque  de  Munster  en  802,  et  Hildegrin  ne  fut  évèque  de  Châ- 
lons qu'en  807.  On  ne  peut  lui  donner  que  vingt-sept  ans  d'épiscopat,  savoir  :  cinq  à  Châloas, 
quinze  à  Salingestadt  et  sept  à  Halberstadt. 

11  mourut  dans  le  cours  de  ses  missions  parmi  les  infidèles,  et  fut  inhumé  à  Werthia  ou  Werden, 
dans  le  diocèse  de  Cologne,  abbaye  fondée  par  saint  Ludger  vers  l'an  795. 

Afirégé  de  la  vie  au'en  donne  M.  l'abbé  Boitel,  dans  le»  Beautés  de  l'Histoire  de  la  Champagne. 


Xr  JOUR  DE  .lUIN 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

La  naissance  au  ciel  de  saint  Silvêre,  pape  et  martyr,  qui,  n'ayant  pas  voulu  rétablir  Antbime, 
évoque  hérétique,  qu'Agapet,  son  prédécesseur,  avait  déposé,  fut  envoyé  en  exil  par  Bélisaire,  à  la 
sollicitation  de  l'impie  Tbéodora,  impératrice,  dans  l'ile  Pontia,  où  il  mourut  de  misère  pour  la  foi 
catholiqne.  5.38.  —  A  Home,  le  décès  de  saint  Novat,  fils  du  bienheureux  Pudent,  sénateur,  et 
frère  de  saint  Tiraolhée,  prêtre,  et  des  pieuses  vierges  de  Jésus-Christ  Potentienne  ou  Pudentiennc 
et  Praxède,  qui,  tous,  furent  instruits  dans  la  foi  par  les  Apôtres.  Leur  maison,  convertie  en  église, 
s'appelle  Y  église  du  Pasteur,  ii»  s.  —  A  Tomes,  dans  le  Pont,  les  saints  martyrs  Paul  et  Cyriaque. 
—  A  Pétra,  en  Palestine,  saint  Macaire',  évèque,  qui,  après  avoir  beaucoup  soufl"ert  de  la  part 
des  Ariens,  fut  exilé  en  Afrique,  où  il  mourut  en  paix,  iv*  s.  —  A  Séville,  en  Espagne,  sainte 
Florence  ou  Florentine,  vierge,  sœur  des  saints  évèques  Léandre  et  Isidore  «.  630. 

1.  M  se  nomme  Aring  dans  le  martyrologe  des  Grecs,  nom  qni  fut  chancd  en  celui  de  ifacarins,  k 
eansc  «an»  doute  de  ce  qu'il  avait  d'odienx  et  de  néfaste  depuis  que  Ihdrétique  d'Alexandrie  l'avait  porte'. 
Saint  Athariaso  parle  de  Inl  dans  sa  lettre  aux  solitaires.  On  lit  sou  nom  parmi  ceux  dos  évèques  qui 
iouscrivirent  nu  concile  de  Santiquo.  —  lïaioiiius. 

S.  Kuus  avons  donné  s»  Vio  aa  14  mars. 


MARTYROLOGES.  167 


MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVD  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Strasbourg,  saint  Dié  ou  Déodat,  évêque  et  confesseur,  nommé  hier.  —  A  Trcvw, 
saint  Maximin,  évèque  et  martyr  '.  —  A  Saintes,  sainte  Gemme,  vierge  et  martyre,  qui  ainaa  mieux 
perdre  la  vie  que  la  cliasteté,  et  mourut  dans  un  cachot  des  plaies  que  son  père  lui  avait  faites 
pour  la  contraindre  à  prendre  un  mari.  109.  —  Aux  diocèses  de  Séez,  Viviers,  Coutances  et Bayeui, 
saint  LATUiN,qui,étant  venu  d'Italie  avec  une  sainte  colonie  de  prédicateurs  apostoliques,  travailla 
avec  un  grand  zèle  à  la  conversion  du  pays  de  Séez,  où  il  mourut  dans  le  désir  et  avec  le 
mérite  du  martyre.  Vers  l'an  110.  —  En  l'abbaye  de  Fontenelle,  saint  Bain  ou  Bagne,  premiè- 
rement abbé  de  ce  monastère,  puis  évêque  de  Théronanne.  Vers  706.  —  A  Trocin  ou  Dronghen, 
auprès  de  Gand,  sainte  Aldegonde,  vierge,  fille  de  saint  Barin,  laquelle,  ayant  fidèlement  suivi 
rE[ioux  des  âmes  pures  sur  la  terre,  a  mérité  de  l'accompagner  éternellement  dans  le  ciel.  Vers 
640.  —  A  Trêves,  la  vénérable  Elle,  abbesse  du  monastère  d'Horres  de  celte  ville.  —  A  Conse- 
rans,  Jean-Joseph  Dincamps,  plus  connu  sous  le  nom  de  Père  Macaire,  natif  de  cette  ville.  Il  reçut 
le  sjceidoce  et  prit  l'habit  religieux  au  monastère  de  Sept-Fonts.  Réforme  de  Citeaux,  en  Bour- 
bonnais, et  mourut  victime  des  fureurs  révolutionnaires  après  la  suppressioa  des  Ordres  monas- 
tiques. 1194. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologes  des  Bénédictins  et  de  Val/ombreuse.  —  A  Séville,  en  Espagne,  sainte  Florence. 

Martyrologe  des  Camnldules.  —  Saint  Boniface,  évêque  des  Rutliènes  et  martyr,  disciple  de 
notre  Père  saint  Romuald,  dont  le  glorieux  martyre  est  honoré  hier.  —  A  Séville,  sainte  Florence. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  A  Rome,  les  saints  martyrs  Marc  et  Marcellien,  dont  le  jour 
natal  est  le  18  juin. 

Martyrologe  des  Frandscains.  —  Saint  Antoine  le  Portugais. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  Sainte  Julienne  Falconieri,  vierge. 

Martyrologe  des  Servites.  —A  Montichieilo,  en  Toscane,  le  bienheureux  Benincasa,  confesseur, 
de  l'Ordre  des  Servîtes,  qui,  après  avoir  vécu  dans  la  solitude,  s'endormit  dans  le  Seigneur  le 
9  mai  *.  1426. 

ADDITIONS  FAITES  d'aPRÈS  LES   BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HA6I0GRAPHBS. 

En  Lycie,  saint  Méthode,  évêque  de  Patares  et  martyr.  Sous  le  règne  de  Dèce  probablement. 
—  A  Conslantinople,  saint  Asyncrite  et  ses  compagnons,  martyrs.  —  A  Bellune,  en  Vénétie,  sainte 
Avatie.  —  A  Saint-Gobain,  au  diocèse  de  Laon,  le  saint  prêtre  Gobain,  martyr,  qui  a  donné  son 
nom  à  cette  ville.  Ce  ^aint,  né  en  Irlande,  y  édifia  dès  sa  jeunesse  par  son  amour  pour  la  vertu, 
et  mérita  par  sa  sainteté  d'être  élevé  au  sacerdoce.  Un  ardent  désir  de  se  consacrer  plus  parfai- 
tement au  service  de  Dieu,  le  fit  passer  en  France  peu  de  temps  après  saint  Fursy.  Il  s'arrêta 
d'abord  à  Corbény,  où  il  n'y  avait  point  encore  de  monastère  ;  de  là  il  se  retira  à  Laon,  puis  dans 
la  grande  forêt  qui  est  près  de  l'Oise.  Il  s'y  construisit  une  cellule  à  deux  lieues  de  la  rivière,  et  à 
une  égale  distance  de  La  Fère  et  de  Prémontré  ;  ensuite,  avec  l'aide  du  peuple,  il  y  bâtit  une 
église,  qui  fut  dédiée  sous  l'invocation  de  saint  Pierre,  et  qui  depuis  longtemps  porte  le  nom  de 
son  fondateur.  L'emplacement  avait  été  donné  par  Clotaire  III,  qui  régna  sur  la  Neustrie  et  la 
Bourgogne  depuis  l'an  656  jusqu'à  l'an  670,  et  qui  ne  cessa  d'honorer  l'homme  de  Dieu  tant  qu'il 
vécut.  Le  Saint  servit  Dieu  en  cet  endroit  dans  le  jeûne,  les  veilles  et  la  prière.  Des  Barbares, 
venus  du  nord  de  l'Allemagne,  ravageant  les  pays,  lui  coupèrent  la  tête  en  haine  de  son  état.  Le 
lieu  où  il  fut  martyrisé,  anciennement  appelé  le  Mont-d' Ermitage,  se  nomme  aujourd'hui  Saint- 
Gobain.  Le  chef  du  Saint  s'y  garde  encore  dans  la  grande  église.  Le  reste  de  ses  reliques  fut  perdu 
pendant  la  confusion  des  guerres  civiles  excitées  par  les  Calvinistes.  vii«  s.  —  A  Gand,  sainte  Ida, 
dont  on  a  retrouvé  les  reliques  dans  une  église  de  cette  ville.  —  A  Tomes,  dans  la  province  du 

1.  Voir  sa  Vie  an  99  mai. 

2.  Le  bienlienreux  Béninca»»,  né  %  Florence,  en  1876,  dut  le  Jour  à  de  plenx  parents.  Il  se  consacra 
•n  service  de  Dieu  dès  sa  première  Jeunesse,  et  choisit  l'Ordre  des  Servites.  Ayant,  après  sa  profession, 
obtenu  de  ses  supérieurs  la  permission  de  suivre  son  attrait  pour  la  solitude,  il  se  retira  sur  une  mon- 
tiiguB  du  diocèse  de  Sienne,  oii  il  mena  une  vie  très-pe'nitente.  ne  se  nonrrissant  que  de  pain  et  d'ean. 
La  crainte  qu'il  éprouva  de  se  livrer  à  la  vaine  gloire,  a  cause  de  la  haute  idée  que  le  peuple  avait  de  sa 
sainteté,  le  détermina  à  quitter  le  séjour  qu'il  habitait  et  a  aller  se  cacher  dans  une  espèce  do  grotte  qui 
ressemblait  à  un  sépulcre  et  qui  est  située  au  diocèse  de  Pienza.  Il  se  livra  dans  ce  lieu  à  la  contempla- 
tion (les  choses  célestes;  et,  après  avoir  opéré  plusieurs  miracles,  il  y  mourut  le  9  mai  14'26.  La  grotte 
du  bienheureux  Benincasa  a  été  changée  en  une  chapelle  qui  lui  est  dédiée,  et  le  culte  qu'on  rendait  à 
ce  saint  Religieux  fat  conânnâ  par  le  pape  Pie  VIII,  le  33  décembre  1829.  On  célèbre  sa  fête  le  20  juin. 


1(58  20  JUIN. 

Pont,  avec  les  saints  Cyriaqiie  et  Paul,  nommés  au  martyrologe  romain  de  ce  jour,  le  martyre  des 
sainte  Paula  et  Félicienne,  et  des  saints  Emile  et  Félix.  —  A  Petra,  en  Arabie,  saint  Astère, 
é'vêque,  compagnon  de  saint  Macaire,  mentionné  au  martyrologe  romain.  350.  —  A  Berg-Sainl- 
Winoc,'  en  Flandre,  sainte  Idaberge  ouEdbiirge,  vierge,  d'origine  anglaise,  dont  le  corps  fut  trans- 
féré solennellement  au  monastère  de  Mont-Saint-Winoc  de  cette  ville.  Une  grande  partie  de  ces 
précieuses  reliques  furent  perdues  dans  l'incendie  qui  consuma  l'abbaye  de  Mont-Saint-Winoc  eu 
1558.  Vers  1308.  —  A  Magdebourg,  saint  Adelbert,  moine,  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît,  qui  devint 
le  premier  archevêque  de  cette  ville.  981.—  Au  mont  Garg.in,  dans  la  Pouille,  saint  Jean  de 
Matliera,  fondateur  et  abbé  de  l'Ordre  de  Pulsano,  sous  la  Règle  de  Saint-Benoit.  Il  mourut  dans 
le  monastère  de  Saint-Jacques  où  il  fut  enseveli,  selon  qu'il  en  avait  exprimé  le  désir.  Son  chef 
fut  depuis  porté  à  Pulsano,  où  il  est  en  grande  vénération  et  où  il  s'est  fait  beaucoup  de  miracles 
ipar  son  intercession.  1139.  —  En  Westphalie.  les  bienheureux  Menrique  et  Berthold,  chanoines, 
il'ua  séculier,  l'autre  de  l'Ordre  de  Prémontré,  et  fondateurs  du  Parthénon  de  Fronnenberg,  daog 
celte  contrée,  xiii'  s. 


SAINT  SILVERE,  PAPE  ET  MARTYR 

538.  —  Empereur  d'Orient  :  Justinien  le'. 


Sicut  stellx  de  die  latent,  de  nocte  lucent  ;  sic  vera 
virtus,  qu3S  szpe  in  prosperis  non  apparat,  in  adver- 
sîs  eminet. 

De  même  que  les  étoiles  semblent  disparaître  pen- 
dant le  jour  pour  ne  briller  que  durant  la  nuit; 
ainsi  la  véritable  vertu,  que  l'on  ne  distingue  pas 
toujours  dans  la  prospérité,  se  montre  à  découvert 
dans  l'adversité.  S.  Bernard,  in  Cant. 

La  nouvelle  du  décès  du  pape  saint  Agapet,  qui  mourut  à  Conslantinople, 
ayant  été  apportée  à  Rome,  le  clergé  s'y  assembla  pour  lui  donner  un  suc- 
cesseur. L'impératrice  Théodora,  femme  de  Justinien,  princesse  hautaine 
et  impérieuse,  qui  soutenait  le  parti  des  hérétiques  opposés  au  Concile  de 
Chalcédoine,  souhaitait  qu'on  élut  Vigile,  archidiacre  du  défunt;  elle  espé- 
rait que,  élevé  à  cette  dignité  par  sa  faveur,  il  entrerait  dans  ses  sentiments 
et  casserait  ce  que  son  prédécesseur  avait  fait  contre  ces  hérétiques  :  il  le 
lui  avait  promis.  Elle  le  chargea  donc  de  lettres  adressées  à  Bélisaire,  par 
lesquelles  elle  lui  ordonnait  de  mettre  tout  en  œuvre  pour  le  faire  Pape. 
Mais  avant  qu'il  fût  arrivé  en  Italie,  Théodat,  roi  des  Goths,  qui  était  maître 
de  Rome,  avait  fait  élire  Silvère.  Anastase  le  Bibliothécaire  dit  que  Théodat 
usa  de  violence  et  de  menaces  pour  obliger  le  clergé  à  faire  cette  élection  : 
il  ajoute  qu'il  avait  reçu  pour  cela  de  l'argent  de  Silvère  :  la  seconde  asser- 
tion est  tout  à  fait  incroyable,  parce  que  si  Silvère  avait  donné  de  l'argent 
pour  être  élevé  au  souverain  pontificat,  il  n'aurait  jamais  eu  la  hardiesse  de 
reprocher  à  Vigile,  comme  une  simonie  détestable,  d'avoir  voulu  y  entrer 
par  cette  voie,  comme  il  le  fait  dans  la  Bulle  de  sa  condamnation  ;  mais  il 
n'est  pas  étonnant  qu'un  roi  barbare  et  arien  ait  imposé  un  Pape  au.x  Ro- 
mains :  ceux-ci,  qui  savaient  que  le  schisme  est  un  des  plus  grands  maux  du 
christianisme,  souscrivirent  aux  volontés  de  ce  prince  ;  et,  pour  ne  pas  dé- 
chirer la  robe  de  Jésus-Christ,  ils  donnèrent  leurs  suffrages  à  Silvère  et  le 
reçurent  pour  évoque. 

Dieu  fit  paraître  en  ce  moment  la  puissance  infinie  de  sa  grâce  et  le  soin 
particulier  qu'il  prend  de  ceux  que  son  troupeau  reconnaît  pour  pasteurs  : 


SAINT   SILVÈRE,    PAPE   ET   MARTYR.  169 

car,  bien  qu'il  y  eût  des  vices  considérables  dans  la  promotion  de  Silvère , 
et  qu'elle  parût  plutôt  une  intrusion  qu'une  élection  canonique,  cependant, 
dès  que  le  consentement  ou  la  ratification  unanime  du  clergé  l'eut  rendu 
Pape  légitime,  il  lit  paraître  tant  de  vertus  et  une  vigueur  si  admirable  pour 
soutenir  la  foi  et  l'honneur  de  l'Eglise,  que  ni  l'exil,  ni  la  perte  des  biens, 
ni  les  tourments  les  plus  cruels,  ni  la  mort  même  ne  furent  jamais  capables 
de  l'ébranler  ni  de  lui  faire  donner  une  sentence  contraire  à  ce  que  ses  gé- 
néreux prédécesseurs  avaient  fait.  Anaslase  et  Libérât  disent  qu'il  était  fils 
de  saint  Hormisdas,  qui  avait  été  Pape  avant  lui.  Saint  Hormisdas  l'avait  eu 
d'un  légitime  mariage  avant  d'être  promu  aux  Ordres  ecclésiastiques  ;  mais 
s'il  était  son  fils  selon  la  chair,  il  l'était  encore  plus  selon  l'esprit  ;  et  s'il 
hérita  de  ses  biens  par  le  droit  de  la  naissance,  il  fut  beaucoup  plus  l'héri- 
tier de  sa  foi,  de  sa  piété,  de  sa  constance  et  de  sa  fermeté  à  combattre  les 
hérétiques. 

Quand  l'impératrice  eut  appris  son  élection,  elle  lui  demanda  le  réta- 
blissement d'Anthime,  patriarche  de  Constantinople,  que  le  pape  Agapet 
avait  déposé  comme  hérétique  eutychien.  Il  lui  répondit  généreusement 
qu'il  ne  le  pouvait  pas  faire,  parce  que  la  déposition  de  cet  hérétique,  non- 
seulement  était  légitime,  mais  aussi  entièrement  nécessaire  pour  empêcher 
la  propagation  de  ses  erreurs.  L'impératrice,  qui  s'attendait  à  cette  réponse, 
manda  aussitôt  à  Bélisaire,  qui  avait  pris  Rome  sur  les  Goths,  de  chasser  ce 
bienheureux  Pontife  et  de  mettre  l'archidiacre  Vigile  en  sa  place.  Ce  capi- 
taine qui,  malgré  son  humeur  guerrière,  ne  laissait  pas  d'avoir  de  la  crainte 
de  Dieu  et  de  la  piété,  reçut  cet  ordre  avec  douleur  ;  il  appréhenda  qu'en 
mettant  la  main  sur  l'oint  du  Seigneur,  il  n'attirât  sur  lui  et  sur  ses  armées 
les  fléaux  de  la  divine  justice,  et  qu'une  action  aussi  injuste  et  aussi  violente 
que  celle  de  donner  un  successeur  à  un  Pape  encore  vivant,  n'obligeât  Dieu 
d'abandonner  l'empire  et  de  lui  refuser  sa  protection. 

A  la  fin  il  céda,  il  eut  la  faiblesse  de  dire  :  «  L'impératrice  commande, 
je  dois  obéir.  La  ruine  de  Silvère  ne  peut  m'être  imputée.  La  personne  qui 
en  est  l'auteur  en  répondra  devant  Dieu  au  dernier  jour  ».  Vigile,  de  son 
côté,  pressait  l'exécution  du  projet  de  Thôodora.  D'ailleurs,  Bélisaire  était 
obsédé  par  Antonina,  sa  femme,  qui  était  la  confidente  de  l'impératrice,  el 
qui  n'avait  pas  moins  d'ascendant  sur  l'esprit  de  son  mari  que  Théodorat 
n'en  avait  sur  celui  de  Justinien. 

Les  ennemis  de  Silvère,  pour  couvrir  l'odieux  de  leur  conduite,  eurent 
recours  à  un  nouveau  stratagème,  et  publièrent  que  le  Pape  était  coupable 
de  haute  trahison.  Vitigès,  étant  sorti  de  Ravenne,  en  537,  s'avança  vers 
Rome  avec  une  armée  de  cent  cinquante  mille  hommes  pour  investir  cette 
ville.  Durant  le  siège,  qui  dura  plus  d'un  an,  les  Romains  et  les  Goths  firent 
des  prodiges  de  valeur.  A  la  fin,  les  derniers  furent  battus  et  forcés  de  se 
retirer.  On  accusa  le  Pape  d'avoir  entretenu,  pendant  le  siège,  des  corres- 
pondances avec  l'ennemi,  et  l'on  produisit  une  lettre  qu'on  prétendait  avoir 
été  écrite  par  lui  au  roi  des  Goths,  pour  l'inviter  à  entrer  dans  la  ville,  avec 
promesse  de  lui  en  ouvrir  les  portes.  Bélisaire  s'aperçut  aisément  de  la  ca- 
lomnie, et  découvrit  que  la  lettre  était  supposée.  Il  fut  prouvé  qu'elle  avait 
été  forgée  par  un  avocat  nommé  Marc,  et  par  Julien,  un  des  soldats  de  la 
gar(ie,  tons  deux  subornés  par  les  ennemis  du  Pape.  Ainsi,  l'accusation  in- 
tentée contre  lui  n'eut  point  d'autre  suite  ;  mais  Bélisaire  n'abandonna  pas 
pour  cela  le  projet  de  Théodora  ;  il  pressa  le  Pape  de  faire  ce  que  l'impéra- 
trice exigeait  de  lui,  l'assurant  qu'il  n'avait  pas  d'autres  moyens  de  con- 
server son  siège  et  d'éviter  les  malheurs  dont  il  était  menacé.  Silvère  répon- 


170  20  JUIN. 

dit  toujours  qu'il  ne  condamnerait  point  le  Concile  de  Chalcédoine  et  qu'il 
ne  recevrait  point  les  hérétiques  à  la  communion. 

Etant  sorti  de  la  maison  du  général,  il  se  retira  dans  la  basilique  de 
Sainte-Sabine,  où  il  espérait  trouver  un  asile  assuré;  mais  quelques  jours 
après,  il  en  fut  tiré  par  un  artifice,  et  conduit  au  palais  Anc/awe,  où  le  géné- 
ral romain  avait  fait  sa  résidence  durant  le  siège.  On  le  fit  entrer  seul  ;  son 
clergé ,  qui  l'avait  accompagné,  resta  à  porte  et  ne  le  revit  plus.  Antonina, 
assise  sur  son  lit,  l'accabla  de  reproches.  Aussitôt  un  sous-diacre  luiôta  son 
pallium  ;  on  le  mena  ensuite  dans  un  autre  appartement,  où  il  fut  dépouillé 
de  ses  ornements  pontificaux,  et  revêtu  d'un  habit  monastique  ;  après  quoi 
on  publia  que  Silvère  était  déposé  et  devenu  moine.  Le  lendemain  Bélisaire 
fit  procéder  à  l'élection  de  son  successeur.  On  savait  d'avance  que  ce  serait 
Vigile.  On  l'installa  le  22  novembre  537. 

Pour  Silvère,  il  fut  envoyé  en  exil  à  Patare,  ville  de  Lycie,  qui  est  une 
province  d'Asie.  Il  eut  une  joie  extrême  de  souffrir  cette  persécution  pour 
la  défense  de  la  foi,  et  il  n'était  pas  moins  content  dans  les  misères  de  son 
exil,  que  dans  les  honneurs  du  p':"emier  siège  du  monde. 

L'évêque  de  Patare  le  reçut  d'une  manière  fort  honorable  et  prit  haute- 
ment sa  défense  ;  il  se  rendit  même  à  Constantinople,  où  il  demanda  une 
audience  particulière  à  l'empereur.  L'ayant  obtenue,  il  parla  au  prince  avec 
une  généreuse  liberté,  et  le  menaça  des  jugements  de  Dieu  s'il  ne  réparait 
le  scandale.  «  Il  y  a  »,  dit-il,  «  plusieurs  rois  dans  le  monde  ;  mais  il  n'y  a 
qu'un  Pape  dans  l'Eglise  de  l'univers  entier  ».  Ces  paroles,  dans  la  bouche 
d'un  évêque  oriental,  montrent  que  l'on  reconnaissait  universellement  la 
suprématie  du  siège  de  Rome. 

Justinien  n'avait  point  été  jusque-là  instruit  du  véritable  état  des  choses. 
Frappé  de  ce  que  l'évêque  de  Patare  venait  de  lui  dire,  il  donna  des  ordres 
pour  le  retour  de  Silvère  à  Rome,  et  voulut  qu'on  le  rétablît  sur  son  siège, 
s'il  était  prouvé  qu'il  n'eût  point  entretenu  d'intelligences  avec  les  Goths  ; 
il  ajouta  qu'on  devrait  le  transférer  à  quelque  autre  siège  en  cas  qu'on  le 
trouvât  coupable. 

L'impératrice  fit  tout  ce  qu'elle  put  pour  empêcher  que  cet  ordre  fût 
exécuté  ;  mais  Justinien  demeura  ferme,  et  Silvère  re^int  en  Italie.  L'archi- 
diacre Vigile,  qui  avait  été  mis  en  sa  place,  étant  informé  de  ce  retour,  qui 
lui  faisait  craindre  d'être  déposé,  alla  trouver  Bélisaire,  et  lui  dit  que,  s'il 
ne  remettait  Silvère  entre  ses  mains,  il  ne  fournirait  pas  l'argent  qu'il  avait 
promis  pour  être  élu.  Le  désir  d'avoir  cet  argent  fut  plus  fort  sur  l'esprit  de 
ce  général,  que  la  crainte  d'oftenser  Cieu  et  l'appréhension  de  ses  juge- 
ments. Il  remit  le  Pape  entre  les  mains  des  gens  de  Vigile,  et  ceux-ci  le  re- 
léguèrent dans  une  île  déserte  de  la  mer  de  Toscane.  Anastase  le  Bibliothé- 
caire dit  que  ce  fut  l'île  Ponza  ou  Pontia,  et  Libérât,  que  ce  fut  l'île  Palma- 
ria;  peut-être  que,  ces  deux  îles  étant  voisines,  il  fut  transféré  de  l'une  à 
l'autre. 

Son  courage  invincible  parut  en  ce  qu'il  n'abandonna  point  le  soin  de 
l'Eglise  universelle  ni  les  fonctions  de  sa  charge.  Tous  les  évêques  compa- 
tirent à  sa  persécution  et  lui  écrivirent  des  lettres  de  consolation.  Amateur 
lui  envoya  aussi,  pour  son  soulagement,  trente  livres  d'argent,  qui  font  en- 
viron six  cents  livres  à  notre  manière  de  compter.  Baronius  et  de  Vence 
croient  que  c'était  saint  Amateur,  évêque  d'Autun;  mais  cela  est  impossible, 
puisque  saint  Amateur,  évoque  d'Autun,  est  mis  dans  les  tables  de  celte 
Eçlise  plus  de  deux  cents  ans  auparavant,  et  qu'au  temps  de  saint  Silvère, 
c'était  saint  Agiippin  qui  occupait  le  siège  de  celte  ville.  Silvère,  dans  la 


SAINT  SILVÈRE,   PAPE  ET  MARTYR.  171 

réponse  qu'il  fil  h  cet  évoque,  lui  dit,  entre  autres  choses,  qu'il  est  nourri  du 
pain  d'afilielion  et  de  l'eau  d'angoisse  ;  mais  qu'il  ne  laisse  point  pour  cela 
et  ne  laissera  point  d'accomplir  les  devoirs  de  sa  charge.  Quatre  évoques , 
qui  étaient  ceux  de  Terracine,  de  Fondi,  de  Fcrmo  et  de  Minturne,  le  vin- 
rent visiter.  Avec  eux  il  tint  un  petit  synode  et  prononça  une  sentence 
d'excommunication  contre  Vigile,  l'accusant  d'avoir  usurpé,  avec  de  l'argent, 
le  Siège  apostolique,  où,  dès  le  vivant  de  Boniface,  prédécesseur  d'Agapet, 
il  avait  voulu  se  placer  par  le  schisme.  11  envoya  ce  jugement  à  Vigile  : 
celui-ci  en  fut  si  olîensé,  qu'il  le  lit  resserrer  plus  étroitement  et  traiter  avec 
plus  d'inhumanité.  Aussi,  au  bout  d'un  an,  ce  bon  Pape  mourut  de  faim  et 
des  autres  incommodités  de  son  exil,  plus  heureux  de  finir  sa  vie  par  un  si 
glorieux  martyre,  que  son  compétiteur  de  posséder  un  siège  oîi  il  était  monté 
par  la  violence  et  avec  de  l'orgent.  11  fut  enterré  dans  l'île  Palmaria,  lieu  de 
son  exil.  Dieu  témoigna,  par  beaucoup  de  miracles,  que  sa  mort  était  pré- 
cieuse devant  ses  yeux  :  car  tous  les  malades  qui  accoururent  à  son  tona- 
beau  furent  guéris.  Il  avait  tenu  le  pontificat  deux  ans  et  quelques  jours,  et, 
dans  une  ordination  ,  il  avait  créé  treize  prêtres,  cinq  diacres  et  dix-neuf 
évoques.  Son  décès  arriva  le  20  juin  de  l'an  538. 

11  ne  faut  pas  oublier  de  remarquer  ici  qu'après  la  mort  de  ce  saint  Pape, 
il  se  fit  un  changement  merveilleux  dans  l'esprit  de  Vigile,  son  persécuteur  : 
il  se  déposa  lui-môme  pour  un  peu  de  temps,  sachant  bien  qu'il  ne  pouvait 
pas  être  tenu  pour  Pape  légitime,  s'il  n'avait  point  d'autre  titre  pour  retenir 
le  pontificat  que  l'usurpation  sacrilège  et  tyrannique  qu'il  en  avait  faite  ;  et, 
lorsqu'il  eut  été  élu  par  le  consentement  unanime  du  clergé,  qui  ne  jugea 
pas  à  propos  d'en  élire  un  autre  avec  danger  de  faire  un  schisme,  il  fut 
changé  comme  Saiil  en  un  autre  homme  :  il  exerça  la  charge  pastorale  avec 
autant  de  courage,  de  piété,  de  zèle  et  de  foi,  qu'il  avait  fait  paraître  de 
violence,  d'avarice  et  de  cruauté  durant  la  vie  de  son  prédécesseur.  Il  n'en 
fut  pas  de  même  de  l'impératrice  Théodora  :  comme  elle  persévéra  tou- 
jours dans  son  obstination  et  son  hérésie.  Vigile  môme,  de  qui  elle  avait 
attendu  tant  de  condescendance  pour  ses  sentiments,  étant  allé  à  Constan- 
tinople,  l'excommunia,  et  elle  mourut  dans  l'impénitence.  Pour  Bélisaire, 
qui  avait  été  l'instrument  de  sa  malice,  on  dit  qu'ayant  été  accusé  de  cons- 
piration contre  l'empereur  Justinien,  ce  prince  le  dépouilla  de  tous  ses 
biens  et  lui  fit  crever  les  yeux  :  ce  traitement  l'ayant  réduit  à  la  dernière 
misère,  il  fut  contraint  de  demander  l'aumône  dans  Constantinople.  C'était 
un  châtiment  terrible  du  sacrilège  qu'il  avait  commis  contre  le  grand  pape 
Silvère.  Cependant,  il  s'en  était  déjà  repenti,  et,  pour  satisfaction  de  son 
crime,  il  avait  fait  bâtir  une  église,  avec  une  inscription  sur  le  portail,  qui 
marquait  que  c'était  une  réparation  publique  de  sa  faute.  Cette  inscription 
se  voit  encore  à  Rome  dans  l'église  des  religieux  appelés  Porte-Croix,  entre 
le  mont  Pincio  et  le  Quirinal.  Mais  il  faut  croire  que  Dieu  ne  jugeait  pas 
cette  satisfaction  suffisante,  et  que  désirant  faire  miséricorde  à  ce  grand 
capitaine,  il  voulut  le  punir  sévèrement  en  cette  vie,  pour  ne  pas  dillérer 
sou  châtiment  en  l'autre. 

On  représente  saint  Silvère  avec  le  costume  et  le  bourdon  de  pèlerin,  ce 
qui  fait  allusion  à  son  bannissement  de  Rome  par  Théodora,  le  bourdon  et 
l'habit  de  pèlerins  se  prenant  parfois  pour  la  caractéristique  de  l'exil.  — 
La  petite  église  qu'il  porte  sur  la  main,  dans  quelques  estampes,  peut  si- 
gnifier sa  contenance  à  soutenir  la  foi,  en  refusant,  malgré  les  ordres  de 
l'impératrice,  de  rétablir  sur  le  siège  d'Antioche  le  patriarche  Anthime, 
fauteur  des  Eutychiens,  et  de  désavouer  les  décrets  du  Pape  son  prédéces- 


172  20  JUIN. 

seur.  —  Sur  des  estampes  du  xvi^  siècle,  on  le  voit  porter  une  sorte  de  pa- 
tène ou  écuelle  d'oti  sort  un  petit  pain,  ce  qui  rappelle  la  maigre  nourriture 
qu'il  recevait  dans  son  exil.  —  Enfin,  on  l'a  peint  plus  d'une  fois  avec  l'at- 
tribut de  la  sainte  Trinité,  par  allusion  à  ses  luttes  contre  l'arianisrae. 

Acta  Sanctontm,  t.  iv  Junil.  —  Cf.  Artaud  de  Monter,  Histoire  des  souverains  Pontifes  romain». 


SAINT  ADELBERT,  ABBE  DE  WISSEMBOURa, 

PREMIER  ARCHEVÊQUE  DE  MAGDEBOURG 
981.  —  Pape  :  Benoît  VU.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Othon  II. 


Pietas  parent  est,  initium  finisque  omnium  virtutum. 
La  piété  est  la  mère  de  toutes  les  vertus,  leur  prin* 
cipe  et  leur  perfection. 

S.  Greg.  thaumat.,  in  Orat.  panegyr. 

Saint  Adelbert,  un  des  hommes  les  plus  célèbres  du  règne  d'Othon  1", 
entra,  fort  jeune  encore,  à  l'abbaye  de  Saint-Maximin,  que  Henri  l'Oiseleur 
avait  rétablie  à  Trêves  et  qui  était  alors  l'école  où  se  formaient  les  évoques. 
La  nature  l'avait  doué  de  toutes  les  qualités  qui  font  les  grands  hommes. 
Une  conception  facile,  un  génie  pénétrant,  une  mémoire  prodigieuse,  une 
piété  ardente,  un  vif  amour  de  Dieu  et  un  grand  zèle  pour  la  propagation 
de  la  religion  de  Jésus-Christ,  en  un  mot,  les  dons  les  plus  précieux  de  l'es- 
prit et  du  cœur,  voilà  ce  que  l'on  admirait  dans  le  jeune  homme.  L'âge  dé- 
veloppa de  plus  en  plus  ces  heureuses  qualités,  et  les  supérieurs,  qui 
s'étaient  aperçus  depuis  longtemps  du  mérite  et  des  dispositions  d' Adelbert, 
avaient  pris  un  som  particulier  pour  le  former.  Pour  éviter  cette  enflure  de 
cœur  que  produit  souvent  la  science,  Adelbert  commençait  et  finissait  ses 
études  par  la  prière  ;  il  les  interrompait  môme  de  temps  en  temps  par  la 
méditation  et  par  des  élévations  de  son  âme  vers  Dieu.  Purifiant  ainsi  son 
entendement,  il  détacha  en  même  temps  son  cœur  des  choses  de  la  terre 
et  se  prépara  à  répondre  aux  vues  que  la  Providence  avait  sur  lui. 

Vers  l'an  960,  les  Bugi  ou  Hani  *,  qui  habitaient  une  partie  de  la 
Poméranie,  entre  l'Oder  et  la  Wipper,  et  l'île  de  Rugen  dans  la  mer  Bal- 
tique, demandèrent  des  prédicateurs  de  l'Evangile.  Sous  le  règne  de  Louis 
le  Débonnaire,  quelques  moines  de  la  nouvelle  Corbie  *  avaient  entrepris 
de  prêcher  Jésus-Christ  à  cette  nation  païenne  ;  ils  opérèrent  plusieurs  con- 
versions dans  différentes  provinces  des  Slaves  et  construisirent,  dans  l'île  de 
Rugen,  un  oratoire  en  l'honneur  de  Notre-Seigneur  et  de  saint  Vit,  qu'ils 
honoraient  comme  leur  patron  ;  mais  ces  heureux  commencements  ne  se 

1.  Des  antcnri  confondent  les  Hugi  et  les  JRani.  Nous  trouvons  ces  peuples  nommés  Rugii  par  Tacite. 
Jomandes,  dans  son  histoire  des  Gfctes,  dit  bien  qu'Odoacre  était  un  Rugus  ;  mais  Tacite  est  un  meilleur 
auteur.  Nous  ne  voyons  nulle  part  des  Rani  que  dans  Pline  l'Ancien,  qui  place  ces  peuples,  non  aux  envi- 
rons de  la  Baltique,  mais  du  mont  Caucase. 

i.  Ceite  fameuse  abbaye,  fondée  pendant  le  ix«  siècle,  était  située  dans  le  diocèse  d«  Paderborn,  sur 
le  Weser,  en  Westphalie.  L'abbé,  qui  dépendait  immédiatement  du  Saint-Siège,  était  prince  de  l'empire 
et  Jouissait  de  très-beaux  revenus.  Ce  monastère  a  produit  un  grand  nombre  d'bommes  distingués  qui  ont 
porté  le  flambeau  de  la  fol  et  des  sciences  dans  plusieurs  contrées  barbare». 


J 


SAINT  ADELBERT,   ABBÉ  DE  WISSEJIBOURG.  173 

soutinrent  pas  :  les  Rugiens  retournèrent  à  leurs  idoles.  Par  une  bizarrerie 
singulière,  ils  ajoutèrent  saint  Vit  à  leurs  faux  dieux  et  lui  bâtirent  un 
temple.  Ces  peuples  avaient  toujours  montré  une  très-grande  aversion  pour 
les  chrétiens  et  surtout  pour  les  prêtres  de  la  religion  chrétienne.  Ils  n'agis- 
saient donc  que  par  hypocrisie,  quand  ils  demandèrent  plus  tard  à  être 
instruits  des  vérités  de  l'Evangile.  L'empereur  Othon  I",  persuadé  qu'ils 
avaient  un  vrai  désir  de  se  convertir,  reçut  avec  joie  leurs  envoj'és  et  leur 
désigna  pour  évêque  Liburce,  moine  de  Saint-Alban  à  Mayence.  Liburce 
étant  mort  peu  de  temps  après  cette  nomination  (961),  Adeldert  fut  choisi 
pour  le  remplacer,  et  sacré  évêque  des  Rugiens  (962).  Othon  lui  fournit  tout 
ce  qui  était  nécessaire  pour  l'accomplissement  de  cette  sainte  œuvre,  et 
Adelbert  partit  avec  un  certain  nombre  de  missionnaires  ;  mais  il  trouva  des 
cœurs  bien  peu  disposés  à  recevoir  ses  enseignements.  Plusieurs  des  prêtres 
qui  l'avaient  accompagné  furent  massacrés,  et  les  autres  eurent  bien  de  la 
peine  à  échapper  avec  l'évêque.  Désespérant  de  réussir,  ils  retournèrent 
dans  leurs  monastères. 

Cependant  Othon,  désirant  récompenser  le  zèle  et  les  vertus  d'Adelbert, 
le  nomma  abbé  de  Wissembourg,  au  diocèse  de  Spire,  dans  la  basse  Alsace, 
sur  la  rivière  de  Lutter.  Le  saint  homme  soutint,  par  sa  sagesse  et  son 
exemple,  la  régularité  dans  cette  abbaye,  qui  fut  dès  lors  une  des  plus  célè- 
bres de  l'empire  :  il  était  le  père  de  ses  religieux  et  l'ange  de  paix  de  l'ab- 
baye. Se  félicitant  d'avoir  eu  l'occasion  de  rentrer  dans  un  monastère,  il 
s'attendait  à  n'avoir  plus  à  s'occuper  le  reste  de  ses  jours  qu'à  travailler  à 
se  sanctifier  avec  ses  religieux  dans  le  silence  et  la  retraite,  lorsque  la 
divine  Providence  vint  l'arracher  à  son  repos  pour  lui  faire  parcourir  un 
champ  plus  vaste.  Elle  le  tira  de  sa  solitude  pour  l'élever,  vers  l'an  970,  sur 
le  siège  de  Magdebourg.  L'empereur  Othon,  se  trouvant  à  Rome,  sollicita 
le  pape  Jean  XII  d'ériger  en  métropole  le  siège  de  Magdebourg  et  de  lui 
donner  pour  suffragants  les  évoques  de  Mersebourg,  de  Meissen,  de  Zeitz  ', 
de  Havelberg  et  de  Brandebourg.  Le  Pape  y  consentit,  et  Adelbert  partit  de 
Wissembourg  pour  aller  prendre  possession  de  son  Eglise.  Il  y  fut  reçu  avec 
toutes  les  démonstrations  de  respect  possibles.  L'impératrice  sainte  Adé- 
laïde, qui  avait  appris  à  connaître  le  mérite  du  saint  homme,  le  choisit  pour 
le  directeur  de  sa  conscience  et  le  suivit  à  Magdebourg,  afin  de  profiter  jus- 
qu'à la  fin  de  ses  jours  des  conseils  du  digne  prélat.  Mais  Adelbert  quitta  ce 
monde  avant  la  mort  de  cette  pieuse  princesse. 

Animé  d'un  zèle  apostolique,  Adelbert  procura  la  connaissance  de  Jésus- 
Christ  à  un  grand  nombre  de  Slaves,  qui  étaient  encore  plongés  dans  les 
ténèbres  de  l'erreur.  Il  fit  construire  plusieurs  églises,  leur  donna  des  pas- 
teurs capables  d'instruire  un  peuple  nouvellement  converti.  Il  établit  un 
ordre  admirable  dans  le  chapitre  de  sa  cathédrale,  fondé  par  l'empereur 
Othon  I",  et  n'y  admit  que  des  hommes  recommandables  par  leurs  connais- 
sances et  leur  piété.  Le  Seigneur  le  favorisa  du  don  de  prophétie,  et  il  mena 
toujours,  pendant  son  épiscopat,  la  vie  d'un  Apôtre.  Il  était  occupé  à  faire 
la  visite  du  diocèse  de  Mersebourg,  lorsqu'il  fut  attaqué  de  la  maladie  qui 
le  conduisit  au  tombeau.  Après  avoir  célébré  la  messe  à  Mersebourg,  il 
sentit  ses  forces  l'abandonner.  Il  eut  recours  aux  sacrements  de  l'Eglise, 
qu'il  reçut  avec  une  grande  piété,  et  mourut  le  20  juin  981.  Son  culte  a 
subsisté  à  Magdebourg  jusqu'au  moment  de  la  réforme,  époque  à  laquelle 
furent  détruits  dans  cette  ville  tous  les  monuments  relatifs  aux  saints. 

I.  Cet  évÊché  fut  transféré  peu  après  à  Nanmbonrg,  où  il  s  flu1)slsté  jusqu'à  la  réformation  de  Lutiier. 


174  20  JUIN. 

NOTICE  SUR  L'ABBAYE  DE  WISSEMBOURG. 

L'abbaye  de  Wissembourg,  dont  il  vient  d'être  question,  doit  son  origine  à  Dagobert  I»',  ro: 
de  France,  ou,  selon  d'autres  historiens,  à  Dagobert  11,  roi  d'une  partie  de  l'Austrasie,  coinpreuani 
l'Alsace,  qui  lui  donna  des  biens  considérables.  Elle  fut  élevée  plus  tard  à  la  dignité  d'abba\e 
princière,  avec  celles  de  Murbach,  de  Fulde  et  de  Kempten,  et  son  abbé,  prince  du  saint  empire, 
avait  voix  et  séance  à  la  diète  germanique.  Une  ancienne  charte,  découverte  par  Bruschius,  dans 
les  archives  de  Spire,  en  désigne  comme  premier  abbé  Principius,  depuis  évêque  de  Spire  sous  le 
règne  de  Dagobert  II,  ce  qui  prouve  que  cette  abbaye  existait  avant  ce  prince  K 

L'abbaye  de  Wissembourg  a  été,  dès  son  origine,  le  séjour  des  sciences  et  des  connaissances 
en  tout  genre,  et  l'histoire  nomme  particulièrement,  au  ix«  siècle,  un  religieux  dont  le  mérite 
n'est  pas  assez  connu,  même  du  monde  savant.  Nous  voulons  parler  du  célèbre  moine  OtfriJ,  qui, 
né  sur  les  bords  du  Rhin  et  doué  par  la  nature  des  plus  heureuses  dispositions,  se  retira,  fort  jeune 
encore,  à  Wissembourg,  pour  se  livrer  à  l'étude  sous  les  fameux  maîtres  qui  brillaient  alors  dans 
cette  maison.  De  Wissembourg  il  se  rendit  à  Fulde  pour  profiler  des  leçons  de  Raban  Maur,  qui 
était  alors  à  la  tête  de  l'école  de  cette  abbaye.  De  retour  à  Wissembourg,  il  fut  promu  au  sacer- 
doce et  chargé  de  la  direction  des  écoles  de  ce  monastère.  Cet  emploi  lui  laissa  encore  le  temps 
de  composer  plusieurs  ouvrages,  qui  ont  fait  passer  son  nom  à  la  postérité.  Il  s'acquit  la  réputa- 
tion d'un  des  plus  savants  hommes  de  son  temps  et  les  titres  de  philosophe,  de  rhéteur,  de  poë'.e 
et  de  théologien. 

Un  des  principaux  objels  de  l'élude  d'Olfrid,  fut  de  perfectionner  et  d'enrichir  la  langue  de  ton 
pays,  qui  était  le  Ihéolisque  ou  le  tudesque.  Ce  moine  studieux  fit  des  efforts  presque  surna- 
turels pour  faire  accréditer  sa  langue,  ce  qui  lui  coûta  un  travail  infini.  Il  se  plaint,  dans  une 
lettre  à  Luitbert  de  Mayence,  de  la  dureté  de  l'idiome  dans  lequel  il  écrivait  et  de  la  difficulté 
qu'il  éprouvait  à  surmonter  les  entraves  de  la  langue  tudesque,  peu  propre  à  la  poésie.  Il  y 
reproche  aux  écrivains  de  son  siècle  d'affecter  d'écrire  l'histoire  en  latin  plutôt  qu'en  leur  langue 
maternelle. 

On  ne  peut  contester  à  Otfrid  1  honneur  d'avoir  été  le  premier  écrivain  connu  parmi  les  anciens 
Germains,  qui  ait  mis  en  vers  rimes  quelque  partie  de  l'Ecriture  sainte.  Le  soin  qu'il  prit  de  cul- 
tiver le  tudesque,  inspira  à  ses  compatriotes  une  uoble  émulation  de  l'imiter.  Il  mit  en  vers  les 
traits  les  plus  frappants  de  la  vie  de  Jésus-Christ.  Celle  poésie  était  différente  de  celle  des  Grecs 
et  des  Romains,  eu  ce  qu'elle  était  rimée  et  qu'elle  ne  se  mesurait  point  par  des  pieds  composés 
de  syllabes  longues  et  brèves,  mais  simplement  par  le  nombre  des  syllabes. 

Charlemagne  avait  un  goût  particulier  pour  le  tudesque,  et  Eginhard  nous  rapporte  que  ce 
prince  donna  des  noms  tudesques  aux  douze  mois  de  l'année,  et  que,  pour  faciliter  l'étude  de  la 
même  langue,  il  commença  à  en  rédiger  une  grammaire  *. 

L'ouvrage  le  plus  considérable,  comme  le  plus  connu  et  le  plus  estimé  d'Olfrid,  est  sa  traduc- 
tion de  l'Evangile,  en  vers  rimes  et  en  cinq  livres.  L'auteur  y  paraphrase,  en  suivant  la  Vulgate, 
les  plus  beaux  endroits  de  l'Evangile,  auxquels  il  joint  souvent  de  courtes  réflexions  morales  et 
quelquefois  historiques,  tirées  la  plupart  des  ouvrages  de  saint  Grégoire  le  Grand  et  de  saint  Au- 
gustin. 11  a  si  bien  choisi  ces  endroits,  qu'ils  forment  une  histoire  suivie  depuis  la  naissance  de 
Jésus-Christ  jusqu'à  son  ascension  :  la  piété  respire  partout  dans  ce  poëine.  On  en  pouvait  chanter 
des  morceaux  détachés,  ce  qui  les  fit  répandre  plus  aisément  dans  le  public  et  contribuer  à  faire 
tomber  les  chansons  profanes  et  obscènes. 

L'épitre  dédicatoire  est  d'une  singulière  invention  :  c'est  une  espèce  de  double  acrostiche,  dont 
les  vers,  divisés  en  quatrains,  commencent  et  finissent  par  les  mêmes  lettres,  et  ces  premières  et 
dernières  lettres  forment,  de  côté  et  d'autre,  cette  inscription  latine  :  Luthovico  orientalium  re- 
gnorum  régi  sit  salus  st'ema.  C'est  ainsi  que  les  poètes  du  ix»  siècle  se  plaisaient  à  multiplier 
les  difficultés  mécaniques  de  l'art  pour  avoir  le  plaisir  de  les  vaincre. 

Otfrid  n'est  pas  le  seul  savant  qu'ait  produit  l'abbaye  de  Wissembourg.  Trithème  nous  cite  on 

1.  On  attribue  de  même  à  Dagobert  \"  la  fondation  de  Klingenmnnster,  sltuc'e  à  trois  lienes  do  Wis- 
■emboarg,  mai»  hors  de  l'Alsace,  dans  la  contrée  qu'on  appelait,  avant  la  Udvolution,  le  Palatinat  do 
Bliin. 

2.  La  langue  allemande  ne  fat  employée  dans  les  acte»  publics  qu'au  xni«  siècle,  et  cela  se  fit  en  Al- 
•ace.  Les  premières  lettres  écrites  en  cette  langue  août  de  Bertiie,  épouse  de  Henri  de  Wœrth,  landgrave 
A*  la  basse  Alsace.  £lleï  :iont  datées  de  12&7. 


SAINT  ADELBERT,   ABBÉ  DE  VISSEMBOURG.  175 

certain  Héderich,  qui  dirigea  de  même  les  écoles  de  ce  monastère  et  composa  nn  commentaire 
Bur  le  cantique  des  cantiques  de  Saiomon.  Cet  ouvrage,  ainsi  que  les  Homélies  du  même  auteur, 
ne  sont  pas  parvenues  jusqu'à  nous.  Le  temps  nous  a  de  même  privés  des  productions  de  plu- 
sieurs savants  qui  ont  fait  honneur  à  l'abbaye  de  Wissembourg.  L'abbé  Rupert,  qu'Olhoa  III  éleva 
sur  le  siège  èpiscopal  de  Spire,  fut  aussi  un  homme  très-savant  '. 

L'abbaye  de  Wissembourg  a  donné  na'Ssancc  à  la  ville  du  même  nom.  La  discipline  et  la  piété 
fleurirent  dans  ce  monastère,  mais  plusieurs  désordres  s'y  glissèrent  vers  la  fin  du  xiii»  siècle.  La 
négligence  des  abbés  était  si  grande  que,  pendant  le  îiv»  siècle,  plusieurs  de  ses  plus  beaux  do- 
maines furent  aliénés.  Enfin  les  choses  en  étaient  venues  au  poiut  qu'en  1470  Frédéric,  comte  pa- 
latin du  Rhin,  crut  devoir,  en  sa  qualité  de  bailli  d'Alsace,  prendre  des  mesures  vigoureuses  pour 
y  rétablir  la  discipline  et  l'esprit  de  saint  Denoît.  Il  fit  venir  dans  ce  dessein  deux  saints  abbés 
de  Mayeuce  et  de  Bamberg  et  les  conduisit,  du  consentement  des  autorités  de  la  ville,  à  l'abbaye; 
mais  ses  espérances  furent  trompées.  An  moment  oi^  l'on  était  assemblé  à  l'église  pour  entendre 
an  célèbre  prédicateur,  le  peuple,  qui  prenait  le  parti  des  religieux,  se  souleva  contre  le  comte  et 
les  deux  abbés,  sous  prétexte  qu'on  cherchait  à  molester  des  moines  auxquels  on  n'avait  rien  à 
reprocher.  Le  tumulte  s'accrut  au  point  que  les  deux  abbés  furent  obligés  de  se  sauver  et  de  s'en- 
fermer dans  la  sacristie.  Les  moines  profitèrent  du  désordre  et  s'enfuirent  en  ville;  mais  le  ma- 
gistrat les  ramena  le  lendemain  au  monastère.  Le  comte,  dont  l'autorité  avait  été  si  gravement 
méconnue  par  les  habitants  de  Wissembourg,  se  présenta  à  la  tête  d'un  corps  d'armée  pour  punir 
les  coupables.  Ce  ne  fut  cependant  qu'an  bout  d'une  année  qu'il  parvint  à  rétablir  l'ordre  dans 
l'abbaye,  en  renvoyant  dans  d'autres  maisons  les  moines  qui  s'étaient  le  plus  opposés  à  la  ré- 
forme projetée.  Ce  retour  à  l'ordre  ne  fut  pas  de  longue  durée  :  Clément  VII  convertit  alors  l'ab- 
baye, en  1524,  en  un  chapitre  de  chanoines.  Après  la  mort  de  Rudiger,  qui  en  avait  été  le  dernier 
abbé,  l'évêque  de  Spire  obtint,  en  1545,  du  pape  Paul  III  et  de  l'empereur  Charles-Quiut,  la  per- 
mission de  réunir  irrévocableuient  le  titre  de  prévôt  de  Wissembourg  à  celui  de  son  évêché.  Ce 
chapitre  consista,  depuis  cette  époque,  en  un  prévôt  (qui  eiïectivement  a  toujours  été  l'évêque 
de  Spire),  un  doyen,  un  custos  et  douze  chanoines  *. 

Il  y  avait  aussi  autrefois  à  Wissembourg  une  autre  collégiale,  qui  avait  été  fondée,  pendant  le 
XI»  siècle,  par  l'abbé  Luithard,  en  l'honneur  de  saint  Etienne.  Elle  a  été  détruite  en  1325,  pen- 
dant la  guerre  des  rustauds. 

Cette  ville  possédait  de  même  deux  préceptorats,  dont  l'un  appartenait  à  l'ordre  teutonique  et 
l'autre  aux  chevaliers  de  Malte. 

Les  Auguslins  s'établirent  à  Wissembourg  en  1279.  Leur  maison  fut  vendue  à  la  ville  en  1526, 
et  on  la  convertit  en  hospice  civil  :  la  ville  ayant  été  cédée  à  la  France,  Louis  XIV  rétablit  en 
1684  les  Augustins  dans  leur  ancien  monastère. 

Les  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-François  furent  appelés  dans  la  même  ville  en  1372;  leur 
couvent,  ayant  été  aliéné  lorsque  la  ville  embrassa  la  réforme,  fut  donné  en  1686,  par  ordre  du 
roi,  aux  Capucins,  dont  l'un,  depuis  ce  temps,  a  toujours  desservi  la  cure. 

Les  Dominicains  construisirent  leur  monastère  en  1288  :  en  1553  il  fut  converti  en  hospice;  le 
couvent  des  filles  du  même  Ordre  fut  de  même  supprimé  ^. 

Nous  avons  emprunté  cette  Vie  à  l'Histoire  des  Saints  d'Alsace,  par  l'abbé  Hnnckler.  —  Voyez  Mabil- 
lon,  Ann.  ord.  S.  Benedicti,  t.  m.  p.  123;  Ann.  Treviren.,  t.  i;  Trithem.,  Chron.  Hirsang.,  t.  i;  Ilist. 
littér.  de  la  France,  t.  iv;  Laguille.  Hist.  d'Alsace,  t.  i",  I.  vi,  p.  71;  Hoffmann,  De  Ollofrido,  monacho 
Wissemb.,  Grandidier,  Hist.  de  l'Eglise  de  Strasbourg,  1.  y. 

1.  Les  auteurs  de  la  Gallia  christiana  nous  ont  conservé  les  noms  de  plusieurs  évêqnes  de  Spire,  tirés 
de  l'abbaye  de  Wissembourg  :  Principius,  en  650;  Tras'il>odon,  673;  David,  742;  Freydon,  310:  Amauvi, 
891;  Bernard,  893;  Eberhard,  912;  Godefroi,  949;  Rupert,  996;  Arnold  I",  1054;  Arnold  II,  1124.  Gall. 
christ.,  t.  V,  p.  716. 

2.  On  voyait  autrefois  dans  l'église  abbatiale  de  Wissembourg  le  tombeau  de  saint  Henri,  jeune  enfant 
massacré  par  les  juifs.  Châtelain  en  parle  dans  son  martyrologe  sous  le  29  juin. 

8.  La  ville  de  Landau,  une  des  dix  villes  libres  d'Alsace,  a  eu,  jusqu'à  la  Révolution  française,  une 
collégiale  dédiée  à  la  sainte  Vierge  et  dépendante  du  monastère  d'Ubersteigen,  parce  que  les  premiers 
ebanoiiies  envoyés  à.  Laudaa  furent  tirés  de  cette  maison.  Les  Au^'ustins  s'établirent  à  Landau  en  12U0,  et 
les  Capucins  en  1740. 


ne  20  JUIN. 


SAINT  NOYAT,  CONFESSEUR  (ii*  siècle). 

«  Après  le  décès  de  sa  sœur  Polentienne,  la  vénérable  vierge  Praxède  était  dans  une  grande 
affliction.  Un  grand  nombre  de  nobles  chrétiens  venaient  la  voir  pour  la  consoler,  avec  le  saint 
évêque  Pie  ;  parmi  eux  était  Novat,  votre  frère,  qui  est  aussi  le  nôtre  en  Notre-Seigneur,  lequel 
nourrissait  beaucoup  de  chrélions  de  ses  dons,  et  faisait  fréquemment  mémoire  de  vous  à  l'autel 
du  Seigneur  avec  le  saint  évêque  Pie.  Le  même  Novat,  retenu  par  la  maladie,  n'avait  pas  paru 
devant  la  vierge  Praxède  depuis  un  an  et  vingt-huit  jours.  Un  jour  le  saint  évêque  Pie,  rappelant 
le  souvenir  de  tous  les  chrétiens  avec  la  vierge  Praxède,  on  demanda  ce  que  faisait  Novat,  l'homme 
de  Dieu.  Il  fut  répondu  qu'il  était  toujours  malade.  En  entendant  cela,  nous  fûmes  tous  centristes. 
Alors  la  bienheureuse  Praxède  dit  à  notre  Père  saint  Pie  :  «  Que  votre  sainteté  ordonne  que  nous 
allions  tous  ensemble  le  visiter,  et  notre  visite  et  vos  prières  le  sauveront».  Il  fut  décidé  que  l'on 
agirait  ainsi,  et  la  nuit  nous  nous  rendîmes,  avec  l'évêque  Pie  et  la  vierge  du  Seigneur,  auprès  de 
Novat,  l'homme  de  Dieu.  Et  Novat,  l'homme  de  Dieu,  ayant  appris  que  nous  venions  le  visiter  tous 
ensemble,  se  mit  à  rendre  grâces  à  Dieu  de  ce  qu'il  avait  mérité  la  faveur  d'être  visité  par  l'évêque 
saint  Pie  et  par  la  vierge  du  Seigneur.  Nous  demeurâmes  dans  sa  maison  huit  jours.  Et  il  arriva 
que  Novat,  l'homme  de  Dieu,  passa  au  Seigneur  treize  jours  après,  pour  aller  recevoir  la  récompense 
du  royaume  céleste.  C'est  Pasteur  qui  écrit  cela  à  Timothée  ». 

Martyrologe  d'Adon. 


SAINTE  GEMME,  VIERGE  ET  MARTYRE  A  SAINTES  (109). 

Cette  Sainte,  si  célèbre  dans  l'Aquitaine  et  dans  plusieurs  provinces  des  Gaules,  était  d'origine 
portugaise  i  ;  elle  vivait  dans  le  i"  siècle  de  l'Eglise,  et  était,  dit  sa  légende,  d'une  beauté 
remarquable  ;  de  bonne  heure,  elle  s'était  consacrée  à  Jésus-Christ.  Son  père  Catilius,  personnage 
de  haute  distinction,  était  préfet  de  Galice  et  de  Lusitanie.  11  mit  tout  en  œuvre  pour  la  marier 
avec  un  jeune  seigneur  du  pays,  nommé  Régulus  ;  n'ayant  pu  y  parvenir,  il  ordonna  de  renfermer 
la  jeuue  Glle  dans  un  noir  cachot  où  on  lui  fît  endurer  de  tels  tourments  qu'elle  faillit  en  perdre 
la  vie.  Bientôt  on  la  jeta  dans  les  flammes  qui  respectèrent  son  corps  virginal  ;  enfin  elle  eut  la 
tête  tranchée,  et  consomma  ainsi  son  glorieux  sacrifice  le  15  du  mois  d'août  de  l'année  109.  Dès 
la  plus  haute  antiquité,  les  provinces  de  la  Saintonge  et  de  l'Aunis  vouèrent  un  culte  de  vénération 
à  cette  jeune  Martyre  dont  la  légende  et  les  reliques  furent,  dit-on,  apportées  en  Aquitaine  par 
ses  deux  sœurs  sainte  Quiterie  et  sainte  Libérate,  qui  fuyaient  la  persécution  cruelle  de  leur 
propre  famille. 

Par  une  charte  de  1063,  le  duc  d'Aquitaine,  Guy-Geoflroi,  concéda  à  l'abbaye  de  la  Chaise^ 
Dieu  d'Auvergne  le  territoire  de  Sainte-Gemme,  en  Saintonge  *,  et  ses  dépendances,  pour  y  établir 
une  abbaye  de  Bénédictins.  A  cette  époque,  la  petite  chapelle,  déjà  dédiée  à  la  Sainte,  était  nota- 
blement endommagée.  Voici  les  termes  de  ce  cartulaire  :  a  Le  duc  Guy,  par  un  sentiment  de  tendre 
piété  envers  la  bienheureuse  vierge,  a  fondé  le  prieuré  conventuel  de  Sainte-Gemme  de  Saintonge, 
et  lui  a  assuré  de  belles  aumônes.  En  1105,  le  duc  Wilhem  ou  Guillaume,  allant  en  Palestine, 
donna  à  cette  abbaye  la  dime  de  la  forêt  de  Bacône  ;  Edouard  II,  par  une  charte  subséquente  de 
1322,  fit  à  cette  maison  religieuse  de  nouvelles  concessions  en  fond  de  terre  ». 

Au  jour  anniversaire  du  22  mai,  on  couronnait  et  dotait  avec  solennité  et  de  temps  immémorial, 
une  rosière  à  Sainte-Gemme. 

Les  moines  d'Auvergne,  qui,  sous  la  conduite  de  l'abbé  de  la  Chaise-Dieu,  vinrent  des  premiers 
habiter  le  moutier  de  Sainte-Gemme,  y  apportèrent  le  culte  de  saint  Didier,  évêque  de  Vienne,  qui 
était  mort  martyr  à  quelques  lieues  de  leur  pays,  sur  les  bords  de  la  Chalaronne,  victime  des  ordres 

1.  Le  Mart.  uniu.  de  Claude  Chastelain,  1709,  in-4»,  mentionne  une  sainte  Gemme,  de  l'Aquitainp. 
▼enve  et  martyre,  également  citde  dans  l'Histoire  de  la  vie  des  principaux  Saints,  de  l'abbé  Guillois. 
t.  i",  p.  420  ;  mais  ce  n'était  point  îi  cette  dei  nifere,  postérieure  à  la  sainte  du  Portugal,  que  s'adressaicn  ' 
les  pieux  hommages  de  la  communauté  de  Sainte-Gemme. 

8.  Voir  Besly.  HUt.  des  comtes  de  Poil,  et  ducs  de  Guyen.,  in-^. 


SAINT  LATUIN,   PREMIER  ÉVÊQUE  DE   SÉEZ.  il! 

barbares  de  Brunehaut.  La  nouvelle  chapelle  érigée  alors,  fat  donc  mise  sous  l'iavocation  de  saint 
Didier,  souvenir  précieux  de  la  patrie  pour  les  moines  exilés. 

La  fête  de  sainte  Gemme  se  célébrait,  d'après  le  martyrologe  gallican,  le  16  du  mois  d'août,  le 
15  d'après  le  martyrologe  du  Père  Arthur  du  Moustier  et,  en  Saintonge,  le  20  juin,  époque  de  la 
translation,  du  pays  d'Auvergne  en  celui  de  Saintonge,  des  reliques  de  la  jeune  Martyre  '. 

L'église  de  Brizambourg  est  sous  le  vocable  de  la  Sainte,  qui  a  également  donné  son  nom  à 
une  commune  du  département  de  la  Gironde,  près  de  Monségur.  Deux  paroisses  de  la  Vendée  se 
trouvent  aussi  sous  l'invocation  de  la  même  Sainte  ;  une  autre  dans  les  Deux-Sèvres  ;  deux  dans  le 
Gers  ;  une  autre  dans  le  département  de  Lot-et-Garonne,  dans  le  Tarn,  le  Cher,  le  Loir-et-Cher, 
le  Maine-et-Loire,  la  Marne,  la  Mayenne  ;  cette  multiplicité  d'autels  prouve  la  singulière  dévotion  de 
nos  aïeux  envers  la  jeune  Martyre  du  Portugal. 

Raingaet,  Biographie  Saintongeaise. 


SAINT  LATUIN,  PREMIER  ÉVÊQUE  DE  SÉEZ  (HO). 

Suivant  la  tradition,  Latuin  fut  ordonné  évêque  par  le  pape  saint  Clément,  et  envoyé  en  Gaule 
avec  Taurin  d'Evreux,  Nicaise  de  Rouen,  Denis  de  Paris  et  d'autres  illustres  hérauts  de  l'Evangile  ; 
il  vint  à  Séez,  et  y  jeta  les  premiers  fondements  de  la  foi.  C'est  lui,  en  effet,  qui,  le  premier, 
ouvrit  les  yeux  des  Sagiens,  des  Ozimiens  et  des  peuples  voisins  à  la  lumière  admirable  de  la  reli- 
gion du  Christ.  En  lui,  la  majesté  du  visage  se  joignait  à  toutes  les  vertus  de  l'âme  et  donnait  de 
l'attrait  à  sa  prédication,  que  Dieu  autorisait  encore  par  de  nombreux  miracles.  La  tradition  rap- 
porte que,  comme  la  sainte  Ecriture  le  dit  de  l'apôtre  Pierre,  son  ombre  seule  guérissait  les  malades 
et  les  infirmes.  Il  fut  en  butte  à  la  calomnie  ainsi  qu'à  des  pièges  de  toutes  sortes,  de  la  part  des 
adorateurs  des  idoles  et  surtout  d'une  femme  puissante,  que  l'on  dit  avoir  été  la  femme  du  gou- 
verneur. Il  fut  quelquefois  traîné  ignominieusement  par  les  rues  de  la  ville.  A  cause  de  ces  mau- 
vais traitements  et  de  ceux  plus  graves  encore  qu'il  prévoyait,  il  se  retira  pour  un  temps  non  loin 
de  la  ville,  en  un  lieu  nommé  Clci  li,  pour  laisser  passer  l'oiage. 

La  fureur  des  persécuteurs  sut  découvrir  le  lieu  de  sa  retraite.  Comme  il  avait  coutume  d'an- 
noncer l'Evangile  à  tous  ceux  qui  venaient  à  lui,  parmi  la  foule  de  ceux  qui  venaient  pour  l'en- 
tendre, ses  ennemis  envoyèrent  des  sicaires  qui  devaient  le  frapper.  Mais  la  parole  du  saint  Apôtre 
toucha  tout  à  coup  ces  hommes,  qui  tombèrent  à  ses  pieds,  avouèrent  leur  coupable  projet  et 
implorèrent  leur  pardon.  Il  leur  donna  même  le  Baptême  quelque  temps  après,  lorsqu'il  les  eut 
instruits.  11  rentra  dans  la  ville  de  Séez  lorsque  les  calomnies  élevées  contre  lui  furent  détruites 
et  que  la  paix  lui  fut  rendue.  Il  se  vit  encore  une  autre  fois  obligé  d'en  sortir  ;  il  désirait  le  mar- 
tyre ardemment,  et  s'écriait  souvent  :  «  0  bon  Jésus  !  qui  me  donnera  de  mourir  pour  vous  ?  » 
Mais  il  sentait  que  son  œuvre  avait  encore  besoin  de  lui,  et  c'est  pourquoi  il  fuyait  devant 
la  persécution. 

Le  saint  évêque,  en  consacrant  son  église  et  sa  cathédrale  sous  le  titre  de  Notre-Dame,  ne  se 
contenta  pas  de  prêcher  lui-même  l'amour  de  Marie  ;  il  ordonna  plusieurs  prêtres  qui,  animés  de 
son  esprit,  allèrent  dans  toute  la  contrée  faire  connaître  et  aimer  Jésus-Christ  et  Marie,  et  apprendre 
aux  peuples  que  le  culte  de  l'un  est  inséparable  du  culte  de  l'autre. 

Il  mourut  épuisé  de  fatigues  et  de  vieillesse,  vers  l'an  110,  le  20  juin. 

Sous  le  règne  de  Charles  le  Chauve,  lorsque  les  bandes  du  nord  se  précipitèrent  comme  un 
torrent  sur  la  Neustrie,  les  reliques  de  saint  Latuin  furent  transportées  à  la  forteresse  d'Anet,  dans 
le  diocèse  de  Chartres,  où  le  souvenir  de  cet  événement  se  célèbre  le  31  août  de  chaque  année. 
Plus  tard,  au  ix«  siècle,  les  habitants  de  ce  lieu  cédèrent  à  Yves  de  Bellème  le  quatrième  doigt 
de  la  main  droite  du  pontife,  doigt  mystique  où  chaque  évêque  a  coutume  de  porter  l'anneau  de 
son  alliance  avec  l'Eglise  dont  il  est  le  pasteur.  Cette  précieuse  relique  ne  put  trouver  grâce  devant 
les  fureurs  sacrilèges  des  Calvinistes  aux  dernières  années  du  xvp  siècle. 

Depuis  l'époque  de  l'invasion  des  Barbares  du  nord,  le  diocèse  de  Séez  était  privé  des  véné- 
rables dépouilles  de  son  premier  évêque  ;  mais,  grâce  à  la  bienveillance  de  Mgr  Regnauld,  évêque 

1.  «  Kous  n'avons  pu  découvi.ir  l'époque  où  les  religieux  Bénédictins  de  la  Chaise-Dieu,  reçurent  les 
reliques  de  sainte  Gemme  ».  —  Note  de  Mgr  l'éyêque.  —  Ce  pourrait  bien  être  en  1046,  année  de  l'érec- 
tion de  la  Chaise-Dieu. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  12 


178  20  JUIN. 

de  Chartres,  un  os  de  la  jambe  (le  tibia)  de  saint  Latuin  fut  cédé,  en  1856,  à  Mgr  Rousselet, 
évêque  de  Séez,  qui  en  fit  la  translation  solennelle  dans  sa  cathédrale  le  22  juin  1858,  en  pré- 
sence de  Mgr  Pie,  évêque  de  Poitiers,  qui  prononça  l'éloge  du  Saint. 

La  mémoire  de  cet  Apôtre  est  honorée  dans  le  diocèse  de  Séez  à  la  date  du  20  juin,  et  quel- 
ques auteurs  ecclésiastiques  pensent  que  saint  Laluia  n'est  point  différent  de  saint  Laiu  dont  le 
diocèse  de  Chartres  célèbre  la  fêle  le  19  janvier. 

Propre  de  Séex.  —  Voir,  pour  plus  de  détails,  les    Vies  des  Saints  du  diocèse  de  Séez,  par  M.  Vatibé 
Blin. 


SAINT  BAIN  OU  BAGNE, 

ÉVÊQUE  DE  THÉROUANNE  ET  PATRON  DE  CALAIS  (706). 

Les  historiens  ne  nous  ont  laisse  que  fort  peu  de  détails  sur  la  vie  de  saint  Bain.  Il  était  issu 
d'une  famille  illustre,  et  se  nommait  Theodoricus  Bamus.  Il  embrassa  la  vie  monastique  et  fut  un 
des  plus  fervents  disciples  de  saint  Vandrille.  11  édifia  tellement  le  monastère  de  Fontenelle  par  sa 
prudence,  sa  science  et  sa  sainteté,  que,  après  la  mort  de  saint  Drancius,  successeur  de  saint  Omer 
sur  le  siège  de  Thérouanne  et  de  Loulogne,  il  fut  élu  lui-même  et  appelé  à  gouverner  le  vaste 
diocèse  que  l'Apôtre  des  Morins  avait  si  puissamment  organisé.  11  fut  douze  années  à  la  tête  de 
cette  église,  et  remplit  avec  la  plus  grande  perfection  tous  les  devoirs  de  sa  charge  pastorale,  depuis 
l'an  685  jusqu'à  l'an  697.  Il  s'appliqua  particulièrement  à  évangéliser  les  parties  de  son  diocèse 
qui  étaient  situées  le  long  de  la  mer;  Calais  surtout  fut  le  lieu  favori  de  ses  prédications.  Il  opéra 
dans  cette  ville  de  grands  fruits  de  conversion,  et  c'est  pour  celte  raison  que  les  Calaisiens  l'ont 
toujours  considéré  comme  leur  Apôtre,  et  honoré  comme  leur  patron.  Il  était  animé  d'un  si  grand 
désir  de  gagner  des  âmes  à  Dieu,  que,  lorsqu'il  voyait  des  pécheurs  endurcis,  surtout  de  ceux  des 
classes  plus  élevées  et  moins  susceptibles  d'être  touchées  de  la  grâce,  il  affligeait  son  corps  et 
pratiquait  des  mortifications  nombreuses,  afin  de  fléchir  la  justice  du  Seigneur,  et  d'être  lui-même 
un  moyen  de  guérison  surnaturelle  pour  ses  ouailles  bien-aimées.  C'était  surtout  pour  arracher  aux 
liens  terribles  de  la  concupiscence  de  la  chair  ceux  qui  s'y  trouvaient  misérablement  enlacés,  qu'il 
se  livrait  sur  lui-même  à  ces  saintes  rigueurs,  et  ses  prières  ardentes,  jointes  à  ces  actes  héroïques 
de  pénitence,  demeuraient  rarement  sans  atteindre  leur  but. 

Un  jour  qu'il  priait  avec  sa  ferveur  accoutumée,  un  ange  lui  apparut  sous  la  forme  d'un  jeune 
homme,  et  lui  dit  de  faire  ses  préparatifs  pour  aller  à  Rome,  ajoutant  qu'il  n'aurait  point  à  se 
repentir  de  ce  voyage.  Aussitôt  il  se  met  en  route,  après  avoir  confié  à  Ravenger  l'administration 
de  son  diocèse,  et  bientôt  il  arrivs  heureusement  dans  la  capitale  du  monde  chrétien.  Le  pape 
Sergius,  qui  occupait  alors  le  siège  de  saint  Pierre,  le  reçut  avec  beaucoup  de  distinction,  et  conçut 
pour  lui  une  très-haute  estime.  Il  en  revint  comblé  de  présents  précieux,  entre  lesquels  brillaient 
par-dessus  tout  les  reliques  du  bienheureux  Silas,  disciple  de  saint  Paul.  Les  plus  grandes  solen- 
nités accompagnèrent  la  réception  de  ces  reliques  dans  l'église  de  Notre-Dame  de  Thérouanne,  et 
chaque  année  depuis  lors,  le  13  juillet,  anniversaire  de  cette  translation,  fut  un  jour  de  fête  célébré 
par  les  nombreux  pèlerinages  des  pieux  fidèles.  Saint  Bain  ensevelit  avec  de  grands  honneurs  les 
corps  des  bienheureux  Lugle  et  Luglien,  dont  plus  tard  nous  aurons  à  raconter  la  vie.  Cédant  aux 
prières  du  saint  abbé  Mauront,  il  transféra  le  corps  de  saint  Amé  de  l'église  de  Saint-Pierre  de 
Merville  en  l'église  de  Notre-Dame,  qu'on  venait  de  construire  à  peu  de  distance.  Cette  translation 
fut  accompagnée  de  prodiges  et  de  nombreuses  guérisons  ;  elle  eut  lieu  le  28  avril  697. 

Cependant  saint  Bain,  accablé  des  fatigues  du  ministère  pastoral,  et  jaloux  d'imiter  tant  d'autres 
•aints  évêques,  se  démit  cette  même  année  697  de  sa  charge  et  de  sa  dignité  d'évêque  de  Thé- 
rouanne, et  choisit  pour  le  lieu  de  sa  retraite  sa  chère  abbaye  de  Fontenelle,  dans  laquelle  il  avait 
autrefois  coulé  des  jours  si  pleins  de  recueillement  et  de  paix.  Il  avait,  du  reste,  vaillamment 
combattu  et  noblement  fourni  sa  tâche  ;  il  méritait  à  tous  égards  d'avoir  cette  faveur  de  quelques 
années  passées  en  présence  de  Dieu  seul  pour  se  préparer  à  paraître  devant  lui.  Trois  ans  après  sa 
retraite,  il  dut  céder  aux  instantes  supplications  des  religieux,  et  accepter  la  charge  d'abbé  de 
Fontenelle,  En  705,  il  transféra,  de  l'église  de  Saint-Paul  en  celle  de  Saint-Pierre,  les  corps  de 
saint  Vandrille  et  de  saint  Ansbert,  lesquels  furent  trouvés  intacts  et  répandant  l'odeur  la  plus 
suave.  Ces  reliques  précieuses  restèrent  dans  cette  église  de  Saint-Pierre  jusqu'à  l'invasion  des 
Normands  ;  elles  furent  alors  transportées  à  Boulogne. 


MARTYROLOGES.  479 

Saint  Bain  ne  vécut,  à  ce  qu'il  paraît,  que  fort  peu  de  temps  après  cette  translation.  On  a  dis- 
cuté sur  la  date  précise  de  sa  mort,  que  l'on  place  ordinairement  en  706.  Il  nous  reste  un  souvenir 
vivant  de  ce  saint  personnage  dans  le  nom  du  village  de  Bainghen  ,  qui  signifie  habitation  de  Cain, 
demeure  de  Bain.  On  lient,  en  effet,  de  la  tradilion  que  saint  Bain  habitait  quelquefois  ce  lieu,  où 
il  avait  fait  acquisition  d'une  terre  pour  l'église  de  Thérouanne.  En  846,  les  reliques  de  saint 
Bain   furent  transportées  à  Saint-Omer,  dans  le  but  de  les  soustraire  aux  profanations  des  Danois. 

L'abbé  Van  Drivai,  Vie»  des  Saints  de  l'ancien  diocèse  de  Tliérouanne. 


XXr  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

A  Rome,  saint  LODis  db  Gonzague,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  qui  s'est  rendn  recommaa- 
dable  par  le  mépris  qu'il  fit  de  son  titre  de  prince  et  par  l'innocence  de  ses  mœurs.  1391.  —  A 
Rome,  la  fête  de  sainte  Démélrie,  vierge,  qui  fut  couronnée  du  martyre  sous  Julien  l'Apostat.  362. 
^  A  Syracuse,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs  Rufin  et  Marcie.  —  En  Afrique,  les  saints 
martyrs  Cyriaque  et  Apollinaire.  —  A  Mayence,  saint  Alban,  martyr,  qui,  après  de  longs  travaux 
et  de  rudes  combats  pour  la  foi  chrétienne,  fut  trouvé  digne  de  recevoir  la  couronne  de  la  vie 
éternelle.  iv«  s.  —  Le  même  jour,  saint  Eusèbe,  évêque  de  Samosate,  qui,  au  temps  de  Cons- 
tance, empereur  arien,  visitait  secrètement  les  églises  en  habit  de  soldat,  pour  les  confirmer  dans 
la  foi  catholique;  il  fut  ensuite  relégué  dans  la  Thrace,  sous  Valens;  mais  la  paix  ayant  été  rendue 
à  l'Eglise  par  Théodose,  il  fut  rappelé  de  l'exil,  et,  comme  il  visitart  de  nouveau  les  églises,  une 
femme  arienne  lui  jeta,  du  haut  d'une  maison,  une  tuile  qui  lui  brisa  la  tète  et  lui  procura  ainsi 
l'honneur  du  martyre.  380.  —  A  Iconium,  en  Lycaonie,  saint  Térentius  ou  Tertius,  évêque  et 
martyr.  !«'  s.  —  A  Pavie,  saint  Ursicène,  évêque  et  confesseur.  216.  —  A  Tongres,  saint  Martin, 
évêque  *.  276.  —  Au  diocèse  d'Evreui,  saint  Leofroi,  abbé.  Vers  738. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  village  de  Velzen,  près  de  Haarlem,  en  Hollande,  le  décès  de  saint  Engelmond  ou  Engle- 
mond,  prêtre  et  abbé  d'un  monastère  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit.  Il  naquit  en  Angleterre,  d'une  fa- 
mille frisonne,  et  se  rendit,  du  temps  de  saint  Villebrord,  dans  la  Hollande,  où  il  annonça  la  parole 
de  vie  à  ces  peuples  alors  plongés  dans  la  barbarie.  Après  de  longs  travaux,  il  mourut  de  la  Cèvre 
et  fut  enterré  à  Velzen;  Baudri,  évêque  d'Utrecht,  découvrit,  dit-on,  son  corps  en  977,  mais  ces 
précieuses  reliques  furent  dispersées  en  grande  partie  pendant  les  guerres  civiles  du  xvi»  siècle, 
viii*  s.  —  A  Besançon,  fête  de  la  délivrance  de  la  ville  par  la  protection  des  apôtres  saint  Fenéol 
et  saint  Ferjeux  *,  —  A  Bourges,  saiutRAOUL,  (Radulfe,  Rodulfe  ou  Roils),  qui  fut  tiré  de  l'abbaye 
de  Saint-Médard,  de  Soissons,  pour  être  élevé  sur  ce  siège  archiépiscopal,  où  il  fit  paraître  toutes 
les  vertus  d'un  véritable  pasteur  :  il  repose  dans  l'église  de  Saint*Ursin.  866.  —  A  Balbaslro,  au- 
delà  des  Pyrénées,  en  Aragon,  saint  Raymond,  évêque,  qui  était  du  sang  royal  de  France,  et  mé- 
prisa toutes  les  grandeurs  du  monde  pour  embrasser  l'humilité  religieuse  au  monastère  de  Saint- 
Aatonio,  de  Pamiers  ;  après  qu'il  eut  aussi  gouverné  celui  de  Saint-Saturnin,  ou  Saint-Sernin,  de 

1.  Saint  Martin  est  mis  le  septième  des  évêqaes  de  Tongres,  dans  les  tables  de  cette  Eglise,  et  est 
nommé  Apôtre  de  la  Hesbaie.  Les  habitants  de  cette  contrée  étaient  pour  la  plupart  païens,  et  ils  furent 
convertis  au  christianisme  par  saint  Martin.  On  rapporte  que  ses  reliques  furent  renfermées  dans  une 
châsse  d'argent  par  saint  Servais,  un  de  ses  successeurs,  que  la  tradition  commune  appelle  le  dixième 
éyêque  de  Tongres,  mais  qui,  d'après  les  monuments  de  l'histoire  les  moins  suspects,  est  réellement  le 
premier  érêque  titulaire  de  ce  siège.  Saint  Martin,  ses  six  prédécesseurs  et  ses  deux  successeurs  immé- 
diats doivent  donc  êti'e  resrardés  comme  des  évêques  régiouBkires  on  de  simplet  misslounftires.  —  Ct, 
Beoschenius.  dans  les  Act.  Sonet.,  t.  iv  de  juin. 

3.  Voir  au  16  juin. 


180  21  JUIN. 

Tovilouse,  en  qualité  de  prieur,  il  fut  demandé,  en  H04,  pour  évêque  de  Balbastro,  où  son  hn- 
milité,  sa  patience,  sa  charité  pour  son  peuple  et  sa  vigilance  pastorale  éclatèrent  admirablement. 
Alpbonse  l'^,  roi  d'Aragun,  qui  l'avait  connu  particulièrement,  lui  érigea  un  tombeau  magnifique. 
1126.  —  Aux  diocèses  de  Rennes  et  de  Vannes,  saint  Méen  ou  Mévenne,  confesseur,  premier 
abbé  du  monastère  qui  porte  son  nom,  où  le  roi  saint  Judicaël  et  beaucoup  de  seigneurs  se  firent 
gloire  de  se  rendre  ses  disciples.  Il  fait  tous  les  jours  de  grands  miracles,  et  le  pèlerinage  à  son 
tombeau  est  encore  aujourd'hui  fort  célèbre.  Vers  617.  —  A  Soissons,  saint  Gobain,  martyr, 
nommé  au  jour  précédent  >.  vu»  s.  —  En  Bretagne,  saint  Mars,  prêtre  et  ermite,  patron  de  Bais, 
au  diocèse  de  Rennes.  Les  habitants  de  ce  pays,  témoins  des  miracles  qui  s'opéraient  par  l'inter- 
cession de  saint  Mars,  conservaient  ses  reliques  avec  un  grand  respect,  et  les  possédèrent  jusqu'en 
l'année  1427  lorsque  la  crainte  de  l'arrivée  des  Anglais  en  Bretagne,  où  ils  venaient  porter  la  guerre, 
les  détermina  à  confier  ce  saint  corps  au  chapitre  de  la  collégiale  de  la  Madeleine,  de  Vitré.  Vers 
530.  —  Dans  l'ancien  diocèse  de  Tréguier,  le  vénérable  Pierre  Quintin,  qui  reçut  l'habit  de 
Saint-Dominique  au  couvent  de  Morlaix,  en  1602.  Il  y  est  resté  célèbre  par  sa  charité  envers  les 
pauvres,  son  zèle  pour  la  prédication  et  sa  dévotion  envers  la  sainte  Vierge.  Sa  vie,  comme  sa 
mort,  fut  marquée  par  de  nombreux  miracles.  Son  corps  fut  inhumé  dans  l'église  du  couvent  des 
Dominicains  de  Morlaix,  devant  la  chaire  à  prêcher.  Son  tombeau  était  entouré  d'une  grille  de  bois 
garnie  de  pointes  de  fer;  mais  ces  précieuses  reliques  périrent  avec  l'église  qui  les  possédait, 
lors  de  la  destruction  des  Ordres  monastiques.  1629.  —  Au  diocèse  d'Autun,  fête  anniversaire 
de  la  nouvelle  vétification  des  reliques  de  saint  Lazare  '.  1727.  —  A  Lille,  au  diocèse  de  Cambrui, 
.lean  Heren,  jésuite,  recteur  des  collèges  de  Douai  et  de  Lille.  Le  ménologe  de  la  Compagnie 
de  Jésus  rapporte  que,  dans  sa  dernière  maladie,  le  Père  qui  l'assistait  lui  demanda  s'il  n'aimerait 
pas  de  faire  une  confession  générale  :  «  Non  »,  répondit-il,  «  je  n'eu  sens  pas  le  besoin,  parce 
que  chaque  fois  que  je  faisais  une  confession  ordinaire,  je  la  faisais  comme  si  ellô  avait  dii  être  la 
dernière  de  ma  vie  ». 

MARTYROLOGES  DES   ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Balbastro,  en  Aragon,  saint  Raymond,  de  l'ftrdre 
des  Clercs  réguliers,  et  évêque  de  celte  ville,  nommé  au  martyrologe  de  France  de  ce  jour. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Chez  les  Grecs  et  ailleurs,  les  saints  disciples  de  saint  Paul,  Jésus,  surnommé  le  Juste, 
évêque  d'Eleuthéropolis ,  Artémas,  évêque  de  Lystre ,  et  Térentius  ou  Tertius,  deuxième 
évêque  d'Iconium  et  martyr,  i^r  s.  —  A  Syracuse,  avec  les  saints  Rufiu  et  Marcie,  cités  au  mar- 
tyrologe romain,  saint  Hipérèle  ou  Hierpéride,  et  les  saintes  Satui'ûine,  Stertie  ou  Stergie,  et  Hiérie 

1,  Voir  au  20  Juin. 

2.  Le  20  et  le  21  juin  1727,  Antoine-François  de  Bliterswick  de  Montcley,  évêque  d'Autun,  fit  une 
noUTelIe  vérification  des  reliques  de  saint  Lazare.  La  tradition  portait  qu'elles  avaient  été  déposées,  en 
1147,  dans  un  riche  mausolée  placé  derrière  le  grand  autel  de  la  nouvelle  cathédrale.  Plusieurs  preuves 
Tenaient  à  l'appui  de  cette  tradition. 

Les  leçons  du  Bréviaire,  les  bas-reliefs  et  les  inscriptions  du  monument,  qui  avaient  toutes  rapport  a 
la  résurrection  de  Lazare,  les  degrés  du  mausolée,  usés  par  la  dévotion  publique,  le  concours  des  peuples 
qui  n'avaient  jamais  cessé  de  visiter  ce  lieu  saint,  la  pierre  de  porphyre  rouçe  qui  scellait  l'entrée  du 
cave'.ii,  enfin  les  enquêtes  faites  en  1487  et  1490,  à  l'occasion  du  procès  d'Avallon,  attestaient  d'une 
manière  péremptoire  que  les  reliques  de  saint  Lazare  reposaient  dans  ce  tombeau. 

Malgré  toutes  ces  preuves,  on  avait  presque  oublié  la  première  translation.  L'anniversaire  de  l'évêque 
Girard  ayant  été  transféré  dans  cette  église,  Saulnier,  auteur  d'Autun  chrétien,  assurait  que  le  corps  do 
cet  évêque  avait  été  enseveli  sous  ce  maRuifique  mausolée  de  marbre.  Cette  erreur  était  augmentée  par 
l'usage  de  tendre  l'autel  d'ornements  noirs  pendant  la  messe  et  les  vigiles. 

Pour  s'assurer  de  la  vérité,  combattre  les  incrédules  et  ranimer  la  confiance  des  fidèles,  le  Chapitre 
d'Autan  résolut  de  procéder  à  une  nouvelle  découverte  de  ces  précieuses  reliques.  Mgr  de  Montcley,  de- 
vant consacrer  une  nouvelle  pierre  du  maître-autel,  fut  prié  de  visiter  le  tombeau.  11  se  rendit  aux  désirs 
des  chanoines  et  procéda  à  cette  visite  avec  toutes  les  formalités  requises.  Le  tombeau  fut  ouvert  solen- 
nellement, et  l'on  y  trouva,  'a  la  grande  satisfaction  des  assistants,  le  cercueil  de  ploml)  tel  qu'il  y  avait 
été  déposé  en  1147. 

A  l'instant  l'on  ouvrit  les  portes  de  l'église,  et  l'on  chanta  le  Te  Deum  en  actions  de  grâces  d'un  si 
grand  bienfait.  Le  lendemain,  on  détacha  les  liens  du  cercueil,  et  le  prélat  fit  procéder  à  une  reconnais- 
sance juridique  des  ossements  qui  y  étaient  renfermés.  Ces  saintes  reliques  furent  exposées  pendant 
quinze  jours,  dans  une  chapelle,  à  la  vénération  des  peuples  qui  vinrent  en  foule  et  de  toutes  parts  les  ho- 
norer. Enfin  l'évêque,  après  les  avoir  fait  porter  en  procession  par  toute  la  ville,  les  renferma  dans  le 
«ercueil  de  plomb,  qui  fut  remis  religieusement  dans  le  raêrae  tombeau. 

Depuis  cette  époque,  l'église  d'Autun  célèbre  une  fête  solennelle  le  21  juin,  pour  perpétuer  la  mémoire 
4'ua  ai  lieureux  é\éiieuieut. 


SAIOT  EUSÈnE,   ÉVÊQUE  DE   SAMOSATE   ET  MARTYR.  181 

on  Hiérémie,  martyrs.  —  A  Césarée,  en  Cappadoce,  le  vénérable  Ensèbe,  évêque  de  cette  ville. 
370.  —  En  Sardaigne,  saint  Nicolas,  et  son  compagnon  saint  Trane,  ermites.  iv<>  s.  —  En  Abys- 
sinie,  saint  Thomas,  avec  trois  mille  hommes,  ses  compagnons,  et  neuf  femmes,  tous  martyrs.  — 
En  Cilicie,  saint  Aphrodise,  martyr.  —  En  Catalogne,  la  translation  de  saint  Pelade,  ou  Pallade, 
évèque  d'Eiiibrun.  Vers  51G.  —  A  Mérida,  en  Espagne,  saint  Innocent,  évêque  de  cette  ville.  vii«s. 
—  En  Afrique,  avec  les  saints  Cyriaque  et  Apollinaire,  mentionnés  ci-dessus,  les  saints  Saturnin, 
Bellique,  Persée,  Crisin,  Prime  et  Janvier,  martyrs,  portés  avec  eux  au  martyrologe  de  saint  Jé- 
rôme. —  A  Assise,  mémoire  du  prodige  de  l'eau  du  ravin  de  Saint-François.  L'histoire  ét,ablit 
que  saint  François  allait  prier  avec  ses  compagnons  près  du  lieu  qu'on  a  appelé  depuis  Ravùi  de 
Saint-François.  Comme  il  arrivait  quelquefois  que  le  bruit  du  courant  les  troublait  dans  leurs 
méditations,  le  Saint  ordonna  à  cette  eau  de  disparaître.  11  dit  alors  à  ses  frères  que  désormais  on 
ne  la  verrait  plus  couler,  si  ce  n'est  lorsque  quelque  grave  événement  menacerait  le  monde,  et 
l'Italie  en  particulier.  Le  21  et  le  26  juin  1871,  le  raviu  se  remplit  d'eau  d'une  manière  extraordi- 
naire, et  rapport  en  fut  fait  à  Pie  IX. 


SAINT  EUSEBE ,  EVEQUE  DE  SAMOSATE  ET  MARTYR 

380.  —  Pape  ;  Saint  Damase.  —  Empereur  romain  :  Théodose  I<". 


Persecutio  non  ad  negationem  credentium,   ted   ad 
probationem  pertinet  et  coronam. 

La  persécution  no  fait  pas  renier  la  foi,  cllo  l'rfpronve 
et  la  couronne. 

S.  Jérôme,  lib.  v  sup.  Isaiam. 

Saint  Eusèbe,  l'un  des  plus  saints  prélats  et  des  principaux  défenseurs  de 
îa  vérité  orthodoxe  sous  les  princes  Ariens,  était  né  à  Samosate,  ville  de 
Syrie,  sur  l'Euphrate,  du  côté  de  l'Arnnénie  ;  il  fut  fait  évêque  du  temps  de 
l'empereur  Constance  (361).  Il  assista  la  même  année  à  un  concile  tenu  dans 
la  ville  d'Antioche  par  ordre  de  l'empereur,  protecteur  déclaré  des  Ariens. 
Ce  concile  était  principalement  composé  de  prélats  hérétiques.  Les  évêques 
catholiques,  au  nombre  desquels  était  Eusèbe  de  Samosate,  demandèrent, 
avant  toutes  choses,  que  l'on  donnât  à  l'église  d'Antioche,  veuve  de  son  chef 
depuis  la  mort  de  saint  Eustathe  et  le  bannissement  d'Anien,  un  pasteur  avec 
lequel  on  pût  régler  la  foi.  Le  choix  tomba  sur  Mélèce,  auparavant  évêque 
de  Sébaste,  qui  était  alors  retiré  à  Bérée  en  Syrie.  Les  Ariens  le  croyaient  à 
eux  ;  mais  les  catholiques,  et  à  leur  tête  saint  Eusèbe,  concoururent  avec 
ardeur  à  son  élection,  parce  qu'ils  connaissaient  son  sincère  attachement  à 
la  foi  orthodoxe. 

Les  Ariens  eux-mêmes  avaient  une  haute  idée  de  la  vertu  de  saint  Eu- 
sèbe ;  et  quoiqu'ils  le  regardassent  comme  l'irréconciliable  ennemi  de  leur 
secte,  ils  rendaient  publiquement  justice  à  sa  probité  ;  ce  fut  ce  qui  les  dé- 
termina à  remettre  entre  ses  mains  l'acte  de  l'élection  de  saint  Mélèce. 

Quelques  jours  après,  Mélèce,  dans  le  premier  discours  qu'il  fit  à  son 
peuple  devant  l'empereur,  s'étant  ouvertement  déclaré  pour  la  vérité  catho- 
lique, les  Ariens,  qui  ne  s'attendaient  à  rien  de  semblable  de  sa  part,  en 
furent  très-irrités,  et  résolurent  dès  lors  de  le  perdre.  Cependant  saint  Eu- 
sèbe, voyant  ce  qui  se  passait,  se  retira  en  son  église  de  Samosate,  emportant 
avec  lui  l'acte  qu'on  lui  avait  confié.  Les  Ariens  redoutant,  avec  raison,  ce 
témoignage  authentique  de  leur  mauvaise  foi,  persuadèrent  à  l'empereur  de 
le  redemander.  Celui-ci  envoya  aussitôt  en  poste  un  officier.  Mais  Eusèbe 
répondit  qu'il  ne  pouvait  se  dessaisir  de  l'acte  que  du  consentement  de  tous 


182  21  JUIN. 

ceux  qui  y  étaient  intéressés  et  qui  l'en  avaient  rendu  dépositaire.  L'empe- 
reur, fort  irrité  de  cette  réponse,  lui  écrivit  de  nouveau,  le  pressant  de  le 
rendre,  et  que,  en  cas  de  refus,  il  avait  donné  ordre  au  porteur  de  lui  couper 
la  main  droite.  Eusèbe,  ayant  lu  la  lettre  sans  s'effrayer,  présenta  ses  deux 
mains  au  courrier,  disant  qu'il  pouvait  les  couper,  mais  qu'il  ne  rendrait 
jamais  cet  acte,  qui  était  une  preuve  manifeste  de  l'impiété  des  Ariens.  Une 
telle  fermeté  déconcerta  et  l'officier  et  l'empereur  ;  ils  admirèrent  tous  deux 
le  courage  héroïque  du  saint  évêque,  et  ne  purent  s'empêcher  de  donner 
des  louanges  à  une  fermeté  qui  cependant  faisait  échouer  leurs  projets. 

Eusèbe  ne  balançait  point  d'abord  de  se  trouver  aux  conciles  et  aux 
assemblées  des  Ariens,  dans  le  dessein  de  soutenir  le  parti  de  la  vérité  ;  mais 
ayant  appris  que  quelques  personnes  se  scandalisaient  d'une  telle  conduite, 
il  rompit  tout  commerce  avec  les  hérétiques,  et  ne  voulut  plus  assister  à 
leurs  délibérations,  après  le  concile  qui  se  tint  à  Antioche  par  ordre  de  saint 
Mélèce,  après  le  retour  de  son  second  exil,  en  363,  sous  le  règne  de  l'empe- 
reur Jovien.  Dans  ce  concile,  saint  Eusèbe  signa,  avec  plusieurs  évoques,  le 
symbole  de  Nicée,  à  la  suite  d'une  lettre  synodale  adressée  de  la  part  des 
évêques  à  l'empereur  Jovien. 

Le  siège  épiscopal  de  la  ville  de  Césarée  en  Cappadoce  étant  venu  à 
vaquer  vers  le  milieu  de  l'an  370,  saint  Grégoire,  évêque  de  Nazianze,  père 
du  Théologien,  craignant  que  les  Ariens  n'en  prissent  occasion  d'y  répandre 
leur  venin,  envoya  prier  notre  Saint  de  venir  l'aider  à  donner  à  cette  église 
vacante  un  pasteur  capable  de  bien  la  gouverner.  Eusèbe  qui,  dans  tout  ce 
qui  regardait  la  gloire  de  Dieu  et  le  service  de  l'Eglise,  ne  bornait  pas  son 
zèle  à  son  diocèse,  ni  à  sa  province,  vint  de  Samosate  à  Césarée.  Sa  pré- 
sence causa  une  grande  joie  aux  prélats  de  l'assemblée  qui  aimaient  le  bien, 
et  aux  fidèles  de  cette  ville.  De  concert  avec  saint  Grégoire  de  Nazianze  et 
plusieurs  autres  évêques,  il  choisit  saint  Basile  pour  évêque  de  Césarée.  Cette 
élection  fut  regardée  comme  un  présent  du  ciel  fait  à  toute  l'Eglise,  autant 
qu'à  celle  de  Césarée  en  particulier. 

Saint  Basile,  après  son  élection,  se  lia  avec  saint  Eusèbe  d'une  amitié 
plus  étroite  encore  qu'auparavant,  et  eut  soin  de  l'entretenir  par  un  com- 
merce de  lettres.  Il  alla  lui  rendre  visite  à  Samosate,  et  il  n'y  eut  que  sa 
mauvaise  santé  et  ses  grandes  occupations  qui  l'empêchèrent  de  réitérer 
souvent  ce  long  voyage.  Saint  Eusèbe,  de  son  côté,  revint  encore  à  Césarée, 
et  tâcha  même  de  se  trouver  à  divers  lieux  de  rendez-vous  que  lui  marquait 
saint  Basile,  qui  semblait  trouver  toute  sa  consolation  à  le  voir,  à  l'entendre 
et  à  suivre  ses  avis. 

Les  vertus  de  saint  Eusèbe  jetaient  un  si  grand  éclat,  son  zèle  était  si 
pur  et  si  actif,  que  les  anciens  lui  ont  donné  les  plus  beaux  éloges.  Saint 
Grégoire  de  Nazianze  dit,  en  parlant  de  lui  dans  une  de  ses  épitres,  qu'il 
était  la  colonne  de  la  vérité,  la  lumière  du  monde,  l'instrument  dont  Dieu 
se  servait  pour  communiquer  ses  faveurs  à  son  peuple,  le  soutien  et  la  gloire 
des  orthodoxes. 

La  guerre  que  les  Ariens  faisaient  à  l'Eglise,  assistés  de  toute  la  puissance 
de  l'empereur  Valens,  qui  s'était  dévoué  à  leur  secte,  obligeait  saint  Eusèbe 
à  veiller  sans  cesse,  et  à  faire  une  sentinelle  exacte  dans  le  camp  du  Sei- 
gneur, pour  empêcher  les  surprises  et  les  progrès  de  ces  ennemis.  Il  leur 
était  devenu  redoutable  par  son  zèle  et  son  courage  intrépide  ;  mais  ce  zèle 
et  ce  courage  étaient  conduits  par  une  sagesse  admirable  qui  était  ordinaire- 
ment suivie  du  succès  de  tout  ce  qu'il  entreprenait,  aussi  bien  dans  les 
troubles  et  les  tempêtes  de  l'Eglise,  que  dans  le  calme  et  la  tranquillité  pu- 


SAINT  EUSÈBE,   ÉVÊQUE  DE   SAMOSATE  ET  MARTYR.  483 

bliqiio.  Il  ne  se  contentait  pas  de  tenir  son  troupeau  à  couvert  de  toute  in- 
sulte, et  de  maintenir  la  pureté  de  la  foi  parmi  les  peuples  de  sa  ville  et  de 
son  diocèse  contre  tous  les  efforts  des  hérétiques  qui  cherchaient  à  la  cor- 
rompre. Comme  il  savait  que  la  plupart  des  églises  étaient  destituées  de 
pasteurs,  à  cause  de  la  persécution,  il  parcourait  la  Syrie,  la  Phénicie  et  la 
Palestine,  déguisé  en  soldat.  En  cet  état,  il  allait  porter  aux  catholiques  les 
secours  dont  ils  avaient  besoin,  et  les  fortifier  contre  les  sollicitations  des 
hérétiques.  Il  ordonnait  des  prêtres,  des  diacres  et  d'autres  clercs  aux 
églises  qui  en  manquaient  ;  et  quand  il  rencontrait  des  évoques  catholiques, 
il  se  joignait  à  eux  pour  ordonner  d'autres  évêques.  Il  ne  put  si  bien  se 
cacher  aux  Ariens,  qu'ils  ne  découvrissent  à  la  lin  la  main  de  celui  qui  leur 
portait  de  si  rudes  coups,  et  qui  faisait  tous  les  jours  quelque  nouvelle  plaie 
à  leur  secte.  Ite  déterminèrent  l'empereur  à  les  venger,  et  ils  obtinrent  qu'il 
serait  chassé  de  son  siège  et  de  son  pays,  et  qu'il  serait  envoyé  en  exil  dans 
la  Thrace. 

L'ofGcier  qui  était  porteur  de  l'ordre  du  prince,  arriva  le  soir  à  Samo- 
sate  ;  il  instruisit  aussitôt  l'évêque  de  la  commission  qui  lui  avait  été  con- 
fiée :  «  Gardez-vous  »,  lui  dit  Eusèbe  ,  «  de  divulguer  le  sujet  qui  vous 
amène  ici  ;  vous  y  êtes  le  plus  intéressé.  Si  le  peuple  venait  à  savoir  ce  qui 
se  passe,  il  prendrait  certainement  les  armes  contre  vous.  Je  ne  veux  pas 
qu'il  vous  en  coûte  la  vie  à  cause  de  moi  ».  Le  Saint  assista,  selon  sa  cou- 
tume, à  l'office  de  la  nuit  ;  puis,  quand  tout  le  monde  se  fut  retiré,  il  sortit 
avec  un  domestique  fidèle,  s'embarqua  sur  l'Euphrate,  qui  baigne  les  mu- 
railles de  la  ville,  et  se  fit  conduire  h  Zeugma,  qui  était  à  vingt-quatre  lieues 
de  Samosate. 

Le  lendemain  matin,  la  nouvelle  de  son  départ  causa  beaucoup  de  ru- 
meur parmi  le  peuple.  L'Euphrate  fut  bientôt  couvert  de  barques,  tant  était 
vif  l'empressement  que  les  fidèles  avaient  de  retrouver  leur  pasteur.  L'ayant 
joint  à  Zeugma,  ils  le  conjurèrent  de  ne  pas  abandonner  son  troupeau  à  la 
fureur  des  loups  ;  mais  il  les  exhorta  à  mettre  leur  confiance  en  Dieu,  après 
leur  avoir  représenté  qu'il  devait  obéir  aux  ordres  de  l'empereur.  On  lui 
offrit  de  l'argent ,  des  dôme  tiques  et  toutes  les  choses  qui  pouvaient  lui 
être  nécessaires,  mais  il  ne  voulut  presque  rien  accepter.  Il  recommanda  en- 
suite son  cher  troupeau  au  Seigneur,  et  se  mit  en  chemin  pour  la  Thrace. 

Il  passa  par  la  Cappadoce,  accompagné  du  prêtre  Antiochus,  son  neveu. 
Saint  Grégoire  de  Nazianze  n'ayant  pu  le  voir  à  son  passage,  à  cause  d'une 
grande  maladie  qui  le  retenait  au  lit,  suppléa  à  ce  défaut  par  une  lettre  à 
ce  saint  confesseur,  dans  laquelle  il  attribue  à  ses  péchés  d'avoir  été  privé  de 
cette  consolation.  Il  lui  témoigne  que  le  voyant  combattre  si  généreusement 
pour  la  foi  de  l'évangile,  et  s'acquérir  tant  de  crédit  par  la  grandeur  de  son 
courage  et  par  sa  patience  dans  les  tribulations,  il  le  regardait  comme  un 
illustre  martyr  de  Jésus-Christ,  et  qu'en  cette  qualité  il  se  recommandait  à 
ses  prières,  plein  de  confiance  en  son  intercession. 

Dès  que  saint  Eusèbe  fut  arrivé  dans  la  Thrace,  il  écrivit  à  saint  Grégoire 
de  Nazianze  pour  lui  donner  de  ses  nouvelles.  Il  écrivit  aussi  à  saint  Basile, 
et  chargea  un  officier  qui  s'en  allait  en  Cappadoce,  de  l'informer  du  lieu  et 
de  l'état  oîi  il  se  trouvait.  Saint  Basile  eut  une  joie  sensible  de  recevoir  sa 
lettre  ;  et  sachant  qu'un  nommé  Eupraxe,  disciple  de  saint  Eusèbe,  allait  le 
trouver,  il  lui  en  remit  une  pleine  de  louanges  et  de  congratulations  sur  la 
couronne  que  la  gloire  de  son  exil  lui  préparait.  Saint  Basile  reçut  encore 
quelques  lettres  de  saint  Eusèbe  durant  cet  exil,  et  lui  en  écrivit  aussi 
plusieurs. 


J84  21  JUIN. 

Les  Ariens,  qui  avaient  engagé  Valens  à  bannir  saint  Eusèbe,  ne  laissèrent 
pas  échapper  l'occasion  de  mettre  sur  le  siège  de  Saraosate  un  homme  de 
leur  secte.  Leur  choix  tomba  sur  un  nommé  Eunomius,  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avez  le  fameux  hérésiarque  de  ce  nom,  contre  lequel  saint  Basile 
et  son  frère  saint  Grégoire  de  Nysse  ont  écrit.  C'était  un  homme  extrême- 
ment doux  et  fort  modéré,  peu  en  état  de  soutenir  cette  usurpation.  C'est 
ce  qui  fit  dire  à  saint  Basile  que  Dieu  avait  tempéré  la  persécution  de  l'Eglise 
de  Samosate,  permettant  qu'on  ne  lui  opposât  que  des  ennemis  faibles  et 
aisés  à  vaincre.  Aussi  l'on  ne  voyait  rien  de  plus  florissant  que  celte  Eglise, 
en  ce  qui  regardait  la  foi  catholique  et  la  piété  chrétienne.  C'était  le  fruit 
des  longs  travaux  de  saint  Eusèbe,  son  évoque  :  et  cette  Eglise,  dans  cette 
tempête  qui  la  séparait  malgré  elle  d'un  si  excellent  chef,  acquit  une  gloire 
toute  particulière  par  l'union  de  tous  ses  membres  en  un  seul  corps,  qui  fit 
juger  qu'elle  n'avait  qu'un  cœur,  et  qu'elle  était  animée  et  régie  par  un  seul 
esprit  ;  car,  quoique  les  Ariens  eussent  mis  un  évêque  en  la  place  de  notre 
Saint,  personne,  de  quelque  condition  qu'il  fût,  ne  voulait  se  trouver  avec 
lui  pour  tenir  les  assemblées  ecclésiastiques.  Voyant  que  tout  le  monde  le 
fuyait,  et  qu'on  évitait  même  de  se  rencontrer  quelque  part  avec  lui,  il 
abandonna  sa  place  et  sortit  de  la  ville. 

Les  fidèles  de  Samosate,  qui  étaient  si  bien  munis  contre  les  attaques  des 
ennemis  du  dehors,  se  virent  en  danger  de  perdre  la  paix  et  l'union  où  ils 
vivaient  sous  la  conduite  des  prêtres  qui  les  gouvernaient  au  nom  et  par  les 
lumières  de  saint  Eusèbe.  L'esprit  de  discorde  sema  parmi  eux  des  soupçons 
et  des  sujets  de  division,  qui  causèrent  quelques  troubles  dans  cette  Eglise, 
surtout  parmi  le  clergé.  Saint  Eusèbe  apprit  cette  nouvelle  avec  douleur.  Il 
en  écrivit  aussitôt  à  son  peuple  :  et  ce  fut  peut-être  ce  qui  le  porta  à  renvoyer 
à  Samosate  son  neveu  Antiochus,  pour  remédier  promptement  au  mal , 
aimant  mieux  se  priver  de  son  secours  et  de  sa  consolation,  que  de  manquer 
à  assister  encore  de  tout  son  pouvoir  une  Eglise  qu'il  ne  pouvait  oublier, 
ni  négliger  dans  son  éloignement.  Saint  Basile,  de  son  côté ,  ayant  eu  avis 
de  cette  fâcheuse  division  dès  son  début,  par  le  rapport  que  lui  en  fit 
Théodore,  diacre  de  Samosate,  en  conçut  un  extrême  déplaisir,  parce  que 
la  considération  de  saint  Eusèbe  lui  faisait  aimer  cette  Eglise  comme  la 
sienne  propre.  Craignant  que  cette  étincelle  ne  produisît  quelque  dangereux 
embrasement,  il  en  écrivit  aussitôt  à  quelques-uns  du  clergé  pour  les  con- 
jurer de  l'éteindre  promptement,  et  pour  porter  les  mécontents  à  se  par- 
donner les  uns  aux  autres,  sans  même  entrer  dans  des  éclaircissements,  ni 
se  mettre  en  peine  de  se  justifier.  Cette  lettre  qu'il  leur  envoyait  avec  une 
de  saint  Eusèbe  sur  le  même  sujet,  était  très-forte  et  très-pressante  pour  les 
exhorter  à  ne  pas  ternir  la  gloire  de  leur  Eglise,  et  à  se  réunir  contre  l'en- 
nemi commun  de  leur  foi,  qui  tâchait  toujours  de  la  leur  faire  perdre  par 
de  nouveaux  efforts. 

Les  Ariens,  voyant  qu'Eunomius  avait  abandonné  le  siège  de  Samosate, 
mirent  en  sa  place  un  nommé  Lucius,  homme  violent  et  hardi,  qui  se  ren- 
dit beaucoup  plus  odieux  encore  que  son  prédécesseur.  Il  fit  bannir  les  prin- 
cipaux du  clergé,  entre  autres  Evolque,  diacre  de  saint  Eusèbe,  qui  fut 
transporté  dans  le  désert  d'Oasis,  au-delà  de  l'Egypte,  et  le  prêtre  Antiochus, 
son  neveu,  qui  fut  relégué  aux  confins  de  l'Arménie. 

Saint  Basile,  tout  éloigné  qu'il  était,  ne  put  se  résoudre  à  abandonner 
cette  Eglise  affligée,  et  il  continua  ses  soins  et  son  affection  pour  elle  jusqu'à 
la  mort.  11  ne  se  contenta  pas  de  rendre  tous  ces  bons  offices  à  saint  Eusèbe, 
il  tâcha  encore  de  le  servir  par  toute  la  terre,  princinalement  par  les  bons 


SAINT  EUSÈBE,   ÉVÊQUE  DB  SAM03ATE  ET  MARTYR.  485 

témoignages  qu'il  donna  à  la  pureté  de  sa  foi.  Saint  Eusèbe  ayant  élé  taxé 
d'arianisme,  ainsi  que  saint  Mélèce,  dans  une  conférence  que  Dorothée  eut 
à  Rome  avec  Pierre  d'Alexandrie,  en  présence  du  pape  Damase,  saint  Basile 
en  fit  des  reproches  amers  à  Pierre  d'Alexandrie,  l'assurant  qu'il  n'y  avait 
rien  de  si  fort  pour  la  vérité  que  ces  deux  Saints  n'eussent  dit  hautement  et 
avec  une  liberté  tout  entière  ;  à  quoi  il  ajoutait  que,  quand  il  n'aurait  point 
donné  d'autre  preuve  de  leur  foi,  ce  qu'ils  souffraient  de  la  part  des  Ariens 
en  était  une  assez  publique  et  assez  éclatante. 

Les  ravages  que  les  Goths  vinrent  faire  dans  la  Thrace,  ne  firent  qu'aug- 
menter les  souffrances  que  saint  Eusèbe  avait  à  endurer  dans  ce  lieu  de  son 
exil.  Il  y  courut  beaucoup  de  dangers  ;  mais  Dieu  le  délivra  de  tous  les  périls 
où  il  se  trouva  exposé,  par  des  effets  sensibles  de  sa  protection  particulière. 
C'est  ce  qu'il  fit  savoir  à  saint  Basile,  par  le  diacre  Libanius  :  et  ce  Saint, 
après  en  avoir  rendu  grâces  à  Dieu,  écrivit  à  Eusèbe  par  le  prêtre  Paul, 
pour  le  prier  de  lui  donner  une  connaissance  exacte  de  tout  ce  qui  lui 
était  arrivé. 

Sur  ces  entrefaites,  Gratien  étant  devenu  le  maître  de  l'empire  par  la 
mort  de  Valens,  rappela  aussitôt  tous  ceux  que  ce  prince  avait  bannis  pour 
la  foi.  Saint  Eusèbe,  à  peine  rétabli  sur  son  siège,  recommença  ses  voyages 
pour  procurer  de  bons  pasteurs  aux  fidèles  abandonnés.  Son  exil  parut  avoir 
donné  à  son  zèle  un  nouveau  degré  de  force  et  d'activité.  Par  ses  soins,  les 
villes  de  Bérée,  d'Hiéraple,  de  Chalcide  et  de  Cyr  eurent  des  évoques  catho- 
liques. Il  assista  au  concile  d'Antioche,  en  379,  et  il  y  est  marqué  le  premier 
après  saint  Mélèce.  La  même  année,  comme  il  accompagnait  Maris  ,  qui 
allait  prendre  possession  du  siège  de  Dolique,  petite  ville  de  la  Comagène, 
alors  infectée  de  l'arianisme,  une  femme  hérétique,  l'ayant  vu  passer  dans  la 
rue,  lui  cassa  la  tête  avec  une  tuile  qu'elle  lui  jeta  de  dessus  le  toit  de  sa 
maison.  Il  mourut  quelques  jours  après  de  la  blessure  qu'il  avait  reçue.  Se 
voyant  près  d'expirer,  et  prévoyant  qu'on  ne  voudrait  pas  laisser  impuni 
l'attentat  dont  il  était  la  victime,  il  fit  promettre  par  serment  à  ceux  qui 
l'assistaient  à  la  mort,  de  ne  point  poursuivre  en  justice  la  femme  qui  l'avait 
blessé,  pour  imiter,  autant  qu'il  lui  serait  possible,  son  Seigneur,  qui  pria 
sur  la  croix  pour  ceux  qui  l'avaient  crucifié,  en  disant  :  a  Mon  père,  par- 
donnez-leur, car  ils  ne  savent  ce  qu'ils  font  »;  et  saint  Etienne,  serviteur  de 
Jésus-Christ  comme  lui,  qui ,  accablé  sous  les  pierres  qu'on  lui  jetait, 
s'écria,  les  yeux  au  ciel  :  «  Seigneur,  ne  leur  imputez  pas  ce  péché  ».  Les 
officiers  de  justice  voulurent  néanmoins  poursuivre  ceux  qui  avaient  pris 
part  à  sa  mort  ;  mais  les  catholiques  obtinrent  qu'ils  n'en  seraient  point 
punis.  <(  Telle  fut  »,  dit  Théodoret,  «  la  fin  de  la  vie  sainte,  de  tant  de  com- 
bats et  de  si  glorieux  travaux  du  grand  Eusèbe.  Après  avoir  échappé  à  la 
fureur  des  barbares  dans  la  Thrace,  il  ne  put  éviter  la  cruauté  des  hérétiques  : 
mais  leur  inhumanité  ne  servit  qu'à  lui  acquérir  la  couronne  du  martyre  ». 
On  place  sa  mort  vers  380.  Saint  Eusèbe  est  honoré  par  les  Grecs  le  22  juin, 
et  le  21  du  môme  mois  par  les  Latins, 

et.  Dom  Cellier;  Oraesctri,  «ttt 


186  21  JUIN. 

SAINT  LEUFROI  \  ABBÉ  DE  LA  CROIX 

AU  DIOCÈSE  D'EVREUX 
738.  —  Pape  :  Grégoire  III.  —  Roi  de  France  :  Thierry  IV. 


Vers  divitis  non  opes  sunt,  sed  virtutes,  quas  secum 
conscientia  portai,  ut  in  perpetuum  dives  fiât. 

Les  vraies  richesses,  ce  ne  sont  pas  les  biens  ter- 
restres, mais  les  vertus  que  la  conscience  porte  en 
elle-même  pour  être  riche  dans  l'éternité. 

S.  Bernard,  serm.  iv  de  Aduentu. 

Le  pays  de  Neustrie,  avant  l'irruption  des  Normands,  avait  déjà  porté 
d'excellentes  fleurs  de  sainteté,  dont  l'agréable  odeur  embaumait  l'Eglise 
militante,  et  qui  avaient  mérité,  par  leur  beauté,  d'aller  servir  d'ornement 
à  l'Eglise  triomphante.  Une  des  principales  était  saint  Leufroi,  abbé,  dont 
nous  allons  donner  la  vie.  Il  naquit  au  diocèse  d'Evreux,  l'un  des  plus  con- 
sidérables de  cette  province,  de  parents  nobles,  riches  et  craignant  Dieu. 
L'historien  de  sa  vie  dit  qu'il  ne  fut  pas  plus  tôt  en  âge  de  se  connaître, 
que,  se  sentant  touché  du  désir  d'embrasser  l'état  ecclésiastique,  il  sollicita 
instamment  ses  parents  de  le  faire  étudier  pour  s'en  rendre  capable  ;  mais 
ne  l'ayant  pu  obtenir,  parce  que  leur  amour  pour  lui  ne  leur  permettait 
pas  de  se  résoudre  à  le  perdre  de  vue,  il  se  retira  secrètement  et  sans  leur 
en  rien  dire,  chez  l'économe  ou  trésorier  de  l'église  de  Saint-Taurin,  au 
faubourg  d'Evreux,  qui  instruisait  quelques  enfants.  Ses  parents,  inquiets 
de  son  absence,  le  firent  chercher  de  tous  côtés.  On  le  trouva  dans 
l'église  de  Saint-Taurin  :  on  le  réprimanda  d'avoir  ainsi  abandonné  sa 
famille  et  inquiété  ses  parents  ;  il  répondit  qu'il  avait  suivi  l'inspiration  de 
Dieu,  et  que,  d'ailleurs,  l'Evangile  conseillait  de  préférer  Jésus-Christ  à 
tout,  même  à  son  père  et  à  sa  mère.  Ses  parents  lui  laissèrent  la  liberté  de 
,suivre  sa  vocation.  Quand  il  eut  épuisé  la  science  de  son  mcfttre,  il  alla 
d'abord  à  Condé,  puis  à  Chartres  où  les  lettres  florissaient  :  il  y  trouva,  en 
effet,  d'excellentes  écoles.  Comme  il  était  très-capable  et  très-assidu  à 
l'étude,  il  surpassa  tous  ses  condisciples  et  fit  l'admiration  de  ses  maîtres  ; 
sa  modestie  et  sa  piété  n'étaient  pas  moindres  que  sa  science.  Tant  de  vertus 
lui  firent  des  envieux  ;  pour  leur  ôter  cette  occasion  de  péché,  il  sortit  de 
Chartres  et  retourna  au  lieu  de  sa  naissance.  Il  y  enseigna  les  lettres  et  la 
vertu  aux  enfants  des  plus  illustres  familles  du  voisinage.  Il  vivait  dans  la 
retraite  avec  ses  chers  élèves  ;  sa  maison  n'était  ouverte  que  pour  eux  et 
pour  les  pauvres,  qu'il  recevait  comme  frères.  Il  fit  bâtir,  à  côté,  une  cha- 
pelle, dont  l'entrée,  comme  celle  de  sa  maison,  fut  interdite  aux  femmes.  Il 
vivait  donc  là  comme  dans  un  monastère,  aussi  régulier,  aussi  austère  qu'un 
religieux.  Néanmoins,  Dieu  lui  fit  ressentir  une  vive  impression  de  ces  pa- 
roles de  l'Evangile  :  «  Si  tu  veux  être  parfait,  va-t'en  ;  vends  tout  ce  que  tu 
as  et  donnes-en  le  prix  aux  pauvres,  et  après,  viens  à  ma  suite  ».  Il  comprit 
donc  que  Dieu  l'appelait  à  quelque  chose  de  plus  excellent  que  ce  qu'il 

1.  Leufredut,  Leutfredus  et  Leotfridus. 


SAINT  LEUFROI,   ABDÉ  DE  LA  CROIX.  181 

était,  et  qu'il  devait  embrasser  la  vie  monastique.  Dans  cette  pensée,  il  in- 
vita chez  lui  son  père  et  sa  mère  et  plusieurs  de  ses  parents  et  de  ses  amis  ; 
et  après  les  avoir  bien  traités  et  leur  avoir  fait  à  chacun  des  présents,  il  les 
pria  de  passer  la  nuit  en  repos  dans  sa  maison,  pendant  qu'il  ferait  ce  que 
Notre-Seigneur  lui  avait  inspiré.  Ainsi,  sans  s'expliquer  ni  se  faire  compren- 
dre davantage,  pendant  que  tout  le  monde  dormait,  il  se  retira  secrètement 
pour  aller  chercher  une  solitude.  En  chemin,  il  rencontra  un  pauvre  mal 
vêtu  qui  lui  demanda  l'aumône  ;  il  en  eut  compassion  et  lui  donna  son  man- 
teau. Un  peu  plus  loin,  il  en  rencontra  un  autre  aussi  misérable  que  le  pre- 
mier :  son  cœur  fut  encore  touché  de  sa  misère  ;  et  il  lui  donna  une  partie 
des  habits  qui  lui  restaient  sur  le  corps.  Il  alla  demander  l'hospitalité  pour 
la  nuit  au  petit  monastère  de  la  Varenne  (probablement  Notre-Dame  de  la 
Garenne,  près  de  Gaillon).  Les  religieuses  voulurent  le  retenir  ;  mais  sentant 
bien  que  ce  n'était  pas  là  le  lieu  oti  Dieu  l'appelait,  il  prit  congé  d'elles  et 
passa  outre.  Le  Saint-Esprit  l'adressa  ensuite  à  un  saint  solitaire  nommé 
Bertrand,  à  Cailly  \  Ils  furent  ainsi  quelque  temps  ensemble,  s'occupant  à 
chanter  les  louanges  de  Dieu.  Mais  Bertrand  étant  appelé  ailleurs,  Leufroi 
demeura  seul  possesseur  de  l'ermitage.  Il  s'y  renferma  dans  une  caverne, 
où,  passant  les  jours  et  les  nuits  dans  le  jeûne,  la  prière  et  les  larmes  qu'il 
versait  continuellement,  il  demandait  à  Dieu  qu'il  lui  plût  le  conduire  et  lui 
faire  connaître  sa  volonté. 

Sa  prière  ne  fut  pas  inutile  ;  car  Dieu,  qui  l'avait  choisi  de  toute  éternité 
pour  le  saiut  de  plusieurs,  lui  donna  la  pensée  d'aller  à  Rouen  trouver  le 
bienheureux  Saëns  (Sidonius)  qui,  étant  passé  d'Irlande  en  France,  gouver- 
nait alors  une  maison  religieuse  auprès  de  cette  ville  ;  quelques-uns  croient 
que  c'était  l'abbaye  de  Saint-Pierre,  plus  tard  Saint-Ouen.  11  reçut  de  lui  la 
tonsure  monacale  et  l'habit  religieux,  et  fit  ensuite  le  vœu  d'obéissance 
entre  ses  mains,  sachant  qu'il  est  écrit  :  «  L'obéissance  est  plus  agréable  à 
Dieu  que  les  victimes,  et  suivre  son  jugement  et  sa  volonté,  comme  si 
c'étaient  des  divinités  dignes  de  respect,  c'est  une  espèce  de  superstition  et 
d'idolâtrie  ». 

Ayant  d'avance  le  cœur  dégagé  de  toute  affection  terrestre,  Leufroi  fit 
de  grands  progrès  dans  la  vie  religieuse.  Saint  Ansbert,  archevêque  de 
Rouen,  conçut  pour  lui  une  estime  singulière  :  il  l'appelait  souvent  auprès 
de  lui  avec  saint  Saëns  pour  conférer  avec  eux  sur  les  moyens  d'avancer  la 
gloire  de  Dieu  et  de  procurer  le  salut  des  âmes  dont  la  divine  Providence 
l'avait  chargé.  Un  jour  qu'ils  traitaient  cette  grande  affaire,  l'avis  de  saint 
Ansbert  et  du  vénérable  abbé  fut  que  saint  Leufroi,  à  qui  Dieu  avait  donné 
de  grands  talents  pour  la  conversion  des  pécheurs,  devait  aller  en  son  pays 
pour  combattre  l'infidélité  et  le  libertinage,  et  tâcher  d'amener  à  la  vérité 
de  l'Evangile  un  grand  nombre  d'idolâtres  et  d'impies  qui  croupissaient 
dans  l'état  de  la  damnation  éternelle.  Quelque  difficile  que  parût  cette  mis- 
sion, il  ne  put  s'empêcher  de  l'accepter.  Il  reçut  donc  l'ordre  de  la  prêtrise 
des  mains  du  saint  archevêque,  et,  étant  muni  de  sa  bénédiction,  il  sortit 
de  Rouen  pour  aller  du  côté  d'Evreux,  Lorsqu'il  fut  à  la  Croix- Saint-Ouen, 
qui  est  près  de  Louviers,  et  qui  s'appelle  maintenant  la  Croix-Saint-Leufroi, 
il  eut  une  forte  inspiration  de  s'y  arrêter  et  d'y  faire  bâtir  un  oratoire.  Saint 
Ouen  avait  béni  et  consacré  ce  lieu  et  y  avait  planté  une  croix  de  bois  avec 
des  reliques,  en  mémoire  d'une  croix  lumineuse  qui  lui  était  apparue,  et, 
depuis,  on  y  voyait  une  nuée  fort  éclatante  qui  s'étendait  comme  une 
colonne  depuis  la  terre  jusqu'au  ciel,  et  il  s'y  faisait  beaucoup  de  miracles. 

1.  Diocèse  de  Bouea. 


488  21  JUIN. 

C'était  un  signe  céleste  par  lequel  Dieu  faisait  connaître  qu'il  avait  destiné 
ce  champ  pour  être  la  demeure  de  notre  Saint  et  d'une  compagnie  angé- 
lique  de  religieux  dont  il  devait  être  le  fondateur  et  le  chef.  En  effet,  lors- 
qu'il eut  élevé  un  autel  et  une  croix,  et  bâti  une  chapelle,  un  si  grand 
nombre  de  personnes  le  prièrent  de  les  recevoir  pour  ses  disciples,  et  lui 
présentèrent  ce  qu'ils  avaient  d'or  et  d'argent  pour  commencer  un  monas- 
tère, qu'il  vit  bien  que  Dieu  lui  demandait  cette  bonne  œuvre.  Les  seigneurs 
des  environs  donnèrent  aussi  des  héritages  pour  la  subsistance  de  ceux  qui 
se  consacreraient  en  cet  endroit  au  service  de  Jésus-Christ.  On  y  vit  donc 
bientôt  une  riche  maison  et  une  communauté  destinée  à  chanter  continuel- 
lement les  louanges  de  Dieu.  L'église  eut  pour  titulaire  la  Sainte-Croix,  et 
fut  aussi  consacrée  en  l'honneur  des  saints  Apôtres  et  du  glorieux  saint 
Ouen,  qui  en  était  comme  le  premier  auteur. 

Cependant,  comme  il  n'y  a  point  de  juste  sur  la  terre  qui  ne  soit  sujet  à 
la  persécution,  cet  heureux  succès  de  saint  Leufroi,  dans  l'établissement  de 
sa  nouvelle  maison,  lui  suscita  des  envieux  ;  ils  le  décrièrent  auprès  de 
Didier,  évêque  d'Evreux,  et  le  firent  passer  dans  son  esprit  pour  un  témé- 
raire qui  entreprenait  sur  son  autorité  et  ne  lui  rendait  pas  les  respects  et 
les  déférences  qu'il  lui  devait.  Ce  prélat  ajouta  trop  facilement  foi  à  ces 
calomnies  ;  il  se  rendit  même  au  monastère,  adressa  à  saint  Leufroi  de 
sévères  réprimandes,  des  menaces  même  et,  s'irritant  de  son  calme  et  de  sa 
douceur,  qu'il  prit  pour  une  insulte,  il  ordonna  à  ses  gens  de  le  mettre  sur 
un  cheval  et  de  l'emmener  avec  lui  à  Evreux,  oti  il  délibérerait  sur  ce  qu'il 
aurait  à  faire  de  sa  personne.  Son  commandement  fut  aussitôt  exécuté. 
Mais  à  peine  fut-on  éloigné  d'une  lieue  du  monastère,  que  le  cheval  sur 
lequel  saint  Leufroi  était  monté  tomba  à  terre  et  mourut.  Cet  accident  fit 
ouvrir  les  yeux  à  Didier  ;  il  eut  regret  du  mauvais  traitement  qu'il  faisait  à 
un  si  grand  serviteur  de  Dieu,  se  jeta  à  ses  pieds,  lui  en  demanda  pardon, 
et  le  fit  reconduire  avec  honneur  à  son  monastère,  résolu  de  ne  plus  prêter 
l'oreille  aux  calomnies. 

Saint  Leufroi  fit  ensuite  plusieurs  miracles  qui  le  rendirent  célèbre  par 
toute  la  France.  Il  arrêta  un  grand  embrasement  qui  allait  consumer  tout 
son  monastère  ;  il  fit  sourdre  des  fontaines  en  des  lieux  secs  et  où  le  peuple 
était  en  grande  disette  d'eau  ;  il  chassa  le  démon  du  corps  et  de  l'âme  de 
plusieurs  personnes.  Un  de  ses  religieux  ayant  laissé  tomber  le  fer  de  sa 
cognée  dans  la  rivière  de  l'Eure,  Leufroi  mit  le  bout  de  son  bâton  dans 
l'eau,  et,  à  l'heure  même,  le  fer  remonta  et  se  vint  attacher  à  ce  bâton.  11 
fit  un  voyage  en  Lorraine  vers  Charles  Martel,  qui  gouvernait  la  France 
(sous  le  règne  du  jeune  Dagobert).  Ce  grand  prince  l'avait  reçu  avec  toutes 
sortes  de  témoignages  d'amitié  et  s'était  même  entretenu  longtemps  avec 
lui  des  affaires  de  son  salut,  après  quoi  il  lui  avait  donné  une  expédition 
favorable  des  affaires  pour  lesquelles  il  l'était  venu  trouver.  Mais  à  piene 
l'eut-il  congédié,  que  le  petit  prince  Griphon,  son  troisième  fils,  fut  atta- 
qué d'une  fièvre  si  violente,  qu'on  désespérait  de  sa  vie.  Charles  fit  courir 
promptement  après  saint  Leufroi  ;  on  le  trouva  déjà  à  Laon  :  on  le  fît  reve- 
nir en  Lorraine  ;  et,  par  la  vertu  d'une  eau  bénite  dont  il  arrosa  les  mem- 
bres de  l'enfant,  et  de  la  communion  qu'il  lui  donna  ensuite,  il  le  rétablit 
en  parfaite  santé. 

Dieu  ne  fit  pas  seulement  paraître  le  mérite  de  son  serviteur  par  les 
faveurs  et  les  grâces  qu'il  accorda  à  ceux  qui  l'honorèrent  et  lui  rendirent 
les  respects  qu'ils  lui  devaient;  mais  il  fit  encore  voir,  par  des  exemples,  de 
quel  poids  sont  les  imprécations  des  Saints,  lorsqu'on  se  les  est  attirées  par 


SAINT  leufuoi,  abbé  de  la  croix,  189 

des  paroles  outrageantes  ou  par  le  mépris  de  leurs  personnes.  Une  femme 
voyant  lo  Saint  pocher  par  divertissement  dans  la  rivière  d'Eure,  qui  coule 
le  long  de  son  monastère,  dit  en  murmurant  contre  lui  :  «  Je  pense  que  ce 
CHAUVE  épuisera  toute  la  rivière,  et  qu'on  ne  pourra  plus  pêcher  après  lui». 
Elle  crut  l'avoir  dit  si  secrètement,  que  ni  le  Saint,  ni  nul  autre  ne  l'avait 
pu  entendre.  Mais  Leufroi,  à  qui  Dieu  découvrit  sa  malice,  regardant 
cette  injure  comme  faite  à  l'auteur  de  la  nature  plutôt  qu'à  lui,  lui 
répondit  aussitôt  :  «  Pourquoi,  femme,  m'envies-tu  un  bien  qui  m'est 
commun  avec  le  reste  des  hommes?  Et  pourquoi  me  reproches-tu  un 
défaut  qui  vient  de  la  nature  et  non  de  ma  volonté?  Je  prie  Dieu  qu'en 
punition  de  ta  faute,  le  derrière  de  ta  tête  et  de  celle  de  tous  tes  descen- 
dants n'ait  jamais  plus  de  cheveux  que  j'en  ai  sur  le  front  ».  Sa  parole  fut 
aussitôt  accomplie  ;  et  l'auteur  de  sa  vie  assure  que,  de  son  temps,  on  eu 
voyait  encore  tous  les  jours  l'accomplissement.  Un  homme  ayant  dérobé 
quelques  meules  de  son  monastère,  il  en  fit  ses  plaintes  devant  le  juge  du 
lieu  et  en  poursuivit  instamment  la  restitution  ;  celui  qui  était  coupable  du 
vol  s'emporta  furieusement  contre  lui  à  l'audience,  et  l'appela  publique- 
ment menteur  et  calomniateur.  Le  Saint  lui  répondit  seulement  :  «  Que 
Dieu  soit  juge  entre  loi  et  moi  !  »  et,  à  l'heure  môme,  on  vit  ce  misérable 
saisi  de  douleurs  et  cracher  toutes  ses  dents  devant  l'assemblée  :  ce  que 
firent  aussi  tous  ses  enfants  ;  et,  depuis,  toute  sa  postérité  n'a  point  eu  de 
dénis.  Un  jour  de  dimanche,  étant  sorti  de  son  monastère  après  la  célébra- 
tion des  saints  Mystères,  il  trouva  des  paysans  qui  labouraient  leur  terre, 
sans  aucun  respect  pour  la  sainteté  de  ce  jour,  consacré  aux  louanges  de 
Dieu  ;  il  jeta  un  profond  soupir  et  leur  dit  :  «  Comment,  misérables,  vous 
êtes-vous  laissés  aller  à  un  si  grand  crime  ?  »  Puis,  levant  les  yeux  au  ciel, 
et  répandant  beaucoup  de  larmes,  il  dit  à  Dieu  :  «  Seigneur,  que  cette  terre 
soit  éternellement  stérile,  et  que  jamais  on  n'y  voie  ni  de  grains  ni  de 
fruits  !  »  Sa  malédiction  eut  infailliblement  son  effet,  et  ce  champ  n'a  depuis 
porté  que  des  ronces  et  des  chardons,  et  on  n'a  pu  même  y  faire  croître  des 
noyers  ni  d'autres  arbres.  Un  autre  jour,  revenant  des  plaids,  où  il  était  allé 
redemander  quelques  héritages  de  son  couvent,  que  des  séculiers  avaient 
usurpés,  il  entra  dans  la  maison  de  l'un  de  ses  amis  pour  s'y  reposer  :  c'était 
le  temps  des  grandes  chaleurs,  et  les  mouches  étaient  si  importunes,  qu'il 
ne  pouvait  prendre  un  moment  de  repos;  mais  à  peine  eut-il  courbé  sa  tête 
sur  ses  mains  pour  prier,  que  toutes  ces  mouches  disparurent;  et  depuis 
l'on  n'en  a  pas  vu  une  seule  en  celte  maison. 

Nous  ne  pouvions  nous  dispenser  de  parler  d'un  célèbre  combat  qu'il 
eut  avec  le  démon,  oii  il  humilia  cet  orgueilleux,  et  lui  fit  souffrir  une  con- 
fusion d'autant  plus  grande,  que  son  effronterie  avait  été  plus  insupportable. 
Comme  ses  disciples  étaient  extrêmement  fervents,  la  plupart  se  levaient 
longtemps  avant  Matines,  et  venaient  passer  plusieurs  heures  au  chœur  en 
oraison  mentale,  avant  qu'on  éveillât  la  communauté.  Le  Saint  les  préve- 
nait le  plus  souvent,  et,  lorsqu'ils  arrivaient  à  l'église,  ils  avaient  la  conso- 
lation de  le  trouver  à  sa  place  déjà  tout  élevé  en  Dieu,  et  tout  abîmé  dans 
la  contemplation  de  ses  perfections.  Un  jour  que  les  affaires  de  sa  charge 
l'empêchèrent  de  s'y  rendre  à  son  ordinaire,  le  démon  prit  sa  figure  ;  et, 
pour  se  faire  saluer  par  ses  religieux,  il  se  mit  en  sa  chaire  avec  de  belles 
apparences  de  modestie  et  de  dévotion.  Il  eut  quelque  temps  la  satisfaction 
qu'il  prétendait  :  car  les  premiers  qui  entrèrent  ne  doutèrent  nullement 
que  ce  ne  fût  leur  abbé  ;  ils  lui  firent,  selon  la  coutume,  une  inclination 
profonde,  ne  croyant  pas  saluer  le  loup  pour  le  pasteur.  Mais  la  fourberie 


190  21  JUIN. 

ne  fut  pas  longtemps  sans  être  découverte,  ni  sans  une  juste  punition  :  un 
des  frères,  qui  venait  de  quitter  le  Saint  dans  sa  chambre,  s'étonnant  de 
trouver  au  chœur  sa  ressemblance,  alla  promptement  l'avertir  de  ce  qui  se 
passait  ;  le  Saint,  à  qui  Dieu  fit  connaître  que  c'était  un  prestige  du  malin 
esprit,  étant  accouru  à  l'église,  après  avoir  fait  le  signe  de  la  croix  sur  la 
porte  et  sur  les  fenêtres,  commença  à  frapper  ce  spectre  avec  une  sainte 
colère,  sachant  bien  qu'il  sentirait  spirituellement  les  coups  qu'il  lui  don- 
nerait corporellement. 

Le  démon  pouvait  disparaître  à  l'instant  même  en  dissipant  le  corps 
qu'il  s'était  formé  ;  mais  Dieu  ne  le  lui  permit  pas,  pour  faire  paraître 
davantage  la  puissance  de  son  serviteur  ;  alors  le  démon  n'osant  plus  appro- 
cher des  lieux  où  le  signe  de  la  croix  avait  été  imprimé,  fut  obligé,  pour 
sortir,  de  s'attacher  à  la  corde  de  la  cloche,  et  de  se  sauver  par  le  clocher. 
Les  religieux  reconnurent,  par  un  événement  si  extraordinaire,  d'un  côté, 
qu'ils  avaient  un  ennemi  puissant  et  rusé  qui  tâchait  de  les  surprendre  ;  et, 
de  l'autre,  qu'ils  avaient  en  leur  saint  Abbé  un  admirable  protecteur,  qui 
était  terrible  à  Satan  même,  et  sous  lequel  ils  pouvaient  vivre  dans  une 
sainte  assurance. 

Yoici  une  autre  action  de  saint  Leufroi,  qui  ne  mérite  pas  moins  d'être 
connue  que  la  précédente.  Un  de  ses  religieux  étant  mort,  on  trouva  dans 
ses  habits  trois  pièces  d'argent,  qui  marquaient  qu'il  avait  violé  son  vœu  de 
pauvreté.  Le  Saint  en  étant  informé,  fut  saisi  d'une  extrême  douleur  et  fré- 
mit de  tout  son  corps  ;  mais,  ne  voulant  pas  qu'un  crime  si  pernicieux  prît 
pied  dans  sa  maison,  il  jugea  à  propos  de  retrancher  ce  mort  de  la  compa- 
gnie des  autres  frères,  et  ordonna  qu'on  l'enterrât  hors  du  cimetière  com- 
mun ;  et  que,  jetant  son  argent  sur  son  corps,  on  lui  dît,  comme  saint 
Pierre  à  Simon  le  Magicien  :  «  Que  ton  argent  périsse  avec  toi  !  »  Cet  ordre 
fut  fidèlement  exécuté,  et  le  misérable  propriétaire  fut  enterré  en  terre 
profane.  Mais  comme  le  saint  Abbé  avait  quelque  croyance  qu'il  était  mort 
pénitent  de  sa  faute,  et  que  Dieu  lui  avait  fait  miséricorde,  il  fit  pour  lui 
une  retraite  de  quarante  jours  qu'il  passa  en  des  jeûnes,  des  prières  et  des 
larmes  continuelles,  demandant  instamment  à  Notre-Seigneur  qu'il  eût  pitié 
de  celui  qui  avait  passé  tant  d'années  dans  les  exercices  de  la  mortification 
religieuse.  Il  fut  exaucé  ;  Dieu  lui  fit  connaître  qu'ayant  donné  au  défunt 
la  grâce  de  la  pénitence  à  la  mort,  il  le  délivrait,  à  sa  prière,  des  flammes 
du  purgatoire,  auxquelles  il  était  condamné  pour  l'expiation  de  sa  faute. 
Ainsi  le  Saint  fit  déterrer  et  apporter  son  corps  avec  ceux  de  ses  confrères, 
pour  avoir  avec  eux  une  résurrection  commune. 

Il  nous  reste  encore  à  dire  que  saint  Leufroi,  rempli  de  miséricorde  en- 
vers les  pauvres,  ne  se  contenta  pas  de  leur  faire  de  grandes  aumônes  de 
son  vivant,  et  de  leur  distribuer  dans  la  nécessité  les  revenus  de  son  monas- 
tère :  pour  étendre  sa  charité  même  après  sa  mort  et  dans  les  siècles  sui- 
vants, il  fit  bâtir,  auprès  de  sa  maison,  pour  les  recevoir,  un  bel  hôpital  à 
l'entretien  duquel  il  appliqua  des  héritages  particuliers  qu'il  rendit,  par  ce 
moyen,  le  bien  et  le  patrimoine  des  pauvres.  Cette  action  fut  comme  le 
couronnement  de  toutes  les  autres  ;  et  bientôt  après,  étant  arrivé  à  une 
extrême  vieillesse,  et  sentant,  par  les  attaques  de  la  fièvre,  que  le  temps  de 
sa  récompense  approchait,  il  envoya  des  eulogies,  c'est-à-dire  des  présents 
de  dévotion,  dans  toutes  les  maisons  de  piété  du  voisinage,  pour  se  recom- 
mander aux  prières  des  serviteurs  et  des  servantes  de  Dieu,  et  afin  qu'ils  lui 
procurassent,  par  leur  intercession,  la  grâce  d'un  heureux  décès.  11  assembla 
aussi  ses  disciples  autour  de  lui,  et  leur  fit  une  exhortation  pleine  de  fer- 


SAINT  LEUFROÏ,    ABBÉ  DE  LA   CHOIX.  191 

vcur  pour  les  porter  à  la  persévérance.  Enfin,  après  avoir  reçu  le  Viatique 
et  rExtrôme-Onction  avec  une  dévotions!  édifiante,  qu'elle  tirait  les  larmes 
des  yeux  de  tous  les  religieux,  et  avoir  passé  toute  la  dernière  nuit  en  une 
oraison  continuelle,  il  rendit  son  bienheureux  esprit  le  matin  du  21  juin, 
vers  l'année  738  :  il  avait  gouverné  quarante-huit  ans  son  monastère. 

On  le  représente  avec  un  ou  plusieurs  enfants  près  de  lui,  parce  qu'il 
est  célèbre  pour  la  guérison  des  enfants  malades  ;  faisant  sortir  du  sol,  au 
moyen  de  son  bâlon,  une  source  pour  récompenser  un  paysan  qui  lui  avait 
donné  à  boire,  mais  qui  se  plaignait  de  la  pénurie  d'eau  ;  dissipant  une 
nuée  de  moucherons,  pour  décharger  de  ce  souci  le  religieux  qui  prenait 
soin  du  réfectoire,  où  ces  animaux  s'étaient  multipliés  outre  mesure. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Son  saint  corps  fut  déposé  dans  «ne  église  qu'il  avait  fait  bâtir,  en  l'honneur  de  saint  Paul, 
dans  l'enceiute  de  son  abbaye,  et  y  demeura  plus  d'un  siècle  ;  mais  l'an  851,  selon  les  chroniques 
du  Breuil,  il  fut  levé  de  terre  et  transféré,  par  Gombert,  évèque  d'Evreux,  dans  l'ancienne  éf.'ise 
de  la  Croix-Saint-ûuen,  qui  prit  ensuite  le  nom  de  Sainl-Leufroi.  Depuis,  les  Normands  s'étauljelés 
en  France  et  pillant  tous  les  lieux  sacrés  de  la  Neustrie,  il  fut  apporté  à  Paris  par  les  religieux  de 
son  monastère  qui  s'y  vinrent  réfugier,  et  déposé  dans  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Germain  des 
Prés.  Cependant,  l'année  1222,  Gui,  évèque  de  Carcassonne,  transféra  ces  saintes  reliques  de  leur 
ancienne  châsse  en  une  autre  plus  riche  et  mieux  travaillée.  L'abbé  de  la  Croix-Saint-Leufroi,  qui 
était  présent  à  cette  translation,  en  obtint  trois  ossements  pour  son  abbaye  ;  à  savoir  :  deux  petits 
du  pouce  et  un  grand  du  bras,  qui  est  celui  qui  s'étend  depuis  le  coude  jusqu'au  poignet.  11  les 
porta  ensuite  à  l'église  d'où  ils  avaient  été  apportés  ;  et  la  joie  des  religieux  en  fut  si  grande, 
qu'ils  en  établirent  une  solennité  annuelle  ;  ils  l'appelèrent  la  fête  du  retour  ou  de  la  translation 
des  reliques  de  saint  Leufroi  •.  Les  habitants  de  Suresnes,  à  deux  lieues  de  Paris,  vassaux  de 
l'abbaye  de  Saint-Germain,  eurent  aussi  une  côte  de  ce  saint  confesseur,  pour  en  enrichir  leur 
paroisse,  qui  le  reconnaît  pour  patron  et  titulaire  ;  mais,  comme  ils  la  perdirent  dans  la  suite,  ils 
en  obtinrent,  en  1577,  deux  autres  ossements  plus  considérables;  un  de  la  cuisse  et  le  menton  avec 
trois  dents.  Ce  trésor,  néanmoins,  ne  leur  demeura  pas  longtemps;  car,  treize  ans  après,  leur 
église  ayant  été  brûlée  par  les  hérétiques,  ces  reliques  y  furent  entièrement  consumées;  ils  eurent 
recours  une  troisième  fois  à  la  charité  des  religieux  de  Saint-Germain,  qui,  après  les  avoir  exhortés 
à  s'amender  et  à  commencer  une  vie  plus  chrétienne,  pour  ne  se  pas  rendre  indignes  de  la  pré- 
sence de  leur  saint  protecteur,  leur  donnèrent  le  doigt  du  milieu  de  l'une  de  ses  mains,  avec  un 
autre  ossement  d'une  de  ses  jambes;  ils  furent  portés  en  procession  dans  leur  nouvelle  église,  par 
on  grand  nombre  de  religieux,  accompagnés  des  curés,  des  prêtres  et  de  presque  tout  le  |)euple, 
tant  de  Suresnes  que  de  Puteaux  :  ce  qui  fut  fait  le  28  août  de  l'année  1590.  Depuis,  l'on  y  célèbre 
deux  fois  la  fête  de  saint  Leufroi  :  le  jour  de  son  décès  et  le  jour  de  cette  dernière  translation. 

Les  reliques  de  saint  Leufroi,  qui  se  trouvaient  à  Saint-Germain  des  Prés,  furent  profanées  et 
détruites  en  1793.  L'église  de  Suresnes,  plus  heureuse,  en  conserve  encore. 

Le  2  mars  1741,  de  Rochechouart,  évèque  d'Evreux,  supprima  la  mense  conventuelle  de  la 
Croix-Saint-Leufroi  et  l'unit  au  petit  séminaire  d'Evreux.  Le  monastère  ayant  été  démoli,  on  trans- 
féra de  l'église  conventuelle  dans  l'église  paroissiale  (l'église  de  Saint-Paul,  bâtie  par  saint  Leufroi), 
un  morceau  considérable  de  la  vraie  Croix,  l'os  d'un  bras  de  saint  Leufroi,  qu'on  y  voit  encore 
aujourd'hui,  et  plusieurs  autres  reliques. 

Voir  Surius  et  les  Bollandistes, 
1.  Le  8  juin. 


192  21  JUIN. 


SAINT  LOUIS  DE  GONZAGUE, 

DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS 


1568-1591.  —  Papes  :  Pie  V;  Innocent  IX.  —  Emjiereurs  d'Allemagne  :  Maximilien  II; 

Rodolphe  II. 


Celui  qui  néglige  d'aider  l'âme  de  scn  procliain  ne 
sait  pas  aimer  Dieu,  puisqu'il  ne  cherche  pas  à 
augmenter  sa  gloire. 

Maxime  de  saint  Louis  de  Gonzague. 

Quelque  illustre  que  soit  la  maison  de  Gonzague,  une  des  premières  de 
toute  l'Italie,  nous  pouvons  dire  néanmoins  qu'elle  a  reçu  plus  d'éclat  en 
donnant  au  ciel  le  Saint  dont  nous  allons  écrire  la  vie,  qu'elle  n'en  avait 
pour  avoir  donné  des  marquis  à  Montferrat,  des  ducs  à  Mantoue  et  des  car- 
dinaux à  l'Eglise.  Il  eut  pour  père  Fernand  ou  Ferdinand  de  Gonzague, 
marquis  de  Castiglione,  prince  du  Saint-Empire;  et  pour  mère  Marthe 
Tana  Santena,  fille  de  Tano  Santena,  seigneur  de  Chieri,  en  Piémont. 
Philippe  II,  roi  d'Espagne,  et  Elisabeth  de  France,  son  épouse,  à  la  cour 
desquels  ils  étaient  l'un  et  l'autre,  les  avaient  mariés  ensemble  par  une 
affection  singulière  qu'ils  leur  portaient;  mais,  après  leur  mariage,  ils  se 
retirèrent  en  Italie,  oti  la  marquise,  qui  était  fort  pieuse,  se  voyant  déli- 
vrée du  bruit  et  des  soins  de  la  cour,  s'adonna  entièrement  aux  exercices 
de  la  vertu.  Le  désir  de  se  voir  mère  lui  fit  faire  des  prières  à  Dieu  pour  en 
obtenir  un  fils,  non  point  pour  être  le  soutien  de  sa  famille,  mais  pour 
servir  Jésus-Christ.  Ses  vœux  furent  enfin  exaucés.  Mais  cette  joie  fut  bien- 
tôt traversée  par  l'appréhension  de  le  perdre  avant  même  de  le  posséder  : 
car  elle  souffrit  de  si  grandes  douleurs  dans  ses  couches  et  tomba  dans  une 
telle  faiblesse,  qu'au  jugement  des  médecins  la  mère  ni  l'enfant  ne  pouvaient 
vivre.  En  cet  état,  elle  eut  recours  à  la  sainte  Vierge,  et  fit  vœu  que,  si  elle 
et  son  fils  échappaient  de  ce  péril,  elle  irait  en  pèlerinage  à  Notre-Dame  de 
Lorette,  et  y  porterait  son  enfant  pour  le  lui  offrir.  Elle  n'eut  pas  plus  tôt 
achevé  cette  promesse,  que  l'enfant  vint  au  monde  plein  de  vie,  le  9  mars 
de  l'an  1568,  sous  le  pontificat  de  saint  Pie  V.  Les  cérémonies  de  son  bap- 
tême se  firent  le  20  avril  de  la  môme  année,  et  il  eut  pour  parrain  Guil- 
laume, duc  de  Mantoue. 

La  marquise,  sa  mère,  prit  un  soin  extraordinaire  de  l'élever  dans  la 
crainte  de  Dieu,  et  de  lui  inspirer  de  bonne  heure  les  sentiments  de  la  piété 
chrétienne.  Il  donna  lui-même,  dès  le  berceau,  des  marques  d'une  ten- 
dresse extrême  pour  les  pauvres  ;  car,  lorsqu'il  s'en  présentait  quelques-uns 
devant  lui,  il  se  mettait  à  pleurer  amèrement;  on  ne  pouvait  jamais  l'apai- 
ser qu'en  leur  faisant  l'aumône.  Dès  qu'il  put  parler,  on  lui  apprit  à  pro- 
noncer les  saints  noms  de  Jésus  et  de  Marie,  à  faire  le  signe  de  la  croix  et  à 
réciter  plusieurs  prières  de  dévotion;  ce  qu'il  faisait  avec  beaucoup  de  faci- 
lité. 11  était  si  aimable  et  avait  un  air  si  pieux,  qu'il  semblait  à  ceux  qui  le 
portaient  entre  leurs  bras,  qu'ils  tenaient  un  ange,  à  la  vue  duquel  ils  se 
sentaient  intérieurement  animés  à  la  vertu.  Aussitôt  qu'il  put  marcher,  il 
commença  à  se  retirer  seul,  en  de  petits  coins,  pour  y  prier  Dieu  avec  plus 


SAFNT  LOUIS  DE   GO.NZAGUE,   DE  LA   COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  193 

de  recueillement  et  hors  des  embarras  du  monde.  Sa  vertueuse  mère  était 
ravie  de  voir  ces  inclinations  de  son  fils  pour  la  piété.  Mais  le  marquis,  son 
père,  qui  eût  mieux  aimé  lui  voir  de  l'ardeur  pour  les  armes  et  pour  les 
exercices  de  la  guerre,  le  mena  avec  lui  à  Casai-Major,  où  se  devait  faire  la 
revue  des  troupes  qu'il  avait  levées  pour  le  roi  d'Espagne,  lequel  était  en 
guerre  avec  la  ville  de  Tunis,  afin  que,  conversant  toujours  avec  des  sol- 
dats, il  pût  prendre  une  humeur  guerrière. 

Comme  il  n'avait  encore  alors  que  quatre  ou  cinq  ans,  le  mauvais 
exemple  des  gens  de  guerre  fit  quelque  impression  sur  lui;  il  retint  d'eux 
des  paroles  indécentes  sans  savoir  ce  qu'il  disait;  mais  ayant  été  repris 
par  son  gouverneur,  il  ne  les  proféra  plus  et  évita  ceux  qui  les  disaient. 
Plus  tard,  il  eut  beaucoup  de  confusion  d'avoir  usé  de  ces  mots  grossiers  : 
regardant  cette  licence  comme  un  des  plus  grands  péchés  qu'il  eût  commis 
en  sa  vie,  il  le  pleurait  amèrement,  et  n'y  pensait  jamais  qu'avec  des  senti- 
ments d'une  parfaite  contrition.  Les  pères  et  les  mères  doivent  donc  avoir 
soin  que  leurs  enfants  ne  conversent  qu'avec  des  personnes  bien  réglées, 
puisque  la  fréquentation  de  celles  qui  sont  trop  libres  est  capable  de  les 
corrompre,  quelque  bon  naturel  qu'ils  aient  reçu  de  Dieu. 

A  l'âge  de  sept  ans,  il  fut  tellement  prévenu  des  lumières  du  ciel,  qu'il 
résolut  dès  lors  de  renoncer  à  l'amour  du  siècle,  pour  se  consacrer  tout 
entier  à  l'amour  divin;  depuis,  il  regardait  ce  temps  comme  celui  de  sa 
conversion.  Etant  en  ce  bas-âge,  il  se  trouva  parmi  l'assistance  à  l'exorcisme 
d'un  possédé,  qu'un  religieux  de  grande  sainteté,  de  l'Ordre  de  Saint- 
François,  avait  entrepris.  Les  démons  l'ayant  aperçu,  soit  qu'ils  jugeassent 
ce  qu'il  devait  être  un  jour  par  ce  qu'ils  avaient  déjà  reconnu  en  lui,  soit 
que  Dieu  se  servît  d'eux  pour  faire  éclater  davantage  le  mérite  de  notre 
Saint,  se  mirent  à  crier,  en  le  montrant  au  doigt  :  «  Voyez-vous  cet  enfant  ? 
il  est  destiné  pour  le  ciel,  et  on  lui  prépare  une  grande  gloire  ».  Il  avait 
ses  dévotions  réglées  comme  un  homme  déjà  expérimenté  dans  la  vertu. 
Il  disait  chaque  jour,  à  genoux,  les  sept  Psaumes  de  la  pénitence,  les  heures 
de  Notre-Dame  et  plusieurs  autres  prières  qu'il  s'était  prescrites;  il  était  si 
fidèle  à  s'acquitter  de  cette  pratique,  qu'on  ne  put  pas  même  la  lui  faire 
interrompre  durant  une  fièvre  quarte  qui  le  travailla  huit  mois  entiers;  on 
gagna  seulement  sur  lui  que,  quand  sa  faiblesse  serait  excessive,  quelqu'un 
réciterait  ces  prières  en  sa  présence.  On  ne  put  jamais  non  plus  le  décider 
à  se  servir  de  tapis,  lorsqu'il  se  mettait  à  genoux. 

A  huit  ans,  son  père  le  mena,  avec  Rodolphe,  son  frère  puîné,  à  François 
de  Médicis,  grand-duc  de  Toscane,  pour  les  faire  élever  tous  deux  à  sa 
cour;  mais,  bien  loin  de  se  laisser  corrompre  à  un  air  si  contagieux,  Louis 
y  continua  toujours  ses  mômes  exercices  spirituels;  et,  pour  triompher  plus 
facilement  des  embûches  du  démon,  des  appas  du  monde  et  de  sa  propre 
concupiscence,  il  prit  la  sainte  Yierge  pour  son  avocate,  se  mit  sous  sa 
protection  et  fit  vœu  de  garder  sa  virginité  inviolablement;  cela  lui  attira 
tant  de  grâces,  que,  depuis,  il  ne  sentit  aucun  mouvement,  ni  ne  fut  atta- 
qué d'aucune  pensée  contraire  à  la  pureté.  Aussi,  de  son  côté,  il  faisait  tout 
son  possible  pour  en  éviter  les  occasions;  car  il  ne  regardait  jamais  les 
femmes  fixement,  pas  même  la  marquise  sa  mère,  ni  l'impératrice  Marie, 
au  service  de  laquelle  il  demeura  longtemps;  et  tant  qu'il  fut  à  la  cour,  il 
ne  souffrit  pas  que  les  jeunes  personnes  missent  le  pied  dans  sa  chambre.  Il 
évitait  aussi,  le  plus  qu'il  pouvait,  de  se  trouver  seul  avec  elles  ou  de  leur 
parler.  Sa  pudeur  était  si  grande  que,  quand  il  s'habillait,  il  n'osait  pas 
montrer  le  bout  de  ses  pieds  nus  à  son  valet  de  chambre. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VU.  13 


194  21  JUIN. 

11  commença  à  dix  ans  à  mener  une  vie  plus  retirée  et  à  se  confesser 
plus  souvent,  sans.se  mettre  en  peine  de  ses  compagnons  qui  l'appelaient 
scrupuleux  et  mélancolique,  et  il  fit  une  confession  générale  au  recteur  du 
collège  de  la  Compagnie  de  Jésus,  à  Florence,  avec  une  exactitude  admi- 
rable, et  avec  tant  de  douleur,  qu'il  pleurait  ses  péchés  de  même  que  s'il 
eût  été  le  plus  grand  criminel  du  monde.  L'église  était  le  lieu  où  il  allait 
avec  le  plus  d'inclination.  Il  ne  manquait  pas  de  s'y  rendre  le  matin  pour 
entendre  la  messe,  et  le  soir  pour  assister  au  salut. 

Il  avait  onze  ou  douze  ans,  lorsqu'il  quitta  Florence  pour  aller  à  Man- 
toue  avec  Rodolphe,  son  frère,  parce  que  le  marquis  de  Castiglione,  son 
père,  ayant  été  nommé  gouverneur  du  Montferrat,  par  le  duc  de  ce  nom, 
voulut  que  ses  enfants  demeurassent  à  la  cour  de  son  bienfaiteur.  Mais  il  y 
devint  si  infirme,  soit  par  les  incommodités  qui  lui  survinrent,  soit  par  les 
mortifications  qu'il  y  pratiqua,  qu'il  résolut  d'y  mener  une  vie  retirée  du 
commerce  et  de  la  conversation  des  hommes  :  ce  qui  lui  donna  le  moyen 
de  s'appliquer  à  la  lecture,  particulièrement  à  celle  de  la  Vie  des  Saints,  et 
de  ne  fréquenter  que  les  églises  et  les  monastères.  Ce  fut  alors  qu'il  prit  la 
résolution  de  céder  à  son  cadet  ce  qui  lui  appartenait  par  droit  d'aînesse, 
quoiqu'il  en  eût  déjà  été  investi  par  l'empereur,  pour  embrasser  l'état  ec- 
clésiastique et  vaquer  plus  librement  à  Dieu;  car  il  n'eut  point  en  vue  les 
bénéfices  ni  les  dignités  qu'il  pouvait  espérer,  comme  il  est  assez  ordinaire 
aux  personnes  de  qualité  ;  mais  il  n'envisagea  que  la  gloire  de  Jésus-Christ 
et  sa  propre  perfection,  qu'il  croyait  ne  pouvoir  trouver  qu'en  se  dévouant 
au  culte  des  autels  et  en  foulant  aux  pieds  toutes  les  vanités  du  siècle. 

Cependant  le  pieux  jeune  homme  dépérissait  :  il  était  considérablement 
affaibli,  d'une  maigreur  extrême,  et  son  estomac  se  refusait  aux  aliments 
même  les  plus  légers;  il  était  tombé  dans  un  état  de  langueur  qui  mettait 
ses  jours  en  danger.  Le  marquis  de  Castiglione,  en  étant  averti,  ordonna 
que  ses  enfants  fussent  ramenés  à  son  château,  dans  l'espoir  que  l'air  natal 
et  les  soins  maternels  de  Marthe  rendraient  la  santé  à  son  fils.  De  retour  à 
Castiglione,  il  continua  de  travailler  de  plus  en  plus  à  la  vertu.  Il  s'enfer- 
mait ordinairement  dans  sa  chambre,  afin  de  n'être  point  interrompu  dans 
ses  prières.  Ses  domestiques  l'ont  vu  souvent  prosterné  par  terre  devant 
un  crucifix,  les  bras  étendus  et  élevés  au  ciel  ou  croisés  sur  la  poitrine, 
fondant  en  larmes  et  jetant  des  soupirs  capables  de  toucher  les  cœurs  les 
plus  endurcis.  D'autres  fois,  ils  le  voyaient  ravi  en  extase  et  immobile 
comme  une  statue.  Il  s'attacha  particulièrement  à  la  lecture  du  livre  du 
Père  Canisius,  de  la  Compagnie  de  Jésus,  oh  il  apprit  à  faire  l'oraison;  il 
prenait  aussi  plaisir  à  lire  les  relations  des  Indes,  ce  qui  l'affectionna  insen- 
siblement à  la  société  et  lui  fit  former  le  dessein  d'y  entrer  pour  travailler 
au  salut  des  âmes  et  à  la  conversion  des  idolâtres.  Les  dimanches  et  jours 
de  fête,  après  avoir  assisté  au  catéchisme,  il  réunissait  quelques  enfants  et 
leur  expliquait  l'instruction  qu'il  avait  entendue;  il  y  joignait  de  sages 
conseils  eft  de  pieux  encouragements. 

En  ce  temps-là,  saint  Charles  Borromée,  archevêque  de  Milan,  passa  par 
Castiglione;  notre  Bienheureux  eut  le  bonheur  de  l'entretenir  plusieurs 
fois,  avec  tant  d'esprit  et  d'édification,  que  ce  grand  prélat  ne  pouvait  se 
lasser  d'admirer  les  grâces  que  Notre-Seigneur  faisait  à  ce  jeune  homme.  II 
l'exhorta  à  s'approcher  souvent  de  la  sainte  communion,  et  ayant  appris 
de  lui  qu'il  ne  l'avait  pas  encore  reçue,  il  la  lui  donna  de  ses  propres 
mains.  Depuis,  notre  Saint  fut  toujours  si  dévot  envers  le  très- saint  Sacre- 
ment, qu'il  fondait  en  larmes  quand  il  entendait  la  sainte  messe. 


SAINT  LOUIS  DE   GOXZAGUE,   DB  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  195 

Ayant  reçu  de  son  père  ordre  de  le  venir  trouver  de  Castiglione  à  Casai, 
il  s'y  rendit  en  diliyence,  toujours  résolu  de  ne  point  abandonner  le  parti 
de  la  vertu.  En  effet,  par  ses  pieux  exercices  et  par  les  fréquentes  conver- 
sations qu'il  eut  avec  les  Capucins  et  les  Barnabites,  il  y  fit  de  tels  progrès 
qu'il  entreprit  de  quitter  tout  à  fait  le  monde  et  d'ajouter  au  vœu  de  virgi- 
nité qu'il  avait  déjà  fiiit  à  Florence,  ceux  d'obéissance  et  de  pauvreté.  Mais 
comme  il  n'avait  encore  que  treize  ans,  il  tint  secret  ce  dessein,  jusqu'à  ce 
qu'il  fût  en  âge  de  l'exécuter;  et,  en  attendant,  il  pratiqua  les  mômes  aus- 
térités et  les  mômes  mortiûcations  que  les  religieux;  il  jeûnait  trois  jours 
de  la  semaine,  et,  en  un  de  ces  jours,  il  jeûnait  au  pain  et  à  l'eau.  D'ailleurs, 
il  mangeait  si  peu,  que,  sans  un  secours  extraordinaire  de  Dieu,  il  n'eût  pas 
pu  vivre  avec  la  nourriture  qu'il  prenait;  elle  allait  à  peine  à  la  valeur  d'une 
once.  11  ajouta  à  cette  abstinence  la  discipline  jusqu'au  sang.  D'abord,  il 
ne  se  la  donnait  que  trois  fois  la  semaine;  mais,  depuis,  il  se  la  donna  tous 
les  jours,  et  enfin  trois  fois  en  vingt-quatre  heures.  Il  glissait  adroitement 
une  planche  dans  son  lit,  aGn  de  coucher  sur  la  dure;  et,  au  lieu  de  cilice, 
il  mettait  ses  éperons  entre  sa  chemise,  pour  en  être  piqué  à  tout  moment. 
La  nuit,  quand  ses  domestiques  étaient  endormis,  il  se  levait  secrètement, 
et,  quoiqu'au  chœur  de  l'hiver,  il  demeurait  en  chemise  jusqu'à  ce  que  le 
froid,  le  saisissant  par  tout  le  corps,  le  fît  tomber  par  terre  de  faiblesse. 

L'an  1581,  le  marquis,  son  père,  le  mena  avec  lui  en  Espagne,  à  la  suite 
de  l'impératrice  Marie,  fille  de  Charles-Quint;  il  n'y  fut  pas  plus  tôt  arrivé, 
que  Philippe  II  le  donna  pour  page  au  prince  Jacques,  son  fils.  Parmi  les 
embarras  de  la  cour,  il  ne  laissa  pas  d'apprendre  la  philosophie,  de  s'ap- 
procher souvent  des  Sacrements  et  de  pratiquer  les  mêmes  exercices  de 
piété  qu'il  faisait  auparavant.  Quand  il  se  vit  à  l'âge  de  seize  ans,  il  jugea 
que  le  temps  était  venu  d'exécuter  le  dessein  qu'il  avait  pris  de  se  faire 
religieux.  Mais  comme  il  n'avait  pas  encore  fait  choix  d'une  Congréga- 
tion en  particulier,  il  eut  recours  à  la  sainte  Vierge,  son  avocate,  et,  le 
jour  de  son  Assomption,  il  fit  une  communion  au  collège  des  Jésuites,  à 
Madrid,  avec  une  préparation  et  une  dévotion  extraordinaires,  afin  d'ap- 
prendre ce  que  Dieu  demandait  de  lui.  Sa  prière  fut  aussitôt  exaucée;  car, 
pendant  qu'il  faisait  son  action  de  grâces,  une  voix  miraculeuse  lui  dit  dis- 
tinctement «  qu'il  devait  entrer  dans  la  Compagnie  de  Jésus;  qu'il  n'avait 
qu'à  ouvrir  son  cœur  à  son  confesseur  qui  en  était,  et  qu'il  apprendrait  de 
lui  ce  qu'il  avait  à  faire  pour  l'accomplissement  de  ce  dessein  ».  Il  exécuta 
à  l'heure  môme  cet  ordre  du  ciel  ;  et,  ayant  appris  qu'il  était  nécessaire 
d'avoir  la  permission  de  son  père,  il  la  lui  demanda  avec  toute  l'instance 
possible. 

Quand  le  marquis  sut  la  résolution  de  son  fils,  il  en  fut  vivement  ému, 
et  tâcha,  par  toutes  sortes  de  moyens,  de  la  lui  faire  changer.  D'abord,  il 
employa  les  caresses,  puis  les  menaces;  et,  voyant  que  rien  n'était  ca- 
pable de  fléchir  son  cœur,  il  remit  sa  décision  à  son  retour  en  Italie,  disant 
qu'il  ne  voulait  pas  qu'il  se  fît  religieux  en  Espagne.  Cependant,  ce  n'étaient 
là  que  des  artifices  pour  dissiper  le  dessein  de  Louis,  en  différant  toujours 
le  temps;  car,  lorsqu'il  fut  en  Italie,  on  lui  fit  faire  encore  plusieurs  voyages 
vers  des  princes  voisins,  pour  y  négocier  avec  eux  des  affaires  importantes 
et  extrêmement  épineuses.  Il  les  termina  toujours  heureusement,  et  avec 
la  prudence  d'un  homme  consommé  dans  la  politique.  Mais  quelque  pres- 
santes qu'elles  fussent,  il  ne  cessait  jamais,  durant  ses  négociations,  de 
faire  des  prières,  des  jeûnes  et  des  mortifications,  pour  obtenir  de  Dieu  qu'il 
fléchit  le  cœur  de  son  père,  qui,  enfin,  donna  son  consentement  et  lui  per- 


196  21  JUIN. 

mit  d'aller  à  Rome,  pour  entrer  dans  la  Compagnie.  Notre  Saint  renonça 
d'abord  à  ses  Etats,  dans  Mantouft,  avec  l'agrément  de  l'empereur  (parce 
que  c'était  un  fief  impérial),  en  faveur  de  Rodolphe,  son  cadet.  Lorsqu'il 
dit  adieu  à  ses  sujets,  qui  fondaient  en  larmes  de  perdre  un  si  bon  maître, 
il  leur  adressa  ces  belles  paroles  :  «  Il  est  très-difflcile  que  les  grands  sei- 
gneurs se  sauvent;  pour  moi,  je  ne  recherche  que  mon  salut,  et  je  vous 
conseille  à  tous  de  faire  de  même  ». 

Passant  par  Lorette,  il  communia  dans  cette  sainte  chapelle  avec  une 
dévotion  singulière,  et  pria  Notre-Dame  de  continuer  d'être  sa  protectrice. 
Dès  qu'il  fut  à  Rome,  il  visita  les  églises  de  la  ville,  baisa  les  pieds  du  pape 
Sixte  V,  et  enfin,  après  avoir  pris  congé  de  quelques  cardinaux  de  sa  mai- 
son, il  entra  au  noviciat  de  la  Compagnie  de  Jésus,  à  Saint-André,  l'an  1583, 
n'ayant  pas  encore  dix-huit  ans  accomplis,  le  jour  de  sainte  Catherine,  mar- 
tyre, qu'il  prit,  à  cause  de  cela,  pour  sa  patronne  le  reste  de  sa  vie.  Dans 
la  lettre  qu'il  écrivit  à  son  père,  pour  lui  dire  adieu,  il  ne  se  servit  que  de 
ces  paroles  du  Psalmiste  :  «  Oubliez  votre  peuple  et  la  maison  de  votre 
père  ».  Et  dans  celle  qu'il  écrivit  à  Rodolphe,  son  frère,  il  n'employa  que 
ces  mots  du  Sage  :  «  Celui  qui  craint  Dieu  fera  de  bonnes  œuvres  ».  Entrant 
dans  la  cellule  qui  lui  fut  assignée  pour  son  noviciat,  il  dit  avec  un  trans- 
port d'allégresse,  comme  s'il  fût  entré  dans  un  paradis  :  «  Voici  mon  repos 
pour  tous  les  siècles;  je  demeurerai  en  ce  lieu,  parce  que  je  l'ai  choisi  ». 

Jamais  on  ne  vit  novice  entreprendre  avec  plus  de  ferveur  l'ouvrage  de 
la  perfection,  ni  faire  de  si  grands  progrès  en  si  peu  de  temps.  Il  surpassait 
tous  les  autres,  non  pas  tant  par  la  noblesse  de  sa  famille,  que  par  l'éclat 
de  toutes  sortes  de  vertus  :  il  était  le  plus  modeste,  le  plus  sobre,  le  plus 
mortifié,  le  plus  humble,  le  plus  affable,  le  plus  doux  et  le  plus  obéissant.  Il 
avait  la  vue  si  retenue,  qu'après  trois  mois  de  noviciat  il  ne  savait  pas  en- 
core comment  les  tables  étaient  disposées  au  réfectoire.  Un  jour,  on  lui 
ordonna  d'aller  chercher  un  livre  à  la  place  du  recteur;  il  fut  obligé  de 
s'informer  où  elle  était.  Le  sacristain  lui  ayant  donné  charge,  le  jeudi 
saint,  de  se  tenir  dans  la  chapelle,  pour  moucher  les  chandelles  et  les  flam- 
beaux allumés  devant  le  très-saint  Sacrement,  il  s'y  tint  plusieurs  heures  à 
genoux,  sans  jamais  lever  les  yeux  pour  considérer  les  ornements  et  les 
richesses  de  ce  saint  lieu,  ne  croyant  pas  qu'il  lui  fût  permis  d'avoir  d'autres 
pensées  que  celles  qui  regardaient  son  office.  On  se  fût  facilement  persuadé 
qu'il  avait  entièrement  perdu  le  goût,  en  le  voyant  manger  sans  savourer 
les  mets  et  sans  examiner  s'ils  étaient  bons  ou  mauvais.  Il  eut  un  jour  un 
grand  scrupule,  pensant  avoir  légèrement  jeté  les  yeux  de  côté,  pour  voir 
ce  que  faisait  un  frère  qui  était  assis  à  table  auprès  de  lui;  et,  rendant 
compte  de  ce  scrupule  au  maître  des  novices,  il  lui  avoua  que  c'était  la 
première  fois  que  cela  lui  arrivait.  Ses  oreilles  n'étaient  jamais  ouvertes 
aux  nouvelles  du  monde,  ni  aux  choses  inutiles.  Il  gardait  un  silence 
presque  continuel  et,  lorsqu'il  était  obligé  de  parler,  c'était  si  à  propos  et 
avec  tant  de  candeur  et  de  simplicité,  qu'il  bannissait  de  son  discours  toutes 
sortes  de  paroles  équivoques  et  de  dissimulation;  il  avait  coutume  de  dire 
que  la  duplicité,  l'artifice  ou  la  feinte  dans  le  monde  y  faisaient  perdre  la 
sûreté  du  commerce  humain,  mais  que,  dans  une  communauté,  c'était  un 
Tenin  et  une  peste.  Il  avait  tant  d'horreur  des  plaisirs  sensuels,  que,  pour 
n'en  pas  ressentir  la  moindre  atteinte,  il  n'omettait  jamais  les  austérités  qui 
lui  étaient  permises;  on  avait  beau  lui  en  accorder,  il  en  désirait  toujours 
de  plus  grandes.  Il  était  ravi  quand  on  l'envoyait  demander  l'aumône  par 
les  rues  de  Rome,  mal  velu  et  la  besace  sur  le  dos;  et  comme  on  lui  deman- 


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SAINT  LOUIS  DE   GONZA.GUE,   DE  LA   COMPAG^'IE  DE  JÉSUS.  197 

dait  un  jour  s'il  n'avait  point  de  répugnance  à  cela,  il  repondit  que  non, 
parce  qu'il  se  représentait  devant  les  yeux  de  Jésus-Christ  humilié  pour  les 
péchés  des  hommes,  et  la  récompense  éternelle  qu'il  donne  à  ceux  qui  s'a- 
baisent  pour  son  amour.  Il  prenait  encore  plaisir  à  aller,  les  jours  de  fête, 
catéchiser  les  pauvres  et  les  paysans,  et  à  visiter  les  hôpitaux,  où  il  s'atta- 
chait particulièrement  à  servir  les  plus  infects  et  les  plus  misérables,  don- 
nant partout  des  exemples  de  son  humilité  et  de  sa  charité.  11  était  si  détaché 
de  la  chair  et  du  sang,  qu'au  troisième  mois  de  son  noviciat,  quand  on  lui 
apprit  la  nouvelle  de  la  mort  de  son  père,  il  n'en  fut  pas  plus  ému  que  si 
elle  lui  eût  été  très-indifférente.  Ses  condisciples  lui  en  manifestèrent  leur 
surprise.  «  Je  vous  avoue  »,  répondit-il,  a  que,  si  je  ne  considérais  que  la 
mort  de  mon  père,  j'en  serais  profondément  affligé.  Mais,  en  reconnaissant 
que  cette  mort  vient  de  la  main  de  Dieu,  je  ne  puis  m'attrisLer.  Peut-on 
s'affliger  d'une  chose  que  l'on  sait  agréable  à  sa  divine  Majesté  ?  Tout  ce 
que  Dieu  fait  est  bien.  Je  le  remercie  surtout  de  la  sainte  mort  de  mon 
père.  Il  lui  a  fait  là  une  grande  grâce.  Je  me  réjouis  du  salut  de  son  âme. 
Il  est  assuré,  et  j'en  rends  grâce  à  la  divine  Majesté  ».  Il  apprit  aussi,  sans 
aucune  émotion,  que  Mgr  de  Gonzague,  son  oncle,  avait  été  créé  cardinal; 
car,  comme  il  était  véritablement  mort  au  monde,  rien  n'était  capable  de 
le  toucher. 

Les  exercices  de  la  vie  active  ne  l'empêchaient  pas  de  s'appliquer  à  la 
vie  contemplative;  car  il  était  si  adonné  à  l'oraison,  qu'on  eût  dit  qu'elle 
faisait  toute  son  occupation.  A  ce  propos,  il  disait  quelquefois  que  «  celui 
qui  n'était  pas  homme  d'oraison  n'arriverait  jamais  à  un  haut  degré  de 
sainteté,  ni  ne  triompherait  jamais  de  lui-même;  et  que  toute  la  lâcheté 
et  le  peu  de  mortification  que  l'on  voit  dans  les  âmes  religieuses  ne  procé- 
daient que  de  ce  qu'on  négligeait  la  méditation,  qui  est  le  moyen  le  plus 
court  et  le  plus  efficace  pour  acquérir  les  vt^rtus  ».  Il  ne  faut  donc  pas  s'é- 
tonner si,  étant  convaincu  de  ces  vciités  il  mettait  toutes  ses  délices  à 
faire  la  sainte  oraison ,  et  s'il  avait  tant  de  soin  de  tenir  sans  cesse  son  esprit 
dans  le  recueillement  et  la  tranquillité  nécessaires  à  ce  pieux  exercice,  et 
d'en  bannir  toutes  les  pensées  qui  auraient  pu  l'y  troubler,  a  L'âme  qui  se 
présente  à  l'oraison  »,  disait-il,  «  doit  être  absolument  libre  de  toute  affec- 
tion et  de  toute  pensée  étrangère  au  sujet  qui  doit  l'occuper;  sans  cela,  elle 
ne  peut  être  attentive  à  ce  qu'elle  veut  méditer,  elle  ne  peut  recevoir  en 
elle  l'image  de  Dieu  dans  la  contemplation  ».  Il  était  tellement  maître  de 
son  imagination,  qu'il  avoua  un  jour  que,  pendant  l'espace  de  six  mois, 
toutes  ses  distractions  n'avaient  pas  duré  le  temps  d'un  Ave  Maria.  «  J'ai 
autant  de  difficulté  »,  disait-il,  «  à  me  distraire  de  Dieu,  que  d'autres 
disent  en  avoir  à  se  recueillir;  car  le  temps  que  j'emploie  pour  parvenir  à 
me  distraire  est  un  temps  de  violence  et  de  grande  souffrance.  Ce  combat 
intérieur  est  bien  plus  nuisible  à  ma  santé  que  le  recueillement  dont  j'ai 
l'habitude  et  dans  lequel  je  trouve  le  calme  et  la  paix».  Il  avait  aussi  beau- 
coup de  dévotion  pendant  ses  prières  vocales,  particulièrement  lorsqu'il 
récitait  des  psaumes;  car  c'était  avec  tant  de  goût  spirituel  et  de  douceur 
intérieure,  qu'il  ne  pouvait  pas  même  y  penser  ni  entendre  le  mot  de 
psaume,  sans  être  tout  transporté  d'allégresse.  Il  avait  une  singulière  dévo- 
tion à  méditer  sur  la  passion  de  Notre-Seigneur,  à  laquelle  il  ne  pouvait 
penser,  non  plus  qu'aux  autres  mystères  de  notre  rédemption,  sans  verser 
des  torrents  de  larmes  et  sentir  des  tendresses  et  des  langueurs  que  l'on  ne 
peut  exprimer.  On  remarque  encore  qu'il  avait  une  particulière  affection 
aux  saints  anges,  et  spécialement  à  celui  à  la  garde  duquel  la  divine  Provi- 


198  21  JUIN. 

dence  l'avait  confié.  Il  composa  sur  ce  sujet  une  pieuse  méditation,  que  l'on 
voit  imprimée  avec  d'autres  du  R.  P.  Vincent  Bruno,  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  dans  la  vie  qu'il  a  composée  de  notre  Saint.  Nous  avons  déjà  dit  un 
mot  de  sa  dévotion  envers  le  très-saint  Sacrement  de  l'autel;  mais  nous 
ajouterons  en  cet  endroit  qu'elle  était  si  cordiale  et  si  fen'ente,  qu'il  ne 
communiait  jamais  sans  ressentir  une  joie  et  un  goût  admirables  de  la 
sainte  Eucharistie.  Le  jour  avant  la  communion,  il  ne  parlait  que  de  cet 
auguste  mystère;  il  en  disait  des  choses  si  belles  et  si  touchantes,  que  les 
prêtres  tâchaient  de  l'entendre  sur  cette  matière,  pour  s'exciter  à  la  ferveur. 
Enfin,  il  ne  manquait  pas  de  visiter  plusieurs  fois  le  jour  cet  adorable  Sacre- 
ment, tant  pour  y  rendre  de  profonds  respects  à  Jésus-Christ,  que  pour  l'y 
entretenir  familièrement  de  tout  ce  qui  concernait  sa  perfection. 

Il  était  alors  tellement  porté  à  faire  des  pénitences  corporelles,  que,  à 
les  supérieurs  ne  l'eussent  retenu,  il  eût  sans  doute  de  beaucoup  abrégé  ses 
jours,  la  ferveur  le  portant  souvent  à  des  mortifications  qui  surpassaient 
ses  forces.  Plusieurs  même  le  blâmaient  de  cela  et  lui  en  faisaient  scrupule, 
disant  qu'il  se  tuait  lui-même;  mais  il  répondait  qu'après  avoir  exposé  son 
désir  à  ses  supérieurs,  il  n'avait  plus  sujet  de  craindre  quand  on  lui  accor- 
dait ce  qu'il  demandait;  et  que,  quand  on  lui  refusait  ce  qu'il  souhaitait, 
il  se  contentait  d'offrir  sa  bonne  volonté  à  Dieu.  Il  disait  aussi  fort  agréa- 
blement aux  Pères  qui  lui  conseillaient  de  modérer  ses  austérités  que,  puis- 
qu'eux-mêmes  ne  le  faisaient  pas  à  leur  égard,  il  aimait  mieux  imiter  leur 
exemple  que  de  suivre  leur  conseil;  qu'étant  un  fer  dur  et  tordu,  il  était 
venu  en  religion  comme  à  une  fournaise,  pour  être  amolli  et  redressé  avec 
le  marteau  de  la  mortification  et  de  la  pénitence;  que  îe  vrai  temps  de  la 
faire  était  celui  de  la  jeunesse,  l'homme  étant  sain  et  avec  toutes  ses  forces, 
au  lieu  que,  dans  la  vieillesse,  il  est  ordinairement  si  infirme  et  si  faible, 
qu'il  ne  saurait  plus  en  faire.  Aussi,  à  l'article  de  la  mort,  après  avoir  reçu 
le  Viatique,  il  déclara,  en  présence  de  plusieurs  Pères,  que,  s'il  avait  du 
scrupule,  ce  n'était  que  pour  les  pénitences,  qu'il  avait  omises  et  non  pas 
pour  celles  qu'il  avait  pratiquées,  parce  qu'il  les  avait  faites  par  cbéisîaccc. 
et  non  par  le  mouvement  de  sa  propre  volonté.  Quand  on  lui  refusait  la 
permission  de  faire  quelque  austérité,  il  tâchait  d'y  suppléer  par  d'autres 
actes  de  vertus,  ou  en  se  procurant  de  la  douleur  par  des  postures  pénibles 
et  par  des  manières  de  marcher,  d'être  debout  ou  de  se  tenir  assis,  qui 
gênaient  son  corps. 

Cette  grande  mortification  extérieure  était  accompagnée  et  soutenue 
d'une  parfaite  mortification  intérieure  de  ses  passions  et  de  ses  appétits. 
Pour  en  venir  plus  aisément  à  bout,  il  examinait  si  soigneusement  tous  les 
mouvements  de  son  âme,  qu'il  n'en  laissait  guère  passer  qui  fussent  con- 
traires à  la  haute  vertu.  Cependant,  lorsqu'il  s'apercevait  qu'il  était  tombé 
en  quelque  faute,  il  ne  s'attristait  point  excessivement  ;  mais,  s'humiliant 
devant  la  majesté  de  Dieu,  il  lui  en  demandait  pardon  de  tout  son  cœur,  et 
se  relevait  ainsi  de  ses  chutes  dans  une  grande  résolution  de  mieux  faire  que 
jamais  :  «  Parce  que  »,  disait-il,  «  celui  qui  s'attriste  et  se  décourage  quand 
il  est  tombé,  montre  qu'il  ne  se  connaît  pas  lui-même,  et  qu'il  ne  pense 
pas  qu'il  est  pétri  d'une  terre  qui  ne  produit  que  des  chardons  et  des 
épines  ».  De  là  vient  qu'il  était  ravi  lorsqu'on  le  corrigeait  de  ses  fautes  :  il 
souhaitait  même  qu'on  l'en  reprît  en  public,  et,  afin  de  porter  les  supérieurs 
à  le  faire,  il  les  leur  donnait  par  écrit. 

Quoiqu'il  travaillât  à  mortifier  toutes  ses  passions,  il  s'appliqua  néan- 
moins particulièrement  à  vaincre  celle  de  l'orgueil  et  les  désirs  d'honneur 


I 


SAINT  LOUIS  DE  GONZAGCE,   DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  199 

et  d'estime,  qui  sont  si  naturels  à  l'homme,  et  si  délicats  dans  les  personnes 
de  grande  naissance  :  il  embrassa  avec  une  telle  ardeur  l'étude  de  l'humi- 
lité, qu'il  n'omit  rien  de  ce  qu'il  crut  pouvoir  contribuer  à  l'établir  solide- 
ment en  son  cœur  ;  aussi,  cette  vertu,  qui  est  le  ferme  soutien  de  toutes  les 
autres,  y  jeta  de  si  profondes  racines,  qu'elle  semblait  être  le  principe  qui 
animait  toutes  ses  actions.  Il  ne  sortit  jamais  de  sa  bouche  un  seul  mot  qui 
fût  à  sa  louange,  et,  par  un  industrieux  silence,  il  couvrit  toujours  ce  que 
l'on  pouvait  louer  en  lui.  Un  jour,  il  av.iit  prêché  au  réfectoire  à  l'édifica- 
tion de  toute  la  communauté  ;  comme  un  Père  parlait  de  lui  en  sa  présence 
en  des  termes  avantageux,  il  en  demeura  tout  confus  et  aussi  affligé  d'avoir 
entendu  dire  du  bien  de  lui,  que  d'autres  sont  contents  d'entendre  publier 
leurs  louanges.  Pour  se  maintenir  dans  cet  esprit  d'humilité  et  d'anéantis- 
sement, il  fit  un  recueil,  que  l'on  trouva  après  sa  mort,  des  sujets  que 
l'homme  a  de  se  mépriser  et  de  s'abaisser  lui-môme.  Dans  la  maison,  aussi 
bien  que  dehors,  il  cédait  toujours  la  première  place  à  ses  frères.  Il  ne  put 
jamais  souffrir  que,  sous  prétexte  de  ses  maladies  et  de  ses  faiblesses,  on  le 
dispensât  de  la  vie  commune,  soit  pour  la  nourriture,  soit  pour  sa  chambre, 
soit  pour  ses  habits.  Il  n'y  avait  point  d'office,  quelque  bas  qu'il  fût,  qu'il 
ne  désirât  avec  plus  d'ardeur  que  les  hommes  du  monde  ne  désirent  les 
dignités  et  les  charges  les  plus  honorables.  Il  servait,  en  certains  jours  de  la 
semaine,  au  réfectoire  et  à  la  cuisine,  et  y  ramassait  les  restes,  qu'il  distri- 
buait ensuite  de  ses  propres  mains  aux  pauvres  avec  beaucoup  d'humilité 
et  de  charité. 

Cette  profonde  humilité  avait  produit  dans  son  cœur  une  obéissance  si 
exacte,  que  sa  conscience  ne  lui  reprocha  jamais  d'avoir  manqué  aux  ordres 
de  ses  supérieurs,  ni  même  d'avoir  ressenti  de  la  répugnance  et  des  mouve- 
ments contre  ce  qu'ils  lui  prescrivaient.  Leur  volonté  était  toujours  la  règle 
de  la  sienne,  et, sans  rechercher  la  cause  de  ce  qu'ils  ordonnaient,  ni  pren  Ire 
garde  s'ils  étaient  savants  ou  non,  nobles  ou  roturiers,  il  considérait  seule- 
ment en  eux  l'autorité  de  Dieu.  Il  obéissait  aussi  avec  plaisir  aux  frères 
qui,  par  leur  office,  avaient  quelque  sorte  d'autorité  sur  lui,  disant  que  celui 
qui  obéissait  en  cette  manière  était  assuré  de  la  récompense  que  Dieu  pro- 
met aux  obéissants.  Cette  soumission  si  respectueuse  à  l'égard  de  ses  frères, 
loin  de  la  trouver  pénible,  il  la  trouvait  douce  et  agréable.  «  Il  m'est  plus 
consolant,  je  le  confesse  »,  dit-il,  «  d'obéir  aux  supérieurs  subalternes 
qu'aux  premiers  supérieurs.  Si  on  envisageait  l'obéissance  humainement, 
on  ne  pourrait  se  résoudre  que  très-difficilement  à  obéir  à  un  homme,  à 
plus  forte  raison  à  celui  qui  nous  serait  inférieur  en  naissance  et  en  savoir; 
mais  se  soumettre  à  un  homme  pour  obéir  à  Dieu,  c'est  là,  au  contraire, 
une  gloire  et  une  grande  gloire.  Rien  ne  me  paraît  plus  beau,  parce  qu'il 
n'y  a  rien  d'humain  ». 

L'obéissance  lui  était  si  chère,  qu'il  n'hésitait  jamais  à  lui  tout  sacrifier. 
Un  jour,  pendant  qu'il  pliait  du  linge  avec  d'autres  novices,  il  se  souvient 
qu'il  n'a  pas  encore  lu  quelques  pages  de  saint  Bernard,  ainsi  qu'il  avait 
coutume  de  le  faire  chaque  jour  ;  mais,  au  même  instant,  il  se  dit  :  «  Je 
pourrais  quitter  ce  travail,  comme  l'ont  déjà  fait  quelques  autres,  puisque 
le  temps  à  y  employer  n'est  pas  absolument  déterminé  ;  mais,  si  je  le  quit- 
tais pour  aller  lire  saint  Bernard,  que  m'enseignerait  cette  lecture  ?  Que  je 
dois  obéir.  Eh  bien  !  je  dois  pratiquer  ce  que  saint  Bernard  m'enseignerait, 
et  rester  à  cette  occupation  par  esprit  d'obéissance  ».  Et  il  continua  à  plier 
du  linge. 

Son  acèle  pour  l'entière  observance  de  la  règle  n'a  pas  moins  éclaté  en 


200  21  JUIN. 

lui  que  les  autres  vertus  dont  nous  venons  de  parler  :  on  dit  qu'il  l'a  gardée 
à  la  lettre,  et  qu'il  n'en  a  jamais  violé  aucun  point,  jusque-là  que  son  com- 
pagnon de  chambre  lui  ayant  demandé  une  demi-feuille  de  papier  pour 
écrire  une  lettre,  il  douta  s'il  la  lui  pourrait  donner  sans  permission;  c'est 
pourquoi,  sortant  de  sa  cellule,  il  alla  demander  cette  permission.  Un  jour, 
le  cardinal  de  Gonzague  voulant  le  retenir  à  dîner  avec  lui,  il  lui  répondit 
qu'il  ne  le  pouvait  pas,  parce  que  la  Règle  le  lui  défendait;  le  cardinal  en 
fut  si  édifié,  que  depuis,  quand  il  le  priait  de  quelque  chose,  il  ajoutait  tou- 
jours :  «  Si  ce  n'est  pas  contre  votre  Règle  ».  Le  cardinal  de  la  Rovère  vint 
un  matin  lui  parler  dans  la  sacristie.  «  Monseigneur,  il  ne  m'est  pas  permis 
de  parler  »,  lui  dit  notre  Saint.  «  A  Dieu  ne  plaise,  que  je  vous  porte  jamais 
à  enfreindre  la  Règle,  reprit  le  cardinal  ;  mais,  l'affaire  étant  importante, 
je  vais  demander  au  Père  général  de  vous  dispenser  du  silence  en  ce  mo- 
ment ».  Louis  s'inclina,  sans  répondre  une  syllabe,  et  ne  s'entretint  avec  lui 
qu'après  en  avoir  reçu  la  permission  du  Père  d'Aquaviva. 

Pour  la  sainte  pauvreté,  il  l'aimait  avec  plus  de  passion  que  les  grands 
du  monde  n'aiment  leur  or  et  leur  argent.  Tout  son  plaisir  était  de  ne  rien 
souhaiter  et  d'être  dénué  de  toutes  choses,  afm  de  ne  posséder  que  Dieu 
seul.  II  n'avait  pour  orner  sa  cellule  aucune  peinture  ni  figure  ;  mais  seule- 
ment deux  images  de  papier  :  l'une  de  sainte  Catherine,  martyre,  qu'il  avait 
choisie,  comme  nous  avons  dit,  pour  sa  patronne,  parce  qu'il  était  entré  en 
rehgion  le  jour  de  sa  fête  ;  et  l'autre,  de  saint  Thomas  d'Aquin.  Ayant  écrit 
un  petit  ouvrage  sur  quelque  matière  de  théologie,  il  le  donna  depuis  à  son 
supérieur  ;  interrogé  pourquoi  il  le  lui  donnait  lorsqu'il  avait  besoin  de  le 
garder,  il  répondit  que  c'était  parce  qu'il  avait  quelque  attachement  à  ce 
traité  comme  à  une  chose  qui  venait  de  lui.  Etant  entré  dans  la  Compagnie, 
il  ne  voulut  plus  se  servir  du  Bréviaire  qu'il  avait  dans  le  monde,  parce 
qu'il  était  trop  richement  relié.  Durant  ses  études,  on  lui  fit  présent  d'une 
Somme  de  saint  Thomas,  qui  était  dorée  sur  tranche  ;  mais  il  n'eut  point  de 
repos  qu'on  ne  lui  eût  permis  de  s'en  défaire  pour  en  avoir  un  vieil  exem- 
plaire. Les  supérieurs  voulant  qu'il  etit  une  cellule  à  lui  seul,  à  cause  de 
son  indisposition,  il  fit  en  sorte  qu'on  lui  en  donnât  une  étroite,  obscure  et 
basse,  sous  un  escalier,  où  il  avait  peine  à  se  tenir  debout,  et  qui  ressem- 
blait plutôt  à  un  tombeau  pour  un  mort  qu'à  la  demeure  d'un  être  vivant. 
Il  ne  trouvait  jamais  rien  à  redire  à  ses  habits,  ni  à  tout  ce  qui  le  concer- 
nait, s'estimant  heureux  lorsqu'on  lui  donnait  le  pire.  Etant  chez  sa  mère, 
durant  la  rigueur  de  l'hiver,  on  ne  put  jamais  gagner  sur  lui  qu'il  y  prit  les 
choses  qui  lui  étaient  nécessaires  ;  mais  il  envoya  demander  au  recteur  de 
Brescia  quelque  vieux  haillon  pour  se  couvrir,  et  on  eut  bien  de  la  peine  à 
lui  persuader  de  recevoir  d'elle  quelque  habit  de  dessous  qu'elle  lui  donna 
par  aumône,  comme  à  un  pauvre.  Chez  Alphonse  de  Gonzague,  son  oncle, 
voyant  qu'on  le  logeait  dans  une  chambre  bien  meublée,  il  s'écria,  en  par- 
lant à  Son  compagnon  :  «  Dieu  nous  veuille  aider  cette  nuit,  mon  cher 
frère!  où  nos  péchés  ne  nous  ont-ils  pas  réduits?  Ah!  que  nous  serions 
bien  mieux  dans  nos  pauvres  lits  !  »  C'était  l'amour  qu'il  avait  pour  la  sainte 
pauvreté  qui  lui  inspirait  ces  beaux  sentiments. 

Ce  fut  par  toutes  ces  vertus,  pratiquées  dans  un  degré  héroïque,  que 
notre  Saint  s'éleva  à  la  perfection  de  la  charité,  laquelle  étant  la  reine  des 
autres,  attache  fortement  l'âme  à  son  souverain  bien.  En  effet,  il  était  si 
intimement  uni  à  lui,  qu'il  ne  pouvait  entendre  parler  de  Dieu  sans  ressen- 
tir dans  son  cœur  des  tendresses  et  des  transports  inconcevables  qui  parais- 
saient môme  sur  son  visage.  Etant  un  jour  au  réfectoire,  la  lecture  qu'on  fit 


SAINT  LOUIS   DE    CONZAGUE,   DE  LA   COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  201 

d'un  traité  de  l'amour  divin  l'embrasa  tellement,  qu'il  ne  put  achever  de 
dîner,  ayant  la  poitrine  et  le  visage  tout  en  feu  et  les  yeux  baignés  de 
larmes.  Durant  ses  études,  pendant  qu'il  était  à  la  récréation,  il  faisait  en 
sorte  qu'on  s'entretînt  toujours  de  choses  spirituelles  ;  et  il  fit  tant,  par  son 
exemple  et  par  son  zèle,  que  cette  coutume,  si  louable  et  si  nécessaire  pour 
arriver  à  la  perfection,  se  maintint  dans  la  Compagnie.  Cet  amour  pour 
Dieu  produisit  en  lui  celui  du  prochain  à  un  tel  degré,  qu'il  serait  allé  fort 
volontiers  aux  Indes  pour  y  travailler  à  la  conversion  des  âmes,  si  ses  supé- 
rieurs le  lui  eussent  voulu  permettre.  Il  sollicitait  d'ôtre  envoyé  souvent 
aux  hôpitaux  pour  y  servir  les  malades.  Quand  il  y  allait,  il  faisait  leurs  lits, 
leur  donnait  à  manger,  leur  lavait  les  pieds  et  balayait  leur  chambre.  Dans 
la  maladie  dont  il  mourut,  et  qu'il  avait  gagnée  en  assistant  les  pestiférés, 
ayant  entendu  dire  que  cette  année-là  on  appréhendait  que  la  contagion  ne 
se  mît  dans  Rome,  il  fit  vœu,  avec  la  permission  du  général,  d'y  servir  les 
pauvres  malades  de  la  peste,  s'il  retournait  en  santé. 

Cet  amour  pour  le  prochain  le  tira  de  la  solitude  religieuse  pour  aller 
chez  ses  parents,  afin  d'apaiser  un  grand  différend  qui  était  dans  sa  famille, 
entre  le  marquis  de  Castiglione,  son  frère,  et  le  duc  de  Mantoue,  pour  le 
fief  de  Solferino,  qui  de  droit  appartenait  au  marquis,  mais  dont  Horace  de 
Gonzague,  son  oncle,  avait  disposé,  par  son  testament,  en  faveur  du  duc. 
On  crut  donc  qu'on  ne  verrait  jamais  la  fin  de  cette  affaire  qu'en  la  mettant 
entre  les  mains  de  notre  Saint  :  et  chacun  était  si  persuadé  de  sa  probité, 
qu'on  ne  douta  point  qu'il  ne  préférât  la  justice  à  tous  les  intérêts  qu'il  y 
pouvait  avoir.  Quand  il  arriva  dans  le  marquisat  de  Castiglione,  tout  le 
peuple  alla  au-devant  de  lui  et  le  reçut  avec  mille  témoignages  de  respect  ; 
plusieurs  même  se  mettaient  à  genoux  lorsqu'il  passait,  l'honorant  comme 
un  Saint,  et  pleurant  leur  malheur  de  n'avoir  pas  mérité  un  tel  seigneur  ; 
sa  mère,  qui  avait  coutume,  dès  qu'il  était  encore  enfant,  de  l'appeler  son 
ange,  ne  le  considéra  pas  seulement  comme  son  fils,  mais  comme  une  per- 
sonne envoyée  du  ciel  pour  apporter  la  paix  dans  sa  famille  ;  en  effet,  il  ter- 
mina heureusement  ce  grand  différend  à  la  satisfaction  de  toutes  les  parties. 
C'était  par  le  moyen  de  ses  prières,  plutôt  que  par  les  lumières  de  sa  pru- 
dence, quoiqu'elle  fût  admirable,  vu  son  peu  d'âge,  qu'il  venait  à  bout  de 
tout  ce  qu'il  entreprenait  ;  car  il  avoua  lui-même  qu'il  n'avait  jamais  rien 
recommandé  à  Dieu  qu'il  n'en  eût  obtenu  une  heureuse  issue. 

Ces  afl'aires  étant  terminées,  et  Dieu  lui  ayant  révélé,  au  collège  de 
Milan,  qu'il  l'appellerait  bientôt  à  lui,  il  retourna  à  Rome  l'an  1591,  fort 
joyeux  d'une  si  agréable  nouvelle.  Ayant  trouvé  cette  ville  affiigée  de  la 
peste,  il  importuna  tant  ses  supérieurs,  qu'ils  lui  permirent  de  secourir  les 
malades  ;  mais  comme  sa  charité  et  sa  ferveur  le  portaient  à  servir  parti- 
culièrement ceux  qui  étaient  le  plus  en  danger  et  attaqués  avec  plus  de  vio- 
lence, il  fut  lui-môme  bientôt  saisi  du  mal.  11  s'en  réjouit  extrêmement  et 
en  remercia  Dieu,  se  voyant  par  là  près  d'être  délivré  de  la  prison  ennuyeuse 
de  ce  corps  mortel.  11  est  vrai  que  les  remèdes  qu'on  lui  prescrivit  le  soula- 
gèrent pour  un  temps  ;  mais  il  lui  resta  une  fièvre  lente  qui  dura  trois  mois, 
comme  pour  lui  donner  moyen  de  voir  venir  avec  plus  de  douceur  et  de 
tranquillité  l'heureux  moment  de  sa  mort.  Durant  tout  ce  temps-là  il  pre- 
nait un  singulier  plaisir  à  entendre  parler  de  Dieu  et  de  la  gloire  des  Saints. 
Notre-Seigneur  lui  ayant  fait  connaître  le  jour  où  il  sortirait  de  ce  monde, 
il  chanta  le  Te  Deum  en  actions  de  grâces,  puis  il  dit  aux  assistants  que 
ce  serait  le  jour  de  l'octave  du  très-saint  Sacrement.  Ce  jour  arrivé,  les  infir- 
miers trouvant  qu'il  se  portait  mieux,  lui  dirent  :  «  Vous  n'avez  garde  de 


202  21  JUIN. 

mourir  aujourd'hui,  puisque  vous  commencez  à  vous  guérir  ».  Mais  il  leur 
répondit  que  le  jour  n'était  pas  encore  passé,  et  qu'il  mourrait  la  nuit.  Sur 
le  soir,  le  Père  Provincial  l'étant  venu  visiter,  lui  demanda  comment  il  se 
portait  :  «  Nous  nous  en  allons  »,  lui  dit-il,  «  mon  Père.  —  Et  oii  ?  »  reprit 
le  supérieur.  —  «  Au  ciel  »,  ajouta-t-il,  «  comme  je  l'espère  par  la  miséri- 
corde de  mon  Dieu,  si  mes  offenses  passées  ne  m'en  empêchent  ».  Un  peu 
avant  de  mourir,  il  souhaita  de  prendre  encore  une  fois  la  discipline,  ou 
au  moins,  parce  qu'il  était  trop  faible,  qu'un  autre  la  lui  donnât,  et  supplia 
le  Père  Provincial  qu'on  le  laissât  expirer  h  terre.  Lorsqu'il  reçut  la  béné- 
diction et  l'indulgence  plénière  que  Grégoire  XIV  lui  envoyait,  il  s'écria  : 
o  HélasI  qui  suis-je?  que  les  Papes  daignent  se  souvenir  de  moi,  chétif  ver- 
misseau de  terre,  qui  s'en  va  mourant  ».  Enfin,  invoquant  le  saint  nom  de 
Jésus,  il  rendit  son  âme  à  Dieu  sur  la  fm  du  jour  de  l'octave  du  très-saint 
Sacrement,  qui  était  alors  le  20  juin,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  trois  mois  et 
onze  jours.  Ce  fut  en  l'année  1592,  et  la  sixième  de  son  entrée  en  la  Compa- 
gnie. Après  sa  mort,  on  trouva  ses  genoux  tout  calleux,  par  la  grande 
habitude  qu'il  avait,  dès  son  enfance,  de  s'agenouiller  pour  prier  Dieu.  On 
trouva  aussi  sur  sa  poitrine  un  crucifix  de  cuivre  qu'il  avait  toujours  porté 
sur  lui. 

Enfin,  il  ne  faut  pas  omettre  ici  le  témoignage  avantageux  que  le  car- 
dinal Bellarmin,  qui  avait  été  son  confesseur  et  l'avait  connu  fort  particu- 
lièrement, donna  de  lui.  Il  assura  donc  que  notre  Saint  n'avait  jamais 
péché  mortellement;  que,  dès  l'âge  de  sept  ans,  qu'il  disait  s'être  converti 
à  Dieu,  il  avait  mené  une  vie  si  parfaite  et  si  mortifiée,  qu'il  n'avait  pas 
même  ressenti  les  aiguillons  de  la  chair  ;  qu'il  priait  sans  aucune  distrac- 
tion ;  qu'il  était  un  modèle  accompli  de  toutes  les  vertus,  et  qu'il  y  avait 
sujet  de  croire  qu'en  quittant  la  terre  il  était  allé  jouir  du  bonheur  éternel 
dans  le  ciel.  C'est  ce  qui  faisait  que  ce  savant  et  pieux  cardinal  avait  du 
scrupule  de  prier  Dieu  pour  lui,  craignant  de  faire  injure  à  la  grâce  divine 
dont  il  avait  reconnu  tant  de  merveilles  en  son  âme. 

Souvent  on  peint  près  de  lui,  ou  dans  sa  main,  une  discipline,  à  cause 
de  ses  rigueurs  quasi  excessives  contre  lui-même.  On  le  représente  parfois 
s'évanouissant  aux  pieds  de  son  confesseur,  mais  surtout  faisant  sa  première 
communion  de  la  main  de  Charles  Borromée.  Comme  il  est  le  patron  des 
jeunes  gens  qui  étudient,  on  l'a  peint  plus  d'une  fois  entouré  d'écoliers  qui 
l'invoquent  ou  qu'il  semble  instruire  dans  le  service  de  Dieu.  On  le  repré- 
sente aussi  portant  un  lis,  pour  marquer  qu'il  a  conservé  sa  virginité  jus- 
qu'à la  mort. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  ÉCRITS  DE  SAINT  LOUIS  DE  GONZAGUE. 

Le  corps  de  saint  Louis  de  Gonzague  fut  transporté  dans  l'église  de  l'AnnonciatiGn  du  collège 
romain,  et  inhumé  dans  la  chapelle  du  Crucifix,  bientôt  la  foule  se  porta  à  son  tombeau,  y  déposa 
des  ollVandcs  et  des  ex-voto,  le  proclamant  Saint,  lui  rendant  un  culte  qu'il  était  impossible  d'ar- 
^ter  (Irfns  ses  excès.  Ce  n'était  pas  seulement  à  Rome  que  cette  dévotion  se  manifestait  :  à  Flo- 
rence, à  Milan,  à  Turin,  à  Fcrrare,  à  Castiglione  surtout,  dans  tous  les  lieux  où  il  avait  été,  il 
était  ouverlemenl  honoré,  invoqué,  et  chacun  assurait  avoir  éprouvé  les   effets  de  sa  protection. 

En  1598,  comme  on  craignait  pour  le  corps  les  dégâts  qui  pouvaient  en  résulter  du  débordement 
da  Tibie  qui  inondait  la  ville  de  Home,  on  retira  le  cercueil  du  caveau  et  on  l'examina  avec  soin; 
il  était  dans  l'état  le  plus  satisfaisant,  l'eau  ne  l'ayant  pas  altéré.  Le  Père  provincial,  après  avoir 
pris  pour  lui-même  quelques  reliques,  en  distribua  à  tous  les  Pères  qui  étaient  présents.  Puis  on 
mil  les  précieux  restes  dans  une  boite  moins  grande  que  le  cercueil  ;  elle  fut  scellée  et  déposée 
ensuite  dans  le  caveau  ;  mais  placée  le  plus  haut  possible  et  fixée  au  mur,  afin  de  n'être  point 
«xpoiée  à  l'huniidilé,  et  que  l'eau  u'y  put  atteindre  désormais. 


SAINT  LOUIS  DE   GONZAGUE,   DE  LA  COMPAGNIE  DE  JÉSUS.  203 

Lb  8  juin  1602,  le  Père  général,  après  de  nombreux  et  éclatants  miracles,  crut  devoir  donner 
aux  saintes  reliques  de  Louis  de  Gcnzagiie  un  lémnignage  de  respect,  en  les  retirant  de  la  sépul- 
ture commune;  il  ordonna  leur  translation  dans  la  sacristie  de  l'église  du  collège,  en  attendant  que 
la  cour  romaine  permit  de  leur  rendre  les  honneurs  que  la  dévotion  publique  réclamait  déjà.  Le 
l"  juillet  suivant,  la  boite  qui  les  contenait  fut  renfermée  dans  une  seconde  de  plomb,  et  celle- 
ci  dans  une  troisième  en  bois,  et  placée  sous  le  marche-pied  de  l'autel  de  Saint-Sébastien. 

En  1G04,  il  n'était  bruit,  à  Rome,  que  des  miracles  opérés  par  saint  Louis  de  Gonzague.  Tous 
les  princes  et  évêques  d'Italie  suppliaient  le  Pape  de  procéder  à  la  canonisation  ;  et  tous  les  dio- 
cèses de  f-ombardie,  prenant  les  devants,  venaient  de  célébrer  avec  pompe  l'anniversaire  de  la 
mort  du  jeune  thaumaturge.  Le  21  juin  de  la  même  année,  l'église  du  collège  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  à  Brescia,  élail  ornée  comme  en  ses  plus  beaux  jours  de  fôte  :  le  portrait  de  Louis  de 
Gonzague  y  était  exposé  à  la  vénération  publique,  cl  l'assistance  était  très-considérable.  L'évèqoe, 
cédant  à  l'empressement  général  et  à  son  désir  personnel,  avait  permis  que  l'anniversaire  de  la 
sainte  mort  de  Louis  fût  célébré  solennellement  dans  l'église  du  collège,  et  les  étudiants,  la 
noblesse,  le  clergé,  le  peuple,  avaient  voulu  trouver  place  à  cette  fête.  Le  28  juillet,  une  solen- 
nité semblable  eut  lieu  à  Caslighone,  au  milieu  d'uue  grande  aftluence  de  lidèles  qui  regardaient 
saint  Louis  comme  l'ange  tulélaire  de  Castiglione.  Le  13  mai  1GÛ5,  les  reliques  de  notre  Saint,  qui 
avaient  été  déposées  sous  le  marche-pied  de  l'autel  de  Saint-Sébastien,  furent  transférées,  avec 
l'autorisation  du  Saint-Siège,  à  la  chapelle  de  la  sainte  Vierge,  et  placées  dans  le  mur,  du  côté  de 
l'Evangile.  En  1603,  le  cardinal  Dietrichstein  obtint  du  pape  Paul  V,  que  le  portrait  de  Louis  de 
Gonzague  serait  e.xposé  dans  l'église  du  collège  avec  l'auréole  et  le  titre  de  Bienheureux,  et  qu'on 
laisserait  à  la  reconnaissance  des  fidèles  la  liberté  de  se  manifester  par  des  ex-voto  déposés  dans 
la  chapelle  où  étaient  conservés  les  précieux  restes  du  Saint.  La  même  année,  les  villes  de  Flo- 
rence, Crémone,  Padoue  et  autres,  célébraient,  avec  la  plus  grande  pompe,  la  fêle  de  Louis  de 
Gonzague.  A  Castiglione,  tout  le  monde  jeûna  la  veille.  Le  10  octobre  1G05,  le  pape  Paul  V  rendit 
un  décret  qui  dtclai-ail  Louis  de  Liuuzague  Bienheureux,  et  ordonuait  eu  même  temps  d'imprimer 
avec  ce  titre  la  vie  du  jeune  Suint,  écrite  par  le  Père  Cépari. 

Une  chapelle  fut  érigée  à  Mantoue  dans  la  cathédrale,  et  inaugurée  le  jour  de  la  fête  de  saint 
Thomas.  La  dévotion  à  notre  Bienheureux  se  répandit  avec  une  grande  rapidité.  De  toutes  les 
parties  de  l'Europe,  on  envoyait  les  phis  riches  présents  à  son  tombeau. 

Le  village  de  Sasso,  situé  dans  la  province  de  Sondrio,  en  Lombardie,  obtint  une  relique  insigne 
du  SairW.  et  ce  lieu  devint  un  pèlerinage  célèbre. 

Le  pape  Grégoire  XV  le  béatifia  le  2  octobre  1621.  On  érigea  en  son  honu'^ur  deux  c'u.i  ;(■:  .j 
an  collège  romain,  l'une  dans  la  chambre  où  il  était  mort,  et  l'autre  dans  l'église.  La  première  a 
fait  place  à  une  église  dédiée  à  saint  Ignace,  où,  en  1649,  son  corps  fut  placé  dans  une  chapelle 
que  l'on  y  avait  érigée  en  son  honneur.  En  1699,  on  y  éleva  un  autel,  et  on  y  transporta  ses  pré- 
cieuses reliques.  La  cause  de  la  canonisation,  interrompue  par  la  mort  de  Clément  XI,  fut  reprise 
par  Innocent  XIII  et  terminée  par  Benoît  XIII.  Le  26  avril  1726,  il  donna  la  bulle  de  canonisation, 
et  la  cérémonie  s'en  fit  le  31  décembre  de  la  même  année,  dans  la  basilique  du  Vatican. 

Le  22  novembre  1729,  Benoît  XIII  donna  saint  Louis  de  Gonzague  pour  protecteur  spécial  à  la 
jeunesse,  et  accorda  une  indulgence  pléuière  à  ceux  qui,  après  s'être  confessés  et  avoir  communié, 
■visiteraient  son  autel.  Le  pape  Clément  Xlll  accorda  la  même  faveur  Je  21  novembre  1737.  En 
1762,  il  célébra  pontiQcalement,  au  collège  romain,  la  messe  à  l'autel  du  Saint,  et  déclara  cet 
autel  privilégié  à  perpétuité  en  faveur  de  tout  prêtre  qui  y  célébrerait.  Le  pape  Pie  VII  accorda 
plusieurs  indulgences  à  la  récitation  d'une  prière  à  saint  Louis  de  Gonzague.  En  1847,  le  souve- 
rain pontife  Pie  IX  donna  pour  l'autel  du  Saint  une  chasuble  en  drap  d'argent,  ornée  de  feuillage 
d'or,  et,  en  1861,  un  lis  dont  la  tige  en  argent  doré  se  divise  en  cinq  fleurs  ouvertes  et  en  trois 
boutons  d'argent  pur. 

M.  André  Cappiardi,  archiprêtre  de  Castiglione,  a  fait  don  à  l'église  de  Le  Forest  de  précieuses 
reliques  du  Saint,  en  accompagnant  son  envoi  de  ce  distique  : 

Milltis  ossa  tirf  retinet  Castello  :  SylTa 
Ne  doleas,  cineres  tradiJit  iUa  sacros  '. 

La  translation  de  ces  reliques  eut  lieu  le  15  mai  1864  dans  une  châsse  donnée  par  Napoléon  III. 

En  1838,  le  pape  Pie  IX  fit  don  à  la  Compagnie  de  Jésus  d'un  écrit  de  saint  Louis  de  Gon- 
zague :  c'était  un  traité  de  théologie  scolastique.  Les  œuvres  complètes  du  Saint  ont  été  pieuse- 
ment recueillies  et  publiées  en  latin  à  Ratisbonne.  Un  Père  jésuite  les  a  traduites  en  Belgique.  En 
France,  elles  l'ont  été  par  M.  l'abbé  Ant.  Ricard.  Paris,  1858. 

Ce  récit  est  extrait  de  la  vie  de  notre  Saint,  composée  par  lo  R.  P.  Virgile  Cépari,  de  la  Compagnie 
de  Jésus,  d'après  les  instructions  qu'il  avait  recueillies  de  ceux  qui  l'avaient  connu,  et  d'après  les  procé- 
dures faites  en  divers  lieus  pour  sa  canonisation. 

1.  Pour  comprendre  ces  vers,  il  faat  se  rappeler  qne  le  capitaine  Lente,  né  à  Le  Forest,  fut  blessé 
mortellement  k  la  bataille  de  Solferino  et  inhumé  dans  le  cimetière  de  Castiglione. 


204  21  JUIN. 

SAIiNT  TÉRENTIUS  OU  TERTIUS,  ÉVÊQUE  D'ICONIUM,  ET  MARTYR; 

SAINT  JÉSUS,  SURNOMMÉ  LE  JUSTE,  ÉV.  D'ÉLEUTHÉROPOLIS; 

SAINT  ARTÉMAS  ,  ÉYÊQUE  DE  LYSTRE  (i"  siècle). 

Ces  saints  personnages  étaient  du  nombre  des  soixante-douze  disciples  :  ils  étaient  pleinement 
éclairés  dans  la  lumière  de  la  foi  sur  les  choses  divines.  Térentius,  ou  Tertius,  fut  institué  évêque 
d'Iconium,  après  Sosipàtre  :  il  mit  la  dernière  main  à  ce  que  ce  dernier  avait  laissé  inachevé  ;  il 
conféra  la  grâce  de  la  régénération  baptismale  à  ceux  qui  ne  s'y  étaient  préparés  qu'imparfaite- 
ment :  il  opéra  dans  cette  ville  des  prodiges  éclatauts,  et  ce  fut  lui  qui  écrivit  la  lettre  aux  Ro- 
mains. Il  dit,  en  effet,  à  la  fin  de  cette  épitre,  qu'il  l'a  écrite  sous  la  dictée  de  l'apôtre  saint  Paul  : 
«  Je  vous  salue  au  nom  du  Seigneur,  moi  Terlius,  qui  ai  écrit  cette  lettre  ».  C'est  une  grande 
marque  de  sa  vertu  que  saint  Paul  l'ait  trouvé  digne  d'être  le  premier  dépositaire  de  ses  pensées, 
et  qu'il  se  soit  servi  de  lui  pour  le  faire  écrire  sous  sa  dictée.  Saint  Dorothée,  la  Chronique 
d'Alexandrie  cl  les  Synaxaires  des  églises  d'Orient,  le  mettent  au  rang  des  soixante-douze  disciples, 
et  ajoutent  qu'il  termina  son  apostolat  par  le  martyre,  par  le  supplice  des  épines. 

Samt  Paul  parle  aussi  du  disciple  suivant  dans  son  épître  aux  Romains  : 

«  Jésus,  aussi  appelé  le  Juste  »,  leur  dit-il,  «  vous  salue,  ainsi  que  Marc,  cousin  de  Rarnabé. 
Ils  sont  du  nombre  des  fidèles  circoncis.  Ce  sont  les  seuls  qui  travaillent  maintenant  avec  moi, 
pour  avancer  le  royaume  de  Dieu,  et  qui  ont  été  ma  consolation  ».  «  Jésus,  surnommé  le  Juste  », 
ajoutent  les  monuments  orientaux,  «  fut  créé  évêque  d'Eleulhéropolis,  et  par  l'enseignement  de  la 
vérité  il  en  amena  tous  les  habitants  à  la  connaissance  de  Dieu  ».  Selon  saint  Epiphane  et  les 
Grecs,  il  fut  mis  par  Jésus-Christ  au  rang  des  soixante-douze  disciples,  et  travailla  au  ministère 
tvangélique  avec  les  autres  Apôtres. 

Artémas,  autre  disciple  de  Jésus,  fut  fait  évêque  de  Lystre,  ville  importante  de  l'Isaurie,  sur 
les  frontières  de  la  Lycaonie.  Là,  ce  vrai  et  dévoué  ministre  du  Christ  renversa  les  artifices  du 
démon,  détruisit  ses  pièges  et  son  règne,  et  y  établit  celui  du  Fils  de  Dieu.  Il  est  pareillement 
compté  au  nombre  des  soixante-douze  disciples,  par  la  Chronique  d'Alexandrie  et  par  saint  Doro- 
thée. Saint  Paul  parle  ainsi  de  lui  dans  son  épitre  à  Tite  '  :  «  Lorsque  je  vous  aurai  envoyé  Arté- 
mas et  Tychique,  ayez  soin  de  venir  proraptemeut  me  trouver  à  Nicopolis,  parce  que  j'ai  résolu 
d'y  passer  l'hiver  ». 

Ces  disciples  combattirent  généreusement  pour  la  vraie  religion,  s'exposèrent  pqur  sa  cause 
aux  plus  grands  dangers,  et  rendirent  leurs  âmes  à  Dieu  par  une  mort  tranquille,  à  l'exception  de 
saint  Térentius  ou  Terlius,  qui  fut  martyrisé. 

L'abbé  ilaistre,  Histoire  des  soixante-douze  disciples 


SAINT  ALBAN,  MARTYR  A  MAYENGB  (iv''  siècle). 

Alban,  prêtre,  fuyant  Hunéric,  roi  des  Vandales  ariens,  persécuteur  acharné  des  catholiques, 
quitta  l'Afrique,  sa  patrie,  avec  Théoneste,  son  évêque,  et  vint  en  exil  à  Rome.  De  cette  ville,  il 
fut  envoyé  en  Gaule  pour  annoncer  l'Evangile.  Mayence  se  trouvant  alors  dépourvue  de  pasteur,  il 
saisit  cette  occasion  pour  y  venir  exercer  le  ministère  apostolique.  Il  rencontra  encore  là  l'hérésie 
arienne,  et  à  ses  perfidies  il  opposa  le  glaive  de  la  parole  divine.  Doué  d'un  génie  vif  et  ardent  et 
d'une  forte  éloquence,  il  attaquait  sans  ménagement  les  hérétiques  et  les  enlaçait  dans  les  nœuds 
indissolubles  de  son  arganjenlalion.  C'est  par  ce  moyen  qu'il  excita  leur  colère  et  leur  rage. 

Celle  rage  finit  par  éclater,  et  Alban,  saisi  au  milieu  de  ses  frères,  fut  accablé  de  mauvais  trai- 
tements. Mais,  sans  s'émouvoir  de  ces  cruautés,  il  demeura  ferme  dans  la  foi  catholique  et  immo- 
bile au  milieu  des  insultes,  comme  un  rocher  au  milieu  des  vagues  irritées.  Enfin,  après  avoir 
FuVi  toutes  sortes  de  mauvais  traitements  de  la  part  d'une  multitude   insensée,  il  eut  la  tête  tran- 

1.  £p.  ad  TJt.  m,  12. 


SAINT  RAOUL,    ARCHEVÊQUE   DE   BOURGES.  205 

chée  hors  de  la  ville.  Une  tradition  constante  rapporte  que  sa  langue  murmura  encore  les  louanges 
de  Jésus-Christ,  après  que  sa  tête  fut  détachée  du  tronc;  elle  ajoute  que  le  Martyr  ramassa  sa 
têle,  et  qu'il  la  porta  d'un  pas  ferme  jusqu'à  l'pndroit  où  il  fut  ensuite  enseveli  avec  honneur. 

En  804,  on  fonda  dans  la  ville  de  Mayence  un  célèbre  monastère  qui  prit  le  nom  de  notre 
Saint  et  s'appela  Sandus-Albanus  Moguntinensis.  C'était  une  abbaye  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit, 
due  au  zèle  pieux  de  Riculfe,  archevêque  de  Mayence,  et  aux  libéralités  de  Charlemagne.  11  fut 
construit  hors  des  murs  de  la  ville,  sur  le  lieu  même  du  martyre  de  saint  Alban. 

Quelques  hagiographes  ont  confondu  à  tort  notre  saint  Martyr  de  Mayence  avec  celui  du  même 
nom,  premier  Martyr  en  Angleterre,  dont  on  fait  la  fête  et  dont  nous  donnons  la  Vie  au  jour 
suivant. 

Propre  de  Mayence. 


SAINT  MÉEN  OU  MÉVENNE, 

ABBÉ  DD  MONASTÈRE   DE  SAINT-JEAN-BAPTISTE  DE  GAEL  (617). 

Méen  ou  Mévenne  naquit  dans  la  Grande-Bretagne,  l'an  540;  ses  parents,  aussi  pieux  que 
nobles,  rélevèrent  chrétiennement.  Parvenu  à  l'âge  de  l'adolescence,  il  quitta  tout,  et  s'en  alla 
auprès  de  son  oncle,  saint  Samson,  évêqiie  d'York,  sous  la  discipline  de  qui  il  fit  de  grands  pro- 
grès dans  la  vertu.  Saint  Samson  ayant  été  forcé  de  quitter  l'Angleterre,  envahie  par  les  Saxons, 
se  retira  à  Dole,  dans  la  petite  Bretagne,  où  il  fut  aussitôt  choisi  pour  évêque.  Méen  ne  se  sépara 
pas  de  son  oncle  et  de  son  évêque,  et  il  l'aida  de  tout  son  pouvoir  à  porter  le  fardeau  de  l'épis- 
copat. 

Il  se  lia  d'une  étroite  amitié  avec  Caduon,  comte  de  Gaël,  qui  lui  avait  offert  l'hospitalité 
comme  il  voyageait.  Ce  comte  fonda,  dans  le  voisinage,  le  monastère  de  Saint-Jean-Baptiste,  qui 
devint,  sous  la  conduite  de  Méen,  une  pépinière  de  Saints.  Ce  fut  lui  qui  initia  à  la  vie  religieuse 
le  prince  Judicaël,  roi  de  Domnonée,  qui  fut  mis  au  rang  des  Saints.  Il  prédit  à  Hallon,  frère  du 
roi  Hoël,  qu'il  mourrait  dans  trois  jours,  en  punition  de  ses  crimes;  et  en  effet,  trois  jours  après, 
il  l'assistait  à  son  lit  de  mort,  pour  l'exhorter  à  la  pénitence.  Il  fonda  un  second  monastère  près 
d'Angers,  qu'il  peupla  de  ses  disciples  et  qu'il  allait  souvent  visiter  pour  y  entretenir  la  ferveur. 
H  mourut  au  monastère  de  Gaël,  vers  l'an  617.  Ce  lieu  et  cette  abbaye  ont  depuis  pris  le  nom  de 
Saint-Méen,  à  cause  des  miracles  qui  s'y  sont  opérés  par  l'intercession  du  Saint. 

Son  tombeau  attire  beaucoup  de  pèlerins.  On  trouve  son  nom  dans  les  litanies  anglaises  du 
VII*  siècle,  et  sa  fête  est  marquée  comme  solennelle  dans  les  calendriers  de  la  plupart  des  dio- 
cèses de  Bretagne,  sous  le  21  juin. 

Propre  de  Vannes. 


SAINT  RAOUL*,  ARCHEVÊQUE  DE  BOURGES  (8G6). 

Baoul  était  issu  de  la  maison  royale  de  France  et  se  trouvait  proche  parent  de  Wifroi,  comte 
de  Bourges.  11  eut  pour  père  un  autre  Raoul,  comte  de  Quercy,  seigneur  de  Turenne  et  abbé  laïque 
de  Tulle,  en  bas  Limousin.  Sa  mère  se  nommait  Algue,  et  sa  naissance  n'était  guère  moins  il- 
lustre. Ils  confièrent  l'éducation  de  leur  fils  à  un  homme  de  piété,  nommé  Bertrand,  qui  était 
abbé  de  Solignac,  près  de  Limoges.  Eu  823,  le  jeune  Raoul  reçut  la  tonsure  cléricale  et  fut  de- 
puis abbé  d'un  monastère  jusqu'ici  inconnu.  Son  mérite  le  fit  ensuite  élever  sur  le  siège  archiépis- 
copal de  Bourges,  où  il  monta  en  840.  Ce  qu'on  dira  bientôt  de  ses  écrits  montre  avec  quelle  sol- 
licitude il  gouverna  son  Eglise.  11  donna  même  aux  peuples  qui  lui  étaient  soumis  tant  de  marques 
et  de  sa  prudence  et  de  sa  grandeur  d'âme,  qu'il  mérita  d'être  regardé  comme  le  père  commun  de 
la  patrie. 

11  se  passa  peu  d'événements  considérables  dans  l'Eglise  gallicane  pendant  l'épiscopat  de  Raoul, 

1.  Alias,  Bodalplie,  Jlsclulfe,  Boils. 


206  22  JUIN. 

auxquels  il  n'eût  quelque  part.  En  845,  il  se  trouva  au  concile  de  Meaux,  et  trois  ans  après  à 
celui  de  Mayence,  selon  Trithème.  Il  assista  aussi,  en  859,  à  la  célèbre  assemblée  de  Savonnières, 
près  de  Toul,  et  y  fut  choisi,  avec  Rémi,  de  Lyon,  pour  juge  dans  l'affaire  Wenilon,  de  Sens.  Il 
fut  eucore  des  assemblées  de  Tousi,  en  860,  et  des  deux  de  Pistes,  en  862  et  864.  Dès  855,  il 
eourouua,  à  Limoges,  roi  d'Aquitaine  le  jeune  prince  Charles,  fils  de  Charles  le  Chauve. 

Celui-ci,  pour  mieux  marquer  à  notre  prélat  l'amitié  qu'il  lui  portait,  lui  donna  l'abbaye  de 
Fleury.  Raoul  employa  son  propre  bien  à  fonder  plusieurs  autres  abbayes  :  Dovère  ou  Dèvre,  au- 
jourd'hui Vierzou,  en  Berri;  Beaulieu  et  Végennes,  en  Limousin,  Sarrasac,  en  Quercy,  pour  des 
religieuses.  Les  deux  dernières  furent  détruites  avant  le  xyiii*  siècle. 

Raoul  est  le  premier  archevêque  de  Bourges  que  l'on  sache  certainement  avoir  été  décoré  des 
titres  de  patriarche  et  de  primat  des  Aquitaines  et  des  Narbonnaises.  Le  pape  Nicolas  le',  en  lui 
répondant  sur  la  validité  des  ordinations  des  chorévêques  et  d'autres  points  de  discipline,  le  re- 
connait  disertenient  pour  tel.  C'est  ce  qui  le  fait  nommer  archevêque  des  Aquitaines  par  Odon  de 
Vienne.  Ce  saint  Prélat,  selon  le  même  auteur,  mourut  en  866  et,  comme  on  le  croit,  le  21  de 
juin.  Il  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Ursin.  Un  peu  moins  d'un  siècle  après  sa  mort,  Eustorge, 
évêque  de  Limoges,  le  qualifiait  un  maître  de  sainte  mémoire. 

11  y  a  de  saint  Raoul  une  espèce  à' Instruction  pastorale,  qui  n'a  été  connue  du  public  qu'au 
commencement  du  xvii»  siècle.  Elle  est  dans  le  goût  et  sur  le  modèle  du  Capitulaiie  de  Théo- 
dulfe  d'Orléans,  où  l'auteur  a  beaucoup  puisé,  et  de  ceux  des  autres  évêques  du  même  temps 
(ix«  siècle).  Saint  Raoul  l'adresse  aux  prêtres  de  son  diocèse,  qu'il  appelle  ses  frères  et  ses  coo- 
pérateurs  dans  le  saint  ministère,  et  ne  la  publia  qu'après  les  avoir  consultés  sur  ce  qu'il  y  établit. 
Le  but  principal  que  se  proposait  le  saint  Prélat  dans  cet  ouvrage  était  de  faire  revivre  en  quelque 
sorte  l'esprit  des  anciens  canons  dans  son  clergé  et  de  remédier  à  certains  abus  qui  s'étaient  glis- 
sés dans  son  diocèse.  L'ignorance  et  les  faux  Pénitentiels  y  avaient  surtout  causé  beaucoup  de 
confusion  dans  l'administration  de  la  pénitence.  Noire  saint  Archevêque  se  crut  donc  obligé  d'y 
opposer  cet  ouvrage,  où  il  a  recueilli,  en  quarante-cinq  articles  ou  capitules,  ce  qui  lui  a  paru  le 
plus  propre  à  instruire  ses  prêtres  de  leurs  propres  devoirs  et  de  ce  qu'ils  devaient  enseigner  aux 
peuples  confiés  à  leurs  soins.  Ce  qu'il  y  dit,  U  l'a  principalement  tiré  des  Capitulaires  de  nos  rois 
et  de  celui  de  Théodulfe.  Il  a  aussi  puisé  quelquefois  dans  les  anciens  conciles,  les  décrets  des 
Papes  et  les  écrits  des  Pères. 

On  a  perdu  quelques  lettres  de  saint  Raoul,  nommément  celle  à  laquelle  répond  le  pape  Ni- 
colas 1er.  C'était  une  consultation  par  laquelle  il  demandait  à  ce  Pontife  des  éclaiixissements  sur 
divers  points  de  discipline. 

Dom  Riv6t,  Eist.  litt.  de  la  France. 


XXir  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAm. 


A  Noie,  ville  de  Campanie,  la  naissance  an  ciel  de  saint  Padlin,  évêque  et  confesseur,  ïui, 
de  très-noble  et  très-opulent  qu'il  était,  se  fit  pauvre  et  humble  pour  Jésus-Christ;  puis,  n'ayant 
plus  que  lui-même  pour  tout  bien,  se  rendit  volontiers  esclave  pour  racheter  le  fils  d'une  veuve 
que  les  Vandales,  ravageant  la  Campanie,  avaient  emmené  captif  en  Afrique.  Il  brilla  non-seulement 
par  sa  science  et  par  son  éminente  sainteté,  mais  aussi  par  son  pouvoir  contre  les  démons.  Saint 
Ambroise,  saint  Jérôme,  saint  Augustin  et  saint  Grégoire  ont  célébré  ses  louangep  dans  leurs  écrits. 
Son  corps  a  été  porté  à  Rome,  où  il  est  conservé  honorablement  dans  l'église  de  Sainl-Barthélemy-en- 
IJIe  avec  celui  de  ce  saint  Apôtre.  431.  —  Au  Mont-Araralh,  le  supplice  de  DfX  mille  Martyrs 
CRUCIFIÉS.  II»  s.  —  A  Vérulam,  en  Angleterre,  saint  Alban,  martyr,  qui,  du  temps  de  Dioclétien, 
s  étant  livré  lui-même  au  lieu  d'un  clerc  qu'il  avait  reçu  en  sa  maison,  après  avoir  enduré  les  fouets  et 


MAR-n'HOLOGES.  207 

d'autres  cruels  tourments,  fut  décapité.  Un  des  soldats  qui  le  menaient  au  supplice,  s'élant  con- 
Terti  en  chemin,  souffrit  aussi  avec  lui  et  mérita  d'être  baptisé  dans  son  p<-opre  sann.  303.  —  A 
Samarie,  mille  quatre  cent  quatre-vingts  bienheureux  Martyrs,  qui  souffrirent  sous  Chosroës,  roi 
de  Perse.  vi«  s.  —  A  Rome,  la  translation  de  saint  Flavius  Clément,  personnage  consulaire  et 
martyr,  mis  à  mort  pour  la  foi  de  Jésus-Christ  par  l'ordre  de  l'empereur  Domitien.  Son  corps, 
trouvé  depuis  peu  dans  la  basilique  de  Saint-Clément,  pape,  fut  remis  au  même  lieu  avec  une 
pompe  solennelle.  —  Le  même  jour,  saint  Nicéas  ',  évêque  de  Romaciane,  illustre  par  l'excellence 
de  sa  doctrine  et  la  sainteté  de  ses  mœurs,  v»  s.  —  A  Naples,  en  Campanie,  saint  Jean  *,  évêque, 
que  saint  Paulin,  évêque  de  Noie,  appela  au  royaume  céleste.  853.  —  Au  monastère  de  Cluiiy, 
sainte  CoQSOrte,  vierge  '.  570. 

MARTYROLOGE   DE  FRAJiCE,   REVU  ET  ADGMENTÉ. 

Aux  diocèses  de  Bordeaux  et  de  Viviers,  saint  Paulin  de  Noie,  nommé  au  martyrologe  romain 
de  ce  jour.  —  A  Gueldre,  dans  le  diocèse  de  Ruremonde,  saint  Galène  et  saint  Valène,  martyrs, 
du  nombre  des  dix  mille  crucifiés,  dont  les  corps  ont  été  apportés  en  ce  lien,  et  que  l'on  honore 
tous  les  ans  comme  protecteurs  de  la  ville,  par  un  office  et  une  procession  solennelle  ».  —  A 
Crespin,  près  de  Cambrai,  saint  Domitien,  coulesseur,  compagnon  de  saint  Landelin.  Il  accompagna 
son  maitre  lorsque  celui-ci  quitta  l'abbaye  de  Lobbes  qu'il  avait  fondée  pour  se  retirer  à  Crespin, 
lieu  situé  dans  une  épaisse  forêt  du  Hainaut  où  ils  se  construisirent  des  cellules  de  branches. 
Bientôt  Crespin  devint  un  monastère  (Crispiniensis  abbatia,  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit)  dont 
Domitien  fut  l'un  des  principaux  ornements.  11  y  fut  enterré.  Peut-être  celte  abbaye  a-t-elle  donné 
son  nom  au  village  de  Crespin,  près  de  Cambrai,  le  monastère  dépendant  autrefois  de  ce  diocèse. 
VII»  s.  —  A  Saint-Omer,  en  l'abbaye  de  Sainl-Bertin,  le  bienheureux  Lambert,  quarantième  abbé 
de  ce  monastère.  H25.  —  A  Saint- .Malo,  en  Basse-Bretagne,  saint  Aaron,  abbé  et  confesseur.  L'Ile 
où  saint  Aaron  avait  passé  sa  vie  a  depuis  porté  son  nom,  et  ne  l'a  perdu  qu'après  que  l'évêque 
Jean,  surnommé  de  la  Grille,  y  ayant  transporté  le  siège  d'Aleth,  est  devenu  fondateur  de  la  ville 
qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Saint-Malo,  et  qui  occupe  toute  l'étendue  de  l'ancienne  île  d'Aaron. 
Les  reliques  de  notre  Saint  ont  été  transportées  dans  l'église  cathédrale  de  Saint-Malo,  et  l'on  y 
montrait  son  chef  et  son  bras  droit  richement  enchâssés,  mais  ils  sont  maintenant  perdus.  Outre 
l'île  qui  portait  autrefois  son  nom  et  où  Ton  voyait  une  chapelle  dédiée  en  son  honneur,  il  y  a, 
dans  le  diocèse  de  Saint-Brieuc,  une  paroisse  du  nom  de  Saint-Aaron.  Vers  538.  —  A  Guines,  au 
diocèse  d'Arras,  sainte  Rotrdde  ou  Otrude,  vierge,  xii'  s.  —  Près  de  Saint-Calais,  au  diocèse 
du  Mans,  sainte  Aclylhénis  ou  Sicildis,  vulgairement  nommée  sainte  Séraute  ou  Cérotte,  attachée 
au  service  de  sainte  Osmane,  également  vierge.  Une  belle  église  lui  est  consacrée  dans  un  bourg 
de  son  nom,  à  Sainte-Cérotte  (Sarthe).  Seconde  moitié  du  vu»  s.  —  A  Metz,  sainte  Frèce  ou 
Précie  (Aprincia,  Precia),  vierge,  fille  de  saint  Goéric,  évêque  de  Metz.  Elle  reçut  le  voile  des 
mains  de  son  père  qui  bâtit  un  monastère  où  elle  se  retira  avec  plusieurs  vierges  dont  elle  fut  la 
première  abbesse.  Ce  monastère,  situé  sur  la  Moselle,  et  qui  est  devenu  dans  la  suite  un  Cha- 
pitre de  dames  chanoinesses,  fut  rebâti,  au  x»  siècle,  par  Thierry  I»',  évêque  de  Metz,  qui  y 
transféra  le  corps  de  saint  Goéric.  On  croit  que  sainte  Prèce,  après  sa  mort,  fut  reconduite  à  Metz, 

1.  Saint  Nicéas,  nomme  aussi,  mais  plus  rarement,  Nicétas,  est  mentionne  par  B%de,  Usnard,  Adon  et 
las  autres.  «  J'ai  longtemps  cherché  u,  dit  Baronius,  <■  qnelle  ponnait  être  cette  ville  nommée  Romaciana 
Civitas,  et  si  je  ne  me  trompe,  je  suis  parvenu  à  la  trouver.  Je  crois  que  c'est  Aquilée,  et  que  notre  saint 
Nicéas  est  l'évêque  de  cette  ville  auquel  est  adressée  la  soixante-dis-neuvibme  lettre  de  saint  Léon,  pape. 
n  fut  le  successeur  de  saint  Chromace,  de  qui  stiint  Jérôme  fait  fréquemment  mention.  Il  y  a  une  lettre 
de  saint  Jérôme,  la  quarante-deuxième,  qui  est  adressée  à  Nicéas,  sous-diacre  de  l'église  d'Aquilée;  11 
survécut  à  la  ruine  de  cette  ville  par  les  Huns,  comme  on  le  voit  par  la  lettre  de  saint  Léon,  dont  on 
vient  de  parler,  et  qui  est  datée  du  consulat  de  Majorien  ou  de  l'an  458.  Aquilée  était  une  colonie  ro- 
maine fameuse;  de  là  le  nom  de  Civitas  Romaciana,  que  nous  lisons  dans  les  anciens  martyrologes  ».  — 
Extrait  de  Baronius. 

2.  On  l'appelle  aussi  Jean  d'Aqnarolla,  du  nom  de  son  village  natal.  Son  corps  se  garde  dans  l'église 
de  Sainte-Restitute  de  Naples,  sous  le  maître-autel.  «  C'est  une  chose  constante  »,  dit  Baronius,  «  que 
ce  Saint  sortit  du  monde  un  samedi  saint,  le  l"  avril  853.  J'ignore  pourquoi  sa  fête  a  été  reportée  à  ce 
jour.  Uranius  décrit  ainsi  sa  mort  dans  la  Vie  de  saint  Paulin  de  Noie  :  Le  samedi  avant  la  fête  de 
Pâques,  à  la  deuxième  heure  du  jour,  il  se  rendit  tout  joyeux  à  l'église;  et  étant  monté  sur  son  trône,  il 
salua  le  peuple  à  l'ordinaire,  et  en  fut  salué  a  son  tour  ;  puis  il  prononça  l'oraison,  et  l'oraison  achevée, 
il  rendit  l'esprit.  La  formule  du  salut  adressé  au  peuple  par  l'évêque  était  :  Pax  vobis.  A  quoi  le  peuple 
répondait  alors,  comme  aujourd'hui  :  Et  cum  spiritu  tuo  Par  les  mots  :  Orationem  dédit,  de  l'auteur,  il 
faut  entendre  VOremus  prononcé  a  haute  voix  par  l'évêque  ;  et  par  ceux-ci  :  Collecta  oratione,  il  faut 
comprendre  le  corps  de  l'oraison  dit  d'une  commune  voix  par  l'évêque  et  le  peuple  » .  —  Baronius. 

3.  Elle  naquit  à  Lyon,  et  eut  pour  pfere  un  sénateur,  nommé  Eucher,  qui  devint  évêque  de  Lyon  sous 
le  nom  d' Eucher  II  et  dont  l'Eglise  célèbre  la  fête  le  6  novembre.  Sa  mère  était  sainte  Galle  et  sa  sœur 
sainte  Tullie.  Une  partie  de  ses  reliques  se  gardait  autrefois  au  monastère  de  Cluny. 

4.  Voyez  leur  notice  spéciale  au  12  de  ce  mois. 


ij;08  22  JUIN. 

et  ses  reliques  se  gardaient  dans  l'abbaye  de  Saint-Clément  de  cette  ville,  vu»  s.  —  A  Cahors,  la 
fête  de  saint  Radulfe,  Rodulfe  ou  Raoul,  évêque  de  Bourges,  déjà  nommé  hier,  jour  de  son  décès  '. 

—  A  Cologne,  la  fête  de  saint  Alban,  martyr,  nommé  hier  au  martyrologe  romain  *,  —  A  Soissons, 
saint  Alban,  premier  martyr  d'Angleterre,  nommé  aujourd'hui  au  martyrologe  romain. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  La  fête  de  toutes  les  saintes  reliques  qui  sont  coa- 
iCrvées  dans  la  basilique  de  Latran. 

Martyrologe  des  Camaldules.  —  Sainte  Julienne  Falconieri. 

Martyrologe  des  Dominicains.  —  Au  Mont-Ararath,  le  supplice  de  dix  mille  Martyrs  crucifiés. 

Martyrologe  des  Franciscains.  —  Sainte  Julienne  Falconieri. 

Martyrologe  des  Mineurs.  —  La  fête  de  toutes  les  saintes  reliques  conservées  dans  toutes  les 

églises  de  l'Ordre. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  A  Plaisance,  le  bienheureux  Philippe,  confesseur  de  notre 
Ordre,  illustre  par  son  mépris  pour  le  monde,  son  humilité  et  son  zèle  pour  l'oraison. 

Martyrologe  des  Hiérony mites.  —  Sainte  Julienne  Falconieri. 

Mariyrolog    des  Carmes  déchaussés.  —  Saint  Louis  de  Gonzague. 

Martyrologe  des  Carmes  chaussés.  —  Les  dix  mille  Martyrs  crucifiés. 

ADDITIONS  FAITES  D  APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Rimini,  dans  l'Emilie,  saint  Julien,  martyr,  patron  de  cette  ville.  Il  souffrit  sous  le  règno  de 
Dèce  qui,  après  l'avoir  fait  battre  de  verges  et  gémir  longtemps  dans  une  obscure  prison,  le  fit 
enfermer  dans  un  sac  et  jeter  à  la  mer,  près  de  l'ancienne  ville  de  Flaviopolis,  aujourd'hui  Flio- 
poli  ;  le  sac  aborda  près  d'une  lie  voisine  et  les  chrétiens  de  ce  pays  ensevelirent  avec  honneur  le 
précieux  corps  qu'il  contenait  et  qu'ils  reconnurent' pour  être  celui  d'un  Saint.  Plus  tard,  pendant 
une  grande  tempête,  le  tombeau  de  marbre  oh  étalent  les  reliques  se  détacha  du  rocher  près 
duquel  il  était  placé  et  vint  échouer  à  Rimini  où  il  est  depuis  en  grand  honneur,  m"  s.  —  A 
Alexandrie,  saint  Rufln  ou  Rufus,  martyr,  mentionné  au  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Antio- 
che,  en  Syrie,  les  saints  Gangale  ou  Gandalique,  Julien,  Grapte  et  plus  de  huit  cents  de  leurs  com- 
pagnons, martyrs,  indiqués  entre  autres  au  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Constantinople,  les 
saints  Pompien,  Galation,  Julienne  et  son  fils  Saturnin,  martyrs.  Les  deux  premiers  furent  préci- 
pités dans  la  mer,  Julienne  et  son  ûls  périrent  par  le  feu.  —  A  Vérulam,  en  Angleterre,  avec  saint 
Alban,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour,  les  saints  Amphibale,  Clérique  et  environ  deux 
mille  de  leurs  compagnons,  martyrs.  303.  —  A  Cologne,  la  translation  de  saint  Albin,  martyr,  dont 
le  corps  fut  apporté  de  Rome  au  xivo  siècle.  —  A  Samosate,  en  Syrie,  saint  Eusèbe,  évêque  de 
cette  ville,  nommé  hier  au  martyrologe  romain.  379.  —  A  Vérone,  en  Italie,  saint  Biaise,  évêque. 

—  A  Côme,  dans  la  même  contrée,  saint  Exupérance,  évêque.  ?es  reliques  sont  dans  cette  ville. 
Vers  l'an  512.  —  A  Salzbourg,  en  Allemagne,  saint  Ebherard  ou  Evrard,  archevêque  de  cette  ville. 
Il  naquit  en  1085  à  Nuremberg,  de  l'illustre  famille  des  comtes  de  Bibourg  et  fut  formé,  dès  son 
bas  âge,  à  la  piété,  par  sa  mère  qui  était  un  modèle  de  toutes  les  vertus.  11  acheva  son  éducation 
chez  les  religieux  du  Mont-Saint-Michel  de  Bamberg.  En  1104,  il  entra  au  monastère  de  Prufening, 
près  de  Ralisbonne,  où  il  devint  bientôt  le  modèle  de  la  communauté  par  sa  régularité  et  sa  fer- 
veur. Sur  l'ordre  d'Innocent  III,  il  prit  le  gouvernement  du  monastère  de  Bibourg,  près  d'In- 
golsladt,  fondé  par  ses  deux  frères  et  sa  sœur.  L'évêché  de  Salzbourg  étant  devenu  vacant,  le 
peuple  et  le  clergé  l'élurent  d'une  voix  unanime.  C'est  dans  le  ministère  pastoral  qu'il  finit  sa 
carrière,  s'appliquant  de  tout  son  pouvoir  à  régénérer  son  diocèse  qui,  à  celte  époque,  avait  perdu 
son  lustre  primitif  et  fourmillait  d'abus.  11  mourut,  épuisé  de  travaux,  à  l'âge  de  soixaute-dii- 
huitans.  1164.  —  A  Cologne,  la  bienheureuse  Christine,  vierge  '. 

1.  Nons  avons  donné  sa  notice  an  jour  précèdent. 

S.  Voir  «)»  notice  au  jour  précédent.  —  3.  Voir  au  jovir  suiyaat. 


LES  DIX  MILLE   SOLDATS   CRUCIFIÉS   SUR  LK   MONT   ARARATH.  209 


LES  DIX  MILLE  SOLDATS  CRUCIFIES 

SDR  LE  MONT  ARARATH 
II»  siècle. 


Dum  ehristiani  suppUeiis  afficiuntw,  numents    eorum 

crescit. 
Le  nombre  des  chr(?tieiis  s'accroît  a  mesure  qu'on  lei 
fait  périr  par  les  supplices. 

S.  Just.  mart.,  Epist.  ad  Diognetum. 

Le  bienheureux  troupeau  des  prédestinés  est  en  môme  temps  grand  et 
petit  :  il  est  petit,  selon  Jésus-Christ  dans  l'Evangile,  par  l'humilité  dont  il 
fait  profession,  et  parce  que,  si  on  le  compare  à  la  troupe  des  réprouvés,  il 
est  probablement  moins  nombreux  ;  mais  d'autre  part,  il  est  grand  par 
rexcellence  de  son  mérite  et  de  sa  gloire,  et  parce  qu'il  est  certain,  selon 
le  témoignage  de  saint  Jean  dans  son  Apocalypse,  que  c'est  une  assemblée 
composée  de  toutes  sortes  de  peuples,  de  tribus  et  de  langues,  que  personne 
ne  peut  supputer.  En  effet,  outre  une  infinité  de  saints  qui  ne  seront  connus 
que  dans  l'autre  monde,  parce  que  les  annales  du  passé  ne  nous  apprennent 
ni  leurs  noms  ni  leurs  actions,  les  calendriers  ecclésiastiques  nous  en  offrent 
chaque  jour  une  liste  considérable  :  nous  avons  donc  sujet  de  louer  Dieu, 
qui,  par  le  sang  de  son  fils  unique,  s'est  acquis  une  Eglise  si  nombreuse  pour 
le  louer  éternellement  dans  le  ciel. 

Quelquefois  nous  trouvons  des  centaines  de  Martyrs  qui  ont  donné  leur 
sang  tous  ensemble  pour  la  confession  du  nom  de  Jésus-Christ.  D'autres 
fois,  nous  en  trouvons  des  milliers,  et  d'autres  fois  encore  des  villages,  des 
bourgs  et  des  villes  entières,  dont  les  habitants  ont  tous  été  passés  par  le  fil 
de  l'épée  pour  avoir  refusé  d'adorer  les  idoles  et  de  leur  offrir  de  l'encens. 
Le  22  septembre  nous  en  présente  plus  de  sept  mille  en  la  personne  de  saint 
Maurice  et  de  toute  la  glorieuse  légion  des  ïhébains  ;  le  21  octobre,  plus  de 
onze  mille,  en  la  personne  de  saint  Ursule  et  de  la  troupe  bienheureuse  des 
vierges  et  d'autres  personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  qui  l'accompagnaient. 
Mais,  sans  nous  éloigner  du  jour  où  nous  sommes,  nous  y  trouvons  dix 
mille  soldats  chrétiens  qui  ont  mieux  aimé  se  désarmer  et  s'exposer  à  tous 
les  tourments  que  Notre-Seigneur  a  endurés  sur  la  croix,  que  d'abandonner 
son  service  et  de  se  souiller  par  l'adoration  des  fausses  divinités.  Leur  his- 
toire est  fort  ancienne,  et  a  souvent  été  traduite  du  grec  en  latin.  Nous  la 
rapporterons  ici  de  la  manière  qu'elle  a  été  traduite  par  Anastase  le  Biblio- 
thécaire, personnage  très-savant  et  de  grand  mérite,  et  par  un  autre  auteur 
dont  Surius  a  eu  le  manuscrit. 

Au  temps  de  l'empereur  Adrien,  qui  avait  succédé  à  Trajan,  dès  l'an- 
■lée  117,  les  Gadéréens  et  quelques  autres  peuples  qui  demeuraient  au-des- 
v  is  de  l'Euphrate,  vers  l'Arménie  maj eure,  s'étant  révoltés  contre  les  Romains, 
fk:ent  une  armée  de  plus  de  cent  mille  hommes  pour  disputer  leur  liberté 
3t  se  tirer  de  la  servitude  où  gémissait  tout  le  monde  alors  connu.  Ceux 
qui  commandaient  pour  l'empereur  en  Arménie  et  dans  les  provinces  voi- 
sines armèrent  aussitôt  pour  arrêter  ce  torrent  ;  mais  comme  les  troupes 
Vies  des  Saints.  —  ToiiE  Vil.  lA 


210  22  JUIN. 

romaines  étaient  occupées  ailleurs  ,  ils  ne  purent  faire,  malgré  toute  leur 
diligence,  qu'un  corps  d'armée  de  seize  mille  hommes.  Cependant,  se  fiant 
à  la  protection  de  leurs  dieux,  dont  ils  portaient  avec  eux  les  idoles,  et  au 
courage  de  ces  soldats  qui  étaient  de  vieilles  troupes,  pour  la  plupart,  et 
des  gens  aguerris ,  ils  ne  laissèrent  pas  de  marcher  avec  ce  petit  nombre 
contre  les  révoltés.  Mais  quand  ils  virent  devant  leurs  yeux  le  camp  des 
ennemis,  qui  les  surpassait  de  plus  de  quatre-vingt-quatre  mille  hommes, 
ils  perdirent  courage;  et,  n'osant  pas  les  attaquer,  ni  même  les  attendre,  ils 
résolurent  de  chercher  leur  salut  et  celui  de  leur  armée  dans  la  fuite.  Six 
mille  de  leurs  soldats  les  suivirent  et  échappèrent,  par  une  honteuse  retraite, 
au  danger  où  ils  se  croyaient.  Mais  neuf  mille,  animés  par  le  tribun  Acace, 
Garcère,  maître  de  camp  et  d'autres  capitaines,  aimèrent  mieux  s'exposer 
à  la  mort  en  combattant  généreusement  pour  la  gloire  du  nom  romain,  que 
de  conserver  leur  vie  par  une  action  indigne  de  leur  rang  et  de  la  haute  ré- 
putation qu'ils  s'étaient  acquise. 

Avant  d'aller  au  combat,  ils  voulurent  faire  les  sacrifices  ordinaires  pour 
implorer  la  protection  de  leurs  dieux  et  s'encourager  eux-mêmes  davantage  ; 
mais  ce  culte,  au  lieu  de  fortifier  leur  courage,  l'abattit  :  auparavant  ils  se 
sentaient  courageux  comme  des  lions  ;  maintenant  ils  sont  tremblants  de 
crainte  et  éprouvent  une  défaillance  de  cœur  qui  les  met  hors  d'état  de 
soutenir  le  choc  des  ennemis.  Pendant  qu'ils  étaient  dans  ce  trouble,  un 
ange  leur  apparut  sous  la  forme  d'un  jeune  homme  d'un  port  majestueux 
et  d'une  beauté  extraordinaire  ;  il  leur  dit  :  a  Vous  pouvez  reconnaître,  par 
la  timidité  que  vous  ressentez  après  l'immolation  des  victimes,  que  les  idoles 
et  les  divinités  imaginaires  du  paganisme  ne  peuvent  pas  vous  rendre  victo- 
rieux ;  mais  si  vous  voulez  suivre  mon  conseil,  si  vous  voulez  avoir  recours 
au  Dieu  du  ciel  et  croire  en  Jésus-Christ,  son  Fils  unique,  selon  la  doctrine 
des  chrétiens,  vous  remporterez  infailliblement  la  victoire  et  reviendrez  du 
combat  chargés  de  gloire  et  de  butm  ».  Une  promesse  si  avantageuse  leur 
fit  ouvrir  les  yeux  ;  ils  en  conférèrent  ensemble;  et,  comme  la  plupart,  et 
surtout  Acace  et  les  autres  capitaines,  y  étaient  bien  disposés,  ils  conclurent 
qu'il  fallait  embrasser  le  christianisme.  En  même  temps,  ils  élevèrent  leurs 
yeux  et  leurs  mains  au  ciel,  et  protestèrent  à  Dieu,  souverain  Maître  de 
toutes  choses,  qu'il  ne  reconnaissaient  point  d'autre  Dieu  que  lui,  et  Jésus- 
Christ  son  Fils,  et  que  c'était  de  lui  seul  qu'ils  attendaient  tout  leur  secours. 
Après  cette  confession,  ils  furent  remplis  de  tant  de  force,  qu'étant  allés  à 
l'heure  même  au  combat,  ils  défirent  entièrement  les  révoltés,  en  couchèrent 
une  grande  partie  sur  la  place,  blessèrent  les  autres  et  mirent  le  reste  en 
fuite,  dont  les  uns  se  noyèrent  dans  les  lacs  voisins,  et  les  autres  périrent 
misérablement  dans  les  rochers  et  dans  les  bois,  où  ils  se  sauvèrent. 

Une  victoire  si  signalée  les  confirma  encore  dans  la  foi  et  dans  la  religion 
qu'ils  venaient  d'embrasser  ;  ils  rendirent  mille  actions  de  grâces  à  Dieu,  et 
lui  protestèrent  qu'ils  vivraient  et  mourraient  à  son  service,  sans  que  rien 
fût  capable  de  leur  faire  changer  de  résolution.  L'ange  qui  leur  avait  apparu 
la  première  fois  se  fit  voir  encore  à  eux  ;  et,  après  les  avoir  loués  de  ce  qu'ils 
avaient  suivi  son  conseil,  il  les  conduisit  lui-même  sur  une  haute  montagne 
appelée  Ararath,  éloignée  d'environ  cinq  cents  stades  d'une  ville  de  ce 
royaume,  nommée  Alexandrie.  Lorsqu'ils  y  furent  arrivés,  les  cieux  s'ou- 
vrirent au-dessus  d'eux,  et  sept  autres  esprits  bienheureux  en  descendirent, 
qui  les  congratulèrent  aussi  de  leur  conversion,  et,  se  joignant  au  premier 
ange,  les  instruisirent  des  mystères  de  notre  religion.  Après  qu'ils  furent 
suffisamment  instruits,  ils  les  avertirent  des  violences  que  feraient  les  gêné- 


LES  DIX  MILLE   SOLDATS  CRUCIFIÉS   SUR  LE   MONT  AR.VRA.TH.  2H 

raux  de  Tarmée  pour  les  faire  retourner  au  culte  des  idoles,  et  des  tour- 
ments qui  leur  étaient  préparés  :  ils  leur  dirent  que,  s'ils  avaient  combattu 
jusqu'alors  pour  les  princes  de  la  terre  en  donnant  la  mort  à  leurs  ennemis, 
il  était  temps  qu'ils  combattissent  pour  le  Roi  du  ciel,  en  souffrant  eux- 
mêmes  la  mort  comme  il  l'avait  soufferte  pour  leur  salut.  Ces  soldats  chré- 
tiens répondirent  unanimement  qu'ils  étaient  prêts  à  tout,  qu'assez  forts 
pour  se  défendre  par  les  armes  de  la  cruauté  des  tyrans,  ils  étaient  néan- 
moins résolus  de  ne  s'en  point  servir,  mais  de  les  mettre  bas  pour  être  les  vic- 
times pacifiques  de  la  gloire  de  leur  Seigneur  Jésus-Christ.  Ils  demeurèrent 
ensuite  quelque  temps  sur  la  même  montagne,  sans  avoir  besoin  d'aucun 
aliment  corporel,  parce  que  l'esprit  de  Dieu  y  suppléait  par  la  force  et  la 
vigueur  intérieure  qu'il  leur  communiquait. 

Les  généraux  romains,  à  la  nouvelle  de  leur  victoire  et  de  leur  retraite, 
leur  envoyèrent  des  députés,  les  priant  de  descendre  vers  le  reste  de  l'armée 
pour  recevoir  la  récompense  et  les  félicitations  que  méritait  leur  valeur  ;  ils 
répondirent  aux  envoyés  qu'il  s'était  fait  un  grand  changement  en  eux  de- 
puis leur  séparation  ;  que  d'idolâtres  ils  étaient  devenus  chrétiens  ,  parce 
que  c'était  par  la  vertu  de  Jésus-Christ  qu'ils  avaient  défait  leurs  ennemis, 
et  qu'ainsi  ils  ne  pouvaient  plus  avoir  de  commerce  ni  avec  l'empereur  ni 
avec  leurs  capitaines,  qui  se  souillaient  continuellement  par  les  sacrifices 
impurs  qu'ils  offraient  aux  démons.  Cette  réponse  ayant  été  portée  aux  gé- 
néraux, ils  en  furent  touchés  d'une  grande  douleur  ;  et,  comme  il  leur  était 
survenu  de  nouvelles  troupes,  ils  résolurent  de  forcer  nos  Saints  de  se  joindre 
à  eux  et  d'adorer  les  idoles  avec  toute  l'armée.  Ils  marchèrent  donc  contre 
eux,  comme  contre  des  ennemis  de  leurs  dieux  et  de  l'empire.  Lorsque  les 
saints  Martyrs  les  virent  approcher,  ils  ne  se  mirent  point  en  défense  ;  mais, 
sachant  que  Notre-Seigneur  a  dit  qu'il  «  envoyait  ses  disciples  comme  des 
agneaux  entre  les  loups  »,  après  avoir  imploré  son  secours  et  en  avoir  reçu 
l'assurance  par  une  voix  du  ciel,  ils  se  livrèrent  eux-mêmes  entre  les  mains 
de  leurs  persécuteurs. 

Celui  qui  commandait  pour  l'empereur  leur  fit  de  grands  reproches 
d'avoir  abandonné  la  religion  de  l'empire  pour  adorer  un  Dieu  inconnu  et 
un  Homme  crucifié,  et  les  avertit  de  changer  de  résolution,  s'ils  ne  voulaient 
endurer  toutes  sortes  de  supplices  et  être  condamnés  à  mort  comme  crimi- 
nels de  lèse-majesté  divine  et  humaine. 

Acace,  le  chef,  et  tous  les  autres  capitaines  répondirent  avec  beaucoup 
de  courage  :  «  Que,  bien  loin  d'être  criminels  de  lèse-majesté  divine  et  hu- 
maine, ils  rendaient  au  vrai  Dieu  l'honneur  qui  lui  appartenait,  et  à  l'em- 
pereur le  service  qu'ils  lui  devaient  en  priant  pour  sa  conversion  et  pour  la 
prospérité  de  son  Etat  ;  que  cependant  ils  ne  refusaient  ni  les  tourments  ni 
la  mort,  et  que  c'était  avec  joie  qu'ils  entendraient  l'arrêt  de  leur  condam- 
nation ».  Cette  liberté  aigrit  tellement  toute  l'armée,  qu'une  grande  partie 
des  soldats  prirent  des  pierres  pour  assommer  ces  généreux  confesseurs  du 
nom  de  Jésus-Christ  ;  mais,  par  un  grand  miracle,  les  pierres  rejaillirent 
contre  ceux  qui  les  jetaient  ;  et,  bien  loin  de  blesser  les  Martyrs,  elles  bles- 
sèrent ceux  qui  se  voulaient  faire  leurs  bourreaux. 

Ce  prodige,  effrayant  le  tyran,  il  commanda  de  cesser  de  les  lapider,  et 
fit  encore  de  grands  efforts  pour  les  gagner  par  la  douceur  ;  mais,  comme 
il  vit  que  ses  paroles  ne  faisaient  aucune  impression  sur  leurs  esprits  ,  et 
qu'ils  témoignaient  de  plus  en  plus  une  ardeur  incroyable  de  souffrir  pour 
leur  divin  Maître,  il  ordonna  de  les  dépouiller,  de  les  attacher  à  des  arbres 
et  de  leur  déchirer  le  corps  à  couiJs  de  fouet  :  «  Car  c'est  ainsi  »,  dit-il,  «  que 


212  22  JUIN 

le  Dieu  qu'ils  adorent  a  été  traité  des  Juifs».  Cet  ordre  fut  incontinent 
exécuté,  au  moins  à  l'égard  d'une  partie;  mais,  les  Saints  ayant  fait  leurs 
prières,  les  bras  et  les  mains  de  ceux  qui  s'étaient  armés  de  verges  ou  de 
fouets  pour  les  frapper  devinrent  arides,  de  sorte  qu'ils  ne  purent  plus  leur 
faire  de  mal.  Une  assistance  de  Dieu  si  visible  fit  ouvrir  les  yeux  à  Théodore, 
un  des  chefs  de  l'armée  impériale  ;  il  reconnut  que  la  justice  et  la  vérité 
étaient  du  côté  des  saints  Martyrs,  et  que  le  Seigneur  qu'ils  adoraient  était 
le  vrai  Dieu,  à  qui  le  culte  souverain  était  dû.  Il  en  parla  à  mille  soldats 
qu'il  commandait,  qui,  étant  entrés  dans  son  sentiment,  s'écrièrent  tous  avec 
beaucoup  de  ferveur  qu'ils  étaient  chrétiens,  et  se  joignirent  aux  neuf  mille 
que  l'on  maltraitait  si  cruellement  pour  Jésus-Christ.  Ainsi,  la  troupe  des 
confesseurs  fut  heureusement  augmentée  et  devint  de  dix  mille  hommes. 

Le  tyran  fut  prodigieusement  irrité  de  cet  événement  ;  et,  dans  la  rage 
où  il  était,  il  fit  couvrir  de  pointes  de  fer  une  campagne  de  la  longueur  de 
vingt  stades,  et  commanda  à  son  armée  de  contraindre  les  Saints,  à  coups 
de  bâton,  d'y  passer  nu-pieds.  Mais  il  ne  fut  point  nécessaire  pour  cela  de 
contrainte  :  les  Martyrs  y  coururent  d'eux-mêmes,  et,  regardant  ce  chemin 
comme  la  voie  étroite  qui  conduit  à  la  vie,  ils  y  entrèrent  plus  volontiers 
qu'ils  ne  fussent  entrés  dans  un  lieu  semé  de  roses  ou  couvert  de  tapis 
agréables  et  précieux.  Cependant  ils  n'y  reçurent  aucune  blessure  :  car  des 
anges,  marchant  devant  eux,  ramassèrent  toutes  ces  pointes  et  les  mirent 
en  un  monceau  pour  leur  donner  un  passage  aisé  et  sans  incommodité.  Le 
lieu  où  on  les  mena  fut  la  ville  d'Alexandrie  dont  nous  avons  déjà  parlé,  et 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  la  célèbre  cité  égyptienne.  Lorsqu'ils  y 
furent  arrivés,  le  tyran,  qui  travailla  encore  inutilement  à  les  ébranler  par 
ses  discours,  voulut  éprouver  contre  eux  tous  les  genres  de  supplices  que 
les  Juifs  ont  fait  souffrir  au  Fils  de  Dieu  :  il  leur  fit  couvrir  la  tête  de  longues 
épines  faites  en  forme  de  couronne,  dont  il  y  avait  une  grande  abondance 
dans  la  forêt  voisine  ;  il  leur  fit  percer  le  côté  avec  de  petites  lances  ,  qui 
tirèrent  de  leurs  corps  des  ruisseaux  de  sang  ;  il  les  fit  conduire  en  cet  état, 
et  les  m.ains  derrière  le  dos,  par  toute  la  ville,  et  on  les  fouetta  cruellement 
devant  tout  le  peuple  ;  la  nuit  suivante,  les  ayant  fait  ramener  dans  les 
grandes  cours  et  les  jardins  du  palais,  il  les  abandonna  à  toutes  les  insultes 
et  aux  mauvais  traitements  de  ses  soldats  ;  enfin,  il  les  condamna  tous  à  être 
crucifiés  sur  la  montagne  d'Ararath,  où  ils  s'étaient  premièrement  retirés 
après  leur  victoire.  Ils  y  allèrent  comme  à  un  lieu  de  triomphe,  sans  que 
pas  un  de  cette  illustre  troupe  perdît  courage  et  s'ennuyât  de  souffrir.  Les 
plus  jeunes  mêmes  dirent  des  merveilles  à  la  louange  de  Jésus-Christ  et  de 
la  religion  chrétienne  ;  et,  lorsqu'Acace,  leur  chef,  leur  représenta  avec  des 
paroles  de  feu  que  leur  supplice  finirait  bientôt,  mais  que  la  récompense 
qui  leur  était  préparée  dans  le  ciel  ne  finirait  jamais,  ils  lui  répondirent  a  que 
la  seule  peine  qu'ils  avaient  était  de  n'endurer  pas  assez  de  tourments  pour 
la  gloire  de  leur  divin  Maître  ».  Comme  le  sang  coulait  abondamment  de 
leurs  plaies,  ils  en  remplirent  leurs  mains,  et,  se  le  jetant  sur  la  tète,  ils 
prièrent  instamment  Notre-Seigneur  que  ce  sang  qu'ils  répandaient  pour 
son  amour  leur  servît  de  baptême  et  les  lavât  de  toutes  leurs  iniquités  pas- 
sées. Une  voix  du  ciel  les  assura  de  cette  grâce  :  ainsi,  ce  fut  avec  une  joie 
incroyable  qu'ils  tendirent  les  pieds,  les  mains  et  tout  le  corps  à  trente  mille 
soldats  de  l'armée  qui  avaient  été  commandés  pour  les  crucifier.  Ce  supplice, 
tout  terrible  qu'il  est,  ne  les  empêcha  pas  de  continuer  de  donner  des 
louanges  à  Dieu  et  de  publier  ses  grandeurs  :  mais,  l'heure  de  la  mort  ap- 
prochant, les  cieux  s'ouvrirent,  les  anges  en  descendirent  visiblement,  et  on 


SAINT   AL'JAX,    PREMIER   MARTYR  D'ANGLETERRE.  213 

entendit  la  voix  de  Notre-Seigneur,  qui  leur  dit  :  «  Venez,  les  bien-aimés  de 
mon  Père,  recevez  le  royaume  qui  vous  a  élé  préparé  dès  le  commencement 
du  monde  ».  En  môme  temps,  une  grande  lumière  les  environna  et  les  cacha 
aux  yeux  des  infidèles  ;  et,  au  milieu  de  celte  splendeur,  ils  rendirent  leurs 
saintes  âmes  ,  qui  allèrent  recevoir  la  récompense  de  leurs  combats  et  de 
leurs  souffrances  pour  Jésus-Christ.  Ce  fut  le  22  juin,  à  la  même  heure  que 
Notre-Seigneur  est  expiré  sur  la  croix,  au  commencement  de  l'empire 
d'Adrien,  c'est-à-dire  vers  l'an  120,  quoique  quelques  auteurs  diffèrent  leur 
martyre  jusqu'à  la  fin  de  son  règne,  qui  fut  en  l'an  138. 

Après  leur  mort,  il  se  fit  un  grand  tremblement  de  terre,  qui  détacha 
leurs  corps  des  potences  où  on  les  avait  attachés  ou  liés,  et  les  anges  les  en- 
terrèrent de  leurs  propres  mains,  non  pas  dans  une  fosse  commune,  mais 
chacun  dans  un  sépulcre  particulier,  faisant  entendre  une  musique  céleste, 
qui  rendit  cette  cérémonie  plus  auguste  que  les  plus  superbes  obsèques  des 
empereurs  et  des  rois.  L'Eglise  a,  de  tout  temps,  reconnu  et  honoré  ces  ad- 
mirables soldats  de  Jésus-Christ  ;  et  même  autrefois,  à  Rome,  le  jour  de 
leur  martyre  était  une  des  fêtes  où  l'on  ne  plaidait  point  au  palais  '. 

Acta  Sanctorum ,  t.  v  junii. 


SAINÏ  ALBAN,  PREMIER  MARTYR  D'ANGLETERRE 

303f  —  Pape  :  Saint  Marcellin.  —  Empereur  romain  :  Dioclétien. 


Cloriosa  martyrum  species  est,  qui  confessioni  Dei 
tanquam  hostia  electa  sunt  electi. 

11  est  une  espèce  glorieuse  de  Martyrs  :  ce  sont  ceux 
qui,  semblables  à  une  victime  clioisie,  sont  immo- 
lés en  confessant  le  nom  de  Dieu. 

S.  Hilaire,  sup.  Matlh.  can.  3. 

La  lumière  de  l'Evangile  fut  portée  en  Angleterre  dès  le  temps  des 
Apôtres.  Le  nombre  des  chrétiens  s'y  accrut  beaucoup  par  la  conversion 
du  roi  Lucius,  qu'on  place  en  180.  La  fureur  des  premières  persécutions  ne 
pénétra  pas  dans  ces  îles  lointaines,  ce  qui  permit  à  l'Eglise  de  cultiver  en 
paix  et  de  développer  les  germes  de  la  foi.  D'ailleurs,  l'Angleterre  étant 
comme  un  monde  séparé  du  monde  romain,  on  peut  présumer  que  beau- 
coup de  fidèles,  persécutés  ailleurs,  s'y  retirèrent  pour  y  trouver  un  peu  de 
repos.  Mais  Dioclétien,  plus  clairvoyant,  ou  plutôt  plus  impitoyable  que  les 

1.  Radulphe  oa  Raoul,  doyen  d«  Tongres,  au  livre  de  V Observance  des  Canons,  trouve  plusieurs  diffl- 
cnltos  dans  l'histoire  de  ces  bienheureux  Martyrs,  et  te'moïKne  qu'il  aura  peine  à  la  croire  s'il  ne  la  voit 
appuye'e  sur  une  autorité  ecclésiastique.  Cette  «  autorité  »  existait  de  son  temps  comme  aujourd'hui, 
puisque  le  martyrologe  romain  et  le  ménologe  des  Grecs  faisaient  mention  des  dix  mille  Martyrs  crucifiés 
sur  la  montai^ne  d'Ararath;  et,  quant  aux  difficultés  qu'on  y  pourrait  remarquer,  le  cardinal  Baronius  y  a 
si  parfaitement  répondu,  qu'elles  ne  devraient  plus  embarrasser.  Il  est  vrai  que,  dans  ces  Actes,  rap- 
portés par  Surius  et  par  les  autres  auteurs  des  Vies  des  Sainls  qui  l'ont  précédé,  leur  exécution  est  attri- 
buée à  l'emiiereur  Adrien,  et  même  à  Antonin,  son  fils  adoptif  et  son  successeur,  comme  s'ils  y  eussent 
été  présents,  ce  qui  est  hors  d'apparence;  mais  en  des  Actes  aussi  anciens  que  ceux-là,  et  qui  ont  passé 
par  tant  de  mains  et  tant  de  copies  dirtérentes,  l'errenr  dans  une  circonstance  ne  doit  pas  faire  douter  dti 
fond  de  l'histoire,  qui  se  trouve  d'ailleurs  autorisée  par  la  tradition  des  Eglises  et  par  la  croyance  des 
fidèles.  Au  reste,  il  ne  faut  pas  omettre  ici  que  ces  glorieux  athlètes  de  Jésus-Christ  rendent  de  grandes 
«ssistances  aux  malades,  dans  le  temps  de  leur  agonie,  pour  les  rendre  Tictoriaux  du  démon  :  on  en  peut 
TOir  un  exemple  mémorable  dans  la  Vie  do  sainte  rUciùsâ. 


214  22  JUIN. 

autres  persécuteurs,  ensanglanta  ces  contrées  paisibles.  Nous  apprenons  de 
Gildas  et  de  Bède  que  plusieurs  chrétiens  y  remportèrent  la  couronne  du 
martyre. 

Le  premier,  et  un  des  plus  célèbres  de  ces  héros  chrétiens,  fut  saint 
Alban,  dont  la  mort  a  été  illustrée  par  plusieurs  miracles,  et  dont  le  sang, 
après  avoir  rendu  témoignage  à  Jésus-Christ,  a  été  une  semence  de  chré- 
tiens et  une  source  de  bénédictions  pour  l'Angleterre.  «  La  gloire  de  son 
triomphe  »,  dit  Fortunat,  «  a  été  si  éclatante,  qu'elle  s'est  répandue  par 
toule  l'Eglise  ».  Alban,  jeune  encore,  se  rendit  à  Rome  pour  se  perfection- 
ner dans  les  belles-lettres.  De  retour  en  Angleterre,  il  s'établit  à  Vérulam  \ 
où  il  jouissait  d'une  grande  considération  parmi  le  peuple,  non  moins  à 
cause  de  son  rang  qu'à  cause  de  ses  richesses  et  des  dignités  dont  il  était 
revêtu.  Il  ne  connaissait  point  Jésus-Christ,  mais  son  âme,  enrichie  des  plus 
heureuses  dispositions,  semblait  n'attendre  que  l'instant  de  la  grâce  pour 
s'ouvrir  aux  lumières  de  la  foi  et  pour  ne  plus  rechercher  que  le  trésor  des 
biens  éternels.  Bon  envers  tout  le  monde,  charitable  envers  les  indigents, 
Alban  ouvrait  sa  maison  à  tous  les  malheureux.  Il  reçut  chez  lui  un  saint 
prêtre  nommé  Amphibale,  qui  fuyait  pour  se  soustraire  aux  inquisitions 
des  persécuteurs.  Il  le  traita  avec  toute  sorte  d'égards  et  même  de  respects. 
L'homme  de  Dieu  passa  ainsi  quelque  temps  caché  à  l'œil  des  bourreaux. 
Alban,  qui  l'observait,  était  singulièrement  édifié  de  sa  conduite  ;  surtout  il 
admirait  avec  quelle  ferveur  il  passait  les  jours  et  une  partie  des  nuits  en 
prière.  Il  eut  envie  de  connaître  une  religion  qui  inspirait  une  piété  si  mer- 
veilleuse. Un  jour,  il  renvoya  ses  serviteurs,  et  demeurant  seul  avec  son 
hôte,  il  lui  dit  : 

«  Comment  se  fait-il  que  toi,  qui  es  chrétien,  tu  aies  pu  parcourir  tout 
un  pays  où  ta  religion  est  en  horreur,  et  arriver  sain  et  sauf  jusque  dans 
cette  ville?  »  Amphibale  lui  répondit  :  «  Mon  Seigneur  Jésus-Christ,  Fils  du 
Dieu  vivant,  a  protégé  mes  pas  et  m'a  gardé  constamment  de  tout  danger. 
C'est  lui  qui,  pour  le  salut  de  plusieurs,  m'a  dirigé  vers  cette  province,  afin 
qu'annonçant  aux  nations  la  foi  qu'il  a  prêchée  lui-même,  je  lui  prépare  un 
peuple  choisi  ».  —  «  Mais  »,  dit  Alban,  «  quel  est  donc  ce  Fils  de  Dieu? 
Prétendez-vous  dire  que  Dieu  est  né?  Ces  choses  me  paraissent  bien  nou- 
velles, et  j'en  entends  parler  aujourd'hui  pour  la  première  fois.  Je  serais 
curieux  de  savoir  comment  vous  expliquez  tout  cela,  vous  autres  chrétiens». 

Alors  le  bienheureux  Amphibale,  commençant  à  lui  exposer  les  mys- 
tères de  l'Evangile,  parla  en  ces  termes  :  u  Notre  foi  nous  enseigne  à  recon- 
naître Dieu  le  Père,  et  Dieu  le  Fils  qui,  pour  notre  salut,  a  daigné  se  revêtir 
d'une  chair  semblable  à  la  nôtre,  et  naître  miraculeusement  d'une  Vierge. 
Quand  les  temps  furent  accomplis,  un  Ange  du  ciel  descendit  vers  cette 
Vierge,  nommée  Marie,  pour  lui  annoncer  le  mystère  qui  allait  s'accouiplir 
en  elle;  et  Marie  répondit  :  Je  suis  la  servante  du  Seigneur  :  qu'il  me  soit 
fait  selon  votre  parole.  Ainsi  cette  Vierge  mérita  de  donner  naissance  à  son 
Dieu,  à  son  Seigneur,  à  celui  de  qui  elle  avait  reçu  elle-même  l'existence. 
Elle  devint  mère  sans  perdre  sa  virginité.  C'est  ce  qu'avaient  depuis  long- 
temps prédit  les  Prophètes,  à  qui  Dieu  avait  révélé  ce  mystère  dans  les 
siècles  passés.  Si  donc  tu  crois  toutes  ces  choses,  les  promesses  de  salut 
faites  aux  chrétiens  s'accompliront  aussi  en  toi  :  quand  tu  seras  chrétien, 

1.  r  ne  reste  ptus   aucun  Testige  de  raneie-nn-^  ville  de  Vdrnlam,  si  Ton  cxcnite  quelques  fondatiors 
de  miirailles  et  ipielques  morceaux  de  pari?  marquc!(^.  On  y  a  souvent  trouve',  en   creusant,  des  pièces  de 


monn 


naie  romaine.  La  Werlanr>  coule  "a  1  orient  de  U  ville  ;  à  l'occident  eit  le  grand  chemin  construit  par 
les  R'jmalnï  et  appelé  WatUngstreel. 


SAINT   ALBÀN,   PREMIER   MAJITÏR  d' ANGLETERRE.  215 

tu  pourras,  en  invoquant  le  nom  du  Christ,  guérir  les  infirmes  et  les  ma- 
lades ;  aucune  adversité  ne  sera  capable  de  t'abattre  ;  enfin  tu  finiras  ta  ne 
par  le  martyre,  et  par  une  bienheureuse  mort,  lu  quitteras  cette  terre  pour 
aller  vivre  avec  le  Christ.  C'est  pour  t'annoncer  tout  cela  que  je  suis  venu 
dans  cette  ville  ;  le  Seigneur  veut  récompenser  ainsi  l'hospitalité  généreuse 
que  tu  m'as  donnée  ». 

Alban  dit  alors  :  «  Si  je  Tiens  à  croire  au  Christ,  quel  honneur  devrai-je 
lui  rendre?  »  Le  prêtre  lui  répondit  :  «  Crois  que  le  Seigneur  Jésus  est  un 
seul  Dieu  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit,  et  tu  seras  par  là  même  très- 
agréable  à  ses  yeux  ».  Alban  répliqua  :  «  Que  dis-tu?  Tu  parles  comme  un 
insensé,  car  mon  esprit  ne  peut  trouver  un  sens  à  cette  parole,  et  ma  raison 
se  refuse  à  l'admettre.  Si  les  habitants  de  cette  ville  entendaient  ce  que  tu 
viens  de  me  dire  de  ton  Christ,  ils  ne  tarderaient  pas  à  punir  tes  discours 
blasphématoires  selon  la  rigueur  des  lois  portées  contre  votre  secte.  Pour 
moi,  je  suis  bien  disposé  à  ton  égard;  mais  je  crains  fort  qu'il  ne  t'arrive 
malheur  ».  Il  se  retira  donc  tout  ému,  sans  vouloir  écouter  davantage  les 
paroles  du  prêtre,  ni  prêter  l'oreille  à  ses  enseignements. 

Amphibale,  resté  seul,  passa  toute  la  nuit  en  prière,  tandis  qu'Alban  se 
retira  dans  sa  chambre  pour  prendre  son  repos.  Mais  pendant  qu'il  dormait, 
il  eut  une  vision  que  Dieu  lui  envoya  pour  l'instruire,  et  dont  il  fut  telle- 
ment touché  qu'il  se  leva  sur  l'heure,  vint  trouver  son  hôte,  et  lui  dit  :  «  Si 
ce  que  tu  prêches  au  sujet  du  Christ  est  véritable,  daigne  me  donner  l'ex- 
plication d'un  songe  mystérieux  que  je  viens  d'avoir.  J'ai  vu  descendre  du 
ciel  un  homme  qu'une  foule  immense  d'autres  hommes  a  saisi  pour  lui  faire 
souffrir  des  tourments  de  toute  espèce.  Ils  lui  ont  lié  les  mains,  ont 
frappé  sur  son  corps  à  coups  de  verges,  et  mis  ainsi  toute  sa  chi  ir  comme 
en  lambeaux.  Puis  ils  ont  suspendu  à  une  croix  ce  corps  ainsi  déchiré,  après 
l'avoir  dépouillé  de  tous  ses  vêtements;  ils  ont  étendu  violemment  ses  bras 
sur  cette  croix;  ils  ont  percé  de  clous  ses  pieds  et  ses  mains  :  ils  lui  ont  ou- 
vert le  côté  d'un  coup  de  lance,  et  de  cette  blessure  j'ai  cru  voir  sortir  du 
sang  et  de  l'eau.  Ils  l'avaient  injurié  longtemps  en  disant  :  Salut,  Roi  des 
Juifs;  si  tu  es  le  Fils  de  Dieu,  descends  de  la  croix  à  cette  heure,  et  nous 
croirons  en  toi.  Mais  lui,  sans  leur  répondre,  a  jeté  ce  cri  :  Mon  Père,  je 
remets  mon  âme  entre  vos  mains.  Et  aussitôt  après  il  expira.  Ensuite  j'ai 
TU  descendre  de  la  croix  son  corps  inanimé,  dont  le  sang  s'épanchait  par 
de  larges  blessures  :  on  l'a  mis  dans  un  sépulcre  de  pierre  qu'on  a  scellé  et 
autour  duquel  on  a  placé  des  gardes.  Mais,  ô  miracle  !  ce  cadavre  revient  à 
la  \ie  ;  il  sort  du  tombeau  sans  briser  les  portes  scellées  ;  j'ai  vu  de  mes 
yeux  comment  il  est  ressuscité  d'entre  les  morts.  Des  hommes  vêtus  d'ha- 
bits blancs  comme  la  neige  sont  descendus  du  ciel  :  ils  ont  pris  avec  eux 
cet  homme  ressuscité,  et  sont  retournes  au  ciel  ensemble.  Une  multitude 
innombrable  d'hommes  revêtus  pareillement  de  robes  blanches  suit  le  vain- 
queur de  la  mort,  ne  cessant  jamais  de  chanter  ses  louanges  et  de  bénir  le 
Père  en  disant  :  Béni  soit  Dieu  le  Père  et  son  Fils  unique.  Tous  sont  dans 
une  paix  inaltérable  à  laquelle  aucun  bonheur  ne  saurait  être  comp:iré. 
Telle  est  la  vision  que  j'ai  eue  cette  nuit  :  expHque-la-moi,  je  t'en  supplie, 
et  ne  crains  pas  de  me  dire  entièrement  tout  ce  que  signifient  ces  choses  ». 

A  ce  récit,  le  bienheureux  Amphibale  comprit  que  Dieu  avait  daigné  vi- 
siter le  cœur  d'Alban,  et  il  en  conçut  une  joie  inexprimable.  Aussitôt,  ti- 
rant l'image  de  la  croix  du  Seigneur  qu'il  portait  toujours  sur  lui  :  «  Voilà  » , 
dit-il,  «  le  signe  qui  te  fera  connaître  ce  que  signifie  et  ce  que  présage  ta 
vision.  L'homme  que  tu  as  vu  descendre  du  ciel  est  mon  Seigneur  Jésus- 


216  22  JUIN. 

Christ,  qui  n'a  pas  refusé  de  subir  le  supplice  de  la  croix  pour  nous  laver  par 
son  sang  du  péché  auquel  la  prévarication  d'Adam,  notre  premier  père,  nous 
avait  rendus  sujets.  Ceux  qui  l'ont  saisi  et  affligé  par  de  si  cruels  tour- 
ments sont  les  Juifs,  le  peuple  choisi  de  Dieu,  à  qui  il  avait  promis  d'envoyer 
du  ciel  son  Fils  :  or,  quand  il  est  venu,  ils  ont  refusé  de  le  recevoir.  Après 
une  si  lon<^ue  et  si  pénible  attente,  ils  n'ont  pas  voulu  reconnaître  l'auteur  de 
leur  salut;  mais  ils  l'ont  contredit  sans  cesse,  lui  ont  rendu  le  mal  pour  le 
bien,  et  n'ont  répondu  que  par  la  haine  à  l'amour  qu'il  leur  avait  témoigné. 
Enfin,  remplis  d'envie  contre  lui,  ils  ont  bien  osé  le  saisir,  cet  Homme-Dieu 
que  les  Gentils  eux-mêmes  jugeaient  innocent  :  ils  l'ont  saisi,  et  l'ont  fait 
mourir  sur  une  croix.  C'est  ainsi  que  ce  Seigneur  très-miséricordieux  nous 
a  rachetés  au  prix  de  son  sang,  qu'il  a  vaincu  la  mort  en  mourant  lui- 
même,  et  qu'étant  élevé  sur  la  croix,  il  a  tout  attiré  à  lui.  Il  est  aussi  des- 
cendu dans  les  cachots  ténébreux  de  l'enfer  :  il  a  brisé  les  liens  des  justes 
qui  y  étaient  captifs;  et  enchaînant  le  diable,  il  l'a  rejeté  au  plus  profond 
de  l'abîme». 

Alban  fut  saisi  d'admiration  en  entendant  ces  paroles,  et  il  s'écria  : 
«  Oui,  les  choses  que  tu  viens  de  dire  touchant  le  Christ  sont  vraies,  et  l'on 
ne  saurait  les  accuser  de  fausseté.  C'est  le  Christ  que  j'ai  vu  cette  nuit  com- 
battre et  vaincre  le  démon.  Je  veux  donc  désormais  prêter  une  oreille  do- 
cile à  tes  enseignements.  Dis-moi,  puisque  ta  science  est  si  grande,  quels 
sont  mes  devoirs  envers  le  Père  et  le  Saint-Esprit,  maintenant  que  je  re- 
connais le  Fils  pour  mon  Seigneur  et  mon  maître  ».  Le  prêtre,  rempli  d'une 
grande  joie,  s'écria  :  «  Je  rends  grâces  à  mon  Seigneur  Jésus-Christ  de  ce 
que  tu  as  appris  à  invoquer  de  toi-même  ces  trois  noms  sacrés.  Crois  donc 
que  ces  trois  personnes  que  tu  viens  de  nommer  sont  un  seul  et  même  Dieu, 
et  confesse  généreusement  cette  foi  ».  —  «  Oui»,  répondit  Alban,  «  telle  est 
ma  ferme  croyance.  Il  n'y  a  point  d'autre  Dieu  que  mon  Seigneur  Jésus- 
Christ  qui,  pour  le  salut  des  hommes,  a  daigné  se  revêtir  de  leur  nature,  et 
souffrir  la  mort  de  la  croix  :  il  est  un  seul  Dieu  avec  le  Père  et  le  Saint- 
Esprit,  en  dehors  de  qui  il  n'y  a  point  d'autre  Dieu  ». 

Plusieurs  fois  il  répéta  avec  ferveur  cette  profession  de  foi;  il  se  pros- 
ternait devant  l'image  de  la  croix  du  Sauveur,  et  comme  s'il  y  eût  vu  Jésus 
présent  lui-même,  il  implorait  avec  larmes  le  pardon  de  ses  péchés.  Il  bai- 
sait la  place  des  pieds  et  des  mains,  comme  s'il  eût  touché  véritablement 
les  plaies  sacrées  du  Christ,  et  que  sa  vision  de  la  nuit  précédente  se  fût 
transformée  en  une  réalité.  Des  larmes  coulaient  en  abondance  sur  son  vi- 
sage et  baignaient  le  signe  du  salut  qu'il  tenait  embrassé.  «  Je  renonce  au 
démon  »,  disait-il,  «  je  déteste  tous  les  ennemis  du  Christ;  je  me  donne  et 
je  me  confie  à  ce  divin  Seigneur  qui,  le  troisième  jour,  est  ressuscité  d'entre 
les  morts  ».  Amphibale,  voyant  ses  bonnes  dispositions  et  jugeant  qu'il  était 
déjà  parfait  chrétien  dans  son  cœur,  le  baptisa  au  nom  de  la  très-sainte 
Trinité.  Puis  il  lui  dit  :  «  Sois  sans  crainte  :  le  Seigneur  est  avec  toi,  et  sa 
grâce  ne  te  manquera  jamais.  C'est  de  lui-même  que  tu  as  appris  par  révé- 
lation les  mystères  de  notre  foi,  que  les  autres  hommes  reçoivent  ordinai- 
rement par  la  prédication  d'un  homme  faible  comme  eux  ;  c'est  pourquoi 
je  suis  maintenant  tranquille  sur  ton  compte.  Je  vais  donc  reprendre  ma 
route  pour  aller  continuer  ailleurs  les  travaux  de  mon  ministère  ».  — 
«  Non  »,  dit  Alban;  «  je  te  prie  de  ne  pas  me  quitter  si  tôt,  mais  de  passer 
encore  une  semaine  avec  moi,  afin  que  tu  m'apprennes  en  détail  tout  ce 
qui  concerne  les  autres  dogmes  et  les  pratiques  du  culte  chrétien  ».  Amphi- 
bale, voyant  que  la  résolution  qu'il  avait  prise  de  quitter  ce  lieu  remplissait 


SAINT   AXBAN,   PREMIER  MARTYR  d' ANGLETERRE.  217 

Alban  d'une  si  grande  tristesse,  consentit  à  sa  demande.  Chaque  jour  donc, 
vers  le  soir,  le  maître  et  le  disciple,  fuyant  le  tumulte  des  hommes,  se  re- 
tiraient dans  une  maison  à  l'écart,  et  y  passaient  ensemble  toute  la  nuit  à 
louer  Dieu.  Ils  se  cachaient  ainsi  pour  n'être  pas  découverts  par  les  infidèles 
qui  cherchaient  à  connaître  la  vraie  religion,  moins  pour  l'embrasser  que 
pour  la  persécuter. 

Néanmoins,  quelque  temps  après,  un  Gentil  audacieux  parvint  à  décou- 
vrir leur  secret,  et  fit  connaître  au  magistrat  tout  ce  qui  s'était  passé  entre 
eux.  Il  n'omit  rien  de  ce  qui  était  propre  à  perdre  les  innocents,  en  allu- 
mant contre  eux  la  fureur  du  juge.  En  effet,  celui-ci  fut  aussitôt  enflammé 
de  colère  :  il  ordonna  qu'on  lui  amenât  Alban  et  celui  qui  l'avait  instruit 
dans  la  foi  chrétienne,  afin  de  les  obliger  à  offrir  un  sacrifice  aux  dieux  du 
pays.  S'ils  ne  voulaient  pas  y  consentir,  ils  devaient  être  saisis,  enchaînés, 
et  égorgés  eux-mêmes  en  guise  de  sacrifice  sur  l'autel  des  dieux.  Ces  ordres, 
toutefois,  ne  purent  être  donnés  d'une  manière  si  secrète  qu'ils  ne  par- 
vinssent t\  la  connaissance  d'Alban  qui,  désirant  sauver  du  péril  le  prêtre  qui 
l'avait  instruit,  l'exhorta  à  sortir  de  la  ville.  Pour  faciliter  son  évasion,  il  le 
revêtit  de  sa  propre  chlamyde  qui  était  brodée  d'or.  Cet  habit  était  alors 
celui  des  principaux  du  pays,  et  par  là  même  si  honoré  qu'il  commandait  à 
tous  le  respect  envers  quiconque  en  était  revêtu.  Ayant  donc  jugé  qu'Am- 
phibale  serait  sous  cet  habit  plus  garanti  contre  les  insultes  et  les  violences, 
il  prit  lui-môme  le  manteau  de  son  cher  maître,  sachant  bien  que  c'était  un 
moyen  de  s'attirer  la  fureur  des  barbares.  Alors  Amphibale,  cédant  aux 
prières  d'Alban,  partit  avant  l'aurore  et  se  dirigea  du  côté  de  l'aquilon,  con- 
duit quelque  temps  par  son  généreux  disciple.  Enfin  ils  se  dirent  adieu  et 
se  séparèrent.  Qui  pourrait  rester  insensible  au  souvenir  de  toutes  les  larmes 
qu'ils  versèrent  dans  cette  cruelle  séparation?  Le  prêtre  se  rendit  dans  le 
pays  de  Galles,  pour  y  continuer  ses  travaux  apostoliques  :  Alban,  revêtu 
de  la  robe  de  son  maître,  revint  seul  à  sa  demeure,  attendant  paisiblement 
l'exécution  des  ordres  qui  avaient  été  donnés  contre  lui. 

Quand  le  jour  fut  venu,  une  troupe  nombreuse  de  soldats  furieux  se 
précipite  tout  à  coup  sur  la  maison  d'Alban  :  ils  pénètrent  partout,  visitent 
avec  soin  toutes  les  chambres,  fouillent  jusque  dans  les  coins  les  plus  obs- 
curs, et  remplissent  tout  de  désordre  et  de  tumulte.  Enfin  ils  arrivent  dans 
cet  endroit  solitaire  oti  Alban  avait  coutume  de  venir  prier  avec  Amphibale: 
ils  entrent;  ils  le  voient  revêtu  d'un  habit  étranger,  prosterné  devant  la 
croix  du  Sauveur,  et  se  livrant  à  la  prière.  Alors  ils  se  précipitent  en  foule, 
et  lui  demandent  à  grands  cris  de  leur  livrer  le  prêtre  qu'il  a  reçu  chez  lui. 

Alban,  pour  toute  réponse,  leur  dit  :  «  Pourquoi  le  cherchez-vous?  Il 
est  sous  la  garde  de  Dieu;  et  maintenant,  avec  ce  tout-puissant  secours,  il 
ne  craint  pas  vos  menaces  ».  Les  satellites,  irrités  de  voir  cette  proie  leur 
échapper,  sentirent  redoubler  leur  fureur;  et  tournant  contre  Alban  lui- 
même  tout  leur  ressentiment,  ils  mirent  aussitôt  la  main  sur  lui.  On  l'ar- 
rache, on  l'entraîne,  on  le  charge  de  chaînes  pesantes,  on  le  tire  par  les 
vêtements  et  par  les  cheveux;  on  le  conduit  enfin,  après  mille  injures,  après 
mille  traitements  inhumains,  jusqu'au  temple  des  idoles,  où  le  juge  se 
trouvait  avec  le  peuple  de  la  ville  accouru  de  tous  côtés  en  ce  lieu.  Alban, 
voulant  montrer  à  tous  qu'il  était  disciple  et  serviteur  de  la  croix,  portait 
sans  cesse  dans  ses  mains  le  signe  du  salut.  Quand  les  Gentils  virent  ce  signe 
sacré  qui  leur  avait  été  inconnu  jusqu'alors,  ils  furent  étonnés  et  troublés; 
le  juge,  cependant,  regarda  avec  un  visage  irrité  l'homme  de  Dieu  et  la 
croix  qu'il  tenait  entre  ses  mains.  Alban,  loin  d'être  eflrayé  de  sa  colère,  la 


218  22  JUIN. 

méprisa  tellement  qu'il  ne  daigna  pas  lui  répondre  sur  son  rang  et  sa  fa- 
mille; mais  à  l'interrogation  qui  lui  fut  faite  sur  ce  sujet,  il  ne  répondit 
qu'en  faisant  connaître  son  nom  et  en  déclarant  à  haute  voix  qu'il  était 
chrétien. 

Le  juge  lui  dit  :  «  Alban,  fais-moi  savoir  oh  est  ce  prêtre  envoyé  de  je 
ne  sais  oti  pour  mettre  le  trouble  dans  cette  ville,  qui  y  est  entré  secrète- 
ment, et  que  tu  as  reçu  dans  ta  maison.  Si  sa  conscience  n'était  pas  agitée 
de  remords,  s'il  ne  doutait  pas  lui-même  de  la  bonté  de  sa  cause,  il  se  serait 
présenté  devant  nous  pour  rendre  compte  de  sa  doctrine,  au  lieu  de  laisser 
ce  soin  à  son  disciple.  Mais,  au  contraire,  il  a  fait  voir  par  son  exemple 
combien  ses  enseignements  sont  vains  et  trompeurs,  puisqu'au  lieu  de  dé- 
fendre celui  qu'il  a  gagné  par  ses  belles  paroles,  il  l'abandonne  lâchement 
dès  qu'il  voit  le  péril.  Je  pense  que  cela  suffira  pour  te  faire  voir  que  tu  as 
accordé  trop  de  confiance  à  un  Iiomme  infatué  de  chimères,  qui  t'a  poussé 
jusqu'à  cet  excès  de  folie  de  compter  pour  rien  tous  les  biens  de  ce  monde 
et  de  mépriser  ouvertement  nos  grands  dieux.  Or,  nous  ne  pouvons  pas 
laisser  impunie  l'injure  qui  leur  est  faite  :  le  contempteur  des  dieux  doit  être 
puni  de  mort.  Mais  comme  il  n'est  personne  qui  ne  puisse  tomber  dans  l'er- 
reur, il  est  aussi  toujours  possible  d'en  sortir.  Tu  peux  donc  te  réconcilier 
encore  avec  les  dieux  que  tu  as  offensés  ;  tu  rentreras  dans  leurs  bonnes 
grâces  en  te  séparant  de  la  secte  perfide  dans  laquelle  tu  t'es  laissé  entraî- 
ner. Ecoute  les  conseils  que  je  te  donne  dans  ton  intérêt  :  fais  aux  dieux 
de  grands  sacrifices  :  alors,  non-seulement  ils  te  pardonneront  tes  crimes 
et  tes  offenses,  mais  encore  ils  augmenteront  ta  fortune  et  tes  honneurs,  et 
combleront  tous  tes  désirs,  ainsi  qu'ils  ont  coutume  de  faire  pour  leurs  ser- 
viteurs fidèles  ». 

Alban,  sans  être  effrayé  par  ces  menaces,  ni  séduit  par  cette  feinte  dou- 
ceur, répondit  :  «  Tu  as  parlé  longuement,  ô  juge;  mais  la  longueur  de  tes 
discours  ne  peut  m'empêcher  d'en  apercevoir  la  fausseté.  Le  prêtre  dont  tu 
parles  serait  certainement  venu  à  ton  audience,  si  cela  nous  avait  paru  bon 
à  l'un  et  à  l'autre.  Mais,  pour  moi,  je  n'ai  pu  consentir  à  ce  qu'il  m'accom- 
pagnât ici,  parce  que  je  connais  trop  ce  peuple  méchant  et  prompt  à  mal 
faire;  quant  à  lui,  bien  qu'il  ne  redoute  pas  la  véritable  justice,  il  ne  peut 
souffrir  les  juges  qui  ne  savent  pas  discerner  le  vrai  du  faux  dans  leurs 
jugements.  J'avoue  que  j'ai  embrassé  sa  doctrine,  mais  je  ne  saurais  m'en 
repentir;  la  suite  te  fera  voir  que  je  n'ai  pas  cru  sur  la  foi  d'un  ignorant  ou 
d'un  imposteur.  Les  malades  et  les  infirmes,  recouvrant  leur  santé  pre- 
mière, rendront  témoignage  à  la  vérité  de  notre  foi.  Cette  foi  m'est  plus 
chère  que  toutes  les  richesses  dont  tu  me  parles,  plus  précieuse  que  tous 
les  honneurs  par  la  vue  desquels  tu  veux  me  tenter.  Car  supposons  un 
homme  comblé  d'honneurs  et  de  richesses  au  gré  de  ses  désirs,  ne  faudrait- 
il  pas  qu'enfin  il  meure?  tout  son  or  pourra-t-il  le  tirer  du  sépulcre  et  le 
ramener  parmi  les  vivants?  Mais  à  quoi  bon  prolonger  ce  discours?  Je  ne 
sacrifie  pas  à  tes  faux  dieux;  car  tous  mes  ancêtres  les  ont  servis  sans  en 
recevoir  d'autre  salaire  que  leur  damnation  éternelle.  Aidé  du  secours  de 
mon  Dieu,  je  ne  crains  pas  les  supplices  dont  tu  me  menaces  ».  Quand  il 
eut  ainsi  parlé,  un  sourd  murmure  s'éleva  parmi  la  foule  :  les  uns  étaient 
attendris  ;  d'autres  poussaient  des  cris  d'insulte  ;  mais  le  bienheureux  Alban 
paraissait  insensible  aux  menaces  du  juge  et  aux  clameurs  du  peuple 
irrilc. 

On  lui  intima  de  nouveau  l'ordre  de  sacrifier  aux  dieux  :  une  troupe 
furieuse  de  Gentils  se  précipita  vers  lui  pour  l'y  contraindre  ;  mais  sa  fer- 


SAINT    ALD.VZv,    PREMIEU   MARTYR   D'ANGLETERRE.  219 

meté  demeura  inébranlable,  et  rien  ne  put  l'amener  à  commettre  un  tel 
forfait.  Alors,  sur  l'ordre  du  juge,  on  l'étendit  pour  le  battre  de  verges. 
Mais  tandis  qu'on  le  frappait  rudement,  il  se  tourna  vers  le  Seigneur  et  dit 
avec  un  visage  serein  :  «  Seigneur  Jésus- Christ,  daignez  garder  mon  âme 
pour  qu'elle  ne  soit  pas  ébranlée,  et  qu'elle  ne  tombe  pas  du  rang  élevé  où 
votre  bonté  l'a  placée.  C'est  à  vous,  Seigneur,  que  j'offre  le  sacrilice  de  ma 
Tie;  et  je  désire  répandre  mon  sang  pour  votre  amour  ».  Ces  paroles  ne 
purent  être  étouffées  par  le  bruit  épouvantable  des  coups  de  fouet.  Les  bras 
des  bourreaux  se  fatiguèrent  sans  que  la  constance  du  Martyr  fût  ébranlée. 
Le  juge  alors,  sachant  que  le  courage  cède  quelquefois  plus  facilement  à  la 
durée  des  tourments  qu'à  leur  violence,  le  (it  conduire  dans  une  étroite  et 
affreuse  prison,  où  il  le  retint  pendant  près  de  six  mois  entiers. 

Mais  le  ciel  ne  tarda  pas  à  venger  l'injure  faite  au  serviteur  de  Dieu. 
Depuis  le  jour  où  il  fut  arrêté,  jusqu'à  celui  où  il  consomma  par  sa  mort 
son  glorieux  sacrifice,  la  pluie  et  la  rosée  ne  vinrent  plus  rafraîchir  la  terre  : 
les  vents  retinrent  leur  souffle  bienfaisant  ;  chaque  jour  les  ardeurs  du  soleil 
desséchaient  de  plus  en  plus  les  campagnes,  et  même  pendant  les  nuits  la 
chaleur  était  excessive;  les  sillons  et  les  arbres  refusèrent  de  rendre  aux 
laboureurs  le  fruit  de  leurs  travaux  ;  en  un  mot,  toute  la  nature  combattit 
contre  les  méchants  pour  venger  le  juste  opprimé.  Les  habitants  de  Véru- 
lam  furent  bientôt  réduits  à  l'extrémité  par  ce  fléau;  mais  ce  châtiment,  si 
rude  qu'il  fût,  ne  put  les  ramener  à  des  sentiments  meilleurs.  Us  se  réu- 
nirent donc,  et  dirent  :  «  C'est  par  un  art  magique  que  notre  terre  est  ainsi 
désolée  :  tout  a  péri  dans  nos  campagnes  ;  c'est  le  Christ,  le  Dieu  d'Alban, 
qui  a  brûlé  nos  moissons  et  ruiné  les  espérances  de  nos  récoltes  ».  Ils  se 
firent  donc  amener  Alban,  qui  parut  devant  eux  les  pieds  nus,  le  visage 
exténué,  et  tout  le  corps  couvert  de  la  poussière  du  cachot.  Quand  ils  le 
virent  ainsi  méconnaissable  à  cause  des  rigueurs  qu'on  lui  avait  fait  souffrir, 
ils  furent  touchés  de  compassion,  et,  après  avoir  longtemps  discuté  entre 
eux,  ils  résolurent  de  le  traiter  plus  humainement.  Ses  parents,,  de  leur 
côté,  firent  valoir  en  sa  faveur  son  rang  et  sa  naissance,  ajoutant  que,  puis- 
qu'on ne  pouvait  le  convaincre  d'avoir  excité  aucun  tumulte  ni  sédition,  il 
était  indigne  de  voir  un  homme  noble  et  illustre  chargé  de  fers  comme  s'il 
eût  été  un  voleur.  Le  peuple  les  écouta  volontiers;  de  grands  cris  s'éle- 
vèrent pour  demander  sa  délivrance;  et  aussitôt,  par  le  jugement  de  la 
multitude,  il  fut  délivré  de  ses  chaînes  et  proclamé  libre. 

Une  faveur  de  ce  genre  ne  pouvait  être  agréable  à  Alban  :  il  s'était  pré- 
paré au  martyre,  et  il  craignait  de  voir  encore  cette  fois  son  triomphe  dif- 
féré. Il  se  leva  donc  au  miUeu  de  la  foule,  et  montrant  à  tous  la  croix  du 
Seigneur,  il  se  prosterna  devant  elle,  et  fit  cette  prière  :  «  Seigneur  Jésus, 
ne  permettez  pas  que  la  malice  du  diable  profite  de  la  concorde  de  tout  ce 
peuple  pour  me  ravir  ma  couronne.  Daignez  réprimer  son  audace  et  rendre 
inutiles  toutes  ses  ruses  perfides  ».  Puis,  se  tournant  vers  la  foule,  il  dit  : 
fl  Qui  peut  vous  conduire  à  changer  ainsi  de  sentiments?  Si  vous  êtes  indé- 
cis, consultez  les  lois  de  votre  cité  :  elles  vous  indiqueront  ce  que  vous  avez 
à  faire.  Pourquoi  tardez-vous?  Ne  savez-vous  pas  que  je  suis  l'irréconci- 
liable ennemi  de  vos  dieux?  En  effet,  comment  pouvez-vous  croire  dignes 
d'adoration  ceux  qui,  loin  d'avoir  quelque  chose  de  divin,  sont  l'ouvrage  de 
la  main  des  hommes?  Vous  êtes  témoins  vous-mêmes  qu'ils  ne  peuvent  rien 
voir,  rien  entendre;  est-il  quelqu'un  d'entre  vous  qui  ait  jamais  souhaité 
d'être  semblable  aux  dieux  auxquels  il  rend  ses  hommages?  Comment  donc 
qualifier  ces  êtres  que  vous  adorez,  étant  contraints  cependant  d'avouer 


220  22  JUIN. 

qu'ils  sont  d'une  condition  inférieure  à  la  vôtre?  0  folie  déplorable  !  deman- 
der la  vie  à  ceux  qui  ne  l'ont  jamais  eue;  offrir  des  prières  à  des  dieux  qui 
ne  peuvent  entendre  ;  demander  du  secours  à  des  dieux  qui  ne  sauraient 
faire  le  moindre  mouvement  pour  se  sauver  eux-mêmes!  Malheur  aux 
idoles,  et  malheur  à  quiconque  est  assez  insensé  pour  leur  rendre  hom- 


mage ! 


Les  Gentils,  entendant  ces  fermes  et  courageuses  paroles,  virent  bien 
que  la  prison  n'avait  pas  changé  les  dispositions  d'Alban,  et  qu'il  ne  fallait 
pas  espérer  qu'aucun  autre  essai  du  même  genre  pût  l'ébranler.  Les  senti- 
ments de  justice  et  de  commisération  qui  les  animaient  naguère  disparurent 
en  face  de  leur  zèle  aveugle  pour  les  faux  dieux,  et,  après  avoir  délibéré 
ensemble,  ils  prononcèrent  contre  lui  la  peine  de  mort.  Ils  choisirent  pour 
l'exécution  un  lieu  appelé  Holmhurst  *,  situé  à  quelque  distance  de  la  ville; 
mais  ils  furent  un  certain  temps  avant  de  s'accorder  sur  le  genre  de  sup- 
plice qu'ils  devaient  lui  faire  subir.  Les  uns  disaient  :  «  C'est  un  disciple  de 
la  croix  :  il  faut  le  crucifier».  D'autres  voulaient  qu'il  fût  enterré  vif,  parce 
que  c'était  le  supplice  ordinaire  de  ceux  qui  blasphémaient  contre  les  dieux  ; 
d'autres  enfin  proposaient  de  lui  crever  les  yeux  et  de  l'envoyer  dans  cet 
état  à  la  recherche  de  son  maître  fugitif.  Mais  le  juge  et  la  plus  grande 
partie  du  peuple  décidèrent  qu'on  lui  trancherait  la  tête.  Alban,  chargé 
une  seconde  fois  de  ses  chaînes,  sortit  donc  du  tribunal  pour  être  conduit 
au  supplice;  et  le  peuple,  laissant  le  juge  bien  loin  derrière  lui,  se  précipita 
en  foule  sur  le  chemin  qui  conduisait  au  lieu  de  l'exécution.  Chacun  s'ef- 
forçait de  devancer  les  autres  pour  mieux  jouir  de  ce  sanglant  spectacle;  et 
comme  le  Martyr  marchait  au  milieu  d'eux,  ils  le  chargeaient  d'injures  en 
disant  :  «  Sors,  ennemi  des  dieux,  de  cette  ville  souillée  par  ta  présence  : 
va  recevoir  le  châtiment  de  ton  impiété  ;  on  va  te  traiter  comme  tu  le  mé- 
rites, et  tes  crimes  vont  être  punis  ».  Au  milieu  de  ces  injures,  le  saint 
Martyr  demeurait  en  paix  et  gardait  le  silence,  mettant  sa  confiance  eu 
Dieu. 

Une  si  grande  multitude  était  accourue  de  toutes  parts  que  le  chemin, 
quoique  large  et  spacieux,  était  encombré  par  les  flots  pressés  du  peuple  ; 
d'autre  part,  ce  jour-là  la  chaleur  était  si  forte  que  la  terre  semblait  brû- 
lante sous  les  pieds  de  la  foule.  Cependant  on  avançait  toujours;  enfin  on 
arriva  sur  le  bord  d'une  rivière  très-rapide  *,  qui  devint  pour  la  marche  du 
peuple  un  obstacle  fort  embarrassant.  Beaucoup  se  tenaient  arrêtés  sur  la 
rive;  car  le  pont  était  trop  étroit  pour  qu'il  fût  possible  à  tous  d'y  passer. 
Alors  quelques-uns,  ne  pouvant  supporter  ce  retard,  se  jetèrent  à  la  nage, 
malgré  la  profondeur  et  la  rapidité  du  courant,  et  parvinrent  ainsi  jusqu'à 
la  rive  opposée.  D'autres  voulurent  en  faire  autant;  mais,  emportés  par  les 
eaux,  ils  furent  submergés  et  périrent  misérablement.  La  vue  de  cet  acci- 
dent jeta  un  grand  trouble  parmi  le  peuple,  et  des  cris  de  douleur  se  firent 
entendre  de  tous  côtés.  Alban  fut,  lui  aussi,  touché  de  ce  spectacle  :  il 
pleura  la  perte  de  ces  malheure-ux,  et,  se  mettant  à  genoux,  il  éleva  les 
yeux  vers  le  ciel  et  son  âme  vers  le  Christ,  en  disant  :  «  Seigneur  Jésus,  du 
côté  duquel  j'ai  vu  couler  du  sang  et  de  l'eau,  faites  que  les  flots  s'abaissent 
et  se  séparent,  afin  que  tout  ce  peuple  puisse  venir  sans  danger  jusqu'au 
lieu  où  il  sera  témoin  de  mon  martyre  ».  Chose  admirable  !  à  peine  Alban  se 
fut-il  agenouillé  que  le  lit  de  la  rivière,  se  desséchant  aussitôt,  laisse  un 
libre  passage  à  la  foule  impatiente.  Mais  là  ne  se  bornent  pas  les  miracles  du 

1.  Ce  lieu,  appelé  depuis  Derswold  wood,  a  servi  d'emplacement  à  la  ville  de  Saint- Alban. 

>.  Cette  rivière  était  la  Coin,  qui  passe  entre  l'ancien  Vérulam  et  la  nouvelle  ville  de  Saint- Alb»». 


SAirrr  alijan,  premier  martyr  d' Angleterre.  221 

saint  Martyr  :  ceux  que  les  eaux  avaient  entraînés  et  submergés  sont,  par 
un  nouvel  effet  de  la  prière  d'Alban,  retrouvés  sains  et  saufs,  comme  s'ils 
n'avaient  éprouvé  aucun  accident. 

Alors  un  des  soldats  qui  conduisaient  Alban  au  supplice  obtint,  par  les 
mérites  du  serviteur  de  Dieu,  la  grâce  d'arriver  lui-même  au  salut.  Car, 
voyant  les  merveilles  qui  venaient  de  s'opérer  à  sa  prière,  il  se  sent  touché 
de  repentir,  jette  au  loin  son  épée,  et  se  prosterne  aux  pieds  du  Saint  en 
confessant  son  erreur  et  demandant  pardon  avec  larmes.  «  0  Alban  )),lui 
dit-il,  «  ton  Dieu  est  le  Dieu  véritable,  et  il  n'y  en  a  point  d'autre  que  lui. 
Cette  rivière  dont  le  cours  s'est  arrêté  à  ta  prière  fait  bien  voir  qu'aucune 
autre  divinité  ne  saurait  opérer  un  semblable  prodige  ».  Cette  conversion 
ne  fit  qu'accroître  la  fureur  des  autres  satellites,  bien  qu'elle  parût  aupara- 
vant déjà  portée  à  son  comble.  Ils  saisissent  leur  compagnon  que  la  grâce 
avait  touché,  et  ils  lui  disent  :  «  Ce  ne  sont  pas  les  prières  d'Alban  qui  nous 
ont  ouvert  tout  à  coup  un  passage,  mais  c'est  le  dieu  Soleil  que  nous  ado- 
rons qui  a  daigné  dessécher  par  sa  chaleur  bienfaisante  le  lit  de  la  rivière, 
afin  que  sains  et  saufs  nous  pussions  assister  avec  joie  à  la  mort  de  son 
ennemi.  Quant  à  toi,  qui  t'eflorces  d'obscurcir  par  de  fausses  interpréta- 
tions la  connaissance  que  nous  avons  des  bienfaits  des  dieux,  tu  vas  subir  la 
peine  que  méritent  tes  blasphèmes  ».  Ils  le  saisissent  alors,  frappent  avec 
violence  cette  bouche  qui  venait  de  rendre  témoignage  à  la  vérité,  jusqu'à 
ce  qu'ils  lui  eussent  brisé  les  dents.  Puis  ils  déchirent  les  autres  membres 
de  ce  nouvel  athlète  avec  une  égale  fureur,  et  le  laissant  pour  mort  sur  le 
sable  de  la  rive,  ils  se  hâtent  de  continuer  leur  route  afin  d'assouvir  leur 
insatiable  cruauté  sur  la  personne  d'Alban  lui-même. 

Qui  pourrait  retracer  sans  émotion  les  souffrances  qu'eut  alors  à  endurer 
le  bienheureux  Martyr,  lorsque,  traîné  avec  violence  au  milieu  des  rochers 
et  des  broussailles,  son  corps  déchiré  laissait  de  tous  côtés  des  traces  san- 
glantes? Enfin  l'on  parvint  au  sommet  de  la  montagne,  où  devait  se  con- 
sommer le  sacrifice  du  généreux  serviteur  du  Christ.  La  foule  était  innom- 
brable, et  la  chaleur  du  soleil  leur  faisait  endurer  le  tourment  d'une  soif 
ardente,  en  sorte  que,  accablés  par  le  poids  de  cette  température  brûlante, 
plusieurs  semblaient  près  de  périr.  Ils  frémissaient  de  rage  contre  Alban,  et 
disaient  :  «  Voilà  que  ce  magicien  nous  a  réduits,  par  ses  maléfices,  aux 
dernières  angoisses  :  il  nous  abat  par  la  force  de  ses  sortilèges  :  débarras- 
sons-nous donc  de  lui,  et  nous  retrouverons  le  repos  que  sa  malice  nous  a 
fait  perdre  ».  Le  charitable  Alban  s'attendrit  tout  à  la  fois  sur  leurs  maux  et 
sur  l'aveuglement  de  leur  esprit,  et  il  fit  cette  prière  pour  ses  persécuteurs 
impies  :  «  Seigneur  Dieu  tout-puissant,  qui  avez  créé  l'homme  du  limon  de 
la  terre,  ne  permettez  pas  que  personne  souffre  à  mon  occasion.  Qu'une 
agréable  fraîcheur  remplace  cette  chaleur  excessive,  et  que,  par  votre  misé- 
ricorde, un  vent  favorable  tempère  l'ardeur  des  rayons  du  soleil  ».  A  peine 
avait-il  achevé  sa  prière,  qu'aussitôt  elle  est  exaucée  ;  bien  plus,  une  fon- 
taine abondante  jaillit  aussitôt  à  ses  pieds.  Admirable  puissance  du  Christ! 
La  terre  brûlée  de  toutes  parts  n'offrait  que  le  triste  aspect  de  la  désolation; 
et  cependant,  à  la  voix  du  Martyr,  une  source  d'eau  vive  jaillit  du  milieu  de 
la  poussière  et  coule  de  toutes  parts  en  ruisseaux  abondants.  Le  peuple  se 
voit  ainsi  délivré  miraculeusement  du  tourment  de  la  soif.  Mais  ce  bienfait 
insigne  ne  les  empêche  pas  d'être  encore  altérés  du  sang  de  leur  bienfaiteur. 

Alors  ils  saisissent  Alban,  et  l'attachent  par  les  cheveux  à  un  poteau  pour 
le  décapiter.  Un  bourreau,  choisi  dans  la  foule  pour  accomplir  au  nom  de 
tous  le  forfait  exécrable,  lève  bien  haut  le  glaive  homicide  et  tranche  d'un 


seul  coup  la  tête  du  Martyr  (303).  Le  corps  retombe  sans  vie,  tandis  que  la 
tête  retenue  par  les  nœuds  de  la  chevelure,  reste  suspendue  au  poteau  où 
on  l'avait  attachée  :  quant  à  la  croix  que  le  Saint  avait  toujours  coutume 
de  porter  entre  ses  mains,  elle  tomba  sur  le  gazon,  rougie  de  son  sang  pré- 
cieux ;  et  un  chrétien,  que  les  païens  ne  connaissaient  pas  pour  tel,  put 
l'enlever  secrètement  et  l'emporter.  Le  bourreau  qui  venait  de  consommer 
le  crime  était  encore  au  même  lieu,  lorsque  tout  aussitôt,  par  un  juste  effet 
delà  vengeance  divine,  ses  yeux  sortent  de  leur  orbite,  et  tombent  à  terre 
près  du  corps  du  Martyr.  A  la  vue  de  ce  terrible  châtiment,  plusieurs  ne 
purent  s'empêcher  d'en  reconnaître  la  justice.  Mais  voilà  que  tout  à  coup 
se  présente  le  soldat  que  l'on  avait  laissé  pour  mort  au  milieu  du  chemin. 
D'autre  part  survient  le  juge  qui  était  d'abord  resté  dans  la  ville,  mais  qui, 
teTitendant  parler  des  miracles  qui  avaient  accompagné  le  supplice,  voulait 
voir  par  lui-même  ce  qui  se  passait.  On  lui  présente  le  soldat  que  ses  bles- 
sures précédentes  avaient  tout  défiguré.  Le  juge  lui  dit  par  dérision  :  «  Ta 
me  parais  malade  :  il  faut  aller  implorer  le  secours  d'Alban  pour  qu'il  daigne 
guérir  tes  membres  brisés.  Cours,  hâte-toi,  va  prendre  sa  tête,  rapproche- 
la  du  tronc  ;  donne-lui  la  sépulture,  rends-lui  les  honneurs  usités  dans  votre 
secte  ;  et  tu  verras  que  cela  te  servira  de  remède  contre  les  coups  que  tu  as 
reçus  »-  Le  soldat,  rempli  de  ce  zèle  que  donne  une  foi  vive,  répondit  : 
«  Je  crois  fermement  que  le  bienheureux  Alban  peut,  par  ses  mérites,  m'ob- 
tenir  une  guérison  complète,  et  surtout  m'obtenir  la  faveur  bien  plus  pré- 
cieuse de  trouver  grâce  devant  la  Majesté  divine.  Tout  ce  que  tu  dis  par 
dérision  pourra,  par  la  puissance  de  Dieu  et  l'intercession  d'Alban,  s'ac- 
complir en  moi  ».  Alors,  s'approchant  du  poteau  avec  respect,  il  détache 
les  nœuds  de  la  chevelure,  et,  prenant  la  tête  du  saint  Martyr,  il  la  pose 
auprès  du  tronc.  Aussitôt  il  se  sent  guéri  :  et,  par  un  miracle  visible  aux 
yeux  de  tous,  il  recouvre  h  l'instant  une  santé  parfaite.  Alors,  rempli  d'une 
force  nouvelle,  il  rend  les  derniers  devoirs  au  saint  Martyr,  creuse  une  fosse, 
y  dépose  le  corps  et  le  recouvre  de  terre.  Puis,  il  se  met  à  prêcher  avec  cou- 
rage devant  tout  le  peuple  la  puissance  du  Christ  et  les  mérites  d'Alban. 

A  cette  vue,  les  païens,  saisis  d'une  nouvelle  fureur,  se  dirent  entre  eux  : 
a  Que  ferons-nous?  Sera-t-il  donc  impossible  de  faire  périr  cet  homme? 
Nous  l'avions  déjà  accablé  de  coups  ;  et  maintenant  nous  ne  voyons  plus  en 
lui  nulle  trace  de  blessure.  Que  ferons-nous  donc  maintenant?  »  L'un  d'eux 
dit  alors  :  «  Cet  homme  est  magicien  :  le  seul  moyen  que  nous  ayons  de  le 
faire  périr,  c'est  de  couper  ses  membres  en  morceaux  ;  autrement  ses  sorti- 
lèges émousseront  le  tranchant  du  glaive,  et  il  sera  impossible  de  le  mettre 
à  mort  ».  On  suivit  ce  conseil  barbare  ;  le  généreux  soldat  du  Christ  souffrit 
avec  constance  ce  cruel  supplice,  et,  persévérant  jusqu'au  dernier  soupir 
dans  la  sainte  foi,  il  mérita  départager  avec  Alban  l'honneur  de  la  couronne. 

La  nuit  suivante,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  fit  connaître  par  des  signes 
évidents  la  gloire  de  son  serviteur.  Au  milieu  des  ténèbres,  une  immense 
croix  lumineuse  parut  sur  le  tombeau  d'Alban  :  elle  s'élevait  de  la  terre  au 
ciel,  et  l'on  y  voyait  des  anges  descendant  et  montant  sans  cesse,  et  chan- 
tant pendant  toute  la  nuit  des  hymnes  et  des  cantiques  de  louange.  Quelques 
païens  ayant  vu  ce  miracle,  en  appelèrent  d'autres  pour  jouir  du  même 
spectacle;  et  ainsi  ce  prodige  prépara  les  voies  à  un  grand  nombre  de  con- 
versions parmi  les  infidèles  de  ce  pays. 

La  fête  de  saint  Alban  se  célèbre  le  22  juin  comme  au  jour  de  son 
martyre. 

On  le  représente  tantôt  faisant  jaillir  une  fontaine  en  priant  Jésus-Christ 


SAINT  PAULIN,   ÉVÊQUE   DE   NOLE.  223 

de  montrer  la  sainteté  de  sa  cause  ;  tantôt  portant  sa  tête  entre  ses  mains, 
pour  marquer  le  genre  de  son  martyre. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Sous  le  règne  de  Conslanlia  le  Grand,  on  bûlil  une  magnifique  église  à  l'endroit  où  saint  Alban 
avait  souffert  le  martyre  et  où  était  son  tombeau.  Les  miracles  qui  s'opérèrent  bientôt  dans  cette 
église  par  l'intercession  du  Saint  portèrent  si  loin  sa  réputation  de  sainteté  que,  lorsque  saint  Loup 
et  saint  Germain  allèrent  en  Grande-Bretagne  extirper  l'hérésie  pélagienne,  le  grand  évèque  d'Auxerre 
recueillit  des  parcelles  de  terre  imbibée  du  sang  du  premier  Martyr  de  ce  pays  et  les  apporta  reli- 
gieusement en  France.  Les  Saxons  ayant  détruit  l'église  de  Saint-Alban,  Offa,  roi  des  Werciens,  en 
fit  bâtir  une  autre,  avec  un  monastère  sous  le  nom  du  Saint,  l'an  de  Noire-Seigneur  793,  et  le 
trente-troisième  de  son  règne.  11  donna  ii  ce  monastère  des  revenus  considérables,  et  l'exempta  de 
la  taxe  appelée  le  deniei'  de  Saint-Pierre,  à  laquelle  il  avait  soumis  toutes  les  familles  de  son 
royaume.  Les  Papes  accordèrent  à  ce  monastère  les  plus  grands  privilèges.  11  fut  déiruit  sous 
Henri  VllI;  mais  les  habitants  de  la  ville  donnèrent  une  somme  d'argent  pour  qu'on  leur  laissât 
l'église,  qui  subsiste  encore  aujourd'hui  et  qui  est  paroissiale. 

On  sauva  une  partie  des  reliques  de  saint  Alban,  qui  se  gardent  précieusement  chez  les  Anglais 
de  Valladolid  ;  il  y  en  a  aussi  une  petite  portion  à  Sainl-Omer.  Le  diocèse  de  Troyes  possède  plu- 
sieurs ossements  de  ce  Saint.  Ces  reliques  précieuses,  longtemps  vénérées  dans  l'abbaye  de  Nesle- 
la-Reposte,  furent  transférées  au  couvent  des  Béuédiclins  de  Villenauxe-la-Grande.  Elles  y  restèrent 
jusqu'à  la  suppression  des  communautés  religieuses.  Le  8  mai  1791,  elles  furent  transportées 
solennellement  à  l'église  paroissiale  de  Villeuauxe,  où  elles  furent  trouvées  intactes,  à  l'époque  de 
l'ouverture  des  églises.  Ce  respect  des  choses  saintes  fut  le  résultat  de  l'énergique  attitude  des 
habilanls  du  pays,  qui,  fortement  attachés  à  leurs  châsses  n'eussent  jamais  permis  aux  révolu- 
tionnaires de  donner  suite  à  leurs  sacrilèges  desseins.  L'authenticité  de  ces  reliques  a  été  publi- 
quement reconnue  par  Mgr  de  Boulogne,  le  11  septembre  1819. 

L'anlique  châsse  de  saint  Alban,  restaurée  et  embellie,  appartient  aujourd'hui  à  la  cathédrale 
et  renferme  les  chefs  de  saint  Bernard  et  de  saint  Alalachie. 

L'Angleterre,  pendant  plusieurs  siècles,  a  honoré  saint  Alban  comme  un  de  ses  principaux 
patrons,  et  elle  a  obtenu  du  ciel  des  grâces  signalées  par  son  intercession.  Ce  fut  en  l'invoquant 
que  saint  Germain  ût  remporter  aux  Anglais,  sans  effusions  de  sang  chrétien,  une  victoire  complète 
sur  des  ennemis  aussi  dangereux  pour  les  âmes  que  pour  les  corps.  On  ne  voit  plus  rien  de  sa 
châsse,  qu'Oiïa,  Egfrid  son  lils,  et  plusieurs  rois  avaient  décorée  avec  magnificence  ;  mais  on  a 
couvert  d'une  pierre  de  marbre  le  lieu  où  ses  cendres  sont  renfermées.  Sur  la  muraille  qui  est  vis- 
à-vis,  on  a  gravé  quelques  vers,  dont  le  sens  est  que  la  châsse  du  Saint  était  anciennement  en 
cet  endroit. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  refaire  cette  Vie,  des  Actes  des  Martyrs,  par  les  RR.  PP.  Bénédictins 
de  la  Congrégation  de  France  ;  de  la  Vie  des  Saints  du  diocèse  de  Troyes,  par  l'abbé  Defer  ;  de  Godescard, 
et  de  Notes  fournies  par  M.  l'abbé  Caillet. 


SAINT  PAULIN,  ÉVÊQUE  DE  NOLE 

353.  —  Papes  :  Saint  Libère  ;  saint  Célestia  I".  —  Empereurs  :  Constantin  II; 

Valentiniea  III. 

^lez  dans  laCanapanie,  voyez  Paulin,  cet  homme  si 
grand  par  sa  naissance,  par  son  génie  et  par  ses 
richesses;  voyez  avec  quelle  générosité  ce  serviteur 
de  Jésus-Christ  s'est  dépouillé  de  tout  pour  ne  pos- 
séder que  Dieu;  voyez  comme  il  a  renoncé  à  l'orgueil 
du  monde  pour  embrasser  l'humilité  de  la  croix  ; 
voyez  comment  il  emploie  présentement  à  louer 
Dieu  ces  trésors  de  science  qui  sont  perdus  quand 
on  ne  les  consacre  pas  à  Celui  qui  les  a  donnés. 
S.  Aug..  Ep.  xsvi  ad  Lioent. 

11  n'y  a  jamais  eu  personne  qui  ait  fait  plus  d'efforts  pour  se  cacher  et 
pour  se  rendre  inconnu  dans  le  monde  que  saint  Paulin;  et  il  n'y  a  jamais 


224  22  JUIN. 

eu  personne  qui  ait  reçu  plus  de  louanges,  personne  que  les  saints  Pères  se 
soient  plus  étudiés  à  relever  par  leurs  éloges.  Saint  Ambroise,  saint  Augus- 
tin, saint  Jérôme  et  saint  Grégoire  le  Grand,  que  l'Eglise  latine  reconnaît 
pour  ses  quatre  principaux  docteurs,  ont  voulu  être  ses  panégyristes,  et  ils 
ont  été  suivis  en  cela  par  beaucoup  d'autres  Pères  qui  ont  cru  que  c'était 
louer  la  vertu  môme  que  de  donner  des  louanges  à  cet  excellent  évoque  de 
Kole.  Il  naquit,  vers  l'année  353,  à  Bordeaux  ou  à  Embrau,  qui  n'en  est 
éloigné  que  de  quatre  lieues.  Ses  parents  étaient  de  Rome,  et  des  plus 
nobles  de  cette  ville,  maîtresse  du  monde  ;  ils  comptaient  dans  leur  maison 
des  consuls  et  des  patrices,  et  plusieurs  même  estiment  que  son  père  était 
de  la  famille  des  Anicius,  la  plus  illustre  de  toutes  les  familles  de  Rome.  Ils 
avaient  de  si  riches  possessions,  non-seulement  dans  l'Italie,  mais  aussi  dans 
les  Gaules  et  dans  l'Espagne,  que  le  poëte  Ausone  ne  fait  point  difficulté  de 
les  appeler  des  royaumes  *. 

Paulin  reçut  une  éducation  conforme  à  sa  naissance  ;  et,  lorsqu'il  fut  en 
âge  d'étudier,  il  eut  pour  précepteur  le  même  Ausone,  qui  passait  pour  le 
premier  orateur  et  le  plus  excellent  poëte  de  son  temps.  Le  disciple  ne  fut 
pas  longtemps  sans  égaler  et  même  sans  surpasser  son  maître  ;  il  devint  si 
éloquent,  que  saint  Jérôme,  ayant  lu  une  apologie  qu'il  avait  faite  pour  la 
défense  de  l'empereur  Théodose  contre  les  calomnies  des  païens,  la  loua 
comme  un  des  ouvrages  les  plus  éloquents  de  cette  époque,  et  dit  que  Théo- 
dose était  heureux  d'avoir  pour  défenseur  un  tel  panégyriste.  Il  ajoute  que 
Paulin  est  un  écrivain  accompli  et  que  l'Eglise  acquerrait  un  grand  trésor 
s'il  voulait  s'appliquer  à  composer  sur  l'Ecriture  sainte  et  sur  les  mystères 
de  notre  religion.  Ausone  même  avoue  qu'il  était  devenu  meilleur  poBte  que 
lui,  et  qu'il  avait  remporté  en  ce  genre  d'écriture  un  prix  d'honneur  que  lui- 
même  n'avait  pas  remporté. 

Ces  excellentes  qualités,  jointes  aux  biens  immenses  dont  il  se  vit  bien- 
tôt l'héritier,  le  rendirent  célèbre  par  tout  le  monde.  On  dit  qu'il  fut  quel- 
que temps  à  la  cour  de  l'empereur  Valentinien  l'aîné,  et  plaida  aussi,  étant 
jeune,  plusieurs  causes  au  barreau.  Dieu  lui  donna  une  femme  digne  de  lui 
et  dont  la  noblesse  et  les  grandes  richesses  étaient  relevées  par  une  vertu 
au-dessus  du  commun.  C'est  la  célèbre  Thérasie,  espagnole,  qui  contribua 
si  heureusement  à  lui  faire  quitter  le  monde,  et  qui  fut  la  compagne  insé- 
parable de  sa  vie  pauvre  et  retirée,  comme  nous  le  dirons  dans  la  suite. 
L'empereur  trouva  tant  de  jugement  et  de  solidité  dans  son  esprit,  qu'il  le 
fit  consul  à  un  âge  où  à  peine  les  autres  commencent  à  être  employés  aux 
alfaires  publiques,  et  lui  donna  ensuite  le  gouvernement  de  Rome,  sous  le 
nom  de  préfet.  Lorsqu'il  se  fut  très-dignement  acquitté  de  ces  grandes 
charges,  les  diverses  négociations  dont  on  le  chargea  et  ses  affaires  domes- 
tiques l'obligèrent  pendant  quinze  ans  à  divers  voyages,  tant  dans  les  Gaules 
qu'en  Italie  et  en  Espagne.  Dans  ces  voyages,  il  alla  quelquefois  à  Milan,  où 
il  eut  le  bonheur  de  fréquenter  saint  Ambroise,  qui  conçut  pour  lui  une 
affection  toute  singulière,  comme  il  le  témoigne  dans  son  épître  45.  Il  y  fut 
aussi  connu  de  saint  Augustin  et  d'Alipius,  auxquels  il  a  depuis  écrit  plu- 
sieurs lettres.  Il  eut  un  fils  à  Alcala  de  Hénarès,  qui  est  une  ville  de  l'Es- 
pagne Tarragonaise  ;  mais  il  ne  le  posséda  que  huit  jours,  et,  quoiqu'il  eût 
souhaité  fort  longtemps  cette  bénédiction  de  son  mariage,  il  en  fut  privé 
presque  aussitôt  qu'il  l'eut  reçue,  afin  que  rien  ne  l'empêchât  de  renoncer 
entièrement  au  monde. 

1.  Ponce  Paulin,  père  de  notre  Saint,  était  préfet  du  prétoire  dans  les  Gaules,  et  le  premier  magistrat 
de  l'emiiire  d'Occident 


SAIOT  PAULIN,    ÉVÊQUE   DE   NOLE.  225 

Ce  qui  commença  à  l'en  dégager,  ce  fut  un  pèlerinage  au  tombeau  de 
saint  Félix,  prêtre  de  Noie  et  martyr.  Les  grands  miracles  qui  se  firent 
devant  ses  yeux  lui  donnèrent  tant  d'affection  pour  ce  glorieux  martyr  de 
Jésus-Christ,  qu'il  résolut  dès  lors,  quoiqu'il  n'eût  que  vingt-sept  ans,  de  se 
retirer  dans  les  terres  qu'il  avait  auprès  de  cette  ville,  pour  y  passer  le  reste 
de  sa  vie  en  homme  privé.  Il  fut  néanmoins  encore  plus  de  quinze  ans  sans 
exécuter  ce  dessein.  Les  entretiens  qu'il  eut  avec  saint  Ambroise  et  les  sages 
conseils  de  Thérasie,  son  épouse,  aidèrent  aussi  beaucoup  à  lui  faire  con- 
naître la  vanilc  des  grandeurs  du  siècle  ;  mais  celui  qui  acheva  sa  conver- 
sion fut  saint  Delphin,  évêque  de  Bordeaux.  Il  reçut  de  lui  le  baptême  à  l'âge 
de  trente-huit  ans,  comme  il  paraît  par  une  épître  qu'il  écrivit  peu  de  temps 
après  à  saint  Augustin,  touchant  ses  cinq  livres  contre  les  Manichéens.  En- 
suite il  se  retira,  pour  la  seconde  fois,  en  Espagne,  et  s'arrêta  à  Barcelone, 
où  il  commença  à  faire  profession  de  la  vie  solitaire  ;  mais  comme  sa  con- 
duite donnait  de  l'admiration  à  tout  le  peuple,  et  que  sa  chasteté,  sa  mo- 
destie, son  insigne  charité  et  son  oraison  continuelle  le  faisaient  juger  digne 
des  emplois  ecclésiastiques,  un  jour  de  la  Nativité  de  Notre-Seigneur,  les 
clercs  et  les  laïques  demandèrent  instamment  à  l'évoque  Lampius  qu'il  l'or- 
donnât prêtre.  Saint  Paulin  s'y  opposa  de  toutes  ses  forces,  non  pas,  comme 
il  le  dit  lui-même  en  l'épître  vi°,  qu'il  dédaignât  d'être  le  ministre  de  Jésus- 
Christ  dans  cette  église  peu  considérable,  mais  parce  qu'il  regardait  le  sacer- 
doce comme  une  dignité  au-dessus  de  ses  mérites,  et  que,  d'ailleurs,  il  avait 
résolu  de  vivre  dans  la  retraite  auprès  de  Noie,  dans  la  Campanie.  Il  se  ren- 
dit néanmoins  enfin  à  leur  volonté,  mais  à  condition  qu'il  ne  serait  nulle- 
ment lié  à  l'église  de  Barcelone,  et  qu'il  aurait  une  entière  liberté  de  s'en 
aller  quand  il  le  voudrait. 

En  effet,  après  avoir  séjourné  quatre  ans  en  Espagne,  le  désir  de  la  vie 
parfaite  embrasant  son  cœur  de  plus  en  plus,  il  vendit  les  biens  qu'il  avait 
en  ce  pays,  et  en  distribua  le  prix  aux  pauvres  ;  il  repassa  ensuite  dans  les 
Gaules,  pour  y  faire  la  même  chose.  Il  donna  la  liberté  à  ses  esclaves,  il 
ouvrit  ses  greniers,  qui  étaient  remplis  de  grains,  aux  nécessiteux,  et  em- 
ploya l'argent  qu'il  tira  de  la  vente  de  ses  terres  et  de  ses  maisons  à  racheter 
les  captifs,  à  délivrer  les  prisonniers,  à  relever  une  infinité  de  familles  que 
divers  accidents  avaient  ruinées,  à  payer  les  dettes  de  ceux  qui  étaient  per- 
sécutés par  leurs  créanciers,  à  fournir  de  quoi  à  un  grand  nombre  de  veuves 
et  d'orphelins,  à  marier  de  pauvres  filles  que  la  nécessité  aurait  pu  engager 
dans  le  désordre,  à  pourvoir  aux  secours  des  malades,  et,  pour  tout  dire  en 
un  mot,  à  enrichir  les  pauvres  en  s'appauvrissant  lui-même. 

Se  voyant  ainsi  déchargé  du  poids,  difficile  à  porter,  des  richesses,  il  se 
rendit  à  Milan,  où  saint  Ambroise  le  reçut  avec  une  joie  et  une  tendresse 
merveilleuses  et  le  pria  même  de  trouver  bon  qu'il  le  mît  au  nombre  des 
prêtres  de  son  église  ;  notre  Saint  ne  put  le  lui  refuser,  quoiqu'il  se  conser- 
vât toujours  la  liberté  d'aller  où  Dieu  l'appellerait.  On  a  cru,  avec  beaucoup 
de  raison,  que  ce  grand  docteur,  qui  était  déjà  fort  âgé,  jetait  les  yeux  sur 
lui  pour  lui  succéder  après  sa  mort  ;  mais  comme  elle  arriva  dans  un  temps 
où  saint  Paulin  était  fort  éloigné  de  Milan,  le  vieillard  saint  Simplicien  fut 
mis  en  sa  place. 

Après  que  notre  Saint  eut  fait  quelque  séjour  dans  cette  ville,  capitale 
de  la  Ligurie,  il  passa  à  Rome,  capitale  de  l'empire.  Le  peuple,  qui  l'avait 
vu  autrefois  dans  ses  dignités  éminentes  de  consul  et  de  préfet,  et  qui  con- 
naissait ses  rares  qualités  et  l'excellence  de  sa  vertu,  l'y  reçut  avec  un  hon- 
neur extraordinaire.  Il  fut  visité,  principalement  dans  une  maladie,  par  tout 
Saints.  —  ToiiE  VU.  15 


226  22  JUIN. 

ce  qu'il  y  avait  de  magistrats  et  de  grands  seigneurs  en  cette  ville.  Ceux  des 
villes  voisines  qui  ne  purent  pas  lui  rendre  ce  devoir  par  eux-mêmes  lui  en- 
voyèrent des  députés  pour  lui  témoigner  la  joie  qu'ils  avaient  de  son  retour, 
et  la  part  qu'ils  prenaient  à  son  incommodité.  Il  y  eut  même  peu  d'évêques 
des  environs  qui  ne  le  vinssent  voir  ou  qui  ne  lui  écrivissent,  pour  le  con- 
gratuler de  ce  qu'il  avait  quitté  les  espérances  du  monde  pour  embrasser 
l'état  ecclésiastique.  Ces  témoignages  d'estime  et  de  respect  donnèrent  de 
la  jalousie  aux  principaux  du  clergé  de  Rome,  et,  au  lieu  d'être  les  premiers 
à  lui  faire  honneur,  ils  n'eurent  pour  lui  que  de  la  froideur  et  de  l'indiffé- 
rence, et  lui  suscitèrent  même  quelque  persécution.  Le  souverain  Pontife 
ne  lui  témoigna  pas  non  plus  beaucoup  d'amitié  ;  et  il  se  plaint  lui-même, 
en  sa  première  épître  à  Sévère,  de  la  réception  un  peu  froide  qu'il  lui  fit. 
Mais  comme  c'était  le  pape  Sirice,  qui  a  mérité,  par  sa  piété  et  par  les  grands 
services  qu'il  a  rendus  à  l'Eglise,  d'être  mis  au  nombre  des  Saints,  il  faut 
croire,  avec  le  cardinal  Baronius,  que  ce  qui  l'aigrit  contre  saint  Paulin,  ne 
fut  autre  chose  qu'un  zèle  un  peu  trop  ardent  pour  l'observance  de  la  dis- 
cipline ecclésiastique,  qu'il  crut  avoir  été  violée  dans  l'ordination  de  ce 
saint  prêtre  :  car  il  avait  été  promu  au  sacerdoce  aussitôt  après  son  baptême 
et  sans  avoir  passé  par  les  degrés  inférieurs,  ou  sans  y  être  demeuré  un 
temps  suffisant,  avant  de  monter  plus  haut.  Néanmoins,  Paulin  n'était  point 
coupable,  puisque,  s'il  avait  souffert  cette  ordination,  ce  n'était  que  par 
force  et  contre  sa  volonté;  et,  d'ailleurs,  cette  manière  de  conférer  les  ordres 
sans  garder  les  interstices,  ni  même  les  degrés  ecclésiastiques,  était,  en  ce 
temps-là,  autorisée  par  beaucoup  d'exemples. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  grand  personnage  se  voyant  devenu  une  occasion 
de  plainte  et  de  murmure,  sortit  promptement  de  Rome  et  se  rendit,  selon 
le  dessein  qu'il  avait  conçu  quinze  ans  auparavant,  à  une  maison  qui  lui 
appartenait  auprès  de  Noie.  Thérasie,  son  épouse,  l'y  suivit  aussi  ;  mais  ils 
logèrent  séparément  :  et,  ayant  pris  l'un  et  l'autre  un  habit  de  pénitence 
semblable  à  celui  des  solitaires,  ils  se  mirent  à  pratiquer  chacun  de  son  côté 
toutes  les  pratiques  de  la  vie  religieuse.  Un  changement  si  admirable  fit 
aussitôt  grand  bruit  dans  le  monde;  les  païens,  encore  nombreux  dans  le 
sénat  et  dans  les  premières  magistratures  de  l'empire  ,  en  parlèrent  avec 
beaucoup  d'indignation,  et  comme  d'une  action  extravagante.  Il  y  eut  même 
des  personnes  considérables  parmi  les  fidèles  qui  ne  le  purent  goûter;  elles 
disaient  ouvertement  que  Paulin,  étant  capable  de  rendre  de  si  grands  ser- 
vices à  l'Etat,  commettait  une  injustice  en  lui  dérobant  ses  soins,  ses  con- 
seils et  sa  personne,  pour  mener  une  vie  oisive  dans  un  lieu  champêtre  et 
éloigné  de  la  compagnie  des  autres  hommes,  Ausone,  son  ancien  précep- 
teur, fut  surtout  de  ce  nombre  ;  et  il  en  écrivit  souvent  à  ce  cher  disciple, 
dès  le  temps  même  qu'il  quitta  l'Aquitaine  pour  se  retirer  à  Barcelone.  Mais 
la  grâce  du  Saint-Esprit,  qui  voulait  donner  aux  grands  du  monde,  en  la 
personne  de  Paulin,  un  excellent  modèle  du  mépris  de  toutes  les  choses  de 
la  terre,  le  fortifia  contre  ces  plaintes  et  lui  fit  connaître  ,  par  expérience, 
que  ce  qu'il  avait  quitté  était  beaucoup  moindre  que  ce  qu'il  gagnait  en 
suivant  Jésus-Christ  ;  elle  lui  mit  dans  la  bouche  des  réponses  si  saintes  et  si 
évangéliques,  qu'elles  servent  encore  aujourd'hui  de  justification  à  tous  ceux 
qui,  imitant  son  exemple,  renoncent  aux  plus  grands  emplois  et  aux  fortu- 
nes les  plus  avantageuses  pour  suivre  l'étendard  de  la  croix,  et  pour  se  faire 
humbles  disciples  d'un  Dieu  pauvre  et  souffrant  pour  l'amour  des  hommes. 

Aussi,  tandis  que  Paulin  était  blâmé  par  les  gens  du  siècle,  il  était,  au 
contraire,  loué  par  tout  ce  qu'il  y  avait  alors  de  docteurs  et  de  saints  per- 


SAINT  PAULIN,   ÉVÈQUE   DE   NOLE.  227 

sonnages  sur  la  terre.  Saint  Martin,  qui  vivait  encore,  et  qui  l'avait  autrefois 
guéri  par  attouchement,  d'une  grande  incommodité  à  l'œil,  le  proposait  à 
ses  disciples  comme  un  exemple  achevé  de  la  perfection  évangélique,  et  leur 
disait  souvent  qu'il  était  presque  le  seul  dans  le  monde  qui  eût  accompli  les 
préceptes  de  l'Evangile  ;  que  c'était  lui  qu'il  fallait  suivre,  que  c'était  lui 
qu'il  fallait  imiter,  et  que  le  plus  grand  bonheur  de  son  siècle  était  d'avoir 
porté  un  homme  si  rare  et  si  admirable.  C'est  ce  que  rapporte  Sulpice  Sévère, 
en  la  vie  de  ce  saint  évoque  de  Tours. 

Saint  Ambroise  n'en  parlait  aussi  que  comme  d'un  prodige  ;  et,  dans 
l'épître  à  Saban,  il  ne  peut  assez  relever  sa  générosité  d'avoir  quilté  ce  que 
le  monde  a  de  plus  éclatant  pour  embrasser  l'abjection  et  la  pauvreté  de  la 
vie  religieuse.  Saint  Jérôme  lui  écrivit  de  Bethléem  et  le  dissuada  du  voyage 
de  Jérusalem,  où  notre  Saint  avait  dessein  de  se  retirer  pour  une  plus  grande 
perfection,  lui  représentant  que  son  désert  de  la  Campanie  était  beaucoup 
plus  tranquille  et  plus  propre  aux  exercices  de  la  vie  monastique,  que  cette 
ville,  qui  était  alors  pleine  de  trouble  et  de  confusion.  Il  lui  prescrivit  en 
môme  temps  quelques  règles  de  la  vie  solitaire  qu'il  avait  embrassée,  et  lui 
témoigna  qu'il  ne  pouvait  assez  louer  sa  résolution,  d'autant  plus  recom- 
mandable,  que  ce  qu'il  avait  abandonné  pour  Dieu  avait  plus  de  charmes 
pour  l'arrêter  dans  le  siècle.  Dans  une  autre  épître ,  adressée  à  Julien,  il 
l'appelle  un  prôtre  d'une  foi  très-fervente,  et  dit  que,  s'il  avait  quitté  des  ri- 
chesses temporelles,  il  en  était  devenu  plus  riche  par  l'heureuse  possession 
de  Jésus-Christ,  et  que,  s'il  avait  renoncé  aux  premiers  honneurs  de  l'em- 
pire, la  vie  humble  et  abjecte  à  laquelle  il  s'était  consacré  l'avait  rendu  in- 
comparablement plus  glorieux  qu'il  n'était  auparavant,  puisque  ce  que  l'on 
perd  pour  Jésus-Christ  ne  se  perd  point,  mais  se  change  en  quelque  chose 
de  meilleur  et  de  plus  utile.  Saint  Augustin  et  saint  Alipius  lièrent  aussi  une 
étroite  amitié  avec  notre  Saint,  et  se  firent  gloire  d'avoir  un  fréquent  com- 
merce de  lettres  avec  lui.  Le  premier,  lui  adressant  un  jour  un  de  ses  dis- 
ciples, lui  mande  qu'il  l'envoie  à  son  école,  parce  qu'il  est  sûr  qu'il  profitera 
beaucoup  plus  par  son  exemple,  qu'il  ne  pouvait  profiter  de  toutes  les  re- 
montrances et  de  toutes  les  exhortations  qu'il  lui  faisait  ;  et,  écrivant  à 
Décentius,  il  lui  conseilla  d'aller  voir  Paulin,  parce  qu'il  trouverait  en  sa 
personne  la  modestie  d'un  véritable  disciple  de  Jésus-Christ.  Il  y  eut  même 
une  illustre  compagnie  d'évêques  d'Afrique,  qui,  remplis  d'une  haute  idée 
de  sa  sainteté,  lui  envoyèrent  des  députés  avec  une  lettre,  pour  lui  témoi- 
gner l'estime  et  la  vénération  qu'ils  avaient  pour  son  mérite.  Le  pape  saint 
Anastase,  qui  succéda  à  Sirice,  conçut  aussi  les  mêmes  sentiments  pour  lui  ; 
car,  à  peine  fut-il  élevé  au  souverain  pontificat,  qu'il  écrivit  en  sa  faveur  à 
tous  les  évêques  de  Campanie,  leur  témoignant  l'amour  qu'il  avait  pour  ce 
saint  prôtre.  Et,  une  fois  que  notre  Saint  vint  à  Rome,  pour  assister  à  la 
solennité  de  la  fête  de  saint  Pierre,  il  l'y  reçut  avec  de  grandes  démonstra- 
tions de  bienveillance  et  d'honneur;  depuis,  il  l'invita  à  l'anniversaire  de 
son  couronnement  :  invitation  que  les  Papes  ne  faisaient  ordinairement 
qu'aux  évêques.  Enfin,  saint  Paulin  était  si  célèbre  par  toute  l'Europe,  qu'on 
le  proposait  continuellement  pour  exemple  à  ceux  qu'on  voulait  détromper 
de  l'estime  des  biens  de  la  terre  et  attirer  au  service  de  Jésus-Christ,  comme 
lit  saint  Eucher  dans  son  épître  à  Valérien.  Ainsi,  sa  conduite  fut  d'une 
grande  utilité  pour  toute  l'Eglise,  et  elle  servit  non-seulement  à  la  conver- 
sion d'une  infinité  de  pécheurs,  mais  aussi  à  mettre  en  honneur  la  vie  mo- 
nastique et  à  la  faire  embrasser  par  un  grand  nombre  de  personnes  de  toutes 
sortes  de  conditions. 


228  22  JUIN. 

Au  reste,  c'est  une  chose  merveilleuse  que  la  modestie  et  l'humilité  avec 
lesquelles  il  recevait  toutes  ces  louanges.  Il  ne  manquait  jamais,  dans  ses 
réponses,  d'en  témoigner  son  mécontentement,  parce  qu'il  ne  voyait  rien 
en  lui  que  de  méprisable,  et  qu'il  ne  souhaitait  aussi  que  du  mépris.  Sulpice 
Sévère  l'ayant  prié  de  lui  envoyer  son  portrait,  il  ne  fit  point  difliculté  de 
traiter  cette  demande  de  folie,  et  lui  répondit  qu'il  ne  pouvait  pas  la  lui 
accorder,  parce  qu'il  ne  portait  plus  l'image  de  Dieu  dans  sa  pureté, 
l'ayant,  disait-il,  souillée  par  la  corruption  de  l'homme  terrestre.  Cepen- 
dant, aj'ant  appris  que,  malgré  ce  refus,  ce  fidèle  ami  l'avait  fait  peindre 
dans  un  baptistère,  à  l'opposite  de  saint  Martin,  il  lui  en  exprima  sa  dou- 
leur, et  tourna  cette  action  ;\  son  propre  désavantage,  disant  que  cela  s'était 
fait  par  une  conduite  particulière  de  la  divine  Providence,  afin  que  les 
nouveaux  baptisés  eussent  devant  les  yeux,  en  sortant  des  fonts  baptis- 
maux, d'un  côté  celui  qu'ils  devaient  imiter  en  la  personne  de  saint  Martin, 
et  de  l'autre,  celui  dont  ils  devaient  fuir  l'exemple,  en  la  personne  du 
pécheur  Paulin. 

Comme  ce  n'est  pas  assez  d'entrer  dans  la  voie  de  la  perfection ,  si  l'on 
n'y  persévère  avec  constance,  notre  Saint  persévéra  toute  sa  vie  dans  l'amour 
de  la  pauvreté  et  de  la  mortification.  Il  avait  changé  sa  vaisselle  d'argent 
en  vaisselle  de  bois  et  de  terre,  et  jamais  il  n'en  voulut  avoir  d'autre.  Sa 
table  était  si  frugale,  que  les  religieux  les  plus  austères  avaient  de  la  peine 
à  en  supporter  la  rigueur.  La  viande  et  le  poisson  en  étaient  bannis,  et  l'on 
n'y  servait  point  d'autres  mets  que  des  herbes  et  des  légumes.  Ayant  tout 
donné,  il  était  lui-même  dans  la  disette  ;  et  cette  nécessité  lui  attira  une 
des  plus  rudes  humiliations  dont  un  homme  de  son  rang  soit  capable  ;  ceux 
qui  l'avaient  autrefois  honoré  pour  ses  grands  biens  et  pour  les  avantages 
qu'ils  espéraient  de  sa  libéralité,  et  les  esclaves  mômes  qu'il  avait  affranchis, 
l'abandonnèrent  et  le  traitèrent  quelquefois  avec  mépris.  Cependant  il 
croyait  toujours  n'avoir  rien  souffert  pour  Dieu  :  «  0  misérables  que  nous 
sommes  !  »  disait-il,  «  nous  pensons  avoir  donné  quelque  chose  à  Dieu, 
nous  nous  trompons,  nous  trafiquons  seulement  avec  lui,  nous  avons  peu 
quitté  pour  avoir  beaucoup,  nous  avons  abandonné  les  choses  de  la  terre 
qui  ne  sont  rien,  pour  acquérir  les  biens  du  ciel  qui  sont  solides,  permanents 
et  véritables.  Oh  1  que  nous  avons  les  choses  à  bon  marché  1  Dieu  nous  a 
rachetés  bien  plus  cher  :  il  nous  a  donné  son  sang  et  sa  vie,  dont  le  prix  est 
infini,  pour  acquérir  de  misérables  esclaves  !  »  Etant  dans  ces  sentiments, 
il  ne  s'arrêtait  jamais  dans  le  chemin  de  la  perfection  ;  mais  il  s'y  avançait 
à  tous  moments  par  la  pratique  de  toutes  les  vertus,  tant  intérieures  qu'exté- 
rieures. 

Nous  avons  déjà  remarqué  que  saint  Jérôme  l'appelle,  dans  une  de  ses 
épîtres,  «  un  prêtre  d'une  foi  très-fervente  »;  mais  cette  foi  éclata  principa- 
lement lorsque  les  Goths  eurent  pris  Noie,  et  lui  eurent  enlevé  à  lui-môme 
tout  ce  qu'il  avait  dans  sa  maison  pour  sa  subsistance.  Saint  Augustin,  au 
premier  livre  de  la  Cité  de  Dieu,  chapitre  10,  rapporte  que  ces  barbares 
s'étant  alors  saisis  de  sa  personne,  et  voulant  le  tourmenter  pour  l'obliger 
de  déclarer  où  était  son  trésor,  il  disait  à  Dieu,  dans  le  secret  de  son  cœur  : 
«  Seigneur,  ne  souffrez  pas  que  je  sois  tourmenté  pour  de  l'or  ou  de  l'argent; 
car  vous  savez  où  sont  tous  mes  biens  ».  Cette  prière,  animée  d'une  foi  vive 
et  d'une  parfaite  confiance  en  la  bonté  divine,  fut  si  efficace,  qu'on  ne  lui  fit 
aucun  mal,  et  qu'il  ne  fut  point  non  plus  emmené  en  captivité.  Cependant, 
sa  nécessité  devint  si  grande,  qu'à  peine  avait-il  du  pain  pour  se  nourrir, 
parce  que,  les  Goths  ayant  tout  enlevé,  il  n'était  rien  resté  dans  Noie  nour  la 


SAINT  PAUUN,   ÉVÊQUE   DE   NOLE.  229 

subsistance  de  ceux  qu'ils  y  avaient  laissés.  Mais  dans  une  si  grande  misère, 
il  ne  pouvait  manger  un  morceau  de  pain  sans  en  faire  part  à  ceux  qu'il 
voyait  dans  la  môme  peine,  parce  qu'il  savait  que  Dieu,  qui  nourrit  les 
oiseaux  du  ciel  et  les  animaux  de  la  terre,  ne  manquerait  jamais  de  lui  don- 
ner les  choses  nécessaires  à  la  vie.  On  raconte  qu'un  pauvre  étant  venu 
lui  demander  l'aumône,  il  l'envoya  à  Thérasie,  qui,  de  son  épouse,  était 
devenue  sa  sœur,  lui  disant  de  donner  à  ce  pauvre  ce  qu'elle  pourrait  ;  elle 
lui  répondit  qu'il  ne  restait  plus  en  sa  maison  qu'un  petit  pain  qui  ferait 
tout  son  dîner.  «  Donnez-le  »,  répliqua  le  Saint;  «  Jésus-Christ,  qui  demande 
par  la  bouche  et  par  la  main  de  ce  pauvre,  doit  être  préféré  à  nous  ».  Thé- 
rasie, contre  sa  coutume,  n'en  fit  rien,  parce  qu'elle  jugea  sans  doute,  selon 
la  prudence  humaine,  que,  dans  un  besoin  égal,  la  vie  de  ce  grand  homme 
était  préférable  à  celle  du  mendiant,  et  qu'ainsi  il  valait  mieux  garder  le 
pain  que  de  le  donner  à  cet  étranger.  Mais  elle  apprit  bientôt  que  la  foi  de 
Paulin  était  plus  opulente  et  plus  efficace  que  la  précaution  timide  et  dé- 
fiante dont  elle  avait  usé  ;  car,  incontinent  après,  il  arriva  des  hommes  qui 
lui  amenaient  une  grande  provision  de  blé  et  de  vin,  s'excusant  d'ailleurs 
et  du  peu  qu'ils  apportaient  et  de  leur  retardement,  sur  ce  qu'une  tempête 
avait  submergé  un  de  leurs  vaisseaux  qui  était  chargé  de  froment.  «  Voilà», 
dit  alors  Paulin  à  Thérasie,  «  le  châtiment  de  votre  incrédulité.  Vous  avez 
dérobé  au  pauvre  le  pain  que  je  lui  voulais  donner,  et  Dieu,  en  punition, 
nous  a  privés  de  ce  vaisseau  de  blé  que  sa  providence  nous  envoyait  ». 

Cette  grande  foi  était  dans  notre  saint  prêtre  la  source  de  toutes  les  autres 
vertus.  On  ne  peut  assez  dignement  représenter  sa  douceur,  sa  miséricorde 
pour  toutes  sortes  d'affligés,  sa  reconnaissance  pour  ceux  qui  lui  faisaient 
du  bien,  sa  vénération  pour  les  excellents  prélats  qui  vivaient  de  son  temps, 
sa  dévotion  envers  les  Saints,  et  surtout  envers  saint  Félix,  dont  il  rendit  la 
mémoire  si  célèbre  par  tout  le  monde  ;  et,  enfin,  son  grand  amour  pour 
Jésus-Christ  dont,  selon  le  témoignage  de  saint  Augustin,  il  jetait  partout 
une  odeur  très-sainte  et  très-agréable. 

Il  y  avait  quinze  ans  que  Paulin  vivait  dans  la  retraite,  lorsqu'on  l'élut 
pour  succéder  à  Paul,  évêque  de  Noie,  qui  mourut  sur  la  fin  de  l'année  409. 
«  Dans  la  prélature  »,  dit  Uranius,  un  de  ses  prêtres,  en  l'abrégé  de  sa  vie, 
«  il  n'affecta  point  de  se  faire  craindre,  mais  il  s'étudia  à  se  faire  aimer  de 
tout  le  monde.  Comme  il  n'était  point  touché  des  injures  que  Ton  faisait  à 
sa  personne,  rien  n'était  capable  de  le  mettre  en  colère  ;  il  ne  séparait 
jamais  la  miséricorde  du  jugement  ;  mais  s'il  était  obligé  de  châtier,  il  le 
faisait  d'une  telle  manière,  qu'il  était  aisé  de  voir  que  c'étaient  des  châti- 
ments de  père,  et  non  pas  des  vengeances  de  juge  irrité.  Sa  vie  était  l'exemple 
de  toutes  sortes  de  bonnes  œuvres,  et  son  accueil  était  le  soulagement  de 
tous  les  misérables.  Qui  a  jamais  imploré  son  secours  sans  en  recevoir  une 
consolation  très-abondante  ?  et  quel  pécheur  a-t-il  jamais  rencontré  qu'il 
ne  lui  ait  présenté  la  main  pour  le  relever  de  sa  chute  ?  Il  était  humble, 
bénin,  charitable,  miséricordieux  et  pacifique;  il  n'eut  jamais  de  fierté  ni 
de  dédain  pour  qui  que  ce  fût.  Il  encourageait  les  faibles,  il  adoucissait 
ceux  qui  étaient  d'une  humeur  emportée  et  violente.  Il  aidait  les  uns  par 
l'autorité  et  le  crédit  que  lui  donnait  sa  charge,  d'autres  par  la  profusion 
de  ses  revenus,  dont  il  ne  se  réservait  que  ce  qui  lui  était  absolument  néces- 
saire ;  d'autres,  enfin,  par  ses  sages  conseils,  dont  on  trouvait  toujours  de 
grands  trésors  dans  sa  conversation  et  dans  ses  lettres.  Personne  n'était 
éloigné  de  lui  sans  désirer  de  s'en  approcher  ;  et  personne  n'avait  le  bon- 
heur de  lui  parler  sans  souhaiter  de  ne  s'en  séparer  jamais  ».  En  un  mot, 


230  Î22  jum. 

comme  sa  réputation  était  si  grande,  qu'à  peine  il  y  avait  un  seul  lieu  snr 
la  terre  où  le  nom  de  Paulin  ne  fût  célèbre  ;  aussi  ses  bienfaits  étaient  si 
•étendus,  que  les  îles  et  les  solitudes  les  plus  éloignées  en  étaient  partici- 
pantes. Comme  le  remarque  l'auteur  des  livres  de  Fa  Vocation  des  {jentils,  qui 
sont  attribués  à  saint  Prosper,  quoique  Paulin  eût  abandonné  ses  propres 
Liens  pour  Jésus-Christ,  il  ne  laissa  pas,  néanmoins,  d'avoir  grand  soin  des 
biens  ecclésiastiques  de  son  évôcbé,  parce  qu'il  n'ignorait  pas  qu'il  n'en  était 
que  le  dépositaire  et  le  gardien  ;  et  que,  étant  le  patrimoine  des  pauvTes,  il 
était  obligé  de  les  conserver  pour  ceux  en  faveur  desquels  les  lidcles  les 
avaient  donnés  à  l'Eglise.  Mais  il  en  conserva  l«s  fonds  avec  soin,  il  en  dis- 
tribua les  revenus  avec  une  liberté  sans  mesure;  de  sorte  qu'il  n'était  pas 
moins  pauvre  dans  l'épiscopat  qu'il  l'avait  été  dans  le  monastère  ;  rien  ne 
demeurant  entre  ses  mains,  il  était  autant  dans  la  disette,  sous  l'éclat  de  la 
préiature,  qu'il  l'était  sous  l'humble  habit  de  religieux. 

Il  ne  faut  pas  oublier  ici  que  ses  éminentes  vertus  lui  attirèrent  même  la 
vénération  des  empereurs.  Honorius,  fils  du  grand  Thcodose,  avait  pour  lui 
la  plus  grande  estime  ;  il  voulut  qu'il  fût  presque  le  seul  arbitre  du  différend 
qui  survint  dans  l'Eglise  romaine  pour  la  succession  au  pontificat  du  pape 
saint  Zozime.  Car,  aj^ant  ordonné  l'assemblée  d'un  Concile  pour  examiner 
les  prétentions  d'Eulalius,  schismatique,  contre  le  droit  légitime  de  saint 
Boniface,  et  sachant  que  ce  saint  évoque  n'y  pouvait  pas  assister,  parce  qu'il 
était  tombé  malade,  il  fit  différer  ce  concile  jusqu'à  ce  qu'il  fut  entré  en  con- 
Talescence.  îl  lui  écrivit  ensuite  une  lettre  pleine  d'un  souverain  respect, 
lui  témoignant  que  rien  ne  pouvait  être  décidé  sans  lui  ;  il  le  prie  de  se 
trouver  au  Concile  pour  apprendre  au  monde  la  volonté  de  Dieu,  pour  dé- 
clarer à  l'Eglise  quel  était  son  véritable  pasteur,  et  pour  lui  donner  à  lui- 
même  sa  bénédiction. 

il  nous  reste  à  rapporter  de  lui  cette  action  héroïque  de  charité  qui  n*a 
presque  point  d'exemple  dans  aucun  des  âges  du  monde,  mais  qui  est  fidè- 
lement décrite  par  saint  Grégoire  le  Grand,  au  livre  troisième  de  ses  Dialo- 
gues, et  dont  le  bréviaire  et  le  martyrologe  romains  font  foi  au  22  juin. 
«  Au  temps  où  les  Vandales  » ,  dit  saint  Grégoire,  «  ravageaient  la  Campanie, 
et  qu'ils  emmenaient  la  plupart  des  habitants  en  captivité,  l'homme  de  Dien, 
Paulin,  donna,  pour  le  soulagement  des  captifs  et  des  pauvres,  tout  ce  qui 
était  en  sa  disposition  ;  lorsqu'il  se  fut  entièrement  dépouillé,  il  survint  en- 
core une  veuve  qui,  lui  ayant  représenté  que  le  gendre  du  roi  vandale 
avait  emmené  son  fils  en  servitude,  le  supplia  avec  beaucoup  d'instance  de 
mi  donner  de  quoi  le  délivrer. 

«  L'esprit  de  ce  saint  évêque  fut  alors  combattu  de  deux  mouvements 
bien  différents;  car,  d'un  côté,  il  voyait  que,  n'ayant  rien,  il  lui  était  im- 
possible de  rien  donner,  et  de  Fautre,  fl  avait  une  peine  extrême  à  renvoyer 
une  veuve  pleine  de  douleur  et  accablée  de  tristesse;  enfin.  Dieu  lui  donna 
une  invention  admirable  pour  satisfaire  à  la  nécessité  de  son  ouaille  et  au 
zèle  de  sa  charité.  Quoiqu'il  eût  donné  tous  ses  biens,  il  se  possédait  encore 
lui-même,  et  il  fut  inspiré  de  s'offrir  et  de  se  donner  lui-môme,  imitant 
Jésus-Chris'  qui  n'a  point  fait  difficulté  de  donner  sa  vie  pour  les  hommes. 
Il  dit  donc  à  la  veuve  qu'il  n'avait  plus  d'argent  ni  aucun  bien  ;  mais  que, 
si  elle  roulait,  elle  pouvait  feindre  qu'il  était  son  esclave  et  l'échanger  pour 
son  fiiS.  La  veuve,  surprise  d'une  telle  proposition,  en  croyait  à  peine  ses 
«re-Jles;  mais  le  Saint  l'obligea  d'accepter.  Elle  le  mena  donc  en  Afrique 
et  le  présenta  au  maître  de  son  fils.  Ce  prince  fit  d'abord  quelque  difficulté 
avant  de  le  prendre  en  échange;  mais,  lui  ayant  demandé  ce  qu'il  savait 


SAINT  PAULIN,   ÉVÊQUE   DE  NOLE.  231 

faire,  et  le  Saint  loi  ayant  répondu  qu'il  savait  bien  travailler  au  jardin,  il 
l'accepta  avec  joie  et  renvoya  libre  le  fils  de  la  veuve.  Ainsi,  Paulin  s'ac- 
quitta éminemment  du  devoir  d'un  véritable  pasteur,  qui  est  de  se  donner 
pour  ses  ouailles,  et  il  eut  part  à  la  qualité  de  rédempteur,  que  Jésus- 
Christ  s'est  acquise  par  son  sang.  Dieu  lui  fit  ensuite  trouver  grâce  auprès 
de  ce  nouveau  maître;  et,  comme  il  le  servit  avec  beaucoup  de  fidélité  et 
de  prudence,  il  gagna  tellement  son  afTection,  qu'il  quittait  la  compagnie 
des  plus  grands  seigneurs  pour  s'entretenir  avec  lui.  Un  jour,  Paulin  lui  dit 
qu'il  devait  penser  à  ses  affaires,  parce  que  le  roi,  son  père,  mourrait  bien- 
tôt pour  aller  paraître  devant  le  tribunal  de  Dieu.  Le  prince  en  avertit  le 
roi,  et  le  roi  ayant  fait  venir  le  Saint,  il  reconnut  qu'il  était  un  de  ceux 
qu'il  avait  vus  en  songe  lui  arracher  le  fouet  de  la  main.  Le  mérite  de  ce 
grand  personnage  ayant  ainsi  fait  reconnaître  qui  il  était,  on  le  renvoya 
libre  avec  tous  les  esclaves  de  son  diocèse,  et  beaucoup  de  vaisseaux  char- 
gés de  blé  pour  la  subsistance  des  habitants  de  Noie.  Peu  de  temps  après 
le  roi  des  Vandales  mourut  :  ce  qui  fit  encore  connaître  l'éminente  sainteté 
et  l'esprit  prophétique  de  saint  Paulin  ». 

Il  y  a  des  auteurs  qui  trouvent  des  contradictions  dans  cette  histoire, 
rapportée  par  saint  Grégoire.  Mais  le  cardinal  Baronius  y  a  savamment  ré- 
pondu dans  ses  Notes  sur  le  Martyrologe,  en  remarquant  que  le  roi  des 
Vandales  dont  il  est  parlé  en  cet  endroit  n'est  pas  Genséric,  qui  vécut  si 
longtemps  après  saint  Paulin;  mais  Gonthaire,  son  frère,  qui  régna  quelque 
temps  avec  lui,  et  qui  mourut  avant  notre  saint  évèque. 

On  ne  peut  exprimer  la  joie  avec  laquelle  il  fut  reçu  dans  Noie,  lorsqu'il 
y  entra  comme  un  victorieux  qui  revient  chargé  des  dépouilles  des  enne- 
mis; mais  cette  joie  ne  dura  pas  longtemps,  parce  que  Dieu  voulut  enfin 
terminer  la  vie  de  son  serviteur,  pour  lui  donner  la  récompense  de  ses 
travaux. 

Le  prêtre  Uranius,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  nous  a  laissé  par  écrit  les 
principales  circonstances  de  son  heureux  décès.  Trois  jours  avant  sa  mort, 
étant  déjà  au  lit  pour  un  mal  décote  très-violent  qui  faisait  désespérer  de  sa 
vie,  il  fut  visité  par  deux  évoques,  appelés  Symmaque  et  Benoît.  Il  les  accueil- 
lit avec  une  douceur  et  une  bonté  angéliques;  et,  s'étant  fait  dresser  un  autel 
auprès  de  son  lit,  il  offrit  avec  eux  le  sacrifice  auguste  du  Corps  et  du  Sang 
de  Jésus-Christ,  et  réconcilia  les  pénitents  qui  avaient  été  interdits  du  bon- 
heur de  la  communion.  Ensuite,  s'étant  recouché,  il  demanda  où  étaient 
ses  frères  ;  les  assistants  crurent  qu'il  parlait  des  évêques  qui  étaient  dans 
sa  chambre  et  devant  lui  :  «  Ce  n'est  pas  de  ceux-ci  que  je  parle  »,  répli- 
qua-t-il,  «  mais  de  saint  Janvier  et  de  saint  Martin,  qui  m'ont  rendu  visite 
il  y  a  peu  de  temps,  et  qui  m'ont  promis  de  revenir  au  plus  tôt  ».  Ces  deux 
Saints,  dont  l'un  avait  été  évêque  de  Bénévent  et  martyr,  et  l'autre  arche- 
vêque de  Tours,  lui  étaient  apparus,  et  l'avaient  assuré  que  l'heure  de  sa 
délivrance  était  fort  proche.  Il  leva  alors  les  mains  au  ciel,  et  chanta  en 
signe  d'allégresse  le  psaume  qui  commence  par  ces  paroles  :  «  J'ai  levé  mes 
yeux  vers  les  montagnes  d'où  me  doit  venir  du  secours  ».  Un  saint  prêtre, 
nommé  Poslhumien,  l'avertit  qu'il  était  dû  quarante  pièces  d'argent  à  des 
marchands  pour  des  habits  que  l'on  avait  fait  faire  pour  les  pauvres.  «  Ne 
craignez  rien,  mon  fils  »,  lui  répondit-il  en  souriant  :  «  nous  avons  de  quoi 
payer  les  dettes  que  nous  avons  contractées  pour  les  pauvres  ».  En  effet, 
peu  de  temps  après  arriva  un  prêtre  de  Lucanie,  qui  lui  présenta  cinquante 
pièces  d'argent  que  l'évêque  Exupérance,  et  son  frère  Ursace,  homme  de 
qualité,  lui  envoyaient  pour  ses  besoins.  Il  remercia  Dieu  d'une  Providence 


232  22  JUIN. 

si  paternelle  et  si  aimable;  et,  ayant  donné  de  ses  propres  mains  deux  de 
ces  pièces  au  prêtre  qui  les  avait  apportées,  il  fit  payer  avec  les  autres  ce 
qui  était  dû  aux  marchands  dont  sa  charité  pour  les  pauvres  l'avait  rendu 

débiteur.  * 

Il  passa  une  partie  de  la  nuit  suivante  dans  de  grandes  souffrances;  mais 
elles  ne  l'empêchèrent  pas  de  réciter  le  matin  ses  Matines  et  de  faire  une 
exhortation  à  ses  ecclésiastiques  pour  les  animer  à  la  piété  envers  Dieu  et 
à  la  charité  les  uns  envers  les  autres.  Il  garda  ensuite  le  silence  jusqu'au 
soir;  alors,  s'éveillant  comme  d'un  profond  sommeil,  et  voyant  que  la  nuit 
commençait,  il  dit  doucement  :  «  J'ai  préparé  ma  lampe  pour  mon  Christ». 
Enfin,  au  milieu  de  la  nuit,  il  se  fît  dans  sa  chambre  comme  un  grand 
tremblement  déterre,  sans  néanmoins  qu'il  en  parût  rien  au  dehors;  et 
durant  ce  tremblement,  qui  obligea  tous  ceux  qui  étaient  présents  de  se 
jeter  à  terre  pour  implorer  la  miséricorde  de  Notre-Seigneur,  il  rendit  pai- 
siblement son  esprit  entre  les  mains  des  anges,  pour  être  porté  dans  les 
cieux.  Ce  fut  le  22  juin  de  l'année  431.  «  Il  ne  faut  pas  s'étonner»,  dit  Ura- 
nius,  «  si,  à  sa  mort,  un  petit  coin  de  la  terre  trembla,  puisque  tout  le  n.onde 
en  fut  rempli  de  tristesse  :  car,  quel  est  le  lieu  en  toute  la  terre  où  Ion 
n'ait  pas  pleuré  une  si  grande  perte  ?  Et  quel  est  le  chrétien  qui  n'ait  pas 
gémi  en  apprenant  que  l'évcque  Paulin  était  mort  ?  Le  paradis  se  réjouit 
d'avoir  reçu  un  habitant  d'un  si  grand  mérite;  mais  l'Eglise  fut  pénétrée 
de  douleur  d'avoir  perdu  un  si  excellent  pasteur.  Les  anges  firent  une  grande 
fête  pour  se  voir  honorés  de  la  compagnie  de  cet  homme  céleste,  qui  leur 
était  si  semblable;  mais  les  provinces,  les  royaumes  et  tout  le  peuple  chré- 
tien furent  en  deuil  de  se  voir  privés  de  la  présence  de  cet  ange  terrestre 
dont  la  vie  était  le  modèle  de  toutes  sortes  de  perfections.  Les  Juifs  mêmes 
et  les  païens  déchirèrent  leurs  habits,  et,  se  joignant  aux  chrétiens,  déplo- 
rèrent avec  eux  la  perte  qu'ils  faisaient  tous  de  leur  père  et  de  leur  dé- 
fenseur». 

Quelque  temps  après  sa  mort,  il  apparut  à  saint  Jean,  évêque  de  Naples, 
dans  une  gloire  merveilleuse.  Son  visage  était  brillant  comme  un  astre,  ses 
habits  étaient  parsemés  d'étoiles  sur  un  fond  plus  blanc  que  la  neige;  il 
rendait  une  odeur  semblable  à  celle  de  l'ambroisie,  et  avait  dans  sa  main 
un  rayon  de  miel,  dont  l'éclat  égalait  la  douceur.  Dans  cet  état,  il  lui  dé- 
clara qui  il  était;  et  lui  ayant  fait  goûter  de  ce  miel,  il  l'invita  à  venir  lui- 
même  prendre  part  à  la  gloire  dont  il  le  voyait  comblé  :  ce  qui  arriva  trois 
jours  après. 

On  le  représente  vivant  dans  l'esclavage,  auquel  il  s'était  livré  pour  ra- 
cheter le  fils  d'une  veuve.  Cet  acte  de  générosité,  aussi  bien  que  sa  captivité 
en  Afrique,  l'a  fait  honorer  par  l'Ordre  des  Trinitaires. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  SES  ÉCRITS. 

Pour  le  corps  de  notre  saint  Prélat,  qui  fut  revêtu  à  la  mort  d'une  beauté  ravissante,  et  qui 
remplit  d'admiration  tous  les  spectateurs,  il  fut  enterré  dans  l'église  qu'il  avait  fait  bâtir  ea 
l'honneur  de  saint  Félix ,  d'où  il  a  été  transféré  depuis  à  Rome  dans  l'église  de  Saint-Barthélemi 
au-delà  du  Tibre,  où  il  se  rend  redoutable  au  démon  par  la  délivrance  des  possédés.  Sa  fête  est 
marquée  dans  tous  les  martyrologes. 

Les  écrits  de  saint  Paulin  ne  sont  pas  des  ouvrages  de  longue  haleine  ;  mais  il  en  avait  laissé 
«D  assez  grand  nombre,  qui  malheureusement  ne  nous  ont  pas  été  tous  conserves  : 

1°  Nous  avons  un  recueil  de  ses  lettres,  au  nombre  de  cinquante,  qui  ne  sont  qu'une  partie  de 
celles  qu'il  a  écrites  et  qui  ne  sont  pas  parvenues  jusqu'à  nous. 

2°  Parmi  les  lettres  de  saint  Paulin,  nous  avons  l'unique  sermon  qui  uous  reste  de  lui.  Il  est 
Intitulé  De  Gazophylacio,  c'est-à-dire  Du  Tronc 


SAINTE  ROTRUDE  OU  OTRUDE,  VIERGE.  233 

3»  A  la  fin  du  recueil  des  mêmes  lettres,  se  trouve  l'histoire  du  martyre  de  saint  Genès  d'Arles. 

4"  Enfin  nous  avons  un  recueil  de  Poésies  f[ui  contient  trenle-deux  Poèmes,  en  comptant  les 
fragments  de  quelques-uns  pour  des  poèmes  entiers. 

Outre  la  griinde  quantité  de  lettres  et  plusieurs  poésies  dont  nous  sommes  privés,  on  compte  : 
10  l'excellent  abrégé  qu'il  fit  en  vers  des  trois  livres  de  Suétone  sur  les  Rois  des  différentes  na- 
tions.  Ausone  manque  d'expression  pour  en  relever  l'élégance  ;  2»  la  traduction  de  grec  en  latin 
des  ouvrages  de  saint  Clément  ;  2°  le  Panégyrique  de  l'empereur  Théodose  ;  4°  l'ouvrage  qu'il 
entreprit  contre  les  païens  ;  S»  un  grand  nombre  de  sermons  ;  6»  un  livre  ^'Hymnes  ;  7o  un 
Sacramenlaii  e  ;  8"  son  livre  sur  la  Pénitence  et  sur  la  louange  des  martyrs  en  général. 

Parmi  les  autres  écrits  attribués  à  saiut  Paulin,  les  uns  sont  douteux  et  les  autres  absolument 
supposés. 

Dans  la  première  classe  on  peut  mettre  une  lettre  intitulée  :  In  Evagrium  objurgalio  quod 
Leviiam  lap^um  non  consolatus  sit  ;  et  deux  autres  dont  l'une  est  adressée  à  sainte  iMarcelle  et 
l'autre  à  Célancie. 

Dans  la  deuxième  classe  on  peut  ranger  :  l»  deux  Poèmes,  dont  l'un  est  une  exhortation  de 
l'auteur  h  sa  femme,  pour  la  porter  à  se  consacrer  entièrement  à  Dieu;  et  l'autre  qui  est  sur  le 
nom  de  Jésus  ;  2°  un  livre  sur  les  bénédictions  des  douze  Patriarches. 

Nous  n'indiquerons  qu'une  édition  des  œuvres  de  saint  Paulin  :  c'est  celle  de  M.  Migne,  t.  XLi 
de  la  Patrotoyie  latine  ;  c'est  la  reproduction  de  l'édition  de  Vérone  (due  à  iMuratori  et  au  marquis 
Maffei),  avec  les  préfaces  et  additions  de  Mingarelli. 

Saint  Paulin  montre  partout  une  grande  dévotion  envers  les  Saints,  et  assure  {Ep.  xxiii  ad 
Sever.,  p.  204)  qu'on  se  servait  de  leurs  reliques  dans  la  consécration  des  autels  et  des  églises, 
les  fidèles  ne  doutant  point  qu'elles  ne  fussent  pour  eux  une  défense  et  un  remède.  11  dit  que  leurs 
châsses  étaient  ornées  de  fleurs  {Poèm.  14);  qu'il  s'y  faisait  un  grand  concours  de  peuple  [Poèm.  13); 
que  ce  coucours  avait  pour  principe  les  miracles  qui  s'y  opéraient  ;  que  les  choses  perdues  avaient 
été  retrouvées  et  les  malades  guéris  par  l'intercession  des  Saints  [Poèm.  18).  Il  parle,  comme 
témoin  oculaire,  d'un  violent  incendie  qui,  n'ayant  pu  être  éteint  par  tous  les  secours  humains,  la 
fut  par  un  petit  morceau  de  la  vraie  croix  {Poèm.  25).  11  en  envoya  un,  enchâssé  dans  de  l'or,  à 
saint  Sul|)ice-Sévère.  «  Je  vous  fais  »,  disait-il,  «  un  grand  présent  dans  un  petit  atome  :  c'est  un 
préservatif  contre  les  maux  de  celte  vie  et  un  gage  de  la  vie  éternelle.  {Ep.  xxxii)  ».  Chaque 
année  il  faisait  un  voyage  à  Rome  pour  visiter  les  tombeaux  des  Apôtres  {Ep.  xlv  ad  Augustin., 
p.  210).  et  pour  assister  à  la  fête  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul.  {Ep.  xvii  ad  Sever.)  Tous 
ses  poèmes  sur  saint  Félix  sont  remplis  des  témoignages  de  la  confiance  qu'il  avait  aux  mérites  du 
Saint.  11  le  conjure  de  s'intéresser  pour  lui  auprès  de  Dieu  et  d'être  sort  protecteur  auprès  de  la 
Majesté  divine,  surtout  au  jour  du  jugement,  {Poèm.  14,  p.  43.)  11  déclare  qu'en  recevant  l'Eu- 
charistie, nous  mangeons  la  chair  de  Jésus-Christ,  cette  même  chair  qui  fut  attachée  sur  la  croix. 

In  cruce  fixa  caro  est,  qua  pascor,  de  cruce  sanguis 
lUe  finit,  vitam  quo  bibo,  corda  luvo. 

Ep.  xxxn.  p.  204. 

Souvent  il  parle  des  saintes  images.  Il  fait  la  description  des  peintures  qui  étaient  dans  l'église 
de  Saint-Félix  de  Noie,  peintures  où  l'on  voyait  repiéseiilées  les  histoires  dont  on  trouve  le  récit 
dans  le  Pentateuque,  dans  les  livres  de  Josué,  de  Rulh,  de  Tobie,  de  Judith  et  d'Esther.  {Poèm. 
24  et  25.)  Il  dit,  en  parlant  de  ces  peintures,  qu'elles  étaient  les  livres  des  ignorants.  {Poèm.  24, 
p.  156.)  Il  exhorte  ses  amis  à  prier  pour  l'âme  de  son  frère  qui  était  mort,  dans  la  persuasion  que 
ces  prières  lui  procureront  du  rafraîchissement  et  de  la  consolation  en  cas  qu'il  souffre  quelque 
peine  d;ins  l'autre  vie.  {Ep.  xxxv  ad  Delphin.,  et  xxxvi  ad  Amand.,  p.  220.)  Rien  de  plus 
énergique  et  de  plus  touchant  que  la  manière  dont  il  exprime  en  plusieurs  endroits  les  sentiments 
d'humilité  et  de  componction  dont  il  était  pénétré,  et  l'estime  qu'il  faisait  du  don  des  larmes. 
(£■^1.  XXIII,  p.  146,  etc.) 

Acta  Sanctorum;  Godescard,  Baillet,  etc.,  etc. 


SAINTE  ROTRUDE  OU  OTRUDE,  VIERGE  (xii«  siècle). 

On  ne  connaît  presque  rien  de  la  vie  de  sainte  Rotrude.  Les  religieux  de  l'abbaye  de  Saint- 
Berlin,  qui  possédaient  ses  reliques,  ignoraient  son  histoire,  ditMoIanus,  et  il  n'est  pas  douteux  qu'ils 
ont  fait  beaucoup  de  recherches  pour  la  découvrir.  Voici  les  quelques  lignes  que  lui  consacre 
Malbrancq,  dans  son  Histoire  des  Morins. 

Sainte  Rotrude,  née  probablement  dans  le  pays  de  Thérouanne,  est  signalée  dans  le  martyro- 
loge de  Guincs  comme  s'étant  toujours  montrée  agréable  à  Dieu  par  ses  vertus  et  ses  bonnes  œuvres. 


234  22  JUIN. 

Jamais  les  pauvres  ne  s'éloignaient  d'elle  sans  avoir  reçu  quelque  secours  ;  elle  leur  donnait  avec 
joie  ce  qu'elle  se  retranchait  à  elle-même.  La  pensée  de  la  passion  du  Sauveur  était  sans  cesse 
présente  à  son  esprit,  et  le  souvenir  de  ses  humiliations  et  de  ses  souffrances  lui  faisait  répandre 
dés  larmes  en  abondance.  Toutes  les  choses  de  la  terre  lui  inspiraient  un  tel  dégoût,  qu'elle  sem- 
blait en  être  entièrement  détachée  et  vivre  comme  les  anges  du  ciel.  L'époque  précise  de  sa  mcrl 
est  inconnue. 

Cette  Sainte  fut  canonisée,  dit  Gazet,  par  1  évêqne  de  Thérouanne,  Milon  II,  en  présence  d'Ar- 
noult,  comte  de  Guines.  Son  corps  fut  d'abord  placé  dans  le  monastère  d'Andres,  ou  Andernes  (Pas- 
de-Calais,  Ordre  de  Saint-Benoit,  ancien  diocèse  de  Boulogne  et  diocèse  actuel  d'Arras),  bâti  par 
Baudouiu  ï",  comte  de  Guines  et  de  Boulogne.  Plus  tard  on  le  transféra  à  l'abbaye  de  SaintrBertin, 
à  SaiuL-ûmer,  où  l'on  faisait  la  fête  de  sainte  Rotrude  le  22  juin. 

L'abbé  Destombes,  Vies  des  Saints  des  diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras. 


LE  BIENHEUREUX  LAMBERT, 

QIJARAOTTÈME  ABBÉ  DE   SAINT-BERTIN,  ATJ  DIOCÈSE  D'ABUAS  (1125). 

Lambert  fut  élevé  dès  son  enfance  dans  l'abbaye  de  Saint-Bertin.  Comme  il  montrait  de  grandei 
dispositions  pour  l'étude,  on  l'envoya  assister  aux  divers  cours  que  professaient  alors  en  France 
les  maîtres  les  plus  célèbres  ;  et,  de  retour  au  monastère,  il  fut  chargé  d'enseigner  à  ses  frères 
ce  qu'il  avait  appris,  et  il  le  fit  avec  un  grand  succès.  Il  fut  bientôt  élevé  à  la  dignité  de  prieur, 
mais  il  se  démit  de  cette  charge  pour  se  livrer  de  plus  en  plus  à  la  prière  et  à  l'étude.  Cependant, 
à  la  mort  de  Jean,  premier  du  nom,  il  fut  obligé  d'accepter  la  dignité  d'abbé  et  fut  béni  solennel- 
lement, l'an  1095,  par  Gérard,  évèque  de  Thérouanne.  Il  assista  celte  même  année  au  Concile 
de  Clermont. 

Il  se  mit  dès  lors  avec  activité  à  continuer  les  constructions  commencées  par  ses  prédécesseur! 
et  il  eut  la  consolation  de  les  terminer,  en  sorte  que  la  dédicace  de  l'Eglise  fut  faite  le  !«'■  juiu 
1106  par  saint  Jean,  évèque  de  Thérouanne,  et  cette  église  était  magnifique  comme  constructioa 
et  comme  ornementation.  Le  monastère  n'était  pas  moins  remarquable  d'ailleurs,  et  toutes  les 
affaires  temporelles  furent  mises  dans  un  ordre  parfait. 

Mais  ce  n'était  là  que  le  commencement  et  la  moindre  partie  de  la  Réforme  que  méditait 
le  digne  abbé.  L'esprit  de  pauvreté  avait  disparu  du  monastère,  la  vanité  s'y  était  glissée, 
l'obéissance  n'était  plus  connue;  il  fallait  un  remède  héroïque.  Voyant  que  ses  exhortations  les 
plus  pressantes  étaient  sans  effet,  Lambert  quitte  l'abbaye,  d'accord  avec  saint  Jean  de  Thérouanne, 
et  il  va  s'enfermer  à  Cluny,  où  il  fait  profession  comme  simple  moine.  Bientôt  les  religieux  de 
Saint-Bertin  reviennent  à  de  meilleurs  sentiments  :  ils  redemandent  avec  instance  leur  digne  abbé, 
qui  cousent  à  rentrer  dans  le  monastère  et  amène  avec  lui  des  religieux  pleins  de  ferveur.  Cepen- 
dant, les  bonnes  résolutions  ne  persévèrent  pas  :  ii  y  a  des  tiraillements  et  des  luttes,  il  faut 
même  avoir  recours  au  bras  séculier  et  expulser  les  plus  opiniâtres  ;  enfin  la  Réforme  s'établit 
d'une  manière  sérieuse  et  durable,  et  bientôt  tous  accourent  pour  vivre  de  cette  vie  de  sainteté. 
Là  où  l'on  aurait  naguère  à  peine  trouvé  douze  moines,  dit  à  ce  sujet  un  ancien  auteur,  on  en 
compta  bientôt  plus  de  cent  vingt. 

Lambert  jouit  de  son  œuvre  pendant  un  assez  grand  nombre  d'années,  et  il  eut  la  consolation 
d'établir  la  Réforme  dans  d'autres  maisons  religieuses  du  voisinage.  Il  mourut,  en  1125,  après  avoir 
restauré  et,  pour  ainsi  dire,  fondé  de  nouveau  ce  puissant  monastère,  qui  désormais,  sous  la  Règle 
de  Saint-Benoit,  continuera  de  mener  une  vie  pleine  de  vigueur  et  d'énergie,  jusqu'à  la  fin  du 
xviii"  siècle,  comme  antéiieurement  et  avec  diverses  périodes  de  relâchement  et  de  ferveur,  il 
avait  produit  d'abondants  résultats  pour  le  bien  de  la  religion  pendant  cinq  siècles  sous  la  Règle  de 
Saint-Colomban. 

L'abbé  Van  Drivai,  chanoine  d'Arras,  Hagiologie  diocésain». 


MARTYHOLOGES.  23S 


XXlir  JOUR  DE  JUIN 


MABTYROLOGK  ROMAIN. 

La  \iple  Je  saint  Jean-Baptiste.  —  A  Rome,  saint  Jean,  prêtre,  qni.  sons  Julien  l'Apostat, 
fut  décapité  sur  l'ancienne  voie  Salaria,  devant  l'idole  du  Soleil.  Son  corps  fut  enterré  par  saint 
Concorde,  prêtre,  près  du  lien  qu'on  nommait  les  Conciles  des  Martyrs  '.  362.  —  Encore  à 
Rome,  sainte  Agrippine  ^,  vierge  et  martyre,  sous  l'empereur  Valérien.  Son  corps,  transféré  en 
Sicile,  y  opère  beaucoup  de  miracles,  m»  s.  —  A  Sutri,  en  Toscane,  saint  Félix,  prêtre,  que  le 
préfet  Turcius  Bt  frapper  sur  la  toHche  avec  un  caillou,  jusqu'à  ce  qu'il  rendit  l'esprit.  Vers  274. 

—  A  Nicomédie,  la  mémoire  de  plusieurs  martyrs,  qui,  cactiés  dans  les  montagnes  «t  dans  des 
cavernes,  du  temps  de  Dioclétien,  siiliirent  le  martyre  a^v^c  joie  pour  le  nom  de  Jésus-Christ", 
rv"  s.  —  A  Philadelphie,  en  Arabie,  les  saints  martyrs  Zenon,  et  Zénas,  son  «sclave  ;  celui-ci 
baisant  les  chaînes  <le  son  maître,  garrotté  pour  la  foi,  €t  le  priant  d'agréer  qu'il  devint  partici- 
pant de  ses  tourments,  fut  arrêté  par  les  soldats  et  reçut  avec  lui  la  couronne    du  martyre.  304. 

—  Dans  la  Grande-Bretagne,  sainte  Edeltrude,  reine  et  vierge ,  qui  fut  illnstrée  par  sa  sainteté 
et  par  ses  miracles,  et  s'envola  dans  le  sein  de  Dieu.  Soh  corps  fut  trouvé  sans  nulle  marque  de 
corrupti-oa  onze  ans  après  sa  mort.  €79. 

MARTYROLOGE   DE   FRANCE,   REVU   ET  AUGMENTÉ. 

A  Saint-Paul-Trois-Cbàteaux,  au  diocèse  de  Valence,  et  à  Valréas,  au  diocèse  d'Avignon,  saint 
Blartin  des  Ormeaux  {Martinus  de  Vlmis),  évêque  de  Saint-Paul-Trois-Châteaux.  Il  fut  élevé,  en 
657,  sur  ce  siège,  Biais  la  lèpre  dont  il  fut  affligé,  après  quelques  années  dune  sage  administra- 
tion, l'obligea  de  se  retirer  auprès  de  Taulignan  (Drôme),  dans  une  solitude  où  il  eut  beaucoup  à 
souffrir,  n  y  mourut  û\ihe  mort  si  précieuse  qti'iroe  chapelle  fut  bâtie  en  son  honneur  dans  ce 
lieu.  Pendant  longtemps  ses  reliques  furent  l'objet  de  la  vénération  publique  ;  dans  la  suite  on 
les  transféra  à  Alençon,  puis  à  Vaîréas.  vu»  s.  —  En  l'abbaye  de  Citeaux,  la  mémoire  dn  bien- 
heureux Félix,  moine,  dont  le  ménologe  de  Citeaux  fait  ainsi  l'éloge  :  «  Félix  fut  vraiment  heu- 

1.  L'expression  Martyrum  concilia  signifie,  selon  Molanus,  «  lîen  où  reposent  les  corps  de  teanconp  de 
Martyrs  ».  Bavonlus  appronve  cette  interprétation  et  l'appuie  par  les  conside'rations  suivantes  :  Le  mot 
Eglise,  qui,  étymolosiquement,  signifie  réunion,  assemblée  des  fidfeles,  se  prend  pour  le  lieu  même  oh  se 
fait  l'assemblée.  Saint  Ambroise  donne  au  mot  concilium  un  sens  semblable,  lorsqu'il  nomme  nn  couvent 
de  Teliîienses,  concilium  virginitaiis.  Molanus  Ini-même  avait  invoqué  en  faveur  de  son  interprétation 
l'antovité  de  saint  Gaudence  de  Brescia,  qui  prononça  un  discours  pour  la  dédicace  d'un  concile  de  Mar- 
tyrs, condlii  Martyrum;  il  cite  encore  le  livre  des  Pontifes  romains,  sur  le  pape  Damase,  ainsi  que  les 
Actes  de  saint  Etienne,  pape  et  martjT.  Voici,  du  reste,  un  passage  de  saint  Jérôme  (épitre  à  Héliodore), 
qui  nous  parait  pércmptoire  sur  cette  question  :  Hoc  idem  possumus  dicere  de  isto  fid  est  de  Nepotiano) 
qui  basilicas  ecclesix,  et  Haetteum  concilia  diuersis  floribus  et  arborum  comis,  vitiumque  pampinis  obum- 
brauit,  etc.  «  Nous  pouvons  dire  la  même  chose  de  Népotien,  qui  a  su  ombrager  les  parvis  de  l'église  et 
les  conciles  des  MartjTS  ffvec  les  fleurs  des  champs,  le  feuillage  des  arbres  et  les  pampres  de  la  vigne  ». 

—  Baronius. 

2.  Les  Grecs  mentionnent  aussi  .sainte  Agrippine  ce  même  jour,  avec  cet  éloge  :  Sainte  Agrippine, 
martyre,  qni  rit  le  jour  et  fut  élevée  dans  l'illustre  ville  de  Eome  ;  ornée  de  force  et  de  virginité,  et 
fiancée  à  Dieu  lui-même,  elle  courut  avec  courage  «t  même  avec  allégresse  à  la  gloire  du  maityre;  et, 
jjour  l'amour  et  la  digjiité  de  son  Epoux,  le  Christ,  elle  se  livra  à  tous  les  genres  de  supplices.  Elle  fut 
donc  fouettée  cruellement,  chargée  de  fers,  jetée  dans  les  cachots  et  torturée;  ce  fut  pendant  qu'elle 
recommandait  son  âme  îi  Dieu,  qu'elle  sortit  de  ce  monde  avec  la  gloire  du  martyre.  Bassa,  Paula  et 
Agathtynice  enlevèrent  son  corps  en  secret  et  le  transponbrent  de  Rome  en  Sxile,  où  elles  l'ensevelirent. 
A  peine  la  Sicile  eut-elle  reçu  ce  trésor,  qu'elle  fut  dclivr<5e  des  erreurs  ténébreuses  de  l'enfer.  Les  Aga- 
réniens,  qui  osèrent  piller  la  ville  où  le  saint  corps  était  conservé,  furent  anéantis  par  une  mort  impré- 
vue. Jusqu'à  ce  jour  encore,  les  lépreux  qui  s'approchent  avec  foi  de  ce  tombeau  sont  purifiés,  les  mala- 
dies de  tout  genre  sont  guéries  de  môme.  —  Baronius. 

3.  Les  Bollandistes  disent  :  a  A  Nicomédie,  la  mémoire  des  saints  Avit,  Cinzame,  lecteur,  Arion, 
Alice,  Emérite,  Capiton  et  soixante-dix-huit  autres,  martyrs. 


236  23  JUIN. 

reux  par  la  pureté  de  sa  vie,  la  douceur  de  soa  caractère  et  l'éclat  de  sa  renommée.  Il  mérita 
que  Dieu  le  choisît  pour  être  l'interprète  de  ses  desseins  sur  l'Ordre  naissant  de  Citeaux  ».  1113. 

En  l'abbaye  de  Lobbes,  saint  Hidulphe,  époux  de  sainte  Aye,  et  l'un  des  principaux  seigneurs 

du  Ilainaut.  Après  avoir  employé  ses  grandes  richesses  à  faire  fleurir  la  religion,  il  se  retira  dans 
l'abbaye  de  Lobbes  qu'il  avait  contribué  à  fonder,  et  qui  était  alors  gouvernée  par  saint  Ursmar. 
Il  avait  aidé  saint  Landelin,  non-seulement  pour  la  fondation  de  Lobbes,  mais  encore  pour  celle 
des  autres  monastères  que  ce  saint  abbé  ût  construire  dans  le  pays.  Vers  707.  —  A  Toul  et  à 
Saint-Dié,  en  Lorraine,  saint  Jacob,  évêque,  qui  fut  tiré  de  l'abbaye  de  Saint-Bénigne  de  Dijon, 
pour  gouverner  l'Eglise  de  Toul.  Il  retourna  depuis  à  son  monastère,  et  y  acheva  sa  vie  plein  de 
jours  et  de  saintes  œuvres.  Mais  ses  dépouilles  sacrées,  après  avoir  été  longtemps  auprès  de  celles 
de  saint  Bénigne,  ont  été  transportées  à  TouP.viii«  s.  —  A  Oignies,  près  de  Nivelles,  la  bien- 
heureuse Maiiie,  surnommée  d'Oignies,  célèbre  par  ses  vertus  et  les  grâces  extraordinaires  qu'elle 
a  re<;ues  du  ciel.  Le  cardinal  Jacques  de  Vitry  a  écrit  sa  vie.  1213.  —  Au  diocèse  de  Langres,  le 
bienheureux  Pierre  de  Juilly,  d'origine  anglaise,  autrefois  moine  de  Molesmes,  puis  prieur  de 
Puellemoutier,  ami  de  saint  Etienne  de  Citeaux.  Il  n'était  encore  que  novice  au  prieuré  d'Usel- 
dange  lorsqu'il  ressuscita  un  homme  que  la  mort  venait  de  frapper  avant  qu'il  eût  eu  le  temps  de 
faire  pénitence.  Il  mourut  chez  les  religieuses  bénédictines  de  Juilly  dont  il  était  devenu  chapelain 
et  confesseur.  1136.  —  Aux  diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras,  saint  Liébert,  évêque.  1076.  — 
A  Belesta,  au  diocèse  de  Pamiers,  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  du  Val-d'Amour,  la  célébration 
d'une  messe  votive  d'actions  de  grâces,  parce  qu'à  pareil  jour,  en  1802,  Marie,  invoquée  par  les 
habitants  aux  abois,  arrêta  tout  à  coup  une  inondation  terrible  qui  allait  submerger  et  maisons  et 
propriétés.  Celte  chapelle,  si  ancienne  qu'on  ne  trouve  nulle  part  la  trace  de  son  origine,  tire  son 
nom  de  l'inscription  qui  se  lit  sur  h  pierre  de  son  frontispice  :  Hoc  templum  dilexit  Deus  : 
Dieu  a  témoigné  son  amour  pour  ce  temple.  Brûlée  par  les  hérétiques  en  1599,  elle  fut  rebâtie  en 
1676,  par  suite  delà  dévotion  de  ses  habitants  pour  l'eau  de  sa  fontaine.  Depuis  cette  époque,  la 
vénération  des  fidèles  pour  Notre-Dame  du  Val-d'Amour  ne  s'est  jamais  ralentie.  Avant  la  Bévolu- 
tion  de  93,  toutes  les  paroisses  circonvoisines  se  rendaient  en  procession  à  Belesta  le  lundi  de  la 
Pentecôte  et  remerciaient  la  sainte  Vierge  des  grâces  obtenues  par  son  intercession.  La  Révolution, 
en  dévastant  la  chapelle,  fit  cesser  ces  pieux  usages  ;  mais  la  chapelle  restaurée  fut  bénite  de 
nouveau  le  15  août  1824,  et  depuis  lors  elle  reçoit  comme  auparavant  la  visite  et  les  hommages 
des  fidèles.  —  A  Vannes,  saint  Bilius  ou  Bille,  évêque  de  ce  siège  et  martyr.  895. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  A  Noie,  ville  de  la  Campanie,  saint  Paulin,  évêque 
et  confesseur,  de  l'Ordre  des  Chanoines  réguliers. 

Martyrologe  des  Bénédictins.  —  Vigile  de  saint  Jean-Baptiste.  —  Dans  la  Grande-Bretagne, 
sainte  Edeltrude,  reine  et  vierge. 

Martyrologe  des  Franciscains  Mineurs.  —  La  Vigile  de  saint  Jean-Baptiste. — Sainte  Julienne 
de  Falconieri. 

Martyrologe  des  Augustins.  —  La  Vigile,  etc.  —  Au  monastère  de  Saint-Nicolas  du  Val,  le 
flécès  du  bienheureux  Pierre-Jacques  de  Pisaure,  ermite  de  l'Ordre  de  Saint-Augustin,  célèbre  par 
son  humilité,  sa  piété  et  sa  doctrine,  amateur  de  la  solitude  et  zélé  poar  le  bien  d'autrui. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Cologne,  la  bienheureuse  Christine,  surnommée  l'Admirable,  à  cause  des  prodiges  dont 
sa  vie  n'est  qu'un  tissu  et  des  faveurs  extraordinaires  que  Dieu  lui  a  faites -.1312.  —  Sur  la 
Meuse,  près  d'Hastère,  au  diocèse  de  Naraur,  saint  Valter  (Valher  ou  Vauhir),  prêtre,  curé  d'On- 
haigne  et  doyen  rural  au  même  diocèse,  tué  d'un  coup  d'aviron  par  l'un  des  curés  de  son  doyenné, 
qu'il  reprenait  de  ses  vices  et  de  ses  scandales.  Son  corps  était  honoré  dans  l'abbaye  de  Vazor. 
—  A  Ancyre,  en  Galalie,  les  saints  Eustoche,  prêtre  ;  Gain,  son  parent  ;  Probe,  Lollié  et  Urbain, 
enfants  de  ce  dernier,  martyrs.  Règne  de  Maximien.  —  A  Constantia,  dans  l'île  de  Chypre,  les 
saints  Aristocle,  prêtre  ;  Démétrien,  diacre,  et  Athanase,  lecteur,  tous  trois  martyrs,  également 
sous  le  règne  de  Maximien.  —  En  Abyssinie,  les  saints  Pallade,  Cotyle,  Adrame,  Mose,  Esa,  Pali- 
cone,  un  autre  Cotyle  et  cent  cinquante  de  leurs  compagnons,  martyrs  ;  et  dans  la  même  con- 
trée, sainte  Didara  et  ses  fils  saint  Bisoé  et  saint  Nor,  également  martyrs.  —  A  Pavie,  saint  Lan- 
franc,  évêque  de  ce  siège.  Il  y  a  dans  sa  ville  épiscopale  une  église  de  son  nom  qui  est  desservie 
par  des  religieuses  de  l'Ordre  de  Vallombreuse.  1194. 

1,  Voir  sa  vie  au  2  mars. 

2.  Il  ne  faut  pas  la  confondre,  comme  queliiues  auteurs  l'ont  fait,  avec  sainte  Christine  l'Admirable, 
de  .Saint-Trond,  vierge,  dont  nous  donnerons  la  Vie  dans  le  Supplément  du  tome  15. 


SAINTE   ÉDELTRUDE   OU  ÉDILTRUUE,   REINE   d'ANIÎLETERRE.  237 


SAINTE  EDELTRUDE  OU  EDILTRUDE  ', 

REINE  D'ANGLETERRE,  VIERGE  ET  ABBESSE  D'ELY 
679.  —  Pape  :  Agathon. 


Tu,  homo,  quem  fructum  expectas  in  mundo,  cuju» 
fruclus  ruina  est,  cujus  finis  mors  est? 

0  homme,  quel  fruit  attcuds-tn  dans  un  monde 
dont  le  fruit  est  la  ruine,  dont  la  fin  est  la  mort? 
S.  Bcrn.,  lib.  Med,  c.  17. 

Nous  avons  vu,  en  sainte  Marguerite  d'Ecosse,  le  modèle  d'une  grande 
reine  et  un  exemple  parfait  de  la  manière  dont  les  reines  et  les  grandes 
princesses  se  doivent  comporter  envers  Dieu  et  son  Eglise,  et  envers  leurs 
maris,  leurs  enfants,  leurs  officiers  et  leurs  sujets.  Voici  aujourd'hui  une 
autre  reine,  beaucoup  plus  ancienne  que  la  précédente,  qui  nous  fera  voir 
que  la  sainteté  n'est  pas  incompatible  avec  la  grandeur,  ni  l'innocence  et 
la  virginité  avec  un  mariage  illustre  et  plein  de  gloire.  C'est  la  bienheureuse 
Edeltrude,  que  Dieu  n'a  élevée  à  la  dignité  de  reine  d'Angleterre  que  pour 
rendre  ses  vertus  plus  éclatantes  et  pour  la  proposer  à  tout  ce  royaume 
comme  un  modèle  accompli  du  détachement  du  monde  et  de  tout  ce  qu'il 
a  de  biens,  d'honneurs  et  de  plaisirs. 

Elle  était  fille  d'un  roi  des  Saxons  orientaux,  appelé  Anna,  dont  le  véné- 
rable Bède  décrit  souvent  les  belles  actions  et  les  excellentes  vertus  ;  elle 
eut  pour  mère  sainte  Héreswide,  princesse  du  sang  des  rois  de  Northum- 
berland. 

Elle  était  sœur  de  sainte  Sexburge,  de  sainte  Withburge  et  de  sainte 
Ethelburge,  qui  mourut  religieuse  en  France.  Elle  naquit  à  Ermynge,  dans 
le  comté  de  Suffolk,  et  fut  élevée  dans  la  crainte  de  Dieu.  La  reine,  sa  mère, 
charmée  de  ses  pieuses  inclinations  et  de  ses  belles  qualités,  n'oublia  rien 
pour  les  cultiver  et  faire  de  sa  fille  une  princesse  accomplie.  Un  amour 
ardent  pour  Jésus  et  une  tendre  dévotion  pour  Marie  s'emparèrent  de  ce 
cœur  simple  et  droit,  et  de  bonne  heure  la  jeune  vierge  conçut  le  désir  de 
passer  sa  vie  dans  une  continence  parfaite.  On  vit  bientôt  paraître  en  elle 
les  semences  de  cette  vertu  éminente  oii  on  la  vit  parvenir  depuis,  et  elle 
donna  en  toutes  rencontres  des  marques  du  mépris  qu'elle  faisait  des  plai- 
sirs de  la  vie,  des  grandeurs  et  des  richesses  de  la  terre,  témoignant  qu'elle 
en  attendait  de  plus  solides  dans  le  ciel. 

Lorsqu'elle  fut  nubile,  son  père,  qui  avait  pour  elle  toute  la  tendresse 
qu'on  peut  avoir  pour  une  fille  bien  née,  la  donna  en  mariage  à  Tonbercht, 
prince  des  Girviens  méridionaux.  Ces  deux  époux  vécurent  dans  la  conti- 
nence et  se  séparèrent  pour  mieux  vaquer  au  service  de  Dieu,  Elle  se  retira 
dans  l'île  d'Ely,  qui  lui  avait  été  donnée  pour  douaire  ;  là  elle  mena,  pen- 
dant l'espace  de  cinq  années,  une  vie  véritablement  angélique.  Pleine  de 
mépris  pour  tout  ce  qui  enchante  les  mondains,  elle  faisait  consister  sa 
gloire  dans  la  pratique  de  la  pauvreté  volontaire  et  des  humiliations.  Son 
plus  grand  plaisir  était  de  chanter  nuit  et  jour  les  louanges  du  Seigneur. 

1.  Alias,  EthilJrite,  Etheldrfede.  Elidru,  et  vulgairement  Audry. 


238  23  JUIN. 

En  vain  Edeltrude  chercha  à  vivre  cachée  dans  la  solitude  ;  l'éclat  de  ses 
vertus  perça  le  voile  dont  son  humilité  tâchait  de  les  couvrir. 

Lorsque  son  premier  mari  fut  mort,  Egfrid,  roi  de  Northumberland,  la 
poursuivit  des  plus  vives  instances  jusqu'à  ce  qu'elle  consentit  à  l'épouser. 
Elle  sut,  dans  le  second  mariage  comme  dans  le  premier,  conserver  intacte 
la  fleur  de  sa  virginité. 

Nous  avons  pour  garants  de  ce  prodige  deux  grands  Saints  qui  nous  en 
assurent  :  saint  Wilfrid,  archevêque  d'York,  et  le  vénérable  Bède,  insigne 
docteur  de  l'Eglise  ;  et  Dieu  même  en  a  voulu  donner  une  grande  preuve, 
en  conservant  son  corps  incorruptible  plusieurs  années  après  sa  mort. 
Douze  ans  étant  écoulés,  Edeltrude,  qui,  de  même  qu'Esther,  avait  une 
aversion  souveraine  pour  tout  l'éclat  de  la  majesté  royale,  supplia  instam- 
ment le  roi  son  mari  de  lui  permettre  de  quitter  la  cour  et  de  se  retirer  dans 
une  maison  religieuse.  Le  roi  l'aimait  tendrement,  comme  il  était  parfaite- 
ment aimé  d'elle,  ce  qui  rend  leur  continence  encore  plus  admirable  ; 
néanmoins,  il  se  laissa  enfin  fléchir  par  ses  prières,  et  consentit  qu'elle 
suivît  l'attrait  de  Dieu  qui  l'appelait  à  une  vie  plus  parfaite  que  celle  de  la 
cour.  Elle  entra  donc  au  monastère  de  Coldhingam,  et  reçut  le  voile  de 
religieuse  des  mains  du  saint  archevêque  dont  nous  venons  de  parler,  sous 
la  conduite  d'Ebbe,  tante  du  roi,  qui  en  était  supérieure.  Sa  vie,  en  ce  lieu 
de  pénitence,  fut  un  modèle  de  toutes  les  vertus,  et  quoiqu'elle  fût  encore 
novice,  elle  y  parut  si  coosommée  dans  l'observance  des  Règles  de  la  Con- 
grégation, qu'après  un  an  on  la  fit  elle-même  abbesse,  dans  l'île  d'Ely,  où 
elle  était  retournée  en  672,  et  où  elle  fonda  deux  monastères,  pour  l'un  et 
l'autre  sexe  ^ 

Ainsi,  cette  grande  princesse  se  vit  bien  plus  heureusement  mère  que 
si  elle  avait  donné  beaucoup  d'enfants  à  son  mari  ;  et  comme  elle  avait 
allié,  dans  le  monde,  la  virginité  avec  le  mariage,  elle  allia  dans  sa  retraite 
la  fécondité  spirituelle  avec  la  virginité.  Elle  joignit  aussi  une  grande  mor- 
tification de  son  corps  et  de  tous  ses  sens  aux  soins  continuels  que  sa  charge 
de  supérieure  lui  donnait.  Elle  quitta  dès  lors  le  linge  et  ne  se  servit  plus 
que  de  tuniques  de  laine.  11  arrivait  rarement  qu'elle  mangeât  plus  d'une 
fois  par  jour,  et  il  fallait  pour  cela,  ou  qu'elle  fût  notablement  incommodée, 
ou  qu'une  grande  solennité,  comme  celle  de  Pâques,  de  la  Pentecôte,  de 
Noël  ou  de  l'Epiphanie  l'obligeât  de  modérer  son  jeûne.  Son  oraison  était 
continuelle,  et  elle  la  faisait,  surtout  le  matin,  avec  tant  ferveur,  que,  bien 
qu'elle  eût  assisté  aux  offices  du  milieu  de  la  nuit,  le  lever  du  soleil  la  trou- 
vait toujours  en  prière. 

Elle  passa  ainsi  le  reste  de  sa  vie,  qui  fut  encore  de  sept  ans,  dans  une 
innocence  et  une  piété  tout  à  fait  exemplaires  ;  et,  étant  encore  assez  jeune, 
mais  pleine  de  bonnes  œuvres  et  de  mérites,  elle  mourut  de  la  peste  en  son 
monastère,  le  23  juin  679.  Sa  mort  ne  lui  avait  pas  été  imprévue.  Dieu  lui 
avait  fait  connaître,  auparavant,  que  sa  maison  serait  attaquée  d'un  mal  con- 
tagieux ;  qu'un  certain  nombre  de  ses  filles  en  mourraient,  et  qu'elle-même 
les  accompagnerait  dans  ce  passage  à  l'éternité.  Lorsqu'elle  sentit  sur  son 
cou  une  tumeur  ardente  qui  la  consumait,  elle  en  témoigna  une  joie 
extrême  et  elle  souffrit  avec  une  patience  héroïque  la  douleur  des  incisions 
que  le  chirurgien  y  fit.  «  Je  n'ai  point  de  mal  »,  disait-elle,  «  que  je  n'aie 

1.  Le  monastère  U'Ely  fut  détruit  par  les  Danois  en  879.  Saint  Ethelwold,  e'vêqne  de  Winchester,  le  fit 
rebâtir  avec  le  secours  des  libéralités  du  roi  Edjjar,  et  le  da'dia  sous  l'invocation  de  la  sainte  Vierge  et 
de  sainte  Audry,  en  970;  mais  ce  fut  uniquement  pour  y  mettre  des  hommes.  On  y  érigea  un  évêché 
«n  1108. 


SAINT  LIÉBERT,   ÉVËQUE  DE   CAMBRAI  ET  D'ARRAS.  239 

justement  mérité  ;  je  me  souviens  qu'étant  toute  jeune  j'ai  porté  sur  ce  cou 
de  gros  colliers  de  perles  qui  en  faisaient  l'ornement  superflu.  Dieu  me  fait 
beaucoup  de  miséricorde  de  vouloir  punir  en  cette  vie  les  vanités  et  les 
légèretés  de  cet  âge,  afin  de  ne  pas  les  punir  en  l'autre  vie  ». 

On  la  représente  avec  une  couronne  à  ses  pieds,  pour  montrer  qu'elle  a 
SQ  mépriser  les  grandeurs  du  monde. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Son  corps,  ainsi  qu'elle  l'avait  ordonné,  fut  mis  dans  une  bière  et  entené  dans  le  cimetière 
des  religieuses,  afin  de  n'être  point  séparée,  après  sa  mort,  de  celles  qu'elle  avait  si  tendrement 
aimées  dans  tout  le  cours  de  sa  prélature. 

Sexburge,  sa  sœur,  femme  d'Erconbert,  roi  des  Cantuariens,  et  qui,  à  son  exemple,  avait  tout 
quitte  pour  embrasser  la  vie  religieuse,  fut  élue  abbesse  en  sa  place,  et  continua  de  gouverner  son 
monastère  avec  beaucoup  de  sainteté.  Au  bout  de  seize  ans,  elle  eut  la  pensée  de  lever  de  terre 
ce  précieux  trésor  pour  le  placer  en  un  lieu  plus  honorable,  et  pria,  pour  cela,  des  religieux  de 
lui  chercher  une  pierre  pour  en  faire  un  tombeau.  Leur  commission  ne  fut  pas  difficile  à  exécuter; 
car,  s'étant  transportés  dans  un  lieu  assez  proche,  ils  y  trouvèrent  aussitôt,  dans  les  champs 
mêmes,  un  tombeau  de  marbre  blanc,  très-ingénieusement  travaillé,  avec  une  grande  table  de 
même  matière  pour  le  couvrir.  Ils  virent  bien  que  c'était  la  divine  Providence  qui  avait  préparé  ce 
cercueil  pour  honorer  la  pureté  et  l'humilité  de  son  épouse  ;  ainsi,  ils  l'emmenèrent  avec  joie  à  la 
sainte  abbesse.  Elle  ne  croyait  plus  trouver  que  les  ossements  de  la  reine,  sa  sœur,  d'autant  plus 
que  le  lieu  où  elle  avait  été  enterrée  était  extrêmement  humide,  et  que  son  corp>,  comme  nous 
avons  dit,  outre  qu'il  n'avait  point  été  embaumé,  n'avait  été  renfermé  que  dans  du  bois.  Cepen- 
dant elle  la  trouva  dans  le  même  étal  qu'elle  ttait  au  jour  de  son  décès,  sans  que  ni  sa  chair,  ni 
ses  habits,  ni  les  suaires  qui  l'enveloppaient  euisenl  contracté  aucune  corruption;  et  ce  qui  parais- 
sait encore  plus  admirable,  c'était  que  la  grande  plaie  qu'on  lui  avait  faite  au  cou  pour  la  guérir 
de  la  tumeur  contagieuse  dont  elle  était  morte  s'était  parfaitement  refermée,  et  qu'on  n'y  voyait 
plus  qu'une  légère  cicatrice. 

Son  corps  fut  mis  dans  le  tombeau  de  marbre,  où  il  demeura  jusqu'à  ce  que  Richard,  abbé 
d'Ely,  en  fit  une  translation  solennelle  dans  l'église,  l'an  1106. 11  s'est  fait  beaucoup  de  miracles 
par  l'attouchemeiit  de  ses  habits,  qui  étaient  demeurés  si  longtemps  incorruptibles  dans  son  tom- 
beau, et  les  démous  n'en  pouvaient  supporter  les  approches. 

Son  culte  devint  public  dans  l'Eglise  d'Angleterre  peu  de  temps  après  sa  mort.  Le  martyrologe 
romain,  celui  de  Bède,  d'Adon  et  d'Usuard  marquent  sa  fête  au  23  juin. 

Bfede  :  Histoire  ecclésiastique,  liv.  iv,  chap.  19  et  20  ;  —  Cf.  Godescard,  etc. 


S.  LIEBERT',  BANQUE  DE  CAMBRAI  ET  D'ARRAS 

1016.  —  Pape  ;  Grégoire  VU.  —  Roi  de  France  :  Philippe  I". 


Boni  postons  est,  non  solum  oves  congregare,  sed 
etiam  a  liipis  defendere. 

Le  devoir  d'un  bon  pasteur  est  non-seulement  de 
rassembler  ses  brebis,  mais  encore  de  les  dé- 
fendre des  loups. 

S.  BonaTentare,  Sup.  Luc,  c.  6. 

Le  nom  de  saint  Liébert  est  un  des  plus  beaux  que  présente  au  moyen 
âge  l'histoire  des  Eglises  de  Cambrai  et  d'Arras.  Ce  Pontife,  dont  la  sagesse 
et  les  vertus  jetèrent  alors  un  si  vif  éclat,  nous  ofTre  un  de  ces  caractères 
dans  lesquels  se  révèle  surtout  la  noble  simplicité  de  la  religion.  Tout  en  lui 
plaît  et  réjouit,  et  nul  n'est  plus  propre  à  montrer  combien  la  foi  relève  les 

1.  Alias,  Libert.  Liberd,  Libertus,  Lietbertus,  Liberatiu. 


240  23  JUIN. 

âmes  par  la  noblesse  des  sentiments  et  la  pureté  des  intentions  qu'elle  ins- 
pire, et  comment  elle  sait  donner  cette  douce  fermeté,  et  cet  esprit  de  bien- 
veillance et  de  modération  qui  charment  tous  les  hommes. 

Saint  Liébert  reçut  le  jour  dans  le  Brabant,  de  la  noble  et  puissante 
famille  de  Braeckel,  établie  dans  le  territoire  d'Alost.  Sa  mère,  nommée 
Adélaïde,  était  la  sœur  de  Gérard  I"  de  Florines,  évêque  de  Cambrai  et 
d'Arras.  Gomme  il  était  parent  de  cet  illustre  prélat,  ce  fut  prés  de  lui  qu'il 
se  forma  à  la  connaissance  des  belles-lettres  et  de  la  philosophie.  Le  pieux 
adolescent  fit  de  rapides  progrès  dans  ces  études,  et,  grâce  à  la  droiture  de 
son  esprit  et  à  la  pureté  de  son  cœur,  il  avança  aussi  à  grands  pas  dans  la 
carrière  des  vertus.  Les  difficultés  que  rencontre  d'ordinaire  le  jeune  âge 
pour  maîtriser  les  penchants  de  la  nature  et  la  vivacité  du  tempérament  ne 
paraissaient  nullement  ébranler  sa  constance,  et  tout  annonçait  que  Dieu 
avait  sur  lui  des  desseins  pour  l'avenir.  Déjà  le  jeune  Liébert  ne  cachait  pas 
l'attrait  qui  le  portait  au  sacerdoce,  et,  bien  que  ses  parents  eussent  l'in- 
tention d'en  faire  un  héritier  de  leurs  richesses  et  de  leurs  dignités,  on 
voyait  que  son  âme  aspirait  après  le  bonheur  de  se  consacrer  à  Dieu  sans 
réserve. 

Le  vénérable  évêque  Gérard  P'  se  réjouissait  beaucoup  devant  le  Sei- 
gneur en  considérant  les  rares  progrès  que  faisait  son  cher  neveu  Liébert  et 
les  saintes  dispositions  qui  l'animaient.  Aussi,  quand  le  cours  de  ses  études 
fut  terminé,  bien  qu'il  fût  encore  dans  un  âge  peu  avancé,  il  le  chargea 
d'enseigner  lui-même  aux  autres  les  lettres  sacrées  et  profanes.  Le  jeune 
Liébert  se  montra  digne  de  la  confiance  qu'on  lui  témoignait,  et  il  s'acquitta 
de  cet  emploi  avec  un  plein  succès.  Il  savait  tempérer  la  sécheresse  de  cer- 
taines études  par  l'attrait  innocent  et  la  sage  variété  qu'il  leur  donnait,  tel- 
lement que  le  cœur  de  ceux  qui  l'écoutaient  était  touché  en  même  temps 
que  leur  esprit  était  éclairé  et  orné  des  plus  belles  connaissances.  «  Et 
ainsi  »,  continue  son  biographe,  «  ce  très-prudent  docteur  conservait  l'élo- 
quence et  la  beauté  du  langage  harmonieux  des  auteurs  païens,  qu'il  faisait 
servir  à  relever  la  beauté  de  la  céleste  doctrine  et  des  divines  Ecritures  : 
science  sage  et  très-profitable,  que  l'on  acquiert  dans  les  études  de  l'école, 
et  que  l'on  allait  ensuite  communiquer  au  peuple».  Ce  fut  pendant  qu'il 
était  ainsi  préposé  à  l'enseignement,  que  saint  Liébert  fut  élevé  à  la  dignité 
du  sacerdoce,  qui  donna  encore  un  nouvel  éclat  à  ses  vertus  et  à  ses  émi- 
nentes  qualités. 

Cependant  son  vénérable  oncle  entendait,  avec  une  satisfaction  bien 
légitime,  les  louanges  que  tout  le  monde  rendait  à  la  piété  et  à  la  science 
de  son  neveu.  «  Chacun  Tentretenait  de  son  étonnant  savoir,  de  la  sagesse 
de  ses  discours,  de  sa  continuelle  sollicitude,  de  sa  vie  pure  et  sainte». 
Aussi,  sentant  que  les  infirmités  de  l'âge  ne  lui  permettaient  plus  de  suivre 
avec  la  même  activité  toutes  les  parties  de  la  vaste  administration  de  ses 
deux  diocè3es,  il  songea  à  retenir  Liébert  auprès  de  sa  personne,  et  à  lui 
confier  certaines  affaires  importantes  ainsi  que  la  direction  de  sa  maison. 
Le  saint  prêtre  fut  donc  rappelé  de  l'école  où  il  instruisait  la  jeunesse,  et 
commença  à  diriger  les  officiers  et  les  familiers  du  palais  épiscopal  et  à  exer- 
cer encore  d'autres  charges.  Il  sut,  dans  ce  poste  difficile,  se  faire  aimer  et 
respecter,  grâce  à  la  bonté  qu'il  témoignait  indistinctement  à  tous  ses  subor- 
donnés, et  à  la  parfaite  exactitude  qu'il  apportait  en  toutes  choses. 

Au  milieu  de  ces  occupations  multipliées  et  sans  cesse  renaissantes,  les 
années  s'écoulaient  rapidement  et  donnaient  au  bienheureux  Liébert  une 
plus  grande  expérience  des  hommes  et  des  choses.  Il  avait  atteint  l'âge  par- 


SAINT  LIÉBERT,    ÉVÊQUE  DE   CAMBRAI   ET   D'ARRAS.  241 

fait  :  son  esprit  s'était  développé  par  de  fortes  études  ;  son  âme,  toujours 
fidèle  aux  inspirations  de  la  grâce,  s'était  enrichie  des  dons  les  plus  précieux, 
et  toute  sa  conduite,  dans  les  choses  temporelles  comme  dans  les  spirituelles, 
attestait  une  admirable  prudence.  L'évoque  Gérard,  qui  voyait  de  plus  près 
encore  son  neveu,  et  qui  pouvait  mieux  que  tout  autre  apprécier  son  mé- 
rite, conçut  la  pensée  de  le  nommer  à  un  archidiaconat  alors  vacant  dans 
son  diocèse  de  Cambrai.  Ne  voulant  agir  en  toutes  choses  que  conformé- 
ment aux  volontés  du  ciel,  il  prit  soin  de  consulter  d'abord  le  Seigneur  dans 
la  prière  et  de  s'éclairer  par  tous  les  moyens  qui  étaient  en  son  pouvoir.  Sa 
résolution  connue,  on  vit  éclater  une  joie  et  une  satisfaction  générales  de 
la  part  du  clergé  et  du  peuple. 

La  charge  d'archidiacre  et  surtout  celle  de  prévôt,  qui  fut  ajoutée  pour 
saint  Liébert,  était  très-difficile  à  remplir  à  une  époque  où  des  seigneurs  et 
des  hommes  d'armes  n'abusaient  que  trop  souvent  de  leur  force  pour  op- 
primer les  innocents  et  les  faibles,  et  entraver  l'Eglise  dans  l'exercice  légi- 
time de  ses  droits  et  de  son  ministère.  Cambrai  avait  particulièrement  à 
souffrir  du  châtelain  Watier,  lequel,  malgré  des  protestations  réitérées  de 
repentir  et  de  fidélité,  ne  cessait  de  commettre  toutes  sortes  de  rapines  et 
de  violences.  Il  s'attira  ainsi  une  mort  tragique,  que  lui  donnèrent  plusieurs 
des  nombreux  ennemis  qu'il  s'était  faits  dans  toute  la  contrée.  Son  épouse, 
qu'il  laissait  veuve  avec  un  enfant  en  bas  âge,  était  aussi  violente  que  lui, 
et  le  nouvel  époux  qu'elle  choisit  bientôt  après,  Jean,  avoué  d'Arras,  était 
loin  de  désapprouver  les  injustices  de  ses  devanciers. 

Au  milieu  des  mille  embarras  que  lui  suscitait  l'administration  spirituelle 
de  deux  vastes  diocèses  et  le  gouvernement  temporel  du  Cambrésis,  le  vé- 
nérable évêque  Gérard  trouvait  sa  principale  consolation  dans  la  sage  con- 
duite de  Liébert,  son  neveu.  Celui-ci  s'était  retiré  dans  la  petite  ville  de 
C:iteau-Cambrésis  ,  d'où  il  protégeait  tout  le  pays  contre  les  incursions  des 
ennemis  et  les  entreprises  des  turbulents  seigneurs  du  voisinage.  Son  nom 
seul  était  une  défense  assurée  ;  il  suffisait  souvent  pour  arrêter  les  plus 
hardis,  de  telle  sorte  que,  dans  toute  la  contrée,  les  gens  de  bien  se  réjouis- 
saient d'être  sous  la  garde  d'un  si  vigilant  archidiacre.  «  Il  était  le  gage  de 
la  paix,  le  salut  de  la  province,  le  pied  du  boiteux,  la  lumière  de  l'aveugle, 
la  défense  des  pauvres,  l'espérance  des  veuves,  la  protection  des  pupilles,  la 
terreur  des  ennemis,  la  confiance  des  siens  ». 

Aussi  modeste  dans  sa  conduite  qu'il  était  ferme  et  prudent,  Liébert  ne 
voulait  en  toutes  choses  qu'exécuter  les  volontés  de  son  oncle.  Souvent  il 
se  transportait  auprès  de  lui,  pour  recevoir  ses  conseils,  lui  adoucir  les  infir- 
mités de  l'âge  et  lui  rendre  les  plus  touchants  devoirs  de  la  piété  filiale.  Ce 
fut  dans  les  bras  de  son  bien-aimé  neveu,  au  milieu  des  soins  et  des  atten- 
tions qu'il  lui  prodiguait,  que  mourut,  le  14  mars  de  l'année  1051,  le  véné- 
rable évêque  Gérard  I"  de  Florines,  l'un  des  plus  illustres  évêques  de  ce 
diocèse  et  de  l'Eglise  de  France  au  xi*  siècle. 

Aussitôt  que  les  honneurs  de  la  sépulture  lui  eurent  été  rendus  avec 
pompe  et  solennité,  l'on  songea  à  lui  donner  un  successeur.  Les  vœux  una- 
nimes du  clergé  et  du  peuple  y  appelaient  l'archidiacre  de  Cambrai,  Liébert. 
Nul,  en  effet,  n'était  plus  digne  et  plus  capable  de  remplir  cette  charge  ; 
nul  n'avait  donné  de  pareils  témoignages  de  sagesse  et  de  capacité  dans  la 
direction  des  affaires  les  plus  difficiles.  On  se  rappelait  encore  comment  il 
avait  su  résister  aux  agressions  des  deux  châtelains  Watier  et  Jean,  et  l'on 
pouvait  tout  espérer  de  sa  courageuse  fermeté,  s'il  arrivait  qu'on  essayât  de 
nouveau  de  troubler  la  tranquillité  de  la  ville  et  de  la  contrée. 

Vies  des  Saints.  -■  Toue  VII.  16 


242  23  JUIN. 

II  fut  bien  diiTicile  de  persuader  à  l'humble  Liébert  qu'il  devait  accepter 
la  dignité  à  laquelle  l'appelaient  les  vœux  unanimes  du  clergé  et  du  peuple. 
Les  larmes  qu'il  répandait  avec  abondance  trahirent  plus  d'une  fois  les 
saintes  appréhensions  dont  son  âme  était  remplie  à  la  vue  de  la  responsabilité 
effrayante  qui  pèserait  sur  lui.  Il  fallut  faire  une  sorte  de  violence  à  sa  mo- 
destie pour  arracher  un  consentement  que  tout  le  monde  demandait  avec 
instance.  Enfin,  il  céda  à  la  volonté  de  Dieu  qui  se  manifestait  d'une  ma- 
nière sensible,  et,  ayant  été  conduit  au  palais  épiscopal,  il  reçut  de  tous  le 
serment  de  fidélité.  Incontinent  après  il  se  rendit  à  Cologne,  auprès  de 
l'empereur  Henri  III,  qui  coTifirma  avec  joie  une  élection  à  laquelle  tous  les 
seigneurs  et  les  puissants  de  la  cour  applaudissaient.  Ceci  se  passait  le  jour 
même  de  Pâques,  trente-unième  de  mars  de  l'année  1051. 

Le  nouvel  élu  se  hâta  de  revenir  à  Cambrai  ;  mais,  au  moment  où  il 
approchait  de  la  ville,  il  apprit  que  le  châtelain,  Jean  d'Arras,  profitant  de 
la  vacance  du  siège  pour  commettre  les  plus  grands  désordres,  avait  pénétré 
de  force  dans  l'église  de  Notre-Dame,  en  avait  chassé  les  clercs,  pillé  le 
trésor,  et  que  des  soldats  y  restaient  par  ses  ordres  pour  en  défendre  l'en- 
trée. Non  content  encore  de  cette  sacrilège  violence,  il  s'était  emparé  du 
palais  épiscopal,  qu'il  habitait  avec  sa  femme  et  un  grand  nombre  des  siens, 
et  où  ils  commettaient  chaque  jour  les  désordres  les  plus  criants  et  les  plus 
sc.andaleux. 

Cette  nouvelle  affligea  beaucoup  le  cœur  de  saint  Liébert.  Elle  lui  fit 
connaître  par  avance  les  difficultés  qu'il  rencontrerait  dans  l'accomplisse- 
ment des  devoirs  de  son  ministère,  de  la  part  de  cet  homme  pour  qui  rien 
ne  paraissait  sacré.  Afin  d'éviter  des  violences  toujours  regrettables,  et  es- 
pérant que  le  temps  ferait  naître  une  occasion  favorable  d'entrer  sans  obs- 
tacle dans  sa  ville  épiscopale,  le  Saint  se  retira  dans  la  forteresse  de  Cateau- 
Cambrésis.  Il  n'y  demeura  pas  longtemps  :  car  le  comte  de  Flandre  , 
Baudouin  V,  l'y  ayant  rencontré,  au  retour  d'un  voyage  qu'il  avait  fait  auprès 
du  roi  de  France,  se  mit  en  devoir  de  contraindre  Jean  à  laisser  le  prélat 
entrer  dans  la  ville  et  dans  le  palais  épiscopal.  Cet  homme,  aussi  lâche 
qu'arrogant,  prit  la  fuite  à  cette  seule  injonction,  et  saint  Liébert  arriva  à 
Cambrai  au  milieu  des  transports  d'allégresse  que  faisait  éclater  le  peuple 
partout  sur  son  passage.  Chacun  se  réjouissait  d'être  enfin  délivré  de  l'in- 
supportable tyrannie  du  châtelain.  Les  pertes  qu'il  avait  causées  par  ses 
violences  furent  promptement  réparées  :  tous,  sans  exception,  clercs  et 
laïques,  riches  et  pauvres,  partageaient  le  bonheur  de  leur  délivrance  et  de 
ce  retour  tant  désiré  de  leur  premier  pasteur. 

Après  avoir  mis  ordre  à  toutes  choses  et  assuré  la  tranquillité  du  clergé 
et  des  habitants  pendant  la  nouvelle  absence  qu'il  devait  faire,  le  bienheureux 
Liébert  se  prépara  à  aller  recevoir  l'onction  sainte  des  mains  de  son  métro- 
politain. Auparavant  il  se  rendit  à  Ghâlons-sur-Marne,  où  il  fut  ordonné 
prôlre  par  Roger  II,  évoque  de  ce  diocèse.  L'émotion  de  Liébert  en  cette 
circonstance  était  grande  et  elle  se  trahissait  de  toutes  les  manières.  Au 
moment  surtout  où  le  Pontife  lui  adressa  ces  paroles  :  «  Recevez  le  Saint- 
Esprit,  les  péchés  seront  remis  à  ceux  à  qui  vous  les  remettrez  »,  un  fré- 
missement involontaire  le  saisit,  et  des  larmes  abondantes  coulèrent  de  ses 
yeux  sur  ses  habits  sacerdotaux. 

De  Châlons,  le  Saint  se  rendit  à  Reims,  où  déjà,  sur  l'invitation  du  mé- 
tropolitain, s'étaient  réunis  tous  les  évoques  de  la  province.  Une  circons- 
tance exiraordinaire  augmenta  encore  la  solennité  de  ce  jour.  Le  roi  de 
France,  Henri  1",  qui  venait  d'épouser  la  fille  du  grand-duc  de  Russie, 


SAINT  LIÉBERT,   ÉVÊQUE   lE   CAMBRAI   ET  L'aSHAS.  243 

voulut  conduire  la  jeune  reine  à  Reims  afin  d'assister  à  la  cérémonie  du  sacre 
de  saint  Liébert,  pour  lequel  il  avait  une  très -haute  estime.  11  pria  môme  le 
nouveau  Pontife  de  bénir  son  épouse  et  de  placer  sur  sa  tête  la  couronne 
royale. 

La  cérémonie  terminée,  saint  Liébert  se  disposa  à  revenir  au  milieu  de 
ses  bicn-aimés  diocésains.  Il  ne  s'arrêta  qu'un  moment  auprès  de  l'évoque 
de  Laon,  qui  le  reçut  avec  tous  les  honneurs  dus  à  sa  dignité.  Quand  on  sut 
son  approche  à  Cambrai,  ce  fut  une  fête  dans  toute  la  ville.  Chacun  répétait 
à  l'envi  les  louanges  du  sage  et  vigilant  pasteur  que  la  Providence  plaçait  à 
la  tête  de  deux  grands  diocèses,  et  tous  se  disposaient  à  célébrer  son  entrée 
dans  la  ville  par  les  témoignages  de  la  joie  la  plus  sincère.  «  Heureux  jour, 
en  effet  »,  s'écrie  le  biographe  du  Saint,  «  dans  lequel  l'Eglise  de  Cambrai 
reçut  un  pasteur  qui  se  présenta  à  tous  comme  un  exemple  de  justice  et  de 
sincérité  !  Heureux  jour  dans  lequel  la  liberté  publique,  en  la  personne  de 
Liébert,  prit  possession  de  Cambrai,  pour  délivrer  du  faste  des  orgueilleux 
et  de  la  rage  des  tyrans  le  peuple  confié  à  sa  sollicitude  !  »  Après  avoir  été 
accueilli  par  toute  la  population  réunie,  au  milieu  des  transports  d'allé- 
gresse, le  pieux  évêque  se  rendit  à  l'église  de  Notre-Dame  pour  y  ofi'rir  ses 
hommages  à  Dieu  et  à  sa  sainte  Mère,  et  attirer  sur  le  pasteur  et  le  troupeau 
toutes  les  bénédictions  du  ciel.  Sa  prière  achevée,  il  se  tourna  vers  le  peuple 
et  lui  parla  en  ces  termes  :  «Je  vous  exhorte,  mes  frères  bien-aimés,  à  tendre 
sans  cesse  vers  le  terme  auquel  Dieu  nous  appelle.  N'aimons  point  le  monde  : 
car  tout  y  est  concupiscence  de  la  chair,  concupiscence  des  yeux  et  orgueil 
de  la  vie.  Ceux,  en  effet,  qui  se  répandent  au  dehors  au  lieu  de  rentrer  en 
eux-mêmes,  s'égarent  beaucoup.  Mais  celui  qui  fait  de  tous  les  sens  de  son 
corps  un  bon  usage,  pour  connaître  les  œuvres  de  Dieu  et  les  publier,  pour 
entretenir  en  lui-môme  son  amour  par  ses  œuvres  et  ses  pensées,  pour  con- 
server la  paix  de  l'âme  et  la  connaissance  de  Dieu,  celui-là  entre  dans  la 
joie  de  son  Seigneur  » .  Le  Saint  ajouta  encore  d'autres  paroles  pour  engager 
ses  ouailles  à  remplir  avec  fidélité  tous  les  devoirs  que  leur  impose  la  reli- 
gion ;  puis,  rentré  dans  sa  demeure,  il  commença  à  régler  les  affaires  pres- 
santes de  l'administration.  Il  fit  achever  la  fondation  de  l'abbaye  de  Saint- 
André  ,  commencée  par  son  prédécesseur  ;  il  plaça  aussi  des  chanoines 
réguliers  dans  l'église  de  Saint-Aubert  de  Cambrai  et  dans  celle  du  Mont- 
Saint-Eloi,  près  d'Arras,  et  fit  à  ces  deux  derniers  établissements  des  dona- 
tions considérables. 

Rien  de  plus  beau  et  de  plus  touchant  que  le  tableau  de  la  vie  de  saint 
Liébert  pendant  son  épiscopat.  L'auteur  qui  la  trace  n'a  fait  que  reproduire 
la  pensée  et  les  sentiments  qu'on  trouvait  dans  tous  les  cœurs.  «  Ce  Pon- 
tife »,  dit-il,  «  amateur  de  la  divine  loi,  était  un  exemple  pour  les  siens.  Il 
fuyait  toute  recherche  dans  les  vêtements,  ne  se  livrait  point  à  des  jeux 
vains,  à  un  sommeil  prolongé  ou  à  la  paresse,  avait  en  horreur  la  jalousie, 
la  détraction,  l'envie  et  l'amour  de  la  gloire.  Quant  à  la  cupidité,  il  la  re- 
gardait comme  un  véritable  poison.  Il  faisait  toutes  choses  sans  précipitation 
et  sans  lenteur....  Il  évitait  avec  soin  toutes  les  inimitiés,  les  supportait  avec 
un  grand  calme  et  s'efforçait  d'y  mettre  un  terme  le  plus  tôt  qu'il  pouvait... 
Il  ne  faisait  rien  par  la  force,  mais  par  la  persuasion  et  le  conseil....  Toute 
sa  conduite  était  une  règle  vivante  pour  les  autres.  Ainsi,  son  âme  était 
ornée  de  toutes  les  qualités  que  l'apôtre  saint  Paul  demande  dans  les  évo- 
ques :  il  était  doux,  affable,  officieux,  plein  de  bonté  pour  son  peuple,  écou- 
tant avec  indulgence  les  plaintes  des  opprimés,  se  montrant  bienveillant  pour 
tous,  donnant  aux  pauvres  et  aux  indi-iisnts  tout  ce  dont  il  pouvait  disposer, 


244  23  JUiJf. 

agissant  avec  une  sainte  hardiesse  et  une  évangélique  liberté  auprès  des 
grands  et  des  puissants  du  monde.  Souvent  aussi  il  adressait  à  ses  ouailles 
les  instructions  les  plus  solides  et  les  plus  salutaires,  les  visitait  dans  leurs 
demeures,  apaisait  leurs  querelles,  terminait  leurs  différends  et  s'étudiait  à 
plaire  à  tous,  pour  les  gagner  tous  à  Jésus-Christ  ». 

Les  églises  de  Cambrai  et  d'Arras  jouissaient  depuis  plusieurs  années 
des  bienfaits  de  la  sage  et  ferme  direction  de  saint  Liébert,  quand  Dieu  lui 
inspira  le  désir  d'entreprendre  le  pèlerinage  de  la  Terre-Sainte.  Ce  projet 
ne  pouvait  s'exécuter  immédiatement  :  il  était  nécessaire,  en  effet,  de  tout 
préparer  pour  qu'une  si  longue  absence  ne  troublât  en  rien  l'administration 
régulière  des  deux  diocèses  et  de  la  ville.  C'est  pour  cette  raison  que  saint 
Liébert  ne  le  communiqua  pas  d'abord,  et  attendit  pour  en  donner  connais- 
sance des  temps  plus  favorables.  11  commença  donc  par  créer  châtelain  de 
Cambrai ,  à  la  place  de  Jean,  avoué  d'Arras,  dont  il  avait  tant  eu  à  se 
plaindre,  le  jeune  Hugues,  fils  de  Watier.  Il  plaça  cet  enfant  sous  la  tutelle 
d'Anselme,  homme  de  bonne  vie  et  brave  guerrier.  Le  prélat  pouvait  espé- 
rer que,  sous  la  direction  d'un  pareil  maître,  le  jeune  fils  de  Watier  pren- 
drait des  habitudes  de  vertu  et  de  sagesse  qui  le  disposeraient  à  bien  remplir 
les  fonctions  de  châtelain  qui  devaient  un  jour  lui  être  confiées. 

Quand  cette  affaire  et  plusieurs  autres  également  importantes  furent 
terminées,  saint  Liébert  fît  les  préparatifs  de  son  voyage,  dont  il  exposa  alors 
le  plan  à  ses  amis.  Il  demanda  pour  l'accompagner,  Walcher,  son  archidiacre 
et  prévôt  de  sa  maison;  Hugues,  son  chapelain,  homme  d'une  grande  vertu, 
Erlebold,  juge  et  procureur  de  la  ville,  et  un  autre  Erlebold,  surnommé  le 
Roux. 

Le  saint  évêque  Liébert  sortit  donc  de  la  ville  de  Cambrai,  suivi  de  son 
peuple,  qui  l'accompagna  l'espace  de  trois  lieues,  en  répandant  des  larmes 
et  en  poussant  des  gémissements.  Là,  le  pasteur  leur  donna  à  tous  sa  béné- 
diction, et,  suivi  d'environ  trois  mille  personnes  qui  s'étaient  engagées  à 
faire  ce  pèlerinage  avec  lui,  il  continua  sa  marche  vers  l'Allemagne.  Après 
avoir  traversé  bien  des  villes  et  des  villages,  des  provinces,  des  forêts,  des 
montagnes,  ils  arrivèrent  dans  le  pays  des  Huns  (Hongrois),  peuple  barbare 
de  mœurs  et  de  langage.  Afin  d'abréger  le  chemin,  ils  passèrent  tous  le 
Danube  et  pénétrèrent  dans  la  Pannonie,  la  patrie  de  l'illustre  saint  Martin, 
apôtre  des  Gaules.  Le  roi  de  cette  contrée,  ayant  appris  qu'un  grand  nombre 
d'étrangers  se  présentaient  aux  frontières  de  ses  Etats  et  demandaient  à  les 
franchir,  chercha  à  connaître  leurs  intentions  et  ordonna  que  quelques-uns 
d'entre  eux  lui  fussent  présentés.  Quand  il  vit  le  saint  Pontife  Liébert,  por- 
tant la  croix  sur  sa  poitrine,  il  se  sentit  touché  de  respect  pour  sa  personne, 
l'invita  à  s'asseoir  près  de  son  trône  et  lui  demanda  le  sujet  de  son  voyage. 
Il  fut  bien  étonné  quand  il  apprit  le  motif  pieux  qui  déterminait  cet  homme, 
d'une  complexion  si  faible,  à  entreprendre  un  voyage  si  long  et  si  pénible. 
Néanmoins,  comme  nul  pèlerin  jusqu'alors  n'avait  traversé  la  Pannonie 
pour  aller  en  Terre-Sainte,  le  prince  barbare  ne  voulut  point  s'en  rapporter 
aveuglément  aux  réponses  qu'on  lui  avait  données  :  il  craignait  un  piégo 
sous  les  apparences  d'un  voyage  religieux.  Il  ordonna  donc  à  quelques-uns 
de  ses  gens  de  veiller  attentivement  sur  les  étrangers,  afin  de  voir  quelles 
étaient  leurs  occupations  ordinaires  et  comment  ils  se  comportaient  entre 
eux.  Ayant  bientôt  appris  que  tout  leur  temps  était  consacré  au  jeûne,  à 
la  prière  et  à  la  pratique  des  œuvres  de  charité,  il  les  laissa  entièrement 
libres  et  ordonna  même  de  leur  procurer  toutes  les  choses  dont  ils  auraient 
besoin. 


SAINT  LIÉBERT,   ÉVÊQUE   DE   CAMBRAI   ET  u'aRRAS.  245 

«  La  petite  armée  du  Seigneur  »,  continue  le  biographe  contemporain, 
«  en  sortant  de  la  Pannonie  entra  dans  ces  solitudes  couvertes  de  bois  que 
l'on  appelait  alors  déso^t  de  la  Bulgarie,  et  qui  étaient  habitées  par  des  peuples 
vagabonds  venus  de  l'ancienne  Scythie  (Tartarie).  Ces  sauvages  vivent  comme 
des  bêtes  :  ils  n'ont  ni  lois  ni  villes,  demeurent  exposés  à  l'air,  s'arrêtent 
dans  le  lieu  oh  la  nuit  les  surprend,  tendent  des  embûches  aux  voyageurs 
égarés,  vivent  de  rapine  et  de  pillage,  et  se  transportent  partout  avec  leurs 
femmes  et  leurs  enfants  :  peuple  barbare,  en  un  mot,  et  en  qui  l'on  ne 
trouve  presque  aucune  trace  d'humanité  et  de  religion  ». 

Pendant  que  le  saint  évoque  Liébert  traversait  ces  vastes  déserts,  plu- 
sieurs pMerins  des  plus  avancés  de  la  troupe  vinrent  vers  lui  les  yeux  baignés 
de  larmes.  Ils  avaient  rencontré  une  bande  de  barbares,  qui  s'étaient  jetés 
sur  eux,  en  avaient  tué  quelques-uns  et  blessé  plusieurs  autres.  Le  prélat, 
qui  allait  toujours  à  pied  afin  do  vaquer  plus  facilement  à  la  prière  et  à  la 
récitation  des  psaumes,  s'arrêta  aussitôt,  et,  étendant  la  main  droite,  fit  un 
signe  de  croix  du  côté  par  où  il  se  proposait  de  passer  ;  puis  élevant  la  voix, 
il  adressa  ces  paroles  à  ceux  qui  l'environnaient  :  «  Mes  enfants,  que  le 
démon  votre  ennemi,  qui,  semljlable  h  un  lion,  circule  autour  devons  cher- 
chant h  vous  dévorer,  que  cet  ennemi  ne  vous  inspire  aucune  frayeur.  Résis- 
tez-lui avec  force  par  la  foi  :  car,  si  Dieu  est  avec  nous,  qui  pourrait  être 
contre  nous  ?  Couvrez-vous  de  l'armure  de  Dieu,  afin  que  vous  puissiez  être 
inébranlables  et  parfaits  en  toutes  choses  :  car  ce  n'est  qu'afin  de  voir  si 
vous  l'aimez  que  Dieu  vous  envoie  cette  épreuve.  Il  la  ménagera  lui-môme 
de  telle  sorte  que  vous  puissiez  la  supporter.  C'est  pourquoi,  continuez  le 
voyage  que  vous  avez  entrepris  :  car  celui  qui  met  la  main  à  la  charrue  et 
regarde  en  arrière,  n'est  pas  propre  au  royaume  de  Dieu  ». 

Durant  les  sept  jours  qui  suivirent,  les  pèlerins  s'avancèrent  tranquille- 
ment et  sans  obstacle.  Le  huitième,  ils  aperçurent  dans  l'épaisseur  des  bois 
des  hommes  montés  sur  des  chevaux  et  des  chameaux.  Leur  chevelure  était 
surmontée  d'aigrettes  et  de  bandelettes  ûottantes  ;  il  étaient  à  moitié  nus, 
ne  portaient  qu'un  manteau  et  de  larges  bottines  ;  un  carquois  rempli  de 
flèches  pendait  sur  leurs  épaules  et  ils  tenaient  un  arc  à  la  main.  A  la  vue 
de  ces  hommes,  tous  les  pèlerins  furent  saisis  de  frayeur  ;  l'évoque  seul  se 
réjouissait  en  pensant  que  son  vœu  le  plus  ardent  serait  bientôt  accompli 
et  que  ces  barbares  allaient  le  tuer  ou  le  retenir  prisonnier.  Mais,  en  pré- 
sence de  ce  vénérable  Pontife  et  des  pieux  voyageurs  qui  l'accompagnaient, 
les  cavaliers  nomades  se  sentirent  touchés  d'un  respect  involontaire.  Ils  le 
laissèrent  passer  tranquillement  sans  les  inquiéter  en  aucune  manière,  et 
plusieurs  mêmes  indiquèrent  la  route  qu'il  fallait  suivre.  Peu  de  temps 
après,  les  pèlerins  arrivaient  à  Laodicée.  Là  ils  apprirent  avec  douleur  que 
le  sultan  de  Babyîone  avait  ordonné  de  fermer  pour  jamais  aux  chrétiens 
l'entrée  du  Saint-Sépulcre,  et  qu'il  était  très-dangereux  de  chercher  à  pé- 
nétrer même  dans  la  Palestine. 

A  cette  nouvelle,  beaucoup  des  compagnons  de  l'évêque  se  dispersèrent 
ou  retournèrent  dans  leur  pays.  Pour  lui,  il  résolut,  ainsi  que  les  pèlerins 
attachés  à  sa  personne,  de  s'embarquer  pour  essayer  d'arriver  jusqu'à  la 
ville  sainte.  Un  contre-temps  nouveau  se  présenta  bientôt.  Fulcher,  l'un  des 
fidèles  compagnons  de  l'évêque  et  qui  lui  était  très-affectionné,  tomba  tout 
à  coup  si  dangereusement  malade  qu'on  désespérait  de  sa  guérison.  Il  y 
avait  déjà  trois  mois  qu'ils  étaient  à  Laodicée,  des  vents  favorables  souf- 
flaient, et  tous  les  préparatifs  pour  la  traversée  étaient  achevés.  Une  seule 
chose  retenait  saint  Liébert  ;  c'était  la  maladie  de  Fulcher,  que  l'on  s'at- 


246  23  JUIN. 

tendait  à  chaque  instant  voir  mourir.  Enfin,  la  veille  du  jour  fixé  pour  le 
départ,  le  malade  reçut  de  nouveau  la  visite  et  la  bénédiction  de  son  évêque  ; 
et,  se  rappelant  alors  surtout  les  paroles  par  lesquelles  saint  Liébert  l'avait 
mis  sous  la  protection  de  la  sainte  Vierge  et  de  l'apôtre  saint  André,  il  pro- 
nonça du  fond  du  cœur  cette  naïve  et  touchante  prière  :  «  0  saint  André, 
à  la  protection  duquel  mon  seigneur  l'évêque  Liébert  m'a  confié,  et  dont  la 
mémoire  est  honorée  dans  le  monastère  bâti  au  Cateau-Cambrésis,  si  vous 
êtes  véritablement  cet  illustre  André,  insigne  apôtre  du  Christ,  ami  de  Dieu, 
que  le  Seigneur  a  aimé  à  cause  de  ses  vertus,  secourez-moi,  hâtez-vous  et 
ayez  pitié  de  moi.  Au  nom  de  sainte  Marie,  Mère  de  Dieu  et  notre  Maîtresse  ; 
soutenez  par  vos  prières  mon  âme  défaillante,  secourez  cette  âme  qui  est 
dans  les  angoisses.  A'^enez  à  mon  aide,  ô  ami  de  Dieu,  par  la  miséricorde  de 
Jésus-Christ  votre  Maître.  Voilà  que  je  meurs.  Demandez  à  la  Mère  de  mi- 
séricorde qu'elle  vienne  me  secourir,  non  à  cause  de  mes  mérites  ;  mais 
pour  ceux  du  Pontife  qui  m'a  confié  à  vous  par  ses  larmes  et  ses  prières  ». 
Toute  cette  nuit,  en  effet,  le  saint  évêque  n'avait  fait  que  prier  et  se 
recommander  lui  et  les  siens  au  Dieu  tout-puissant.  Surtout  il  demandait 
par  ses  gémissements  et  ses  vœux  la  vie  de  son  ami  mourant.  Le  lendemain, 
dès  la  première  heure  du  jour,  Fulcher,  plein  de  santé,  se  présentait  à 
saint  Liébert,  à  ses  compagnons  de  voyage,  et  tous  ensemble  remerciaient 
le  Seigneur  pour  un  si  grand  bienfait,  qu'ils  reconnaissaient  ne  devoir  qu'à 
son  infinie  bonté. 

Incontinent  après  on  se  mit  en  mer  pour  aller  à  Jérusalem;  mais  les 
vents  contraires  forcèrent  de  s'arrêter  dans  l'île  de  Chypre  et  bientôt  de 
revenir  à  Laodicée.  Les  matelots,  par  crainte  des  Sarrasins,  renonçaient  à 
aller  aborder  dans  les  ports  de  la  Palestine,  et  il  fallut  songer  à  retourner 
en  Europe  sans  avoir  pu  contempler  les  lieux  sanctifiés  par  la  présence  du 
Sauveur.  L'évoque  de  Laodicée  lui-même  jugeait  que  c'était  le  seul  parti 
qu'il  y  eût  à  prendre.  Saint  Liébert,  faisant  violence  aux  désirs  de  son 
cœur,  revint  donc  dans  son  diocèse  de  Cambrai  avec  Hélinand,  évêque  de 
Laon,  qui,  à  cette  époque,  avait  entrepris  le  même  pèlerinage. 

Au  retour  de  ce  long  voyage,  saint  Liébert  passa  à  Ivoye,  dans  le  Luxem- 
bourg, où  se  trouvait  alors  le  pape  Nicolas  II,  l'empereur  d'Allemagne,  les 
comtes  Baudouin  de  Lille  et  Baudouin  de  Mons,  son  fils.  Il  assista  à  la  réu- 
nion dans  laquelle  ces  deux  derniers  se  réconcilièrent  et  oublièrent  les 
anciens  griefs  qu'ils  avaient  l'un  contre  l'autre.  De  là,  saint  Liébert  se  ren- 
dit au  Cateau-Cambrésis,  où,  en  compagnie  de  Fulcher,  il  rendit  grâces  à 
l'apôtre  saint  André  pour  tous  les  bienfaits  qu'ils  en  avaient  reçus.  Dès  ce 
jour  Fulcher  s.e  consacra  au  service  de  Dieu  dans  cette  abbaye  et  y  vécut 
saintement.  Pour  saint  Liébert,  il  rentra  dans  sa  ville  de  Cambrai,  où  il  fut 
accueilli  avec  tous  les  transports  de  la  plus  vive  allégresse. 

Le  bon  évêqut',  qui  ne  songeait  qu'au  bonheur  de  son  peuple,  n'épar- 
gnait rien  de  tout  ce  qui  pouvait  y  contribuer.  Forcé  pour  un  moment,  par 
les  injonctions  de  l'empereur,  de  céder  à  l'indigne  Jean  d'Arras  la  charge 
de  châtelain  de  Cambrai,  il  trouva  le  moyen  de  soustraire  la  ville  à  la  domi- 
nation tyrannique  de  cet  homme  et  de  la  remettre  au  jeune  Hugues,  alors 
encore  sous  la  direction  du  sage  Anselme.  En  attendant  que  cet  enfant  put 
exercer  ses  fonctions  par  lui-même,  le  digne  prélat  y  suppléait  par  son 
active  vigilance  :  aussi  toute  la  contrée  jouissait-elle  du  bonheur  et  de  la 
prospérité.  «  Les  habitants  de  la  cité,  qui  avaient  été  longtemps  exposés  au 
trouble  et  réduits  à  la  pauvreté,  reprenaient  en  quelque  sorte  une  vie  nou- 
velle par  les  douceurs  de  la  paix,  et  semblaient  sortir  des  tombeaux.  Grâce 


SAINT  LIÉBERT,    ÉVÉQUE   DE   CAMBRAI  ET  d'ARRAS.  2^ 

aux  soins  et  à  la  sollicitude  du  pasteur,  dans  la  ville  de  Cambrai  et  dans 
tous  les  lieux  voisins,  la  miséricorde  et  la  vérité  allaient  au-devant  l'une  de 
l'autre,  la  justice  et  la  paix  se  donnaient  un  baiser  mutuel.  Toutes  les 
portes  étaient  ouvertes,  et  nulle  part  on  n'eût  trouvé  un  voleur,  un  ravis- 
seur, un  homme  injuste  qui  cherchât  à  faire  tort  à  son  prochain.  Les  clercs, 
pourvus  de  toutes  choses  avec  abondance,  rhanlaient  les  louanges  de  Dieu, 
et  les  laïques  exerçaient  en  paix  leur  profession.  Heureux  »,  disaient-ils, 
«  le  peuple  qui  jouit  de  tels  bienfaits;  mais  plus  heureux  le  pontife  quia 
su  les  procurer  !  « 

Il  ne  tinî  pas  à  saint  Liébert  que  cette  félicité  et  prospérité  de  son  peuple 
ne  continuassent  de  longues  années  encore;  mais  le  temps  n'était  pas  éloi- 
gné où  le  jeune  Hugues,  se  livrant  comme  son  père  à  ses  penchants  mau- 
vais, allait  devenir  un  véritable  lléau  pour  toute  la  contrée.  Avant  d'aborder 
cette  partie  si  pénible  de  la  vie  de  saint  Liébert,  faisons  connaître  la  fonda- 
tion importante  de  l'église  et  du  monastère  du  Saint-Sépulcre  qu'il  bâtit 
au  retour  de  son  pèlerinage  à  Jérusalem. 

n  y  avait  déjà,  fi  cette  époque,  une  petite  église  qui  portait  le  nom  du 
Saint-Sépulcre  :  elle  avait  été  construite  sons  l'évêque  Gérard  I",  de  Flo- 
rines,  lorsque  ce  prélat,  durant  une  peste  qui  désola  Cambrai  et  les  envi- 
rons, bénit  un  nouveau  cimetière  hors  des  murs  de  la  ville  pour  y  enterrer 
les  pauvres  et  les  étrangers.  Saint  Liébert  voulut  achever  l'œuvre  que  son 
vénérable  prédécesseur  et  oncle  n'avait  pu  que  commencer,  et,  avec  le  con- 
cours des  principaux  personnages  qui  l'avaient  accompagné  en  Orient,  sur- 
tout de  l'archidiacre  Walcher  et  d'Erlebold,  juge  et  ministre  de  la  ville,  il 
jeta  les  fondements  du  célèbre  monastère  du  Saint-Sépulcre.  Il  donna  pour 
cette  pieuse  entreprise  une  partie  considérable  de  ses  biens  et  n'épargna 
rien  pour  assurer  l'avenir  et  la  prospérité  de  cette  maison  de  Dieu.  La  dé- 
dicace du  nouveau  monastère  se  fît  avec  une  grande  solennité.  Sur  l'invita- 
tion du  prélat,  les  corps  des  Saints  que  possédaient  les  différctites  abbayes 
de  son  diocèse  y  furent  apportés  comme  autant  de  patrons  fidèles  dont  il 
invoquait  la  protection  en  faveur  de  cette  œuvre  sainte.  Ces  corps  véné- 
rables, au  nombre  de  vingt-deux,  furent  transportés  â  Cambrai  par  des  reli- 
gieux et  religieuses  ou  des  personnes  d'une  éminente  piété.  Cette  consé- 
cration fut  faite  le  vingt-huitième  jour  d'octobre,  fête  des  apôtres  saint 
Simon  et  saint  Jude,  en  l'année  1064,  la  quatorzième  de  l'épiscopat  de 
saint  Liébert  et  la  troisième  du  pontificat  d'Alexandre  II. 

Non  content  d'avoir  élevé  ce  monastère,  où  il  plaça  un  abbé  et  des  reli- 
gieux d'une  vertu  éprouvée,  il  voulut  encore  y  construire,  dans  le  milieu 
de  la  basilique,  un  sépulcre  de  forme  ronde,  sur  le  modèle  du  Saint-Sé- 
pulcre de  Jérusalem.  La  pierre  qui  en  couvrait  l'entrée  avait  sept  pieds  de 
longueur,  comme  celle  du  tombeau  du  Sauveur,  et  elle  était  d'tme  grande 
beauté,  ainsi  que  les  colonnes  de  marbre  qui  soutenaient  l'édifice.  Mais, 
continue  le  pieux  historien  qui  rapporte  ces  détails,  «  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  admirable,  c'est  que  nul  ne  pouvait  pénétrer  dans  l'intérieur  de  ce 
sépulcre,  quelque  dur  que  ftit  son  cœur,  sans  éprouver  aussitôt  des  senti- 
ments de  dévotion  ».  Ce  fut  peut-être  afin  de  développer  davantage  ces 
heureux  résultats  dans  les  âmes,  que  le  prélat  agrandit  la  ville  de  ce  côté, 
afin  de  renfermer  le  monastère  dans  ses  murs  et  de  donner  de  l'espace  pour 
un  plus  grand  nombre  d'habitations. 

Le  vingt-trois  mai  de  l'an  1039,  le  vénérable  Liébert  assistait  avec  vingt- 
quatre  autres  prélats,  tant  évoques  qu'archevêques,  au  sacre  du  fils  de 
Henri  1",  qui  allait  bientôt  après  régner  sous  le  nom  de  Philippe  I".  L'ar- 


248  23  JUIN. 

chevêque  de  Reims,  Gervasc,  qui  devait  faire  la  cérémonie,  avait  invité 
d'une  manière  toute  spéciale  le  vénérable  évoque  de  Cambrai  et  d'Arras, 
pour  lequel  il  ressentait  une  affection  et  un  respect  extraordinaire.  Il  en 
donna  un  éclatant  témoignage  dans  une  occasion  solennelle.  Celait  un 
jeudi  saint  :  au  moment  où  le  métropolitain,  revêtu  des  habits  pontificaux, 
s'avançait  pour  célébrer  les  divins  mystères,  il  aperçut  saint  Liébert.  Arrê- 
tant aussitôt  le  cortège  qui  le  précédait,  il  retourna  sur  ses  pas,  se  dépouilla 
des  ornements  sacrés  et  fit  tant  d'instances  auprès  du  vénérable  évêque, 
qu'il  le  contraignit  de  chanter  lui-même  les  offices  solennels  de  ce  jour,  en 
présence  de  tout  le  peuple,  qui  fut  singulièrement  édifié  de  cette  déférence 
de  l'archevêque  pour  son  suffragant. 

De  retour  dans  la  cité  épiscopale,  le  vénérable  Liébert  eut  la  douleur 
de  voir  le  châtelain  Hugues  se  livrer  à  toutes  sortes  de  violences.  Ce  sei- 
gneur ne  respectait  aucun  droit,  aucune  personne,  et  semblait  prendre  à 
tâche  de  surpasser  encore  les  débordements  de  celui  auquel  il  succédait. 
Dans  la  ville  comme  dans  les  campagnes,  contre  l'évoque  et  ses  officiers  ou 
contre  les  simples  laïques,  partout  il  portait  le  trouble,  le  désordre  et  le 
pillage,  et  commettait  les  plus  criantes  injustices.  Tour  à  tour  chassé  de 
Cambrai,  de  Porgival  *,  d'Inchy  ^  et  d'autres  lieux,  il  allait  de  toutes  parts 
battant  la  compagne  et  cherchant  à  nuire,  par  tous  les  moyens  possibles,  à 
l'évoque  Liébert  et  à  ses  ouailles. 

Les  violences  et  les  emportements  du  châtelain  Hugues  arrivèrent  enfin 
à  un  tel  degré,  que  le  saint  évêque  fut  obligé  de  prononcer  contre  lui  une 
sentence  d'excommunication.  Beaucoup  de  ses  partisans  l'abandonnèrent 
alors,  et  le  pays  jouit  de  quelque  tranquillité;  mais  l'intraitable  vassal  sut 
bientôt  trouver  de  nouveaux  bandits  pour  continuer  ses  brigandages.  Un 
moment  il  parut  vouloir  se  corriger  et  réparer  les  offenses  qu'il  avait  com- 
mises. Il  vint  même  à  Cambrai  demander  au  vénérable  Liébert  le  pardon  de 
ses  crimes,  l'absolution  de  la  sentence  d'excommunication  portée  contre 
lui,  et  renouveler  entre  ses  mains  son  serment  de  fidélité.  Mais  tous  ces 
actes  n'étaient  de  sa  part  qu'une  pure  hypocrisie.  Hugues  voulait  épouser 
la  nièce  de  Richilde,  comtesse  de  Flandre  et  de  Hainaut,  et  il  savait  qu'il 
n'y  parviendrait  qu'après  s'être  réconcilié  avec  son  évêque. 

Peu  de  jours,  en  effet,  s'étaient  écoulés  depuis  ce  moment,  et  déjà  il 
recommençait  ses  violences  accoutumées.  Le  fait  suivant,  rapporté  par 
Baldéric,  donnera  la  mesure  de  l'audace  et  de  la  perversité  de  cet  homme. 

Un  jour  que  saint  Liébert  s'était  transporté  au  village  de  Boiri,  pour  y 
consacrer  une  église  et  donner  le  sacrement  de  confirmation  aux  enfants 
de  ce  canton,  il  se  disposa  à  y  passer  la  nuit  pour  prendre  quelque  repos. 
Hugues,  qui  parcourait  toujours  la  campagne,  en  fut  promptement  informé, 
et,  rassemblant  à  la  hâte  les  plus  déterminés  de  ses  complices,  il  se  rendit 
avec  eux  durant  la  nuit  à  la  maison  où  l'évêque  reposait.  Aussitôt  il  en- 
fonce les  portes,  frappe,  renverse  et  tue  plusieurs  de  ceux  qui  veulent  faire 
résistance,  arrive  au  lit  du  vénérable  vieillard,  le  force  d'en  sortir  et  le 
traîne  dans  cet  état  en  son  château  d'Oisy,  où  il  le  renfernu>.  dans  une  prison. 

A  la  nouvelle  d'un  pareil  attentat,  une  indignation  générale  éclata  dans 
le  pays.  Le  comte  de  Flandre,  Arnould,  et  sa  mère,  Richilde,  réunirent 

1.  Le  (mioni(ineur  BaMuric  dit.  cpud  quemdam  locum,  Porrioallcm.  Il  s'agit  soit  de  Pronville,  arron- 
dlssement  d'Arras,  canton  de  JIarriu;oii,  ou  se  voient  encore  les  ruines  d'une  ancienne  forteresse,  ou  do 
Nenvllle-BourjonTal,  même  aiTondissement.  canton  de  Bortincourt. 

2.  Inchy-cn-Artois,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  Incliy-  Beaumont,  en  Cambrésis,  est  situé  dans 
le  canton  do  Marfiuion  et  k  la  source  de  l'Hirondelle,  petite  livière  qui  se  joint  a  la  Sensée,  entre  Arleas 
•t  Palluel.  —  Note  de  M.  Le  Glay. 


SAINT  LIÉBERT,   ÉVÉQUE  DE   CAMBRAI  ET  d'aRUAS.  249 

sur-le-champ  leurs  troupes  et  marchèrent  contre  Oisy,  dont  les  portes  s'ou- 
vrirent bientôt  pour  rendre  à  la  liberté  le  saint  évoque,  qui  fut  reconduit 
en  triomphe  dans  son  église.  Peu  de  temps  après,  saint  Liébert  chassa  du 
paj's  le  turbulent  châtelain,  et  les  habitants  commencèrent  à  respirer  en 
paix. 

Saint  Liébert,  dont  toutes  les  pensées  tendaient  à  la  gloire  de  Dieu  et  à 
la  sanctification  des  âmes,  ne  cessait  de  travailler  pour  opérer  le  bien. 
Souvent  on  le  rencontrait  parcourant  les  diverses  contrées  de  ses  deux 
vastes  diocèses  ou  quelques-unes  des  églises  plus  importantes,  dans  les- 
quelles il  se  plaisait  ù  exercer  les  fonctions  do  son  ministère.  Il  avait  aussi 
la  coutume  d'aller,  durant  la  nuit,  visiter  les  églises  de  Cambrai,  et  y  prier 
pour  le  salut  de  son  troupeau.  Il  le  faisait  les  pieds  nus,  et  accompagné  des 
clercs  qui  étaient  attachés  à  son  service.  Il  arriva  une  fois,  dans  la  nuit  qui 
précède  la  fête  de  Pâques,  que  le  saint  évoque,  après  avoir  visité  toutes  les 
églises  et  oratoires  de  sa  ville  épiscopale,  entra  dans  la  petite  chapelle  du 
Saint-Sépulcre,  et  ensuite  dans  le  rimolière  contigu.  «  Là,  il  fit  à  Dieu  sa 
prière  pour  le  repos  des  âmes  des  fidèles  trépas.^cs  ;  puis,  au  moment  oii  il 
terminait  en  silence  l'oraison,  comme  cela  se  pratique  dans  les  derniers 
jours  de  la  semaine  sainte,  tous  ceux  qui  étaient  avec  lui  entendirent  dis- 
tinctement un  Amen  répété  sans  doute  par  les  âmes  que  la  prière  du  Saint 
avait  consolées  et  soulagées  ». 

Cette  dévotion  envers  les  fidèles  trépassés  était  très-chère  à  saint  Liébert, 
et  il  en  donna  des  témoignages  jusqu'à  sa  mort.  On  trouve  en  eflet  parmi 
les  dons  et  les  ofirandes  qu'il  accorda  à  l'église  Notre-Dame  de  Cambrai  une 
clause  d'après  laquelle  une  messe  doit  être  chantée  tous  les  lundis,  pour  le 
repos  de  son  âme  et  de  celles  des  fidèles  défunts. 

Son  église  cathédrale  ne  fut  pas  la  seule  qui  ressentit  les  effets  de  sa 
pieuse  générosité  :  il  fit  aussi  des  dons  particulie;"s  à  celle  de  Notre-Dame  à 
Arras,  aux  monastères  de  Saint-Eloi,  près  de  cette  même  ville,  de  Saint- 
Humbert,  à  Maroilles,  de  Saint-André  au  Cateau,  de  Saint-Géri  à  Cambrai, 
et  de  b^aint-Aubert  où  il  plaça  des  clercs  réguliers.  C'est  aussi  par  ses  con- 
seils et  avec  son  concours  qu'Erlebold  fonda  l'église  de  Sainte-Croix  et  res- 
taura celle  de  Saint-"\'aast.  Ces  travaux  multipliés  du  digne  évoque  le  ren- 
daient toujours  de  plus  en  plus  cher  à  son  peuple,  «  et  la  ville,  auparavant 
malheureuse  par  les  troubles  et  les  guerres  qui  la  désolaient  si  souvent,  se 
trouvait  alors  populeuse  et  Uorissanle  ». 

Ce  bonheur  eût  encore  été  troublé  dans  les  derniers  jours  de  saint  Lié- 
bert, si  le  courageux  vieillard  n'avait  conjuré  un  nouveau  et  grand  péril 
qui  la  menaçait.  Robert,  si  connu  dans  l'histoire  sous  le  nom  de  Robert  le 
Frison,  s'était  emparé  du  comté  de  Flandre  après  la  mort  de  son  neveu 
Arnoul,  tué  à  la  bataille  de  Cassel.  Presque  aussitôt  il  se  remit  en  campagne 
et  s'avança  vers  Cambrai  pour  enlever  cette  ville  et  tout  le  Cambrésis  à  la 
domination  de  l'empereur  d'Allemagne.  Ses  troupes,  répandues  de  toutes 
parts  dans  les  villages,  y  causaient  les  plus  alfreux  désordres.  Déjà  le  saint 
évêque,  brisé  par  l'âge  et  les  maladies,  avait  envoyé  vers  Robert  les  plus 
honorables  habitants  de  Cambrai  pour  engager  l'usurpateur  à  ne  point  con- 
tinuer une  agression  que  rien  ne  pouvait  légitimer  ni  même  expliquer.  Le 
comte  restait  sourd  à  toutes  ces  représentations  et  déclarait  qu'il  détruirait 
la  ville  si  l'évêque  ne  la  livrait  en  sa  puissance. 

En  entendant  cette  réponse,  le  vénérable  vieillard  se  sentait  rempli  de 
douleur  et  d'une  juste  indignation,  et  la  pensée  des  malheurs  que  peut-être 
cet  homme  ferait  souffrir  à  son  peuple  l'accablait  d'une  profonde  tristesse. 


250  53  .TTTN. 

Tout  à  coup,  comme  si  Dieu  lui  eût  inspiré  lui-même  ce  dessein,  il  ordonne 
qu'on  prépare  une  litière,  et,  malgré  les  souffran-ces  de  la  maladie  et  des 
dangers  auxquels  il  s'expose,  il  demande  qu'on  le  transporte  aussitôt  au 
milieu  du  camp  ennemi.  Arrivé  en  présence  du  comte  Robert,  il  lui  repro- 
che avec  une  sainte  fermeté  ses  entreprises  criminelles,  et  lui  ordonne,  en 
vertu  de  l'autorité  spirituelle  qu'il  a  sur  lui,  de  s'éloigner  des  terres  de  sa 
Maîtresse  et  Dame,  sainte  Marie.  Le  comte,  plein  d'arrogance  et  de  hauteur, 
ne  répond  d'abord  à  cette  injonction  que  par  l'insulte.  Alors  l'intrépide 
vieillard,  reprenant  toutes  ses  forces,  se  soulève  péniblement  sur  la  litière, 
et,  demandant  aux  clercs  qui  l'avaient  accompagné  l'étole  sacerdotale  et  la 
crosse  pastorale,  il  excommunie,  sous  les  yeux  de  toute  l'assemblée,  le 
comte  Robert  et  son  armée,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  entièrement  satisfait 
pour  l'injuste  invasion  qu'ils  viennent  de  tenter  dans  ce  pays. 

En  entendant  ces  paroles,  Robert  reste  comme  frappé  de  stupeur.  La 
fermeté  de  l'homme  de  Dieu  et  la  justice  de  la  cause  qu'il  défend,  son  âge, 
son  caractère  sacré  et  sans  doute  la  crainte  des  châtiments  célestes,  tout 
exerce  sur  lui  une  impression  à  laquelle  il  cherche  vainement  à  résister.  Au 
même  instant,  et  quoique  le  jour  fût  déjà  avancé,  il  donne  avec  colère  et 
dépit  le  signal  de  la  retraite.  «  Quelques-uns,  dont  l'âme  était  plus  droite  », 
continue  le  biographe  du  Saint,  «  allèrent  se  jeter  aux  pieds  du  Pontife,  lui 
demandèrent  pardon  pour  tout  le  mal  qu'ils  avaient  fait  à  l'Eglise  de  Cam- 
brai ,  et  le  réparèrent  généreusement  avant  de  retourner  dans  leurs 
demeures  ».  Ainsi  la  ville  de  Cambrai  fut  délivrée,  par  la  vertu  courageuse 
de  son  saint  évêque,  du  péril  imminent  qui  la  menaçait. 

Ce  trait,  qui  suffirait  à  lui  seul  pour  illustrer  un  nom,  est  un  des  der- 
niers de  la  vie  si  belle  et  si  édifiante  de  saint  Liébert.  Avant  de  la  terminer, 
rappelons  quelques-unes  de  ses  nombreuses  vertus,  que  les  auteurs  ont 
signalées.  «  Malgré  la  grande  faiblesse  à  laquelle  l'avait  réduit  la  maladie,  il 
ne  changea  point  le  cilice  qu'il  portait  depuis  les  jours  de  son  ordination  et 
ne  permit  jamais  que  l'on  rendît  moins  dure  la  couche  sur  laquelle  il  pre- 
nait son  repos.  Il  ne  se  nourrissait  d'ordinaire  que  de  pain  d'orge,  et  à  table  il 
plaçait  ce  pain  près  de  lui,  d'une  manière  si  adroite,  que  nul  ne  s'en  aperce- 
vait. Les  pauvres  partageaient  chacun  de  ses  repas,  et  il  leur  donnait, 
comme  à  ses  autres  serviteurs,  leur  portion  chaque  jour.  Que  s'il  y  avait 
parmi  eux  un  lépreux,  il  lui  faisait  présenter  sa  coupe  et  y  buvait  lui-même 
après  que  celui-ci  s'en  était  servi.  Durant  sa  longue  maladie  il  lisait  souvent, 
en  versant  des  larmes,  les  psaumes  de  la  pénitence  ;  et  afin  que  son  esprit 
ne  fût  point  détourné  de  son  attention  à  Dieu,  il  aimait  à  avoir  sans  cesse 
auprès  de  lui  de  pieux  ecclésiastiques. 

«  Notre  saint  Pontife,  brisé  par  la  vieillesse  et  la  maladie,  attendait  sa 
dernière  heure,  et,  comme  le  cerf  soupire  après  les  eaux  de  la  fontaine, 
ainsi  il  soupirait  après  l'éternel  repos.  On  l'entendait  adresser  des  paroles 
d'exhortation  à  tous  ceux  qui  s'approchaient  de  lui.  Il  les  invitait  à  la  dou- 
ceur, à  la  miséricorde  et  à  la  libéralité  envers  les  pauvres,  et  leur  représen- 
tait la  grande  confiance  dont  jouiront  auprès  de  Dieu  ceux  qui  auront 
pratiqué  ces  vertus  sur  la  terre.  Pour  lui,  il  avait  accompli  la  parole  du 
Sauveur,  qui  dit  dans  l'Evangile  :  Vendez  ce  que  vous  avez,  donnez-le  aux 
pauvres  et  vous  aurez  un  trésor  dans  le  ciel.  Il  vendit,  en  effet,  ses  biens, 
mais  à  Dieu  :  car  de  tous  les  biens  qu'il  possédait,  il  en  donna  une  partie 
aux  églises  et  une  autre  aux  pauvres  de  Jésus-Christ  qu'il  nourrissait.  Et 
parce  qu'il  désirait  que  tous  ceux  dont  le  salut  lui  était  confié  fissent  des 
efforts  pour  avancer  dans  la  vertu,  il  les  pressait  et  les  exhortait  à  re- 


SAINT  LIÉBERT,  ÉVÊQUE  DE  CAMBRAI  ET  D'ARRAS.  251 

pousser  tous  les  désirs  terrestres  et  à  n'aimer  que  les  choses  célestes  ». 

L'historien  de  la  vie  de  saint  Liébert  rapporte  ensuite  un  touchant  dis- 
cours que  le  vénérable  vieillard  prononça  comme  un  dernier  adieu,  au  mo- 
ment où,  près  de  mourir,  il  voyait  ses  prêtres  et  ses  serviteurs  répandre  des 
«armes  autour  de  lui.  Après  leur  avoir  dit  que,  sur  le  point  d'arriver  au 
terme  de  sa  course,  il  n'a  nul  regret  de  quitter  la  vie,  que  c'est  le  sort 
réservé  à  tous  les  hommes  et  que  les  vieiilards  surtout  doivent  être  peu 
étonnés  quand  la  mort  se  présente,  il  ajouta  ces  dernières  paroles  :  «  Donc, 
mes  fils  bien-aimés,  méditons  sur  cette  mort  qui  nous  menace  tous  les 
jours  :  car  aussi  longtemps  que  nous  sommes  attachés  par  les  liens  du  corps, 
nous  sommes  retenus  invinciblement  ici-bas.  Mais  Dieu  lui-même,  l'auteur 
de  l'immortalité,  a  mis  un  terme  à  cette  impérieuse  nécessité,  en  donnant 
aussi  un  terme  i\  la  vie  du  corps,  afin  que  nous  arrivions  à  l'immortalité. 
C'est  pourquoi  il  ne  faut  pas  pleurer  une  mort  que  l'immortalité  doit  suivre, 
car  si  nous  croyons  que  Jésus-Christ  est  mort  et  qu'il  est  ressuscité,  croyons 
que  Dieu  ressuscitera  aussi  ceux  qui  sont  morts  en  Jésus-Christ  ». 

L'état  du  saint  vieillard  étant  devenu  plus  alarmant,  on  lut  près  de  son 
lit  la  Passion  de  notre  Sauveur,  qu'il  suivait  avec  une  touchante  ferveur. 
Quand  on  fut  arrivé  à  ces  paroles  :  «  Jésus  ayant  pris  du  vinaigre,  dit  :Tout 
est  consommé  »,  on  présenta  au  Saint  le  corps  et  le  sang  adorable  de  Jésus- 
Christ,  et  quelques  moments  après  il  rendit  paisiblement  son  esprit  il  Dieu, 
le  vingt-troisième  jour  de  juin  de  l'année  1076.  Saint  Liébert  était  alors 
dans  la  vingt-sixième  année  de  son  épiscopat.  Son  corps,  déposé  d'abord 
dans  l'église  de  Notre-Dame,  fut  ensuite  enterré  dans  le  monastère  du  Saint- 
Sépulcre.  On  grava  cette  épitaphe  sur  son  tombeau  : 

Clauderis  lioc  tumulo  lapidum,  Lielberle  sacerdos, 

Spes  et  amor  patrise,  laus,  decus  Ecclesiae. 
Hancque  domum  Christi  spe  felix  instituisti, 

Riirsus  ut  aeternà  luce  friiaris  eâ. 
Claudilur  incessu  Cancri  solisque  recessu 

Oibi  sexta  dies  ;  quaî  tibi  sit  requies. 

a  Vons  êtes  caché  sons  ces  pierres,  ô  prêtre  Liébert,  l'espérance  et  l'amour  de  la  patrie,  la 
louange  et  la  gloire  de  l'Eglise.  Plein  de  l'espérance  du  Christ,  vous  avez  fondé  cette  miiison,  afin 
que  vous  en  jouissicE  de  nouveau  au  jour  de  la  résurrection.  Le  signe  du  Cancer  a  passé  ;  le 
soleil  renaissant  ramène  le  sixième  jour  :  qu'il  soit  pour  vous  le  jour  du  repos». 

Le  corps  de  saint  Liébert  fut  levé  de  terre  par  Albéric,  archevêque  de 
Reims,  le  28  septembre  1211.  Ses  reliques  ont  été  transférées  le  23  juin  1273, 
le  22  juin  1G72,  et  le  19  mars  1736  elles  furent  visitées  par  Mazile,  doyen  et 
vicaire- général  de  Cambrai. 

L'Eglise  de  Cambrai  n'a  jamais  solennisé  la  fête  de  ce  saint;  mais  le 
23  juin,  jour  de  son  trépas,  et  le  28  septembre,  anniversaire  de  sa  première 
translation,  on  chantait  une  messe  votive  de  la  sainte  Trinité. 

L'abbô  Destombes  :  Vies  des  Saints  o.cs  diocèses  dt  Cambrai  et  d'Arras.  —  Cf.  Godo-îcni-,! 


232  23  JUIN. 

LA  BIENHEUREUSE  MARIE  D'OIGNIES,  RECLUSE  * 

1213.  —  Pape  :  Innocent  III.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Frédéric  II. 


Secura   est  de  Victoria  casiitas,  cui  est  judicatura 

virginitas. 
La  chastetiî  est  sûre  de   triompher  quand  elîo  a 

pour  jwge  la  virginité. 

Saint  Augustin. 

L'amour  de  la  croix  et  des  souffrances  a  fait  faire  des  choses  si  extraor- 
dinaires à  la  bienheureuse  Marie,  surnommée  d'Oignies,  à  cause  du  lieu  de 
sa  sépulture,  que  le  célèbre  cardinal  Jacques  de  Yitrj',  qui  a  recueilli  avec 
un  soin  particulier  les  actes  de  sa  vie,  avoue  qu'il  la  propose  plutôt  comme 
un  sujet  d'admiration  que  comme  un  modèle  qu'on  puisse  imiter.  Nous  en 
rapporterons  seulement  ici  ce  qui  pourra  servir  à  l'édification  des  fidèles  et 
les  porter  à  embrasser  généreusement  la  pratique  de  la  vertu. 

Elle  naquit  à  Nivelle,  au  diocèse  de  Liège,  de  parents  tres-riches.  Elle 
donna,  dès  son  enfance,  des  indices  de  la  haute  sainteté  à  laquelle  Diou  la 
destinait  :  car  elle  méprisait  les  biens  et  les  plaisirs  de  cette  vie  ;  chacun  de 
ses  pas  l'avançait  dans  le  chemin  de  la  perfection.  Elle  évitait  la  compagnie 
des  enfants  de  son  âge  trop  portés  au  jeu;  elle  fuyait  tout  ce  qui  était 
puéril  :  les  beaux  habits,  les  parures.  Elle  ne  pouvait  souffrir  qu'on  frisât 
ses  cheveux,  qu'on  la  coiffât  ou  qu'on  l'ajustât  comme  les  gens  du  monde. 
Elle  priait  Dieu  avec  tant  de  ferveur  et  si  dévotement,  qu'elle  inspirait  de 
la  piété  aux  personnes  qui  la  regardaient.  Elle  avait  tant  d'estime  des  reli- 
gieux, que,  quand  elle  en  voyait  passer  quelques-uns,  surtout  de  l'Ordre  de 
Cîteaux,  devant  la  maison  de  son  père,  elle  les  suivait  secrètement  et  met- 
tait ses  pieds  dans  les  vestiges  des  leurs,  pour  exciter  en  elle  un  ardent  désir 
de  les  imiter.  Cette  dévotion  extraordinaire  déplut  à  ses  parents,  qui  em- 
ployèrent, pour  la  modérer,  toutes  sortes  de  moyens,  même  les  railleries; 
mais,  déjà  ferme  dans  la  vertu,  Marie  résista  à  tout.  Dès  qu'elle  eut  quatorze 
ans,  on  l'obligea  d'épouser  un  jeune  seigneur  que  sa  vertu  rendait  recom- 
mandable.  Ce  mariage  ne  fit  que  donner  à  notre  Sainte  plus  de  liberté  pour 
sa  piété.  Elle  s'appliqua  tout  à  fait  aux  exercices  de  la  perfection,  em- 
ployant une  partie  de  la  journée  au  travail,  et  l'autre  à  la  méditation  et  à 
la  prière,  qu'elle  continuait  bien  avant  dans  la  nuit.  Le  repos  qu'elle  pre- 
nait était  peu  considérable,  puisqu'elle  couchait  sur  des  planches,  qu'elle 
tenait  cachées  proche  de  son  lit. 

Une  si  sainte  vie  donna  non-seulement  de  l'admiration  à  son  mari,  mais 
lui  inspira  aussi  le  désir  de  suivre  ses  exemples.  En  effet,  ne  regardant  plus 
son  épouse  que  comme  son  institutrice  en  Jésus-Christ,  il  résolut  de  garder 
la  chasteté  avec  elle  le  reste  de  ses  jours,  de  distribuer  son  bien  aux  pauvres 
et  de  se  consacrer  entièrement  aux  œuvres  de  piété.  Ce  changement  leur 
attira  le  mépris  de  ceux  qui  les  considéraient  auparavant,  à  cause  de  leurs 
richesses  ;  leurs  parents  les  négligèrent  et  se  moquèrent  d'eux,  et  le  démon, 
qui  ne  pouvait  souffrir  leur  continence  et  leur  dégagement  des  biens  de  la 
tene,  leur  tendit  mille  pièges  pour  les  obliger  d'abandonner  leur  sainte 

X.  Appelée  vulgairement  Dame  Maroye,  par  corruption  de  Domna  Maria. 


LA  BIENHEUREUSE   MARIE  d'OIGNIES,   RECLUSE.  2o-3 

résolution  ;  mais  ni  les  artifices  de  cet  ennemi  des  hommes,  ni  les  railleries 
et  les  insultes  des  gens  du  monde,  qui  servaient  d'instruments  à  Satan,  ne 
purent  jamais  ébranler  leur  constance;  et,  comme  ils  préféraient  l'opprobre 
de  la  croix  de  Jésus-Christ  à  tous  les  honneurs  et  à  tous  les  plaisirs  du 
siècle,  ils  attirèrent  sur  eux  les  grâces  et  les  bénédictions  les  plus  abon- 
dantes. 

Pour  ce  qui  regarde  notre  Bienheureuse,  elle  reçut  de  son  Bien-Aimé, 
pour  première  faveur,  le  don  des  larmes  et  un  très-tendre  amour  de  com- 
passion à  la  vue  des  souffrances  qu'il  a  endurées  pour  le  salut  des  hommes. 
Elle  ne  pouvait  en  parler,  ni  en  entendre  parler,  ni  même  jeter  les  yeux 
sur  le  Crucifix  sans  pleurer  beaucoup  ou  être  ravie  en  extase.  Quelquefois, 
pour  arrêter  ce  torrent,  elle  s'appliquait  fortement  à  contempler  la  majesté 
de  Dieu  et  son  impassibilité  ;  mais,  lorsque  la  pensée  que  ce  Dieu  de  ma- 
jesté infinie  avait  tant  souffert  pour  elle  venait  à  frapper  son  esprit,  les 
larmes  recommençaient  aussitôt  à  lui  couler  avec  plus  d'impétuosité.  Un 
jour  de  Carême,  méditant  dans  l'église  sur  la  passion  de  Jésus-Christ,  elle 
ne  pouvait  retenir  ses  larmes  ni  empêcher  ses  soupirs  et  ses  sanglots  ;  un 
prêtre  la  pria  de  se  modérer  un  peu  et  de  faire  son  oraison  en  silence. 
Comme  elle  savait  que  cela  ne  dépendait  point  d'elle,  elle  sortit  de  l'église 
et  se  retira  dans  un  lieu  particulier,  pour  donner  toute  liberté  à  son  cœur. 
Là  elle  demanda  à  Dieu  qu'il  fît  connaître  à  cet  ecclésiastique  comment  il 
n'était  pas  au  pouvoir  de  la  créature  d'arrêter  ses  larmes,  quand  elles  pro- 
cédaient d'un  mouvement  du  Saint-Esprit.  Sa  prière  fut  aussitôt  exaucée  : 
car  le  même  jour,  ce  prêtre,  disant  la  sainte  messe,  se  sentit  tellement  tou- 
ché et  si  pressé  de  verser  des  larmes,  que,  quelques  efforts  qu'il  fît  pour  les 
retenir,  il  lui  fut  impossible  de  le  faire;  il  en  versa  en  si  grande  quan- 
tité, que  les  ornements  dont  il  était  revêtu  et  les  nappes  de  l'autel  en  furent 
toutes  trempées. 

Son  cœur  était  pénétré  de  la  plus  grande  componction  ;  et,  au  rapport 
du  cardinal  de  Vitry,  son  confesseur,  elle  n'a  jamais  commis  de  péché  mor- 
tel ;  elle  était  néanmoins  si  touchée  de  ses  fautes,  qu'après  les  avoir  confes- 
sées avec  de  très-grands  sentiments  de  contrition,  elle  croyait  ne  pouvoir 
jamais  faire  assez  de  pénitences  pour  les  expier.  En  effet,  outre  plusieurs 
mortifications  que  nous  ne  rapporterons  pas  ici,  parce  qu'elles  sont  plus 
admirables  qu'imitables,  sa  vie  ne  fut  qu'un  jeûne  continuel.  EUe  ne 
vivait  ordinairement  que  de  légumes,  et  c'était  fort  rarement  qu'elle  man- 
geait du  poisson.  Elle  vécut  quelque  temps  de  pain  si  noir  et  si  dur,  que  les 
chiens  mêmes  n'en  eussent  pu  manger.  Elle  ne  faisait  qu'un  repas  par  jour, 
en  été  sur  le  soir,  et  en  hiver  une  heure  après  le  soleil  couché.  Les  anges 
lui  apparaissaient  et  lui  tenaient  souvent  compagnie.  Lorsqu'elle  était  à 
table,  la  vue  de  son  ange  gardien  lui  était  fort  familière,  et  elle  recevait  de 
lui  toutes  les  instructions  nécessaires  à  sa  conduite.  Elle  eut  aussi  plusieurs 
fois  la  vision  de  saint  Jean  l'Evangélisle,  auquel  elle  portait  une  singulière 
dévotion,  et  l'entretien  qu'elle  avait  avec  ces  habitants  du  ciel  lui  donnait  plus 
de  plaisir  que  n'eussent  fait  les  viandes  les  plus  délicates  et  les  mets  les  plus 
délicieux.  Notre-Seigneur  récompensait  ainsi  par  des  douceurs  intérieures 
le  mépris  qu'elle  faisait  pour  son  amour  de  tous  les  plaisirs  du  corps.  Elle 
fit  un  jeûne  au  pain  et  à  l'eau,  durant  trois  ans,  depuis  la  fête  de  l'Exalta- 
tion de  la  Sainte-Croix  jusqu'à  Pâques.  Elle  était  quelquefois  huit  et  dix 
jours  sans  boire  ni  manger  ;  elle  passa  même  une  fois  trente-cinq  jours  sans 
rien  prendre,  et,  ce  qui  est  plus  admirable,  c'est  qu'elle  ne  se  trouvait  nul- 
lement incommodée  de  cette  prodigieuse  abstinence;  bien  qu'elle  coctinuàt 


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toujours  les  fonctions  ordinaires  de  sa  charité,  elle  était  aussi  vigoureuse  et 
aussi  forte  le  dernier  jour  que  le  premier,  comme  si  elle  n'eût  point  jeûné. 
Il  ne  faut  pas  s'en  étonner,  puisque  son  corps  était  soutenu  par  l'abondance 
des  grâces  dont  son  âme  était  remplie. 

Elle  jouissait  si  tranquillement  de  la  présence  de  Dieu,  que  rien  n'était 
capable  de  la  distraire,  et  elle  était  ordinairement  si  appliquée  à  pensera 
lui,  qu'elle  passait  plusieurs  jours  sans  que  l'on  pût  tirer  d'elle  d'autre  pa- 
>le  que  celle-ci  :  «  Je  veux  recevoir  le  îiorps  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  »  ;  et,  après  l'avoir  reçu,  elle  restait  dans  le  même  silence,  comme  si 
son  esprit  eût  été  tout  à  fait  séparé  de  son  corps.  Cette  douce  union  avec 
son  Dieu  ne  l'empêchait  point  de  travailler  ni  de  faire  ses  autres  exercices; 
elle  faisait,  une  fois  l'année,  le  pèlerinage  de  Notre-Dame  d'Oignies  les  pieds 
nus,  durant  les  rigueurs  de  l'hiver,  sans  néanmoins  en  souffrir  aucune 
incommodité.  Les  anges  l'accompagnaient  visiblement  pour  la  conduire  au 
travers  des  bois  qu'il  fallait  passer,  et  par  leur  ministère,  elle  fut  souvent 
préservée  de  la  pluie  qui  aurait  pu  troubler  son  voyage.  Par  dévotion  pour 
la  sainte  Vierge,  elle  passait  quelquefois  les  jours  et  les  nuits  à  faire  des 
génuflexions  en  son  honneur  ;  d'autres  fois,  elle  récitait  le  Psautier,  et,  à 
chaque  psaume,  elle  disait  un  Ave  Maria  à  genoux.  Elle  avait  aussi  coutume 
de  se  donner  plusieurs  coups  de  discipline  à  chaque  génuflexion  qu'elle  fai- 
sait ;  ses  prières  à  Dieu  étaient  presque  toujours  exaucées.  Elle  avait  remar- 
qué, par  expérience,  que  quand  son  esprit,  après  l'oraison,  se  trouvait  dans 
une  certaine  élévation,  c'était  signe  qu'elle  avait  été  exaucée  ;  et  qu'au  con- 
traire, quand  il  était  dans  l'abattement,  c'était  une  marque  qu'elle  ne 
l'avait  pas  été.  Elle  obtint  la  victoire  à  plusieurs  personnes  tentées,  qui 
avaient  eu  recours  au  mérite  desesprières.  Elle  était  toujours  si  brûlante  de 
l'amour  divin,  particulièrement  lorsqu'elle  faisait  l'oraison,  que,  dans  les 
plus  grands  froids,  elle  était  toute  en  sueur,  quoiqu'elle  ne  portât  qu'un 
habit  fort  léger.  Elle  aimait  tellement  le  silence,  qu'elle  passait  plusieurs 
mois  de  suite  sans  dire  aucune  parole  :  cette  pratique  fut  si  agréable  à 
Dieu,  qu'elle  eut  révélation  qu'à  cause  de  cela  elle  n'irait  point  en  Pur- 
gatoire. 

Sa  modestie  angélique  et  son  extérieur  parfaitement  bien  composé 
montraient  le  bel  ordre  qui  régnait  dans  son  intérieur.  Ses  austérités  exces- 
sives n'ôtaient  rien  de  la  sérénité  de  son  visage,  sur  lequel  paraissait  admi- 
rablement la  joie  de  son  âme;  il  n'y  avait  qu'une  chose  qui  la  plongeât  dans 
la  tristesse  :  c'était  de  penser  au  péril  d'une  âme  qui  est  dans  le  péché,  et 
au  malheur  d'une  âme  damnée;  elle  entrait  alors  dans  des  angoisses  incon- 
cevables, elle  pleurait,  elle  gémissait  et  elle  jetait  des  cris  qui  touchaient  de 
compassion  les  assistants.  Ses  regards,  sa  marche  et  toutes  ses  manières 
d'agir  ne  respiraient  que  la  simplicité  :  c'était  assez  de  jeter  les  yeux  sur 
elle  pour  concevoir  de  la  dévotion  et  se  sentir  porté  à  la  pratique  de  la 
vertu.  Ses  paroles  n'étaient  pas  moins  efficaces  :  elles  portaient  la  douceur 
et  la  consolation  dans  les  cœurs  des  personnes  à  qui  elle  parlait,  et,  pour 
nous  servir  des  termes  de  l'Epouse  des  Cantiques  :  «  Ses  lèvres  étaient  comme 
un  rayon  de  miel,  et  le  lait  était  caché  sous  sa  langue  ».  Jamais  on  n'en- 
tendit sortir  de  sa  bouche  aucune  parole  mondaine,  et  à  peine  pouvait-elle 
dire  cinq  ou  six  mots  sans  y  môler  quelque  chose  de  Notre-Seigneur.  Péné- 
trée de  la  crainte  de  Dieu,  elle  n'osait  rien  faire  avant  d'être  sûre  que  c'é- 
tait ce  qu'il  y  avait  de  mieux  pour  sa  gloire.  Cette  conscience  timorée  lui 
faisait  envisager  les  petits  péchés  véniels  avec  plus  d'horreur  que  les  per- 
sonnes ordinaires  ne  regardent  les  crimes  les  plus  énormes.  Elle  veillait 


LA  BIENHEUREUSE  MARIE  d'oIGNIES,   RECLUSE.  25S 

soigneusement  sur  les  moindres  pensées  et  sur  les  plus  petits  mouvements 
de  son  cœur,  afin  que  les  unes  et  les  autres  fussLut  ou  autant  de  victoires 
ou  autant  de  bonnes  œuvres. 

Toutes  ces  vertus  étaient  soutenues  d'une  humilité  très-profonde. 
Quoique  les  personnes  qui  la  connaissaient  eussent  une  haute  estime  d'elle, 
bien  loin  de  s'en  glorifier,  elle  croyait  être  la  créature  du  monde  la  plus 
misérable;  elle  pensait  être  inutile  sur  la  terre,  et,  si  elle  obtenait  de  Dieu 
quelque  grâce,  elle  l'attribuait  toujours  à  la  foi  et  à  la  piété  des  autres,  se 
réputant  indigne  <..  être  écoutée  dans  ses  prières.  Les  gens  de  basse  condi- 
tion et  les  grands  pécheurs  étaient  bien  venus  auprès  d'elle;  et,  au  lieu  de 
les  mépriser,  elle  les  considérait  comme  ses  supérieurs,  ne  pouvant  se  per- 
suader qu'il  y  eût  personne  qui  fût  plus  digne  de  rebut  qu'elle.  Le  mal  que 
quelques  impics  disaient  de  sa  dévotion  ne  faisait  aucune  impression  sur 
son  esprit,  comme  les  louanges  qu'on  lui  donnait  n'étaient  pas  capables  de 
causer  en  elle  le  moindre  mouvement  de  complaisance.  Elle  faisait  tout  son 
possible  pour  demeurer  cachée  aux  yeux  des  créatures,  et  ce  n'était  que 
par  des  ordres  du  ciel,  ou  secrets  ou  manifestes,  qu'elle  se  produisait  quel- 
quefois pour  assister  son  prochain.  Elle  se  défiait  si  fort  de  ses  propres 
lumières,  que,  dans  les  questions  difficiles  et  importantes  qu'on  lui  soumet- 
tait, elle  ne  donnait  point  de  réponse  qu'après  avoir  consulté  Dieu  sur  ce 
qu'elle  devait  dire.  Un  vertueux  ecclésiastique,  s'étant  laissé  vaincre  par  les 
prières  de  ses  amis  et  de  ses  parents,  avait  accepté  un  second  bénéfice, 
quoique  le  premier  dont  il  était  pourvu  lui  fût  suffisant  pour  vivre  frugale- 
ment, comme  doivent  faire  les  personnes  consacrées  aux  autels  :  il  lui  de- 
manda s'il  n'y  avait  point  de  péché  à  posséder  ainsi  deux  bénéfices;  la  bien- 
heureuse Mario  prit  quelque  temps  pour  avoir  recours  au  ciel  avant  de  lui 
rendre  réponse;  et,  après  avoir  été  divinement  éclairée  par  révélation,  elle 
lui  dit  que,  «  dans  son  oraison,  elle  avait  vu  un  homme  revêtu  d'abord  d'un 
habit  très-blanc  et  qui  marchai!  fort  librement;  mais  cet  homme,  ayant 
été  chargé  d'un  manteau  noir,  elle  l'avait  vu  au  même  temps  accablé  sous 
le  poids  de  sa  conscience  ».  Comme  elle  faisait  ce  récit,  l'ecclésiastique 
connut  intérieurement,  par  une  lumière  céleste,  l'énormité  de  son  péché, 
et,  sans  difierer  davantage,  il  résigna  son  second  bénéfice.  «  Pardonnez- 
moi,  mes  frères  »,  ajoute  le  grand  cardinal  de  Yitry,  historien  de  cette  vie, 
parlant  à  ses  lecteurs,  «  pardonnez-moi,  vous  qui  ajoutez  dignité  sur  di- 
gnité pt  qui  ne  faites  point  de  scrupule  d'entasser  des  bénéfices  les  uns  sur 
les  autres  :  ce  que  je  viens  de  rapporter  n'est  pas  de  mon  invention,  mais 
une  révélation  de  Jésus-Christ.  Pardonnez  aussi  à  sa  servante  :  car  quel  mal 
vous  a-t-elle  fait  d'avoir  donné  un  conseil  salutaire  à  son  ami,  et  d'avoir 
déclaré  une  vérité  que  Jésus-Christ  lui  avait  fait  connaître  ?  »  Nous  pour- 
rions rapporter  ici  plusieurs  autres  visions  et  révélations,  dans  lesquelles 
notre  Sainte  a  connu  les  tentations  et  les  secrets  des  cœurs  des  personnes 
qui  la  consultaient.  Nous  pourrions  parler  aussi  des  conversions  qu'elle  a 
faites,  des  victoires  qu'elle  a  remportées  sur  les  démons  en  découvrant  leurs 
artifices,  des  grâces  qu'elle  a  obtenues  à  ceux  qui  ont  imploré  le  secours  de 
ses  prières,  de  sa  charité  pour  assister  les  âmes  du  purgatoire,  de  sa  pa- 
tience invincible  à  souffrir  les  maladies  sans  y  vouloir  rechercher  aucun 
soulagement,  de  ses  prophéties,  de  la  connaissance  qui  lui  a  été  donnée  de 
l'état  des  consciences,  de  ses  extases,  des  apparitions  qu'elle  a  eues  de  Jé- 
sus-Christ dans  la  sainte  Eucharistie,  de  son  zèle  ardent  pour  les  croix  et 
les  soufi'rances,  et  enfin  de  mille  autres  choses  admirables  recuejllies  en 
deux  livres  par  le  célèbre  auteur  que  nous  venons  de  citer.  La  foule  des 


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visiteurs,  attirés  par  sa  sainteté,  troublant  sa  solitude  de  Villembroc,  près 
de  Nivelle,  elle  résolut  de  se  retirer  ailleurs  pour  ne  plus  vaquer  qu'à  la 
contemplation.  Dieu,  qu'elle  consulta  là-dessus,  lui  ordonna  de  se  fixera 
Oignies,  lui  apprenant  qu'elle  y  mourrait  et  y  serait  ensevelie.  Son  mari 
lui"  ayant  permis  de  s'y  rendre,  elle  y  arriva  le  jour  qu'on  y  célébrait  la  fête 
de  la  Translation  de  saint  Nicolas,  qui  en  est  le  patron.  Ce  saint  prélat  lui 
apparut  sur  le  chemin  et  l'accompagna  jusqu'à  l'église.  Elle  vécut  dans 
cette  sainte  retraite  d'une  manière  si  céleste,  qu'il  n'est  pas  possible  de 
l'expliquer.  Ses  visions  y  furent  fréquentes,  les  visites  de  Notre-Seigneur 
ordinaires,  les  apparitions  des  anges  presque  continuelles.  Elle  était  tou- 
jours dans  des  ravissements  et  des  extases  ;  et,  comme  elle  ne  sortait  presque 
point  du  pied  des  autels,  elle  y  avait  souvent  des  colloques  familiers  avec 
la  sainte  Vierge.  Ses  soupirs  étaient  tels,  lorsqu'elle  demandait  à  Dieu  la 
dissolution  de  son  corps,  que  souvent  on  la  croyait  à  la  mort.  Elle  ne  pen- 
sait au  paradis,  oh  elle  savait  qu'elle  irait  bientôt,  qu'avec  de  merveilleux 
transports  et  l'âme  toute  baignée  de  consolations.  Enfin,  plus  elle  voyait 
approcher  le  moment  de  sa  mort,  plus  sa  ferveur  et  son  amour  pour  son 
Bien-Aimé  augmentaient.  Avant  de  tomber  malade,  elle  avertit  que  son 
infirmité  serait  longue  et  douloureuse,  et  pria  qu'on  ne  se  mît  nullement  en 
peine  d'elle,  parce  que  c'était  la  volonté  de  Dieu  qu'elle  souffrît  ainsi  avant 
d'entrer  dans  sa  gloire.  Elle  fut  un  an  sans  rien  prendre  tous  les  lundis, 
parce  qu'elle  avait  eu  révélation  qu'elle  serait  enterrée  un  semblable  jour. 
Elle  se  disposa  à  la  mort  par  un  jeûne  de  trois  mois,  durant  lesquels  elle 
ne  fit  que  onze  repas,  et  les  cinquante-trois  derniers  jours  de  sa  vie  elle  ne 
prit  point  d'autre  nourriture  que  la  sainte  Eucharistie. 

L'heureuse  fin  d'une  si  sainte  vie  étant  proche,  le  démon  se  présenta  à 
elle  pour  livrer  un  dernier  assaut  à  sa  vertu  ;  mais  elle  le  chassa  aussitôt 
pour  jouir  de  la  vue  des  esprits  célestes,  qui,  l'ayant  souvent  visitée  durant 
les  beaux  jours  de  sa  vie,  ne  la  voulurent  pas  abandonner  à  l'heure  de  sa 
mort.  Saint  André,  auquel  elle  avait  beaucoup  de  dévotion,  lui  apparut 
durant  le  plus  fort  de  ses  douleurs,  et  lui  dit  ces  paroles  pour  la  fortifier  : 
«  Ayez  confiance,  ma  fille,  je  ne  vous  abandonnerai  point  et  je  rendrai  à 
Dieu  bon  témoignage  de  votre  amour  pour  la  Croix  ».  Enfin,  après  avoir 
vu  la  place  qui  lui  était  destinée  dans  le  ciel,  elle  rendit  son  âme  parmi 
des  chants  d'allégresse,  entre  les  mains  de  son  Epoux,  qui  l'honora  de  sa 
divine  présence,  afin  de  la  revêtir,  au  sortir  de  ce  monde,  d'une  gloire 
éternelle.  Ce  fut  l'an  1213,  qui  était  la  trente-sixième  année  de  son  âge,  le 
dimanche  23  juin,  auquel  jour,  selon  quelques-uns,  mourut  saint  Jean 
l'Evangéliste,  à  qui  elle  était  singulièrement  dévote.  Elle  avait  prédit  ce 
temps  six  ans  auparavant.  On  ne  vit  sur  son  visage  aucune  des  tristes 
marques  de  la  mort;  le  même  éclat  et  la  même  sérénité  y  demeurèrent 
toujours,  et  les  rayons  qui  en  sortaient  portaient  à  la  piété  les  personnes 
qui  la  regardaient.  Elle  aima  après  son  décès  les  personnes  qu'elle  avait 
affectionnées  durant  sa  vie,  leur  apparaissant,  soit  pour  les  consoler  dans 
leurs  peines,  soit  pour  leur  donner  des  avis  dans  leurs  affaires,  soit  pour 
leur  découvrir  les  dangers  auxquels  elles  étaient  exposées,  soit  pour  les  dé- 
livrer des  doutes  qui  travaillaient  leur  esprit.  Plusieurs  saints  religieux  ont 
eu  des  visions  dans  lesquelles  ils  ont  connu  la  gloire  dont  elle  jouissait  dans 
le  ciel.  Enfin,  les  fidèles  qui  ont  imploré  son  assistance  ont  reçu  tant  de 
grâces  par  le  mérite  de  son  intercession,  que  ses  saintes  reliques  sont  de- 
venues l'objet  du  plus  grand  respect.  L'an  1609,  François  de  la  Bussière, 
évêque  de  Namur,  par  ordre  de  Paul  V,  fît  lever  de  terre  ce  saint  corps, 


LA   BIEiMlEUUEUSE   MARIE   D'OIGNIES,   RECLUSE.  257 

pour  le  mettre  dans  une  châsse  d'argent  et  le  transporter  sous  l'autel  de 
l'église  de  Notre-Dame  d'Oignies,  laquelle  s'estime  infiniment  heureuse  de 
posséder  un  si  précieux  trésor.  On  a,  depuis,  composé  un  office  particulier 
en  son  honneur,  que  Jean  d'Avrain,  successeur  de  François  de  la  Bussière, 
approuva  l'an  1619.  A  la  fin  du  dernier  siècle,  après  la  suppression  des  mo- 
nastères, son  corps  fut,  en  1817,  transporté  dans  l'église  de  Saint-Nicolas 
à  Nivelle,  non  loin  de  la  maison  oti  elle  naquit.  Son  nom  a  été  inséré  dans 
les  calendriers  de  plusieurs  églises  de  la  Belgique;  son  office,  approuvé  par 
le  pape  Grégoire  XVI,  à  la  demande  de  S.  E.  le  cardinal  archevêque  Sterckx, 
se  célèbre  dans  l'archevêché  de  Malines. 

La  vie  de  la  bienheureuse  Marie  d'Oignies  a  été  écrite  par  Jacques  de 
Vitry,  natif  d'Argenteuil,  près  Paris.  Elle  ne  pouvait  avoir  un  plus  excel- 
lent historien  que  lui  :  car  d'abord  c'est  un  homme  que  se?  mérites  extraor- 
dinaires élevèrent  à  l'évêché  d'Acre,  à  la  dignité  de  cardinal,  dans  une 
promotion  de  Grégoire  IX,  et  à  celles  d'évôque  de  Frascati  et  de  légat  en 
France  contre  les  Albigeois.  Déplus,  il  connaissait  particulièrement  la  vie 
de  notre  Sainte;  il  avait  même  été  témoin  de  la  plupart  des  choses  qu'il 
raconte,  lorsqu'il  était  encore  chanoine  régulier  à  Oignies,  et  avait  conversé 
familièrement  avec  elle,  comme  l'indique  assez  son  récit.  Quand  il  la  quitta 
pour  aller  prêcher  la  croisade  contre  les  hérétiques,  par  une  commission 
expresse  du  Pape,  ne  sachant  pas  s'il  serait  de  retour  pour  sa  mort  ou  non, 
elle  lui  laissa  par  testament  une  ceinture  dont  elle  se  servait,  un  mouchoir 
avec  lequel  elle  essuyait  ses  larmes,  et  quelque  autre  petit  meuble,  vil  en 
apparence,  mais  que  ce  savant  cardinal  estimait  plus  que  de  l'or  et  de  l'ar- 
gent. Après  sa  mort,  il  conserva  toujours  un  si  grand  respect  pour  elle, 
qu'il  portait  à  son  cou  de  ses  reliques  enchâssées  dans  un  reliquaire  d'ar- 
gent. Dans  son  testament,  qu'il  fit  à  Rome,  où  il  décéda  l'an  1244,  il  or- 
donna que  son  corps  serait  porté  à  Oignies,  pour  y  être  inhumé  dans 
l'église  de  Notre-Dame,  oti  l'on  voit  encore  son  tombeau. 

On  la  représente:  1°  levant  les  yeux  vers  un  ange  qui  lui  apparaît,  pour 
montrer  qu'elle  fut  favorisée  durant  sa  vie  de  ces  visions  célestes;  2°  pros- 
ternée devant  un  crucifix,  pour  rappeler  qu'elle  obtint  le  retour  à  la  grâce 
d'un  pécheur  endurci;  3°  près  d'une  petite  cellule  où  elle  termina  ses  jours; 
4°  couverte  par  la  Mère  de  Dieu  durant  une  grosse  pluie,  au  moment  oii 
elle  se  rendait  à  un  pèlerinage  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge.  On  devrait 
surtout  la  représenter  priant  pour  la  délivrance  des  âmes  du  purgatoire, 
auxquelles  Marie  d'Oignies  pensait  continuellement,  comme  nous  l'ap- 
prennent les  historiens  de  sa  vie. 

On  l'invoque  pour  les  femmes  enceintes  et  contre  les  fièvres. 

Acta  Sanctorum  :  —  Cf.  Godescard,  etc. 


>'.'iis  DES  Saints.  —  Tome  Vil.  '       •  il 


238  23  jum. 


LA  BIENHEUREUSE  CHRISTINE  DE  STOMMELEN, 

VIERGE.  RELIGIEUSE  A  COLOGNE 
1312.  —  Pape  :  Clément  V.  —  Empereur  d'Allemagne  :  Henri  VII. 


La  bienheureuse  Christine  naquit  dans  la  seconde  moitié  du  xiii°  siècle, 
dans  un  village  des  environs  de  Cologne.  A  l'âge  de  treize  ans,  elle  quitta 
son  village  pour  aller  à  Cologne,  où  elle  espérait  pouvoir  mener  une  vie 
plus  sainte  et  plus  recueillie.  En  ce  temps-là,  il  y  avait  dans  cette  ville  et 
ailleurs  des  religieuses  appelées  Béguines  :  c'étaient  des  veuves  et  des  jeunes 
filles  qui  menaient  ensemble  une  vie  pieuse  et  très-retirée.  Ayant  été  admise 
dans  leur  communauté,  Christine  y  mena  une  vie  extrêmement  mortifiée, 
se  nourrissant  exclusivement  de  pain  et  d'eau,  ne  portant  aucun  vêtement 
de  toile,  ayant  autour  de  ses  reins  une  ceinture  qui  n'était  autre  chose 
qu'une  grosse  corde  hérissée  de  nœuds,  de  sorte  que  cette  partie  de  son 
corps  fut  couverte  de  plaies.  Pour  être  plus  tôt  prête  quand  sonnait  l'heure 
de  la  prière,  elle  avait  pour  couchette  une  planche  de  bois  et  pour  oreiller 
une  grosse  pierre;  chaque  nuit  elle  fléchissait  le  genou  deux  cents  fois; 
chaque  jour  elle  récitait  les  Litanies  des  Saints.  Elle  allait  toujours  nu- 
pieds;  en  général,  elle  avait  une  profonde  aversion  contre  tout  ce  qui  res- 
semble au  bien-être  ou  à  la  mollesse,  parce  qu'elle  avait  toujours  présentes 
à  l'esprit  les  souffrances  du  divin  Sauveur.  Un  jour,  se  trouvant  à  l'Eglise, 
elle  tomba  en  extase  ;  on  l'emporta  dans  sa  chambre,  et  elle  demeura  dans 
cet  état  pendant  trois  jours.  Les  Béguines  crurent  d'abord  que  cela  pro- 
venait d'un  accès  d'épilepsie,  ou  qu'elle  était  tombée  en  démence.  Quant  à 
Christine,  elle  continuait  à  méditer  jour  et  nuit  sur  la  Passion  de  Jésus- 
Christ  :  tantôt  pleurant  amèrement,  tantôt  éprouvant  une  douce  et  conso- 
lante compassion,  et  priant  sans  cesse  Notre-Seigneur  de  lui  donner  un 
signe  et  un  souvenir  de  sa  Passion.  Cela  dura  ainsi  deux  ans;  alors  le  démon, 
sous  la  figure  de  saint  Barthélémy,  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Ma  fille,  vous 
priez  beaucoup,  et  vous  avez  un  grand  désir  d'entrer  dans  le  royaume  de  Dieu. 
Sachez  que  ce  but  sera  sûrement  atteint  si  vous  vous  tuez  :  c'est  le  moyen 
le  plus  prompt  et  le  plus  sûr  d'entrer  au  ciel  !  »  Cette  tentation  ne  fut  point 
passagère,  car  elle  dura  six  mois  avec  une  terrible  persistance.  Chaque  fois 
qu'elle  était  seule,  Christine  éprouvait  une  vive  propension  au  suicide,  tel- 
lement qu'il  lui  était  presque  impossible  d'y  résister.  Quand  elle  allait  puiser 
de  l'eau,  elle  avait  une  forte  envie  de  se  jeter  dans  le  puits  ;  quand  elle  était 
à  l'église,  la  tentation  devenait  si  intense  que  plusieurs  fois  elle  en  sortit 
pour  aller  se  tuer.  Un  jour,  comme  on  l'avait  saignée,  elle  voulut  enlever  le 
bandage  pour  se  faire  mourir  par  la  perte  du  sang.  Mille  fois  pour  une,  elle 
eût  cédé  à  la  tentation  si  elle  n'avait  craint  de  commettre  un  péché  et  d'aller 
en  enfer  ;  cette  salutaire  pensée  était  combattue  par  une  voix  qui  souvent 
lui  criait  au  milieu  de  la  nuit  :  a  Lève-toi,  et  tue-toi  ;  Dieu  le  veut!  Si  tu  ne 
le  fais  pas  aussitôt.  Dieu  te  fera  étouffer,  et  puis  il  te  jettera  en  enfer  ». 

Christine  avait  une  dévotion  particulière  à  l'apôtre  saint  Barthélémy.  Or 
un  jour,  le  démon  prenant  encore  la  figure  de  cet  apôtre,  lui  apparut  et 
lui  dit  :  «  Ma  fille  bien-aimée,  vos  bonnes  œuvres  plaisent  singulièrement  à 


MARTYROLOGES.  259 

Dieu,  et  il  vous  aime  tout  particulièrement.  Mais  voici  que  durant  quelque 
temps  vous  n'avez  rien  souffert  ni  en  votre  corps,  ni  en  votre  âme  :  si  donc 
vous  voulez  bientôt  être  réunie  à  Dieu,  il  faut  que  vous  vous  imposiez 
encore  quelques  souffrances  corporelles  ». 

La  veille  d'un  jour  de  communion,  Christine  entendit  pendant  la  nuit 
une  voix  douce  qui  lui  dit  :  «  Ma  chère  fille,  n'allez  pas  communier  aujour- 
d'hui ;  car  au  moment  où  le  prêtre  vous  présentera  la  sainte  hostie,  elle 
tombera  à  terre,  d'où  il  résultera  un  grand  trouble  pour  tous  les  assistants. 
D'ailleurs,  vous  êtes  une  grande  pécheresse,  indigne  de  communier  n.Pour 
reconnaître  si  cette  voix  était  celle  d'un  ange  ou  celle  du  démon,  Christine 
eut  recours  à  la  prière  ;  et  Notre-Seigneur  lui  fit  savoir  que  le  malin  esprit, 
par  cette  ruse,  avait  voulu  l'éloigner  de  la  sainte  communion. 

Une  autre  fois,  comme  Christine  voulait  aller  communier,  elle  fut  ren- 
versée en  route  par  un  cheval  emporté.  Les  circonstances  prouvèrent  que 
cet  événement  n'était  point  naturel,  et  que  cet  animal  furieux  n'était  autre 
que  le  démon  lui-même.  Le  cheval  écumant  de  rage,  après  avoir  renversé 
la  malheureuse  Christine,  la  foula  aux  pieds,  la  mordit  et  lui  enleva  avec  ses 
dents  une  partie  de  la  peau  de  la  tête  avec  les  cheveux.  Christine  invoqua 
le  saint  nom  de  Jésus,  et  aussitôt  le  démon  disparut. 

Le  dernier  supplice  que  Dieu  permit  au  démon  de  lui  infliger,  ce  fut, 
durant  dix-huit  mois,  de  la  tourmenter  tellement  jour  et  nuit,  que  chaque 
matin  son  lit  était  comme  trempé  de  sang.  Le  5  juin  1288,  après  une  ba- 
taille qui  fut  livrée  dans  le  voisinage  de  Cologne,  les  tentations  de  Christine 
cessèrent  subitement  ;  après  quoi  elle  vécut  encore  vingt-quatre  ans  dans 
une  parfaite  tranquillité.  Tel  le  pieux  Job  qui  ne  fut  tourmenté  par  le  démon 
que  jusqu'au  jour  fixé  par  Dieu.  Ce  sont  ces  tentations,  et  la  façon  prodi- 
gieuse dont  elle  sut  y  résister,  qui  l'ont  fait  surnommer  l'Admirable  et  con- 
fondre par  quelques  auteurs  avec  sainte  Christine  l'Admirable. 

Vies  des  Saints,  par  Alban  Stolz. 


XXIV'  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

La  nativité  de  saiot  Jean-Baptiste,  précurseur  de  Notre-Seigneor,  fils  de  Zacharie  et  d'Eli- 
«abelh,  qui  fut  rempli  du  Saint-Esprit  dès  le  sein  de  sa  mère.  —  A  Rome,  la  mémoire  de  plusieurs 
saints  martyrs  *,  qui,  accusés  par  calomnie,  sous  l'empereur  Néron,  d'avoir  allumé  l'incendie  de 
Rome,  furent  très-cruellement  mis  à  mort  de  diverses  manières  par  l'ordre  du  même  empereur  : 
les  uns,  couverts  de  peaux  de  bêtes,  furent  exposés  aux  morsures  des  chiens  ;  les  autres  crucifiés, 
et  d'autres  brûlés  en  guise  de  torches  pour  éclairer  pendant  la  nuit.  Ils  étaient  tous  disciples  des 

1.  Voici  le  fait  raconté  par  l'historien  Tacite  :  o  Néron  voulut  donner  un  aliment  à  la  haine  publique, 
pour  faire  taire  les  bruits  fâcheux  qui  couraient  sur  lui  à  cette  occasion.  II  fit  souâ'rir  les  plus  affreux 
«npplices  à  ceux  que  le  peuple  appelle  chrétiens,  et  qui.  pour  leurs  crimes  abominables,  sont  en  horreur 
k  tout  le  monde.  On  en  arrêta  quelques-uns  qui  s'avouèrent  chrétiens  (voilà  tons  leurs  crimes  en  un  seul 
mot),  et  par  le  moyen  de  ces  premiers  on  en  découvrit  un  grand  nombre  d'autres,  qui  fiirent  condamnés. 


2G0  24  JDiN. 

Apôtres,  et  ce  furent  les  prémices  de  cette  troupe  nombreuse  de  martyrs  que  l'Eglise  romaine, 
champ  fertile  en  ces  sortes  de  fruits,  envoya  au  Seigneur  avant  la  mort  des  Apôtres.  64.  —  Au 
même  lieu,  les  saints  martyrs  F;uiste  et  vingt-trois  autres.  —  A  Satales,  en  Arménie,  les  sept  frères 
martyrs  Orence,  Héros,  Pharnace,  Firmin,  Firme,  Cyriaque  et  Longin,  soldats,  que  l'empereur 
Maximien  priva  de  la  ceinture  militaire  en  leur  qualité  de  chrétiens;  ensuite,  ils  furent  séparés  les 
uns  des  autres,  emmenés  en  divers  lieux,  où,  passant  par  toutes  sortes  de  souffrances  et  de  misères, 
ils  parvinrent  au  repos  du  Seigneur.  Vers  318.  —  A  Créteil,  au  diocèse  de  Paris,  le  supplice 
des  saints  martyrs  Agoard  et  Agiibert,  et  d'un  nombre  infini  d'autres  de  l'un  et  de  l'autre  sexe. 
Vers  273.  —  A  Autun,  le  décès  de  saint  Simplice,  évêque  et  confesseur.  Vers  420.  — A  Lobbes, 
saint  Théodulphe  ou  saint  Thiou,  évèque  776.  —  A  Style,  en  Calabre,  saint  Jean,  surnommé  Thé- 
reste,  célèbre  par  sa  sainteté  et  son  exactitude  à  garder  les  observances  de  la  vie  monastique. 

MARTYROLOGE   DE   FRANCE,   REVU   ET  AUGMENTÉ. 

A  Nantes,  saint  Gohard  ou  Gunbard,  évêque  massacré  dans  son  église  avec  un  grand  nombre 
de  cleics,  de  religieux  et  de  laïques,  par  les  Normands  infidèles,  au  moment  où  il  chantait  le 
SursKm  corda  ^^843. — Au  diocèse  de  Poitiers,  les  saintes  Colombe,  Materne  et  Pécine,  vierges 
et  martyres.  —  A  Auxerre,  saint  Erry  ou  Heire  (Heirus),  moine  de  Saint-Germain,  personnage 
d'une  grande  sainteté.  Vers  923.  —  Vers  Transillac,  près  d'Aigurande,  aux  confins  du  Berry  et  de 
a  Marche,  saint  Lupicin,  reclus,  dont  saint  Grégoire  de  Tours  fait  mention  dans  le  livre  de  la 
Vie  des  saints  Pères.  Il  rapporte  que  le  pieux  solitaire  portait  à  son  cou,  pendant  tout  le  jour, 
tandis  qu'il  chantait  dans  sa  cellule  les  louanges  de  Dieu,  une  grosse  pierre  que  deux  hommes 
pouvaient  à  peine  remuer  ;  et  que  la  nuit,  pour  se  mortifier  davantage,  il  avait  fixé  au  bout  de  soa 
bâton  deux  épines  dont  les  pointes  étaient  tournées  en  l'air  et  qu'il  mettait  sous  son  menton  afin 
de  s'empêcher  de  dormir.  Son  saint  corps  fut  enseveli  au  bourg  de  Trésel  où  son  tombeau  est 
devenu  illustre  par  un  grand  nombre  de  miracles.  Vers  500.  —  Au  diocèse  d'Auch,  saint  Frise, 
martyr,  viiie  s.  —  A  Monchy-le-Preux,  près  d'Arras,  le  bienheureux  Jean,  berger,  dont  les  reli- 
ques son  visitées  en  ce  jour  par  un  grand  concours  de  peuple.  On  l'invoque  principalement  contre 
les  hernies,  xve  s.—  A  Marsigny,  en  Bourgogne,  la  vénérable  Raingarde,  veuve  et  religieuse  de 
l'Ordre  de  Cluny.  Elle  sortait  d'une  des  plus  illustres  familles  d'Auvergne  ;  ses  parents  lui  firent 
épouser  Maurice,  comte  de  Montboissier,  et  elle  devint  mère  de  huit  enfants  qu'elle  éleva  pour  le 
ciel;  le  plus  célèbre  de  tous  fut  le  bienheureux  Pierre  de  Cluny,  connu  sous  le  nom  de  Pierre  le 
Vénérable,  qui  a  écrit  sa  vie.  Son  mari  étant  mort,  elle  se  fit  religieuse  au  monastère  de  Marsigny, 
en  Bourgogne,  sur  l'avis  que  lui  en  donna  le  bienheureux  Robert  d'Arbrisselle.  Elle  s'y  fit  admirer 
par  sa  ferveur,  son  humilité,  son  esprit  de  componction,  son  attrait  pour  les  austérités  et  soa 
obéissance.  Elle  expira  sur  la  cendre.  Quoiqu'aucun  décret  solennel  n'ait  autorisé  son  culte,  elle 
est  honorée  dans  l'Ordre  de  Cluny  et  les  hagiographes  d'Auvergne  lui  donne  le  titre  de  Sainte. 
1135.  — A  Saint-Maur-les-Fossés,  au  diocèse  de  Paris,  le  pèlerinage  à  la  chapelle  de  Notre-Dame 
DES  Miracles,  dans  le  but  de  célébrer  le  glorieux  anniversaire  de  la  mort  des  saints  martyrs  de 
Créteil,  cités  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  —  A  Saint-Thomas,  au  diocèse  de  Toulouse,  le 
pèlerinage  à  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  la  Croix,  pour  demander  à  la  sainte  Vierge  d'être 
préservé  du  fléau  de  la  grêle,  —  Près  de  Rauville-la-Place,  au  diocèse  de  Coutanees,  le  pèleri- 
nage à  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  la  Délivrance,  pour  remercier  la  Mère  de  Dieu  des 
nombreux  miracles  qu'elle  opère  sans  cesse  dans  ce  sanctuaire.  —  A  Larmor,  au  diocèse  de  Vannes, 
dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Laumor,  la  bénédiction  annuelle  du  bras  de  mer  qui  sépare 
Vile  de  Groix  de  la  terre  ferme,  dans  le  but  d'obtenir  que  la  pêche  de  la  sardine,  la  seule  res- 
source des  habitants  de  ces  contrées,  soit  abondante. 

ADDITIONS   FAITES   d'APRÈS   LES   BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Carthage,  en  Afrique,  saint  Rogat,  martyr,  mentionné  dans  un  ancien  martyrologe  de  celte 
ville.  —  En  Egypte,  saint  Géran,   anachorète,  et  sainte  Marthe,  martyre.  —  Au  diocèse  de  Riez, 

non  pas  tant  comme  auteurs  de  l'embrasenicnt,  que  comme  convaincus  d'être  odieux  à  tout  le  genre 
humain  ou  de  liaïr  tous  les  hommns,  Leur  mort  servit  de  dirertissement.  Ou  en  revêtit  quelque-uns  de 
peaux  de  bètes  pour  les  faire  déciiircr  par  les  chiens;  d'autres  furent  crucifiés  ;  il  y  en  eut  qu'on  fit  périr 
par  les  flammes  en  les  couvrant  de  poix  et  de  cire,  et  en  les  faisant  ainsi  servir  comme  de  torches,  pour 
cclairer  durant  les  ténèbres  de  la  nuit.  Néron  voulut  que  ses  propres  jardins  fussent  le  théâtre  de  ce 
spectacle.  On  l'y  vit  paraître  lui-même  en  habit  de  cocher,  et  conduisant  des  chariots  à  la  lueur  de  ces 
funestes  flambeaux.  On  ne  put  s'empêcher  de  plaindre  la  destinée  des  chrétiens,  parce  que,  tout  disnes 
qu'ils  étaient  des  derniers  supplices,  on  comprit  bien,  néanmoins  qu'ils  étaient  immolés  à  la  cruauté 
d'un  seul  homme,  et  non  pas  à  l'utilité  publique  ».  fAnn.,  liv.  xv)  Suétone,  Dion  et  d'autres  font  le 
mime  aveu  en  faveur  des  chrétiens.  Subrius  Flavius  ne  craignit  pas  de  reprocher  cette  action  à  Néron.  Il 
existe  aussi  une  lettre  de  Sénfeque,  qui  traite  de  l'incendie  de  Rome  et  de  la  persécutioa  qu'endurèrent 
les  chrétiens.  (Sénèque,  Epit.  H;  Juvénal,  Satir.  i,  v,  156;  Satir.  viii,  v,  235.) 
l.  Voir  sa  notice  au  Jour  suivant. 


ï 


SAINT  JEAN- BAPTISTE,   TRÉGURSEUR  DU  MESSIE.  261 

en  Calabre,  saint  Gérasime,  natif  de  Saint-Laurent,  ville  du  même  diocèse,  dont  le  corps  repose 
dans  l'église  Saint-Ange  de  Riez.  —  A  Tiiy,  en  Galice,  saint  Jean  de  Porto,  ermite.  On  voyait 
autrefois  son  corps  dans  l'église  abbatiale  des  Dominicains  de  Tuy  ;  notre  pieux  solitaire  est 
encore  en  grande  vénération  parmi  les  populations  de  la  Galice  et  de  la  Lusilanie  qui  l'invoquent 
spécialement  pour  la  guérison  des  fièvres,  ix»  s.  —  Au  diocèse  de  Prague,  en  Bohème,  saint  Ivan, 
solitaire.  Il  fut  enseveli  dans  une  caverne  d'où  il  avait  repoussé,  par  la  vertu  du  sisne  de  la  croix, 
toute  une  légion  de  démons  qui  étaient  venus  l'y  tenter.  910.  —  Dans  l'ilc  de  Farne,  en  Angle- 
terre, saint  Barthélémy,  solitaire  11  porta  d'abord  le  nom  de  Toste,  puis  celui  de  Guillaume  ;  le 
nom  de  Barthélémy  lui  fui  donné  par  les  frères  d'un  monastère  d'Angleterre  où  il  passa  quelques 
années.  Vouhmi  ensuite  mener  une  vie  plus  austère,  il  se  retira  dans  l'ile  de  Farne  où  il  passa 
cinq  années  dans  les  exercices  de  la  plus  rigoureuse  pénitence.  Dieu  le  gratifia  du  don  de  pro- 
phétie et  de  miracles.  Il  fut  enseveli  dans  un  petit  oratoire  qu'il  s'était  construit,  et  plusieurs  pro- 
diges illustrèrent  son  tombeau.  1182. 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,  PRECURSEUR  DU  MESSIE 

SI.  w—  Tétrarque  de  la  Galilée  :  Hérode-Antipas. 


iVon  surrexit  major  Joanne  Bapiisla  ;  prxcellit  cxte- 
ros,  eminet  universis,  antecelUt  prophetas,  supergre- 
ditur  patriarchas,  et  quisquis  de  muliere  natus  est 
inferior  est  Joanne. 

Kul  ne  s'est  jamais  rencontré  qui  fut  plus  grand  que 
saint  Jean-Baptiste.  Il  surpasse  tous  les  autres,  il 
brille  au-dessus  de  tous;  auprès  de  lui  les  pro- 
phètes et  les  patriarches  ne  sont  que  des  ombres, 
et  tout  homme  né  de  la  femme  sera  toujours  im- 
l^uissant  à  l'égaler. 

S.  Thom.  Aquin.  Part,  m,  quxst.  38,  art.  1. 

Le  temps  approchait  oh,  selon  la  parole  d'Isaïe  ,  les  deux  devaient  en- 
voyer d'en  haut  leur  rosée,  les  nuées  faire  descendre  le  Juste  comme  une 
pluie  bienfaisante;  où  la  terre  devait  ouvrir  son  sein  pour  produire  le  germe 
du  salut,  et  voir  en  même  temps  surgir  le  règne  de  la  justice. 

Les  semaines  comptées  par  Daniel  touchaient  à  leur  fin  .  Déjà  le  sceptre 
de  la  puissance  était  tombé  des  mains  de  Juda,  ainsi  que  l'avait  prédit  le 
patriarche  Jacob  ,  et  les  Juifs  subissaient  un  joug  étranger. 

La  puissance  romaine  s'était  arrêtée  dans  ses  conquêtes  ;  le  brandon  des 
discordes  civiles  avait  fait  place  au  sceptre  impérial  ;  Auguste  dictait  seul 
des  lois  à  l'univers.  Le  monde  entier  était  dans  une  profonde  paix  et  dans 
une  sorte  de  silence  extraordinaire  ;  il  semblait  attentif  et  recueilli  comme 
à  l'approche  d'un  grand  événement.  Toute  la  nature  était  en  attente,  dit 
Bossuet. 

C'est  que  la  voix  du  Seigneur  était  sur  le  point  de  se  faire  entendre  ; 
une  grande  lumière  allait  se  lever  sur  les  peuples  :  Dieu  allait  envoyer 
enfin  son  Christ,  l'attente  des  nations. 

Mais  le  Roi  éternel  des  siècles  ne  devait  pas  arriver  sans  s'être  fait  pré- 
céder par  quelque  ambassadeur  extraordinaire.  Le  soleil  de  la  vérité  divine 
ne  pouvait  verser  sur  le  monde  les  torrents  de  sa  lumière  sans  avoir  préparé 
les  yeux  des  mortels  à  soutenir  son  vif  éclat.  Il  fallait  un  crépuscule  à  un  si 
beau  jour.  «  La  faiblesse  de  notre  vue  en  est  la  cause  »,  dit  encore  Bossuet; 
«  le  grand  jour  nous  éblouirait,  si  nous  n'y  étions  préparés  et  accoutumés 
par  une  lumière  plus  proportionnée  à  notre  infirmité.  Le  monde  est  trop 


^62  24  JUIN. 

affaibli  par  son  péché  pour  soutenir  dans  toute  sa  force  le  bonheur  que  Dieu 
lui  envoie  '  » . 

Dieu,  en  réparant  le  monde,  nous  dit  saint  Thomas,  procéda  de  la  même 
manière  qu'en  le  créant.  Lors  de  la  création,  il  plaça  l'étoile  du  matin  de- 
vant le  soleil  pour  précéder  et  annoncer  l'astre  du  jour  ;  de  même  quand  il 
voulut  faire  naître  le  Christ,  le  Soleil  de  la  justice,  il  eut  soin  de  susciter  un 
nouvel  astre  du  matin,  qui,  comme  précurseur  et  avant-coureur  du  soleil, 
le  précéderait  et  lui  préparerait  la  voie  par  sa  naissance,  par  sa  vie  et  par  sa 
mort. 

Zacharie,  le  père  du  Précurseur,  était  prêtre  et  de  la  famille  d'Abia,  l'une 
de  celles  qui  servaient  dans  le  temple,  chacune  en  leur  rang.  Elisabeth,  sa 
femme,  était  aussi  fille  d'Aaron,  le  premier  pontife  de  la  loi  et  l'origine  du 
sacerdoce.  Laissant  de  côté  ses  autres  aïeux,  qui  pourtant  se  rattachaient  à 
la  race  royale  de  David,  l'Evangile  rappelle  qu'Elisabeth  est  fille  de  celui 
dont  le  souvenir  est  un  gage  de  sainteté,  parce  qu'elle-même  ayant  recueilli 
précieusement  ce  glorieux  héritage,  devait  le  transmettre  à  son  fils. 

Mais  ce  qui  faisait  la  véritable  gloire  de  Zacharie  et  d'Elisabeth,  et  les 
rehaussait  aux  yeux  du  Seigneur  plus  que  cette  illustre  origine,  ce  n'était 
pas  de  sentir  couler  dans  leurs  veines  un  sang  auguste,  c'était,  au  contraire, 
d'embellir  cette  illustre  naissance  par  l'éclat  non  emprunté  de  leurs  vertus. 
«  Ils  étaient  tous  deux  justes  »,  non-seulement  devant  les  hommes,  qui 
examinent  attentivement  les  actions  extérieures,  jugent  d'ordinaire  avec 
sévérité,  et  semblent  ne  se  plaire  qu'à  voir  partout  des  imperfections.  Mais 
cette  justice  extérieure  et  apparente  était  encore  intérieure  et  réelle  devant 
Dieu  lui-même,  qui  pénètre  les  cœurs  et  les  reins,  et  juge  les  intentions 
les  plus  secrètes.  La  vertu  et  la  sainteté  de  ces  pieux  enfants  d'Aaron 
étaient  ainsi  la  raison  de  leur  amour  réciproque,  et  les  rendaient  les  mo- 
dèles des  époux. 

Cependant,  Dieu  qui  prive  quelquefois  les  justes  afin  d'exercer  leurs  ver- 
tus et  d'être  à  lui  seul  l'objet  de  leur  alfection  et  tout  leur  espoir  ;  Dieu, 
qui  s'était  plu  à  prodiguer  ses  grâces  et  ses  faveurs  spirituelles  à  Zacharie  et 
à  Elisabeth,  les  avait  laissés  jusque-là  au  milieu  d'Israël ,  dans  une  sorte 
d'opprobre.  Voulant  nous  les  donner  comme  des  modèles  de  persévérance 
dans  la  prière  et  de  résignation  dans  la  privation,  le  Seigneur  s'était  montré 
jusque-là  sourd  à  leurs  vœux.  «  Ils  n'avaient  point  de  fils  »  auquel  ils  pus- 
sent transmettre  l'héritage  du  sacerdoce  et  des  vertus,  qui  en  sont  la  condi- 
tion première.  Ils  étaient  même  depuis  longtemps  privés  de  tout  espoir  à  ce 
sujet,  «  parce  qu'Elisabeth  était  stérile,  et  qu'ils  étaient  tous  deux  avancés 
dans  les  jours  de  leur  vie  *  ». 

Cette  stérilité,  loin  d'être  une  malédiction,  était  au  contraire  pleine  de 
mystère.  L'enfantement  n'était  pas  refusé  à  Elisabeth;  il  n'était  que  différé. 
Heureuse  stérilité  qui  était  réservée  à  donner  le  jour  au  Précurseur  du  Fils 
de  Dieu  »  ! 

Dès  sa  conception  pleine  de  merveilles,  Jean  devait  être  le  précurseur  du 
Christ.  Celui-ci,  dit  Bossuet,  devait  avoir  une  mère  vierge  ;  c'était  là  sa  pré- 
rogative. Et  qu'y  avait-il  qui  approchât  davantage  de  cet  honneur  que  de 
naître  d'une  stérile,  comme  un  autre  Isaac,  comme  un  Samson,  comme  un 
Samuel  :  ces  enfants  miraculeux  de  femmes  stériles  sont  des  enfants  de 
grâces  et  de  prières.  C'est  par  là  que  fut  consacrée  la  naissance  de  saint 
Jean-Baptiste  pour  être  l'avant-courrière  de  celle  du  Fils  de  Dieu  *. 

1.  Elov.,  VI  sera.  1  ê\év.  —  2.  Luc,  i,  7.  —  8.  Petr.  Chrys.,  serm.  lxxxix;  S.  Aug.,  serm.  cxcix.  — 
4.  XI  sem.,  Z  élév. 


SAINT  JEAN-BAniSTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  26â 

La  semaine  où  la  famille  d'Abia  devait  faire  le  service  du  sanctuaire 
étant  arrivée,  Zacharie  quitta  sa  demeure  pour  aller  au  temple  «  y  remplir 
devant  Dieu  la  fonction  de  sacrificateur  ».  Comme  tous  les  prêtres  d'une 
famille  ne  pouvaient  être  occupés  aux  mêmes  fonctions,  le  sort  assignait  à 
chacun  d'eux  l'oflice  qu'il  avait  à  remplir*.  Dieu  choisit  ce  moyen  pour  ap- 
peler Zacharie  dans  l'intérieur  du  temple,  afin  d'offrir  l'encens.  Celte  sorte 
de  sacrifice  était  la  plus  solennelle  de  la  religion,  la  plus  pure  et  la  plus 
agréable  aux  yeux  du  Seigneur". 

Pendant  ces  augustes  fonctions,  cet  «  homme  de  désirs  »  laissa  échapper 
de  son  cœur  une  prière  plus  ardente  que  le  feu  qui  consumait  son  sacrifice, 
et  plus  agréable  îi  l'Eternel  que  la  suave  odeur  qui  s'en  exhalait.  «  0  Dieu», 
s'écria-t-il,  «  que  votre  nom  soit  glorifié  et  sanctifié  dans  ce  monde  que  vous 
avez  créé  selon  voire  bon  plaisir  ;  failes  régner  voire  règne  ;  que  la  rédemp- 
tion fleurisse,  et  que  le  Messie  vienne  promptement*  ». 

Tout  à  coup  un  ange  apparaît,  se  tenant  debout  à  la  droite  de 
l'autel.  A  la  vue  du  messager  céleste  aux  vêlements  éblouissants,  à  la 
face  rayonnanle,  à  la  démarche  majestueuse  et  céleste,  Zacharie  éprouve  un 
trouble  extraordinaire  ;  effet  de  celte  crainte  religieuse  dont  l'âme  est  occu- 
pée, lorsque  Dieu  se  rend  présent  par  quelque  moyen  que  ce  soit.  L'im- 
pression (les  choses  divines  fait  rentrer  l'âme  dans  son  néant;  elle  sent,  plus 
que  jamais,  son  indignité:  la  frayeur  qui  accompagne  ce  qui  est  divin  la  dis- 
pose à  l'obéissance. 

Comme  le  premier  effet  de  la  présence  divine  est  la  frayeur  dans 
le  fond  de  l'âme,  le  premier  effet  de  la  parole  portée  de  la  part  de  Dieu  est 
de  rassurer  celui  â  qui  elle  est  adressée  *.  L'ange  voyant  la  frayeur  de  Za- 
charie, lui  dit  aussitôt  :  «  Ne  craignez  point,  Zacharie,  car  votre  prière  a  été 
exaucée  ;  et  Elisabeth,  votre  épouse,  vous  donnera  un  fils  que  vous  nom- 
merez Jean.  Vous  en  serez  dans  la  joie  et  le  ravissement,  et  beaucoup  de 
personnes  se  réjouiront  de  sa  naissance;  car  il  sera  grand  devant  le  Sei- 
gneur ;  il  ne  boira  point  de  vin,  ni  de  tout  ce  qui  peut  enivrer,  et  il  sera 
rempli  du  Saint-Esprit  dès  le  sein  de  sa  mère.  11  convertira  un  grand  nombre 
des  enfants  d'Israël  au  Seigneur  leur  Dieu  ;  il  marchera  devant  sa  face  dans 
l'esprit  et  la  vertu  d'Elie,  pour  convertir  les  cœurs  des  pères  vers  leurs  en- 
fants et  rappeler  les  désobéissants  à  la  prudence  des  justes,  pour  préparer 
au  Seigneur  un  peuple  parfait®  ».  —  «  A  quoi  connaîlrai-je  la  vérité  de  ce 
que  vous  me  dites?  »  répondit  Zacharie,  «  car  je  suis  vieux  et  ma  femme  est 
avancée  en  âge*  ». 

L'ange  alors,  pour  dissiper  tous  ses  doutes,  lui  répliqua  par  ces  paroles 
imposantes  :  «(  Je  suis  Gabriel,  un  des  esprits  assistants  devant  Dieu  ;  et  j'ai 
reçu  mission  de  venir  vous  parler  pour  vous  annoncer  cette  heureuse  nou- 
velle. Et  voici  que  vous  serez  sourd'  et  vous  ne  pourrez  parler,  jusqu'au 
jour  où  ceci  arrivera,  parce  que  vous  n'avez  pas  cru  en  mes  paroles  qui 
s'accompliront  en  leur  temps». 

Aussitôt,  la  parole  expire  sur  les  lèvres  de  Zacharie,  sa  langue  est  en- 
chaînée et  ses  oreilles  scellées.  La  toute-puissance  divine  s'est  fait  sentir.  Il 

1.  Il  n'y  avait  toutefois  qu'un  nombre  restreint  de  prêtres  ainsi  laissés  an  choix  du  sort.  Ceus  qui 
étaient  ordonnés  pour  ce  sacrifice  n'étaient  pas  plus  de  douze.  (Dom  Calmet,  Diction,  de  la  Bib.,  art. 
Expiation. 

2.  Sacr.  Elœ-Chrismat.  myroth.  ii,  p.  532.  Amsterdam.  Edit. 

3.  Orsinl.  La  Vierge,  p.  81.  —  4.  Boss.,  xbxd.,  Elev.  4.  —  5.  Luc,  i.  —  6.  Ibid. 

7.  S.  Ambroise,  Tliéophylacte  et  Titus  traduisent  ainsi  que  nous  l'avons  fait.  Ce  qui  parait  miens  et 
fait  éviter  la  redondance  de  la  Vulgate  :  Eris  tacem  et  non  poteris  loqui.  Le  mot  grec  siarrijj  admet 
cette  version  qui  est  préférable,  car  Zacharie  devint  effectivement  sourd. 


264  24  JUIN. 

n'a  pas  voulu  croire  à  la  parole  de  l'ange  et  il  lui  a  opposé  la  résistance  de 
sa  raison  ;  mais  il  en  sera  puni  en  subissant  un  rigoureux  silence,  jusqu'au 
jour  où  la  voix  du  Verbe  sera  révélée  au  monde. 

Pendant  que  le  sacriflcateur  s'entretenait  ainsi  avec  l'ange  du  Seigneur, 
le  peuple  attendait  à  la  porte  du  temple  pour  recevoir  la  bénédiction  pres- 
crite en  cette  circonstance  ;  mais  les  cœurs  étaient  dans  une  vive  anxiété  ; 
on  remarquait  déjà  avec  effroi  que  Zacharie  demeurait  longtemps  dans  le 
sanctuaire.  Quelle  impression  d'étonnement  et  de  crainte  ne  dut-il  pas  pro- 
duire sur  la  foule,  quand,  sortant  du  lieu  saint,  il  apparut  à  tous  les  regards 
portant  sur  son  visage,  jusque-là  si  serein  et  si  calme,  un  changement 
inexplicable,  mélangé  de  terreur  et  d'espérance,  de  confusion  et  de  ravisse- 
ment, résultat  de  l'entretien  qu'il  avait  eu  avec  l'envoyé  du  Très-Haut? Mais 
la  crainte  pénétra  surtout  les  cœurs  quand  on  s'aperçut  que,  privé  de  la 
parole  et  atteint  de  surdité,  il  était  obligé  de  recourir  à  des  signes  pour  se 
faire  comprendre.  On  connut  donc  que  Zacharie  avait  eu  dans  le  temple 
une  vision  mystérieuse. 

Le  bruit  de  cet  événement,  que  l'on  hésite  à  nommer  une  punition,  tant 
il  fait  briller  la  sagesse  et  la  miséricorde  de  Dieu  ;  la  nouvelle  de  ce  miracle 
se  répandit  bientôt  dans  Jérusalem  et  dans  toute  la  Judée,  et  tint  les  esprits 
attentifs  et  impatients  d'en  connaître  le  dénouement  ;  car  Zacharie  était 
connu  de  tout  le  peuple  par  ses  fonctions  sacerdotales,  par  ses  vertus  émi- 
nentes  et  par  sa  réputation  de  sainteté. 

Saint  Luc  nous  fait  remarquer  avec  soin  que  le  saint  prêtre  acheva  sa  se- 
maine de  service  et  n'interrompit  point  ses  augustes  fonctions  dans  le  temple. 
Or,  d'après  la  loi  de  Moïse,  le  double  vice  corporel  dont  il  était  atteint  de- 
vait l'écarter  de  l'autel  ;  mais  il  n'en  fut  point  ainsi,  parce  qu'il  était  évident 
pour  tous  qu'il  y  avait  ici  quelque  chose  de  prophétique  et  de  mysté- 
rieux. 

«  Quand  les  jours  de  son  ministère  furent  accomplis,  Zacharie  s'en  re- 
tourna dans  sa  maison  »,  tout  triste,  dit  saint  Paulin,  et  demandant  pardon 
à  Dieu  dans  le  secret  de  son  cœur  *. 

Elisabeth,  instruite  de  ce  qui  s'était  passé  dans  le  temple,  soit  par  révé- 
lation d'en  haut,  soit  par  la  renommée  ou  par  ce  que  put  lui  en  faire  com- 
prendre son  époux,  ne  fut  pas  longtemps  sans  éprouver  les  effets  de  la  pro- 
messe de  l'ange,  car  elle  conçut  malgré  les  ans  et  sa  stérilité  *. 

La  noble  épouse  de  Zacharie  ne  voulut  point  exposer  à  la  dérision  pu- 
blique les  premiers  signes  d'une  grossesse  qui,  à  raison  de  son  âge,  aurait 
paru  au  moins  équivoque.  Mais  elle  ne  craignit  plus  de  se  montrer  lorsque 
sa  grossesse,  devenue  incontestable,  ne  pouvait  plus  exciter  que  la  surprise 
et  l'admiration.  C'est  la  raison  la  plus  vraisemblable  qu'on  puisse  donner  de 
la  conduite  qu'elle  observa  en  cette  circonstance.  «  Elle  se  tenait  donc  ca- 
chée pendant  l'espace  de  cinq  mois,  parce  que  c'est  là  »,  disait-elle,  «  ce 

1,  Carm.  5, 

2.  On  sait  que  les  chronologies  des  différents  auteurs  s'accordent  rarement  entre  elles ,  nons  n'entre- 
prendrons donc  pas  de  déterminer  l'année  de  la  conception  de  saint  Jean  d'après  les  ères  anciennes, 
fixées  avec  plus  ou  moins  de  certitude.  Il  nous  suffit  de  savoir  que  le  Précurseur  fut  conçu  et  naquit  six 
mois  avant  Jésus-Christ.  Mais  on  peut  assigner  îi  la  conception  de  saint  Jean  le  23  septembre,  d'après  le 
témoignaije  des  auteurs.  Ce  Joui  était  autrefois  consacre  dans  quelques  églises  à  honorer  par  uue  fèto 
cette  conception  miraculeuse.  (Tillemont,  note  sur  satnt  Jean-Bapt.J 

Cette  date  donne  un  nouveau  degré  de  probabilité  a  ce  que  disent  les  auteu/s,  que  ce  fut  le  jour  de 
l'Expiation  que  l'ange  apparut  a  Zacharie.  Elle  se  célébrait  le  10  de  Tizri.  En  supposant  que  Zacharie 
commença  son  ministère  ce  jour-là,  il  ne  put  quitter  le  temple  que  le  18;  il  lui  fallait  au  moins  un  jour 
ponr  se  rendre  à  sa  maison  à  Hébron;  pour  peu  que  le  mois  de  Tizri  anticipât  cette  année-la  sur  octobre, 
on  trouve  que  le  retour  de  Zacharie  coïncide  parfaitement  avec  l'époque  assignée  à  la  conception  de 
Ulnt  Jean. 


SAINT  JTEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE,  265 

que  le  Seigneur  a  fait  en  moi,  lorsqu'il  a  voulu  jeter  les  yeux  sur  moi,  pour 
me  tirer  de  l'opprobre  où  j'étais  devant  les  hommes  *  ». 

«  Elis.ibeth  était  dans  son  sixième  mois*,  lorsque  l'ange  Gabriel  fut  en- 
voyé de  Dieu  en  une  ville  de  Galilée  appelée  Nazareth,  à  une  vierge  fiancée 
à  un  homme  de  la  maison  de  David  appelé  Joseph,  et  cette  vierge  se  nom- 
mait Marie.  L'ange  étant  entré  où  elle  était,  lui  dit:  Je  vous  salue,  ô  pleine 
de  grâce,  le  Seigneur  est  avec  vous;  vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes. 
Mais  elle,  l'ayant  entendu,  fut  troublée  de  ses  paroles,  et  elle  pensait  en 
elle-même  quelle  pouvait  être  cette  salutation  L'ange  lui  dit  :  Ne  craignez 
point,  Marie,  car  vous  avez  trouvé  grâce  devant  Dieu  Vous  concevrez  dans 
votre  sein,  et  vous  enfanterez  un  fils  à  qui  vous  donnerez  le  nom  de  Jésus. 
Il  sera  grand  et  on  l'appellera  le  fils  du  Très-Haut  ;  le  Seigneur  Dieu  lui 
donnera  le  trône  de  David  son  père,  il  régnera  éternellement  sur  la  maison 
de  Jacob,  et  son  royaume  n'aura  pas  de  fin.  Alors  Marie  dit  à  l'ange  : 
Comment  cela  se  fera-t-il?  car  je  ne  connais  point  d'homme.  L'ange  lui 
répondit  :  Le  Saint-Esprit  surviendra  en  vous,  et  la  vertu  du  Très-Haut 
vous  couvrira  de  son  ombre  ;  c'est  pourquoi  le  fruit  saint  qui  naîtra  de  vous 
sera  appelé  le  Fils  de  Dieu.  Aussi,  je  vous  annonce  qu'Elisabeth,  votre  cou- 
sine, a  conçu  un  fils  en  sa  vieillesse,  et  c'est  ici  le  sixième  mois  de  celle  qui 
est  appelée  stérile;  parce  qu'il  n'y  a  rien  d'impossible  à  Dieu.  Alors  Marie 
lui  dit  :  Yoici  la  servante  du  Seigneur,  qu'il  me  soit  fait  selon  votre  parole  ». 
Ainsi  l'ange  se  sépara  d'elle^. 

«  Dans  ces  jours-là  »,  continue  saint  Luc,  c'est-à-dire  peu  de  jours  après 
que  l'ange  eut  annoncé  à  Marie  qu'elle  serait  mère  de  Dieu,  «  elle  se  leva  et 
s'en  alla  sur  les  montagnes,  et  marcha  en  grande  hâte  *  ».  Marie  savait  donc 
que  le  premier  dessein  du  Verbe  éternel,  en  s'incarnant,  était  de  venir  com- 
battre et  détruire  le  péché  originel.  Elle  s'éleva  donc  d'abord  à  l'exécution 
de  ce  grand  dessein,  et,  tenant  caché  dans  son  sein  le  souverain  remède  du 
monde,  elle  s'en  va  à  grande  hâte  l'appliquer  à  Jean-Baptiste,  que  le  péché 
originel  avait  déjà  terni  dans  le  sein  de  sa  mère,  sainte  Elisabelh. 

C'était  donc  par  l'entremise  de  Marie  que  devait  s'accomplir  cette  pa- 
role de  Gabriel  au  sujet  de  saint  Jean  :  «  Il  sera  rempli  du  Saint-Esprit  dès 
le  sein  de  sa  mère  » . 

Théophylacte  est  donc  bien  éloigné  de  la  vérité  quand  il  donne  pour  but 
du  voyage  de  Marie,  le  désir  de  s'assurer  de  la  vérité  de  la  parole  de  l'ange. 
Beaucoup  d'autres  auteurs,  en  assignant  pour  cause  de  cette  démarche  le 
désir  de  rendre  service  à  Elisabeth,  n'ont  encore  deviné  qu'à  demi  les  vrais 
motifs  qui  pressaient  la  vierge  de  Nazareth  de  porter  ses  pas  vers  Hébron. 
Cependant,  comme  partout  la  grâce  ne  fait  que  perfectionner  la  nature, 
Marie  voulait  aussi  prendre  part  à  la  joie  de  sa  cousine,  lui  communiquer 
son  propre  bonheur  et  témoigner  ainsi  sa  reconnaissance  à  des  parents  dont 
la  protection  avait  entouré  son  enfance,  et  l'avaient  longtemps  considérée 
comme  leur  fille. 

Le  lieu  où  la  jeune  vierge  dirigea  ses  pas  était  un  pays  de  montagnes, 
situé  dans  la  tribu  de  Juda,  et  que  les  auteurs  croient  être  Hébron,  appelé 
aussi  Cariath-Arbé,  ville  sacerdotale,  au  sud  de  Jérusalem,  et  éloignée  seu- 
lement de  sept  fortes  heures  de  cette  ville.  Cette  cité  était  célèbre  par  son 
antiquité  et  par  des  traditions  chères  aux  Juifs  ;  car  Abraham  y  avait  autre- 

1.  Luc,  I. 

2.  Ou  plutôt  son  sixième  mois  s'achevait;  car  elle  avait  conçu  le  23  on  le  24  septembre,  et  ceci  se  pM'- 
Mit,  d'après  la  croyance  de  l'Eglise,  le  25  mars. 

3.  Luc,  I,  26-38  ;  De  Ligny,  Yie  de  /ésiu-Chritt,  —  4.  Luc,  r. 


266  24  JTIN. 

fois  fixé  sa  tente  ;  là,  David  avait  été  sacré  roi  ;  là  se  montraient  encore  les 
sépulcres  des  patriarches  et  la  forêt  de  IMambré,  où  trois  anges  apparurent 
sous  le  térébinthe  au  père  des  croyants. 

Nous  devons  dire  cependant  que  les  voyageurs  qui  ont  parcouru  le  pays 
et  consulté  les  traditions  locales,  pensent  autrement  au  sujet  de  la  patrie 
du  saint  Précurseur. 

Sainte  Hélène,  mère  du  grand  Constantin,  et  qui  recueillit  toutes  les  tra- 
ditions à  ce  sujet  peu  de  siècles  après,  fit  bâtir  une  église  sur  le  lieu  même 
où  était  né  Jean-Baptiste,  dans  une  ville  nommée  Aïn  ou  Aën,  ou  Ain-Cha- 
rin,  cité  sacerdotale,  environ  à  deux  lieues  au  sud  de  Jérusalem.  Ce  n'est 
plus  aujourd'hui  qu'un  village  appelé  Saint-Jean-du-Désert  ou  Saint-Jean- 
de-la-Montagne.  A  peu  de  distance,  environ  deux  cents  pas,  était  la  maison 
des  champs  que  Zacharie  habitait  pendant  la  belle  saison,  et  où  Elisabeth 
s'était  retirée  lors  de  sa  grossesse;  c'est  cette  maison  que  l'on  croit  être  celle 
de  la  Visitation  de  la  sainte  Vierge.  Il  ne  reste  plus  que  des  ruines  de  l'église 
qui  remplaçait  cette  demeure  où  se  passa  la  première  entrevue  et  la  pre- 
mière manifestation  du  Verbe  incarné*. 

Le  vénérable  Bède,  le  cardinal  Hugo,  Eckius,  Clichtovée,  pensent  que  la 
ville  où  Marie  alla  trouver  Elisabeth  n'était  autre  que  Jérusalem. 

«  Arrivés  sur  le  revers  d'une  montagne,  le  petit  village,  appelé  par  les 
chrétiens  Saint-Jean-de-la-Montagne,  nous  apparut  sur  le  penchant  d'une 
colline.  A  vingt  minutes  de  distance,  on  trouve  à  côté  du  chemin  des  ruines 
assez  considérables,  qu'on  appelle  Mer-Sakaria  ;  c'est  là  qu'habitait  sainte 
Elisabeth  quand  elle  fut  visitée  par  la  sainte  Vierge...  En  nous  dirigeant 
vers  ce  village,  nous  trouvâmes,  à  moitié  chemin,  une  grande  et  belle  fon- 
taine, que  les  chrétiens  nomment  fontaine  de  la  Vierge,  parce  que  la  sainte 
Vierge  s'est  évidemment  servie  de  son  eau,  puisqu'il  n'y  en  a  pas  d'autre 
dans  les  environs;  les  Arabes  l'appellent  ylm-Aan'm...  Nous  arrivâmes  de 
bonne  heure  au  couvent,  où  nous  attendait  la  plus  amicale  réception. 
Avant  tout,  je  me  rendis  à  l'église,  accompagné  du  père  gardien  et  de 
quelques  religieux.  C'est  une  des  plus  belles  de  la  Terre-Sainte.  A  gauche  du 
maître-autel,  on  descend  par  un  bel  escalier  dans  la  chapelle  de  la  nativité 
de  saint  Jean-Baptiste.  C'est  donc  ici  que  Dieu  manifesta  sa  miséricorde  sur 
sainte  Elisabeth,  en  lui  donnant  dans  sa  vieillesse  un  fils  qui  devait  être  grand 
devant  le  Seigneur. 

«  Le  sanctuaire  de  la  nativité  de  saint  Jean  est  disposé  comme  celui  de 
la  nativité  de  notre  Sauveur.  Cinq  bas-reliefs  en  marbre  blanc,  encadrés 
dans  un  fond  noir,  et  qui  ont  environ  quinze  pouces  de  hauteur,  repré- 
sentent les  principales  scènes  de  la  vie  du  Précurseur  ;  sa  naissance,  sa 
prédication  dans  le  désert,  son  martyre,  la  Visitation,  le  baptême  de  Jésus- 
Christ  ;  ils  sont  disposés  en  cercle  autour  du  sanctuaire.  Tout  cela  est  d'un 
fort  beau  travail,  et  a  été  envoyé  par  le  roi  de  Naples.  Six  lampes  brûlent 
continuellement  en  ce  lieu.  Au-dessus  il  y  a  une  table  en  marbre  où  l'on 
dit  la  messe.  Sur  l'autel  est  un  beau  tableau  d'un  maître  espagnol  ;  il  re- 
prébenLe  la  naissance  de  saint  Jean.  Dans  l'église  supérieure,  il  y  a  un  ta- 
bleau de  Murillo^  ». 

Arrivée  à  la  ville  sacerdotale,  Marie  se  fit  conduire  à  la  demeure  bien 
connue  de  Zacharie.  Elisabeth,  instruite  de  la  visite  inattendue  de  sa  cou- 
sine, vint  à  sa  rencontre  avec  de  grandes  démonstrations  de  joie.  En  la 
voyant  venir,  la  jeune  vierge  s'inclina,  et  posant  la  main  sur  son  cœur  :«  La 


X.  Vo-jages  de  Jéius-Christ.  —  2.  Mgr  lUiUn,  Us  SainU-Lieum. 


ï 


SAINT  JE.VN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU   MESSIE.  26*7 

paix  soit  avec  vous  »,  dit-elle  en  se  hâtant  de  la  saluer  la  première,  et 
en  môme  temps  elle  se  jeta  dans  ses  bras. 

Dès  qu'Elisabeth  s'entendit  saluer  par  Marie,  son  enfant  tressaillit  dans 
son  sein  ;  elle  fut  remplie  du  Saint-Esprit,  et  s'écria  à  haute  voix  :  «  Vous 
êtes  bénie  entre  les  femmes,  et  le  fruit  de  vos  entrailles  est  béni  ;  et  d'où 
me  vient  ce  bonheur  que  la  mère  de  mon  Seigneur  daigne  me  visiter?  Car, 
au  moment  que  j'ai  entendu  les  paroles  avec  lesquelles  vous  m'avez  salué, 
mon  enfant  a  tressailli  de  joie  dans  mes  flancs.  Vous  êtes  heureuse,  vous 
qui  avez  cru  que  les  choses  qui  vous  ont  été  dites  de  la  part  du  Seigneur 
s'accompliraient  '». 

Le  Verbe  incarné  dans  le  sein  de  Marie  s'était  servi  de  la  langue  de  sa 
mère  pour  parler  à  sa  voix,  c'est-à-dire  à  saint  Jean,  encore  enfermé  dans 
le  sein  d'Elisabeth  ;  et  saint  Jean  se  servit  des  oreilles  de  sa  mère  pour  écou- 
ter le  Verbe*. 

En  efl'et,  au  moment  où  ces  deux  saintes  femmes  miraculeusement  fé- 
condes s'embrassèrent  dans  une  étroite  et  mystérieuse  étreinte,  le  Sauveur 
et  le  Précurseur  n'étaient  plus  séparés  que  par  deux  légères  murailles, 
comme  dit  saint  Bernard  ;  alors  est-il  étonnant  que  la  voix  s'agite  et  tres- 
saille en  entendant  et  en  sentant  le  Verbe?  Comment  ne  se  serait-il  pas 
opéré  une  multitude  de  merveilles  en  faveur  du  fils  d'Elisabeth,  en  présence 
de  son  Dieu,  à  la  parole  de  son  Sauveur  et  en  face  de  Marie? 

Aussi  tous  les  Pères  et  les  Docteurs  de  l'Eglise  sont-ils  unanimes  à  pro- 
clamer que  dès  ce  moment  le  Précurseur  du  Christ  reçut  alors  la  première 
touche  de  la  grâce,  fut  purifié  du  péché  originel,  jouit  dès  lors  de  l'usage 
de  la  raison,  fut  rempli  de  l'Esprit-Saint  h.  un  très-haut  degré,  et  enrichi 
de  toutes  les  vertus  infuses,  comme  il  convenait  à  sa  haute  et  sublime 
mission. 

L'humble  vierge  de  Nazareth  était  loin  de  vouloir  attribuera  ses  propres 
mérites  les  faveurs  et  les  bénédictions  dont  elle  avait  été  prévenue  par  le 
Seigneur.  Elisabeth  avait  à  peine  cessé  de  parler,  que  Marie  s'empressa  de 
faire  remonter  vers  leur  source  les  louanges,  les  prérogatives  et  la  gloire 
qu'on  venait  de  lui  offrir  ;  elle  composa,  sous  l'inspiration  de  l'Esprit-Saint, 
ce  chant  sublime  qui  faisait  dire  à  Bossuet  :  Que  dirai-je  sur  ce  divin  can- 
tique? Sa  simplicité,  sa  hauteur  qui  passe  mon  intelligence,  m'invite  plutôt 
au  silence  qu'à  parler. 

Sainte  Elisabeth  et  saint  Jean-Baptiste  se  trouvèrent  sans  doute  les  seuls 
qui  purent  entendre  le  Magnificat  prononcé  pour  la  première  fois,  avec  tant 
d'inspiration,  par  la  voix  si  douce,  si  suave,  si  virginale,  si  angélique  de 
Marie.  Qui  dira  les  transports  que  Jean  dut  ressentir  en  lui-même  en  écou- 
tant de  nouveau  la  voix  qui  l'avait  déjà  fait  tressaillir  ?  Si  la  seule  salutation 
de  la  mère  du  Christ  fut  pour  lui  une  source  de  grâces  et  de  privilèges, 
dont  nous  ne  pourrions  apprécier  la  richesse  et  l'étendue,  que  ne  pro- 
duisit pas  dans  son  âme,  dès  lors  capable  de  mériter,  une  longue  suite  de 
paroles  vraiment  divines,  accentuées  avec  la  voix  de  la  plus  sublime  pro- 
phétesse  qui  fût  jamais  ? 

L'Evangile  ne  nous  dit  pas  d'une  manière  précise  si  Marie  était  encore  à 
Hébron  à  la  naissance  du  fils  d'Elisabeth.  Origène  et  saint  Ambroise  l'af- 
firment positivement;  le  vénérable  Bède  dit  même  qu'elle  était  surtout 
venue  pour  cela'.  C'est  le  sentiment  commun  des  commentateurs*.  Est-il 

1.  Luc,  I.  —  2.  Euthym.  —  3.  Orig.  et  Ambr.  ubi  supra;  Bed.  in  Luc,  lib.  i. 

4.  Eutliym.;  S.  Anton.;  Card.  Hugo;  Gloss.  ;  Cassia  ;  Pet,  Comest.  ;  S.  Bonav.  ;  S.  Pet.  Dam.;  Lyran; 
C.  à  Lapide  ;  Ualdon  ;  L.  Burg.  ;  Toynard  ;  Hauman  ;  D.  Calm.  ;  D'Argentan  ;  D'AlUoIi,  etc. 


268  24  JUIN. 

croyable,  dit  l'un  deux*,  que  Marie  aurait  quitté  Elisabeth  au  moment  oîi 
Jean  allait  naître,  et  qu'elle  serait  partie  sans  attendre  la  naissance  de  cet 
enfant  du  miracle  ?  N'était-elle  pas  plutôt  impatiente  de  considérer  de  ses 
yeux  et  de  toucher  de  ses  chastes  mains  le  Précurseur  de  son  Fils? 

Ce  fut  le  vingt-cinq  mars  que  la  sainte  Vierge  reçut  la  visite  de  l'ange 
et  conçut  le  Fils  de  Dieu.  Elle  n'alla  pas  de  suite  trouver  Elisabeth,  mais 
seulement  quelques  jours  après,  vers  le  dixième  jour  de  la  lune  d'avril. 
C'est  ce  qu'insinue  saint  Luc.  Elle  resta  donc  avec  sa  cousine  le  reste  du 
mois  d'avril,  tout  le  mois  de  mai,  et  ne  s'en  retourna  que  vers  la  fin  de  juin. 
L'Eglise,  qui  ne  fait  rien  sans  motif,  a  placé  la  fête  de  la  Visitation,  et 
consacré  le  souvenir  de  la  présence  de  Marie  chez  Elisabeth,  le  2  juillet, 
jour  qui  coïncide  avec  le  lendemain  de  la  circoncision  de  saint  Jean.  La 
raison  de  ce  choix  se  devine  facilement  :  c'est  parce  que  la  mère  du  Sau- 
veur fit  ce  jour-là  ses  adieux  au  père  et  à  la  mère  du  Précurseur.  Au  reste, 
les  commentateurs  nous  autorisent  plutôt  à  étendre  qu'à  restreindre  les  pa- 
roles de  l'Evangéliste  *  : 

«  Cependant  »,  dit  saint  Luc,  a  le  temps  oh  Elisabeth  devait  accoucher 
s'accomplit,  et  elle  enfanta  un  fils  ». 

L'histoire  scolastique  de  Pierre  Comestor  raconte,  d'après  l'autorité  du 
livre  des  Justes,  ou  des  Nazaréens,  que  le  fils  de  Zacharie  fut  reçu  à  sa 
naissance  par  la  très-sainte  Vierge  et  qu'il  eut  ainsi  le  privilège  d'avoir  pour 
premier  berceau  le  sein  de  celle  qui  portait  le  Verbe  de  vie  dans  ses  entrailles. 
Saint  Bonaventure  nous  dit,  avec  sa  tendre  et  naïve  piété,  que  Marie  prit 
entre  ses  bras  le  fils  qu'Elisabeth  venait  de  mettre  au  monde  ;  elle  le  revêtit 
avec  empressement,  selon  que  sa  position  l'exigeait.  Cet  enfant  fixait  ses 
regards  sur  elle,  comme  s'il  eût  compris  qui  elle  était;  et  lorsqu'elle  voulait 
l'offrir  à  sa  mère,  il  inclinait  sa  tête  vers  la  Vierge,  et  semblait  ne  trouver  de 
plaisir  qu'en  elle  ;  Marie  le  caressait  avec  bonheur,  le  serrait  dans  ses  bras 
et  le  couvrait  de  ses  baisers  '. 

«  Les  parents  et  les  voisins  surent  bientôt  la  grâce  signalée  que  Dieu 
avait  faite  à  Elisabeth  »  en  lui  enlevant  l'opprobre  de  sa  stérilité,  et  en  la 
favorisant  d'une  délivrance  heureuse,  malgré  sa  vieillesse.  Comme  Zacharie 
et  Elisabeth  jouissaient  de  l'estime  et  de  l'affection  générale  à  cause  du  rang 
qu'ils  occupaient  et  de  la  sainteté  irréprochable  de  leur  vie,  chacun  prit 
part  à  leur  bonheur  et  leur  offrit  des  félicitations. 

Dieu,  dit  Bossuet,  dispose  avec  un  ordre  admirable  le  tissu  de  ses  des- 
seins. Il  voulait  rendre  célèbre  la  naissance  de  saint  Jean-Baptiste,  où  celle 
de  son  Fils  devait  aussi  être  célébrée  par  la  prophétie  de  Zacharie  ;  et  il 
importait  aux  desseins  de  Dieu,  que  celui  qu'il  envoyait  pour  montrer  son 
Fils  au  monde,  fût  illustré  dès  sa  naissance  :  et  voilà  que,  sous  le  prétexte 
d'une  civilité  ordinaire,  Dieu  amasse  ceux  qui  devaient  être  témoins  de  la 
gloire  de  Jean-Baptiste,  la  répandre  et  s'en  souvenir.  Car  «  tout  le  monde 
était  en  admiration  »  ;  et  les  merveilles  qu'on  vit  paraître  à  la  naissance  de 
Jean-Baptiste,  «  se  répandirent  dans  tout  le  pays  voisin  :  et  tous  ceux  qui 
en  ouïrent  le  récit  le  mirent  dans  leur  cœur,  en  disant  :  Que  pensez- 
vous  que  sera  cet  enfant?  Car  la  main  de  Dieu  est  visiblement  avec  lui  *  ». 

Or,  le  huitième  jour  qui  suivait  la  naissance  d'un  nouveau-né  était 
pour  les  Juifs  un  jour  de  fête  et  de  réjouissance:  car  l'enfant  recevait 
alors  le  signe  de  l'alliance  que  Dieu  avait  donnée  à  Abraham  en  lui  prescri- 
vant la  circoncision. 

1.  Bairad.  —  2.  Quasi  très  menses.  (Vid.  C.  à  Lapide,) 

*.  Médit.,  c,  6.  Ita  S.  Anton.  2  p.  Sum.  titul.  18,  c.  5,  §  6.  —  4.  Boss.,  xv  sem.  Elév.  L 


SALNT  JEAN-BAPTISTE,  PRÉCUBSEUR  DU  MESSIE.  269 

Les  prêtres  et  les  parents  de  Zacharie,  qui  devaient  circoncire  l'enfant, 
ou  honorer  de  leur  présence  cette  circonstance  solennelle,  furent  donc 
réunis  selon  l'usage.  On  jugeait  qu'un  enfant  né  sous  de  si  heureux  auspices 
devait  être  digne  de  porter  le  nom  de  son  père,  comme  il  devait  hériter  de 
ses  biens  et  de  sa  dignité.  On  voulait  donner  à  Jean  un  nom  d'après  l'usage 
du  monde  ;  mais  Jean  était  citoyen  du  ciel  :  c'est  pourquoi  un  nom  lui 
avait  été  apporté  d'en  haut.  Ce  n'était  pas  un  nom  de  famille,  mais  un  nom 
de  prophète,  dit  saint  Ambroise.  Le  parrain  et  la  marraine  étaient  convenus 
de  l'appeler  Zacharie.  Cette  dernière,  remettant  l'enfant  à  Elisabeth,  lui 
annonça  qu'on  lui  avait  donné  le  nom  de  son  père.  Mais  la  mère,  à  qui  sans 
doute  une  révélation  avait  été  faite  d'en  haut,  prit  la  parole  et  dit  :  «  Il  n'en 
sera  point  ainsi,  mais  il  sera  appelé  Jean  ».  On  lui  répliqua  :  «  Il  n'y  a  per- 
sonne de  ce  nom  dans  votre  famille  ».  On  était  déjà  surpris  de  la  répons© 
d'Elisabeth. 

Cependant  Zacharie  était  resté  jusqu'ici  le  témoin  silencieux  de  tout  ce 
qui  se  passait  sous  ses  yeux.  Pendant  que  la  joie  épanouissait  tous  les  visages, 
que  l'espérance  brillait  sur  tous  les  fronts  de  ses  amis  et  de  ses  proches,  et  que 
toutes  les  bouches  éclataient  en  actions  de  grâces  ou  en  paroles  d'admira- 
tion, Zacharie  était  toujours  frappé  de  mutisme.  Il  suivait  du  regard,  avec 
anxiété,  tout  ce  que  l'on  faisait  ;  ne  pouvant  recueillir  les  paroles  qui  sor- 
taient des  lèvres  des  assistants,  il  cherchait  à  pénétrer  leurs  pensées  en  lisant 
dans  leurs  yeux.  Il  n'ignorait  point  qu'il  avait  un  rôle  à  remplir  dans  cette 
circonstance  ;  voyant  s'accomplir  à  la  lettre  tout  ce  que  l'ange  lui  avait 
prédit  et  annoncé,  il  s'étonnait  de  sentir  sa  langue  toujours  enchaînée.  On 
s'aperçut  sans  doute  de  son  anxiété,  et  on  eut  l'idée  de  l'interroger  par 
signes  et  de  le  prendre  pour  arbitre  du  nom  qu'il  fallait  donner  à  son  fils. 
Alors  «  il  demanda  des  tablettes,  et  il  y  écrivit  ces  paroles  :  Jean  est  son 
nom.  Tous  les  assistants  furent  frappés  d'une  nouvelle  admiration  ».  Mais 
elle  fut  bientôt  à  son  comble. 

A  peine  Zacharie  a-t-il  manifesté  sa  foi  en  écrivant  le  nom  que  l'on 
doit  donner  à  son  fils  par  ordre  de  Dieu,  qu'aussitôt  sa  bouche  s'ouvre  et  sa 
langue  est  déliée.  L'obéissance  lui  fait  recouvrer  la  parole  dont  il  a  été 
privé  en  punition  de  sa  résistance.  Mais  quand  la  voix  lui  est  rendue,  il  ne 
fait  plus  entendre  seulement  le  son  d'une  voix  humaine;  car,  rempli  du 
Saint-Esprit,  heureux  de  pouvoir  enfin  donner  un  libre  cours  aux  transports 
de  son  âme,  il  s'abandonne  à  l'inspiration  prophétique.  Heureuse  demeure 
de  Zacharie  et  d'Elisabeth,  où  ont  été  chantés  pour  la  première  fois,  en  pré- 
sence de  la  Voix  du  Seigneur  et  sous  l'inspiration  du  Verbe  de  Dieu,  et  ce 
cantique  incomparable  de  Marie,  la  plus  heureuse  des  mères,  et  l'hymne 
enthousiaste  de  Zacharie,  le  plus  fortuné  des  pères!  Afin  que  ces  deux  chants 
de  reconnaissance  et  d'amour  entonnés  à  Hébron,  l'un  à  la  première  mani- 
festation du  Christ  et  l'autre  à  la  naissance  de  son  Précurseur,  soient  cons- 
tamment répétés  jusqu'à  la  fin  des  âges,  l'Eglise  veut  que  «  le  jour  annonce 
au  jour  cette  parole,  et  que  la  nuit  en  donne  connaissance  à  la  nuit  ;  il 
n'y  a  point  de  bouche  ni  de  langue  qui  n'en  fassent  résonner  les  accents.  Le 
son  s'en  est  répandu  dans  toute  la  terre  ;  les  mots  en  sont  répétés  jusqu'aux 
extrémités  du  monde  *  ».  Au  déclin  du  jour,  l'Eglise  chante  le  cantique  de 
la  Vierge  ;  et  l'écho  du  sanctuaire  n'a  pas  encore  cessé  d'en  redire  les  der- 
niers accents,  que  déjà  elle  recommence  l'hymne  de  Zacharie  pour  inviter 
l'âme  à  ranimer  sa  confiance  et  à  redoubler  sa  ferveur,  afin  de  terminer  di- 
gnement ((  l'oifice  des  louanges  »  dont  elle  paie  le  tribut  au  Très-Haut,  au  mo- 

1.  Psal.  ZYiii,  3. 


270  24  JUIN. 

ment  où  l'aurore,  avant-courrière  du  soleil,  comme  Jean  l'était  du  Christ, 
la  vraie  lumière,  dissipe  et  chasse  devant  elle  les  ténèbres  de  la  nuit. 

«Béni  soit  le  Seigneur  »,  s'écrie  Zacharie,  «  béni  soit  le  Dieu  d'IsraSl, 
parce  qu'il  a  visité  et  racheté  son  peuple,  et  qu'il  nous  a  suscité  une  puis- 
sance de  salut  dans  la  maison  de  David  son  serviteur,  ainsi  qu'il  l'avait  an- 
noncé par  la  bouche  de  ses  saints  Prophètes  depuis  le  commencement  es 
siècles  ;  qu'un  jour  il  nous  sauverait  de  nos  ennemis  et  de  la  main  de  ceux 
qui  nous  portent  de  la  haine,  en  faisant  miséricorde  à  nos  pères  et  en  se 
souvenant  de  son  alliance  sainte.  Il  en  a  fait  le  serment  à  Abraham  notre 
père  ;  il  lui  a  juré  qu'il  se  donnerait  à  nous,  afin  qu'étant  libres  de  toute 
crainte  et  délivrés  de  nos  ennemis,  rous  le  servions  dans  la  sainteté  et  la 
justice,  marchant  en  sa  présence  to^s  les  jours  de  notre  vie  ». 

«  Et  toi,  petit  enfant,  tu  seras  appelé  le  prophète  du  Très-Haut,  car  tu 
marcheras  devant  la  face  du  Seigneur  pour  préparer  ses  voies,  pour  donner 
à  son  peuple  la  science  du  salut,  afin  qu'il  obtienne  la  rémission  de  ses  pé- 
chés, par  les  entrailles  de  la  miséricorde  de  notre  Dieu,  suivant  laquelle  ce 
soleil  levant  nous  a  visités  d'en  haut,  pour  éclairer  ceux  qui  étaient  ense- 
velis dans  les  ténèbres  et  les  ombres  de  la  mort,  et  conduire  nos  pas  dans  le 
chemin  de  la  paix». 

Les  miracles  de  la  grâce  s'ajoutaient  les  uns  aux  autres  avec  un  enchaî- 
nement merveilleux.  Aussi  l'Evangile  observe  que  tous  «  ceux  qui  demeu- 
raient dans  les  lieux  voisins  furent  saisis  de  crainte.  Le  bruit  s'en  répandit 
dans  tout  le  pays  des  montagnes  de  Judée.  Et  tous  ceux  qui  entendaient 
ces  merveilles  les  conservaient  dans  leur  cœur,  et  disaient  entre  eux  :  Que 
pensez-vous  que  sera  un  jour  cet  enfant?  Car  la  main  du  Seigneur  était 
avec  lui  ».  Zacharie  était  le  seul  qui  eût  la  réponse  à  cette  question  ;  l'ar- 
change lui  avait  appris  que  son  fils  «  serait  grand  devant  Dieu  ».  Cette  gran- 
deur il  allait  l'inaugurer. 

Moïse  avait  ordonné  aux  Juifs  de  consacrer  au  Seigneur  leurs  fils  pre- 
miers-nés, leur  laissant  la  faculté  de  les  racheter  moyennant  une  rançon  de 
cinq  sicles  d'argent  qu'ils  offraient  aux  prêtres  *.  Mais  les  enfants  de  Lévi 
devaient  rester  attaqués  au  service  de  l'autel  ;  ils  ne  pouvaient  donc  être 
rachetés  par  leurs  parents. 

Les  jours  étant  écoulés  oîi  la  mère  de  Jean  dut  s'occuper  de  présenter  un 
sacrifice  pour  se  faire  déclarer  purifiée  de  la  souillure  légale  que  les  mères 
contractaient  dans  leur  enfantement,  Elisabeth  se  mit  en  route  pour  Jéru- 
salem, accompagnée  de  son  époux,  et  portant  entre  ses  bras  le  saint  Précur- 
seur qu'elle  allait  consacrer  irrévocablement  au  Seigneur.  Les  parents  et  les 
amis  qui  s'étaient  réjouis  à  la  naissance  de  cet  enfant,  qui  avaient  été  té- 
moins des  miracles  déjà  accomplis  et  observaient  que  «  la  main  du  Seigneur 
était  avec  lui  »,  ne  purent  manquer  de  se  réunir  pour  faire  cortège  à  Za- 
charie et  à  Elisabeth  dans  cette  circonstance. 

Jean  fut  donc  porté  par  ses  parents  dans  ce  même  temple  de  Jérusalem, 
naguère  encore  le  théâtre  de  l'apparition  de  l'ange  Gabriel  et  du  miracle  qui 
avait  annoncé  sa  naissance.  Elisabeth,  s'arrôlant  dans  la  partie  du  temple 
réservée  aux  personnes  de  son  sexe,  offrit  aux  prêtres  un  agneau  pour  être 
immolé  en  holocauste,  et  le  petit  d'une  colombe  en  sacrifice  pour  le  péché, 
afin  de  satisfaire  ainsi  à  la  loi  de  la  purification .  Pour  Zacharie,  prenant 
entre  ses  bras  le  fils  que  Dieu  lui  avait  donné  dans  sa  miséricorde,  il  s'avança 
jusque  dans  l'intérieur  du  temple  réservé  aux  prêtres,  renouvela  l'ofi'rande 
qu'il  en  avait  déjà  faite  dans  le  secret  de  son  cœur,  et  le  présenta  à  ses 

1.  £zod.,  xju. 


SAJNT  JE  AN- BAPTISTE,    PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  271 

frères  dans  le  sacerdoce  pour  faire  inscrire  son  nom  dans  le  registre  des- 
tiné à  établir  la  descendance  des  enfants  d'Aaron,  et  constater  ses  droits  au 
service  de  l'autel. 

Le  fils  de  Zacharie  reçut,  dans  cette  circonstance,  un  triple  caractère  de 
sainteté  ;  car  il  fut  présenté  comme  premier-né  de  sa  mère,  ainsi  que  l'avait 
prescrit  Moïse*  ;  comme  fils  d'un  pontife,  il  fut  offert  pour  le  service  du 
temple  et  de  l'autel,  et  destiné  à  remplir  un  jour  les  fonctions  de  sacrifica- 
teur, selon  les  prescriptions  de  la  loi  et  les  intentions  de  ses  parents.  Enfin, 
il  fut  consacré  comme  Nazaréen,  d'après  l'ordre  de  l'ange  qui  avait  annoncé 
«  qu'il  ne  boirait  point  de  vin  ni  d'aucune  liqueur  enivrante  ».  Or,  la  loi 
disait  à  ce  sujet  :  «  Il  sera  Saint,  laissant  croître  les  cheveux  de  sa  tête. 
Pendant  tout  le  temps  de  sa  séparation,  il  sera  Saint  et  consacré  au  Sei- 
gneur' ».  Les  Nazaréens  étaient  chez  les  Israélites  ce  que  sont  les  religieux 
parmi  les  chrétiens.  Leur  institution,  que  l'on  pouvait  embrasser  sans  dis- 
tinction de  sexe,  pour  un  temps  ou  pour  toujours,  avait  Dieu  môme  pour 
auteur. 

Elisabeth  et  Zacharie  avaient  vu  à  regret  s'éloigner  de  leur  demeure 
hospitalière  l'humble  Vierge  qui  portait  dans  ses  flancs  le  fruit  béni,  espoir 
et  salut  du  monde  ;  mais  leurs  cœurs  ne  s'étaient  point  séparés  d'elle.  Leurs 
vœux  et  leurs  bénédictions  avaient  suivi  Marie  à  Nazareth.  Zacharie  avait 
veillé  sur  la  jeunesse  de  Marie,  avec  une  sollicitude  paternelle,  pendant 
toutes  les  années  qu'ella  passa  au  temple  avant  d'être  donnée  pour  épouse 
au  chaste  Joseph.  Pouvait-il  ne  pas  la  suivre  de  son  attention  et  de  son 
amour  jusque  dans  l'atelier  de  l'artisan,  surtout  depuis  qu'il  connaissait  le 
secret  de  sa  grossesse  mystérieuse  ?  Les  devoirs  de  sa  charge  l'appelaient 
fréquemment  à  Jérusalem,  oii  affluaient  chaque  jour  les  enfants  d'Israël 
venant  de  tous  les  points  du  pays.  Il  ne  pouvait  donc  manquer  d'entretenir 
des  relations  intimes  et  fréquentes  avec  la  mère  de  son  Sauveur  et  avec 
Joseph  qu'il  lui  avait  donné  pour  gardien  de  sa  vertu.  Les  saints  époux  de 
Nazareth  auraient-ils  pu  avoir  des  secrets  pour  un  parent,  un  protecteur, 
un  prêtre,  à  qui  Dieu  avait  révélé  tout  le  mystère  et  qu'il  avait  doué  du 
don  de  prophétie  ? 

Il  est  donc  impossible  de  supposer  que  Zacharie  et  Elisabeth  n'aient  pas 
été  instruits  de  l'époque  où  Marie  devait  mettre  au  monde  l'Attente  des  na- 
tions ;  ils  ne  pouvaient  donc  pas  ignorer  davantage  le  voyage  qu'elle  fut 
obligée  de  faire  à  Bethléem  pour  obéir  à  l'édit  de  César.  Quand  les  bergers 
eurent  raconté  les  merveilles  qui  leur  avaient  été  annoncées  par  les  anges, 
et  dont  ils  avaient  été  témoins  à  la  grotte,  Zacharie  et  Elisabeth  furent  sans 
doute  dans  l'admiration  comme  tous  ceux  qui  en  entendirent  le  récit  ;  car 
leur  habitation  n'était  pas  aune  demi-journée  de  marche  de  Bethléem; 
mais  nous  ne  pouvons  croire  qu'ils  se  bornèrent  à  une  admiration  stérile, 
comme  paraissent  avoir  fait  les  Juifs. 

Sans  doute,  et  nous  le  répétons  encore,  nous  ne  pouvons  émettre  ici 
que  des  conjectures  ;  l'histoire  nous  fait  défaut  en  ceci  comme  en  beaucoup 
d'autres  points.  Mais  ce  qui  devait  se  faire  d'après  les  coutumes  et  les  pres- 
criptions saintes  d'une  nation  qui  avait  Dieu  même  pour  législateur,  était 
la  règle  de  conduite  de  Zacharie  et  d'Elisabeth.  Avaient-ils  besoin,  d'ail- 
leurs, de  consulter  les  usages  ordinaires  en  pareille  circonstance,  quand  la 
charité,  l'affection,  la  piété  et  l'admiration  les  entraînaient  par  un  transport 
de  reconnaissance  vers  le  Seigneur  qui  déjà  les  avait  prévenus  de  sa  visite? 
Bethléem  était  sur  le  chemin  qui  conduisait  d'Hébron  à  Jérusalem,  où  Za- 

1.  Esod  ,  XIII.  —  2.  Num.  vi. 


272  24  JUIN. 

charie  était  appelé  fréquemment  par  sa  piété  non  moins  que  par  ses 
fonctions. 

Il  n'est  donc  point  étrange  de  croire  et  d'avancer  que  de  la  crèche  qui 
lui  servait  de  trône,  au  milieu  des  langes  qui  lui  tenaient  lieu  de  pourpre, 
dans  retable  dont  il  faisait  son  palais,  Jésus-Christ  compta,  parmi  ses  pre- 
miers adorateurs,  Zacharie  et  Elisabeth,  empressés  de  lui  présenter  le  saint 
Précurseur  pour  lui  faire  hommage  de  ce  qu'ils  avaient  de  plus  cher  et  de 
plus  précieux  au  monde,  et  attirer  sur  lui  de  nouvelles  bénédictions. 

Nous  ne  pourrions  dire  combien  de  temps  Zacharie  et  Elisabeth  demeu- 
rèrent à  Bethléem  auprès  de  la  sainte  famille,  aux  besoins  de  laquelle  ils 
s'empressèrent  de  pourvoir,  sans  aucun  doute.  Mais  la  cérémonie  de  la  cir- 
concision du  divin  enfant  dut  être  pour  eux  un  nouveau  motif  de  s'y  trouver. 
On  sait  en  effet  que,  dans  cette  circonstance,  il  y  avait  concours  des  parents 
et  des  amis.  Or,  quels  parents  et  quels  amis  auraient  pu  prêter  leur  assis- 
tance à  Joseph  et  à  Marie  dans  la  ville  de  Bethléem,  oii  ils  n'avaient  pu 
trouver  d'autre  asile  qu'une  étable?  Zacharie  et  Elisabeth  devaient  donc  être 
là  quand  le  Fils  de  Dieu  fut  soumis  à  la  circoncision,  proclamant  ainsi  qu'il 
se  faisait  esclave  de  la  loi. 

Ce  fut  cinq  jours  après  la  circoncision,  et  le  treizième  après  la  naissance 
du  Fils  de  Dieu,  selon  le  sentiment  le  plus  communément  reçu  par  les  doc- 
teurs, que  les  Mages  vinrent  déposer  leurs  offrandes  aux  pieds  du  fils  de 
Marie.  Nous  ne  hasarderons  aucune  assertion  relativement  à  la  présence  de 
Zacharie  et  d'Elisabeth  à  cette  touchante  et  mystérieuse  adoration  des  fils 
de  l'Orient,  se  prosternant  humblement  devant  la  crèche  de  Bethléem.  Tou- 
tefois il  n'y  a  pas  lieu  de  douter  que  Zacharie  n'ait  été  instruit  de  l'arrivée  des 
Mages  ;  car  il  était  compté  parmi  les  princes  des  prêtres.  Or,  Hérode  avait 
ordonné  que  le  sanhédrin  fût  réuni  au  complet  pour  le  consulter  au  sujet 
du  lieu  où  devait  naître  le  Messie  ;  il  avait  veillé  à  ce  qu'il  n'y  manquât  pas 
un  seul  des  princes  des  prêtres,  un  seul  des  scribes  ou  des  docteurs  qui  in- 
terprétaient la  loi  et  l'expliquaient  au  peuple.  Et  congregans  omnes  principes 
sacerdotum  et  scribas  populi.  Ainsi  tout  nous  porte  à  croire  que  quand  Joseph 
et  Marie  se  présentèrent  à  l'entrée  du"  temple,  quarante  jours  après  la  nais- 
sance de  Jésus,  afin  de  satisfaire  aux  prescriptions  de  la  loi,  le  prêtre  Zacharie 
était  là  pour  les  recevoir,  les  introduire,  et  leur  servir  d'intermédiaire;  et 
qu'Elisabeth  les  accompagnait,  portant  le  saint  Précurseur. 

Outre  les  inductions  que  nous  aurions  à  fournir  au  sujet  de  cette  affir- 
mation, nous  pouvons  invoquer  ici  l'autorité  de  l'histoire.  Ceux  qui  ont  écrit 
la  vie  de  la  mère  de  Dieu  racontent,  en  effet,  que  se  présentant  pour  satis- 
faire au  précepte  de  la  purification,  elle  se  plaça  dans  le  temple  du  côté 
assigné  aux  vierges.  Les  prêtres  voulurent  Ten  éloigner  ;  mais  Zacharie  s'y 
opposa,  en  soutenant  que  son  enfantement  n'avait  pas  porté  atteinte  à  sa 
virginité,  et  par  là  il  s'attira  leur  haine,  et  plus  tard  leur  vengeance  ^ 

Le  père  du  Précurseur  fut  donc  témoin  du  bonheur  de  Siméon,  ce  saint 
vieillard  qu'une  étroite  amitié,  aussi  bien  que  les  fonctions  du  même  sacer- 
doce, rendaient  cher  à  Zacharie  *.  Il  lui  entendit  prophétiser  son  cantique 
d'actions  de  grâces  au  Seigneur,  et  prédire  à  Marie  que  son  enfant  serait 
pour  la  ruine  et  la  résurrection  de  plusieurs  en  Israël  ;  prédiction  qui  devait 
commencer  bientôt  à  s'accomplir  à  son  égard. 

Cependant  Hérode  envoya  ses  satellites  les  plus  dévoués  à  Bethléem,  dé- 

1.  s.  Basil.  Dehumana  ChrisU  generatione  ;  Collin  de  Plancy,  Vie  de  la  sainte  Vierge. 

2.  Beaucoup  d'auteurs  d'une  grave  autorite',  se  fondant  sur  ce  que  Siméon  bénit  Joseph  et  Marie,  ont 
^Dsd  et  dit  que  ce  saint  vieillard  était  prêtre. 


SAINT  JEAN-B.IPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  273 

signé  par  les  docteurs  d'Israël  comme  le  lieu  de  la  naissance,  et,  par  suite, 
de  la  résidence  du  Messie  ;  et  il  leur  ordonna  de  mettre  à  mort,  dans  cette 
ville  et  dans  les  lieux  voisins,  sans  délai,  sans  pitié  et  sans  distinction,  tous 
les  enfants  mâles  depuis  l'âge  de  deux  ans  et  au  dessous,  selon  le  temps 
qui  lui  avait  été  indiqué  par  les  Mages  *.  En  immolant  tous  les  enfants  de- 
puis l'âge  de  deux  ans,  il  pensait  être  sûr  de  conjurer  le  péril  qu'il  redou- 
tait. Ce  massacre  des  enfants  de  Bethléem,  d'après  l'opinion  des  auteurs», 
n'eut  lieu  qu'environ  deux  ans  après  la  naissance  du  Sauveur  ;  il  est  men- 
tionné par  Macrobe',  qui  ajoute  que  l'un  des  fils  môme  d'Hérode  tomba 
sous  les  coups  des  émissaires,  trop  fidèles  exécuteurs  de  ses  ordres.  Qua- 
torze mille  enfants,  disent  quelques-uns,  auraient  été  ainsi  victimes  de  la 
fureur  de  ce  tyran. 

Mais  ce  massacre  général  ne  donnait  pas  au  despote  la  certitude  d'avoir 
fait  mourir  celui  qu'il  regardait  comme  un  rival  et  compétiteur  de  son 
trône  ;  devenu  soupçonneux  à  l'excès,  il  voulut  faire  périr  aussi  le  fils  de 
Zacharie.  Les  merveilles  qu'il  avait  entendu  raconter  au  sujet  de  la  concep- 
tion et  de  la  naissance  de  Jean  étaient  bien  capables,  en  effet,  de  le  faire 
passer  dans  son  esprit  ombrageux  pour  le  Messie,  puisque  les  Juifs  eux- 
mêmes  partagèrent  plus  tard  cette  persuasion.  Il  donna  donc  des  ordres 
exprès  pour  faire  égorger  aussi  le  saint  Précurseur;  mais,  cette  fois  encore, 
Dieu  n'en  permit  pas  l'exécution. 

Ce  tyran  envoya  donc  des  soldats  trouver  son  père  Zacharie,  lui  disant  ; 
«  Où  avez-vous  caché  votre  fils  ?  »  Il  répondit  en  ces  termes  :  a  Par  le  Dieu 
dont  je  suis  le  prêtre  et  que  je  sers  dans  son  temple,  je  ne  sais  pas  où  est 
mon  fils  ».  Et  les  satellites  allèrent  en  rendre  compte  à  Hérode.  «  Eh  quoi  », 
dit  ce  prince  en  colère,  «  son  fils  doit-il  régner  sur  Israël?  »  Et  il  envoya 
ses  serviteurs  auprès  de  Zacharie,  avec  ordre  de  lui  répéter  :  «  Dites  la  vérité  : 
où  est  votre  enfant?  Ne  savez-vous  pas  que  votre  sang  est  sous  ma  main?  » 
Et  les  sicaires  partirent  et  rapportèrent  ces  paroles  à  Zacharie.  «  Dieu  m'est 
témoin  »,  répondit-il,  «  que  je  ne  sais  où  est  mon  fils.  Pour  vous,  versez 
mon  sang,  vous  le  pouvez  ;  Dieu  recevra  mon  âme,  car  vous  répandrez  le 
sang  innocent  ». 

Hérode  avait  eu  jusque-là  du  respect  pour  Zacharie  ;  mais  ce  respect 
était-il  capable  d'imposer  toujours  silence  à  la  colère  et  à  la  vengeance 
d'un  tyran  qui  faisait,  de  sang-froid,  égorger  deux  de  ses  fils,  et  massacrer 
la  plus  chère  de  ses  femmes?  Il  comptait,  d'ailleurs,  sur  le  silence  ou  la  con- 
nivence des  Juifs,  à  qui  le  saint  vieillard  était  devenu  odieux  pour  avoir  parlé 
de  la  virginité  de  la  mère  du  Christ  *.  Hérode  poussa  donc  l'impiété  et  la 
fureur  jusqu'à  le  faire  poursuivre  dans  l'enceinte  sacrée  où  ce  saint  pontife 
exerçait  des  fonctions  *  qui  eussent  dû  le  protéger  :  Zacharie  fut  massacré 
entre  le  temple  et  l'autel.  TertuUien  rapporte  que  l'on  voyait  encore,  de  son 
temps,  des  taches  du  sang  de  Zacharie  imprimées  en  caractères  indélébiles 
sur  le  pavé  où  s'était  accompli  ce  sacrilège  homicide®. 

Ainsi  mourut  cet  illustre  sacrificateur  ;  ses  vertus  l'avaient  rendu  digne 
du  martyre,  et  il  mérita  d'être  loué  par  le  Saint-Esprit  lui-même.  Père  du 
plus  grand  des  simples  mortels  et  du  plus  glorieux  des  Prophètes,  il  fut  lui- 
même  le  dernier  écho  de  l'esprit  prophétique  qui  avait  animé  jusque-là  le 
sacerdoce  vieilli  d'Aaron,  et  éclairé  la  synagogue  expirante.  L'Eglise  chré- 
tienne le  compte  parmi  ses  Saints,  et  honore  sa  mémoire  le  5  novembre. 
Les  Grecs  regardent  saint  Zacharie  comme  un  prêtre,  un  prophète  et  un 

1.  Matth.,  II,  16.  —  2.  C.  il  Lapide  in  Mattli.  —  3.  Lib.  n.  Saturnal.,  c.  4. 

4.  S.  Basil.,  de  hum.  Christi  generatione.  —  5.  Dyonis.  CaitU.  ia  Luc.  —  6.  Scorpiac.  c.  8. 

Vies  des  Saikts.  —  ToiiE  VII.  18 


2T4  24  JUIN. 

martyr.  Usuard,  Adon  et  d'autres  Latins  le  vénèrent  aussî  comme  un  pro- 
phète, le  5  novembre  ;  et  le  martyrologe  romain  y  joint  avec  lui  Elisabeth, 
sa  femme  '. 

Les  prêtres  allèrent  au  temple  à  l'heure  de  la  prière  ;  mais  Zacharie  ne 
86  présenta  point  à  leur  rencontre  pour  leur  offrir  sa  bénédiction,  selon  la 
coutume.  Ils  s'abstinrent  de  le  saluer  et  de  louer  le  Très-Haut.  Remarquant 
aussi  qu'on  tardait  de  leur  ouvrir,  ils  craignaient  d'entrer.  Cependant,  un 
d'entre  eux,  plus  hardi,  s'avança;  mais  il  revint  annoncer  aux  autres  que 
Zacharie  avait  été  tué.  A  ces  mots,  ils  se  déterminèrent  à  entrer  ;  ils  virent 
ce  qui  était  arrivé,  et  remarquèrent  que  les  lambris  du  temple  gémissaient 
et  étaient  déchirés  depuis  le  haut  jusqu'en  bas.  On  ne  trouva  point  le  corps 
de  la  victime  ;  mais  son  sang  répandu  dans  le  vestibule  était  devenu  comme 
de  la  pierre.  Les  prêtres,  saisis  de  crainte,  sortirent  de  l'enceinte  et  annon- 
cèrent au  peuple  que  Zacharie  avait  été  mis  à  mort.  A  cette  nouvelle,  toutes 
les  classes  du  peuple  prirent  le  deuil,  et  on  pleura  pendant  trois  jours  et 
trois  nuits.  Après  ces  trois  jours,  les  prêtres  tinrent  conseil  pour  lui  donner 
un  successeur.  Le  sort  tomba  sur  Siméon. 

Pendant  que  la  fureur  d'Hérode  cherchait  à  s'assouvir  sur  Zacharie,  Eli- 
sabeth, privée  d'appui  et  de  soutien,  et  n'osant  implorer  aucun  secours 
humain,  dans  la  crainte  de  se  voir  enlever  son  précieux  dépôt,  fuyait,  em- 
portant dans  ses  bras  et  serrant  contre  son  cœur  l'enfant  de  la  promesse  ; 
elle  demandait  aux  montagnes  et  aux  rochers  une  retraite  inconnue  et  un 
abri  protecteur  pour  son  fils.  On  dit  que,  dans  sa  douleur  et  son  délaisse- 
ment, celte  mère  désolée,  mais  confiante  cependant  et  résignée,  ne  crai- 
gnit pas  d'implorer  auprès  des  rochers  du  désert  une  grâce  qui  lui  eût  été 
refusée  par  les  satellites  du  tyran,  et  que,  sur  sa  prière,  Dieu  lui  offrit  un 
asile  en  ouvrant  les  flancs  d'un  rocher  qui  se  referma  sur  elle.  Le  Seigneur 
confia  la  mère  et  l'enfant  aux  soins  et  à  la  garde  d'un  ange.  On  ajoute  qu'Eli- 
sabeth mourut  quarante  jours  après. 

Jean,  persécuté,  poursuivi  et  voué  à  la  mort  dès  son  enfance,  avait  évité 
miraculeusement  le  glaive  meurtrier  qui  valut  aux  enfants  de  Bethléem  le 
bonheur  de  verser  les  premiers  leur  sang  pour  Jésus-Christ.  Cependant  il  ne 
devait  point  pour  cela  être  privé  de  la  gloire  du  martyre. 

Privé  d'un  père  que  Dieu  semblait  lui  avoir  donné  pour  le  préparer  di- 
gnement à  sa  haute  destinée  ;  délaissé,  n'ayant  pas  encore  trois  ans,  par  une 
mère  digne  d'avoir  un  fils  proclamé  sans  égal  par  la  Vérité  même,  le  saint 
Précurseur  ne  put  jouir  longtemps  des  délicieux  embrassements  de  l'une, 
ni  recevoir  de  l'autre  les  enseignements  de  vertus,  de  science  et  de  sainteté 
qui  en  faisaient  la  gloire  d'Israël. 

Mais  «  la  main  du  Seigneur  était  avec  lui  »,  ajoute  saint  Luc;  et  sa  Pro- 
vidence veillait  sur  ses  jours.  Dieu,  qui  nourrit  chaque  jour  les  oiseaux  du 
ciel,  avait  autrefois  pourvu  miraculeusement  aux  besoins  du  fils  d'Agar,  qui 
n'était  point  l'enfant  de  la  promesse  ;  il  avait  alimenté,  pendant  quarante 
ans,  un  peuple  tout  entier  dans  un  désert  aride  ;  et,  plus  tard,  il  confiait  à 
un  corbeau  le  soin  de  porter  au  premier  Elie  le  pain  de  sa  journée.  11  voulut 
aussi  protéger  les  jours  du  fils  de  Zacharie,  et  il  chargea  ses  anges  de  le 
nourrir  et  de  l'élever  ^ 

Selon  la  pensée  de  saint  Jean  Chrysostome  et  de  saint  Augustin,  Dieu 
semble  avoir  agi  envers  le  Précurseur  comme  vis-à-vis  du  premier  homme; 
lorsqu'il  eut  créé  Adam  dans  la  plaine  de  Damas,  il  le  transporta  aussitôt 
dans  le  paradis  pour  le  perfectionner  et  le  protéger.  Il  mit  aussi  Jean  dans 

1.  Tillem.,  Mira.  ecci.  —  2.  3.  Petr.  Alex. 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU   MESSIE.  275 

le  désert  comme  dans  un  paradis  ;  c'est  là,  en  effet,  que  Dieu  perfectionne 
ses  Saints  en  leur  donnant  une  idée  de  sa  gloire,  que  l'on  ne  peut  considérer 
que  dans  la  retraite.  Il  ne  voulait  pas  faire  élever  au  milieu  du  monde  le 
prédicateur  de  la  vérité  ;  car  elle  n'est  point  connue  dans  le  monde,  et  sur- 
tout dans  les  palais.  C'est  ainsi  qu'il  relira  Moïse  de  la  cour  de  Pharaon,  où 
il  était  élevé  trop  délicatement,  et  l'envoya  dans  le  désert  de  Madian  K 

«  Ce  que  Dieu  fait  dans  cet  enfant  est  inoui  »,  dit  Bossuet  *.  «  Celui  qui, 
dès  le  sein  de  sa  mère,  avait  commencé  à  éclairer  saint  Jean-Baptiste  et  à  le 
remplir  de  son  esprit,  se  saisit  de  lui  dès  son  enfance.  Que  ne  faut-il  point 
penser  d'un  jeune  enfant  qu'on  voit  tout  d'un  coup,  après  le  grand  éclat 
que  fit  sa  naissance  miraculeuse,  disparaître  pour  être  seul  avec  Dieu,  et 
Dieu  avec  lui  ?  Loin  du  commerce  des  hommes,  il  n'en  avait  qu'avec  le 
ciel.  Qui  n'admirerait  cette  profonde  retraite  ?  Que  ne  lui  disait  pas  ce  Dieu 
qui  était  en  lui  ?  Il  ne  faut  donc  point  s'étonner  si  l'Evangile  dit  de  lui  ces 
paroles  bien  dignes  de  remarque  :  «  Cependant  l'enfant  croissait  et  se  forti- 
fiait en  esprit,  et  il  habitait  dans  le  désert  jusqu'au  jour  de  sa  manifestation 
en  Israël'  ». 

L'Evangile  ne  nous  fait  point  connaître  les  déserts  oh  saint  Jean-Bap- 
tiste passa  sa  vie,  jusqu'à  ce  qu'il  plût  au  Seigneur  de  l'envoyer  prêcher. 
Mais  la  tradition  a  recueilli  précieusement  tout  ce  qui  pouvait  mettre  sur 
les  traces  et  faire  suivre  les  pas  de  celui  qui  préparait  les  voies  au  Messie. 

Antoine  Aranda,  religieux  de  l'Ordre  de  Saint-François,  qui  avait  exploré 
avec  beaucoup  de  soins  la  Terre-Sainte,  raconte  que  le  Précurseur  habita 
dans  trois  endroits  dill'érents.  A  cinq  milles  de  Jérusalem,  dit  cet  auteur,  se 
trouve  une  bourgade  qui  possède  un  temple  bâti  sur  le  lieu  môme  où  se 
trouvait  la  maison  de  Zacharie  et  d'Elisabeth.  On  y  visite  une  chapelle  cé- 
lèbre par  la  naissance  de  saint  Jean-Baptiste.  Non  loin  de  là  se  trouve  une 
autre  église  que  l'on  dit  aussi  avoir  été  une  maison  de  Zacharie  ;  on  croit 
que  c'est  le  lieu  où  la  sainte  Vierge  alla  visiter  Elisabeth.  A  la  distance  d'un 
mille  se  trouve  une  vallée  étroite  et  profonde.  Cette  vallée  est  adossée  à  un 
rocher  dans  lequel  se  voit  une  caverne  taillée  dans  le  roc.  C'est  dans  cette 
caverne,  dit-on,  que  Jean  passa  son  enfance.  C'est  là  le  premier  désert 
habité  par  le  Précurseur  ;  il  se  trouve  à  six  railles  de  Jérusalem. 

Non  loin  de  cette  grotte,  située  dans  la  vallée  du  Thérébinte,  se  trouve 
une  petite  éminence  dominée  par  un  rocher.  Les  traditions  locales,  au  rap- 
port des  voyageurs  modernes,  disent  que  le  saint  solitaire  adressait  la  parole 
au  peuple  du  haut  de  ce  rocher,  qui  porte  encore  aujourd'hui  le  nom  de 
Chaire  de  saint  Jean-Baptiste. 

Parvenu  à  un  âge  plus  avancé,  dit  encore  la  tradition,  il  se  retira  dans 
un  autre  lieu,  et  s'ensevelit  dans  une  solitude  proche  d'Hébron,àhuit  milles 
au  sud  de  Jérusalem.  C'est  là  qu'il  habitait  quand  la  voix  de  Dieu  lui  ordonna 
d'aller  commencer  sa  mission. 

Sur  l'ordre  du  Seigneur,  il  vint  dans  un  vaste  désert  en-deçà  du  Jour- 
dain, non  loin  de  Jéricho  ;  c'est  le  troisième  désert  qui  lui  servit  de  retraite. 

Jean  Moschus  rapporte,  sur  la  foi  d'une  révélation,  que  Jésus-Christ  vint 
plusieurs  fois  visiter  saint  Jean  dans  un  désert  nommé  Samsas,  situé  à  envi- 
ron un  mille  au-delà  du  Jourdain*.  Saint  Bonaventure  dit  que  Jean  habitait 
un  désert  peu  éloigné  du  lieu  où  les  Hébreux,  sous  la  conduite  de  Josué, 
franchirent  miraculeusement  le  Jourdain  à  leur  retour  d'Egypte.  Si  l'on  en 
croit  ce  pieux  docteur,  l'enfant  Jésus,  revenant  de  l'exil  avec  Marie  et 
Joseph,  serait  allé  voir  son  Précurseur,  déjà  livré  à  la  vie  solitaire  et  péni- 

1.  Lanuz.  Conclon.  —  2.  Elér.  7,  xv  sem.  —  8.  Luc,  i,  80.  —  4.  Prat.  spirit.,  c.  1. 


276  24  JUIN. 

tente.  «Avec  quel  empressement  »,  dit-il,  n  et  quelle  allégresse  le  fils  de 
Zacliarie  reçut  cette  auguste  visite  !  Quel  ne  dut  pas  être  son  bonheur  !  La 
sainte  famille  serait  restée  quelque  temps  avec  saint  Jean,  aurait  partagé 
son  frugal  repas,  et  après  l'avoir  comblé  de  bénédictions  ineffables,  lui  au- 
rait dit  adieu  en  le  laissant  à  ses  saintes  contemplations*  ». 

«  Saint  Jean  »,  dit  Pierre  de  Blois^,  «  préférait  la  solitude  du  désert  aux 
sollicitudes  du  monde,  la  paix  au  fracas,  la  tranquillité  au  tumulte;  il  savait 
que  la  fuite  et  l'éloignement  des  hommes  étaient  sa  plus  forte  sauvegarde 
contre  la  contagion  des  vices  ».  Cependant,  nous  ne  pouvons  douter  qu'il  ne 
quittât  quelquefois  son  désert  pour  venir  à  Jérusalem  satisfaire  au  précepte 
de  la  loi.  Moïse  avait  prescrit  aux  Juifs  de  se  présenter  chaque  année  devant 
l'Eternel  pour  lui  offrir  le  tribut  de  leurs  adorations';  Jésus-Christ  lui- 
même  se  conformait  à  cet  ordre,  comme  nous  l'apprend  saint  Luc*.  Aucune 
raison  ne  nous  autorise  à  croire  que  Jean-Baptiste  ait  dû  s'en  dispenser. 
Car,  comme  Nazaréen,  comme  prêtre,  comme  prophète  et  surtout  comme 
précurseur  du  Messie,  il  était  tenu  d'observer  les  saintes  prescriptions  de  la 
loi.  Il  nous  est  donc  permis  d'avancer  qu'à  la  solennité  de  la  Pentecôte  ou 
des  Semaines,  à  la  fête  des  Tabernacles  et  à  l'occasion  de  la  pâque,  le  fils 
de  Zacharie  quittait  sa  solitude,  se  confondait  sans  doute  dans  la  foule  du 
peuple  et  allait  présenter  au  Seigneur  des  adorations  en  esprit  et  en  vérité. 
Sa  chevelure  de  Nazaréen,  sa  figure  austère,  ses  vêtements  étranges,  ne 
manquaient  pas  de  fixer  sur  lui  les  regards  et  l'attention.  Les  âmes  pieuses 
aimeront,  dans  ces  circonstances ,  le  voir  se  rencontrer  quelquefois  au 
temple,  et  manger  la  pâque  avec  Jésus,  Marie  et  Joseph  ;  elles  imagineront 
les  doux  entretiens,  les  saintes  conversations  qui  devaient  avoir  lieu  entre  le 
Christ  et  son  Précurseur  ;  car  rien  ne  s'oppose  à  cette  idée  qui  est  plus 
qu'une  fiction  ;  elle  est  non-seulement  vraisemblable,  mais  on  lui  trouverait 
toutes  sortes  de  probabilités  ». 

Celui  qui  était  «  la  vraie  lumière  »  descendue  du  ciel  pour  «  éclairer  tout 
homme  venant  en  ce  monde  »  et  pour  se  manifester  à  toute  chair,  restait 
jusque-là  dans  l'oubli  le  plus  profond.  Malgré  les  merveilles  de  sa  naissance, 
révélées  d'abord  par  les  anges,  racontées  ensuite  par  les  bergers  et  bientôt 
divulguées  en  tous  lieux  par  les  Mages  et  par  les  fureurs  mêmes  d'Hérode  ; 
malgré  la  courte,  mais  cependant  lumineuse  manifestation  qu'il  avait  faite 
de  lui-même  dans  le  temple  aux  docteurs  eux-mêmes,  Jésus-Christ,  le  fils  et 
l'héritier  de  David,  le  Messie,  le  Sauveur,  qui  faisait  depuis  si  longtemps 
l'objet  de  l'attente  des  nations,  demeurait  toujours  dans  le  plus  profond 
oubli.  Il  brillait  cependant,  mais  au  milieu  des  ténèbres,  et  les  ténèbres  ne 
le  comprenaient  pas;  il  était  dans  le  monde,  et  ce  monde,  ouvrage  de  ses 
mains,  ne  le  connaissait  pas  ;  il  était  venu  parmi  les  siens,  mais  les  siens  ne 
le  recevaient  pas. 

Ainsi  le  sceptre  échappé  des  mains  de  Juda,  la  principauté  enlevée  à  la 
nation,  les  semaines  de  Daniel  écoulées,  le  pays  en  ruine,  l'époque  venue 
où  chacun  attendait  le  libérateur,  l'accomplissement  des  prophéties,  rien 
n'avait  été  capable  de  fixer  l'attention  des  enfants  d'Abraham  sur  Celui  en 
qui  cette  race  privilégiée  devait  être  bénie.  Déjà  plus  de  trente  ans  s'étaient 
écoulés  sans  que  le  monde  daignât  s'occuper  de  Jésus,  réputé  fils  d'un  arti- 
san ignoré,  voué  lui-même  à  un  métier  pénible  et  sans  honneur,  renfermé 
dans  un  étroit  atelier,  habitant  une  bourgade  inconnue  ;  le  Fils  de  Dieu, 
égal  et  consubstanliel  au  Père,  le  Verbe  fait  chair  et  revêtu  de  la  forme  de 
l'esclave,  attendait  le  moment  fixé  pour  sa  manifestation  en  Israël.  Venant 

1.  Med.  vu.  Chr,,  c.  13.  —  2.  Serm.  i,  de  AdY.  —  3.  Deuter.,  xvi,  16.  —  4.  Luc,  ii,  41, 


SAINT  JEAN-BiVPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  277 

pour  sauver  le  genre  humain  que  l'orgueil  avait  perdu,  il  voulait  ainsi  le 
guérir  et  le  racheter  par  son  propre  abaissement.  C'est  pour  cela  qu'il  con- 
sacra toute  sa  vie  de  Nazareth  à  un  oubli  aussi  instructif  et  aussi  méritoire, 
peut-être,  que  les  humiliations  glorieuses  du  Calvaire. 

Mais  il  y  avait  des  motifs  profonds  et  mystérieux  de  cette  conduite  de  la 
divine  Providence.  La  parole  de  chacun  de  nous  a  besoin  d'une  voix  claire  et 
sonore  pour  se  faire  mieux  entendre  ;  ainsi  le  Verbe  de  Dieu  fait  chair  eut 
besoin  du  témoignage  de  Jean,  afin  que  les  hommes  en  fussent  moins  scan- 
dalisés. Aussi,  l'autorité  de  Jean  servit  à  Jésus-Christ  pour  se  justifier  non- 
seulement  devant  les  simples,  mais  encore  en  face  des  envieux  et  de  ceux 
qui  se  scandalisaient  volontairement. 

Jean-Baptiste,  ajoute  saint  Augustin,  remplissait  mystérieusement  le 
rôle  de  la  voix;  mais  il  n'était  pas  seul  la  voix  ;  car  tout  homme  qui  an- 
nonce le  Verbe  est  aussi  voix  du  Verbe.  En  efl'et,  ce  que  le  son  de  notre 
bouche  est  à  l'égard  de  la  parole  que  nous  avons  à  l'esprit,  c'est  aussi  ce 
qu'est  toute  âme  pieuse  envers  le  Verbe  dont  il  est  dit  :  «  Au  commence- 
ment était  le  Verbe,  et  le  Verbe  était  en  Dieu,  et  le  Verbe  était  Dieu;  il  était 
au  commencement  en  Dieu».  Quelles  paroles  augustes,  et  même  quelles 
voix  solennelles  produit  la  pensée  conçue  dans  le  cœur  !  Quels  illustres  pré- 
dicateurs fait  surgir  le  Verbe  qui  habite  en  Dieu  !  C'est  lui  qui  a  envoyé  les 
patriarches,  les  Prophètes  et  le  nombreux  cortège  de  tous  ceux  qui  ont  parlé 
de  lui  avec  tant  d'éclat.  Le  Verbe,  demeurant  toujours  dans  le  sein  du  Père, 
envoya  des  voix  ;  et,  à  la  suite  de  ces  voix  nombreuses  venues  devant  lui,  il 
arriva  lui-môme  seul  comme  sur  son  char,  avec  sa  voix,  dans  sa  chair.  Réu- 
nissez donc,  comme  en  une  seule,  toutes  ces  voix  qui  ont  précédé  le  Verbe, 
et  mettez-les  toutes  dans  la  personne  de  Jean-Baptiste.  Il  était  à  lui  seul  la 
récapitulation  complète,  la  personnification  auguste  et  mystérieuse  de 
toutes  ces  voix.  C'est  pour  cela  qu'il  est  appelé  proprement  la  Voix,  car  il 
était  comme  la  figure,  l'emblème  mystérieux  de  toutes  ces  voix  ^ 

Saint  Jean  «  n'était  pas  lui-même  la  lumière  par  essence  ;  mais  il  était 
venu  pour  rendre  témoignage  à  la  lumière  *  »  ;  et  tel  était  le  caractère  su- 
blime de  sa  mission,  que  les  docteurs  n'ont  pas  craint  de  dire  qu'il  était 
nécessaire  qu'il  rendît  témoignage  à  la  lumière,  et  que  dans  l'ordre,  ou  du 
moins  dans  l'exécution  des  divins  décrets,  le  Sauveur  du  monde,  tout  Dieu 
qu'il  était,  eut  besoin  du  témoignage  de  saint  Jean,  et  que  ce  témoignage  a 
été  nécessaire  pour  l'établissement  de  notre  foi.  Or,  le  Sauveur  le  recon- 
naissait lui-même  lorsqu'il  disait  aux  Juifs  :  «  Si  je  rendais  témoignage  de 
moi-même,  vous  diriez  »,  quoique  injustement,  «  que  mon  témoignage 
n'est  pas  recevable  ;  mais  en  voici  un  autre  qui  rend  témoignage  de  moi'  ». 
Car,  selon  la  pensée  de  saint  Jean  Chyrsostome,  expliquant  à  la  lettre  ce 
passage,  cet  autre,  dont  parlait  Jésus-Christ,  était  saint  Jean,  son  Précurseur. 
De  plus,  dans  l'ordre  des  divins  décrets,  le  témoignage  de  saint  Jean  était 
nécessaire  pour  l'établissement  de  notre  foi  ;  car  le  même  évangéliste,  qui 
nous  apprend  que  Jean  est  venu  pour  rendre  témoignage  à  la  lumière,  en 
apporte  aussitôt  la  raison  :  «  Afin  que  tous  crussent  par  lui  ».  D'oti  il  suit 
que  notre  foi  en  Jésus-Christ  est  originairement  fondée  sur  le  témoignage 
de  ce  grand  Saint,  puisqu'en  efi'et  c'est  par  lui  que  nous  avons  cru  ;  par  lui 
que  la  voie  du  salut  nous  a  été  premièrement  révélée  ;  en  un  mot,  par  lui 
que  nous  sommes  chrétiens*. 

11  ne  parlait  pas  de  lui-même,  dit  saint  Jean  Chrysostome,  mais  il  rêvé» 

1.  s.  Aug.,  serm-  cclxxxviii.  —  2.  Joan.,  i.  —  3.  Ibid.,  v.  —  4.  Bonrdalone,  sermon  pour  la  fête  de 
Mint  Jean-Baptiste. 


278  24  JUIN. 

lait  les  mystères  de  Celui  au  nom  duquel  il  venait.  C'est  pour  cela  qu'il  est 
appelé  ange.  Ce  nom  sous  lequel  le  Précurseur  se  désignait  lui-même  d'après 
le  Prophète,  ne  signifie  autre  chose  que  messager,  ambassadeur;  il  n'indique 
pas  nécessairement  la  nature  des  esprits  célestes,  ordinairement  appelés 
anges  ;  mais  il  fait  connaître  une  fonction  auguste,  que  Dieu  daigne  quel- 
quefois confier  à  des  mortels.  C'est  ainsi  que  les  prophètes  Aggée  et  Mala- 
chie  sont  désignés  sous  ce  nom,  et  que  tous  les  prêtres,  en  général,  sont 
appelés  «  anges  du  Dieu  des  armées  ». 

Jean-Baptiste  n'avait  pas  la  nature  céleste  des  anges,  comme  l'ont  cru 
quelques-uns  des  Juifs,  et  même  des  chrétiens  illustres  cependant  par  leur 
science,  comme  Origène  ;  car  ils  prétendaient  que  le  fils  de  Zacharie  n'était 
autre  qu'un  ange,  incarné,  comme  le  Fils  de  Dieu,  pour  être  son  précurseur 
et  le  servir  sous  la  même  forme  d'esclave  qu'il  avait  daigné  aussi  revêtir. 
C'est  pour  réfuter  cette  erreur  que  l'évangéliste  saint  Jean  dit  expressé- 
ment, dès  le  début  de  son  livre,  que  le  Précurseur  envoyé  de  Dieu  était  un 
homme. 

Cependant,  par  un  privilège  de  la  grâce,  Jean  était  un  ange  ;  car  Dieu 
l'avait  envoyé  comme  un  héraut  pour  amener  les  hommes  à  Jésus-Christ.  — 
Semblable  aux  esprits  célestes,  il  n'avait  point  eu  d'enfance,  puisque,  dès  le 
sein  de  sa  mère,  il  fut  sanctifié,  doué  de  l'esprit  de  prophétie  et  de  l'usage 
de  la  raison  ;  en  effet,  il  connut  dès  lors,  salua  et  adora  son  Dieu  par  un 
transport  d'allégresse.  — Par  sa  vie,  qui  n'était  qu'un  jeûne  continuel,  dit 
saint  Basile',  il  semblait  appartenir  à  la  nature  des  anges.  —  Si,  selon 
saint  Bernard  ',  l'homme  chaste  est  comparable  aux  anges  par  son  bonheur, 
et  l'emporte  sur  eux  par  sa  vertu,  le  fils  de  Zacharie  doit  occuper  une  place 
des  plus  glorieuses  et  des  plus  élevées  dans  la  hiérarchie  céleste  '  ;  car  il 
puisa,  pour  ainsi  dire,  la  chasteté  en  Dieu,  qui  voulut  le  faire  naître  dans 
des  conditions  exceptionnelles  et  toutes  miraculeuses.  —  Le  propre  des 
anges  est  de  voir  sans  cesse  la  face  de  Dieu  *  ;  or,  depuis  qu'il  eut  reçu  dans 
le  sein  de  sa  mère  la  visite  du  Fils  de  Dieu,  Jean-Baptiste  cessa-t-il  un  seul 
instant  de  vivre  en  sa  présence,  de  se  tenir  devant  lui  et  de  le  servir  comme 
les  anges  se  tiennent  devant  Dieu  et  le  servent?  —  Il  fut;  selon  l'opinion  de 
la  plupart  des  docteurs,  confirmé  dans  la  grâce  comme  les  anges,  car  il  ne 
se  laissa  jamais  aller  à  aucune  faute.  L'austérité  de  sa  vie,  la  sévérité  de  sa 
pénitence,  ses  privations  en  fait  de  nourriture,  de  vêtements,  de  repos,  de 
sommeil,  qui  faisaient  de  son  existence  un  continuel  martyre,  lui  obtinrent 
ce  privilège  que  nous  envions  aux  anges.  C'est  pourquoi  saint  Jean  Chrysos- 
tome  dit  que  sa  vie  était  toute  angélique  ;  il  vivait  sur  la  terre  comme  s'il 
eût  été  au  ciel.  Triomphant  des  nécessités  de  la  vie,  il  suivit  une  carrière 
que  l'on  ne  peut  assez  admirer  ;  car,  sans  cesse  occupé  à  l'oraison,  à  la 
prière  et  aux  louanges  du  Seigneur,  il  évitait  toute  société  humaine,  et  Dieu 
seul  était  l'objet  et  le  terme  de  ses  conversations.  — Les  anges  d'un  ordre 
supérieur  enseignent  ceux  qui  sont  au-dessous  d'eux  ;  ils  purifient,  éclairent 
et  perfectionnent  les  hommes  ;  c'est  aussi  ce  que  fit  Jean-Baptiste,  selon  ce 
qu'avait  annoncé  l'ange  Gabriel  à  Zacharie  :  «  Il  convertira  un  grand  nombre 
des  enfants  d'Israël  au  Seigneur  leur  Dieu  ;  il  marchera  devant  lui  dans  la 
Tertu  et  l'esprit  d'Elie,  pour  convertir  les  cœurs  des  pères  vers  leurs  enfants, 
ramener  les  incrédules  à  la  prudence  des  justes,  et  pour  préparer  au  Sei- 
gneur un  peuple  parfait  ».  —  Enfin,  un  dernier  caractère  qui  rendait  saint 
Jean  semblable  aux  anges,  c'est  qu'il  n'eut,  comme  eux,  d'autre  maître  que 
le  Saint-Esprit.  Ce  fut  par  ses  soins  qu'il  connut  les  mystères  les  plus  pro- 

1,  Homil.  4e  jejan.  —  2.  Epist.  xm.  —  t.  S.  Basil,  de  Virglnlb.  o.  79.  —  4.  Matth.,  xvin,  10. 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU   MESSIE.  279 

fonds,  non  pas  selon  les  bornes  d'une  intelligence  humaine,  mais  avec  toute 
la  pénétration  d'un  esprit  céleste.  C'est  ce  qu'enseignent  saint  Ambroise  et 
saint  Jean  Chrysostome.  C'est  à  l'école  du  Saint-Esprit  que  Jean  reçut  l'in- 
telligence des  Ecritures  et  même  le  pouvoir  de  parler  et  d'écrire  avec  l'au- 
torité des  auteurs  sacrés.  C'est  là  qu'il  puisa  la  science  et  le  zèle  qui  lui 
étaient  nécessaires  comme  docteur  et  comme  prédicateur,  pour  concilier 
au  Christ  la  foi  du  monde  enlier. 

Après  ces  considérations  générales  propres  à  jeter  plus  de  lumière  sur  la 
rie  du  saint  Précurseur,  reprenons  le  fil  de  son  histoire. 

Nous  savons ,  d'une  manière  générale,  que  le  Sauveur  commença 
d'abord  par  pratiquer,  et  ensuite  seulement  à  enseigner.  Mais  en  ceci  en- 
core, Jean-Baptiste  devait  être  son  précurseur.  Avant  d'élever  la  voix  pour 
appeler  les  hommes  à  la  pénitence,  il  l'avait  pratiquée  lui-même  au  plus 
haut  degré  ;  avant  d'enseigner  la  vertu,  il  en  avait  suivi  les  sentiers  les  plus 
ardus.  En  effet,  il  était  revêtu  de  poils  de  chameau  et,  selon  l'usage  des 
Nazaréens,  il  avait  autour  des  reins  une  ceinture  de  cuir,  signe  et  emblème 
de  la  mortification  et  de  la  pénitence.  Cet  extérieur,  rehaussé  d'une  longue 
chevelure  ondoyante  comme  la  portaient  les  Nazaréens,  et  qui  rappelait  le 
costume  des  anciens  Prophètes,  à  lui  seul  était  déjà  une  prédication.  Car, 
comme  le  fait  remarquer  saint  Grégoire,  la  grossièreté  des  habits  de  saint 
Jean  était  une  preuve  de  sa  mortification  et  surtout  de  sa  rare  humilité.  On 
ne  met,  en  effet,  des  habits  précieux  que  par  un  motif  de  vaine  gloire  et 
dans  le  dessein  de  paraître  plus  honorable  que  les  autres  ;  la  preuve  en 
résulte  de  ceci  :  que  personne  n'attache  d'importance  à  être  vêtu  riche- 
ment quand  il  ne  doit  pas  être  vu,  et  qu'il  ne  cherche  point  à  paraître. 
Aussi,  parmi  les  causes  de  la  réprobation  encourue  par  le  mauvais 
riche,  Jésus-Christ  a-t-iî  soin  de  faire  ressortir  la  splendeur  de  ses  vête- 
ments ;  et  en  énumérant  les  reproches  dont  il  accable  les  Pharisiens,  il 
mentionne  le  luxe  de  leurs  robes  flottantes,  ornées  de  franges  magnifiques. 
Au  contraire,  en  faisant  l'éloge  de  son  Précurseur,  il  demande  si  on  l'a 
vu  se  vêtir  avec  mollesse.  L'Ecriture  nous  fait  voir  partout  que  l'opulence 
des  vêtements  irrite  le  Seigneur,  tandis  que  des  habits  abjects  apaisent  sa 
colère. 

Par  la  manière  de  se  vêtir,  saint  Jean  ressemblait  à  Elie,  dont  le  sou- 
venir n'avait  pas  cessé  d'être  vivant  parmi  les  Juifs.  On  voyait  même  dans 
ce  nouveau  prophète  une  vertu  beaucoup  plus  admirable  que  dans  celui 
de  Thesbé;  car  si  celui-ci  était  autrefois  vêtu  comme  aujourd'hui  le  fils 
de  Zacharie,  il  habitait  encore  les  villes  et  vivait  ordinairement  comme  les 
autres  hommes;  tandis  que  Jean  demeurait  dans  la  solitude  depuis  le  ber- 
ceau, et  prenait  sa  nourriture  en  si  petite  quantité,  que  le  Fils  de  Dieu  a 
pu  dire  de  lui,  comme  une  chose  connue  de  tous,  qu'il  ne  mangeait  ni  ne 
buvait. 

Etait-ce  d'ailleurs  une  nourriture  que  le  miel  sauvage  et  les  acrides*  dont 
il  sustentait  son  corps  ?  Car,  non-seulement  il  ne  se  nourrissait  pas  de  pain 
et  de  vin,  ni  de  la  chair  des  animaux,  des  oiseaux  ou  des  poissons  qu'il  au- 
rait eu  la  faculté  de  trouver  dans  le  désert  ou  dans  le  Jourdain  ;  mais,  selon 
Clément  d'Alexandrie,  il  ne  faisait  usage  ni  des  baies  des  arbres,  ni  des 
graines  des  plantes,  ni  de  légumes. 

On  admet  communément  que  saint  Jean  mangeait  des  sauterelles, 
nourriture  vulgaire  et  assez  ordinaire  pour  que  la  loi  de  Moïse   contînt 

1.  Le  mot  grec  cuipi^îi^  quo  l'on  traduit  ordioairement  ici  par  saatereUes,  signifie  aussi  les  jeunes 
pousses  des  arbres. 


280  24  JUIN. 

des  dispositions  à  ce  sujet,  en  les  rangeant  au  nombre  des  animaux  purs. 

Cependant  cette  opinion,  quoique  généralement  accréditée,  est  loin  de 
réunir  l'assentiment  unanime  des  auteurs  ;  et  ceux  qui  semblent  avoir  le 
mieux  entendu  et  expliqué  le  mot  de  l'Evangile,  disent  formellement  que 
la  nourriture  de  saint  Jean  se  composait  de  bourgeons  des  plantes  et 
de  jeunes  tiges  des  arbres.  C'est  le  sens  de  la  version  éthiopienne  ;  ce 
que  disent  formellement  saint  Athanase  et  Clément  d'Alexandrie  ;  c'est 
aussi  le  sentiment  de  saint  Isidore  de  Péluse,  de  Nicépbore,  de  Cajétan,  de 
Bochard,  etc. 

Ce  dernier  auteur,  dans  la  description  qu'il  fait  de  la  Palestine,  dit 
qu'il  y  a  sur  les  rives  du  Jourdain  des  herbes  connues  sous  le  nom  d'acrides, 
et  dont  les  moines  faisaient  leur  nourriture.  —  C'est  ainsi  que  nous  lisons 
dans  la  vie  de  saint  Hilarion,  que  sa  nourriture  consistait  en  quelques  figues 
et  dans  le  suc  des  herbes  '. 

Les  habitants  du  pays,  fondés  sur  les  traditions  locales,  toujours  si  vi- 
vaces  en  Orient,  se  font  un  plaisir  de  montrer  aux  pèlerins  de  Terre-Sainte 
un  arbuste  dont  le  saint  Précurseur  faisait  autrefois  sa  nourriture  :  c'est  le 
caroubier. 

«  Les  pauvres  gens  s'en  nourrissent,  ils  en  mâchent  la  pulpe  ou  la  mêlent 
à  l'eau.  Parmi  les  arbres  que  l'on  remarque  sur  la  colline  où  se  trouve  la 
grotte  de  saint  Jean,  il  y  a  encore  aujourd'hui  plusieurs  caroubiers.  Cet 
arbre  s'appelle  en  allemand  Arbre  du  pain  de  saint  Jean,  précisément  parce 
qu'on  croit  que  saint  Jean  se  nourrissait  de  ses  fruits.  C'est  aussi  la  nourri- 
ture dont  il  est  parlé  dans  l'histoire  de  l'Enfant  prodigue,  qui  eût  été  bien 
aise  de  s'en  rassasier  avec  les  powxeaux. 

«  Successeur  des  prophètes  Elle  et  Elisée,  qui  vivaient  d'herbes  et  de 
racines  dans  les  grottes  du  mont  Carmel,  saint  Jean  a  donc  été  le  premier 
anachorète  du  christianisme,  et  son  exemple  a  bientôt  été  suivi  par  des  mil- 
liers d'autres.  Dès  les  premiers  siècles,  ces  déserts  ont  été  peuplés  par  ses 
pieux  imitateurs^». 

Cette  vie  rude  et  rigoureuse,  dit  Bossuet,  n'était  pas  inconnue  dans  l'an- 
cienne loi.  On  y  voit,  dans  ses  prophètes,  les  Nazaréens,  qui  ne  buvaient 
point  de  vin.  On  y  voit,  dans  Jérémie,  les  Réchabites  qui,  non  contents  de 
se  priver  de  cette  liqueur,  ne  labouraient,  ni  ne  semaient,  ni  ne  cultivaient 
la  vigne,  ni  ne  bâtissaient  de  maisons,  mais  habitaient  dans  des  tentes.  Le 
Seigneur  les  loue  par  son  prophète  Jérémie  d'avoir  été  fidèles  au  comman- 
dement de  leur  père  Jonadab,  et  leur  promet,  en  récompense,  que  leur 
institut  ne  cessera  jamais.  Les  Esséniens,  du  temps  même  du  Sauveur,  en 
tenaient  beaucoup.  La  vie  prophétique  qui  paraît  dans  Elie,  dans  Elisée,  dans 
tous  les  Prophètes,  était  pleine  d'austérités  semblables  à  celles  de  Jean-Bap- 
tiste, et  se  passait  dans  le  désert,  où  ils  vivaient  pourtant  en  société  avec 
leurs  familles. 

Mais  que  jamais  on  se  fût  séquestré  du  monde,  et  dévoué  à  une  rigou- 
reuse solitude,  autant  et  d'aussi  bonne  heure  que  Jean-Baptiste,  avec  une 
nourriture  si  affreuse,  exposé  aux  injures  de  l'air,  et  n'ayant  de  retraites  que 
les  rochers,  car  on  ne  nous  parle  point  de  tentes  ni  de  pavillons,  sans  secours, 
sans  serviteurs  et  sans  aucun  entretien,  c'est  de  quoi  on  n'avait  encore 
aucun  exemple  *. 

Au  premier  aspect,  il  semble  étrange  et  extraordinaire  que  le  héraut 
de  l'Evangile,  le  messager  envoyé  par  Dieu  même  pour  préparer  la  bonne 
nouvelle,  débute  dans  la  carrière  par  prêcher  la  pénitence.  Pourquoi  n'an- 

1.  Bréviaire  romain.  —  2.  Mgr  Mislin,  Les  Saints-Lieiuc.  —  3.  Boss.,  xv  sem.  7  eler. 


SAINT  JExVN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU   MESSIE.  281 

nonça-t-il  pas  plutôt  la  joie?  C'est  que  dans  l'état  de  servitude  où  ils  gémis- 
saient, les  enfants  de  Jacob  attendaient  un  libérateur  qui  s'occupât  unique- 
ment, ou  du  moins  principalement,  de  les  rendre  à  leur  liberté  politique  et 
à  leur  indépendance  nationale.  Ils  avaient  oublié,  ou  bien  ils  ne  comprenaient 
pas  sous  quels  traits  les  Prophètes  avaient  dépeint  le  Sauveur,  l'Emmanuel 
qui  devait  venir  opérer  leur  salut,  s'occuper  surtout  de  leurs  âmes  et  leur 
proposer  les  biens  d'une  autre  vie.  Ils  auraient  salué  avec  acclamation  un 
Messie  restaurateur  de  leur  patrie,  cette  terre  promise  si  solennellement  à 
leurs  pères,  et  dont  ils  étaient  cependant  dépossédés  par  des  Gentils.  Ils  se 
seraient  imposé  tous  les  sacrifices,  auraient  bravé  tous  les  dangers,  essuyé 
les  fatigues  et  affronté  la  mort  môme,  pour  seconder  les  vues  de  ce  libéra- 
teur et  lui  donner  les  mo3'ens  de  les  rendre  à  la  liberté.  Voilà  pourquoi  les 
Juifs  étaient  tenus,  depuis  quelque  temps,  dans  une  continuelle  alerte,  prêts 
à  saluer  le  premier  qui  se  montrerait  comme  le  Messie,  et  à  lui  donner  le 
concours  de  leurs  biens  et  de  leurs  personnes. 

Mais  autant  ils  se  trompaient  sur  la  mission  qu'ils  supposaient  à  ce  libé- 
rateur, autant  ils  se  faisaient  illusion  sur  les  moj'ens  à  mettre  en  œuvre  pour 
assurer  et  faciliter  le  succès  de  sa  venue.  Comme  le  Messie  conquérant 
attendu  par  les  Juifs,  le  Roi  pacifique,  qui  était  leur  vrai  libérateur,  devait 
exiger  de  leur  part  une  coopération  et  des  sacrifices,  mais  d'un  genre  tout 
différent.  Comme  le  royaume  qu'il  venait  leur  assurer  et  la  délivrance  qu'il 
allait  leur  offrir  étaient  tout  surnaturels  et  divins,  ainsi  la  coopération  qu'il 
fallait  y  apporter  devait  aussi  avoir  un  caractère  exclusivement  spirituel  et 
céleste;  car  ce  qu'il  voulait  conquérir,  assujétir  à  ses  lois  et  soumettre  à 
son  empire,  c'était  le  cœur  des  Juifs  ;  et  il  ne  devait,  pour  cela,  employer 
d'autres  armes  que  celles  de  la  pénitence.  Son  Précurseur,  qui  était  chargé 
d'aller  devant  lui  pour  lui  préparer  la  voie,  ne  pouvait  donc  pas  prêcher 
autre  chose. 

C'est  aussi  pour  cela  que  saint  Jean-Baptiste,  rappelant  les  paroles  pro- 
noncées autrefois  par  Isaïe,  déclare  qu'il  est  lui-même  chargé  de  les  mettre 
à  exécution,  et  appelle  à  cette  guerre,  à  cette  conquête  d'un  nouveau  genre, 
en  criant  à  tous  :  «  Préparez  la  voie  du  Seigneur,  rendez  droits  ses  sen- 
tiers ».  Ce  langage  métaphorique,  ordinairement  usité  par  les  Prophètes, 
devait  être  compris  par  le  peuple. 

L'Evangile  ne  nous  fait  point  connaître  quel  fut  le  sujet  précis  du  pre- 
mier discours  que  saint  Jean-Baptiste  adressa  au  peuple  après  avoir  annoncé 
sa  mission  d'une  manière  générale.  Selon  saint  Matthieu,  il  exhorta  les 
Juifs  à  la  pénitence,  et  en  donna  pour  motif  l'approche  du  royaume  des 
cieux.  D'après  saint  Marc,  il  vint  baptisant  et  prêchant  le  baptême  de  péni- 
tence pour  la  rémission  des  péchés.  Ainsi  il  résulterait  de  leurs  récits  que 
le  Précurseur  aurait  parlé,  dès  le  commencement  de  sa  prédication,  de  trois 
sujets  différents  :  de  la  pénitence,  du  baptême  et  du  royaume  des  cieux.  Il 
ne  nous  semble  pas  néanmoins  qu'il  ait  pu  développer  et  faire  comprendre 
ces  différentes  matières  dans  un  seul  discours;  car  elles  exigeaient  des  expli- 
cations de  sa  part.  Nous  pouvons  donc  supposer  qu'il  en  fit  trois  instructions 
spéciales. 

Les  pharisiens  croyaient  expier  toutes  leurs  fautes  en  pratiquant  des 
ablutions  fréquentes  ;  et,  dans  leur  orgueil,  ils  ne  voyaient  pas  que  sans  le 
repentir  et  les  larmes  du  cœur,  la  pénitence  et  les  purifications  du  corps 
sont  incapables  de  justifier  devant  Dieu.  Or,  ils  avaient  infecté  tout  le  peuple 
du  levain  de  leur  doctrine. 

Pour  désabuser  les  Juifs  de  cette  pernicieuse  croyance,  saint  Jean-Bap- 


282  24  JUIN. 

liste  se  mit  à  prêcher  la  pénitence  ;  non  plus  seulement  cette  pénitence  qui 
consistait  à  affliger  momentanément  et  à  laver  le  corps,  et  qui  ne  s'adressait 
point  à  l'âme  pour  humilier  son  orgueil  et  réprimer  la  concupiscence  char- 
nelle ;  mais  cette  pénitence  intérieure  qui  consiste  à  briser,  à  déchirer  le 
cœur  pour  en  faire  sortir  le  venin  mortel  que  le  péché  y  a  laissé.  Il  annonça, 
en  môme  temps,  que  cette  pénitence  du  cœur  opérait  la  rémission  des  pé- 
chés avec  le  secours  d'un  nouveau  baptême,  tout  différent  des  ablutions 
légales  et  traditionnelles. 

On  ne  peut  nier,  sans  doute,  que  le  dogme  de  la  rémission  des  péchés  ne 
soit  au  moins  insinué  sous  le  régime  de  la  loi;  mais  les  sacrifices  expiatoires, 
les  pénitences  satisfactoires  avaient  plutôt  pour  but  de  dissimuler  les  péchés 
devant  Dieu  que  d'en  opérer  la  remise*.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  à  saint  Gré- 
goire le  Grand  :  Avant  l'arrivée  du  Christ,  on  était  incertain  si  ceux  qui 
étaient  tombés  dans  des  péchés  graves,  pouvaient  être  pardonnes  ;  et  la  ré- 
mission des  péchés  a  été  inconnue  d'un  grand  nombre*. 

Ainsi  donc,  il  était  réservé  au  saint  Précurseur  d'être  le  premier  mes- 
sager de  la  miséricorde  et  d'annoncer  d'une  manière  formelle,  positive  et 
générale,  le  dogme  consolant  du  pardon  et  du  rachat  des  péchés  par  le 
moyen  de  la  pénitence. 

Il  nous  serait  difficile,  nous  qui  n'avons  vécu  que  sous  la  loi  de  grâce 
et  d'amour,  de  nous  faire  une  idée  de  l'effet  que  cette  annonce  solennelle 
dut  produire  sur  un  peuple  courbé,  pour  ainsi  dire,  sous  le  poids  d'une  loi 
de  justice  et  de  rigueur.  La  nouvelle  d'une  amnistie  inattendue,  qui  rend 
un  prisonnier  à  la  liberté,  un  exilé  à  sa  patrie,  ou  qui  brise  les  fers  d'un 
condamné,  ne  cause  pas  plus  de  joie,  n'excite  pas  plus  de  transports. 

Aussi,  la  foule  du  peuple  se  pressa  bientôt  autour  du  nouveau  prophète 
avec  un  concours  si  extraordinaire,  qu'Elie,  ce  prophète  si  vénéré  pour  la 
puissance  de  sa  parole  et  de  ses  œuvres,  ne  vit  jamais  accourir  une  multi- 
tude si  nombreuse,  si  empressée  et  si  bien  disposée  à  obéir.  A  la  voix  de 
Jean-Baptiste,  tout  cède,  chacun  se  rend  ;  il  fait  autant  de  pénitents  qu'il  a 
d'auditeurs.  Cependant,  ceux  qui  se  convertissent  ne  sont  point  frappés  ni 
attirés  par  l'éclat  de  ses  miracles  ;  car  il  n'en  opéra  aucun.  Ce  sont  ses  vertus 
et  ses  austérités  qui  font  de  si  puissantes  impressions  sur  l'esprit  et  sur  le 
cœur  de  ceux  qui  l'écoutent.  La  sainteté  de  sa  vie  engage  ceux  qui  l'en- 
tendent à  réformer  la  leur  ;  les  plus  voluptueux  cessent  de  l'être  en  voyant 
un  homme  si  mortifié. 

Selon  la  prédiction  de  l'ange,  le  fils  de  Zacharie  devait  précéder  le  Fils 
de  Dieu  dans  toutes  ses  voies  ;  son  annonciation,  sa  naissance,  sa  pénitence, 
sa  prédication  étaient  déjà  des  préparations  à  celles  du  Christ  ;  il  devait  donc 
aussi  le  précéder  par  son  baptême.  Le  baptême  de  saint  Jean  était,  en  effet, 
pour  ceux  qui  se  trouvaient  animés  de  l'esprit  de  foi,  ce  que  l'enseignement 
de  la  doctrine  est  pour  les  catéchumènes  avant  leur  admission  au  sacrement 
de  la  régénération.  En  le  conférant ,  saint  Jean  avait  de  plus  l'occasion  de 
faire  sentir  la  nécessité  de  la  purification  intérieure  et  de  la  pénitence  du 
cœur,  contrairement  à  ce  que  pratiquaient  les  pharisiens  hypocrites,  qui  se 
contentaient  de  nettoyer  le  dehors  de  la  coupe  sans  se  mettre  en  peine  de 
purifier  leurs  cœurs  remplis  de  rapines  et  d'impuretés.  Par  ce  moyen,  le 
Précurseur  pouvait,  en  outre,  rendre  témoignage  à  Jésus-Christ. 

Il  dit  en  efiet,  lui-môme,  qu'il  était  venu  baptiser  dans  l'eau  pour  mani- 

1.  Dissimulas  peccata  homlnum  propter  pœnitentiam.  (Sap.,  11,  14.) 

2.  Et  quidem  ante  adTentum  Cliristi  incertum  fuit,  si  giaviter  lapsi  possent  habere  veniam,  et  pecc»- 
tonun  remlsêio  complures  latuit.  (la  psalm.  pœnit.,  iv,  8.) 


SAINT  JEAN- BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  283 

fester  à  Israël  Celui  qui  devait  baptiser  dans  le  Saint-Esprit.  Aucun  des 
anciens  Prophètes  n'ayant  annoncé  et  administré  de  baptême,  la  nouveauté 
du  rôle  de  saint  Jean,  qui  lui  valut  le  surnom  de  Baptiseur  ou  Baptiste, 
attirait  à  lui  une  foule  immense.  Il  put  ainsi  annoncer  à  tout  le  peuple  la 
venue  du  Messie,  dont  il  se  disait  le  précurseur. 

Enfin,  le  baptôme  de  saint  Jean  avait  encore  pour  but  de  disposer  les 
hommes  à  recevoir  celui  de  Jésus-Christ.  Comme  il  se  donnait  au  nom  de 
Celui  qui,  depuis  si  longtemps,  était  l'attente  des  nations  et  surtout  du 
peuple  juif,  il  était  comme  une  déclaration  et  une  profession  de  foi  au 
Rédempteur,  et  un  engagement  de  faire  de  dignes  fruits  de  pénitence.  La  con- 
naissance et  la  foi  du  mystère  de  la  rédemption  et  la  pratique  de  la  péni- 
tence étaient  la  fin  du  baptême  donné  par  saint  Jean.  Et  parce  que  la  péni- 
tence n'est  pas  obligatoire  pour  les  enfants,  et  que  les  femmes  devaient 
être  instruites  par  leurs  maris,  le  Précurseur  n'admettait  à  son  baptême, 
selon  quelques  auteurs,  ni  les  enfants  ni  les  femmes. 

Le  baptême  du  Précuseur  était  un  sacrement,  puisqu'il  était  le  signe 
d'une  chose  sainte,  savoir  :  le  signe  du  baptême  de  Jésus-Christ.  Il  ne  con- 
férait pas  la  grâce  par  lui-même  ;  cependant  il  était  comme  le  préambule 
des  sacrements  de  la  grâce  et  de  la  loi  nouvelle.  C'est  pourquoi  il  est  appelé 
proprement  l'intermédiaire  entre  les  sacrements  de  l'ancien  Testament  et 
ceux  du  nouveau.  Il  avait  cela  de  commun  avec  les  sacrements  de  la  loi 
ancienne,  qu'il  n'était  qu'un  signe  ;  avec  ceux  de  la  loi  nouvelle  et  de  la 
grâce,  qu'il  disposait  prochainement  à  la  grâce,  et  que,  par  sa  forme  et  sa 
matière,  il  avait  des  similitudes  avec  le  baptême  chrétien;  car  il  se  donnait 
dans  l'eau  et  au  nom  du  Christ. 

On  ne  peut  douter  que  Jean  ne  se  servît  d'une  formule  pour  donner  son 
baptême.  Saint  Paul  l'insinue  d'une  manière  assez  claire  par  ces  paroles  : 
«  Jean  baptisa  le  peuple  du  baptême  de  pénitence,  en  disant  qu'ils  devaient 
croire  en  Celui  qui  allait  venir  après  lui  '  »;  le  texte  grec  porte  «  en  Jésus- 
Christ  ».  Les  saints  Pères  et  les  Docteurs  de  l'Eglise  infèrent  de  là  que  la 
forme  du  baptême  de  saint  Jean  était  :  «  Je  te  baptise  et  je  t'initie  à  la  foi 
du  Christ  qui  doit  venir  ».  Jean,  dit  saint  Ambroise,  baptisa  pour  la  rémis- 
sion des  péchés,  non  pas  en  son  nom,  mais  au  nom  de  Jésus-Christ.  Selon 
saint  Jérôme,  ceux  qui  avaient  reçu  le  baptême  de  Jean  étaient  baptisés  au 
nom  du  Seigneur  Jésus  qui  devait  venir  après  lui.  Le  maître  des  Sentences, 
et  avec  lui  saint  Thomas  et  saint  Bonaventure,  Hugues  de  Saint-Victor, 
Tostat  et  d'autres  auteurs  plus  modernes  ont  partagé  cette  persuasion. 

Le  Précurseur  avait  reçu  de  Dieu  lui-même  la  mission  de  baptiser  ;  son 
baptême  était  donc  divin,  et  tous  les  Juifs  en  étaient  persuadés.  Si  l'on  en 
juge  par  l'empressement  que  le  peuple  et  les  Pharisiens  eux-mêmes  met- 
taient à  le  recevoir,  il  paraîtra  évident  que  l'on  croyait  à  sa  nécessité. 
C'était,  sans  contredit,  un  moyen  plus  efficace  que  toutes  les  anciennes  pu- 
rifications, et  même  que  les  sacrifices  de  la  loi,  pour  obtenir  le  pardon  des 
péchés.  Aussi,  selon  Eusèbe,  était-ce  pour  détacher  peu  à  peu  les  Juifs  des 
rites  mosaïques  que  Dieu  avait  intimé  à  saint  Jean  l'ordre  de  baptiser.  Si  ce 
baptême  n'était  pas  indispensable  au  salut,  comme  celui  de  Jésus-Christ,  il 
entrait  cependant  dans  le  plan  divin  de  l'œuvre  de  la  rédemption  ;  car  il 
était  destiné  à  servir  de  terme  à  la  loi  et  de  commencement  à  l'Evangile  ; 
il  devait  préparer  les  hommes  à  la  pénitence  du  cœur,  leur  faire  sentir  la 
nécessité  de  la  pureté  de  l'âme,  les  accoutumer  au  baptême  de  Jésus-Christ  ; 
enfin,  c'est  par  ce  moyen  que  le  Fils  de  Dieu  voulait  être  manifesté  en  Israël. 

1.  Act.  xxx. 


284  24  JUIN. 

Ce  qui  distinguait  surtout  le  baptême  de  saint  Jean,  et  lui  donnait  une 
efficacité  particulière,  c'est  qu'il  était  accompagné  de  la  confession  des  pé- 
chés. «  Toute  la  Judée  »,  dit  saint  Marc,  «  et  tous  ceux  de  Jérusalem  ve- 
naient à  lui,  et,  confessant  leurs  péchés,  ils  étaient  baptisés  par  lui  dans  le 
fleuve  du  Jourdain  ».  C'est  ici  le  lieu  de  rechercher  quelle  était  la  nature 
de  cette  confession  exigée  par  le  Précurseur  pour  être  admis  à  son  baptême. 

L'aveu  public  ou  secret  de  ses  fautes  n'était  point  une  chose  inouïe  chez 
les  anciens,  et  surtout  chez  les  Juifs.  Il  en  devait  être  ainsi;  car  la  confes- 
sion n'est-elle  pas  un  besoin  du  cœur  humain  ? 

Pour  accorder  son  pardon  au  coupable.  Dieu  a  toujours  exigé  de  lui  une 
confession  humble  et  sincère.  Sous  la  loi  de  nature  aussi  bien  que  sous  la 
loi  de  Moïse  et  sous  l'Evangile,  celte  confession  devait  être  faite  non-seule- 
ment de  cœur  et  de  bouche,  mais  encore  confiée  au  ministre  choisi  de  Dieu; 
elle  ne  devait  pas  être  seulement  générale,  mais  particulière  et  spéciale. 
C'est  ce  que  nous  voyons  par  la  Genèse,  où  Dieu  interroge  séparément 
d'abord  Adam,  puis  Eve,  et,  plus  tard,  le  fratricide  Gain,  pour  recevoir  de 
leur  bouche  un  aveu  .sincère  et  complet  de  leur  faute  en  présence  de  son 
ministre,  c'est-à-dire  de  cet  ange  qui  leur  apparaissait  sous  une  figure 
humaine,  puisqu'il  marchait  dans  le  paradis. 

Les  docteurs  croient  que  si  Adam,  au  lieu  de  rejeter  la  faute  sur  la 
femme,  comme  la  femme  sur  la  ruse  du  serpent,  eût  confessé  sincèrement 
son  péché,  Dieu  aurait  rendu  nos  premiers  parents  à  leur  état  primitif,  ou 
du  moins  aurait  mitigé  leur  condamnation,  et  n'en  aurait  peut-être  pas  fait 
peser  le  châtiment  sur  leur  postérité  '. 

Telle  était  la  haute  estime  et  l'admiration  que  l'on  avait  pour  le  fils  de 
Zacharie,  que  l'on  accourait  de  toutes  parts  pour  entendre  sa  doctrine  et 
recevoir  son  baptême.  C'était  un  honneur  et  une  gloire  que  les  Pharisiens 
eux-mêmes  ne  dédaignaient  pas,  forcés  en  ceci  de  suivre  le  torrent  de  la 
multitude  pour  ménager  leur  popularité  et  ne  pas  compromettre  la  bonne 
opinion  de  perfection  et  de  sainteté  qu'ils  affectaient.  Ces  orgueilleux  sec- 
taires se  présentaient  donc  aussi  au  Précurseur  pour  être  baptisés  par  lui. 
Mais  sans  se  laisser  séduire  par  ce  témoignage  forcé  de  respect  que  les  Pha- 
risiens rendaient  à  sa  sainteté  et  à  sa  mission,  saint  Jean  pénétrait  jusque 
dans  le  secret  de  leurs  cœurs,  et,  sous  cette  humilité  apparente,  découvrant 
l'orgueil  et  le  dépit  qui  les  animaient,  il  leur  faisait  subir  l'épreuve  de  la 
conlession.  Il  n'admettait  à  son  baptême  que  ceux  qui  lui  donnaient,  par  là, 
une  marque  de  repentir,  un  témoignage  de  l'humilité  et  de  la  componc- 
tion de  leur  cœur,  et  un  gage  de  la  docilité  de  leur  esprit  à  recevoir  les 
enseignements  ultérieurs  d'une  doctrine  nouvelle.  Pour  ceux  qui  refusaient 
de  rejeter  le  venin  de  leur  âme  par  un  aveu  sincère  de  leurs  fautes,  il  les 
traitait  durement,  leur  reprochait  leur  hypocrisie  et  leur  aveuglement,  et  il 
refusait  de  les  purifier  dans  l'eau  du  Jourdain  et  de  leur  donner  ainsi  le  bap- 
tême initiateur,  destiné  à  préparer,  pour  le  jour  de  la  venue  du  Seigneur, 
ceux  qui  ne  se  rendaient  pas  indignes  de  cette  faveur.  La  plupart  des  grands 
de  la  nation  juive  refusèrent  de  se  soumettre  à  cette  épreuve,  et  ne  furent 
point  admis  au  baptême  de  Jean.  C'est  pourquoi  saint  Luc  nous  dit  que 
«  les  Pharisiens  et  les  docteurs  de  la  loi  méprisèrent  le  dessein  de  Dieu  sur 
eux,  et  ne  furent  point  baptisés  ». 

Le  langage  si  relevé  du  saint  Précurseur,  le  sujet  de  ses  discours,  si 

1.  s.  Au;;.,  serm.  m  de  Annunt.;  Chrys.,  homil.  vu  ad  pop.;  Greg.,  22  moral,  c.  13;  Abulens.,  Gène», 
m;  Cajet.,  Gènes,  m  ;  Insuper  :  S.  Ambr.,  de  Paradis.,  c.  14;  De  Caïn  et  Abel,  c.  9  ;  Chrys.,  homil. 
XVIII  lu  Gencs.;  S.  Bern.,  lib.  de  Prsecept.  et  disiicns.j  Bellarm.,  de  Pœnit.,  c.  3. 


SAIKT  JEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  285 

éloigné  de  celui  des  anciens  Prophètes,  mais  surtout  ce  qu'il  dit  du  royaume 
des  cieuy,  dul  paraître  étrange  aux  Juifs  :  ils  n'en  avaient  jamais  entendu 
prononcer  le  nom.  Ce  langage  était  certainement  obscur  pour  eux,  et  ils 
étaient  incapables  de  le  comprendre  ;  car  il  ne  paraît  pas  que  saint  Jean  leur 
en  ait  expliqué  le  mystère.  Jésus-Christ  s'était,  sans  doute,  réservé  d'en 
donner  lui-même  l'intelligence  par  les  comparaisons,  les  paraboles  et  les 
explications  diverses  dont  nous  trouvons  tant  d'exemples  dans  l'Evangile. 
Cependant  il  n'était  guère  possible,  môme  aux  esprits  les  plus  grossiers,  de 
prendre  dans  un  sens  matériel  et  terrestre  la  promesse  du  royaume  exclusi- 
vement spirituel  annoncé  par  le  Précurseur. 

On  peut,  en  effet,  juger  ordinairement  de  la  richesse,  de  l'opulence  et 
de  la  gloire  d'un  royaume  par  la  pompe  et  l'éclat  dont  le  monarque  qui 
préside  à  ses  destinées  se  plaît  à  entourer  son  ambassadeur.  Or,  Jean-Bap- 
tiste était  certainement,  aux  yeux  mêmes  des  Juifs,  l'ambassadeur  que  Dieu 
avait  comblé  de  plus  de  gloire,  de  faveur  et  de  crédit;  aucun  des  anciens 
Prophètes  ne  pourrait  lui  être  comparé  avec  avantage.  Mais  était-il  possible 
d'attendre  et  d'espérer  trouver  des  richesses  matérielles,  des  plaisirs  ter- 
restres, un  bonheur  sensuel  ou  des  délices  charnelles  dans  un  royaume  dont 
le  représentant  pratiquait  la  pauvreté  la  plus  absolue,  les  jeûnes  les  plus 
rigoureux,  la  mortification  la  plus  complète,  et  la  guerre  la  plus  cruelle  à 
lui-même?  Le  fils  de  Zacharie  était  le  digne  avant-coureur  de  Celui  qui 
n'avait  pas  un  lieu  pour  reposer  sa  tête,  qui  avait  vu  le  jour  dans  une  étable, 
vivait  de  son  travail  ou  des  offrandes  qu'on  lui  faisait,  et  qui  devait  enfin 
terminer  sa  vie  sur  une  croix.  C'est  pour  cela  que  Jésus-Christ  dit  :  «  Depuis  le 
temps  de  Jean-Baptiste  jusqu'à  présent,  le  royaume  des  cieux  se  prend  par  vio- 
lence, et  ce  sont  les  violents  qui  l'emportent  ;  car,  jusqu'à  Jean,  touslesPro- 
phètes,  aussi  bien  que  la  loi,  ont  prophétisé  '  »,  c'est-à-dire  se  sont  contentés 
d'annoncer  les  choses  à  venir,  tandis  que  le  Précurseur  les  a  montrées 
présentes  et  a  indiqué  que  c'est  par  la  pénitence  que  l'on  peut  les  conquérir. 

Au  bruit  des  premières  prédications  de  saint  Jean,  les  peuples  accou- 
rurent en  foule  ;  «  et  de  toute  la  Judée,  de  la  ville  de  Jérusalem  et  de  tout 
le  pays  des  environs  du  Jourdain,  ils  venaient  le  trouver,  et  confessant  leurs 
péchés,  ils  recevaient  de  lui  le  baptême  dans  le  fleuve  du  Jourdain*».  Les 
Pharisiens  eux-mêmes  et  les  Saducéens  n'avaient  pu  résister  à  l'entraîne- 
ment général  qui  attirait  toutes  les  villes  vers  les  rives  désertes  du  Jour- 
dain ;  ils  se  mêlaient  à  la  foule  pour  aller  écouter  saint  Jean-Baptiste,  et 
même  pour  recevoir  son  baptême.  Mais  sachant  qu'ils  venaient  à  lui  pour  se 
ménager  l'opinion  publique,  ou  peut-être  pour  le  surprendre  dans  ses  dis- 
cours, plutôt  que  pour  faire  pénitence,  il  ne  craignit  pas  de  leur  adresser 
des  paroles  dures  et  humiliantes,  et  de  découvrir  publiquement  le  masque 
d'hypocrisie  sous  lequel  ils  dissimulaient  leurs  vices  secrets. 

Ces  Juifs  orgueilleux  se  vantaient  sans  cesse  d'être  enfants  des  patriarches 
et  des  Prophètes.  «  Nous  sommes  »,  disaient-ils  fièrement,  «  nous  sommes 
de  la  race  d'Abraham  ».  Ils  voulaient,  par  là,  s'approprier  en  quelque  façon 
la  gloire  de  ces  saints  personnages;  dans  leur  orgueil,  ils  croyaient  qu'étant 
reconnus  héritiers  de  leur  sang,  ils  avaient  aussi  un  droit  incontestable  aux 
mérites  de  leurs  vertus  et  de  leur  sainteté. 

Pour  leur  faire  déposer  cette  illusion,  le  Précurseur  les  nomme  au  con- 
traire :  races  de  vipères.  Cette  locution,  d'après  le  style  de  la  langue 
hébraïque,  ne  signifie  autre  chose  que  ceci  :  enfants  détestables  de  pères 
corrompus,  vous  avez  en  vous-mêmes  tout  le  venin  dont  vous  avez  hérité 

1.  Mattb.,  SI,  12.  —  2.  Matth.,  m;  Marc,  i;  Lac,  lu. 


286  24  JUIN. 

d'eux  et  vous  empoisonnez  tous  les  autres  par  vos  scandales.  11  les  compa- 
rait ainsi  à  des  reptiles  malfaisants,  parce  qu'ils  s'attachaient  à  mordre  et  à 
déchirer  les  saints  eux-mêmes,  en  empoisonnant  du  venin  de  leurs  calom- 
ûies  les  paroles  et  les  actions  de  ceux-ci. 

Le  Précurseur  les  frappa  et  les  ellraya  dès  le  commencement  de  son  dis- 
cours en  leur  parlant  de  l'enfer.  Il  était  en  effet  loin  de  leur  tenir  un  langage 
ordinaire;  il  ne  leur  dit  pas,  par  exemple  :  Qui  vous  a  enseigné  à  éviter  les 
euerres,  à  fuir  l'invasion  ou  la  captivité,  la  disette  ou  les  maladies?  Mais  il  les 
menace  d'un  autre  supplice  dont  jamais  peut-être  ils  n'avaient  entendu  parler. 
«  Qui  vous  a  appris  »,  leur  dit-il, «  à  fuir  devant  la  colère  à  venir*  ?  » 

Cependant  le  Précurseur  ne  se  contente  pas  d'adresser  des  reproches  et 
de  faire  des  menaces,  il  ajoute  des  conseils  salutaires  :  «  Faites  donc  »,  leur 
dit-il,  «  faites  de  dignes  fruits  de  pénitence».  Une  suffit  pas,  en  effet,  de 
fuir  le  mal,  il  faut,  de  plus,  s'adonner  à  la  pratique  de  la  vertu. 

Avec  quelle  sagesse  il  respecte  la  mémoire  des  patriarches,  en  s'efforçant 
de  corriger  leurs  enfants  !  En  leur  adressant  ces  mots  :  «  Gardez-vous  de 
dire  :  Nous  avons  pour  père  Abraham  »;  il  n'ajoute  pas  :  Ce  patriarche  ne 
peut  vous  servir  de  rien;  il  continue,  au  contraire,  avec  plus  de  douceur  et 
de  modération  en  disant  :  «  Dieu  peut  susciter  de  ces  pierres  mêmes  des 
enfants  à  Abraham  ».  La  plupart  des  interprètes  pensent  que  le  Précurseur  a 
voulu  désigner,  par  ces  paroles,  la  vocation  des  Gentils,  que,  par  métaphore, 
et  pour  indiquer  leur  insensibilité  première,  il  nomme  des  pierres. 

Quelques  auteurs  disent  qu'en  prononçant  ces  mots,  saint  Jean  montrait 
du  doigt  les  douze  pierres  apportées  par  les  chefs  des  douze  tribus  d'Israël, 
du  milieu  du  fleuve,  et  amoncelées  sur  le  rivage;  et  celles,  en  pareil  nombre, 
qu'ils  avaient  prises  sur  le  rivage  pour  les  déposer  dans  le  Jourdain,  afin  de 
servir  de  monument  de  témoignage  *. 

Remarquons  comment  saint  Jean-Baptiste,  cet  admirable  modèle  des 
prédicateurs,  frappe  de  terreur  les  Pharisiens,  sans  leur  enlever  cependant 
toute  espérance  ;  car  il  ne  dit  pas  :  Dieu  a  déjà  suscité  ;  mais  il  se  contente 
de  ces  mots  :  «  Dieu  peut  susciter  ».  Il  n'ajoute  pas  :  Dieu  peut  faire  naître 
des  hommes  des  pierres  ;  mais,  ce  qui  était  beaucoup  plus  fort,  des  parents 
et  des  fils  d'Abraham.  Avec  quel  art  il  leur  enlève  tout  prétexte  d'orgueil 
provenant  de  leur  naissance  selon  la  chair,  et  les  poursuit  jusque  dans  ce 
refuge  de  leur  parenté  avec  les  patriarches,  pour  ne  leur  laisser  plus  d'autre 
moyen  qu'une  sincère  conversion,  plus  d'autre  espoir  que  dans  la  sainteté 
de  leur  vie! 

Après  leur  avoir  montré  que  l'alliance  charnelle  ne  peut  leur  servir  de 
rien  devant  Dieu,  il  leur  fait  sentir  la  nécessité  de  la  parenté  que  donne  la 
foi,  et  continue  ensuite  d'augmenter  cette  terreur  salutaire,  cette  inquié- 
tude de  l'âme  qu'il  leur  a  déjà  inspirée.  Car,  après  avoir  dit  :  «  Dieu  peut 
susciter  de  ces  pierres  mêmes  des  enfants  à  Abraham  »,  il  ajoute,  pour  les 
effrayer  davantage  encore  :  «  Déjà  la  cognée  est  à  la  racine  des  arbres.  Tout 
arbre  qui  ne  porte  pas  de  bons  fruits  sera  coupé  et  jeté  au  feu  ».  Par  cette 
comparaison,  saint  Jean  excite  ses  auditeurs  à  porter  des  fruits  de  péni- 
tence, en  leur  mettant  sous  les  yeux  l'horreur  du  feu  éternel.  C'est  comme 
s'il  leur  disait  :  Faites  de  dignes  fruits  de  pénitence,  produisez  des  bonnes 
œuvres,  et  ne  vous  flattez  pas  de  la  sainteté  et  de  la  noblesse  d'Abraham  ; 
ne  comptez  pas  sur  la  fécondité  de  la  foi  de  vos  pères  pour  rester  vous- 
mêmes  stériles  ;  car  si  vous  ne  portez  pas  des  fruits,  quoique  descendus 
d'Abraham  qui  en  a  tant  porté,  vous  serez  retranchés  comme  des  arbres 

1,  ilatth.,  ni,  7 2.  p.  Comestor  ;  Dionys.  Carthu». 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,  PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  287 

stériles  et  vous  serez  jetés  au  feu.  La  hache  de  la  justice  divine  est  déjà  près 
de  la  racine  des  arbres,  c'est-à-dire  elle  menace  la  vie  des  hommes  qui  ne 
produisent  rien.  Tout  arbre,  ou  plutôt  tout  homme  qui  ne  produit  pas  les 
fruits  qu'on  est  en  droit  d'attendre  de  lui,  sera  coupé  jusqu'à  la  racine  par 
la  cognée  de  la  justice  de  Dieu,  et  deviendra  la  proie  du  feu  éternel. 

C'est  par  de  telles  paroles  que  le  fils  de  Zacharie  épouvanta  les  Pharisiens 
et  mit  le  trouble  dans  l'âme  des  soldats  eux-mêmes;  il  ne  les  jetait  pas 
dans  le  désespoir  ;  mais  il  les  retirait  de  l'abîme  de  l'indifférence  où  ils 
étaient  endormis.  Son  langage,  propre  à  causer  à  son  auditoire  de  si  vives 
alarmes,  était  cependant  mélangé  de  beaucoup  de  motifs  de  consolation; 
car,  en  menaçant  seulement  l'arbre  qui  ne  porte  pas  de  bons  fruits,  il  mon- 
trait que  celui  qui  en  produit  de  bons  serait  certainement  épargné  et  ménagé. 

Le  discours  du  saint  Précurseur  était  adressé  à  tout  le  peuple  accouru 
pour  l'entendre;  mais  il  était  surtout  prononcé  pour  les  grands,  les 
Pharisiens  et  les  Saducéens  qu'il  avait  aperçus  dans  la  foule,  comme  nous 
l'apprend  saint  Matthieu.  On  ne  peut  guère  douter  que  quelques-uns  d'entre 
eux  ne  se  soient  convertis  à  sa  voix  ;  cependant  il  est  certain  que  la  plu- 
part résistèrent  à  l'appel  de  la  grâce  qui  parlait  par  sa  bouche.  C'est  pour 
cela  que  Jésus-Christ  leur  fit,  plus  tard,  ce  reproche  :  «  Les  Publicains  et 
les  femmes  publiques  vous  précéderont  dans  le  royaume  de  Dieu,  parce 
qu'ils  ont  cru  à  la  parole  de  Jean  ». 

La  foule,  ébranlée  par  les  menaces  du  saint  Précurseur,  troublée  à  la 
pensée  des  châtiments  qu'il  venait  de  lui  annoncer,  mais  cependant  con- 
fiante en  la  miséricorde  de  Dieu,  qui  voulait  bien  différer  encore  l'action  de 
la  justice,  le  simple  peuple,  surtout,  s'empressa  de  demander  ce  qu'il  fal- 
lait faire  pour  produire  de  bons  fruits  et  prévenir  ainsi  les  coups  de  la  co- 
gnée menaçante.  Car  il  lui  semblait  que  la  vengeance  n'allait  plus  différer, 
et  il  voulait  se  hâter  de  conjurer  l'orage  dont  l'annonce  l'avait  effrayé. 
«  Que  devons-nous  donc  faire  ?  »  s'écriait-on  de  toutes  parts. 

La  manière  d'apaiser  Dieu  nous  est  donnée  par  Dieu  lui-même.  Ses 
divins  oracles  enseignent  aux  pécheurs  que  c'est  par  les  bonnes  œuvres  et 
par  les  mérites  de  l'aumône  que  les  péchés  peuvent  être  expiés. 

L'Ancien  Testament  ne  parlait  de  la  bienfaisance  et  de  l'aumône  que 
d'une  manière  vague,  et  ne  spécifiait  en  aucune  façon  jusqu'à  quelle  limite 
ce  devoir  était  obligatoire.  C'était  le  régime  de  la  justice  stricte  et  rigou- 
reuse ;  et  le  plus  haut  degré  de  perfection,  admis  et  reconnu  alors,  était 
contenu  dans  ces  paroles  du  Sage  :  «  Si  votre  ennemi  a  faim,  donnez-lui  à 
manger,  et  s'il  a  soif,  donnez-lui  de  l'eau  à  boire  ». 

Saint  Jean-Baptiste,  qui  était  l'intermédiaire  des  deux  Testaments,  ne 
prescrit  pas  seulement  de  donner  à  celui  qui  est  dans  le  besoin,  mais  il  com- 
mande de  partager  avec  lui.  C'était,  pour  ainsi  dire,  la  préface  du  précepte 
nouveau  apporté  par  Jésus-Christ.  «  Que  celui  »,  dit-il,  «  qui  a  deux  tuni- 
ques, en  donne  une  à  celui  qui  n'en  a  point  ;  que  celui  qui  a  des  aliments, 
fasse  de  même  ».  Il  n'ordonne  donc  pas  seulement  la  bienfaisance,  cette 
vertu  humaine  que  l'on  pratique  assez  facilement  par  une  pente  naturelle 
du  cœur  ;  il  ne  s'arrête  pas  à  une  compassion  sentimentale,  mais  stérile  ;  il 
va  tout  d'un  coup  à  la  charité  véritable,  qui  ne  se  contente  pas  de  donner 
d'une  main  indifférente,  froide,  ou  rétrécie,  mais  qui  ajoute  une  nouvelle 
valeur,  un  nouveau  degré  d'excellence  à  l'aumône  en  la  faisant  par  amour 
et  au  prix  de  sacrifices  réels  et  personnels. 

Un  des  plus  remarquables  triomphes  de  l'éloquence  apostolique  de  saint 
Jean-Baptiste,  le  plus  propre  à  nous  donner  une  idée  de  l'efficacité  de  ses 


288  24  JUIN. 

prédications,  du  retentissement  qu'elles  avaient  dans  tout  le  pays,  et  de 
l'empire  qu'elles  exerçaient  sur  les  esprits  et  sur  les  cœurs,  c'est  qu'il 
amena  les  Publicains  eux-mêmes  à  venir  l'entendre,  à  se  laisser  convaincre 
et  persuader  au  point  qu'ils  lui  demandèrent,  avec  autant  de  docilité,  de 
soumission  et  de  simplicité  que  le  commun  du  peuple,  ce  qu'ils  avaient  à 
faire  pour  opérer  leur  salut. 

Les  Publicains  étaient  les  fermiers  ou  receveurs  des  deniers  publics,  les 
préposés  aux  recettes  de  la  douane  et  de  certains  droits  odieux  au  peuple. 
Ces  employés  toujours  assez  mal  vus  partout,  à  cause  de  la  nature  de  leurs 
fonctions,  étaient,  pour  les  Juifs  surtout,  un  objet  d'exécration.  Cette  nation 
se  piquait  particulièrement  de  liberté,  et  ne  pouvait  voir  qu'avec  une 
extrême  répugnance  les  Publicains  exiger  des  tributs  imposés  par  les 
Romains  à  leur  profit.  Beaucoup  de  Juifs  ne  croyaient  même  pas  qu'il  fût 
permis  de  payer  le  tribut  à  un  pouvoir  étranger.  Ceux  de  leur  nation  qui 
entraient  dans  les  rangs  des  Publicains  étaient  regardés  comme  des  païens. 
On  dit  même  qu'ils  ne  leur  permettaient  point  d'entrer  dans  le  temple  ni 
dans  les  synagogues  ;  ils  ne  les  admettaient  point  à  la  participation  de  leurs 
prières,  ni  aux  charges  judiciaires,  ni  à  rendre  témoignage  en  justice;  on 
ne  recevait  même  pas  leurs  offrandes. 

Une  partie  considérable  de  ces  fonctionnaires  étaient  juifs  de  nation; 
mais  ne  tenant  aucun  compte  de  la  religion,  qu'ils  étaient  censés  avoir  ab- 
jurée par  le  fait,  ils  s'unissaient  aux  Romains  par  une  société  si  étroite, 
qu'ils  se  mettaient  même  au  service  de  ces  étrangers  pour  faire  peser  sur 
leurs  frères  une  oppression  plus  tyrannique. 

Ces  publicains,  réunis,  vinrent  donc  trouver  saint  Jean-Baptiste  pour  se 
faire  baptiser  par  lui.  Pendant  que  les  scribes  et  les  docteurs  de  la  loi  mé- 
prisaient le  dessein  de  Dieu  sur  eux,  en  se  croyant  sages  et  restant  remplis 
d'eux-mêmes,  ils  se  laissaient  précéder  dans  le  royaume  de  Dieu  par  les 
pécheurs  les  plus  discrédités,  tels  que  les  Publicains  et  les  femmes  publi- 
ques. L'Evangile  ne  nous  rapporte  qu'un  mot  de  l'entretien  des  Publicains 
avec  le  Précurseur,  et  de  la  réponse  qu'il  leur  adressa  pour  les  exhorter. 
«  Maître  »,  lui  dirent-ils,  «  que  faut-il  que  nous  fassions  ?  » 

Dans  l'esprit  des  Juifs,  et  surtout  de  ceux  de  la  secte  des  Pharisiens,  le 
fils  de  Zacharie  eût  dû  repousser  et  éloigner  de  sa  personne  ces  hommes 
diffamés  et  odieux.  Mais  le  précurseur  de  Celui  qui  venait  rechercher  et 
sauver  les  pécheurs,  ne  devait  point  se  conduire  d'après  l'opinion  du 
monde.  C'est  pour  cela  que,  loin  de  les  mépriser  publiquement,  il  accueille 
ces  hommes  souillés  de  rapine  et  d'injustices;  au  lieu  de  leur  adresser  des 
reproches,  comme  aux  Pharisiens,  il  ne  dédaigne  pas  de  les  regarder  comme 
ses  disciples,  en  permettant  qu'ils  lui  donnent  le  nom  de  maître.  Que  va-t-il 
leur  prescrire,  cet  homme  si  détaché,  si  austère,  si  dur  à  lui-même  ;  ce  censeur 
inflexible  de  tous  les  désordres  ?  Ya-t-il  ordonner  à  ces  pécheurs  publics 
de  renoncer  sur-le-champ  à  leurs  fonctions  avilies  et  déshonorantes  ? 
Leur  commandera-t-ilde  se  livrer  à  une  pénitence  rigoureuse  en  proportion 
du  blâme  et  du  mépris  qui  les  rend  l'objet  de  l'exécration  générale  ? 

Les  saints,  toujours  habiles  et  expérimentés  dans  l'art  difficile  delr  con- 
duite des  âmes,  n'ont  pas  coutume  d'effrayer  et  de  décourager  les  pécheurs 
dès  le  début  de  leur  conversion  ;  ils  ont  soin  de  leur  montrer  d'abord  la 
voie  la  plus  facile,  et,  pour  les  encourager  et  les  stimuler,  ils  prennent  eux- 
mêmes  des  sentiers  ardus  et  difficiles , qu'ils  franchissent  comme  en  se  jouant. 
Ainsi  fit  saint  Jean-Baptiste  à  l'égard  des  Publicains.  Pour  les  rendre  dignes  de 
correspondre  à  la  grâce,  il  ne  demande  de  leur  part  que  de  se  conformer  aux 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  289 

devoirs  et  aux  obligations  strictes  et  rigoureuses  de  leur  emploi,  a  N'exigez 
rien  »,  leur  dit-il,  «  au-delà  de  ce  qui  vous  est  prescrit  ». 

Dieu  se  plut  à  bénir  cette  conduite  du  Précurseur.  Car  les  Publicains 
correspondirent  au  dessein  du  Seigneur  et  aux  avances  de  la  grâce.  Non- 
seulement  ils  se  rendirent  dignes  d'être  admis  au  baptême  de  Jean,  tandis 
que  les  Pharisiens  en  furent  repoussés  ;  mais  il  s'en  trouva  parmi  eux  qui 
méritèrent  d'être  comptés  parmi  les  disciples,  et  môme  de  prendre  rang  au 
milieu  des  Apôtres  du  Christ,  Tels  furent  Zachée,  prince  des  Publicains,  et 
Matthieu  qui  était  encore  à  son  comptoir  lorsqu'il  entendit  une  voix  auguste 
lui  donner  cet  ordre  :  «  Suivez- moi  ». 

A  l'exemple  des  Publicains,  les  soldats  vinrent  aussi,  à  leur  tour,  écouter 
la  voix  qui  retentissait  avec  tant  d'écho  et  tant  de  succès  sur  les  rives  du 
Jourdain.  Il  y  avait  alors  en  Judée  trois  catégories  différentes  de  soldats. 
Les  uns,  sous  les  ordres  d'Hérode,  étaient  occupés  à  faire  la  guerre  à  Arétas, 
roi  d'Arabie  ;  les  autres,  sous  le  commandement  du  préfet  du  temple,  étaient 
chargés  de  veiller  à  la  garde  de  cet  édifice,  qui  était  une  véritable  forte- 
resse ;  les  derniers,  enfin,  obéissaient  aux  Romains  dans  la  personne  de 
Pilate,  gouverneur  de  la  province.  A  l'exception  de  ceux-ci,  qui  étaient 
étrangers,  les  autres  appartenaient  à  la  nation  et  à  la  religion  juive. 

Ces  hommes,  que  leur  état  rendait  naturellement  insensibles  et  indiffé- 
rents, et  chez  lesquels  la  licence  des  camps  avait  encore  augmenté  l'au- 
dace, l'insolence  et  la  cruauté,  furent  bientôt  remués  jusqu'au  fond  du  cœur 
en  entendant  la  voix  de  saint  Jean-Baptiste.  Touchés  de  componction,  le 
repentir  dans  le  cœur,  ils  réclamèrent  aussi  le  privilège  d'être  admis  au 
baptême  de  la  pénitence.  Comme  les  Publicains,  ils  s'abaissèrent  humble- 
ment à  leurs  propres  yeux,  ne  craignirent  pas  de  dégrader  leur  valeur  et  la 
gloire  de  leurs  armes  en  demandant  à  grands  cris,  avec  autant  de  simplicité 
que  la  foule,  et  de  franchise  que  les  Publicains  ;  «  Que  ferons-nous  aussi 
à  notre  tour  ?  » 

La  réponse  du  Précurseur  aux  Publicains  fait  pressentir  ce  qu'il  va  exi- 
ger des  soldats.  Il  voulait,  dit  saint  Jean  Chrysostome,  les  engager  à  une 
plus  grande  perfection  ;  mais  comme  ils  n'en  étaient  pas  encore  capables,  il 
se  contenta  de  leur  proposer  des  choses  communes  et  ordinaires,  dans  la 
crainte  qu'en  leur  conseillant  des  œuvres  et  des  vertus  plus  élevées,  ils  ne 
pussent  y  atteindre,  et  fussent  ainsi  privés  des  unes  et  des  autres.  Il  avait 
appris,  selon  le  conseil  du  Sage,  à  ne  pas  être  trop  juste,  et  à  ne  pas  porter 
la  prudence  plus  loin  qu'il  n'est  nécessaire.  Il  ne  dit  donc  pas  aux  soldats  : 
Déposez  vos  armes,  laissez  là  le  métier,  fuyez  les  dangers  de  la  guerre, 
livrez-vous  désormais  à  la  prière,  et  ne  tenant  plus  compte  des  ordres  de 
votre  général,  gardez-vous  surtout  de  répandre  le  sang.  Il  ne  leur  fait  au 
contraire  d'autres  prescriptions  que  celles-ci  :  «  N'exercez  point  de  concus- 
sion ;  ne  calomniez  personne  ;  mais  contentez-vous  de  votre  solde  ». 

C'était  un  vice  ordinaire  parmi  les  soldats  de  faire  des  accusations 
fausses  contre  les  citoyens,  sous  prétexte  de  trahisons,  de  relations  avec 
l'ennemi,  etc.;  par  ces  honteuses  délations,  ils  contraignaient  des  citoyens 
innocents  à  traiter  avec  eux.  Le  Précurseur  leur  défend  donc  de  chercher  la 
moindre  occasion  de  s'enrichir  par  la  calomnie  aux  dépens  des  citoyens, 
qu'ils  ont  au  contraire  la  mission  de  protéger. 

Jean-Baptiste,  le  plus  grand  des  Prophètes,  ne  pouvait  manquer  d'avoir 

des  disciples  :  ses  prédications  lui  en  gagnaient  tous  les  jours.  En  effet, 

l'Evangile  nous  en  parle  en  plusieurs  circonstances,  mais  sans  rien  dire 

de  précis  à  ce  sujet  ,  ni  sur  leur  nombre ,  ni  sur  leurs  noms  ,  si  ce 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  19 


290  24  JUIN. 

n'est  celui  d'André.  Nous  lisons,  dans  une  légende  autorisée  par  l'Eglise, 
puisqu'elle  se  trouve  dans  le  Bréviaire  romain  *,  qu'un  grand  nombre  de 
ces  hommes  qui  marchaient  sur  les  traces  des  prophètes  Elle  et  Elisée, 
furent  préparés ,  par  les  instructions  de  Jean-BapListe ,  à  la  venue  de 
Jésus-Christ;  et  qu'après  s'être  convaincus  de  la  vérité  de  ce  qui  leur 
avait  été  annoncé  par  le  Précurseur,  ils  embrassèrent  la  foi  de  l'Evangile. 
Ils  eurent  l'honneur  de  construire,  plus  tard,  le  premier  sanctuaire  dédié 
au  culte  de  la  sainte  Vierge,  sur  le  mont  Carmel.  On  croit  que  c'étaient  des 
Esséniens. 

N'eût-il  compté  ,  d'ailleurs  ,  dans  son  école,  d'autres  disciples  que 
ceux  qui  méritèrent  d'être  choisis  par  le  Sauveur  pour  aller  porter 
son  Evangile  au  monde  entier,  quelle  gloire  pour  lui  d'avoir  engendré, 
selon  l'Esprit,  autant  de  fils  destinés  à  propager  la  race  spirituelle,  que 
Jacob  eut  d'enfants  selon  la  chair  pour  donner  le  jour  à  un  peuple 
charnel  ! 

Et  de  fait,  on  ne  saurait  douter,  dit  Tillemont,  que  les  Apôtres  n'aient 
reçu  le  baptême  de  saint  Jean.  Ils  furent  même  des  premiers  admis  à 
cette  grâce ,  selon  saint  Jean  Chrj'sostome  ,  et  cela  n'est  point  surpre- 
nant ;  car,  continue  cet  illustre  docteur,  si  les  femmes  publiques  et  les 
Publicains  se  présentèrent  à  ce  baptême,  à  plus  forte  raison  ceux  qui 
devaient  plus  tard  être  baptisés  par  le  Saint-Esprit,  durent-ils  y  accou- 
rir. L'Evangile,  d'ailleurs,  nous  le  dit  suffisamment.  II  est  certain,  d'un 
côté,  que  Jésus-Christ  ne  baptisait  pas  lui-môme';  car  pourquoi  aurait-il 
baptisé,  dit  TertuUien?  Pour  la  pénitence?  Alors  quel  besoin  avait-il 
d'un  Précurseur?  Pour  la  rémission  des  péchés?  Il  les  remettait  d'une 
seule  parole.  Aurait-il  baptisé  en  son  nom  ?  Mais,  par  humilité,  il  voulait 
être  inconnu.  Au  nom  du  Saint-Esprit?  Il  n'avait  pas  encore  été  envoyé 
par  le  Père.  Au  nom  de  l'Eglise  ?  Les  Apôtres  ne  l'avaient  pas  encore 
établie.  De  l'autre  côté,  l'Evangile  nous  apprend  encore  que  saint  Pierre 
avait  été  baptisé,  puisque,  sur  la  demande  qu'il  adressait  à  Notre-Sei- 
gneur  de  lui  laver  non-seulement  les  pieds ,  mais  encore  les  mains  et 
la  tête,  Jésus  lui  répondit  :  «  Celui  qui  a  été  baptisé  (ou  lavé),  n'a  plus 
besoin  que  de  se  laver  les  pieds  ».  Il  en  était  de  même,  sans  doute,  des 
autres  Apôtres  ;  car,  continue  TertuUien,  est-il  croyable  qu'ils  n'aient  pas 
été  baptisés  par  Jean,  ceux  qui  devaient  bientôt  aller  baptiser  toutes 
les  nations?  Le  Seigneur,  qui  n'était  obligé  à  aucune  pénitence,  avait 
reçu  ce  baptême,  et  il  n'aurait  pas  été  nécessaire  à  des  pécheurs  ?  Nous 
lisons ,  dans  les  Actes  des  Apôtres ,  que  Jésus-Christ  rappelle  lui-même 
à  ses  disciples  «  qu'ils  ont  reçu  de  Jean  le  baptême  d'eau'».  Après 
la  résurrection,  saint  Pierre  proposant  aux  fidèles  de  désigner  un  suc- 
cesseur à  Judas  dans  l'apostolat,  leur  déclare  qu'il  est  nécessaire  que  co 
nouvel  apôtre  soit  un  de  ceux  qui  ont  vécu  avec  Jésus  depuis  le  baptême  de 
Jean  *.  Ne  semble-t-il  pas  vouloir  dire  par  là  que  le  candidat  devait  non- 
seulement  avoir  suivi  Jésus-Christ  depuis  le  commencement  de  sa  prédica- 
tion, mais  encore  y  avoir  été  préparé  par  le  baptême  et  l'enseignement  de 
saint  Jean-Baptiste  ? 

Nous  savons,  d'une  manière  positive,  que  le  premier  des  Apôtres,  choisi 
par  Jésus-Christ,  fut  saint  André,  disciple  du  Précurseur^  ;  un  autre  des 
disciples  de  ce  dernier  se  trouvait  aussi  avec  André  dans  cette  circonstance  ; 
saint  Jean  Chrysostome  rapporte  que  c'était  Jean  l'évangéliste  ;  Théophy- 

1.  Die  16  JulU.  —  3.  Joan.,  iv,  8.  —  8.  Tr»auct.  de  Bossuet,  xxi  sem.  6  éiév.  —  4.  Act.,  i,  21.  — 


I 


SAINT  JEAN -BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  291 

lacté  l'affirme  positivement.  C'est  ce  qui  paraît  plus  certain  encore  par  le 
silence  même  de  l'évangélisle  qui  nous  rapporte  ce  fait;  car  cet  évangéliste 
est  saint  Jean  lui-môme,  qui  évitait  souvent  de  se  nommer,  comme  on  peut 
le  remarquer.  Si  André  était  disciple  de  saint  Jean-Baptiste,  nous  ne  pou- 
vons douter  qu'il  n'en  fût  de  môme  de  Pierre,  le  frère  et  le  compagnon 
inséparable  d'André.  Nous  pouvons  en  conclure  la  môme  conséquence  à 
l'égard  de  Jacques,  fils  de  Zébédée  et  frère  de  Jean  l'évangéliste,  tous 
quatre  associés  pour  la  poche  '.  lis  s'unirent  ensemble  pour  suivre  Jésus- 
Christ,  parce  que  déjà  ils  étaient  attachés  entre  eux  par  l'identité  de  la  foi 
et  des  dispositions  saintes  que  le  Précurseur  avait  semées  et  cultivées  dans 
leurs  cœurs. 

Nous  trouvons  encore,  dans  les  Actes  des  Apôtres,  les  traces  d'un  autre 
disciple  du  Précurseur,  qui  exerçait  jusque  dans  la  ville  d'Ephôse  la  fonc- 
tion d'apôtre  sans  avoir  été  initié  à  l'Evangile  par  d'autres  que  par  notre 
glorieux  Saint.  ApoUo,  dont  saint  Luc  nous  parle  comme  d'un  «  homme 
éloquent  et  puissant  dans  les  Ecritures,  qui  était  instruit  dans  la  voie  du 
Seigneur,  et  parlait  avec  ferveur,  enseignant  exactement  ce  qui  concernait 
Jésus  »,  ne  savait  pourtant,  touchant  le  Sauveur,  que  ce  qu'il  en  avait  appris 
à  l'école  du  Précurseur  ;  car  «  il  ne  connaissait  encore  que  le  baptême  du 
fils  de  Zacharie''  ». 

Nous  ne  savons  rien  de  plus  positif  et  de  plus  certain  sur  les  disciples  du 
saint  Précurseur.  Quelques  auteurs  ont  pensé  qu'ils  ne  suivaient  pas  assi- 
dûment leur  Maître.  Il  en  fut  de  même  de  ceux  de  Jésus-Christ,  au  moins 
dans  le  commencement  de  sa  prédication.  Les  disciples  de  saint  Jean 
venaient  donc  souvent  le  trouver  et  converser  avec  lui  ;  ils  retournaient 
ensuite  à  leurs  affaires,  ou  bien  au  ministère  qu'il  leur  confiait. 

Cependant,  les  disciples  de  Jean  avaient  encore  d'autres  soins  que  celui 
d'instruire  les  autres  et  de  les  amener  à  écouter  les  enseignements  de  leur 
maître  :  ils  devaient  travailler  surtout  à  leur  propre  perfection.  A  l'exemple 
de  leur  maître,  ils  unissaient  la  vie  active  à  la  vie  contemplative.  C'est  pour 
cela  que  saint  Jean  leur  avait  prescrit  une  règle  de  vie,  soit  pour  continuer 
d'habiter  dans  leurs  demeures  ordinaires,  soit  pour  se  livrer  à  la  prédication 
évangélique,  ou  bien  pour  vivre  dans  la  solitude  comme  lesEsséniens.  C'est 
ce  qui  a  fait  dire  à  quelques  Pères  de  l'Eglise  '  que  saint  Jean  fut  le  prince  de 
la  vie  monastique.  Nous  ne  pouvons  préciser  en  quoi  consistait  le  genre  de 
vie  des  disciples  du  Précurseur.  Nous  savons  cependant  qu'ils  observaient 
des  jeûnes  fréquents  et  austères,  à  l'exemple  de  leur  maître,  et  qu'ils  avaient 
une  formule  spéciale  de  prières,  dilférente  de  toutes  celles  qui  étaient  en 
usage  chez  les  Juifs.  La  tradition  ne  nous  en  apprend  pas  plus  que  l'Evan- 
gile à  ce  sujet. 

Nous  pouvons  cependant  conjecturer  que  la  manière  de  prier,  enseignée 
par  le  Précurseur  à  ses  disciples,  avait  quelque  chose  de  bien  remarquable, 
et,  sans  doute,  était  plus  excellente  et  plus  parfaite  que  toutes  les  prières 
et  les  cantiques  de  l'ancien  Testament  ;  car  ce  saint  personnage,  qui  était 
plus  que  prophète,  n'avait  pas  cru  devoir  se  contenter  de  ce  qu'il  avait 
trouvé  avant  lui.  Aussi,  l'un  des  disciples  du  Sauveur,  excité  par  ce  qu'il 
savait  déjà  des  enseignements  de  saint  Jean-Baptiste  au  sujet  de  la  prière,  et 
dans  l'espoir  d'en  recevoir  une  formule  plus  parfaite  encore  de  la  part  de 
Jésus-Christ,  lui  adressa  un  jour  cette  demande  :   «  Seigneur,  enseignez- 

1.  C.  k  Lapide.  —  2.  Act.,  xviii,  24. 

3.  Ilyeron.,  Epist.  xxn  ad  Eustoch.;  Ciirysost.,  bomil.  l  ia  Marc;  S.   BeruarJ.;  CuiSiau.;   C«n/8., 
lib.  i  da  Vevbi  Dei  corrept.,  c.  2. 


292  24  JUIN. 

nous  à  prier,  ainsi  que  Jean  lui-même  l'a  appris  à  ses  disciples  ».  Ce  fut 
pour  répondre  à  ce  désir  que  le  Sauveur  dicta  l'Oraison  dominicale,  la  plus 
complète  et  la  plus  parfaite  de  toutes  les  formules  par  lesquelles  l'homme 
puisse  exposer  au  Tout-Puissant  ses  besoins,  lui  adresser  ses  supplications 
et  lui  exprimer  ses  espérances. 

Saint  Jean-Baptiste  ne  se  faisait  pas  accompagner  pour  l'ordinaire  de 
ses  disciples,  parce  qu'il  n'avait  point  pour  but  de  les  attacher  à  sa  per- 
sonne, et  de  se  grandir  en  s'en  faisant  un  cortège. 

Il  ne  voulait  d'un  autre  côté  donner  aucun  prétexte  d'incrimination 
contre  lui  pour  cause  d'attroupements  ou  de  complots  politiques.  Ce  qui 
n'empêcha  pas,  cependant,  que  cette  accusation  ne  lui  fût  imputée  dans  la 
suite,  comme  nous  le  verrons  plus  loin. 

Non-seulement  le  fils  de  Zacharie  ne  cherchait  point  à  s'attacher  ceux 
qu'entraînait  la  force  de  son  éloquence,  que  l'odeur  de  sa  sainteté  attirait, 
ou  que  le  spectacle  de  ses  vertus  persuadait  ;  mais  il  s'efforçait  encore  de 
diriger  leur  espérance  et  leur  cœur  vers  le  Christ,  qu'il  leur  annonçait 
comme  le  terme  et  l'objet  de  sa  mission  ;  et  quand  le  temps  de  la  manifes- 
tation fut  arrivé,  il  leur  montra  Celui  qu'ils  devaient  suivre,  et  les  exhorta 
à  s'attacher  à  lui. 

Mais  telle  était  l'opinion  et  l'estime  que  les  disciples  de  Jean  avaient 
conçues  de  lui,  que  malgré  ses  exhortations  et  l'autorité  de  sa  parole,  quel- 
ques-uns ne  voulurent  point  se  détacher  de  lui,  virent  d'un  œil  d'envie 
grandir  de  jour  en  jour  la  gloire  et  la  renommée  du  Christ,  et  tant  que  leur 
maître  vécut,  ils  voulurent  lui  conserver  une  fidélité  et  un  dévouement 
exclusif.  Il  existe  encore  aujourd'hui,  en  Orient,  les  restes  d'une  secte  reli- 
gieuse connue  sous  le  nom  de  Chrétiens  de  saint  Jean-Baptiste.  Quoique 
leur  doctrine  soit  un  mélange  incohérent  de  judaïsme,  de  christianisme  et 
de  gnosticisme,  il  n'en  paraît  pas  moins  certain  que  leur  origine  remonte 
jusqu'aux  disciples  du  Précurseur.  Tous  les  ans  ils  célèbrent  une  fête  qui 
dure  cinq  jours,  pendant  lesquels  ils  viennent  en  troupe  vers  leurs  évêques, 
qui  les  rebaptisent  tous,  tant  grands  que  petits,  du  baptême  de  Jean. 

C'est  peut-être  ici  le  lieu  de  demander  pourquoi,  au  lieu  de  s'attacher  à 
Jésus-Christ  et  de  le  suivre  en  qualité  d'apôtre  ou  de  disciple,  non-seule- 
ment saint  Jean  ne  le  suivit  i^mais,  mais  parut  même  quelquefois  éviter 
sa  présence,  continua  d'avoir  des  disciples  jaloux  de  sa  gloire  et  dévorés 
d'envie  contre  le  Fils  de  Dieu,  et  ne  cessa  point  de  prêcher  et  de  baptiser, 
môme  quand  le  Christ  eut  commencé  sa  carrière  publique.  Saint  Augustin  * 
nous  apprend  qu'il  en  fut  ainsi,  afin  que  le  témoignage  de  Jean-Baptiste 
exerçât  plus  d'autorité  sur  l'esprit  des  Juifs. 

Il  pouvait  en  effet  passer  compxe  l'émule,  le  rival  ou  l'adversaire  du 
Christ.  Il  prêchait  comme  lui,  baptisait  comme  lui,  et  avait  des  disciples 
comme  lui.  C'est  pour  cela  que  les  Pharisiens,  les  ennemis  secrets  de  l'un 
aussi  bien  que  de  l'autre,  crurent  pouvoir  tirer  un  grand  parti  du  rôle  qu'ils 
leur  voyaient  remplir  simultanément,  pour  les  mettre  en  contradiction 
entre  eux,  et  par  là  diminuer  l'autorité  et  l'influence  qu'ils  exerçaient  sur 
le  peuple.  Lorsqu'ils  entreprirent  d'exciter  la  jalousie  dans  le  cœur  de  saint 
Jean  contre  Jésus,  ils  n'obtinrent  qu'une  réponse  capable  de  les  couvrir  de 
confusion  et  d'augmenter  encore  la  valeur  de  son  témoignage.  En  effet, 
ceux  qui  avaient  confiance  en  la  parole  du  Précurseur,  furent  pénétrés 
d'admiration  pour  le  Sauveur,  et  les  ennemis  de  Jean-Baptiste  eurent  la 
confusion  de  voir  qu'au  lieu  de  proférer  de»i«aroles  d'envie  contre  le  Christ, 

1.  Serm.  ccxciii  ;  Migue,  t.  v,  col.  1333. 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,    PRÉCURSEUR   DU   MESSIE.  293 

il  lui  rendait  solennellement  témoignage.  Le  serviteur  était  ainsi  mis  en 
demeure  de  confesser  le  Seigneur  ;  la  créature  était  amenée  à  rendre  témoi- 
gnage au  Créateur.  Mais  saint  Jean  remplissait  ce  rôle  sans  contrainte  et 
avec  joie  ;  car  il  était  l'ami,  et  non  le  rival  de  l'époux  ;  il  ne  cherchait  point 
sa  gloire,  mais  celle  de  Celui  qui  l'avait  envoyé. 

Aussi  son  témoignage  avait-il  par  là  même  beaucoup  plus  d'autorité  que 
celui  de  saint  Pierre  et  des  autres  Apôtres.  On  pouvait,  en  effet,  objecler  à 
ceux-ci  qu'ils  donnaient  des  louanges  à  Jésus-Christ,  parce  qu'ils  étaient  ses 
disciples,  et  qu'ils  avaient  intérêt  à  le  prêcher  comme  ayant  attaché  leur 
fortune  à  la  sienne.  Ces  témoignages  paraissaient  donc  intéressés.  Mais  celui 
du  fils  de  Zacharie  avait  une  tout  autre  valeur  aux  yeux  des  Juifs.  Car, 
comme  il  semblait  avoir  intérêt  à  déprécier  le  Christ,  comme  un  rival,  il 
ôtait  tout  prétexte  à  l'incrédulité  de  ses  ennemis,  en  leur  disant  :  «  Je  vous 
l'ai  déjà  déclaré,  je  ne  suis  point  le  Christ.  Celui  à  qui  est  l'épouse  est  le 
véritable  époux.  Celui  qui  vient  du  ciel  est  au-dessus  de  tous  ». 

L'admiration,  le  respect  et  l'amour  extraordinaire  dont  il  devenait  l'ob- 
jet, était  universel,  nous  dit  Origène.  Mais  les  pécheurs  surtout,  qui  étaient 
admis  à  son  baptême  et  qui  se  trouvaient  initiés  par  la  pénitence  à  une  vie 
toute  nouvelle,  ne  mettaient  point  de  borne  à  leur  enthousiasme.  C'est 
pourquoi  saint  Luc  nous  dit  que  «  tout  le  peuple  était  dans  une  grande 
attente,  et  chacun  était  pénétré  de  cette  pensée  que  Jean  pourrait  bien  être 
le  Christ  » . 

Soit  que  le  Précurseur  en  eût  été  instruit  par  le  Saint-Esprit,  comme  le 
pensent  quelques  docteurs  *  ;  soit  que  ses  disciples  lui  eussent  rapporté  ce 
qu'ils  ne  pouvaient  manquer  d'en  apprendre,  il  fut  bientôt  au  courant  de 
l'opinion  qui  se  divulguait  déjà  sur  son  compte.  Bien  loin  de  s'en  glorifier, 
et  de  s'approprier  même  par  son  seul  silence  un  honneur  qui  ne  lui  était 
pas  dû,  ce  fidèle  ami  de  l'Epoux  profila  de  ces  dispositions  favorables  pour 
annoncer,  plus  clairement  qu'il  ne  l'avait  fait  jusqu'alors,  le  principal  objet 
de  sa  mission. 

«  Il  vint  en  témoignage  n,  dit  l'Evangéliste,  «  pour  rendre  témoignage  à 
la  lumière,  afin  que  tous  crussent  par  lui  » . 

Ecoutons  donc  ce  que  va  proclamer,  en  présence  de  tous,  la  voix  solen- 
nelle de  cet  auguste  témoin.  «  Pour  moi  »,  dit-il,  «je  vous  baptise  dans 
l'eau  pour  vous  porter  à  la  pénitence  ;  mais  Celui  qui  doit  venir  après  moi 
est  plus  puissant  que  moi,  et  je  ne  suis  pas  digne  de  porter  ses  chaussures, 
ni  d'en  délier  les  cordons  en  me  prosternant  devant  lui.  C'est  celui-là  qui 
vous  baptisera  dans  l'eau  et  dans  le  feu,  au  lieu  que  je  ne  vous  ai  baptisé 
que  dans  l'eau. 

Le  Précurseur  était,  aux  yeux  des  Juifs,  l'idéal  des  perfections  humaines. 
Toutes  les  vertus  réunies  brillaient  sur  son  front  ;  en  lui  se  trouvait  l'assem- 
blage le  plus  complet  des  grâces  les  plus  excellentes  et  les  plus  variées  ;  on 
n'imaginait  rien  au-dessus  de  sa  sainteté.  Cependant,  sans  se  déprécier  en 
aucune  chose,  sans  méconnaître  aucun  des  dons  qui  lui  ont  été  départis,  et 
qu'il  apprécie  mieux  que  personne,  il  proteste  qu'il  y  en  a  un  autre  qui 
l'emporte  sur  lui-même. 

Dans  son  langage  symbolique  et  plein  de  mystère,  il  déclare  que,  loin 
de  vouloir  se  comparer  au  Christ,  il  n'est  pas  digne  de  lui  rendre  le  plus 
petit  et  le  plus  humble  des  services  :  comme  de  lui  porter  ses  chaussures  ou 
d'en  dénouer  les  cordons,  même  en  se  prosternant  à  ses  pieds. 

Or,  ces  paroles  ne  doivent  pas  être  entendues  dans  un  sens  purement 

1.  Amlirot.;  Sutliym.i  Cajéttn. 


294  24  JUIN. 

littéral  et  matériel  ;  et,  pour  les  comprendre,  il  faut,  comme  les  Juifs, 
accoutumés  à  ce  langage  symbolique  et  figuré,  il  faut  y  cliercber  une  signi- 
fication spirituelle  *. 

Par  les  chaussures,  qui  sont  faites  de  la  dépouille  des  animaux  mis  à 
mort,  on  doit  entendre,  selon  l'abbé  Rupert,  l'humanité  du  Fils  de  l'homme, 
au  moyen  de  laquelle  le  Fils  de  Dieu  s'était  assujéti  à  la  soulfrance  et  à  la 
mort.  Le  Psalmiste  s'était  aussi  servi  de  ce  terme  pour  prédire  la  propaga- 
tion de  l'Evangile  :  «  J'étendrai  ma  chaussure  jusque  dans  l'Idumée  *  », 
c'est-à-dire,  je  ferai  connaître  mon  incarnation  jusque  parmi  les  nations 
idolâtres.  C'est,  en  effet,  ce  qui  fut  réalisé  par  le  ministère  des  Apôtres. 

Pour  saint  Jean-Baptiste,  il  ne  devait  pas  vivre  jusqu'au  temps  où  les 
Apôtres  portèrent  ainsi  les  chaussures  du  Seigneur,  en  prêchant  publique- 
ment l'Evangile.  Il  ne  devait  pas  môme  avoir  la  faveur  a  d'en  dénouer  les 
cordons  »,  c'est-à-dire  de  faire  connaître  les  liens  mystérieux  qui  unissaient 
la  divinité  avec  l'humanité  dans  la  personne  du  Christ.  Car  le  cordon  de  la 
chaussure,  dit  saint  Grégoire,  n'est  autre  chose  que  le  nœud  du  mystère. 
Jean  ne  se  trouve  pas  capable  de  dénouer  les  cordons  des  souliers  de  Jésus- 
Christ,  parce  qu'il  ne  peut  comprendre  le  mystère  de  l'Incarnation,  quoi- 
qu'il l'ait  connu  par  le  secours  de  l'esprit  de  prophétie  '. 

Si  Jean -Baptiste  ne  dénoue  pas,  aux  yeux  des  Juifs,  les  nœuds  mysté- 
rieux de  l'incarnation  et  de  la  rédemption,  c'est,  dit  le  vénérable  Bède, 
parce  que,  trop  charnels  et  trop  grossiers,  leurs  esprits  n'étaient  pas  encore 
capables  de  croire  que  le  Fils  éternel  de  Dieu,  après  avoir  pris  la  nature 
humaine,  avait  reçu  une  nouvelle  naissance  d'une  vierge.  Mystère  impéné- 
trable, auquel  il  fallait  les  préparer  peu  à  peu  en  leur  faisant  connaître  les 
sublimes  prérogatives  de  l'humanité  glorieuse  du  Dieu  fait  chair  pour  les 
conduire  insensiblement  à  la  foi. 

Pour  le  même  motif,  et  afin  de  dissuader  les  enfants  d'Israël  d'attendre 
dans  la  personne  du  Messie  une  puissance  et  une  grandeur  purement  tem- 
porelles, le  saint  Précurseur  va  leur  insinuer  ce  qu'ils  doivent  espérer  trou- 
ver en  lui,  ce  qu'ils  auront  à  lui  demander  lorsqu'il  aura  paru.  Il  ne  leur 
parle  point  de  conquête  ni  de  victoire  ;  il  ne  leur  met  pas  sous  les  j'eux  les 
prodiges  et  les  miracles  que  le  Christ  doit  opérer  ;  il  ne  leur  promet  aucun 
bien  temporel  ;  il  ne  leur  annonce  pas  même  la  délivrance  de  l'esclavage 
dans  lequel  ils  gémissent  sous  le  rapport  politique  et  civil  :  mais,  dirigeant 
leurs  cœurs  vers  un  ordre  d'idées  exclusivement  spirituel,  il  leur  montre 
l'abondance  des  grâces  et  la  multitude  des  biens  spirituels  qu'ils  recevront 
par  son  entremise.  Le  Messie,  en  effet,  ne  doit  pas  seulement  donner  le 
Saint-Esprit;  car,  selon  la  force  de  l'expression  métaphorique  de  saint  Jean- 
Baptisle,  et  pour  montrer  l'abondance  des  grâces  qu'il  viendra  apporter 
aux  hommes,  «  il  baptisera  dans  le  Saint-Esprit  »  ;  et,  pour  faire  ressortir 
encore  l'efficacité  de  ces  grâces,  il  ajoute  même  qu'il  baptisera  dans  le  feu. 

Or  de  même  que,  par  l'eau,  Jésus-Christ  désigne  la  grâce  du  Saint-Es- 
prit*, pour  montrer  par  cette  expression  l'éclat  et  la  blancheur  qu'elle  pro- 
cure, et  les  consolations  inelfables  qu'elle  donne  aux  âmes  bien  disposées, 

1.  Ce  qui  prouverait  encore  qu'il  ne  faut  pas  entendre  le  mot  chaussure  dans  un  sens  purement  litté- 
Tal,  c'est  que  Jésus-Christ  n'en  faisait  point  usage  et  allait  pieds  nus.  selon  l'opinion  de  quelques  Inter- 
prètes. (S.  Hieron.  ad  Eustoch.;  S.  Bonaveat.,  in  vita  Chr.,  c.  28;  Dionys.  Carth.  in  Matth.  3;  Lyran; 
Abulens,  etc.  Ibid.J 

2.  Psal.  cvii,  10.  —  3.  Homil.  xi,  in  Matth. 

4.  Jésus-Christ  dit  en  effet  dans  saint  Jean  (iv,  14)  :  «  L'eau  que  je  lui  donnerai  k  boire,  deviendra 
en  lui  une  souice  qui  rejaillira  jusque  dans  la  vie  éternelle  ».  —  (vu,  38)  :  Si  quelqu'un  croit  en  moi,  il 
sortira  de  son  cœur  des  fleuves  d'eau  vive  »;  et  l'évangéliste  lui-même  fait  la  remarque  qu'  «  il  disait 
cela  de  l'Esprit  que  devaient  recevoir  ceux  qui  croiraient  en  lui  ».  (S.  Tliom.  in  Luc.) 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  295 

ainsi  Jean-Baptiste,  par  le  feu^  exprime  la  justice  et  la  ferveur  de  la  grâce 
qui  détruit  et  anéantit  le  péché. 

Il  enseignait  donc  à  ses  auditeurs  qu'il  ne  fallait  espérer  de  la  venue  du 
Christ  d'autres  biens  que  ceux  de  la  grâce,  d'autres  dons  que  ceux  qui  con 
viennent  à  l'âme.  Il  battait  ainsi  en  brèche,  d'une  manière  adroite  et  dé- 
tournée, les  préjugés  grossiers  et  les  espérances  ridicules  que  les  Juifs 
s'étaient  formés  au  sujet  du  Messie  ;  car  ils  l'attendaient  comme  un  mo- 
narque destiné  à  conquérir  le  monde  à  la  pointe  de  l'épée. 

Pour  faire  sentir  qu'il  n'était  point  le  Christ,  saint  Jean-Baptiste  avait 
mis  en  opposition  son  baptême  d'eau  et  de  pénitence,  avec  celui  du  Fils  de 
Dieu,  qui  devait  se  donner  dans  le  Saint-Esprit  et  dans  le  feu. 

Cependant,  il  savait  que  les  esprits  grossiers  auxquels  il  s'adressait,  ne 
pouvaient  se  faire  une  notion  du  Christ  qu'en  s'appuyant  sur  un  terme  de 
comparaison.  Il  vient  d'annoncer  que  le  Messie  doit  venir  pour  apporter  au 
monde  les  dons  du  Saint-Esprit  ;  c'est  là  l'objet  de  son  premier  avènement, 
dont  il  révèle  les  bienfaits  aux  Juifs.  Il  leur  découvre  en  môme  temps,  et 
peu  à  peu,  tous  les  mystères  de  l'Evangile.  C'est  pourquoi  il  va  maintenant 
parler  du  second  avènement  du  Christ,  du  jugement  dernier  et  du  feu  de 
l'enfer,  points  de  doctrine  qui  n'étaient  guère  moins  inconnus  des  Juifs  que 
le  mystère  du  royaume  des  cieux. 

Saint  Jean  avait  annoncé  les  récompenses  réservées  aux  justes,  afin  de 
les  encourager  ainsi  à  la  pratique  de  la  vertu.  Pour  faire  comprendre  main- 
tenant que  le  Messie  ne  doit  pas  se  contenter  de  porter  son  attention  et  sa 
bienveillance  sur  ses  élus,  et  montrer  en  môme  temps  qu'il  n'est  pas  le  spec- 
tateur indifférent  du  crime,  le  Précurseur  lui  en  attribue  le  jugement  et  la 
vengeance,  en  ajoutant  :  «  Son  van  est  dans  sa  main  ». 

Remarquons,  avec  llupert,  comment  il  s'attache  à  faire  ressortir  la  puis- 
sance et  la  force  du  Christ.  Il  ne  dit  point  :  Son  van  est  entre  les  mains  de 
Dieu.  L'expression  dont  il  se  sert  peut  être  comparée  avec  celle-ci  d'Isaïe  : 
«  Il  portera  sa  puissance  sur  son  épaule  ».  Jean  ne  dit  pas  que  le  van  du 
Messie  est  entre  les  mains  de  Dieu  ;  le  Prophète  aussi  n'a  garde  d'annoncer 
que  la  puissance  du  Christ  sera  appuyée  sur  les  épaules  du  Tout-Puissant. 
C'est  qu'ils  voulaient,  l'un  et  l'autre,  nous  faire  comprendre  que  sa  propre 
puissance  lui  suffit,  qu'il  est  capable  à  lui  seul  d'exercer  son  jugement.  Le 
Précurseur  ne  dit  point  que  le  Sauveur  nettoiera  l'aire  du  Seigneur,  ni  qu'il 
amassera  le  blé  dans  le  grenier  de  Dieu  ;  mais  il  déclare  positivement  qu'il 
purgera  son  aire,  qu'il  amassera  son  propre  grain. 

En  mettant  un  van  aux  mains  du  Christ,  le  fils  de  Zacharie  annonce  assez 
clairement  que  le  jugement  suprême  lui  est  réservé  ;  car  le  van,  instrument 
destiné  à  nettoj'er  le  blé  en  expulsant  la  paille,  signifie,  dit  Denys  le  Chartreux, 
que  la  puissance  judiciaire  appartient  à  Jésus-Christ,  que  le  pouvoir  exécutif 
est  remis  entre  ses  mains  ;  que,  de  sa  propre  autorité,  et  en  tant  que  Dieu, 
il  prononce  lui-même  la  sentence.  C'est  ce  que  nous  voyons  confirmé  par 
ces  paroles  :  «  Le  Père  ne  juge  personne  ;  mais  il  a  donné  tout  pouvoir  de 
juger  au  Fils  ».  Ce  jugement  appartient  essentiellement  au  Christ  en  tant 
qu'il  est  Dieu  ;  mais  en  tant  qu'homme,  il  lui  est  dévolu,  parce  qu'il  est 
établi  juge,  et  constitué  exécuteur  de  la  sentence,  selon  cette  doctrine  de 
saint  Pierre  :  «  C'est  lui-même  qui  est  établi  par  Dieu  pour  juger  les  vivants 
et  les  morts  » . 

Le  Messie  purgera  et  «  nettoiera  parfaitement  son  aire  »;  il  voit  donc 
Jusque  dans  le  fond  des  cœurs  ;  car  comment  pourrait-il,  sans  cela,  faire 
un  discernement  équitable?  alors  il  prendra  le  van  dans  sa  main;  il  jugera 


296  24  JUIN. 

avec  impartialité,  avec  justice  et  sévérité,  en  tirant  définitivement  le  bon 
grain  de  la  paille,  en  séparant  les  élus  des  réprouvés.  «  Il  amassera  son  blé 
dans  le  grenier  »,  c'est-à-dire  il  réunira  dans  le  ciel,  séjour  du  repos  parfait 
et  de  la  béatitude,  tous  ceux  que  l'humilité  aura  rendus  petits  à  Leurs 
propres  yeux  ;  ceux  qui  seront  éclatants  de  justice  et  ornés  de  vertus  ;  ceux 
que  la  piété,  le  courage  et  la  persévérance  auront  affermis  contre  le  souffle 
des  tentations  ;  car  ce  sont  ceux-là  qui  forment  le  froment  du  Christ,  et 
l'aliment  dont  il  se  nourrit.  Le  grand  martyr  saint  Ignace,  condamné  à  être 
dévoré  sous  la  dent  des  lions,  faisait  allusion  à  cette  idée,  quand  il  s'écriait  : 
«  Je  suis  le  froment  de  Jésus-Christ  ;  je  désire  ardemment  d'être  moulu 
sous  les  dents  des  lions,  afin  de  devenir  un  pain  sans  tache  ». 

Mais  le  devoir  d'un  juge  n'est  pas  seulement  de  discerner  les  bons  pour 
les  récompenser  selon  leurs  mérites  ;  il  faut  encore  qu'il  châtie  les  mé- 
chants. C'est  aussi  ce  que  fera  le  Christ,  et  ce  que  saint  Jean  indique  d'une 
manière  frappante  en  ajoutant  qu'«  il  brûlera  les  pailles  »  ainsi  séparées  du 
bon  grain,  «  dans  un  feu  inextinguible  ». 

Ces  paroles  étaient  une  confirmation  de  ce  qu'il  avait  déjà  dit  dans  une 
autre  circonstance,  en  engageant  les  Pharisiens  à  la  pénitence,  afin  de  pou- 
voir éviter  ainsi  la  colère  à  venir  ;  mais  ici,  il  va  plus  loin  dans  le  dévelop- 
pement de  sa  pensée  ;  car  il  fait  connaître  deux  vérités  touchant  la  doctrine 
de  l'enfer  :  le  supplice  du  feu,  et  l'éternité  du  châtiment. 

Enfin  le  moment  est  venu,  où  l'attente  des  nations  va  se  révéler  aux 
hommes.  Le  Sauveur  après  lequel  avaient  soupiré  les  patriarches  depuis 
quatre  mille  ans,  était  dans  le  monde;  mais  il  menait  toujours  une  vie  obscure 
et  cachée,  dans  la  retraite  de  Nazareth.  Pendant  que  le  fils  de  Zacharie  re- 
muait la  Judée  en  lui  promettant  de  voir  bientôt  le  Christ,  en  lui  parlant  de 
sa  grandeur,  en  lui  faisant  connaître  sa  nature  divine,  et  en  l'annonçant 
comme  le  Juge  souverain,  rémunérateur  de  la  vertu  et  vengeur  du  crime, 
que  faisait  le  Fils  de  Dieu?  0  sagesse  de  la  terre,  sois  confondue  1  Orgueil  de 
l'homme,  humilie-toi  !  Le  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  Celui  dont  la  pro- 
vidence nourrit  jusqu'au  passereau  dépourvu  de  provisions.  Celui  que  les 
anges  adorent  en  tremblant,  Celui  que  les  cieux  envient  à  la  terre,  le  Fils  de 
l'homme  s'occupait  d'un  travail  grossier  et  sans  éclat. 

«  Quelle  merveille  »,  s'écrie  Bossuet,  «  un  artisan  encore  dans  la  boutique 
et  gagnant  sa  vie,  est  le  sujet  des  prédications  d'un  Prophète  plus  que  pro- 
phète, et  si  révéré,  qu'on  le  prenait  pour  le  Christ.  C'était  de  cet  homme 
dans  la  boutique,  que  saint  Jean  disait  :  «  Il  y  a  un  homme  au  milieu  de 
vous,  que  vous  ne  connaissez  pas,  et  dont  je  ne  suis  pas  digne  de  toucher 
les  pieds  ».  Il  est  plus  grand  que  Moïse  ;  il  donne  la  grâce,  tandis  que  Moïse 
ne  donne  que  la  loi  ;  il  est,  devant  tous  les  siècles,  le  Fils  unique  de  Dieu, 
et  dans  le  sein  de  son  Père  ;  nous  n'avons  de  grâce  que  par  lui  :  cependant 
vous  ne  le  connaissez  pas,  quoiqu'il  soit  au  milieu  de  vous.  Dans  quelle 
attente  de  si  hauts  discours  devaient-ils  tenir  le  monde,  et  quelle  prépara- 
tion des  voies  du  Seigneur  !  On  s'accoutumait  à  entendre  nommer  le  Fils 
unique  de  Dieu,  qui  venait  en  annoncer  les  secrets  ;  mais  quoi  I  c'était  de 
ce  charpentier  qu'on  parlait  ainsi  *  ?  » 

Quoiqu'il  fût  l'innocence  même  et  la  sainteté  par  essence,  le  Christ  ne 
voulut  point  entreprendre  sa  mission  évangélique  sans  s'y  préparer  par  la 
pénitence.  C'est  par  la  pénitence  qu'il  s'était  réservé  de  se  manifester.  En 
envoyant  devant  lui  saint  Jean-Baptiste  pour  lui  préparer  les  voies,  il  lui 
avait  donné  surtout  le  caractère  d'un  héraut  de  pénitence  ;  tout  le  ministère 

1.  Elef.  mil  sem. 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU   MESSIE.  297 

du  fils  de  Zacharie  avait  pour  objet  la  pénitence  ;  c'est  pour  cela  qu'il  disait  : 
«  Je  suis  venu  baptisant  dans  l'eau,  afin  que  le  Christ  fût  manifesté  dans 
Israël  ».  En  sorte  que  la  voix  qui  poussait,  dans  les  solitudes  du  Jourdain, 
cette  clameur  :  «  Faites  pénitence,  car  le  royaume  des  cieux  est  proche  », 
la  prédication  de  saint  Jean  annonçait  la  vocation  même  du  Fils  de  Dieu. 
Le  vrai  motif  de  la  prédication  et  du  baptême  du  Précurseur  était  donc 
uniquement  que  le  Saint  des  saints,  qui  seul  était  capable  de  faire  pé- 
nitence pour  tous  les  prédestinés,  appelé  par  cette  voix  publique  et  solen- 
nelle, approchât  ouvertement  du  sanctuaire  céleste  en  présence  de  Dieu 
son  Père,  et  des  saints  anges,  et  reçût  d'une  manière  authentique  l'investi- 
ture de  son  souverain  sacerdoce,  en  face  du  monde  entier.  Or,  c'est  en  se 
faisant  baptiser  par  son  précurseur,  que  le  Christ  devait  commencer  sa  ma- 
nifestation, inaugurer  son  ministère,  et  recevoir  le  glorieux  témoignage  de 
son  Père. 

Personne  ne  peut  douter  que  le  Fils  de  Dieu,  en  s'incarnant,  n'ait  voulu 
ôter  le  péché  du  monde  en  le  prenant  sur  lui-même,  selon  ce  qu'avait  dit 
le  Prophète  :  «  Le  Seigneur  a  placé  sur  lui  toutes  nos  iniquités  ;  c'est  pour 
nous  qu'il  gémit  ;  le  châtiment  qui  devait  nous  donner  la  mort  s'est  appe- 
santi sur  sa  personne*  ».  Or,  que  cette  pénitence  véritable  et  parfaite  ait 
été  supportée  à  cause  de  nous,  c'est  ce  qui  est  clair  :  la  raison  le  sent,  la  foi 
le  professe. 

Mais  avant  de  suivre  Jésus  sur  les  rives  du  Jourdain,  recherchons  les 
motifs  qui  durent  l'amener  à  cette  démarche  mystérieuse.  Nous  en  trouve- 
rons des  raisons  légales  et  des  raisons  mystiques. 

L'apôtre  saint  Paul  nous  enseigne  que  Dieu,  en  envoyant  son  Fils  dans 
le  monde,  voulut  l'assujétir  à  la  loi.  Jésus-Christ  nous  déclare  lui-même 
qu'il  n'est  pas  venu  pour  enfreindre  cette  loi,  mais  pour  l'accomplir. 

Or,  sous  le  régime  de  la  loi  mosaïque,  on  était  réputé  souillé  et  impur 
dans  une  foule  de  circonstances,  et  il  était  impossible  de  rester  dans  cet 
état  d'impureté  légale  sans  enfreindre  les  ordonnances  du  Seigneur.  Toute- 
fois, hâtons-nous  de  le  dire,  ces  souillures  légales  n'affectaient  point  l'inté- 
rieur, et  ne  nuisaient  point  à  la  pureté  de  l'âme,  même  chez  les  hommes 
ordinaires  ;  à  plus  forte  raison  n'empêchaient-elles  pas  que  le  Fils  de  l'homme 
ne  fût  et  ne  restât  la  sainteté  par  essence. 

Le  Sauveur  fut  donc  obligé  de  se  soumettre  à  l'usage  du  baptême,  des 
lotions  ou  des  purifications  légales,  selon  la  coutume  du  temps. 

Ainsi,  le  Sauveur  célébrait  chaque  année  la  pâque  mosaïque.  Or,  il  n'était 
permis  à  personne,  et  pour  aucune  raison,  de  manger  l'agneau  pascal  sans 
être  purifié  et  baptisé.  Si  donc  il  a  pu  porter  à  ces  ennemis  ce  défi  :  «  Qui 
d'entre  vous  me  convaincra  de  péché  ?  »  c'est-à-dire  m'accusera  d'avoir 
violé  la  loi  même  dans  les  prescriptions  les  plus  légères,  il  faut  reconnaître 
que  Jésus-Christ  a  fait  souvent  usage  des  bains  et  purifications  en  vigueur 
chez  les  Juifs  ;  qu'il  s'est  conformé  aux  ordonnances  de  Moïse  et  aux  cou- 
tumes de  la  nation  et  de  l'époque. 

D'après  la  loi,  on  devait  s'adresser  à  un  homme  pour  se  faire  purifier; 
quel  autre  que  le  fils  de  Zacharie  était  aussi  digne  de  remplir  ce  ministère 
auprès  du  Fils  de  Dieu  ?  N'était-ce  pas  pour  se  préparer  à  cette  auguste 
fonction,  à  cet  insigne  honneur  que,  dès  son  enfance,  saint  Jean  avait  sous- 
trait sa  vertu  et  son  innocence  à  l'influence  délétère  du  monde  et  en  se  re- 
tirant dans  la  solitude  ? 

D'autre  part,  jamais,  dit  un  saint  pontife,  les  eaux  du  baptême  n'auraient 

1.  Isaïe,  LUI,  6. 


298  24  JUIN. 

été  capables  de  purifier  les  péchés  des  hommes,  si  elles  n'eussent  été  sanc- 
tifiées en  touchant  le  corps  du  Seigneur.  Jésus-Christ  se  fit  baptiser,  non 
pas  pour  se  purifier,  dit  saint  Ambroise,  mais  pour  purifier  l'eau  au  contact 
de  sa  chair  sacrée,  et  la  doter  de  la  vertu  de  baptiser  les  âmes. 

Le  temps  étant  enfin  arrivé  où  le  Fils  de  l'homme  devait  se  préparer  à 
son  ministère  public,  il  adressa  ainsi  la  parole  à  sa  mère,  dit  saint  Bonaven- 
ture  :  «  Il  est  temps  que  je  m'en  aille,  et  que  je  glorifie  mon  Père  en  le 
faisant  connaître  ;  l'heure  est  venue  où  je  dois  me  montrer  et  travailler  au 
salut  du  monde,  pour  lequel  mon  Père  m'a  envoyé  ici-bas.  Demeurez 
donc  forte,  ô  bonne  mère,  car  je  reviendrai  bientôt  vers  vous».  Et  le 
Maître  de  l'humilité ,  se  mettant  à  genoux,  lui  demanda  sa  bénédiction. 
Mais  s'agenouillant  elle-même,  et  l'embrassant  avec  larmes,  elle  lui  dit, 
pleine  de  tendresse  :  «  0  mon  fils  béni,  allez  avec  la  bénédiction  de  votre 
Père  et  la  mienne  ;  souvenez-vous  de  moi,  et  ayez  soin  de  revenir  au  plus 
tôt  ».  Il  lui  fit  donc  respectueusement  ses  adieux,  et  se  dirigea  de  Nazareth 
vers  Jérusalem,  pour  se  rendre  au  Jourdain,  où  Jean  baptisait,  en  un  lieu 
éloigné  de  dix-huit  milles  de  cette  ville.  Ainsi  le  Maître  du  monde  s'avance 
seul,  car  il  n'avait  pas  encore  de  disciples.  Le  Seigneur  Jésus  marche  donc 
humblement  pendant  plusieurs  jours,  jusqu'à  ce  qu'il  atteigne  les  bords  du 
Jourdain.  C'est  la  lumière  resplendissante  qui  s'avance  vers  le  flambeau, 
dit  saint  Grégoire  de  Nazianze  ;  le  Verbe  qui  suit  la  voix  ;  l'Epoux  qui  va 
trouver  le  paranymphe  ;  le  Seigneur  qui  se  rend  auprès  du  serviteur  ^ 

Depuis  longtemps  déjà,  saint  Jean  entretenait  dans  son  cœur  un  vif 
désir  et  un  ferme  espoir  de  voir  enfin  l'arrivée  de  son  Seigneur.  Il  levait  sans 
cesse  les  yeux  de  son  esprit  vers  Dieu,  et  poussant  vers  le  ciel  de  puissantes 
clameurs,  il  demandait  sans  cesse  qu'il  lui  fût  donné  de  voir  bientôt  la  Con- 
solation d'Israël  et  l'Attente  des  nations,  qu'il  savait  être  proches  et  dont  il 
avait  déjà  salué  la  présence  dès  le  sein  de  sa  mère.  L'ardeur  de  ses  désirs 
l'emportait  certainement  de  beaucoup  sur  ceux  du  saint  vieillard  Siméon, 
dont  les  soupirs  et  les  cris  du  cœur  avaient  touché  les  oreilles  du  Très-Haut, 
et  en  avaient  obtenu  la  promesse  qu'il  ne  verrait  pas  la  mort  avant  d'avoir 
contemplé  le  Christ  du  Seigneur.  Le  Précurseur  avait  mérité,  par  ses  prières 
incessantes,  une  réponse  analogue  de  la  part  de  Celui  qui  l'avait  envoyé  ; 
car  une  voix  céleste  lui  avait  dit  :  «  Celui  sur  qui  vous  verrez  descendre  et 
s'arrêter  l'Esprit,  c'est  celui-là  qui  baptise  dans  le  Saint-Esprit  ». 

Quelques  auteurs  pensent  que  Jean-Baptiste  n'avait  pas  encore  vu  Jésus- 
Christ,  et  qu'il  ne  le  connaissait  pas  de  figure  jusqu'au  moment  où  il  le  bap- 
tisa. De  pieuses  traditions  nous  disent,  au  contraire,  qu'ils  avaient  eu  en- 
semble des  entretiens  dans  le  désert,  où  était  retiré  le  fils  de  Zacharie. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  question,  sur  laquelle  nous  aurons  encore 
l'occasion  de  revenir,  il  n'était  pas  possible  que  le  Précurseur  ne  remarquât, 
dans  la  foule  des  pécheurs.  Celui  qu'il  avait  vu  en  esprit  dès  le  sein  de  sa 
mère  ;  son  regard  inspiré,  sa  pénétration  prophétique,  son  cœur  si  pur,  ne 
pouvaient  manquer  de  distinguer,  entre  tous,  Celui  qu'il  était  chargé  de 
faire  connaître  au  monde,  et  qui  était  l'objet  de  sa  mission  divine. 

Aussi,  à  la  vue  de  ce  Dieu  dont  il  avait  prêché  la  justice,  la  sainteté  et 
la  puissance  suprême,  il  est  frappé  d'étonnement  et  de  crainte,  dit  saint 
Bernard,  et  une  frayeur  extraordinaire  s'empare  de  lui^.  C'est  pourquoi  il 
lui  adresse  ainsi  la  parole  :  «  C'est  moi  qui  dois  être  baptisé  par  vous,  et 
non  vous  par  moi  ;  et  cependant  vous  venez  à  moi  ».  Jésus  lui  répliqua  : 

1.  Or«t.  XLV.  —  X.  Serra,  de  PrlvU.  S.  Joan. 


SAINT  JEAN-BAPTTSTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  299 

«  Laissez-moi  faire  pour  cette  heure,  car  il  convient  que  nous  accomplis- 
sions ainsi  toute  justice  ». 

Un  des  caractères  les  plus  frappants  du  saint  Précurseur  est  sans  doute 
l'humilité  ;  cette  vertu  paraît  dans  toutes  ses  paroles  et  ses  actions  ;  mais 
Jésus  devait  le  surpasser  en  ceci  comme  en  tout  le  reste,  et  on  ne  peut  voir 
sans  étonnement  que  sa  première  sortie  soit  pour  se  faire  baptiser  par  son 
serviteur. 

C'était  donc  l'ordre  d'en  haut,  s'écrie  Bossuet,  que  Jésus,  la  victime  du 
péché,  et  qui  devait  l'ôter  en  le  portant,  se  mît  volontairement  au  rang  des 
pécheurs  :  c'est  là  cette  justice  qu'il  lui  fallait  accomplir.  Et  comme  Jean, 
en  cela,  lui  devait  obéissance,  le  Fils  de  Dieu  la  devait  aux  ordres  de  son 
Père.  Alors  Jean  ne  lui  résista  plus,  et  ainsi  toute  la  justice  fut  accomplie 
dans  une  entière  soumission  aux  ordres  de  Dieu  *. 

Il  est  très-probable  que  Jésus-Christ  institua  le  sacrement  de  baptême 
et  lui  donna  la  vertu  de  justifier,  au  moment  même  de  son  baptême,  quoi- 
qu'il n'en  ait  proclamé  la  nécessité  qu'après  sa  résurrection. 

Jésus  fut  donc  baptisé  par  Jean  dans  le  Jourdain  ;  mais  dès  qu'il  fut 
baptisé,  il  sortit  aussitôt  de  l'eau.  Voilà  que  tout  à  coup  les  cieux  lui  furent 
ouverts,  et  il  vit  l'Esprit  de  Dieu  descendre  sous  une  apparence  corporelle, 
et  se  reposer  sur  lui.  Et  une  voix  se  fit  entendre  du  ciel,  disant  :  Vous  êtes 
mon  fils  bicn-aimé,  en  qui  j'ai  mis  mes  complaisances.  Oui  1  celui-ci  est 
mon  fils  bien-aimé  dans  lequel  je  me  complais. 

Ces  paroles  célestes  furent  une  confirmation  éclatante  du  témoignage 
rendu  par  le  Précurseur  à  Jésus  au  moment  même  oti  il  le  baptisa.  On  croit, 
en  effet,  qu'en  donnant  le  baptême  au  Sauveur,  Jean  le  montra  solennelle- 
ment au  peuple  ;  car,  comme  à  l'égard  des  autres,  il  se  servait  de  cette  for 
mule  :  Je  te  baptise  au  nom  de  Celui  qui  doit  venir,  il  semble  qu'à  la  venue 
de  Jésus,  et  au  moment  où  il  le  baptisa,  il  a  dû  dire  :  Celui-ci  est  le  Messie 
que  j'ai  prédit.  Pouvait-il,  en  effet,  manquer  une  occasion  si  opportune  de 
lui  rendre  témoignage,  et  d'accomplir  ainsi  la  justice  dans  toute  son 
étendue  ? 

Les  prodiges  qui  s'accomplirent  au  baptême  de  Jésus-Christ  avaient  pour 
but  de  rendre  témoignage  à  ce  Dieu  humilié  ;  c'est  en  sa  faveur  qu'ils 
étaient  produits.  Le  texte  sacré  le  déclare  expressément.  Cependant,  si  la 
gloire  dont  Dieu  voulut  récompenser  l'humilité  de  son  Fils  en  fut  l'objet 
principal  et  direct,  le  Christ  n'en  fut  pas  le  seul  spectateur.  Car  saint  Jean- 
Baptiste  dit  formellement  qu'il  a  vu  le  Saint-Esprit.  Il  n'est  pas  moins 
indubitable  qu'il  n'ait  entendu  la  voix  du  Père.  En  fut-il  de  môme  de  tous 
ceux  qui  assistèrent  à  cette  scène  ?  Quelques  docteurs  l'ont  cru. 

Nous  devons  dire  cependant  que  l'Evangile  ne  contient  aucun  mot  d'oti 
l'on  puisse  conclure,  avec  certitude,  que  tous  les  témoins  du  baptême  de 
Jésus-Christ  aient  été  admis  à  voir  et  à  entendre  ce  témoignage.  Et,  si  l'on 
examine  avec  soin  les  textes  des  auteurs  sacrés,  on  verra  qu'ils  favorisent 
plutôt  la  négative.  En  effet,  Jean-Baptiste  voulant  rendre  témoignage  à 
Jésus  :  «  J'ai  vu  »,  dit-il,  «  le  Saint-Esprit  descendre  comme  une  colombe, 
et  il  reposa  sur  lui  ».  Or,  si  tous  ceux  qui  s'étaient  trouvés  au  baptême  du 
Christ  avaient  pu  voir  et  entendre  comme  saint  Jean,  celui-ci  n'aurait  pas 
eu  besoin  de  rappeler  cette  apparition  à  ceux  qui  en  avaient  été  témoins  ; 
ou  bien,  s'il  parlait  à  d'autres,  il  n'aurait  pas  dit  :  «  J'ai  vu  »;  car  il  se  serait 
plutôt  servi  de  ces  mots  :  «  Nous  avons  vu,  le  peuple  aussi  bien  que  moi...  » 
Et  son  témoignage,  étant  appuyé  sur  un  témoignage  public,  aurait  été 

1.  Bos's.  £Iév.  xxu  sem. 


300  24  JUIN. 

beaucoup  plus  irrécusable.  C'est  aussi  ce  qu'a  remarqué  saint  Jean  Chrysos- 
tome.  —  Le  Christ  dit  un  jour  aux  Juifs  en  forme  de  reproche  :  «  Mon  Père, 
qui  m'a  envoyé,  m'a  rendu  témoignage  ;  mais  vous  n'avez  jamais  entendu 
sa  voix  '  ».  Aurait-il  pu  parler  ainsi,  si  les  nombreux  témoins  de  son  bap- 
tême avaient  entendu  la  voix  céleste  qui  retentit  dans  cette  circonstance  ? 

Au  reste,  en  admettant  que  la  vision  céleste  n'eut  lieu  qu'en  faveur  du 
Christ,  et  que  le  Précurseur  en  fut  l'unique  témoin,  nous  n'en  restreignons 
nullement  la  portée  et  la  valeur  ;  car  elle  n'en  servit  pas  moins  de  témoi- 
gnage à  ceux  auxquels  ce  mystère  fat  révélé  plus  tard.  C'est  pour  cela  que 
saint  Jean-Baptiste  dit  un  jour  aux  Juifs  ces  paroles  solennelles  :  «C'est moi 
qui  l'ai  vu  ;  et  j'ai  rendu  témoignage  qu'il  est  le  Fils  de  Dieu  ». 

Ainsi  donc  avant  saint  Paul,  et  sans  doute  bien  mieux  que  lui  encore,  le 
divin  Précurseur,  le  plus  clairvoyant  des  Prophètes,  le  plus  privilégié  et  le 
plus  grand  d'entre  tous  ceux  qui  sont  nés  de  femmes,  en  baptisant  son  divin 
Maître,  fut  admis  à  contempler  des  choses  que  l'œil  n'avait  point  encore 
vues,  à  entendre  des  secrets  que  l'oreille  n'avait  jamais  écoutés,  et  à  goûter 
par  avance  les  délices  que  le  cœur  de  l'homme  n'avait  jamais  conçues,  et 
qui  sont  réservées  par  Dieu  à  ceux  qui  l'aiment.  Car  il  fut  le  premier  à  qui 
l'adorable  Trinité  daigna  se  révéler  d'une  manière  claire  et  manifeste. 

Nous  ne  devons  donc  point  être  surpris  qu'on  ait  dit  du  Précurseur 
qu'il  a  été  établi,  en  quelque  façon,  le  témoin  de  la  révélation  du  mystère 
de  l'auguste  Trinité,  et  comme  le  dépositaire  de  la  foi  de  tout  le  genre 
humain  à  ce  dogme  ineflable.  Aussi  saint  Bernard  dit-il  que  saint  Jean  était 
tout  à  fait  au  milieu  de  la  Trinité.  Non-seulement  les  noms  des  trois  per- 
sonnes divines,  cachées  au  monde  depuis  quatre  mille  ans,  lui  sont  décou- 
verts et  entièrement  dévoilés  ;  mais  les  adorables  personnes  elles-mêmes  lui 
sont  manifestées.  11  touche  le  Fils  de  ses  propres  mains  ;  il  voit  de  ses  yeux 
l'Esprit-Saint  descendre  du  ciel  ;  il  entend  de  ses  oreilles  la  voix  du  Père 
reconnaissant  et  proclamant  Jésus  pour  son  Fils.  N'est-ce  pas  ici  le  lieu  de 
nous  écrier  avec  le  Psalmiste  :  «  Quel  est  l'homme,  Seigneur,  à  qui  vous 
avez  daigné  vous  révéler  ^  ?  —  Quel  est-il,  afin  que  nous  lui  donnions  des 
louanges  '  ?  »  Jamais  faveur  semblable  ne  fut  accordée  à  aucun  mortel.  En 
effet,  le  Père  céleste,  dit  Bossuet,  a  paru  sur  la  montagne  oii  Jésus-Christ 
s'est  transfiguré  ;  mais  le  Saint-Esprit  ne  s'y  montra  pas  ;  le  Saint-Esprit  a 
paru  dans  celle  où  il  descendit  en  forme  de  langue  ;  mais  on  n'y  vit  pas  le 
Père  :  partout  ailleurs  le  Fils  paraît,  mais  seul.  Au  baptême  de  Jésus-Christ, 
qui  donne  naissance  au  nôtre,  où  la  Trinité  doit  être  invoquée,  le  Père 
paraît  dans  la  voix,  le  Fils  en  sa  chair,  le  Saint-Esprit  comme  une  colombe  *. 

Saint  Jean-Baptiste  fut  non-seulement  le  témoin  de  toutes  les  merveilles 
par  lesquelles  Dieu  voulut  glorifier  son  Fils  sur  le  Jourdain  ;  mais  il  fut 
encore  admis  au  rôle  d'acteur  dans  cette  scène  si  capable  d'étonner  le  ciel 
et  de  ravir  la  terre.  Car  ce  fut  le  Précurseur  qui  initia,  pour  ainsi  dire,  le 
Dieu  Sauveur  à  son  divin  sacerdoce.  Il  y  avait  là,  dit  une  ancienne  liturgie  ^, 
trois  témoins  :  Jean,  qui  imposait  les  mains  au  Christ,  l'Esprit  de  sainteté, 
qui  descendait  sur  lui,  et  le  Père,  qui  faisait  entendre  sa  voix  du  haut  des 
cieux.  Le  fils  de  Zacharie,  le  plus  illustre  des  enfants  d'Aaron,  le  plus  digne 
représentant  du  sacerdoce  antique,  celui  qu'une  bouche  divine  proclama  le 
plus  grand  des  mortels,  fut  donc  le  prêtre  béni  et  prédestiné  de  Dieu,  le 
minisire  chargé  par  le  Très-Haut  de  donner  la  consécration  au  Pontife  de  la 
loi  nouvelle. 

1.  Joan.,  V.  —  2.  Psal.  cxliii,  3.  —  3.  Eccli.,  xxxi,  9.  —  4.  Elev.  sem.  6,  xxii.  —  6.  Sever.  D»  Kitib. 
Baptis.;  La  Bigne,  t,  iv,  p,  &G. 


SAINT  JEAN- BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  301 

Saint  Jean  exprima  à  Jésus-Christ  le  désir  de  recevoir  son  baptême. 
A-t-il  reçu  cette  faveur? 

«  Il  y  en  a»,  dit  Tillemont,  «  qui  croient  que  saint  Jean,  après  avoir 
baptisé  Jésus-Christ,  fut  aussi  baptisé  par  lui.  On  cite,  pour  cela,  le  mot  de 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  que  Jésus-Christ  lui  dit  :  «  Laissez-moi  faire 
pour  cette  heure  » ,  parce  qu'il  savait  bien  qu'il  baptiserait  dans  peu  de  temps 
Celui  par  qui  il  voulait  être  baptisé.  Mais  Elle  de  Crète  dit  que  saint  Gré- 
goire entend,  par  ce  baptême,  la  nouvelle  pureté  que  saint  Jean  reçut  en 
touchant  le  chef  sacré  du  Sauveur,  lorsqu'il  le  baptisa  ;  et,  par  la  descente 
du  Saint-Esprit  sur  Jésus-Christ,  saint  Grégoire  même  nous  donne  lieu  de 
l'expliquer  du  martyre  de  saint  Jean,  dont  il  avait  parlé  un  peu  auparavant, 
et  en  lui  donnant  le  nom  de  baptême  ». 

«  On  cite  encore,  pour  prouver  que  Jésus-Christ  a  baptisé  saint  Jean, 
saint  Jérôme  et  saint  Chrysostome,  qui  disent  qu'il  l'a  baptisé  de  son  Esprit, 
in  Spiriiu  *.  Mais  cette  expression  ne  peut  servir  qu'à  faire  croire  qu'il  ne 
lui  a  point  donné  le  baptême  d'eau.  Saint  Jérôme  ajoute  qu'en  lui  disant: 
«  Laissez-moi  faire  pour  le  moment  »,  sine  modo,  il  lui  promettait  le  bap- 
tême du  martyre,  et  qu'il  recevrait  encore  son  baptême  au  jour  du  juge- 
ment :  Scito  in  die  judicii  meo  te  esse  baplismate  baptizandum  ;  ce  qu'il  n'ex- 
plique pas.  L'auteur  de  l'ouvrage  imparfait  sur  saint  Matthieu  cite  des  apo- 
cryphes qui  disaient  clairement  que  saint  Jean  avait  été  baptisé  par  Jésus- 
Christ,  ce  qu'il  paraît  entendre  simplement  du  baptême  de  l'eau.  Il  ajoute 
néanmoins  aussitôt  que  Jean  donna  à  Jésus  le  baptême  de  l'eau,  et  que 
Jésus  donna  à  Jean  celui  de  l'Esprit.  Mais  il  peut  entendre,  par  là,  celui  de 
Jésus-Christ,  qui  par  l'eau  donne  le  Saint-Esprit  ». 

«  On  cite  encore  Théophylacte  et  Euthymius.  Le  premier  dit  bien  que 
saint  Jean  avait  besoin  d'être  purifié  par  Jésus-Christ,  parce  que,  étant  des- 
cendu d'Adam,  il  en  avait  tiré,  comme  les  autres,  la  souillure  de  la  déso- 
béissance, qui  produisait  en  lui  quelques  péchés,  quoique  légers.  Mais  il 
ne  dit  point  que  ce  fut  par  le  baptême  de  l'eau  qu'il  en  devait  être  purifié. 
Et,  expliquant  sine  modo,  il  fait  dire  à  Jésus-Christ  :  «  Laissez-moi  main- 
tenant m'humilier;  il  viendra  un  temps  oti  je  jouirai  de  la  gloire  qui  m'est 
due,  et  où  vous  me  verrez  »,  dit  saint  Chrysostome,  «  en  l'état  où  vous  me 
voudriez  voir  dès  à  présent  ». 

«  Saint  Augustin  paraît  plus  formel  ;  car  après  avoir  montré,  contre  les 
Pélagiens,  qu'on  ne  pouvait  dire  que  saint  Jean  eût  été  sans  péché,  puis- 
qu'il était  né  par  la  voie  ordinaire,  et  non  d'une  vierge,  comme  Jésus-Christ, 
il  le  prouve  encore  comme  Théophylacte,  parce  qu'il  dit  à  Jésus-Christ  : 
Ego  a  te  debeo  baptizari ;  après  quoi  il  ajoute  :  «  Cette  faveur  lui  fut  accordée 
dans  ce  lieu  même;  car  le  Seigneur  s'étant  fait  baptiser  dans  l'eau,  Jean 
pouvait-il  en  être  dispensé  ?  »  Et  hoc  ibi  prxstitum  est  ;  quando  enim  Dominus 
in  aquam,  non  ille  prseter  aquam.  —  Cependant,  dans  les  livres  à  René,  où  il 
soutient  le  plus  la  nécessité  du  baptême  de  Jésus-Christ,  il  ne  dit  point  que 
Jean  l'ait  reçu.  Ainsi  il  peut  bien  avoir  voulu  marquer  simplement  dans 
l'autre  endroit  quelque  sanctification  particulière  que  Jésus-Christ  lui  avait 
donnée  alors,  et  qui,  s'étant  faite  dans  l'eau,  lui  tenait,  en  quelque  sorte, 
lieu  de  baptême.  Quand  il  dit  dans  un  sermon  *  :  Plus  hic  de  baptismo  dico, 
a  Joanne  baptizatus  est  Christus,  etc.,  il  est  visible,  ce  me  semble,  qu'il  ne 
croyait  point  que  saînt  Jean  eût  aussi  été  baptisé  par  Jésus-Christ  ». 

«  On  remarque,  avec  quelque  raison,  que  les  disciples  de  saint  Jean  ne 
lui  auraient  pas  témoigné  leur  surprise  de  ce  que  Jésus-Christ  baptisait,  si 

1.  C.  k  Lapide  ;  Maldon,  Id  Matth. 


302  24  JUIN. 

saint  Jean  même  avait  été  baptisé  par  lui  ;  ou  bien  il  faudrait  dire  que  saint 
Jean  ne  demanda  à  être  baptisé  par  Jésus  qu'à  la  suite  de  l'entretien  qu'il 
eut  à  ce  sujet  avec  ses  disciples,  afin  de  les  engager  à  s'attacher  eux-mêmes 
au  Fils  de  Dieu  et  à  le  suivre  ». 

Cependant  saint  Evodius,  successeur  de  saint  Pierre  dans  la  chaire  d'An- 
tioche,  atteste  que  Jean-Baptiste  fut  baptisé  par  Jésus  ainsi  que  la  sainte 
Vierge,  et  les  apôtres  Pierre,  Jacques  et  Jean,  qu'il  sembla  toujours  honorer 
de  plus  de  faveur  et  d'affection.  L'autorité  de  cet  auteur  est  certainement 
d'un  très-grand  poids  et  devrait  suffire,  ce  semble,  pour  donner  la  certitude 
au  point  qui  nous  occupe  ;  car  aurait-il  pu  émettre  cette  affirmation  sans 
en  avoir  acquis  la  certitude  de  la  bouche  même  de  saint  Pierre,  dont  il  avait 
été  le  disciple  ? 

Il  a  plu  au  Saint-Esprit  de  voiler  à  notre  connaissance  l'entretien  que 
Jésus  ne  manqua  pas  d'avoir  avec  saint  Jean,  à  la  suite  de  son  baptême.  Il 
n'est  pas  donné  à  notre  curiosité  de  pénétrer  les  secrets  que  l'Epoux  se  plut 
à  découvrir  à  son  ami  de  prédilection  dans  ce  divin  colloque. 

Cependant  les  disciples  de  saint  Jean-Baptiste,  et  peut-être  aussi  toute 
la  foule  du  peuple,  avaient  été  témoins  de  ce  qui  s'était  passé  sans  en  com- 
prendre tout  le  mystère.  Ils  avaient  écouté  d'une  oreille  attentive  ;  ils  avaient 
entendu  sinon  la  voix  céleste,  du  moins  les  paroles  de  Jean  à  Jésus.  Quand 
le  Sauveur  se  fut  éloigné,  les  disciples  s'approchèrent  du  Précurseur,  et  le 
questionnèrent  au  sujet  des  merveilles  auxquelles  ils  avaient  assisté  saisis 
d'étonnement.  Alors  Jean  rendit  témoignage  à  Jésus,  et  prononça  d'une 
voix  solennelle  :  «  C'est  celui-là  même  dont  je  vous  disais  :  Celui  qui  doit 
venir  après  moi  a  été  préféré  à  moi,  parce  qu'il  était  avant  moi.  Nous  avons 
tout  reçu  de  sa  plénitude  et  grâce  pour  grâce.  Car  la  loi  a  été  donnée  par 
Moïse,  mais  la  vérité  a  été  apportée  par  Jésus-Christ.  Nul  homme  n'a  jamais 
vu  Dieu  ;  c'est  le  Fils  unique  qui  est  dans  le  sein  du  Père  qui  l'a  découvert  ». 
Nous  n'avons  pas  besoin  de  faire  ressortir  l'importance  de  ce  nouveau 
témoignage  en  faveur  du  Messie,  et  le  caractère  de  solennité  qu'il  avait  dans 
la  bouche  du  Précurseur,  en  ce  moment  surtout  où  l'on  était  encore  sous 
l'impression  de  la  vision  mystérieuse. 

Cependant,  le  bruit  des  prédications  de  saint  Jean-Baptiste  augmentait 
de  plus  en  plus  chaque  jour.  Chacun  se  demandait  si  cet  homme  extraor- 
dinaire n'était  point  le  Christ.  L'opinion  générale  contraignit  enfin  les  chefs 
du  peuple  et  les  princes  des  prêtres  à  porter  publiquement  leur  attention 
sur  le  Précurseur. 

La  Synagogue,  ou  l'Eglise  judaïque,  représentée  spécialement  parle 
grand  conseil  ou  sanhédrin,  était  le  juge  naturel  de  la  doctrine  en  Israël. 
C'est  à  elle  que  le  dépôt  s'en  trouvait  confié.  C'est  sous  son  autorité  et  sa 
surveillance  que  s'exerçait  le  ministère  de  la  prédication.  Elle  avait  le  droit 
de  juger  les  rois,  de  contrôler  la  doctrine  des  Prophètes  eux-mêmes,  d'exa- 
miner la  légitimité  de  leur  mission,  et  d'autoriser  ou  d'interdire  leur  minis- 
tère. Les  Scribes  et  les  Pharisiens,  qui  faisaient  partie  de  ce  conseil,  pour 
être  personnellement  infectés  d'erreurs  contre  la  foi,  n'en  étaient  pas  moins 
les  juges  et  les  gardiens  naturels.  Ils  siégeaient  dans  la  chaire  de  Moïse,  et, 
au  rapport  de  Jésus-Christ  lui-même,  ils  avaient  droit  à  l'obéissance  de  la 
part  des  autres. 

La  sainteté  éminente  du  Précurseur,  sa  science  et  son  éloquence  toute 
prophétique,  et  surtout  sa  popularité  et  son  ascendant  sur  la  foule,  le  met- 
taient à  couvert  et  le  protégeaient  peut-être  contre  tout  acte  de  violence  de 
la  part  des  Pharisiens  du  sénat  judaïque,  auxquels  il  portait  ombrage.  On 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU   MESSIE.  303 


ne  put  dès  lors  se  dispenser  d'agir  avec  la  plus  grande  déférence  et  le  plus 
grand  honneur  à  son  égard. 

Les  députés  partis  de  Jérusalem,  étant  arrivés  vers  le  Précurseur,  com- 
mencèrent donc  à  l'interroger  touchant  sa  personne,  sa  qualité  et  sa  fonc- 
tion. Ils  n'avaient  point  l'intention  de  s'informer  de  son  nom  et  de  son 
origine,  car  ils  ne  l'ignoraient  pas.  C'est  ce  que  montrent  les  termes  de  la 
réponse  de  Jean.  Ils  ne  lui  demandent  pas  directement  s'il  est  le  Christ  ;  ils 
lui  font  seulement  cette  question  :  «  Qui  ôtes-vous  ?  » 

L'Evangéliste,  afin  de  mettre  davantage  en  saillie  la  réponse  du  Précur- 
seur, se  sert  d'une  circonlocution  et  d'un  pléonasme  bien  dignes  de  remarque  : 
«  Il  confessa  »,  dit-il,  «  et  il  ne  le  nia  pas  ;  et  il  confessa  qu'il  n'était  point 
le  Christ  ».  Cette  déclaration,  qui  met  si  bien  en  lumière  la  véracité  et  l'hu- 
milité du  fils  de  Zacharie,  est  racontée  de  manière  à  frapper  l'esprit,  afin 
de  rendre  le  lecteur  attentif,  d'exciter  son  admiration  et  de  l'entraîner  jus- 
qu'à l'imitation  de  cette  vertu  éblouissante  de  clarté. 

La  première  question  adressée  au  Précurseur  n'avait  point  obtenu  le 
résultat  qu'en  attendaient  les  envoyés  ;  elle  fut  bientôt  suivie  d'une  seconde  : 
«  Quoi  donc  »,  lui  dirent-ils,  «  ôtes-vous  Elie?  »  Jean-Baptiste  répondit  : 
«  Non,  je  ne  le  suis  point».  Cependant  l'ange  Gabriel  avait  annoncé  à 
Zacharie  que  son  fils  précéderait  «  le  Seigneur  dans  l'esprit  et  la  vertu 
d'Elie  »,  et  Jésus-Christ  déclara  qu'«  Elie  était  déjà  venu,  et  que  Jean  était 
lui-même  Elie  ». 

Celui  qui  se  disait  la  voix  du  Seigneur  peut-il  donc  être  en  désaccord 
avec  le  Seigneur  lui-même  ?  Le  héraut  de  la  Vérité  n'est-il  pas  contredit  ici 
par  la  Vérité  même  ?  Les  Juifs  prenaient  Jean-Baptiste  pour  Elie  lui-même 
en  personne  ;  tel  était  le  fond  de  leur  pensée  et  le  sens  de  leur  question.  En 
déclarant  qu'il  n'était  pas  Elie,  Jean-Baptiste  restait  dans  la  vérité,  et  ne 
disait  rien  qui  ne  fût  digne  de  l'approbation  du  Christ.  Il  était  vraiment 
Elie,  mais  dans  un  sens  mj'stique  et  figuré,  selon  la  pensée  de  l'ange  et  la 
parole  du  Sauveur  ;  et  il  n'était  point  Elie  dans  le  sens  propre  et  grossier 
que  les  Juifs  avaient  à  l'esprit. 

Les  Pharisiens  continuèrent  encore  de  l'interroger  :  «  Etes-vous  pro- 
phète ?  »  poursuivirent-ils  ;  et  il  répondit  :  «  Je  ne  le  suis  pas  ». 

Les  docteurs  grecs  observent  que,  dans  le  grec,  le  mot  prophète  est  pré- 
cédé de  l'article.  C'est  pourquoi  ils  pensent  que  les  prêtres  et  les  lévites 
demandaient  à  Jean-Baptiste,  non  pas  s'il  était  un  prophète  quelconque  et 
ordinaire,  mais  bien  s'il  était  ce  prophète  célèbre  que  Moïse  avait  annoncé 
en  ces  termes  :  «  Le  Seigneur  ton  Dieu  suscitera  de  ta  nation  et  du  milieu 
de  tes  frères  un  prophète  comme  moi  *  ». 

Néanmoins,  Denys  le  Chartreux  ne  veut  pas  que  l'on  entende  cette  inter- 
rogation des  Juifs  dans  un  sens  différent  de  celui  que  l'usage  ordinaire  lui 
attribue.  Par  conséquent  il  ne  s'agirait  pas  de  ce  prophète  extraordinaire 
prédit  par  Moïse,  mais  bien  plutôt  de  quelque  prophète  inférieur  à  Elie  ; 
car  les  questions  allaient  selon  une  gradation  descendante.  Ce  n'est  pas 
d'ailleurs  la  coutume  ni  de  l'ancien  ni  du  nouveau  Testament,  d'entendre 
le  mot  prophète  autrement  que  dans  le  sens  commun  et  ordinaire,  à  moins 
qu'il  ne  soit  accompagné  d'une  épithète  qui  autorise  une  interprétation  spé- 
ciale. Il  vaut  donc  mieux  admettre,  dit  ce  commentateur,  que  les  députés 
du  grand  conseil  ne  voulaient  parler  que  d'un  prophète  ordinaire,  et  selon 
l'acception  communément  usitée  dans  l'ancien  Testament.  Et  Jean  peut  ré- 
pondre qu'il  n'est  pas  prophète,  parce  qu'il  ne  vient  point  pour  annoncer  des 
1.  Dent.,  SYin. 


304  24  JULV. 

choses  à  venir,  mais  pour  montrer  le  Christ  et  pour  indiquer  sa  présence  en 
disant  :  «  Voici  l'Agneau  de  Dieu  ». 

Les  députés  s'adressèrent  enfin  au  Précurseur,  en  lui  disant  :  «  Qui  êtes- 
vous,  afin  que  nous  puissions  répondre  à  ceux  qui  nous  ont  envoyés  ?  Que 
dites-vous  de  vous-même  ?  »  Jean  leur  répondit  par  ces  paroles  solennelles 
et  mystérieuses  :  «  Je  suis  la  voix  de  Celui  qui  crie  dans  le  désert  :  préparez 
la  voie  du  Seigneur,  comme  l'a  dit  le  prophète  Isale  ». 

Dans  le  récit  qu'il  nous  donne  de  cette  célèbre  ambassade,  saint  Jean 
l'Evangéliste  interrompt  tout  à  coup  le  dialogue  pour  faire  observer  que 
«  les  députés  étaient  des  Pharisiens  »  :  puis  il  continue  sa  narration  en 
ajoutant  :  «  Et  ils  l'interrogèrent  et  lui  dirent  :  Pourquoi  baptisez-vous 
donc,  si  vous  n'êtes  ni  le  Christ,  ni  Elie,  ni  Prophète  ?  » 

La  méchanceté  des  Pharisiens,  dit  saint  Grégoire,  n'est  pas  capable  d'al- 
térer la  douceur  et  la  charité  de  saint  Jean  ;  il  donne  une  réponse  de  vie  à 
une  parole  d'envie.  Soit  qu'on  le  loue,  soit  qu'on  le  blâme,  dans  les  fers 
comme  en  liberté,  il  n'a  qu'une  chose  en  vue,  c'est  de  remplir  sa  mission, 
de  rendre  témoignage  au  Messie,  de  le  glorifier  et  de  s'abaisser  lui-même. 
Il  ne  se  met  donc  point  en  peine  de  justifier  sa  mission  et  son  baptême  aux 
yeux  de  ses  ennemis  ;  il  ne  s'occupe  point  de  dire  par  quelle  autorité  et 
pour  quelle  raison  il  baptise  ;  mais  il  saisit  promptement  l'occasion  de 
rendre  au  Christ  un  témoignage  éclatant  et  solennel.  Un  commentateur 
fait  encore  observer  que  ce  témoignage  est  rapporté  par  saint  Jean  l'Evan- 
géliste, comme  le  plus  célèbre,  parce  qu'il  fut  public  ;  et,  de  plus,  il  s'adres- 
sait aux  pontifes  et  aux  magistrats  :  il  avait  été  demandé  juridiquement  et 
accepté  comme  tel  par  les  envoyés. 

Saint  Jean,  s'abaissant  et  enseignant  à  ses  auditeurs  à  faire  peu  de  cas  de 
son  baptême,  s'eû'orce  de  relever  celui  du  Christ.  «  Pour  moi  »,  dit-il,  «  je 
baptise  dans  l'eau  ;  mais  il  en  est  un  qui  a  paru  au  milieu  de  vous,  que  vous 
ne  connaissez  pas,  c'est  lui  qui  doit  baptiser  dans  le  Saint-Esprit  et  dans  le 
feu  » . 

L'Evangéliste  saint  Jean,  dont  toutes  les  paroles  méritent  d'être  relevées, 
a  pris  soin  de  marquer  le  lieu  où.  ces  choses  se  passèrent  ;  et  un  savant 
chronologiste,  Tornielli,  en  fixe  le  jour  au  16  février,  pendant  que  Jésus- 
Christ  était  encore  retiré  dans  le  désert.  «  Ceci  se  passait  donc  en  Béthanie, 
au  bord  du  Jourdain  où  Jean  baptisait  ». 

Après  avoir  jeûne  quarante  jours  et  quarante  nuits  et  s'être  soumis  aux 
épreuves  de  la  plus  rude  pénitence,  Jésus-Christ  avait  permis  au  tentateur 
de  venir  lui  tendre  des  pièges  et  de  chercher  à  exciter  dans  son  humanité 
les  désirs  et  les  appétits  de  la  triple  concupiscence.  Mais  une  parole  du  Verbe 
de  Dieu  avait  suffi  pour  confondre  l'ennemi  de  tout  bien.  Il  avait  voulu,  par 
humilité,  être  tenté  comme  nous,  «  de  toutes  manières,  mais  sans  recevoir 
aucune  atteinte  du  péché  «.S'étant  ainsi  préparé  à  sa  mission  divine,  il 
descendit  de  la  montagne  oii  le  démon  l'avait  laissé,  quitta  le  désert  et  la 
solitude,  alla  passer  quelques  semaines  à  Nazareth  et  revint  vers  saint  Jean- 
Baptiste  pour  le  voir  et  l'entendre,  mais  surtout  pour  lui  fournir  l'occasion 
de  répéter  et  de  confirmer,  en  sa  présence  et  en  face  de  tous  les  Juifs,  le 
témoignage  qu'il  venait  de  lui  rendre  en  son  absence. 

«  Un  autre  jour  »,  dit  le  texte  évangélique,  «  Jean  vit  Jésus  qui  venait  à 
lui,  et  il  dit  :  Voici  l'Agneau  de  Dieu,  voici  Celui  qui  ôte  le  péché  du  monde. 
C'est  Celui  dont  j'ai  dit  :  Il  vient  après  moi  un  homme  qui  m'a  été  préféré, 
parce  qu'il  était  avant  moi  ». 

Cette  parole  si  courte  du  héraut  de  la  Vérité  :  «  Voici  l'Agneau  de  Dieu 


SAINT  JEA.N-DAPTISTE,  PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  305 

qui  ôte  les  péchés  du  monde  »,  exprime  admirablement  bien  qu'il  y  a  en 
Jésus-Christ  une  seule  personne  et  deux  substances  ou  natures,  celle  de 
Dieu  et  celle  de  l'homme;  elle  montre  que  la  nature  humaine  est  passible, 
et  que  la  nature  divine  n'est  point  sujette  à  la  souffrance.  En  effet,  parce 
qu'il  est  homme,  il  a  pu  être  porté  comme  «  un  agneau  plein  de  douceur 
pour  être  immolé.  11  a  livré  »,  dit  Isaïe,  «  son  corps  à  ceux  qui  le  frappaient, 
il  a  présenté  ses  joues  à  ceux  qui  le  maltraitaient  »  ;  il  a  voulu  nous  rassa- 
sier de  sa  chair,  et  nous  revêtir  de  sa  laine  ;  il  a  été  attaché  à  la  croix  et 
percé  d'une  lance,  afin  que  nous  pussions  marquer  nos  fronts  de  son  sang, 
comme  les  Israélites  leurs  portes  du  sang  de  l'agneau.  —  Mais  parce  qu'il 
est  Dieu,  il  a  pu  ôter  le  péché  du  monde  en  s'élevant  pour  ravir  sa  proie  et 
en  rugissant  parmi  les  morts,  comme  un  jeune  lion,  après  avoir  terrassé  le 
ravisseur,  vaincu  le  tyran  de  la  mort,  et  triomphé  du  trépas.  Assis  à  la  droite 
du  Père,  il  remet  les  péchés  à  ceux  qui  croient  fermement  en  lui. 

Après  avoir  rapporté  cet  éclatant  témoignage  que  nous  avons  essayé  de 
faire  ressortir,  l'Evangile  du  disciple  bien-aimé  nous  apprend  que  le  lende- 
main même  de  cette  circonstance  mémorable,  Jean-Baptiste,  comme  une 
sentinelle  attentive  et  vigilante,  se  tenait  debout  avec  deux  de  ses  disciples. 
Il  eut  le  bonheur  de  voir  et  de  contempler  encore  «  Jésus  qui  marchait  ». 
Dans  le  transport  de  sa  joie,  il  s'écria  derechef  en  le  montrant  à  ses  dis- 
ciples :  «  Voilà  l'Agneau  de  Dieu  ».  Sur  la  parole  de  leur  maître,  les  disci- 
ples se  mirent  aussitôt  en  marche  pour  rejoindre  Jésus.  Le  Sauveur  s'étant 
retourné  vers  eux,  et  voyant  qu'ils  venaient  à  sa  suite,  peut-être  sans  oser 
lui  adresser  la  parole,  leur  parla  lui-même  le  premier,  et  leur  demanda 
ce  qu'ils  cherchaient.  Les  disciples  de  Jean  répondirent  en  donnant  à  Jésus 
un  nom  d'excellence  qu'on  n'attribuait  d'ordinaire  qu'à  ceux  qui  en  avaient 
été  jugés  dignes  par  le  sanhédrin  :  «  Rabbi  »,  lui  dirent-ils,  «  nous  désirons 
connaître  le  lieu  oh  vous  habitez  ».  Et  le  Sauveur,  les  accueillant  avec  une 
grande  bonté,  les  conduisit  lui-même.  Or,  l'un  d'eux  était  André  ;  il  devint 
depuis  disciple  et  apôtre  de  Jésus-Christ.  On  ne  sait  point  d'une  manière 
absolument  certaine  quel  était  l'autre  disciple.  Saint  Jean  Chrysostome 
nous  apprend  que,  selon  quelques  auteurs,  c'était  saint  Jean  l'Evangéliste. 
Théophylacte  l'affirme  positivement.  D'après  saint  Epiphane,  ce  ne  pouvait 
être  que  lui  ou  bien  Jacques,  son  frère,  c'est-à-dire  l'un  des  fils  de  Zébé- 
dée.  Mais  le  silence  de  l'Evangile,  à  ce  sujet,  autorise  suffisamment  à  croire 
que  ce  disciple  n'était  autre  que  celui-là  même  qui  nous  en  a  donné  le 
récit.  C'est,  en  efi'et,  à  l'école  de  saint  Jean-Baptiste  que  saint  Jean  l'Evan- 
géliste semble  avoir  appris  à  nommer  Jésus  l'Agneau  de  Dieu.  C'est  à  la 
suite  de  ce  digne  maître  qu'il  se  pénétra  si  bien  de  la  pureté,  de  la  virgi- 
nité et  de  la  sainteté  qui  le  rendirent  si  cher  à  Jésus-Christ.  Cette  grande 
abstinence,  la  virginité  et  la  pureté  de  vie  qui  brillèrent  dans  le  saint  évan- 
géliste  passèrent,  ce  semble,  de  Jean-Baptiste  dans  lui,  selon  l'expression 
d'un  interprète  moderne  ^ 

Nous  voyons,  par  cette  circonstance,  avec  quel  soin  et  quel  empresse- 
ment le  Précurseur  saisissait  toutes  les  occasions  d'attacher  à  Jésus-Christ 
les  disciples  qu'il  s'était  faits.  11  travaillait  ainsi  à  décroître  lui-même  pour 
faire  croître  son  Seigneur.  Il  envoyait  donc  à  Jésus,  déjà  ébauchées  et  pré- 
parées, les  pierres  qui  devaient  lui  servir  à  asseoir  les  fondements  de  son 
Eglise.  . 

L'Evangéliste  nous  apprend  que  ce  fut  sur  la  parole  d'André  que  Simon, 
son  frère  aîné,  alla  aussi  trouver  Jésus-Christ.  Nous  ne  pouvons  douter 

l.D'Allioli. 

Vies  DES  Saints.— Tome  VU, •         ,  2<i 


306  24  JUIN. 

qu'il  n'ait  été  compté  lui-même  parmi  les  disciples  de  Jean-Baptiste.  Le 
texte  sacré  ne  nous  le  dit  pas  formellement,  mais  il  l'insinue  suffisamment. 

Ces  disciples  ne. s'attachèrent  pas  encore  définitivement  à  Jésus;  car 
BOUS  savons  que  ce  fut  plus  tard  seulement  qu'ils  laissèrent  leurs  filets  pour 
le  suivre.  Ils  voulaient  d'abord  le  connaître  personnellement,  lier  avec  lui 
quelque  familiarité  afin  de  se  faire,  plus  tard,  définitivement  ses  disciples 
s'ils  trouvaient  que  sa  société  leur  fût  avantageuse.  Ils  retournèrent  à  leur 
premier  maître.  Saint  Jean  pût  dès  lors  leur  parler  d'une  manière  plus 
claire  et  plus  précise  touchant  l'objet  principal  de  sa  mission. 

Le  fils  de  Zacharie  continua  toujours  d'administrer  son  baptême  et  de 
rendre  témoignage  au  Sauveur,  même  après  que  Jésus  eut  commencé  ses 
prédications  évangéliques.  Cependant^  nous  allons  commencer  à  le  voir 
diminuer^  ainsi  qu'il  l'avait  prédit.  Les  événements  que  nous  avons  racontés 
jusqu'ici  semblent  s'être  passés  la  plupart  sur  le  Jourdain,  vis-à-vis  de  Jéri- 
cho ;  car  la  tradition  raconte  que  le  Christ  fut  baptisé  à  l'endroit  même  où 
Israël  franchit  le  fleuve  à  pied  sec,  et  où  les  pieux  pèlerins  de  la  Terre- 
Sainte  vont  encore  demander  à  ses  ondes  sacrées  une  communication 
nouvelle  de  la  vertu  purifiante  et  sanctifiante  dont  elles  furent  imprégnées, 
et  par  elles  toutes  les  eaux  de  la  terre,  au  moment  où  le  Sauveur  du  monde 
s'y  plongea  pour  instituer  le  sacrement  de  la  régénération. 

L'Evangile,  qui  nous  fournit  si  peu  de  détails  géographiques,  nous  fait 
remarquer  que  le  lieu  où  se  passa  la  scène  que  nous  allons  raconter  était 
Ennon,  proche  de  Salira  ou  Salem,  autrefois  la  résidence  de  Melchisédech, 
dont  on  voyait  encore  le  palais  en  ruines  du  temps  de  saint  Jérôme.  Cette 
ville,  située  sur  une  petite  rivière  qui  va  se  jeter  dans  le  Jourdain  non  loin 
de  làj  appartenait  à  la  province  de  Samarie.  C'est  là  que  Jean  baptisait, 
parce  qu'il  y  avait  beaucoup  d'eau,  dit  l'Evangile.  Toutefois,  nous  ne  de- 
vons pas  imaginer  que  ce  fut  le  besoin  d'aller  chercher  de  l'eau  qui  engagea 
le  Précurseur  à  quitter  le  Jourdain  :  car  nous  savons  encore,  par  l'Evan- 
gile, que  Jésus  y  donnait  sou  baptême,  mais  dans  la  province  de  Judée. 

^'ous  avons  donc  ainsi  l'occasion  d'observer  que  pour  faire  part  à  une 
plus  grande  étendue  de  pays  de  l'heureuse  nouvelle  dont  il  était  le  héraut, 
et  pour  mieux  accomplir  ainsi  sa  mission,  le  Précurseur  allait  de  préférence 
dans  les  lieux  que  Jésus-Christ  n'avait  pas  encore  illustrés  de  sa  présencie, 
afin  de  l'annoncer,  de  le  faire  connaître  d'avance,  et  de  lui  préparer  la  voie. 
Car  il  avait  commencé  à  prêcher  dans  le  désert  de  Judée  ;  il  s'était  mis 
à  baptiser  dans  le  Jourdain,  non  loin  de  son  embouchure  dans  la  -mer 
morte  ;  c'est  là  que  tout  Jérusalem  allait  à  lui.  Maintenant  nous  le  voyons 
remonter  ce  fleuve  jusqu'à  Ennon,  pour  de  là  faire  retentir  sa  voix  jusque 
sur  les  rivages  de  la  mer  de  Tibériade  et  réveiller  la  province  de  Samarie 
^u  bruit  de  ses  puissantes  clameurs,  comme  il  avait  déjà  fait  pour  la  Judée. 
Il  continuait  donc  à  baptiser  ;  car  son  baptême  ne  fut  pas  aboli  aussitôt 
que  parut  celui  de  Jésus-Christ.  Mais  les  disciples  de  Jean-Baptiste,  obser- 
vant que  leur  maître  n'était  plus  l'objet  d'un  concours  aussi  nombreux  et 
aussi  empressé  qu'autrefois,  en  conçurent  du  dépit  et  de  la  jalousie  contre 
celui  qu'ils  savaient  en  être  l'occasion  ou  la  cause.  Les  Juifs  malintention- 
nés, et  surtout  les  Pharisiens,  ennemis  jurés  de  Jésus  aussi  bien  que  de 
samt  Jean,  surent  trouver  le  moyen  d'aiguillonner  encore  les  disciples  du 
Précurseur,  et  d'exciter  leur  envie,  afin  de  les  amener  à  faire  infirmer  ou 
révoquer  les  témoignages  que  leur  maître  avait  rendus  au  Christ.  Ils  se  joi- 
gnirent même  quelquefois  aux  Pharisiens  qu'ils  connaissaient  ennemis  dé- 
clarés du  Sauveur.  C'est  ce  que  nous  apprend  saint  Matthieu  en  ces  termes  : 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,   PRECURSEUR  DU  MESSIE.  307 

«  Les  disciples  de  Jean  s'approchèrent  de  Jésus  et  lui  dirent  :  Pourquoi  les 
Pharisiens  et  nous  pratiquons-nous  des  jeûnes  fréquents,  tandis  que  vos 
disciples  ne  jeûnent  point  ?  »  Leur  intention  était  de  faire  révoquer  à  leur 
maître  le  témoignage  qu'il  avait  rendu  touchant  le  Christ  :  leurs  paroles 
l'insinuent  avec  assez  d'évidence  :  «Maître»,  disent-ils,  «  Celui  qui  était 
avec  vous  au-delà  du  Jourdain,  et  auquel  vous  avez  rendu  témoignage, 
voilà  qu'il  s'est  mis  à  baptiser,  et  tout  le  monde  se  porte  vers  lui  ».  Ces 
paroles,  qui  ne  sont  sans  doute  que  l'abrégé  sommaire  de  ce  qu'ils  dirent  à 
saint  Jean,  décèlent,  dans  leur  brièveté,  une  rare  habileté,  la  ruse  la  plus 
subtile  et  la  plus  capable  de  séduire  tout  autre  que  celui  dont  là  Yérité 
même  a  dit  qu'il  n'était  point  un  roseau  agité  par  le  vent.  Il  fallait  au  Pré- 
curseur toute  sa  fermeté  et  sa  prudence  pour  ne  point  dévier  de  la  vérité 
en  cette  circonstance. 

La  méchanceté  et  la  jalousie  des  Pharisiens  contre  le  Sauveur  et  contre 
le  Précurseur  fournirent  de  nouveau  à  celui-ci  l'occasion  de  rendre  à  Jésus 
un  hommage  public  et  solennel,  le  plus  beau  et  le  plus  éclatant  de  tous  les 
témoignages;  c'est  le  dernier  qui  nous  soit  rapporté  dans  l'Evangile,  mais 
c'est  aussi  le  plus  frappant  ;  c'est  le  chant  suprême  du  Cygne  qui  tant  de  fois 
avait  réjoui  tout  Israël  aux  accents  de  sa  voix  plus  que  prophétique.  Ecou- 
tons ce  qu'il  va  dire  à  ses  disciples  et  aux  Juifs,  empressés  d'entendre  sa 
réponse. 

«  L'homme  ne  peut  rien  recevoir,  s'il  ne  lui  a  été  donné  du  ciel  ». 
C'est-à-dire  :  Pourquoi  m'appelez-vous  Rabbi  avec  tant  d'emphase ,  ô 
hommes  insidieux  et  importuns  ?  Pourquoi  m'attribuez-vous  un  nom  que 
je  ne  mérite  point  ?  Ce  nom,  je  vous  le  déclare,  ne  convient  qu'à  Celui-là 
seul  qui  ne  manque  de  rien,  qui  seul  possède  la  science  et  l'enseigne  aux 
hommes. 

«  Est-ce  seulement  d'aujourd'hui,  d'ailleurs,  que  je  vous  déclare  que 
loin  d'être  un  Dieu,  je  ne  suis  qu'un  homme?  Mais  vous-mêmes,  vous  me 
rendez  témoignage  que  je  vous  ai  dit  :  Je  ne  suis  point  le  Christ,  mais  j'ai 
été  envoyé  devant  lui.  Quand  me  furent  envoyés,  de  Jérusalem,  des  prêtres  et 
des  lévites  pour  me  demander  :  «  Qui  êtes-vous  ?  »  je  l'ai  avoué,  et  je  ne  l'ai 
point  caché,  et  j'ai  «  déclaré  que  je  ne  suis  point  le  Christ  »,  et  j'ai  ajouté  : 
«  Celui  qui  doit  venir  après  moi,  a  été  rais  devant  moi,  et  je  ne  suis  pas 
digne  de  dénouer  les  cordons  de  ses  souliers.  Vous  êtes  témoins  vous- 
mêmes  que  j'ai  tenu  ce  langage,  puisque  vous  me  dites  :  Maître,  celui  qui 
au-delà  du  Jourdain  était  avec  vous,  et  auquel  vous  avez  rendu  témoi- 
gnage ».  Ce  n'est  donc  point  pour  la  première  fois  que  je  déclare  n'être 
qu'un  homme;  car  vous  savez,  et  vous  me  rendez  maintenant  témoignage 
que  j'ai  dit  :  «  Je  ne  suis  point  le  Christ  ».  Si  je  m'étais  arrogé  cette  qua- 
lité, je  me  serais  certainement  prétendu  plus  qu'un  homme;  car  le  Christ 
n'est  pas  homme  seulement. 

Si  vous  voulez  savoir  ce  que  je  suis,  je  vais  vous  l'apprendre  par  une 
comparaison  bien  connue  :  «  L'époux  est  celui  à  qui  est  l'épouse  ;  mais  l'ami 
de  l'époux  est  celui  qui  se  tient  debout  et  qui  l'écoute  ;  il  est  ravi  de  joie 
en  entendant  la  voix  de  l'époux.  C'est  donc  là  ma  joie  qui  est  maintenant  à 
son  comble  ».  Or  vous  savez,  vous  qui  avez  célébré  des  noces,  ou  qui  seule- 
ment y  avez  pris  part,  quelle  distance  il  y  a  entre  l'époux  et  son  ami. 

Mais,  pourrait  demander  quelqu'un,  comment  saint  Jean  n'hésite-t-il 
point  de  se  déclarer  ici  le  paranyraphe  du  Christ,  son  ami  le  plus  intime  ? 
Pourquoi  s'attribue-t-il,  à  l'exclusion  de  tout  autre,  la  faveur  singulière  et 
unique  d'être  admis  jusque  dans  l'appartement  nuptial,  tandis  que,  dans 


308  24  JUIN. 

d'autres  circonstances,  il  se  permettait  à  peine  de  passer  pour  le  serviteur 
du  Fils  de  Dieu,  et  répétait  qu'iln'était  point  digne  de  lui  rendre  le  plus 
humble  des  services,  comme  de  porter  sa  chaussure  et  d'en  dénouer  les 
cordons  ? 

11  voulait  faire  voir  qu'il  ne  ressemblait  point  aux  esclaves  qui  ont,  à 
l'égard  de  leur  maître,  plutôt  de  l'envie  que  de  l'aflection.  Les  amis,  au 
contraire,  coopèrent  au  bonheur  de  leurs  amis,  travaillent  à  le  procurer, 
s'en  réjouissent  eux-mêmes  et  s'en  félicitent.  Jean-Baptiste  se  disait  autre- 
fois indigne  de  dénouer  les  cordons  du  Fils  de  Dieu,  parce  qu'on  le  prenait 
lui-même  pour  le  Christ  ;  il  montrait  son  humilité,  parce  qu'on  lui  prépa- 
rait une  tentation  d'orgueil.  Maintenant  il  s'annonce  comme  l'ami  intime 
du  Fils  de  Dieu,  parce  qu'on  veut  le  faire  poser  comme  un  rival;  il  fait 
voir  son  amour  et  sa  charité,  parce  qu'on  veut  exciter  en  lui  le  fiel  de  l'envie. 

Les  disciples  de  saint  Jean  s'étaient  plaints  que  le  Christ  baptisât  et  que 
tout  le  monde  vînt  à  lui.  Jean  leur  fit  comprendre  qu'il  n'en  pouvait  être 
autrement,  parce  que  c'est  lui  qui  est  l'Epoux  de  l'Eglise  ;  mais  il  fallait, 
en  outre,  qu'il  leur  montrât  la  nécessité  où  il  était  de  diminuer  lui-même  à 
mesure  que  Jésus-Christ  grandirait. 

Jean-Baptiste,  dit  saint  Ambroise,  était  la  figure  de  la  loi  et  des  prophé- 
ties, qui  lurent  diminuées  par  leur  abolition  ;  le  Christ  figurait  la  loi  nou- 
velle et  l'Evangile,  qui  doivent  croître  jusqu'à  la  consommation  des  siècles  ; 
il  fallait  que  la  loi  cessât,  que  la  nation  juive  disparût  à  mesure  que 
l'Evangile  répandait  son  éclat  et  que  le  peuple  chrétien  se  développait. 

Cependant  la  carrière  de  saint  Jean  touchait  à  son  terme.  L'heure  arrivait 
où  le  Fils  de  Dieu  allait  enfin  commencer  publiquement  le  cours  de  ses  pré- 
dications :  car  jusque-là  elles  n'avaient  eu  qu'un  retentissement  restreint 
et  n'avaient  encore  été  accompagnées  que  par  des  miracles  opérés,  pour 
ainsi  dire,  dans  l'ombre.  La  gloire  d'avoir  été  persécuté  par  les  Juifs,  aussi 
bien  que  tous  les  anciens  Prophètes,  ne  devait  pas  manquer  au  Précurseur  ; 
car  Jésus-Christ  lui-même  a  dit  à  ce  sujet  :  «  Ils  l'ont  traité  comme  il  leur 
a  plu  ;  et  il  est  réservé  au  Fils  de  l'homme  de  souffrir  de  leur  part  les  mêmes 
persécutions.  La  plupart  des  auteurs  s'accordent,  en  efl"et,  pour  attribuer 
aux  Pharisiens  le  projet  et  l'exécution  de  l'arrestation  de  saint  Jean,  et 
même  de  sa  mort  ;  ces  sectaires  eurent  la  fourberie  de  suggérer  à  Hérode  la 
crainte  d'une  révolution  que  le  crédit  du  Précurseur  sur  l'esprit  du  peuple, 
le  concours  des  multitudes  empressées  à  sa  suite,  et  surtout  la  défiance  et 
la  jalousie,  rendaient  facilement  vraisemblable  à  un  tyran  lâche  et  efleminé. 

Alors  régnait  sur  la  province  de  Galilée,  et  sur  le  pays  au-delà  du  Jour- 
dain, un  prince  à  qui  les  Romains  avaient  conservé  un  simulacre  de  royauté 
sous  le  nom  de  Tétrarque.  C'était  Hérode,  le  fils  du  meurtrier  des  Innocents, 
homme  vicieux  et  corrompu,  que  saint  Luc  caractérise  en  ces  termes  : 
«  Ayant  été  repris  par  saint  Jean  au  sujet  d'Hérodiade,  la  femme  de  son 
frère,  et  de  toutes  les  méchancetés  qu'il  avait  faites,  Hérode  ajouta  encore 
à  tous  ses  crimes  celui  de  faire  mettre  Jean  en  prison  ».  Le  saint  Précur- 
seur lui  avait  donc  déjà  fait  des  réprimandes,  et  l'avait  averti  de  renvoyer  la 
femme  qu'il  avait  ravie  à  son  frère  Philippe,  et  qu'il  n'avait  pas  craint 
d'épouser  publiquement,  au  grand  scandale  de  tout  le  monde.  Il  n'avait  pas 
craint  de  reprocher  aux  soldats  leurs  exactions,  aux  Publicains  avares  leur 
dureté,  aux  orgueilleux  Pharisiens  leur  hypocrisie,  à  tous  les  Juifs  leur 
endurcissement  et  leur  dépravation.  Il  lui  restait  à  donner  une  leçon  sévère 
au  monarque.  H  la  fit  avec  une  généreuse  liberté,  et  avec  aussi  peu  de  crainte 
que  s'il  eût  parlé  à  un  enfant,  dit  saint  Chrysostome.  Il  n'ignorait  point  co 


SAINT  JEAN -BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  oO'.) 

qui  lui  était  réservé  de  la  part  d'une  reine  en  courroux;  il  savait  à  quoi 
son  zèle  allait  l'exposer  en  essayant  de  faire  descendre  du  Irône  et  chasser 
de  son  palais  une  femme  orgueilleuse  et  toute-puissante.  Mais  le  zèle  de  la 
maison  de  Dieu  le  dévorait;  et,  en  présence  d'un  devoir  à  remplir,  il  comp- 
tait pour  rien  les  opprobres  et  les  persécutions  dont  il  pourrait  être  roi)! et, 

«  Cependant  la  fille  du  roi  des  Arabes,  la  légitime  épouse  offensée,  s'était 
enfuie  chez  son  père.  De  là  était  survenue  une  guerre  ;  et  Hérode  Antipas, 
marchant  contre  le  roi  des  Arabes,  se  trouvait  alors  avec  son  armée  sur  la 
pointe  méridionale  de  la  Pérée.  Poussé  par  sa  femme  et  furieux  des  justes 
reproches  de  Jean-Baptiste ,  inquiet  outre  cela  du  mécontentement  du 
peuple,  qu'avaient  irrité  et  cette  union  adultère  et  la  guerre  injuste  qui 
s'en  était  suivie,  ce  malheureux  prince  ne  put  se  contenir  plus  longtemps. 
Attribuant  au  Précurseur  les  troubles  et  les  murmures  du  peuple,  au  lieu 
de  s'en  prendre  à  lui-môme,  il  avait  tenté  un  coup  violent;  et  se  faisant 
livrer  par  Pilate  le  prédicateur  courageux,  il  l'avait  enfermé  dans  la  forte- 
resse de  Machérouse,  située  sur  l'extrême  limite  de  ses  Etats.  Les  rabbins  la 
nommaient  Fort-Noir  ou  encore  Fournaise,  à  cause  de  la  terre  noire  d'as- 
phalte et  des  sources  chaudes  qui  se  trouvaient  en  cette  contrée.  Elle  était 
située  au-delà  de  la  mer  Morte,  dans  le  voisinage  du  mont  Nébo.  C'était  le 
lieu  le  mieux  fortifié  après  Jérusalem.  Le  roi  Hérode  l'avait  fait  bâtir  pour 
en  faire  une  place  d'armes  contre  les  Arabes.  Ceux-ci  s'en  étaient  emparés 
plus  tard,  mais  elle  avait  été  probablement  reconquise  dans  la  guerre  ac- 
tuelle. La  nature  l'avait  munie  de  fossés  profonds  de  cent  coudées  ;  à  ses 
pieds  était  bâtie  la  ville  basse,  mais  elle  étalait  en  haut  ses  rochers  avançant 
en  saillie  au-dessus  de  l'abîme,  et  entourés  de  murs.  Aux  angles  étaient 
placées  des  tours  hautes  de  soixante  coudées  ;  et  c'est  dans  l'une  de  ces 
tours  que  Jean-Baptiste  était  enfermé.  Sur  la  place,  au  milieu  de  la  cita- 
delle, s'élevait  un  magnifique  château  :  c'est  là  que  le  tétrarque  se  tenait 
avec  son  état-major,  pendant  que  la  guerre  le  forçait  à  rester  dans  ces  con- 
trées. Dans  ce  palais  était  une  vieille  tige  de  rue  d'une  telle  hauteur  que 
Josèphe  a  cru  devoir  en  faire  mention.  Au  fond  du  vallon  croissait  une  ra- 
cine magique  nommée  Baaras,  dont  on  racontait  des  effets  merveilleux, 
Telle  était  cette  forteresse  de  Machaire,  qui  s'élevait  elle-même  comme  un 
donjon  de  l'enfer  dans  cette  vallée,  longue  de  soixante  stades,  et  d'où  l'on 
apercevait  la  mer  Morte  à  une  distance  de  trois  lieues  et  demie  ». 

Il  devait  entrer  dans  les  plans  du  fourbe  et  rusé  monarque  de  faire  ou- 
blier peu  à  peu  le  Prophète  qui  avait  remué  et  attiré  à  lui  tout  Israël.  Pour 
cela,  deux  moyens  se  présentaient  naturellement  :  une  détention  étroite  et 
prolongée,  et  le  discrédit  jeté  sur  sa  personne  au  moyen  de  calomnies  ha- 
bilement ourdies. 

C'est  en  exécution  du  premier  moyen  que  Jean  fut  enlevé  loin  des  lieux 
où  il  avait  exercé  un  si  grand  rôle,  et  qu'il  fut  transporté  et  détenu  dans 
une  forteresse  à  l'abri  de  toute  tentative  d'enlèvement  de  la  part  de  ses 
disciples,  et  dans  l'impossibilité  d'entreprendrs  une  évasion.  C'est  encore 
pour  cela  qu'Hérode  ne  se  hâta  point  de  lui  faire  son  procès;  car  la  justice 
irréprochable  et  la  sainteté  du  Précurseur,  reconnues  par  ses  ennemis  eux- 
mêmes,  n'auraient  pu  faire  tourner  un  jugement  à  la  gloire  de  ses  accusa- 
teurs. Il  était  donc  plus  sûr  et  plus  adroit  de  l'enfermer  le  plus  secrètement 
possible,  et  d'éviter  de  donner  à  cette  mesure  toute  espèce  de  retentisse- 
ment. 

Pour  discréditer  la  personne  et  la  vertu  du  Précurseur,  on  formula 
contre  lui  des  accusations  sans  consistance,  que  l'on  divulgua  habilement 


310  24  JDIN. 

parmi  le  peuple.  On  le  fit  passer  pour  un  factieux  qui  cherchait  à  ameuter 
la  multitude  ;  on  représenta  qu'il  avait  mérité  et  rendu  nécessaire  son  em- 
prisonnement en  exposant  les  Juifs  à  faire  croire  aux  Romains  qu'ils  vou- 
laient se  révolter  contre  leur  autorité.  On  ne  manqua  point  surtout  de  l'ac- 
cuser d'avoir  insulté  la  majesté  royale,  dans  la  personne  d'Hérode,  par  les 
reproches  qu'il  lui  avait  adressés  et  par  le  blâme  dont  il  l'avait  couveft  ea 
présence  même  du  peuple.  On  ne  put  oublier  de  faire  revivre  tous  les  griefs 
que  les  Pharisiens  avaient  contre  lui  dès  le  commencement  de  ses  prôdi^ 
cations,  pour  les  avoir  humiliés  publiquement  en  leur  reprochant  leur» 
vices  et  en  les  appelant  race  de  vipères.  Nous  savons,  en  effet,  de  la  bouche 
même  du  Christ,  que  l'on  voulut  faire  passer  son  Précurseur  pour  un  pos- 
sédé du  démon. 

Les  disciples  du  saint  Précurseur  conservèrent  toujours  leur  affection 
pour  ce  digne  maître  ;  leur  fidélité  ne  se  démentit  point  jusque  dans  la 
persécution;  ils  voulurent  continuer  de  lui  être  exclusivement  attachés, 
quoique  saint  Jean  se  fût  efforcé  souvent  de  leur  faire  comprendre  qu'ils 
devaient  désormais  suivre  Celui  dont  il  s'était  dit  l'humble  avant-coureur. 
L'esprit  de  jalousie  et  de  rivalité  qui  les  animait  depuis  que  Jésus  s'était 
mis  à  donner  le  Baptême,  se  réveilla  de  nouveau  dans  leur  cœur  quand  ils 
virent  sa  réputation  croissant  chaque  jour,  tandis  qu'on  ne  parlait  plus  de 
leur  maître.  Chaque  jour,  en  effet,  ils  entendaient  raconter  les  miracles 
que  le  Christ  semait  sur  ses  pas;  peut-être  avaient-ils  été  eux-mêmes  té- 
moins de  quelques-unes  de  ces  merveilles.  Ils  en  conçurent  du  dépit  et  de 
l'envie  ;  quelques-uns  d'entre  eux  se  laissèrent  même  entraîner  par  les  Pha- 
risiens jusqu'à  se  mettre  de  leur  parti  pour  lui  tendre  des  pièges.  A  la  suite 
de  la  résurrection  du  fils  de  la  veuve  do  Naim,  comme  ils  avaient  encore 
la  faculté  de  voir  leur  maître  dans  sa  prison,  ils  vinrent  lui  raconter  cette 
merveille  et  quelques  autres  miracles  antérieurs  ;  ils  laissèrent,  sans  doute, 
entrevoir  le  dépit  qu'ils  en  éprouvaient.  Alors,  saint  Jean  en  choisit  deux 
d'entre  eux,  et  les  charge  d'une  mission  qui  ne  puisse  être  sujette  à  aucun 
soupçon,  et  dont  le  résultat  sera  de  leur  apprendre,  par  la  force  même 
des  choses,  quelle  différence  il  y  a  entre  le  Christ  et  son  Précurseur. 
En  conséquence  ,  au  lieu  d'adresser  à  ses  disciples  une  instruction  ,  comme 
il  avait  déjà  fait  dans  une  circonstance  analogue,  il  envoie  de  préfé- 
rence, sans  doute,  ceux  qui  faisaient  le  plus  de  difficulté  à  croire,  et  les 
charge  d'aller  en  son  nom  faire  cette  question  au  Sauveur  :  «  Etes-vous 
Celui  qui  doit  venir,  ou  bien  devons-nous  en  attendre  un  autre  ?  » 

Les  paroles  que  les  disciples  du  Précurseur  adressèrent  de  sa  part 
à  Jésus-Christ  revenaient  à  celles-ci  :  «  Je  sais  que  vous  êtes  le 
Messie:  c'est  ce  que  j'ai  prouvé  par  mon  témoignage  ;  mais  le  peuple 
ri^rnore  encore.  Pourquoi  donc  tardez- vous  à  vous  faire  connaître,  et  ne 
déclarez-vous  pas  ce  que  vous  êtes?  Rendez  enfin  un  témoignage  clairet 
évident  aux  yeux  de  tout  le  monde;  montrez,  par  vos  œuvres,  que  vous  êtes 
le  Christ,  et  qu'il  n'en  faut  point  attendre  d'autre  ». 

Les  envoyés  du  saint  Précurseur  étant  donc  arrivés  vers  Jésus,  lui  adres- 
sèrent, de  la  part  de  leur  maître,  les  questions  dont  ils  étaient  chargés. 
«  Le  Sauveur  »,  dit  saint  Cyrille,  «  ne  se  hâta  point  de  répondre  qu'il  était 
Celui  qui  devait  venir  ;  mais  il  le  montra  par  le  nombre  et  la  grandeur  des 
miracles,  car  il  se  plut  à  opérer,  en  présence  des  disciples  de  Jean,  beau- 
coup plus  de  prodiges  qu'il  n'en  avait  fait  jusque-là  ».  Saint  Luc  raconte, 
en  efiét,  que  «  Jésus,  à  cette  heure-là  même,  délivra  un  grand  nombre  de 
personnes  des  maladies  et  des  plaies  dont  elles  étaient  affligées  et  des  malins 


SAINT  JEAN-BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  311 

esprits  qui  les  possédaient,  et  il  rendit  la  vue  à  plusieurs  aveugles  ».  Il 
accomplissait  ainsi  à  dessein  ce  que  les  Prophètes  avaient  prédit  que  le 
Christ  ferait  un  jour. 

Après  avoir  accompli  beaucoup  de  miracles  en  présence  des  disciples  de 
saint  Jean,  Jésus  prit  enfin  la  parole  :  «  Allez  »,  dit-il  aux  disciples  du  saint 
Précurseur,  «  rapportez  à  Jean  ce  que  vous  avez  vu  et  entendu.  Les  aveugles 
voient,  les  boiteux  marchent,  les  lépreux  sont  guéris,  les  sourds  entendent, 
les  morts  ressuscitent,  les  pauvres  sont  évangélisés.  Et  bienheureux  celui 
qui  ne  sera  pas  scandalisé  à  mon  sujet  ».  Le  Sauveur,  en  faisant  remarquer 
que  l'Evangile  était  annoncé  aux  pauvres,  voulait,  selon  les  interprètes, 
notifier  raccomplissement  de  la  Prophétie  d'Isaïe  à  ce  sujet  ^  C'était,  par 
conséquent,  répondre  à  la  pensée  de  saint  Jean.  Si  Jésus-Christ  eût  répondu 
d'une  manière  formelle  et  évidente,  au  lieu  de  donner  la  parole  aux  œuvres, 
les  disciples  de  saint  Jean  ne  s'en  seraient-ils  pas  olfensés  et  ne  lui  auraient- 
ils  pas  répliqué,  comme  les  Juifs:  a  C'est  vous-mêrne  qui  vous  rendez 
témoignage?  » 

Cependant  le  Christ  eut  soin  d'en  dire  assez  pour  que  les  disciples  de 
Jean  pussent  s'en  retourner  parfaitement  instruits,  et  môme  convaincus  et 
persuadés;  car  aussitôt  après  la  mort  de  leur  digne  maître,  ils  se  rendirent 
avec  empressement  auprès  de  Jésus.  Les  miracles  dont  ils  avaient  été  les 
témoins  étaient,  en  effet,  bien  capables  de  les  éclairer  et  d'enlever  tout 
prétexte  au  doute. 

La  multitude  qui  avait  assisté  à  la  réception  des  disciples  de  saint  Jean 
et  entendu  les  questions  proposées  au  Sauveur,  ne  connaissait  point  le  vrai 
motif  qui  les  avait  inspirées  au  Précurseur.  C'est  pourquoi  les  nombreux 
témoins  de  cette  scène  imaginèrent  à  ce  sujet  mille  choses  absurdes. 

Mais  Jésus-Christ  se  hâte  d'aller  au-devant  de  ces  soupçons  et  d'empê- 
cher les  esprits  de  penser  mal  au  sujet  de  son  ami  de  prédilection. 

Pour  donner  plus  de  force  à  son  raisonnement,  et  pour  ne  pas  dire 
d'abord  ce  qu'il  pense  de  son  Précurseur,  il  invoque  le  témoignage  de  ses 
auditeurs  eux-mêmes.  Il  ne  se  contente  pas  de  s'appuyer  sur  leurs  paroles, 
il  montre  que  leurs  actions  mômes  témoignent  de  la  fermeté  et  de  la  cons- 
tance de  saint  Jean.  C'est  pour  cela  qu'il  dit  aux  Juifs  :  «  Qu'ôtes-vous  allés 
voir  dans  le  désert  ?  —  Y  alliez-vous  pour  voir  un  roseau  agité  par  le 
vent  ?»  —  «  Mais  qu'êtes-vous  donc  allés  voir  ?  »  continue-t-il,  «  est-ce  un 
homme  vêtu  avec  mollesse  ?  Ceux  qui  sont  vêtus  de  la  sorte  se  trouvent 
dans  les  palais  des  rois  ». 

Après  avoir  fait  connaître  les  mœurs  de  saint  Jean  par  son  habitation, 
ses  vêtements  et  la  vénération  dont  il  était  l'objet  de  la  part  du  peuple,  le 
Christ  poursuit  en  demandant  aux  Juifs  s'ils  ne  sont  pas  allés  voir  un  Pro- 
phète. «  Qu'êtes-vous  allés  voir  ?  un  Prophète  ?  Oui,  je  vous  le  déclare,  et 
plus  qu'un  Prophète;  car  c'est  de  lui  qu'il  est  écrit  :  Voilà  que  j'envoie 
mon  ange  devant  votre  face,  et  il  préparera  la  voie  devant  vous  ». 

La  Sagesse  éternelle  a  prescrit  à  l'homme  de  ne  louer  personne  avant  sa 
mort.  Cependant  cette  même  Sagesse  incarnée,  à  qui  appartient  de  droit 
divin  le  jugement  des  hommes,  a  voulu  non-seulement  déroger  une  fois  à 
cette  maxime  en  faveur  de  son  Précurseur,  mais  encore  appuyer  avec  une 
sorte  de  complaisance  en  faisant  l'éloge  de  celui  qui  ne  craignit  pas  de 
se  donner  pour  son  ami,  avant  même  que  cet  adorable  Sauveur  eût  laissé 

1.  Isale,  ch.  lxi,  met  dans  la  bouche  du  Christ  ces  paroles,  selon  la  Vulgate  :  «  Dlen  m'a  envoya  pout 
annoncer  sa  parole  à  ceux  qui  sont  doux  »;  et  selon  les  Septante  :  i  Diea  m'a  envoyé  pour  «nnoacer 
l'Kvangile  aux  pauvres  ».  L'iicbrea  admet  ces  deux  versions. 


312  24  JUIN. 

échapper  de  sa  bouche  divine  cette  parole  si  suave,  en  s'adressant  à  ses  dis- 
ciples :  «  Je  vous  ai  donné  le  nom  d'amis  ».  Le  Christ,  en  effet,  poursui- 
vant son  discours  sur  un  ton  plus  solennel,  déclare  avec  une  sorte  de  ser- 
ment qu'  «  entre  tous  ceux  qui  sont  nés  de  femmes  il  n'y  en  a  point  de  plus 
grand  que  Jean-Baptiste»,  et  que  bien  loin  qu'aucun  des  Prophètes  le 
surpasse,  il  est  lui-même  plus  grand  qu'eux,  puisqu'il  est  plus  que  Prophète. 

Pendant  que  Jésus  était  transfiguré  sur  le  Thabor,  Jean  mourait  dans  sa 
prison  après  trois  mois  de  captivité.  Après  avoir  préparé  les  voies  au  Messie, 
il  acheva  glorieusement  sa  carrière  par  le  martyre,  et  reçut  lui-même  le 
baptême  de  sang.  Hérodiade  cherchait  depuis  longtemps  l'occasion  de  le 
faire  mourir  :  elle  la  trouva  enfin.  Hérode  célébrait  le  jour  anniversaire  de  sa 
naissance,  et  avait  invité  à  sa  table  tous  les  grands  de  sa  cour,  les  chefs  de 
son  armée  et  les  principaux  personnages  de  la  Galilée.  Salomé,  fille  d'Héro- 
diade,  parut  donc  devant  Hérode,  jouant  du  luth  et  dansant  pour  embellir 
la  fête.  Au  temps  d'Auguste,  la  coutume,  depuis  longtemps  en  usage  chez  les 
Grecs,  de  terminer  les  festins  d'apparat  par  des  danses  mimiques  et  par  des 
scènes  tirées  des  poètes  dramatiques,  s'était  introduite  à  la  cour  des  grands 
dans  tout  l'empire  romain. 

Salomé  parut  donc  devant  toute  la  cour  d'Hérode  comme  reine  de  la 
fête  et  comme  danseuse  à  la  fois.  L'éducation  des  filles  à  cette  époque,  dans 
tout  l'empire  romain,  avait  pour  but,  comme  nous  l'apprend  Horace,  de 
les  former  de  bonne  heure  à  la  danse  et  à  la  coquetterie.  Mais  dans  celte 
occasion,  ce  jeu  eut  une  fin  bien  tragique  ;  car  il  plut  tellement  à  Hérode, 
qu'il  jura  par  sa  tête,  selon  la  coutume  des  Juifs,  excité  probablement  par 
les  fumées  du  vin,  d'accorder  à  Salomé  la  faveur  qu'elle  lui  demanderait, 
fût-ce  la  moitié  de  son  royaume.  «  Donner  la  moitié  d'un  royaume  »,  c'était 
une  formule  dont  on  se  servait  très-souvent  dans  l'antiquité  pour  affirmer 
quelque  chose. 

Mais  elle  sortit,  et  dit  à  sa  mère  :  «  Que  dois-je  demander?  »  Celle-ci 
lui  répondit  :  «  La  tête  de  Jean-Baptiste  » .  Elle  rentra  aussitôt  pour  aller 
trouver  le  roi.  Saint  Matthieu  et  saint  Marc  donnent  à  Hérode  en  cet  endroit 
le  titre  de  roi,  quoiqu'il  ne  fut  que  tétrarque,  nous  indiquant  par  là  com- 
ment les  grands  de  sa  cour  le  flattaient  alors  de  l'espoir  d'arriver  à  la 
royauté.  C'était,  d'ailleurs,  l'unique  désir  de  l'ambitieuse  Hérodiade,  et  ce 
désir  fut  la  cause  de  sa  perte  et  de  celle  d'Hérode.  L'évangéliste  semble 
nous  insinuer  qu'il  nourrissait  depuis  longtemps  la  pensée  de  prendre  le 
titre  de  Basileus,  comme  son  frère  Archélaiis,  quoiqu'il  n'eût  tenté  que 
douze  ans  plus  tard  d'exécuter  ce  dessein.  Et  c'est  ce  que  nous  confirme 
Josèphe,  lorsque  dans  son  ouvrage  de  la  guerre  des  Juifs,  au  commence- 
ment du  second  livre,  il  nous  raconte  qu'Antipas,  aussitôt  après  la  mort  de 
son  père,  se  sépara  de  son  frère  Archélaiis  et  lui  disputa  la  dignité  royale. 

Hérode  laissa  donc  échapper  la  fatale  promesse.  Il  est  probable  que  son 
frère,  le  tétrarque  Philippe,  assistait  à  cette  fête,  et  que  Salomé  l'avait  déjà 
séduit.  Il  y  était  du  moins  représenté  par  des  envoyés  chargés  de  demander 
sa  main  ;  car  nous  le  trouvons  déjà  marié  peu  de  temps  après  avec  elle.  La 
promesse  que  lui  fit  Hérode  semblait  donc  avoir  rapport  à  la  dot  de  Salomé. 
Celle-ci  avait  reçu  son  nom  en  souvenir  et  en  honneur  de  la  sœur  d'Hérode 
l'ancien,  qui,  dans  le  testament  de  ce  roi,  avait  reçu  un  domaine  considé- 
rable. La  noblesse  de  Galilée,  les  chefs  de  l'armée  et  les  officiers  avaient 
entendu  le  fatal  serment.  «  Le  roi  en  fut  très-fàché  ;  néanmoins,  à  cause 
du  serment  qu'il  avait  fait  et  de  ses  hôtes,  il  ne  voulut  pas  la  refuser,  mais 
il  envoya  un  de  ses  gardes  avec  ordre  d'apporter  la  tête  de  Jean  ».  C'était  la 


SAINT  JEAiN-BAPTISTE,    PRÉCURSEUR  1)U   MESSIE.  313 

coutume  dans  l'antiquilé  que  les  rois  eussent  toujours  avec  eux  un  archer 
ou  un  bourreau,  comme  signe  de  leur  pouvoir  judiciaire  et  souverain. 
«  Celui-ci  étant  allé  couper  la  tête  à  Jean  dans  la  prison,  l'apporta  sur  un 
bassin,  et  la  donna  à  la  princesse  ;  mais  celle-ci  la  porta  à  sa  mère  ». 

La  nouvelle  Jézabel  avait  enfin  obtenu  ce  qu'elle  demandait  depuis  si 
longtemps  à  son  mari.  Nous  lisons  dans  l'histoire  que  Marc-Antoine  se 
faisait  aussi  apporter,  pendant  le  repas,  les  têtes  des  proscrits,  et  que  Fulvia, 
sa  femme,  prit  sur  ses  genoux  la  tête  de  Cicéron,  et  perça  sa  langue  avec 
des  aiguilles,  Dion  Cassius  nous  raconte  la  même  chose  d'Agrippine,  après 
qu'elle  eut  fait  périr Paulina  LoUia.  Ce  genre  de  cruauté  était,  du  reste, 
tout  à  fait  dans  les  mœurs  de  l'époque,  et  en  se  faisant  présenter  la  tête  de 
ceux  qu'on  voulait  frapper,  on  s'assurait  par  là  de  l'exécution  des  ordres 
qu'on  avait  donnés.  Nous  ne  devons  donc  pas  nous  étonner  si  la  tradition 
historique,  après  saint  Jérôme  et  Nicéphore,  raconte  qu'Hérodiade  perça  la 
langue  du  Précurseur  avec  des  aiguilles,  comme  si  elle  eût  craint  encore 
ses  reproches  ;  qu'elle  enterra  dans  un  lieu  secret  sa  tête  enveloppée  dans 
des  chiffons,  et  fit  jeter  le  tronc  sans  se  donner  la  peine  de  l'ensevelir. 
Mais  Jean,  au  moment  où  il  achevait  sa  course,  disait  encore:  «  Je  ne 
suis  point  celui  que  vous  croyez,  je  suis  seulement  le  Précurseur  de  celui 
dont  je  ne  suis  pas  digne  de  délier  les  souliers  ».  Ainsi,  le  généreux  Précur- 
seur, au  seuil  même  de  l'autre  vie,  confessa  encore  d'une  manière  éclatante 
le  Messie  et  le  royaume  qu'il  venait  fonder. 

«  Ce  fut  le  10  du  mois  appelé  chez  les  Juifs  Ab,  ou  Lous,  que  Jean  fut  mis 
à  mort.  C'était  un  jour  de  malheur  pour  ce  peuple.  C'était  en  ce  jour  en 
effet,  que  Dieu,  irrité  contre  les  enfants  d'Israël,  leur  avait  annoncé  qu'au- 
cun de  ceux  qui  étaient  sortis  d'Egypte  n'entrerait  dans  la  terre  promise. 
C'était  en  ce  jour  que  le  premier  temple  avait  été  détruit  par  Nabuchodo- 
nosor  ;  et  c'est  en  ce  jour  encore  que,  plus  tard,  le  second  temple  fut  détruit 
par  Titus.  C'était  en  ce  jour  qu'avait  été  anéantie  la  ville  deBétharée,  foyer 
de  la  révolte  sous  BarcocLebas  ;  et  c'est  en  ce  jour  que  le  vainqueur  pro- 
mena la  charrue  sur  le  lieu  où  avait  été  Jérusalem  ». 

En  adoptant  les  données  du  D.  Scpp,  Jean-Baptiste  aurait  commencé  sa 
carrière  évangélique  à  l'âge  de  trente-un  ans  et  trois  mois,  l'an  de  Rome  778, 
et  il  aurait  été  mis  en  prison  l'an  780,  dans  le  mois  de  mai.  Il  aurait  donc 
pi'êché  les  quatre  derniers  mois  de  l'année  778,  toute  l'année  779,  et  les 
cinq  premiers  mois  de  780.  Après  une  détention  d'environ  trois  mois,  il  serait 
tombé  sous  le  glaive  homicide  le  10  du  mois  appelé  Ab  chez  les  Juifs,  et 
correspondant  à  nos  mois  de  juillet  et  d'août.  Ainsi,  saint  Jean-Baptiste 
serait  mort  à  l'âge  de  trente-trois  ans  et  trois  mois  environ.  D'après  ces 
calculs,  Jésus-Christ  aurait  vécu  trente-quatre  ans,  trois  mois  et  vingt-un 
jours. 

On  juge,  ditBaillet,  que  sa  mort  arriva  vers  la  fin  de  la  seconde  année 
du  ministère  de  Jésus-Christ,  ou  au  plus  tard  dans  les  commencements  de 
la  troisième,  vers  le  mois  de  février.  Il  est  toujours  certain  que  ce  fut  quel- 
que temps  avauL  Pâques. 

Aussitôt  que  les  disciples  de  saint  Jean-Baptiste  eurent  rendu  aux  restes 
mortels  de  leur  digne  maître  les  devoirs  de  la  sépulture,  ils  se  hâtèrent  d'aller 
trouver  Jésus  pour  lui  faire  part  de  ce  triste  événement,  et  sans  doute  aussi 
pour  puiser  quelque  adoucissement  à  leur  chagrin  en  se  mettant  désormais 
à  sa  suite.  La  mission  que  le  Précurseur  avait  confiée  naguère  à  deux  d'entii> 
enx  n'avait  pas  manqué  de  dissiper  les  sentiments  de  jalousie  qu'ils  avaient 
eus  d'abord  contre  celui  qu'ils  regardaient  comme  l'émule  et  le  rival  de 


314  24  JUIN. 

leur  maître.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  leur  empressement  à  se  rendre  auprès 
du  Sauveur  aussitôt  après  la  mort  de  saint  Jean. 

Jésus-Christ  savait  certainement  que  Jean-Baptiste  devait  mourir  et  quel 
geiire  de  mort  il  aurait  à  subir.  Cet  événement  ne  lui  fut  pas  un  instant  in- 
connu ;  mais  il  voulut,  dans  celte  circonstance  ,  ne  concevoir  et  laisser 
paraître  son  chagrin  qu'à  la  manière  des  hommes,  c'est-à-dire  lorsqu'il  eut 
été  informé  de  la  mort  de  celui  qu'il  chérissait  justement  plus  que  tous  les 
autres  hommes. 

A  cette  annonce,  dit  Nicéphore,  Jésus  fut  affecté  d'un  profond  chagrin. 
Métaphraste  rapporte  que,  dans  l'affliciion  qu'il  en  éprouva,  il  ne  put  rester 
plus  longtemps  dans  le  pays  ;  mais,  comme  pour  se  consoler  de  sa  tristesse, 
il  monta  dans  une  barque  avec  ses  Apôtres,  et  passa  la  mer  de  Tibériade 
pour  se  retirer  dans  le  désert. 

Dieu  ne  voulut  point  laisser  impuni,  même  dès  ce  monde,  la  mort  in- 
juste du  saint  Précurseur;  car  Hérode,  alors  en  guerre  avec  Arétas,  roi 
d'Arabie,  eut  la  douleur  et  la  honte  de  voir  son  armée  défaite  et  anéantie 
par  son  ennemi."  Au  rapport  de  Josèphe,  et  selon  l'opinion  accréditée  parmi 
les  Juifs,  c'était  une  punition  que  Dieu  lui  infligeait  pour  venger  le  meurtre 
de  saint  Jean.  Mais  ce  premier  malheur  ne  l'ut  que  le  prélude  de  ceux  que 
la  justice  de  Dieu  lui  réservait.  11  mourut  misérablement,  privé  de  tous  ses 
Etats  ;  Hérodiade  et  sa  fille  Salomé  n'eurent  pas  un  meilleur  sort. 

L'attribut  caractéristique  de  saint  Jean  Baptiste  dans  les  arts,  est  Vagneau, 
parce  que  c'est  sous  ce  titre  que  le  Précurseur  désigna  le  Sauveur  à  la  foule. 
—  Le  moyen  âge  plaçait  cet  agneau  dans  une  des  mains  de  saint  Jean-Bap- 
tiste. Aujourd'hui,  on  préfère  une  banderole,  sur  laquelle  est  écrite  cette 
sentence  :  Fcce  Agnus  Dei,  voici  l'agneau  de  Dieu  ;  nous  avouons  que  la 
manière  du  moyen  âge  est  bien  plus  énergique,  qu'elle  parle  bien  plus  élo- 
quemment  aux  yeux  ;  or,  c'est  à  ce  dernier  résultat  qu'il  faut  surtout  viser 
dans  la  peinture  et  la  sculpture.  Nous  pourrions  ajouter  comme  détail 
accessoire,  que  le  Précurseur  est  vêtu  d'une  simple  peau  de  bête,  qui  laisse 
voir  ses  jambes  nues,  laquelle  peau  est  serrée  à  la  taille  par  une  ceinture  dé 
cuir.  —  Voilà,  nous  le  répétons,  le  principal  attribut  de  saint  Jean,  dans 
l'art  populaire.  Si  l'on  veut  représenter  le  Précurseur  exerçant  la  fonction 
qui  lui  a  valu  son  nom  populaire  de  Baptiste,  il  faut  toujours  le  montrer 
donnant  le  baptême  par  immersion,  et  se  garder  de  lui  mettre  à  la  main 
une  coquille,  qui  ne  peut  que  désigner  le  baptême  par  effusion.  —  Sa  cap- 
tivité se  reconnaît  facilement  à  une  porte  grillée,  et  sa  décollation  à  une 
tête  dans  un  plat.  —  Enfin,  dans  les  scènes  du  jugement  dernier,  la  sainte 
Yierge  est  à  genoux  à  la  droite  du  Sauveur,  et  le  Précurseur  à  sa  gauche  ; 
au  dessous  sont  les  Apôtres,  etc.  Le  peintre  André  del  Sarte  a  donné  en 
onze  planches  estimées  la  suite  de  la  vie  de  saint  Jean-Baptiste. 

Saint  Jean-Baptiste  est  le  patron  d'un  grand  nombre  de  villes  et  de  pays 
qu'il  serait  trop  long  de  nommer.  II  est  particulièrement  invoqué  par  les 
couteliers  et  les  fourbisseurs,  à  cause  du  coutelas  qui  servit  à  lui  trancher  la 
tête  ;  —  par  les  ceinturoniers,  à  cause  de  la  ceinture  de  cuir  que  lui  fait 
porter  l'évangéliste  saint  Marc  ;  —  par  les  oiseliers  à  Liège,  parce  que  sans 
doute  Jean  avait  vécu  libre  et  loin  des  villes,  comme  l'oiseau  des  champs, 
avant  son  emprisonnement;  — par  les  peaussiers  et  les  tailleurs  ;  —  pour 
les  agneaux,  cela  se  conçoit; — ■  contre  l'épilepsie,  les  convulsions,  les 
spasmes  et  la  grêle.  Nous  ne  saurions  expliquer  ces  derniers  patronages, 
sinon  par  cette  raison  générale,  que  le  crédit  de  saint  Jean  était  sans  doute 
réputé  universel. 


SALM  JEAN -BAPTISTE,   PRÉCURSEUR  DU  MESSIE.  315 


CULTE  ET  RELIQUES. 

les  disciples  du  saint  Pfécurseiir  ayant  réussi  à  se  mettre  ep  pflsaessioa  dn  eor^s  ^e  leur 
iDflUre.  voulurent  le  soustraire  aux  insultes  de  ses  ennemis,  en  l'empoptaul  jusqu'à  Sébasle,  l'^p- 
cienne  Samarie,  qui  n'était  plus  sous  la  juridiction  d'Hérode  Àntipas- 

Dieu  ne  tarda  pas  à  faire  connaître  la  gloire  de  saint  Jean-Baptiste.  Après  le  tombeau  du  Sau- 
veur, aucun,  sans  contredit,  ne  fut  plus  glorieux  et  n'attira  davantage  les  foules  Gonliapteç  et  em- 
pressées que  le  tombeau  du  fils  de  Zacharie;  il  s'y  faisait  une  multitude  de  miracles. 

Mais  le  paganisme,  aux  abois,  voulut  se  venger  jusque  sur  la  dépouille  des  morts  de  l'isoleinent 
et  de  l'ignominie  où  se  trouvaient  ses  dieux  surannés,  ses  autels  décrépita  et  ses  oracles  «ilea- 
cieux.  Adrien,  pour  empêcher  les  chrétiens  d'accourir  de  toutes  parts  au  tombeau  du  Sauvepr, 
l'avait  fait  profaner  en  y  érigeant  un  temple  et  une  statue  à  la  plus  impure  des  divinité*  païenn«8i 
Julien  l'Apostat  voulut  suivre  son  exemple  k  l'égard  du  tombeau  de  saint  Jean-Daptiste.  Par  <€§ 
ordres,  on  découvrit  ses  ossements  sacrés,  on  les  profana,  et  on  s'attacha  à  les  disper^^r.  Maj^ 
les  sacrilèges  profanateurs  s'aperçurent  bientôt  de  l'inutilité  de  leur  honteuse  tentative,  et  les  pîii- 
racles  ne  cessant  de  s'opérer,  non  ])liis  en  un  seul  lieu,  comme  auparavant,  continuèfeo^  de  faifd 
ressortir  de  plus  en  plus  l'impuissnuce  des  idoles  et  l'inutilité  du  culte  qu'on  leur  prodiguait. 
Excités  par  un  redouhlement  de  fureur,  les  infidèles  rassemblèrent  les  ossements  du  Saint,  et  \qiUi 
lurent  les  anéantir  en  les  brûlant  et  en  jetant  les  cendres  au  vent. 

Mais  do  pieux  moines  s'étaient  déguisés  pour  se  mêler  avec  ce»  impies;  ils  parvinrent  k  en 
eoustraire  une  partie  considérable;  ils  recueillirent  même  les  cendres  du  bûcher.  Cette  profanatios 
des  restes  de  saint  Jean-Baptiste  l'a  fait  surnommer  deux  fois  martyr  par  quelques  auteurs.  Il  ea 
est  qui  ont  attribué  à  la  vengeance  que  le  eiel  voulut  tirer  de  cet  iltentat,  la  mort  Iragiqu*  de 
Julien,  arrivée  peu  de  temps  après. 

On  dit  que  la  vindicative  Ilérodiade  fit  emporter  avec  elle,  jusqu'à  Jérusalem,  la  tAte  du  eaist 
Précurseur,  et  qu'elle  n'en  voulut  confier  le  dépôt  à  personne.  Seule  et  loin  de  tout  regard  hi)« 
main,  elle  confia  cette  tète  à  la  terre,  dans  un  endroit  inconnu  du  palais  q^'Hérode  possédait  dans 
la  cité  de  David. 

C'est  là  du  moins  que,  plus  tard,  le  chef  auguste  du  plus  illustre  des  Prophètes  fut  retrouvé 
d'une  manière  merveilleuse  dans  les  décombres  du  palais  autrefois  habité  par  Ilôrode. 

Il  faudrait  tout  un  livre  pour  donner  le  récit  des  diverses  inventions  du  chef  de  saint  JaiB» 
Baptiste  :  nous  n'écrirons  que  quelques  mots  à  ce  sujet. 

Sous  Valens,  empereur  arien,  le  chef  de  saint  Jean-B«ptiste  fut  trouvé  par  des  religieux  à  Jéru- 
salem. Mardonius,  chef  des  eunuques  du  palais  impérial,  ayant  eu  nouvelle  de  cette  henreuse  d^r 
eouverte,  en  avertit  l'empereur,  son  maître,  qui  donna  ordre  qu'on  transportât  ce  riche  trésor  to 
sa  ville  impériale.  Mais,  comme  son  hérésie  le  rendait  indigne  de  le  posséder,  quand  on  fut  à  une 
bourgade,  appelée  Pontichion,  distante  de  Chalcédoine  de  quinze  milles,  il  fut  impossible  de  faire 
œarchei  les  mulets  qui  traînaient  le  chariot,  et  l'on  fut  obligé  de  décharger  la  relique  au  village 
de  Cosilaon,  près  de  là,  dont  le  même  Mardonius  était  seipeur.  Elle  y  demeura  jusqu'au  temps 
du  grand  Théodose;  elle  fut  alors  apportée  à  Constantinople.  Ce  pieux  empereur  étant  allé  au- 
devant,  prit  lui-même  ce  dépôt  sacré,  et  l'ayant  enveloppé  de  sa  pourpre  impériale,  il  le  porta 
entre  ses  bras  jusque  dans  la  ville.  Cette  translation,  qui  se  fit  le  29  août,  fut  si  solennelle,  que 
l'Eglise  romaine  en  fait  la  mémoire  en  une  même  fête  avec  celle  de  la  Décollation.  Depuis,  Théo- 
dose  lit  bâtir  une  magnifique  église  au  quartier  Hebdoraun,  où  il  le  fit  déposer.  Ce  lieu  était  à  sept 
milles  de  Constantinople,  et  il  ne  fut  enfermé  dans  son  enceinte  que  sous  l'empire  (l'Héraclius, 
l'an  de  Notre-Seigneur  626.  Au  reste,  la  piété  de  Théodose  fut  abondamment  récompensée  :  car 
Sozomèue  rapporte  que  ce  prince,  s'étant  relire  dans  l'église  qu'il  avait  fait  bâtir  en  l'honneur  de 
saint  Jean,  pour  y  faire  sa  prière  et  le  prendre  pour  son  protecteur,  avant  d'entreprendre  la  guerre 
contre  le  tyran  Eugène,  il  y  obtint  tant  de  bénédictions  du  ciel,  que  le  jour  de  la  bataille,  qu'il 
gagna  entièrement,  il  sortit  un  esprit  infernal  de  cette  église,  lequel,  jetant  des  cris  et  des  hurle- 
ments épouvantables  contre  le  Saint,  l'insultait  par  ces  paroles  :  «  Est-ce  ainsi  que  tu  triomphes 
de  moi...  de  moi  qui  t'ai  fait  couper  la  tète?  »  Ceux  qui  les  entendirent  en  remarquèrent  l'heurf, 
et  il  se  vérifia  que  c'était  au  moment  où  Théodose  mettait  en  déroute  les  troupes  d'Eugène. 

La  dévotion  pour  saint  Jean-Baptiste  a  été  de  tout  temps  si  grande,  que  plusieurs  églises  ont 
cherché  avec  empressement  les  moyens  et  les  occasions  de  posséder  quelque  partie  de  son  corps. 
Celle  de  Saint-Sylvestre,  à  Rome,  prétend  avoir  la  meilleure  partie  de  son  chef.  La  cathédrale 
d'Amiens  se  glorifie  d'eu  avoir  une  portion  considérable,  qui  comprend  la  lèvre  supérieure,  le  nez, 
les  yeux  et  une  partie  du  front.  Cette  relique  fut  tirée  de  l'église  de  Saint-Georges,  de  l'arsenal 
de  Constantinople,  lorsque  les  Français  la  prirent,  et  apportée  à  Amiens,  en  l'année  1206,  par  «o 
prêtre  nommé  Walon  de  Sarton,  fils  de  Miles,  chevalier,  seigneur  de  Sarton,  village  près  do  Dou- 
lens,  à  six  lieues  d'Amiens.  Ce  trésor  y  fut  reçu  avec  toute  la  solennité  imaginable,  par  Richard 
de  Gerberoy,  évêque  de  cette  ville,  le  17  décembre.  Cette  précieuse  relique  a  été  sauvée  pendant 
la  Révolution  française  ;  on  la  possède  encore  aujourd'hui. 


316  24  JUIN. 

Baudouin  II,  empereur  de  Constantinople,  entre  plusieurs  reliques  spécifiées  en  sa  bulle  d'or 
(le  l'an  1247,  fit  présent  à  saint  Louis,  roi  de  France,  de  la  partie  supérieure  du  môme  chef  qui  fut 
enfermée  dans  un  beau  reliquaire  d'argent  doré,  et  déposée  en  la  Sainte-Chapelle,  à  Paris.  L'ab- 
baye de  Tyron,  au  comté  du  Perche,  possédait  la  cervelle;  et,  comme  il  s'y  faisait  un  grand 
nombre  de  miracles,  Robert  de  Joigny,  évêque  de  Chartres,  qui  vivait  l'an  1515,  la  fit  tirer  du 
mur  où  elle  était,  pour  la  mettre  dans  un  chef  précieux  soutenu  par  deux  anges.  La  chapelle  du 
château  de  Saint-Chaumont,  en  Lyonnais,  conserve  une  partie  notable  de  ses  mâchoires,  laquelle 
y  fut  apportée  d'Orient  dans  un  reliquaire  d'or.  Les  villes  de  Turin,  d'Aoste,  de  Venise,  en  Italie  ; 
de  Lyon  et  de  Nemours,  en  France,  possèdent  aussi  quelques  parties  de  ces  précieuses  reliques. 
Saint  Paulin,  évêque  de  Noie,  en  mit  quelques-unes  dans  son  église.  Saint  Gaudence,  évêque  de 
Bresse,  en  fit  de  même  dans  la  sienne.  Le  doigt  avec  lequel  il  montra  Jésus-Christ,  pour  le  faire 
connaître  aux  Juifs,  se  garde  en  l'île  de  Malte,  où  résidait  le  grand  maître  de  l'Ordre  des  Chevaliers 
qui  militaient  sous  le  nom  et  sous  les  auspices  de  ce  grand  Saint.  Il  y  a  un  peu  de  ses  cendres  en 
la  ville  de  Gênes,  dans  une  chapelle  de  l'église  cathédrale,  où  elles  sont  beaucoup  honorées;  quand 
on  les  présente  à  la  mer  agitée,  elles  ont  la  vertu  de  la  calmer  et  d'en  arrêter  les  tempêtes  '. 

Saint  Grégoire  de  Tours,  au  livre  de  la  Gloire  des  Martyrs,  rapporte  plusieurs  miracles  qui 
ont  été  opérés  par  les  ossements  sacrés  de  ce  saint  Précurseur.  Il  s'en  est  fait  une  si  grande  quan- 
tité en  la  ville  d'Amiens,  que  l'on  ne  peut  pas  douter  de  la  vérité  de  celui  qu'elle  possède.  On 
peut  voir  Baronius,  sur  cette  matière,  en  l'année  660,  au  neuvième  tome  de  ses  Annales,  et  le 
célèbre  Du  Cange,  trésorier  de  France  et  général  des  finances  en  la  province  de  Picardie,  lequel  a 
donné  au  public  un  traité  historique  du  chef  de  saint  Jean-Baptiste.  C'est  un  ouvrage  fort  curieux 
et  recherché  pour  son  exactitude ,  comme  sont  tous  ceux  qui  sont  sortis  des  mains  de  ce  savant 
homme. 

La  basilique  de  Saint-Jean  de  Latran,  la  première  église  de  Rome  et  du  monde  catholique, 
celle  où  l'évêqne  de  Rome  va  prendre  possession  solennelle  de  la  primauté  universelle,  et  qui  est 
regardée  comme  la  métropole  de  la  catholicité,  fut  dédiée  au  Sauveur  et  placée  sous  l'invocation 
de  saint  Jean-Baptiste. 

Le  culte  de  saint  Jean-Baptiste  a  toujours  été  exceptionnel  dans  l'Eglise,  tant  pour  son  anti- 
quité et  son  universalité,  que  par  la  solennité  qu'on  y  a  mise  et  par  le  nombre  des  fêtes  établie» 
en  son  honneur. 

Saint  Augustin  observe  que  la  fête  de  la  Nativité  de  saint  Jean  était  déjà  très-ancienne  de  son 
temps,  et  que  les  fidèles  l'avaient  reçue,  par  la  tradition,  des  anciens,  pour  la  transmettre  à  la 
postérité. 

Ainsi  l'usage  de  célébrer  la  naissance  du  Précurseur,  par  une  fête  solennelle,  est  aussi  ancien 
que  la  solennité  de  la  Nativité  du  Sauveur  lui-même,  tandis  que  le  jour  où  la  sainte  Vierge  appa- 
rut au  monde  n'a  été  honoré  d'un  culte  particulier  qu'à  partir  du  viii»  ou  du  ix»  siècle.  L'exis- 
tence même  de  cette  fête,  selon  i\l.  Pascal,  a  provoqué  l'institution  de  celle  dont  nous  venons  de 
parler. 

L'Eglise,  suivant  la  remarque  de  saint  Bernard,  célèbre  la  mort  des  autres  Saints,  parce  que 
leur  vie  et  leur  mort  ont  été  saintes.  Ce  jour  est  ordinairement  appelé  jour  natal,  natalis  dies. 
C'est  que  leur  mort  n'est  autre  chose  que  la  naissance  à  la  véritable  vie.  On  ne  peut  trop  admirer 
ce  langage  si  éminemment  chrétien,  et  surtout  si  diamétralement  contraire  à  celui  du  paganisme, 
qui  divinisait  la  vie.  Ce  nom  seul  place  la  religion  chrétienne  dans  une  sphère  infiniment  élevée 
au-dessus  des  croyances  qui  bornent  la  destinée  de  l'homme  au  festin  de  la  vie,  et  méconnaissent 
la  sublime  vertu  d'espérance,  un  des  caractères  de  la  véritable  religion. 

Mais,  par  une  exception  bien  remarquable,  l'Eglise  révère  la  naissance  temporelle  de  saint 

1.  La  ville  dn  Pny  possède  aussi  une  relique  de  saint  Jean-Baptiste. 

PniNCIPALES   KELIQUE9   HONORÉES   DANS   LA   VILLE  DO   PUT. 

1»  A  la  cathédrale,  deux  parcelles  notables  de  la  vraie  croix. 

2°  Une  parcelle  de  la  sainte  épine,  donnée  par  le  roi  saint  Louis  au  chapitre  de  Notre-Dame  du  Pny. 
La  sainte  épine  elle-même  fut  portée,  pendant  la  grande  Révolution,  «  saint  Chamand  (Loire),  où  elle 
est  encore.  Nous  l'avons  réclamée...  Nous  n'en  avons  obtenu  qu'une  parcelle. 

3»  Le  crâne  de  saint  Hilaire.  évêque  de  Poitiers. 

4»  Une  partie  de  celui  de  saint  Jean-Baptiste. 

5»  Plusieurs  parcelles  notables  des  ossements  des  saints  Georges  (partie  du  chef).  Marcellin,  Paulien, 
Vosy,  Scrutaire.  Suacre,  Henneiitaire,  Aurôle  et  Agrève  (partie  du  chef),  évoques  du  Puy.  Saint  Georges 
fut  notre  premier  pontife,  et  saint  Agrbve  versa  son  sanç  pour  la  foi. 

6»  I)«s  ossements  de  sainte  Consorce,  martyre,  sanctx  Consortix  ;  de  saint  Domnin,  martyr,  et  do  saint 
Jean-François  Uéi;ls.  pr.  S.  J. 

7"  Deux  corps  saints,  proprio  nomine;  saint  Paschase,  martyr,  et  sainte  Septimie,  martyre. 

8»  Le  corps  de  saint  Valfere,  dans  la  chapelle  des  congrégations. 

»•  Celui  de  sainte  Amantia,  an  couvent  des  religieuses  de  Notre-Dame. 

Nous  n'avons  plus,  hélasl  le  bras  de  saint  Laurent;  m;iis  il  nous  reste  des  parcelles  de  ses  ossements. 

(Kote  de  M.  Alirol,  chanoine,  secrétaire  de  l'évéché,  1863.) 


SAINT  .lEAN-BAPTTSTE,   PRÉCURSEUR  DU   MESSIE.  317 

Jean-Bapliste,  parce  que  cette  naissance  même  a  été  sainte  et  la  source  d'une  joie  sainte.  C'est  un 
privilège  qui  le  distingue  de  tous  les  autres,  parce  que  leur  naissance  n'a  pas  eu  la  même  grâce 
que  la  sienne.  Ceux  qui  sont  en  peine  de  savoir  pourquoi  nous  célébrons  cette  naissante  plutôt 
que  celle  d'aucun  autre  apôtre,  martyr,  prophète  ou  patriarche,  doivent  se  souvenir,  dit  saint  Au- 
gustin, que  la  naissance  de  ceux-ci  n'a  rien  eu  que  de  naturel,  qu'ils  n'ont  reçu  la  grâce  du 
Saint-Esprit  que  dans  la  suite  de  leur  âge;  en  un  mot,  qu'ils  ne  sont  point  nés  prophètes,  ni  mar- 
tyrs, ou  témoins  de  Jésus-Christ,  comme  Saint  Jean. 

La  Nativité  du  saint  Précurseur  a  toujours  été  célébrée  uniformément  le  24  juin,  aussi  bien  en 
Orient  qu'en  Occident.  Ou  ne  voit  point  d'église  qui  ne  se  soit  conformée  à  cet  usage,  si  ce  n'est  peut- 
être  celle  d'Ethiopie,  où  il  semble  qu'on  la  fait  le  second  jour  de  septembre,  qui  est  aussi  le  second 
jour  de  l'année  pour  ce  pays. 

Il  n'y  en  avait  pas  de  plus  solennelle,  après  celle  des  principaux  mystères  de  notre  rédemption. 
Le  Concile  d'Agde,  tenu  l'an  506,  la  compte  pour  la  première  après  celle  de  Pâques,  de  Noël,  de 
l'Epiphanie,  de  l'Ascension  et  de  la  Pentecôte. 

Quoique  moins  remarquée  qu'autrefois,  surtout  en  France,  où  elle  a  cessé  d'être  obligatoire 
depuis  le  concordat  de  1802,  la  Nativité  de  saint  Jean-Baptiste  est  cependant  encore  très-solennelle 
parmi  les  populations  religieuses.  La  ville  de  Chaumont-eu-Bassiguy,  qui  honore  saint  Jean  d'un 
culte  tout  exceptionnel,  jouit  du  privilège  d'un  jubilé,  appelé  grand  pardon,  toutes  les  fois  que 
cette  fête  arrive  un  dimanche. 

Entre  diverses  singularités  qui  servaient  à  distinguer  cette  grande  fêle  de  toutes  les  autres,  nous 
remarquerons  que,  dans  certaines  provinces,  les  prêtres  étaient  tenus  de  venir  la  célébrer  dans  la 
cathédrale  avec  i'évéque.  Ailleurs,  ou  avait  la  coutume  d'y  olîrir  L'ois  fois  le  saint  sacrifice  de  la 
mftsse.  comme  aujourd'hui  encore  à  la  fote  de  Noël.  «  On  voulait  par  ]k  »,  dit  Alcuin,  «  faire  res- 
sortir trois  priviléiîes  insignes  de  la  gloire  de  saint  Jean-Haptiste.  Il  était  venu  au  monde  pour 
pi  oparer  la  voie  du  Seigneur  par  l'exemple  de  sa  vie  ;  c'était  là  l'objet  du  mystère  de  la  vigile. 
Son  Baptême  l'tleva  au-dessus  de  tons  ;  c'est  ce  que  rappelle  la  seconde  messe.  EiHln  il  resta  naza» 
njeii  el  conserva  sa  virginité  ;  cette  grâce  est  célébrée  dans  la  fête  du  jour  ».  L'usage  de  célébrer 
ainsi  trois  fois  la  sainte  messe  à  la  Sa:nl-Jean  fut  en  vigueur  jusqu'au  xi»  siècle. 

Voici  une  autre  explication,  qui  est  de  Gnillanme  Lturand.  En  certaines  églises,  on  célébrait  une 
messe  dès  le  matin,  parce  que  cette  na'ivite  fut  une  aurore;  à  l'heure  de  Tierce,  il  y  avait  une 
autre  messe,  et  c'était  la  plus  soleundie  :  cette  autre  messe  était  celle  d'un  martyr.  I.e  joùnp  d/> 
la  veille  était  oliscrvé  en  infcmoire  de  la  vie  pénitente  de  saint  Jean  dans  le  désert.  En  celte  fête, 
on  ne  chantait  pas  fréquemment  alléluia,  comme  en  celle  des  Apôtres.  La  raison  en  est  que  cetto 
naissance  eut  lieu  avant  la  résurrection  de  Jésus-Christ  et  av.int  le  temps  de  la  joie. 

L'inslilulion  de  la  vigile  de  la  Nativité  de  saint  Jean-Baptiste  n'est  guère  moins  ancienne  que 
celle  de  la  fête  même  ;  il  en  est  à  peu  près  de  même  du  jeiine.  Le  Concile  de  Salgunsladt  (an  1022) 
avait  même  établi  qu'elle  serait  précédée  d'une  sorte  de  Carême  qui  durait  quatorze  jours. 

L'archange  Gabriel,  en  annonçant  un  fils  à  Zacharie,  lui  avait  prédit  que  sa  naissance  serait  un 
sujet  de  joie  pour  un  grand  nombre. 

En  eitet,  si  liant  que  l'on  puisse  remonter  en  consultant  les  m.onuments  de  l'antiquité  chré- 
tienne, on  trouve  que  la  fête  de  la  Nativité  de  saint  Jean  a  toujours  été  un  sujet  de  joie  non-seu- 
lement parmi  les  chrétiens,  mais  encore  chez  les  infidèles  eux-mêmes,  et  surtout  chez  les  Arabes 
qui,  du  reste,  ont  conservé  un  respect  religieux  pour  les  anciens  patriarches.  On  faisait  partout  des 
démonstrations  extraordinaires  à  cette  occasion. 

On  sait  qu'il  était  d'usage  de  prévenir  la  fête  de  saint  Jean  en  allumant,  dès  la  veille,  de  grands 
feux  de  réjouissance.  Cette  coutume  remonte  à  la  plus  haute  antiquité,  et  saint  Augustin  en  parle 
comme  d'une  chose  universelle  et  immémoriale.  On  en  a  donné  une  multitude  de  raisons  diffé- 
renles.  Celle  qui  nous  parait  ta  plus  plausible  est  que,  cette  solennité  coïncidant  avec  le  solstice 
d'été,  époque  de  l'année  où  les  païens  célébraient,  par  des  feux  de  joie,  l'entrée  du  soleil  dans  le 
signe  du  lion,  l'Eglise  voulut  christianiser  cette  coutume  antique,  que  sans  doute  elle  ne  pou- 
vait réussir  à  abolir.  On  en  fit  l'expression  de  la  joie  que,  suivant  l'oracle  de  l'Ecriture,  la  nais- 
sance de  Jean-Baptiste  a  dû  causer  au  monde,  en  annonçant  la  naissance  prochaine  du  Verbe 
fait  chair. 

Toutefois  cette  pratique  ne  laissa  pas  de  redevenir,  en  quelques  pays,  exclusivement  profane. 
Ailleurs  elle  dégénéra  en  superstition  tout  à  fait  étrange  el  ridicule. 

«  Dans  certains  lieux  »,  dit  Guillaume  Durand,  «  on  brûle  des  os  d'animaux  ;  c'est  en  mémoire 
de  ce  que  les  os  de  saint  Jean-Baptiste  furent  brûlés  par  les  Gentils  dans  la  ville  de  Sébaste...  On 
porte  des  brandons  dans  les  champs,  el  l'on  fait  des  feux,  pour  signifier  que  saint  Jean  fut  la 
lumière,  la  lampe  allumée,  le  Précurseur  de  la  vraie  lumière,  qui  éclaire  tout  homme  venant  eu 
ce  monde...  On  roule  une  roue  en  d'autres  lieux,  pour  désigner  que  comme  le  soleil  lorsqu'il  es', 
arrivé  au  plus  haut  point  de  sa  course,  ne  peut  s'élever  davantage,  mais  redescend  dans  son 
cercle,  de  même  aussi  la  renommée  de  saint  Jean,  qui  est  regardé  comme  le  Christ,  diminua 
quand  celui-ci  eut  paru,  selon  ce  qu'il  dit  lui-même  :  «  Il  faut  qu'il  croisse,  et  moi  que  je  dé- 
croisse... » 

L'usage  d'allumer  des  feux  de  joie  la  veille  de  la  Saint-Jean  n'a  pas  encore  partout  disparu  ; 


318  24  JUIN.    . 

car  dans  certaines  cités,  même  très-considérables,   les  premiers  magistrats  ne  dédaignent  point 
d'y  procéder  avec  appareil  et  solennité. 

Outre  la  fôte  de  la  naissance  du  Précurseur,  on  a  cé'ébré  aussi,  en  divers  endroits,  cellie  de  sa 
conception  ;  non  pas  qu'on  l'ait  jugée  sainte,  comme  celle  de  Jésus-Christ  ou  de  la  sainte  Vierge, 
mais  parce  qu'elle  avait  été  annoncée  par  ordre  de  Dieu,  et  qu'elle  faisait  le  commencement  des 
mystères.  Elle  est  marquée  le  24  septembre  dans  les  anciens  martyrologes,  qui  portent  le  nom  de 
Baint  Jérôme  :  dans  ceux  de  Vandalbert>  de  Raban,  d'Adon,  d'Usuard  et  de  Notker. 

Les  Grecs,  d'accord  avec  les  Latins,  pour  célébrer  aussi  cette  îè\e,  ne  se  sont  pas  éloignés  de 
ce  même  temps,  puisqu'on  la  trouve  marquée  tantôt  au  23,  tantôt  au  22  du  même  mois  dans  leurs 
calendriers  et  leurs  ménologes,  comme  s'ils  avaient  voulu  célébrer  plutôt  l'anuonciation  faite  à 
Zacharie  dans  le  temple,  que  la  conception  même  de  saint  Jean. 

Ge  choix  fait  voir  d'une  manière  assez  claire  que  toute  l'Eglise  a  cru  que  cette  conception  était 
arrivée  incontinent  après  l'équinoxe  d'automne.  Elle  persiste  encore  dans  la  même  opinion,  malgré 
la  peine  que  quelques  savants  ont  prise  pour  nous  faire  voir  que  le  temps  du  service  du  prêtre 
Zacharie  dans  le  temple  fut  depuis  le  16  juillet  jusqu'au  18  du  même  mois.  Quelques  Grecs  ont 
soutenu  que  celte  conception  ne  pouvait  être  arrivée  qu'au  mois  d'octobre  ou  de  novembre  ;  mais 
ils  n'ont  pas  eu  le  crédit  de  faire  changer  la  fête  en  faveur  de  leur  sentiment. 

On  ne  voit  pas  qu'il  s'en  fasse  maintenant  aucun  office  dans  leur  Eglise,  si  ce  n'est  peut-être 
en  Syrie  et  dans  les  pays  voisins,  où  cette  conceptioiv.  qualifiée  du  nom  d'Annonciation  de  Zacha- 
rie, se  célèbre  au  troisième  des  huit  dimanches  qui  précèdent  la  fête  de  Noël,  c'est-à-dire  après 
le  milieu  du  mois  de  novembre. 

Si  l'Eglise  a  dérogé  en  faveur  de  saint  Jean-Baptiste  en  célébrant  par  un  culte  spécial  et  excep- 
tionnel le  jour  où  ce  brillant  flambeau  apparut  dans  le  monde  î  si  elle  a  cru  pouvoir  rappeler  au 
souvenir  et  à  la  vénération  de  l'univers  la  conception  même  de  cet  enfant  de  miracle,  elle  ne 
pouvait  oublier  de  solenniser  le  jour  de  sa  mort  ;  car  elle  lui  a  décerné  les  honneurs  du  martyre 
aussi  bien  qu'à  saint  Etienne  et  aux  Apôtres  du  Sauveur,  quoique  saint  Augustin  semble  dire 
qu'on  lui  ait  enlevé  la  consolation  de  mourir  pour  le  nom  de  Jésus-Christ,  qu'il  avait  annoncé.  En 
efiet,  n'a-t-il  pas  été  aussi  bien  qu'eux  le  martyr  ou  le  témoin  de  Jésus-Christ,  puisqu'il  est  mort 
pour  la  justice  qui  est  inséparable  de  la  vérité  ?  Saint  Jean  Chrysostome  ne  craint  pas  de  le  qua- 
lifier le  premier  des  martyrs.  ... 

Avant  le  vp  siècle  de  l'Eglise,  cette  fête  était  nommée  la  Passion  de  saint  Jean,  comme  on 
ie  voit  dans  les  anciens  sacramenlaires  de  Rome  sous  le  pape  Gélase,  et  de  France,  sous  la  pre- 
mière race  de  nos  rois.  Elle  est  qualifiée  àe  jour  natal  ou  de  la  naissance  céleste  de  saint  Jeaii 
dans  les  anciens  martyrologes  du  nom  de  saint  Jérôme.  i\lais,  depuis  le  temps  de  saint  Grégoire  lé 
ijrand,  elle  a  retenu  dans  l'Eglise  latine  le  nom  de  Décollation,  qui  s'est  aussi  introduit  chez  les 
iGrecs  en  termes  équivalents,  Ceux-ci  l'ont  mise  au  rang  des  fêles  où  il  est  ordonné  d'interrompre 
,les  exercices  du  barreau  et  les  travaux  des  mains.  , 

C'est  ce  qui  s'est  aussi  introduit  en  plusieurs  église  de  l'Occident  ;  et  dans  le  sacramentaire  de 
saint  Grégoire;  on  voit,  pour  son  office,  une  belle  préface,  et  des  bénédictions  combe  aux  princi- 
pales solennités  de  l'Eglise  romaine. 

La  fête  de  la  Décollation  a  cependant  toujours  été  moins  solennelle  que  celle  de  la  Nativité, 
parce  qu'il  semble  qu'elle  ne  regarde  pas  Jésus-Christ  de  si  près  du  côté  de  son  incarnation.  Mais 
il  parait  qu'elle  n'a  été  nulle  part  plus  solennelle  qu'en  Russie,  où  elle  est  précédée  d'une  vigile 
et  d'un  jeûne,  ce  qu'on  ne  pratique  pour  aucun  autre  saint  dans  ce  pays. 

On  peut  juger  de  la  célébrité  du  culte  que  les  Grecs  ont  eu  pour  la  Décollation  de  sait  Jean- 
iîapliste,  par  la  multitude  des  églises  consacrées  sous  ce  vocable;  on  en  a  compté  jusqu'à  quinze 
dans  la  seule  ville  de  Constantinople. 

Cependant  on  n'a  pas  été  partout  d'accord  pour  la  célébrer  le  même  jour.  Il  y  a  eu  beaucoup 
4e  divergence  en  ce  point,  surtout  parmi  les  Orientaux.  Ainsi  en  Syrie  elle  se  fêtait  le  7  janvier, 
lendemain  de  l'Epiphanie,  suivant  l'usage  de  joindre  à  la  fête  des  mystères  celles  des  personnes 
flui  en  ont  été  les  ministre,  ou  qni  y  ont  pris  part.  On  croit,  en  efi'et,  que  c'est  le  jour  même  de 
l'Epiphanie  que  Jésus-Christ  fut  baptisé  par  saint  Jean. 

Ailleurs,  et  surtout  en  Afrique,  la  Décollation  était  célébrée  le  27  décembre,  après  celle  de 
saint  Etienne,  pour  rapprocher  de  Jésus-Christ  ceux  qui  avaient  souffert  le  plus  près  de  lui.  Cette 
fête  se  trouve  encore  marquée  au  10  avril  dans  quelques  martyrologes,  et  au  25  mars  dans  d'au  - 
très.  Om  a  cru  que  ce  dernier  jour  est  celui  où  saint  Jean  souffrit  Je  martyre,  et  que  la  fête  dont 
pous  parlons  a  été  fixée  a,u  29  août,  parce  que  l'on  aurait  fait,  ce  jour-là,  l'invenlioa  ou  la  trans- 
lation du  chef  vénérable  du  saint  Précurseur. 

Nous  avons  tiré  cette  biographie  de  l'ouvrage  de  M.  l'abbé  Barret,  prêtre  dn  diocèse  de  Langres, 
intitulé  ;  Le  Précurseur,  last'oi're  r'àisonnée  dé  la  vie,  de  la  mission  et  des  pre'dicàtiôits  aé  'saùit  Jean- 
WapUïte: 


NOTRE-DAJIE   DES   MIRACLES,   NOTRE-DAME   DE   LA   DÉLIVRANDE,   ETC. 


1 


19 


NOTRE-DAME  DÈS  MIRACLES, 

^^-D.  DE  U  DÉLIVI'.ANDE.  —  N.-D.  DE  LA  CROIX,  —  N.-D.  DE  LÂRMOR. 


Ut,  omnlwfn  advocatus  est  ad  Deum  Christus,  ita  me~ 

diatrix  ad  Chnstum  est  Maria. 
De  même  qub  Jdsits-Christ  eàt  notre  avocat  aup. îs  do 
;•  Dieii,  de  thcinfe  aussi  îlarid  est  notre  métlisitrice 

auprès  de  Jésus-Christ. 

B.  Alanus  de  Rupe,  Part.  1,  in  Apolog. 

tians  la  péninsule  que  forme  la  Marne  avant  de  se  jeter  dans  la  Seine,  à 
ëainl-Maur  les  Fossés,  se  trouve  le  sanctuaire  de  Notre-Dame  des  Miracles. 
Vers  le  milieu  du  vii°  siècle,  en  645,  sous  le  règne  de  Glovis  II,  un  dignitaire 
de  l'Eglise  de  Paris,  l'archidiacre  Blidégésile,  fonda  en  cet  endroit  un  mo- 
nastère avec  une  église  dédiée  à  la  sainte  Vierge  et  aux  apôtres  saint  iPierre 
et  saint  Paul. 

Les  traditions  merveilleuses  qui  se  rattachaient  à  cette  Eglise  ne  tar- 
dèrent pas  à  y  attirer  un  grand  nombre  de  pèlerins.  En  effet,  une  antique 
tradition  portait  que  le  Sauveur  était  venu  en  personne  en  faire  la  dédi- 
cace. De  plus,  c'était  une  croyance  générale  qu'en  1061,  Guillaume,  comte 
âe  Corbeil,  héritier  de  la  piété  de  ses  ancêtres  et  de  leur  zèle  pour  l'abbaye 
de  Saint-Maurj  ayant  voulu  lui  faire  don  d'une  image  qui  représentât  la 
Vierge  debout  au  pied  de  la  croix,  cette  statue  se  trouva  toute  faite  sans  la 
main  de  l'homme,  au  moment  où  le  sculpteur  Rumnol,  s'apprêtait  à  dégros- 
sir le  bois  dont  il  voulait  la  tirer  ;  ce  que  l'historien  de  Saint-Maur  a  exprimé 
par  le  titre  suivant  donné  à  son  récit  :  Iconia  beatœ  Marise  virginis  quam 
effigiavit  virtus  Altissimi. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  l'origine  de  cette  statue,  il  est  certain  qu'en  priant 
à  ses  pieds  on  y  obtint  des  guérisons  sans  nombre  qui  firent  appeler  la  cha- 
pelle où  elle  était  placée  du  nom  de  !\olre-I)anie  des  Miracles  et  qui  la  ren- 
dirent si  vénérable,  que  les  religieux  de  Saint-Maur  n'y  entraient  jamais 
que  pieds  nus. 

Au  quatorzième  siècle  on  rebâtit  presque  en  entier  l'église  qui  possédait 
un  si  précieux  sanctuaire;  la  chapelle  de  Notre-Dame  des  Miracles  fut  re- 
construite en  dehors  de  la  basilique,  sur  l'emplacement  de  l'église  précé- 
dente, et  conserva  la  statue  miraculeuse.  Ce  renouvellement  de  l'édifice 
sembla  renouveler  la  piété  des  fidèles,  et  le  concours  devint  plus  grand  que 
jamais.  On  y  venait  surtout  en  foule  le  24  juin. 

Il  y  avait  plus  de  huit  cents  ans  que  la  sainte  Vierge  était  ainsi  Jionorée 
dans  cette  chapelle,  lorsque  Mgr  de  Gondy,  premier  archevêque  de  Paris  et 
doyen-né  du  chapitre  de  Saint-Maur,  autorisa  l'établissement  d'une  confré- 
rie sous  le  nom  de  Notre-Dame  des  Miracles,  par  ordonnance  du  3  août 
1624;  et,  le  13  mai  1627,  le  pape  Urbain  VIII  accorda  plusieurs  indulgences 
aux  fidèles  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  qui  s'engageraient  dans  cette  confrérie. 

Peu  d'années  après,  touché  d'une  dévotion  spéciale  pour  Notre-Dame 
des  Miracles,  le  père  de  Condren,  cet  homme  éminent  en  sainteté,  l'oracle 
et  le  modèle  du  clergé  de  son  temps,  réunit  en  communauté,  à  Saint-Maur, 
un  certain  nombre  d'ecclésiastiques  d'élite  pour  les  y  exercer,  sous  l'œil  de 


320  24  JUIN. 

Marie,  aux  vertus  sacerdotales  et  les  préparer  aux  travaux  de  Tapostolat. 
M.  Olier,  jaloux  de  s'adjoindre  à  cette  pieuse  compagnie,  quitta  la  maison 
maternelle,  et  entra  dans  la  nouvelle  communauté  fondée  à  Saint-Maur. 
Là,  il  aimait  à  aller  passer  de  longues  heures  dans  la  chapelle  de  Notre- 
Dame  des  Miracles,  à  épancher  son  cœur  dans  le  cœur  de  Marie  sa  mère,  et 
il  témoigna  dans  la  suite  qu'il  avait  reçu  beaucoup  de  grâces  dans  ce 
saint  lieu. 

Malheureusement,  en  1791,  la  sainte  chapelle  fut  détruite;  mais  l'image 
miraculeuse  fut,  avant  l'arrivée  des  démolisseurs,  transférée  en  grande 
pnmpe  dans  une  chapelle  de  l'église  Saint-Maur  où  elle  est  encore  aujour- 
d'hui. Là,  furent  rétablies,  après  les  mauvais  jours  de  la  révolution,  les 
pratiques  et  solennités  en  usage  dans  l'ancienne  chapelle  ;  au  mois  de  mai 
1806,  l'antique  confrérie  fut  réorganisée,  et  Pie  VII  lui  accorda  de  nom- 
breuses indulgences.  Chaque  année,  le  second  dimanche  de  juillet,  la  fête 
de  la  dédicace  de  cette  chapelle  se  célèbre  avec  octave,  suivie  du  service 
solennel  pour  les  confrères  défunts;  et  chaque  mois  une  procession  avec 
station  à  la  chapelle  rappelle  aux  fidèles  la  dévotion  à  Notre-Dame  des  Mi- 
racles si  chère  à  leurs  aïeux.  Le  pèlerinage  continue  d'être  fréquenté,  et 
les  paroisses  des  environs  s'y  rendent  avec  empressement. 

Notre-Dame  de  la  Délivrande,  chapelle  de  fondation  récente,  à  peu  de 
distance  de  Rauville-la-Place,  dans  le  diocèse  de  Coutances,  a  été  cons- 
truite vers  le  commencement  du  xvi*  siècle,  sur  l'emplacement  même  d'une 
antique  chapelle  de  Saint-Jacques.  Les  pèlerins,  accourant  de  toutes  parts 
à  ce  sanctuaire,  il  fallut  allonger  et  élargir  la  nef,  multiplier  les  autels;  et 
ces  agrandissements  provoquèrent  avec  de  nouveaux  pèlerins,  non-seule- 
ment un  concours  de  prêtres  étrangers  qui  avaient  à  cœur  d'y  offrir  le  saint 
sacrifice,  mais  encore  l'établissement  d'un  chapelain  chargé  de  desservir 
réguhèrement  la  dévote  chapelle.  Depuis  cette  époque  jusqu'aux  mauvais 
jours  de  93,  la  dévotion  des  peuples  pour  ce  sanctuaire  ne  se  ralentit  jamais. 
Si  le  danger  en  empêcha  pendant  quelque  temps  la  manifestation,  on  la 
fit  éclater  dès  qu'on  le  put  sans  péril;  et  en  1800  l'on  y  vit  jusqu'à  quatorze 
paroisses  venues  en  procession  avec  croix  et  bannières,  pour  solliciter  la 
cessation  d'une  sécheresse  qui  allait  faire  périr  les  récoltes.  Une  pluie  abon- 
dante, récompense  de  leur  foi,  vint,  dans  la  semaine  mêfne,  rendre  la  vie 
aux  moissons  et  l'espérance  aux  habitants.  Alors  les  prêtres  étaient  encore 
en  exil  ;  mais  les  fidèles  n'en  venaient  pas  moins,  aux  fêtes  de  la  Vierge, 
chanter  ses  louanges,  réciter  à  ses  pieds  des  prières,  lui  demander  surtout 
le  retour  de  leurs  prêtres.  Ce  retour  ne  tarda  pas  :  en  1803  arriva  d'exil 
M.  Marie,  prêtre  de  Rauville,  qui  fut  chapelain  du  sanctuaire  jusqu'à  sa 
mort,  arrivée  en  1812.  Pendant  les  années  suivantes,  la  chapelle  ne  fut 
guère  desservie  que  par  les  vicaires  de  Rauville  qui  y  venaient  chaque  se- 
maine, à  jours  fixes,  ofi'rir  le  saint  sacrifice.  Mais  en  1845,  elle  recouvra  un 
chapelain  en  titre,  qui,  depuis  lors,  n'a  pas  cessé  de  la  desservir. 

Cette  dévote  chapelle,  longue  de  seize  mètres  sur  sept  de  large,  éclairée 
par  six  belles  fenêtres,  et  toujours"  tenue  dans  une  propreté  parfaite,  pos- 
sède une  grande  arcade  qui  sépare  le  chœur  de  la  nef,  un  beau  retable 
orné  des  tableaux  de  saint  Joachim,  de  sainte  Anne,  et  une  belle  statue  de 
la  Vierge  qui  semble  être  de  la  fin  du  seizième  siècle.  Elle  est  surmontée 
d'un  élégant  clocher  de  forme  carrée  avec  ouvertures  artistement  faites.  A 
ses  murs  extérieurs  est  adossée  une  chaire  en  pierre,  pour  faire  entendre  la 
parole  de  Dieu  aux  jours  de  grande  réunion,  où  son  enceinte  est  trop 


NOTRE-DAME  DES  MIRACLES,  NOTRE-DAME  DE  LA  DÉLIVRANDE,   ETC.         321 

étroite  pour  contenir  la  foule  des  auditeurs;  et,  au-dessus  du  portail,  s'offre 
à  la  vénération  publique  une  Vierge  gravée  sur  une  croix  de  pierre,  de  la 
forme  la  plus  antique. 

Telle  est  la  dévotion  pour  cette  chapelle,  qu'en  1821  un  seul  homme, 
simple  entrepreneur  de  bâtiments,  prit  à  sa  charge  tous  les  travaux  de  con- 
solidation, d'agrandissement  et  d'embellissement  même  qu'elle  réclamait, 
sans  exiger  d'autre  indemnité  que  les  ofl'randes  des  fidèles  pendant  quatorze 
ans,  tandis  que,  d'un  autre  côté,  le  Révérend  Père  duMesnildot  et  sa  famille 
faisaient  les  frais  des  lambris  et  du  pavé  de  la  nef  et  de  la  sacristie.  Tous 
les  jours,  si  l'on  en  excepte  les  mois  de  décembre  et  de  janvier,  ainsi  que 
les  dimanches,  il  y  vient  des  pèlerins,  dont  la  plupart  communient;  et  le 
lundi  de  la  Pentecôte,  le  24  juin  et  le  8  septembre,  il  s'y  trouve  jusqu'à 
quatre  à  cinq  cents  personnes,  dont  deux  cents  au  moins  approchent  de  la 
sainte  Table.  Aussi  l'évêque  de  Coutances  y  a  autorisé  la  réserve  du  saint 
Sacrement,  et  le  Saint-Siège  y  a  accordé  la  faveur  d'un  autel  privilégié  avec 
des  reliques  de  plusieurs  Saints. 

On  ne  saurait  dire  les  faveurs  que  la  sainte  Vierge  dispense  dans  ce 
sanctuaire.  On  en  peut  juger  par  le  nombre  vraiment  extraordinaire  de 
messes  d'action  de  grâces  qu'on  y  fait  célébrer,  ou  de  cierges  que  la  recon- 
naissance y  envoie.  Le  curé  de  Rauville  cite  entre  autres  plusieurs  guérisons 
dont  il  atteste  avoir  été  témoin.  Ce  sont,  en  1845,  un  marin  de  Granvilla 
sauvé  de  la  tempête  en  invoquant  Notre-Dame  de  Rauville,  et  peu  après, 
son  enfant  atteint  d'une  fièvre  cérébrale,  désespéré  des  médecins,  guéri 
subitement  dès  que  sa  grand'mère  l'a  recommandé  à  Notre-Dame  de  Rau- 
ville; c'est,  en  1846,  une  femme  de  Fresville  qui  ne  marchait  que  difficile- 
ment avec  des  béquilles,  et  qui  est  délivrée  tout  à  coup  de  son  infirmité; 
c'est,  en  1848,  l'instituteur  de  Saint-Sauveur-le-Vicomte,  sauvé  à  Paris,  par 
l'invocation  de  Notre-Dame  de  Rauville,  d'un  péril  imminent  de  mort  dont 
le  menaçaient  les  balles  de  la  guerre  fratricide  de  cette  époque.  C'est,  en 
4830,  un  autre  habitant  de  Saint-Sauveur,  attaqué  par  une  tempête  affreuse 
en  revenant  du  Chili,  et  sauvé  par  une  prière  à  la  Vierge  de  Rauville.  C'est, 
à  toutes  les  époques,  la  sérénité  obtenue  dans  les  mauvais  temps,  la  pluie 
dans  les  sécheresses,  la  préservation  ou  la  cessation  du  mal  dans  les  épidé- 
mies ou  les  calamités  publiques.  Ainsi  en  1832,  la  paroisse  de  Quettehou, 
envahie  par  le  choléra,  fit  vœu  d'aller  en  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Rau- 
ville, et  aussitôt  le  choléra  cessa  ses  ravages.  En  1840,  la  paroisse  deDoville 
vint  en  procession  demander  la  fin  d'une  sécheresse  qui  allait  faire  périr  les 
moissons,  et  les  habitants  s'en  retournèrent  inondés  par  la  pluie. 

Près  de  Saint-Thomas,  dans  le  diocèse  de  Toulouse,  on  voit  un  sanc- 
tuaire célèbre  de  la  sainte  Vierge,  appelé  Notre-Dame  de  la  Croix,  où,  en 
exécution  d'un  vœu  très-ancien  *,  la  paroisse  de  Saint-Thomas  allait  autre- 
fois en  procession  tous  les  dimanches  et  fêtes  du  mois  de  mai,  ainsi  qu'aux 
quatre  principales  fêtes  de  la  Vierge;  et,  le  lendemain  des  quatre  princi- 
pales fêtes  de  l'année,  on  y  célébrait  la  messe  solennelle.  Cette  chapelle, 
démolie  en  93,  a  été  rebâtie  depuis  la  révolution.  Le  24  juin,  ou,  s'il  y  a 
empêchement,  le  dimanche  suivant,  les  paroisses  de  Saint-Thomas  et  de 
Bragayrac  s'y  rendent  simultanément  pour  obtenir  d'être  préservées  de  la 

1.  On  lit  dans  nn  vieux  registre  de  l'an  1666,  conservé  à  la  fabrique  de  l'église  Saint-Thomas  :  «  C'est 
une  cliapelle  champêtre,  à  laquelle  on  va  en  procession  tous  les  dimanches  et  fêtes  du  mois  de  mai,  et  la 
messe  grande  se  dit  en  icelle  le  lendemain  des  quatre  principales  fêtes  de  l'année,  k  cause  d'un  vœu  per- 
pétuel dont  n'est  mémoire  d'homme  ». 

Vies  des  Saints,  —  Tome  VII.  21 


322  24  JUIN. 

grêle;  et  il  y  a  alors  exposition  et  bénédiction  du  saint  Sacrement  *.  On 
peut  y  gagner  une  indulgence  plénière,  d'abord  le  14  mars,  où  l'on  célèbre 
la  fête  de  la  Compassion,  puis  tous  les  dimanches  et  fêtes  d'obligation  du 
mois  de  mai;  enûn  le  jour  du  mois  de  juin  où  se  fait  la  procession  pour  les 
fruits  de  la  terre. 

Le  canton  de  Plœmeur,  à  l'extrémité  de  la  rade  de  Lorient,  possède 
une  chapelle  dédiée  à  Notre-Dame  de  Larmor,  au  village  de  ce  nom;  cette 
chapelle  était  en  si  grande  vénération  au  siècle  dernier,  que  tout  vaisseau 
qui  entrait  dans  la  rade  de  Lorient  ou  en  sortait  la  saluait  d'un  coup  de 
canon  en  passant  devant  elle  :  c'était  comme  une  prière  commune  adressée 
à  l'Etoile  de  la  mer  pour  tous  ceux  qui  allaient  courir  les  dangers  de  la  na- 
vigation, ou  une  action  de  grâces  pour  ceax  qui  revenaient  de  leur  long 
voyage.  Pendant  un  demi-siècle,  cet  antiq  13  usage  fut  interrompu;  mais, 
depuis  dix  ans,  on  l'a  repris  à  la  grande  satisfaction  des  marins.  Celte  cha- 
pelle est  célèbre  depuis  bien  des  siècles  par  la  bénédiction  annuelle  du  bras 
de  mer  qui  sépare  l'île  de  Croix  de  la  terre  ferme  et  qu'on  appelle  le  Cou- 
reau  de  Groix.  Cette  cérémonie  a  lieu,  le  24  juin,  dans  le  but  d'obtenir  que 
la  pêche  de  la  sardine,  unique  ressource  des  habitants  de  cette  côte,  soit 
abondante.  Le  matin  du  jour  de  la  Saint-Jean,  arrivent  au  village  de  Lar- 
mor une  multitude  de  paysans,  de  pêcheurs,  d'habitants  de  Lorient  et  de 
Port-Louis.  Bientôt  le  clergé  de  Plœmeur,  croix  et  bannière  en  tête,  sort 
de  la  chapelle,  se  rend  processionnellement  au  rivage  et  prend  place  dans 
une  embarcation  préparée  d'avance  pour  le  recevoir.  Des  chaloupes  en 
grand  nombre,  montées  par  des  pêcheurs  et  des  curieux,  entourent  le  ca- 
not, et  l'accompagnent  jusqu'au  milieu  du  Coureau,  qui  est  large  de  trois 
lieues  marines.  Arrivé  à  ce  point,  après  une  traversée  plus  ou  moins  longue, 
selon  que  la  mer  est  calme  ou  tourmentée,  le  vent  propice  ou  contraire,  le 
cortège  s'arrête  pour  attendre  la  procession  de  l'île  de  Croix,  si  elle  n'est 
pas  déjà  arrivée  au  rendez-vous.  Dès  qu'elle  est  arrivée,  le  clergé  de  l'île 
passe  dans  l'embarcation  de  celui  de  Plœmeur,  et  les  deux  croix  parois- 
siales s'inclinent  l'une  vers  l'autre  jusqu'à  se  toucher.  A  ce  signal,  les  chants 
partent  à  la  fois  de  toutes  les  embarcations  réunies  au  nombre  de  plusieurs 
centaines,  et  se  continuent  jusqu'à  ce  que  le  curé  de  Plœmeur,  debout  sur 
un  des  bancs  de  son  canot,  imposant  silence  de  la  main,  avertisse  que  la 
bénédiction  va  commencer.  Alors  il  adresse  une  prière  à  Dieu  et  à  la  pa- 
tronne des  nautoniers;  puis  il  asperge  la  mer  aux  quatre  points  cardinaux, 
et  pendant  cette  solennelle  cérémonie,  toutes  les  têtes  sont  découvertes  et 
inclinées,  toutes  les  mains  jointes;  maîtres  et  matelots  ont  abandonné  le 
gouvernail  et  les  avirons.  Toutes  les  bouches  se  taisent,  sauf  un  murmure 
doux  et  confus  de  prières  et  de  pieuses  oraisons,  qui  s'échappent  de  toutes 
les  poitrines  religieusement  émues  en  présence  d'un  acte  auquel  tous  at- 
tachent le  succès  de  leur  pêche  future  et  l'existence  de  leurs  familles. 

Monsieur  le  Curé  d«  Saint-Sulpice  :  Notre-Dame  de  France. 


SAINT  SIMPLICE,  ÉVÊQUE  D'AUTUN  (vers  420). 

Simplice  était  issu  d'une  de  ces  grandes  et  respectables  familles  gallo-romaines  sur  lesquelles 
la  foi  et  la  vertu  attiraient  l'estime  et  la  considération  générales.  Deux  vertus  priacipaleinent 
1.  Ordoauauce  de  Mgr  d'^stros  da  23  Juin  1850. 


LE   BIENHEUREUX  JEAN,    BERGEB.  323 

le  distinguèrent  dès  ses  plus  tendres  années  :  une  aimable  simplicité  et  une  charité  éminemment 
tendre,  active  et  généreuse.  Pour  se  conformer  au  désir  de  son  père  qui  voyait  l'espoir  de 
la  famille,  Simplicc  consentit  à  s'engager  dans  les  liens  du  mariage  :  la  noble  compagne  de  sa  vie 
lui  apporta  outre  la  splendeur  de  sa  naissance,  la  fortune  et  la  grâce,  un  trésor  mille  fois  plus 
précieux,  la  verlu,  la  piété,  toutes  les  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur.  D'un  commun  accord  ils 
prirent  la  résolution  de  vivre  comme  un  frère  et  une  sœur,  de  subvenir,  par  la  réunion  de  leurs 
fortunes,  aux  besoins  d'un  plus  grand  nombre  de  malheureux,  et  de  passer  ensemble  une  partie  des 
nuits  en  prières. 

Cependant  un  certain  nombre  d'années  s'écoulèrent,  et  le  saint  évêqne  d'Aulun,  Egémone,  vintà 
mourir.  Tous  les  regards  alors  se  tournèrent  spontanément  vers  Simplice;  nul  ne  fut  jugé  plus  digne 
que  lui  de  recueillir  l'héritnge  d'un  Saint,  plus  capable  de  réparer  la  perte  que  venait  de  faire  l'Eglise 
d'Antun.  Il  devint  en  effet  un  des  premiers  de  ces  éminents  évèques  qui  commencèrent  alors  à  jouer, 
non-seulement  dans  l'ordre  religieux,  mais  encore  dans  l'ordre  social  et  civil,  un  rôle  si  grand,  si 
utile,  si  salutaire.  Toutefois,  comme  il  avait  jugé  à  propos  de  garder  avec  lui,  après  son  ordina- 
tion, celle  qu'il  regardait  moins  comme  une  épouse  que  comme  une  sœur,  ne  croyant  pas  devor 
lai  faire  au  cœur  une  blessure  inutile,  injuste  et  cruelle  en  l'éloignant  de  sa  maison,  il  ne  put 
échapper  aux  traits  de  la  calomnie.  Les  habitants  de  la  cité  païenne  firent  contre  lui  une  mani- 
feslation  tumultueuse  le  jour  de  Noël  ;  mais  Dieu  lui-même  prit  en  main  la  cause  de  son  serviteur. 
Sa  vertueuse  épouse,  effrayée,  essaya  d'abord  de  détromper  le  peuple,  puis  tout  à  coup,  poussée 
comme  par  une  inspiration  céleste,  elle  étendit  son  manteau,  y  reçut  et  fit  également  déposer 
dans  un  pan  de  celui  de  Simplice  des  charbons  aux  yeux  de  toute  cette  foule  réunie  et 
ameutée.  Le  feu  respecta  les  vêtements  qui  couvraient  ces  chastes  corps  ;  aussitôt  tout  le  monde 
cria  au  miracle,  et  plus  de  mille  personnes  converties  à  la  vue  de  ce  prodige  demandèrent  et 
reçurent  le  baptême.  Un  autre  mirai  le  opéré  par  le  saint  êvêquc,  ouvrit  les  yeux  à  un  grand 
nombre  de  païens  et  les  porta  à  quitter  pour  toujours  le  culte  de  Cybèle  qui  était  parmi  eux  en 
grande  vénération. 

Simplice  eut  des  rapports  d'amitié  avec  saint  Amateur,  évêque  d'Auxerre;  il  signala,  par  la 
consécration  d'une  chapelle  en  l'honneur  de  saint  Symphorien,  sa  piété  envers  ce  premier  martyr 
d'Autun.  Ou  croit  communément  qu'il  assista  au  concile  de  Cologne  tenu  contre  l'arien  Euphratas; 
saint  Athanase  le  compte  parmi  ceux  qui,  pour  la  défense  de  son  innocence  et  celle  de  sa  foi, 
souscrivirent  au  concile  de  Sardlque  ;  il  prit  part  aussi  au  synode  de  Valence,  tenu  en  374,  pour 
le  maintien  de  la  discipline  ecclésiastique. 

Les  dernières  années  de  son  épiscopat  furent  troublées  par  les  affreux  désastres  qui  frappèrent 
son  diocèse,  quand  une  nuée  de  Vandales,  sortie  du  Nord,  remplit  le  territoire  d'Autun  de  ruines 
et  de  carnage.  Enfin,  après  un  long  épiscopat  marqué  par  d'innombrables  conversions  qui  ache- 
vèvent  de  rendre  le  pays  chrétien,  il  mourut  plein  de  jours  et  de  mérites  et  vint  prendre  place 
auprès  de  ses  prédécesseurs.  Son  corps  fut  déposé  dans  un  tombeau  que  l'on  conservait  encore  au 
dernier  siècle  dans  l'église  Saint-Pierre-l'Etrier. 

On  a  conservé  longtemps  une  partie  de  ses  reliques  dans  l'abbaye  d'Andoche  et  au  Val-de-" 
Glace,  à  Paris. 

Propre  d'Autun  ;  —  Cf.  Dinet,  Samt  Symphorien  et  ion  culte. 


LE  BIENHEUREUX  JEAN, 

BERGER  A  MONCHY-LE-PREUX,    AU  DIOCÈSE   d'aRRAS   (XV"  siècle). 

Sur  la  route  de  Cambrai  à  Arras,  à  deux  petites  lieux  environ  de  cette  dernière  ville,  on  ren- 
contre le  village  de  Monchy-le-Preux.  Là  se  conserve  précieusement  le  souvenir  d'un  berger  qui, 
dans  cette  humble  condition,  s'est  élevé  aux  vertus  les  plus  sublimes,  et  a  mérité  que  sa  conduite 
fùi  proposée  pour  modèle  aux  chrétiens.  Ainsi  le  Seigneur  se  plaît  à  faire  éclater  les  merveilles 
de  sa  grâce  dans  tous  les  temps  et  dans  toutes  les  conditions. 

Le  court  mais  touchant  éloge,  qu'un  évèque  a  rendu  publiquement  à  la  mémoire  du  pieux  Jean 
de  Monchy-le-Preux,  renferme  le  peu  de  détails  connus  de  sa  vie.  Cet  évêque  est  Pierre  de  Ran- 
cbicouit,  qui  gouverna  le  diocèse  d'Arras  de  1463  à  1499.  Les  fonctions  de  son  ministère  l'avaient 
appelé  à  Moucby-le-Preux  au  moment  même  où  lliuable  berger  allait  rendre  son  âme  à  Dieu.  «  Que 


324  2a  JUIN. 

tous  les  fidèles  de  Jésus-Christ  présents  et  futurs  »,  dit  le  prélat  dans  un  acte  public  rédijé  dans 
le  même  temps,  «  sachent  que  dans  ce  village  de  Monchy-le-Preux,  du  diocèse  d'Arras,  a  vécu  un 
homme  appelé  Jean,  simple  laïque,  très-fidèle  à  Jésus-Christ,  et  qui,  pendant  toute  sa  vie,  a  mené 
une  conduite  très-sainte.  Par  le  don  de  Dieu,  il  s'est  élevé  à  la  plus  haute  contemplation,  a  ignoré 
les  souillures  de  la  concupiscence  et  évité  jusqu'à  la  mort  tout  ce  qui  pouvait  ternir  la  pureté  do 
son  âme  ». 

Déjà  avant  de  mourir,  le  bienheureux  Jean  avait  opéré  par  ses  prières  plusieurs  guérisons  mira- 
culeuses, et  donné  d'autres  marques  du  pouvoir  dont  il  jouissait  auprès  de  Dieu.  Il  rendit  la  vue 
k  un  habitant  d'Arras  et  à  une  femme  qui  vivait  encore  à  l'époque  où  un  moine  de  l'abbaye  d'Hasnon 
rapportait  ces  détails.  Cet  auteur  ajoute  que  le  saint  berger  rendit  l'ouïe  à  un  jeune  homme,  guérit 
plusieurs  personnes  de  la  pierre  ou  de  l'hernie,  et  arrêta  un  incendie  dans  le  village  même  de 
Monchy-le-Preux. 

On  ne  sait  ni  l'année  ni  le  jour  de  la  mort  du  bienheureux  Jean.  Sa  fête  a  été  fixée  au  24  juin, 
peut-être  à  cause  de  la  similitude  de  son  nom  avec  celui  de  saint  Jean-Baptiste.  D'ailleurs  celte 
dernière  fête,  étant  autrefois  chômée,  donnait  plus  de  facilité  aux  fidèles  pour  venir  rendre  au  saint 
patron  leurs  devoirs  et  leurs  respects.  Ce  jour-là,  en  effet,  rapporte  Ferri  de  Locres,  une  si  grande 
multitude  de  pèlerins  se  portait  au  tombeau  du  bienheureux  Jean  de  Monchy,  que  le  village  en 
était  tout  rempli.  Ce  tombeau,  en  pierre  artistement  sculptée,  avait  été  donné  par  un  noble  comte, 
appelé  Oudard,  lequel  avait  été  guéri  par  l'intercession  du  serviteur  de  Dieu.  Ces  guérisons,  qui 
se  renouvelaient  très-souvent,  ont  entretenu  de  tout  temps  la  piété  des  habitants  de  Monchy-!e- 
Preui  et  des  villages  voisins  envers  leur  vénérable  compatriote  et  patron. 

L'abbé  Destombes  :  Viet  des  Saints  des  diocèses  de  Cambrai  et  Arras. 


XXV  JOUR  DE  JUIN 


HARTTR0LO6E  ROMAIIT. 

An  territoire  de  Golet,  près  de  Nusco,  saint  Guillaume,  confesseur,  instituteur  des  Ermite» 
de  Monte-Vergine.  1142.  —  A  Bérée,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Sosipâtre,  disciple  de  l'apôtre 
saint  Paul  '.  i»'  s.  —  A  Rome,  sainte  Lucie,  vierge  et  martyre,  avec  vingt-deux  autres.  —  A 
Alexandrie,  saint  Gallican,  martyr,  personnage  consulaire,  triomphateur,  cher  à  l'empereur  Cons- 
tantin, qui  fut  converti  à  la  foi  de  Jésus-Christ  par  saint  Jean  et  saint  Paul  :  devenu  chrétien,  il 
se  retira  avec  saint  Hilarin,  à  Oslie,  et  se  livra  tout  entier  à  l'hospitalité  et  au  service  des  ma- 
lades :  le  bruit  s'en  étant  divulgué  par  toute  la  terre,  on  venait  de  tous  côtés  voir  un  homme  qui 
avait  été  patrice  et  consul,  et  qui  maintenant  lavait  les  pieds  des  pauvres,  dressait  leurs  tables, 
leur  donnait  à  manger,  soignait  les  malades,  et  eierqait  toutes  les  autres  œuvres  de  miséricorde. 
Chassé  d'Ostie  sous  le  règne  de  Julien  l'Apostat,  il  se  rendit  à  Alexandrie,  où  le  juge  Rancien  l'ayant 
voulu  contraindre  à  sacrifier  aux  idoles,  il  méprisa  ses  ordres,  et,  frappé  de  l'épée,  devint  martyr  de  Jésus- 
Christ.  362.  —  A  Sibaple,  en  Syrie,  sainte  Fébronie,  vierge  et  martyre,  qui,  dans  la  persécu- 
tion de  Dioclétien,  sous  le  juge  Lysimaque,  fut,  pour  la  conservation  de  sa  foi  et  de  sa  chasteté, 
d'abord  fouettée  et  tourmentée  sur  le  chevalet,  puis  déchirée  avec  des  peignes  de  fer  et  jetée  dans 
le  feu;  enfin,  ayant  eu  les  dents  arrachées,  les  mamelles  coupées  et  la  tête  tranchée,  elle  alla 
trouver  son  Epoux,  parée  des  joyaux  de  toutes  ces  souffrances.  Vers  304.  —  A  Besançon,  dans  les 
Gaules,  saint  Antide,  appelé  aussi  Antel,  Tude,  Antible,  évêque  et  martyr,  qui  fut  tué  par 
les  Vandales  pour  la  foi  de  Jésus-Christ,   v»  s.  —  A  Riez,  en  Provence  *,  saint  Prospeh  d'Aqui- 

1.  Selon  Origfene,  il  devint  évêque  de  Tbessaloniqne,  et,  selon  d'antres,  évêque  dicontnm. 

2.  Le  martyrologe  romain  porte  tout  simplement  Apud  Rhegium.  Quel  est  ce  Rhegium  ?  car  il  y  a  trois 
Tilles  de  ce  nom.  La  première,  liegium  Lepidi,  dont  le  nom  latin  distinctif  vient  de  ce  qu'^railius  Lei)i  lus 
la  colonisa,  est  dans  le  Modénais,  sur  le  Tassone,  il  vingt-trois  kilomètres  N.  0.  de  Modèue  ;  c'est  la  ville 


MARTYROLOGES.  325 

TAîNE,  docteur  de  l'Eglise,  célèbre  par  sa  science  et  sa  piété,  qui  combattit  coiiragcuspment 
contre  les  Pélagiens  pour  la  foi  catholique,  v»  s.  —  A  Turin,  la  fête  de  saint  Maxime,  évêque  de 
ce  siège  et  confesseur,  très-célèbre  par  sa  doctrine  et  sa  sainteté.  466.  —  En  Hollande,  saint 
Adalbert,  confesseur,  disciple  de  saint  Willibrord,  évêque.  Vers  740. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REYU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Nantes,  saint  Gohard,  Gdichard  ou  Gunhar,  évêque  de  ce  siège,  massacré  dans  son 
église  avec  un  grand  nombre  de  clercs,  de  religieux  et  de  laïques,  par  les  Normands  infidèles.  843. 

—  Aux  diocèses  de  Coutances,  de  Cambrai,  de  Cologne,  de  Montpellier,  de  Perpignan  et  de  Stras- 
bourg, saint  Guillaume,  abbé,  nommé  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  1142.  —  Au  diocèse  de 
Cahors,  saint  Gallican,  martyr,  nommé  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  iv«  s.  —  A  Saint-Jean 
de  Maurienne,  en  Savoie,  sainte  Thècle  ou  Tygre,  qui  apporta  dans  ce  pays  des  reliques  de  saint 
Jean-Baptiste,  et  y  vécut  dans  la  solitude.  vi«  s.  —  A  Nantes,  saint  Emilien,  évêque  de  cette  ville 
et  martyr  •.  —  A  Poitiers,  sainte  Persévérande  *.  —  Au  diocèse  de  Paris,  les  saints  Agoard,  Agli- 
bert  et  leurs  compagnons,  cités  hier  au  martyrologe  romain.  —  A  Ardes,  au  diocèse  de  Clermont, 
saint  Dizant,  évêque  de  Saintes.  On  croit  qu'il  succéda  à  saint  Léger;  son  épiscopat  ne  fut  pas  de 
longue  durée.  Ses  vertus  se  sont  conservées  par  tradition  dans  le  diocèse  de  Saintes.  Deux  pa- 
roisses de  ce  diocèse  sont  sous  son  invocation  :  Sainl-Dizant  du  Gua,  dans  le  canton  de  Saint- 
Genis,  et  Saint-Dizant  du  Bois,  dans  celui  de  Mirambeau.  Fin  du  vu»  s.  —  A  Dijon,  le  décès  du 
prêtre  Lefebvre,  du  diocèse  d'Angers,  mort  dans  les  fers  où  il  avait  été  mis  pour  refus  de  serment. 
1793.  —  Au  diocèse  de  Poitiers,  saint  Maixent,  abbé  '.  515.  —  En  Savoie,  le  bienheureux  Jean 
d'Espagne,  prieur  des  Chartreux.  On  voyait  autrefois,  dans  un  monastère  des  bords  du  lac  de 
Genève,  une  chapelle  où  l'on  honorait  ses  reliques.  1160.  —  En  Bretagne,  saint  Salomon  ,  roi, 
lequel,  ayant  imité  David  dans  son  péché,  l'imita  dans  sa  pénitence,  et,  s'étant  retiré  dans  la  soli- 
tude, fut  massacré  par  ses  propres  sujets.  Ses  reliques  se  conservent  à  la  cathédrale  de  Vannes. 
874.  —  Près  de  Meldart,  aux  frontières  du  Brabant,  saint  Odvin,  prêtre,  tué  par  des  voleurs.  Son 
corps  est  honoré  à  Hugarden,  dans  l'église  de  Saint-Gorgon.  xi«  s.  —  A  Bourges,  saint  Ethère  ou 
Ithier,  évêque  de  Nevers,  qui  repose  dans  l'église  de  Sainte-Croix  *.  —  A  Liège,  saint  Lambert, 
prêtre.  —  A  Liège  encore,  la  vénérable  Eve,  recluse,  qui  contribua  à  l'établissement,  par  le  pape 
Urbain  IV,  de  la  fête  du  Saint-Sacrement,  dans  le  but  particulier  de  confondre  les  hérétiques,  ses 
contempteurs  sacrilèges.  1265.  —  Au  monastère  de  Médeloc,  près  de  Trêves,  saint  Albert,  moine. 

—  Au  diocèse  de  Liège,  la  mémoire  des  saints  Amand  et  Domnolène,  confesseurs.  vi«  s.  —  A 
Noyon,  la  translation  de  saint  Eloi.  —  A  Toulouse,  la  translation  de  saint  Saturnin.  —  A  Sois- 
sons,  saint  Alban,  martyr  de  la  Grande-Bretagne,  nommé  an  martyrologe  romain  le  22  de  ce  mois, 
jour  sous  lequel  nous  avons  donné  sa  vie. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  A  Style,  en  Calibre,  saint  Jean,  surnommé  Théreste,  abbé. 
Martyrologes  des  Bénédictins,  des   Camaldules,  de  Vallombreuse  et  des  Cisterciens.  — 
Au  territoire  de  Golet,  près  de  Nusco,  saint  Guillaume,  abbé. 

ADDITIONS  FAITES  D' APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Chez  les  Carmélites,  saint  Guillaume,  abbé,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  —  Chez 
les  Franciscains,  saint  Gallican,  également  nommé  au  même  martyrologe.  —  A  Otricoli,  au  diocèse 
de  Narni,  en  Ombrie,  saint  Médique  ou  Médéan,  martyr.  Arrêté  comme  chrétien,  il  confessa  géné- 
reusement la  foi.  Après  de  longues  journées  passées  en  prison,  comme  il  persévérait  toujours  dans 

éplscopale  actnelle  de  Rcggio.  — La  deuxième,  Rhegium  Julii,  se  trouve  dans  l'ancien  royaume  deNaples, 
et  est  chef-lieu  de  la  Calabre  nltérienre  première  :  elle  est  snr  le  détroit  de  Messine,  à  la  pointe  S.  0. 
de  l'Italie  :  c'est  la  ville  archiépiscopale  actuelle  de  Santa  Agata  délie  Galline.  —  La  troisième  est  l'an- 
cienne capitale  des  Reii  où  furent  tenus  deux  Conciles  provinciaux,  en  439  et  en  1223  ;  c'est  le  bourg 
actuel  de  Riez,  chef-lieu  de  canton  du  département  des  Basses-Alpes,  à  trente-denx  kilomètres  S.  0.  de 
Digne.  —  Toat  nous  porte  U  croire  que  saint  Prosper  d'Aquitaine  appartient  an  bourg  de  Riez  en  Pro- 
ver.ce  ;  mais  il  n'en  a  jamais  été  évêque,  bien  que  Riez  ait  été  jadis  évêché  et  qne  le  martyrologe  romain 
le  place  sur  ce  siège,  en  quoi  nous  avons  cru  devoir  le  corriger.  L'errenr  vient  peut-être  de  ce  qu'on  l'a 
confondu  avec  saint  Prosper,  évêque  de  Reggio  (Rhegium  Lepidi),  dont  nous  disons  un  mot  dans  la  vie  de 
saint  Prosper  d'Aquitaine  ;  ou  encore  avec  saint  Prosper,  évêque  de  Riez,  dont  on  ne  sait  qu'une  chose, 
c'est  r;u'il  fut  le  premier  évêque  de  ce  siège.  —  Il  reste  donc  établi  que  Prosper  d'Aquitaine,  Prosper  de 
Riez,  et  l'rosper  de  Reggio  »ont  trois  personnages  différents. 

1.  Voir  «a  37  Juin.  —  3.  Voir  au  26  juin.  —  3.  Voir  au  jour  suivant.  —  4.  Voir  le  S  juillet. 


326  25  JUIN. 

les  mêmes  senliments,  il  fut  attaché  à  un  arbre,  on  lui  enfonça  des  clous  dans  les  pieds  et  dans 
les  mains,  puis  on  l'élendit  sur  le  chevalet  où  on  lui  brisa  les  membres.  Comme  il  louait  Dieu  au 
milieu  de  ces  tortures,  il  fut  jeté  dans  un  brasier  ardent,  mais  les  flammes  l'épargnèrent;  enfin  on 
lui  trancha  la  tète.  Son  corps  fut  trouvé,  en  1612,  dans  l'église  de  Saint-Victor  d'Otricoli,  par 
l'évêque  de  ce  siège,  et  le  Pape  autorisa  son  culte.  —  A  Rome,  avec  sainte  Lucie,  nommée  au 
martyrologe  romain  de  ce  jour,  les  saints  Ancéias,  Antoine,  Héxénée,  Théodore,  Denys,  Apollo- 
nius', Apamius  ,  Pronique,  Cotée,  Orion,  Papique,  Satyre,  Victor,  martyrs.  301.  —  A  Sibaple, 
en  Mésopotamie,  avec  sainte  Fébronie,  nommée  au  martyrologe  romain  de  ce  jour,  les  saintes 
Lybe,  Léonide  et  Eutropie,  vierges  et  martyres.  Vers  304.  —  A  Thessalonique,  en  Macédoine, 
les  saints  Salonite,  Bigate,  Lamtan,  Lunitan,  martyrs.  —  En  Egj-pte,  les  saints  Benjamia 
et  Béjoc,  anachorètes,  mentionnés  dans  un  martyrologe  d'Abyssinie.  Un  serpent  ayant  dérobé 
la  sainte  Eucharistie  qu'ils  conservaient  dans  leur  solitude  pour  la  communion,  ils  reçurent  d'un 
Ange  l'ordre  de  manger  ce  serpent,  ce  qu'ils  firent,  animés  par  le  désir  intense  qu'ils  avaient  de 
recevoir  le  corps  de  Notre-Seigneur.  —  A  Jacca,  en  Espagne,  sainte  Eurosie,  vierge  et  martyre. 
Les  Maures  lui  demandèrent  d'être  l'épouse  de  leur  chef;  comme  elle  s'y  refusa,  elle  fut  assas- 
sinée dans  une  caverne  où  elle  s'était  réfugiée.  Ses  reliques  ont  été  transférées  i  Jacca,  où  les 
Espagnols  l'invoquent  contre  les  intempéries  de  l'air,  viii»  s.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Simon, 
anachorète. —  A  Olmulz,  en  Moravie,  le  bienheureux  llenri  Zdick,  évêque  de  cette  ville,  de  l'Ordre 
des  Prémontrés.  An  1151.  —  A  Naples,  le  bienheureux  Gui  Maramaldi,  dominicain  et  inquisiteur 
général  du  royaume.  Il  fonda  à  Piaguse  un  monastère  de  sou  Ordre.  Sur  la  Gn  de  ses  jours  il  se 
démit  de  sa  charge  d'inquisiteur  pour  vivre  dans  la  retraite,  se  disposant  au  voyage  de  l'éternité 
par  la  pratique  des  œuvres  de  pénitence  et  l'exercice  de  la  contemplation.  Les  miracles  opérés  à 
sou  tombeau  le  firent  honorer  comme  bienheureux,  et  ses  restes  furent  placés  dans  une  chapelle 
qui  prit  son  nom.  Naples  ayant  été  assiégé  par  les  Français  en  1598,  les  Napolitains  cachèrent 
sou  corps,  et  depuis  cette  époque  il  n'a  plus  été  possible  de  retrouver  ce  trésor.  1331. 


SAIiNTE  FEBRONIE,  VIERGE  &  MARTYRE  EN  SYRIE 

IV»  siècle. 


Jgnis,  crux,  bestisÊ,  confractio  ossium,  membrorum 
diuisio.  et  totius  corporis  contritio,  et  tota  tormenta 
diaboli  in  me  veniant,  tantum  ut  Christo  fruar. 

Viennent  le  fou,   la  croix,  les  bêtes,  puisse'-je  voir 
briser  mes  os,  disperser  mes  membres,  broj'cr  mon 
corps,  puisse-je  subir  tous  les  tourments  de  l'en- 
fer, pourvu  que  je  jouisse  de  Jésus-Christ. 
S.  Jérôme,  de  script.  Eecl.  in  Ignatio  ioquentt» 

Il  y  avait  dans  la  ville  de  Sibaple  ou  Nisibe  *,  une  communauté  d'envi- 
ron cinquante  religieuses,  que  la  diaconesse  Platonie  avait  formée,  et  à  qui 
elle  avait  donné  des  règles.  Leur  vie  était  austère.  Elles  ne  mangeaient 
qu'une  fois  par  jour,  et  le  vendredi  elles  ne  bougeaient  point  de  l'oratoire 
intérieur,  où  après  la  psalmodie  Platonie  faisait  à  haute  voi.x  la  lecture  de 
la  sainte  Ecriture  jusqu'il  l'heure  de  Tierce;  après  quoi  elle  remettait  le 
livre  à  une  autre  religieuse  nommée  Brienne,  qui  tenait  le  second  rang  dans 
sa  communauté,  et  qui  lui  succéda  dans  sa  double  charge  de  diaconesse  et 
de  supérieure.  Celle-ci  poursuivait  la  lecture  jusqu'à  l'heure  de  Vêpres,  et 
l'accompagnait  d'une  explication  édifiante  pour  l'instruction  des  sœurs. 

Ce  fut  dans  cette  maison  de  vertus  que  sainte  Fébronie  fut  élevée  dès 
son  enfance,  et  qu'elle  se  prépara  par  l'innocence  et  la  pratique  des  vertus 
religieuses  au  martyre  qu'elle  endura  pour  la  gloire  de  Jésus- Clirist.  Elle 
était  nièce  de  Brienne,  et  n'avait  que  deux  ans  quand  on  lui  en  confia  l'édu- 
cation. Mais  elle  était  ornée  d'une  beauté  si  parfaite,  que  sa  pieuse  tante 

1.  Aujourd'hui  Nazib.  Cette  antienne  ville  n'est  plus  qu'une  bOHrgado  d'un  millier  d'babitsntt. 


SAINTE  FÉBRONIE,   VIERGE   ET  MAUTTOE  EN   SYRIE.  327 

craignit  qu'elle  ne  lui  devînt  un  piégc,  et  crut  devoir  prendre  des  précau- 
tions pour  l'en  garantir.  Ainsi,  quand  elle  fut  en  âge  de  jeûner  comme  les 
autres  sœurs,  elle  lui  prescrivit  de  ne  manger  que  do  deux  jours  l'un,  et  la 
docile  Fébronie,  entrant  dans  ses  vues,  ne  prenait  que  fort  peu  de  pain  et 
ne  buvait  de  l'eau  qu'en  petite  quantité,  ce  qui  faisait  toute  sa  nourriture, 
observant  de  ne  jamais  se  rassasier.  Elle  ajouta  à  cette  austère  abstinence, 
de  ne  coucher  que  sur  un  banc  fort  court  et  fort  étroit,  et  quelquefois  elle 
couchait  sur  la  terre  nue.  S'il  arrivait  que  le  démon  vînt  la  troubler  dans 
la  nuit  par  quelque  tentation,  elle  se  levait  aussitôt,  se  mettait  en  prière, 
ou  bien  elle  lisait  l'Ecriture  sainte,  et  dissipait  ainsi  ses  illusions  par  l'orai- 
son et  par  la  force  de  la  parole  de  Dieu.  Ce  fut  par  ces  saintes  pratiques 
qu'elle  se  conserva  dans  une  pureté  parfaite,  et  qu'elle  édifia  admirable- 
ment toutes  les  sœurs,  surtout  par  son  humilité  et  son  obéissance. 

Platonie  étant  morte,  Brienne,  qui  se  trouva  chargée  de  la  conduite  du 
monastère,  ordonna  à  Fébronie  de  faire  la  lecture  le  vendredi  dans  l'assem- 
blée :  mais  comme  il  y  venait  des  dames  de  la  ville  pour  profiter  de  la  pa- 
role de  Dieu,  elle  lui  recommanda,  à  cause  de  sa  beauté,  de  se  couvrir  le 
visage  de  son  voile,  afin  de  n'en  être  point  vue,  ayant  toujours  eu  grand 
soin  de  la  dérober  aux  yeux  des  personnes  du  dehors,  sans  en  excepter 
môme  celles  de  son  sexe.  Cependant  elle  expliquait  la  sainte  Ecriture  avec 
tant  de  lumière  et  de  solidité  dans  la  lecture  qu'elle  en  faisait,  qu'on  en 
parlait  dans  toute  la  ville  ;  ce  qui,  joint  aux  relations  avantageuses  que  les 
religieuses  faisaient  de  ses  vertus  et  de  sa  beauté,  piqua  davantage  la  curio- 
sité des  dames  qui  voulaient  l'entendre. 

La  veuve  d'un  sénateur,  nommée  Hiérie,  qui,  n'ayant  vécu  que  sept  mois 
avec  son  mari,  était  revenue  après  sa  mort  dans  sa  patrie,  et  menait  chez 
ses  parents  une  vie  tranquille,  touchée  de  ce  qu'on  disait  de  Fébronie,  et 
encore  plus  intérieurement  par  le  mouvement  de  la  grâce,  désira  lier  con- 
naissance avec  elle,  soit  pour  se  faire  instruire  des  mystères  de  la  religion, 
soit  aussi  pour  jouir  de  l'entretien  d'une  personne  dont  on  lui  avait  fait  tant 
d'éloge.  Un  jour  donc  elle  vint  au  monastère,  et  se  fit  annoncer  par  la  por- 
tière à  la  vénérable  Brienne.  Dès  que  celle-ci  parut  à  la  porte  du  monastère 
pour  la  recevoir  avec  les  honneurs  dus  à  sa  qualité,  elle  se  jeta  à  ses  pieds, 
les  embrassa  et  lui  dit  :  «  Au  nom  de  Celui  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre,  ne 
repousse  pas  une  misérable  païenne,  qui  a  été  jusqu'à  présent  le  jouet  des 
idoles  ;  ne  me  prive  pas  des  instructions  de  ma  sœur  Fébronie  ;  laisse-moi 
apprendre  par  elle  la  voie  du  salut,  afin  qu'il  me  soit  donné  de  parvenir  au 
bonheur  réservé  aux  chrétiens.  Arrache-moi  à  la  vanité  du  siècle  et  aux 
infamies  du  culte  des  faux  dieux;  car  mes  parents  veulent  me  contraindre 
à  de  secondes  noces.  Je  suis  assez  malheureuse  d'avoir  commis  le  mal,  par 
l'ignorance  où  j'étais  d'une  doctrine  meilleure  ». 

Brienne  lui  représenta  la  loi  qu'elle  avait  imposée  à  sa  nièce  de  ne  se 
laisser  voir  à  personne.  «  Je  l'ai  reçue»,  lui  dit-elle,  «  des  mains  de  ses  pa- 
rents lorsqu'elle  n'avait  que  deux  ans  ;  elle  en  a  à  présent  dix-huit,  et  comme 
elle  est  trop  belle  pour  se  montrer  aux  yeux  du  monde,  je  ne  l'ai  pas  môme 
accordée  à  sa  nourrice  qui  me  l'a  demandée  souvent  avec  beaucoup  d'ins- 
tances ».  Mais  Hiérie  continuant  de  lui  témoigner  avec  larmes  la  droiture 
de  ses  intentions,  elle  se  rendit  enfin  à  ses  désirs,  à  condition  qu'elle  quit- 
terait ses  parures  et  ne  se  présenterait  devant  Fébronie  qu'avec  un  habit  de 
religieuse,  parce  que  la  Sainte  n'avait  jamais  vu  ces  ornements  mondains. 

Hiérie  s'y  rendit  sans  peine,  et  la  supérieure  la  conduisit  à  l'oratoire  de 
Fébronie.  Celle-ci,  croyant  que  cétaitune  religieuse  étrangère,  se  jeta  à  ses 


328  25  nnN. 

pieds  et  l'embrassa  comme  sa  sœur  en  Jésus-Christ.  Brienne  les  fit  asseoir 
toutes  les  deux,  et  après  ces  premiers  témoignages  de  la  charité  fraternelle, 
elle  ordonna  à  Fébronie  de  faire  la  lecture.  Hiérie  en  fut  si  touchée,  la 
grâce  agissant  dans  son  cœur,  qu'elle  ne  cessa  de  répandre  des  larmes,  et 
elles  passèrent  insensiblement  toute  la  nuit  dans  ce  saint  exercice;  Fébro- 
nie ne  se  lassant  point  da  faire  la  lecture,  et  Hiérie  recevant  ses  instructions 
avec  une  sainte  avidité. 

La  supérieure  eut  bien  de  la  peine,  le  lendemain  au  matin,  à  déterminer 
Hiérie  de  se  séparer  de  la  Sainte  :  ce  ne  fut  qu'après  l'avoir  embrassée  de 
nouveau  avec  beaucoup  de  tendresse  et  de  larmes;  et  étant  retournée  chez 
ses  parents,  elle  leur  fit  part  des  instructions  toutes  célestes  que  la  Sainte 
lui  avait  données  et  leur  persuada  d'abandonner  le  culte  superstitieux  des 
idoles  pour  embrasser  la  foi  chrétienne.  Cependant  Fébronie  s'informa  de 
Thomaïde,  qui  occupait  la  seconde  place  du  monastère,  qui  était  cette  re- 
ligieuse :  «  Car  »,  dit-elle,  «  elle  a  tant  pleuré  quand  je  lui  ai  expliqué  la 
sainte  Ecriture,  qu'on  eût  dit  qu'elle  ne  l'avait  jamais  entendu  lire  ».  Tho- 
maïde lui  avoua  que  c'était  la  sénatrice  Hiérie;  de  quoi  la  Sainte  fort  éton- 
née lui  dit  :  «  Et^ourquoi  ne  m'en  a-t-on  pas  avertie  ?  je  lui  ai  parlé  avec 
la  même  confiance  que  si  elle  avait  été  du  nombre  des  sœurs,  la  croyant 
religieuse  ».  Mais  Thomaïde  lui  répondit  que  Brienne  l'avait  voulu  ainsi. 
Hiérie,  après  ce  premier  entretien,  eut  permission  de  la  venir  voir,  et  la 
Sainte  étant  tombée  dangereusement  malade,  elle  voulut  la  servir,  et  ne  la 
quitta  point  que  sa  santé  ne  fût  rétablie. 

Tel  était  l'état  de  cette  communauté  lorsque  l'empereur  Dioclétien  en- 
voya dans  cette  province  Lysimaque,  fils  d'Anthime,  qu'on  croit  avoir  été 
préfet  de  Nicomédie  avec  Sélène,  frère  de  ce  préfet,  pour  y  persécuter  les 
fidèles.  Sélène  était  un  homme  extrêmement  violent,  et  ennemi  du  chris- 
tianisme autant  que  l'était  l'empereur;  mais  les  sentiments  de  Lysimaque 
étaient  tout  opposés,  et  sa  mère,  qui  était  chrétienne,  lui  avait  recommandé 
en  mourant  de  protéger  les  chrétiens  de  tout  son  pouvoir.  Dioclétien,  qui 
estimait  beaucoup  Anthime,  ne  voulut  point  donner  sa  place  à  Lysimaque 
qu'il  n'eût  quelque  assurance  de  son  attachement  aux  idoles  et  de  sa  haine 
contre  la  religion  chrétienne,  soupçonnant  les  bonnes  instructions  qu'il 
avait  reçues  de  sa  mère  ;  mais  Sélène,  qui  lui  fut  donné  pour  le  guider  plu- 
tôt que  comme  adjoint,  répondit  de  sa  soumission  aux  Ordres  du  prince, 
et  partit  avec  lui  et  avec  le  comte  Primus,  aussi  parent  de  Lysimaque. 

Ils  ne  tardèrent  pas  d'annoncer  la  persécution  à  Nisibe  par  les  cruautés 
que  Sélène  exerça  dans  la  Mésopotamie  et  la  Syrie  Palmérienne;  car  il  y 
fit  périr,  ou  par  le  glaive  ou  par  le  feu ,  autant  de  chrétiens  qu'il  en 
put  arrêter,  et  il  faisait  ensuite  jeter  aux  bêtes  sauvages  ce  que  les  flammes 
avaient  épargné  de  leurs  corps.  Mais  Lysimaque,  ne  pouvant  souffrir  cet 
excès,  prit  le  comte  Primus  en  particulier  et  lui  tint  ce  discours  ;  «  Vous  n'i- 
gnorez pas  que,  quoique  mon  père  soit  mort  païen,  ma  mère  était  pourtant 
chrétienne  et  avait  travaillé  pour  m'engager  à  l'être  à  son  exemple;  mais  la 
crainte  de  l'empereur  et  de  mon  père  m'en  ont  toujours  empêché.  Ne  pou- 
vant donc  l'obtenir  de  moi,  elle  m'a  recommandé  très-instamment  de  ne 
faire  jamais  mourir  aucun  chrétien,  mais  plutôt  de  les  traiter  en  amis.  Ainsi, 
je  ne  puis  voir,  sans  être  touché  de  compassion,  les  cruautés  que  mon  oncle 
Sélène  exerce  contre  eux,  car  il  livre  aux  plus  rudes  tourments  tous  ceux 
qui  tombent  entre  ses  mains.  Je  vous  prie  donc  de  recevoir  secrètement 
tous  ceux  qu'on  vous  présentera  et  de  favoriser  leur  fuite  ».  Le  comte  Pri- 
mus entra  volontiers  dans  ses  bons  sentiments,  et  depuis  ce  temps-li  il  ne 


SAINTE   FÉBRONIE,   VIERGE  ET  MARTYRE   EN   SYRIE.  3£0 

commanda  plus  qu'on  les  arrêtât;  il  faisait  môme  donner  des  avissecrcls 
aux  monastères,  afin  d'empêcherque  les  religieux  ne  fussent  saisiset  menés 
à  Sélène. 

Après  qu'ils  eurent  passé  quelque  temps  dans  la  Mésopotamie  et  les 
villes  voisines,  ils  prirent  la  route  de  Nisibe,  et  au  bruit  de  leur  prochaine 
arrivée  les  ecclésiastiques  et  les  moines,  de  môme  que  l'évoque,  disparurent 
et  se  cachèrent  dans  divers  endroits.  Les  religieuses  du  monastère  de 
Brienne  voulurent  aussi  les  imiter,  et  supplièrent  la  supérieure  de  leur  per- 
mettre de  se  mettre  en  sûreté.  «  Hélas  !  »  leur  dit-elle,  «  vous  n'avez  pas 
encore  vu  l'ennemi  et  vous  voulez  fuir  !  Le  combat  n'a  pas  commencé  et 
vous  vous  déclarez  vaincues  !  Ayez,  je  vous  en  prie,  mes  filles,  des  senti- 
ments plus  dignes  de  vous  :  demeurons,  et  exposons-nous  généreusement 
au  combat  et  à  la  mort  pour  l'amour  de  celui  qui  a  bien  voulu  mourir 
pour  nous,  afin  que  nous  vivions  éternellement  avec  lui  n. 

Ces  paroles  firent  d'abord  quelque  impression  sur  elles,  mais  la  frayeur 
les  saisit  ensuite  plus  qu'auparavant;  et  dans  la  crainte  où  elles  étaient  que 
les  soldats  ne  leur  fissent  insulte,  ou  de  ne  pouvoir  résister  aux  tourments, 
elles  insistèrent  de  nouveau  auprès  de  leur  supérieure,  qui  fut  contrainte 
de  leur  permettre  de  se  retirer.  Leur  intention  était  d'emmener  Fébronie 
avec  elles  et  elles  l'exhortèrent  beaucoup  à  les  suivre.  Mais  la  sainte  fille 
leur  dit  :  «  Je  vous  proteste  en  la  présence  du  Seigneur,  à  qui  je  me  suis 
dévouée,  que  je  ne  bougerai  point  d'ici,  et  que  je  préfère  y  mourir  et  y 
être  ensevelie,  plutôt  que  d'en  sortir  ». 

Elles  se  séparèrent  ainsi,  mais  ce  fut  en  poussant  de  hauts  cris  en  ver- 
sant des  torrents  de  larmes.  En  ce  moment  Procla,  élevée  depuis  son  en- 
fance avec  Fébronie,  se  jeta  à  son  cou,  et,  la  serrant  dans  ses  bras,  elle 
s'écria  :  «  Ma  sœur  biej  aimée,  prie  pour  moi  ».  Fébronie,  qui  avait  saisi 
sa  main,  la  retenait  en  disant  :  «  Toi,  du  moins,  chère  Procla,  crains  Dieu, 
et  ne  nous  abandonne  pas.  Ne  vois-tu  pas  combien  je  suis  malade?  Si  je 
viens  à  mourir,  notre  mère  n'aura  pas  assez  de  forces  pour  me  donner  la 
sépulture  ;  demeure  donc  avec  nou»,  afin  de  me  rendre  les  derniers  devoirs  » . 
Procla  répondit  :  «  Chère  sœur,  puisque  tu  le  désires,  je  ne  t'abandonnerai 
pas  ».  Fébronie  répondit  :  «  Je  t'en  conjure  devant  le  Seigneur,  témoin  de 
ta  promesse,  ne  m'abandonne  pas  ».  Néanmoins,  vers  le  soir,  Procla  avait 
disparu.  >^ 

Alors  la  supérieure  se  voyant  seule  avec  Thomaïde  et  Fébronie,  et  crai- 
gnant la  ruine  entière  de  son  monastère,  chercha  sa  consolation  et  sa  force 
dans  la  prière  ;  étant  entrée  dans  son  oratoire,  elle  se  prosterna  la  face 
contre  terre,  pleurant  amèrement  et  implorant  le  secours  du  Seigneur  avec 
des  gémissements  que  Thomaïde  entendit  et  qui  l'obligèrent  d'accourir 
pour  la  consoler,  a  Hélas,  ma  mère  et  ma  maîtresse  »,  lui  dit-elle,  «  pour* 
quoi  vous  abandonnez-vous  ainsi  à  votre  douleur?  apaisez-vous,  je  vous 
en  conjure;  Dieu  n'est-il  pas  assez  puissant  pour  nous  secourir,  et  faire  que 
la  tentation  tourne  à  l'avantage  de  notre  âme?  Qui  a  mis  sa  confiance  en 
lui  et  a  été  confondu?  Qui  a  persévéré  dans  sa  crainte  et  en  a  été  rejeté  ?  » 

—  «  Vous  avez  raison  »,  lui  répondit  la  supérieure  affligée,  «  mais  que  de- 
viendra Fébronie?  oti  pourrai-je  la  mettre  en  sûreté?  et  si  je  ne  le  puis 
pas,  comment  pourrai-je  la  voir  enchaîner  et  conduire  par  des  barbares?  » 

—  ((  Rassurez-vous  »,  répliqua  Thomaïde;  «  auriez-vous  oublié  ce  qu'elle 
vous  a  dit,  que  celui  qui  peut  ressusciter  les  morts  n'est  pas  moins  puis- 
sant pour  la  délivrer  de  tout  danger?  Levez-vous,  cessez  de  pleurer,  et 
allons  ensemble  inspirer  du  courage  à  Fébronie  qui  est  malade  ». 


330  25  JUIN. 

Elle  la  suivit,  mais  son  affliction  éclata  de  nouveau  quand  elle  s'appro- 
cha du  lit  de  planches  sur  lequel  la  jeune  vierge  était  étendue  :  elle  s'assit 
et  baissant  sa  tête  sur  ses  genoux,  elle  recommença  de  se  lamenter  et  de 
verser  un  torrent  de  larmes.  Fébronie  en  demanda  le  sujet  à  Thomaïde,qui 
lui  répondit  que  c'était  à  cause  d'elle  :  «  Car  »,  dit-elle,  «  voyant  que  vous 
êtes  jeune  et  douée  d'une  grande  beauté,  et  sachant  quelle  est  la  cruauté 
des  persécuteurs,  elle  en  est  excessivement  alarmée».  —  «  Je  vous  con- 
jure »,  dit  Fébronie,  «  de  prier  toutes  les  deux  pour  votre  servante.  Dieu 
peut  bien  jeter  des  regards  favorables  sur  moi,  tandis  que  je  m'humilierai 
devant  lui,  et  j'espère  qu'il  m'accordera  la  force  et  la  patience  qu'il  n'a 
point  refusées  à  ses  serviteurs  qui  l'ont  aimé  de  tout  leur  cœur  ». 

Alors  Thomaïde  et  Brienne  l'exhortèrent  par  les  expressions  les  plus 
tendres  et  les  plus  vives  à  combattre  avec  un  grand  courage  pour  la  gloire 
de  J'ésus- Christ,  et  Thomaïde  lui  dit  entre  autres  choses  :  «  Voici,  ma  fille 
Fébronie,  l'heure  du  combat.  Quant  à  nous,  si  nous  tombons  entre  les 
mains  des  tyrans,  notre  vieillesse  les  portera  à  nous  faire  bientôt  périr.  Mais 
il  n'en  sera  pas  de  môme  de  vous  :  ils  vous  tendront  des  pièges  à  cause  de 
votre  beauté  et  de  votre  jeunesse.  Prenez  donc  garde,  si  on  nous  arrête,  de 
ne  pas  vous  laisser  séduire  parleurs  paroles  flatteuses,  ni  parles  offres  qu'ils 
vous  feront  d'argent,  de  riches  habits  et  des  plaisirs  du  monde.  Ne  perdez 
pas  le  mérite  de  vos  travaux  passés  en  devenant  le  jouet  des  idoles  et  la 
proie  du  démon.  Il  n'y  a  rien  de  plus  glorieux  que  la  virginité,  à  laquelle  Dieu 
réserve  des  couronnes  éclatantes  et  une  si  grande  récompense  dans  le  ciel; 
car  l'Epoux  sacré  des  vierges  est  immortel,  et  il  a  promis  la  même  immor- 
talité à  ceux  qui  l'aiment.  Ainsi,  chère  Fébronie,  considérez  quel  est  celui 
à  qui  vous  être  consacrée.  Prenez  garde,  ma  chère  fille,  de  rétracter  l'en- 
gagement que  vous  avez  contracté  avec  lui,  et  de  perdre  les  arrhes  qu'il 
vous  a  données  comme  gage  de  sa  sainte  alliance.  Craignez  ce  jour  terrible 
oh  il  jugera  l'univers  pour  rendre  à  chacun  selon  ses  œuvres  ». 

La  pieuse  Brienne  lui  parla  à  son  tour  et  lui  dit  :  «  Ma  fille  Fébronie, 
souvenez-vous  que  vous  avez  toujours  été  si  docile  à  mes  instructions,  que 
vous  avez  été  même  en  état  d'en  donner  aux  autres.  Vous  savez  que  je  vous 
ai  prise  des  mains  de  votre  nourrice  lorsque  vous  n'aviez  que  deux  ans,  et 
que  je  vous  ai  gardée  avec  tant  de  soin,  que  je  n'ai  pas  même  permis  aux 
femmes  du  monde  de  vous  voir,  pour  mieux  vous  conserver  dans  la  vertu. 
Faites  honneur  à  ma  vieillesse  et  ne  rendez  pas  vain  le  soin  que  j'ai  pris  de 
vous,  comme  votre  mère  spirituelle.  Représentez-vous  les  combats  que 
tant  de  martyrs  ont  soutenus  avant  nous;  non-seulement  des  hommes,  mais 
aussi  des  femmes  et  des  jeunes  filles.  Rappelez  à  votre  souvenir  le  martyre 
des  deux  illustres  sœurs  Lybis  etLéonide,  dont  la  première  eut  la  tête  tran- 
chée et  l'autre  mourut  au  milieu  des  flammes.  Rappelez  aussi  la  générosité 
d'Eutropie,  qui,  n'ayant  encore  que  douze  ans,  fut  martyrisée  avec  sa  mère. 
Vous  avez  admiré  sa  constance  lorsqu'étant  condamnée  à  être  percée  de 
flèches,  elle  ne  voulut  point  s'enfuir,  quoiqu'elle  en  eût  le  moyen,  et  aima 
mieux  s'exposer  aux  traits  qu'on  lui  décocha,  et  qui  lui  ôtèrent  la  vie.  Vous 
avez  si  souvent  loué  sa  vertu  et  son  courage  :  elle  n'était  pourtant  qu'une 
jeune  fille,  et  qui  n'avait  pas  tant  de  connaissance  des  vertus  que  vous,  qui 
avez  été  en  état  d'instruire  les  autres  ». 

Ces  paroles  furent  d'un  grand  secours  à  Fébronie.  «  Vous  m'inspirez  », 
lui  dit-elle,  «beaucoup  de  courage,  et  je  sens  mon  cœur  fortifié  par  vos 
discours.  Si  j'avais  voulu  éviter  la  persécution,  j'aurais  pris  la  fuite  avec  les 
autres  ;  mais  comme  je  désire  ardemment  de  m'aller  unir  à  celui  à  qui  je 


SAINTE  FÉBRONIE,   VIERGE  ET  MARTYRE   EN   SYRDB.  331 

me  suîs  consacrée,  je  tâcherai  d'y  parvenir,  espérant  qu'il  voudra  bien  me 
rendre  digne  de  combattre  et  de  mourir  pour  lui  ». 

La  nuit  se  passa  dans  ces  entretiens,  et  le  lendemain,  au  lever  du  soleil, 
toute  la  ville  fut  en  rumeur  à  l'occasion  de  l'arrivée  de  Sélène  et  de  Lysi- 
maque.  On  saisit  aussitôt  un  grand  nombre  de  chrétiens  qui  furent  con- 
duits en  prison;  et  quelques  païens  ayant  dénoncé  le  monastère  de  la  Sainte 
au  cruel  Sélène,  il  y  envoya  sur-le-champ  des  soldats,  qui  en  brisèrent  les 
portes  et  se  saisirent  de  Brienne.  Ils  avaient  déjà  l'épée  levée  pour  la  tuer; 
mais  Fébronie,  s'élançant  de  sa  couche,  se  jeta  à  leurs  pieds  et  les  conjura 
de  la  faire  mourir  la  première,  pour  lui  épargner  la  douleur  de  voir  tuer  sa 
supérieure. 

Le  comte  Primus  arriva  dans  ce  moment,  et  après  avoir  réprimandé  les 
soldats,  les  chassa  du  monastère.  Ensuite  il  demanda  à  Brienne  où  étaient 
ses  religieuses;  elle  lui  répondit  qu'elles  s'étaient  retirées.  «  Plût  à  Dieu  », 
dit  Primus,  «  que  vous  en  eussiez  fait  de  môme  avec  les  deux  qui  restent 
ici  !  Je  vous  donne  la  permission  de  vous  retirer  et  de  chercher  aussi  une 
retraite,  et  ayant  rallié  sa  troupe,  il  la  ramena  avec  lui  ».  Quand  il  fut  de 
retour  au  prétoire,  il  s'approcha  de  Lysimaque  et  lui  dit  en  particulier  : 
«  L'avis  qu'on  vous  a  donné  du  monastère  de  lilles,  s'est  trouvé  véritable; 
mais  elles  ont  pris  la  fuite  à  l'exception  de  deux  vieilles  femmes  et  d'une 
jeune  fille.  Mais  je  crois  devoir  vous  dire  que  la  jeune  est  d'une  beauté  si 
ravissante,  que  je  n'en  ai  jamais  vu  de  pareille,  et  je  prends  les  dieux  à 
témoin  qu'au  moment  où  je  l'ai  aperçue  j'en  ai  été  si  ébloui,  que  si  elle 
n'était  pas  aussi  pauvre  qu'elle  le  paraît,  je  la  trouverais  digne  pour  sa  beauté 
de  vous  être  donnée  pour  épouse  ». 

a  Je  ne  saurais  m'écarter  »,  dit  Lysimaque,  «  de  l'ordre  que  ma  mère 
m'a  donné  d'épargner  le  sang  des  chrétiens  et  de  les  favoriser  de  tout  mon 
pouvoir  :  comment  oserais-je  tendre  des  pièges  aux  servantes  de  Jésus- 
Christ  ?  Je  n'ai  garde  de  le  faire.  Mais  je  vous  prie  d'aller  au  monastère  et 
d'en  faire  retirer  celles  qui  y  restent  :  rendez-vous  leur  libérateur,  de  peur 
qu'elles  ne  tombent  entre  les  mains  de  mon  oncle  Sélène  dont  vous  connais- 
sez la  sévérité  ».  Cette  précaution  de  Lysimaque  fut  inutile;  un  soldat,  le 
plus  inhumain  de  sa  troupe,  qui  entendit  ce  que  le  comte  Primus  lui  avait 
dit,  se  hâta  de  l'aller  déclarer  à  Sélène,  qui,  transporté  de  colère  et  d'indi- 
gnation, envoya  sur-le-champ  une  cohorte  pour  cerner  le  monastère  et 
empêcher  celles  qui  l'habitaient  encore  de  prendre  la  fuite.  En  même  temps 
il  fit  publier  dans  toute  la  ville  que  le  lendemain  il  ferait  comparaître  Fé- 
bronie devant  son  tribunal,  ce  qui  ne  manqua  pas  d'y  attirer  une  foule  de 
spectateurs,  non-seulement  de  la  ville,  mais  encore  des  environs. 

Les  soldats  étant  arrivés  au  monastère  dès  le  matin,  arrachèrent  Fébro- 
nie de  sa  couche,  la  chargèrent  de  chaînes,  lui  mirent  même  un  carcan  au 
cou,  et  la  traînèrent  ainsi  hors  du  monastère.  Brienne  et  Thomaïde  l'em- 
brassant étroitement  en  poussant  des  cris  déchirants,  prièrent  les  soldats  de 
leur  permettre  de  lui  parler  encore  quelques  instants  et  de  les  conduire 
aussi  elles-mêmes,  afin  que  Fébronie  ne  fût  pas  seule  au  combat;  mais  ils 
leur  répondirent  qu'ils  n'avaient  ordre  que  d'emmener  Fébronie,  et  cepen- 
dant ils  leur  permirent  de  lui  parler  comme  elles  le  désiraient.  Le  temps  ne 
fut  pas  long,  mais  elles  le  mirent  bien  à  profit,  a  Vous  allez  au  combat,  ma 
fille  »,  lui  dit  Brienne  :  «  considérez  que  votre  céleste  Epoux  en  sera  le 
spectateur,  et  que  les  anges  tiennent  dans  leurs  mains  la  couronne  qui  vous 
est  destinée.  Ne  craignez  point  les  tourments,  et  faites  par  votre  fidélité 
que  nous  puissions  insulter  au  démon.  N'ayez  aucune  compassion  de  votre 


332  25  JUIN. 

corps,  quand  vous  le  verriez  déchiré  de  coups  de  fouet;  puisque  quand 
même  nous  ne  le  voudrions  point,  ce  corps  sera  un  jour  enseveli  dans  le 
tombeau  et  réduit  en  poussière.  Je  reste  dans  le  monastère  livrée  à  ma 
douleur  et  à  mes  larmes,  attendant  de  vous  des  nouvelles  d'affliction  ou  de 
joie.  Je  vous  conjure,  ô  ma  chère  fille,  de  faire  en  sorte  que  je  n'en  reçoive 
que  de  bonnes.  Ah  !  qui  pourra  m'apprendre  que  Fébronie  a  combattu 
jusqu'à  la  fin,  et  a  mérité  d'être  mise  au  nombre  des  martyrs  ?  » 

«  Je  me  confie  en  Notre-Seigneur,  ma  mère  »,  lui  répondit  Fébronie; 
«  j'espère  que,  comme  il  m'a  fait  l.i  grâce  jusqu'à  présent  d'être  fidèle  à 
vos  saints  avis,  je  profiterai  encore  do  ceux-ci.  Les  témoins  de  mes  com- 
bats vous  appelleront  bienheureuse  dans  votre  vieillesse,  en  considérant  que 
je  suis  comme  une  plante  que  vous  avez  cultivée  avec  tant  de  soin,  et  j'es- 
père montrer,  dans  le  corps  faible  d'une  fille,  un  esprit  et  un  courage  viril. 
Priez  pour  moi  et  permettez-moi  de  m'en  aller  ».  Thomaïde  lui  promit  de 
prendre  un  habit  séculier  pour  être  présente  à  ses  combats;  et  Fébronie, 
prenant  enfin  congé  de  l'une  et  de  l'autre,  les  supplia  de  lui  donner  leur 
bénédiction;  ce  que  Brienne  fit  ainsi  en  élevant  les  mains  au  ciel  :  «  Mon 
Seigneur  Jésus-Christ,  qui  avez  assisté  votre  servante  Thècle  dans  son  mar- 
tyre sous  la  figure  de  saint  Paul,  assistez  également  votre  humble  servante 
dans  celui  qu'elle  va  soufi'rir  ».  Après  quoi,  lui  ayant  donné  le  dernier  bai- 
ser, elle  la  laissa  emmener  par  les  soldats,  et  s'alla  prosterner  contre  terre 
dans  l'oratoire,  où  elle  pria  le  Seigneur  avec  beaucoup  de  larmes  qu'il  dai- 
gnât la  soutenir  jusqu'à  la  fin. 

La  détention  de  Fébronie  affligea  extrêmement  toutes  les  dames  de  la 
ville  qui  avaient  coutume  de  se  rendre  le  vendredi  au  monastère  pour  écou- 
ter la  lecture  des  Livres  saints  et  les  instructions  dont  elle  l'accompagnait. 
Elles  pleuraient  et  se  frappaient  la  poitrine,  se  voyant  sur  le  point  d'être 
privées  d'une  religieuse  qui  était  d'un  si  grand  secours  pour  le  bien  de  leurs 
âmes.  Hiérie,  dont  nous  avons  parlé,  remplit  toute  sa  maison  de  ses  cris,  et 
se  rendit  au  prétoire  avec  une  grande  suite,  oti  elle  trouva  les  autres  dames 
et  Thomaïde  déguisée,  qu'elle  reconnut  fort  bien.  Leurs  larmes  en  se  voyant 
recommencèrent  de  couler.  Enfin  le  concours  fut  extraordinaire,  et  toute 
la  salle  était  pleine. 

Sélène  et  Lysimaque  étant  assis  sur  le  tribunal,  ordonnèrent  qu'on  ame- 
nât Fébronie.  Au  moment  où  la  jeune  vierge  parut,  les  mains  liées  et  le 
carcan  au  cou,  tout  le  monde  poussa  des  cris  et  des  lamentations;  et  quand 
on  l'eut  placée  devant  les  deux  magistrats,  Sélène  fit  faire  silence  et  dit  à 
Lysimaque  de  l'interroger.  «  Dites-moi,  jeune  fille  »,  lui  demanda  celui-ci, 
((  votre  condition  :  êtes-vous  d'une  condition  libre,  ou  non  ?»  —  «  Je  suis 
esclave  »,  répondit  Fébronie.  «  De  qui  êtes-vous  esclave  ?  »  répliqua  Lysi- 
maque. «  De  Jésus-Christ  » ,  répondit-elle.  «  Quel  est  votre  nom  ?  »  demanda 
Lysimaque.  «  Je  vous  ai  déjà  déclaré  »,  répondit-elle,  «  que  je  suis  une 
humble  chrétienne,  et  si  vous  voulez  savoir  le  nom  que  je  porte,  je  m'ap- 
pelle Fébronie  ». 

Sélène,  qui  connaissait  les  dispositions  de  son  neveu  en  faveur  des 
chrétiens,  ne  voulut  pas  qu'il  poursuivît  l'interrogatoire.  Il  prit  la  parole 
et  dit  à  la  Sainte  :  «  Je  prends  les  dieux  à  témoin,  Fébronie,  qu'étant  irrité 
contre  vous,  je  n'aurais  pas  même  daigné  vous  interroger  si  j'avais  suivi 
ma  juste  colère;  mais  votre  modestie  et  votre  beauté  m'ont  apaisé,  et  je 
veux  bien  suspendre  pour  un  moment  ma  qualité  de  juge  et  vous  parler  en 
pèie  afin  de  mieux  vous  persuader.  Ecoutez-moi  donc,  ma  fille,  avec  atten- 
tion. Les  dieux  me  sont  témoins  que  mon  frère  Anthime  et  moi  nous  avions 


SAIiNTE  FÉBRONIE,   VIERGE  ET  MARTYRE  EN  SYRIE.  333 

destiné  à  Lysimaque  une  jeune  vierge  romaine,  dont  l'alliance  doit  lui  pro- 
curer de  vastes  possessions  et  de  grandes  richesses  :  mais  je  veux  rompre 
tout  engagement  avec  la  fille  de  Phosphore  qui  lui  est  destinée;  c'est  vous- 
même  qui  serez  l'épouse  du  noble  Lysimaque,  que  vous  voyez  assis  à  ma 
droite,  et  dont  la  beauté  n'est  pas  indigne  de  vos  charmes.  Suivez  donc  le 
conseil  que  je  vous  donne  comme  si  j'étais  votre  père,  et  je  vous  comblerai 
d'honneurs.  Que  votre  pauvreté  ne  vous  soit  point  un  sujet  de  peine;  je 
n'ai  ni  femme  ni  enfants,  mon  bien  vous  servira  de  dot  que  vous  apporterez 
à  Lysimaque,  et  il  ne  sera  point  de  femme  qui  ne  vous  regarde  comme 
très-heureuse  et  n'envie  votre  bonheur.  Vous  aurez  aussi  les  bonnes  grâces 
de  notre  invincible  empereur,  qui  a  promis  à  Lysimaque  de  l'élever  à  un 
très-haut  rang  et  de  le  faire  préteur.  Vous  m'avez  entendu,  donnez  donc 
à  celui  qui  veut  bien  vous  servir  de  père  une  réponse  qui  soit  agréable  aux 
dieux  et  qui  vous  soit  avantageuse.  Mais  si  je  ne  puis  vous  persuader  de 
suivre  mon  conseil,  je  prends  les  dieux  à  témoin  que  vous  n'aurez  pas  trois 
heures  de  vie  :  vous  n'avez  qu'à  vous  décider  ». 

«  J'ai  »,  répondit  Fébronie,  «  un  lit  nuptial  dans  le  ciel  qui  n'a  pas  été 
fait  par  la  main  des  hommes.  L'Epoux  que  j'ai  choisi  est  immortel:  son 
royaume  est  ma  dot.  Je  ne  puis  ni  ne  veux  lui  préférer  un  époux  mortel  et 
corruptible.  Ne  perdez  donc  pas  le  temps,  ô  juge  1  en  de  vains  discours; 
vos  flatteries  ni  vos  menaces  ne  sauraient  me  faire  changer  de  résolution  ». 
Sélène  irrité  d'une  réponse  si  généreuse,  ordonna  aux  soldats  de  lui  ôter  ses 
habits  et  de  la  couvrir  de  vieux  haillons,  qui  laissassent  presque  son  corps 
à  découvert;  ce  qui  ayant  été  exécuté,  il  lui  demanda  si  elle  n'avait  pas  de 
honte  de  se  voir  dans  cet  état  devant  tout  le  monde.  Mais  elle  lui  répon- 
dit :  «  Quand  même  vous  ajouteriez  à  cette  prétendue  ignominie  le  fer  et 
le  feu,  je  m'y  suis  préparée.  Plût  à  Dieu  que  je  sois  trouvée  digne  de  souf- 
frir pour  l'amour  de  celui  qui  a  tant  souffert  pour  moi  !  » 

u  Fille  impudente  et  sans  honneur  »,  lui  dit  Sélène,  «  je  vois  bien  que 
la  beauté  dont  tu  te  flattes  t'empêche  de  rougir  de  l'état  où  je  t'ai  fait 
mettre,  et  qu'au  contraire  tu  en  fais  gloire  ».  —  a  Non, répliqua  Fébronie; 
Jésus-Christ  sait  que  jusqu'à  présent,  bien  loin  de  manquer  de  modestie,  je 
n'ai  jamais  permis  qu'aucun  homme  vît  mon  visage;  mais,  m'étant  déter- 
minée à  souffrir  les  fouets  et  tous  les  supplices  dont  vous  me  menacez,  je 
dois  entrer  dans  le  combat  contre  le  démon  qui  est  votre  père,  comme  les 
athlètes  entrent  dans  la  carrière  pour  combattre  ». 

«  Eh  bien  »,  dit  Sélène  dans  sa  fureur,  «  puisqu'elle  demande  des  tour- 
ments, nous  les  lui  ferons  sentir  ».  Il  ordonna  donc  qu'on  l'attachât  à  quatre 
pieux,  qu'on  y  mît  du  feu  dessous,  et  que,  tandis  qu'elle  en  serait  brûlée, 
on  déchargeât  sur  son  dos  une  grêle  de  coups  :  ce  qui  fut  exécuté  avec  tant 
de  cruauté,  que  son  corps  en  fut  tout  couvert  de  sang  et  que  sa  chair  tom- 
bait en  lambeaux.  Cela  dura  si  longtemps,  que  les  spectateurs  ne  purent 
plus  le  voir  sans  horreur.  Ils  demandèrent  avec  de  grands  cris  à  ce  tyran 
d'avoir  compassion  de  la  jeunesse  de  Fébronie;  mais  il  ne  voulut  rien  en- 
tendre jusqu'à  ce  que  la  croyant  morte,  il  ordonna  qu'on  la  détachât. 

Thomaïde,  qui  était  présente,  voyant  la  Sainte  tourmentée  avec  tant  de 
cruauté,  tomba  en  défaillance  aux  pieds  d'Hiérie;  et  celle-ci  transportée  de 
douleur,  s'écria  :  «  Hélas,  ma  sœur  Fébronie,  ma  chère  et  vénérée  maî- 
tresse !  non-seulement  je  me  trouve  privée  de  vous,  mais  voilà  encore  que 
je  vais  perdre  Thomaïde  qui  se  meurt  ».  La  Sainte,  entendant  sa  voix,  dé- 
sira lui  parler;  mais  le  juge  ne  voulut  pas  le  permettre,  et  lui  dit  :  «  Eh. 
bien  I  Fébronie,  ce  premier  combat  vous  a-t-il  bien  réussi  ?  que  vous  ea 


334  25  JUIN. 

semble-t-il  ?»  —  «Vous  pouvez  juger  vous-même  »,  répondit  la  Sainte, 
«  si  je  suis  aisée  à  vaincre  et  si  je  fais  grand  cas  de  vos  tourments  ». 

«  Qu'on  la  suspende  sur  le  chevalet  »,  dit  le  tyran;  «  qu'on  lui  ouvre 
les  côtés  avec  les  ongles  de  fer,  et  qu'on  y  applique  le  feu  pour  la  brûler 
jusqu'aux  os  ».  Les  bourreaux  exécutèrent  cet  ordre  barbare  ;  et  bientôt  de 
nouveaux  lambeaux  de  chair  tombèrent  à  terre  avec  des  ruisseaux  de  sang; 
les  llammes  du  brasier  dévoraient  déjà  les  entrailles  de  la  vierge  chrétienne. 
La  Sainte,  à  qui  la  flamme  causait  de  terribles  douleurs,  élevant  les  yeux 
au  ciel,  s'écria:  «Venez,  Seigneur,  à  mon  aide;  ne  m'abandonnez  pas  à 
cette  heure  ».  Et  elle  se  tut  aussitôt,  car  le  feu  la  brûlait  cruellement. 

Un  grand  nombre  de  ceux  qui  étaient  présents  se  rétirèrent,  ne  pouvant 
soutenir  la  vue  d'un  si  horrible  supplice.  Les  autres  criaient  au  juge  d'é- 
pargner du  moins  à  la  Sainte,  le  lourment  du  feu.  Sélène  y  acquiesça;  mais 
il  continua  de  l'interroger,  étant  encore  sur  le  chevalet;  et  voyant  que  la 
Sainte  ne  lui  répondait  point,  la  douleur  lui  ayant  ôté  la  parole,  au  lieu 
d'en  être  touché,  il  se  tint  offensé  de  son  silence,  la  fît  détacher  du  cheva- 
let et  attacher  à  un  poteau,  et  commanda  qu'on  lui  coupât  la  langue  puis- 
qu'elle refusait  de  lui  parler.  Elle  la  présenta  aussitôt,  comme  si  elle  avait 
voulu  dire  au  bourreau  :  «  La  voilà,  coupe  ».  Mais  tandis  qu'il  la  tenait  déjà 
pour  la  couper,  le  peuple  l'en  empêcha,  et  Sélène  ordonna  qu'on  lui  arra- 
chât les  dents.  On  lui  en  tira  dix-sept  :  après  quoi  le  juge  ordonna  de  ces- 
ser. Mais  la  Sainte  perdit  tant  de  sang  par  celte  cruelle  opération,  qu'elle 
tomba  en  défaillance.  On  l'étancha  pourtant  et  on  la  fit  revenir,  mais  ce  ne 
fut  que  pour  lui  faire  souffrir  d'autres  supplices. 

Sélônc  l'interrogea  de  nouveau  et  lui  dit  :  «  Vous  rendrez-vous  enfin  à 
ce  que  je  veux,  et  reconnaîtrez-vous  les  dieux  ?»  —  «  Soyez  analhème, 
cruel  et  exécrable  vieillard  »,  lui  répondit  la  Sainte,  «  qui  voulez  m'arrêter 
dans  ma  voie  et  m'empêcher  d'aller  à  mon  céleste  Epoux.  Hâtez-vous  de 
me  délivrer  de  ce  corps  de  boue,  parce  que  celui  qui  m'aime  m'attend  dans 
le  ciel  ».  —  a  Je  vois  bien  »,  dit  Sélène,  «  que  votre  jeunesse  vous  rend 
encore  plus  insolente;  mais  vous  périrez  bientôt  par  le  fer  et  le  feu  ».  La 
vierge  ne  put  rien  répondre,  tant  étaient  vives  ses  souffrances.  Alors,  trans- 
porté de  colère,  le  juge  ordonna  qu'on  lui  coupât  les  seins.  Le  barbare  exé- 
cuteur, s'armant  d'un  fer  tranchant,  abattit  la  mamelle  droite  de  la  mar- 
tyre. La  Sainte  jeta  un  grand  cri,  et,  les  yeux  élevés  vers  le  ciel,  elle  s'écria  : 
«  Mon  Seigneur  et  mon  Dieu,  voyez  mes  soufirances,  et  recevez  mon  âme 
entre  vos  mains  ».  Ce  furent  ses  dernières  paroles. 

Lorsque  les  deux  mamelles  eurent  été  coupées,  Sélène  ordonna  d'ap- 
pliquer le  feu  sur  les  blessures,  et  la  douleur  se  fit  sentir  jusque  dans  la 
poitrine  de  la  vierge  chrétienne.  A  ce  spectacle  la  foule  fut  saisie  d'indi- 
gnation, et,  ne  pouvant  plus  supporter  la  vue  de  ces  affreuses  tortures,  un 
grand  nombre  de  spectateurs  s'éloignèrent  en  s'écriant  :  «  Maudit  soit  Dio- 
clélienet  ses  dieux  I  »  Cependant  Thomaïde  et  Hiérie  demeurèrent  cons- 
tamment sur  le  lieu  malgré  la  douleur  dont  elles  étaient  accablées,  et  en- 
voyèrent dire  à  Brienne  par  une  jeune  fille,  de  ne  pas  cesser  de  lever  les 
mains  au  ciel  pour  Fébronie  qu'on  tourmentait  excessivement.  Ce  que  cette 
supérieure  ayant  entendu,  elle  s'écria  :  «  Mon  Seigneur  Jésus-Christ,  venez 
au  secours  de  votre  servante  Fébronie.  Ah  !  Fébronie,  oti  êtes-vous  ?  Mon 
Dieu,  ayez  pitié  de  votre  servante  Fébronie.  Failes-lui  la  grâce  de  termi- 
ner glorieusement  son  combat,  et  que  j'aie  la  consolation  de  la  compter  au 
nombre  des  saints  martyrs  ». 

Cependant  Sélène  ordonna  qu'on  la  détachât  du  poteau  où  on  l'avait 


SMNTE   FÈBRO.NiE,    VIICRGE   ET  MARTYRE   EN   SYRIE.  335 

liée;  mais  à  peine  fut-elle  déliée,  qu'elle  tomba  par  terre;  car  son  corps, 
adaibli  par  les  tortures,  ne  pouvait  plus  se  tenir  debout.  Le  comte  Primus 
dit  alors  à  Lysimaque  :  «  Elle  est  morte  ».  —  «  N'en  croyez  rien  »,  répondit 
celui-ci;  «  elle  combattra  encore  pour  le  salut  de  plusieurs,  et  peut-être 
pour  le  mien.  J'ai  entendu  faire  ;\  ma  mère  des  relations  semblables  de 
plusieurs  chrétiens  qui  ont  souffert  comme  elle.  Il  n'a  pas  été  en  mon  pou- 
voir de  la  délivrer  :  laissons-la  combattre  jusqu'au  bout  ;  plusieurs  en  pro- 
fiteront pour  le  salut  de  leur  âme  ».  Mais  Hiérie  ne  pouvant  plus  souffrir 
qu'on  tourmentât  si  cruellement  la  Sainte,  s'écria  dans  le  transport  de  son 
zélé  et  de  son  indignation:  «0  barbare!  ô  monstre  d'inhumanité  !  tous 
les  maux  que  tu  as  fait  souffrir  à  cette  vierge  infortunée  ne  te  suffisent  donc 
pas?  Tu  as  donc  oublié  ta  propre  mère,  dont  le  corps  fut  semblable  au 
sien?  Tu  ne  te  rappelle  donc  pas  que,  né  sous  de  funestes  auspices,  tu 
reçus  de  ses  mamelles  ta  première  nourriture,  et  que  ce  fut  là,  dans  la  car- 
rière de  la  vie,  le  premier  pas  qui  te  conduisit  îi  cette  situation  élevée  dont 
tu  abuses  aujourd'hui  pour  le  malheur  des  autres?  Je  m'étonne  qu'aucun 
de  ces  souvenirs  n'ait  pu  adoucir  ton  cœur  féroce.  Ah  !  que  le  Roi  des 
cieux  ne  t'épargne  pas  plus  que  tu  n'as  épargné  cette  tendre  victime  !  »  A. 
ces  paroles,  à  ces  imprécations,  le  tyran,  tout  bouillant  de  colère,  ordonna 
de  traîner  Hiérie  à  son  tribunal.  Hiérie  le  prévint;  la  sérénité  sur  le  front, 
l'allégresse  dans  le  cœur,  elle  s'avança  en  disant  :  «  Dieu  de  Fébronie, 
quoique  je  ne  sois  qu'une  pauvre  païenne,  agréez  mon  sacrifice  avec  celui 
de  ma  maîtresse  ». 

Le  tyran  allait  l'interroger,  mais  ses  amis  qui  étaient  auprès  de  lui  l'en 
empêchèrent,  en  lui  disant  que  s'il  en  venait  là,  tout  le  peuple  se  déclare- 
rait chrétien  avec  elle,  et  qu'il  serait  forcé  de  faire  périr  toute  la  ville.  Cet 
avis  le  retint,  mais  frémissant  de  rage,  il  lui  dit  d'un  ton  de  fureur  :  «  Hié- 
rie, je  prie  les  dieux  qu'ils  se  vengent  contre  vous.  Ce  que  vous  avez  dit  en 
faveur  de  Fébronie  ne  servira  qu'à  lui  procurer  de  nouveaux  tourments  »  ; 
et  il  ordonna  tout  de  suite  qu'on  coupât  à  la  Sainte  les  deux  mains  et  le 
pied  droit.  Les  licteurs  placèrent  un  billot  sous  la  main  droite,  et  un  coup 
de  hache  la  sépara  du  bras  ;  la  gauche  fut  coupée  de  la  même  manière. 
Ensuite  le  bourreau  mit  sur  le  billot  le  pied  droit  de  la  jeune  vierge,  saisit 
sa  hache,  et,  ramassant  toutes  ses  forces,  déchargea  un  coup  terrible,  mais 
qui  ne  servit  de  rien  ;  il  frappa  un  second  coup,  mais  aussi  inutilement. 
Cependant  la  foule  poussait  des  cris  toujours  plus  furieux.  Le  licteur,  frap- 
pant enfin  un  troisième  coup,  réussit  à  exécuter  l'ordre  du  tyran.  Fébronie 
éprouva  dans  tout  son  corps  des  convulsions  violentes  ;  néanmoins,  sur  le 
point  d'expirer,  elle  s'efforçait  encore  de  mettre  le  pied  gauche  sur  le  billot, 
demandant  par  ce  signe  qu'on  le  lui  coupât  comme  l'autre.  A  ce  spectacle 
le  juge  cruel  s'écria  :  «  Voyez  l'opiniâtreté  de  cette  impudente!  »  Et  il 
s'écria  en  fureur  :  «  Coupez  aussi  ce  pied-là,  et  faites-le  disparaître  ». 

Alors  Lysimaque  se  levant  dit  à  Sélène  :  «  Que  voulez-vous  faire  de  plus 
à  cette  infortunée?  Allons-nous  en;  il  est  temps  de  dîner  ».  —  «  Non  », 
dit  Sélène,  «  je  veux  que  les  dieux  me  punissent  si  je  sors  d'ici  avant  qu'elle 
ait  expiré».  Et  voyant  qu'elle  palpitait  encore,  il  dit  aux  bourreaux: 
«Quoi!  elle  n'est  pas  encore  morte  !  et  où  est  votre  force?  Qu'on  lui 
tranche  la  tête  ».  Alors  un  soldat  tire  son  épée,  enlace  sa  main  gauche 
dans  la  chevelure  de  Fébronie;  puis  après  avoir  marqué  l'endroit  où  il 
devait  frapper,  il  lui  porte  le  coup  mortel.  La  tête  de  la  victime  tomba 
somme  celle  de  l'agneau  que  l'on  égorge  au  pied  de  l'autel. 

Aussitôt  les  juges  se  levèrent  pour  aller  dîner;  mais  Lysimaque  ne  put 


336  25  JUEi. 

s'empêcher  de  répandre  des  larmes.  Le  peuple  se  précipita  pour  enlever  le 
corps  de  la  Sainte,  mais  Lysimaque  l'en  empêcha,  et  laissa  des  soldats  pour 
le  garder.  Lui-même  était  en  proie  à  une  telle  émotion  et  à  une  douleur  si 
profonde,  qu'il  ne  voulut  ni  boire  ni  manger;  il  se  renferma  dans  sa 
chambre,  et  là  il  pleurait  la  mort  cruelle  de  Fébronie.  Sélène,  apprenant 
cette  affliction,  ne  voulut  pas  manger  non  plus.  Il  quitta  la  table  pour  aller 
se  promener  dans  la  cour  du  prétoire.  Tout  à  coup  il  tomba  dans  une  noire 
mélancolie,  et  marchant  à  grands  pas  de  côté  et  d'autre,  il  levait  par  mo- 
ments les  yeux  au  ciel,  lorsque  saisi  soudain  par  un  délire  furieux,  il  se 
mit  à  rugir  comme  un  lion,  à  mugir  comme  un  taureau  blessé;  enfin,  dans 
an  accès  de  rage,  il  se  frappa  la  tête  contre  une  colonne  et  tomba  sans 
mouvement  et  sans  vie. 

Les  gens  de  la  maison  se  hâtèrent  d'accourir  en  poussant  de  grands  cris. 
Lysimaque  étant  survenu  et  ayant  appris  ce  qui  s'était  passé,  dit  en  bran- 
lant la  tête  :  «  Il  est  grand,  le  Dieu  des  chrétiens  !  Béni  soit  le  Dieu  de  Fé- 
bronie !  il  a  vengé  l'effusion  du  sang  innocent  ».  Il  ordonna  qu'on  enlevât 
le  cadavre,  après  quoi  il  parla  ainsi  au  comte  Primus  :  «  Je  vous  conjure 
par  le  Dieu  des  chrétiens  d'exécuter  ce  que  je  vais  vous  dire.  Commandez 
au  plus  tôt  un  cercueil  do  bois  incorruptible  pour  Fébronie,  et  ordonnez 
aux  crieurs  publics  d'aller  par  toute  la  ville  et  d'avertir  le  peuple,  que  tous 
ceux  qui  voudront  assister  à  son  convoi  funèbre  peuvent  le  faire  en  toute 
sûreté,  puisque  mon  oncle  n'est  plus.  Mes  sentiments  vous  sont  connus. 
Prenez  avec  vous  des  soldats,  faites  porter  le  corps  au  monastère  pour  être 
rendu  à  Brienne;  ne  permettez  à  personne  d'en  enlever  aucun  membre; 
faites-le  rendre  tout  entier,  et  même  faites  racler  la  terre  qui  a  été  em- 
pourprée de  son  sang,  et  transportez -la  avec  le  corps  au  monastère  ». 

Le  comte  Primus  exécuta  fidèlement  l'ordre  de  Lysimaque.  Il  fit  porter 
le  corps  de  la  Sainte  par  ses  soldats;  pour  lui,  il  prit  la  tête,  les  mains  et 
les  pieds,  les  dents  et  tout  ce  qui  avait  été  séparé  du  corps,  et  les  ayant  en- 
veloppés dans  son  manteau,  il  se  dirigea  vers  le  monastère.  Mais  tout  le 
peuple  se  rassembla  autour  de  lui;  chacun  voulait  enlever  quelque  membre, 
quelque  lambeau  de  chair.  Primus,  environné,  pressé,  assiégé  par  cette 
multitude,  courait  un  grand  péril.  Les  soldats,  qu'il  avait  avertis,  tirèrent 
alors  l'épée  du  fourreau,  et  parvinrent,  non  sans  peine,  à  le  dégager  et  à  le 
faire  entrer  dans  le  monastère,  où  il  fut  suivi  seulement  de  Thomaïde  et  de 
la  noble  Hiérie.  Des  sentinelles  furent  mises  aux  portes  pour  arrêter  le 

peuple. 

Quand  la  pieuse  Brienne  reçut  le  corps  saint  et  le  vit  ainsi  mutilé,  elle 
tomba  évanouie,  et  ayant  enfin  recouvré  ses  sens,  elle  fit  entendre  ces 
plaintes  déchirantes  :  a  Ah  !  Fébronie  !  ah  !  ma  fille  I  votre  mère  Brienne 
ne  vous  verra  donc  plus  ?  Qui  nous  lira  désormais  les  saintes  Ecritures,  et 
quelles  mains  oseront  se  servir  de  vos  livres  ?  »  Les  autres  religieuses,  qui 
s'étaient  retirées  par  la  crainte  du  tyran,  arrivèrent  en  ce  moment,  et  se 
prosternèrent  devant  le  saint  corps  pour  lui  rendre  leur  respect;  mais  Hié- 
rie, ne  pouvant  contenir  la  douleur  qu'elle  ressentait  d'avoir  perdu  en  Fébro- 
nie sa  catéchiste  et  sa  maîtresse,  s'écriait  en  pleurant  :  «  Laissez-moi  em- 
brasser ces  pieds  qui  ont  écrasé  la  tête  du  serpent;  laissez-moi  baiser  les 
plaies  qui  serviront  au  salut  de  mon  âme;  laissez-moi  orner  sa  tête  d'une 
couronne  de  louanges,  puisqu'elle  a  été  la  gloire  de  notre  sexe  par  la  vic- 
toire qu'elle  a  remportée  dans  le  combat  ».  Les  autres  sœurs  n'applaudis- 
saient pas  moins  à  son  triomphe. 

Mais  l'heure  de  None  étant  venue,  qui  était  celle  de  l'oraison,  Brienne 


SAINTE  FÉBRONIE,   VIERGE   ET  MARTYRE   EN   SYRIE.  337 

dit  à  Fébronie,  comme  si  elle  eût  été  encore  en  vie  :  «  Venez,  vous  aussi, 
ma  fille  Fébronie,  venez  prier  avec  nous.  Hélas  !  où  êtes-vous,  ma  fille  Fé- 
bronie ?  levez-vous  et  venez  ».  Car,  interrompit  aussi  Thomaïde  de  son 
côté,  «  vous  avez  toujours  été  si  docile  à  la  voix  de  notre  Mère,  pourquoi 
ne  lui  obéiriez-vous  pas  encore  à  présent  ?  »  Si  le  miracle  que  Brienne  sou- 
haitait ne  se  fit  pas  alors,  il  en  arriva  un  à  peu  près  semblable  dans  la 
suite,  que  nous  rapporterons  plus  bas. 

Enfin,  sur  le  soir,  on  lava  le  saint  corps  et  on  le  couvrit  de  ses  habits; 
après  quoi  Brienne  voulut  qu'on  ouvrît  les  portes  afin  que  tout  le  monde 
pût  contenter  sa  pieuse  curiosité.  Le  concours  fut  des  plus  grands.  Les 
dames  de  la  ville  qui  venaient  les  vendredis  entendre  la  lecture  et  les  ins- 
tructions de  la  Sainte,  y  accoururent  avec  empressement.  Il  y  vint  aussi  des 
évoques  et  beaucoup  de  moines  ;  et  Lysimaque  avec  le  comte  Primus,  ayant 
renoncé  au  culte  des  idoles,  vinrent  se  joindre  à  la  foule  pour  rendre  aux 
reliques  de  la  Sainte  l'honneur  qui  leur  était  dû. 

Le  lendemain  on  apporta  le  cercueil  que  Primus  avait  ordonné  de  faire. 
Après  avoir  récité  des  prières  et  répandu  beaucoup  de  larmes,  on  y  déposa 
le  corps  de  la  Sainte,  en  arrangeant  chaque  membre  coupé  à  sa  place.  Quant 
aux  dents,  qu'on  ne  pouvait  point  remettre  dans  leurs  alvéoles,  on  les  mit 
sur  sa  poitrine.  Ensuite  la  foule  remplit  le  cercueil  d'encens,  de  parfums  el 
d'aromates,  en  sorte  que  le  saint  corps  en  était  tout  couvert.  On  voulut  le 
fermer;  mais  le  peuple  demandant  qu'on  le  laissât  ouvert,  il  fallut  que  les 
évoques  interposassent  leur  autorité  pour  lui  faire  entendre  qu'il  convenait 
de  le  déposer  dans  l'endroit  du  monastère  qu'on  lui  avait  préparé.  Ce  ne 
fut  pas  sans  répandre  beaucoup  de  larmes  qu'on  l'y  accompagna,  et  la 
gloire  qu'on  rendit  à  Dieu  dans  cette  occasion,  fut  le  plus  bel  éloge  qu'on 
pût  consacrer  en  l'honneur  de  Fébronie. 

Il  y  eut  quantité  de  païens  qui  demandèrent  le  saint  baptême.  Lysi- 
maque et  Primus  furent  des  premiers,  et  ils  renoncèrent  entièrement  aux 
espérances  du  siècle  pour  embrasser  la  vie  religieuse  dans  un  monastère 
où  ils  consommèrent  leur  vie  avec  une  grande  piété.  Plusieurs  soldats  aussi 
se  convertirent  à  la  foi.  Hiérie,  déjà  préparée  à  la  régénération,  eut  le  bon- 
heur d'être  baptisée  avec  toute  sa  famille;  ensuite  elle  vint  se  jeter  aux 
pieds  de  Brienne,  et  la  pria  de  la  recevoir  dans  sa  communauté  pour  occu- 
per la  place  de  Fébronie,  lui  promettant  de  la  servir  aussi  fidèlement  qu'elle 
l'avait  fait.  Elle  voulut  que  ses  bijoux  fussent  employés  pour  orner  le  cer- 
cueil de  la  sainte  martyre,  et  donna  son  bien  à  la  communauté. 

On  la  représente  avec  une  couronne  à  ses  pieds  pour  marquer  qu'elle  a 
su  mépriser  les  grandeurs  du  monde.  On  la  peint  aussi  ayant  à  côté  d'elle 
des  cisoires,  pour  rappeler  qu'elle  eut  les  pieds,  les  mains  et  les  mamelles 
coupés. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Dieu  glorifia  la  Sainte  après  sa  mort  par  nn  grand  nombre  de  miracles.  Ses  actes  nous  ap- 
prennent qu'elle  apparaissait  toutes  les  nuits  à  sa  place  dans  l'oraloire,  depuis  minuit  jusqu'à  la 
troisième  oraison,  lorsque  les  sœurs  y  étaient  assemblées  pour  chanter  l'oftice.  D'abord  elles  en 
eurent  peur,  et  Brienne,  la  voyant,  courut  à  elle  pour  l'embrasser  en  s'écriant  :  «  Voilà  ma  Clle 
Fébronie  »  ;  mais  elle  disparut  aussitôt.  Après  cette  première  apparition  leur  frayeur  cessa.  On 
n'osa  pourtant  pas  l'approcher;  mais  sa  présence  leur  inspirait  une  grande  ferveur  et  leur  faisait 
verser  des  larmes  de  joie. 

L'évèque  du  lieu  fit  bâtir  une  fort  belle  église  en  son  honneur,  qui  fut  achevée  en  six  années  ; 
et  voulant  y  déposer  ses  reliques,  il  assembla  pour  cela  les  évêques  des  enviions,  el  fit,  tant  pour 
la  dédicace  que  pour  la  translation,  tout  ce  qui  fut  en  son  pouvoir  pour  rendre  la  fête  plus  célèbre. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  22 


338  25  JTJIN. 

i,e  concours  fut  si  grand,  que  ni  l'église,  ni  le  monastère  ne  purent  suffire  à  la  foule,  et  de 
toutes  parts  retentissait  le  chant  des  psaumes  sacrés.  Les  évêques  demandèrent  le  corps;  mais  les 
religieuses  voulant  conserver  leur  précieux  trésor,  supplièrent  avec  lairaes  les  prélals  assemblés  de 
ne  pas  les  eu  priver.  Dieu  décida  la  pieuse  contestation  en  leur  faveur  ;  car  comme  on  voulut  le 
retirer,  on  entendit  un  bruit  semblable  à  un  coup  de  tonnerre;  el  comme  on  persista  à  vouJoir 
l'enlever,  la  terre  trembla  et  la  secousse  se  fit  sentir  dans  toute  la  ville.  Les  évèques  ne  pouvant 
plus  douter  à  ces  signes  que  la  Sainte  ne  voulût  que  son  corps  restât  dans  le  monastère,  se  désis- 
tèrent de  leur  dessein,  et  demandèrent  du  moins  à  Brienne  qu'elle  leur  donnât  quelqu'un  de 
ses  membres  coupés.  Elle  ouvrit  le  cercueil  dans  cette  intention,  et  il  sortit  une  clarté  qui 
l'ébloiiit  et  la  frappa  d'une  frayeur  respectueuse.  Elle  voulut  pourtant  en  retirer  une  main  ;  mais 
la  sienne  perdit  sa  force  et  retomba  sans  mouvement.  Alors  la  pieuse  Brienne  dit  en  pleurant  : 
«  Ma  aile  Fébronie,  je  vous  conjure  de  n'être  point  fâchée  contre  moi,  et  accordez-moi,  en  ré- 
compense des  soins  que  j'ai  pris  de  vous,  quelque  chose  en  faveur  des  évêques  ».  Sa  prière  fut 
exaucée  ;  sa  main,  en  touchant  les  saintes  reliques,  recouvra  son  mouvement,  et  elle  prit  une  des 
dents  arrachées  qu'on  avait  placées  sur  la  poitrine  et  la  remit  aux  évêques,  après  quoi  elle  referma 
le  cercueil.  Ils  reçurent  avec  grand  respect  ce  présent,  qu'ils  enfermèrent  dans  une  boile  d'or 
pour  la  placer  dans  la  nouvelle  église. 

Les  Actes  des  Martyrs,  par  les  UK.  PP.  Bénédictins  de  la  Congrégation  de  France;  Aeta  Sanctorum; 
Vies  des  Pères  de»  déserts  d'Orient,  par  le  R.  P.  Michel-Ange  Marin,  de  l'Ordre  des  Minimes. 


S.  ANTIDE,  ÉYÊQUE  DE  BESANÇON  ET  MARTYR 


V*  siècle. 


Nihil  aliud  est  pastorale  officium,  guam  pro  ovibu$ 
sibi  commissis  animam  ponere,  et  snnctitatis  ac  laur 
dahilis  conservaiionis  exemplum  ostendere. 

Le  devoir  d'un  pasteur  ne  consiste  que  dans  l'obli- 
gation oîi  il  est  d'exposer  sa  vie  pour  les  brebis 
qui  lui  sont  confiées,  et  de  donner  l'exemple  de  1» 
sainteté  et  d'une  admirable  vigilance. 

S.  Laur.  Just.  De  Regim.  pralit.,  c.  4. 

Antîde  était  issu  d'une  de  ces  familles  séquanaises  qui  avaient  laissé  à  la 
civilisation  romaine  ce  qu'elle  donnait  de  corruption  et  de  mollesse,  pour 
embrasser  le  christianisme  avec  les  vertus  nobles  et  austères  qu'il  inspire. 
Eclairés  des  pures  lumières  de  la  foi,  ses  parents  firent  naître  de  bonna 
heure  dans  son  âme  l'amour  de  la  vertu  et  le  goût  du  travail.  Dès  sa  jeu- 
nesse, il  se  faisait  remarquer  parmi  les  compagnons  de  son  âge  par  un  air 
de  candeur  et  de  piété,  et,  dans  les  jours  où  saint  Fronime  instruisait  et 
bénissait  la  jeunesse  chrétienne  de  la  cité,  Antide  profita  particulièrement 
de  ses  instructions  et  de  ses  avis.  Dédaignant  les  honneurs  et  les  richesses  du 
monde,  il  alla  de  bonne  heure  se  mêler  aux  clercs  que  le  saint  pontife  avait 
réunis  autour  de  la  cathédrale  de  Saint-Etienne.  Là,  pieux  et  savant  entre 
tous,  il  vaquait  à  l'oraison  et  à  l'étude,  n'ayant  d'autre  délassement  que  le 
service  des  autels  et  la  participation  aux  pompeuses  cérémonies  qui  com- 
mençaient à  embellir  le  culte  de  notre  sainte  religion. 

La  grâce  que  Dieu  avait  déposée  dans  le  cœur  d'Antide  ne  cessait  d'y 
produire  des  fruits  admirables.  Pénitent  sans  avoir  été  pécheur,  il  macérait 
son  corps  avec  une  grande  austérité,  visitait  souvent  les  pauvres,  et  leur 
donnait  en  môme  temps  le  pain  qui  nourrit  le  corps  et  la  douce  parole  qui 
porte  la  consolation  dans  l'âme.  Semblant  pressentir  sa  destinée,  il  n'aspi- 
rait qu'aux  biens  incorruptibles  du  ciel.  Aussi,  à  la  mort  de  saint  Fronime, 


SAINT  ANTIDE,    ÉVÊQUE   DE  BESANÇON  ET  MARirR.  339 

tous  les  suffrages  du  clergé  et  du  peuple  se  portèrent  sur  Antide,  qui  ne 
put,  malgré  ses  eirorts,  résister  au  vœu  général,  et  qui  dut  unir  l'obéissance 
à  l'humilité.  Comprenant  alors  tout  le  poids  du  fardeau  qu'il  venait  d'ac- 
cepter, il  ne  vécut  désormais  que  pour  son  peuple. 

Uempli  d'amour  pour  la  vérité,  il  cherchait  à  la  répandre  partout,  unis- 
sant à  la  force  de  sa  parole  l'entraînement  toujours  efticace  de  l'exemple. 
D'une  humilité  profonde,  d'une  patience  et  d'une  modestie  admirabres, 
d'une  pureté  angélique,  il  montrait  partout  sa  foi  et  son  amour  pour  la 
religion,  remplissait  avec  une  sainte  joie  tous  les  devoirs  que  lui  imposait 
sa  charge  de  premier  pasteur,  et  savait  garder,  au  milieu  des  temps  diffi- 
ciles où  il  vivait,  la  paix  et  la  sérénité  les  plus  profondes.  Enfin,  malgré 'ses 
travaux,  il  se  regardait  encore  comme  un  serviteur  inutile,  et,  mettant  toutes 
ses  espérances  eu  Dieu,  il  répétait  souvent  ces  parole!>  de  l'Ecriture  :  Nisi 
Vominus  cusiodierit  civùalem,  frustra  vigilat  qui  cusiodit  eam  ;  «  si  Dieu  ne 
garde  la  cité,  c'est  en  vain  qu'on  veillera  autour  d'elle  ».  Son  peuple  le 
vénérait  comme  un  saint  ;  les  pauvres  surtout  l'aimaient  comme  un  père, 
et  toutes  les  chroniques  s'accordent  à  dire  combien  étaient  grands  son  déta- 
chement  des  choses  d'ici-bas  et  sa  confiance  en  la  Providence. 

Une  tradition  constante,  que  n'ont  point  fait  disparaître  les  révolutions, 
accorde  à  saint  Antide  le  don  des  miracles  tandis  qu'il  était  encore  au  milieu 
des  siens.  Traversant  un  jour  la  ville  de  Besançon,  il  rencontra  un  prêtre 
qui  portait  le  saint  Viatique  à  un  malade,  s'approcha  de  lui  et  l'invita  à 
retourner  à  l'église,  parce  que  le  vase  sacré  qu'il  tenait  en  ses  mains  ne 
renfermait  aucune  hostie.  Le  prêtre,  étonné,  ouvrit  le  ciboire,  reconnut  la 
vérité  du  fait,  et,  rempli  d'admiration,  demanda,  ainsi  que  les  assistants,  la 
bénédiction  de  celui  qui  dès  lors  fut  regardé  comme  un  saint.  Peu  de  temps 
après,  dans  une  circonstance  semblable,  l'évoque  dit  à  un  autre  prêtre  qui 
portait  une  hostie  non  consacrée  :  «  Retirez-vous,  car  Dieu  n'est  point  dans 
le  vase  précieux  que  vous  tenez  entre  les  mains  ».  Frappé  et  interdit,  le 
prêtre  baissa  la  tête,  avoua  son  crime  et  s'en  retourna  sans  doute  pour  le 
pleurer  dans  les  exercices  de  la  pénitence.  Ce  double  miracle,  opéré  par 
notre  saint  pontife,  devait  avoir  pour  effet  de  préserver  sa  province  de 
l'hérésie  d'Arius,  qui  troublait  alors  l'Orient  tout  entier.  Arius,  niant  la 
divinité  de  Jésus-Christ,  attaquait  assez  ouvertement  par  là  le  dogme  de 
l'Eucharistie,  tandis  que  les  merveilles  opérées  à  l'occasion  de  ce  divin 
Sacrement  prouvaient  la  divinité  de  Celui  qui  a  bien  voulu  s'y  incarner. 

Toutes  les  traditions  s'accordent  à  donner  à  notre  Saint  un  grand  pou- 
voir sur  les  mauvais  esprits.  De  là  les  légendes  qui  le  représentent  domptant 
le  démon  et  l'obligeant  aie  transporter  jusque  dans  la  capitale  du  monde 
chrétien.  Contentons-nous  de  voir  dans  ce  récit  merveilleux,  conservé  par 
quelques  auteurs,  le  souvenir  embelli  d'un  voyage  que  notre  Saint  aurait 
fait  à  Rome  pour  resserrer  ainsi  les  liens  qui  n'ont  jamais  cessé  d'exister 
entre  l'Eglise  de  Besançon  et  la  mère  de  toutes  les  Eglises.  Dans  cette  entre- 
vue, saint  Antide  puisa  un  nouveau  courage  et  reprit  de  nouvelles  forces. 
Les  temps  étaient  malheureux,  et  l'orage  qui  avait  éclaté  sur  la  province  au 
milieu  du  iv^  siècle  n'était  que  le  prélude  du  bouleversement  universel  qui, 
au  commencement  de  l'âge  suivant,  devait  anéantir  dans  une  ruine  com- 
mune, et  les  nobles  restes  des  Séquanais,  et  les  derniers  débris  de  la  civili- 
sation romaine.  Depuis  quelque  temps,  les  peuples  du  nord  attiraient  sur 
eux  les  regards  du  monde  tout  entier.  Les  uns  attaquaient  l'empire  avec 
fureur,  les  autres  le  défendaient  avec  fidélité.  Malgré  la  valeur  des  Francs 
préposés  à  la  garde  du  Rhin,  les  Barbares,  qui  stationnaient  sur  les  limites 


340  25  nnN. 

de  la  Germanie,  passèrent  le  fleuve  et  se  répandirent  dans  l'Europe  occi- 
dentale. Des  bandes  furieuses  sillonnèrent  successivement  le  nord,  le  centre 
el  le  midi  de  la  Gaule  K  Leurs  ravages  furent  horribles.  «  Si  l'Océan  »,  dit 
un  poëte,  «  eût  inondé  les  campagnes  de  la  Gaule,  ses  eaux  eussent  porté 
moins  de  désolation.  Ni  les  hautes  montagnes,  ni  les  fleuves,  ni  les  rochers 
inaccessibles,  ne  peuvent  défendre  les  villes  et  les  châteaux.  Le  pillage  impie 
et  la  profanation  sont  dans  le  temple  de  Dieu  ;  on  voit  luire  la  flamme  qui 
le  dévore.  La  mort,  partout  la  mort  *  » .  Luxeuil,  Port-Abucin  et  d'autres 
villes  subirent  les  horreurs  de  la  dévastation  ;  une  partie  des  habitants  périt 
sous  le  fer,  une  autre  fut  réduite  en  esclavage  ;  Besançon  seul  résista  au 
torrent.  Pendant  le  siège  de  cette  ville,  tandis  que  la  faim  pressait  déjà  les 
habitants,  saint  Antide,  ayant  rencontré  au  milieu  de  la  place  quatre  mulets 
chargés  de  froment,  les  fit  arrêter,  adressa  une  fervente  prière  à  Dieu,  et 
bénit  le  blé,  qui  se  multiplia  tellement  que  tout  le  peuple  put  en  prendre  sa 
part.  Cependant,  l'orage  passa,  les  ennemis  s'éloignèrent,  et  l'espérance 
commença  à  renaître.  Mais  cette  tranquillité  devait  être  de  peu  de  durée  : 
Dieu  nous  réservait  encore  d'autres  malheurs. 

Les  Vandales,  Goths  d'origine,  avaient  passé  le  Rhin  avec  les  autres  Bar- 
bares. Quoique  inférieurs  en  puissance  et  en  courage  à  tous  les  autres  peu- 
ples du  nord,  ils  se  rendirent  cependant  maîtres  des  plus  belles  provinces 
de  l'empire,  comme  si  la  Providence  eût  voulu  convaincre  le  monde  que 
leurs  conquêtes  n'étaient  dues  qu'au  Dieu  des  armées,  qui  se  servait  d'un 
ennemi  si  faible,  si  méprisable,  pour  châtier  les  Romains  '. 

A  la  tête  d'une  de  ces  hordes  barbares  se  trouvait  Crocus,  plus  barbare 
encore  que  les  soldats  qu'il  menait  au  pillage  *.  Il  ne  laissait  sur  son  passage 
que  l'incendie  et  des  ruines.  Sa  mère  lui  avait  conseillé,  comme  moyen 
infaillible  pour  parvenir  à  la  gloire,  de  combattre  ardemment  la  religion  de 
Jésus-Christ,  de  renverser  les  églises  et  de  persécuter  les  fidèles.  Ajoutant 
aux  exemples  domestiques  sa  propre  impiété,  il  suivit  exactement  les  con- 
seils de  la  haine  maternelle.  L'arianisme,  qu'il  avait  embrassé,  lui  inspirait 
encore  une  nouvelle  fureur  '.  Ayant  pris  part  au  sac  de  Mayence,  il  se  sépara 
des  autres  peuplades,  parcourut  l'Austrasie,  s'empara  de  Metz  et  arriva  à 
Reims,  où  il  fit  mourir  saint  Nicaise,  évoque  de  cette  ville.  Bientôt  il  s'avança 
jusqu'aux  portes  de  Langres.  La  rage  de  ses  troupes  augmenta  encore  à 
l'aspect  des  préparatifs  que  la  ville  avait  faits  pour  se  défendre.  Au  sommet 
des  remparts  se  trouvait  l'évêque  saint  Désiré,  qui  encourageait  les  combat- 
tants ;  mais  ni  ses  prières,  ni  la  valeur  des  habitants  de  Langres,  ne  purent 
sauver  la  cité  :  elle  fut  emportée  d'assaut,  et  le  saint  pontife  tomba  sous  la 
hache  du  bourreau,  près  des  murailles.  Un  des  prêtres  qui  l'accompa- 
gnaient, nommé  Vincent,  reçut  aussi  la  couronne  du  martyre.  Leurs  corps 
lurent  inhumés  dans  une  basilique  qui  était  située  près  des  murs.  Les  Van- 
dales continuèrent  leur  route,  et,  étant  arrivés  à  Port-Abucin,  ils  atteigni- 
rent saint  Valère,  archidiacre  de  Langres,  qui  fuyait  vers  le  Jura,  et  le 
mirent  à  mort. 

Le  torrent  dévastateur  approchait  de  Besançon,  et  saint  Antide,  dans  ses 

1.  Grégoire  de  Tours,  JBist.  de  France,  1.  ii,  ch.  9  ;  Oroi.,  eh.  40. 

2.  Anomjm.  Apud  Prosperum,  carmen  de  Provid. 

3.  Salvien,  1.  vu.  Salvien,  prêtre  de  Marseille,  se  retira  k  l'abbaye  de  Lérlns  l'an  420.  l\  peignit  avec 
tant  de  force  les  malbenrs  dn  temps,  qu'on  l'appelait  le  nouveau  Jére'mie. 

4.  Dom  Ferron,  couronné  par  l'académie  de  Besançon  en  1779,  a  montré,  par  l'autorité  d'Idace  et  d'ua 
grand  nombre  d'autres  annalistes,  qu'il  faut  fixer  Tépoqua  (U  l'iuvasion  de  Crocus  au  commencement  du 
v«  siècle.  (Docum.  inéd.J 

5.  Les  Vandales  étaient  ariens.  (Idace,  17.) 


SAINT  ANTIDE,   É7ÊQUE  DE   BESANÇON   ET   MARTYR.  341 

communications  intimes  avec  le  ciel,  pressentait  les  nouveaux  malheurs  qui 
allaient  tondre  sur  son  troupeau.  Tout  en  plaçant  sa  contiance  en  Dieu,  il 
ne  négligeait  aucun  des  moyens  que  conseillait  la  prudence  humaine.  La 
chronique  nous  peint  ce  saint  pontife,  semblable  à  un  chef  intrépide,  se 
portant  partout  où  quelques  travaux  de  défense  étaient  nécessaires,  impo- 
sant par  son  autorité  à  ceux  mêmes  qui  avaient  vieilli  sous  les  armes,  et 
demandant  ensuite  à  son  clergé,  avec  une  sainte  résignation,  s'il  ne  valait 
pas  mieux  souffrir  la  mort  pour  l'amour  de  Dieu  que  de  verser,  en  combat- 
tant, le  sang  des  Barbares.  Déjà  mille  bruits  alarmants  circulent  dans  la 
ville  ;  ils  étaient  répandus  par  quelques  soldats  qui  fuyaient  devant  l'armée 
ennemie,  et  par  des  laboureurs  qui  arrivaient  dans  la  grande  ville  de  la 
Séquanie,  espérant  y  trouver  des  secours  que  ne  pouvaient  plus  donner  leurs 
moissons  consumées  par  l'incendie.  Alors  saint  Anlide  dispose  son  peuple  à 
accepter  la  volonté  du  ciel  ;  il  l'exhorte  à  la  pénitence,  ranime  le  courage 
des  guerriers,  leur  distribue  le  pain  des  forts  et  les  assure  de  la  protection 
du  Dieu  des  armées. 

Crocus,  après  avoir  fait  suivre  à  ses  troupes  la  voie  romaine  qui  condui- 
sait de  Langres  à  Port-Abucin,  descendit  la  vallée  de  la  Saône  jusqu'à  Scey, 
oh  ses  éclaireurs  avaient  découvert  une  des  plus  belles  routes  de  la  Séqua- 
nie '.  Arrivé  dans  la  vallée  de  l'Ognon,  si  riante  et  si  fertile  encore  malgré 
la  ruine  récente  de  ses  villas,  il  se  dirige  du  côté  du  château  de  Ruffey,  situé 
sur  la  pointe  d'un  rocher,  près  de  la  rivière,  car  il  a  appris  qu'en  ce  lieu  se 
trouvent  réunies  les  populations  de  toute  la  vallée.  Mais  saint  Antide  l'avait 
devancé  ;  le  zèle  de  ce  bon  père  avait  été  plus  rapide  que  la  fureur  du  tyran. 
Après  avoir  pourvu  à  la  sûreté  des  fidèles  de  Besançon,  le  saint  pontife  avait 
tourné  ses  regards  vers  une  autre  partie  de  son  troupeau,  qu'il  voyait  exposée 
à  la  dent  d'un  loup  furieux.  N'écoutant  que  son  dévouement,  il  s'était  dérobé 
aux  larmes  et  aux  prières  des  habitants  de  la  ville  et  se  dirigeait  seul  et  à 
pied  vers  le  château  de  Ruffey  ^  Bien  différent  du  gardien  mercenaire  qui 
abandonne  ses  brebis  et  qui  fuit  à  l'aspect  du  danger,  il  venait,  semblable 
au  bon  Pasteur,  offrir  généreusement  sa  vie  pou.  son  troupeau.  Le  saint 
évoque  arrive  au  milieu  de  ses  enfants  éplorés,  qui  l'accueillent  avec  des 
cris  de  joie.  Hélas  !  ce  bonheur  devait  être  de  peu  de  durée.  Les  acclama- 
tions duraient  encore  au  château  de  Ruffey ,  lorsque  tout  à  coup  l'on 
entendit  les  hurlements  des  Barbares.  Alors  la  douleur  devint  générale.  A 
genoux  aux  pieds  de  leur  père,  les  habitants  éplorés  lèvent  les  mains  vers  le 
ciel  et  implorent  le  secours  de  Dieu.  Saint  Antide  prend  la  parole  au  milieu 
des  lamentations  des  femmes  et  des  enfants,  tantôt  il  cherche  à  faire  entrer 
l'espérance  dans  ces  cœurs  abattus,  tantôt  il  exhorte  son  troupeau  à  bien 
mourir.  L'auréole  du  martyre  semblait  déjà  briller  sur  son  front  ;  sa  voix 
avait  quelque  chose  des  accents  du  ciel.  Victime  volontaire,  il  s'était  déjà 
offert  à  Dieu,  en  demandant  qu'un  seul  mourût  pour  tous,  et  le  Seigneur, 
qui  aime  les  hosties  innocentes,  avait  accepté  son  sacrifice.  «  Mes  enfants  », 
disait  le  saint  évêque,  «  que  l'amour  de  la  vérité  soit  plus  fort  en  vous  que 
la  crainte  des  tourments  !  Rappelez-vous  que  la  peine  ne  dure  qu'un  instant 
et  que  la  récompense  est  éternelle.  Vous  m'avez  choisi  pour  votre  chef,  soyez 
aujourd'hui  mes  imitateurs,  et  que  personne  ne  recule  devant  le  péril... 
Suivez-moi  donc,  vous  qui  désirez  unir  votre  âme  à  celle  de  Jésus  ».  Saint 
Antide,  ayant  dit  ces  paroles,  marche  au-devant  des  Barbares.  Parvenu  aux 
premières  lignes  des  cohortes,  il  élève  les  mains  en  signe  de  supplication  et 

1.  Route  de  Besançon  ea  Lorraine.  (M.  Clerc,  123.) 

I.  Ce  château-fort  appartenait  ii  aaint  Antide  ;  il  lui  avait  été  donné  par  Théodose. 


342  25  JUIN. 

demande  grâce  pour  le  peuple  qui  le  suit.  Mais  les  cœurs  impies  et  cruels 
ne  se  laissent  point  impressionner  par  le  dévouement.  Un  des  soldats,  plus 
furieux  que  les  autres,  lève  la  rnain  sur  l'oint  du  Seigneur,  le  frappe  avec 
violence  en  lui  demandant  de  quel  droit  il  ose  parler  pour  demander  la  paix 
et  arrêter  des  troupes  toujours  en  marche  et  toujours  victorieuses.  Le  sup- 
plice avait  commencé  ;  le  saint  évoque  répondit  comme  tous  les  martyrs  : 
«  Je  suis  un  chrétien,  je  me  fais  gloire  de  porter  la  croix  de  Jésus-Christ, 
Dieu  vrai  et  puissant,  qui  dirige  tout  l'univers  par  sa  volonté  ».  Loin  d'être 
touchés  par  cette  réponse,  les  soldats  se  précipitent  sur  saint  Antide,  lui 
lient  les  mains  derrière  le  dos  et  le  conduisent  à  leur  chef. 

Crocus,  étonné  de  la  noblesse  qui  resplendissait  sur  le  visage  du  Saint, 
croit  qu'il  a  devant  lui  un  des  chefs  de  la  Séquanie,  et,  se  réjouissant  dans 
son  orgueil,  il  l'interroge  avec  hauteur  :  «  Quelle  est  ta  dignité  ?  Réponds, 
Je  te  l'ordonne  ».  Saint  Antide,  le  sourire  sur  les  lèvres,  élève  la  voix  et  dit  : 
«  Je  suis  chrétien,  voilà  le  titre  dont  je  m'honore  et  que  j'estime  au-dessus 
de  tous  les  autres,  car  rien  n'est  plus  noble  que  le  service  de  Dieu,  seul 
Maître  qui  offre  d'éternelles  récompenses  ».  Le  chef  des  Barbares,  admirant 
cette  réponse  noble  et  hardie,  remarquait  le  feu  divin  qui  brillait  dans  les 
regards  de  son  prisonnier.  Mais  où  le  démon  n'a-t-il  pas  ses  suppôts  ?  Quel- 
ques habitants  de  RufTey,  espérant  que  la  trahison  dont  ils  allaient  se  rendre 
coupables  les  rendrait  agréables  à  Crocus,  s'approchèrent  du  groupe  qui 
entourait  saint  Antide,  et  s'écrièrent  :  «  Cet  homme  est  le  pontife  de  la 
religion  des  chrétiens  ».  A  cette  parole,  Crocus  se  laisse  aller  à  sa  fureur 
naturelle  ;  il  ordonne  qu'on  dépouille  l'évêque  de  ses  vêtements ,  et  le 
menace  d'une  cruelle  flagellation  s'il  n'abandonne  à  l'instant  sa  religion.  Le 
saint  confesseur  garda  le  silence  ;  à  l'instant  plusieurs  bourreaux,  armés 
d'épaisses  lanières  de  cuir,  frappèrent  avec  brutalité  la  figure  et  les  épaules 
de  leur  victime,  qui,  tandis  que  son  sang  ruisselait  sur  tous  ses  membres, 
tandis  que  ses  plaies  s'élargissaient  et  mettaient  à  nu  tous  ses  os,  levait  les 
yeux  au  ciel,  priant  Dieu  d'accepter  ses  souffrances  et  de  protéger  son  peu- 
ple. A  la  vue  de  la  sérénité  qui  resplendissait  sur  le  visage  du  saint  Martyr, 
Crocus  redouble  de  fureur,  et  ordonne  au  bourreau  de  trancher  la  tête  au 
serviteur  de  Dieu.  A  genoux  sur  la  terre  arrosée  de  son  sang,  le  saint  pontife 
élève  encore  une  fois  la  voix  :  «  0  Dieu  Créateur  »,  dit-il,  «  ô  Christ  égal  au 
Père,  ô  Saint-Esprit,  visitez  les  plaies  de  mon  corps,  emmenez  avec  vous 
l'âme  que  vous  avez  créée,  afin  de  la  réunir  aux  esprits  célestes.  Seigneur, 
fortifiez  mon  peuple,  protégez  notre  ville,  soyez  toujours  son  Dieu  ».  Puis, 
se  tournant  vers  le  bourreau  :  «  Achève  »,  ajoute-t-il,  «  Dieu  me  soutient, 
la  mort  ne  peut  m'effrayer  ».  Le  soldat,  saisissant  son  glaive,  trancha  la  tête 
du  serviteur  de  Dieu,  et  les  hordes  sauvages  poussèrent  un  effroyable  cri. 
La  légende  ajoute  que  la  langue  du  Saint  murmura  encore  quelques  paroles 
après  son  martyre,  et  que  ce  prodige  effraya  tellement  les  Barbares,  que 
plusieurs,  dans  leur  fuite  précipitée,  se  percèrent  de  leurs  propres  armes. 

Crocus,  maudit  de  Dieu,  sentit  alors  en  son  cœur  une  joie  infernale. 
Ayant  rassemblé  ses  soldats,  il  pénétra  dans  le  château,  en  massacra  la  gar- 
nison et  enchaîna  les  habitants  pour  les  traîner  à  sa  suite,  car  il  voulait 
unir  leur  supplice  au  triomphe  prochain  qu'il  se  promettait  devant  Besan- 
çon. Cependant  Dieu  veillait  à  la  conservation  des  reliques  de  saint  Antide. 
De  pieux  chrétiens,  à  la  faveur  de  la  nuit,  pénétrèrent,  malgré  les  senti- 
nelles ennemies,  jusqu'au  lieu  du  supplice,  recueillirent  les  vénérables  restes 
de  saint  Anlide  et  les  ensevelirent  hors  des  murs  du  château,  arrosjrtit  de 
leurs  larmes  ce  coin  de  terre,  qui  devenait  si  précieux  à  la  Séquanie.  Un  peu 


SAINT  ANTIDE,    ÉVÊQUE  DE   BESANÇON   ET  MAETYR.  343 

d'espérance  se  môlait  à  leurs  larmes,  et  ils  priaient  celui  qu'ils  regardaient 
comme  un  saint  de  mettre  un  terme  h  tant  de  malheurs.  Ayant  rempli  leur 
devoir  filial,  ils  se  dirigèrent  vers  Besançon,  seul  asile  qui  restât  à  la  popu- 
lation séquanaise. 

A  l'approche  des  Vandales,  les  habitants  de  la  cité  s'étaient  disposés  à 
une  héroïque  défense.  Ils  se  racontaient  en  pleurant  la  mort  de  leur  saint 
pasteur,  et  se  disaient  que,  sans  doute,  il  veillait  sur  eux  du  haut  du  ciel. 
Ces  entretiens  ranimèrent  la  confiance  dans  leur  cœur.  Les  Barbares  don- 
nèrent plusieurs  assauts,  et  furent  repoussés  avec  perte.  Crocus,  qui  avait 
placé  son  camp  sur  le  mont  Délie  ',  voyant  tous  ses  efforts  inutiles,  leva  le 
siège,  pénétra  dans  la  Gaule  lyonnaise  et  porta  ses  ravages  dans  le  noble 
pays  des  Arvernes.  Après  avoir  détruit  les  vieux  temples  des  païens  aussi 
bien  que  les  autels  nouveaux  du  christianisme,  il  fit  mourir  saint  Priscet, 
évoque  des  Gevaudans.  Alors  la  main  de  Dieu  le  frappa.  Marins,  préfet  d'Ar- 
les, l'arrêta  dans  ses  triomphes.  L'ayant  surpris  dans  une  embuscade,  il  le 
fit  charger  de  chaînes,  le  donna  en  spectacle  aux  villes  qu'il  avait  ravagées, 
et  le  fit  mourir  au  milieu  des  tortures.  Ses  troupes  furent  dispersées  et 
anéanties  par  les  Gaulois,  et  les  bourreaux  de  saint  Antide  furent  punis 
jusque  dans  leurs  descendants.  Dieu  montra  par  cet  exemple  à  quels  châ- 
timents on  s'expose  en  persécutant  ceux  qu'il  a  choisis  pour  ministres  de 
son  culte. 

Saint  Antide  est  cité  dans  les  martyrologes  d'Usuard,  de  Ferrarius  et  de 
Canisius,  etc. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  lieu  où  saint  Antide  avait  été  inhumé  fut  bientôt  connu  et  vénéré  par  toutes  les  populations 
de  la  Séquanie.  Les  malades  et  les  afdigés  accouraient  sur  cette  terre  sainte,  et  s'en  retournaient 
guéris  et  consolés.  Dès  le  milieu  du  v»  siècle,  on  y  éleva  une  église,  que  l'on  croit  avoir  occupé 
l'emplacement  de  l'église  actuelle,  située  à  quelque  distance  du  cliâteau.  Ce  lieu,  devenu  célèbre 
par  les  pèlerinages,  retentissait  presque  continuellement  des  louanges  de  notre  Saint. 

Cependant  Besançon  ne  possédait  pas  encore  les  cendres  du  pontife  qui  l'avait  protégé  contre 
les  Barbares.  Au  xi»  siècle,  Hugues  1»',  archevêque  de  Besançon,  dont  le  génie  relevait  toutes  les 
ruines  et  conservait  précieusement  tous  les  souvenirs  glorieux  de  la  province,  ayant  ordonné  la 
reconstruction  de  l'église  Saint-Paul,  voulut  que,  au  jour  de  la  consécration  solennelle  de  ce  sanc- 
tuaire, on  y  apportât  les  reliques  de  saint  Antide.  Ce  fut  le  24  février  1044,  ou,  selon  d'autres,  le 
24  janvier  1042,  qu'eut  lieu  cette  translation.  Les  chrétiens,  accourus  de  toutes  parts,  se  joignirent 
aux  habitants  de  la  ville  pour  grossir  le  cortège  du  saint  Martyr.  Le  pontife,  à  la  tête  de  son 
clergé  et  accompagné  des  principaux  de  la  cité,  se  rendit  en  procession  jusqu'à  Ruffey.  Les  pré- 
cieuses reliques,  placées  sur  un  char  magnifiquement  décoré,  parcoururent,  au  milieu  des  populations 
attendries  et  prosternées,  ce  chemin  que  saint  Antide  avait  parcouru,  six  siècles  auparavant,  seul 
et  dans  des  jours  mauvais.  Telle  est  la  gloire  des  serviteurs  de  Dieu.  On  ne  connaît  plus  le  lieu  où 
le  persécuteur  de  notre  évèque  posa  son  pied,  tandis  qu'on  se  prosterne  sur  le  chemin  sanctifié 
par  la  présence  de  la  sainte  victime.  La  ville  de  Besançon  reçut  avec  autant  de  joie  que  de  magni- 
ficenre  ce  nouvel  hôte  qui  venait  la  bénir  du  fond  de  sa  tombe.  Les  précieux  restes  de  l'illustre 
Martyr  furent  déposés  près  du  maitre-autel,  du  côté  de  l'évangile,  dans  un  grand  sépulcre  de  pierre 
sur  lequel  on  avait  gravé  l'effigie  de  saint  Antide  avec  cette  inscription  : 

Corpus  beati  Antidii,  egregii  martyris,  fuit  a  Ruffeo  translatum  et  ibi  positum  ;  qui  pro 
nobi.i  or  et.  Amen. 

En  1147,  Raymond,  comte  de  Bourgogne,  allant  secourir  Alphonse  VIII,  roi  de  Castille  et  de 
Léon,  s'avança  contre  les  Maures  avec  les  nobles  de  la  province,  ayant  à  la  tête  de  ses  troupes 
une  image  miraculeuse  de  saint  Antide.  La  victoire  ayant  couronné  ses  efforts  et  sa  piété,  Alphonse 
fit  ériger  dans  le  monastère  de  Saint-Vincent,  près  de  Lisbonne,  une  chapelle  où  fut  placée  l'image 
protectrice,  et  aujourd'hui  encore  on  a  pour  elle  une  grande  vénération,  justifiée  d'ailleurs  par  une 
foule  de  miracles. 

Le  25  juin  de  l'an  1360,  Jean  de  Vienne,  archevêque  de  Besançon,  fit  enlever  les  saintes  rcli- 

1.  Appelé  depuis  mont  de*  Vandales,  anjourd'hui  mont  de  Bregllle. 


344  25  JUIN. 

ques  du  tombeau  où  elles  avaient  été  placées  et  les  mit  dans  une  châsse  d'argent,  après  en  avoir 
fité  toutefois  le  crâne  qui  fut  envoyé  à  Dijon,  un  des  os  du  bras  qui  fut  transféré  à  Flmnet,  dans 
le  Faucigny,  et  une  autre  parcelle  qui  fut  déposée  derrière  le  maître-autel  de  notre  métropole. 

Un  hôpital,  connu  sous  le  nom  d'hôpital  Saiut-Antide,  fut  fondé  à  Besançon.  Les  malades  et  les 
pauvres  y  affluaieut  tellement,  que,  en  1425,  Simon  de  Clerval,  abbé  de  Saint-Paul  et  de  Goaille, 
fit  faire  des  quêtes  dans  les  diocèses  de  Besançon  et  de  Langres,  afin  de  pourvoir  aux  besoins  de 
cette  maison  de  charité.  Cette  quête  se  faisait  avec  la  châsse  de  saint  Anlide.  Eu  1432,  l'abbé  de 
Saint-Paul  amodia  le  produit  de  cette  quête  pour  cent  livres  et  douze  bons  linges. 

Au  milieu  des  dangers  de  la  Révolution  française,  le  sacristain  de  Saint-Paul,  de  concert  avec 
M.  Gilley,  curé  de  cette  église,  enleva  secrètement  les  reliques  de  saint  Antide  et  les  cacha  dans 
un  cimetière.  Lorsque  le  calme  revint,  en  1803,  on  recueillit  pieusement  ces  précieux  restes  et  oa 
les  plaça  à  l'église  Saint-Maurice,  où  elles  furent  reconnues  solennellement,  en  1807,  par  M.  Durand, 
vicaire  général  du  diocèse  de  Besançon. 

Eu  1836,  à  la  sollicitation  de  Monsieur  le  curé  de  Ruffey  et  des  habitants  de  cette  paroisse, 
une  partie  des  saintes  reliques  fut  portée  avec  pompe  dans  ce  village,  où  elles  reposent  aujour- 
d'hui. Un  buste  antique  représentant  saint  Antide  avec  le  costume  d'évêque  fut  donné  par  la  paroisse 
de  Sainfc-Maurice  à  M.  Vauchot,  curé  de  Ruffey,  qui  le  fit  placer  dans  une  chapelle  élevée  par  ses 
soins,  dans  une  position  très-agréable,  sur  la  route  de  Marnay  à  Besançon.  En  cette  même  cir- 
constance, une  parcelle  de  l'avant-bras  fut  aussi  extraite  de  la  grande  châsse  pour  être  placée  dans 
le  reliquaire  avec  lequel  on  donne  la  bénédiction  aux  fidèles  pendant  la  fête  et  l'octave  de  saint 
Antide.  Toutes  les  autres  reliques  sont  renfermées  dans  un  coffret  de  bois  précieux,  entouré  de 
/elours  rouge  et  placé  dans  une  châsse  que  l'on  expose  chaque  année  à  la  vénération  des  fidèles. 

On  conserve  à  Palleau,  paroisse  d'Ecuelles  (diocèse  d'Anton),  des  reliques  de  saint  Antide. 
itenfermées  dans  une  châsse  de  cuivre  doré,  elles  ont  été  vérifiées,  en  1450,  par  Jean  Germain,  en 
1630,  par  Jacques  de  Neuchèze,  tous  deux  évêques  de  Châlons,  et  récemment  encore  par  Mes- 
sieurs les  vicaires  généraux  de  Monseigneur  l'évêque  d'Autun. 

La  fête  de  saint  Antide  se  célèbre  le  17  juin  dans  le  diocèse  de  Besançon,  et  le  25  du  même 
mois  à  Rome,  sans  doute  parce  que  c'est  en  ce  jour  que  les  précieuses  reliques  furent  extraites  du 
tombeau  et  placées  dans  un  reliquaire  d'argent. 

Voici  les  noms  des  paroisses  dont  les  églises  sont  sous  le  vocable  de  saint  Antide  :  Malbrans 
(canton  d'Ornans),  Passavant  (canton  de  Baume-les-Dames),  Naisey  (Roulans),  Chaux-ies-Passavant 
(Vercel),  Aubonne  et  Chaux-de-Gilley  (Montbenoit),  Filain  (Montbozonj,  Pontcey  (Scey-sur-Saùne). 
Il  y  a  aussi  des  reliques  de  saint  Antide  à  l'église  de  Guyans,  dans  la  chapelle  de  Notre- 
Dame  de  Consolation.  Le  reliquaire  dans  lequel  elles  sont  renfermées  contient  aussi  des  ossements 
de  saint  Prothade  et  de  saint  Germain.  Une  partie  notable  des  reliques  fut  apportée  dans  l'église 
du  prieuré  de  Paluelle,  du  diocèse  de  Chalon-sur-Saône,  et  y  a  été  pieusement  conservée  jus- 
qu'à ce  jour. 

Nous  avons  composé  cette  Ibiographie  a  l'aide  de  la  Vie  des  Saints  do  Franche-Comté,  par  les  profes- 
■euTs  du  collège  de  Saint-François-Xavier  de  Besançon. 


SAINT  PROSPER  D'AQUITAINE, 

DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE 
ET  SAINT  PROSPER,   ÉVÊQUE  DE  REGGIO 

V»  siècle. 


Dectrina  in  tribus  consistit  :  in  sugyillatione  vitiorum, 
in  plantatione  fidei,  in  xdificatione  morum. 

La  doctrine  consiste  en  trois  choses  :  a.  fie'trir  les 
vices,  à  implanter  la  foi,  à  édifier  les  mœurs. 
Hugo  card.,  sup.  Eccl. 

Ce  savant  homme  ne  nous  paraît  presque ,  dans  l'Histoire  ecclésiastique^ 
que  les  armes  à  la  main  contre  les  hérétiques.  Gennade  dit  qu'il  était  d'Aqui- 


SAINT  PROSPER   d'aQUITAINE,   DOCTEUR  DE  l'ÉGLISB.  345 

taine;  et,  en  effet,  on  l'appelle  ordinairement  saint  Prosper  d'Aquitaine, 
pour  le  distinguer  des  autres  de  môme  nom.  La  principale  connaissance  que 
nous  avons  de  l'histoire  de  notre  Saint,  se  tire  de  ses  propres  ouvrages.  Ils 
nous  sont  une  preuve  non  équivoque  qu'il  s'était  appliqué  à  l'étude  des 
belles-lettres,  et  qu'il  avait  reçu  une  éducation  toute  chrétienne,  qui  lui 
avait  inspiré  une  piété  aussi  solide  qu'éclairée.  La  connaissance  de  la  reli- 
■^n  qu'il  puisa  dans  les  Livres  saints,  alla  toujours  se  perfectionnant  en 
iui,  par  le  soin  qu'il  prit  de  lire  les  écrits  des  Pères  qui  l'avaient  précédé. 

Ayant  quitté  l'Aquitaine,  sa  patrie,  il  se  retira  en  Provence,  où  il  reçut 
les  livres  De  la  Cori'ection  et  De  la  Grâce,  de  saint  Augustin.  Quelques  prêtres 
de  ce  pays  commençaient  à  murmurer  contre  la  doctrine  de  saint  Augustin, 
qui  combattait  avec  beaucoup  de  vigueur  l'hérésie  des  Pélagiens. 

La  lecture  de  ce  livre  ne  les  fit  point  revenir  de  leurs  préjugés.  Un  pieux 
laïque,  nommé  Hilaire,  prit  le  parti  du  saint  docteur,  et  se  chargea  du  soin 
de  venger  la  foi  de  l'Eglise.  Comme  il  était  connu  de  saint  Augustin,  il  vou- 
lut procurer  le  même  avantage  à  saint  Prosper.  Il  l'engagea  donc  à  écrire 
à  ce  saint  évoque,  le  jugeant  très-capable  de  lui  expliquer  en  quoi  consis- 
tait l'erreur  de  ceux  qu'ils  avaient  à  combattre,  et  de  lui  proposer  les  diffi- 
cultés sur  lesquelles  il  était  nécessaire  qu'il  donnât  des  éclaircissements. 

Saint  Prosper  en  informa  donc  ce  saint  Docteur,  et  lui  écrivit  une  belle 
lettre  qui  nous  est  demeurée  :  il  lui  explique  toutes  les  plaintes  qu'ils  fai- 
saient contre  ses  dogmes,  et  lui  marque  les  moyens  dont  ils  se  servaient  pour 
établir  un  milieu  entre  ce  qu'il  enseignait,  sur  la  nécessité  de  la  grâce  pour 
les  bonnes  œuvres,  et  ce  que  Pelage  avait  enseigné  sur  la  force  et  la  suffi- 
sance de  la  nature  *. 

Saint  Augustin,  pour  réfuter  et  éclairer  ces  scmi-Péla^iens,  composa  les 
livres  De  la  prédestination  des  Saints  et  Du  Don  de  la  persévérance.  11  y  établit 
solidement  la  nécessité  oti  nous  sommes  de  la  grâce  de  Jésus-Christ,  non- 
seulement  pour  achever  le  bien,  mais  aussi  pour  le  commencer,  pour  le 
vouloir,  pour  le  désirer,  pour  y  penser  saintement,  et  pour  les  premières 
démarches  de  la  foi  et  de  la  conversion.  Cependant ,  ces  divins  livres,  bien 
loin  de  fermer  la  bouche  aux  semi-Pélagiens,  leur  donnèrent,  au  contraire, 
une  nouvelle  matière  de  se  plaindre  de  la  doctrine  du  môme  saint  Augustin  : 
ils  ne  pouvaient,  prétendaient-ils,  accorder  cette  doctrine  avec  les  autres 
vérités  catholiques  sur  la  volonté  que  Dieu  a  de  sauver  tous  les  hommes, 
sur  la  mort  de  Jésus-Christ  pour  tout  le  monde,  et  sur  la  malice  inexcusable 
des  pécheurs,  qui  ne  se  damnent  que  parce  qu'ils  se  veulent  damner. 

Les  semi-Pélagiens  n'osant  combattre  ouvertement  la  doctrine  contenue 
dans  les  deux  livres  de  saint  Augustin,  eurent  recours  à  la  calomnie  ;  ils 
accusèrent  le  saint  Docteur  et  ses  disciples  d'introduire  une  fatalité  et  d'ad- 
mettre deux  natures  dans  l'homme.  Rufin,  ami  de  saint  Prosper,  sachant 
qu'on  l'accusait  d'être  dans  de  mauvais  sentiments,  lui  en  écrivit  pour  s'as- 
surer de  la  vérité.  Saint  Prosper  reçut  sa  lettre  comme  un  gage  de  son 
amitié,  et  le  satisfit  pleinement  par  une  lettre  assez  longue,  où  il  lui  explique 
quels  étaient  les  bruits  que  les  ennemis  de  saint  Augustin  répandaient,  quel 
motif  ils  en  avaient,  dans  quelles  erreurs  ils  étaient  eux-mêmes,  et  quelle 
était  la  véritable  doctrine  de  saint  Augustin  sur  la  grâce  et  sur  le  libre 
arbitre. 

Saint  Prosper  ayant  reproché,  dans  la  même  lettre,  aux  calomniateurs 

1.  Ce»  prêtres  prétendaient  que  le  commencement  ou  le  désir  des  vertus  surnaturelles  était  le  fruit  do 
libre  artjitve,  sans  aucun  Mcouri  surnaturel,  c'est-à-dire  sans  la  grâce,  contradiction  et  hérésie,  nommée 
le  scmi-péiagianisme. 


346  25  JUIN. 

de  saint  Augustin  de  n'oser  découvrir  leurs  sentiments,  ils  le  firent  par 
divers  écrits,  où,  toutefois,  ils  s'appliquaient  moins  à  marquer  ce  qu'ils  pen- 
saient eux-mêmes  sur  les  matières  de  la  grâce,  qu'à  tirer  de  fausses  consé- 
quences de  la  doctrine  établie  par  saint  Augustin.  Mais  notre  Saint  les  réfuta 
avec  autant  de  force  que  de  modestie  dans  deux  épigrammes  ;  et,  afin  de 
relever  et  de  mieux  faire  connaître  des  vérités  si  importantes,  qu'on  s'effor- 
çait de  décrier  avec  tant  de  malignité,  il  composa  son  poëme  Contre  les  in- 
grats. Ce  poëme,  toutefois,  non  plus  que  les  deux  épigrammes,  ne  fut  potl. 
capable  d'arrêter  les  ennemis  de  la  grâce.  Car,  comme  le  remarque  le  car- 
dinal Baronius,  sur  ce  même  sujet,  les  hérétiques  peuvent  être  confondus, 
parce  qu'ils  sont  faibles  et  nullement  affermis  ;  mais  ils  ne  peuvent  se  rendre 
à  la  vérité,  parce  qu'ils  sont  opiniâtres. 

Quelques  prêtres  continuèrent  à  troubler  l'Eglise.  Ils  accusaient  saint 
Prosper  et  Hilaire  de  soutenir  des  faussetés,  et  décriaient  de  nouveau  la 
doctrine  de  saint  Augustin,  en  prétendant  qa'il  soutenait  que  Dieu  prédes- 
tine les  réprouvés  au  péché,  aussi  bien  qu'à  la  condamnation  où  ils  sont  en- 
gagés par  le  péché  originel.  Tout  cela  leur  fournit  matière  à  une  liste  de 
quinze  erreurs  prétendues,  qu'ils  répandirent  dans  le  public.  Saint  Prosper 
composa  un  écrit,  où,  répondant  à  chaque  article  de  cette  liste,  il  montre 
par  saint  Augustin  même,  quelle  est  sa  véritable  doctrine,  et  ce  qu'il  en 
faut  penser. 

Une  entreprise  si  digne  de  louanges  ne  servit  qu'à  irriter  davantage  les 
ennemis  de  saint  Augustin,  et  les  porta  à  tourner  leurs  armes  contre  son 
disciple  et  son  défenseur.  Des  personnes,  qui  avaient  oublié  ce  qu'elles  de- 
vaient à  la  charité  chrétienne  et  fraternelle,  et  qui  ne  prenaient  pas  garde 
qu'elles  ruinaient  leur  réputation  en  voulant  noircir  celles  des  autres,  dres- 
sèrent une  autre  liste  de  seize  propositions  insoutenables  qu'elles  jetèrent 
encore  dans  le  public,  comme  ne  contenant  que  les  véritables  sentiments  de 
saint  Prosper.  Ce  Saint  pouvait  les  couvrir  de  confusion,  en  disant  anathèmo 
aux  propositions  que  ces  gens  ne  répandaient  que  pour  lui  attirer  la  haine 
publique.  Mais,  de  peur  qu'ils  ne  chicanassent  sur  une  réponse  si  courte, 
quoique  si  décisive,  il  voulut  bien  y  répondre  avec  plus  d'étendue.  Il  fit  donc 
voir  sur  chaque  article  la  pureté  de  ses  sentiments,  afin  que  s'il  ne  pouvait 
fermer  la  bouche  à  ses  calomniateurs,  au  moins  ceux  qui  liraient  son  écrit, 
vissent  combien  leurs  calomnies  étaient  punissables. 

Les  mêmes  difficultés,  qui  servaient  de  prétexte  aux  prêtres  des  Gaules 
pour  troubler  l'Eglise,  causaient  aussi  quelque  embarras  à  ceux  de  Gênes. 
Mais  ceux-ci  firent  paraître  dans  leur  conduite  autant  de  sagesse  et  de  mo- 
dération, que  les  autres  avaient  montré  d'impudence  et  d'aigreur.  Deux 
d'entre  eux,  Camille  et  Théodore,  ayant  dressé  une  liste  de  leurs  difficultés, 
l'envoyèrent  à  saint  Prosper,  pour  savoir  ce  qu'il  en  jugeait,  et  comment  il 
les  fallait  entendre.  Le  Saint  les  satisfit  par  un  écrit  qu'il  leur  adressa,  et  où 
il  leur  explique  ce  que  lui  et  les  fidèles  les  plus  éclairés  qui  lui  étaient  unis, 
croyaient  sur  ce  sujet.  Il  accompagna  cette  réponse  de  traits  de  modestie 
qui  lui  donnent  un  grand  relief.  «  Je  fais  ce  que  vous  m'ordonnez  »,  dit-il 
aux  Génois,  «  non  que  je  présume  de  ma  science,  mais  pour  obéir  au  com- 
mandement que  vous  me  faites  ;  me  confiant  en  l'assistance  du  Seigneur, 
qui  donne  la  sagesse  aux  petits  ». 

Les  semi-Pélagiens,  continuant  à  accuser  d'erreur  saint  Prosper  et  Hilaire 
aussi  bien  que  saint  Augustin,  déclaraient  d'ailleurs  qu'ils  ne  voulaient 
suivre,  sur  les  matières  de  la  grâce,  que  ce  que  l'Eglise  romaine  en  avait 
décidé  par  la  bouche  de  ses  Pontifes.  Ce  nouveau  subterfuge  engagea  saint 


SAINT  PROSPER  D'AQUITAINE,   DOCTEUR  DE   L*ÉGL1SE.  347 

Prosper  et  Hilaire  à  aller  à  Rome  porter  leurs  plaintes  au  pape  saint  Céles- 
tin.  Ce  Pontife  approuva  le  zèle  qu'ils  avaient  pour  Dieu,  et  fut  touché  des 
persécutions  qu'on  leur  faisait  souffrir.  Dans  ces  dispositions,  il  écrivit  en  leur 
faveur  une  lettre  célèbre  aux  évoques  des  Gaules.  Il  leur  fait  des  reproches 
sur  leur  négligence  à  réparer  le  scandale  qu'avait  donné  les  ennemis  de  la 
grâce.  En  parlant  de  saint  Augustin,  il  dit  :  «  Cet  homme,  de  sainte  mé- 
moire, a  toujours  été  dans  notre  communion  pour  son  mérite  et  n'a  jamais 
été  flétri  du  moindre  bruit  d'aucun  mauvais  soupçon.  Sa  science  était  telle, 
que  mes  prédécesseurs  le  comptaient  entre  les  principaux  docteurs.  Il  était 
aimé  et  honoré  de  tout  le  monde.  C'est  pourquoi  vous  devez  résistera  ceux 
qui  osent  attaquer  sa  mémoire,  et  leur  imposer  silence».  A  cette  lettre 
étaient  joints  neuf  articles  touchant  la  grâce,  pour  servir  de  réponses  à  ces 
nouveaux  hérétiques,  qui  déclaraient  ne  vouloir  s'en  tenir  qu'à  ce  qui  avait 
été  décidé  par  le  Saint-Siège. 

La  lettre  de  saint  Célestin  n'apaisa  pas  les  troubles.  Comme  il  ne  disait 
rien  des  derniers  ouvrages  de  saint  Augustin,  qui  avaient  en  partie  occa- 
sionné les  disputes,  ses  ennemis  prétendaient  qu'ils  n'avaient  pas  été  ap- 
prouvés à  Rome.  Ils  continuèrent  donc  à  le  calomnier  et  à  dire  qu'au  lieu 
d'avoir  bien  défendu  la  cause  de  la  grâce,  il  avait  troublé  la  paix  de  l'Eglise. 
Ces  bruits,  répandus  par  des  personnes  d'esprit  et  de  savoir,  et  qui  faisaient 
même  profession  de  piété ,  firent  impression  sur  ceux  qui  étaient  ou  peu 
instruits  ou  qui  n'avaient  pas  assez  de  discernement  pour  juger  sainement 
des  choses.  C'est  ce  qui  obligea  saint  Prosper,  à  peine  de  retour  dans  les 
Gaules,  à  prendre  de  nouveau  la  défense  de  la  doctrine  de  saint  Augustin. 
Il  le  fit  avec  tant  de  lumière  et  d'érudition,  qu'on  peut  lui  reconnaître  la 
gloire  d'avoir  achevé  ce  que  saint  Augustin  avait  commencé,  et  d'avoir  dé- 
sarmé ces  restes  de  l'hérésie  pélagienne. 

Son  principal  effort  fut  contre  Cassien,  qui,  en  la  treizième  de  ses  con- 
férences, avait  enseigné,  sous  le  nom  de  l'abbé  Chérémon,  que  Dieu  atten- 
dait les  commencements  de  nos  volontés  et  de  notre  libre  arbitre  pour  nous 
donner  la  grâce  d'accomplir  le  bien  ;  que  la  différence  qui  était  entre  les 
justes  et  les  impies,  les  élus  et  les  réprouvés,  venait  de  ce  que  les  uns  com- 
mençaient le  bien  par  eux-mêmes,  au  lieu  que  les  autres  pouvant  le  com- 
mencer, abusaient  de  leur  libre  arbitre,  et  se  rendaient,  par  cet  abus, 
indignes  de  la  grâce  de  Jésus-Christ.  Mais  notre  Saint,  qui  avait  appris  de 
saint  Paul  et  de  son  maître,  saint  Augustin,  que  nous  ne  pouvons  rien  de 
nous-mêmes  ;  que  nous  n'avons  aucun  mouvement  salutaire  qui  ne  vienne 
de  la  miséricorde  de  Dieu,  réfuta  puissamment  ces  erreurs  par  le  livre  inti- 
tulé Contra  Collatorem,  c'est-à-dire  contre  l'auteur  des  Conférences. 

Cette  grande  érudition  et  l'heureux  concert  de  toutes  les  vertus  qui 
l'accompagnaient  le  rendant  très-célèbre  dans  l'Eglise,  le  pape  saint  Léon, 
qui  monta  sur  la  chaire  de  saint  Pierre  en  l'année  440,  le  voulut  avoir  auprès 
de  lui  ;  il  le  fit  son  secrétaire,  et  se  servit  avantageusement  de  sa  main  pour 
écrire  plusieurs  lettres  ecclésiastiques,  comme  le  pape  saint  Damase  s'était 
servi  de  celle  de  Jérôme  pour  répondre  aux  questions  qui  lui  étaient  adres- 
sées de  tout  le  monde  chrétien.  Plusieurs  même,  comme  le  cardinal  Noris 
et  Tillemont,  affirment  que  la  lettre  à  Flavien,  dans  laquelle  ce  bienheureux 
Pape  explique  si  admirablement  le  mystère  de  l'Incarnation  du  Verbe,  et 
l'unité  de  personne  avec  deux  natures  en  Jésus-Christ,  est  de  la  composition 
de  saint  Prosper,  et  que  saint  Léon,  en  la  revoyant,  y  a  donné  son  style.  Il 
y  a  aussi  des  auteurs  qui  disent  que  notre  Saint  porta  cette  lettre  à  Constan- 
tinople,  et  qu'il  fut  depuis  au  Concile  de  Ghalcédoine  pour  y  soutenir  la  foi 


348  25  JUIN. 

orthodoxe  contre  les  hérésies  de  Nestorius  et  d'Eutychès,  qui  faisaient  un 
très-grand  ravage  dans  tout  l'Orient  ;  mais  nous  n'avons  point,  dans  l'anti- 
quité, de  témoignages  authentiques  de  ces  voyages  ;  et  on  peut  bien  les 
avoir  attribués  à  saint  Prosper  d'Aquitaine,  en  le  confondant  avec  d'autres 
de  même  nom. 

Saint  Prosper  écrasa  le  pélagianisme,  qui  recommençait  à  lever  la  tête 
dans  la  capitale  du  monde  chrétien.  Ce  fut,  dit  Photius,  à  son  zèle,  à  son 
savoir  et  à  ses  travaux  infatigables  que  l'on  dut  l'entière  extirpation  de  celte 
hérésie.  En  444,  eut  lieu  la  fameuse  contestation  qui  s'éleva  entre  les  Occi- 
dentaux et  ceux  d'Alexandrie,  et  qui  se  renouvela  encore  onze  ans  après, 
touchant  le  jour  précis  auquel  on  devait  célébrer  la  pâque.  Ce  fut  princi- 
palement en  ces  deux  occasions  qu'il  fit  connaître  son  habileté  dans  les 
sciences  humaines ,  surtout  dans  les  mathématiques,  l'astronomie  et  la 
chronologie.  Il  composa  alors  en  faveur  de  l'Eglise  latine  un  cycle  pascal 
qu'on  n'a  pas  eu  soin  de  nous  conserver. 

Tout  porte  à  croire  que  saint  Prosper  n'était  ni  évêque,  ni  même  prêtre. 
Mais  il  a  employé  toute  sa  vie  à  combattre  l'hérésie,  à  soutenir  les  vérités 
du  christianisme  et  à  éclaircir,  par  sa  plume,  le  mystère  de  la  grâce  de 
Jésus-Christ  :  aussi  l'Eglise  lui  donne  rang  parmi  ses  Pères  et  ses  Docteurs. 
L'année  qu'il  mourut  n'est  pas  certaine,  mais  il  est  constant  que  ce  ne  fut 
qu'après  le  milieu  du  v^  siècle,  puisqu'il  a  continué  sa  chronique,  que  l'on 
appelle  communément  la  Chronique  de  saint  Pï^osper^  jusqu'à  l'année  455. 

Il  ne  faut  pas  confondre  saint  Prosper  d'Aquitaine  avec  saint  Prosper, 
évêque  de  Riez,  prédécesseur  de  saint  Maxime,  ni  avec  un  autre  saint  Pros- 
per, évêque  de  Reggio  ;  ce  dernier  succéda  à  Helpidius.  Jean-Antoine  Fla- 
minius  d'Imola,  qui  a  composé  la  vie  de  ce  saint  évêque,  dit  qu'ayant  lu 
dans  l'Evangile  ces  paroles  de  Notre-Seigneur  :  «  Si  vous  voulez  être  pariait, 
allez,  vendez  tous  vos  biens,  donnez-en  l'argent  aux  pauvres  et  venez  à  ma 
suite  »,  il  donna  la  liberté  à  ses  esclaves,  vendit  ses  héritages,  en  distribua 
le  prix  aux  malheureux  et  se  retira  à  Rome,  où  le  pape  Léon  I",  qui  recon- 
nut ses  talents  et  ses  vertus,  lui  donna  divers  emplois  et  le  nomma  enfin 
évoque  de  cette  ville  de  Reggio,  que  les  Latins  appellent  Rhegium  Lepidi^ 
dans  le  duché  de  Modène. 

11  administra  ce  diocèse  avec  tant  de  zèle  pour  le  salut  des  âmes,  et  tant 
de  charité  envers  les  pauvres,  qu'il  se  rendit  le  modèle  d'un  prélat  parfait 
et  accompli.  En  effet,  il  prêchait  fort  souvent  à  son  peuple,  et  ses  sermons, 
qui  étaient  remplis  d'une  divine  éloquence,  faisaient  tant  d'impression  sur 
l'esprit  de  ses  auditeurs,  que  plusieurs  renonçaient  aux  folles  maximes  du 
monde,  dont  ils  s'étaient  laissé  occuper,  pour  entrer  dans  la  voie  de  la  vertu, 
et  marcher  par  le  chemin  étroit  que  Notre-Seigneur  a  enseigné  dans  l'Evan- 
gile. L'exemple  de  sa  vie  avait  encore  plus  d'efficacité  que  ses  remontrances  ; 
car  il  savait  si  bien  mêler  la  sévérité  à  la  douceur,  et  la  douceur  à  la  sévé- 
rité, que  ceux  qu'il  châtiait  ne  pouvaient  se  plaindre  qu'il  fût  trop  rigou- 
reux :  de  même  ceux  à  qui  il  pardonnait  ne  pouvaient  pas  abuser  de  son  indul- 
gence. Il  était  toujours  le  même  dans  la  prospérité  comme  dans  l'adversité  ; 
et  si  l'une  ne  lui  enflait  pas  le  cœur,  l'autre  n'ébranlait  point  sa  constance 
et  ne  lui  faisait  jamais  perdre  la  paix  et  la  tranquillité  de  son  esprit.  Sa  foi 
était  vive,  son  espérance  ferme,  sa  charité  ardente  et  toujours  pleine  d'une 
nouvelle  ferveur.  Il  n'y  avait  point  de  misérables  en  son  diocèse  qu'il  ne 
connût,  et  il  avait  toujours  devant  les  yeux  les  pupilles,  les  orphelins,  les 
veuves,  les  familles  ruinées,  pour  trouver  les  moyens  de  les  secourir.  11  se 


SAINT  PROSPER  d'AQUITAINE,    DOCTEUR  DE   L'ÉGLISE.  349 

faisait  lui-même  victime  pour  tout  son  peuple  ;  et,  s'il  châtiait  son  corps 
pour  l'assujétir  à  l'espril,  il  le  châtiait  aussi  pour  punir  en  sa  personne  les 
fautes  de  ses  ouailles  et  pour  détourner  de  dessus  leurs  têtes  les  vengeances 
de  Dieu. 

Une  conduite  si  admirable  lui  concilia  tellement  l'amitié  de  tout  le 
monde,  qu'on  ne  craignait  rien  tant  que  de  le  perdre.  Cependant,  après 
avoir  gouverné  vingt-deux  ans  son  Eglise,  il  mourut  au  milieu  de  ses  prêtres 
et  de  ses  lévites  qui  fondaient  tous  en  larmes,  le  25  juin  466.  Avant  de  mou- 
rir, il  fit  un  discours  merveilleux  à  tous  ceux  qui  étaient  présents  ;  il  assura 
qu'il  leur  serait  beaucoup  plus  utile  dans  le  ciel  qu'il  ne  leur  aurait  été  sur 
la  terre.  Aussi,  ayant  été  enterré  en  l'église  de  Saint-Apollinaire,  qu'il  avait 
lui-môme  consacrée,  hors  les  murs  de  la  ville,  il  y  fit  tant  de  miracles 
qu'on  ne  peut  exprimer  l'estime  et  la  vénération  qu'il  s'acquit  dans  tout 
le  pays. 

Plusieurs  siècles  après,  c'est-à-dire  au  temps  de  Luitprand,  roi  des  Lom- 
bards, il  apparut  en  songe  à  Thomas,  évêque  de  Reggio,  l'un  de  ses  succes- 
seurs, et  lui  ordonna  de  lui  faire  bâtir  une  église  plus  magnifique  avec  un 
tombeau  plus  honorable,  pour  y  transférer  ses  ossements.  L'évêque,  qui 
était  un  très-saint  personnage,  obéit  à  son  ordre,  et,  lorsqu'il  ouvrit  son  sé- 
pulcre, il  en  sortit  une  odeur  si  merveilleuse,  qu'il  n'y  a  point  de  baume 
ni  de  parfum  sur  la  terre  qui  en  puisse  produire  de  semblable.  La  translation 
fut  faite  avec  une  joie  et  une  solennité  extraordinaires,  et  les  miracles  qui 
se  firent  à  ce  nouveau  tombeau  n'y  furent  pas  moindres  que  ceux  qui  avaient 
été  faits  à  la  mort  du  Saint. 

Voilà  ce  que  le  docte  Flaminius,  et  après  lui  Surius,  disent  de  saint 
Prosper,  évêque  de  Reggio.  Ceux  qui  ont  écrit  sur  l'évêque  de  Riez  lui  ap- 
pliquent aussi  les  mêmes  choses  :  ce  qui  vient  de  ce  que  liiez  et  Reggio 
n'ayant  qu'un  même  nom  en  latin,  on  a  aisément  confondu  l'un  avec  l'autre. 
Ils  y  insèrent  aussi  une  partie  de  ce  que  nous  avons  dit  de  saint  Prosper 
d'Aquitaine,  et  surtout  sa  fonction  de  secrétaire  du  pape  Léon  I*',  faute  de 
distinguer  ce  saint  ecclésiastique  des  évêques  de  même  nom.  Nous  ajouterons 
encore  qu'il  y  a  eu  un  saint  Prosper,  évoque  d'Orléans,  et  confesseur,  dont 
nous  donnerons  la  vie  au  vingt-neuvième  jour  do  juillet,  et  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  ceux  dont  il  a  été  parlé.  Au  reste,  s'il  s'agit  de  l'évêque  de 
Riez,  on  le  peut  mettre  au  rv*  siècle;  mais  pour  le  célèbre  adversaire  des 
semi-Pélagiens,  il  appartient  au  \\ 

ÉCRITS  DE  SAINT  PROSPER  D'AQUITAINS. 

Nous  avons  de  ce  docteur  de  l'Église  : 

1»  Les  Lettres  k  saint  Augustin  et  à  saint  Hilaire  contre  les  Pélagiens. 

2»  Une  fort  belle  Lettre  à  Riifiu. 

3»  Le  Poème  contre  les  i7igrats,  dout  il  a  été  parlé  dans  la  \ie  du  Saint.  A  la  suite  de  cet 
ouvrage  sont  quelques  autres  poésies,  comme  YEpitaphe  du  Nestorianisme  et  du  Pélagianisme, 
deux  Epigrammes  contie  les  ennemis  de  saint  Augustin.  Le  Poème  contre  les  ingrats  a  été 
traduit  en  vers  français  par  Le  Maistre  de  Sacy. 

40  Cent  six  Epigrammes  avec  la  préface.  Ce  sont  autant  de  vérités  et  de  sentences  tirées  de 
saint  Augustin. 

5»  Réponses  aux  objections  des  Gaulois.  C'est  une  défense  de  la  doctrine  de  saint  Augustin 
sur  la  grâce. 

6»  Réponses  à  Vincent.  Saint  Prosper  montre  dans  cet  ouvrage  qu'il  ne  soutient  point,  et  qu'il 
n'a  jamais  soutenu  les  seize  propositions  erronées  qu'on  lui  avait  calomnieuseraent  attribuées.  Le 
Vincent  contre  lequel  il  écrit  pourrait  être  le  prêtre  Gaulois  de  ce  nom,  dont  parle  Genuade,  et  qui 
assista  au  Concile  de  Riez  en  439. 


350  25  JUIN. 

7»  La  Réponse  aux  prêtres  de  Gènes  est  une  explication  de  quelques  propositions  de  saint 
Augustin. 

8»  Le  livre  sur  la  Grâce  de  Dieu  et  le  libre  arbitre  contre  le  Coflateur.  Ce  collateur  est 
le  fameux  Cassien  de  qui  nous  avons  un  livre  des  Conféi  eiices  des  Pères.  11  avait  avancé,  dans 
la  treizième  de  ces  conléiences,  que  le  commencement  de  la  foi  est  de  nous.  Saint  Prosper  ne 
voulut  point  le  nommer,  parce  que,  à  d'autres  égards,  c'était  un  grand  homme  ;  il  se  couleaia 
de  le  désigner  sous  la  dénomination  de  Collateur.  Il  lui  prouve  que  les  principes  répandus  dans 
sa  treizième  conférence  avaient  déjà  été  condamnés  par  l'Eglise,  dans  ses  décrets  contre  les  Pola- 
giens.  11  termine  son  ouvrage  par  une  exhortation  à  supporter  avec  patience  les  ennemis  de  la 
vérité,  à  ne  se  venger  d'eux  que  par  une  sincère  charité,  à  éviter  toute  dispute  avec  ceux  qui  ne 
sont  point  capables  d'entendre  le  langage  de  la  raison,  et  à  prier  sans  cesse  Celui  qui  est  le  prm- 
cipe  et  la  source  de  tout,  afin  qu'il  aaigne  être  le  comœeacement  de  nos  pensées,  de  nos  désirs, 
de  nos  paroles,  de  mi  actions. 

9»  Un  Commentaire  sur  les  Psaumes,  depuis  le  centième  jusqu'au  cent  cinquantième,  qui 
n'est,  a  proprement  parler,  qu'un  abrégé  de  celui  de  saint  Augustin.  Nous  n'en  avons  plus  qu'une 
partie. 

10»  Le  livre  des  Sentences.  C'est  un  recueil  de  trois  cent  quatre-vingt-douze  sentences  tirées 
des  ouvrages  de  saint  Augustin,  lesquelles  contiennent  un  excellent  abrégé  de  la  doctrine  de  ce 
Père  sur  la  grâce. 

11»  Une  Chronique,  qui  commence  k  la  création  du  monde,  et  finit  à  l'an  455.  La  chronique 
de  Tyro  Prosper  est  la  même  que  celle  de  notre  Saint,  excepté  qu'elle  a  été  falsifiée  par  quelque 
pélagien,  et  qu'elle  est  remplie  de  calomnies  contre  saint  Augustin. 

Parmi  les  ouvrages  qui  ne  sont  pas  parvenus  jusqu'à  nous,  on  cite  :  l»  sa  \)Vèm\h-^  Lettre  à  saint 
Augustin;  2»  quelques  ouvrages  sur  les  Erreurs  des  Semi-Pélagiens ;  3°  un  c\cle  pascal. 

Parmi  les  ouvrages  douteux,  on  cite  :  1°  Le  beau  Poème  d'un  mari  à  sa  femme  ;  2"  le  livre 
de  la  Providence  ;  3°  la  Confession  de  Prosper  d'Aquitaine  ;  k"  les  deux  livres  de  la  Vocaiton 
des  Gentils  ;  5°  la  Lettre  à  la  vierge  Démétriade  ;  6»  le  Recueil  des  autorités  des  Papes  sur 
la  grâce  de  Dieu  et  le  libre  arbitre  de  l'homme. 

Les  ouvrages  supposés  qui  portent  son  nom,  sont  :  !<>  Le  livre  des  Promesses  et  des  Prédic- 
tions de  Dieu.  C'est  une  explication  de  plusieurs  prophéties  relatives  au  Sauveur,  à  l'Anté- 
christ, etc.  2°  les  trois  livres  de  la  Vie  contemplative  ;  3°  un  Recueil  de  lettres  adressées  à 
diverses  personnes  ;  4o  un  livre  des  Hommes  illustres  ;  5»  un  ouvrage  sur  la   Prise  de   Rome. 

On  trouve,  dans  les  poésies  de  saint  Prosper,  beaucoup  de  facilité,  d'élégance,  de  douceur, 
d'onction  et  de  feu.  Le  style  de  ses  ouvrages  en  prose  est  naturel,  concis  et  nerveux;  par'.out  il 
se  montre  moins  occupé  des  ornements  du  discours  que  de  l'utilité  de  ses  lecteurs.  Ses  raisonne- 
ments sont  liés  et  concluants,  ses  expressions  nobles  et  ses  pensées  pleines  d'élévation.  Il  joint  à 
tous  ces  avantages  un  jugement  sûr  et  une  grande  pénétration  d'esprit. 

Mangeant  a  donné  une  bonne  édition  des  œuvres  de  saint  Prosper,  qui   parut  à  Paris  en  17H, 

in-fol.  On  y  trouve  la  vie  du  Saint,  traduite  des  mémoires  de  Tiliemont  par  le  docte  éditeur.  Elle 

été  réimprimée  à  Venise  en  1782,  iù-4''.  Elle  est  reproduite  dans  le  tome  li  de  la  Patrologie  latine. 

Jean  Satinas,  chanoine  régulier  de  la  Congrégation  de  Saint-Jean  de  Latran,  fit  réimprimer  à 
Rome,  en  1732,  in-S»,  les  œuvres  de  saint  Prosper,  qui  traitent  des  matières  de  la  grâce,  avec 
celles  de  saint  Honorât  de  Marseille. 

Pierre-François  Foggini  ayant  publié  à  Rome,  en  1754,  les  traités  de  saint  Augustin  sur  la 
grâce,  en  deux  petits  volumes  (réimprimés  à  Paris  en  1737),  a  donné  depuis  un  troisième  volume, 
pour  compléter  la  collection,  sous  le  titre  suivant  :  S.  Prosperi  Aquitani,  S.  Leoni  M.  Notarii, 
de  graiia  Dei,  opéra  omnia,  editionem  variis  lectionibus,  prœcipue  e  Cod.  MSS.  Vaticanis 
adomatam  curavit  P.  F.  F.  Romœ,  1758,  in-8°. 

Les  œuvres  authentiques  de  saint  Prosper  ont  été  traduites  en  français,  par  Lequeux,  à  Paris, 
en  1762,  in-12. 

Acta  sanctorum;  —  Cf.  Godescard  ;  Tiliemont  ;  Cellier;  Rivet 


S.VI.VTE  THÊCLE  OD  TYGRE  DE  MAURIENNE,  VIERGE.  351 


SAINTE  TIIEGLE  OU  TYGllE  DE  MAUillENNE, 

ET  ÉYANGÉLISATION  DE  CETTE  VALLÉE 
yv>  siècle. 


Maxime  inter  lilia  virginitatîs  satiaiur  et  delertatur 
C/irislus,  et  aspectu  pulchritudinis,  et  odore  suavi- 
tatbi,  et  tactu  lenitatis. 
Jésus-Chvist  so  plaît  extrêmement  au  milieu  des  lis 
à.e  H  virginité;  il  aime  la  beauté,  la  suavité,  i-i 
douceur  d'uue  &me  virginale. 

Hugo  card.,  sup.  Cant. 

On  prétend  que  les  premières  semences  de  la  foi  en  Maurienne  ont  été 
jetées  par  saint  Barnabe  en  l'an  50  de  Jésus-Christ.  Cet  Apôtre  se  rendit  à 
Rome,  lorsque  saint  Pierre  y  eut  fixé  son  siège.  Il  passa  ensuite  en  Lom- 
bardie,  fonda  l'église  de  Milan  et  y  séjourna  sept  ans,  visitant  les  villes  en- 
vironnantes et  produisant  partout  de  merveilleux  fruits  de  salut.  Le  fait 
est  que  le  nom  de  Barnabe  est  encore  donné  très-fréquemment  au  baptême 
dans  les.paroisses  de  la  Haute-Maurienne  surtout,  et  sur  le  versant  Italien, 
qui  touche  à  la  Savoie,  depuis  Suse  jusqu'à  Milan.  Toutefois  son  séjour  en 
Maurienne  a  dû  être  de  trop  courte  durée,  pour  qu'il  ait  pu  faire  autre 
chose  qu'en  prendre  possession  au  nom  du  divin  Maître.  A  d'autres  fut  ré- 
servé le  soin  de  défricher  ce  nouveau  champ  du  Père  de  famille. 

Sous  le  règne  de  Néron,  vivait  à  Rome  une  sainte  veuve  nommée  Pris- 
cille.  Elle  était  parente  de  l'empereur;  mais  nullement  éblouie  par  ce  que 
cette  qualité  avait  de  brillant  aux  yeux  des  hommes,  elle  s'était  empressée 
de  contracter  une  alliance  plus  glorieuse  et  plus  profitable.  Elle  était  deve- 
nue l'une  des  premières  disciples  de  saint  Pierre  et  des  plus  distinguées  par 
sa  foi  et  sa  piété,  humiliant  ainsi  aux  pieds  du  Galiléen,  comme  l'on  disait 
à  Rome,  et  la  noblesse  de  son  sang  et  les  grands  biens  que  Dieu  lui  avait 
donnés.  Comme  elle  connaissait  le  caractère  féroce  de  Néron,  elle  prévit 
que  ce  monstre  ne  tarderait  pas  à  se  déchaîner  contre  les  chrétiens.  C'est 
pourquoi  elle  résolut  de  quitter  Rome,  sous  quelque  prétexte,  et  de  se  re- 
tirer en  un  lieu  où  elle  put  servir  Dieu  en  paix. 

Néron  venait  de  réunir  à  l'empire  les  Etats  du  roi  Cottius,  qui  compre- 
naient les  deux  versants  des  Alpes  (Suse  et  Maurienne).  A  la  tête  de  la  pro- 
vince de  Suse,  de  laquelle  dépendait  la  Maurienne,  il  avait  placé  un  proche 
parent  de  Priscille,  nommé  Burrhus.  C'était  un  homme  d'un  caractère  doux 
et  très-favorable  aux  chrétiens  ;  on  croit  même  qu'il  avait  secrètement  em- 
brassé leur  foi.  Ce  fut  auprès  de  Inique  la  pieuse  veuve  alla  chercher  un 
refuge  contre  la  persécution.  Elle  y  fut  accompagnée  par  un  grand  nombre 
de  chrétiens,  parmi  lesquels  se  trouvaient  deux  saints  prêtres.  Ils  s'appelaient 
Elle  et  Milet  et  étaient  nés  en  Palestine  ;  mais,  s'étant  attachés  à  saint 
Pierre,  ils  l'avaient  suivi  à  Rome,  quand  ce  prince  des  pêcheurs  d'âmes  était 
ailé  y  établir  le  trône  de  sa  royauté  spirituelle.  Priscille  et  ses  compagnons 
reçurent  de  Burrhus  et  des  habitants  de  Suse  le  plus  bienveillant  accueil. 
Néanmoins  ils  préférèrent  se  retirer  dans  une  petite  vallée  située  un  peu 


352  25  JUIN. 

au-dessus  de  la  ville,  au  pied  du  Mont-Genis.  Les  habitants  de  ce  lieu,  ap- 
pelés Némalons,  étaient  des  gens  simples,  charitables  et  exempts  des  vices 
qui  sont  un  obstacle  aux  lumières  du  ciel.  Ils  s'empressèrent  de  fournir  aux 
besoins  de  leurs  hôtes  et  de  leur  céder  tout  le  terrain  qui  était  néces- 
saire à  l'accomplissement  de  leur  pieux  dessein.  Elle  et  Milet  se  mirent  à 
leur  prêcher  l'Evangile,  et,  comme  la  charité  est  un  aimant  par  lequel  la 
grâce  se  laisse  toujours  attirer,  la  divine  parole  fructifia  tellement  parmi  ce 
peuple,  qu'en  peu  de  temps  il  se  trouva  suffisamment  préparé  pour  rece- 
voir le  baptême.  11  changea  alors  le  nom  du  pays  en  celui  de  Novalicium, 
Novalaise,  qui  signiRo  nouvelle  loi  on  nouvelle  lumière,  en  témoignage  de  la 
grâce  que  Dieu  lui  avait  faite  de  passer  des  ténèbres  du  paganisme  à  la  lu- 
mière de  la  foi. 

Quand  Elle  et  Milet  virent  la  religion  bien  établie  dans  cette  vallée,  ils 
franchirent  le  Mont-Cenis  pour  porter  le  même  bienfait  aux  Garocelles  et 
aux  Bramovices,  peuplades  de  la  Maurienne.  Le  Seigneur  leur  fit  trouver 
chez  ces  peuples  des  dispositions  aussi  favorables  que  chez  les  habitants  de 
la  Novalaise.  Les  conversions  furent  nombreuses,  des  oratoires  furent  cons- 
truits dans  les  principaux  centres  d'habitations,  et  la  foi  si  solidement 
plantée,  que  jamais  l'hérésie  n'a  pu  la  flétrir  de  son  souffle  empoisonné. 

Le  prieuré  de  Saint-Pierre  d'Bxtravache  ^  est,  suivant  la  tradition,  la  plus 
ancienne  église  de  la  Maurienne.  Elle  est  bâtie  à  une  assez  grande  distance 
de  Bramans,  dans  une  forêt,  à  côté  de  la  route  dite  du  Petit-Mont-Cenis, 
qui  est  celle  que  l'on  a  suivie  après  qu'on  eut  abandonné  celle  de  Valloires 
et  du  Galibier,  et  par  laquelle  on  allait  de  Savoie  en  Piémont.  Ce  prieuré 
était  une  cure  à  charge  d'âmes.  Elle  comptait,  en  1700,  quatre-vingt-six 
paroissiens  en  été,  lesquels,  ainsi  que  le  curé,  venaient  habiter  Bramans  en 
hiver.  Il  existait  encore  en  1741.  L'église  aujourd'hui  esta  plus  de  moitié 
en  ruines.  C'est  l'œuvre  des  troupes  de  la  République,  qui  y  avaient  formé 
leur  camp  en  1793.  Le  général  qui  les  commandait  y  fut  blessé  mortellement 
par  les  troupes  sardes.  Le  clocher  est  encore  entier  avec  sa  flèche  de  forme 
carrée  et  en  tuf.  L'enceinte  du  cimetière  est  très-apparente,  la  sacristie  n'est 
pas  détruite;  on  voit,  derrière  l'autel,  des  peintures  à  la  fresque,  représen- 
tant les  Apôtres,  et  on  lit  sur  les  murs  intérieurs  le  nom  des  prieurs  enterrés 
dans  l'église.  L'habitation  du  prieur,  soit  la  cure,  n'est  plus  qu'une  ruine; 
mais  on  y  trouve  encore  la  cave. 

La  tradition  et  l'histoire  assurent  que  cette  église,  la  plus  ancienne  de 
la  Savoie,  a  été  consacrée  par  l'apôtre  saint  Pierre,  qui  la  dédia  au  Sauveur, 
ce  qui  était  très-naturel  de  sa  part.  Plus  tard,  et  on  ignore  quand,  elle  fut 
dédiée  à  saint  Pierre  lui-môme  et  sans  doute  en  comm.émoration  du  sou- 
venir du  grand  consécrateur,  qui,  informé  des  conversions  qui  s'opéraient 
sur  les  deux  versants  du  Mont-Cenis,  vint  de  Rome  pour  encourager  et  sou- 
tenir ces  peuplades  dans  la  foi  et  la  religion  du  Christ,  et  c'est  alors  qu'il 
aurait  fait  cette  consécration,  pendant  que  Néron  persécutait  les  chrétiens. 
Malgré  ces  dix-huit  siècles,  tout  n'est  pas  détruit.  Le  clocher,  pour  être 
complet,  n'attend  qu'une  croix  au  sommet  et  des  cloches,  et  l'église  con- 
serve encore  son  sanctuaire  avec  ses  peintures  murales  représentant  les 
douze  Apôtres.  Elle  n'attend  donc  qu'une  restauration. 

Le  Seigneur  est  admirable  dans  ses  œuvres.  Pour  évangéliser  la  Mau- 
rienne, il  ne  dédaigne  pas  de  députer  ses  deux  apôtres  Pierre  et  Barnabe, 

1.  Le  nom  Extravachu  paraît  venir  des  mots  latins  extra  viam,  en  dehors  du  chemin,  et  c'est  ce  qui  a 
lieu.  Les  aDCien-i  titres  latins  portent  aussi  cette  dénomination.  L'italien  concourt  à  le  conlirmer,  car 
extra  varco  veut  dire  en  dehors  du  passage. 


SAINTE  TIIÈCLE   OU   TYGRE   DE   MAURIENNE,   VIERGE.  353 

et  nous  le  voj'ons  amener  de  Rome  deux  disciples  du  prince  des  Apôtres. 
Au  milieu  des  montagnes  de  ce  pays,  est  une  petite  ville  jusqu'alors  com- 
plètement inconnue  dans  l'histoire.  Dieu  veut  que  son  nom  retentisse  dans 
les  contrées  voisines,  que  de  grandes  cités  lui  portent  envie,  qu'évêques  et 
fidèles  y  accourent,  que  les  prodiges  s'y  multiplient  et  qu'un  saint  roi  em- 
ploie ses  trésors  à  affermir  l'œuvre  des  saints  Elle  et  Milet.  Pour  cela,  il  n'a 
besoin  que  d'une  pieuse  fille  et  de  quelques  ossements  d'un  de  ses  saints. 

Tygre  ou  Thècle,  comme  on  l'appelle  communément,  naquit  à  Valloires, 
paroisse  du  diocèse  de  Maurienne,  à  la  Gn  du  v^  siècle  ou  au  commencement 
du  VI^  Elle  était  issue  d'une  famille  illustre  par  sa  noblesse  et  par  les 
grands  biens  qu'elle  possédait  ;  mais  elle  se  distingua  plus  encore  elle-même 
par  l'éclat  de  sa  sainteté.  Une  vertu  brillait  en  elle  au-dessus  de  toutes  les 
autres  :  c'était  la  charité  envers  les  pauvres  ;  elle  s'étendait  à  tous  les  néces- 
siteux qui  s'adressaient  à  elle  ;  néanmoins  les  pèlerins  étrangers,  qui  passaient 
par  Valloires,  étaient  l'objet  de  ses  soins  les  plus  empressés. 

Le  passage  du  Gallibier,  qui  relie  Valloires  au  Briançonnais,  était,  à  cette 
époque,  une  des  principales  voies  de  communication  entre  la  France  et 
l'Italie.  Les  pieux  voyageurs  des  contrées  occidentales  de  l'Europe  arri- 
vaient par  la  voie  romaine  du  Mont-du-Chat  et  se  dirigeaient,  par  le  Mont- 
Genêvre,  sur  Rome  ou  un  des  ports  d'Italie.  Thècle  les  accueillait  chez  elle, 
fournissait  à  leurs  besoins  et  leur  prodiguait  les  attentions  les  plus  délicates. 
Pour  elle,  ils  n'étaient  pas  des  étrangers,  mais  des  frères,  selon  la  parole  du 
Sauveur  ;  et  elle  remerciait  la  Providence  de  lui  avoir  donné  les  moyens 
d'exercer  envers  eux  les  devoirs  de  l'hospitalité  chrétienne.  Quand  à  la 
qualité  de  pèlerins  ils  joignaient  la  dignité  de  prêtres,  son  ingénieuse  cha- 
rité ne  connaissait  plus  de  bornes  ;  il  n'y  avait  rien  qu'elle  ne  mît  en  œuvre 
pour  honorer  et  servir  Jésus-Christ  dans  la  personne  de  ses  ministres.  La 
plus  grande  joie  qu'ils  pussent  lui  faire  était  de  choisir  sa  demeure  pour  se 
reposer  pendant  quelques  jours  des  fatigues  du  voyage. 

Thècle  avait  une  sœur  nommée  Pigménie.  Celle-ci  avait  été  d'abord  en- 
gagée dans  les  liens  du  mariage  ;  mais  elle  fut  rendue  à  la  liberté  par  la 
mort  de  son  époux  et  se  retira  auprès  de  sa  sœur,  pour  se  mettre  sous  sa 
direction  et  l'aider  dans  ses  bonnes  œuvres. 

Un  jour,  des  moines  écossais  demandèrent  l'hospitalité  aux  deux  sœurs  : 
ils  revenaient  de  la  Terre-Sainte  et  retournaient  dans  leur  patrie  en  traver- 
sant l'Italie  et  la  France.  Thècle  et  Pigménie  les  reçurent  avec  leur  empres- 
sement accoutumé.  Ils  passèrent  trois  jours  avec  elles,  et,  comme  ils 
racontaient  les  principales  particularités  de  leur  voyage.  Dieu  permit  que 
la  conversation  tombât  sur  les  miracles  qui  s'opéraient  chaque  jour  auprès 
des  reliques  de  saint  Jean-Baptiste  et  sur  les  diverses  translations  qui  en 
avaient  été  faites. 

Ces  discours  firent  sur  Thècle  une  profonde  impression  :  elle  se  sentit 
pressée  d'un  ardent  désir  d'aller  visiter  Alexandrie  et  de  procurer  à  son  pays 
quelque  partie  des  reliques  dont  on  lui  disait  tant  de  merveilles.  C'était  Dieu 
qui  lui  inspirait  cette  pensée  ;  notre  Sainte  n'en  douta  pas.  Aussi,  dès  que 
les  moines  furent  partis,  elle  fit  ses  préparatifs  de  voyage,  confia  le  soin  de 
ses  affaires  à  sa  sœur,  lui  recommanda  instamment  les  pauvres  et  les  pèle- 
rins, et,  accompagnée  d'une  servante,  elle  prit  la  route  de  l'Italie.  Elle 
s'arrêta  quelques  jours  à  Rome  pour  visiter  les  tombeaux  des  saints  Apôtres  ; 
puis,  ayant  rencontré  des  voyageurs  qui  se  disposaient  à  passer  en  Orient, 
elle  se  joignit  à  eux  et  ils  firent  voile  vers  l'Egypte. 

Une  heureuse  navigation  conduisit  Thècle  à  Alexandrie.  A  peine  débar- 
ViES  DES  Saints.  —  Tome  VU.  23 


35^  25  JUIN. 

quée,  son  premier  soin  fut  d'aller  à  l'église  de  Saint-Jean-Baptiste  se  pros- 
terner au  pied  du  tombeau  où  étaient  renfermées  les  reliques  du  saint 
Précurseur.  Mais  comment  déterminer  les  habitants  de  la  cité  à  se  des- 
saisir en  faveur  d'une  étrangère  inconnue  et  sans  appui,  d'une  partie  du 
trésor  que  tant  de  manifestations  de  la  puissance  divine  leur  rendaient  plus 
cher  encore?  Thècle  prévoyait  bien  des  obstacles  de  la  part  des  hommes. 
Néanmoins,  forte  de  cette  confiance  souveraine  qui  dispose  du  cœur  de  Dieu, 
elle  fit  vœu  de  ne  pas  retourner  en  Maurienne  avant  d'avoir  vu  réaliser  son 
pieux  dessein.  Elle  s'adressa  d'abord  à  ceux  qui  avaient  la  garde  des  reliques; 
mais  ils  se  moquèrent  d'elle.  Ce  contre-temps,  qui  aurait  découragé  une 
âme  moins  fortement  trempée,  ne  fit  qu'augmenter  l'ardeur  de  ses  désirs  et 
la  vivacité  de  sa  confiance  :  n'ayant  rien  à  attendre  des  hommes,  elle  tourna 
toutes  ses  espérances  du  côté  de  Celui  qui  a  dit  :  a  Tout  ce  que  vous  de- 
manderez avec  foi,  vous  l'obtiendrez».  Chaque  jour,  elle  se  rendait  à 
l'église  et  priait  le  Seigneur  de  ne  pas  permettre  qu'elle  eût  fait  un  si  pé- 
nible voyage  sans  avoir  été  exaucée  ;  elle  lui  montrait  la  pureté  de  ses  in- 
tentions et  lui  rappelait  avec  larmes  ses  promesses  répétées  à  chaque  page 
des  saintes  Ecritures. 

Deux  ans  se  passèrent  ainsi.  Les  macérations  extraordinaires  qu'elle 
s'était  imposées  avaient  exténué  ses  forces  et  rien  n'annonçait  que  ses  vœux 
fussent  exaucés  :  Dieu  et  les  hommes  semblaient  également  sourds  à  ses 
prières.  Thècle  espérait  toujours  contre  toute  espérance.  Au  commence- 
ment de  la  troisième  année,  elle  résolut  de  faire  violence  au  ciel. 

Un  jour  elle  va  à  l'église,  se  prosterne  la  face  contre  terre  devant  le 
tombeau,  et,  toute  en  larmes,  proteste  à  Dieu  qu'elle  ne  prendra  aucune 
nourriture  et  ne  se  relèvera  pas  qu'il  ne  lui  ait  accordé  la  grâce  que  depuis 
si  longtemps  elle  demande.  Six  jours  s'écoulent;  la  Sainte  sent  que  ses 
forces  l'abandonnent  et  elle  s'en  réjouit;  car  elle  aime  mieux  que  Dieu 
l'appelle  à  lui  que  de  retourner  dans  sa  patrie,  privée  du  seul  bien  qu'elle 
ambitionne  et  qu'elle  est  venue  chercher  si  loin. 

Mais,  ô  puissance  de  la  prière  !  le  septième  jour,  Thècle  voit  trois  doigts 
sur  le  tombeau  ;  Dieu  en  a  tiré  le  médius,  l'annulaire  et  une  partie  du  pouce 
de  la  main  droite  de  saint  Jean-Baptiste,  doigts  bénis  qui  touchèrent  le 
Sauveur  du  monde,  lorsqu'il  voulut  recevoir  dans  le  Jourdain  le  baptême 
de  la  pénitence.  Au  même  instant,  le  Seigneur  fait  connaître  à  la  Sainte 
qu'elle  est  exaucée  ;  ses  forces  lui  reviennent,  elle  se  lève,  dépose  le  don 
que  Dieu  lui  fait,  au  milieu  de  quelques  autres  reliques,  dans  un  reliquaire 
préparé  à  cet  eflet,  et,  ayant  rendu  grâces  à  Dieu  et  à  saint  Jean-Baptiste, 
elle  retourne  à  son  logis.  Ses  préparatifs  de  départ  furent  bientôt  achevés* 
elle  sr;tit  de  la  ville  et  se  dirigea  vers  le  port  pour  repasser  en  Europe. 

Cependant  Dieu  voulut  mettre  sa  foi  à  une  nouvelle  épreuve.  Les  habi- 
tants d'Alexandrie  ne  tardèrent  pas  à  s'apercevoir  de  la  disparition  des  trois 
doigts  de  saint  Jean-Baptiste.  Sans  doute,  apprenant  le  départ  de  Thècle  et 
connaissant  le  vœu  qu'elle  avait  fait,  ils  s'étaient  empressés  d'ouvrir  le  tom- 
beau et  avaient  pu  se  convaincre  que,  malgré  leurs  railleries,  elle  avait  réel- 
lement accompli  son  vœu.  Alors,  au  lieu  de  reconnaître  l'œuvre  de  Dieu  dans 
un  événement  aussi  extraordinaire,  ils  se  mirent  à  se  reprocher  les  uns  aux 
autres  ce  qu'ils  appelaient  leur  négligence.  Et  ils  coururent  à  sa  poursuite. 

Thècle  avait  déjà  fait  plusieurs  milles  quand  elle  vit  arriver  ceux  qui  la 
poursuivaient.  Fuir  était  impossible  ;  elle  n'y  songea  même  pas.  La  pensée 
de  perdre  l'objet  de  toute  son  ambition,  le  fruit  de  tant  de  fatigues  et  de 
prières  si  ferventes,  la  remplit  d'abord  d'une  profonde  doaleur.  Mais  aussi- 


SAINTE  THÈCLE   OU   TTGRE   DE   MAURIENNE,    VIEUGE.  355 

tôt  elle  sentit  renaître  plus  vive  que  jamais  sa  confiance  en  Dieu.  «  Sei- 
gneur »,  s'écria-t-elle  dans  l'amertume  de  son  âme,  «  voudrez-vous  donc 
changer  ma  joie  en  tristesse,  et  faudra-t-il  que  je  perde  le  don  que  vous 
m'avez  fait  et  que  j'étais  si  heureuse  de  porter  à  ma  patrie  ?  »  Elle  tira  les 
saintes  reliques  de  la  boîte  et  les  cacha  sur  son  sein.  Au  même  instant,  elles 
disparurent  :  Dieu,  qui  les  avait  tirées  d'un  tombeau  de  pierre  par  sa  puis- 
sance miséricordieuse,  les  renferma  dans  le  sein  de  sa  servante  comme  dans 
un  tombeau  de  chair. 

Thècle  fut  bientôt  rejointe  par  les  habitants  d'Alexandrie,  qui  lui  ordon- 
nèrent avec  menaces  de  rendre  les  reliques  qu'elle  leur  avait  enlevées. 
«  Hélas  !  »  répondit-elle  en  poussant  un  profond  soupir,  «  j'ai  perdu  l'objet 
de  mon  espérance  ;  mon  bonheur  s'est  dissipé  dans  mes  larmes.  Dieu  me  les 
avait  données,  mais  mes  péchés  m'en  ont  rendue  indigne  ».  Ils  ouvrirent 
son  reliquaire,  la  dépouillèrent  de  ses  vêtements  qu'ils  visitèrent,  et  fouil- 
lèrent jusque  dans  ses  cheveux.  Confus  de  l'inutilité  de  leurs  recherches, 
Us  laissèrent  enfin  notre  Sainte  et  s'en  retournèrent.  Quand  ils  se  furent 
éloignés,  Thècle  retrouva  avec  joie  et  reconnaissance  les  saintes  reliques  à 
la  place  oii  elle  les  avait  mises.  Dieu  préserva  le  reste  de  son  voyage  de 
tout  accident,  et  elle  arriva  heureusement  en  Maurienne. 

L'origine  de  la  ville  de  Saint-Jean  se  perd  dans  la  plus  haute  antiquité. 
On  ne  connaît  rien  ni  de  l'époque  de  sa  fondation,  ni  des  vicissitudes  de  son 
histoire  jusqu'au  vi^  siècle  de  notre  ère,  époque  à  laquelle  elle  portait  le 
nom  de  Maurienne. 

Ce  fut  dans  cette  ville  que  Thècle  déposa  le  fruit  de  son  laborieux  pèle- 
rinage. Elle  pensa  que,  dans  ces  temps  de  troubles  et  de  guerres,  les  saintes 
reliques  seraient  plus  en  sûreté  dans  une  ville,  qui  probablement  était  déjà 
fortifiée,  que  dans  son  village  natal,  isolé  au  sommet  des  montagnes.  D'ail- 
leurs, placées  au  centre  de  la  province,  les  pèlerinages  y  seraient  plus  faciles 
et  plus  nombreux,  les  merveilles  qui  s'y  opéreraient  aurajentun  plus  grand 
retentissement,  et  saint  Jean-Baptiste  deviendrait  le  patron  et  le  protecteur 
de  la  Maurienne  tout  entière. 

Thècle  avait  résolu  de  faire  construire  une  église  digne  de  celui  que  le 
Sauveur  a  proclamé  le  plus  grand  des  enfants  des  hommes,  et  déjà  les  tra- 
vaux avançaient  rapidement,  lorsque  Dieu  envoya  à  son  zèle  un  secours 
providentiel.  Le  bruit  de  l'arrivée  des  reliques  de  saint  Jean-Baptiste  et  des 
nombreux  miracles  par  lesquels  le  Seigneur  ne  cessait  de  manifester  la  puis- 
sance du  glorieux  Précurseur,  n'avait  pas  tardé  à  se  répandre  dans  toutes 
les  contrées  voisines  ;  il  parvint  jusqu'au  saint  roi  Contran,  qui  voulut  se 
charger  lui-môme  de  la  construction  de  l'église,  et  peu  après,  fit  de  la  ville 
de  Maurienne  le  siège  d'un  nouvel  évêché. 

Cependant  Thècle,  dégoûtée  du  monde  et  désireuse  de  jouir  des  dou- 
ceurs de  la  vie  érémitique  dont  elle  avait  sans  doute  beaucoup  entendu 
parler  pendant  son  séjour  en  Orient,  s'était  retirée,  au-dessus  de  la  ville, 
dans  un  lieu  appelé  Rocheray.  La  dévotion  du  peuple  lui  donna,  depuis,  le 
nom  de  la  Sainte.  Sa  sœur  Pigménie  l'avait  rejointe  avec  douze  veuves,  qui 
désiraient  se  mettre  sous  sa  direction.  Thècle  s'était  prêtée  volontiers  à  leur 
demande.  Ayant  trouvé  une  grotte  profonde,  creusée  par  la  nature  dans  les 
flancs  de  la  montagne,  elle  y  fit  ajouter  un  corps  de  logis  dont  on  voit  en- 
core aujourd'hui  des  vestiges.  Sa  demeure  ordinaire  était  une  petite  chambre, 
située  au-dessus  de  l'habitation  de  ses  compagnes  et  où  elle  pouvait  satis- 
faire plus  à  l'aise  son  amour  de  la  prière  et  du  silence.  . 

Thècle  eut  un  singulier  ennemi  à  combattre.  Les  chênes  qui  entourent 


336  25  JUIN. 

l'ermitage,  tantôt  cachés  dans  les  plis  de  la  montagne,  tantôt  dressant  fière- 
ment sur  les  rochers  leurs  cimes  rameuses,  étaient  peuplés  de  moineaux 
dont  les  cris  perçants  venaient  la  distraire  dans  ses  méditations.  Un  jour, 
elle  pria  Dieu  de  la  délivrer  de  ses  bruyants  voisins.  Sa  prière  était  à  peine 
achevée,  que  les  moineaux  arrivèrent,  voletant  autour  d'elle  en  plus  grand 
nombre  et  pépiant  plus  fort  encore  que  de  coutume.  On  eût  dit  d'un  défi. 
Thècle  leur  ordonna,  au  nom  de  Jésus-Christ,  de  s'éloigner.  Incontinent,  les 
pauvres  petits  oiseaux  s'enfuirent,  et  depuis  lors  on  n'en  vit  jamais  plus  en 
ce  lieu.  Et,  de  fait,  aujourd'hui  encore,  les  moineaux  ne  vont  pas  à  Sainte- 
Thècle,  bien  que  les  environs  du  séminaire  et  toute  la  vallée  en  fourmillent. 

On  ne  sait  pas  combien  de  temps  Thècle  vécut  encore  depuis  le  moment 
où  elle  se  retira  dans  l'ermitage  de  Rocheray. 

Dieu  lui  lit  enfin  connaître  que  sa  dernière  heure  n'était  pas  éloignée.  A 
cette  nouvelle,  son  cœur  tressaillit  de  joie,  parce  qu'elle  allait  entrer  dans 
la  maison  de  son  Seigneur.  Néanmoins,  elle  lui  témoigna  le  désir  de  voir 
encore  sur  la  terre  la  fête  de  la  Nativité  de  saint  Jean-Baptiste  et  de  la  dé- 
dicace de  l'église  qu'elle  avait  commencée  et  que  saint  Contran  avait  ache- 
vée. Elle  voulait,  avant  de  mourir,  dire  adieu  à  tout  ce  qu'elle  avait  aimé 
en  ce  monde. 

Le  24  juin,  Thècle  put,  pour  la  dernière  fois,  assister  à  la  sainte  messe, 
après  laquelle  elle  distribua  tout  ce  qu'elle  avait  aux  pauvres,  aux  veuves 
et  aux  orphelins.  Elle  disposa  ensuite  des  biens  qu'elle  possédait.  Les  pauvres, 
on  le  pense  bien,  furent  ses  premiers  héritiers.  Elle  fonda  une  maison,  où 
douze  veuves  devaient  êtres  logées  et  entretenues  leur  vie  durant.  L'église 
de  la  ville,  que  nous  pouvons  dès  lors  appeler  Samt-Jean  de  Maurienne,  ne 
pouvait  être  oubliée  dans  ses  libéralités  ;  elle  lui  donna  sa  propriété  de 
Valloires  et  soumit  à  sa  juridiction  la  cure  de  cette  paroisse,  ainsi  que  tout 
ce  qui  était  sous  son  pouvoir  dans  cette  localité. 

Le  lendemain,  la  Sainte  reçut  la  visite  de  ses  amis  :  ils  venaient  lui  de- 
mander pardon  des  oflènses  dont  ils  pouvaient  s'être  rendus  coupables  en- 
vers elle  et  se  recommander  à  ses  prières.  Elle  leur  dit  adieu  avec  la  joie 
du  prisonnier  qui,  après  une  longue  captivité,  voit  s'ouvrir  les  portes  de  sa 
prison  et  serre  une  dernière  fois  la  main  à  ses  compagnons  de  chaîne.  Puis, 
ayant  reçu  les  sacrements  des  mourants,  elle  s'endormit  doucement  dans  le 
Seigneur. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Quand  on  arrive  à  Saint-Jean  par  la  route  d'Italie,  la  première  chose  que  l'on  aperçoit,  c'est  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Bonne-Nouvelle,  qui  domine  la  ville  comme  une  citadelle.  Suivez,  à 
droite  du  sanctuaire,  le  chemin  qui  grimpe  à  travers  les  dernières  vignes.  Voyez-vous  cette  haute 
niuniille  eufoiicée  dans  un  ravin  dont  elle  réunit  les  bords,  et  cette  grande  croix  blanche  qu'une 
main  pieuse  vient  de  planter  sur  le  rocher  comme  un  signe  béni? 

C'est  l'ermitage  de  sainte  Thècle  et  de  ses  compagnes. 

11  est  divisé  en  deux  étages.  La  partie  inférieure  est  un  espace  maintenant  sans  entrée,  qui 
recuit  le  jour  par  quatre  ouvertures.  Cet  étage  formait,  au  dire  des  Bollandistes,  l'habitation  com- 
mune de  sainte  Thècle,  de  sa  sœur  Pigménie  et  des  douze  veuves. 

L'éldge  supérieur  est  depuis  longtemps  sans  toiture;  on  y  entre  par  un  portail  en  tuf  peu  élevé. 
Au  fond,  dans  le  rocher  qui  sert  de  clôture  de  ce  côté  en  s'enfonçant  dans  la  montagne,  s'ouvre 
une  grotte  plus  large  que  longue.  Dans  la  cour  ou  sur  le  rocher  lui-même,  car  le  passage  des  Bol- 
landistes, qui  nous  donne  ces  détails,  n'est  pas  très-clair,  était  située  la  cellule  où  sainte  Thècle 
aimait  à  se  retirer  pour  vaquer  avec  plus  de  liberté  à  l'oraison.  Il  semble  cependant,  d'après  les 
mêmes  auteurs,  que  la  grotte  faisait  partie  de  cette  cellule  et  servait  d'oratoire  à  la  Sainte;  car  ils 
disent  tout  à  la  fois  qu'elle  fut  ensevelie  dans  sa  cellule  et  dans  la  chapelle  souterraine,  à  côté  du 
maitre-autel. 

La  chapelle  de  Sainle-Thècle  possédait,  au  xm»  siècle,  des  revenus  considérables,  fruits  de  la 


SAINTE  THÈCLE   OU   TYGRE   DE   MÀURIENNE,    VIERGE.  357 

pieuse  générosité  des  fidèles.  Tout  a  disparu  dans  le  gouiïre  révolutionnaire,  et  la  chapeiie  ne 
possède  plus  aujourd'liui  qu'une  lisière,  sans  valeur,  de  rochers  et  de  forêt. 

Elle-même  était  tombée  dans  l'état  le  plus  déplorable.  Quelques  planches  bariolées,  en  guise  de 
voûte;  un  petit  autel  en  bois,  pauvre  et  dégradé;  une  grille  également  en  bois  sur  le  devant  : 
tels  étaient  encore,  au  mois  de  mai  1858,  les  seuls  ornements  de  cette  grotte  qui  rappelle  à  la 
Maurienne  de  si  précieux  souvenirs.  Depuis,  la  voûte  posée  par  la  main  de  Dieu  a  été  débarrassée 
de  sa  boiserie  :  une  grille  en  fer  ferme  la  grotte  dont  un  autel  en  marbre  blanc,  simple  comme 
la  vertu  de  la  vierge  de  Valloires,  décore  le  fond.  Le  mur  de  soutènement  de  la  cour  attend  encore 
qu'une  main  pieuse  et  intelligente  le  relève  de  ses  ruines  et  termine  l'œuvre  de  rebtaurutiou  com- 
mencée par  M.  le  chevalier  Anselme,  ancien  conseiller  à  la  Cour  d'appel  de  Chambéry,  qui  a  fait  doa 
de  l'autel  et  de  la  grille. 

Qu'est  devenu  le  corps  de  la  Sainte  dans  le  cours  des  siècles?  Est-il  resté  dans  la  chapelle 
souterraine,  ou  bien,  transporté  à  la  cathédrale,  a-t-il  disparu  dans  les  désastres  du  vin«,  du  X» 
et  du  w  siècle?  Tout  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  la  cathédrale  a  conservé  jusqu'à  la  Révo- 
lution française  un  des  bras  de  la  Sainte,  enfermé  dans  un  reliquaire  magnifique.  Cette  relique  in- 
signe jiartageait  les  honneurs  rendus  par  la  dévotion  des  fidèles  aux  doigts  vénérés  de  saint  Jean- 
Baptiste.  Douze  siècles  s'étaient  écoulés  depuis  que  cette  main  avait  apporté  en  Maurienne  les 
doigts  bénis  qui  montrèrent  aux  Juifs  le  Sauveur  promis  à  leurs  pères.  Dieu  l'avait  soustraite  aux 
profanations  des  Sarrasins;  il  ne  permit  pas  qu'elle  échappât  à  la  barbarie  philosophique  de  la  fin 
du  xviii«  siècle. 

Au  mois  de  décembre  1793,  le  Directoire  du  département  du  Mont-Blanc  envoya  en  Maurienne 
le  citoyen  Chevrillon,  avec  mission  d'enlever  les  vases  sacrés  et  les  autres  objets  précieux  servant 
au  culte  divin.  Le  21  {i"  nivôse  an  ii),  le  représentant  de  la  Convention,  accompagné  du  maire 
de  la  ville,  Dominique  Favier,  et  suivi  de  quelques  forcenés,  entre  dans  la  cathédrale;  croix,  reli- 
quaires, ostensoirs,  calices  d'or  et  d'argent,  toutes  les  richesses  accumulées  par  la  piété  des  siècles 
et  conservées  dans  la  sacristie  et  la  salle  du  trésor,  au-dessus  de  la  chapelle  de  Sainte-Thècîe, 
60nt  enlevées  et  expédiées  à  Chambéry.  L'huile  sainte  est  répandue  à  terre,  les  reliques  foulées 
aux  pieds  et  jetées  à  la  rue.  Seuls  les  doigts  de  saint  Jean-Bipliste  furent  sauvés  par  le  maire  de 
la  ville  qui  les  cacha  chez  lui  et  les  rendit  en  1804  à  la  cathédrale. 

Sainte  Thècle  avait  une  chapelle  dans  la  cathédrale.  C'est  aujourd'hui  ce  qu'on  appelle  la 
vieille  sacristie.  Lors  des  désastres  de  l'inondation  de  1439,  qui  submergea  la  ville  et  fil  tant  de 
mal  à  la  cathédrale,  il  parait  que  la  chapelle  de  Sainte-Thècle  a  échappé  seule  aux  ravages  du 
torrent  dévastateur.  Ce  qui  en  reste  aujourd'hui,  à  l'exception  des  ogives  qui  eu  décorent  la  voûte, 
parait  appartenir,  d'après  M.  de  Caumont  (Histoire  de  l' architecture  religieuse  du  moyen  ûge), 
à  l'époque  qui  court  du  v^  au  xi»  siècle.  Cette  chapelle  ayant  été  transformée  en  sacristie  à  la  fia 
du  xv»  siècle,  ou  éleva  alors  à  notre  Sainte  un  autel  dans  un  endroit  des  plus  apparents  de  l'é- 
glise, entre  la  principale  nef  et  le  chœur.  Cet  autel  a  subsisté  jusqu'à  la  Révolution. 

A  Valloires,  une  petite  chapelle  est  dédiée  à  sainte  Thècle.  Les  nobles  de  Rapiu  la  firent  bâtir 
dans  leur  fief  de  la  Choudane,  avant  le  commencement  du  xvu»  siècle.  Elle  fut  rasée  sous  la 
Terreur;  mais  en  1817,  M.  J.-B.  Grange  fit  un  legs  à  la  commune  pour  sa  reconstruction  et  y 
fonda  une  procession  et  une  messe  annuelles  le  jour  de  la  fête  de  la  Sainte.  Divers  obstacles  re- 
tardèrent la  com|ilète  exécution  de  ses  volontés,  et  la  bénédiction  de  la  nouvelle  chapelle  ne  put 
avoir  lieu  que  le  28  juillet  1846. 

A  une  autre  extrémité  du  diocèse,  la  paroisse  du  Bourget-en-l'Huile  a,  depuis  un  temps  im- 
mémorial, choisi  samte  Thècle  pour  sa  patronne  titulaire  :  le  procès-verbal  de  la  visite  pastorale 
de  1571,  le  plus  ancien  que  nous  ayons,  donne  déjà  à  cette  paroisse  le  nom  de  Sainte-làécle  du 
Bourget. 

Nous  ne  savons  pas  à  quelle  époque  la  fête  de  sainte  Thècle  a  été  instituée  et  fixée  au  25  juin, 
jour  anniversaire  de  sa  naissance  au  ciel,  coainie  dit  admirablement  l'Eglise.  Le  grand  Bréviaire 
manuscrit,  rédigé,  à  ce  qu'il  parait,  entre  le  mu»  et  le  xiv»  siècle,  à  l'usage  du  Chapitre,  ren- 
ferme la  légende  de  sainte  Thècle  et  tout  son  office.  Mgr  le  cardinal  Louis  de  Gorrevod,  faisant 
>npriraer  en  1312  un  Bréviaire  spécialement  destiné  à  son  diocèse  de  Maurienne,  y  plaça  au  25  juin 
l'ofiice  de  cette  Sainte  avec  huit  leçons  propres.  Toutefois,  jusqu'à  la  Révolution,  la  fête  de 
sainte  Thècle,  sous  le  rit  double,  était  particulière  à  la  ville  de  Saint-Jean  et  à  la  paroisse  de 
Valloires  C'est,  du  moins,  ce  que  nous  voyons  dans  plusieurs  calendriers  du  xviii®  siècle.  Depuis 
la  restauration  du  culte,  on  se  contenta  de  faire  comraémoraisou  de  la  Sainte,  jusqu'en  1849,  où 
Mgr  Yibert  rétablit  sa  fête  et  l'étendit  à  tout  le  diocèse.  L'office,  avec  les  leçons  pi'opres,  a  été 
approuvé  par  Sa  Sainteté  le  pape  Pie  IX.  De  plus,  à  la  sollicitation  du  pieux  restaurateur  de  la 
chapelle  de  Sainte-Thècle,  le  même  Pontife,  par  sou  bref  du  7  septembre  1858,  a  accordé  à 
ceux  qui  visitent  la  grotte  une  indulgence  plénière,  le  jour  de  la  fête  de  la  Sainte,  et  une  indul- 
gence de  sept  ans  et  sept  quarantaines,  les  autres  jours  de  l'année. 

Tiré  de  VHistoir»  hagiologique  du  diocès»  de  Maurièhne,  par  M.  l'abbé  Truchet ,  cortf  d»  Saint-JetB 
d'Àrves. 


358  25  JUIN. 

SAINT   GUILLAUME   DE   MONTE -YERGINE 

FONDATEUR  DE  LA  CONGRÉGATION  RELIGIEUSE  DE  CE  NOM 
1142.  —  Pape  :  Innocent  II.  —  Roi  de  Naples  :  Roger  !«'. 


Solitudo  civiiaiibus  dignior  est,  qum  virtute  justi  or» 
natur,  et  orbe  toto  fit  fulgidior. 

La  solitude  embellie  par  les  vertus  de  l'homme  justô 
est  plus  belle  que  la  ville  la  plus  magniûqne,  plu 
belle  que  l'univers  entier. 

S.  J.  Chrys.,  hom.  xxxni  sup.  Gen. 

Verceil,  ancienne  et  fameuse  ville  de  Lombardie,  en  servant  de  berceau 
à  saint  Guillaume,  a  donné  en  même  temps  à  l'Eglise  un  nouvel  ordre  reli- 
gieux dans  l'Occident.  Son  père  et  sa  mère  étaient  non-seulement  illustres 
par  la  noblesse  de  leur  sang,  mais  encore  recommandables  par  la  sainteté 
de  leur  vie.  Ayant  perdu  l'un  et  l'autre  dans  son  enfance,  il  demeura  sous 
la  conduite  d'un  de  ses  parents,  qui  prit  beaucoup  de  soin  de  son  éducation. 
A  peine  eut-il  l'âge  de  quinze  ans,  qu'il  résolut  de  mener  une  vie  pénitente 
et  de  renoncer  aux  délices  qu'il  pouvait  goûter  dans  sa  condition.  Pour  cet 
effet,  il  entreprit  de  faire  le  voyage  de  Saint-Jacques,  en  Galice,  les  pieds 
nus  et  revêtu  d'un  simple  habit  de  pèlerin.  Quoiqu'il  souffrît  la  faim,  la  soif, 
et  toutes  sortes  d'incommodités  durant  ce  long  voyage,  néanmoins  son  zèle 
n'étant  pas  encore  satisfait,  il  fit  faire  en  chemin  deux  cercles  de  fer  qu'il 
appliqua  sur  sa  chair  nue.  Après  ce  pèlerinage,  il  se  proposa  d'en  faire  un 
autre  beaucoup  plus  long  et  plus  difficile,  qui  était  d'aller  visiter  le  saint 
sépulcre  à  Jérusalem  ;  mais  Dieu  lui  ôta  cette  pensée  et  lui  fit  connaître  qu'il 
l'appelait  à  une  vie  solitaire  où  il  pourrait  pratiquer  la  vertu  avec  plus  de 
perfection.  Le  Saint,  dont  tous  les  désirs  étaient  de  se  rendre  agréable  à  la 
divine  Majesté,  obéit  à  cette  inspiration  et,  quittant  son  pays  afin  de  trouver 
moins  d'obstacle  à  son  dessein,  se  retira  sur  une  montagne  déserte,  au 
royaume  de  Naples,  où  il  fit  des  abstinences  et  des  austérités  presque  incroya- 
bles. On  rapporte  qu'il  y  rendit  aussi  la  vue  à  un  aveugle  qui  avait  eu  recours 
à  lui,  pour  lui  demander  l'assistance  de  ses  prières  dans  son  affliction.  Le 
bruit  du  miracle,  joint  à  l'éclat  de  ses  vertus,  l'ayant  fait  découvrir  dans  sa 
solitude,  il  crut  qu'il  devait  s'en  aller  dans  un  pays  fort  éloigné,  pour  y 
demeurer  entièrement  caché  aux  hommes;  mais,  comme  Dieu  avait  d'au- 
tres desseins  sur  lui,  il  l'arrêta  en  Italie  pour  y  être  fondateur  d'une  nou- 
velle Congrégation  de  saints  religieux.  N'osant  donc  résister  aux  ordres  du 
ciel,  il  chercha  une  autre  solitude  dans  le  pays,  et  se  retira  enfin  sur  le  Mont- 
Virgilien,  situé  entre  Noie  etBénévent.  Cette  montagne  était  ainsi  nommée, 
à  cause  du  séjour  qu'y  avait  fait  autrefois  le  fameux  poëte  Virgile;  mais, 
depuis  la  retraite  de  notre  Bienheureux,  qui  y  fit  bâtir  une  très-belle  église 
en  l'honneur  de  Notre-Dame,  elle  fut  appelée  Monte- Ver yine,  c'est-à-dire  le 
Mont-  Vierge  *. 

Il  ne  fut  pas  longtemps  en  ce  Ijeu  sans  y  être  visité  par  une  foule  de 

1.  On  peut  voir  dans  les  Bollandistes,  tome  vu  de  juin,  p.  116   (édit.  Palmd,  1867),  un©  planche  ma- 
fnifique  représentant  le  Mont- Vierge  et  le  monastère  fondé  par  saint  Guillaume. 


SAINT   GUILLAUME   DE  MONTE-VERGINE.  359 

personnes  attirées  par  le  bruit  de  ses  miracles  et  le  désir  de  recevoir  ses  ins- 
tructions et  de  se  recommander  à  ses  prières.  Plusieurs  prêtres  séculiers, 
charmés  de  ses  pieux  entretiens,  se  jetèrent  à  ses  pieds  pour  le  supplier  de 
les  admettre  au  nombre  de  ses  disciples  et  de  les  conduire  dans  le  chemin 
de  la  perfection  ;  ce  fut  par  là  qu'il  commença  l'établissement  de  la  Con- 
grégation dite  jusqu'à  présent  du  Mont-  Vierge,  l'an  1H9,  sous  le  pontificat 
de  Calixte  IL  II  n'est  pas  possible  d'expliquer  avec  quelle  ferveur  ces  nou- 
veaux religieux  embrassèrent  la  pratique  de  la  vertu,  étant  animés  par  les 
puissantes  exhortations  et  par  les  belles  actions  de  leur  saint  fondateur. 
L'abstinence  était  le  mets  le  plus  délicieux  de  leurs  repas  ;  la  morlilication 
intérieure  et  extérieure  faisait  leur  principal  exercice;  l'oraison  et  l'union 
avec  Dieu  étaient  leur  occupation  continuelle  ;  et  le  travail  des  mains,  hors 
le  temps  de  leurs  offices,  leur  servait  de  récréation.  Ils  vivaient  ainsi  en  paix 
et  dans  une  belle  concorde,  et  s'avançaient  à  grands  pas  vers  la  perfection, 
lorsque  le  démon  sema  parmi  eux  la  division  et  excita  en  eux  un  esprit  de 
murmure  contre  le  bienheureux  Guillaume,  à  cause  de  l'austérité  des  règles 
qu'il  leur  prescrivait  et  qu'ils  commencèrent  à  trouver  excessives  et  insup- 
portables, et  des  grandes  aumônes  qu'ils  lui  voyaient  faire  tous  les  jours  et 
qu'ils  crurent  être  extrêmement  préjudiciables  au  monastère.  Cette  aigreur 
des  religieux  lui  fit  prendre  la  résolution  de  se  retirer,  parce  qu'il  n'est  guère 
possible  de  réduire  des  esprits  aigris  qu'en  leur  ôtant  de  devant  les  yeux 
l'objet  de  leur  peine  ;  il  jugea  donc  que  sa  présence,  bien  loin  de  leur  être 
utile,  leur  serait  plutôt  fort  désavantageuse.  Cependant  Dieu,  qui  ne  permet 
le  mal  que  pour  en  tirer  un  plus  grand  bien,  n'avait  permis  cette  persécu- 
tion contre  son  serviteur  que  pour  lui  donner  moyen  d'étendre  davantage 
le  nouvel  Ordre  qu'il  avait  institué  :  aussi,  abandonnant  le  Mont- Vierge,  il 
fonda  plusieurs  autres  monastères  tant  d'hommes  que  de  filles,  en  divers 
endroits  du  royaume  de  Naples  ;  ce  qu'il  n'eût  pu  faire  aisément  en  demeu- 
rant toujours  dans  sa  première  solitude.  L'esprit  de  son  institut  était  de 
mener  une  vie  pénitente  ;  c'est  pourquoi  il  interdit  à  ses  enfants  le  vin,  la 
viande  et  toutes  sortes  de  laitage,  et  ordonna  que  trois  jours  de  la  semaine 
on  ne  mangerait  que  des  herbes  crues  avec  un  peu  de  pain. 

La  réputation  de  sa  sainteté  se  répandant  de  toutes  parts,  elle  vint  jus- 
qu'à Roger  1",  roi  de  Naples,  qui  le  fit  bientôt  venir  à  sa  cour  pour  avoir  la 
consolation  de  l'entretenir.  Il  fut  si  édifié  de  sa  conversation  tout  angélique, 
qu'il  fit  bâtir  une  maison  de  son  Ordre  à  Salerne,  vis-à-vis  de  son  palais,  afin 
de  l'avoir  plus  souvent  auprès  de  lui.  Il  s'entretenait  souvent  avec  ce  saint 
homme  Guillaume  sut  en  profiter  pour  parler  au  roi  de  son  devoir  et  le 
porter  à  la  vertu.  Il  lui  représentait  qu'il  ne  devait  pas  s'oublier  parmi  l'éclat 
de  sa  grandeur,  ni  se  laisser  éblouir  au  brillant  de  sa  couronne  ;  que  cette 
félicité  mondaine  passerait  un  jour  ;  qu'il  avait  un  souverain  Juge  auquel  il 
devait  rendre  compte  de  toutes  ses  actions  ;  qu'il  pensât  à  mériter  sa  grâce 
en  l'aimant  de  tout  son  cœur,  et  à  apaiser  sa  colère  par  une  crainte  filiale 
de  l'offenser  ;  que,  pour  attirer  les  bénédictions  du  ciel  sur  son  royaume,  il 
devait  être  entièrement  soumis  à  la  sainte  Eglise,  faire  rendre  la  justice 
dans  tous  ses  Etats  et  en  réprimer  l'injustice  ;  se  déclarer  le  père  et  le  pro- 
tecteur des  pauvres,  combattre  le  vice  et  bannir  les  vicieux,  prendre  tou- 
jours le  parti  de  la  vertu  et  des  gens  de  bien,  interdire  les  pompes  et  le  luxe 
qui  sont  la  ruine  des  familles  ;  enfin  vivre  lui-même  de  telle  manière  qu'il 
servit  d'exemple  à  tout  le  monde.  Il  faisait  de  semblables  exhortations  aux 
grands  seigneurs,  tâchant  de  leur  imprimer  de  l'horreur  pour  le  péché  et  de 
i'amour  pour  la  piété.  Néanmoins,  comme  la  dévotion  trouve  des  ennemia 


360  25  JUIN. 

partout,  et  particulièrement  dans  la  cour  des  princes,  quelques  courtisans 
mirent  dans  l'esprit  du  roi  que  notre  Saint  n'était  pas  ce  que  l'on  pensait, 
et  que,  si  Sa  Majesté  voulait  qu'on  l'éprouvât,  on  verrait  bientôt  que  sa 
vertu  n'était  qu'une  hypocrisie.  Roger,  trop  crédule,  écouta  cette  proposi- 
tion :  une  courtisane  fut  chargée  de  le  solliciter  au  mal  et  de  le  faire  tomber 
dans  le  péché.  Cette  misérable  vint  donc  trouver  le  Bienheureux  avec  tous 
les  charmes  qu'elle  crut  capable  de  lui  inspirer  de  l'amour,  et,  par  des  dis- 
cours lascifs,  elle  le  pressa  de  consentir  au  plaisir  qu'elle  lui  offrait.  Il  fei- 
gnit d'abord  d'y  acquiescer  et  la  pria  de  revenir.  La  courtisane  s'imagina 
qu'elle  avait  remporté  la  victoire  et  courut  en  porter  la  nouvelle  au  roi. 
Mais  elle  fut  bien  surprise  lorsque,  sur  le  soir,  étant  retournée  vers  le  Saint, 
elle  le  vit  se  coucher  sur  un  lit  de  charbons  ardents  et  l'inviter  à  faire  de 
même.  Ce  prodige  l'étonna  si  fort  (car  le  feu  ne  faisait  aucun  mal  au  servi- 
teur de  Dieu)  que,  fondant  en  larmes,  elle  se  prosterna  contre  terre,  lui 
demandant  pardon  de  son  crime;  et,  d'une  infâme  pécheresse,  elle  devint 
une  Madeleine  pénitente.  Depuis,  elle  publia  partout  ce  miracle  pour  con- 
firmer la  bonne  opinion  que  l'on  avait  de  notre  Saint.  Vendant  tout  ce 
qu'elle  avait,  elle  aida  Guillaume  à  fonder  un  couvent  de  femmes  à  Venosa, 
s'y  renferma  sous  la  conduite  du  Saint  et  en  devint  abbesse  ;  elle  est  connue 
sous  le  nom  de  la  bienheureuse  Agnès  de  Venosa.  Saint  Guillaume,  ayant  appris 
par  révélation  qu'il  irait  bientôt  recevoir  dans  le  ciel  la  récompense  de  ses 
travaux,  en  avertit  le  roi,  lui  recommanda  pour  la  dernière  fois  la  pratique 
des  instructions  qu'il  lui  avait  données,  et  se  retira  au  monastère  de  Guglieto, 
près  de  la  ville  de  Nusco,  pour  se  préparer  à  la  mort.  Cet  heureux  jour  étant 
venu,  selon  qu'il  l'avait  prédit  quelque  temps  auparavant,  il  se  fit  porter  à 
l'église  ;  là,  couché  sur  la  terre  nue,  sans  vouloir  permettre  que  l'on  mît  rien 
sous  lui  pour  le  soulager,  il  exhorta  ses  religieux  à  la  persévérance,  les  pria 
de  l'enterrer  avec  le  même  habit  dont  il  était  vêtu,  et  rendit  à  Dieu  son 
âme  bienheureuse,  qui  s'en  alla  jouir  de  sa  présence  l'an  de  Notre-Seigneur 
4142.  Quelques  auteurs  disent  que  ce  fut  le  7  juin;  mais  le  révérend  Père 
Renda,  prieur  du  Mont- Vierge,  qui  a  écrit  sa  vie,  met  son  décès  en  ce  jour  : 
en  quoi  il  a  été  suivi  par  le  cardinal  Baronius.  en  ses  Remarques  sur  le  mar- 
tyrologe romain.  Son  corps  fut  inhumé  dans  la  même  église,  qui  a  changé 
son  nom  de  Saint-Sauveur,  à  qui  elle  était  dédiée,  en  celui  de  Saint-Guil- 
laume, fondateur  du  Mont -Vierge. 

Notre  Saint  ne  donna  point  de  Règle  par  écrit  â  ses  religieux,  mais  les 
gouverna  toujours  de  vive  voix  et  par  ses  exemples.  Albert,  qu'il  mit  en  sa 
place  en  quittant  le  Mont- Vierge,  continua  de  les  conduire  de  la  même 
manière  ;  mais  Robert,  qui  lui  succéda,  prévoyant  que  l'ordre  ne  se  main- 
tiendrait pas  par  de  simples  traditions  et  des  coutumes  usuelles,  qu'il  est 
aisé  d'altérer  et  de  changer  tout  à  fait,  eut  recours  au  souverain  pontife 
Alexandre  III,  pour  le  mettre  sous  la  Règle  de  Saint-Benoît,  sous  laquelle  il 
est  demeuré  avec  beaucoup  de  réputation.  Aussi  on  compte  ce  Robert  pour 
le  premier  abbé  de  la  Congrégation. 

11  y  a,  sur  cette  pieuse  montagne  du  Mont-Vierge,  une  célèbre  image  de 
Notre-Dame,  qui  fut,  croit-on,  donnée  par  l'empereur  Frédéric  II.  On  dit 
qu'on  ne  peut  pas  jeter  les  yeux  sur  cet  aimable  portrait  sans  être  saisi  de 
componction  et  touché  du  regret  de  ses  péchés  passés,  et  que  ceux  même 
qui  n'y  vont  que  par  curiosité  ne  laissent  pas  de  ressentir  le  même  effet.  La 
dévotion  y  est  si  grande  qu'on  voit  des  pèlerins  baiser  la  terre  depuis  la 
porte  du  monastère  jusqu'au  pied  de  l'autel  où  repose  la  sainte  image. 

Les  rois  de  Naples  ont  toujours  porté  beaucoup  de  vénération  à  cette 


SAINT  JLVXIME,    ÉVÈQUE    ET   PATRON  DE   TURIN.  361 

église.  Louis  de  Tarente,  qui  avait  épousé  la  reine  Jeanne,  y  choisit  sa  sépul- 
ture, et  l'on  y  voit  encore  son  tombeau,  dont  la  magnificence  est  digne  de  la 
majesté  royale.  Elle  possédait  autrefois  le  corps  de  saint  Janvier  ;  mais  les 
religieux  s'en  sont  privés  pour  enrichir  la  ville  de  Naples,  capitale  de  tout 
le  royaume.  Elle  conserve  néanmoins  une  infinité  d'autres  reliques  très- 
précieuses,  entre  lesquelles  on  compte  les  trois  enfants  que  l'on  appelle  de 
la  Fournaise,  et  quelques  gouttes  du  sang  de  Jean-Baptiste.  On  rapporte 
encore  une  chose  fort  remarquable  touchant  cette  sainte  montagne  :  depuis 
isaint  Guillaume,  on  n'y  a  jamais  pu  manger  que  des  viandes  de  Carême  ;  ce 
iqui  a  été  confirmé  par  plusieurs  miracles  ;  car  ceux  qui  ont  voulu  tenter 
id'y  porter  d'autres  viandes,  ou  les  ont  trouvées  toutes  corrompues  et  pleines 
'de  vers,  ou  les  pluies,  les  foudres  etles  éclairs  qui  survenaient  tout  à  coup, 
d'une  manière  épouvantable,  les  obligeaient  de  prendre  la  fuite.  Cela  nous 
fait  voir  que  ce  saint  lieu  est  consacré  par  le  ciel  à  la  pénitence. 

On  peint  assez  ordinairement  notre  Saint  agenouillé  devant  une  image 
de  Marie,  pour  rappeler  sans  doute  le  nom  de  la  montagne  qui  devint  le 
berceau  de  la  Congrégation  bénédictine  établie  par  lui.  A  ses  côtés  se  voit 
quelquefois  un  loup  :  c'est  celui  qui  suppléa  à  la  perte  de  l'âne  qu'il  avait 
étranglé  au  moment  où  il  traînait  les  matériaux  destinés  à  la  construction 
de  l'église  du  monastère  de  Saint-Guillaume.  ,..,-,._ 

Nous  nous  sommes  particulibremcnt  servi,  pour  faire  cet  abrtf^e',  de  Sylvestre  Marulli,  de  TOrdre  de 
Citeaux  qui  a  écrit  la  vie  de  saint  Guillaume  dans  son  livre  intitulé  :  l'Histoire  sacrée  de  toutes  les  reli- 
gions (Ordres  religieux)  du  monde  catholique. 


SAINT  MAXIME,  ÉVÊQUE  ET  PATRON  DE  TURIN  (466). 

Saint  Maxime,  évêque  de  Turin,  loué  dans  Gennade  pour  le  don  particulier  qu'il  avait  de  parler 
sur-le-cliamp,  enseignait  aux  peuples  les  vérités  qu'il  avait  apprises  de  l'Ecriture  dont  il  faisait 
son  étude  ordinaire.  On  a  lieu  de  croire  qu'il  était  de  Verceil.  Il  assista,  en  430,  au  concile  de 
Milan,  assemblé  par  l'évèque  saint  Eusèbe,  et  à  celui  que  le  pape  Hilairetint  à  Rome,  en  463;  il 
est  nommé  le  premier  après  le  Pape  dans  ce  concile,  honneur  qu'on  lui  déféra  apparemment,  ou 
pour  son  grand  âge,  ou  pour  son  mérite  personnel.  Il  protesta,  dans  cette  assemblée,  qu'il  ne  pou- 
■ïait  mieux  marquer  son  sentiment  sur  l'observation  des  canons,  touchant  l'ordination  des  minières  de 
l'Eglise,  qu'en  déclarant  qu'il  les  observait  toujours  inviolablement.  C'est  tout  ce  que  nous  sa- 
vons de  la  vie  et  des  actions  de  ce  saint  évêque.  Il  mourut  probablement  en  465. 

On  représente  ordinairement  samt  ;\Iaxime  avec  une  biche  qu'il  montre  à  un  espion.  C'est  une 
allusion  au  fait  que  voici  :  Saint  .^i,lXlUle  avait  l'habitude  d'aller  prier  souvEnt  dans  une  chapelle 
écartée;  on  s'imagina  que  quelque  mauvais  dessein  le  conduisait  en  cet  endroit.  Un  homme  l'épia 
et  fut  pris  d'une  soif  si  ardente  qu'il  fut  contraint  à  recourir  au  Saint.  L'évèque  lui  indiqua  une 
biche  qui  se  laissa  traire  pour  le  désaltérer. 

Saint  Maxime  est  surtout  célèbre  par  les  écrits  qu'il  a  laissés.  On  a  de  lui  des  Homélies  sur  la 
naissance  de  Jésus-Christ,  pour  les  dimanches  de  Carême,  sur  la  Passion,  sur  la  fête  de  Piques, 
sur  la  fête  de  la  Pentecôte,  à  la  louange  des  Saints,  sur  divers  points  morale.  Le  Père  Muralori 
en  a  publié  un  grand  nombre.  —  On  a  aussi  de  saint  Maxime  une  Exposition  des  Capitules  des 
Evangiles;  des  Expositions  des  Evangiles;  un  traité  des  Noms  des  douze  Apôtres;  trois 
traités  sur  le  Baptême  ;  deux  autres  contre   les  Juifs  et  les  Païens. 

En  1784,  l'imprimerie  delà  Propagande  de  Rome  a  publié,  par  ordre  du  pape  Pie 'VI,  une  édi- 
tion in-folio  des  œuvres  complète  de  saint  Maxime.  Elle  a  été  reproduite  au  tome  Lvn  delà  Patro- 
logie  latine. 

Saint  Maxime  a  toujours  été  en  grande  considération  dans  l'Eglise,  et  les  rédacteurs  du  Bré- 
viaire romain  en  ont  tiré  plusieurs  leçons.  Il  est  remarquable  par  l'abondance  de  sa  doctrine  et 
SOU  éloquence  naturelle  ;  il  plaît  à  ses  lecteurs  par  la  pureté  de  son  langage  ;  il  les  tient  eachaî- 


362  25  JUIN. 

oés  par  la  finesse  de  ses  sentences  et  par  la  gravité  de  son  discours  ;  s'appuyant  sans  cesse  sur 
les  saintes  Lettres,  il  apporte  continuellement  en  preuve  les  paroles  de  l'Ecriture  qu'il  commente 
avec  une  merveilleuse  facilité.  Il  imite  fréquemment  saint  Augustin  et  saint  Ambroise,  les  deux 
plus  célèbres  docteurs  et  orateurs  de  l'Eglise  latine. 

Dom  Ceillien  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  tcclésiastiques  ;  —  Cf.  Bsillet. 


SAINT  GOHARD»,  ÉVÊQUE  DE  NANTES  (843). 

L'an  de  l'incarnation  du  Sauveur  843,  Raynaud,  comte  de  Nantes,  livra  bataille,  sur  les  bords 
de  la  Vilaine,  en  un  lieu  nommé  Meciac,  aux  Bretons,  qui  lui  firent  éprouver  une  grave  défaite, 
grâce  au  secours  que  leur  prêta  le  traître  Lambert,  qui  convoitait  le  comté  de  Nantes.  Mais  ce 
même  Lambert  fut  bientôt  chassé  de  la  ville  de  Nantes  et  de  tout  le  pays.  Or,  un  mois  après  ces 
événements,  au  mois  de  juin,  les  Normands,  nation  féroce,  pénétraient  dans  les  eaux  de  la  Loire 
avec  une  flotte  nombreuse.  Bientôt,  favorisés  par  le  vent,  et  conduits  par  le  perfide  Lambert,  qui 
avait  eu  soin  de  faire  reconnaître  auparavant  la  place  par  des  espions,  ils  remontent,  à  force  de 
voiles  et  de  rames,  jusqu'à  la  ville  de  Nantes.  Les  ennemis  débarquent  et  entourent  la  place,  et, 
ne  rencontrant  pas  de  résistance,  ils  s'en  emparent,  la  pillent  et  la  d>ivastent. 

Gohard,  homme  d'une  vie  innocente  et  pure,  était  évêque  de  Nantes  ;  tout  le  clergé,  ainsi  que 
les  religieux  d'un  monastère  voisin  nommé  Antrum,  portant  avec  eux  le  trésor  de  leur  église, 
s'étaient  réfugiés  dans  la  ville;  les  rnurs  de  Nantes  contenaient  en  outre  une  grande  multitude  de 
peuple  que  la  crainte  de  l'ennemi  avait  attirée  aussi  bien  que  la  fêle  de  la  nativité  de  saint  Jean- 
Baptiste,  non-seulement  des  régions  circonvoisines,  mais  encore  des  villes  éloignées.  En  voyant 
l'ennemi  dans  l'enceinte  des  murs,  toute  cette  foule  se  porta  en  masse  à  l'église  des  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul,  pour  implorer  le  secours  du  ciel,  qui  seul  pouvait  les  délivrer.  Mais  les 
païens,  brisant  les  portes  et  les  fenêtres  de  l'édifice  sacré,  se  jettent  comme  des  loups  altérés  de 
sang  sur  ce  troupeau  sans  défense.  L'épée  frappe  tout  ce  qu'elle  rencontre,  ne  discernant  ni  le 
sexe  ni  l'âge.  Gohard  lui-même,  l'évèque  du  Christ,  est  atteint  et  massacré  pendant  le  saint  sacri- 
fice qu'il  offrait,  au  moment  où  il  disait  Sursum  corda. 

11  y  eut  beaucoup  de  religieux  tués,  les  uns  hors  de  l'église,  les  autres  dedans,  et  la  plupart 
autour  de  l'autel.  Lorsque  les  Barbares  furent  rassasiés  de  carnage,  ils  songèrent  à  faire  des  pri- 
sonniers, qu'ils  transportèrent  sur  leurs  vaisseaux  et  que  les  survivants  rachetèrent  par  une  forte 
rançon.  Ensuite  ils  pillèrent  et  saccagèrent  la  ville,  et  incendièrent  l'église  avant  de  se  retirer. 
Le  corps  de  saint  Gohard,  transféré  à  Angers,  fut  gardé  avec  une  grande  vénération  dans  l'église 
collégiale  de  Saint-Pierre.  11  fut  reconnu  solennellement  en  1523  ;  à  côté  du  corps  furent  trouvées 
deux  plaques  de  plomb  portant  cette  inscription  :  Humilis  Gohardus  Nannetensium  Pater 
et  martyr.  Tous  les  ossements  du  bienheureux  Martyr,  aussi  bien  que  plusieurs  insignes  reliques 
que  possédait  l'Eglise  de  Nantes,  ont  disparu  pendant  la  tourmente  révolutionnaire  du  der« 
nier  siècle. 

Propre  de  Nantes. 


SAINT  SALOMON,  ROI  ET  MARTYR  EN  BRETAGNE  (874). 

Saint  Salomon  était  de  la  race  des  anciens  princes  bretons.  Il  était  fort  jeune  quand  Rivallon, 
son  père,  mourut,  et  son  oncle  Nominoé  eut  pour  lui  des  soins  et  des  bontés  dont  Salomon  resta 
toujours  reconnaissant. 

Après  la  mort  de  Nominoé,  en  851,  il  n'eut  pas  les  mêmes  égards  ni  le  même  attachement 
pour  Erispoé,  son  successeur.  Sous  prétexte  qu'il  descendait  du  frère  aîné  de  Nominoé,  et  qu'il 
avait  plus  de  droits  sur  la  Bretagne  que  son  cousin,  il  se  mit  à  cabaler  contre  lui,  et  obtint  du 
roi  Charles  le  Chauve,  en  853,  le  tiers  de  la  Bretagne,  sous  la  suzeraineté  d" Erispoé. 

1.  Alias,  Guichard,  Gunbar. 


MARTYROLOGES.  363 

Celle  première  satisfaction  le  rendit  paisible  pendant  quelques  années,  mais,  en  857,  craignant 
de  \oir  passer  la  couronne  sur  une  autre  tète,  par  le  mariage  de  la  fille  de  son  rival,  il  ourdit  une 
noire  consi)iralion,  et  ne  craignit  pas  de  poursuivre  Erispoé  jusque  dans  une  église  el  de  l'assas- 
siner sur  l'autel  même. 

Les  Bretons,  ignorant  ce  crime,  acceptèrent  Salomon  pour  roi  et  l'aidèrent  à  repousser  les 
Francs  qui  dierchaient  à  envahir  la  bretagne.  A  part  son  crime,  Salomon  avait  toutes  les  qualités 
qne  l'on  peut  souhaiter  dans  un  prince  :  une  taille  majestueuse,  la  science  de  la  guerre,  un  cou- 
rage intrépide  ;  il  fit  aussi  paraître  depuis  beaucoup  de  jusiice  et  de  piété. 

Mais  Dieu,  qui  ne  laisse  jamais  le  crime  impuni,  suscita  à  Salomon  une  foule  d'affaires  et 
d'épreuves  qui  servirent  à  expier  son  péché  el  à  sanctifier  son  âme.  Sans  parler  des  guerres  qu'il 
eut  à  soutenir  contre  les  Francs  et  contre  les  Normands,  il  dut  s'occuper  des  évèques  injustement 
déposés,  en  847,  par  Nominoé,  et  celte  épineuse  affaire  lui  occasionna  bien  des  correspondancea 
et  bien  des  embarras,  soit  avec  les  évèques,  soit  avec  le  Pape  lui-même. 

Sans  compter  les  pénitences  qu'il  accomplissait,  Salomon,  pour  se  purifier  de  plus  en  pins, 
multipliait  les  bonnes  œuvres,  bâtissait  le  monastère  de  Plélan  ou  de  Saint-Maizent,  et  le  comblai* 
de  dons  magnifiques. 

Cepend.ml  une  conspiration  se  tramait  aussi  contre  Salomon  :  la  peine  du  talion  lui  était  ré- 
servée. Surpris  p;ir  les  conjurés  et  incapable  de  résister,  il  prit  la  fuite  et  se  réfugia  dans  un  petit 
monastère  aux  confins  du  Poher  et  du  Léon,  dans  une  paroisse  appelée  jadis  Mezzer-Salaùn 
(Martyre  de  Salomon),  et  aujourd'hui  La  Martyre  (Finistère). 

Les  rebelles  investirent  sa  retraite  le  23  juin  874.  Un  reste  de  religion  les  empêcha  de  rien 
entreprendre  contre  lui  le  jour  suivant,  fête  de  la  Nativité  de  saint  Jean-Baittiste.  Ils  lui  envoyèrent 
seulement  un  évèqne  pour  l'engager  à  quitter  son  asile  et  à  se  rendre  volontairement  pour  éviter 
la  profanation  possible  du  lieu  saint.  Salomon,  risigué  à  tout,  se  munit  du  sacrement  de  l'Eucha- 
ristie et  se  présenta  devant  ses  ennemis  avec  un  courage  magnanime.  Les  Bretons,  frappés  de  res- 
pect, n'osèrent  tirer  l'épée  contre  lui,  et  le  livrèrent  à  Fulcoald  et  à  quelques  autres  français  qui  lui 
firent  crever  les  yeux  par  son  propre  filleul.  Le  vieux  roi  ne  put  survivre  à  ce  cruel  supplice,  et 
fut  trouvé  mort  le  lendemain  25  juin  874. 

C'est  encore  le  jour  où  l'Eglise  de  Vannes  honore  sa  mémoire. 

Le  corps  du  roi  Salomon  fut  inhumé  dans  le  monastère  de  Plélan  ou  de  Saint-Maixent,  confor- 
mément au  dé>ir  qu'il  avait  exprimé  de  reposer  auprès  de  la  reine  Wembrit.  Plus  tard,  ce  corps 
fut  enlevé,  probablement  pendant  les  ravages  des  Normands,  et  transporté,  parait-il,  jusqu'à  Pilhi- 
vers,  au  diocèse  d'Orléans,  où  une  église  fut  érigée  en  son  honneur.  Cependant  uue  partie  de  se» 
reliques  resta  ou  revint  en  Bretagne,  car  l'église  de  Saint-Salomon,  à  Vannes,  possédait  quelques 
ossements  de  ce  saint  roi  jusqu'à  la  Révolution;  depuis  la  destruction  de  l'église  de  Saint-Salomon, 
en  1793,  les  reliques  ont  été  transférées  à  la  cathédrale,  où  elles  sont  encore  l'objet  de  la  véné- 
ration des  fidèles. 

Nous  devons  cette  notice  à  la  bienveillance  de  M.  l'abbé  J.-il.  Le  Mené,  chanoine  honoraire,  secrétaire 
général  de  révèché  de  Vannes. 


XXVr  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  sur  le  mont  Célius,  les  saints  martyrs  Jean  et  Padl,  frères,  dont  le  premier  était 
intendant  et  le  second  primicier  de  la  vierge  Constance,  fille  de  l'empereur  Constantin;  décapités 
sous  le  règne  de  Julien  l'Apostat,  ils  reinportèrest  la  palme  du  martyre.  Vers  302.  —  A  Trente, 
saint  Vigile,  évèque,  qui,  s'efforçant  d'extirper  entièrement  les  restes  de  l'idolâtrie,  fut  accablé 
d'une  grêle  de  pierres  par  des  impies,  et  accomplit   ainsi  son  martyre  pour  la  défense  dn  nom  de 


364  26  JUIN. 

Jésus-Christ.  400.  —  A  Cordoue,  en  Espagne,  la  naissance  au  ciel  de  saint  Pelage,  jeune  enfant, 
qui,  pour  la  confession  de  la  foi,  fut,  par  l'ordre  d'Abdérame,  roi  des  Sarrasins,  coupé  en  mor- 
ceaux avec  des  tenailles  de  fer  ',  et  consomma  ainsi  glorieusement  son  martyre.  925.  —  Près  de 
Valenciennes,  le  supplice  de  saint  Saulve,  évéque  d'Angoulème,  et  de  saint  Super,  martyrs.  768. 

—  De  plus,  la  mémoire  de  saint  ânthelme,  évêque  de  Bellay.  1178.  —  En  Poitou,  saint  iMaixent 
ou  Maxence.  nommé  aussi  saint  Adjuteur,  prêtre  et  confesseur,  célèbre  par  ses  miracles.  515. 

—  A  Thessalonique,  saint  David,  ermite.  Vers  540.  —  Le  même  jour,  sainte  Persévérande  ou 
Péchinne,  vierge,  vi*  s. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Cambrai,  saint  Saulve  et  son  disciple  saint  Super,  martyrisé,  au  village  de  Beu- 
vrage,  près  de  Valenciennes,  et  nommés  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  —  Au  diocèse  de 
Chambéry,  saint  Anthelme,  nommé  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  —  Au  diocèse  de  Paris, 
saint  Habolein  ou  Babolène,  premier  abbé  de  Sainl-Maiir  des  Fossés,  oii  l'on  voit  son  corps  sacré 
en  une  châsse  au-dessus  du  maitre-autel.  Il  avait  été  disciple  de  saint  Colomban  et  de  saint  Ré- 
inacle,  et  abbé  de  Stavelot,  en  Belgique.  Vers  671.  —  A  Sens,  sainte  Teiidechilde,  tille  de  Clo- 
vis  I"^'  et  de  sainte  Clolilde,  laquelle,  ayant  consacré  à  Dieu  sa  virginité,  fonda  un  monastère  de 
filles  aux  portes  de  cette  ville.  —  A  Saint-Pierre-sur  Dive,  au  diocèse  de  Bayeux,  saint  Vambert, 
curé,  tué  par  les  Normands,  ix»  s.  —  Aux  Pays-Bas,  saint  Corbican,  irlandais,  viii»  s.  —  A  Poi- 
tiers, la  translation  de  saint  Hilaire  *.  —  Encore  à  Poitiers,  saint  Maxence  ou  Maixent  (différent 
de  celui  que  nomme  aujourd'hui  le  martyrologe  romain),  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  11  était, 
dit-on,  frère  aine  de  saint  Maximin,  évêque  de  Trêves  ;  il  gouverna  saintement  l'Eglise  de  Poi- 
tiers, préparant  le  terrain  que  devait  féconder  bientôt  par  son  éloquence  et  ses  vertus  le  grand 
docteur  de  l'Eglise,  saint  Hilaire,  son  successeur.  Ses  restes  furent  déposés  dans  l'église  du  petit 
monastère  de  Silly,  Monastenum  Sigiliacense ,  aujourd'hui  Mouterre-Silly  (Vienne).  353.  —  A 
Autun,  saint  Désiré,  de  Chilon-sur-Saûne,  dont  saint  Grégoire  de  Tours  fait  l'éloge  dans  son  livre 
de  la  Gloire  des  Confesseurs  ^.  579.  —  A  Clermont,  en  Auvergne,  saint  Ajudou.  —  A  Tournay, 
au  noviciat  des  Jésuites,  la  réception  du  corps  de  sainte  Deppe,  vierge  et  martyre,  lequel  a  été 
tiré  du  cimetière  de  Priscille,  à  Rome.  1612.  —  A  Tulle,  le  décès  de  Catherine-.Marcelline  Pauper, 
vierge,  personne  d'une  éminente  piété.  Elle  naquit  en  1666,  à  Saint-Saulge,  au  diocèse  de  Nevers. 
Dès  l'âge  de  dix-neuf  ans.  Dieu  la  favorisa  d'apparitions,  de  communications  intimes  et  d'extases 
qui  rappellent  les  détails  de  la  vie  de  sainte  Catherine  de  Sienne,  sa  patronne.  A  vingt-deux  ans, 
elle  entra  dans  la  Congrégation  naissante  des  sœurs  de  la  Charité  et  Instruction  chrétiennes  de  Ne- 
vers,  qu'elle  édifia  par  l'exemple  de  ses  vertus,  sanctifia  par  l'austérité  de  ses  morlilications  et  dé- 
veloppa par  son  talent  et  son  habileté.  Elle  fonda  des  maisons  de  son  Ordre  à  Murât,  à  Vic-Fezen- 
sac,  à  Bourg-Saint-Andéol,  à  Saint-Etienne  et  à  Tulle  où  elle  mourut.  Son  corps  fut  inhumé  dans 
l'église  de  Saint-Julien  de  cette  ville.  Son  chef  est  conservé  avec  respect  dans  le  pensionnat  de» 
sœurs  de  la  Congrégation  de  Nevers,  à  Tulle,  1708. 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS   LES    BOLLANDISTES   ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

En  Afrique,  les  saints  Gaudence.  Félix,  Agapit,  Emérite,  martyrs,  portés  au  martyrologe  de 
•aint  Jérôme.  —  A  Alexandrie  d'Egypte,   les  saints  Agalhon,  Lucie,  vierge,  et  Diogène,  martyrs, 

1.  Il  y  avait  deux  sortes  de  tenailles  en  usage  dans  les  supplices  (leS*martyrs.  Les  unes  étaient  tran- 
chantes comme  celles  dont  il  est  ici  question  ;  les  autres  étaient  faites  pour  comprimer  et  mettre  à  la 
question.  L'évéque  Synésius  parle  de  ces  dernières  dans  sa  lettre  quarante-huitième,  où  il  est  question 
de  la  cruauté  du  président  Andronic;  il  dit  :  Les  tenailles  étaient  toutes  prêtes  à  saiair  les  oreilles  et  à 
broyer  les  lèvres,  etc.  Il  y  avait  encore  les  tenailles  dentelées  ;  elles  étaient  armées  de  trois  aiguillons  de 
fer,  qui  s'enfonçaient  dans  la  chair  du  patient  et  lu  perçaient.  Un  instrument  de  ce  genre  se  garde  encore 
dar.s  la  basilique  Vaticane,  parmi  les  reliques  des  Saints.  Quelques-uns  prétendent  que  c'était  l'instru- 
jnent  nommé  scorpion,  mais  ils  se  trompent.  Le  scorpion,  selon  saint  Isidore  (liv.  v  des  Origin.J,  était 
une  verge  garnie  de  nœuds  ou  de  pointes.  Telles  étaient  les  baguettes  de  palmiers,  pleines  de  dards,  qui 
restaient  attachés  aux  chairs  des  patients.  Les  Ariens  d'Alexandrie  s'en  servaient  pour  tourmenter  les 
catholiques,  comme  l'écrit  saint  Athanase,  dans  le  livre  de  son  Exil.  Victor  parle  d'un  Instrument  de 
snpplice  en  usage  dans  la  persécution  des  Vandales,  qui  parait  être  du  même  genre  :  •  Il  fait  préparer 
de  forts  bâtons  garnis  de  dents  de  bois,  en  manière  de  scie  ou  de  palme,  afin  non-seulement  de  pouvoir 
briser  les  os,  mais  encore  pour  faire  pénétrer  dans  les  chairs  des  dards  qui  y  resteraient  adhérents.  Cet 
instrument  portait  aussi  chez  les  Grues  le  nom  de  scorpios.  Il  est  mentionné  dans  l'Ecriture  sainte,  au 
troisième  livre  des  Rois  :  Pater  meus  cecidil  vos  (lagellis,  ego  autum  csdam  vos  scorpionibus.  Un  trait  qui 
■ervait  à  la  guerre,  et  qui  avait  été  inventé  par  les  Cretois,  portait  aussi  ce  nom.  (Pline,  Histoire  natu- 
relle, liv.  vn,  ch.  25.) 

2.  Nous  avons  donné  la  biographie  de  saint  Hilaire,  évêque  de  Poitiers,  et  patron  de  tout  le  diocèse, 
tous  le  13  janvier,  tome  i",  page  232. 

S.  Voir  au  jour  suivant. 


SAINT  JEAN  ET   SAINT  PAUL,    FRÈRES,    MARTYRS.  365 

mentionnés  par  le  même.  — En  Abyssinie,  saint  Tliadée,  martyr,  à  qui  l'on  fit  souffrir  le  supplice  de 
la  slraiigulalion  pour  avoir  converti  à  la  foi  de  Jésus-Christ  un  riche  idolâtre  et  une  pécheresse  pu- 
blique. —  Les  saints  martyrs  Thérapoiile,  Macaire,  Marc  et  Marcie,  portés  aux  synaxaires  manuscrits  de 
Paris  et  de  Milan,  mais  dont  on  ignore  le  pays.  —  Chez  les  Grecs,  saint  Anthion,  anachorète,  nommé 
dans  un  synaxaire  manuscrit  de  Dijon.  Il  fut,  comme  le  saint  homme  Job,  affligé  d'une  lèpre  hor- 
rible, et,  comme  lui,  il  endura  cette  infirmité  en  rendant  grâces  à  Dieu  de  ce  qu'il  humiliait  son 
corps  pour  le  rendre  plus  glorieux  au  jour  de  la  résurrection.—  Chez  les  Grecs  encore,  saint  Jean, 
évèque  d'Héraclée,  en  Thrace.  Son  père  s'appelait  Léon  et  sa  mère  Photine;  ils  relevèrent  dans  la 
crainte  de  Dieu.  Dès  son  enfance,  il  s'exerça  au  ministère  de  la  prédication,  et  mourut  en  distri- 
buant au  peuple  le  pain  de  la  parole  divine.  Vers  l'an  800.  —  Chez  les  Bulgares,  saint  Denis,  leur 
archevêque,  enseveli  auprès  de  Kiew,  en  Russie.  An  H80.  —  En  Belgique,  saint  Papolein,  évèque 
et  abbé  de  Slavelot  et  de  Malmédy-en-Ardennes,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  saint  Babolein, 
fêté  le  même  jour.  Le  titre  d'évêque  lui  est  donné  dans  un  diplôme  du  roi  Clovis  III.  Stavelot 
{Siabuliirn,  Stabulaus,  Stabuletum),  était  une  abbaye  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  au  diocèse  de 
Liège,  dans  la  forêt  des  Ardennes,  fondée  vers  l'an  651 ,  par  Sigebert  II,  roi  d'Austrasie,  et  saint 
Bernard,  évèque  de  Maëstricht  Elle  était  sous  l'invocation  de  saint  Pierr»'  et  de  saint  Rémacle,  et 
fut  l'origine  de  la  ville  de  Stavelot,  située  à  36  kii.  S  E.  de  Liège  Malmédy  {Molmundarium) 
était  également  un  monastère  de  l'Ordre  de  Saint-Benoit,  au  diocèse  de  Cologne  (province  rhénane), 
fondée  aussi  dans  la  forêt  des  Ardennes,  sous  l'invocation  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,- par  le 
même  Sigebert  II.  Ces  deux  abbayes,  qu'on  appelait  les  deux  sœurs  jumelles,  étaient  éloignées 
d'une  lieue  l'une  de  l'autre  et  n'avaient  qu'un  seul  et  même  chef.  La  dernière  a  donné  naissance 
à  la  petite  ville  de  Malmédy  (province  rhénane),  à  37  kil.  S.  d'Aix-la-Chapelle.  Vers  l'an  700 


SAINT  JEAN  &  SAINT  PAUL,  FRERES,  MARTYRS 

362.  —  Pape  :  Saint  Libère.  —  Empereur  :  Julien  l'Apostat. 


Sos  idem  sanguis  germanos  fecit  et  ortits  t 
Afoj's  eadem  melius  fecit  et  una  fides. 
Us  étaient  frères  déjà  et  par  le  sang  et  par  la  nais- 
sance; une  même  foi,   une   même  mort,  voilci  c6 
qui  a  mis  le  dernier  sceau  à  cette  fraternité. 
L'abbé  C.  Martin. 

Cette  vie  est  tout  exemplaire,  et  les  courtisans  y  trouveront  une  belle 
leçon  de  la  manière  qu'ils  se  doivent  conduire  lorsque  la  cour  s'abandonne 
à  l'impiété,  et  que  Dieu  cesse  d'y  être  servi.  Ces  deux  frères  étaient  romains, 
et  il  y  a  beaucoup  d'apparence,  quoique  leur  histoire  n'en  parle  point, 
qu'ils  avaient  été  élevés,  dès  leur  enfance,  dans  le  christianisme.  Lorsque 
l'empereur  Constantin  régla  la  maison  de  sa  fille  Constance,  qui  était  une 
princesse  de  grande  piété,  et  qui  avait  même  fait  vœu  de  virginité,  pour 
n'avoir  jamais  d'autre  époux  que  Jésus-Christ,  il  lui  donna  ces  deux  illustres 
frères  pour  officiers  :  Jean  fut  son  surintendant,  et  Paul  fut  son  premier 
maître  d'hôtel.  Leur  vertu  éclata  merveilleusement  dans  ces  emplois,  et 
elle  les  rendit  si  chers  à  Constance,  leur  maîtresse,  et  à  toute  la  cour,  qu'on 
ne  les  y  regardait  qu'avec  beaucoup  d'estime  et  avec  une  vénération  toute 
singulière. 

Une  chose  fit  connaître  encore  plus  combien  grand  était  leur  mérite,  et 
le  crédit  qu'ils  avaient  auprès  de  Dieu.  Les  Scythes  s'étant  jetés  dans  la 
Thrace,  avec  une  armée  formidable,  qui  faisait  craindre  qu'ils  ne  pous- 
sassent leurs  conquêtes  jusqu'à  Constantinople,  que  l'on  bâtissait  alors 
avec  une  magnificence  extraordinaire,  l'empereur  leva  aussitôt  des  troupes 
pour  s'opposer  à  cette  invasion  ;  et  comme  il  venait  de  reconnaître,  par  la 
défaite  des  Perses,  qu'un  officier  du  nom  de  Gallican  avait  toutes  Jes  qua- 


366  26  JUIN. 

lités  que  l'on  peut  souhaiter  dans  un  grand  capitaine,  il  le  fil  général  de 
son  année.  Ce  seigneur  voulut  profiler  de  cette  occasion,  et,  se  voyant  né- 
cessaire, il  mit  deux  conditions  au  service  qu'on  lui  demandait  :  d'abord 
que  s'il  revenait  victorieux,  on  le  ferait  consul  pour  la  seconde  fois,  car  il 
l'avait  déjà  été  une  fois  ;  ensuite  qu'on  lui  donnerait  la  princesse  Constance 
en  mariage,  afin  qu'il  eût  l'honneur  d'être  le  gendre  de  l'empereur. 

Constantin  acquiesça  facilement  à  la  première  condition  ;  mais,  pour  la 
seconde,  elle  lui  donna  beaucoup  d'inquiétude,  parce  qu'il  savait  que  sa 
fille  avait  fait  vœu  de  virginité,  et  qu'elle  se  laisserait  plutôt  mettre  à  mort 
que  de  le  transgresser.  Cette  sainte  fille,  sachant  la  peine  de  son  père,  et 
que,  dans  l'état  où  étaient  les  affaires,  il  était  bien  difficile  qu'il  refusât 
rien  à  Gallican,  vint  le  trouver  elle-même,  et  lui  dit  qu'il  ne  fît  point  diffi- 
culté de  la  promettre  en  mariage  à  Gallican,  s'il  revenait  victorieux  de  la 
guerre  contre  les  Scythes,  parce  qu'elle  espérait  que  Dieu  serait  le  protec- 
teur et  le  gardien  de  sa  chasteté  ;  qu'elle  demandait  seulement  que  ce  capi- 
taine, pour  gage  mutuel  de  leur  affection,  menât  avec  lui  à  la  guerre  Jean 
et  Paul,  ses  deux  fidèles  officiers,  et  qu'il  laissât  auprès  d'elle  deux  filles 
qu'il  avait  d'un  premier  mariage,  dont  l'une  s'appelait  Attique  et  l'autre 
Artémie. 

Les  choses  ayant  été  réglées  comme  Constance  le  souhaitait,  ces  deux 
vierges  demeurèrent  auprès  d'elle,  et  les  deux  saints  frères  Jean  et  Paul 
partirent  avec  Gallican  pour  aller  combattre  les  Barbares.  Alors  la  bienheu- 
reuse princesse  se  prosternant  devant  la  majesté  de  Dieu,  qui  a  tous  les 
cœurs  des  hommes  entre  ses  mains,  le  pria  avec  grande  ferveur  et  beau- 
coup de  soupirs,  d'ouvrir  les  yeux  de  l'âme  à  ce  général  et  à  ses  deux  filles, 
qui  étaient  encore  enveloppées  dans  les  erreurs  du  paganisme,  et  de  leur 
faire  la  grâce  de  le  reconnaître  pour  le  seul  vrai  Dieu  avec  son  Fils  unique 
Jésus-Christ  ;  elle  s'adressa  aussi  à  Notre-Seigneur,  et,  lui  représentant 
l'une  après  l'autre  toutes  les  actions  de  sa  vie  terrestre,  elle  le  conjura  de 
donner  au  père  et  aux  filles,  avec  la  lumière  de  la  foi,  le  mépris  du  monde, 
l'amour  de  la  pureté,  le  désir  de  lui  plaire  uniquement,  et  la  constance  à 
son  service. 

Sa  prière  fut  exaucée  :  car,  d'un  autre  côté,  l'entretien  qu'elle  eut  avec 
Attique  et  Artémie  fut  si  salutaire,  qu'elles  renoncèrent  au  culte  des  idoles 
et  embrassèrent  la  profession  de  la  chasteté  avec  le  christianisme  ;  et,  de 
l'autre.  Gallican  fut  aussi  converti  au  milieu  de  son  armée,  par  le  moyen 
de  Jean  et  Paul,  et  par  un  miracle  que  Dieu  fit  pour  le  rendre  victorieux. 
Voici  ce  miracle  :  Comme  il  était  prêt  d'être  entièrement  détruit  par  les 
Scythes,  une  partie  de  ses  troupes  ayant  déjà  été  taillée  en  pièces,  et  plu- 
sieurs de  ses  officiers  s'étant  ensuite  rendus  à  ces  Barbares,  Jean  et  Paul 
qui  le  virent  offrir  inutilement  des  victimes  aux  idoles  pour  en  obtenir  un 
changement  de  fortune,  s'adressèrent  à  lui  et  lui  dirent  :  «  Quoique  tout 
paraisse  désespéré,  et  qu'il  n'y  ait,  ce  semble,  plus  d'autre  moyen  de  sauver 
sa  vie  que  par  une  fuite  honteuse  qui  va  attirer  de  grands  maux  sur  l'Etat, 
nous  sommes  sûrs,  néanmoins,  que  si  vous  vouliez  promettre  au  Dieu  du 
ciel  de  vous  faire  chrétien,  et  de  l'adorer  comme  l'unique  Seigneur  de 
toutes  choses,  vous  remporteriez  la  victoire  et  vous  vous  rendriez  maître 
de  vos  ennemis  ».  Réduit  à  la  dernière  extrémité,  Gallican  écouta  volon- 
tiers cette  proposition,  et  fit  vœu,  sur-le-champ,  d'embrasser  le  christia- 
nisme, s'il  retournait  victorieux  vers  l'empereur.  A  l'heure  même,  il  vit  au- 
près de  lui  un  jeune  homme  d'une  belle  taille,  et  qui  avait  une  croix  sur 
l'épaule,  lequel  lui  ayant  ordonné  de  prendre  son  épée  et  de  le  suivre,  le 


SAINT  JEAN  ET   SAINT  PAUL,   FRÉIIES,    MARTYRS.  367 

mena  contre  les  ennemis  ;  il  vit  aussi  autour  de  lui  une  armée  de  soldats 
célestes,  qui,  jetant  la  terreur  de  Lous  côtés,  obligèrent  les  Barbares  de 
mettre  bas  les  armes,  de  se  jeter  à  ses  pieds,  de  se  rendre  à  discrétion, 
d'abandonner  toutes  leurs  dépouilles,  et  d'olfrir  de  se  retirer  en  leur  pays, 
et  de  payer  perpétuellement  un  tribut  à  l'empereur. 

Un  succès  si  heureux  fut  suivi  de  la  parfaite  conversion  de  ce  général  : 
il  revint  vers  Constantin,  non  plus  dans  le  dessein  de  prendre  la  robe  con- 
sulaire, ni  d'épouser  Constance,  mais  dans  la  résolution,  après  son  bap- 
tême, de  se  retirer  entièrement  du  monde,  et  de  suivre  les  conseils  de 
l'Evangile.  En  effet,  ce  ne  fut  que  contre  sa  volonté  qu'il  reçut  l'honneur  du 
triomphe,  et  qu'il  fut  déclare  consul  ;  et,  dans  son  consulat  même,  il  af- 
franchit cinq  mille  esclaves  qu'il  avait,  et  leur  donna  du  bien  pour  vivre 
honorablement  dans  le  monde  ;  il  vendit  aussi  une  partie  de  ses  héritages, 
dont  il  donna  le  prix  aux  pauvres.  Après  son  consulat,  il  se  retira  à  Ostie, 
où  il  fit  bâtir  un  grand  hôpital,  et  se  consacra  avec  saint  Hila'in,  à  recevoir 
les  pauvres  et  les  pèlerins  :  ce  qui  causa  une  si  grande  admiration  dans  le 
monde,  qu'on  y  venait  de  tous  côtés  pour  avoir  le  bonheur  de  voir  cet 
homme,  si  illustre  par  ses  charges  et  par  ses  triomphes,  laver  humblement 
les  pieds  des  pauvres,  faire  leurs  lits,  panser  leurs  plaies,  les  servir  à  table, 
et  leur  rendre  tous  les  devoirs  que  l'humilité  et  la  charité  chrétiennes 
peuvent  inspirer. 

Cependant  saint  Jean  et  saint  Paul  étant  revenus  à  la  cour  auprès  de  la 
sainte  princesse  Constance,  continuèrent  d'y  exercer  les  œuvres  de  piété  et 
de  miséricorde  dont  ils  avaient  toujours  fait  profession  ;  et  comme  ils  rece- 
vaient de  grands  appointements  de  la  libéralité  de  leur  maîtresse,  ils  les 
distribuaient  aussi  avec  une  sainte  profusion  pour  la  subsistance  et  le  sou- 
lagement des  pauvres.  Après  la  mort  de  Constantin,  ils  demeurèrent  au 
service  de  ses  enfants,  et  furent  toujours  au  nombre  de  leurs  principaux 
officiers,  quoique  Constance  fût  aussi  décédée;  mais  quand  Julien  l'Apostat 
fut  monté  sur  le  trône,  voyant  que  ce  prince  avait  quitté  le  christianisme 
pour  retourner  au  culte  infâme  des  idoles,  et  qu'il  travaillait  môme  à  le 
rétablir  dans  tout  l'empire,  ils  renoncèrent  à  toutes  leurs  charges  et  au 
rang  qu'ils  tenaient  dans  l'Etat,  et  se  retirèrent  en  leur  particulier,  ne 
voulant  point  avoir  de  commerce  avec  cet  empereur,  qui  avait  abandonné 
son  Dieu  pour  offrir  des  sacrifices  au  démon. 

Julien  n'était  pas  moins  altéré  des  trésors  que  du  sang  des  chrétiens;  il 
les  faisait  dépouiller  de  tous  côtés  de  leurs  biens,  disant  par  raillerie,  que, 
«  puisque  l'Evangile  leur  apprenait  qu'il  fallait  se  faire  pauvre  pour  devenir 
parfait,  c'était  leur  rendre  un  signalé  service  que  de  leur  ôter  cet  empêche- 
ment à  leur  perfection  ».  Se  proposant  d'enrichir  quelques-uns  de  ses  favo- 
ris des  dépouilles  de  nos  deux  saints  frères,  il  ordonna  àTérentien,  capitaine 
d'une  des  compagnies  de  ses  gardes,  de  les  aller  voir  et  de  leur  dire  de  sa 
part  que,  son  dessein  étant  d'honorer  les  vieux  officiers  de  ses  prédécesseurs, 
il  souhaitait  qu'ils  se  rendissent  auprès  de  lui  pour  tenir  à  la  cour  le  même 
rang  qu'ils  y  avaient  tenu  sous  Constantin  et  sous  ses  enfants.  Jean  et  Paul 
répondirent  qu'il  y  avait  bien  de  la  différence  entre  ces  empereurs  et  Julien  ; 
que  ces  grands  princes  faisaient  profession  d'être  serviteurs  de  Jésus-Christ, 
et  que,  venant  à  l'église,  ils  l'adoraient  les  genoux  en  terre,  après  avoir  dé- 
posé leur  couronne  et  leur  diadème  ;  mais  que  pour  Julien,  c'était  un  apos- 
tat et  un  impie,  qui,  ayant  été  baptisé  dans  l'Eglise  catholique,  avait  depuis 
abandonné  la  véritable  religion  ;  qu'ainsi  ils  ne  pouvaient  pas  lui  rendre 
l'honneur  et  le  respect  qu'ils  avaient  rendus  à  leurs  premiers  maîtres  t 


368  26  JUIN. 

mais,  qu'au  contraire,  ils  le  détestaient,  et  avaient  résolu  de  n'avoir  aucune 
communication  avec  lui.  Térentien  fit  savoir  cette  réponse  à  Julien,  qui, 
enflammé  de  colère,  leur  fil  dire  «  qu'il  s'était  attendu  qu'ils  l'honoreraient 
comme  leur  empereur,  mais  que,  puisqu'ils  avaient  la  hardiesse  de  le  mé- 
priser, il  saurait  bien  en  tirer  vengeance  ;  qu'il  leur  donnait  cependant 
encore  dix  jours  pour  délibérer  sur  ce  qu'ils  avaient  à  faire,  et  que  si,  passé 
ce  terme,  ils  ne  se  rangeaient  à  leur  devoir,  il  les  punirait  selon  leur  mé- 
rite ».  Les  bienheureux  frères  répliquèrent  à  ce  second  message  que  «  Julien 
aurait  sujet  de  se  plaindre  d'eux  s'ils  lui  avaient  préféré  toute  autre  personne 
mortelle  ;  mais  que  c'était  à  tort  qu'il  se  plaignait  qu'ils  lui  eussent  préféré 
le  Roi  immortel  et  le  Créateur  du  ciel  et  de  la  terre  ;  qu'au  reste  ils  n'avaient 
pas  besoin  de  dix  jours  pour  délibérer  sur  ce  sujet,  que  leur  délibération 
était  déjà  faite  et  leur  résolution  prise,  et  qu'on  pouvait  déjà  regarder  ces 
dix  jours  comme  expirés,  parce  que  rien  au  monde  ne  serait  capable  de  les 
faire  renoncer  à  la  religion  du  vrai  Dieu,  dans  laquelle  ils  espéraient  gagner 
la  vie  éternelle  ». 

On  les  laissa  néanmoins  dix  jours  en  repos,  et  ces  Saints  se  servirent 
avantageusement  de  ce  délai,  non  pas  pour  se  cacher  ni  pour  prendre  la 
fuite,  mais  pour  se  préparer  au  martyre  par  toutes  sortes  d'œuvres  de  cha- 
rité et  de  religion.  Ils  vendirent  ce  qu'ils  purent  de  leurs  biens,  et  distri- 
buèrent aux  pauvres  non-seulement  l'argent  qu'ils  en  reçurent,  mais  aussi 
tout  ce  qu'ils  avaient  d'habits  et  de  meubles  précieux  ;  ils  passèrent  une 
grande  partie  de  ce  temps  ou  en  oraison,  ou  à  fortifier  les  fidèles  et  les  en- 
courager à  souffrir  généreusement  le  martyre  pour  Jésus-Christ.  Enfin,  le 
terme  étant  expiré,  Térentien  les  vint  retrouver  en  leur  maison,  apportant 
avec  lui  une  petite  idole  de  Jupiter,  pour  les  obliger  de  l'adorer.  Il  les 
trouva  en  prière,  et  n'attendant  que  l'heure  de  donner  leur  vie  pour  la 
vérité.  11  leur  dit  néanmoins  qu'il  venait  une  dernière  fois  les  solliciter 
d'obéir  à  l'empereur  ;  qu'il  ne  leur  demandait  pas  qu'ils  vinssent  publique- 
ment dans  les  temples  y  offrir  des  sacrifices  aux  anciennes  divinités  de  l'em- 
pire ;  mais  tout  ce  qu'il  souhaitait  d'eux,  pour  sauver  leurs  biens,  leur 
honneur  et  leur  vie,  c'était  qu'ils  se  prosternassent  devant  cette  image  et 
qu'ils  adorassent  devant  elle  le  grand  Jupiter.  «  A  Dieu  ne  plaise  »,  répon- 
dirent les  saints  Martyrs,  «  que  nous  adorions  un  démon  !  Julien  peut  nous 
commander  des  choses  purement  temporelles  pour  le  bien  de  l'Etat  et  de  sa 
personne  ;  mais  lorsqu'il  nous  commande  d'adorer  des  simulacres  ou  des 
hommes  qui  ont  été  vicieux  et  impies,  ou  des  démons,  nous  ne  le  recon- 
naissons plus  pour  seigneur  et  pour  maître,  et  nous  avons  sujet  de  lui  refu- 
ser l'obéissance  ;  en  un  mot,  nous  n'avons  point  d'autre  Dieu  que  le  Père, 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  qui  sont  un  seul  Dieu  en  trois  personnes  ».  Téren- 
tien, voyant  qu'il  ne  pouvait  ébranler  le  courage  invincible  de  ces  bienheu- 
reux frères,  fit  faire  une  fosse  dans  leur  jardin,  et,  à  la  troisième  heure  de 
la  nuit,  il  les  fit  décapiter  en  sa  présence  et  enterrer  secrètement  dans  la 
fosse  qu'on  leur  avait  creusée. 

Ensuite,  craignant  que  cette  exécution  n'excitât  une  sédition  dans 
Rome,  il  fit  courir  le  bruit  que  Jean  et  Paul  avaient  été  envoyés  en  exil  ; 
mais  quelque  diligence  qu'il  fît,  il  ne  put  cacher  leur  martyre  ;  car  les  dé- 
mons qui  étaient  dans  les  corps  des  possédés,  le  publièrent  de  tous  côtés  et 
confessèrent  môme  qu'ils  étaient  tourmentés  par  leurs  mérites.  Mais  ce  qui 
le  rendit  plus  célèbre,  ce  fut  que  le  fils  de  Térentien,  ce  cruel  exécuteur  de 
la  sentence  injuste  de  Julien,  fut  aussi  possédé  d'un  horrible  démon,  et 
u'en  put  être  délivré  qu'après  que  son  père  eut  longtemps  prié  et  pleuré  au 


S.UKT  JEAN  ET   SAINT  PAUL,    FRÈRES,   MARTYRS.  369 

tombeau  des  saints  Martyrs.  La  faveur  qu'il  obtint  par  leur  intercession  fut 
cause  qu'il  se  convertit  avec  toute  sa  famille,  et  écrivit  l'histoire  que  nous 
venons  de  rapporter. 

Saint  Gallican,  dont  nous  avons  parlé,  ne  fut  pas  traité  avec  moins  d'in- 
humanité que  saint  Jean  et  saint  Paul.  Julien,  ne  pouvant  souffrir  les  actes 
de  charité  et  de  miséricorde  qu'il  exerçait  envers  les  pauvres,  les  pèlerins 
et  les  malades,  et  qui  étaient  en  même  temps  la  preuve  de  la  sainteté  et  de 
la  vérité  de  notre  religion,  et  la  condamnation  de  l'idolâtrie,  commanda  à 
ses  officiers  de  s'emparer  de  quatre  belles  terres  qu'il  avait  affectées  à  la 
subsistance  de  son  hôpital.  Ils  envoyèrent  aussitôt  des  hommes  s'en  saisir; 
mais  Dieu  fit  voir,  par  un  grand  miracle,  que  les  héritages  donnés  aux 
pauvres  sont  sous  sa  protection  spéciale  :  car  tous  ceux  qui  y  allèrent  dans 
ce  dessein  furent  frappés  de  lèpre  et  cruellement  tourmentés  par  le  démon. 
Julien  en  étant  informé,  et  ayant  appris  du  démon  même  qu'on  ne  pour- 
rait jamais  piller  ces  terres  que  Gallican  n'eût  sacrifié  aux  dieux,  il  lui  en- 
voya un  ordre,  ou  d'adorer  les  idoles,  ou  de  quitter  l'Italie.  Le  Saint  choisit 
ce  dernier  parti  et  se  retira  à  Alexandrie,  où  il  continua  d'aider  de  tout 
son  pouvoir  les  fidèles,  tant  pour  le  spirituel  que  pour  le  temporel.  Enfin, 
cet  homme  admirable,  qui  avait  refusé  l'alliance  de  Constantin,  qui  lui 
pouvait  donner  ouverture  à  l'empire,  afin  de  servir  Jésus-Christ  dans  ses 
membres,  et  qui,  depuis,  avait  encore  refusé  l'évêché  d'Ostie  qu'on  le  pria 
très-instamment  d'accepter,  fut  mis  à  mort  pour  la  foi,  par  le  juge  Raucien, 
dans  une  solitude  où  il  s'était  relire.  Sa  mémoire  est  marquée  dans  le  mar- 
tyrologe au  25  juin,  comme  celle  de  saint  Jean  et  de  saint  Paul  au  26,  en 
l'année  362. 

On  représente  saint  Jean  et  saint  Paul  :  1°  en  gens  de  guerre,  parce 
qu'ils  avaient  servi  à  la  cour;  car  qui  disait  noble  alors,  disait  homme 
d'épée;  2°  avec  une  épée  à  leurs  côtés,  pour  indiquer  la  décapitation. 

On  les  invoque  contre  la  foudre  et  les  orages  :  des  estampes  du  xvm* 
siècle  en  font  foi;  mais  nous  n'avons  pu  découvrir  nulle  part  le  motif  de 
ce  patronage. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

La  mémoire  de  ces  deux  illustres  Martyrs  fut  si  célèbre  à  Rome,  qu'une  église  y  fut  bâtie  en 
leur  honneur  près  de  celle  de  saint  Pierre  ;  on  y  fonda  aussi  un  monastère  sous  leur  nom.  Il  y  en 
a  encore  une  aujourd'hui,  qui  est  construite  sur  l'emplacement  de  la  maison  des  deux  Saiuls  et 
desservie  par  les  PP.  l'assionnisles.  Dans  la  nef  de  cette  église,  on  voit  un  petit  espace  entouré 
d'une  grille  ;  c'est  là  que  saint  Jean  et  saint  Paul  furent  décapités. 

En  Angleterre,  leur  fête  était  autrefois  du  nombre  de  celles  qu'on  appelait  de  troisième  classe, 
c'est-a-dire  de  celles  où  il  y  avait  obligation  d'entendre  la  messe  avant  le  travail  ;  ce  qui  se 
prouve  par  uue  constitution  du  concile  tenu  à  Oxford  en  1222. 

Les  noms  de  saint  Jean  et  de  saint  Paul  ont  toujours  été  fort  célèbres  dans  l'Eglise  depuis  le 
v*  siècle.  L'éclat  de  leurs  miracles  se  répandit  au  loin,  et  saint  Grégoire  de  Tours,  qui  écrivait 
dans  la  seconde  moitié  du  vp  siècle,  en  parlait  déjà  comme  étant  renommés  en  France  par  leurs 
reliques  qu'on  recherchait  de  toutes  parts.  Saint  Hilaire  fit  bâtir  une  église  à  Poitiers  sous  l'invo- 
cation de  saint  Jean  et  de  saint  Paul,  où  il  voulut  être  inhumé. 

Ce  sanctuaire  ayant  été  ruiné  par  les  Barbares,  couvrit  de  ses  décombres  la  crypte  où  saint 
Hilaire  reposait.  Quand  ces  ruines  eurent  été  relevées  par  saint  Fridolin,  et  que  le  nom  de  saint 
Hilaire  eut  consacré  la  nouvelle  basilique,  l'Eglise  de  Poitiers  ne  voulut  pas  laisser  sans  honneur 
les  noms  glorieux  des  saints  Martyrs  qu'elle  avait  adoptes  avant  toute  autre,  et  il  fut  dès  lors  éta- 
bli qu'au  jour  où  se  ferait  chaque  année  la  fêle  de  la  Translation  de  saint  Hilaire,  on  ajouterait  à 
son  office  une  oraison  en  mémoire  de  saint  Jean  et  de  saint  Paul. 

Nous  avons  complété  cette  biographie  avec  les  Vte*  des  Si^ints  de  l'Eglise  de  Poitiers,  par  M.  l'abbé 
Auber;  Godescard,  etc. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VIL  ~^ 


310  26  JUIN. 


SAINT  MAXENGE  OU  MAIXENT, 

ABBÉ  DU  MONASTÈRE  DE  CE  NOM,  AU  DIOCÈSE  DE  POITIERS 
515,  —  Pape  :  Hormisdas.  —  Roi  de  France  :  Childebert  1er, 


Studet  verus  abbas  ut  sicut  major  est  auctoritate,  Ua 
quo'jue  excellentior  fiât  virtute. 

Celui  qui  est  véritablement  abbé,  s'applique  &  dere- 
nir  le  premier  par  la  vertu  comme  il  est  le  pre- 
mier par  l'autorité. 

Joau.  Tri  th.,  in  Regul.  S.  Bened. 

Adjuteur,  nommé  au?si  Maxence  et  vulgairement  Maixent,  naquit  à 
\g'de  S  dans  la  Gaule  narbonnaise,  d'une  famille  noble  vers  l'an  448.  Ses 
parents,  qui  avaient  de  la  piété,  le  mirent  sous  la  conduite  du  saint  abbé 
Sévère.  Ses  progrès  le  firent  remarquer  et  excitèrent  l'admiration  des  uns 
et  la  jalousie  des  autres.  Mais  les  applaudissements,  plus  que  les  mépris  du 
monde,  lui  firent  prendre  le  cbemin  de  la  retraite.  Il  y  abrita  son  humilité 
durant  deux  ans,  après  quoi,  obligé  de  revenir  parmi  les  siens,  il  sembla 
ramener  l'abondance  dont  on  était  privé  faute  de  pluie.  Ce  fut  un  nouveau 
motif  de  l'honorer  comme  un  ange  descendu  du  ciel,  et  comme  la  renom- 
mée ae  sa  sainteté  croissait  toujours,  il  sortit  une  seconde  fois  de  son  pays, 
et  s'en  alla  dans  le  Poitou,  avec  l'intention  de  cacher  sa  vie  au  monde. 
Après  avoir  prié  au  tombeau  de  saint  Hilaire,  il  alla  trouver  le  vénérable 
prêtre  Agapit  qui,  sur  les  bords  de  la  Sèvre  niortaise,  à  douze  lieues  de  Poi- 
tiers, dans  une  grande  vallée  connue  sous  le  nom  de  Vauclair,  dirigeait  dans 
les  voies  de  la  sainteté  quelques  serviteurs  de  Dieu. 

Agapit  le  reçut  avec  bonté  et  l'admit  au  nombre  de  ses  disciples.  Pour 
oublier  autant  que  possible  sa  patrie,  sa  famille  et  jusqu'à  lui-même,  il 
changea  son  nom  d'Adjuteur  en  celui  de  Maxence.  Sa  sainteté  éclata  bien- 
tôt aux  yeux  de  ses  frères,  tellement  que  ceux-ci,  avec  Agapit,  l'élurent 
pour  leur  abbé,  d'un  commun  consentement  (vers  500).  Il  ne  mangeait  que 
du  pain  d'orge,  et  ne  buvait  que  de  l'eau;  il  était  tellement  assidu  à  la 
prière  que  son  corps  en  demeurait  courbé,  et  que  ses  genoux  en  devinrent 
calleux.  Les  miracles  qu'il  a  faits  durant  sa  vie  et  après  sa  mort  montrent 
assez  combien  sa  conduite  était  agréable  à  Dieu. 

Pendant  la  guerre  que  Clovis,  roi  des  Francs,  faisait  à  Alaric,  roi  des 
Visigoths,  une  troupe  de  soldats  s'avança  jusqu'auprès  du  monastère.  Les 
religieux  effrayés  supplièrent  leur  abbé  de  les  arracher  au  glaive  des  bar- 
bares. Maxence  s'avança  hardiment  vers  les  soldats,  et  comme  l'un  d'eux 
levait  déjà  son  épée  pour  abattre  la  tête  de  ce  moine  qu'il  voyait  devant  lui, 
tout  à  coup  son  bras  devint  raide  et  demeura  immobile,  ramené  derrière 
l'oreille.  Alors  le  soldat  se  jeta  aux  pieds  du  Saint,  et  implora  son  pardon. 
Maixent  bénit  de  l'huile  dont  il  oignit  le  bras  affligé,  et  le  guérit  parfaite- 
ment. Il  reçut  de  nombreux  bienfaits  de  la  part  du  roi  Clovis.  Il  mourut 
septuagénaire  dans  le  monastère  qui  porta  depuis  son  nom  et  que  ses 

1.  Aujourd'hui  chef-lieu  de  canton  du  département  de  l'Hérault,  &  51  kil.  S.  0.  de  Montpellier, 
tint  un  Concile  en  506. 


SAINT  SAULVE  ET  SAINT  SUPER,  SON  COMPAGNON,  MARTYRS.       371 

miracles  ont  illustré,  l'an  515.  C'était  une  abbaye  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît. 

Il  fut  enterré  dans  l'église  de  Saint-Saturnin,  sous  le  vocable  duquel  était 
bâti  son  monastère.  Celui-ci,  alors  peu  considérable,  prit  dans  la  suite  assez 
de  développements  pour  devenir  un  des  premiers  du  diocèse  de  Poitiers. 
C'est  autour  de  ces  murs  vénérés  et  de  l'église  dans  laquelle  furent  trans- 
portées, vers  940,  les  dépouilles  sacrées  du  saint  Confesseur  que  se  forma 
la  ville  actuelle  de  Saint-Maixent  (Deux-Sèvres). 

En  15G2,  les  protestants  dispersèrent  les  précieuses  reliques  de  l'homme 
de  Dieu  ;  ce  qu'on  put  en  retrouver  après  leur  départ  n'échappa  point  aux 
révolutionnaires  de  93,  et  la  tombe  du  Saint,  demeurée  sous  le  maître-autel 
de  l'église  devenue  paroissiale,  ne  renferme  plus  qu'une  très-mince  portion 
de  lui-même. 

Le  martyrologe  romain  indique  la  fête  de  saint  Maixent  au  26  juin,  mais 
l'église  de  Poitiers  l'anticipe  au  jour  précédent,  le  26  étant  consacré  à 
célébrer  la  translation  des  reliques  de  saint  Hilaire. 

On  le  représente  ayant  une  colombe  au-dessus  de  sa  tête,  ce  qui  peut 
signifier  une  intervention  divine  dans  les  paroles  du  Saint.  On  le  peint  aussi 
en  prière  dans  sa  cellule,  et  entouré  d'oiseaux  qui  viennent  le  visiter. 

Propre  de  Poitiers.  —  Cf.  Vies  des  Saitits  de  l'Eglise  de  Poitiers,  par  l'abbé  Auber. 


S.  SAULYE  &  S.  SUPER,  SON  COMPAGNON, 

MARTYRISÉS  A  BEUVRAGE,  PRÈS  VALENCIENNES 
168,  —  Pape  :  Etienne  III.  —  Rois  de  France  :  Charlemagne  et  Carloman. 


Martyr  morte  vitam  condemnat,  ut  vitam  morte  eus- 

todiat. 
Le  martyr  condamne  la  vie  par  la  mort,  afin  que  la 

mort  lui  conserve  la  vie. 

S.  Cyprian.,  de  Lau.de  martyr. 

Saulve,  né  à  Abbie,  en  Aquitaine,  d'une  famille  illustre,  donna,  dès  son 
bas  âge,  des  mai^ques  non  équivoques  de  sa  future  sainteté,  fit  de  solides 
études  et  s'instruisit  dans  les  lettres  divines  et  humaines.  Il  entra  dans  les 
Ordres  sacrés,  et,  à  la  faveur  de  sa  science  et  de  ses  vertus,  monta  rapide- 
ment les  degrés  de  la  sainte  hiérarchie,  et  fut  enfin  créé  évêque  d'Angou- 
lême.  Il  gouverna  cette  Eglise,  pendant  plusieurs  années,  avec  autant  de 
fruit  que  de  sagesse,  car  il  amena  un  grand  nombre  d'hommes  à  la  connais- 
sance de  la  vérité.  Mais  son  zèle  se  sentant  à  l'étroit  dans  les  limites  de  son 
diocèse,  il  partit  avec  Super,  son  compagnon,  pour  aller  évangéliser  les 
différentes  parties  de  la  Gaule.  Il  parvint  à  Valenciennes,  en  Flandre,  con- 
vertit un  grand  nombre  d'infidèles,  et  affermit  dans  la  foi  et  l'amour  du 
Christ  de  nombreux  néophytes. 

C'est  à  ces  fruits  de  salut  qu'il  faut  surtout  attribuer  la  dévotion  parti- 
culière que  de  tout  temps  les  habitants  de  cette  ville  ont  conservée  pour  ce 
saint  Evèque,  qu'ils  regardent  comme  leur  apôtre  et  leur  patron. 

Un  jour  qu'il  allait,  avec  son  compagnon,  de  Valenciennes  à  Condé,  les 


372  26  JUIN. 

deux  voyageurs  traversèrent  un  village,  nommé  à  cette  époque  Braine  ou 
Brena,  et  qui  depuis  a  pris  le  nom  de  Saint-Saulve  *.  Saulve  parla  avec  effu- 
sion à  son  disciple  des  miracles  opérés  près  du  tombeau  de  saint  Martin, 
qui  avait  en  cet  endroit  une  église  dédiée  sous  son  invocation  :  «  Allons 
aussi,  mon  frère  »,  lui  dit-il,  «  prier  sur  sa  tombe  et  invoquer  son  secours  ». 
Ils  s'y  rendirent,  en  effet,  et  y  passèrent  toute  la  nuit  à  chanter  des  psaumes 
et  des  cantiques. 

Quand  le  jour  eut  paru,  le  peuple  ayant  appris  que  le  saint  et  célèbre 
Evêque  était  dans  ces  contrées,  accourut  en  foule  pour  l'entendre  prêcher. 
Le  missionnaire  revêtit  alors  ses  habits  pontificaux,  monta  en  chaire  et  an- 
nonça à  la  foule  assemblée  la  parole  de  Dieu  ;  puis  il  offrit  le  saint  sacrifice 
de  la  Messe  et  donna  au  peuple  sa  bénédiction. 

L'office  achevé,  Génard,  l'intendant  de  la  province,  vint  prier  le  serri- 
teur  de  Dieu  d'accepter  quelque  nourriture  dans  sa  maison.  Saulve  ayant 
accepté  l'invitation,  se  rendit  avec  son  compagnon  dans  la  maison  de  l'in- 
tendant, où  il  trouva  aussi  Winegard,  le  fils  de  ce  fonctionnaire,  jeune 
homme  adonné  aux  plus  criminelles  passions.  L'évêque  avait  avec  lui  des 
vases  sacrés  et  des  ornements  d'église,  faits  de  matières  précieuses,  non  par 
amour  du  luxe,  mais  pour  la  gloire  de  Dieu  et  pour  l'honneur  du  service 
divin.  Winegard,  ayant  vu  ces  objets,  conçut  un  violent  désir  de  s'en  em- 
parer, et  pour  exécuter  son  criminel  projet,  il  s'informa  du  chemin  que 
l'évêque  allait  suivre. 

Celui-ci  s'étant  remis  en  route  avec  son  disciple,  arriva  dans  une  contrée 
montagneuse  et  sauvage,  baignée  par  une  rivière.  Il  avait  l'intention  de  se 
rendre  à  un  monastère  qui  était  comme  perdu  dans  ces  montagnes,  et  près 
duquel  il  y  avait  une  église  dédiée  à  la  sainte  Vierge.  Là,  Winegard  l'atten- 
dit avec  ses  complices  ;  et  Saulve  étant  venu,  il  s'avança  vers  lui,  et  lui  de- 
manda avec  un  feint  respect  où  il  allait.  L'évêque  répondit  :  «  Je  vais  au 
couvent  de  Sainte-Marie,  si  Dieu  le  veut  ».  Winegard  reprit  :  «  Je  viens  de 
faire  bâtir  une  église  sur  mes  terres  ;  veuillez  avoir  la  bonté  de  venir  la  con- 
sacrer ».  Saulve,  éclairé  d'en  haut  et  se  doutant  d'un  piège,  refusa  de  suivre 
Winegard,  et  se  mit  à  marcher  plus  vite  avec  son  compagnon.  Alors  le 
bandit  donna  ordre  à  ses  gens  d'arrêter  les  deux  voyageurs,  et  de  leur  enle- 
ver leurs  bagages.  Winegard  était  un  homme  pervers  et  impie  :  il  le  prouva 
bien  en  cette  circonstance.  Le  calice  et  la  patène,  enlevés  à  Saulve,  furent 
convertis  en  dorures  dont  il  orna  la  selle  de  son  cheval  ;  les  habits  pontifi- 
caux, de  drap  d'or,  furent  emportés  dans  sa  maison.  Quant  à  l'évêque,  il  le 
fit  jeter  dans  une  sombre  prison,  ainsi  que  son  compagnon.  Ce  cachot  se 
trouvait  dans  la  forteresse  de  Beuvrage  ( Brcvitkum) ,  une  des  propriétés  de 
son  père,  située  à  quatre  kilomètres  de  Valenciennes. 

Après  cet  acte  odieux,  le  scélérat  alla  trouver  son  père,  et  lui  raconta 
tout  ce  qui  s'était  passé.  Celui-ci  s'écria  :  «  Qu'avez-vous  fait?  Comment 
avez-vous  pu  maltraiter  de  cette  sorte  un  serviteur  de  Dieu,  qui  était  venu 
pour  nous  enseigner  le  chemin  de  la  vérité  et  du  salut?  Qui  a  pu  vous  con- 
seiller un  tel  forfait?  Nous  sommes  nous-mêmes  pécheurs;  nos  pères  l'ont 
été  aussi;  faut-il  qu'à  leurs  péchés  vous  ayez  encore  ajouté  cette  grande 
iniquité?  Faut-il  que,  par  votre  faute,  le  sang  d'un  juste  pèse  sur  nos 
descendants,  jusqu'à  la  troisième  et  la  quatrième  génération?  »  Wine- 
gard répondit  :  «  Que  voulez-vous  que  je  fasse  maintenant,  mon  père? 
Voulez-vous  que  je  le  remette  en  liberté  ,  ou  que  je  le  retienne  en 
prison?  »  Son  père  répliqua  :  «  Surtout  il  ne  faut  pas  le  tuer  :  ce  projet 

1.  Il  eit   situû  sur  la  rive  droite  de  l'Escaut,  a  deux  kilomètre!  de  Valenciennes. 


SAINT   SAULVE   ET  SAINT   SUPER,    SON   COMPAGNON,   MARTYRS.  373 

me  déplaît  souverainement.  Tout  ce  que  je  puis  vous  dire,  c'est  que  si 
vous  le  remellez  en  liberté,  vous  serez  mallieureux  toute  voire  vie  ;  si 
au  contraire  vous  le  tuez,  vous  chargerez  votre  conscience  d'un  grand 
crime  ». 

Winegard,  en  sortant  de  chez  son  p5re,  alla  trouver  ses  complices,  pour 
délibérer  avec  eux  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire  ;  et  après  avoir  entendu  leur 
avis,  il  rentra  chez  lui.  Aussitôt  il  fait  fermer  toutes  les  issues,  appelle  son 
geôlier  Winegaire  et  lui  ordonne  d'aller  immédiatement  trancher  la  tête  à 
Saulve  et  à  son  compagnon.  Winegaire,  quoique  à  regret,  s'apprête  à  exé- 
cuter cet  ordi-e  barbare.  11  trouve  l'évêque  à  genoux  sur  le  sol  humide  et 
infect  du  cachot,  priant  Dieu  avec  ferveur.  Emu  à  cet  aspect,  il  fait  con- 
naître au  Saint,  en  tremblant,  l'ordre  cruel  qu'il  vient  de  recevoir  de  son 
maître.  L'évoque,  en  entendant  cette  funeste  nouvelle,  répond  avec  calme 
qu'il  est  prôt  et  qu'on  peut  exécuter  l'ordre  reçu.  Alors  Winegaire,  se  je- 
tant aux  pieds  du  Saint,  lui  dit  d'une  voix  étouffée  par  les  sanglots  :  «  0 
saint  homme!  je  suis  dans  une  grande  peine  et  dans  un  cruel  embarras!  Je 
vois  en  vous  un  ange  de  Dieu.  Que  je  suis  malheureux  d'avoir  à  exécuter 
sur  vous  un  tel  forfait!  Pour  vous  sauver,  pour  sauver  votre  ami,  et  en 
même  temps  pour  me  dispenser  moi-même  de  ce  crime  horrible  que  je  dois 
commettre  sur  vous,  je  ne  vois  qu'un  moyen  :  c'est  que  vous  et  votre  com- 
pagnon, vous  preniez  la  fuite  avec  moi  pendant  cette  nuit  ».  Saint  Saulve 
lui  répondit  :  a  0  mon  fils,  je  ne  puis  croire  ce  que  vous  dites  :  vous  voulez 
sans  doute  me  tromper.  Comment  votre  maître  serait-il  assez  méchant 
pour  ordonner  un  tel  crime?  »  Le  geôlier  répondit  :  «  0  homme  de  Dieu, 
je  prends  à  tém.oin  le  Maître  du  ciel  et  de  la  terre  de  la  vérité  de  tout  ce 
que  je  viens  de  vous  dire.  Je  vous  en  supplie,  croyez-moi  et  faites  ce  que  je 
vous  conseille,  afin  que  vous  soyez  sauvé,  avec  l'aide  de  Dieu.  Fuyons  en- 
semble, et  je  vous  servirai  fidèlement  tout  le  reste  de  ma  vie  ».  Le  saint 
Evêque  repartit  :  «  Mon  fils,  il  ne  nous  est  pas  permis  de  nous  soustraire  au 
martyre,  et  de  renoncer  ainsi  aux  récompenses  que  Jésus-Christ  a  promises 
à  ceux  qui  souffrent  et  qui  meurent  pour  lui  ».  —  «  Mon  vénérable  père  », 
reprit  le  geôlier,  «  je  sais  que  Jésus-Christ  vous  réserve  une  couronne  ;  mais 
îe  ne  puis  exécuter  l'ordre  tyrannique  de  mon  maître.  Mon  cœur  est  dans 
la  tristesse  et  dans  l'épouvante,  et  il  me  semble  que  ces  murs  vont  s'écrou- 
ler pour  m'écraser  sous  leurs  décombres  ».  Saint  Saulve  lui  dit  :  (i  Mon  fils, 
soyez  sans  crainte.  Si  votre  maître  vous  donne  un  ordre,  il  faut  que  vous 
l'exécutiez,  selon  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  Serviteurs,  obéissez  à  vos  maîtres, 
dans  la  crainte  du  Seigneur,  non-seulement  à  ceux  qui  sont  bons,  mais  en- 
core aux  méchants  !  » 

Le  geôlier  s'apprêtait  à  répondre,  lorsque  Winegard,  pensant  que  tout 
était  fini,  le  manda  chez  lui,  et  lui  dit  :  «  As-tu  fait  ce  que  je  t'ai  ordonné?  » 
Winegaire  répondit  :  «  Fasse  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu  et 
notre  Sauveur,  que  vous  puissiez  voir  et  comprendre  la  grande  sainteté  de 
cet  homme  de  Dieu!  Vous  m'aviez  ordonné  d'aller  tuer  vos  deux  prison- 
niers, Saulve  et  son  compagnon.  Mais  j'eus  à  peine  ouvert  la  porte  du  ca- 
chot, que  je  fus  saisi  d'une  grande  frayeur;  et  quand  je  me  trouvai  en  pré- 
sence de  l'homme  de  Dieu,  je  fus  troublé  et  bouleversé  dans  mon  esprit,  au 
point  que  je  tombai  à  ses  pieds  comme  évanoui,  et  que  je  croyais  que  la 
terre  allait  s'entr'ouvrir  pour  me  dévorer  ».  Winegard  réprima  un  mouve- 
ment de  violente  colère  ;  puis  il  alla  trouver  ses  amis  et  leur  dit  à  voix 
basse  :  «  Ce  misérable  n'a  point  de  courage.  Que  l'un  de  vous  aille  avec  lui 
chez  ce  magicien  dont  les  paroles  mielleuses  l'ont  fasciné.  Peut-être  alors 


374  26  JUIN. 

aura-t-il  l'audace  de  faire  ce  que  je  veux  ».  Ensuite,  se  retournant  vers 
Winegaire,  il  lui  dit  :  «  Ya  maintenant  ;  et  ne  reviens  plus  que  tu  n'aies 
exécuté  mes  ordres  !  » 

Winegaire,  accompagné  d'un  ami  de  son  maître,  retourna  donc  au  ca- 
chot. Lorsqu'ils  y  arrivèrent,  et  qu'ils  trouvèrent  Saulve  attendant  résolu- 
ment la  mort,  ils  hésitèrent  tous  deux.  Quant  au  compagnon  de  l'évêque, 
il  l'avait  quitté  pour  un  moment.  Saint  Saulve  était  assis  sur  un  siège  de 
bois;  alors  le  compagnon  du  geôlier  lui  dit  :  «  Qu'attendez-vous  encore? 
Pourquoi  n'exécutez-vous  pas  l'ordre  de  votre  maître  ?  »  Le  geôlier  saisit  la 
hache  pour  frapper  ;  mais  comme  il  tremblait  de  tous  ses  membres,  il  lui 
fut  impossible  de  porter  le  coup.  Alors  le  Saint  lui  dit  :  «  N'hésitez  plus, 
mon  fils  :  faites  ce  qui  vous  a  été  ordonné  ».  En  disant  cela,  Saulve  s'était 
découvert  la  nuque,  et  il  penchait  la  tête  sur  sa  poitrine.  Alors  enfin  "Wine- 
gaire lui  donna  le  coup  de  mort.  Pendant  ce  temps,  le  disciple  de  saint 
Saulve  se  trouvait  dans  une  autre  partie  de  la  prison.  Ayant  entendu  le  coup 
de  hache,  et  le  bruit  que  faisait  la  tête  en  roulant  à  terre,  il  s'écria  :  «  Sei- 
gneur Jésus,  ayez  pitié  de  moi  !  »  Aussitôt  après,  le  geôlier-bourreau  alla  le 
décapiter  aussi.  Ainsi  moururent  ensemble,  de  la  mort  des  martyrs,  saint 
Saulve  et  son  compagnon,  le  26  juin  de  l'an  768,  par  les  ordres  de 
Winegard. 

Winegard  ayant  fait  pratiquer  un  trou  dans  une  étable,  y  fit  transporter 
les  deux  cadavres  ensanglantés.  Celui  de  saint  Saulve  fut  jeté  le  premier 
dans  la  terre  et  l'on  plaça  par  dessus  celui  de  son  disciple.  C'est  cette  cir- 
constance qui  a  fait  appeler  Super  ce  personnage  dont  les  historiens  n'ont 
point  connu  le  nom.  Un  fait  étrange  vint  alors  éveiller  la  curiosité  des  habi- 
tants du  pays  :  un  taureau  de  ladite  étable  repoussait  constamment  les 
autres  animaux  de  l'endroit  où  se  trouvaient  les  deux  corps  saints  et  ne  per- 
mettait pas  qu'il  fût  souillé.  Après  des  recherches  opérées  par  les  ministres 
de  Charles- Martel,  on  infligea  une  punition  aux  meurtriers,  et  les  deux 
corps  saints  furent  transportés  à  Valenciennes,  et  transférés  depuis  à  Brena, 
maintenant  Saint-Saulve,  oh  Charlemagne  fit  bâtir,  en  mémoire  de  ce  mar- 
tyre, une  église  dédiée  à  saint  Pierre  et  à  saint  Paul,  pour  y  donner  la  sé- 
pulture au  corps  du  saint  Prélat. 

On  représente  nos  saints  Martyrs  dans  un  trou  pratiqué  dans  une  étable; 
des  bœufs  tournent  les  yeux  vers  la  fosse,  et  un  prince  la  fait  ouvrir. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Le  culte  de  s?  mt  Saulve  a  toujours  été  célèbre  dans  le  pays  de  Valenciennes.  On  voyait  autre- 
fois au  monastère  de  Liessies  (Nord,  diocèse  de  Cambrai),  une  vertèbre  et  un  os  de  saint  Super. 
n  parait  aussi  que  la  cathédrale  d'Arras  possédait  une  relique  de  saint  Saulve.  Il  y  a,  au  duché 
de  Juliers  (province  Rhénane),  dans  la  forteresse  de  Limbourg,  une  église  dédiée  à  ce  saint  évêque, 
et  où  il  est  vénéré  comme  patron.  En  1282,  Raoul,  prieur  de  Saint-Saulve,  enchâssa  les  saints 
corps  dans  une  caisse  d'argent  doré. 

Autrefois,  dans  l'église  de  l'ancien  monastère  de  Saint-Saulve,  il  se  faisait  un  grand   concours 

de  peuple,  pour  demander  à  Dieu  la  conservation  ou  la  guérison  des  bestiaux  par  l'intercession  des 

deux  Martyrs.  Chaque  année  encore,  de  nos  jours,  un  grand   nombre  de   pèlerins  visitent  l'église 

de  celle  paroisse.  On  y  conserve  quelques  parcelles  des  reliques  de  saint  Saulve,  échappées  aux 

«       fureurs  révolutionnaires. 

Propre  de  Cambrai.  —  Cf.  les  Vies  des  Saints,  par  Alban  Stolz,  docteur  en  théologie  ;  et  les  Viet  de» 
Saint*  des  diocèses  du  Cambrai  et  d'Arras,  par  M.  l'abbé  Destombes,  chan.  hou.  de  Cambrai. 


SAINT  ANTUELME,  GÉNÉRAL  DES  CHARTREUX.  375 

SAINT  ANTHELME, 

7"  GÉNÉRAL  DES  CHARTREUX  ET  46«  ÉVÊQUE  DE  BELLEY 
1106-1178.  —  Papes:  Pascal  II;  Alexandre  III.  —  Rois  de  France:  Philippe  I";  Louis  VII. 


Felices  illi  qui familiaritatem  mundi  récusant,  perfunc- 
tioro  gntidia  speriiunt,  societatem  abjiciunt,  ne  cum 
pereuiite  deceptore  et  ipsi  perire  cogavlur. 

Heureux  ceux  qui  rejpttent  la  familiarité  du  monde, 
méprisent  ses  joies  si  passagères  et  fuient  sa  so- 
ciété, de  peur  que  ce  monde  trompeur,  en  péris- 
sant, ne  les  entraine  invi.iciblement  dans  sa  mine. 
S.  Aug.,  in  Médit.,  cap.  xxi 

Ce  Saint  s'offre  à  nous  avec  une  triple  gloire  :  il  a  renoncé  à  tous  les 
avantages  temporels  ;  il  a  affermi  un  Ordre  naissant,  qui  allait  se  multi- 
plier ;  il  a  puissamment  contribué  à  empêcher  un  schisme  dans  l'Eglise. 

Anthelme  naquit  au  château  de  Chignin,  dont  on  admire  encore  les 
ruines  à  deux  lieues  de  Chambéry.  Il  eut  pour  père  Hardouin,  gentilhomme 
de  Savoie,  de  l'ancienne  maison  de  Migain,  et  pour  mère  une  dame  d'une 
naissance  non  moins  illustre.  11  reçut  dans  sa  jeunesse  toutes  les  instructions 
convenables  à  son  âge  et  à  sa  qualité  ;  aussi  fit-il  de  grands  progrès  dans  la 
vertu  aussi  bien  que  dans  les  sciences  ;  on  le  jugea  bientôt  capable  de  pos- 
séder quelques  dignités  dans  l'Eglise  ;  deux  évêques  se  le  disputèrent  pour 
ainsi  dire  et  tâchèrent  de  l'attacher  à  leur  église  :  il  fut  nommé  sacristain 
de  la  cathédrale  de  Belley,  principale  dignité  de  cette  église,  et  prévôt  da 
chapitre  de  Genève. 

Anthelme  fixa  sa  résidence  à  Belley,  oîi  il  employa  les  revenus  de  son 
riche  patrimoine  et  de  ses  bénéfices,  à  traiter  libéralement  ses  nombreux 
amis,  à  recevoir  les  étrangers,  à  secourir  les  pauvres. 

Quoique  notre  Saint  menât  une  vie  régulière,  édifiante  même,  il  réflé- 
chit qu'il  ne  faisait  pas  assez  pour  Dieu  ni  pour  son  âme.  La  prêtrise  qu'il 
reçut  en  1135,  les  exemples  des  religieux  voisins  qu'il  visitait  souvent  depuis 
1132,  lui  inspirèrent  de  plus  en  plus  le  désir  de  la  perfection. 

Etant  un  jour  allé  visiter,  avec  un  de  ses  amis,  les  Chartreux  du  monas-- 
tère  de  Portes,  le  Prieur,  nommé  Bernard  de  Varin,  religieux  d'une  grande 
vertu,  les  reçut  avec  beaucoup  de  bienveillance,  et  leur  parla  si  à  propos  et 
avec  tant  de  zèle  des  avantages  de  la  vie  solitaire  et  des  récompenses  que 
Dieu  accorde  à  ceux  qui  ont  vécu  saintement,  qu'Anthelme,  dont  le  cœur 
était  déjà  disposé  à  recevoir  la  bonne  semence,  se  trouva  très-vivement  tou- 
ché. Inspiré  de  Dieu,  il  forma  le  dessein  de  quitter  le  monde,  et  tout  ce 
qu'il  possédait,  et  de  se  faire  religieux  dans  la  maison  où  il  voyait  de  si 
beaux  exemples  de  vertu  :  il  en  demanda  l'habit,  embrassa  la  Règle  de 
Saint-Bruno,  fit  profession,  avec  un  zèle  qui  édifia  tout  le  monde,  et  fut 
bientôt  regardé  comme  un  modèle  de  grande  perfection. 

Les  vertus  extraordinaires  qui  parurent  dans  Anthelme  le  firent  désirer 
par  les  religieux  de  la  Grande-Chartreuse,  où  il  y  avait  alors  très-peu  de 
sujets.  Six  moines  et  novices  venaient  d'être  tués  par  une  avalanche,  qui 


376  26  JUIN. 

avait  presque  entièrement  détruit  la  Grande-Chartreuse  ;  c'est  ce  qui  porta 
Hugues,  évêque  de  Grenoble,  et  depuis  archevêque  de  Vienne,  qui  avait 
travaillé  avec  saint  Bruno  à  l'institution  de  cet  Ordre,  à  prier  le  supérieur 
de  Portes  d'y  envoyer  notre  jeune  profès,  peu  de  temps  après  avoir  pro- 
noncé ses  vœux.  Il  fit  ce  que  l'obéissance  exigeait  de  lui  :  il  passa  plusieurs 
années  dans  cette  maison,  en  s'y  montrant  un  exemple  vivant  de  toutes  les 
vertus-monastiques.  Comme  il  avait  une  grande  étendue  d'esprit  et  beau- 
coup de  pénétration  dans  les  affaires,  on  l'établit  procureur  de  la  maison; 
il  remplit  les  devoirs  de  cet  office  avec  une  vigilance  et  une  édification  qui 
le  firent  admirer  de  tout  le  monde,  travaillant  aux  affaires  temporelles  de 
manière  h  ce  que  ses  soins  ne  préjudiciaient  en  rien  aux  affaires  spirituelles 
de  son  salut  et  de  sa  perfection. 

Hugues  I",  qui  avait  succédé  au  bienheureux  Dom  Guigue,  dans  la 
charge  de  prieur,  en  H39,  se  démit  volontairement  la  même  année  et  désira 
être  remplacé  par  Anthelme,  qui  fut  en  efl'et  élu  septième  prieur  de  la 
Grande-Chartreuse. 

Cet  obéissant  solitaire,  n'ayant  pu  trouver  les  moyens  de  se  soustraire  à 
une  charge  si  pesante,  commença  à  s'acquitter  de  son  office  avec  toute  la 
vigilance  que  l'on  en  pouvait  attendre. 

Il  rétablit  d'abord  les  ruines  du  monastère,  l'entoura  d'un  mur  de  clô- 
ture, fit  établir  des  aqueducs  pour  y  amener  l'eau  de  très-loin,  fit  défricher 
des  bois  et  prit  un  grand  soin  des  fermes,  des  bergeries  et  de  tout  ce  qui  dé- 
pendait de  cette  communauté.  Ensuite,  se  tournant  du  côté  du  spirituel,  il 
fit  paraître  une  si  grande  fermeté  dans  le  gouvernement  du  monastère,  que 
toutes  les  autres  maisons  de  l'Ordre,  en  ayant  connaissance,  répondirent 
par  avance  à  ses  justes  intentions,  réformant  tout  ce  qu'il  pouvait  y  avoir  de 
déréglé,  sans  attendre  le  temps  des  visites  de  ce  digne  supérieur;  de  sorte 
qu'il  eut  bientôt  la  consolation  de  voir  partout  l'établissement  d'une  très- 
exacte  régularité.  On  se  soumettait  d'autant  plus  volontiers  aux  lois  de  son 
gouvernement,  que  l'on  était  persuadé  qu'il  était  d'ailleurs  rempli  d'une 
très-grande  bonté  pour  tous  ses  sujets,  qu'il  regardait  comme  ses  enfants; 
en  effet,  il  pourvoyait  ave?-  un  soin  vraiment  paternel  à  tous  leurs  besoins 
corporels  et  à  tout  ce  qui  pouvait  leur  faire  plaisir,  sans  préjudicier  aux  in- 
térêts de  leur  perfection  :  ce  qui  lui  attirait  la  confiance  et  l'amour  de  tous 
ses  religieux. 

Ce  fut  sous  lui  que  l'Ordre  des  Chartreux  se  répandit  en  France  et  à 
l'étranger  avec  tant  de  rapidité.  Il  fonda  de  nouvelles  maisons;  il  fit  adopter 
à  toutes  les  statuts  dressés  par  le  bienheureux  Dom  Guigue.  Jusque-là  les 
Chartreuses  avaient  été  indépendantes  les  unes  des  autres,  et  soumises  aux 
évoques  diocésains.  Anthelme  assembla  un  chapitre  général  qui  fut  le  pre- 
mier de  l'Ordre  et  où  se  réunirent  tous  les  prieurs  :  celui  de  la  Grande- 
Chartreuse  fut  reconnu  pour  chef  des  autres  maisons.  On  peut  donc  regarder 
notre  Saint  comme  le  premier  général  des  Chartreux,  quoiqu'il  soit  le  sep- 
tième prieur  de  la  Chartreuse  de  Grenoble. 

Sollicité  par  de  saintes  femmes,  qui  voulaient  vivre  en  communauté 
sous  la  Règle  de  Saint-Bruno,  Anthelme  chargea  le  bienheureux  Jean  l'Es- 
pagnol de  leur  rédiger  des  statuts.  Telle  fut  l'origine  des  Chartreuses,  dont 
la  ferveur  s'est  soutenue  jusqu'à  la  révolution  de  1792. 

La  réputation  de  la  haute  sagesse  de  ce  grand  homme  se  répandit  par- 
tout, et  l'on  venait  de  tous  côtés  pour  le  consulter.  Il  fit  par  là  beaucoup  de 
conquêtes  à  Jésus-Christ  :  il  eut  la  consolation  de  compter  dans  ce  nombre 
son  père,  l'un  de  ses  frères,  qui  s'était  fait  un  nom  à  la  Terre  Sainte  parmi 


SAINT  AiMIIELME,    GÉNÉRAL  DES   CHARTREUX.  377 

les  Croisés,  et  l'illustre  Guillaume,  comte  de  Nivernais.  Tous  trois  quittèrent 
l'habit  séculier,  foulant  aux  pieds  les  intérêts  de  la  terre,  pour  le  suivre 
dans  le  désert;  son  autre  frère  l'avait  précédé  lui-même  à  la  Chartreuse.  Les 
abbés  et  les  évêques,  aussi  bien  que  les  personnes  d'une  moindre  distinc- 
tion, se  faisaient  un  plaisir  de  recevoir  et  de  suivre  ses  conseils  ;  il  les  don- 
nait en  pleine  liberté,  et,  ne  faisant  acception  de  personne,  il  reprochait 
hardiment  à  chacun  les  vices  dont  il  savait  qu'il  était  accusé.  Cette  manière 
d'agir  et  de  parler  avec  fermeté,  qui  faisait  le  principal  caractère  de  son 
esprit,  lui  suscita  de  grands  ennemis  :  quelques-uns  de  ses  religieux  furent 
de  ce  nombre  et  l'accusèrent  auprès  du  pape  Eugène  III  ;  mais  le  grand 
saint  Bernard  prit  sa  défense,  et  son  innocence  fut  reconnue.  Mais  ces 
troubles  firent  plus  que  jamais  regretter  à  notre  Saint  les  douceurs  et  la 
sûreté  spirituelle  de  simple  religieux.  11  se  démit  du  généralaten  1152,  après 
douze  ans  d'une  pénible  et  glorieuse  administration. 

Anthelme  s'étant  retiré,  croyait  jouir  longtemps  du  bonheur  de  la  vie 
privée;  mais  Dieu,  qui  le  destinait  comme  un  tlambeau  à  éclairer  les  autres, 
le  fit  bientôt  sortir  de  sa  retraite,  en  inspirant  à  ses  supérieurs  de  lui  donner 
le  gouvernement  du  monastère  de  Portes,  à  la  place  de  Dom  Bernard,  qui 
en  sortait;  l'obéissance  seule  lui  fît  accepter  ce  nouveau  fardeau.  Il  prit 
donc  connaissance  de  l'état  des  affaires  ;  et,  ayant  trouvé  d'assez  grosses 
sommes  d'argent,  et  abondance  de  grains  et  de  provisions,  il  commença  par 
en  faire  des  distributions  aux  pauvres  et  aux  maisons  religieuses  qui  étaient 
dans  le  besoin,  et  rétablit  cette  maison  dans  le  premier  esprit  de  pauvreté 
qui  était  convenable  à  son  Ordre.  Dans  la  famine  qui  désola  le  Bugey  à  cette 
époque,  ce  nouveau  Joseph  sauva  la  contrée  par  des  distributions  de  blé 
que  Dieu  multipliait  entre  ses  mains.  11  vécut  deux  ans  dans  ce  monastère, 
dans  l'exercice  de  toutes  les  vertus  religieuses,  faisant  paraître  en  sa  per- 
sonne un  oarfait  modèle  de  perfection,  s'exerçant  dans  les  plus  sévères  pra- 
tiques de  la  mortification  des  cloîtres:  il  y  joignait  une  oraison  continuelle, 
dans  laquelle  il  puisait  ces  sublimes  connaissances  et  ces  riches  conseils 
qu'il  distribuait  à  ceux  qui  venaient  lui  demander  des  moyens  pour  se  sauver. 

Au  bout  de  deux  ans,  Anthelme  obtint  d'être  déchargé  de  sa  dignité,  et 
retourna  à  son  ancienne  cellule  de  la  Grande-Chartreuse  (1155).  Il  y  jouis- 
sait des  douceurs  de  la  contemplation,  lorsqu'il  se  trouva  contraint  de  don- 
ner ses  soins  et  ses  conseils  pour  les  intérêts  de  l'Eglise,  dans  la  grande 
affaire  du  schisme  qui  s'éleva,  l'an  H 59,  lorsqu'.\lexandre  111,  ayant  été  élu 
pape  par  des  voies  légitimes,  l'antipape  Octavien  s'établit  par  violence  sur 
le  siège  de  saint  Pierre,  sous  le  nom  de  Victor  111,  et  voulut  soumettre  l'Eglise 
romaine  à  la  tyrannie  de  l'empereur  Frédéric  Baiberousse.  Ce  schisme  ayant 
divisé  presque  tout  l'Occident,  Anthelme,  dont  la  science  et  le  mérite  étaient 
connus,  étant  sollicité  d'intervenir  dans  cette  grande  affaire,  et  de  soutenir 
le  bon  droit  du  vrai  Pape,  s'y  employa  de  toutes  ses  forces.  Il  s'associa  donc 
un  religieux  nommé  Geoifroy,  abbé  d'Hautecombe,  de  l'Ordre  de  Cîteaux, 
lequel  était  très-savant  et  très-éloquent;  ils  travaillèrent  ensemble  pour 
soutenir  Alexandre  dans  ses  droits,  et,  par  leurs  soins,  tout  l'Ordre  des 
Chartreux,  les  religieux  de  Cîteaux,  et,  à  leur  exemple,  une  infinité  d'autres, 
reconnurent  Alexandre  pour  souverain  Pontife.  Les  menaces  de  l'empereur 
Frédéric  contre  Anthelme,  qu'il  savait  lui  être  contraire,  ne  firent  aucune- 
ment changer  cet  intrépide  défenseur  du  bon  parti  ;  en  sorte  que  l'on  vit  en 
peu  de  temps  la  France,  l'Espagne  et  l'Angleterre  se  déclarer  ouvertement 
pour  le  Pape  légitime  :  ce  qui  causa  une  joie  générale  et  une  paix  que  l'on 
désirait  depuis  longtemps  dans  l'Eglise. 


378  2G  JUIN. 

L'heureux  succès  de  la  négociation  d'Anthelme,  dans  la  destruction  du 
schisme  dont  nous  venons  de  parler,  ne  fit  qu'augmenter  l'estime  que  tout 
le  monde  avait  déjà  conçu  pour  sa  sagesse  et  sa  grande  capacité  ;  de  sorte 
que  le  siège  épiscopal  de  la  ville  de  Belley  étant  venu  à  vaquer,  et  étant  dis- 
puté par  deux  concurrents  que  l'on  en  croyait  également  indignes,  le  pape 
Alexandre,  à  la  sollicitation  des  plus  sages  du  clergé  de  ce  diocèse,  nomma 
Anthelme.  Notre  saint  Chartreux,  qui  goûtait  alors,  dans  la  retraite  de  sa 
cellule,  toutes  les  délices  qu'un  vrai  solitaire  a  pour  partage,  ayant  été 
averti  de  ce  qui  se  passait  et  de  sa  nomination  à  l'épiscopat,  crut,  pour  évi- 
ter cette  haute  dignité,  que  le  plus  sûr  pour  lui  était  de  fuir  et  d'aller  se 
cacher  :  c'est  ce  qu'il  fit,  plutôt  que  d'attendre  les  députés  qui  devaient  ve- 
nir lui  annoncer  la  nouvelle  de  son  élévation. 

On  le  chercha  partout  :  on  le  trouva  enfin,  et  on  lui  montra  la  nécessité  où 
il  était  d'obéir  à  ses  supérieurs,  et  surtout  au  souverain  Pontife,  qui  l'avait 
nommé  pour  remplir  le  siège  épiscopal  de  l'église  de  Belley;  mais  cet  humble 
religieux,  ne  croyant  nullement  avoir  les  qualités  nécessaires  pour  soutenir 
le  poids  de  cette  dignité,  ne  put  acquiescer  aux  raisons  qu'on  lui  exposa; 
on  obtint  seulement  de  lui  qu'il  irait  exposer  ses  motifs  au  souverain  Pon- 
tife :  ce  qu'il  fît,  mais  sans  succès,  puisque  le  Pape,  ayant  écouté  et  pesé 
toutes  les  difficultés,  lui  ordonna  de  se  soumettre  et  d'accepter  l'épiscopat, 
et  voulut  le  sacrer  lui-même  le  jour  de  la  Nativité  de  la  Sainte  Vierge, 
l'an  1163. 

Anthelme  ayant  reconnu  l'ordre  de  Dieu,  dans  la  volonté  expresse  du 
vicaire  de  Jésus-Christ,  se  rendit  à  son  église  de  Belley,  où  il  fut  reçu  avec 
un  applaudissement  général.  Il  s'appliqua  aux  fonctions  d'un  véritable  pas- 
teur avec  toute  la  vigilance  et  toute  la  vigueur  dont  il  était  capable.  Avant 
de  travailler  à  réformer  les  dérèglements  de  son  peuple,  il  jugea  qu'il  était 
nécessaire  de  commencer  par  examiner  les  mœurs  de  tous  ceux  qui  compo- 
saient son  clergé  ;  il  usa  d'abord  des  voies  de  douceur,  pour  faire  rentrer 
dans  leur  devoir  ceux  qui  s'en  étaient  écartés;  mais,  ayant  remarqué  que 
quelques-uns  de  ces  prêtres,  abusant  de  sa  trop  grande  bonté,  négligeaient 
de  profiter  de  ses  charitables  avertissements,  il  en  priva  cinq  ou  six  de  toutes 
les  fonctions  sacerdotales,  et  les  fit  ainsi  rentrer  dans  leur  devoir,  aussi 
bien  que  beaucoup  d'autres,  qui  profitèrent  de  la  juste  sévérité  de  ce  digne 
pasteur. 

Ayant  ainsi  mis  ordre  dans  la  maison  de  Dieu,  il  se  sentit  plus  de  force 
pour  juger  son  peuple  ;  il  en  reconnut  d'abord  les  dérèglements,  il  prêcha 
contre  les  vices  publics  et  fit  de  sages  corrections  secrètes  à  ceux  dont  les 
désordres  n'étaient  pas  connus  de  tout  le  monde.  Il  avait  un  soin  particulier 
des  pauvres,  des  veuves  et  des  orphelins  :  il  en  soutenait  les  intérêts  avec 
ardeur  contre  ceux  qui  abusaient  de  leur  autorité  pour  les  opprimer.  Quoi- 
qu'il fût  ami  de  la  paix,  et  qu'il  cédât  volontiers  ce  qu'il  pouvait  aban- 
donner, sans  blesser  sa  conscience,  il  savait  néanmoins  conserver  les  droits 
de  l'Eglise  et  de  sa  dignité,  quand  il  le  jugeait  nécessaire.  11  venait  de  rece- 
voir deux  grandes  marques  de  considération.  Le  pape  Alexandre  III  lui  avait, 
en  H69,  confié  la  mission  d'aller  en  Angleterre  mettre  fin  aux  longs  débats 
qui  divisaient  le  roi  Henri  II  et  l'archevêque  Thomas  de  Canlorbéry  ;  d'un 
autre  côlé,  l'empereur  d'Allemagne,  Frédéric  Barberousse,  rendant  justice 
au  mérite  d'Anthelme,  qui  lui  avait  fermement  résisté  en  faveur  du  Pape 
légitime,  lui  donna  par  des  bulles  d'or  *,  datées  du  24  mars  1175,  avec  le  titre 

1.  Ces  bnlles,  nommées  Bulles  d'or,  ont  été  soigneusement  gardées  par  le  Chapitre   de  Belley  jusqu'au 
moment  de  la  Révolution  ;  elles  furent  brûlées  à  cette  époque  fatale  avec  tous  les  papiers  des  archîTel. 


SALVT  ANTUELME,  GÉNÉRAL  DES  CHARTREUX.  379 

de  prince  du  Saint-Empire,  des  privilèges  très-étendus  *  ;  il  l'investit  de  la 
souveraineté  de  la  ville  de  Belley  et  de  ses  dépendances.  Humbert  III,  prince 
de  Savoie,  dont  dépendait  le  Bugey,  ne  vit  pas  sans  jalousie  ces  privilèges  : 
il  les  viola  en  faisant  emprisonner  un  prêtre  du  diocèse  de  Belley.  Anthelme 
l'ayant  vainement  réclamé,  le  Ot  mettre  en  liberté  par  Guillaume,  évoque 
de  Saint-Jean  de  Maurienne  ;  mais  ce  malheureux  prêtre  fut  bientôt  après 
assassiné  par  les  gens  du  prévôt  du  prince  Humbert.  Anthelme  eut  alors 
recours  au  glaive  de  l'anathèrae.  Humbert,  excommunié,  en  appela  à  Rome, 
et,  à  force  d'instances  et  de  faux  rapports,  obtint  l'absolution  du  Saint- 
Siège.  Alors  triomphant,  il  continua  ses  vexations  ;  pour  y  échapper,  ce 
saint  évoque  se  retira  à  la  Grande-Chartreuse  :  mais  son  peuple,  inconso- 
lable de  ce  départ,  obtint  du  Pape  des  lettres  qui  obligèrent  Anthelme  à 
revenir.  Humbert  l'ayant  depuis  menacé  de  le  traduire  devant  un  tribunal 
séculier,  notre  Saint  se  contenta  de  le  citer  au  tribunal  de  Jésus-Christ;  le 
comte  n'osa  s'exposera  l'issue  d'un  tel  jugement.  Saisi  de  crainte,  baigné 
de  larmes,  il  vient  se  jeter  aux  pieds  du  saint  prélat  qui  était  malade,  pro- 
met par  serment  de  réparer  ses  torts,  d'être  désormais  le  protecteur  de  son 
Eglise,  et  finit  par  obtenir  un  pardon  (}iii  fut  accompagné  d'une  bénédic- 
tion particulière  pour  lui  et  sa  famille.  Le  Saint,  dans  ce  moment,  lui 
souhaita  et  lui  annonça  un  fils;  et,  en  effet,  le  prince  Humbert,  affligé  de 
n'avoir  qu'une  fille,  ne  tarda  pas  à  se  réjouir  de  la  naissance  d'un  futur  suc- 
cesseur, qui  régna  après  lui  sous  le  nom  de  Thomas  I". 

Si  ce  vigilant  pasteur  veillait  avec  tant  d'exactitude  sur  son  troupeau,  il 
ne  laissait  pas  d'avoir  aussi  toujours  un  grand  soin  de  son  propre  salut,  et 
sitôt  qu'il  avait  quelques  jours  de  loisirs,  il  retournait  à  la  Grande-Char- 
treuse où  il  menait  avec  plaisir  la  vie  d'un  simple  religieux  ;  il  donna  aussi 
d'excellents  avis  pour  maintenir  efficacement  l'observance  des  Règles  de  son 
Ordre,  pour  lequel  il  conserva  toute  sa  vie  une  estime  et  une  inclination 
particulière.  Ses  historiens  remarquent  à  ce  sujet,  que,  quand  il  faisait  la 
visite  de  son  diocèse,  il  visitait  aussi  avec  grande  joie  les  maisons  des  Char- 
treux, pour  encourager  ceux  qui  les  habitaient  à  persévérer  dans  la  pratique 
du  silence,  de  l'oraison,  de  la  mortification  et  des  autres  vertus  convenables 
à  la  vie  des  solitaires. 

Mais  il  s'acquitta  avant  tout  des  devoirs  essentiels  qui  l'attachaient  à 
l'Eglise  confiée  à  ses  soins  ;  il  renouvela  donc  son  zèle  pour  son  troupeau 
sur  la  fin  de  sa  vie.  Les  pauvres,  et  surtout  ceux  qui  lui  paraissaient  les  plus 
destitués  de  secours,  étaient  les  premiers  objets  de  sa  vigilance  et  de  sa 
cliarité  ;  il  n'avait  rien  qui  ne  fût  à  eux,  et,  ne  se  réservant  que  le  pur  néces- 
saire pour  lui,  il  leur  faisait  distribuer  tout  ce  qui  lui  restait.  Il  y  avait  dans 
son  diocèse  deux  maisons  entre  autres  qui  lui  étaient  très-chères  :  l'une  où 
se  trouvaient  un  grand  nombre  de  veuves  et  de  vierges,  qui,  s'étant  retirées 
du  monde,  menaient  la  vie  solitaire  dans  un  lieu  appelé  Bons,  près  de 
Belley,  et  l'autre  était  une  maison  de  lépreux,  que  le  bienheureux  Guigue 


Le  scean  en  or  ne  périt  pas  ;  il  a  été  rendu  k  Mgr  Alexandre-Eaymond  Dévie,  en  1S25,  par  ÎI.  Dumonlin, 
receveur  de  rarrondissement  de  Belley  ;  il  porte  d'un  côté  :  Fredericus  Rom.  Imper.  ;  de  l'autre  :  Roma 
eaput  mundi  régit  orbis  frena  rotundi.  Guichenon  a  conservé  le  texte  de  ces  balles. 

1.  Ces  privilèges  étaient  de  battre  monnaie,  de  talon  et  mesure,  de  péage,  de  rivage,  de  rivière,  de 
pâturage,  de  pêche,  de  chasse,  de  chauffage,  souche  et  mort  bois.  La  monnaie  que  faisaient  battre  le» 
<Têqnes  de  Belley  portait  d'un  côté  une  dextre  et  cette  léçende  :  Ecclesia  Rellicensis.  et  sur  le  revers  une 
tête  d'homme  avec  ces  mots  :  5.  Jowines-Baptista.  On  avait  mis  une  main  sur  ces  pièces  en  mémoire  da 
la  main  droite  du  saint  Précurseur,  longtemps  vénérée  dans  la  cathédrale.  Le  privilège  de  battre  monnaie 
fat  supprime  par  François  I*',  qui  fit  la  conquête  de  l*  Bresse,  du  Bugey  et  de  la  Savoie,  sur  Charles  lU, 
.on  oucle,  en  lô36. 


380  26  JUIN. 

avait  établie  *.  Notre  Saint  n'oublia  rien  pour  soutenir  ces  deux  maisons 
et  pourvoir  aux  choses  nécessaires  à  la  subsistance  de  ceux  qui  y  demeu- 
raient. 

Le  zèle  avec  lequel  Anthelme,  dans  un  âge  très-avancé,  soutenait  tant 
de  fatigues  au  milieu  de  tant  d'autres  sollicitudes,  était  admiré  comme  un 
prodige  dont  le  ciel  gratiQait  ses  ouailles,  plutôt  que  le  Saint  lui-même, 
puisqu'une  si  longue  vie  était  tout  employée  aux  soins  de  la  plus  tendre 
charité. 

Cependant  Dieu  voulut  lui  accorder  la  couronne  promise  à  a  l'économe 
fidèle  et  prudent  qu'il  avait  établi  sur  sa  famille  pour  distribuer  à  chacun 
sa  mesure  de  blé  en  son  temps  ». 

L'année  H78  fut  pour  le  Bugey  une  année  de  disette  et  de  misère. 
Anthelme  était  occupé  à  distribuer  des  vivres  aux  malheureux  habitants  de 
toutes  les  contrées  voisines,  quand  le  souverain  Juge  vint  le  visiter  dans  une 
maladie  dont  il  ne  devait  pas  guérir.  «  Heureux  le  serviteur  que  son  maître, 
à  son  arrivée,  trouve  agissant  de  la  sorte  !  » 

Une  fièvre  ardente  saisit  notre  Saint  dans  sa  ville  épiscopale,  et  la  vio- 
lence du  mal  le  conduisit  promptement  aux  portes  de  la  mort;  il  la  vit 
s'approcher  comme  une  libératrice  qui  allait  le  rendre  à  sa  véritable  patrie. 
Lui  seul,  en  ce  moment,  conserva  du  calme.  Son  chapitre,  ses  amis,  les 
notables  de  la  ville,  ses  domestiques  fondaient  en  larmes  autour  de  son  lit, 
pendant  qu'il  les  bénissait.  Ils  ne  pleuraient  pas  seulement  sa  mort,  puis- 
qu'elle devait  le  conduire  à  une  vie  meilleure,  mais  il  leur  en  coûtait  de  se 
séparer  de  ce  vertueux  prélat,  de  ce  bon  maître.  Il  refusa  de  faire  son  testa- 
ment, parce  que,  disait-il,  un  religieux  ne  possède  rien  en  propre,  un 
évêque  n'est  que  le  dispensateur  des  biens  de  son  Eglise.  Il  ne  saurait  donc 
en  disposer  au  moment  où  la  mort  vient  lui  en  ôter  l'administration. 
Comme  le  disciple  bien-aimé,  il  exhorta  les  personnes  qui  l'entouraient  à 
Tivre  dans  une  grande  charité,  et  à  demeurer  toujours  unies  par  les  liens 
de  la  paix  ;  enfin,  il  rendit  son  âme  à  Dieu  au  milieu  des  litanies  et  des 
prières  qu'on  récitait  auprès  de  son  lit,  et  alla,  le  26  juin  1178,  recevoir  la 
couronne  d'immortalité  qu'il  avait  si  justement  méritée.  Il  était  âgé  de 
soixante-douze  ans,  dont  il  avait  passé  plus  de  trente  dans  le  cloître  et 
quinze  dans  Tépiscopat.  Le  deuil  fut  général  dans  le  diocèse  de  Belley  ; 
chacun  pleurait  comme  s'il  avait  perdu  son  père. 

Pendant  que  la  ville  de  Belley  est  plongée  dans  cette  douleur  profonde, 
le  corps  du  Saint  est  revêtu  de  l'habit  de  Chartreux  qu'il  porta  toujours  ;  et 
paré  de  la  mitre,  de  la  croix  pastorale,  de  l'anneau,  du  bâton  pastoral,  il 
demeure  plusieurs  jours  exposé  aux  regards  du  public;  ensuite  il  est  placé 
dans  une  tombe  préparée  à  l'entrée  du  chœur  de  la  cathédrale,  sous  le  cru- 
cifix. En  ce  moment  tous  les  bras  enveloppent  cette  bière  où  repose  l'objet 
de  la  tendre  vénération  des  grands  de  la  terre,  des  riches,  des  pauvres,  des 
vieillards,  des  jeunes  gens.  On  se  précipite  sur  ce  dépôt  sacré  ;  on  y  appli- 
que des  objets  de  dévotion,  des  linges  que  l'on  conserve  précieusement. 
Les  mères  inclinent  leurs  enfants  sur  ce  bois  que  l'on  craint  de  voir  dispa- 
raître, et  chacun  se  retire  dans  le  frémissement  et  les  sanglots  qu'excitent 
les  extrêmes  calamités. 


1.  Cette  ladrerie  e'tait  située  sur  la  rive  gauche  du  Rhône,  dans  l'endroit  conan  aujourd'hui  son»  la 
nom  de  Maladière,  entre  la  Balme  dePierre-Cliâtel  et  la  petite  ville  dTeune,  en  Savoie.  On  y  voit  encore 
les  rest!!s  dune  chapelle,  sous  le  vocable  de  saint  Hii;,'on,  et  le  petit  hospice  à  côté,  transformé  en  habi- 
tation partlculièie.  Saint  Anthelme  passait  des  journées  entières  à  soigner  ces  pestiférés,  sans  crainte  de 
coutracter  leur  horrible  maladie. 


SAINT  ANTHELME,  GÉNÉR.a  DES  CHARTREUX.  381 

Pour  calmer  tant  de  regrets  ;  Dieu  avertit  miraculeusement  la  ville  de 
Belley  qu'elle  a  un  protecteur  dans  le  ciel. 

Au  moment  où  1  on  se  dispose  à  descendre  le  corps  de  saint  Anthelme 
dans  le  monument,  l'une  des  trois  lampes  placées  en  face  du  crucifix 
comme  symbole  de  l'adorable  Trinité,  et  qu'on  n'allumait  qu'aux  grandes 
fêtes,  brilla  spontanément  d'une  vive  clarté.  Tous  les  spectateurs,  étonnés, 
la  considéraient  avec  attention.  Au  même  instant,  les  deux  autres  furent 
aussi  allumées  miraculeusement,  et  jetèrent  une  lumière  éblouissante  et 
surnaturelle.  Ce  fait  est  attesté  par  des  auteurs  contemporains,  qui  s'accor- 
dent tous  dans  la  manière  de  le  raconter. 

Les  habitants  de  Belley  firent  placer  cette  inscription  près  du  tombeau 
de  leur  évoque  tant  regretté  et  de  leur  protecteur  : 

Deo  optimo,  maximo,  B.  Anthelmo  tliaumalurgo.  liberUtis  ecclesiasUcae  strenuo  vindici,  Car- 
tusise  majoiis  Vil  priori,  toliusqiie  ordiiiis  item  VII  gênerai!  prîcposito,  sacri  imperii  principi, 
civitatis  Bellicii  XLVl  praesuli,  primo  dyaasls  et  tutelari  piealissimo,  cives  belliceuses,  illius 
devotissimi  clieutuli  D.  D. 

Hactenus  illiESuin  per  bella,  incendia,  pestes, 
Belliciura  hoc,  Anthelme,  tibi  debere  fatetur  ; 
Et  ne  nulla  tibi  referatur  gratia  posthac, 
Urbs  tua  perpetuos  voto  tibi  sacrât  honores. 

Au  Dieu  très-parfait,  très-grand,  au  B.  Anthelme  le  Thaumaturge,  zélé  défenseur  des  libertés 
de  l'Eglise,  septième  prieur  et  septième  général  des  Chartreux,  prince  du  Saint-Empire,  quarante- 
sixième  évèque,  premier  seigneur  et  protecteur  zolé  de  Belley  ;  les  citoyens  de  cette  ville,  ses 
dévoués  clients,  lui  ont  élevé  ce  monument. 

«  Si  Belley  existe  après  des  guerres,  des  incendies  et  des  pestes,  il  avoue,  Anthelme,  qu'il  le 
doit  à  votre  |  lotection  ;  mais  aûa  que  la  postérité  ne  perde  jamais  le  souvenir  d'un  si  grand  bien- 
fait, votre  ville  proclame  à  jamais  votre  culte  par  un  vœu  solennel  ». 

A  cette  époque  la  voix  du  peuple  et  le  consentement  des  évêques  suffi- 
saient pour  canoniser  un  Saint.  La  cérémonie  consistait  à  orner  son  tom- 
beau, à  élever  un  peu  de  terre  pour  mieux  exposer  les  reliques  à  la  vénéra- 
tion des  fidèles,  comme  on  fît  alors  pour  le  saint  évêque  de  Belley.  Les 
règles  établies  par  le  pape  Alexandre  III  sur  la  canonisation  des  Saints  ne 
furent  régulièrement  observées  en  France  que  quelque  temps  après. 

On  représente  saint  Anthelme  :  1°  ayant  au-dessus  de  sa  tête  une  lampe 
allumée  par  une  main  céleste;  2°  portant  dans  la  main  le  livre  de  l'office 
de  la  sainte  Vierge,  et  recevant  par  l'entremise  de  saint  Pierre  l'indication 
de  l'ordre  à  suivre  dans  la  récitation  de  cet  office;  3°  ayant  à  ses  pieds  le 
comte  Humbert  de  Belley,  excommunié  par  notre  Saint  pour  avoir  attenté 
aux  immunités  de  l'Eglise. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Dès  que  le  corps  de  saint  Anthelme  eut  été  placé  dans  l'église  cathédrale  de  Belley,  les  fidèles 
ne  cessèrent  de  venir  à  son  tombeau  solliciter  des  faveurs,  et  s'en  retournaient  toujours  en  pu- 
bliant quelque  miracle  obtenu  par  sa  médiation. 

Plus  de  quatre  cents  ans  après  sa  mort,  un  de  ses  successeurs,  Jean  de  Passelaigue,  cédant  au 
désir  des  Chartreux  et  de  tout  le  diocèse  de  Belley,  en  même  temps  qu'à  sa  propre  dévotion, 
résolut  de  déclarer  protecteur  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Belley,  le  saint  évêque,  déjà  placé  dans 
le  martyrologe  de  ce  diocèse.  Le  26  juin  1630,  on  procéda  à  la  reconnaissance  des  saintes  reliques, 
en  présence  de  la  foule  accourue  pour  contempler  ce  digne  objet  de  sa  tendre  vénération.  Un  cri 
de  joie,  suivi  du  silence  d'une  admiration  toute  religieuse,  se  fit  entendre  quand,  à  l'ouverture  du 
sépulcre,  une  odeur  suave  se  répandit  dans  l'église  ;  l'étonneraent  augmenta  lorsqu'on  vit  que 
«  Dieu  qui  veille  à  la  conservation  des  ossements  de  ses  Saints  »,  avait  préservé  le  corps  de  son 
fidèle  serviteur  de  la  corruption  du  tombeau,  et  que  ses  vètemenis  n'avaient  presque  pas  été  en- 


382  26  JUIN. 

dommages.  Ces  dépouilles  glorieuses,  renfermées  dans  une  châsse  richement  ornée,  furent  portées 
avec  pompe  autour  de  la  ville,  au  milieu  d'une  procession,  composée  de  l'évêque  en  habits  ponti- 
ficaux, du  chapitre,  des  Ordres  religieux,  des  notables  de  Belley  et  des  environs,  et  d'un  nombre 
prodigieux  des  fidèles  accourus  de  toutes  les  provinces  voisines  pour  venir  implorer  la  protection 
du  saint  évèque.  La  confrérie  de  Saint-Anthelrae  environnait  la  châsse.  Les  auteurs  contemporains, 
témoins  de  ce  triomphe,  assurent  que  la  foule  ne  détournait  ses  yeux  de  l'objet  de  sa  vénération 
que  pour  contempler  cette  société  modeste  et  pieuse,  formée  en  ce  grand  jour  en  l'honneur  de 
saint  Anthelme,  dont  elle  a  imité  longtemps  les  vertus.  Lorsque  la  châsse,  portée  par  quatre  cha- 
noines, fut  arrivée  à  la  chapelle  préparée  pour  la  recevoir,  Mgr  de  Passelaigue  la  posa  sur  oa 
autel  de  marbre  qu'on  avait  préparé  pour  la  recevoir. 

Ce  qu'il  y  eut  de  plus  admirable  en  ce  jour  solennel,  ce  furent  les  miracles  qui  s'y  opérèrent: 
des  boiteux  furent  redressés,  des  aveugles  recouvrèrent  la  vue,  et  un  grand  nombre  d'autres  ma- 
lades guéris  de  diirérenles  infirmités,  couraient  çà  et  là,  ivres  de  joie,  en  publiant  les  louanges  de 
Dieu  et  la  puissance  du  grand  thaumaturge. 

Depuis  cette  époque,  la  dévotion  au  saint  évêque  de  Belley  s'étendit  au  loin.  Sa  chapelle  fut 
si  fréquentée,  et  les  miracles  s'y  multiplièrent  à  tel  point  après  cette  translation,  qu'un  volume 
ne  suffirait  pas  pour  les  faire  connaître  tous.  La  ville  de  Belley,  qui  possède  le  dépôt  sacré  du 
corps  de  son  puissant  protecteur,  et  qui  venait  de  lui  rendre  des  honneurs  si  religieux,  dut  éprou- 
ver la  première  l'effet  de  sa  puissance  tutélaire.  A  cette  époque,  le  plus  terrible  fléau  de  Dieu,  la 
peste,  dépeuplait  les  provinces  voisines.  Belley  s'en  voyait  menacé  de  près  :  déjà  les  ravages 
avaient  commencé  dans  les  faubourgs.  On  expose  alors  la  châsse  de  saint  Anthelme,  on  s'en  couvre 
comme  d'un  bouclier  puissant  pour  se  mettre  à  l'abri  des  coups  de  la  colère  de  Dieu.  Elle  est  en- 
tourée par  les  pieux  habitants  de  cette  ville,  et  ils  sont  préservés  miraculeusement  de  ce  pressant 
danger. 

Tous  les  évêques  de  Belley  prirent  successivement  la  part  la  plus  vive  au  culte  et  à  la  fête 
de  saint  Anthelme.  Mgr  Gabriel  Cortois  de  Quincey,  l'un  des  plus  dignes  successeurs  de  tant  d'il- 
lustres pontifes,  fut  le  zélateur  de  son  culte  et  le  fidèle  imitateur  de  ce  grand  modèle  pendant  les 
quarante  ans  qu'il  siégea  sur  le  trône  pontifical  de  Belley.  Ce  vénérable  prélat  reconnaissait  lui 
devoir  la  vie.  C'est  pour  remplir  le  vœu  qu'il  lui  avait  fait  étant  sur  le  point  de  périr  en  traver- 
sant la  rivière  J'Ain,  qu'il  répara  sa  chapelle  en  1759,  et  la  décora  de  tableaux  dont  le  mérite  et 
la  valeur  ne  purent  cependant  les  préserver  de  la  fureur  des  iconoclastes  du  xvme  siècle.  Il  fit 
construire  un  autel  en  marbre  blanc,  revêtit  le  corps  saint  d'on  suaire  magnifique  et  d'un  ornement 
brodé  en  or.  Depuis  ce  moment,  le  concours  des  fidèles  continua  avec  une  nouvelle  affluence. 

Mais  une  révolution  impie  arrêta  bientôt  ce  culte  pieux  et  national.  Le  6  décembre  1793,  des 
mam;^  sacrilèges,  après  avoir  profané  l'asile  sacré  où  Anthelme  était  honoré,  enlevèrent  de  dessus 
l'autel  la  châsse  qui  renfermait  le  corps  du  Saint,  et  se  disposaient  à  la  porter  sur  la  place  pu- 
blique pour  la  livrer  aux  flammes.  La  nouvelle  du  déplacement  de  la  châsse  qui  contenait  le  corps 
saint,  mit  la  ville  de  Belley  dans  un  état  de  stupeur  ;  les  uns  accourent,  poussés  par  la  rage  de 
l'impiéié  ;  les  autres  attirés  par  la  curiosité  et  par  le  désir  de  contempler  le  corps  du  saint  pré- 
lat. Ces  derniers  réussissent  à  soustraire  furtivement  divers  lambeaux  des  linges  qui  l'enveloppent, 
et  quelques  ossements  qu'ils  conservent  avec  vénération.  Ce  fut  pendant  ces  entrefaites  qu'un 
impie  sépara  la  tête  du  Saint  peur  la  montrer  avec  dérision,  puis  la  brisa  sur  le  pavé  en  profé- 
rant ces  paroles  :  «  Si  tu  es  Sîint,  fais-le  voir  !  »  Peu  de  jours  après  cette  imprécation,  des  tu- 
meurs alîreuses  lui  survinrent  autour  du  cou.  Il  conserva  cette  infirmité  dégoûtante  jusqu'à  la  fin 
de  sa  vie,  qui  dura  encore  vingt-trois  ans.  Toute  la  ville  crut  apercevoir  dans  cet  événement  un 
châtiment  du  ciel,  oii  la  miséricorde  s'unit  à  la  lustice,  puisque  cet  homme,  touché  d'un  sincère 
repentir,  revint  à  des  sentiments  chrétiens,  donna  des  preuves  de  la  plus  touchante  dévotion  à 
saint  Antlielme,  et  mourut  dans  des  dispositions  qui  font  espérer  qu'il  aura  trouvé  grâce  au  tri- 
bunal de  la  justice  de  Dieu. 

Telles  furent  les  horreurs  de  cette  journée  désastreuse.  Ces  rapaces  enlevèrent  la  châsse  et 
les  richesses  dont  elle  était  ornée  ;  mais  le  dépôt  sacré  qu'elle  renfermait,  protégé  par  des  senti- 
nelles, envoyées  un  moment  après,  pour  arrêter  les  profanations  que  nous  venons  de  déplorer, 
échappa  à  leur  sacrilège  fureur.  Des  chrétiens  dévoués  réunirent  les  ossements  épars  et  conser- 
vèrent à  la  ville  de  Belley  la  relique  vénérée  de  son  saint  évèque,  en  la  cachant  dans  la  sacristie, 
sous  le  parquet,  près  du  grand  pilier  qui  soutient  la  voûte. 

Dès  que  la  paix  fut  rendue  à  l'Eglise  de  France  par  le  concordat  de  1801,  l'église  de  Belley 
fut  de  nouveau  consacrée  au  culte  catholique.  Le  diocèse,  d'après  les  arrangements  pris  entre  le 
souverain  Pontife  et  le  chef  de  la  nation  française,  fut  réuni  en  1802  à  celui  de  Lyon.  Alors 
M.  Tenand,  ancien  curé  de  Belley,  fut  rendu  aux  vœux  de  son  peuple  chéri.  Son  premier  soin 
fut  de  découvrir  le  corps  du  saint  évêque;  le  religieux  empressement  des  fidèles  ne  tarda  pas  à 
lui  faire  connaître  le  lieu  qui  recelait  ce  précieux  dépôt.  11  s'apprêtait  à  l'exposer  à  la  vénération 
du  peuple  chrétien,  lorsqu'il  mourut  le  27  juillet  1806.  Son  successeur  exprima  le  même  vœu  au 
nom  de  la  ville  de  Belley.  Une  commission  fut  nommée.  Avec  un  conseil  de  médecins  et  de  chi- 
rurgiens elle  établit  l'identité  des  ossomc-nts  de  saint  Auihelme  ;  le  2  août  de  la  même  année, 
celte  information  fut  publiquement  raliliée.  Ensuite,  ces  précieux  restes  furent  renfermés  et  scellés 


LA  FÊTE  DE  LA.  TRANSLATION  DES   RELIQUES   DE    SAINT  HILAIRE.  383 

dans  un  cofTret  en  bois,  que  l'on  déposa  dans  la  chapelle  du  Saint.  Enfin,  le  8  juin  1813,  le  car- 
dinal Fesch,  archevêque  de  Lyon,  reconnut  les  saintes  reliques  et  les  scella  de  ses  armes.  La 
châsse  fut  reportée  en  procession  dans  la  chapelle  dite  de  SainlrAuthelme,  et  renfermée  dans  une 
armoire  à  gauche  de  l'autel;  l'archevêque  garda  un  os  du  saint  confesseur,  dont  il  enrichit  le  trésor 
de  la  primatiale  de  Lyon. 

C'est  une  pieuse  croyance  dans  le  pays  que  saint  Anthelme  ne  fut  pas  étranger  au  rétablisse- 
ment du  diocèse  de  Belley,  en  1811.  Le  premier  évèque,  Mgr  Dévie,  qui  prit  possession  de  ce 
siège  en  1823,  vérifia  les  reliques  de  saint  Anlhelme,  en  présence  d'un  grand  nombre  de  témoins, 
parmi  lesquels  se  trouvait  M.  Rey,'  vicaire  général  de  Chambéry,  depuis  évêque  d'Annecy  : 
Mgr  Dévie  lui  donna  une  côte  du  Saint,  pour  la  paroisse  de  Cliigniii,  en  Savoie  ;  plus  tard,  il  ré- 
tablit la  confrérie  de  Saint-Ânthelme,  dont  le  pape  Léon  XU  approuva  les  dispositions  avec  de 
riches  indulgences.  En  1829,  le  mardi  30  juin,  eut  lieu  une  translation  solennelle  des  reliques  du 
Saint  dans  sa  chapelle  restaurée  :  quatre  cents  prêtres  et  plus  de  dix  mille  personnes  assistèrent 
à  cette  belle  cérémonie.  Mgr  Dévie  institua  une  neuvaiue  annuelle  en  l'honneur  de  saint  Anlhelme, 
qui  comnienceiail  le  soir  du  17  juin.  Il  régla  encore  que  le  troisième  dimanche  de  chaque  mois, 
la  première  messe  de  paroisse,  à  laquelle  on  fait  un  prône,  fût  à  l'avenir  célébrée  dans  la  chapelle 
de  Sain'-Anthelme,  et  que  le  27  juin  de  chaque  année,  tous  les  enfants  jusqu'à  l'âge  de  raison, 
seraient  amenés  à  la  cathédrale,  et  que  l'évèque  environné  d'un  grand  appareil,  les  bénirait  et  les 
vouerait  à  saint  Anthelme. 

La  châsse  dans  la^iuelle  reposent  aujourd'hui  les  reliques  du  Saint  est  celle  que  Mgr  Dévie  fit 
confectionner  ;  elle  est  en  bois,  couleur  d'acajou,  en  forme  de  tombeau  et  avec  des  ornements 
dorés.  A  travers  deux  grandes  vitres,  on  voit  le  corps  du  Saint  revêtu  d'une  chape  de  drap  d'or 
richement  brodée.  C'est  un  tribut  de  vénération  et  de  reconnaissance  offert  à  saint  Anthelme,  en 
1835,  par  M.  Gauchy,  secrétaire  archiviste  de  la  Chambre  des  Pairs. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  compléter  cette  vie,  de  l'Histoire  hagiologique  du  diocèse  de  Belley, 
par  Mgr  Depéry. 


LA  FÊTE  DE  LA  TRANSLATION  DES  RELIQUES  DE  S.  HILAIRE, 

ÉYÊQUE  DE  POITIERS   (368). 

Après  la  mort  de  saint  Ililaire,  la  ville  de  Poitiers  fut  indécise  sur  le  lieu  où  son  corps  devait 
reposer.  Les  uns  voulaient  que  ce  fût  dans  un  oratoire  qu'il  avait  élevé  lui-même  près  de  sa  de- 
meure :  d'autres  préféraient  la  basilique  de  Saint-Jean  et  de  Saint-Paul,  en  dehors  des  murs,  bâtie 
par  le  saint  Docteur  sur  la  sépulture  de  sa  famille.  Ce  dernier  sentiment  l'emporta  comme  plus 
conforme  à  ses  dernières  volontés.  Les  vénérables  dépouilles  furent  donc  portées  dans  l'église 
suburbicaire,  et  renfermées  dans  un  tombeau  de  marbre.  De  nombreux  miracles  éclatèrent  à  cette 
occasion.  Ceci  se  passait  vers  le  milieu  de  janvier  368. 

Le  respect  que  les  populations  avaient  eu  pour  le  saint  Evêque  de  son  vivant  ne  fit  que  s'ac- 
croître par  les  prodiges  dont  il  plut  à  Dieu  d'environner  son  tombeau.  Aussi  on  peut  dire  que  son 
culte  commença  dès  le  jour  de  sa  mort,  et  il  rendit  bientôt  célèbre  au  loin  la  petite  église  qui  lui 
devait  son  existence  et  sa  gloire. 

Mais  les  malheurs  des  temps  vinrent  troubler  cette  dévotion  filiale.  Le  v»  siècle  vit  la  Gaule 
inondée  par  les  expéditions  militaires  des  Vandales  et  des  Goths  qui  réduisirent  en  cendres  les 
cités  les  plus  florissantes  et  condamnèrent  les  campagnes  à  une  longue  et  ruineuse  stérilité.  Poitiers 
tomba  aussi  entre  leurs  mains;  trois  fois  dans  ce  même  siècle  la  cité  vit  renverser  ses  murailles, 
abattre  ses  monuments,  et  l'église  qui  protégeait  les  restes  de  saint  Hilaire,  réduite  des  premières 
à  un  état  complet  de  ruines,  ensevelit  sous  ses  décombres,  avec  une  foule  d'objets  précieux,  le  saint 
dépôt  qu'y  avait  honoré  depuis  plus  de  cent  ans  la  piété  publique.  L'impossibilité  d'aborder  ce  trésor 
perdu  fit  cesser  les  pèlermages;  on  les  oublia  même  à  tel  point,  qu'après  un  siècle  presque  entier 
pendant  lequel  la  ville  fut  plusieurs  fois  reprise  et  envahie,  on  s'accoutuma  à  voir  sans  intérêt  ces 
ruines  qui  ne  se  relevaient  pas,  et  que  de  cootiuuelles  alarmes  ne  permettaient  même  pas  d'interroger. 

Dieu  ménagea  cependant  un  événement  qui,  en  affermissant  la  monarchie  française  aux  mains 
d'un  roi  puissant,  devait  redresser  les  murs  sacrés  et  ranimer  la  mémoire  du  saint  Confesseur. 

Clovis,  résolu  de  chasser  Alaric  de  l'Aquitaine  et  avec  lui  les  Visigoths  sur  lesquels  régnait  le 
conquérant,  vint  camper  à  quelques  lieues  de  Poitiers  et  se  prépara,  en  observant  l'armée  ennemie 
à  livrer  une  bataille  décisive.   Dans   cette  circonstance,  le  vigilant  Docteur  sembla  revivre  pour 
combattre  encore  l'arianisme  que  professaient  les  Visigoths,  car  au  milieu  de  la  nuit  un  globe  de 
feu  s'éleva  des  ruines  de  son  église,  et  alla  s'éteindre  à  sept  lieues  de  là  au-dessus  de  la  tente  de 


384  26  jum. 

Clovis.  Ce  prodige,  qui  se  manifestait  à  la  veille  d'une  bataille  qu'on  regardait  comme  la  dernière, 
sembla  im  présage  de  la  victoire  ;  et,  en  effet,  on  eût  dit  que  saint  Hilaire,  le  plus  illustre  ennemi 
des  Ariens  de  son  temps,  continuait  de  les  poursuivre  sur  un  territoire  qu'il  leur  avait  interdit. 
Quoiqu'il  en  soit,  l'événement  confirma  ces  espérances.  Dès  le  lendemain,  Alaric  était  vaincu  et 
tué  par  répoux  de  sainte  Clotilde,  et  les  plaines  de  Vouillé,  ou  Voulon,  ensevelissaient  la  fortune 
des  Visigolhs. 

Le  moiiaslèie  de  Saint-Hilaire,  qui  s'était  élevé  près  de  son  tombeau,  n'avait  pas  été  entraîné 
dans  la  perte  de  l'église,  ou  bien  il  s'était  relevé  de  ses  ruines  mêmes  et  n'avait  pas  cessé  d'exis- 
ter, quoii|ue  de  fiéquentes  vicissitudes  fussent  venues  troubler  sa  paix.  Lors  du  grand  événement 
que  nous  venons  de  rappeler,  saint  Fridolm  en  était  abbé  et  avait  singulièrement  contribué  par  ses 
soins  au  rétablissement  de  la  demeure  monastique.  Mais  un  bonheur  lui  manquait  encore  :  ses 
vœux  ardents,  qui  aspiraient  à  découvrir  les  restes  sacrés  qu'il  vénérait  dans  son  cœur,  n'étaient 
point  exaucés.  Les  événements  dont  il  venait  d'être  témoin,  et  aussi  sans  doute  cette  sorte  d'in- 
tuition que  Dieu  donne  aux  Saints  des  grandes  choses  qu'il  prépare  pour  sa  gloire,  commencèrent 
à  ranimer  ses  espérances,  et  il  s'en  entretenait  une  nuit  devant  le  Seigneur  lorsqu'il  reçut  de  saint 
Hilaire  lui-même,  dans  une  vision,  l'indication  précise  du  lieu  où  ses  reliques  étaient  ensevelies, 
et  de  celui  où  il  voulait  qu'on  les  gardât  à  l'avenir.  D'après  cette  manifestation  formelle  et  l'ordre 
de  relever  les  ruines  du  saint  lieu,  Fridolin  s'en  était  allé,  avec  l'évêque  de  Poitiers  Adelphius, 
solliciter  de  Clovis  un  secours  que  le  prince  leur  accorda.  Par  suite  de  ces  royales  générosités 
qui  payaient  ainsi  la  protection  singulière  prêtée  par  l'illustre  docteur  au  premier  protecteur  de 
l'Eglise  en  France,  on  vit  s'élever  rapidement  et  s'embellir  bientôt  le  nouvel  édifice.  Toutefois, 
cette  entreprise  toute  princière  ne  fut  pas  seulement  l'œuvre  de  la  royale  munificence  :  celle-ci 
n'aurait  pu  suffire  à  des  frais  aussi  considérables.  Adelphius  y  suppléa  de  ses  propres  ressources  ; 
et,  quand  le  temple  fut  achevé,  on  procéda  à  une  Translation  solennelle,  qui  se  fit  au  jour  indi- 
qué d'avance  avec  un  immense  concours  du  clergé  et  du  peuble.  L'évêque  ayant  accompli  le  saint 
Sacrifice,  pénétra  avec  saint  Fridolin  dans  la  crypte  enfin  retrouvée  où  si  longtemps  s'était  caché 
à  tous  les  regards  le  corps  vénéré  du  saint  Pontife.  Cette  crypte  avait  été  refermée  avant  la  céré- 
monie :  au  moment  où  elle  fut  ouverte,  on  en  vit  rejaillir  une  éclatante  lumière,  et  une  odeur  suave 
s'en  échappa.  C'est  au  milieu  de  ces  marques  consolantes  de  l'assistance  divine  que  les  précieux 
ossements  furent   retirés  de  la  crypte  et  déposés  dans  le  lieu  plus  digne  qui  leur  avait  été  préparé. 

Cette  Translation  ne  fut  donc,  à  proprement  parler,  qu'une  élévation  du  corps  qu'on  changea 
de  place  sans  le  transporter  d'un  édifice  dans  un  autre  ;  car  on  n'avait  pas  voulu  toucher  au  saint 
dépôt  aussitôt  après  l'avoir  retrouvé  sous  les  décombres.  Il  n'avait  été  alors  que  recouvert  avec 
soin;  l'église  nouvelle,  plus  vaste  et  plus  magnifique,  avait  été  construite  sur  le  même  emplace- 
ment ;  la  cérémonie  que  nous  racontons  ne  dut  plus  consister,  comme  nous  venons  de  le  voir, 
qu'en  une  sorte  d'inauguration  de  ces  restes  vénérés.  Les  auteurs  de  la  vie  de  notre  Saint  rap- 
portent un  grand  nombre  de  miracles  opérés  dans  ce  religieux  trajet.  Dès  ce  jour,  les  concours  des 
fidèles  se  porta  de  toutes  parts  vers  l'église,  et  chaque  année  on  y  renouvela  par  une  fête  solen- 
nelle le  souvenir  de  ce  fait  mémorable. 

Ou  ne  sait  combien  de  temps  le  corps  saint  demeura  sans  injures  des  barbares  dans  la  paix  de 
sa  nouvelle  et  plus  digne  sépulture  ;  ce  qui  est  certain,  c'est  que  Poitiers  le  possédait  encore 
en  878.  Mais  déjà  les  Normands  s'étaient  rendu  maîtres  de  la  ville  jusqu'à  trois  fois  après  le 
règne  de  Charlemagne,  et,  dans  une  de  ces  expéditions,  l'église  de  Saint-Hilaire  ayant  été  brûlée, 
les  reliques  se  ressentirent  de  ces  violences  :  elles  ne  furent  arrachées  qu'à  grand'peine  à  une 
complète  destruction.  Ce  fut  sans  doute  pour  les  soustraire  à  de  nouveaux  dangers  dont  on  était 
menacé  tous  les  jours,  qu'on  les  transporta,  vers  le  commencement  du  x»  siècle,  dans  la  ville  du 
Puy  en  Velay,  où  elles  furent  retrouvées  en  1653.  C'était  après  un  oubli  de  six  ou  sept  cents  ans, 
qu'il  faut  attribuer,  comme  tant  d'autres  de  ce  genre,  aux  événements  des  époques  intermédiaires. 
Sur  la  demande  du  chapitre  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers,  Mgr  Henri  de  Maupas  du  Tour,  évêque  de 
Poitiers,  ayant  reconnu  l'authenticité  de  ces  reliques,  voulut  bien  en  céder  une  portion  à  notre 
célèbre  collégiale  :  ce  sont  en  partie  celles  qu'elle  possède  encore  aujourd'hui.  De  cette  autre 
Translation  le  Chapitre  faisait  une  fête  le  25  novembre  de  chaque  année. 

Enfin,  en  1823,  Mgr  de  Bouille,  évêque  de  Poitiers,  obtint  de  Mgr  de  Donald,  évêque  du  Puy, 
qui  fut  ensuite  cardinal  évêque  de  Lyon,  une  nouvelle  portion  du  chef  de  notre  glorieux  Docteur, 
qui  est  coubcrvée  dans  le  trésor  de  la  cathédrale,  et  qui  reste  exposée  chaque  aunée  dans  le  sanc- 
tuaire pendant  toute  l'octave  de  sa  fête. 

Extrait  des  Vie  des  Saints  de  l'Eglise  de  Poiliers,  par  M.  l'abbé  Auber,  chanoine  de  la  catbédrale  de 
Poitiers  et  liistoriograplio  du  diocèse. 


MARTraOLOGES.  383 


XXYir  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE   ROMAIN. 

En  Galatie,  saint  Crescent,  disciple  de  l'apôlre  saiut  Paul,  qui,  en  Iraversant  les  Gaules, 
convertit  par  ses  prédications  un  grand  nombre  d'hommes  à  la  foi  chrélieûne  ;  étant  ensuite  re- 
tourné vers  le  peuple  auquel  il  avait  été  spécialement  destiné  pour  évèque,  il  alTermit  les  Calâtes 
dans  l'œuvre  du  Seigneur  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  qu'il  acheva  par  le  martyre  sous  Trajan.  ]"'  siècle. 

—  A  Cordoue,  les  saints  martyrs  Zolle  et  dix-neuf  autres,  iv»  s.  —  A  Césarée,  en  Palestine,  saint 
Anect,  martyr,  qui,  dans  la  persécution  de  Dioclétien,  et  sous  le  président  Urbain,  ayant  exhorté 
les  autres  au  martyre  et  renversé  des  idoles  par  la  vertu  de  sa  prière,  fut  fouetté  par  dix  soldats, 
eut  les  mains  et  les  pieds  coupés,  enfin  la  tète  tranchée,  et  remporta  la  couronne  du  martyre.  iv°  s. 

—  A  Constantinople,  saint  Sampson,  prêtre,  qui  recevait  les  pauvres  dans  sa  maison.  V  s.  —  Eu 
Touraine,  saint  Jean*,  prêtre  et  confesseur,  vp  s.  —  A  Varadin,  en  Hongrie,  saint  Ladislas,  roi, 
dont  la  sainteté  a  toujours  brillé  jusqu'à  ce  jour  par  des  miracles  éclatants.  1093. 

MARTYROLOGE  DE   FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Viviers,  saint  Crescent,  disciple  de  saint  Paul,  nommé  au  martyrologe  romain  de 
ce  jour.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  saint  Prosper,  évêque  et  confesseur^  nommé  au  martyrologe 
romain  du  25  de  ce  mois.  —  Au  diocèse  de  Cahors,  saint  Guillaume,  abbé,  cité  au  même  marty- 
rologe au  25  juin.  —  Au  diocèse  d'Ajaccio,  saint  Gallican,  mentionné  au  même  jour  par  le  même 
martyrologe.  —  Au  diocèse  d'Autun,  saint  Siraplice,  nommé   au  martyrologe    romain  du  24  juin. 

—  Dans  l'ancienne  abbaye  de  Crespin,  en  Belgique,  non  loin  de  Condé,  sur  la  rivière  de  Hon, 
saint  Adelin,  disciple  de  saint  Landelin,  avec  lequel  il  reposait  en  ce  monastère.  Il  prit  l'habit 
religieux  à  l'abbaye  de  Lobbes,  puis  il  se  retira  avec  saint  Landelin,  son  abbé,  dans  une  épaisse 
forêt  du  Hainaut,  où  ils  habitèrent  des  cellules  construites  avec  des  branches  d'arbres,  ce  qui 
donna  naissance  à  l'abbaye  de  Crespin  (Crispiniensis  abbntia,  Ordre  de  Saint-Benoit,  sous  le 
titre  de  Saint-Pierre),  dont  saint  Adelin  fut  un  des  premiers  religieux.  Ver»  700.  —  A  Chàlons-sur- 
Marne,  samte  Pome,  sœur  de  saint  Menge,  premier  évêque  de  ce  siège  *.  —  A  Beauvais,  la  mé- 
moire de  sainte  Angadrème,  vierge,  abbesse  de  l'Oroër  '.  Vers  G98.  —  A  Autun,  la  mémoire  de  saint 
Emilien,  évêque  de  Nantes  et  martyr.  Il  se  dévoua  généreusement  pour  sauver  la  cité  éduenne, 
assaillie,  en  725,  par  les  Sarrasins,  et  périt  sous  leurs  coups  après  avoir  assuré  le  salut  de  ses 
compatriotes.  Son  nom  est  en  grande  vénération  chez  les  Autunois  qui  l'ont  vu  mourir  sous  leurs 
murs,  et  chez  les  Nantais  qui  l'ont  vu  naître  et  grandir  dans  leur  ville.  725.  —  A  Gourdon,  au 
diocèse  d'Autun,  saint  Didier  ou  Désiré,  prêtre,  dont  saint  Grégoire  de  Tours,  dans  son  livre  de  la 
Gloire  des  Confesseurs,  fait  ainsi  l'éloge  :  «  J'ai  vu  dans  le  monastère  de  Gourdon  (monasterium 
gurihonense,  près  de  Mont-Saint-Vincent,  Saône-et-Loire),  cet  homme  d'une  admirable  sainteté. 
Souvent  il  guérissait,  par  ses  prières,  les  douleurs  de  dents  et  autres  maladies.  Il  était  reclus,  et 
ne  sortait  jamais  de  sa  cellule,  mais  on  pouvait  l'y  voir  à  volonté.  Il  mourut  après  s'être  illustré 
par  la  sainteté  la  plus  éminente.  A  la  nouvelle  de  sa  mort,  le  bienheureux  Agricole,  évèque  de 
Châlon,  envoya  son  archidiacre  à  Gourdon,  en  le  chargeant  de  ramener  le  corps  du  Saint  au 

1.  Jean  étaît  Breton;  11  fut  un  Mint  prêtre  par  les  mains  de  qui  le  Seigneur  daigna  opérer  beaucoup 
de  gue'risons  miraculeuses.  Il  vivait  loin  des  regards  des  hommes,  dans  une  solitude  à  quelque  distance 
de  l'église  de  Chinon.  Sa  cellule  était  entourée  d'un  petit  jardin  qu'rl  eultivait,  et  dans  lequel  il  avait 
planté  des  lauriers  sous  l'ombre  desquels  il  s'asseyait  pour  lire  ou  pour  écrire. 

Sainte  Radogomle,  craignant  que  Clotaire,  son  mari,  ne  l'arrachât  de  force  à  sa  solitude,  envoya  au 
vénérable  Jean,  solitaire  auprès  du  château  de  Chinon,  un  ornement  royal  du  plus  grand  prix,  lui  deman- 
dant en  retour  son  ciliée,  et  se  recommandant  2i  se»  prières.  Le  saint  homme,  après  une  nuit  passée  à 
prier,  fit  dire  à  la  reine  qu'elle  n'avait  rien  ^  redouter  du  roi.  Il  mourut,  comblé  de  mérites,  et  fut 
enseveli  dans  son  oratoire  près  de  l'église  de  Saint-Maxime.  —  Propre  de  Tours. 

3.  Voir  au  8  août.  —  3.  Voir  au  14  octobre. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VIL  -■' 


386  27  nnN. 

cimetière  de  la  ville;  mais  les  moiues  s'opposèrent  à  cette  translation.  Quelque  temps  après,  le 
même  évêqiie  ayant  bâti,  près  de  la  ville,  un  hôpital  de  lépreux  (Léproserie  de  Saint-Jean  des 
Vignes),  y  transféra  le  corps  de  saint  Didier,  en  présence  de  plusieurs  abbés  et  de  tout  le  clergé, 
et  l'ensevelit  avec  les  plus  grands  honneurs  dans  la  basilique  de  cet  hôpital.  Les  grands  miracles 
qu'il  opéra  attestent  qu'il  vit  mainlenaat  avec  Jésus-Christ  ».  Saint  Didier  fut  relevé  de  terre  Cw 
canonisé  par  le  pape  Jean  Vlll,  en  879,  sous  l'épiscopat  de  Gerbold.  Le  Bréviaire  de  Chàlon  in- 
dique sa  fête  à  ce  jour.  579.  —  A  Douai,  le  Père  Philippe  Powell,  prêtre  du  collège  des  Béné- 
dictins anglais  de  celte  ville,  personnage  d'une  éminente  piété  qui  mourut  victime  de  la  per- 
sécution religieuse  en  Angleterre  sous  les  successeurs  d'Elisabeth.  1646.  —  En  Belgique,  le  Père 
Jean  de  Hecque,  religieux  de  Doramartin,  victime  des  fureurs  des  iconoclastes  du  xvi»  siècle. 
1568. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Camaldules.  —  Saint  Jeari  et  saint  Paul,  frères,  martyrs. 

Martyroloye  des  Franciscains.  —  A  Corneto,  dans  l'Apulie,  le  bienheureux  Benvenuto,  con- 
fesseur, de  l'Ordre  des  Mineurs,  qui,  étant  d'une  noble  extraction,  et  après  s'être  distingué  eu 
portant  les  armes,  pratiqua  avec  tant  de  zèle  l'humilité,  la  charité,  la  patience  et  l'obéissance  aux- 
quelles il  joignait  la  pauvreté,  l'oraison  et  le  silence,  que  la  gloire  des  miracles  vint  couronner  la 
perfection  de  sa  vertu.  1232. 

Martyrologe  des  Servîtes.  —  Saint  Jean  et  saint  Paul,  frères,  martyrs. 

ADDITIONS   FAITES   D'APRÈS   LES   BOLLANDISTES   ET   AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Rome,  les  cinq  frères  Crispe,  Félix,  Crispin,  Crispién,  Crispinien,  et  les  deux  sœurs  Félix 
et  Spinelle,  martyrs,  cités  entre  autres  par  le  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Cordoue,  les 
saints  Crescent,  Julien,  Némèse.  Primitif,  Justin,  Clément,  Marceliin,  et  quatorze  autres,  martyrs. 
Ou  ne  connaît  que  leurs  noms  que  les  Bollandistes  ont  lu  dans  un  vieux  manuscrit  de  la  biblio- 
thèque de  la  reine  Christine  de  Suède  et  dans  les  quatre  apographes  du  martyrologe  de  saint  Jérôme. 
Leurs  actes  sont  perdus.  —  A  Rome  encore,  les  saints  Crispe  ou  Crispin,  prêtre,  Crispinien, 
clerc,  et  Bénédicte,  vierge,  martyrs,  mentionnés  par  le  martyrologe  de  saint  Jérôme  et  dans  les 
Actes  des  saints  Jean  et  Paul.  362.  —  A  Noie,  eu  Campanie,  saint  Déodat,  évêque  de  cette 
ville.  Disciple  de  saint  Paulin  de  Noie,  il  s'elTorça  de  marcher  sur  les  traces  d'un  maitre  aussi 
illustre.  Ses  vertus  le  firent  élever  à  la  dignité  d'archiprêtre.  R  se  montra  dès  lors  un  véritable 
don  (lu  ciel,  comme  l'indiquait  son  nom.  Jamais  l'Eglise  de  Noie  ne  fut  si  bien  administrée,  ja- 
mais les  pauvres,  les  veuves  et  les  orphelins  ne  trouvèrent  un  aussi  puissant  appui.  Le  démon, 
jaloux  de  tant  de  vertus,  permit  qu'un  calomniateur  dénonçât  le  serviteur  de  Dieu  à  l'empereur 
Valenlinien  :  on  l'accusait  de  détourner  à  son  profit  de  grandes  sommes  d'argent.  L'empereur, 
trop  crédule,  fît  jeter  Déodat  dans  uu  noir  cachot,  puis,  sur  les  remontrances  de  saint  Paulin,  il 
commua  la  peine  de  l'emprisonnement  en  celle  de  l'exil.  Mais  un  songe  terrible  où  il  se  voyait 
menacé  d'une  mort  affreuse  s'il  ne  réparait  son  injustice,  et  aussi  le  spectacle  de  sa  fille  qui 
devint  tout  à  coup  possédée  du  démon,  ouvrirent  les  yeux  à  Valenlinien  ;  il  fit  rappeler  Déodat 
de  l'exil.  Le  Saint  guérit  la  fille  de  son  perséculeur,  puis  il  fut  élevé  sur  le  siège  de  Noie  qu'il 
tint  pendant  trente  ans.  Il  y  mourut  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans.  Son  corps  y  fut  enseveli  et  y 
demeura  jusqu'à  ce  qu'un  prince  de  Bénévenl  fit  bâtir  en  son  honneur,  aux  portes  de  sa  capitale, 
une  chapelle  où  il  fil  déposer  ce  précieux  trésor.  473.  —  A  Acqui,  dans  les  Etats  Sardes,  saint 
Majorin,  appelé  aussi  Méliorin  ou  Malère,  évêque.  Vers  le  sixième  siècle.  —  Chez  les  Grecs,  saint 
Luc,  solitaire.  Sans  doule  qu'au  don  de  piété  il  joignait  le  don  d'érudition  et  d'éloquence,  car  un 
ancien  biographe  fait  ainsi  son  éloge  :  «  Luc  est  mort,  mais  ses  sermons  vivront  toujours  dans  ma 
mémoire  et  dans  le  souvenir  de  ceux  qui  les  liront  ».  —  A  Milan,  saint  Ariald,  diacre,  et  saint  Her- 
lembaud,  chevalier,  tous  deux  martyrs.  Ariald  naquit  dans  l'ancien  village  de  Cutiacum,  entre  Milan 
et  Côme.  11  y  fît  ses  premières  études  qu'il  vint  perfectionner  dans  les  écoles  de  Laon  et  de  Paris. 
De  retour  dans  son  pays,  il  fut  fait  diacre  et  obtint  un  canonicat.  Un  jour  que,  dans  une  prédi- 
tation,  il  s'était  élevé  fortement  contre  les  désordres  des  clercs,  Guy,  évêque  de  Milan,  le  fit  ex- 
communier ;  mais  le  pape  Etienne  IX  leva  l'excommunication  et  exhorta  Ariald  à  faire  tous  ses 
efi'orts  pour  réformer  le  clergé  de  sa  ville.  Le  prédicateur  attaqua  alors  publiquement  la  simonie 
qui  entachait  l'archevêque  et  la  plupart  des  prêtres  milanais.  Il  envoya  même  au  Pape  son  ami 
Herlembaud  pour  lui  signaler  les  fréquentes  chutes  de  Guy  dans  ce  péché.  Herlembaud  rapporta 
■  une  sentence  d'excommunication  contre  l'archevêque  qui  ameuta  le  peuple  de  l'église,  et  Ariald 
fut  blessé  près  de  la  balustrade  où  il  priait.  Plus  tard,  comme  il  se  rendait  à  Rome,  il  fut  arrêté 
par  les  émissaires  de  Guy  qui  le  mutilèrent  horriblement  avant  de  lui  arracher  la  vie.  Dix  mois 
après,  son  corps  fut  trouvé  au  fond  du  lac  Majeur  et  rapporté  en  grande  pompe  à  Milan.  Il  resta 
exposé  dans  l'église  de  Saint-Ambroise  depuis  l'Ascension  jusqu'à  la  Pentecôte  :  loin  de  se  cor- 


SATNT   CRESCRNT,   CÎSniPLE  DE   SALNT   PAUL.  387 

rompre  pnr  l'enfcl  des  clialenrs,  il  exhalait  «ne  odeur  suave.  Il  fut  ensuite  cnlcrré  dans  l'é-lige  de 
Saiul-Celse,  et  Tannée  suivante,  Alexandre  II  le  déclara  mailyr.  lOGD  et  1113.  ~  A  Cajaz/.o,  eu 
Campanie,  saint  Ferdinand  d'Aragon,  évèciue  de  celle  ville.  On  connaît  peu  de  choses  de  sa  vie, 
mais  l'épitaphe  de  sou  tombeau,  qui  se  trouve  dans  la  basilique  de  Sainte-Marie  m  Coi-ncllo,  au 
diocèse  de  Cajazzo,  fait  assez  son  éloge.  On  y  lit  ces  mots  :  «  Réjouis-toi,  cité  de  Cajazzo,  fais 
entendre  des  chants  d'allégresse,  car  tu  possèdes  un  insigne  trésor.  Non  loin  de  tes  murs  tu  peux 
■contempler  le  précieux  tombeau  de  Ferdinand.  Les  malades  viennent  y  apporter  leurs  infirmités, 
et  ils  retournent  dans  leur  pays  pleins  de  santé,  pleins  de  reconnaissance  a.  Treizième  siècle  pro- 
bablement. 


SAINT  CRESGENT,  DISCIPLE  DE  SALNT  PAUL, 

FONDATEUR  DE  L'EGLISE  DE  VIENNE,  EN  DAUPHINÉ 

V  siècle. 

Ad  anniintinndum  mansuntis  misit  me  Dominus,  ut 
wederer  conlritis  corde,  prxdkarem  captivis  in- 
dulgentiam  et  clausis  aperlionem. 

Le  Seigneur  m'a  envoy<;  pour  prôclier  so:i  Evangile 
aux  linmblci,  pour  relever  le  conrfl>,'e  de  cnnx  qui 
sont  abattus,  pour  annoncer  anx  caiJlils  la  liberté, 
aux  aveugles  la  lumibrc. 

Isnfe,  r.xi,  1. 

Comme  nous  avons  donné,  dans  le  mois  de  mai,  la  vie  de  saint  Zacharie, 
second  évoque  de  Vienne,  en  Dauphiné,  il  est  raisonnable  que  nous  remon- 
tions maintenant  jusqu'à  la  source,  et  que  nous  parlions  de  saint  Crescent, 
fondateur  de  cette  illustre  Eglise,  qui  a  joui  autrefois  du  droit  de  primatic 
et  de  vicariat  du  Pape  sur  sept  grandes  provinces  de  France.  Ceux  qui  font 
cette  injure  au  pays  des  Gaules,  de  dire  que  ni  les  Apôtres,  ni  les  premiers 
successeurs  de  saint  Pierre  n'ont  point  pensé  à  sa  conversion  ;  que  saint  Paul 
n'y  a  point  passé  et  n'y  a  point  envoyé  de  ses  disciples,  et  que,  pendant  que 
ces  divins  missionnaires  se  répandaient  si  heureusement  par  toute  l'Asie  et 
toute  l'Afrique,  un  royaume  aussi  florissant  et  aussi  proche  de  l'Italie  et  de 
Rome  en  était  abandonné,  sans  qu'il  eût  aucune  part  au  bonheur  de  la  pré- 
dication de  l'Evangile;  ceux-là,  disons-nous,  n'ont  garde  de  reconnaître  ce 
glorieux  évoque  de  Vienne  pour  disciple  des  Apôtres,  ni  d'avouer  qu'il  soit 
ce  saint  Crescent  dont  parle  saint  Paul  dans  sa  seconde  Epître  à  Timothée. 
Nous  avons  néanmoins  de  puissants  témoignages  dans  l'antiquité,  qui  nous 
assurent  que  saint  Paul  est  venu  dans  les  Gaules  en  allant  prêcher  en  Es- 
pagne, et  qu'il  y  a  envoyé  saint  Crescent,  son  disciple,  pour  y  répandre  la 
semence  de  l'Evangile. 

Du  voyage  de  saint  Paul  en  Espagne,  il  est  aisé  de  conclure  qu'il  passa 
en  France.  Tous  les  Pères  des  premiers  siècles  qui  ont  eu  occasion  de  parler 
de  ce  voyage  en  demeurent  d'accord  :  tels  sont,  parmi  les  Grecs,  saint  Atha- 
nase,  saint  Cyrille  de  Jérusalem  et  saint  Chrysostome,  et,  parmi  les  Latins, 
saint  Jérôme,  saint  Grégoire  le  Grand  et  saint  Isidore  de  Séville,  dont  on 
pourra  voir  les  paroles  rapportées  par  les  interprètes  sur  le  chap.  xv  de 
l'Epître  aux  Romains  ;  et,  pour  ce  qui  est  de  la  mission  de  saint  Crescent 
dans  les  Gaules,  nous  avons  le  témoignage  de  saint  Dorothée,  de  saint  Jé- 
rôme, d'Eusèbe  de  Césarée,  un  des  plus  anciens  et  des  plus  célèbres  histo- 


388  27  JUIN. 

riens  de  l'Eglise,  au  livre  rv  de  son  Histoire,  chap.  4,  selon  le  véritable  texte 
grec  et  la  version  de  Valois.  Saint  Epiphane  qui,  dans  l'Hérésie  51,  parlant 
de  saint.  Luc,  dit  qu'il  prêcha  dans  la  Dalmatie,  dans  l'Ilalie,  dans  la  Macé- 
doine, mais  sui  tout  dans  les  Gaules,  assure  aussi  que  saint  Paul  y  envoya  quel- 
ques-uns de  ses  disciples,  entre  autres  saint  Crescent.  Théodoret  ajoute  que, 
lorsque  cet  Apôtre  dit  qu'il  a  envoyé  saint  Crescent  en  Galatie,  par  ce  mot 
de  Galatie  il  entend  les  Gaules,  que  l'on  appelait  autrefois  de  ce  nom.  Enfin, 
sans  parler  de  Sophrone  au  livre  des  Historiens  ecclésiastiques  et  de  la  Chro- 
nique d'Alexandrie,  qui  enseignent  la  même  chose,  Adon,  archevêque  de 
Vienne,  qui  devait  être  parfaitement  informé  de  l'ancienne  tradition  de  son 
Eglise,  dit  en  termes  exprès,  dans  son  martyrologe,  que  saint  Crescent,  dis- 
ciple de  saint  Paul,  étant  venu  dans  les  Gaules,  y  convertit  plusieurs  infi- 
dèles à  la  foi  de  Jésus-Christ,  qu'il  tint  quelques  années  son  siège  épiscopal 
à  Vienne,  et  qu'ayant  ordonné  en  sa  place  saint  Zactarie,  il  s'en  retourna 
au  pays  des  Galates  (les  Gaulois  orientaux,  comme  les  Gaulois  étaient  les 
Galates  occidentaux),  et  employa  le  reste  de  sa  vie  à  les  fortifier  dans  la  foi 
et  la  religion  chrétienne. 

Cet  homme  apostolique  fut  un  des  assistants  de  l'apôtre  saint  Paul;  il 
travailla  longtemps  avec  lui  à  la  conversion  des  infidèles  et  souffrit  comme 
lui  la  fatigue  des  voyages,  la  pauvreté,  la  nudité,  le  froid,  le  chaud,  les  con- 
tradictions, Iqs  persécutions  et  tous  les  maux  qui  étaient  inséparables  de  la 
prédication  de  l'Evangile  ;  après  avoir  été  son  disciple,  il  fut  jugé  digne 
d'être  maître  et  de  travailler  de  lui-même  à  ce  grand  ouvrage.  L'Apôtre  le 
fit  donc  évêque  de  la  Galatie,  province  d'Asie-Mineure,  dont  la  capitale  est 
Ancyre  et  qui  est  aussi  appelée  Gallo-Grèce,  parce  qu'elle  était  habitée  par 
des  colonies  de  Gaulois  et  de  Grecs;  mais,  comme  le  petit  nombre  des  ou- 
vriers évangéliques  qu'il  y  avait  en  ce  temps-là  obligeait  les  évêques  des 
principaux  sièges,  après  avoir  mis  un  bon  règlement  dans  leurs  églises,  de 
porter  la  lumière  de  la  foi  dans  des  pays  plus  éloignés,  saint  Paul  ne  fit 
point  difficulté  de  tirer  saint  Crescent  de  Galatie  pour  le  faire  prêcher  en 
d'autres  lieux,  et  surtout  il  l'envoya  dans  nos  Gaules,  qui  étaient  sans  con- 
tredit le  plus  beau  gouvernement  de  l'empire.  Ce  saint  Missionnaire  y  fit  en 
peu  de  temps  de  grands  progrès,  et,  s'étant  principalement  arrêté  à  Vienne, 
en  Dauphiné,  ville  très-considérable,  qui  donnait  des  sénateurs  à  Rome  et 
avait  elle-même  un  illustre  sénat,  il  y  convertit  assez  d'infidèles  pour  y  éta- 
blir son  siège  épiscopal,  que  l'Eglise  romaine  a  toujours  extrêmement  con- 
sidéré. Le  pape  Paul  II,  écrivant  à  Charlemagne,  lui  dit  que  cette  Eglise  a 
eu  pour  fondateur  et  pour  maître  saint  Crescent,  collègue  des  Apôtres. 

Après  s'être  acquitté  de  sa  mission  avec  beaucoup  de  succès,  il  nomma 
saint  Zacharie  pour  évêque  en  sa  place,  comme  nous  l'avons  déjà  rapporté 
d'Adon,  l'un  de  ses  successeurs,  et,  s'il  faut  en  croire  la  tradition  du  dio- 
cèse de  Mayence,  vint  prêcher  dans  les  environs  de  cette  ville.  Serrarius, 
dans  son  Histoire,  présente  comme  authentique  la  fondation  de  l'Eglise  de 
Mayence  et  de  Cologne  :  il  s'appuie  sur  le  témoignage  de  saint  Rupert,  qui 
assure  que  saint  Crescent  a  prêché  dans  ces  deux  villes.  H  produit  des  cata- 
logues manuscrits  très-anciens,  qui  confirment  cette  tradition;  il  cite  l'au- 
torité d'Adon,  de  Bède,  d'Usuard,  et  de  plusieurs  autres  écrivains.  Dans  la 
Vie  de  saint  Maxime,  évêque  de  Mayence,  il  est  dit  que  «  le  corps  de  ce  saint 
Pontife  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Hilaire,  près  du  tombeau  de  saint 
Crescent,  premier  évêque  de  cette  ville,  et  qu'il  y  demeura  cinq  cent  cin- 
quante-sept ans,  jusqu'au  temps  d'Hildebert,  l'an  935  de  Jésus-Christ,  époque 
à  laquelle  on  en  fit  la  translation  »  solennelle  dans  l'église  de  saint  Albain, 


SAINT  ÉSnLIEN   OU  ÉMILAND,    ÉVÉQUE   DE   NANTES.  389 

martyr.  D'où  l'on  doit  conclure  que  l'an  400  de  Jésus-Christ,  les  habitants 
de  Mayence  étaient  généralement  persuadés  de  la  vérité  de  cette  tradition, 
puisqu'ils  possédaient  son  corps  et  son  tombeau. 

Saint  Crescent,  dans  ses  courses  évangéliques,  a  opéré  des  miracles 
extraordinaires.  Les  martyrologes  attestent  qu'il  a  été  martyrisé  sous  l'em- 
pire de  Trajan  ;  mais  ils  ne  disent  pas  en  quel  lieu  il  a  souffert  pour  la  foi. 
L'Eglise  de  Mayence,  qui  se  dit  en  possession  de  ses  reliques,  aliirme  en 
même  temps  que  ce  saint  Martyr  a  été  misa  mort  par  les  païens  dans  cette 
ville.  On  y  a  érigé  en  son  honneur  une  église  remarquable  par  sa  beauté. 

Toutefois,  cela  n'empêche  pas  de  croire  que  cet  Apôtre  zélé,  comme  le 
rapportent  certaines  traditions,  ne  soit  retourné,  au  moins  durant  quelque 
temps,  des  lieux  de  sa  mission  occidentale,  dans  la  Gallo-Grèce  ou  la  Gala- 
lie,  située  dans  l'Asie-Mineure,  et  qu'il  n'ait  encore  gouverné  comme  évoque 
cette  Eglise  orientale,  qu'il  avait  fondée  en  partie  avec  saint  Paul.  C'est 
pourquoi  les  Grecs  disent  qu'il  fut,  durant  un  temps,  évêque  de  Chalcé- 
doine  ou  de  Chalcis,  ou  Chalcide. 

Il  est  marqué  deux  fois  au  martyrologe  romain,  mais  l'une  et  l'aulre 
fois  comme  disciple  de  saint  Paul  et  comme  premier  évêque  de  Vienne  ; 
savoir  :  en  ce  jour,  27  juin,  et  le  29  décembre.  Les  autres  martyrologes  en 
parlent  aussi  et  lui  donnent  tous  cette  qualité  de  disciple  de  l'Apôtre,  ce 
qui  confirme  encore  ce  que  nous  avons  dit  de  sa  mission.  Du  Saussay  en 
parle  amplement,  non-seulement  en  son  martyrologe,  mais  aussi  dans  son 
traité  des  Soixante-douze  Disciples,  et  dans  le  livre  i"  des  Ecrivains  mys- 
tiques des  Gaules. 

Les  Mayençais  l'ont  parfois  représenté  portant  une  église  sur  la  main, 
pour  marquer  qu'il  fut  le  fondateur  de  leur  siège  épiscopal. 

Acta  Sanctorum.  —  Cf.  Histoire  des  soixante-douze  dwcîp/es.par  Vabbé  Maistre. 


SAINT  EMILIEN  OU  EMILAND,  EVEQUE  DE  NANTES, 

HÉROS  ET  MARTYR 
725.  —  Pape  :  Saint  Grégoire  II.  —  Roi  de  France  :  Charles-Martel. 


Bonus  paslor  animam  suam  dat  pro  ovibus  suis 
Le  bon  pasteur  donne  sa  vie  pour  ses  brebis. 
Joan.,  X,  11. 

En  725,  sous  les  ordres  du  sarrasin  Ambisa,  divisés  en  plusieurs  bandes, 
les  farouches  sectateurs  du  Coran  portèrent  dans  la  Provence  la  dévastation 
et  la  mort,  immolèrent  les  religieux  de  Lérins  sur  les  débris  fumants  du 
monastère,  prirent  et  saccagèrent  Marseille;  puis,  remontant  la  grande 
vallée  du  Rhône,  ruinèrent  Nîmes,  Avignon,  Valence,  Vienne,  Lyon ,  et 
pénétrèrent  en  suivant  la  Saône  jusque  dans  la  Bourgogne.  Mâcon  et  Chàlon 
tombèrent  bientôt  sous  les  coups  du  cimeterre  brutal  de  l'islamisme.  Rien  ne 
résistait  à  l'épouvantable  choc  de  ces  Barbares  à  cheval,  chez  qui  une  impé- 
tuosité féroce  tenait  lieu  de  courage  et  qui  tombaient  tout  à  coup  comme 
la  foudre  sur  les  villes  terrifiées,  surprises  et  sans  défense.  Autun,  l'illustre 


390  27  Jum. 

et  opulente  cité,  la  ville  sainte,  aux  nombreuses  abbayes,  aux  superbes 
basiliques,  ne  pouvait  être  oublié  ni  épargné.  Il  avait  même  sans  doute  été 
désigné  d'avance  comme  un  des  points  importants  sur  lesquels  on  frappe- 
rait les  plus  grands  coups.  Après  la  ruine  de  Châlon,  les  Barbares  divisèrent 
leur  armée  en  deux  corps.  L'un  se  porta  sur  Dijon  et  sur  Langres  qu'il  sac- 
cagea ;  l'autre,  sur  Autun  et  Sens  pour  en  faire  le  siège.  Puis  vraisembla- 
blement, les  deux  corps  devaient  se  réunir  sous  les  murs  de  Lutèce  et  s'en 
emparer,  pendant  que  Charles-Martel,  retenu  en  Bavière  par  une  guerre 
importante,  ne  pouvait  venir  à  son  secours.  C'en  était  fait  du  royaume 
catholique  des  Francs,  si  un  héros  ne  se  fût  trouvé  là  pour  arrêter  l'impé- 
tuosité du  torrent  et  le  refouler  vers  sa  source.  Mais  voilà  que  les  popula- 
tions se  sont  armées,  et  la  France  chrétienne  prélude  par  des  actes  héroï- 
ques à  tant  de  hauts  faits  qui  l'ont  illustrée  depuis  dans  ses  guerres  mémo- 
rables contre  les  Musulmans.  La  généreuse  Bretagne  s'est  émue  la  première 
à  la  nouvelle  des  invasions  et  à  la  voix  sympathique  d'un  de  ses  enfants. 
L'âme  de  l'entreprise  est  un  illustre  rejeton  d'une  famille  gallo-romaine  de 
Nantes  ;  c'est  l'évêque  de  cette  cité.  Le  plus  noble  sang  de  la  noble  Armo- 
rique  coule  dans  ses  veines.  Dans  son  âme,  Dieu  a  mis  avec  la  bravoure  et  le 
sentiment  vif  de  l'honneur  et  du  patriotisme  qui  font  le  héros,  avec  la  magna- 
nimité, la  largeur  des  vues,  la  rapidité  du  coup  d'œil,  l'élévation  du  caractère, 
la  hauteur  des  idées  et  le  génie  qui  font  le  grand  homme,  la  foi  courageuse 
qui  fait  les  martyrs  et  un  zèle  vaste  et  brûlant  pour  les  intérêts  de  l'Eglise. 
Dans  son  cœur,  une  tendre  piété  envers  Dieu  est  jointe  à  une  compatis- 
sante charité  pour  toutes  les  misères,  pour  toutes  les  douleurs  du  prochain. 
A  la  nouvelle  de  la  marche  rapide,  toujours  progressive,  de  ces  Bar- 
bares vers  le  centre  de  la  France,  saisi  de  douleur  et  d'indignation,  l'hé- 
roïque évêque  crut  devoir  joindre  à  la  pacifique  houlette  du  pasteur  l'épée 
du  guerrier.  Emilien,  avec  son  génie  inspiré  par  la  foi,  a  jugé  la  situation 
et  compris  la  nécessité  des  temps  ;  il  a  vu  qu'il  fallait  être  guerrier  ou  périr 
et  voir  périr  avec  soi  ce  qu'il  y  a  de  plus  cher  et  de  plus  sacré,  la  France  et 
le  christianisme,  la  patrie  et  la  religion  de  la  patrie.  Aussitôt  une  grande 
idée  lui  suggère  une  grande  résolution,  une  généreuse  entreprise.  Il  con- 
voque son  peuple  dans  sa  cathédrale,  et,  faisant  à  tous  les  braves  un  cha- 
leureux appel,  il  leur  dit  :  «  0  vous  tous,  hommes  forts  dans  la  guerre  et 
plus  forts  encore  dans  la  foi,  armez  vos  mains  du  bouclier  de  cette  foi 
divine,  vos  fronts  du  signe  de  la  croix,  votre  tête  du  casque  du  salut,  et  cou- 
vrez votre  poitrine  de  la  cuirasse  du  Seigneur.  Puis,  quand  vous  serez  revêtus 
de  cette  armure  religieuse,  soldats  de  Jésus-Christ,  faites  plus  encore,  prenez 
vos  meilleures  armes  de  guerre,  vos  armes  d'acier  les  mieux  forgées,  les 
mieux  trempées,  et  allons  ensemble  combattre,  allons  écraser  ces  miséra- 
bles ennemis  qui,  comme  des  chiens  furieux,  dévorent  les  chrétiens  nos 
frères.  Nous  pouvons  succomber  dans  la  lutte  ;  mais  c'est  le  cas  de  dire  avec 
Judas  Machabée  :  «  Mieux  vaut  mourir  les  armes  à  la  main  pour  sa  patrie 
que  d'en  voir  le  désastre  sans  essayer  d'y  mettre  un  terme,  que  de  supporter 
la  profanation  des  choses  les  plus  sacrées,  l'opprobre  du  peuple  de  Dieu  et 
de  la  loi  sainte  que  nous  a  donnée  le  Seigneur  tout-puissant  ».  Aussitôt, 
poussés  par  un  mouvement  de  l'Esprit-Saint  et  transportés  hors  d'eux-mêmes 
par  ce  discours  laconique,  vrai  modèle  de  harangue  militaire  et  sacerdo- 
tale, tous  font  entendre  cette  acclamation  unanime  :  «  Seigneur  vénérable 
et  bon  pasteur,  ordonnez,  commandez,  et  partout  où  vous  irez  nous  vous 
suivrons».  C'est  ainsi  qu'Emilien  a  eu  l'honneur  de  prêcher  la  première 
croisade  et  d'y  entraîner  l'élite  des  guerriers  nantais. 


SAINT  ÉMILIEN   OU  ÉMILAND,   ÉVÊQUE   DE  NANTES.  391 

Profitant  alors  de  l'ardeur  dont  son  auditoire  est  animé,  il  fixe  sans  plus 
tarder  le  jour  du  départ  et  le  lieu  du  rendez-vous.  C'est  encore  dans  la 
cathédrale  de  Nantes  qu'on  doit  se  réunir.  «  Ici  môme  »,  dit-il,  a  nous  nous 
retrouverons;  d'ici,  du  pied  de  cet  autel,  nous  partirons  tous;  et  j'aurai 
l'honneur  de  marcher  à  la  tête  des  soldats  de  Jésus-Christ  ».  A  ces  mots, 
l'assemblée  a  tressailli  une  seconde  fois,  et  chacun  court  faire  ses  prépa- 
ratifs de  départ. 

Nul  ne  manque  au  mot  d'ordre.  Armés  de  toutes  pièces,  ils  accourent  à 
l'église  avec  un  belliqueux  transport,  surnaturalisé  par  les  grandes  pensées 
et  le  sublime  dévouement  qu'inspire  la  religion.  Montant  donc  à  l'autel 
revêtu  des  ornements  sacrés,  le  saint  pontife  offre  le  divin  sacrifice  pour  ses 
chers  compagnons  d'armes  dont  il  est  le  compatriote  par  le  sang,  Is  père 
par  la  grâce,  le  chef  par  dévouement,  appelle  sur  eux,  pendant  la  célébra- 
tion des  augustes  mj'stères,  les  bénédictions  du  ciel  et  leur  distribue  le 
corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  aliment  céleste  qui  enivre,  exalte  et  fortifie 
les  âmes  ;  qui  donne,  quand  il  le  faut,  même  aux  faibles  et  timides  brebis, 
le  courage  et  la  force  du  lion  contre  les  ennemis  de  Dieu.  11  était  beau  de 
voir  tous  ces  braves,  couverts  d'acier,  s'ébranler  et  venir  courber  le  genou 
devant  la  table  sainte,  pour  recevoir  le  pain  des  forts,  et  de  là  voler,  sans 
peur  comme  sans  reproches,  à  la  défense  de  la  foi  et  de  la  patrie.  Après  la 
communion,  dans  ce  moment  solennel  où  Dieu,  ayant  incliné  les  cieux 
pour  descendre  sur  la  terre  au  milieu  des  guerriers  bretons,  reposait  sur 
leur  cœur,  dans  ces  mâles  poitrines  cuirassées  de  foi  et  de  fer,  le  pontife, 
debout  sur  les  marches  de  l'autel,  au  milieu  de  toutes  les  pompes  du  culte, 
entouré  d'un  clergé  nombreux,  fait  entendre  ces  paroles,  où  son  âme,  qui 
surabondait  d'une  joie  céleste,  s'épanche  tout  entière  : 

«  Mes  enfants,  votre  évoque  est  heureux  de  n'avoir  pas  parlé  en  vain,  car 
vous  voilà  réunis  en  grand  nombre  :  c'est  bien.  Mais  rendons  grâces  à  Dieu; 
car  c'est  lui  qui  vous  a  inspiré  cette  magnanime,  cette  pieuse  résolution, 
et  vous  avez  été  dociles  à  son  appel.  C'est  lui  encore  qui  vient  d'affermir 
vos  courages  et  de  purifier  vos  âmes.  Prions-le  de  vouloir  bien  achever  son 
œuvre  en  accomplissant  par  nous  sa  sainte  volonté  pour  notre  salut  et  celui 
de  nos  frères.  Oui,  sa  sainte  volonté  !  car,  instruits  par  ses  préceptes  salu- 
taires et  formés  à  sa  divine  école,  vous  et  moi  nous  osons  lui  dire  chaque 
jour  :  «  Notre  Père  qui  êtes  dans  les  cieux,  que  votre  nom  soit  sanctifié,  que 
votre  règne  arrive,  que  votre  volonté  soit  faite  sur  la  terre  comme  au  ciel  ». 
Enfants  !  ces  grandes  paroles  que  le  Christ  nous  a  apprises,  l'occasion  est 
venue  de  les  traduire  par  nos  actes.  Supplions-le  avec  ferveur  de  faire  de 
nous  des  soldats  dignes  de  lui  et  d'accepter  le  secours  de  nos  bras  armés 
pour  la  glorification  de  son  nom,  l'avènement  de  son  règne,  l'accomplisse- 
ment de  sa  volonté,  l'observation  de  sa  loi  sainte  et  le  soutien  de  sa  cause  ». 

Rien  n'arrête  les  intrépides  soldats  de  la  croix  :  ni  le  présent  avec  ses 
chagrins  et  ses  déchirantes  scènes,  ni  l'avenir  avec  ses  fatigues,  ses  dangers, 
ses  perspectives  incertaines  et  effrayantes,  ses  menaces  de  mort.  Ils  ont 
l'espérance  pour  flambeau,  les  Sacrements  pour  nourriture,  leur  évêque  pour 
chef,  et  partent  emportant  dans  leur  cœur  avec  leur  Dieu  un  courage  sur- 
humain. Aussi  marchent-ils  jour  et  nuit,  afin  d'égaler,  s'il  est  possible,  la 
rapidité  des  progrès  de  l'ennemi  et  prévenir  de  nouveaux  désastres. 

Chemin  faisant,  Emilien,  qui  se  dirige  vers  Paris,  apprend  que  les  infi- 
dèles se  sont  divisés,  que  déjà  une  partie  de  leur  armée  est  allée  attaquer 
Sens.  Aussitôt,  afin  de  pouvoir  arriver  à  temps  encore  et  les  combattre  ainsi 
séparément,  il  se  dirige  vers  la  ville  assiégée.  Là,  tandis  que  le  saint  évêque 


392  27  JUIN. 

Ebbon,  redevenu  comme  luifoccément  guerrier,  soutient  l'assaut  dans  l'en- 
ceinte des  remparts,  il  manœuvre  si  bien  au  dehors  que  l'ennemi  est  surpris 
et  mis  complètement  en  déroute.  Ebbon  se  contenta  de  chasser  l'ennemi  de 
son  diocèse.  Mais  Emilien  a  des  vues  plus  étendues  :  c'est  l'invasion  elle- 
même  qu'il  veut  anéantir.  Comme  le  premier  corps  d'armée  dont  il  vient  de 
commencer  la  défaite  s'est  concentré  sur  Autun  assiégé,  c'est  à  Autun  qu'il 
faut  encore  aller  le  combattre,  avant  que  l'autre  corps  ait  pu  se  replier  vers 
lui  pour  le  soutenir.  Les  Bretons,  pleins  de  la  nouvelle  ardeur  qu'un  pre- 
mier succès  ajoute  à  leur  bravoure,  se  portent  donc  rapidement  sur  la  cité 
éduenne,  afin  que  le  secours  puisse  devancer  l'attaque  d'un  ennemi  aussi 
prompt  que  le  vautour  à  fondre  sur  sa  proie. 

Cependant  les  Sarrasins,  ayant  appris  qu'une  armée  auxiliaire  venait 
pour  sauver  la  ville  et  frémissant  à  la  pensée  qu'une  si  riche  proie  allait 
peut-être  leur  échapper,  se  hâtèrent  d'envoyer  contre  elle  un  fort  détache- 
ment pour  prévenir  sa  jonction  avec  les  Autunois  :  ce  qui  donna  lieu  à  un 
premier  et  brillant  combat  à  Saint-Forgeot.  Les  Bretons  ont  pu  voir  de  loin 
l'ennemi  venir  à  eux,  et  se  préparer  à  le  recevoir  vigoureusement.  Bientôt 
en  effet  ils  fondent  sur  lui,  le  rejettent  dans  la  plaine  par  cette  attaque  éner- 
gique, le  poursuivent  jusque  dans  son  camp,  aidés  des  assiégeants  sortis  à 
propos  de  leurs  murs,  et  «  entrent  triomphants  dans  la  ville,  où  ils  sont 
reçus  avec  d'unanimes  cris  d'allégresse  w. 

On  consacra  sans  doute  la  nuit  à  donner  aux  troupes  bretonnes  le  repos 
dont  elles  avaient  besoin,  et  à  tout  disposer  pour  la  sortie  que  les  chefs 
avaient  résolu  de  faire.  Cette  attaque  ne  pouvait  être  différée.  Nul  doute  que 
dans  cette  circonstance  Emilien,  habile  dans  le  conseil  autant  qu'intrépide 
dans  l'action,  ne  fit  admirer  la  sagesse  qui  dirigeait  son  courage,  car  on  ne  se 
sépara  point,  dit  la  légende,  sans  lui  avoir  remis  la  direction  de  l'entreprise, 
le  commandement  général  des  troupes  éduennes  et  bretonnes  réunies. 
Avant  de  conduire  ses  guerriers  à  l'ennemi,  il  les  réunit  dans  la  cathédrale 
d'Autun,  comme  il  l'avait  fait  dans  celle  de  Nantes,  rendit  grâces  à  Dieu  et 
les  exhorta  de  nouveau  à  faire  bravement  leur  devoir,  en  promettant  la 
palme  de  la  victoire  ou  celle  du  martyre.  Maintenant  le  voilà  qui  sort  avec 
eux  de  l'église  plein  d'une  ardeur  céleste,  se  met  à  leur  tête  et  vole  à  l'at- 
taque du  camp  des  Barbares.  Les  Eduens,  familiarisés  avec  le  pays,  vont 
prendre  des  chemins  détournés  pour  se  précipiter  inopinément,  quand  il 
en  sera  temps,  sur  les  deux  ailes  de  l'ennemi.  Emilien  se  dirige  contre  le 
centre  avec  les  Bretons.  Arrivé  près  de  la  porte  Saint-André,  il  leur  montre 
le  rempart  du  haut  duquel  Augusta  exhortait  au  martyre  Symphorien  son 
fils,  et  leur  jette  lui-même  en  passant  une  parole  brûlante.  Ce  lieu,  cet 
exemple,  ce  souvenir  et  ce  mot  enflammé  sorti  du  cœur  du  saint  ponlife, 
redoublent  leur  ardeur.  Tout  à  coup,  au  signal  de  son  chef  qui  lui  indique 
le  plateau  de  Saint-Pierre  l'Etrier,  la  valeureuse  phalange ,  prenant  un 
rapide  essor,  franchit  la  vallée  comme  d'un  seul  bond,  culbute  les  postes 
avancés,  aborde  le  camp,  y  pénètre,  y  porte  le  désordre  et  la  mort.  En 
même  temps  les  Eduens  ont  attaqué  à  droite  et  à  gauche  les  deux  ailes. 
L'ennemi,  pressé  ainsi  de  toutes  parts,  s'enfuit  en  pleine  déroute  et  se  pré- 
cipite pêle-mêle  vers  la  Creuse-d'Auxy,  gorge  longue,  étroite  et  profonde 
dans  laquelle  s'engagent  les  rampes  de  la  route  de  Ghâlon. 

Autun  est  sauvé  :  on  l'espère,  on  le  croit.  Déjà  dans  la  ville  retentissent 
des  cris  de  joie  et  des  chants  de  victoire  ;  déjà  les  louanges  d'Emilien  et  de 
ses  héroïques  guerriers  éclatent  dans  des  hymnes  de  triomphe  et  de  recon- 
naissance. Cependant  les  Barbares  se  rallièrent  au  bourg  de  Saint-Jean  de 


SAINT  ÉMILIEN   OU  ÉMILAJND,   ÉVÊQUE   DE   NANTES.  393 

Luze,  à  trois  lieues  environ  de  la  Creuse-d'Auxy  théâtre  de  leur  défaite,  et 
y  préparèrent  une  vigoureuse  résistance.  De  son  côté,  dès  que  le  saint  évoque 
se  vit  entouré  de  forces  suffisantes,  il  commanda  la  marche  et  l'attaque  :  la 
victoire  lui  fut  encore  fidèle.  Les  Sarrasins  mis  de  nouveau  en  pleine  déroute 
fuyaient,  vivement  poursuivis  dans  la  plaine.  Encore  quelques  heures,  et 
leur  armée  n'existera  plus,  et  la  cité  éduenne  pourra  en  toute  sécurité 
entonner  des  chants  de  victoire. 

Mais  ici  la  scène  change  :  voilà  que  tout  à  coup  on  dit  que  de  Châlon, 
saccagé  et  détruit,  arrive,  sous  les  ordres  du  cruel  Nymphéus,  un  corps 
d'armée  tout  entier  pour  soutenir  celui  qui  était  occupé  au  siège  d'Autun. 
A  cette  nouvelle,  la  petite  troupe  des  soldats  chrétiens  ne  tremble  ni  ne 
recule.  Le  nouveau  Machabée,  dont  la  grande  âme  s'exalte  à  la  vue  du 
péril,  fait  sonner  de  la  trompette  pour  réunir  autour  de  lui  ses  soldats  tout 
palpitants  encore  de  leur  nouvelle  victoire  et  acharnés  à  la  poursuite  des 
fuyards  ;  puis  il  les  anime  en  ces  termes  par  sa  parole  inspirée  :  «  Chers  et 
braves  compagnons,  je  vous  félicite  de  la  valeur  que  vous  a  inspirée  votre 
foi.  Vous  le  savez  déjà  :  la  victoire  est  indépendante  du  nombre  des  com- 
battants; elle  vient  du  ciel  ».  Comme  le  Saint  parlait  encore,  un  éclaireur 
accourt  à  toute  bride  et  lui  dit  :  «  Seigneur,  hâtez-vous  ;  les  infidèles  sont 
là.  Déjà  ils  tombent  sur  nos  avant-postes  et  les  attaquent  avec  fureur  ;  déjà 
leurs  nombreux  bataillons  commencent  à  nous  envelopper  ».  Aussitôt  Emi- 
lien  fait  sur  lui  le  signe  de  la  croix  et  dit  :  «  Seigneur,  je  remets  mon  âme 
entre  vos  mains  ».  Puis  il  s'élance  au  combat  en  criant  à  ses  généreux  com- 
pagnons :  «  Ici,  soldats  :  courage  !  recommandez-vous  à  Dieu,  et  suivez- 
moi  ».  Or,  il  arriva  par  la  permission  divine,  dit  la  légende,  que  Nymphéus, 
homme  d'une  force  et  d'une  taille  extraordinaires,  s'offrit  des  premiers  à  sa 
rencontre.  L'héroïque  et  saint  évoque,  le  voyant  massacrer  les  chrétiens, 
les  accabler  de  cruautés  et  d'outrages,  lui  porte  des  coups  terribles,  le  couvre 
de  blessures. 

Mais  accablé  en  ce  moment  sous  une  masse  d'infidèles  qui  se  précipitent 
comme  des  enragés  pour  relever  leur  général,  le  vainqueur  tombe  lui-même 
criblé  de  coups.  Aussitôt  ses  compagnons  s'élancent,  se  pressent  et  combat- 
tent autour  de  lui,  comme  des  lions.  Sa  main  ne  peut  plus  tenir  la  lance, 
mais  sa  bouche  leur  parle  encore  :  «  Généreux  soldats  de  Jésus-Christ  », 
s'écrie -t-il,  en  retrouvant  un  reste  de  force  et  de  voix,  «  soyez  constants 
dans  votre  foi  de  chrétiens  et  dans  votre  courage  de  guerriers,  redoublez  de 
valeur  et  d'audace  contre  ces  cruels  païens.  Celui  qui  vous  a  inspiré  votre 
magnanime  résolution  est  prêt  à  la  récompenser.  Déjà  je  vois  le  ciel  ouvert; 
déjà  les  anges  bénissent  le  Seigneur  de  votre  triomphante  arrivée  au  milieu 
d'eux  ;  ils  s'en  réjouissent  avec  lui  et  les  saints  ;  ils  vous  appellent,  ils  vous 
attendent».  Puis  il  ajoute,  en  citant  les  paroles  de  la  mère  de  saint Sym- 
phorien  que  lui  a  rappelées,  le  matin  même,  la  porte  Saint-André  :  a  Ne 
craignez  donc  point  une  mort  qui  conduit  à  la  vie  ».  Les  derniers  accents 
qui  viennent  d'expirer  sur  ses  lèvres  sont  aussi  son  dernier  soupir  ;  et  on 
entend  les  conci^rts  des  anges  qui  descendent  pour  recevoir  sa  sainte  âme, 
l'accompagner  au  ciel  et  l'introduire  dans  les  joies  éternelles.  Emilien  quitta 
la  terre  un  mercredi  22  août  de  l'an  725.  Sur  l'ordre  de  l'impie  Nymphéus, 
qui  n'était  point  mort  du  coup  qu'il  venait  de  recevoir,  le  corps  du  Bien- 
heureux est  décapité.  Les  chrétiens  le  recueillirent  soigneusement,  pour 
eux  et  pour  la  postérité  reconnaissante. 

On  peut  fort  bien  représenter  saint  Emilien  avec  un  drapeau  à  la  main, 
animant  ses  soldats  au  combat. 


394  27  jvm. 


CULTE  ET  RELIQUES. 

Les  reliques  de  saint  Emilien  sont  conservées  avec  un  soin  pieux  dans  le  village  de  Saint-Jean 
de  Luze,  de  temps  immémorial,  et  son  culte  y  a  toujours  été  en  grand  honneur.  A  une  époque 
inconnue,  on  éleva  au  milieu  du  cimetière,  sur  le  tombeau  vénéré,  un  petit  oratoire  qui  devint 
bientôt  un  lieu  de  pèlerinage  très-fréquenté  et  célèbre  par  les  miracles  qui  s'y  opérèrent.  Au 
XI»  siècle,  le  saint  corps  fut  levé  de  terre,  en  vertu  de  l'autorisation  épiscopale,  transféré  solen- 
nellement dans  l'église  paroissiale  et  exalté  derrière  l'autel  majeur.  Tout  porte  à  croire  que  ce  fut 
à  dater  de  cette  époque  que  le  village  où  périt  la  légion  nantaise  changea  son  nom  de  Saint-Jean 
de  Luze  pour  celui  de  Saint-Emilien  (par  corruption,  Saint-Emiland),  qu'il  porte  aujourd'hui.  Cette 
translation  eut  lieu  le  samedi  vers  l'octave  de  la  Saint-Jean  ;  et  sa  fête,  que  l'on  célèbre  encore 
chaque  année  le  dimanche  après  la  Nativité  du  saint  Précurseur  de  Jésus-Christ,  est  un  anniver- 
saii'e  commémoratif  de  la  solennité  primitive. 

Le  culte  de  saint  Emilien  est  encore  dans  le  pays,  comme  il  l'a  été  de  temps  immémorial,  un 
culte  tout  à  fait  populaire,  et  son  église,  un  lieu  de  pèlerinage  :  tant  étaient  profondes  les  impres- 
sions qu'avaient  laissées  dans  l'esprit  des  Eduens  sa  charité  et  son  courageux  dévouement  ;  tant 
était  grande  la  reconnaissance  des  populations  pour  l'héroïque  évêque  qui  était  venu  de  si  loin  se 
sacrilier  pour  les  défendre.  Son  nom  a  toujours  été  donné  à  une  infinité  d'enfants  de  l'un  et  de 
l'autre  sexe,  par  les  parents  qui  aiment  à  les  placer  sous  un  patronage  puissant  et  cher.  Le  pèleri- 
nage de  Saiut-Emiland  devenant  de  plus  en  plus  célèbre,  il  se  forma  dans  l'église  de  cette  paroisse 
une  confrérie  qui  fut  régulièrement  approuvée  et  constituée  dans  la  première  moitié  du  xvi»  siècle 
par  Jacques  Hurault,  évèque  d'Autun.  Enfin,  soumis  à  l'approbation  de  la  cour  de  Rome  avec  le 
Propre  autunois,  en  1856,  le  cuhe  du  saint  pontife  fut  confirmé  par  décret  de  Sa  Sainteté  Pie  IX 
et,  sur  la  demande  de  Monseigneur  l'évêque  d'Autun,  étendu  à  tout  le  diocèse.  La  fête  du  Saint, 
célébrée  de  tout  temps  le  dimanche  dans  l'octave  de  la  Saint-Jean,  ne  cesse  encore  d'attirer  un 
grand  nombre  de  pèlerins,  désireux  de  vénérer  ses  précieuses  reliques  ;  car  les  habitants  de  la 
paroisse  ont  été  assez  heureux,  malgré  le  protestantisme  et  la  terreur,  pour  les  conserver  jusqu'à 
ce  jour  presque  intactes.  Le  chef  du  Saint  attire  particulièrement  l'attention,  à  cause  des  traces 
d'un  coup  violent  qu'on  y  remarque  et  qui  fut  probablement  le  coup  mortel.  Les  précieuses  reli- 
ques furent  tirées  de  leur  premier  tombeau  au  xi*  siècle,  comme  il  a  été  dit,  et  placées  avec  une 
grande  solennité  derrière  le  raaitre-autel  de  l'église  paroissiale,  dans  un  petit  sarcophage  en  pierre 
qui  tint  lieu  de  premier  reliquaire  et  qu'on  voit  encore.  On  conserve  aussi  un  second  reliquaire, 
en  forme  de  buste  d'évêque,  que  l'on  substitua  au  premier,  probablement  vers  ie  xv^  siècle,  et 
dont  on  se  servit  longtemps  pour  porter  les  saintes  reliques  en  procession.  Enfin,  cette  forme  de 
reliquaire  tomba  en  désuétude  et  l'on  adopta  la  châsse  actuelle  qui  est  maintenant,  non  plus  comme 
autiefois  derrière  l'aulel  majeur,  mais  dans  la  chapelle  du  côté  gauche  honorée  du  nom  de  Saint- 
Emilien.  Une  sorte  de  grotte,  creusée  dans  le  mur  à  environ  deux  mètres  au-dessus  du  sol  et 
fermée  d'une  double  porte,  l'une  en  bois,  l'autre  en  fer,  garde  cette  châsse  qui  contient  le  dépôt 
sacré.  Les  titres  authentiques  qui  le  constatent  sont  trois  procès-verbaux  d'enquêtes  canoniques 
faites  à  ce  sujet  :  la  première,  en  1730,  à  l'occasion  de  la  translation  des  précieux  ossements  da 
buste  dans  le  reliquaire  actuel  ;  la  seconde,  en  1855,  pour  constater  leur  identité  après  les  mau- 
vais jours  de  la  Révolution  ;  et  la  troisième,  en  1858,  lorsqu'il  fut  question  d'en  distraire  une 
partie  concédée  au  diocèse  de  Nantes.  La  fête  de  saint  Emilien  est  encore  aujourd'hui,  il  est  vrai, 
entourée  de  pompe  et  attire  un  assez  grand  concours  de  fidèles  ;  cependant,  elle  a  perdu  un  peu 
de  son  ancienne  splendeur.  Toutefois  le  pèlerinage,  bien  qu'ayant  perdu  de  son  importance,  est 
encore  très-fréquenté.  Il  n'y  a  pas  de  semaines  où  le  pasteur  de  la  paroisse  ne  soit  appelé  à  l'église 
pour  bénir  l'eau  de  la  fontaine  ou  des  linges  destinés  aux  malades,  et  pour  réciter  sur  les  pèlerins 
les  prières  d'usage.  La  procession  de  la  fête  et  les  Vêpres  en  plein  air  sur  l'estrade  du  cimetière 
ont  toujours  lieu  avec  un  grand  concours  de  fidèles. 

Saint  Emiland  était  honoré  même  au  loin  ;  on  voyait  encore  au  siècle  dernier,  près  du  hameau 
de  Vaumely,  paroisse  de  Poussignol-Blimes  (diocèse  de  Nevers),  une  chapelle  dédiée  sous  son 
invocation  et  connue  sous  le  nom  de  Chapelle-du-Lac.  Il  existe,  à  un  kilomètre  de  Tanlay,  non 
loin  de  Tonnerre,  une  chapelle  dédiée  à  saint  Emilien.  Fondée  en  1528  par  M.  de  Corcelles,  sei- 
gneur de  Tanlay,  détruite  en  1793,  rebâtie  ensuite  par  l'acquéreur,  sous  la  pression  de  l'opinion 
publique  qui  réclamait  ce  sanctuaire  vénéré  et  le  culte  du  Saint  auquel  il  était  consacré,  elle  a 
été  reconstruite  de  nouveau  par  M.  le  marquis  de  Tanlay,  qui  en  est  le  propriétaire  actuel  et  qui 
a  obtenu  la  permission  d'y  annexer  un  caveau  pour  la  sépulture  de  sa  famille.  Cette  chapelle  figure 
sur  la  carte  de  Cassini  sous  le  nom  de  Saint-Uniilian,  dérivé  évidemment  d'^tmilianus.  Il  n'existe 
pas  d'écrit  concernant  l'origine  de  la  dévotion  à  saint  Emilien  en  ce  lieu;  mais  la  tradition  orale 
la  fait  remonter  très-haut.  D'après  elle,  le  Saint,  venant  de  Sens  et  se  rendant  à  Autun,  serait 
arrivé  à  Molosme,  où  l'on  montre  une  fontaine  qui  porte  son  nom  et  aurait  jailli  de  terre  pour  le 
désaltérer  lui  et  ses  soldats.  Il  y  aurait  eu  un  combat  entre  Molosme,  Saint-Martin  et  Tanlay  ;  et, 
arrivé  dans  cette  dernière  localité,  Emilien  y  aurait  campé  et  s'y  serait  reposé.  C'est  pour  cela, 


SAINT  LADISLA.S,   ROI  DE   HONGRIE.  395 

disent  les  anciens,  qu'une  antique  slalue,  conservée  dans  la  chapelle  et  représentant  le  saint  évêque 
en  crosse  et  en  mitre,  a  les  yeux  presque  fermés  et  comme  appesantis  par  le  sommeil.  Molosm« 
porte  le  surnom  de  Lnfosse,  ce  qui  s'accorderait  parfaitement  avec  le  souvenir  d'une  bataille  et 
d'une  inhumation  des  morts  en  ce  lieu. 

Nous  avons  abrégé  cette  vie  de  celle  qu'en  donne  M.  l'abbé  Dluct,  chanoine  de  la  cathe'drale  d'Autun, 
dans  son  ouvrage  intitulé  :  Saint  Symphorien  et  son  culte. 


SAINT  LADISLAS  T  \  ROI  DE  HONGRIE 

1031-1095.—  Papes  :  Jean  XIX;  Urbain  II.  —  Empereurs  d'Allemagne  :  Conrad  II;  Henri  IV. 

Bonus prmceps  non  alto  animo  débet  tsst  in  suos  civei 

guam  boi^us  paterfamilias  in  suos  domrslicos. 
Un  bon  prince  doit  ôtre  pour  ses  sujets  ce  qu'est  an 
bon  père  de  famille  pour  ceux  de  s»  maison. 
Erasmus,  in  Mgral. 

Ce  gi'and  roi,  Dieu  l'a  rendu  plus  illustre  encore  par  d'insignes  miracles. 
Quoique  nous  sachions  peu  de  chose  des  vertus  chrétiennes  qu'il  a  prati- 
quées pendant  sa  vie,  nous  en  connaissons  assez  pour  dii'e  qu'il  n'a  pas  été 
moins  relevé  devant  Dieu  par  sa  sainteté,  qu'il  l'a  été  devant  les  hommes 
par  le  sage  gouvernement  de  ses  Etats.  Il  ne  descendait  pas  en  ligne  directe 
de  saint  Etienne  P"",  roi  et  apôtre  de  Hongrie,  dont  nous  donnerons  la  vie 
au  20  août,  mais  de  Ladislas,  dit  le  Chauve,  son  cousin-germain,  dont  il 
était  petit-fils.  Bêla,  son  père,  fut  quelque  temps  fugitif  en  Pologne,  pour 
éviter  la  cruauté  de  Pierre  le  Germanique,  gendre  du  même  saint  Etienne, 
que  les  Hongrois  avaient  fait  leur  roi.  Mais  André,  son  frère  aîné  et  oncle 
de  notre  Saint,  étant  monté  sur  le  trône,  ce  dernier  revint  en  son  pays,  où 
il  eut  la  qualité  de  duc,  qui  était  la  seconde  de  tout  le  royaume.  Il  avait 
épousé,  en  Pologne,  pendant  son  exil,  la  fille  de  Mesco,  duc  de  ce  royaume, 
et  lien  avait  eu  deux  fils :Geiza,  l'aîné,  et  Ladislas,  notre  illustre  confesseur; 
il  les  amena  tous  deux  avec  lui.  L'éducation  de  ces  enfants,  tant  en  Pologne 
qu'en  Hongrie,  fut  si  avantageuse,  qu'ils  donnèrent,  dès  leur  enfance,  de 
grands  présages  de  la  vertu  qu'ils  ont  fait  paraître  toute  leur  vie.  Notre 
Saint  était  si  chaste,  si  modeste,  si  dévot  et  si  plein  de  tendresse  et  de  cha- 
rité pour  les  pauvres,  qu'il  était  admiré  de  tout  le  monde. 

Ce  ne  fut  qu'avec  douleur  qu'il  vit  son  père  monter  sur  le  trône,  parce 
qu'il  n'y  monta  qu'en  faisant  la  guerre  au  roi,  son  frère,  et  en  gagnant  une 
victoire  signalée  contre  lui  :  car  ce  saint  jeune  homme  était  si  éloigné  de 
l'amour  des  grandeurs  de  la  terre,  qu'il  eût  mieux  aimé  vivre  banni  de  son 
pays  et  dans  la  disette  de  toutes  choses,  que  de  posséder  un  royaume  par 
des  voies  si  peu  légitimes.  Il  est  vrai  qu'André  avait  attenté  à  la  vie  de  Bêla, 
pour  mieux  assurer  la  couronne  à  Salomon,  son  fils,  âgé  seulement  de  douze 
ans;  mais  Ladislas  ne  pensait  pas  que  ce  fût  un  sujet  suffisant  à  son  père 
pour  prendi'e  les  armes  contre  son  souverain,  et  il  croyait  qu'en  cette  ren- 
contre il  devait  faire  seulement  comme  David  qui,  poursuivi  par  Saiil , 
se  contenta  de  fuir  et  de  se  cacher,  sans  jamais  attenter  à  sa  couronne  ni 
à  sa  vie.  Aussi,  après  sa  mort,  il  ne  se  laissa  nullement  aller  à  l'ambition 
de  régner  en  sa  place;  au  contraire,  il  céda  très-volontiers  cet  honneur, 

1.  U  est  appelé  par  les  Hongrois  saint  Lalo.  On  l'appelait  anciennemeat  en  France  saint  Lancelot. 


396  27  JUIN. 

premièrement  à  Salomon,  fils  d'André,  son  cousin-germain,  et  en  second 
lieu  à  Geiza  II,  son  frère  aîné,  quoique,  le  royaume  étant  en  quelque  ma- 
nière électif,  il  eût  pu  y  prétendre  par  la  faveur  de  tous  les  gens  de  bien 
qui  avaient  une  affection  singulière  pour  lui. 

Mais  Geiza  ayant  chassé  Salomon,  prince  cruel  et  sanguinaire,  qui  met- 
tait tout  à  feu  et  à  sang  dans  ses  Etats,  et  lui-même  étant  mort  depuis,  dans  la 
troisième  année  de  son  règne,  tous  les  prélats,  les  seigneurs  et  les  magis- 
trats des  principales  villes  de  Hongrie,  qui  s'assemblèrent  pour  lui  donner 
un  successeur,  supplièrent  unanimement  Ladislas  d'accepter  la  couronne 
et  de  prendre  le  gouvernement  du  royaume.  Il  avait  en  effet  toutes  les  qua- 
lités du  corps  et  de  l'esprit  que  l'on  peut  souhaiter  dans  un  grand  prince. 
Il  n'y  avait  personne  dans  toute  la  Hongrie,  ni  plus  grand,  ni  d'un  port 
plus  majestueux  que  lui;  il  était  capable  de  toutes  les  affaires,  tant  de  la 
paix  que  de  la  guerre,  et  il  en  supportait  aisément  toutes  les  fatigues.  Il 
recevait  tout  le  monde  avec  tant  d'affabilité,  que  le  moindre  de  ses  vassaux 
avait  la  liberté  de  l'approcher  et  de  lui  représenter  son  droit.  Il  montrait 
tant  de  modération  dans  ses  jugements,  qu'on  le  regardait  plutôt  comme 
un  père  qui  accommodait  quelque  différend  de  ses  enfants,  que  comme  un 
prince  qui  jugeait  souverainement  les  causes  de  ses  sujets  :  ce  qui  lui  avait 
fait  donner  le  surnom  de  Pieux.  La  qualité  de  fils  et  de  frère  de  rois,  ni  celle 
de  duc  du  premier  duché  du  royaume,  ne  l'empêchèrent  pas  de  se  rendre 
familier  avec  les  moins  considérables  de  ses  sujets,  et  de  donner  en  toute 
occasion  des  marques  d'une  humilité  vraiment  chrétienne.  Dans  tous  les 
besoins  de  l'Etat,  qui  fut  souvent  attaqué  par  les  barbares,  on  le  voyait  tou- 
jours le  premier  à  cheval  pour  le  défendre,  et,  allant  lui-même  à  la  tète 
des  armées  sans  rien  craindre,  il  y  remplissait  le  devoir  du  plus  brave  soldat 
et  du  plus  intrépide  capitaine  ;  il  n'avait  pas  môme  fait  difficulté,  pour  épar- 
gner le  sang  humain,  d'appeler  les  généraux  des  armées  ennemies  en  des 
combats  singuliers  dont  il  était  toujours  sorti  victorieux. 

Il  demeura  toujours  très-chaste,  malgré  les  dangers  auxquels  sa  vertu 
fut  exposée  dans  les  cours.  La  sobriété  était  en  lui  la  compagne  insépa- 
rable de  la  continence,  et,  si  sa  qualité  de  prince  l'obligeait  ordinairement 
d'avoir  une  table  bien  servie,  il  n'y  prenait  que  ce  qui  lui  était  absolument 
nécessaire  pour  vivre.  Il  jeûnait  même  souvent,  couchait  sur  la  dure  et  fai- 
sait d'autres  mortifications  pour  dompter  son  corps  et  l'empêcher  de  se 
révolter  contre  l'esprit.  S'il  était  si  sévère  à  l'égard  de  lui-même,  per- 
sonne n'était  plus  doux  et  plus  charitable  que  lui  envers  les  nécessiteux. 

Sa  maison  passait  pour  l'asile  commun  de  tous  les  misérables,  et,  en 
effet,  pas  un  n'en  sortait  sans  y  avoir  reçu  quelque  soulagement  à  sa  misère. 
Les  pauvres  montraient  de  tous  côtés  les  habits  dont  il  les  avait  revêtus  et 
l'argent  qu'il  leur  avait  donné.  Il  prenait  le  soin  de  la  subsistance  des  veuves, 
des  pupilles  et  des  orphelins,  et  leur  faisait  distribuer  de  grandes  aumônes; 
il  mariait  les  pauvres  filles  qu'il  voyait  en  danger  de  perdre  leur  honneur; 
il  relevait  les  familles  ruinées  par  de  fâcheux  accidents  ;  et,  pour  tout  dire 
en  un  mot,  on  trouvait  auprès  de  lui  un  secours  assuré  pour  toute  sorte  de 
besoins.  Les  églises  magnifiques  qu'il  avait  fait  construire  après  la  défaite  de 
Salomon,  étaient  une  marque  évidente  de  sa  piété  envers  Dieu;  mais  il 
l'avait  fait  paraître  encore  davantage  en  soutenant  constamment  par  toute 
la  Hongrie  la  religion  chrétienne,  pour  laquelle  la  plus  grande  partie  du 
peuple,  et  surtout  des  paysans  accoutumés  à  leurs  idoles,  n'avaient  pas 
grande  inclination. 

Ce  furent  sans  doute  ces  rares  qualités  qui  obligèrent  les  seigneurs  bon- 


SAINT  LADISLAS,   ROI  DE  HONGRIEU  397 

grois  à  lui  présenter  la  couronne  avec  tant  d'instance.  Cependant  il  leur 
résista  autant  qu'il  lui  fut  possible.  Il  considérait,  d'un  côté,  que  les  rois 
sont  exposés  à  une  infinité  de  dangers  de  se  perdre,  parce  que  leurs  obliga- 
tions sont  très-grandes  et  qu'ils  ont  devant  les  yeux  mille  attraits  qui  les 
empêchent  de  s'en  acquitter;  et,  d'autre  part,  il  avait  de  la  peine  à  prendre 
la  qualité  de  roi  pendant  que  Salomon,  son  cousin,  à  qui  cette  couronne 
semblait  appartenir  légitimement,  était  en  vie  ;  et,  en  effet,  Geiza,  son  frère, 
avant  de  mourir,  avait  tenté  un  accommodement  avec  ce  prince,  et  n'était 
mort  que  dans  la  résolution  de  le  faire  s'il  était  possible.  Mais  les  Hon- 
grois lui  soutinrent  que,  ce  royaume  étant  plutôt  électif  qu'héréditaire, 
ils  avaient  eu  le  droit  de  le  donner  à  Geiza  plutôt  qu'à  Salomon,  et  qu'ils 
avaient  encore  le  droit  de  le  préférer  lui-môme  à  ce  prince  cruel,  qui  ne 
pouvait  monter  sur  le  trône  sans  mettre  toute  la  Hongrie  en  combustion  ; 
d'ailleurs,  ils  lui  protestèrent  qu'ils  n'auraient  point  d'autre  roi  que  lui  ; 
il  fut  donc  enfin  contraint  de  se  rendre  et  d'accepter  le  gouvernement  qu'ils 
lui  offraient.  Mais  il  garda  encore  en  cela  une  modération  digne  d'un  grand 
prince  ;  car,  tant  qu'il  sut  que  son  cousin  était  en  vie,  il  ne  voulut  point 
être  couronné  ni  porter  le  diadème  :  montrant  par  là  que,  s'il  était  chargé 
de  l'administration  de  l'Etat,  il  ne  l'avait  pas  fait  par  un  désir  ambitieux 
de  régner,  mais  seulement  par  nécessité  et  pour  le  grand  amour  qu'il 
portait  à  sa  patrie. 

Aussi,  dès  qu'il  eut  établi  la  paix  et  la  piété  dans  le  royaume,  il  n'épar- 
gna aucun  moyen,  ni  divin,  ni  humain,  pour  gagner  l'esprit  de  Salomon, 
et  pour  lui  faire  quitter  cette  humeur  farouche  et  cruelle  qui  le  faisait  re- 
douter de  tout  le  monde;  il  lui  donna  des  pensions  suffisantes  pour  entre- 
tenir un  train  royal;  il  lui  envoya  souvent  des  prélats  et  des  hommes 
d'Etat  qui  devaient  avoir  du  crédit  sur  son  esprit,  pour  essayer  de  l'adoucir 
et  de  lui  faire  prendre  des  inclinations  de  père  pour  les  peuplée,  et  il  était 
prêt  à  lui  céder  la  couronne,  s'il  eût  vu  du  changement  dans  ses  mœurs. 
Mais  ce  prince,  bien  loin  de  correspondre  aux  saintes  inclinations  de  Ladis- 
las,  fit  ce  qu'il  put  pour  le  détruire  et  lui  dressa  même  des  embûches  où, 
sous  prétexte  d'un  pourparler,  il  devait  le  tuer.  Gela  obligea  notre  Saint, 
averti  de  sa  perfidie,  de  s'assurer  de  sa  personne,  et  de  le  mettre  en  prison 
dans  Vizzegrad,  place  forte  de  Hongrie;  mais  ce  ne  fut  pas  pour  longtemps; 
car,  ayant  appris  d'une  sainte  religieuse  que  cette  conduite  n'était  pas 
agréable  à  Dieu,  et  que  c'était  pour  cela  que  la  pierre  du  tombeau  de  saint 
Etienne,  qu'il  avait  voulu  faire  lever  pour  transférer  son  corps  sacré,  était 
demeurée  immobile,  il  le  mit  en  liberté  et  le  traita  avec  toute  sorte  d'hu- 
manité. Depuis,  ce  roi  dépouillé  entra  en  diverses  guerres  contre  les  princes 
voisins,  plutôt  en  chef  de  bandits  qu'en  grand  capitaine;  mais,  ayant  un 
jour  été  entièrement  défait,  il  fut  contraint  de  s'enfuir  tout  seul  dans  une 
épaisse  forêt,  d'où  il  ne  revint  point.  Les  historiens  disent  qu'il  y  fut  si 
puissamment  touché  de  l'esprit  de  pénitence,  qu'il  y  passa  plusieurs  années 
en  solitude  dans  les  larmes  et  des  gémissements  continuels,  et  sans  avoir 
d'autre  lit  que  les  feuilles  des  arbres,  d'autre  vêtement  qu'un  cilice  et 
quelques  peaux  de  bêtes  sauvages,  ni  d'autre  nourriture  que  des  herbes 
qu'il  trouvait  dans  les  bois,  ou  quelques  pommes  sauvages  avec  l'eau  crou- 
pie des  marais  ;  et  qu'enfin  il  y  mourut  fort  saintement  et  fut  enterré  à 
Pola,  ville  de  l'Istrie.  Gela  nous  donne  sujet  d'admirer  la  bonté  infinie  de 
Notre-Seigneur,  qui  abaisse  les  hommes  pour  les  élever,  qui  les  blesse  pour 
les  guérir,  et  qui  les  réduit  à  l'extrémité  de  la  misère  pour  les  faire  entrer 
dans  le  chemin  du  véritable  bonheur. 


398  27  JUIN. 

Salomon  étant  disparu  de  cette  manière,  Ladislas  n'eut  plus  rien  dans 
ses  Etats  qui  pût  s'opposer  aux  bons  règlements  qu'il  y  voulait  établir. 
Ainsi  il  fit  assembler  un  synode,  oii  on  fit  en  sa  présence  plusieurs  belles 
ordonnances  pour  contenir  ses  sujets  dans  la  justice  et  dans  l'observance 
delà  loi  divine  ;  et  elles  furent  ensuite  réduites  en  trois  livres  que  nous 
avons  à  la  fin  de  Y  Histoire  de  Hongrie,  par  Bonfinius.  Son  exemple  fut  encore 
plus  efficace  pour  maintenir  les  Hongrois  dans  leur  devoir,  que  toutes  ses 
lois  ;  car  il  n'ordonnait  rien  qu'il  ne  fît  le  premier,  et  il  était  si  fidèle 
observateur  de  tous  les  commandements  de  Dieu  et  de  l'&glise,  qu'on 
pouvait  l'appeler  lui-même  une  loi  vivante,  qui  représentait  à  chacun  ce 
qu'il  était  obligé  de  faire.  Son  palais  était  si  bien  réglé,  qu'on  entendait  ni 
jurement,  ni  blasphème,  ni  paroles  déshonnêtes  :  les  jeûnes  ecclésiastiques 
y  étaient  exactement  gardés,  et  on  y  vivait  avec  tant  de   retenue,  qu'il 
ressemblait  plutôt  à  une  maison  religieuse  qu'à  la  cour  d'un  roi.  Il  avait 
été  fort  zélé  à  bâtir  des  églises,  où  les  louanges  de  Dieu  fussent  chantées 
continuellement  ;  il  en  fonda  encore  d'autres  depuis  son  avènement  à  la 
couronne,  surtout  la  célèbre  basilique  de  Notre-Dame  de  Varadin,  qui  fut 
érigée  en  évêché  ;  il  assistait  fort  assidûment  aux  divins  offices,  et  passait 
souvent  plusieurs  heures  en  prières  en  ces  lieux  de  dévotion.  Sa  miséri- 
corde pour  les  nécessiteux,  bien  loin  de  diminuer  par  son  exaltation,  s'aug- 
menta au  contraire  notablement,  et  non-seulement  il  s'étudia  a  n'en  point 
faire  de  nouveaux  par  la  multiplication  des  impôts  et  des  subsides,  mais  il 
s'appliqua  aussi  de  tout  son  pouvoir  à  soulager  ceux  qui  l'étaient  ou  qui  le 
devenaient  par  le  malheur  de  leurs  affaires. 

Il  eut  de  grandes  guerres  pendant  son  règne  :  il  fut  attaqué  par  les 
Huns  les  Russes,  les  Polonais,  les  Bohémiens,  et  d'autres  peuples  voisins. 
Mais  il  les  repoussa  toujours,  et  remporta  même  sur  eux  des  victoires  signa- 
lées principalement  sur  les  Huns  qu'il  défit  deux  fois  entièrement,  et  sur 
les  Polonais,  à  qui  il  prit  Cracovie,  qui  était  la  capitale  du  royaume.  Avant 
de  partir  pour  la  guerre,  il  faisait  toujours  faire  des  prières  publiques  et  un 
ieûne  de  trois  jours;  et,  quoiqu'il  eût  soin  d'assembler  de  bonnes  troupes, 
qu'il  marchât  toujours  à  la  tête  et  qu'il  se  jetât  lui-même  courageusement 
sur  les  ennemis,  il  ne  mettait  pas  néanmoins  sa  confiance  en  ses  forces, 
mais  seulement  dans  le  secours  de  Dieu,  qu'il  implorait  avec  de  grandes 

instances. 

Après  tant  de  généreux  exploits,  son  plus  grand  désir  était  de  conduire 
une  armée  contre  les  infidèles,  pour  reprendre  sur  eux  la  Terre  sainte,  et 
délivrer  de  leurs  mains  le  tombeau  de  Jésus-Christ.  L'espérance  qu'il  avait 
de  répandre  son  sang  pour  la  gloire  de  son  Maître,  et  de  devenir  martyr, 
l'animait  principalement  à  cette  expédition.  Il  s'en  présenta  une  occasion 
très-favorable  :  car  le  célèbre  Pierre  l'Ermite  avait  prêché  de  tous  côtés  la 
croisade  par  l'ordre  du  pape  Urbain  II.  Les  princes  de  France,  d'Espagne  et 
d'Angleterre,  qui  s'étaient  croisés,  envoyèrent  une  célèbre  ambassade  à 
notre  saint  roi,  pour  le  prier  d'être  le  chef  de  l'armée  qulls  préparaient,  et 
qui  ne  devait  pas  être  moindre  de  trois  cent  mille  hommes.  Ladislas  reçut 
cette  offre  avec  une  joie  incroyable,  et,  ayant  aussi  engagé  le  duc  de 
Bohême,  son  neveu,  dans  une  si  noble  entreprise,  il  s'y  prépara  avec  toute 
la  diligence  possible  ;  mais  Dieu  en  avait  disposé  autrement  :  car,  lorsqu'il 
n'attendait  que  le  temps  de  l'aller  faire  régner  dans  la  Palestine,  en  exter- 
minant les  Sarrasins,  qui  s'en  était  rendus  les  maîtres,  il  fut  appelé  lui- 
même  dans  le  ciel  pour  y  régner  éternellement  avec  Jésus-Christ.  Bonfinius 
dit  que  ce  fut  le  30  juillet  1093,  et  la  dix-huitième  année  de  son  règne  ; 


SAINT  LADISLAS,  ROI  DE  HONGRIE.  399 

mais  le  martyrologe  romain  a  mis  sa  mémoire  le  27  juin,  qui  est  le  jour 
auquel  se  fil  la  translation  de  ses  reliques. 

On  ne  peut  exprimer  la  douleur  dont  toute  la  Hongrie  fut  remplie 
lorsque  la  nouvelle  de  sa  mort  y  fut  répandue  :  chacun  le  regrettait  comme 
le  père  des  pauvres,  comme  le  soutien  de  l'Etat,  comme  le  restaurateur  de 
la  piété  et  de  la  justice,  comme  le  défenseur  de  la  virginité,  comme  l'appui 
de  l'Eglise  et  comme  le  modèle  de  toute  sainteté.  On  en  porta  le  deuil 
pendant  trois  ans,  et,  durant  tout  ce  temps,  on  ne  fit  aucune  réjouissance 
ni  publique  ni  particulière  dans  tout  le  royaume.  Son  corps  fut  porté  so- 
lennellement à  Varadin,  pour  y  être  enterré  dans  l'église  Notre-Dame,  qu'il 
avait  fondée.  Deux  miracles  rendirent  le  convoi  fort  célèbre.  Ceux  qui  le 
conduisaient  s'endormirent  si  profondément  dans  le  dernier  gîte,  par  la 
grande  lassitude  oh  ils  étaient,  qu'ils  ne  se  levèrent  qu'à  trois  heures  de 
jour;  le  chariot  où  était  le  saint  corps  marcha  tout  seul  vers  Varadin,  sans 
être  traîné  par  aucun  cheval,  et  se  rendit  si  vite  au  lieu  que  le  bienheureux 
roi  avait  marqué  pour  sa  sépulture,  qu'il  y  arriva  avant  que  les  conduc- 
teurs le  pussent  atteindre.  Quelqu'un  de  la  troupe  ayant  dit  que  le  même 
corps  sentait  mauvais,  contre  le  témoignage  de  tous  les  autres,  qui  assu- 
raient qu'il  exhalait  une  odeur  très-agréable,  la  bouche  lui  tourna  aussitôt, 
et  son  menton  s'attacha  tellement  à  son  épaule,  qu'il  lui  fut  impossible  de 
se  lever  jusqu'à  ce  qu'il  eût  reconnu  sa  faute  et  demandé  pardon  au  Saint. 

Depuis  il  se  fit  tant  de  miracles  à  son  tombeau,  que,  personne  ne  pou- 
vant douter  de  sa  sainteté,  le  pape  Célestin  III,  ou  Innocent  III,  son  suc- 
cesseur, le  canonisa  l'an  H99;  et,  la  même  année,  il  donna  des  pieds  et 
des  mains  à  un  petit  enfant  qui  était  venu  au  monde  sans  avoir  aucun  de 
ces  membres. 

On  représente  ordinairement  notre  Saint  avec  deux  anges  à  ses  côtés  : 
ce  sont  les  deux  anges  prolecteurs  que  Salomon,  parent  du  jeune  prince, 
vit  auprès  de  Ladislas  quand  il  lui  faisait  la  guerre.  On  rapporte  d'ailleurs 
que  Ladislas  étant  mort,  son  cercueil  fut  porté  par  deux  anges  jusqu'à 
l'église  que  ce  Saint  avait  fait  bâtir  en  l'honneur  de  la  très-sainte  Vierge.  — 
On  le  voit  parfois  tenant  de  la  même  main  son  chapelet  et  son  sabre;  c'était 
sa  manière  ordinaire  de  charger  l'ennemi;  heureuse  et  salutaire  inspiration 
qui  trouverait  aujourd'hui  bien  des  critiques,  mais  dont  il  n'eut  jamais  à 
se  repentir.  —  Assez  ordinairement  on  le  peint  avec  l'étendard  hongrois, 
pour  montrer  que  sa  charité,  ses  prières  et  ses  fondations  pieuses  ne  l'em- 
pêchaient pas  d'être  un  redoutable  et  vaillant  prince.  —  Rien  n'empêche 
de  lui  mettre  une  église  dans  les  mains,  puisqu'il  est  le  fondateur  de  nom- 
breuses basiliques  et  notamment  de  la  cathédrale  dédiée  à  Notre-Dame 
dans  la  ville  de  Varadin.  —  Les  estampes  hongroises  nous  le  présentent  fré- 
quemment faisant  jaillir  d'une  roche  abrupte,  avec  sa  lance,  une  fontaine 
d'eau  vive  dont  il  désaltère  ses  soldats  qu'il  conduit  à  la  guerre.  —  Les  ar- 
tistes ne  dédaignent  pas  de  le  peindre  quelquefois  avec  le  globe  impérial 
timbré  de  la  croix,  parce  qu'il  refusa  l'empire  qi>e  lui  offraient  les  princes 
allemands.  —  Enfin,  la  hache  d'armes  ou  la  lance  qu'on  lui  met  assez  sou- 
vent à  la  main  est  une  allusion  soit  à  son  duel  avec  un  chef  ennemi,  soit 
au  coup  de  lance  qui  fit  jaillir  la  fontaine  miraculeuse  dont  nous  avons 
parlé,  soit,  en  général,  à  ses  vertus  guerrières. 

Açta  Sanctorum.  —  Cf.  Godesgard  et  tons  les  baglcgrapbes. 


400  28  JUIN. 


XXVIir  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

La  Vigile  des  npôtres  saiat  Pierre  et  saint  Paul.  —  A  Rome,  saint  Léon  II,  pape.  683.  —  A 
Lyon,  saint  Irénée,  évêque  et  martyr,  qui,  au  témoignage  de  saint  Jérôme,  fut  disciple  de  saint 
Polycarpe,  évêque  de  Smyrne,  et  presque  contemporain  des  Apôtres.  Ce  saint,  après  avoir  forte- 
mciit  combattu  contre  les  hérétiques,  et  par  ses  discours  et  par  ses  écrits,  obtint  la  couronne  d'un 
glorieux  martyre,  avec  presque  tout  son  peuple,  durant  la  persécution  de  Sévère.  Vers  202.  —  A 
Alexandrie,  durant  la  même  persécution  de  Sévère,  les  saints  martyrs  Plutabque,  Sérène,  Hera- 
clite, catéchumène  ;  Héron,  néophyte  ;  un  autre  Sérène,  avec  les  saintes  femmes  Rhaïde,  caté- 
chumène, PoTAMiENNE,  vicrge,  et  Marcelle,  sa  mère.  Parmi  ces  Martyrs  brilla  surtout  la  vierge 
Potamienne,  qui  soutint  d'abord  de  fréquents  et  de  rudes  combats  pour  sa  virginité,  puis  endura 
des  tourments  inouis  pour  la  foi,  et  fut  enfin  consumée  dans  les  flammes  avec  sa  mère.  202.  — 
Le  même  jour,  saint  Papias,  martyr,  qui  sous  la  persécution  de  Dioclétien,  ayant  été  fouetté, 
jeté  dans  une  chaudière  pleine  d'huile  et  de  graisse  bouillante,  et  tourmenté  par  d'autres  supplices 
horribles,  eut  enfin  la  tête  tranchée,  et  remporta  ainsi  la  couronne,  ivo  s.  —  A  Utrecht,  saint 
Bénigne,  évêque  et  martyr.  —  A  Cordoue,  saint  Argimir,  moine  et  martyr,  qui  fut  tué  pour  la  foi 
de  Jésus-Christ  durant  la  persécution  des  Arabes.  856.  —  A  Rome,  saint  Paul  !«',  pape  et  con- 
fesseur. 767. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,   REVU  ET  AUGMENTÉ' 

A  Lyon,  saint  Zacharie,  successeur  de  saint  Irénée  sur  le  siège  archiépiscopal  de  cette  ville. 
H  semble  qu  il  n'échappa  au  grand  carnage  qui  se  fit  des  chrétiens  au  temps  du  martyre  de  ce 
saint  docteur,  que  pour  fortifier  ce  qui  restait  de  chétiens  dans  la  cité,  et  pour  tirer  de  cette 
petite  semence,  par  l'assiduité  de  sa  prédication,  une  moisson  riche  et  abondante.  Les  anciennes 
chroniques  de  Lyon  rapportent  qu'avant  le  massacre  un  ange  apparut  à  saint  Irénée  pendant  qu'il 
priait  et  lui  dit  :  «  Pars  chercher  le  prêtre  Zacharie,  car  il  doit  te  succéder  après  ton  martyre  et 
confirmer  ses  frères  dans  la  foi  ».  Zacharie  échappa,  en  effet,  au  glaive  des  persécuteurs  et  ense- 
velit le  corps  de  son  bienheureux  maitre  dans  la  crypte  de  Saint-Jean,  sur  la  montagne,  entre  les 
tombeaux  de  saint  Epipode  et  de  saint  Alexandre.  Ensuite  il  fit  creuser  une  large  fosse  où  furent 
déposés  les  corps  des  martyrs  gisant  sur  la  place  publique,  qu'il  put  enlever  avec  l'aide  de  quel- 
ques fidèles.  11  remplit  de  ces  débris  sanglants  le  puits  ou  baptistère  qui  se  trouve  à  l'entrée  de 
la  catacombe.  iii«  s.  —  A  Auch,  saint  Lupercule  ou  Luperque,  martyr.  Il  souffrit  à  Eauze,  sous 
l'Empereur  Dèce.  L'Eglise  d'Eauze  (Gers),  antique  métropole  de  toute  la  province  d'Aquitaine, 
l'honorait  comme  son  patron,  et  l'on  est  d'accord  pour  le  regarder  comme  un  des  premiers  évo- 
ques de  celte  même  Eglise.  Néanmoins  quelques  savants  pensent  qu'il  ne  faut  pas  le  distinguer 
de  Luperque,  martyr  à  Saragosse,  avec  dix-huit  autres,  et  loué  par  Prudence  dans  son  livre  des 
Couronnes  des  martyrs.  Il  existait  au  xr  siècle  une  abbaye  qui  portait  le  nom  de  Saint-Luper- 
cule  d'Eauze.  L'Eglise  de  Tarbes  fait  la  fête  de  ce  saint  martyr  au  5  mars,  jour  où  il  est  men- 
tionné au  martyrologe  de  France,  m"  s.  —  A  Sens,  sainte  Théodochilde  ou  Théchilde,  vierge. 
Fille  de  Thierry  I^r,  roi  d'Austrasie,  ou  même,  selon  les  Bollandistes,  de  Clovis  I^f,  elle  devint 
reine  des  Varnes  ou  Arvernes.  Son  mari  régnait  sur  une  partie  de  la  Bourgogne,  de  la  Champagne 
et  de  l'Auvergne.  Théodochilde  fonda  à  Sens  le  monastère  de  Saint-Pierre  le  Vif  fS.  Petrus  Vivus 
Senonensis,  Ordre  de  Saint-Benoît,  sous  le  patronage  des  saints  Pierre,  Paul  et  Savinien),  y  prit 
le  voile  et  y  mourut.  Venance  Fortunat  loue  dans  ses  poëmes  la  charité  et  les  autres  vertus  de 
cette  pieuse  reine.  Vers  l'an  600.  —  Au  diocèse  de  Quimper,  saint  Léon  H,  pape,  nommé  an  mar- 
tyrologe romain  de  ce  jour.  —  Dans  l'ancienne  abbaye  de  Flavigny  {Flaviniacum,  dans  la  Côte- 
d'Or,  Ordre  de  Saint-Benoît,  sous  le  patronage  de  saint  Prix,  évêque  de  Clermont  et  martyr),  saint 
Eigil  ou  Egilon,  seizième  abbé  de  ce  monastère.  D'abord  abbé  de  Prum,  à  cinq  mille  de  Trêves, 
il  fut  appelé  vers  860  par  Charles  le  Chauve  à  restaurer  l'abbaye  de  Flavigny,  au  diocèse  de  Dijon. 
H  ï  transféra  les  reliques  de  sainte  Reine,  vierge  et  martyre.  Il  fonda  l'abbaye  de  Corbigny  (Cer- 


MAllTVROLOGES.  401 

bJniacum,  dans  l'Yonne)  qui  dépendit  longtemps  de  Flavigny  et  finit  par  s'affranchir.  Eigil  fut 
ensuite  archevêque  de  Sens  (<S65-S70).  11  mourut  après  une  vie  consacrée  tout  entière  à  des  œuvres 
charitables  et  pieuses,  et  fut  inhumé  dans  la  chapelle  de  Saint-Etienne,  à  gauche  du  maitre-autel, 
dans  l'abbaye  de  Saint-Pierre  le  Vif.  871.  —  En  Bretagne,  saint  Austole,  prêtre,  religieux  sous 
saint  Mécn,  dont  nous  avons  parlé  au  21  juin.  11  aimait  son  abbé  d'un  si  tendre  amour  qu'il  suc- 
comba de  douleur  sept  jours  après  la  mort  de  saint  Méen.  Son  culte  était  autrefois  établi  dans 
l'abbaye  dont  il  était  religieux,  et  l'église  de  cet  ancien  monastère  (Saint-Méen)  possède  encore 
une  petite  portion  de  ses  reliques.  617.  —  Encore  en  Bretagne,  saint  Maelmon,  ancien  évèque  de 
Saint-Malo.  11  eut  des  relations  d'amitié  avec  saint  Judicael,  roi  d'une  partie  de  la  Bretagne,  et  se 
fit  remarquer  toute  sa  vie  par  sa  charité  inépuisable  envers  les  pauvres.  638. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Basiliens.  —  Saint  Georges  Limniote,  moine  de  l'ordre  de  Saint-Basile,  qui, 
pour  avoir  repris  l'impie  Léon,  empereur,  de  ce  qu'il  brisait  les  saintes  images  et  brûlait  les  reli- 
que des  saints^  eut  les  mains  coupées  et  la  tête  brûlée  par  l'ordre  de  ce  prince,  et  s'envola  vers 
le  Seigneur  avec  la  gloire  du  martyre.  Sa  mémoire  se  fait  le  24  août.  Vers  736. 

Martyrologe  des  Chanoines  réguliers.  —  La  Vigile  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul.  — 
A  Borne,  s^int  Léon  II,  pape,  qui  fut  chanoine  régulier  avant  d'être  souverain  Pontife. 
Martyrologe  des  bénédictins.  —  De  même  que  chez  les  Chanoines  réguliers, 

ADDITIONS  FAITES  d'aPRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

Au  diocèse  de  Cologne,  saint  Léon  II,  pape  et  confesseur,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce 
jour.  —  Eu  Afrique,  les  saints  Fabien,  Félix,  Arion,  Capitolin,  Nisie,  Elaphe,  Venuste,  Crescent, 
Alexandre,  Théone,  Pléose,  Astèse,  Apollonius,  Amphamon,  Phisoce,  Mêlée,  Denis,  Iline,  Panne, 
Plèbre,  Panubre,  Dioscore,  Tnbon,  Capitolin,  Micas,  Gurdin,  tous  martyrs,  mentionnés  entre  autres 
par  le  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Alexandrie,  avant  saint  Plutarqiie  et  ses  sept  compagnons, 
mentionnés  au  martyrologe  romain  de  ce  jour,  les  saints  Théodore,  Paslaphe,  Tytire,  Denise,  Pas- 
sime,  Phésique,  Diste,  Ambène,  Ariose,  Dioscore,  Orion,  Simère,  Turbon,  Capilulin,  et  dix-huit 
autres,  martyrs,  cités  par  les  quatre  apographes  du  martyrologe  de  saint  Jérôme,  et  par  Eusèbe 
qui  décrit  sommairement  leur  martyre.  202.  Chez  les  Grecs,  saint  Macédoine  et  deux  saints 
enfants,  martyrs  ;  saint  Lucien  et  saint  Paul,  médecin,  confesseurs,  cités  par  un  vieux  synaxaire 
manuscrit  de  Dijon.  Macédoine  eut  les  pieds  et  les  mains  coupés  ;  les  deux  enfants  furent  attachés 
à  une  croix  ;  Lucien  et  Paul  moururent  en  prison  avant  le  jour  fixé  pour  leur  supplice.  —  Les 
saints  martyrs  Ponlaraius,  Némèse,  Secondin  et  Maxime,  dont  on  trouve  les  noms  dans  un  marty- 
rologe du  Mont-Cassin,  mais  dont  le  pays  est  totalement  inconnu.  —  A  Scylhopolis,  en  Palestine, 
la  fête  de  soixante-dix  Martyrs,  indiquée  par  un  synaxaire  de  Dijon,  mais  dont  les  noms  nous  sont 
inconnus,  —  En  Galatie,  la  fête  de  trois  martyrs  qui  moururent  par  le  glaive.  —  Dans  le  land- 
graviat  de  Desse,  saint  Ileimerad,  prêtre.  Ses  vertus,  qui  brillaient  aux  yeux  de  tout  le  monde,  le 
firent  haïr  dans  son  pays  encore  idolâtre.  Il  vint  alors  à  Borne  et  visita  le  tombeau  des  Apôtres  ; 
il  parcourut  ensuite  tous  les  lieux  saints  de  Jérusalem.  Dans  ces  occasions,  il  était  accompagné  d'un 
ami  fidèle  qui  faisait  l'office  de  Marthe  et  pourvoyait  aux  besoins  du  voyage  pendant  que  notre 
Saint  se  livrait  à  la  contemplation  à  l'exemple  de  Marie.  La  plus  grande  partie  des  aumônes  qu'il 
recevait,  il  les  distribuait  sur-le-champ  aux  pauvres  qu'il  rencontrait  sur  son  chemin.  Son  compa- 
gnon s'en  plaignait  et  lui  disait  quelquefois  :  «Maître,  que  mangerons-nous  aujourd'hui  ?  11  y  a  si 
peu  de  provisions  que  je  crains  qu'il  nous  faille  jeûner  demain  ».  Et  le  Saint  répondait  :  «  Eh 
bien  I  jeûnons  aujourd'hui  »,  et  tous  les  jours  il  faisait  la  même  réponse.  11  entra  dans  plusieurs 
monastères,  mais,  comme  il  n'y  trouvait  pas  la  vie  assez  édifiante  à  son  gré,  il  en  sortit.  Partout  il 
eut  il  souffrir  de  la  part  des  hommes  qui,  ne  pouvant  comprendre  tant  de  vertu,  prenaient  notre 
Saint  pour  un  halluciné.  Il  eut  même  à  subir  des  traitements  assez  durs  de  la  part  de  saint  Mein- 
verck  et  de  sainte  Cunégonde  qui,  sous  l'écorce  grossière  du  voyageur,  ne  distinguaient  pas  encore 
l'àme  si  belle  qui  faisait  les  délices  de  Dieu.  Il  mourut  en  Westphalie,  prédit  le  jour  de  sa  mort, 
et  annonça  qu'un  monastère  s'élèverait  à  l'endroit  où  il  rendrait  son  âme  à  Dieu.  Ses  prédic- 
tions se  réalisèrent.  Nombre  de  miracles  illustrèrent  son  tombeau.  1019.  —  A  Nicomédie,  saint 
Serge,  maître  de  la  milice,  fondateur  du  monastère  de  Nicétiate,  au  fond  de  l'ancien  golfe  de 
Nicomédie  (golfe  actuel  d'Isaikmid).  ix'  s. 


Vies  des  Saints.  —  Tome  VIL  26 


402  23  JUIN. 


f  F  r  K 


SAINT  IRENEB,  EYEQUE  DE  LYOïN, 

DOCTEUR  DE  L'ÉGLISE  ET  MARTYR 
120-202.  —  Papes  :  Saint  Sixte  P'  ;  saint  Zéphirin.  —  Empereurs  :  Adrien;  Septime  Sévère. 

Beatissimus  Irxneus,  Photini  successor  martyris,  qui 
a  beato  Polycarpo  Luydunensem  ad  urbem  directus 
est,  admirabili  virtute  enituit. 

Irénée,  successeur  du  martyr  saint  Pothin,  donné 
pour  cVêque  à  la  ville  de  Lyon  par  le  blenh'tureiix 
Polycarpc,  m'apparaît  avec  une  brillante  auréole 
de  vertus. 

S.  r,r(5g.  Tiir.'v.  .  /7r'  .  i,  27, 

Saint  Irénée  naquit  vers  l'an  120  de  Jésus-Christ  ;  il  était  grec  et,  selon 
toutes  les  apparences,  de  l'Asie-Mineure,  où  il  passa  ses  premières  années. 
Ses  parents,  qui  étaient  chrétiens,  le  mirent  sous  la  conduite  de  saint  Poly- 
carpe,  évêque  de  Smyrne,  qui  l'éleva  avec  une  tendresse  paternelle  dans 
l'amour  du  Seigneur  et  la  pratique  de  sa  loi.  Le  jeune  Irénée,  cultivé  par 
des  mains  si  habiles,  croissait  dans  l'innocence,  au  milieu  des  exemples  de 
vertu  que  lui  donnait  aussi  la  florissante  chrétienté  de  Smyrne. 

Saint  Irénée  avait  conçu  pour  saint  Polycarpe  une  vénération  si  pro- 
fonde, que,  peu  content  de  se  pénétrer  de  sa  doctrine  et  de  son  esprit,  il 
étudiait  toutes  ses  actions,  observant  avec  soin  jusqu'à  son  pas  et  sa  dé- 
marche. Il  partagea  tout  son  jeune  âge  entre  la  pratique  de  la  vertu,  la  mé- 
ditation des  saintes  Ecritures  et  l'étude  des  traditions  apostoliques.  A  l'école 
de  saint  Polycarpe,  il  croissait  en  grâce  et  en  sagesse  ;  ses  heureuses  dispo- 
sitions et  sa  piété  excitaient  une  admiration  générale  au  milieu  d'une  Eglise 
dont  les  vertus  étaient  pourtant  si  admirables.  La  loi  du  Seigneur  avait  pour 
lui  de  si  puissants  attraits,  qu'il  ne  pouvait  se  lasser  de  l'entendre  ou  d'en 
parler.  Lorsqu'il  n'assistait  pas  aux  leçons  du  saint  évêque  de  Smyrne,  ou 
qu'il  ne  pouvait  pas  s'entretenir  avec  lui,  il  allait  trouver  les  hommes  les 
plus  respectables  de  cette  chrétienté,  mais  surtout  les  vieillards  qui  avaient 
eu  le  bonheur  de  voir  et  d'entendre  les  Apôtres  ;  il  les  priait  de  leur  raconter 
ce  qu'ils  en  avaient  appris  ;  et  ces  récits  ne  se  gravaient  pas  moins  profon- 
dément dans  son  cœur  que  les  instructions  de  saint  Polycarpe. 

Dans  les  ouvrages  qu'il  nous  a  laissés,  il  parle  souvent,  sans  le  nommer, 
d'un  saint  vieillard  qui  lui  avait  donné  l'explication  de  quelques  passages 
difficiles  de  l'Ecriture.  Il  cite  Papias,  évêque  d'Hiéropolis,  qu'il  avait  pu  voir 
et  entendre  à  Smyrne,  lorsque  celui-ci  venait  conférer  avec  saint  Polycarpe 
des  affaires  de  la  religion.  (C'est  sans  doute  ce  qui  a  fait  dire  à  saint  Jérôme 
que  saint  Irénée  avait  été  disciple  de  Papias.)  Il  fait  aussi  mention  de  plu- 
sieurs autres  disciples  des  Apôtres  qui  lui  avaient  parlé  de  Jésus-Christ  et  de 
la  gloire  de  ses  élus  après  la  résurrection. 

Irénée,  dans  les  desseins  de  la  Providence,  était  destiné,  en  quelque 
sorte,  à  lier  les  temps  des  Apôtres  au  siècle  qui  devait  les  suivre  ;  et  le  Sei- 
gneur lui  réservait  la  gloire  de  transmettre  aux  âges  postérieurs  les  tradi- 
tions apostoUques,  et  de  marcher  à  la  tête  de  cette  suite  imposante  de  dé- 
fenseurs dont  l'Eglise  ne  devait  jamais  manquer.  Aussi  Dieu,  dont  la  sagesse 


SAINT   IRENÉE,    ÉVÊQUE   DE  LYON.  403 

proportionne  toujours  les  moyens  aux  fins  qu'il  se  propose,  avait-il  inspiré 
à  notre  Saint,  pour  la  doctrine  et  la  gloire  de  Jésus-Christ,  un  amour  qui, 
dès  son  enfance,  absorba  son  âme  tout  entière. 

Polycarpe,  interprète  fidèle  de  la  volonté  divine,  envisageait  avec  un 
extrême  plaisir  les  progrès  que  faisait  son  jeune  disciple  dans  les  connais- 
sances propres  de  sa  vocation  :  il  l'aimait  tendrement;  sa  joie  était  de  le 
voir  digne  des  complaisances  du  Seigneur,  et  aimé  de  toute  la  chrétienté. 
Le  saint  évoque  de  Smyrne  n'attendit  pas  qu'Irénée,  en  qui  la  sagesse  et 
la  piété  prévenaient  les  années,  eût  atteint  l'âge  ordinaire  pour  l'aduieltre 
dans  les  rangs  de  la  hiérarchie  ecclésiastique.  11  lui  conféra  successivement 
tous  les  ordres  jusqu'au  diaconat.  La  dignité  de  diacre  imposait  alors  des 
obligations  nombreuses  et  difliciles.  Irénée  les  comprit  et  les  remplit  toutes 
avec  cet  esprit  de  foi  et  de  piété  qui  doit  toujours  présider  au  ministère 
évangélique.  Il  assistait,  au  saint  sacriûce,  les  ministres  des  autels,  veillait 
à  l'ordre  des  cérémonies,  exhortait  le  peuple  à  la  prière,  lui  prêchait  la  pa- 
role du  salut,  lui  distribuait  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  appelait  sur 
lui  la  paix  et  les  bénédictions  du  Seigneur  et  le  renvoyait  édifié  et  consolé  ; 
il  recueillait  les  aumônes  des  fidèles  et  allait  ensuite  les  distribuer,  au  nom 
de  Jésus-Christ,  aux  indigents,  aux  veuves,  aux  orphelins,  aux  infirmes  et 
surtout  aux  saints  confesseurs  détenus  dans  les  fers  pour  la  cause  de  la  foi  ; 
avec  les  soulagements  corporels,  il  leur  donnait  toujours  les  consolations 
de  la  religion,  ranimait  leur  courage,  relevait  leurs  espérances,  leur  prê- 
chait et  leur  inspirait  l'amour  du  divin  Maître.  Il  s'informait  des  besoins  de 
l'Eglise,  en  avertissait  l'évêque,  duquel  il  recevait  avec  joie  la  mission  d'y 
subvenir.  Alors  parcourant  la  chrétienté,  il  portait  en  tous  lieux  les  avis  ou 
les  exhortations  de  Polycarpe,  mettait  tous  les  enfants  en  rapport  avec  le 
père  ;  entretenait  parmi  tous  l'esprit  de  paix,  d'union  et  de  charité  ;  il  rele- 
vait les  uns  de  leur  chute,  empêchait  les  autres  de  tomber,  et  ranimait  ou 
maintenait  partout  la  ferveur.  Son  zèle  répondait  à  la  sollicitude  de  Poly- 
carpe ;  ce  respectable  prélat  se  reposait  sur  le  jeune  et  saint  lévite  de  ses 
soins  paternels,  l'admettait  aux  aflaires  les  plus  épineuses  de  son  Eglise,  et 
lui  en  confiait  de  très-importantes. 

Dans  toutes  ces  circonstances,  Irénée  déploya  des  vertus  et  des  talents 
qui  promirent  un  apôtre  à  la  religion.  Obligé  d'instruire  les  fidèles  et  de  les 
prémunir  contre  les  pièges  de  l'erreur,  il  dut  faire  briller  alors  la  profonde 
connaissance  qu'il  avait  acquise  des  saintes  Ecritures  et  des  sciences  pro- 
fanes. Il  avait  étudié  les  premières  par  goût  et  avec  amour  ;  les  autres,  par 
nécessité.  Saint  Ignace  et  saint  Polycarpe  exhortaient  les  chrétiens  â  fermer 
les  oreilles  aux  perfides  insinuations  des  hérétiques  et  des  impies,  qui  cher- 
chaient à  leur  ravir  le  trésor  de  la  foi.  Ces  doclcurs  de  mensonge  se  multi- 
pliaient alors  d'une  manière  effrayante,  se  répandaient  dans  toute  l'Asie  et 
s'eiTorçaient  de  semer  l'erreur  dans  les  chrétientés  les  plus  florissantes.  Une 
colonie  de  ces  hérétiques  observant  le  cours  des  conquêtes  de  la  religion, 
la  poursuivit  jusque  dans  les  Gaules,  où  celle-ci  venait  de  s'introduire.  Le 
commerce  fréquent  entre  les  villes  maritimes  de  l'Occident  et  celles  de 
l'Asie-Mineure,  les  lettres  grecques  enseignées  dans  les  nombreuses  écoles 
de  la  Gaule  méridionale,  des  peuplades  entières  de  négociants  asiatiques 
établis  dans  ces  mêmes  contrées,  étaient  autant  de  circonstances  qui  favo- 
risaient les  pernicieux  projets  de  ces  séducteurs  ;  ils  ne  le  comprirent  que 
trop  ;  ils  partirent  donc  en  grand  nombre  de  l'Asie,  débarquèrent  dans  les 
ports  Phocéens  de  la  Méditerranée,  et  remontant  le  Rhône  jusqu'à  Lyon, 
la  Garonne  jusqu'à  son  embouchure,  la  Saône  jusqu'aux  Vosges,  répan- 


404  28  JUIN. 

daient  la  peste  de  leurs  erreurs  dans  les  pays  qu'arrosent  ces  fleuves  et  dans 
les  villes  voisines. 

En  attendant  qu'il  fût  donné  à  Irénée  de  venir  combattre  l'hérésie  dans 
l'Occident,  il  la  repoussait  dans  l'Orient  et  en  préservait  l'Eglise  deSmyrne. 
La  méditation  de  l'Ecriture  sainte,  la  lecture  assidue  des  épîtres  des  Apôtres, 
de  saint  Ignace  et  des  autres  hommes  apostoliques  du  même  temps,  les  leçons 
et  l'exemple  de  saint  Polycarpe,  lui  avaient  inspiré  un  amour  ardent  pour  la 
foi  et  la  gloire  de  Jésus-Christ,  et  une  horreur  souveraine  pour  l'hérésie,  qui 
voulait  corrompre  et  altérer  la  doctrine  de  l'Evangile.  Dans  le  désir  et  l'in- 
tention de  défendre  celle-ci  et  de  combattre  celle-là,  saint  Irénée  avait  fait 
une  étude  particulière  des  systèmes  nombreux  du  gnosticisme  :  il  avait  pé- 
nétré avec  dégoût,  mais  avec  dévouement,  dans  le  chaos  des  fables  du  paga- 
nisme et  dans  le  dédale  des  erreurs  de  l'hérésie.  L'étude  du  paganisme  et  des 
hérésies  lui  parut  nécessaire  ;  dès  lors,  il  ne  balança  pas  de  faire  à  l'Evangile 
le  sacrifice  de  ses  répugnances  et  de  ses  dégoûts  pour  lui  faire  plus  sûrement 
celui  de  l'erreur.  Semblable  à  un  général  qui  examine  le  fort  et  le  faible  d'une 
place  dont  il  médite  le  siège,  il  explora  attentivement  les  camps  ennemis 
qu'il  devait  attaquer  ;  il  acquit  une  connaissance  si  étendue  et  si  exacte  des 
systèmes  des  hérétiques,  des  théogonies  des  païens,  des  ouvrages  de  leurs 
poètes,  de  leurs  orateurs,  de  leurs  philosophes  et  de  leurs  livres  prétendus 
sacrés,  qu'il  pouvait  indiquer  aux  sectaires  les  sources  honteuses  d'oij  ils 
avaient  tiré  leurs  mensonges  et  leurs  rêveries  ;  il  prouvait,  en  effet,  aux  Va- 
lentiniens  qu'ils  avaient  emprunté  leurs  maximes  et  leurs  principes  d'Anti- 
phane,  de  Thaïes,  d'Anaximandre,  d'Anaxagore,  de  Démocrite,  d'Empé- 
docle,  d'Epicure,  d'Hésiode,  des  Stoïciens,  des  Cyniques,  des  Péripatéticiens, 
des  Pythagoriciens  ;  il  leur  montrait  les  passages  de  ces  auteurs  qu'ils  avaient 
tronqués  ou  forcés  pour  les  accommoder  à  leurs  imaginations,  que  telle  partie 
de  leur  système  était  calquée  sur  tel  endroit  d'un  auteur  ancien  qu'il  leur 
citait.  Aussi  les  vastes  connaissances  qu'Irénée  s'était  acquises  pour  la  gloire 
de  Jésus-Christ,  n'ont-elles  pas  moins  excité  l'admiration  des  saints  Pères, 
que  ses  vertus,  ses  talents  et  son  génie  :  TertuUien,  qui  a  puisé  dans  les  ou- 
vrages de  notre  Saint,  le  fond  de  son  livre  contre  les  Valentiniens,  l'appelle 
un  homme  versé  dans  toutes  les  sciences.  Saint  Epiphane  nous  le  représente 
s'avançant  noblement  au  combat,  environné  des  lumières  de  la  foi  et  de  tous 
les  secours  de  la  science.  Saint  Ephrem  trouve  de  la  magnificence  dans  sa 
doctrine  ;  elle  apparaît  comme  un  flambeau  lumineux  à  Théodoret,  qui 
s'appuie  souvent  de  l'autorité  de  ce  docteur  admirable  ;  en  un  mot,  toute 
l'antiquité  sacrée  a  parlé  d'Irénée  comme  d'un  saint  également  versé  dans 
les  sciences  divines  et  humaines,  et  a  loué  le  noble  usage  qu'il  fît  de  ses 
talents,  dans  toutes  les  circonstances  de  sa  vie.  Il  était  à  peine  admis  dans  la 
hiérarchie  de  l'Eglise,  que  déjà  il  promettait  à  la  religion  un  glorieux  défen- 
seur, et  à  l'hérésie  un  indomptable  adversaire.  En  attendant  que  le  temps 
fût  arrivé  de  l'opposer  aux  ennemis  de  l'Eglise,  la  Providence  l'avait  mis  à 
l'école  du  zèle  et  de  la  vertu,  et  Irénée,  toujours  fidèle  à  la  volonté  de  son 
Dieu,  travaillait  à  la  gloire  de  Jésus-Christ  dans  le  cercle  de  ses  attributions. 

Le  zèle  d'Irénée  s'enflammait  d'une  nouvelle  ardeur  lorsqu'il  voyait  par- 
tir de  Smyrne  les  missionnaires  que  Polycarpe  envoyait  dans  les  Gaules  ; 
mais  le  moment  marqué  par  la  Providence  n'étant  pas  encore  arrivé,  Irénée 
continua  à  faire  l'édification  de  la  chrétienté  de  Smyrne,  à  remplir  les  fonc- 
tions que  lui  confia  saint  Polycarpe,  à  se  préparer  aux  desseins  du  Seigneur 
et  à  désirer  dans  la  praligue  de  toutes  les  vertus  le  jour  ovi  il  voudrait  bien 
disposer  de  lui. 


SAINT  IRÉNÉE,   ÉVÊQUE  DE  LYON.  405 

L'Eglise  de  Lyon,  qui  avait  à  sa  tête  saint  Pothin,  dont  les  forces,  affai- 
blies par  l'âge,  les  travaux  et  les  infirmités,  servaient  mal  l'ardeur  de  son 
zèle,  réclama  bientôt  de  nouveaux  secours.  Saint  Pothin  fît  connaître  à 
saint  Polycarpe  l'état  de  son  peuple  et  le  pria  de  s'intéresser  à  la  conserva- 
tion d'une  Eglise  qui  lui  devait  de  si  heureux  commencements. 

Saint  Irénée,  que  la  Providence  avait  destiné  à  cette  mission,  avait  reçu  du 
ciel  des  signes  de  vocation  auxquels  son  saint  maître  ne  resta  point  étranger. 
Il  était  alors  dans  la  force  de  l'âge,  nourri  des  divines  Ecritures,  habile  dans 
les  lettres  humaines,  parfait  dans  la  pratique  de  toutes  les  vertus,  et  réu- 
nissait en  lui  toutes  les  qualités  qu'exigeaient  les  besoins  de  la  chrétienté 
lyonnaise. 

Les  Gnostiques,  partis  d'Asie  presque  en  même  temps  que  Pothin,  susci- 
taient au  saint  missionnaire  les  plus  sérieux  obstacles;  déjà  ils  infectaient 
de  leurs  erreurs  les  contrées  qu'arrose  le  Rhône  ;  leurs  prestiges 'et  la  cor- 
ruption de  leur  morale  leur  faisaient  un  grand  nombre  d'adeptes,  surtout 
parmi  les  personnes  du  sexe.  Les  païens,  incapables  de  distinguer  la  véri- 
table Eglise  d'une  secte  qui  se  donnait  aussi  le  titre  de  chrétienne,  pou- 
vaient confondre,  comme  ils  confondirent  en  effet,  l'une  avec  l'autre,  et 
accuser  les  catholiques  des  turpitudes  et  des  erreurs  des  Gnostiques.  Les 
avantages  de  l'hérésie  étaient  autant  de  pertes  pour  la  vérité,  et  si  celle-là 
parvenait  à  établir  son  règne  à  Lyon,  celle-ci  en  allait  être  exclue  peut-être 
pour  toujours.  Il  importarit  donc  aux  prédicateurs  de  l'Evangile  de  triom- 
pher, dès  les  premiers  temps,  d'un  ennemi  qui  travaillait  à  les  supplanter 
dans  leur  nouvelle  conquête. 

Saint  Polycarpe  mesura  la  grandeur  du  besoin  de  sa  mission  chérie  et  fut 
effrayé  du  danger  qu'elle  courait.  Il  comprit  qu'il  lui  fallait  un  homme  ca- 
pable d'arrêter  l'erreur  et  de  propager  la  vérité  ;  un  homme  qui,  par  sa 
science,  pût  réduire  les  sectaires  au  silence,  gagner  de  nouveaux  disciples  à 
Jésus- Christ  et  édifier  les  fidèles  par  ses  vertus.  La  mission  était  grande  et 
difficile,  mais  elle  n'était  point  au-dessus  d'Irénée  ;  ce  fut  sur  lui  que  se  fixa 
le  choix  de  saint  Polycarpe.  Ce  vénérable  vieillard  aima  mieux  se  séparer 
d'un  disciple  si  cher  et  priver  son  Eglise  d'un  si  ferme  appui,  que  de  laisser 
le  flambeau  de  la  foi  s'éteindre  dans  les  Gaules,  au  souffle  de  l'erreur.  Il 
aurait  craint,  d'ailleurs,  de  s'opposer  à  une  vocation  que  Dieu  lui  avait  ma- 
nifestée par  tant  de  signes  éclatants.  Il  l'envoya  donc  où  l'appelait  l'esprit 
de  Dieu,  et  lui  adjoignit  des  collaborateurs  capables  de  seconder  son  zèle  et 
de  partager  ses  travaux.  L'amour  de  saint  Irénée  pour  Jésus-Christ  et  pour 
la  religion  nous  donnera  la  mesure  de  la  joie  et  du  bonheur  qu'il  dut  éprou- 
ver lorsque  saint  Polycarpe  lui  imposa  cette  importante  mission.  Il  la  reçut 
avec  autant  de  respect  que  si  le  Seigneur  en  personne  la  lui  eût  donnée,  et 
il  ne  pensa  plus  qu'à  la  remplir. 

L'arrivée  de  saint  Irénée  et  de  ses  compagnons  à  Lyon  fut,  pour  la  chré- 
tienté de  cette  ville,  l'aurore  d'un  heureux  avenir.  Saint  Pothin  accueillit 
avec  des  transports  de  joie,  et  bénit  au  nom  du  Seigneur  les  apôtres  que  le 
ciel  envoyait  à  son  aide.  Son  bonheur  passa  ses  espérances,  lorsqu'il  eut 
connu  tout  le  mérite  d'Irénée  ;  car,  à  peine  arrivé  dans  le  champ  où  l'avait 
«envoyé  le  père  de  famille,  ce  nouvel  ouvrier  se  mit  à  le  cultiver  avec  une 
ardeur  qui  lui  donna  une  nouvelle  fécondité  ;  son  zèle,  sa  science,  son 
amour  pour  la  paix  et  le  don  qu'il  avait  de  la  maintenir  partout,  faisaient 
l'édification  de  ses  frères  et  le  bonheur  de  cette  Eglise  naissante.  Ce  fut  alors 
que  saint  Pothin  éleva  le  jeune  apôtre  au  sacerdoce.  Irénée  honora  son  au- 
guste caractère  par  une  piété  plus  ardente,  un  zèle  plus  actif;  d'autant  plus 


406  28  JUIN. 

confondu  de  cette  dignité,  qu'il  en  connaissait  mieux  la  grandeur  et  les 
obligations,  il  redoubla  d'efl'orts  pour  remplir  les  vues  et  correspondre  aux 
bontés  du  Seigneur.  Se;  vertus  alors  brillèrent  d'un  si  vif  éclat  qu'elles  atti- 
rèrent sur  lui  la  vénération  publique,  et  qu'on  lui  donnait  communément 
le  titre  de  zélateur  du  nouveau  Testament  :  et  lorsque  la  chrétienté  de  Lyon 
le  députa  à  Rome  pour  les  affaires  de  l'Eglise,  elle  n'allégua  d'autre  titre 
pour  lui  à  la  protection  du  souverain  Pontife,  que  son  zèle  et  sa  sainteté, 
sans  faire  valoir  le  droit  que  lui  donnait  la  dignité  sacerdotale. 

Les  instructions  et  les  exemples  d'irénée  produisaient  des  fruits  heureux 
et  abondants  ;  par  ses  soins,  un  peuple  de  Saints  croissait  sous  les  regards 
satisfaits  de  Pothin  ;  ce  vénérable  vieillard,  déjà  courbé  sous  vingt  années 
d'apostolat,  ne  pouvait  pins  suffire  aux  ardeurs  de  son  zèle;  iï  était  cepen- 
dant encore  l'âme  de  son  Eglise  :  il  dirigeait  tout  par  sa  sagesse  ;  son  peuple 
était  sa  famille,  tous  les  chrétiens  étaient  ses  enfants  ;  tous  le  chérissaient  et 
le  vénéraient  comme  leur  père.  On  eût  dit  la  chrétienté  de  Smyrne  trans- 
portée dans  les  Gaules.  Notre  Saint,  dont  la  modestie  égalait  les  mérites, 
regardait  en  outre  son  évêque  comme  son  oracle,  il  ne  parlait  et  n'agissait 
que  par  ses  ordres  et  d'après  ses  conseils  ;  le  ciel  souriait  à  cette  paix  angé- 
lique  et  bénissait  une  société  si  digne  de  lui.  Saint  Irénée  nous  a  laissé  un 
tableau  touchant  des  vertus  dont  l'Eglise  de  son  temps  offrait  au  monde  le 
spectacle  ravissant,  et  des  miracles  que  Dieu  opérait  alors  dans  son  sein.  Il 
ne  nomme  aucune  Eglise  en  particulier,  mais  parce  qu'il  en  parle  comme 
de  choses  qu'il  avait  vues  de  ses  propres  yeux,  nous  ne  doutons  pas  que 
tout  ce  qu'il  dit  ne  puisse  s'appliquer  à  la  chrétienté  qu'il  édifiait  et  dont 
son  humilité  lui  aura  fait  taire  le  nom.  «  Aux  uns  »,  dit  ce  grand  Saint,  «  le 
Seigneur  dévoile  l'avenir  et  les  charge  d'annoncer  des  événements  que  la 
perspicacité  humaine  ne  peut  prévoir  ;  il  donne  aux  autres  le  pouvoir  de 
chasser  les  démons,  de  guérir  les  maladies  les  plus  invétérées,  et  de  rappeler 
à  la  vie  des  corps  inanimés  ;  des  morts  ressuscites  ont  vécu  longtemps  au 
milieu  de  nous.  A  ceux-ci,  il  accorde  le  don  des  langues;  il  découvre  à 
ceux-là  les  secrets  des  cœurs  ;  rien  ne  paraît  impossible  à  la  vivacité  de  leur 
foi,  à  l'ardeur  de  leurs  prières  ;  Jésus-Christ  ne  refuse  jamais  rien  à  des 
"vœux  qui  sont  formés  pour  sa  gloire  ». 

Dans  le  même  temps,  l'Eglise  d'Asie,  que  celle  de  Lyon  reconnaissait 
pour  sa  mère,  fut  attaquée  par  les  erreurs  des  Montanistes.  Les  fidèles, 
dans  cette  double  affliction,  crurent  qu'ils  devaient  informer  le  Pape  de  ce 
qui  se  passait  chez  eux,  tant  pour  en  recevoir  quelque  consolation,  que 
pour  le  consulter  sur  les  nouvelles  hérésies  de  Montan,  de  crainte  qu'elles 
ne  se  glissassent  dans  leur  Eglise  comme  elles  commençaient  à  faire  en 
celle  d'Asie.  Ils  jugèrent  aussi  qu'il  était  de  leur  devoir  d'écrire  à  leurs 
frères  d'Asie,  pour  les  exhorter  à  persévérer  généreusement  dans  la  foi  ca- 
tholique contre  les  détestables  inventions  des  hérétiques,  qui  tâchaient  de 
les  corrompre.  Le  prêtre  Irénée  fut  choisi  pour  être  le  porteur  de  ces  deux 
importantes  épîtres  :  Pothin,  auquel  s'étaient  joints  quelques  autres  prélats 
des  Gaules,  et  les  saints  confesseurs  prisonniers  étant  persuadés  que  per- 
sonne n'était  plus  capable  que  lui  de  cette  légation.  11  se  rendit  donc  à 
Rome,  vers  le  souverain  pontife  Eleuthère,  qui  venait  de  prendre  le  gou- 
vernement de  l'Eglise,  après  la  mort  de  saint  Soter,  enlevé  dans  la  persé- 
cution de  Marc-Aurèle  ;  il  lui  proposa  ses  doutes  sur  la  nouvelle  doctrine 
des  Montanistes,  et,  après  en  avoir  eu  une  réponse  qui  confirmait  le  juge- 
ment que  les  évoques  des  Gaules  avaient  porté  sur  ces  erreurs,  il  prit  le 
chemin  d'Asie.  Il  est  aisé  de  juger  avec  quelle  joie  il  fut  reçu  des  fidèles  de 


SAINT  IRÉNÉE,   ÉVÉQUE  DE  LYON.  407 

celte  Eglise,  où  il  s'était  déjà  rendu  si  illustre  par  son  érudition.  Il  rassura 
leurs  esprits  contre  les  faux  dogmes  de  Montan,  leur  montra  le  sentiment 
des  Occidentaux,  confirmé  par  l'autorité  du  Saint-Siège,  touchant  ses  er- 
reurs, et  les  exhorta  à  demeurer  fermes  et  inébranlables  dans  la  foi  de 
Jésus-Christ.  Nauclère,  Vincent  de  Beauvais  et  Hugues,  moine  de  Fleury, 
disent  qu'il  se  trouva  à  un  concile  assemblé  dans  la  ville  de  Césarée,  en 
Palestine,  où  la  discipline  ecclésiastique  fut  fortement  établie  contre  les 
maximes  de  cet  hérétique  ;  néanmoins,  le  cardinal  Baronius  croit  qu'il  ne 
fit  pas  ce  grand  voyage  et  qu'il  ne  passa  point  à  Rome.  Quoi  qu'il  en  soit,  il 
est  constant  qu'étant  en  cette  dernière  ville,  il  vit  l'hérésiarque  Valentin 
cassé  de  vieillesse,  et  deux  de  ses  disciples,  Florinus  et  Blastus,  déposés  du 
sacerdoce  par  Eleuthère;  il  les  confondit  dans  les  discussions  qu'il  eut  avec 
eux  et  retira  un  grand  nombre  de  personnes  de  leurs  impiétés. 

Le  démon,  jaloux  de  la  prospérité  toujours  croissante  de  la  chrétienté  de 
Lyon,  suscita  contre  elle  une  violente  persécution.  Tous  ceux  qui  étaient 
intéresses  à  maintenir  le  règne  de  la  superstition,  réveillèrent  l'attention 
des  magistrats,  commencèrent  à  souffler  dans  tous  les  cœurs  la  haine  dont 
ils  étaient  animés,  et  ameutèrent  la  populace  païenne  contre  les  chrétiens  ; 
leur  religion  fut  plus  que  jamais  tournée  en  ridicule  ;  leurs  mœurs  accusées 
d'infamie,  leur  conduite  traitée  d'insubordination  ou  de  désobéissance  aux 
lois  de  l'empire,  et  de  mépris  pour  les  dieux  et  pour  la  religion  nationale. 
Afin  de  rendre  leurs  personnes  odieuses,  on  ins'entait  et  l'on  débitait  chaque 
jour  contre  eux  de  nouvelles  calomnies.  Les  chefs  et  les  principaux  de  la 
chrétienté  étaient  ceux  que  cherchaient  les  traits  les  plus  envenimés  de  la 
haine.  Mais  saint  Pothin  attirait  surtout  les  regards  et  l'attention  des  mi- 
nistres des  faux  dieux.  Les  chrétiens  se  virent  partout  insultés  :  on  les  re- 
poussait des  assemblées  ;  on  les  expulsait  ignominieusement  des  places 
publiques  ;  on  les  huait  dans  les  rues  ;  souvent  même,  des  hommes  de  la  lie 
du  peuple,  préludant  à  la  férocité  des  bourreaux  et  des  bêtes,  les  frap- 
paient, les  poursuivaient  à  coups  de  pierres  ;  des  murmures  menaçants 
s'élevaient  de  toutes  parts  ;  des  anathèmes  terribles  éclataient  dans  la  ville  ; 
des  cris  de  mort  venaient  retentir  aux  oreilles  des  chrétiens,  dès  qu'ils  se 
hasardaient  à  sortir  de  leurs  demeures.  Ces  signes  présagèrent  à  saint 
Pothin  et  à  saint  Irénée  de  sinistres  événements  :  ils  comprirent  que  le 
temps  des  épreuves  était  arrivé.  Pothin  vit  avec  bonheur  s'approcher  le 
moment  désiré  où,  à  l'exemple  des  Apôtres  et  de  son  maître  saint  Poly- 
carpe,  il  devait  donner  sa  vie  à  Jésus-Christ,  et  cimenter  par  son  sang  les 
fondements  de  son  Eglise.  Il  se  reprochait  en  quelque  sorte  les  infirmités  et 
la  faiblesse  de  son  âge,  qui  l'empêchaient  d'aller  se  montrer  à  son  peuple 
et  soutenir  sa  constance  au  milieu  des  maux  qui  le  menaçaient.  Mais  il 
connaissait  le  zèle  et  le  courage  d'Irénée  ;  il  se  reposa  sur  lui  de  sa  sollici- 
tude pastorale.  Irénée,  dont  l'âme  semblait  grandir  à  mesure  que  les  dan- 
gers augmentaient,  exposa  cent  fois  sa  vie  pour  ranimer  la  constance  des 
fidèles  et  les  préparer  au  dernier  sacrifice  que  le  Seigneur  imposait  à  leur 
foi  et  à  leur  amour.  En  effet,  la  populace  païenne,  poussée,  dirigée  par  des 
chefs  altérés  du  sang  des  innocents,  arracha  de  leurs  retraites  les  principaux 
d'entre  les  chrétiens,  massacra  les  uns,  traîna  les  autres  dans  les  prisons, 
d'où  ils  ne  sortirent  que  pour  périr  avec  plus  d'éclat,  et  amuser,  par  leurs 
souffrances,  les  barbares  loisirs  du  peuple  idolâtre. 

Les  magistrats  païens  n'ayant  plus  besoin  de  victimes  humaines  pour 
amuser  le  peuple,  mirent  un  terme  au  massacre  des  chrétiens  de  Lyon.  Ils 
croyaient  avoir  anéanti  le  christianisme,  ou  du  moins  avoir  répandu  parmi 


408  28  JUIN. 

le  reste  des  fidèles  une  telle  épouvante,  que  désormais  ils  n'oseraient  plus 
pratiquer  extérieurement  leur  religion. 

En  effet,  les  colonnes  de  la  chrétienté  de  Lyon  étaient  brisées  :  les  pas- 
teurs avaient  été  frappés  et  leurs  ouailles  dispersées  ou  égorgées  avec  eux. 
Les  fidèles  qui  leur  survivaient,  errant  çà  et  là,  se  dérobaient  comme  ils 
pouvaient  aux  regards  des  loups  ravisseurs.  Le  Seigneur  les  protégeait  ;  de 
même  qu'il  avait  permis  que  la  religion  fût  cimentée  dans  le  monde  par  le 
sang  des  martyrs,  de  même  aussi  il  avait  voulu  que  des  martyrs  fussent  à 
Lyon  les  fondements  d'une  Eglise  qui  devait  dans  la  suite  des  siècles 
donner  tant  de  gloire  à  son  nom. 

Les  païens  avaient  cru  noyer  cette  Eglise  naissante  dans  le  sang  de  ses 
enfants  ;  mais  Irénée  lui  restait  encore  :  c'était  lui  que  le  Seigneur  avait 
chargé  de  cultiver  un  sol  fécondé  par  le  sang  des  martyrs.  Ce  grand  homme 
comprit  toute  l'importance  et  les  difficultés  de  sa  mission  ;  mais  rien  n'ef- 
frayait son  cœur  magnanime.  Son  courage,  toujours  supérieur  aux  obs- 
tacles, croissait  avec  eux  ;  toutefois,  avant  de  mettre  la  main  à  l'œuvre,  il 
crut  devoir  religieusement  obtempérer  aux  dernières  volontés  des  martyrs 
qui  l'avaient  chargé  d'aller  à  Rome,  pour  déposer  aux  pieds  du  souverain 
Pontife  les  peines  qu'avaient  causées  à  ses  plus  fidèles  enfants  les  ravages 
des  nouvelles  hérésies,  et  les  vœux  qu'ils  avaient  formés  pour  la  paix  de 
l'Eglise  et  l'union  de  tous  ses  membres. 

Lorsque  les  Martyrs  confièrent  cette  mission  à  Irénée,  les  circonstances 
semblaient  devoir  les  forcer  de  le  retenir  auprès  d'eux  ;  «  mais  la  chanté 
de  Jésus-Christ  les  pressait».  D'ailleurs,  la  persécution  venait  d'immoler 
leur  père,  et  l'Eglise  de  Lyon  était  sans  pasteur  ;  il  était  urgent  de  lui  en 
donner  un,  et  personne  ne  pouvait  occuper  plus  dignement  qu'Irénée  la 
chaire  de  saint  Pothin.  Ils  l'avaient  donc  député  à  Rome  avec  une  lettre 
particulière  de  recommandation,  dans  laquelle  ils  faisaient  au  saint  pape 
Eleuthère  le  plus  bel  éloge  des  vertus  et  des  qualités  de  celui  qu'ils  avaient 
choisi  pour  premier  pasteur.  «  Nous  avons  chargé  »,  disaient-ils,  a  Irénée, 
notre  frère  et  notre  collègue,  de  vous  porter  ces  lettres.  C'est  un  zélateur 
ardent  du  Testament  de  Jésus-Christ  que  nous  recommandons  à  votre  pater- 
nité. Il  est  aussi  élevé  à  la  dignité  sacerdotale,  et  nous  ferions  encore  valoir 
ce  titre,  si  le  rang  donnait  le  mérite  ».  Il  ne  nous  reste  plus  de  cette  lettre 
qu'un  fragment  conservé  par  Eusèbe;  le  reste  contenait  sans  doute  la  prière 
que  les  saints  Martyrs  faisaient  au  vicaire  de  Jésus-Christ  d'honorer  tant  de 
vertus  de  son  approbation,  et  de  confirmer  leur  choix  en  conférant  à  saint 
Irénée  l'onction  et  la  dignité  épiscopale. 

Une  prière  que  des  martyrs  faisaient  à  un  saint  Pape,  en  faveur  d'un 
saint  prêtre,  ne  pouvait  pas  être  rejetée.  Eleuthère  fut  heureux  d'avoir  à 
préposer  à  la  garde  d'une  partie  du  troupeau  confié  à  ses  soins,  un  pasteur 
si  zélé,  si  vigilant  et  si  habile.  Irénée,  dont  la  modestie  égalait  le  mérite, 
dut  seul  se  plaindre  d'un  rang  qui  allait  le  donner  en  spectacle  à  toute 
.  l'Eglise  ;  mais  c'était  un  honneur  qui  lui  imposait  d'effrayants  sacrifices,  et, 
pour  les  subir,  il  se  résigna  à  la  dignité  épiscopale. 

L'occupation  de  notre  Saint,  dès  qu'il  se  vit  sur  la  chaire  épiscopale,  fut 
de  recueillir,  pour  ainsi  dire,  les  tristes  débris  de  ce  naufrage,  de  ramasser 
ses  ouailles  dispersées  et  de  fortifier  ceux  que  la  rage  des  tyrans  avait 
épouvantés,  afin  de  faire  refleurir  la  foi  et  la  piété  avec  encore  plus  d'éclat 
qu'auparavant.  Il  n'épargna  rien  pour  venir  à  bout  d'une  si  sainte  entre- 
prise :  ses  paroles,  ses  exemples,  ses  conseils,  sa  science,  furent  les  moyens 
dont  il  se  servit  pour  la  faire  réussir.  En  effet,  il  fit  tant  par  ses  prières,  par 


SAINT  IRÉNÉE,  ÉVÊQUE  DE  LYON.  'iOQ 

SCS  prédications,  par  ses  exhortations,  par  ses  remontrances  et  par  ses  répri- 
mandes, employant  d'abord  la  douceur  et  la  persuasion,  comme  parle  l'Apôtre, 
qu'il  encouragea  les  timides,  ramena  les  dévoyés,  fortifia  les  faibles,  et  enfin 
rendit  les  fidèles  de  l'Eglise  de  Lyon  des  modèles  de  vertu  ;  de  sorte  que 
nous  pouvons  dire  que  leur  candeur,  leur  retenue  dans  leurs  paroles,  leur 
douceur,  la  sévérité  et  l'innocence  de  leur  vie,  leur  charité  pour  leurs  en- 
nemis et  leurs  plus  grands  persécuteurs,  leur  patience  dans  les  injures,  leur 
fidélité  dans  le  commerce,  leur  éloignement  de  toute  ambition,  leur  pau- 
vreté, leur  chasteté,  leur  tempérance,  et,  en  un  mot,  la  sainteté  visible, 
constante  et  uniforme  de  leur  vie,  ne  contribuèrent  pas  peu  à  confondre  les 
adversaires  de  la  religion  chrétienne  et  à  établir  la  doctrine  de  Jésus-Christ. 

Les  mômes  signes  avant-coureurs  qui  avaient  précédé  la  première  tem- 
pête, en  présagèrent  bientôt  une  seconde.  Les  chrétiens  de  Lyon  furent  de 
nouveau  soumis  à  une  surveillance  tracassière,  exposés  aux  calomnies,  aux 
délations  de  leurs  ennemis,  et  enfin  traqués  dans  leurs  paisibles  retraites. 
Le  feu  de  la  dernière  persécution,  qui  n'avait  jamais  été  entièrement  éteint, 
se  ralluma  de  nouveau,  et  les  violences  recommencèrent.  Irénée  l'avait 
prévu  ;  il  savait  que  son  ouvrage  n'était  pas  celui  de  l'homme,  et  que  Dieu 
voulait  encore  des  victimes  qui  fussent  comme  le  gage  de  la  grandeur  fu- 
ture de  son  Eglise. 

Le  sang  des  Martyrs  coula  de  nouveau  à  flots  ;  mais  Dieu,  qui  se  rit  des 
projets  et  des  efforts  des  princes  et  des  peuples  conjurés  contre  lui  et  contre 
son  Christ,  fit  cesser  la  tempête,  qu'il  n'avait  permise  que  pour  sa  gloire  et 
celle  de  son  Eglise.  D'ailleurs,  il  destinait  Irénée  à  des  travaux  qui  exigeaient 
le  calme  et  la  paix  :  il  devait  l'opposer  à  des  troupes  d'adversaires  dont  on 
ne  triomphait  pas  en  mourant.  La  persécution  finit  donc  avec  le  règne  et 
la  vie  de  Marc-Aurèle.  Ce  prince,  coupable  de  tous  les  excès  que  ses  offi- 
ciers exercèrent  contre  les  chrétiens,  quoiqu'il  ne  les  eût  pas  tous  com- 
mandés, s'était  vu  de  nouveau  forcé  de  prendre  les  armes  contre  les  in- 
domptables Marcomans  :  il  était  déjà  parvenu  dans  leur  pays,  lorsque,  se 
sentant  attaqué  d'une  maladie  grave,  il  se  refusa  toute  nourriture  et  se  fit 
mourir  de  faim.  Marc-Aurèle  a  laissé  après  lui  la  réputation  d'un  stoïcien 
vaniteux  jusqu'au  ridicule  et  à  la  bassesse,  égoïste  jusqu'à  la  cruauté,  aus- 
tère et  fataliste  dans  ses  maximes,  inconséquent  dans  sa  conduite.  Mauvais 
époux,  père  négligent,  monarque  bizarre,  il  ne  régnait  que  pour  lui,  et 
toute  son  ambition  était  d'obtenir  l'estime  ou  les  flatteries  du  philosophisme. 

Commode,  ayant  succédé  à  Marc-Aurèle,  décédé  le  17  mars  de  l'an  181, 
l'Eglise  commença  à  jouir  des  douceurs  de  la  paix.  Ce  prince,  que  Rome 
regarda  comme  un  second  Néron,  n'avait,  il  est  vrai,  ni  piété  pour  ses 
dieux,  ni  respect  pour  les  lois  de  la  nature  les  plus  inviolables,  ni  fidélité 
pour  ses  amis,  ni  égard  à  l'innocence  et  au  mérite  des  hommes  ;  il  épargna 
cependant  le  sang  des  chrétiens.  Dieu  voulant  se  servir  de  sa  tyrannie  pour 
chdlior  ceux  qui,  sous  le  règne  de  son  père,  les  avaient  si  cruellement  traités. 

Irénée  comprit  les  devoirs  et  les  avantages  que  ce  calme  donnait  à  son 
zèle  ;  pour  le  mettre  à  profit,  il  n'épargna  ni  veilles  ni  sacrifices  :  sa  vie  fut 
un  dévouement  de  tous  les  jours  :  nul  repos  lui  paraissait  légitime.  Plein 
d'admiration  pour  l'illustre  Polycarpe,  son  maître,  il  avait  le  souvenir  ou 
plutôt  le  cœur  rempli  de  ses  vertus,  et  il  en  reproduisait  dans  sa  conduite 
les  admirables  exemples.  Lorsque  le  caractère  épiscopal  lui  eut  donné  avec 
son  maître  vénéré  une  ressemblance  de  plus,  il  s'eQ"orça  aussi  d'imiter,  dans 
l'administration  de  son  Eglise,  un  modèle  formé  lui-même  à  l'école  du  dis- 
ciple qui  avait  reposé  sur  le  cœur  de  Jésus-Christ.  Aussi  remarque- t-on, 


410  28  JUIN. 

dans  le  caractère  et  la  conduite  de  saint  1  renée,  les  grandes  qualités  qu'a- 
vaient déployées  l'apôtre  saint  Jean  et  saint  Polycarpe  son  disciple  ;  toutes 
celles  de  ses  actions  dont  l'histoire  nous  a  conservé  le  souvenir,  révèlent 
une  douceur  inaltérable,  une  charité  ardente  pour  Dieu  et  pour  le  pro- 
chain, le  môme  amour  de  la  paix,  une  fermeté  inébranlable,  un  courage 
héroïque.  Il  savait  que  sa  nouvelle  dignité  le  mettait  en  quelque  sorte  à  la 
disposition  de  tous,  et  donnait  à  chacun  des  droits  à  son  zèle  ;  il  s'enchaî- 
nait donc  au  bien  et  aux  besoins  de  tous.  Le  ciel  répandit  des  bénédictions 
abondantes  sur  des  travaux  entrepris  pour  sa  gloire  et  poursuivis  avec  tant 
de  dévouement.  Irénée  voyait  chaque  jour  venir  se  ranger  autour  de  lui,  à 
l'ombre  de  la  croix,  un  grand  nombre  d'infidèles  qui,  ne  pouvant  résister  à 
l'ascendant  de  ses  vertus  ni  à  la  force  de  ses  instructions,  désertaient  les 
autels  des  faux  dieux  et  grossissaient  les  rangs  des  chrétiens.  Les  conver- 
sions furent  si  nombreuses,  que  lorsque,  un  peu  plus  tard,  l'empereur  Sé- 
vère voulut  détruire  dans  Lyon  la  religion  chrétienne,  il  fut  obligé  de  faire 
périr  presque  toute  la  population  de  cette  grande  cité. 

Le  zèle  d'Irénée  ne  se  bornait  point  à  son  Eglise.  Le  paganisme  régnait 
encore  dans  l'empire,  et  le  gnosticisme  tentait  partout  d'arracher  à  l'Evan- 
gile ses  nouvelles  conquêtes.  Cependant  la  Providence  et  l'amour  de  son 
peuple  tenaient  notre  Saint  fixé  à  ce  poste,  et  il  ne  pouvait  l'abandonner 
pour  voler  partout  où  il  y  avait  des  ennemis  à  combattre.  Il  s'efforça  donc 
de  se  multiplier  dans  ses  disciples,  et  suscita  au  paganisme  et  à  l'hérésie  des 
adversaires  redoutables,  qui  allaient  en  son  nom  les  attaquer  et  les  com- 
battre sur  tous  les  points. 

C'est  pourquoi,  sans  cesser  de  se  dévouer  à  son  peuple,  Irénée  donna 
une  attention  particulière  au  clergé  de  son  Eglise,  à  l'imitation  du  grand 
évoque  de  Smyrne,  dont  le  clergé  avait  toujours  été  un  séminaire  d'apôtres. 
L'exemple  de  ses  vertus,  l'éclat  de  ses  lumières,  les  leçons  de  son  expé- 
rience, formèrent  au  sanctuaire  des  ministres  dignes  de  leurs  hautes  fonc- 
tions et  conformes  à  l'idée  qu'il  s'était  faite  de  la  sainteté  de  leur  état. 

Sous  l'inspiration  de  l'illustre  docteur,  Lyon  devint  en  Occident  ce 
qu'avait  été  Smyrne  en  Orient,  le  foyer  de  la  tradition,  le  gymnase  où  l'or- 
thodoxie se  fortifia  par  la  discussion  des  doctrines,  par  la  lutte  contre  l'hé- 
résie. On  y  vint  de  tous  les  points  du  monde  chrétien,  et  il  s'y  forma  des 
docteurs  célèbres  à  leur  tour,  qui,  s'appuyant  sur  les  enseignements 
d'Irénée,  entourèrent  ce  nom  du  vif  et  pieux  souvenir  dont  Irénée  lui- 
même  avait  entouré  le  nom  de  ses  maîtres. 

La  ville  de  Valence,  située  sur  les  bords  du  Rhône,  au-dessous  de  Lyon, 
fixa  la  première  l'attention  d'Irénée  ;  le  commerce  y  avait  attiré  plusieurs 
familles  de  négociants  asiatiques.  La  voix  des  premiers  prédicateurs  de 
l'Evangile  n'y  avait  que  faiblement  retenti  jusqu'alors,  ainsi  que  dans  les 
autres  parties  des  Gaules.  Le  paganisme  y  régnait  sans  rival,  et  le  gnosti- 
cisme accouru  de  l'Orient,  loin  de  lui  donner  de  l'inquiétude,  lui  aidait  au 
contraire  à  détruire  dans  ce  pays  les  traces  qu'aurait  pu  laisser  le  passage 
de  la  religion.  Mais  leur  empire  ne  pouvait  ni  s'établir,  ni  subsister  à  côté, 
pour  ainsi  dire,  d'Irénée.  Ce  saint  évêque  leur  suscita  trois  adversaires  qui 
devaient  détruire  leur  ouvrage.  Envoyés  à  Valence  par  Irénée,  les  saints 
Félix,  prêtre,  Fortunat  et  Achillée,  diacres,  vinrent  donc  élever  dans  cette 
ville  l'autel  de  Jésus-Christ  contre  les  autels  des  faux  dieux. 

La  prédication  de  ces  trois  disciples  d'Irénée,  jointe  à  la  sainteté  de  leur 
vie,  et  soutenue  de  l'autorité  des  miracles,  gagnèrent  en  peu  de  temps  un 
grand  nombre  d'âmes  à  Jésus-Christ. 


SAINT   IRÉISnÉE,   ÉVÊQUE   DE  LYON,  4il 

Les  saints  Ferréol  et  Ferjeux,  amis  intimes  des  trois  premiers  apôtres 
de  Valence,  et,  comme  eux,  formés  à  l'école  du  grand  Irénée,  obtenaient 
les  mômes  succès  par  les  mêmes  moyens,  dans  le  pays  des  Séquanais  que 
leur  saint  maître  avait  assigné  à  leur  zèle'.  Les  uns  et  les  autres  reçurent, 
quelques  années  après,  sous  Garacalla,  une  récompense  digne  de  leurs  tra- 
vaux, la  palme  du  martyre. 

C'était  peu  pour  Irénée  d'établir  dans  les  Gaules  la  religion  de  Jésus- 
Christ.  Il  forma  encore  d'autres  disciples  qui,  avec  le  titre  d'évêqucs  des  na- 
tions, allassent  prêcher  et  défendre  l'Evangile  dans  toutes  les  parties  de 
l'univers.  Ces  hommes  admirables,  ditEusèbe  de  Gésarée,  imitant  le  zèle  de 
leurs  maîtres,  élevaient  l'édifice  de  la  religion  là  où  les  Apôtres  en  avaient 
jeté  les  fondements  :  ils  travaillaient  avec  une  application  infatigable  à  la 
prédication  de  la  foi,  répandaient  par  toute  la  terre  la  semence  de  la  divine 
parole,  faisaient  connaître  Jésus-Christ  à  ceux  qui  ignoraient  encore  son 
nom,  et  leur  expliquaient  sa  loi  sainte.  Lorsque  ces  hommes  apostoliques 
avaient  établi  solidement  la  religion  dans  un  pays  infidèle,  ils  confiaient  à 
des  pasteurs  stables  le  soin  des  âmes  qu'ils  avaient  acquises  à  Jésus-Christ  ; 
puis  ils  poursuivaient  dans  d'autres  pays  le  cours  de  leurs  conquêtes  spiri- 
tuelles. Dieu  les  accompagnait  partout,  sa  grâce  les  fortifiait,  et  le  Saint- 
Esprit  opérait,  par  ses  serviteurs,  et  en  faveur  de  leur  ministère,  des  pro- 
diges aussi  éclatants  que  nombreux  ;  aussi  n'était-il  pas  rare  de  voir  des 
peuples  entiers  s'ébranler  à  leur  voix,  et  entrer  en  foule  dans  l'Eglise  de 
Jésus-Christ. 

Tandis  que  saint  Irénée  formait  à  la  religion  des  Apôtres  et  des  Doc- 
teurs, il  s'efforçait  de  ramener  à  l'Eglise  les  ministres  infidèles  qui  l'avaient 
désertée  pour  le  schisme  et  l'hérésie.  Comme  il  n'avait  point  eu  assez  de 
temps  à  Rome  pour  combattre  les  erreurs  de  Valentin  et  des  autres  héré- 
tiques, dont  le  parti  augmentait  de  jour  en  jour,  il  prit  la  plume  pour  les 
réfuter  :  ce  qu'il  fit  avec  autant  de  solidité  que  d'érudition  et  de  bonne  foi. 
11  les  convainquit  principalement  par  les  traditions  apostoliques  gardées 
inviolablement  par  l'Eglise  romaine,  depuis  saint  Pierre  jusqu'au  Pape  sous 
lequel  il  écrivait. 

Notre  Saint  ne  fit  pas  moins  paraître  de  zèle  pour  rétablissement  de  la 
paix  et  la  concorde  de  l'Eglise,  qu'il  en  avait  fait  paraître  dans  ses  écrits  et 
dans  ses  discussions  pour  la  pureté  de  la  foi.  Le  différend  touchant  la  célé- 
bration de  la  Pâque  s'étant  réveillé  dans  presque  toutes  les  Eglises,  le  pape 
saint  Victor  I"  fit  assembler  un  synode  à  Rome,  où  il  fut  ordonné  que  cette 
fête  serait  le  dimanche  après  le  quatorzième  de  la  lune  de  mars,  conformé- 
ment à  la  tradition  apostolique.  Polycarpe,  évêque  d'Ephèse,  fit  résoudre, 
au  contraire,  dans  une  assemblée  des  évêques  d'Asie,  que,  suivant  leur  an- 
cienne coutume,  ils  la  célébreraient  le  quatorzième  de  la  lune,  ainsi  qu'elle 
avait  été  célébrée  par  Jésus-Christ  même,  et  qu'elle  l'était  dans  l'ancienne 
loi ,  sur  quoi  il  écrivit  une  Epître  synodale  au  Pape.  Ce  décret  des  Asia- 
tiques fut  fort  mal  reçu  par  samt  Victor  ;  il  le  déclara  contraire  à  la  tradi- 
tion apostolique  et  à  la  coutume  générale  de  l'Eglise,  leur  fit  une  réponse 
fort  rude  et  les  menaça  de  les  excommunier.  Notre  Saint  prévoyait  que 
cette  rigueur  aurait  de  fâcheuses  suites  ;  ayant  fait  assembler  un  Synode 
d'évcques  où  le  décret  de  saint  Victor  fut  reçu,  il  lui  écrivit  une  lettre  au 
nom  de  tous,  dans  laquelle  il  lui  remontra  qu'il  devait  modérer  son  zèle  et 

1.  BoUandistes,  16  juin,  p.  5.  —  Dunod,  Histoire  de  l'Eglise  de  Besançon,  tome  i.  p.  24.  Cet  auteur 
pease  que  saint  Fendol  fut  euvoyé  par  saint  Iréué©  à  Besauçon,  avec  la  qualité'  d'évcqne;  son  opinion 
n'est  pas  dépourvue  de  fondement. 


412  28  JUIN. 

user  de  douceur  plutôt  que  de  rigueur  ;  qu'il  n'était  pas  juste  de  retrancher 
un  si  grand  nombre  d'Eglises  de  l'Eglise  universelle,  pour  une  observation 
que  leurs  pères  avaient  gardée  ;  qu'il  était  bien  plus  à  propos  de  conserver 
l'union  avec  ses  frères,  à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  Anicet,  Pie,  Hygin, 
Télesphore  et  Sixte,  qui  ne  laissaient  pas  d'envoyer  l'Eucharistie  (marque 
en  ce  temps-là  de  l'union  ecclésiastique)  à  ceux  qui  ne  célébraient  pas  la 
Pâque  au  même  jour  que  l'Eglise  romaine.  Il  ajouta  d'autres  choses  assez 
pressantes  et  un  peu  fortes  pour  l'obliger  d'avoir  plus  d'indulgence  pour  les 
évêques  d'Asie.  Il  écrivit  aussi  plusieurs  autres  lettres  à  des  Eglises  et  à  des 
évêques,  pour  les  exhorter  à  demeurer  soumis  au  Saint-Siège  et  à  se  con- 
former au  décret  de  saint  Victor.  C'est  ainsi  qu'il  procura  une  grande  tran- 
quillité à  l'Eglise,  lors  même  qu'elle  était  menacée  d'une  furieuse  tempête, 
qui  aurait  été  capable  de  lui  faire  perdre  une  infinité  de  fidèles. 

Tous  les  évêques  applaudirent  à  une  issue  si  heureuse  et  bénirent  Irénée 
qui,  grand  selon  le  nom,  avait  paru  parmi  ses  frères  comme  un  ange  de 
paix,  et  rétabli  entre  eux  ces  rapports  de  charité  si  recommandés  par  1© 
divin  Maître. 

De  son  côté,  ce  vénérable  vieillard  rendit  grâces  à  Dieu  d'un  succès  si 
ardemment  désiré  ;  il  avait  assez  vécu,  puisqu'il  voyait  de  ses  yeux  la  paix 
régner  de  nouveau  parmi  les  enfants  de  Dieu  ;  il  pouvait  terminer  dans  la 
joie  une  vie  qu'il  avait  consacrée  tout  entière  à  la  gloire  de  Jésus-Christ  et 
au  salut  de  ses  frères  ;  il  avait  combattu  les  combats  du  Seigneur  ;  il  était 
arrivé  triomphant  au  bout  de  sa  carrière,  il  ne  lui  restait  donc  plus  qu'à 
recevoir  la  couronne  que  lui  préparait  le  Dieu  de  toute  justice.  Mais  le 
martyre  seul  pouvait  dignement  couronner  tant  de  travaux  et  de  vertus;  et 
le  Seigneur,  qui  avait  destiné  son  serviteur  à  venger  la  vérité,  à  glorifier 
son  nom  parmi  les  hommes,  exigeait  encore  de  lui  ce  dernier  témoignage 
d'amour,  le  plus  beau  qu'un  chrétien  puisse  donner  à  son  Dieu,  afin  que  sa 
providence  réunit  sur  lui  les  récompenses  qu'elle  prépare  aux  confesseurs, 
aux  vierges,  aux  pontifes,  aux  docteurs  et  aux  martyrs. 

Tandis  que  saint  Irénée  édifiait  son  Eglise  par  l'éclat  de  ses  vertus  et  par 
la  pureté  de  sa  doctrine,  Septime  Sévère,  après  avoir  laissé  quelque  temps 
les  fidèles  en  repos,  et  les  avoir  même  défendus  en  plusieurs  occasions 
contre  la  fureur  populaire,  en  reconnaissance  de  ce  qu'il  avait  reçu  la  santé 
d'un  chrétien  nommé  Procule,  qu'il  retint  auprès  de  sa  personne  jusqu'à 
sa  mort,  cessa  bientôt  de  leur  témoigner  la  même  bienveillance.  Alors  il  y 
eut  partout  une  efi"royable  explosion  de  menaces  :  des  cris  de  mort  s'éle- 
vèrent de  nouveau  de  toutes  les  parties  de  l'empire  et  vouèrent  les  chré- 
tiens aux  lions. 

Mais  nulle  part  l'idolâtrie  ne  se  déchaîna  contre  les  chrétiens  avec  plus 
de  fureur  que  dans  la  ville  de  Lyon.  La  vengeance  que  Sévère  avait  fait 
peser  sur  elle  (quelque  temps  auparavant,  avait  révélé  leur  innocence  :  les 
païens  ne  l'avaient  point  oublié.  A  peine  furent-ils  sortis  de  la  stupeur  oh 
les  avait  jetés  le  courroux  du  vainqueur,  que  mesurant  toute  la  grandeur 
des  désastres  dont  la  vue  semblait  les  accuser  encore,  ils  puisèrent  même 
dans  leurs  malheurs  une  rage  nouvelle  contre  des  chrétiens  innocents  qui 
pleuraient,  sur  des  ruines,  le  crime  de  leurs  concitoyens,  et  les  calamités 
communes. 

Saint  Irénée  observait  ces  dispositions  des  esprits  ;  il  prévit  que  l'enfer 
préparait  à  son  Eglise  une  guerre  effroyable  ;  aussi  n'attendit-il  pas  qu'elle 
éclatât  pour  y  disposer  son  peuple.  Quant  à  lui,  il  vit  avec  joie  s'approcher 
le  jour  heureux  qui  devait  éclairer  son  martyre.  Son  amour  ardent  pour 


SAliST  IRÉNÉE,   ÉVÊQUE  DE  LYON.  413 

Jésus-Christ  ne  voulait  pas  un  moindre  sacrifice,  et  il  conjurait  son  Dieu  de 
lui  accorder  cette  dernière  faveur.  Disciple  de  martyr,  successeur  de  mar- 
tyr, compagnon  de  martyrs,  il  avait  entretenu  dans  son  cœur  le  désir  et 
l'espoir  de  sacrifier  sa  vie  à  la  gloire  de  Jésus-Christ,  et  son  âme  dut  s'en- 
flammer d'une  nouvelle  ardeur  à  l'approche  du  jour  oh  Dieu  allait  enfin 
metire  le  comble  à  ses  vœux.  Il  lui  fut  facile  d'inspirer  les  mômes  senti- 
ments à  des  chrétiens  qu'il  avait  formés.  Sans  doute,  le  martyre  était  alors 
le  sujet  ordinaire  de  ses  entretiens  et  de  ses  leçons  :  il  en  expliquait  l'excel- 
lence à  ses  disciples  et  leur  montrait  que  c'était  un  des  plus  beaux  privilèges 
de  l'Eglise  dont  ils  étaient  membres  ;  il  leur  promettait  le  secours  et  la  force 
de  l'Esprit-Saint,  ranimait  leur  courage  en  relevant  leurs  espérances,  et 
faisait  briller  à  leurs  yeux  la  couronne  de  gloire  que  Jésus-Christ  prépare  à 
ceux  qui  l'auront  aimé  jusqu'à  mourir  pour  lui.  «  L'Eglise  seule  n,  disait  le 
grand  Irénée,  «  a  le  privilège  de  former  les  martyrs  et  d'en  peupler  les 
cieux  :  c'est  une  faveur  que  Dieu  accorde  à  l'amour  qu'elle  lui  porte.  Loin 
de  participer  à  sa  gloire,  les  sectes  froides  et  stériles  ne  comprennent  point 
la  noblesse  du  martyre,  méprisent  ceux  qui  le  soutirent  pour  le  Verbe  de 
Dieu,  et  blasphèment  l'Esprit-Saint  qui  leur  en  donne  le  courage.  Car  les 
martyrs,  forts  de  la  force  même  de  l'Esprit-Saint,  sont  au-dessus  de  la  fai- 
blesse humaine  ,  et  les  souffrances  leur  paraissent  légères  ;  ils  bravent  la 
mort  et  des  tourments  qui  effrayeraient  la  nature,  si  l'Esprit  de  Dieu  n'était 
avec  eux  '. 

«  Jésus- Christ  le  premier  a  donné  sa  vie  pour  nous  ;  il  a  donc  droit  que, 
par  amour  pour  lui,  nous  participions  à  son  sacrifice.  C'est  pourquoi  il 
avait  déjà  dit  à  ses  disciples  :  Vous  comparaîtrez,  à  cause  de  mon  nom,  de- 
vant les  princes  et  les  magistrats  :  on  vous  poursuivra  de  ville  en  ville  ;  on 
vous  livrera  aux  tourments  et  à  la  mort.  Mais  ne  craignez  point  ceux  qui, 
pouvant  déchirer  le  corps,  n'ont  aucun  pouvoir  sur  l'âme  ;  craignez  plutôt 
celui  qui  peut  condamner  aux  flammes  éternelles  et  l'âme  et  le  corps. 
Oui  »,  ajoute  saint  Irénée,  «  craignez  celui  qui  couronne  les  martyrs  et  châ- 
tie les  infidèles.  Des  hérétiques  osent  cependant  mépriser  les  martyrs, 
livrer  au  ridicule  ceux  qui  donnent  leur  vie  pour  le  nom  de  Jésus-Christ. 
Mais  un  jour  le  souverain  Juge  vengera  l'honneur  des  saints  et  confondra 
leurs  contempteurs.  Pour  nous,  imitons  ici-bas  celui  qui  sur  la  croix  a  de- 
mandé grâce  pour  ses  bourreaux,  qui  nous  a  recommandé  d'aimernos  en- 
nemis ;  abandonnons-nous  à  sa  justice  et  à  sa  bonté  '  ». 

C'est  ainsi  que,  déroulant  aux  regards  de  ses  disciples  le  tableau  des  per- 
sécutions supportées  par  l'Eglise  dans  tous  les  temps,  comme  dans  tous  les 
pays,  saint  Irénée,  pour  exciter  leur  foi  et  leur  courage,  leur  rappelait  la 
lutte  sublime  que  des  chrétiens  de  tout  rang,  de  tout  sexe  et  de  tout  âge, 
les  yeux  fixés  sur  le  Calvaire,  le  cœur  fortifié  par  l'Esprit-Saint,  avaient  sou- 
tenue contre  les  puissances  de  l'enfer.  D'ailleurs  les  chrétiens  de  Lyon 
étaient  les  enfants  des  martyrs  :  chaque  jour  ils  foulaient  le  théâtre  glo- 
rieux où  leurs  pères  avaient  combattu  pour  Jésus-Christ  et  triomphé  des 
supplices  :  les  lieux  témoins  du  courage  et  de  la  victoire  de  ces  généreux 
athlètes,  semblaient  les  exhorter  à  ne  pas  dégénérer  de  leurs  aïeux.  Les 
noms  vénérés  des  Pothin,  des  Sanctus,  des  Blandine,  des  Epipode,  des 
Alexandre,  et  de  tant  d'autres  martyrs,  vivaient  encore  dans  leur  mémoire. 
De  si  beaux  exemples,  semés,  pour  ainsi  dire,  dans  leurs  cœurs,  y  portaient 
ces  fruits  de  salut  qu'allait  bientôt  cueillir  le  père  de  famille  ;  et  l'espoir  du 

1.  lien.,  adv.  hxres.,  liv.  iv,  c.  33,  n»  9  et  lir.  v,  c.  9,  n»  2,  3.  —  2.  Ibid.,  liv.  m,  C.  18,  n»  4,  5. 


414  28  JUIN. 

bonheur,  dont  le  martyre  avait  assuré  la  possession  à  leurs  pères,  enflammait 
encore  leur  courage  et  leurs  désirs.  C'était  vers  ce  terme  glorieux  qu'Irénée 
élevait  leurs  pensées.  Les  désastres  et  les  exécutions  sanglantes  qui,  peu  de 
temps  auparavant,  avaient  désolé  la  ville  de  Lyon,  attestaient  encore  la 
vanité  des  choses  de  ce  monde,  confirmaient  ses  leçons  et  portaient  les 
chrétiens  à  souûrir  pour  Jésus-Cïirist  des  maux  que  tant  de  malheureux 
subissaient  forcément  pour  un  homme. 

Mais  rien  ne  secondait  mieux  les  leçons  d'Irénée  que  l'exemple  de  ses 
vertus  :  aussi  eut-il  la  consolation  de  voir  croître  autour  de  sa  vieillesse  un 
peuple  de  héros  chrétiess,  dont  toute  l'ambition  était  de  vivre  et  de  mou- 
rir avec  lui. 

Ce  fut  dans  ces  dispositions  que  la  persécution  trouva  la  chrétienté 
lyonnaise.  Une  émeute  populaire  avait  donné  à  Rome  le  premier  signal  de 
cette  persécution,  qui,  pendant  plusieurs  années,  inonda  l'empire  du  sang 
des  chrétiens.  De  Rome  elle  passa  à  Alexandrie  qui  se  changea  en  un  vaste 
théâtre  de  carnage,  où  brilla  le  courage  magnanime  des  chrétiens  ;  puis  en 
Occident,  où  Irénée,  comme  un  soleil  qui  avait  majestueusement  fourni  sa 
carrière,  allait  s'éteindre  dans  des  flots  de  sang. 

Ce  grand  Saint  avait  passé  quatre-vingts  ans  au  service  du  Seigneur.  De- 
puis un  quart  de  siècle  il  occupait  le  siège  de  saint  Potbin  ;  il  avait  confondu 
l'hérésie,  pacifié  l'Eglise  entière,  éloigné  de  son  sein  les  maux  et  les  scan- 
dales d'un  schisme  ;  ses  lumières  avaient  éclairé  toute  la  chrétienté,  ses 
vertus  l'avaient  édifiée  ;  toutes  ses  grandes  qualités  avaient  honoré  la  reli- 
gion et  glorifié  le  nom  de  Jésus-Christ  parmi  les  Gentils  :  il  ne  restait  plus  à 
Irénée  qu'à  donner  au  Sauveur  le  plus  éclatant  de  tous  les  témoignages, 
celui  de  son  sang,  et  il  ne  manquait  plus  à  ses  mérites  que  la  palme  du 
martyre. 

Les  décrets  impériaux  parvinrent  à  Lyon  à  la  fin  de  l'an  202,  et  coïnci- 
dèrent précisément  avec  les  fêtes  décennales  qui  devaient  se  célébrer  à 
l'occasion  delà  dixième  année  du  règne  de  Sévère.  C'était  pour  les  païens 
de  cette  ville  une  occasion  favorable  de  faire  oublier  leur  révolte  passée  et 
d'exercer  leur  vengeance  contre  les  chrétiens  :  sous  prétexte  de  témoigner 
leur  amour  pour  leur  souverain,  ils  s'empressèrent  à  l'envi  d'exécuter  ses 
ordres,  célébrèrent  des  fêtes  en  son  honneur,  avec  un  appareil  extraordi- 
naire, et  multiplièrent  les  sacrifices  pour  la  prospérité  de  son  règne.  Les 
chrétiens  ne  prenant  jamais  part  à  des  fêtes  sacrilèges  qui  se  célébraient 
dans  la  débauche,  leurs  ennemis  se  prévalurent  de  cette  circonstance  pour 
les  accuser  de  rébellion  contre  le  prince,  ou  de  mépris  pour  sa  personne  et 
pour  les  dieux,  et  pour  attirer  ainsi  sur  leurs  têtes  le  courroux  de  Sévère. 
Les  chrétiens  savaient  bien  à  quels  dangers  les  exposait  le  refus  de  partici- 
per à  ces  abominations  ;  mais  ils  ne  craignaient  que  Dieu  :  ils  persévérèrent 
donc  dans  la  pratique  de  leurs  devoirs,  et  s'abandonnant  à  la  volonté  du 
Seigneur,  ils  conservèrent  le  calme  et  la  patience  qu'ils  avaient  montrés  en 
des  temps  moins  menaçants,  ou  plutôt  ils  demandèrent  à  Jésus-Christ  la 
faveur  d'unir  le  sacrifice  de  leur  vie  au  sacrifice  de  la  croix.  Leurs  voeux 
furent  bientôt  satisfaits.  Entouré  de  la  vénération  des  fidèles,  Irénée, 
comme  nous  l'avons  dit,  les  préparait  au  martyre,  ranimait  leur  foi,  élevait 
leurs  pensées  vers  le  ciel  qui  allait  s'ouvrir  devant  eux,  et  leur  apprenait  à 
mépriser  une  terre  où  les  disciples  de  l'Evangile  sont  obligés  de  vivre  con- 
fondus avec  les  partisans  de  l'enfer.  Il  leur  distribuait  souvent  le  pain  des 
forts,  conférait  le  baptême  aux  enfants  et  aux  catéchumènes,  afin  qu'ils  ne 
sortissent  pas  de  cette  vie  avant  d'avoir  été  régénérés  par  ce  sacrement.  Il 


SAINT  IRÉNÊE,   ÉVÊÛUE  DE  LYON.  415 

inspirait  à  tous  la  force  et  le  courage  que  demandaient  les  prochaines 
épreuves. 

Cependant  les  païens,  libres  de  faire  aux  chrétiens  tout  le  mal  qu'ils 
voulaient,  exercèrent  leur  pouvoir  avec  une  fureur  dont  l'homme  paraît  à 
peine  capable.  Sans  doute,  les  prêtres  des  faux  dieux  la  flrent  d'abord  tom- 
ber sur  Irénée,  dont  le  zèle  dépeuplait  leurs  temples  et  soutenait  la  cons- 
tance des  chrétiens  ;  ce  vénérable  vieillard  rendit  grâces  à  son  Dieu  de  ce 
qu'il  mettait  le  comble  à  ses  faveurs  par  celle  du  martyre. 

Les  yeux  levés  vers  le  ciel,  le  front  calme  et  majestueux,  il  reçut  en  le 
bénissant  le  coup  d§  la  mort,  et  son  âme  triomphante  alla  recevoir  enfin 
dans  les  cieux  la  couronne  que  lui  avaient  méritée  tant  de  combats  sur  la 
terre.  Ses  enfants  généreux,  instruits  par  ses  leçons,  animés  par  son 
exemple,  partagèrent  son  bonheur  et  sa  gloire.  De  vils  assassins,  ivres  de 
leur  sang,  en  inondèrent  la  cité  ;  armés  de  poignards,  de  pierres  ou  d'armes 
tranchantes,  ils  les  immolaient  partout  où  les  rencontrait  leur  aveugle  fu- 
reur. Elle  ne  fut  assouvie  que  lorsqu'elle  ne  trouva  plus  de  victimes  et  que 
des  milliers  de  chrétiens  furent  tombés  sous  ses  coups. 

Le  martyre  de  saint  Irénée  arriva  l'an  202,  selon  l'opinion  la  plus  com- 
mune ;  quelques  auteurs  le  mettent  en  208.  Les  Grecs  honorent  saint  Irénée 
le  23  août,  et  les  Latins  le  28  juin. 

Il  est  fait  mention  de  ce  saint  Docteur  dans  Tertullien,  Eusèbe,  saint 
Epiphane,  saint  Jérôme,  saint  Grégoire  de  Tours,  Ecuménius,  Adon  de 
Vienne  et  dans  tous  les  martyrologes. 

On  trouve  saint  Irénée  représenté  avec  un  flambeau  à  la  main,  soit 
comme  docteur,  soit  en  sa  qualité  d'apôtre  de  Lyon  :  l'Evangile  est  en  effet 
une  lumière  qui  dissipe  la  nuit  de  l'erreur. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  ÉCRITS  DE  SAINT  IRÉNÉE. 

Le  corps  de  saint  Irénée  fut  enlevé  à  la  faveur  des  ténèbres  par  le  saint  prêtre  Zacharie  et 
déposé  dan»  les  catacombes  de  Lyon,  avec  ceux  des  autres  martyrs  de  la  persécution.  On  éleva 
plus  tard,  à  l'extrémité  de  la  ville,  une  basilique  sur  la  crypte  où  saint  Irénée  avait  tant  de  fois 
réuni  ses  enfants,  et  où  ses  dépouilles  mortelles  avaient  été  ensuite  religieusement  déposées. 

Les  lidèles  ont  conservé  ce  riche  trésor  avec  beaucoup  de  vénération  jusqu'en  l'année  1562  : 
les  Huguenots,  qui  exercèrent  alors  mille  impiétés  contre  les  saintes  reliques,  ayant  pillé  la  châsse 
de  notre  Saint,  jetèrent  une  grande  partie  de  ses  ossements  dans  le  Rhône  et  une  autre  partie  dans 
la  boue  ;  quant  au  crâne  de  son  chef  sacré,  ils  le  roulèrent  çà  et  là  par  les  rues,  et  le  laissèrent 
enlju  dans  un  égoùt  ;  mais  il  en  fut  tiré  presque  en  même  temps  par  la  piété  d'un  chirurgien,  qui 
le  garda  dans  sa  maison  jusqu'à  ce  que,  les  troubles  des  guerres  civiles  étant  apaisés,  l'archevêque 
avec  son  clergé,  accompagné  des  magistrats  de  la  ville,  le  transportèrent  solennellement  dans  une 
procession  générale,  comme  une  précieuse  relique,  du  lieu  où  il  était  en  une  église  dédiée  sous  le 
nom  de  Saint-Irénée. 

Quant  à  la  basilique,  elle  fut  renversée  en  partie  par  les  sectaires,  puis  relevée  et  de  nouveau 
détruite,  lors  du  mémorable  et  cruel  siège  de  Lyon.  La  basilique  actuelle  de  Saint-Irénée  est  à 
peu  près  entièrement  neuve  :  elle  n'a  d'antique  que  les  substructions  de  l'abside  et  son  église 
souterraine  ;  elle  touche  au  magnifique  palais  formant  le  refuge  Saint-Michel,  qui  possède  une 
charmante  église.  Près  d'elle  aussi  se  trouve  une  fontaine  dont  l'ornementation  et  le  caractère 
font  honneur  au  goût  de  l'architecte. 

L'ouvrage  principal  de  saint  Irénée,  en  cinq  livres,  est  connu  sous  ce  titre  :  Aduersushzreses, 
contre  tes  hérésies. 

Dans  son  premier  livre,  samt  Irénée  expose  les  rêveries  de  Valenlin  sur  la  généalogie  de  trente 
Eons.  Ces  êtres  imaginaires  étaient  des  espèces  de  divinités  inférieures  qu'on  faisait  produire  par 
le  Dieu  éternel,  invisible,  incompréhensible,  nommé  Duthos  ou  Profondeur,  auquel  on  donnait 
pour  femme  Ennoia  ou  la  Pensée,  autrement  appelée  Sigé  ou  le  Silence.  Ce  système  absurde  fut 
formé  sur  la  théogonie  d'Hésiode  et  sur  quelques  idées  de  Platon,  dans  lesquelles  Valentin  mêla 
certaines  vérités  qu'il  avait  empruntées  de  l'évangile  selon  saint  Jean.  Saint  Irénée  le  réfute  par 


416  28  JUIN. 

l'autorité  de  l'Ecriture,  par  celle  du  symbole  dont  il  rapporte  presque  tous  les  articles,  et  par 
runaDiuiilé  des  diiïérentes  églises  dans  la  même  foi,  unanimité  à  laquelle  il  oppose  la  difficulté 
qu'ont  les  hérétiques  de  s'accorder  entre  eux.  Après  avoir  parlé  de  plusieurs  de  leurs  variations, 
il  décrit  avec  étendue  les  superstitions  et  les  impostures  de  Marc,  chef  des  Marcosiens  ;  puis  il 
expose  les  erreurs  des  autres  hérétiques  qui  parurent  à  la  naissance  du  christianisme. 

11  montre  dans  son  second  livre,  que  Dieu  a  créé  l'univers,  et  réfute  le  système  des  Eons.  Il 
assure,  1.  ii,  c.  lvh,  éd.  beji.  Olim.  32,  que  les  chrétiens  opéraient  des  miracles  au  nom  du  Fils 
de  Dieu,  et  il  met  ce  don  au  nombre  des  marques  caractéristiques  de  la  véritable  Eglise. 

Dans  son  troisième  livre,  saint  Irénée  se  plaint  de  ce  que  les  hérétiques,  étant  pressés  par 
"Ecriture,  en  éludaient  l'autorité,  prétendant  que  la  tradition  était  pour  eux,  et  de  ce  que,  quand 
xu  les  attaquait  par  la  tradition,  ils  l'abandonnaient  et  en  appelaient  à  l'Ecriture  seule,  tandis  que 
l'Ecriture  et  la  tradition  fournissaient  des  armes  invincibles  contre  leurs  erreurs  11  fait  observer 
que  les  Apôtres  ont  transmis  la  vérité  et  tous  les  mystères  de  la  foi  aux  pasteurs  qui  leur  ont 
succédé,  et  que  c'est  à  eux  conséquemment  que  nous  devons  nous  adresser  pour  en  avoir  la 
connaissance. 

Le  saint  docteur,  dans  son  quatrième  livre,  prouve  l'unité  de  Dieu,  et  montre,  c.  xvii,  xviii, 
que  Jésus-Christ,  en  abolissant  les  anciens  sacrifices,  y  a  substitué  celui  de  son  Corps  et  de  son 
Sang,  qui  doit  être  offert  dans  tout  le  monde,  suivant  la  prédiccion  de  Malachie.  Il  donne  la  mul- 
titude des  martyrs  comme  une  marque  de  la  véritable  Eglise,  et  soutient  que  les  hérétiques  ne 
peuvent  se  vanter  du  même  avantage,  quoique  quelques-uns  d'entre  eux  aient  été  mêlés  dans  la 
foule  de  nos  martyrs,  c.  xxxiir. 

11  parle,  dans  son  cinquième  livre,  de  notre  rédemption  par  Jésus-Christ, et  y  rapporte  les  preuves 
de  la  résurrection  des  corps  ;  il  revient,  c.  vi,  aux  dons  prophétiques  et  aux  miracles  qui,  de  son 
temps,  subsistaient  dans  l'Eglise.  Suit  une  récapitulation  des  hérésies  réfutées  dans  l'ouvrage. 
«  Leur  nouveauté  »,  dit  saint  Irénée,  «  suffirait  seule  pour  les  confondre  ».  il  ajoute  quelques 
remarques  sur  la  venue  de  l'Antéchrist.  1)  conclut,  d'un  passage  de  l'Apocalypse,  qu'il  interprétait 
mal  d'après  Papias,  son  maitre,  que,  avant  le  jugement  dernier,  Jésus-Chnst  régnerait  mille  ans 
sur  la  terre  avec  ses  élus  dans  la  jouissance  des  plaisirs  spirituels.  (Cérinthe  et  d'autres  néiéliques 
prétendaient  que  ces  plaisirs  seraient  charnels.)  En  consultant  la  tradition,  comme  le  saint  docteur 
l'ordonne  lui-même,  on  condamna  bientôt  l'opinion  des  Millénaires.  Elle  a  été  renouvelée  en  Alle- 
magne par  plusieurs  Luthériens,  et  par  quelques  protestants  d'Angleterre,  nommément  par  le  doc- 
teur Wells,  dans  ses  notes  sur  l'Apocalypse. 

Outre  les  cinq  livres  contre  les  hérésies,  saint  Irénée  en  composa  plusieurs  autres  dont  il  na 
nous  reste  que  les  titres  ou  de  très-petits  fragments.  Ce  sont  :  1°  Un  traité  de  la  Monarchie, 
contre  Florin;  2°  un  traité  de  VOgdoade,  ou  nombre  de  huit,  contre  le  même;  3°  un  traité  du 
Schisme,  contre  Blastus;  4°  une  Lettre  au  pape  Victor  concernant  la  Pâque  ;  5°  un  livre  de  la 
Science;  6»  un  Recueil  de  diverses  disputes;  7°  des  Discours  sur  la  foi;  8»  la  Lettre  des 
Eglises  de  Lyon  et  de  Vienne. 

Les  œuvres  de  saint  Irénée  ont  été  publiées  par  Erasme  et  par  Feu-Ardent.  Grabe  les  fit  réim- 
primer à  Oxford  en  1702  ;  mais  il  y  a  souvent  altéré  le  texte  de  son  auteur  ;  il  y  a  joint  aussi  des 
notes  qui  les  défigurent  par  leur  hétérodoxie,  et  qui,  pour  la  plupart,  ont  pour  objet  d'établir  les 
idées  particulières  de  l'éditeur,  par  rapport  à  la  nouvelle  religion  qu'il  avait  embrassée.  La  meil- 
leure de  toutes  les  éditions  que  nous  ayons  des  œuvres  du  saint  docteur  est  celle  que  Dom  Mas- 
suet,  bénédictin  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  donna  à  Paris  en  1710,  in-folio.  Pfafi',  luthé- 
rien, publia,  en  1715,  quatre  nouveaux  fragments  de  saint  Irénée,  d'après  un  manuscrit  de  la 
bibliothèque  de  Turin.  Le  second  de  ces  fragments  présente  en  abrégé  la  doctrine  de  l'Eglise  sur 
la  présence  réelle  de  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie.  En  1734,  l'édition  de  Dom  Massuet  fut  réim 
primée  à  Vienne  avec  les  fragments  de  Pfafi".  Cet  ouvrage  a  été  traduit  par  M,  de  Genoude. 

Le  R.  P.  Feu- Ardent,  de  l'Ordre  des  Mineurs,  docteur  de  la  Faculté  de  Paris,  nous  a  donné  sa  vie  au 
commencement  des  doctes  Remarques  qu'il  a  faites  sur  ses  œuvres  ;  c'est  de  là  et  des  Annales  du  cardi- 
nal Baronius,  ainsi  que  de  VEistovre  de  taint  Irénée,  p»r  M.  l'abbé  Prat,  que  nous  avons  tiré  u  meilleure 
partie  de  ce  récit. 


J 


SAINT  LÉON  II,    PAPE.  417 


SAINT  LEON  II,  PAPE 

683.  —  Empereur  d'Orient  :  Constantin  III  Pogonat. 


Studeas  moribus  implere  pontificatum,  et  ut  sancH 
sanctorum  devoi»  servitutis  impendas  o/pcium,  in- 
duas  sanctitatem. 

AppHquez-Tons  h  honorer  votre  pontificat  par  des 
mœurs  irréprochables  ;  remplissez  avec  dévouement 
votre  rôle  de  serviteur  du  Saint  des  Saints  et  revê- 
tez-vous de  la  sainteté. 

Petr.  Blesens.  Epist.  xv  ad  Episc.  Carnotens. 

Après  la  mort  du  pape  Agathon,  le  Siège  apostolique  demeura  vacant 
un  an  sept  mois  et  cinq  jours.  L'histoire  ne  nous  apprend  point  pourquoi 
l'on  fut  si  longtemps  à  élire  un  autre  pape  en  sa  place.  Baronius  croit  que 
Théodore,  patriarche  de  Constantinople,  porta  l'empereur  à  arrêter  les 
légats  durant  ce  temps-là,  afln  d'avoir  le  loisir  de  falsifier  les  Actes  du 
sixième  Concile  général,  qui  se  tenait  alors,  et  de  se  faire  rétablir  sur  la 
chaire  dont  il  avait  été  déposé.  On  peut  dire  qu'une  horrible  peste,  qui  fut 
précédée  de  deux  éclipses,  l'une  de  soleil  et  l'autre  de  lune,  avait  causé  une 
telle  épouvante  dans  toute  l'Italie,  et  mis  Rome  en  particulier  dans  une  si 
grande  consternation,  que  l'on  n'osa  pas  s'y  assembler.  Quoi  qu'il  en  soit, 
après  cette  longue  vacance,  Léon  II,  chanoine  régulier,  fils  de  Paul  Menco, 
médecin,  fut  élu  en  sa  place.  Il  était  né  à  Piano-di-San-Martino,  près  Reg- 
gio,  dans  la  Grande-Grèce,  (Etat  de  Naples).  C'était  un  très-saint  person- 
nage, parfaitement  bien  versé  dans  les  saintes  Ecritures,  également  savant 
et  éloquent,  et  dont  les  bons  exemples  portaient  tout  le  monde  à  la  vertu. 
Il  eut  un  soin  tout  particulier  des  pauvres,  des  orphelins  et  des  veuves,  et 
soulagea  leurs  misères  avec  une  charité  tout  à  fait  apostolique.  Il  confirma 
le  sixième  Concile  œcuménique,  qu'Agathon  avait  assemblé  à  Constanti- 
nople contre  les  hérétiques  qu'on  appelait  Monothélites,  parce  qu'ils  ne 
reconnaissaient  qu'une  volonté  et  qu'une  opération  en  Jésus-Christ.  Et 
comme  il  savait  aussi  bien  la  langue  grecque  que  la  latine,  il  en  traduisit 
les  Actes  de  grec  en  latin,  pour  en  donner  l'intelligence  aux  Occidentaux. 
Il  ordonna  qu'à  la  messe  on  donnerait  la  paix  à  tous  les  assistants;  c'est-à- 
dire  qu'il  rendit  obligatoire  une  cérémonie  qui  se  pratiquait  déjà  par  dévo- 
tion :  car  cette  pieuse  coutume  a  été  observée  dès  les  premiers  siècles  de 
l'Eglise,  comme  il  est  aisé  de  le  voir  dans  saint  Denis  et  dans  saint  Justin. 
Il  ordonna  aussi  que  le  Pallium,  que  les  souverains  Pontifes  envoyaient 
aux  patriarches  et  aux  archevêques,  les  dispenses,  les  privilèges  et  tous  les 
offices  ecclésiastiques  s'accordassent  gratis  et  sans  aucun  intérêt.  Il  fit  bâtir 
à  Rome  trois  églises,  auprès  de  celle  de  Sainte-Bibiane;  l'une  qu'il  dédia 
sous  le  nom  de  l'apôtre  saint  Paul  et  dans  laquelle  il  fit  déposer  les  corps 
des  saints  Simplicius,  Fauste  et  Béatrix,  avec  plusieurs  autres  reliques; 
l'autre  en  l'honneur  de  saint  Sébastien;  enfin  la  dernière  en  l'honneur  de 
saint  Georges. 

Lorsqu'il  fut  élevé  au  souverain  pontificat,  le  plain-chant,  que  saint 
Grégoire  le  Grand  avait  composé  et  établi  dans  l'Eglise,  était  dans  une 
extrême  confusion  :  c'est  pourquoi,  comme  il  avait  une  parfaite  connais- 
ViES  DES  Saints.  —  Tome  VII.  27 


418  28  JUIN. 

sance  de  la  musique,  il  le  réforma  et  le  remit  en  meilleur  ordre;  il  com- 
posa aussi  quelques  nouvelles  hymnes,  que  l'Eglise  a  conservées  jusqu'à 
présent;  il  tint  une  ordination,  dans  laquelle  il  créa  vingt-trois  évoques, 
neuf  prêtres  et  trois  diacres.  Il  fit  merveilleusement  paraître  son  zèle  et  sa 
fermeté  contre  les  vaines  prétentions  des  archevêques  de  Ravenne,  qui, 
appuyés  des  Exarques,  c'est-à-dire  des  gouverneurs  impériaux  dont  la  ville 
était  la  résidence  ordinaire,  ne  voulaient  pas  reconnaître  l'autorité  du 
Saint-Siège  ni  se  soumettre  à  ses  commandements  :  car,  pour  réprimer 
cette  insolence  insupportable,  il  fit  un  décret  par  lequel  il  ordonna  qu'à 
l'avenir  nul  évêque  de  Ravenne  ne  pourrait  faire  les  fonctions  de  sa  charge, 
avant  d'avoir  été  confirmé  par  le  Pontife  romain.  Il  fit  aussi  défendre  de 
célébrer  l'anniversaire  de  Maur,  archevêque  du  même  siège,  décédé  dans 
l'excommunication. 

Il  était  aimé  et  respecté  de  tout  le  monde,  tant  à  cause  de  sa  vertu  que 
pour  son  naturel  doux,  affable  et  bienfaisant.  En  un  mot,  il  ne  lui  manquait 
rien  des  qualités  requises  pour  en  faire  un  des  plus  excellents  Papes  qui 
aient  gouverné  l'Eglise,  quoiqu'il  n'ait  tenu  le  siège  que  dix  mois  et  dix- 
sept  jours.  Sa  mort,  qui  arriva  le  4  juillet,  l'an  de  Jésus-Christ  683,  fut  re- 
grettée de  tous  les  fidèles  auxquels,  dans  un  pontificat  de  si  courte  durée, 
il  avait  donné  de  grandes  preuves  de  son  zèle  et  de  sa  piété.  Son  corps  fut 
inhumé  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  tombeau  ordinaire  des  souverains 
Pontifes,  le  28  juin,  jour  auquel  il  est  nommé  dans  le  martyrologe  romain. 

On  lui  attribue  une  Epître  fort  pieuse  qu'il  écrivit  à  l'empereur  Cons- 
tantin lY,  surnommé  Pogonat,  oh  il  le  loue  du  zèle  qu'il  avait  fait  paraître 
et  des  soins  qu'il  avait  apportés  à  la  célébration  du  Concile  général  dont 
nous  avons  parlé.  Le  cardinal  Baronius  croit  que  cette  Epître  n'est  pas  de 
lui,  non  plus  que  quelques  autres  qui  sont  sous  son  nom. 

On  représente  saint  Léon  :  1°  embrassant  un  mendiant,  par  allusion  à  sa 
charité  envers  les  malheureux;  2°  parfois  tenant  un  livre  où  se  lisent  des 
notes  musicales,  parce  qu'il  passe  pour  avoir  réformé  le  chant  ecclésias- 
tique. 

Acta  Sanctorum.  —  Cf.  Histoire  des  souverains  Pontifes  romains,  par  Artaud  de  Monter. 


LES  SAINTS  PLUTARQUE,  POTAMIENNE, 

MARTYRS  A  ALEXANDRIE   (202). 

Origène,  ayant  ouvert  uae  école  à  Alexandiie,  ne  se  contenta  point  d'y  enseigner  les  sciences: 
il  s'appliqua  surtout  à  pénétrer  ses  disciples  des  maximes  de  la  perfection  chrétienne  ;  aussi  eut-il 
la  consolation  d'en  voir  plusieurs  qui  versèrent  leur  sang  pour  Jésus-Christ  durant  les  ravages  de 
la  persécution  que  l'empereur  Sévère  avait  excitée,  et  qui  dura  depuis  l'an  202  jusqu'à  l'an  211. 
Parmi  les  héros  chrétiens  qni  se  signalèrent  en  celte  occasion,  on  compte  saint  Plutarque,  frère 
de  saint  Iléraclas,  qui  fut  depuis  évêque  d'Alexandrie.  Ces  deux  grands  hommes  s'étaient  convertis 
en  même  temps,  et  Origène  avait  été  l'instrument  dont  Dieu  s'était  servi  pour  les  amener  à 
la  connaissance  de  la  vérité.  Plutarque  se  prépara  par  une  vie  sainte  à  confesser  sa  foi.  Comme 
c'était  un  homme  très-connu  dans  la  ville,  il  fut  un  des  premiers  que  l'on  arrêta.  Pendant  soq 
séjour  dans  la  prison,  Origène  le  visitait  pour  l'exhorter  à  la  persévérance  ;  il  l'accompagna  même 
au  lieu  de  l'exécution. 

Potamienne  était  esclave  de  condition.  Sa  mère,  qui  se  nommait  Marcelle,  l'éleva  dans  les 
principes  de  la  foi  ;  mais  elle  la  mit  depuis  sous  la  conduite  du  grand  maître  dont  nous  venons  de 
parler,  afin  qu'il  acheva  l'édifice  qu'elle  avait  commencé. 


SAINT  PAUL  I",   PAPE.  419 

Potamienne  était  jeune  cl  d'une  rare  beauté.  Celui  qu'elle  servait,  ayant  conçu  pour  elle  une 
passion  violente,  la  pressa  de  consentir  à  ses  désirs  infâmes  ;  mais  la  Sainte  se  comporta  de 
manière  à  ne  lui  laisser  aucune  espérance.  Il  employa  mille  artifices  qui  ne  lui  réussirent  pas  plus 
que  les  promesses  et  les  menaces.  Résolu  de  se  venger,  il  la  livra  au  préfet  nommé  Aquila,  le 
priant  toutefois  de  ne  peint  lui  faire  de  mal,  s'il  pouvait  la  déterminer  à  contenter  sa  passion,  et 
lui  promettant  une  somme  considérable  d'argent  en  cas  que  les  choses  tournassent  comme  il  le 
souhaitait.  Les  efforts  réitérés  du  préfet  n'eurent  aucun  succès.  Voyant  donc  Potamienne  inébran- 
lable, il  la  condamna  à  diverses  tortures  ;  il  fil  ensuite  préparer  une  chaudière  pleine  de  poix 
bouillante,  et  la  menaça  de  l'y  jeter,  si  elle  refusait  plus  longtemps  d'obéir  à  son  maître.  La  Sainte 
répondit  au  juge  de  la  manière  suivante  :  «  Je  vous  conjure,  par  la  vie  de  l'empereur  que  vous 
respectez,  de  ne  pas  permettre  que  je  paraisse  nue  ;  ordonnez  plutôt  qu'on  me  descende  peu  à 
peu  dans  la  chaudière  avec  mes  habits,  et  vous  verrez  quelle  est  la  patience  que  Jésus-Christ,  que 
vous  ne  connaissez  point,  donne  à  ceux  qui  espèrent  en  lui  ».  Le  préfet  donna  l'ordre  qu'on  lui 
demandait,  et  chargea  un  des  gardes  de  l'exécuter. 

Ce  garde  se  nommait  Basilide.  Il  traita  Potamienne  avec  toutes  sortes  d'égards,  et  la  préserva 
le  long  du  chemin  des  insolences  ce  la  populace,  qui  insultait  à  sa  pudeur  par  des  pa/olcs  obscènes. 
Il  reçut  bientôt  la  récompense  de  son  humanité.  La  Sainte  lui  dit  de  prendre  courage,  l'assurant 
qu'après  sa  mort  elle  lui  obtiendrait  de  Dieu  la  grke  du  salut.  A  peine  eut-elle  fini  de  parler,  qu'oa 
lui  mit  les  pieds  dans  la  poix  bouillante,  et  on  l'y  enfonça  peu  à  peu  jusqu'au  haut  de  la  tête.  Ce 
fut  ainsi  qu'elle  consomma  son  sacritice.  Marcelle,  sa  mère,  fut  brûlée  dans  le  même  temps. 

Du  nombre  de  ceux  qui  se  convertirent  après  ce  double  martyre,  fut  Uasilide,  auquel  Potamienne 
avait  promis  de  marquer  sa  reconnaissance  lorsqu'elle  aurait  été  réunie  à  Jésus-Christ.  Peu  après  le 
martyre  de  la  Sainte,  les  soldats,  ses  camarades,  exigèrent  de  lui  qu'il  jurât  par  les  faux  dieux  ; 
ce  qu'il  refusa  de  faire,  en  disant  qu'il  était  chrétien. 

Ils  crurent  d'abord  qu'il  plaisantait  ;  mais,  voyant  qu'il  persistait  dans  sa  résolution,  ils  le 
conduisirent  au  préfet  qui  le  fit  emprisonner.  Les  chrétiens  qui  le  visitèrent  voulurent  savoir  la 
cause  d'un  changement  si  subit.  «  Potamienne  »,  leur  répondit-il,  «  m'est  apparue  dans  la  nuit, 
trois  jours  après  son  martyre  ;  elle  m'a  mis  une  couronne  sur  la  tète,  en  me  disant  qu'elle  avait 
obtenu  pour  moi  du  Seigneur  la  grâce  du  salut,  et  que  bientôt  je  lui  serais  réuni  dans  la  gloire  ». 
Les  frères,  remplis  de  joie,  le  régénérèrent  par  le  baptême.  Le  lendemain  Basilide  confessa  de 
nouveau  la  foi  devant  le  tribunal  du  préfet,  et  fut  condamné  à  être  décapité.  Il  est  nommé  dans  le 
martyrologe  romain,  sous  le  2S  juin,  avec  sainte  Potamienne,  saint  Plutarque  et  ses  compagnons. 

Acta  Sanctorum.  —  Cf.  Godescard,  Baillet. 


SAINT  PAUL  I",  PAPE  (767). 

Paul  I»',  romain  d'origine  et  fils  de  Constantin,  succéda  sur  le  siège  de  saint  Pierre  à  Etienne  II, 
son  frère,  mort  l'an  ~57.  Il  fut  sacré  le  12  mai  de  la  même  année.  Une  pareille  succession  était 
sans  précédent,  mais  le  rare  mérite  de  l'élu  en  était  la  seule  et  unique  cause.  Elevé  par  Grégoire, 
avec  son  frère  Etienne,  dans  le  palais  de  Latran,  formé  aux  mœurs  chrétiennes  et  instruit  des 
sciences  ecclésiastiques,  Paul  était  l'homme  le  plus  capable  de  prendre,  après  son  frère,  le  timon 
des  affaires  de  l'Eglise.  Il  sollicita  jusqu'à  deux  fois,  par  ses  légats,  l'empereur  Constantin  Copro- 
nyme  de  revenir  à  la  saine  doctrine,  qu'il  avait  abandonnée  pour  l'hérésie  ;  mais  le  prince  endurci 
refusa  d'entendre  sa  voix  apostolique  :  il  continua  de  persécuter  les  catholiques,  sévissant  surtout 
contre  les  moines,  dont  plusieurs  se  réfugièrent  en  Italie,  loin  du  tyran  persécuteur.  Paul  les  reçut 
avec  bonté,  leur  assigna  des  monastères  et  des  églises  pourvus  de  revenus  suffisants,  dans  lesquels 
ils  pourraient  célébrer  les  saints  mystères  dans  le  rit  de  leur  patrie. 

Ce  que  les  soins  de  l'administration  des  affaires  de  l'Eglise  lui  laissaient  de  temps,  il  l'em- 
ployait à  nourrir  les  pauvres  de  Jésus-Christ,  à  consoler  les  malades,  à  visiter  les  prisonniers  et  à 
tirer  d'embarras  ceux  qui  étaient  accablés  de  dettes.  Il  bâtit  plusieurs  églises,  une  dans  sa  maison 
paternelle  eu  l'honneur  de  saint  Etienne,  pape  et  martyr  ;  une  autre  dans  la  rue  Sacrée,  près  du 
temple  de  Romulus  ;  et  un  oratoire  de  la  sainte  Vierge,  dans  l'enceinte  de  l'église  de  Saint-Pierre 
au  Vatican,  où  il  mit  une  statue  de  Marie  en  argent  doré  du  poids  de  cent  livres.  En  761,  il 
accorda  au  monastère  de  Saint-Hilaire  un  privilège  portant  qu'à  l'avenir  il  serait  de  la  juridiction 


420  29  JUIN. 

de  l'Eglise  de  Ravenne,  avec  défense  à  qui  que  ce  fût  de  l'en  tirer.  Il  en  donna  un  autre  la  même 
année  à  l'église  et  au  monastère  qu'il  avait  fondés  dans  sa  maison  paternelle  en  l'honneur  des  papes 
saint  Etienne,  martyr,  et  saint  Sylvestre,  confesseur.  Il  transféra  dans  l'église  une  partie  des  reli- 
ques qu'il  avait  tirées  des  cimetières  qui  étaient  hors  de  Rome,  et  qui  avaient  été  déshonorées  par 
les  insultes  des  Lombards.  Au  monastère  il  donna  de  grands  biens  avec  défense  à  l'abbé  d'en 
aliéner  aucun  et  ordonna  que  les  moines  chanteraient  sept  fois  le  jour  les  louanges  de  Dieu.  Enfin, 
étant  mûr  pour  le  ciel,  il  mourut  la  onzième  année  de  son  pontificat,  et  fut  enseveli  au  Vatican, 
dans  la  chapelle  qu'il  avait  fait  bâtir  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge.  Il  quitta  la  terre  pour 
monter  au  ciel  le  21  juin  767.  Néanmoins  le  martyrologe  romain  le  mentionne  sous  le  28  du  même 
mois,  nous  ne  savons  pourquoi. 

On  conserve  plusieurs  lettres  de  lui,  adressées  à  Pépin,  roi  des  Francs.  Il  rend  grâce  à  ce  rw 
si  bon,  et  qui  avait  si  bien  mérité  de  l'Eghse  romaine  en  prenant  sa  défense  contre  les  Lombards; 
il  l'eihorte  en  même  temps  à  conserver  toujours  ce  patronage. 

Propre  de  Morne;  Histoire  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques,  par  Dom  Ceilller. 


XXir  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

A  Rome,  la  naissance  au  ciel  des  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul,  qui  souffrirent  le  mar- 
tyre la  même  année  et  le  même  jour,  sous  l'empereur  Néron  :  le  premier,  crucifié  dans  la  ville, 
la  tète  en  bas,  et  inhumé  au  Vatican,  près  de  la  voie  Triomphale,  est  l'objet  de  la  vénération  de 
toute  la  terre;  l'autre,  décapité  et  enterré  sur  la  voie  d'Ostie,  est  honoré  d'un  culte  aussi  univer- 
sel, lo'  s.  —  A  Argenton,  eu  Berry,  saint  Marcel  ou  Marceau,  martyr,  qui  fut  décapité  pour  la 
foi  chrétienne,  avec  Anastase,  soldat.  Vers  274.  —  A  Gènes,  la  fêle  de  saint  Syr  *,  évèque.  vi»  s. 
—  k  Narni,  saint  Cassius  ^,  évêque  de  cette  ville,  de  qui  saint  Grégoire  rapporte  qu'il  ne  passait 

1.  Saint  Grégoire,  pape  (livre  iv»  do  ses  Dialogues),  parle  de  saint  Syr,  et  lui  donne  le  titre  de  martyr. 
Il  avait  une  église  à  Gênes,  dont  le  même  auteur  fait  aussi  mention.  Les  clercs  réguliers,  dit  le  cardinal 
Baronius,  viennent  de  rebâtir  cette  église,  ruinée  par  les  siècles;  ils  l'ont  agrandie  et  y  ont  ajouté  un 
monastère  de  leur  Ordre.  C'est  pendant  cette  reconstruction  que  l'on  trouva  trois  cercueils,  renfermant 
les  corps  des  trois  saints  évêques  de  Gênes.  Deux  de  ces  cercueils  étaient  munis  des  inscriptions  sui- 
vantes : 

■{-  M  S.  Hic  reguiescit  corpus  sancti  Syri  Episcopi  Januensis.  Obiit  III  cal.  julii  filius  jEmiliani. 

■f  11.  S.  Hic  reguiescit  sanctus  Félix  Epîscopus  Januensis,  gui  vixit  annos  LXX,  rexit  Episcopus  XX' 
récessif  VII  Id.  julii. 

Le  troisième  cercueil  ne  portait  pas  d'inscription;  mais  on  croit  qu'il  contenait  le  corps  de  saint 
Eomule,  évêque  de  la  même  ville.  —  Baronius. 

2.  C  est  encore  par  saint  Grégoire  le  grand  que  nous  savons  quelque  chose  de  saint  Cassius.  évêque 
de  Narni  (S.  Grég.  Homélie  xxxvii  sur  l'Evangile,  ii.  Dialogue,  liv.  m,  eh.  G;  liv.  iv,  ch.  6S).  Il  florissait 
au  temps  de  l'empereur  Justinien,  et  occupa  le  siège  vingt  et  un  ans,  de  537  à  558.  Voici,  en  effet,  Vinscrip- 
tio:i  qui  se  lit  dans  l'église  cathédrale  de  Narni,  sur  la  crypte  de  saint  Juvénal,  où  l'on  croit  que  repos* 
aKssi  la  corps  de  saint  Cassius  : 

Cassius  immérité  Praesul  de  munere  Christi, 
Hic  sua  restitue  terrae  mihi  crédita  membra. 
Quem  fato  anticipans  consors  dulcissima  vit», 
Ante  meum  in  pacem  requiescit  Fausta  sepulcrum. 
Tu,  rogo,  quisquis  ades,  prece  nos  memorare  benigna, 
Cuncta  recepturum  te  noscens  congrua  factis. 
Sedlt  annos  XXI,  mortuus  est  anno  DLVIII.  Requiescit  in  pace 
pridie  kal.  Julii. 

L'inscription  est  tur  un  marbre  de  forme  obloogne.  Elle  porte  une  croix  gravée  ati  milieu,  et  deux 


MARTYROLOGES.  421 

presque  aucun  jour  de  sa  vie  sans  offrir  au  Tout-Puissant  l'hostie  de  pacification  ;  aussi  vivait-il 
d'une  manière  conforme  à  une  pratique  si  sainte,  car  il  donnait  tout  ce  qu'il  avait  aux  pauvres  et 
fondait  en  larmes  à  l'heure  du  sacrifice.  Comme  un  jour,  selon  ce  qu'il  avait  accoutumé  de  faire 
tous  les  ans,  il  était  venu  à  Rome  à  la  fête  des  Apôtres,  après  avoir  célébré  la  messe,  et  donné 
le  Corps  de  Notre-Seigneur  et  la  paix  aux  assistants,  il  passa  de  cette  vie  au  repos  éternel.  558. 
—  Dans  l'île  de  Chypre,  sainte  Marie,  mère  de  Jean,  surnommé  Marc.  l"  s.  —  Au  diocèse  de 
Sens,  sainte  Bénédicte,  appelée  aussi  Benoîte  ou  Béate,  vierge.  Vers  294. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

Mémoire  de  tous  les  saints  Apôtres.  —  Le  premier  dimanche  non  empêché  après  l'octave  des 
saints  apôtres  Pierre  et  Paul,  coramémoraison  de  tous  les  saints  Pontifes  romains.  —  Au  diocèse 
de  Sens,  sainte  Mastiole,  vierge. —  A  Saint-Mihiel,  au  diocèse  de  Verdun^  sainte  Humberge,  vierge, 
sœur  de  saint  Thibaut,  prêtre  et  ermite.  xu«  s.  —  A  Paris,  la  vénérable  Aliz  ou  Alice  de  Bour- 
gotte  (Adelaîs),  recluse.  1466.  —  A  Nevers,  la  fête  de  la  translation  des  reliques  de  sainte  Flavie, 
vierge  et  martyre  •.  Son  corps  fut  découvert,  le  19  novembre  1838,  dans  les  cataccmbes  de  Sainte- 
Priscille.  M.  l'abbé  Joseph  Gaume,  alors  vicaire  général  de  Nevers,  obtint  du  souverain  pontife 
Grégoire  XVI,  le  8  mars  1842,  ce  précieux  dépôt  pour  le  catéchisme  de  persévérance  de  la  paroisse 
de  Saint-Cyr  de  Nevers.  L'année  suivante,  le  21  juin  1843,  avant  la  cérémonie  de  la  translation 
des  reliques  de  la  sainte,  M.  l'abbé  Gaume  remit  à  Mgr  Dominique-Augustin  Dufêtre,  évêque  de 
Nevers,  les  lettres  apostoliques  qu'il  avait  obtenues  et  qui  ét;iblissaient  l'authenticité  des  reliques 
qu'il  présentait  ;  Monseigneur  reconnut  les  reliques  et  les  véoéra.  Les  principales  parties  du  corps 
avaient  été  renfermées  dans  la  tête,  la  poitrine,  les  mains  et  les  pieds  de  l'image  en  cire  de  la 
sainte.  Le  29  du  môme  mois  de  juin  1843,  eut  lieu  la  translation  solennelle  de  la  châsse.  Le  pré- 
cieux trésor  fut  déposé  dans  la  chapelle  de  Sainte-Julitte,  sur  un  autel  provisoire.  Monseigneur  y 
célébra  la  sainte  messe,  et  y  fit  une  instruction  analogue  à  la  circonstance.  Ce  ne  fut  que  le  soir 
que  ces  saintes  reliques  furent  transportées  dans  la  chapelle  du  catéchisme  de  persévérance  où 
elles  demeurèrent  exposées  pendant  neuf  jours  à  la  vénération  des  fidèles  *.  —  A  Frasnes-les- 
Buissenal ,  dans  le  Ilainaut  (Belgique) ,  Pierre  Famelart,  curé  de  Tourcoing ,  au  diocèse  de 
Tournai.  Il  fut  mis  à  mort  en  haine  de  la  religion  par  les  protestants  des  Pays-Bas.  Son  corps  fut 
déposé  devant  le  maître-autel  de  l'église  paroissiale  de  Tourcoing  oîi  vingt  ans  plus  tard  on  le 
trouva  sans  aucune  marque  de  corruption.  Un  historien  belge  dit  même  que,  après  un  siècle  entier, 
Mgr  de  Choiseul,  évêque  de  Tournai,  retrouva  le  corps  dans  le  même  état  d'intégrité.  Vers  le  milieu 
du  xvi»  s.  —  A  Redon ,  au  diocèse  de  Rennes ,  Vmcente-Eugénie  Levesque  de  Saint- 
James,  jeune  personne  d'une  éminente  piété.  On  lit  à  son  sujet,  dans  les  registres  de  la  paroisse 
Notre-Dame  de  Redon  :  «  L'an  1784,  le  30  juin,  a  été  inhumée  Vincente-Eugénie  Levesque, 
demoiselle  de  Saint-James,  morte  en  odeur  de  sainteté  à  l'âge  de  vingt-huit  ans.  Mère  des  pauvres, 
elle  a  consacré  à  leur  service  les  plus  belles  années  de  sa  vie.  Le  soin  de  leur  édification,  de  leur 
éducation,  de  leur  subsistance  et  de  leur  soulagement  dans  leurs  maladies  l'a  constamment  occupée. 
Sa  mémoire  doit  être  en  bénédiction  ».  1784.  —  A  Saint-Palais,  près  de  Saintes,  la  vénérable  Marie- 
Eustelle  Harpain,  vierge,  célèbre  par  les  écrits  spirituels  sous  forme  de  lettres  qu'elle  nous  a 
laissés  ^  1842. 

ADDITIONS  FAITES  d'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES   HAGIOGRAPHES. 

A  Padoue,  en  Italie,  saint  Léolin  et  saint  Hilaire,  qui  furent  tous  deux  évêques  de  ce  siège, 
aux  III"  et  ive  siècles.  —  Près  d'Oberaltaich,  en  Bavière,  la  bienheureuse  Salomé  et  la  bienheu- 
reuse Judith,  recluses.  Salomé  était  issue,  dit-on,  d'une  famille  royale  d'Angleterre,  peut-être  d'Eg- 
bert,  roi  des  Anglo-Saxons.  Après  la  mort  de  ses  parents,  elle  fut  élevée  à  la  cour  du  roi  Ethet- 
■wolf.  Elle  sanctifia  sa  jeunesse  par  la  pratique  de  toutes  les  vertus  chrétiennes  ;  jamais  la  vaine 
gloire  ne  séduisit  son  cœur,  et  elle  se  fortifia  peu  à  peu  dans  la  résolution  de  quitter  le  monde. 
Elle  entreprit,  avec  quelques  servantes,  le  pèlerinage  de  la  Terre-Sainte,  et,  à  son  retour,  elle 
s'arrêta  dans  le  voisinage  de  Ratisbonne,  et  ensuite  près  de  Passau.  Après  cela,  Gauthier,  abbé 
d'Oberaltaich,  l'accueillit  et  lui  assigna  un  ermitage  où  elle  répandit  autour  d'elle  l'éclat  de  sa 
vertu.  Il  est  dit  dans  ses  Actes  qu'une  de  ses  parentes,  nommée  Judith,  quitta  l'Angleterre  pour 
aller  la  chercher  et  que  Salomé  la  détermina  à  embrasser  le  même  genre  de  vie.  Elles  moururent 

agneaux  sculptés  de  chaîne  c6té.  Saint  Casslns  composa  Inl-même  les  six  vers  qu'on  vient  de  lire  ;  il  les 
fit  graver  sur  le  tombeau  qu'il  s'était  fait  construire  de  son  vivant.  Le  reste  de  l'inscription,  depuis  Sedit, 
fat  ajouté  après  sa  mort.  Ses  reliques  se  gardent  dans  la  cathédrale  de  Narni.  —  Baronios. 

1.  Nous  avons  donné  sa  vie  au  12  mai,  tome  y,  page  4S4. 

S.  Mgr  Crosnier,  Hagiologie  nivemaise.  —  8.  Voir  le  tome  consacré  aux  Vénérables. 


422  29  JUIN. 

toutes  deux  en  odeur  de  sainteté  et  furent  enterrées  à  Oberaltaich.  Vers  880.  —  A  Gurk,  en  Carin- 
thie,  la  bienheureuse  Hemme,  veuve,  fondatrice  du  monastère  de  ce  lieu.  Parente  du  saint  roi 
Henri,  d'un  sang  illustre  et  d'une  beauté  irréprochable,  cette  pieuse  comtesse  brilla  plus  encore 
par  ses  vertus  que  par  sa  naissance.  Elle  épousa  le  landgrave  Guillaume  dont  elle  eut  plusieurs 
enfants.  Le  ciel  l'ayant  privée  subitement  et  de  son  époux  et  de  sa  jeune  famille,  elle  choisit  dès 
lors  Jésus  pour  son  unique  héritage.  Elle  employa  ses  grands  biens  à  fonder  un  double  monastère 
dansla  vallée  de  Gurk;  elle  prit  elle-même  le  voiledans  celui  des  religieuses  qui  devaient  être  au  nombre 
de  soixante-douze  ;  en  l'honneur  des  soixante-douze  disciples  ;  vingt  prêtres  y  célébraient  tous  les 
jours  les  saints  mystères.  Ce  double  monastère,  qui  était  placé  sous  la  Règle  de  Saint-Benoît, 
subit  des  changements  lors  de  l'érection  de  Gurk  en  évèché,  l'an  1073.  Celui  des  religieuses  fut 
détruit,  et  les  moines  firent  place  à  des  Chanoines  réguliers.  iNotre  Sainte  dota  aussi  nombre  d'églises 
et  de  monastères  et  mourut  pleine  de  bonnes  œuvres.  Son  corps  vénérable  fut  déposé  avec  respect 
dans  son  monastère  de  Gurk  qui  devint  dès  lors  célèbre  par  les  nombreux  prodiges  qui  y  éclatè- 
rent. 1045.  —  A  Spolète,  en  Ombrie,  la  bienheureuse  Angeline,  vierge,  de  l'Ordre  de  Sainte-Claire. 
On  ne  sait  presque  rien  de  sa  vie  :  toutefois,  les  peintures  qui  ornent  l'autel  qui  lui  est  dédié  à 
Spolète,  nous  en  retracent  les  principaux  traits.  La  Bienheureuse  nous  y  apparaît  avec  un  visage 
resplendissiint,  une  tenue  simple  et  modeste.  Son  extérieur  respire  la  pureté,  la  virginité,  la  plus 
tendre  piété.  On  voit  autour  d'elle  un  groupe  d'infirmes,  d'aveugles,  de  lépreux  et  de  paralytiques 
qui  implorent  son  secours  et  obtiennent  d'elle  leur  guérison.  A  droite  est  un  ange  du  ciel  qui 
présente  à  la  vierge,  de  la  part  du  diVin  Epoux,  l'anneau  conjugal.  Elle  mourut  au  monastère  des 
Clarisses  de  Spolète,  appelées  à  cette  époque  les  dames  du  palais,  après  avoir  édifié  ses  sœurs, 
pendant  l'espace  de  dix  ans,  par  l'éclat  des  plus  sublimes  vertus.  1450. 


SAINT  PIERRE,  PRINCE  DES  APOTRES, 

PAPE  &  MARTYR 
66.  —  Empereur  :  Néron. 


Beatus  Petrus  est  primus  apostolorum  «l  mnyna  co- 
lumna  veri  tabemaculi.  Ipse  est  custos  fidei,  petra 
Ecclesix,  janitor  cœlorum. 

Saint  Pierre  est  le  chef  du  collège  apostolique  et  lii 

colonne  inébranlable  du   tabernacle  de  la  nouvelle 

loi.   Il   veille  sur  le  dépôt  de   notre  foi,  soutient 

l'édiflce  de  l'Eglise,  et  nous  ouvre  la  porte  du  ciel. 

S.  Greg.,  in  Homil.;  S.  Chrysol.,  in  Serm. 

Comment  pourrîons-nous  refuser  un  éloge  à  celui  que  le  Fils  de  Dieu, 
qui  est  la  Vérité  éternelle,  a  lui-même  déclaré  bienheureux,  et  qu'il  a  laissé 
à  sa  place  lorsqu'il  est  retourné  vers  son  Père,  afm  qu'il  fût  le  soutien  et  la 
pierre  fondamentale  de  son  Eglise?  C'est  de  lui  qu'il  avait  dit  par  le  pro- 
phète Isaïe,  selon  l'explication  du  savant  et  pieux  cardinal  Bellarmin,  que, 
pour  établir  plus  solidement  l'édifice  de  Sion,  il  mettrait  dans  ses  fonda- 
tions une  pierre  éprouvée,  angulaire  et  précieuse,  qui  serait  elle-même 
fondée  sur  le  premier  et  le  principal  fondement,  c'est-à-dire  sur  son  adora- 
ble personne.  C'est  à  lui  qu'il  a  commandé  de  confirmer  ses  frères,  donné 
les  clefs  du  royaume  des  cieux,  avec  une  autorité  si  grande  de  lier  ou  de 
délier,  que  la  sentence  de  Pierre  doit  précéder  la  sentence  de  Dieu,  et  que 
tout  ce  que  Pierre  lie  ou  délie  sur  la  terre,  est  en  même  temps  lié  ou  délié 
dans  les  cieux  ;  à  qui  enfin  il  a  ordonné  de  paître  toutes  ses  brebis  et  tous  ses 
agneaux,  sans  qu'il  y  en  ait  un  seul  qui  ne  soit  sous  sa  conduite.  Il  est  vrai 
que  tout  ce  que  nous  en  pouvons  dire  est  infmiment  au-dessous  de  ses  mé- 
rites ;  mais  il  ne  nous  esi  pas  permis,  pour  cela,  de  nous  taire,  et  de  ne  point 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES  APÔTRES.  423 

instruire  les  fidMcs  de  ses  glorieuses  actions  et  des  faveurs  signalées  qu'il  a 
reçues  de  son  divin  Maître. 

Il  était  Juif,  ou,  pour  mieux  dire,  Hébreu  de  naissance,  et  natif  de  Beth- 
saïde,  bourg  de  la  tribu  de  Nephthali,  dans  la  Haute-Galilée,  sur  le  bord 
occidental  de  la  mer  de  Génézareth.  Son  père  s'appelait  Jonas  ou  Jean,  d'où 
vient  qu'il  est  nommé  dans  l'Evangile  Bar-Jona,  et  Simon  Joannis,  fils  de 
Jonas  ou  de  Jean.  Il  exerçait  la  profession  de  pêcheur,  qui  paraît  avoir  été 
celle  de  leur  père.  Ils  quittèrent  depuis  le  séjour  de  Bethsaïde,  pour  aller 
fixer  leur  domicile  à  Capharnaum,  ville  de  Galilée.  Cette  ville  était  très- 
commode  pour  la  pêche,  étant  située  sur  le  bord  de  la  mer,  près  de  Tem- 
bouchure  d'un  grand  fleuve,  sur  les  conQns  des  tribus  de  Zabulon  el  de 
Nephthali.  Il  avait  avec  lui  son  frère  aîné  appelé  André,  qui  ne  se  maria 
point  ;  mais,  pour  lui,  il  épousa,  à  Capharnaum,  une  femme  que  l'on  nomme 
Perpétue,  et  que  Métaphraste  dit  avoir  été  fille  d'Aristobule,  frère  de  Bar- 
nabe. Sa  vie  était  pauvre,  mais  juste  et  innocente.  Il  gardait  fidèlement  les 
commandements  de  Dieu  et  les  ordonnances  de  la  loi,  et  entretenait  en 
paix  sa  famille  avec  sa  belle-mère,  du  travail  continuel  de  sa  pêche.  Comme 
son  frère  André  n'avait  pas  les  mêmes  engagements  que  lui,  il  eut  la  liberté 
d'aller  entendre  saint  Jean  qui  prêchait  la  pénitence  dans  le  désert.  Il  se  fit 
même  son  disciple,  et  eut  le  bonheur  d'être  présent  lorsque  ce  saint  Pré- 
curseur montra  Notre-Seigneur  du  doigt,  et  déclara  qu'il  était  l'Agneau  de 
Dieu  qui  venait  effacer  les  péchés  du  monde.  Cette  parole  entra  bien  avant 
dans  son  esprit  ;  de  sorte  que,  préférant  le  soleil  à  l'aurore  et  Jésus- Christ 
à  son  précurseur,  il  le  suivit,  lui  demanda  oti  il  demeurait,  et  ayant  eu, 
par  cette  occasion,  une  conférence  avec  lui,  il  fut  tellement  charmé  de 
l'onction  de  ses  discours  et  de  l'éminence  de  sa  doctrine,  qu'il  s'attacha  à 
lui  pour  jamais. 

Ce  trésor  était  trop  précieux  pour  n'être  possédé  que  de  lui  seul  :  il  en 
fit  part  à  son  frère,  et  l'amena  dès  le  lendemain  à  son  nouveau  Maître. 
Notre-Seigneur  le  voyant,  lui  dit  :  «  Vous  êtes  Simon,  fils  de  Jonas  ;  désor- 
mais vous  vous  appellerez  Pierre  ».  Ainsi  il  changea  son  nom,  et,  au  lieu 
de  celui  de  Simon,  qu'il  avait  porté  depuis  sa  circoncision,  il  lui  donna  celui 
de  Pierre,  c'est-fi-dire,  en  hébreu,  Céphas.  Ce  changement  ne  se  fit  pas  sans 
un  grand  mystère  ;  car  ce  fut,  selon  la  doctrine  de  saint  Athanase,  de  saint 
Basile,  de  saint  Chrysostome,  de  saint  Augustin,  de  saint  Jérôme,  de  saint 
Léon,  et  des  autres  Pères,  pour  nous  apprendre  que  cet  Apôtre  serait,  par 
lui-même  et  par  ses  successeurs,  la  base,  le  fondement,  la  pierre  ferme  et  le 
rocher  immobile  sur  lequel  l'Eglise,  qui  est  la  colonne  de  la  vérité,  serait 
appuyée.  C'est  ce  qui  fait  dire  aussi  à  saint  Hilaire,  évêque  de  Poitiers,  sur 
le  chap.  XVI  de  saint  Matthieu,  que,  dans  l'imposition  de  ce  nouveau  nom, 
il  reconnaît  d'abord  le  bienheureux  fondement  de  l'Edise,  et  la  pierre 
digne  de  porter  un  si  admirable  édifice  ;  et  à  saint  CyriMe  d'Alexandrie,  au 
livre  II  sur  saint  Jean,  que  dès  la  première  démarche  de  saint  Pierre,  il 
paraît  par  le  nom  que  le  Fils  de  Dieu  lui  donne,  que  l'Eglise  doit  être 
établie  sur  lui  comme  sur  un  rocher  très-solide,  qui  ne  peut  jamais  être 
ébranlé. 

Nous  ne  doutons  point  que,  dans  cette  heureuse  entrevue,  saint  Pierre 
n'ait  été  changé  en  un  autre  homme,  que  son  esprit  n'ait  été  éclairé  d'une 
lumière  extraordinaire  pour  connaître  l'excellence  de  celui  qui  lui  parlait 
et  le  divin  mystère  de  sa  mission,  et  que  son  cœur  ne  se  soit  senti  enflammé 
d'un  grand  amour  pour  lui  et  d'un  zèle  impatient  de  procurer  sa  gloire. 
Néanmoins,  comme  il  était  obligé  de  gagner  sa  vie  et  celle,  de  sa  famille  par 


424  29  JTjm. 

le  travail  de  ses  mains,  il  retourna  à  sa  maison  et  à  son  emploi,  attendant 
le  bienheureux  moment  où  son  Maître  le  dégagerait  de  toutes  les  occupa- 
tions séculières  pour  l'attacher  à  lui.  Il  y  eut  près  de  quinze  mois  entre 
cette  première  vocation,  qui  fut  au  commencement  de  la  trente  et  unième 
année  du  salut,  et  la  seconde,  qui  ne  fut  que  vers  le  mois  de  mars  de  la 
trente-deuxième.  Nous  croyons  pourtant  que,  dans  cet  intervalle,  où  l'Evan- 
gile nous  représente  toujours  Notre-Seigneur  avec  des  disciples,  saint 
Pierre  se  dérobait  souvent  à  ses  fonctions  domestiques  pour  aller  avec  lui, 
et  qu'ainsi  il  se  trouya  aux  noces  de  Cana,  en  Galilée,  où  Jésus  changea 
l'eau  en  vin  ;  au  temple  de  Jérusalem,  où  il  chassa  les  marchands  avec  un 
fonet;  à  l'entretien  avec  Nicodème,  l'un  des  premiers  d'entre  les  Phari- 
siens ;  au  passage  par  la  ville  de  Sichar,  où  la  Samaritaine  fut  convertie,  et 
enfin  à  la  guérison  du  fils  d'un  haut  seigneur  dans  la  ville  de  Capharnaum  ; 
car  toutes  ces  actions  se  sont  passées  entre  ces  deux  vocations. 

Le  temps  étant  venu  où  le  Fils  de  Dieu  voulait  former  son  collège  apos- 
tolique et  préparer  des  ouvriers  pour  la  prédication  de  l'Evangile,  il  vint 
sur  le  bord  de  la  mer  de  Galilée,  que  l'Evangile  appelle  aussi  la  mer  de 
Tibériade  et  le  lac  de  Génézareth,  et,  ayant  aperçu  les  deux  frères  Pierre  et 
André  qui  jetaient  leurs  filets  dans  la  mer,  il  leur  dit  :  «  Venez  à  ma  suite 
et  je  vous  ferai  pêcheurs  d'hommes  ».  Saint  Pierre  était  trop  averti  par  son 
nom  de  Simon,  qui  signifie  obéissant,  de  l'obligation  qu'il  avait  de  se  sou- 
mettre à  la  volonté  d'un  si  grand  Maître,  pour  y  résister.  Il  laissa  donc  ses 
filets  à  l'heure  même,  et  suivit  celui  qui  l'appelait,  abandonnant  entière- 
ment à  sa  providence  le  soin  de  sa  personne  et  de  toute  sa  maison,  qui 
n'avait  subsisté  jusqu'alors  que  par  le  moyen  de  sa  pêche.  Mais  il  ne  risqua 
rien  par  cet  abandon  ;  car  Notre-Seigneur,  pour  le  gouvernement  d'une 
barque,  lui  donna  celui  de  son  Eglise,  et  pour  des  filets  à  demi  rompus,  lui 
donna  la  plénitude  des  grâces  gratuites  qui  sont  des  moyens  souverains 
pour  prendre  les  âmes  et  les  attirer  à  Dieu.  Il  prit  aussi  en  afl"ection  tout  ce 
qui  le  touchait,  et  honora  même  sa  maison  de  plusieurs  visites,  en  l'une 
desquelles  il  guérit  sa  belle-mère  d'une  fièvre  violente  qui  la  tourmentait; 
et,  après  avoir  mangé  avec  ses  disciples",  il  y  fit  sur  le  soir  une  foule  de  mi- 
racles. 

La  nacelle  du  saint  Apôtre  avait  été  jusqu'à  ce  temps-là  l'instrument  de 
son  métier  ;  mais  elle  fut  depuis  une  excellente  figure  de  l'Eglise  chrétienne 
dont  il  devait  être  le  pilote.  C'est  dans  cette  vue  que  Notre-Seigneur  lui  per- 
mit quelquefois  d'y  retourner,  de  la  conduire  en  mer  et  de  s'en  servir  pour 
la  pêche.  Un  jour  étant  lui-même  extrêmement  pressé  par  une  foule  nom- 
breuse venue  pour  l'entendre,  il  entra  dedans,  et  l'ayant  fait  reculer  du 
bord,  il  s'en  servit  comme  d'une  chaire  pour  instruire  cette  innombrable 
multitude.  Ensuite  il  commanda  à  Pierre  d'aller  en  haute  mer  et  d'y  jeter 
ses  filets  pour  prendre  du  poisson  :  saint  Pierre  lui  répondit  qu'ils  y  avaient 
travaillé  inutilement  toute  la  nuit,  mais  que,  puisqu'il  le  commandait,  il  ne 
ferait  point  difficulté  de  jeter  encore  une  fois  le  filet.  Le  commandement 
du  Maître  et  l'obéissance  du  disciple  eurent  un  si  heureux  succès,  que  le 
filet  fut  aussitôt  rempli  d'un  grand  nombre  de  beaux  poissons,  et  il  parut 
même  si  pesant,  qu'il  fallut  appeler  saint  Jacques  et  saint  Jean,  qui  étaient 
dans  une  autre  barque,  pour  le  tirer  de  l'eau.  Saint  Pierre  fut  alors  touché 
du  sentiment  d'une  profonde  humilité,  et,  se  jetant  aux  pieds  du  Sauveur, 
il  lui  dit  :  «  Seigneur,  retirez-vous  de  moi,  parce  que  je  suis  un  homme 
pécheur  ».  Mais  le  Fils  de  Dieu  le  rassura  et  lui  dit  de  ne  rien  craindre,  et 
que,  dans  la  suite,  il  ne  pécherait  plus  de  poissons,  mais  qu'il  prendrait  des 


SAINT   PIERRE,    PRINCE  DES  APÔTRES.  425 

hommes  par  le  filet  et  l'hameçon  spirituels  de  la  prédication.  Toute  cette 
action  est  remplie  de  grands  mystères.  L'on  y  voit,  comme  dans  un  tableau, 
que  c'est  dans  l'Eglise  seule,  figurée  par  la  nacelle  de  saint  Pierre,  qu'il 
faut  chercher  Jésus-Christ  et  sa  doctrine  ;  qu'avant  sa  venue,  les  prédica- 
teurs, qui  étaient  les  Prophètes  et  les  docteurs  de  la  loi,  étaient  extrême- 
ment impuissants  pour  opérer  la  conversion  des  âmes  ;  mais  que  sa  pré- 
sence a  donné  une  force  merveilleuse  à  ses  missionnaires  pour  ce  grand 
ouvrage  ;  qu'après  qu'il  aurait  prêché,  les  Apôtres  devaient  aller  en  haute 
mer,  c'est-à-dire  dans  toutes  les  nations  infidèles,  pour  y  jeter  les  filets  de 
î'Evangile  ;  que  saint  Pierre  serait  le  chef  de  cette  mission  et  de  toute 
l'Eglise,  et  que  les  autres  ouvriers  évangéliqucs,  c'est-à-dire  les  évêques,  les 
docteurs  et  les  prédicateurs,  seraient  seulement  appelés  m  partem  sollicitu- 
dinis,  pour  être  ses  co'opérateurs  et  pour  avoir  part  à  sa  sollicitude  ;  enfin, 
que  plus  on  réussit  dans  le  ministère  de  la  prédication  et  du  salut  des  âmes, 
plus  on  se  doit  humilier  devant  Dieu,  en  reconnaissant  que  l'on  est  de  soi- 
même  incapable  de  tout  succès,  et  qu'une  œuvre  d'un  si  grand  mérite 
dépend  entièrement  de  sa  grâce  et  de  sa  miséricorde. 

Tout  l'Evangile  est  plein  des  autres  faveurs  que  Notre-Seigneur  a  faites 
à  saint  Pierre.  Lorsqu'il  alla  ressusciter  la  Iille  de  Jaïre,  l'un  des  principaux 
chefs  de  la  synagogue,  ne  voulant  avec  lui  que  trois  disciples,  il  nomma 
saint  Pierre  le  premier  pour  l'accompagner.  Lorsqu'il  choisit  douze  Apôtres 
dans  le  grand  nombre  de  ses  disciples,  pour  être  les  fondements,  les  colon- 
nes, les  flambeaux,  les  pierres  précieuses  et  les  architectes  de  son  Eglise,  il 
donna  aussi  le  premier  rang  à  saint  Pierre  ;  et  c'est  ce  qui  fait  que  les  Evan- 
gélistes,  qui  changent  souvent  l'ordre  des  autres  Apôtres,   ne  changent 
jamais  celui  de  Pierre,  mais  le  mettent  toujours  à  la  tête  de  tous  les  autres, 
et  que  souvent  même  ils  ne  nomment  que  lui,  se  contentant  de  parler  des 
autres  en  commun,  comme  de  ceux  dont  il  était  le  chef.  De  plus,  quand  les 
Apôtres,  qui  étaient  en  mer,  furent  surpris  d'une  si  furieuse  tempête  qu'ils 
se  croyaient  absolument  perdus,  le  Sauveur  étant  venu  à  leur  secours  en 
marchant  à  pied  sec  sur  les  eaux,  notre  Apôtre  fut  encore  le  premier  qui  le 
reconnut,  et  il  fut  le  seul  qui  eut  le  courage  de  lui  demander  de  marcher 
sur  l'eau  comme  lui^  et  de  l'aller  trouver  par  un  chemin  si  nouveau  et  si 
peu  frayé  des  hommes.  L'exécution  ne  l'étonna  pas  plus  que  la  demande  : 
car,  à  peine  Notre-Seigneur  lui  eut-il  répondu  :  «  Venez  »,  qu'il  se  jeta  en 
bas  du  vaisseau,  et  se  mit  à  marcher  sur  la  mer  comme  si  c'eût  été  la  terre 
ferme  :  en  quoi  sa  foi  est  d'autant  plus  admirable,  que  la  mer  était  alors 
agitée  par  un  grand  vent  :  elle  élevait  de  tous  côtés  des  montagnes  d'eau  ; 
à  peine  un  vaisseau  bien  fort  et  bien  équipé  pouvait-il  être  en  sûreté.  Il  est 
vrai  qu'un  coup  de  vent  qui  augmenta  la  tourmente  le  fit  un  peu  trembler  ; 
ce  qui  fut  cause  qu'il  commença  à  enfoncer  dans  l'eau  et  à  se  mouiller  ; 
mais  saint  Maxime,  dans  le  premier  sermon  sur  la  fête  des  Apôtres,  après 
avoir  dit  que  Notre-Seigneur  ne  permit  cette  faiblesse  que  pour  montrer  la 
différence  qui  était  entre  le  Maître  et  le  disciple,  ajoute  que,  dans  cette 
crainte  même,  la  foi  de  Pierre  parait  tout  à  fait  merveilleuse,  puisqu'en 
criant  sans  se  troubler  :  «  Seigneur,  sauvez-moi  »,  il  montra  qu'il  se  défiait 
bien  de  lui-même,  mais  qu'il  avait  une  entière  confiance  au  secours  de  Celui 
qui  l'avait  appelé.  En  effet,  à  peine  le  Fils  de  Dieu  lui  eut-il  donné  la  main, 
qu'il  reprit  sa  première  fermeté,  et  que,  marchant  sur  les  flots  avec  une 
assurance  intrépide,  il  retourna  au  vaisseau  en  sa  compagnie,  par  le  même 
chemin  qu'il  était  venu. 

Peu  de  temps  après,  le  saint  Apôtre  donna  une  autre  preuve  de  son 


420  29  JUIN. 

amour  et  de  son  zèle  pour  Notre-Seigneur.  Un  jour,  ce  divin  Maître,  prê- 
chant aux  Juifs  de  Capharnaum,  leur  découvrit  le  mystère  adorable  du 
Sacrement  de  l'autel,  qu'il  voulait  instituer;  il  leur  dit  que  sa  chair  était 
véritablement  une  viande,  et  son  sang  véritablement  un  breuvage,  sans 
l'usage  desquels  il  serait  impossible  d'avoir  la  vie.  Non-seulement  le  peuple 
grossier,  mais  aussi  plusieurs  de  ses  disciples  en  furent  scandalisés  et  se  reti- 
rèrent de  sa  compagnie.  Alors  il  adressa  la  parole  à  ses  Apôtres,  et  leur  dit  : 
«  Et  vous  voulez,  vous  aussi,  vous  en  aller?  »  mais  notre  Saint,  prenant  la 
parole  pour  tous  ses  confrères,  lui  dit  avec  beaucoup  de  tendresse  :  «  Sei- 
gneur, que  nous  dites-vous  là?  A  qui  donc  pourrions-nous  aller?  Vos  pa- 
roles sont  des  paroles  de  vie  éternelle,  et  nous  croyons  fermement,  et  nous 
sommes  entièrement  persuadés  que  vous  êtes  le  Christ,  le  Fils  de  Dieu 
vivant  ».  Ainsi,  il  fut  le  premier  qui  confessa  la  vérité  de  l'Eucharistie,  et  il 
engagea  aussi  ses  compagnons  à  confesser  ce  grand  mystère  et  à  demeurer 
fermes  au  service  de  Jésus-Christ. 

Il  fît,  à  peu  de  jours  de  là,  une  confession  presque  semblable,  qui  lui 
mérita  de  grandes  louanges  et  une  promesse  très-avantageuse  de  la  part  de 
son  divin  Maître.  Notre-Seigneur,  étant  passé  au  quartier  de  Césarée  de 
Philippe,  demanda  à  ses  disciples  quels  sentiments  les  hommes  avaient  du 
Fils  de  l'Homme,  c'est-à-dire  de  lui-môme.  Ils  répondirent  que  les  uns  le 
prenaient  pour  Elie,  d'autres  pour  Jean-Baptiste,  d'autres  pour  Jérémie, 
d'autres  enfîn  pour  quelqu'un  des  anciens  Prophètes,  sans  en  déterminer 
aucun  en  particulier.  «  Jusque-là  »,  dit  saint  Léon,  pape,  a  la  réponse  fut 
commune,  parce  qu'il  ne  s'agissait  que  des  diverses  opinions  du  peuple  ; 
mais  quand  le  Fils  de  Dieu  ajouta  :  Et  vous,  qui  dites-vous  que  je  suis,  et 
quels  sentiments  avez-vous  de  ma  personne  ?  »  Alors  celui  qui  était  le  pre- 
mier dans  la  dignité  d'Apôtre  fut  aussi  le  premier  dans  la  confession  de  sa 
divinité  :  «Vous  êtes»,  dit  Pierre,  au  nom  de  tous,  a  le  Christ,  Fils  du  Dieu 
vivant  ».  Notre-Seigneur,  qui  ne  se  laisse  jamais  vaincre  par  ses  serviteurs 
dans  les  témoignages  d'amour  et  de  bienveillance  qu'ils  lui  font  paraître, 
lui  répliqua  aussitôt  :  «  Vous  êtes  bienheureux,  Simon,  fils  de  Jonas  :  car 
ce  n'est  pas  la  chair  et  le  sang  qui  vous  ont  découvert  ce  grand  mystère, 
mais  mon  Père  qui  est  dans  les  cieux.  Et  moi  je  vous  dis  que,  comme  vous 
m'avez  reconnu  et  confessé  pour  le  Christ  et  le  véritable  Messie,  qui  est 
venu  fonder  l'Eglise  des  enfants  de  Dieu  sur  la  terre,  je  déclare  aussi  que  vous 
êtes  la  pierre  et  le  fondement  de  cette  Eglise,  et  que  ce  sera  sur  cette  pierre 
que  je  la  bâtirai  ;  ce  que  je  ferai  si  solidement,  que  toutes  les  puissances  de 
l'enfor  ne  pourront  jamais  l'emporter  sur  elle.  Je  vous  donnerai  aussi  les 
clefs  du  royaume  des  cieux,  en  sorte  que  ce  que  vous  aurez  lié  sur  la  terre 
sera  lié  dans  les  cieux,  et  que  ce  que  vous  aurez  délié  sur  la  terre  sera  en 
même  temps  déhé  dans  les  cieux  ».  Ainsi,  comme  dit  encore  saint  Léon,  il 
donna  par  participation  à  Pierre  ce  qui  lui  appartenait  par  puissance,  et  il 
l'associa  à  cette  autorité  souveraine  qui  ne  convient  qu'à  lui  seul  par  le  mé- 
rite infini  de  sa  personne. 

Un  jour,  notre  Saint,  voulant  dissuader  son  divin  Maître  d'endurer  la 
mort  qu'il  souhaitait  avec  tant  d'ardeur,  Jésus-Christ  le  repoussa  avec  in- 
dignation et  l'appela  Satan  ;  non  pas  qu'il  improuvât  entièrement  son  affec- 
tion et  son  zèle,  que  saint  Jérôme  relève  extrêmement  comme  une  marque 
de  sa  foi  et  de  la  haute  estime  qu'il  avait  de  la  dignité  de  son  Maître  :  le 
Sauveur  des  hommes  en  agit  ainsi  pour  nous  apprendre  que  nous  devons 
regarder  comme  des  tentateurs  ceux  qui  nous  détournent  de  souffrir  quel- 
que chose  pour  son  service.  Peu  de  jours  après,  il  le  choisit  encore  le  pre- 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES  APÔTRES.  427 

mier  pour  être  présent  à  sa  Transfiguration,  afin  que  le  grand  mystère  qui 
devait  faire  paraître  la  gloire  de  sa  divinité  ne  reçût  pas  seulement  témoi- 
gnage de  Moïse,  qui  représentait  la  loi,  et  d'Elie,  qui  représentait  les 
Prophètes,  mais  aussi  de  Pierre,  qu'il  avait  désigné  pour  chel"  de  son  Eglise. 
Les  Evangélisles  nous  apprennent  que  cet  Apôtre  fut  tellement  charmé  de 
l'éclat  merveilleux  qui  parut  sur  le  visage  et  sur  les  habits  du  Fils  de  Dieu, 
qu'il  s'écria  :  «  Seigneur,  nous  sommes  bien  ici  :  dressons-y,  s'il  vous  plaît, 
trois  lentes,  une  pour  vous,  une  pour  Moïse  et  une  pour  Elie  ».  Mais  il  était 
alors  en  extase  ;  et  ce  n'était  plus  sa  raison,  dit  saint  Chrysostome,  mais  son 
amour  qui  parlait  :  ce  que  l'Ecriture  nous  signifie  lorsqu'elle  dit  qu'  «  il 
ne  savait  ce  qu'il  disait  ». 

Jésus-Christ  fit  encore  voir  par  une  autre  action  la  prééminence  qu'il 
voulait  lui  donner  au-dessus  de  ses  confrères.  Les  receveurs  des  impôts 
ayant  demandé  à  cet  apôtre  si  son  Maître  ne  payait  pas  l'impôt  annuel  du 
temple,  il  voulut  qu'il  leur  allât  porter  une  pièce  d'argent  qu'il  lui  fit  trou- 
ver miraculeusement  dans  la  bouche  d'un  poisson,  indivisiblementpour  lui 
et  pour  soi.  Il  lui  apprit  ensuite,  comme  à  celui  à  qui  il  avait  donné  les  clefs 
du  royaume  des  cieux,  qu'il  ne  devait  pas  borner  à  sept  fois  le  pardon  des 
péchés,  mais  qu'il  le  devait  accorder  sans  bornes,  et  autant  de  fois  qu'il 
trouverait  dans  les  pénitents  les  dispositions  nécessaires  pour  le  recevoir. 

Depuis,  notre  Saint  lui  ayant  demandé  quelle  récompense  ils  devaient 
attendre  de  sa  bonté,  lui  et  les  autres  Apôtres  qui  avaient  tout  quitté  pour 
le  suivre,  il  ne  lui  répondit  pas  que,  n'ayant  quitté  qu'une  barque  et  ses 
filets,  ils  n'avaient  pas  droit  de  s'attendre  à  une  grande  récompense,  mais, 
considérant,  dit  saint  Jérôme,  qu'ils  avaient  beaucoup  quitté  puisqu'ils  ne 
s'étaient  rien  réservé,  et  qu'ils  avaient  même  renoncé  au  désir  et  h  l'espé- 
rance d'acquérir  les  biens  de  ce  monde,  il  répondit  que  leur  salaire  serait 
très-grand,  et  que,  puisqu'ils  l'avaient  suivi  avec  tant  de  promptitude  et  de 
courage,  au  grand  jour  de  son  jugement  ils  seraient  assis  sur  douze  trônes, 
et  jugeraient  les  douze  tribus  d'Israël.  Ce  fut  aussi  l'interrogation  de  saint 
Pierre  et  de  trois  autres  Apôtres  qui  lui  fit  déclarer,  un  peu  avant  sa  passion, 
les  signes  terribles  de  la  ruine  de  Jésusalem  et  ceux  de  la  consommation 
des  siècles  ;  qui  lui  fit  rapporter  les  belles  paraboles  des  dix  vierges  et  des 
cinq  talents,  et  qui  lui  fit  enfin  expliquer  la  forme  du  jugement  dernier  et 
la  séparation  qui  s'y  ferait  des  bons  et  des  méchants,  pour  recevoir  un  arrêt 
définitif  bien  différent. 

Mais  si  ce  grand  Apôtre  a  paru  si  souvent  dans  le  cours  de  la  vie  de 
Notre-Seigneur,  il  a  paru  beaucoup  plus  dans  le  temps  de  sa  passion  et  de- 
puis sa  résurrection.  Il  fut  l'un  des  deux  qu'il  envoya  préparer  les  choses 
nécessaires  pour  la  dernière  cène,  afin  que,  devant  être  le  premier  prêtre 
du  Nouveau  Testament,  il  disposât  lui-même  ce  qui  devait  servir  à  l'ins- 
titution de  l'auguste  Sacrement  de  nos  autels.  Lorsque  Notre-Seigneur 
lui  voulut  laver  les  pieds,  il  donna  des  marques  d'un  grand  amour  et  d'une 
profonde  révérence  pour  son  maître  :  encore  plus  fervent  à  se  vouloir  laisser 
laver  pour  n'être  point  séparé  de  lui,  qu'il  ne  l'avait  été  à  refuser  cet  office 
d'humilité,  il  fit  voir  que  c'était  l'ardeur  de  sa  foi  et  de  sa  charité  qui  lui 
faisait  agir  en  toutes  choses.  Poussé  par  cette  même  ferveur,  il  voulut  sa- 
voir quel  était  le  traître  qui  devait  livrer  Jésus-Christ  entre  les  mains  des 
Juifs,  et  il  fit  signe  à  saint  Jean  de  le  demander.  Il  faut  avouer  qu'il  témoi- 
gna trop  de  présomption  lorsque ,  le  Fils  de  Dieu  ayant  dit  à  ses  Apôtres 
que  cette  nuit-là  même  il  seraient  tous  scandalisés  à  cause  de  lui  et  l'aban- 
donneraient, Pierre  répondit  que,  quand  tous  les  autres  se  laisseraient  aller 


428  29  JUIN. 

à  la  lâcheté  et  l'abandonneraient,  lui  seul  n'en  ferait  rien,  mais  qu'il  de- 
meurerait inséparablement  attaché  à  sa  personne,  et  qu'il  était  prêt  à  en- 
durer pour  lui  et  la  prison  et  la  mort.  Aussi,  cet  excès  de  hardiesse  lui 
attira-t-il  la  terrible  prédiction  de  ses  trois  reniements.  Néanmoins,  il  ne 
faut  pas  omettre  ici  ce  que  dit  saint  Jérôme  à  ce  sujet  :  Non  est  temeritas 
neque  mendacium,  sed  fides  et  ardens  affectus  Apostoli  Pétri;  «  ce  ne  fut  pas 
là  une  témérité  ni  un  mensonge,  mais  un  effet  de  la  foi  et  de  l'amour  ar- 
dent de  l'apôtre  saint  Pierre  ». 

C'est  à  cette  même  ardeur  qu'il  faut  attribuer  ce  qu'il  fit  dans  le  jardin 
des  Oliviers,  lorsque,  voyant  le  Sauveur  entre  les  mains  de  ses  persécuteurs, 
il  tira  son  épée,  et,  en  donnant  un  coup  à  l'un  des  serviteurs  du  grand 
prêtre,  lui  abattit  l'oreille  droite.  Les  hérétiques  taxent  cette  action  de  vio- 
lence et  d'impiété  ;  mais  saint  Ambroise,  sur  le  chapitre  xxii  de  saint  Luc, 
en  parle  bien  autrement,  et  il  ne  fait  point  difficulté  de  la  comparer  à  celle 
que  fit  Phinéès,  lorsqu'il  perça  de  son  épée  un  prince  du  peuple  d'Israël  qui 
allait  joindre  à  l'idolâtrie  une  honteuse  impudicité  avec  une  femme  Madia- 
nite  :  ce  qui  fut  si  agréable  à  Dieu,  que,  pour  cela  seul,  il  arrêta  les  fléaux 
qu'il  allait  décharger  sur  son  peuple  et  promit  à  ce  grand  prêtre  que  la 
souveraine  sacrificature  ne  sortirait  jamais  de  sa  maison.  En  effet,  bien  loin 
que  Notre-Seigneur  eût  défendu  h.  Pierre  de  se  servir  d'une  épée,  il  avait, 
au  contraire,  témoigné  qu'il  en  fallait  avoir  au  temps  de  sa  prise  ;  et,  lors- 
que notre  Apôtre  lui  répondit  qu'ils  en  avaient  deux,  il  avait  seulement  dit 
que  c'était  assez.  Saint  Jean  Chrysostome  relève  aussi  merveilleusement 
l'obéissance  de  saint  Pierre,  en  ce  qu'il  ne  fut  pas  moins  prompt,  au  premier 
commandement  de  son  Maître,  à  remettre  son  épée  dans  le  fourreau,  qu'il 
l'avait  été  à  la  tirer.  Il  est  aisé  de  voir  que,  comme  le  caractère  des  héré- 
tiques est  d'envenimer  toute  chose  et  de  décrier  les  actions  les  plus  héroï- 
ques des  serviteurs  de  Dieu,  c'est  au  contraire  le  caractère  et  l'esprit  des 
saints  Docteurs  de  l'Eglise  de  juger  favorablement  de  celles  que  l'Ecriture 
ne  condamne  pas,  et  qui  peuvent  avoir  été  faites  dans  l'esprit  de  Jésus- 
Christ. 

Pour  ce  qui  est  de  l'assoupissement  de  notre  Apôtre  dans  le  jardin  des 
Oliviers,  et  de  sa  fuite  lorsque  Notre-Seigneur  eut  été  pris,  on  ne  peut  les 
attribuer  qu'à  la  faiblesse  de  sa  nature,  dont  il  ressentit  la  misère,  afin  qu'il 
reconnût  mieux  dans  la  suite  ce  qu'il  avait  de  lui-même  et  ce  qu'il  avait 
par  le  secours  de  la  grâce.  Ses  reniements,  dont  l'un  fut  accompagné  de 
parjure  et  de  blasphème,  sont  encore  plus  inexcusables,  et  nous  le  devons 
considérer  comme  un  exemple  terrible  des  chutes  dont  nous  sommes  ca- 
pables lorsque  nous  ne  nous  appuyons  plus  que  sur  nous-mêmes.  Mais  si 
nous  regardons,  d'autre  part,  la  pénitence  de  Pierre  et  les  larmes  qu'il  versa 
pour  ce  crime,  non-seulement  les  trois  jours  de  la  mort  du  Fils  de  Dieu, 
mais  aussi  tout  le  reste  de  sa  vie,  nous  serons  obligés  d'avouer  qu'ils  ont 
servi  avantageusement  à  sa  sanctification,  et  qu'ils  sont  du  nombre  de  ces 
fautes,  qui,  selon  saint  Augustin,  sont  des  occasions  d'un  plus  grand  bien 
dans  ceux  qui  sont  appelés  à  la  sainteté,  par  les  décrets  divins.  Aussi,  quel- 
que grand  que  fût  ce  péché,  il  n'empêcha  pas  Notre-Seigneur,  qui  a  une 
bonté  infinie  pour  les  pécheurs  pénitents,  d'avoir  pour  lui,  après  sa  résur- 
rection, les  mêmes  considérations  qu'il  avait  eues  auparavant.  Lorsqu'il 
apparut  à  Madeleine,  il  lui  recommanda  surtout  d'aller  avertir  Pierre  qu'il 
était  ressuscité  ;  peu  de  temps  après  il  se  fit  voir  à  lui-même  en  particulier, 
avant  de  rendre  visite  à  son  collège  apostolique;  et,  bien  loin  de  lui  faire 
des  reproches  sur  son  infidélité  et  son  ingratitude,  il  essuya  doucement  ses 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES  APÔTRES.  42îï 

larmes,  et  lui  remit  le  cœur  qui  était  comme  noyé  dans  un  torrent  de  dou- 
leur et  d'amertume.  Enfin,  il  ne  lui  retira  pas  la  promesse  qu'il  lui  avait 
faite  de  lui  donner  les  clefs  du  royaume  des  cieux  ;  au  contraire,  comme  le 
remarque  fort  bien  saint  Grégoire  le  Grand  dans  l'homélie  xxi*  sur  les  Evan- 
giles, il  n'avait  permis  sa  chute  qu'afin  que,  devant  êtfe  le  souverain  Pas- 
teur des  fidèles,  il  apprît,  par  sa  propre  faiblesse,  la  compassion  qu'il  devait 
avoir  pour  les  pécheurs,  et  la  miséricorde  qu'il  devait  exercer  envers  les 
pénitents. 

Pierre  et  Jean  étaient  accourus  ensemble  au  sépulcre  du  Fils  de  Dieu  ; 
Jean,  comme  le  plus  jeune  et  le  plus  agile  y  arriva  le  premier  ;  mais  Pierre 
y  entra  néanmoins  le  premier  ;  selon  le  même  saint  Grégoire,  ce  ne  fut  pas 
sans  grand  mystère  ;  de  même  ce  ne  fut  pas  sans  une  singulière  prérogative 
de  bienveillance  et  d'amour ,  que  Pierre  fut  honoré  le  premier  de  tous 
les  Apôtres  de  cette  aimable  présence  de  son  divin  Maître.  Qui  ne  voit  en 
cela  sa  prééminence  au-dessus  d'eux,  et  que  Notre-Seigneur  le  regardant 
comme  leur  chef,  voulait  qu'il  commençât  d'exercer  à  leur  égard  ce  qu'il 
lui  avait  recommandé  avant  sa  passion  par  ces  paroles  :  o  Lorsque  vous 
serez  converti ,  ne  manquez  pas  de  confirmer  et  de  fortifier  vos  frères  ?  » 
Nous  ne  doutons  point  aussi  que,  dans  les  quarante  jours  d'intervalle  entre 
sa  Résurrection  et  son  Ascension,  il  ne  l'ait  consolé  beaucoup  d'autres  fois 
par  ses  visites  secrètes  et  particulières,  afin  de  l'instruire  de  tout  ce  qu'il 
avait  à  faire  dans  la  suite  pour  le  bon  gouvernement  de  son  Eglise.  Mais  les 
Evangélistes  n'ont  rapporté  que  les  apparitions  qu'il  lui  a  faites  en  public  et 
en  présence  des  autres  Apôtres.  Dans  une  de  celles-là,  le  Sauveur  lui  de- 
manda trois  fois  s'il  l'aimait,  et  s'il  avait  plus  d'affection  pour  lui  que  les 
autres  disciples.  C'était,  dit  saint  Augustin,  afin  que  Pierre  rendant  trois 
fois  témoignage  du  grand  amour  qu'il  avait  pour  Jésus-Christ,  il  effaçât  par 
là  la  honte  des  trois  reniements  qu'il  avait  commis  par  sa  lâcheté,  et  que  sa 
langue  ne  fût  pas  moins  l'instrument  de  son  amour  que  de  sa  crainte.  C'était 
aussi  pour  le  disposer  au  grand  emploi  de  pasteur  des  âmes,  que  saint  Au- 
gustin appelle  amoris  officium,  «  l'office  ou  l'emploi  de  l'amour  »;  saint 
Ghrysostome,  amoris  argumentum ,  «  la  preuve  de  l'amour  »  ;  et  saint  Gré- 
goire, amoris  testimonium,  «  le  témoignage  de  l'amour  ».  En  effet,  à  mesure 
que  Pierre  l'assura  avec  humilité  de  sa  véritable  dilection,  il  lui  dit  deux 
fois  :  «  Paissez  mes  agneaux  »,  et  une  fois  :  «  Paissez  mes  brebis  »  ;  par  ces 
paroles,  il  le  fit  non-seulement  le  Pasteur  du  peuple  chrétien,  signifié  par 
les  agneaux,  mais  aussi  le  Pasteur  des  autres  pasteurs,  signifié  par  les  brebis; 
et,  pour  parler  avec  saint  Ambroise,  il  le  donna  à  son  Eglise,  ut  sui  amoris 
Vicarium,  «  comme  le  vicaire  de  son  amour  » .  Il  lui  prédit  ensuite  la  manière 
dont  il  devait  mourir,  qui  était  le  supplice  de  la  croix  ;  il  lui  commanda  de 
le  suivre  :  Pierre  obéit  aussitôt  ;  et,  voyant  saint  Jean  qui  suivait  aussi,  il 
demanda  au  Sauveur  ce  que  deviendrait  ce  cher  disciple.  Les  hérétiques 
ont  vu  en  cette  demande  une  curiosité  condamnable  ;  mais  saint  Jean 
Ghrysostome  y  a  remarqué,  au  contraire,  une  grande  charité  de  saint  Pierre 
envers  saint  Jean  ;  et,  en  effet,  lorsque  Notre-Seigneur  lui  dit  de  le  suivre, 
sans  se  mettre  en  peine  de  Jean,  il  ne  le  fît  pas  pour  taxer  Pierre  d'aucun 
vice,  mais  pour  lui  apprendre  que  la  grâce  qu'il  lui  faisait  de  lui  découvrir 
le  genre  de  sa  mort,  était  un  privilège  particulier  qu'il  n'accordait  pas  à 
tous  les  autres. 

Yoilà  ce  que  nous  trouvons  dans  les  quatre  Evangélistes  sur  la  personne 
de  saint  Pierre.  Il  y  paraît  de  tous  côtés  avec  une  foi  vive,  une  humilité 
profonde,  une  obéissance  aveugle  et  une  charité  ardente  et  généreuse.  Les 


430  29  JBIN. 

faveurs  de  Notre-Seigneur  en  son  endroit  y  sont  continuelles  et  abondantes, 
et  il  n'y  a  point  de  rencontre  qui  ne  nous  donne  des  marques  de  sa  primauté 
au-dessus  des  autres  disciples.  Mais  il  faut  avouer  que  c'était  un  temps  où, 
n'ayant  pas  encore  reçu  le  Saint-Esprit,  il  était  bien  éloigné  de  posséder 
toutes  les  qualités  qui  lui  étaient  nécessaires  pour  détruire  l'idolâtrie,  pour 
convertir  les  bommes  obstinés  dans  leurs  crimes  et  pour  établir  par  tout  le 
monde  la  foi  d'un  Dieu  crucifié  :  l'abondance  des  lumières  et  de  la  force, 
dont  il  avait  besoin  pour  une  si  grande  entreprise,  était  réservée  à  l'infusion 
de  ce  don  divin  qui  devait  éclairer  son  âme  et  l'embraser  du  feu  de  son  saint 
amour.  Pour  se  rendre  digne  d'une  si  grande  faveur,  il  se  retira,  après  l'As- 
cension de  Notre-Seigneur,  avec  les  autres  Apôtres, dans  le  cénacle  \  où  cette 
compagnie  d'hommes  divins  avaient  coutume  de  se  retirer  lorsqu'ils  étaient 
à  Jérusalem.  Cependant,  après  la  chute  déplorable  de  Judas  et  sa  mort  déses- 
pérée, il  manquait  un  Apôtre  au  nombre  mystérieux  de  douze  que  le  Sau- 
veur avait  établi.  Pierre  se  leva  au  milieu  de  ses  frères,  et,  commençant  plus 
ouvertement  ses  fonctions  de  Pasteur  universel,  il  leur  dit  qu'il  était  néces- 
saire de  remplir  la  place  de  ce  misérable,  selon  cette  parole  du  Psalmiste  : 
Episcopatum  cjus  accipiat  aller  :  «  Que  sa  dignité  épiscopale  soit  donnée  à 
un  autre  !  »  On  procéda  à  cette  élection,  et  le  sort  tomba  beureusement  sur 
saint  Matthias,  qui  fut  le  douzième  Apôtre. 

Depuis  dix  jours  les  Apôtres  étaient  dans  l'attente,  vivant  dans  le  recueil- 
lement et  la  prière,  quand  le  premier  jour  de  la  fête  de  la  Pentecôte  ou  de 
l'oblation  des  prémices  du  blé,  une  des  trois  fêtes  principales  du  peuple  de 
Dieu,  vers  neuf  heures  du  matin,  au  moment  où  l'on  offrait  au  temple  les 
pains  faits  avec  le  blé  nouveau,  on  entendit  tout  à  coup  un  bruit  violent, 
comme  celui  d'une  tempête.  La  maison  où  les  disciples  étaient  assemblés 
en  fut  ébranlée.  Au  même  instant  des  langues  de  feu  descendirent  du  ciel 
et  se  reposèrent  sur  chacun  d'eux.  Ces  flammes  étincelantes  étaient  le  sym- 
bole des  ardeurs  divines  qui  embrasaient  leur  âme,  et  l'emblème  de  la  cha- 
rité surnaturelle  destinée  à  échauffer  le  monde,  depuis  longtemps  refroidi 
par  l'égoïsme,  la  superstition  et  la  dépravation  des  mœurs. 

Saint  Pierre,  en  particulier,  reçut  en  cette  occasion  une  effusion  du  Saint- 
Esprit  plus  abondante  que  celle  qui  fut  répandue  sur  les  anciens  Prophètes 
et  sur  Moïse  lui-même.  C'est  alors  qu'il  entra  dans  cette  sainte  ivresse  que  le 
prophète  Joël  avait  prédite,  et  qu'étant  rempli  de  la  vertu  d'en  haut,  il  ouvrit 
la  bouche  pour  prêcher  le  mystère  inconnu  de  la  Rédemption  du  monde; 
il  ne  parlait  qu'une  langue,  mais  il  fut  entendu  dans  toutes  sortes  de  langues, 
et  sa  prédication  fit  un  si  grand  fruit,  qu'il  n'y  eut  pas  moins  de  trois  mille 
personnes  qui  se  convertirent  et  embrassèrent  la  foi  de  Jésus-Christ  crucifié. 
Ce  qui  est  en  cela  bien  remarquable,  c'est  que,  parmi  ces  personnes,  il  y 
en  avait  plusieurs  que  ni  les  paroles,  ni  les  miracles,  ni  les  exemples  ad- 
mirables de  Jésus-Christ  n'avaient  pu  amollir  et  attirer  à  son  service,  et 
qui  même  s'étaient  rendues  coupables  de  sa  mort  en  demandant  à  Pilate 
qu'il  fût  crucifié,  comme  notre  Apôtre  le  leur  reprocha  publiquement  dans 
son  sermon.  Ainsi  le  Fils  de  Dieu  fit,  par  son  Apôtre,  ce  qu'il  n'avait  pas  fait 
par  lui-môme,  et  rendit  la  parole  de  celui-ci  plus  efficace  qu'il  n'avait  rendu 
la  sienne  propre,  afin  de  faire  voir  que  la  rémission  des  péchés  et  la  sancti- 
fication des  âmes  étaient  un  fruit  de  l'effusion  de  son  sang  et  de  la  descente 
du  Saint-Esprit. 

1.  Les  Apôtres,  ayant  leur  chef  a  leur  tête,  occupaient  les  chambres  hautes  de  cette  maison  située  sur 
la  montagne  de  Sion,  pifes  du  palais  de  David  et  nou  loin  du  Temple.  Cette  maison  a  été  appelée  depuis 
1 1^\  -io  IfKute,  ou  l'£{;lise  des  Apôtres. 


SAINT  PIERRE,    PRINCE   DES   APÔTRES.  431 

On  vit  donc  alors  dans  saint  Pierre,  dit  saint  Augustin,  ce  que  peut  une 
abondante  effusion  de  la  grâce  du  Saint-Esprit.  Elle  fortifia  tellement  ce 
cœur  auparavant  si  timide,  si  faible,  qu'elle  lui  fit  rendre  publiquement  et 
courageusement  témoignage  à  Celui  qu'il  venait  de  renoncer.  Elle  ouvrit 
cette  bouche  que  la  crainte  avait  fermée  pour  la  vérité,  et  elle  l'ouvrit  avec 
un  avantage  singulièrement  remarquable.  Tous  ceux  sur  qui  le  Saint-Esprit 
était  descendu  reçurent  le  don  de  parler  diverses  langues.  Mais  saint 
Pierre  fut  ou  le  seul  ou  le  premier  de  tous  à  prêcher  hautement  Jésus-Christ 
à  cette  foule  de  Juifs  qui  l'environnaient,  et  à  confondre  ceux  qui  l'avaient 
fait  mourir  par  l'irrésislible  témoignage  qu'il  rendit  à  sa  glorieuse  résurrec- 
tion. Si  quelqu'un,  ajoute  le  même  docteur,  veut  goûter  le  plaisir  d'un 
spectacle  si  saint  et  si  agréable,  qu'il  lise  le  livre  des  Actes  ;  il  y  verra  avec 
admiration  Jésus-Christ,  prêché  avec  intrépidité  par  celui-là  même  dont  il 
lit  avec  douleur  le  renoncement  dans  l'Evangile.  Il  y  verra  ce  cœur,  autre- 
fois si  lâche,  rempli  maintenant  d'un  noble  courage  ;  cette  langue,  autrefois 
esclave  de  la  crainte,  maintenant  pleine  de  liberté  et  de  confiance;  la  bouche, 
qui  naguère  renonça  par  trois  fois  Jésus-Christ,  le  fait  confesser  actuellement 
par  trois  mille  bouches  ennemies.  La  grâce  brille  en  lui  avec  tant  d'éclat, 
le  Saint-Esprit  brille  en  lui  avec  tant  de  plénitude,  dans  sa  bouche  la  pa- 
role de  vérité  a  tant  de  poids  et  d'autorité,  que  cet  homme,  qui  tremblait 
tout  à  l'heure  dans  la  crainte  que  les  Juifs  ne  le  fissent  mourir  avec  Jésus- 
Christ,  fait  maintenant  trembler  les  Juifs,  en  convertit  un  très-grand  nom- 
bre, et  rend  ceux  qui  ont  ôté  la  vie  au  Sauveur,  prêts  à  perdre  la  leur  pour 
l'amour  de  lui.  Tel  est  l'ouvrage  du  Saint-Esprit. 

Mais  si  la  grâce  paraît  admirablement  dans  le  courage  de  saint  Pierre, 
elle  ne  se  manifeste  pas  moins  dans  son  humilité.  Ce  feu,  dit  Origène  S  cette 
activité,  cette  hardiesse  à  parler  et  à  agir  que  l'on  a  vue  jusqu'ici  en  lui, 
disparaissaient  presque  dans  la  suite,  pour  faire  place  à  un  esprit  si  humble, 
si  modéré,  si  prêt  à  céder  aux  autres,  et  à  s'humilier  devant  tout  le  monde, 
qu'on  peut  à  peine  reconnaître  le  naturel  impétueux  de  saint  Pierre  et  le 
rang  qu'il  tenait  dans  l'Eglise  au-dessus  de  tous  les  autres.  Toutefois  il  faut 
admettre  l'exception  suivante  :  Quand  il  s'agissait  des  intérêts  de  l'Eglise 
et  de  s'exposer  aux  fatigues  et  aux  dangers,  alors  nous  le  voyons  toujours 
paraître  le  premier  ^.  En  dehors  de  ces  circonstances,  il  est  bien  aise  de  ne 
rien  faire  qu'en  commun  avec  les  autres,  sans  avoir  aucun  honneur  parti- 
culier. L'humilité  qu'il  pratiquait  alors  faisait  voir  que  la  promptitude  et  la 
hardiesse  qu'il  témoignait  dans  les  autres  occasions,  n'étaient  plus  l'effet  de 
son  ardeur  naturelle,  mais  bien  celui  de  la  charité  que  le  Saint-Esprit  avait 
répandue  dans  son  cœur. 

Les  Actes  des  Apôtres  nous  représentent  ensuite  que  saint  Pierre,  entrant 
dans  le  temple  avec  saint  Jean,  y  rencontra  à  la  porte  un  mendiant  âgé  de 
quarante  ans,  qui  était  boiteux  de  naissance,  et  que  l'on  apportait  tous  les 
jours  en  ce  lieu  pour  demander  l'aumône  aux  passants;  il  lui  en  fît  une 
beaucoup  plus  considérable  que  toutes  celles  qu'il  avait  reçues  j  usqu'alors  ; 
car,  après  lui  avoir  dit  qu'il  n'avait  ni  or  ni  argent,  il  le  guérit  par  ces  pa- 
roles :  «  Au  nom  de  Jésus-Christ  de  Nazareth,  lève-toi  et  marche!  »  Un  si 
grand  miracle  attira  une  foule  nombreuse  autour  des  Apôtres,  et  c'est  ce 
qui  donna  sujet  à  saint  Pierre  de  faire  un  second  sermon  :  il  avança  encore 
plus  les  affaires  de  la  religion  que  par  le  premier,  puisqu'il  eut  le  bonheur 
d'y  convertir  cinq  mille  hommes.  Plusieurs  Saints  ont  remarqué,  sur  ce 

1.  Origène,  in  Joan.,  p.  381.  —  2.  S.  Chrys.  inAct.,  hom,  81. 


432  29  JUIN. 

miracle,  que,  lorsque  les  prélats  sont  des  modèles  de  renoncement,  de  pau- 
vreté volontaire,  ils  font  de  grands  prodiges  et  opèrent  des  conversions 
merveilleuses  ;  mais  que,  quand  ils  s'attachent  aux  biens  du  monde,  ils  n'ont 
plus  le  même  pouvoir.  Tel  était  saint  Pierre  :  après  la  conversion  de  tant 
de  personnes  qui  apportaient  leurs  trésors  à  ses  pieds,  il  était  si  dénué 
de  tout ,  qu'il  n'avait  pas  même  de  monnaie  pour  donner  l'aumône  à  un 
pauvre. 

Les  prêtres  qui  se  trouvèrent  alors  dans  le  temple  conçurent  un  extrême 
dépit  de  sa  prédication,  et,  s'étant  saisis  de  sa  personne  et  de  celle  de  saint 
Jean,  ils  les  envoyèrent  en  prison.  Le  lendemain,  Anne  et  Gaïphe,  princes 
des  prêtres,  assemblèrent  le  conseil  souverain  pour  connaître  de  cette  affaire, 
et,  y  ayant  fait  comparaître  les  saints  Apôtres,  ils  leur  demandèrent  au  nom 
de  qui,  et  par  quelle  vertu  ils  avaient  fait  marcher  le  boiteux.  Saint  Pierre 
répondit  courageusement  :  «  Nous  avons  opéré  cette  guérison  au  nom  de 
Jésus-Christ  de  Nazareth,  que  vous  avez  rejeté  comme  une  pierre  de  rebut 
et  que  vous  avez  crucifié,  mais  que  Dieu,  son  Père,  a  ressuscité  pour  être 
la  source  du  salut  de  tous  les  hommes  ».  Une  réponse  si  généreuse  les  étonna 
d'autant  plus,  qu'ayant  fait  aussi  venir  devant  eux  ce  même  boiteux  qui 
était  connu  de  tout  le  monde,  et  le  voyant  marcher  fort  droit,  ils  ne  pou- 
vaient rien  objecter  à  un  miracle  si  indubitable.  Ainsi,  tout  ce  qu'ils  purent 
faire  après  une  longue  délibération,  fut  de  défendre  à  Pierre  et  à  Jean  de 
parler  jamais  de  Jésus-Christ  à  qui  que  ce  fût.  Mais  les  Apôtres  leur  répon- 
dirent avec  le  même  courage  qu'ils  ne  garderaient  nullement  cette  défense, 
parce  qu'ils  étaient  plus  obligés  d'obéir  à  Dieu,  qui  leur  commandait  d'an- 
noncer le  mystère  du  salut,  qu'à  eux,  qui  en  voulaient  empêcher  la  publi- 
cation :  malgré  cette  rép'^nse,  nos  illustres  accusés  furent  renvoyés. 

Cette  première  persécvjtion,  bien  loin  d'être  préjudiciable  à  l'Eglise,  lui 
fut,  au  contraire,  extrêmement  avantageuse  ;  on  la  vit  aussitôt  s'augmenter 
merveilleusement  par  le  nombre  de  ceux  qui  s'y  rangeaient  tous  les  jours, 
et  on  ne  peut  assez  admirer  la  sainteté  avec  laquelle  vivaient  ces  premiers 
chrétiens  sous  la  conduite  de  saint  Pierre.  Saint  Luc  nous  apprend  qu'ils 
n'avaient  tous  qu'un  coeur  et  qu'une  âme  ;  qu'ils  ne  possédaient  rien  qu'en 
commun,  et  que  la  distribution  des  biens  s'y  faisait  avec  tant  de  justice, 
qu'il  n'y  avait  point  de  pauvres  parmi  eux.  L'Apôtre  maintenait  cet  esprit 
avec  une  douceur  admirable  :  il  gagnait  tellement  tous  les  fidèles,  que  ceux 
qui  avaient  quelques  restes  de  possession  les  vendaient  à  l'envi  pour  en  ap- 
porter l'argent  à  ses  pieds.  Ananie  et  Saphire,  sa  femme,  furent  de  ce 
nombre  :  mais,  soit  qu'ils  l'eussent  fait  à  contre-cœur  et  seulement  pour  ne 
pas  paraître  singuliers,  soit  qu'ils  se  fussent  depuis  repentis  de  l'avoir  fait, 
ils  complotèrent  ensemble  de  ne  déclarer  à  l'Apôtre  qu'une  partie  du  prix 
qu'ils  en  avaient  reçu.  Pierre,  qui  savait  qu'il  est  de  l'office  du  Pasteur  de 
mêler  la  sévérité  avec  la  douceur,  de  peur  qu'une  trop  grande  indulgence 
ne  donne  lieu  au  relâchement,  ayant  connu,  par  révélation,  le  dessein  sa- 
crilège de  ces  deux  chrétiens,  les  en  châtia  d'une  manière  terrible.  Ananie 
lui  ayant  apporté  son  argent,  et  lui  ayant  protesté  que  c'était  là  tout  le  prix 
de  son  héritage,  il  lui  dit  d'un  ton  foudroyant  et  digne  de  la  majesté  du 
chef  de  l'Eglise  :  «  Pourquoi,  Ananie,  avez-vous  donné  lieu  à  Satan  de 
prendre  possession  de  votre  cœur  ?  N'était-il  pas  en  votre  pouvoir  de  ne  pas 
vendre  votre  champ,  et  n'était-il  pas  encore  en  votre  pouvoir,  après  l'avoir 
vendu,  d'en  garder  tout  le  prix?  Pourquoi  donc  avez-vous  pris  cette  résolu- 
tion criminelle  de  venir  mentir  au  Saint-Esprit?  Sachez  que  ce  n'est  pas 
aux  hommes  que  vous  avez  menti,  mais  à  Dieu  ».  Aces  paroles,  quifurent 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES   APÔTRES.  433 

comme  un  coup  de  foudre,  Ananie  fut  saisi  d'une  frayeur  de  mort,  et,  étant 
tombé  à  ses  pieds,  il  expira.  Il  en  arriva  de  môme  à  Saphire,  sa  femme.  Ne 
sachant  rien  de  la  mort  tragique  de  son  mari,  elle  vint,  trois  heures  après, 
faire  la  même  protestation  qu'il  avait  faite.  Leur  crime  n'était  pas  de  vouloir 
garder  une  partie  de  leur  argent,  puisque,  pouvant  légitimement  garder 
toute  la  somme  et  l'héritage  même,  ils  ne  pouvaient  être  coupables  d'en 
garder  une  partie  ;  mais  c'était  de  faire  profession  devant  Dieu  d'une  par- 
faite pauvreté  et  d'un  entier  dépouillement  de  tous  leurs  biens,  et  de  de- 
meurer néanmoins  propriétaires,  en  retenant  ce  qu'ils  faisaient  semblant 
d'abandonner  pour  son  amour  :  ce  qui  était  une  h3'pocrisie  et  une  espèce 
de  sacrilège.  Le  châtiment  terrible  qui  suivit  cette  faute  fut  une  salutaire 
instruction  pour  les  fidèles,  et  l'Ecriture  sainte  nous  apprend  qu'il  imprima 
une  grande  crainte  dans  l'esprit  de  tous  ceux  qui  en  eurent  connaissance. 

Pour  une  action  de  sévérité  de  saint  Pierre,  nous  en  avons  une  infmité 
d'autres  de  bienveillance  et  de  miséricorde.  Il  faisait  tant  de  miracles,  que 
les  rues  par  où  il  passait  se  trouvaient  continuellement  bordées  de  malades 
que  chacun  y  mettait  à  la  porte  de  sa  maison,  afin  de  recevoir  la  guérison 
par  son  attouchement  ou  par  sa  parole.  Mais  il  n'était  pas  nécessaire  qu'il 
les  touchât  ni  qu'il  les  vît,  puisque  son  ombre  seule  donnait  la  santé  à  ceux 
sur  qui  elle  passait;  ce  que  n'avait  pas  fait  celle  de  Jésus-Christ,  pour  mon- 
trer la  vérité  de  ce  que  lui-même  avait  dit  :  «  que  ceux  qui  croiraient  en 
lui  feraient  des  miracles  semblables  à  ceux  qu'il  faisait,  et  qu'ils  en  feraient 
encore  de  plus  grands  ».  On  amenait  aussi  à  saint  Pierre  des  malades  et  des 
possédés  de  tous  les  environs  de  Jérusalem,  et  il  ne  manquait  jamais  de  les 
guérir.  Tant  de  prodiges  animant  l'envie  et  la  rage  des  prêtres  et  des  doc- 
teurs de  la  loi,  ils  se  saisirent  encore  une  fois  de  saint  Pierre  et  en  même 
temps  de  tous  les  autres  Apôtres,  et  les  firent  enfermer  dans  une  étroite 
prison-  Mais  un  ange  les  ayant  délivrés  la  nuit,  sans  forcer  les  portes  ni  faire 
de  brèche  aux  murailles,  ils  recommencèrent  dès  le  lendemain  matin  à 
prêcher  la  foi  de  Jésus-Christ  au  milieu  du  temple.  Le  Conseil,  en  étant 
averti,  les  envoya  chercher  sans  violence,  de  crainte  d'irriter  le  peuple;  et, 
lorsqu'ils  furent  arrivés,  les  princes  des  prêtres  leur  demandèrent  pourquoi, 
après  la  défense  qu'ils  leur  en  avaient  faite,  ils  n'avaient  pas  laissé  de  parler 
continuellement  au  peuple  de  Jésus  de  Nazareth,  a  C'est  »,  dit  encore 
généreusement  saint  Pierre,  «  parce  que  nous  avons  un  Maître  plus  grand 
que  vous,  qui  nous  commande,  qui  est  Dieu,  et  que  nous  sommes  plus 
obligés  de  lui  obéir  qu'à  vous  ».  Cette  réponse,  qui  fut  approuvée  de  tous 
les  Apôtres,  fut  cause  qu'ils  furent  fouettés  devant  toute  l'assemblée  ;  mais 
ce  supplice,  bien  loin  de  les  attrister,  leur  donna  une  joie  extrême,  et 
ils  se  crurent  beaucoup  honorés  d'avoir  souffert  cet  affront  pour  le  nom  de 
Jésus-Christ,  leur  Maître. 

Saint  Pierre  présida  ensuite  à  l'élection  des  sept  diacres,  dont  les  princi- 
pales fonctions  doivent  être  d'assister  l'évêque  à  l'autel,  de  distribuer  le 
sang  de  Jésus-Christ,  et  d'avoir  soin  de  la  subsistance  des  pauvres  et  des 
veuves  de  l'Eglise  ;  et  il  eut  bientôt  la  consolation  d'en  voir  un  de  cette  bien- 
heureuse troupe,  saint  Etienne,  combattre  et  mourir  pour  la  foi.  Mais, 
comme  la  grande  persécution  qui  s'éleva  en  même  temps  contre  tout  le 
troupeau  de  Jésus-Christ,  obligea  les  fidèles  à  sortir  de  Jérusalem  et  à  se 
disperser  de  tous  côtés,  notre  Apôtre  eut  une  belle  occasion  de  faire  pa- 
raître sa  prudence,  sa  charité,  son  zèle  et  le  soin  infatigable  qu'il  avait 
de  cette  Eglise  encore  naissante.  Il  demeura  d'abord  avec  les  autres 
Apôtres  dans  la  ville  de  Jérusalem,  de  peur  que  leur  sortie  ne  décourageât 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VU.  28 


434  29  JUIN. 

ce  qu'il  y  restait  de  chrétiens  et  ne  fît  triompher  leurs    persécuteurs. 

Mais,  peu  de  temps  après,  saint  Philippe,  l'un  des  sept  diacres,  ayant 
converti  et  baptisé  beaucoup  de  monde  dans  Samarie,  et  même  Simon  le 
Magicien,  qui  fut  touché  des  grands  miracles  que  faisait  continuellement  ce 
grand  prédicateur  de  l'Evangile,  saint  Pierre  et  saint  Jean  y  vinrent, 
à  la  prière  des  autres  Apôtres,  pour  imposer  les  mains  sur  les  nouveaux  bap- 
tisés et  leur  donner  le  Saint-Esprit.  Simon  le  Magicien,  voyant  que,  par 
cette  auguste  cérémonie,  le  Saint-Esprit  descendait  visiblement  sur  les 
fidèles,  et  qu'ensuite  ils  parlaient  diverses  langues  et  opéraient  de  grands 
prodiges,  offrit  de  l'argent  aux  Apôtres  pour  avoir,  comme  eux,  la  puissance 
de  donner  le  Saint-Esprit.  Mais  saint  Pierre,  prenant  la  parole,  lui  dit  : 
«  Que  ton  argent  périsse  avec  toi,  misérable  et  impie,  qui  t'es  persuadé  que 
le  don  de  Dieu  s'acquérait  avec  de  l'argent  !  tu  ne  peux  avoir  de  part  au 
mystère  de  vie  que  nous  annonçons  ».  Il  l'exhorta  néanmoins  ensuite  à  faire 
pénitence  ;  mais,  comme  ce  sacrilège,  qui  a  donné  son  nom  à  la  plus  détes- 
table plaie  qui  puisse  être  dans  l'Eglise,  nous  voulons  dire  à  la  simonie, 
bien  loin  de  faire  pénitence,  continua  de  semer  ses  erreurs,  non-seulement 
parmi  les  Samaritains,  mais  aussi  parmi  les  Juifs  et  les  Gentils,  et  même  jus- 
que dans  Rome,  saint  Pierre,  qui  avait  commencé  à  le  combattre  dans 
Samarie,  le  poursuivit  partout  jusqu'à  sa  mort,  et  nous  le  verrons  par  la 
suite  remporter  sur  lui  de  grandes  victoires,  et,  après  un  signalé  triomphe, 
l'obliger  de  s'enfuir  et  de  se  cacher  pour  ne  plus  paraître  sur  la  terre. 

Saint  Paul,  ayant  été  converti  à  la  foi  le  25  janvier  de  l'année  33  du 
salut,  vint,  trois  ans  après,  à  Jérusalem,  pour  y  voir  saint  Pierre  et  conférer 
avec  lui  des  mystères  de  notre  religion,  comme  il  le  dit  lui-même  en  son 
épître  aux  Galates,  chapitre  i".  C'était  donc  en  l'année  38.  En  ce  temps,  la 
paix  étant  rendue  aux  fidèles  par  toute  la  Palestine  et  la  Syrie,  notre  saint 
Apôtre,  qui  savait  que  le  soin  de  toutes  les  Eglises  lui  avait  été  confié,  ré- 
solut de  parcourir  tous  les  lieux  oii  l'Evangile  avait  été  prêché,  tant  par  les 
autres  Apôtres  que  par  les  disciples  qui  s'étaient  dispersés  pendant  la  persé- 
cution, afin  d'y  fortifier  les  nouveaux  convertis,  et  d'y  augmenter,  par  sa 
parole  et  par  ses  miracles,  le  troupeau  du  Seigneur.  Ce  fut  alors,  selon  la 
plus  probable  opinion,  qu'il  établit  son  siège  dans  Antioche,  comme  dans 
la  capitale  de  tout  l'Orient,  en  attendant  qu'il  le  pût  établir  dans  Rome,  qui 
était  la  capitale  de  l'Occident,  de  l'empire  et  de  tout  le  monde.  Il  est  vrai 
que  saint  Luc,  dans  les  Actes  des  Apôtres,  ne  fait  point  mention  de  ce  siège 
d'Antioche;  mais,  outre  la  tradition  qui  en  fait  foi,  nous  en  avons  des  té- 
moignages authentiques  dans  Eusèbe  de  Césarée,  saint  Jérôme,  saint  Léon 
et  plusieurs  autres  auteurs  ecclésiastiques  très-anciens  :  et  l'Eglise  même 
en  fait  la  fête  au  22  février.  Quelques-uns  disent  qu'il  ne  dura  que  quatre 
ans,  d'autres  sept  ans  ;  mais  qu'il  faut  commencer  dès  le  temps  de  l'Ascen- 
sion de  Notre-Seigneur.  D'autres  enfin  disent  qu'il  dura  sept  ans,  selon  l'opi- 
nion des  anciens,  et  que  néanmoins  il  n'est  pas  nécessaire  de  le  commencer 
avant  l'année  38.  Mais  cela  dépend  du  temps  de  la  mort  de  notre  Saint,  puis- 
qu'ayant  tenu  vingt-cinq  ans  son  siège  à  Rome,  et  sept  ans  à  Antioche,  il 
iaut  nécessairement  qu'il  y  ait  eu  trente  ou  trente-deux  ans  entre  l'établis- 
sement de  ce  siège  et  le  temps  de  son  martyre. 

Dans  le  cours  de  la  môme  visite,  notre  saint  Apôtre  étant  à  Lydda,  ville 
située  sur  le  bord  de  la  Méditerranée,  et  très-célèbre  dans  la  suite  sous  le 
nom  de  Diospolis,  y  guérit  un  homme  nommé  Enée,  qui  était  paralytique 
depuis  huit  ans  :  cela  fut  cause  de  la  conversion  des  habitants  de  cette  ville 
et  de  ceux  de  Sarone,  11  ressuscita  aussi  dans  Joppé,   une  sainte  veuve 


SAINT  PIERRE,   PRINCE   DES   APÔTRES.  435 

nommée  Tabitha  ou  Dorcas ,  grande  aumônière,  et  qui  était  considérée 
comme  la  mère  des  pauvres  et  l'asile  des  malheureux,  en  lui  disant  seule- 
ment ces  trois  mots  :  «  Tabitha,  levez-vous  !  »  Ce  fut  au  même  lieu,  qu'étant 
en  extase,  il  vit  descendre  du  ciel  un  grand  linceul  soutenu  par  les  quatre 
bouts,  oti  il  y  avait  toutes  sortes  de  bêtes  à  quatre  pieds  ,  de  reptiles  et  de 
volatiles,  et  il  entendit  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Pierre,  levez-vous,  tuez  et 
mangez  ».  Il  répondit  :  «  A  Dieu  ne  plaise.  Seigneur,  que  je  mange  de  ces 
animaux  1  je  n'ai  jamais  mangé  d'aucune  des  viandes  que  la  loi  déclare  im- 
mondes ».  Mais  la  voix  lui  répliqua  aussitôt  :  u  N'appelez  pas  immonde  ce 
que  Dieu  a  purifié».  Cette  vision  recommença  delà  même  manière  par 
trois  fois,  et,  à  la  troisième  fois,  le  linceul  parut  rentrer  dans  le  ciel.  Comme 
il  méditait  profondément  sur  ce  que  signifiait  cette  apparition,  qui  était  la 
figure  de  la  vocation  des  Gentils  à  la  foi,  il  vint  trois  messagers,  de  la  part 
de  Corneille,  centenier  dans  les  troupes  romaines,  le  supplier  de  venir  à 
Césarée,  afin  de  l'instruire,  avec  toute  sa  famille,  des  moyens  véritables  de 
se  sauver.  Il  consulta  là-dessus  le  Saint-Esprit,  qui  lui  ordonna  de  suivre 
ces  messagers,  comme  étant  envoyés  par  son  mouvement,  et  lui  fît  connaître 
que  ceux  qui  l'attendaient  à  Césarée  étaient  ces  animaux  immondes  qu'il 
devait  spirituellement  tuer  et  manger.  Lorsqu'il  y  fut  arrivé,  il  prêcha  la 
foi  à  Corneille  et  à  une  grande  foule  d'autres  Gentils,  qui  s'étaient  assem- 
blés pour  l'entendre  ;  à  la  fin  de  son  sermon,  le  Saint-Esprit,  qui  avait  opéré 
invisiblement  dans  leurs  cœurs,  descendit  aussi  extérieurement  sur  eux  ; 
saint  Pierre,  reconnaissant  par  là  que  Dieu  les  voulait  incorporer  dans  son 
Eglise,  les  fit  tous  baptiser  au  nom  de  Jésus-Christ,  c'est-à-dire,  non  pas  du 
baptême  de  saint  Jean,  qui  n'avait  pas  la  force  de  remettre  les  péchés,  mais 
du  baptême  de  Jésus-Christ,  au  nom  des  trois  personnes  divines,  qui  avait 
la  puissance  d'opérer  cette  rémission. 

De  là  il  se  rendit  à  Jérusalem,  où  il  apaisa  les  murmures  de  Cérinthe,  qui, 
depuis,  a  été  un  impie  et  un  hérésiarque,  et  des  autres  Juifs  nouvellement 
convertis,  qui  trouvaient  mauvais  qu'il  eût  donné  entrée  dans  l'Eglise  à 
Corneille  le  centenier  et  aux  autres  qui  n'étaient  pas  circoncis.  Il  envoya 
ensuite  saint  Barnabe  à  Antioche,  pour  cultiver  en  son  absence  ce  grand 
champ  où  la  foi  avait  été  heureusement  plantée,  et  il  eut  la  consolation 
d'apprendre  qu'il  y  fit  de  grands  fruits,  et  que  les  fidèles  y  avaient  quitté  le 
nom  de  disciples  pour  prendre  celui  de  chrétiens.  Quelque  temps  après,  il 
s'éleva  dans  la  Judée  une  nouvelle  persécution  contre  le  troupeau  du  Fils 
de  Dieu,  par  l'impiété  d'Hérode  Agrippa,  que  l'empereur  Caligula  avait  fait 
roi  des  Juifs,  et  qui  voulait,  par  cette  cruauté,  gagner  les  bonnes  grâces  de 
cette  nation.  En  effet,  saint  Jacques  le  Majeur  fut  décapité  ;  et  saint  Pierre, 
qu'il  fit  arrêter  prisonnier,  devait  aussi  être  exécuté  en  présence  de  tout  le 
peuple  après  la  fête  de  Pâques  ;  mais  un  ange  le  tira  miraculeusement  de 
prison,  et  le  rendit  aux  prières,  aux  larmes  et  aux  gémissements  de  toute 
l'Eglise. 

Ce  fut  à  cette  occasion  que  les  Apôtres,  après  avoir  composé  le  symbole 
qui  porte  leur  nom,  et  qui,  en  douze  articles,  contient  les  principaux  points 
de  notre  foi,  prirent  la  résolution  de  partager  le  monde  entre  eux,  et  de  se 
distribuer  par  toutes  les  nations  de  la  terre  pour  y  porter  la  lumière  de 
l'Evangile.  Saint  Pierre  devait  prêcher  dans  le  Pont,  la  Galatie,  la  Bithynie, 
la  Cappadoce  et  les  autres  provinces  de  l'Asie,  fixer  son  premier  siège  à  An- 
tioche et  ensuite  à  Rome,  où  devait  être  établie  la  chaire  de  Jésus-Christ,  et 
résider  le  chef  de  l'Eglise. 

Saint  Pierre,  après  avoir  été  délivré  de  la  prison,  sortit  de  Jérusalem, 


436  29  JUIN. 

et  se  mit  en  marche  avec  quelques  disciples  pour  parcourir  de  nouveau  les 
provinces  de  l'Orient,  de  la  Syrie  et  de  l'Asie-Mineure  qu'ils  avaient  déjà 
évangélisées.  Il  alla  à  Césarée,  ville  très-importante  alors,  avantageusement 
située  sur  le  bord  de  la  Méditerranée.  Simon  le  Magicien  se  trouvait  alors 
dans  cette  cité,  entouré  de  nombreux  disciples  qu'il  s'était  attirés  par  ses 
prestiges,  et  par  sa  doctrine  qui  justifiait  tous  les  désordres  et  tous  les  pé- 
chés, de  même  que  toutes  les  erreurs  de  l'esprit  humain.  Saint  Pierre 
réfuta  toutes  les  erreurs  et  les  infamies  de  cet  imposteur;  car  quelle  que 
soit  la  puissance  de  l'homme  et  du  démon,  elle  ne  saurait  prévaloir  contre 
la  vérité  ni  contre  la  puissance  divine  qui  résident  dans  les  ministres  de 
Jésus-Christ.  Simon,  ayant  été  convaincu  d'imposture  et  de  magie,  fut 
chassé  hors  de  la  ville  par  le  peuple  indigné,  et  une  grande  partie  des  habi- 
tants reçut  le  don  de  la  foi. 

Saint  Pierre,  après  avoir  fortifié  les  fidèles  de  Césarée  dans  leur  croyance, 
quitta  cette  ville  pour  aller  porter  l'Evangile  ailleurs  et  détruire  le  mal  que 
l'ennemi  de  Dieu  et  de  l'Eglise  faisait  en  différents  lieux.  Il  mit  à  la  tête  de 
l'Eglise  de  Césarée,  en  qualité  d'évêque,  le  centurion  Corneille.  Ayant  appris 
que  Simon  s'était  rendu  à  Tyr,  l'Apôtre  appela  trois  de  ses  disciples.  Clé- 
ment, Nicétas  et  Aquila,  et  leur  commanda  de  s'y  transporter  avant  lui, 
de  s'informer  de  ce  qui  s'y  passait  et  de  lui  en  rendre  compte  par  lettre. 
Les  trois  disciples  obéirent,  arrivèrent  à  Tyr,  en  passant  par  Dora,  logèrent 
chez  Bérénice  la  Chananéenne,  qui  les  informa  exactement  de  tout  le  suc- 
cès que  Simon  avait  obtenu  sur  l'esprit  des  habitants. 

L'Apôtre,  à  cette  nouvelle,  se  mit  aussitôt  en  route,  et  après  avoir  vi- 
sité et  évangélisé,  en  passant,  la  ville  de  Ptolémaïde,  il  arriva  dans  la  ville 
de  Tyr  où  il  fut  reçu  au  milieu  des  acclamations  des  habitants.  Après  leur 
avoir  annoncé  un  seul  Dieu,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  auteur  et  con- 
servateur de  nos  âmes  et  de  nos  corps,  il  leur  déclara  que  les  maladies  dont 
ils  avaient  été  affligés  par  Simon  et  par  les  démons  dont  ce  magicien  était 
l'instrument  et  le  ministre,  disparaîtraient  lorsque,  convertis  au  vrai  Dieu, 
ils  auraient  été  purifiés  par  le  saint  baptême.  En  effet,  un  grand  nombre 
de  Tyriens  furent  instruits,  baptisés  et  guéris  de  leurs  maladies  corporelles 
et  spirituelles.  Le  bruit  de  ces  merveilles  alla  jusqu'àSidon;  ce  qui  engagea 
les  habitants  de  cette  ville  à  envoyer  une  députation  à  saint  Pierre  qui 
séjournait  encore  à  Tyr.  L'Apôtre  acheva  donc  de  guérir  les  malades  de 
cette  dernière  ville,  y  institua  une  église,  à  la  tête  de  laquelle  il  mit 
pour  évêque  un  des  prêtres  qui  l'accompagnaient.  Puis  il  partit  pour 
Sidon. 

Dès  que  Simon  eut  appris  l'arrivée  de  saint  Pierre  dans  cette  ville,  il  en 
sortit  précipitamment  avec  ses  compagnons.  Un  grand  nombre  d'habitants, 
à  la  parole  de  l'Apôtre,  crurent  en  Jésus-Christ,  firent  pénitence,  furent 
guéris  et  formèrent  une  Eglise  à  laquelle  saint  Pierre  préposa  un  évêque. 
De  Sidon,  l'Apôtre  se  rendit  à  Béryte  oîi,  à  son  arrivée,  il  se  fit  un  trem- 
blement de  terre.  Le  peuple  vint  trouver  saint  Pierre  pour  implorer  son 
secours.  Alors  Simon  reprit  son  audace;  il  ourdit  une  trame,  de  concert 
avec  Appion,  Annubion,  Athénodore,  et  ses  autres  compagnons;  mais  le 
peuple  se  précipita  en  foule  suf  eux,  les  couvrit  de  blessures,  et  ne  cessa  de 
les  frapper  que  quand  il  les  eut  expulsés  de  la  ville. 

Ensuite  tous  ceux  qui  étaient  aux  prises  avec  les  maladies  et  avec  les 
démons,  vinrent  se  jeter  aux  pieds  de  saint  Pierre.  Alors  l'Apôtre  de  Dieu, 
élevant  les  mains  au  ciel,  et  conjurant  le  Seigneur,  les  guérit  par  le  seul 
effet  de  sa  prière.  Il  séjourna  encore  quelques  jours  au  milieu  eux,  et  d'après 


Ê 


SAIOT  PIERRE,   PRINCE  DES   APÔTRES.  437 

en  avoir  confirmé  un  grand  nombre  dans  la  foi  et  les  avoir  baptisés,  il  leur 
donna  pour  évêque  Quartus. 

En  quittant  Béryte,  l'Apôtre  se  rendit  à  Byblis.  Là,  il  apprit  que  Simon 
venait  de  s'enfuir  à  Tripoli.  Il  ne  demeura  qu'un  court  espace  de  temps  dans 
cette  ville.  Après  y  avoir  rendu  la  santé  à  plusieurs  malades  et  instruit  ses 
habitants  dans  la  doctrine  de  la  vérité  et  de  la  piété,  il  leur  donna  pour 
évêque  Jean-Marc;  puis  il  se  mil  en  marche  vers  Tripoli,  afin  de  suivre  les 
traces  de  Simon,  pour  qu'il  fût  manifeste  qu'il  le  poursuivait,  et  qu'il  ne 
cherchait  point  à  l'éviter. 

Or,  comme  saint  Pierre  entrait  dans  cette  ville,  beaucoup  de  per- 
sonnes de  Tyr,  de  Sidon,  de  Béryte,  de  Byblis,  accoururent  au-devant  de 
lui,  désireuses  de  l'entendre;  les  habitants  de  Tripoli,  en  particulier,  mon- 
trèrent un  vif  empressement  de  le  voir  :  ils  accoururent  pour  la  plupart. 
Ceux  des  frères  qui  avaient  été  envoyés  d'avance  racontèrent  ;\  saint  Pierre 
et  à  ses  disciples,  quel  était  l'état  de  cette  ville,  et  ce  que  Simon  y  avait 
fait.  L'Apôtre  fut  conduit  dans  la  maison  de  Maron.  Arrivé  à  la  porte  de 
cette  demeure,  il  se  tourna  vers  la  foule  qui  le  suivait,  et  lui  promit  de  lui 
parler  le  lendemain  de  ce  qui  concerne  le  culte  de  Dieu.  Simon,  apprenant 
son  arrivée  et  sa  brillante  réception,  comprit  qu'il  ne  pouvait  lutter  contre 
lui  dans  celte  ville,  et  il  sortit  de  Tripoli  la  nuit  même  pour  se  rendre  dans 
la  Syrie. 

Saint  Pierre,  après  avoir  annoncé  à  la  foule  immense  qui  le  suivait  lei 
paroles  de  la  vie  éternelle,  imposa  les  mains  à  tous  les  malades  qu'on  lui 
présenta,  et  les  guérit  entièrement;  ce  qui  fit  qu'un  grand  nombre  d'hommes 
crurent  en  Jésus-Christ  et  demandèrent  le  baptême.  L'Apôtre  les  régénéra 
dans  les  eaux  sacrées,  leur  distribua  l'Eucharistie,  leur  donna  pour  évêque 
Maron,  son  hôte,  homme  distingué  par  sa  vertu  et  par  la  considération  qu'il 
s'était  acquise,  et  chrétien  déjà  arrivé  à  la  perfection,  puis  ordonna  douze 
prêtres  et  plusieurs  diacres,  qui  devaient  pourvoir  aux  besoins  des  veuves. 
Après  leur  avoir  parlé  de  la  nécessité  de  l'ordre  et  du  bon  accord  général, 
leur  avoir  représenté  que  le  bien  de  l'Eglise  était  intéressé  à  cette  parfaite 
union  et  à  l'obéissance  respectueuse  à  l'évêque  qu'il  venait  de  leur  donner, 
il  leur  fit  ses  adieux  et  partit  pour  Antioche  de  Syrie,  après  être  resté  trois 
mois  à  Tripoli,  ville  considérable  de  la  Phénicie. 

Sorti  de  Tripoli,  saint  Pierre  se  mit  donc  en  marche  pour  Antioche. 
Dans  sa  route,  il  demeura  un  jour  à  Orthosia,  peu  distante  de  Tripoli; 
comme  presque  tous  les  habitants  de  cette  ville  avaient  entendu  la  prédi- 
cation évangélique,  il  n'y  séjourna  qu'un  jour,  et  se  rendit  à  Antarada,  ou 
simplement  Arada.  Il  y  guérit  un  paralytique  et  une  autre  femme  privée 
de  l'usage  de  ses  mains,  et  par  sa  présence  délivra  une  possédée.  De  là,  il 
partit  pour  les  Balanées;  le  jour  suivant  il  arriva  à  Pelta  ou  Paltos,  puis  à 
Gabala  et  ensuite  à  Laodicée.  Parvenu  aux  portes  de  cette  belle  et  grande 
cité,  il  dit  àNicétas  et  à  ceux  qui  le  suivaient  :  Il  convient  que  nous  sé- 
journions ici  quelques  jours;  car  il  peut  se  faire  que,  dans  une  multitude 
si  considérable,  il  se  trouve  quelques  personnes  dignes  des  promesses  et  de 
l'héritage  de  Jésus-Christ. 

Ce  grand  Apôtre  opéra  dans  cette  ville  de  nombreuses  guérisons,  et  y 
délivra  plusieurs  personnes  possédées  par  des  esprits  impurs.  Il  y  établit  des 
Eglises,  à  la  tête  desquelles  il  mit  des  évêques.  Il  ne  resta  que  quelques 
jours  dans  cette  ville,  et  se  mit  en  route  pour  venir  à  Antioche. 

A  son  approche,  le  peuple  de  cette  grande  cité,  qui  avait  souvent  en- 
tendu parler  de  lui,  vint  à  sa  rencontre,  l'accueillit  avec  joie,  comme  le 


438  29  JUIN. 

héraut  et  l'apôtre  de  la  vérité.  Par  ses  prières  et  par  l'imposition  des  mains, 
saint  Pierre  guérit  dans  Anlioche  un  grand  nombre  de  malades.  Il  annonça 
aux  habitants  de  cette  ville  l'unité  de  Dieu  et  la  trinité  des  Personnes  di- 
vines. Ce  fut  là  qu'il  conféra  le  baptême  à  Faustus  qui  s'y  était  préparé 
depuis  quelque  temps.  Dans  le  même  temps,  un  ordre  de  l'empereur  faisait 
rechercher  tous  les  magiciens.  Pour  éviter  d'être  arrêté  à  Antioche  par  les 
satellites  impériaux,  Simon  le  Magicien  s'enfuit  de  cette  ville  et  retourna 
dans  la  Judée. 

Saint  Pierre  travailla,  dès  lors,  librement  au  sein  de  cette  cité  popu- 
leuse, y  augmenta  considérablement  l'Eglise  qui  y  existait  déjà,  et  lui  donna 
pour  évêque  saint  Evode,  avant  d'aller  fonder  l'Eglise  de  Piome.  Il  confia 
a  saint  Evode  cette  Eglise  à  gouverner,  comme  le  riche  confie  son  troupeau 
au  pasteur  qui  doit  le  garder;  il  conservait  sur  cette  bergerie  la  même  juri- 
diction qu'il  possédait  auparavant.  Il  envoya  aussi  saint  Marcien,  comme 
évêque  à  Syracuse,  ville  de  Sicile,  et  saint  Pancrace  à  Taormina,  autre 
Tille  de  la  même  province. 

Après  avoir  quitté  Antioche,  il  se  mit  en  route  pour  l'Asie.  Il  vint,  en 
passant  par  diflérentes  villes  et  bourgades,  séjourner  à  Thj'ane,  ville  de 
Cappadoce,  ensuite  à  Ancyre,  dans  la  Galatie;  dans  cette  dernière  ville,  au 
moyen  de  sa  prière,  il  ressuscita  un  homme  mort,  puis  il  instruisit  dans  la 
foi  et  baptisa  un  grand  nombre  de  personnes.  Il  y  fonda  aussi  une  Eglise  et  y 
établit  un  évêque. 

De  là,  il  vint  à  Synada,  ville  de  Phrygie,  puis  à  Pessinonte,  métropole 
de  cette  province.  Gagnant  ensuite  le  Pont,  il  évangélisa  différentes  villes, 
telles  que  Gangre,  en  Paphlagonie,  Claudiopolis,  Amasée,  métropole  de 
l'Hellespont,  et  arriva  jusqu'à  Sinope,  ville  importante,  située  sur  les  rives 
du  Pont-Euxin.  De  Sinope  il  se  rendit  à  Nicée,  puis  à  Nicomédie,  où  il  éta- 
blit évêque  le  disciple  Prochorus.  Ensuite  il  prêcha  à  Ilion,  ou  Troie  dans 
l'Hellespont ,  et  confia  cette  Eglise  à  Corneille  le  Centurion,  qui  avait 
déjà  la  charge  épiscopale  de  Césarée  en  Palestine.  Suivant  un  ancien  auteur, 
l'ApôLre  serait  retourné  une  ou  deux  fois  à  Jérusalem,  pour  la  fête  de 
Pâques,  avant  d'achever  ses  courses  apostoliques  en  Asie.  Mais  il  est  certain 
qu'il  a  évangélisé  les  diverses  provinces  du  Pont,  de  la  Galatie,  de  la  Bithy- 
nie,  de  la  Cappadoce  et  de  l'Asie,  après  avoir  fondé  l'Eglise  d'Antioche  et 
avant  d'aller  à  Rome.  C'est  ce  que  les  historiens  ont  conclu  de  la  lettre  qu'il 
écrivit  à  ces  divers  peuples,  de  même  que  des  témoignages  d'Eusèbe  qui 
marque  cette  prédication  de  saint  Pierre  comme  l'une  des  plus  importantes 
fonctions  de  son  apostolat.  Saint  Jérôme  et  saint  Léon  l'attestent  égale- 
ment. Saint  Epiphane  dit  même  que  depuis  qu'il  eut  fixé  son  siège  à  Rome, 
il  quitta  néanmoins  celte  Eglise  pour  venir  visiter  celles  de  Bithynie  et  du 
Pont.  Le  pape  saint  Agapet  témoigne  que  cet  Apôtre  a  ordonné  et  établi 
différents  évêques  dans  l'Orient.  L'histoire  ecclésiastique  et  toutes  les  tra- 
ditions sont  d'accord  sur  ce  point. 

Ajoutons  qu'au  nombre  des  évêques  institués  par  saint  Pierre ,  la 
tradition  range  encore  saint  Urbain,  qui  fut  mis  à  la  tête  de  l'Eglise  de 
Tarse;  saint  Epaphrodite,  qui  gouverna  l'Eglise  d'Andriaca  (Andraca  ou 
Adriana),  ville  de  la  Lycie,  située  à  peu  de  distance  de  Myre;  Phygelle,  qui 
fut  évoque  à  Ephèse,  mais  qui  peu  après  eut  le  malheur  de  faire  naufrage 
dans  la  foi,  et  d'embrasser  les  erreurs  de  Simon  le  Magicien;  saint  Apelles, 
qui  était  frère  de  saint  Polycarpe,  et  qui  fut  préposé  à  l'Eglise  de  Smyrne. 
Voici  un  fait  d'une  très-grande  portée.  Saint  Pierre  a  ordonné  et  insti- 
tué le  premier  évêque  de  Byzance,  aujourd'hui  Constantinople.  C'est  ce 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES   APÔTRES.  439 

qui  devient  manifeste  par  la  lettre  du  pape  Agapet,  qui  a  été  lue  au  cin- 
quième concile  œcuménique.  On  y  lit  en  propres  termes  que  Mennas  était 
le  premier  évoque  de  Constantinoplequele  Saint-Siège  eût  ordonné,  depuis 
que  saint  Pierre,  le  Prince  des  Apôtres,  avait  consacré  le  premier  évoque 
de  Byzance.  Celte  lettre,  approuvée  par  les  Pères  d'un  concile  général, 
acquiert  plus  de  poids  et  d'autorité  que  tous  les  récits  des  historiens  grecs 
et  modernes. 

Après  avoir  accompli  d'immenses  travaux  apostoliques  dans  l'Orient, 
érigé  des  épiscopats  dans  les  villes  principales,  et  fondé  de  florissantes 
chrétientés;  après  avoir,  par  la  vertu  du  nom  de  Jésus,  enlevé  d'innom- 
brables dépouilles  au  démon  et  soumis  à  l'obéissance  de  la  foi  de  vastes 
régions,  saint  Pierre,  ce  grand  Apôtre,  dont  le  zèle  était  héroïque  et  le 
courage  infatigable,  priait  le  Fils  de  Dieu  de  daigner  l'éclairer,  et  lui  indi- 
quer manifestement  sur  quels  points  il  devait  désormais  porter  ses  pas  et 
ses  efforts.  Ce  fut  alors,  comme  nous  l'apprend  l'ancienne  tradition  *,  que 
Notre-Seigneur  lui  apparut  pendant  la  nuit  dans  une  vision,  et  lui  dit  : 
«  Levez-vous,  Pierre,  prenez  possession  de  l'Occident;  car  il  a  besoin  que 
vous  fassiez  briller  à  ses  yeux  le  flambeau  de  la  lumière  évangélique.  Pour 
moi,  je  serai  avec  vous  ». 

Saint  Pierre,  qui  savait  déjà  que  Rome  devait  être  le  lieu  principal  de 
sa  chaire  apostolique,  comprit  alors  que  sa  mission  en  Orient  était  accom- 
plie. Il  ne  balança  point,  il  résolut  de  partir  aussitôt.  Il  fit  part  de  la  vision 
qu'il  avait  eue  aux  fidèles  de  l'Asie,  leur  laissa  des  constitutions,  puis  s'em- 
barqua pour  l'Italie,  alors  la  dominatrice  du  monde. 

Il  arriva  d'abord  en  Macédoine,  et  donna  pour  évêque  à  l'Eglise  de  Phi- 
lippes,  Olympas,  l'un  des  soixante-douze  disciples;  il  institua  Jason  évêque 
de  Thessalonique,  et  Silas  évoque  de  Corinthe,  où  ce  disciple  séjournait  en 
attendant  l'arrivée  de  saint  Paul.  Après  avoir  également  placé  Hérodion 
à  la  tête  de  l'Eglise  de  Patras,  il  s'embarqua  pour  la  Sicile. 

Arrivé  dans  cette  province,  il  se  rendit  à  Taormina  et  logea  chez  Pan- 
crace. De  là,  il  prit  sa  route  vers  Rome,  en  passant  par  différentes  ville» 
d'Italie,  qui,  jusqu'à  ce  jour,  se  glorifient  d'avoir  été  honorées  de  la  pré- 
sence d'un  tel  Apôtre.  C'est  ainsi  que  Naples,  cette  cité  splendide,  qui  le 
dispute  en  magnificence  à  Carthage  et  à  Corinthe  et  qui  rivalise  avec  Rome 
pour  la  grandeur,  Naples  fut  illustrée  par  les  prodiges  qu'y  opéra  saint 
Pierre;  après  qu'il  y  eut  célébré  les  saints  mystères,  il  donna  pour  évêque 
à  cette  ville  son  disciple  Asprénas,  ou  Asprénate;  et  jamais,  depuis  cet  heu- 
reux événement,  les  Napolitains  n'oublièrent  d'en  célébrer  la  mémoire  et 
de  témoigner  leur  reconnaissance  à  leur  insigne  bienfaiteur.  L'Apôtre  était 
accompagné  de  Clément,  fils  de  Faustus,  homme  très-distingué  aux  yeux 
des  Romains  par  sa  noble  origine  et  par  sa  rare  sagesse,  de  saint  Marc,  de 
saint  Martial,  de  saint  Apollinaire  et  de  quelques  autres  disciples.  Baronius 
ajoute,  d'après  une  ancienne  tradition,  que  saint  Pierre,  poussé  par  les 
vents,  aborda  à  Livourne;  que  de  là  il  se  rendit  àPise,  où  il  célébra  le  saint 
sacrifice,  et  que  de  cette  ville  il  se  dirigea  vers  la  capitale  du  monde. 

Ce  fut  la  seconde  année  de  l'empire  de  Claude,  que  l'Apôtre  entra  à 
Rome,  Il  commença  aussitôt  à  éclairer  cette  grande  ville,  qui  s'était  laissé 
plonger  plus  que  nulle  autre  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie.  Le  nombre 
infini  de  martyrs,  que  l'on  y  vit  bientôt  après,  marque  assez  le  grand  suc- 
cès de  ses  prédications,  et  avec  combien  de  bonheur  il  travailla  à  la  con- 

1.  Ântiq.  Script,  apud  Boll.  29  jnnii  ;  apud  Metaphr,  l't  Surium,  29  junii  ;  apud  Baron.,  Annal,  an.  44, 
a.  51. 


440  29  JUIN. 

version  des  principaux  du  sénat,  des  chevaliers  et  du  peuple.  Il  envoya  dès 
lors  des  missionnaires  en  diverses  provinces,  non-seulement  de  l'Italie,  mais 
aussi  des  Gaules,  de  l'Espagne  et  de  l'Afrique  :  ce  qui  acquit  un  grand 
nombre  de  nouveaux  serviteurs  à  Jésus-Christ.  Enfin,  il  y  écrivit  sa  pre- 
mière Epître,  qu'il  adressa  aux  chrétiens  dispersés  dans  le  Pont,  la  Galatie, 
la  Cappadoce,  l'Asie  et  la  Bithynie,  afin  de  les  fortifier  dans  leur  croyance, 
de  les  munir  contre  les  embûches  des  hérétiques,  et  de  leur  inspirer  la  vé- 
ritable morale  du  Christianisme. 

La  fondation  de  l'Eglise  de  Rome  et  des  autres  Eglises  par  saint  Pierre, 
porta  aussitôt  un  coup  mortel  aux  superstitions  du  paganisme,  au  règne 
des  démons  et  de  l'idolâtrie.  L'historien  Dion  témoigne  que  l'empereur 
Claude  fut  obligé  de  déclarer  abrogées  et  supprimées  un  grand  nombre  de 
fêtes  et  de  cérémonies  païennes.  Les  portes  de  l'enfer,  dépouillées  de  leur 
ancienne  puissance,  ne  pouvaient  plus  soutenir  leur  ouvrage.  Leur  règne, 
celui  du  mensonge  et  de  l'iniquité,  décroissait  alors  sensiblement.  Mais  si 
elles  ne  purent  arrêter  leur  rapide  décadence,  du  moins  firent-elles  alors 
les  plus  grands  efforts  pour  paralyser  les  effets  de  la  toute-puissante  vertu 
de  Jésus-Christ,  qui  se  faisait  sentir  dans  la  prédication  de  l'Apôtre.  Elles 
suscitèrent  des  troubles  et  de  vives  agitations  au  sein  même  de  Rome,  de 
sorte  que  la  paix  de  l'empire  en  parut  menacée,  et  que  les  magistrats  et 
l'empereur  Claude  se  crurent  obligés  de  décréter  l'expulsion  des  Juifs  et 
des  Chrétiens.  Cette  expulsion  eut  lieu  dans  la  neuvième  année  de  l'em- 
pire de  Claude,  la  quarante-neuvième  de  Jésus-Christ.  Ce  décret  toutefois 
n'eut  pas  de  grandes  suites.  Tous  les  Juifs  obtinrent  bientôt  la  permission 
de  rentrer  dans  Rome.  Quoi  qu'il  en  soit,  saint  Pierre  quitta  à  cette  époque 
la  capitale  pour  aller  de  nouveau  dans  l'Orient,  où  sa  présence  était  né- 
cessaire. 

Ce  ne  fut  pas  sans  une  conduite  particulière  de  la  divine  Providence, 
qu'il  se  rendit  peu  de  temps  après  à  Jérusalem.  Il  s'était  élevé  à  Antioche 
une  grande  contestation  entre  les  fidèles  :  les  uns,  qui  étaient  Juifs,  soute- 
naient qu'il  fallait  joindre  le  Judaïsme  au  Christianisme,  et  qu'on  ne  pou- 
vait être  sauvé  sans  observer  la  loi  de  Moïse  ;  et  les  autres,  qui  étaient  Gen- 
tils, refusaient  absolument  de  se  soumettre  à  cette  servitude.  Une  question 
de  si  grande  importance  méritait  bien  d'être  examinée  et  décidée  par  celui 
qui  représentait  Jésus-Christ  sur  la  terre.  Saint  Paul  et  saint  Barnabe,  avec 
quelques  autres  disciples,  députés  des  deux  partis,  le  vinrent  trouver  à  Jé- 
rusalem. Il  y  assembla  les  Apôtres  qui  y  pouvaient  être,  c'est-à-dire,  saint 
Jean  qui  ne  s'en  était  pas  éloigné,  et  saint  Jacques  le  Mineur  qui  en  était 
évêque  particulier,  avec  les  prêtres  qui  composaient  cette  Eglise,  et  tint 
avec  eux  le  premier  Concile  de  la  chrétienté.  La  difficulté  y  fut  proposée, 
et  l'apôtre  saint  Paul,  après  avoir  représenté  comment  Dieu  s'était  servi  de 
lui  pour  attirer  les  Gentils  à  la  foi,  déclara  que  c'était  fort  mal  à  propos 
qu'on  leur  voulait  imposer  une  obligation  que  les  Juifs  mêmes  avaient  tou- 
jours regardée  comme  un  joug  insupportable.  Aussi,  lorsque  saint  Jacques 
eut  opiné  dans  le  même  sentiment,  on  le  rédigea  par  écrit,  et  le  décret  fut 
formulé  en  ces  termes  :  «  Il  a  semblé  bon  au  Saint-Esprit  et  à  nous,  de  ne 
vous  point  imposer  d'autres  lois  que  celles-ci,  qui  ont  été  jugées  néces- 
saires :  Que  vous  vous  absteniez  des  viandes  immolées  aux  idoles,  du  sang 
des  animaux,  des  bêtes  suffoquées  et  de  la  fornication  ».  Ce  décret  fut 
adressé  aux  fidèles  d'Antioche,  de  Syrie  et  de  Cilicie,  qui  avaient  quitté  la 
gentilité. 

Comme  il  ne  défendait  pas  encore  aux  Juifs,  qui  s'étaient  faits  chrétiens, 


SAINT   PIERRE,   PRINCE  DES  APÔTRES.  441 

l'observation  des  cérémonies  légales,  ils  continuèrent  toujours  de  les  gar- 
der, et  saint  Pierre,  avec  les  autres  Apôtres,  pour  s'accommoder  à  leur 
fa-iblesse,  les  gardaient  aussi  quelquefois,  surtout  lorsqu'ils  se  trouvaient 
avec  eux,  et  qu'ils  le  jugeaient  nécessaire  pour  ne  point  aliéner  leurs  esprits 
de  la  doctrine  de  l'Evangile.  Ainsi  notre  Apôtre,  étant  depuis  allé  à  Antioche 
pour  y  confirmer  dans  la  foi  les  Gentils  devenus  fidèles,  mangea  d'aborcj 
avec  eux  indifféremment  de  toutes  sortes  de  viandes  ;  mais,  à  l'arrivée  de 
quelques  Juifs  qui  vinrent  de  Jérusalem  pour  lui  parler,  craignant  qu'ils  ne 
fussent  scandalisés  de  le  voir  vivre  dans  la  liberté  que  le  christianisme  don- 
nait aux  Gentils,  il  se  sépara  de  ceux-ci  et  se  remit  dans  l'abstinence  des 
viandes  défendues  par  la  loi.  Saint  Paul,  qui  appréhenda  que  cet  exemple 
du  chef  de  l'Eglise,  dont  toutes  les  actions  étaient  regardées  comme  des 
règles  vivantes  de  la  morale  chrétienne,  en  servant  aux  Juifs,  ne  fût  préju- 
diciable aux  Gentils,  et  ne  leur  fît  douter  de  la  doctrine  du  Concile  de  Jé- 
rusalem, l'en  reprit  publiquement  ;  il  est  môme  dit,  en  l'Epître  aux  Galates, 
qu'il  lui  résista  en  face,  c'est-à-dire  en  sa  propre  présence,  parce  qu'il  était 
répréhensible.  Saint  Jérôme  et  les  Pères  grecs  se  sont  persuadés  que  cela  se 
fit  de  concert  entre  eux,  et  que  saint  Pierre,  qui  avait  une  charité  extrême 
pour  les  chrétiens  de  l'un  et  de  l'autre  peuple,  voulut  lui-même,  par  une 
sainte  adresse,  être  repris,  afin  que,  son  action  empêchant  d'un  côté  le 
scandale  des  Juifs,  la  remontrance  de  saint  Paul  empêchât  de  l'autre  celui 
des  Gentils.  Mais  saint  Augustin  s'est  opposé  de  toutes  ses  forces  à  ce  senti- 
ment, croyant  qu'il  donnait  trop  d'atteinte  au  sens  littéral  de  l'Ecriture 
sainte.  En  eilet,  il  vaut  mieux  dire,  avec  ce  saint  docteur,  que  saint  Paul 
jugea  effectivement  l'action  de  saint  Pierre  répréhensible,  et  qu'il  lui  en  fit 
sérieusement  la  remontrance,  à  cause  des  mauvaises  suites  qu'il  en  pré- 
voyait. Mais  cela  ne  diminue  rien  du  mérite  et  de  la  gloire  de  notre  grand 
Apôtre,  puisque,  s'il  y  commit  quelque  faute,  elle  fut  extrêmement  légère 
et  tout  à  fait  excusable,  n'ayant  d'autre  intention  que  celle  du  salut  des 
Juifs,  qu'il  regardait  comme  le  peuple  chéri  de  Dieu,  et  ne  croyant  pas  que 
les  Gentils,  qui  savaient  qu'il  était  Juif,  dussent  tirer  de  mauvaises  consé- 
quences pour  eux  de  le  voir  observer  des  cérémonies  dans  lesquelles  il  était 
né  et  avait  été  élevé.  D'ailleurs  saint  Cj^prien  remarque  qu'il  fit  paraître  en 
cette  rencontre  une  douceur  et  une  humilité  incomparable,  puisque,  bien 
loin  de  contester  contre  saint  Paul,  et  de  défendre  son  action  et  son  inten- 
tion, il  se  rendit  aussitôt  à  ses  remontrances,  sans  que  sa  qualité  de  prince 
et  de  pasteur  de  toute  l'Eglise,  et  cette  autorité  souveraine  qu'il  avait  reçue 
sur  tous  les  fidèles,  lui  donnassent  aucun  mouvement  d'indignation  contre 
celui  qui  le  reprenait. 

Les  hérétiques,  au  lieu  d'admirer  cette  modestie  dont  on  trouve  si  peu 
d'exemples  dans  les  princes  et  dans  les  souverains,  se  sont  servis  de  la  dis- 
pute des  Apôtres  pour  combattre  la  primauté  de  saint  Pierre  ;  mais  ils  ne 
sont  pas  moins  ridicules  en  cela  que  celui  qui  contesterait  la  souveraineté 
d'un  roi,  en  lisant  dans  l'histoire  que  quelqu'un  de  ses  conseillers  lui  a  fait 
une  remontrance.  Dieu,  pour  tenir  les  plus  grands  hommes  dans  l'humi- 
lité, se  sert  souvent  de  leurs  inférieurs  pour  les  éclairer  et  leur  déclarer 
ses  volontés.  Ainsi  il  instruisit  Moïse  par  Jéthro,  et  David,  roi  et  prophète, 
par  d'autres  Prophètes  beaucoup  moindres  que  lui  ;  mais  cela  ne  combat 
point  leur  prééminence,  et  n'empêche  point  qu'ils  ne  soient  au-dessus  de 
ces  instruments  que  la  sagesse  divine  emploie  pour  les  instruire. 

D'Antioche,  saint  Pierre  retourna  en  Italie  dont  il  parcourut  les  diverses 
provinces,  en  y  annonçant  l'Evangile.  C'est  ce  que  rapportent  Eusèbe,  RufûQ 


442  29  JUIN. 

et  d'autres  anciens  auteurs.  En  effet,  comme  le  témoigne  Astérius,  cet  Apô- 
tre ayant  reçu  de  Jésus-ChrisL  la  charge  de  paître  et  de  nourrir  son  troupeau, 
il  n'a  pas  langui  dans  une  molle  oisiveté.  Il  n'a  pas  choisi  une  vie  douce  et 
paisible  ;  il  n'a  point  cherché  à  éviter  les  périls.  Il  a  vécu,  au  contraire, 
dans  la  plus  grande  et  la  plus  continuelle  activité  ;  il  a  fait  de  longues  et  pé- 
nibles courses  dans  toutes  les  parties  de  la  terre,  dans  le  but  d'éclairer  les 
aveugles  par  le  flambeau  de  l'Evangile,  de  servir  de  guide  à  ceux  qui  étaient 
égarés,  d'encourager  et  de  faire  avancer  ceux  qui  marchaient  déjà  dans  le 
sentier  de  la  vérité  et  de  la  piété,  de  combattre  sans  cesse  les  ennemis  de 
Dieu  et  de  son  Eghse,  d'exhorter  ses  soldats,  de  souffrir  toutes  sortes  de 
persécutions,  d'endurer  l'horreur  des  prisons  les  plus  affreuses  ;  en  un  mot, 
de  prêcher  Jésus-Christ  en  tout  lieu,  parmi  tous  les  travaux  et  tous  les  dan- 
gers que  l'esprit  peut  imaginer. 

Il  avait  déjà  envoyé  de  ses  disciples  dans  toutes  les  parties  de  l'univers, 
dans  l'Orient  et  dans  l'Occident.  Il  voulut  encore  y  aller  lui-même  en  per- 
sonne. Après  avoir  conflé  à  saint  Lin  ^  et  à  saint  Clet  l'administration  de 
son  Siège  Pontifical  de  Rome,  il  partit  pour  la  Grande-Bretagne  ^,  qu'une 
conquête  récente  venait  d'ouvrir  aux  Romains.  Il  franchit  les  Alpes,  les 
Pyrénées,  l'Océan,  et  aborda  chez  ces  peuples  belliqueux,  barbares,  inhu- 
mains, abandonnés  à  l'idolâtrie,  et  jeta  dans  leurs  cœurs  la  féconde  se- 
mence de  la  foi,  qui  devait  bientôt  y  produire  des  fruits  abondants. 

Lorsqu'il  eut  soumis  au  joug  de  l'Evangile  plusieurs  de  ces  hommes  in- 
flexibles et  féroces,  prêts  à  livrer  les  plus  rudes  combats  aux  Romains,  pour 
repousser  le  joug  dominateur,  le  Pêcheur  traversa  l'Océan  pour  visiter  l'Es- 
pagne, et  passer  de  là  en  Afrique.  Tertullien  ',  saint  Cyprien  *,  saint  Gré- 
goire ^  Innocent  I"  %  Métaphraste  \  Baronius  *,  témoignent  que  saint  Pierre 
a  donné  la  foi  à  l'Afrique,  et  notamment  à  Carthage  ',  à  la  Numidie  et  à  la 
Mauritanie  ***.  Après  avoir  parcouru  les  principaux  lieux  de  ces  contrées,  de 
même  que  les  deux  Lybies  et  la  Cyrénaïque,  après  avoir  laissé  saint  Gres- 
sent  comme  évêque  de  Carthage,  il  arriva  en  Egypte,  à  Alexandrie,  où  il 
confirma  publiquement  l'institution  de  saint  Marc,  son  disciple,  comme 
évêque  et  administrateur  de  cette  grande  ville,  se  rendit  de  là  dans  la 
Thébaïde,  institua  saint  Rufus  évêque  de  Thèbes,  cité  opulente,  très-peu- 
plée et  très-célèbre  par  ses  cent  portes,  pénétra  ensuite  dans  le  fond  de 
l'Ethiopie,  dans  les  vastes  régions  de  l'Aurore,  visus  etiam  Memmonis  domum 
et  sécréta  Aurorx  exiremaque  jEthiopum. 

Ce  fut  alors  qu'il  eut  révélation  d  aller  à  Jérusalem  afin  d'assister  au  tré- 
pas de  la  sainte  Vierge  ^\  Les  circonstances  qui  accompagnèrent  la  pré- 
sence du  Prince  des  Apôtres,  à  la  mort,  à  la  sépulture  et  à  la  résurrection 
de  Marie,  sont  décrites  dans  la  narration  de  l'assomption  de  la  glorieuse 
Mère  de  Jésus-Christ. 

1.  L  ancien  auteur  ecclésiastique  cltë  par  Bollandns,  dit  qao  saint  Pierre  institua  évêque  son  disciple 
saint  Lin,  afin  de  gouverner  l'Eglise  de  Rome  pendant  son  absence.  Saint  Lin  fut  ordonné,  ajoute  Bol- 
landus,  sous  le  consulat  de  Satnrninus  et  de  Scipion,  c'est-à-dire  l'an  56,  et  pendant  neuf  années  de  la  vie 
de  iaint  Pierre,  il  fut  sou  vicaire  ou  son  cliorévéquc. 

Saint  Pierre  ordonna  é«,tlement  saint  Clet,  pour  être  comme  saint  Lin,  son  vicaire  ou  son  chorévêqne. 
Mais  tant  que  cet  Apôtro  vécut,  il  demeura  souverain  Pontife  de  l'Eglise  catholique. 

2.  Apud  Métaph.,  2'J  junii  ;  apud  Daron  an.  58,  n.  61  ;  apud  Sanctorium,  in  Vita  B.  Peifi,  n.  56,  et 
Antiq.  Sciiptor.,  ap.  Dolland.,  p.  416 ;  Patricius  Junius  Blblioth.  Jacobi.  1,  Anglise  régis;  Vendelinus, 
apnd  Labbe,  Conc.  t.  i,  p.  190. 

3.  TtnaW.,  przscript.  I,  c.  3C.  —  4.  S.  Cyprian.,  episl.  xlv.  —  5.  S.  Greg.,  liv.  ii,  epist.  lxxv.  — 
«.  Innocent  I",  e-pist.  i.  _  7.  Metaphrast.,  29  junii.  —  8.  Baron.,  an.  n.  51,  52;  Sanctorius,  avchieplsc. 
Crbin.  m  Vita  iî. />«W.  —  9.  Et  Antiq.  .Sc/ipt.,  ap.  £o«anrf.,  29  junii,  p.  416.—  10,  Antiq.  Scriptor., 
rp.  lUdtand.,  29  junii,  p.  /UG,  t.  v  ;  et  Jlmaphrast.,  die  29  juuii;  apud  Earon.,  an  51.  n.  3.  —  11.  BolL. 
t.  T,  29  junii.  p.  4!S 


SAIiNT  riERBE,   PRINCE  DES   APÔTRES.  Hli 

De  Jérusalem  il  revint  en  Egypte,  et  passa  par  l'Afrique,  pour  retourner 
à  Rome.  Après  avoir  séjourné  quelque  temps  dans  cette  ■ville,  et  y  avoir 
réglé  toutes  choses,  il  parcourut  encore  les  autres  provinces,  y  institua  des 
évêques  et  des  prêtres,  donna,  en  particulier,  saint  Barnabe  pour  évoque  à 
l'église  de  Milan,  et  saint  Paulin  à  l'église  de  Lacques.  Il  pourvut  égale- 
ment au  gouvernement  spirituel  des  villes  de  la  Méditerranée.  Ce  soin  des 
églises  demanda  beaucoup  de  temps. 

Or,  pendant  qu'il  travaillait  ainsi  au  ministère  de  la  prédication,  après 
qu'il  eut  gagné  à  Jésus-Christ  des  peuples  innombrables,  il  reçut  un  avertis- 
sement céleste  et  l'ange  du  Seigneur  lui  dit  '  :  «  Pierre,  le  temps  de  votre 
mort  et  de  votre  délivrance  approche,  il  vous  faut  retourner  à  Rome  ;  c'est 
dans  cette  ville  que  vous  souffrirez  la  mort  de  la  croix,  et  ensuite  vous  re- 
cevrez la  couronne  de  justice  »).  A  ces  paroles  saint  Pierre  glorifia  Dieu  et 
lui  rendit  des  actions  de  grâces.  Il  acheva,  pendant  quelques  jours,  de 
mettre  ordre  aux  affaires  des  Eglises,  et  revint  à  Rome  vers  la  onzième  an- 
née de  l'empire  de  Néron. 

Ce  qui  l'obligea  à  ce  retour,  ce  fut,  d'un  côté  la  cruelle  persécution  que 
cet  empereur  exerça  contre  les  fidèles,  dans  laquelle  ils  n'avaient  pas  besoin 
d'un  moindre  secours  que  de  celui  de  leur  Pasteur  et  du  chef  du  peuple  de 
Dieu,  et,  de  l'autre,  ce  fut  l'impudence  de  Simon  le  Magicien,  qui,  ayant 
gagné  l'esprit  de  Néron  par  ses  opérations  magiques,  se  faisait  de  nouveau 
reconnaître  dans  Rome  pour  une  vertu  divine  et  pour  un  dieu  descendu  du 
ciel.  Lorsque  notre  Apôtre  y  fut  arrivé,  il  fortifia  merveilleusement  les  chré- 
tiens contre  ces  abominations,  et,  ayant  un  moment  de  loisir,  il  écrivit  sa 
seconde  Epître  canonique  contre  un  grand  nombre  d'hérétiques  qui  com- 
mençaient, dès  ce  temps-là,  Ji  tourmenter  l'Eglise.  Il  l'adressa  à  tous  les 
fidèles  en  général,  et,  entre  autres  choses,  il  les  avertit  que  le  temps  de  sa 
mort  était  proche,  et  qu'il  en  avait  révélation  de  Notre-Seigneur. 

Pour  la  guerre  qu'il  fit  à  Simon,  après  plusieurs  disputes  qu'il  eut  avec 
lui,  où  il  réfuta  admirablement  ses  impostures,  il  lui  proposa  enfin  que, 
pour  terminer  leurs  dilïéreuds,  l'on  apportât  le  corps  d'un  homme  mort,  et 
que  celui  qui  le  ressusciterait  serait  reconnu  pour  prédicateur  de  la  vérité. 
Simon  y  consentit,  se  fiant  aux  enchantements  de  son  art  magique  ;  et,  en 
effet,  un  corps  mort  fut  apporté  et  exposé  devant  tout  le  monde  ;  mais  Si- 
mon ne  put  faire  autre  chose,  avec  tous  ses  sortilèges,  que  de  lui  faire  un 
peu  remuer  la  tête.  L'Apôtre,  au  contraire,  après  avoir  laissé  tout  le  temps 
au  peuple  de  reconnaître  l'impuissance  de  sa  magie,  et  la  faiblesse  du  dé- 
mon lorsqu'il  est  lié  par  la  vertu  de  Dieu,  invoquant  le  nom  de  Jésus-Christ, 
ressuscita  le  mort  et  le  fit  marcher,  parler  et  manger  en  présence  de  ce 
grand  nombre  d'assistants.  Ce  miracle  ayant  discrédité  l'imposteur,  que  saint 
Ignace  appelle  le  premier-né  de  Satan,  il  se  vit  bientôt  abandonné  de  ceux 
qui  le  regardaient  auparavant  comme  une  divinité.  Dans  sa  rage,  ayant 
fait  pacte  avec  le  démon  pour  être  enlevé  dans  les  nues  et  transporté  dans 
un  lieu  inconnu,  il  dit  aux  Romains  que,  puisqu'ils  ne  lui  rendaient  pas  les 
honneurs  qui  lui  étaient  dus,  il  avait  résolu  de  s'en  retourner  dans  le  ciel, 
d'où  il  les  châtierait  par  des  misères  et  des  calamités  incroyables,  et  il  leur 
marqua  le  jour  où  il  devait  les  quitter  et  s'envoler  dans  le  milieu  de  l'air. 
Saint  Pierre,  pour  dissiper  cette  entreprise  qui  ne  pouvait  être  que  pré- 
judiciable à  la  propagation  de  l'Evangile,  ordonna,    la  veille,  qui  était 

1.  Bolland.;  S.  Athangsa.  De  fuga,  rapporte  comme  un  fait  constant,  que  Dieu  fit  connaître  alors  à 
saint  Pierre  et  à  saint  Paul  qu'ils  devaieut  bientôt  souffrir  1*  martyre  à  Kom«.  (Dans  Tillemoat,  Mém., 
t.  1,  p.  184.) 


444  29  JUIN. 

un  samedi,  un  jeûne  général  dans  l'Eglise  :  ce  qui  fut,  selon  quelques 
auteurs,  l'origine  du  jeûne  ou  de  l'abstinence  du  samedi  ;  et,  après  avoir 
joint  l'oraison  et  les  larmes  à  cette  mortification,  il  parut  généreusement, 
le  lendemain,  au  lieu  que  le  magicien  avait  désigné  pour  être  le  théâtre  de 
son  imposture.  La  curiosité  y  avait  attiré  une  foule  nombreuse.  L'on  vit 
d'abord  cet  imposteur,  qui  était  invisiblement  porté  par  le  démon,  prendre 
son  essor  vers  le  milieu  de  l'air,  et  s'élever  pour  gagner  les  nues.  Mais  le 
saint  Apôtre  ayant  renouvelé  sa  prière,  et  l'ayant  envoyée  sur  les  ailes  des 
anges  devant  la  majesté  de  Dieu,  il  en  attira  un  si  prompt  secours,  que  Si- 
mon fut  renversé  avant  qu'il  fût  hors  de  la  vue  des  hommes.  Ainsi,  celui 
qui  voulait  monter  dans  le  ciel,  tomba  misérablement  sur  la  terre  ;  et  celui 
qui  voulait  voler  comme  les  aigles,  se  cassant  les  pieds  et  les  jambes,  se  vit 
dans  l'impuissance  de  marcher.  Il  devait  mourir  à  l'heure  même  ;  mais 
l'Apôtre  lui  obtint  un  peu  de  répit,  afin  qu'il  eût  le  temps  de  se  reconnaître, 
et  que  le  peuple  fût  mieux  convaincu  de  sa  malice  et  de  son  impiété.  Ce 
délai,  néanmoins,  fut  fort  court  ;  car  le  lendemain,  s'étant  fait  porter  à  un 
village  nommé  Arezzo,  près  de  Rome,  il  y  expira  comme  un  réprouvé, 
c'est-à-dire  sans  pleurer  ses  crimes  et  sans  donner  des  marques  de  regrets 
de  son  apostasie,  de  ses  sacrilèges,  de  ses  infamies,  et  du  grand  nombre 
d'hérésies  qu'il  avait  semées  dans  le  monde. 

Comme  ordinairement  les  Pères  et  les  auteurs  ecclésiastiques  ne  pré- 
sentent que  la  substance  et  l'indication  des  faits  qui  accompagnèrent  le  mar- 
tyre de  saint  Pierre,  et  non  les  détails  qui  s'y  rapportent,  nous  allons  re- 
produire les  monuments  primitifs,  qui  contiennent  non-seulement  le  fond 
des  faits,  mais  aussi  les  circonstances,  développées  d'une  manière  entière- 
ment conforme  à  la  tradition  des  Pères  de  l'Eglise.  Voici  le  récit  que  le 
pape  saint  Lin  a  adressé  aux  églises  de  l'Orient  sur  la  passion  et  le  martyre 
de  saint  Pierre  : 

«  Après  avoir  longtemps  et  par  différentes  sortes  d'instructions  annoncé 
la  voie  du  salut,  opéré,  en  présence  du  peuple,  d'éclatants  miracles,  livré 
pour  le  nom  de  Jésus-Christ  de  nombreux  combats  à  Simon  le  Magicien  et 
à  plusieurs  autres  hérauts  de  l'Antéchrist;  après  avoir  enduré  des  soullran- 
ces  multipliées,  les  rigueurs  de  la  flagellation,  les  ténèbres  et  l'horreur  des 
prisons,  le  bienheureux  Pierre  tressaillait  de  joie  dans  le  Seigneur,  lui  ren- 
dait grâces  jour  et  nuit  avec  les  frères,  à  la  vue  de  la  multitude  qui  venait 
pour  embrasser  la  foi  de  Dieu  et  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Constam- 
ment appliqué  à  la  prière  et  à  la  prédication,  ainsi  qu'aux  autres  devoirs  de 
la  piété,  spécialement  à  ceux  de  la  charité  et  de  la  chasteté,  il  faisait  péné- 
trer la  grâce  dans  le  cœur  de  ceux  qui  venaient  l'entendre,  il  exhortait 
ceux  qui  croyaient  en  Jésus-Christ,  à  vivre  selon  les  règles  de  la  pudeur  et 
de  la  continence.  En  effet,  à  la  vue  de  la  puissante  domination  qu'elle 
exerçait  sur  le  monde,  la  grande  ville  de  Rome  avait  conçu  des  sentiments 
d'orgueil  et  pris  des  airs  de  faste  ;  elle  s'était  par  cette  raison  même,  comme 
cela  arrive  d'ordinaire  dans  l'opulence  et  dans  une  oisive  sécurité,  laissée 
dominer  par  le  dérèglement  du  sensualisme.  Car  très-souvent  l'orgueil  de 
l'esprit  est  accompagné  du  déshonneur  de  la  chair. 

«  Il  arriva  donc  que  les  discours  du  bienheureux  Pierre  inspirèrent  à 
plusieurs  femmes  de  différents  âges,  des  classes  nobles  et  puissantes,  un 
grand  amour  de  la  chasteté  :  la  plupart  même  des  Dames  romaines  prirent 
la  résolution  de  conserver  purs  leurs  cœurs,  en  même  temps  que  leurs 
corps,  autant  qu'il  dépendrait  d'elles.  Mais  comme  le  temps  approchait,  où 
la  fidélité  et  les  souffrances  du  bienheureux  Apôtre  devaient  être  récom- 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES   APÔTRES.  445 

pensées,  le  chef  du  parti  de  la  perdition  vint  s'opposer  au  progrès  de  l'Evan- 
gile :  l'antechrist  Néron,  qui  était  l'iniquité  consommée,  ordonna  que 
l'Apôtre  fût  enchaîné  et  mis  dans  une  prison  affreuse. 

«  Ce  fut  là  qu'il  fut  visité  par  quatre  concubines  du  préfet  Agrippa,  nom- 
mées :  Agrippine,  Eucharie,  Euphémie  et  Dione.  Lorsqu'il  leur  eut  parlé 
de  la  chasteté  et  exposé  tous  les  commandements  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  elles  rougirent  et  conçurent  de  la  peine  de  se  voir  ainsi  soumises 
aux  passions  d'Agrippa.  Dès  lors,  s'ctant  entendues  entre  elles,  elles  se 
vouèrent  à  la  chasteté,  et,  fortifiées  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  elles 
résolurent  de  ne  plus  désormais  acquiescer  à  ses  désirs  adultères.  Elles  évi- 
tèrent, en  eûet,  non-seulement  tout  commerce  avec  lui,  mais  même  sa  pré- 
sence. Agrippa  en  éprouva  un  vif  chagrin.  Il  fit  épier  leurs  démarches,  et 
ses  gens  lui  apprirent  qu'elles  se  rendaient  assidûment  auprès  du  bienheu- 
reux Apôtre  pour  écouter  ses  instructions.  Il  se  les  fit  amener,  et,  dans  la 
violence  de  sa  passion  insensée,  il  leur  dit  :  «  Je  sais  d'où  vous  venez.  Ce 
Disciple  du  Christ  vous  a  appris  à  ne  plus  me  voir.  Mais  j'ai  la  persuasion 
que  sa  magie,  ses  artifices,  n'ont  pu  diminuer  l'amour  que  vous  avez  pour 
moi  ».  Elles  furent  insensibles  à  toutes  ses  caresses,  parce  que  les  discours 
de  l'Apôtre  les  avaient  affermies. 

«  Voyant  alors  qu'elles  suivaient  la  doctrine  de  Pierre  et  que  c'était  la 
cause  qui  les  portait  à  ne  point  consentir  à  ses  paroles  flatteuses  et  à  mé- 
priser d'un  commun  accord  sa  passion,  il  se  mit  à  leur  faire  les  menaces 
les  plus  effrayantes  ;  il  jura  qu'il  les  ferait  brûler  toutes  vivantes  dans  un  feu 
ardent;  qu'il  infligerait  à  Pierre  les  plus  grands  supplices,  et  qu'il  efface- 
rait à  jamais  son  nom  de  la  mémoire  des  hommes.  Mais  il  ne  put  les  ame- 
ner à  consentir  à  ses  vues  passionnées.  «Nous  aimons  mieux»,  disaient- 
elles,  «  perdre  la  vie  pour  la  chasteté  dans  toute  sorte  de  tourments,  plutôt 
que  de  renoncer  à  Jésus-Christ,  à  qui  nous  avons  fait  vœu  de  continence  ». 

«  Le  préfet  Agrippa  était  donc  irrité,  principalement  contre  l'Apôtre  ; 
il  grinçait  les  dents  contre  lui,  et  il  cherchait  quelque  occasion  et  quelque 
raison  plausible  pour  le  faire  périr.  Cependant  l'une  des  matrones  de  la  pre- 
mière noblesse  de  Rome,  femme  d'Albinus,  l'un  des  intimes  de  César,  vint 
entendre  Pierre.  Elle  s'appelait  Xandippe ,  et  était  accompagnée  de  plusieurs 
autres  dames  distinguées.  Lorsqu'elle  eut  entendu  ce  que  disait  l'Apôtre 
touchant  la  foi  et  la  chasteté,  elle  résolut,  à  ce  sujet,  d'éviter  avec  soin  tout 
ce  qui  pourrait  être  illicite.  Albinus  en  ressentit  un  vif  déplaisir,  et  futtrès- 
irrité  contre  l'Apôtre.  En  vain  employa-t-il  les  caresses  et  les  menaces, 
Xandippe  demeura  ferme  dans  la  foi  et  dans  sa  résolution.  Albinus  était 
lié  d'amitié  avec  Agrippa,  le  préfet  de  Rome  ;  il  lui  fit  part  de  sa  peine, 
lui  dit  que  les  prédications  de  Pierre  en  étaient  la  cause.  Il  le  pria  par 
l'amitié  qu'il  lui  avait  témoignée  jusqu'alors,  de  le  venger  de  Pierre.  Il 
ajouta  que  si  son  ami  lui  refusait  cette  faveur,  il  se  vengerait  lui-même. 
Agrippa  répondit  que  par  suite  des  discours  de  cet  homme,  il  avait  lui- 
même  à  supporter  des  choses  semblables,  et  même  de  plus  dures. 

«  Albinus,  voyant  qu'il  lui  était  impossible  d'engager  Xandippe  à  renon- 
cer à  la  foi  et  aux  règles  évangéliques,  se  concerta  donc  avec  Agrippa  pour 
surprendre  Pierre  comme  dans  un  filet,  et  le  faire  périr  comme  magicien. 
Or,  Xandippe,  apprenant  ce  projet,  envoya  à  saint  Pierre  un  messager  fidèle 
pour  l'avertir  de  sortir  de  Rome  et  d'éviter  des  pièges  presque  inévitables. 
Elle-même  néanmoins  fit  aussi  connaître  le  complot  d'Albinus  et  du  préfet 
Agrippa  au  fils  du  préfet  Marcus,  àMarcellus,  qui,  après  avoir  quitté  la  doc- 
trine pernicieuse  de  Simon  le  Magicien,  s'était  montré  en  toute  circons- 


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tance  fidèlement  et  courageusement  attaché  au  bienheureux  apôtre  Pierre. 

«  Le  lendemain,  quelques-uns  des  sénateurs  se  levèrent  au  milieu  de  la 
séance  et  dirent  ;  Nous  appelons  votre  attention,  nobles  Patriciens,  sur 
une  doctrine  qui  tend  à  la  perversion  de  la  ville  éternelle  :  Pierre  délie  les 
mariages  par  l'enseignement  du  divorce,  il  sépare  de  nous  nos  épouses,  et 
nous  ne  savons  quelle  loi  nouvelle  et  inouïe  il  introduit  parmi  nous. 

«  En  disant  ces  paroles,  ils  provoquaient  les  autres  à  se  soulever  contre 
l'Apôtre,  et  à  le  faire  paraître  devant  les  tribunaux.  Alors  Agrippa  se  féli- 
cita de  voir  que  l'occasion  qu'il  désirait  d'accuser  Pierre  s'était  présentée 
dans  le  Sénat.  Mais  ni  Pierre  ni  les  fidèles  n'ignorèrent  ce  qui  venait  de  se 
passer.  Ils  en  avaient  aussitôt  reçu  la  nouvelle  par  ceux  des  sénateurs  que 
le  Seigneur  avait  éclairés  par  l'intermédiaire  de  Pierre.  C'est  pourquoi  Mar- 
cellus  et  les  frères  suppliaient  Pierre  de  s'éloigner.  L'Apôtre  leur  dit  :  Il 
ne  faut  pas,  mes  frères  et  mes  enfants,  fuir  les  souffrances  qui  se  présentent 
à  endurer  pour  le  Seigneur  Jésus-Christ,  lorsque  lui-même,  de  son  plein 
gré,  dans  la  vue  de  notre  salut,  s'est  offert  à  la  mort. 

«  A  ces  mots,  Marcellus  et  les  frères  fondent  en  larmes,  et  lui  disent  : 
Ayez  pitié  de  nous.  Père  plein  de  bonté,  ayez  compassion  des  jeunes  per- 
sonnes et  de  ceux  qui  sont  encore  novices  dans  la  foi  ;  ne  nous  délaissez  pas, 
ne  les  abandonne;;;  pas  au  milieu  des  dangers  de  l'idolâtrie.  Pierre  répon- 
dit à  leurs  instances  en  ces  termes  :  Vous  me  conseillez  de  fuir,  et  d'ins- 
pirer ainsi  par  mon  exemple  à  la  jeunesse  et  aux  fidèles  la  crainte  de  la 
souffrance,  tandis  que  je  dois  annoncer  avec  constance  la  parole  de  Dieu  et 
conserver  les  règles  fondamentales  de  la  sainte  pureté,  que  j'ai  posées.  Vous 
pensez  que  je  dois  fuir,  afin  d'éviter  une  mort  que  tout  le  jour  j'appelle  par 
mes  soupirs  et  par  mes  gémissements,  parce  que  je  la  considère  comme 
l'entrée  de  la  vie,  et  que,  de  plus,  je  dois  par  elle  glorifier  le  Seigneur, 
selon  qu'il  me  l'a  révélé. 

«  En  entendant  ces  paroles,  les  frères  s'écrièrent  ;  0  Père,  qui  nous 
enseignez  la  vérité,  que  sont  devenues  les  paroles  que  vous  nous  avez 
adressées,  lorsque  vous  nous  assuriez  que  vous  étiez  prêt  à  mourir  pour 
notre  salut?  Et  maintenant  nous  ne  pouvons  obtenir  que,  pour  notre  salut, 
et  jusqu'à  ce  que  nous  soyons  affermis,  vous  consentiez  à  vivre  encore  un 
peu  de  temps. 

«  Les  jeunes  adolescents  qu'il  conservait  avec  sollicitude,  et  qu'il  avait 
élevés  avec  soin  dans  la  foi  et  dans  la  chasteté,  levaient  les  mains  au  ciel, 
puis  considérant  attentivement  sa  face,  tombaient  à  ses  pieds  en  poussant 
des  cris  de  douleur  :  0  bon  père  !  bon  pasteur  !  vous  qui  êtes,  après  le  Sei- 
gneur, la  douceur  même,  pourquoi,  après  nous  avoir  environnés  de  tant 
d'affection  ,  nous  avoir  naguère  enfantés  au  Seigneur,  dans  la  fontaine 
sacrée,  pourquoi,  par  une  résolution  qui  n'était  jamais  entrée  dans  votre 
cœur,  nous  abandonnez-vous  si  prématurément,  et  nous  exposez-vous  aux 
morsures  de  loups  cruels  ? 

«  Les  dames,  la  tête  couverte  de  cendre,  jetaient  aussi  des  cris  :  Est-ce 
là ,  disaient-elles ,  cette  bonté  que  vous  nous  prêchiez  en  parlant  du 
Sauveur  ?  Dans  sa  miséricorde  il  accorda  à  vos  larmes  un  éternel  pardon 
pour  votre  renoncement  momentané  ;  et  maintenant,  malgré  nos  pleurs, 
et  ces  flots  de  larmes,  vous  ne  nous  accordez  même  pas  un  court  délai, 
lors  surtout  qu'en  demeurant  en  cette  vie  vous  pourriez  encore  servir 
le  Seigneur,  et  mériter  cette  couronne  éternelle  qui  vous  est  toute  pré- 
parée. 

H  Les  gardiens  de  la  prison,  Processus  et  Martinianus,  avec  d'autres 


SAINT   PIERRE.   PRLNCE    DES   APÔTRES.  447 

magistrats  et  employés,  le  conjuraient  pareillement.  Seigneur,  lui  di- 
saient-ils, éloignez- vous  où  vous  voulez  ;  car  nous  croyons  que  déjà  l'em- 
pereur ne  se  souvient  plus  de  vous  ;  mais  cet  injuste  Agrippa,  qu'excitent 
et  l'amour  de  ses  concubines  et  l'ardeur  de  ses  passions,  se  hâte  de  vous 
perdre.  Si,  en  effet,  il  obtenait  un  ordre  impérial,  Plautinus,  cet  bomme  à 
qui  nous  avons  des  obligations,  qui  nous  a  confié  votre  garde  et  vous  a  re- 
commandé à  nos  soins,  nous  enverrait  un  arrêt  de  mort  contre  vous.  Vous 
le  savez  :  lorsque,  par  l'efficace  de  vos  prières,  à  la  vue  du  prodige  admi- 
f'^hle  qui  fit,  dans  la  prison  voisine,  couler  une  fontaine  du  rocber,  vous 
nous  eûtes  amenés  à  la  foi ,  et  baptisés  au  nom  de  la  sainte  Trinité , 
vous  fûtes  libre  d'aller  où  vous  vouliez  :  personne  ne  vous  inquiéta  ;  il  n'en 
serait  plus  de  môme  maintenant,  si  le  feu  démoniaque  qui  excite  la  ville 
s'emparait  de  plus  en  plus  d'Agrippa.  C'est  pourquoi  nous  vous  prions,  vous 
quiètes  le  ministre  de  notre  salut,  de  daigner  nous  accorder  ce  retour; 
vous  nous  avez  délivré  des  liens  de  nos  péchés  et  de  ceux  des  démons,  main- 
tenant, pour  le  salut  d'un  peuple  nombreux,  non  pas  tant  en  vertu  de  notre 
permission  que  par  égard  pour  nos  prières,  sortez  de  ces  fers  et  de  cette 
affreuse  prison  dont  la  garde  nous  est  confiée,  et  éloignez-vous  ! 

«  Les  veuves  aussi,  et  les  orphelins,  et  des  personnes  accablées  de  vieil- 
lesse, venaient,  les  cheveux  épars,  le  visage  défait,  la  poitrine  nue,  et  lui 
disaient  :  Vous  avez  guéri  de  diverses  maladies,  vous  avez  même  ressus- 
cité des  personnes  qui  venaient  à  notre  secours  et  qui  prenaient  soin  de 
nous  soulager,  et  aujourd'hui,  Père  plein  de  bonté,  vous  vous  soustrayez  à 
nos  besoins.  Laissez-nous  plutôt,  laissez-nous  tous  aller  devant  vous,  de 
peur  que,  privés  de  l'enseignement  de  votre  doctrine,  nos  âmes  ne  périssent, 
et  que,  dépourvus  des  soulagements  que  vous  leur  procuriez,  nos  corps  ne 
soient  consumés  par  les  langueurs  ;  hàtez-vous  de  nous  envoyer  là  où  vous 
désirez  que  nous  allions,  afin  que  nous  n'ayons  pas  le  malheur,  étant  dé- 
pourvus de  notre  maître,  de  voir  périr  la  vie  qu'il  nous  a  communiquée,  et 
que,  en  demeurant  dans  cette  vie,  nous  ne  mourions  point  d'une  mort  mal- 
heureuse. 

«  Pierre,  entendant  venir  ces  plaintes  de  toutes  parts,  comme  il  était 
compatissant  au-delà  de  toute  expression,  et  qu'il  ne  pouvait  jamais  sans 
pleurer  voir  les  larmes  des  affligés,  fut  vaincu  par  tant  de  pleurs  ;  il  leur  dit  : 
Que  personne  de  vous  ne  m'accompagne,  je  sortirai  seul  après  avoir 
changé  de  costume.  En  cii'et,  la  nuit  suivante,  après  avoir  célébré  l'office, 
il  fit  ses  adieux  aux  fidèles,  leur  donna  sa  bénédiction  en  les  recommandant 
à  Dieu,  puis  il  partit  seul.  Dans  sa  route,  les  courroies  qui  servaient  à  le 
lier  tombèrent  d'elles-mêmes.  Or,  dès  qu'il  voulut  sortir  par  la  porte  de  la 
ville,  il  vit  le  Christ  se  présenter  à  sa  rencontre  ;  il  l'adora,  et  lui  dit  : 
Seigneur,  où  allez-vous?  Le  Christ  lui  répondit:  Je  vais  me  rendre 
à  Rome,  pour  y  être  crucifié  de  nouveau.  —  Vous  allez  être  crucifié  de 
nouveau?  lui  demanda  saint  Pierre.  —  Oui,  lui  repartit  le  Seigneur, 
je  vais  être  encore  attaché  à  la  croix.  —  Pierre  lui  dit  :  Seigneur,  je 
vais  retourner  et  je  vous  suivrai. 

(Une  petite  chapelle  s'élève  aujourd'hui  au  lieu  de  la  rencontre.  Elle  est 
connue  sous  le  nom  de  Domine,  quo  vadis?) 

«  Après  qu'il  eut  achevé  ces  paroles,  le  Seigneur  remonta  au  ciel.  Pierre 
le  suivit  longtemps  des  yeux,  versant  des  larmes  de  joie.  Rentrant  ensuite 
en  lui-même,  il  comprit  que  le  Seigneur  lui  avait,  par  ces  paroles,  annoncé 
la  mort  qu'il  devait  souffrir  ;  que  ce  Sauveur  plein  de  bonté,  qui  souffre 
dans  la  personne  de  ses  élus  par  un  sentiment  de  compassion  et  qui  maûi- 


448  29  JUIN. 

feste  sa  protection  par  la  gloire  dont  il  honore  leur  martyre,  devait  encore 
souffrir  dans  la  personne  de  son  Apôtre.  Il  retourna  donc  sur  ses  pas,  re- 
vint à  la  ville  plein  de  joie,  et  glorifiant  Dieu,  il  raconta  à  ses  frères  qu'il 
avait  rencontré  le  Seigneur ,  et  il  leur  dit  comment  le  Sauveur  lui 
avait  déclaré  qu'il  allait  être  crucifié  de  nouveau  en  la  personne  de  son 

Apôtre. 

«  Lorsqu'il  eut  annoncé  qu'il  allait  souffrir  la  mort,  tous  versèrent  des 
larmes  et  jetèrent  des  cris;  ils  faisaient  éclater  leur  douleur  par  des  pleurs 
et  des  sanglots  :  Bon  pasteur,  disaient-ils,  considérez  vos  brebis  :  con- 
sidérez combien  il  est  utile  que  vous  fortifiiez  par  votre  parole  ceux  dont 
la  foi  est  encore  si  faible.  Voyez  combien  ces  coeurs  chancelants  ont  besoin 
d'être  raffermis  par  vous.  —  Il  est  facile  au  Seigneur,  répondit  Pierre, 
de  confirmer  sans  mes  faibles  paroles  les  cœurs  de  ses  serviteurs.  Car  ceux 
qu'il  a  plantés,  il  les  fera  croître  à  un  tel  point  de  perfection,  qu'ils  pour- 
ront eux-mêmes  planter.  Pour  moi,  en  ma  qualité  de  serviteur,  il  est  né- 
cessaire que  j'accomplisse  la  volonté  du  Maître.  C'est  pourquoi,  s'il  veut 
que  \e  demeure  encore  dans  ce  corps  pour  vous,  je  ne  m'y  refuse  pas.  Et 
si  son  dessein  est  que  je  souffre  pour  son  nom  et  que  par  mes  souffrances 
il  daigne  me  recevoir,  je  suis  heureux,  je  suis  ravi  de  joie  à  la  vue  de  son 
bienfait. 

«  Lors  donc  que  par  ces  paroles  et  par  d'autres  semblables  il  consolait 
les  âmes  de  ses  frères,  et  que  ceux-ci  ne  pouvaient  contenir  leurs  larmes, 
survint  Héros  avec  quatre  appariteurs  et  dix  autres  hommes  qui  l'appré- 
hendèrent. Après  l'avoir  arraché  du  milieu  des  fidèles ,  ils  le  garrot- 
tèrent et  l'allèrent  présenter  devant  Agrippa,  préfet  de  la  ville.  Agrippa  le 
voyant,  lui  dit  :  Vous  êtes  bien  hardi  de  circonvenir  le  peuple  et  de  per- 
suader aux  femmes  de  se  séparer  de  leurs  maris.  Vous  avez  osé,  à  la  honte 
des  Juifs,  introduire  le  culte  de  je  ne  sais  quel  Christ,  en  enseigner  je  ne 
sais  quelle  vaine  doctrine,  entièrement  opposée  à  la  religion  et  aux  céré- 
monies sacrées  de  la  ville  éternelle  ! 

«  Dans  ce  moment,  la  face  de  l'Apôtre  devint  brillante  comme  le  soleil, 
€t  Pierre  lui  parla  en  ces  termes  :  Je  vois  oii  vous  en  voulez  venir,  ô  vous, 
le  flambeau  du  libertinage,  l'ami  des  voluptés  illicites,  l'inventeur  des  plus 
atroces  cruautés,  le  persécuteur  des  innocents,  le  fauteur  des  hommes  im- 
moraux et  pervers,  l'artisan  du  mensonge,  la  demeure  de  Satan!  Vous  igno- 
rez la  gloire  que  j'ambitionne,  et  c'est  pour  cela  que  vous  dites  que  je 
cherche  à  m'emparer  de  la  confiance  des  hommes  et  des  femmes.  — 
Puisque  vous  savez  ,  reprit  Agrippa ,  que  j'ignore  ce  en  quoi  vous 
vous  glorifiez,  faites-le-moi  connaître.  —  Pierre  lui  répondit  :  Que  je 
n'aie  point  d'autre  gloire  que  la  croix  de  mon  maître  et  Seigneur  Jésus- 
Christ ,  dont  je  suis  le  serviteur.  —  Voulez-vous  donc,  dit  Agrippa, 
être  crucifié  comme  votre  Seigneur  et  votre  Dieu  a  été  crucifié?  — Je 
ne  suis  pas  digne ,  répondit  Pierre ,  de  rendre  du  haut  de  la  croix  le 
monde  témoin  de  mes  souffrances  ;  mais  je  souhaite,  quel  que  soit  le  genre 
de  supplice  qu'il  vous  plaise  de  me  faire  endurer,  je  désire  ardemment  imi- 
ter la  passion  du  Christ.  Alors  Agrippa,  cachant  la  passion  de  son  incon- 
tinence derrière  une  accusation  de  superstition,  condamna  l'Apôtre  à  être 
crucifié. 

«  Dès  que  cette  nouvelle  fut  répandue,  il  se  fit  aussitôt  un  grand  con- 
cours de  peuple  ;  les  rues  et  les  places  ne  pouvaient  contenir  les  hommes 
de  tout  âge  et  de  toute  condition  qui  accouraient  :  riches,  pauvres,  veuves, 
orphelins,  petits  et  grands,  tous  élevaient  la  voix  et  disaient  hautement  : 


SAINT  PIERRE,   PRINCE   DES   APÔTRES.  449 

Pourquoi  livre-t-on  Pierre  à  la  mort?  Quel  crime  a-t-il  commis?  En  quoi 
a-t-il  nui  à  la  ville?  Il  n'est  pas  permis  de  condamner  un  innocent!  On  doit 
craindre  que  le  Christ  ne  venge  la  mort  d'un  si  grand  homme,  et  que  nous  ne 
périssions  tous.  En  même  temps  des  foules  de  peuple  se  déchaînèrent 
contre  Agrippa  ;  elles  entreprenaient  de  délivrer  Pierre  et  de  lui  conser- 
ver la  vie  :  les  voix  tumultueuses  du  peuple  se  répondaient  l'une  à  l'autre,  et 
Rome  était  dans  le  trouble  et  la  confusion. 

«  Alors  saint  Pierre  s'arrêta  un  peu,  puis  monta  sur  une  éminence  ;  de 
là,  ayant  par  signe  invité  le  peuple  au  silence,  il  lui  parla  ainsi  :  Romains, 
qui  croyez  en  Jésus-Christ  et  espérez  en  lui  seul,  rappelez-vous  sa  patience  , 
et  que  les  prodiges  qu'il  a  opérés  à  vos  yeux  par  mes  mains  vous  consolent. 
Attendez-le  à  son  avènement,  lorsqu'il  viendra  rendre  à  chacun  selon  ses 
œuvres.  Ce  que  maintenant  vous  voyez  se  passer  à  mon  égard,  m'a  été  an- 
noncé depuis  longtemps  par  le  Seigneur  :  Le  disciple,  disait-il,  n'est 
pas  au-dessus  du  Maître,  ni  le  serviteur  au-dessus  de  son  Seigneur.  Sa- 
chez donc  que  j'ai  hâte  d'arriver  à  ce  dernier  terme,  oti,  délivré  de  ce  corps, 
je  me  présenterai  au  Seigneur.  Si  votre  charité  pour  moi  est  sincère,  si 
vous  voulez  me  donner  une  véritable  preuve  de  votre  piété  filiale,  ne  me 
retenez  pas  lorsque  je  vais  à  Dieu,  ne  m'empêchez  point  d'aller  prompte- 
ment  auprès  de  Jésus-Christ.  Demeurez  donc  paisibles,  réjouissez-vous  de 
mon  immolation,  afin  que,  joyeux,  j'ofl're  mon  sacrifice  au  Seigneur.  Car 
Dieu  aime  celui  qui  donne  de  bon  cœur. 

((  Ces  paroles  eurent  peine  à  calmer  la  sédition,  et  à  empêcher  qu'A- 
grippa ne  fût  déchiré.  Car  ces  foules  de  peuples  pouvaient  et  désiraient  vi- 
vement renverser  ce  préfet  ;  elles  ne  craignaient  que  de  contrister  l'Apôtre 
qui  imitait  l'exemple  de  son  Maître,  lorsque  celui-ci  disait  :  Je  puis  prier 
mon  Père,  et  il  m'enverra  à  l'heure  même,  si  je  le  veux,  plus  de  douze  lé- 
gions d'anges.  Une  multitude  infinie  suivit  l'Apôtre  et  les  appariteurs  vers 
un  lieu  appelé  iVa?imacAz>,  près  de  l'Obélisque  de  Néron,  sur  la  montagne.  Là 
était  posée  une  croix.  Alors  l'Apôtre  considérant  le  peuple  qui  pleurait  et 
voulait  exciter  une  nouvelle  sédition,  lui  parla  ainsi  :  Je  vous  en  conjure, 
mes  frères,  n'empêchez  point  mon  sacrifice.  Ne  cherchez  point  à  sévir  contre 
Agrippa,  n'ayez  pas  contre  lui  d'amer  ressentiment,  car  il  est  l'artisan  d'une 
œuvre  étrangère.  L'auteur  de  ma  mort  corporelle,  c'est  le  démon,  qui  en 
cela  abuse  de  la  permission  que  le  Seigneur  lui  a  laissée.  Il  est  irrité  de  voir 
que  mon  ministère  évangélique  lui  a  enlevé  des  vases  d'ignominie,  qui  sont 
devenus  des  vaisseaux  de  continence,  des  temples  de  Jésus-Christ,  des  ta- 
bernacles d'honneur  et  de  grâce.  C'est  pourquoi,  mes  frères  et  mes  enfants, 
montrez-vous  obéissants  à  mes  recommandations...  C'est  maintenant  le 
temps  d'offrir  mon  sacrifice.  Souvenez-vous  des  signes,  des  prodiges  et 
des  guérisons  miraculeuses,  que  le  Christ,  par  mon  ministère,  a  opérés  à  vos 
yeux  et  en  votre  faveur.  Mementote  signot-um  et  prodigiorum  atque  sanitatum, 
quae  Christo  opérante  et  me  ministrante,  vidistis  et  sensistis.  Les  maladies  cor- 
porelles de  plusieurs  n'ont  été  guéries,  qu'afin  que  les  âmes  de  tous  fussent 
sauvées.  Des  corps  morts  ont  été  ressuscites,  afin  que  les  âmes  mortes  fus- 
sent rendues  à  la  vie.  Mais  pourquoi  tarder  et  ne  pas  m'avancer  vers  la 
croix?  Adieu,  mes  frères,  soyez  patients,  et  observez  ce  que  je  vous  ai  dit, 
je  vous  recommande  au  Seigneur  Jésus-Christ. 

H  II  avança  alors,  puis   se   tenant  debout  devant  la  croix,  il  dit  :  0 

croix,  dont  le  nom  est  un  mystère  caché  !  ô  faveur  inelTable  ;  car  dans  le 

nom  de  la  croix  est  la  paix  !  ô  croix,  toi  qui  unis  l'homme  à  Dieu,  et  le  tiras 

magnifiquement  de  l'empire  et  du  joug  de  Satan  !  0  croix,  toi  qui,  tou- 

ViEs  DES  Saints.  —  Tome  VII.  29 


450  29  JUIN. 

jours  par  le  moyen  de  la  vraie  foi,  représentes  vivement  au  genre  humain 
la  passion  du  Sauveur  du  monde,  et  le  rachat  de  tous  les  hommes  jus- 
qu'alors captifs  !  0  croix,  toi  qui  chaque  jour  offres  aux  peuples  fidèles  la 
chair  de  l'Agneau  immaculé,  qui  les  préserves  efficacement  du  mortel  venin 
de  l'antique  serpent,  et  qui  éteins  sans  cesse  en  faveur  du  croyant  l'épée 
flamboyante  qui  empêche  l'entrée  du  paradis  !  0  croix,  toi  qui  chaque  jour 
établis  la  paix  entre  le  ciel  et  la  terre,  et  remets  sous  les  yeux  du  JPère 
éternel  la  mort  du  Médiateur  qui  ressuscita  d'entre  les  morts  pour  ne  plus 
mourir  ;  toi  qui  fus  si  heureusement  chargée  de  renouveler  incessamment 
ce  grand  mystère  ;  c'est  pour  toi  que  je  souffre  violence  ;  maintenant  que 
je  touche  au  dernier  terme  de  cette  existence  corporelle,  je  ne  cesserai  de 
faire  connaître  le  secret  mystère  que  Dieu  a  caché  en  toi,  et  que  mon 
âme  et  ma  vie  n'ont  jusqu'ici  cessé  de  publier.  0  vous  qui  croyez  en  Jésus- 
Christ,  ne  regardez  point  comme  une  croix  ce  qui  apparaît  ici  à  vos  re- 
gards. Et  maintenant  surtout,  ô  vous  qui  pouvez  m'entendre  à  cette  der- 
nière heure  de  ma  vie  temporelle,  faites  taire  le  langage  des  sens,  élevez 
vos  esprits  :  de  ces  apparences  visibles  portez-les  vers  ce  qui  est  invisible,  et 
vous  comprendrez  qu'en  Jésus-Christ,  par  la  croix,  a  été  opéré  le  mystère 
du  salut.  Rendre  à  la  terre  le  corps  que  tu  en  as  reçu,  Pierre,  c'est  une 
dette  que  tu  dois  acquitter  par  le  ministère  de  ceux  à  qui  il  appartient  de 
tuer  le  corps. 

«  En  même  temps,  il  dit  à  ceux  qui  commandaient  les  bourreaux  : 
Pourquoi  perdez-vous  le  temps?  appariteurs,  vous  à  qui  je  suis  confié,  que 
tardez-vous?  Accomplissez  l'ordre  qui  vous  a  été  donné,  dépouillez-moi  de 
ce  vêtement  mortel,  afin  que,  revêtu  de  celui  de  l'immortalité,  je  jouisse 
delà  présence  du  Seigneur  ». 

«  Ensuite  il  fit  une  autre  demande  ;  il  pria  en  ces  termes  ceux  qui  ser- 
vaient les  bourreaux  :  Je  vous  prie,  vous  les  ministres  de  mon  véritable 
salut,  de  me  placer  dans  mon  crucifiement  la  tête  en  bas  et  les  pieds  en 
haut.  Car  il  ne  convient  pas  que  le  serviteur  soit  crucifié  comme  le  Maître 
de  l'univers  a  été  crucifié  pour  le  salut  de  tout  le  monde  :  je  veux  lui  ren- 
dre gloire  par  ma  mort.  Je  demande  que  vous  m'accordiez  cette  faveur, 
afin  encore  que  mes  yeux  puissent  directement  contempler  le  mystère  de 
la  croix,  et  que  les  paroles  que  j'adresserai  de  là  à  ceux  qui  m'environnent 
puissent  être  entendues  plus  facilement.  Les  bourreaux  tournèrent  donc 
la  croix,  en  fixèrent  le  pied  en  haut,  et  les  bras  en  bas. 

«  Dès  que  les  exécuteurs  eurent  achevé  le  crucifiement,  Pierre,  voyant 
le  peuple  pleurer,  commença  à  le  consoler  en  lui  parlant  du  mystère  de  la 
éroix  ;  il  disait  :  0  grand  et  profond  mystère  de  la  croix  !  ô  ineffable  et  in- 
vincible lien  de  la  charité  !  Car  c'est  par  la  croix  que  Dieu  a  tout  attiré  à 
lui.  C'est  là  l'arbre  de  vie  qui  a  détruit  l'empire  de  la  mort.  C'est  par  le  fruit 
de  cet  arbre  que  vous  m'avez  ouvert  les  yeux.  Seigneur  ;  ouvrez  pareille- 
ment les  yeux  à  tous  ceux-ci,  afin  qu'ils  contemplent  aussi  la  consolation 
de  la  vie  éternelle. 

«  A  ces  paroles.  Dieu  ouvrit,  en  effet,  les  yeux  de  ceux  qui  pleuraient  el 
qui  versaient  des  larmes  sur  les  souffrances  de  Pierre,  et  ils  virent  des 
anges  présents  aVec  des  couronnes  de  fleurs  de  roses  et  de  lis,  et  Pierre  qui 
se  tenait  au  sommet  d'une  croix  droite,  recevant  de  Jésus-Christ  un  livre, 
où  il  lisait  les  paroles  qu'il  proférait.  A  cette  vue,  ils  commencèrent  à  se 
réjouir  et  à  manifester  tellement  leur  joie  en  présence  du  Seigneur,  que 
les  incrédules  et  les  bourreaux,  voyant  ainsi  dans  la  joie  et  dans  l'allégresse 
èeux  qu'ils  voyaient  auparavant  dans  la  tristessse  et  dans  les  pleurs,  furent 


I 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES  APÔTRES.  451 

tout  à  coup  comme  frappés  de  stupeur  et  comme  saisis  de  crainte. 
«  Le  bienheureux  Pierre,  voyant  alors  que  sa  gloire  était  manifestée  à 
ceux  qui,  il  y  a  un  instant,  versaient  des  larmes,  rendit  grâces  à  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ,  en  disant  :  Vous  seul.  Seigneur,  étiez  digne  d'être  cru- 
ciûé  directement  au  haut  de  la  croix,  parce  que  vous  avez  racheté  du  péché 
le  monde  entier  :  j'ai  souhaité  vous  imiter,  môme  dans  votre  mort;  mais 
j'eusse  regardé  comme  une  usurpation  d'être  crucifié  comme  vous  :  Sed 
rectus  crucifigi,  non  nsurpavi.  Car  nous  sommes  simplement  des  hommes  ei 
des  pécheurs,  nés  d'Adam  ;  pour  vous,  vous  êtes  Dieu  engendré  de  Dieu,  et 
la  vraie  lumière  sortie  de  la  vraie  lumière  avant  tous  les  siècles  ;  vers  la  fin 
des  temps,  vous  avez  daigné,  en  faveur  de  tous,  vous  faire  homme,  sans 
contracter  la  souillure  de  l'homme,  afin  d'être  le  rédempteur  glorieux  de 
l'homme.  La  rectitude,  l'élévation,  la  hauteur,  n'appartiennent  qu'à  vous 
seul.  Pour  nous,  nous  sommes,  selon  la  chair,  les  enfants  du  premier 
homme,  qui  abaissa  vers  la  terre  la  partie  principale  de  son  être.  Sa  chute 
marque  le  mode  de  la  génération  humaine.  Car  nous  naissons  de  telle  ma- 
nière, que  nous  sommes  renversés  et  que  nous  paraissons  penchés  vers  la 
terre,  et  que  ce  qui  est  à  droite,  se  trouve  à  la  gauche,  et  que  ce  qui  est  à 
gauche,  se  trouve  à  la  droite  ;  c'est  qu'en  efi'et  dans  nos  premiers  parents, 
la  condition  de  cette  vie  a  été  changée.  Ce  monde  regarde  comme  la  par- 
tie droite  ce  qui  est  la  partie  gauche  :  c'est  par  ce  dernier  moyen.  Seigneur, 
c'est  par  votre  sainte  prédication  que  vous  avez  délivré  ceux  qui  devaient 
périr,  comme  autrefois  les  NiniviLes.  Pour  vous,  mes  frères,  qui  aimez  à 
écouter  la  parole  de  Dieu,  comprenez  ce  que  je  vais  vous  annoncer,  c'est- 
à-dire  le  mystère  de  toute  la  création,  le  principe  de  toute  existence  créée. 
Car  le  premier  homme  avait  perdu  toute  sa  race.  Nam  primus  homo,  cuj'us 
genus  inspecie  ego  habeo,misso  deorsum  capite,  ostendit  ohm  perditam  gênera- 
tionem,  mortua  enim  erat  generalio  ejus  ,  et  nec  vitalem  habehat  motum 
Mais  entraîné  par  sa  miséricorde,  Celui  qui  est  le  principe,  vint  dans  le 
monde,  revêtu  de  la  substance  corporelle,  suspendu  ensuite  à  la  croix  pour 
honorer  cette  sainte  vocation,  c'est-à-dire  la  croix  ;  il  a  rétabli  et  il  nous  a 
prescrit  les  choses  qui,  par  suite  de  l'iniquité  et  de  l'erreur  des  hommes, 
ont  été  interverties,  renversées  ;  ainsi,  les  choses  présentes  ont  été  considé- 
rées comme  les  choses  éternelles,  et  les  choses  éternelles  étaient  regardées 
comme  des  choses  présentes  et  temporelles  ;  on  prenait  ce  qui  appartient 
à  la  droite  pour  ce  qui  appartient  à  la  gauche.  Resiiluit  et  constiiuit  nnbis  ea, 
qux  antea  hominum  iniquo  errore  immutata  fuerunt,  pnssentia  videlicet  ut 
œterna,  et  xterna  ducebantur  ut  prsesentia,  et  dextera  sinistra.  En  effet,  il  a 
glorifié  la  droite,  il  a  ramené  tous  les  signes  à  leur  nature  propre,  estimé 
comme  biens  les  choses  que  l'on  ne  considérait  pas  comme  des  biens,  et  dé- 
claré réellement  avantageuses  les  choses  que  l'on  croyait  nuisibles.  C'est 
pourquoi  le  Seigneur  avait  dit  mystérieusement  :  Si  vous  ne  traitez  la  droite 
comme  étant  la  gauche,  et  la  gauche  comme  étant  la  droite,  et  les  choses 
de  dessus  comme  étant  les  choses  de  dessous,  et  ce  qui  est  devant  comme 
étant  ce  qui  est  en  arrière,  vous  ne  connaîtrez  point  le  royaume  de  Dieu. 
Cette  science  donc,  je  la  fais  paraître  en  moi,  mes  frères,  et  ce  que  je  viens 
de  dire  est  l'image  sous  laquelle  les  yeux  charnels  m'envisagent  suspendu  h 
cette  croix.  C'est  là,  en  effet,  le  caractère  du  premier  homme.  Pour  vous, 
mes  bien-aimés,  qui  entendez  ces  choses,  si  vous  les  comprenez  parfaite- 
ment et  si  vous  en  faites  l'application  à  votre  ancienne  erreur,  à  votre  pre- 
mière manière  de  vivre,  vous  allez  vers  le  port  1*  plus  assuré  de  la  foi  ; 
coutinuez  de  marcher  de  la  sorte,  dirigez  votre  course  vers  le  repos  de 


4o2  29  JUIN. 

votre  céleste  vocation  ;  que  votre  manière  d'agir  soit  sainte  :  la  voie  que 
vous  devez  suivre  pour  arriver  à  ce  but,  c'est  Jésus-Christ.  Il  faut  donc  mon- 
ter sur  la  croix  avec  Jésus-Christ,  le  Dieu  véritable,  qui  est  pour  nous  la 
parole  immuable  et  vivante.  C'est  pour  cela  que  l'Esprit-Saint  dit  aussi  : 
Jésus-Christ  est  la  parole  et  la  voix  de  Dieu.  Au  reste,  la  parole  marque 
cette  croix  droite  à  laquelle  je  suis  attaché.  Et  parce  que  la  voix  appartient 
proprement  au  corps,  lequel  porte  des  traits  particuliers  qui  ne  sont  point 
attribuables  à  la  Divinité,  on  reconnaît  que  les  traits  propres  de  la  croix 
figurent  la  nature  humaine,  laquelle  devint  par  le  premier  homme  assujétie 
à  l'erreur  de  l'intervertissement  des  choses,  mais  qui  en  recouvra  la  vraie 
intelligence  par  celui  qui  est  Dieu  et  homme.  En  effet,  la  clef  même  de  la 
science  fut  attachée  au  milieu  de  la  croix,  et  ne  s'obtient  que  par  la  con- 
version et  par  une  vie  sainte,  par  la  foi  accompagnée  du  repentir. 

«  Le  bienheureux  Apôtre  parlait  ainsi  au  peuple  avec  un  visage  joyeux  et 
un  air  serein.  Il  s'écria  alors,  et  fît  une  prière  en  ces  termes  :  Ces  paroles  dévie, 
Seigneur  Jésus-Christ,  c'est  vous-même  qui  me  les  avez  fait  connaître  ;  vous 
m'avez  révélé  ce  que  j'ai  annoncé  touchant  ce  bois,  cet  arbre  mystérieux  ;  je 
vous  en  rends  grâces,  non  avec  un  cœur  qui  souvent  admet  quelque  affection 
peu  conforme  à  la  sainteté,  non  avec  des  lèvres  charnelles  ni  avec  une 
langue  qui  profère  le  vrai  ou  le  faux,  ni  avec  des  paroles  qu'articulent  les 
organes  matériels;  mais  je  vous  rends  grâces,  Roi  clément,  avec  cette  voix 
qui  se  comprend  au  milieu  du  silence,  qui  s'entend  non  en  public,  non  par 
le  moyen  des  sons  d'une  bouche  mortelle  ;  cette  parole  ne  vient  point  de  la 
terre,  ni  n'a  rien  de  terrestre,  elle  ne  s'écrit  point  dans  des  livres,  elle  n'a 
rien  de  matériel,  elle  ne  touche  personne  d'une  manière  sensible.  Seigneur 
Jésus-Christ,  vous  qui  êtes  mon  roi  et  mon  Maître,  je  vous  rends  grâces  avec 
cet  esprit  qui  vous  croit,  qui  vous  comprend,  qui  vous  aime,  qui  vous  em- 
brasse, et  avec  cette  voix  intérieure  qui  vous  parle,  qui  vous  interpelle,  et 
dont  les  accents,  formés  par  un  esprit  humble,  sont  entendus  de  vous  seul. 
Mon  Seigneur,  mon  Père,  vous  êtes  plein  d'une  bonté  amicale,  vous  êtes 
l'auteur  et  le  consommateur  de  notre  salut.  Vous  êtes  l'objet  de  mes  dé- 
sirs, vous  êtes  mon  rafraîchissement  et  mes  délices.  Vous  êtes  tout  pour 
moi,  et  à  mes  yeux  tous  les  biens  sont  en  vous  ;  vous  êtes  tout  pour  moi  et 
vous  me  tenez  lieu  de  tout  ce  qui  existe.  A  mes  yeux  vous  êtes  tout.  C'est 
en  vous  que  nous  avons  la  vie,  le  mouvement  et  l'être.  C'est  pourquoi  nous 
devons  vous  considérer  comme  tenant  lieu  vous-même  de  tous  les  biens, 
afin  que  vous  nous  accordiez  ceux  que  vous  avez  promis,  que  l'œil  n'a  point 
vus,  que  l'oreille  n'a  point  entendus,  que  le  cœur  de  l'homme  n'a  point 
conçus,  et  que  vous  avez  préparés  à  ceux  qui  vous  aiment.  Conservez  ces 
biens  pour  vos  serviteurs,  faites-les  entrer  en  participation,  en  possession  de 
ces  précieux  avantages,  parce  que  vous  êtes  le  Pasteur  éternel  et  souve- 
rainement bon,  vous  êtes  le  véritable  Fils  de  Dieu.  Je  vous  remets,  je  vous 
recommande  les  brebis  que  vous  m'avez  confiées.  Faites-les  vous-même  en- 
trer dans  votre  bercail  ;  conservez-les,  car  vous  êtes  vous-même  la  porte, 
le  bercail  et  le  portier.  Vous  êtes  vous-même  leur  pâturage  et  leur  éternel 
aUment.  A  vous  l'honneur  et  la  gloire,  avec  le  Père  et  l'Esprit-Saint,  main- 
tenant et  dans  tous  les  siècles  des  siècles  ! 

«  Dès  que  tout  le  peuple  eut,  à  l'heure  môme,  répondu  :  Amen,  Pierre 
rendit  l'esprit.  Ainsi  mourut  cet  Apôtre,  qui  avait  alors  près  de  quatre- 
vingts  ans,  après  avoir  gouverné  l'Eglise  de  Rome  pendant  vingt-cinq  ans, 
et  porté  la  charge  de  Qhef  de  la  Chrétienté  durant  trente-huit  ans,  depuis  la 
mort  du  Christ. 


I 


SAINT  PIERRE,    PRINCE   DES   AJÔTRES.  453 

«  Aussitôt  Marcellus,  fils  de  Marc,  préfet  de  Rome,  converti  par  saint 
Pierre,  et  devenu  l'un  de  ses  plus  fervents  disciples,  sans  attendre  l'avis  de 
personne,  déposa  de  la  croix  le  corps  du  bienheureux  Apôtre,  le  lava  avec  du 
lait  et  avec  du  vin  excellent.  Ayant  ensuite  broyé  des  gommes  aromatiques, 
pris  quinze  cents  mines  d'aloës,  de  myrrhe,  de  feuilles  balsamiques  et  de 
stacté,  avec  dilfcrents  autres  aromates,  il  l'embauma  avec  soin.  Il  remplit 
aussi  de  miel  d'Attique  le  tombeau  neuf  qu'il  prépara,  et,  après  avoir  oint 
le  corps  de  parfums  très-précieox,  il  le  déposa  dans  ce  sépulcre. 

«  Dans  cette  œuvre,  il  fut  aidé  par  trois  hommes  Saints  qui  apparurent 
aussitôt  après  que  le  bienheureux  Apôtre  eut  expiré.  Ils  se  disaient  venus  de 
Jérusalem  en  faveur  des  fidèles  de  Rome.  Personne  ne  les  avait  vus  avant, 
et  personne  ne  put  les  voir  dans  la  suite.  Ils  s'étaient  joints  à  Marcel- 
lus, cet  homme  illustre  qui,  après  avoir  quitté  le  parti  de  Simon  le  Magi- 
cien, s'était  attaché  à  la  suite  de  saint  Pierre  ;  ils  transportèrent  avec  lui  le 
corps  de  l'Apôtre  et  le  placèrent  au  pied  d'un  térébinthe,  près  d'un  lieu  ap- 
pelé Naumachia,  et  qu'on  nomme  encore  Vatican.  Or,  ces  hommes  qui  se 
dirent  venus  de  Jérusalem ,  parlèrent  au  peuple  :  Réjouissez-vous  ,  di- 
rent-ils ,  et  félicitez-vous  !  car  vous  avez  mérité  d'avoir  de  grands  pa- 
trons !  Ce  sont  les  amis  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ!  Mais  sachez,  ajou- 
tèrent-ils, qu'après  la  mort  des  Apôtres,  l'infâme  Néron  ne  peut  plus  tenir 
les  rênes  de  l'empire. 

«  Dans  la  nuit  même,  comme  Marcellus  veillait  au  tombeau  de  l'Apôtre, 
et  que  le  vif  regret  de  son  maître  lui  faisait  verser  des  larmes,  le  bienheu- 
reux Pierre  se  présenta  à  lui.  A  sa  vue,  Marcellus  fut  saisi  de  crainte  :  il  se 
leva  aussitôt,  pour  aller  à  lui.  Frère  Marcellus,  lui  dit  le  bienheureux 
Pierj-e,  vous  n'avez  pas  entendu  la  voix  du  Seigneur  qui  a  dit  :  Laissez 
les  morts  ensevelir  leurs  morts.  —  Maître  chéri,  je  l'ai  entendue.  Alors 
Pierre  lui  dit  :  Ne  pleurez  donc  point,  comme  si,  mort  vous-même, 
vous  aviez  enseveli  un  mort.  Mais  réjouissez- vous  comme  vivant  et  comme 
ayant  rendu  les  honneurs  à  Celui  qui  est  au  sein  de  la  vie  et  de  la  joie. 
Laissez  les  morts  ensevelir  leurs  morts  !  Pour  vous,  comme  vous  l'avez 
entendu  de  ma  bouche,  allez,  annoncez  le  royaume  de  Dieu  ! 

«  Ce  fut  une  nouvelle  bien  agréable  pour  tous  les  frères,  lorsque  Mar- 
cellus leur  apprit  ces  choses  ;  et  dès  lors,  de  toutes  parts,  la  foi  des  fidèles, 
par  la  vertu  des  souffrances  de  saint  Pierre,  fut  confirmée  par  Dieu  le  Père, 
au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  par  l'efûcace  de  la  grâce  sanc- 
tifiante du  Saint-Esprit. 

«  Or,  Néron,  apprenant  la  mort  du  bienheureux  Pierre,  qu'il  avait  or- 
donné d'emprisonner,  et  non  de  mettre  à  mort,  envoya  des  gens  avec  ordre 
d'arrêter  le  préfet  Agrippa,  pour  avoir,  sans  son  aveu,  fait  mourir  Pierre, 
auquel  il  se  disposait  à  faire  subir  divers  supplices.  Il  se  plaignait,  en  effet, 
de  ce  qu'il  était,  par  suite  des  prestiges  de  cet  homme,  privé  de  Simon  le 
Magicien,  le  conservateur  de  sa  vie,  et  il  s'affligeait  de  la  perte  d'un  tel  ami, 
qui,  suivant  sa  manière  d'envisager  les  choses,  rendait  d'innombrables  ser- 
vices au  prince  et  à  la  République.  Mais  Agrippa,  par  l'entremise  de  ses 
amis,  obtint  de  rester  privé  de  sa  charge,  et  de  pouvoir  vivre  chez  lui  en 
simple  particulier,  et  il  évita  par  ce  moyen  la  colère  de  l'empereur.  Mais  il 
n'échappa  pas  à  la  peine  du  jugement  divin  :  la  vengeance  céleste  l'atteignit 
peu  de  temps  après,  et  il  périt  tristement. 

«  Enfin,  le  cruel  Néron  s'appliqua  à  persécuter  ceux  qu'il  sut  être  atta- 
chés d'une  manière  plus  intime  au  bienheureux  Pierre  ;  il  voulut,  par  les 
tourments  qu'il  leur  fit  endurer,  satisfaire  sa  haine  contre  Pierre.  Le  bien-. 


454  29  JUIN. 

bisureux  Apôtre,  par  révélation,  donna  connaissance  de  cela  aux  fidèles,  et 
leur  indiqua  la  manière  d'éviter  la  fureur  de  cette  bête  féroce. 

«  Néron  lui-même,  dans  une  vision,  vit  saint  Pierre  se  présenter  devant 
lui,  et  commander  à  quelqu'un  de  flageller  le  prince  avec  force  et  rigueur, 
et  il  entendit  cet  Apôtre  lui  dire  :  Abstiens-toi,  impie,  de  porter  les  mains 
sur  les  serviteurs  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  il  ne  t'est  pas  donné  de 
les  arrêter  maintenant. 

«  Un  peu  effrayé  par  cette  apparition,  le  tyran  se  tint  en  repos.  Quant 
aux  fidèles  de  Rome,  ils  se  réjouissaient  en  présence  du  Seigneur,  de  ce  que 
le  bienheureux  apôtre  saint  Pierre  leur  apparaissait  souvent,  et  les  fortifiait 
par  ses  paroles.  Ils  glorifiaient  donc  ensemble  Dieu  le  Père  Tout-Puissant,  et 
le  Seigneur  Jésus-Christ,  avec  le  Saint-Esprit.  A  lui  soient  la  gloire,  la  puis- 
sance et  l'adoration  dans  les  siècles  des  siècles  !  Amen  ». 

Nous  n'entreprenons  pas  de  rapporter  ici  les  éloges  que  les  Conciles  et 
les  Pères  de  l'Eglise  ont  donnés  à  noire  saint  Apôtre  :  on  peut  lire  pour  cela 
les  sermons  qu'ils  ont  faits  aux  jours  de  sa  fête;  on  les  trouvera  imprimés 
ensemble  dans  la  Bibliothèque  des  Prédicateurs  du  savant  Père  Combefis,  de 
l'Ordre  de  Saint-Dominique.  Il  suffit  de  dire  que  saint  Denis  l'Aréopagite 
l'appelle  la  Gloire  souveraine,  le  plus  haut  Ornement,  le  Pilier  et  la  très- 
forte  et  très-ancienne  Colonne  de  tous  les  théologiens,  et  que  saint  Jean 
Chrysostome  le  nomme  le  Maître  des  Apôtres,  le  Principe  de  la  foi  ortho- 
doxe, le  grand  Interprète  des  mystères  de  Jésus-Christ,  le  Conseiller  néces- 
saire des  chrétiens,  le  Trésor  des  vertus  surnaturelles,  le  Temple  de  Dieu, 
le  Flambeau  qui  éclaire  toute  la  terre,  la  Pierre  solide  delà  religion  et  la 
Source  ancienne  des  véritables  sentiments  de  l'Eglise.  Il  témoigne  aussi 
que  Pierre  est  son  inclination  et  son  amour,  et  qu'il  ne  peut  penser  à  lui 
sans  être  rempli  d'un  étonnement  mêlé  de  joie.  Enfin,  il  souhaite  que  les 
clous  de  Pierre,  comme  autant  de  pierres  précieuses,  lui  composent  une 
couronne,  dont  il  se  trouverait  plus  orné  que  de  tous  les  diadèmes  des  em- 
pereurs. 

Les  évoques  de  Rome  ne  lui  ont  pas  seulement  succédé  pour  ce  siège 
particulier,  qui  s'étend  sur  quelques  villes  d'Italie,  mais  pour  sa  priraauté 
sur  tous  les  évêques  et  toutes  les  Eglises  du  monde,  et  pour  son  pouvoir  de 
lier  et  de  délier  par  toute  la  terre,  de  déclarer  les  vérités  de  la  foi  et  de 
définir  les  controverses  qui  naissent  à  leur  sujet;  de  faire  des  lois  univer- 
selles et  qjii  obligent  en  conscience  tout  le  peuple  chrétien,  d'assembler  des 
Conciles  généraux,  de  condamner  les  hérésies,  d'expliquer  le  sens  véritable 
de  l'Ecriture,  et  généralement  de  faire  tout  ce  qui  appartient  au  souverain 
Pasteur  du  troupeau  de  Jésus-Christ.  En  eO'et,  ce  n'est  pas  à  Pierre  en  sa 
seule  personne,  mais  aussi  en  celle  de  tous  ses  successeurs,  que  Notre- 
Seigneur  a  dit  :  «  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre  je  bâtirai  mon  Eglise,  et 
les  portes  de  l'enfer  ne  pourront  rien  contre  elle  »;  et  ailleurs  :  «  Confirme 
tes  frères;  pais  mes  brebis  ».  Comme  cette  Eglise  devait  subsister  jusqu'à 
la  fin  des  siècles,  sans  que  ni  les  princes  du  monde,  ni  toutes  les  puissances 
de  l'enfer  fussent  jamais  capables  de  la  renverser,  ce  n'était  pas  assez  pour 
la  conduire,  pour  la  soutenir  et  pour  la  rendre  immobile,  de  lui  donner  un 
premier  pasteur  qui  eût,  pendant  trente  ou  quarante  ans,  ces  droits  et  ces 
privilèges;  mais  il  lui  fallait  donner  une  succession  de  pasteurs  aussi  stable 
qu'elle-même  et  qui  ne  finît  qu'avec  le  monde  universel,  lesquels  exer- 
çassent le  même  pouvoir.  Aussi,  tous  les  Pères,  tant  grecs  que  latins,  éclai- 
rés par  la  tradition,  l'ont  perpétuellement  reconnu  dans  les  évêques  du  Siège 
de  Rome.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  saint  Jérôme,  en  son  Epître  au  pape  Da- 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES  APOTRES.  459 

masB  :  «  Pour  moi,  je  suis  uni  de  communion  à  votre  béatitude,  c'est-à-dire 
à  la  chaire  de  saint  Pierre.  Je  sais  que  l'Eglise  a  été  bâtie  sur  cette  pierre  : 
quiconque  mange  l'Agneau  hors  de  cette  maison  est  un  profane  ».  Et  plus 
bas  :  «Je  ne  reconnais  point  Vital,  je  rejette  Mélèce,  j'ignore  Paulin  :  celui 
qui  ne  ramasse  point  avec  vous  ne  fait  que  disperser,  c'est-à-dire,  celui  qui 
n'est  pas  de  Jésus-Christ  est  de  l'Antéchrist  ».  Et  encore  au  môme  lieu  : 
«  Si  vous  déclarez  qu'il  taille  dire  trois  hypostases,  je  n'aurai  aucune  appré- 
hension de  parler  ainsi  ».  C'est  aussi  ce  qui  fait  dire  à  saint  Pierre  Chryso- 
logue,  en  son  Epître  à  Eutychès,  qu'il  l'exhorte  à  recevoir  avec  obéissance 
les  décisions  du  bienheureux  évêque  de  Rome,  parce  que  saint  Pierre,  qui 
vit  et  préside  toujours  en  son  siège,  continue  d'y  déclarer  la  vérité  de  la  foi. 
C'est  enfin  ce  qui  fait  dire  à  saint  Bernard,  en  son  Epître  à  Innocent,  que 
tous  les  dangers  et  les  scandales  du  royaume  de  Dieu  lui  doivent  être  rap- 
portés, surtout  ceux  qui  concernent  la  foi,  parce  que  c'est  en  ce  siège  que 
les  dommages  de  la  foi  doivent  être  réparés,  que  la  foi  ne  peut  recevoir 
aucune  altération  ni  diminution,  suivant  cette  parole  du  Fils  de  Dieu  : 
«  Pierre,  j'ai  prié  pour  toi,  afin  que  ta  foi  ne  défaille  pas  ».  Dans  ce  même 
sentiment,  le  même  saint  Bernard,  parlant  au  pape  Eugène,  au  deuxième 
livre  de  la  Considération,  où  personne  ne  l'a  jamais  soupçonné  d'avoir  parlé 
par  flatterie,  lui  dit  qu'il  est  le  grand  prêtre,  le  souverain  Pontife,  le  prince 
des  évêques  et  l'héritier  des  Apôtres  ;  qu'il  est  Abel  par  sa  primauté,  Noé 
par  son  gouvernement,  Abraham  par  son  patriarcat,  Melchisédech  par  son 
ordre,  Aaron  par  sa  dignité,  Samuel  par  son  autorité  déjuger,  Pierre  par 
sa  puissance,  et  Christ  par  son  onction  ;  que  c'est  à  lui  que  les  clefs  ont 
Été  données  et  que  les  ouailles  ont  été  confiées;  que  les  autres  prélats  ont 
été  appelés  pour  avoir  part  à  sa  sollicitude  ;  mais  que  toute  la  plénitude  de 
la  puissance  lui  a  été  communiquée.  Enfin,  que  sa  juridiction  n'a  point 
d'autres  bornes  que  celles  du  monde,  au  lieu  que  celle  des  autres  évêques 
est  limitée  à  quelques  ressorts  particuliers  ».  Il  serait  infini  de  rapporter  ce 
que  les  autres  saints  Pères  ont  dit  sur  ce  sujet,  qui  est  un  des  principaux 
points  de  la  doctrine  catholique  contre  les  erreurs  des  derniers  siècles  :  ceux 
qui  voudront  en  être  plus  parfaitement  instruits  pourront  lire  ce  qu'en  ont 
écrit  le  cardinal  Bellarmin,  au  premier  tome  de  ses  Controverses,  et  du  Fal, 
docteur  de  Sorbonne,  en  son  Traité  des  souverains  Pontifes. 

Ainsi,  le  fruit  que  les  fidèles  doivent  tirer  de  cette  vie  n'est  pas  seule- 
ment d'imiter  les  grandes  actions  et  les  vertus  admirables  de  ce  prince  des 
Apôtres,  mais  aussi  de  s'attacher  avec  une  foi  si  ferme  et  si  constante  à  la 
doctrine  de  son  siège,  que  nulle  tentation,  nulle  persécution,  nulle  adresse 
des  hérétiques,  nulle  difficulté  suggérée  par  le  démon  ne  soit  capable  de 
les  en  séparer.  Car  celui  qui  est  attaché  à  ce  siège  marche  dans  la  lumière 
et  dans  la  voie  du  salut;  mais  celui  qui  s'en  sépare  se  jette  dans  les  ténèbres 
et  ne  peut  attendre  autre  chose  que  d'être  condamné  avec  les  infidèles  et 
les  ennemis  de  Dieu. 

Les  attributs  de  saint  Pierre  sont  affîrmatifs  de  sa  prééminence  sur  les 
autres  Apôtres. 

Ainsi  :  1°  de  nombreux  monuments,  peintures,  mosaïques,  sculptures, 
nous  le  montrent  avec  les  clefs  à  la  main,  ou  dans  l'acte  môme  de  les  rece- 
voir du  divin  Maître;  c'est  une  traduction  figurée  des  promesses  faites  parle 
Sauveur  à  celui  qu'il  établissait  le  chef  de  ses  Apôtres  et  de  son  Eglise.  C'est 
un  chapitre  de  l'Evangile  mille  fois  reproduit  par  les  arts  de  ces  premiers 
siècles  :  Tibi  dabo  claves  regni  cœlorum. 

2°  On  sait  que,  voulant  préluder  à  ses  souffrances  par  un  exemple  d'hu- 


456  29  jum. 

milité,  notre  Sauveur  lava  les  pieds  de  ses  Apôtres.  Or,  quand  ce  fait  est 
représenté  dans  nos  monuments  antiques,  c'est  toujours  saint  Pierre,  et 
saint  Pierre  seul  qui  est  mis  en  scène.  Un  sarcophage  d'Arles  le  fait  voir 
manifestant  par  ses  gestes  et  par  l'animation  de  son  visage  son  étonnement 
et  sa  confusion,  comme  dans  le  texte  sacré  :  «  Vous,  Seigneur,  me  laver  les 

pieds  î  » 

3°  S'il  est  représenté  avec  saint  Paul  dans  les  fonds  de  coupe,  par 
exemple,  souvent  l'artiste  le  distingue  par  quelque  marque  particulière 
destinée  à  montrer  que,  bien  que  collègues  dans  l'apostolat,  saint  Pierre  et 
saint  Paul  ne  sont  pas  égaux.  Quand  ils  sont  figurés  en  buste,  vêtus  l'un  et 
l'autre  de  la  lucerna,  ce  vêtement,  qui  est  uni  pour  saint  Paul,  est  orné 
chez  saint  Pierre  d'une  bordure  de  perles,  ou  de  colliculx  tout  autour  du 
cou.  Quand  ils  sont  assis,  saint  Pierre  occupe  une  chaire  à  dossier,  tandis 
que  saint  Paul  n'a  qu'un  simple  banc  ou  subsellium.  En  général,  quand  ils 
paraissent  s'entretenir  ensemble,  saint  Pierre  fait  ordinairement  un  geste 
d'allocution,  ou  présente  d'un  air  impérieux  un  volume  à  son  interlocu- 
teur ;  celui-ci,  au  contraire,  écoute  attentivement,  fait  de  la  main  un  signe 
d'adhésion  ou  appuie  sur  le  livre  qu'il  tient  sur  ses  genoux. 

Si  saint  Pierre  est  représenté  avec  tous  les  autres  Apôtres,  comme  dans 
la  mosaïque  du  baptistère  de  llavenne,  outre  l'emblème  caractéristique  des 
clefs,  il  est  coiffé  d'une  espèce  de  tiare,  tandis  que  les  autres  sont  la  tête 
nue  ;  dans  une  des  fioles  de  Monza,  dont  le  disque  est  orné  des  bustes  des 
douze  Apôtres,  saint  Pierre,  à  la  droite  du  Sauveur,  porte  une  couronne 
radiée  qui  le  distingue  de  ses  collègues  dans  l'apostolat.  Dans  les  bas-reliefs, 
les  mosaïques  et  ailleurs,  toutes  les  fois  que  Notre-Seigneur,  au  milieu  de 
ses  disciples  choisis,  leur  confère  ses  pouvoirs,  c'est  invariablement  à  saint 
Pierre  qu'il  remet  le  volume  déroulé,  symbole  du  souverain  pouvoir  d'en- 
seignement et  de  direction  qui  lui  est  donné  ,  non-seulement  sur  les 
agneaux,  mais  encore  sur  les  brebis.  Ailleurs,  toujours  sur  les  sarcophages, 
le  divin  Maître,  encore  en  bon  Pasteur  entouré  de  ses  douze  Apôtres  et  de 
douze  brebis  qui  les  figurent,  caresse  tendrement  de  la  main  une  brebis 
plus  grande  que  les  autres  et  qui  correspond  exactement  au  prince  des 
Apôtres.  Quand  l'Eglise  est  figurée  sous  l'emblème  du  navire,  c'est  saint 
Pierre  qui  manie  l'aviron. 

4°  Mais  voici  qui  est  bien  plus  important  encore  pour  attester  la 
croyance  des  siècles  primitifs  à  la  primauté  de  saint  Pierre.  Moïse,  chef  de 
l'Eglise  judaïque  et  législateur  des  Hébreux,  était  la  figure  de  Pierre,  vi- 
caire de  Jésus-Christ  et  chef  visible  de  l'Eglise  chrétienne;  ou  plutôt  le  se- 
cond n'était  que  le  continuateur  du  premier,  comme  le  Nouveau  Testament 
était  le  complément  de  l'Ancien.  C'est  là  une  vérité  dont  la  tradition  était 
constante  et  vulgaire  parmi  les  premiers  chrétiens,  et  qui  était  souvent  dé- 
veloppée dans  l'enseignement  des  Pères.  Telle  est  l'origine  des  innom- 
brables reproductions  de  la  figure  de  Moïse  dans  les  monuments  chrétiens. 
Et  ces  représentations  le  prennent  presque  toujours  dans  le  trait  qui  cons- 
titue la  plus  vive  ressemblance  entre  le  rôle  du  Moïse  ancien  et  du  Moïse 
nouveau,  c'est-à-dire  la  percussion  du  rocher  d'Oreb.  Là,  en  effet,  le  rap- 
prochement n'est  pas  arbitraire,  il  est  présenté  par  saint  Paul  lui-même  : 
«  Les  Israélites  buvaient  l'eau  jaillissant  de  la  pierre,  et  cette  pierre  est  le 
Christ  » . 

Moïse  tire  du  rocher  une  eau  qui  étanche  la  soif  des  Hébreux;  Pierre 
fait  jaillir  du  vrai  rocher,  qui  est  le  Christ,  la  source  mystérieuse  de  la 
grâce  qui  arrive  aux  fidèles  par  les  canaux  des  Sacrements.  Une  peinture 


SAINT  PIERRE,   PRINCE   DES    APÔTRES.  457 

vraiment  merveilleuse,  découverte  naguère  dans  une  crypte  du  cimetière 
de  Calliste,  qu'on  a  surnommée  la  chambre  des  Sacrements,  déroule  cette 
doctrine  sous  nos  yeux  dans  une  série  de  tableaux  disposés  avec  un  art  in- 
fini. En  premier  lieu,  on  y  voit  Moïse  ou  plutôt  saint  Pierre,  frappant  le 
rocher  mystique  ;  du  fleuve  qui  s'en  échappe,  un  personnage  assis  retire  un 
poisson  au  bout  d'une  ligne.  C'est  l'image  de  la  conversion  d'un  idolâtre 
par  la  vertu  de  la  grâce  découlant  du  flanc  du  Sauveur;  plus  loin,  dans  cette 
môme  eau  divine,  ce  même  homme  est  baptisé  par  un  ministre  debout  de- 
vant lui  et  appuyant  sa  main  sur  la  tête  du  néophyte  pour  la  triple  immer- 
sion. A  quelque  distance  encore  un  prêtre,  étendant  les  mains  sur  un  pain 
et  un  poisson,  consacre  la  sainte  Eucharistie;  et  enfin  sept  personnages  assis 
à  une  table  prennent  part  au  festin  sacré,  oî!i  ne  figure  comme  précédem- 
ment que  le  pain  et  le  poisson. 

Mais  quelque  palpable  que  soit  cette  démonstration,  nous  avons  des 
monuments  qui  la  rendent  plus  certaine  encore.  C'est  d'abord  un  fond  de 
coupe  où  la  détermination  du  personnage  frappant  le  rocher  se  trouve  fixée 
par  le  nom  même  de  Pierre,  Petrus,  écrit  dans  le  champ,  et  encore  par  la 
conformité  parfaite  de  la  tête  avec  le  type  traditionnel  du  prince  des 
Apôtres.  Ce  même  type  n'est  pas  moins  reconnaissable  dans  la  plupart  des 
sculptures  de  sarcophages  où  le  sujet  qui  nous  occupe  se  trouve  reproduit. 
Et,  pour  qu'on  ne  puisse  pas  s'y  méprendre,  un  point  de  comparaison  est 
ordinairement  ofiert  tout  à  côté,  l'arrestation  de  saint  Pierre,  et  la  tête 
de  cet  Apôtre  et  celle  de  Moïse  frappant  le  rocher  sont  absolument  iden- 
tiques. 

Il  y  a  plus  encore  :  dans  le  bas-relief  d'un  sarcophage  magnifique  et 
vraiment  précieux  sous  tous  les  rapports,  monument  du  iv^  siècle,  décou- 
vert il  y  a  peu  d'années  à  Saint-Paul  hors  des  Murs,  on  voit  d'abord  saint 
Pierre  au  moment  où  Notre-Seigneur  lui  annonce  sa  chute  et  en  même 
temps  la  prière  qu'il  adresse  à  son  père  pour  que  la  foi  de  son  vicaire,  une 
fois  converti,  n'éprouve  plus  de  défaillance.  Le  coq  est  à  ses  pieds,  ce  qui 
ôte  toute  hésitation  sur  l'attribution  du  personnage  de  saint  Pierre.  Le 
prince  des  Apôtres  porte  à  la  main  la  verge,  symbole  de  l'autorité  qui  lui 
est  confiée  et  qui  n'est  jamais  attribuée,  dans  nos  monuments,  à  aucun 
autre  Apôtre.  Un  peu  plus  loin,  il  fait  usage  de  ce  sceptre  pour  frapper  le 
rocher  mystique,  dont  on  voit  sortir  une  eau  abondante.  C'est  la  divine  pa- 
role annoncée  par  Pierre  au  jour  de  la  Pentecôte.  La  Synagogue  se  scinde 
en  deux  parts  :  d'un  côté,  ceux  des  Israélites  qui  accourent  avec  avidité  aux 
eaux  vivifiantes  du  Christ;  de  l'autre,  et  ceci  est  l'objet  d'une  troisième 
scène,  ceux  qui,  fermant  les  yeux  à  la  lumière,  conspirent  contre  saint 
Pierre,  le  saisissent  par  le  bras  et  le  traînent  devant  les  tribunaux  des 
scribes.  Et  ici  encore  saint  Pierre  tient  la  verge  du  commandement  dont, 
libre  ou  captif,  il  ne  se  dessaisira  plus.  Allegranza  donne  une  pierre  antique 
chrétienne  très-curieuse,  qui  fait  voir  le  Bon  Pasteur  entouré  de  douze 
figurines  en  pied,  qui  ne  sont  autres  que  les  douze  Apôtres.  Or,  le  premier 
i  droite  est  reconnu  pour  saint  Pierre,  à  la  verge  qu'il  tient  à  la  main. 

Un  des  attributs  les  plus  ordinaires  de  saint  Pierre,  c'est  la  croix,  et 
communément  la  croix  gemmée  qu'il  tient  de  la  main  gauche,  et  appuyée 
contre  son  épaule,  tandis  que  de  la  droite  il  reçoit  de  Notre-Seigneur  le  vo- 
lume déroulé.  C'est  là  le  type  commun  dans  les  sarcophages,  les  pierres  sé- 
pulcrales, les  mosaïques  et  les  verres  dorés.  La  statue  de  bronze  que  l'on 
voit  à  Saint-Pierre  de  Rome,  porte  la  croix  monogrammatique.  L'attribut 
de  la  croix  fait  allusion  au  genre  de  mort  de  cet  Apôtre,  et  le  monogramme 


458  25  JUIN. 

qui  n'est  autre  chose  que  l'abréviation  du  nom  du  Christ,  rappelle  entre  ses 
mains  le  pouvoir  qui  lui  avait  été  donné  d'opérer  des  miracles  par  la  vertu 
de  ce  nom  auguste  :  «  Je  n'ai  ni  or  ni  argent  »,  dit-il  à  cet  infirme  qui  im- 
plorait sa  pitié  à  la  porte  du  temple,  a  mais  au  nom  de  Jésus-Christ  de  Na- 
zareth, lève-toi  et  marche  ».  Un  sarcophage  de  la  crypte  de  Saint-Maximin 
offre  dans  la  résurrection  de  Tabithe,  un  intéressant  exemple  de  l'exercice 
de  ce  pouvoir  du  prince  des  Apôtres.  Il  existe  aussi  à  Fermo,  en  Italie,  un 
tombeau  où  tous  les  sujets  représentés  en  bas-reliefs  sont  relatifs  à  la  vie  de 
saint  Pierre. 


CULTE  ET  RELIQUES.  —  MONUMENTS.  —  ECRITS. 

Saint  Pierre  ayant  été  déposé  dans  les  grottes  du  Vatican,  sur  la  voie  Triomphale,  cette  mon- 
tagne qu'une  si  riche  dépouille  a  rendue  plus  vénérable  que  n'était  auparavant  le  Capllole,  fut 
plus  tard  renfermée  dans  la  ville,  et  les  Papes  y  ont  fait  bâtir  la  basilique  de  Saint-Pierre,  qui  est 
le  plus  riche  et  le  plus  superbe  édifice  qui  ait  jamais  été  vu  dans  le  monde.  En  effet,  ni  le  temple 
d'Ephèse,  si  renommé  parmi  les  païens,  ni  celui  de  Salomon,  si  célèbre  parmi  les  Juifs,  ni  Sainte- 
Sophie  de  Constantinople,  qui  est  présentement  la  principale  mosquée  des  Turcs,  ni  l'Escurial  de 
Madrid,  ni  les  cathédrales  d'Amiens,  de  Beauvais,  de  Reims  et  de  Paris,  que  nous  avons  en  Ftauce, 
n'ont  rien  de  comparable  à  cette  auguste  basilique  :  elle  est  toute  bâtie  de  marbre  dedans  et  de- 
hors; sa  grandeur  et  son  élévation  sont  merveilleuses;  son  pavé,  ses  murailles  et  sa  voûte  sont  si 
admirablement  ornés,  qu'ils  semblent  avoir  épuisé  toute  la  force  de  l'art  :  son  dôme,  qui  monte, 
pour  ainsi  dire,  jusqu'aux  nues,  est  un  abrégé  de  toutes  les  beautés  de  la  peinture,  de  la  sculp- 
ture et  de  l'architecture;  sa  couverture  est  de  plomb  et  de  cuivre  doré.  Enfin,  tout  y  est  si  rare 
et  si  exquis,  qu'il  surpasse  tout  ce  qu'on  s'en  peut  imaginer.  C'est  dans  un  lieu  si  magnifique  que 
reposent  les  cendres  précieuses  du  pécheur,  afin  que  tout  le  monde  connaisse  combien  Dieu  honore 
ses  amis,  et  combien  il  est  avantageux  de  vivre  et  de  mourir  à  son  service.  On  ne  peut  exprimer 
la  dévotion  de  tous  les  peuples  pour  visiter  son  sépulcre.  On  y  a  vu  de  tout  temps  une  infinité  de 
pèlerins  de  tous  les  coins  de  la  terre.  Les  empereurs,  les  rois  et  les  plus  grands  princes  du  monde 
y  sont  venus  implorer  le  secouis  de  celui  qui  a  été  tiré  d'une  barque  pour  être  fait  le  pasteur  de 
l'Eglise.  Les  infidèles  mêmes,  et  les  hérétiques  ont  été  comme  forcés  de  le  respecter.  Lorsque 
Alaric,  roi  des  Goths,  prit  Rome,  ayant  permis  le  pillage  à  ses  soldats,  il  voulut  que  les  basiliques 
de  Saint-Pierre  et  oe  Saint-Paul  fussent  des  asiles,  et  défendit  de  toucher  ni  aux  personnes  ni  aux 
biens  qui  seraient  dans  leur  enceinte  :  et  lorsque  l'impératrice  Théodora  commanda  à  Anthime  de 
se  saisir  du  pape  Vigile,  eu  quelque  lieu  qu'il  le  pût  prendre,  elle  en  excepta  la  basilique  de  Saint- 
Pierre,  comme  un  lieu  si  saint  et  si  auguste,  qu'il  devait  être  exempt  de  toutes  sortes  de  violences. 

Durant  quelques  instants,  les  reliques  du  prince  des  Apôtres  reposèrent  dans  les  catacombes  de 
Saint-Sébastien,  sur  la  voie  Appienne.  On  les  y  avait  transportées  dans  un  moment  de  danger; 
mais  elles  furent  rétablies  en  leur  place  primitive  par  le  pape  saint  Corneille.  Sous  l'empereur 
Constantin,  elles  furent  déposées,  par  le  pape  saint  Silvestre,  dans  une  châsse  d'argent,  laquelle 
fut  enfermée  dans  une  autre  châsse  en  bronze  doré.  Au  dessus,  on  mit  une  croix  d'or  d'un  poids 
considérable.  La  crypte  au  milieu  de  laquelle  allait  rester  ce  précieux  dépôt,  fut  couverte  inté- 
rieurement de  plaques  de  métal  :  une  voûte  solidement  construite  défendit  1  accès  de  ce  vénérable 
sanctuaire  souterrain  contre  la  dévotion  indiscrète  des  pèlerins  ou  contre  la  rapacité  des  barbares. 
Du  temps  de  saint  Grégoire  de  Tours,  une  petite  ouverture  carrée,  pratiquée  dans  le  pavé  et  garnie 
d'une  porte  en  bronze,  donnait  sur  la  châsse.  La  Confession  entière  fut  splendidement  décorée.  A 
l'époque  de  la  construction  de  l'édifice  actuel,  la  disposition  primitive  n'a  subi  aucun  changement: 
Paul  V  s'est  borné  à  en  refaire  les  abords.  Vers  la  Sn  du  xvi»  siècle,  en  travaillant  au  pavé,  on 
découvrit  la  crypte  obscure  où  repose  le  corps  de  l'Apôtre.  Clément  VIII,  accompagné  de  Bellarnain 
et  de  deux  autres  cardinaux,  descendit  dans  la  grotte  sacrée,  et,  à  la  lueur  d'une  torche,  il  con- 
templa la  croix  d'or  posée  sur  la  châsse  par  Constantin.  A  cette  vue,  le  Pontife  et  les  assistants 
furent  saisis  d'une  émotion  profonde.  Le  Pape  ordonna  ensuite  de  clore  cette  ouverture  en  sa  pré- 
sence. L'autel  majeur  de  la  basilique  actuelle  recouvre  l'ancien  oratoire  fondé  par  le  pape  saint 
Anaclet,  et  l'autel  de  l'ancienne  basilique  de  Constantin.  Il  est  donc  placé  au-dessus  du  tombeau 
des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul.  La  moitié  du  corps  de  saint  Pierre  et  la  moitié  du  corps  de 
saint  Paul  sont  dans  ce  tombeau.  Les  autres  moitiés  des  corps  des  saints  Apôtres  sont  à  Saint-Paul 
hors  les  Murs,  sous  l'autel  majeur.  Les  têtes  sont  à  Saint-Jean  de  Latran,  comme  on  le  verra  plus 
loin. 

Comme  les  souverains  Pontifes  ont  toujours  empêché  avec  beaucoup  de  soin  que  les  reliques 
du  prince  des  Apôtres  ne  fussent  enlevées  de  Rome,  on  n'en  voit  presque  point  ailleurs  que  dans 
cette  capitale  du  monde  catholique.  Néanmoins,  l'abbaye  de  Cluny  possède  un  peu  de  ses  cendres 


SAINT  PIERRE,   PRINCE  DES   APOTRES.  459 

<jni  ont  été  apportées  de  Rome  par  des  religieux.  Ces  reliques  inestimables,  contenues  dans  une 
urne  précieuse,  furent  placées  sous  l'autel  majeur  de  l'église  abbatiale  par  Flugues,  archevêque  de 
Bourges,  reconnues  authentiques  et  vénéiées  avec  une  tendre  dévotion  par  le  pape  Caliite  II,  quand 
il  honora  de  sa  présence  le  monastère  de  Cluny. 

On  voyait  à  Abbeville,  dans  le  prieuré  de  Saint-Pierre,  de  l'Ordre  de  Cluny,  un  des  clous  dont 
ce  saint  Apôtre  a  été  attaché  à  la  croix. 

Quant  aux  cluiiiies  de  saint  Pierre,  qui  sont  religieusement  conserrées  à  Rome,  nous  en  parle- 
rons au  ff  août,  jour  auquel  on  en  fait  la  fête. 

Les  républicains  français,  s'étant  emparés  de  Rome  en  1798,  dépouillèrent  les  églises  de  toute 
leur  argenterie,  et  ne  respectèrent  pas  même  les  bustes  qui  renfermaient  les  chefs  vénérables  de 
saint  Pierre  et  de  saint  Paul.  Ces  reliquaires,  plus  riches  qu'élégants,  avaient  été  exécutés  en 
1369,  sous  le  pontiQcat  d'Urbain  V.  lis  étaient  ornés  d'un  grand  nombre  de  pierres  précieuses, 
données  par  Charles  V,  roi  de  France.  Il  fallut  donc  livrer  ces  bustes;  mais  en  même  temps  on 
prit  un  soin  particulier  de  la  conservation  des  saintes  reliques,  qui  furent  déposées  dans  une  boîte 
de  fer-blanc,  bien  scellée  et  placée  au-dessus  du  maltre-autel  de  Saint-Jean  de  Latran,où  ces  chefs 
étaient  vénérés  depuis  plusieurs  siècles.  Ils  y  restèrent  dans  la  même  boite  jusqu'en  1803.  A  cette 
époque,  une  très-riche  dame  espagnole,  nommée  Marie-Emmanuelle  Pignateili,  duchesse  de  Villa 
Hermosa,  veuve,  voulut  réparer  une  partie  des  pertes  que  la  rapacité  des  Français  avait  causées 
aux  églises  de  Rome.  Elle  fit  orner  d'or  et  d'argent  la  crèche  de  Notre-Seigneur,  conservée  à 
Sainte-Marie-Majeure,  ainsi  que  le  morceau  insigne  de  la  vraie  Croix  que  possède  l'église  de 
Sainte-Cj-oix  de  Jérusalem;  puis  exécuter  en  argent  deux  grands  bustes  des  saints  apôtres  Pierre 
et  Paul,  dont  elle  voulut  que  les  figures  fussent  en  or.  Ces  bustes  ayant  été  portés  dans  l'église  de 
Saint-Jean  de  Latran,  le  pape  Pie  Vil  s'y  rendit  le  3  juillet  1804,  et  fit  ouvrir  la  boite  de  fer-blanc, 
dans  laquelle  on  trouva  deux  autres  boites  d'argent,  en  forme  de  boules,  soigneusement  envelop- 
pées et  scellées.  Sur  l'une  on  lisait  le  nom  de  saint  Pierre,  et  sur  l'autre  celui  de  saint  Paul.  La 
première  contenait  le  crâne,  la  mâchoire  inférieure  et  une  vertèbre  du  prince  des  Apôtres.  Le 
procès-verbal  ne  fait  pas  mention  de  ce  que  contenait  la  seconde;  mais  l'on  voit  par  cet  acte  que 
la  majeure  partie  du  chef  de  saint  Paul  s'y  trouvait.  Ces  saintes  reliques  furent  renfermées  dans 
des  vases  de  cristal,  afin  que  les  fidèles  pussent,  selon  le  désir  de  la  donatrice,  les  voir  lorsqu'elles 
seraient  exposées.  On  plaça  ces  vases,  garnis  en  vermeil,  dans  l'intérieur  des  bustes  où  ils  sont 
maintenant,  et  on  les  en  tire  lorsqu'on  expose  les  saintes  reliques  à  la  vénération  des  fidèles. 

On  montre  encore  aujourd'hui,  à  Rome,  la  partie  de  la  prison  Mamertine  oîi  les  saints  apôtres 
Pierre  et  Paul  furent  enchaînés  par  ordre  de  Néron.  Elle  se  compose  de  deux  cachots,  placés  l'un 
au-dessus  de  l'autre.  Un  escalier  de  construction  moderne  permet  de  descendre  dans  le  premier, 
enfoui  à  vingt-cinq  pieds  sous  terre.  Sous  les  Romains ,  il  n'y  avait  ni  escalier  ni  porte  : 
on  y  glissait  les  condamnés  par  une  ouverture  circulaire,  pratiquée  au  centre  de  la  voûte,  et  qui 
est  encore  fermée  par  une  grille  de  fer.  A  droite,  on  distingue  les  traces  d'un  soupirail  qui  laissait 
arriver  un  peu  d'air  et  de  jour  dans  ce  vivant  tombeau.  Le  cachot  supérieur  a  huit  mètres  de  long, 
sur  trois  de  large  et  quatre  d'élévation.  Le  cachot  inférieur,  situé  au-dessous  du  premier  et  appelé 
prison  Tullienne,  est  plus  étroit,  plus  humide  et  totalement  privé  de  lumière.  On  y  descendait  de 
même  les  condamnés  par  une  ouverture  pratiquée  au  centre  de  la  voûte.  La  colonne  de  granit  à 
laquelle  la  chaîne  des  saints  Apôtres  fut  scellée  pendant  leur  captivité  est  encore  debout.  A  ses 
pieds  coule  une  fontaine  dont  les  pèlerins  boivent  avec  respect  l'eau  consacrée.  La  tradition  nous 
apprend  que  cette  source  jaillit  miraculeusement  à  la  voix  de  saint  Pierre,  lorsque  les  deux  geôliers 
Processus  et  Martinianus,  convertis  par  l'Apôtre,  reçurent  le  Baptême  de  sa  main  enchaînée.  Un 
autel  a  été  érigé  le  long  de  l'une  des  parois  de  la  prison  qui  est  maintenant  un  sanctuaire  vénéré 
où  des  messes  sont  chaque  jour  célébrées.  Au-dessus  de  ce  sanctuaire,  qui  porte  aujourd'hui  le 
nom  de  San  Pietro  in  carcere,  on  a  bâti  deux  églises,  l'une  dite  du  Crucifix,  et  l'autre  dédiée 
à  saiut  Joseph. 

Sur  la  route  d'Ostie  s'élève  une  petite  chapelle,  dite  des  Adieux  ou  de  la  Séparation.  Elle 
fut  érigée  au  lieu  où  les  deux  Apôtres  allant  au  martyre  se  dirent  le  dernier  adieu.  Au-dessus  de  la 
porte,  un  bas-relief  en  marbre  blanc  représente  les  deux  Apôtres  se  donnant  le  baiser  de  paix  et 
d'adieu  ;  au  dessous  on  lit  ces  paroles,  conservées  à  la  mémoire  des  siècles  par  saint  Denys  l'Aréo- 
p;tgite  :  «  La  paix  soit  avec  toi,  chef  de  l'Eglise,  pasteur  de  tous  les  agneaux  du  Christ!  dit  saint 
Paul.  —  Va  en  paix,  prédicateur  des  biens  célestes,  guide  des  justes  dans  le  chemin  du  salut  I 
répondit  saint  Pierre  ». 

Sur  le  mont  Janicule,  se  trouve  l'église  de  Saint-Pierre  in  Montorio,  qui  fut  bâtie  au 
XV»  siècle,  sous  Sixte  IV;  c'est  l'église  du  couvent  des  Franciscains.  La  cour  de  ce  couvent  ren- 
feime  un  joli  temple  en  rotonde,  élevé  aussi  au  xv»  siècle  sur  le  trou  où  fut  plantée  la  croix  de 
saint  Pierre. 

En  arrivant  au  lieu  où  furent  bâtis  plus  tard  les  Thermes  de  Caracalla,  les  bandelettes  qui  en- 
touraient la  plaie  faite  par  les  chaînes  aux  jambes  de  l'Apôtre  se  détachèrent.  La  piété  des  fidèles 
nota  cet  endroit,  et  Constantin  éleva  à  cet  emplacement  la  basilique  délia  Fasciola,  où  les  bande- 
lettes teintes  de  sang  furent  déposées   Le  monument,  reconstruit  depuis  cette  époque,  conserve 


A60  29  JUIN. 

encore  sa  glorieuse  tradition  sous  le  titre  cardinalice  des  saints  Nérée  et  Achillée,  dont  il  porte 
maintenant  le  nom. 

Dans  l'église  Sainte-Marie  Traspontina,  on  voit  les  colonnes  auxquelles  les  deux  Apôtres  furent 
liés  pour  être  flagellés  avant  d'être  conduits  au  martyre. 

L'église  de  Sainte-Marie  la  Neuve,  au  Forum,  fut  bâtie  par  le  pape  Paul  Is"",  pour  consacrer  le 
lieu  où  saint  Pierre  s'était  agenouillé  pendant  que  Simon  le  Magicien  s'élevait  dans  les  airs.  Les 
genoux  du  saint  Apôtre  restèrent  gravés  sur  la  pierre,  et  cette  pierre,  baisée  avec  amour  par  des 
millions  de  pèlerins,  se  conserve  dans  le  lieu  même  où  le  fait  s'est  accompli.  C'est  la  plus  précieuse 
relique  de  Sainte-Marie  la  Neuve. 

Dans  la  basilique  de  Saiut-Jean  de  Latran,  an  centre  du  transept,  sous  le  grand  arc  de  la  nef 
principale,  soutenu  par  deux  colonnes  de  granit  oriental  de  trente-huit  pieds  de  hauteur,  s'élève 
l'autel  papal,  le  même  où  saint  Pierre  a  dit  la  messe.  Il  est  là  tel  qu'il  fut  tiré  des  catacombes  par 
le  pape  saint  Sylvestre.  Sa  simplicité  et  sa  pauvreté  même  rappellent  bien  les  premiers  siècles  de 
l'Eglise  :  quelques  planches  de  sapin,  sans  dorure  et  sans  ornement  qu'une  croix  taillée  sur  la 
partie  antérieure,  voilà  tout.  Par  respect,  on  l'a  entouré  d'une  balustrade  eu  marbre,  sur  laquelle 
sont  gravées  les  armes  d'Urbain  VIU  et  du  roi  de  France.  Une  riche  étoffe  le  recouvre  tout  entier. 
C'est,  nous  croyons,  l'unique  autel  dans  le  monde  sous  lequel  il  n'y  ait  point  de  reliques.  Au  suc- 
cesseur de  Pierre  appartient  le  droit  exclusif  d'y  célébrer  les  saints  Mystères.  Au-dessus  de  l'autel, 
on  voit,  à  une  grande  hauteur,  une  tente  de  velours  cramoisi  rehaussé  d'or.  Ce  pavillon  recouvre 
une  arche  ou  ciboire  en  marbre  de  Paros  soutenu  par  quatre  colonnes  de  marbre  égyptien  avec  des 
chapiteaux  d'ordre  corinthien  en  bronze  doré.  Là  sont  renfermées  les  têtes  des  apôtres  saint  Pierre 
et  saint  Paul.  Deux  fois  chaque  année,  le  samedi  saint  et  le  mardi  des  Rogations,  elles  sont  expo- 
sées solennellement  à  la  vénération  des  fidèles.  Il  est  un  autre  usage  non  moins  digne  d'être  connu. 
Afin  de  tremper  tous  les  jeunes  lévites  à  la  source  même  de  l'esprit  sacerdotal,  esprit  de  l'apos- 
tolat et  du  martyre,  c'est  au  pied  de  l'autel  dont  nous  venons  de  parler,  sous  les  yeux  de  saint 
Pierre  et  de  saint  Paul,  qu'ont  lieu  les  ordinations. 

Nous  avons  deux  épîtres  sous  le  nom  de  saint  Pierre,  qui  sont  du  nombre  de  celles  que  nous 
appelons  catholiques  ou  canoniques.  La  première  est  adressée  de  Babylone,  c'est-à-dire  de  Rome, 
aux  fidèles  du  Pont,  de  la  Bithynie,  de  la  Galatie,  de  l'Asie  et  de  la  Cappadoce.  Le  but  principal 
de  l'Apôtre  est  de  consoler  et  de  fortifier  dans  la  foi  les  fidèles  auxquels  il  écrit,  et  de  les  soutenir 
au  milieu  des  afflictions  et  des  persécutions  qu'ils  souffraient.  C'est  pourquoi  il  leur  met  souvent 
devant  les  yeux  la  grandeur  de  leur  vocatiou,  la  grûce  que  Dieu  leur  a  faite  de  les  choisir,  et  les 
avantages  qu'il  y  a  à  supporter  patiemment  les  maux  de  la  vie  présente.  Il  leur  prescrit  aussi  des 
règles  pour  se  conduire  avec  sagesse  dans  les  différents  états  de  cette  vie.  Il  leur  ordonne  à  tous 
d'obéir  aux  princes  et  à  tous  les  supérieurs;  aux  serviteurs,  de  servir  fidèlement  leurs  maîtres, 
non-seulement  ceux  qui  sont  bons  et  doux,  mais  même  ceux  qui  sont  rudes  et  fâcheux;  aux  femmes, 
d'être  soumises  à  leurs  maris  et  modestes  dans  leurs  habits;  à  tous  généralement,  de  s'entr'aimer 
les  uns  les  autres,  de  s'occuper  à  la  prière  et  aux  œuvres  de  charité;  aux  pasteurs,  de  se  conduire 
avec  un  entier  désintéressement,  et  de  gouverner  leur  troupeau  avec  charité  et  avec  douceur,  non 
en  dominant  sur  l'héritage  du  Seigneur,  mais  en  se  rendant  les  modèles  du  troupeau,  par  une  vertu 
qui  naisse  du  fond  du  cœur. 

La  seconde  épitre  fut  écrite  de  Rome,  comme  la  première,  mais  quelques  années  après,  et 
adressée  aussi  aux  mêmes  fidèles  du  Pont  et  des  provinces  voisines.  Le  dessein  de  saint  Pierre, 
dans  cette  lettre,  est  de  réveiller  les  fidèles  et  de  leur  laisser  par  écrit  un  abrégé  des  vérités  qu'il 
leur  avait  enseignées,  afin  qu'ils  pussent  plus  aisément  se  les  remettre  devant  les  yeux  après  sa 
mort.  11  les  exhorte  à  s'appliquer  aux  bonnes  œuvres,  à  persévérer  dans  la  saine  doctrine  des 
Apôtres  et  à  prendre  garde  de  se  laisser  corrompre  par  les  illusions  des  faux  docteurs  qui  répan- 
daient, dès  lors,  plusieurs  erreurs  dans  l'Eglise  et  la  scandalisaient  par  leurs  mauvais  exemples. 
11  réfute  les  erreurs  de  ceux  qui  soutenaient  qu'il  n'y  aurait  ni  résurrection  des  corps,  ni  jugement 
dernier,  ni  venue  de  Jésus-Christ,  ni  embrasement  du  monde 

On  a  attribué  à  saint  Pierre  un  livre  de  ses  actes,  une  apocalypse,  un  évangile,  un  ouvrage  ayant 
pour  titre  :  De  la  prédication  ou  De  la  doctrine  de  saint  Pierre,  et  un  autre  :  Du  jugement. 
Mais  tous  ces  ouvrages  sont  reconnus  comme  apocryphes. 

Nous  avons  complété  cette  vie  avec  l'Histoire  de  saint  Pierre,  par  l'abbé  Maistre;  Godescard  ;  V His- 
toire générale  de  L'Eglise,  par  l'abbé  Danas;  Les  trois  Rome,  par  Mgr  Gaume;  la  Bible  sans  la  Bible,  par 
If.  l'abi)B  Gaiiiet,  2  vol.  in-8  raisin,  papier  vergé,  cliez  M.  Guerin,  à  Bar-le-Duc.  —  Cf.  Borne,  ses  Eglises, 
tes  monaments,  ses  institutions,  par  l'abbé  Rolland  ;  VHagiologie  nivernaise,  par  Mgr  Crosnier;  Ui  Apôtre», 
par  l'abbé  Bourassé  ;  l'Histoire  des  souverains  Pontifes  romains,  par  Artaud  de  Moutor. 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES   GENTILS   ET   MARTYR.  461 


SAINT  PAUL,  APOTRE  DES  GENTILS  ET  MARTYR 

66.  •—  Empereur  :  Néron. 


Considéra  Paubim  apostolum  prius  persecutorem,  pos- 
tca  annuntiatorem  ,  ante  hoc  zizania,  post  hoc 
frnmentuni,  antea  lupum,  postea  pastorem,  prius 
dissipnntem,  postea  gdificantetn. 

Admirez  l'Apôtre  saint  Paul  ;  U  avait  persécnti  Jdsns, 
et  voilà  qu'il  l'annonce  à  liante  voix  ;  il  avait  semd 
la  zizanie,  et  voila  qu'il  répand  partout  le  bon 
grain.  De  loup  rapace  il  devient  pasteur  vigilant, 
et  l'édifice  qu'il  a  ruiné  tout  i  l'heure,  il  s'emploie 
tout  entier  maintenant  à  le  reconstruire. 
S.  Chrys.,  in  Homel. 

Voilà  sans  contredit  un  des  Saints  les  plus  grands  et  les  plus  légitime- 
ment illustres  que  la  terre  puisse  s'enorgueillir  d'avoir  portés.  Sa  conversion 
miraculeuse,  sa  vocation  extraordinaire  à  l'apostolat,  ses  travaux  immenses, 
ses  souffrances  inouïes,  ses  chaînes  qui  n'ont  jamais  arrêté  la  liberté  de  sa 
parole,  sa  doctrine  si  haute,  ses  épîtres  si  vives,  si  fortes,  si  apostoliques, 
les  formes  même  parfois  si  rudes  de  sa  langue,  distinguent  tellement  saint 
Paul  qu'il  résume  en  lui  toutes  les  gloires  de  l'apostolat.  Il  en  est  le  mo- 
dèle achevé;  dans  l'Eglise  on  l'appelle  le  grand  Apôtre;  et  quand  on  dit 
simplement  l'Apôtre,  c'est  lui  qu'on  désigne. 

Né  à  Tarse*,  en  Cilicie,  l'an  2  de  Jésus-Christ,  de  parents  juifs  de  la  tribu 
de  Benjamin,  il  reçut  en  naissant  le  nom  de  Saul  et  le  titre  de  citoyen  ro- 
main :  Dieu,  qui  le  destinait  à  prêcher  l'Evangile  principalement  parmi  les 
Gentils,  voulut  qu'il  possédât  une  dignité  capable  de  l'accréditer  plus  faci- 
lement auprès  d'eux,  et  de  le  délivrer  de  certains  périls  très-graves  auxquels 
son  œuvre  devait  l'exposer.  A  cette  époque  florissaient  à  Tarse  des  écoles 
qui  égalaient  en  réputation  celles  d'Athènes  et  d'Alexandrie.  Appartenant 
à  la  secte  des  Pharisiens,  probablement  par  le  hasard  de  sa  naissance,  le 
futur  apôtre  des  Gentils  les  fréquenta  de  bonne  heure,  pour  s'y  faire  initier 
à  la  science  de  son  siècle.  Mais  la  famille  de  Saul,  qui  se  distinguait  par  la 
droiture  de  ses  mœurs  et  servait  Dieu  avec  une  conscience  pure,  ce  qui 
était  rare  chez  les  Pharisiens,  favorisa  son  goût  pour  la  science  de  la  loi  et 
l'envoya  à  Jérusalem,  à  l'école  de  Gamaliel,  chef  de  l'Académie  et  prince  du 
sénat  judaïque.  Ce  maître  fameux,  honoré  par  tout  le  peuple,  l'initia  à  la 
science  entière  et  la  plus  profonde  de  la  loi,  telle  qu'on  l'étudiait  alors,  et 
aux  plus  hautes  spéculations  de  la  théologie,  telle  qu'on  l'enseignait  dans 
une  école  où  étaient  réunis  les  jeunes  élèves  les  plus  considérables  de  la 
Judée.  Saul  fît  auprès  de  ce  maître  habile  de  si  grands  progrès  que  nul  ne 
le  surpassait  dans  la  science  de  la  loi  de  Moïse,  dans  la  tradition  des  Juifs, 
dans  l'histoire,  les  coutumes  et  les  cérémonies  de  sa  nation.  A  cette  science 
si  haute  il  joignait  une  ardeur  dévorante  à  en  maintenir  la  pratique. 

La  plus  haute  personnification  de  cette  pratique  minutieuse  si  caressée 
du  jeune  étudiant  était  le  Pharisaïsme.  Secte  la  plus  autorisée  du  judaïsme, 

1.  Aujourd'hui  Tarsous.  La  ville  moderne,  dans  le  pachalik  d'Adana,  occupe  à  peine  le  quart  de  l'an- 
eienne,  et  n'a  guère  que  8,000  habitants  fixes.  Pendant  l'biver,  la  population  s'élève  à  30,000  âmes. 


462  29  JUIN. 

elle  faisait  servir  la  religion  à  son  ambition  personnelle.  Dans  le  but  de 
dominer  le  peuple  et  de  lui  faire  accepter  sa  domination,  elle  le  frappait 
par  l'exagération  pratique  de  la  loi.  Regardant  la  justice  intérieure  avec 
indifférence,  la  forme  extérieure  de  la  piété  lui  paraissait  seule  essentielle. 
L'Evangile  lui  reproche  vivement  cette  conduite  immorale  qu'elle  étayait 
insolemment  par  des  maximes  corrompues.  C'est  au  sein  de  cette  secte  re- 
doutable que  se  formait  le  persécuteur  futur  de  l'Eglise  naissante.  Avec  son 
caractère  résolu,  il  embrassa  ses  préjugés,  ses  illusions,  et  s'efforça  d'en 
faire  une  réalité.  Son  fanatisme  ardent,  que  rien  ne  pouvait  modérer,  alla 
se  heurter  contre  le  christianisme  au  berceau.  Qui  l'aurait  retenu  !  la  foi 
nouvelle  détruisait  absolument  ses  idées  chimériques  et  menaçait  de  tout 
envahir;  devant  cette  marche  conquérante,  il  n'hésita  pas  à  s'y  opposer  par 
l'emploi  de  la  violence. 

L'occasion  était  superbe,  l'Eglise  de  Jérusalem  présentait  alors  aux 
yenx  du  monde  un  magnifique  spectacle,  les  chrétiens,  sous  la  direction 
des  Apôtres,  ne  formaient  qu'un  cœur  et  qu'une  âme  et  avaient  mis  tous 
leurs  biens  en  commun.  Des  diacres  avaient  été  créés,  chargés  de  distribuer 
convenablement  à  tous  les  membres  les  revenus  de  cette  association.  Vain- 
cus par  ce  premier  élan,  bon  nombre  de  Juifs  vendaient  leurs  biens  et  en 
apportaient  le  prix  aux  pieds  des  Apôtres.  Le  diacre  Etienne,  rempli  de  l'es- 
prit de  Dieu,  prêchait  avec  force  et  devenait  le  principal  moteur  de  ces 
conversions  :  la  lutte  était  inévitable,  elle  éclata.  Des  Juifs  de  diverses 
provinces,  irrités  de  ses  actions  miraculeuses,  en  vinrent  avec  Etienne  sur 
le  sujet  de  la  religion.  Saul  fut-il  le  premier  instigateur  de  cette  dispute  ou 
se  laissa-t-il  entraîner  par  les  autres  ?  D'après  son  caractère,  il  dut  en  être 
l'instigateur.  Tous  ces  adversaires  d'Etienne,  incapables  de  résister  à  la 
sagesse  et  à  l'esprit  de  Dieu  qui  parlait  en  lui,  exaspérés  de  voir  leur  ré- 
putation de  science  compromise  auprès  du  peuple,  s'abandonnèrent  aux 
excitations  haineuses  d'un  orgueil  humilié,  et,  recourant  à  l'arme  des 
lâches,  ils  subornèrent  des  hommes  qui  osèrent  affirmer  que  le  thauma- 
turge avait  prononcé  des  paroles  de  blasphème  contre  Dieu  et  contre  Moïse. 
tîn  grand  tumulte  s'éleva  parmi  le  peuple.  Etienne  fut  enlevé  et  entraîné  au 
conseil.  Là,  de  faux  témoins  déposèrent  contre  lui  avec  audace,  soutenus 
qu'ils  étaient  par  les  sympathies  de  la  foule  et  la  puissance  de  leurs  com- 
plices. Alors  le  grand  prêtre  Joseph  Caïphas  demanda  au  prévenu  si  les 
charges  qu'on  produisait  contre  lui  étaient  réelles  :  lui,  pour  toute  réponse, 
le  visage  illuminé  comme  celui  d'un  ange,  prononça  à  la  honte  de  ses  bour- 
reaux ce  discours  si  connu  qui  lui  valut  le  martyre.  En  vertu  du  jugement 
du  peuple,  il  fut  arraché  de  l'assemblée  et  on  le  traîna  hors  des  murs  de  la 
ville  pour  le  lapider.  Les  témoins  de  son  discours  étaient  les  exécuteurs  de 
la  sentence.  Or,  les  témoins  qui  lapidaient  Etienne  déposèrent  leurs  habits 
aux  pieds  d'un  jeune  homme  nommé  Saul,  comme  pour  exprimer  tous, 
d'une  manière  sympathique,  que  c'était  de  lui,  comme  représentant  du 
conseil,  qu'ils  tenaient  le  droit  de  le  lapider.  Saul,  complice  dans  ce  pre- 
mier meurtre,  préludait  ainsi  à  une  persécution  plus  ouverte,  plus  san- 
glante. 

Les  fidèles  de  Jérusalem,  attérés  par  la  mort  violente  du  premier  de  leurs 
martyrs,  poursuivis  par  la  haine  du  sanhédrin  et  violemment  dispersés, 
avaient  cru  trouver  à  Damas  *  un  abri  protecteur.  Mais  cette  capitale  de  la 

1.  Saint  Jérôme,  faisant  allusion  2i  la  tradition  qui  place  dans  cette  contrée  le  champ  oîx  Abel  fut  tué 
par  son  frère  Gain,  dit  que  Saul  vint  eu  ce  lieu  céltbre  imiter,  en  persécutant  lea  chrétiens,  le»  œuvres 
de  Gain  envers  les  imitateurs  d'Abel. 


SAINT  PAUL,   APÔTRE   DES   GEiNTILS  ET  MARTYR.  463 

Cœlé-Syrie  était  alors  soumise  au  sceptre  d'Arétas  que  des  démêlés  avec  Hé- 
rode  le  Tétrarque  avaient  rendu  ennemi  déclaré  de  Jérusalem.  On  n'igno- 
rait pas  d'ailleurs  dans  la  ville  sainte  que  le  disciple  Ananias,  homme  de 
bien,  jouissant  d'une  grande  considération  parmi  ses  compatriotes,  avait 
réussi  à  décider  bon  nombre  de  Juifs  de  Damas  à  embrasser  la  foi  de  Jésus- 
Christ.  Il  s'agissait  de  frapper  un  grand  coup  dont  le  retentissement  arrê- 
terait les  progrès  d'une  doctrine  détestée.  Saul,  ne  respirant  encore  que 
haine  et  carnage  contre  les  disciples  du  Seigneur,  s'arma  d'une  commission 
du  sanhédrin,  investi  h  cette  époque  d'un  pouvoir  dictatorial  sur  toutes  les 
synagogues  de  la  dispersion;  puis  il  vint  trouver  le  grand  prêtre  Caïphas  et 
sollicita  de  ce  chef  des  déicides  des  lettres  pour  les  synagogues  de  Damais, 
afin  que  s'il  y  trouvait  quelque  membre  de  la  secte  du  Galiléen,  hommes 
ou  femmes,  il  fût  autorisé  à  les  amener  chargés  de  chaînes  à  Jérusalem.  Il 
se  mit  donc  en  route  et  déjà  il  approchait  de  Damas. 

Mais  le  moment  est  proche  où  la  grâce  va  opérer  un  miracle  de  trans- 
formation et  nous  faire  assister,  non  point  à  une  scène  de  roman  psycho- 
logique, comme  le  voudrait  insinuer  un  rationalisme  impie,  mais  à  un 
drame  solennel  et  mystérieux,  à  un  prodige  unique  dans  les  annales  de  la 
prédestination  des  Saints.  Elle  va  procéder  par  un  coup  de  foudre,  saisir  le 
persécuteur  et  le  changer,  au  sein  môme  de  ses  projets  homicides;  quand 
ses  sentiments  de  rage  contre  le  Christ  et  de  haine  contre  ses  disciples  sont 
au  comble,  elle  va  le  précipiter  dans  la  foi  et  la  justice  qu'elle  enfante  : 
saint  Etienne  a  prié  pour  son  condisciple  l'élève  de  Gamaliel,  l'Eglise  va 
saluer  saint  Paul. 

Le  persécuteur  était  à  un  kilomètre  environ  de  la  ville  protectrice  des 
chrétiens:  une  lumière  éblouissante  l'environne  tout  à  coup;  il  en  est 
frappé  comme  d'un  éclat  de  foudre  et  renversé  à  terre  *.  C'était  en  plein 
midi.  En  même  temps,  il  entend  une  voix  du  ciel  qui  lui  dit  :  «  Saul,  Saul, 
pourquoi  me  persécutez-vous  ?  »  Au  moment  où  la  voix  retentit  à  son 
oreille,  il  aperçut  le  visage  du  Sauveur  :  il  ne  lui  apparut  pas  avec  cette 
majesté  voilée  qu'il  avait  sur  la  terre,  et  qu'il  conserva  même  avec  ses  dis- 
ciples après  sa  résurrection,  en  s'entretenant  avec  eux  ;  il  se  montra  dans 
toute  la  splendeur  de  son  corps  glorifié.  Saul  comprit  seul  la  voix  céleste. 
Ses  compagnons  de  voyage  virent  la  lumière;  ils  entendirent  le  bruit  des 
paroles,  mais  ils  n'en  comprirent  pas  le  sens  et  ne  virent  personne  :  c'é- 
taient des  juifs  hellénistes,  et  la  manifestation  surnaturelle  se  fit  en  langue 
syro-chaldaïque,  bien  connue  du  savant  disciple  de  Gamaliel.  «  Qui  êtes- 
vous.  Seigneur  ?  »  demanda  Saul,  les  yeux  fixés  sur  la  figure  radieuse,  a  Je 
suis  »,  reprit  le  personnage  céleste,  «  Jésus  de  Nazareth  que  vous  persé- 
cutez ».  Vaincu,  l'orgueilleux  pharisien  de  tout  à  l'heure  repart  humble- 
hient  :  «  Seigneur,  que  voulez-vous  que  je  fasse  ?  »  Et  le  Seigneur  :  «  Le- 
Vez-vous,  entrez  dans  la  ville,  et  là  vous  apprendrez  ce  que  vous  devez  faire». 

Lorsque  la  vision  eut  disparu,  Saul  se  releva;  mais,  ébloui  par  la  clarté 
d'en  haut,  il  était  aveugle  :  ses  compagnons  furent  obligés  de  le  conduire 
parla  main.  Arrivé  à  Damas  dans  un  appareil  bien  différent  de  celui  qu'il 
avait  préparé,  il  resta  privé  de  la  vue  pendant  trois  jours  qu'il  employa  au 
jeûne  et  à  la  prière.  Mais  si  les  yeux  du  corps  étaient  plongés  dans  les  té- 
nèbres, l'œil  de  l'esprit  s'ouvrait  à  la  lumière  céleste.  En  trois  jours  il  vécut 

1.  A  un  kilomètre  environ  de  la  porte  méridionale  de  Damas,  à  l'endroit  où  se  trouve  actuellement  le 
éimetière  des  chrétiens,  le  persécuteur  fut  renveisé  sur  le  chemin.  Plus  tard,  on  ériçea  une  petite  é5liso 
S  l'endroit  même  oîi  s'opéra  le  prodige.  U  n'en  reste  plus  aujourd'hui  que  d'informes  débris,  et  des 
feolonnes  couchées  par  terre.  Chaque  année,  le  25  janvier,  fête  de  la  Conversion  de  saint  Paul,  les  diré- 
tieus  de  Damas  y  viennent  processiaaaellemeut,  eu  mémoire  de  cet  événement  mémorable. 


464  29  JUIN. 

plusieurs  années  de  pénitence  :  la  grâce  inonda  son  âme  de  clartés  divines. 
N'est-ce  point  encore  par  le  silence  et  les  méditations  d'une  laborieuse  soli- 
tude que  l'Eglise  catholique  forme  ses  ministres  aux  luttes  de  l'apostolat  ? 
Or,  le  lion  terrassé  aux  portes  de  Damas  s'était  relevé  apôtre  :  il  fallait  qu'à 
la  faveur  de  cette  providentielle  retraite  son  intelligence  comprît  les  textes 
les  plus  obscurs  de  l'Ecriture,  et  qu'elle  connût  que  les  promesses  de  l'an- 
cienne loi  avaient  eu  leur  accomplissement  en  Jésus-Christ,  le  Messie 
attendu  par  les  Patriarches,  annoncé  par  les  Prophètes,  l'objet  des  ardentes 
espérances  de  la  nation  fidèle.  Après  la  clarté  éblouissante  qui  avait  inondé 
le  corps,  l'illumination  intérieure  devait  être  complète;  à  cette  nature 
ardente  et  fanatique,  prête  à  se  faire  l'esclave  d'un  maître  qui  personnifie- 
rait son  idée,  il  fallait  un  précepteur  nouveau;  à  Saul  converti  il  fallait  un 
Gamaliel  chrétien  aux  leçons  duquel  il  pût  en  appeler.  Cet  instructeur  est 
donné  au  futur  apôtre,  et  il  pourra  inscrire  désormais  en  tête  de  ses  immor- 
telles épitres  :  «  Paul,  serviteur  de  Jésus-Christ,  appelé  à  l'apostolat  et  ins-" 
truit  dans  ses  nouveaux  devoirs  non  par  les  hommes,  ni  par  un  homme  en 
particulier,  mais  par  Jésus-Christ  ». 

Le  grand  converti  était  instruit,  il  lui  manquait  la  consécration.  Or, 
Ananias,  dans  une  vision,  reçut  de  Dieu  l'ordre  d'aller  imposer  les  mains  à 
Saul,  afin  de  lui  rendre  la  vue.  Surpris,  il  objecte  les  agissements  du  persé- 
cuteur d'hier;  mais  le  Seigneur  le  rassurant  :  «  Allez,  car  il  est  pour  moi 
un  vase  d'élection;  je  l'ai  destiné  à  porter  ma  loi  parmi  les  nations, 
devant  les  rois,  et  à  l'annoncer  aux  enfants  d'Israël.  Je  lui  montrerai,  en 
outre,  combien  il  aura  à  soufl'rir  pour  mon  nom  ».  A  la  même  heure,  Saul 
avait  une  vision  semblable  qui  lui  annonçait  sa  guérison  par  le  ministère 
d'Ananias.  Celui-ci  ne  tarda  pas  à  frapper  à  la  porte  d'un  juif,  nommé  Jude, 
dans  la  rue  Droite  %  chez  lequel  Saul  était  logé.  «  Saul,  mon  frère  »,  dit-il 
en  entrant,  «  le  Seigneur  Jésus,  qui  vous  est  apparu  sur  le  chemin,  m'a 
envoyé  vers  vous  pour  vous  rendre  la  vue  et  pour  que  vous  receviez  le 
Saint-Esprit».  Dès  qu'il  lui  eut  imposé  les  mains,  il  lui  tomba  des  yeux 
comme  des  écailles  et  il  recouvra  la  vue.  Saul  se  leva  et  reçut  aussitôt  le 
baptême. 

Voici  le  moment  solennel  :  converti,  instruit,  consacré,  régénéré  par 
les  eaux  du  Baptême,  l'illustre  néophyte  avait  tout  ce  qu'il  fallait  pour 
devenir  l'instrument  de  grands  desseins  :  la  diffusion  de  la  foi  dans  le 
monde  entier,  tel  est  le  programme  dont  l'exécution  lui  est  confiée  par  son 
nouveau  maître;  sa  mission  va  commencer.  Il  ne  lui  manquait  plus  que 
la  préparation  immédiate  :  Saul  passa  par  ses  épreuves.  Damas,  qui  devait 
être  le  théâtre  de  ses  fureurs,  fut  celui  de  ses  premiers  essais  apostoliques. 
Il  se  mit  à  prêcher  dans  les  synagogues,  au  grand  ébahissement  des  Juifs 
qui  connaissaient  le  but  de  son  voyage.  Ne  pouvant  lui  pardonner  son 
changement  de  rôle,  ils  le  poursuivirent  d'une  haine  implacable;  et  pour 
en  finir  plus  vite  avec  lui,  ils  résolurent  de  le  tuer  :  cette  espèce  d'argu- 
ment, en  effet,  n'admet  point  de  réplique.  Mais  Saul,  prévenu  du  complot 
qui  se  tramait  contre  sa  personne,  réussit  à  se  soustraire  à  cette  argumen- 

1.  L'Orient,  chacun  le  sait,  est  le  pays  des  traditions  et  des  vieux  souvenirs.  La  rue  Droite  subsiste 
encore  "a  Damas,  dans  le  quartier  juif,  et  elle  porte  toujours  le  même  nom.  On  compte  aujourd'hui  dans 
la  ville  quatre  mille  juifs;  le  nombre  des  chrétiens,  héritiers  de  l'Eglise  primitive,  fondée  par  Ananie, 
s'élève  a  douze  mille  au  moins.  Comme  aux  premiers  jours,  ils  continuent  à  être  exposés  à  mille  dan- 
gers, ainsi  que  le  montrent  les  récents  massacres  de  Syrie.  Si  la  haine  et  la  jalousie  des  Juifs  sont  tou- 
jours vivaccs,  le  fanatisme  musulman  est  bien  plus  terrible  encore.  L'avenir  cependant  semble  devoir  êtra 
plus  favorable.  Dans  cette  région  où  saint  Paul  reçut  la  grâce  de  l'apostolat,  le  zèle  évangélique  na 
8'éteindra  Jamais.  La  maison  d'Ananie  a  fait  place  à  un  petit  sanctuaire  ;  celle  d«  Jude  est  remplacée  par 
une  mosquée. 


SAINT   PAUL,    APÔTRE   DES   GENTILS   ET   MiRTYll.  4t)5 

tation  du  poignard.  La  fuite  lui  était  difficile,  les  Juifs  gardaient  jour  et  nuit 
iâs  portes  de  la  cité,  comptant  frapper  plus  sûrement  leur  victime.  Pour  dé- 
jouer leur  malice,  les  fidèles  de  Damas  descendirent  Saul  pendant  la  nuit, 
dans  une  corbeille,  par-dessus  les  remparts  de  la  ville  *.  Il  se  retira  alors 
en  Arabie.  A  cette  nature  ardente  il  fallait,  avant  de  pa\xourir  sans  s'arrê- 
ter sa  nouvelle  carrière  apostolique,  un  séjour  dans  la  solitude  •  le  désert 
attire  les  grandes  âmes.  Saul  resta  trois  ans  dans  la  retraite,  se  disposant 
par  la  prière,  la  méditation,  le  recueillement  et  la  pénitence,  à  remplir  la 
mission  à  laquelle  Dieu  l'appelait.  Ces  trois  années  devaient  remplacer, 
pour  ainsi  dire,  celles  que  les  Apôtres  c-ivaient  eu  le  bonheur  de  passer  en 
la  compagnie  du  divin  Maître.  Aussi  bien  il  était  juste  que  Saul  allât  médi- 
ter l'Evangile  dans  la  contrée  oh  Moïse  avait  médité  la  loi,  et  qu'il  allât, 
comme  Elie  dont  il  avait  le  zèle  ardent,  visiter  l'Oreb,  cette  montagne  des 
visions  divines.  De  la  race  des  Moïse  et  des  Elie,  il  convenait  qu'il  allât 
préparer  son  sublime  apostolat  dans  ces  lieux  illustrés  par  tant  de  prodiges, 
et  fouler  de  ses  pieds  d'apôtre  cette  terre  et  ces  rochers  que  les  plus  grands 
zélateurs  de  la  loi  ancienne  avaient  parcourus  plusieurs  siècles  avant  lui. 
Au  sortir  de  l'Arabie,  àtrente  ans,  il  était  Apôtre  et  missionnaire  dans  toute 
la  rigueur  de  l'expression  :  il  pouvait,  au  lendemain  des  péripéties  et  des 
travaux  de  sa  vie  cachée,  commencer,  à  l'exemple  du  Sauveur,  l'apostolat 
de  sa  vie  publique. 

C'est  ici  le  lieu  d'esquisser  le  portrait  de  celui  qui  joua  un  si  grand  rôle 
dans  la  diffusion  du  Christianisme.  De  tous  les  personnages  de  l'âge  apos- 
tolique, saint  Paul  est,  sans  contredit,  celui  que  nous  connaissons  le  mieux. 
Saint  Luc,  dans  les  Actes,  et  plus  encore  lui-même  dans  ses  Epîtres,  ont 
dépeint  sa  personne  et  son  caractère.  Il  était  de  taille  médiocre;  il  avait 
trois  coudées,  dit  saint  Chrysostome,  et  pourtant  il  touchait  le  ciel.  Sa  phy- 
sionomie avait  plus  de  finesse  que  de  majesté,  aussi  les  Lycaoniens  le 
prirent-ils  pour  Mercure,  tandis  qu'ils  regardaient  saint  Barnabe  comme 
Jupiter,  à  cause  de  son  extérieur  plein  de  dignité.  Ses  ennemis  de  Corinthe 
reconnaissaient  la  force  et  l'énergie  de  son  âme  dans  ses  lettres  ;  mais  ils 
étaient  étonnés  de  la  faiblesse  de  son  corps  et  de  son  apparence  chétive.  Aux 
yeux  de  quelques  gens  d'un  goût  raffiné  et  difficile,  son  élocution  paraissait 
quelquefois  embarrassée,  quoiqu'elle  fût  ordinairement  abondante  et  suffi- 
samment ornée.  Absorbé  par  des  pensées  sérieuses,  il  ne  faisait  pas  beau- 
coup de  cas  de  l'éloquence  ;  mais  sa  diction  était  empreinte  d'une  certaine 
fierté,  et,  à  l'occasion,  son  langage  devenait  entraînant,  persuasif,  noble, 
sublime.  Ce  qui  donnait  plus  de  force  à  son  discours,  c'est  qu'il  avait  la 
conviction  de  posséder  l'esprit  de  Dieu  et  que  Jésus-Christ  parlait  par  sa 
bouche  :  de  là  la  confiance  qui  l'anime,  sans  jamais  lui  faire  défaut. 

Mais,  sous  cette  frêle  enveloppe  est  cachée  une  âme  forte,  un  esprit 
généreux,  un  cœur  que  rien  ne  saurait  abattre,  que  le  danger  n'étonne  et 
n'épouvante  jamais.  Si  son  corps  est  débile,  si  la  souffrance  l'accable,  il  se 
glorifie  de  ses  infirmités.  Il  sent  sa  propre  faiblesse,  mais  il  est  fort  de  la 
force  de  Dieu.  Il  montre  comme  des  souvenirs  glorieux  les  cicatrices  des 
coups  et  des  blessures  qu'il  a  reçus  dans  l'exercice  de  l'apostolat  et  dont 
son  corps  est  couvert.  Ce  sont  les  stigmates  auxquels  on  reconnaît  qu'il  est 

3.  On  montre  encore  au  voyageur  l'endroit  ou  eut  lien  l'évasion  de  l'Apôtre.  Le  long  des  muraille» 
cent  fois  réparées,  mais  dont  quelques  parties  composées  de  blocs  énormes  paraissent  devoir  être  attri- 
buées à  une  construction  phénicienne,  de  pauvres  fellahs  ont  appuyé  leurs  maisonnettes,  de  même  qu'en 
Eijypte  ils  ont  élevé  leurs  chétives  masures  sur  les  temples  et  les  palais  des  Pharaons.  Comme  au  temps 
de  saint  Paul,  il  serait  aisé  de  faire  descendre  quelqu'un  dans  les  fossés,  par-dessus  les  murs  d'enceinte, 
•ans  éveiller  le  moindre  soupçon,  en  usant  dn  mime  stratagème. 

^j£S  DES  Saints.  —  Tome  VU.  30 


466  29  JUIN. 

serviteur  d^ésus-Christ.  Quatre  fois,  comme  il  nous  l'apprend  lui-même, 
saint  Paul  fut  consolé  et  fortifié  par  des  visions  célestes;  il  eut  môme  une 
extase  oîi  il  fut  transporté  en  présence  de  la  majesté  divine,  et  entendit 
des  paroles  mystérieuses  qui  ne  pouvaient  être  répétées.  En  outre  il  était 
en  communication  directe  et  continuelle  avec  le  Sauveur  qui  lui  avait  ap- 
paru sur  le  chemin  de  Damas.  Dans  ce  commerce  surnaturel,  il  trouvait 
une  vertu  qui  ranimait  ses  forces  souvent  près  de  défaillir.  Dix  ans  environ 
avant  sa  mort,  il  avait  déjà  été  flagellé  cinq  fois  par  les  Juifs.  En  violation 
de  ses  droits  de  citoyen  romain,  trois  fois  il  fut  battu  de  verges.  A  Lystre, 
après  avoir  voulu  lui  rendre  les  honneurs  divin,  le  peuple,  par  suite  d'un 
changement  inconcevable,  le  lapida  et  le  laissa  pour  mort.  Dans  ses  voyages 
sur  mer,  trois  fois  il  fit  naufrage;  une  fois  il  passa  un  jour  et  une  nuit  à  la 
merci  des  flots,  soutenu  sur  un  débris  de  navire.  Durant  ses  pérégrinations 
apostoliques,  il  fut  enchaîné  et  jeté  sept  fois  en  prison.  Dans  les  tribula- 
tions qu'il  endure,  au  milieu  des  douleurs  qui  l'accablent,  il  voit  la  conti- 
nuation et  le  complément  des  soufl'rances  de  Jésus-Christ  dans  sa  Passion. 
Peu  lui  importe  la  vie  ou  la  mort,  pourvu  que  sa  vie  ou  sa  mort  contribue 
à  la  glorification  de  Jésus.  Il  eût  préféré  mourir  pour  être  uni  au  Christ, 
mais  il  accepte  de  grand  cœur  la  nécessité  du  travail  pour  remplir  sa 
mission. 

Vrai  modèle  de  l'Apôtre  et  du  pasteur  des  âmes,  saint  Paul  se  fait  tout 
à  tous,  se  plie  aux  circonstances,  s'identifie  avec  les  sentiments  et  les  be- 
soins de  ceux  qu'il  a  convertis  à  la  foi.  Il  garde  toujours  la  dignité  de  l'A- 
pôtre, il  est  ferme  dans  le  maintien  de  la  foi  et  les  pratiques  importantes; 
mais  pour  le  reste  il  est  indulgent,  facile,  miséricordieux.  Pour  ses  néo- 
phytes il  a  des  entrailles  de  mère.  Il  pense,  il  sent,  il  souffre,  il  se  réjouit 
avec  eux.  Au  lieu  de  leur  imposer  sèchement  des  lois,  il  s'efTorce,  en  usant 
de  toute  la  condescendance  possible,  de  les  amener  à  ne  pas  avoir  d'autre 
volonté  que  la  sienûé.  Rarement  il  use  du  commandement.  Il  semble  tou- 
jours calculer  d'avance  l'effet  de  ses  paroles,  guidé  par  son  expérience  des 
hommes,  et  par  son  amour  pour  les  nouveaux  chrétiens. 

La  suite  de  cette  histoire  va  mettre  en  évidence  tous  les  traits  du  carac- 
tère de  saint  Paul,  et  mettre  en  relief  cette  grande  figure. 

Comme  le  succès  de  la  propagation  de  l'Evangile  et  sa  consolidation 
dans  le  monde  dépendaient  surtout  de  l'unité  de  vues  et  de  directions, 
Saul  comprit  la  nécessité  de  se  mettre  en  relation  avec  saint  Pierre,  prince 
des  Apôtres  ;  dans  ce  but  il  se  rendit  à  Jérusalem  où  résidait  alors  le  chef  de 
l'Eglise.  Cette  déférence  nécessaire,  loin  de  diminuer  la  dignité  de  sa  voca- 
tion extraordinaire,  devait  donner  à  sa  prédication  une  autorité  plus  in- 
contestable. En  s'unissant  au  collège  apostolique  dans  la  personne  de  son 
chef,  il  conservait  l'unité  de  la  foi  ;  la  prédication  de  l'Evangile  aux  Gen- 
tils, dont  il  allait  être  spécialement  chargé  et  qui  devait  soulever  contre  lui 
tant  de  haines,  de  calomnies,  d'atroces  persécutions,  ne  devait  oflrir  rien 
d'anormal  aux  yeux  de  l'Eglise.  Cette  entrevue  de  Pierre  et  de  Paul,  «  la 
forme  des  siècles  futurs  » ,  selon  l'expression  de  Bossuet,  est  un  des  mo- 
ments les  plus  solennels  de  l'histoire  de  l'Eglise.  Entre  le  premier  baiser 
des  deux  Apôtres  et  leur  dernier  adieu  sur  la  voie  d'Ostie,  quand  ils  se  sé- 
parèrent pour  aller  au  martyre,  les  deux  frères  auront  fondé  Rome  chré- 
tienne et  fait  adorer  le  nom  de  Jésus  par  tout  l'univers. 

Toutefois,  quand  Saul  reparut  sur  la  scène  de  ses  anciennes  fureurs, 
toutes  les  émotions  pénibles  se  réveillèrent  :  l'ancienne  crainte  reparut, 
parce  que  sa  conversion  ne  trouvait  que  des  incrédules.  Repoussé  de  toutes 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES   GENTILS   ET  MARTYR.  46T 

parts,  il  était  dans  un  état  de  grande  perplexité,  quand  l'heureuse  rencontre 
de  Barnabe  la  fit  cesser.  Celait  un  vieil  ami,  ils  avaient  étudié  ensemble  chez 
Gamaliel,  à  ce  qu'on  pense.  Ayant  appris  sa  conversion  miraculeuse,  il  le 
prit  avec  lui,  et,  usant  en  sa  faveur  de  son  crédit  auprès  des  Apôtres,  il  le 
leur  présenta  en  leur  racontant  la  manière  dont  le  Seigneur  lui  était  ap- 
paru sur  le  chemin,  tout  ce  qu'il  lui  avait  dit  dans  cette  vision,  et  comment, 
depuis  ce  jour,  il  avait  parlé  librement  et  fortement  au  nom  de  Jésus  dans 
la  ville  de  Damas.  Pierre  et  Jacques,  ayant  appris  de  la  bouche  de  Barnabe 
le  changement  prodigieux  de  Saul,  le  reçurent  avec  joie,  le  premier  en 
qualité  de  chef  de  l'Eglise,  le  second  comme  premier  évoque  de  Jérusalem; 
il  demeura  môme  avec  saint  Pierre  pendant  quinze  jours.  Recommandé 
aux  fidèles  de  Jérusalem  par  ces  deux  grands  Apôtres,  il  put  communiquer 
avec  eux. 

A  peine  introduit  dans  cette  Eglise,  la  première  de  toutes,  Saul  ne  prit 
pas  un  instant  de  repos;  toujours  Apôtre,  il  commença  aussitôt  à  parler 
avec  force  aux  Gentils,  et  à  disputer  avec  les  Grecs  ou  Juifs  hellénistes. 
Vaincus  dans  ces  disputes  oîi  le  génie,  la  foi  et  la  science  de  Saul  brillaient 
d'un  si  vif  éclat,  dominés  surtout  par  cet  amour  de  Jésus-Christ  qui  brûlait 
son  cœur  et  donnait  tant  de  force  à  sa  parole,  les  Hellénistes  ne  purent 
souffrir  plus  longtemps  sa  présence  à  Jérusalem.  Dans  leur  impuissance  à 
lui  imposer  le  silence  par  la  parole,  ils  résolurent  de  le  faire  taire  en  le 
faisant  mourir.  Mais  Dieu  veillait  sur  son  Apôtre.  Ravi  en  extase  pendant 
qu'il  priait  dans  le  temple,  il  fut  éclairé  d'en  haut  sur  la  conspiration  clan- 
destine des  Hellénistes  et  leur  opposition  opiniâtre  à  ses  discours;  en  même 
temps,  Jésus-Christ  lui  ordonna  de  sortir  de  Jérusalem  où  jamais  il  ne  de- 
vait trouver  la  paix,  et  d'aller  annoncer  l'Evangile  aux  nations  lointaines 
auxquelles  il  devait  être  envoyé.  Les  frères  le  conduisirent  donc  à  Césarée 
de  Philippes  d'où  Saul  se  rendit  par  mer  à  Tarse,  sa  patrie.  11  y  rentra  avec 
une  science  et  une  sagesse  bien  supérieures  à  celles  qu'il  avait  emportées 
en  la  quittant.  Tarse  avait  envoyé  un  disciple  à  l'école  pharisienne  de  Ga- 
mahel  :  c'était  un  apôtre  que  Jésus  et  saint  Pierre  lui  renvoyaient. 

Mais  ce  n'était  que  pour  un  temps,  a  La  persécution  faite  du  temps 
d'Etienne  »,  dit  l'auteur  des  Actes,  «  avait  dispersé  les  fidèles.  Quelques- 
uns  s'étaient  arrêtés  en  Phénicie,  d'autres  s'étaient  retirés  dans  l'île  de 
Chypre,  d'autres  s'étaient  établis  à  Antioche  :  ils  firent  connaître  la  doc- 
trine nouvelle  aux  Juifs  seulement.  Mais  quelques  Cypriotes  et  des  Cyré- 
néens  n'hésitèrent  pas  à  annoncer  Jésus-Christ  même  aux  Grecs.  La  main 
de  Dieu  était  avec  eux,  et  beaucoup  se  convertirent  au  Seigneur  ».  Dieu 
répandit  des  bénédictions  abondantes  sur  cette  expansion  de  l'Evangile 
au-delà  des  limites  étroites  du  judaïsme,  des  coups  efficaces  étaient  ainsi 
portés  au  mur  de  séparation  élevé  entre  les  Juifs  et  les  Gentils,  et  ce  mur 
allait  bientôt  crouler  sous  les  coups  bien  plus  forts  du  grand  démolisseur 
que  Dieu  tenait  en  réserve  dans  la  ville  de  Tarse.  Cependant  le  nombre 
des  Gentils  qui  se  convertirent  à  la  foi  dans  la  métropole  de  la  Syrie  devint 
si  considérable  que  le  bruit  en  étant  parvenu  à  Jérusalem,  les  Apôtres  ju- 
gèrent nécessaire  d'envoyer  Barnabe  à  Antioche.  Originaire  de  l'île  de 
Chypre,  il  avait  une  grande  connaissance  de  la  langue  de  cette  ville,  et  il 
pouvait  travailler  efficacement  à  la  conversion  de  ses  habitants.  Son  espoir 
ne  fut  pas  déçu,  l'immense  multitude  qui  l'entendit  crut  et  se  donna  au 
Seigneur  par  son  ministère.  Mais  aussi,  il  sentait  avec  peine  que  sa  parole 
ne  suffirait  jamais  à  elle  seule  à  semer  la  vérité  dans  un  champ  vaste  comme 
celui  qu'il  avait  entrepris  de  défricher,  juste  appréciateur  du  zèle  ardent 


468  29  JUIN. 

de  Saul,  dont  il  connaissait  depuis  longtemps  la  vaste  science,  et  que  d'ail- 
leurs il  avait  entendu  à  Jérusalem,  il  jugea  sagement  qu'il  devait  l'appeler 
auprès  de  lui.  Il  se  hâta  donc  d'aller  le  chercher  à  Tarse  où  il  le  trouva 
occupé  à  évangéliser  ses  parents  et  ses  compatriotes,  il  le  prit  et  l'emmena 
avec  lui  à  Anlioche. 

C'était  une  heureuse  inspiration  d'une  âme  généreuse  toute  dévouée  à 
l'œuvre  de  la  propagation  de  la  foi;  aussi  cette  louable  initiative  eut-elle 
le  succès  le  plus  complet,  et,  pendant  l'année  qu'ils  travaillèrent  ensemble 
dans  cette  ville  célèbre,  répandirent-ils  la  lumière  divine  à  flots.  Les  dis- 
ciples devinrent  si  nombreux  qu'ils  durent  chercher  un  nom  qui  ne  pût 
être  usurpé  ni  par  les  Juifs  ni  par  les  Gentils  :  ils  furent  heureusement  ins- 
pirés d'en  haut  en  prenant  pour  la  première  fois  et  à  tout  jamais  celui  si 
glorieux  de  chrétiens,  nom  d'autant  plus  juste  qu'ils  sont  la  riche  dépouille 
arrachée  par  Jésus-Christ  au  prince  de  ce  monde. 

Tandis  que  Saul  et  Barnabe  consolidaient  par  leurs  travaux  la  nouvelle 
éplise  d'Antioche,  la  voix  du  prophète  Agabus  annonçait  qu'une  grande 
fairine  désolerait  la  terre  :  celte  prédiction  s'accomplit  en  effet  sous  le 
règ  e  de  Claude.  Elle  excita  la  pitié  des  chrétiens  d'Antioche.  Oubliant  que 
cette  calamité  pouvait  les  atteindre,  leur  charité  expansive  s'émut  de  com- 
passion sur  le  sort  des  frères  de  Judée.  Généreusement  résolus  à  prévenir 
un  malheur,  ils  travaillèrent  à  réunir  une  somme  assez  forte,  et  chargèrent 
Saul  et  Barnabe  de  porter  cette  offrande  aux  chrétiens  de  Jérusalem.  Les 
deux  envoyés  la  remirent  aux  chefs  de  cette  église,  puis  revinrent  dans  la 
capitale  do  la  Syrie,  en  compagnie  de  Jean-Marc,  parent  de  Barnabe,  qu'ils 
ramenèrent  de  la  ville  sainte.  Cette  mission  de  Saul  et  de  Barnabe  est  le 
premier  exemple  d'un  secours  d'argent  envoyé  par  une  Eglise  à  une  autre 
Eglise.  Ce  mouvement  de  compassion  spontanée  est  le  germe  des  grands 
développements  que  la  charité  chrétienne  allait  prendre  avec  son  esprit  de 
dévouement  et  de  sacrifice. 

Or,  à  mesure  que  les  travaux  des  Apôtres  donnent  à  l'Eglise  naissante 
de  plus  grands  accroissements,  la  mission  de  Saul  se  dessine  plus  nette- 
ment. Encore  confondu  avec  d'autres  ministres  sacrés,  tout  annonce  que 
sa  grandeur  apostolique  va  briller  enfin  d'un  plus  vif  éclat;  celui  qui  est 
inscrit  le  dernier  sur  la  liste  des  Prophètes  et  des  orateurs  de  l'église  d'An- 
tioche va  devenir  le  premier  et  tout  effacer. 

Le  collège  apostolique,  pour  la  diffusion  de  la  bonne  nouvelle  dans 
l'univers,  devait  être  composé  de  douze,  selon  les  desseins  du  Sauveur.  Déjà 
Matthias  avait  remplacé  l'ipôtre  infidèle,  Judas,  qui  avait  indignement  trahi 
son  Maître  et  renoncé  aux  honneurs  comme  aux  labeurs  de  l'apostolat. 
Deux  places  maintenant  étaient  vacantes  dans  le  corps  des  envoyés  par 
excellence  :  saint  Jacques  le  Majeur  venait  de  recevoir  la  couronne  du 
martyre  ;  saint  Jacques,  fils  d'Alphée,  avait  été  constitué  évêque  de  Jéru- 
salem ,  et  se  trouvait  ainsi  placé  en  dehors  de  l'action  apostolique,  auprès 
des  nations.  Or,  pendant  que  les  ministres  de  l'Evangile  accomplissaient 
devant  le  Seigneur  les  fonctions  da  leur  ministère  sacré,  c'est-à-dire  pen- 
dant qu'ils  offraient  la  liturgie  ou  la  saint  sacrifice  et  qu'ils  jeûnaient,  Dieu 
qui  dispose  des  Apôtres  eux-mêmes  selon  son  bon  plaisir,  leur  dit  par  la 
bouche  de  l'Esprit-Saint  :  «  Séparez-m3i  Saul  et  Barnabe  pour  l'œuvre  à  la- 
quelle je  les  ai  appelés  ».  Cet  ordre  divin  fut  intimé  avec  une  telle  manifes- 
tation de  la  volonté  céleste  que  tous  s'y  soumirent  avec  respect.  Les  Apôtres 
désignés  acceptèrent  avec  joie  les  travaux  et  les  fatigues  de  cet  itinéraire 
à  travers  les  nati(tns  païennes;  leur  zèle  était  préparé  à  vaincre  tous  les 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES    GENTILS   ET  MARTYR.  469 

obstacles,  à  supporter  avec  patience  toutes  les  soufl'rances.  Les  autres,  ani- 
més du  même  esprit  d'obéissance  et  de  dévouement  à  la  cause  de  l'Evangile, 
regardèrent  sans  envie  ni  esprit  d'émulation  le  choix  de  Saul  et  de  Barnabe. 
Tous  ensemble,  ayant  jeûné  et  s'étant  rais  en  prières,  ils  imposèrent  les 
mains  aux  voyageurs  apostoliques,  et  ils  les  laissèrent  aller  où  le  vent  de 
Dieu  les  poussait*.  Remplis  de  l'Esprit-Saint,  qui  les  conduisait  à  de  nou- 
velles conquêtes,  ils  prirent  le  bâton  d'Apôtres  et  partirent. 

Saul  et  Barnabe  complétaient  ainsi  le  nombre  sacré  de  ceux  qui  devaient 
être  employés  à  une  mission  active  ;  et  ils  cheminaient  déjà  vers  les  pays 
idolâtres  qu'il  s'agissait  de  conquérir,  quand  Celui  qui  avait  arrêté  Saul  sur 
le  chemin  de  Damas  ou  de  la  persécution,  voulut  le  terrasser  encore  sur 
celui  de  l'apostolat.  La  mission  de  Saul  était  si  grande,  que  Jésus,  qui  la  lui 
avait  confiée,  hésitait  à  le  croire  préparé  suffisamment  pour  une  œuvre  si 
gigantesque.  Il  semble  qu'il  manquait  à  la  perfection  de  l'ouvrage  divin  une 
dernière  entrevue,  un  sublime  adieu,  où  le  Maître  révélerait  au  disciple  les 
plus  intimes  secrets  et  où  le  disciple  assurerait  au  Maître  qu'il  l'a  parfaite- 
ment compris.  Saul  fut  donc  ravi  en  extase  jusqu'au  troisième  ciel  ;  son  âme 
fut  inondée  de  lumières  au-dessus  de  la  portée  commune  de  l'esprit  hu- 
main :  Dieu  daigna  ouvrir  à  ses  yeux  les  trésors  de  sa  grâce  et  de  sa  sagesse. 
Ce  rude  apostolat,  où  il  devait  porter  le  nom  de  Jésus-Christ  à  toutes  les 
puissances  du  siècle,  allait  l'exposer  à  tant  de  périls,  lui  faire  subir  tant  de 
contradictions  et  souffrir  tant  de  persécutions  sanglantes,  qu'il  méritait 
d'être  précédé  de  cette  vision  des  mystères  célestes.  Ce  fut  elle,  qui,  en  re- 
trempant son  âme  si  forte,  la  rendit  pour  ainsi  ^dire  invulnérable  et  la  fit 
sortir  heureusement  de  toutes  les  épreuves. 

Nous  pouvons  le  suivre  dès  lors,  prêchant  depuis  Jérusalem  jusqu'en 
Illyrie  et  dans  les  régions  environnantes,  avant  même  d'avoir  mis  les  pieds 
en  Italie,  comme  il  l'écrivait  lui-même  aux  Romains.  L'Arabie,  la  Séleucie, 
le  pays  de  Damas,  la  région  d'Antioche,  les  villes  de  l'île  de  Chypre,  de  la 
Pamphylie,  de  la  Pisidie,  de  laLycaonie,  de  la  Syrie,  de  la  Cilicie,  de  la 
Phrygie,  de  la  Galatie,  de  la  Mysie,  de  l'Achaïe,  de  l'Epire  et  des  autres 
contrées  situées  entre  Jérusalem  et  l'Illyrie,  ce  qui  embrasse  un  espace  de 
quatre  à  cinq  cents  lieues  à  la  ronde,  ont  entendu  sa  parole  apostolique  ; 
ces  régions  l'ont  vu  créant  des  Eglises  en  courant  et  faisant  surgir  du  sein 
de  l'idolâtrie  le  peuple  fidèle,  destiné  à  adorer  Dieu  en  esprit  et  en  vérité. 

Saul  et  Barnabe,  en  compagnie  de  Jean-Marc,  qui  leur  servait  de  mi- 
nistre, remplissant  la  fonction  de  catéchiste  et  pourvoyant  à  leurs  besoins 
temporels,  se  dirigèrent  d'abord  vers  l'île  de  Chypre',  patrie  de  Barnabe,  en 
passant  par  Séleucie  sur  l'Oronte,  où  ils  firent  sans  doute  quelques  conver- 
sions et  s'embarquèrent.  Ils  abordèrent  et  prêchèrent  à  Salamine,  où  les 
Juifs  possédaient  plusieurs  synagogues.  Leur  zèle  leur  fit  parcourir  rapide- 
ment l'île  entière  et  ils  arrivèrent  à  Paphos,  où  le  proconsul  Sergius  Paulus 

1.  On  volt  dans  ce  passage  des  Actes,  l'origine  des  jeûnes  et  des  prières  qne  l'Eglise  emploie  dans  les 
ordinations  :  quand  l'âme  s'e'live  à  Dieu  en  s'humiliant  dans  la  prière,  et  offre  en  hostie  vivante  un  corps 
mortifia  par  le  jeûne.  l'Esprit-Saint  se  communique  aux  fidèles  avec  une  plus  grande  abondance  de  lumièra 
et  fait  connaître  la  volonté'  de  Dieu.  On  assiste  de  plus  ici  a  la  naissance  de  la  coutume  de  l'Eglise  catlio- 
lique,  d'ordonner  ses  ministres  durant  l'oblation  des  saints  mystères;  tout  prêtre  étant  destiné  à  oflfrir  la 
sacrifice  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ,  doit  recevoir  l'ordination  au  moment  de  sou  immolation. 

Cette  imposition  des  mains  sur  Saul  et  sur  Barnabe  était-elle  une  ordination  épiscopale?  c'est  le  sen- 
timent général.  La  vocation  miraculeuse  a  l'apostolat  n'ayant  pas  exempté  Saul  de  l'obligation  de  rece- 
voir le  baptême  des  mains  d'Ananias,  on  ne  voit  pas  pourquoi  cette  même  vocation  l'aurait  exempté  da 
recevoir  1«  sacrement  de  l'Ordre.  Dans  les  vocations  même  extraordinaires,  Dieu  qui  agit  toujours  aveo 
saesure,  ne  supprime  pas  les  règles  qu'il  a  établies. 

2.  Cette  ile  de  U  Méditerranée,  situés  entre  l'Asle-Mlneura  et  la  Syrie,  a  225  kil.  sur  80,  et  compta 
•nviron  100,000  habitants. 


470  29  JUIN. 

avait  fixé  sa  résidence.  Là,  se  trouvait  le  temple  de  Vénus,  le  plus  ancien  et 
le  plus  vénéré  de  cette  abominable  idole  ;  mais  là  où  le  péché  abondait,  la 
grâce  devait  surabonder.  L'arrivée  des  deux  Apôtres  produisit  une  émotion 
profonde.  Saul  s'adressa  d'abord  aux  Israélites,  ce  qu'il  continua  de  faire 
par  la  suite  dans  toutes  les  villes  oti  existait  une  synagogue.  La  parole  du 
salut  devait  retentir  premièrement  aux  oreilles  des  fils  des  patriarches  : 
quand  ceux-ci  se  montrèrent  indociles,  il  se  tourna  vers  les  étrangers. 

Cependant,  la  réputation  des  deux  missionnaires  étant  parvenue  aux 
oreilles  du  proconsul  romain,  il  Toulut  les  voir  et  les  entendre.  Sergius  Pau- 
lus  était  un  homme  grave  et  instruit,  qui,  à  ce  qu'il  paraît,  était  versé  dans 
l'étude  des  questions  religieuses.  Dès  que  les  Apôtres  eurent  commencé  à 
lui  parler  de  Jésus-Christ,  un  juif,  nommé  Barjésu  et  surnommé  Elymas 
ou  le  Magicien,  se  mit  à  les  contredire  avec  violence.  Ne  pouvant  supporter 
plus  longtemps  l'insolence  de  cet  ennemi  furieux  de  l'Évangile,  Saul  lui 
reprocha  vivement  de  mettre  des  obstacles  dans  les  voies  du  Seigneur,  et 
le  frappa  d'aveuglement.  L'imposteur  sur-le-champ  perdit  la  vue,  et  cher- 
chait, dans  sa  marche  mal  assurée,  quelqu'un  qui  lui  donnât  la  main.  Saul 
acheva  son  œuvre,  il  instruisit  le  proconsul  qui  embrassa  le  Christianisme. 
Cette  conversion  était  propre  à  faire  une  vive  impression  ;  aussi,  Saul  en 
ressentit  un  joie  extrême.  A  partir  de  ce  jour,  le  nom  de  Saul  disparaît  en- 
tièrement de  l'histoire  ,  et  le  conquérant  apostolique,  orné  de  cette  dé- 
pouille opime,  échange  le  vocable  juif,  qu'il  tenait  de  ses  aïeux,  pour  celui 
de  Paul,  le  proconsul  qu'il  a  enfanté  à  Jésus-Christ. 

Au  sortir  de  Paphos,  Paul  et  Barnabe,  ayant  toujours  Jean-Marc  en  leur 
compagnie,  s'embarquèrent  pour  le  continent  Asiatique.  LeiA'  première  sta- 
tion sur  la  terre  ferme  fut  à  Perge,  en  Pamphylie,  la  ville  de  la  déesse  Ar- 
témis,  qu'elle  adorait  à  l'égal  de  la  Diane  d'Ephèso  ;  mais  Dieu,  qui  règle 
par  ses  décrets  le  temps  de  sa  visite,  ne  permit  pas  aux  Apôtres  de  s'arrêter 
en  cet  endroit  :  laissant  Perge  dans  son  infatuation  sans  y  faire  briller  la 
lumière,  ils  allèrent,  en  suivant  l'impulsion  de  l'Esprit-Saint,  à  Antioche  de 
Pisidie.  A  cette  époque,  Jean-Marc  quitta  ses  guides  pour  retournera  Jéru- 
salem, auprès  de  sa  mère.  Paul  fut  très-sensible  à  cette  retraite,  comme  si 
le  premier  compagnon  de  ses  voyages  eût  paru  découragé  en  face  des  dif- 
ficultés ou  céder  à  un  mouvement  d'inconstance.  Paul  était  citoyen  romain, 
il  était  assuré  de  voir  tomber  devant  lui  des  obstacles  :  aussi  Barnabe  ne  fit- 
il  pas  difficulté  de  demeurer  avec  lui.  Les  Juifs  étaient  en  nombre  à  An- 
tioche, et  ils  y  possédaient  une  synagogue  fréquentée.  Le  jour  du  sabbat, 
les  deux  missionnaires  y  entrèrent  :  l'assemblée  était  considérable.  Suivant 
la  coutume,  quand  un  Israélite  de  distinction,  venu  d'ailleurs,  se  trouvait 
dans  la  salle,  le  président  de  la  synagogue  l'invitait  à  prendre  la  parole  pour 
expliquer  à  ses  frères  le  passage  des  livres  sacrés  dont  on  faisait  la  lecture 
publique.  Ce  jour-là,  on  lut  le  chapitre  premier  du  Deutéronome  et  le 
chapitre  premier  du  prophète  Isaïe.  Paul  avait  une  réputation  d'éloquence  : 
il  fut  invité  à  faire  le  commentaire  du  texte  sacré,  et  à  prononcer  quel- 
ques paroles  d'édification.  L'Apôtre  saisit  avec  empressement  l'occasion 
d'annoncer  Jésus-Christ.  Il  se  leva  aussitôt,  et  de  la  main  imposant  le  si- 
lence :  «Enfants  d'Isra&l  »,  dit-il,  «  et  vous  tous  qui  craignez  le  Seigneur, 
écoutez-moi  ».  Ensuite,  conformément  à  une  coutume  traditionnelle  parmi 
les  descendants  d'Abraham,  il  rappela  brièvement  quelques-unes  des  grandes 
merveilles  opérées  par  Dieu  en  faveur  du  peuple  choisi.  C'était  une  espèce 
d'exordc  pour  arriver  à  prêcher  ouvertement  la  venue  du  Messie,  le  témoi- 
gnage solennel  rendu  par  Jean-Baptiste  à  Jésus-Christ,  la  mission  divine  du 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES   GENTILS   ET   MARTYR.  471 

Sauveur,  sa  passion,  sa  résurrection  glorieuse.  Si  le  Christ  a  été  livré  à  la 
mort  par  les  princes  de  sa  nation,  l'Apôtre  ne  manque  pas  de  dire  qu'ils 
l'ont  fait  par  ignorance  et  parce  qu'ils  ne  comprenaient  pas  les  prophéties. 
«  Enfin  »,  ajoute  Paul  en  terminant,  «  c'est  par  Jésus  et  en  Jésus  que  la  ré- 
mission des  péchés  nous  est  annoncée  ». 

Ce  discours  produisit  une  impression  si  profonde  dans  l'esprit  des  audi- 
teurs, qu'on  pria  les  missionnaires  de  reprendre  leurs  conférences  le  sabbat 
suivant.  Ceux  qui  avaient  fait  cette  prière  s'attachèrent  aux  deux  Apôtres 
qui  s'appliquèrent  à  développer  en  eux  ces  heureuses  influences  de  la  grâce  ; 
mais  aussi,  bon  nombre  des  membres  de  l'assemblée  s'étaient  séparés,  animés 
de  tout  autres  sentiments  :  un  rixe  était  inévitable.  Au  jour  convenu,  l'af- 
fluence  fut  énorme  :  les  Grecs  y  étaient  en  foule,  heureux  d'apprendre  que 
le  salut  leur  était  préparé,  et  que  désormais  il  n'y  aurait  plus  de  différence 
en  Jésus-Christ  entre  les  Juifs  et  les  Gentils.  Paul  n'eut  pas  plus  tôt  ouvert  la 
bouche,  qu'il  fut  arrêté  par  les  objections,  les  récriminations,  les  injures 
même  et  les  blasphèmes.  Paul  et  Barnabe  dirent  alors  avec  fermeté  à  ceux 
de  leur  nation  :  «  11  fallait  vous  annoncer  la  parole  de  Dieu  à  vous  les  pre- 
miers ;  mais  puisque  vous  la  repoussez  avec  mépris,  et  que  vous  vous  jugée 
indignes  de  la  vie  éternelle,  nous  nous  adressons  aux  Gentils,  d'après  le  pré- 
cepte du  Seigneur  ».  A  ces  mots,  beaucoup  de  Grecs  se  convertirent,  tandis 
que  les  Juifs  proféraient  des  menaces.  Alors,  suivant  la  pratique  que  Ibs 
disciples  avaient  apprise  du  Sauveur,  apôtres  et  néophytes  secouèrent  la 
poussière  de  leurs  pieds  et  se  retirèrent  à  Iconium,  capitale  de  laLycaonie. 

On  honorait  à  Iconium  %  de  môme  qu'à  Ephèse,  une  pierre  tombée  du 
ciel  et  regardée  comme  l'image  de  la  divinité.  Arrivés  dans  cette  cité,  alors 
florissante,  représentée  aujourd'hui  par  un  amasde  chétives  masures,  les 
Apôtres  entrèrent  dans  la  synagogue  et  se  mirent  à  enseigner.  Grand  nombre 
de  Juifs  et  de  Gentils  embrassèrent  la  foi.  Remplis  d'une  sainte  audace, 
malgré  les  obstacles  qu'on  leur  suscitait,  Paul  et  Barnabe  prolongèrent  leur 
séjour  de  manière  à  accroître  leurs  conquêtes  ;  les  miracles  ajoutaient  une 
autorité  singulière  à  leurs  paroles.  Telle  fut  l'agitation  qui  s'empara  des  es- 
prits à  la  vue  de  ces  prodiges  et  en  écoutant  cet  enseignement  sublime  que 
la  ville  fut  partagée  en  deux  camps  :  les  uns  étaient  ouvertement  déclarés 
pour  les  Apôtres,  les  autres  encourageaient  les  passions  des  Juifs.  Les  pré- 
jugés populaires  eurent  enfin  le  dessus  :  une  émeute  était  imminente.  Les 
prédicateurs  de  l'Evangile,  pour  éviter  de  plus  grands  maux,  s'éloignèrent 
delà  ville,  tout  en  demeurant  dans  la  même  province;  ils  se  fixèrent  à  Lystre 
et  àDerbe,  d'oh  ils  évangélisèrent  toute  la  contrée  voisine. 

Il  y  avait  à  Lystre  *  un  boiteux,  privé  dès  sa  naissance  de  l'usage  des 
jambes,  et  dont  linfirmilé  était  connue  de  tous  les  habitants.  Cet  homme 
se  faisait  remarquer  par  son  application  à  écouter  la  parole  de  Dieu.  Paul 
le  distingua  entre  tous,  et,  cédant  à  un  mouvement  intérieur  inspiré  du 
ciel,  il  lui  dit  à  haute  voix  :  a  Levez-vous  ».  Le  boiteux  se  leva  aussitôt  et  se 
mit  à  marcher.  On  comprend  mieux  qu'on  ne  saurait  l'exprimer  l'étonne- 
ment  de  l'assemblée.  La  stupéfaction  fit  bientôt  place  à  l'admiration.  Tous, 
hors  d'eux-mêmes,  ne  comprenant  pas  la  véritable  cause  de  ce  prodige, 
criaient  :  «  Des  dieux,  revêtus  de  la  forme  humaine,  sont  descendus  parmi 

1.  Aujourd'hui  Konieli,  ville  de  la  Turquie  d'Asie  (Anatolle),  chef-lien  de  l'eyalet  de  Konieh,  à  600 
kilotnëtrcs  Est  de  Smyrne;  26,900  habitants.  EvèchiS  grec.  —  Son  aom  antique  i'Iconium  a  son  étyvao- 
logie  dacs  le  mot  grec  iixu/,  image,  qui  rappelle  la  pierre  tombée  du  cielque  la  superstition  païenne 
avait  consacrée  à  la  grande  Diane,  la  divinité  plus  particulièrement  honorée  dans  ce  pays. 

S.  Aujourd'hui  Latik  (LycaooieJ. 


472  29  JUIN. 

nous  !  »  Dans  leur  enthousiasme,  ils  donnèrent  à  Barnabe  le  nom  de  Jupiter, 
à  cause  des  traits  majestueux  de  son  visage,  et  Paul  fut  saliié  du  corn  de 
Mercure,  interprète  des  dieux,  à  cause  de  son  éloquence.  Toute  la  ville  céda 
au  même  transport,  si  bien  que  le  prGtre  de  Jupiter  courut  au  temple  et  en 
amena  deux  taureaux  couronnés  de  fleurs  pour  leur  offrir  un  sacrifice.  Les 
premières  clameurs  avaient  été  poussées  en  idiome  lycaonien;  aussi  les 
Apôtres  furent-ils  surpris  et  indignés  en  voyant  les  préparatifs  d'un  tel  acte 
d'idolâtrie  :  «  Que  faites-vous?  »  s'écrièrenl-ils  en  déchirant  leur  tunique, 
«  nous  sommes  des  hommes  mortels  comme  vous;  nous  venons  précisé- 
ment vous  exhorter  à  quitter  ces  vaines  superstitions  de  l'idolâtrie  pour 
adorer  le  Dieu  vivant,  Créateur  du  ciel  et  de  la  terre  ».  Ils  eurent  beaucoup 
de  peine  à  calmer  l'effervescence  populaire.  Cependant  (triste  exemple  de 
l'inconstance  de  la  foule),  quelques  juifs  d'Antioche  et  d'Iconium  étant  sur- 
venus, réussirent  à  changer  en  une  haine  furieuse  l'admiration  tout  à  l'heure 
si  enthousiaste  des  Lycaoniens.  On  se  rua  sur  les  Apôtres.  Paul  fut  entraîné 
hors  de  la  ville,  accablé  de  pierres  et  laissé  pour  mort.  Les  disciples,  désolés, 
l'entourèrent;  mais,  à  leur  grande  joie,  les  blessures  étaient  moins  graves 
qu'ils  ne  le  craignaient.  L'Apôtre  se  releva,  rentra  avec  eux  dans  la  ville  et 
se  trouva  le  lendemain  en  état  de  partir.  Il  avait  dès  lors  un  tr.nl  de  res- 
semblance de  plus  avec  Celui  qui,  après  avoir  été  reçu  comme  roi  à  Jéru- 
salem, fut,  six  jours  après,  conduit  par  les  mêmes  personnes  sur  le  Calvaire, 
comme  un  criminel. 

A  Derbe  ^  dans  la  même  province  de  Lycaonie,  Paul  et  Barnabe  re- 
prirent avec  ardeur  le  cours  de  leurs  prédications.  La  persécution  n'avait 
nullement  refroidi  leur  zèle.  Après  avoir  opéré  de  nouvelles  conquôles  à 
l'Evangile,  ils  revinrent  à  Lystre  et  à  Iconium  confirmer  les  néophytes  dans  la 
foi,  ne  leur  laissant  pas  ignorer  qu'il  nous  faut  parvenir  au  royaume  de 
Dieu  à  travers  beaucoup  de  tribulations.  Ils  parcoururent  encore  la  Pisidie, 
la  Pamphylie,  établissant  des  évêques  et  des  prêtres  partout  oti  ils  le  jugè- 
rent utile  pour  l'avantage  de  ces  chrétientés  naissantes.  Ils  descendirent 
enfin  à  Attalie  *,  port  de  la  Méditerranée,  d'oti  ils  s'embarquèrent  pour  An- 
tioche.  Les  fidèles  de  cette  grande  ville  les  reçurent  avec  une  sainte  allé- 
gresse, après  une  absence  de  quatre  ans.  Mais  leur  âme  surabonda  de  joie, 
lorsqu'ils  apprirent  les  grandes  choses  que  Dieu  avait  opérées  par  leur  mi- 
nistère, et  la  moisson  abondante  recueillie  parmi  les  Gentils,  auxquels  était 
si  largement  ouverte  la  porte  de  l'Evangile. 

Telle  fut,  parmi  les  Gentils,  la  première  mission  de  Paul  et  de  Barnabe, 
couronnée  de  si  heureux  résultats.  Elle  ne  fut  qu'un  prélude  à  d'autres 
succès  encore  plus  remarquables,  mais  aussi  achetés  au  prix  de  plus  grands 
labeurs.  Les  deux  Apôtres  restèrent  deux  ans  au  sein  de  cette  florissante 
chrétienté  d'Antioche. 

Leur  repos  y  fut  troublé  par  des  discussions  graves  et  intestines  qui  y 
surgirent  tout  à  coup  *.  Les  ethnico-chrétiens  d'Antioche  et  les  judéo-chré- 
tiens de  Jérusalem,  les  Grecs  convertis  de  saint  Paul  et  les  Juifs  convertis  de 

1.  Cette  villa,  aujourd'hui  ruinée  et  réduite  à  l'état  de  masure,  connue  sous  le  nom  de  Bervase,  était 
alors,  par  sa  situation  sur  les  confins  de  la  Cappadoce  et  de  la  Pisidie,  rune  des  plus  agréables  de  l'Asie- 
Mineure.  Calas,  fidèle  disciple  de  saint  Paul,  était  originaire  do  Derbe. 

2.  Attalie,  située  sur  le  bord  de  la  mer,  près  du  promontoire  de  Coryce,  doit  son  nom,  d'aprbs  Pline 
(llv.  III,  c.  44),  au  roi  Attale,  son  fondateur.  Ce  nom  est  à  peine  altéré  de  nos  jours,  car  il  a  été  cliangé 
en  celui  de  Sattulie.  On  l'appelle  aussi  Sathalieli  ou  Adalia  (Anatolie),  18.000  habitants. 

3.  La  contioverse  jndéo-cliréticnne  dont  nous  voulons  parler  ici  a  été  admirablement  étudiée  et  dis. 
entée  par  M.  Tabtjé  Thomas,  vicaire  général  de  Verdun,  dans  son  savant  ouvrage  intitulé  :  Etudes  criti- 
ques sur  les  origines  du  christianisme.  Bar-le-Duc,  L.  Guérin,  1  volume. 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES    GENTILS   ET  MARTYR.  473 

saint  Jacques  allaient  se  voir  inquiétés  dans  leurs  rapports  mutuels  :  la  con- 
troverse, ou  plutôt  l'erreur  des  Judaïsants,  timide  jusqu'alors,  jetait  le 
masque  maintenant,  et  se  montrait  audacieuse.  Ces  pharisiens  convertis, 
venus  de  la  Judée  avec  leur  attachement  ridicule  pour  le  formalisme  mo- 
saïque, voulaient  étouffer  dans  des  langes  usés  le  christianisme  naissant,  le 
garrotter  dans  leurs  entraves,  l'empêcher  de  se  mouvoir  et  de  marcher  dans 
ses  libres  allures.  Pharisiens  après  comme  avant  leur  conversion,  ils  se- 
maient la  division  dans  la  chrétienté  naissante  d'Antioche,  en  soutenant  la 
nécessité  de  la  circoncision  et  des  autres  observances  de  la  loi  cérémonielle 
comme  initiation  préalable  de  l'Eglise  chrétienne,  tandis  que  saint  Paul,  le 
pharisien  converti  par  excellence,  subalternisant  le  Judaïsme  à  l'Evangile 
prétendait  délivrer  les  néophytes  de  ce  joug  usé  de  la  loi  de  Moïse.  A  l'ori- 
gine de  l'Eglise,  au  passage  du  pur  judaïsme  au  pur  christianisme,  à  la  sépa- 
ration définitive  des  deux  cultes,  cette  controverse  dangereuse  devait  néces- 
sairement surgir,  et  Paul,  que  Dieu  avait  prédestiné  plus  spécialement  à 
porter  l'Evangile  aux  Gentils,  devait  presque  seul  en  porterie  poids.  Aidé 
de  Barnabe,  il  repoussa  avec  vigueur  des  prétentions  qui  ne  tendaient  à  rien 
moins  qu'à  enchaîner  pour  toujours  le  christianisme  au  judaïsme,  l'Eglise 
à  la  Synagogue.  Mais  toute  l'éloquence  de  l'Apôtre  ne  put  réduire  au  silence 
ces  farouches  Judaïsants,  qui  redisaient  plus  haut  encore  leur  brutale  asser- 
tion, et  les  fidèles  de  l'Eglise  d'Antioche  désiraient  ardemment  une  solu- 
tion capable  de  calmer  le  trouble  de  leur  conscience.  Il  fut  donc  résolu  que 
Paul  et  Barnabe,  accompagnés  de  quelques-uns  d'entre  les  autres,  monte- 
raient à  Jérusalem,  afin  de  provoquer  sur  cette  question  fondamentale  la 
décision  des  Apôtres  et  des  anciens  ou  des  prêtres  de  cette  Eglise.  Une  déci- 
sion formelle,  partie  d'aussi  haut,  pouvait  seule  rassurer  les  timides,  donner 
un  plus  grand  poids  à  l'égalité  devant  la  foi,  prêchée  par  saint  Paul,  et 
rejeter  hors  de  l'Eglise  les  obstinés  qui  refuseraient  de  s'y  soumettre.  Nous 
voyons  l'Apôtre  donner  un  grand  exemple  du  respect  que  l'on  doit  avoir 
pour  les  jugements  de  l'Eglise,  en  se  soumettant  le  premier  à  cette  détermi- 
nation. 

Paul,  Barnabe,  Tite  et  quelques  autres  membres  de  la  députation  tra- 
versèrent donc  la  Phénicie  en  suivant  le  bord  de  la  mer  ;  remontant  ensuite 
par  la  Samarie,  ils  se  dirigèrent  vers  Jérusalem,  où  ils  furent  reçus  très-fa- 
vorablement par  l'Eglise,  les  Apôtres  et  les  prêtres.  Paul,  prenant  alors  la 
parole,  fit  le  tableau  du  succès  de  ses  premiers  travaux  apostoliques,  et  des 
prétentions  subversives  de  toute  unité  de  quelques  convertis  de  la  secte  des 
Pharisiens.  Les  Apôtres  qui  résidaient  alors  à  Jérusalem  étaient  Pierre, 
Jacques  et  Jean,  regardés  comme  les  colonnes  de  l'Eglise.  Ils  aperçurent 
clairement  la  gravité  de  la  question  soulevée  par  les  Judaïsants,  et  résolu- 
rent de  s'assembler  pour  la  résoudre  après  l'avoir  préalablement  considérée 
sous  toutes  ses  faces.  C'était  le  premier  Concile  apostolique  tenu  par  le  pre- 
mier pape.  Après  les  débats,  Pierre,  chef  de  l'Eglise,  se  leva,  développant 
cette  proposition  que  les  Juifs  ne  devaient  pas  imposer  aux  Gentils  un  joug 
qu'ils  n'avaient  pu  supporter  eux-mêmes.  'Toute  la  multitude  des  auditeurs 
se  tut,  approuvant  ainsi  le  dogme  à  jamais  incontestable  de  la  prééminence 
absolue  de  la  foi  sur  la  loi  de  Moïse.  Pierre  avait  décidé  le  principe,  Paul  et 
Barnabe  montrèrent  son  application  heureuse  en  racontant  à  l'assemblée 
tous  les  prodiges  que  Dieu  avait  opérés  par  leur  ministère  chez  les  Gentils, 
sans  qu'ils  les  eussent  soumis  au  joug  grossier  de  la  circoncision  et  des 
observances  légales.  Saint  Jacques,  défenseur-né  des  judéo-chrétiens,  en  sa 
qualité  d'évêque  de  Jérusalem,  et  journellement  témoin  de  leurs  suscepti- 


474  29  JUIN. 

bililés,  proposa  une  transaction  qui  n'arrôlerait  en  rien  la  décision  dogma- 
tique, estimant  qu'il  fallait  écrire  aux  Gentils  de  s'abstenir  des  souillures  des 
idolâtres,  de  la  fornication,  des  chairs  étouffées  et  du  sang.  La  décision 
de  saint  Pierre  et  l'amendement  de  saint  Jacques  ayant  été  générale- 
ment applaudis  des  membres  du  Concile,  une  lettre  encyclique  fut  rédigée 
qui  en  exposait  les  canons,  et  deux  des  principaux  frères,  Jude  et  Silas, 
furent  choisis  pour  aller,  avec  Paul  et  Barnabe,  la  transmettre  aux  fidèles 
d'Antioche.  Dès  leur  arrivée  dans  cette  ville,  leur  premier  soin  fut  de  réunir 
toute  la  multitude  des  frères,  principalement  ceux  dont  la  conscience  avait 
été  troublée  par  les  judaïsants,  et  de  leur  remettre  la  lettre  synodale.  En 
prenant  connaissance  de  cette  décision  si  sage,  ils  furent  remplis  d'une  joie 
inexprimable  :  désormais  ils  étaient  consolés  et  raffermis  dans  leur  foi. 
Jude  retourna  à  Jérusalem  :  Silas  s'attacha  à  Paul  et  resta  à  Antioche. 
Paul  et  Barnabe  y  prolongèrent  également  leur  séjour  :  aidés  de  plusieurs 
autres  prédicateurs,  ces  Apôtres  enseignaient  et  annonçaient  sans  interrup- 
tion la  parole  du  Seigneur. 

Cependant  saint  Pierre,  averti  de  raccroissement  prodigieux  de  la  chré- 
tienté d'Antioche,  et  ne  pouvant  oublier  cette  église  oti  il  avait  établi  sa 
première  chaire  avant  de  la  transférer  à  Rome,  vint  la  visiter.  La  voyant 
composée  principalement  de  chrétiens  incirconcis,  il  jugea  convenable  de 
converser  et  de  manger  librement  avec  eux  ;  mais  ces  dispositions  changè- 
rent, quand  des  zélateurs  ardents  de  la  loi  arrivèrent  de  Jérusalem,  où  les 
judéo-chrétiens  observaient  encore  les  prescriptions  de  la  loi  de  Moïse. 
Pierre,  spécialement  chargé  de  prêcher  l'Evangile  aux  Juifs,  cédant  peut- 
être  à  la  crainte  de  les  offenser,  commença  à  se  séparer  de  la  table  des  fidèles 
sortis  de  la  gentilité  ;  il  cessa  de  manger  avec  eux.  Cette  conduite  inoppor- 
tune entraîna,  par  l'autorité  de  son  exemple,  tous  les  fidèles  sortis  du  ju- 
daïsme à  s'en  séparer  également,  en  sorte  que  Barnabe  lui-même  sentit  son 
courage  faiblir  et  commença  à  se  soustraire  à  leur  mode  de  vie.  Mais  Paul, 
plus  spécialement  chargé  de  prêcher  la  foi  aux  Gentils,  s'émut  de  l'incident, 
et  cédant  à  un  mouvement  de  zèle,  il  reprit  publiquement  le  prince  des 
Apôtres  de  cet  éloignement  dont  l'influence  pouvait  entraîner  les  chrétiens 
sortis  de  la  gentilité,  à  judaïser.  Toutefois,  cette  controverse  agitée  entre 
saint  Pierre  et  saint  Paul,  étant  une  simple  question  d'opportunité,  de  con- 
venance, et  non  de  foi,  ce  difi'érend  fut  aussitôt  terminé  ;  et  les  deux  Apôtres 
demeurèrent  toujours  étroitement  unis,  jusqu'à  ce  que  le  martyre  leur 
donnât  à  Rome  un  union  suprême. 

Ayant  pris  congé  du  chef  de  l'Eglise,  Paul  se  hâta  de  courir  après  de 
nouvelles  conquêtes.  Impatient  de  gagner  le  monde  entier  à  Jésus-Christ,  il 
proposa  à  Barnabe  d'aller  voir  les  villes  et  les  pays  où  il  avaient  porté  la  foi. 
Coopérateur  fidèle  de  Paul,  et  confident  intime  de  ses  desseins,  Barnabe 
goûta  ce  projet  ;  mais,  comme  il  voulait  emmener  avec  lui  son  parent  Jean- 
lilarc,  qui  les  avait  abandonnés  dans  leur  premier  voyage,  et  que  saint  Paul 
s'y  refusait,  ne  comprenant  pas  qu'on  pût  être  inconstant  dans  l'œuvre  de 
la  propagation  de  la  foi,  ils  convinrent  d'aller  chacun  de  son  côté,  ce  qui 
avait  du  reste,  dans  les  secrets  desseins  de  la  Providence,  l'avantage  de 
doubler  le  nombre  des  prédications.  Barnabe  prit  alors  Jean-Marc  dans  sa 
compagnie,  et  fit  voile  vers  l'île  de  Chypre,  sa  patrie,  où  il  évangélisa  les 
parties  de  la  contrée  qui  n'avaient  pas  encore  reçu  la  foi;  tandis  que  Paul, 
s'adjoignant  l'éloquent  Silas,  parlait  avec  lui,  après  avoir  été  abandonné  à 
la  grâce  de  Dieu  par  ses  frères.  En  traversant  la  Cilicie  et  la  Syrie,  il  raffer- 
mit les  églises  dans  la  foi,  et  ordonna  aux  fidèles  sortis  du  paganisme,  de 


SAINT  PAUL,   APOTRB  DES   GENTILS  ET  MABTTR.  475 

garder  inviolablomcnt  les  préceptes  des  Apôtres  et  des  prêtres,  rédigés  au 
concile  de  Jérusalem,  sans  s'arrêter  aux  discours  téméraires  des  judaïsants. 
Continuant  son  itinéraire,  il  alla  à  Derbes,  et  de  cette  ville  il  se  rendit  à 
Lystre,  terme  de  sa  première  mission.  Il  y  rencontra  un  disciple  appelé 
Timothée,  fils  d'un  père  gentil  et  d'une  mère  juive  nommée  Eunice.  Celle- 
ci  avait  mis  tous  ses  soins  à  l'élever  saintement  dans  l'étude  des  divines 
Ecritures,  les  exercices  de  la  piété,  la  crainte  et  l'amour  du  Seigneur.  Frappé 
de  la  maturité  de  son  esprit,  l'Apôtre  le  jugea  capable  de  porter  la  parole 
et  d'opérer  des  conversions  ;  il  le  prit  avec  lui,  lui  imposa  les  mains  malgré 
sa  jeunesse,  et,  consultant  l'utilité  de  la  religion,  il  fit  spontanément  ce 
qu'il  avait  refusé  dans  une  autre  rencontre  aux  judaïsants  de  Jérusalem, 
donnant  lui-même  la  circoncision  à  son  nouveau  disciple,  afin  qu'il  pût, 
sans  obstacles,  prêcher  dans  les  synagogues.  Paul  avait  désormais  avec  lui 
deux  grands  ouvriers  évangéliques  :  sa  seconde  mission  allait  commencer. 

Ce  second  voyage  apostolique  devait  avoir  des  résultats  plus  considé- 
rables encore  que  le  premier.  De  cette  époque,  en  effet,  date  la  fondation 
des  grandes  Eglises  de  la  Macédoine  et  de  la  Grèce  proprement  dite.  Le  pa- 
ganisme allait  être  vaincu  dans  les  capitales  de  la  philosophie  et  de  la  civi- 
lisation antiques,  Athènes,  Corinthe  et  autres  cités  renommées. 

Les  Apôtres  traversèrent  donc  la  Phrygie  et  la  Galatie  en  commençant 
à  y  prêcher  l'Evangile  ;  mais  bientôt,  le  Saint-Esprit  qui  dirigeait  tous  leurs 
mouvements,  leur  défendit  d'annoncer  la  parole  de  Dieu  en  Asie.  Ils  se  dis- 
posaient à  passer  en  Bithynie,  d'où  ils  auraient  pu  gagner  Pergame,  quand 
la  môme  défense  leur  fut  intimée.  Dieu  prévoyait  sans  doute  que  les  habi- 
tants de  ces  contrées  étaient  disposés  à  mépriser  sa  parole,  et  il  attendait 
des  temps  meilleurs  avant  de  la  leur  faire  annoncer.  Fidèle  à  l'ordre  divin, 
Paul,  laissant  la  Bithynie,  descendit  avec  ses  coopérateurs  à  Troade,  ville 
maritime  de  la  petite  Phrygie  et  capitale  de  la  Troade.  Il  y  eut  pendant  la 
nuit  une  vision  qui  lui  fit  changer  entièrement  son  itinéraire  apostolique. 
Un  homme  de  la  Macédoine  se  présenta  devant  lui  et  lui  fit  cette  prière  : 
«  Passez  en  Macédoine  et  secourez-nous  ».  Or,  toujours  des  signes  certains 
empêchaient  l'Apôtre  de  confondre  des  visions  divines  reçues  pendant  le 
sommeil  avec  les  visions  enfantées  par  des  songes  ordinaires.  Aussi,  cet 
ordre  fut  à  peine  manifesté  aux  ouvriers  évangéliques,  qu'ils  se  disposèrent 
à  partir,  tant  il  leur  tardait  d'aller  répandre  la  parole  dans  cette  Macédoine, 
prémices  de  la  Grèce  d'Europe,  oh  de  nombreuses  Eglises  devaient  être 
fondées  par  leurs  travaux. 

Cependant  saint  Luc,  un  des  soixante-douze  disciples,  émerveillé  des  tra- 
vaux apostoliques  de  Paul  qu'il  avait  connu  à  Antioche,  sa  ville  natale,  était 
à  la  recherche  de  ce  grand  propagateur  de  l'Evangile.  Il  le  rencontra  à 
Troade  et  ne  le  quitta  plus,  se  faisant  dès  lors  le  compagnon  de  ses  souf- 
frances et  l'historien  de  sa  vie.  Paul,  Silas,  Timothée  et  Luc,  s'étant  donc 
embarqués  à  Troade,  firent  voile  directement  vers  Samothrace  ;  le  lende- 
main ils  abordèrent  à  Néapolis,  mais  ne  s'y  arrêtèrent  pas,  impatients  d'ar- 
river à  Philippes,  colonie  romaine  et  première  ville  de  cette  partie  de  la 
Macédoine.  Saint  Paul  était  dans  l'usage  d'aller  d'abord  dans  les  villes  les 
plus  populeuses  ou  les  plus  centrales  y  former  des  Eglises  influentes,  dont 
l'action  salutaire  se  ferait  sentir  alentour.  En  sa  qualité  de  citoyen  romain, 
il  s'arrêta  volontiers  à  Philippes,  oti  se  trouvaient  un  nombre  considérable 
de  citoyens  romains  ;  ils  étaient  gouvernés  selon  les  lois  et  les  coutumes  de 
Rome.  Dans  les  occasions  favorables,  l'Apôtre  n'hésitait  pas  à  faire  servir 
au  succès  de  l'Evangile  co*.  ?!yâiitage  terrestre  d'uu  si  grand  prix  à  cette 


476  29  JUIN. 

époque  où  une  foule  immense  d'hommes  en  étaient  privés.  Or,  le  premier 
jour  de  sabbat  qui  suivit  leur  arrivée,  Paul,  accompagné  de  Silas,  de  Timo- 
thée  et  de  Luc,  sortit  de  la  ville  et  se  rendit  auprès  de  la  rivière  où  était 
situé  le  lieu  ordinaire  de  la  prière  des  Juifs.  S'étant  assis,  les  Apôtres  par- 
lèrent de  la  foi  aux  femmes  qui  y  étaient  déjà  assemblées,  attendant  que  le 
peuple  fût  arrivé.  Une  de  ces  femmes,  nommée  Lydie,  docile  à  la  vérité 
dont  l'illumination  soudaine  chassait  les  ténèbres  de  son  âme,  crut  en 
Jésus-Christ  avec  une  foi  parfaite  et  se  trouva  digne  d'être  baptisée,  elle 
et  toute  sa  famille.  Manifestant  alors  sa  foi  par  une  action  de  charité,  elle 
obligea  Paul  et  ceux  de  sa  compagnie  à  prendre  un  logement  chez  elle. 

Ce  premier  succès,  prémices  de  plusieurs  autres,  irrita  l'ennemi  du 
salut  ;  cet  instigateur  de  troubles  en  suscita  un  très-grand,  dans  l'espoir  de 
mettre  un  terme  aux  progrès  de  la  foi  :  une  jeune  fille  possédée  de  l'esprit 
de  Python  fut  l'instrument  dont  il  se  servit  dans  le  but  de  ruiner  la  cause 
de  l'Evangile.  Cette  fille,  ayant  un  jour  rencontré  dans  les  rues  de  la  ville 
saint  Paul  et  ceux  qui  étaient  avec  lui,  se  mit  à  les  suivre  en  criant  :  «  Ces 
hommes  sont  les  serviteurs  du  Dieu  Très-Haut,  et  ils  nous  annoncent  la  voie 
du  salut  ».  Elle  continua  de  la  sorte  pendant  quelques  jours.  Saint  Paul  la 
laissa  dire  d'abord  :  c'était  en  effet  une  chose  remarquable  que  d'entendre 
la  vérité  publiée  par  le  père  du  mensonge.  Mais  voyant  que  le  démon  con- 
tinuait toujours  et  s'arrogeait  ainsi  une  fonction  qui  ne  lui  appartenait  pas, 
il  lui  commanda  au  nom  de  Jésus-Christ  de  sortir  de  cette  fille  dont  l'état 
lui  faisait  d'ailleurs  compassion,  imitant  en  cela  son  divin  Maître,  qui  avait 
fait  taire  les  démons,  même  lorsqu'ils  publiaient  qu'il  était  le  Messie  et  la 
Fils  de  Dieu.  Vaincu  par  la  puissance  du  nom  de  Jésus-Christ,  le  démon  sor- 
tit à  l'instant  du  corps  de  cette  possédée  ;  mais  les  maîtres  de  cette  fille, 
fâchés  de  se  voir  privés  tout  à  coup  des  gains  illicites  que  sa  faculté  leur 
permettait  de  réaliser,  et  colorant  leur  avarice  de  l'apparence  du  zèle  pour 
la  religion  de  leur  pays,  ameutèrent  la  populace  et  traînèrent  les  Apôtres 
devant  les  magistrats  qui,  sans  vouloir  les  entendre,  les  firent  frapper  de 
verges  comme  des  séditieux.  Luc  et  Timothée  ne  furent  pas  soumis  à  cette 
flagellation  ;  se  trouvant  en  arrière  de  Paul  et  de  Silas,  ils  furent  séparés 
d'eux  par  le  mouvement  impétueux  de  la  foule.  Cependant  les  magistrats, 
non  contents  d'avoir  couvert  le  corps  de  leurs  victimes  de  plaies  nombreuses, 
ajoutant  injustice  à  injustice,  les  envoyèrent  en  prison,  avec  ordre  au  geôlier 
de  les  garder  étroitement.  Celui-ci  exécuta  cet  ordre  avec  une  rigueur 
inouïe  ;  il  mit  les  saints  personnages  dans  un  cachot  noir,  espèce  de  prison 
dans  une  prison,  et  leur  serra  les  pieds  dans  des  ceps  de  bois  qui  les  empê- 
chaient de  remuer  et  les  obligeaient  à  demeurer  couchés  sur  le  dos.  Ce 
luxe  de  précautions  était  inutile,  ni  Paul  ni  Silas  n'avaient  l'idée  de  fuir. 
Au  milieu  des  ténèbres  de  la  nuit  et  au  sein  d'horribles  douleurs,  ils  célé- 
braient, par  des  hymnes  pieux,  la  faveur  insigne  que  le  Sauveur  venait  de 
leur  accorder  en  leur  faisant  partager  ses  souffrances.  Soudain  il  se  fit  un 
tremblement  de  terre  violent  :  les  fondements  de  la  prison  en  furent  ébran- 
lés, toutes  les  portes  s'ouvrirent,  et  les  liens  de  tous  les  prisonniers  furent 
rompus.  Le  geôlier,  s'étant  éveillé,  trouva  les  portes  de  la  prison  ouvertes, 
et  s'imaginant  que  tous  ceux  qui  étaient  sous  sa  garde  et  dont  il  répondait 
sur  sa  vie,  s'étaient  échappés,  il  prit  de  désespoir  son  épée  pour  se  tuer; 
mais  Paul,  averti  par  l'Esprit  de  Dieu,  lui  cria  avec  force  :  «  Ne  vous  faites 
point  de  mal,  car  nous  sommes  tous  ici  ».  Touché  de  ce  prodige,  le  geôlier, 
ayant  demandé  de  la  lumière,  entra  et  se  jeta  tout  tremblant  aux  pieds  de 
saint  Paul  et  de  Silas  ;  puis,  les  tirant  à  la  hâte  de  cette  basse  fosse  où  il  les 


SAINT  PAUL,    APÔTRE  DES   GENTILS  ET  MARTYR.  477 

avait  jetés,  il  leur  demanda  ce  qu'il  devait  faire  pour  ùtvtà  sauvé.  Saint 
Paul,  qui  se  connaissait  si  bien  en  cris  partis  du  fond  du  cœur,  lui  répondit 
avec  Silas  :  «  Crois  au  Seigneur  Jésus,  et  tu  seras  sauvé,  toi  et  ta  famille  ». 
Ils  se  mirent  à  l'instruire,  lui  et  tous  ceux  qui  étaient  dans  sa  maison,  et  ils 
reçurent  le  baptême.  Le  jour  étant  venu,  les  magistrats  envoyèrent  dire  au 
geôlier  de  laisser  aller  les  deux  prisonniers  de  la  veille  ;  mais  Paul  qui 
avait  supporté  sans  se  plaindre  les  mauvais  traitements,  refusa  de  sortir, 
disant  qu'il  était  bien  étrange  qu'on  eût  emprisonné  des  citoyens  romains 
sans  leur  faire  de  procès  et  qu'on  prétendît  encore  les  renvoyer  secrète- 
ment de  prison  sans  leur  faire  aucune  sorte  de  réparation.  Il  agit  de  la 
sorte  pour  intimider  les  juges  et  les  rendre  plus  doux  envers  les  chrétiens  à 
l'avenir.  Les  magistrats,  qui  avaient  manqué  doublement  aux  lois,  en  refu- 
sant d'entendre  et  en  faisant  battre  de  verges  un  citoyen  romain,  vinrent 
en  personne  à  la  prison  et  prièrent  les  Apôtres  d'en  sortir,  et,  quand  il» 
furent  dehors,  ils  les  conjurèrent  de  se  retirer  de  leur  ville,  craignant  que 
cette  affaire  ne  fît  du  bruit  et  ne  leur  fût  fâcheuse.  Saint  Paul  n'insista  pas 
pour  y  demeurer  davantage  ;  il  retourna  seulement  chez  Lydie,  la  femme 
qu'il  avait  convertie,  pour  prendre  congé  d'elle  et  des  fidèles  qu'il  avait  ga- 
gnés au  Seigneur  :  il  y  retrouva  Luc  et  Timothée.  Tous  ces  néophytes  ayant 
été  consolés  et  fortifiés  dans  leur  foi,  les  saints  missionnaires  partirent, 
heureux  de  laisser  dans  cette  ville  une  chrétienté  florissante.  On  voit,  par 
l'épître  que  saint  Paul  écrivit  plus  tard  aux  Philippiens,  que  cette  Eglise  se 
maintint  et  porta  toujours  une  vive  affection  à  son  fondateur. 

Les  intrépides  voyageurs,  dirigeant  alors  leur  itinéraire  apostolique  vers 
le  midi,  pénétrèrent  plus  avant  dans  la  Macédoine,  et  traversant  Amphipolis 
et  Apollonie,  ils  vinrent  à  Thessalonique  où  ils  annoncèrent  hardiment 
l'Evangile,  développant  le  dogme  de  la  nécessité  des  souffrances  de  Jésus- 
Christ,  de  sa  mort  et  de  sa  résurrection  d'entre  les  morts.  Plusieurs  crurent 
à  cette  parole  puissante  et  se  joignirent  à  l'Apôtre  et  à  Silas  après  leur  con- 
version. Ces  succès  naissants  étaient  de  nature  à  raviver  la  haine  tenace  des 
ennemis  de  Paul,  Ils  excitèrent  un  grand  tumulte  dans  la  ville,  et,  furieux, 
se  ruèrent  sur  la  maison  de  Jason,  juif  converti  qui  avait  donné  l'hospitalité 
à  Paul  et  à  Silas  ;  mais  ils  n'y  trouvèrent  pas  leurs  victimes.  Les  frères  qui 
avaient  soustrait  les  Apôtres  à  une  mort  violente,  les  conduisirent  hors  de 
la  ville,  sur  la  route  de  Bérée,  on  les  deux  Apôtres  dirigèrent  leurs  pas.  Le 
zèle  pour  le  salut  des  âmes  qui  les  dévorait,  semblable  à  la  flamme  qui  plus 
elle  est  poussée  par  le  vent  plus  elle  croît  et  embrase  tout  ce  qu'elle  ren- 
contre, les  poussa  dans  la  synagogue  où  Paul  parla  avec  énergie  sur  le  Mes- 
sie dont  il  montra  tous  les  caractères  dans  Jésus- Christ.  Les  Juifs  de  Bérée^ 
d'un  naturel  plus  doux  que  ceux  de  Thessalonique,  montrèrent  un  grand 
amour  pour  la  vérité  :  Sosipâtre,  fils  de  Pirrhus  et  parent  de  saint  Paul  qui 
en  parle  dans  son  épître  aux  Romains,  fut  au  nombre  de  ceux  qui  se  con- 
vertirent. Les  émeutiers  de  Thessalonique  accoururent  à  Bérée  pour  y  con- 
tinuer leurs  violences  :  mais  ces  forcenés  ignoraient  que  l'Evangile  ne  peut 
être  supprimé  par  une  émeute.  Les  frères  se  hâtèrent  de  faire  sortir  l'Apôtre, 
pendant  que  Silas  et  Timothée  demeuraient  dans  la  ville,  et  par  leur  pré- 
sence empêchaient  la  cause  de  Jésus-Christ  d'y  péricliter.  Paul  arriva  sans 
encombre,  par  voie  de  terre,  jusqu'à  Athènes  :  là  il  renvoya  ceux  qui 
l'avaient  accompagné,  en  les  priant  de  dire  à  ses  deux  auxiliaires,  dans  la 
prédication  de  l'Evangile,  de  venir  le  rejoindre  au  plus  tôt,  car  Athènes 
offrait  une  moisson  grande  et  difficile  à  cueillir  ;  elle  exigeait  de  grands 
ouvriers. 


478  2y  JUIN. 

Athènes,  capitale  de  TAttique,  était  située  à  peu  de  distance  de  la  mer, 
dans  un  territoire  stérile.  Cécrops,  son  fondateur,  lui  apporta  le  culte  de 
Minerve.  Au  moment  où  l'Apôtre  y  parut,  elle  était  bien  déchue  de  son 
ancienne  splendeur,  et  n'avait  guère  conservé  que  ses  monuments  et  son 
beau  langage,  ses  philosophes,  ses  sophistes,  son  amour  des  nouveautés,  sa 
loquacité  et  son  esprit  moqueur.  En  attendant  l'arrivée  de  Silas  et  de  Ti- 
mothée,  saint  Paul  se  mit  à  parcourir  cette  ville  dans  le  but  de  se  rendre 
compte  de  l'esprit  religieux  de  ses  habitants.  En  homme  profond  et  expé- 
rimenté, il  sondait  le  terrain.  Un  triste  mélange  de  ténèbres  et  de  lumière, 
tel  fut  le  spectacle  qui  s'offrit  à  ses  yeux.  Certes  il  y  avait  beaucoup  à  faire, 
mais  pour  cela  il  fallait  affronter  les  moqueries  des  Athéniens  :  celui  qui 
n'avait  pas  faibli  devant  la  prison  et  les  verges,  aurait  eu  garde  de  reculer 
devant  l'esprit  moqueur  du  peuple.  Fidèle  donc  à  l'ordre  divin,  Paul  com- 
mença sa  prédication  par  les  Juifs  ;  les  jours  de  sabbat,  il  allait  dans  les  sy- 
nagogues discourir  avec  eux  et  avec  les  Grecs  qui  craignaient  Dieu  ;  les 
autres  jours  de  la  semaine,  il  abordait  les  philosophes  et  les  autres  habitants 
d'Athènes  qu'il  rencontrait  au  Forum.  Parmi  les  philosophes,  les  Stoïciens  et 
les  Epicuriens  se  partageaient  l'arène.  Pouvait-il  espérer  de  persuader  la  mor- 
tification des  sens  aux  Epicuriens,  et  la  soumission  aux  décrets  de  la  Provi- 
dence aux  Stoïciens,  les  plus  orgueilleux  des  hommes  ?  En  lui  entendant  parler 
de  la  pénitence  et  de  la  résurrection  des  morts,  les  uns  disaient  :  «  Quel  but 
se  propose  ce  semeur  de  paroles  ?  »  Les  autres  répliquaient  ;  «  C'est  sans 
doute  un  homme  qui  annonce  des  dieux  nouveaux».  Toujours  est-il  que  les 
discours  de  l'Apôtre  piquèrent  vivement  la  curiosité  générale,  et  qu'on  le 
pria  de  monter  à  l'Aréopage.  L'Apôtre  dut  se  prêter  d'assez  bonne  grâce  à 
cette  invitation  ;  il  n'était  pas  homme  à  reculer  devant  ce  tribunal,  le  plus 
célèbre  du  monde  païen.  Chargé  de  la  grande  mission  de  rendre  témoignage 
à  Jésus-Christ  devant  toutes  les  puissances  du  siècle,  il  se  laissa  conduire 
«ans  résistance  là  où  il  pouvait  plaider  savamment  la  cause  de  son  maître. 

Debout  au  milieu  de  l'Aréopage,  l'Apôtre  flt  entendre  ce  discours  : 
«  Hommes  d'Athènes,  je  vous  vois  en  toutes  choses  superstitieux  à  l'excès, 
car,  passant  et  voyant  vos  simulacres,  j'ai  trouvé  un  autel  portant  cette 
inscription  :  Au  Dieu  inconnu.  Or,  ce  que  vous  adorez  sans  le  connaître,  moi 
je  vous  l'annonce.  Le  Dieu  qui  a  fait  le  monde  et  tout  ce  qui  est  dans  le 
monde,  étant  le  Seigneur  du  ciel  et  de  la  terre,  n'habite  pas  des  temples 
faits  de  main  d'homme  :  il  n'est  pas  honoré  par  des  mains  humaines,  comme 
s'il  avait  besoin  de  quelque  chose,  puisque  lui-même  donne  à  tous  la  vie, 
la  respiration  et  toutes  choses.  Il  a  fait  d'un  seul  tout  le  genre  des  hommes 
pour  habiter  sur  toute  la  face  de  la  terre,  déterminant  le  temps  de  leur  du- 
rée et  les  limites  de  leur  habitation  pour  chercher  Dieu  et  le  trouver  comme 
à  tâtons,  quoiqu'il  ne  soit  pas  loin  de  chacun  de  nous;  car  en  lui  nous 
vivons,  nous  nous  mouvons  et  nous  sommes,  et,  comme  certains  de  vos 
poètes  l'ont  dit  :  a  Nous  sommes  de  sa  race  ».  Etant  donc  de  la  race  de 
Dieu,  nous  ne  devons  pas  estimer  que  l'Etre  divin  soit  semblable  à  l'or,  ou 
à  l'argent,  ou  à  la  pierre  sculptée  par  l'art  et  la  pensée  de  l'homme.  Or, 
Dieu  détournant  ses  yeux  des  temps  de  cette  ignorance,  annonce  mainte- 
nant aux  hommes  que  tous  partout  fassent  pénitence,  parce  qu'il  a  décrété 
un  jour  où  il  doit  j  uger  le  monde  par  Celui  qu'il  a  établi  à  cette  fin,  et  qu'il 
a  ressuscité  des  morts  pour  le  manifester  à  tous  ». 

On  ne  saisirait  pas  le  but  de  ce  discours  si  l'on  y  cherchait  une  simple 
exposition  de  la  foi  chrétienne  ;  l'Apôtre  avait  une  autre  idée;  il  se  propo- 
sait de  réfuter  surtout  les  anciennes  erreurs  des  philosophes  et  les  opinions 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES   GENTILS   ET  MARTYB.  479 

superstitieuses  des  Athéniens  sur  la  nature  de  Dieu  ;  il  voulait  saper  par  la 
base  les  doctrines  subversives  de  Zenon  et  d'Epicure,  écraser  l'orgueil  ef- 
fréné de  l'un  et  anéantir  l'abject  matérialisme  de  l'autre,  pour  implanter 
dans  une  terre  vierge,  l'humilité  et  la  spiritualité  de  la  croix. 

Les  auditeurs  réunis  dans  l'Aréopage  demeurèrent  frappés  de  la  gravité 
et  de  l'élévation  de  cette  parole  apostolique,  si  différente  de  celle  des 
sophistes  et  des  philosophes  dont  s'amusait  le  frivole  public  d'Athènes  ;  mais 
dès  que  saint  Paul  eut  abordé  le  dogme  de  la  résurrection  des  morts, 
dogme  incroyable  aux  yeux  des  païens,  ceux-ci  tournèrent  en  dérision  le 
novateur  et  laissèrent  passer  le  moment  de  la  vérité  de  Dieu.  Quelques-uns, 
mais  en  petit  nombre,  insensibles  à  la  moquerie  athénienne,  se  joignirent  à 
l'Apôtre  et  crurent  d'une  foi  ferme  et  inébranlable.  Parmi  ces  convertis, 
saint  Luc  cite  Denys  l'Aréopagite  et  une  femme  nommée  Doraaris,  peut- 
être  son  épouse. 

Sorti  de  l'Aréopage,  Paul  rencontra  Timothée  et  Silas  qui  arrivaient  de 
Bérée  ;  il  aurait  voulu  les  retenir  près  de  lui,  mais,  impatient  de  consoler 
les  ïhessaloniciens  et  de  les  confirmer  dans  la  foi,  il  chargea  de  cette  mis- 
sion les  saints  voyageurs,  et  resta  seul  dans  Athènes  avec  saint  Luc.  Ce  sé- 
jour fut  d'environ  trois  mois.  Cependant  les  fidèles  coopérateurs  de  l'Apôtre 
accomplissaient  leur  saint  ministère  :  ils  revinrent  ensuite  dans  la  ville  où 
ils  avaient  quitté  leur  maître,  dans  l'espoir  de  l'y  retrouver  ;  mais  poussé 
par  l'Esprit,  il  était  allé  sur  d'autres  terres  y  semer  la  parole  de  vie. 

Il  était  parti  pour  Corinthe  en  passant  par  Eleusis,  la  ville  des  mystères 
et  des  initiations.  A  Eleusis,  le  temple  de  Cérès  était  le  monument  consacré 
à  l'agriculture,  et  rappelait  le  souvenir  de  Triptolème  qui,  le  premier,  en- 
seigna aux  hommes  l'art  de  cultiver  la  terre.  En  important  de  l' Asie-Mi- 
neure en  Grèce  l'orge  et  le  froment,  il  y  avait  en  môme  temps  introduit 
certaines  doctrines  religieuses  dont  les  parties  les  plus  mystérieuses  devaient 
être  révélées  aux  seuls  initiés.  Paul,  selon  la  belle  expression  d'un  Père  de 
l'Eglise  S  fut  un  nouveau  Triptolème  ;  il  devint,  dans  cette  région  de  la 
Grèce  antique,  le  grand  initiateur  aux  mystères  du  Christianisme.  L'Apôtre 
arriva  enfin  dans  Corinthe  :  c'était  une  ville  de  luxe  et  de  plaisirs,  comme 
Athènes,  et  comme  elle  aussi  une  ville  de  rhéteurs.  Comme  partout,  Paul 
s'adressa  d'abord  aux  Juifs.  Il  avait  rencontré,  fort  à  propos,  une  maison 
hospitalière  où  il  pouvait  méditer  dans  la  solitude  et  seul  avec  Dieu  les 
divins  enseignements  dont  il  étonnait  le  monde  païen  :  c'était  celle  d'Aquila 
et  de  sa  femme  Priscille,  deux  juifs  de  la  dispersion,  dont  le  métier,  comme 
celui  de  saint  Paul,  était  la  fabrication  des  tentes.  Tant  que  l'illustre  étran- 
ger demeura  dans  leur  maison,  il  travailla  avec  eux,  gagnant  sa  vie  du  tra- 
vail de  ses  mains,  plutôt  que  d'user  du  droit  qu'avaient  les  Apôtres  de  vivre 
de  l'Evangile,  tant  il  craignait  que  les  marchands  de  cette  ville,  si  habiles 
en  affaires,  osant  le  juger  d'après  leurs  idées,  pussent  s'imaginer,  s'il  avait 
agi  autrement,  que  la  prédication  était  une  spéculation  pour  lui.  Il  donnait 
donc  le  jour  à  la  parole  et  la  nuit  au  travail  des  mains.  Chaque  jour  de 
sabbat  il  se  rendait  à  la  synagogue  où  il  annonçait  Jésus-Christ  aux  Juifs  et 
aux  prosélytes.  Inhabiles  à  réfuter  les  arguments  de  l'Apôtre  et  jaloux  des 
progrès  que  le  Christianisme  ne  tarda  pas  à  faire  parmi  les  Gentils,  les 
Israélites  recoururent  à  d'autres  armes;  ils  éclatèrent  en  injures  contre  le 
prédicateur  et  en  blasphèmes  contre  la  religion  nouvelle.  Indigné,  Paul  se 
leva  au  milieu  de  l'assemblée,  secoua  ses  vêtements,  et  dit  à  haute  voix  : 
«  Que  votre  sang  retombe  sur  vos  têtes,  dès  ce  jour  je  suis  pur  et  je  passe 

1.  Saiut  Isidore  de  .Oamiette. 


480  29  JUIN. 

aux  Gentils  ».  Aussitôt  il  sortit  de  la  synagogue  et  quittant,  pour  la  cause  de 
l'Evangile,  la  maison  de  ses  hôtes  dévoués  Aquila  et  Priscille,  il  choisit, 
pour  lieu  de  réunion,  la  maison  de  Titus,  surnommé  le  Juste.  Sa  mission 
cependant  ne  fut  pas  sans  produire  de  fruits  parmi  les  fils  de  la  promesse. 
Un  chef  de  la  synagogue,  nommé  Crispus,  se  convertit  avec  toute  sa  fa- 
mille, ainsi  que  plusieurs  de  ses  coreligionnaires.  Paul  baptisa  Crispus  de 
sa  main  et  fit  baptiser  les  autres  par  ses  disciples. 

Cependant  la  chrétienté  de  Corinthe  devenait  de  jour  en  jour  plus  flo- 
rissante. L'envie  des  Juifs  ne  connut  plus  de  bornes  ;  ils  dénoncèrent  Paul 
au  proconsul  de  l'Achaïe,  l'accusant  d'enseigner  aux  hommes  une  nouvelle 
manière  d'adorer  Dieu.  Le  proconsul  était  alors  Gallion,  fils  du  philosophe 
Sénèque  ;  il  affectait  la  plus  grande  indifférence  pour  les  questions  reli- 
gieuses. L'accusé  ouvrait  la  bouche  pour  se  défendre,  quand  le  proconsul, 
interpellant  les  accusateurs,  leur  fit  cette  déclaration  :  «  S'il  s'agissait  d'un 
crime  ou  d'une  injustice,  je  vous  entendrais,  mais  pour  des  questions  de 
mots  et  votre  loi,  je  ne  veux  pas  m'en  établir  juge  :  cela  vous  regarde  ».  Et 
il  les  congédia.  Exaspérés,  ils  tombèrent  sur  Sosthènes,  prince  de  la  syna- 
gogue, et  le  chargèrent  de  coups  ;  Gallion  n'eut  pas  l'air  d'en  prendre  le 
moindre  souci.  Sosthènes  était  chrétien,  saint  Paul  en  parle  dans  sa  pre- 
mière épître  aux  Corinthiens. 

Au  milieu  du  succès  présent,  l'Apôtre  considérait  d'un  œil  attentif  l'état 
des  diverses  Eglises  fondées  par  son  zèle.  Celle  de  Thessalonique  était  dans 
un  état  prospère  et  pouvait  être  citée  comme  modèle  aux  chrétiens  de  la 
î^îacédoine  et  de  l'Achaïe.  Le  rapport  de  Timothée  et  de  Silas  sur  la  cons- 
tance dans  la  foi,  manifestée  par  les  chrétiens  de  Thessalonique  au  milieu 
des  persécutions  dont  ils  furent  l'objet  de  la  part  des  Juifs  et  des  païens, 
réjouit  tellement  le  cœur  de  saint  Paul,  qu'il  se  hâta  de  leur  en  exprimer 
toute  sa  joie.  Ces  heureux  fidèles  eurent  ainsi  les  prémices  de  la  correspon- 
dance apostolique  ^. 

Quelques-uns  éprouvaient  une  douleur  trop  vive  de  la  mort  de  leurs 
proches  ;  d'autres  avaient  de  fausses  idées  sur  la  résurrection,  sur  l'avéne- 
ment  de  Jésus-Christ  et  sur  le  jugement  dernier.  L'Apôtre,  dans  la  pre- 
mière épître,  les  loue  de  leur  fermeté  dans  la  foi,  et  leur  exprime  la  plus 
vive  affection.  Il  les  exhorte  à  ne  pas  s'attrister  outre  mesure  de  la  mort  de 
leurs  parents,  et  à  ne  pas  imiter  en  cela  les  païens  qui  n'ont  pas  d'espérance. 
La  mort  des  chrétiens  n'est  qu'un  sommeil.  Jésus-Christ,  notre  chef,  est 
ressuscité  :  ceux  qui  se  seront  endormis  dans  le  Christ,  ressusciteront  comme  lui, 
pour  rester  ensemble  éternellement  dans  le  Seigneur.  Plusieurs  fidèles  ma- 
nifestaient une  extrême  frayeur,  causée  par  une  fausse  interprétation  de 
quelques  passages  de  cette  épître.  On  peut  même  supposer  qu'une  lettre 
apocryphe,  sous  le  nom  du  grand  docteur,  avait  été  mise  en  circulation 
par  les  ennemis  de  la  foi  chrétienne,  afin  de  troubler  les  consciences.  Paul 
écrivit  la  seconde  épître  aux  Thessaloniciens  peu  de  temps  après  la  pre- 
mière. Il  n'avait  pas  dit  que  le  dernier  jour  était  proche;  mais  que  l'avé- 
nement  de  Jésus-Christ  serait  subit,  et  qu'il  ne  pouvait  être  prévu  d'avance. 
Pour  les  tranquilliser,  il  leur  fait  connaître  quels  signes  certains  doivent 
précéder  le  second  avènement  du  Christ.  Il  les  exhorte  à  ne  pas  se  laisser 
surprendre  par  de  faux  docteurs.  Qu'ils  restent  fidèles  aux  enseignements 

1.  On  pense  communément  que  saint  Luc  publia  son  Evangile  au  moment  où  saint  Paul  écrivait  ses 
deux  Kpitres  aux  Tliessaloniciens.  En  mettant  entre  le»  mains  des  fidèles  une  histoire  authentique  de  la 
Vie  <la  Sauveur,  et  un  exposé  de  ses  enseignements,  son  but  était  de  faire  tomber  dans  le  discrédit  qn'il* 
méritaient  les  récits  controuvés  et  colportés  par  de  faux  apStros. 


SAINT  PAUL,   APÔTRE  DES   GENTILS   ET  MARTYR.  481 

qu'il  leur  a  donnés  de  vive  voix,  et  aux  traditions  qu'ils  ont  apprises. 
L'Apôtre  ne  s'explique  pas  ici  plus  longuement;  ce  qui  fait  qu'il  y  a  dans 
cette  épître  des  expressions  voilées  d'une  demi-obscurité,  mais  que  ceux 
auxquels  il  s'adressait  comprenaient  sans  peine.  Avant  de  clore  sa  lettre,  il 
reprend  avec  une  sainte  vigueur  ceux  qui  se  laissaient  aller  à  une  curiosité 
inquiète,  ou  qui  s'abandonnaient  à  l'oisiveté.  Enfin,  après  avoir  apposé  sa 
signature  de  sa  propre  main,  il  les  engage  à  la  remarquer,  pour  ne  pas 
être  exposés  à  l'avenir  à  se  laisser  surprendre  par  un  faussaire. 

Corinthe  eut  le  bonheur  de  posséder  pendant  dix-huit  mois  le  grand 
semeur  d'Eglises  :  c'était  un  temps  considérable  dans  la  vie  d'un  Apôtre 
chargé  de  porter  la  foi  jusqu'aux  extrémités  du  monde,  de  l'Orient  à  l'Oc- 
cident. Cependant  il  lui  tardait  d'aller  à  Jérusalem  :  sa  pensée  était  toujours 
tournée  vers  cette  cité  mystérieuse,  théâtre  de  sa  vie  orageuse  pendant  sa 
conversion,  ville  aux  terribles  souvenirs,  où  le  christianisme  avait  pris  nais- 
sance. Après  avoir  dit  adieu  à  ses  frères,  il  se  rendit,  en  compagnie  d'Aquila, 
de  Priscille  et  de  ses  compagnons  de  voyage,  à  Cenchrée,  port  oriental  de 
Corinthe.  Il  s'y  fît  couper  les  cheveux  à  cause  d'un  vœu  qu'il  avait  fait  : 
semblable  à  celui  du  Nazaréat,  il  consistait  à  s'abstenir  de  vin,  de  toute 
liqueur  enivrante  et  même  de  raisins  secs,  à  ne  pas  couper  les  cheveux 
pendant  le  temps  de  sa  durée  ;  ordinairement  il  était  d'un  mois  entier. 
Cette  cérémonie  étant  accomplie,  l'Apôtre  s'embarqua  au  port  de  Cenchrée 
avec  Aquila  et  Priscille  et  lit  voile  avec  eux  vers  la  Syrie.  La  navigation  fut 
orageuse.  Après  avoir  traversé  toute  la  mer  Egée,  il  atteignit  Ephèse,  la 
métropole  de  l' Asie-Mineure  :  c'était  une  ville  commerçante,  riche  et  très- 
fréquentée.  Saint  Paul  comprit  l'importance  d'une  Eglise  fondée  dans  cette 
métropole  ;  les  lieux  où  il  y  avait  plus  d'activité,  de  vie  extérieure,  d'affaires 
et  de  science,  les  plus  brillants  théâtres  du  monde  dans  ce  siècle,  l'attiraient 
de  préférence.  Il  s'arrêta  quelques  jours  dans  cette  ville  ;  il  voulait  seule- 
ment y  mettre  le  pied,  la  marquer  de  son  empreinte  comme  une  terre  à 
lui,  avant  d'y  faire  un  plus  long  séjour.  A  peine  descendu  du  navire,  encore 
brisé  des  fatigues  de  la  navigation,  il  courut  à  la  synagogue  où  il  conféra 
avec  les  Juifs  d'Ephèse.  Sa  parole,  nouvelle  pour  eux,  les  charma  ;  ils  le 
prièrent  de  demeurer  plus  longtemps  avec  eux.  Volontiers  il  eut  accédé  à 
leur  prière  s'il  n'avait  eu  hâte  d'arriver  à  Jérusalem  ;  mais  il  leur  promit 
de  revenir  dans  Ephèse,  si  telle  était  la  volonté  de  Dieu. 

Après  avoir  jeté  cette  première  semence  dans  leur  cœur,  l'Apôtre  leur 
dit  adieu,  laissant  parmi  eux  Aquila  et  Priscille  avec  la  mission  de  féconder 
l'Eglise  naissante.  Le  vaisseau  qu'il  montait  avec  ses  autres  coopéraleurs 
navigua  vers  Gésarée  de  Palestine,  connue  auparavant  sous  le  nom  de  Tour 
de  Straton.  Il  y  aborda  heureusement.  Après  avoir  salué  les  fidèles  de  cette 
cité,  il  monta  à  Jérusalem  pour  y  célébrer  la  fête  prochaine,  celle  de 
Pâques,  d'après  les  uns,  celle  de  la  Pentecôte,  d'après  les  autres.  Là,  comme 
ailleurs,  son  séjour  ne  fut  pas  de  longue  durée  ;  après  avoir  salué  l'Eglise, 
il  descendit  à  Antioche  de  Syrie,  où  il  passa  quelque  temps,  raffermissant 
les  chrétiens  dans  la  foi  par  sa  parole  puissante.  En  sortant  d' Antioche,  il 
traversa  par  ordre,  et  de  ville  en  ville,  la  Galatie  et  la  Phrygie  ;  fondateur 
des  diverses  Eglises  de  ces  régions,  il  y  revenait  en  visiteur  apostolique. 

Sur  ces  entrefaites,  un  homme  du  nom  d'Apollo,  juif  de  nation  et  né 
à  Alexandrie,  arriva  à  Ephèse  ;  puissant  dans  les  Ecritures,  cet  homme 
était  très-éloquent.  11  était  instruit  dans  la  voie  du  Seigneur,  il  parlait  avec 
zèle  et  ferveur  d'esprit  ;  il  expliquait  et  enseignait  avec  soin  ce  qui  regar- 
dait Jésus,  quoiqu'il  ne  connût  que  le  baptême  de  Jean.  Aquila  et  Priscille, 
Vies  des  Saints.  —  Tome  "VU.  31 


482  29  JUIN. 

qui  remplissaient  à  Ephèse  le  ministère  apostolique  en  l'absence  de  saint 
Paul,  furent  autant  frappés  de  l'éloquence  d'Apollo  que  de  l'imperfection 
de  sa  science  ;  ils  le  prirent  chez  eux  et  lui  enseignèrent,  dans  leur  com- 
merce familier,  la  voie  de  Dieu,  c'est-à-dire  toute  la  doctrine  de  Jésus- 
Christ.  L'écolier  devint  promptement  un  grand  maître  dans  la  science  de 
la  foi  ;  avec  son  génie,  sa  bonne  volonté  et  les  lumières  de  l'Esprit  de  Dieu, 
ses  succès  furent  rapides.  Dès  que  sa  parole  fut  moins  nécessaire  à  Ephèse, 
il  résolut  de  passer  dans  l'Achaïe  et  d'y  exercer  son  apostolat.  Ce  dessein 
reçut  l'approbation  des  frères,  ils  l'exhortèrent  même  vivement  à  partir. 
Son  arrivée  à  Corinthe  fut  précédée  par  des  lettres  où  on  le  recommandait 
fortement  à  l'Eglise  de  cette  ville.  Depuis  le  départ  de  saint  Paul,  il  était  à 
craindre  que  le  mouvement  des  affaires  affaiblît  la  foi  parmi  ces  chrétiens 
exposés,  dans  celte  cité,  à  toutes  sortes  de  séductions.  L'éloquence  d'Apollo 
prévint  ce  malheur  ;  il  instruisit  les  ignorants,  il  fortifia  les  esprits  qui  faiblis- 
saient, il  triompha  de  la  contradiction  des  ennemis  de  l'Evangile.  La  célé- 
brité de  son  éloquence  et  de  son  érudition,  soutenue  par  un  zèle  véhément, 
donna  à  ce  nouvel  apôtre  une  telle  autorité  dans  l'Eglise  de  Corinthe, 
qu'aux  yeux  d'un  certain  nombre  de  fidèles  il  éclipsa  le  grand  Apôtre  lui- 
même.  L'Eglise  de  Corinthe  se  divisa  en  deux  camps  ;  l'un  des  deux  prit  le 
nom  de  cet  orateur,  par  opposition  à  saint  Paul  ;  plus  tard  un  autre  parti  se 
forma  et  prit  le  nom  de  Céphas.  L'Apôtre  fut  attristé  de  cette  rivalité  de 
noms,  sources  ordinaires  de  schismes  déplorable'.  Ce  n'est  pas  qu'il  portât 
envie  à  Apollo,  encore  moins  au  succès  de  son  éloquence,  car  il  en  parle 
avec  éloge  et  reconnaît  volontiers  dans  cet  orateur  un  digne  coopérateur 
de  ses  travaux  et  un  véritable  propagateur  de  l'Evangile. 

Cependant  saint  Paul,  selon  la  promesse  qu'il  en  avait  faite  aux  Ephé- 
siens,  s'était  rendu  dans  leur  ville.  Métropole  de  l'Asie  proconsulaire,  l'une 
des  plus  illustres  de  la  Grèce  asiatique,  cette  capitale  de  l'Ionie  était  située 
à  l'embouchure  du  Caystre,  à  une  lieue  environ  de  la  mer.  Ses  habi- 
tants s'adonnaient  à  la  recherche  des  délices  ;  on  les  accusait  de  surpasser 
toutes  les  villes  grecques  par  leur  luxe  et  le  soin  excessif  de  leur  corps  ;  ils 
portaient  à  l'excès  la  magnificence  des  vêtements  et  des  ornements  destinés 
à  les  embellir.  On  comprend  quelles  grandes  difficultés  l'Apôtre  dut  y  ren- 
contrer quand  il  s'y  établit  dans  le  dessein  d'y  prêcher  l'Evangile  et  de  lui 
inspirer  un  nouvel  esprit.  11  y  rencontra  tout  d'abord  des  disciples  au  nombre 
de  douze,  initiés  seulement  au  baptême  de  Jean.  La  demande  qu'il  leur  fit  : 
«  Avez-vous  reçu  l'Esprit-Saint  ?  »  et  leur  réponse  :  «  Nous  n'avons  pas 
même  ouï  dire  qu'il  y  eût  un  Esprit-Saint  »,  nous  les  montre  imbus  à  peine 
des  plus  faibles  éléments  de  la  foi.  Etonné  de  celte  ignorance,  saint 
Paul  continuant  de  les  interroger,  leur  dit  :  «  Quel  baptême  avez-vous  donc 
reçu  ?  »  Ils  lui  répondirent  :  a  Nous  avons  été  baptisés  du  baptême  de 
Jean  ».  L'Apôtre  se  hâta  de  compléter  leur  connaissance  du  christianisme 
à  peine  ébauchée,  en  leur  apprenant  la  différence  qui  séparait  le  baptême 
de  Jean  de  celui  de  Jésus-Ôirist.  Après  cette  instruction  préalable,  il  les 
baptisa  au  nom  de  notre  Sauveur  et  leur  imposa  les  mains  :  alors  l'Esprit- 
Saint  descendit  sur  eux  et  les  enrichit  de  ses  dons,  car  ils  parlaient  diverses 
langues  et  ils  prophétisaient. 

Habile  à  saisir  les  occasions  favorables  à  l'avancement  de  l'Evangile, 
l'Apôtre,  appuyé  sur  ce  miracle  insigne,  se  mit  à  parler  avec  plus  de  con- 
fiance aux  Juifs  et  aux  Gentils  d'Ephèse.  Plein  d'une  noble  assurance,  A 
entra  dans  la  synagogue,  où  il  jeta  aux  enfants  d'Israël  une  parole  libre  et 
hardie,  capable  de  les  convaincre  des  vérités  relatives  au  royaume  de  Dieu. 


SAINT   PAUL,    ATÔÏRE  DES   GENTILS   ET   MAnT\Tl.  483 

Pendant  trois  mois  il  continua  de  conférer  avec  eux,  ne  se  lassant  jamais, 
tant  la  confiance  dans  la  cause  qu'il  soutenait  était  inébranlable.  Hélas  !  la 
semence  de  la  parole  tomba  sur  leur  cœur  comme  sur  la  pierre.  Les  exhor- 
tations prophétiques  de  l'Apôtre  les  trouvèrent  d'abord  insensibles  comme 
des  troncs  desséchés  ;  irrités  ensuite  de  sa  constance  à  les  prêcher,  furieux 
de  ses  succès,  ils  s'efforcèrent  de  les  arrêter  par  l'arme  de  la  calomnie  ; 
puis,  par  un  contraste  artificieux,  ils  lui  opposèrent  la  peinture  brillante  de 
leur  Messie  temporel  et  de  son  prétendu  royaume  terrestre.  S'apercevant 
que  cette  lutte  exposait  ses  néophytes  à  faire  naufrage  dans  la  foi,  l'Apôtre 
y  mit  un  terme  en  les  séparant  de  ces  obstinés.  Il  se  hâta  de  transporter  sa 
chaire  de  la  synagogue  dans  l'école  de  Tyrannus.  Ce  Tyrannus  pouvait  bien 
être  un  philosophe  grec  converti  par  saint  Paul  à  Jésus-Christ,  et  qui  tenait 
une  école  littéraire.  Son  local  ayant  paru  convenable  au  dessein  de  l'Apôtre, 
il  le  mit  à  sa  disposition.  A  l'abri  désormais  d'une  opposition  violente  et 
désordonnée,  le  grand  docteur  des  Gentils  put  exposer  avec  calme  et  en 
toute  sûreté  la  voie  de  Dieu  à  tous  ceux  qui  se  réunissaient  autour  de  sa 
chaire  pour  l'entendre.  Pendant  deux  ans,  l'Apôtre  y  enseigna  tous  les 
jours,  sans  interruption,  la  doctrine  du  salut.  Tous  les  habitants  de  l'Asie, 
Juifs,  Grecs,  étrangers,  eurent  ainsi  la  faculté  d'entendre  sa  parole.  Elle 
était  soutenue  par  l'opération  de  miracles  si  nombreux  et  si  extraordinaires 
que  les  linges  qui  avaient  touché  le  corps  de  l'Apôtre,  opéraient,  par  leur 
application  sur  les  malades ,  la  guérison  de  leurs  infirmités.  Le  simple 
attouchement  de  ces  objets  avait  la  vertu  de  chasser  les  esprits  malins  du 
corps  des  possédés.  Ces  guérisons  miraculeuses  étaient  d'ailleurs  plus  néces- 
saires à  Ephèse  que  dans  d'autres  villes  :  les  magiciens  et  les  exorcistes  cir- 
culateurs  accourus  de  la  Judée  et  d'autres  contrées  abondaient  dans  cette 
métropole. 

A  l'aspect  des  nombreux  prodiges  dont  ils  étaient  lemoms  tous  les  jours, 
ces  jongleurs  s'imaginèrent  que  le  nom  de  Jésus-Christ,  employé  par  l'Apô- 
tre, était  une  simple  forme  d'incantation  plus  puissante  que  la  leur  ;  ils  cru- 
rent donc,  en  la  lui  dérobant,  pouvoir  opérer  des  effets  semblables  aux 
siens.  Ces  juifs  étaient  sept  frères  de  l'ordre  sacerdotal  et  enfants  de  Scéva, 
que  saint  Luc  appelle  prince  des  prêtres.  Ils  eurent  la  hardiesse  de  pro- 
noncer sur  les  énergumènes  et  autres  possédés  le  nom  sacré  de  Jésus,  à  la 
divinité  duquel  ils  ne  croyaient  pas,  en  leur  disant  :  a  Nous  vous  conjurons 
par  le  nom  de  Jésus-Christ,  que  Paul  prêche  ».  Cette  tentative  criminelle 
eut  une  triste  issue  ;  l'esprit  impur  dit  à  ces  méchants  hommes  :  «  Je  con- 
nais Jésus  et  je  sais  qui  est  Paul;  mais  vous,  qui  êtes-vous?  »  Aussitôt, 
l'homme  possédé  d'un  esprit  très-méchant  se  jeta  sur  deux  de  ces  exorcistes 
et  s'en  étant  rendu  maître,  il  les  traita  si  rudement  qu'ils  furent  contraints 
de  s'enfuir  tout  nus  et  blessés.  La  nouvelle  de  ce  tragique  événement  s'étant 
répandu  instantanément  dans  Ephèse,  frappa  de  crainte  les  Juifs  et  les 
Grecs  qui  l'habitaient.  Toutes  leurs  illusions  sur  la  magie  se  dissipèrent.  Ils 
glorifiaient  le  nom  du  Seigneur  Jésus  ,  beaucoup  même  venaient  et  confes- 
iaient  les  actions  criminelles  de  leur  vie  ;  d'autres  apportaient  leurs  livres  de 
magie  et  les  brûlaient  devant  tout  le  monde. 

D'après  Baronius  et  d'autres  érudits,  Apollonius.de  Thyane,  en  Cappa- 
doce,  était  à  Ephèse  vers  le  temps  de  saint  Paul  et  se  montra  l'un  de  ses 
plus  violents  adversaires.  Défenseur  du  paganisme,  il  s'efforçait  d'arrêter  sa 
décadence  ;  il  ne  pouvait  souffrir  que  l'Apôtre  détruisît  les  idoles  des  dieux 
qu'il  adorait  et  renversât  leurs  autels.  Par  ses  pratiques  et  ses  faux  miracles, 
il  cherchait  à  ruiner  ceii^  à.â.  Paul.  Outre  ce  prétendu  demi-dieu,  l'Apôtre 


484  29  JUIN. 

eut  à  combattre  des  philosophes.  La  capitale  de  l'Ionie  les  attirait  dans 
son  sein  ;  théâtre  moins  célèbre  qu'Athènes,  ils  pouvaient  néanmoins  y  jeter 
un  éclat  capable  de  satisfaire  leur  orgueil.  A  ce  double  obstacle,  saint  Paul 
opposait  une  arme  double  :  à  sa  prédication  publique  il  joignait  l'enseigne- 
ment privé,  il  exhortait  chaque  personne  en  particulier,  sa  parole  était  sou- 
vent accompagnée  de  larmes.  Aussi,  dit  l'historien  sacré,  la  parole  de  Dieu 
se  raffermissait  et  croissait  avec  force.  La  bénédiction  de  Dieu  coopérant 
avec  la  parole  de  l'Apôtre,  enfantait  ce  succès  merveilleux. 

Vers  cette  époque  (an  56)  saint  Paul  écrivit  son  épître  aux  Galates.  C'est 
celle  où  il  déploie  le  plus  de  verve.  Il  s'élève  contre  les  judaïsants  avec  une 
vigueur  qu'on  ne  rencontre  pas  au  même  degré  dans  ses  autres  épîtres.  Il 
réprimande  les  Galates  d'avoir  ouvert  si  facilement  l'oreille  à  des  doctrines 
étrangères  aux  instructions  qu'il  leur  a  données  lui-même.  «  Quand  bien 
même  »,  dit-il,  a  un  ange  descendu  du  ciel  vous  enseignerait  une  doctrine 
différente  de  l'Evangile  de  Jésus-Christ  que  je  vous  ai  annoncé,  qu'il  soit 
anathème  !  »  S'il  entre  ensuite  dans  les  détails  de  sa  conversion,  c'est  pour 
rappeler  qu'il  a  reçu  sa  mission  directement  de  Jésus-Christ.  Il  insiste  lon- 
guement sur  ce  point,  que  la  loi  ne  justifie  pas,  mais  la  foi  en  Jésus-Christ. 
Pourquoi  donc  alors  renoncer  à  la  liberté  évangélique,  pour  se  soumettre 
au  joug  de  la  loi  ancienne?  a  Sachez  »,  continue-t-il,  «  que  ceux  qui  ont 
la  foi  sont  les  vrais  fils  d'Abraham  ».  Avant  de  terminer,  il  exhorte  les 
fidèles  à  pratiquer  le  bien  envers  tous,  et  principalement  envers  ceux  qu'il 
appelle  domesticos  fidei  ;  expression  difficile  à  rendre,  mais  d'une  significa- 
tion admirable.  La  véritable  Eglise  est  la  maison  de  Dieu,  oii  se  garde  le 
dépôt  intact  de  la  foi.  Les  croyants  sont  de  la  maison  de  Dieu,  ils  appartien- 
nent vraiment  à  la  famille  du  Père  céleste  ;  ce  sont  les  domestiques  de  la  foi^ 
à  l'exclusion  des  hérétiques,  étrangers  aux  privilèges  de  la  grande  famille, 
de  laquelle  ils  se  sont  volontairement  séparés  par  leur  opiniâtreté. 

Après  la  fondation  solidement  assise  de  l'Eglise  d'Ephèse,  saint  Paul,  à 
l'aspect  de  son  état  florissant,  trouva  que,  par  sa  stabilité  dans  la  foi,  son 
amour  de  la  vérité,  la  répudiation  des  sciences  occultes  et  des  pratiques 
mauvaises,  elle  avait  atteint  à  une  haute  perfection.  Il  résolut  donc  de  par- 
tir, de  visiter  d'abord  Corinthe,  d'aller  ensuite  en  Macédoine,  puis  de  reve- 
nir de  nouveau  à  Corinthe  ;  de  cette  ville  il  voulait  gagner  la  Judée,  d'où, 
après  avoir  remis  aux  prêtres  de  Jérusalem  les  collectes  d'argent  faites  en 
Macédoine  et  en  Achaïe,  en  faveur  des  chrétiens  pauvres  de  la  première  des 
Eglises,  il  serait  parti  pour  Rome  ;  puis,  de  la  reine  des  cités  du  monde,  il 
se  serait  rendu  en  Espagne.  Tel  était  son  plan.  En  attendant  que  Dieu  lui 
permît  de  le  réaliser,  il  envoya  en  Macédoine  deux  de  ses  coopérateurs, 
Timothée  et  Eraste.  Quant  à  lui,  il  demeura  encore  pendant  un  certain 
temps  en  Asie,  avec  l'intention  de  parcourir  l'Asie  lydienne,  de  prêcher 
l'Evangile  dans  les  villes  voisines  d'Ephèse,  de  pénétrer  même  dans  la  Carie 
et  de  revenir  ensuite  à  Ephèse,  où  il  avait  résolu  de  rester  jusqu'à  la  Pen- 
tecôte. 

Saint  Paul  roulait  ces  projets  dans  son  esprit,  quand  Apollo,  qui  souf- 
frait du  grand  schisme  qui  s'était  élevé  dans  l'Eglise  de  Corinthe  à  son  occa- 
sion, vint  en  Asie  avec  d'autres  frères,  porteur  d'une  lettre  des  Corinthiens 
à  saint  Paul  :  ils  le  consultaient  au  sujet  de  la  grave  question  du  mariage  et 
du  célibat.  Telle  fut  l'occasion  qu'il  eut  d'écrire  sa  première  épître  aux 
Corinthiens  :  il  la  leur  envoya  par  Stéphanas,  Fortunat  et  Achaïque,  chré- 
tiens venus  de  Corinthe  pour  accompagner  Apollo.  Celui-ci  refusa  de  re- 
venir aussitôt;  il  ne  voulait  pas  paraître  favoriser  par  sa  présence  la  faclioû 


SAINT  PAUL,   APÔTRE  DES   GENTILS   ET  MARTYR.  483 

qui  se  couvrait  de  son  nom.  La  première  épître  aux  Corintliiens  fui  écrite 
d'Ephèse  l'an  56.  Il  revendique  toujours  la  liberté  chrétienne  en  faveur  des 
fidèles  et  résiste  énergiquement  aux  tentatives  des  judaïsants  qui  veulent 
les  asservir  au  mosaïsme.  Pour  réparer  le  scandale  du  chrétien  incestueux 
et  pour  relever  ce  malheureux  du  triste  état  où  il  était  tombé,  il  l'excom- 
munie en  usant  des  expressions  les  plus  énergiques.  A  un  désordre  si  révol- 
tant, il  fallait  une  condamnation  publique  et  une  réprobation  manifeste. 
L'Apôtre  saisit  cette  occasion  de  traiter  directement  des  devoirs  du  mariage. 
Il  donne  des  conseils  utiles  aux  époux  chrétiens.  Non  content  de  recom- 
mander la  chasteté  conjugale,  il  élève  les  esprits  à  des  pensées  plus  hautes, 
et  conseille  la  pratique  de  la  continence  parfaite  et  la  virginité  aux  âmes 
choisies  auxquelles  Dieu  inspire  l'attrait  de  cette  vertu  angélique.  Ces  avis, 
dictés  par  un  zèle  éclairé,  sont  exposés  avec  une  prudence  toute  divine.  La 
résurrection  de  la  chair  est  un  dogme  dont  les  philosophes  d'Athènes  avaient 
refusé  d'entendre  parler  dans  l'aréopage.  Saint  Paul  l'explique  par  la  com- 
paraison du  grain  de  blé.  Semé  en  terre,  le  grain  subit  une  prompte  dé- 
composition. Il  paraît  être  tombé  en  pourriture.  Mais  bientôt  il  germe, 
pousse,  verdit,  monte  et  produit  plusieurs  épis  ;  il  n'était  donc  pas  mort,  il 
éprouvait  une  transformation.  Il  saisit  l'occasion  du  désordre  des  Agapes 
pour  rappeler  aux  fidèles  de  Corinthe  le  mj'stère  de  la  table  eucharistique. 
Il  serait  impossible  d'exprimer  en  termes  plus  précis  et  plus  énergiques  la 
présence  réelle  de  Jésus-Christ  sous  les  voiles  du  sacrement.  Celui  qui  com- 
munie indignement  mange  et  boit  sa  propre  condamnation.  Avant  de 
manger  le  pain  céleste,  il  faut  s'éprouver,  c'est-à-dire  il  faut  communier 
avec  une  grande  pureté  de  conscience.  L'Apôtre  désapprouve  encore  que 
les  fidèles  portent  leurs  difl"érends  devant  le  tribunal  des  juges  païens. 
L'Eglise  est  un  tribunal  amiable,  vénéré  de  tous,  propre  à  arranger  toutes 
les  difficultés,  à  faire  réparer  les  torts,  à  rétablir  la  concorde,  à  adoucir 
des  relations  devenues  pénibles,  à  redresser,  en  un  mot,  tous  les  griefs  qui 
trop  souvent  existent  entre  les  hommes.  Il  ne  faut  pas,  d'ailleurs,  scanda- 
liser les  infidèles  en  les  rendant  témoins  des  discussions  que  l'intérêt  ou 
d'autres  infirmités  humaines  peuvent  soulever  enlre  les  disciples  du  Christ. 
Enfin,  en  présence  du  magistrat,  les  chrétiens  sont  exposés  au  péril  de 
l'idolâtrie,  en  prêtant  le  serment  judiciaire  au  nom  de  fausses  divinités. 

Rien  désormais  ne  pouvait  plus,  ce  semble,  arrêter  le  départ  du  grand 
missionnaire  ;  il  faisait  ses  préparatifs  avec  pleine  sécurité;  il  n'avait  pas  le 
moindre  soupçon  du  grand  trouble  qui  allait  traverser  la  voie  du  Seigneur. 
Une  tempête  populaire,  suscitée  par  une  des  industries  les  plus  lucratives 
d'Ephèse,  faillit  l'emporter  dans  sa  fureur.  C'était  une  ville  très-célèbre  par 
le  temple  de  Diane,  que  l'on  comptait  entre  les  sept  merveilles  du  monde. 
L'Asie  avait  employé  deux  cents  ans  à  le  bâtir,  et  toutes  ses  provinces 
avaient  contribué  à  un  si  grand  ouvrage.  Sa  longueur  était  de  quatre  cent 
vingt- cinq  pieds  et  sa  largeur  de  deux  cent  vingt.  On  y  voj'ait  cent  vingt- 
sept  colonnes,  faites  par  autant  de  rois,  dont  trente-sept  étaient  ciselées. 
Leur  hauteur  allait  à  soixante  pieds,  et  toutes  les  règles  de  l'architecture  y 
étaient  admirablement  bien  observées.  Mais  ce  qui  donnait  tant  de  réputa- 
tion à  Ephèse  était  aussi  la  caus3  de  son  malheur,  parce  que  ce  temple,  y 
attirant  des  vœux  de  toutes  les  provinces  du  monde,  la  rendait  attachée 
au  culte  des  idoles.  La  Grèce  païenne  portait  à  l'extrême  sa  vénération 
envers  cette  Diane  inanimée  ;  une  grande  affluence  d'adorateurs  accourait 
à  ce  temple  et  ne  voulait  pas  s'éloigner  d'Ephèse  sans  emporter  chez  elle 
un  souvenir  durable  de  cette  idole.  Ce  désir  superstitieux  donna  naissance 


486  29  JUIN. 

à  diverses  industries  lucratives  :  d'habiles  ouvriers  firent  des  réductions  de 
l'idole  et  du  temple  sur  une  échelle  plus  ou  moins  exiguë,  et  vendirent  une 
quantité  considérable  de  ces  édicules  d'argent.  Le  chef  de  la  corporation 
de  ces  orfèvres,  à  l'époque  où  saint  Paul  prêchait  à  Ephèse,  était  un  cer- 
tain Déméirius  ;  il  avait  une  grande  fabrique  de  petits  temples  d'argent  sur 
le  modèle  du  grand  temple  de  Diane.  Très-perspicace  sur  ses  intérêts,  il 
s'apeiçut  avec  effroi  de  la  ruine  prochaine  de  son  industrie.  On  achetait 
beaucoup  moins  de  ses  édicules,  la  vente  de  ses  produits  devenait  plus  dif- 
ficile de  jour  en  jour.  Quand  toute  l'Asie  accourait  auprès  de  la  chaire  de 
saint  Paul,  quel  auditeur,  après  l'avoir  entendu,  aurait  eu  le  courage 
d'acheter  de  pareilles  idoles?  Il  réunit  donc  ses  ouvriers,  et,  dans  une 
harangue  chaleureuse,  il  s'étudia  à  irriter  cette  masse  contre  le  grand  pré- 
dicateur. Dès  qu'ils  eurent  entendu  le  discours  de  leur  chef,  transportés  de 
fureur,  les  ouvriers  se  mirent  à  vociférer  :  «  La  grande  Diane  des  Ephésiens  I 
la  grande  Diane  des  Ephésiens!  »  Une  confusion  extrême  remplit  à  l'ins- 
tant toute  la  ville.  Les  meneurs  se  portèrent  au  théâtre  où  le  gros  du  peuple 
se  trouvait  réuni.  Dans  leur  course  tumultueuse,  ayant  rencontré  Gaïus  de 
Derbe,  et  Aristarque  de  Thessalonique,  compagnons  de  voyage  de  l'Apôtre 
et  ses  coopérateurs,  ils  se  saisirent  de  leurs  personnes  et  les  entraînèrent 
avec  eux.  Dès  que  saint  Paul  apprit  le  danger  qu'ils  couraient,  il  voulut  se 
jeter  au  milieu  de  cette  multitude  de  peuple  en  délire,  dans  l'espoir  de  les 
délivrer  ou  de  partager  leur  sort,  mais  ses  disciples  l'empêchèrent  prudem- 
ment d'affronter  cet  orage.  Enfin,  après  deux  heures  d'une  pareille  vocifé- 
ration, cette  multitude,  fatiguée  et  épuisée  par  ses  propres  cris,  prêta  enfin 
l'oreille  au  secrétaire  de  la  ville  et  laissa  tomber  sa  colère  devant  ses  pa- 
roles. La  fureur  du  peuple  était  apaisée,  et  Paul  et  ses  amis  délivrés  de  ses 
mains. 

Ce  soulèvement  avança  son  départ  de  quelques  jours  :  ayant  fait  venir 
ses  disciples,  il  leur  fit  une  exhortation  pathétique,  les  embrassa  avec  une 
piété  paternelle  et  prit  la  route  de  la  Macédoine.  Vers  cette  même  époque, 
Aquila  et  Priscille,  qui  avaient  généreusement  exposé  leur  vie  pour  le  salut 
de  saint  Paul,  sur  la  nouvelle  de  la  mort  de  Claude,  quittèrent  Ephèse  et 
revinrent  à  Rome.  La  mort  de  cet  empereur  avait  annulé  l'édit  qui  les  avait 
chassés  de  la  ville  avec  les  autres  Juifs.  Les  commencements  d'un  nouveau 
règne  étaient  favorables  à  ce  genre  de  proscrits  ;  on  fermait  les  yeux  sur 
leur  retour.  Ces  amis  dévoués  de  saint  Paul  étaient  à  Ephèse,  quand  il 
écrivit  sa  première  Epître  aux  Corinthiens  ;  leur  départ  dut  donc  coïncider 
avec  celui  de  l'Apôtre.  En  compagnie  de  Timothée,  saint  Paul  descendit 
d'Ephèse  à  Troade  ;  son  esprit  fut  comme  troublé  de  ne  pas  rencontrer 
Tite  qu'il  espérait  y  trouver  ;  après  avoir  dit  adieu  aux  fidèles,  il  monta  sur 
un  navire  qui  le  porta  en  Macédoine.  A  peine  descendu  à  terre,  il  se  mit  à 
parcourir  les  Eglises  de  cette  province,  où  il  comptait  des  amis  si  nombreux 
et  si  dévoués;  il  sema  la  parole  et  soutint  les  disciples  par  ses  puissantes 
exhortations.  C'est  à  cette  époque  que  nous  le  voyons  éprouver  intérieure- 
ment des  afQictions  et  des  frayeurs  terribles;  au  dehors  il  avait  à  souffrir 
des  combats  et  des  luttes  de  la  part  des  infidèles,  et  trop  souvent  de  la  part 
des  fidèles  encore  imparfaits;  et  au  dedans  il  éprouvait  des  craintes.  Dieu 
l'éprouvait  en  le  livrant  à  cette  désolation  intérieure,  il  fallait  lui  faire  sentir 
que  toute  sa  force  venait  de  la  grâce  et  non  de  ses  qualités  naturelles.  Heu- 
reusement l'arrivée  de  Tite  le  consola  ;  il  se  réjouit  des  heureuses  nouvelles 
qu'il  lui  apportait  touchant  l'état  des  Corinthiens.  L'exemple  de  leur  géné- 
rosité lui  servit  à  exhorter  les  Macédoniens  à  disposer  l'envoi  de  leurs  col- 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES  GENTILS  ET  MARTYR.  451 

lectes  en  faveur  de  Jérusalem  ;  il  leur  dit  que  l'Achaïe  avait  préparé  son 
envoi  dès  l'année  précédente.  Touchés  de  cet  exemple,  les  fidèles  de  la 
Macédoine  se  montrèrent  généreux  au-delà  de  leurs  forces.  Peu  de  temps 
après,  il  envoya  Tite  à  Corinthe  porter  sa  seconde  Epître  aux  Corinthiens 
(an  37),  et  le  fit  accompagner  de  saint  Luc  ;  ils  étaient  chargés  tous  deux 
de  préparer  les  collectes  des  Corinthiens.  Saint  Paul,  d'une  grande  circons- 
pection à  l'égard  des  choses  qui  prêtent  facilement  occasion  à  des  discours 
fâcheux,  voulait  que  l'administration  de  ces  sommes  d'argent  fût  mise  hors 
de  tout  soupçon.  Cette  Epître  est  remarquable  par  un  sage  mélange  de  force 
et  de  douceur,  d'indulgence  et  de  fermeté. 

Usant  d'abord  de  la  puissance  de  lier  et  de  délier,  il  lève  l'excommuni- 
cation portée  contre  l'incestueux  qui  s'était  soumis  à  la  pénitence.  Il  relève 
ensuite  la  dignité  des  ministres  du  Nouveau  Testament.  Indigné  de  ce  que 
des  hommes  superbes  et  téméraires  répandaient  la  calomnie  contre  l'Eglise 
chrétienne  et  son  sacerdoce,  il  stigmatise  d'une  manière  ineffaçable  ces 
faux  prophètes,  Juifs  d'origine,  gonflés  par  la  présomption.  Il  parle  ensuite 
de  la  patience  dans  les  tribulations,  qui  convient  au  pasteur  des  âmes. 
Enfin,  pour  que  sa  prédication  ne  reste  pas  stérile  par  sa  faute  et  ne  tombe 
pas  dans  le  mépris,  Paul  ne  fait  pas  difficulté  de  mettre  en  évidence  tout  ce 
qui  peut  le  recommander  aux  yeux  des  fidèles.  Par  sa  naissance,  il  possède 
les  mêmes  privilèges  que  ceux  de  sa  nation  :  comme  eux,  il  est  de  la  race 
d'Abraham.  Mais  ce  qu'il  estime  au-dessus  des  privilèges  de  race,  c'est  qu'il 
est  «  l'ambassadeur  de  Jésus-Christ  ».  En  cette  qualité,  il  se  glorifie  de  ses 
travaux,  des  fatigues,  des  persécutions  qu'il  a  endurées,  des  chaînes  qu'il  a 
portées,  de  la  flagellation  qu'il  a  subie  cinq  fois  de  la  part  des  Juifs.  «  Trois 
fois  »,  dit-il,  «j'ai  été  frappé  de  verges,  j'ai  été  lapidé  une  fois,  trois  fois  j'ai 
fait  naufrage,  un  jour  et  une  nuit  j'ai  été  ballotté  à  la  merci  des  vagues; 
j'ai  été  exposé  à  mille  dangers  de  la  part  des  voleurs,  de  la  part  des  Juifs, 
de  la  part  des  Gentils,  dans  les  villes,  dans  le  désert,  en  traversant  les 
rivières,  en  naviguant  sur  la  mer  ;  j'ai  supporté  les  travaux  et  les  priva- 
tions ;  j'ai  enduré  la  faim  et  la  soif;  je  me  suis  imposé  des  veilles  et  des 
jeûnes;  j'ai  souffert  du  froid  et  de  la  nudité.  Outre  ces  choses  extérieures, 
parlerai-je  de  mes  soucis  quotidiens,  et  de  ma  sollicitude  pour  toutes  les 
Eglises  ?  »  L'Apôtre  saisit  cette  occasion  pour  faire  connaître  l'extase  dans 
laquelle  il  a  été  ravi  au  troisième  ciel,  où  lui  ont  été  révélés  des  secrets 
qu'il  n'est  pas  permis  à  la  langue  humaine  de  redire.  La  glorification  du 
grand  Apôtre  est  complète.  Il  ajoute,  avant  de  terminer,  que  s'il  a  parlé 
ainsi  de  lui-même,  c'est  qu'il  y  a  été  contraint.  On  sent  qu'il  fait  violence  à 
sa  modestie,  et  qu'il  a  fallu  de  graves  raisons  pour  l'engager  à  rompre  le 
silence.  Il  peut  bien  dire  :  «  Mon  cœur  s'est  dilaté  pour  vous,  ô  Corin- 
thiens » . 

Après  avoir  parcouru  la  Madédoine  en  apôtre  et  en  ami,  Paul  vint  en 
Grèce,  c'est-à-dire  dans  l'Achaïe;  fidèle  à  sa  promesse,  il  alla  visiter  de  nou- 
veau les  Corinthiens.  D'après  saint  Augustin,  dans  ce  troisième  voyage  en 
cette  ville  il  régla  le  mode  le  plus  convenable  d'offrir  le  saint  sacrifice  et  de 
recevoir  la  sainte  Eucharistie  :  il  établit  particulièrement  la  loi  du  jeûne 
avant  la  communion.  Son  séjour  dans  ces  contrées  fut  de  trois  mois,  visi- 
tant les  églises  de  l'Achaïe  et  celles  d'Athènes,  usant  partout  de  son  auto- 
rité apostolique  dans  la  réformation  des  choses  répréhensibles,  et  recueil- 
lant les  aumônes  préparées  d'avance  dans  ces  diverses  Eglises. 

D'après  le  sentiment  général  des  exégètes,  saint  Paul  écrivit  de  Corinthe 
sa  célèbre  Epître  aux  Romains  ;  il  la  dicta  à  son  secrétaire  Tertius  sous 


488  29  jum. 

l'inspiration  immédiate  de  l'Esprit-Saint  et  la  fit  porter  à  Rome  par  Phébé, 
diaconesse  de  l'Eglise  de  Cenchrée,  le  plus  célèbre  des  deux  ports  de 
Corinthe.  La  suscription  qui  porte  qu'elle  fut  écrite  de  Gorintbe  ne  suffirait 
pas  à  elle  seule  à  désigner  exactement  le  lieu  où  il  la  dicta  ;  mais  la  recom- 
mandation de  l'auteur  de  l'Epître  d'accueillir  et  de  traiter  convenable- 
ment Phébé,  les  salutations  diverses  dans  lesquelles  l'Apôtre  rappelle  le 
souvenir  des  personnes  qui  l'accompagnèrent  de  la  Grèce  à  Jérusalem,  tels 
que  Sopâtre,  fils  de  Pyrrhus  de  Bérée,  Aristarque  et  Second  de  Thessalo- 
nique,  Gaïus  de  Derbe,  Timothée  et  Trophime  d'Asie,  démontrent,  d'après 
Origcne,  qu'elle  fut  réellement  écrite  de  Corinthe. 

L'Epître  de  saint  Paul  aux  Romains  contient  une  doctrine  très-élevée  ; 
aussi  a-t-elle  toujours  passé  pour  être  difficile  à  expliquer,  du  moins  en  cer- 
tains passages.  Les  Juifs  fixés  à  Rome,  cédant,  comme  en  beaucoup  d'au- 
tres villes,  à  un  sentiment  de  jalousie  en  vo^^ant  les  Gentils  participer  à  la 
grâce  de  l'Evangile  avec  la  même  facilité  et  la  môme  abondance  qu'eux- 
mêmes,  se  glorifiaient  outre  mesure  des  privilèges  accordés  à  leur  nation 
et  des  grâces  qu'ils  devaient  à  la  loi  mosaïque.  Ils  regardaient  comme  pro- 
fanes tous  les  peuples  du  monde,  et  quelques-uns,  par  suite  d'une  excessive 
complaisance  dans  la  gloire  de  leur  naissance  et  dans  les  promesses  faites 
à  leurs  pères,  prétendaient  que  les  nations  ne  devaient  avoir  aucune  part  à 
la  grâce  de  la  nouvelle  alliance,  tant  qu'elles  demeureraient  étrangères  aux 
observances  légales.  Les  Romains,  de  leur  côté,  entêtés  de  leur  vaine  philo- 
sophie, faisaient  valoir  le  mérite  de  leurs  philosophes  qui  avaient  découvert 
les  préceptes  principaux  de  la  morale,  par  la  seule  force  de  leur  génie,  sans 
le  secours  de  la  révélation  et  de  la  loi.  Abusant  des  faveurs  dont  ils  avaient 
été  comblés,  les  Juifs  s'étaient  montrés  fréquemment  rebelles  à  Dieu.  Les 
Gentils  avaient  adoré  Jésus-Christ  aussitôt  qu'ils  l'avaient  connu,  tandis 
que  les  Israélites  l'avaient  rejeté  et  crucifié.  Saint  Paul  humilie  les  Gentils 
en  montrant  que  les  lumières  de  leurs  philosophes  n'avaient  servi  qu'à  les 
rendre  plus  coupables.  S'ils  ont  connu  Dieu,  ils  ne  l'ont  pas  adoré  comme 
Dieu.  Ils  étaient  même  tombés  dans  des  erreurs  de  conduite  inexcusables 
et  dans  les  vices  les  plus  honteux.  L'Apôtre  ne  craint  pas  d'en  faire  l'énu- 
mération,  tant  les  désordres  de  Rome,  sous  le  règne  de  Néron,  étaient 
publics  et  généralement  connus.  Les  enfants  d'Abraham,  de  leur  côté, 
ont-ils  bien  raison  de  se  glorifier?  Non;  car  les  œuvres  sans  la  foi  en 
Jésus-Christ,  les  œuvres  purement  légales,  ne  sauraient  justifier.  Saint  Paul 
part  de  là  pour  exposer  les  mystères  de  la  prédestination  et  de  la  répro- 
bation. Mystères  terribles  !  Ici  nous  devons  nous  écrier  avec  lui  :  «  0 
profondeur  des  trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science  de  Dieu  !  Que  les 
jugements  de  Dieu  sont  incompréhensibles  et  ses  voies  inexplicables  !  »  En 
terminant  son  Epître  ,  l'Apôtre  exhorte  les  Romains  à  la  paix  ;  il  prie 
Dieu,  auteur  de  la  paix  et  de  la  concorde,  de  demeurer  avec  eux  et  de  leur 
accorder  l'esprit  d'union  et  de  charité. 

Quand  il  eut  terminé  sa  visite  apostolique  et  rafi'ermi  dans  la  foi  les 
Eglises  de  la  Grèce  et  de  la  Macédoine,  l'Apôtre  résolut  d'aller  directement 
de  Corinthe  en  Syrie  ;  un  dessein  pervers  de  ses  ennemis  l'obligea  de  chan- 
ger son  itinéraire.  Au  moment  de  se  mettre  en  route,  il  apprit  que  de  mé- 
chants Juifs  lui  avaient  tendu  des  embûches  sur  le  chemin  qu'il  devait  par- 
courir. Leur  but  était  de  s'emparer  des  collectes  d'argent  qu'il  apportait  à 
Jérusalem.  Il  retourna  donc  par  la  Macédoine,  et  se  rendit  directement  de 
cette  province  dans  l'Asie  proprement  dite.  Sopâtre,  fils  de  Pyrrhus  de  Bérée, 
Aristarque  et  Second  de  Thessalonique ,  Gaïus  de  Derbe  et  Timothée, 


SAINT  PAUL,   APÔTRE  DES   GENTILS  ET  MARTYR.  489 

Tychique  et  Trophime,  tous  deux  d'Asie,  raccompagnèrent  dans  ce  voyage, 
€t  saint  Luc  également,  car  il  est  dit  que  ces  deux  derniers  les  précédèrent 
et  les  attendirent  à  Troade.  a  Pour  nous,  après  le  jour  des  azymes  nous 
nous  embarquâmes  à  Philippes,  et  nous  vînmes  en  cinq  jours  les  retrouver 
à  Troade,  où  nous  demeurâmes  encore  sept  jours  ». 

Après  ce  repos  de  sept  jours  à  Troade,  ville  de  la  petite  Phrygie,  le  pre- 
mier jour  de  la  semaine,  c'est-à-dire  le  dimanche,  les  disciples  étant  assem- 
blés en  vue  de  rompre  le  pain,  expression  qui  désigne  l'oblation  du  sacrifice 
eucharistique  et  la  communion,  saint  Paul,  qui  devait  partir  le  lendemain, 
commença  un  discours  et  le  prolongea  jusqu'au  milieu  de  la  nuit.  L'assem- 
blée se  tenait  dans  une  salle  haute  éclairée  par  un  grand  nombre  de  lampes  : 
elle  était  tout  entière  sous  le  charme  de  cette  parole  animée  du  feu  de  la 
charité  qui  jaillissait  de  son  cœur.  Oubliant  dans  l'ardeur  de  sa  parole  que 
les  heures  s'envolaient,  l'Apôtre  parlait  toujours  depuis  longtemps,  quand 
un  jeune  homme  du  nom  d'Eutyque,  qui  s'était  assis  sur  une  fenêtre,  se 
laissa  surprendre  par  un  sommeil  profond  ;  son  corps,  qui  se  balançait  par 
un  mouvement  machinal,  perdit  l'équilibre  et  tomba  du  troisième  étage  dans 
la  rue  :  on  le  releva  mort  !  L'Apôtre  interrompit  aussitôt  son  discours  et 
descendit  à  la  hâte  du  troisième  étage  dans  la  rue,  se  jeta  sur  le  corps  du 
jeune  homme,  et,  l'ayant  embrassé,  il  sentit  que  la  vie  ranimait  ce  cada- 
vre :  «  Ne  vous  troublez  pas  »,  dit-il  aux  assistants,  «  car  il  vit  ».  L'Apôtre 
renouvela  au  milieu  de  la  rue  les  miracles  d'Elie  et  d'Elisée,  quand  ils  rap- 
pelèrent à  la  vie,  l'un  le  fils  de  la  veuve  de  Sarepta,  l'autre  celai  de  la  Suna- 
mite.  Sentant  le  besoin  de  remettre  l'assemblée  de  sa  double  émotion  ins- 
tantanée de  tristesse  et  de  joie  vive,  il  «  rompit  le  pain  ».  Après  ces  saintes 
agapes,  il  reprit  la  parole  et  continua  son  discours  jusqu'au  point  du  jour. 
Insensible  aux  fatigues  de  la  nuit,  il  sortit  de  cette  assemblée  tout  émue 
de  sa  parole,  de  son  grand  miracle  et  des  exercices  pieux  d'une  si  longue 
Teille;  puis,  sans  prendre  de  repos,  il  alla  faire  embarquer  ses  coopérateurs 
sur  un  vaisseau  qui  allait  les  porter  jusqu'à  Asson,  lieu  où  ils  devaient  le 
reprendre,  d'après  l'ordre  qu'il  leur  en  avait  donné.  Quant  à  lui,  il  préféra 
prendre  la  route  déterre.  L'Apôtre  rejoignit  ses  amis  à  Asson;  il  monta  sur  le 
vaisseau  qui  les  portait,  et  tous  ensemble  firent  voile  vers  Mitylène,  une  des 
principales  villes  de  l'ile  de  Lesbos.  La  rapidité  avec  laquelle  saint  Paul  et 
ses  compagnons  voyageaient  en  ce  moment  ne  leur  laissa  le  temps  ni  de 
s'arrêter  dans  cette  île,  ni  de  visiter  Mitylène.  Ils  arrivèrent  le  lendemain 
vis-à-vis  de  Chio,  l'une  des  îles  de  l'Archipel.  Le  peu  d'importance  de  cette 
île,  et  la  hâte  qu'ils  avaient  d'arriver  à  Jérusalem  ne  leur  permirent  pas  de 
descendre  à  terre.  Le  lendemain  ,  ils  abordèrent  à  Samos.  Ils  allèrent 
mouiller,  pour  passer  la  nuit,  à  la  petite  île,  ou  plutôt  au  promontoire  de 
Trogylle.  Le  jour  d'après,  ils  allèrent  à  Milet,  ville  opulente  et  voluptueuse. 
Saint  Paul  désirait  ardemment  de  se  trouver  à  Jérusalem  le  jour  de  la  Pen- 
tecôte, pour  célébrer  l'anniversaire  de  la  promulgation  de  l'Evangile.  C'est 
pourquoi  il  résolut  de  passer  devant  Ephèse  sans  y  prendre  terre.  D'un 
autre  côté,  il  ne  lui  convenait  pas  de  passer  à  la  dérobée,  sans  jeter  dans  le 
cœur  des  fidèles  ministres  placés  par  lui-même  à  la  tête  des  Eglises  de  cette 
ville  une  de  ces  exhortations  vives  et  pénétrantes,  si  capables  de  ranimer 
leur  zèle.  A  cet  effet,  il  mit  à  profit  son  séjour  à  Milet,  situé  à  peu  de  dis- 
tance d'Ephèse  :  il  fit  assembler  auprès  de  lui  les  évêques  et  les  prêtres  de 
cette  Eglise,  et  quand  ils  furent  réunis  tous  ensemble,  il  leur  adressa  ces 
paroles  touchantes  :  «  Je  m'en  vais  à  Jérusalem  sans  que  je  sache  ce  qui  m'y 
doit  arriver,  sinon  que  dans  toutes  les  villes  par  où  je  passe,  l'Esprit-Saint 


490  29  JUIN. 

me  fait  connaître  que  des  chaînes  et  des  afflictions  m'y  sont  préparées.  Mais 
je  ne  crains  rien  de  toutes  ces  choses,  car  ma  vie  ne  m'est  pas  plus  pré- 
cieuse que  ma  personne,  pourvu  que  j'achève  ma  course,  et  le  ministère  de 
la  parole  que  j'ai  reçu  du  Seigneur  Jésus,  pour  prêcher  l'Evangile  de  la 
grâce  de  Dieu  ».  Dès  qu'il  eut  terminé  cette  émouvante  exhortation  dans 
laquelle  son  âme  apostolique  se  révèle  tout  entière,  il  se  mit  à  genoux  et 
pria  avec  eux  avec  cette  effusion  de  charité  dont  le  feu  brûlait  son  cœur. 
Cet  épanchement  de  son  âme  dans  cette  prière  remua  vivement  le  cœur  des 
assistants  ;  tous  aussitôt  se  mirent  à  fondre  en  larmes,  puis,  se  jetant  à  son 
cou,  ils  l'embrassaient,  affligés  de  la  pensée  de  ne  plus  le  revoir.  Tous  ces 
saints  personnages  accompagnèrent  l'Apôtre  jusqu'au  vaisseau  qui  devait 
l'emporter. 

Après  s'être  arraché  à  grand'peine  des  bras  de  ces  bien-aimés  évêques  et 
prêtres  de  l'Eglise  d'Ephèse,  le  grand  docteur  des  Gentils  et  ses  amis  mon- 
tèrent sur  le  bâtiment  qui  les  attendait  ;  pressé  de  partir,  il  mit  aussitôt  à 
la  voile,  s'éloigna  du  port  et  cingla  droit  vers  Cos,  petite  île  de  la  mer  Egée, 
à  l'entrée  du  golfe  Céramique.  Le  lendemain,  ils  arrivèrent  à  Rhodes,  île 
située  non  loin  de  la  côte  méridionale  de  la  Carie.  De  Rhodes  le  vaisseau  se 
rendit  à  Patare,  ville  maritime  et  capitale  de  la  Lycie,  où  se  trouvait  un 
temple  d'Apollon,  dont  l'oracle  était  regardé  comme  le  plus  célèbre  de 
toute  l'Asie.  En  descendant  de  son  vaisseau,  saint  Paul  put  apercevoir  les 
tristes  viclimes  de  cette  superstition  frappée  au  cœur  par  l'Evangile,  et 
gérair  sur  leur  aveuglement  prodigieux.  L'Apôtre  et  ses  compagnons  de 
voyage  quittèrent  à  Patare  le  vaisseau  sur  lequel  ils  avaient  déjà  navigué,  et 
montèrent  sur  un  navire  qui  faisait  voile  vers  la  Phénicie.  Pendant  leur 
route  ils  aperçurent  l'île  de  Chj'pre,  qu'ils  laissèrent  à  gauche,  et,  conti- 
nuant à  naviguer  vers  la  Syrie,  ils  abordèrent  à  Tyr.  Des  disciples  qu'ils 
rencontrèrent  dans  cette  ville  les  retinrent  pendant  sept  jours.  Eclairés  par 
une  lumière  supérieure,  ils  prédirent  à  saint  Paul  les  maux  qu'il  devait  éprou- 
ver à  Jérusalem,  et  l'engagèrent  à  ne  pas  y  monter.  Leurs  sollicitations  em- 
pressées laissèrent  l'Apôtre  inébranlable  dans  sa  résolution.  Les  sept  jours 
écoulés,  lui  et  ses  amis  se  disposèrent  à  partir.  Tous  les  fidèles  de  Tyr,  sui- 
vis de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants,  les  accompagnèrent  au  dehors  delà 
ville  ;  étant  arrivés  sur  le  rivage  de  la  mer,  ils  mirent  les  genoux  en  terre  et 
prièrent  tous  ensemble,  et,  après  s'être  dit  adieu  les  uns  aux  autres  avec  un 
saint  attendrissement,  l'Apôtre  et  ses  amis  montèrent  sur  leur  navire.  De 
Tyr  le  vaisseau  cingla  droit  à  Ptolémaïde',  terme  de  cette  navigation  de 
l'Apôtre.  Les  voyageurs  apostoliques  ne  donnèrent  qu'un  jour  aux  frères  de 
cette  ville.  De  Ptolémaïde  ils  descendirent  le  lendemain  par  la  voie  de  terre 
àCésarée  de  Palestine,  ou  Tour  deStraton.  Philippe  l'Evangéliste  *,  l'un  des 
sept  diacres ,  demeurait  dans  cette  -ville.  Les  saints  voyageurs  descen- 
dirent dans  sa  maison. 

Pendant  le  séjour  de  l'Apôtre  à  Césarée,  un  prophète,  nommé  Agabus, 
célèbre  par  sa  prédication  de  la  famine  qui  sévit  sous  l'empire  de  Claude, 
arriva  de  la  Judée.  Dans  la  visite  qu'il  fît  à  saint  Paul  et  à  ses  amis,  il  prit 
la  ceinture  de  l'Apôtre  et  lui  prédit,  d'une  manière  symbolique,  à  l'exemple 
des  anciens  Prophètes,  les  liens  qui  l'attendaient  à  Jérusalem.  S'étant  lié 

1.  Cette  ville  maritime,  située  an  nord  du  mont  Caiiael,  à  l'emboachnre  dans  la  mer  du  petit  flenve 
de  Bélus,  devait  son  nom  a  Ptolémée  Soter.  Avant  de  recevoir  ce  nom  royal,  elle  s'appelait  Acclio  ;  on  la 
eonnait  aujourd'hui  sous  celui  de  Saint-Jean-d'Acre. 

2.  Le  diacre  Philippe  est  appelé  évangéliste  parce  qu'il  avait  porté  le  premier  la  foi  aux  Samaritains  «t 
préparé  la  conversion  de  r£thiople,  en  baptisant  leanuque  de  la  reine  Candace, 


J 


SAINT  PAUL,    APÔTRE  DES   GENTILS  ET  MARTYR.  491 

les  pieds  et  les  mains  avec  cette  ceinture,  il  dit  :  «  Voici  ce  que  dit  l'Esprit- 
Saint  :  L'homme  à  qui  appartient  cette  ceinture  sera  lié  de  cette  sorte  par 
les  Juifs  dans  Jérusalem  et  ils  le  livreront  entre  les  mains  des  Gentils  ». 
Dès  que  les  amis  de  l'Apôtre  et  les  fidèles  réunis  autour  de  lui  eurent  en- 
tendu cette  prophétie,  ils  le  supplièrent  instamment  de  ne  pas  monter  à 
Jérusalem.  Toutes  ces  instances  faites  par  des  amis  sincères  furent  impuis- 
santes à  ébranler  sa  résolution.  Martyr  futur  de  la  foi,  il  ne  put  s'empêcher, 
dans  l'attente  de  celte  glorieuse  couronne,  de  répondre  avec  attendrisse- 
ment à  leurs  touchantes  prières  :  «  Que  faites-vous  de  pleurer  ainsi  et  de  m'at- 
tendrir  le  cœur  ?  »  Mais  loin  de  faiblir,  reprenant  toute  son  intrépidité  natu- 
relle, il  ajouta  :  «  Je  vous  déclare  que  je  suis  tout  prêt  à  souffrir  à  Jérusalem 
non-seulement  les  liens  et  la  prison,  mais  la  mort  même  pour  le  nom  du  Sei- 
gneur Jésus  ».  A  ces  paroles  fermes  et  vraiment  apostoliques,  les  assistants 
comprireut  qu'ils  ne  pourraient  le  persuader  ;  ils  lui  dirent  :  «  Que  la  volonté 
du  Seigneur  soit  faite  ».  Après  quelques  jours  de  repos,  tout  étant  disposé 
pour  le  départ,  les  voyageurs  apostoliques  prirent  la  route  de  Jérusalem  : 
ils  étaient  suivis  de  plusieurs  disciples  de  la  ville  de  Gésarée,  parmi  lesquels 
il  s'en  trouvait  un,  déjà  ancien,  nommé  Mnason,  originaire  de  l'île  de 
Chypre,  dans  la  maison  duquel  ils  devaient  loger.  Possesseur  d'une  maison 
à  Jérusalem,  il  put  offrir  l'hospitalité  à  l'Apôtre  et  à  ses  amis  dans  ces  jours 
où  l'immense  multitude  de  pèlerins  rendait  très-difficile  le  choix  convena- 
ble d'un  logement. 

Ce  cinquième  voyage  de  saint  Paul  à  Jérusalem,  entrepris  par  une 
impulsion  divine,  fut  l'un  des  plus  dramatiques  de  sa  vie,  qui  était  tout  en- 
tière un  véritable  drame  apostolique.  A  son  arrivée  dans  la  ville  sainte,  lui 
et  ses  dignes  coopérateurs  furent  accueillis  avec  joie  par  les  frères.  Le  len- 
demain de  son  arrivée,  l'Apôtre  et  ses  amis  allèrent  rendre  visite  à  saint  Jac- 
ques le  Mineur,  cousin  de  Jésus-Christ  et  premier  évoque  de  Jérusalem. 
Averti  de  l'arrivée  et  de  la  visite  de  saint  Paul,  saint  Jacques,  dans  le  désir 
de  le  recevoir  avec  plus  d'honneur,  avait  réuni  auprès  de  sa  personne  les 
prêtres  de  Jérusalem.  L'Apôtre,  après  les  avoir  tous  embrassés,  selon  la 
coutume,  remit  à  saint  Jacques  le  montant  des  nombreuses  aumônes  qu'il 
avait  recueillies  au  sein  des  Eglises  de  l'Achaïe,  de  la  Macédoine  et  d'autres 
contrées.  Placés  au  sein  du  mosaïsme,  les  prêtres  de  l'Eglise  de  Jérusalem 
subissaient  l'influence  du  milieu  dans  lequel  ils  vivaient.  Obligés  de  transi- 
ger avec  les  Juifs  convertis  à  la  foi,  mais  peu  disposés  à  se  dégager  de  tous 
les  rites  prescrits  par  la  loi,  ils  observaient  eux-mêmes  avec  ces  fidèles  les 
prescriptions  légales.  Dans  cet  état  de  fausse  conscience,  ils  voulurent  l'ap- 
probation de  saint  Paul  ;  ils  lui  dirent  donc  :  «  Vous  voyez,  frère,  com- 
bien de  myriades  de  Juifs  ont  cru  ;  mais  tous,  malgré  leur  foi,  sont  zélés  pour 
la  loi.  Et,  comme  ils  sont  la  principale  partie  de  l'Eglise  chrétienne,  les 
aînés  dans  la  foi,  la  prudence  autant  que  la  charité  commandent  qu'on  ait 
de  l'indulgence  pour  eux  en  respectant  leurs  idées.  Or,  ils  ont  entendu 
dire  que  vous  enseignez  à  tous  les  Juifs  qui  habitent  parmi  les  Gentils  de  re- 
noncer à  Moïse,  en  disant  de  ne  point  soumettre  leurs  enfants  à  la  circon- 
cision et  de  ne  point  vivre  selon  leurs  anciennes  coutumes.  Il  y  a  pré- 
cisément parmi  nous  quatre  hommes  qui  se  sont  liés  par  un  vœu  ;  prenez-les 
avec  vous  ;  sanctiûez-vous  avec  eux;  fournissez-leur  le  prix  delà  cérémonie, 
afin  qu'ils  se  rasent  la  tête,  et  que  tous  apprennent  par  là  que  toutes  les 
choses  qu'ils  avaient  entendu  dire  à  votre  sujet  étaient  fausses,  puisque 
vous  continuez  à  observer  la  loi.  Quant  à  ceux  d'entre  les  Gentils  qui  ont 
cru,  nous  leur  avons  écrit  que  nous  avions  jugé  qu'ils  devaient  s'abstenir 


492  29  Jiirx. 

des  viandes  immolées,  du  sang,  des  viandes  étouffées  et  de  la  fornication  », 
Saint  Paul  crut  devoir  accepter  ce  compromis.  L'Apôtre,  s'étant  donc  voué 
à  Dieu  comme  Nazaréen  temporaire,  prit  ces  quatre  hommes,  et  s'étant 
purifié  avec  eux,  il  alla  au  temple  le  jour  suivant  en  leur  compagnie.  Con- 
formément à  la  loi,  ils  firent  connaître  les  jours  où  s'accomplirait  leur 
purification,  et  le  moment  où  l'offrande  serait  présentée  pour  chacun  d'eux. 
L'Apôtre,  dont  la  maxime  était  de  se  faire  tout  à  tous,  en  vue  de  les  gagner 
tous  à  Jésus-Christ,  crut,  à  une  époque  où  les  cérémonies  légales  n'étaient 
pas  encore  mortifères  ou  ensevelies  dans  l'oubli,  devoir  user  de  condescen- 
dance à  l'égard  des  préjugés  si  tenaces  des  judéo-chrétiens  de  Jérusalem,  si 
dignes  de  respect.  Les  cérémonies  du  vœu  de  Nazaréat  temporaire  pres- 
crites par  la  loi  touchaient  à  leur  terme  sans  avoir  éprouvé  la  moindre 
entrave.  On  pouvait  regarder  déjà  la  paix  comme  assurée,  quand  un  orage 
imprévu  éclata  tout  à  coup,  avec  une  telle  violence,  sur  l'Apôtre,  qu'il  fut 
sur  le  point  d'être  brisé.  Vers  la  fin  du  septième  jour  de  son  vœu,  ces  Juifs 
asiatiques  l'ayant  aperçu  dans  le  temple,  se  saisirent  de  lui  et  émurent 
tout  le  peuple  en  criant  :  a  Hommes  d'Israël,  à  l'aide  !  voici  cet  homme  qui 
dogmatise  partout  contre  le  peuple,  contre  la  loi  et  contre  ce  lieu  saint  ;  il 
a  de  plus  amené  des  Gentils  dans  le  temple,  il  a  profané  ce  lieu  saint.  Toute 
la  ville  fut  fortement  émue.  Ceux  qui  s'étaient  saisis  de  saint  Paul,  le  tirè- 
rent hors  du  temple,  ne  voulant  pas  l'immoler  dans  son  enceinte  ;  aussitôt 
les  portes  en  furent  fermées  ;  dans  le  paroxysme  de  leur  colère,  ils  se  dis- 
posaient à  le  tuer,  quand  on  vint  heureusement  avertir  le  tribun  de  la 
cohorte  préposée  à  la  garde  du  temple,  que  toute  la  ville  de  Jérusalem 
était  dans  un  trouble  et  une  confusion  inexprimables.  Aussitôt  il  prit  des 
soldats  et  des  centeniers  avec  lui,  et  courut  vers  ceux  qui  tenaient  l'Apôtre 
et  le  frappaient.  A  l'aspect  du  tribun  et  des  soldats,  ils  cessèrent  de  le 
battre,  moins  par  modération  et  par  sentiment  de  justice,  que  par  la 
crainte  de  représailles  sévères  de  la  part  des  Romains  dominateurs  de  la 
Judée.  Le  tribun  Claudius  Lysias  se  saisit  vivement  de  l'Apôtre  :  il  l'en- 
chaîna d'abord,  puis,  après  l'avoir  chargé  de  liens,  il  s'informa  de  sa  per- 
sonne et  de  son  prétendu  crime.  Ensuite  il  commanda  à  ses  soldats  de  con- 
duire l'Apôtre  au  camp,  qui  était  situé  dans  la  tour  Antonia.  Cette  forteresse 
adossée  au  temple  du  côté  du  septentrion,  servait  de  logement  à  la  garnison 
romaine.  Au  moment  d'entrer  dans  la  forteresse,  Paul  dit  au  tribun  :  «  Per- 
mettez-moi, je  vous  prie,  de  parler  au  peuple  ».  Ayant  obtenu  cette  per- 
mission du  chef  de  la  milice,  saint  Paul,  debout  sur  les  degrés  du  portique 
de  la  citadelle,  fit  signe  de  la  main  au  peuple.  Tant  que  l'Apôtre  leur  exposa 
l'institution  première  de  sa  vie,  les  circonstances  miraculeuses  de  sa  con- 
version, et  sa  vocation  à  l'apostolat,  ils  écoutèrent  patiemment  son  discours. 
Si  ses  paroles  les  choquèrent  un  peu,  elles  avaient,  du  moins  pour  eux,  le 
charme  de  la  nouveauté.  Mais  quand  il  leur  dit  que  Jésus-Christ  l'avait 
chargé  d'aller  prêcher  l'Evangile  aux  Gentils,  incapables  de  se  contenir  plus 
longtemps,  ils  perdirent  patience,  et  d'une  voix  unanime  ils  crièrent  avec 
force  :  d  Otez  cet  homme  du  monde,  ce  serait  un  crime  de  le  laisserVivre  » . 
Ils  ne  cessaient  de  vociférer,  de  jeter  leurs  vêtements  et  de  faire  voler  la 
poussière  en  l'air;  le  tribun  le  fit  conduire  dans  la  forteresse.  Ne  pouvant 
découvrir  la  cause  de  ces  vociférations,  il  imagina  de  faire  donner  la  ques- 
tion à  l'Apôtre  et  de  le  faire  battre  de  verges,  afin  de  tirer  de  sa  bouche, 
par  la  violence  des  tourments,  la  connaissance  du  prétendu  crime  qui  les 
exaspérait  si  fort  contre  lui.  Quand  saint  Paul  eut  été  lié  avec  des  courroies, 
il  dit  au  centenier  chargé  de  présider  à  cette  exécution  :  «  Vous  est-il  per- 


SAIiST  PAUL,    APÔTRE  DES   GENTILS  ET  MARTVR.  493 

mis  de  fouetter  un  citoyen  romain,  et  qui  n'a  point  été  condamné?  »  Le 
centenier,  surpris  de  cette  parole,  se  hâta  d'aller  trouver  le  tribun  et  de  lui 
dire  :  «  Qu'allez-vous  donc  faire?  cet  homme  est  citoyen  romain  ».  A  cette 
révélation  inattendue,  le  tribun  tout  troublé  accourut  vers  son  prisonnier 
et  lui  dit  :  «  Etes-vous  citoyen  romain?  »  —  «  Oui,  je  le  suis  »,  répondit 
l'Apôtre.  Le  tribun  lui  repartit  :  a  II  m'en  a  coûté  bien  de  l'argent  pour  ac- 
quérir ce  droit  de  citoyen  romain  !»  —  «  Et  moi  »,  dit  saint  Paul,  «  je  le 
suis  par  ma  naissance  ».  Dès  que  saint  Paul  eut  manifesté  son  titre  de 
citoyen  romain,  les  soldats  chargés  de  le  ilageiler  et  de  lui  donner  la  ques- 
tion se  retirèrent  après  l'avoir  délié. 

Cependant  les  princes  des  prêtres  et  le  conseil  s'étant  assemblés  sur 
l'ordre  du  tribun,  celui-ci  fit  ôter  les  chaînes  à  saint  Paul  et  le  présenta 
devant  eux.  Aussi  ferme  qu'en  face  de  la  multitude  en  fureur,  quand  elle  de- 
mandait son  sang,  il  regarda  fixement  les  membres  de  l'assemblée  et  leur 
dit:  «  Hommes  frères!  jusqu'à  cette  heure  je  me  suis  conduit  en  toutes 
choses  devant  Dieu  avec  la  droiture  d'une  bonne  conscience  !  »  A  ces  mots, 
prononcés  avec  une  noble  assurance,  prélude  d'une  vigoureuse  apologie,  le 
grand  prêtre  Ananie,  fils  de  Zébédée,  incapable  de  soulfrir  cette  liberté  de 
parole  dans  l'Apôtre,  ordonna  à  ceux  qui  étaient  auprès  de  lui  de  le  frapper 
au  visage.  11  répondit  à  l'homme  qui  avait  donné  l'ordre  de  le  frapper  : 
a  Muraille  blanchie.  Dieu  te  frappera  un  jour  lui-même  !  Quoi,  tu  es  assis 
ici  pour  me  juger  selon  la  loi,  et  contrairement  à  la  loi  tu  commandes 
qu'on  me  frappe  !  »  Les  membres  du  sanhédrin  virent  dans  ces  paroles  une 
injure,  et  dirent  à  saint  Paul  :  «  Tu  maudis  le  grand  prêtre  de  Dieu  !  »  U 
leur  répondit  avec  calme  :  «  Frères,  j'ignorais  que  ce  fût  le  prince  des  prê- 
tres ;  car  il  est  écrit  :  Tu  ne  maudiras  pas  le  prince  de  ton  peuple  ».  Ayant 
parlé  de  la  sorte,  il  s'éleva  une  discussion  entre  les  Pharisiens  et  les  Saddu- 
céens.  Le  tumulte  s'augmentant  par  les  récriminations  mutuelles,  le  tribun 
eut  peur  que  son  prisonnier  ne  fût  mis  en  pièces  par  ces  forcenés.  Voulant 
éviter  cet  affreux  malheur  ,  il  commanda  qu'on  fît  venir  des  soldats 
qui  l'enlevèrent  d'entre  leurs  mains  et  le  conduisirent  dans  le  camp.  La  nuit 
suivante,  Jésus-Christ  lui  apparut,  et  lui  dit  «  d'avoir  bon  courage  ;  car, 
comme  il  lui  avait  rendu  témoignage  dans  Jérusalem,  il  devait  également 
lui  rendre  témoignage  dans  Rome  ».  En  effet,  le  jour  étant  venu,  quelques 
Juifs  se  liguèrent  entre  eux,  par  un  vœu  terrible,  confirmé  avec  serment  et 
imprécation,  de  ne  rien  manger  ni  boire  avant  de  l'avoir  tué.  S'étant  donc 
présentés  aux  princes  des  prêtres,  aux  membres  du  sénat,  ils  leur  dirent 
résolument  :  «  Nous  avons  fait  vœu,  avec  de  grandes  imprécations,  de  ne 
point  manger  que  nous  n'ayons  tué  Paul  !  vous  n'avez  donc  qu'à  faire  sa- 
voir, de  la  part  du  conseil,  au  tribun,  que  vous  le  priez  de  faire  amener  de- 
main Paul  devant  vous,  dans  le  but  de  connaître  plus  particulièrement  son 
affaire,  et  nous  serons  tout  prêts  à  le  tuer  avant  qu'il  arrive  ».  Cette  machi- 
nation si  bien  ourdie,  dont  l'effet  paraissait  assuré,  parvint  à  la  connaissance 
du  fils  de  la  sœur  de  saint  Paul.  Ce  jeune  homme,  effrayé  du  péril  que  cou- 
rait son  oncle,  accourut  en  toute  hâte  au  camp  et  l'avertit  de  ce  dessein 
homicide  contre  sa  personne.  Saint  Paul  fit  donc  appeler  un  centurion  el 
lui  dit:  u  Menez,  je  vous  prie,  ce  jeune  homme  au  tribun,  il  a  quelque 
chose  à  lui  dire  ».  Le  centurion  prit  ce  jeune  homme  avec  lui  et  le  condui- 
sit au  tribun  ;  en  le  lui  présentant,  il  lui  dit  :  a  Paul,  le  prisonnier,  m'a  prié 
de  vous  amener  ce  jeune  homme  qui  a  quelque  avis  à  vous  donner  ».  Pre- 
nant par  la  main  le  neveu  de  l'Apôtre  et  le  tirant  à  l'écart,  le  tribun  lui 
demanda  ce  qu'il  avait  à  lui  communiquer  ;  les  officiers  romains  étaient 


494  29  JUIN. 

toujours  disposés  à  recueillir  tous  les  renseignements  sur  les  personnes  et 
les  choses.  Ce  jeune  homme  lui  révéla  secrètement  le  plan  de  la  conspira- 
tion :  «  Les  Juifs  »,  lui  dit-il,  «  ont  résolu  ensemble  de  vous  prier  de  faire 
comparaître  demain  Paul  dans  leur  assemblée,  sous  le  prétexte  de  connaître 
plus  exactement  l'état  de  son  affaire  ;  gardez-vous  bien  de  consentir  à  leur 
demande.  Plus  de  quarante  d'entre  eux  se  sont  concertés  pour  lui  dresser 
des  embûches;  ils  ont  fait  vœu,  avec  de  grands  serments,  de  ne  manger  ni 
boire  avant  de  l'avoir  tué.  Ils  sont  déjà  préparés  à  faire  le  coup,  attendant 
votre  promesse  ».  Le  tribun  Claudius  Lysias  fît  appeler  deux  centeniers  et 
leur  dit  :  «  Tenez  prêts  dès  la  troisième  heure  de  la  nuit  deux  cents  soldats, 
soixante  et  dix  cavaliers  et  deux  cents  archers  pour  aller  à  Césarée».  Il 
leur  ordonna  également  de  préparer  des  chevaux  pour  monter  Paul  et  le 
mener  sûrement  au  gouverneur  Félix  ;  en  même  temps  il  écrivit  à  Félix  en 
ces  termes  :  «  Les  Juifs  s'étant  saisis  de  cet  homme  et  commençant  à  le 
tuer,  j'accourus  avec  des  soldats  et  je  l'arrachai  de  leurs  mains,  ayant  su 
qu'il  était  citoyen  romain.  Désirant  être  instruit  du  sujet  de  leurs  accusa- 
tions, je  le  menai  dans  leur  conseil  ;  là  je  trouvai  qu'on  l'accusait  seulement 
de  certaines  choses  relatives  à  leur  loi,  et  nullement  d'aucun  crime  qui  fût 
digne  de  mort  ou  de  prison  ;  et  sur  le  rapport  que  j'ai  reçu  des  embûches 
que  les  Juifs  avaient  dressées  contre  lui  pour  le  tuer,  je  vous  l'ai  envoyé. 
J'ai  également  commandé  à  ses  accusateurs  d'aller  soutenir  leur  cause 
devant  vous  ».Les  cavaliers  étant  arrivés  à  Césarée  allèrent  rendre  la  lettre 
du  tribun  au  gouverneur  et  lui  présenter  le  prisonnier.  Le  gouverneur, 
après  la  lecture  de  la  lettre  de  Claudius  Lysias,  s'enquit  de  quelle  province 
était  l'Apôtre  ;  ayant  appris  qu'il  était  de  Cilicie,  il  lui  dit  :  «  Je  vous 
entendrai  quand  vos  accusateurs  seront  venus  ».  Il  commanda  ensuite  qu'on 
le  gardât  dans  le  prétoire  d'Hérode  où  étaient  situées  les  prisons  du  palais. 
Les  ennemis  de  l'Apôtre,  avec  leur  soif  ardente  de  son  sang,  ne  mirent 
aucun  retard  à  porter  leur  accusation  devant  Félix.  Conformément  à  la 
pratique  usitée  chez  les  Grecs  et  les  Romains,  ils  avaient  pris  un  avocat  à 
gages  nommé  Tertullus.  Félix  fit  comparaître  saint  Paul  et  le  mit  en  leur 
présence,  afin  qu'après  avoir  entendu  l'accusation  portée  contre  lui,  il  pût 
se  mettre  en  mesure  de  la  repousser.  L'orateur  des  Juifs  s'exprima  en  ces 
termes  :  «  Comme  c'est  par  vous,  très-excellent  Félix,  que  nous  jouissons 
d'une  profonde  paix,  et  que  plusieurs  choses  justes  et  salutaires  ont  été 
établies  par  votre  sage  prévoyance  au  milieu  de  notre  nation,  partout  et 
toujours  nous  aimons  à  le  reconnaître,  avec  toutes  sortes  d'actions  de 
grâces.  Nous  avons  rencontré  cet  homme,  vraie  peste  publique  ;  prince  de 
la  secte  séditieuse  des  Nazaréens,  il  met  la  division  et  le  trouble  parmi  tous 
les  Juifs  de  l'univers  ;  il  a  même  tenté  de  profaner  le  temple.  En  l'interro- 
geant vous-même  pour  le  juger,  vous  pourrez  reconnaître  la  vérité  de  tous 
les  crimes  dont  nous  l'accusons  ».  Tous  les  Juifs  présents  certifièrent  la 
vérité  des  faits  criminels  reprochés  à  l'Apôtre  par  l'orateur  Tertullus.  Saint 
Paul  écouta  avec  calme  cette  accusation  mensongère  ;  avant  de  la  repous- 
ser il  attendit  que  Félix  lui  donnât  la  permission  de  la  réfuter.  Quand  il 
l'eut  obtenue,  il  brisa  une  à  une,  avec  une  logique  formidable^  toutes  les 
armes  de  ses  ennemis.  Maître  de  ses  impressions,  Félix  écouta,  sans  les  ma- 
nifester, l'accusation  des  Juifs,  et  la  défense  victorieuse  de  l'Apôtre.  Allé- 
guant la  nécessité  d'une  plus  ample  information,  il  remit  les  parties  à  un 
autre  temps  :  a  Lorsque  je  me  serai  plus  exactement  informé  de  cette 
secte,  et  que  le  tribun  Lysias  sera  descendu  de  Jérusalem,  je  jugerai  votre 
affaire  ». 


SAJiNT  PAUL,   APÔTRE   DES   GENTILS   ET   MARTYK.  495 

Après  ce  dénoûment  pacifique,  Félix  quitta  momentanément  Césarée  ; 
il  alla  chercher  sa  femme  Drusille,  qui  désirait  ardemment  entendre  parler 
saint  Paul,  tant  la  renommée  de  son  éloquence  apostolique  était  grande  I 
Peu  de  jours  après,  il  rentra  dans  le  siège  de  son  gouvernement  avec  cette 
reine  devenue  la  femme  d'un  affranchi.  Félix,  né  de  race  servile,  était  l'af- 
franchi de  l'empereur  Claude,  et  de  sa  mère  Antonia.  Saint  Paul  parut 
devant  Félix  et  Ûrusille,  non  en  accusé,  mais  en  Apôtre  de  la  loi  nouvelle. 
Dans  son  premier  discours,  il  s'était  borné  à  repousser  les  crimes  dont  ses 
ennemis  acharnés  l'accusaient;  dans  le  second,  il  parla  de  la  foi  en  Jésus- 
Christ,  ce  grand  objet  de  ses  travaux  apostoliques.  Sans  nul  souci  de  dé- 
plaire au  gouverneur  qui  le  retenait  dans  les  liens,  il  lui  parla  avec  une 
grande  liberté  de  la  justice,  de  la  chasteté  et  du  jugement  futur.  Il  porta  la 
parole  avec  tant  de  force,  que  Félix  en  fut  tout  effrayé.  «  C'est  assez  pour 
cette  heure  »,  lui  dit-il,  «  retirez-vous;  quand  j'aurai  le  temps,  je  vous 
manderai  ».  Après  cette  audience,  il  eut  de  nombreux  entretiens  avec 
l'Apôtre,  dans  l'espoir  que  le  saint  prisonnier  achèterait  sa  délivrance  en 
lui  donnant  de  l'argent.  Saint  Paul  avait  recueilli  des  aumônes  en  faveur 
des  pauvres  de  Jérusalem,  mais  il  aurait  préféré  subir  une  détention  perpé- 
tuelle plutôt  que  de  recourir  personnellement  à  ce  mo3'en  de  délivrance. 

Deux  ans  s'étant  écoulés,  Félix  fut  rappelé  à  Rome  ;  il  eut  pour  succes- 
seur Porcins  Festus.  Avant  son  départ,  il  aurait  pu  délivrer  saint  Paul  ;  mais 
dans  le  but  de  faire  plaisir  aux  Juifs,  il  le  laissa  dans  les  liens.  Porcins  Festus 
monta  à  Jérusalem.  Ananie  et  les  premiers  d'entre  les  Juifs,  pressés  de  l'ar- 
dente soif  de  la  mo-:!  du  prisonnier,  allèrent  trouver  le  nouveau  gouverneur 
et  lui  demandèrent  sa  condamnation.  La  haine  contre  l'Apôtre  s'était  accrue 
de  toute  la  résistance  que  Félix  avait  opposée  à  l'accomplissement  de  leurs 
projets  homicides.  Festus,  trop  juste  ou  trop  habile,  refusa  de  condamner, 
sur  leur  demande  évidemment  inique,  un  prisonnier  absent,  a  Sous  peu  de 
jours  »,  leur  dit-il,  «  j'irai  à  Césarée  où  Paul  est  détenu  ;  que  les  principaux 
d'entre  vous  y  viennent  avec  moi,  et  si  cet  homme  a  commis  quelque 
crime,  ils  l'en  accuseront  devant  mon  tribunal  ».  Le  lendemain  de  son  arri- 
vée, s'étant  assis  sur  son  tribunal,  il  commanda  qu'avant  toute  autre  cause 
on  lui  amenât  le  prisonnier  Paul.  Les  Juifs  accusateurs  chargèrent  l'A- 
pôtre de  plusieurs  grands  crimes ,  dont  ils  ne  purent  fournir  aucune 
preuve.  Avec  la  force  que  l'innocent  puise  dans  une  conscience  irréprocha- 
ble, celui-ci  se  défendit  victorieusement  d'avoir  agi  contre  la  loi  des  Juifs, 
contre  le  temple  et  contre  César.  Festus  soupçonna  facilement,  à  la  passion 
extrême  dont  les  Juifs  poursuivaient  la  condamnation  de  l'Apôtre,  qu'une 
cause  secrète,  dont  la  nature  lui  était  cachée,  était  le  vrai  mobile  de  cette 
affaire.  Toutefois  il  usa  d'un  détour  qui  pût  mettre  sa  responsabilité  à  cou- 
vert. Il  dit  donc  à  son  grand  prisonnier  :  «  Voulez-vous  monter  à  Jérusalem 
et  y  être  jugé  devant  moi  sur  les  choses  dont  on  \jus  accuse?  »  Le  grand 
Apôtre  ne  pouvait  pas  accepter  une  pareille  translation  ;  c'est  pourquoi  il 
répondit  à  Festus  :  «  Me  voici  devant  le  tribunal  de  César,  c'est  devant  lui 
que  je  dois  être  jugé;  vous  n'ignorez  pas  que  je  n'ai  fait  aucun  tort  aux 
Juifs...  J'en  appelle  à  César  !»  Festus  fut  obligé  d'accepter  cet  appel  à 
un  tribunal  supérieur  au  sien  ;  après  en  avoir  conféré  avec  ses  assesseurs  il 
lui  dit  :  «  Vous  en  avez  appelé  à  César,  vous  irez  à  César  !  » 

Porcins  Festus,  dessaisi  par  l'appel  de  l'Apôtre  du  droit  de  le  juger, 
attendait  le  moment  opportun  de  l'envoyer  à  Rome.  Pendant  ce  temps, 
Agrippa  le  Jeune,  dernier  roi  des  Juifs,  et  sa  sœur  Bérénice,  descendirent  à 
Césarée  dans  l'intention  d'y  saluer  le  nouveau  président  de  la  Judée.  Festus, 


J596  29  JUEV. 

que  l'afFaire  de  saint  Paul  avait  frappé,  en  parla  au  roi,  soit  comme  un  sujet 
extraordinaire  de  conversation,  soit  qu'il  voulût  le  consulter  sur  cette  cause 
si  obscure  à  ses  yeux.  «  Il  y  a  ici  »,  dit-il  à  Agrippa,  «  un  homme  que  Félix 
a  laissé  dans  les  liens  ;  les  princes  des  prêtres,  les  anciens  des  Juifs,  vinrent 
pendant  ma  visite  à  Jérusalem  me  demander  de  le  condamner  à  mort  ;  je 
refusai,  en  leur  disant  que  les  Romains  n'avaient  pas  la  coutume  de  con- 
damner un  homme  avant  que  l'accusé  ait  ses  accusateurs  présents  devant 
lui,  et  qu'on  lui  ait  donné  la  liberté  de  se  justifier  du  crime  dont  on  l'ac- 
cuse. Mais  voici  qu'il  en  a  appelé  à  César.  Gomme,  d'après  cet  appel,  il  faut 
que  la  cause  soit  réservée  à  la  connaissance  d'Auguste,  j'ai  ordonné  qu'on 
le  gardât  jusqu'au  jour  où  je  pourrai  l'envoyer  à  César  ».  Après  ce  récit. 
Agrippa  dit  à  Festus  :  «  Depuis  un  certain  temps  j'ai  envie  d'entendre  parler 
cet  homme  1  »  —  «  Vous  l'entendrez  demain  »,  lui  répondit  Festus.  Le  len- 
demain, en  effet.  Agrippa  et  Bérénice  vinrent  avec  une  grande  pompe,  por- 
tant de  riches  ornements  royaux,  entourés  d'un  brillant  cortège  composé 
de  leur  cour,  des  tribuns  et  des  principaux  habitants  de  la  ville  de  Gésarée, 
et  ayant  pris  place  dans  le  prétoire,  saint  Paul  leur  fut  amené  par  le  com- 
mandement de  Festus,  Le  prisonnier  de  Jésus-Christ  parut  au  milieu  de 
cette  brillante  assemblée  sans  éprouver  le  moindre  trouble  d'esprit,  malgré 
les  chaînes  dont  il  était  lié,  et  ses  vêtements  pauvres  qui  contrastaient  avec 
le  luxe  éblouissant  des  personnes  présentes.  Agrippa,  s'adressant  directe- 
ment à  saint  Paul,  sans  prendre  l'avis  de  Festus,  lui  dit  :  «  On  vous  permet 
de  parler  pour  votre  défense  ».  Aussi  calme,  aussi  ferme  devant  cette  im- 
posante assemblée  qu'en  face  de  la  multitude  en  furie,  l'Apôtre  étendit  la 
main.  Après  un  exorde  où  il  en  appelle  à  la  science  d'Agrippa,  ce  qui  lui 
permettait  de  donner  à  son  apologie  un  développement  scientifique  néces- 
saire, il  raconte  sa  vie  de  Pharisien  dans  Jérusalem,  depuis  ses  jeunes 
années,  vie  connue  de  tous  les  Juifs.  Il  raconte  ensuite  l'acharnement  terri- 
ble avec  lequel,  poussé  par  son  zèle  pharisaïque,  il  avait  d'abord  persécuté 
les  chrétiens  dans  le  dessein  d'efi"acer  de  ce  monde  le  nom  de  Jésus  de  Na- 
zareth, et  enfin  le  miracle  de  sa  conversion;  il  termine  ainsi  :  a  Roi  Agrippa, 
je  ne  résistai  pas  à  cette  vision  céleste  ;  tout  d'abord,  j'annonçai  à  ceux  de 
Damas,  puis  à  ceux  de  Jérusalem,  ensuite  dans  toute  la  Judée  et  aux  Gen- 
tils, qu'ils  eussent  à  faire  pénitence  et  à  se  convertir  à  Dieu,  en  faisant  de 
dignes  fruits  de  pénitence.  Tel  est  le  sujet  pour  lequel  les  Juifs  s'étant  saisis 
de  moi  dans  le  temple,  se  sont  efi'orcés  de  me  tuer.  Vaine  tentative  !  Car 
par  l'assistance  de  Dieu,  j'ai  subsisté  jusqu'à  ce  jour,  rendant  toujours 
témoignage  de  Jésus  aux  grands  et  aux  petits,  et  ne  disant  rien  en  dehors 
des  choses  que  Moïse  et  les  Prophètes  ont  prédit  devoir  arriver,  savoir,  que  le 
Christ  soufirirait  la  mort,  et  que  le  premier  il  ressusciterait  d'entre  les 
morts,  et  qu'il  éclairerait  de  sa  lumière  le  peuple  Juif  et  les  Gentils  ».  Festus 
interrompit  brusquement  l'apologie  de  l'Apôtre  en  s'écriant  :  «  Paul,  tu  es 
insensé;  ton  grand  savoir  t'a  fait  perdre  le  sens  ».  Sans  s'arrêter  à  cette 
exclamation  injurieuse  que  la  surprise  avait  arrachée  à  l'ignorance  et  au 
dépit  de  Festus,  il  lui  répondit  avec  calme  ;  «  Je  ne  suis  pas  insensé,  très- 
excellent  Festus,  les  paroles  que  je  viens  de  dire  sont  des  paroles  de  vérité 
et  de  bon  sens!  »  Et  afin  que  Festus  revînt  de  sa  fausse  appréciation,  il  en 
appela  au  témoignage  d'Agrippa.  «  0  roi  Agrippa,  ne  croyez-vous  pas  aux 
Prophètes?  Je  sais  que  vous  y  croyez  ».  Telle  est  la  fameuse  exclamation 
qu'arrache  des  lèvres  du  roi  l'éloquence  scientifique  de  Paul  :  «  Il  ne  s'en 
faut  guère  que  vous  ne  me  persuadiez  d'être  chrétien  !  »  L'Apôtre  répliqua  : 
u  Plût  à  Dieu  que  non-seulement  il  ne  s'en  fallût  guère,  mais  qu'il  ne  s'an 


SAINT  PA.UL.   APÔTRE   DES   GENTILS   ET   MARTYR.  497 

fallût  rien  du  tout  que  vous  et  tous  ceux  qui  m'écoutent  présente- 
ment devinssiez  tels  que  je  suis,  à  la  réserve  de  ces  liens  ».  Le  roi,  le 
président ,  Bérénice  et  ceux  qui  étaient  assis  avec  eux ,  se  levèrent 
alors,  et,  s'étant  retirés  à  part,  ils  dirent  ensemble  :  «  Cet  homme  n'a 
rien  fait  qui  soit  digne  de  mort  ou  de  prison  ».  Agrippa  dit  à  Festus  ; 
«Il  pouvait  être  renvoyé  absous  s'il  n'eût  point  appelé  à  César  ».  Ainsi 
tombèrent  et  s'évanouirent  toutes  les  accusations  calomnieuses  de  ses 
ennemis. 

La  résolution  d'envoyer  l'Apôtre  à  Rome  vider  son  appel  étant  ainsi  arrê- 
tée, «il fut  décidé  qu'il  irait  par  mer  en  Italie,  et  qu'on  le  mettrait  avec  les 
autres  prisonniers  entre  les  mains  du  nommé  Jules,  centurion  d'une  cohorte 
de  la  légion  Augusta  ».  Ce  voyage  devant  se  faire  par  mer,  il  monta  sur 
un  vaisseau  d'Adrumette  *.  Saint  Luc  et  Arislarque  de  Macédoine,  témoins 
des  persécutions  et  des  souffrances  de  l'Apôtre,  ne  rougirent  pas  de  ses  liens  ; 
ils  briguèrent  l'honneur  de  l'accompagner  dans  son  voyage  maritime,  et 
d'affronter  les  périls  de  sa  navigation.  Poussé  par  un  vent  favorable,  le  jour 
suivant  le  vaisseau  aborda  à  Sidon,  ville  célèbre  de  la  Phénicie.  Jules,  se 
dépouillant,  à  l'égard  de  saint  Paul,  de  la  rudesse  si  connue  des  soldats 
envers  leurs  prisonniers,  le  traita  avec  tant  d'humanité,  qu'il  cessa  de  voir 
en  lui  un  captif.  Il  lui  donna  la  liberté  sur  parole  ;  il  put  ainsi  aller  visiter 
ses  amis  les  chrétiens  de  Sidon,  et  pourvoir  lui-même  à  ses  besoins.  En 
sortant  de  Sidon,  le  vaisseau  fut  obligé,  à  cause  des  vents  contraires,  de 
côtoyer  l'île  de  Chypre  ;  l'ayant  doublée,  il  entra  dans  les  mers  de  Cilicie 
et  de  Pamphylie,  et  il  aborda  à  Myre,  enLycie  (d'après  le  grec),  et  non  pas 
à  Lystre,  comme  porte  la  Vulgate  Cette  dernière  ville,  située  dans  la  Ly- 
caonie,  n'est  pas  un  port  de  mer.  Par  une  heureuse  rencontre,  Jules  trouva 
dans  ce  port  un  vaisseau  d'Alexandrie,  qui  faisait  voile  vers  l'Italie.  Gomme 
c'était  le  but  de  son  voyage,  il  abandonna  celui  d'Adrumette,  et  monta 
avec  ses  prisonniers  et  les  amis  de  l'Apôtre  sur  ce  nouveau  navire.  Celui-ci, 
lourdement  chargé  de  blé,  naviguait  difficilement,  ayant  le  vent  en  face, 
obligé  de  lutter  contre  le  vent  d'ouest,  à  une  époque  où  la  navigation  sortait 
à  peine  de  l'enfance  de  l'art  ;  il  mit  beaucoup  de  jours  à  s'approcher  de 
Gnide,  ville  située  sur  un  promontoire  du  même  nom,  dans  la  partie  de  la 
Carie  plus  spécialement  nommée  Doride.  Le  vaisseau  prit  ensuite  au-des- 
sous de  l'île  de  Crète,  par  le  cap  oriental  de  Salmone,  opposé  à  Gnide  et  à 
Rhodes,  longea  la  côte  méridionale  de  Crète,  au  lieu  de  celle  du  nord,  car 
il  aurait  été  exposé  à  toute  la  violence  du  vent  nord-ouest,  et  après  une 
navigation  difQcile,  qui  l'obligeait  à  louvoyer,  il  arriva  en  un  lieu  nommé 
Bon-Port  ou  Beau-Port,  près  duquel  était  située  la  ville  de  Thalassa  ou  de 
Laséa,  dont  le  nom  subsiste  encore  au  raidi  de  l'île  de  Crète.  Ce  port,  beau- 
coup trop  découvert,  et  exposé  à  des  coups  de  vents,  offrait  un  mouillage 
peu  sûr  pour  y  passer  l'hiver. 

Pendant  cette  marche  pénible,  un  grand  nombre  de  jours  s'étaient  écou- 
lés :  la  navigation  devenait  de  plus  en  plus  pénible.  Saint  Paul  connut  le 
péril  imminent  que  courait  le  vaisseau  ;  aussitôt  il  donna  à  ceux  qui  le  diri- 
geaient cet  avis  prudent  :  «  Mes  amis,  je  vois  que  la  navigation  va  devenir 
très-fâcheuse,  et  pleine  de  péril,  non-seulement  pour  le  vaisseau  et  sa 
charge,  mais  aussi  pour  notre  vie  ».  Le  centurion  Jules  préféra  l'opinion 

'  Adrumettinam,  dit  la  Vulgate  :  'Aipa/j.ijZTr,'j&,  dit  le  texte  grec.  On  ne  sait  s'il  faut  entendre  loi  la 
Ville  libyenne  d'Adrumette,  capitale  de  la  Byzacfene,  on  celle  d'Adramytte,  en  Xysie,  sur  l'embouchure  du 
Caïque.  Quoi  qu'il  en  soit,  ces  deux  cites  maritimes,  l'une  de  l'Afrique,  l'autre  le  l'Asie-Mineure,  tenaient 
alors  un  rang  distingué  parmi  les  ports  commerciaux  de  l'Orient. 

ViE3  DES  Saints.  —  Tome  VU.  32 


498  29  JTOï. 

des  hommes  de  mer  ;  leur  vieille  expérience  lui  parut  préférable  à  la 
science  surnaturelle  de  Paul.  Le  port  où  ils  se  trouvaient  n'offrait  aucun 
abri  convenable  au  navire.  On  se  remit  en  mer,  afin  de  gagner  Phénice, 
port  de  Crète,  qui  regarde  les  vents  du  couchant  et  du  midi  ;  l'hiver  aurait 
pu  s'y  passer  sans  danger.  L'imprévoyance  des  hommes  de  mer  fut  surprise 
par  un  vent  impétueux  qui  se  leva  peu  de  temps  après,  entre  le  levant  et 
le  nord  ;  il  soufflait  avec  une  telle  violence  contre  l'île,  qu'il  emportait  le 
navire  sans  que  sa  masse  pût  y  opposer  la  moindre  résistance  ;  toute  ma- 
nœuvre devenant  inutile,  il  fut  le  jouet  du  vent,  poussé  avec  impétuosité 
au-dessous  d'une  petite  île  appelée  Gauda,  située  tout  près  de  l'île  de  Crète, 
et  célèbre  par  ses  onagres  ;  on  put  à  grand'peine  se  rendre  maître  de  la 
chaloupe.  Il  fallut  le  jour  suivant  jeter  les  marchandises  à  la  mer,  afin  d'al- 
léger le  navire  et  de  diminuer  ses  rudes  secousses  ;  trois  jours  après,  la  mer, 
toujours  insatiable,  exigea  d'autres  sacrifices  ;  ils  jetèrent  de  leurs  propres 
mains  les  agrès  du  vaisseau  dans  le  gouffre.  Pour  comble  d'horreur,  ni  le 
soleil  ni  les  étoiles  ne  parurent  de  plusieurs  jours.  Sauveur  inespéré, 
l'Apôtre  se  leva  au  milieu  d'eux,  et  avec  une  noble  assurance  il  leur  promit 
la  vie  sauve.  Dans  l'attente  du  naufrage,  personne  n'avait  songé  à  manger, 
il  les  exhorta  à  prendre  de  la  nourriture,  en  leur  disant  :  «  Mes  amis,  vous 
eussiez,  sans  doute,  mieux  fait  de  croire  ma  parole,  et  de  ne  point  partir  de 
Crète  ;  vous  nous  auriez  épargné  une  aussi  grande  peine,  et  nous  n'aurions 
pas  subi  une  si  grosse  perte  !  Néanmoins,  personne  ne  périra  ;  ce  vaisseau 
seul  sera  perdu  ;  donc  prenez  maintenant  bon  courage,  car  cette  nuit 
même  un  ange  du  Dieu  que  je  sers  m'est  apparu  et  m'a  dit  :  Paul,  ne 
craignez  point,  il  faut  que  vous  comparaissiez  devant  César  ;  Dieu,  touché 
de  vos  prières,  vous  a  donné  tous  ceux  qui  naviguent  avec  vous  1  C'est 
pourquoi,  amis,  ayez  bon  courage  !  ma  confiance  en  Dieu  ne  sera  point 
trahie,  tout  ce  qui  m'a  été  annoncé  arrivera  ;  nous  devons  seulement  être 
jetés  contre  une  certaine  île  ».  Cette  parole  ferme  releva  le  cœur  des  passa- 
gers abattus  par  la  crainte  de  la  mort. 

La  quatorzième  nuit  de  cette  navigation  horrible  sur  la  mer  Adriatique, 
les  matelots  s'aperçurent  vers  minuit  qu'ils  approchaient  de  terre;  aussitôt 
ils  jetèrent  la  sonde  et  trouvèrent  vingt  brasses,  un  peu  plus  loin  ils  en 
trouvèrent  seulement  quinze.  Dans  la  crainte  d'aller  se  briser  contre  un 
écueil,  ils  se  hâtèrent  de  jeter  de  la  poupe  quatre  ancres  à  la  mer,  et  ils 
attendirent  ensuite  avec  impatience  que  le  jour  vînt  éclairer  leur  situation, 
peu  auparavant  si  désespérée.  Saint  Paul,  attentif  aux  besoins  des  passagers, 
certain  que  dans  peu  ils  seraient  à  l'abri  de  tout  péril,  les  exhorta  à  prendre 
de  la  nourriture,  en  leur  disant  :  «  Quatorze  jours  se  sont  écoulés 
depuis  que  vous  êtes  à  jeun.  Croyez-m'en,  prenez  de  la  nourriture  afin 
de  pouvoir  vous  sauver  ;  car  nul  d'entre  vous  ne  perdra  même  un 
seul  cheveu  de  sa  tête  ».  A  cette  parole  convaincue  et  rassurante  il  joignit 
son  propre  exemple,  toujours  puissant  sur  des  cœurs  abattus.  Il  prit  du 
pain,  et  après  avoir  rendu  grâces  à  Dieu,  en  présence  de  tous  les  passagers, 
afin  de  leur  enseigner  à  remercier  le  Maître  du  monde,  même  au  milieu 
d'un  péril  imminent,  il  le  rompit  et  se  mit  à  manger.  Le  calme  plein  d'as- 
surance avec  lequel  il  procédait  acheva  de  ranimer  les  esprits  abattus  ; 
tous,  reprenant  courage,  se  mirent  à  manger  comme  lui;  on  comptait  dans 
le  navire  deux  cent  soixante-seize  personnes  ;  après  s'être  rassasiées,  elles 
achevèrent  de  soulager  le  vaisseau  en  jetant  le  blé  à  la  mer. 

Jules  commanda  à  ceux  qui  pouvaient  nager  de  se  jeter  les  premiers 
hors  du  vaisseau  et  de  se  sauver  ainsi  à  terre  ;  tous  les  autres  se  mirent,  ou 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES   GENTILS  ET  MARTYR.  499 

sur  des  planches,  ou  sur  des  pièces  du  vaisseau  ;  à  l'aide  de  ces  divers 
moyens  de  sauvetage,  tous  les  passagers  gagnèrent  la  terre,  et  Dieu  tint  la 
promesse  qu'il  avait  faite  à  son  Apôtre  ;  nul  d'entre  eux  ne  périt  !  En  pré- 
servant d'une  mort  affreuse  ce  grand  nombre  de  personnes,  le  prisonnier 
de  Jésus-Christ  glorifia  ses  chaînes  ;  l'opprobre  retomba  sur  ceux  qui  l'en 
avaient  chargé.  Ce  naufrage  de  saint  Paul  fut  le  quatrième.  Echappés  à  ce 
terrible  danger  les  passagers  s'aperçurent  qu'ils  étaient  dans  l'île  de 
Malte  ;  les  insulaires  les  recueillirent  avec  empressement  et  les  traitèrent 
avec  bonté.  Leur  premier  soin,  en  voyant  les  naufragés  tout  transis  de  froid 
et  mouillés  encore  de  la  pluie,  fut  d'allumer  un  grand  feu  pour  les  réchauf- 
fer et  les  sécher.  Ne  dédaignant  pas  les  petits  offices  de  la  charité,  lui  dont 
le  cœur  brûlant  embrassait  le  monde  entier,  saint  Paul  ramassa  des  brous- 
sailles et  les  jeta  dans  le  feu  afin  de  lui  donner  plus  d'intensité  ;  une  vipère 
engourdie,  ranimée  soudain  par  la  chaleur,  sortit  des  sarments,  et  s'élança 
sur  sa  main  ;  quand  les  habitants  de  l'île  de  Malte  virent  ce  reptile  si  dan- 
gereux suspendu  à  sa  main,  frappés  d'étonnement,  ils  se  dirent  entre  eux  : 
«  Cet  homme  est  sans  doute  un  meurtrier;  voyez  comment,  après  s'être 
sauvé  d'une  mer  en  courroux,  il  est  poursuivi  par  la  vengeance  divine  qui 
ne  veut  pas  le  laisser  survivre  ».  Sans  s'effrayer  de  leurs  pensées  ni  de  la 
vipère  autrement  dangereuse,  l'Apôtre  la  secoua  tranquillement  dans  le  feu 
et  n'en  reçut  aucun  mal  ;  attentifs  aux  effets  ordinaires  de  la  morsure  du 
reptile,  les  barbares  attendaient  avec  une  avide  curiosité  que  le  poison, 
après  avoir  pénétré  dans  son  sang,  fît  enfler  son  corps  ;  et  après  avoir 
atteint  les  sources  de  la  vie,  le  fît  tomber  mort  tout  d'un  coup,  comme 
frappé  de  la  foudre.  Il  n'en  fut  rien  :  la  violence  du  venin  de  la  vipère  fut 
neutralisée  par  une  vertu  divine  ;  après  une  longue  attente,  les  barbares, 
étonnés  de  l'innocuité  de  cette  morsure  sur  la  personne  de  l'Apôtre,  chan- 
gèrent de  sentiment  à  son  égard  ;  pleins  d'admiration  pour  ce  naufragé 
invulnérable,  ils  allèrent  d'un  bond  à  l'extrémité  opposée  ;  ils  s'écrièrent 
que  c'était  un  dieu  !  Peut-être  ces  païens  le  soupçonnèrent-ils  d'être  leur 
Hercule  ! 

Dans  cet  endroit,  il  y  avait  des  terres  qui  appartenaient  au  Premier  de 
l'île,  nommé  Publias;  cet  homme  mit  un  grand  empressement  à  donner 
l'exemple  de  l'hospitalité;  il  reçut  avec  beaucoup  d'humanité  saint  Paul  et 
ses  amis  ;  il  les  garda  durant  trois  jours.  Pendant  ces  jours,  ils  eurent  le 
temps  de  se  remettre  un  peu  des  horribles  fatigues  de  cette  longue  tem- 
pête, suivie  d'un  tel  naufrage.  Publius  les  reçut  dans  sa  villa  qui  occupait 
les  hauteurs  où  est  maintenant  Civita-Vecchia  o\x  Medina-Vecchia,  l'ancienne 
capitale  de  l'île,  dont  la  cathédrale  est  dédiée  à  saint  Pierre  et  à  saint  Paul. 
Par  une  rencontre  heureuse,  le  père  de  Publius  était  malade  de  la  fièvre  et 
delà  dyssenterie  ;  l'Apôtre  alla  le  voir,  et  trouvant  l'occasion  de  lui  témoi- 
gner une  reconnaissance  vraiment  apostolique  de  sa  bonne  réception,  il  lui 
imposa  les  mains  et  le  guérit.  Ce  miracle,  précédé  de  celui  de  la  vipère  se- 
couée dans  le  feu  sans  danger,  fit  grand  bruit  dans  l'île  ;  aussitôt  tous  les 
esprits  s'émurent,  tous  les  infirmes  vinrent  à  lui  et  furent  guéris.  Saint  Paul 
ne  borna  pas  son  ministère  à  la  guérison  des  maladies  corporelles  des  habi- 
tants infirmes  de  l'île  de  Malte  ;  tous  les  esprits  qui  se  montrèrent  dociles  à 
sa  voix  se  convertirent,  les  idoles  tombèrent,  et  Jésus-Christ  régna  dans  les 
cœurs.  La  conversion  de  Publius,  que  l'Apôtre  établit  évêque  de  cette  nou- 
velle Eglise,  fut  la  plus  éclatante  de  toutes  et  dut  en  entraîner  d'autres. 
D'anciens  martyrologes  attestent  ces  faits;  ils  ajoutent  que  plus  tard 
Publius  dirigea  l'Eglise  d'Athènes  en  qualité  d'évêque  successeur  de  saint 


500  29  juro. 

Denys  l'Aréopagite  ;  saint  Denys  d'Alexandrie  affirme,  en  effet,  qu'un 
Pubiius  succéda  à  saint  Denys,  évêque  d'Athènes.  Ce  Publius,  à  ce  qu'on 
croit,  est  le  même  que  celui  de  Malte.  D'après  saint  Jérôme,  il  remporta  la 
couronne  du  martyre. 

Après  trois  mois  de  résidence  forcée  dans  l'île  de  Malte,  où  les  nom- 
breuses guérisons  miraculeuses  qu'il  avait  opérées  lui  avaient  attiré  de 
grands  honneurs,  l'Apôtre  put  enfin  monter,  avec  ses  compagnons  de 
voyage,  sur  un  vaisseau  d'Alexandrie  qui  avait  passé  l'hiver  dans  un  des 
ports  de  l'île,  et  faire  voile  vers  l'Italie.  Ce  navire  portait  pour  enseigne 
l'image  de  Castor  et  de  Pollux.  De  Malte  il  cingla  directement  vers  Syracuse 
où  il  aborda.  Il  séjourna  trois  jours  dans  cette  ville  célèbre.  Quand  saint 
Paul  parvint  dans  cette  ville,  les  Romains  en  étaient  les  maîtres  depuis  trois 
siècles  ;  d'après  Cornélius  à  Lapide,  il  y  fut  reçu  par  saint  Marcien,  que 
saint  Pierre  y  avait  établi  évoque  plusieurs  années  auparavant.  Tandis  que 
les  marchands  et  les  propriétaires  du  navire  se  livraient  h  leur  trafic,  il  visita 
les  frères,  et  laissa  parmi  eux  une  telle  empreinte  de  son  passage,  que  le  chris- 
tianisme fructifia  merveilleusement,  comme  le  prouve  avec  évidence  le 
grand  nombre  de  saints  et  de  martyrs  illustres  que  Syracuse  a  donnés  à 
l'Eglise.  Faisant  le  tour  de  la  côte,  le  vaisseau  aborda  à  Rhegium,(Reggio*) 
ville  grecque  fondée  par  les  Chalcidiens.  Cette  ville  conserve  encore  son 
nom.  Le  jour  d'après,  le  vent  du  midi  s'étant  levé,  le  vaisseau  appareilla 
et  arriva  en  deux  jours  à  Pouzzoles ,  ville  de  la  Campanie ,  autrefois 
Puteoli,  située  à  environ  huit  milles  de  Naples,  partie  sur  le  rivage  de  la 
mer,  et  partie  sur  une  hauteur.  En  sortant  du  navire,  saint  Paul  trouva, 
parmi  les  habitants  de  Pouzzoles,  des  frères  qui  l'accueillirent  avec  une 
sainte  joie  ;  avides  de  l'entendre  et  trop  heureux  de  le  posséder  dans  leur 
cité,  ils  le  supplièrent,  avec  de  vives  et  instantes  prières,  de  rester  chez  eux 
pendant  sept  jours.  Le  centurion  Jules  ne  mit  aucun  obstacle  à  leur  désir. 
Pendant  son  séjour,  l'Apôtre,  avec  cette  parole  puissante  dont  les  accents 
vibraient  si  fortement  dans  tous  les  cœurs,  confirma  ses  frères  dans  la  foi. 

Paul  touchait  enfin  cette  terre  d'Italie,  objet  de  ses  vœux  ardents.  Le 
voyage  de  Pouzzoles  à  Rome  aurait  pu  se  faire  par  mer  jusqu'à  Ostie  ;  mais 
le  centurion  préféra  suivre  la  voie  de  terre.  Les  frères  de  Rome,  avertis  par 
les  lettres  des  chrétiens  de  Pouzzoles  de  l'arrivée  de  l'Apôtre  dans  leur  cité, 
et  de  son  départ  pour  la  ville  éternelle,  allèrent  à  sa  rencontre.  Ce  fut 
l'an  VII  de  Néron,  vers  les  premiers  jours  d'avril  au  plus  tard,  qu'il  fut  pré- 
senté tout  enchaîné  au  stratopédarque  par  le  centurion  Jules.  Il  était  suivi 
de  Luc  et  d'Aristarque,  qui  l'avaient  accompagné  dans  son  voyage,  attentifs 
à  le  servir  et  à  le  consoler  dans  ses  chaînes. 

Le  centurion  Jules  ayant  donc  remis  à  Afranius  Burrhus,  stratopédar- 
que ou  préfet  du  prétoire,  les  prisonniers  qu'il  amenait  de  l'Orient,  ce  chef 
de  la  justice  impériale  les  fit  tous  enfermer  dans  la  prison  de  la  ville,  à 
l'exception  de  saint  Paul.  Par  une  distinction  caractéristique,  il  le  sépara 
de  tous  les  autres,  sans  qu'il  l'en  eût  sollicité  ;  il  lui  permit  de  loger  dans 
une  hôtellerie ,  sous  la  garde  d'un  prétorien.  Saint  Paul,  soumis  à  la 
garde  la  plus  douce,  jouissait  d'une  demi-liberté.  La  permission  d'habiter 
un  logis  particulier,  d'y  recevoir  les  visites  de  ses  amis  et  de  toutes  les  per- 
sonnes qui  voulaient  lui  parler,  n'était  accordée  qu'à  des  personnages  con- 
sidérables :  on  ne  traitait  pas  avec  tant  d'humanité  des  prisonniers  vulgaires. 
Le  jour  de  son  arrivée,  saint  Paul  n'eut  pas  le  loisir  de  s'occuper  de  son 

1.  La  cathédrale  de  Eeggio  possède  encore  aujourd'hui  la  colonne  rostrale,  monument  de  la  prédica- 
tioa  de  saint  Faol. 


SAINT  PAUL,    APÔTRE  DES   GENTILS  ET  MARTYR.  501 

appel,  il  dut  employer  la  journée  suivante  à  chercher  une  maison  et  à 
s'y  installer.  Une  fois  convenablement  logé,  il  dut  recevoir  la  visite  des 
judéo-chrétiens  et  des  ethnico-chrétiens  dont  il  avait  apaisé,  par  sa  célèbre 
Epître,  la  dispute  touchant  leurs  prérogatives  mutuelles  et  leur  valeur  morale 
auprès  de  Dieu.  Le  troisième  jour  de  son  arrivée,  il  voulut,  avant  de  compa- 
raître devant  le  tribunal  de  César,  conférer  avec  les  principaux  d'entre  les  Juifs 
qui  résidaient  à  Rome.  Il  les  fît  donc  prier  par  les  judéo-chrétiens  de  la  ville 
de  s'assembler  dans  sa  maison.  Cette  invitation  fut  très-bien  accueillie.  Les 
principaux  d'entre  eux  vinrent  en  effet  le  trouver,  soit  par  curiosité,  soit 
par  esprit  national.  Quand  ils  furent  réunis,  l'Apôtre  les  engagea  à  ne 
mettre  aucune  opposition  à  son  élargissement,  et  à  se  désister  même  de 
toute  poursuite  contre  sa  personne,  si  telle  avait  été  leur  pensée  première. 
Les  Juifs  de  Rome  répondirent  au  grand  prisonnier  :  «  Nous  n'avons  point 
reçu  de  la  Judée  des  lettres  accusatrices  contre  vous  ;  aucun  frère  n'a  été 
envoyé  vers  nous  pour  nous  en  informer  ;  personne  même  ne  nous  a  dit  le 
moindre  mal  contre  votre  personne  ;  c'est  pourquoi  nous  désirons  connaître 
vos  sentiments  relativement  à  la  secte  dont  vous  êtes  un  des  propagateurs 
ardents,  car  la  seule  chose  que  nous  savons,  c'est  qu'on  s'y  oppose  de  toutes 
parts  ».  On  fixa  pour  cette  affaire  le  jour  d'une  seconde  conférence. 

Les  Juifs,  fîdôles  à  leur  promesse,  se  rendirent  en  grand  nombre,  au 
jour  fîxé,  dans  sa  demeure.  Quand  ils  furent  réunis,  l'Apôtre,  préparé  par 
la  prière,  soutenu  par  l'inspiration  de  l'Esprit-Saint,  parut,  entouré  de  saint 
Luc  et  de  ses  autres  disciples  présents  à  Rome,  enchaîné  au  bras  d'un  lé- 
gionnaire, et  leur  exposa  depuis  le  matin  jusqu'au  soir  le  mystère  de  Jésus- 
Christ,  la  nécessité  de  croire  en  lui  si  l'on  veut  être  sauvé.  Le  feu  divin  qui 
animait  son  discours,  produisit  son  double  effet  habituel  :  les  uns,  dociles  à 
l'impression  de  l'Esprit,  ouvrirent  les  yeux  à  la  lumière  de  la  vérité,  et  la 
reçurent  avec  bonheur;  ils  crurent  d'une  foi  ferme  cette  vérité  nouvelle  que 
saint  Paul  manifestait  à  leur  intelligence.  Les  autres,  poussés  par  l'esprit  de 
contradiction,  fermèrent  les  yeux  à  la  lumière  ;  ils  se  raidirent  contre  les 
vérités  qui  la  leur  rendaient  sensible  et  palpable,  et  demeurèrent  attachés  h 
la  lettre  mortelle  de  la  loi. 

Saint  Paul  demeura  pendant  deux  ans  entiers  dans  l'hôtellerie  où  il 
avait  pris  son  logement  ;  il  y  reçut  tous  ceux  qui  venaient  le  voir  et  l'entrete- 
nir de  la  grande  cause  de  l'Evangile  ;  il  leur  prêchait  le  royaume  de  Dieu  et 
leur  enseignait  ce  qui  regarde  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  avec  une  entière 
liberté,  sans  que  personne  mît  empêchement  à  sa  prédication.  Contre 
l'attente  de  ses  plus  cruels  persécuteurs,  il  recouvra  dans  la  métropole  de 
l'idolâtrie,  dans  la  ville  de  tous  les  dieux,  sous  l'empire  d'un  Néron,  et  dans 
les  chaînes,  une  liberté  entière  de  prêcher  la  loi  nouvelle  à  toutes  sortes 
de  personnes;  liberté  qui  lui  avait  été  ravie  à  Jérusalem,  ville  capitale  de 
la  religion  ;  ses  chaînes,  loin  de  mettre  un  obstacle  à  sa  parole,  servirent  à 
la  porter  plus  loin  et  plus  haut.  Ce  contraste  entre  un  bras  enchaîné  et  une 
langue  libre  lui  donna  plus  de  célébrité  ;  on  aurait  dit  qu'il  renouvelait  les 
merveilles  du  forum,  muet  depuis  si  longtemps,  tellement  que  ses  liens 
devinrent  célèbres  dans  tout  le  prétoire,  et  que  des  chrétiens  existaient 
même  dans  la  maison  de  César,  convertis  à  la  foi  par  sa  prédication. 

D'après  la  promesse  formelle  de  Jésus-Christ  :  «  Il  te  faut  comparaître 
devant  César  »,  et  la  manifestation  de  ses  liens  dans  tout  le  prétoire,  il  est 
certain  que  saint  Paul  comparut  devant  Néron  en  personne.  Or,  quand 
l'empereur  présidait,  il  avait  pour  assesseurs  le  préfet  du  prétoire  et  l'un 
4e  ses  ministres.  Ces  personnages  durent  être  Afranius  Burrhus  et  Sénèque, 


502  29  JUIN. 

lesquels,  en  raison  de  leur  charge,  ne  pouvaient  pas  s'absenter  de  cette  au 
dience  ;  ils  devaient  se  trouver  dans  le  lieu  où  César  rendait  la  justice  en 
personne.  Seul,  sans  patron,  sans  avocat,  saint  Paul  défendit  sa  cause  avec 
sa  présence  d'esprit  et  son  éloquence  admirables.  Si  nous  avions  encore  son 
discours,  nous  y  reconnaîtrions  la  sublimité  de  celui  qu'il  prononça  devant 
l'aréopage,  et  la  science  qu'il  déploya  devant  le  roi  Agrippa  ;  nous  pour- 
rions surtout  y  admirer  les  arguments  appropriés  à  sa  cause  et  au  chef  de 
l'empire.  Ce  fut  par  ce  discours  qu'il  se  fit  connaître  de  César,  du  préfet  du 
prétoire,  de  ses  assesseurs  et  des  autres  personnages  célèbres  qui  entou- 
raient Néron.  Une  foule  d'auditeurs  choisis  affluaient  de  la  ville  aux 
audiences  impériales  ;  Néron,  avec  sa  soif  des  applaudissements,  n'était  pas 
homme  à  les  écarter.  Ne  trouvant  aucun  motif  de  condamner  l'Apôtre, 
il  le  renvoya  des  fins  de  la  plainte,  et  termina  ainsi  son  procès  d'appel.  Les 
liens  de  l'Apôtre  furent  brisés  vers  la  fin  de  la  seconde  année  de  son  arrivée 
à  Rome. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  le  prétoire  et  la  ville  de  Rome  que  les  chaînes 
de  l'Apôtre  acquirent  une  grande  célébrité.  Le  bruit  de  sa  captivité  se  ré- 
pandit promptement  jusqu'en  Orient.  Toutes  les  Eglises  qu'il  avait  fondées 
le  suivaient  en  esprit  dans  toutes  ses  pérégrinations,  s'informant  avec  soin 
de  tous  les  événements  de  sa  vie.  On  recherchait  avec  avidité  tout  ce  qui  le 
concernait.  Mais  si  toutes  les  Eglises  rivalisaient  de  zèle  à  son  égard,  il  en 
était  une  cependant  qui  l'emportait  sur  les  autres  par  son  affection  plus 
tendre  et  plus  vive  :  c'est  l'Eglise  de  Fhilippes,  en  Macédoine.  En  toute  oc- 
casion, les  saints  de  cette  ville  s'empressaient  de  lui  témoigner  leur  atta- 
chement. Veillant  toujours  sur  lui,  ils  se  hâtaient,  dès  qu'ils  le  voyaient 
dans  la  peine,  de  mettre  à  sa  disposition  leurs  biens  et  leur  vie.  Aussitôt 
qu'ils  apprirent  sa  captivité  à  Rome,  sans  s'arrêter  à  des  larmes  stériles 
ni  à  de  vaines  émotions,  ils  lui  envoyèrent  leur  Apôtre,  ou  l'évêque  Epa- 
phrodite ,  en  le  chargeant  de  le  servir  dans  ses  chaînes  et  de  lui  offrir, 
de  leur  part,  un  secours  pécuniaire.  Le  noble  prisonnier  de  Jésus-Christ 
n'avait  d'autres  ressources  pour  vivre  que  le  travail  de  ses  mains.  Or,  ce 
labeur  continuel,  au  milieu  de  ses  travaux  apostoliques,  aurait  achevé  de 
briser  ses  forces  si  ses  vrais  amis  avaient  négligé  de  venir  à  son  secours.  Au 
moment  de  son  départ,  l'Apôtre  le  chargea  de  sa  touchante  Epître  aux 
Philippicns.  11  l'écrivit  de  Rome ,  où  il  était  encore  prisonnier.  C'est  un 
monument  touchant  de  sollicitude  pastorale,  et  de  noble  reconnaissance 
d'un  chef  de  famille  à  l'égard  de  ses  enfants.  L'Apôtre  témoigne  beaucoup 
de  tendresse  envers  ses  chers  néophytes,  maintenant  affermis  dans  la  voie 
chrétienne.  Son  cœur  déborde  de  joie,  non  pas  tant  à  cause  de  l'abondance 
de  leurs  largesses  que  par  la  considération  de  leurs  excellentes  dispositions. 
Pour  lui,  depuis  longtemps  il  est  accoutumé  aux  privations  :  il  a  vécu  par- 
fois dans  l'affluence,  souvent  dans  l'indigence.  Dieu  leur  tiendra  compte  de 
leurs  aumônes.  11  les  exhorte  à  se  montrer  constamment  au  milieu  du 
monde  comme  de  vrais  enfants  de  lumière  :  qu'ils  brillent  comme  des 
étoiles  parmi  les  païens  qui  les  environnent.  Cédant  à  une  constante 
préoccupation,  l'Apôtre  les  fortifie  contre  les  docteurs  du  judaïsme ,  qu'il 
appelle  des  ennemis  de  la  croix  de  Jésus-Christ.  «  Evitez  les  querelles», 
leur  dit-il  en  finissant,  et  il  les  conjure  de  conserver  toujours  entre  eux  une 
parfaite  union.  «  Un  des  moyens  les  plus  efficaces  de  maintenir  la  paix  et  la 
concorde,  c'est  de  pratiquer  l'humilité,  à  l'exemple  de  Jésus-Christ,  anéanti 
volontairement,  et  obéissant  jusqu'à  la  mort  de  la  croix  ». 

Pendant  son  séjour  à  Rome,  saint  Paul  rencontra  un  esclave  fugitif  du 


SAINT  PAUL,   APÔTRE  LES   GENTILS  ET  MARTYR.  503 

nom  d'Onésime,  qui  appartenait  à  Philémon,  riche  Phrygien  et  son  ami. 
Après  avoir  volé  son  maître,  cet  esclave  avait  évité  par  la  fuite  le  rude 
châtiment  qu'il  avait  mérité.  De  Colosses,  en  Phrygie,  il  était  venu  chercher 
un  refuge  dans  la  ville  de  Rome.  Il  espérait  échapper  à  toutes  les  recherches 
dans  cette  cité  immense  ;  il  ignorait  que  Rome  était  sans  entrailles  pour 
cette  chose  sans  nom  qu'on  nommait  un  esclave.  Il  risquait  d'y  mourir  de 
faim  ou  d'être  jeté  en  pâture  aux  bêtes  de  l'amphithéâtre.  Heureusement 
pour  lui,  après  avoir  épuisé  ses  dernières  ressources,  il  découvrit  dans  cette 
ville  l'Apôtre  qu'il  avait  déjà  connu  chez  son  maître.  Onésime,  se  confiant 
dans  la  charité  de  saint  Paul,  lui  confessa  sa  faute.  Touché  de  son  repentir, 
le  grand  Apôtre  le  convertit  à  la  foi,  et  comme  il  reconnut  en  lui  des  qua- 
lités précieuses,  il  résolut  d'en  faire  un  ouvrier  évangélique.  Mais,  toujours 
prudent,  avant  de  l'employer  au  service  de  l'Eglise,  il  voulut  en  obtenir  la 
permission  de  son  maître  ;  après  l'avoir  transformé  en  homme  nouveau,  il 
le  lui  renvoya  muni  d'une  Epître,  qui  montre  sous  un  nouveau  jour  sa  cha- 
rité admirable.  Emu  par  la  lecture  de  sa  belle  et  touchante  Epître,  Philé- 
mon reçut  Onésime  avec  bienveillance  et  lui  pardonna  sa  fuite  et  son  vol. 
Dès  qu'il  apprit  qu'il  pouvait  être  utile  à  saint  Paul  dans  ses  liens,  il  le  lui 
renvoya  en  le  rendant  à  la  liberté.  Epaphras,  évêque  de  Colosses,  ville  de 
Phrygie  voisine  de  Laodicée,  partageait  à  Rome  les  chaînes  de  l'Apôtre. 
C'était  un  zélé  serviteur  de  Dieu,  dont  les  prédications  avaient  contribué 
beaucoup  à  répandre  l'Evangile  en  Phrygie.  Il  manifesta  une  vive  et  cons- 
tante sollicitude  pour  les  villes  de  Colosses,  de  Laodicée  et  d'Hiéraple,  prin- 
cipal théâtre  probablement  de  ses  labeurs  apostoliques.  Saint  Paul  l'appelle 
son  cher  frère  et  son  compagnon  dans  le  service  de  Dieu.  C'est  de  lui  sans 
doute  qu'il  apprit  les  principaux  détails  de  la  conversion  des  fidèles  de  ce 
pays.  Aussi,  dans  son  Epître  aux  Colossiens,  leur  dit-il  qu'il  prie  sans  cesse 
pour  eux,  demandant  à  Dieu  de  les  remplir  de  la  connaissance  de  sa  volonté, 
afin  qu'ils  vivent  d'une  manière  digne  de  lui.  Une  circonstance  grave  décida 
saint  Paul  à  écrire  aux  Colossiens.  Des  séducteurs  avaient  jeté  parmi  eux  le 
trouble  et  la  division.  Prétendant  que  Jésus-Christ  est  trop  élevé  au-dessus 
des  hommes,  ils  imaginaient  des  médiateurs,  placés  entre  lui  et  nous,  des- 
tinés à  rapprocher,  pour  ainsi  dire,  l'éloignement  infini  et  l'espace  incom- 
mensurable qui  séparent  l'humanité  de  la  divinité.  Ces  erreurs  provenaient 
du  gnosticisme,  dont  les  progrès  étaient  continus  ;  elles  étaient  mêlées 
d'observances  judaïques  et  de  pratiques  superstitieuses  d'origine  païenne. 
Comme  d'habitude,  ces  fausses  théories  étaient  accompagnées  d'instructions 
secrètes  et  de  cérémonies  impures.  Comme  toujours  aussi,  saint  Paul  dé- 
ploie la  plus  vive  énergie  contre  ces  doctrines  impies. 

Saint  Paul  aimait  les  Hébreux  de  Jérusalem  et  de  la  Palestine  convertis 
au  christianisme,  avec  une  telle  ardeur,  qu'il  ne  pouvait  concentrer  ce  feu 
en  lui-même  ;  malgré  lui  il  faisait  souvent  explosion  ;  son  cœur  laissait 
échapper  ces  flammes  qui  le  brûlaient.  Vainement  sa  personne  semblait  leur 
causer  une  répugnance  visible,  son  zèle  l'emportait  vers  eux.  L'obstacle, 
on  peut  le  dire,  doublait  son  amour.  Dans  l'espoir  de  vaincre  enfin  leur 
éloignement,  il  leur  écrivit  de  Rome  ou  d'Italie  sa  célèbre  et  savante  Epître, 
qui  est  à  leur  égard  ce  que  l'Epître  aux  Romains  est  à  l'égard  des  Gentils. 
On  reste  toujours  saisi  d'admiration  devant  son  explication  de  l'esprit  de  la 
Loi  ancienne  et  du  changement  qu'elle  avait  subi  par  la  prédication  de 
l'Evangile.  Malgré  des  marques  intrinsèques  d'authenticité,  cette  sublime 
Epître  eut  une  étrange  destinée.  Se  refusant  à  voir  dans  la  haute  science 
que  l'auteur  déploie,  la  griffe  du  lion,  plusieurs  exégètes  l'attribuèrent  à 


504  29  JUIN. 

saint  Luc,  d'autres  à  saint  Barnabe,  quelques-uns  même  à  saint  Clément  de 
Rome,  et  enfin  à  Apollo.  Ce  dernier,  grand  et  puissant  orateur,  n'a  rleû 
laissé  par  écrit  ;  c'est  peut-être  par  suite  de  l'impossibilité  où  l'on  est  de  leur 
opposer  ses  précédents  ouvrages  qu'ils  l'en  regardent  comme  l'auteur.  En 
la  lisant  attentivement  et  sans  parti  pris,  il  est  aisé  d'y  reconnaître  la  pro- 
fonde doctrine  du  docteur  des  Gentils.  Convaincue  de  ce  fait,  l'Eglise  l'a 
insérée  définitivement  dans  le  canon  de  l'Ecriture.  L'idée  d'écrire  une  telle 
Epître  ne  pouvait  surgir  que  dans  l'esprit  du  grand  Apôtre.  Paul  console 
ses  compatriotes  de  la  persécution  qu'ils  avaient  à  souffrir  de  la  part  de 
leurs  frères  :  ce  qui  concorde  exactement  avec  l'époque  du  martyre  de  saint 
Jacques  le  Mineur.  En  même  temps,  en  effet,  beaucoup  de  disciples  de 
l'Evangile  furent  maltraités,  quelques-uns  même  jusqu'à  l'effusion  de  leur 
sang.  Le  but  de  cet  écrit  est  facile  à  saisir.  Comme  dans  ses  lettres  aux  Ro- 
mains et  aux  Galates,  l'Apôtre  montre  que  la  vraie  justice  ne  vient  pas  de  la 
loi,  mais  découle  de  Jésus-Christ.  Non-seulement  la  justification  ne  saurait 
être  produite  par  les  cérémonies  mosaïques,  ni  par  la  circoncision,  vérités 
développées  dans  les  précédentes  Epîtres  ;  elle  ne  saurait  non  plus  provenir 
des  sacrifices.  Ace  sujet,  saint  Paul  exalte  en  termes  magnifiques  la  gran- 
deur de  Jésus- Christ,  la  vertu  du  sacrifice  de  la  nouvelle  alliance  et  l'excel- 
lence de  son  sacerdoce.  Les  sacrifices  anciens  ont  été  abolis,  parce  qu'ils 
étaient  figuratifs. 

A  peine  mis  en  liberté,  saint  Paul,  toujours  animé  du  même  zèle,  reprit 
ses  courses  apostoliques.  L'ardeur  de  son  activité  naturelle,  loin  de  s'éteindre, 
avait  pris  plus  d'intensité  au  contact  du  feu  sacré  de  l'Esprit-Saint,  et  ne  lui 
permettait  pas  de  s'abandonner  au  repos.  Avec  sa  prudence  consommée,  il 
choisissait  les  lieux  où  sa  présence  était  le  plus  nécessaire.  L'île  de  Crète, 
aujourd'hui  Candie,  cette  île  aux  cent  villes,  si  florissante  et  si  renommée 
dans  le  paganisme  grec  et  romain,  attira  la  première  ses  regards.  L'Apôtre 
annonça  l'Evangile  aux  Juifs  d'abord,  selon  son  usage,  puis  aux  Gentils  ; 
les  diverses  conversions  opérées  par  sa  parole  formèrent  les  premiers  élé- 
ments de  l'Eglise  de  Crète  ;  des  alluvions  impures  vinrent  bientôt  souiller 
leur  pureté.  En  se  convertissant  à  la  foi,  l'esprit  indocile  de  ces  insulaires 
ne  se  dépouilla  pas  complètement  de  ses  erreurs  antérieures.  Leur  première 
superstition  renaissait  parfois,  comme  ces  plantes  mauvaises  qu'on  extirpe 
difficilement.  11  leur  prit  fantaisie  de  s'entêter  des  rêveries  des  Juifs  et  de 
leurs  cérémonies  légales,  de  celles  surtout  qui  leur  semblaient  avoir  une 
certaine  affinité  avec  le  paganisme  ;  ces  esprits  rebelles,  incapables  de  se 
laisser  gouverner  par  la  raison,  ne  pouvaient  être  ramenés  dans  la  voie  de  la 
vérité  et  de  la  justice  que  par  la  crainte  ;  c'est  pourquoi  saint  Paul  écrivit 
plus  tard  à  Tite  de  les  reprendre  avec  dureté  :  Increipa  eos  dure.  Habile 
dans  la  conduite  des  hommes,  il  savait  que  des  manières  trop  douces  restent 
sans  effet  sur  de  tels  caractères.  De  l'île  de  Crète,  saint  Paul  se  transporta  en 
Judée,  dont  il  visita  les  Eglises;  il  réalisa  alors,  d'après  saint  Chrysostome, 
la  promesse  qu'il  avait  faite  aux  Hébreux,  dans  sa  célèbre  Epître,  d'aller  les 
visiter  dès  que  ses  liens  seraient  brisés. 

Après  avoir  relevé  le  moral  des  judéo-chrétiens  de  Jérusalem  avec  cette 
grande  et  puissante  manière  apostolique  dont  l'Epître  aux  Hébreux  nous 
donne  l'idée,  il  visita  dans  le  même  but  les  fidèles  de  la  Palestine  et  de  la 
Syrie.  D'après  la  promesse  formelle  qu'il  avait  faite  à  Philémon,  il  ne  put 
se  dispenser  d'aller  visiter  l'Eglise  de  Colosses,  ville  de  l'Asie-Mineure,  située 
au  confluent  du  Lycus  et  du  Méandre  et  voisine  de  Laodicée,  que  Pline 
met  au  nombre  des  villes  les  plus  célèbres  de  la  Phrygie.  Le  triste  état  oii 


SAINT  PAUL,   APÔTRE  DES   GENTILS  ET  MARTYR.  S05 

un  tremblement  de  terre  avait  réduit  la  ville  de  Laodicée  en  la  renversant 
de  fond  en  comble,  l'empêcha-t-il  d'y  porter  ses  pas?  C'eût  été  pour 
l'Apôtre  un  motif  de  plus  d'aller  visiter  des  chrétiens  si  rudement  affligés  ; 
car,  malgré  leurs  richesses,  les  habitants  étaient  fort  en  peine  de  la  rebâtir. 
Assurément  l'Apôtre  ne  pouvait  aider  de  ses  deniers  cette  reconstruction  ; 
mais  il  pouvait  relever  leur  moral  abattu.  On  ne  voit  rien  qui  ait  pu  mettre 
opposition  à  ce  voyage.  Il  dut  terminer  le  cours  de  cette  visite  apostolique 
vers  la  fin  de  l'an  62,  époque  à  laquelle  il  arriva  à  Ephèse  avec  Timothée. 
Ce  fut  pour  lui  un  bonheur  inespéré,  et  dont  il  semblait  avoir  perdu  l'es- 
poir, que  de  revoir  cette  ville  oii  il  avait  exercé  son  apostolat  avec  tant 
de  succès.  Quand  l'Apôtre  eut  pourvu  avec  sa  prudence  surhumaine,  selon 
les  exigences  du  temps  et  du  lieu,  à  tant  de  choses  périlleuses,  pressé  par  le 
devoir  impérieux  de  suivre  l'ordre  divin,  il  quitta  Ephèse  et  prit  le  chemin 
de  la  Macédoine,  oh  l'attendaient  ses  chers  amis  de  Philippes.  Cette  Eglise 
était  la  première  dans  ses  affections  ;  il  se  trouvait  là  au  milieu  de  vrais 
amis,  dont  le  cœur  était  toujours  disposé  à  se  sacrifier  en  sa  faveur.  Malgré 
son  affection  singulière  pour  l'Eglise  de  Philippes,  si  digne  à  tous  égards 
de  son  amitié,  l'Apôtre  n'oublia  pas,  pendant  son  séjour  au  milieu  de  ses 
amis,  les  autres  Eglises  de  Macédoine.  Toutes  celles  qui  se  rencontrèrent 
sur  sa  route  reçurent  sa  visite.  Dans  ce  court  voyage  en  Macédoine,  il  suivit 
vraisemblablement  la  voie  qu'il  avait  parcourue  dans  le  premier,  quand  il 
passa  d'Asie  dans  cette  province  d'Europe,  et  ensuite  de  la  Macédoine  en 
Asie.  Obligé  de  s'embarquer  dans  le  port  oij  l'on  trouvait  le  plus  ordinaire- 
ment des  navires  en  destination  de  cette  province,  il  dut  se  rendre  d'Ephèse 
à  Troade,  situé  en  face  de  la  Macédoine. 

D'après  la  croyance  commune,  saint  Paul  écrivit  de  la  Macédoine  la 
première  épître  à  Timothée  :  tous  y  voient  un  magnifique  tableau  des  de- 
voirs de  la  charge  pastorale.  Cette  épître  résume  les  règles  divines  et  visi- 
blement inspirées  pour  le  sage  gouvernement  de  la  maison  de  Dieu  et  de 
la  famille  chrétienne.  On  l'a  constamment  regardée  dans  l'Eglise  comme  le 
premier  fondement  de  la  discipline  ecclésiastique  relative  à  l'épiscopat  et 
aux  divers  degrés  de  la  cléricature. 

De  peur  qu'on  ne  méprise  sa  jeunesse  (Timothée  avait  alors  à  peine 
trente  ans),  l'Apôtre  lui  adresse  diverses  recommandations  et  lui  trace  une 
ligne  de  conduite.  Il  doit  se  tenir  en  garde  contre  les  nouveautés  profanes 
de  langage,  et  combattre  le  bon  combat  de  la  foi.  Une  fausse  science,  en 
effet,  tendait  à  corrompre  la  pureté  de  la  doctrine.  A  cette  époque,  les 
femmes  s'employaient  à  disséminer  l'erreur.  Elles  servaient  d'instruments 
à  des  docteurs  d'iniquité,  grâce  à  cette  influence  qu'elles  prennent  aisé- 
ment sur  l'esprit  des  hommes.  Pour  couper  court  à  tout  abus,  et  même 
faire  disparaître  le  danger  de  ce  côté,  saint  Paul  défend  aux  femmes  d'en- 
seigner :  elles  doivent  garder  le  silence  dans  les  assemblées  chrétiennes,  et 
écouter  les  instructions  avec  attention  et  respect. 

Dans  ses  rapports  d'évêque  avec  les  femmes  chrétiennes,  Timothée  trai- 
tera celles  qui  sont  âgées  avec  le  respect  qu'on  porte  à  sa  mère  ;  il  considé- 
rera les  plus  jeunes  comme  ses  sœurs,  toujours  avec  une  réserve  extrême. 
Un  évêque  doit  être  irrépréhensible  dans  ses  mœurs  comme  dans  la  foi, 
instruit,  sobre,  hospitalier,  doux,  modeste,  ennemi  des  dissensions,  géné- 
reux. Si,  avant  de  recevoir  le  caractère  sacré  de  l'épiscopat,  il  était  engagé 
dans  le  mariage,  qu'il  maintienne  ses  enfants  dans  l'obéissance  et  une  con- 
duite régulière.  Comment  un  homme  qui  ne  sait  pas  gouverner  sa  maison, 
pourra-t-il  gouverner  l'Eglise  de  Dieu  ?  11  ne  faut  pas  élever  un  néophyte  à 


606  29  JUIN. 

la  dignité  épiscopale,  de  peur  qu'il  ne  s'enfle  d'orgueil  et  ne  soit  surpris 
par  le  démon.  Les  prêtres  qui  remplissent  bien  leur  charge  doivent  être 
honorés  :  toute  accusation  portée  contre  eux  ne  doit  pas  être  facilement 
accueillie,  à  moins  qu'elle  ne  soit  soutenue  par  deux  ou  trois  témoins. 
L'évêque,  en  toutes  choses,  doit  montrer  beaucoup  de  calme  et  user  d'une 
grande  modération  ;  il  priera  et  fera  prier  pour  tous  les  hommes,  pour  les 
princes  et  ceux  qui  sont  constitués  en  dignité. 

Saint  Paul  écrivit-il  également  de  Macédoine  l'Epître  à  Tite  ?  Celle-ci 
a  le  même  but,  les  mêmes  idées  et  souvent  la  même  forme  que  la  précé- 
dente. Ces  deux  Epîtres  ont  donc  dû,  à  ce  qu'il  paraît,  être  écrites  dans  le 
même  temps  et  du  même  lieu  ;  dans  l'une  et  dans  l'autre,  il  trace  un  plan 
de  conduite  à  suivre  dans  l'organisation  de  l'Eglise  ;  on  y  trouve  des  recom- 
mandations contre  les  judaïsants. 

Saint  Paul  dut  aller  en  Grèce  et,  de  cette  province,  il  vint,  comme  il  l'an- 
nonce à  Tite,  passer  l'hiver  à  Nicopolis,  ville  d'Epire  sur  le  golfe  d'Ambra- 
cie,  aujourd'hui  Prévéza.  De  Nicopolis,  l'Apôtre  repassa  en  Asie-Mineure  ;  il 
suivit  la  route  ordinaire,  longea  l'île  de  Samothrace  et  aborda  àTroade,  où 
il  logea  chez  Carpus,  chrétien  considérable  de  cette  ville,  ou  peut-être  un 
de  ses  prêtres.  Il  y  demeura  un  certain  temps.  Saint  Paul  alla  visiter  ensuite 
Antioche  de  Pisidie,  Iconium  et  Lystre,  où  il  soutfrit  les  grands  maux  dont 
il  parle  à  Timothée.  Il  vint  ensuite  à  Milet,  où  il  laissa  Trophirae  malade. 
Ayant  terminé  sa  visite  apostolique  des  Eglises  de  l'Asie,  où  il  marqua  son 
passage  par  des  travaux,  des  souffrances  et  des  persécutions  nouvelles,  il 
revint  à  Gorinthe,  où  il  laissa  Eraste,  l'un  de  ses  disciples  et  de  ses  saints 
coopérateurs  ;  il  y  rencontra  saint  Pierre,  et  tous  deux  allèrent  ensemble 
à  Rome,  comme  le  décrit  Denys  de  Gorinthe  dans  sa  lettre  aux  Romains. 

D'après  une  tradition  fondée  sur  les  témoignages  les  plus  graves,  dont 
le  faisceau  ne  semble  pas  pouvoir  être  rompu,  saint  Paul  alla  de  Rome  en 
Espagne  en  traversant  une  partie  des  Gaules.  L'Apôtre,  dont  l'activité  ne 
pouvait  être  arrêtée  que  par  la  mort,  ne  voulut  pas  quitter  la  terre  sans 
avoir  porté  la  lumière  de  l'Evangile  jusqu'aux  dernières  limites  de  l'Occi- 
dent. Les  Pères  de  l'Eglise  grecque  et  latine  admettent  presque  unanime- 
ment ce  voyage.  Pierre  de  Marca  trace  ainsi  l'itinéraire  de  saint  Paul  en 
Espagne  à  travers  les  Gaules  :  «  Paul  »,  dit  ce  savant  archevêque,  «  en  allant 
en  Espagne,  dut  suivre  cette  voie  publique,  si  célèbre  chez  les  anciens,  qui 
de  l'Italie  conduisait  à  travers  les  Gaules  jusque  dans  la  Bétique  même  ; 
l'itinéraire  d'Antonin  décrit  cette  voie  par  Nice,  Arles,  Narbonne,  les  monts 
Pyrénéens,  la  Jonquière,  Barcelone  »  et  les  autres  lieux.  Strabon  explique 
également  cette  voie  avec  soin  :  «  J'ai  redressé  les  interprètes  qui  ne  l'ont 
pas  toujours  bien  compris  ».  Etienne  VI,  dans  une  lettre  (citée  par  Labbe) 
contre  Sylva  et  Hermamire,  faux  évêques  d'Urgel  et  de  Girone,  dit  que 
saint  Paul  partit  de  Narbonne  en  compagnie  de  Sergius  Paulus,  et  que  tous 
deux  parvinrent  jusqu'aux  confins  de  l'Espagne  en  prêchant  l'Evangile. 
Dans  le  commentaire  sur  saint  Paul,  attribué  à  saint  Anselme,  ou  plutôt 
à  Hervé  de  Bourg-Dieu,  on  lit  le  même  fait,  le  départ  de  Narbonne  avec  son 
disciple  surnommé  Paulus.  Emmanuel-Cajétan  Souza  admet  aussi  qu'il  fît 
ce  voyage  par  terre  à  travers  les  Gaules.  L'Eglise  de  Tolède  met  à  la  tête  de 
ses  évêques  Marcel,  fils  de  Marcellus,  préfet  de  Rome,  et  le  qualifie  de  dis- 
ciple de  saint  Paul  ;  il  fut  converti  par  ce  grand  Apôtre,  lorsqu'il  était  en 
Espagne.  Ce  Marcel,  premier  évêque  de  Tolède,  avait  été  envoyé  dans  cette 
ville  par  l'empereur,  afin  de  la  conserver  dans  l'obéissance  aux  Romains. 
L'Eglise  de  Torlose  regarde  saint  Luf  ou  Ruffus  comme  son  premier 


SAINT  PAUL,   APÔTRE  DES   GENTILS  ET  MARTYR.  507 

évêque.  Fils  de  ce  Simon  le  Cyrénéen,  qui  fut  contraint  par  les  soldats  à 
porter  la  croix  de  Jésus-Christ  jusqu'au  Calvaire,  il  était  célèbre  dans  l'Eglise 
d'Anlioche,  où  il  imposa  les  mains  à  saint  Paul  et  à  saint  Barnabe.  Il  ac- 
compagna saint  Paul  en  Espagne,  et  le  grand  Apôtre  l'ordonna  évêque  de 
cette  Eglise.  Plusieurs  croient  également  que  Priscille  et  Aquila  accom- 
pagnèrent le  grand  Apôtre  en  Espagne  et  prêchèrent  l'Evangile  avec  lui, 
dans  cette  vaste  province  ;  ils  y  souffrirent  même  le  martyre. 

Averti  par  une  révélation  divine,  que  le  temps  de  sortir  de  ce  monde 
approchait,  saint  Paul  acheva  ses  itinéraires  apostoliques.  Il  reprit  le 
chemin  de  Rome  en  compagnie  de  Luc,  de  Tite,  de  Crescent,  de  Démas  et 
d'autres  saints  coopérateurs.  Saint  Denis  de  Corinthe,  comme  le  rapporte 
Eusèbe,  ûans  son  Histoire  de  l'Eglise,  semble  affirmer  que  saint  Paul  rentra 
dans  Rome  en  compagnie  de  saint  Pierre.  Le  chef  de  l'Eglise  et  le  grand 
Apôtre  se  seraient  rencontrés  au  terme  de  leur  mission  apostolique  et  au- 
raient fait  ensemble  leur  entrée  triomphale  dans  cette  ville,  où  leurs  corps 
devaient  reposer  et  être  vénérés  de  tout  l'univers.  Baronius  adopte  ce  sen- 
timent, d'après  Métaphrasle  et  d'autres  auteurs.  Saint  Astère  pense  que 
saint  Paul  retrouva  saint  Pierre  à  Rome,  et  s'appliqua,  de  concert  avec  lui, 
à  instruire  les  Juifs  dans  les  synagogues,  et  à  convertir  les  païens  sur  les 
places  et  dans  les  assemblées  publiques.  Surtout  ils  consolèrent  les  chrétiens 
qui  avaient  échappé  jusqu'alors  à  la  persécution  si  horrible  de  Néron.  Ega- 
lant leur  zèle  à  l'excès  du  mal,  ils  allaient  visiter  les  témoins  de  la  foi 
dans  leurs  cachots  et  les  préparer  à  une  immolation  prochaine.  Avant  de 
se  coucher,  ce  soleil  voulait  illuminer  un  grand  nombre  d'âmes  encore 
plongées  dans  les  ténèbres  ;  il  leur  prêcha,  avec  la  dernière  force,  l'Evan- 
gile de  la  grâce  de  Dieu,  la  foi,  la  sanctification,  la  charité,  l'horreur  du 
péché  et  de  l'idolâtrie,  cette  source  impure  de  tous  les  crimes  qui  inondent 
la  terre  ;  il  les  exhorta  surtout  à  être  permanents  dans  la  grâce  de  Dieu  : 
Ut pet^manerent  in  gratia  Dei.  Le  monstrueux  empereur,  déjà  couvert  du 
sang  des  chrétiens,  ne  put  voir  sans  colère,  ni  les  succès  de  cette  prédica- 
tion, ni  la  vie  sainte  des  néophytes,  satire  vivante  de  ses  vices,  éternel  re- 
proche de  ses  crimes  horribles  ;  il  ordonna  à  ses  satellites  de  jeter  en  prison 
le  grand  Apôtre,  ainsi  que  saint  Pierre,  le  chef  de  l'Eglise,  alors  également 
à  Rome. 

A  la  suite  de  cette  arrestation,  saint  Paul  comparut  devant  Néron.  Ses 
amis  éprouvèrent  un  tel  effroi,  qu'ils  l'abandonnèrent  dans  cette  extrémité, 
et  peut-être  le  renièrent  !  Déjà  perdu  à  leurs  yeux,  ils  craignirent,  en  lui 
prêtant  leur  appui,  d'être  enveloppés  dans  sa  ruine  ;  tous  l'abandonnèrent. 
Mais  si  tout  secours  humain  fit  défaut  à  l'Apôtre,  Dieu  lui  donna  un  cou- 
rage surhumain ,  et  le  rendit  invincible.  Il  sortit  sain  et  sauf  de  l'antre 
du  lion.  Fut-il  mis  en  liberté  ?  Put-il  continuer  dans  Rome  sa  prédication 
apostolique  ?  Saint  Ghrysostome  semble  l'avoir  cru.  Il  échappa  certaine- 
ment à  la  mort,  mais  il  demeura  vraisemblablement  dans  les  liens.  Au 
milieu  de  ses  tribulations  et  de  l'abandon  de  tant  de  lâches  amis,  même 
des  Asiatiques  qui  étaient  à  Rome,  Dieu  lui  ménagea  un  noble  cœur,  un 
ami  dévoué  jusqu'au  sacrifice  de  sa  vie,  Onésiphore!  Dans  le  désir  de  secou- 
rir saint  Paul,  il  accourut  d'Asie  à  Rome  ;  il  venait  y  couronner  noblement 
les  services  qu'il  avait  rendus  à  l'Eglise.  Des  difficultés  presque  insurmon- 
tables de  trouver  saint  Paul,  n'arrêtèrent  ni  son  zèle,  ni  son  dévouement. 
11  ne  recula  pas  à  l'aspect  de  ce  lieu  effrayant  ;  avec  une  grandeur  d'âme 
admirable  il  l'assista  de  tout  son  pouvoir,  sans  craindre  d'exposer  sa  vie. 
Emu  de  cet  attachement  héroïque,  saint  l'aul  veut  que  Timothée  aille  saluer 


508  29  JUIN. 

de  sa  part  la  maison  d'Onésipliore.  C'est,  en  effet,  de  la  prison  Mamertine, 
et  presque  à  la  veille  du  martyre,  que  saint  Paul  écrivit  sa  seconde  Epître 
à  Timothée,  comme  le  testament  de  son  affection  paternelle.  «  Dieu  »,  lui 
dit-il,  «  ne  nous  a  pas  donné  l'esprit  de  crainte,  mais  de  courage.  Ne  rou- 
gissez pas  de  rendre  témoignage  à  notre  Dieu...  Je  souffre,  mais  je  ne  suis 
pas  confondu  ;  car  je  sais  en  qui  j'ai  foi...  Pour  moi,  j'ai  combattu  un  bon 
combat,  j'ai  consommé  ma  course,  j'ai  gardé  ma  foi  ». 

La  prison  Mamertine,  malgré  ses  murs  épais,  ne  mit  aucun  obstacle 
sérieux  à  sa  prédication  apostolique.  Qui  peut  enchaîner  le  souffle  de  l'Es- 
prit, retenir  la  voix  du  Verbe  divin,  qui  retentit  comme  la  foudre?  Il  tra- 
vailla à  consommer  la  conversion  de  la  concubine  de  Néron  et  de  sott 
échanson.  Messager  du  salut,  Onésiphore  put  être  employé  à  porter  les  pa- 
roles de  l'Apôtre  ;  ce  service  était  plus  agréable  à  saint  Paul  que  celui  qu'il 
rendait  à  sa  propre  personne  ;  qu'importait  au  docteur  des  nations  le  soin 
de  son  corps  I  Que  Jésus-Christ  fût  glorifié,  le  reste  le  préoccupait  peu. 
L'Apôtre,  du  centre  de  cette  prison  ,  jetait  ses  regards  sur  les  Eglises  du 
monde,  et  les  dirigeait  avec  une  grande  sollicitude.  Pressé  par  les  étreintes 
de  la  charité  de  Jésus-Christ,  il  inspectait  tous  les  fidèles.  Sur  la  fin  de  sa 
course,  saint  Paul  écrivait  plus  fréquemment  ;  il  multipliait  ses  Epîtres,  ses 
avis,  ses  expositions  de  doctrine  ;  vrai  testament  de  son  inépuisable  charité, 
dernière  expression  de  sa  foi  ferme  et  constante,  c'était  comme  la  dernière 
étincelle  du  désir  ardent  qu'il  avait  de  voir  son  œuvre  de  l'établissement  de 
la  foi  parmi  les  Gentils  consommée.  L'Epître  aux  Ephésiens  a  été  écrite  dans 
ce  but;  ni  l'Epître  elle-même,  ni  l'histoire  ne  font  aucune  mention,  il  est 
vrai,  du  motif  qui  porta  l'Apôtre  à  l'écrire  ;  des  schismes,  des  dissensions 
ont  pu  en  être  la  cause  comme  celle  de  la  première  aux  Corinthiens,  ou 
bien  une  défection  de  la  vérité  de  l'Evangile  comme  celle  de  l'Epître  aux 
Galates  ;  ce  fut  surtout  la  pensée  que  des  hommes  séducteurs  devaient  en- 
vahir cette  Eglise  et  la  troubler.  Voilà  pourquoi  il  prémunit  avec  soin  les 
Ephésiens  contre  tout  respect  humain  relatif  à  sa  personne  ;  il  les  avertit 
de  ne  pas  rougir  des  liens  qui  le  détiennent  captif  à  Rome  ,  car  il  souffrait 
ces  liens  pour  la  cause  de  l'Evangile  ;  leur  cœur  ne  devait  donc  point  s'af- 
faiblir, ni  leur  esprit  s'éloigner  du  droit  chemin  de  la  vérité  et  de  la  piété, 
soit  par  honte,  soit  par  crainte.  Cette  sublime  Epître  fut  écrite  dans  les  der- 
niers liens  de  l'Apôtre,  et  non  dans  les  premiers.  Tychique,  fidèle  messager 
de  saint  Paul,  fut  chargé  de  la  porter  aux  Ephésiens,  et  de  leur  faire  con- 
naître en  même  temps  l'état  des  affaires  et  la  situation  pénible  oh.  il  se 
trouvait.  Saint  Paul  fait  mention  de  cette  mission  de  Tychique  aux  Ephésiens 
dans  la  seconde  à  Timothée.  Cette  Epître  encyclique  était  destinée  à  toutes 
les  Eglises  d'Asie,  car  elle  était  adressée  aux  fidèles  d'Ephèse  et  des  villes 
de  la  métropole  de  l'Ionie  ;  de  là  vient  que  parfois  on  la  citait  comme 
étant  adressée  spécialement  aux  chrétiens  de  Laodicée.  Certains  auteurs 
même,  qui  ont  attribué  à  saint  Paul  une  première  lettre  aux  Ephésiens,  re- 
gardaient celle-ci  comme  postérieure  :  c'était  une  erreur  ;  l'Epître  aux  Ephé- 
siens est  unique. 

Le  martyre  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  mit  le  comble  à  la  persécu- 
tion de  Néron.  Les  captifs  sortirent  ensemble  de  la  prison  Mamertine  ;  ils 
s'acheminèrent  vers  l'autel  de  leur  immolation  ;  ils  quittèrent  la  ville  par 
la  porte  d'Ostie,  aujourd'hui  de  Saint-Paul.  Dans  un  lieu  consacré  par  la 
tradition,  ils  se  séparèrent  en  s'embrassant  et  en  s'adressant  des  paroles  de 
félicitation.  Rome ,  la  ville  aux  souvenirs  impérissables,  ne  pouvait  pas 
oublier  ce  dernier  embrassement  des  deux  plus  grandes  victimes  que  Néron 


SAINT  PAUL,    APÔTRE   DES   GENTILS   ET  MARTYR.  509 

ait  sacrifiées  !  Tant  de  pèlerins  sont  venus  depuis  ce  jour  visiter  cet  endroit 
mémorable,  que  la  trace  de  leurs  pas  est  restée  ineffaçable.  Une  inscription, 
encadrée  entre  deux  petites  colonnes  ornées  d'un  bas-relief,  indique  aujour- 
d'hui ce  lieu  aux  voyageurs  qui  parcourent  la  voie  d'Ostie.  Saint  Paul 
suivit  cette  voie  jusqu'à  un  lieu  nommé  les  Eaux  salviennes.  Là  il  fut 
frappé  du  glaive  ;  en  qualité  de  citoyen  romain  il  devait  périr  ainsi  et  non 
par  la  croix,  supplice  réservé  par  Rome  aux  personnes  de  condition  vile  à 
ses  yeux.  Le  martyre  de  saint  Paul  arriva  le  trois  des  calendes  de  juillet, 
le  29  juin  de  l'an  66.  Plautilla,  patricienne,  femme  très-noble,  qui  avait  été 
baptisée  par  saint  Pierre  dans  les  eaux  du  Tibre,  s'était  rencontrée  face  à 
face  avec  saint  Paul  au  moment  où  le  grand  Apôtre  marchait  au  martyre^ 
suivi  d'une  foule  innombrable  de  peuple  ;  celui-ci,  la  voyant  pleurer,  lui 
demanda  son  voile  aûn  de  se  bander  les  yeux  selon  la  coutume  au  moment 
d'avoir  la  tête  tranchée.  Plautilla  s'empressa  de  le  lui  donner  libéralement. 
Plus  tard  l'Apôtre  lui  apparut  et  le  lui  rendit.  D'après  une  inscription 
grecque,  citée  par  Gruter  et  qui  fut  trouvée  à  la  troisième  pierre  milliaire 
de  la  voie  Appienne  sur  deux  colonnes,  le  terrain  sur  lequel  saint  Paul  souf- 
frit le  martyre  s'appelait  le  champ  d'Hérnde;  c'était  sans  doute  une  propriété 
d'Agrippa.  Quand  le  glaive  de  l'exécuteur  eut  séparé  la  tête  de  l'Apôtre  de 
son  corps,  au  lieu  de  sang,  les  veines  laissèrent  jaillir  du  lait.  Saint  Am- 
broise  et  saint  Jean  Ghrysostome  parlent  de  ce  fait  traditionnel  avec  leur 
éloquence  ordinaire.  A  peine  tranchée,  la  tête  de  saint  Paul  rebondit  trois 
fois,  et  à  chaque  fois  elle  fit  jaillir  de  terre  une  source  d'eau  vive.  Ces  trois 
sources  ont  donné  leur  nom  au  théâtre  oh  le  docteur  des  Gentils  reçut  la 
plus  belle  des  couronnes;  on  l'appelle  les  Trois-Fontaines. 

Il  manquerait  quelque  chose  à  la  vie  de  cet  Apôtre,  si  nous  ne  donnions 
pas  ce  que  l'antiquité  nous  a  laissé  pour  reproduire  son  portrait  physique. 

Le  premier  coup  de  pinceau  nous  est  fourni  par  une  main  ennemie,  qui 
ne  songeait  qu'à  jeter  du  ridicule  sur  la  physionomie  du  grand  Paul.  Voici 
ce  que  dit  Lucien  :  «  J'ai  rencontré  un  Galiléen  chauve,  un  nez  aquilin,  qui 
est  monté  jusqu'au  troisième  ciel,  où  il  avait  appris  des  choses  étonnantes. 
Jésus-Christ  nous  a  renouvelés  par  l'eau  ;  il  nous  a  fait  marcher  sur  les  traces 
des  bienheureux,  et  nous  a  rachetés  du  séjour  des  impies.  Si  tu  veux 
m'écouter,  je  te  rendrai  vraiment  homme  ».  La  malveillance  de  Lucien 
nous  rend  ici  un  véritable  service  :  non-seulement  il  nous  donne  une  idée 
de  l'extérieur  de  saint  Paul,  mais  il  nous  apprend  quelque  chose  de  sa  ma- 
nière de  prêcher  dans  les  groupes  de  citoyens  où  il  se  présentait.  Saint 
Ghrysostome  nous  dit  un  mot  de  sa  taille  :  «  Celui  qui  n'avait  que  trois 
coudées,  touche  cependant  au  ciel  ».  «  Paul  »,  dit  Nicéphore,  «  avait  un 
corps  petit,  sensiblement  incliné,  le  visage  pâle,  annonçant  un  âge  qui  allait 
au-delà  de  ses  années  ;  sa  tête  était  petite  ;  il  avait  beaucoup  de  grâce  dans 
ses  yeux,  les  sourcils  forts  et  pendants,  le  nez  grand  et  agréablement  aqui- 
lin, la  barbe  longue  et,  assez  fournie,  et  comme  sur  la  tête,  les  cheveux  blancs 
y  brillaient  dans  une  grande  proportion  » . 

Les  monuments  antiques  placent  très-fréquemment  derrière  l'image  de 
saint  Paul  un  phénix  sur  un  palmier,  double  emblème  de  résurrection  qui 
a  en  grec  le  même  nom.  On  en  peut  voir  de  fréquents  exemples  dans  les 
mosaïques,  les  sarcophages,  etc.,  etc.,  et  même  sur  des  fonds  de  tasse.  Cette 
particularité,  qui  ressemble  presque  à  une  formule  hiératique,  avait  sans 
doute  pour  but  d'honorer  le  principal  prédicateur  de  la  résurrection  future. 

Saint  Paul  porte  quelquefois  comme  attribut  le  livre  de  ses  Epîtres. 
Ainsi    le  voit-on  dans  une    mosaïque  du  vi*  siècle ,    de  Sainte-Marie- 


510  29  JUIN. 

m  Cosmedin,  de  Ravenne,  paraissant  offrir  deux  volumes  roulés  au  trône  de 
l'Agneau,  tandis  que  saint  Pierre,  de  l'autre  côté,  a  ses  clefs  dans  les  mains. 
L'attribut  du  glaive,  qui  fut  l'instrument  de  sa  mort,  n'a  été  donné  à 
l'apôtre  des  Gentils  que  dans  les  temps  postérieurs  aux  premiers  siècles  de 
l'Église. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  ÉCRITS  DE  SAINT  PAUL. 

Le  corps  do  grand  Apôtre  fut  enlevé  du  lieu  où  il  reçut  la  couronne  du  martyre  par  Lucine, 
femme  clarissime  et  de  rang  sénatorial;  elle  choisit  dans  son  domaine  un  tombeau  honorable  sur  la 
voie  d'Oslie,  où  elle  le  déposa.  Plus  tard  les  corps  sacrés  des  deux  Apôtres  furent  réunis  et  portés 
dans  les  catacombes.  Les  lieux  où  les  corps  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  furent  ensevelis,  loin 
de  rester  obscurs  ou  inconnus,  devinrent  au  contraire  très-célèbres  ;  ils  excitèrent  la  vénération  de 
tout  l'univers.  Au  milieu  des  persécutions  horribles  qui  éprouvèrent  si  rudement  l'Eglise  naissante 
fit  qui  lui  firent  un  calvaire  sanglant  de  trois  siècles,  ni  les  persécuteurs,  si  acharnés  à  faire  mourir 
les  disciples  de  Jésus-Christ,  ni  les  adorateurs  d'idoles,  n'eurent  la  pensée  de  leur  faire  subir  des 
outrages.  Dieu  préserva  ces  nobles  et  magnifiques  trophées  de  leur  victoire  de  toute  atteinte  de 
profanation.  Aucune  main  sacrilège  n'osa  les  souiller  de  leur  contact,  et  tandis  qu'on  jetait  dans  le 
Tibre  ou  dans  la  mer  les  cendres  des  martyrs  qui  périssaient  dans  le  feu,  ou  le  corps  même  de 
teux  qui  mouraient  par  le  glaive,  on  ne  chercha  pas  à  jeter  au  vent  cette  tente  de  limon  que 
Fâme  des  saints  Apôtres  avait  érigée  en  sanctuaire  où  habitait  l'Esprit-Saiat,  et  avait  olferte  à  Diea 
en  hostie  vivante,  sainte  et  agréable.  L'Eglise  entière  ne  cesse  de  vénérer  ces  restes  sacrés  ;  admi- 
rables reliques,  elles  servent  de  bouclier  contre  ses  ennemis.  Destinées  à  être  un  jour  absorbées 
par  la  vie,  elles  brilleront  au  jour  de  la  résurrec'.ion  des  saints,  semblables  à  des  astres  brillants. 

Dans  les  temps  de  persécution,  où  la  nature,  effrayée  de  la  cruauté  raffinée  et  de  la  variété 
horrible  des  supplices,  véritable  invention  de  l'enfer,  pouvait  fléchir  et  succomber  à  l'effroi  qu'ils 
lui  causaient,  les  chrétiens  de  Rome  allaient  se  fortifier  contre  cette  terreur  auprès  des  tombeaux 
des  grands  Apôtres.  Là  leur  foi  se  retrempait  et  prenait  la  force  de  braver  les  tyrans.  Depuis  cette 
époque  glorieuse,  on  a  toujours  vu,  dans  tous  les  siècles,  des  milliers  de  chrétiens  accourir  à  Rome 
des  régions  les  plus  éloignées,  de  l'Orient  et  de  l'Occident,  du  Nord  et  du  Midi,  au  tombeau  où 
reposent  ces  saintes  reliques.  Là  ils  se  prosternent  et  vénèrent  ces  frères  selon  la  foi^  dont  l'un 
porte  les  clefs  du  ciel,  et  l'autre  celles  de  la  science.  Il  sort  toujours  de  ces  dépouilles  glorieuses 
une  vertu  puissante  qui  ranime  la  foi  la  plus  vacillante  et  la  raffermit  contre  le  monde,  son  grand 
destructeur. 

Les  chaînes  de  saint  Paul  se  conservent  à  Rome  comme  celles  de  saint  Pierre.  Saint  Jean 
Chrysostome  dit  que  s'il  avait  eu  plus  de  force  de  ccrps,  et  que  le  service  et  les  affaires  de  l'Eglise 
ne  l'eussent  pas  absorbé,  il  aurait  entrepris  volontiers  un  voyage  aussi  long  qu'était  celui  d'Antioche 
à  Rome,  dans  le  seul  dessein  d'y  voir  la  prison  où  saint  Paul  avait  été  enfermé  et  les  chaînes  dont 
il  avait  été  chargé  pour  Jésus-Christ,  de  baiser  ces  chaînes  qui  font  trembler  les  démons  et  sont 
révérées  des  anges,  et  de  les  mettre  sur  ses  yeux  après  les  avoir  embrassées. 

Dans  son  livre  contre  le  Schisme  des  Donatistes,  Optât  de  Milève  parle  des  monuments  des 
deux  Apôtres  à  Rome.  Prudence  décrit  leur  position  sur  les  deux  rives  du  Tibre  ;  il  montre  l'un, 
situé  près  du  jardin  de  Néron,  sur  la  voie  Aurélienne,  dans  la  basilique  Vaticane,  et  l'autre  dans 
la  basilique  de  Saint-Paul  hors  des  murs. 

Siméon  Métaphraste,  qui  a  recueilli  les  légendes  des  saints,  dit  qu'il  y  avait  autrefois  dans  ce 
portique  de  l'ancienne  église  du  Vatican  des  peintures,  détruites  malheureusement  depuis  longtemps, 
qui  représentaient  la  déposition  des  deux  Apôtres  dans  les  catacombes  et  l'exaltation  du  corps  de 
saint  Pierre  par  le  pape  saint  Sylvestre,  lorsqu'on  le  plaça  dans  la  basilique  Valicane. 

D'après  le  conseil  du  pape  saint  Sylvestre,  l'empereur  Constantin  fit  construire  en  l'honneur  do 
saint  Paul  une  basilique  magnifique  sur  son  tombeau,  entre  la  voie  d'Ostie  et  le  Tibre  ;  il  la  dota 
de  revenus  opulents.  L'empereur  Valentinien,  trouvant  qu'elle  n'était  pas  d'une  grandeur  assez 
ample,  à  cause  du  défaut  d'espace,  bornée  qu'elle  était  par  la  voie  d'Ostie,  l'agrandit  en  embrassant 
dans  le  circuit  de  ses  murs  cette  même  voie.  Théodose  et  Areadius  terminèrent  cette  construction 
plus  auguste.  Cette  vénérable  basilique,  l'une  des  gloires  de  Rome,  connue  sous  le  nom  de  Saint- 
Paul  hors  des  murs,  avait  dépassé  les  vingt  premières  années  du  xix»  siècle  sans  accidents  fâcheux. 
Par  un  bonheur  inouï,  elle  était  restée  seule  étrangère  aux  divers  systèmes  de  restauration  que  la 
suite  des  siècles  avait  fait  subir  à  toutes  les  autres  églises  de  Rome.  Sa  disposition  primitive,  ses 
peintures,  les  diverses  particularités  de  son  antique  construction  étaient  restées  intactes.  Ce  n'est 
pas  que  ses  lignes  architecturales  fussent  toutes  irréprochables,  mais  l'effet  en  était  grandiose. 
Prudence  en  fait  la  description.  «  Tout  ici  »,  dit-il,  «  est  royal  ;  un  excellent  prince  a  consacré  ce 
monument,  et  en  a  fait  resplendir  l'enceinte  de  mille  richesses;  les  poutres  sont  dorées  afin  que  la 
lumière  se  répande  à  l'intérieur.  Des  colonnes  de  marbre  de  Paros  soutiennent  des  lambris  de 


SAINT  PAUL,  APÔTRE  DES  GENTILS  ET  MARTYR.  511 

couleur  fauve,  et  les  arceaux  soat  ornés  d'admirables  verres  qui  rappellent  la  variété  et  l'éclat  des 
fleurs  du  printemps  ».  Cet  édifice,  qui  avait  bravé  les  siècles  et  les  Barbares,  fut  détruit,  eu  1823, 
par  un  horrible  incendie.  Un  feu  dont  la  violence  était  alimentée  par  le  bois  de  cèdre  dont  sa 
charpente  était  fabriquée,  la  ruina  presque  en  entier.  Cette  perte  était  grande  ;  l'art,  l'histoire  et 
la  religion  voyaient  ainsi  disparaître  un  de  ses  plus  beaux  et  vénérables  monuments.  Le  gouver- 
neraeni  pontifical  ne  se  borna  pas  à  déplorer  cette  catastrophe  inattendue  ;  Léon  XII  commença  de 
réédifier  ce  temple  auguste,  l'une  des  plus  belles  gloires  de  l'Eglise  romaine.  Grâce  aux  efforts 
soutenus  de  ses  successeurs  et  à  leur  générosité  éclairée,  la  Ville  éternelle  possède  de  nouveau, 
restaurée  avec  le  respect  le  plus  scrupuleux,  cette  basilique  que  les  premiers  empereurs  chrétiens 
avaient  noblement  érigée. 

Ce  vaste  édifice,  précédé  d'un  portique,  s'étendait  en  cinq  nefs  jusqu'à  l'abside  ;  elles  étaient 
divisées  par  une  forél  de  colonnes  du  marbre  le  plus  précieux,  et  aujourd'hui  introuvable.  Une 
immense  arcade,  connue  sous  le  nom  d'arc  de  Placidie,  séparait  l'abside  de  la  grande  nef  ;  une 
vaste  mosaïque  repiéseiitant  l'image  du  Sauveur  entouré  des  viugt-quatre  vieillards  de  l'Apocalypse, 
auxquels  on  avait  ajouté  les  images  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  la  décorait.  C'est  au  zèle  de 
saint  Léon,  ainsi  qu'à  la  munificence  de  Galla  Placidia,  fille  de  Théodose  et  mère  de  Valenti- 
nien  III,  que  l'église  de  Saint-Paul  était  redevable  de  ce  monument. 

A  la  Confession,  sous  l'autel  de  la  nouvelle  basilique,  on  conserve  la  moitié  des  corps  des  deux 
Apôtres,  sous  un  baldaquin  gothique,  soutenu  par  quatre  magnifiques  colonnes;  on  lit  sur  ses  quatre 
faces  :  Tu  es  vas  eledionis  —  Sancte  Pau/e  aposiole  —  Prxdicator  veritatis  —  In  universo 
mundo.  Dans  une  chapelle  du  couvent  des  Bénédictins  attenante  à  la  basilique,  on  vénère  les  glo- 
rieuses chaînes  qui  ont  lié  les  membres  du  grand  Apôtre.  Dans  la  nouvelle  église,  on  admire  quatre 
colonnes  d'albâtre  d'une  magnificence  inouïe. 

L'an  380,  saint  Damase,  pape,  fit  ériger  la  première  et  l'unique  église  consacrée  à  saint  Paul  dans 
l'intérieur  de  la  ville  de  Rome  ;  il  choisit  l'emplacement  où  était  située  la  maison  où  l'Apôtre  passa 
deux  ans  prisonnier  et  gardé  par  un  prétorien.  Une  tradition  constante  avait  conservé  le  souvenir  de 
cette  demeure,  tant  ce  lieu  était  en  grande  vénération  parmi  les  fidèles.  11  y  fit  bâtir  cet  édifice  sacré, 
connu  de  nos  jours  sous  le  nom  de  Scuolo  di  S.  Paolo,  école  de  Saint-Paul.  Ce  nom  remonte  à 
l'époque  des  chaînes  de  l'Apôlre,  parce  que  c'est  là  qu'il  enseignait  du  matin  au  soir  la  foi  chrétienne  à 
toutes  sortes  de  personnages  Juifs  et  Gentils.  Consacré  par  un  si  long  souvenir,  ce  nom  sert  encore 
à  désigner  l'église  qui  l'a  remplacée.  Tous  les  savants  qui  ont  écrit  sur  Rome  en  conviennent. 

Le  pape  saint  Sylvestre,  qui  avait  une  égale  vénération  pour  ce  lieu  sacré,  et  le  regardait 
comme  un  des  plus  saints  monuments  de  la  religion  chrétienne  dans  Rome,  donna  à  cette  église  un 
bras  de  saint  Paul.  Urbain  II,  dans  la  bulle  Apostolicx  sublimitas  dignitatis,  l'honora  de  privi- 
lèges spéciaux.  Le  concours  des  fidèles  étrangers  y  a  toujours  été  grand.  Cette  église  et  la  basilique 
de  Saint-Paul  hors  des  murs  sont  les  deux  monuments  qui  attestent  la  présence  de  saint  Paul  dans 
Rome  et  le  souvenir  de  son  martyre. 

Il  nous  reste  de  saint  Paul  quatorze  épîtres,  dont  neuf  sont  adressées  à  sept  Eglises,  une  aux 
Romains,  deux  aux  Corinthiens,  une  aux  Galates,  une  aux  Ephésiens,  une  aux  Philippiens,  une 
aux  Colossiens,  deux  aux  Thessaloniciens;  quatre  autres  sont  écrites  à  ses  disciples,  deux  à  "Timo- 
thée,  et  une  à  Tite,  une  à  Philémon;  la  quatorzième  est  aux  Hébreux.  Ces  Epltres  ont  toujours  été 
plus  célèbres  dans  l'Eglise  que  celles  des  autres  Apôtres,  et  elles  ont  fait  non-seulement  le  sujet 
de  la  consolation  et  de  l'édification  des  chrétiens,  mais  encore  de  l'admiration  des  Juifs  et  da; 
païens.  Ceux  mêmes  qui  étaient  ses  plus  grands  ennemis  et  les  plus  jaloux  de  sa  gloire,  et  qui 
méprisaient  ses  discours  quand  il  était  présent,  se  sont  crus  obligés  d'avouer  que  ses  lettres  étaient 
remplies  de  force  et  d'autorité.  Les  raisonnements  en  sont  justes,  les  pensées  nobles,  le  style  vif 
et  animé.  Il  y  a  des  endroits  obscurs  et  un  peu  embarrassés,  soit  à  cause  de  la  sublimité  de  la 
matière  qu'il  y  traite,  soit  à  cause  des  fréquentes  parenthèses  dont  elles  sont  entrecoupées,  et  d'un 
assez  grand  nombre  de  transpositions  et  d'hyperboles.  Les  critiques  remarquent  aussi  que  le  grec 
D'en  est  pas  pur,  et  que  souvent  le  tour  de  la  phrase  est  hébraïque. 

Saint  Paul  met  ordinairement  son  nom  et  ses  qualités  à  la  tète  de  ses  Epîtres.  Quelquefois  il 
y  ajoute  celui  de  quelques-uns  de  ses  disciples,  soit  parce  qu'ils  lui  avaient  servi  de  seciétaires, 
soit  pour  leur  faire  honneur,  ou  pour  donner  plus  de  crédit  à  ses  lettres,  ou  enfin  parce  qu'ils  étaient 
fort  connus  des  Eglises  auxquelles  il  écrivait.  Nous  en  avons  un  exemple  dans  la  première  Epître 
aux  Corinthiens,  qu'il  commence  ainsi  :  «  Paul,  Apôtre  de  Jésus-Christ  par  la  vocation  et  la  vo- 
lonté de  Dieu,  et  Sosthène,  son  frère  »;  et  dans  l'Epître  aux  Thessaloniciens  :  «  Paul,  Silvain  et 
Timothée,  à  l'Eglise  de  Thessalonique  ».  Mais  on  n'a  jamais  douté  dans  l'Eglise  que  saint  Paul  en 
fût  seul  auteur.  Tertius,  qui  dit  avoir  écrit  la  lettre  aux  Romains,  n'en  fut  que  le  secrétaire  ou  le 
copiste;  et  il  y  a  apparence  que  l'Apôtre  dicta  aussi  à  quelqu'un  de  ses  disciples  la  première  aux 
Corinthiens,  celle  aux  Colossiens  et  la  seconde  aux  Thessaloniciens.  Cependant,  de  peur  qu'on  ne 
s'y  méprit  et  qu'on  ne  fit  passer  de  fausses  lettres  sous  son  nom,  il  avait  coutume  de  mettre  son 
seing  dans  toutes  ses  Lettres  et  de  les  souscrire  d'une  façon  qui  lui  était  particulière.  C'est  ce 
qu'il  nous  apprend  lui-même  dans  sa  seconde  aux  Thessaloniciens,  où  il  dit  :  «  Je  vous  salue  ici 
de  ma  propre  main,  moi  Paul;  c'est  là  mon  seing  dans  toutes  mes  Lettres,  j'écris  ainsi;  la  grâce 


512  29  JDix. 

de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  soit  avec  vous  tous.  Amen  ».  Ceux  qui  ont  arrangé  les  Epîtres  de  saint 
Paul  dans  nos  Bibles  ont  eu  moins  d'égard  au  temps  auquel  elles  ont  été  écrites  qu'à  la  dignité  des 
Eglises,  ou  au  mérite  des  fidèles  qui  les  composaient,  ou  à  la  grandeur  des  mystères  qui  y  sont 
expliqués,  ou  à  l'excellence  des  matières  qui  y  sont  traitées.  La  première  de  toutes,  selon  l'ordre 
des  temps,  est  celle  que  saint  Paul  écrivit  aux  Thessaloniciens  ;  la  seconde,  adressée  aux  mêmes 
peuples,  fut  écrite  peu  de  temps  après;  ensuite,  celle  aux  Calâtes;  après  quoi  il  écrivit  les  deux 
aux  Corintiiiens,  puis  la  première  à  Thimothée,  à  Tite,  aux  Romains,  aux  Philippiens,  à  Philémon, 
aux  Ephésiens,  aux  Colossiens  et  aux  Hébreux  ;  la  dernière  de  toutes  est  la  seconde  à  Timothée. 
L'Apôtre  l'écrivit,  étant  à  la  fin  de  sa  vie  et  proche  de  son  martyre,  comme  il  nous  l'assure  lui- 
même. 

On  a  quelquefois  attribué  à  saint  Paul,  mais  à  tort  : 

1»  Un  discours  où  il  conseille  de  lire  les  livres  des  païens,  entre  autres  ceux  de  la  Sybille  et 
d'Hystaspe. 

2"  Une  troisième  lettre  aux  Thessaloniciens. 

3"  Plusieurs  letttes  à  Sénèque. 

4»  L'Evangile  de  saint  Luc. 

5"  Plusieurs  apocalypses  ou  ascensions. 

6°  Un  livre  intitulé  :  Voyages  de  saint  Paul  et  de  sainte  Thècle, 

7°  Un  autre  livre  intitulé  :  Les  Actes  de  saint  Paul. 

8o  Une  épître  aux  Lapdicéens. 

Nous  avons  analysé,  pour  composer  la  substance  de  cette  biographie,  les  deux  ouvrages  les  plus  par- 
faits, à  notre  avis,  qui  aient  été  publiés  jusqu'ici  sur  saint  Paul  :  celui  de  M.  Vidal,  curé  de  Notre-Dame 
de  Bercy,  intitulé  :  Saint  Paul,  sa  vie  et  ses  œuvres,  Paris,  1863;  et  celui  de  l'abbé  Bourrasse,  chanoine 
de  Tours,  intitulé  :  Les  Apôtres.  D'autres  ouvrages  d'un  ordre  différent,  mais  non  moins  élevé,  comme 
La  Bible  sans  la  Bible  par  M.  l'abbé  Gainet  ;  l'Histoire  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques,  par  Dotn 
Ceillier,  etc.,  nous  ont  servi  à  combler  quelques  lacunes. 


SAINT  MARCEL  ET  SAINT  ANASTASE,  MARTYRS, 

PATRONS  d'ARGENTON,    AU  DIOCÈSE  DE  BOURGES   (lll*   siècle). 

Marcel  et  Anastase  étaient  romains.  A  l'époque  de  la  grande  persécution  qui  rougit  toutes  les 
places  de  la  cité  du  sang  des  chrétiens,  ils  s'enfuirent  dans  les  Gaules  pour  rejoindre  leurs  frères 
que  l'évêque  saint  Etienne  avait  envoyés  dans  ces  contrées  pour  annoncer  l'Evangile.  Ils  arrivèrent 
bientôt  dans  l'anlique  Argeniomachus,  (Ârgenlon).  Quand  ils  eurent  franchi  le  mur  d'enceinte,  soit 
lassitude,  soit  prudence,  ils  ne  cherchèrent  pas  k  pénétrer  plus  avant  dans  la  ville,  et  vinrent  frapper 
à  l'une  des  premières  maisons  du  faubourg.  Ils  y  trouvèrent  une  pauvre  veuve,  pleurant  sur  le 
berceau  d'un  enfant  malade,  et  résistant  aux  consolations  de  ses  voisins  assemblés. 

Ils  écartèrent  doucement  la  foule,  et  demandèrent  la  permission  d'examiner  le  petit  moribond. 
La  mère  leva  machinalement  les  yeux  sur  eux,  et  d'un  geste  désolé  fit  comprendre  que  tout  secours 
était  inutile.  Pourtant,  le  plus  jeune  des  voyageurs  insistant  et  s'efforçant  de  lui  donner  quelque 
espoir:  «  Hélas!  »  dit  la  malheureuse,  «pour  la  joie  qu'il  a  dans  ce  monde,  à  quoi  bon  chercher 
à  l'y  retenir?  Il  est  aveugle,  sourd,  muet  et  boiteux  ».  —  «  Femme»,  reprit  le  voyageur,  «  Dieu 
est  grand  et  miséricordieux  ».  —  «  De  quel  Dieu  parles-tu  ?»  —  «  Du  Dieu  des  chrétiens  dont  je 
suis  le  serviteur  ».  Illuminée  par  l'amour  maternel,  la  veuve  se  leva  :  «  Chrétien  »,  dit-elle,  «  tu 
as  un  visage  céleste,  et  tu  ne  voudrais  pas  te  jouer  de  ma  douleur.  Rends  la  santé  à  mon  fils,  qui, 
malgré  sa  disgrâce,  est  mon  seul  bonheur,  et  je  croirai  en  ton  Dieu».  L'étranger  s'assit  sur  ua 
escabeau,  prit  dans  ses  bras  la  frêle  créature,  lui  froUa  légèrement  les  yeux  et  murmura  quelques 
paroles  à  son  oreille.  L'enfant,  jusque-là  inerte,  tressaillit  comme  s'il  eût  entendu,  et  promena 
autour  de  lui  un  regard  clair.  La  foule  et  la  veuve  poussèrent  un  grand  cri. 

Le  pays  était  alors  sous  la  domination  des  Romains  ;  averti  par  un  de  ses  affidés,  nommé  Tran- 
quillinus,  le  préteur  fléraclius  ordonna  d'amener  incontinent  devant  lui  les  deiix  hommes.  Bientôt 
les  soldats  envahissent  la  demeure  de  la  veuve,  saisissent  les  étrangers  et  les  entraînent  au  prétoire. 

Héraclius,  s'adressant  d'abord  à  l'auteur  du  miracle,  lui  dit  impérieusement  :  «  Qui  es-tu,  d'où 
viens-tu,  où  vas-tu?  »  —  «  Je  m'appelle  Marcel  »,  répond  avec  douceur  celui-ci:  «je  suis  chré- 
tien. Je  viens  de  Rome  et  je  me  rends  à  Toulouse  avec  Anastase,  pour  rejoindre  mes  frères  Denis 
et  Saturnin  ».  —  «  Quels  sont  les  noms  de  ton  père  et  de  ta  mère?  »  —  «  Mon  père  est  Egialhès, 


SAINT  MARCEL  ET  SAINT  ANASTASE,  MARTYRS.  513 

ma  mère,  Marcellina  ».  —  «  Tu  cherches  à  me  tromper  ;  tu  prétends  rendre  la  parole  aux  muets, 
l'ouïe  aux  sourds  et  tu  méprises  le  culte  d'Apollon.  Quel  est  ton  dieu  ?  »  —  o  J'adore  Jésus-Christ 
notre  Sauveur  ».  —  «  Demain,  rends-toi  au  temple  :  sacrifie  à  Apollon,  à  Hercule,  à  Diane,  mère 
des  dieux  ».  —  o  Ceux  que  vous  appelez  des  dieux  n'en  sont  pas  ;  ils  sont  la  perte  des  âmes  qui 
croient  en  eux  ». 

Le  préteur,  furieux,  commande  aux  licteurs  d'étendre  Marcel  sur  le  chevalet  et  de  le  frapper  k 
coups  redoublés.  Les  licteurs  obéissent,  le  chevalet  crie,  les  cordes  sifflent  ;  mais,  ô  prodige  I  les 
forces  des  bourreaux  s'épuisent,  les  lanières  tombent  en  lambeaux  sans  entamer  le  corps  du  jeune 
Martyr.  Héraclius  ordonne  de  le  détacher,  et  reprend  avec  une  feinte  bienveillance  :  «  L'empereur 
enjoint  à  tous  ses  officiers  de  livrer  les  chrétiens  aux  plus  cruelles  tortures  ;  mais  ta  jeunesse 
m'inspire  de  la  pitié.  Obéis-moi,  je  t'épargnerai  de  tels  supplices  ».  —  «  Je  ne  crains  pas  tes 
supplices  »,  répond  Marcel  avec  le  même  calme  ;  «  n'ai-je  pas  la  foi  que  j'ai  reçue  au  baptême?» 
A  ces  mots,  Héraclius  ordonne  de  l'écraser  sous  une  pierre  énorme  ;  mais  celle-ci  rebondit  sur  sa 
poitrine  et  tombe  inerte  à  ses  pieds  sans  lui  causer  le  moindre  mal.  Le  préteur  rugit  et  veut  que 
Marcel  soit  fixé  sur  un  gril  au-dessus  d'un  grand  feu.  La  flamme  le  respecte. 

Le  préteur,  arrivé  aux  dernières  limites  de  la  colère,  ordonne  de  le  saisir  de  nouveau  et  de  le 
frapper  violemment,  puis  il  dit  à  ses  officiers  :  a  Apportez  une  vaste  chaudière  ;  mêlez-y  du  sou- 
fre, de  la  poix,  de  l'étoupe  et  du  bitume,  et  jetez-y  le  sacrilège  ».  La  flamme  s'élève  de  plus  de 
quinze  coudées,  Mai'cel  est  plongé  dans  la  chaudière  bouillante  ;  mais  il  sort  sain  et  sauf  de  cette 
dernière  épreuve. 

Déjà  les  spectateurs  s'écriaient  :  «  La  protection  du  ciel  est  sur  cet  homme,  il  a  vaincu  tous 
les  tourments  !  les  instruments  de  supplices  se  sont  brisés  sur  lui  ».  Pâle  et  défait,  Héraclius  lui- 
même  s'apprêtait  à  quitter  son  siège,  quand  Marcel  lui  faisant  signe  de  se  rasseoir  :  «  Rassure- 
toi  »,  dit-il  ;  «  maintenant  que  la  puissance  de  Dieu  s'est  montrée,  ma  lâche  est  finie  et  moa 
heure  est  venue  ».  Puis  il  tendit  ses  mains  aux  licteurs  qui  le  couvrirent  de  chaînes  et  le  jetèrent 
dans  les  prisons  du  gouverneur.  Le  lendemain,  conduit  au  sommet  d'une  montagne  voisine,  il 
s'agenouillait  sans  résistance,  et  sa  tête  tombait  sous  le  premier  coup  de  l'épée  du  bourreau; 
le  fidèle  Anastase,  également  prosterné,  criait  à  pleine  voix  vers  le  ciel  :  «  Seigneur,  Sei- 
gneur, toi  qui  nous  as  tirés  de  la  terre  où  nous  avons  pris  naissance  et  délivrés  des  mains  du 
démon,  toi  dont  nous  avons  suivi  la  voie  et  glorifié  le  saint  nom,  ne  me  sépare  pas  de  ton  servi- 
teur Marcel,  pour  que  je  mérite  d'arriver  avec  lui  à  la  connaissance  de  la  vérité  ». 

Pendant  deux  heures,  les  yeux  fixés  sur  le  corps  de  son  ami,  sourd  aux  menaces  et  aux  séduc- 
tions, Anastase  continua  son  ardente  prière.  Et  comme  Héraclius  le  sommait  de  sacrifier  aux  dieux 
de  l'empire,  afin  d'éviter  le  sort  du  magicien  Marcel  :  «  Préteur  »,  reprit-il,  «  j'abhorre  tes  dieux, 
et  je  veux  conserver  la  foi  que  j'ai  reçue  au  baptême  ».  Alors,  fou  de  dépit  et  de  rage,  Héraclius 
le  fit  attacher  sur  le  chevalet,  où  il  ne  tarda  pas  à  rendre  le  dernier  soupir,  vers  la  neuvième 
heure  du  jour,  le  troisième  des  calendes  de  juillet. 

Le  souvenir  de  saint  Marcel,  de  saint  Anastase  et  du  préteur  Héraclius  ne  vit  pas  seulement 
dans  les  légendes  et  les  traditions,  mais  encore  dans  les  monuments  et  les  ruines  du  pays.  Une 
bourgade,  située  sur  une  éminence,  non  loin  de  l'emplacement  du  vieil  Argantomagus,  porte  le 
nom  de  Saint-Marcel  ;  sa  belle  église,  ancien  et  important  prieuré  dépendant  de  l'abbaye  de  Saint- 
Gildas,  près  Châteauroux,  renferme  les  reliques  des  deux  Martyrs,  qui  attirent  tous  les  ans,  le 
mardi  de  la  Pentecôte,  un  grand  concours  de  peuple.  Celles  de  saint  Marcel  reposent  dans  un  petit 
monument  romano-byzantin,  décoré  de  riches  émaux. 

Acta  Sanctorum,  tome  TU  de  juin  ;  traduction  de  M.  Jast  Veillât,  d»ns  son  oarriige  Intitule'  :  Pieustiê 
légendes  du  Berry, 


VJE3  DES  Saints,  —  Tome  VIL 


514  30  JUIN. 


XXr  JOUR  DE  JUIN 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

La  commémoraison  de  saint  Paul,  apôtre  K  —  A  Limoges,  dans  les  Gaules,  saint  Martial, 
évêque,  avec  les  deux  prêtres  Alpinien  et  Austriclinien,  dont  la  vie  a  été  remplie  de  miracles 
éclatants,  i»'  s.  —  Le  même  jour,  à  Talgue,  eu  Espagne,  saint  Caïus,  prêtre,  et  saint  Léon,  sous- 
diacre,  martyrs.  —  A  Alexandrie,  le  martyre  de  saint  Basilide,  qui,  sous  l'empereur  Sévère,  ayant 
défendu  des  insultes  des  impudiques  la  vierge  Potamienne  qu'il  conduisait  au  supplice,  reçut  d'elle 
la  récompense  de  cet  éminent  service  ;  car,  trois  jours  après,  elle  lui  apparut  elle-même,  lui  posa 
une  couronne  sur  la  tête,  et  non-seulement  le  convertit  à  Jésus-Christ,  mais  encore  obtint  pour 
lui,  par  ses  prières,  qu'après  un  combat  de  peu  de  durée  il  fût  honoré  de  la  gloire  du  martyre. 
nie  s.  —  A  Rome,  sainte  Lucine,  disciple  des  Apôtres,  qui  subvenait  de  ses  biens  aux  besoins  des 
fidèles,  visitait  les  chrétiens  dans  les  prisons  et  s'occupait  de  donner  la  sépulture  aux  martyrs,  à 
côté  desquels  elle  fut  elle-même  ensevelie  dans  une  crypte  construite  par  elle,  i^r  s.  —  Au  même 
lien,  sainte  Emilienne,  martyre  2.  iv»  s.  —  Dans  le  Vivarais,  saint  Ostien,  prêtre  et  confesseur  8, 

3IARTYR0L0GE  DE  FRANCE,  REVU  ET  AUGMENTÉ. 

A  Orp-le-Grand,  au  diocèse  de  Namur,  sainte  Adilie  ou  Adile,  vierge  et  abbesse,  célèbre  par 
ses  miracles  et  par  l'hospitalité  qu'elle  exerçait  principalement  envers  les  prêtres  hibemois.  Vers 
650.  —  A  Arras,  la  mémoire  du  cierge  qui  fut  donné  par  la  sainte  Vierge  à  saint  Lambert,  pour 
la  guérison  de  la  maladie  appelée  le  feu  ardent.  Ce  cierge,  par  un  miracle  perpétuel,  quoiqu'on 
l'allume  souvent,  qu'on  le  laisse  brûler  plusieurs  heures,  et  qu'il  en  coule  des  parties  dont  on  fait 
d'autres  cierges,  ne  diminue  néanmoins  jamais.  —  Au  Mans,  saint  Bertrand  ou  Bertichramn, 
archidiacre  de  Paris,  puis  évêque  du  Mans,  fondateur  de  l'abbaye  de  la  Couture.  On  fait  sa  fête 
le  3  juillet  dans  le  diocèse  du  Mans.  623.—  .\  Salanigo,  au  diocèse  de  Vicence,  en  Italie,  le  décès 
de  saint  Thibaut,  solitaire  sous  l'habit  de  Camaldule,  natif  de  Provins,  en  Brie,  dont  le  corps  fut 
porté  le  3  juillet  à  la  cathédrale  de  Vicence,  et  depuis  à  Sens,  dans  l'église  de  Sainte-Colombe 
la  Grande.  Il  est  honoré  ce  même  jour  à  Soissons  *.  1066.  —  A  Troyes,  la  translation  de  sainte 
Maure,  vierge,  patronne  du  village  qui  porte  son  nom,  près  de  Troyes,  célèbre  par  sa  dévotion 
envers  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  les  saints  Gervais  et  Protais.  Elle  mourut  pleine  de  bonnes 
œuvres,  et  les  miracles  qu'elle  fit  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort  attestèrent  sa  sainteté  *.  850. 
—  A  Marchiennes  (Nord),  la  bienheureuse  Clotsende,  appelée  aussi  Glodsende  et  Glos- 
siNDE,  vierge,  abbesse  de  ce  monastère  et  sœur  de  sainte  Eusébie  ou  Ysoie,  abbesse  de  Hamay, 
dans  les  Pays-Bas,  et  de  sainte  Adalsinde  ou  Adalsende.  714.  —  A  Douai  (Nord),  la 
vénérable  Frescende,  vierge,  de  l'Ordre  de  Cîteaux.  —  A  Villiers,  en  Brabant,  le  vénérable  Corni- 
bout,  convers  de  l'Ordre  de  Citeaux.  —  Au  diocèse  de  Tarentaise  (Savoie),  Pierre  l«',  abbé  de  la 
Ferté,  puis  archevêque  de  Tarentaise,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  le  célèbre  Pierre  II,  arche- 
vêque de  la  même  ville  et  dont  nous  avons  donné  tout  au  long  la  biographie  au  8  mai.  Issu  d'une 
famille  aussi  noble  qu'opulente,  il  prit  l'habit  monastique  à  Molesme,  pour  y  mener  une  vie  pauvre 
et  obscure.  Voyant  les  religieux  de  cette  abbaye  se  relâcher  de  leur  première  ferveur,  il  vint  avec 
saint  Robert  et  ses  disciples  fonder  le  monastère  de  Citeaux  où  il  se  distingua  par  sa  sainteté  et 
ses  écrits.  Il  devint  ensuite  abbé  de  la  Ferté-sur-Grône  (Firmitas  ad  Gronam,  Saône-et-Loire),  la 

1.  Voir  sa  vie  au  jour  précédent. 

2.  Il  y  avait  autrefois  à  Rome  une  église  de  son  nom,  dont  il  est  fait  mention  dans  le  premier  des 
conciles  tenus  dans  cette  ville,  sous  le  pape  saint  Symmaqne,  en  499. 

3.  Son  corps  reposait  autrefois  dans  l'église  Saint-Martin  hors  des  Murs,  à  Viviers.  Les  habitants  de 
la  ville  l'avaient  en  grande  vénération,  et,  en  temps  de  sécheresse,  ils  avaient  l'habitude  de  venir  prier 
•nr  son  tombeau  pour  obtenir  la  cessation  du  fléau. 

4.  V  oir  sa  vie  au  1"  juillet.  —  6.  Nous  donnons  sa  vie  au  21  septembre. 


MARTYROLOGES.  515 

première  des  quatre  abbayes  dites  Filles  de  Citeaux.  1130.  —  Au  même  lieu,  le  bienheureux 
Arnoul  ou  Arnulf,  moine  cistercien.  11  naquit  à  Bruxelles  et  y  passa  sa  jeunesse  où  il  s'abandonna 
tout  d'abord  au  dévergondage  de  ses  passions  et  de  ses  mauvais  penchants.  Enfin  il  écouta  la  voix 
de  la  grâce,  se  convertit,  dépouilla  le  vieil  homme  et  revêtit  l'homme  nouveau.  Sa  conduite  devint 
alors  toute  différente  de  ce  qu'elle  avait  été  jusque-là  :  au  lieu  de  rechercher  la  société  des  liber- 
iins,  il  fréquenta  celle  des  personnes  pieuses.  11  s'était  imposé  la  loi  de  se  lever  tous  les  jours 
avant  l'auiore,  pour  assister  à  la  première  messe,  et,  si  parfois  il  lui  arrivait  de  se  lever  trop  tard, 
il  se  punissait  lui-même  de  cette  faute  involontaire  en  restant  hors  de  l'église  par  les  plus  grands 
froids  et  même  au  milieu  de  la  pluie.  Au  bout  de  deux  ans  de  cette  pénitence,  il  résolut  d'entrer 
dans  l'Ordre  de  Citeaux,  afin  de  se  conserver  mieux  encore  dans  l'esprit  de  ferveur.  Là  il  se  fît 
admirer  de  tous  par  ses  austérités  excessives  :  tous  les  jours  il  se  flagellait  avec  les  branches  et 
les  feuilles  d'un  buisson  épineux.  De  gros  morceaux  d-e  bois  formaient  son  lit,  et  un  sac  de  toile 
grossière  sa  couverture.  Sa  nourriture  ordinaire  consistait  en  légumes  cuits  et  refroidis  depuis  plu- 
sieurs jours.  Quand  il  était  pressé  par  la  soif,  il  prenait  un  verre  d'eau  et  le  portait  à  ses  lèvres 
puis  la  jetait,  ajoutant  ainsi  au  tourment  de  la  soif  celui  d'un  besoin  non  satisfait.  Enfin,  après 
qu'il  eut  durant  de  longues  années  édifié  ses  frères  par  l'exemple  de  toutes  les  vertus,  la  grâce  de 
Dieu  l'inonda;  son  âme,  ravie  en  extase,  s'éleva  au-dessus  du  monde  sensible,  et  alla  se  perdre 
dans  une  mer  d'amour  et  de  béatitude  infinie  :  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  sa  sainte  Mère  lui 
apparurent  et  l'assurèrent  du  salut  de  son  âme.  Quelques  jours  après,  il  la  remettait  entre  leurs 
mains.  1228. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS   LES   BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

En  Afrique,  les  saints  martyrs  Timolhée,  /fotique.  Italique,  Zoïle,  Gélale,  compagnons  des  saints 
Caïus  et  Léon,  mentionnés  ci-dessus,  et  portés  avec  eux  au  martyrologe  de  saint  Jérôme  et  dans 
plusieurs  autres.  —  A  Cologne,  saint  Asclin  ou  Asclèpe,  et  saint  Pamphile,  martyrs.  —  Chez  les 
Grecs,  les  saints  Diomède,  Eulampe,  Méliton,  Pierre  et  Asclépiade ,  martyrs.  Les  trois  premiers 
eurent  la  tête  tranchée,  Asclépiade  fut  jeté  à  la  mer,  et  Pierre  lapidé.  —  Au  collège  des  Jésuites 
de  Munster-Eiffel,  dans  l'archevêché  de  Trêves,  la  translation  de  saint  Donat,  martyr.  Au  milieu 
du  XVII8  siècle,  on  trouva  à  Rome,  chez  le  jésuite  Balthasar  Ballorus,  après  sa  mort,  le  corps  de 
ce  Saint  :  le  cardinal  Ginetti  lui  en  avait  fait  cadeau  pour  le  récompenser  des  services  qu'il  avait 
rendus  en  recherchant  les  reliques  des  martyrs  dans  les  catacombes  de  Rome.  Florent  de  Mont- 
morency, alors  général  de  l'Ordre,  réclama  ce  corps  et  le  donna,  en  1649,  au  collège  des  Jésuites 
<e  Munster-Eiffel,  où  il  fut  transféré  en  1652.  On  l'invoque  contre  les  orages,  les  tempêtes,  la 
g;èle,  la  foudre,  et  autres  intempéries  de  l'air.  Dans  le  pays  de  Trêves,  on  ne  célèbre  sa  fête  que 
fe  second  dimanche  de  juillet.  —  A  Asti,  en  Lombardie,  saint  Pierre  confesseur.  Il  y  avait  à  Asti 
one  église  de  son  nom  desservie  par  les  Chevaliers  hospitaliers  de  Saint-Jean,  et  où  l'on  gardait 
précieusement  ses  reliques.  D'une  naissance  illustre,  notre  Saint  se  fit  pauvre  par  amour  pour 
Jésus-Christ  ;  de  là  vient  qu'on  le  représente  volontiers  avec  la  tunique  courte  des  ouvriers,  ayant 
dans  la  main  une  houe  dont  il  creuse  la  terre.  —  A  Sakbourg,  dans  la  haute  Autriche,  sainte 
Erentrude  ou  Erentrui  (Erentrudis),  vierge,  abbesse  de  Nonnberg  (Nonnarummontis  monaste- 
rium),  près  Salzbourg.  Issue  du  sang  royal  de  France,  elle  était  nièce  de  saint  Reyner,  arche- 
vêque de  Salzbourg,  qui  la  fit  venir  dans  son  diocèse  avec  quelques  autres  pieuses  filles  pour  y 
fonder  un  monastère  dont  sainte  Erentrude  fut  la  première  abbesse.  Elle  s'y  fit  admirer  par  ses 
vertus  et  surtout  par  son  humilité,  se  plaisant  à  exercer  les  fonctions  les  moins  relevées  et  qui 
contrastaient  le  plus*  avec  son  illustre  naissance.  Le  temps  qu'elle  ne  consacrait  pas  à  la  prière  ou 
au  gouvernement  de  sa  communauté,  elle  l'employait  à  des  œuvres  de  charité,  comme  à  faire  des 
habits  pour  les  enfants  pauvres  et  délaissés,  à  visiter  les  malades,  à  enseigner  aux  personnes  du 
peuple  les  vérités  de  la  religion.  Vers  l'an  630.  —  A  Pampelune,  en  Espagne,  saint  Marcien, 
évêque,  dont  le  nom  figure  dans  le  seizième  Concile  de  Tolède.  Vers  l'an  737.  —  A  Vérone,  en 
Italie,  le  bienheureur  Henri,  solitaire.  Son  corps  repose  dans  l'église  Saint-Jean  in  Fonte  de 
Vérone.  On  conserve  de  notre  Bienheureux  un  ciliée  en  mailles  de  fer,  et  un  fouet  en  lanières  du 
même  métal  avec  lequel  il  se  donnait  tous  les  jours  la  discipline.  1350.  —  A  Bougie,  dans  la 
Mauritanie,  le  bienheureux  Raymond  Lulle,  célèbre  théologien  franciscain,  connu  sous  le  nom  de 
Docteur  Illuminé,  patron  de  l'Université  de  l'ile  Majorque,  soû  pays.  11  fut  lapidé  à  Bougie  par  les 
Maures,  chez  lesquels  il  était  allé  prêcher  la  foi  *.  1315. 

1.  Voir  sa  notice  au  29  mars,  tome  iv,  page  56. 


516  30  JUIN. 

SAINT   MARTIAL,   APOTRE, 

■PREfflER  ÉYÊQUE  DE  LIMOGES,  ET  NOTRE-DAME  DE  CEIGNAC. 

!•'  siècle. 


Saint  Martial  a  apporté  à  l'Aquitaine  la  connaissant* 
du  vrai  Dieu,  la  ruine  de  l'affreux  culte  du  drui- 
disme,  la  justice  dans  l'Etat,  la  paix  dans  les 
familles,  l'union  parmi  les  citoyens,  les  semences 
de  la  civilisation,  le  culte  des  vertus  chrétienne». 
M.  l'abbé  C.  Martin,  Panégijr.  de  S.  Martial. 

Nous  ne  pouvons  être  repris  de  donner  à  saint  Martial  le  titre  d'Apôtre, 
après  que  le  pape  Jean  XIX  et  les  conciles  de  Limoges  et  de  Bourges,  dans  le 
xi^  siècle,  lui  ont  donné  ce  titre,  après  que  tout  récemment  encore,  la  sacrée 
congrégation  des  Rites  et  le  pape  Pie  IX  l'ont  maintenu  dans  ce  titre  d'hon- 
neur. C'était  aussi  l'usage  des  Eglises  d'Aquitaine,  de  France,  d'Angleterre, 
de  Constantinople  et  du  Mont-Sinaï,  où,  de  temps  immémorial,  on  l'invo- 
quait dans  les  litanies  et  les  autres  prières  publiques,  au  rang  des  Apôtres 
et  avant  tous  les  Martyrs,  comme  il  fut  vérifié  dans  ces  Conciles  et  surtout 
au  second  de  Limoges.  Ce  n'est  pas  qu'il  soit  du  nombre  des  douze  qui  ont 
composé  le  collège  apostolique  ;  car  c'est  à  tort  que  quelques-uns  l'ont  voulu 
confondre  avec  saint  Matthias  ;  mais  il  est  appelé  Apôtre,  parce  que,  d'après 
les  traditions  immémoriales  de  l'Aquitaine,  étant  disciple  de  Notre-Seigneur, 
et  ayant  reçu  de  lui  sa  mission,  il  a  travaillé  avec  les  principaux  Apôtres, 
de  même  que  saint  Barnabe,  saint  Luc  et  saint  Marc,  à  la  conversion  des 
infidèles,  à  la  destruction  de  l'idolâtrie,  à  l'établissement  du  royaume  de 
Jésus-Christ,  et  à  la  fondation  de  l'Eglise  chrétienne.  Une  ancienne  légende  de 
saint  Martial,  récemment  publiée,  ne  renferme  qu'un  abrégé  des  principaux 
traits  de  sa  vie,  savoir  :  sa  mission  du  temps  de  saint  Pierre,  la  résurrection 
de  saint  Austriclinien,  son  compagnon  d'apostolat,  le  baptême  et  le  martyre 
de  sainte  Valérie,  la  conversion  des  habitants  de  Limoges,  la  mort  bien- 
heureuse du  saint  évêque,  et  le  récit  de  quelques  miracles  opérés  à  son 
tombeau.  Il  existe  une  légende  plus  étendue,  qui  a  été  faussement  attri- 
buée à  saint  Aurélien,  son  successeur,  mais  qu'on  peut  considérer  néanmoins 
comme  un  recueil  des  anciennes  traditions  du  pays,  sur  la  vie  et  les  miracles 
de  l'Apôtre  de  l'Aquitaine.  Cette  légende  a  été  acceptée,  en  effet,  comme 
l'expression  de  la  croyance  publique,  par  les  évoques  et  les  abbés,  qui  sié- 
geaient dans  les  divers  conciles  où  l'on  décida  la  question  de  l'apostolat  de 
saint  Martial.  Nous  allons  en  donner  le  résumé,  en  y  ajoutant  d'autres 
traditions  qui  avaient  cours  dans  ces  siècles  de  foi  qu'on  appelle  le 
moyen  âge. 

Saint  Martial  était  hébreu  d'origine  et  de  la  tribu  de  Benjamin.  Le  poète 
Fortunat,  dans  des  vers  qu'il  a  composés  à  sa  louange,  lui  adresse  ces  pa- 
roles :  «  La  tribu  de  Benjamin  vous  vit  naître  d'un  sang  illustre  »;  et  Gré- 
goire de  Tours  lui-môme,  qui  s'est  mépris  sur  la  véritable  époque  de  sa 
mission,  reconnaît  qu'il  «  était  venu  d'Orient»,  avec  les  deux  prêtres  qui 
l'accompagnèrent  dans  la  Gaule.  D'après  quelques  anciens  manuscrits  de 


SAINT  MARTIAL,   APÔTRE,   PREMIER  ÉVÊQUE  DE  LIMOGES.  517 

la  légende  d'Aurélien,  il  naquit  à  Rama  S  petite  ville  de  Palestine  dont  il 
est  souvent  parlé  dans  l'Ecriture.  Son  père  et  sa  mère,  qui  vivaient  dans 
i;observance  exacte  de  la  loi  de  Moïse,  relevèrent  dans  la  crainte  de  Dieu;  et 
quand  Jésus-Christ  commença  à  prêcher  et  à  faire  de  grands  miracles  dans  la 
Galilée  et  dans  la  Judée,  il  eut  le  bonheur  de  le  voir  et  de  l'entendre  avec  ses 
parents.  La  parole  de  ce  grand  Maître  opéra  si  puissamment  dans  leur  cœur, 
qu'ils  crurent  en  lui  et  le  reconnurent  pour  le  Sauveur  et  pour  le  Messie,  et 
ils  furent  du  nombre  de  ceux  dont  il  est  parlé  dans  l'Evangile,  qu'il  baptisa, 
non  pas  par  lui-même,  mais  par  ses  disciples.  On  dit  que  ce  fut  saint  Pierre 
qui  leur  administra  ce  sacrement,  aussi  différent  du  baptême  de  saint  Jean 
que  l'ombre  est  différente  du  corps,  la  figure  de  la  vérité  et  l'ébauche  de 
l'ouvrage  parfait  et  achevé.  Martial,  après  son  baptême,  quelque  jeune  qu'il 
fût,  s'attacha  inséparablement  à  Notre-Seigneur. 

Plusieurs  docteurs  du  moyen  âge,  parmi  lesquels  nous  citerons  Albert 
le  Grand  et  saint  Thomas  d'Aquin  *,  disent  que  saint  Martial  était  ce  petit 
enfant  que  Notre-Seigneur  mit  au  milieu  de  ses  disciples,  pour  leur  ap- 
prendre à  être  humbles,  lorsqu'ils  vinrent  lui  demander  qui  d'entre  eux 
serait  le  plus  grand  dans  le  royaume  des  cieux  ;  d'autres  écrivains  du  moj^en 
âge  '  rapportent  que  c'était  lui  qui  apportait  les  cinq  pains  d'orge  et  les  deux 
poissons  que  Notre-Seigneur  multiplia  si  miraculeusement  dans  le  désert, 
selon  cette  parole  de  saint  Philippe  :  «  Il  y  a  ici  un  jeune  garçon  qui  a  cinq 
pains  d'orge  et  deux  poissons  ;  mais  qu'est-ce  que  cela  pour  tant  de 
monde?  »  —  Toutefois  ces  deux  traditions  ne  sont  point  rapportées  dans  la 
légende  écrite  sous  le  nom  d'Aurélien. 

Ce  que  cette  légende  rapporte  et  ce  qu'on  trouve  aussi  dans  la  bulle  du 
pape  Jean  XIX,  c'est  que  saint  Martial  eut  l'honneur  de  servir  Notre-Sei- 
gneur à  table,  lorsqu'il  mangea  pour  la  dernière  fois  l'Agneau  pascal,  et 
qu'après  avoir  lavé  les  pieds  de  ses  disciples,  il  institua  le  sacrement  ado- 
rable de  l'Eucharistie.  Disciple  du  Fils  de  Dieu,  il  le  vit  après  sa  résurrec- 
tion, assista  au  glorieux  triomphe  de  son  Ascension,  reçut  le  Saint-Es- 
prit au  jour  de  la  Pentecôte,  puis  s'attacha  à  saint  Pierre,  dont  il  était  le 
parent  selon  la  chair  et  le  fils  spirituel  *.  Saint  Abbon,  abbé  de  Fleury  au 
X*  siècle,  a  chanté,  dans  une  Séquence,  ces  pieuses  traditions  :  «  Dans  la 
scène  mystique,  Martial  fut  le  convive  du  Christ,  et  prit  ce  qui  resta  du  pain 
céleste  ;  et,  joyeux,  il  présenta  les  linges  quand  le  Sauveur  se  lava  pour 
essuyer  les  pieds  à  ses  disciples  ;  et  loin  de  s'enfuir  de  leur  réunion  sacrée, 
il  fut  un  membre  pieux  de  cette  troupe  timide  dans  laquelle  Thomas  ne  se 
trouva  point  ;  bien  plus,  quand  le  Christ  remonta  vers  le  ciel,  il  mérita  d'être 
béni  avec  la  foule  des  assistants  ;  et  il  ne  méprisa  point  le  chœur  des  Apôtres 
qui  louaient  Dieu  ;  mais  il  reçut  avec  eux  les  grâces  du  Saint-Esprit  et  le 
don  des  langues,  et  ainsi  fortifié,  il  parvint  à  Antioche  dans  la  compagnie  de 
Pierre  :  de  là  il  se  rendit  dans  la  grande  ville  de  Rome  ». 

Rome  a  conservé  le  souvenir  du  passage  et  des  prédications  de  saint 
Martial.  Une  tradition  de  la  plus  haute  antiquité,  consignée  dans  l'ancien 
bréviaire  de  Sainte-Marie  in  Via  Lata,  lui  attribue  la  fondation  de  l'Oratoire 
souterrain  de  cette  église,  un  des  sanctuaires  primitifs  de  Rome  chrétienne. 

1.  Un  cosmographe  du  xvi«  siècle,  André  Théret,  dit  avoir  tu  à  trois  lieues  de  Rama,  au  Tillago 
d'Aronha,  une  e'glise  bâtie  en  l'honneur  de  saint  Martial,  que  l'on  disait  natif  de  ce  lieu.  (Cosmogr. 
Univers.,  1. 1,  p.  169.) 

2.  Nous  pouvons  citer  encore  Anselme  de  Laon,  Pierre  Comestor,  Gérald  de  Frachet,  Adam  de  Cler- 
mont,  Durand  de  Mende,  Nicolas  de  Lyre,  Ludolphe  le  Chartreux,  etc. 

8.  Bernard  Guidonis,  saint  Antonin,  etc. 

4.  Dissertation  sur  V apostolat  de  saint  Martial,  paee  95. 


<Î18  30  JUIN. 

Nous  lisons  dans  cette  légende  que  «  saint  Pierre  étant  venu  à  Rome,  fut 
accompagné  entre  autres  du  bienheureux  Martial,  disciple  de  Jésus-Christ, 
qui  prêchait  avec  lui  la  foi  chrétienne  par  les  rues  et  les  places  publiques, 
et  faisait  beaucoup  de  conversions  ;  et  ainsi  le  nombre  des  fidèles  augmen- 
tait de  plus  en  plus  dans  la  ville.  Et  parce  que  saint  Pierre  demeurait  assi- 
dûment avec  les  principaux  de  Rome,  qui  admiraient  sa  nouvelle  doctrine, 
saint  Martial  demeurait  dans  un  autre  quartier  de  la  ville,  dans  le  lieu  qui 
est  appelé  Via  Lata,  où  il  construisit  un  petit  oratoire,  dans  lequel  il  célé- 
brait les  saints  mystères,  et  répandait  des  prières  avec  les  autres  fidèles  du 
Christ  ;  et  faisant  jaillir  de  son  cœur  des  paroles  suaves  sur  la  foi  du  Christ, 
il  baptisait  un  grand  nombre  de  néophytes.  Quelque  temps  après,  l'apôtre 
saint  Paul  vint  à  Rome,  avec  un  grand  nombre  de  disciples,  parmi  lesquels 
se  trouvait  l'évangéliste  saint  Luc,  et  la  ville  de  Rome  fut  éclairée  admira- 
blement par  leurs  prédications,  ainsi  que  par  un  soleil  resplendissant.  Mais 
saint  Pierre,  voyant  que  la  foi  était  fondée  et  affermie  dans  Rome,  et  que  la 
ville  était  déjà  remplie  de  pieux  docteurs,  résolut  de  faire  annoncer  l'Evan- 
gile aux  provinces  adjacentes  et  d'amener  les  infidèles  à  la  foi.  C'est  pour- 
quoi il  envoya  le  bienheureux  Martial  à  Ravenne  et  «  dans  les  pays  au-delà 
des  Monts  »,  pour  y  prêcher  la  foi  du  Christ. 

Un  commentaire  de  cette  légende,  imprimé  à  Rome  au  xvn*  siècle,  dit 
que  saint  Martial,  fondateur  de  l'Oratoire  de  Sainte-Marie  in  Via  Lata,  est 
le  même  saint  Martial  qui  a  prêché  l'Evangile  aux  habitants  de  Limoges,  de 
Toulouse  et  de  Bordeaux  '. 

Le  zèle  que  saint  Martial  avait  déployé,  dans  la  compagnie  de  saint 
Pierre,  pour  la  propagation  de  la  foi,  détermina  donc  ce  grand  Apôtre,  dont 
la  vue  s'étendait  sur  toute  la  terre,  à  le  choisir  pour  porter  la  connaissance 
de  Jésus-Christ  dans  les  Gaules.  11  partit  de  Rome,  accompagné  de  saint 
Austriclinien  et  de  saint  Alpinien,  que  saint  Pierre  lui  donna  pour  collègues, 
portant  dans  sa  bouche  le  glaive  de  la  parole  de  Dieu,  pour  combattre  les 
philosophes,  la  superstition  des  Druides,  la  puissance  des  princes  et  des 
démons,  et,  en  même  temps,  pour  éclairer  les  âmes  et  les  embraser  du  feu 
de  la  charité. 

Mais  après  quelques  jours  de  voyage,  il  se  vit  privé  du  secours  que 
l'Apôtre  lui  avait  donné,  par  la  mort  d'un  de  ses  compagnons,  saint  Austri- 
clinien, à  Cracchianum,  sur  la  rivière  d'Else,  aujourd'hui  Granciano,  près 
de  la  ville  de  Colle  di  Val  ctElza,  en  Toscane.  Cet  accident  imprévu  le 
troubla  d'abord,  et  servit  d'épreuve  à  son  généreux  courage.  11  se  décida 
alors  à  retourner  sur  ses  pas,  pour  en  informer  saint  Pierre,  et  le  prier 
de  suppléer  au  dommage  qu'il  souffrait  par  la  perte  d'un  secours  si  con- 
sidérable. L'Apôtre  le  consola  et  le  fortifia  dans  sa  première  résolution; 
et,  pour  lui  rendre  le  secours  qu'il  avait  perdu,  il  lui  donna  son  bâton, 
lui  recommandant  de  le  mettre  sur  le  corps  du  mort,  avec  une  ferme  con- 
fiance qu'il  ressusciterait.  Martial  le  prit  avec  beaucoup  de  respect,  obéit 
sans  résistance  à  la  voix  de  son  maître,  s'en  revint  promptement  à  Crac- 
chianum, et  toucha  Austriclinien  avec  ce  bâton.  Comme  sa  foi  était  incom- 
parablement plus  grande  que  celle  de  Giézi,  serviteur  d'Elisée,  qui  avait  eu 
un  ordre  semblable  d'appliquer  le  bâton  de  ce  Prophète  sur  le  cadavre  du 
fils  de  la  Sunamite,  son  action  fut  aussi  plus  heureuse  et  plus  efficace  ; 
Austriclinien  en  sentit  aussitôt  la  vertu  ;  il  ouvrit  les  yeux,  se  leva  en 
pleine  santé,  et  se  trouva  en  état  de  continuer  son  voyage  apostolique. 

1.  Documents  inédits  sur  l'apostolat  de  saint  Martial,  page  56. 


SAINT  MARTIAL,    APÔTRE,   PREMIER  ÉVÊQUE   DE   LIMOGES.  619 

Les  anciens  actes  de  saint  Martial,  en  rapportant  cette  résurrection, 
s'expriment  de  la  sorte  :  «  La  chose  arriva  comme  saint  Pierre  l'avait  annoncé, 
ainsi  que  l'atteste  la  renommée  populaire.  A  peine  saint  Martial  eut-il  tou- 
ché avec  le  bâton  de  saint  Pierre  le  cadavre  de  son  compagnon,  que  les 
membres  que  la  chaleur  du  sang  avait  abandonnés,  furent  rendus  sur-le- 
champ  à  une  nouvelle  vie  ;  Austriclinien  commença  à  voir  de  ses  propres 
yeux  la  lumière  dont  il  avait  perdu  la  jouissance  en  mourant.  Pourquoi  ce 
miracle,  sinon  pour  faire  briller  dans  tout  son  éclat  la  foi  de  Pierre  au 
nom  duquel  il  se  fit  *  ?  » 

On  voit  encore,  près  le  pont  de  Granciano,  une  ancienne  église  dédiée 
sous  l'invocation  de  saint  Martial,  et  élevée  sur  le  tombeau  d' Austriclinien  ; 
on  y  lit  une  inscription  qui  rappelle  les  traditions  les  plus  glorieuses  pour  le 
saint  Apôtre  ;  et  tout  près  de  là,  la  ville  de  Colle  a  été  érigée  en  titre  épis- 
copal  en  l'honneur  du  disciple  de  Jésus-Christ. 

Le  pays  que  saint  Martial  avait  reçu  la  mission  d'évangéliser  s'étendait 
entre  le  Rhône,  la  Loire  et  l'Océan  Atlantique,  et  comprenait  cette  grande 
partie  des  Gaules  que  les  anciens  appelaient  l'Aquitaine.  Après  avoir  tra- 
versé de  vastes  contrées  en  semant  sur  son  chemin  la  parole  divine,  l'Apôtre 
arriva,  avec  ses  deux  disciples,  sur  les  frontières  du  Limousin.  Il  entra  dans 
la  ville  de  Toulx,  qui  n'est  aujourd'hui  qu'une  bourgade  située  sur  une 
montagne*,  mais  qui  alors  était  un  château  ou  ville  fortifiée,  dont  la  triple 
enceinte  et  les  ruines,  qui  subsistent  encore,  attestent  l'ancienne  étendue. 
On  lit  dans  la  légende  d'Aurélien  qu'un  homme  riche  de  cette  ville,  qui  eut 
le  bonheur  de  recevoir  saint  Martial  et  de  le  loger  plusieurs  jours  dans  sa 
maison,  ne  fut  pas  privé  de  la  récompense  de  son  hospitalité  ;  il  avait  une 
fille  unique,  possédée  d'un  furieux  démon  qui  lui  faisait  souffrir  de  grands 
maux  et  la  réduisait  à  un  état  déplorable  :  le  Saint  en  eut  pitié,  et,  la  dé- 
livrant de  ce  terrible  ennemi,  la  rendit  saine  et  sauve  h  son  père  ;  il  ressus- 
cita aussi  le  fils  du  prince,  ou  gouverneur  romain  de  cette  ville,  et  après 
avoir  conféré  le  baptême  à  ce  jeune  homme  et  à  un  grand  nombre  d'habi- 
tants, il  alla  au  temple  des  faux  dieux  et  en  abattit  les  statues. 

De  Toulx,  l'Apôtre  se  rendit  dans  le  bourg  d'Ahun*  avec  l'espérance  d'y 
travailler  avec  le  même  succès  ;  mais  les  prêtres  des  idoles,  ne  pouvant 
souffrir  que  le  culte  qui  leur  faisait  gagner  leur  vie  fût  aboli,  le  frappèrent 
cruellement,  lui  et  ses  bienheureux  compagnons.  Par  un  juste  châtiment 
du  ciel,  ils  devinrent  aveugles,  et,  reconnaissant  leur  crime,  ils  demandè- 
rent pardon  à  saint  Martial,  qui  leur  rendit  la  vue.  Après  que,  sur  une 
parole  de  l'Apôtre,  la  statue  de  Jupiter  eut  été  réduite  en  poussière,  un 
grand  nombre  de  païens,  convertis  par  ses  miracles,  reçurent  le  baptême 
et  brisèrent  les  images  sculptées  des  démons.  Saint  Martial  guérit  encore 
en  ce  lieu  un  paralytique  ;  et,  ayant  fait  connaître  à  ceux  qu'il  avait  bap- 
tisés qu'il  avait  reçu  l'ordre  d'aller  plus  loin,  il  se  sépara  de  ses  néophytes 
après  les  avoir  recommandés  à  Dieu,  et  se  rendit  à  la  cité  de  Limoges,  la 
principale  et  la  plus  peuplée  de  toutes  les  villes  du  Limousin. 

Voici  ce  que  nous  lisons  dans  l'ancienne  vie  de  saint  Martial  : 

«  A  son  arrivée  à  Limoges,  il  trouva  la  multitude  adonnée  au  culte  des 
idoles  ;  il  se  mit  à  prêcher  avec  tant  d'instance  la  parole  de  Dieu,  qu'il  fit 

1.  Documents  inédits  sur  l'apostolat  de  saint  Martial,  page  37. 

2.  Tonlx-Sainte-Croix,  canton  de  Bonssac  (Creuse),  et  non  pas  Tulle  (Corrèze),  comme  l'ont  arancrf 
quelques  auteurs  peu  versés  dans  Iles  traditions  du  pays.  Voir  sur  les  ruines  et  les  monuments  de  la 
Ville  celtique  de  Toulx  les  Recherches  de  M.  Bnrailon,  membre  correspondant  de  l'Institut,  p.  316  et  384. 

8.  Cbef-liân  dd  canton  (Creuse),  sur  la  voie  romaine  de  Lyon  à  Limoges. 


520  30  JUIN. 

sur  le  peuple  l'impression  la  plus  salutaire  ;  au  bout  de  peu  de  temps,  un 
grand  nombre  de  païens  demandèrent  à  être  régénérés  dans  les  eaux  du 
baptême,  et  à  recevoir  sur  le  front  l'impression  sacrée  de  la  croix  de  Jésus- 
Christ  ;  par  ses  exhortations  fréquentes  l'homme  de  Dieu  produisit,  au  mi- 
lieu de  cette  cité,  des  fruits  abondants  de  salut. 

«  Une  jeune  fille,  nommée  Valérie,  plus  noble  par  sa  foi  que  par  son 
illustre  origine,  eut  le  bonheur  de  plaire  à  Dieu  par  ses  vertus.  Elle  était 
déjà  fiancée,  elle  devait  contracter  un  mariage  en  rapport  avec  sa  haute 
Daissance  ;  mais  en  écoutant  fréquemment  la  parole  divine,  elle  préféra  le 
céleste  Epoux  à  un  époux  terrestre,  et,  à  la  voix  de  Martial,  elle  parvint  à 
la  grâce  du  baptême  ;  et  l'on  rapporte  que,  comme  elle  était  devenue  chré- 
tienne et  n'avait  pas  voulu  contracter  le  mariage  projeté,  elle  fut  mise  à 
mort  par  son  fiancé,  encore  païen  ». 

C'est  ainsi  que  s'exprime  cette  ancienne  vie^ 

La  légende  d'Aurélien  entre  dans  de  plus  grands  détails.  Saint  Martial 
et  ses  compagnons,  entrant  dans  la  cité  de  Limoges,  reçurent  l'hospitalité 
chez  une  noble  dame,  dont  la  fille  unique  se  nommait  Valérie.  Il  y  avait 
dans  la  maison  un  homme  si  furieux,  qu'on  était  obligé  de  le  tenir  lié  de 
beaucoup  de  chaînes  :  mais  saint  Martial  ayant  fait  sur  cet  homme  le  signe 
de  la  croix,  ses  chaînes  se  brisèrent  et  il  fut  entièrement  guéri.  La  noble 
matrone,  en  voyant  ce  miracle,  pria  l'homme  de  Dieu  de  la  baptiser  ;  et 
elle  reçut  le  baptême  avec  sa  fille  et  la  troupe  nombreuse  de  ses  serviteurs. 

Puis  Martial  s'étant  rendu  avec  ses  disciples  dans  la  vaste  enceinte  du 
théâtre,  oh  le  peuple  était  assemblé,  pour  y  prêcher  l'Evangile  du  royaume 
de  Dieu,  les  prêtres  des  idoles,  craignant  que  ces  heureux  commencements 
ne  fussent  suivis  d'une  prompte  conversion  de  toute  la  ville,  conçurent  une 
telle  rage  contre  nos  Saints,  qu'ils  se  saisirent  d'eux,  les  firent  battre  de 
verges  et  les  jetèrent  en  prison.  Mais  le  lendemain,  Martial  s'étant  mis  en 
prière,  il  parut  au  milieu  du  cachot  une  lumière  céleste  qui  en  éclaira  les 
ténèbres  et  le  changea  en  un  temple  de  gloire  ;  et,  en  même  temps,  les  fers 
tombèrent  des  pieds  et  des  mains  de  ces  bienheureux  prisonniers,  et  les 
portes  s'ouvrirent  pour  leur  donner  la  liberté  de  se  retirer.  Cependant  toute 
la  ville  fut  agitée  d'un  furieux  tremblement  de  terre,  accompagné  d'un  ton- 
nerre épouvantable  qui  la  mit  en  feu  ;  on  vit  que  Dieu  tirait  vengeance  de 
l'auront  fait  à  ses  serviteurs  ;  bien  plus,  les  deux  principaux  prêtres  des 
idoles,  qui  avaient  mis  la  main  sur  eux,  furent  trouvés  morts  sur  la  place 
par  la  violence  de  cette  tempête,  sans  que  ni  leurs  vœux  sacrilèges,  ni  leurs 
sacrifices  impies  eussent  pu  les  sauver  de  la  justice  divine.  Les  habitants, 
touchés  de  ces  prodiges,  et  craignant  d'être  enveloppés  dans  cette  terrible 
punition,  coururent  promptement  à  la  prison  pour  implorer  le  secours  des 
saints  Apôtres.  Martial  leur  promit  qu'ils  n'éprouveraient  point  de  mal, 
pourvu  qu'ils  voulussent  croire  en  Jésus-Christ,  et  s'offrit  même  de  ressus- 
citer les  deux  prêtres  frappés  du  tonnerre,  afin  de  leur  faire  voir  la  puis- 
sance infinie  du  Dieu  qu'il  leur  prêchait.  En  effet,  à  peine  leur  eut-il  com- 
mandé de  se  lever  et  de  dire  publiquement  au  peuple  ce  qu'il  fallait  faire 
pour  être  sauvé,  qu'ils  revinrent  tous  deux  en  vie,  et  devinrent  en  même 
temps  les  prédicateurs  de  la  vérité.  Ils  détestèrent  l'erreur  dans  laquelle  ils 
avaient  vécu  jusque-là,  et  où  ils  avaient  entretenu  tant  de  malheureux  qui 
s'étaient  perdus,  et  protestèrent  qu'il  n'y  avait  point  d'autre  Dieu,  ni  au 
ciel  ni  sur  la  terre,  que  celui  que  Martial  était  venu  leur  annoncer.  L'un 

1.  Documents  inédits  sur  Vojfostolat  de  saint  Martial,  page  37. 


SAINT  MARTIAL,   APÔTRE,   PREMIER  ÉVÊQUE  DE  LIMOGES.  521 

d'eux,  nommé  Aurélien,  fut  plus  tard  le  successeur  de  saint  Martial.  Un  si 
grand  miracle  fît  un  merveilleux  changement  dans  toute  la  ville  ;  la  plupart 
des  idolâtres  se  convertirent,  les  statues  des  faux  dieux  furent  renversées  et 
mises  en  pièces,  et  le  temple  des  idoles,  où  se  trouvaient  les  statues  de  Ju- 
piter, de  Mercure,  de  Diane  et  de  Vénus,  fut  changé  en  une  église  pour 
honorer  le  vrai  Dieu.  C'est  aujourd'hui  l'église  cathédrale,  dédiée  en  l'hon- 
neur du  premier  martyr  saint  Etienne.  On  dit  que  les  personnes  qui  furent 
baptisées  montèrent  jusqu'au  nombre  de  vingt-deux  mille  :  ce  qui  ne  doit 
pas  paraître  incroyable,  puisque  nous  voyons  qu'en  d'autres  lieux  le  nombre 
des  martyrs  a  souvent  été  plus  grand. 

Cependant  la  pieuse  matrone,  qui  avait  donné  l'hospitalité  à  saint  Mar- 
tial et  à  ses  compagnons,  vint  à  mourir.  Sa  fille,  Valérie,  était  fiancée  au 
gouverneur  de  la  province,  que  la  légende  d'Aurélien  appelle  le  duc  Etienne, 
sans  doute  parce  que  ce  nom  lui  fut  donné  lorsque  plus  tard  il  reçut  le 
baptême  à  son  tour.  La  jeune  vierge  méprisa  cet  époux  terrestre  pour  mé- 
riter d'être  l'épouse  du  roi  du  ciel,  et,  ayant  appris  de  saint  Martial,  son 
maître,  les  avantages  de  la  virginité  sur  le  mariage,  elle  consacra  la  sienne 
à  Jésus-Christ,  et  fit  vœu  de  la  garder  inviolablement  toute  sa  vie.  Son 
fiancé,  étant  de  retour  à  Limoges,  et  connaissant  cette  résolution,  en  fut 
touché  d'une  extrême  douleur;  puis,  la  fureur  succédant  à  la  tristesse,  il 
résolut  de  se  venger,  par  la  mort  de  cette  innocente  vierge,  de  l'affront 
qu'il  prétendait  recevoir  de  ce  refus.  Il  la  fit  conduire  hors  de  la  cité,  et 
ordonna  à  un  de  ses  officiers  de  lui  trancher  la  tête  *. 

On  lit  dans  la  légende  de  sainte  Valérie,  une  particularité  qu'on  trouve 
aussi  dans  les  légendes  de  quelques  autres  martyrs  des  premiers  siècles  : 
c'est  que  cette  glorieuse  vierge,  ayant  été  décapitée,  prit  sa  tête  entre  ses 
mains  et  la  porta  comme  en  triomphe  jusqu'à  l'autel  où  saint  Martial  célé- 
brait les  saints  mystères. 

La  légende  d'Aurélien  raconte  que,  au  moment  du  supplice  de  Valérie, 
on  vit  son  âme  sainte  monter  au  ciel  dans  un  globe  de  feu,  accompagnée 
par  le  concert  harmonieux  des  Anges  :  «  Vous  êtes  heureuse,  martyre  du 
Christ  :  venez  dans  la  splendeur  qui  ne  connaît  pas  de  fin  !  » 

Surpris  de  ces  prodiges,  l'officier  qui  avait  tranché  la  tête  à  Valérie  cou- 
rut les  raconter  à  son  maître.  A  peine  en  eut-il  fait  le  récit,  qu'il  tomba 
mort  à  ses  pieds,  afin  que  sa  mort  fît  voir  à  ce  seigneur  la  grandeur  du 
crime  qu'il  avait  commis.  Etienne,  épouvanté,  fit  venir  Martial  en  son 
palais,  et,  lui  ayant  promis  de  faire  pénitence  s'il  rendait  la  vie  à  son  offi- 
cier, il  fut  témoin  de  cette  résurrection  et  exécuta  solennellement  la  pro- 
messe qu'il  avait  faite.  Sa  conversion  fut  suivie  de  celle  d'un  grand  nombre 
de  soldats  de  son  armée  et  d'habitants  de  la  ville  qui  ne  s'étaient  pas  rendus 
aux  premiers  miracles  de  notre  Saint.  Et  pour  réparer  dignement  ses  fautes 
passées,  le  gouverneur  aida  Martial  à  étendre  et  à  propager  le  christianisme 
dans  tout  le  pays. 

Notre  Apôtre,  après  avoir  travaillé  avec  de  si  heureux  succès  à  réduire 
la  ville  de  Limoges  sous  le  joug  de  Jésus-Christ,  entreprifla  conquête  des 
autres  villes  et  provinces  de  cette  partie  des  Gaules,  qu'on  appelait  alors 
l'Aquitaine;  nous  citerons  parmi  ces  villes  Angoulême,  Bordeaux,  Tou- 
louse, Poitiers.  Le  titre  glorieux  qui  lui  est  demeuré,  d'Apôtre  de  l'Aqui- 
taine, fait  assez  voir  que  ses  courses  apostoliques  ne  furent  pas  inutiles,  qu'il 
y  alluma  de  tous  côtés  le  flambeau  de  la  foi,  qu'il  y  fit  connaître  et  aimer 

1.  Sainte  Valérie  est  honorée  comme  première  martyre  de  l'Aquitaine  dans  l3  dlOQëse  de  Limog&S,  oîl 
l'on  célèbre  en  son  honneur,  le  10  décembre,  na  office  double  de  seconde  cUsse. 


522  30  JUIN. 

Jésus-Christ,  qu'il  y  établit  des  Eglises,  ordonna  des  prêtres  et  des  évêques, 
et  fît  les  autres  fonctions  de  son  apostolat. 

C'est  une  tradition  immémoriale  dans  la  province  d'Angoumois,  que 
saint  Martial,  se  rendant  à  Bordeaux  pour  y  prêcher  l'Evangile,  passa  par 
la  cité  d'Angoulême,  y  séjourna  quelque  temps,  y  convertit  le  peuple  à  la 
foi  du  vrai  Dieu,  y  baptisa  saint  Ausone  et  l'ordonna  premier  évêque  de 
cette  ville. 

La  ville  de  Bordeaux  se  reconnaît  redevable  à  saint  Martial  des  pre- 
mières annonces  de  la  foi.  C'est  une  tradition  recueillie  dans  la  légende 
d'Aurélien,  que  l'Apôtre  d'Aquitaine  y  a  prêché  l'Evangile  et  opéré  des  mi- 
racles. Un  archevêque  de  Bordeaux,  au  x*  siècle,  disait  dans  une  éloquente 
prière  :  «  Ne  croyons-nous  pas  que  notre  ville  épiscopale,  la  cité  de  Bor- 
deaux, a  été  par  vous  acquise  à  Jésus-Christ,  et  qu'une  femme  que  vous 
aviez  baptisée,  imposant  votre  bâton  pastoral  sur  le  prince  de  la  cité,  le  gué- 
ritd'une  maladie  invétérée?»  Nous  voyons  encore,  dànsV  Fpitre  aux  BordelaiSy 
que  les  autels  des  démons  furent  réduits  en  poussière,  et  que  le  souverain 
prêtre  des  idoles,  converti  à  la  foi,  fut  consacré  par  saint  Martial,  premier 
prêtre  de  cette  église  naissante.  De  Bordeaux,  le  saint  Apôtre  alla  prêcher 
l'Evangile  à  Mortagne,  dans  la  Saintonge  :  on  y  voit  encore,  en  face  de  la 
Gironde,  un  ermitage  creusé  dans  le  rocher,  dont  la  chapelle  est  dédiée 
sous  son  invocation,  et  où  l'on  dit  qu'il  résida  quelque  temps. 

Pierre  le  Vénérable,  parlant  des  premiers  apôtres  de  la  Gaule,  assure 
que  saint  Martial  a  prêché  à  Limoges,  à  Bordeaux  et  à  Poitiers.  On  dit  que 
lorsqu'il  se  trouvait  dans  cette  dernière  cité,  le  Sauveur  lui  apparut,  et  lui 
dit  :  «  Sache  que,  à  cette  heure  même,  Pierre  est  crucifié  pour  la  gloire  de 
mon  nom  :  c'est  pourquoi  fonde  ici  une  église  en  son  honneur  ». 

La  chronique  composée  au  moyen  âge  sous  le  nom  de  Dexter,  l'ami  et 
le  contemporain  de  saint  Jérôme,  dit  que  saint  Martial  a  été  l'apôtre  des 
habitants  de  Limoges,  de  Cahors  et  de  Toulouse.  Cette  dernière  ville  avait 
écrit  sa  tradition  sur  la  façade  de  Saint-Sernin,  où  l'on  voyait  autrefois  une 
statue  de  l'apôtre  de  l'Aquitaine,  avec  une  inscription  qui  lui  donnait  pour 
auxiliaire  saint  Saturnin  ;  enfin,  VEpître  aux  habitants  de  Toulouse  est  un 
autre  monument  du  moyen  âge  qui  montre  l'antiquité  de  cette  tradition. 

D'anciens  documents  du  diocèse  de  Mende  représentent  saint  Sévérien, 
premier  évêque  du  Gévaudan,  comme  disciple  de  saint  Martial  ;  de  vieilles 
légendes  assurent  qu'il  a  dédié  des  autels  à  la  Vierge  Marie,  au  Puy-en- 
Velay,  à  Rhodez,  à  Mende,  à  Clermont  et  à  Roc-Amadour  :  en  un  mot,  toutes 
les  églises  de  l'Aquitaine  le  regardent  comme  leur  apôtre  et  leur  fondateur. 

Des  manuscrits  anciens,  que  l'on  conservait  autrefois  à  Ceignac,  constatent 
que  saint  Martial  vint  dans  ce  lieu,  à  peu  de  distance  de  Rhodez,  qu'il  y 
dressa  une  croix  et  y  fît  bâtir  un  sanctuaire  en  l'honneur  de  la  Vierge.  Ce 
sanctuaire,  l'un  des  plus  anciens  et  des  plus  vénérés  du  diocèse  de  Rhodez, 
s'appela  Notre-Dame  des  Monts,  à  raison  des  montagnes  qui  l'entourent,  oa 
Notre-Dame  de  Ceignac,  Peu  à  peu,  un  village  se  forma  autour  de  ce  sanc- 
tuaire ,  puis  une  paroisse  y  fut  érigée  ;  et,  la  chapelle  primitive  se  trouvant 
insuffisante,  on  bâtit  à  côté  une  plus  grande  église,  sous  le  vocable  de 
Sainte-Madeleine.  Plus  tard,  le  temps  ayant  ruiné  ces  deux  églises,  on  les 
remplaça  par  une  nouvelle,  sous  l'invocation  de  la  sainte  Vierge  ;  c'est 
l'église  actuelle,  sauf  d'abord  le  sanctuaire  et  la  première  travée,  qui,  refaits 
en  1455,  si  l'on  en  croit  les  notices  historiques,  sont  du  style  ogival  secon- 
daire, ainsi  que  les  trois  premières  chapelles,  tandis  que  le  reste  de  la  nef, 
en  style  roman,  accuse  le  xm"  siècle  ;  sauf,  en  second  lieu,  les  deux  der- 


SAINT  MARTIAL,  ApOtRE,  PREMIER  ÉVÉQUE  DE  LIMOGES.        523 

nières  chapelles,  qui  ont  été  ajoutées  postérieurement,  et  la  voûte  de  la 
partie  de  la  nef  faite  en  berceau,  ouvrage  du  xvin*  siècle  ;  sauf,  enfin,  les 
beaux  vitraux  modernes,  qui  forment  la  rosace  de  la  façade,  et  qui  pré- 
sentent, dans  les  autres  ouvertures,  des  médaillons  à  personnages,  d'un  goût 
exquis  et  d'un  effet  ravissant. 

Au  plus  haut  du  retable  qui  couvre  l'abside  circulaire,  est  une  Assomp- 
tion, oti  l'on  a  fait  figurer,  dans  un  coin  du  tableau,  le  duc  d'Arpajon,  comme 
un  des  principaux  bienfaiteurs  de  l'église  ;  et,  dans  la  partie  inférieure  du 
retable,  sont  trois  niches,  dont  celle  du  milieu,  surmontée  d'une  couronne 
fleurdelisée,  contient  une  très- grande  Vierge  avec  l'enfant  Jésus  sur  le  bras 
gauche  ;  celle  de  droite  renferme  l'ancienne  Vierge  miraculeuse  de  Ceignac, 
tenant  aussi  sur  le  bras  gauche  son  divin  Enfant,  et  au-dessus  on  lit  :  Anii- 
qux  imagini  Virginis  deiparx  miraculis  insigni.  D.  D.  D.  ;  enfin,  celle  de 
gauche  montre  sainte  Anne  ayant  sur  les  bras,  d'un  côté  l'Enfant  Jésus,  et 
de  l'autre  la  Vierge  Marie,  avec  l'inscription  :  Incliias  parenlis  Dei  geniùicis 
imagini.  D.  D.  D. 

La  première  chapelle  à  droite  présente,  d'une  part,  les  douleurs  de  Marie 
au  saint  sépulcre,  et,  de  l'autre,  sur  le  gradin  de  l'autel,  son  couronnement 
flans  le  ciel.  La  seconde  s'appelle  la  chapelle  de  Rhodez,  à  raison  du  tableau 
placé  au-dessus  de  l'autel,  et  qu'offrit  la  ville  de  Rhodez,  en  1653,  pour 
avoir  été  sauvée  de  la  peste. 

Le  trésor  de  Notre-Dame  de  Ceignac  n'est  pas  moins  curieux  que  l'église 
même.  On  y  voit  une  statuette  de  la  Vierge,  en  argent,  ayant  à  sa  base  un 
verre  arrondi  qu'on  applique  sur  les  yeux  malades  ;  un  coffret  renfermant 
plusieurs  reliques,  sur  le  devant  duquel  est  une  figure  de  la  Vierge  en  relief, 
qu'on  fait  baiser  aux  pèlerins  ;  vingt  lampes  d'argent  avec  des  rentes  pour 
leur  entretien  ;  deux  calices  en  vermeil  ;  deux  autres  en  argent  ;  une  croix 
avec  deux  chandeliers,  un  ciboire,  un  ostensoir,  quatre  burettes  avec  leurs 
bassins  ;  le  tout  également  en  argent  et  d'une  valeur  de  plus  de  cent  mille 
francs.  La  plus  grande  partie  de  ces  richesses  venaient  des  seigneurs  d'Ar- 
pajon, dont  le  château  était  voisin.  Ces  hauts  et  puissants  seigneurs  avaient 
une  dévotion  spéciale  pour  Notre-Dame  de  Ceignac  ;  ils  l'honoraient  pen- 
dant leur  vie,  aspiraient  à  reposer  dans  son  sanctuaire  après  leur  mort  ; 
l'église  renferme  encore  plusieurs  de  leurs  tombeaux.  Jean  III,  baron  d'Ar- 
pajon, est  remarquable  entre  tous  :  il  institua  un  chapelain  dans  l'église, 
pour  y  dire  la  messe  chaque  vendredi  et  chaque  samedi  après  les  fêtes  de 
la  sainte  Vierge,  et  à  chaque  anniversaire  de  son  décès;  il  donna  un  canon 
pour  y  faire  une  cloche  ;  il  obtint  du  Saint-Sicge  une  indulgence  plénière, 
valable  pendant  cent  ans,  pour  la  visite  de  l'église,  accompagnée  de  la  com- 
munion, à  une  des  fêtes  de  la  sainte  Vierge  ;  enfin,  il  prescrivit,  par  son  tes- 
tament du  22  janvier  1516,  de  l'enterrer  dans  Notre-Dame  de  Ceignac  et  d'y 
placer  sa  statue  sur  son  tombeau,  entre  celles  de  saint  Jean-Baptiste  et  de 
saint  Christophe,  l'y  représentant  à  genoux,  les  mains  jointes,  vêtu  et  armé 
comme  il  l'était  lorsqu'il  fut  pris  par  les  Anglais  en  Picardie. 

Les  simples  fidèles,  comme  les  grand  seigneurs,  aimaient  à  déposer  leur 
humble  offrande  aux  pieds  de  Notre-Dame  de  Ceignac  et  ue  croyaient 
jamais  pouvoir  assez  lui  exprimer  leur  reconnaissance.  C'est  qu'en  effet,  on 
ne  saurait  dire  le  nombre  de  miracles  opérés  par  l'invocation  de  Notre- 
Dame  de  Ceignac.  Le  premier  que  racontent  les  notices  historiques,  ei 
qu'elles  placent  en  1150,  est  la  guérison  d'un  prince  de  Hongrie,  seigneuî 
palatin.  Privé  de  la  vue,  il  demandait  depuis  de  longues  années  sa  guérison 
à  la  sainte  Vierge,  lorsque  celle-ci,  dit  la  tradition,  lui  apparut  et  lui  an- 


524  30  JUIN. 

nonça  qu'il  recouvrerait  la  vue  à  Notre-Dame  des  Monts,  près  de  Rhodez. 
Le  prince  aussitôt  se  met  en  marche  avec  une  escorte  de  cent  hommes  ; 
assailli  en  route  par  la  tempête,  il  perd  son  escorte  et  arrive  à  Notre-Dame 
des  Monts,  accompagné  seulement  de  trois  hommes.  Il  y  fait  célébrer  la 
messe,  et,  entendant  derrière  lui  un  bruit  d'armes,  il  se  retourne  instincti- 
vement, et  voit  sa  bannière  avec  ses  fidèles  Hongrois  qu'il  croyait  perdus  : 
un  cri  de  bonheur  lui  échappe.  Grâce  à  Marie,  il  a  recouvré  la  vue,  il  a  re- 
couvré son  escorte  ;  en  reconnaissance  de  ces  deux  bienfaits,  il  donne  sept 
lampes  à  l'église  avec  un  vase  précieux,  où  étaient  gravés  son  nom  et  la 
date  du  pèlerinage,  et  obtient  de  l'évêque  que  Notre-Dame  des  Monts  s'ap- 
pellera désormais  Notre-Dame  de  Ceignac,  en  mémoire  des  cent  hommes 
miraculeusement  retrouvés  en  ce  lieu.  Encore  aujourd'hui,  il  y  a  dans 
l'église  un  monument  de  ce  fait  :  ce  sont  trois  statues  en  bois,  représentant 
la  Yierge,  devant  elle  le  prince  à  genoux  ;  derrière  le  prince,  son  écuyer, 
et,  au  dessus,  une  inscription  rappelant  le  miracle. 

En  1604,  vers  la  Saint-Jean,  un  orage  des  plus  menaçants  s'annonçant 
dans  les  airs,  le  clergé  de  Ceignac  parcourt  en  procession  le  village,  en  con- 
jurant Marie  de  protéger  une  terre  qui  lui  était  consacrée  ;  et,  tandis  que 
toutes  les  paroisses  voisines  sont  horriblement  ravagées  par  la  grêle,  Cei- 
gnac seul  n'éprouve  aucun  dommage  ;  ce  qui  frappa  tellement  l'évêque 
qu'il  ordonna  que  toutes  les  paroisses  du  diocèse  y  iraient  en  procession  ;  et 
son  ordre  fut  fidèlement  exécuté.  Le  récit  de  tous  ces  faits  se  conservait  au  ■ 
trefois  dans  les  archives  de  Ceignac,  écrit  de  la  main  du  prêtre  qui  avait 
dirigé  la  procession. 

En  4628,  la  ville  d'Alby  fut  délivrée  de  la  peste,  qui  déjà  était  à  ses 
portes,  par  le  vœu  qu'elle  fit  d'aller  visiter,  en  corps,  Notre-Dame  de  Cei- 
gnac ;  et  elle  exécuta  ce  vœu,  le  26  mars  de  l'année  suivante. 

En  1653,  la  ville  de  Rhodez  avait  déjà  perdu,  parle  même  fléau,  plusieurs 
de  ses  habitants  ;  elle  fait  vœu  d'aller,  aussi  en  corps,  visiter  Notre-Dame 
de  Ceignac,  et  de  lui  donner  deux  cents  livres  pour  l'ornement  de  l'église. 
Son  vœu  est  aussi  exaucé  ;  et,  l'année  suivante,  non-seulement  elle  l'ac- 
complit fidèlement,  mais  elle  voulut  rendre  perpétuel  le  souvenir  du  mi- 
racle par  un  tableau  qui  se  voit  encore  dans  l'église  de  Ceignac,  et  qui 
représente  le  Père  Eternel  lançant  un  javelot,  au  dessous  la  Vierge,  l'Enfant 
Jésus,  la  croix  et  saint  Amand. 

A  ces  miracles  publics  s'ajoutèrent  d'autres  en  faveur  des  particuliers, 
surtout  pour  obtenir  la  contrition  de  leurs  fautes,  la  réconciliation  entre  les 
époux  divisés,  la  fécondité  des  femmes  stériles,  et  l'heureuse  issue  des  em- 
barras qu'on  rencontre  si  souvent  dans  la  vie. 

De  nos  jours  encore,  on  visite  avec  fruit  Notre-Dame  de  Ceignac.  Le  sé- 
minaire de  philosophie,  qui  est  à  Rhodez,  y  va,  tous  les  deux  ans,  en  chan- 
tant des  cantiques  ou  récitant  des  prières  pendant  toute  la  route.  Le  petit 
séminaire  de  Saint-Pierre  s'y  rend  également.  Près  de  vingt  paroisses  y  vont 
processionnellement  chaque  année  ;  et,  de  plus,  il  y  vient  de  douze  à  quinze 
mille  pèlerins,  soit  des  diverses  parties  du  diocèse,  soit  des  diocèses  voisins. 
On  y  fait  célébrer  douze  à  quinze  cents  messes  par  an  ;  et  les  ex-voto  ap- 
pendus  aux  murs  de  l'église  attestent  le  nombre  des  bienfaits  qui  y  ont  été 
obtenus. 

Indépendamment  des  grâces  que  Notre-Dame  de  Ceignac  accordait  à  ses 
visiteurs,  on  était  encore  attiré  à  son  sanctuaire  par  deux  autres  motifs  :  le 
premier  était,  sans  parler  d'une  foule  d'autres  reliques,  des  morceaux  du 
vêtement,  du  voile  et  de  la  pierre  du  sépulcre  de  la  sainte  Vierge,  de  la 


SAINT  MARTIAL,  APÔTRE,  PREMIER  ÉVÊQUB  DB  LIMOGES.        S25 

crèche  de  Notre-Seigneur  et  de  son  berceau,  de  ses  vêtements,  de  la  table 
où  il  mangea  avec  ses  disciples,  du  pain  de  la  dernière  cène,  de  la  pierre  sur 
laquelle  il  pria  à  Gethsémani,  du  roseau  de  sa  passion,  du  fiel  qu'on  lui 
offrit  à  boire  et  de  l'éponge  imbibée  de  vinaigre,  enfin  de  la  vraie  croix.  Le 
second  motif  était  les  indulgences  dont  jouissait  ce  sanctuaire  dès  1420; 
une  indulgence  plénière,  appelée  de  temps  immémorial  le  grand  Pardon^ 
était  attachée  à  la  visite  de  Notre-Dame  de  Geignac  pour  toutes  les  fêtes 
chômées  de  la  sainte  Vierge,  ainsi  que  pour  le  dimanche  dans  l'octave  de 
l'Assomption,  qui  est  la  fête  patronale  ;  et  Grégoire  XVI,  en  renouvelant 
cette  indulgence  en  1837,  l'a  étendue  au  jour  de  l'Ascension.  En  1655, 
Alexandre  VIT  attacha  à  la  visite  des  sept  autels  de  l'église  les  indulgences 
des  sept  stations  de  Rome  pour  douze  fois  par  an.  En  1843,  Notre-Dame  de 
Ceignac,  par  son  affiliation  à  Notre-Dame  des  Victoires  de  Paris,  participa 
aux  mêmes  privilèges  ;  et  en  1854,  affiliée  à  Notre-Dame  de  Loretle,  elle  fut 
mise  en  possession  de  toutes  les  indulgences  attachées  à  la  Santa  Casa. 

L'ancienne  vie  de  saint  Martial  n'indique  pas  d'une  manière  précise 
l'année  de  son  bienheureux  trépas  ;  mais  on  lit  dans  la  légende  d'Aurélien, 
que  l'an  40,  après  la  résurrection  de  Notre-Seigneur,  qui  était  la  soixante- 
quatorzième  année  du  salut,  saint  Martial,  après  vingt-huit  ans  d'épiscopat,  se 
trouvant  à  Limoges,  y  reçut  l'heureuse  nouvelle  des  approches  de  sa  mort, 
qui  devait  le  faire  jouir  de  la  récompense  de  ses  travaux.  Il  le  fît  aussitôt 
savoir  à  ses  disciples  et  à  ses  diocésains,  et  les  ayant  assemblés,  il  les 
exhorta  à  persévérer  constamment  dans  la  foi  et  dans  la  confession  de  la 
vérité  qu'il  leur  avait  enseignée,  et  leur  donna  sa  bénédiction.  Ensuite, 
ayant  prié  pour  eux,  et  ayant  imploré  pour  lui-même  la  miséricorde  de 
Celui  qu'il  avait  servi  avec  tant  de  fidélité,  il  remit  son  âme  entre  ses  mains, 
pour  être  couronnée  de  la  gloire  qui  lui  avait  été  préparée  dès  le  temps  de  la 
création  du  monde. 

On  dit  que,  sur  le  point  d'expirer,  entendant  éclater  autour  de  lui  les 
gémissements  et  les  sanglots,  il  leva  sa  main  défaillante,  et  dit  à  ses  disci- 
ples :  «  Silence  !  n'entendez-vous  pas  les  beaux  chants  qui  viennent  du  ciel? 
Assurément  le  Seigneur  vient,  ainsi  qu'il  l'a  promis  ».  —  Et,  en  ce  moment, 
le  lieu  où  il  était  fut  inondé  comme  par  des  flots  de  soleil,  et  on  entendit 
une  voix  qui  disait  :  «  Ame  bénie,  sors  de  ton  corps,  viens  jouir  avec  moi 
des  douceurs  d'une  lumière  immortelle!  »  —  Et  lorsque  l'âme  de  Martial 
montait  au  ciel  au  milieu  de  ces  clartés,  on  entendit  un  chœur  d'esprits 
bienheureux  qui  répétait  ce  verset  d'un  psaume  :  «  Heureux  celui  que  vous 
avez  choisi  et  que  vous  avez  appelé  à  vous  :  il  habitera  dans  vos  parvis  éter- 
nels ». 

Son  corps  fut  inhumé  dans  le  lieu  même  où  sainte  Valérie  avait  reçu  la 
sépulture,  et  où  s'éleva  plus  tard  la  basilique  de  Saint- Pierre- du- Sépulcre, 
premier  fondement  de  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Martial.  Il  s'y  fit  dans  la 
suite  de  nombreux  miracles  :  Grégoire  de  Tours  en  rapporte  deux.  Le  pre- 
mier fut  opéré  sur  une  fille,  dont  les  doigts,  en  punition  de  quelque  péché, 
s'étaient  tellement  attachés  à  la  paume  de  la  main,  qu'il  lui  était  impos- 
sible de  les  redresser.  Elle  vint  au  sépulcre  du  glorieux  Apôtre  ;  elle  y  veilla 
et  pria  avec  beaucoup  de  ferveur,  et,  la  nuit  même  du  jour  de  sa  fête,  elle 
obtint  la  guérison  de  son  infirmité.  Le  second  miracle  fut  opéré  sur  un 
homme  qui  était  devenu  muet  pour  avoir  fait  un  faux  serment  dans  l'église  ; 
il  se  rendit  au  tombeau  du  Saint,  et,  ayant  longtemps  gémi  dans  son  cœur, 
pour  obtenir  le  pardon  de  sa  faute,  il  sentit  comme  une  main  qui  lui  tou- 
chait la  langue  et  le  gosier  et  y  répandait  une  vertu  secrète  ;  ce  qui  fut  si 


526  30  jmiN, 

efficace,  qu'après  qu'il  eut  fait  faire  par  un  prêtre,  le  signe  de  la  croix  sur  sa 
bouche,  il  commença  à  parler  comme  auparavant. 

Un  miracle  bien  plus  célèbre,  c'est  celui  de  la  guérison  du  mal  des  Ar- 
dénis.  En  994,  une  contagion,  appelée  la  peste  du  feu,  exerçait  d'affreux 
ravages  dans  l'Aquitaine.  C'était  un  feu  invisible  et  secret,  qui  dévorait  les 
membres  auxquels  il  était  attaché,  et  les  faisait  tomber  du  corps.  Cette  pu- 
tréfaction des  corps  vivants  répandait  dans  les  airs  une  odeur  insupportable. 
Les  pestiférés  mouraient  par  milliers.  Les  évêques  de  l'Aquitaine  s'assem- 
blèrent à  Limoges,  afin  d'obtenir  de  Dieu,  par  l'intercession  de  saint  Mar- 
tial, la  cessation  de  ce  fléau  terrible.  Arrivé  l'un  des  premiers,  l'archevêque 
Gombaud  alla  s'agenouiller  devant  le  tombeau  de  l'Apôtre  vénéré,  et  là, 
éclatant  en  larmes  et  en  sanglots,  et  étendant  des  mains  suppliantes,  il  fit 
à  haute  voix  cette  éloquente  prière,  que  l'histoire  nous  a  conservée  : 

«  0  pasteur  de  l'Aquitaine,  vous  qui  l'avez  éclairée  des  lumières  de  la  foi, 
levez-vous  pour  secourir  votre  peuple  !...  Ne  permettez  pas  que  ces  tortures 
infernales  régnent  auprès  de  votre  corps  sacré  !  0  Martial  1  miroir  des  ver- 
tus, ô  prince  des  pontifes,  où  est  donc  ce  que  nous  lisons  de  vous,  que  vous 
avez  été  dans  la  cène  le  ministre  du  Sauveur,  quand  il  lavait  les  pieds  à  ses 
disciples  ?...  Certainement  la  tradition  de  nos  anciens  Pères  nous  a  trans- 
mis que  vous  aviez  reçu  le  don  des  langues  avec  les  autres  disciples...  Mon- 
trez-vous donc  le  disciple  de  Celui  qui  est  la  source  de  la  miséricorde  !  Oui, 
j'en  prends  à  témoin  tous  ceux  qui  m'écoutent,  si,  avant  que  je  m'éloigne 
de  cette  ville,  vous  n'éteignez  pas  cette  flamme  dévorante  dans  le  cœur  de 
ceux  qui  sont  ici,  si  je  ne  vous  vois  pas  guérir  cette  multitude,  je  ne  croirai 
plus  rien  des  choses  admirables  qu'on  dit  de  vous  !  Jamais  plus  je  ne  revien- 
drai dans  cette  cité  pour  implorer  votre  patronage  l  C'est  en  vain  qu'on  me 
dira  que  vous  vous  appelez  le  disciple  du  Seigneur  !  C'est  en  vain  qu'on  me 
dira  que  Dieu  vous  a  envoyé  comme  apôtre  aux  nations  de  l'Occident  !  C'est 
en  vain  qu'on  me  dira  que  vous  avez  baptisé  le  peuple  de  Bordeaux,  dont 
je  suis  l'évêque,  je  ne  le  croirai  plus,  si  je  n'obtiens  pas  la  faveur  que  j'im- 
plore pour  le  salut  de  cette  multitude  affligée.  Et  votre  bâton  pastoral,  que 
l'on  conservait  jusqu'à  présent  dans  ma  ville  épiscopale  comme  un  précieux 
trésor,  cette  relique  sera  vile  à  mes  yeux  si  vous  ne  réjouissez  pas  mon  cœur 
par  la  guérison  de  tous  ces  pauvres  malades  !  » 

Une  prière  faite  avec  tant  de  foi  méritait  d'être  exaucée.  En  effet,  la 
contagion  cessa  ses  ravages,  et  une  joie  immense  se  répandit  dans  les 
cœurs. 

Nous  avons  dit,  en  commençant,  de  quelles  sources  nous  tirerions  les 
principales  actions  de  saint  Martial.  Il  y  a  deux  siècles,  on  rejeta  comme 
apocryphe  la  légende  composée  sous  le  nom  d'Aurélien,  successeur  de 
saint  Martial  dans  l'épiscopat,  l'un  des  deux  prêtres  des  idoles  qui  mou- 
rurent d'un  coup  de  foudre  et  qu'il  avait  rendus  à  la  vie.  En  rejetant  cette 
légende,  on  ne  se  contenta  pas  de  contester  au  saint  évêque  le  titre  d'Apô- 
tre, comme  on  avait  fait  dans  le  xi*  siècle,  mais  on  combattit  encore  l'anti- 
quité de  sa  mission  et  sa  qualité  de  disciple  de  Jésus-Christ.  Mais  quoique 
cet  écrit  ne  soit  pas  d'Aurélien,  disciple  et  successeur  de  saint  Martial, 
comme  le  montrent  certaines  manières  de  parler  qui  sont  beaucoup  plus 
récentes,  cela  ne  doit  point  préjudicier  à  la  vérité  de  l'histoire  que  nous 
avons  racontée.  Cet  écrit  est  au  moins  un  recueil  des  anciennes  traditions 
du  pays  sur  saint  Martial  :  car  la  biographie  d'un  Saint  que  tout  un 
pays  connaît  est  nécessairement  conforme  à  ce  que  la  tradition  locale  dit 
de  ce  Saint.  D'ailleurs  les  discussions  et  les  définitions  des  divers  conciles 


SAINT  MARTIAL,    AJ?ÔTRE,   PREMIER  ÉVÊQUE  DE  LIMOGES.  527 

qui  ont  recherché  les  titres  de  l'apostolat  de  saint  Martial,  la  déclaration  de 
deux  souverains  pontifes,  Jean  XIX  et  Clément  VI,  les  témoignages  de  tant 
de  Martyrologes,  de  Rituels  et  de  Litanies  qu'on  lisait  publiquement  dans 
l'Eglise,  il  y  a  plus  de  huit  cents  ans,  nous  doivent  suffire  pour  croire  in- 
dubitablement que  saint  Martial  est  un  des  disciples  de  Notre-Seigneur,  et 
qu'il  est  venu  dans  les  Gaules  envoyé  par  saint  Pierre.  Il  est  vrai  que 
Grégoire  de  Tours  a  mis  plus  tard  sa  mission,  mais  on  a  réfuté  le  texte  de 
cet  historien  d'une  façon  si  péremptoire,  qu'il  n'est  plus  permis  de  s'en  ser- 
vir pour  combattre  l'antiquité  du  premier  établissement  des  Eglises  de 
France.  Et  en  effet,  s'il  fallait  y  déférer,  les  évoques  des  Conciles  que  nous 
avons  cités,  qui  n'ont  pu  ignorer  le  texte  de  cet  historien,  n'auraient  eu 
garde  de  définir,  au  contraire,  que  saint  Martial  doit  être  Apôtre,  parce 
qu'étant  des  soixante-douze  disciples  de  Notre-Seigneur,  il  a  reçu  de  lui  mis- 
sion de  prêcher  l'Evangile  et  de  coopérer  avec  les  douze  Apôtres  à  la  con- 
version du  monde  :  ce  que  nous  voyons,  néanmoins,  qu'ils  ont  fait  sans 
contestation.  D'ailleurs  la  découverte  récente  des  anciens  Actes  de  saint 
Martial  est  venue  démontrer  que  la  tradition  immémoriale  du  Limousin, 
écrite  avant  Grégoire  de  Tours,  était  que  saint  Martial  avait  reçu,  du  temps 
de  saint  Pierre,  sa  mission  apostolique. 

On  le  représente  :  1°  dans  la  compagnie  d'un  ange  :  on  raconte  que  douze 
de  ces  esprits  protecteurs  l'accompagnaient  ordinairement  dans  ses  courses 
par  les  Gaules  ;  2°  recevant  la  tête  de  sainte  Valérie  qui  la  lui  apporta  elle- 
même  pendant  qu'il  célébrait  la  messe  *  ;  3°  ayant  dans  la  main  le  bâton 
pastoral  avec  lequel  il  fait  revivre  saint  Austriclinien  ;  4°  vêtu  de  la  chasu- 
ble, en  sa  qualité  de  prêtre  ;  5°  avec  la  croix  stationale,  ou  à  longue  hampe, 
à  cause  du  titre  d'Apôtre  que  les  Limousins  lui  décernent;  6°  dans  un 
groupe,  en  compagnie  des  six  évêques  qui  passent  pour  avoir  été  envoyés 
avec  lui  dans  les  Gaules  :  Saint  Gatien  de  Tours,  saint  Trophime  d'Arles, 
saint  Paul  de  Narbonne,  saint  Saturnin  de  Toulouse,  saint  Denys  de  Paris, 
et  saint  Austremoine  d'Auvergne. 

Il  est  le  patron  de  Limoges,  de  Cahors,  de  Colle,  en  Toscane,  de  Tulle,  etc. 

CULTE  ET  RELIQUES.  —  SES  ÉCRITS. 

Grégoire  Lombardelli,  auteur  italien  d'une  vie  de  saint  Martial,  à  la  fin  du  xvio  siècle,  raconte 
que  lorsqu'on  voulut  faire  la  translation  des  reliques  du  saint  Apôtre,  600  ans  après  sa  mort,  on 
trouva  son  corps  dans  un  état  de  conservation  parfaite,  avec  les  chairs  et  les  cheveux  :  il  exhalait 
une  odeur  délicieuse.  La  tète  du  Saint  fut  renfermée  dans  une  châsse  particulière  et  se  dépouilla 
subitement  de  ses  chairs  pour  être  réduite  à  l'état  de  crâne  ordinaire.  Alors,  sur  ce  crâne  dénudé, 
apparurent  les  marques  très-visibles  des  cinq  doigts  de  la  main  du  Christ,  souvenir  ineffaçable  de 
l'imposition  de  la  main  du  Sauveur  sur  la  tète  du  jeune  Mai-tial,  lorsqu'il  prononça  ces  paroles  : 
«  Si  vous  ne  devenez  semblables  à  cet  enfant,  vous  n'entrerez  point  dans  le  royaume  des  cieux  ». 

L'église  dépositaire  du  corps  de  saint  Martial  fut  bientôt  fréquentée  par  une  grande  affluence 
de  pèlerins,  et  il  s'y  opéra  une  multitude  de  miracles.  On  se  vit  obligé  de  construire  une  basilique 
plus  vaste,  afin  de  contenir  la  foule  des  pieux  visiteurs.  Elle  fut  du  moins  restaurée  au  vii«  siècle 
et  devint  le  centre  d'un  monastère  de  chanoines  réguliers  :  le  roi  Pépin,  au  viii»  siècle,  le  visita 
et  lui  fit  plusieurs  donations. 

Louis  le  Débonnaire,  après  la  mort  de  Charlemagne,  voulant  honorer  le  monastère  de  Saint- 
Etienne  de  Limoges  qu'il  avait  fait  bâtir,  y  transféra  les  reliques  de  saint  Martial.  Peu  de  temps 
après,  ce  roi  fut  fait  prisonnier  par  ses  trois  enfants  et  jeté  dans  un  cachot,  ce  qu'on  regarda 
comme  un  châtiment  de  la  translation  qu'il  avait  fait  opérer  contre  le  gré  du  ciel.  L'hiver,  cette 
année,  fut  d'une  rigueur  extrême,  et  les  inondations  désolèrent  tout  le  pays;  elles  ne  furent  arrè* 
tées  que  lorsque  le  corps  de  saint  Martial  eut  été  rendu  à  sa  première  demeure. 

1.  Teinture  du  xiii*  sRcle,  sur  émail,  provenant  de  la  châsse  de  sainte  Valérie. 


528  30  JUIN. 

Le  tombeau  du  saint  Apôtre  fut  enrichi,  par  la  piété  et  la  reconnaissance  des  fidèles,  de  dons 
très-précieux  et  d'ornements  d'une  magnificence  inouïe.  Ces  richesses  tentèrent  la  cupidité  d'Alde- 
ger,  évêque  de  Limoges,  à  la  fin  du  x»  siècle  ;  il  les  enleva  sans  éprouver  de  résistance  et  mourut 
peu  après.  La  peste  éclata  alors  à  Limoges  et  fit  une  multitude  de  victimes,  amsi  que  nous  l'avons 
déjà  rapporté.  On  attribua  ce  fléau  à  un  châtiment  du  ciel;  on  eut  donc  recours  à  la  puissante 
intercession  de  saint  Martial,  et,  après  trois  jours  de  jeûne  solennel,  on  porta  en  procession  les 
reliques  du  saint  Apôtre  avec  toute  la  pompe  possible.  Aussitôt  le  fléau  suspendit  ses  ravages. 

Aussitôt,  dit  le  procès-verbal  de  cette  translation,  on  bâtit  là  une  église  que  l'on  consacra  sous 
le  nom  de  saint  Martial.  Depuis  ce  jour,  ce  lieu  s'appelle  Monljoie,  Mons  Gaudii,  et  c'est  là  ce 
que  signifie  ce  nom  de  Montjauvy,  qui  lui  est  resté,  dans  la  langue  du  peuple,  comme  un  souvenir 
et  un  monument  de  ce  miracle. 

Le  pape  Urbain  II,  étant  venu  en  France  pour  prêcher  la  croisade,  se  rendit  à  Limoges,  l'an 
1093,  pour  y  vénérer  les  reliques  de  saint  Martial  ;  il  tint  même  un  concile  dans  cette  ville  et  y  fit 
la  consécration  d'une  nouvelle  et  grande  basilique  construite  en  l'honneur  du  Saint. 

L'an  1122  ou  1123,  à  la  suite  d'un  terrible  incendie  qui  détruisit  la  ville  de  Limoges,  une  fon- 
taine jaillit  du  pied  du  tombeau  du  saint  Apôtre,  avec  une  telle  abondance  qu'elle  forma  un  ruis- 
seau dont  les  moines  se  servirent  pour  l'usage  de  leur  monastère.  La  source  tarit  quelque  temps 
après;  mais  le  peuple  obtint  par  ses  prières  qu'elle  jaillit  de  nouveau. 

Le  chef  vénérable  du  saint  Apôtre  fut  séparé  de  ses  autres  reliques,  au  xiv  siècle,  et  enfermé 
dans  une  magnifique  châsse  d'or;  un  grand  nombre  de  miracles  s'opérèrent  par  cette  relique.  Vers 
la  fin  du  même  siècle,  des  prêtres  anglais,  envoyés  par  l'évêque  de  Lincoln,  en  Angleterre,  obtin- 
rent un  fragment  de  la  tête  de  saint  Martial  pour  un  monastère  dédié  à  ce  Saint.  Déjà  saint  Eloi 
avait  mentionné  une  relique  de  l'Apôtre,  comme  ayant  été  apportée  à  Paris. 

Nous  ne  rapporterons  pas  ici  tous  les  miracles  qui  s'opérèrent  au  tombeau  de  saint  Martial.  Ils 
sont  innombrables;  il  en  existe  quatre  relations  écrites  à  des  époques  diH'érentes  et  par  des  con- 
temporains de  ces  prodiges.  Dans  toute  la  France,  et  même  dans  les  pays  étrangers,  la  gloire  d^ 
saint  Martial  brillait  d'un  éclat  extraordinaire  et  attirait  à  son  tombeau  une  multitude  de  pieux 
pèlerins. 

L'église  cathédrale  de  Limoges  possède  encore  ses  reliques,  et  on  les  montre  aux  fidèles  tous 
les  sept  ans;  c'est  ce  qu'on  appelle  la  fête  de  YOsiension. 

On  lui  attribue  la  fondation  de  la  chapelle  qui  se  trouvait  dans  la  rue  du  Saint-Esprit  à  Limoges, 
quand  il  fit  son  entrée  par  la  porte  Calernie  :  celte  chapelle  avait  autrefois  le  droit  d'élever  un 
reposoir,  et  à  certains  jours  le  curé  de  la  paroisse  venait  y  donner  la  bénédiction  du  saint  Sacre- 
ment. 

On  a  inséré,  dans  le  second  volume  de  la  Bibliothèque  des  Pères,  deux  épUres  sous  le  nom  de 
saint  Martial,  adressées,  l'une  aux  habitants  de  Bordeaux,  l'autre  à  ceux  de  Toulouse.  Dans  ses 
épitres,  saint  Martial  prend  le  nom  de  Martial-Céphas,  et  se  donne  le  titre  d'Apôtre.  Beilarmin,  qui 
a  combattu  l'authenticité  de  ces  lettres  pour  diverses  raisons  plus  ou  moins  solides,  avoue  «qu'elles 
sont  pieuses,  et  qu'elles  pourraient  servir  à  conûimer  plusieurs  dogmes  catholiques,  si  l'on  connais- 
sait positivement  le  temps  où  elles  ont  été  composées  ».  Il  est  certain  qu'elles  sont  antérieures  au 
X"  siècle,  puisqu'elles  sont  citées  comme  ancie?i7ies  par  un  écrivain  de  cette  époque.  Peut-être  ont- 
elles  été  écrites  pour  remplacer  des  épitres  réelles  de  saint  Martial,  perdues  dans  l'invasion  des 
Barbares.  Quoi  qu'il  en  soit,  ces  lettres  prouvent  au  moins  une  chose,  c'est  que,  à  l'époque  an- 
cienne où  on  les  a  composées,  on  croyait  à  l'apostolat  de  saint  Martial,  car  on  n'a  jamais  attribué 
de  semblables  épitres  qu'aux  Apôtres  ou  aux  hommes  apostoliques  contemporains  des  Apôtres. 

Nous  devons  ce  récit  à  M.  Arbellot,  curé  de  Rochechouart,  qui,  en  prenant  pour  base  la  vie  écrite  par 
le  P.  Giry,  a  bien  voulu  nous  résumer  lui-même  son  histoire  de  saint  Martial.  —  Cf.  Los  Saints  du 
Rouergue,  par  l'abbé  L.  I?ervières. 


SAINT  BERTRAND   OU   BERTICHRAMN,    ÉVÊQUE   DU  MANS.  529 


SAINT  BERTRAND  OU  BERTICHRAMN, 

ÉVÊQUE  DU  MANS 
623.  —  Pape  :  Boniface  V.  —  Roi  de  France  :  Clotaire  II. 


Decet  dominicum  sacerdotem  moribus  et  vita  clares- 
cere,  guatenus  in  eo  tanquam.  in  vitx  suie  spcculo 
plebs  commissa  et  eligere  quod  sequatur  et  videre 
possit  quod  corrigat. 

11  convient  que  le  prêtre  du  Seigneur  se  fasse  si  bien 
remarquer  par  ses  mœurs  et  sa  conduite,  que  le 
peuple  qui  lui  est  confié  puisse  découvrir  en  lui. 
comme  dans  le  miroir  de  sa  vie,  ce  qu'il  a  a  faire 
et  ce  qu'il  a  à  corriger. 

S.  Grég.  Mag.,  Ep.  xsxii. 

Dieu,  voulant  consoler  l'Eglise  du  Mans,  désolée  par  la  tyrannie  et  les 
scandales  de  Badégisile ,  lui  donna  pour  pasteur,  après  la  mort  de  cet 
évêque,  saint  Bertichramn,  ou,  comme  on  dit  aujourd'hui,  saint  Bertrand. 

Il  naquit  vers  le  milieu  du  vi'  siècle,  d'une  des  principales  familles  des 
conquérants  de  la  Gaule,  alliée  à  une  maison  noble  et  puissante  des  anciens 
habitants  de  ce  pays.  Cette  famille  était  étroitement  unie  aux  rois  Francs, 
et  jouissait  près  d'eux  d'une  grande  faveur;  plusieurs  de  ses  membres  se 
signalaient  parmi  les  seigneurs  les  plus  dévoués  au  parti  neustrien,  et  nos 
vieux  historiens  ajoutent,  avec  assez  de  vraisemblance,  que  cette  race  était 
alliée  à  celle  de  Clovis.  Bertrand  eut  au  moins  deux  frères,  dont  il  nous  a 
conservé  les  noms  dans  son  testament  :  ils  se  nommaient  Bertulphe  et 
Ermenulphe;  mais  l'histoire  ne  nous  apprend  rien  de  précis  sur  le  lieu  de 
la  naissance  de  notre  prélat.  Il  est  cependant  vraisemblable  que  ce  fut  dans 
le  territoire  d'Autun  qu'il  vit  le  jour;  dans  tous  les  cas,  il  est  certain  que 
l'illustre  abbé  de  Saint-Symphorien,  qui  devint  plus  tard  évêque  de  Paris, 
saint  Germain,  le  tint  sur  les  fonts  du  Baptême. 

Bertrand  se  consacra  à  Dieu  de  bonne  heure,  et  reçut  la  tonsure  cléri- 
cale au  tombeau  de  saint  Martin,  à  Tours;  peut-être  était-il  alors  dans 
l'école  des  moines  qui  desservaient  cette  basilique.  Depuis  ce  temps-là,  il 
commença  à  honorer  ce  grand  confesseur  d'un  culte  particulier,  et  chaque 
année,  il  payait  à  sa  basilique  une  redevance,  en  témoignage  de  sa  recon- 
naissance et  de  sa  piété.  Si  ce  fut  de  la  main  même  de  saint  Germain  que 
Bertrand  reçut  ce  premier  honneur  de  la  cléricature,  lorsqu'en  567  l'évêque 
de  Paris  se  rendit  à  Tours  pour  le  concile  qui  s'y  tint  cette  année,  il  n'est 
pas  surprenant  que  le  jeune  lévite  passât  ensuite  dans  le  clergé  de  Paris.  Il 
y  fut  instruit  dans  les  connaissances  convenables  à  un  clerc  de  mérite,  sous 
les  yeux  et  la  conduite  de  saint  Germain,  qui  l'ordonna  prêtre  avant  sa 
mort,  arrivée  en  576. 

Pendant  tout  l'épiscopat  de  saint  Germain,  l'école  de  la  cathédrale 
de  Paris  fut  l'une  des  plus  florissantes  de  la  Gaule.  Ce  saint  évêque, 
qui  trouvait  le  moyen  de  cultiver  lui-même  les  lettres,  malgré  les  nom- 
breuses occupations  de  son  ministère,  et  les  soins  qu'il  se  donnait  pour 
le  bien  de  l'Etat,  surveillait  directement  cette  école,  et  y  faisait  fleurir  la 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  34 


530  30  JUIN. 

piété  et  les  études  solides.  Bertrand  en  fut  un  des  membres  les  plus  distin- 
gués. Il  paraît  que,  non  content  d'étudier  les  sciences  ecclésiastiques,  il 
s'appliqua  à  l'étude  de  la  littérature,  de  la  poésie  et  de  la  jurisprudence. 

Les  qualités  de  Bertrand  le  firent  élire  archidiacre  de  l'Eglise  de  Paris, 
et  il  s'acquitta  de  cette  fonction  pendant  un  temps  assez  long  *. 

Après  la  mort  de  saint  Germain,  Bertrand  continua  ses  fonctions  sous 
l'épiscopat  de  Ragnemode.  Ce  fut  dans  ce  poste  que  le  choix  de  Dieu  vint  le 
prendre  pour  l'élever  à  un  degré  plus  éminent,  et  pour  continuer  par  lui  la 
chaîne  des  saints  évêques  qui  avaient  gouverné  l'Eglise  du  Mans. 

Ce  fut  saint  Contran,  roi  de  Bourgogne,  qui,  gouvernant  alors  le  Maine, 
comme  tuteur  de  son  neveu  Clotaire  II,  nomma  Bertrand  au  siège  épiscopal 
du  Mans.  Cet  évêque,  que  protégeait  le  saint  roi  de  Bourgogne,  était  éga- 
lement considéré  à  la  cour  de  Neustrie.  Il  nous  apprend  lui-même,  dans  son 
testament,  qu'il  avait  été  particulièrement  favorisé  par  la  reine  Frédégonde, 
et  qu'elle  l'avait  comblé  de  bienfaits.  Elle  avait  fourni  libéralement  à  ses 
aumônes  et  à  tous  les  établissements  de  piété  qu'il  avait  fondés  pour  les 
pauvres  et  les  religieux.  Elle  l'avait  servi  à  la  cour  contre  ses  ennemis,  et 
contre  tous  ceux  qui  s'opposaient  au  bien  qu'il  voulait  faire  dans  son  dio- 
cèse, pour  la  gloire  de  Dieu  et  l'utilité  de  l'Eglise.  Cette  princesse,  toute 
décriée  qu'elle  était,  avait  cela  de  singulier  dans  sa  conduite,  qu'elle  hono- 
rait quelques  serviteurs  de  Dieu,  tandis  qu'elle  en  persécutait  d'autres,  selon 
les  intérêts  de  sa  politique.  Bertrand  se  montra,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie, 
rempli  de  bienveillance  pour  cette  princesse  et  pour  son  mari  Chilpéric. 
Celte  partialité  de  notre  prélat  trouve  sa  raison  dans  les  nécessités  de  la 
cause  politique  qu'il  avait  cru  devoir  embrasser. 

11  avait  besoin  de  l'appui  de  l'autorité  royale  pour  réparer  les  maux  que 
Badégisile  avait  causés  dans  le  diocèse.  Dès  son  arrivée  au  Mans,  il  trouva 
les  biens  qui  appartenaient  à  la  maison  de  l'Eglise  envahis  par  Magnatrude, 
femme  de  Badégisile.  Elle  prétendait  s'approprier  tout  ce  que  la  piété  des 
fidèles  avait  oQ'ert  à  l'Eglise  pendant  l'épiscopat  de  son  mari,  sous  prétexte 
que  ces  biens  faisaient  partie  de  l'apanage  militaire  de  Badégisile.  Malgré 
ses  violences  et  ses  efforts,  il  lui  fallut  restituer.  C'est  probablement  alors 
qu'humiliée  de  sa  défaite,  elle  se  retira  dans  son  domaine  de  Marsialensis 
(MaroUes)  avec  la  fille  qu'elle  avait  eue  de  son  mariage  avec  Badégisile. 

Notre  nouvel  évêque  eut  bientôt  gagné  l'affection  de  son  peuple,  dont 
il  fut  autant  aimé  que  son  prédécesseur  en  était  haï.  C'est  saint  Venance 
Fortunat  qui  nous  l'apprend.  Ce  poëte  célèbre,  que  tous  les  évêques  et  les 
grands  de  la  Gaule  se  disputaient,  pour  jouir  des  agréments  de  son  esprit 
cultivé  et  ingénieux,  vint  visiter  Bertrand  dans  sa  cité  épiscopale.  Fortunat 
n'était  pas  encore  à  cette  époque  évêque  de  Poitiers.  Notre  prélat  lui  fit  un 
accueil  très-distingué,  et  l'admit  à  ses  côtés  dans  le  char  dont  il  se  servait, 
à  l'exemple  des  seigneurs  de  l'empire  franc.  Fortunat  considère  cette  bien- 
veillance de  l'évêque  comme  une  distinction  qui  l'honore,  et  il  chante 
l'amour  de  ce  pasteur  envers  ses  peuples,  amour  qu'il  compare  à  la  ten^ 
dreS)3de  l'hirondelle  réchauffant  ses  petits  sous  ses  ailes;  il  dit  aussi  l'affec 
tiou  du  troupeau  tout  entier  pour  son  pasteur. 

Dès  la  seconde  année  de  son  épiscopat,  Bertrand  reçut  une  distinction 
signalée  du  pacifique  roi  de  Bourgogne.  Judual  et  Guerech,  princes  bretons 

1.  On  dit  que  Bertrand  fut  archidiacre  de  Paris  pendant  deux  nns;  il  l'aurait  été  à  peine  un  an,  selon 
le  P.  Papebrock  (loc.  cit.  num.  6).  Baillet  prétend  qu'il  fut  chargé  de  cette  fonction  pendant  dix  ans, 
qu'il  la  reçut  des  mains  de  saint  Germain,  et  continua  à  la  gérer  sous  son  successeur.  C'est  effectiTement 
le  «entiment  le  plus  probable. 


SAINT   BERTRAND   OU  BERTICHRA3IN,   ÉVÊQTJE  DU  MANS.  531 

OU  kimris,  à  l'instigation  de  Frédégonde,  étant  entrés  l'an  S87  dans  le  pays 
de  Nantes  avec  toutes  leurs  troupes,  y  firent  beaucoup  de  dégâts,  et  en  em- 
menèrent un  grand  nombre  de  prisonniers.  Contran,  averti  de  ces  désordres, 
assembla  son  armée  ;  mais,  cédant  à  ses  instincts  de  paix  et  de  conciliation, 
avant  de  faire  marcher  ses  troupes,  il  envoya  un  député  vers  les  deux  chefs 
pour  les  sommer  de  réparer  tout  le  mal  qu'ils  avaient  fait,  autrement  il  les 
ferait  périr  par  le  glaive.  Judual  et  Guerech,  intimidés  de  ces  menaces,  pro- 
mirent de  restituer  tout  ce  qu'ils  avaient  pillé  et  d'élargir  les  prisonniers. 
Contran  résolut  alors  d'envoyer  une  ambassade  plus  solennelle  et  capable, 
par  la  qualité  des  personnes  qui  la  composaient,  d'en  imposer  à  ces  princes 
avides  de  pillage  et  toujours  turbulents.  A  la  tête  de  cette  députation  étaient 
Bertrand,  évêque  du  Mans,  et  Namalius  ou  Namas,  évoque  d'Orléans;  ils 
étaient  accompagnés  de  comtes  et  autres  personnages  distingués.  Etant  ar- 
rivés à  Nantes,  ils  déclarèrent  aux  princes  bretons  les  instructions  du  roi, 
par  rapport  aux  dégâts  qui  avaient  été  commis  dans  les  territoires  de  Nantes 
et  de  Rennes.  Judual  et  Cuerech  s'engagèrent  alors  à  réparer  les  malheurs 
qu'ils  avaient  causés,  et  à  payer  un  tribut  au  roi  de  Bourgogne  et  d'Orléans; 
mais,  dans  la  suite,  se  sentant  poussés  par  Frédégonde,  ils  ne  tinrent  pas 
leur  promesse. 

L'évêque  d'Orléans  mourut  pendant  cette  ambassade,  et  Bertrand  dut 
en  porter  seul  le  principal  fardeau  ;  il  se  rendit  ensuite  à  la  cour  d'Orléans, 
afin  de  rendre  compte  de  sa  négociation,  et  revint  promptement  à  son 
Eglise. 

Vers  la  môme  époque  oîi  saint  Bertrand  recevait  le  gouvernement  de 
l'Eglise  du  Mans,  un  scandale  sans  exemple  dans  les  annales  monastiques 
éclatait  au  sein  du  monastère  de  Sainte-Croix  de  Poitiers. 

Cette  maison,  illustrée  dès  son  origine  par  les  vertus  de  sainte  Rade- 
gonde,  avait  vu  élire  pour  abbesse  une  religieuse  nommée  Leubovère.  L'é- 
lection de  cette  abbesse  choqua  l'ambition  d'une  de  ses  compagnes,  Chro- 
dielde,  fille  de  Charibert,  jalouse  de  voir  que  Leubovère,  très-inférieure  à 
elle  en  naissance,  lui  eût  été  préférée.  Par  ses  promesses  et  par  ses  calom- 
nies contre  la  nouvelle  abbesse,  elle  entraîna  dans  sa  rébellion  environ  qua- 
rante religieuses.  De  ce  nombre  était  Basine,  fille  de  l'infortunée  Audovère 
et  de  Chilpéric,  la  même  que  nous  avons  vue  renfermée  avec  sa  mère  dans 
un  monastère  de  la  province  du  Mans.  Comme  ces  malheureuses  filles 
étaient  entrées  dans  le  cloître  contre  leur  inclination,  elles  ne  pouvaient 
en  souffrir  les  saintes  rigueurs,  et  se  jetèrent  dans  les  plus  coupables  et  les 
plus  honteux  excès.  Elles  forcèrent  d'abord  leurs  clôtures,  promenèrent 
leur  ambition  dans  la  Touraine  et  la  Bourgogne,  allant  mendier  l'appui  des 
évêques  et  surtout  des  princes  leurs  parents.  Contran  et  Childebert  ordon- 
nèrent de  tenir  à  Poitiers  un  sj-node  pour  mettre  un  terme  à  ce  scandale. 
Gundégisile,  archevêque  de  Bordeaux,  et  les  évêques  de  sa  province,  saint 
Grégoire  de  Tours,  Ebrégisile  de  Cologne  et  saint  Bertrand  du  Mans  se  trou- 
vaient à  cette  assemblée.  Grégoire  de  Tours  représenta  sagement  aux  Pères 
du  concile  qu'avant  tout  il  fallait  désarmer  les  soldats  que  les  deux  reli- 
gieuses rebelles  avaient  appelés  à  la  défense  de  leur  cause.  Chrodielde  se 
défendit  à  outrance  ;  enfin  presque  tous  ses  partisans  furent  tués  dans  l'as- 
saut du  monastère.  La  paix  étant  ainsi  rétablie,  les  évêques  se  rassemblèrent 
de  nouveau;  Chrodielde  et  Basine  se  présentèrent  devant  eux,  et  accusèrent 
leur  abbesse  sur  divers  chefs  dont  elle  se  justifia.  Quant  aux  deux  instiga- 
trices de  la  révolte,  leurs  crimes  étaient  évidents,  elles  furent  retranchées 
de  la  communion  de  l'Eglise,  jusqu'à  ce  qu'elles  eussent  fait  pénitence,  et 


532  30  JUIN. 

les  évêques  envoyèrent  leur  sentence  aux  deux  rois  Contran  et  Ghildebert. 
Elles  ne  se  soumirent  point  encore  ;  plus  tard  seulement,  Basine,  qui  avait 
témoigné  plusieurs  fois  des  mouvements  de  repentir,  se  présenta  devant  le 
concile  de  Metz,  se  prosterna  à  terre  et  demanda  pardon,  promettant  de 
retourner  dans  le  cloître,  d'y  vivre  en  paix  avec  son  abbesse  et  de  garder 
exactement  la  règle.  Ces  marques  de  repentir,  jointes  à  la  recommandation 
du  roi,  portèrent  les  évêques  à  la  rétablir  dans  la  communion  de  l'Eglise, 
et  elle  rentra  en  paix  dans  l'abbaye  de  Sainte-Croix  qu'elle  ne  quitta  plus. 
Chrodielde  reçut  aussi  son  pardon,  mais  ne  rentra  pas  dans  son  monastère. 
Ces  événements,  auxquels  Bertrand  prit  une  part  active,  se  passaient  dans 
les  années  589  et  S90. 

L'année  suivante,  une  famine  affreuse  ravagea  le  Maine,  l'Anjou  et  le 
pays  Nantais.  «  C'était  »,  dit  Grégoire  de  Tours,  (d'accomplissement  des 
paroles  du  Seigneur,  et  un  avertissement  aux  peuples  de  ces  contrées,  pour 
les  éclairer  et  les  retirer  des  erreurs  dans  lesquelles  ils  se  laissaient  entraî- 
ner ».  En  effet,  les  plus  grossières  superstitions  trouvaient  accès  dans  l'es- 
prit des  populations  malheureuses  et  ignorantes.  Des  hommes  avides  de 
rapines  et  de  débauches  se  faisaient  passer  pour  des  envoyés  de  Dieu  ;  ils 
séduisaient  par  des  prestiges,  et-  entraînaient  à  leur  suite  des  troupes  nom- 
breuses d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants,  dont  une  partie  était  victime 
de  leur  luxure  effrénée.  Ces  honteuses  aberrations  du  peuple  gagnaient 
même  des  prêtres,  que  l'on  voyait  s'attachera  ces  imposteurs,  et  promener 
par  les  provinces  leur  honte  et  leurs  débauches.  L'historien  des  Francs,  qui 
nous  a  transmis  ces  faits,  ne  nous  apprend  pas  à  quelles  sources  impures 
ces  hommes  pervers  avaient  puisé  leurs  infâmes  doctrines  ;  mais  les  dé- 
sordres de  leur  vie  et  la  nature  de  leur  enseignement,  quoique  imparfaite- 
ment connu,  portent  à  croire  que  le  gnosticisme  était  au  fond  de  ces  extra- 
vagances. 

Au  milieu  de  tant  de  scandales,  environné  de  guerres  et  des  agitations 
causées  par  des  fléaux  qui  attaquaient  l'ordre  religieux  et  civil,  Bertrand  ne 
pensait  qu^à  procurer  le  bonheur  de  son  peuple  et  la  gloire  de  son  Eglise. 
A  aucune  autre  époque,  autant  qu'au  yi^  et  au  vu'  siècle,  on  ne  vit  les 
fidèles  des  diverses  Eglises  de  la  Gaule  plus  préoccupés  du  soin  d'augmen- 
ter l'influence  des  moines,  par  des  fondations  et  des  dons  faits  aux  monas- 
tères. Le  clergé  séculier  ne  laissait  pas  déposséder  dans  son  sein  de  grandes 
vertus  et  des  talents  réels,  mais  son  action  est  beaucoup  moins  marquée 
dans  les  monuments  contemporains.  En  effet,  l'état  de  la  société  ne  réclama 
jamais  aussi  impérieusement  que  dans  ces  temps,  l'action  d'une  force  éner- 
gique et  intelligente,  qui  conduisît  les  peuples  par  l'enseignement  et  par 
l'ascendant  moral,  vers  les  travaux  nécessaires  à  sa  conservation  :  les  moines 
remplissaient  admirablement  ce  besoin.  Il  n'entre  point  dans  le  plan  d'une 
histoire  particulière  comme  celle  que  nous  écrivons,  de  faire  le  tableau  des 
désordres  et  des  misères  qui  assiégeaient  presque  toutes  les  existences  à 
cette  époque  ;  il  suffit  de  rappeler  que  les  dégâts  causés  par  la  conquête 
des  Francs  n'avaient  été  qu'imparfaitement  réparés.  Les  nouveaux  venus 
n'étaient  point  accoutumés  aux  travaux  de  la  campagne,  l'invasion  s'était 
formée  d'une  masse  déjeunes  guerriers,  trop  fiers  par  caractère  pour  se 
livrer  volontiers  aux  labeurs  de  la  culture,  surtout  quand  ils  pouvaient 
vivre  par  la  rapine,  que  la  grossièreté  du  temps  confondait  presque  avec 
le  courage. 

De  leur  côté,  les  anciens  habitants  du  sol  gaulois,  façonnés  depuis  long- 
temps aux  idées  romaines,  regardaient  comme  le  partage  des  esclaves. 


SAINT  BERTRAND   OU   BERTICHRAMN,   ÉVÊQUE  DU  MANS.  533 

toute  occupation  manuelle,  et  surtout  le  travail  des  champs.  Les  Eglises  et 
les  monastères  avaient  reçu  de  larges  concessions  de  terres;  mais  ces  terres 
seraient  restées  longtemps  improductives,  sans  les  travaux  des  esclaves 
volontaires  de  l'obéissance  monastique.  Les  églises  cathédrales  possédaient 
aussi  un  moyen  inappréciable  de  rendre  ces  terrains  fructueux  :  les  familles 
restées  libres  après  la  conquête,  mais  en  partie  dépouillées,  et  dont  la 
liberté  sans  protection  était  à  tout  moment  menacée,  dont  l'existence  même 
était  exposée  à  toutes  les  souffrances,  venaient  en  grand  nombre  se  re- 
mettre entre  les  mains  des  évêques  et  des  archidiacres;  elles  recevaient  en 
échange  d'un  travail  ennobli  par  la  liberté  qui  l'offrait  et  par  le  sentiment 
religieux  qui  l'inspirait,  la  sûreté  et  une  existence  honorable.  Cet  usage  de 
s'offrir  soi-même  en  don  aux  Eglises,  se  multiplia  alors  beaucoup  plus  que 
par  le  passé,  par  suite  même  de  l'état  moral  et  civil  de  la  société  dans  la 
Gaule.  Saint  Bertrand  parle,  dans  son  testament,  des  nombreuses  familles 
affranchies,  qui  s'étaient  réfugiées  sous  la  protection  de  la  basilique  de 
Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul,  et  il  les  recommande  à  la  charité  de  l'abbé 
de  ce  monastère. 

Les  cloîtres  n'avaient  pas  que  cette  seule  ressource;  la  main  des  moines 
eux-mêmes  défricha  d'immenses  terrains.  Ces  conquêtes  paisibles  du  tra- 
vail libre,  destinées  dans  les  vues  de  la  Providence  à  cicatriser  les  plaies  des 
conquêtes  armées,  commencent  surtout  à  se  réaliser  vers  l'époque  à 
laquelle  nous  sommes  parvenus.  Saint  Bertrand,  pour  sa  part,  y  travailla 
activement  et  sur  une  vaste  échelle.  Les  biens  que  sa  famille,  qui  était 
puissamment  riche,  lui  avait  transmis,  le  mettaient  en  état  d'augmenter 
les  revenus  de  son  Eglise.  Il  reçut  d'ailleurs  des  dons  considérables  de  Fré- 
dégonde  et  des  princes  de  Neustrie;  d'autres  personnes  lui  remirent  des 
fonds  de  terre  importants  pour  doter  son  Eglise  du  Mans,  et  l'on  voit  dans 
le  testament  qu'il  a  lui-même  dicté,  qu'il  s'occupa  constamment  des  moyens 
de  faire  valoir  toutes  ces  richesses.  Il  avoue  franchement  qu'il  voyait  avec 
peine  que  saint  Domnole  eût  donné  pour  dotation  à  la  basilique  des  saints 
martyrs  Vincent  et  Laurent,  des  biens  appartenant  à  l'église  cathédrale, 
quoique  cela  se  fût  fait  à  la  prière  du  clergé  et  du  peuple  du  Mans. 

Bertrand  fit  d'immenses  acquisitions  de  terres,  non-seulement  dans  le 
diocèse,  mais  encore  dans  d'autres  parties  de  la  Gaule.  Tout  porte  à  croire 
que  quelques-unes  de  ces  acquisitions  sont  antérieures  à  son  épiscopat, 
peut-être  même  à  son  entrée  dans  le  clergé. 

Ce  qui  est  plus  remarquable  encore  que  l'augmentation  de  sa  fortune, 
c'est  le  soin  qu'il  prenait  de  faire  cultiver  ses  domaines  de  la  manière  la 
plus  avantageuse.  Dans  plusieurs  lieux,  il  fit  exécuter  des  défrichements,  et 
par  ses  soins,  des  terrains  déserts  auparavant  devinrent  de  riches  vignobles. 
Ainsi,  dans  le  lieu  connu  encore  aujourd'hui  sous  le  nom  d'Arènes,  où  se 
trouvait  l'ancien  amphithéâtre  près  des  murs  de  la  ville,  Bertrand  fit  dé- 
fricher le  sol  et  planter  la  vigne.  Il  établit  la  même  culture,  à  droite  de  la 
voie  qui  conduisait  du  Mans  à  Pontlieue,  et  plus  tard  sur  un  terrain  qu'il 
avait  acheté  du  vénérable  abbé  Eolade,  dont  le  monastère  nous  est  in- 
connu. Saint  Licinius,  évêque  d'Angers,  donna  à  Bertrand  plusieurs  plants 
de  vignes  situés  près  de  Cariliacenses,  vignoble  que  l'évêque  du  Mans  avait 
acheté  autrefois  avec  la  terre  de  Sargite.  Bertrand  fortifia  cette  culture, 
rétendit  même  à  de  nouveaux  terrains,  plus  actif  en  cela  que  ses  prédéces- 
seurs, qui,  comme  il  le  dit  lui-même,  avaient  laissé  les  divers  fonds  de 
l'Eglise  dans  un  état  peu  productif.  Son  génie  actif  s'exerça  encore  sur 
d'autres  vignobles  qui  étaient  situés  jusque  dans  le  SabonarensCf  pays  de 


534  30  JUIN. 

Sabonères,  au  diocèse  de  Toulouse  *  ;  il  y  bâtit  une  maison,  et  fit  cultiver 
ces  propriétés  lointaines  par  une  famille  de  colons.  Enfin,  il  acheta  de  son 
parent  et  fils  spirituel  Ebroalde,  un  domaine  nommé  Comanicum,  qui  est 
probablement  aujourd'hui  le  hameau  de  Communal,  également  dans  le 
diocèse  de  Toulouse  *;  il  y  fit  construire  des  édifices  et  planter  des  vignes. 
Ces  soins  agricoles  l'occupèrent  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie.  Dans  beaucoup  de 
fermes,  oii  il  ne  trouva  que  peu  d'esclaves,  11  en  plaça  un  plus  grand 
nombre. 

Du  reste,  le  motif  qui  l'engageait  dans  cette  complication  d'afTa'.res, 
n'était  autre  que  la  charité  ardente  qu'il  ressentait  pour  Dieu  et  pour  les 
pauvres.  Toutes  les  immenses  richesses  qu'il  acquit  à  son  Eglise,  tant  par 
les  dons  qu'il  reçut,  que  par  les  achats  qu'il  fit,  et  par  les  augmentations 
de  valeur  provenant  d'une  culture  plus  intelligente,  tous  ces  biens  s'écou- 
lèrent en  fondations  pour  la  splendeur  du  culte  et  pour  le  soulagement  des 
indigents.  On  peut  dire  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs  ne  l'égala  dans  le 
nombre  et  la  richesse  des  établissements  charitables. 

De  telles  libéralités  firent  naître  une  sorte  d'émulation  parmi  les  per- 
sonnes riches,  et  on  remit  à  Bertrand  des  domaines  considérables  pour  être 
employés  aux  œuvres  qu'il  fondait.  Ainsi  le  seigneur  Bandhégisile  et  son 
épouse  Saucia  lui  donnèrent  la  métairie  de  Fontanœ  (Fontaines),  sur  les 
bords  de  la  Sarthe,  près  d'Allonnes.  Suadria,  sœur  de  l'évêque  de  Marseille 
saint  Théodore,  légua  par  son  testament,  à  l'église  cathédrale,  les  deux  do- 
maines de  Luciniacum  et  de  Monle  (Lugny  et  Montmain);  mais  dans  la  suite 
Bertrand  fut  obligé  de  faire  de  grandes  démarches  pour  que  son  Eglise  pût 
Jouir  en  paix  de  ce  dernier  don. 

La  reine  Ingoberge,  femme  de  Charibert,  roi  de  Paris,  fut  à  la  même 
époque  une  bienfaitrice  insigne  de  l'Eglise  du  Mans.  Peu  de  temps  avant  sa 
mort,  elle  fit  venir  l'évêque  de  Tours,  saint  Grégoire,  et  voulut  qu'il  fût 
témoin  de  ses  dernières  volontés  en  faveur  des  Eglises  et  des  pauvres.  Elle 
légua  tous  ses  biens  aux  Eglises  de  Tours  et  du  Mans,  et  à  la  basilique  de 
Saint-Martin,  et  peu  de  temps  après,  elle  mourut,  à  l'âge  de  soixante-dix 
ans,  laissant  la  liberté  à  un  grand  nombre  d'esclaves  ;  c'était  en  l'année  589. 
Saint  Bertrand,  dans  son  testament,  rappelle  les  libéralités  de  cette  prin- 
cesse envers  l'Eglise  du  Mans;  il  désigne  comme  lui  ayant  été  donné  par 
cette  reine,  d'heureuse  mémoire,  la  moitié  d'un  domaine  nommé  Culturx 
(Couture). 

Leodault  lui  donna  un  lieu  nommé  Colonica,  pour  la  fondation  de  l'ab- 
baye de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul  de  la  Couture.  L'illustre  matrone 
Egidie  offrit  la  moitié  d'un  domaine,  nommé  Vaiinolonnum,  pour  la  même 
fondation.  Beatus,  neveu  de  Babau,  fils  de  Theudalde,  fit  don  du  domaine  de 
Nociagilos  (Nieul-les-Saintes),  dans  le  Poitou,  sur  les  bords  de  la  Loire,  eu 
faveur  de  la  même  abbaye.  Gonthier  donna  des  fonds  de  terres,  aux  envi- 
rons de  Jublains,  pour  l'Eglise-mère  du  diocèse. 

Il  y  eut  encore  un  grand  nombre  d'autres  personnes  généreuses  qui  se 
signalèrent  par  des  donations  à  cette  époque,  tant  en  faveur  de  l'église  ca- 
thédrale, qu'en  faveur  des  monastères  et  des  hôpitaux;  mais  aucun  de  ces 
bienfaiteurs  ne  doit  plus  justement  être  rappelé  que  le  saint  évêque  d'An- 
gers, Licinius,  vulgairement  nommé  saint  Lézin.  Bertrand  nous  apprend 
qu'une  tendre  amitié  les  unissait  tous  les  deux,  et  que  Licinius  s'attira  la 

1.  Paroisse  du  département  de  la  Hante-Garonne,  arrondissement  de  Muret,  canton  de  Riemraes. 

2.  Ce  liameau  est  dans  la  paroisse  d'Azas,  département  de  la  Haute-Garonne,  anondissijineiit  de  Tou- 
louse, canton  de  Montastruc. 


SAINT  BERTRAND   OU  BERTICHRAMN,   ÉVÊQUE  DU  MANS.  535 

reconnaissance  de  l'Eglise  du  Mans  par  les  fonds  de  terre  qu'il  lui  offrit.  Il 
favorisa  de  tout  son  pouvoir  les  serviteurs  de  Dieu,  et  voulut  s'associer  à 
l'évoque  du  Mans,  dans  la  fondation  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre  et  deSainl- 
Paul  de  la  Couture. 

A  cette  époque,  les  palais  des  rois  mérovingiens  étaient  le  théâtre  d'évé- 
nements qui  devaient  changer  la  face  des  affaires,  et  amener  dans  l'Eglise 
du  Mans  des  années  de  trouble  et  de  deuil,  après  les  jours  de  prospérité 
dont  elle  avait  joui.  Le  roi  saint  Contran  étant  mort  en  593,  ses  Etats  furent 
partagés  entre  Childebert  II  et  Cîotaire  II.  Childebert,  qui  déjà  régnait  en 
Austrasie,  réunit  dès  lors  à  sa  couronne  le  royaume  d'Orléans,  celui  de 
Bourgogne  et  une  partie  de  celui  de  Paris;  Cîotaire,  roi  de  Neustrie,  un 
enfant  de  sept  ans,  reçut  seulement  une  portion  de  ce  dernier.  Dans  cet 
apanage  se  trouvaient  la  cité  et  le  pays  du  Mans.  Bertrand,  déjà  attaché  par 
ses  liens  de  parenté  à  la  famille  de  Frédégonde,  crut  devoir  faire  au  nou- 
veau roi  une  promesse  de  fidélité,  qui  attira  sur  lui  et  sur  son  Eglise  les 
plus  grands  malheurs. 

Bertrand,  pour  ne  pas  tomber  aux  mains  de  l'armée  austrasienne,  fut 
obligé  de  s'enfuir  de  sa  ville  épiscopale,  et  pendant  qu'il  suivait  la  cour 
errante  du  roi  de  Neustrie,  l'Eglise  du  Mans  était  dans  la  plus  déplorable 
situation.  Des  hommes  cupides,  appartenant  à  différentes  classes  de  la 
société,  des  clercs  et  des  laïques  se  jetèrent  sur  les  dépouilles  du  prélat  fu- 
gitif, et  s'emparèrent  de  ses  biens  et  de  ceux  de  l'Eglise. 

Cependant  ces  usurpations,  si  déplorables  qu'elles  fussent,  ne  causaient 
point  à  l'Eglise  un  mal  comparable  à  celui  que  lui  apporta  un  clerc  ambi- 
tieux et  sans  pudeur,  nommé  Berthégisile.  Cet  homme  parvint,  par  la  pro- 
tection de  Childebert  et  de  Brunehaut,  à  se  faire  donner  l'onction  épisco- 
pale, et  à  s'asseoir  sur  le  siège  du  Mans,  au  mépris  des  canons  et  de  toutes 
les  règles  de  la  discipline.  Il  donna  un  libre  cours  à  sa  convoitise,  s'empa- 
rant  non-seulement  des  biens  de  l'Eglise,  mais  encore  des  terres  que  Ber- 
trand tenait  de  son  patrimoine. 

Enfin  la  paix  se  rétablit  entre  les  Austrasiens  et  les  Neustriens  ;  il  y  eut 
un  traité  conclu,  le  Maine  rentra  sous  la  puissance  du  jeune  Cîotaire,  et 
Bertrand  reprit  la  conduite  de  son  Eglise  désolée.  Frédégonde  lui  vint  en 
aide  pour  réparer  tant  de  maux.  Les  usurpateurs  furent  contraints  à  rendre 
les  biens  dont  ils  s'étaient  injustement  emparés;  mais  surtout  Berthégisile 
fut  réduit  à  déposer  les  insignes  de  l'épiscopat  et  à  désavouer  son  usurpa- 
tion, en  signant  une  charte  par  laquelle  il  restituait  plusieurs  domaines 
appartenant  à  la  cathédrale,  entre  autres  Champagne  et  Etival.  Cependant, 
tels  étaient  son  crédit  et  son  audace,  qu'il  ne  rendit  jamais  tous  les  biens 
patrimoniaux  qu'il  avait  usurpés  sur  Bertrand,  et  ne  répara  qu'en  partie  les 
dommages  qu'il  avait  causés. 

Peu  après  le  rétablissement  de  Bertrand,  les  Bourguignons  et  les  Austra- 
siens s'étant  de  nouveau  coalisés  contre  les  Neustriens,  se  répandirent  dans 
le  Maine,  renouvelant  les  mêmes  scènes  de  barbarie.  Saint  Bertrand  essaya^ 
mais  en  vain,  de  conserver  la  ville  à  Cîotaire;  tout  le  parti  du  jeune  prince 
était  en  déroute  ;  l'évêque  lui-même,  se  regardant  comme  inviolablement 
lié  par  la  promesse  de  fidélité  qu'il  lui  avait  faite,  fut  obligé  de  s'enfuir  et 
de  se  cacher  dans  un  lieu  alors  assez  solitaire,  nommé  Etival,  au  sein  de 
l'immense  forêt  de  la  Charnie.  Peut-être  même  fut-il,  comme  saint  Betha- 
rius,  fait  prisonnier  et  retenu  dans  une  dure  captivité  ;  car  il  rapporte,  dans 
son  testament,  qu'il  a  enduré  successivement  l'exil  et  la  prison.  Le  saint 
évêque  nous  fait  connaître  aussi  que  pendant  sa  captivité,  il  demanda  sa 


536  30  JUIN. 

délivrance  à  Dieu,  par  l'intercession  de  saint  Martin,  et  fît  vœu  de  fonder, 
en  l'honneur  de  ce  saint  confesseur,  un  hospice  desservi  par  des  moines, 
s'il  recouvrait  la  liberté.  C'est  pour  remplir  cette  promesse  qu'il  construisit 
dans  la  suite  le  monastère  de  Saint-Martin  de  Pontlieue. 

Pour  comble  d'infortune,  les  usurpateurs  revinrent  se  jeter  sur  les  biens 
de  l'Eglise  et  sur  le  patrimoine  de  Bertrand.  Berthégisile  recommença  ses 
dévastations  sacrilèges  ;  il  trouva,  dans  les  archives  de  la  cathédrale,  la 
charte  qu'il  avait  été  contraint  de  signer,  lorsque  la  première  fois  Bertrand 
avait  été  rétabli  dans  ses  droits  par  l'autorité  de  Frédégonde,  et  il  la  jeta 
au  feu. 

La  paix  ayant  été  faite,  Bertrand  rentra  aussitôt  dans  sa  ville  épisco- 
pale.  11  revendiqua  ses  biens,  et,  par  l'autorité  de  Brunehaut  et  de  Thierry, 
il  put  les  recouvrer,  au  moins  en  grande  partie.  Il  travailla  aussi  avec  acti- 
vité à  réparer  les  pertes  que  son  Eglise  avait  faites,  et  il  guérit,  autant  qu'il 
le  put,  les  maux  qu'elle  avait  éprouvés.  Ces  événements  se  passèrent  dans 
l'espace  de  quatre  années,  de  S99  à  604. 

En  cette  dernière  année,  Clotaire  voulut  reprendre  les  provinces  qu'il 
avait  été  contraint  de  céder  par  le  dernier  traité  de  paix.  Cette  nouvelle 
guerre,  qui  ne  dura  qu'une  partie  de  l'année  604,  força  encore  Bertrand  à 
quitter  son  siège;  mais  ce  fut  pour  la  dernière  fois. 

Clotaire  triomphant  se  montra  reconnaissant  envers  Bertrand  de  la  fidé- 
lité que  lui  avait  montrée  cet  évêque  ;  il  écouta  favorablement  ses  plaintes, 
et  lui  fit  rendre  son  patrimoine  et  les  biens  de  la  cathédrale.  Mais  tel  était 
le  malheur  des  temps,  que  les  usurpateurs  de  ces  possessions,  qui  étaient 
des  seigneurs  francs  ou  gallo-romains,  car  les  deux  races  rivalisaient  d'ar- 
deur pour  le  pillage,  trouvèrent  le  moyen  de  ne  pas  faire  la  restitution 
entière,  comme  saint  Bertrand  le  déplore  en  plus  d'un  endroit  de  son  testa- 
ment. A  l'égard  de  quelques-uns  de  ces  envahisseurs,  l'autorité  royale 
semble  avoir  fléchi,  en  n'ordonnant  la  restitution  qu'après  leur  mort.  Ce- 
pendant, si  nous  jugeons  de  l'activité  avec  laquelle  Bertrand  poussa  son 
action  contre  ces  ennemis  de  l'Eglise,  d'après  les  termes  qu'il  emploie  en 
parlant  d'eux  dans  son  testament,  on  peut  croire  que  le  prélat  ne  manqua 
pas  d'énergie. 

Non-seulement  Clotaire  ordonna  de  restituer  à  Bertrand  et  à  son  Eglise 
les  biens  qui  leur  appartenaient,  mais  il  y  ajouta  encore  de  nombreuses  et 
importantes  donations.  Déjà,  après  la  première  fuite  de  notre  évêque,  Fré- 
dégonde et  son  fils  l'avaient  gratifié  de  la  ferme  de  Bonalpha  (Bonelles), 
située  au  pays  d'Etampes,  près  de  la  forêt  d'ivelines.  Bertrand  reçut  aussi 
de  la  même  main  la  métairie  de  Nimione,  près  de  Paris,  avec  des  vignobles 
qui  étaient  à  Frontanitum,  près  de  Plastarias  et  de  Vinitores ;  puis  les  do- 
maines de  Crisciacum  (Crissé),  au  pays  du  Mans ,  de  Villa-Thedonis  (Thion- 
ville),  au  pays  d'Etampes,  de  Talais,  dans  le  pays  de  Bordeaux,  d'autres 
encore  dans  le  Bursay,  dans  le  Maine,  d'autres  dans  le  pays  de  Gâtines,  près 
du  Loir  (Loir-et-Cher);  la  ferme  de  Fontenay,  près  de  Bullion,  au  pays 
d'Etampes,  celle  de  Bobane,  sur  la  rivière  d'Ecolle,  aujourd'hui  Saint-Ger- 
main-sur-Ecolle  (Seine-et-Oise)  ;  une  maison  dans  la  ville  de  Paris.  En 
outre,  Clotaire  fit  entrer  notre  évêque  en  partage  avec  les  maires  du  palais 
Gondoland,  Bradon  et  Marnehaire,  pour  des  domaines  situés  dans  le  Berry, 
dans  l'Albigeois,  dans  le  pays  de  Cahors,  dans  celui  d'Agen  et  dans  la  Bour- 
gogne. Enfin,  ce  prince  fit  don  à  Bertrand  de  sommes  d'argent  si  considé- 
rables, que  celui-ci  put  acheter  les  domaines  de  Campugnan,  Ludon,  Cou- 
beyrac  et  Cameyrac,  dans  le  pays  de  Bordeaux  et  de  Cahors. 


SAIOT  BERTRAND   OU  BERTICIIRAMN,   ÉYÊQUE   DU  MANS.  537 

Peu  de  temps  après,  Clotaire  accorda  à  Bertrand  un  diplôme  qui  lui 
concédait  le  droit  de  donner,  à  perpétuité,  au  monastère  de  Saint-Pierre  et 
de  Saint-Paul,  connu  depuis  sous  le  nom  de  la  Couture,  tout  ce  que  cet 
évêque  voudrait,  tant  des  domaines  qu'il  tenait  de  sa  famille,  que  de  ceux 
dont  l'avait  gratifié  la  munificence  royale. 

Le  saint  Prélat  avait  attaché  beaucoup  d'importance  à  obtenir  ce  di- 
plôme ;  car  il  désirait  doter  richement  ce  monastère.  Ce  fut  en  effet  la  plus 
belle  fondation  qu'il  fit  pendant  son  épiscopat,  et  il  mit  toute  son  applica- 
tion à  orner  et  à  enrichir  ce  sanctuaire,  après  un  avertissement  qu'il  reçut 
du  ciel.  Un  soir  ce  saint  Evêque  s'était  retiré  dans  une  des  tours  construites 
sur  les  murs  extérieurs  de  la  ville,  et  qui  se  trouvait  près  de  l'église  cathé- 
drale :  il  l'avait  choisie  comme  un  lieu  paisible  pour  s'y  livrer  avec  plus  de 
liberté  à  l'oraison  ;  il  y  passa  en  effet  toute  la  nuit  en  prières.  Sur  le  point 
du  jour,  l'archange  saint  Michel  lui  apparut,  lui  désigna  un  lieu  voisin  connu 
alors  sous  le  nom  de  Vivereus,  et  lui  dit  que  Dieu  voulait  y  être  servi  et  ho- 
noré. Ce  lieu  était  situé  au  midi  de  la  ville,  à  une  petite  distance  de  ses 
murs,  et  appartenait,  dit-on,  à  l'église  cathédrale.  Bertrand  s'empressa  d'o- 
béir à  l'ordre  du  ciel.  Il  fit  aussitôt  commencer  les  constructions  d'une  ba- 
silique, qui  fut  dédiée  sous  le  patronage  des  saints  apôtres  Pierre  et  Paul, 
et  les  bâtiments  d'un  cloître,  qui,  dès  son  origine,  se  montra  environné 
d'une  certaine  splendeur.  Ce  monastère  fut  dès  lors  pour  Bertrand  un  objet 
de  prédilection  ;  il  le  regardait,  selon  ses  propres  expressions,  comme  un 
rempart  et  une  protection  pour  sa  cité. 

Non  content  d'assigner  à  cette  nouvelle  solitude  des  revenus  considé- 
rables et  capables  d'en  assurer  l'existence,  saint  Bertrand  intéressa  encore 
à  sa  fondation  les  amis  puissants  qu'il  avait  dans  l'Eglise  et  dans  le  siècle. 
On  nomme  parmi  les  bienfaiteurs  du  monastère  la  pieuse  et  illustre  Egidie, 
qui  s'était  déjà  signalée  par  ses  largesses  envers  l'église  cathédrale.  Le  roi 
Clotaire  montra  sa  bienveillance  envers  l'abbaye  de  Saint-Pierre  et  de  Saint- 
Paul  en  accordant  le  diplôme  dont  nous  avons  parlé.  Saint  Licinius  d'An- 
gers, que  nous  avons  déjà  fait  connaître,  signala  son  amour  pour  la  vie  mo- 
nastique par  la  manière  généreuse  dont  il  concourut  aussi  à  la  dotation  de 
la  nouvelle  abbaye  ;  il  lui  donna  à  cet  effet  un  fonds  de  terre  et  des  vi- 
gnobles que  saint  Bertrand  rappelle  dans  son  testament. 

Ce  fut  principalement  de  ses  propres  biens  que  Bertrand  dota  ce  monas- 
tère ;  mais  il  lui  affecta  aussi  des  biens  qui  appartenaient  à  l'église  cathé- 
drale, et  cela,  sur  la  demande  pressante  du  clergé. 

Bertrand  soumit  les  habitants  du  nouveau  cloître  à  la  Règle  de  Saint- 
Benoît,  que  l'on  nommait  dès  lors  la  Règle  de  la  vie  monastique.  Il  les  obli- 
gea à  donner  l'hospitalité  à  tous  les  pauvres,  et  à  tous  les  étrangers  qui  la 
réclameraient;  et  il  voulut  que  cette  maison  renfermât  toujours  un  grand 
nombre  de  moines.  Il  ordonna  que  l'on  tiendrait  dans  ce  monastère  un  re- 
gistre matriculaire  pour  le  soulagement  des  indigents,  si  nombreux  à  cette 
époque. 

Pour  la  dédicace  de  la  basilique,  saint  Bertrand  convoqua  plusieurs 
évêques,  afin  de  rendre  cette  solennité  plus  auguste.  Il  déposa  dans  le  sanc- 
tuaire des  reliques  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  ;  enfin  il  rédigea  la  charte 
de  fondation ,  qui  désignait  les  revenus  formant  la  dotation.  Tous  les 
évêques  présents  confirmèrent  cet  acte,  et  voulurent  encore  ajouter  aux 
dons  faits  par  le  fondateur. 

Quoique  l'on  ne  puisse  pas  déterminer  positivement  l'année  en  laquelle 
cet  événement  a  eu  lieu,  il  est  certain  que  cette  fondation  a  précédé  la 


538  30  JUIN. 

mort  de  saint  Licinius,  et  par  là  même,  qu'elle  est  antérieure  à  l'année  605, 
et  aux  dernières  guerres  dont  nous  avons  parlé,  qui  eurent  une  si  grande 
influence  sur  la  vie  de  saint  Bertrand. 

Plus  de  dix  ans  après,  en  615,  lorsque  saint  Bertrand  fit  son  testament, 
il  ajouta  beaucoup  au  domaine  de  son  monastère  en  lui  attribuant  les  terres 
de  Crissé  (Sarthe),  Thionville  (Seine-et-Oise),  Colonka  Talete,  peut-être 
Talais,  dans  le  Bordelais,  puis  d'autres  fermes  dans  le  Bursay,  dans  le  Gâti- 
nais,  et  des  maisons  que  lui  avait  données  Waruchaire,  maire  du  palais  de 
Bourgogne,  en  échange  du  domaine  de  Colombiers  (Mayenne).  La  moitié 
des  revenus  de  ces  terres  devait  être  employée  pour  le  soulagement  des 
pauvres,  et  l'autre  moitié  consacrée  à  entretenir  le  luminaire  de  la  basi- 
lique ;  mais  les  moines  devaient  prendre  d'abord  ce  qui  était  nécessaire 
pour  leur  subsistance,  et  celle  des  pauvres  inscrits  sur  la  matricule  de  leur 
monastère.  Bertrand  légua  encore  à  l'abbaye  les  domaines  de  Gaviacm, 
Colonka,  Landolense,  Ferrensis  ;  dans  les  lieux  nommés  Cellis  et  Samarciago, 
près  de  la  ville  du  Mans,  tout  ce  qui  appartenait  à  Portithorengus,  que  le 
saint  Evoque  avait  eu  sous  sa  tutelle,  tout  ce  que  Ceta,  Mancia  et  Guntha 
avaient  possédé  ;  les  ÎQvmQi  àQ  Campus- Chunanus,  Ludina  et  Comariacum; 
le  villier  de  Piciniacum,  Hilliacum,  une  autre  ferme  nommée  aussi  Colonka, 
que  Leodault  avait  donnée  à  saint  Bertrand  pour  les  fondations  qu'il  faisait; 
les  terres  de  Methense  et  de  Voligwne,  celle  de  Fontenay,  près  de  BuUion 
(Seine-et-Oise),  un  villier  situé  aux  sources  de  la  Vendée  (Deux-Sèvres),  des 
vignes  qui  allaient  des  anciennes  arènes  du  Mans  jusqu'au  nouveau  cloître; 
d'autres  vignes,  prés  et  terrains  situés  sur  le  chemin  de  Pontlieue,  et  ache- 
tés de  l'abbé  Eolade  ;  le  Breuil,  acheté  de  l'abbé  Leusus,  des  champs  sur  les 
bords  de  la  Sarthe,  la  moitié  de  la  coulonge  de  Vatinolonnum,  l'autre  moitié 
ayant  été  donnée  par  Egidie;  les  domaines  de  Campaniacum  et  d'Etival;  la 
cour  ou  métairie  et  les  maisons  tenues  précédemment  dans  la  ville  du 
Mans  par  le  prêtre  Romolos,  une  maison  que  ce  même  prêtre  avait  fait 
construire  sur  les  murs  de  la  cité,  et  d'autres  maisons  encore  dans  la  même 
ville;  les  domaines  de  Conadacum,  Colkas,  des  vignobles  dans  le  Sabonarense 
et  autre  part,  avec  les  familles  des  colons  et  leurs  maisons  ;  des  rentes  sur 
Talete,  Crisciagum  et  Cameyrac  (Gironde),  pour  les  pauvres  inscrits  sur  la 
matricule  de  la  basilique  ;  le  domaine  de  Vincentia,  près  de  Plassac,  au  pays 
de  Bordeaux,  celui  deLuir  au  même  pays,  le  lieu  de  Brxsetum,  encore  dans 
le  même  pays,  avec  les  fabriques  de  poix,  et  les  familles  d'esclaves  em- 
ployées à  leur  exploitation;  une  somme  d'argent  considérable,  un  tiers  des 
biens  meubles  du  testateur,  la  moitié  des  chevaux;  le  domaine  de  Comani- 
cum  avec  ses  vignobles  et  ses  bâtiments,  celui  des  Fontaines  sur  les  bords 
de  la  Sarthe,  à  Alonnes,  donné  à  Bertrand  par  le  seigneur  Bandhégisile  et 
Saucia,  son  épouse,  «  dont  le  nom  »,  dit  le  testament,  «  devra  être  inscrit 
sur  le  Livre  dévie,  et  proclamé  dans  la  basilique  »;  la  moitié  de  diverses 
fermes  situées  dans  le  Berry,  dans  l'Albigeois,  dans  le  pays  de  Cahors  et 
dans  celui  d'Agen  ;  le  domaine  de  Nociogilus  pour  le  partager  avec  la  cathé- 
drale, celui  de  Vocriamnum  en  entier,  celui  de  Nueil,  dans  le  Poitou,  sur  les 
bords  de  la  Loire,  donné  par  Beatus  ;  le  lieu  nommé  Luciacus ;  enfin  le  do- 
maine" de  Kairacum,  y  compris  les  édifices,  les  serfs,  les  vignes,  les  prés,  les 
forêts  et  tous  les  droits  qui  en  dépendent. 

Les  largesses  de  Bertrand  envers  le  nouveau  monastère  de  Saint-Pierre 
et  de  Saint-Paul  ne  se  bornèrent  pas  là;  il  lui  donna  en  outre  plusieurs  do- 
maines dont  les  revenus  devaient  être  partagés  avec  la  cathédrale.  Parmi 
ces  dons  communs  aux  chanoines  et  aux  moines  de  Saint-Pierre  et  de  Saint- 


SAINT  BERTRAND   OU  BERTIGHRAMN,    ÉVÊQDE  DU  MANS.  539 

Paul,  on  remarque  une  maison  au  territoire  de  Bordeaux,  dans  laquelle  ils 
pouvaient  loger,  lorsqu'ils  allaient  dans  ce  pays  pour  y  acheter  du  poisson; 
ce  qui  suppose  que  ces  voyages  étaient  assez  fréquents.  Saint  Bertrand 
lègue  aussi,  par  son  testament,  à  l'abbé  de  ce  monastère,  auquel  il  donne  le 
titre  de  seigneur,  des  chevaux  et  quelques  autres  objets,  et  il  lui  recom- 
mande d'avoir  beaucoup  de  soin  des  pauvres,  et  des  nombreuses  familles 
d'esclaves  employées  dans  les  domaines  dépendants  de  sa  basilique. 

En  retour  de  tant  de  bienfaits,  saint  Bertrand  réclame  les  prières  de 
l'abbé  et  des  moines,  et  demande  que  son  nom  soit  inscrit  dans  le  Livre  de 
vie,  c'est-à-dire  dans  les  diptyques  où,  dès  l'origine  des  monastères,  on  ins- 
crivit les  noms  des  fondateurs  et  des  autres  bienfaiteurs,  afin  de  réciter 
chaque  jour  des  prières  spéciales  à  leur  intention. 

Les  moines  se  montrèrent  longtemps  dignes  de  l'affection  paternelle  que 
leur  avait  témoignée  le  saint  Evoque  ;  ils  édifièrent  les  peuples  par  leur 
charité  envers  tous  les  malheureux,  par  leur  vie  studieuse  et  occupée,  et 
par  le  zèle  avec  lequel  ils  s'appliquaient  à  honorer  Dieu. 

Après  avoir  rempli  l'ordre  que  le  ciel  lui  avait  transmis  par  le  ministère 
du  saint  Archange,  Bertrand  voulut  témoigner  sa  reconnaissance  au  céleste 
messager  par  l'érection  d'un  oratoire,  en  son  honneur,  dans  le  lieu  où  il 
lui  était  apparu.  Il  voulait,  comme  il  le  dit  lui-même,  que  l'on  vînt  en  ce 
sanctuaire  adorer  Dieu,  à  cause  des  merveilles  qui  y  avaient  été  opérées,  et 
qui  l'avaient  rendu  vénérable  à  tout  le  monde.  Déjà  les  fidèles,  instruits  de 
l'apparition  miraculeuse  dont  Bertrand  y  avait  été  favorisé,  le  regardaient 
comme  un  lieu  plein  de  bénédictions,  et  l'on  voyait  des  religieux,  et  jusqu'à 
des  évêques,  y  venir,  comme  à  un  saint  pèlerinage.  Pour  assurer  la  décence 
du  culte,  et  pour  satisfaire  à  ce  que  demandait  de  lui  la  charité,  notre  grand 
évêque  fit  construire  auprès  un  édifice  destiné  à  recevoir  principalement  les 
évêques  et  les  religieux. 

La  première  pensée  de  Bertrand,  en  fondant  cet  oratoire  et  cet  hospice, 
avait  été  d'en  confier  la  direction  à  son  abbaye,  à  laquelle  il  remettait 
presque  toutes  ses  autres  œuvres  de  charité  ;  mais  pendant  le  temps  qu'il 
fut  obligé  de  quitter  son  siège  et  de  se  réfugier  auprès  du  roi  Clotaire, 
comme  nous  l'avons  raconté,  les  boulangeries  de  l'église  cathédrale,  qui 
étaient  près  d'elle,  furent  transportées  dans  les  bâtiments  de  cet  hospice, 
et  le  saint  Evêque,  de  retour  sur  son  siège,  ne  crut  pas  devoir  changer  cette 
disposition.  Il  fit  même  établir  en  ce  lieu  tout  ce  qui  était  nécessaire  pour 
la  réception  des  dîmes  en  blé,  vin,  fromage,  lard  et  autres  substances,  que 
le  chapitre  devait  pecoevoir  sur  les  biens  qui  lui  appartenaient  déjà,  ou  que 
Bertrand  lui  transr.iit  par  son  testament,  et  pour  la  distribution  régulière 
que  l'on  en  fai^^uit  aux  indigents.  Bertrand  ne  parle  de  cet  établissement 
qu'avec  la  pl'J.s  touchante  sollicitude,  et  de  peur  que  dans  la  suite,  sous  un 
autre  épisoopat,  ces  fondations  ne  vinssent  à  subir  quelques  diminutions,  il 
prie,  il  conjure,  il  presse  ses  successeurs  de  remplir  ses  intentions  envers 
les  pauvres,  et  il  leur  rappelle  qu'il  a  bien  le  droit  d'en  disposer  ainsi,  puis- 
qu'il a  si  magnifiquement  doté  la  maison  de  l'Eglise. 

Saint  Bertrand  venait  de  pourvoir  aux  besoins  des  pauvres  de  la  ville, 
par  la  création  et  la  riche  dotation  de  la  matricule  de  Saint-Michel  ;  il  lui 
restait  encore  à  soulager  les  besoins  des  étrangers.  Déjà  nous  avons  vu  qu'il 
existait,  près  des  tombeaux  de  nos  premiers  évêques,  un  hôpital  pour  la 
réception  des  pèlerins  que  la  dévotion  y  attirait  ;  saint  Innocent  en  confia 
l'administration  et  le  service  à  des  moines.  Saint  Domnole  augmenta  les 
bâtiments  et  les  revenus  de  cet  établissement,  afin  qu'il  pût  recevoir  un  plus 


540  30  JUIN. 

grand  nombre  de  malheureux.  Saint  Bertrand  lui  assigna  une  dotation  en 
chevaux,  et  de  plus  le  lieu  nommé  Lucianus  et  la  métairie  de  Bauciallurriy 
située  sur  le  Loir,  avec  les  serfs  et  toutes  les  améliorations  qui  y  avaient 
été  faites. 

Bertrand,  néanmoins,  voulut  encore  ajouter  à  tant  de  monuments  de  sa 
charité  ;  il  voulut  qu'elle  allât,  pour  ainsi  dire,  au-devant  des  misères  et  des 
souffrances,  et  il  créa  au  midi  de  la  ville,  à  Pontlieue,  sur  les  bords  de  la 
rivière  d'Huisne,  et  sur  la  voie  la  plus  fréquentée  de  celles  qui  aboutissent 
à  la  ville,  un  nouvel  hospice.  Comme  il  avait  fait  vœu,  pendant  son  exil, 
d'élever  un  monastère  et  un  hospice  en  l'honneur  de  saint  Martin,  s'il  avait 
le  bonheur  de  retourner  à  son  Eglise,  il  exécuta  sa  promesse,  et  mit  cette 
fondation  sous  le  patronage  de  ce  grand  évêque.  Il  l'enrichit  des  domaines 
de  Logiagx  (les  Loges),  Nogintum  (Nogent-sur-Loir),  Novavilla  (Neuville-sur- 
Sarthe),  Antoniacum  (Antoigné-sur-Sarthe),  Monasteriolum  (Montreuil-sur- 
Sarthe),  et  d'un  autre  domaine  à  Pontlieue  même  ;  puis  de  certaines  rede- 
vances à  lever  sur  les  fermes  de  Talete,  Cnsciagus,  Cameyrac  (Gironde).  Il 
voulut  que  cette  fondation  servît  à  plusieurs  fins  :  on  devait  y  recevoir, 
nourrir,  loger,  vêtir  et  soulager  en  toutes  manières  les  étrangers  et  les 
pèlerins.  Il  ordonna  aussi  que  seize  pauvres  aveugles  ou  infirmes  y  fussent 
inscrits  sur  la  matricule,  pour  recevoir  chaque  jour  la  nourriture  suffisante; 
et  comme  la  charité  ne  s'exerce  jamais  mieux  que  quand  elle  est  accom- 
pagnée du  dévouement  religieux,  Bertrand  remit  ce  ministère  et  cet  hos- 
pice entre  les  mains  des  moines  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre  et  de  Saint- 
Paul.  Il  plaça  la  maison  sous  la  dépendance  de  l'abbé  de  la  Couture,  char- 
geant ce  prélat  de  veiller  d'une  manière  particulière  au  soin  des  pauvres 
matriculaires  de  cette  basilique,  à  la  réception  des  étrangers  et  au  main- 
tien de  l'office  divin,  qui  devait  s'y  célébrer  en  la  même  manière  que  dans 
la  basilique  même  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul.  Voulant  prévenir  les 
effets  de  l'esprit  de  cupidité  qui  se  glissait  quelquefois  jusque  dans  le  sanc- 
tuaire, le  saint  Evêque  recommande  avec  force  que  l'on  ne  porte  jamais 
aucune  atteinte  aux  dispositions  qu'il  a  faites  en  faveur  de  cet  établisse- 
ment, et  il  menace  des  châtiments  de  Dieu  et  de  la  colère  de  saint  Martin, 
l'évêque  son  successeur  qui  se  rendrait  coupable  d'un  tel  larcin,  ainsi  que 
l'abbé  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul,  s'il  ne  défendait  pas  convenable- 
ment les  revenus  des  pauvres. 

Afin  de  peipétuer  le  témoignage  de  sa  reconnaissance  envers  saint  Mar- 
tin, Bertrand  statua  que  la  fête  de  ce  grand  confesseur  serait  célébrée  tous 
les  ans  dans  l'abbaye,  avec  une  solennité  plus  qu'ordinaire.  Ce  jour-là, 
l'évêque  et  tout  le  clergé  de  la  ville  devait  se  rendre  à  la  basilique,  pour  y 
célébrer  tous  ensemble  les  offices  divins  en  l'honneur  du  saint  patron,  puis 
s'asseoir  à  un  repas  que  l'abbé  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul  devait  four- 
nir sur  les  revenus  assignés  par  le  fondateur. 

Les  monuments  ne  nous  ont  pas  appris  si  le  généreux  évêque  ne  fit  point 
d'autres  dons  à  la  basilique  de  Saint-Martin  de  Pontlieue  ;  mais  dans  son 
testament  il  témoigne  un  grand  désir  de  pouvoir  quelque  jour  en  augmenter 
les  revenus. 

Bertrand  fit  élever  à  une  distance  rapprochée  de  la  cité,  entre  le  nord  et 
le  couchant,  au-delà  du  cours  de  la  Sarthe,  une  basilique  en  l'honneur  de 
saint  Germain,  évêque  de  Paris,  Il  acquittait  en  cela  une  dette  de  recon- 
naissance ;  car  il  devait  à  cet  illustre  pontife  non-seulement  une  éducation 
distinguée,  mais  encore  d'avoir  été  élevé  lui-même  à  l'honneur  du  pontifi- 
cat. Ce  n'est  pas  que  l'évêque  de  Paris  eût  été  en  mesure  d'influer  directe- 


SAINT  BERTRAND   OU   BERTICHRAMN,   ÉVÊQUE  DU  MANS.  5M 

ment  sur  l'élévation  de  Bertrand  au  siège  du  Mans,  puisque,  comme  nous 
l'avons  dit,  Germain  était  mort  depuis  plusieurs  années  lorsque  notre  prélat 
reçut  l'onction  épiscopale  ;  mais  Bertrand  attribuait  cette  faveur  aux  prières 
de  son  ancien  maître. 

Par  un  sentiment  plein  de  convenance,  et  d'ailleurs  par  une  nécessité 
de  l'époque,  Bertrand  fonda  un  monastère  de  religieux  pour  desservir  ce 
sanctuaire,  élevé  en  l'honneur  d'un  évêque  qui  avait  pratiqué  longtemps  la 
vie  du  cloître,  et  qui  avait  toujours  chéri  et  favorisé  les  moines.  Pour  y 
assurer  la  célébration  du  service  divin  à  perpétuité,  il  donna  aux  habitants 
de  ce  monastère  les  domaines  de  Charisacus,  Chérizay  (Sarthe),  de  Lando- 
lenœ,  de  Grassac  (Charente),  et  de  Manciacus,  puis  l'exploitation  agricole  du 
Tronchet,  des  vignes  à  Sillé  (Sarthe),  d'autres  vignes  à  Rouillon,  et  la  moitié 
de  plusieurs  pâturages  situés  au  même  lieu. 

Bertrand  ne  borna  pas  là  sa  reconnaissance  envers  saint  Germain.  On  con- 
servait encore  au  Mans  l'espoir  de  posséder  les  précieuses  dépouilles  de  l'é- 
vêque  de  Paris,  et  le  tombeau  que  saint  Domnole  lui  avait  fait  préparer  dans 
la  basilique  de  Saint-Vincent  et  de  Saint-Laurent  était  toujours  disposé 
pour  le  recevoir.  Saint  Bertrand  donna  à  cette  basilique  la  terre  de  Bobane, 
Saint-Germain-sur-EcoHe(Seine-et-Oise),  située  dans  le  territoire  d'Etampes, 
sur  la  rivière  de  Cella.  11  mit  pour  condition  à  ce  legs,  que  si  le  corps  du 
saint  confesseur  restait  dans  la  basilique  de  Sainte-Croix  et  de  Saint- Vincent, 
à  Paris,  où  on  l'avait  d'abord  déposé,  ou  s'il  était  transféré  autre  part,  ce 
domaine  demeurât  toujours  la  propriété  du  monastère  enrichi  des  dé- 
pouilles sacrées  du  saint  évêque.  Bertrand  demanda  seulement  en  retour 
que  son  nom  soit  inscrit  dans  le  Livre  de  vie  du  monastère  auquel  revien- 
drait cette  ferme  de  Bobane. 

Le  zèle  de  Bertrand,  pour  tant  de  pieuses  et  utiles  fondations,  ne  l'em- 
pêchait pas  de  s'appliquer  à  réparer  les  blessures  que  le  malheur  des  temps 
avait  faites  à  la  discipline.  Sa  piété,  ses  lumières  et  la  faveur  de  Clotaire 
attirèrent  à  notre  saint  Evêque  une  distinction  signalée.  A  cette  époque,  le 
Siège  Apostolique  choisissait  souvent  pour  vicaire,  dans  les  pays  éloignés, 
comme  l'était  la  Gaule,  un  évêque  d'un  mérite  éminent.  Plusieurs  fois  cette 
distinction  fut  accordée,  non  à  des  métropolitains,  mais  à  de  simples 
évêques,  parce  que,  les  translations  étant  extrêmement  rares  alors,  le  mérite 
supérieur  ne  se  trouvait  pas  toujours  sur  les  sièges  les  plus  élevés.  Les 
princes  ambitionnèrent  cette  distinction  pour  les  prélats  qu'ils  estimaient 
davantage.  A  l'époque  où  Bertrand  gouvernait  l'Eglise  du  Mans,  on  vit  la 
reine  Brunehaut  solliciter  saint  Grégoire  le  Grand  de  l'accorder  à  Siagrius, 
évêque  d'Autun  ;  elle  obtint  l'objet  de  sa  demande,  et  le  grand  homme  à 
qui  cet  honneur  fut  déféré  remplit  dignement  de  si  hautes  fonctions  ;  mais 
la  mort,  qui  l'enleva  bientôt  après,  i'emoêcha  de  jouir  longtemps  de  cette 
prérogative. 

Plusieurs  années  après,  Clotaire  étant  devenu  seul  maître  de  la  Gaule, 
se  mit  en  instance  auprès  de  saint  Grégoire,  ou  de  son  successeur  Sabinient 
afin  d'obtenir  le  même  honneur  pour  saint  Bertrand.  Selon  l'usage,  notre 
prélat  dut  aussi  adresser  une  demande  dans  le  même  sens  au  Pontife,  et 
lui  envoyer  un  clerc  de  son  Eglise,  s'il  ne  faisait  pas  lui-môme  le  voyage  de 
Rome.  Le  Pape  écouta  favorablement  ces  demandes,  et  envoya  à  Bertrand 
l'insigne  de  cette  dignité,  c'est-à-dire  le  Pallium.  Cet  ornement  que  le 
Saint-Siège  a  coutume  d'accorder  aujourd'hui  à  tous  les  métropolitains 
et  à  un  petit  nombre  d'autres  évêques,  s'obtenait  plus  difficilement  au 
"vn*  siècle. 


Ô42  30  -JUIN 

Lorsqu'un  évêque  recevait  l'insigne  du  Pallium  et  les  fonctions  de  Vi- 
caire du  Saint-Siège,  il  commençait  à  tenir  un  rang  plus  élevé  que  les 
autres  prélats  ;  si  son  Eglise  n'était  pas  métropolitaine,  il  devenait  proto- 
thi'ône  dans  sa  province,  et  quelquefois  ce  titre  avec  ses  honneurs  est  resté 
attaché  au  siège  lui-même.  On  peut  croire  que  l'Eglise  du  Mans  jouissait 
déjà  de  ce  droit  incontesté,  puisqu'elle  paraît  la  première  après  la  métro- 
pole de  la  troisième  Lyonnaise,  dans  toutes  les  Notices  de  l'Empire.  Mais 
d'autres  prérogatives  toutes  personnelles  étaient  attachées  à  ce  Vicariat  ; 
elles  étaient  plus  ou  moins  étendues  selon  la  teneur  des  Lettres  pontificales 
qui  les  conféraient,  mais  elles  comprenaient  toujours  une  inspection  sur 
toutes  les  Eglises  du  royaume,  la  charge  de  veiller  au  maintien  de  la  disci- 
pline, et  le  droit  de  convoquer  et  de  diriger  les  conciles  des  provinces  ecclé- 
siastiques. 

L'histoire  garde  le  silence  sur  ce  que  Bertrand  fit  en  qualité  de  Vicaire 
du  Siège  Apostolique.  Pendant  les  années  qu'il  exerça  ces  fonctions,  il  y 
eut  plusieurs  conciles  dans  la  Gaule  ;  mais  les  monuments  anciens  ne  four- 
nissent que  des  notions  imparfaites  sur  ces  assemblées,  et  on  ne  sait  pas 
quel  rôle  y  remplit  notre  grand  évêque;  aussi,  pour  ne  point  dépasser 
les  données  positives  de  l'histoire,  nous  n'entrerons  dans  aucun  détail  à 
cet  égard. 

Notre  prélat,  averti  par  le  grand  nombre  de  ses  années  que  la  mort 
pouvait  approcher  de  lui,  se  résolut  à  faire  son  testament.  A  cet  effet,  selon 
les  lois  du  temps,  il  sollicita  de  Clotaire  des  lettres  signées  qui  lui  permis- 
sent de  disposer  de  tous  ses  biens,  tant  de  ceux  qu'il  tenait  de  la  munifi- 
cence royale,  que  de  ceux  qu'il  avait  reçus  en  héritage  de  sa  famille,  ou 
enfin,  de  toute  autre  manière.  Le  roi  l'autorisa  à  disposer  de  tous  ses  biens 
à  perpétuité. 

Bertrand  assembla  alors  sept  autres  évoques  ou  chorévêques,  et,  en  leur 
présence,  il  dicta  au  notaire  Ebbon  ce  testament  célèbre  qui  commence  en 
ces  termes  :  «  Au  nom  du  Seigneur  Jésus-Christ  et  du  Saint-Esprit,  le  six 
des  calendes  d'avril,  l'an  trente-deuxième  du  règne  du  très-glorieux  sei- 
gneur le  roi  Clotaire,  moi,  Bertrand,  pécheur  et  indigne  évêque  de  la  sainte 
Eglise  du  Mans,  étant  parfaitement  sain  de  corps  et  d'esprit,  mais  craignant 
avec  raison  les  suites  de  la  fragilité  humaine,  j'ai  dressé  mon  testament,  et 
j'ai  prié  mon  fils,  le  notaire  Ebbon,  de  l'écrire  sous  ma  dictée.  Si,  pour  une 
cause  quelconque,  ce  mien  testament  devenait  invalide,  soit  pour  le  droit 
civil,  soit  pour  le  droit  prétorial,  ou  par  l'intervention  de  quelque  loi  nou- 
velle, je  veux  qu'il  ait  au  moins  la  valeur  de  codicile  ab  intestat. 

«  Ainsi  donc,  lorsque  j'aurai  quitté  la  terre  et  payé  ma  dette  à  la  nature, 
vous  serez  mes  héritières,  vous,  très-sainte  Eglise  du  Mans,  conjointement 
avec  la  sainte  et  vénérable  basilique  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul,  apô- 
tres, que  j'ai  élevée  par  mes  propres  soins,  en  vue  de  la  cité,  pour  la  pro- 
téger et  pour  servir  à  l'utilité  publique.  Je  vous  constitue  et  déclare  mes 
héritières...  » 

Par  ces  paroles,  «la  sainte  Eglise  du  Mans»,  Bertrand  entend  l'église 
cathédrale,  ou  plutôt  le  chapitre  qui  la  représentait.  11  la  constitue,  comme 
Ton  voit,  son  héritière  conjointement  avec  la  basilique  de  Saint-Pierre 
et  de  Saint-Paul  ;  toutes  les  terres  ou  maisons  qu'il  lègue  à  l'une  et  à  l'autre 
sont  ensuite  énumérées  ;  il  fait  aussi  quelques  dons  à  différentes  églises  ou 
basiliques,  et  à  plusieurs  particuliers. 

On  remarque,  dans  plusieurs  passages  de  son  testament,  que  le  motif  d^ 
toutes  ses  largesses  était,  outre  la  dotation  du  clergé  nombreux  attaché  à 


SAINT  BERTRAND   OU   BERTICHRAMN,   EYEQUE  DU  MANS.  543 

la  cathédrale,  l'entretien  d'un  grand  nombre  de  pauvres  raatriculaires,  ou 
inscrits  sur  les  listes  du  chapitre  pour  être  secourus  dans  tous  leurs  besoins. 
Un  autre  motif  que  l'on  peut  pareillement  reconnaître,  parce  qu'il  est 
exprimé  en  plusieurs  endroits,  c'est  le  soin  du  culte,  et  en  particulier  du 
luminaire,  non-seulement  dans  l'église  cathédrale,  mais  encore  dans  plu- 
sieurs basiliques.  A  cet  effet,  Bertrand  assigne  des  domaines  entiers  à  chacun 
de  ces  sanctuaires,  afin  que  la  lumière  ne  s'éteigne  jamais  ni  dans  l'église 
cathédrale,  ni  dans  les  basiliques  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul,  de  Saint- 
Martin  de  Pontlieue,  et  de  Sainte-Croix. 

Le  prélat -vécut  encore  longtemps  après  avoir  rédigé  cet  acte,  et,  quoi- 
que dans  une  vieillesse  très-avancée,  il  s'occupa  sans  relâche  du  bien  spiri- 
tuel et  temporel  de  son  Eglise.  Ce  fut  dans  ce  temps  qu'il  fonda  ou  au  moins 
augmenta  beaucoup  le  monastère  d'Etival  •. 

A  une  petite  distance  de  la  ville  du  Mans,  en  s'éloignant  du  côté  du  cou- 
chant, on  rencontrait,  au  commencement  du  vu*  siècle,  une  forêt  fort 
épaisse  et  qui  s'étendait  jusque  sur  les  bords  de  la  rivière  d'Erve  et  au  delà. 
C'était  un  des  lieux  les  plus  solitaires  et  les  plus  sauvages  de  toute  la  pro- 
vince, et  môme  de  l'empire  des  Francs.  Bertrand,  obligé  de  s'enfuir  devant 
les  ennemis  du  roi  Clotaire  et  les  siens,  s'était  retiré,  comme  nous  l'avons 
dit,  pendant  quelque  temps  dans  cette  solitude;  il  y  trouva  la  sûreté  et  le 
repos  et  y  construisit,  dit-on,  un  oratoire.  Quand  la  tranquillité  eut  été 
rendue  à  tout  l'empire  des  Francs,  par  le  règne  paisible  de  Clotaire  II,  le 
saint  évêque  construisit  un  monastère  dans  ce  lieu  sauvage,  afin  que  ses 
habitants  pussent  recevoir  les  instructions  de  la  foi  et  le  secours  des  Sacre- 
ments. L'histoire  de  ce  monastère  nous  est  d'ailleurs  inconnue,  comme  celle 
d'un  grand  nombre  d'autres  de  la  même  époque. 

Tous  les  travaux  de  saint  Bertrand  ne  l'empêchaient  pas  de  s'appliquer 
encore  à  la  culture  des  lettres  ;  il  entretenait  un  commerce  épistolaire  avec 
quelques-uns  des  prélats  les  plus  distingués  de  l'époque,  tels  que  saint 
Licinius  d'Angers,  saint  Arnulfe,  évêque  de  Metz  et  l'un  des  partisans  les 
plus  dévoués  de  Clotaire,  et  enfin  saint  Venance  Fortunat,  évêque  de  Poi- 
tiers. Il  adressait  quelquefois  à  celui-ci,  comme  à  l'homme  le  plus  capable 
de  les  juger,  les  poëmes  qu'il  composait  et  que  nous  avons  malheureuse- 
ment perdus. 

Bertrand  parvint  à  une  extrême  vieillesse,  et  mourut  en  paix  la  veille 
des  calendes  de  juillet,  vers  l'an  623. 

Il  fut  inhumé  par  les  évêques  comprovinciaux,  et  par  ses  disciples  dans 
sa  chère  basilique  de  Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul.  La  mémoire  de  ce  grand 
évêque  resta  précieuse  aux  populations,  qui  continuèrent,  pendant  de  longs 
siècles,  à  visiter  son  tombeau  fécond  en  miracles  jusqu'à  ces  derniers 
temps  ^. 

Nous  avons  emprunté  cette  vie  à  l'Histoire  de  l'Eglise  du  Mans,  par  Dom  Piolin. 

1.  Stivale,  estivale,  JEstivaliim ;  paroisse  du  grand  doyenné  de  La  Quinte  du  Mans;  actuellement 
dans  le  canton  de  La  Suze. 

2.  Ou  voyait,  il  n'y  a  pas  encore  longtemps,  auprès  de  l'église  abbatiale,  aujourd'hui  paroissiale,  de  la 
Couture,  une  fontaine  qui  portait  le  nom  de  notre  saint  e'vêque,  et  où  les  fidèles  Tenaient  puiser  de  l'eau 
pour  s'en  servir  dans  leurs  maladies. 


544  30  JUIN. 


S'"  ADILIE  OU  ADILE,  YIERGE  ET  ABBESSE,  EN  BRABANT  (vers  650). 

Aclilie  ou  Adile,  qu'il  faut  bien  distinguer  de  sainte  Odile,  vierge  et  abbesse  de  Hobenbourg  et 
patronne  de  l'Alsace,  avec  laquelle  la  plupart  des  hagiographes  l'ont  confondue,  et  dont  les  églises 
d'Allemagne  ne  célèbrent  la  fêle  qu'au  13  décembre,  se  voua  à  la  vie  religieuse  sur  la  montagne 
qui  est  près  d'Orp-le-Grand,  dans  le  Biabant.  Elle  dirigeait  là,  dans  le  \n°  siècle,  un  monastère 
de  vierges  qu'elle  avait  rassemblées  dans  le  but  particulier  d'exercer  l'hospitalité  envers  les  pèle- 
rins, surtout  envers  les  prédicateurs  de  l'Evangile.  Voyant  que  la  hauteur  et  la  difficulté  de  la  mon- 
tagne en  empêchaient  plusieurs  de  venir  au  monastère,  elle  fit  bâtir  dans  le  fond  de  la  vallée,  au 
pied  de  la  môme  montagne,  une  église  dédiée  à  saint  Martin,  avec  un  monastère  et  un  hospice, 
et  s'y  établit  avec  ses  religieuses. 

On  assure  qu'elle  était  sœur  de  saint  Bavon,  patron  de  Gand,  qui  naquit  dans  la  Mesboie  où  il 
possédait  un  vaste  patrimoine.  C'est  l'avis  de  Molanus,  qui  dit  avoir  découvert  cette  parenté  dans 
un  vieux  missel  de  l'ancien  prieuré  de  Saint-Bavon. 

Lorsque,  comblée  de  mérites,  elle  eut  passé  de  cette  vie  à  une  meilleure,  elle  fut  ensevelie 
dans  l'église  d'Orp-le-Grand,  qu'elle  avait  fait  bâtir  avec  ses  grands  biens.  Elle  y  reposa  dans  une 
crypte,  devant  l'autel  de  Saint-Jean-Baptiste,  jusqu'au  jour  ovi  ses  reliques  sacrées  furent  levées 
de  terre  et  placées  dans  une  chasse.  Dieu  les  a  honorées  de  différents  miracles,  elles  habitants 
d'Orp  les  suivent  chaque  année  dans  une  procession  solennelle. 

Propre  de  Malines. 


LA  B.  ADALSENDE  S  RELIGIEUSE  A  HAMAY,  ET  S.  CLOTSENDE  % 

ABBESSE  DE  MARCHIENNES   (714). 

Les  liens  du  sang  et  de  la  vertu  ont  uni  ces  jeunes   vierges  pendant  leur  vie  ;  les  auteurs  ne 
les  séparent  pas  non  plus  après  leur  mort.  Elles  étaient  tontes  deux  filles  de  saint  Adalbaud,  duc 
de  Douai,  et  de  sainte  Rictrude.  Ce  vertueux  seigneur  ayant  été  assassiné  dans  un  voyage  qu'il  fit. 
en  Gascogne  au  pays  de  son  épouse,  elles  suivirent  leur  vénérable  mère,  qui  se  relira  peu  de 
temps  après  au  monastère  de  Marchiennes. 

Adalsende,  qui  était  la  plus  jeune,  prit  le  voile  au  monastère  fondé  par  son  aïeule  sainte  Ger 
trude,  à  llamay,  dans  les  Pays-Bas,  et  mourut  à  la  fleur  de  l'âge  ;  comme  le  dit  un  pieux  hagio- 
graphe,  «  celle  qui  était  arrivée  la  dernière  à  la  porte  de  la  vie  temporelle,  entra  la  première,  par 
la  porte  de  la  mort,  dans  la  vie  éternelle  ».  L'on  peut  encore  ajouter  avec  lui,  quand  on  consi- 
dère la  piété  précoce  de  celte  jeune  enfant,  «  qu'elle  a  comme  ses  sœurs  foulé  généreusement  aux 
pieds  les  pompes  du  siècle,  et  méprisé  les  plus  brillantes  alliances  pour  se  consacrer  à  Dieu  ». 
Telles  étaient  les  dispositions  de  son  cœur,  quant  il  plut  au  Seigneur  de  la  rappeler  à  lui  et  de  la 
récompenser  des  œuvres  saintes,  qui  avaient  déjà  rempli  sa  carrière  de  quelques  années. 

Clolsende,  restée  seule  auprès  de  sa  vénérable  mère,  s'appliqua  avec  soin  à  suivres  ses  sages 
conseils  et  à  imiter  ses  vertus.  Elle  lui  succéda,  après  sa  mort,  en  qualité  d'abbesse.  Cette  jeune 
vierge  avait  été  tenue  sur  les  fonds  de  baptême  par  Saint-Amand  lui-même,  qui  lui  servit  de  père 
spirituel.  Les  leçons  que  lui  donna  cet  illustre  apôtre  et  celles  qu'elle  reçut  de  ses  pieux  parents 
en  firent  une  religieuse  accomplie.  Selon  Lecointe,  Clolsende  vécut  soixante-dix-neuf  ans,  et  mou- 
rut le  30  juin  714,  après  avoir  dirigé  l'abbaye  de  Marchiennes  l'espace  de  vingt-six  ans. 

Les  reliques  des  vierges  Adalsende  et  Clolsende  reposaient  dans  l'église  du  monastère  de  Mar- 
chiennes, ainsi  que  celles  de  leur  sœur  Eusébie  ou  Ysoie  qu'on  y  transporta  en  1133.  C'est  là 
qu'elles  étaient  honorées  d'un  culte  public. 

L'a'bl)(S  Destombes,  Yies  des  Saints  des  diocèses  de  Cambrai  et  d'Arras, 
1.  Alias,  Adalsinde.  —  2.  Alias,  Glodsende,  Glossinde. 

FIN  DU  MOIS   DE   JUIN. 


M\T\TYI10L0GES.  545 


MOIS  DE   JUILLET 


PREMIER  JOUR  DE  JUILLET 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

L'octave  de  saint  Jean-Baptiste.  —  Sur  la  montagne  de  Hor,  dans  l'Arabie  Pétrée,  le  décès  de 
saint  Aaron,  premier  prêtre  de  l'Ordre  lévitique.  1471  av.  J.-C.  —  En  Angleterre,  les  saints  mar- 
tyrs Jules  et  Aaron,  qui  furent  mis  à  mort  après  saint  Alban,  durant  la  persécution  de  Dioclétien. 
Dans  le  même  temps,  plusieurs  chrétiens  du  même  pays,  après  avoir  été  torturés  de  mille  ma- 
nières et  cruellement  déchirés,  parvinrent  aux  joies  de  l'éternelle  cité,  en  récompense  de  leur 
généreux  combat.  Vers  304.  —  A  Malines,  en  Belgique,  saint  Rcmold  ou  Rombaud,  martyr,  fils 
d'un  roi  d'Ecosse  et  évèque  de  Dublin.  775.  —  Dans  l'ancienne  ville  de  Sinuesse,  en  Cainpanie, 
les  saints  martyrs  Caste  et  Secondin,  évêques  et  martyrs.  —  A  Vienne,  en  Dauphiné,  saint  Mar- 
tin, troisième  évèque  de  ce  siège  et  disciple  des  Apôtres  1.  120.  —  A  Clermont,  en  Auvergne, 
saint  Gal  1»',  évèque.  553.  —  Au  diocèse  de  Lyon,  saint  Domitien,  abbé,  qui  exerça  le  premier, 
en  ces  contrées,  la  vie  érémitique  ;  après  y  avoir  assemblé  plusieurs  religieux  pour  s'appliquer 
au  culte  de  Dieu,  étant  devenu  fort  célèbre  par  l'excellence  de  ses  vertus  et  par  l'éclat  de  ses 
miracles,  il  fut  enfin  appelé  en  la  compagnie  des  Saints  dans  une  bienheureuse  vieillesse.  440. 
—  Dans  le  diocèse  de  Reims,  saint  Thierry,  prêtre,  disciple  de  saint  Rémi,  évèque.  533.  —  A 
Angoulême,  saint  Cybard,  abbé.  581.  —  A  Emèse,  en  Syrie,  saint  Siméon,  surnommé  Salus, 
qui  contrefît  l'insensé  pour  Jésus-Christ,  mais  dont  Dieu  découvrit  la  profonde  sagesse  par  de 
grands  miracles.  570.  —  A  Vicence,  en  Vénétie,  le  décès  de  saint  Thibadt,  ennite,  de  la  famille 
des  comtes  de  Champagne,  qui,  par  sa  sainteté  et  ses  miracles,  mérita  d'être  mis  an  nombre  des 
Saints,  par  le  pape  Alexandre  III.  Vers  1066. 

MARTYROLOGE  DE  FRANCE,   REVD  ET  AUGMENTÉ. 

Au  diocèse  de  Belley,  saint  Domitien,  abbé,  cité  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  —  A  Pa- 
ris, dans  l'église  de  Saint-Jean  en  Grève,  la  vénération  de  l'hostie  miraculeuse,  qui,  percée  d'ua 
canif  et  d'une  lance  par  un  juif,  rendit  quantité  de  sang  ;  jetée  ensuite  dans  le  feu  et  dans  une 
chaudière  d'eau  bouillante,  non-seulement  elle  n'y  fut  point  consumée,  mais,  après  avoir  empour- 
pré cette  eau,  elle  s'éleva  au-dessus  d'elle  toute  rayonnante  de  splendeur,  ce  qui  la  fit  reconnaître 
par  les  fidèles.  Elle  s'est  conservée  fort  longtemps  dans  cette  église,  pour  servir  de  témoin  éter- 
nel de  la  présence  réelle  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dans  l'Eucharistie  ;  la  maison  du  juif  où 
ces  grands  miracles  avaient  été  opérés,  fut  changée  en  une  chapelle,  sous  le  nom  de  Billette  ;  elle 
fut  longtemps  occupée  par  les  Pères  Carmes  de  l'Observance.  —  A  Rennes,  en  Bretagne,  snint 
LÉONORE  ou  Lunaire,  évèque,  qui  gouverna  ce  siège  en  paix  sous  l'empereur  Constantin  le 
Grand.  —  A  Saiut-Pol-de-Léon,  au  diocèse  de  Quimper  et  Léon,  saint  Goulven,  évèque,  dont  le 
culte  est  fort  populaire  en  Bretagne,  x»  s.  —  Dans  le  pays  du  Maine,  saint  Calais,  abbé.  Formé 

1.  Vers  l'an  109,  saint  Alexandre,  pape,  envoya  saint  Martin,  romain  de  naissance  et  disciple  des 
Apôtres,  pour  gouverner  l'Eglise  de  Vienne.  La  persécution  qui  s'alluma  avec  fureur  sous  Adrien,  fils 
adoptif  de  Trajan,  ravit  k  cette  cité  son  saint  évèque,  après  un  épiscopat  de  onze  ans  et  un  mois.  Los 
chrétiens  ensevelirent  son  corps  dans  la  chapelle  qu'il  avait  élevée  sur  le  tombeau  de  son  préde'cesseur 
saint  Zacharie.  Les  révolutions  qui  ont  plusieurs  fois  enseveli  Vienne  sous  ses  ruines  nous  ont  fait  perdra 
U  connaissance  du  lieu  où  reposent  actuellement  les  corps  do  ces  deux  évêques. 

Vies  des  Saints.  —  Tome  VU.  9S 


546  1*'  JUILLET. 

à  la  vie  monastique  à  Micy  (Miciacum,  diocèse  d'Orléans,  Ordre  de  Saint-Benoît,  sous  l'invoca- 
tion de  saint  Etienne),  par  saint  Mesmin  et  saint  Avy,  il  imita  parfaitement  leurs  vertus  et  fonda 
lui-même  le  monastère  d'Auisole,  au  diocèse  du  Mans.  Ce  fut  le  berceau  de  la  ville  actuelle  de 
Saint-Caiais,  Anisola  (Sarthe).  545.  —  A  Denain,  au  diocèse  de  Cambrai,  sainte  Reine,  parente 
du  roi  Pépin  et  épouse  du  bienheureux  Aldebert,  comte  d'Ostrevent.  Elle  fonda,  près  des  rives  de 
l'Escaut,  et  sous  l'invocation  de  la  très-sainte  Vierge,  l'abbaye  de  Denain,  qui  fut  le  noyau  de  la 
ville  du  même  nom  '.  Fin  du  viiP  s.  —  Au  diocèse  de  Rodez,  saint  Florez  ou  Fleuret  [Flo- 
regius),  évèque  régionnaire  du  pays  d'Auvergne  et  des  contrées  voisines.  vii«  s.  —  Au  diocèse 
d'Autun,  mémoire  de  saint  Thibaut,  nommé  au  martyrologe  romain  de  ce  jour.  —  Au  diocèse  de 
Laval,  mémoire  de  saint  Calais,  cité  au  martyrologe  de  France  de  ce  jour.  —  A  Autun,  saint 
Léonce,  évêque  de  ce  siège  et  confesseur.  Bien  que  sa  vie  soit  ensevelie  dans  les  ténèbres  des 
âges  lointains,  il  est  peu  d'évèques  dont  la  sainteté  soit  aussi  universellement  reconnue,  et  l'on 
s'étonne  de  ne  pas  le  voir  honoré  dans  le  nouveau  Bréviaire.  Vers  460.  —  A  Malines,  en  Belgique,  la 
vénérable  Clarisse,  vierge,  religieuse  béguine.  Etant  encore  toute  jeune,  ses  parents  voulurent  la  faire 
instruire  dans  les  sciences  humaines,  mais  elle  n'avait  aucun  goût  pour  l'étude  et  aimait  beaucoup 
les  jours  de  congé.  Ses  maîtresses  profitèrent  de  ces  dispositions  pour  élever  son  cœur  vecs  le 
ciel  :  «  En  Paradis  »,  lui  dirent-elles,  o  c'est  toujours  dimanche,  toujours  fête,  toujours  congé  ». 
L'enfant  s'écria  qu'elle  voulait  aller  en  paradis,  et  comme  elle  rêvait  au  moyen  d'y  monter,  on  lui 
dit  qu'on  n'y  arrivait  point  par  des  degrés  matériels,  mais  par  des  degrés  de  l'âme,  qui  sont  la 
bonne  conduite  et  les  bonnes  œuvres  ;  elle  résolut  alors  de  demeurer  bien  sage.  La  raison  vint  et 
la  bonne  volonté  resta  :  Clarisse  continua  ce  que  l'habitude  avait  commencé.  Plus  tard  elle  fit  le 
vœu  de  chasteté  et  entra  au  béguinage,  où,  avec  la  grâce  de  Dieu  et  le  secours  de  la  prière,  et 
par  l'efficacité  des  Sacrements,  elle  surmonta  les  tentations  et  les  passions,  et  mourut  en  oileur  de 
sainteté.  1460.  —  Au  Mans,  saint  Hilaire  d'Oise,  confesseur,  dont  le  corps  repose  dans  cette 
ville,  dans  une  église  qui  porte  son  nom.  535.  —  Aux  diocèses  de  Nantes  et  de  Poitiers,  saint 
Lupien,  confesseur,  qui  fut,  dit-on,  baptisé  par  l'illustre  saint  Hilaire,  évêque  de  Poitiers,  et 
mourut  peu  de  jours  après  son  baptême.  La  ville  de  Machecoul  (Loire-Inférieure)  possédait  au- 
trefois son  tombeau  et  ses  reliques,  ^aint  Grégoire  de  Tours  assure  que  les  aveugles  y  recou- 
vraient la  vue,  les  paralytiques,  l'usage  de  leurs  membres,  et  les  sourds,  celui  de  l'ouïe.  Les 
dévastations  des  Normands  ont  privé  les  fidèles  des  précieuses  reliques  de  saint  Lupien,  et  il 
n'est  plus  même  honoré  d'un  culte  public  dans  le  diocèse  de  Nantes,  iv»  s.  —  A  Lille,  la  fête  de 
Notre-Dame  de  Lorette.  —  A  Paris,  la  fêle  de  Notre-Dame  de  Bonne-Délivrance.  —  A 
Fougères,  au  diocèse  de  Rennes,  Notre-Dame  do  Marais. 

ADDITIONS  FAITES  d'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  AUTRES  HAGIOGRAPHES. 

Sur  la  montagne  de  Hor,  dans  l'Arabie  Pétrée,  sainte  Marie,  prophélesse,  sœur  de  Moïse  et 
d'Aaron.  Ce  fut  elle  qui  prit  soin  des  jeunes  années  du  futur  législateur  des  Hébreux,  après  que  la 
fille  du  roi  Pharaon  l'eut  rendu  à  sa  mère  Jocabed.  Après  le  passage  de  la  mer  Rouge,  quand,  sur  le 
théâtre  d'une  victoire  si  inopinément  remportée,  on  entonna  un  hymne  pompeux  pour  célébrer  la 
délivrance  d'Israël,  Marie  conduisait  le  chœur  des  femmes,  et  répétait  avec  elles  le  refrain  de  ce 
chant  sublime  :  «  Je  chanterai  le  Seigneur,  car  il  a  déployé  sa  gloire  avec  éclat  et  précipité 
dans  la  mer  le  cheval  et  le  cavalier  ».  Au  moment  où  le  long  et  rude  exil  des  Hébreux  allait  liuir 
et  quand  l'image  de  la  patrie  apparaissait  déjà  à  l'horizon,  Marie  mourut  et  fut  ensevelie  à  Cadès- 
Barné,  ville  de  l'idumée,  à  l'extrémité  orientale  du  désert  de  Sinaï.  xvi»  s.  av.  J.-C.  —  A  Suze,  en 
Perse,  la  mémoire  de  la  reine  Esther,  l'illustre  épouse  d'Assuérus  ^.  —  A  Rome,  saint  Eleuthère, 
pape  et  martyr,  cité  au  martyrologe  romain  du  26  mai  ^.  185.  —  A  Nicomédie,  la  naissance  au 
ciel  de  saint  Zoïle,  martyr,  nommé  au  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  A  Rome,  les  saints  mar- 
tyrs Isice  ou  Isicie,  Processe,  Marine,  Antoine  ou  Antonin,  Sérène  et  Victor,  mentionnés  par  le 
même.  —  En  Mésopotamie,  saint  Zèle  et  six  de  ses  compagnons,  martyrs  ;  de  plus,  saint  Orion 
et  huit  de  ses  compagnons,  et  deux  cent  soixante-quatre  autres,  également  martyrs.  —  A  An- 
tioche,  les  saints  Sévérien,  Zoèle  et  Epose,  martyrs.  —  Les  saints  Prime,  Idonée,  et  leurs  com- 
pagnons, que  saint  Jérôme  se  contente  de  citer  dans  son  martyrologe  sans  plus  de  détails.  — 
Chez  les  Grecs,  saint  Basile,  abbé,  fondateur  de  l'ancien  monastère  du  Christ-Sauveur,  surnommé 
aux  profondes  eaux.  —  Chez  les  Grecs  encore,  saint  Léon,  anachorète,  et  saint  Maurice,  martyr. 
—  A  Nicomédie,  la  naissance  au  ciel  de  vingt-cinq  martyrs  qui  souiïrirent  le  tourment  du  feu.  — 
Dans  les  îles  Orcades,  au  nord  de  l'Ecosse,  saint  Servan,  évêque  et  confesseur,  apôtre  de  ces  con- 
trées. Ecossais  d'origine,  il  fut  créé  évèque  d'Orknay  par  saint  Pallade,  qui  s'employait  dès  lors  à 
convertir  à  la  foi  les  peuples  de  ce  pays.  Son  nom  est  populaire  en  Ecosse  à  cause  des  miracles 

1.  Nous  avons  donne  sa  notice,  avec  celle  de  son  époux  le  bienheureux  Aldebert,  au  22  avril,  toma  iv, 

page  &»4. 

2.  Nous  avons  donné  sa  Vie  avec  celle  de  JUnlocliée,  au  24  mai,  toma  vi,  page  182. 

3.  Voir  sa  biographie  au  2$  mal,  tome  vi,  page  179. 


MARTYROLOGES.  547 

dont  la  tradition  rapporte  cpie  sa  vie  ne  fut  qu'un  tissa.  Il  est  patron  des  lies  Orcades,  et  on  l'ho- 
nore aussi  dans  le  pays  de  Galles,  en  Angleterre,  vp  s.  —  Près  de  Cologne,  dans  la  province 
rhénane,  le  bienheureux  Héchard,  prêtre  et  confesseur,  fondateur  du  monastère  de  Sclieideii,  de 
l'Ordre  de  Prémontré.  Cette  abbaye,  appelée  aussi  Scheida  ou  Segor,  prit  naissance  en  1173,' sur 
les  ruines  d'uue  chapelle  que  Noiand,  seigneur  d'Ardeya,  avait  fait  bâtir  en  l'honneur  de  saint  Sé- 
verin  dans  sa  citadelle  de  Scheida.  Après  la  mort  de  Noiand,  Héchard  conseilla  à  Witrude,  veuve 
de  ce  seigneur,  de  détruire  la  citadelle  et  de  faire  construire  un  monastère  à  sa  place,  ce  qui  fut 
réalisé.  Le  corps  de  notre  bienheureux  fut  enseveli  dans  son  église  abbatiale.  Vers  l'an  1174.  — 
A  Vicence,  en  Vénétie,  le  bienheureux  Barthélémy  de  Bragance,  évèque  de  ce  siège,  de  l'Ordre 
des  Frères  Prêcheurs  K  1270.  —  Dans  les  solitudes  de  la  Nilrie,  en  Egypte,  saint  Pambon,  ana- 
chorète. On  ne  sait  pas  en  quelle  année  il  naquit,  ni  quelle  fut  sa  patrie.  Mais  il  quitta  le  monde 
de  bonne  heure  et  se  retira  auprès  de  saint  Antoine  sous  la  conduite  duquel  il  lit  de  merveilleux 
progrès  dans  la  vie  intérieure.  Dieu  l'ayant  appelé  ensuite  au  désert  de  Nitrie,  il  l'y  rendit  un  des 
plus  fermes  soutiens  de  la  vie  religieuse,  par  ses  avis  et  ses  exemples.  Ses  principales  vertus 
étaient  l'amour  du  silence,  le  renoncement  à  sa  propre  volonté,  le  détachement  des  choses  dn 
monde,  la  pratique  des  austérités  corporelles  et  des  œuvres  de  charité.  Saint  Athanase,  qui  con- 
naissait le  mérite  de  saint  Pambon,  l'appela  à  Alexandrie  pour  y  rendre  témoignage  à  la  divinité 
de  Jésus-Christ,  comme  il  y  avait  appelé  saint  Antoine.  Vers  387. 

FÊTES  MOBILES  DB  JUILLET. 

Le  premier  dimanche  de  juillet,  fête  du  très-précieux  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  *, 
.—  Au  '^'Ocèse  du  Fuy,  le  dimanche  qui  précède  ou  suit  immédiatement  le  11  juillet,  l'anniversaire 
de  la  dédicace  de  Notre-Dame  du  Puy  et  de  toutes  les  églises  du  diocèse.  —  Au  même  diocèse 
le  dimanche  suivant,  octave  de  la  dédicace  de  la  même  église  de  Notre-Dame  et  de  toutes  les 
églises  du  diocèse.  —  En  Portugal,  le  troisième  dimanche  du  mois,  fête  de  l'Ange  protecteur  du 
royaume.  —  A  Castres,  petit  village  à  une  lieue  d'Hazebrouck  (Nord),  le  premier  dimanche  de 
juillet,  pèlerinage  à  Notre-Dame  de  Grâce.  Castres  tire  son  nom  de  deux  mots  latins,  casU  très, 
les  trois  vierges.  C'étaient  trois  filles  de  Kenulf,  roi  de  Mercie,  en  Angleterre,  qui,  après  leur 
conversion  à  la  foi,  en  855,  se  consacrèrent  à  Dieu  par  le  vœu  de  chasteté,  et  furent  massacrées 
en  haine  de  la  religion  dans  la  forêt  qui  avoisine  le  village  dont  nous  parlons.  Un  saint  vieillard, 
qui  avait  perdu  la  vue,  apprit  dans  une  vision  que,  s'il  se  faisait  conduire  en  un  certain  endroit 
de  la  forêt,  il  trouverait  les  corps  des  trois  jeunes  vierges,  martyres  de  la  chasteté,  et  que  leur 
sang,  appliqué  à  ses  yeux,  lui  rendrait  la  vue.  Le  fait  confirma  la  prédiction.  Soudain  la  forêt 
s'illumina,  et  Marie,  entourée  d'anges,  apparut  au  vieillard  qui  lui  promit  d'élever  eu  ce  lieu  un 
monument  consacré  à  son  culte  et  où  devaient  être  vénérées  les  reliques  des  trois  vierges.  La 
statue  de  Marie  fut  placée  au-dessus  de  l'autel  principal.  Telle  fut  l'origine  du  sanctuaire  de  Notre- 
Dame  de  Grâce.  Bientôt  on  y  vint  en  pèlerinage  de  tous  les  pays  circon voisins  ;  la  statue  est  lou- 
jouis  demeurée  sur  son  autel,  même  au  milieu  des  troubles  de  la  Révolution,  et,  en  1843,  le 
Saint-Siége  a  accordé  une  indulgence  plénière  à  ceux  qui  la  visiteraient  depuis  le  dernier  dimanche 
de  juin  jusqu'au  suivant.  —  A  Boulogne,  au  diocèse  de  Paris,  le  deuxième  dimanche  de  juillet, 
pèlerinage  de  Notre-Dame  de  Boulogne-sur-Seine,  fondé  par  les  habitants  de  Paris  sur  le  modèle 
de  celui  de  Notre-Dame  de  Boulogne-sur-Mer.  Le  roi  Philippe  le  Long  posa,  en  1320,  la  première 
pierre  du  nouveau  sanctuaire  qui  ne  fut  achevé  qu'au  commencement  de  1330,  sous  le  règne  de 
Philippe  111.  Celui-ci  obtint  du  pape  Jean  XXII  l'érection  en  paroisse  de  la  nouvelle  église  et  de 
son  territoire  en  la  séparant  d'Auteuil.  Depuis  cette  époque,  tous  les  souverains  pontifes  ont  ho- 
noré ce  sanctuaire  par  d'abondantes  indulgences.  Au  mois  de  m:ii  1853,  la  confrérie  établie  dans 
l'église  depuis  Philippe  le  Long,  et  détruite  à  la  Révolution,  fut  reconstituée  par  le  curé  de  la  pa- 
roisse et  enrichie,  par  Pie  JX,  de  nouvelles  faveurs  spirituelles.  —  Le  samedi  d'avant  le  premier 
dimanche  de  juillet,  dans  la  ville  de  Guingamp,  au  diocèse  de  Saint-Brieuc,  pèlerinage  de  Notre- 
Dame  de  Bon-Secours.  C'est  le  plus  célèbre  et  le  plus  fréquenté  du  diocèse  ;  il  date  du  xiv*  siècle. 
Le  sanctuaire  forme  un  carré  long  à  cinq  nefs,  échancré  au  nord-ouest  par  une  chapelle  extérieure 
encaissée  dans  la  nef  latérale  du  nord  et  appelée  vulgairement  Portail  Notre-Dame.  Là  est  la  sta- 
tue vénérée  de  la  Vierge  de  Bon-Secours  et  le  lieu  du  pèlerinage.  La  fureur  révolutionnaire  du 
siècle  dernier  s'abattit  tout  entière  sur  ce  monument  de  la  foi  des  fidèles.  En  1853,  on  le  restaura 
complètement  et  on  lui  rendit  sa  première  splendeur.  Depuis  cette  belle  restauration,  le  sanctuaire 
de  Bon-Secours  ne  cesse  d'être  visité  par  de  pieux  pèlerins  qui  arrivent  dès  cinq  heures  du  matin 
où  il  s'ouvre  et  se  succèdent  jusqu'à  neuf  du  soir  où  il  se  ferme.  Guingamp  est,  ce  jour-là,  le  ren- 
dez-vous de  toute  la  Bretagne.  —  A  Goadelin,  au  diocèse  de  Saint-Brieuc,  fête  de  Notre-Dame 
de  risle,   ainsi  appelée   parce  que  le   ruisseau  qui  serpente  dans  le  vallon   où  elle  s' élevé 

1.  Voir  quelques  détails  sur  sa  Vie  au  23  octobre,  jonr  oh  il  est  honoré  par  l'Ordre  de  Saint-Domi- 
Bique.  —  2.  Voir  an  tome  xvi,  consacré  en  majeure  partie  aux  Fêtes  mobiles. 


548  1"  JUILLET. 

rentoure  d'eau  presque  de  toutes  parts.  Humble  oratoire  dans  le  principe,  le  xii»  siècle  en  fit  ua 
sanctuaire  splendide  que  vint  endommager  fortement  la  Révolution  de  93.  Reconstruit , 
lors  de  la  réouverture  des  églises,  il  se  compose  actuellement  de  trois  nefs  parallèles  séparées  par 
deux  rangs  de  colonnes  :  trois  bas-reliefs,  représentant  différentes  scènes  de  la  vie  de  la  sainte 
Vierge,  couvrent  le  retable  du  maitre-autel.  Depuis  cette  reconstruction  la  ferveur  des  fidèles  a 
repris  un  nouvel  élan,  et  les  faveurs  de  Marie  se  sont  multipliées  avec  le  concours  des  pèlerins. 
—  A  Candau,  au  diocèse  de  Vannes,  le  second  dimanche  de  juillet,  pèlerinage  à  la  chapelle  de 
Notre-Dame  de  Vérité.  Ce  jour-là  on  y  vient  en  foule  et  l'on  y  chante  un  cantique  breton  en  vingt- 
huit  couplets  qui  expose  quelques-uns  des  miracles  obtenus  en  ce  lieu,  —  En  Auvergne,  le  di- 
manche qui  suit  immédiatement  le  2  juillet,  fêle  de  Notre-Dame  de  Yassivière  '. 


SAINT  AARON, 

GRAND  PRÊTRE  DES  HÉBREUX  ET  FRÈRE  DE  MOÏSE 
1593-1471  avant  Jésus-Christ. 


Suscitabo  mihi  sacerdotem  fidelem,  qui  juxta  car 
'.neum  et  animam  meam  faciat. 

Je  susciterai  pour  moi  un  prêtre ,  qui  agira  selon 
mon  cœur  et  mon  âme. 

/  Reg.,  II,  35. 

Aaron,  de  la  tribu  de  Lévi  qui  était  son  bisaïeul  par  son  père  Amram  et 
par  sa  mère  Jochabed,  naquit  en  Egypte,  avant  qu'on  eut  mis  à  exécution 
l'édit  qu'avait  porté  le  roi  pour  faire  mourir  tous  les  enfants  mâles  dans 
le  temps  de  leur  naissance.  Il  avait  une  soeur  nommée  Marie,  qui  était  son 
aînée  de  trois  ans,  et  il  était  lui-même  de  trois  ans  plus  âgé  que  son  frère 
Moïse.  Il  épousa  Elisabeth,  fille  d'Aminadab,  de  la  tribu  de  Judas,  et  en  eut 
quatre  fils,  Nadab,  Abin,  Eléazar  et  Thomas.  Quand  Moïse  voulut  s'excuser 
d'aller  demander  à  Pharaon  la  liberté  des  enfants  d'Israël,  alléguant  la  dif- 
ficulté qu'il  avait  de  parler,  Dieu  lui  dit  de  prendre  avec  lui  son  frère  Aaron, 
parce  qu'il  s'exprimait  facilement,  ajoutant  qu'il  serait  son  organe  au- 
près du  peuple.  Moïse  étant  parti  de  Madian  pour  retourner  en  Egypte,  Dieu 
commanda  à  Aaron  d'aller  au-devant  de  lui  dans  le  désert  :  il  le  joignit  au 
pied  du  mont  Moreb,  où  ils  s'embrassèrent.  Moïse  lui  raconta  alors  tout  ce 
que  le  Seigneur  lui  avait  dit  en  lui  donnant  sa  mission,  et  lui  déclara  les 
miracles  qu'il  lui  avait  ordonné  de  faire.  Etant  venus  ensemble  en  Egypte, 
ils  assemblèrent  les  anciens  des  Israélites,  et  Aaron  leur  rapporta  toutes  ces 
merveilles. 

Les  deux  frères  allèrent  ensuite  parler  au  roi  Pharaon  et  lui  deman- 
dèrent pour  le  peuple  d'Israël  la  liberté  d'aller  dans  le  désert  offrir  à  Dieu 
des  sacrifices.  On  sait  la  résistance  et  l'endurcissement  du  roi,  et  les  plaies 
qui  affligèrent  l'Egypte  en  punition  du  péché  de  son  chef.  La  verge  qu'Aaron 
portait  à  la  main  fut  l'instrument  dont  Dieu  se  servit  dans  cette  circons- 
tance pour  opérer  plusieurs  miracles.  Elle  fut  transformée  en  serpent,  fit 
changer  en  sang  les  eaux  du  Nil,  remplit  l'Egypte  de  grenouilles  et  couvrit  de 
moucherons  tout  le  pays.  Aaron  eut  part  à  tout  ce  que  Moïse  fit  depuis  pour 
la  délivrance  du  peuple  d'Israël.  Il  était  l'interprète  de  son  frère,  tant  au- 
prèsdePharaon  que  devantie  peuple,  Dieu  l'ayant  établi  le  prophète  de  Moïse, 

1.  Voir  an  3  juUlet. 


SAINT  ÀARON,   GRAND  PRÊTRE  DES  HÉBREUX.  549 

comme  il  avait  établi  Moïse  le  dieu  de  Pharaon.  Ce  fut  lui  encore  qui  recueillit 
la  manne  dans  un  vase  que  l'on  mit  depuis  dans  le  tabernacle  pour  le  conser- 
ver à  la  postérité.  Pendant  le  combat  que  Josué  livra  aux  Amalécites,  Aaron 
et  Hur,  son  beau-frère,  assistèrent  Moïse  qui  priait  pour  la  victoire, sur  le  haut 
de  la  colline,  et  lui  soutinrent  les  bras  chacun  de  son  côté,  car  ils  remar- 
quaient que  les  ennemis  avaient  l'avantage  lorsque  la  lassitude  les  lui  faisait 
abaisser.  Quand,  peu  de  jours  après  la  victoire,  on  alla  camper  au  pied  de 
la  montagne  de  Sinaï,  Dieu  voulut  qu'Aaron  monta  avec  Moïse  pour  en- 
tendre ses  commandements,  quoi  qu'il  fût  défendu  à  tout  autre,  sous  peine 
de  mort,  de  toucher  seulement  le  bas  de  la  colline.  Ce  fut  là  qu'Aaron  fut 
établi  substitut  de  Moïse,  et  chargé  de  terminer  les  difficultés  qui  pourraient 
survenir  pendant  son  absence  qui  devait  être  de  quarante  jours. 

Cependant,  le  peuple  impatient  de  revoir  Moïse,  alla  jusqu'à  oublier 
Dieu  lui-même.  Il  vint  en  foule  assiéger  Aaron  pour  l'obliger  à  lui  donner 
d'autres  dieux.  Aaron  eut  la  faiblesse  de  céder  aux  instances  de  cette  mul- 
titude indocile,  et  consentit  à  la  confection  du  veau  d'or;  mais  son  re- 
pentir égala  sa  faute,  et  Dieu  le  choisit  pour  le  grand  prêtre  de  la  religion 
judaïque.  Cette  préférence  excita  une  révolte  qui  avait  pour  chef  Coré, 
Dathan  et  Abiron,  trois  ambitieux  qui  aspiraient  à  cette  dignité  et  qui  furent 
engloutis  avec  leurs  familles  dans  les  entrailles  de  la  terre.  Un  grand  nombre 
de  leurs  partisans  furent  consumés  par  les  flammes  qui  s'échappèrent  de 
l'autel,  au  moment  où  ils  faisaient  les  encensements  d'usage  ;  d'autres,  en 
plus  grand  nombre  encore,  périrent  par  le  feu  du  ciel  qui  eût  exterminé 
tous  ces  rebelles  si  Aaron  ne  se  fût  mis,  l'encensoir  à  la  main,  entre  les 
morts  et  les  vivants,  pour  apaiser  la  colère  de  Dieu.  Un  nouveau  miracle, 
moins  terrible,  mais  non  moins  capable  de  réduire  au  silence  les  murmu- 
rateurs,  vint  confirmer  son  sacerdoce.  On  plaça,  par  l'ordre  de  Dieu,  dans 
le  tabernacle,  les  douze  verges  des  douze  tribus,  et  la  souveraine  sacrifîca- 
ture  devait  être  déférée  à  la  tribu  dont  la  verge  aurait  fleuri  pendant  la  nuit 
suivante.  Le  lendemain,  la  verge  de  la  tribu  de  Lévi,  c'est-à-dire  celle 
d'Aaron,  se  trouva  chargée  de  fleurs  et  de  fruits.  Il  fut  donc  proclamé  grand 
prêtre  une  seconde  fois,  et  cette  dignité  qu'il  exerça  toute  sa  vie,  devint 
héréditaire  dans  sa  famille. 

Lorsque  le  terme  de  sa  carrière  fut  arrivé.  Dieu  dit  à  Moïse  de  le  con- 
duire sur  la  montagne  de  Hor,  et  de  le  dépouiller  des  insignes  du  sacerdoce 
pour  en  revêtir  son  fils  Eléazar,  qui  devait  lui  succéder.  Aaron  n'eut  pas  la 
consolation  d'entrer  dans  la  terre  promise,  pour  avoir  douté  de  la  puissance 
de  Dieu,  qui  lui  commandait  de  frapper  de  sa  verge  le  rocher  de  Cadès, 
afin  d'en  faire  sortir  de  l'eau.  Il  frappa  deux  coups  au  lieu  d'un  qui  lui  était 
prescrit,  et  cette  défiance  fut  punie  dès  ce  monde  ;  ce  qui  n'empêche  pas 
qu'il  n'ait  été  récompensé  dans  l'autre  ;  car  l'Eglise  l'honore  comme  saint, 
et  son  nom  se  lit  dans  le  martyrologe  romain  du  premier  juillet.  Il  mourut 
à  l'âge  de  cent  vingt-trois  ans,  et  le  peuple  porta  son  deuil  pendant  trente 
jours. 

Aaron  fut  enseveli  au  sommet  de  la  montagne  Hor,  où  l'on  vénère 
encore  son  tombeau.  Un  vieil  arabe,  qui  habite  au  haut  du  rocher,  sert 
de  gardien  à  ce  lieu  vénéré.  On  n'a  guère  montré  d'autres  reliques  d'Aaron 
que  la  verge  dont  nous  avons  parlé,  et  que  Moïse  avait  fait  conserver  auprès 
de  l'arche  d'alliance,  en  mémoire  de  cette  merveille.  Depuis  la  ruine  du 
temple  par  Nabuchodonosor,  on  ne  sait  ce  qu'elle  est  devenue  ;  on  n'a  pas 
laissé  de  dire,  toutefois,  qu'elle  se  conservait  à  Rome,  avec  celle  de  Moïse, 
dans  l'église  de  Saint-Jean  de  Latran. 


èoO  !•'  JUILLET. 

Lîi  plupart  des  estampes,  des  sculptures  et  des  peintures  le  représentent 
tenant  dans  sa  main  la  baguette  fleurie  qui  servit  à  reconnaître  le  choix  que 
Dieu  avait  fait  de  lui  pour  devenir  souverain  sacrificateur  :  cette  carac- 
téristique paraît  la  plus  rationnelle.  —  Un  vitrail  du  viii'  siècle,  à  la  cathé- 
drale du  Mans,  le  montre  tenant  dans  ses  bras  la  synagogue  qui  se  meurt; 
un  autre  du  xvi*  siècle,  à  l'église  Saint-Patrice  de  Rouen,  tenant  le  ser- 
pent d'airain.  —  La  mîti^e  est  encore  l'attribut  que  lui  donnent  assez  fré- 
quemment les  anciens  vitraux.  —  Une  figure  tirée  d'une  miniature  de  la 
Bible  du  XI*  siècle  le  représente  à  mi-corps,  en  face  de  Moïse,  et  tenant  un 
vase  qui  est  sans  doute  celui  qui  renfermait  la  manne  dans  l'arche  d'alliance, 
ou  le  sang  des  victimes.  —  On  le  voit  quelquefois  montrant  au  peuple 
hébreu  le  veau  d'or,  autour  duquel  se  forme  une  danse  ;  ou  encore  frappant 
le  rocher  d'où  sort  une  source  d'eau  vive.  —  Enfin,  les  peintures  modernes 
le  représentent  volontiers  avec  un  encensoir  à  la  main. 

Acta  Sanctorum,  tome  i"'-  de  juillet  ;  —  Cf.  Baillet,  etc. 


SÀIiNT  THIERRY,  ABBE  DU  MONT -D'OR, 

AU  DIOCÈSE  DE  REIMS 
533.  —  Pape  :  Jean  II.  —  Roi  de  France  :  Childebert  I«'. 


Religiosi  mundo  sunt  mortui,  eorumque  in  cœlo  est 
cum  angelis  conversatio. 

Les  religieux  sont  morts  au  monde  et  leur  conversa- 
tion est  dans  le  ciel  avec  les  anges. 
B.  Alan,  de  Rupe,  serm.  xxxi  de  Excell.  Relig, 

Dieu ,  qui  tire  la  rose  d'un  bouton  environné  d'épines,  et  qui  fait  naître 
les  plus  beaux  fruits  d'une  terre  boueuse  et  couverte  de  fumier,  fit  aussi 
naître  cet  excellent  religieux  d'un  père  de  très-basse  condition,  et  qui  se 
rendait  encore  plus  digne  de  mépris  par  les  vices  auxquels  il  était  adonné, 
car  c'était  un  pauvre  paysan  nommé  Marquard,  du  village  de  Ménancourt, 
sur  la  rivière  de  Suippe,  auprès  de  Reims,  qui,  au  lieu  de  gagner  sa  vie  par 
les  exercices  innocents  de  la  vie  champêtre,  entretenait  sa  famille  par  les 
vols  qu'il  faisait  dans  les  bois  et  aux  environs  de  son  village.  A  peine  Thierry 
fut-il  sorti  d'une  si  mauvaise  tige,  qu'on  vit,  par  un  grand  miracle,  quelles 
devaient  être  un  jour  son  innocence  et  la  pureté  de  son  âme.  Le  puits  dans 
lequel  on  lavait  les  draps  et  les  langes  qui  servaient  à  l'envelopper  ne  con- 
tracta plus  aucune  souillure,  quoiqu'il  demeurât  ouvert  comme  de  coutume 
et  qu'on  ne  mît  rien  dessus  pour  le  fermer.  Flodoard,  qui  vivait  plus  de 
quatre  cents  ans  après  lui,  assure  que  cette  merveille  subsistait  encore  de 
son  temps. 

La  mère  de  notre  saint  enfant,  qui  n'avait  pas  l'âme  si  mauvaise  que  son 
père,  prit  quelque  soin  de  le  faire  instruire  dans  les  petites  écoles  ;  il  y  fit 
encore  plus  de  progrès  dans  la  vertu  que  dans  la  lecture  et  dans  l'écriture. 
Quand  il  eut  fâge  requis,  ses  parents  l'obligèrent  de  se  marier.  Il  résolut 
néanmoins  de  conserver  inviolablement,  dans  cet  état,  sa  virginité  comme 


SAINT  THIERRY,   ABBÊ  DU  MONT-d'OR,   AU  DIOCÈSE  DE  REIMS.  551 

un  trésor  auquel  tous  les  biens  du  monde  ne  sont  pas  comparables.  Il  eut 
de  grandes  difficultés  à  vaincre,  car  sa  femme,  lorsqu'il  lui  eut  communi- 
qué son  dessein,  en  fut  très-irritée  ;  ehe  crut  que  son  mari  manquait  d'af- 
fection pour  elle.  Thierry,  ne  sachant  comment  la  gagner,  Ta  à  Reims  trou- 
ver une  sainte  abbesse,  nommée  Suzanne,  qui,  sous  la  conduite  et  l'auto- 
rité de  saint  Rémi,  archevêque  du  lieu,  gouvernait  une  communauté  de 
saintes  Qlles  dans  un  célèbre  monastère  de  la  ville  ;  il  se  jette  à  ses  pieds, 
lui  ouvre  les  secrets  de  son  cœur  et  la  prie  de  l'assister  de  ses  sages  conseils 
et  de  ses  prières  dans  une  conjoncture  si  épineuse.  La  sainte  dame  le  reçut 
avec  beaucoup  de  bonté,  et  après  avoir  fait  son  possible  pour  le  consoler 
dans  sa  peine,  elle  lui  conseilla  de  s'adresser  au  saint  prélat,  qui  ne  man- 
querait pas  de  lui  marquer  les  voies  les  plus  justes  et  les  plus  assurées  pour 
réussir  dans  son  pieux  dessein.  Thierry,  qui  avait  déjà  reçu  de  salutaires 
instructions  de  saint  Rémi,  et  qui  le  regardait  comme  un  parfait  modèle 
de  sainteté,  le  vint  trouver  aussitôt  et  lui  découvrit  toutes  ses  intentions. 

Le  saint  Archevêque,  qui  savait  que  le  mariage  qu'il  venait  de  contrac- 
ter lui  ôtait  la  liberté  de  vivre  dans  le  célibat,  sans  le  consentement  de  sa 
femme,  lui  ordonna  de  l'aller  retrouver,  de  lui  représenter  la  couronne  ira- 
mortelle  que  le  Roi  du  ciel  et  de  la  terre  promet  à  ceux  qui  ont  assez  de 
courage  pour  conserver  leur  pureté  au  milieu  de  la  corruption  du  siècle,  et 
de  lui  faire  entendre  que  le  vœu  de  virginité  est  l'hommage  du  chrétien  le 
plus  glorieux  à  Dieu  et  la  vertu  la  plus  agréable  aux  anges.  Thierry  obéit 
aux  ordres  de  son  pasteur  et  retourne  auprès  de  sa  femme  :  autant  elle 
avait  paru  invincible  et  indignée  aux  premières  paroles  qu'il  lui  avait  por- 
tées sur  son  dessein,  autant  elle  fit  voir  de  douceur  et  de  condescendance  à 
cette  seconde  visite  ;  son  esprit  commença  à  se  convaincre  et  son  cœur  à 
s'attendrir  en  voyant  le  zèle  de  son  époux  ;  et,  se  laissant  enfin  aller  à  ses 
touchantes  persuasions,  elle  l'assura,  qu'à  son  imitation,  elle  ne  voulait 
plus  avoir  d'amour  que  pour  Jésus-Christ  ;  de  sorte  que,  dès  ce  moment, 
elle  lui  consacra  aussi  pour  jamais  sa  virginité.  Son  généreux  époux  lui 
témoigna  la  joie  qu'il  ressentait  d'un  changement  si  inespéré  ;  et  après  lui 
avoir  donné  le  baiser  de  paix,  il  se  retira  d'auprès  d'elle,  pour  éviter  toute 
occasion  de  faiblesse  ou  d'inconstance. 

Il  ne  restait  plus  à  notre  Saint  que  de  trouver  un  lieu  solitaire  pour  y 
passer  le  reste  de  ses  jours  dans  la  contemplation  des  choses  célestes.  Il  re- 
tourna donc  à  Reims,  où,  d'abord,  il  s'adressa  encore  à  la  sainte  abbesse 
Suzanne,  qui,  par  les  exemples  sensibles  de  sa  haute  piété  et  par  ses  dis- 
cours édifiants,  l'encouragea  de  nouveau  à  l'étude  de  la  perfection  et  à  l'ac- 
complissement du  grand  désir  qu'il  avait  de  se  séparer  tout  à  fait  du  monde. 
Il  vint  aussi  retrouver  saint  Rémi,  qui,  voyant  les  bonnes  dispositions  de  son 
cœur,  outre  les  salutaires  instructions  qu'il  lui  donna  pour  la  conduite  de 
son  intérieur,  voulut  encore  le  faire  étudier,  et  l'honorer  ensuite  de  l'au- 
guste dignité  du  sacerdoce  :  Thierry  y  répondit  avec  tant  de  force,  qu'en 
peu  de  temps  il  fit  des  progrès  considérables  dans  la  science  et  dans  les  ver- 
tus les  plus  conformes  à  ce  caractère.  Aussi  le  saint  archevêque,  qui  ne 
pensait  qu'à  faire  fleurir  le  Christianisme  dans  son  diocèse,  jeta  les  yeux  sur 
ce  grand  serviteur  de  Dieu  pour  lui  confier  le  soin  d'un  monastère  de  reli- 
gieux qu'il  avait  dessein  d'établir  dans  une  petite  forêt,  sur  une  montagne 
nommée  le  Mont-d'Or,  assez  proche  de  Reims.  Un  jour  qu'il  l'envoya  en 
ce  lieu,  avec  la  sainte  abbesse  Suzanne,  pour  reconnaître  l'endroit  le  plus 
propice  à  cet  édifice,  un  aigle  descendit  miraculeusement  du  ciel,  et,  s'ar- 
rêtant  dans  un  petit  espace  de  la  forêt,  il  voltigea  autour  un  temps  assez 


552  1"  JUILLET. 

assez  considérable,  sans  jamais  s'en  écarter,  pour  donner  à  connaître  que 
Dieu,  qui  avait  inspiré  au  saint  Prélat  le  dessein  de  cet  établissement,  vou- 
lait aussi  déterminer  le  lieu  de  sa  situation  et  comme  en  marquer  le  plan. 
Et  afin  que  ce  miracle  ne  passât  pas  pour  une  vision  chimérique,  ni  pour 
un  effet  du  hasard,  les  quatre  années  suivantes  on  vit,  au  jour  de  la  Nativité 
de  Notre-Seigneur,  un  semblable  oiseau  voltiger  tout  autour  et  sur  toute 
l'étendue  du  monastère,  que  le  saint  archevêque  dédia  depuis  en  l'honneur 
de  saint  Barthélémy. 

Saint  Thierry  ne  se  vit  pas  pins  tôt  en  possession  de  cette  abbaye  naissante, 
dont  il  fut  le  premier  religieux,  qu'il  fit  paraître  les  fruits  de  son  zèle  et  de 
son  éminente  samLoté.  Car,  suivant  les  mouvements  de  la  charité  de  Jésus- 
Christ  qui  le  pressait,  il  allait  dans  tous  les  lieux  d'alentour  pour  y  prêcher 
l'Evangile  et  pour  y  instruire  le  peuple  des  plus  importantes  maximes  du 
Christianisme  ;  il  gagna  de  la  sorte  beaucoup  d'âmes  h.  Dieu.  Il  est  vrai  que 
plusieurs  des  pénitents  se  contentèrent  de  se  remettre  dans  le  vrai  chemin 
de  la  vertu,  dont  ils  s'étaient  dévoyés  ;  mais  les  autres,  animés  du  désir 
d'une  plus  haute  perfection  et  d'une  grande  austérité,  résolurent  de  quitter 
leurs  maisons  et  leurs  familles,  de  renoncer  aux  richesses  et  à  toutes  les 
grandeurs  de  la  terre,  pour  suivre  un  si  généreux  capitaine  et  passer  le 
reste  de  leurs  jours  à  combattre  la  chair  et  le  démon  sous  ses  glorieux 
étendards.  On  remarque,  entre  autres,  saint  Théodulphe,  autrement  Thion, 
d'une  naissance  fort  illustre,  qui,  après  avoir  imité  ses  vertus  et  passé  plu- 
sieurs années  dans  une  parfaite  mortification,  fut  trouvé  digue  d'être  son 
deuxième  successeur  dans  le  gouvernement  de  son  abbaye.  Mais  la  plus 
fameuse  conquête  de  notre  saint  Abbé  fut  celle  de  son  propre  père.  Il  lui 
toucha  si  vivement  le  cœur  par  ses  prières  ,  par  les  larmes  et  par  la 
force  de  ses  remontrances,  qu'il  le  gagna  tout  à  fait  à  Dieu,  et  lui  donna 
même,  à  sa  prière,  le  saint  habit  de  religieux  dans  son  monastère,  afin  que, 
dans  le  peu  de  temps  qu'il  lui  restait  à  vivre,  il  pût  faire  quelque  chose  pour 
l'expiation  de  ses  crimes.  Ainsi  ce  vieillard,  déjà  caduc,  de  voleur  qu'il  était 
anoaravant  devint  un  parfait  pénitent,  d'un  homme  débauché  un  saint  re- 
ligieux, et  d'un  esclave  du  démon  un  véritable  disciple  de  Jésus-Christ. 

Le  bruit  de  cette  rare  sainteté  de  Thierry  se  répandit  bientôt  dans  tout 
le  royaume  et  vint  même  jusqu'aux  oreilles  du  roi,  qui  portait  aussi  le  nom 
de  Thierry  et  était  un  des  quatre  fils  de  Clovis.  Ce  monarque  se  trouvait 
alors  attaqué  d'un  grand  mal  aux  yeux  :  il  était  menacé  de  perdre  tout  ài 
fait  la  vue,  sans  qu'on  y  pût  apporter  de  remède  ;  cela  lui  donnait  beau- 
coup de  tristesse  et  l'obligeait  aussi,  ne  voyant  plus  de  soulagement  à  espé- 
rer de  la  part  des  hommes,  de  mettre  toute  son  espérance  dans  la  bonté  de 
Dieu  et  le  secours  des  Saints.  Dans  cette  pensée,  il  résolut  d'envoyer  deux 
de  ses  officiers  vers  le  saint  abbé,  pour  le  prier  de  sa  part  de  venir  inces- 
samment à  la  cour.  Thierry,  qui  avait  toujours  préféré  les  douceurs  de  sa 
solitude  à  toutes  les  grandeurs  du  monde,  crut  néanmoins  qu'il  était  de  son 
devoir  de  la  quitter  en  cette  rencontre  pour  obéir  à  son  souverain.  Il  partit 
donc  aussitôt  de  son  monastère  et  se  rendit  auprès  du  roi  ;  celui-ci  le  reçut 
avec  de  grands  honneurs  et  lui  raconta  l'état  pitoyable  oti  il  était  réduit  ; 
il  lui  déclara  qu'il  ne  lui  restait  plus  d'espérance  que  dans  ses  prières  et 
ses  mérites,  et  le  conjura  de  ne  le  pas  abandonner  dans  une  extrémité 
où  toute  la  médecine  était  demeurée  impuissante  et  d'où  nulle  indus- 
trie humaine  n'était  capable  de  le  retirer.  A  ces  paroles,  notre  Saint,  qui 
était  tout  rempli  de  charité,  mais  qui  savait  d'ailleurs  que  les  miracles  sont 
les  ouvrages  de  la  main  toute-puissante  de  Dieu,  et  non  pas  de  la  fai- 


SAINT  THIERRY,    ABBÉ  DU   MONT-D'OR,   AU  DIOCÈSE  DE   REIMS.  553 

blesse  des  hommes,  se  prosterna  la  face  contre  terre  ;  et,  élevant  son  esprit 
au  ciel,  il  pria  pendant  un  temps  considérable.  Son  oraison  achevée,  il  se 
leva  et  trempa  l'extrémité  du  pouce  dans  un  peu  d'huile  consacrée  ;  puis, 
en  invoquant  le  nom  de  l'auguste  Trinité,  il  l'appliqua  en  forme  de  croix 
sur  les  yeux  du  roi,  qui  reçut  au  même  moment  une  parfaite  guérison  et 
recouvra  entièrement  la  vue. 

Aussi  ne  fut-il  pas  ingrat  pour  un  bienfait  si  extraordinaire  ;  il  rendit 
mille  actions  de  grâces  à  Dieu,  et  remercia  ensuite  chaleureusement  celui 
qui  lui  avait  obtenu  une  faveur  si  considérable.  Toute  la  cour  témoi- 
gna la  môme  reconnaissance,  et  le  peuple  poussait  des  acclamations  de  joie. 
Ces  marques  de  vénération  ne  firent  qu'augmenter  l'humilité  du  saint  Abbé. 
Car,  croyant  que  c'était  une  chose  trop  au-dessus  de  lui  de  porter  le  même 
nom  que  son  souverain,  il  le  changea  pour  en  prendre  le  diminutif,  et  ne 
voulut  plus  dans  la  suite  être  appelé  Thierry  ou  Théodoric,  mais  Théodo- 
rion.  Il  eut  encore  beaucoup  de  peine  à  souffrir  que  ce  monarque  lui  baisât 
les  mains  et  lui  demandât  sa  bénédiction  avant  son  départ.  Enfin,  après 
toutes  ces  cérémonies,  il  fut  reconduit  dans  son  monastère  ;  il  n'y  fut  pas 
plus  tôt  de  retour,  qu'il  vit  un  concours  extraordinaire  de  toutes  sortes  de 
malades  attirés  de  toutes  les  parties  de  la  chétienté  par  la  réputation  du 
fameux  miracle  qu'il  venait  de  faire.  Et  chose  admirable,  la  plupart  de  ces 
malheureux  furent  bien  payés  des  fatigues  de  leur  voyage  par  le  soulage- 
ment qu'ils  recevaient  à  leurs  maux.  Il  rendait  la  vue  aux  aveugles  ;  il  fai- 
sait parler  les  muets  ;  il  remettait  les  paralytiques  dans  le  libre  usage  de 
leurs  membres  ;  il  contraignait  les  démons  de  sortir  des  corps  des  possédés  ; 
en  un  mot,  il  n'y  avait  point  de  genre  de  maladie  qui  fût  à  l'épreuve  du 
pouvoir  miraculeux  qu'il  avait  reçu  du  ciel. 

L'historien  de  sa  vie  nous  rapporte  encore  un  grand  prodige  qu'il  fît  à 
la  cour.  Le  roi  faisait  une  estime  toute  particulière  de  la  piété  et  des  mé- 
rites de  saint  Rémi,  parce  que  c'était  lui  qui  avait  retiré  son  père,  Clovis, 
de  l'abîme  de  l'idolâtrie,  et  l'avait  amené  au  sein  de  l'Eglise  par  la  force  de 
ses  prières  et  par  ses  instructions.  Voyant  donc  un  jour  la  princesse  sa  fille, 
réduite  à  une  telle  extrémité  qu'elle  était  abandonnée  des  médecins,  il 
envoya  à  Reims  pour  prier  ce  saint  prélat  de  la  venir  visiter,  dans  l'espé- 
rance que,  s'il  voulait  seulement  la  toucher  de  ses  habits,  il  lui  rendrait  la 
santé  et  la  vie.  Mais  ce  grand  évêque  était  arrêté  lui-même  par  une  mala- 
die ;  il  ordonna  donc  à  Thierry,  dont  il  connaissait  parfaitement  la  vertu 
et  les  mérites,  d'y  aller  à  sa  place.  Le  saint  abbé,  ne  s'appuyant  point  sur 
ses  propres  mér'tes,  mais  sur  la  vertu  de  Dieu,  obéit  en  aveugle  à  son  pré- 
lat et  se  mit  en  devoir  de  partir.  A  peine  était-il  au  milieu  du  chemin,  qu'il 
fit  rencontre  d'un  courrier  qui  lui  dit  que  la  princesse  venait  de  mourir,  et 
que,  comme  elle  n'était  plus  en  état  de  recevoir  aucun  secours,  il  pouvait 
s'épargner  les  fatigues  du  reste  du  voyage.  Cette  triste  nouvelle  ne  fut  pas 
capable  d'arrêter  le  zèle  de  Thierry;  voulant  accomplir  le  commandement 
de  saint  Rémi,  il  ne  laissa  pas  de  passer  outre,  de  poursuivre  sa  route  jus- 
qu'à Metz,  où  la  cour  était  alors.  Etant  arrivé,  il  vint  d'abord  au  palais,  oti 
il  trouva  le  roi  et  la  reine  qui  pleuraient  amèrement  la  perte  d'une  fille 
pour  laquelle  ils  avaient  toujours  eu  beaucoup  de  tendresse.  Ayant  fait  son 
possible  pour  les  consoler  dans  leur  affliction,  il  passa  à  la  chambre  de  la 
défunte,  d'où  il  fît  retirer  tout  le  monde,  à  la  réserve  de  deux  ou  trois  per- 
sonnes à  qui  il  ordonna  de  rester  avec  lui.  S'étant  approché  du  cadavre, 
il  lève  les  mains  au  ciel  et  y  adresse  ses  prières  dans  toute  la  ferveur  de  son 
âme  ;  les  ayant  achevées,  il  prend  de  l'huile  sainte  dont  il  portait  toujours 


554  !•'  JuniET. 

une  petite  fiole  sur  lui  ;  et,  à  peine  en  a-t-il  touché  les  principaux  organes 
de  la  défunte,  qu'elle  reprend  le  mouvement,  ouvre  les  yeux,  recouvre  la 
parole,  et  s'écrie  tout  haut  qu'elle  est  ressuscitée  par  les  mérites  de  saint 
Thierry.  Le  bruit  d'un  si  insigne  miracle  se  répand  aussitôt  dans  tout 
le  palais  ;  le  roi  et  la  reine  accourent  pour  en  connaître  la  vérité  ;  ils  se 
jettent  aux  pieds  du  bienheureux  abbé  et  lui  rendent  leurs  actions  de  grâce  : 
toute  la  cour  demeure  suspendue  entre  l'admiration  et  la  joie,  et  le  peuple 
fait  paraître  la  sienne  par  les  applaudissements  et  les  honneurs  qu'il  vient 
en  foule  rendre  à  ce  grand  Saint.  Mais  le  roi,  qui  voulait  donner,  et  au  saint 
archevêque,  et  à  son  bienheureux  disciple,  des  marques  de  sa  gratitude  et  de 
sa  magnificence  royale,  fit  don  à  l'église  de  Reims  du  village  de  Vandières, 
assis  sur  la  Marne  ;  à  l'abbaye  de  Saint-Thierry,  de  celui  de  Gaugy,  situé  aux 
environs  de  Reims,  à  cette  seule  condition  qu'ils  joindraient  tous  deux  leurs 
prières  pour  obtenir  les  bénédictions  du  ciel  sur  sa  personne  et  sur  son 
royaume.  Au  reste,  il  y  a  beaucoup  d'apparence  que  cette  résurrection  mi- 
raculeuse de  la  fille  du  roi  précéda  la  guérison  de  ce  prince  dont  nous 
avons  parlé  ;  mais  nous  suivons  ici  l'histoire  de  Fiodoard,  qui  les  rapporte 
dans  cet  ordre. 

Si  saint  Thierry  fut  si  heureux  dans  la  cure  des  corps,  il  ne  le  fut  pas 
moins  dans  celle  des  âmes  ;  voici  un  des  plus  remarquables  efi'ets  de  son  zèle 
pour  le  salut  du  prochain.  Il  savait  que  des  femmes  débauchées  habitaient 
des  espèces  de  cavernes  pratiquées  dans  les  flancs  d'une  petite  montagne 
assez  proche  des  portes  de  Reims  ;  c'était  un  lieu  de  perdition  pour  beau- 
coup d'âmes.  Sa  pureté  angélique  ne  lui  permettait  pas  de  voir,  sans  une 
extrême  douleur,  ce  grave  dommage  porté  au  règne  de  Jésus-Christ  ;  il 
cherchait  de  jour  en  jour  le  moyen  d'en  avertir  saint  Rémi.  Le  saint  prélat, 
qui  estimait  et  aimait  beaucoup  Thierry,  le  visitait  souvent  dans  son  abbaye, 
pour  jouir  de  son  édifiante  conversation.  Un  jour  qu'ils  y  allaient  de  com- 
pagnie et  qu'ils  récitaient  leur  office  en  chemin,  comme  ils  vinrent  à  passer 
par  cette  montagne  de  malédiction,  notre  saint  Abbé,  y  faisant  réflexion, 
poussa  un  soupir  de  son  cœur  avec  tant  de  violence,  que  la  parole  lui  man- 
quant, il  ne  put  prononcer  le  verset  qu'il  devait  dire  à  son  tour.  Le  bon 
archevêque  n'y  prit  presque  pas  garde  à  cette  heure  ;  mais  comme  au 
retour  il  s'aperçut  que  la  même  chose  arriva,  il  en  fut  extrêmement  sur- 
pris et  ne  put  s'empêcher  de  lui  dire  :  «  Mon  cher  frère,  voici  quelque 
chose  de  bien  extraordinaire  que,  dans  un  même  jour  et  au  même  endroit 
du  chemin,  vous  soyez  deux  fois  demeuré  court  à  votre  office,  et  encore  au 
même  verset,  vous  qui  avez  toujours  pris  tant  de  plaisir  à  chanter  les  louan- 
ges du  Seigneur».  —  «  Il  est  vrai,  saint  Père  »,  répondit  notre  bienheureux 
Abbé  ;  «  aussi  cet  accident  ne  m'est  venu  que  de  l'extrême  douleur  où  m'ont 
jeté  d'horribles  désordres  ;  ils  se  commettent  ici  en  ce  lieu,  aux  portes  de 
votre  ville  métropolitaine,  et  l'on  n'y  apporte  aucun  remède  ».  Saint  Rémi 
se  fil  aussitôt  instruire  de  ces  désordres  et  les  arrêta  :  quelque  temps  après, 
ce  lieu  de  débauche  fut  changé  en  un  monastère  de  vierges  chrétiennes. 

On  remarque  encore  dans  la  vie  de  ce  saint  Abbé,  que,  toutes  les  fois 
que  le  roi  se  trouvait  en  ces  contrées,  il  ne  manquait  jamais  de  lui  témoi- 
gner sa  reconnaissance  des  grâces  qu'il  avait  reçues  du  ciel  par  ses  mérites, 
en  allant  aussi  lui  rendre  visite  dans  son  monastère  ;  c'est  peut-être  de  là 
qu'est  venue  pour  nos  rois  très-chrétiens  la  sainte  coutume  d'aller  au 
sépulcre  de  saint  Thierry,  et  de  dîner  dans  son  abbaye  le  lendemain  de  leur 
sacre. 

Du  reste,  ce  grand  Serviteur  de  Dieu  persévéra  jusqu'à  la  mort  dans  la 


SAINT  THIERRY,    ABBÉ   DU   MONT-D'OR,    AU  DIOCÈSE   DE   REIMS.  553 

perfection  monastique,  et  son  cœur,  parfaitement  dégagé  des  richesses  et 
des  grandeurs  de  la  terre,  n'aspira  jamais  qu'aux  biens  du  ciel  et  à  la  pos- 
session de  son  Dieu.  Il  n'y  a  point  de  vertu  dans  l'Evangile  dont  il  ne  mon- 
trât l'exemple  avant  de  les  prêcher  aux  autres  :  sa  charité  était  si  ardente, 
qu'en  quelque  endroit  qu'il  allât,  il  y  faisait  du  bien  à  tout  le  monde  ;  aussi 
les  merveilles  qu'il  opérait  dans  la  gnérison  des  malades  et  dans  la  con- 
version des  pécheurs  étaient  si  fréquentes,  qu'elles  lui  étaient  devenues 
comme  familières.  Enfin,  le  temps  arriva  auquel  il  devait  recevoir  la  récom- 
pense que  la  justice  de  son  Juge  réservait  à  ses  travaux  et  à  ses  mérites.  Il 
partit  donc  de  ce  monde  le  premier  jour  de  juillet,  l'an  533,  et,  si  nous  en 
croyons  le  premier  qui  a  écrit  son  histoire,  sa  belle  âme  fut  enlevée  dans  le 
ciel  par  le  ministère  des  anges. 

Le  roi  ayant  reçu  la  nouvelle  de  sa  mort,  en  fut  sensiblement  touché  ;  il 
se  mit  aussitôt  en  route  avec  la  principale  noblesse  de  sa  cour,  pour  venir 
honorer  la  pompe  funèbre  de  sa  présence  royale  ;  et  pour  donner  les  der- 
nières marques  de  son  respect  et  de  sa  gratitude  envers  cet  illustre  abbé, 
il  voulut  le  porter  lui-même  au  tombeau,  se  faisant  assister  de  trois  prélats 
d'une  sainteté  éminente  :  de  saint  Nicet,  archevêque  de  Trêves  ;  de  saint 
Hespert,  évêque  de  Metz,  et  de  saint  Loup,  évoque  de  Soissons,  sans  per- 
mettre qu'aucun  autre  touchât  à  son  cercueil.  Après  la  cérémonie,  il  de- 
manda à  Dieu  que  ses  saintes  dépouilles  ne  fussent  jamais  levées  de  terre 
qu'en  présence  et  par  le  ministère  d'un  roi  ;  ce  que  Dieu  lui  a  accordé. 

On  le  représente  :  i"  ayant  près  de  lui  un  aigle  qui  lui  désigne  l'emplace- 
ment du  monastère  qu'il  devait  fonder  ;  2°  guérissant  le  roi  Thierry,  me- 
nacé de  perdre  un  œil. 

Il  est  le  patron  de  Reims. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

L'archevêque  Adalbéron,  voulant  tirer  les  reliques  de  saint  Thierry  du  sépulcre,  vers  l'an  976, 
pour  les  placer  en  un  lieu  plus  éminent  et  dans  une  châsse  d'argent,  il  fut  impossible  de  les  remuer 
jusqu'à  ce  qu'un  religieux  du  lieu,  ayant  donné  avis  de  la  demande  que  le  roi  Thierry  avait  autre- 
fois faite  à  Dieu  et  dont  il  semblait  qu'on  voyait  l'accomplissement,  ce  prélat  alla  supplier  le  roi 
Lolhaire  de  vouloir  bien  se  trouver  à  cette  translation.  Ce  prince  agréa  celte  prière;  et,  pour  ren- 
dre même  la  cérémonie  plus  auguste,  il  voulut  que  la  reine  Erame,  sa  femme,  et  fille  de  Lothaire  II, 
roi  d'Italie,  y  assistât  avec  lui.  Ainsi,  le  roi  et  la  reine,  pleins  d'humilité  et  de  foi,  mirent  la  main 
au  sépulcre  du  Samt,  qu'ils  levèrent  sans  nulle  difficulté  pour  le  mettre  dans  la  place  qui  lui  était 
deslinée. 

Le  tombeau  de  saint  Thierry  a  toujours  été  une  source  de  miracles.  Les  fidèles  le  visitent  avec 
beaucoup  de  dévotion,  à  l'inntation  de  nos  rois  très-chrétiens,  qui  ne  mani]uenl  pas  d'y  aller, 
comme  nous  avons  dit,  après  qu'Us  ont  reçu  l'onction  sacrée  dans  la  cathédrale  de  Reims.  Flodoard 
raconte  qu'une  pauvre  femme  ayant  eu  la  témérité  de  travailler  un  samedi  au  soir,  auquel  com- 
mençait en  ce  temps-là  la  solennité  du  dimanche,  l'instrument  qu'elle  tenait  s'attacha  si  fortement 
à  sa  main  qu'il  était  impossible  de  l'en  séparer.  Le  regret  de  sa  faute  et  la  honte  de  son  châtiment 
la  firent  avoir  recours  à  saint  Denis,  dont  les  reliques  avaient  été  transportées  à  Reims  par  la 
crainte  des  Barbares;  mais,  durant  sa  prière,  ce  grand  Saint  lui  apparut  avec  un  visage  tout  joyeux 
et  lui  commanda  d'aller  au  tombeau  de  saint  Thierry,  où  il  l'assurait  qu'elle  serait  délivrée  de  cette 
incommodité.  En  effet,  après  qu'elle  y  eut  passé  la  nuit  en  oraison ,  le  bois  qui  était  attaché  à  sa 
main  tomba  de  lui-même  et  la  laissa  libre  :  ce  qui  fut  vu  de  plusieurs  personnes  qui  étaient  pré- 
sentes. 

En  1632.  l'évêque  de  Châlons  fit  à  Reims  la  translation  du  corps  de  saint  Thierry  dans  une 
nouvelle  châsse  d'argent  doré,  en  présence  de  la  reine  d'Autriche ,  qui  était  logée  dans  la  maison 
abbatiale  de  Saint-Thierry.  Cette  abbaye  fut  réunie  à  l'archevêché  de  Reims  en  1G96  et  supprimée 
en  me.  Quant  aux  reliques,  elles  furent  renfermées  dans  une  châsse  de  cuivre  doré,  en  1777,  et 
transférées  dans  l'église  de  Saint-Thierry,  où  elles  se  trouvent  encore. 

Billy,  conseiller  et  aumônier  du  roi  et  abbé  de  Saint-TIiierry,  a  donné  la  vie  de  ce  saint  Abbé  qu'il  a 
dédiée  à  la  reine  Anne  d'Autriche  ;  Flodoard  l'a  également  écrit*. 


536  i"  JUILLET. 


SAINT  CALAIS  OU  KARILEF, 

PREMIER   ABBÉ   D'ANISOLE,   DANS   LE  MAINE 
645.  —  Pape  :  Vigile.  —  Roi  de  France  :  Childebert  I»'. 


Fuge  homînem  et  ssculi  rumores,  quia  non  potes  sa- 
tis  esse  Deo  et  hominibtis. 

Fuyez  les  hommes  et  le  bruit  du  siècle  :  vous  no 
pouvez  satisfaire  à  la  fois  Dieu  et  les  hommes. 
S.  Bonav.,  in  Alphabet,  religiosor. 

Calais  était  né  au  pays  des  Arvernes,  de  parents  qui  occupaient  dans  le 
monde  un  rang  très-distingué,  et  qui  servaient  Dieu  avec  une  grande  fer- 
veur. Parvenu  à  l'âge  convenable  aux  études,  il  fut  envoyé  au  monastère  de 
Menât,  au  diocèse  de  Clermont,  peu  éloigné  du  lieu  de  sa  naissance,  pour 
y  faire  son  éducation.  Là,  les  leçons  et  les  exemples  d'une  florissante  com- 
munauté le  formèrent  bientôt  à  la  piété  et  à  la  science.  Comme  les  qualités 
précieuses  qu'il  avait  montrées  tout  d'abord  avaient  prévenu  tous  les  moines 
en  sa  faveur,  chacun  s'empressait  de  hâter  ses  progrès  dans  les  études  et  de 
le  faire  avancer  dans  la  vertu.  Il  y  avait  du  reste,  dans  le  monastère  de  Me- 
nât, une  brillante  école,  et  plusieurs  moines  s'y  distinguaient  à  la  fois  par 
leu r  expérience  dans  les  voies  spirituelles,  et  par  leur  habileté  dans  les  lettres. 

Calais  craignit  les  applaudissements  que  lui  attiraient  ses  grandes  qua- 
lités, il  redoutait  surtout  le  séjour  d'un  pays  où  ses  proches  étaient  riches 
et  honorés.  Déjà  il  s'était  consacré  à  Dieu  dans  le  monastère  de  Menât, 
mais  il  recherchait  une  plus  complète  solitude.  Un  jour  il  manifesta  le  désir 
qu'il  éprouvait  à  Avit,  moine  du  même  monastère,  et  auquel  la  grâce  avàît 
inspiré  une  pensée  semblable. 

Avit  avait  conçu  comme  Calais  un  vif  désir  de  la  solitude.  Charmés  de  se 
rencontrer  dans  une  même  pensée,  ils  cherchèrent  à  connaître  aussitôt  la 
volonté  du  ciel,  dans  leur  impatience  d'exécuter  l'inspiration  qu'ils  croyaient 
en  avoir  reçue.  Suivant  un  usage  fort  commun  dans  ces  temps-là,  et  que 
pratiquaient  même  les  plus  graves  personnages,  ils  ouvrirent  les  saints 
Evangiles  pour  y  trouver  la  réponse  à  leur  doute.  «  Celui  qui  aime  son  père, 
ou  sa  mère,  ou  ses  frères,  ou  ses  sœurs,  plus  que  moi,  n'est  pas  digne  de 
moi».  Telles  furent  les  paroles  qui  se  présentèrent  les  premières  à  leurs 
yeux  ;  ils  crurent  y  voir  une  confirmation  de  leur  dessein,  et  ils  se  dispo- 
sèrent à  partir  du  monastère  la  nuit  suivante. 

Avit  s'empressa  de  rassembler  aussitôt  les  clefs  des  différents  offices  qui 
lui  avaient  été  confiés,  et  il  les  plaça  doucement  sous  le  chevet  de  son  abbé, 
pendant  le  sommeil  de  la  communauté,  puis  il  se  mit  en  chemin  avec  son 
jeune  compagnon  ;  car  saint  Calais  était  beaucoup  moins  âgé  que  lui.  Après 
une  longue  marche,  ils  arrivèrent  sur  les  bords  de  la  Loire,  passèrent  le 
fleuve  sur  une  barque  et  gagnèrent  l'un  des  faubourgs  d'Orléans. 

Ils  ne  tardèrent  pas  à  entendre  parler  de  saint  Maximin  et  du  monas- 
tère qu'il  dirigeait  à  peu  de  distance  de  cette  ville.  Sous  la  conduite  de  ce 
saint  abbé,  celte  nouvelle  communauté  était  devenue  très-florissante  ;  les 
saintes  psalmodies,  une  étude  continuelle,  et  le  travail  des  mains  faisait 


SAINT  CALAIS   OU   KARILEF,   PREMIER   ABBÉ  d'aNISOLE.  557 

toute  roccupation  des  moines  qui  la  composaient.  Tel  était  le  monastère  de 
Micy  où  furent  formés,  aux  vertus  du  cloître,  un  si  grand  nombre  de  reli- 
gieux qui  cherchèrent  ensuite  un  profonde  solitude  dans  le  diocèse  du 
Mans.  Maximin  reçut  avec  bonté  les  deux  moines,  et  les  engagea  à  de- 
meurer dans  les  cellules  qu'il  venait  de  construire.  Nos  saints  donnèrent 
dans  ce  monastère  l'exemple  de  toutes  les  vertus,  et  y  firent  de  nouveaux 
progrès  dans  la  perfection. 

Mais  personne  n'apprécia  mieux  leur  mérite  que  saint  Maximin,  qui  eut 
soin  de  les  faire  ordonner  prêtres  tous  les  deux.  Il  s'attacha  même  à  Calais, 
et  il  le  gardait  presque  toujours  auprès  de  lui. 

Cependant  les  deux  saints  amis  ressentaient  toujours  le  besoin  de  cette 
solitude,  qui  les  avait  portés  à  s'enfuir  de  Menât.  Pour  obéir  à  cette  inspi- 
ration, ils  se  retirèrent  d'abord  dans  l'une  des  parties  les  plus  désertes  de  la 
Sologne,  et  s'y  bâtirent  des  cellules  de  branches  d'arbre.  Ils  y  passèrent 
plusieurs  années  dans  les  exercices  de  la  plus  austère  pénitence,  et  de  la 
plus  douce  contemplation.  Ils  se  retirèrent  ensuite  dans  les  vastes  déserts 
du  Perche.  Après  avoir  parcouru  un  assez  grand  espace  de  terrain  boisé,  ils 
arrivèrent  presque  à  l'extrémité  de  ces  forêts,  dans  le  pays  des  Cénomans. 
Ayant  trouvé  près  de  la  petite  rivière  de  la  Braye  un  lieu  propre  à  leur  des- 
sein, ils  s'y  arrêtèrent. 

Ils  y  construisirent  un  petit  oratoire  en  l'honneur  de  saint  Pierre,  et 
quelques  cellules  pour  eux-mêmes  et  pour  un  petit  nombre  de  disciples  qui 
les  avaient  suivis.  Ils  y  restèrent  quelque  temps;  mais  ayant  bientôt  été 
connus  et  visités  par  les  habitants  du  pays  d'alentour,  ils  rentrèrent  dans 
l'épaisseur  de  la  forêt  en  retournant  du  côté  du  Perche. 

En  parcourant  ces  bois,  ils  rencontrèrent  un  endroit  fertile  qui  portait 
le  nom  de  Piciacus  (Piciac),  et  qui  s'appelle  aujourd'hui  Saint-Avit*.Le  Sei- 
gneur fît  jaillir  miraculeusement  en  ce  lieu  une  source  pour  étancher  la 
soif  de  ses  serviteurs;  Calais  bâtit  un  petit  mur  pour  protéger  cette  fontaine, 
et  plus  tard  la  piété  des  fidèles  y  fît  élever  une  construction  plus  importante. 
Ayant  adopté  cet  emplacement  comme  désigné  par  la  Providence,  Calais  et 
Avit  y  établirent  leurs  cellules. 

Cependant,  l'odeur  de  leur  sainteté  se  répandait  de  plus  en  plus,  et  le 
bruit  des  œuvres  et  de  la  vie  vertueuse  de  ces  anachorètes  parvint  jusqu'aux 
oreilles  du  roi  Childebert  I".  Ce  prince  fit  bâtir  pour  Avit,  Calais  et  leurs 
compagnons,  une  basilique  et  un  monastère  qu'il  dota  avec  une  magnifi- 
cence royale.  Ce  monastère  fut  depuis  connu  sous  le  nom  de  Saint- Avit- de- 
Châteaudun  ;  on  y  suivit  d'abord  l'Institut  de  saint  Paul  et  de  saint  Antoine. 
Il  devint  bientôt  florissant  par  le  nombre  de  moines  qui  y  accoururent  pour 
servir  Dieu  sous  la  conduite  de  l'abbé  Avit. 

Deux  hommes  d'une  aussi  éminente  sainteté  ne  devaient  pas  rester  dans 
un  même  monastère,  et  comme  il  entrait  dans  les  vues  secrètes  de  la  Pro- 
Tidence  de  multiplier  ces  pieux  asiles  dans  le  diocèse  du  Mans,  les  deux 
saints  abbés  durent  se  séparer.  Toujours  unis  par  les  liens  de  la  plus  étroite 
amitié,  Avit  continua  à  demeurer  dans  le  nouveau  cloître,  tandis  que  Calais, 
ayant  avec  lui  Daumère  et  Gall,  tourna  ses  pas  vers  le  pays  des  Cénomans. 
Il  vint  en  un  lieu  nommé  par  les  anciens  Casa-Gaïani,  situé  dans  le  canton 
deLavardin,  arrosé  par  la  rivière  à.'Anisola,  l'Anille,  et  alors  au  milieu  d'une 
profonde  solitude.  Cette  retraite  lui  plut ,  et  il  s'y  arrêta  avec  ses  compa- 

1.  Dans  le  Dunois,  au  diocèse  de  Chartres,  canton  de  Bron,  près  du  lieu  oh  est  aujourd'hui  la  ville  do 
Châtcaudun.  On  donne  aussi  au  monastère  que  saint  Avit  bâtit  eu  ce  Ijeu  le  nom  de  Piciac.  —  Dom  Rivet, 
Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  m,  p.  266. 


558  !•*  JUILLET. 

gnons.  Ils  ne  tardèrent  pas  à  reconnaître  que  le  sol  était  très-fertile  ;  ils  y 
trouvèrent  aussi  une  fontaine  d'eau  vive  et  les  murailles  d'un  antique  édifice 
tombant  de  vétusté,  et  dont  les  ruines  encore  existantes  plusieurs  siècles  après, 
attestaient  l'importance  première.  Il  y  avait  aussi  tout  près  une  petite  vigne 
que  Calais  remarqua.  A  la  vue  d'une  demeure  si  bien  préparée  pour  leur 
retraite,  le  saint  abbé  et  ses  compagnons  n'eurent  point  d'abord  d'autre 
pensée  que  de  rendre  des  actions  de  grâces  à  Dieu,  et  de  lui  demander  qu'il 
leur  fût  donné  d'y  recueillir  pareillement  les  fruits  d'une  moisson  spirituelle. 
Après  une  première  nuit  entièrement  consacrée  à  la  prière,  ils  construi- 
sirent au  milieu  des  ruines,  en  entrelaçant  des  branchages,  un  oratoire  et 
des  cellules  pour  chacun  d'eux  ;  puis  ils  s'appliquèrent  à  cultiver  la  terre. 

Dieu  donna  bientôt  à  son  serviteur  un  signe  des  grandes  destinées  qu'il 
réservait  à  cette  nouvelle  solitude.  Un  jour  que  le  saint  abbé  travaillait  à 
la  culture  de  sa  vigne,  il  fut  contraint  par  l'ardeur  du  soleil  de  déposer  une 
partie  de  ses  habits,  et  il  les  suspendit  à  un  chêne  voisin.  Un  passereau  vint 
s'y  cacher,  et,  en  se  retirant,  y  laissa  un  œuf.  Calais  ayant  terminé  le  travail 
de  la  journée,  sur  le  soir,  vint  à  l'arbre  pour  y  reprendre  ses  habits  et  dé- 
couvrit l'œuf  du  petit  oiseau  :  cette  vue  lui  causa  le  joie  la  plus  vive,  et  il 
passa  la  nuit  à  louer  Dieu. 

Dès  que  le  jour  fut  venu,  ayant  pris  avec  lui  Daumère,  il  alla  trouver 
Avit  pour  le  consulter,  et  lui  faire  part  des  avantages  que  présentait  le  lieu 
qu'il  avait  découvert.  Dans  leur  pieuse  conférence,  Calais  raconta  au  saint 
l'événement  qui  l'avait  amené  près  de  lui.  Avit  écouta  son  récit  avec  une 
vive  émotion,  et  y  reconnut  un  signe  du  ciel,  puis  il  ajouta  :  «  0  mon  frère, 
persévère  dans  tes  travaux,  ces  promesses  ne  sont  point  vaines  ;  l'œuf  que 
l'oiseau  a  mis  au  jour  présage  les  abondantes  moissons  que  ce  lieu  doit 
produire  ;  sache  que  le  troupeau  du  Seigneur  qui  s'y  réunira  sera  beaucoup 
plus  nombreux  que  celui  qui  se  presse  autour  de  nous.  Les  habitants  de  ce 
lieu,  comme  de  vaillants  soldats,  consacreront  leur  vie  aux  exercices  du  Sei- 
gneur, et  après  les  triomphes  remportés  sur  la  chair.  Dieu  récompensera 
leurs  travaux  par  des  fruits  incorruptibles  ».  Ensuite  ils  passèrent  la  nuit 
en  de  saints  entretiens,  et  en  des  chants  à  la  louange  de  Dieu  ;  mais  dès  que 
le  jour  reparut.  Calais  reprit  le  chemin  de  sa  chère  solitude. 

La  sainteté  de  Calais  n'attirait  pas  seulement  autour  de  lui  les  petits 
oiseaux,  mais  encore  les  hôtes  les  plus  sauvages  du  désert  :  souvent  le  saint 
homme  était  visité  par  eux,  en  sorte  qu'il  semblait  désigné  spécialement 
par  ces  paroles  du  livre  de  Job  ;  «  Et  les  animaux  de  la  terre  seront  paci- 
fiques pour  toi  ». 

Souvent  un  buffle,  animal  déjà  rare  dans  ces  forêts,  venait  vers  le  ser- 
viteur de  Dieu,  courbait  devant  lui  sa  tête  énorme,  comme  s'il  eût  voulu 
l'adorer  ;  le  saint  abbé  approchait  sans  crainte,  promenait  ses  doigts  entre 
les  cornes  de  l'animal  sauvage,  sur  son  poil  épais,  sur  son  cou  musculeux. 

Le  roi  Ghildebert  et  la  reine  Ultrogothe  étaient  venus  avec  une  suite 
nombreuse,  passer  quelque  temps  dans  la  ferme  royale  de  Matovall,  voisine 
du  cloître  nouveau  bâti  par  Calais.  Pendant  que  le  roi  se  livrait  avec  les 
chefs  de  la  truste,  aux  exercices  qu'il  chérissait  par-dessus  tout,  la  chasse, 
la  pêche,  la  natation,  on  le  prévint  qu'un  buffle  se  trouvait  dans  le  désert 
voisin.  Aussitôt  il  ordonne  à  ses  piqueurs  de  préparer  tout  ce  qui  était  né- 
cessaire pour  la  poursuite  de  cette  bête,  parce  qu'il  voulait,  dès  le  jour 
suivant,  en  faire  la  chasse.  On  fît  tous  les  préparatifs  avec  la  plus  grande 
célérité,  et  le  lendemain,  dès  avant  l'aube,  le  roi  et  ses  compagnons  étaient 
à  la  recherche  de  l'animal.  Les  chiens  l'eurent  bientôt  découvert;  mais  la 


SAINT   CALAIS   OU  KARUEF,   PREMIER   ABBÉ  D'ANISOLB.  559 

buffle,  sur  le  point  d'être  surpris,  accourt  vers  le  saint  abbé,  et  se  réfugie 
près  de  lui  comme  dans  un  asile  assuré.  Cependant  les  chasseurs,  acharnés 
à  la  poursuite  et  dirigés  par  les  aboiements  des  chiens,  arrivent  à  la  cellule 
du  solitaire.  Ce  qui  les  frappe  tout  d'abord,  c'est  la  vue  de  l'homme  de 
Dieu  occupé  à  la  prière,  et  derrière  lui  l'animal  paisible,  mais  tremblant. 
Troublés  eux-mêmes  par  cette  rencontre  extraordinaire  et  inattendue,  ils 
n'osent  ni  frapper  la  bête,  ni  causer  la  moindre  peine  au  saint  homme.  Ce- 
pendant le  roi  étant  arrivé,  demande  la  cause  de  ces  retards,  et  accuse  ses 
compagnons  de  paresse  et  de  lâcheté.  Ils  répondent  qu'ils  ont  fait  leur  de- 
voir ;  pouvaient-ils  aller  plus  loin  ?  «  Nous  avons  trouvé  »,  disent-ils,  u  dans 
une  cabane  un  homme  qui  nous  est  inconnu,  et  l'animal  féroce  se  tenait 
comme  apprivoisé  près  de  lui.  Cet  homme  qui  dompte  ainsi  les  animaux  ne 
serait-il  pas  un  serviteur  de  Dieu  ?  Pouvions-nous  troubler  son  repos,  frap- 
per l'animal  qu'il  protège  ?»  A  ces  propos  le  roi  entre  en  fureur  :  «  Allons 
voir  »,  dit-il,  et  toute  la  chasse  se  dirige  vers  la  cellule  de  Calais, 

Arrivé  à  la  porte  de  l'humble  demeure,  et  apercevant  le  Saint  toujours 
occupé  à  sa  prière,  et  le  but'lle  près  de  lui,  Childebert  dit  avec  fureur  :  «  D'oti 
te  vient,  inconnu,  tant  de  présomption  et  tant  d'audace  ?  Oses-tu  bien,  sans 
ma  permission,  envahir  des  forêts  qui  sont  à  moi,  et  entraver  ainsi  le  plaisir 
de  ma  chasse  par  ton  importune  présence  ?  »  Calais  n'opposa  que  de  la  dou- 
ceur à  cette  fougue  :  «  Ce  n'est  point  pour  vous  braver,  excellent  prince  », 
dit-il,  «  ni  pour  mettre  obstacle  à  vos  chasses  que  nous  sommes  venus  ici, 
mais  pour  servir  Dieu  avec  plus  de  dévouement  ».  Le  roi,  trop  irrité  pour 
entendre,  ajouta  :  «  Je  t'enjoins  de  t'éloigner  d'ici,  toi  et  tes  compagnons; 
prends  garde  qu'aucun  de  vous  ne  s'y  rencontre  désormais  ».  Calais,  sans 
s'émouvoir,  répondit  :  «  Nous,  vos  serviteurs,  illustre  roi,  nous  avons  re- 
cueilli quelque  peu  de  vin,  produit  d'une  petite  vigne  que  nous  avons 
trouvée  ici,  et  que  nous  cultivons  de  nos  mains  ;  que  votre  Sérénité  nous 
fasse  la  grâce  d'en  boire,  afin  qu'elle-même  et  les  personnes  qui  l'accom- 
pagnent puissent  plus  gaiement  retourner  au  palais  ».  La  fureur  du  prince 
l'avait  rendu  sourd,  il  se  détourna  et  lança  son  cheval  dans  la  route  qui 
devait  le  conduire  au  domaine  royal. 

Dieu  fit  un  prodige  pour  consoler  ses  serviteurs  et  éclairer  le  prince 
barbare.  Tout  à  coup,  au  moment  où  Childebert  presse  son  cheval  pour  le 
faire  marcher  avec  la  plus  grande  vitesse,  l'animal,  frappé  d'une  stupeur 
soudaine,  s'arrête,  et  l'éperon  devient  impuissant  sur  lui.  Le  roi  étonné  de- 
mande à  ses  compagnons  quelle  peut  en  être  la  cause  ;  l'un  d'eux  lui  dit  : 
«  Cet  homme  que  nous  avons  accablé  d'injures  et  d'outrages  est  un  servi- 
teur de  Dieu,  et,  si  mes  pensées  ne  me  trompent  pas,  le  Seigneur  accorde 
cette  merveille  à  ses  vertus  ;  c'est  parce  que  vous  l'avez  injustement  traité 
qu'il  vous  est  interdit  de  poursuivre  votre  route  ».  Cet  avis  parut  sage,  le 
roi  y  applaudit,  et  envoya  quelqu'un  de  la  troupe  vers  le  serviteur  de  Dieu. 
Le  messager  ayant  exposé  à  Calais  l'accident  qui  venait  d'arriver  au  roi,  le 
Saint  rendit  grâces  à  Dieu  et  dit  à  l'envoyé  :  «  Allez,  mon  fils,  dites  au  roi 
de  revenir,  et,  comme  il  est  sorti  d'ici  sans  notre  bénédiction  et  plein  de 
courroux,  qu'il  vienne  recevoir  la  bénédiction  de  Dieu  par  l'entremise  de 
son  serviteur,  et  il  regagnera  ensuite  son  palais  sans  aucune  mésaventure  ». 
Cet  ordre  fut  aussitôt  porté  à  Childebert,  qui,  sans  retard  et  avec  une  com- 
plète docilité,  vint  se  jeter  aux  pieds  du  Saint,  et,  se  frappant  la  poitrine, 
fit  l'aveu  de  ses  torts. 

Calais  montra  autant  de  douceur  que  le  roi  faisait  paraître  d'humilité, 
il  le  releva,  le  serra  dans  ses  bras  et  l'exhorta  à  se  préserver  désormais  de 


560  1"  JUILLET. 

semblables  emportements.  Childebert  demanda  le  premier  de  ce  vin  qu'il 
avait  refusé,  et  Calais  lui  en  offrit  de  sa  main.  Le  roi  en  but  et  tous  ses  com- 
pagnons également  ;  mais,  chose  merveilleuse  1  quoique  Childebert  et  tous 
les  siens  eussent  bu  à  discrétion  et  que  la  coupe  fût  petite,  le  vin  ne  se 
trouva  point  diminué. 

Childebert  dit  encore  à  Calais  avant  de  se  retirer  :  «  Maintenant  je  suis 
sûr,  ô  le  meilleur  des  hommes,  que  vous  êtes  un  vrai  serviteur  de  Dieu  et 
qu'il  exauce  vos  prières  ;  c'est  pourquoi  je  demande  que  vous  vous  rendiez 
à  mes  vœux  en  acceptant  dans  ce  domaine  qui  m'appartient,  une  portion 
de  terrain  aussi  étendue  que  vous  le  jugerez  convenable,  afin  d'y  construire 
un  monastère  que  le  Christ  bénira  ».  L'homme  de  Dieu  résista  longtemps  à 
cette  offre,  mais  le  roi  insista  et  Calais  dut  se  rendre.  Toutefois,  il  déclara 
qu'il  n'accepterait  point  un  plus  grand  espace  de  terre  que  celui  dont  il 
ferait  le  tour,  en  voyageant  sur  son  âne  pendant  une  journée  *. 

Childebert  demanda  la  bénédiction  du  serviteur  de  Dieu  et  se  dirigea 
vers  son  palais.  Quand  il  eut  revu  Ultrogothe,  et  qu'il  l'eut  instruite  de  ce 
qui  venait  de  se  passer  et  des  promesses  qu'il  avait  faites  au  saint  homme, 
elle  s'associa  à  ses  bons  desseins  et  le  pressa  de  les  exécuter. 

Calais  se  réjouissait  moins  de  ces  avantages  temporels  pour  ce  qui  le 
regardait  personnellement,  que  parce  qu'ils  le  mettaient  à  même  de  sou- 
lager les  pauvres  et  les  voyageurs.  Mais  bientôt  la  Providence  lui  fît  con- 
naître par  un  nouveau  signe  qu'un  grand  monastère  devait  s'établir  en  ce 
lieu-là.  Un  jour  qu'il  travaillait  seul  à  remuer  la  terre  avec  son  boyau,  car 
la  communauté  manquait  encore  de  charrue,  pendant  que  les  frères  se 
reposaient,  il  découvrit  un  trésor.  Cette  rencontre  lui  offrit  l'occasion  de 
porter  tous  ses  disciples  à  louer  Dieu,  et  de  leur  donner  de  nouveaux  encou- 
ragements à  la  perfection.  Du  reste,  il  leur  fournissait  lui-même  l'exemple 
de  toutes  les  vertus  ;  il  était  très-libéral  dans  ses  aumônes,  très-fervent  dans 
les  jeûnes,  infatigable  dans  les  veilles  ;  ses  oraisons  et  ses  austérités  faisaient 
l'admiration  de  tous.  La  terre  elle-même  produisait  des  fruits  à  son  com- 
mandement et  sans  culture  ;  mais  ce  que  l'on  admirait  surtout,  c'était  de 
voir  le  buffle,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  obéir  docilement  à  sa  voix. 

Tant  de  merveilles  ne  purent  rester  longtemps  cachées  aux  habitants  du 
voisinage.  Sept  familles  fort  pauvres  habitaient  assez  près  des  cellules  de 
Calais  et  de  ses  compagnons;  leurs  chefs  vinrent  s'adresser  au  saint  abbé. 
Il  soulagea  leur  indigence,  en  leur  faisant  part  d'une  partie  du  trésor  qu'il 
avait  découvert,  et  ceux-ci  en  retour  aidèrent  les  moines  dans  la  construc- 
tion d'un  plus  vaste  monastère,  et  ils  contractèrent  même  envers  les  reli- 
gieux des  liens  de  vasselage ,  auxquels  leurs  descendants  se  montraient 
encore  fidèles  plusieurs  siècles  après. 

Lorsque  la  basilique  de  la  nouvelle  abbaye  eut  été  construite,  elle  fut 
consacrée  sous  l'invocation  de  saint  Pierre  et  de  saint  Martin. 

La  reine  Ultrogothe  désirait  depuis  longtemps  voir  le  saint  abbé.  Elle  lui 
envoya  quelques-uns  de  ses  officiers  pour  le  prier  de  la  venir  trouver  à  son 
palais  de  Matovall.  Calais  ne  se  rendit  pas  à  sa  demande  :  «  Allez,  mes  bons 
jeunes  gens  »,  dit-il  aux  envoyés  de  la  princesse,  «  et  rapportez  ces  paroles 
à  la  reine  :  «  Si  je  puis  quelque  chose,  je  prierai  pour  elle  ;  mais  qu'elle 
sache  que  tant  que  je  vivrai,  jamais  je  ne  verrai  le  visage  d'une  femme,  et 
aucune  n'entrera  dans  le  monastère  que  j'ai  fondé  ».  —  «  Cette  Règle  », 

1.  Cette  manière  de  déterminer  les  limites  d'un  territoire  était  assez  fréquemment  usitée  pendant  les 
temps  mérovingiens;  on  en  voit  un  exemple  mémorable  dans  la  vie  de  saint  Rémi,  évêque  de  Reims.  — 
Flodoard,  Historia  Ecdesix  Remensis,  lib.  i,  c»p,  14. 


SAINT   C AXAIS   OU  KARILEF,   PREMIER   ABBÉ  D'ANISOLE.  561 

ajoute  le  biographe  de  notre  Saint,  «  a  été  par  la  grâce  du  Seigneur  invio- 
lablement  observée  dans  ce  monastère  jusqu'à  ce  jour,  c'est-à-dire  pendant 
plus  d'un  siècle  entier  ».  Pour  l'épouse  de  Childebert,  bien  qu'elle  ressentît 
de  la  peine  de  voir  son  projet  anéanti,  elle  admira  la  sagesse  du  serviteur  de 
Dieu,  et  craignit  même  de  l'avoir  inquiété. 

Ce  trait  n'a  rien  de  surprenant  de  la  part  de  Calais,  car  il  fuyait  la  société 
des  hommes,  et  ne  redoutait  rien  tant  que  leur  estime  ;  mais,  malgré  toutes 
ses  précautions  pour  cacher  ses  vertus,  et  les  trésors  que  le  ciel  avait  mis  en 
lui,  on  voyait  accourir  vers  sa  solitude  des  âmes  avides  de  contemplation  et 
de  science.  En  peu  de  temps,  des  chœurs  nombreux  de  moines  remplirent 
les  cloîtres  qu'il  avait  bâtis.  Il  leur  distribuait  à  la  fois,  et  la  doctrine  qui 
anime  les  âmes  dans  le  service  du  Seigneur,  et  la  science  qui  éclaire  les 
esprits.  Ces  leçons  du  saint  abbé  attirèrent  à  l'académie  qu'il  avait  fondée, 
de  son  vivant  môme,  une  réputation  de  savoir  et  de  piété  qui  se  répandit 
dans  toute  la  Gaule.  Les  pèlerins  de  l'ascétisme  et  des  lettres  se  dirigèrent 
dès  lors  vers  ce  monastère  devenu  promptement  fameux.  L'histoire  nous  a 
conservé  le  souvenir  d'un  des  plus  infatigables  amis  des  études  sacrées,  qui 
vint  séjourner  quelque  temps  dans  le  cloître  d'Anisole. 

Plusieurs  années  avant  la  mort  de  Calais,  l'existence  de  son  monastère 
fut  garantie  par  un  acte  royal,  qui  prouve  en  quelle  recommandation  l'il- 
lustre abbé  était  auprès  de  Childebert.  Pendant  un  séjour  que  le  roi  faisait 
dans  son  domaine  de  Matovall,  il  y  rassembla  un  plaid,  et  là  il  donna  la 
charte  de  fondation  du  monastère  d'Anisole.  Le  prince  commence  par 
déclarer  qu'il  obéit  à  la  coutume  des  rois  ses  prédécesseurs,  en  assurant  aux 
serviteurs  de  Dieu  une  demeure  paisible  ;  puis  il  dit  que  Calais,  venu  du 
pays  des  Arvernes,  lui  a  demandé  pour  lui  et  pour  ses  moines  un  lieu  oh  ils 
puissent  habiter  en  paix,  et  implorer  pour  le  monarque  et  son  peuple  la 
miséricorde  de  Dieu.  Comme  cette  demande  lui  a  paru  juste,  et  qu'il  a 
reconnu  d'ailleurs  la  sainteté  de  cet  homme  par  les  miracles  qu'il  opère,  il 
a  écouté  favorablement  sa  requête.  En  conséquence,  il  lui  a  accordé  dans 
le  domaine  fiscal  de  Matovall,  au  lieu  désigné  sous  le  nom  de  Casa-Gaîani, 
un  terrain  pour  y  bâtir  un  oratoire  et  une  celle  pour  lui  et  les  moines  qui 
viendront  ensuite,  ainsi  qu'un  hospice  pour  recevoir  les  pauvres,  et  cette 
aumône  il  l'a  faite  pour  le  soulagement  de  son  seigneur  et  père,  le  roi  Clovis. 
Après  avoir  énuméré  fort  au  long  les  lieux  qu'il  assigne  pour  limites  à  la 
dotation  de  l'abbaye  naissante,  il  déclare  qu'il  donne  toutes  ces  terres  à 
Calais  et  à  ses  moines  pour  tes  cultiver,  y  planter  et  y  construire  des  bâti- 
ments. Ainsi  il  prend  sous  sa  protection  et  défense  spéciale  l'homme  de 
Dieu,  tous  ses  moines  et  tous  leurs  biens.  «  Nous  ordonnons  par  ce  décret», 
ajoute-t-il  en  finissant,  «  que  nul  d'entre  vous,  nul  d'entre  vos  successeurs, 
ni  qui  que  ce  soit  d'entre  nos  féaux  ne  s'ingère  dans  les  affaires  de  ce  saint 
homme,  ne  diminue  les  biens  et  les  terres  que  nous  lui  accordons,  et  ne  lui 
nuise  en  quelque  chose.  Qu'on  le  laisse  au  contraire  jouir  en  paix  du  privi- 
lège qu'il  possède  sous  notre  patronage,  et  que  lui  assure  notre  autorité  ; 
qu'il  en  jouisse  non-seulement  lui,  mais  encore  ses  successeurs  ». 

Childebert  pouvait  avoir  encore  d'autres  motifs  dont  il  ne  parle  pas  dans 
cette  charte,  pour  accorder  une  dotation  aussi  magnifique  au  monastère 
fondé  par  Calais,  car,  quoiqu'il  soit  difficile  de  préciser  toutes  les  limites 
qui  y  sont  désignées  comme  bornant  le  domaine  de  l'abbaye,  il  faut  recon- 
naître qu'il  était  d'une  grande  étendue,  et  d'une  richesse  peu  commune. 
L'abbé  d'Anisole,  comme  nous  l'avons  dit,  appartenait  à  une  famille  puis- 
sante de  l'Auvergne,  et  l'ambitieux  roi  de  Paris,  qui  n'avait  point  abandonné 
Vies  des  Saints.  ~  Tome  VII.  36 


562  1"  JUILLET. 

ses  projets  sur  cette  province,  devait  s'y  ménager  toutes  les  intelligences  et 
toutes  les  sympathies. 

Le  monastère  d'Anisole  dès  son  origine  ne  dépendait  en  rien  de  Tévêque 
du  Mans  ;  mais,  étant  de  fondation  royale,  il  était  soumis  à  l'inspection  de 
l'archichapelain  du  palais.  Au  reste,  pour  la  discipline  régulière,  il  ne  rele- 
vait que  de  son  supérieur  régulier. 

Calais,  api'ès  une  longue  et  laborieuse  carrière,  comprit  que  l'heure  du 
repos  approchait  pour  lui.  Une  fièvre  violente  finit  d'épuiser  les  forces  de 
son  corps,  mais  son  âme  impatiente  de  s'unir  à  Dieu  n'éprouva  aucune 
défaillance,  et  la  prière  ne  quitta  point  ses  lèvres.  Ses  moines  se  pressaient 
en  foule  et  dans  une  grande  inquiétude  autour  de  lui  ;  il  les  avertit  que  sa 
mort  était  proche,  les  pria  de  se  souvenir  de  lui  dans  leurs  oraisons,  et  ajouta 
dans  un  suprême  effort  :  «  Mes  enfants,  mon  heure  dernière  est  arrivée, 
c'est  pourquoi,  je  vous  en  supplie,  n'oubliez  pas  vos  engagements  envers  le 
Seigneur;  soyez  inébranlables  dans  votre  foi,  préservez-la  de  tout  impur 
alliage  ;  suivez  les  préceptes  du  Christ,  que  la  charité  et  l'obéissance  s'unis- 
sent dans  votre  cœur  et  dans  vos  œuvres,  afin  non-seulement  d'éviter  les 
peines  de  l'enfer,  mais  encore  de  conquérir,  avec  l'aide  de  Dieu,  les  cou- 
ronnes triomphales  de  l'éternité  ».  Il  continua  ces  enseignements  comme 
un  dernier  adieu  qu'il  offrait  à  ses  frères,  et  rendit  enfin  son  âme  à  son 
Créateur,  le  1"  juillet,  vers  l'an  545. 

Après  avoir  donné  quelque  temps  à  leur  douleur,  les  moines  préparèrent 
la  sépulture  du  serviteur  de  Dieu,  et  l'inhumèrent  dans  la  basilique  qu'il 
avait  lui-même  construite.  Ce  lieu  devint  bientôt  célèbre  par  le  nombre  des 
miracles  qui  s'y  opérèrent.  Ne  pouvant  les  rapporter  tous,  le  biographe  de 
notre  Saint  s'est  contenté  de  donner  le  suivant. 

Nous  avons  dit  que  Calais,  suivant  un  usage  qui  se  pratiquait  alors  dans 
plusieurs  monastères  de  la  Gaule,  avait  interdit  aux  femmes  l'entrée  non- 
seulement  du  cloître,  mais  même  de  l'église.  Cette  Règle  fut  inviolable- 
ment  gardée  pendant  longtemps  dans  l'abbaye  d'Anisole.  Lorsque  saint 
Siviard  était  abbé  de  ce  monastère  et  qu'il  écrivait  la  vie  du  saint  fondateur, 
une  femme  nommée  Gunda,  qui  était  peu  réglée  dans  ses  mœurs,  résolut 
d'éprouver  si  le  Saint,  du  haut  du  ciel,  s'intéressait  encore  au  maintien  de 
cet  usage,  A  cet  effet,  elle  se  coupe  les  cheveux  et  se  déguise  sous  des  habits 
d'homme,  afin  de  pénétrer  ainsi  dans  le  cloître  sans  être  connue,  et  de 
tromper  les  serviteurs  de  Dieu.  Elle  choisit  le  moment  où  les  frères  venant 
à  l'office,  les  portes  de  la  basilique  étaient  ouvertes.  Déjà  elle  se  dirigeait 
vers  la  tombe  du  Saint,  regardant  de  côté  et  d'autre  avec  effronterie,  lors- 
que tout  à  coup  elle  se  sent  frappée  de  la  main  de  Dieu  ;  elle  perd  subite- 
ment la  vue,  et  le  démon,  s'emparant  d'elle,  fait  jaillir  de  sa  poitrine  des 
flots  d'un  sang  noir.  En  même  temps,  elL.  poussait  des  cris  si  horribles, 
qu'ils  attirèrent  l'attention  de  tous  ceux  qui  étaient  dans  l'église.  On  crut 
d'abord  que  c'était  un  homme  qui  venait  visiter  le  tombeau  du  Saint,  mais, 
quand  on  l'interrogea,  elle  fit  l'aveu  du  crime  qu'elle  venait  de  commettre. 
Ce  châtiment  infligé  par  le  ciel  à  l'impudente  présomption  de  cette  femme, 
produisit  un  salutaire  effet;  il  suffit  longtemps  pour  arrêter  les  personnes 
qui  auraient  été  tentées  de  prendre  une  semblable  liberté. 

On  représente  saint  Calais  :  1°  priant  dans  sa  solitude  ;  â"  creusant  la 
terre  et  y  trouvant  un  trésor  au  moment  oh  il  se  demandait  comment  il 
pourrait  nourrir  les  compagnons  de  sa  retraite  ;  3*  un  baril  à  la  main.  Ayant 
trouvé  le  roi  Childebert  dans  une  forêt  où  il  chassait,  le  Saint  voulut  lui 
verser  à  boire  par  manière  de  réjouissance  ;  un  petit  baril  suffit  pour  désal- 


SAINT  GAL  I",  MOINE  A  COURNON.  563 

térer  le  roi  et  les  chasseurs  qui  l'accompagnaient  ;  4°  avec  une  espèce  de  buffle 
s'abaissant  sous  sa  main.  La  bêle,  poursuivie  par  les  chasseurs  du  roi,  s'était 
réfugiée  près  de  la  cabane  où  vivait  notre  Saint  dans  un  bois  du  Maine.  Ce 
fut  ainsi  que  les  veneurs  découvrirent  la  retraite  du  solitaire  et  que  Chjlde- 
bert  lit  sa  connaissance. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

A  l'époque  de  l'invasion  des  Normands,  les  religieux  de  l'abbaye  de  Saint-Calais,  prévoyant  le 
triste  sort  réservé  à  leur  monastère,  transportèrent  à  Blois,  sous  la  sauvegarde  du  comte  Robert, 
le  corps  de  leur  illustre  fondateur.  Le  saint  abbé  obtint  bientôt  un  culte  spécial  sur  ce  nouveau 
théâtre  que  le  ciel  avait  destiné  à  sa  gloire.  Dès  l'an  874,  il  reposait  dans  un  oratoire  bâti  dans 
l'enceinte  même  du  château  et  dédié  sous  sou  nom.  En  1171,  l'archevêque  de  Sens,  Guillaume,  qui 
passa  depuis  à  l'archevêché  de  Reims,  et  qui  était  alors  légat  du  Pape  eu  France,  fit  l'ouverture 
du  tombeau  du  Saint,  à  Blois,  dont  le  comte  Thibaut,  son  frère,  gendre  du  roi  Louis  le  Jeune, 
était  le  seigneur.  11  en  ôta  une  partie  des  ossements,  dont  il  lit  la  translation  le  25  août  de  la 
même  année.  La  chapelle  du  château,  ou  l'église  dédiée  sous  le  nom  de  Saint-Calais,  était  alors 
desservie  par  des  moines  de  Saint-Benoit.  Elle  fut  depuis  réduite  en  prieuré  dépendant  de  l'abbaye 
de  Bourgmoyen,  qui  appartenait  aux  Chanoines  réguliers  de  la  même  ville.  En  1653,  l'évèque  de 
Chartres,  Jacques  Lescot,  ouvrit  aussi  la  châsse  de  saint  Calais  en  présence  de  Gaston,  duc  d'Or- 
léans, comte  de  Blois,  frère  du  roi  Louis  XIII.  Il  en  tira  quelques  reliques  consistant  en  une  partie 
considérable  de  son  crâne,  et  en  quelques  vertèbres  qui  furent  transportées  le  dimacche  21  sep- 
tembre, et  déposées  dans  l'abbaye  d'Anisole,  que  depuis  longtemps  l'on  ne  connaissait  plus  que  sous 
le  nom  de  Saint-Calais  qu'elle  conserve  toujours,  de  même  que  la  petite  ville  qui  s'y  est  formée. 
Outre  ces  reliques,  les  habitants  de  Saint-Calais,  au  commencement  de  la  Révolution,  demandèrent 
que  les  reliques  de  leur  patron,  qui  étaient  à  Blois,  leur  fussent  restituées,  et  les  obtinrent. 

Tiré  de  l'Histoire  de  l'Eglise  du  Mans,  par  le  R.  P.  Doin  Paul  PioUn,  bénédictin  de  la  Congrégation 
4«  France. 


SAINT  GAL  r,  MOINE  A  COURNON, 

ÉVÊQUE  dp:  CLERMONT  en  AUVERGNE 
SS3.  —  Pape  :  Vigile.  —  Roi  de  France  :  Childebcrt  I", 


Injurias  magna7iimxis  débet  parvipendere  et  a  memo- 
ria  repellere  ;  tune  in  mente  sua  quietus  erit. 

L'homme  magnanime  doit  faire  peu  d'attention  aux 
injures  et  les  chasser  de  sa  me'moire  ;  c'est  alors 
qu'il  jouira  de  la  paix  de  l'âme. 

s.  Antonin.,  d€  Ira. 

Saint  Gai,  né  vers  l'an  489,  eut  pour  patrie  la  ville  d'Auvergne,  connue 
depuis  sous  le  nom  de  Glermont.  George,  son  père,  était  issu  d'une  des 
Jûeilleures  maisons  de  la  province.  Léocadie,  sa  mère,  descendait  de  la 
famille  de  Vettius  Epagatus,  célèbre  Romain,  qui  versa  son  sang  à  Lyon 
pour  la  gloire  de  Jésus-Christ.  Ils  prirent  l'un  et  l'autre  beaucoup  de  soin 
de  l'éducation  de  leur  fils;  et  lorsqu'il  fut  en  âge  d'être  marié,  ils  pensèrent 
à  lui  faire  épouser  la  fille  d'un  sénateur,  qui  était  un  parti  fort  honorable. 

Mais  le  Saint  ne  se  prêta  point  à  leurs  arrangements  ;  animé  d'un  désir 
ardent  de  ne  vivre  que  pour  Dieu  dans  la  retraite,  il  s'enfuit  secrètement  de 
la  maison  paternelle.  Il  pria  l'abbé  du  monastère  de  CouruoQ,  à  trois  lieues 


564  i"  JUILLET. 

de  la  ville  de  Clermont,  de  le  recevoir  parmi  ses  religieux  ;  ce  qui  lui  fut 
accordé,  lorsqu'il  eut  obtenu  le  consentement  de  son  père.  Il  vit  arriver 
avec  joie  le  jour  où  il  renonça  à  toutes  les  vanités  mondaines  pour  embras- 
ser la  pauvreté  monastique. 

On  le  remarqua  bientôt,  entre  tous  les  autres,  à  son  zèle  pour  la  morti- 
fication et  à  sa  ferveur  dans  tous  les  exercices  de  la  communauté.  Sa  piété 
et  la  douceur  de  sa  voix  dans  le  chant  des  psaumes  charmaient  tous  ceux 
qui  le  voyaient  et  l'entendaient  au  chœur.  Saint  Quintien,  évoque  de  Cler- 
mont, voulut  se  l'attacher  et  l'ordonna  diacre.  Il  lui  enseigna  lui-même  la 
théologie  et  fut  son  directeur  dans  la  vie  spirituelle. 

Quelque  temps  après,  Thierri,  roi  d'Austrasie,  obligea  Quintien  à  le  lui 
céder.  Il  le  fit  venir  à  sa  cour,  et  l'y  retint  jusqu'à  l'an  527.  Ayant  un  jour 
accompagné  le  roi  à  Cologne,  notre  Saint  vit  avec  douleur  les  superstitions 
du  peuple,  et  les  abominations  qui  se  commettaient  dans  un  temple  consa- 
cré aux  divinités  païennes.  Le  zèle  qu'il  avait  pour  la  gloire  de  Dieu  ne  put 
souffrir  ces  impiétés,  de  sorte  que  la  nuit  suivante,  n'étant  accompagné 
que  d'un  clerc,  il  alla  mettre  le  feu  au  temple  alors  désert.  Les  païens  en 
voyant  la  famée  s'élever  jusqu'au  ciel,  accoururent  en  toute  hâte  éteindre 
l'incendie.  Saint  Gai  se  réfugia  dans  le  palais  du  roi  ;  mais  les  idolâtres  l'y 
poursuivirent,  se  plaignirent  au  roi  et  lui  demandèrent  justice  pour  le  tort 
qu'on  leur  avait  fait.  Le  roi,  ayant  su  ce  qui  s'était  passé,  apaisa  les  mécon- 
tents par  des  paroles  pleines  de  douceur.  Cependant  saint  Gai  ne  fut  satis- 
fait qu'à  demi  de  ce  qu'il  avait  fait,  et  il  se  reprocha  bien  des  fois  depuis, 
et  toujours  les  larmes  aux  yeux,  la  timidité  qui  l'avait  fait  fuir  devant  ceux 
qui  le  poursuivaient,  et  qui  l'avait  empêché  de  répandre  son  sang  pour 
Jésus-Christ  en  cette  occasion.  Le  saint  évêque  d'Auvergne  étant  mort,  le 
peuple  lui  demanda  saint  Gai  pour  pasteur,  et  il  eut  enfin  la  satisfaction  de 
l'obtenir.  L'humilité,  la  douceur,  la  charité  et  le  zèle  du  nouvel  évêque 
brillèrent  du  plus  vif  éclat. 

On  admirait  surtout  sa  patience  à  supporter  les  injures.  Un  homme 
brutal  lui  ayant  déchargé  un  coup  sur  la  tête,  il  souffrit  en  silence  l'affront 
qu'on  lui  faisait,  et  désarma,  par  sa  douceur,  celui  qui  l'avait  insulté.  Evode, 
qui  de  sénateur  était  devenu  prêtre,  s'oublia  un  jour  au  point  de  lui  parler 
de  la  manière  la  plus  indigne  :  le  Saint  se  leva  tranquillement  sans  rien  lui 
répondre  ;  il  traita  son  ennemi  avec  bonté,  et  s'en  alla  visiter  les  églises  de 
la  ville.  Evode  fut  si  touché  d'une  telle  conduite,  qu'il  se  jeta  aux  pieds  du 
Saint,  au  milieu  de  la  rue,  et  lui  demanda  pardon.  Depuis  ce  temps-là,  ils 
vécurent  toujours  dans  une  parfaite  intelligence. 

Saint  Gai  travailla  au  salut  de  ses  peuples  avec  beaucoup  de  zèle  et  de 
vigilance  dans  tout  le  cours  de  son  épiscopat.  Il  se  trouva,  autant  qu'il  lui 
fut  possible,  à  toutes  les  assemblées  que  tinrent  les  évêques  du  royaume 
pour  maintenir  la  pureté  de  la  foi,  et  rétablir  la  bonne  discipline  dans 
l'Eglise.  Il  s'en  tint  une  dans  sa  ville  en  533,  que  l'on  appelle  communé- 
ment le  concile  d'Auvergne,  où  on  lui  donne  le  premier  rang  après  le  mé- 
tropolitain qui  était  Honorât,  évêque  de  Bourges.  Ne  pouvant  assister  au 
troisième  d'Orléans,  que  l'on  assembla  trois  ans  après,  il  y  députa  en  son 
nom,  comme  il  avait  fait  au  second  de  cette  même  ville  l'an  532.  Mais  il  se 
trouva  en  personne  au  quatrième  et  au  cinquième  tenus  dans  la  même 
ville  :  l'un  en  541  et  l'autre  en  549,  où  il  eut  part  à  tout  ce  qui  se  fit  pour 
la  réformation  des  mœurs  dans  les  Eglises  de  France. 

Saint  Gai  fut  favorisé  du  don  des  miracles.  Il  arrêta  par  ses  prières  les 
flammes  d'un  incendie,  qui  naturellement  devait  réduire  toute  la  ville  en 


SAINT  LÉONORE   OU  LUNAIRE,  ÉVÊQUE  RÉGIONNAIRE  EN  BRETAONE.  365 

cendres.  Une  autre  fois,  il  délivra,  par  le  même  moyen,  son  troupeau  d'une 
maladie  épidéraique  qui  causait  de  grands  ravages  dans  les  provinces  voi- 
sines. Ce  fut  à  cette  occasion  qu'il  institua  des  Rogations  à  la  mi-carême, 
pour  aller  en  procession  à  pied,  en  chantant  des  psaumes,  jusqu'à  Saint-Ju- 
lien de  Brioude. 

La  dernière  maladie  qu'il  eut,  fut  si  violente,  qu'elle  lui  fit  tomber 
entièrement  la  barbe  et  les  cheveux  ;  mais  elle  ne  servit  qu'à  faire  éclater 
encore  en  ces  derniers  moments  la  patience  qu'on  avait  admirée  en  lui  dans 
tout  le  cours  de  sa  maladie.  Trois  jours  avant  sa  mort  il  fit  assembler  les 
fidèles  dans  sa  chambre  ;  et  par  un  effort  oh  Dieu  l'assista  visiblement,  il 
rompit  encore  à  tous  le  pain  de  la  communion.  Le  troisième  jour,  qui  était 
un  dimanche,  étant  venu,  il  voulut  encore  achever  son  office,  qu'il  ter- 
mina par  le  psaume  Miserere,  et  un  autre  de  louanges  et  d'actions  de  grâces. 
Il  rendit  ensuite  son  esprit  à  Dieu,  plein  de  bonnes  œuvres  et  de  mérites, 
vers  l'an  553.  Quatre  jours  après  sa  mort  les  évêques  provinciaux  firent  ses 
funérailles,  qui  furent  accompagnées  d'une  foule  incroable  de  peuple  ;  ils 
enterrèrent  son  corps  dans  l'église  de  Saint-Laurent.  Il  y  demeura  jusqu'en 
1285,  époque  à  laquelle  Guy,  évoque  de  Clermont,  en  fit  la  translation  dans 
l'église  cathédrale  appelée  Notre-Dame  du  Port. 

Un  grand  nombre  de  miracles  illustrèrent  son  tombeau  ;  on  l'invoque 
principalement  contre  la  fièvre. 

On  représente  saint  Gai  :  1°  avec  un  ange  qui  lui  présente  une  aube  ou 
une  chasuble  blanche  comme  signe  de  la  grâce  divine  que  sa  sainte  vie  lui 
avait  méritée  ;  2"  faisant  cesser  un  incendie  en  y  jetant  le  livre  des  Evan- 
giles, peut-être  pour  rappeler  son  zèle  contre  les  païens  de  Cologne  dont  il 
brûla  le  temple  ;  3°  priant  Dieu  pour  la  cessation  de  la  peste  :  un  ange  dans 
le  ciel  remet  l'épée  dans  le  fourreau. 

Tiré  de  Godescard,  de  saint  Grégoire  de  Tours,  Vit.  Pair.  c.  6,  et  Eist.  Franc,  liv.  iv,  c.  5.  Voir  les 
remarques  de  Mabillon,  sxc.  i,  Ben.;  le  Gallia  christ,  nova,  t.  il,  p.  237,  et  Sollier,  un  des  continuateurs 
de  Bollandus,  t.  i,  juUi,  p.  103. 


SAINT  LÉONORE  OU  LUNAIRE  *, 

ÉVÊQUE  RÉGIONNAIRE  EN  BRETAGNE 
jôO.  —  Pape  :  Pelage  1er.  _  Roi  de  France  :  Clotaire  I»'. 


Renuntiandum  est  sxculo  omnibusque  rébus,  ut  nobis 

Deus  portio  sit. 
Il  faut  renoncer  au  monde  et  à  tous  les  biens,  afin 

que  Dieu  soit  notre  unique  héritage. 

S.  Hilar.,  sup.  psalm.  cxvm. 

Hoël  P',  surnommé  le  Grand,  roi  des  Bretons,  et  sainte  Pompée,  don- 
nèrent le  jour  à  saint  Léonore,  qui  naquit  dans  la  Cambrie  vers  l'an  509, 
dans  le  temps  qu'ils  habitaient  ce  pays.  Ils  étaient  l'un  et  l'autre  d'une  piété 
remarquable,  et  eurent  tous  deux  quelques  prédictions  de  la  naissance  de 
cet  enfant  et  des  présages  de  sa  grandeur  future  ;  ce  qui  les  rendit  plus  soi- 

1.  Alias  :  Liénuer,  Lénor,  Léonor,  Leonarius. 


,H6B  1"  JUILLET. 

gneux  de  son  éducation.  A  peine  eut-il  atteint  l'âge  de  cinq  ans,  qu'ils  le 
conduisirent  à  l'école  de  saint  Iltut,  où  il  eut  pour  condisciples  saint  Tug- 
dual,  son  frère,  saint  Paul  Aurélien,  saint  Samson  et  saint  Magloire,  et  où 
il  se  disposa  par  une  vie  austère  aux  ordres  sacrés  et  à  l'épiscopat.  On  avait 
remarqué  en  lui  de  bonne  heure  les  plus  heureuses  dispositions  pour  la 
vertu.  Les  pauvres,  dès  lorS;  lui  étaient  si  chers  qu'il  se  privait  en  leur  fa- 
veur de  tout  ce  dont  il  pouvait  disposer.  Une  conduite  si  charitable  fixa  sur 
lui  l'attention  de  son  maître,  qui,  d'ailleurs,  remarquait  dans  ce  jeune 
homme  un  esprit  solide,  joint  à  une  sagesse  et  à  une  capacité  prématurées. 
Iltut,  se  voyant  près  de  sa  fin,  présenta  Léonore  à  saint  Dubrice,  évêque  de 
Caerléon,  afin  qu'il  fût  admis  et  employé  dans  le  ministère  ecclésiastique. 
Le  jeune  serviteur  de  Dieu  parcourut  tous  les  degrés  de  la  milice  sainte. 
Dubrice,  avant  de  mourir,  crut  devoir  répondre  au  vœu  que  les  peuples  ex- 
primaient et  le  sacrer  évêque.  Il  fut  promu  de  bonne  heure,  à  cause  de  son 
mérite  extraordinaire  ;  mais  on  ne  peut  croire  ce  que  disent  les  Leçons  de 
son  office,  dans  l'ancien  Bréviaire  du  diocèse  de  Léon,  qu'il  n'avait  que 
quinz^ans  lorsqu'on  l'éleva  à  l'épiscopat,  quelque  résistance  que  son  humi- 
lité pût  faire. 

Le  désir  de  se  rendre  utile  à  ses  compatriotes,  qui,  ayant  formé  des 
établissements  dans  les  pays  de  Vannes  et  de  Quimper,  avaient  besoin  de 
secours  spirituels;  celui,  peut-être  aussi,  de  suivre  son  vertueux  frère  Tug- 
dual,  et  de  trouver  un  séjour  plus  paisible  que  ne  l'était  alors  la  Grande- 
Bretagne,  occupée  presque  entièrement  par  les  Saxons,  déterminèrent 
Léonore  à  quitter  la  Gambrie  et  à  passer  dans  l'Armorique,  afin  d'y  vivre 
dans  une  plus  grande  retraite,  pour  laquelle  les  forêts  qui  s'y  trouvaient 
offraient  de  grandes  commodités.  La  grâce  du  Saint-Esprit  et  son  inclination 
particulière  le  portaient  efficacement  à  ce  genre  de  vie  ;  car  sa  dignité  épis- 
copale  ne  l'empêcha  point  de  vivre  toujours  en  solitaire,  et  il  y  a  même  ap- 
parence qu'il  n'avait  point  de  siège  particulier,  et  que,  sans  l'obliger  de  sor- 
tir de  son  monastère,  on  lui  conéra  la  dignité  d'évêque  pour  le  bien  spiri- 
tuel des  peuples  voisins  ;  ce  qui  semble  avoir  été  fort  ordinaire  à  la  nation 
bretonne  dans  le  pays  de  Gambrie.  Léonore,  voulant  comme  Abraham 
quitter  tout  pour  suivre  l'inspiration  intérieure  qui  l'appelait  hors  de  sa 
patrie,  s'embarqua  avec  soixante-douze  disciples  et  quelques  domestiques, 
pour  venir  dans  la  Bretagne  armoricaine,  dont  Childebert  était  souverain. 
Ge  fut  dans  le  nord  qu'il  prit  terre,  à  la  côte  qui  est  entre  les  rivières  de 
Uance  et  d'Arguenon  ',  et  il  ne  fut  pas  plus  tôt  arrivé  dans  ce  pays,  que  lui 
et  ses  compagnons  s'établirent  dans  ce  lieu  qui  leur  fut  accordé  par  son 
frère  Hoël  ou  Jona,  second  du  nom,  qui  régnait  alors  en  Bretagne.  Léonore 
ayant  trouvé  dans  ce  lieu  un  oratoire  en  ruines,  le  rétablit  et  y  plaça  un 
autel  qu'il  avait  apporté  avec  lui.  11  se  livra  ensuite  avec  zèle  au  ministère 
de  la  prédication.  Les  habitants  du  voisinage,  touchés  de  ses  discours  et 
édifiés  de  ses  vertus,  se  déterminèrent  d'un  commun  consentement  à  lui 
défricher  la  forêt  dans  laquelle  il  se  trouvait,  afin  qu'il  pût  y  construire  un 
monastère. 

Le  roi  Childebert,  averti  de  la  vie  admirable  de  ces  saints  solitaires,  et 
surtout  de  Léonore,  l'invita  d'une  manière  très-pressante  à  le  venir  voir  à 
Paris.  Le  Saint  y  alla  suivi  de  quelques-uns  de  ses  disciples,  et  fut  reçu  du 
roi  et  de  la  reine  Ullrogothe  avec  de  grands  témoignages  d'estime  et  de 

1.  Pris  du  lieu  nommé  depuis  Pontual  par  abréviation,  et  qui  signifie  pont  de  T'igdual,  appelé  sans 
flonte  a.\T\s\  en  mémoire  de  salut  Tugdual.  Il  est  situé  à  une  lieue  et  demie  de  Saiut-Malo  et  dans  la 
l'nroisse  de  .Saint- Lu uuue. 


SAINT  LÉONORE   OU  LUNAIRE,   ÉVÊQUE  RÉGIONNAIRE  EN  BRETAGNE.  567 

vénéiaLion.  Il  ne  demeura  pas  longtemps  à  la  cour,  parce  qu'il  y  était  trop 
honoré,  et  que  le  concours  de  ceux  qui  s'adressaient  à  lui  l'empêchait  de 
vaquer  librement  h  ses  exercices  spirituels.  Ce  fut  pendant  son  séjour  à 
Paris  qu'arriva,  en  547,  le  cruel  assassinat  de  son  frère  Hoël  II,  nommé 
aussi  Jona.  Quand  Léonore  fut  de  retour  dans  sa  retraite,  il  passa  les  jours 
au  travail,  les  nuits  en  prières  ;  et,  vivant  moins  en  homme  qu'en  ange,  il 
édifiait  par  sa  conduite  et  animait  par  ses  exhortations  sa  sainte  commu- 
nauté. 

Le  monastère  de  Léonore  n'était  pas  fort  éloigné  de  la  demeure  des  sou- 
verains de  la  Bretagne,  où  Conao  ou  Conomor,  meurtrier  de  Jona,  était  alors 
avec  la  veuve  de  ce  prince  qu'il  avait  épousée.  Judual,  fils  de  Jona,  se  ré- 
fugia dans  le  monastère  de  Léonore,  son  oncle,  qui  ne  jugea  pas  devoir  le 
retenir  dans  sa  maison,  où  il  voyait  bien  que  le  jeune  prince  ne  serait  pas 
en  st^reté.  Mais,  prenant  d'autres  mesures  pour  sauver  la  vie  de  son  seigneur 
légitime  que  l'usurpateur,  enfin  démasqué,  cherchait  pour  le  mettre  à 
mort,  il  fit  embarquer  Judual  pour  la  Grande-Bretagne,  sans  craindre  de 
s'exposer  lui-même  à  toute  la  fureur  de  Conao.  Il  ne  se  contenta  pas  d'avoir 
tiré  l'innocent  du  péril,  il  brava  môme  le  persécuteur,  en  lui  montrant  le 
vaisseau  dans  lequel  Judual  voguait  à  pleines  voiles. 

L'usurpateur,  toutefois,  ne  fit  pas  mourir  saint  Léonore,  soit  qu'il  n'ai- 
mât à  commettre  des  crimes  que  lorsqu'il  en  pouvait  retirer  quelque  avan- 
tage, soit  qu'il  redoutât  cette  fois  de  tremper  les  mains  dans  le  sang  de  son 
frère,  ou  qu'il  craignît  de  se  perdre  tout  à  fait  dans  l'esprit  du  roi  et  de  la 
reine,  et  des  peuples,  qui  aimaient  et  honoraient  le  saint  évêque  comme  un 
homme  tout  divin.  La  légende  de  saint  Léonore  dit  que  Conao  lui  donna 
un  soufflet,  et  qu'après  celte  insulte,  tout  hors  de  lui-même,  il  piqua  son 
cheval  ;  que  le  cheval  prit  sa  course  avec  tant  d'impétuosité,  qu'il  ne  put 
se  retenir  au  bord  d'un  précipice,  où  il  se  cassa  le  cou  ;  que  Conao  se  rom- 
pit la  cuisse  en  trois  endroits  par  cette  chute,  ne  put  jamais  en  être  guéri, 
et  mourut  enfin  misérablement  après  avoir  souffert  longtemps  de  très-cruelics 
douleurs.  Mais  ce  fait  n'est  pas  certain  ;  il  paraît  au  contraire  que  ce  mauvais 
prince,  ayant  soutenu  Cramne  révolté  contre  Clotaire,  son  père  et  roi  de 
France,  périt  en  560  avec  ce  fils  rebelle. 

La  mort  de  Conao  ayant  donné  à  Judual  la  possibilité  de  revenir  en  Bre- 
tagne, saint  Léonore,  qui  joignait  à  l'affection  naturelle  qu'il  avait  pour  son 
neveu,  la  charité  dont  sont  animés  les  Saints,  s'appliqua  de  tout  son  pouvoir  à 
le  faire  rentrer  dans  la  possession  de  ses  Etats.  Il  ne  survécut  pas  beaucoup  à 
ce  dernier  événement,  et  termina,  par  une  mort  précieuse  aux  yeux  de 
Dieu ,  sa  sainte  carrière,  à  l'âge  de  cinquante  et  un  ans  environ,  vers  l'an  560. 

On  représente  saint  Léonore  :  1°  une  clochette  à  la  main.  Le  roi  Childe- 
bert  lui  avait  concédé,  dit-on,  autant  de  terres  qu'en  pourrait  parcourir  le 
son  de  la  clochette  du  Saint.  Celui-ci  appela  les  intendants  royaux  et  monta 
sur  une  colline  d'où  il  fit  retentir  sa  sonnette.  Les  témoins  déposèrent 
qu'on  l'avait  entendue  à  quatre  milles  à  la  ronde,  et  la  prise  de  possession 
fut  établie  sur  ce  fait.  —  2°  Labourant  avec  douze  cerfs,  à  défaut  de  bœufs. 
Les  Bollandistes  rapportent  qu'au  moment  où,  en  compagnie  de  ses  dis- 
ciples, notre  Saint  se  rendait  à  ses  terres  pour  les  labourer,  ils  aperçurent 
gisant  à  terre  un  cerf  d'une  grandeur  extraordinaire.  Saint  Léonore  or- 
donna de  le  dépouiller  et  sa  peau  seule  servit  à  confectionner  des  rênes.  Au 
môme  instant,  douze  autres  cerfs  se  présentèrent  à  leurs  yeux  étonnés; 
baissant  la  tête,  ils  se  laissèrent  attacher  au  joug,  et  pendant  cinq  semaines 
et  trois  jours,  ils  se  rendirent  régulièrement  sur  les  terres  du  Saint  pour 


568  1«  JUILLET. 

l'aider  à  les  cultiver;  seulement  les  jours  de  dimanche  ils  restaient  dans  la 
forêt  voisine.  L'ouvrage  étant  terminé,  ils  vinrent  tous  ensemble  supplier  leur 
maître  de  les  laisser  partir  :  celui-ci  les  bénit  alors  de  la  main  et  les  con- 
gédia. —  3"  Suspendant  soa  manteau  à  un  rayon  de  soleil.  Les  mêmes  ha- 
giograpbes  prétendent  qu'un  jour  le  roi  Childebert  pria  notre  Saint  de  célé- 
brer devant  lui  et  toute  sa  cour  les  saints  mystères.  Le  serviteur  de  Dieu, 
avant  dn  revêtir  les  ornements  sacerdotaux,  se  débarrassa  de  son  manteau 
et  voulut  le  suspendre  quelque  part;  comme  il  cherchait  à  l'accrocher, 
soudain  un  rayon  de  soleil  entra  par  la  fenêtre  de  la  chambre  oh  il  se  trou- 
vait et  se  chargea,  à  la  grande  surprise  des  spectateurs,  de  soutenir  ce  pré- 
cieux fardeau. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

L'ancien  bréviaire  de  Léon  marque  la  fête  de  saint  Léonore  au  1er  juillet,  et  en  donne  l'office 
en  neuf  leçons.  L'ancien  bréviaire  de  l'abbaye  de  Saiiit-Méen  en  fait  mémoire  le  même  jour.  Cette 
mémoire  se  taisait  aussi  à  Pans  jusqu'en  1607,  époque  à  laquelle  on  la  supprima.  Son  nom  se 
trouve  encore  dans  le  martyrologe  parisien  au  i.""  juillet.  On  faisait  sa  fête  à  Dol  le  16  février,  à 
Saint-Malo  le  16  juillet,  et  à  Coutances  le  3  du  même  mois.  Il  y  a  une  paroisse,  ai'près  de  Saint- 
Slalo,  qui  porte  le  nom  du  Saint,  qu'on  y  appelle  par  coiniption  Saint-Lunaire.  Ou  voit  dans 
l'église  paroissiale  son  tombeau,  élevé  de  deux  pieds  de  terre,  et  l'on  y  conservait  ses  reliques,  le 
chef  à  part  dans  un  reliquaire  d'argent,  et  les  autres  ossements  dans  deux  reliquaires  d'ébène.  Une 
autre  partie  avait  été  portée  à  Paris  dans  le  x^  siècle  avec  celles  des  autres  saints  bretons,  et 
ensuite  à  Beaumont-sur-Oise,  où  saint  Léonore  était  honoré  dans  un  prieuré  qui  portait  son  nom, 
et  avait  été  fondé,  en  1185,  par  Mathieu,  comte  de  Beaumont  ;  ce  seigneur  avait  à  cette  époque 
obtenu  les  reliques  du  Saint.  Elles  furent  brûlées  par  les  Calvinistes  dans  le  xvio  siècle.  Outre  sa 
fête  que  l'église  de  Saint-Malo  célébrait  le  1»'  juillet,  on  y  en  faisait  encore  une  autre  le  13  octo- 
bre, sous  le  nom  de  Translation.  Il  y  avait  dans  l'église  de  Rennes  une  chapelle  dédiée  à  saint 
Léonore,  et  plusieurs  paroisses  le  reconnaissent  pour  patron,  quelques-unes  sous  les  noms  de 
Lunaire,  Lourmel  et  Launeuc. 

Nous  avons  tiré  cette  biographie  des  Vies  des  Saints  de  Bretagne,  par  Dom  Lobineau.  —  Cf.  L'ancien 
Bréviaire  de  Léon  ;  les  Bollandistes,  tome  i"  de  juillet  ;  les  Propres  de  Dol  et  Saint-Malo,  et  le  Bré- 
viaire de  Coutances  de  1741. 


S.  SIMEON,  SURNOMME  SALUS  OU  L'INSENSE, 

SOLITAIRE  DU  MÛNT-SINAI 
Vl«  siècle. 


Nemo  se  seducat;  si  guis  videtur  inter  vos  sapiens  esse 
in  hoc  sxeulo,  stultus  fiât,  ut  sit  sapiens  :  sapientia 
enim  hujus  mundi  stuUiiia  est  apud  Deum. 

Que  personne  ne  se  trompe  soi-même  :  s'il  y  a  quel- 
qu'un parmi  vous  qui  passe  pour  sage  dans  le 
monde,  qu'il  devienne  fou  pour  devenir  sage  ;  car 
la  sagesse  de  ce  monde  est  une  folie  aux  yeux  de 
Dieu.  /  Cor.,  m,  18. 

Quand  on  est  bien  persuadé  de  cette  vérité  de  l'apôtre  saint  Paul,  que 
ce  qui  paraît  une  folie  devant  les  hommes  est  souvent  une  véritable  sagesse 
aux  yeux  de  Dieu,  on  n'a  pas  de  peine  à  croire  les  choses  surprenantes  que 
les  historiens  sacrés  nous  rapportent  de  plusieurs  Saints;  avides  des  plus 
grandes  humiliations,  afin  de  se  rendre  plus  conformes  à  Jésus-Christ  chargé 


SAINT  SIMÉON,   SUSNOMMÉ  SALUS  OU  l'INSENSÉ.  o03 

d'opprobres,  ils  ont  fait  des  actions  si  extraordinaires  et  si  fort  contre  la 
raison  humaine,  qu'ils  ont  passé  quelque  temps  dans  l'estime  du  monde 
pour  des  insensés.  C'est  ce  que  nous  allons  voir  d'une  manière  éclatante 
dans  la  vie  de  saint  Siméon,  surnommé  Salus,  mot  syriaque  qui  veut  dire 
Y  Insensé  ;  il  a  si  bien  su,  par  mille  ingénieux  artifices,  cacher  aux  yeux  des 
hommes  sa  sagesse  et  sa  sainteté,  découvertes  néanmoins  par  l'éclat  des 
miracles,  que  le  nom  de  fou  et  d'insensé  lui  en  est  demeuré  comme  un  titre 
très-honorable. 

L'histoire  ne  nous  apprend  rien  de  son  enfance  ni  de  sa  jeunesse,  sinon 
qu'il  naquit  en  la  ville  d'Edesse,  dans  la  province  de  Syrie,  de  parents  fort 
riches  et  catholiques,  et  qu'il  se  rendit  très-savant  dans  la  langue  grecque, 
assez  habile  dans  plusieurs  sciences,  jusqu'à  sa  parfaite  conversion.  Comme 
au  temps  de  l'empereur  Justinien  l'aîné,  les  fidèles  se  portaient  avec  une 
singulière  dévotion  à  visiter  les  saints  lieux  de  Jérusalem  à  la  fête  de  l'Exal- 
tation de  la  sainte  Croix,  deux  jeunes  hommes,  dont  l'un  s'appelait  Si- 
méon et  l'autre  Jean,  partirent  ensemble  pour  faire  ce  pèlerinage  en  la 
compagnie  de  leurs  parents.  Quand  ils  eurent  satisfait  à  leur  piété,  ils 
prirent  leur  chemin  par  la  vallée  de  Jéricho  pour  s'en  retourner  en  leur 
pays;  et,  parce  que  en  cet  endroit  on  découvrait  un  grand  nombre  de  mo- 
nastères, bâtis  le  long  du  fleuve  du  Jourdain,  ils  s'arrêtèrent  à  considérer 
attentivement  cet  agréable  spectacle.  Ils  étaient  dans  l'admiration;  Jean 
prit  la  parole  et  dit  à  Siméon  :  «  Savez-vous  bien  qui  sont  les  personnes 
qui  habitent  toutes  ces  cellules  ?  Ce  sont  des  anges  terrestres  dont  l'occu- 
pation n'est  que  de  penser  aux  choses  du  ciel  ».  —  «  Peut-on  les  voir  », 
répondit  Siméon  ?  —  «  Oui,  sans  doute  »,  repartit  Jean,  «  pourvu  que  nous 
voulions  nous  rendre  semblables  à  eux  ».  Leur  désir  s'enflammant  de  plus 
en  plus,  ils  descendirent  de  leurs  chevaux,  comme  pour  se  reposer,  et,  les 
ayant  donnés  à  leurs  valets,  ils  leur  ordonnèrent  d'aller  toujours  devant. 
Peu  de  temps  après,  ils  aperçurent  un  petit  chemin  qui  conduisait  au  Jour- 
dain; Jean  dit  à  Siméon  :  u  Voici  le  chemin  qui  conduit  à  la  vie,  au  lieu 
que  celui  oti  nous  sommes  conduite  la  mort  ».  Ils  se  mirent  donc  tous 
deux  à  genoux,  et  prièrent  Dieu  de  tout  leur  cœur  qu'il  leur  fît  connaître 
sa  sainte  volonté  sur  la  route  qu'ils  devaient  prendre.  Puis  ils  tirèrent  au 
sort  :  le  chemin  du  Jourdain  leur  échut,  ce  qui  les  réjouit  extrêmement; 
oubliant  leurs  parents  et  les  grands  biens  qu'ils  avaient  dans  le  monde,  ils 
tournèrent  du  côté  des  monastères.  Le  premier  qu'ils  rencontrèrent  fut 
celui  qui  portait  le  nom  de  l'abbé  Gérasime,  dont  ils  trouvèrent  '  la  porte 
ouverte  et  un  vénérable  vieillard,  nommé  Nicon,  qui  les  attendait,  parce 
qu'il  avait  eu  révélation  de  leur  arrivée.  Ainsi  ils  furent  reçus  l'un  et  l'autre 
comme  des  personnes  envoyées  de  la  part  de  Dieu. 

Le  lendemain,  ce  saint  vieillard  leur  fit  un  beau  discours  au  sujet  de 
leur  vocation;  il  les  excita  à  entreprendre  avec  ferveur  la  vie  pénitente  des 
solitaires  et  à  persévérer  constamment  dans  leurs  pieux  desseins,  sans 
jamais  se  relâcher  dans  la  pratique  de  la  vertu.  Sa  parole,  trouvant  leurs 
cœurs  bien  disposés,  leur  inspira  un  si  grand  désir  de  la  perfection,  qu'ils 
le  supplièrent  avec  beaucoup  d'instance  de  leur  donner  la  tonsure  mona- 
cale et  de  les  revêtir  de  l'habit  religieux.  Cette  sainte  ardeur  augmenta 
encore  merveilleusement  lorsque,  le  supérieur  ayant  fait  venir  en  leur  pré- 
sence un  jeune  homme  à  qui  l'on  avait  donné  l'habit  la  semaine  précé- 
dente, ils  aperçurent  sur  sa  tôte  une  couronne  tout  éclatante  de  lumière  : 
ils  se  jetèrent  aux  pieds  du  saint  abbé,  et  le  pressèrent  encore  plus  forte- 
ment de  les  rendre  semblables  au  novice  qu'ils  venaient  de  voir  ;  il  fut  donc 


570  1"  JUILLET. 

obligé  de  leur  accorder  la  grâce  qu'ils  lui  demandaient  avec  tant  d'ardeur 
et  dont  ils  se  rendaient  si  dignes.  En  effet,  dès  qu'ils  furent  vêtus,  ils  virent 
réciproquement  sur  la  tête  l'un  de  l'autre  une  semblable  couronne,  et  leurs 
visages  parurent  même  la  nuit,  au  milieu  des  ténèbres,  tout  rayonnants 
d'une  clarté  céleste  :  mais,  deux  jours  après,  n'apercevant  plus  de  cou- 
ronne sur  la  tête  du  novice,  ils  furent  fort  étonnés  de  ce  changement,  et, 
craignant  que  le  môme  malheur  ne  leur  arrivât,  ils  délibérèrent  entre  eux 
sur  ce  qu'ils  devaient  faire.  Siméon,  prenant  donc  la  parole,  dit  à  son  com- 
pagnon, par  une  inspiration  divine  :  «  Si  vous  me  voulez  croire,  mon  frère, 
nous  mènerons  encore  une  vie  plus  cachée  que  celle  de  ces  solitaires,  car 
je  me  sens  tellement  embrasé  du  désir  de  demeurer  inconnu  au  monde, 
que  je  suis  résolu  de  ne  plus  voir  personne,  de  ne  plus  parler  aux  hommes, 
et,  enfin,  de  ne  plus  écouter  que  la  voix  de  mon  Dieu  ».  Jean  fut  extrême- 
ment touché  de  ce  discours,  et,  se  sentant  intérieurement  sollicité  de  le 
suivre,  il  acquiesça  à  sa  proposition  :  de  sorte  qu'après  avoir  reçu  la  béné- 
diction du  saint  vieillard  Nicon,  à  qui  Dieu  avait  fait  connaître  par  révéla- 
tion que  leur  dessein  venait  du  ciel,  ils  se  retirèrent  de  ce  monastère,  et 
prenant  leur  chemin  du  coté  de  la  mer  Morte,  ils  trouvèrent  sur  le  rivage 
la  cellule  d'un  saint  vieillard  qui  était  décédé  quelques  jours  auparavant; 
ils  crurent  que  c'était  là  l'endroit  que  Dieu  leur  destinait;  c'est  pourquoi 
ils  s'y  logèrent  comme  dans  un  paradis  terrestre,  pour  y  mener  une  vie 
tout  angélique. 

Le  démon  ne  manqua  pas  de  les  y  tenter  par  toutes  sortes  de  voies; 
pour  leur  faire  regretter  le  monde,  il  leur  remettait  sous  les  yeux  les  plus 
chers  objets  de  leur  tendresse.  Quelquefois  il  leur  apparaissait  sous  des 
formes  hideuses,  pour  les  obliger  d'abandonner  leur  solitude  ;  d'autres  fois  il 
les  excitait  à  la  gourmandise;  en  un  mot,  s'y  prenait  de  toutes  les  manières, 
ou  pour  les  faire  retourner  en  leur  pays,  ou  pour  les  rendre  lâches  et  pa- 
resseux dans  leurs  exercices,  ce  moyen  étant  le  plus  efficace  pour  faire 
succomber  les  grandes  âmes.  Mais  les  jeunes  solitaires  rendirent  ses  efforts 
inutiles,  tant  par  leurs  prières  que  par  leur  fidélité  et  par  les  continuelles 
exhortations  qu'ils  se  faisaient  l'un  à  l'autre  pour  s'animer  à  la  persévé- 
rance. Dieu,  d'ailleurs,  les  fortifiait  tellement  par  des  visions  célestes  qui 
remplissaient  leurs  coeurs  d'une  joie  indicible,  qu'après  avoir  été  tourmen- 
tés par  la  pensée  de  leurs  parents  l'espace  de  deux  ans,  ils  furent  enfin  en- 
tièrement délivrés  de  cette  peine,  et  jouirent  ensuite  d'une  très-grande 
tranquillité  d'esprit. 

Ils  étaient  en  cette  belle  disposition  intérieure,  lorsqu'ils  apprirent 
presque  en  môme  temps,  par  révélation,  le  décès  des  deux  personnes  qu'ils 
aimaient  si  chèrement;  le  bienheureux  Siméon  connut,  dans  une  extase, 
que  sa  mère  était  à  l'agonie  et  proche  de  la  mort;  il  vint  aussitôt  annoncer 
cette  nouvelle  à  son  compagnon,  afin  de  faire  des  prières  ensemble  pour 
lui  obtenir  une  bonne  mort.  Après  quoi,  Siméon  ne  pouvant  refuser  à  son 
cœur  les  sentiments  de  tendresse  que  la  nature  lui  inspirait  pour  une  si 
bonne  mère,  il  adressa  à  Dieu  ces  paroles  entrecoupées  de  soupirs  et  de 
sanglots  ;  «  Seigneur,  qui  avez  reçu  le  sacrifice  d'Abraham,  l'holocauste  de 
Jephté  et  les  présents  d'Abel,  et  qui  avez  honoré  Anne  du  don  de  prophétie 
à  cause  de  son  fils  Samuel,  recevez,  s'il  vous  plaît,  l'âme  de  ma  mère  pour 
l'amour  de  votre  pauvre  serviteur,  qui  vous  en  prie  très-humblement.  Sou- 
venez-vous, mon  Dieu,  des  peines  qu'elle  a  prises  pour  moi,  et  des  larmes 
qu'elle  a  versées  depuis  que  je  l'ai  quittée  pour  me  consacrer  entièrement 
à  votre  service.  Vous  savez  le  soin  qu'elle  a  eu  de  mon  éducation,  dans  l'es- 


SAINT   SIMÉON,    SURNOMMÉ  SALUS   OU  L'INSENSÉ.  571 

pérance  que  je  la  consolerais  dans  sa  vieillesse,  et  cependant  ma  fuite  Ta 
privée  du  fruit  de  ses  travaux.  Elle  ne  pouvait  être  un  moment  sans  me 
voir  :  toute  sa  joie  était  de  me  tenir  auprès  d'elle,  et  elle  n'a  presque  point 
joui  de  ces  douceurs.  C'est  pour  votre  gloire,  ô  mon  Seigneur,  que  je  l'ai 
réduite  en  cet  état.  Elle  n'a  fait  que  gémir  et  pleurer  depuis  ma  sépara- 
tion; les  nuits,  qui  donnent  quelque  repos  aux  plus  affligés,  ont  été  pour 
elle  des  années  d'angoisses  et  de  douleurs;  la  pensée  qu'elle  m'avait  perdu 
lui  navrait  tellement  le  cœur,  qu'elle  était  toujours  plongée  dans  l'amer- 
tume. Faites-lui  donc  la  grâce,  ô  mon  Dieu,  de  mourir  présentement  en 
paix,  en  lui  pardonnant  toutes  les  fautes  qu'elle  a  commises  contre  votre 
divine  Majesté.  Et,  après  l'avoir  laissée  si  longtemps  dans  les  pleurs  et  les 
gémissements,  récompensez,  s'il  vous  plaît,  ses  afflictions  par  les  consola- 
tions célestes  dont  jouissent  les  Saints  en  votre  présence  n.  Son  oraison  fut 
exaucée,  ainsi  qu'il  fut  révélé  au  bienheureux  Jean,  à  qui  Dieu,  quelque 
temps  après,  fit  savoir  dans  une  vision,  que  sa  femme  était  morte,  et  qu'elle 
jouissait  de  la  môme  gloire  que  la  mère  de  Siméon. 

Ces  bienheureux  solitaires  n'ayant  plus  rien  au  monde  qui  pût  les  obli- 
ger d'y  retourner,  passèrent  vingt-neuf  années  ensemble  en  cette  solitude, 
dans  toutes  sortes  d'exercices  de  pénitence  :  à  souffrir  la  faim  et  la  soif, 
l'ardeur  du  soleil  et  les  rigueurs  de  l'hiver,  et  à  soutenir  de  très-horribles 
tentations  que  les  démons  ne  cessèrent  jamais  de  leur  livrer  pour  les  por- 
ter au  relâchement.  Mais,  au  bout  de  ce  temps-là.  Dieu,  voulant  confondre 
la  vaine  sagesse  des  gens  du  siècle  par  la  folie  apparente  de  Siméon,  lui 
donna  une  forte  pensée  de  paraître  en  public,  afin  d'y  travailler,  d'une  ma- 
nière nouvelle,  au  salut  du  prochain  et  à  la  conquête  des  âmes.  Il  fut  d'au- 
tant plus  confirmé  dans  son  dessein,  que  le  saint  ermite  Nicon  lui  apparut, 
et  l'assura  qu'à  l'avenir  il  ne  serait  plus  susceptible  d'aucun  mouvement 
de  la  chair.  Il  découvrit  aussitôt  sa  pensée  à  son  cher  compagnon,  qui, 
appréhendant  prudemment  qu'un  prétexte  si  spécieux  ne  fût  un  piège  de 
Satan  pour  lui  ravir  la  couronne  de  la  persévérance,  lui  remontra  vivement 
tous  les  périls  auquels  il  s'allait  exposer,  et  fit  tout  son  possible  pour  lui 
faire  changer  de  résolution.  Néanmoins,  après  avoir  connu  par  ses  réponses 
que  ce  n'était  nullement  une  tentation  du  démon,  mais  une  inspiration 
divine,  il  approuva  son  entreprise,  et  acquiesça  enfin,  quoiqu'avec beaucoup 
de  regret,  à  une  séparation  qui  lui  fut  d'autant  plus  sensible  qu'il  avait  cru 
que  la  mort  seule  était  capable  de  la  faire,  à  condition  pourtant  qu'ils  se 
reverraient  encore  une  fois  avant  de  mourir. 

Siméon  quitta  donc  sa  solitude,  et,  laissant  le  bienheureux  Jean  dans 
les  pleurs,  il  se  rendit  d'abord  à  Jérusalem  pour  y  visiter  de  nouveau  les 
saints  lieux;  il  employa  trois  jours  à  cette  dévotion  ;  il  demanda  à  Dieu, 
avec  une  incroyable  ferveur,  de  cacher  durant  sa  vie  les  merveilles  qu'il 
ferait  par  lui,  afin  qu'il  demeurât  toujours  inconnu  aux  hommes.  Il  obtint 
cette  grâce  peu  commune.  De  Jérusalem  il  alla  à  Emèse,  en  Syrie,  pour  y 
travailler  à  la  conversion  des  âmes,  en  contrefaisant  le  fou,  selon  le  projet 
extraordinaire  qu'il  s'était  formé  dans  l'esprit  par  une  humilité  tout  hé' 
roique;  et  il  y  fit  des  actions  si  extravagantes  et  si  contraires  aux  règles  de 
la  prudence  humaine,  que,  si  Dieu  ne  les  eût  autorisées  par  des  miracles, 
on  aurait  sujet  de  condamner  une  conduite  si  irrégulière.  Jusqu'à  sa  mort, 
sa  vie  ne  fut  qu'une  suite  d'actions  ridicules  aux  yeux  des  hommes,  quoi- 
qu'elles fussent  dignes  de  l'approbation  de  Dieu  et  des  Anges.  En  effet,  ce 
n'étaient  que  de  pieuses  inventions  de  son  humilité  et  de  sa  charité;  de  son 
humilité,  pour  cacher  les  miracles  qu'il  faisait  continuellement;  car,  quand 


o72  1"  JUILLET. 

il  en  avait  opéré,  il  craignait  qu'on  ne  lui  en  attribuât  la  gloire  :  c'était 
alors  qu'il  faisait  des  actions  extravagantes;  de  sa  charité,  pour  gagner  des 
âmes  à  Jésus-Christ;  soit  par  des  paroles  touchantes  qu'il  jetait  à  la  traverse 
dans  les  compagnies  par  forme  de  raillerie  :  les  plus  libertins  ne  laissaient 
pas  d'y  faire  réflexion,  et  elles  servaient  à  leur  inspirer  de  bons  sentiments; 
soit  en  faisant  à  contre-temps,  ce  semble,  des  exhortations  à  la  vertu  ou 
des  déclamations  contre  le  vice,  qui  portaient  coup  dans  la  suite;  soit  en 
disant  à  chacun  des  vérités  qui  n'auraient  pas  été  bien  reçues  s'il  n'eût  con- 
trefait l'insensé  pour  les  dire  plus  librement.  Par  ce  moyen,  il  convertit 
presque  toute  la  ville  d'Emèse. 

Voilà,  en  général,  les  artifices  qu'il  employait  pour  éviter  les  louanges 
et  les  honneurs  des  hommes  et  pour  gagner  les  âmes  à  Dieu  ;  mais  il  faut 
avouer  que,  quelque  adresse  qu'il  eût  pour  faire  ce  personnage,  l'éclat  de 
ses  miracles  eût  sans  doute  découvert  sa  profonde  sagesse  et  son  éminente 
sainteté,  si  Dieu,  par  une  providence  particulière,  ne  les  eût  cachées  lui- 
même  aux  yeux  des  mondains  ;  car,  enfin,  quelle  estime  ne  devait-on  pas 
faire  d'un  homme  qui  délivrait  des  énergumènes,  qui  portait  des  charbons 
ardents  dans  ses  mains  sans  en  être  offensé,  et  dans  sa  robe  sans  qu'elle  en 
fût  nullement  brûlée;  qui  prédisait  les  choses  à  venir,  qui  découvrait  les 
secrets  du  cœur  les  plus  cachés,  qui  multipliait  les  vivres,  qui  convertissait 
les  Juifs  et  les  hérétiques,  qui  guérissait  les  malades,  qui  retirait  du  crime 
les  femmes  débauchées,  engageant  les  unes  dans  un  légitime  mariage,  et 
faisant  vouer  à  la  chasteté  les  autres  ?  Quelle  estime,  disons-nous,  ne  de- 
vait-on pas  faire  d'un  homme  dont  la  vie  était  remplie  de  tant  de  mer- 
veilles ?  Puisqu'il  est  toujours  demeuré  caché,  ne  devons-nous  pas  dire, 
avec  l'auleur  de  cette  vie,  que  si  Dieu,  dans  sa  conduite  ordinaire,  prend 
plaisir  à  faire  éclater  le  mérite  des  Saints,  il  a  pris,  au  contraire,  un  soin 
particulier  d'empêcher  que  les  hommes  ne  reconnussent  la  sainteté  de  Si- 
méon,  au  milieu  de  tant  de  vertus  qui  étaient  si  évidentes?  Cela,  assuré- 
ment, est  admirable  et  fait  voir  la  grande  condescendance  que  Dieu  a  pour 
ses  serviteurs,  lorsqu'ils  ont  du  zèle  pour  entrer  dans  les  humiliations  de 
Jésus- Christ.  En  effet,  il  a  opéré  de  nouveaux  miracles  pour  tenir  notre 
Samt  dans  l'obscurité,  quand  l'éclat  de  ceux  qu'il  faisait  donnait  lieu  aux 
hommes  d'entrevoir  quelques  rayons  de  sagesse  au  travers  de  ses  actions 
extravagantes.  Un  grand  seigneur,  qui  demeurait  près  de  la  ville  d'Emèse, 
avait  reconnu  la  sainteté  de  Siméon,  parce  qu'il  lui  avait  découvert  les 
secrets  de  son  cœur;  comme  il  ouvrait  la  bouche  pour  publier  cette  mer- 
veille, sa  langue  demeura  immobile,  de  sorte  qu'il  lui  fut  impossible  d'en 
parler. 

Cette  folie  apparente  ne  lui  fit  rien  relâcher  de  l'austérité  religieuse  ni 
des  autres  exercices  de  la  vraie  sagesse  qu'il  pratiquait  dans  la  solitude. 
Son  jeûne  était  si  rigoureux,  qu'il  passait  des  semaines  et  quelquefois  même 
des  quarantaines  entières  sans  manger.  Pour  cacher  aux  hommes  cette 
prodigieuse  abstinence,  quand  il  prenait  quelque  nourriture,  il  le  faisait 
en  public.  Il  n'avait  pour  lit  qu'un  peu  de  sarment  et  même  le  plus  sou- 
vent il  était  toute  la  nuit  en  oraison  et  arrosait  la  terre  de  ses  larmes.  En 
un  mot,  il  se  rendait  aussi  exacte  à  toutes  ses  pratiques  de  dévotion  que  les 
solitaires  les  plus  retirés  du  moade  et  les  plus  réguliers  dans  leur  conduite. 
Aussi,  Dieu  le  comblait  de  toutes  sortes  de  bénédictions,  tant  par  les  dou- 
ceurs ineflables  dont  il  remplissait  son  âme,  que  par  les  prodiges  dont 
il  accompagnait  ses  paroles  et  ses  actions.  Nous  en  avons  parlé  seule- 
ment en  général;  mais  il  est  à  propos  d'en  rapporter  quelques  exemples 


SAINT  SIMÉON,   SURNOMMÉ  SAIUS  OU  L'iNSENSÉ.  573 

en  particulier,  afin  que  l'on  puisse  bien  juger  de  l'éminence  de  sa  grâce. 
Pendant  que  Siméon  demeurait  à  Emèse,  il  logeait  ordinairement  chez 
un  diacre  de  cette  église,  appelé  Jean,  qui  l'avait  retiré  en  sa  maison  par 
compassion  pour  sa  pauvreté  et  pour  sa  folie.  Il  arriva  que  ce  vertueux 
hôte  fut  accusé  d'être  l'auteur  du  meurtre  d'un  homme  qui  avait  été  assas- 
siné et  dont  les  meurtriers  avaient  jeté  le  cadavre  dans  sa  maison,  par  la 
fenêtre.  Sur  cette  accusation  qu'un  tel  indice  rendait  recevable,  le  magis- 
trat, sans  autre  information,  le  condamna  à  la  mort  comme  coupable  d'ho- 
micide. Lorsqu'on  le  menait  au  supplice,  voyant  que  les  moyens  humains 
lui  manquaient  pour  prouver  son  innocence,  il  eut  recours  à  Dieu  comme 
au  puissant  libérateur  des  opprimés,  lui  disant  dans  le  fond  de  son  cœur  : 
«  0  Dieu  de  vérité,  assistez-moi  dans  l'état  où  je  suis  ».  Cependant  Siméon, 
qui  avait  appris  le  danger  où  était  son  bienfaiteur,  faisait  sa  prière,  pros- 
terné contre  terre,  pour  demander  à  Dieu  sa  délivrance.  Chose  admirable  I 
comme  on  était  sur  le  point  de  l'attacher  à  la  potence,  on  vit  paraître  deux 
cavaliers  qui  criaient  qu'on  ne  fît  pas  mourir  cet  innocent,  parce  que  l'on 
avait  découvert  les  vrais  auteurs  du  crime  dont  il  était  injustement  accusé  : 
ce  qui  fit  qu'on  le  mit  en  liberté.  Dès  qu'il  se  vit  délivré,  il  vint  trouver 
Siméon  à  l'endroit  où  il  savait  qu'il  se  cachait  ordinairement  pour  faire  son 
oraison,  ne  doutant  pas  que  ce  ne  fût  à  sa  charité  qu'il  était  redevable  de 
sa  vie.  En  effet,  il  l'y  trouva  les  genoux  en  terre,  les  larmes  aux  yeux  et  les 
mains  élevées  au  ciel,  et  vit  en  même  temps  des  globes  de  feu  qui  descen- 
daient sur  sa  tête  et  des  flammes  ardentes  qui  l'environnaient  de  toutes 
parts.  11  n'osa  approcher  de  lui  ni  l'interrompre  en  cet  état;  mais  notre 
Saint  l'ayant  aperçu,  lui  dit  :  «  Mon  ami,  remerciez  Dieu  de  votre  déli- 
vrance, sachez  que  cette  disgrâce  ne  vous  est  arrivée  que  parce  que  vous 
avez  refusé  l'aumône  à  deux  pauvres  qui  vous  la  demandaient,  bien  que 
vous  eussiez  de  quoi  la  leur  donner  :  car  il  faut  toujours  vous  souvenir, 
mon  frère,  que  les  biens  que  vous  ayez  ne  sont  pas  à  vous,  mais  que  vous 
les  avez  reçus  pour  assister  votre  prochain.  N'êtes-vous  pas  encore  pénétré 
des  paroles  de  Jésus-Christ,  qui  a  promis  le  centuple  en  ce  monde  et  la  vie 
éternelle  en  l'autre  à  ceux  qui  feraient  l'aumône  pour  son  amour  ?  Si  vous 
aviez  cette  croyance,  que  ne  faisiez-vous  la  charité  à  ces  pauvres  ?  et 
puisque  vous  ne  l'avez  pas  faite,  n'est-ce  pas  une  marque  que  vous  manquez 
de  foi  ?  »  On  voit  par  ces  belles  paroles  qu'outre  une  très-haute  sagesse  dont 
Siméon  était  éclairé,  il  avait  encore  le  don  de  prophétie,  par  lequel  Dieu 
lui  avait  fait  connaître  la  dureté  de  son  hôte  envers  les  pauvres,  et  le  véri- 
table sujet  de  sa  condamnation.  C'est  par  ces  lumières  admirables  qu'il  se 
conduisait  dans  toutes  ses  actions,  que  le  monde  prenait  pour  des  folies, 
comme  autrefois  celles  des  Prophètes  dans  l'ancienne  loi;  et  si  nous  vou- 
lions les  considérer  en  détail,  nous  verrions  que  chacune  renfermait  son 
mystère.  Prévoyant  par  ce  même  esprit  le  grand  tremblement  de  terre  ar- 
rivé sous  l'empereur  Maurice,  par  lequel  la  ville  d'Antioche  fut  presque 
toute  bouleversée,  il  entra  dans  un  édifice  public  qui  était  soutenu  sur  plu- 
sieurs colonnes,  et  avec  un  fouet  à  la  main.  Il  commença  à  en  frapper 
quelques-unes  en  leur  disant  ces  paroles  :  «  Ton  Seigneur  te  commande  de 
demeurer  ferme  »,  et  il  dit  à  une  en  particulier  :  «  Pour  toi,  tu  ne  tombe- 
ras pas,  mais  tu  ne  demeureras  pas  non  plus  ».  En  effet,  quand  le  trem- 
blement de  terre  arriva,  nulle  de  celles  auxquelles  le  Saint  avait  ordonné 
de  demeurer  ne  fut  ébranlée,  et  cette  dernière  se  trouva  seulement  un  peu 
penchée  et  fendue  depuis  le  haut  jusqu'en  bas  :  et  alors  on  connut  que  Cô 
qu'il  avait  fait  n'avait  pas  été  sans  mystère. 


574  1"'  JUILLET. 

Une  autre  fois,  ayant  eu  révélation  que  la  ville  d'Emèse  serait  bientôt 
affligée  d'une  grande  peste  qui  ferait  périr  beaucoup  de  personnes,  il  s'en 
alla  par  toutes  les  écoles,  et  là,  choisissant  quelques  enfants  entre  les  autres, 
selon  que  la  grâce  de  Dieu  le  lui  inspirait,  il  les  saluait  et  leur  disait  : 
«  Allez  heureusement,  mon  cher  enfant  ».  Puis  se  tournant  vers  le  maître  : 
«  Pour  Dieu  »,  lui  disait-il,  «  mon  ami,  gardez-vous  bien  de  battre  ces  en- 
fants que  j'aime,  parce  qu'ils  ont  un  grand  chemin  à  faire  ».  Ces  maîtres 
prenaient  ces  actions  de  Siméon  pour  des  extravagances;  mais  l'événement 
fit  bien  voir  qu'elles  étaient  autant  de  prophéties  de  ce  qui  devait  arriver, 
parce  que  tous  ces  enfants,  qu'il  avait  ainsi  salués,  moururent  de  la  peste. 

Quand  il  eut  connu  par  une  lumière  céleste  que  le  précieux  temps  de 
sa  mort  arriverait  bientôt,  il  alla  trouver  le  bienheureux  Jean  dans  son  an- 
cienne solitude,  selon  la  promesse  qu'il  lui  avait  faite  en  se  séparant  de  lui. 
L'histoire  ne  nous  apprend  rien  de  l'entretien  qu'ils  eurent  ensemble  :  elle 
dit  seulement  que  notre  Saint,  à  qui  Dieu  avait  aussi  révélé  que  la  mort  de 
ce  cher  compagnon  était  proche,  lui  dit  ces  paroles  :  «  Allons,  mon  frère, 
allons-nous-en,  le  temps  est  venu  »  ;  et  il  vit  sur  la  tête  de  ce  saint  solitaire 
la  même  couronne  dont  nous  avons  parlé,  avec  cette  inscription  :  «  La  cou- 
ronne que  mérite  celui  qui  persévère  dans  les  souffrances  de  la  solitude  ». 
Etant  de  retour  de  ce  voyage,  il  entendit  une  voix  qui  lui  disait  :  a  Venez 
à  moi,  Siméon,  Siméon,  venez  recevoir,  non  pas  une  seule  couronne,  mais 
autant  de  couronnes  que  vous  avez  gagné  d'âmes  à  mon  service  ».  Deux 
jours  avant  sa  mort,  il  découvrit  le  secret  de  toute  sa  vie  au  diacre  Jean, 
son  hôte,  auquel  il  ne  l'avait  pu  cacher  entièrement,  à  cause  du  long  séjour 
qu'il  avait  fait  chez  lui;  puis,  lui  ayant  fait  une  pressante  exhortation  sur 
la  miséricorde  envers  les  pauvres  et  sur  la  parfaite  dilection  des  ennemis, 
il  se  retira  dans  sa  cellule,  où  il  le  pria  de  ne  point  entrer  qu'au  bout  de 
deux  jours,  pour  voir  en  quel  état  il  serait.  Il  savait  bien  qu'on  le  trouve- 
rait mort;  mais  comme  par  une  humilité  ingénieuse  il  avait  eu  beaucoup 
de  soin  durant  sa  vie  de  cacher  ses  vertus  et  les  grandes  grâces  qu'il  rece- 
vait de  Dieu,  il  voulut  aussi  mourir  de  la  môme  manière.  Afin  qu'on  ne  fît 
pas  plus  d'honneur  à  son  corps  après  son  décès  qu'il  n'en  avait  reçu  pen- 
dant sa  vie,  il  se  cacha  sous  les  sarments  qui  lui  servaient  de  lit,  et  en  cet 
état  il  rendit  paisiblement  son  âme  à  Jésus-Christ  le  1"  juillet,  vers  la  fin 
de  l'empire  de  Maurice. 

Deux  jours  après,  comme  on  ne  le  vit  plus  paraître  à  l'ordinaire,  on 
vint  à  sa  cellule  pour  voir  s'il  n'était  point  malade;  mais  comme  on  le 
trouva  mort  en  l'état  que  nous  venons  de  dire,  on  en  conçut  encore  moins 
d'estime  qu'auparavant,  dans  la  pensée  qu'il  était  mort  en  quelque  égare- 
ment d'esprit;  c'est  pourquoi,  ne  croyant  pas  qu'on  dût  lui  rendre  les  hon- 
neurs que  l'Eglise  a  coutume  de  faire  aux  défunts,  on  porta  son  corps  sans 
le  laver  ni  réciter  des  psaumes,  et  sans  luminaires  ni  encens,  au  cimetière 
des  pèlerins;  mais  Dieu  sait  relever  le  mérite  de  ses  serviteurs  qui  se  sont 
abaissés  pour  son  amour;  il  envoya  une  multitude  d'anges  pour  suppléer  à 
son  enterrement  au  défaut  des  hommes;  de  sorte  qu'on  entendit  dans  les 
airs  une  multitude  de  voix  célébrant  ses  obsèques  avec  beaucoup  plus  de 
solennité  que  n'eussent  jamais  pu  faire  tous  les  hommes  de  la  terre.  Le 
bruit  de  cette  merveille  s'étant  répandu  dans  Emèse,  ceux  qui  jusqu'alors 
l'avaient  cru  insensé,  revenant  pour  ainsi  dire  d'un  profond  sommeil  qui 
les  avait  empêchés  de  reconnaître  sa  sainteté,  commencèrent  à  se  raconter 
les  uns  aux  autres  les  miracles  qu'ils  lui  avaient  vu  opérer,  et  les  actions 
vertueuses  dont  ils  avaient  été  les  témoins;  ils  avouaient  que  toute  cette 


SAINT  CYBARD   OU  ÉPARQUE,    SOLITAIRE.  675 

fiction  de  folie  ne  s'était  faite  que  par  un  mouvement  du  Saint-Esprit,  et 
admiraient  la  conduite  incompréhensible  que  Dieu  tient  sur  ses  élus.  On 
remarque  entre  autres  choses  que,  depuis  qu'il  était  revenu  de  la  solitude, 
ses  cheveux  et  sa  barbe  n'avaient  jamais  crû,  et  que  sa  tonsure  monacale 
était  toujours  demeurée  dans  le  môme  état,  sans  qu'il  fût  nécessaire  de  la 
raser. 

On  le  représente  :  1°  suivi  par  des  troupes  d'enfants  que  divertissaient 
tous  les  jours,  dans  les  rues  d'Alexandrie,  ses  façons  étranges;  2"  assis  et 
jouant  de  la  cornemuse  :  c'est  une  autre  manière  de  rappeler  les  singula- 
rités dont  cet  homme  de  Dieu  donna  le  spectacle,  par  mépris  du  monde. 

La  vie  de  saint  Siméon  fut  écrite  par  le  diacre  Jean.  Depuis,  Léonce,  évêquc  dans  l'ile  de  Chypre,  I» 
composa  plus  élégamment,  telle  qu'elle  est  rapportée  par  Métaphraste  et  par  Surius.  Le  martyiolose 
romain  en  fait  une  très-honorable  mémoire  en  ce  jour,  et  le  cardinal  Baronius  n'«  pas  non  plus  manqué 
d'en   faire  une   illustre  mention  dans  ses  doctes  Mernarques. 


SAINT  CYBARD  '  OU  ÉPARQUE,  SOLITAIRE, 

AU  DIOCÈSE  D'AKGOULÊME 
581.  —  Pape  :  Pelage  U.  —  Roi  de  France  :  Childebertll 


Reeordaiio  tenebrarum  exteriorum  facit  non  horrere 

solUudinem. 
Le  souvenir  des  ténbbres  du  moule  ôte  à  la  solitude 

l'horreur  qu'elle  pourrait  Inspirer. 

S.  Seru,  £!p.  i  ad  Robertum. 

Saint  Cybard,  une  des  gloires  du  diocèse  d'Angoulême,  naquit  en  Pé- 
rigord,  vers  l'an  504,  d'une  famille  gallo-romaine.  Son  père  s'appelait  Félix, 
et  avait  aussi  le  surnom  d'Auriolus  ;  sa  mère  se  nommait  Principie  ',  et  son 
aïeul  paternel  Félicissime.  Ce  dernier  avait  été  établi  par  Clovis,  comte  ou 
gouverneur  de  Périgueux,  lorsqu'à  la  suite  de  la  bataille  de  Vouillé  (Voulon), 
ce  roi  avait  délivré  tout  le  midi  de  la  Gaule  du  joug  des  Visigoths  ariens.  Ce  fut 
auprès  de  ce  haut  fonctionnaire  que  le  jeune  Cybard  vint,  à  l'âge  de  dix-huit 
ans,  s'initier  aux  secrets  de  l'administration  ;  et  sans  doute,  le  vieux  comte, 
en  recevant  les  utiles  services  de  son  petit-fils,  se  flattait  de  l'avoir  un  jour 
pour  successeur.  Mais  les  pensées  de  notre  Saint  étaient  bien  éloignées  de  ce 
souriant  avenir,  car  plus  il  voyait  le  monde  et  ses  plaisirs,  et  plus  il  en  sentait 
le  dégoût  et  la  vanité,  plus  aussi  il  pénétrait  dans  l'embarras  et  les  difficultés 
des  affaires  publiques,  et  plus  sa  délicatesse  de  conscience  s'en  alarmait,  de 
même  que  son  humilité  en  fuyait  l'éclat  et  les  honneurs.  L'état  monastique 
était  l'objet  de  tous  ses  vœux  ;  aussi  mit-il  à  profit  une  circonstance  heureuse 
pour  quitter  secrètement  la  ville  et  la  maison  paternelle,  et  aller  au  monas- 
tère de  Sessac  (Sedaciacum)  se  jeter  aux  pieds  du  saint  abbé  Martin,  le  sup- 

1.  Alias  :  Ybar,  Eparète,  Eparchius. 

2.  Ils  étaient  l'objet  d'un  culte  à  Trémolat.  en  Périgord,  où  naquit  saint  Cybard  et  oh  demeuraient 
■es  p-irents.  Ils  furent  ensevelis  dans  l'église  de  ce  lieu,  dont  ils  étaient  seigneurs,  et  plusieurs  miracles 
furent  faits  à  leur  tombeau.  —  Le  P.  Dupuy,  Etat  de  l'Eglise  du  Périgord. 


576  1"  JUILLET. 

pliant  de  l'admettre  au  nombre  de  ses  religieux.  Cette  admission  n'était  pas 
sans  difficulté,  à  cause  de  l'opposition  de  sa  famille  :  mais,  dit  l'historien  con- 
temporain, la  miséricorde  de  Dieu  intervint,  sans  doute  en  calmant  la  dou- 
leur de  ses  parents,  et  en  les  faisant  consentir,  quoiqu'à  regret,  au  bonheur 
de  leur  fils. 

C'était  en  effet  le  bonheur  que  Cybard  avait  trouvé  sous  le  toit  d'un 
humble  monastère  ;  et  les  rudes  prescriptions  de  la  Règle  lui  devinrent  dès 
les  premiers  jours  douces  et  faciles,  parce  qu'il  les  observa  toujours  avec 
amour  et  fidélité.  Il  avait  alors  trente-trois  ans,  et  les  forces  du  corps  se- 
condant l'ardeur  de  l'esprit,  il  acceptait  de  grand  cœur  et  remplissait  vail- 
lamment les  rudes  travaux  auxquels  on  l'assujétissait.  Mais  s'il  était  en  cela 
l'édification  des  religieux,  il  n'était  pas  moins  celle  des  séculiers  qui  ve- 
naient au  monastère,  car  ils  voyaient  en  lui  un  homme  élevé  dans  le  faste 
et  la  mollesse  des  grandes  maisons,  se  couvrir  d'un  habit  pauvre,  vaquer  aux 
labeurs  de  l'agriculture,  se  contenter,  vers  la  fin  du  jour,  d'un  peu  de  pain 
et  de  légumes,  et  après  les  fatigues  de  la  journée,  donner  encore  à  la  prière 
la  meilleure  partie  de  la  nuit.  Un  tel  spectacle  a  toujours  été  puissant  sur 
les  âmes  ;  et  aujourd'hui  encore,  cette  pauvreté  et  ce  travail  volontaire  qui 
s'unissent  dans  les  Trappistes  à  la  plus  grande  austérité  de  la  pénitence  mo- 
nastique, leur  concilient  notre  respect  et  nos  sympathies.  Quant  à  notre 
Saint,  tout  entier  à  ses  devoirs,  il  ne  s'étudiait  qu'à  se  rendre  inconnu  aux 
hommes,  et  gémissait  devant  Dieu  de  la  haute  renommée  que  sa  vertu  éminente 
commençait  à  lui  attirer.  On  disait,  en  effet,  que  les  animaux  se  montraient 
dociles  à  sa  voix,  et  que  ce  privilège  était  la  récompense  de  sa  douceur  et 
de  son  innocence.  Ainsi,  il  avait  été  vu  arrêtant  à  la  lisière  d'un  bois  une 
jeune  biche  qui  était  venue  lui  baiser  les  mains  et  ne  s'était  enfuie  qu'après 
avoir  reçu  sa  bénédiction.  Une  autre  fois,  c'était  un  oiseau,  une  mère  posée 
sur  sa  tendre  couvée,  et  qui,  effrayée  à  son  approche,  allait  s'envoler,  lors- 
qu'il lui  demanda  de  l'attendre.  L'oiseau  ne  bougea  pas,  et  Cybard  put  à 
loisir  caresser  la  mère  et  les  petits,  mais,  on  le  présume  bien,  sans  attenter 
à  leur  liberté. 

D'un  autre  côté,  les  malades  qui  venaient  au  monastère  chercher  des 
soins,  ne  se  louaient  pas  seulement  de  ceux  que  leur  prodiguait  sa  charité, 
ils  publiaient  les  guérisons  qu'ils  attribuaient  à  ses  mérites,  et  que  lui- 
même  s'efforçait  vainement  de  cacher.  Mais  ce  fut  précisément  cette  répu- 
tation de  sainteté  qui  lui  devint  bientôt  insupportable  et  qui,  après  un  sé- 
jour de  cinq  ans,  le  décida  à  quitter  son  monastère.  A  cette  époque,  la 
profession  monastique  n'emportait  point  le  vœu  de  stabilité.  Saint  Benoît 
ne  venait  que  de  l'introduire  dans  sa  Règle,  et  il  était  encore  inconnu  dans 
les  monastères  des  Gaules.  Ainsi  un  moine,  pourvu  qu'il  demeurât  fidèle  aux 
lois  communes  de  sa  profession,  pouvait  passer  d'une  maison  dans  une 
autre,  et  même  abandonner  la  vie  cénobitique  pour  embrasser  celle  des  re- 
clus ou  anachorètes.  Ce  fut  donc  par  un  prudent  usage  de  cette  liberté  que 
notre  Saint,  ayant  secrètement  quitté  le  monastère  de  Sessac,  se  mit  en 
quête  d'une  solitude  qui  pût  convenir  à  ses  desseins,  c'est-à-dire  le  cacher 
entièrement  aux  yeux  des  hommes.  Il  parcourut  d'abord  une  partie  du  dio- 
cèse actuel  de  Bordeaux,  et  n'y  trouvant  point  ce  qu'il  cherchait,  il  s'ache- 
mina vers  Angoulême.  Le  siège  de  cette  ville  était,  alors  occupé  par  saint 
Aphtone  ou  Aplone,  qui  venait  de  succéder  àLupicin;  celui-ci,  chapelain 
du  roi  Clovis,  avait  par  lui  été  placé  à  la  tête  de  cette  malheureuse  Eglise, 
pour  y  réparer  les  maux  immenses  qu'avait  accumulés,  pendant  un  demi- 
siècle,  la  domination  de  l'hérésie  arienne. 


SAINT  GYBARD   OU  ÉP ARQUE,    SOLITAIRE.  577 

Les  Saints  devinent  les  Saints  et  savent  se  les  atiactier.  C'est  ce  qui  se  vit 
dans  cette  circonstance  ;  car,  dès  qu'Aplone  eut  appris  par  quelques  habi- 
tants qui  le  reconnurent,  la  piésence  de  notre  Saint  dans  sa  ville  épisco- 
pale,  il  le  fît  prier  de  le  venir  trouver.  Peut-être  l'avait-il  connu  autrefois 
dans  la  maison  du  comte  de  Périgueux,  ou  du  moins  il  en  avait  entendu 
parler.  Il  fut  donc  ravi  de  le  voir  ;  mais  quand  un  entretien  avec  le  jeune 
solitaire,  sur  les  choses  de  Dieu,  la  vanité  du  monde  et  les  charmes  delà 
solitude,  lui  eut  permis  d'apprécier  plus  complètement  tous  les  trésors  de 
sagesse  et  de  piété  que  renfermait  cette  âme  d'élite,  il  résolut  de  tout  faire 
afin  de  le  fixer  auprès  de  sa  ville  épiscopale.  C'est  pourquoi  il  lui  choisit  et 
lui  montra  sur  le  penchant  de  la  montagne  où  elle  est  bâtie,  un  lieu  de  re- 
traite qui,  inaccessible  du  côté  de  la  cité  et  fermée  au  bas  par  la  Charente, 
présentait  toute  facilité  pour  y  vivre  séparé  du  monde,  comme  au  milieu 
du  désert  le  plus  reculé.  Ajoutons  qu'une  fontaine,  qui  suintait  du  rocher, 
fournissait  l'eau  nécessaire  à  l'ermite  et  complétait  le  charme  de  cette  soli- 
tude. Aussi,  dit  son  historien,  le  saint  homme  ne  l'eut  pas  plus  tôt  vue  qu'il 
en  fut  épris,  et  ne  pouvait  assez  exprimer  la  joie  de  son  âme.  Sans  doute 
il  lui  eut  été  doux  de  s'y  fixer  immédiatement,  mais,  par  un  sentiment  de 
délicatesse  et  de  subordination  religieuse,  il  ne  voulut  point  le  faire  avant 
d'avoir  obtenu  l'agrément  de  son  évêque  et  de  son  ancien  abbé.  Saint  Aptone 
se  chargea  de  cette  négociation,  et  députa  vers  Sébauris,  évêque  de  Péri- 
gueux,  et  vers  Martin,  abbé  de  Sessac  (aujourd'hui  Issigeac),  les  premiers 
prêtres  de  son  diocèse  :  c'étaient  l'archiprôtre  Fronton,  qui,  plus  tard , 
mérita  d'être  élevé  à  l'épiscopat  ;  l'archidiacre  Arthémius,  qui  est  appelé 
un  parfait  serviteur  de  Jésus-Christ  ;  et  un  autre  Arthémius,  qui  avait  le 
titre  de  défenseur,  c'est-à-dire  qui  était  chargé  de  soutenir  les  droits  civils 
de  l'église  d'Angoulême. 

Le  choix  des  envoyés  d' Aptone  montre  assez  quel  prix  il  attachait  à 
l'heureux  succès  de  leur  mission  ;  aussi  accueillit-il  avec  grande  joie  leur 
retour  et  la  réponse  favorable  qu'ils  lui  rapportaient.  Toute  la  ville,  certaine 
désormais  de  posséder  saint  Cybard,  et  appréciant  ce  riche  trésor,  témoigna 
à  l'homme  de  Dieu  le  plus  vif  intérêt,  et  l'on  s'occupa  activement  de  pré- 
parer la  grotte  où  il  devait  se  renfermer  ;  il  fallait,  en  effet,  la  clore  du  côté 
du  nord,  et  y  faire  quelques  autres  indispensables  appropriations.  En  atten- 
dant, Cybard  demeurait  dans  la  ville,  sans  doute  auprès  de  saint  Aptone, 
soupirant  après  le  jour  où  il  lui  serait  donné  de  s'ensevelir  dans  ce  tombeau 
de  son  choix.  La  nuit  qui  précéda  ce  jour  tant  désiré,  il  se  sentit  pressé  de 
visiter  sa  chère  solitude  ;  quittant  donc  sa  couche  à  l'heure  de  minuit,  il  s'y 
rendit  seul  et  secrètement  ;  et,  après  y  avoir  longtemps  prié,  parce  qu'il  se 
sentait  affaissé  par  le  sommeil,  il  prit,  nouveau  Jacob,  une  pierre  pour 
oreiller ,  et  eut ,  comme  le  patriarche ,  une  vision  céleste.  Un  ange 
lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Cybard,  demeure  ici,  et  ne  cherche  plus  d'autre 
solitude  »  :  ordre  divin  qui,  en  l'affermissant  dans  ses  pieux  desseins,  lui  en 
fit  vivement  souhaiter  la  prompte  réalisation.  Il  se  hâta  donc  de  revenir 
auprès  d'Aptone  pour  lui  raconter  cette  vision,  et  passa  près  de  la  prison  où 
gémissait  un  grand  nombre  de  prisonniers  de  guerre  qui,  n'ayant  pu  encore 
être  rachetés,  n'avaient  d'autre  perspective  que  d'être  retenus  captifs,  ou 
vendus  comme  esclaves.  On  sait  que  la  délivrance  ou  le  rachat  de  ces  infor- 
tunés était,  dans  ce  temps-là,  une  des  principales  œuvres  des  Saints,  et  que 
l'Eglise  y  employait  libéralement  ses  trésors  et  jusqu'aux  vases  de  l'autel  ; 
par  ce  noble  usage,  ces  vases  devenaient  rédempteurs  comme  le  sang  divin 
qui  se  consacrait  dans  leurs  coupes  vermeilles  ;  et  plus  d'une  fois  aussi, 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VU.  37 


578  1"  JUILLET. 

Dieu  autorisa  par  des  miracles  le  zèle  compatissant  de  ses  serviteurs.  C'est 
ce  qui  arriva  dans  cette  circonstance  ;  car  notre  Saint  se  sentit  inspiré  de 
prier  pour  ces  captifs,  et  il  eut  à  peine  achevé,  devant  la  porte  de  la  prison, 
sa  fervente  prière,  que  soudain,  sous  les  yeux  mêmes  du  geôlier,  cette  porte 
s'ouvre,  et  que  la  barre  de  fer  qui  la  fermait  se  brise  et  est  lancée  au 
dehors.  Les  prisonniers  se  précipitent  alors  vers  l'église  pour  y  chercher  un 
refuge  et  remercier  Dieu  de  leur  délivrance.  De  son  côté,  le  peuple  accourt, 
et  dans  ses  acclamations,  unit  au  nom  du  Seigneur,  qui  a  brisé  les  fers  des 
captifs,  celui  de  Cybard  qui,  sur  le  point  de  devenir  le  prisonnier  volontaire 
de  la  pénitence,  a  voulu  rendre  à  la  liberté  les  victimes  de  la  guerre  et  du 
malheur. 

On  comprend  aisément  qu'après  un  tel  miracle,  ce  même  peuple  ait  en 
foule  accompagné  notre  Saint,  lorsque  l'évêque,  suivi  de  son  clergé,  le  con- 
duisit à  la  grotte  qui  désormais  devait  être  son  séjour,  et  qu'il  l'y  renferma 
avec  tout  l'appareil  des  cérémonies  sacrées.  Et  maintenant  quelques-uns 
demanderont  peut-être  ce  que  pouvait  faire  le  saint  reclus  dans  son  étroite 
et  silencieuse  cellule  :  il  y  faisait  ce  que  depuis  l'âge  de  quinze  ans  jusqu'à 
celui  de  cent  treize,  fit  saint  Paul,  ermite,  au  fond  des  déserts,  et  ce  qu'ont 
fait  dans  tous  les  siècles  tant  d'hommes  éminents  qui  ont  passé,  soit  leur 
vie  tout  entière,  soit  de  longues  années  dans  la  retraite  la  plus  profonde, 
et  qui  n'étaient  jamais  plus  éloquents  que  lorsqu'ils  parlaient  de  leur  chère 
solitude.  C'est  qu'ils  s'occupaient  de  Dieu,  qu'ils  conversaient  avec  lui,  qu'ils 
méditaient  sa  parole ,  et  qu'ils  y  trouvaient  une  source  inépuisable  de 
pures  et  saintes  joies.  Ajoutons  encore  que,  grâce  à  l'abondance  de  péni- 
tences, de  prières,  d'expiations  et  de  souffrances  que  saint  Cybard  multi- 
pliait chaque  jour,  il  avait  plus  de  faveurs  réelles  à  distribuer,  et  plus  de 
bienfaits  à  répandre  que  le  plus  opulent  monarque.  Saint  Aptone  le  comprit 
tout  d'abord,  et  pour  étendre  encore  cette  salutaire  influence  par  la  prédica- 
tion et  la  direction  des  âmes,  il  éleva  Cybard  au  sacerdoce,  et  permit  à  plu- 
sieurs de  ses  clercs  de  se  mettre  sous  sa  conduite.  Lui-même  venait  souvent 
le  visiter,  et  entre  ces  deux  saints  les  heures  s'écoulaient  douces  et  rapides 
dans  leurs  suaves  entretiens  sur  les  choses  spirituelles.  De  plus,  à  des  jours 
et  à  des  heures  déterminées,  les  fidèles  se  réunissaient  devant  sa  grotte,  soit 
pour  assister  à  la  messe  et  recevoir  la  sainte  communion  qu'il  leur  donnait 
par  une  petite  fenêtre  grillée,  soit  pour  écouter  ses  instructions,  ou  recueil- 
lir ses  avis,  et  surtout  ses  consolations,  car  il  possédait  tout  spécialement  le 
don  de  soulager  l'affliction  des  âmes,  plus  encore  même  que  celui  de  guérir 
les  maux  du  corps,  quoique  cependant  le  miracle  lui  fût  comme  familier. 
Son  historien  nous  dit,  en  effet,  qu'il  guérit  plusieurs  lépreux,  qu'il  délivra 
des  possédés,  qu'il  rendit  la  vue  à  trois  aveugles  et  opéra  beaucoup  d'autres 
guérisons  par  l'onction  de  l'huile  bénite  qu'il  conservait  dans  sa  cellule. 
Parmi  ces  faits  miraculeux,  nous  choisissons  les  deux  suivants,  qui  nous  ont 
paru  particulièrement  remarquables. 

Une  dame  de  noble  naissance,  nommée  Clara,  ou  Arania,  avait  les  membres 
tout  contractés  par  une  horrible  maladie.  Sur  la,  réputation  de  saint  Cybard, 
elle  se  fit  amener  vers  lui,  et  le  supplia  à  grands  cris  d'avoir  pitié  d'elle  ;  il 
la  retint  près  de  sa  grotte  une  semaine  entière,  la  recommandant  vivement 
à  Dieu,  et  puis  la  renvoya  parfaitement  guérie.  Si  sa  reconnaissance  fut 
grande,  sa  confiance  en  l'intercession  de  notre  Saint  ne  fut  pas  moindre  :  on 
en  jugera  par  le  trait  suivant  :  rentrée  dans  son  pays  et  dans  sa  maison,  qui 
était  située  sur  le  bord  de  la  mer,  elle  vit  un  jour  un  navire  prêt  à  périr  au 
milieu  des  flots,  elle  invoqua  aussitôt  le  secours  de  Dieu  et  les  prières  de 


SAINT   GYBARD   OU  ÉPARQUE,    SOLITAIRB.  579 

saint  Cybard  ;  puis  se  rappelant  qu'elle  possède  une  lettre  de  lui,  elle  court 
la  chercher,  et  l'étendant  vers  le  rivage,  elle  s'écrie  :  «  Cybard,  serviteur  de 
Dieu,  cette  lettre  est  un  gage  de  votre  charité  ;  daignez,  par  le  nom  de  Jésus- 
Christ,  la  faire  servir  au  salut  de  ces  malheureux.  Son  espérance  ne  fut 
point  trompée,  car  soudain  le  navire,  malgré  la  violence  des  vagues,  vint 
aborder  heureusement,  loin  de  tous  les  ports,  au  lieu  même  où  elle  se  tenait 
en  prières. 

Le  second  miracle  eut  lieu  sur  la  personne  d'un  jeune  homme  nommé 
Artémius,  et  il  nous  montre  la  vertu  simple  et  modeste  du  véritable  soli- 
taire en  opposition  avec  l'orgueilleux  fanatisme  d'un  faux  religieux.  Arté- 
mius, de  lui-même,  sans  écouter  aucun  conseil,  et  en  dehors  de  l'autorité 
de  son  évêque,  s'était  fait  reclus  dans  le  pays  de  Saintonge;  mais  ni  sa  vertu 
ni  sa  tête  n'étaient  assez  solides  pour  un  pareil  genre  de  vie.  Aussi,  après 
quelques  années  d'une  imprudente  réclusion,  on  le  vit  tout  à  coup  tomber 
en  démence,  et  demander  qu'on  le  conduisît  au  roi  Childebert,  parce  qu'il 
devait,  disait-il,  prendre  ses  ordres  afin  de  visiter  ensuite  et  d'inspecter  le 
royaume.  Ses  parents  désolés,  feignant  d'entrer  dans  ses  vues,  se  mirent  en 
route  avec  lui,  et,  moitié  par  ruse,  moitié  par  force,  l'amenèrent  à  la  grotte 
de  saint  Cybard.  Mais,  en  présence  du  Saint,  Artémius  tomba  dans  un  subit 
accès  de  fureur,  ses  cheveux  qu'il  portait  très-longs,  s'agitèrent  en  désordre, 
ses  bras  se  tordirent  violemment,  et  ses  doigts  se  crispèrent  convulsive- 
ment ;  il  s'écriait  en  même  temps  qu'il  ne  reconnaissait  personne  qui  lui  fût 
égal  en  sainteté,  et  qu'ainsi  c'était  lui  faire  outrage  que  de  l'amener  à  un 
autre  solitaire  ;  il  mêlait  en  outre  à  ces  inepties  mille  autres  folies,  et  même 
des  paroles  de  blasphème.  Cependant  notre  Saint,  touché  de  compassion, 
étendit  la  main  par  la  fenêtre  de  sa  cellule,  et  fit  sur  lui  le  signe  de  la  croix. 
A  l'instant  tous  ces  cris  et  ces  fureurs  cessèrent;  le  jour  suivant  il  ordonna 
de  lui  couper  les  cheveux,  ce  qu'on  ne  put  exécuter  qu'avec  peine,  parce 
qu'Artémius  y  opposa  une  forte  résistance,  et  le  surlendemain  saint  Cybard 
déclara  qu'il  pouvait  être  admis  parmi  les  clercs  et  recevoir  la  tonsure. 
Cela  fait,  le  pauvre  jeune  homme  demeura  parfaitement  tranquille,  et  après 
quelques  jours,  que  le  Saint  employa  à  le  consoler  et  à  l'instruire,  il  revint 
auprès  de  sa  famille  complètement  sain  d'esprit  et  de  corps.  Sa  guérison  ne 
se  démentit  point  jusqu'à  sa  mort,  et  on  la  jugea  même  si  solide  qu'Arté- 
mius fut  plus  tard  élevé  au  diaconat. 

La  tendre  compassion  que  saint  Cybard  avait  toujours  eue  pour  les  pri- 
sonniers et  les  captifs  l'avait  suivi  dans  sa  retraite  :  leur  délivrance  était 
encore  son  œuvre  de  prédilection,  et  il  y  employait  l'or  et  l'argent  que 
les  aumônes  des  fidèles  versaient  à  ses  pieds.  On  ne  porte  pas  à  moins  de 
deux  mille  le  nombre  de  ceux  qu'il  rendit  ainsi  à  la  liberté.  Sa  charité  s'é- 
tendait également  envers  les  criminels  eux-mêmes  ;  et  souvent  saint  Cybard 
se  servit  avec  bonheur  auprès  des  juges,  soit  pour  modérer  la  peine,  soit 
pour  obtenir  une  grâce  entière,  de  l'ascendant  que  lui  donnaient  sa  vertu 
et  sa  sainteté.  Cependant  un  jour  il  se  vit  refuser  par  le  comte,  ou  gouver- 
neur d'Angoulôme,  la  commutation  de  la  peine  de  mort  qu'il  avait  pronon- 
cée contre  un  voleur  que  la  clameur  publique  accusait  avec  plus  de  violence 
que  de  justice.  La  sentence  fut  donc  exécutée  en  présence  du  gouverneur 
et  d'un  peuple  nombreux.  Averti  de  l'heure  de  cette  exécution,  saint  Cybard 
y  envoya  un  de  ses  moines,  lui  disant  :  a  Sachez,  mon  frère,  que  ce  que 
l'homme  nous  a  refusé.  Dieu  par  sa  grâce  nous  l'accordera  ».  Il  se  mit  alors 
en  prières,  et  lorsque  le  religieux  arriva  au  lieu  du  supplice,  tout  était  con- 
sommé, le  voleur  avait  été  pendu,  et  la  foule  se  retirait  satisfaite  et  insou- 


S80  1"  JinLLET. 

cieuse.  Cependant  le  moine,  les  yeux  fixés  sur  la  potence,  attendait  avec 
confiance  l'effet  des  paroles  de  son  saint  abbé  :  et  voilà  que  soudain  la  corde 
se  rompt  d'elle-même,  ainsi  que  les  chaînes  qui  liaient  le  pendu,  et  il  tombe 
par  terre,  libre  de  tous  ses  membres.  Le  moine  court  aussitôt  à  lui,  s'em- 
presse de  lui  dire  à  qui  il  doit  sa  délivrance,  et  le  conduit  sain  et  sauf  de- 
vant son  libérateur.  Celui-ci,  après  avoir  remercié  Dieu,  fait  prier  le  comte 
de  se  rendre  à  sa  grotte,  et  lui  présente  vivant  cet  homme  qu'il  reconnaît 
parfaitement  pour  le  même  qu'il  avait  laissé  pour  mort  peu  d'instants  au- 
paravant. Frappé  de  stupeur,  il  se  jette  alors  aux  pieds  du  saint  abbé,  lui 
promettant  d'être  à  l'avenir  plus  docile  à  ses  requêtes,  et  de  ne  pas  tant 
prodiguer  la  peine  de  mort. 

Quelque  extraordinaire  que  nous  paraisse  ce  miracle,  on  ne  saurait  en 
révoquer  l'authenticité,  car  saint  Grégoire  de  Tours,  qui  le  rapporte  au 
sixième  livre  de  son  Histoire  des  Francs,  déclare  tenir  ce  récit  de  la  bouche 
du  comte  lui-même.  En  outre ,  à  moins  de  ne  vouloir,  de  parti  pris, 
croire  à  aucun  fait  surnaturel,  ni  à  aucune  intervention  de  Dieu  dans 
les  événements  humains,  on  ne  peut  dire  qu'un  tel  miracle  fut  indigne  de 
sa  puissance,  de  sa  sagesse  et  de  sa  bonté,  car  il  était  une  grande  leçon 
donnée  aux  juges  qui,  en  ces  temps ,  condamnaient  si  légèrement  un 
homme  à  mort,  et  au  peuple  qui,  souvent,  par  caprice  ou  par  une  aveugle 
prévention,  exigeait  le  supplice  d'un  innocent.  Rien  n'était  donc  plus  digne 
de  Dieu  que  de  protéger^  par  un  signe  éclatant,  la  vie  humaine  contre  de  si 
effroyables  excès. 

Cependant  quelques  disciples  étant  venus  se  placer  sous  la  direction  de 
saint  Gybard,  il  leur  assigna  d'abord  pour  habitation  les  quatre  ou  cinq 
grottes  voisines  de  la  sienne,  et  puis,  comme  leur  nombre  augmentait,  il 
leur  fît  bâtir  un  monastère,  au  bas  de  la  colline.  Quoique  renfermé  dans  sa 
cellule,  il  gouvernait  par  sa  parole  cette  communauté  avec  autant  de  dou- 
ceur que  de  force,  car  il  savait  au  besoin  reprendre  sévèrement  les  religieux 
qui  s'écartaient  de  la  Règle.  D'ailleurs  ils  venaient  fréquemment,  ou  tous 
ensemble,  ou  chacun  en  particulier,  recevoir  ses  instructions  ;  et  nul  ne  se 
retirait  sans  avoir  réchauffé  sa  piété,  ou  ranimé  sa  langueur  au  feu  céleste 
de  son  âme.  Une  des  prescriptions  de  la  Règle  ordonnait  que  les  moines  ne 
vivraient  que  des  aumônes  volontaires  des  fidèles  ;  et  l'on  présume  facile- 
ment que  plus  d'une  fois  celte  Règle  les  réduisit  à  de  dures  privations.  Il 
arriva  même  un  jour  que  le  pain  leur  manqua  absolument  ;  alors  ils  vinrent, 
tristes  et  abattus,  crier  famine  à  la  grotte  de  saint  Cybard.  Mais  celui-ci,  les 
accueillant  avec  une  aimable  gaîté,  leur  dit  :  «  Allons,  mes  enfants,  la  foi 
ne  craint  pas  la  faim  »;  et  puis,  pour  ranimer  leur  courage  et  peut-être 
aussi  pour  charmer  leur  appétit,  il  se  mit  à  leur  raconter  certains  traits 
merveilleux  de  la  vie  des  Pères  du  désert.  Or,  tandis  qu'il  leur  parlait,  on 
apporta  au  monastère  des  provisions  si  abondantes,  qu'il  y  eut  de  quoi  res- 
taurer non-seulement  toute  la  communauté,  mais  encore  un  grand  nombre 
de  pauvres. 

Si  nous  entrons  maintenant  dans  la  vie  intime  de  saint  Cybard,  nous 
dirons  que  l'austérité  de  ses  jeûnes  et  de  ses  veilles  paraît  à  peine  croyable, 
qu'il  ne  but  jamais  de  vin,  que  ses  repas  étaient  si  courts  et  si  légers  qu'on 
ne  comprenait  pas  qu'il  pût  se  soutenir,  que  son  lit  n'était  qu'une  nattff 
placée  sur  le  rocher  nu,  et  que  son  vêtement  pauvre  et  grossier  était  d'une 
rudesse  qui  en  faisait  un  vrai  cilice.  Ses  austérités  s'augmentaient  encore 
d'une  manière  effrayante  pendant  le  Carême  et  à  certains  autres  temps  de 
l'année.  D'ailleui's,  sans  cesse  appliqué  à  la  prière,  donnant  à  la  psalmodie 


SAINT   CYDARD   OU  ÉPARQUE,   SOLITAIRE.  581 

et  à  la  récitation  de  l'office  divin  la  meilleure  partie  des  nuits,  il  n'interrom- 
pait ses  entretiens  avec  Dieu  que  pour  instruire  des  choses  de  la  vie  spiri- 
tuelle les  religieux  de  son  monastère  et  les  séculiers  (fui  venaient  lui  demander 
des  avis  ou  des  conseils.  Mais,  quels  qu'ils  fussent,  il  les  ravissait  tous  par  son 
humilité  et  son  inaltérable  douceur.  Enfin,  après  avoir  passé  trente-neuf  ans 
dans  cette  réclusion  sévère,  sans  en  avoir  jamais  témoigné  la  moindre  fati- 
gue, ni  le  moindre  ennui,  il  fut  pris  d'une  petite  fièvre  et  rendit  paisible- 
ment son  âme  à  Dieu,  le  1"  juillet  381 ,  et  à  la  même  heure  qu'il  avait  entendu 
la  voix  céleste  qui  lui  disait  :  «  Cybard,  demeure  ici  et  ne  cherche  plus 
d'autre  habitation  ».  Dès  qu'il  eut  expiré,  on  retira  son  saint  corps  de  sa 
cellule  et  on  le  descendit  au  monastère  pour  l'enterrer  dans  l'église.  Il  se  fit 
à  ses  funérailles,  que  Dieu  honora  par  plusieurs  miracles,  un  grand  con- 
cours de  peuple.  Mais  ce  qu'il  y  eut  de  plus  touchant,  ce  fut  la  multitude 
des  captifs  qu'il  avait  délivrés,  et  qui  y  accoururent  tous  pour  offrir  à  leur 
bienfaiteur  ce  dernier  hommage  de  reconnaissance. 

On  le  trouve  représenté  :  1°  versant  un  sac  d'argent  sur  une  pierre 
devant  un  de  ses  disciples,  pour  lui  apprendre  le  mépris  des  richesses  ; 
2°  placé  au  milieu  d'une  gloire  d'où  partent  des  rayons  oii  sont  écrits  les 
noms  des  vertus  qui  ont  le  plus  honoré  sa  vie  et  contribué  à  sa  canonisation  ; 
3"  ayant  près  de  lui  une  chaîne,  ou  mieux  des  prisonniers  dont  les  chaînes  se 
brisent  :  c'est  la  caractéristique  ordinaire  des  saints  qui,  surtout  à  l'époque 
mérovingienne,  interposèrent  une  protection  souvent  bénie  de  Dieu  entre  la 
race  conquise  et  les  envahisseurs  qui  la  rudoyaient;  4°  un  vitrail  de  l'église 
de  la  Rochefoucauld  (Charente)  retrace  la  vision  qu'il  eut  dans  sa  grotte. 

Saint  Cybard  est,  avec  saint  Pierre,  le  patron  d'Angoulême. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

Peu  après  sa  mort,  on  commença  à  lui  rendre  un  culte  public,  et  l'évêque  d'Angoulême  Nica- 
«ien,  monté  depuis  un  an  seulement  sur  ce  siège,  s'associant  à  l'élan  des  populations,  donna  le 
premier  l'exemple  de  bâtir  une  église  sous  le  vocable  de  saint  Cybard.  A  son  imitation,  un  grand 
nombre  de  paroisses  dans  les  diocèses  d'Augoulénie,  de  Périgueux,  de  Saintes,  de  Poitiers  et  de 
Limoges  le  choisirent  pour  patron  ;  et  le  monastère  qu'il  avait  fondé  devint  le  but  d'un  pèlerinage, 
OÙ  l'on  venait  de  très-loin  vénérer  le  corps  du  Saint  que  la  piété  de  ses  enfants  avait  religieuse- 
ment déposé  sous  le  maitre-autel  de  l'église.  Mais,  en  1568,  les  protestants,  s'étant  emparés  du 
monastère,  massacrèrent  les  religieux,  violèrent  les  tombeaux  de  plusieurs  comtes  et  évêques  d'An- 
goulême qui  y  avaient  choisi  leur  sépulture,  et  brûlèrent  les  reliques  de  saint  Cybard.  On  n'ea 
conserve  plus  aujourd'hui  dans  l'église  cathédrale  que  quelques  petits  fragments.  Quant  au  monas- 
tère, il  se  releva  de  ses  ruines  et  subsista  jusqu'en  1791,  époque  à  laquelle  il  fut  vendu,  et  en  grande 
partie  démoli.  Cependant  quelques  portions  subsistent  encore,  entre  autres  la  salle  capitulaire  et  la 
moitié  des  cloîtres  ;  et  elles  font  partie  de  fabriques,  d'usines  et  de  maisons  particulières.  Il  ne 
reste  plus,  pour  consoler  la  piété  de  tant  de  pertes,  que  la  grotte  du  Saint. 

Cette  grolle,  pieusement  fréquentée  par  la  dévotion  des  fidèles,  fut,  en  1673,  et  par  les  soins 
de  Henri  de  RelTuge,  abbé  commendataire  de  Saint-Cybard,  un  peu  agrandie  vers  le  fond.  Je 
manière  à  laisser  en  saillie  le  lieu  où  se  tenait  habituellement  le  Saint.  C'est  à  cet  endroit  qu'oa 
éleva  un  autel  que  François  de  Péricard,  un  des  plus  grands  évêques  d'Angoulême,  consacra  le 
21  août  de  la  même  année.  Il  fit  aussi  sculpter  dans  le  roc  vif  le  bas-relief  qu'on  voit  encore 
aujourd'hui  et  qui  représente  la  vision  de  saint  Cybard.  .Mais,  au  milieu  du  siècle  dernier,  un  che- 
min, qui  montait  du  pont  de  Saint-Cybard  à  la  place  du  Palet,  ayant  séparé  de  l'enclos  de  l'abbaye 
le  haut  du  coteau,  la  grotte  fut  trop  négligée  par  les  religieux,  et  ils  cessèrent  d'y  célébrer  la  messe 
même  le  jour  de  la  fête  du  Saint.  Puis  vint  la  Révolution  de  1793  qui  vendit  l'abbaye  et  le  terraia 
OÙ  se  trouvait  la  sainte  grotte.  Le  nouveau  propriétaire  l'utilisa  en  conservant  des  instruments  da 
jardinage,  et  les  choses  restèrent  en  cet  état  jusqu'en  l'année  1831,  époque  à  laquelle  Mgr  Cousseau, 
évêqiie  d'Angoulême,  eut  la  bonne  inspiration  d'acquérir  cette  grotte  si  pleine  de  religieux  souve- 
nirs et  de  la  rendre  au  culte  du  pieux  solitaire.  C'est  ce  qui  eut  lieu  le  l«f  juillet  de  cette  année 
1831,  et  le  douze  cent  soixante-dixième  anniversaire  de  la  mort  de  saint  Cybard.  Depuis,  Sa  Gran- 
deur ne  manque  jamais  d'y  venir  tous  les  ans  célébrer  le  saint  sacrifice,  et  rien  n'est  plus  touchant 
que  celte  messe  dite  dans  ce  lieu  élevé  et  en  même  temps  souterrain,  qui  rappelle  à  la  fois  les 


582  1"  JUILLET. 

catacombes  de  Rome  et  les  cellules  de  la  Thébaïde.  Un  autre  projet  de  Monseigneur  est  de  rétablir 
l'ancien  monastère  de  Saint-Cybard  en  le  plaçant  au  milieu  du  faubourg  qui  porte  son  nom  ;  déjà 
une  élégante  chapelle  a  été  construite  qui,  plus  tard,  deviendra  l'église  abbatiale,  et  chaque  dimanche 
on  y  dit  la  messe.  Puisse  cette  œuvre  sainte,  qui  projettera  une  gloire  nouvelle  sur  Tépiscopat  de 
Mgr  Cousseau,  se  réaliser  bientôt  !  et  puissons-nous  ainsi  voir  refleurir  parmi  nous  les  grands 
souvenirs  monastiques  de  saint  Cybard  I 

Nous  devons  cette  biogra-phle  à  l'obligeance  de  M.  J.  Duchassaing,  chanoine  honoraire  d'Angoulémef 
qui  l'a  extraite  de  la  vie  du  saint  publiée,  en  1851,  par  Mgr  Cousseau. 


S.  HUMOLD  OU  ROMBAUD  ',  EYEQUE  ET  MARTYR, 

PATRON  ET  APOTRE  DE  MALINES 
175.  —  Pape  :  Adrien  !•'.  —  Roi  de  France  :  Carloman. 


Verx  divitix  sunt  paupertas  cupiditatum. 
Les  vrais  riches  sont  ceux  qui  sont  pauviesen  déslrt. 
S.  Clem.  Alex.,  lib.  ii  Pxdagog. 

Saint  Rumold,  Anglo-Saxon  de  naissance,  quitta  le  monde  dès  sa  jeu- 
nesse pour  embrasser  la  pauvreté  volontaire;  convaincu  que  tout  ce  qui 
excède  les  besoins  de  la  nature  est  un  fardeau  pesant  et  dangereux,  il  s'in- 
terdit l'usage  de  tous  les  plaisirs.  Entraîné  par  le  désir  de  la  perfection,  il 
partit  pour  Rome,  afin  de  visiter  le  tombeau  des  saints  Apôtres  et  tous  les 
lieux  consacrés  par  la  religion  dans  la  capitale  du  monde  chrétien.  Chemin 
faisant,  il  ne  perdait  aucune  occasion  d'annoncer  la  parole  de  Dieu.  Pen- 
dant son  séjour  à  Rome,  il  visitait  continuellement  les  tombeaux  des 
Apôtres  et  des  Martyrs;  il  se  représentait  par  l'imagination  leurs  vertus  et 
leurs  combats,  et  le  désir  ardent  du  martyre  s'emparait  de  plus  en  plus  de 
son  âme. 

Obéissant  à  un  avertissement  d'en  haut,  il  se  mit  en  route  pour  la  Gaule, 
ayant  obtenu  la  bénédiction  du  souverain  Pontife,  et  il  vint  à  Malines,  oti 
il  fut  reçu  avec  bienveillance  par  le  comte  Adon,  à  l'épouse  duquel  il  an- 
nonça une  heureuse  fécondité.  11  conféra  le  baptême  à  l'enfant  qu'elle  mit 
au  monde,  et  lui  donna  le  nom  de  Libert.  Plus  tard,  cet  enfant  s'étant 
noyé,  le  Saint  le  rappela  à  la  vie.  En  reconnaissance  d'un  si  grand  bienfait, 
les  parents  donnèrent  une  terre  à  Rumold,  et  le  Saint  commença  la  cons- 
truction d'un  monastère  qui  fut  plus  tard  changé  en  un  collège  de  cha- 
noines réguliers. 

Rumold  établit  la  foi  du  Christ  à  Malines  et  dans  les  lieux  du  voisinage, 
avec  tant  de  zèle  et  de  fatigues,  qu'il  a  mérité  d'être  nommé  l'apôtre  de 
Malines.  Souvent  il  interrompait  les  fonctions  extérieures  du  ministère 
pour  aller  se  recueillir  dans  la  solitude.  11  y  fut  assassiné  le  24  juin  775,  par 
deux  scélérats,  dont  l'un,  coupable  d'adultère,  avait  éprouvé  les  effets  de 
son  zèle.  Les  assassins  jetèrent  son  corps  dans  une  rivière;  mais  il  fut  dé- 
couvert miraculeusement  et  enterré  par  les  soins  du  comte  Adon,  dans 
l'église  de  Saint- Etienne;  on  transféra  depuis  ses  reliques  dans  une  église 

1.  Alias:  Rimaud,  Uaimbaud,  Rouband,  Grlmbaut,  Ramwold,  Rumwold,  Rumoldus. 


SAINT  THIBAUT,   PRÊTRE   ET  ERMITE  EN  ITALIE.  583 

de  son  nom,  qui  est  à  Malines,  et  que  le  pape  Paul  TV  éleva  à  la  dignité  de 
métropole.  Le  3  avril  1369,  elles  furent  déposées  dans  une  châsse  d'argent 
doré  qui  fut  fondue  en  1578  pendant  les  troubles  qui  agitèrent  les  Pays- 
Bas.  Cette  perte  fut  réparée  en  1631,  au  moyen  d'une  seconde  châsse  en 
argent;  elle  fut  enlevée  en  1794,  à  la  seconde  invasion  des  armées  fran- 
çaises, et  portée  à  la  monnaie  de  Bruxelles  pour  satisfaire  aux  exactions  de 
l'ennemi.  Enfin,  en  1823,  à  l'occasion  du  jubilé  semi-séculaire  qui  fut  cé- 
lébré à  Malines,  le  diocèse  contribua  par  des  dons  volontaires  à  la  confec- 
tion d'une  nouvelle  châsse  d'argent  qui  existe  encore  aujourd'hui. 

On  le  représente  :  1°  ayant  une  couronne  sur  la  tête,  parce  qu'il  passe 
pour  le  fils  d'un  seigneur  écossais  ou  irlandais;  2°  rendant  la  vie  au  jeune 
duc  de  Malines  qui  était  noyé  depuis  trois  jours;  3°  prêchant  dans  un  bois; 
4°  venant  en  France  et  guérissant  un  aveugle;  5.'  remettant  au  Pape  les  in- 
signes de  l'épiscopat  pour  se  faire  moine;  6°  guérissant  un  possédé;  7°  fai- 
sant bâtir  un  monastère;  8"  protégeant  par  ses  prières  une  religieuse  enle- 
vée par  des  pirates;  9°  faisant  sortir  de  la  terre,  en  la  frappant  de  sa  crosse, 
une  source  d'eau  vive;  10°  assommé  à  coup  de  pioche,  de  pic,  de  hache  et 
de  massue  par  des  ouvriers  qu'il  employait  à  la  construction  de  son  église 
et  qu'il  avait  blâmés  pour  leur  inconduite;  11°  retrouvé  dans  l'eau  par 
suite  d'une  lumière  miraculeuse  qui  s'était  élevée  au-dessus  de  la  place  oii 
son  corps  avait  été  jeté  par  ses  meurtriers;  12°  glorieuxet  foulant  aux  pieds 
ses  assassins  '. 

Acta  Sanctorum,  tome  i*'  de  juillet  ;  —  Cf.  Propre  de  Malines,  Godescard,  Rivet,  etc. 


SAINT  THIBAUT  '  DE  PROVINS, 

DE  L'ORDRE  DES  CAMALDULES,  PRÊTRE  ET  ERMITE  EN  ITALIE 


lOn-lOfiB.  —  Papea  :  Cenoit  VJH;  Alesandie  II.  —  Empereurs  d'Allemagne  :  Heari  II; 

Hemi  IV. 

Per  vita  attstsritatem  vincihtr  hostis. 
C'est  par  uue  rie  mortifiée  qu'où  triomphe  de 
l'eujienii. 

Uu£0  CArd.,  sup.  ptalm.  xxsiv. 

Thibaut  naquit  à  Provins,  une  des  villes  les  plus  considérables  de  la  Brie  : 
son  père  s'appelait  Arnoul,  et  sa  mère  Gisle  ou  Guille  ;  tous  deux  étaient  d'une 
illustre  famille  et  alliés  aux  plus  grandes  maisons  du  royaume  ;  quelques 
auteurs  les  font  même  descendre  de  nos  rois,  et  d'autres  prétendent  qu'Ar- 
noul  était  issu  des  comtes  de  Brie  et  de  Champagne.  Avant  que  cet  enfant 
vînt  au  monde,  Dieu  fit  connaître  quelle  serait  sa  sainteté  par  deux  prédic- 
tions qui  donnèrent  beaucoup  de  joie  à  ses  parents;  car  un  jour,  le  bien- 
heureux Thibaut,  archevêque  de  Vienne,  son  grand  oncle,  s' entretenant 

1.  On  peut  voir  ces  diverses  représentations  :  1°  dans  les  peintures  murales  exécutées  dans  l'église  de 
Malines  en  1590;  2'  dans  les  Acta  Sanctorum,  tome  i"  de  juillet  (édit.  Palmé,  1867),  ils  donnent  la  figure 
du  Saint  en  pied,  et  sa  châsse,  style  xvi«  ou  xvu*  siècle,  »ve6  b»s-reliefo  représeuiaot  divers  sujets  do  la 
Tle  de  l'Apôtre  de  Malines. 

9.  Alias  :  Thibault,  Tliibert. 


584  1"  JUILLET. 

avec  son  aïeule,  lui  dit  entre  autres  choses  qu'elle  avait  grand  sujet  de  se 
consoler,  parce  qu'elle  aurait  une  fille  dont  le  fils  serait  grand  devant  Dieu 
et  devant  les  hommes,  et  surpasserait  tous  ses  ancêtres  en  vertu  et  en  mé- 
rite. Et  un  peu  avant  sa  naissance,  une  pauvre  femme  ayant  abordé  sa  mère 
l'assura  que  celui  qu'elle  portait  dans  son  sein  était  prédestiné  de  Dieu,  et 
qu'il  serait  la  gloire  de  toute  sa  race  et  l'honneur  de  sa  patrie. 

Ayant  reçu  de  ses  parents  des  gouverneurs  et  des  maîtres  d'une  sagesse 
et  d'une  probité  singulières,  il  répondit  si  parfaitement  à  leurs  soins,  qu'on 
■yie  vit  jamais  rien  de  puéril  en  ses  mœurs,  ni  de  léger  et  d'enfantin  dans  sa 
conduite;  mais  il  fit  toujours  paraître  beaucoup  de  retenue,  de  modestie, 
de  piété  et  de  dévotion.  Le  monde  ne  fut  point  contagieux  pour  lui.  Il  était 
au  milieu  des  plaisirs  et  des  grandeurs,  et  il  avait  dans  sa  maison  tout  ce  qui 
peut  flatter  la  convoitise  et  la  vanité  ;  mais  il  ne  laissa  pas  d'y  conserver  son 
innocence  et  d'y  demeurer  aussi  détaché  des  choses  de  la  terre  que  s'il  eût 
vécu  dans  les  déserts.  On  lui  apprit  à  monter  à  cheval,  à  faire  des  armes  et 
à  dessiner  des  fortifications  ;  mais  ce  qu'il  disposait  dans  son  cœur,  c'était  de 
combattre  le  démon  et  ses  passions  par  ces  armes  spirituelles  que  saint 
Paul  appelle  le  bouclier  de  la  foi,  le  casque  du  salut  et  l'épée  ou  le  glaive 
de  l'esprit.  La  cour  même,  toute  dangereuse  qu'elle  est,  ne  servit  qu'à  lui 
découvrir  la  vanité  de  ce  que  les  hommes  recherchent  avec  tant  d'ardeur, 
et  qui  les  engage  en  tant  de  pensées  et  de  désirs  inutiles. 

La  plus  forte  inclination  de  notre  jeune  seigneur  était  pour  la  solitude. 
Il  était  charmé  de  la  vie  angélique  d'Elie  et  d'Elisée  sur  le  Mont-Carmel, 
de  saint  Jean-Baptiste  sur  les  bords  du  Jourdain,  et  il  ressentait  la  plus 
grande  joie  au  récit  des  vertus  des  Paul,  des  Antoine,  des  Hilarion  et  des 
Pacôme,  dans  les  déserts  de  l'Egypte  et  de  la  Thébaïde  ;  la  sévérité  de  leur 
silence,  leur  abstinence  continuelle,  leur  assiduité  à  l'exercice  de  l'oraison 
et  de  la  contemplation,  leur  amour  pour  la  pauvreté  et  la  familiarité  qu'ils 
avaient  avec  les  Anges  étaient  des  attraits  tout-puissants  qui  enlevaient  son 
âme  et  lui  rendaient  les  délices  de  la  cour  insipides.  Il  forma  donc  le  des- 
sein de  les  imiter  ;  mais,  comme  il  était  doué  d'une  grande  sagesse  et  d'une 
prudence  singulière,  se  défiant  de  ses  propres  lumières  et  des  sentiments 
qu'il  éprouvait  dans  son  cœur,  il  prit  la  résolution  de  consulter  un  ermite 
nommé  Burchard,  qui  vivait  en  solitaire  sur  les  bords  de  la  Seine,  oh  il  était 
en  grande  réputation  de  sainteté.  Quelques-uns  disent  que  cet  ermite  avait 
été  son  précepteur,  et  que,  dégoûté  des  vices  de  la  cour,  il  s'était  retiré  sur 
ces  rivages  pour  faire  pénitence,  et  qu'ensuite  il  se  fit  religieux  à  Sens  dans 
l'abbaye  de  Saint-Pierre  le  Vif.  D'autres  croient  que  c'était  le  bienheureux 
Burchard,  qui,  d'ermite  sur  les  bords  de  la  Seine,  en  Bourgogne,  fut  fait 
archevêque  de  Vienne  à  la  sollicitation  de  Rodolphe^,  roi  de  Bourgogne,  et 
d'Irmengarde,  son  épouse  ;  Dieu  a  manifesté  sa  sainteté  en  nos  jours,  disait 
le  père  Giry  en  1685,  par  un  grand  nombre  de  guérisons  miraculeuses, 
qui  ont  été  faites  et  se  font  continuellement  à  son  tombeau  :  aussi  Jérôme 
de  Villars,  archevêque  et  comte  de  la  même  ville,  en  informa-t-il  le  pape 
Paul  V  et  le  sacré  collège  des  cardinaux. 

Thibaut  alla  donc  visiter  ce  saint  ermite,  et  lui  déclara  le  dessein  que 
Dieu  lui  inspirait  de  quitter  ses  parents  et  toutes  ses  connaissances  pour 
embrasser  la  vie  solitaire.  Burchard  le  retint  quelques  jours  dans  son  ermi- 
tage ;  et,  pour  éprouver  sa  vocation,  il  lui  fit  pratiquer  pendant  ce  temps 
tous  les  exercices  d'une  vie  pénitente.  Il  l'accoutuma  à  porter  la  haire,  à 
ensanglanter  son  corps  par  de  rudes  disciplines,  à  jeûner  souvent,  à  passer 
des  heures  entières  en  oraison,  les  bras  étendus  et  les  yeux  levés  vers  le 


SAINT  THIBAUT,   PRÊTRE  ET  ERMITE  EN  ITALIE.  585 

ciel,  à  mortiQer  ses  inclinations  et  ses  appétits,  en  un  mot,  à  se  faire  une 
guerre  continuelle  à  lui-même.  Quand  il  l'eut  suffisamment  éprouvé,  re- 
connaissant la  vérité  de  l'éminence  de  sa  vocation,  il  l'encouragea  à  y 
obéir;  Thibaut  s'y  sentit  porté  plus  que  jamais,  et  il  conçut  un  si  grand 
désir  de  ce  bienheureux  état  qui  dégage  l'âme  de  toutes  les  choses  sensibles 
pour  l'attacher  seulement  aux  célestes  et  aux  éternelles,  que,  depuis,  nulle 
difficulté  ni  tentation,  ni  même  toute  la  rage  des  démons  n'ont  pu  l'arra- 
cher de  son  cœur.  Dans  ce  sentiment,  il  demanda  la  bénédiction  à  Bur- 
chard,  et,  ayant  pris  congé  de  lui,  il  revint  chez  ses  parents  pour  y  attendre 
le  temps  favorable  à  l'exécution  de  son  dessein. 

A  peine  y  fut-il  arrivé,  que  son  père,  qui  voulait  l'engager  dans  le  monde, 
et  établir  sa  fortune  par  une  grande  alliance,  lui  parla  de  se  marier.  En 
effet,  comme  il  était  fort  bien  fait,  et  que  ses  bonnes  qualités  de  corps  et 
d'esprit,  jointes  aux  avantages  de  sa  naissance  et  aux  richesses  de  sa  maison, 
le  rendaient  un  des  meilleurs  partis  du  royaume,  il  ne  pouvait  pas  espé- 
rer moins  qu'une  grande  princesse  ;  mais  la  personne  la  plus  accomplie  n'é- 
tait pas  capable  de  lui  plaire,  parce  que  s'étant  consacré  à  la  sagesse  éter- 
nelle, il  ne  voyait  rien  sur  la  terre  qui  lui  pût  être  comparé.  «  Toutes  les 
beautés  d'ici-bas  »,  disait-il  en  lui-môme,  «  passeront  comme  un  songe,  et 
nous  passerons  avec  elles.  Serais-je  assez  misérable  pour  m'y  amuser?  Elles 
me  quitteraient  bientôt;  il  faut  donc  que  je  les  quitte  le  premier  ».  Cepen- 
dant Eudes  II,  comte  de  Blois,  à  qui  la  reine  Constance,  femme  du  roi 
Robert,  avait  fait  donner  la  ville  de  Sens,  leva  une  grande  armée  pour  se 
mettre  en  possession  du  royaume  de  la  Haute-Bourgogne,  qu'il  prétendait 
lui  appartenir  après  la  mort  de  Rodolphe  III  (1032),  et  qui  lui  était  dispu- 
tée par  l'empereur  Conrad,  dit  le  Salique.  Arnoul,  père  de  notre  Saint,  qui 
était  parent  et  vassal  d'Eudes,  et  en  cetLe  qualité  obligé  de  le  soutenir,  leva 
quelques  compagnies  de  soldats  pour  cette  guerre.  Il  voulut  en  donner  le 
commandement  à  son  fils  encore  fort  jeune,  qui  par  ce  moyen  aurait  été  à 
la  tête  de  la  noblesse  de  Champagne.  Mais  notre  Saint  refusa  cet  honneur  : 
il  désirait  servir  Dieu  et  non  les  princes,  se  combattre  lui-même  au  lieu 
de  répandre  le  sang  des  autres.  Après  avoir  passé  encore  quelques  années 
dans  la  maison  paternelle,  il  résolut  d'abandonner  définitivement  le  monde  : 
il  quitta  sa  famille  avec  un  gentilhomme  de  ses  amis,  nommé  Gauthier,  et 
s'en  alla  à  Reims,  où  il  logea  dans  l'abbaye  de  Saint-Remi.  Ils  étaient  tous 
deux  à  cheval,  et  avaient  chacun  un  serviteur  qui  les  suivait  ;  mais  ayant 
laissé  les  serviteurs  et  les  chevaux  dans  l'hôtellerie,  ils  sortirent  à  pied  de 
la  ville,  changèrent  d'habits  avec  deux  pauvres  pèlerins  qu'ils  rencontrèrent 
en  chemin,  et  s'enfuirent  ainsi  nu-pieds  et  couverts  de  haillons  :  ayant 
passé  le  Rhin  ils  s'arrêtèrent  dans  la  forêt  de  Petingen,  enSouabe  (1033),  et 
s'y  construisirent  des  cellules. 

On  ne  peut  rien  concevoir  de  plus  humiliant  que  leur  manière  de  vivre 
en  cette  retraite.  On  dirait,  à  les  voir,  non-seulement  des  solitaires,  mais  aussi 
des  pauvres  et  des  mercenaires  ;  car,  pour  avoir  de  quoi  se  nourrir,  ils  vont 
de  temps  en  temps  dans  les  villages  et  les  hameaux  voisins,  où  ils  portent 
des  pierres  avec  les  maçons,  travaillent  aux  prés  avec  les  faucheurs,  font  du 
charbon  avec  les  charbonniers,  nettoient  les  étables  et  les  écuries  avec  les 
moindres  valets  et  s'abaissent  aux  autres  ministères  les  plus  vils  de  la  cam- 
pagne. S'ils  reçoivent  quelque  argent  de  leur  travail,  ce  n'est  que  pour  avoir 
un  peu  de  pain,  qui  fait  ordinairement  tout  le  mets  de  leur  table  et  toute 
la  provision  de  leur  ermitage  ;  tant  que  durent  ces  provisions,  ils  passent 
les  jours  et  les  nuits,  tantôt  à  contempler  les  grandeurs  de  Dieu  et  les  mys 


586  ^"  JUILLET. 

tères  de  notre  salut,  tantôt  à  chanter  des  psaumes  et  des  hymnes  en  l'hon- 
neur de  leur  souverain  Seigneur,  tantôt  à  affliger  leurs  corps  par  des  disci- 
plines sanglantes,  des  postures  pénibles  et  de  longues  prières,  la  face  contre 
terre.  Que  ces  premières  démarches  de  la  vie  de  Thibaut  sont  admirables  ! 
Que  ces  coups  d'essai  sont  parfaits  !  Que  ce  noviciat  est  digne  de  louange  ! 
Thibaut,  nourri  dans  les  délices  et  élevé  dans  les  plaisirs  d'une  maison  riche 
et  abondante;  Thibaut,  qui,  bien  loin  de  souffrir  aucune  incommodité,  a 
toujours  été  traité  avec  tant  de  délicatesse,  est  maintenant  dans  des  souf- 
frances continuelles  et  soupire  sous  la  rigueur  du  froid  et  des  glaces  du  Nord. 
Celui  qui  reposait  sur  la  pourpre  et  sur  le  brocard,  et  qui  mangeait  les  mets 
les  plus  délicieux,  n'a  pour  lit  que  la  terre,  pour  vêtements  que  de  mauvais 
haillons  et  pour  nourriture  qu'un  peu  de  pain  noir  et  dur  qu'il  détrempe 
dans  l'eau  de  ses  larmes  ;  celui  dont  les  exercices  étaient  nobles  et  agréa- 
bles, qui  ne  conversait  qu'avec  les  enfants  des  princes,  et  dont  les  oreilles 
étaient  accoutumées  à  entendre  les  louanges,  les  caresses  et  les  flatteries  des 
courtisans,  se  voit  abattu  sous  les  travaux  les  plus  vils,  et  n'a  plus  d'autre 
compagnie  que  les  animaux  des  bois,  ou  de  pauvres  manœuvres  qui  n'ont 
pour  lui  que  de  l'insolence  et  de  la  dureté.  Qu'il  faut  être  vertueux  pour  vivre 
de  la  sorte  !  Qu'il  faut  posséder  une  profonde  humilité  pour  s'exposer  ainsi 
volontairement  et  sans  nécessité  aux  insultes,  aux  railleries  et  à  l'insolence 
de  gens  incultes  et  grossiers  !  Mais,  d'ailleurs,  que  Thibaut  est  heureux 
de  trouver  dans  ses  ateliers,  ses  fourneaux,  ses  étables  et  son  désert,  l'ac- 
complissement de  ses  pieux  désirs  et  de  la  volonté  de  Dieu  !  Il  n'a  fui  la 
cour  et  la  maison  de  son  père  que  par  aversion  pour  les  grandeurs  et  les 
vanités  du  monde,  et  il  se  trouve  dans  un  état  si  bas,  qu'il  n'a  rien  à  crain- 
dre du  côté  de  l'orgueil.  C'est  aussi  ce  qu'il  disait  à  son  cher  compagnon 
pour  l'animer  à  la  patience  et  à  supporter  courageusement  les  peines  qu'il 
endurait,  a  Que  nous  sommes  heureux  d'être  à  couvert  de  l'orgueil,  de 
l'envie  et  de  tant  de  désordres  qui  régnent  dans  le  monde  !  Pour  moi,  j'es- 
time plus  notre  pauvreté,  qui  nous  met  à  l'abri  de  tant  d'orages,  que  les 
sceptres  et  les  diadèmes  qui  sont  exposés  à  une  infinité  de  soins,  de  cha- 
grins et  de  dangers  ».  Au  reste,  s'il  n'embrassa  pas  d'abord  une  vie  entière- 
ment soUtaire,  ce  ne  fut  que  par  le  conseil  de  Burchard,  qu'il  avait  consulté 
dès  le  commencement  ;  car  ce  saint  homme,  qui  était  fort  expérimenté  dans 
la  conduite  spirituelle,  lui  conseilla  aussi  de  ne  pas  se  séparer  tout  d'un 
coup  du  commerce  des  hommes,  mais  de  se  disposer  à  un  état  si  difficile  et 
si  parfait  par  la  pratique  des  vertus  les  plus  austères,  et  surtout  de  l'humi- 
lité et  de  la  sainte  abjection. 

Cependant  il  attira,  dans  la  suite,  tant  de  bénédictions  sur  les  maisons 
des  maîtres  qui  le  faisaient  travailler,  qu'on  commença,  dans  le  pays,  à 
l'honorer  et  à  le  considérer  comme  un  saint.  S'en  étant  aperçu,  il  en  eut 
une  peine  extrême  ;  et,  pour  ne  point  perdre  à  Petingen  ce  qu'il  avait  voulu 
éviter  en  sortant  de  Provins,  il  prit  la  résolution  avec  Gauthier  de  faire  les 
pèlerinages  de  Saint-Jacques  de  Compostelle,  en  Galice^  de  Saint-Pierre,  à 
Rome,  et  des  saints  heux  de  la  Palestine.  Ils  partent  donc  pour  Saint-Jac- 
ques, les  pieds  nus,  et  n'ayant  qu'un  peu  d'argent,  qui  leur  restait  du  sa- 
laire de  leurs  travaux.  On  ne  peut  s'imaginer  combien  ils  souflrirent  en 
chemin,  du  chaud,  du  froid,  des  cailloux,  des  épines,  de  la  faim,  de  la  soif, 
de  la  dureté  de  leurs  vêtements  et  des  autres  choses  qui  ont  coutume  d'i:> 
commoder  les  voyageurs.  Mais  rien  de  tout  cela  ne  fut  capable  d'allaiblir 
leur  courago,  ni  de  ralentir  leur  dévotion.  Leur  ferveur  en  ce  lieu  de  sain- 
teté l'ut  admirable  ;  ils  y  passèrent  plusieurs  jours  en  prières  :  leurs  corps 


SAINT  THIBAUT,   PRÊTRE  ET  ERMITE  EN  ITALIE.  587 

étaient  sur  la  terre,  mais  leur  esprit  était  dans  le  ciel.  Leur  conversation 
était  avec  les  Saints  et  avec  Jésus-Christ  môme  ;  et  les  consolations  qu'ils 
en  recevaient  étaient  si  abondantes,  qu'ils  ne  pouvaient  cesser  de  bénir  le 
jour  qu'ils  avaient  quitté  le  monde  pour  se  donner  au  service  de  Dieu.  Au 
retour,  le  démon,  à  qui  l'austérité  de  Thibaut  était  insupportable,  lui  ap- 
parut sous  forme  humaine,  et,  s'étant  couché  sur  son  passage,  le  fit  tomber 
très-rudeiuent  ;  mais  le  Saint  n'en  reçut  point  de  mal,  et  ayant  fait  le  signe 
de  la  croix  sur  lui  et  imploré  l'assistance  de  Notre -Seigneur,  il  contraignit 
ce  monstre  à  disparaître  et  à  se  retirer  dans  les  abîmes.  Ce  qui  lui  fit  plus 
de  peine,  ce  fut,  étant  arrivé  à  Trêves,  d'y  rencontrer  le  seigneur  Arnoul, 
son  père,  qui  le  cherchait  de  tous  côtés,  et  était  dans  des  douleurs  extrê- 
mes pour  son  absence.  Il  le  reconnut  aisément,  mais  ne  fut  paj  reconnu 
de  lui,  parce  que  ses  austérités  et  les  fatigues  de  tant  de  travaux  et  de 
voyages  l'avaient  rendu  méconnaissable.  Ses  entrailles  furent  émues  à  la 
vue  de  cet  objet  qu'il  aimait  tendrement,  et  dont  il  savait  qu'il  était  infini- 
ment aimé  ;  mais  il  s'éleva  au-dessus  de  la  nature,  et  étouffa  tous  ces  senti- 
ments humains,  qui  le  sollicitaient  de  se  déclarer.  Pour  n'être  pas  exposé 
à  une  pareille  épreuve,  il  résolut  avec  son  compagnon  de  s'éloigner  de 
Trêves. 

Ils  se  rendirent  donc  à  Rome,  et  y  honorèrent  les  cendres  des  bienheu- 
reux apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul.  Ils  y  visitèrent  aussi  les  autres  lieux 
de  dévotion,  qu'ils  baignèrent  souvent  de  leurs  larmes,  et  y  passèrent  les 
jours  et  les  nuits  en  oraison.  Après  s'être  acquillcs  de  ces  devoirs,  ils  réso- 
lurent de  nouveau  de  faire  le  voyage  de  la  Palestine  pour  y  adorer  les  ves- 
tiges du  Sauveur  du  monde  et  y  révérer  ces  lieux  qu'il  a  sanctiQés  par  sa 
présence  et  arrosés  de  ses  pleurs  et  de  son  sang.  Ils  allèrent  pour  cela  à  Ve- 
nise, dans  le  dessein  de  s'y  embarquer  ;  mais,  lorsqu'ils  croyaient  être  près 
de  faire  voile,  ils  apprirent  avec  beaucoup  de  douleur  que  la  guerre 
allumée  entre  les  chrétiens  et  les  Sarrasins  fermait  l'entrée  de  la  Terre 
sainte  et  rendait  ce  pèlerinage  impossible  (1035).  Dans  cet  accident,  ils  ado- 
rèrent les  secrets  de  la  Providence  de  Dieu,  et,  se  prosternant  devant  sa 
majesté,  ils  la  prièrent  avec  larmes  de  leur  inspirer  ce  qu'ils  devaient  faire 
pour  lui  être  plus  agréable  (1056).  Leur  demande  fut  exaucée,  et  Dieu  leur 
fit  connaître  qu'il  souhaitait  qu'ils  vécussent  solitaires  en  un  lieu  appelé 
Salanigo,  auprès  de  Vicence,  en  Italie.  Ils  y  trouvèrent  une  vieille  chapelle 
qui  avait  été  dédiée  sous  le  nom  de  Saint-Hermagore  et  de  Sainl-Fortunat, 
martyrs,  mais  qui  étaient  tellement  en  ruines  qu'on  n'y  célébrait  plus  les 
divins  offices.  L'ayant  jugée  propre  à  leur  dessein,  ils  en  obtinrent  le  don 
de  ceux  à  qui  elle  appartenait,  et  bâtirent  tout  auprès  deux  cellules  pour 
se  retirer  chacun  en  son  particulier. 

Thibaut  se  voyant  au  lieu  où  Dieu  voulait  qu'il  terminât  toutes  ses 
courses,  s'anima  d'une  telle  ferveur,  qu'il  semblait  n'avoir  encore  rien  fait 
jusqu'alors.  Il  se  livra  à  de  nouvelles  austérités  d'une  rigueur  telle  qu'on  ne 
petft  y  penser  sans  effroi.  Il  porta  durant  cinq  ans  un  cilice  qu'il  ne  quitta 
jamais  que  pour  avoir  le  moyen  de  se  mettre  en  sang,  avec  une  discipline  faite 
de  longues  courroies.  Il  s'interdit  d'abord  toute  sorte  de  viandes,  puis  il  se 
réduisit  au  pain  d'orge  et  à  l'eau  ;  enfin,  ce  qui  est  fort  extraordinaire  dans 
les  pénitents  les  plus  sévères,  il  se  priva  môme  de  pain  et  d'eau,  se  conten- 
tant de  fruits  et  d'herbes  crues,  tels  qu'il  les  trouvait  dans  les  champs.  Son 
lit  était,  au  commencement,  un  coffre  ou  une  planche,  son  chevet  un  tronc 
d'arbre,  et  sa  couverture  l'habit  môme  dont  il  était  vêtu;  mais,  sur  la  fin,ij 
n'eut  plus  d'autre  lit  que  le  siège  de  bois  où  il  avait  coutume  de  s'asseoir. 


o88  1"  JUILLET. 

Son  sommeil  était  fort  court,  parce  qu'il  passait  presque  toute  la  nuit  en 
prières;  mais  il  avait  l'adresse,  pour  cacher  sa  mortification,  de  se  mettre 
en  état  de  dormir  avant  que  celui  qui  l'assistait  se  retirât,  et  de  faire  aussi 
la  même  chose  quelques  moments  avant  qu'il  revînt. 

Sindichérius,  évêque  de  Vicence,  prélat  très-vigilant  et  très-soigneux  du 
salut  de  son  peuple,  étant  charmé  de  la  sainteté  de  Thibaut  et  se  persuadant 
qu'il  serait  encore  plus  utile  à  l'Eglise  s'il  était  honoré  du  caractère  de  la 
prêtrise,  voulut  absolument  l'ordonner  prêtre.  Rayer,  chanoine  et  conseiller 
de  Provins,  qui  a  composé  sa  vie  en  notre  langue,  dit  qu'il  reçut  seulement 
le  diaconat  et  qu'il  ne  souffrit  jamais  d'être  promu  à  la  prêtrise  ;  mais  nous 
avons  de  trop  puissants  témoignages  de  son  ordination  au  sacerdoce,  pour 
la  pouvoir  révoquer  en  doute.  Son  histoire  assure  qu'il  guérit  un  religieux 
nommé  Odon,  en  disant  la  messe  pour  lui  et  en  le  communiant  de  ses  pro- 
pres mains.  Son  éloge,  en  forme  d'épitaphe,  que  l'on  voit  en  sa  chapelle, 
dans  l'église  cathédrale  de  Vicence,  dit  qu'il  fut  prêtre  titulaire  de  cette 
église,  comme  le  rapporte  Ughellus,  au  tome  v®  de  Y  Italie  sacrée,  au  titre 
des  évêques  de  Vicence. 

Cette  nouvelle  dignité  lui  donnant  encore  plus  de  réputation  et  de  cré- 
dit dans  le  pays,  il  s'assembla  autour  de  lui  un  grand  nombre  de  personnes 
qui  désirèrent  être  instruites  de  sa  bouche  et  imiter  ses  actions.  A  la  place 
de  Gauthier,  son  fidèle  compagnon,  que  la  mort  lui  enleva  deux  ans  après 
son  établissement  à  Salanigo,  il  se  vit  environné  d'une  troupe  de  disciples, 
qui  marchèrent  courageusement  sur  ses  pas  et  composèrent  un  nouveau 
monastère  dont  il  fut  le  père  et  l'abbé.  Cependant  le  démon,  ne  pouvant 
souffrir  les  grands  fruits  qu'il  produisait  par  sa  parole  et  par  son  exemple, 
le  tourmenta  en  diverses  manières,  dans  l'espoir  que,  par  l'importunité  de 
ses  tentations  et  de  ses  persécutions,  il  le  contraindrait  enfin  à  se  relâcher 
dans  ses  pratiques  spirituelles  et  à  mener  une  vie  plus  aisée  et  moins  sévère; 
mais  le  cœur  de  Thibaut  était  trop  bien  fortifié  par  la  grâce,  pour  céder 
aux  efforts  du  monstre  infernal.  Il  le  surmonta  en  toutes  sortes  de  ren- 
contres, et  lors  même  que,  par  sa  malice,  il  tomba  dans  une  rivière,  il  en 
sortit  non-seulement  sans  incommodité,  mais  aussi  sans  en  être  mouillé. 
D'ailleurs  notre  Saint  fut  souvent  consolé  par  des  visions  et  des  révélations 
célestes.  Les  Anges  le  visitèrent  plusieurs  fois  et  se  firent  voir  à  lui  sous  des 
formes  et  des  représentations  pleines  de  douceur;  et,  un  jour  qu'il  pleurait 
amèrement  ses  péchés,  il  y  en  eut  un  qui  lui  dit  :  «  Ne  pleure  plus,  car  tes 
péchés  te  sont  remis».  Vers  le  môme  temps,  les  saints  martyrs  Herma- 
gore  et  Fortunat,  dont  il  avait  rétabli  l'oratoire,  l'honorèrent  de  leur  en- 
tretien et  le  remercièrent  du  soin  qu'il  avait  de  les  faire  louer  et  vénérer  en 
ce  lieu. 

Sa  réputation,  ne  pouvant  plus  demeurer  renfermée  dans  l'Italie,  se  ré- 
pandit jusque  dans  la  France,  et  vint  aux  oreilles  de  son  père,  de  sa  mère 
et  de  ses  proches.  On  ne  peut  exprimer  la  joie  qu'ils  eurent  de  savoir  que 
Thibaut,  non-seulement  n'était  point  mort,  mais  qu'il  était  monté,  par  la 
grâce  de  Dieu  et  par  ses  généreux  efforts,  à  un  si  haut  degré  de  sainteté. 
Ils  allèrent  exprès  en  ItaUe  pour  le  voir,  pour  l'embrasser,  pour  se  réjouir 
avec  lui  de  l'heureux  choix  qu'il  avait  fait,  et  pour  se  recommander  à  ses 
prières.  Ils  ne  purent  arrêter  leurs  larmes  en  sa  présence  ;  mais  c'étaient 
plutôt  des  larmes  d'une  sainte  allégresse  que  de  tristesse  et  de  douleur.  Son 
visage  pâle  et  décharné,  son  corps  tout  rompu  de  travaux  et  d'austérités, 
son  habit  vil  et  méprisable  ne  leur  donnèrent  pas  du  dédain,  mais  au  con- 
traire une  sainte  envie  de  marcher  sur  ses  pas  et  de  faire  une  sérieuse  pé- 


SAINT  THIBAUT,   PRÊTRE   ET  ERMITE  EN  ITALIE.  589 

nitence  de  leurs  propres  péchés.  Sa  mère  fut  tellement  touchée  de  son 
exemple,  qu'oubliant  la  splendeur  et  les  richesses  de  sa  maison  et  tout  ce 
que  le  siècle  lui  avait  présenté  jusqu'alors  d'agréable,  elle  pria  instamment 
son  mari  de  lui  permettre  de  demeurer  dans  une  cellule  auprès  de  son 
fils.  Elle  l'obtint  enfin  par  l'effort  de  ses  prières,  et  Thibaut,  qui  la  logea 
dans  un  petit  ermitage  écarté,  prit  un  soin  particulier  de  l'instruire  de  tout 
ce  qui  était  nécessaire  pour  sa  perfection  ;  jusqu'à  sa  mort,  jamais  ni  le 
chaud,  ni  le  froid,  ni  les  pluies,  ni  les  neiges,  ne  le  purent  empêcher  de 
lui  rendre  les  visites  dont  elle  avait  besoin  pour  la  fortifier  dans  un  genre 
de  vie  si  diftérent  de  celui  qu'elle  avait  mené  dans  le  monde. 

Dieu  récompensa  ensuite  la  piété  de  son  serviteur  par  une  grâce 
fort  extraordinaire  :  deux  ans  avant  qu'il  mourût,  il  fut  affranchi  de 
toutes  sortes  de  tentations  et  d'illusions  du  démon,  et  des  mouvements 
déréglés  de  la  chair  ;  mais,  comme  il  fallait  qu'il  sortît  de  ce  monde 
aussi  pur  que  l'or  affiné  sept  fois  dans  le  creuset,  la  Providence  divine 
lui  envoj'a  une  maladie  terrible,  qui  lui  causa  d'extrêmes  douleurs. 
Il  n'avait  pas  un  membre  sain  et  dont  il  eût  l'usage  libre.  Ses  pieds 
étaient  si  faibles,  qu'ils  ne  le  pouvaient  porter,  et  ses  mains  étaient  si  per- 
cluses, qu'il  ne  pouvait  les  lever  jusqu'à  sa  bouche.  Cependant,  dans  un 
si  grand  déluge  de  maux,  il  ne  voulut  jamais  rien  relâcher  de  son  jeûne 
ni  de  ses  autres  austérités  ordinaires.  Voyant  donc  sa  fin  approcher,  il 
envoya  prier  Pierre,  abbé  de  Vangadice,  de  l'Ordre  des  Camaldules,  qui 
était  son  fidèle  ami  et  qui  lui  avait  donné  l'habit  monastique,  de  le 
venir  voir,  et  il  lui  recommanda  sa  mère,  ses  disciples,  qu'il  allait  laisser 
orphelins  par  sa  mort.  Trois  jours  avant  qu'elle  arrivât,  il  se  fît,  par  cinq 
fois,  un  grand  tremblement  de  terre  en  sa  cellule,  marque  de  la  présence 
de  celui  dont  ilest  écrit  :  «  Il  regarde  la  terre,  et  il  la  fait  trembler  » .  Ensuite, 
Thibaut  entra  dans  une  terrible  agonie,  où  il  souffrit  beaucoup,  selon 
le  témoignage  de  ceux  qui  étaient  présents;  mais,  en  étant  sorti  victorieux, 
il  reçut  les  derniers  sacrements  avec  une  ferveur  et  une  dévotion  admi- 
rables. Enfin,  ayant  répété  souvent  ces  paroles  pleines  de  charité  :  «  Sei- 
gneur, ayez  pitié  de  votre  peuple  !  »  il  rendit  à  Dieu  son  âme  toute  chargée 
de  mérites,  et  disposée  à  recevoir  la  couronne  de  la  gloire.  Ce  fut  le  der- 
nier jour  de  juin,  vers  l'année  1066,  quoiqu'on  n'en  fasse  ordinairement 
mémoire,  dans  les  divins  offices,  que  le  l^""  ou  le  4  juillet. 

Son  corps,  après  son  décès,  parut  tout  autre  qu'il  n'avait  été  durant  sa 
vie,  car  on  n'y  vit  plus  de  plaies  ni  d'ulcères,  mais  une  beauté  et  un  éclat 
surprenants,  qui  faisaient  assez  connaître  qu'il  était  destiné  à  la  résurrec- 
tion glorieuse.  L'abbé  de  Vangadice,  dont  nous  venons  déparier,  et  que  l'on 
croit  être  l'auteur  de  la  première  histoire  du  Saint,  dit  que  les  habitants  de 
Vicence,  en  Italie,  et  ceux  des  châteaux  voisins,  ayant  appris  sa  mort,  al- 
lèrent tous  en  foule  à  sa  solitude  et  l'amenèrent  à  la  ville,  où  il  fut  enterré 
dans  l'église  de  Notre-Dame  de  Vicence.  Il  se  fit  ensuite  beaucoup  de  mi- 
racles à  son  tombeau  :  un  hydropique  et  un  paralytique,  cinq  estropiés  et 
douze  aveugles  y  furent  guéris. 

On  le  représente  :  1°  avec  l'habit  de  Camaldule  sous  lequel  il  mourut 
près  de  Vicence  après  un  pèlerinage  à  Compostelle;  2°  avec  l'attribut  de  la 
très-sainte  Trinité,  parce  qu'on  prétend  qu'il  fut  élevé  pendant  sa  vie,  à 
une  connaissance  extraordinaire  de  ce  mystère;  3"  priant  dans  sa  solitude, 
pendant  que  son  compagnon  construit  leur  cellule  ;  4°  visité  dans  sa  cel- 
lule par  son  père  et  sa  mère  qui  le  trouvent  mourant  et  tout  couvert  d'in- 
firmités, suite  de  ses  mortifications;  5"*  partant  pour  la  chasse  ;  il  a  la  tête 


590  1"  JUILLET. 

couverte  d'une  toque  et  ceinte  d'une  auréole  radiée  comme  le  soleil  '.  Son 
manteau  est  violet;  il  a  une  robe  brochée  d'or,  des  bottines  à  retroussis  et 
des  éperons  avec  des  étriers  de  bleu-clair.  De  la  main  gauche  il  porte  un 
oiseau  de  proie  et  de  l'autre  il  guide  le  cheval  blanc  sur  lequel  il  est  monté. 
Une  meute  de  chiens  de  chasse  l'entoure,  et,  au  milieu  des  chiens,  devant 
lui,  est  un  lion  privé,  lancé  à  la  course. 

Les  corroyeurs  l'ont  choisi  pour  leur  patron,  nous  ne  savons  trop  pour- 
quoi. On  l'invoque  principalement  dans  le  Luxembourg,  à  Huy,  à  Provins, 
à  Thann,  à  Vicence.  Il  est  patron  de  trois  paroisses  du  diocèse  de  Troyes  : 
Mesgrigny,  Saint-Léger-sous-Brienne,  Saint-Thibaut. 

CULTE  ET  RELIQUES. 

La  question  des  reliques  de  saint  Thibaut  n'est  pas  sans  quelques  difficultés.  Ughellus,  qui 
écrivait  au  xyii^  siècle,  dit  que  son  corps  reposa  dans  la  cathédrale  de  Vieence;  mais  à  la 
même  époque,  le  vicaire  général  de  Viceiice  (Silvius  Trissinus)  déclarait  qu'il  y  avait  seulement 
à  Vicence  une  chapelle  et  un  autel  dédiés  à  saint  Thibaut,  et  que,  d'après  la  tradition,  son  corps, 
après  avoir  reposé  dans  cette  chapelle,  avait  été  depuis  porté  dans  l'abbaye  de  Vangadice.  11  paraît 
en  effet  bien  certain  que  le  corps  d'un  saint  Thibaut  a  reposé  dans  l'église  de  l'abbaye  de  Vanga- 
dice. Ferrari  dit  que  l'ermite  de  Vicence  devint  plus  tard  abbé  de  Vangadice,  et  qu'il  y  mourut. 
L'auteur  de  l'histoire  des  Camaldules  [Augustinus  Florentinus),  le  fait  aassi  mourir  à  Vangadice, 
mais  simplement  comme  hôte  de  l'abbé,  opinions  formellement  démenties  par  l'auteur  de  Ja  vie  de 
saint  Thibaut,  comme  on  a  pu  le  voir  plus  haut.  Aussi,  pour  résoudre  cette  difficulté,  les  Bollan- 
distes  admellent-ils,  en  outre  de  notre  saint  ermite,  un  autre  saint  Thibaut,  abbé  de  Vangadice, 
mort  en  1050. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  reliques  de  saint  Thibaut  qui  ont  pu  rester  eu  Italie,  il  est  incontestable 
qu'une  partie  notable  de  son  corps  fut  apportée  en  France.  Du  Saussay,  ainsi  que  les  historiens 
des  abbayes  de  Sainte-Colombe,  et  de  Lagny,  le  disent  formellement.  Le  culte  de  saint  Thibaut 
se  répandit  de  très-bonne  heure  tant  en  France  qu'en  Allemagne,  et  un  grand  nombre  d'églises  ou 
de  chapelles  y  furent  élevées  en  son  honneur. 

D'après  l'opinion  commune,  c'est  le  propre  frère  de  saint  Thibaut,  Arnoul^  abbé  de  Sainte-Co- 
lombe-les-Sens  et  de  Lagny,  qui  serait  allé  réclamer  les  reliques  du  Saint  en  Italie,  l'an  1078.  A 
son  letour,  passant  par  le  prieuré  de  Beaumont,  aujourd'hui  Saint-Thibaut-aux-Bois  qui  dépendait 
de  l'abbaye  de  Saint  Germain  d'Auxerre,  il  y  laissa  une  partie  de  son  précieux  dépôt,  sur  les  ins- 
tances du  prieur  et  des  moines.  Ces  reliques  transférées,  en  1400,  à  l'abbaye  de  Saint-Germain 
d'Auxerre,  y  furent  brûlées,  en  1567,  par  les  Calvinistes.  Pendant  qu'elles  étaient  encore  à  Beau- 
mont,  l'abbé  de  Saint-Germain  en  aurait,  dit-on,  donné  une  partie  aux  Cordeliers  de  Provins,  en 
1321;  mais  il  n'en  reste  aucun  vestige.  Richer,  archevêque  de  Sens,  alla  jusqu'à  Joigny  au-devant 
des  saintes  reliques  qui  furent  reçues  en  grande  pompe  à  l'abbaye  de  Sainte-Colombe.  Arnoul  ne 
pouvait  oublier  son  abbaye  de  Lagny,  et  il  est  certain  qu'il  y  apporta  des  reliques  de  son  frère, 
notamment  un  bras.  Mais  les  historiens  ne  sont  pas  d'accord  sur  l'époque  de  cette  translation,  que 
les  uns  placent  en  1078,  et  d'autres  en  1096. 

Peu  de  temps  après  que  ces  reliques  eurent  été  apportées  à  Lagny,  par  suite  d'apparitions  du 
Saint  et  de  nombreux  miracles,  l'abbé  Arnoul  fit  construire,  près  de  son  abbaye,  au  lieu  dit  le 
Bois  du  Fou  (ou  des  Hêtres),  une  église  où  les  reliques  du  Saint  furent  déposées.  C'est  l'origine 
du  piieuré  de  Saint-Thibaut  des  Vignes,  dont  l'église  fut  érigée  en  paroisse  par  l'évêque  de  Paris, 
en  1543. 

L'église  actuelle  remonte  certainement  au  commencement  du  xn'  siècle.  Mgr  AUou,  évêque  de 
Meaux,  faisant  la  visite  des  reliques  de  son  diocèse  en  1854,  trouva,  dans  la  châsse  de  saint  Thi- 
baut, deux  03  du  bras  droit  (humérus  et  radius),  quelques  petits  ossements  et  les  restes  d'ua 
cilice.  Les  deux  os  du  bras  furent  enveloppés  dans  une  étoffe  de  drap  d'or  et  déposés  dans  une 
nouvelle  châsse  de  cuivre  doré  donnée  par  Monseigneur  qui  se  réserva  une  partie  du  radius  pour 
en  donner  des  fragments  aux  églises  de  son  diocèse  où  saint  Thibaut  est  particulièrement  honoré, 
et  notamment  à  deux  églises  de  Provins,  Sainte-Croix  et  Saint-Quiriace,  qui  n'avaient  plus  aucune 
relique  du  Saint. 

Nous  avons  composé  cette  biographie  d'après  l'abbé  de  Vangadice,  Ughellus,  Da  Saussay,  etRayer» 
des  notes  locales  nous  ont  permis  de  dresser  avec  moins  d'incartitude  l'état  primitif  et  l'état  actuel  du 
culte  et  des  reliques.  Cf.  Vies  des  Saints  du  diocèse  de  Troyes,  par  l'abbé  Defer. 

I.  Vitrail  de  l'église  paroissiale  do  Saint-Thibaut  (dioebsc  da  Troyes). 


NOTRE-DAME   DE   BONNE-DÉLIVRANCE,    A  PARIS.  591 


NOTRE-DAME  DE  BONNE-DÉLIYMNGE,  A  PARIS 


Maria  pia  est  exorantibus,  dulcis  diligentibus. 
Marie  est  pleine  de  tendresse  pour  ceux  qui  la  prient, 
pleine  de  douceur  pour  ceux  qui  l'aiment. 
S.  Bernard.,  term.  iv  in  Assumpt. 

L'église  Saint-Etienne  des  Grès  a,  de  temps  immémorial,  tiré  toute  sa 
célébrité  d'une  Vierge  noire,  dite  Notre-Dame  de  Bonne- Délivrance,  placée 
dans  une  de  ses  chapelles  ;  et  au  xvi°  siècle  il  s'y  forma  en  son  honneur  une 
confrérie  qui  devint  illustre,  sous  le  titre  de  confrérie  de  Notre-Dame  de 
Bonne-Délivrance. 

En  effet,  on  accourut  de  toutes  parts  à  cette  confrérie,  et  bientôt  plus 
de  douze  mille  confrères  se  firent  inscrire  sous  l'étendard  de  Notre-Dame 
de  Bonne-Délivrance.  Ce  seul  titre  parlait  à  tous  les  cœurs  :  car  qui  n'a  pas 
besoin  d'être  délivré  de  quelque  peine  d'esprit,  de  quelque  angoisse  de 
cœur,  de  quelque  infirmité  de  corps,  de  quelque  passion  qui  tyrannise  au 
dedans  ou  de  quelque  contradiction  qui  vient  du  dehors  ?  Mais  ce  titre 
touchait  surtout  les  prisonniers  pour  dettes,  les  femmes  à  l'approche  de 
leur  terme,  et  les  malades  en  danger  de  mort.  Il  touchait  les  étudiants  des 
collèges  eux-mêmes  ;  et  ces  jeunes  gens,  fidèles  aux  pieuses  traditions  du 
foyer  domestique,  venaient  en  foule  s'enrôler  au  service  de  la  Reine  des 
vierges  pour  mettre  sous  sa  garde  l'honneur  de  leurs  premières  années.  Ils 
se  levaient  avant  le  jour  pour  réciter  l'office  de  Notre-Dame,  et  se  réunis- 
saient en  commun  autour  de  la  statue  vénérée  pour  dire  le  chapelet. 

De  ce  nombre  fut,  en  1578,  françois  de  Sales,  alors  âgé  de  dix-sept  ans. 
Ses  plus  délicieux  moments  étaient  ceux  qu'il  passait  aux  pieds  de  l'image 
miraculeuse  de  Marie,  lui  racontant  tout  ce  qui  se  passait  dans  son  âme 
innocente,  se  nourrissant  du  souvenir  de  ses  bienfaits  et  de  la  reconnais- 
sance qu'ils  faisaient  naître  dans  son  cœur.  Ce  fut  là  que,  dans  les  saintes 
ardeurs  de  sa  piété,  il  prit  la  ferme  résolution  de  se  consacrer  à  jamais  à 
Dieu  et  à  Marie  et  de  garder  la  chasteté  perpétuelle;  ce  fut  là  surtout  qu'il 
obtint  la  délivrance  d'une  tentation  terrible  qui  faillit  le  conduire  au  tom- 
beau. Ce  saint  jeune  homme  avait  été  saisi  de  la  pensée  que  peut-être  il  ne 
serait  pas  sauvé,  que  peut-être  il  irait  en  enfer  et  serait  privé  toute  l'éter- 
nité du  bonheur  de  voir  Dieu  et  de  l'aimer,  de  voir  et  d'aimer  Marie,  sa 
tendre  mère  ;  et  cette  pensée  l'avait  tellement  accablé  qu'il  ne  pouvait  ni 
manger,  ni  boire,  ni  dormir  ;  il  en  desséchait  à  vue  d'œil,  et  la  jaunisse, 
envahissant  tout  son  corps,  lui  causait  des  douleurs  aiguës.  Enfin,  un  jour, 
revenant  du  collège,  il  entre  dans  l'église  Saint-Etienne  des  Grès,  va  se 
prosterner  devant  Notre-Dame  de  Bonne-Délivrance,  et  lui  dit  avec  beau- 
coup de  larmes,  plus  encore  du  cœur  que  des  lèvres  :  «  Souvenez-vous,  ô 
vierge  Marie,  ma  tendre  mère,  que  jamais  il  n'est  arrivé  à  aucun  de  ceux 
qui  ont  eu  recours  à  votre  protection  et  imploré  votre  assistance  d'être 
rejeté.  Animé  de  cette  confiance,  ô  Vierge,  mère  des  vierges,  je  cours  à 
vous,  je  me  jette  à  vos  pieds,  gémissant  sous  le  poids  de  mes  péchés.  0 
mère  du  Verbe,  ne  méprisez  pas  mes  prières,  mais  rendez-vous  propice  à 
mes  besoins  et  exaucez-moi  ».  Puis  s'adressant  à  Dieu,  il  lui  demande,  par 
l'intercossionde  Marie,  que  son  esprit  et  son  corps  soient  rendus  à  leur 


592  1"  JUILLET. 

premier  état,  fait  vœu  de  chasteté  perpétuelle  et  promet  de  réciter  chaque 
jour,  en  mémoire  de  ce  vœu,  un  chapelet  de  six  dizaines.  A  peine  a-t-il  dit 
ces  mots,  qu'une  pleine  santé  lui  est  rendue,  et  son  âme,  rassurée,  rentre, 
après  six  semaines  de  souffrances  inouïes,  dans  une  paix  profonde. 

Plein  de  la  même  confiance  en  Notre-Dame  de  Bonne-Délivrance,  le 
Père  Bernard,  surnommé  le  pauvre  prêtre,  dont  le  clergé  de  France  a  plu- 
sieurs fois  sollicité  la  béatification,  obtint  devant  la  même  statue  une  grâce 
non  moins  signalée.  Revenu  d'une  vie  d'égarement  à  une  conduite  chré- 
tienne, il  se  trouva  exposé  à  un  péril  imminent  par  l'arrivée  dans  la  maison 
où  il  demeurait  d'une  personne  très- dangereuse  qui  voulait  y  fixer  son 
domicile.  Dans  cette  crise,  il  court  se  jeter  aux  pieds  de  Notre-Dame  de 
Bonne-Délivrance,  la  prie  de  toute  son  âme,  rentre  à  son  logis,  et  la  per- 
sonne en  était  déjà  partie  pour  n'y  plus  revenir. 

Ces  faits  et  plusieurs  autres  accrurent  la  dévotion  des  fidèles  pour  ce 
religieux  sanctuaire.  Les  souverains  Pontifes  l'enrichirent  à  l'envi  des  plus 
précieuses  indulgences  ;  les  plus  illustres  personnages,  les  rois  et  les  reines, 
les  princes  et  les  seigneurs,  les  hommes  d'armes  et  les  femmes  du  monde, 
se  firent  inscrire  dans  le  registre  de  la  confrérie,  et  leurs  noms  y  figurent  à 
côté  des  noms  les  plus  vulgaires.  On  y  voit  Louis  XIII  et  Anne  d'Autriche, 
Louis  XIV,  encore  enfant,  et,  à  son  exemple,  tous  les  enfants  de  France, 
inscrits  dès  leur  naissance,  le  duc  d'Orléans,  frère  de  Louis  XIII,  et  le  duc 
d'Anjou,  frère  de  Louis  XIV,  le  grand  Condé  et  la  princesse  de  ce  nom,  le 
prince  et  la  princesse  de  Conti ,  Marie-Thérèse  d'Autriche ,  épouse  de 
Louis  XIV,  et  Louis,  Dauphin.  Nous  n'en  finirions  pas  si  nous  voulions  dire 
toutes  les  célébrités  qui  venaient  se  confondre  avec  le  simple  peuple  sous 
la  bannière  de  Marie  ;  et  leur  piété  se  montrait  généreuse  à  l'égal  de  leur 
vénération  pour  Notre-Dame  de  Bonne-Délivrance.  Louis  XIII  donna  pour  la 
décoration  de  sa  chapelle  un  présent  en  argenterie  vraiment  royal,  Anne 
d'Autriche  des  chandeliers  d'argent  fleurdelisés,  une  magnifique  lampe  et 
un  bénitier,  l'un  et  l'autre  d'argent,  enfin  un  ornement  complet  de  velours 
rouge.  Excités  par  l'exemple  de  la  cour,  les  uns  donnaient  de  riches  vête- 
ments et  des  robes  précieuses  pour  couvrir  la  sainte  image  aux  grandes  so- 
lennités ;  d'autres  versaient  dans  le  trésor  de  la  confrérie  d'abondantes 
aumônes  qui  étaient  consacrées  à  la  délivrance  des  prisonniers  pour  dettes. 
De  plus,  une  quête  avait  heu  à  tous  les  offices  pour  cette  belle  œuvre  ;  et 
chaque  année  les  gouverneurs  de  la  confrérie  se  répandaient  dans  les  di- 
verses prisons  de  Paris,  munis  des  dons  faits  à  Notre-Dame  de  Bonne-Déli- 
vrance, en  faisaient  ouvrir  les  portes  aux  infortunés  débiteurs,  et  les  ren- 
daient à  leur  famille  attendrie  et  reconnaissante. 

Cependant  la  ferveur  de  ces  fidèles  serviteurs  de  Marie  ressort  encore 
mieux  des  offices  religieux  que  célébrait  la  confrérie,  et  dont  la  multipli- 
cité, comme  la  durée,  effrayerait  si  fort  aujourd'hui  la  tiédeur  de  notre 
siècle. 

Chaque  dimanche,  après  la  messe  du  chapitre,  on  célébrait  en  l'honneur 
de  la  sainte  Vierge  une  messe  solennelle  avec  diacre  et  sous-diacre,  chapiers 
et  orgues,  et  le  célébrant  y  récitait  un  De profundis  après  l'offertoire,  et  un 
autre  après  la  messe,  pour  les  confrères  décédés.  De  même,  l'après-midi, 
les  Vêpres  du  chapitre  étaient  suivies  d'un  office  chanté  à  neuf  psaumes  et 
neuf  leçons. 

Tous  les  premiers  dimanches  de  chaque  mois,  il  y  avait,  le  soir,  les 
Vêpres  de  la  sainte  Vierge,  procession  autour  de  l'église,  oti  l'on  chantait  les 
litanies,  le  Salve  Regina  ou  une  autre  hymne,  selon  le  temps,  le  Domine,  non 


NOTRE-DAME   DE   BONNE-DÉLIYRANCE,   A  PARIS.  593 

secimdum,  VExaudiat  avec  l'oraison  pour  le  roi,  le  Languentibus  et  le  De  pro- 
fundis;  puis  un  salut  solennel. 

Chaque  lundi  on  chantait  Laudes  et  messe  solennelle  de  Requiem  pour 
les  confrères  décédés.  Chaque  mardi,  messe  solennelle  de  saint  Roch,  avec 
mémoire  de  saint  Sébastien,  suivie  d'une  messe  basse  de  Notre-Dame  de 
Pitié.  Chaque  mercredi,  messe  solennelle  du  Saint-Esprit.  Chaque  jeudi, 
messe  solennelle  du  Saint-Sacrement,  suivie  d'une  messe  basse  de  saint 
Etienne.  Le  soir,  salut  solennel,  et,  tous  les  premiers  jeudis  du  mois,  pro- 
cession du  Saint-Sacrement.  Chaque  vendredi,  messe  solennelle  de  la  Sainte- 
Croix,  suivie  de  la  lecture  de  la  Passion.  Enfin,  chaque  samedi,  messe 
solennelle  de  la  sainte  Vierge,  suivie  du  Stabat  Mater.  On  ne  dérogeait  à 
ces  règles  que  dans  les  fêtes  où  la  rubrique  s'y  opposait  ;  et  à  la  fin  de 
chaque  messe  on  disait  le  De  profundis  pour  les  confrères  défunts. 

Outre  cela,  il  se  disait  chaque  jour  une  messe  pour  les  bienfaiteurs  de 
la  confrérie.  A  toutes  les  fêtes  de  la  sainte  Vierge,  on  chantait  tout  l'office 
du  bréviaire,  à  commencer  par  les  premières  Vêpres  ;  il  y  avait  en  outre  deux 
grand'messes  ;  puis,  soir  et  matin,  exposition  du  Saint-Sacrement  avec  pré- 
dication. Aux  fêtes  de  saint  Pierre  et  de  saint  Jean-Baptiste,  de  saint 
Etienne  et  de  saint  Denis,  de  saint  Roch  et  de  saint  Sébastien,  de  sainte 
Geneviève  et  de  sainte  Barbe,  qui  étaient  les  patrons  de  la  confrérie,  on 
chantait  également  tout  l'office.  Enfin,  au  décès  de  chaque  confrère,  on 
chantait  Vêpres  des  morts.  Matines  à  neuf  psaumes  et  neuf  leçons.  Laudes 
et  recommandations,  trois  grand'messes  et  l'absoute. 

Mais  ce  qu'il  y  avait  de  plus  remarquable,  c'était  la  procession  générale 
qui  se  faisait  tous  les  ans,  le  1®''  mai  et  le  24  août,  depuis  l'église  Saint- 
Etienne  jusqu'à  une  autre  paroisse  qu'on  choisissait  chaque  année.  On  par- 
tait à  huit  heures  du  matin,  et  tous  les  confrères  et  sœurs  y  assistaient  avec 
un  nombreux  clergé. 

Cette  procession  comptait  deux  siècles  d'existence  et  de  gloire,  lorsque, 
le  6  février  1737,  le  Parlement  de  Paris,  possédé  de  la  manie  de  s'ingérer 
dans  les  choses  spirituelles,  jugea  à  propos  de  supprimer  cette  solennité, 
qui  réjouissait  tous  les  cœurs  chrétiens  et  ne  molestait  que  le  regard  du 
jansénisme,  alors  en  grande  vogue,  ou  de  l'impiété  naissante  alors  au  sein 
de  la  patrie.  Mais  si  la  puissance  humaine  pouvait  supprimer  une  cérémonie 
extérieure,  elle  ne  pouvait  rien  diminuer  de  la  confiance  et  de  l'amour  des 
enfants  de  Marie  pour  leur  mère.  Aussi  le  sanctuaire  de  Notre-Dame  de 
Bonne-Délivrance  continua  à  être  l'objet  de  la  dévotion  des  fidèles  et  le  but 
de  leurs  pieux  pèlerinages. 

Enfin  arrivèrent  les  jours  mauvais  de  la  révolution  et  le  triomphe  su- 
prême de  l'impiété.  On  chassa  les  prêtres,  on  pilla  les  églises,  et  dans  cette 
dévastation  sacrilège,  on  n'eut  garde  d'oublier  Saint-Etienne  des  Grès.  Cette 
église  offrait  à  la  cupidité  un  appât  trop  séduisant  pour  échapper  à  la  fu- 
reur des  dévastateurs.  Elle  fut  donc  dépouillée  de  toutes  les  richesses  que 
la  foi  des  princes  et  des  fidèles  y  avait  amassées  depuis  plusieurs  siècles  : 
on  enleva  l'or,  l'argent,  le  fer,  les  grilles,  les  marbres,  les  boiseries,  tous 
les  ouvrages  d'art  qui  décoraient  les  murs,  enfin  la  statue  elle-même,  pour 
vendre  le  tout  aux  enchères.  Une  pieuse  dame,  la  comtesse  de  Carignan 
Saint-Maurice,  informée  du  fait,  court  aussitôt  à  la  municipalité  de  Paris, 
vient  à  bout  d'acheter  la  sainte  statue,  la  fait  transporter  à  son  hôtel,  et  là 
lui  dédie  un  petit  oratoire  où  un  prêtre  caché  célébrait  tous  les  jours  les 
saints  mystères.  La  pieuse  comtesse  jouissait  de  son  trésor  dans  le  secret, 
lorsque,  selon  la  façon  de  faire  d'alors,  elle  fut  incarcérée  comme  suspecte 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  38 


S94  1"  JUILLET. 

dans  la  maison  de  la  rue  de  Sèvres  appelée  les  Oiseaux,  qui  avait  élé  trans- 
formée en  prison  supplémentaire  ;  mais  la  sainte  statue,  échappée  aux  re- 
gards des  malfaiteurs,  demeura  toujours  dans  son  petit  oratoire  ;  et  le  4  oc- 
tobre 1794  la  pieuse  comtesse,  mise  en  liberté  par  une  protection  de 
Notre-Dame  de  Bonne-Délivrance  qu'elle  avait  invoquée  tous  les  jours  durant 
sa  captivité,  reprit  ses  prières  devant  la  sainte  image.  Quatre  mois  après, 
apprenant  que  les  dames  hospitalières  de  Saint-Thomas  de  Yilleneuve  , 
qu'elle  affectionnait  singulièrement,  étaient  sur  le  point  d'être  chassées  de 
leur  communauté  par  le  gouvernement,  elle  fit  vœu  de  donner  sa  statue 
chérie  à  ces  dames,  si  le  gouvernement,  renonçant  à  ses  desseins  hostiles, 
cessait  de  les  inquiéter.  De  leur  côté,  les  religieuses  firent  une  neuvaine  à 
Notre-Dame  de  Bonne-Délivrance  ;  tant  de  prières  furent  exaucées,  et  les 
religieuses  restèrent  tranquilles  dans  leur  communauté.  La  comtesse  de 
Carignan  offrit  alors  d'accomplir  son  vœu  :  les  dames  de  Saint-Thomas 
l'acceptèrent  avec  bonheur,  s'empressèrent  de  bâtir  une  chapelle  pour  re- 
cevoir la  statue  ;  et,  le  1"  juillet  1806,  l'image  miraculeuse  fut  transportée 
à  Saint-Thomas  de  Villeneuve,  où  elle  devint  aussi  l'objet  d'un  culte  fervent 
et  le  but  de  nombreux  pèlerinages.  Ainsi  fut  remplacée  la  célèbre  chapelle 
de  Notre-Dame  des  Grès,  qui  tomba,  ainsi  que  l'église,  sous  le  marteau  des 
démolisseurs. 

Extrait  de  Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Snlpice. 


NOTRE-DAME  DU  MARAIS,  A  FOUGERES 

AU  DIOCÈSE  DE  RENNES 


L'église  Saint-Sulpice,  à  Fougères,  possède,  dans  une  niche,  au-dessus 
de  la  porte  d'entrée,  et  sous  un  petit  édicule,  tel  qu'on  en  voit  dans  cer- 
taines églises  de  campagne,  Notre-Dame  du  Marais,  ainsi  appelée  du  lieu  oîi 
elle  fut  découverte.  Cette  célèbre  statue  était  depuis  des  siècles,  porte  une 
tradition  constante,  enfouie  dans  le  sol,  au-dessous  de  l'endroit  où  elle  est 
exposée  à  la  vénération  des  fidèles.  On  la  découvrit,  en  creusant  les  fonda- 
tions de  l'église  Saint-Sulpice  ;  et,  comme  ce  sol  était  primitivement  un 
marais,  depuis  longtemps  desséché,  on  la  nomma  Notre-Dame  du  Marais. 
Ainsi  parle  la  tradition  du  pays  ;  et  cette  tradition  s'accorde  de  tous  points 
avec  l'histoire  ;  car  l'histoire  nous  apprend  que,  dès  les  premières  années 
du  XI*  siècle,  il  existait  une  église,  sous  le  vocable  de  Marie,  dans  l'enceinte 
même  du  château  de  Fougères,  précisément  en  face,  et  à  une  distance  de 
cinquante  mètres,  de  l'endroit  oti  la  tradition  place  la  découverte  de  la 
statue.  L'histoire  nous  apprend,  en  second  lieu,  que  le  château  de  Fougères 
fut  rasé  de  fond  en  comble  en  1166;  par  conséquent,  l'église  renfermée 
dans  son  enceinte  dut  nécessairement  être  enveloppée  dans  sa  ruine  ;  la 
statue  en  pierre  honorée  dans  cette  église  dut  rouler  avec  les  décombres 
dans  les  fossés  du  château,  où  elle  fut  trouvée  trois  siècles  plus  tard,  lors- 
qu'on fouilla  le  sol  pour  la  construction  de  cette  partie  de  l'église  Saint- 
Sulpice  ;  et  sans  recourir  au  caractère  de  merveilleux  que  quelques-uns  ont 
attaché  à  la  découverte  de  la  statue,  ces  faits  si  simples  font  ressortir  clai- 


NOTRE-DAME  DU  MARAIS,   A  FOUGÈRES.  595 

rement  l'antiquité  du  culte  de  Marie  h  Fougères;  ils  démontrent  que,  dès 
lex^  siècle,  la  Vierge  sainte  était  honorée  comme  patronne  de  la  ville  et 
protectrice  de  la  contrée. 

La  statue  ainsi  trouvée  dans  les  décombres  du  château  est  haute  de 
quatre-vingts  centimètres,  et  représente  la  Vierge  assise,  la  tête  ceinte  d'una 
couronne  à  trois  fleurons  entièrement  lisses,  tenant  de  la  main  gauche 
l'Enfant  Jésus  debout  sur  ses  genoux,  pendant  que  de  la  main  droite  elle 
lui  donne  son  sein.  Le  divin  Maître  semble  sourire  à  sa  Mère,  et  a  la  main 
levée  comme  pour  bénir.  Cette  image  est  d'un  seul  bloc  de  granit,  d'un 
grain  extrêmement  fin.  Un  malencontreux  artiste  du  milieu  du  dernier 
siècle  voulut  la  refaire  selon  ce  qu'il  appelait  les  formes  du  beau  ;  heureu- 
sement il  ne  réussit  qu'à  moitié,  et  lui  laissa,  malgré  lui,  son  caractère  pri- 
mitif; de  sorte  que,  nonobstant  les  couches  de  dorures  et  de  badigeon  dont 
il  la  couvrit,  le  cachet  de  haute  antiquité  que  lui  attribue  la  tradition  res- 
sort de  la  pureté  de  l'expression  et  de  la  naïveté  des  poses,  comme  de  la  dis- 
position simple  des  draperies. 

Pendant  le  temps  que  cette  statue  vénérée  demeura  enfouie,  le  culte  de 
Marie  ne  souffrit  point  de  défaillance  :  on  l'honorait  d'un  culte  tout  parti- 
culier dans  une  chapelle  de  réglise  Saint-Sulpice  ;  une  confrérie  en  son 
honneur  y  florissait  sous  le  nom  de  la  grande  confrérie  de  Notre-Dame,  des- 
servie par  sept  chapelains  ;  et  Dieu  témoigna  plusieurs  fois  aux  habitants  de 
Fougères  combien  lui  étaient  agréables  les  hommages  qu'ils  rendaient  en 
ce  lieu  à  sa  sainte  Mère.  Nous  lisons  dans  le  compte  des  trésoriers  de  la  pa- 
roisse des  années  1494  et  1495  qu'il  s'y  opérait  de  fréquents  et  éclatants 
miracles,  en  considération  desquels  l'évêque  accorda  quarante  jours  d'in- 
dulgence pour  tous  les  jours  de  la  semaine.  Nous  y  lisons  que,  le  19  sep- 
tembre 1495,  un  grand  cierge  s'y  alluma  de  lui-même,  et  demeura  ainsi 
allumé  durant  vingt-quatre  heures,  que  toute  la  ville  fut  témoin  du  prodige, 
et  que  deux  sermons  furent  faits  pour  en  faire  ressortir  la  merveille. 

Ces  faveurs  et  merveilles  diverses,  par  lesquelles  Dieu  glorifiait  l'image 
de  Marie,  inspirèrent  pour  elle,  aux  habitants  de  Fougères,  un  attachement 
sans  bornes  ;  et  toutes  les  fois  qu'aux  temps  de  guerres  civiles  l'ennemi 
s'approcha  des  remparts,  le  premier  soin  des  habitants  fut'  de  transférer 
la  statue  dans  un  lieu  sûr  et  bien  caché.  Ce  n'était  pas  qu'ils  doutassent  de 
la  protection  de  Marie,  à  qui  ils  avaient  remis  la  garde  de  leur  ville,  en 
plaçant  son  image  sur  chacune  des  quatre  portes  qui  en  défendaient  l'en- 
trée :  fait  remarquable,  dont  on  voit  encore  la  preuve,  non-seulement  dans 
celle  de  ces  portes  qui  existe  aujourd'hui,  et  qui  présente  aux  regards  cette 
même  image,  mais  encore  dans  les  statues  placées  près  des  anciennes 
portes  démolies,  et  dans  celle  qui  fut  transportée  à  l'église  Saint-Léonard, 
où  le  marquis  du  Bois-Février  fonda  une  lampe  qui  devait  toujours  brûler 
devant  elle.  Mais  quoique  Marie  les  eût  si  bien  protégés,  que  jamais  armée 
protestante  n'avait  pu  pénétrer  dans  la  ville,  ils  croyaient  plus  prudent  de 
ne  négliger  aucune  précaution. 

Vers  le  milieu  du  xvn^  siècle,  la  dévotion  à  Notre-Dame  des  Marais  prit 
un  développement  extraordinaire,  et  se  propagea  avec  une  expansion  qui 
sembla  tenir  du  prodige  :  ce  n'étaient  plus  des  personnes  isolées  qui  ve- 
naient réclamer  sa  protection,  mais  bien  des  paroisses  entières  qui  s'y  ren- 
daient, chaque  année,  en  pèlerinage,  et  des  paroisses  étrangères  au  diocèse, 
telles  que  Montaudin,  Larchampset  Landivy,  toutes  trois  alors  du  diocèse 
du  Mans,  aujourd'hui  du  diocèse  de  Laval.  Ces  pieux  pèlerinages  se  conti- 
nuèrent jusqu'en  93;  et  aujourd'hui  encore  les  habitants  de  Landivy,  con- 


596  1"  JUILLET. 

servant  religieusement  les  traditions  de  leurs  pères,  viennent,  chaque  année, 
le  premier  jour  de  juillet,  se  prosterner  aux  pieds  de  Notre-Dame  du  Ma- 
rais, et  y  assistent  au  saint  sacrifice,  célébré  par  leur  curé,  qui  dirige  tou- 
jours ce  saint  voyage. 

Pour  faciliter  aux  pèlerins  le  recueillement  de  la  prière,  en  les  séparant 
des  allées  et  des  venues,  et  du  dérangement  que  leur  suscitait  l'offlce  pa- 
roissial, on  construisit  une  chapelle  du  pèlerinage,  où  l'on  plaça  la  statue 
vénérée  sous  une  sorte  de  baldaquin,  au-dessus  de  la  baie  par  laquelle  elle 
communique  avec  l'église.  C'est  là  que  Marie  apparaît,  dans  son  humble 
sanctuaire,  comme  autrefois  dans  sa  modeste  demeure  de  Nazareth,  dé- 
pouillée de  toute  gloire  mondaine  et  de  tout  éclat,  mais  toujours  pleine  de 
grâces,  et  les  répandant  sans  réserve  sur  ceux  qui  l'invoquent.  C'est  là  que 
se  conserve  toujours  enracinée  au  cœur  du  pèlerin  une  dévotion  qui  a  ré- 
sisté à  l'épreuve  des  siècles,  et  qui,  loin  de  diminuer,  au  milieu  des  défail- 
lances de  la  foi,  semble  se  fortifier  tous  les  jours  davantage  ;  fait  qui  serait 
à  lui  seul  un  miracle,  si  les  grâces  insignes  obtenues  dans  ce  sanctuaire 
n'en  donnaient  l'explication. 

Avant  la  Révolution,  on  voyait  suspendues  aux  pieds  de  Notre-Dame  deux 
chaînes  de  fer  avec  lesquelles  on  attachait  les  condamnés,  et  dont  lui  avaient 
fait  hommage  deux  accusés  qui  avaient  obtenu,  par  son  intercession,  que 
leur  innocence  fût  reconnue.  M.  Paumier,  mort  curé  de  Saint-Sulpice,  en 
1715,  raconte,  dans  une  notice  qui  se  conserve  encore,  la  guérison  subite 
d'une  jeune  aveugle  de  la  paroisse  de  Saint-Sauveur  des  Landes,  qui  s'était 
fait  conduire  aux  pieds  de  celle  qu'on  n'invoque  jamais  en  vain.  Enfin 
l'amiral  comte  du  Boueis  de  Guichen,  natif  de  Fougères,  saisi,  dans  une  de 
ses  excursions  maritimes,  par  la  plus  horrible  tempête,  fit  vœu,  s'il  échap- 
pait au  danger,  de  venir  en  pèlerin  remercier  Notre-Dame  du  Marais  ;  et  à 
peine  eut-il  fait  ce  vœu,  que  la  mer  se  calma.  Lorsqu'il  fut  de  retour  en 
France,  il  se  hâta  de  venir  à  Fougères,  et  se  rendit  pieds  nus  dans  le  sanc- 
tuaire de  Marie,  proclamant  à  la  face  du  monde  la  faveur  qu'il  en  avait 
reçue. 

Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice. 


NOTRE-DAME  DE  LORETTE,  A  LILLE 

AU  DIOCÈSE  DE  CAMBRAI 

II  y  avait  à  Lille  deux  chapelles  de  Lorette  :  la  première,  près  de  l'an- 
cienne église  Saint-Etienne,  fondée,  en  1537,  par  l'intendant  général  des 
finances,  était  d'une  construction  élégante  et  gracieuse,  riche  de  tableaux 
et  de  sculptures;  et  la  statue  de  la  Vierge  placée  au-dessus  de  l'autel  pas- 
sait pour  un  chef-d'œuvre.  Depuis  1651,  elle  possédait  la  statue  du  sanc- 
tuaire de  Notre-Dame  des  Ardents,  lequel,  après  avoir  été,  pendant  quatre 
siècles,  visité  avec  fruit  par  les  malades  atteints  du  feu  Saint-Antoine,  fut  alors 
démoli  ;  et  l'on  continuait  de  venir  prier  devant  cette  image  pour  obtenir 
la  guérison  de  la  fièvre  et  du  charbon.  La  seconde  chapelle  de  Lorette,  bien 
plus  célèbre  que  la  première,  fut  fondée  par  l'électeur  de  Cologne,  Joseph- 
Clémenl,  chez  les  dames  de  l'Abbiette.  Ce  prince,  trouvant  peu  digne  de  la 
sainte  Vierge  l'humble  chapelle  où  elle  était  honorée  depuis  deux  siècles, 


SAINT  DOMITIEN,   ABBÉ.  597 

conçut  le  projet  de  la  remplacer  par  une  plus  décente  dont  il  posa  la  pre- 
mière pierre  le  9  février  1708.  Dans  cette  construction,  il  ne  négligea  rien 
pour  faire  de  sa  nouvelle  chapelle  une  copie  fidèle  delà  Santa  Casa,  vénérée 
à  Lorette  en  Italie  ;  et,  à  la  fin  du  mois  de  juin,  l'édifice  étant  terminé,  il 
alla,  en  grande  solennité,  chercher  au  couvent  des  dames  dominicaines  la 
statue  de  l'ancienne  chapelle  qu'il  y  avait  fait  déposer.  Le  1"  juillet,  il  fit 
la  consécration  de  ce  nouveau  sanctuaire  ;  le  2  du  même  mois,  il  y  célébra 
la  messe,  et  Fénelon  y  vint,  l'après-midi,  faire  ses  prières.  Les  jours  sui- 
vants, on  célébra  très-solennellement  l'octave  de  la  consécration  de  la  cha- 
pelle. Tous  ces  jours,  il  y  eut  grand'messe,  le  premier  jour  par  les  domini- 
cains, le  second,  par  le  clergé  de  Saint-Etienne,  qu'accompagnaient  les 
magistrats  en  corps  et  en  robe,  ofl'rant  un  cœur  d'or  avec  cette  inscription  : 
votum  populorum,  le  vœu  des  peuples,  et  au  dessus,  les  armes  de  la  ville  ;  les 
jours  suivants,  par  le  chapitre  de  Saint-Pierre,  par  les  paroisses  de  Saint- 
Sauveur  et  de  Saint-Maurice  et  par  les  ordres  mendiants.  Tant  que  l'élec- 
teur resta  à  Lille,  il  fit  dire  le  chapelet  chaque  jour  dans  la  chapelle  de 
Lorette,  et  y  assista  ;  et  depuis  lors,  cette  sainte  pratique  s'y  est  toujours 
conservée. 

Quelque  temps  après,  la  ville  ayant  été  prise  par  les  hérétiques,  les  ha- 
bitants osèrent,  en  leur  présence,  manifester,  comme  auparavant,  leur 
dévotion  à  Notre-Dame  de  Lorette.  Tous  les  matins,  on  y  venait  entendre  la 
messe  ou  y  faire  ses  prières,  en  si  grand  nombre  qu'on  avait  peine  à  y 
trouver  place  ;  tous  les  soirs,  on  y  revenait  chanter  les  litanies  de  Notre- 
Dame  de  Lorette  ;  et  des  cœurs  d'or  et  d'argent,  des  tableaux,  des  cierges 
ofi"erts  à  l'autel,  attestaient  la  piété  des  fidèles  pour  la  Mère  de  Dieu. 

Dès  l'année  qui  suivit  la  construction  du  nouveau  sanctuaire,  des  guéri- 
sons  inespérées  s'y  opérèrent  ;  et  le  bruit  s'en  répandant  au  loin,  les  grands 
vicaires  de  Tournai  jugèrent  opportun  de  faire  procéder  à  une  enquête  sur 
ce  sujet.  L'enquête,  commencée  le  6  février  1710,  constata  plusieurs  guéri- 
sons  miraculeuses,  ainsi  que  deux  résurrections,  qui  permirent  d'adminis- 
trer le  baptême  à  deux  enfants  morts  en  naissant  ;  et  les  dépositions  des 
témoins,  les  certificats  délivrés  par  les  hommes  de  l'art,  aussi  bien  que  les 
registres  où  étaient  consignés  ces  faits  miraculeux,  se  conservèrent,  jusqu'à 
la  Révolution,  dans  le  monastère  des  religieuses  de  l'Abbiette. 

La  précieuse  image,  heureusement  échappée  à  l'esprit  de  destruction 
de  93,  se  vénère  maintenant  chez  les  religieuses  de  l'hôpital  Saint-Sauveur, 

Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Salpice. 


SAINT  DOMITIEN,  ABBE, 

FONDATEUR  DE   SAINT-RAMBERT  DE  JOUX,   AU  DIOCÈSE  DE   BELLET  (440). 

Domitien  naquit  à  Rome  d'une  famille  distinguée,  vers  l'an  347,  sous  l'empire  de  Constance. 
Philippe,  son  père,  et  Marcianille,  sa  mère,  cultivèrent  soigneusement  les  heureuses  dispositions 
qu'il  manifesta  dès  son  bas  âge  ;  ils  veillèrent  surtout  à  le  préserver  des  erreurs  de  l'arianisme  et 
mirent  tous  leurs  soins  k  le  fortifier  dans  la  foi  catholique. 

A  l'âge  de  douze  ans,  il  fut  envoyé  dans  une  école  chrétienne  pour  y  apprendre  les  lettres 
sacrées  et  profanes.  Sur  ces  entrefaites,  il  perdit  son  père  qui  fut  mis  à  mort  par  les  Ariens,  ea 
haine  de  la  religion  ;  sa  mère  en  mourut  de  chagrin  peu  de  temps  après.  Domitien  prit  dès  lors  la 
résolution  de  quitter  le  monde  :  il  se  délit  de  son  patrimoine,  partagea  toute  sa  fortune  entre  les 


598  1"  JUILLET. 

indigents  de  Rome,  et  se  retira  tout  jeune  encore  dans  une  maison  religieuse  pour  embrasser  l'état 
monastique  dans  sa  ville  natale.  Plus  tard  (426),  les  factions  qui  agitaient  l'Etat  troublèrent  la 
solitude  des  cloîtres  :  Domitien  prit  alors  le  parti  de  se  retirer  dans  les  Gaules.  Il  aborda  à  Mar- 
seille où  il  fit  la  rencontre  d'un  ecclésiastique  pieui,  nommé  Salvien,  qui  le  fît  entrer  dans  l'abbaye 
de  Sainl-llonorat  de  Lérins,  au  diocèse  de  Fréjus.  Saint  Hilaire  l'en  retira  pour  lui  conférer  la 
prêtrise  (428),  mais  il  rentra  à  Lérins  et  n'en  sortit  que  quelques  années  après  pour  fonder,  dans 
l'endroit  appelé  alors  Axance,  aujourd'hui  Bourg-Saint-Christophe  (Ain),  un  petit  oratoire  qu'il 
dédia  à  saint  Christophe. 

Il  s'y  livrait  au  jeûne,  à  la  prière,  aux  veilles  et  à  la  célébration  des  saints  mystères.  Le  nombre 
de  ses  disciples  croissant  de  jour  en  jour,  il  abandonna  l'oratoire  d'Axaoce  qu'il  confia  à  un  prêtre 
avec  les  jardins  qu'il  y  avait  formés  et  la  vigne  qu'il  y  avait  plantée,  et  bâtit,  sur  un  plateau  qui 
domine  la  fontaine  de  Bébron,  un  monastère  et  deux  oratoires,  l'un  en  l'honneur  àe  la  sainte  Vierge, 
l'autre  en  l'honneur  de  saint  Christophe,  martyr.  Quelque  temps  après,  ayant  converti  de  l'aria- 
nisme  à  la  foi  catholique  un  riche  seigneur  des  environs,  nommé  Latinus,  celui-ci  donna  à  Domi- 
tien des  terres  et  de  l'argent,  ce  qui  lui  permit  d'agrandir  son  monastère  de  Bébroo.  Saint  Ram- 
bert  ayant  été  percé  d'une  lance  dans  les  environs,  par  les  ordres  du  cruel  Ebroïn,  y  fut  enseveli, 
et  depuis  lors  le  monastère  de  Domitien  prit  le  nom  de  Saiat-Rambert  de  Joux. 

Après  de  si  beaux  travaux,  affaibli  par  l'âge  et  les  austérités,  Domitien  rendit  son  âme  à  Dieu. 
Sa  dépouille  mortelle  fut  déposée  dans  un  beau  sarcophage  que  ses  religieux  placèrent  près  de 
l'autel  dédié  à  saint  Genès,  martyr.  Une  partie  des  reliques  de  ce  saint  solitaire  fut  transportée  an 
prieuré  de  Saint-André-en-Forez  vers  l'aji  1078,  sous  l'épiscopat  de  saint  Gébuin,  évèque  de  Lyon. 
Il  n'existe  plus  aujourd'hui  de  ces  précieux  restes  que  quelques  fragments  qui  soat  dans  l'église 
de  Saint-Rarabert  (Loire). 

Abrégé  de  la  vie  qu'en  donnent  Mgr  Depéry,  dans  son  Histoira  hagiologique  de  Belley,  et  les  Aeta 
Sdiifitorum,  au  tome  i"  de  juillet. 


SAINT  FLEURET  OU  FLOREZ, 

ÉVÊQUE  RÉGIONNAIRE   DE  LA   CONTRÉE   DE   L' AUVERGNE  (VH®  siècle). 

Saint  Fleuret  (Floregius)  fut  orné  des  qualités  de  l'esprit  et  des  dons  de  la  grâce  dans  une 
large  mesure.  Ni  son  berceau,  ni  sa  généalogie,  ni  son  existence  ne  nous  sont  connus,  dit  Du 
Sausp-aye.  S'il  était  permis  d'émettre  une  opinion,  nous  croirions  pouvoir  avancer  que  saint  Fleuret 
vint  au  monde  vers  le  vu»  siècle,  qu'il  vit  le  jour  au  sein  même  des  montagnes  dont  il  fut  plus 
tard  l'apôtre,  et  qu'il  était  peut-être  issu  de  cette  noble  famille  d'Estaing  qui  se  faisait  un  honneur 
de  le  placer  parmi  ses  parents,  et  dont  elle  a  conservé  le  portrait  dans  la  galerie  de  ses  ancêtres. 

La  légende  prétend  que  ce  Saint  était  évêque  dans  l'Auvergne,  ce  qui  semble  indiquer  Cler- 
mont  ;  mais  on  ne  trouve  pas  le  nom  de  ce  prélat  dans  les  listes  des  évéqaes  de  cette  église.  Nous 
croyons,  avec  un  hagiographe  du  Rouergue,  que  saint  Fleuret  était  évêque  régionnaire  de  la  contrée 
de  l'Auvergne  et  des  pays  voisins.  Dans  le  v  siècle,  on  institua  des  évêques  régionnaires  sans 
siège  fixe,  mais  ayant  une  certaine  étendue  de  pays  sous  leur  juridiction,  comme  des  missionnaires 
apostoliques,  afin  de  pourvoir  aux  besoins  pressants  de  l'époque  et  afin  d'extirper  les  hérésies  que 
les  malheurs  des  temps  laissaient  s'introduire. 

Dès  ce  monde.  Dieu  glorifia  son  serviteur  du  don  des  miracles.  On  rapporte,  entre  autres,  qu'un 
aveugle  recouvra  la  vue  en  s'arrosant  les  yeux  de  l'eau  dont  le  saint  prélat  s'était  lavé  les  mains 
avant  de  célébrer  les  divins  mystères.  Plusieurs  boiteux  lui  durent  aussi  leur  guérison. 

Quand  notre  Saint  fut  mûr  pour  le  ciel.  Dieu  l'arracha  doucement  de  la  terre  après  une  maladie 
de  huit  jours.  De  passage  à  Estaing,  petite  ville  du  diocèse  de  Rodez,  il  y  laissa  sa  dépouille 
mortelle. 

Aussi,  sa  mémoire  a  été  toujours  en  vénération  à  cause  de  la  sainteté  de  sa  vie,  et  les  miracles 
les  plus  éclatants  sont  venus  la  recommander,  de  plus  en  plus,  à  l'amour  des  peuples.  Son  corps 
presque  entier  repose  dans  l'église  d'Estaing  :  tous  les  ans,  le  premier  dimanche  de  juillet,  il  y 
est  l'objet  d'un  culte  solennel  que  rien  n'a  pu,  jusqu'à  ce  jour,  ni  interrompre,  ni  diminuer  ou 
affaiblir.  Un  concours  d'étrangers,  arrivés  des  paroisses  voisines  et  des  confias  de  la  haute  Auver- 


SAINT   GOULVEN,   ÉVÊQUE.  599 

gne,  lui  présente  l'hommage  de  leurs  prières,  avec  les  offraudes  que  leur  inspire  le  sentiment  de 
foi  qui  les  anime. 

Aux  portes  d'Estaing,  une  chapelle  a  été  construite  sous  le  vocable  de  saint  Fleuret  et  dédiée  à 
ce  patron  béni  ;  et,  à  côté  de  cette  même  chapelle,  coule  une  fontaine  dont  les  religieuses  popula- 
tions du  pays  attribuent  l'origine  aux  ferventes  prières  de  saint  Fleuret  :  elles  sont  même  dans  le 
pieux  usage  de  puiser  à  cette  source,  dès  qu'elles  sont  visitées,  ou  par  les  infirmités,  ou  par  quel- 
que maladie. 

La  veille  de  la  fêle  de  saint  Fleuret,  on  expose  à  la  vénération  des  fidèles  ses  reliques  insi- 
gnes :  cette  pieuse  cérémonie  qui  a  lieu,  avec  solennité,  au  milieu  des  chauts  de  l'Eglise  et  de 
Ylste  confessor,  l'hymne  liturgique  des  confesseurs,  s'appelle  l'ouverture  du  a  corps  saint  ».  Le 
chant  d'une  antienne  particulière  consacre  cette  touchanle  cérémonie. 

Saint  Fleuret  est  invoqué  pour  obtenir  de  Dieu  la  préservation,  au  bétail,  des  diverses  épidé- 
mies, la  santé  des  malades  et  la  conservation  des  fruits  de  la  terre.  Les  nombreux  pèlerins  qui  se 
rendent  à  son  tombeau,  pour  demander  à  Dieu  ces  grâces,  par  son  intercession,  ont  coutume  de 
faire  bénir  du  pain  et  du  sel  qu'ils  emportent  pour  en  faire  un  saint  usage  chez  eux,  et  ils 
offrent,  en  outre,  une  messe  à  Dieu  en  l'honneur  de  saint  Fleuret.  L'un  d'entre  eux  disait,  dans  ua 
des  derniers  pèlerinages  qu'il  a  accomplis  au  tombeau  de  saint  Fleuret,  «  qu'il  s'y  était  rendu, 
chaque  année,  depuis  soixante  ans,  pour  rester  fidèle  à  la  promesse  qu'il  avait  faite  à  son  vieux 
père  sur  son  lit  de  mort;  et  qu'il  avait  recommandé  à  son  fils  de  suivre,  après  sa  mort,  son 
exemple,  parce  qu'il  s'était  trouvé  bien  de  la  dévotion  qu'il  avait  été  constant  à  montrer  pour 
saint  Fleuret  ». 

L'abbé  Bousquet,  secrétaire  général  de  l'évêché  de  Rodez.  —  Extrait  dn  Propre  d«  l'Eglise  d'Estaing, 
et  du  Propre  de  Rodez  ;  —  Cf.  L.  Servières,  Les  Saints  du  Rouergue. 


SAINT  GOULVEN  *, 

ÉVÊQUE  DE  L'ANCIEN   SIÈGE  DE  LÉON,   EN   BRETAGNE   (x'  siècle). 

Saint  Goulven  naquit  dans  un  pays  de  Bretagne  appelé  Odena;  son  père  se  nommait  Glaudoa 
et  sa  mère  Golaguen.  Un  riche  propriétaire  breton  l'ayant  adopté  dans  le  dessein  d'en  faire  son 
héritier,  il  ne  négligea  rien  pour  son  éducation,  et  surtout  il  le  fit  appliquer  à  l'étude  des  lettres, 
où  l'enfant  réussit  complètement.  Son  père  et  sa  mère  moururent,  et  Goulven,  qui  avait  déjà 
renoncé  au  monde  dans  son  cœur,  fit  de  si  grands  progrès  dans  la  perfection  que  tous  les  malades 
des  environs,  persuadés  de  son  crédit  auprès  de  Dieu,  accouraient  à  lui  de  toutes  parts  pour  être 
soulagés  dans  leurs  maux.  Plus  attentif  encore  aux  besoins  de  leurs  âmes  qu'à  ceux  de  leurs  corps, 
il  instruisait  en  même  temps  qu'il  guérissait  ;  et  sa  parole,  secondée  de  la  grâce  de  Dieu,  portait 
la  vie  et  la  santé  dans  les  cœurs,  à  mesure  que  l'imposition  de  ses  mains  chassait  les  maladies 
corporelles. 

Les  nombreux  éloges  que  lui  attiraient  la  reconnaissance  et  l'admiration  générales  finirent  par 
alarmer  sa  modestie  ;  pour  éviter  la  tentation  de  la  vaine  gloire,  il  alla  se  cacher  dans  des  bois  et 
des  buissons  qui  bordaient  les  marais  de  son  pays.  Il  y  bâtit  un  oratoire  qu'il  appela  Peni-ti,  c'est- 
à-dire  Maison  de  pénitence.  Enfermé  dans  ce  lieu  solitaire,  il  s'y  appliqua  nuit  et  jour  à  la  con- 
templation et  aux  louanges  de  Dieu.  Il  ne  mangeait  qu'une  fois  le  jour  ;  sa  nourriture  n'était  que 
du  pain  et  de  l'eau,  et  très-peu  d'autres  aliments.  Il  ne  sortait  qu'une  fois  le  jour  pour  aller  faire 
dans  le  bois  une  procession  de  trois  ou  quatre  cents  pas.  11  y  avait  planté  trois  croix,  et  il  s'ar- 
rêtait quelque  temps  au  pied  de  chacune  pour  faire  sa  prière  :  c'est  ce  qu'on  a  depiris  appelé  les 
ttations  de  Saint-Goulven. 

Cependant  le  peuple  et  le  clergé  de  Léon,  charmés  des  vertus  du  pieux  anachorète,  voulu- 
rent le  contraindre  d'accepter  la  dignité  épiscopale.  Saint  Goulven  fit,  pour  leur  échapper,  le  voyage 
de  Rome.  On  ne  chercha  pas  à  le  retenir  lorsqu'il  eut  déclaré  qu'il  y  était  obligé  par  vœu  ;  mais 
on  envoya  au  Saint-Siège  le  décret  de  son  élection  avec  l'éloge  de  sa  vie  angélique.  Le  Pape 
donna  avec  joie  l'onction  sacrée  à  un  sujet  d'un  si  grand  mérite  et  le  renvoya  eu  Bretagne  pour 
gouverner  le  diocèse  de  Léon. 

1.  Alias  :  Goalehen,  Goalchao,  Golvinus,  Golvenut. 


600  2  JUILLET. 

Après  quelques  années  d'épiscopat,  notre  Saint  s'étant  rendu  à  Rennes  pour  des  affaires  ecclé- 
siastiques, il  y  fut  attaqué  de  la  fièvre  :  il  en  mourut  après  avoir  prédit  le  jour  et  1  heure  de 
sa  mort. 

Les  religieux  de  Saint-Melaine  enterrèrent  son  corps  dans  leur  église,  où  Dieu  a  fait  de  grands 
miracles  par  son  intercession.  Dans  la  suite,  son  corps  fut  levé  de  terre,  et  quelques  personnes  da 
pays  de  Léon  obtinrent  une  jointure  d'un  de  ses  doigts  qu'ils  déposèrent  dans  l'église  de  Saint- 
Goulven.  Le  reste  fut  mis,  partie  dans  l'église  cathédrale  de  Rennes,  partie  dans  celle  de  Saint- 
Melaine  (lile-et-Vilaine),  et  une  autre  partie  dans  l'église  paroissiale  de  Goulven  (Finistère).  Outre 
l'église  bâtie  auprès  du  Peni-ti,  qui  a  depuis  porté  le  nom  de  Saint-Goulven,  les  fidèles  bâtirent 
une  chapelle  en  son  honneur  à  Odena  son  pays  natal. 

On  le  représente  près  d'une  source  d'eau  vive  qui  jaillit  de  terre.  On  raconte  que  sa  mère  le 
mit  au  monde  pendant  un  voyage  qu'elle  faisait  avec  son  mari;  loin  de  toute  habitation,  elle  crai 
gnait  de  manquer  d'eau  pour  baptiser  le  nouveau-né  qu'elle  voyait  en  danger  de  mourir  :  une 
source  jaillit  miraculeusement  de  terre  et  servit  ses  desseins. 

Abrégé  de  la  biographie  détaillée  qn'en  donne  Dom  Lobinean  dans  les  Yies  des  Saints  de  Bretagne. 


ir  JOUR  DE  JUILLET 


MARTYROLOGE  ROMAIN. 

La  fête  de  la  Visitation  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  a  sainte  Elisabeth.  L'an  1 
avant  Jésus-Christ.  —  A  Rome,  sur  la  voie  Aurélienne,  la  naissance  au  ciel  des  saints  martyrs 
Processe  et  Martinien,  lesquels,  ayant  été  baptisés  par  saint  Pierre,  apôtre,  dans  la  prison 
Mamertine,  sous  Néron,  eurent  la  bouche  et  les  dents  brisées  avec  des  cailloux  ;  puis  endurèrent  le 
chevalet,  les  coups  de  bâton  et  de  nerf  de  bœuf,  la  violence  du  feu  et  des  scorpions,  et  furent 
enfin  couronnés  du  martyre  en  perdant  la  vie  par  le  tranchant  de  l'épée.  i"  s.  —  Encore  à  Rome, 
ie  supplice  de  trois  bienheureux  soldats,  qui,  ayant  été  convertis  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
par  le  martyre  de  l'apôtre  saint  Paul,  s'en  allèrent  jouir  avec  lui  du  bonheur  de  la  gloire  éternelle. 
Sous  Néron.  —  Le  même  jour,  en  Campanie,  les  saints  martyrs  Ariston,  Cresceatien,  Eulychien, 
Urbain,  Vital,  Juste,  Félicissime,  Félix,  Marcie  et  Symphorose,  qui  furent  tous  couronnés  du  mar- 
tyre, au  temps  de  la  cruelle  persécution  de  l'empereur  Dioctétien.  Vers  l'an  285.  —  A  Winchester, 
en  Angleterre,  saint  Swithu,  Swilhun  ou  Swithin,  évêque,  dont  la  sainteté  fut  manifestée  par  les 
miracles  qu'il  opéra  '.  863.  —  A  Bamberg,  en  Bavière,  saint  Othon,  évéque,  lequel  amena,  par 
ses  prédications,  les  peuples  de  la  Poméranie  à  la  foi  de  Jésus-Christ.  1139.  —  A  Tours,  le  décès 
de  sainte  Mokégond^:,  femme  pieuse.  Vers  570. 

MARTYROLOGE   DE   FRANCE,   REVD   ET  AUGMENTÉ. 

A  Avignon,  le  bienheureux  Pierre  de  Luxembourg,  cardinal  et  évêque  de  Metz.  Tout  jeune 
encore,  il  fut  honoré  de  la  pourpre  et  du  caractère  épiscopal.  Son  corps  repose  dans  l'église  dei 
Céleslins  d'Avignon  où  il  est  entouré  de  la  vénération  des  fidèles;  l'église  des  Célestins  de  Paris 
possède  son  manteau  qui  opère  de  grands  miracles  en  faveur  des  malades  qui  demandent  d'en  être 
couverts.  La  ville  de  Ligny-en-Barrois,  au  diocèse  de  Verdun,  en  fait  la  fête  le  5  de  juillet  *.  — 
Dans  l'église  de  la  Sorbonne,  à  Paris,  la  translation  des  reliques  de  sainte  Euphémie  de  Chalcé- 
doine,  dont  l'illustre  maison  de  Sorbonne  possède  quelques  fragments  '.  —  Au  diocèse  de  Meaux, 
sainte  Jéroche  ou  Géroche  (GerundiusJ,  curé  de  l'ancienne  paroisse  de  Saint-Pierre  de  Gilmou- 
iiers,  en  Brie.  Il  est  honoré  à  Rebais  (Seine-et-Marne),  et  son  corps  se  gardait  autrefois  à  Fare- 

1.  Son  chef  fut  apporté  à  la  cathédrale  d'Evreux  sur  la  fin  du  xiv«  sibcla. 

2.  Voir  ce  jour.  —  3.  Voir  au  16  septcmbie. 


MARTYROLOGES.  601 

mouslier  (Fars  Monasferium,  Sanda  Para,  Evoriacense)  qui  était  une  abbaye  de  femmes,  de 
l'Ordre  de  Saint-Dcnoit,  fondée  dans  le  diocèse  de  Meaiix,  vers  l'an  617,  par  sainte  Fare,  fille 
d'Agnenc,  l'un  des  principaux  officiers  de  la  cour  de  Théodebert  II,  roi  d'Austrasie.  La  traditior 
rapporte  que  sauit  Jéroche  était  le  confesseur  de  sainte  Fare,  ce  qui  explique  comment  son  corps 
fut  dépose  dans  le  monastère  dont  cette  sainte  fille  était  la  fondatrice.  Une  église  a  été  construite 
sous  son  nom  à  Dagny,  près  de  la  Ferté-Gaucher  (Seine-et-Marne)  où  une  partie  de  son  chef  se 
conserve  religieusement  de  temps  immémorial,  vue  s.  —  En  Bretagne,  saint  Oudocée  ou  Oudo- 
THEE,  troisième  évèque  de  Landalf,  en  Angleterre.  564.  —  Au  diocèse  de  Limoges,  saint  Amase, 
confesseur.  On  l'honorait  autrefois  dans  l'abbaye  de  Saint-Martial  de  Limoges.  La  tradition  rapporte 
qu'il  remonte  au  temps  même  de  saint  Martial,  apôtre  de  l'Aquitaine,  et  que  les  prédications  et 
les  vertus  de  cet  homme  apostolique  ne  contribuèrent  pas  peu  à  le  convertir  au  christianisme.  Son 
corps  fut  enseveli  auprès  de  celui  de  saint  Martial,  dans  un  tombeau  qu'il  avait  construit  pour  lui- 
même.  in«  s.  —  A  la  Voùte-Chilhac  (llaute-Loire),  au  diocèse  du  Puy,  fêle  de  Notre-Dame  Trou- 
vée. C'est  une  petite  statue  de  Marie  que  trouvèrent  des  enfants,  en  s'amusant  à  jeter  des  cailloux 
l'un  contre  l'autre.  Un  de  ces  cailloux  s'étant  fendu  en  deux  par  le  choc,  on  aperçut  dans  l'inté- 
rieur une  petite  image  de  Notre-Dame,  tenant  l'Enfant  Jésus  sur  le  bras  gauche,  peinte  or  et  azur, 
la  tête  découverte,  avec  cinq  fieurs  de  lis  sur  la  robe  et  une  étoile  sur  la  poitrine.  On  plaça  l'image 
dans  l'église  où  elle  opéra  plusieurs  guérisons  miraculeuses.  La  fête  se  célèbre  avec  grande  solen- 
nité et  atlire_  un  grand  concours  de  prêtres  et  de  fidèles.  —  A  Lescure  (Cantal),  au  diocèse  de 
Saint-Flour,  fê'te  de  Notre-Dame  de  la  Visitation,  dont  la  statue  fut  découverte,  en  1717,  par  ua 
pieux  berger  du  pays  qui  fit  bâtir  pour  l'y  déposer  un  modeste  oratoire  que  l'on  remplaça,  en 
1725,  par  une  chapelle  plus  digne  qui  sert  de  chœur  à  l'église  actuelle.  Le  sanctuaire  vénéré,  qui 
voyait  s'accroitre  tous  les  ans  le  nombre  des  pèlerins,  fut  vendu  pendant  la  Révolution  de  93  ; 
quand  ces  mauvais  jours  furent  passés,  les  habitants  le  rachetèrent  tout  mutilé  qu'il  était,  et  s'em- 
pressèrent de  le  réparer.  Depuis  cette  époque,  outre  plus  de  mille  personnes  qu'y  envoient  chaque 
année  la  ville  d'Aurillac  ou  ses  environs,  il  y  vient  des  pèlerins,  non-seulement  des  difl'érentes 
parties  du  Cantal,  mais  de  l'Aveyron,  du  Lot,  de  la  Lozère,  de  la  Haute-Loire,  du  Puy-de-Dôme, 
et  môme  plusieurs  paroisses  s'y  rendent  en  procession.  —  A  Molompize  (Cantal),  au  diocèse  de 
Saint-Flour,  fête  de  Notre-Dame  de  Bon-Secours.  La  paroisse  de  Molompize,  sur  laquelle  elle  est 
située,  s'y  rend  en  procession  à  pareil  jour  et  y  offre  le  saint  sacrifice.  Les  voyageurs  la  saluent 
du  plus  loin  qu'ils  l'aperçoivent  et  ne  manquent  jamais,  quand  ils  passent  auprès,  de  s'arrêter  pour 
y  prier.  —  A  l'est  de  Mauriac  (Cantal),  au  même  diocèse  de  Saint-Flour,  fête  de  Notre-Dame  de 
LA  Font-Sainte.  —  A  Lille  (Nord),  fête  de  Notre-Dame  de  la  Treille.  —  A  Esquermes, 
près  Lille  (Nord),  pèlerinage  de  Notre-Dame  d'Esquermes.  —  A  Verdelais,  écart  de  la  commune 
d'Aubiac  (Gironde),  au  diocèse  de  Bordeaux,  fête  de  Notre-Dame  de  Verdelais.  —  A  Torcé 
(Sarthe),  au  diocèse  du  Mans,  fête  de  Notre-Dame  de  Torcé.  —  A  Saint-Martin-de-Connée 
(Mayenne),  au  diocèse  de  Laval,  fête  de  Notre-Dame  du  Chêne.  —  A  Saint-Brieuc  (Côtes-du- 
Nord),  fête  de  Notre-Dame  d'Espérance.  —  A  Boëge  (Haute-Savoie),  au  diocèse  d'Annecy, 
pèlerinage  de  Notre-Dame  des  Voirons.  —  A  Aii-les-Bains  (Savoie),  au  diocèse  de  Chambéry, 
fête  de  Notre-Dame  d'Aix  et  des  Eaux.  —  Sur  la  montagne  d'Etang,  près  du  village  de  Velars 
(Côte-d'Or),  au  diocèse  de  Dijon,  fête  de  Notre-Dame  d'Etang.  —  A  Besse  (Puy-de-Dôme),  au 
diocèse  de  Clermout-Ferrand,  fête  de  Notre-Dame  de  Vassivière,  —  A  Bollozeale,  près  Dun- 
kerque  (Nord),  au  diocèse  de  Cambrai,  fête  de  Notre-Dame  de  la  Visitation.  Elle  date  du  xiii"  siè- 
cle ;  on  l'invoque  principalement  contre  la  peste  et  les  maladies  contagieuses.  La  princesse  Isa- 
belle, épouse  du  prince  Albert,  fit  ce  pèlerinage  en  1621,  et  Marie-Thérèse,  épouse  de  Jacques  II, 
roi  d'Angleterre,  en  1687.  Le  pape  Innocent  XII  attacha  une  indulgence  plénière  à  la  visite  de  ce 
sanctuaire,  le  jour  de  la  Visitation  ou  pendant  son  octave,  et  Grégoire  XVI  la  confirma  en  1845. 
—  Sur  la  crête  des  montagnes  de  Vailly  (Haute-Savoie),  au  diocèse  d'Annecy,  pèlerinage  de  Notre- 
Dame  d'Hermone,  célèbre  par  les  nombreux  miracles  qu'y  opère  tous  les  jours  la  sainte  Vierge. 
L'ancien  sanctuaire  était  jadis  une  chapelle  d'un  monastère  de  Cisterciennes.  Elle  fut  presqu'entiè- 
rement  reconstruite,  en  1840,  par  les  habitants  qui  firent  ériger  un  chemin  de  croix  sur  la  princi- 
pale avenue  qui  y  conduit.  —  A  Plougoulm,  près  Saint-Pol-de-Léon  (Finistère),  au  diocèse  de 
Quimper,  pèlerinage  de  Notre-Dame  de  Pra-Coulm,  ainsi  appelée  de  deux  mots  bretons  qui  signi- 
fient :  Chant  de  la  colombe,  parce  que,  dit-on,  une  colombe  blanche  plane  toujours  au-dessus  de 
son  clocher.  La  foule  se  presse  avec  foi  et  recueillement  dans  ce  sanctuaire  vénéré,  dont  les  murs 
sont  tapissés  à'ex-voto,  souvenirs  précieux  de  la  confiance  et  de  la  reconnaissance  des  fidèles.  — 
Au  village  de  Weiler,  près  Wissembourg  (Bas-Rhin),  au  diocèse  de  Strasbourg,  pèlerinage  de 
Notre-Dame  des  Sept-Douleurs.  Sa  chapelle  fut  bâtie,  au  xii»  siècle,  par  les  Bénédictins  de  l'ab- 
baye de  Wissembourg.  Dévastée  pendant  les  guerres  qui  désolèrent  l'Alsace  au  commencement  du 
XVI8  siècle,  elle  fut  reconstruite,  en  1719,  par  le  roi  détrôné  de  Pologne,  Stanislas  Leczinski,  qui 
donna  six  cents  florins  pour  son  entretien  et  la  fondation  d'une  messe  aux  six  principales  fêtes  de 
la  Vierge.  Le  concours  des  fidèles  croissant  de  jour  en  jour,  en  1774,  on  allongea  la  nef  de  vingt- 
deux  pieds,  en  y  ajoutant  un  porche.  Le  pèlerinage  a  lieu,  de  nos  jours,  non-seulement  le  2  juillet, 
mais  aussi  le  jour  de  la  Passion  et  tous  les  vendredis  de  l'année.  —  Au  bourg  de  Roderen,  près 
Tbann  (Haut-Rhin),  au  diocèse  de  Strasbourg,  pèlerinage  de  Notre-Dame  de  Roderen,  Sa  chapelle 


602  2  JUILLET. 

date  de  1716.  Pie  VI  accorda,  en  1786,  une  indulgence  de  deux  cents  jours  à  ceux  qui  y  récite- 
raient les  litanies  de  la  sainte  Vierge.  Restauré  en  1843,  ce  sanctuaire  est  de  plus  en  plus  fré- 
quenté ;  les  conscrits,  avant  de  partir  pour  l'armée,  y  font  dire  une  messe,  et  les  soldats  de  Crimée 
y  sont  allés  pieds  nus,  au  retour  de  lexpédition,  pour  remercier  Notre-Dame  de  les  avoir  protégés. 
—  A  Saint-Martin,  écart  de  la  commune  d'Onet-le-Cliâteau  (Aveyron),  au  diocèse  de  Rodez,  fête 
de  Notie-Dame  delà  Salvage,  située  dans  une  solitude,  au  milieu  d'une  vaste  forêt.  C'était  autre- 
fois un  petit  oratoire  carré,  avec  une  voûte  à  plein  cintre,  au  milieu  d'un  grand  enclos  dont  on 
voit  encore  des  vestiges.  On  le  remplaça  plus  tard  par  une  nouvelle  chapelle  que  détruisit  la 
Révolution  de  93,  et  que  reconstruisirent,  en  1838,  les  habitants  de  Saint-Martin.  La  belle  statue 
qui  se  voit  au-dessus  du  maître-autel  est  un  don  du  cardinal  de  Ronald,  archevêque  de  LyoQ. 
L'église  actuelle  est  longue  de  dix-huit  mètres,  large  de  douze,  toute  à  proportion,  et  l'ancien 
sanctuaire  lui  sert  de  sacristie.  C'est  le  rendez-vous  des  fidèles  de  l'Aveyron,  de  la  Lozère,  de 
rflérault  et  du  Gard.  —  Près  de  Dournon  (Jura),  au  diocèse  de  Saint-Claude,  fête  de  Notre-Dame 
de  Moutaigu.  Cet  oratoire  date  de  1493  et  fut  bâti  par  le  magistrat  d'Arbois,  en  reconnaissance 
d'une  victoire  remportée  sur  les  troupes  de  Charles  VIII,  roi  de  France,  et  attribuée  par  la  voix 
publique  à  la  protection  de  la  sainte  Vierge.  Sa  chapelle  primitive,  qui  est  la  sacristie  d'aujour- 
d'hui, s'appelle  Noire-Dame  de  Mont-Serrat.  Victime  des  fureurs  révolutionnaires  de  93,  ce  sanc- 
tuaire béni  a  été  rendu  par  les  habitants  à  sa  première  splendeur.  —  A  Cessales,  près  Villefranche 
de  Lauragais  (Haute-Garonne),  au  diocèse  de  Toulouse,  fête  de  Notre-Dame  de  Clary.  Son  sanc» 
tuaire  date  du  x«  siècle.  Démoli  par  les  Albigeois  au  commencement  du  xine  siècle,  il  fut  recons- 
truit sur  la  fin  du  xiv»,  détruit  de  nouveau  en  93,  et  restauré  définitivement  en  1854.  La  statue 
est  au-dessus  du  rétable  du  maitre-autel.  Il  y  avait,  dans  l'église  de  Clary,  une  confrérie  à  laquelle 
se  faisaient  affilier  la  plupart  des  pèlerins  et  qui  avait  le  privilège  de  plusieurs  indulgences  atta- 
chées, soit  à  la  visite  de  l'église,  soit  au  titre  de  membre  de  la  confrérie.  Pie  IX,  par  son  bref  du 
7  septembre  1853,  a  renouvelé  ces  Lidulgences. 

MARTYROLOGES  DES  ORDRES  RELIGIEUX. 

Martyrologe  des  Cisterciens.  —  La  Visitation  de  la  sainte  Vierge  à  sainte  Elisabeth.  Le  pape 
Urbain  VI  accorda  des  indulgences  aux  personnes  qui  assistent  à  l'office  et  à  la  messe  pendart 
l'octave  de  celte  fête.  Booiface  IX  les  a  confirmées. 

ADDITIONS  FAITES  D'APRÈS  LES  BOLLANDISTES  ET  ACTRES   HAGIOGRAPHES. 

En  Italie,  saint  Hyacinthe,  martyr.  Il  naquit  en  Phrygie,  qui  est  une  région  de  l'Asie-Mineure, 
et  y  reçut  une  éducation  chrétienne.  Il  vint  à  Cumes,  ville  de  Campanie,  et  y  guérissait  les  malades 
au  nom  de  Jésus-Christ  ;  mais  des  idolâtres  s'emparèrent  de  sa  personne  et  le  conduisirent  devant 
le  préfet  de  la  province.  Celui-ci  le  fit  tourmenter  sur  le  chevalet,  puis,  après  un  miracle  que 
nolie  Saint  opéra  devant  lui,  il  se  convertit  au  christianisme  et  rendit  Hyacinthe  à  la  liberté.  Les 
liabilaats  de  Cumes  se  chargèrent  alors  de  l'accabler  de  mauvais  traitements.  Le  serviteur  de  Dieu 
fit  sa  prière  et  aussitôt  un  grand  tremblement  de  terrp,  ébranla  la  ville  jusque  dans  ses  fondemenîs 
et  abattit  toutes  les  idoles.  Cela  valut  à  notre  Saint  u  avoir  les  membres  rompus  et  d'être  jeté  dans 
une  obscure  prison.  Enfin  on  lui  ôta  ses  chaînes  ;  il  parcourut  alors  de  nouveau  tout  le  pays  pour 
guérir  les  malades  jusqu'à  ce  qu'étant  lui-même  victime  d'une  fièvre  maligne,  il  s'échappa  douce- 
ment de  la  terre  pour  aller  saluer  son  Bien-Aimé  dans  le  ciel.  189.  —  Dans  l'ancien  monastère  de 
Baume-les-Moines  (Bnlma,  Jura),  saint  Aldegrin,  confesseur,  déjà  nommé  au  martyrologe  de  France 
dn  5  juin  '.  Celte  abbaye  de  Baume  remonte,  dit-on,  au  ive  siècle  :  elle  fut  reconstruite,  l'ao 
926,  par  saint  Bcrnon,  fondateur  et  premier  abbé  de  Gigny  (Gigniacum,  Jura).  On  dit  que  le  même 
saint  Berûon  en  tira  quelque  temps  après  des  religieux  pour  établir  l'observance  dans  le  monastère 
de  Cluny,  alors  nnuvellement  bâti.  L'abbaye  de  Baume-les-Moines  était  située  au  milieu  des  mon- 
tagnes du  Jura,  à  quelques  lieues  de  Lons-le-Saulnier.  x«  s.  —  A  Sezza,  près  de  Piperno,  ea 
Italie,  saint  Lidan  ou  Ligdan,  appelé  aussi  Lindan  et  Lindane,  abbé,  de  l'Onlre  de  Saint-Benoît.  Il 
passa  de  longues  années  dans  un  certain  monastère  de  Sainte-Cécile,  et  s'y  fit  admirer  de  tous  par 
l'éclat  de  ses  vertus.  Les  miracles  qu'il  fit  pendant  sa  vie  et  après  sa  mort  sont  des  témoins  irré- 
cusables de  la  sainteté  et  de  la  gloire  dont  il  jouit  dans  le  ciel.  1118.  —  En  Phrygie,  saint  Quint, 
martyr,  sons  le  règne  d'Aurélien.  —  A  Rome  ou  en  Mésopotamie,  les  saints  Hisiqne,  Amide,  Ami- 
gradin,  Arixe  et  Jocundianille,  martyrs,  indiqués  au  martyrologe  de  saint  Jérôme.  —  Au  diocèse  de 
Milan,  saint  Adéodat,  prêtre  et  confesseur.  —  A  Vicence,  en  Vénétie,  le  bienheureux  Jean  de 
Vicence,  de  l'Ordre  des  Fières  Prêcheurs.  Attiré  par  la  renommée  des  vertus  de  salut  Dominique, 
il  se  joignit  à  ses  premiers  disciples,  prêcha  avec  fruit  à  Bologne,  ville  de  la  Rnmagne,  en  Italie, 
et  dirigea  le  couvent  de  Padoue,  ville  forte  du  même  royaume.  C'est  lui  qui  fut  chargé  de  l'en- 
quête pour  la  canonisation  de  saint  Antoine  de  Padoue.  xiu»  s. 

1.  Voir  ce  jour,  et  la  note  du  martyrologe. 


FÊTE   DE  LA.  VISITATION  DE  LA  SAINTE  VIERGE  A   SAINTE   ELISABETH.        603 


LA  FETE  DE  LA  VISITATION 

DE  LA  SAINTE  VIERGE  A  SAINTE  ELISABETH 

L'an  1  avant  Jésus-Christ.  —  Empereur  romain  :  Auguste. 

Si  Mariam  diligitis,  si  contenditis  ei  placere,  xrnula- 
mini  modestiam  ejus.  Nec  in  sola  tamen  Marix 
taciturnitate  commendatur  humilitas,  sed  evideiitius 
resonat  in  sermone  ad  angelutn  et  ad  Elisabeth. 

SI  TOUS  aimez  Marie,  si  tous  chercher  &  lui  plaire, 
Imitez  sa  modestie.  Ce  n'est  pas  seulement  dans 
son  silence  qn'ëclate  son  humilité  ;  ses  paroles  \ 
l'archange  Gabriel  et  à  sa  cousine  sainte  Elisabetlk 
la  proclament  d'une  manière  plus  frappante  encore. 
S.  Bern.,  Hom.  de  Prxrogat.  B.  M.  V. 

C'est  ici  le  second  mystère  de  l'économie  de  notre  salut,  et  le  premier 
après  celui  de  l'Incarnation  de  Jésus-Christ  dans  le  sein  de  la  Sainte  Vierge. 
La  grâce  de  Chef  et  de  Sauveur  qui  était  en  lui  ne  put  demeurer  longtemps 
renfermée  :  il  fallut  lui  donner  de  l'air  et  la  mettre  en  exercice,  afin  qu'il 
imitât  en  quelque  manière,  dans  ses  émanations  surnaturelles,  la  fécondité 
de  son  Père  éternel,  qui  n'a  jamais  été  sans  produire  et  sans  se  communi- 
quer. Le  premier  sujet  qu'il  choisit  pour  exercer  son  office  fut  saint  Jean- 
Baptiste,  fils  de  saint  Zacharie  et  de  sainte  Elisabeth,  et  désigné  son  pré- 
curseur. Ainsi,  après  le  départ  de  l'ange  Gabriel,  qui  avait  annoncé  à  la 
glorieuse  Vierge  les  merveilles  qui  se  devaient  accomplir  en  elle,  et  lui 
avait  aussi  révélé  que  sainte  Elisabeth,  sa  cousine,  était  enceinte  de  six  mois, 
Notre-Seigneur  inspira  à  sa  mère  d'aller  faire  sa  visite  à  cette  chère  cou- 
sine, afin  de  travailler  sans  délai  à  l'œuvre  de  la  sanctification  de  son  fils. 
Marie  reçut  cette  inspiration  avec  un  profond  respect,  et  s'y  soumit  sans 
délai.  «  Elle  se  leva  »,  dit  l'évangéliste  saint  Luc,  qui  a  eu  la  mission  d'ap- 
prendre ce  secret  à  l'Eglise  chrétienne,  «  s'en  alla  en  hâte  sur  les  mon- 
tagnes, en  une  cité  de  Juda,  et,  entrant  dans  la  maison  de  Zacharie,  elle 
salue  Elisabeth  ». 

Nous  voyons  en  cette  action  son  obéissance,  sa  charité  et  sa  gratitude. 
Son  obéissance,  puisque,  sans  raisonner  sur  la  longueur  et  la  difficulté  du 
chemin,  ni  sur  l'incommodité  de  la  saison,  qui  était  la  fin  de  l'hiver,  elle 
exécuta  sans  aucun  retardement  ce  que  l'Esprit  de  son  Fils  lui  inspirait.  Sa 
charité,  puisqu'elle  entreprit  ce  voyage  dans  le  dessein  d'assister  sa  cousine 
dans  les  besoins  de  sa  grossesse,  et  de  lui  rendre  tous  les  services  que  les 
femmes  ont  coutume  de  se  rendre  dans  ces  occasions.  Sa  gratitude,  puis- 
qu'elle le  fit  sans  doute  en  partie  pour  reconnaître  les  assistances  qu'elle- 
même  avait  reçues,  dans  son  enfance,  de  cette  sainte  femme,  laquelle  ayant 
autorité  dans  les  appartements  du  temple,  comme  épouse  de  l'un  des  prin- 
cipaux pontifes,  avait  eu  un  soin  particulier,  selon  plusieurs  docteurs,  que 
rien  ne  lui  manquât  dans  le  temps  qu'elle  y  fut  retirée. 

Mais  la  vertu  qui  éclate  davantage  en  cette  résolution,  et  que  saint  Am- 
broise  y  pèse  aussi  plus  particulièrement,  c'est  l'humilité.  Marie  vient  d'être 
élevée  au-dessus  de  toutes  les  créatures  du  ciel  et  de  la  terre  par  la  grâce 


604  2  JUILLET. 

incomparable  de  la  maternité  divine  ;  elle  vient  d'être  établie  la  Reine  des 
anges  et  des  hommes,  et  la  Souveraine  de  tout  l'univers  ;  cependant,  elle 
ne  fait  point  difficulté  d'aller  visiter  cette  sainte  femme  qui  était  infiniment 
au-dessous  d'elle,  et  elle  entreprend  un  long  et  pénible  voyage  pour  se 
rendre,  pour  ainsi  dire,  sa  servante  pour  le  reste  de  sa  grossesse.  Quel  pro- 
dige d'abaissement  !  Il  ne  faut  pas  néanmoins  s'en  étonner  :  l'humilité  ne 
pouvait  être  séparée  de  la  maternité  divine,  et  il  était  convenable  qu'elle 
fût  aussi  profonde  en  Marie  que  sa  dignité  de  Mère  de  Dieu  était  sublime, 
afin  qu'elle  ne  ressemblât  pas  moins  à  son  Fils  dans  l'excès  de  son  abaisse- 
ment qu'elle  approchait  de  lui  par  la  grandeur  de  son  élévation.  Aussi,  nous 
pouvons  dire  que  le  mépris  d'elle-même,  qu'elle  a  fait  paraître  en  cette 
conduite,  est  une  des  grâces  les  plus  signalées  qu'elle  ait  reçues  de  la  libé- 
ralité divine,  et  la  disposition  par  laquelle  elle  a  été  le  plus  agréable  à  Dieu 
et  lui  a  gagné  le  cœur  avec  plus  de  force  et  de  pouvoir. 

C'est  donc  en  cette  disposition  qu'elle  partit  de  Nazareth  et  qu'elle 
s'avança  vers  la  ville  où  demeuraient  Zacharie  et  Elisabeth.  Quelques  au- 
teurs ont  cru  que  Joseph  accompagna  son  Epouse  dans  le  chemin,  et  que, 
l'ayant  conduite  chez  Zacharie,  il  revint  sur  ses  pas  pour  continuer  son 
travail  habituel,  sans  avoir  rien  su  de  ce  qui  s'était  passé  entre  elle  et  Eli- 
sabeth dans  le  moment  de  leur  salutation  mutuelle.  Il  n'y  a  guère  d'appa- 
rence, disent-ils,  qu'une  jeune  fille  de  quatorze  ans,  telle  qu'était  la  Vierge, 
eût  voulu  aller  seule  dans  la  campagne  en  un  lieu  si  éloigné,  et  qui  était 
distant  de  Nazareth  de  vingt-huit  ou  trente  lieues.  Mais  ce  voyage  de  Joseph 
est  incertain  ;  l'Ecriture  et  la  tradition  n'en  parlent  point  ;  d'ailleurs,  la 
Vierge  a  pu  se  faire  accompagner  dans  son  voyage  par  quelqu'une  de  ses 
parentes  ou  de  ses  voisines. 

L'Evangile  ne  nomme  point  la  ville  où  demeurait  le  saint  pontife  Za- 
charie ;  mais  on  tient  communément  que  c'était  Hébron,  parce  qu'entre  les 
Tilles  sacerdotales  il  n'y  avait  que  celle-là  qui  fût  sur  les  montagnes  de  Juda. 
Cette  ville  était  très-ancienne  et  des  plus  considérables  de  la  Palestine  :  car 
elle  avait  été  autrefois  la  ville  capitale  des  Géants,  si  célèbre  dans  l'Ecriture 
sous  le  nom  d'Enakim,  et,  depuis,  elle  était  devenue  très-illustre  par  la  sé- 
pulture d'Abraham,  d'Isaac  et  de  Jacob,  parla  translation  des  ossements  de 
de  Joseph  et  par  le  premier  siège  du  règne  de  David.  Il  y  avait,  près  de  ses 
portes,  un  térébinthe  que  l'on  disait  être  aussi  ancien  que  le  monde,  et  qui 
duraitencore  dutemps  d'Hégésippeet  de  saint  Jérôme,  c'est-à-dire  après  plus 
de  quatre  mille  quatre  cents  ans.  La  Vierge,  y  étant  entrée  accompagnée  invi- 
siblement  d'un  grand  nombre  d'anges  qui  n'admiraient  pas  moins  son  humi- 
lité et  son  courage  qu'ils  n'adoraient  sa  maternité  divine,  salua  sa  cousine 
Elisabeth.  Saint  Luc  ne  rapporte  point  ce  qu'elle  lui  dit,  et  quel  salut  elle 
lui  donna.  Il  y  a  grande  apparence  que  le  Saint-Esprit,  qui  a  conduit  la 
plume  de  cet  Evangéliste  et  lui  a  inspiré  ce  qu'il  devait  écrire,  en  a  ainsi 
disposé  pour  favoriser  l'humilité  de  la  Vierge,  dont  toute  l'inclination  était 
de  parler  fort  peu  d'elle-même,  et  d'en  laisser  fort  peu  parler.  On  pourrait 
même  penser  que,  comme  ce  fut  elle  qui  apprit  à  saint  Luc  toute  la  suite 
de  cette  histoire  sainte,  elle  lui  cacha  exprès  cette  circonstance,  ne  lui  di- 
sant que  ce  qu'il  était  absolument  nécessaire  de  découvrir  aux  fidèles  pour 
leur  édification,  afin  de  confondre  la  vanité  et  la  présomption  des  enfants 
d'Adam,  qui  ne  peuvent  s'empêcher  de  parler  de  leurs  propres  actions,  bien 
qu'elles  soient  remplies  de  défauts  et  d'imperfections,  et  qu'elles  portent; 
depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin,  les  marques  évidentes  de  leur  dé- 
pravation et  de  leur  faiblesse.  Ne  cherchons  donc  point  curieusement  avec 


FÊTE  DE   L.i  VISITATION   DE  LA  SALME   VIERGE   A  SAINTE  ELISABETH.       605 

quelles  paroles  cette  admirable  Vierge  aborda  sa  cousine  ;  et  qu'il  nous  suf- 
fise d'en  admirer  les  effets,  qui  sont  tout  à  fait  surprenants  et  montrent 
clairement  que  la  Sagesse  éternelle  qui  résidait  en  son  sein,  a  parlé  aussi 
par  sa  bouche,  et  donnait  force  et  bénédiction  à  tout  ce  qu'elle  disait. 

Elle  prononça  deux  ou  trois  mots,  comme  on  a  coutume  de  le  faire  en 
saluant  un  ami ,  et  aussitôt  l'Enfant  qu'Elisabeth  portait  dans  son  sein 
tressaillit  de  joie,  et  cette  sainte  femme  fut  remplie  elle-même  du  Saint- 
Esprit,  et  s'écria  d'une  voix  forte  :«  Vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes, 
et  le  fruit  de  vos  entrailles  est  béni.  Et  d'où  m'arrive  cet  honneur  que  la 
Mère  de  mon  Seigneur  me  vienne  visiter  ?  car  voilà  qu'aussitôt  que  votre 
salut  a  frappé  mes  oreilles,  l'enfant  que  je  porte  a  tressailli  de  joie  dans  mes 
entrailles.  Vous  êtes,  en  vérité,  bienheureuse  d'avoir  cru  ;  car  les  choses 
qui  vous  ont  été  dites  de  la  part  du  Seigneur  seront  infailliblement  accom- 
plies ».  A  ce  moment,  le  petit  saint  Jean-Baptiste  reçut  la  grâce  et  la  rai- 
son, et  son  esprit  fut  élevé  à  la  connaissance  et  à  l'adoration  du  Seigneur 
tout-puissant  qui  était  devant  lui.  Et  ce  fut  par  l'abondance  de  cette  grâce 
et  par  la  force  de  cette  lumière  qu'il  eut  un  mouvement  extraordinaire  dans 
le  sein  de  sa  mère,  soit  qu'il  se  retourna  comme  pour  saluer  Jésus-Christ  et 
la  Vierge,  selon  ce  beau  mot  de  saint  Augustin  :  De  utero  in  uterum  saluta- 
bat  ;  «  d'un  sein  il  le  saluait  dans  un  autre  sein  »  ;  soit  qu'il  fît  seulement 
un  bond  miraculeux,  afin  de  témoigner  la  grandeur  de  son  allégresse  pour 
leur  aimable  présence.  Non-seulement  il  fut  rempli  de  grâce  et  de  lumière, 
mais  il  en  remplit  aussi  sa  mère,  suivant  cette  autre  parole  de  saint  Am- 
broise  :  Spiritu  Sancto  repletus,  replevit  et  matrem  :  «  Aj^ant  reçu  la  plénitude 
du  Saint-Esprit,  il  la  communiqua  à  celle  qui  le  portait  dans  ses  flancs  »  ; 
de  sorte  qu'Elisabeth,  par  une  illumination  toute  divine  qui  lui  fut  donnée 
en  considération  de  son  fils,  connut  à  cet  instant  les  deux  plus  grands  ou- 
vrages qui  soient  jamais  sortis  de  la  main  de  Dieu  :  nous  voulons  dire  l'Incar- 
nation du  Verbe  divin  dans  le  sein  d'une  Vierge,  et  l'élévation  d'une  Vierge 
à  l'auguste  qualité  de  Mère  de  Dieu  ;  et  elle  fut  aussi  la  première  qui  rendit 
un  hommage  extérieur  et  public  à  ces  deux  mystères,  en  disant  :  «  Vous 
êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes,  et  le  fruit  de  vos  entrailles  est  béni  ». 
Comme  le  remarque  saint  Ambroise,  Elisabeth  entendit  la  première  la 
parole  de  Marie,  mais  Jean  sentit  le  premier  la  grâce  merveilleuse  qui  en 
coulait;  celle  qui  fut  donnée  à  Elisabeth  fut  un  rejaillissement  de  celle 
dont  Jean  avait  été  rempli  ;  Marie  fut  l'organe  de  l'une  et  de  l'autre,  et 
Jésus  parlant  par  sa  bouche,  en  fut  le  premier  principe,  ou  plutôt  Marie 
portant  Jésus,  et  Jésus  porté  et  appliqué  par  Marie  en  furent  comme  un 
seul  principe,  parce  que  Marie  avait  alors  cet  honneur  incomparable 
d'être  comme  une  même  substance  avec  Jésus. 

C'est  donc  ici  un  mystère  de  manifestation  et  de  sanctification,  mais 
d'une  manifestation  et  d'une  sanctification  si  extraordinaires,  qu'elles  n'ont 
jamais  eu  et  n'auront  jamais  leur  semblable.  Des  enfants,  qui  ne  sont  pas  en- 
core nés,  éclairent  leurs  mères  et  s'entre- parlent  par  leurs  mères.  Jésus, 
encore  résidant  dans  les  entrailles  de  Marie,  se  fait  sentir  à  Jean,  renfermé 
aussi  dans  le  sein  d'Elisabeth  ;  il  le  purifie  du  péché  originel,  lui  confère 
la  grâce,  le  justifie  et  le  sanctifie,  le  remplit  du  Saint-Esprit,  l'élève  à 
une  haute  contemplation  de  la  divinité  et  du  ministère  de  notre  rédemp- 
tion, lui  fait  connaître  l'éminence  de  l'état  où  il  l'appelle,  et  répand  dans 
son  âme  les  dispositions  nécessaires  pour  en  remplir  tous  les  devoirs;  enfin, 
tout  enfant  qu'il  est  lui-même,  il  fait  de  cet  enfant  un  prophète,  un  apôtre, 
un  grand  prédicateur  et  un  prodige  de  sagesse  et  de  sainteté.  Et  comment 


606  2  JUILLET. 

opère-t-il  ces  merveilles  ?  Il  les  opère  par  un  mot  qu'il  met  dans  la  bouche 
de  Marie  :  mot  si  puissant  et  si  efiicace  que,  passant  par  les  oreilles  d'Elisa- 
beth, il  entre  jusque  dans  l'esprit  et  dans  le  cœur  de  son  Iruit,  et  que  d'un 
vaisseau  de  colère,  il  fait  un  vaisseau  de  grâce  et  de  toutes  sortes  de  béné- 
dictions. D'ailleurs,  saint  Jean  répond  à  Jésus  et  à  Marie  :  il  leur  parle  par 
ses  bonds,  dit  saint  Jean  Chrysostome  :  Nondum  nasciiur,  et  saltibas  loquitur. 
Il  leur  témoigne  sa  joie  et  sa  reconnaissance,  il  leur  exprime  le  désir  qu'il  a 
de  sortir  de  sa  prison  pour  commencer  son  office  de  prédicateur,  de  pro- 
phète et  de  précurseur.  Quid  hic  sedeo  vinctus?  lui  fait  dire  cette  bouche 
d'or  :  exiho,  frsecurram.  et  prsedicabo  omnibus:  ecce  Agnus  Dei :  a  Pourquoi 
demeurerai-je  ici  lié?  j'en  sortirai,  j'irai  au-devant  de  mon  Seigneur,  et  je 
prêcherai  à  tout  le  monde  que  l'Agneau  de  Dieu  est  venu  ». 

Mais  comme  il  était  encore  muet,  il  se  sert  de  sa  mère  pour  déclarer  ses 
sentiments.  Il  déverse  dans  l'esprit  de  sa  mère  une  lumière  prophétique, 
qui  lui  fait  connaître  les  grandes  merveilles  qui  étaient  devant  ses  yeux  : 
Spiritus  sui  et  gratix  superabundantiam  in  eam  refundit,  dit  l'abbé  Guerrier.  Il 
lait  naître  dans  son  cœur,  avec  une  joie  inestimable,  une  singulière  révé- 
rence pour  la  Vierge  qui  portait  dans  son  sein  son  souverain  Seigneur. 
Enfin,  il  lui  met  dans  la  bouche  les  paroles  les  plus  obligeantes  et  les  plus 
aimables  que  cette  Vierge  pût  attendre  de  sa  piété.  Paroles  d'une  profonde 
humilité  :  «  Et  d'où  me  vient  cet  honneur  que  la  Mère  de  mon  Seigneur 
me  daigne  visiter?  »  Paroles  de  louanges  et  de  bénédiction  :  a  Vous  êtes 
bénie  entre  toutes  les  femmes,  et  le  fruit  de  vos  entrailles  est  béni  ».  Paroles 
de  remerciement  et  de  congratulation  :  u  Dès  que  votre  voix  a  frappé  mes 
oreilles,  l'enfant  que  je  porte  a  tressailli  de  joie  dans  mes  entrailles  ».  Pa- 
roles d'applaudissement  et  d'admiration  :  «  Vous  êtes  en  vérité  bienheu- 
reuse d'avoir  cru  ».  Enfin,  paroles  de  foi  et  de  prophétie  :  a  Les  choses  qui 
vous  ont  été  annoncées  de  la  part  du  Seigneur  s'accompliront  infaillible- 
ment dans  la  suite  de  tous  les  siècles  ». 

11  y  a,  dans  toutes  ces  choses,  de  quoi  admirer  et  de  quoi  imiter.  Nous 
devons  admirer  les  merveilles  que  fait  le  Tout-Puissant  pour  manifester  son 
Fils  et  pour  relever  la  bassesse  de  son  état  d'enfant  ;  mais  nous  devons  imiter 
les  vertus  qui  éclatent  dans  ces  deux  enfants  et  ces  deux  mères,  qui  sont, 
en  quelques  mots,  l'humilité,  la  charité,  le  reconnaissance,  la  dévotion,  la 
ferveur,  et  beaucoup  d'autres  que  les  âmes  saintes  y  pourront  remarquer 
par  une  pieuse  méditation.  Il  est  temps  d'écouter  la  Vierge  et  de  voir  ce 
qu'elle  répondit  aux  louanges  qu'Elisabeth  lui  donnait. 

c(  Mon  âme  »,  dit-elle,  «  glorifie  le  Seigneur  ».  Elisabeth  loue  Marie; 
mais  Marie  s'élève  au-dessus  de  ces  louanges  et  s'applique  uniquement  à 
bénir  Jésus-Christ,  qu'elle  portait  dans  son  sein.  Elle  ne  ressemble  pas  aux 
enfants  d'Adam,  qu'on  ne  peut  louer  de  leurs  actions  et  des  dons  mêmes 
qu'ils  ont  reçus  de  Dieu,  sans  qu'ils  se  préoccupent  honteusement  de  ce 
qu'on  leur  dit,  et  qu'ils  n'y  prennent  plaisir  par  un  amour  criminel  et  insup- 
portable de  leur  propre  excellence.  Comme  elle  est  toute  retirée  en  Dieu, 
et  toute  remplie  de  la  considération,  ou,  pour  mieux  dire,  du  sentiment  et 
du  goût  de  sa  grandeur,  de  sa  puissance  et  de  sa  bonté,  devant  lesquelles 
toute  créature  n'est  rien,  elle  ne  peut  recevoir  de  louange  que  pour  lui,  elle 
lui  renvoie  toute  sorte  d'honneur  ;  et  son  âme,  qui  est  véritablement  sienne, 
parce  qu'elle  ne  se  la  laisse  pas  dérober  par  les  choses  caduques  et  péris- 
sables, n'a  d'action  que  pour  le  bénir  et  l'exalter.  Elle  le  glorifie  par  ses  pa- 
roles et  par  les  profonds  anéantissements  de  son  cœur,  elle  le  glorifie  en 
reconnaissant  devant  le  ciel  et  la  terre  ç^ue  lui  seul  mérite  les  adora- 


FÊTE  DE   LA  VISITATION  DE   LA   SAINTE  VIERGE   A   SAINTE  ELISABETH.       607 

tions  des  anges  et  des  hommes,  «  Elle  le  glorifie  »,  dit  saint  Augustin  sur 
le  Magnificat,  «  par  un  respect  plein  d'amour,  de  tendresse  et  d'affec- 
tion ». 

«  Et  mon  esprit»,  ajoute-t-elle,  «  s'est  réjoui  en  Dieu,  mon  Sauveur  ». 
L'âme  et  l'esprit  dans  l'homme  font  une  même  substance  immatérielle  : 
cette  substance  est  l'âme  en  tant  qu'elle  anime;  cette  substance  est  l'esprit 
en  tant  qu'elle  accomplit  les  opérations  intellectuelles  et  se  met  par  là  en 
relation  avec  le  monde  immatériel,  et  s'élève  vers  Dieu.  Dans  l'état  d'inno- 
cence, l'homme  se  portait  à  Dieu,  non-seulement  selon  la  partie  raison- 
nable et  intellectuelle,  mais  aussi  selon  la  partie  que  nous  appelons  ani- 
male :  car  la  grâce  de  cet  état  florissant,  que  l'on  nomme  justice  originelle, 
était  si  douce  et  si  puissante,  qu'elle  tenait  la  chair  et  tous  les  sens  agréa- 
blement assujélis  à  l'esprit  :  ce  qui  faisait  qu'ils  tendaient  à  Dieu  sous  sa 
conduite  sans  aucune  contradiction,  et  participaient  même,  en  quelque 
manière,  à  la  dignité  de  la  partie  raisonnable.  Mais  cette  heureuse  condition 
a  été  entièrement  ruinée  par  le  péché  du  premier  homme  ;  et,  au  lieu  que 
la  chair  était  alors  un  peu  spirituelle,  l'esprit,  depuis  cette  chute,  est  de- 
venu charnel  et  grossier,  n'ayant  plus  que  des  pensées  et  des  sentiments 
qui  l'appliquent  aux  choses  de  la  terre.  Et,  quoique  notre  nature  ait  été  ré- 
parée par  la  grâce  du  Médiateur,  cette  parfaite  obéissance  de  la  chair  à  l'es- 
prit n'a  pas  néanmoins  été  réparée,  et  les  plus  justes  ont  sujet  de  se  plaindre, 
avec  saint  Paul,  qu'ils  ressentent  en  leurs  membres  une  loi  maudite  et  cri- 
minelle qui  s'oppose  à  la  loi  de  leur  raison.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  de 
la  Vierge  sacrée  :  comme  elle  n'avait  point  eu  de  part  au  péché  de  notre 
père,  et  qu'elle  était  incomparablement  plus  pure  et  plus  privilégiée,  non- 
seulement  qu'Adam  innocent,  mais  aussi  que  les  esprits  célestes,  son  âme 
et  i:on  esprit  n'étaient  point  opposés  entre  eux  ;  ils  n'avaient  l'un  et  l'autre 
qu'un  même  objet  et  une  même  fin  ;  ils  se  portaient  l'un  et  l'autre  à  Dieu, 
et  elle  pouvait  dire  continuellement  ce  que  le  Roi-Prophète  a  dit  une  fois  : 
«  Mon  cœur  et  ma  chair  se  sont  réjouis  dans  le  Dieu  vivant».  C'est  ce 
qu'elle  exprime  admirablement  dans  les  paroles  de  son  cantique,  lorsqu'elle 
dit  que  «  son  âme  glorifie  le  Seigneur,  et  que  son  esprit  s'est  réjoui  en 
Dieu,  son  Sauveur  ».  Car,  par  ce  peu  de  mots,  elle  fait  voir  que  son  âme  a 
les  mêmes  fonctions  que  son  esprit,  qui  sont  de  glorifier  Dieu,  et  que  son 
esprit  s'étend  aussi  aux  fonctions  de  son  âme,  qui  sont  de  se  réjouir  d'avoir 
un  Fils  d'un  mérite  si  grand  et  si  fort  au-dessus  du  mérite  de  tous  les 
hommes.  Elle  glorifie  donc  Dieu  et  elle  se  réjouit  en  lui  par  son  esprit  et 
par  son  âme,  et  sa  joie  est  d'autant  plus  grande  que  les  sujets  qu'elle  a  de 
se  réjouir,  tant  selon  la  nature  que  selon  la  grâce,  sont  éminents  et  sur- 
passent tout  ce  qui  peut  donner  de  la  joie  à  une  créature.  Au  reste,  c'est 
avec  beaucoup  de  justice  qu'elle  appelle  Dieu  son  propre  Sauveur  ;  car 
il  n'a  été  Sauveur  des  autres  hommes  que  du  salut  de  délivrance  et 
de  rédemption,  tandis  qu'il  a  été  le  sien  du  salut  d'une  préservation  par- 
faite, en  l'empêchant,  par  les  mérites  de  son  sang,  auquel  Dieu  a  eu 
égard  dès  le  commencement  du  monde,  d'avoir  aucune  part  au  péché 
d'Adam. 

Elle  dit  ensuite  :  «  Parce  que  Dieu  a  regardé  l'humilité  de  sa  Servante». 
Quelques  auteurs  traduisent  :  «  la  bassesse  de  sa  Servante  » ,  fondés  sur  ce  que 
la  Vierge  était  trop  humble  pour  s'attribuer  à  elle-même  la  vertu  d'humi- 
lité, et  pour  dire  que  cette  vertu  l'avait  rendue  digne  d'être  Mère  de  Dieu; 
mais  ils  ne  considèrent  pas  que  Marie  parlait  comme  d'elle-même  et  comme 
organe  du  Saint-Esprit,  qui  lui  faisait  dire  des  vérités  auxquelles  elle  ne 


608  2  JUILLET. 

s'attendait  pas,  et  que  son  admirable  modestie  lui  cachait  ;  parlant  comme 
d'elle-même,  elle  ne  parlait  que  «de  sa  bassesse  et  de  son  néant»,  et  le  sens 
de  ses  paroles  est  qu'elle  se  réjouit  en  Dieu,  son  Sauveur,  parce  qu'il  a  jeté 
un  regard  de  faveur  et  de  miséricorde  sur  son  indignité,  et  que  sans  nul 
mérite  de  sa  part  il  l'a  élevée  à  une  gloire  inestimable  ;  mais  parlant 
comme  organe  du  Saint-Esprit,  elle  parle  de  son  humilité  prodigieuse, 
parce  que  le  Saint-Esprit  nous  a  voulu  apprendre  par  sa  bouche,  sans 
qu'elle  le  prétendît,  que  c'est  cette  humilité  qui  l'a  rendue  agréable  au 
Très-Haut,  qui  a  attiré  sur  elle  les  regards  de  la  très-sainte  Trinité,  qui  a 
consommé  les  dispositions  qui  lui  étaient  nécessaires  pour  être  Mère  de 
Dieu,  et  qui  l'a  rendue  digne  de  porter  dans  son  sein  Celui  qui  est  le  plus 
grand  et  en  même  temps  le  plus  humble  de  tous  les  enfants  des  hommes. 
Ainsi,  pour  remplir  toute  la  signification  de  ces  mots  :  Respexit  humilitatem 
ancillx  suœ,  il  ne  faut  pas  traduire  :  la  bassesse  de  sa  Servante  ;  mais  :  l'humi- 
lité de  sa  Servante  :  parce  que  ce  mot  d'humilité  signifie  l'une  et  l'autre, 
c'est-à-dire  la  bassesse  et  la  vertu  d'humilité.  On  pourra  dire  que  le  mot 
grec  TaTiavwciî  ,  dont  se  sert  le  saint  Evangéliste,  ne  signifie  que  petitesse  et 
abjection;  mais  cela  n'est  pas  véritable,  puisque,  selon  l'observation  de  saint 
Jérôme  dans  sa  Lettre  à  Algasia,  il  y  a  d'autres  endroits  dans  l'Ecriture, 
comme  en  saint  Matthieu,  chap.  ii  ;  en  l'Epître  de  saint  Jacques,  chap.  m, 
et  en  la  première  de  saint  Pierre,  chap.  v,  où  il  signifie  aussi  la  vertu  d'hu- 
milité :  parce  qu'en  effet  la  bassesse  reconnue  et  ressentie  est  une  véritable 
humilité.  On  peut  voir  là-dessus  le  savant  Benzonius,  dans  l'explication  de 
ce  verset. 

(i  Toutes  les  générations  m'appelleront  bienheureuse  ».  C'est  là  la  conti- 
nuation du  même  verset  où  notre  auguste  Reine,  renfermée  dans  un  coin 
de  la  Judée  et  dans  la  petite  maison  de  Zacharie,  fait  une  prédiction  dont 
nous  voyons  tous  les  jours  la  vérité.  Elle  dit  que  «  parce  que  Dieu  aregardé 
la  bassesse  et  l'humilité  de  sa  Servante,  et  l'a  regardée  d'un  œil  si  favorable, 
qu'il  l'a  exaltée  jusqu'à  l'éminente  dignité  de  Mère  de  Dieu,  toutes  les  na- 
tions et  tous  les  siècles  la  proclameront  bienheureuse  ».  C'est  ce  qui  s'ac- 
complit dans  tous  les  lieux  où  l'Eglise  est  répandue  :  c'est  ce  qui  s'est 
accompli  depuis  la  naissance  du  Christianisme,  et  s'accomplira  jusqu'à  la 
consommation  du  monde  :  car,  en  quel  lieu  ne  chante-t-on  pas  avec  allé- 
gresse :  «  Bienheureuses  les  entrailles  de  la  Vierge  Marie  qui  ont  porté  le 
Fils  du  Père  éternel,  et  bienheureuses  ses  mamelles  qui  ont  allaité  Jésus- 
Christ  Notre-Seigneur  ?  »  Mais  bien  que  les  paroles  de  Notre-Dame  ne 
soient  qu'au  temps  futur,  nous  croyons  néanmoins  qu'elles  se  peuvent  et  se 
doivent  même  étendre  à  tous  les  temps.  Car,  si  l'Eglise  chrétienne  et  tout 
ce  qu'il  y  a  eu  de  fidèles  dans  le  Nouveau  Testament  l'ont  appelée  bienheu- 
reuse :  ce  qui  se  fera  encore  jusqu'au  jour  du  jugement  et  dans  l'éternité  ; 
il  est  constant  que  les  Patriarches  et  les  Prophètes  de  l'Ancien  Testament, 
qui  la  voyaient  en  esprit,  ont  aussi  applaudi  à  son  bonheur.  C'est  ce  qui  lui 
a  mérité  l'union  de  la  fécondité  avec  la  virginité  :  car,  si  elle  eût  été  Vierge 
et  qu'elle  n'eût  pas  été  Mère,  la  synagogue,  qui  préférait  les  mères  aux 
vierges  et  aux  stériles,  ne  l'eût  pas  appelée  singulièrement  bienheureuse.  Si, 
au  contraire,  elle  eût  été  féconde  et  Mère  et  n'eût  pas  été  Vierge,  l'Eglise, 
qui  estime  beaucoup  plus  la  virginité  que  la  fécondité,  n'eût  pas  préféré  son 
bonheur  à  celui  des  vierges;  mais  unissant  en  elle  les  qualités  de  Mère  et 
de  Vierge,  et  les  unissant  si  étroitement,  que  sa  virginité  honore  sa  fécon- 
dité, et  que  sa  fécondité  relève  infiniment  sa  virginité,  elle  est  l'objet  de  la 
vénération  et  des  bénédictions  de  tous  les  âges,  et  il  n'y  en  a  point  qui  ne  la 


FETE  DE  LA  VISITATION  DE  LA   SAINTE  VIERGE  A   SAINTE  ELISABETH.       609 

publie  bienheureuse  et  la  plus  heureuse  de  toutes  les  vierges,  de  toutes  les 
mères  et  de  toutes  les  femmes. 

Elle  s'explique  ensuite  davantage,  et  ajoute  :  «  Parce  que  le  Tout-Puis- 
sant a  fait  pour  moi  de  grandes  choses  ».  Expression  merveilleuse,  et  où 
l'humilité  de  cette  Reine  des  anges  éclate  encore  admirablement  :  car  elle 
ne  dit  pas  que  le  Tout-Puissant  a  fait  de  grandes  choses  par  elle,  mais/)OMr 
elle  :  fecit  rrahi.  Cependant  il  est  constant  que  c'est  en  elle  et  par  elle  que 
ces  grandes  choses  ont  été  faites:  car  c'est  par  elle  que  le  Verbe  éternel  a  pris 
une  chair  humaine,  qu'il  a  été  conçu,  et  qu'il  a  été  fait  le  Christ  et  le  Sauveur 
des  hommes.  Ainsi,  Marie  ne  peut  ouvrir  la  bouche  qu'elle  ne  donne  des 
marques  de  sa  modestie  et  de  son  humilité  parfaite  ;  elle  ne  parle  que  pour 
louer  Dieu.  Et  bien  qu'il  semble  impossible  qu'elle  loue  Dieu  sans  rapporter 
les  choses  qui  la  rendent  infiniment  recommandable,  elle  le  fait  néanmoins 
d'une  manière  si  industrieuse,  qu'elle  renvoie  toute  la  gloire  à  Dieu,  et 
qu'elle  ne  s'attribue  que  le  bonheur  d'avoir  reçu  les  effets  de  sa  libéralité 
et  de  sa  miséricorde.  Au  reste,  les  termes  dont  elle  se  sert  :  «  Le  Tout-Puis- 
sant a  fait  pour  moi  de  grandes  choses  »,  ont  une  signification  infinie,  et  nous 
montrent  que  ce  que  Dieu  a  fait  pour  Marie,  en  Marie  et  par  Marie  est  si 
grand,  si  auguste  et  si  ineffable,  qu'il  n'y  a  point  de  paroles  qui  le  puissent 
représenter.  «  Il  a  fait  pour  moi  »,  dit-elle,  «  de  grandes  choses.  Il  m'a  donné 
pour  fils  dans  le  temps  celui  qui  est  son  Fils  dans  l'éternité  ;  il  m'a  fait  con- 
cevoir dans  mes  entrailles  Celui  qu'il  conçoit  dans  le  sein  de  son  entendement 
divin  ;  il  m'a  fait  Vierge  et  Mère  tout  ensemble,  et  m'a  fait  porter  cette 
Lumière  éternelle  sans  nulle  brèche  à  ma  pureté  virginale  ».  Le  Saint-Es- 
prit, dont  elle  est  l'organe,  lui  fait  encore  exprimer  par  ces  mots  ce  que 
son  humilité  profonde  lui  défend  de  nous  rapporter.  Il  nous  apprend  que 
Dieu  a  réuni  en  elle  tout  ce  que  le  ciel  et  la  terre,  la  grâce  et  la  nature,  les 
anges  et  les  hommes  ont  de  rare  et  d'excellent  ;  qu'il  lui  a  donné  la  foi  des 
Patriarches,  le  zèle  des  Prophètes  et  les  vertus  de  tous  les  justes  qui  seront 
dans  le  Nouveau  Testament  ;  qu'elle  surpasse  les  Trônes  en  beauté,  les  Ché- 
rubins en  lumière  et  les  Séraphins  en  ardeur  ;  que  son  innocence  est  par- 
faite, sa  fidélité  inviolable  et  sa  charité  consommée;  que,  comme  elle  ren- 
ferme le  Saint  des  saints  dans  son  chaste  sein,  elle  est  aussi  revêtue  de  sa  vie, 
de  son  esprit,  de  ses  sentiments  et  de  ses  inclinations  ;  qu'elle  participe 
éminemment  à  sa  sainteté  divine  et  humaine,  et  qu'elle  est  comme  un  autre 
lui-même  ;  qu'il  n'y  a  point  de  réserve  pour  elle,  et  que  tous  les  trésors  de 
la  grâce  et  de  la  gloire  lui  sont  ouverts.  Il  nous  découvre  encore  par  ces 
termes  que,  comme  les  mères  ont  part  à  toutes  les  prérogatives  de  leurs 
enfants,  Marie,  enceinte  du  Verbe  incarné,  est  élevée  à  trois  sociétés  avec 
lui  :  une  société  de  grandeur,  qui  la  doit  faire  reconnaître  pour  la  Reine  des 
cieux,  la  Dame  et  la  Maîtresse  des  anges  et  la  Souveraine  de  l'univers  ;  une 
société  d'office,  qui  la  fera  appeler  par  les  Pères  et  les  Docteurs,  «  la  Répa- 
ratrice du  monde,  la  Rédemptrice  du  genre  humain  et  la  Réconciliatrice 
des  pécheurs  »,  en  tant  que  c'est  elle  qui  a  fourni  le  corps  et  le  sang  par 
lesquels  nous  avons  été  rachetés  ;  une  société  d'influence,  qui  la  fera  coo- 
pérer jusqu'à  la  fin  du  monde  à  toutes  les  œuvres  de  grâce  que  Dieu  opé- 
rera dans  l'économie  du  salut.  Elle  n'avait  garde  de  nous  vouloir  rapporter 
ces  grandes  choses  d'elle-même  ;  mais  l'Esprit  de  Dieu,  entre  les  mains 
duquel  est  la  langue  et  la  voix  des  Prophètes,  les  a  toutes  renfermées  sous 
les  deux  mots  qu'elle  nous  a  dits;  de  sorte  que,  par  une  conduite  admirable  de 
la  divine  Providence,  Marie,  en  voulant  louer  Dieu  sans  se  louer,  nous  a  donné 
occasion  de  reconnaître  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  et  de  plus  louable  en  elle. 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  ^^ 


QIQ  2  JUILLET. 

Elle  achève  ce  verset  en  disant  :  «  Et  son  nom  est  saint  » .  Elle  parle  du 
nom  de  Dieu  comme  Dieu,  qu'il  n'était  permis  à  personne  de  prononcer,  et 
du  nom  de  Dieu  fait  homme,  que  l'ange  Gabriel  lui  avait  déjà  apporté  du 
ciel,  et  qui  était  le  nom  de  Jésus  ;  et  elle  appelle  l'un  et  l'autre  Saint,  parce 
qu'ils  signifient  la  source  de  toute  sainteté.  Mais  elle  n'en  parle  que  comme 
d'un  seul  nom,  parce  que  celui  de  Dieu  est  renfermé  dans  celui  du  Sauveur 
et  de  Jésus,  comme  nous  l'avons  dit  à  la  fête  de  la  Circoncision.  Au  reste, 
nous  ne  doutons  point  qu'elle  ne  représente  ici  la  sainteté  de  son  Seigneur 
par  un  nouveau  secret  d'humilité,  afin  de  détourner  les  yeux  d'Elisabeth 
de  dessus  ses  perfections  par  la  considération  de  la  sainteté  divine,  devant 
laquelle  toutes  les  perfections  des  créatures  ne  sont  qu'une  faible  lueur  qui 
s'éclipse  et  disparaît  entièrement.  Dans  le  reste  de  son  cantique,  elle  s'étend 
d'une  manière  admirable  et  pleine  de  religion  et  de  révérence  sur  les  per- 
fections de  Dieu  :  principalement  sur  sa  justice  contre  les  riches,  les  super- 
bes et  les  grands  du  monde  qui  abusent  de  leur  puissance,  et  sur  sa  miséri- 
corde envers  les  pauvres  et  les  humbles  qui  marchent  dans  la  crainte  de 
i'ofïenser.  Elle  représente  aussi  qu'il  n'y  a  plus  lieu  de  se  plaindre  que  les 
promesses  de  Dieu  ne  s'accomplissent  point,  puisqu'enfln  cette  Bonté  sou- 
veraine s'est  souvenue  de  sa  miséricorde,  et  qu'il  a  regardé  d'un  œil  favo- 
rable Israël,  son  serviteur,  en  l'associant  à  sa  divinité,  comme  il  l'avait 
promis  aux  saints  Patriarches,  et  surtout  à  Abraham,  le  chef  de  la  nation 
judaïque. 

Voilà  une  faible  expression  des  grands  mystères  renfermés  dans  le  can  • 
tique  que  Marie  prononça  en  présence  de  sainte  Elisabeth,  sa  cousine. 
Disons  encore  en  abrégé  que  son  humilité  s'oppose  aux  louanges  que  cette 
sainte  femme  lui  avait  données  avec  tant  de  justice.  Elisabeth  l'avait  glori- 
fiée, et  son  âme  ne  glorifie  que  le  Seigneur.  Elisabeth  s'était  réjouie  de  sa 
visite  et  de  son  salut,  et  son  esprit  ne  trouve  de  joie  qu'en  Dieu  son  Sau- 
veur. Elisabeth  l'avait  complimentée  sur  sa  nouvelle  dignité  de  Mère  de 
Dieu,  et  elle  ne  prend  point  d'autre  qualité  que  celle  de  sa  très-humble  Ser- 
vante. Elisabeth  avait  attribué  à  sa  foi  les  miracles  qui  s'étaient  accomplis 
et  qui  se  devaient  encore  accomplir  en  elle,  et  elle  se  contente  de  dire  que 
«  le  Seigneur  a  bien  daigné  jeter  les  yeux  sur  sa  petitesse,  et  qu'il  l'a  traitée 
avec  beaucoup  de  libéralité  ».  Enfin,  continuant  encore  dans  le  même  style 
de  son  humilité,  elle  attribue  à  son  bonheur,  et  non  à  ses  mérites,  les 
grandes  choses  que  la  puissance  et  la  sagesse  de  Dieu  avaient  opérées  en 
elle,  et  passe  promptement  aux  louanges  générales  de  ce  Seigneur,  qui  est 
toute  sa  joie  et  tout  l'objet  de  son  amour.  C'est  ainsi  que  nous  devons  dé- 
tourner adroitement  les  louanges  qu'on  nous  donne,  et  au  lieu  de  nous  y 
occuper  et  d'y  prendre  plaisir,  les  renvoyer  promptement  à  celui  à  qui  tout 
l'honneur  est  légitimement  dû. 

Au  reste,  s'il  est  véritable  que  les  deux  mots  que  Marie  proféra  à  la  pre- 
mière rencontre  de  sa  sainte  cousine,  furent  si  efficaces,  qu'ils  portèrent  la 
sanctification  et  la  lumière  prophétique  dans  l'âme  de  saint  Jean  pour  de  là 
rejaillir  sur  l'esprit  et  sur  le  coeur  de  sa  mère,  que  penserons-nous  que 
furent  les  effets  de  ce  beau  cantique,  composé  de  dix  versets  et  prononcé 
par  cette  sainte  Vierge  dans  les  ardeurs  d'un  amour  incomparable  ?  Car  il 
ne  faut  point  douter  que  le  Saint-Esprit,  qui  en  était  le  premier  auteur  et 
qui  le  mettait  dans  la  bouche  de  notre  chantre  céleste,  ne  le  fît  aussi  en- 
tendre au  saint  Précurseur  et  ne  lui  en  expliquât  le  sens  et  tous  les  mystères. 
Oh  !  quelle  connaissance  ne  lui  donna-t-il  pas  sur  le  grand  sacrement  de  la 
Rédemption  des  hommes  !  Quels  actes  de  foi,  d'adoration,  de  remercîment 


FÊTE   DE  LA  VISITATION  DE  LA  SAINTE   VIERGE  A  SALNTE  ELISABETH.        611 

et  d'amour  ne  lui  fit-il  pas  faire  dans  la  considération  des  bontés  du  Tout- 
Puissant  !  Quelle  tendresse  ne  lui  imprima-t-il  pas  pour  cette  auguste  Mère 
qui  était  le  sujet  et  l'organe  de  tant  de  miracles!  Enfin,  quels  nouveaux 
désirs  ne  lui  inspira-t-il  pas  de  s'employer  au  plus  tôt  à  publier  les  grandeurs 
de  son  Fils,  et  à  le  glorifier  partout,  en  disant  aux  Juifs  qu'il  n'était  pas 
même  digne  de  délier  la  courroie  de  ses  souliers  ! 

L'Evangile  ne  nous  dit  point  ce  qu'Elisabeth  répliqua  à  ce  cantique,  ni 
quelle  fut  la  conclusion  de  l'entretien  de  ces  illustres  mères.  Il  se  contente 
d'ajouter  que  Marie  demeura  environ  trois  mois  en  la  maison  de  Zacharie, 
et  qu'elle  retourna  ensuite  à  Nazareth.  C'est  à  nous  à  penser  quelles  béné- 
dictions une  si  longue  demeure  attira  sur  celte  maison.  Nous  lisons  dans  le 
second  Livre  des  liais,  que  l'Arche  d'alliance  ayant  été  mise  par  David  dans 
la  maison  d'Obédédom,  oii  elle  demeura  trois  mois,  toutes  sortes  de  béné- 
dictions tombèrent  sur  ce  bon  personnage  et  sur  tous  ses  biens  :  ce  qui  fit 
résoudre  David  à  la  transporter  dans  Jérusalem.  Or,  Marie  était  incompara- 
blement plus  que  l'Arche  d'alliance,  et  elle  portait  dans  son  sein,  non  pas 
les  tables  de  la  loi,  ni  la  verge  de  Moïse,  ni  un  peu  de  la  manne  qui  avait 
servi  de  nourriture  aux  enfants  d'Israël  dans  le  désert,  comme  cette  Arche; 
mais  elle  portait  le  Seigneur  de  toutes  choses,  dont  ces  tables,  cette  verge 
et  celte  manne  n'étaient  que  des  figures  très-imparfailes.  Quelles  furent 
donc  les  grâces  spirituelles  et  temporelles  que  son  séjour  de  trois  mois  pro- 
cura à  toute  la  maison  de  Zacharie,  et  quels  progrès  ne  firent  pas  en  ce 
temps,  dans  la  vertu  et  la  sainteté,  les  trois  augustes  personnes  qui  la  com- 
posaient, nous  vouioDs  dire  Zacharie,  Elisabeth  et  saint  Jean  ?  C'est  ce  que 
les  âmes  pieuses  peuvent  méditer,  mais  c'est  ce  que  nous  ne  pouvons  pas 
représenter  par  notre  plume.  Il  y  a  des  auteurs  qui  croient  que  la  sainte 
Vierge  assista  aux  couches  de  sa  cousine,  et  qu'elle  ne  revint  chez  elle 
qu'après  l'accomplissement  des  merveilles  qui  arrivèrent  à  la  naissance  et  à 
la  circoncision  du  saint  Précurseur.  Mais,  comme  saint  Luc  rapporte  son 
retour  avant  de  décrire  l'histoire  de  cette  naissance  :  «  Marie  »,  dil-il,  «  de- 
meura trois  mois  avec  Elisabeth,  et  retourna  ensuite  en  sa  maison  ;  et  le 
temps  des  couches  d'Elisabeth  arriva,  et  elle  mit  au  monde  un  fils  »,  il  est 
beaucoup  plus  probable  qu'elle  quitta  cette  sainte  femme  avant  que  les  neuf 
mois  de  sa  grossesse  fussent  achevés.  Nicéphore  Calixte  dit  qu'elle  le  fit, 
parce  que  c'était  la  coutume  des  vierges  de  se  retirer  en  pareille  circons- 
tance. Siniéon  Métaphraste,  dans  son  Sermon  sur  saint  Jean,  ajoute  que  ce 
fut  pour  éviter  la  multitude  qui  se  devait  trouver  au  temps  de  la  nati- 
vité de  cet  enfant.  Et  l'abbé  Hupert  dit  encore  que  ce  fut  de  peur  que  sa 
grossesse  ne  parût  aux  autres  avant  que  de  paraître  à  saint  Joseph.  Ne  prius 
ab  mis  depreàenderetur  in  utero  habens  quam  ab  ipso  beato  Joseph.  L'auteur 
des  Homélies  attribuées  à  Eusèbe  d'Emèse,  dit  que  Zacharie  et  Elisabeth 
versèrent  beaucoup  de  larmes,  à  son  départ,  de  se  voir  privés  d'une  compa- 
gnie si  sainte  et  si  avantageuse,  et  que  saint  Jean  même,  auquel  le  Saint- 
Esprit  le  révéla  dans  le  sein  de  sa  mère,  en  ressentit  beaucoup  de  douleur  : 
mais  il  n'y  a  jamais  eu  de  joie  en  ce  monde  qui  n'ait  été  précédée  et  suivie 
de  quelque  affliction  :  et  il  semble  que  cette  peine  leur  était  nécessaire  pour 
les  disposer  à  cette  grande  joie,  qui  leur  arriva  bientôt  après,  lorsque  le 
divin  Précurseur  parut  au  monde. 

Au  reste,  ce  mystère  de  la  Visitation  de  Notre-Dame  est  si  relevé  et  si 
plein  de  merveilles,  qu'il  méritait  bien  d'être  honoré  dans  l'Eglise  par  une 
fête  particulière.  Celui  qui  a  pensé  le  premier  à  l'établir  a  été  saint  Bona- 
venture,  général  de  l'Ordre  des  Mineurs  ;  il  en  fit  le  décret  par  tout  cet 


5J2  2  JUILLET. 

Ordre,  en  son  Chapitre  général,  tenu  à  Pise,  en  l'année  1263.  Depuis,  le 
pape  Urbain  VI  étendit  cette  fête  à  toute  l'Eglise;  sa  Bulle  est  de  l'année  4389, 
mais  elle  ne  fut  publiée  que  l'année  suivante,  par  Boniface  IX,  son  succes- 
seur. Le  concile  de  Bâle  l'a  aussi  ordonné  (1441)  et  a  marqué  son  jour 
au  2  juillet.  Quelques  auteurs  en  ont  inféré  que  la  sainte  Vierge  ne  partit 
de  chez  Zacharie  que  le  lendemain  de  la  circoncision  de  saint  Jean,  qui  fut 
le  1"  juillet  ;  mais  ces  sortes  d'arguments  sont  incertains,  et  il  s'y  faut  bien 
moins  arrêter  qu'à  ce  que  le  sens  naturel  du  texte  sacré  semble  exiger. 
Outre  celte  fête,  qui  se  célèbre  avec  solennité  dans  l'Eglise,  Dieu  a  voulu 
encore  honorer  le  mystère  de  la  Visitation  par  un  Ordre  sacré  de  religieuses, 
qui  en  porte  le  nom.  C'est  saint  François  de  Sales  qui  en  est  l'insLituteur, 
avec  sainte  Jeanne-Françoise  Fremiot,  auparavant  baronne  de  Chantai,  et 
puis  première  religieuse  et  première  mère  de  cette  illustre  Congrégation. 
Le  grand  nombre  et  la  splendeur  des  maisons  qui  la  composent,  et  qui  ont 
été  établies  en  si  peu  de  temps,  et  surtout  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ  et 
la  sainteté  qui  y  régnent  partout,  font  assez  voir  que  ce  n'est  pas  un  ouvrage 
des  hommes,  mais  de  Dieu,  et  qu'il  a  part  aux  grâces  dont  la  Visitation  de 
Notre-Dame  a  été  la  source. 

Pour  le  cantique  Magnificat,  que  l'on  appelle  le  Cantique  de  la  sainte 
Vierge,  on  sait  assez  qu'on  le  chante  tous  les  jours  à  Vêpres  :  ce  qui  est  de 
très-haute  antiquité,  puisque  le  vénérable  Bède,  qui  vivait  au  viii'  siècle,  en 
fait  mention  dans  une  Homélie  des  Quatre-Temps  de  l'Avent.  Le  savant 
Benzonius,  qui  en  a  donné  un  riche  commentaire,  croit  qu'en  sa  langue 
originelle,  qui  était  le  syriaque,  il  était  écrit  en  vers,  comme  les  cantiques 
de  Marie,  sœur  de  Moïse  ;  de  Jaël,  femme  d'Haber  ;  de  Débora  la  prophé- 
tesse  ;  d'Anne,  mère  de  Samuel  ;  de  Judith  et  d'Esther,  afin  que  la  Mère  de 
Dieu  ne  cédât  en  rien  à  ces  illustres  femmes  de  l'Ancien  Testament.  Il  ajoute 
que  sa  prononciation  seule  est  extrêmement  redoutable  au  démon,  et  qu'on 
a  vu  souvent  celui-ci  à  Lorette  frémir  de  dépit  à  ces  mots  :  «  Il  a  regardé 
l'humilité  de  sa  Servante  »;  et  à  ces  autres  :  «  Il  a  renversé  les  puissants  de 
leurs  sièges,  et  il  a  relevé  les  humbles  ».  Enfin,  il  rapporte  plusieurs  miracles 
qui  ont  été  faits  par  la  force  invincible  des  paroles  qui  le  composent  ;  on 
les  pourra  voir  dans  ses  ouvrages,  livre  i",  chap.  xxii. 

Nous  nous  sommes  servi,  pour  traiter  ce  sujet,  de  ce  qu'en  a  e'crit,  aprl^s  les  saints  Pères,  Christophe 
de  Castro,  dans  la  Vie  de  la  Vierge;  Louis  de  Grenade,  dans  ses  Méditations,  e.  le  P.  Gibieuf,  de  l'Ora- 
toire, dans  sa  seconde  partie  de  la  Vie  et  des  Grandeurs  de  Notre-Dame.  chap.  ii,  m  et  iv,  dont  nous 
avons  emprunté  quelques  pensées. 


S.  PROGESSE  &  S.  MARTINIEN,  MARTYRS  A  ROME 

I«r  siècle.  —  Pape  :  Saint  Pierre.  —  Empereur  :  Néron. 


Licet  Christi  passio  nobis  su/jîciat  ad  salutem,  tamen 
etiam  Sanctorum  martyrum  nobis  consulit  ad 
exemplum. 

Quoique  la  passion  du  Christ  soit  suflBsante  pour 
notre  salut,  cependant  celle  des  martyrs  est  très- 
utile  pour  nous  servir  d'exemple. 

S.  Aug.,  Serm.  u  S.  Pétri  et  Pauli. 


Lorsque  saint  Pierre  eut  remporté,  sur  Simon  le  Magicien,  l'illustre  vic- 
toire dont  nous  avons  parlé  en  sa  vie,  il  fut  jeté  dans  la  prison  Mamertine, 


SAINT  PROCESSE  ET  SAINT  MARTINIEN,  MARTYRS  A  ROME.  613 

arec  l'apôtre  saint  Paul,  par  le  commandement  du  cruel  Néron.  Parmi  les 
soldats  qui  furent  chargés  de  les  garder,  Processe  et  Martinien  étaient  des 
principaux.  Comme  ils  furent  témoins  des  merveilles  que  les  Apôtres  opé- 
raient à  tous  moments  sur  les  malades  et  les  possédés  qu'on  amenait  à  leurs 
pieds,  ils  résolurent  de  se  faire  chrétiens.  S'adressant  donc  à  eux,  ils  leur 
dirent  :  «  Il  y  a  déjà  neuf  mois,  vénérables  serviteurs  de  Jésus-Christ,  que 
nous  vous  tenons  dans  cette  prison  par  ordre  de  l'empereur  ;  comme  il  y  a 
beaucoup  d'apparence  qu'il  ne  pense  plus  à  vous,  vous  pouvez  donc  vous  en 
aller  où  il  vous  plaira  ;  nous  vous  demandons  une  grâce  avant  que  vous  sortiez  : 
c'est  que  vous  nous  confériez  le  baptême  au  nom  de  Celui  par  la  vertu  du- 
quel vous  faites  de  si  grands  prodiges  ».  Les  saints  Apôtres  leur  dirent  quo 
s'ils  voulaient  croire  de  tout  leur  cœur  en  la  très-sainte  Trinité,  ils  pour- 
raient eux-mêmes  faire  de  semblables  merveilles;  ce  que  les  autres  prison- 
niers ayant  entendu,  ils  se  mirent  à  crier  tous  ensemble  :  a  Donnez-nous 
donc  de  l'eau  par  la  puissance  de  Jésus-Christ,  car  nous  sommes  consumés 
de  soif  ».  Saint  Pierre  leur  répondit  que  s'ils  croyaient  en  Dieu,  le  Père 
tout-puissant,  en  Jésus-Christ,  son  Fils  unique,  et  au  Saint-Esprit,  ils  ob- 
tiendraient tout  ce  qu'ils  demanderaient  ;  et,  faisant  en  môme  temps  sa 
prière,  il  fit  soudre,  par  le  signe  de  la  croix  qu'il  imprima  sur  la  roche  Tar- 
péienne,  oii  était  située  la  prison,  une  fontaine  d'eau  vive  qui  n'a  point 
cessé  de  couler  jusqu'à  présent;  et,  avec  cette  même  eau,  il  baptisa  Pro- 
cesse et  Martinien,  et  cinquante-sept  autres  prisonniers  de  l'un  et  de  l'autre 
sexe. 

Le  bruit  de  cette  conversion  s'étant  bientôt  répandu  par  toute  la  ville, 
Paulin,  magistrat  très-illustre,  fit  arrêter  Processe  et  Martinien,  et  les  fit 
comparaître  dès  le  lendemain  devant  son  tribunal.  Quand  ils  furent  en  sa 
présence  :  «  Quoi  donc  !  »  leur  dit-il,  «  mes  amis,  avez-vous  été  si  fous 
que  d'abandonner  les  dieux  de  l'empire  et  le  service  de  votre  prince,  pour 
cette  religion  nouvelle  que  les  Romains  ne  connaissent  point?  Revenez,  je 
vous  prie,  à  vous-mêmes,  et  rentrez  dans  le  culte  des  dieux  tout-puissants  ; 
ne  quittez  point  les  ornements  de  votre  milice,  et  rendez-vous  recomman- 
dables  par  votre  obéissance  aux  volontés  de  votre  souverain  ;  renoncez  à 
cette  folie  que  l'on  vous  a  mise  dans  l'esprit,  et  adorez  les  dieux  immortels 
que  vous  avez  reconnus  dès  votre  enfance  et  dans  la  religion  desquels  vous 
avez  été  élevés  ». — «  Nous  étions  alors  dans  l'ignorance  »,  répondirent  les 
généreux  confesseurs  ;  «  mais,  maintenant  que  nous  avons  été  éclairés  d'une 
lumière  d'en  haut,  et  que  nous  avons  reçu  les  sacrements  de  la  milice  cé- 
leste, nous  faisons  profession  d'être  chrétiens,  et  nous  vous  protestons  que 
nous  serons  toute  notre  vie  les  fidèles  serviteurs  du  vrai  Dieu,  que  les  bien- 
heureux apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul  nous  ont  annoncé,  et  ne  vous 
attendez  pas  que  nous  soyons  assez  lâches  pour  abandonner  un  si  juste  parti. 
Vos  menaces  non  plus  que  les  supplices  ne  nous  étonnent  point,  et  nous 
sommes  tous  prêts  à  mourir  pour  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  dont  nous 
avons  embrassé  la  foi  ».  Paulin  voyant  bien,  par  cette  confession  intrépide, 
qu'il  ne  gagnerait  rien  sur  eux,  et  que  ses  paroles  ne  feraient  aucune  im- 
pression sur  leur  cœur,  que  la  foi  rendait  invincible,  leur  fit  casser  les 
dents  et  rompre  les  mâchoires  avec  des  cailloux.  Mais  ce  supplice  fut  loin 
d'ébranler  la  constance  des  saints  Martyrs  ;  au  contraire,  ayant  les  yeux 
élevés  au  ciel,  ils  chantaient  de  toute  leur  force  des  cantiques  de  louange, 
pour  remercier  Dieu  de  la  grâce  qu'il  leur  accordait  de  souffrir  quelque 
chose  pour  la  gloire  de  son  nom.  Ensuite,  le  tyran  ayant  fait  apporter  une 
idole  de  Jupiter,  leur  commanda  de  lui  oflrir  de  l'encens,  sous  peine  d'en- 


614  2  JUILLET. 

durer  de  nouveaux  tourments.  Mais  les  braves  soldats  de  Jésus-Christ,  mé- 
prisant les  menaces  de  Paulin,  au  lieu  de  sacrifier  à  cette  fausse  divinité,  la 
chargèrent  d'injures  et  de  crachats  :  le  juge,  irrité,  les  fit  à  l'heure  môrae 
appliquer  à  la  torture  ;  leurs  membres  furent  disloqués  avec  une  cruauté 
inouïe,  leurs  côtés  brûlés  avec  des  plaques  de  fer  ardentes  :  ils  furent  si  peu 
troublés  que,  dans  le  fort  de  ce  supplice,  ils  chantaient  ces  belles  paroles  : 
«  Béni  soit  à  jamais  le  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  qui  nous  a 
appelés  à  sa  connaissance  par  les  bienheureux  apôtres  saint  Pierre  et  saint 
Paul  !  »  Parmi  les  personnes  qui  regardaient  cet  horrible  spectacle,  il  se 
trouva  une  dame  romaine  nommée  Lucine,  qui  les  exhortait  puissamment 
à  la  persévérance.  «  Généreux  soldats  de  Jésus-Christ  »,  leur  criait-elle  au 
milieu  de  la  foule,  «  montrez  que  vous  avez  du  cœur  :  n'appréhendez  point 
des  supplices  qui  passent  en  un  moment,  vous  serez  amplement  récom- 
pensés de  toutes  vos  peines  ».  Pour  les  empêcher  d'entendre  les  pieuses 
exhortations  de  cette  sainte  femme,  on  leur  criait  aux  oreilles,  en  déchirant 
leurs  corps  avec  des  scorpions  :  «  Si  vous  voulez  que  nous  cessions  de  vous 
tourmenter,  obéissez  aux  ordres  de  l'empereur,  ne  refusez  point  de  sacrifier 
aux  dieux,  et  nous  vous  laisserons  en  repos  ;  ne  différez  pas  davantage  de 
reconnaître  la  religion  de  l'empire,  et  vous  serez  mis  en  liberté  ».  Mais 
Processe  et  Martinien,  bien  loin  de  se  laisser  toucher  par  ces  paroles,  se 
fortifiaient  au  contraire  de  plus  en  plus  dans  la  foi  et  dans  l'amour  de  Jésus- 
Christ,  et  se  moquaient  des  cruels  tourments  qu'on  leur  faisait  endurer. 
Cependant,  Dieu  ne  laissa  point  cette  cruauté  impunie  ;  car,  durant  ce  sup- 
plice, Paulin  perdit  l'œil  gauche  :  et  comme,  au  lieu  de  reconnaître  la 
puissance  du  vrai  Dieu,  qui  éclatait  par  ce  premier  châtiment,  il  fit  resserrer 
plus  étroitement  les  saints  Martyrs  en. prison,  pour  les  réserver  à  d'autres 
supplices,  trois  jours  après,  le  démon  s'étanl  saisi  de  son  corps  le  fit  mourir 
et  emporta  son  âme  dans  les  enfers.  Pompinius,  son  fils,  voulant  veni^er  son 
père,  courut  aussitôt  au  palais  pour  demander  justice  contre  nos  saints 
Confesseurs  ;  de  sorte  que  Néron  ordonna  à  Césaire,  préfet  de  la  ville,  de  ne 
plus  différer  leur  condamnation.  Ce  nouveau  juge  n'eut  pas  plus  tôt  reçu 
cet  ordre,  qu'il  l'exécuta  :  les  ayant  fait  conduire  hors  des  murs  de  Rome, 
il  leur  fit  trancher  la  tête  sur  la  voie  Aurélienne,  auprès  de  l'aqueduc, 
le  2  juillet  de  l'an  68  du  salut,  et  la  treizième  année  de  l'empire  de  Néron. 
Leurs  corps  furent  laissés  au  milieu  de  la  campagne  pour  être  dévorés  par 
les  chiens  ;  mais  la  vertueuse  Lucine,  qui  les  avait  suivis  avec  toute  sa  fa- 
mille, les  ayant  fait  promptement  enlever,  les  embauma  avec  de  précieux 
parfums,  et  les  enterra  dans  son  héritage,  d'oîi  ils  furent  depuis  transférés 
dans  une  église  que  l'on  bâtit  en  leur  honneur.  Mais  cette  église  ayant  été 
ruinée,  le  pape  Pascal  P'  fit  transporter,  vers  l'an  820,  les  reliques  des  deux 
Martyrs  dans  celle  de  Saint-Pierre,  au  Vatican,  où  elles  sont  conservées  en- 
core aujourd'hui. 

Saint  Grégoire  le  Grand,  dans  la  trente-deuxième  Homélie  sur  les  Evan- 
giles, qu'il  prononça  devant  le  peuple  au  jour  de  leur  fête  et  en  présence 
de  leurs  reliques,  dit  que  les  malades  qui  priaient  à  leur  tombeau  y  trou- 
yaient  leur  guérison  ;  que  ceux  qui  avaient  la  témérité  d'y  faire  de  faux 
serments  étaient  à  l'heure  même  saisis  du  démon,  et  que  les  énergumènes 
y  trouvaient  leur  délivrance.  Il  rapporte  aussi  ce  trait  :  une  femme  pieuse 
avait  coutume  de  visiter  souvent  l'église  des  saints  Martyrs  ;  comme  aue  en 
sortait  un  jour  après  avoir  fait  sa  prière  sur  leur  sépulcre,  ils  lui  apparurent 
sous  la  forme  de  deux  religieux,  qui,  s' approchant  d'elle,  lui  dirent  :  «  Vous 
nous  visitez  maintenant,  et  nous,  au  jour  du  jugement,  nous  vous  cherche- 


SAINTE  MONÉGONDE,   RECLUSE.  615 

rons  entre  toutes  les  autres  créatures  pour  vous  rendre  tout  le  service  que 
nous  pourrons  ».  Là-dessus  ce  grand  Pape  exhorte  les  fidèles  à  invoquer  ces 
deux  martyrs,  afin  de  les  avoir  pour  défenseurs  en  ce  jour  terrible,  qui 
saisira  de  crainte  les  plus  innocents. 

On  représente  saint  Processe  et  saint  Martinien  :  1°  gardant  dans  la  pri- 
son Mamertine  saint  Pierre  et  saint  Paul,  qui  les  convertirent  à  la  foi  ; 
2°  étendus  sur  le  chevalet  et  frappés  à  coups  de  fouets  armés  de  plomb  ou 
de  baguettes  de  jonc,  nommées  escourgées. 

Acta  Sanctorum.  —  Cf.  Histoir»  de  saint  Pierre,  par  l'abbé  Maistre. 


SAINTE  MONEGONDE, 

RECLUSE   A   CHARTRES,    PUIS   A   TOURS 
570.  —  Pape  :  Jean  III.  —  Roi  de  France  :  Chilpéric  I". 


Qui  elongant  se  in  solitudine,  gui  secretum  inhabitant, 
qui  in  silentio  requiescunt,  isti  sunt  qui  vocem  tur- 
turis  audiunt. 

Ceux  qui  s'enfoncent  dans  la  solitude  et  vivent  dans 
la  retraite,  la  paix,  le  silence,  ceux-là  entendent 
la  voix  de  la  touiteielle. 

Hugo  a  S.  Vict.,  Serm.  de  Assumpt.  Yirg. 

Sainte  Monégonde  naquit  à  Chartres,  ville  très-célèbre  pour  l'ancienne 
dévotion  que  ses  habitants  ont  portée  à  Notre-Dame,  avant  même  l'Incar- 
nation; car  on  croit  que  les  Druides  (c'est  ainsi  que  les  Gaulois  appelaient 
leurs  prêtres),  firent  ériger,  bien  avant  la  naissance  du  Sauveur,  une  statue 
qui  portail  cette  inscription  :  YiRGmi  pawtur^,  c'est-à-dire,  a  la  vierge 
QUI  enfajstera.  Ce  fut  aussi  en  cette  ville  que,  pour  contenter  l'inclination 
de  ses  parents,  notre  Sainte  s'engagea  dans  le  mariage  :  elle  eut  deux  filles. 
Mais  la  joie  qu'elle  avait  de  se  voir  mère  ne  fut  nas  de  longue  durée  ;  car 
Dieu  lui  ayant  enlevé  ses  enfants,  peu  de  temps  après  leur  naissance,  elle 
fut  privée,  par  leur  mort,  de  toute  la  consolation  qu'elle  avait  en  ce  monde. 
L'affliction  qu'elle  conçut  de  cette  perte  fut  si  grande,  qu'elle  ne  cessa 
point  de  pleurer  jour  et  nuit,  sans  que  son  mari,  ses  amis,  ni  aucun  de  ses 
parents  pussent  apporter  aucun  soulagement  à  sa  douleur;  mais  enfin, 
rentrant  en  elle-même,  et  considérant  que  sa  tristesse  était  excessive  et 
pouvait  déplaire  à  Dieu,  elle  prit  la  généreuse  résolution  d'essuyer  ses 
larmes  et  de  dire  le  reste  de  ses  jours  avec  Job  :  a  Le  Seigneur  me  les  avait 
données,  le  Seigneur  me  les  a  ôtées;  il  a  fait  ce  qu'il  a  voulu  :  que  son  saint 
nom  soit  à  jamais  béni  !  »  Ensuite,  ayant  obtenu  de  son  mari  la  permission 
de  mener  une  vie  retirée,  elle  se  renferma  dans  une  petite  cellule  qu'elle 
fit  bâtir  exprès  :  là,  ne  voyant  le  jour  que  par  une  lucarne,  elle  vivait  dans 
un  détachement  général  de  toutes  les  vanités  du  monde  et  de  toutes  les 
délices  des  sens,  pour  ne  plus  penser  qu'à  son  Dieu,  en  qui  seul  elle  voulait 
mettre  toute  son  espérance.  En  effet,  tout  son  temps  se  passait  à  s'entrete- 
nir avec  lui  et  à  répandre  son  cœur  devant  sa  divine  majesté  par  de  fer- 
Tentes  prières.  Elle  ne  s'était  réservée,  pour  tout  secours  temporel,  qu'une 


616  2  JUILLET. 

peiile  fille  qui  avait  soin  de  lui  apporter  un  peu  de  farine  d'orge  avec  de 
l'eau;  elle  s'en  faisait  elle-même  pour  sa  nourriture  une  espèce  de  pâte, 
dans  laquelle  elle  mettait  de  la  cendre  :  encore  n'en  mangeait-elle  qu'a- 
près s'être  auparavant  affaiblie  par  de  longs  jeûnes. 

Monégonde  vivait  ainsi  contente  dans  sa  retraite,  lorsque  Dieu,  pour 
éprouver  sa  patience,  permit  que  sa  petite  servante  l'abandonnât  :  la  Sainte 
resta  ainsi  cinq  jours  sans  que  personne  lui  apportât  aucun  aliment;  mais, 
au  lieu  de  s'en  inquiéter,  elle  demeurait  tranquille  et  unie  à  Dieu,  espérant 
que,  comme  il  avait  autrefois  envoyé  la  manne  du  ciel,  et  fait  sortir  de 
l'eau  d'un  rocher,  pour  nourrir  son  peuple  dans  le  désert,  il  aurait  la  bonté 
de  subvenir  à  sa  nécessité,  afin  qu'elle  ne  fût  pas  contrainte  de  quitter  sa 
solitude.  Elle  était  dans  ces  pieuses  pensées,  quand  elle  s'aperçut  qu'il  tom- 
bait de  la  neige  autour  de  sa  cellule.  C'était  là  tout  ce  qu'il  lui  fallait;  car, 
étendant  la  main  par  sa  fenêtre,  elle  en  recueillit  assez  pour  composer  sa 
pâte  ordinaire  :  elle  passa  par  ce  moyen  encore  cinq  autres  jours. 

11  y  avait  auprès  de  sa  cellule  un  petit  jardin,  dans  lequel  elle  se  prome- 
nait quelquefois  pour  donner  quelque  relâche  à  son  esprit,  qu'elle  tenait 
toujours  appliqué  à  Dieu.  Un  jour  qu'elle  y  était  entrée  pour  prendre  un 
peu  l'air,  une  femme,  qui  l'aperçut,  s'arrêtant  à  la  considérer  avec  trop  de 
curiosité,  fut  frappée  à  l'heure  même  d'aveuglement.  Elle  reconnut  bien 
que  ce  malheur  lui  était  arrivé  en  punition  de  sa  faute  :  elle  vint  trouver 
la  Sainte,  et,  lui  exposant  sa  disgrâce,  elle  la  conjura  de  lui  obtenir  misé- 
ricorde. Monégonde,  touchée  de  compassion,  se  mit  à  l'heure  même  en 
prière,  disant  :  «  Malheur  à  moi,  vile  créature  et  pauvre  pécheresse  !  faut-il 
donc  que  cette  femme  ait  perdu  la  vue  à  mon  occasion  !  »  Cette  courte 
prière,  qui  partait  d'une  profonde  humilité,  pénétra  aussitôt  les  cieux  :  car 
Monégonde  ne  l'eut  pas  plus  tôt  achevée,  que,  faisant  le  signe  de  la  croix 
sur  cette  pauvre  iemme,  elle  lui  rendit  la  vue. 

Ce  miracle,  qui  fut  suivi  de  quelques  autres,  attira  bientôt  à  sa  cellule 
un  grand  concours  de  personnes  qui  venaient  implorer  l'assistance  de  ses 
prières  :  ce  qui  l'obligea  de  penser  à  une  autre  retraite.  Comme  elle  ne 
s'était  enfermée  que  pour  fuir  plus  sûrement  les  honneurs  du  monde  et 
pour  mener  une  vie  cachée,  se  voyant  exposée  dans  son  petit  ermitage  aux 
visites  des  créatures,  elle  quitta  sa  patrie,  sa  famille,  son  mari  et  toutes  ses 
connaissances,  et  se  rendit  auprès  du  tombeau  du  grand  saint  Martin,  à 
Tours,  où  elle  se  renferma  dans  une  autre  cellule.  Mais  l'honneur,  qui  n'est 
pas  moins  opiniâtre  à  suivre  ceux  qui  le  fuient,  qu'à  s'éloigner  de  ceux  qui 
en  sont  avides,  ne  la  quitta  jamais,  ni  dans  son  voyage,  ni  dans  son  séjour  : 
car  elle  guérit  partout  plusieurs  malades  par  la  vertu  de  son  oraison,  qu'elle 
ne  fondait  que  sur  la  connaissance  de  son  indignité;  ces  grands  miracles 
ne  manquèrent  point  de  faire  éclater  de  tous  côtés  son  éminente  sainteté. 
La  réputation  en  vint  même  jusqu'à  Chartres  :  ce  qui  fit  que  son  mari  l'alla 
trouver  à  Tours,  et  la  ramena  en  sa  première  cellule.  Cependant,  peu  de 
temps  après,  soit  que  son  mari  fût  décédé,  soit  qu'il  y  donnât  son  consen- 
tement, elle  le  quitta  une  seconde  fois  pour  reprendre  celle  de  Tours,  oti 
elle  passa  paisiblement  le  reste  de  ses  jours  dans  les  jeûnes,  les  veilles  et 
les  prières,  et  sans  aucun  commerce  avec  les  personnes  du  monde.  Sa  cha- 
rité, néanmoins,  ne  pouvant  se  renfermer  dans  son  cœur,  elle  reçut  en  sa 
compagnie  quelques  filles  pieuses  qui  étaient  attirées  à  la  solitude  :  avec 
elles  elle  faisait  tous  ses  exercices  spirituels,  afin  que,  travaillant  de  concert 
à  la  pratique  delà  vertu,  elles  pussent  se  rendre  plus  agréables  à  Jésus- 
Christ. 


SAINTE  MONÊGONDE,  RECLUSE.  617 

Nous  ne  rapporterons  pas  ici  en  détail  le  grand  nombre  de  miracles  que 
Dieu  fit  par  son  entremise;  c'est  assez  de  dire  en  général  qu'elle  a  guéri  un 
très-grand  nombre  de  malades  avec  un  peu  de  salive;  qu'elle  a  purifié  des 
personnes  couvertes  d'ulcères,  et  que,  par  le  signe  de  la  croix,  elle  a  déli- 
vré les  énergumènes,  rendu  la  santé  aux  moribonds,  donné  l'usage  des 
membres  aux  paralytiques  et  celui  des  yeux  aux  aveugles.  Dieu  ayant  ainsi 
récompensé  dès  cette  vie  la  piété  de  Monégonde  par  le  don  des  miracles,  il 
l'appela  à  lui  pour  couronner  encore  plus  amplement  dans  le  ciel  son  in- 
comparable vertu.  Ses  pieuses  compagnes,  voyant  que  cette  dernière  heure 
était  proche,  lui  dirent,  en  fondant  toutes  en  larmes  :  «  Est-ce  que  vous 
nous  abandonnez  entièrement  ?  Souvenez-vous  que  vous  êtes  notre  mère, 
et  que  c'est  vous  qui  nous  avez  assemblées  ici  pour  servir  Dieu  ;  dites-nous 
donc  à  qui  vous  nous  recommandez  après  votre  mort,  nous  qui  sommes 
vos  chères  filles  ».  —  «  Si  la  paix  règne  parmi  vous  »,  leur  dit-elle,  «  et  si 
vous  continuez  à  travailler  à  votre  sanctification,  Dieu  même  sera  votre 
protecteur,  et  vous  aurez  pour  pasteur  de  vos  âmes  le  grand  saint  Martin, 
évêque  de  votre  ville.  Je  ne  m'éloignerai  pas  non  plus  de  vous;  mais  dès 
que  vous  m'appellerez  à  votre  secours,  je  me  trouverai  au  milieu  de  votre 
charité  ».  —  «  Les  malades  »,  reprirent  les  saintes  filles,  «  ne  manqueront 
pas  de  venir,  selon  leur  habitude,  demander  votre  bénédiction;  que  ferons- 
nous  quand  nous  ne  vous  aurons  plus  ?  voulez-vous  qu'ils  s'en  retournent 
d'ici  sans  aucun  soulagement,  après  y  avoir  reçu  tant  de  grâces  par  votre 
entremise  ?  Nous  vous  supplions  de  bénir  au  moins  un  peu  de  sel  et  d'huile, 
afin  que,  les  appliquant  sur  eux,  ils  ressentent  toujours  les  effets  de  votre 
intercession  ».  Monégonde  ne  put  leur  refuser  ce  qu'elles  souhaitaient,  et 
ce  fut  la  dernière  action  de  sa  vie;  car,  après  cette  bénédiction,  elle  mourut 
en  paix,  le  second  jour  de  juillet,  dans  le  sixième  siècle  de  l'Eglise. Les  choses 
qu'elle  avait  bénies  servirent  depuis  à  la  guérison  d'une  infinité  de  malades. 

Son  corps  fut  inhumé  dans  cette  môme  cellule  qu'elle  avait  sanctifiée 
par  ses  larmes,  par  ses  prières  et  par  ses  pénitences,  et  son  tombeau  fut 
honoré  de  plusieurs  grands  miracles  que  saint  Grégoire  de  Tours  rapporte, 
et  d'une  partie  desquels  il  assure  avoir  été  témoin.  Nous  nous  contenterons 
d'un  seul,  qui  fait  voir  la  profonde  humilité  de  notre  Sainte  après  sa  mort 
même.  Un  aveugle  se  fit  conduire  à  son  sépulcre,  où,  après  une  longue 
prière  pour  obtenir  sa  guérison,  il  fut  surpris  du  sommeil  :  alors  sainte  Mo- 
négonde lui  apparut  et  lui  dit  que,  sans  oser  se  comparer  aux  Saints,  elle 
lui  obtenait  présentement  l'usage  de  l'un  de  ses  yeux;  mais  que,  pour 
l'autre,  il  devait  aller  au  sépulcre  du  grand  saint  Martin,  et  qu'il  y  serait 
parfaitement  guéri.  En  effet,  l'aveugle  à  son  réveil  se  trouva  guéri 
d'un  œil,  et  s'étant  rendu  promptement  au  tombeau  de  saint  Martin,  il  y 
reçut  l'usage  de  l'autre  :  nous  voyons  par  là  que  Dieu  a  pour  agréable  que 
nous  ayons  recours  à  quelque  Saint  particulier,  pour  obtenir,  par  son 
moyen,  le  soulagement  que  nous  demandons.  Le  diocèse  de  Tours  ne  pos- 
sède plus  de  reliques  de  sainte  Monégonde.  En  1562,  les  protestants,  maîtres 
de  la  ville,  pillèrent  les  églises  et  brûlèrent  les  corps  des  Saints.  Celui  de 
sainte  Monégonde,  conservé  à  Saint-Pierre-Puellier,  dans  le  quartier  de 
Saint-Martin,  ne  fut  pas  épargné.  Le  culte  de  sainte  Monégonde  n'a  pas 
péri  dans  ce  diocèse.  Dans  l'ancien  Bréviaire,  on  célébrait  sa  fêle  le  2  juil- 
let, au  moins  comme  mémoire  et  par  la  récitation  d'une  neuvième  leçon. 
Depuis  que  l'on  a  adopté  la  liturgie  romaine,  cette  fête,  renvoyée  du  2  juil- 
let, est  fixée  dans  le  calendrier  propre  au  7  du  môme  mois,  sous  le  rite 
double  :  trois  leçons  sont  consacrées  à  sa  légende. 


618  2  JUILLET. 

On  représente  sainte  Monégonde  :  1°  recevant  sa  nourriture  par  une 
fenêtre  de  sa  cellule  ;  2°  bénissant,  sur  son  lit  de  mort,  un  vase  d'huile  et  une 
provision  de  sel  qui  devinrent  ensuite  l'instrument  de  nombreuses  guérisons. 

Nous  avons  tiré  la  vie  de  cette  illustre  femme  de  ce  qu'en  rapporte  saint  Grégoire  de  Tours,  en  se» 
livres  de  la  Vie  des  Pères  et  de  la  Gloire  des  Confesseurs  :  c'est  k  cette  source  qu'ont  puisé  Tritheme, 
Surius  et  tons  les  autres. 


NOTRE-DAME  DE  LA  TREILLE,  A  LILLE 

AU  DIOCÈSE  DE  CAMBRAI 

Notre-Dame  de  la  Treille,  le  plus  célèbre  sanctuaire  de  la  sainte  Vierge 
à  Lille,  était  situé  autrefois  dans  l'église  Saint-Pierre.  La  statue  qu'on  ho- 
nore sous  ce  titre  est  environnée  d'une  treille  de  fer  oh  les  pèlerins  atta- 
chaient leurs  dons  ;  elle  est  de  pierre  blanche,  artistement  taillée  ;  sa  pose 
est  celle  d'une  reine  assise  sur  un  trône  ;  elle  tient  au  bras  gauche  l'Enfant 
Jésus  et  dans  la  main  droite  un  sceptre. 

Le  culte  rendu  à  cette  image  est  aussi  ancien  que  la  ville  de  Lille  ;  il 
est  comme  enraciné  dans  les  bases  de  la  cité,  qui  s'appelle  avec  orgueil  la 
cité  de  Marie,  Insida  civitas  Virginis.  Il  remonte  donc  au  moins  à  l'année 
1066.  Baudouin  V,  comte  de  Flandre,  et  fondateur  de  la  ville  de  Lille,  qui, 
avant  lui,  n'était  qu'un  assemblage  de  maisons  autour  du  château,  sans 
murs  de  défense,  bâtit  l'église  Saint-Pierre,  y  plaça  l'image  de  Notre-Dame 
de  la  Treille,  et  en  fit  célébrer  la  dédicace,  en  présence  de  tout  ce  que  le 
clergé  avait  de  plus  vénérable,  la  chevalerie  de  plus  brillant,  la  Flandre  de 
plus  illustre. 

Les  chanoines  honorèrent  Notre-Dame  de  la  Treille  par  une  piété  exem- 
plaire, autant  que  par  un  zèle  incomparable  pour  la  magnificence  de  son 
autel  et  la  splendeur  de  ses  fêtes.  Les  uns  la  constituaient  par  testament 
leur  héritière  universelle  ;  les  autres  y  faisaient  des  fondations  propres  à 
relever  la  gloire  de  son  culte  ;  et  lorsque,  en  1214,  Philippe-Auguste,  vain- 
queur à  Bouvines,  eut  réduit  Lille  en  cendres,  le  chapitre,  malgré  les  cala- 
mités dont  il  était  une  des  premières  victimes,  entreprit  la  reconstruction 
de  Saint-Pierre.  Lorsque,  en  1344,  un  autre  incendie  vint  détruire  les  cons- 
tructions commencées,  le  chapitre,  sans  se  laisser  décourager,  se  remit  à 
l'œuvre  ;  il  la  poursuivit  avec  constance  pendant  un  siècle  que  demanda 
l'achèvement  de  l'édifice. 

Ce  dévouement  du  chapitre  à  Notre-Dame  de  la  Treille  y  attira  d'illustres 
visiteurs.  Saint  Thomas  de  Cantorbéry  vint  la  prier  aux  jours  de  son  exil  ; 
saint  Bernard,  qui  accompagnait  Innocent  III,  réfugié  en  France,  vint  la 
saluer  avec  cette  piété  filiale  qui  est  un  de  ses  plus  beaux  caractères,  et  nul 
doute  que  sa  parole  si  puissante,  si  sympathique,  n'ait  allumé  alors  dans  le 
cœur  des  Lillois  ce  tendre  amour  pour  la  sainte  Vierge,  qui  a  toujours  été 
une  de  leurs  plus  belles  gloires  religieuses. 

Aussi,  en  1254,  époque  fameuse  dans  l'histoire  de  Notre-Dame  de  la 
Treille,  Marie  fit-elle  éclater  sa  puissance  et  sa  bonté  envers  un  peuple  qui 
lui  montrait  tant  de  dévouement.  Le  2  juin,  octave  de  la  Trinité,  une  af- 
fiuence  extrême  de  pèlerins  entourait  la  sainte  image,  demandant  la  guéri- 
son  de  maux  réputés  incurables,  lorsque  tout  à  coup  aveugles,  boiteux, 


NOTRE-DAME  DE  LA.  TBEILLE,    A  LILLE.  619 

sourds,  paralytiques,  tous  sont  guéris  en  un  instant.  Aussitôt  des  cris  d'allé- 
gresse éclatent  de  toutes  parts,  les  louanges  de  Marie  se  répètent  sur  tous 
les  points  de  la  ville,  et  on  les  célèbre  par  une  fête  dite  de  la  festivité nouvelle. 
Ce  ne  fut  là  cependant  encore  que  le  commencement;  les  prodiges  se  con- 
tinuèrent presque  tous  les  jours;  et  une  puissance  mystérieuse  sembla,  à 
dater  de  cette  époque,  attachée  à  la  sainte  image.  Cette  puissance  qui  s'est 
conservée  à  travers  le  cours  des  siècles,  a  pour  garantie  les  preuves  les  plus 
irrécusables.  L'évoque  de  Tournai  ,  après  une  enquête  faite  selon  les 
règles  de  l'Eglise,  si  sévère  et  si  judicieuse  en  pareille  matière,  constate 
cinquante-trois  prodiges. 

Pour  perpétuer  le  souvenir  des  miracles  qui  commencèrent,  en  1254,  à 
illustrer  Notre-Dame  de  la  Treille,  on  institua  une  procession  annuelle  dans 
l'enceinte  de  l'église  collégiale  ;  mais  au  mois  de  février  1269,  la  comtesse 
Marguerite  institua,  par  lettres  patentes,  la  procession  autour  de  la  ville. 

Chaque  année  suivante  vit  s'augmenter  la  splendeur  de  cette  procession; 
et  le  luxe,  croissant  avec  les  âges,  ajouta  de  nouveaux  ornements  à  la  so- 
lennité précédente.  La  procession  de  1749  fut  remarquable  entre  toutes  les 
autres  :  on  y  admira  surtout  une  troupe  d'anges  qui  ouvrait  la  marche, 
portant,  sur  des  banderoles,  ces  mots  :  Qui  est  comme  Dieu  ?  Quis  ut  Deus? 
des  soldats  et  des  prêtres  en  costume  hébreu,  portant  les  uns  le  sceptre, 
l'épée,  la  couronne  de  Salomon,  figure  de  Jésus-Christ,  les  autres  les  dé- 
pouilles de  Goliath  et  le  livre  de  la  loi  ;  le  prophète  Nathan,  avec  un  char 
représentant  le  sacre  de  Salomon,  entouré  des  Vertus  et  des  Dons  du  Saint- 
Esprit. 

Aussi  venait-on  à  ces  fêtes  de  toutes  les  parties  de  la  Flandre  ;  et  l'im- 
mense basilique  de  Saint-Pierre  suffisait  à  peine  à  contenir  le  flot  incessant 
du  peuple  qui  venait  vénérer  l'image  miraculeuse.  On  priait  jusqu'à  une 
heure  très-avancée  de  la  nuit;  et,  dès  l'aurore,  de  nouveaux  pèlerins  assié- 
geaient les  portes  de  Saint-Pierre.  Ils  épanchaient  pendant  de  longues 
heures  leur  âme  devant  Notre-Dame,  et  quand  la  procession  se  mettait  en 
marche,  ils  la  suivaient,  portant  la  plupart  de  petits  drapeaux  ornés  de 
l'image  ou  du  chiffre  de  Marie. 

L'amour  pour  Notre-Dame  de  la  Treille  inspira  aux  Lillois,  dès  l'an 
1237,  la  pensée  d'ériger  une  confrérie  en  son  honneur,  sous  le  nom  de 
la  Charité  de  Notre-Dame.  On  distribuait  aux  associés  des  psautiers,  des 
heures  et  autres  livres  de  prières,  si  précieux  à  une  époque  où,  l'imprimerie 
n'étant  pas  encore  inventée,  on  ne  pouvait  avoir  ces  choses  qu'en  manuscrit. 
On  s'aimait  plus  chrétiennement  comme  enfants  de  la  même  mère  ;  et  cha- 
que maison  semblait  un  temple  dédié  à  Marie,  dont  le  père  de  famille  était 
le  pontife  :  c'était  déjà  un  beau  commencement  pour  la  confrérie  ;  mais  il 
lui  manquait  la  sanction  du  Saint-Siège,  sans  laquelle  les  enfants  de  l'Eglise 
ne  peuvent  rien  constituer  de  durable  ni  de  régulier.  Cette  sanction  ne 
tarda  pas  à  arriver.  En  1254,  année  si  fameuse  dans  les  annales  de  Notre- 
Dame  de  la  Treille,  arrivèrent  des  lettres  du  pape  Alexandre  IV,  qui  érigeait 
canoniquement  la  confrérie.  Alors  on  ouvrit  un  registre  ;  et  la  comtesse 
Marguerite  et  son  fils  Guy  de  Dampierre  s'y  firent  inscrire  les  premiers. 
Après  eux,  s'inscrivirent  les  chanoines  de  Saint-Pierre,  toutes  les  grandes 
familles  delà  contrée,  tout  le  peuple,  qui  voyait  dans  ce  registre  comme 
un  autre  livre  de  vie.  Les  parents  y  faisaient  inscrire  les  nouveau-nés,  les 
fiancés  y  renouvelaient  leur  enrôlement  pour  consacrer  à  Marie  le  nouveau 
ménage,  et,  au  moment  de  la  mort,  tous  recouraient  à  elle  comme  à  une 
patronne  et  à  une  mère. 


620  2  JUILLET. 

De  la  Flandre,  la  renommée  de  la  confrérie  se  répandit  bientôt  par  toute 
l'Europe.  Des  extrémités  de  la  France,  de  l'Italie  et  de  l'Allemagne,  on  de- 
mandait à  être  inscrit  dans  le  registre  des  associés.  Les  Montmorencj',  les 
Croy,  les  de  Lannoy,  les  d'Humières,  les  princes  de  la  famille  impériale 
d'Autriche,  les  universités  les  plus  célèbres,  foyers  de  science  et  de  lumière, 
les  villes  entières,  représentées  par  leurs  magistrats,  les  Evoques  et  les  Papes, 
Charles-Quint  et  Philippe  II,  demandèrent  que  leurs  noms  figurassent  dans 
ces  saintes  annales,  confondus  avec  les  noms  les  plus  obscurs,  avec  toutes 
les  professions  et  tous  les  âges. 

Parmi  ces  noms,  il  en  est  deux  qui  brillent  d'un  éclat  tout  particulier  : 
le  premier,  c'est  saint  Louis,  roi  de  France,  qui,  en  1255,  fit  à  Notre-Dame 
de  la  Treille  un  pèlerinage  dont  les  annales  de  l'époque  ont  gardé  fidèle- 
ment le  souvenir  ;  le  second,  c'est  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne  et 
comte  de  Flandre.  Ce  prince  aussi  sage  au  conseil  que  brave  au  combat, 
d'une  piété  aussi  douce  que  ferme,  affectionnait  spécialement  Notre-Dame 
de  la  Treille.  Il  contribua,  avec  une  générosité  princière,  à  l'achèvement 
de  la  collégiale  de  Saint-Pierre,  et  surtout  de  la  chapelle  qui  devait  recevoir 
l'image  miraculeuse.  En  arrière  du  maître-autel,  il  fit  placer  la  châsse  con- 
tenant les  reliques  de  la  sainte  Vierge  dans  un  lieu  élevé,  d'oti  tous  les  re- 
gards pouvaient  l'apercevoir.  Dans  la  chapelle  qui  occupait  le  croisillon 
gauche,  il  éleva  deux  autels  ;  l'un  entouré  d'obélisques  de  pierres  blanches, 
était  un  autel  de  Notre-Dame,  au-dessus  duquel  on  voyait  la  sainte  image 
se  détachant  gracieusement  sur  un  fond  d'azur  semé  d'étoiles  d'or  ;  l'autre 
était  un  autel  de  sainte  Anne,  qu'il  avait  placé  là,  pour  associer  la  mère 
aux  hommages  que  recevait  sa  fille  bénie. 

Philippe  ne  s'en  tint  pas  là  :  il  fit  couvrir  de  boiseries  sculptées  les  murs 
de  la  chapelle  ;  et  sur  la  table  d'autel  de  bois  doré,  il  fit  représenter  les 
mystères  de  la  sainte  Vierge.  Lorsqu'il  créa  l'ordre  de  la  Toison  d'or,  cet 
ordre  célèbre  qui  ne  comptait  que  trente  et  un  chevaliers,  mais  tous  sans 
reproche  et  des  plus  illustres,  tous  engagés  par  serment  à  ne  jamais  sortir 
du  champ  de  bataille  que  vainqueurs,  ou  morts,  ou  prisonniers,  il  le  plaça 
sous  le  patronage  de  Notre-Dame  de  la  Treille  ;  il  voulut  même  en  tenir  le 
premier  chapitre  à  sa  chapelle  ;  après  le  service  divin,  pompeusement  célé- 
bré, le  souverain  et  les  chevaliers  se  rendirent  aux  stalles  des  chanoines  ;  et 
là  ils  entendirent  de  la  bouche  du  greffier  la  lecture  des  statuts  de  l'Ordre, 
de  ces  statuts,  le  plus  beau  code  d'honneur  et  de  vertus  chevaleresques,  qui 
prescrivaient  à  tous  la  fidélité  envers  la  sainte  Eglise,  l'intégrité  de  la  foi 
catholique,  la  loyauté  envers  le  souverain,  l'amitié  entre  les  chevaliers  et 
l'honneur  dans  les  armes.  Le  prince  fit  lire  ensuite,  par  son  héraut  d'armes, 
un  écrit  où  il  disait  qu'il  se  vouait  à  Dieu  et  à  la  très-sainte  Vierge, 
et  qu'il  engageait  tous  les  chevaliers  à  faire  de  même.  Ceux-ci  répondirent 
de  grand  cœur  à  cette  invitation  :  un  d'eux,  le  seigneur  de  Pons,  fit  même 
le  vœu  singulier  de  ne  séjourner  en  aucune  ville  jusqu'à  ce  qu'il  eût  trouvé 
un  Sarrasin  qu'il  pût  combattre  corps  à  corps  avec  l'aide  de  Notre-Dame^ 
pour  l'amour  de  laquelle  jamais  il  ne  coucherait,  le  samedi,  dans  un  lit, 
avant  l'entier  accomplissement  de  son  vœu;  et,  avant  de  se  séparer,  tous 
suspendirent  autour  de  l'autel  les  écussons  de  leurs  armes,  comme  un 
hommage  perpétuel  de  leurs  sentiments  envers  la  sainte  Vierge.  Ainsi  se 
termina  le  premier  chapitre  de  la  Toison  d'or,  de  cet  ordre  illustre  qui, 
dans  le  cours  de  deux  siècles,  devait  compter  dans  ses  rangs  cent  quatre 
têtes  couronnées. 

Pour  perpétuer  le  souvenir  de  sa  consécration,  le  prince  fonda  deux 


NOTRE-DAME  DE  LA  TREILLE,   A  LILLE.  621 

messes  par  jour  à  l'autel  de  Notre-Dame  de  la  Treille,  et  de  plus,  chaque 
samedi,  une  messe  chantée  par  un  chanoine  de  Saint-Pierre.  Il  obtint  ensuite 
d'Eugène  IV  de  nouvelles  indulgences  pour  tous  ceux  qui  viendraient  prier 
devant  la  sainte  image  ;  et,  en  1430,  il  fit  placer  à  côté  de  l'autel  la  statue 
de  Notre-Dame  des  Douleurs  ;  les  chanoines  de  Saint-Pierre  furent  autori- 
sés à  en  faire  l'office,  lequel  dans  la  suite  s'étendit  à  toute  l'Eglise.  Plus 
tard  on  y  érigea  les  sept  stations  douloureuses  de  la  sainte  Vierge,  avec 
l'agrément  de  l'évêque  de  Tournai,  qui  y  attacha  des  indulgences. 

Entourée  de  tous  ces  témoignages  d'honneur,  Notre-Dame  de  la  Treille 
faisait  éclater  de  plus  en  plus  sa  puissance  ;  et  les  miracles  se  multipliaient, 
spécialement  de  1319  à  1527,  et  de  1634  à  1638.  A  la  vue  de  ces  prodiges 
toujours  renaissants,  la  piété  des  Lillois  sembla  prendre  un  nouvel  élan; 
toute  la  ville  ne  respirait  que  le  dévouement  à  Marie  ;  partout  brillait  son 
image  :  on  la  voyait  au  coin  des  rues,  oii  la  femme  pauvre,  épargnant  sur 
son  salaire,  déposait  à  ses  pieds  un  cierge  ou  un  bouquet  de  fleurs;  on  la 
voyait  au-dessus  des  portes  de  la  cité,  oii  elle  semblait  veiller  à  la  garde  des 
citoyens  ;  on  la  voyait  à  l'hôtel  de  ville,  où  était  une  chapelle  en  son  hon- 
neur. Les  uns  portaient  des  médailles  à  son  effigie,  les  autres  des  anneaux 
où  elle  était  représentée.  Au  milieu  de  ce  zèle  universel  pour  l'honneur  de 
Marie,  une  pieuse  dame  conçut  le  dessein  de  décorer  plus  splendidement 
l'autel  de  la  Vierge  vénérée.  Dans  cette  vue,  elle  obtint  du  chapitre  de  Saint- 
Pierre  qu'on  déplaçât  pour  un  temps  la  sainte  image  ;  mais  le  travail  fini, 
le  chapitre  crut,  avant  de  la  replacer  sur  son  trône,  devoir  lui  décerner  un 
triomphe  magnifique,  par  une  procession  générale  et  la  consécration  solen- 
nelle de  toute  la  ville  à  sa  patronne  bien-aimée.  Cette  idée  ravit  tous  les 
cœurs,  et,  le  28  octobre  1634,  eut  lieu  cette  touchante  cérémonie.  Ce  fut  un 
beau  jour  que  celui-là.  Dès  le  matin,  le  canon  tonnait  sur  les  remparts,  les 
cloches  sonnaient  à  toute  volée,  la  ville  avait  revêtu  ses  habits  de  fête  ;  par- 
tout des  tentures  élégantes,  partout  des  fleurs,  partout  la  joie  la  plus  pure. 
A  neuf  heures,  les  échevins  sortent  de  l'hôtel  de  ville,  en  robe  rouge,  pré- 
cédés du  héraut  tenant  un  labarum,  dont  un  côté  portait  ces  mots  :  Le 
magistrat  et  le  peuple  consacrent  Lille  à  Notre-Dame  de  la  Treille^  et  l'autre 
offrait  la  douce  image  de  Marie,  fixant  ses  regards  bienveillants  sur  la  ville 
de  Lille  figurée  au  bas  du  labarum  avec  ces  mots  sous  l'effigie  de  la  cité  : 
Dicet  habitator  insulœ  kujus  :  Hœc  est  spes  nostra  ;  «  L'habitant  de  cette  île 
dira  :  Voilà  notre  espérance  ».  On  se  rend  ainsi  à  l'église  Saint-Pierre, 
magnifiquement  décorée  de  draperies  entrelacées  de  fraîches  guirlandes  de 
verdure  ;  au  fond,  l'autel  apparaissait  entouré  d'une  auréole  de  cierges  ; 
et  des  flots  d'encens  entouraient  la  statue  de  nuages  mobiles. 

Au  milieu  de  ces  splendeurs,  qui  faisaient  penser  à  celles  du  ciel,  on 
commence  la  messe  solennelle.  A  l'offertoire,  les  chants  se  taisent,  il  se 
fait  un  silence  sublime.  Alors  s'avance  le  chef  des  échevins,  tenant  d'une 
main  le  labarum,  de  l'autre  les  clefs  de  la  ville  ;  il  les  remet  à  l'officiant, 
qui  les  pose  sur  l'autel  ;  puis,  devant  tout  ce  peuple  prosterné,  il  prononce 
la  formule  de  consécration  de  la  ville  à  Notre-Dame  de  la  Treille.  Le  soir, 
une  illumination  générale  reproduisit  la  scène  du  matin  ;  de  toutes  parts, 
ou  voyait  sur  les  transparents  ces  mots  chers  à  tous  les  cœurs  :  Insula,  civi- 
tas  Virginis  ;  «  Lille,  cité  de  Marie  ». 

L'année  suivante,  l'évêque  de  Tournai  vint  à  Lille  se  consacrer  lui- 
même  avec  tout  son  diocèse  à  Notre-Dame  de  la  Treille  ;  Ferdinand  II,  em- 
pereur d'Autriche,  lui  consacra  son  diadème  et  se  fit  inscrire  dans  la  con- 
frérie. En  1639,  la  ville  de  Tournai  tout  entière  vint  en  procession  se  con- 


522  2  JUILLET. 

sacrer  à  une  patronne  si  bonne,  et  renouvela  cet  acte  tous  les  ans  jusqu'en 
1792.  Plusieurs  fois,  il  s'y  est  trouvé  près  de  cinq  raille  pèlerins. 

En  1667,  lorsque  la  ville,  assiégée  par  Louis  XIV,  fut  réduite  à  capituler, 
elle  exigea  que  le  roi  jurât,  devant  Notre-Dame  de  la  Treille,  de  maintenir 
dans  ses  murs  la  foi  catholique,  de  n'y  envoyer  ni  gouverneur,  ni  officiers, 
ni  soldats  protestants,  de  respecter  ses  franchises,  et  de  lui  laisser  son  ad- 
ministration. Louis  XIV  le  jura  la  main  sur  l'Evangile.  Et  lorsque,  quarante 
ans  plus  tard,  en  1708,  la  ville  fut  assiégée  parle  prince  Eugène,  à  la  tête 
d'une  armée  presque  toute  protestante,  elle  promit,  si  elle  était  préservée  du 
pillage  ,  de  faire  une  procession  spéciale ,  pour  en  remercier  Notre-Dame 
de  la  Treille.  Après  cette  promesse,  on  expose  la  statue  miraculeuse  au 
milieu  de  l'église  Saint-Pierre,  que  criblaient  les  boulets  ;  et,  chose  mer- 
veilleuse, au  bout  de  trois  mois  de  siège,  obligée  de  capituler  encore,  elle 
obtint  du  moins  les  conditions  les  plus  honorables  avec  une  liberté  complète 
pour  le  culte  catholique.  Telle  fut  môme  l'incroyable  bienveillance  des  en- 
nemis, la  plupart  protestants  ardents,  que  le  soir  même  de  leur  entrée 
triomphale,  le  peuple  poussa  la  confiance  jusqu'à  chanter  publiquement  les 
litanies  de  la  Vierge  devant  ses  images  qui  ornaient  les  maisons  ;  les  autres 
soirs,  il  se  rassembla  dans  les  rues  pour  le  même  objet  ;  et,  le  2  juin,  on  fît 
la  procession  générale,  comme  s'il  n'y  eût  pas  d'armée  ennemie  dans  la 
Tille.  Quelques  protestants  essayèrent  bien  de  pervertir  la  foi  des  habitants, 
mais  loin  d'y  réussir,  plusieurs  furent  gagnés  à  la  vraie  croyance,  et  se 
firent  catholiques. 

Une  protection  si  visible  de  Marie  lui  attacha  de  plus  en  plus  tous  les 
cœurs  ;  et,  lorsqu'arriva,  en  1754,  l'anniversaire  cinq  fois  séculaire  des 
premiers  miracles  de  1254,  on  y  déploya  une  magnificence  plus  grande  que 
jamais.  Le  programme  de  la  fête  portait  le  titre  de  Triomphe  de  la  sainte 
Vierge^  et  il  justifia  pleinement  son  titre.  La  Renommée  ouvrait  la  marche, 
portant,  sur  la  banderole  de  sa  trompette,  ces  mots  :  Audiie,  insulse^  et  atten- 
due, populi  de  longe  ;  des  anges  l'entouraient,  le  nom  de  Marie  sur  leur  ori- 
flamme. Venaient  ensuite  quatre  chars  :  le  premier  portait  les  six  sybilles 
qui  avaient  annoncé,  en  termes  prophétiques,  les  principales  gloires  de  la 
Mère  du  Verbe  Incarné  ;  dans  le  second  était  Moïse,  représenté  sur  le  mont 
Oreb  ;  dans  le  troisième,  les  effigies  des  monarques  qui  étaient  venus,  à  di- 
verses époques,  rendre  hommage  à  Notre-Dame  ;  dans  le  quatrième,  les  Papes, 
cardinaux  et  évoques,  protecteurs  de  la  confrérie.  Suivaient  des  groupes 
d'anges,  portant  le  livre  de  la  confrérie  de  Notre-Dame,  avec  les  armes  et 
les  noms  des  villes  ou  des  provinces  consacrées  à  la  Vierge  de  Lille.  Les 
pèlerins  de  Tournai  étaient  représentés  sur  un  char  élégant;  un  autre  char 
tout  couvert  de  lis  offrait  le  double  emblème  de  la  monarchie  française  et 
de  la  Vierge  sans  tache  ;  venaient  ensuite  les  figures  historiques  de  Margue- 
rite de  Flandre,  de  Guy  de  Dampierre,  de  Philippe  le  Bon  et  des  principaux 
chevaliers  de  la  Toison  d'or,  tous  revêtus  de  costumes  aussi  riches  qu'exacts, 
tous  environnés  d'anges,  et  suivis  des  magistrats  de  la  cité,  des  bannières  de 
la  ville  et  du  chapitre,  et  du  labarum  offert  en  1654.  On  voyait  ensuite  des 
anges  portant  des  touffes  de  roses  et  de  lis  devant  le  char,  où  était  la  sainte 
image,  entourée  d'une  treille. 

Cette  procession,  qui  se  renouvela  pendant  neuf  jours,  au  milieu  d'une 
foule  immense,  fut  le  dernier  éclat  jeté  par  ce  culte  célèbre.  Survinrent  les 
jours  néfastes  de  la  révolution  ;  et  l'antique  collégiale  de  Saint-Pierre  fut, 
en  91 ,  d'abord  fermée  comme  bâtiment  inutile,  puis  livrée  au  public  comme 
magasin;  en  92,  cédée  aux  commissaires  des  guerres  comme  parc  de  mou- 


NOTRE-DA^IE   DE  LA  TREILLE,   A  LILLE.  623 

tons  ;  en  93,  vendue  à  d'avides  spéculateurs,  et  bientôt  démolie.  Parmi  les 
décombres  qui  jonchaient  le  sol,  fut  jetée  la  statue  miraculeuse  ;  mais  heu- 
reusement un  généreux  chrétien,  Alain  Gambier,  l'ayant  reconnue,  l'acheta 
à  prix  d'argent  du  gardien  des  ruines,  et  l'emporta  chez  lui  comme  un  tré- 
sor. Au  rétablissement  du  culte  catholique,  il  la  donna  à  l'église  Sainte- 
Catherine,  que  la  révolution  avait  laissée  debout  comme  un  édifice  sans 
importance. 

Dans  ce  nouveau  sanctuaire,  Notre-Dame  fut  longtemps  sans  hon- 
neur, tantôt  au  bas  de  l'église  dans  la  chapelle  des  trépassés,  tantôt  der- 
rière le  maître-autel  :  tant  la  génération  nouvelle  avait  rompu  le  fil  des 
antiques  traditions  et  des  pieux  sentiments  !  Mais,  en  1842,  le  curé  de 
Sainte-Catherine  ayant  consacré  tout  le  mois  de  Marie  à  Notre-Dame  de  la 
Treille,  la  piété  endormie  sembla  se  réveiller.  Peu  après,  les  exercices  d'un 
jubilé  accordé  par  Grégoire  XVI  ayant  été  placés  sous  les  auspices  de  Notre- 
Dame  de  la  Treille,  le  succès  fut  complet  :  le  nom  de  Notre-Dame  de  la 
Treille,  si  longtemps  oublié,  revint  sur  toutes  les  lèvres  ;  et  son  culte,  si 
longtemps  délaissé,  reprit  sa  place  dans  tous  les  cœurs.  La  statue  miracu- 
leuse fut  transportée  à  l'autel  de  la  sainte  Vierge  ;  des  médailles  de  Notre- 
Dame  de  la  Treille  furent  frappées  ;  et  tous  voulurent  en  avoir.  A  l'imita- 
tion de  ce  qui  se  pratique  à  Noire-Dame  des  Victoires  de  Paris,  on  établit  un 
salut  particulier  sous  le  nom  de  salut  de  Notre-Dame  de  la  Treille  ;  l'an- 
tique confrérie  fut  relevée  par  un  rescrit  de  Grégoire  XVI  ;  près  du  sanc- 
tuaire de  Marie  se  forma  une  congrégation  de  religieuses  dite  de  Notre- 
Dame,  dans  le  but  de  favoriser  le  développement  de  son  culte,  de  fournir 
des  voix  pour  chanter  ses  louanges,  et  de  se  dévouer  au  soin  des  pauvres 
malades,  à  l'instruction  des  enfants  pauvres,  aux  diverses  œuvres  de  cha- 
rité :  car  le  culte  de  Marie  bien  compris  incline  à  tous  les  dévouements. 
Enfin,  la  fête  et  la  procession  de  Notre-Dame  de  la  Treille  recommencèrent 
le  9  juin  1834,  dans  l'enceinte  de  l'Eglise.  Des  conversions  inespérées,  des 
guérisons  inattendues,  des  consolations  soudaines  apportées  à  des  maux  qui 
semblaient  sans  remède,  rappelant  à  tous  le  pouvoir  de  Notre-Dame  de  la 
Treille,  accrurent  d'année  en  année  l'antique  dévotion  pour  la  sainte  image. 
Enfin,  en  1853,  le  dévouement  en  vint  à  ce  point,  qu'on  ne  put  plus  souf- 
frir qu'une  image  si  vénérée  n'eût  qu'un  sanctuaire  emprunté.  Tous  , 
d'une  commune  voix  ,  déclarèrent  qu'ils  voulaient  remplacer  l'antique 
église  renversée  dans  des  jours  de  vertige,  et  élever  à  la  patronne  de  Lille 
une  église  monumentale.  Tous,  passant  aussitôt  de  l'enthousiasme  à  l'ac- 
tion, s'engagèrent,  par  souscriptions  volontaires,  à  y  contribuer  selon  leur 
pouvoir. 

Telle  était  la  disposition  générale  des  esprits,  lorsque  arriva  1834,  anni- 
versaire six  fois  séculaire  du  commencement  des  prodiges  de  Notre-Dame 
de  la  Treille.  —  Pour  relever  le  plus  possible  l'éclat  de  cette  fête  tradition- 
nelle, l'archevêque  de  Cambrai,  après  avoir  obtenu  du  Saint-Siège  la  faveur 
d'un  jubilé  attaché  à  l'église  Sainte-Catherine,  réunit,  pour  en  prêcher  les 
exercices,  les  premiers  prédicateurs  de  l'époque,  et  convoqua,  pour  les 
grandes  cérémonies  qui  devaient  avoir  lieu,  le  plus  qu'il  put  de  cardinaux, 
d'archevêques  et  d'évêques.  Toute  la  ville,  de  son  côté,  se  mit  en  travail 
pour  décorer  les  temples,  les  rues  et  les  places.  Les  guirlandes  de  toute 
espèce,  les  draps  d'or  et  d'argent,  la  soie,  les  peintures,  les  sculptures,  les 
banderoles,  les  lustres,  les  riches  costumes,  tout  fut  mis  en  œuvre,  sans 
parler  de  ce  qu'y  ajoutèrent  d'attendrissant  les  chants,  les  prédications,  les 
prières  et  les  communions. 


624  2  JUILLET. 

Les  premiers  jours,  les  paroisses  voisines  se  rendirent  processionnelle- 
ment  à  l'église  jubilaire,  traversant  la  ville  dans  l'attitude  du  recueillement, 
et  édifiant  par  leurs  chants  et  leurs  prières  la  population  dont  les  flots  se 
pressaient  sur  leurs  pas.  Puis  vinrent  les  diverses  paroisses  de  la  ville, 
toutes  préparées  et  ravivées  dans  l'esprit  chrétien  par  d'éloquentes  prédi- 
cations. 

Au  milieu  de  ce  merveilleux  concours  eut  lieu  une  cérémonie  qui  remplit 
tous  les  cœurs  d'allégresse  :  la  pose  de  la  première  pierre  de  la  grande  ba- 
silique qu'on  se  proposait  d'élever  sous  le  double  vocable  de  Notre-Dame  de 
la  Treille  et  de  Saint-Pierre,  et,  pour  mener  l'œuvre  à  bonne  fin,  l'institu- 
tion de  deux  commissions,  l'une  d'hommes,  l'autre  de  dames,  chargées  de 
recueillir  les  fonds  pour  cette  grandiose  entreprise.  Enfin,  le  dimanche 
2  juillet,  se  célébra  la  grande  fête  :  les  décorations  les  plus  splendides  bril- 
laient à  toutes  les  façades,  à  toutes  les  fenêtres  ;  les  murs  disparaissaient 
sous  les  draperies  et  les  fleurs,  et  les  dômes  s'élevaient  au  milieu  des  rues. 
Jusqu'alors  le  ciel  avait  été  obscur,  la  pluie  menaçante  ;  mais,  au  moment 
précis  011  l'image  de  Notre-Dame  se  met  en  marche  pour  la  procession,  un 
soleil  radieux  perce  les  nuages,  et  le  cortège  sort  du  temple  ;  en  tête  mar- 
chent les  six  paroisses  de  la  ville;  viennent  ensuite  les  hospices,  les  corps 
de  métiers,  les  associations  de  charité,  les  corps  religieux.  Après  cette 
longue  file,  apparaissent  les  reliques  des  principaux  patrons  du  pays;  les 
députations  historiques  de  Tournai,  Douai,  Cambrai,  Aire,  portant  chacune 
son  ex-voto  traditionnel  :  Tournai,  un  gros  cierge  ;  Douai,  les  armes  de  \^ 
ville,  ciselées  sur  argent,  avec  l'inscription  :  Douai  à  Notre-Dame  de  la 
Treille  ;  Cambrai,  l'image  de  Notre-Dame  de  Grâce^  ciselée  en  argent,  avec 
l'inscription  :  Cambrai^  ville  de  la  Vierge,  à  Notre-Dame  de  la  Treille  ;  enfin, 
Notre-Dame  de  la  Treille,  entourée  d'une  garde  d'honneur,  s' avançant  dans 
une  châsse  octogone  d'or,  haute  de  sept  mètres,  et  en  style  gothique  fleuri, 
portée  sur  un  brancard  par  douze  ecclésiastiques  en  dalmatiques  d'or,  ac- 
compagnée des  prêtres  en  habits  sacerdotaux,  des  chanoines  en  habits  de 
chœur,  suivie  des  archevêques  et  évêques,  vêtus  de  chapes  d'or,  avec  la 
mitre  et  la  crosse,  et  du  cardinal  de  Reims,  officiant.  Dire  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  gracieux  et  de  magnifique  dans  cet  immense  cortège  de  plusieurs 
milliers  de  personnes,  dont  le  défilé,  exécuté  dans  l'ordre  le  plus  parfait, 
dura  plus  d'une  heure  et  demie;  dire  le  coup  d'œil  qu'ofirait,  sur  la  grande 
place,  une  population  serrée  qu'on  estime  à  plus  de  quatre-vingt  mille  per- 
sonnes ;  dire  toutes  les  émotions  que  produisirent  tant  de  scènes  saisis- 
santes, répétées  dans  le  cours  de  cette  belle  procession,  serait  chose  impos- 
sible. L'ambassadeur  d'Espagne  à  Bruxelles,  délégué  par  sa  souveraine 
pour  la  représenter  dans  cette  cérémonie,  disait  :  «  J'ai  habité  Rome  vingt 
ans,  je  n'y  ai  rien  vu  qui  égale  ce  dont  je  viens  d'être  témoin  ». —  «  J'ai  été 
au  sacre  de  Charles  X  »,  disait  un  colonel  de  hussards,  «  je  préfère  ce  que 
j'ai  vu  aujourd'hui  ». 

Après  cette  belle  fête,  la  ville  de  Lille  s'empressa  d'élever  à  Marie  une 
superbe  basilique. 

Extrait  de  Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice.  —  Cf.  Rosier  de  Mari». 


NOTRE-DAME   DES   VOIRONS,   A  BOEGE,   AU  DIOCÈSE  D'ANNEGY.  625 


NOTRE-DAME  DES  VOIRONS,  A  BOËGB, 

AU  DIOCÈSE  D'ANNEGY 


Au  nord  de  la  Savoie,  sur  les  confins  du  Chablais  et  du  Faucigny,  on  voit 
une  vallée  remarquable  à  bien  des  titres.  C'était  autrefois  une  immense  forêt, 
que  les  Allobroges  appelèrent  Boëge,  ou  pays  de  bois.  On  la  désignait  aussi, 
au  moyen  âge,  sous  le  nom  de  Combe  noire. 

'  Les  chanoines  de  Saint-Augustin  de  l'abbaye  de  Filly  vinrent  la  cultiver, 
vraisemblablement  au  xi*  ou  au  xii*  siècle,  et  semblèrent  en  prendre  posses- 
sion au  nom  de  la  Reine  du  ciel,  en  dédiant  à  Notre-Dame  leur  prieuré 
de  Burdignin. 

Cette  vallée,  autrefois  si  sombre,  compte  aujourd'hui  parmi  les  plus 
jolies  et  les  plus  curieuses  de  la  Savoie.  Les  montagnes  qui  la  bornent  en 
tous  sens  ne  sont  pas  comme  ailleurs  des  rocs  escarpés  ;  ce  sont  des  prairies 
et  des  bois  toulfus,  qui  prennent  en  s'élevant  dans  les  airs  les  formes  les 
plus  variées.  Un  torrent  la  traverse  dans  toute  sa  longueur,  des  bosquets 
charmants  sont  plantés  sur  les  deux  rives,  et  de  part  et  d'autre  s'étendent 
des  vergers  et  de  fertiles  campagnes.  Le  bourg,  qui  est  au  centre,  et  un 
grand  nombre  de  villages,  surtout  ceux  qui  se  groupent  auprès  des  clochers, 
ont  un  air  d'aisance  et  de  prospérité  qui  fait  plaisir  à  voir.  Elle  eut,  au 
moyen  âge,  plusieurs  châteaux  qui  jouèrent  un  rôle  important. 

C'est  au  sein  de  cette  vallée,  et  dans  le  bourg  même  de  Boëge,  en  Fau- 
cigny, que  fut  rétabli,  en  1852,  l'un  des  plus  célèbres  pèlerinages  de  la 
Savoie,  celui  de  Notre-Dame  des  Voirons,  dont  l'histoire  se  rattache  à  la 
destruction  définitive  de  l'idolâtrie  romaine  dans  ce  pays. 

Les  Voirons  sont  une  petite  chaîne  de  montagnes,  placée  entre  le  Chablais 
et  le  Faucigny,  à  l'est  de  Genève  et  à  l'ouest  de  Lausanne.  Le  Calvaire,  qui 
est  le  plus  haut  point  de  cette  chaîne,  et  près  duquel  s'élèvent  les  ruines  de 
l'ancien  couvent  de  Notre-Dame,  offre  un  des  plus  beaux  points  de  vue  de 
l'Europe. 

Du  temps  des  Allobroges,  les  Voirons  et  la  vallée  de  Boëge  étaient  con- 
sacrés aux  divinités  celtiques,  et,  selon  toute  apparence,  à  Teutatès,  le  dieu 
des  forêts.  Les  noms  de  grand  et  de  petit  Fayet,  donnés  à  deux  bois  qui 
s'étendent  sur  le  versant  oriental  de  la  montagne,  vis-à-vis  de  Boëge,  ne 
permettent  guère  de  douter  que  des  fées  ou  druidesses  n'aient  habité  ces 
anciennes  solitudes. 

Après  la  conquête  de  l'Allobrogie,  les  Romains,  suivant  en  cela  leur 
coutume,  dédièrent  à  Jupiter  les  autels  que  les  druides  avaient  élevés  à 
Teutatès  sur  les  Voirons  et  dans  la  vallée  des  bois.  On  trouve  encore  au  centre 
de  cette  vallée  un  mont  Jovet  et,  sur  la  montagne,  deux  forêts  de  Jou  qui 
portent  évidemment  le  nom  du  maître  de  l'Olympe. 

Quoique  la  ville  de  Genève  eût  eu  son  siège  épiscopal  dès  la  fin  duii^  siè- 
cle, et  que  les  progrès  du  christianisme  eussent  été  grands  dans  ce  diocèse, 
sousl'évêque  Eleuthère,  ami  de  Constantin,  le  culte  des  idoles  subsista  long- 
temps encore  dans  quelques  endroits  reculés. 

Les  autels  des  faux  dieux  furent  relevés  à  Genève  sous  Julien  l'Apostat, 
Vies  des  Saints.  —  Toaie  VII.  40 


626  2  JUILLET. 

et,  quand  ils  eurent  été  de  nouveau  renversés,  plusieurs  temples  païens  res- 
tèrent encore  debout  au  sommet  de  quelques  montagnes  ou  au  fond  de  cer- 
tains vallons  ignorés.  L'invasion  des  Barbares,  qui  fut  si  longue  dans  nos 
Alpes,  favorisa  cet  état  de  choses,  et,  au  x^  siècle,  Jupiter  était  encore  adoré 
sur  les  Voirons,  comme  sur  le  Mont-Jou,  qui  devint  si  célèbre  par  le  zèle 
de  saint  Bernard  de  MenLhon. 

On  dit  que  l'idole  des  Voirons  rendait  aussi  des  oracles  et  exigeait  un 
culte  assidu  et  minutieux.  Malheur  à  qui  manquait  aux  cérémonies  que 
prescrivait  le  dieu  de  la  montagne  !  Il  inspirait  une  telle  terreur,  que  les 
chrétiens  du  temps  crurent  que  le  démon  animait  cette  étrange  divinité,  qui 
n'avait  probablement  d'autre  âme  que  celle  que  lui  prêtaient  l'astuce  de  ses 
gardiens  intéressés  et  la  superstition  de  ses  adorateurs. 

Les  évêques  de  Genève  ne  pouvaient  voir  plus  longtemps  ce  foyer  d'ido- 
lâtrie tout  près  de  leur  cité,  et  au  milieu  des  plus  belles  contrées  confiées  à 
leur  zèle.  Ils  firent  donc  raser  le  temple  des  Voirons,  et  mettre  en  poudre 
son  idole.  Le  temple  et  l'idole  du  Mont-Jovet  durent  avoir  le  même 
sort. 

Or,  voici  un  horrible  sanglier  qui  se  montre  sur  la  montagne,  et  la 
choisit  pour  sa  demeure.  Tout  ce  qui  ose  approcher  est  victime  de  sa  fureur. 
Les  dévastations  augmentent  de  jour  en  jour,  et  l'épouvante  grandit  avec 
elles.  L'effroi  devient  si  grand  dans  tout  le  pays,  que  le  peuple  croit  que  le 
même  démon  qui  animait  naguère  l'idole  des  Voirons  a  passé  dans  la  bête 
farouche. 

Il  y  avait  alors  au  château  de  Langin,  sur  le  versant  occidental  de  la 
montagne,  un  seigneur  courageux  et  dévoué.  Il  aurait  cru  compromettre  sa 
réputation  de  bravoure  s'il  n'avait  attaqué  le  sanglier,  et  il  aurait  manqué 
à  un  devoir  s'il  n'eût  fait  son  possible  pour  en  délivrer  ceux  que  son  bras 
devait  défendre.  La  prudence  ne  lui  permettait  cependant  pas  d'afi'ronter 
seul  un  si  terrible  adversaire,  d'autant  plus  qu'il  croyait  avoir  affaire  à  un 
démon  bien  plus  qu'à  une  bête  fauve  ;  c'est  pourquoi  il  invita  quelques  amis 
à  s'unir  à  son  entreprise.  Ils  hésitent  d'abord;  mais  le  fier  châtelain  les  accuse 
de  lâcheté  et  ils  se  déterminent  aie  suivre.  Une  grande  chasse  est  organisée, 
on  se  réuïiit,  on  part  et  bientôt  on  arrive  au  sommet  des  Voirons.  Le  san- 
glier, qui  cherchait  une  proie,  se  précipite  sur  la  troupe  ennemie.  Les  com- 
pagnons du  sire  de  Langin  se  dispersent  et  fuyent  en  toute  hâte;  il  reste  seul 
sur  le  champ  du  combat,  et  voilà  le  sanglier  qui  se  jette  sur  lui  avec  fureur, 
qui  le  déchire  cruellement,  et  le  maltraite  de  telle  sorte  qu'il  demeura 
comme  mort  sur  la  place. 

Dans  sa  détresse,  il  jeta  les  yeux  vers  le  ciel  et  fit  vœu  à  la  très-sainte 
Vierge  de  lui  faire  bâtir  une  chapelle  au  même  lieu,  si,  par  ses  prières  et 
son  intercession,  cette  bête  farouche  pouvait  être  tuée  ou  chassée,  et  si  lui- 
même  pouvait  échapper  à  tant  de  plaies  dont  il  pensait  que  la  moindre  était 
mortelle.  La  sainte  Vierge  ne  lui  refusa  pas  son  secours  ;  car,  quoiqu'il  fût 
sur  le  point  de  rendre  l'âme,  il  recouvra  assez  de  force  pour  se  retirer  à  son 
château.  Il  guérit  bientôt  de  ses  blessures  et  le  terrible  ennemi  disparut  pour 
jamais  de  la  contrée. 

La  grâce  était  trop  signalée  pour  ne  pas  hâter  l'accomplissement  du  vœu 
qui  l'avait  obtenue.  Le  seigneur  de  Langin  fit  bâtir  la  chapelle  qu'il  avait 
vouée  à  la  Reine  du  ciel  ;  dans  cette  chapelle,  il  fit  un  autel,  et,  sur  cet 
autel,  il  plaça  l'image  de  sa  libératrice.  C'était  une  statue  en  bois  :  la 
Vierge  tenait  dans  ses  bras  le  divin  Enfant,  et  un  évêque  de  Genève  l'avait 
bénite. 


NOTRE-DAME  DES  VOIRONS,   A  BOEGE,   AU  DIOCÈSE   d'aNNECY.  627 

La  chapelle  des  Voirons  est  le  premier  des  sanctuaires  de  Marie,  oii 
nous  trouvons  une  Vierge  noire.  Les  plus  anciennes  statues  de  ce  genre 
furent  apportées  du  Liban,  dès  les  premiers  siècles  du  christianisme,  par  les 
pèlerins  qui  visitaient  la  Terre-Sainte.  Elles  avaient  été  faites  par  des  soli- 
taires qui  avaient  voué  leur  travail  à  la  Mère  de  Dieu. 

Le  seigneur  de  Langin,  ne  pouvant  assez  témoigner  sa  reconnaissance  à 
Dieu  et  à  la  Vierge  pour  la  protection  dont  ils  l'avaient  couvert,  ût  construire 
près  de  la  chapelle  des  Voirons  un  petit  ermitage  pour  aller  finir  ses  jours  à 
l'ombre  de  l'autel  de  Marie.  Il  ne  se  réserva  que  le  revenu  nécessaire  pour 
la  vie  pauvre  et  retirée  qu'il  embrassait,  ordonna  qu'à  sa  mort  son  corps 
serait  inhumé  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame,  et  que  les  corps  de  ses  héri- 
tiers, mourant  à  Langin,  y  seraient  portés  avant  d'être  ensevelis  ailleurs.  Il 
distribua  de  grandes  aumônes,  dit  adieu  au  monde,  et  se  retira  avec  un  ami 
qui  voulut  le  suivre  dans  la  solitude. 

Use  prescrivit  une  règle  de  vie  rigoureuse  qu'il  fît  approuver  par  son 
évêque...  Il  passa  le  reste  de  ses  jours  dans  les  oraisons,  méditations,  jeû- 
nes, mortifications  intérieures,  macérations  de  corps,  embaumant  tout  le 
voisinage  de  l'odeur  de  ses  vertus,  donnant  l'exemple  d'une  solide  dévotion, 
et  laissant  après  sa  mort  la  précieuse  et  très-suave  mémoire  de  sa  vie. 

L'œuvre  dont  les  fondements  venaient  d'être  jetés  était  celle  de  Dieu, 
elle  ne  pouvait  descendre  dans  la  tombe  avec  son  fondateur.  Quand  il  ne 
fut  plus,  de  nouveaux  ermites  vinrent  rejoindre  son  ami,  qui  lui  avait  sur- 
vécu ;  d'autres  succédèrent  à  ceux-là,  et,  pendant  un  grand  nombre  de  siè- 
cles, on  vit  des  chrétiens  d'élite  renoncer  au  monde  pour  venir  chanter  dans 
la  solitude  les  louanges  de  Notre-Dame  des  Voirons. 

Dès  son  origine,  ie  saint  ermitage  commença  à  être  fréquenté  par  un 
grand  nombre  de  personnes  qui  venaient  de  loin,  de  tous  côtés,  tant  pour 
remercier  Dieu  des  faveurs  qu'ils  avaient  obtenues  par  l'intercession  de  la 
glorieuse  Vierge,  que  pour  apprendre  le  chemin  du  ciel  de  la  bouche  des 
saints  ermites. 

La  fête  de  la  Visitation,  que  samt  Bonaventure  avait  établie  pour  les 
Frères  Mineurs,  dès  l'an  1263,  et  que  le  pape  Urbain  VI  étendit  à  toute 
l'Eglise  en  1389  *,  paraît  avoir  été  la  fête  patronale  des  Voirons,  dès  la  fin 
du  XIV*  siècle.  Elle  devint  le  jour  du  principal  concours  sur  la  sainte  mon- 
tagne, et  ne  fut  plus  connue  en  Chablais  et  dans  le  Faucigny  que  sous  le 
nom  de  fête  de  Notre-Dame  des  Voirons. 

La  tradition  populaire  nous  a  conservé  un  trait  qui  se  rapporte  à  l'épo- 
que dont  nous  parlons,  et  qui  mérite  de  trouver  place  dans  cette  notice. 
Une  jeune  personne,  qui  était  venue,  sans  doute,  se  mettre  sous  la  protec- 
tion de  la  Reine  des  vierges,  se  trouvait  à  quelque  distance  de  la  chapelle 
de  Notre-Dame  quand  elle  rencontra  sur  son  chemin  un  de  ces  hommes 
perdus  pour  qui  rien  n'est  sacré.  Elle  fuit  épouvantée,  mais  l'homme  farou- 
che la  poursuit.  Dans  le  trouble  qui  l'agite,  elle  n'a  pas  vu  un  précipice  sans 
fond  qui  se  rencontre  sous  ses  pas,  ou,  si  elle  l'a  vu,  elle  préfère  sa  vertu  à 
la  vie,  se  jette  dans  l'abîme,  et  mérite  de  compter  parmi  les  vierges  les  plus 
héroïques.  On  dit  que  la  main  de  Dieu  la  soutint  dans  sa  chute,  et  qu'elle 
se  trouva  au  fond  du  précipice  sans  avoir  aucun  mal.  Cette  vierge  intrépide 
méritait  bien  un  monument  :  les  peuples  lui  en  élevèrent  un  qui  restera 
longtemps  debout  ;  ils  donnèrent  au  roc  perpendiculaire  duquel  elle  s'était 
précipitée  le  nom  de  Saut  de  la  Pucelle,  qu'il  conserve  encore  aujourd'hui. 

1.  Benoit  XIV,  De  Festù. 


628  2  JUILLET. 

Ce  roc  est  à  un  kilomètre  de  l'ancienne  chapelle,  du  côté  de  l'ouest. 

En  1536,  les  Bernois  établirent  l'hérésie  en  Chablais  les  armes  à  la  main, 
et  y  exercèrent  mille  ravages.  Le  saint  ermitage  du  mont  de  Voiron  n'en 
fut  pas  exempt  ;  ils  y  vinrent  armés  comme  si  c'eût  été  pour  assaillir  quel- 
que forteresse,  maltraitèrent  et  chassèrent  les  ermites,  emportèrent  par  un 
horrible  sacrilège  les  vases  sacrés,  habits,  meubles,  papiers  de  fondations, 
donations,  ventes,  privilèges,  indulgences  et  autres  droits,  mirent  le  feu  aux 
bâtiments,  les  ruinèrent  et  les  démolirent  entièrement,  jusqu'à  faire  rouler 
les  pierres  par  la  montagne. 

Les  démolisseurs  sacrilèges  croyaient  avoir  triomphé,  mais  Dieu  ne 
laissa  pas  ces  méchancetés  impunies  ;  car,  fort  peu  de  temps  après,  ceux  qui 
avaient  coopéré  à  la  démolition  de  ce  saint  ermitage  périrent  tous  miséra- 
blement. 

Toutefois,  la  statue  de  Notre-Dame  futmiraculeusement  conservée.  Jean 
Burgnard,  chablaisien,  de  la  paroisse  et  village  de  Brens,  en  Chablais,  ayant 
non-seulement  embrassé  l'hérésie  des  Bernois,  mais  de  plus  s'étant  joint  à 
eux  pour  les  conduire  à  l'ermitage,  se  jeta  de  prime  abord  sur  l'autel  pour 
enlever  la  statue,  comme  il  fit  ;  et,  l'ayant  attachée,  la  traînait  derrière  soi 
en  descendant,  avec  toutes  sortes  d'ignominies,  et  disait  par  moquerie  : 
«  Yiens  après  moi,  ma  petite  Maure  !  si  tu  as  tant  de  pouvoir  comme  l'on 
dit,  montre-le  maintenant!  pourquoi  te  laisses-tu  ainsi  traîner  ?  que  ne  te 
défends-tu  ?  »  Et  voilà  que,  pendant  qu'il  vomit  de  tels  outrages  et  blas- 
phèmes, tout  aussitôt  la  statue  s'arrête  et  demeure  immobile,  quoique  ce 
lut  en  un  lieu  où  la  terre  était  égale,  au  milieu  d'un  pré.  Ce  misérable, 
voyant  qu'il  ne  la  pouvait  plus  tirer,  tourna  la  tête  pour  voir  ce  qui  empê- 
chait ;  mais,  par  un  double  miracle,  la  tête  lui  demeura  de  la  sorte  toute 
contournée,  et  il  fut  au  même  instant  perclus  et  estropié  d'un  bras  et  d'une 
épaule,  sans  que  jamais  il  pût  se.  retourner  droit  ;  de  sorte  qu'il  fut  contraint 
de  laisser  la  statue  en  ce  même  lieu,  et  descendit  avec  peine,  portant  sur 
lui,  pour  tout  le  reste  de  sa  vie,  la  punition  de  son  impiété  et  l'évident 
témoignage  du  souverain  pouvoir  de  la  Reine  du  ciel. 

jMais  voici  encore  une  autre  merveille  :  Il  y  avait  une  grande  cloche 
que  l'on  pouvait  entendre  de  Genève  et  de  Lausanne  ;  les  hérétiques  l'ayant 
démontée,  et  ne  la  pouvant  pas  emporter  parce  qu'elle  était  trop  pesante, 
ni  la  mettre  en  pièces,  la  roulèrent  dans  un  vallon  que  l'on  appelle  le  Bois 
de  La- J ou ^  avec  dessein  de  la  revenir  prendre  le  lendemain.  C'était  au  com- 
mencement du  mois  d'août;  néanmoins,  toute  la  nuit  il  tomba  une  si  grande 
quantité  de  neige  sur  ce  pan  de  la  montagne,  et  non  point  ailleurs,  que  les 
soldats,  étant  de  retour  avec  des  CQrdes  et  marteaux  pour  rompre  et  entraî- 
ner la  cloche,  ne  surent  jamais  reconnaître  ni  les  sentiers,  ni  l'endroit  môme 
oii  ils  l'avaient  mise  ;  de  sorte  qu'ils  furent  contraints  de  s'en  retourner. 
Quelque  temps  après,  la  neige  étant  fondue,  un  paysan  deBoëge,  nommé 
Chevalier,  à  qui  la  place  appartenait,  la  trouva,  et  la  fit  transporter  dans 
réglisti  paroissiale  de  Boëge,  oti  fut  aussi  apportée  la  statue  de  Notre-Dame 
des  Voirons. 

Peu  de  temps  après,  un  saint  religieux,  François  Monod,  de  l'Ordre  des 
Ermites  de  Saint-Augustin ,  ayant  rétabli  la  cliapelle  avec  l'ermitage,  y 
replaça  la  statue  miraculeuse  de  la  Vierge  que  l'on  conservait  dans  l'église 
de  Boêge. 

Dès  lors,  la  dévotion  recommença  avec  une  si  grande  ferveur,  que  les 
hérétiques,  en  étant  indignés,  firent  tout  leur  possible  pour  empêcher  les 
saints  exercices  que  le  peuple  du  Faucigny  y  faisait;  mais  les  habitants  de 


I 


NOTRE-DAME  DES   VOIRONS,   A  BOEGE,   AU  DIOCÈSE  d' ANNECY.  629 

Boëge  et  des  paroisses  voisines  s'y  rendaient  en  armes,  surtout  le  jour  de  la 
Visitation,  et  donnaient  ainsi  le  loisir  de  célébrer  des  messes  et  faire  d'autres 
offices  divins,  à  la  consolation  des  pauvres  catholiques. 

Le  1"  juillet  1595,  la  veille  de  la  fête  de  la  Visitation,  l'Apôtre  du  Cha- 
blais  prit  le  bâton  de  pèlerin  et  s'achemina  vers  les  Voirons.  Il  avait  compris 
qu'il  lui  fallait  une  force  surhumaine  pour  accomplir  la  mission  qu'il  venait 
d'entreprendre,  et  il  alla  demander  l'assistance  de  Celle  que  l'Eglise  a  si  bien 
appelée  Heine  des  Apôtres.  Les  hérétiques  aperçurent  l'homme  de  Dieu  se 
dirigeant  vers  la  sainte  montagne  ;  ils  le  suivirent,  l'attaquèrent  et  lui  firent 
mille  outrages.  Saint  François  disait  dans  la  suite  qu'il  ne  s'était  échappé  de 
leurs  mains  que  par  une  protection  spéciale  de  la  sainte  Vierge.  Il  est  à 
remarquer  que  ses  travaux,  qui  jusque-là  étaient  restés  infructueux,  com- 
mencèrent à  être  couronnés  d'un  succès  qui,  allant  toujours  croissant, 
aboutit  à  la  conversion  de  soixante-dix  mille  hérétiques. 

Après  le  retour  du  Ghablais  ù  la  foi  catholique,  l'ermitage  des  Voirons 
fut  rétabli  dans  sa  primitive  splendeur,  et,  l'an  1620,  saint  François  de  Sales 
donna  des  Règles  aux  ermites  de  Notre-Dame,  dont  il  fit  une  congrégation 
particulière. 

Le  Saint  leur  prescrivait,  entre  autres,  d'avoir  en  très-grande  recom- 
mandation l'hospitalité,  et  un  soin  tout  particulier  des  pèlerins  et  des  étran- 
gers. Ils  devaient  faire  une  profession  toute  spéciale  de  dévotion  envers 
Notre-Dame.  Leur  oraison  du  soir  commençait  par  les  litanies  de  la  Vierge, 
et,  tous  les  samedis  après  souper,  les  ermites  devaient  chanter  en  chœur 
l'hymne  de  ses  joies  devant  l'image  de  la  chapelle. 

Charles-Auguste  de  Sales  fut  ermite  des  Voirons  avant  de  devenir  évêque 
de  Genève.  Il  avait  renoncé  à  la  dignité  de  prévôt  de  la  cathédrale  et  de 
doyen  de  la  collégiale  d'Annecy,  pour  se  retirer  sur  la  sainte  montagne,  où 
il  mena  la  vie  la  plus  mortifiée.  Quand  il  eut  été  fait  évêque,  il  détermina 
les  ermites  des  Voirons  à  s'unir  aux  Frères  Prêcheurs  d'Annecy,  et,  dès  cette 
époque,  la  garde  du  sanctuaire  de  Notre-Dame  des  Voirons  fut  confiée  aux 
enfants  de  saint  Dominique.  Dom  Luc  de  Lucinges,  qui  est  célèbre  dans 
l'histoire  de  Savoie,  fut  prieur  du  couvent  des  Voirons. 

Il  n'y  eut  plus  alors,  dans  ces  contrées,  de  pèlerinage  qui  pût  rivaliser 
avec  celui  dont  nous  traçons  l'histoire.  Quoique  la  montagne  des  Voirons 
fût  très-élevée,  vingt-cinq  processions,  venues  du  Chablais  et  du  Faucigny, 
s'y  rencontraient  quelquefois  dans  une  môme  matinée. 

En  1717,  Michel-Gabriel  de  Rossillon  de  Bernex,  l'un  des  plus  grands 
évêques  de  Genève,  se  détourna  du  cours  de  ses  visites  pastorales,  pour  venir 
en  pèlerinageàNotre-Dame des  Voirons,  àl'intention  du  roi  Victor-Amédée  II, 
et  il  y  écrivit  à  ce  prince  une  lettre  de  condoléance  sur  la  perte  qu'il  venait 
de  faire  du  royaume  de  Sicile. 

Le  7  août  1769,  un  incendie  consuma  le  couvent  de  Notre-Dame  et  sa 
chapelle  vénérée.  Les  religieux  de  Saint-Dominique  se  retirèrent  dans  leur 
couvent  d'Annecy,  et  les  contrées  qui  s'étaient  habituées  aux  touchantes 
solennités  de  leur  Patronne,  ne  purent  plus  lever  les  yeux  vers  la  sainte 
montagne  sans  les  sentir  baignés  de  larmes. 

Les  fidèles  continuèrent  cependant  à  venir  prier  sur  les  ruines  de  l'an- 
tique chapelle  ;  car  il  leur  semblait  que  ces  murs  et  ces  pierres  éparses  qui 
avaient  été  les  témoins  muets  de  tant  de  merveilles,  devaient  conserver  une 
vertu  divine,  et  les  paroisses  d'alentour  s'y  rendirent  encore  chaque  année 
en  procession. 

De  leur  côté,  les  Dominicains  portèrent  à  Annecy  le  culte  de  Notre-Dame 


630  2  JUILLET. 

des  Voirons,  lui  élevèrent  un  autel  dans  leur  église,  et  continuèrent  à  célé- 
brer tous  les  jours  une  messe  en  son  honneur. 

Les  bouleversements  et  les  terreurs  de  la  Révolution  française  ne  réussi- 
rent pas  à  faire  oublier  complètement  la  puissante  Dame  des  Voirons.  Les 
prêtres  fugitifs  allaient  célébrer  les  saints  mystères  sur  la  montagne  qui  lui 
était  toujours  consacrée,  pour  demander  à  Dieu,  par  l'intercession  de  Marie, 
d'abréger  les  épreuves  de  l'Eglise. 

Le  souvenir  de  Notre-Dame  des  Voirons  ne  se  conserva  nulle  part  plus 
vivace  que  dans  la  famille  Burgnard,  dont  bien  des  membres  portèrent, 
hélas  !  jusqu'à  ces  derniers  temps,  des  signes  visibles  de  la  malédiction 
qu'avait  méritée  leur  ancêtre. 

Il  n'y  a  que  quelques  années,  un  membre  de  cette  famille  fît  dresser  une 
pierre  creuse  sur  le  bord  d'un  sentier  qui  traverse  la  montagne  des  Voirons 
et  qui  conduit  de  Boêge  àSaint-Cergues,  puis,  dans  le  creux  de  cette  pierre, 
il  déposa  l'image  de  la  Mère  de  Dieu.  Pauvre,  il  ne  put  élever  qu'un  monu- 
ment bien  pauvre,  mais  Celle  qui  regarde  bien  moins  la  valeur  de  nos 
offrandes  que  notre  bonne  volonté  lui  tiendra  compte  de  son  intention. 
Cette  pierre  brute,  marquée  au  sceau  de  l'espérance  et  de  l'amour,  vaut 
un  magnifique  monument  d'expiation  aui  ne  peut  manquer  d'avoir  son 

effet. 

La  statue  de  Notre-Dame  des  Voirons  fut  retrouvée  dans  un  village  de  la 
paroisse  de  Boëge,  le  premier  dimanche  du  mois  de  mai  i8o2,  et  solennel- 
lement inaugurée,  le  premier  dimanche  de  juillet,  dans  l'église  paroissiale 
qui  lui  avait  servi  d'abri  au  xvi^  siècle.  La  Providence,  en  rendant  cette 
image  à  la  vallée  de  Boêge,  voulut  sans  doute  la  récompenser  du  zèle  qu'elle 
avait  toujours  montré  pour  le  culte  de  Marie. 

En  1835,  le  premier  dimanche  de  juillet,  consacré  à  Notre-Dame  des 
Voirons,  les  habitants  de  Boëge  posèrent  la  première  pierre  d'une  église 
magnifique  qui  devait  remplacer  l'ancienne,  tombant  de  vétusté  ;  et,  deux 
ans  plus  tard,  à  pareil  jour,  elle  fut  bénite  sous  le  vocable  de  Notre-Dame, 
dont  l'image  y  fut  portée  en  triomphe  au  milieu  d'un  concours  immense  de 
fidèles  accourus  de  toutes  parts. 

Chaque  année,  la  fête  de  Notre-Dame  des  Voirons  se  célèbre  avec  solen- 
nité, et  au  milieu  d'un  très-grand  concours.  Ce  qui  la  distingue  surtout, 
c'est  un  triomphe  magnifique  décerné  à  Marie.  On  place  l'antique  statue  sur 
un  trône  brillant,  et  vingt  ou  trente  jeunes  filles,  vêtues  de  blanc,  la  portent 
en  procession  au  milieu  des  lis  et  des  fleurs.  Les  rues  du  bourg  de  Boêge  sont 
parées  comme  pour  une  réception  royale.  Un  nombreux  clergé  et  des  mil- 
liers de  fidèles  accompagnent  le  pieux  cortège,  au  chant  des  litanies  et  des 
saints  cantiques,  que  l'airain  accompagne  de  ses  grandes  voix. 

Notre-Dame  des  Voirons  ne  tarda  pas  à  se  montrer  aussi  libérale  dans  le 
nouveau  sanctuaire  qui  lui  avait  été  consacré,  que  dans  celui  qu'elle  avait 
habité  sur  la  montagne  pendant  tant  de  siècles,  et  déjà  de  nombreux  ex-voto 
Y  ont  été  déposés  comme  tribut  de  reconnaissance. 

On  distingue  deux  cœurs  d'or  parmi  ces  pieux  témoignages.  L'un  fut 
envoyé  à  Notre-Dame  des  Voirons,  le  15  août  1859,  par  une  centaine  de 
jeunes  gens  de  Savoie.  Il  renferme  leurs  noms  et  un  acte  de  consécration 
très-touchant  à  la  Mère  de  Dieu.  L'autre  fut  donné,  on  ne  sait  par  qui,  dès 
les  premiers  temps  du  rétablissement  du  culte  de  Notre-Dame  des  Voirons 
dans  l'église  de  Boëge.  Il  contient  un  billet  que  nous  voulons  reproduire  ici 
textuellement  :  «  Une  mère  était  désolée  de  voir  qu'un  enfant  qu'elle  aimait 
beaucoup  ne  marchait  pas,  quoiqu'il  fût  déjà  âgé  de  quatre  ans  environ;  la 


KOTRE-DAÎIE   DE  VASSIVIÈRE ,   A  CESSE.  631 

faiblesse  extraordinaire  de  ses  jambes  faisait  même  craindre  à  la  mère  qu'il 
ne  marchât  jamais  bien.  Elle  vint  avec  son  enfant  au  pied  de  l'autel  de  Noire- 
Dame,  et,  pendant  qu'elle  priait,  il  se  mit  à  se  traîner  en  montant  les  de-rés 
de  cet  autel.  Cependant,  il  ne  marchait  pas  encore.  Quand  elle  fut  de  retour 
à  sa  maison,  l'heureuse  mère  trouva  que  son  enfant  était  guéri,  et  il  a  con- 
tinué ;\  marcher  de  ce  moment-là  ». 

En  1853,  le  souverain  pontife  Pie  IX  daigna  accorder  deux  indulgences 
plenières  à  ceux  qui  visiteraient  l'église  dans  laquelle  venait  d'être  rétabli 
le  culte  de  Notre-Dame  des  Voirons.  On  peut  gagner  la  première  le  jour  de 
la  fêle  de  la  Visitation  ou  les  dix  premiers  jours  de  juillet,  et  la  seconde,  en 
un  jour  quelconque  de  l'année,  au  choix  du  pèlerin. 

Extrait  de  Notre-Dame  de  Savoie,  par  M.  l'abbé  F.  Gro'oel. 


NOTRE-DAME  DE  YASSIVIÈRE  \  A  BESSE 

AU  DIOCÈSE  DE  CLERMONT 

Au  sein  des  cônes  basaltiques  qui  appartiennent  à  la  chaîne  du  Mont- 
Dore,  et  projettent  leurs  anneaux  du  côté  de  la  Creuse,  du  Limousin  et  du 
Cantal,  au-dessus  de  ces  ravins  abruptes,  creusés  par  les  déchirements  du 
sol,  entre  le  pic  de  Sancy  dont  l'aiguille  perce  la  nue,  et  le  lac  Pavin  dont 
les  eaux  couvrent  des  abîmes,  il  est  un  lieu  où  l'âme,  fatiguée  des  bruits  du 
monde,  vient  goûter  les  charmes  de  la  prière.  Parmi  les  accidents  de  ces 
sites  alpestres,  dans  cette  nature,  tantôt  riante,  tantôt  sévère,  les  hommes 
ont  élevé  à  la  Mère  de  Dieu  un  sanctuaire  dont  elle  a  fait  le  théâtre  de  ses 
merveilles. 

C'est  Notre-Dame  de  Vassivière,  comprise  dans  la  paroisse  de  Besse  '. 

L'église,  bâtie  en  laves  du  pays,  est  du  xi=  siècle  :  elle  est  sous  le  vocable 
de  saint  André.  Son  chevet  et  sa  flèche  dominent  le  paysage.  A  l'intérieur, 
des  nefs  romanes,  des  chapelles  disposées  dans  un  ordre  régulier,  un  chœur 
gothique,  des  chapiteaux  à  sujets,  tel  est  l'ensemble  de  l'édifice.  Derrière  le 
maître-autel  est  la  chapelle  qui  reçoit  le  plus  d'hommages  :  elle  garde,  pen- 
dant neuf  mois,  la  statue  de  Notre-Dame  de  Vassivière. 

Le  culte  de  la  sainte  Vierge  se  répandit  de  bonne  heure  àBesse.  De  nom- 
breuses confréries  s'y  établirent,  et  s'épanouirent  autour  du  pèlerinage  de 
Vassivière,  comme  les  rameaux  croissent  et  se  développent  autour  du  tronc 
qui  les  nourrit.  On  comptait  les  confréries  de  Notre-Dame,  de  Notre-Dame 
de  Bethléem,  de  Notre-Dame  de  la  Nativité,  de  Notre-Dame  du  Rosaire,  de 
Notre-Dame  du  Carmel. 

D'après  une  tradition  authentique,  Vassivière  formait  jadis  une  paroisse, 
et  avait  une  église  consacrée  à  Marie.  L'image  de  la  Vierge  y  était  en  grande 

/• 

1.  On  donne  deux  étymologies  au  mot  de  Vassivifere.  Selon  les  uns,  il  viendrait  du  mot  Vacca,  à 
cause  des  troupeaux  de  vaches  qui  paissaient  sur  cette  montagne,  cinq  ou  six  mois  de  l'année.  Selon  d'au- 
tres, il  viendrait  des  mots  Vas-y-veù-e,  langage  que  tenaient  ordinairement  les  habitants  du  pays  à  ceux 
qui  l'efusaient  de  croire  aux  miracles  opiîrés  devant  la  sainte  Image. 

2.  Besse  est  une  petite  ville  situe'e  dans  l'arrondissement  d'Issoire,  à  l'extrémité  occidentale  du  dépar- 
tement du  Puy-de-Dôme.  Elle  appartenait  autrefois  au  duché  d'Auvergne,  et  relevait  de  U  maison  dt 
La  Tour,  une  des  premières  familles  de  France  et  d'Europe. 


632  2  JUILLET. 

vénération  :  les  habitants  et  les  voyageurs  lui  durent  bien  des  grâces,  dont 
on  conservait  un  fidèle  souvenir. 

En  1369,  les  Anglais,  en  guerre  avec  la  France,  dévastèrent  la  ville  de 
Besse,  et  montèrent  jusqu'à  Vassivière,  Ils  démolirent  les  habitations,  ren- 
versèrent l'église,  et  ne  laissèrent  debout  qu'une  muraille. 

A  la  vue  de  leurs  chaumières  détruites,  de  leurs  autels  abattus,  les  habi- 
tants s'enfuirent.  Une  joie  secrète  tempérait  leur  douleur  :  ils  emportaient 
l'image  de  Marie  qu'ils  avaient  sauvée  du  pillage.  Quand  la  paix  fut  rétablie, 
ils  revinrent  sur  leur  plateau,  élevèrent  une  croix  sur  les  débris  de  la  cha- 
pelle, et  pratiquèrent  dans  la  muraille  une  niche  où  fut  placée  la  statue  de 
Notre-Dame  de  Vassivière.  C'était  une  Vierge  noire,  tenant  l'enfant  Jésus 
entre  ses  bras  :  on  la  disait  semblable  à  Notre-Dame  du  Puy. 

Elle  demeura  là  près  de  deux  siècles.  Bien  qu'elle  fût  exposée  aux  injures 
des  saisons,  rien  ne  l'endommagea,  ni  la  rigueur  des  hivers,  ni  l'abondance 
des  neiges.  Cette  circonstance,  jointe  aux  grâces  déjà  obtenues  à  ses  pieds, 
la  fît  regarder  comme  miraculeuse.  Aussi  les  voyageurs,  reprenant  les  habi- 
tudes des  âges  passés,  avaient-ils  coutume  de  s'y  arrêter,  et  d'invoquer 
Marie.  Le  mépris  que  l'un  d'eux  fit  de  cette  dévotion,  fut  l'occasion  d'un 
miracle  qui  eut  du  retentissement. 

Au  mois  de  juin  de  l'année  1547,  un  habitant  de  Besse,  nommé  Pierre 
Get,  allait  à  la  ville  de  La  Tour  avec  Guillaume  de  Chalus  et  quelques  autres 
marchands.  Quand  ils  furent  à  Vassivière,  Guillaume  de  Chalus  et  les  autres 
se  dirigèrent  vers  la  muraille.  Arrivés  au  pied  de  la  sainte  Image,  ils  se 
mettent  à  genoux  et  font  une  prière.  Pierre  Get  sourit  de  leur  dévotion,  la 
méprise,  et  continue  sa  route  jusqu'au  ruisseau  qui  coule  au  bas  de  la  mon- 
tagne. Là,  il  fut  contraint  de  s'arrêter  ;  un  éblouissement  le  saisit,  et  il 
perdit  la  vue. 

Reconnaissant  dans  ce  coup  un  châtiment  du  ciel  :  «  Mon  Dieu  »,  s'écria- 
t-il,  «  qu'ai-je  fait?  sainte  Vierge,  secourez-moi  ».  A  ce  cri  plusieurs  fois 
répété,  ses  compagnons  accourent  ;  ils  voient  son  malheur.  Persuadés  que 
son  impiété  seule  en  est  la  cause,  ils  l'excitent  au  repentir,  lui  inspirent  des 
sentiments  de  confiance  en  Marie,  et  le  conduisent  par  la  main  devant  son 
image.  Pierre  Get  se  prosterne  à  ses  pieds,  et  pousse  de  profonds  soupirs. 
Il  avoue  sa  faute,  la  déplore,  et  promet  de  l'expier.  Il  fait  vœu  de  se  consa- 
crer, s'il  recouvre  la  vue,  au  service  de  la  sainte  Vierge,  et  s'engage  à  don- 
ner cinq  livres  de  cire,  à  la  prochaine  fête  de  la  Visitation,  pour  être  brû- 
lées sur  son  autel  dans  l'église  de  Besse.  Ses  compagnons,  unissant  leurs 
prières  aux  siennes,  conjurent  Marie  d'en  avoir  pitié,  et  de  lui  accorder  la 
grâce  qu'il  implore.  Elle  se  rendit  à  ces  supplications,  et  vit  d'un  œil  favo- 
rable le  repentir  du  coupable.  Pierre  Get  recouvra,  en  effet,  la  vue  d'une 
manière  aussi  soudaine  qu'elle  lui  avait  été  ravie.  Son  bonheur  et  celui  de 
ses  compagnons  n'eut  d'égale  que  leur  reconnaissance.  De  retour  à  Besse, 
ils  s'empressent  de  publier  ce  double  prodige  ;  ils  en  font  la  déclaration 
devant  les  magistrats  et  les  principaux  citoyens,  et  on  en  dresse  un  acte 
juridique,  le  premier  qui  ait  été  fait  des  miracles  de  Notre-Dame  de  Vassi- 
vière. 

A  cette  nouvelle,  la  vénération  des  peuples  s'accrut  pour  la  sainte 
Image  :  on  voulut  lui  rendre  de  plus  grands  honneurs.  Les  habitants  de 
Besse  se  réunissent  en  conseil,  et  arrêtent,  avec  les  membres  de  la  collégiale, 
qu'on  ira  en  procession  à  Vassivière,  deux  fois  chaque  année,  le  2o  mars, 
jour  de  l'Annonciation,  et  le  2  juillet,  fête  de  la  Visitation.  Ils  firent  plus. 
Comme  ce  plateau  était  inaccessible,  une  partie  de  l'année,  à  cause  des 


NOTRE-DAME  DE   VASSIVIÊRE,   A  BESSE.  g33 

neiges,  et  que  l'image  de  la  Vierge  ne  recevait  alors  aucun  culte,  ils  arrê- 
tèrent qu'on  la  transférerait  à  Besse,  afin  qu'on  lui  adressât  sans  interrup- 
tion de  plus  faciles  hommages. 

Au  jour  fixé  pour  la  translation,  le  clergé,  les  magistrats,  les  officiers  et 
presque  tous  les  habitants  vont  processionnellement  à  Vassivière.  On  retire 
la  statue  du  lieu  où  elle  était,  et  on  la  porte,  avec  une  allégresse  triom- 
phale, dans  l'église  de  Saint-André,  où  elle  fut  placée  au-dessus  du  maître- 
autel.  Or,  le  lendemain,  dit  la  légende  confirmée  par  la  voix  publique,  la 
statue  avait  disparu  :  on  sut  qu'elle  avait  regagné  sa  montagne  chérie.  Deux 
fois,  on  la  rapporte  avec  les  mêmes  cérémonies,  deux  fois  elle  revient  à  sou 
premier  séjour.  Les  habitants  désolés  emploient  la  prière  pour  la  retenir 
et  s'engagent  à  faire  dire  à  perpétuité  une  messe  au  maître-autel  tous  les 
mercredis  de  l'année.  Leur  vœu  plut  à  la  sainte  Vierge,  et  son  image  resta 
parmi  eux.  Ils  l'invoquèrent  avec  confiance.  Qu'un  incendie  éclatât  dans  la 
rille,  que  la  sécheresse  désolât  les  campagnes,  près  d'elle  ils  venaient  con- 
iurer  tous  ces  fléaux. 

Cependant  Marie  témoigna  par  plusieurs  signes  qu'elle  voulait  être  ho- 
norée à  Vassivière.  On  forma  le  projet  d'y  construire  une  chapelle.  Malgré 
les  difficultés  de  l'entreprise,  les  habitants  de  Besse  consentirent  à  tous  les 
sacrifices,  et  leur  zèle  aplanit  tous  les  obstacles.  On  choisit  pour  l'emplace- 
ment de  l'église  le  lieu  où  la  croix  s'élevait  sur  les  ruines  de  l'ancienne  cha- 
pelle. Tout  le  monde  mit  la  main  à  l'œuvre  :  les  uns  creusèrent  les  fonde- 
ments, les  autres  arrachèrent  des  blocs  de  lave  du  flanc  des  montagnes. 
Comme  les  pèlerins  affluaient  en  grand  nombre,  on  fît  en  bois  une  chapelle 
provisoire  au-dessous  de  laquelle  on  construisit  un  petit  oratoire  (1530).  Il 
y  jaillit  une  source  dont  les  eaux  fraîches  et  limpides,  quoique  peu  abon- 
dantes, ne  tarissent  jamais.  Les  pèlerins  s'en  lavent  les  yeux  et  les  mains; 
beaucoup  en  emportent,  comme  un  souvenir  de  leur  voyage. 

La  chapelle  sortait  à  peine  de  ses  fondements  quand  eut  lieu,  en  1551, 
un  miracle  qui  donna  plus  de  célébrité  à  ce  pèlerinage.  Un  possédé  ayant 
été  amené  vers  l'oratoire,  fut  délivré  du  malin  esprit,  en  présence  d'un 
grand  nombre  de  personnes,  par  l'intercession  de  la  Mère  de  Dieu.  Les  po- 
pulations voisines,  en  apprenant  ce  prodige,  conçurent  envers  Marie  de 
nouveaux  sentiments  de  piété.  Dès  lors  s'épanouit  son  pèlerinage  :  les  villes 
et  les  bourgs  vinrent  en  procession  :  des  groupes  de  pèlerins  gravirent  la 
montagne  à  genoux  ou  pieds  nus;  la  confiance  fut  dans  tous  les  cœurs  et 
attira  les  peuples  de  plusieurs  provinces.  De  nouveaux  miracles  favorisèrent 
cet  élan. 

Cependant  les  travaux  de  la  chapelle  avançaient.  Les  aumônes  des  pèle- 
rins, et  surtout  les  libéralités  des  habitants  de  Besse,  en  firent  tous  les  frais. 
Comme  les  ressources  abondaient,  on  refit  en  même  temps  le  chœur  de 
l'église  de  Saint-André,  et  on  construisit,  derrière  le  maître-autel,  la  petite 
chapelle  qui  existe  de  nos  jours,  et  où  réside  depuis,  dans  les  mois  d'hiver, 
la  statue  miraculeuse. 

Selon  l'inscription  qui  se  voit  au-dessus  de  la  porte  d'entrée,  la  chapelle 
de  Vassivière  était  terminée  au  mois  de  juin  1333.  Les  autels  furent  ornés, 
les  murs  se  couvrirent  des  insignes  de  la  reconnaissance,  et  un  reliquaire, 
qui  en  fut  le  premier  joyau,  ofl"rit  à  la  vénération,  sous  le  nom  de  Notre- 
Dame,  des  cheveux  de  la  bienheureuse  Vierge,  et  des  ossements  de  plu- 
sieurs martyrs.  Le  2  juillet,  on  transféra  la  sainte  Image  dans  son  nouveau 
sanctuaire. 

Les  familles  de  Besse  furent  les  premières  à  invoquer  Marie  sur  sa  chère 


634  2  JUILLET. 

montagne.  Les  paroisses  voisines  partageaient  ce  bonheur,  et  lui  prodi- 
guaient à  l'envi  les  noms  de  Reine,  de  Protectrice  et  de  Patronne.  De  ce 
plateau,  conquis  à  la  piété  publique,  elle  étendit  sa  souveraineté  sur  les 
pays  d'alentour.  Parmi  les  fiefs  qui,  depuis  trois  siècles,  lui  rendent  hom- 
mage avec  une  dépendance  que  les  révolutions  n'ont  pas  ébranlée,  il  faut 
nommer  Eglise-Neuve,  jadis  chef-lieu  de  la  baronie  d'Entraigues,  le  Valbe- 
leix,  ancienne  seigneurie,  Murol,  aux  majestueuses  ruines,  le  Chambon, 
assis  sur  les  rives  de  son  beau  lac,  Saint-Diéry,  aux  côtes  abruptes,  Saint- 
Victor,  Espinchal,  Compains,  Collamine,  Saint-Anastaise  et  une  foule  de 
hameaux  qui,  éparpillés  au  milieu  de  ces  gorges,  se  confondent  dans  cette 
unité  d'amour  qui  les  rattache  à  son  culte. 

La  chapelle  est  construite  en  lave  taillée  :  elle  a  seize  mètres  de  long  sur 
huit  de  large.  C'est  un  édifice  roman,  sans  autre  caractère  particulier.  Les 
piliers  sont  surmontés  de  chapiteaux  qui  rappellent  le  style  du  xi"  siècle,  et 
les  nervures  de  la  voûte  ont  à  leur  point  de  jonction  des  écussons  dont  l'un 
est  aux  armes  de  la  maison  de  La  Tour.  A  la  naissance  du  chœur,  à  chaque 
côté  de  la  nef,  il  y  a  une  petite  chapelle  :  dans  celle  qui  est  à  gauche,  on 
plaça  la  statue  miraculeuse. 

Aux  origines  de  Notre-D.ame  de  Vassivière  se  rattachent  deux  autres 
usages  qui  ont  toujours  existé.  Le  premier  était  de  s'engager  à  se  faire  roi 
ou  reine  de  sa  dévotion,  et  à  donner  une  certaine  quantité  de  cire  à  la  cha- 
pelle. Cette  pieuse  royauté  conférait  le  privilège  de  marcher,  un  cierge  à  la 
main,  derrière  la  statue,  à  la  procession  du  2  juillet.  Le  second  usage  con- 
siste en  ce  que  les  paroisses  environnantes  viennent  processionnellement  à 
Vassivière,  pendant  le  séjour  de  l'auguste  Image. 

Parmi  les  pèlerinages  de  France,  celui  de  Notre-Dame  de  Vassivière  fut 
un  des  plus  fertiles  en  prodiges.  Pour  donner  plus  de  célébrité  à  la  sainte 
chapelle,  les  habitants  de  Besse  songèrent  à  la  faire  consacrer  et  prévinrent 
de  leurs  intentions  Mgr  Antoine  de  Saint-Nectaire,  alors  évêque  de  Cler- 
mont.  Celui-ci  se  hâta  d'y  répondre.  Le  2  juillet  1571,  il  vint  à  Vassivière,  et 
en  consacra  la  chapelle,  au  milieu  d'un  concours  immense  de  pèlerins.  En 
4633,  la  voûte  de  la  chapelle  menaçant  ruine  par  suite  de  la  rigueur  des 
hivers  et  de  la  violence  des  orages  qui  l'avaient  gravement  endommagée, 
des  réparations  devinrent  indispensables.  On  arrêta  qu'on  ferait  les  travaux 
nécessaires  et  qu'on  bâtirait  en  outre  les  deux  chapelles  qui  subsistent  en- 
core de  nosjours.  La  générosité  des  fidèles  facilita  l'exécution  de  ce  projet. 
Les  travaux  furent  achevés  en  1634,  et  la  chapelle  fut  restaurée  dans  l'état 
où  on  la  voit  aujourd'hui.  Elle  fut  aussitôt  enrichie  de  nombreux  présents 
dus  à  la  piété  des  fidèles.  Mgr  Joachim  d'Estaing,  évêque  de  Clermont, 
n'ayant  pas  oublié  quelles  grâces  il  avait  recueillies  du  pèlerinage  qu'il  avait 
fait  à  la  sainte  chapelle  en  1631,  à  l'elTet  d'obtenir  de  la  sainte  Vierge  que 
son  troupeau  soit  délivré  des  maladies  contagieuses  qui  le  décimaient,  vint 
avec  une  suite  nombreuse,  le  17  novembre  1634,  rendre  de  publics  hom- 
mages à  la  Protectrice  de  l'Auvergne. 

En  1639,  le  pape  Urbain  VIII  accorda  au  pèlerinage  de  Vassivière  d'abon- 
dantes indulgences  qui  y  attirèrent  jusqu'à  quinze  mille  pèlerins  aux  fêtes 
de  la  Pentecôte,  qui,  cette  année,  se  célébrèrent  avec  la  plus  grande  pompe. 
L'évêque  de  Clermont,  qui  ne  perdait  pas  de  vue  ce  pèlerinage  qui  était  une 
des  gloires  religieuses  de  son  diocèse,  délégua,  à  deux  reprises  difi"érentes, 
en  1641  et  en  1648,  des  commissaires  pour  recueillir,  dans  des  document? 
oificiels,  les  faveurs  accordées  en  ces  divers  temps. 

Les  populations  entouraient  d'une  vénération  croissante  ce  sanctuaire 


KOTRii-DAME   DE   VASSIVIÈRE,    A  BESSE.  C35 

illustré  par  des  prodiges  multipliés.  L'année  4661  fut  des  plus  fertiles  en 
bénédictions.  Chaque  mois,  pour  ainsi  dire,  fut  signalé  par  de  nouvelles 
merveilles.  Ainsi,  dans  les  montagnes  qui  avoisinent  Vassivière,  il  n'était 
pas  un  hameau  qui  n'eût  souvenance  de  quelque  miracle  opéré  par  l'inter- 
cession de  Marie.  C'était  là  le  fond  historique  de  ces  populations  paisibles  : 
de  tels  souvenirs  y  maintenaient,  dans  toute  sa  ferveur,  le  culte  de  Notre- 
Dame  de  Vassivière.  Ses  bienfaits  ne  restaient  pas  l'unique  patrimoine  de  ces 
contrées,  si  heureuses  d'un  tel  voisinage.  La  renommée  les  répandait  sur 
d'autres  terres,  et  lui  gagnait  des  cœurs  touchés  de  ces  naïfs  et  glorieux  ré- 
cits. Aussi  la  reconnaissance  multipliait  les  dons  destinés  à  célébrer  son  pa- 
tronage. Les  croix,  les  reliquaires,  les  cœurs  d'argent,  les  colliers,  les 
chaînes  de  perles  précieuses,  mille  objets  offerts  par  des  mains  fidèles  ve- 
naient successivement  enrichir  son  sanctuaire. 

Des  richesses  plus  précieuses  ornaient  cette  insigne  chapelle  :  nous  vou- 
lons parler  des  reliques  qui  étaient  l'objet  de  la  vénération  publique.  Outre 
les  reliquaires  qui  y  avaient  été  placés  en  1533  et  en  1371,  il  y  avait  ceux 
de  saint  Jean-Baptiste,  de  sainte  Lucie,  de  saint  Biaise  et  des  saints  Apôtres. 

Dans  le  reliquaire  de  saint  Jean-Baptiste,  on  voyait  des  reliques  de  ce 
Saint,  de  saint  Jean  l'Evangéliste,  des  saints  Julien,  Valentin,  Valens,  Hila- 
rion,  Léon  et  Athanase  *. 

Dans  le  reliquaire  de  sainte  Lucie  *,  il  y  avait  un  ossement  de  cette 
Sainte,  des  reliques  de  saint  Romain,  de  saint  Roch,  des  saintes  Marthe, 
Marie-Madeleine,  Barbe,  Agnès,  Ursule,  et  une  partie  du  voile  de  sainte 
Catherine. 

Le  reliquaire  de  saint  Biaise  contenait  des  reliques  de  ce  Saint,  et  des 
saints  Laurent,  Sébastien,  Protais,  Antoine  l'Ermite,  Antoine  de  Padoue, 
Eloy,  Félix,  Valentin,  Juste,  Vincent,  et  de  plusieurs  autres  saints,  martyrs 
et  confesseurs.  Celui  des  Apôtres  renfermait  des  reliques  de  saint  André,  de 
saint  Jacques,  de  saint  Paul,  et  de  saint  Timothée,  son  disciple. 

On  voit  que  la  chapelle  de  Vassivière  abritait  le  culte  et  la  mémoire  d'un 
grand  nombre  de  Saints.  Mais  aucun  nom  n'y  était  prononcé  avec  plus  d'a- 
mour que  le  nom  de  Marie  :  il  n'en  était  pas  que  les  multitudes  fissent  en- 
tendre avec  plus  d'enthousiasme  aux  échos  que  réveillaient  dans  la  solitude 
les  concerts  de  la  piété  publique. 

Ce  pèlerinage  brillait  alors  de  l'éclat  le  plus  pur.  L'affluence  des  peuples, 
l'abondance  des  grâces  qu'on  y  recevait,  la  multiplicité  des  vœux  qu'on  y 
rendait,  tout  en  faisait  un  coin  de  terre  qu'on  n'osait  fouler,  sans  éprouver 
les  sentiments  d'une,  profonde  vénération. 

On  aimait  à  visiter  cette  chapelle  illustrée  par  mille  prodiges,  où  s'é- 
taient opérées  des  conversions  innombrables,  et  oii  tant  d'âmes  égarées 
avaient  retrouvé  le  chemin  du  ciel.  L'art  n'y  avait  pas,  sans  doute,  déployé 
ses  merveilleuses  ressources  :  elle  conservait  toujours  le  caractère  de  sim- 
plicité qu'elle  eut  à  son  origine.  Seulement,  les  pèlerins  l'avaient,  à  chaque 
âge,  enrichie  de  présents  et  d'ex-voto,  et  elle  possédait  de  nombreuses 
richesses  destinées  à  relever  l'honneur  du  culte  et  la  pompe  des  solennités. 

La  piété  publique  avait  jusqu'alors  protégé  contre  la  cupidité  tant  d'ob- 
jets sacres.  Mais,  en  -ÎCGO,  dans  la  nuit  du  /t  au  3  septembre,  un  vol  sacri- 
lège dépouilla  la  chapelle  de  Vassivière  d'une  partie  de  ses  richesses.  Des 
malfaiteurs  s'y  introduisirent  et  enlevèrent,  avec  beaucoup  d'autres  objets 

1.  Ces  reliques  avaient  été  données,  en  1616,  par  le  P.  Coyssard.  Archives  de  l'église  de  Besse. 

2.  Ce  reliquaire  fut  donné  à  la  chapelle  de  Vassiyifere,  en  1654,  par  les  membres  de  la  coufréiie  de 
Sainte- Lucie,  établie  à  Besse. 


636  2  JUILLET. 

précieux,  un  calice,  deux  ciboires,  six  lampes  d'argent,  des  couronnes,  des 
chandeliers  d'argent  et  plusieurs  reliquaires  de  même  métal. 

La  consternation  fut  grande  à  Besse  et  dans  les  environs  quand  on  ap- 
prit ce  malheur.  On  se  rendit  en  foule  à  Vassivière,  afin  d'adresser  à  Marie 
une  amende  honorable  de  l'outrage  fait  à  son  sanctuaire.  De  son  côté,  la 
justice  fit  des  poursuites  actives.  Après  deux  jours  de  recherches,  un  des 
voleurs  fut  arrêté  au  village  de  la  Védrine,  dans  le  Cantal.  On  trouva  un 
tiers  environ  de  l'argenterie  :  elle  était  fondue  ou  brisée.  On  ne  laissa  pas 
impuni  un  crime  si  odieux  :  le  coupable  fut  pendu  et  brûlé  à  Saint-Flour. 

La  pauvreté,  à  laquelle  la  chapelle  de  Vassivière  se  trouva  tout  à  coup 
réduite,  provoqua  la  générosité  des  fidèles  :  on  eut  à  cœur  de  faire  une 
réparation  solennelle  du  sacrilège  par  lequel  elle  avait  été  profanée.  La  du- 
chesse de  Noailles,  Anne-Louise  Boyer,  donna  la  première  l'exemple,  et  fît 
présent  d'un  grand  ciboire  d'argent,  qui  fut  porté  à  Vassivière,  par  M.  Gar- 
nier,  officiai  du  diocèse.  Peu  après,  le  16  septembre,  un  bourgeois  de  Gler- 
mont  donna  une  lampe  de  cuivre  argenté. 

Gilbert  de  Veny  d'Arbouze,  qui  avait  succédé,  en  1664,  à  Louis  d'Es- 
taing,  apprit  avec  douleur  le  sacrilège  qui  avait  été  commis.  Le  29  octobre, 
il  écrivit  aux  curés  des  seize  paroisses  les  plus  voisines  de  Vassivière,  et  les 
invita  à  s'y  rendre,  les  uns  le  dimanche,  les  autres  le  lundi,  qui  devaient 
suivre  la  fête  de  la  Toussaint,  pour  prendre  part  aux  cérémonies  expiatoires 
de  l'outrage  fait  au  très-saint  Sacrement.  Le  concours  fut  général  ;  chrxun 
voulut  expier  par  ses  regrets  et  ses  larmes  la  profanation  dont  Notre-Dame 
de  Vassivière  avait  été  l'objet. 

Dans  le  cours  de  l'année  suivante,  on  refît,  avec  l'argenterie  qu'on  avait 
retrouvée,  deux  grandes  lampes,  un  encensoir  et  un  reliquaire,  à  l'effigie 
de  la  Vierge,  comme  celui  qui  avait  été  dérobé.  Mais  la  chapelle  ne  fut  pas 
aussitôt  rendue  à  son  ancien  éclat. 

Avec  les  aumônes  qu'on  recueillit,  on  refît  la  voûte  de  la  chapelle  qui 
menaçait  ruine,  et  on  remit  son  trésor  à  peu  près  dans  l'état  où  il  se  trou- 
vait avant  le  vol  de  1669.  Pendant  les  années  qui  suivirent,  on  fit  des  dons 
particuliers. 

Ainsi  le  pèlerinage  de  Vassivière  réparait  ses  désastres,  en  môme  temps 
qu'il  poursuivait  le  cours  de  ses  bienfaits.  La  fin  du  xvn®  siècle  fut  marquée 
par  plusieurs  prodiges. 

Dans  le  cours  duxviii®  siècle,  l'affluence  des  pèlerins  continua.  Les  prêtres 
de  la  collégiale  de  Besse,  pour  correspondre  au  zèle  des  peuples,  ne  ces- 
sèrent d'aller  tous  les  ans,  depuis  les  premiers  jours  de  mai  jusqu'à  ceux 
de  novembre,  passer  chacun  quinze  jours  sur  la  montagne  de  Vassivière. 
Dévoués  au  salut  des  âmes  et  à  la  prospérité  d'un  pèlerinage  qui  faisait 
l'honneur  et  la  joie  de  leur  ministère,  ils  y  opéraient  chaque  année  des  con- 
versions admirables  et  propageaient  par  ce  moyen  le  règne  et  la  gloire  de 
Notre-Dame  de  Vassivière. 

Touché  du  bien  qui  se  faisait  en  ces  lieux,  illustrés  par  tant  de  miracles, 
Bochart  de  Saron,  évêque  de  Clermont,  implora  pour  la  chapelle  les  faveurs 
apostoliques.  Clément  XI,  qui  occupait  le  Saint-Siège  au  milieu  des  orages 
soulevés  en  France  par  le  jansénisme,  accorda,  par  un  bref  du  21  août  1713, 
une  indulgence  plénière  pour  sept  ans,  à  quiconque  visiterait,  en  remplis- 
sant les  conditions  requises,  la  sainte  chapelle,  depuis  les  premières  Vêpres 
de  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge  jusqu'au  coucher  du  soleil  du  jour  de  la 
fête. 

Le  pèlerinage  de  Vassivière  i ouïssait,  depuis  trois  ans,  de  ces  grâces 


^'OTRE-DAJIE   DE   VASSIVIÈRE,   A  BESSE.  Caï 

apostoliques,  quand  lui  arriva,  du  même  Pontife,  une  autre  faveur.  Les 
prêtres  de  la  collégiale  de  Besse,  qui  veillaient  sur  son  sanctuaire  avec  un 
zèle  dont  le  temps  né  ralentissait  pas  l'ardeur,  songèrent  à  v  ériger  une 
confrérie  de  la  Visitation  de  la  sainte  Vierge.  Pour  donner  plus  d'impor- 
tance à  cette  pieuse  institution,  ils  firent  demander  au  souverain  Pontife 
qu'il  daignât  accorder  une  indulgence  plénière.  Clément  XI  céda  à  un  désir 
si  légitime,  et  promulgua,  le  3  janvier  1716,  un  bref  par  lequel  il  concédait 
l'indulgence  qu'on  avait  sollicitée.  C'est  un  des  documents  les  plus  précieux 
qui  concernent  Notre-Dame  de  Vassivière. 

Quand  ils  eurent  reçu  le  bref  de  Clément  XI,  les  prêtres  de  la  collégiale 
et  les  oITiciers  de  la  ville  de  Besse  écrivirent  à  l'autorité  diocésaine,  pour 
en  demander  la  publication.  Le  siège  de  Clermont  était  vacant.  Bochart  de 
Saron  était  mort,  le  11  août  1715,  et  Massillon,  son  illustre  successeur,  ne 
devait  être  sacré  que  le  31  décembre  1718.  La  supplique  fut  adressée  aux 
vicaires  généraux.  Le  12  mai,  Chamtlour,  vicaire  général,  donna  la  permis- 
sion de  publier  le  bref  de  Clément  XI.  Il  désigna  et  approuva  pour  princi- 
pale fête  de  la  Confrérie,  le  jour  de  la  Visitation,  et  pour  les  autres  quatre 
jours  de  l'année  mentionnés  dans  le  bref,  il  désigna  le  lundi  de  la  Pente- 
côte, la  fête  de  saint  Louis,  la  Nativité  de  la  bienheureuse  Vierge,  et  le 
dimanche  qui  suit  la  fête  de  saint  Matthieu. 

Quelques  jours  après,  on  établit  régulièrement  la  Confrérie  de  la  Visita- 
tion. Chaque  année,  les  pèlerins  demandaient  à  y  entrer.  Prêtres  et  fidèles, 
familles  et  particuliers,  seigneurs  et  villageois  y  inscrivaient  leurs  noms. 
Tous  voulaient  avoir  part  à  l'union  de  prières  et  de  mérites  qui  ralliait  tant 
de  cœurs  dans  un  même  culte  et  dans  un  même  amour. 

Les  pèlerins  se  pressaient  sans  cesse  autour  de  la  chapelle,  et  aux  jours 
de  fête,  ils  couvraient  de  leurs  pieuses  multitudes  la  montagne  d'oij  se  ré- 
pandaient sur  eux,  sans  interruption,  les  grâces  les  plus  abondantes.  Les 
évoques  de  Clermont  comprenaient  ce  sanctuaire  parmi  les  objets  de  leur 
plus  vive  sollicitude.  Massillon  le  visita  le  17  juin  1727  ;  Le  Maistre  de  la 
Garlaye  vint  y  payer  le  tribut  d'un  religieux  hommage  ;  François  de  Bonal 
voulut  prier  au  pied  de  ses  autels.  Les  prêtres  et  les  magistrats  de  Besse,  de 
concert  avec  le  peuple  et  les  populations  voisines,  y  maintinrent  dans  tout 
son  éclat  ce  pèlerinage.  Le  peuple,  indifférent  aux  sarcasmes  des  impies  et 
aux  railleries  des  faux  sages,  inondait  de  ses  flots  le  parvis  du  sanctuaire,  et 
faisait  résonner  de  ses  cantiques  les  échos  de  la  sainte  montagne. 

La  chapelle  de  Vassivière  restait  le  rendez-vous  habituel  de  la  piété  et 
de  l'espérance,  au  milieu  des  paisibles  montagnes  de  l'ouest  ;  de  nombreux 
ex-voto,  gages  d'une  généreuse  reconnaissance,  ornaient  ses  autels  et  ses 
murs,  et  l'Image  miraculeuse,  objet,  depuis  trois  siècles,  de  la  vénération 
publique,  y  recevait  les  plus  fervents  hommages. 

Mais  au  moment  où  les  habitants  de  ces  monts  pouvaient  croire  qu'au- 
cune force  humaine  n'arrêterait  l'élan  de  leur  foi,  et  ne  détruirait  l'empire 
qu'avait  conquis  sur  leurs  âmes  leur  cher  et  vénéré  pèlerinage,  une  révo- 
lution terrible  éclata  en  France.  Aveugle  dans  sa  fureur,  elle  confondit 
dans  sa  haine  le  ciel  et  la  terre,  le  sacré  et  le  profane.  Elle  proscrivit  le 
culte  des  aïeux,  bannit  de  la  patrie  la  foi  qui  avait  tenu  son  berceau,  ren- 
versa les  temples  où  avaient  retenti  les  chants  de  nos  pères,  et  démolit  les 
sanctuaires  où  le  peuple  venait  en  paix  chercher  dans  la  prière  un  remède 
à  ses  douleurs. 

Le  souffle  de  l'impiété,  plus  fort  que  celui  des  tempêtes,  circula  partout 
avec  une  violence  inouïe.  Le  pèlerinage  de  Vassivière  fut  livré  aux  profana- 


638  2  JUILLET. 

tions  qui,  pendant  le  cours  de  la  révolution  française,  souillèrent  les  sanc- 
tuaires du  culte  catholique.  Autels,  calices,  ornements  sacrés,  reliques,  ex- 
voto,  tout  disparut  dans  le  pillage  ou  les  flammes.  La  statue,  qu'on  vénérait 
de  temps  immémorial,  fut  mise  en  pièces  et  brûlée  :  on  en  sauva  pourtant 
quelques  débris  qui  sont  restés  l'objet  d'un  culte  particulier.  L'autre  statue, 
qui  était  révérée  à  l'oratoire,  fut  préservée  des  atteintes  du  vandalisme  par 
un  habitant  de  Besse,  qui  la  garda,  dans  sa  maison,  et  la  laissa  en  mourant 
à  sa  famille,  qui  lui  rend  encore  de  pieux  honneurs.  La  chapelle,  après 
avoir  été  dévastée,  fut  vendue  comme  propriété  nationale,  et  livrée,  pen- 
dant plusieurs  années,  à  de  vils  usages.  On  ne  saurait  dire  la  consternation 
qui  régna  à  Besse,  et  dans  les  populations  voisines,  quand  on  apprit  un 
pareil  attentat.  Les  fidèles  gémirent  en  secret  de  ne  pouvoir  plus  recourir  à 
Notre-Dame  de  Vassivière,  dans  un  temps  où  son  intercession  eût  été  si  né- 
cessaire pour  détourner  les  maux  qui  désolaient  la  France  et  l'Auvergne. 

Mais  Dieu  avait  fixé  un  terme  à  ces  insolents  triomphes.  Déjà,  en  1796, 
quelques  pèlerins  reprenaient  la  route  de  Vassivière  ;  bientôt  le  Concordat 
proclama  libre  l'exercice  du  culte  catholique  ;  les  temples  s'ouvrirent  ;  les 
pèlerinages  furent  rendus  à  la  piété  publique. 

La  ville  de  Besse  n'avait  pas  oublié  quelles  grâces  répandit  sur  elle  Notre- 
Dame  de  Vassivière.  Il  tardait  à  ses  habitants  de  regagner  sa  montagne,  et 
d'y  célébrer  de  nouveau  ses  fêtes  vénérées.  Quoique  la  chapelle  fût  encore 
une  propriété  particulière,  le  pèlerinage  refleurit,  grâce  à  la  piété  des  fidèles, 
et  par  les  soins  de  M.  Seronde,  curé  de  Besse,  qui  déploya  une  rare  énergie 
pour  la  restauration  du  culte  de  Notre-Dame  de  Vassivière.  Il  rétablit  ses 
processions  et  ses  fêtes,  et  remit  dans  son  ancien  éclat  la  Confrérie  de  la 
Visitation  dans  laquelle  on  vit ,  dès  l'année  1805 ,  entrer  de  nombreux 
associés. 

Une  nouvelle  statue,  dans  laquelle  on  mit  des  fragments  de  l'ancienne, 
reçut  les  hommages  qui,  comme  dans  les  âges  écoulés,  devaient  remonter  à 
Marie  :  elle  représente  la  sainte  Vierge  tenant  l'enfant  Jésus  sur  ses  genoux. 
L'église  de  Besse,  restaurée  avec  décence,  devint  son  premier  séjour.  On  put 
bientôt  la  replacer,  en  été,  dans  la  chapelle  de  Vassivière,  rachetée  par 
Mlle  Marie  Admirât,  qui  en  fit  don  à  la  fabrique  de  Besse. 

Lorsque  Notre-Dame  de  Vassivière  eut  été  rendue  à  elle-même,  les  beaux 
jours  revinrent  pour  son  pèlerinage.  La  générosité  des  fidèles  pourvut  sans 
retard  à  l'entretien  et  à  l'ornement  de  la  chapelle.  Tandis  qu'à  Besse  on  ré- 
parait le  chœur  de  l'église  (1816),  à  Vassivière,  on  relevait  les  autels  abattus, 
et  on  rendait  aux  murs  du  sanctuaire  la  décence  et  l'éclat  dont  ils  brillaient 
autrefois.  Ce  qui  toucha  surtout  les  cœurs,  et  ce  qui  fit  revivre  la  gloire  de 
ce  pèlerinage,  ce  fut  la  continuité  des  faveurs  que  Marie  distribua  du  haut 
de  la  sainte  montagne.  Chaque  année,  les  pèlerins  rapportaient  de  leur 
voyage  des  grâces  qu'ils  gardaient  avec  soin. 

La  fête  de  la  Visitation  était,  comme  dans  les  siècles  écoulés,  la  fête  pri- 
vilégiée de  Vassivière.  Mais  la  solennité  la  plus  imposante  avait  lieu  le  di- 
manche qui  suit  le  2  juillet.  En  ce  jour,  les  paroisses  voisines  vont  proces- 
sionnellement  à  la  chapelle,  et  assistent,  au  pied  des  mêmes  autels,  à  la 
célébration  des  divins  offices.  En  1841,  et  le  4  juillet,  la  présence  de 
Mgr  Féron  donna  à  ces  fêtes  un  éclat  inaccoutumé.  Qumi:e  à  vingt  mille 
pèlerins,  venus  de  tous  les  peints  ûa  l'Auvergne  et  d'autres  dioc^.i3s,  cou- 
vraient le  piateau  de  Vassivière. 

L'année  suivante,  la  fête  du  2  juillet  fut  célèbre  par  la  guérison  d'na  pa- 
ralytique, dont  le  souvenir  est  resté  dans  beaucoup  de  mémoires.  En  1831, 


KOTRE-DAME   DS   VASSIVIÈRE ,    A   BESSE.  G39 

un  nouveau  prodige,  arrivé  le  jour  de  la  fcte,  accrut  la  célébrité  de  ce  pèle- 
rinage. La  même  année,  le  dimanche  de  la  fête  de  la  Visitation,  on  compta 
jusqu'à  vingt  mille  pèlerins  qui  étaient  venus  de  tous  les  coins  de  l'Au- 
vergne et  du  Limousin,  pour  prendre  part  aux  bénédictions  que  Marie  ré- 
pandait en  ce  jour,  et  assister  aux  solennités  de  Vassivière,  auxquelles  don- 
nait un  lustre  nouveau  la  présence  des  évêques  de  Clermont  et  de  Saint- 
Flour.  La  sainte  Vierge  y  multipliait  ses  faveurs  auprès  de  tous  les  âges. 
L'enfance  et  la  jeunesse  en  particulier  recevaient  des  gages  de  sa  maternelle 
bonté. 

Tandis  que  ces  grâces  particulières,  accordées  par  Marie,  relevaient  son 
pèlerinage  dans  son  antique  éclat,  les  curés  de  Besse  déployaient  une  grande 
activité  pour  restaurer  ou  embellir  son  sanctuaire.  On  décora  le  maître- 
autel  dans  l'état  où  on  le  voit,  et  le  9  juillet  1834,  après  en  avoir  reçu  l'au- 
torisation du  pape  Pie  IX,  on  érigea  un  Chemin  de  la  Croix,  en  présence 
d'une  foule  considérable  que  cette  cérémonie  avait  attirée.  Ces  croix  sont 
dressées  sur  un  piédestal  en  pierre,  où  on  a  gravé,  sur  des  tablettes  de 
marbre  blanc,  les  noms  des  personnes  et  des  paroisses  qui  en  ont  fait  don. 
Les  pèlerins  sont  dans  l'usage,  en  gravissant  le  plateau,  de  faire  le  Chemin 
de  la  Croix,  exercice  que  l'Eglise  a  enrichi  de  si  nombreuses  indulgences. 
En  4836,  la  fabrique  de  Besse  fit  l'acquisition  de  la  montagne  qui  entoure 
la  chapelle. 

En  1839,  Pie  IX  enrichit  la  chapelle  d'une  indulgence  plénière  que  pou- 
vaient gagner,  aux  sept  fêtes  principales  de  Marie,  et  pendant  leurs  octaves, 
les  personnes  qui,  s'étant  confessées  et  ayant  communié,  prieraient,  au  pied 
de  ses  autels,  aux  intentions  du  souverain  Pontife.  Il  accorda  de  plus  trois 
cents  jours  d'indulgence  à  tous  ceux  qui  visiteraient  la  chapelle  de  Vassi- 
vière, et  y  prieraient  aux  mêmes  intentions. 

Le  cours  des  grâces  accordées  par  Marie  ne  se  ralentit  jamais.  Des  diffé- 
rentes parties  de  la  France,  et  souvent  même  des  paj's  étrangers,  on  lui  en- 
voie des  témoignages  de  reconnaissance.  Tantôt,  c'est  un  soldat  qui,  du  fond 
de  l'Afrique,  lui  fait  parvenir  ses  hommages  :  tantôt,  c'est  un  pilote,  égaré 
sur  les  flots,  qui  lui  adresse  ses  vœux.  Aujourd'hui,  une  mère  lui  recom- 
mande son  fils;  demain,  une  sœur  lui  enverra  une  offrande  pour  avoir  ob- 
tenu le  rétablissement  de  son  frère.  Il  n'est  pas  de  saison  où  ne  montent, 
vers  la  sainte  montagne,  les  prières  d'une  multitude  d'âmes  qui  ont  pour 
Notre-Dame  de  Vassivière  un  culte  que  ses  bienfaits  justifient  et  répandent. 

Aujourd'hui,  son  pèlerinage  a  conservé  son  importance.  La  chapelle  a 
revêtu  une  modeste  élégance  qui  réjouit  le  pèlerin.  L'autel  principal,  au- 
dessus  duquel  on  voit  l'image  de  la  sainte  Vierge,  est  orné  d'un  rétable.  La 
statue  est  entourée  d'une  guirlande  au  sommet  de  laquelle  deux  anges 
tiennent  un  diadème  suspendu  sur  sa  tête.  Les  deux  chapelles  ont  chacune 
un  autel  ;  l'un,  à  droite,  est  dédié  au  Sacré-Cœur  ;  l'autre,  à  gauche,  l'est  à 
saint  Joseph.  Des  cœurs  nombreux,  gages  d'un  filial  amour  et  renfermant 
des  noms  destinés  à  immortaliser  la  reconnaissance,  ornent  l'autel  du  sanc- 
tuaire. Les  murs  sont  aussi  enrichis  d'ex-voto,  de  tableaux  et  de  médaillons 
qui  contiennent  le  récit  de  faveurs  extraordinaires.  On  remarque  à  droite 
un  tableau  donné  par  le  monastère  des  Ursulines,  de  Clermont,  et  qui  re- 
présente un  parterre  où  croissent  les  fleurs  les  plus  variées. 

Autour  de  la  chapelle,  la  nature  étale  comme  autrefois  ses  âpres  beautés, 
et  les  monts  séculaires  dressent  toujours  leurs  pics  qui  servent  d'éternels 
remparts  à  cette  aimable  solitude.  Dans  ces  dernières  années,  on  a  dressé, 
au  milieu  de  U  montagne,  vers  le  midi,  un  autel  en  pierre,  afin  qu'aux 


640  2  JUILLET. 

grandes  solennités  de  Vassivière,  on  pût  y  célébrer  la  messe,  en  présence 
des  pèlerins,  dont  la  chapelle  ne  pouvait  contenir  la  multitude. 

L'église  de  Besse,  où  la  statue  de  Notre-Dame  de  Vassivière  réside  pen- 
dant neuf  mois  de  l'année,  a  été  restaurée  et  embellie.  Une  flèche  récente 
domine,  depuis  quelques  années,  le  paysage  d'alentour.  L'intérieur/de  l'édi- 
fice a  été  en  partie  revêtu  de  décorations  polychromatiques  qui  s'harmo- 
nisent avec  le  style  grave  de  son  architecture.  On  a  ornementé  la  chapelle 
oîi  on  vénère  l'Image  miraculeuse.  L'autel  est  roman  et  orné  de  trois  bas- 
reliefs  qui  représentent  l'Annonciation,  la  Naissance  du  Sauveur  et  l'Ado- 
ration des  Mages.  Les  murs  sont  décorés  de  peintures  où  figurent,  dans 
divers  médaillons,  la  Présentation  de  la  sainte  Vierge,  sa  Nativité,  sa  Purifi- 
cation et  sa  Visitation.  Cette  chapelle  est,  en  tout  temps,  l'objet  d'un  culte 
spécial  :  le  saint  Sacrement  y  repose,  on  y  célèbre  la  messe  tous  les  jours, 
et  tous  les  jours  les  fidèles  de  Besse  ou  des  pèlerins  étrangers  viennent  invo- 
quer Marie. 

Les  fêtes  de  Vassivière  ont  un  caractère  particulier.  Lorsque  le  plateau 
s'est  dépouillé  de  son  manteau  de  neige,  et  que  les  fleurs  commencent  à 
s'épanouir  sous  les  chaudes  brises  de  l'été,  on  se  prépare  à  transporter 
l'Image  miraculeuse  de  la  Vierge  à  sa  montagne  chérie.  Le  2  juillet  est  le 
jour  de  la  translation,  ou,  selon  le  langage  du  pays,  le  jour  de  la  Montée. 
On  le  consacre  généralement  au  repos  et  à  la  prière.  Pendant  les  neuf  jours 
qui  précèdent,  on  fait  une  neuvaine,  dont  on  suit  les  exercices  avec  une 
vive  piété.  Quand  le  jour  arrive,  tous  se  réunissent  :  on  donne,  à  sept  heures, 
le  signal  du  départ.  Les  rangs  de  la  procession  se  forment  :  à  sept  heures  et 
demie,  on  est  en  marche.  On  s'arrête  un  instant  sur  une  esplanade,  d'où  on 
donne  à  la  ville,  en  signe  d'adieu,  une  bénédiction  avec  la  sainte  Image. 
Puis  la  procession  reprend  son  cours.  Ses  longues  lignes  se  déroulent  dans 
le  plus  bel  ordre,  en  suivant  les  gracieux  contours  de  la  route  qui  circule 
dans  les  flancs  de  la  montagne.  Le  recueillement  et  la  piété  régnent  dans 
tous  les  rangs  :  les  bouches  ne  s'ouvrent  qu'aux  chants  sacrés  qui  vont, 
d'écho  en  écho,  réveiller  dans  ces  montagnes  le  nom  et  le  souvenir  de  la 
plus  tendre  des  Mères.  Tantôt,  c'est  le  Magnificat  qui  redit,  après  dix-neuf 
siècles,  les  gloires  qu'avait  présagées  à  sa -grandeur  future  celle  dont  on 
porte  l'Image  en  triomphe  ;  tantôt  ce  sont  les  litanies  de  la  Vierge,  dont 
chaque  mvocation  se  termine  par  un  immense  Ora  pro  nobis,  que  les  col- 
lines envoient  jusqu'au  ciel.  D'autres  fois,  ce  sont  des  cantiques  consacrés 
à  Marie,  dont  les  touchantes  harmonies  ou  les  joyeux  accents  font  oublier 
la  longueur  du  trajet.  Cependant,  la  procession,  à  mesure  qu'elle  avance, 
ouvre  ses  rangs  à  des  foules  de  pèlerins  qui  sont  venus  l'attendre  sur  divers 
points  de  la  route.  Ainsi  grossie,  elle  arrive  au  pied  de  la  sainte  montagne. 
Là,  cessent  les  chants  en  l'honneur  de  Marie.  On  fait  ensuite  le  Chemin  de 
la  Croix.  Arrivé  sur  la  montagne,  on  s'arrête  en  face  de  l'oratoire  où  est  la 
fontaine  ;  on  chante  le  Te  Deuyn,  et  on  bénit  solennellement,  avec  la  sainte 
Image,  la  foule  prosternée.  Ou  porle  la  sta-tue  dans  la  grande  chapelle,  et 
on  la  place  au-dessus  du  maître-autel.  A  onze  heures,  on  célèbre  la  messe 
qui  se  termine  par  la  bénédiction  du  très-saint  Sacrement.  Au  sortir  de 
l'office,  on  se  groupe  par  familles,  ou  par  connaissances,  et,  assis  sur  le 
gazon,  autour  du  sanctuaire  de  Marie,  on  prend  un  frugal  repas,  douce 
image  des  agapes  chrétiennes  qui,  après  les  saints  Mystères,  rassemblaient, 
autour  d'une  table  commune,  les  fidèles  de  la  primitive  Eglise  unis  par  les 
liens  de  la  plus  tendre  charité.  A  trois  heures,  a  lieu  une  cérémonie  parti- 
culière :  l'image  de  Marie  est  présentée  à  la  vénération  des  pèlerins,  et  cha- 


KOTRE-D.VME  DE   VASSIVIÈRE,   A  BESSE.  641 

cun  d'eux  en  baise  les  pieds  avec  amour.  Vers  le  soir,  la  foule  s'écoule,  et 
s'en  retourne  processionnellement  à  Besse.  Tous  promettent  au  fond  du 
cœur,  de  revenir  souvent  à  Vassivière  que  bénit  désormais  la  présence  de 
l'Image  miraculeuse. 

Pendant  ses  trois  mois  de  séjour,  on  vient  la  visiter  fréquemment  des 
paroisses  voisines,  et  surtout  de  Besse.  Beaucoup  y  font  une  neuvaine  de 
prières,  quelquefois  aussi  une  neuvaine  de  communions.  Les  pèlerins  ne 
viennent  pas  seulement  des  contrées  voisines,  il  en  vient  des  cantons  de  la 
Haute  et  Basse-Auvergne,  de  la  Marche,  du  Limousin  et  du  Velay.  Leur 
affluence  augmente  d'une  manière  sensible,  les  dimanches  et  les  fêtes,  et 
bien  plus  encore  aux  quatre  fêtes  spéciales  de  Vassivière,  qui  sont  le  di- 
manche dans  l'octave  du  2  juillet,  le  dimanche  après  le  25  août,  ou  la  fête 
de  saint  Louis,  le  8  septembre,  fête  de  la  Nativité  de  la  sainte  Vierge,  et 
enfin  le  dimanche  qui  suit  le  21  septembre.  Pendant  ce  temps,  le  clergé  de 
Besse  se  partage,  comme  avant  la  Révolution,  entre  la  ville  et  la  sainte 
montagne.  Depuis  le  dimanche  qui  précède  l'arrivée  de  la  statue  miracu- 
leuse jusqu'à  celui  qui  suit  son  départ  inclusivement,  on  y  dit  la  messe  tous 
les  jours,  à  neuf  heures,  et  les  dimanches  à  onze  heures.  Là  ne  se  borne  pas 
le  ministère  des  prêtres  de  Besse  :  ils  entendent  encore  les  confessions  des 
pèlerins  qui  ne  croiraient  pas  avoir  sanctifié  leur  voyage,  s'ils  ne  se  confes- 
saient et  ne  communiaient  pas  dans  l'église  de  Notre-Dame  de  Vassivière. 

Les  quatre  fêtes  que  nous  venons  d'énumérer  attirent  un  grand  nombre 
de  pèlerins  :  la  première  et  la  dernière  sont  les  plus  remarquables. 

Le  dimanche,  dans  l'octave  du  2  juillet,  est  appelé  le  dimanche  des  pro- 
cessions. Plusieurs  paroisses  voisines  s'y  rendent  en  effet  processionnelle- 
ment. Dès  la  veille,  bien  des  pèlerins  arrivent  à  Vassivière  :  ils  reçoivent 
avec  ferveur  la  bénédiction  du  saint  Sacrement  qui  se  donne  le  soir,  enva- 
hissent les  tribunaux  de  pénitence  oh  s'opèrent  les  mystères  de  leur  récon- 
ciliation avec  Dieu,  et  passent  la  nuit  au  pied  des  autels  de  Marie.  Le  len- 
demain, on  jouit  des  spectacles  les  plus  variés  et  les  plus  édifiants.  Le  soleil 
dore  à  peine  les  monts  que  les  pèlerins,  venant  de  tous  côtés,  du  Puy-de- 
Dôme,  du  Cantal,  de  la  Corrèze  et  d'autres  départements,  animent  de  leurs 
groupes  les  sentiers  et  les  routes. 

Bientôt  s'offre  un  nouveau  spectacle.  Au  loin,  des  lignes  de  pèlerins  se 
déroulent  sur  deux  rangs,  sous  les  bannières  de  leurs  paroisses.  Ce  sont  les 
processions  qui  arrivent.  Les  jeunes  filles,  vêtues  de  blanc,  s'avancent  sous 
des  bannières  aux  couleurs  et  à  l'effigie  de  la  sainte  Vierge.  Des  hommes  de 
tout  âge  viennent  ensuite,  et  mêlent  leurs  voix  graves  aux  douces  harmo- 
nies d'une  pieuse  jeunesse.  La  foule,  qui  couvre  déjà  le  plateau,  se  presse 
au-devant  des  processions,  et  les  accueille  avec  une  religieuse  allégresse. 
Elles  ont  gravi  le  plateau  ;  elles  s'arrêtent  successivement  devant  l'oratoire 
de  la  fontaine,  où  elles  chantent  une  antienne  à  la  louange  de  Marie,  et 
entrent  dans  sa  chapelle,  où  leurs  chants  expirent  au  milieu  des  prières  que 
chacun  adresse  à  la  Reine  de  ces  lieux. 

A  onze  heures,  la  cloche  convie  les  fidèles  à  la  célébration  des  saints 
Mystères.  Une  foule  innombrable  se  presse  autour  de  l'autel  dressé  en  plein 
air.  Le  clergé  s'y  rend  précédé  des  croix,  des  étendards,  des  bannières  de 
chaque  paroisse,  au  milieu  des  chants  où  les  strophes  du  Veni  Creator  se 
marient  avec  celles  des  cantiques.  Le  célébrant  arrive  au  pied  de  l'autel 
orné  de  branches  et  de  feuillages,  et  surmonté  d'un  dôme  de  verdure. 

La  messe  terminée,  le  célébrant,  précédé  du  clergé,  revient  à  la  cha- 
pelle. Le  peuple  se  répand  sur  la  montagne  et  consacre  les  heures  suivantes 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VIL  *i 


642  2  JUILLET. 

à  la  prière  ou  à  une  pieuse  allégresse.  Le  sanctuaire  de  Marie  se  remplit 
jusqu'au  soir  de  pèlerins  qui  viennent  lui  oITrir  leurs  remercîments  et  leurs 
vœux.  Les  processions  regagnent  successivement  la  paroisse  ;  les  pè  crins 
s'écoulent,  mais  non  sans  jeter  un  dernier  regard  sur  la  sainte  chapelle,  et 
sans  promettre  de  la  visiter  encore. 

Trois  mois  se  passent  après  la  célébration  de  ces  fêtes.  Pendant  trois 
mois,  on  vient  à  Vassivière,  de  tous  les  points  de  1  Auvergne,  vénérer  la 
statue  miraculeuse.  Puis,  lorsque  l'automne  a  succédé  aux  splendeurs  de 
l'été,  quand  la  fin  de  septembre  arrive,  Notre-Dame  de  Vassivière  quitte  sa 
montagne,  pour  aller  de  nouveau  à  Besse  fixer  son  séjour.  C'est  le  premier 
dimanche,  après  la  fête  de  saint  Matthieu,  qu'a  lieu  la  cérémonie,  vulgaire- 
ment appelée  la  Descente. 

Dès  les  premières  lueurs  du  jour,  les  fidèles  arrivent  et  remplissent  la 
chapelle.  Chacun  assiste  aux  messes  qu'on  y  célèbre,  avec  un  sentiment  de 
ferveur  qui  est  accru  par  la  pensée  que,  pour  la  dernière  fois  de  l'année, 
on  vient  vénérer  la  statue  de  Marie,  dans  son  sanctuaire.  Tandis  que,  sur  la 
montagne,  on  lui  adresse  ses  derniers  vœux,  à  Besse,  on  se  prépare  à  la  re- 
cevoir, en  faisant,  avec  un  religieux  enthousiasme,  les  préparatifs  d'une 
entrée  triomphale.  La  statue,  portée  sur  un  riche  brancard,  s'avance  der- 
rière le  clergé,  au  chant  des  Litanies  de  la  Vierge,  et  de  l'hymne  Salve, 
Regina.  Le  cortège  se  déroule,  parmi  les  scènes  de  cette  nature  alpestre, 
à  laquelle  les  pâles  feux  de  l'automne  donnent  une  teinte  plus  mélanco- 
lique. 

Les  chants  arrivent  j  usqu'aux  premières  portes  de  la  ville,  et  annoncent 
la  rentrée  dans  ses  murs  de  Notre-Dame  de  Vassivière.  La  nuit  a  étendu  son 
voile  :  mais  les  illuminations  rendent  bientôt  à  la  ville  les  clartés  du  jour. 
Déjà  la  procession  est  arrivée  vers  la  porte  Notre-Dame  :  on  place  la  statue 
sur  un  autel,  et  on  la  couvre  d'un  manteau  en  drap  d'or.  Les  cierges  et  les 
torches  brillent  autour  d'elle  d'un  vif  éclat.  On  entre  dans  la  ville  au  chant 
du  Salve,  Regina.  Soudain  des  feux  de  mousqueterie  saluent  l'arrivée  de  la 
Vierge  miraculeuse.  Mille  transports  éclatent  de  toute  part.  Partout  où  passe 
l'Image,  les  maisons  sont  illuminées  ;  des  guirlandes  de  fleurs  s'enlacent 
d'une  croisée  à  l'autre  :  des  rameaux  jonchent  le  sol  et  se  dépouillent,  en 
l'honneur  de  Marie,  de  leurs  derniers  feuillages. 

Un  porte  la  statue  dans  l'église,  envahie  déjà  par  la  multitude,  et  on 
entonne  les  derniers  chants  qui  saluent  son  retour.  On  la  dépose  dans  sa 
chapelle;  la  bénédiction  du  saint  Sacrement  termine  ces  joyeuses  fêtes, 
consacrées  à  la  prière  et  à  la  reconnaissance. 

Extrait  de  la  Vie  des  Saints   et  Saintes  d'Auvergne,  par  Branche,  et  de  l'Histoire  d«  Notre-Dame 
de  Vassivière,  par  M.  Taboé  Chaix. 


NOTHE-DAME  DE  YERDELAIS, 

AU  DIOCÈSE  DE  BORDEAUX 


Notre-Dame  de  Verdelais,  c'est-à-dire  des  Bordelais,  qui  l'ont  toujours 
vénérée  ;  ou  mieux,  selon  d'autres,  de  la  Verte  forêt,  à  cause  de  celle 
qui  couvrait  le  pays,  existait  au  commencement  du  douzième  siècle.  L'il- 


NOTRE-DAME  DE  VERDELAIS,   AU  DIOCÈSE  DE  BORDEAUX.  643 

lustre  famille  de  Pierre  de  Bordeaux  lui  donna  le  jour  sur  les  confins  de  ses 
vastes  possessions  de  Benauge.  Les  religieux  de  Grandmont  furent  appelés 
pour  garder  son  berceau.  C'est  déjà  une  preuve  qu'un  seul  prêlre  n'eût  pas 
suffi  à  l'affluence  des  visiteurs.  Mais  la  jeune  fondation  ne  tarda  pas  à  voir 
s'élever  les  orages  qui  devaient  manifester  ses  destinées  providentielles. 
Après  chaque  ruine,  Dieu  lui  réservait  une  résurrection. 

En  i2o3,  elle  fut  réduite  à  la  dernière  extrémité  par  la  guerre  du  roi 
d'Angleterre  contre  les  seigneurs  gascons  ;  et  sous  le  coup  d'hostilités  tou- 
jours renaissantes,  malgré  les  efforts  d'Assalhide  de  Bordeaux  pour  la  rele- 
ver, vers  la  fin  du  quatorzième  siècle,  le  monastère  fut  détruit,  l'église 
livrée  aux  flammes,  les  religieux  forcés  de  fuir,  après  avoir  caché  dans  la 
terre,  et  sous  une  pierre  qui  pût  la  faire  retrouver,  la  statue  de  la  sainte 
Vierge.  Douze  ans  après,  elle  sortait  triomphante  de  sa  retraite. 

Isabelle,comtesse  de  Foix,  mariée  depuis  plusieurs  années  à  Archambault 
de  Grailly,  n'avait  pas  d'enfants.  Dans  sa  tristesse,  elle  eut  recours  à  la  sainte 
Vierge,  s'engageant,  par  vœu,  à  lui  bâtir  une  église,  et  à  consacrer  un  de  ses 
enfants  au  service  des  autels,  si  le  ciel  lui  en  donnait  quatre.  Au  lieu  de 
quatre,  elle  en  eut  cinq,  et  le  quatrième  devint  le  célèbre  cardinal  Pierre  de 
Foix.  Un  jour,  en  i  390,  elle  traversait  les  bois  de  Verdelais,  près  des  ruines  de 
Notre-Dame  du  Luc,  pour  se  rendre  de  sa  seigneurie  de  Langon  au  château 
de  Civrac  en  Benauge,  et  songeait  aux  moyens  d'accomplir  son  vœu,  lors- 
que tout  à  coup,  disent  les  anciennes  chroniques  «  sa  mule  s'arrête,  sans 
pouvoir  ni  avancer  ni  reculer,  et  enfonce  un  de  ses  pieds,  de  la  profondeur 
de  quatre  à  cinq  pouces,  dans  une  pierre  fort  dure,  où  elle  imprime  la 
figure  de  son  pied  ».  On  lève  la  pierre  ;  et  quelle  n'est  pas  la  surprise  de  la 
comtesse  et  de  sa  suite  de  découvrir  une  statue  de  la  sainte  Vierge  !  C'était 
Notre-Dame  de  Verdelais.  La  volonté  de  Dieu  est  comprise  ;  la  chapelle  se 
relève,  les  Grandmontains  sont  rappelés,  la  statue  reprend  sa  place,  et  l'on 
consacre  la  mémoire  de  ces  faits  par  deux  tableaux  :  l'un,  où  l'on  voit  la 
comtesse  ofl'rir  son  fils  le  futur  cardinal,  h  la  sainte  Vierge  ;  l'autre  re- 
présente la  découverte  de  la  statue. 

Cette  nouvelle  ère  de  paix  et  de  piété  se  prolongea  jusqu'en  1582.  Le 
28  juin,  les  bandes  calvinistes,  chassées  de  Saint-Macaire,  se  ruèrent  sur 
Verdelais,  Tout  y  fut  pillé  et  brûlé,  couvent,  église,  bibliothèque ,  orne- 
ments, et  la  sainte  Vierge  même  jetée  dans  les  flammes  comme  tout  le  reste. 
Mais,  ô  prodige  !  quelques  jours  après,  lorsque  l'armée  calviniste,  battue  par 
Montluc,  se  fut  retirée,  et  que  les  habitants  rassurés  vinrent  visiter  les 
ruines  encore  fumantes  de  leur  église,  ils  trouvèrent,  au  milieu  des  décom- 
bres, leur  Vierge,  parfaitement  intacte.  A  cette  vue,  pleins  de  respect  et  de 
joie,  dit  le  plus  ancien  historien  de  Verdelais,  «  ils  l'emportèrent  et  la  ca- 
chèrent dans  le  tronc  d'un  vieil  arbre,  au  bas  d'une  fondrière,  non  loin  de 
la  chapelle,  pour  qu'elle  ne  fût  pas  exposée  dans  la  suite  à  de  semblables 
outrages;  mais,  n'ayant  pas  pris  la  précaution  de  laisser  un  mémoire  ou 
une  marque  quelconque  qui  pût  constater  et  faire  découvrir  le  précieux 
dépôt,  les  personnes  qui  étaient  dans  le  secret  s'exposèrent  à  perdre  pour 
toujours  cette  statue  révérée  ». 

Dieu  y  pourvut.  Vers  l'an  1605,  un  homme  qui  menait  chaque  jour 
paître  son  troupeau  dans  ce  lieu  remarqua  l'insistance  singulière  d'un  de 
ses  bœufs  à  descendre  dans  la  fondrière,  et  à  s'incliner  en  mugissant, 
comme  s'il  se  fût  prosterné  devant  une  figure  humaine.  Cet  homme  descend 
à  la  suite  de  l'animal.  Il  découvre  une  statue  :  c'est  la  Vierge  de  Verdelais  ! 
Il  la  prend  avec  respect,  il  la  présente  aux  vieillards,  qui  la  recouuaisseut, 


644  2  JUILLET. 

bien  que  noircie  par  les  flammes  ;  on  la  porte  en  triomphe  dans  le  reste  de 
chapelle  dont  la  solidité  avait  résisté  à  l'incendie,  et  auprès  duquel  habitait 
seul,  pour  y  célébrer  la  messe  et  recevoir  les  pèlerins,  le  père  Antoine  Du- 
garsies,  débris  de  l'ordre  de  Grandmont. 

Tel  était  l'état  de  délabrement  toujours  croissant,  au  milieu  des  ronces 
et  des  broussailles,  oh  le  cardinal  de  Sourdis  trouva,  en  1609,  l'antique 
sanctuaire.  Le  nettoyer,  paver,  clore  et  orner,  y  établir  des  religieux  qui 
servissent  jour  et  nuit  Dieu  et  la  sainte  Vierge  ;  construire  la  voûte,  le 
chœur,  les  chapelles  latérales  et  les  galeries  qui  régnent  a>utour  du  sanc- 
tuaire, furent  la  sollicitude  du  pieux  prélat  ;  il  commença,  et  Mgr  de  Bé- 
thune  acheva.  Le  duc  d'Epernon,  le  duc  de  Foix,  plusieurs  illustres  familles 
s'associèrent  à  la  bonne  œuvre  par  leurs  largesses  ;  la  sainte  Vierge  voulut, 
dit  le  père  Salé,  a  que  ce  fût  par  les  libéralités  et  les  oblations  volontaires 
de  ses  serviteurs  qu'on  ornât  sa  sainte  chapelle,  qu'on  parât  ses  autels,  qu'on 
bâtît  un  monastère,  et  que  toutes  ces  choses  fussent  mises  au  nombre  de 
ses  miracles,  afm  que  la  postérité  ne  vit  rien,  dans  l'établissement  de  sa 
maison,  que  les  efiets  de  son  pouvoir  ».  Pour  les  rendre  plus  sensibles  en- 
core, un  homme  dont  la  vie  et  les  écrits  respirent  une  piété  tendre  envers 
Marie  mit  la  dernière  main  à  cette  restauration.  Le  père  Proust,  l'un  des 
Célestins  de  la  maison  de  Verdelais,  oh  il  mourut  en  vénération  dans 
l'année  1722,  ajouta  à  l'édifice  un  portail,  une  façade,  un  clocher,  un  vaste 
plateau  planté  d'arbres,  qui  le  prolongeait,  sous  une  voûte  de  feuillage,  pour 
cinq  ou  six  mille  personnes.  11  travailla  à  rendre  les  abords  de  Verdelais 
plus  faciles  ;  et  de  ses  propres  mains,  il  défrichait,  nivelait  et  plantait.  Des 
deux  côtés  de  la  grande  allée,  il  pratiqua,  dans  l'épaisseur  des  bois,  des 
sentiers  tortueux  qui  aboutissaient  à  des  grottes  ;  chacune  de  ces  grottes 
renfermait  la  représentation,  en  sculpture,  de  divers  mystères,  l'Annoncia- 
tion, la  naissance  de  Jésus-Christ,  son  crucifiement  et  sa  sépulture.  L'om- 
bre, le  silence,  tout  favorisait  la  prière  et  la  méditation. 

La  révolution  de  93,  qui  aimait  à  s'abattre  sur  tout  ce  qu'il  y  a  de  sacré, 
décréta  le  dépouillement  et  le  pillage  de  Verdelais.  Son  trésor,  ses  vases 
sacrés,  les  dons,  les  offrandes  des  fidèles,  tout  fut  enlevé.  On  brûla  les  orne- 
ments, après  en  avoir  arraché  les  galons,  qui  donnèrent  plus  de  quatre 
cents  marcs  pesant  d'or  ou  d'argent.  On  vendit  à  vil  prix  les  biens  du  mo- 
nastère ;  on  saccagea  les  grottes  construites  avec  tant  de  soin  par  le  père 
Proust.  Une  seule  chose  restait  :  la  statue  miraculeuse.  Indigné  de  la  voir 
encore  debout,  le  chef  de  l'administration  locale,  suivi  du  conseil  munici- 
pal, se  rend  sur  les  lieux  et  ordonne  au  sacristin  Jean  Michel  de  l'abattre. 
Le  jeune  homme,  insensible  aux  promesses  comme  aux  menaces,  répond  à 
l'agent  républicain  :  «  Je  craindrais  que  Dieu  m'écrasât  dans  le  moment 
même  !  et  d'ailleurs,  j'aime  mieux  obéir  à  Dieu  qu'aux  hommes  ».  Un  ma- 
çon, ancien  soldat,  nommé  Etienne  Gassies,  résiste  non  moins  hardiment 
aux  mêm.es  injonctions  :  «  Fais-le  toi-même  »,  dit-il,  «  citoyen  maire,  et 
monte,  si  tu  l'oses  :  pour  moi,  jamais  !  » 

A  ces  mots,  qui  ont  redoublé  sa  rage,  le  jacobin  applique  lui-même 
l'échelle  et  s'élance  ;  mais  à  peine  a-t-il  franchi  quelques  degrés  qu'il  est 
saisi  de  vertige,  ses  genoux  fléchissent;  il  tombe,  et  sans  le  secours  des  as- 
sistants, il  se  serait  brisé  dans  sa  chute.  Le  pieux  sacristain  Jean  Michel 
cacha  alors  l'image  vénérée  sous  une  grossière  tapisserie  ;  et,  tant  que  dura 
la  défense  d'entrer  dans  l'église,  qu'on  avait  fait  fermer,  il  y  introduisait  de 
nuit  les  pèlerins  qui  venaient  encore  la  visiter. 

Il  était  réservé  au  cardinal  Donnet  de  relever  cette  sainte  maison,  et  de 


NOTRE-DAME  DE  VERDELAIS,   AU  DIOCÈSE  DE   BORDEAUX.  645 

lui  donner  de  dignes  gardiens.  Les  pères  Maristes  y  furent  installés  en  1838, 
et  y  devinrent  le  signal  d'une  vie  nouvelle.  Une  association  de  dames,  à 
l'aide  d'une  vaste  souscription  par  trois  annuités  de  deux  francs,  répandue 
surtout  dans  les  diocèses  de  Bordeaux  et  d'Agen,  construisit  la  voûte  et  les 
tribunes  de  la  nef,  restaura  le  sanctuaire  et  les  chapelles  latérales,  rétablit 
à  neuf  l'église  et  le  couvent,  ouvrit  une  maison  d'école  et  de  retraite  aux 
sœurs  de  la  Présentation,  et  fit  faire  le  gracieux  campanile  qui  couronne 
tout  cet  ensemble. 

Il  restait  encore  à  faire  revivre  les  stations  créées  par  le  père  Proust  ; 
comme  le  mont  Gussol  offrait  les  plus  heureuses  dispositions  à  l'établisse- 
ment d'un  chemin  de  la  croix  et  d'un  calvaire,  les  terrains  furent  acquis  ; 
les  pentes  abruptes  de  la  montagne  adoucies  ;  sa  cime  surmontée  de  trois 
croix  ;  les  petites  chapelles  construites  sur  un  plan  uniforme  ;  la  dernière, 
celle  du  Saint-Sépulcre,  beaucoup  plus  grande,  avec  un  autel  et  une  admi- 
rable scène  en  relief  de  la  sépulture  de  Notre-Seigneur. 

Un  lieu  si  manifestement  choisi  par  la  Mère  de  Dieu  ne  pouvait  manquer 
d'exercer  sur  tous  les  cœurs  une  douce  attraction.  A  toutes  les  époques,  on  y 
a  vu  accourir  tout  ce  qu'il  y  a  de  grand  dans  le  monde,  comme  tout  ce  qu'il 
y  a  de  petits  et  de  malheureux  ;  après  les  rois  d'Angleterre  et  les  rois  de 
France,  les  illustres  familles  de  Grailly,  de  Candole,  de  Foix,  d'Epernon, 
de  Saluées;  la  duchesse  d'Angoulême,  qui  venait  appeler  les  bénédictions 
de  Dieu  sur  l'armée  française  en  Espagne,  commandée  par  le  prince  son 
époux.  Comme  le  cardinal  de  Sourdis,  Mgr  d'Aviau,  de  si  sainte  mémoire, 
y  portait  fréquemment  aux  pieds  de  Marie  ses  sollicitudes  pastorales,  et  une 
fois  entre  autres,  à  la  tête  des  élèves  de  son  petit  séminaire,  il  y  obtint  du  ciel, 
malgré  mille  obstacles,  la  translation  de  cette  maison  de  Cadillac  à  Bazas, 
011  les  besoins  impérieux  du  diocèse  lui  assignaient  sa  place.  En  1852,  les 
évêques  de  Beauvais,  de  Périgueux,  d'Agen  ;  Mgr  Dupuch,  premier  évêque 
d'Alger,  et  plus  de  douze  cents  prêtres  célébrèrent  la  messe  à  l'autel  privi- 
légié de  Notre-Dame.  On  ne  saurait  dire  le  nombre  de  pèlerinages  solennels 
que  font  àVerdelaisles  paroisses,  les  collèges,  les  écoles  et  les  congrégations 
diverses.  Aussi  l'église  et  son  trésor  n'ont-ils  pas  cessé  de  s'enrichir  de  dons, 
tantôt  simples,  tantôt  magnifiques,  mais  toujours  précieux  par  le  motif  qui 
les  inspire.  On  a  pu  piller  et  détruire,  la  piété  a  été  plus  persistante  que  le 
sacrilège  ;  et  aujourd'hui  encore  elle  enrichit  le  sanctuaire  vénéré  d'orne- 
ments, de  vases  sacrés  et  d'autres  objets  oûerts  par  l'amour  à  la  très-sainte 
Vierge. 

Mais  de  tous  ces  hommages,  aucun  n'égale  en  valeur  les  privilèges  ac- 
cordés à  Notre-Dame  de  Verdelais  par  les  souverains  Pontifes.  Lucius  III, 
Urbain  VIII,  Alexandre  VII,  Grégoire  XVI,  à  diverses  reprises  ont  puisé 
abondamment  en  sa  faveur  dans  le  trésor  des  indulgences.  Sa  Sainteté  Pie  IX 
y  a  ressuscité  la  confrérie  de  Notre-Dame  Consolatrice,  fondée  par  le  car- 
dinal de  Sourdis.  Il  a  couronné  sa  statue  vénérable  ;  et  le  jour  de  ce  cou- 
ronnement est  bien  un  des  plus  solennels  de  son  histoire.  C'était  le  2  juil- 
let ;  autour  d'un  autel  dressé  en  plein  air,  sous  un  riche  pavillon,  se  pressait 
une  foule  immense,  où  figuraient  avec  les  autorités  du  département,  cinq 
cents  prêtres  et  huit  prélats  :  le  cardinal-archevêque  de  Bordeaux,  l'arche- 
vêque d'Avignon,  les  évêques  de  Gap,  de  Nevers,  de  Périgueux,  d'Agen, 
d'Angoulême  et  de  Saint-Flour.  Après  la  messe  pontificale  et  la  lecture  du 
bref  apostolique,  la  statue  couronnée  par  les  prélats  parcourut  en  proces- 
sion, au  bruit  des  instruments  et  des  chants  de  joie,  la  place  environnante. 
Le  cardinal  archevêque  consacra  son  diocèse  à  la  sainte  Vierge,  et  le  soir, 


646  2  JUILLET. 

de  brillantes  illuminations  semblèrent  prolonger  la  splendeur  d'un  jour 
trop  tôt  fini. 

Tandis  que  les  hommes  honoraient  ainsi  Notre-Dame  de  Verdelais  par 
leurs  prières,  Marie  y  répondait  par  des  miracles.  On  priait,  on  honorait 
Marie,  on  était  exaucé  ;  on  la  priait,  on  l'aimait  encore  plus,  elle  laissait 
tomber  encore  plus  de  grâces  ;  c'était  une  prière  continuelle  entre  des  mi- 
racles incessants. 

Ce  n'est  pas  seulement  à  des  époques  reculées,  c'est  aussi  de  notre  temps 
que  les  prodiges  s'opèrent  à  Verdelais.  Cette  gloire  ne  lui  fait  pas  plus 
défaut  aujourd'hui  qu'autrefois. 

Extrait  de  Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice. 


NOTRE-DAME  D'ÉTANG,  AU  DIOCÈSE  DE  DIJON 


En  l'année  1435,  un  berger  de  Velars,  qui  conduisait  habituellement  son 
troupeau  sur  la  montagne  d'Etang,  s'aperçut  qu'un  de  ses  bœufs  allait  chaque 
fois  sur  la  crôte  escarpée,  du  côté  de  Dijon,  et  là  s'agenouillait  pour  paître 
une  touffe  d'herbe  toujours  verdoyante  qui,  dès  le  lendemain,  croissait  plus 
haute  et  plus  belle.  Il  en  avisa  d'autres  bergers  et  résolut  avec  eux  de  sonder 
la  terre  en  cet  endroit  :  c'était  le  deuxième  jour  de  juillet,  fête  de  la  Visi- 
tation. En  creusant,  ils  découvrirent,  à  trois  ou  quatre  pieds  de  profondeur, 
une  petite  statue  de  pierre  qui  représentait  la  sainte  Vierge  assise  et  tenant 
sur  ses  genoux  l'enfant  Jésus;  ils  la  révérèrent  dévotement  et  l'apportèrent, 
en  chantant  des  cantiques,  au  village  de  Velars,  chez  le  maître  boucher  à 
qui 'e  bœuf  appartenait. 

La  sainte  Vierge  agréa  les  hommages  qui  lui  furent  rendus  dans  cette 
maison  ;  elle  y  délivra  un  possédé,  guérit  plusieurs  malades  et  éclaira  un 
enfant  de  douze  ans,  né  aveugle  au  village  d'Urcy. 

La  nouvelle  s'en  répandit  promptement  ;  l'abbé  de  Saint-Bénigne , 
Etienne  de  La  Feuillette,  s'empressa  de  revendiquer  le  trésor  trouvé  sur  ses 
terres,  et  le  fit  apporter  en  grande  pompe  dans  l'église  abbatiale  où  tout 
Dijon  accourut  pour  le  voir  ;  mais,  tandis  que  la  cité  se  réjouissait,  l'image 
disparut  de  Saint-Bénigne  et  retourna  d'elle-même  sur  la  montagne  d'Etang. 
A  la  vue  de  ce  nouveau  prodige,  le  pieux  abbé  s'humilia  d'avoir  contrarié 
les  desseins  du  ciel  et  fît  construire,  sur  la  pointe  de  la  montagne,  à  l'en- 
droit où  la  statue  miraculeuse  avait  été  découverte,  une  petite  chapelle 
avec  une  cellule  pour  un  ermite  chargé  d'en  prendre  soin  ,  et  de  satisfaire 
la  dévotion  des  fidèles  en  leur  faisant  vénérer  la  sainte  imagé.  Cette  cha- 
pelle étant  de  difficile  accès,  les  religieux  de  Saint-Bénigne  en  bâtirent  une 
autre  sur  l'esplanade  qui  s'élargit  aux  deux  tiers  de  la  montagne,  avant  que 
le  sentier  devienne  trop  rapide  en  s'engageant  dans  les  rochers,  et,  le 
25  mars  1526,  ils  y  transportèrent  la  statue  miraculeuse,  en  présence  d'un 
peuple  innombrable  accouru  des  villages  d'alentour.  Trois  ans  après,  cette 
chapelle  fut  consacrée  ,  sous  le  vocable  de  l'Assomption,  par  Philibert  de 
Beaujeu,  évoque  de  Bethléem,  le  siège  de  Langres  étant  vacant. 

Notre-Dame,  honorée  dans  ce  nouveau  sanctuaire  avec  un  empressement 
admirable,  y  prodigua  ses  plus  riches  faveurs.  Le  culte  de  Marie  prit  un  ac- 


NOTRE-DAME  D'ÉTANG,   AU  DIOCÈSE  DE  DIJON.  647 

croissement  merveilleux  dans  toute  la  province.  Pour  le  rendre  plus  glo- 
rieux encore  à  la  très-sainte  Vierge  et  plus  salutaire  aux  pèlerins,  l'abbé  de 
Saint-Bénigne  confia  Notre-Dame  d'Etang  au  zèle  des  religieux  Minimes, 
en  1633.  Son  espoir  ne  fut  pas  déçu  :  dès  1638,  il  fallut  agrandir  la  chapelle, 
l'hôtellerie  et  le  monastère.  Les  autorités  de  Dijon  applaudirent  à  ce  pro- 
jet, «  comme  important  au  service  de  Dieu  et  du  public»;  il  fut  permis  aux 
religieux  de  quêter  dans  la  ville,  et  les  Etats  de  Bourgogne  votèrent  trois 
cents  livres  pour  aider  aux  dépenses.  Louis  XIII  prit  l'établissement  sous  sa 
sauvegarde,  en  1640,  et  le  pape  Urbain  VIII  l'approuva  en  termes  élogieux. 

Les  religieux,  à  l'aide  de  leurs  quêtes,  élevèrent  leur  couvent  et  leur 
chapelle  ;  mais  malheureusement,  en  raison  de  la  modicité  de  leurs  res- 
sources, ils  bâtirent  si  peu  solidement,  qu'en  1685,  il  fallut  refaire  la  nef 
entière  de  la  chapelle.  Pierre  Mathon,  ancien  fauconnier  du  roi,  leur  vint 
en  aide,  et  ils  purent  relever  les  quatre  autels  qui  la  décoraient  autrefois. 
Peu  après,  un  habitant  de  Dijon  releva  à  ses  frais  la  chapelle  primitive  du 
sommet  de  la  montagne,  qui  tombait  de  vétusté.  Toutes  ces  restaurations 
firent  que  le  culte  de  Marie  fleurit  à  Notre-Dame  d'Etang  d'une  manière  ad- 
mirable ;  ce  saint  lieu  fut  très-fréquenté,  tant  des  habitants  que  des  pèle- 
rins qui  y  abondaient  de  toutes  parts  ;  une  confrérie  y  fut  établie,  et  elle 
réunit  en  très-peu  de  temps  une  multitude  de  membres  qui,  chaque  année, 
visitent  la  chapelle  et  y  reçoivent  la  sainte  communion,  et,  à  mesure  que  la 
dévotion  s'accroît ,  les  faveurs  sont  plus  abondantes  :  l'amour,  en  augmen- 
tant aux  cœurs  des  enfants,  attire  les  bienfaits  de  la  mère  de  la  grâce  divine. 
Notre-Dame  était  l'espoir  et  le  refuge  de  nos  aïeux.  Quand  les  ennemis  me- 
naçaient le  duché,  quand  des  troubles  l'agitaient,  que  la  peste  l'enveloppait 
ou  que  la  famine  le  dévorait,  ils  se  pressaient  au  pied  de  sa  statue  miracu- 
leuse, ils  la  portaient  en  procession  à  Dijon,  à  Saint-Seine...,  et  les  ennemis 
cédaient,  les  troubles  s'apaisaient,  la  peste  reculait  et  la  pluie  fécondait  la 
terre  desséchée,  le  soleil  y  ramenait  la  vie,  l'ange  de  la  colère  remettait  son 
épée  dans  le  fourreau,  et  Tarc-en-ciel  relevait  les  courages  abattus. 

Les  fidèles  de  Velars,  de  Plombières  et  de  Fleurey,  plus  voisins  de  la 
montagne  d'Etang,  regardaient  Notre-Dame  comme  leur  patronne  et  sin- 
gulière protectrice  ;  «  aussi  en  est-il  fort  peu  »,  dit  le  Père  Dejoux,  «  qui 
ne  soient  fort  soigneux  et  fort  exacts  de  venir  chaque  année  en  procession 
lui  témoigner,  par  une  protestation  respectueuse,  leur  amour  et  leur  fidélité. 
C'était  »,  ajoute-t-il,  «  un  spectacle  aussi  pieux  qu'agréable  de  voir  traverser 
les  montagnes,  les  vallées ,  les  champs  et  les  campagnes,  et  aborder  de 
toutes  parts  en  ce  saint  lieu  les  habitants  des  villages  circonvoisins,  mar- 
chant en  bel  ordre,  sous  la  bannière  et  la  croix  de  leurs  églises,  suivis  de 
leurs  curés,  et  faisant  retentir  les  airs  de  chants  en  l'honneur  de  Marie  ». 
Ceux  de  Plombières  obtinrent,  en  1708,  de  l'évêque  de  Langres,  François 
de  Clermont-Tonnerre,  l'ordonnance  de  chômer  la  fête  de  la  Visitation 
comme  un  dimanche,  avec  la  permission  d'aller  ce  jour-là  en  procession  à 
Notre-Dame  d'Etang. 

On  sait  que  sainte  Chantai  aimait  à  faire  ce  pèlerinage,  qu'elle  y  renou- 
vela ses  vœux  plusieurs  fois  et  les  signa  de  son  sang  sur  l'autel.  En  1604, 
elle  y  amena  saint  François  de  Sales.  A  genoux  aux  pieds  de  Notre-Dame, 
le  saint  évêque  épancha  son  âme  si  tendrement  dévouée  à  la  mère  de  Dieu, 
dans  une  prière  que  le  Père  Dejoux  a  transcrite  tout  au  long  :  «  Je  vous 
salue,  très-douce  vierge  Marie,  reine  des  solitudes...  Je  vous  conjure,  par 
les  merveilles  que  votre  bonté  a  daigné  opérer  sur  cette  montagne  qui  con- 
serve votre  image  miraculeuse,  que,  sans  avoir  égard  à  mes  péchés,  il  vous 


648  2  JUILLET. 

plaise...  ni" ;iccepter  pour  votre  fils  et  serviteur...,  m'accorder  toutes  mes 
justes  demaiides,  et  toutes  les  demandes  que  vous  fait  madame  de  Chan- 
tai... » 

Le  2  septembre  1604,  sainte  Chantai  y  prononça,  selon  ses  propres 
expressions,  le  «  vœu  à  la  divine  Majesté,  en  présence  de  la  glorieuse  vierge 
Marie,  de  perpétuelle  chasteté  et  obéissance  à  Monseigneur  de  Genève,  d'où 
il  o?t  vrai  de  dire  que  l'Ordre  de  la  Visitation,  qui  répand  dans  l'Eglise  un  si 
doux  parfum,  est  comme  une  plante  dont  le  premier  germe  descend  de  la 
sainte  monLagrte  d'Etang  ». 

En  1660,  Louis  XIV  et  Anne  d'Autriche,  sa  mère,  y  montèrent,  puis 
Marie-Thérèse  et  le  Dauphin,  accompagné  de  Bossuet,  que  sa  mère  avait 
voué  par  deux  fois  à  Notre-Dame  d'Etang.  Louis  de  Bourbon,  prince  de 
Condé,  y  venait  souvent  prier  et  entendre  la  sainte  messe  ;  il  orna  l'autel 
de  ses  dons  et  il  offrit  à  la  Vierge  miraculeuse  un  des  drapeaux  que  sa  vail- 
lante épée  avait  conquis  sur  les  ennemis  de  l'Etat.  Magnifique  hommage 
du  héros  chrétien  à  la  Vierge,  a  terrible  comme  une  armée  rangée  en  ba- 
taille ». 

La  Révolution  a  vendu  et  démoli  l'église  et  le  couvent  des  Minimes, 
mais  la  chapelle  primitive,  restaurée  à  plusieurs  reprises,  veille  encore  au 
sommet  de  la  montagne  où  la  statue  a  été  trouvée,  et  la  statue  elle-même, 
réclamée  avec  une  égale  ardeur  par  les  chrétiens  de  Plombières  et  de  Velars, 
a  été  accordée  à  ceux-ci  et  enrichit  leur  église. 

Le  pèlerinage,  interrompu  pendant  les  mauvais  jours,  se  continue,  le 
2  juillet,  comme  une  chaîne  dont  une  main  pieuse  a  rapproché  les  anneaux  ; 
la  confrérie  reçoit  de  nouveaux  membres,  et  la  montagne  entend  les  vœux 
des  enfants  de  Marie,  chaque  année  plus  empressés. 

Extrait  de  la  Vie  des  Saints  du  diocèse  de  Dijon,  par  Tabbé  Duplus.  —  Cf.  Notre-Dame  de  France, 
pav  M.  le  curé  de  Saint-Snlpice  ;  Histoire  de  Notre-Dame  d'Etang,  par  le  P.  Dejoux. 


NOTRE-DAME  D'AIX  &  DES  EAUX,  A  AIX-LES-BAINS 

AU  DIOCÈSE  DE  CHAMBÉRY 


Après  que  les  Romains  eurent  conquis  l'Allobrogie,  et  furent  venus  fon- 
der des  établissements  près  des  eaux  qui  donnèrent  leur  nom  à  Aix,  en  Sa- 
voie, cette  ville  eut  un  temple  de  Diane;  mais  quand  elle  eut  été  convertie 
au  christianisme,  elle  fut  dédiée  à  la  Reine  des  vierges.  On  dirait  que  l'au- 
guste Mère  de  Dieu,  qui  aida  si  puissamment  les  Apôtres  à  vaincre  le  paga- 
nisme, se  montra  particulièrement  jalouse  d'établir  son  culte  sur  les  ruines 
des  temples  où  le  démon  avait  réussi  à  le  fausser. 

Les  monuments  nous  manquent  pour  préciser  l'époque  où  fut  bâtie 
l'église  de  Notre-Dame  d'Aix.  Cette  ville  dut  avoir  son  temple  chrétien  sous 
les  premiers  rois  de  Bourgogne  et  du  temps  du  pieux  Gondran,  qui,  vers  le 
milieu  du  sixième  siècle,  se  montra  le  protecteur  de  la  religion  dans  ces 
contrées. 

Cette  église  fut  desservie  anciennement  par  les  chanoines  réguliers  de 
Saint- Augustin,  qui  étaient  des  prêtres  vivant  en  communauté,  d'après  une 


NOTEE -DAME   D'AIX  ET  DES   EAUX.  640 

règle,  et  selon  l'exemple  du  saint  évêque  d'Hippone,  qui  avait  établi  la  vie 
commune  entre  les  ministres  des  autels.  Ils  eurent  plusieurs  maisons  consi- 
dérables dans  l'ancien  décanat  de  Savoie. 

Les  seigneurs  d'Aixse  montrèrent  toujours  très-dévoués  pour  l'église  de 
Notre-Dame,  et  Claude  de  Seyssel,  évêque  de  Turin,  qui  joua  un  rôle  im- 
portant, au  commencement  du  seizième  siècle,  la  fît  ériger  en  collégiale 
insigne  par  le  pape  Léon  X,  en  1515.  Le  chapitre  d'Aix  se  composait  d'un 
doyen,  d'un  archidiacre,  d'un  chantre,  d'un  trésorier  et  de  neuf  chanoines. 

Dès  le  temps  des  premières  croisades,  l'église  de  Notre-Dame  d'Aix  fut 
enrichie  d'une  relique  considérable  de  la  vraie  croix,  que  lui  avait  apportée 
un  seigneur  au  retour  de  la  guerre  sainte,  à  laquelle  il  avait  pris  part.  Cette 
précieuse  relique  fut  tout  d'abord  en  grande  vénération,  et  les  miracles 
qu'elle  opéra  augmentèrent  encore  le  concours  des  fidèles.  Ils  venaient  de 
toutes  parts  se  prosterner  devant  elle,  et  se  rappeler,  en  sa  présence,  les 
souflrances  du  Dieu  crucifié. 

Le  temps  et  les  révolutions  avaient,  hélas  !  dépouillé  l'église  d'Aix  de 
ses  titres  et  de  son  ancien  éclat.  Les  reliques  qui  faisaient  sa  richesse  avaient 
disparu,  et  la  Vierge,  à  laquelle  elle  était  dédiée,  n'y  recevait  que  le  culte 
qui  lui  est  rendu  dans  tous  les  temples  catholiques.  Cet  oubli  était  d'autant 
plus  regrettable,  que  le  concours  des  étrangers  qui  viennent  chaque  année 
aux  eaux  d'Aix,  de  toutes  les  contrées  de  l'Europe,  allait  toujours  crois- 
sant. Il  semble  que  Marie,  Salut  des  infirmes,  ne  devait  être  nulle  part  plus 
honorée  que  là  où  accourent  toutes  les  infirmités,  et  que  les  saintes  solen- 
nités de  la  Vierge  très-pure  ne  devaient  être  en  aucun  lieu  plus  nombreuses 
que  dans  un  rendez-vous  oti  le  monde  étale  la  pompe  de  ses  fêtes  sédui- 
santes. 

Un  pieux  Lyonnais,  M.  Jacques  Orsel,  de  Lyon,  et  un  saint  prêtre  sa- 
voisien,  M.  l'abbé  Humbert  Pillet,  chanoine  de  la  métropole  de  Chambéry, 
qui  étaient  aux  eaux  d'Aix  en  1852,  comprirent  qu'il  y  avait  quelque  chose 
à  faire,  et  ils  proposèrent  de  raviver  le  culte  de  Marie  dans  l'église  qui  lui 
avait  toujours  été  consacrée. 

Leurs  cœurs  charitables  avaient  du  reste  été  vivement  touchés  en  voyant 
les  indigents  qui  venaient  aux  eaux,  et  dont  la  misère  faisait  un  contraste 
pénible  avec  l'opulence  des  privilégiés  de  la  fortune.  Il  eurent  donc  l'heu- 
reuse pensée  d'unir  les  œuvres  de  la  charité  à  celles  de  la  piété,  pour  hono- 
rer la  Mère  de  Dieu  sous  le  titre  de  Notre-Dame  des  Eaux. 

Le  but  proposé  ne  pouvait  être  plus  sûrement  atteint  que  par  le  moyen 
d'une  association;  elle  fut  créée  avec  l'autorisation  de  l'Ordinaire. 

«  La  fête  patronale  est  fixée  au  2  juillet,  jour  de  la  fête  de  la  Visitation 
de  la  sainte  Vierge  ;  les  quatre  autres  fêtes  de  l'Association  sont  :  Notre- 
Dame  du  Mont-Carmel,  le  16  juillet  ;  Notre-Dame  des  Neiges,  le  5  août;  le 
dimanche  dans  l'octave  de  l'Assomption,  et  la  Nativité,  le  8  septembre. 

«  Pendant  toute  la  saison  thermale,  on  célèbre  chaque  jour,  en  l'hon- 
neur de  Notre-Dame  des  Eaux,  à  l'heure  la  plus  convenable  pour  les  ma- 
lades, une  messe  spéciale  dans  la  chapelle  de  l'Œuvre.  Cette  messe  est  sui- 
vie de  la  récitation  d'un  Ave,  Maria,  et  de  la  double  invocation  :  Marie, 
salut  des  infirmes,  priez  pour  nous  1  Marie,  consolatrice  des  affligés,  priez  pour 

nous  ! 

«  Tous  les  samedis  soir,  on  chante,  dans  la  même  chapelle,  les  litanies 
de  la  sainte  Vierge  et  quelques  cantiques;  on  fait  une  instruction,  et  on 
donne  la  bénédiction  du  tvès-saint  Sacrement. 

tt  Les  ressources  de  l'Œuvre,  pour  secourir  les  malades  indigents  et  pour 


650  2  JUILLET, 

l'entretien  de  la  chapelle,  consistent  dans  l'offrande  volontaire  que  font 
les  récipiendaires,  le  jour  de  leur  admission;  dans  les  quêtes;  dans  le  pro- 
duit du  tronc  placé  dans  la  chapelle  de  l'Association;  dans  les  dons  et  legs 
particuliers;  dans  une  retenue  à  faire  sur  la  rétribution  des  messes  deman- 
dées à  Taulel  de  Notre-Dame  des  Eaux,  laquelle  tst  fixée,  dans  ce  but,  à 
deux  francs  '  ». 

Dès  l'an  1856,  M.  le  marquis  d'Aix  avait  cédé  sa  chapelle  pour  l'Œuvre 
de  Notre-Dame,  qui  fut  solennellement  inaugurée  le  27  juillet  de  cette  an- 
née-là. 

Un  illustre  confesseur  de  la  foi,  Mgr  Marilley,  évêque  de  Lausanne  et 
Genève,  présida  la  cérémonie,  et  M.  Duquesnay,  chanoine  de  Notre-Dame 
de  Paris,  fut  l'orateur  de  cette  fête. 

Le  26  juin  1857,  l'Association  de  Notre-Dame  des  Eaux  reçut  la  plus 
haute  approbation  qui  puisse  être  donnée  à  une  œuvre  catholique.  Pie  IX 
la  bénit  et  l'enrichit,  par  un  bref  spécial,  de  nombreuses  indulgences. 

«  Ayant  reçu  avis  »,  dit-il,  «  que  l'on  a  établi  canoniquement  dans  la 
paroisse  d"Aix,  diocèse  de  Chambéry,  une  Association  pieuse  et  charitable 
de  fidèles  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  en  l'honneur  de  la  Vierge  immaculée, 
Mère  de  Dieu,  sous  le  titre  de  Notre-Dame  des  Faux,  et  dont  les  membres 
se  proposent  d'exercer  les  œuvres  de  charité  qui  seront  déterminées  par  un 
règlement  canonique;  désirant  voir  cette  OEuvre  prendre  chaque  jour  de 
nouveaux  accroissements;  après  avoir  placé  notre  confiance  en  la  miséri- 
corde du  Dieu  tout-puissant  et  dans  l'autorité  des  apôtres  saint  Pierre  et 
saint  Paul,  nous  accordons  à  cet  effet  : 

«  1°  Une  indulgence pléniere,  le  premier  jour  de  leur  admission,  à  tous 
les  fidèles  de  l'un  et  de  l'autre  sexe  qui  seront  désormais  agrégés  à  cette 
Association 

«  2°  Une  indulgence  pléniere,  à  l'article  de  la  mort,  à  tous  les  associés 
présents  et  futurs  de  ladite  confrérie 

«  3°  Une  indulgence  pléniere  à  tous  les  membres  de  ladite  Association  qui 
visiteront  dévotement  l'église,  la  chapelle  ou  l'oratoire  de  l'Œuvre,  le  jour 
de  la  ôLe  patronale  annuelle  choisi  par  les  associés  et  approuvé  par  l'Ordi- 
naire  

«  4°  Une  indulgence  de  sept  ans  et  sept  quarantaines  à  tous  les  associés  qui, 
au  moins  contrits,  visiteront  —  en  priant  aux  intentions  du  souverain  Pon- 
tife—  l'église,  la  chapelle  ou  l'oratoire  de  l'Association  aux  quatre  jours 
de  l'année  qui  auront  été  choisis  par  les  confrères  et  approuvés  par  l'Or- 
dinaire ». 

Pie  IX,  outre  quelques  autres  indulgences  partielles,  accorde  les  faveurs 
de  l'autel  privilégié  pour  la  chapelle  de  Notre-Dame  des  Eaux,  et  toutes  les 
indulgences  sont  applicables  aux  âmes  du  purgatoire. 

Extrait  de  Notre-Dame  de  Savoie,'  par  M.  l'abbé  F.  Grobel. 

1.  Extrait  des  Kfeglaments  de  l'Œuvre  de  Notre-Dame  des  Eaux. 


NOTRE-DAME  DE  TORCÉ,   AU  DIOCÈSE  DU  MANS.  651 


NOTRE-DAME  DE  TORGÉ,  AU  DIOCÈSE  DU  MANS 


Notre-Dame  de  Torcé,  dans  le  canton  de  Montfort,  est  située  au  fond 
d'un  agréable  vallon.  Au  vi«  siècle,  des  solitaires  étant  venus  se  fixer  en  cet 
endroit,  y  élevèrent  une  chapelle  à  la  sainte  Vierge  sous  un  gros  chêne,  à 
côté  d'un  autel  druidique  dont  la  pierre  se  voit  encore  aujourd'hui. 

En  1063,  un  prieuré  pour  deux  moines  y  fut  fondé,  et  l'église  parois- 
siale fut  donnée  à  des  religieux  de  Marmoutiers  avec  tous  les  droits  qui  y 
étaient  annexés,  à  la  charge  par  eux  d'y  entretenir  un  curé  pour  le  service 
paroissial.  A  partir  de  cette  époque,  la  dévotion  des  fidèles  envers  Notre- 
Dame  de  Torcé  s'accrut  chaque  jour.  Aux  différentes  fêtes  de  la  Vierge,  la 
foule  des  visiteurs  encombrait  le  pieux  pèlerinage.  Les  donations  à  la  sainte 
chapelle  allèrent  toujours  croissant,  et  avec  l'aide  des  seigneurs  de  Mont- 
fort,  on  put  reconstruire  et  embellir  ce  sanctuaire  de  Marie.  Une  confrérie 
s'y  établit,  dans  le  double  but  d'honorer  la  sainte  Vierge  par  des  exercices 
et  des  prières  en  commun,  et  d'unir  les  fidèles  entre  eux  par  les  liens  d'une 
charité  plus  intime.  Les  souverains  Pontifes  ayant  enrichi  cette  confrérie 
de  plusieurs  indulgences,  un  grand  nombre  de  fidèles  voulurent  s'y  as- 
socier. 

Les  pèlerins  devinrent  bientôt  si  nombreux  que  pour  les  loger  on  fut 
obligé  de  construire  des  hôtelleries  autour  de  l'église.  Ils  venaient  non-seu- 
lement du  voisinage,  mais  du  Perche,  de  la  Normandie,  et  des  confins  de  la 
Bretagne  les  plus  éloignés  ;  et  ce  n'était  pas  seulement  des  particuliers, 
mais  souvent  des  paroisses  entières  qui  y  venaient  chaque  année  sous  la  con- 
duite de  leur  curé.  Avant  d'entrer  à  l'église,  les  pèlerins  allaient  se  laver  les 
pieds  et  les  mains  à  une  fontaine  voisine,  nommée  la  fontaine  du  Miracle 
ou  la  fontaine  de  Notre-Dame  ;  et,  à  leur  départ,  ils  en  remportaient  de  l'eau 
dans  une  fiole,  pleins  de  confiance  dans  sa  vertu  surnaturelle. 

Au  XIV'  et  au  xv*  siècle,  le  pèlerinage  prit  de  nouveaux  accroissements. 
Les  fidèles  serviteurs  de  Marie  se  faisaient  un  bonheur  de  combler  de  leurs 
riches  aumônes  la  sainte  chapelle,  et  à  venir  s'y  agenouiller  humblement  et 
prier  dévotement.  Les  Dominicains  du  Mans  enrichirent  ce  pieux  sanctuaire 
de  quelque  chose  de  meilleur  que  toutes  les  offrandes  des  grands  :  ils  y  éta- 
blirent le  Tiers  Ordre  de  Saint-Dominique,  et  cette  institution  y  produisit 
des  fruits  merveilleux.  Ceux  qui  en  faisaient  partie  soignaient  les  malades, 
assistaient  les  pauvres,  instruisaient  les  ignorants,  et  par  l'exemple  de  leur 
sainte  vie,  ils  ramenaient  les  pécheurs  à  la  pratique  du  devoir,  faisaient 
bénir  et  admirer  la  religion.  Le  nom  de  Notre-Dame  de  Torcé  figurait  à 
côté  des  pèlerinages  de  France  les  plus  célèbres. 

Dès  le  XIV'  siècle  on  avait  élevé,  en  avant  du  vieux  portail,  la  tour  qui  est 
encore  debout,  et  on  avait  ajouté,  du  côté  du  midi,  un  bas  côté  depuis  le 
bas  de  la  nef  jusqu'à  l'abside;  mais  à  la  fin  du  xV  siècle,  pour  agrandir 
l'église,  qui  ne  suffisait  plus  au  nombre  des  pèlerins,  on  bâtit  une  abside  à 
trois  pans,  deux  chapelles  rectangulaires,  dont  une  faisait  suite  au  bas  côté 
précédemment  construit,  l'autre  attendait  le  bas  côté  qu'on  construisit  plus 
tard  :  et  ces  constructions  qu'on  pourrait  presque  appeler  une  réédification 
entière,  furent  terminées  au  xvi'  siècle. 

L'image  vénérée  de  Notre-Dame,  que  l'on  voit  aujourd'hui  au  grand 


652  2  JUILLET. 

autel,  fut  couronnée  de  la  part  du  Saint-Siège  le  2  juillet  1855.  Mais  outre 
cette  statue  principale,  il  y  en  avait  une  sur  chaque  porte  extérieure  de 
l'église,  afin  de  raviver  l'espoir  du  pieux  pèlerin,  avant  même  qu'il  eût 
passé  le  seuil  du  sanctuaire  ;  il  y  en  avait  aussi  plusieurs  autres  dans  les 
vitraux. 

Ce  sanctuaire  était  très-florissant,  lorsque,  au  xvi'  siècle,  les  protestants 
se  répandirent  comme  un  torrent,  parcourant  les  campagnes,  jour  et  nuit, 
à  bandes  armées,  assassinant  les  catholiques,  dévastant  les  églises,  mais, 
chose  remarquable,  et  qui  dénote  une  protection  visible  du  ciel,  le  sanc- 
tuaire de  Torcé,  au  milieu  de  ce  bouleversement  général,  non-seulement 
demeura  debout  et  échappa  à  la  profanation,  mais  fut  visité,  chaque  année, 
comme  dans  les  époques  les  plus  pacifiques,  par  une  foule  innombrable  de 
pèlerins  et  même  nar  des  paroisses  entières.  Le  8  septembre  était  le  jour 
chéri  des  pèlerins  :  alors  depuis  la  veille  au  soir  jusqu'à  la  grand'messe  du 
jour,  plusieurs  prêtres  étaient  occupés,  les  uns  à  réciter  des  Evangiles  sur 
les  fidèles,  les  autres  à  recevoir  leurs  offrandes. 

La  Mère  de  Dieu  répondait  à  ces  témoignages  de  piété  par  des  faveurs 
insignes  :  tantôt  elle  faisait  cesser  la  sécheresse  et  la  stérilité,  guérissait 
les  malades,  détournait  la  grêle,  arrêtait  la  peste  ;  tantôt  elle  ramenait  à 
l'Eglise  les  hérétiques  les  plus  illustres,  tels  que  le  seigneur  de  Lorme,  gen- 
tilhomme ordinaire  de  la  chambre  du  roi  en  1685,  de  Mlle  Le  Blond  en 
1693.  D'illustres  visiteurs,  parmi  lesquels  on  comptait  des  rois,  des  évêques, 
des  seigneurs,  jaloux  de  faire  louer  la  sainte  Vierge  dans  son  sanctuaire, 
même  après  leur  mort,  y  fondèrent,  les  uns  le  chant  des  litanies  de  Lorette, 
les  autres  le  chant  du  Stabat  Mater,  du  Sub  tuum,  ou  de  quelque  autre 
prière,  de  sorte  que,  chaque  jour,  la  voix  des  vivants  redisait,  au  nom  des 
morts,  l'amour  qu'avaient  porté  à  la  sainte  Vierge  les  générations  précé- 
dentes. 

Ces  concerts  journaliers  à  la  gloire  de  Marie  ne  cessèrent  qu'en  93  ;  alors 
les  prêtres  furent  exilés,  les  ornements,  les  vases  sacrés,  les  ex-voto  disper- 
sés, vendus  ou  pillés,  et  l'église  qu'avait  respectée  l'hérésie  fut  dévastée  par 
l'impiété  ;  les  murailles  seules  restèrent  debout.  Les  fidèles  n'en  vinrent  pas 
moms  prier  devant  ses  portes  fermées  ;  et  ni  les  sarcasmes,  ni  les  menaces, 
ni  les  pierres  même  qu'on  lançait  contre  les  visiteurs  ne  purent  arrêter  la 
foi  des  peuples.  Plusieurs  paroisses  continuèrent,  même  au  plus  fort  de  la 
terreur,  d'y  accomplir,  au  moins  par  une  députation  des  principaux  habi- 
tants, le  vœu  de  leurs  ancêtres,  persuadés  que  sans  cela  la  grêle  et  les 
orages  ravageraient  leurs  moissons.  Rarement  le  saint  sacrifice  y  fut  inter- 
rompu, grâce  à  l'intrépidité  des  prêtres  qui,  trompant  leurs  persécuteurs, 
venaient  en  secret  oflrir  aux  habitants  des  environs  la  consolation  d'assister 
à  la  célébration  des  saints  mystères. 

Dès  que  la  liberté  fut  rendue  au  culte,  on  rouvrit  le  pieux  sanctuaire, 
on  répara  le  mieux  possible  les  dégâts  de  l'impiété,  les  saints  offices  y  furent 
célébrés  avec  toute  la  pompe  que  comportait  une  pauvre  campagne,  et  les 
processions  des  pèlerins  recommencèrent.  Encore  aujourd'hui  un  grand 
nombre  de  paroisses  y  viennent  en  pèlerinage,  à  jours  fixes  ;  les  autres  s'y 
rendent  par  bandes  détachées,  de  telle  sorte  qu'on  y  compte  ordinairement, 
le  2  juillet,  de  sept  à  huit  mille  fidèles  et  en  égal  nombre  à  diverses  autres 
époques  de  l'année. 

Extrait  de  Noire-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Sulplce. 


NOTRE-DAME   d'eSQUERMES,    AU  DIOCESE  DE  CAIIBRAI.  653 


NOTRE-DAME  D'ESQUERMES, 

AU  DIOCÈSE  DE  CAMBRAI 


Le  pèlerinage  d'Esquermes,  entre  Loos  et  Lille,  est  le  plus  ancien  de  tout 
le  pays,  puisqu'il  remonte  à  l'an  1014.  Selon  une  tradition  constante 
recueillie  par  tous  les  historiens,  la  première  image  vénérée  à  Esquermes 
fut  découverte  par  les  signes  de  respect  que  faisaient  paraître  des  brebis  en 
passant  près  d'un  buisson  oti  elle  était  cachée.  Alors,  dit  la  légende,  malgré 
les  chiens  qui  les  pressaient,  ces  brebis  s'arrêtaient,  et  tombaient  les  genoux 
en  terre,  à  la  manière  des  suppliants.  Les  bergers,  surpris  de  ce  fait  merveil- 
leux, examinèrent  le  buisson  et  y  découvrirent  la  statue.  Pleins  de  respect 
pour  la  nouvelle  image  de  Marie,  ils  prièrent  tous  les  jours  à  ses  pieds.  Les 
grâces  particulières  qu'ils  en  obtinrent  en  engagèrent  d'autres  à  y  venir 
prier  comme  eux  ;  et  bientôt  le  buisson  devint  un  lieu  de  pèlerinage.  Bau- 
douin, comte  de  Flandre,  qui,  depuis  dix-sept  ans,  souffrait  d'un  flux  de 
sang,  vint,  comme  ses  sujets,  se  prosterner  devant  la  sainte  image,  et  il  y 
fut  guéri.  Par  reconnaissance,  il  bâtit,  à  l'endroit  même  du  buisson,  la  cha- 
pelle qu'on  y  voit  encore  aujourd'hui,  et  y  attacha  un  chapelain,  avec 
charge  d'y  célébrer,  chaque  semaine,  un  certain  nombre  de  messes,  et  d'y 
chanter  les  Vêpres ,  tous  les  samedis  et  jours  solennels. 

Les  faveurs  signalées  que  Marie  répandait  dans  sa  chapelle  d'Esquermes 
y  attiraient  chaque  jour  une  foule  de  pèlerins,  qui  venaient  des  endroits 
même  les  plus  éloignés,  souvent  pieds  nus,  en  procession,  chantant  les 
louanges  de  Dieu  et  de  sa  sainte  Mère.  On  y  venait  surtout  pour  obtenir  la 
pacification  des  différends  ou  la  réconciliation  des  ennemis  ;  et  ce  pèleri- 
nage était  recommandé  par  les  confesseurs  comme  un  excellent  remèdo 
contre  les  tentations  de  haine,  de  ressentiment  ou  de  vengeance.  Là,  Maric^ 
se  plaisait  à  répandre  l'esprit  de  paix  et  de  charité  dans  les  cœurs  ulcérés, 
et  justifiait  admirablement  le  titre  de  Notre-Dame  de  Réconciliation  sous 
lequel  on  l'invoquait  dans  cette  chapelle. 

En  voici  quelques  exemples  :  Saint  Grégoire  VII,  ce  défenseur  intrépide 
des  opprimés,  informé  de  la  dureté  avec  laquelle  Robert  le  Frison  traitait 
plusieurs  de  ses  vassaux,  qu'il  avait  condamnés  au  bannissement  et  à  la 
perte  de  tous  leurs  biens,  écrivit  à  ce  prince,  pour  l'inviter  à  la  miséri- 
corde ;  et  afin  de  mieux  assurer  le  succès  d'un  message  aussi  délicat,  il  en 
chargea  saint  Arnoul,  évêque  de  Soissons,  dont  il  estimait  spécialement  la 
haute  prudence.  Saint  Arnoul,  qui  connaissait  le  caractère  violent  et  in- 
flexible du  comte  Robert,  commence  sa  mission  par  un  pèlerinage  à  Notre- 
Dame  d'Esquermes.  De  là,  il  se  rend  auprès  du  prince,  et  lui  remet  la  lettre 
du  Pape.  Pendant  que  celui-ci  en  prend  lecture,  voilà  que  quelques-uns  des 
vassaux  disgraciés  arrivent  inopinément,  et  tombent  à  ses  genoux  en  sup- 
pliants. A  cette  vue,  il  pâlit,  et  la  fureur  étincelle  dans  son  regard  ;  on 
tremble,  on  s'attend  qu'il  va  sévir  d'une  manière  terrible  ;  mais,  chose  mer- 
veilleuse, tout  à  coup  son  cœur  est  changé  ;  il  pardonne  à  ses  vassaux  et  les 
remet  en  possession  de  tous  leurs  biens. 

Un  autre  trait  non  moins  remarquable  nous  révèle  encore  la  spécialité 


654  2  JUILLET. 

de  cette  chapelle  :  Un  particulier,  nommé  Pierre  Borgne,  avait  un  ennemi 
implacable  appelé  Baudouin  Langlé  :  un  jour,  ce  dernier,  ayant  appris  que 
Pierre  s'était  rendu  à  la  chapelle  d'Esquermes,  se  met  en  embuscade  sur  la 
route,  et  au  moment  où  Pierre  s'en  retournait  sans  défiance  ,  il  se  précipite 
sur  lui  en  furieux,  brandissant  son  épée  et  brûlant  d'assouvir  sa  haine. 
Mais,  ô  prodige  I  son  arme  lui  échappe  des  mains  ;  il  tombe  aux  pieds  de 
celui  dont  il  voulait  faire  sa  victime,  et  lui  demande  pardon.  Pierre  relève 
cet  ennemi  repentant;  tous  deux  s'embrassent,  se  jurent  une  amitié  éter- 
nelle, et  de  concert  ils  font  peindre  le  fait  de  leur  réconciliation  sur  le  por- 
tail de  la  chapelle,  afin  qu'à  jamais  la  postérité  sache  le  miracle  de  grâce 
opéré  en  leur  faveur. 

Ces  faits,  et  autres  semblables  que  racontent  les  historiens,  mirent  de 
plus  en  plus  en  vogue  Notre-Dame  d'Esquermes  ;  et  la  foule  s'y  pressa  jus- 
qu  au  XVII*  siècle.  Vers  cette  époque,  l'empressement  paraissant  se  refroidir, 
on  confia  aux  Jésuites,  en  1636,  le  soin  de  la  chapelle,  avec  la  mission  de 
faire  refleurir  l'antique  pèlerinage.  Ceux-ci,  pour  attirer  la  piété  des  fidèles, 
imaginèrent  de  leur  présenter  la  vie  et  la  mort  de  la  sainte  Vierge  sous  une 
forme  nouvelle,  qui  consistait  à  honorer  les  huit  voyages  dont  se  compose 
son  histoire.  En  conséquence,  sur  le  chemin  qui  conduisait  à  la  chapelle, 
ils  élevèrent,  de  distance  en  distance,  de  petits  oratoires,  dont  le  premier 
représentait  le  voyage  de  Marie  au  temple,  à  l'âge  de  trois  ans,  pour  s'y 
consacrer  à  Dieu;  le  second,  son  voyage  chez  sa  cousine  sainte  Ehsabeth  ; 
le  troisième,  son  voyage  à  Bethléem,  pendant  lequel  naquit  l'enfant  Jésus; 
le  quatrième,  son  voyage  à  Jérusalem,  pour  la  présentation  de  Jésus  au 
temple  ;  le  cinquième,  la  fuite  en  Egypte  ;  le  sixième,  le  second  voyage  à 
Jérusalem,  lorsque  l'enfant  Jésus  avait  douze  ans,  et  le  retour  dans  cette 
ville  pour  l'y  chercher  ;  le  septième,  le  voyage  au  Calvaire  lors  de  la  mort 
du  Sauveur.  Après  ces  stations,  on  arrivait  à  la  chapelle  ;  et  là  se  trouvait, 
au-dessus  du  portail,  un  tableau  représentant  le  huitième  voyage  de  la 
sainte  Vierge,  ou  son  départ  pour  le  ciel  :  on  y  voyait  les  anges  accourant 
k  sa  rencontre  et  son  Fils  venant  au-devant  d'elle,  pour  l'inviter  à  partager 
sa  gloire,  comme  elle  avait  partagé  ses  opprobres. 

Quand  fut  terminé  tout  ce  beau  travail,  les  Jésuites  commencèrent  par 
une  fête  pompeuse  la  prise  de  possession  de  la  chapelle.  Le  soir  du  samedi 
après  la  Visitation,  toute  la  jeunesse  de  leur  collège  de  Lille  vint  proces- 
sionnellement  à  Esquermes  chercher  l'image  miraculeuse,  et  l'apporta,  à  la 
lueur  des  flambeaux  et  au  son  des  plus  délicieuses  mélodies,  dans  l'église 
du  collège.  Le  lendemain,  la  fête  fut  plus  belle  encore  ;  il  y  eut,  dans  cette 
église,  de  magnifiques  offices  ;  la  foule  s'y  pressa  du  matin  au  soir,  avide  de 
contempler  et  de  prier  la  Vierge  d'Esquermes  ;  et,  vers  la  fin  du  jour,  une 
nouvelle  et  splendide  procession  reconduisit  la  statue  vénérée  dans  son  an- 
tique chapelle.  Cette  fête  réveilla  la  foi  des  fidèles,  qui  reprirent  le  chemin 
du  sanctuaire  d'Esquermes,  et  la  piété  s'y  porta  comme  dans  les  plus  beaux 
jours  de  sa  gloire.  Il  en  fut  ainsi  jusqu'à  93.  Alors  la  sainte  image  disparut, 
les  sept  oratoires  furent  démolis  ;  resta  seulement  la  chapelle  qui,  après 
avoir  servi  d'église  paroissiale  depuis  la  démolition  de  celle  d'Esquermes 
par  les  révolutionnaires,  jusqu'à  sa  reconstruction  récente,  est,  comme 
autrefois,  réservée  uniquement  au  culte  de  la  sainte  Vierge  ;  on  l'a  magni- 
fiquement réparée,  et  c'est  aujourd'hui  un  des  plus  gracieux  sanctuaires  de 
la  contrée.  Une  suite  de  peintures,  le  long  des  murailles,  y  reproduit  les 
faits  principaux  du  pèlerinage,  en  particulier  l'apparition  aux  bergers,  le 
vœu  de  Baudouin,  la  réconciliation  de  deu:^  ennemis  à  la  vue  de  la  chapelle; 


KOTEE-DAME   DU   CHÊNE,    AU  DIOCÈSE   DE  LAVAL.  Gdj 

et  uno  grande  fresque  au  fond  du  sanctuaire  représenle  le  couronnement 
de  la  Vierge  dans  les  cieux.  La  chapelle,  ainsi  décorée,  sert  d'annexé  à 
l'éghse  paroissiale  et  de  salle  de  catéchisme  pour  les  enfants  ;  mais  des 
obstacles  qu'on  espère  soulever  n'ont  pas  encore  permis  d'y  rétablir  le  pèle- 
rinage. ■ 

Extrait  de  Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice. 


NOTRE-DAME  DU  GHÈNE,  AU  DIOCÈSE  DE  LAVAL 


Notre-Dame  du  Chône,  sur  la  paroisse  de  Saint-Martin  de  Connée,  re- 
monte aux  dernières  années  du  seizième  siècle,  et  fut  bâtie  par  sire  de 
Belin,  riche  seigneur  du  pays,  qui,  poursuivi  par  un  bœuf  furieux,  tomba  à 
genoux  au  pied  d'un  chêne  où  était  incrustée  une  statue  de  la  Vierge,  et  fit 
vœu,  s'il  échappait  au  danger,  de  se  convertir  à  une  vie  meilleure,  et  de 
bâtir,  en  ce  lieu-là  même,  une  chapelle  à  Marie.  L'animal  aussitôt  s'apaise 
et  devient  inoITensif.  M.  de  Belin  fait  élever  la  chapelle  en  renfermant  le 
chêne  entre  ses  murs  ;  il  la  dote  et  y  établit  un  chapelain.  Des  pèlerins  y 
accourent,  et  leur  affluence  fait  bientôt  surgir  des  hôtelleries  pour  les  rece- 
voir, des  marchands  pour  leur  vendre  des  médailles  et  autres  objets  pieux 
qu'ils  faisaient  toucher  à  la  statue,  enfin  un  village  ou  plutôt  un  bourg  tout 
entier  pour  pourvoir  à  tous  les  besoins  et  à  tous  les  vœux  des  voyageurs. 
Car  ce  n'était  pas  seulement  des  particuliers  qui  venaient  visiter  Notre-Dame 
du  Chêne  :  des  corporations  en  masse  y  venaient  processionnellement  :  tan- 
tôt c'étaient  des  religieux,  surtout  les  Bénédictins  d'Evron  ;  tantôt  c'étaient 
des  paroisses  entières,  et  chaque  année  en  voyait  arriver  près  de  trente, 
dans  le  cours  seul  du  mois  de  juillet.  Non  contents  de  prier  eux-mêmes 
dans  ce  béni  sanctuaire,  les  fidèles  y  faisaient  fréquemment  célébrer  le  saint 
sacrilice,  tantôt  pour  les  défunts,  tantôt  pour  des  intentions  particulières  ; 
et  un  grand  nombre  de  testaments,  dont  plusieurs  se  sont  conservés,  stipu- 
laient des  messes  à  dire  à  l'autel  de  Notre-Dame  du  Chêne. 

Ces  saintes  démonstrations  de  la  foi  furent  nécessairement  suspendues 
aux  jours  néfastes  de  93.  Le  pieux  sanctuaire  fut  profané,  mis  en  vente  et 
la  sainte  statue  brisée.  Heureusement  un  pieux  habitant  acheta  la  chapelle, 
recueillit  religieusement  les  morceaux  de  la  statue,  les  cacha  dans  le  tronc 
du  vieux  chêne,  et  ouvrit  le  saint  lieu  aux  iidèlesqui  continuèrent  d'y  venir 
prier  tous  les  jours,  surtout  chaque  dimanche.  Quand  la  paix  fut  rendue  à 
l'Eglise,  l'évoque  du  Mans  autorisa  l'exercice  du  culte  dans  la  sainte  cha- 
pelle, les  pasteurs  y  ramenèrent  leurs  troupeaux,  et  les  pèlerinages  recom- 
mencèrent :  toutefois  une  chose  manquait  à  la  piété  de  tous,  c'était  la 
statue  vénérée  :  le  pieux  acquéreur  de  la  chapelle  était  mort  emportant 
dans  la  tombe  le  secret  du  lieu  où  il  en  avait  caché  les  morceaux  brisés  :  enfin 
en  1860,  le  vicaire  de  Saint-Martin  les  découvrit,  et  les  confia  à  un  artiste 
habile  qui  refit  la  statue.  Cette  sainte  image  ainsi  recomposée  fut  portée  en 
procession  depuis  Saint-Martin  jusqu'à  la  chapelle,  au  milieu  d'une  foule 
immense  toute  radieuse  de  bonheur,  des  arcs  de  triomphe  élevés  de  distance 
en  distance,  et  au  chant  des  cantiques  que  redisait  l'allégresse  publique. 
Depuis  cette  époque,  las  pèlerinages  sont  devenus  plus  nombreux  que  ja- 


656  2  JUILLET. 

mais  ;  les  paroisses  s'y  rendent  avec  empressement,  et  les  prodiges  de  la 
bonté  toute-puissante  de  la  sainte  Vierge  s'y  multiplient.  Les  miracles  à 
Notre-Dame  du  Chêne  sont  choses  fréquentes  depuis  l'origine  de  la  chapelle 
jusqu'à  nos  jours  :  si  les  preuves  pour  les  temps  anciens  n'en  sont  pas  con- 
servées par  écrit,  parce  que  la  révolution  a  brûlé  toutes  les  archives  de  ce 
saint  lieu,  elles  sont  écrites  dans  la  mémoire  des  peuples,  et  se  traduisent 
par  la  vénération  constante,  la  confiance  sans  borne  et  l'affluence  prodi- 
gieuse des  pèlenns.  Quant  à  nos  jours,  d'innombrables  témoins  sont  là  pour 
attester  des  faits  qu'on  ne  peut  expliquer  sans  une  intervention  surnatu- 
relle. 

Voir  Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Salnt-Sulpîce. 


NOTRE-DAME  DE  LA  FONT -SAINTE, 

AU  DIOCÈSE  DE  SAINT-FLOUR 


Le  pèlerinage  de  la  Font-Sainte,  à  l'est  de  Mauriac,  n'était  dans  le  prin- 
cipe qu'une  source  vulgaire  dont  les  eaux  avaient  la  limpidité  du  cristal,  et 
que  la  religion  dédia  à  Marie,  en  élevant  au-dessus  une  petite  chapelle  à  la 
sainte  Vierge.  Un  testament  trouvé  aux  archives  de  l'église  d'Apchon,  et 
daté  de  l'année  1555,  contient  un  legs  pieux  de  soixante-dix  livres  à  la  cha- 
pelle de  la  Font-Sainte  :  preuve  évidente  que  cet  oratoire  existait  antérieu- 
rement à  cette  date.  En  vain  les  protestants  détruisirent  la  chapelle  ;  on 
n'en  vint  pas  moins  en  pèlerinage  à  la  source  consacrée  à  la  Vierge  ; 
et,  en  1744,  on  rebâtit  l'oratoire  comme  il  était  autrefois.  En  1837,  on  y 
ajouta  une  chapelle  assez  spacieuse  pour  contenir  un  bon  nombre  de  pèle- 
rins, et  assez  décente  pour  qu'on  puisse  y  entendre  les  confessions  et  y  cé- 
lébrer les  saints  mystères  :  deux  choses  impossibles  dans  l'ancien  oratoire, 
tant  il  était  étroit  et  modeste.  L'oratoire  offre  à  la  vénération  des  fidèles 
l'antique  groupe  représentant  la  Visitation,  qu'on  dit  avoir  été  apporté 
d'Orient  au  temps  des  croisades  ;  et  la  chapelle  possède  une  petite  statue 
donnée  autrefois  par  l'évêque  de  Glermont,  qu'on  appelle  la  statue  mira- 
culeuse de  Notre-Dame  de  la  Font-Sainte.  L'érection  de  cette  chapelle  a 
attiré  un  grand  nombre  de  pèlerins  ;  et  chaque  année  ce  nombre  va  crois- 
sant. Pendant  les  jours  de  neige  et  de  frimas,  c'est-à-dire  pendant  huit  mois 
et  demi  de  l'année,  où  l'accès  de  la  montagne  est  presque  impossible,  on 
honore  Notre-Dame  de  la  Font-Sainte  dans  la  chapelle  qui  lui  est  consacrée 
à  l'église  paroissiale  de  Saint-Hippolyte,  et  qui  conserve,  pendant  ce  temps, 
la  statue  miraculeuse  ;  mais  le  2  juillet,  lorsque  les  grands  et  beaux  jours 
sont  venus,  le  pèlerinage  a  lieu  à  la  montagne  oîi  l'on  transporte  ce  jour-là 
la  statue,  au  milieu  d'un  concours  immense  de  pèlerins.  Dès  la  veille,  ceux- 
ci  arrivent  à  Saint-Hippolyte  ;  mais  ne  pouvant  les  loger  tous,  on  les  laisse 
passer  la  nuit  dans  l'église,  oil,  comme  les  premiers  chrétiens  des  cata- 
combes, ils  prient  sans  se  lasser.  Le  lendemain,  dès  l'aurore,  toutes  les 
cloches  annoncent  le  plus  beau  jour  de  fête  de  la  montagne  ;  de  toutes  les 
paroisses  d'alentour,  on  accourt  se  mêler  aux  étrangers  venus  de  la  veille  ; 
l'église  Saint-Hippolyte  est  encombrée.  Vers  cinq  heures  et  demie  on  célèbre 


NOTRE-DAME   D'eSPÉRANCE,  A  SAINT-BRIEUC.  657 

une  première  messe  où  presque  tous  communient.  Vers  sept  heures  et  de- 
mie commence  la  procession  pour  porter  à  la  montagne  sur  un  magnifique 
brancard  la  statue  miraculeuse.  Tous  se  groupent  autour  de  l'image  sainte, 
chantant  des  cantiques  ou  récitant  des  prières  :  arrivé  au  sommet,  on 
n'aperçoit  de  toutes  parts  que  des  rangs  de  fidèles,  si  serrés  qu'on  dirait 
autant  de  processions  s'avançant  vers  la  chapelle  par  les  divers  chemins  qui 
y  conduisent.  A  onze  heures,  se  célèbre  en  plein  air  la  messe  solennelle, 
qu'interrompt  un  discours  touchant  sur  la  sainte  Vierge  ;  et  le  soir,  après 
un  repas  frugal  pris  sur  le  gazon,  on  revient  assister  aux  Vêpres,  suivies  de 
la  bénédiction  du  Saint-Sacrement. 

A  dater  de  cette  cérémonie,  chaque  jour  est  comme  un  jour  de  fête  par 
Taffluence  des  pèlerins  qui  s'y  trouvent  ;  les  dimanches  surtout,  le  26  juillet, 
le  15  août  et  le  8  septembre,  sont  de  vraies  solennités,  qui  n'ont  d'égales 
que  celle  de  la  mi-octobre,  oij  se  célèbre  la  fête  du  retour  de  la  statue 
miraculeuse  à  l'église  Saint-Hippolyte. 

Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Salpîce. 


NOTRE-DAME  D'ESPERANCE,  A  SAINT-BRIEUG 


La  chapelle  de  Saint-Pierre,  à  Saint-Brieuc,  possédait  autrefois  Notre- 
Dame  d'Espérance.  Fondée  vers  le  milieu  du  xiy'  siècle,  agrandie  ensuite, 
vers  1375,  cette  chapelle  fut  enfin  rebâtie,  en  1717,  par  une  congrégation 
de  marchands  et  artisans,  qui  ne  l'avait  obtenue  qu'à  cette  condition. 
Quand  le  nouvel  édifice  fut  terminé,  le  17  février  1719,  il  fut  bénit  sous  le 
triple  vocable  de  l'ImmacuIée-Conception,  et  des  apôtres  saint  Pierre  et 
saint  Paul,  et  reçut,  au  mois  de  novembre  suivant,  deux  cents  membres  de 
la  congrégation  pour  leur  retraite  annuelle.  En  1764,  on  y  plaça,  dans  une 
niche  gracieuse,  une  petite  statue  de  saint  Pierre  avec  une  autre  de  saint  Paul. 

On  trouverait  difficilement  un  sanctuaire  qui  ait  subi  autant  de  vicissi- 
tudes, tour  à  tour  retiré  et  rendu  au  culte,  converti  du  sacré  au  profane  et 
du  profane  au  sacré,  et,  dans  une  de  ces  alternatives,  servant  de  chapelle 
d'ordination,  où  Mgr  de  Quélen,  depuis  archevêque  de  Paris,  reçut  le  sous- 
diaconat.  En  1817,  béni  de  nouveau,  il  fut  rendu  à  la  congrégation  des 
marchands  et  artisans,  qui  y  prospéra.  Après  1848,  dans  ces  jours  d'incerti- 
tude et  de  terreur,  où  la  société  chancelait  comme  un  homme  ivre,  et  où 
le  sol  tremblait  sous  le  pied,  on  y  établit  une  association  religieuse  sous  le 
titre  de  Notre-Dame  d'Espérance,  dans  le  but  d'obtenir,  par  l'intercession 
de  la  Mère  de  Dieu,  le  salut  de  la  France,  la  conversion  des  pécheurs,  la 
persévérance  des  j  ustes,  enfin  la  grâce  d'une  bonne  mort  pour  tous  les  associés. 

Cette  œuvre  pleine  d'actualité  fut  goûtée  par  tous,  autorisée  par  l'évê- 
que,  érigée  par  le  Saint-Siège  en  archiconfrérie  et  enrichie  de  nombreuses 
indulgences  à  toutes  les  fêtes  de  la  sainte  Vierge.  Le  sanctuaire,  centre  de 
la  pieuse  association,  devint  un  lieu  de  pèlerinage.  Les  neuvaines  de  messes 
et  de  prières  s'y  succédèrent,  et  les  communions  s'y  firent  de  plus  en  plus 
nombreuses.  Les  progrès  de  l'archiconfrérie  nouvelle  furent  si  rapides  que, 
dès  le  mois  d'avril  1847,  plus  de  trente  diocèses  lui  avaient  fourni  des  asso- 
ciés ;  bientôt  on  en  compta  dans  tous  les  diocèses  de  France  et  jusque  dans 
les  colonies.  La  plupart  des  évêques  de  France  eux-mêmes  s'y  associèrent  ; 
Vies  des  Saints.  —  Tome  VII.  *2 


658  2  JUILLET. 

et  de  nombreux  ex-voto,  des  cœurs  d'or  et  d'argent,  des  tableaux  et  tablettes 
de  marbre  couvertes  d'inscriptions  vinrent  attester  les  bienfaits  signalés 
de  Notre-Dame  d'Espérance  et  la  reconnaissance  des  fidèles.  Touché  d'une 
extension  si  merveilleuse,  le  directeur  de  l'arcbiconfrérie,  avec  l'agrément 
de  l'évêque,  institua  une  messe  chaque  jour  dans  la  sainte  chapelle  pour  les 
associés  vivants  et  morts;  et  au  mois  de  juillet  1853,  une  belle  statue  de 
Notre-Dame  d'Espérance,  apportée  en  procession  de  la  cathédrale,  fut 
placée  au  sommet  de  la  flèche  du  sanctuaire  vénéré,  à  la  grande  joie  de 
toute  la  ville. 

Extrait  de  Notre-Dame  de  France,  par  M.  le  curé  de  Saint-Sulpice. 


SAINT  OTIiON,  ÉVÊQUE  DE  BAMBERG  EN  BAVIÈRE, 

ET  APÔTRE  DE  LA  POMÉRANIE   (1139). 

Saint  Othon  était  de  Souabe,  région  de  l'ancienne  Allemagne,  située  à  l'ouest  de  la  Bavière,  et  appar- 
tenait, selon  toute  apparence,  à  la  farnille  des  comtes  d'Andechs,  autrement  dit  Heiligenberg.  Dès  sa 
première  jeunesse,  il  trahit  d'heureuses  dispositions  pour  l'étude  des  belles-lettres  et  des  sciences, 
et  sa  douceur,  jointe  à  son  humilité,  lui  attira  l'affection  de  tous  ceux  qui  le  connurent.  11  entra 
dans  la  cléricature,  et  l'empereur  Henri  IV  le  donna  pour  chapelain  à  la  princesse  Judith,  sa  sœur, 
lorsqu'elle  épousa  Boleslas  III,  duc  de  Pologne.  Après  la  mort  de  cette  princesse,  Othon  revint  ea 
Allemagne  et  Henri  le  fit  son  chancelier.  Ce  prince  vendait  les  bénéfices  vacants,  et  les  Papes, 
surtout  Grégoire  VII,  ayant  condamné  cette  conduite  comme  simoniaque,  pour  s'en  venger,  il  lit 
élire  pour  antipape,  en  1080,  Guibert,  archevêque  de  Ravenne.  Othon  s'opposa  fortement  à  ce 
schisme  et  fit  d'énergiques  remontrances  à  l'empereur,  ce  qui  n'empêcha  pas  celui-ci  de  lui  con- 
server son  estime  et  sa  confiance  :  il  le  prouva  en  le  nommant  à  l'évêché  de  Bamberg,  l'an  1103. 
Othon  fit  confirmer  sa  nomination  par  le  pape  Pascal  II  qui  lui  donna  le  pallium.  Le  nouvel 
évêque  ne  négligea  rien  pour  éteindre  le  schisme  qui  désolait  la  chrétienté.  Henri  V,  ayant  succédé 
à  son  père  en  1106,  soutint  le  parti  de  l'antipape  Albert,  successeur  de  Guibert,  ce  qui  ne  l'em- 
pêcha pas  de  donner  de  grandes  marques  de  considération  à  Othon  qui  restait  attaché  au  Pape 
légitime. 

Saint  Othon  fit  plusieurs  fondations  pieuses  qu'il  appelait  des  hôtelleries  sur  la  route  de  l'éter- 
nité. Comme  il  déployait  le  zèle  d'un  missionnaire  pour  la  sanctification  de  ses  diocésains,  Boleslas  IV, 
ayant  fait  la  conquête  de  la  Poméranie,  le  pria  de  venir  évangéliser  les  idolâtres  qui  se  trouvaient 
encore  dans  celte  province.  Le  saint  évêque,  après  avoir  pourvu  à  l'administration  de  son  diocèse 
pendant  son  absence,  se  mit  en  route  à  la  tête  d'un  certain  nombre  d'ecclésiastiques,  traversa  la 
Pologne  et  la  Prusse,  et  pénétra  dans  la  Poméranie  orientale.  11  y  opéra  des  conversions  si  nom- 
breuses et  y  assit  d'une  manière  si  solide  la  religion  de  Jésus-Christ  qu'il  mérita  le  surnom  d'apôtre 
de  ces  contrées. 

En  1125,  il  retourna  à  Bamberg;  mais  les  villes  de  Stettin  et  de  Julien  étant  retombées  dan» 
les  superstitions  païennes,  il  repartit,  en  1128,  pour  la  Poméranie,  et,  après  avoir  rétabli  la  profession 
du  christianisme  dans  ces  deux  villes,  il  alla  travailler  à  la  conversion  d'autres  peuples  barbares, 
ce  qui  l'occupa  plusieurs  années.  De  retour  dans  son  diocèse,  il  y  mourut  fort  âgé,  le  30  juin  1139.. 
II  fut  canonisé  par  Clément  III,  en  1189.  Ses  reliques  furent  placées  dans  une  châsse  qui,  depuis 
la  Réforme,  se  garde  dans  le  trésor  de  l'électeur  de  Hanovre. 

On  le  représente  :  1°  prêchant  la  destruction  des  idoles  ;  2»  faisant  forger  en  clous  des  fers  de 
flèches.  Les  Botlandistes  rapportent  qu'un  armurier  lui  avait  apporté  quantité  de  traits  dont  il 
voulait  approvisionner  les  constructions  élevées  par  l'évêque.  L'homme  de  Dieu  envoya  le  tout  à 
ses  moines  pour  qu'on  en  fit  des  clous  destinés  à  la  toiture  de  l'église. 

Sailli  Olhon  de  Bamberg  est  invoqué  contre  la  morsure  des  chiens  enragés,  et  l'on  bénit  en  son 
nom  du  vin  contre  ce  périL  Les  BoUandisles  qui  rapportent  le  fait  n'en  donnent  pas  la  raison. 

Surlu»  et  les  BoUandiste»,  tome  i«'  de  juillet  ;  —  Cf.  Godescard,  ëd.  de  Bruxelles. 


SAiiNT  OUDOCÉE  OU   OUDOTHÉE,   ÉVÊQUE.  659 


SAINT  OUDOCÉE  OU  OUDOTHÉE, 

TROISIÈME  ÉVÊQUE  DE  LANDAFF,  EN  AKGLETEKRE  (564). 

Saint  Oudocée  eut  pour  père  Budic,  roi  des  Bretons  armoricains,  et  pour  mère  Anaumed,  sœur 
de  saint  Theliau.  Sa  naissance  fut  un  sujet  de  joie  pour  les  Bretons  ;  mais  cet  enfant  n'était  pas 
destiné  à  les  gouverner.  Son  père  et  sa  mère  l'avaient  consacré  à  Dieu,  avant  même  qu'il  fût  né, 
et  le  donnèrent  à  saint  Theliau  qui,  lorsque  la  peste  jaune  fut  entièrement  dissipée,  retourna  dans 
la  Grande-Bretagne  et  y  rassembla  son  troupeau  dispersé.  Sous  ce  maître  habile  dans  la  science 
des  Saints,  le  jeune  prince  eut  non-seulement  une  éducation  soignée,  mais  fut  aussi  formé  à  la 
▼ertu,  et  profita  parfaitement  des  leçons  qu'il  en  recevait.  11  se  distinguait  entre  ses  condisciples 
par  sa  piété  et  ses  talents.  Son  éloquence  surtout  était  remarquable.  Dans  la  suite,  saint  Theliau 
se  voyant  près  de  sa  fin,  désigna  son  neveu  pour  être  son  successeur,  sans  qu'aucune  autre  consi- 
dération que  celle  du  mérite  d'Oudocée,  et  de  l'avantage  des  peuples,  eût  part  au  choix  qu'il  fit  de 
sa  personne. 

Oudocée  fut  sacré  par  le  primat  de  l'église  de  Dorobern,  aujourd'hui  Cantorbéry,  ou,  selon 
d'autres,  par  l'évèque  de  Menew,  primat  de  la  Cambrie,  et  il  fut  reçu  à  Landafî  avec  un  applau- 
dissement général  de  tout  le  monde.  Mouric,  roi  de  Glamorgan,  la  reine  sou  épouse,  les  princes 
leurs  enfants,  et  généralement  tous  les  grands  seigneurs  du  pays,  se  firent  un  plaisir  de  donner  au 
Saint,  dans  celte  cérémonie,  des  témoignages  de  l'estime  qu'ils  faisaient  de  sa  personne.  Le  roi 
même,  pour  marquer  par  des  effets  plus  d'amitié  et  d'honneur  au  nouveau  prélat,  confirma  par  de 
nouvelles  patentes  toutes  les  donations  et  tous  les  privilèges  que  ses  prédécesseurs  avaient  accordés 
à  l'église  de  Landuff. 

Cette  bonne  intelligence  du  saint  prélat  et  du  roi  Mouric  ne  dura  pas  longtemps.  Le  zèle  géné- 
reux du  Saint  ne  put  souffrir  l'injustice  du  prince;  et  la  reconnaissance  qu'Oudocée  avait  de  ses 
bienfaits  ne  l'empêcha  pas  de  le  traiter,  quand  il  le  fallut,  avec  toute  la  rigueur  que  méritait  son 
péché.  Oudocée  jugea  qu'un  mal  extrême  exigeait  un  remède  proportionné,  et  que  des  lénitifs  ne 
feraient  qu'entretenir,  ou  même  augmenter  la  plaie.  Il  assembla  donc  un  synode  des  abbés  et  du 
clergé  séculier  de  son  diocèse,  et  de  l'avis  commun  il  excommunia  solennellement  le  coupable, 
sans  craindre  ni  sa  vengeance  ni  son  pouvoir. 

Le  prince  fut  deux  ans  entiers  sans  songer  à  s'humilier  ;  mais  enfin  la  fermeté  d'Oudocée,  qui 
pendant  tout  ce  temps-là  le  fit  traiter  en  excommunié  public,  triompha  de  son  insensibilité.  Le  roi 
Mouric,  qui  avait  péché  comme  David,  devint  contrit  comme  lui,  et  satisfit  par  une  pénitence  cano- 
nique, dont  les  rigoureuses  lois  n'étaient  pas  encore  abolies,  au  scandale  public  qu'il  avait  donné 
par  son  crime  et  par  son  endurcissement. 

Saint  Oudocée  montra  constamment  le  même  caractère  pendant  tout  le  temps  de  son  épiscopat. 
Toujours  ferme  et  rigide  observateur  de  la  discipline  ecclésiastique,  toujours  doux  et  charitable  à 
l'égard  des  personnes  pénitentes,  toujours  austère  et  rigoureux  dans  son  genre  de  vie,  retiré  dans 
son  monastère,  où  il  contentait  en  liberté  son  amour  pour  la  mortification,  il  consomma,  en  564, 
une  vie  sainte  par  une  sainte  mort,  que  le  martyrologe  anglais  marque  au  deuxième  jour  de 
juillet. 

Extrait  des  Viei  det  Saints  de  Bretagne,  par  Dom  Lobinean. 


SUPPLÉMENT 


XT  JOUR  DE  JUIN 


SAINT  LOTHAIRE  OU  LOYER  S  ÉVÊQUE  DE  SÉEZ. 

Le  corps  de  saint  Lolhaire  fut  inhumé  dans  son  oratoire.  Bientôt  il  s'établit  un  pèlerinage  à 
son  tombeau,  à  cause  des  nombreux  miracles  opérés  par  le  Saint  en  faveur  des  malades  qui  ve- 
naient réclamer  son  intercession.  On  éleva,  près  de  la  chapelle  où  reposait  son  corps,  une  église 
paroissiale  qui  fut  dédiée  sous  le  nom  de  Saint-Loyer.  Lors  de  l'invasion  des  Normands,  la  plus 
grande  partie  des  reliques  du  saint  évêque  fut  transportée  au  monastère  de  Tholey,  dans  le  diocèse 
de  Cologne  ;  cependant  une  petite  partie  fut  laissée  dans  l'ancien  tombeau,  pour  ne  pas  dépouiller 
eiilièrement  le  diocèse  de  Séez  de  ce  précieux  trésor.  Cette  translation  n'empêcha  pas  que  l'église 
et  la  chapelle  du  Saint  ne  continuassent  d'être  en  grande  vénération  dans  ce  diocèse.  On  y  voyait 
accourir  une  foule  de  pèlerins  :  c'était  surtout  à  la  fête  du  saint  Evêque,  célébrée  le  15  juin, 
qu'avait  lieu  le  plus  grand  concours  de  fidèles.  Le  lundi  de  Pâques,  il  venait  aussi  beaucoup  de 
processions  pour  visiter  le  saint  tombeau,  où  il  s'opérait  de  nombreux  miracles. 

L'invention  des  reliques  du  Saint  eut  lieu  le  17  décembre  1673.  Comme  le  tombeau  du  Saint 
était  trop  près  de  l'autel,  Mgr  Forcoal,  évêque  de  Séez,  permit  de  faire  transporter  la  pierre  du 
tombeau  dans  un  autre  endroit  de  la  chapelle.  Voici,  d'après  le  procès-baverl  dressé  à  cette  occa- 
sion et  conservé  dans  les  archives  de  l'évêché,  ce  qu'il  contenait  :  «  Les  deux  os  de  la  mâchoire 
inférieure,  avec  une  partie  de  leurs  alvéoles  ;  une  partie  de  l'os  innominé  ;  un  fragment  de  l'humé- 
rus ;  l'apophyse  anchiroïde  qui  est  attaché  à  l'omoplate  ;  une  dent  mâchelière  ;  une  grande  partie 
de  l'os  fémur  droit,  avec  un  autre  fragment  du  même  os  ;  la  partie  supérieure  de  l'os  cubitus  ; 
une  partie  de  l'os  petrus  du  côté  gauche  ;  plusieurs  fragments  de  côtes;  et  un  os  entier  du  méta- 
tarse ».  Une  partie  de  ces  reliques  fut  enchâssée  dans  deux  reliquaires  que  l'on  plaça  des  deux 
côtés  de  l'autel  de  Saint-Loyer;  l'autre  partie  fut  déposée  à  la  sacristie,  où  elle  resta  jusqu'en  1702, 
mais  depuis  cette  époque  on  ignore  ce  qu'elle  est  devenue.  Les  reliques  placées  sur  l'autel  du 
Saint  furent  reconnues  comme  authentiques  en  1702,  par  Mgr  d'Aquin;  en  1721,  par  Mgr  Barnabe 
Turgot;  en  1741  et  en  1771,  par  Mgr  Néel  de  Christot. 

A  l'époque  de  la  Révolution,  les  saintes  reliques,  en  danger  d'être  profanées,  furent  enlevées 
par  la  famille  le  Got,  de  la  paroisse  de  Saint-Loyer,  qui  conserva  chez  elle  ce  précieux  trésor 
avec  un  profond  respect,  jusqu'au  moment  où  les  églises  furent  rendues  au  culte.  Les  deux  reli-^ 
quaires  ainsi  conservés  furent  remis  sur  l'autel,  des  deux  côtés  du  tabernacle.  Ces  reliques  furent* 
de  nouveau  déclarées  authentiques  par  Mgr  Rousselet,  le  5  novembre  1864.  Le  lendemain,  jour  de 
la  fête  des  samtes  reliques,  un  des  précieux  ossements  du  saint  Evêque  fut  porté  à  la  cathédrale 
de  Séez  et  exposé,  dans  un  beau  reliquaire,  à  la  vénératioa  des  fidèles.  A  cette  époque,  quelques 
parcelles  des  reliques  de  saint  Lothaire  furent  données  à  plusieurs  ecclésiastiques  de  ce  diocèse. 

La  dévotion  à  ce  grand  Saint  est  très-vive  dans  les  environs  d'Argentan,  et  un  grand  nombre 
de  pieux  fidèles,  ayant  eu  recours  à  lui  dans  leurs  maladies,  ont  éprouvé  qu'on  ne  s'adresse 
jamais  en  vain  aux  amis  de  Dieu.  C'est  surtout  pour  les  petits  enfants  et  pour  les  personnes 
atteintes  de  la  fièvre  que  l'on  vient  implorer  avec  succès  sa  protection.  Après  avoir  visité 
l'église  où  sont  conservées  les  précieuses  reliques,  les  pèlerins  n'oublient  pas  de  visiter  la  cha- 
pelle bâtie  sur  l'emplacement  de  l'ancien  oratoire  du  Saint.  Au  fond  de  cette  chapelle  se  trouve 
■la  autel  surmonté  d'une  petite  statue  en  pierre,  très-ancienne,  représentant  saint  Loyer.  Il  porte 
un  manteau  gris,  le  capuchon  et  le  bâton  des  ermites,  et  tient  de  la  main  droite  son  livre  da 
prières,  sur  lequel  il  a  les  yeux  fixés. 

Extrait  des  Vies  des  Saints  du  diocèse  de  Séez,  par  M.  l'abbé  Blin,  curé  de  Durcel. 
1.  Voir  sa  Vie,  au  16  Juin,  t.  vu,  p.  61. 

FIN  DU  TOME  SEPTIÈMB. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


JUIN 


XlVe  JOUR.  Pages, 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 1 

S.  Rufin   et  S.  Valère,  martyrs  dans  le 

Soissonnais 3 

S.  Basile  le  Grand,  archevêque  de  Césa- 

rée,  docteur  de  l'Eglise 6 

Le  V.  Richard,  abbé  de  Saiut-Vannes  de 

Verdun 2t 

S.  Landry,  curé  de  Lansleviilard 22 

XV'  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 24 

SS.  Vite,  Modeste  et  Crescence,  martyrs  à 
Rome 26 

S.  Constantin,  évêque  de  Beauvais 30 

S.  Bernard  de  Menthon,  apôtres  des  Alpes, 
fondateur  des  hospices  du  Saint-Ber- 
nard        33 

S*  Germaine    Cousin,  vierge,   bergère  de 

Pibrac 43 

S.  Abraham,    abbé    de  Saint-Cirgues,  à 

Clerraont 39 

S.  Psalmode  ou  Saumay,  solitaire  dans  le 

Limousin 60 

S.  Landelin,  fondateur  de  Lobbes,  et  pre- 
mier abbé  de  Crespin 61 

S. Lothaire  ou  Loyer,  évêque  de  Séez...      61 

S.  Hilarian,  prêtre  et  martyr  en  Rouergue.      62 

XVIe  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 64 

S.  Ferréol  et  saint  Fréjeux,  fondateurs  de 

l'Eglise  de  Besançon 66 

S.  Quiric  ou  Cyr  et  S*  Julitte,  martyrs, 

patrons  du  diocèse  de  Nevers 72 

S»  Alêne  ou  Aline,  vierge  et  martyre  en 

Brabant 76 

S»  Lulgarde,  vierge  et  religieuse  à  l'ab- 
baye d'Âvwières,  dans  le  Brabant...      79 


Pages. 

S.  Jean-François  Régis,  de  la  Compagnie 

de  Jésus 86 

S.  Similien,  évêque  de  Nantes 101 

S.  Aurée,  évêque  de  Mayence,  S«  Justine, 
sa  sœur,  et  leurs  compagnons  mar- 
tyrs     101 

S.  Aurélien,  évêque  d'Arles  et  confesseur.    102 

XVII'  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 103 

S.  Prior,  évêque  de  Nilrie 106 

S.  Avit  ou  Avy,   troisième   abbé  de  Micy 

ou  Saint-Mesmin,  près  d'Orléans....  107 
S.  Ours,  archidiacre  d'Aoste,  fondateur  de 

la    collégiale   de  Saint-Pierre   et  de 

Saint-Ours 1 H 

S«  Marie,  surnommée  La   Douloureuse, 

vierge  et  martyre 120 

Le  B.  Paul  d'Arezzo,  cardinal,  archevêque 

de  Naples 124 

S.  Simplice,  évêqne  de  Bourges 126 

S.  Veroul  ou  Vorles,  curé  de  Marcenay. ..  126 
S.  Herbaud,  solitaire  au  diocèse  de  Quim- 

per 128 

XVIIIe  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 129 

S.  Marc  et  S.  Marcellien,  martyrs  à  Rome.    130 

Se  Marine,  surnommée  La  Déguisée,  vierge 

et  religieuse  en  Bithynie 134 

S.  Ozanne,   vierge   du    Tiers    Ordre    de 

Saint-Dominique 136 

S.  Cyriaque  et  S«  Paule,   martyrs  à  Ma- 

laga,  en  Espagne 138 

S.  Amaod,  évêque  de  Bordeaux 139 

S.  Fortunat  ou  Fortuné,  évêque  ,  sur- 
nommé le  Philosophe  des  Lom- 
bards      140 

Se  Elisabeth,  vierge,  abbesse  de  Schœ- 
naug,  au  diocèse  de  Trêves 14i 


n 


XIX»  JOUR. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 
Pages. 


XXme  JOUR. 


Pages. 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 142 

SS.  Vital,  Valérie,  Gervais  et  Protais,  pre- 
miers martyrs  de  Milan 144 

S.  Dié  ou  Dieudonné,  évoque  de  Nevers, 
fondateur  de  l'abbaye  d'Ebersmuns- 
ter,  apôtre  des  Vosges 150 

Notre-Dame  du  Val  de  Galilée 154 

Le  B.  Odon ,  abbé   de  Saint-Martin  de 

Tournai,  puis  évêque  de  Cambrai...     156 

S«  Julienne  de  Falconieri,  vierge  à  Flo- 
rence      162 

S.  Jiide,  surnommé  Barsabé,  l'un  des 
soixante-douze  disciples,  martyr  ea 
Arménie 164 

S.  Innocent,  évêque  du  Mans 164 

S.  Ilildegrin,  évêque  de  Cliâlons-sur-Marne, 
en  France,  et  de  Salingestadtet  d'Hal- 
berstadt,  en  Allemagne 165 

XX"  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 166 

S.  Silvère,  pape  et  martyr 168 

S.  Adelbert,  abbé  de  Wissembourg,  pre- 
mier archevêque  de  Magdebourg....  172 

S.  No vat  de  Rome,  confesseur 176 

S«  Gemme,  vierge  et  martyre  à  Saintes..  176 

S.  Laluin,  premier  évêque  de  Séez 177 

S.  Daiii  ou  Bagne,  évêque  de  Thérouanne 

et  patroa  de  Calais 178 

XXlo  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 179 

S.  Euscbe,  évêque  de  Samosale  et  martyr.    181 

S.  Leufroi,  abbé  de  La  Croix,  au  diocèse 

d'Evreux 186 

S.  Louis  de  Gonzague,  de  la  Compagnie 

de  Jésus 192 

S.  Térentius  ou  Tertius,  évêque  d'Iconium 
et  martyr;  saint  Jésus,  surnommé  Le 
Juste,  évêque  d'Eleulhéropolis;  saint 
Artémas,  évêque  de  Lystre 204 

S.  Alban,  martyr  à  Mayeuce 204 

S.  Méen  ou  Méveune,  abbé  du  monastère 

de  Saint-Jean-Baptiste  de  Gael 205 

S.  Raoul,  archevêque  de  Bourges 205 

XXlIe  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 206 

Les  dix  mille  soldats  crucifiés  sur  le  mont 

Araralh 209 

S.  Alban,  premier  martyr  d'Angleterre...  213 

S.  Paulin,  évêque  de  Noie 223 

S»  Rolrude  ou  Olrude  de  Thérouanne,  vierge  233 

Le  B.  Lambert,  quarantième  abbé  de  Saint-  234 

Berlin,  au  diocèse  d' Arras 234 


Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 235 

S«  Edeltrude  ou  Ediltrude,  reine  d'Angle- 
terre, vierge  et  abbesse  d'Ely 237 

S.  Liébert,  évêque  de  Cambrai  et  d'Arras.    239 

La  B»  Marie  d'Oignies,  recluse 252 

La  B"  Christine  de  S/o?H?Ke/ej2,  viei.  ■, 

religieuse  à  Cologne _..,; 

XXIV»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 259 

S.  Jean-Baptiste,  précurseur  du  Messie...  2GI 
Notre-Dame  des  Miracles,  à  SaintrMaur 
les  Fossés,  au  diocèse  de  Paris  ;  No- 
tre-Dame de  la  Délivrande,  au  diocèse 
de  Coutances;  Notre-Dame  de  la 
Croix,  au  diocèse  de  Toulouse  ;  No- 
tre-Dame de  Larmor,  au  diocèse  de 

Vannes 319 

S.  Siniplice,  évêque  d'Autun 322 

Le  B.  Jean,  berger  à  Monchy-le-Preux, 
aa  diocèse  d'Arras 323 

XXV»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 324 

S»  Fébronie,  vierge  et  martyre  en  Syrie..  326 
S,  Antide,  évêque  de  Besançon  et  martyr.  338 
S.  Prosper  d'Aquitaine,  docteur  de  l'Eglise, 

et  saint  Prosper,  évèquc  de  Reggio.  344 
S«  Thècle  ou  Tygre  de  Maurienne,  et  évan- 

gélisalion  de  celte  vallée 351 

S.  Guillaume  de  Monte-Vergine,  fondateur 

de  la  Congrégation  religieuse   de  ce 

nom 358 

S.  Maxime,  évêque  et  patron  de  Turin...  361 
S,  Gobard  ou  Guichard,  évêque  de  Nantes.  362 
S.  SaloBQon,  roi  et  martyr  en  Bretagne. . .    362 

XXV1«  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 363 

S.  Jean  et  S.  Paul ,  frères ,    martyrs   à 

Rome 365 

S.  Maxence  ou  Maixent,  abbé  du  monas- 
tère de  ce  nom,  au  diocèse  de  Poi- 
tiers       370 

S.  Saulve  et  S.  Super,  son  compagnon, 
martyrisés  à  Beuvrage,  près  Valen- 
cienues 371 

S.  Antheime,  septième  général  des  Char- 
treux et  quarante-sixième  évêque  de 
Belley 375 

S.  Hilaire,  évêque  de  Poitiers  (fête  de  la 
translation  des  reliques  de) 383 

XXVII«  JOUR. 
Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordre» 


TABLE  DES 

Pages. 
religieux.  Divers 385 

S.  Crescent,  disciple  de  saint  Paul,  fon- 
dateur de  l'Eglise  de  Vienne,  en  Dau- 
Pfiiné 387 

S.  Emilien  ou  Emiland,  évoque  de  Nantes, 

héros  et  martyr 389 

S.  Ladislas  lar,  roi  de  Hongrie 395 

XXVUIe  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 400 

S.  Irénée,  évoque  de  Lyon 402 

S.  Léon  II,  pape 417 

S.  Plularque  et  S»  Potamienne,  martyrs  à 

Alexandrie 418 

S.  Paul  1er,  pape ['[  4^9 

XXIX»  JOUR. 
Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 


HÀTIËRES.  m 

Pages, 

religieux.  Divers 425 

S.  Pierre,  prince  des  Apôtres,  papê'Vt 

iMarty 422 

S.  Paul,  apôtre  des  Gentils  et  martyr 461 

S.  Marcel  et  S.  Anastase,  martyrs,  patrons 

d'Argenton,  au  diocèse  de  Bourges..  512 

XXX»  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 514 

S.  Martial ,  apôtre ,  premier  évèque  de 

Limoges,  et  Notre-Dame  de  Ceignac.  516 
S.  Bertrand  ou  Bertichramn,  évêque  du 

Mans 529 

Se  Adilie  ou  Adile,  vierge  et  abbesse,  en 

Brabant 544 

La  B.  Adalsende,  religieuse  à  Ilamay  et 

S»  Clotsende,  abbesse  de  Marchiennes.    544 


JUILLET 


PREMIER  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 545 

S.  Aaron,  grand  prêtre  des  Hébreux  et 
frère  de  Moïse 548 

S.  Thierry,  abbé  du  Mont-d'Hor,  au  dio- 
cèse de  Reims 550 

S.  Calais  ou  Karilef,  premier  abbé  d'Ani- 
sole,  dans  le  Maine 556 

S.  Gai  I*',  moine  à  Cournon,  évèque  de 

Clermont,  en  Auvergne 563 

S.  Léonore  ou  Lunaire,  évêque  région- 

naire  en  Bretagne 565 

S.  Siméon,  surnommé  Salus  ou  Flnsensé, 

solitaire  du  Mont-Sinaï 568 

S.  Cybard  ou  Eparque,  solitaire,  au  dio- 
cèse d'Angouiême 575 

S.  Ruraold  ou  Rombaud,  évêque  et  mar- 
tyr, patron  et  apôtre  de  Malines 582 

S.   Thibaut  de   Provins,   de  l'Ordre  des 

Camaldules,  prêtre  et  ermite  en  Italie.    583 

Notre-Dame  de  Bonne-Délivrance,  à  Paris.    591 

Notre-Dame   du  Marais,  à  Fougères,  au 

diocèse  de  Rennes 594 

Notre-Dame  de  Lorette,  à  Lille,  au  dio- 
cèse de  Cambrai 596 

S.  Domitien,  abbé,  fondateur  de  Saint- 
Rambert  de  Joux ,  au  diocèse  de 
Belley 597 

S.  Fleuret  ou  Florez,  évêque  régionnaire 

de  la  contrée  de  l'Auvergne 598 

S.  Goulven,  évêque  de  l'ancien  siège  de 


Léon,  en  Bretagne S99 

Ile  JOUR. 

Martyrologes  Romain,  Français,  des  Ordres 

religieux.  Divers 600 

Visitation  de  la  sainte  Vierge  à  sainte  Eli- 
sabeth      603 

S.  Processe  et  S.   Martinien,  martyrs  à 

Rome 612 

Se  Monégonde,  recluse  à  Chartres,  puis  à 

Tours 615 

Notre-Dame  de  la  Treille,  à  Lille,  au  dio- 
cèse de  Cambrai 618 

Notre-Dame    des  Voirons,    à  Boëge,  au 

diocèse  d'Annecy... 625 

Notre-Dame  de  Vassivière,  en  Auvergne, 
au  diocèse  de  Clermont 631 

Notre-Dame  de  Verdelais,  au  diocèse  de 

Bordeaux 642 

Notre-Dame  d'Etang,  au  diocèse  de  Dijon.    646 

Notre-Dame  d'Aix  et  des  Eaux,  à  Aix-les- 

Bains,  au  diocèse  de  Chambéry 648 

Notre-Dame  de  Torcé,  au  diocèse  du  Mans.    651 

Notre-Dame  d'Esquermes,  au  diocèse  de 

Cambrai 653 

Notre-Dame  du  Chêne ,  au  diocèse   de 

Laval 655 

Notre-Dame  de  la  Font-Sainte,  au  diocèse 

de  Saint-Flour 656 

Notre-Dame  d'Espérance,  à  Saint-Brienc.     637 

S.  Othon,  évêque  de  Bamberg,  en  Bavière, 
et  apôtre  de  la  Pomérauie 658 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 


A  Pages. 

8.  Aaron,  grand  prêtre  des  Hé- 
breux et  frère  de  Moïse 1"  juil.  548 

S.  Abraham ,  abbé  de  Saint-Cir- 

gues,  à  Clermont IS  juia    59 

La  6»  Adalsende,  religieuse  à  Ha< 
may,  et  S»  Clolsende,  abbesse 
de  Marchiennes 30    —    544 

S.  Adeibert ,  abbé  de  Wissem- 
bourg,  premier  archevêque  de 
Magdebourg 20    ~    172 

S»  Adile  ou  Adilie,  vierge  et  ab- 
besse en  Brabant 30    —    544 

S«  Adilie  ou  Adile,  vierge  et  ab- 
besse en  Brabant 30    —    544 

S.  Alban,  martyr  à  Mayence....  21    —    204 

S.  Alban,  premier  martyr  d'Angle- 
terre  22    —    213 

S*  Alêne  ou  Aline,  vierge  et  mar- 
tyre en  Brabant 16    —     76 

S«  Aline  ou  Aiène,  vierge  et  mar- 
tyre en  Brabant 16    —     76 

S.  Amand,  évèque  de  Bordeaux..  18    —    139 

S.  Anastase  et  S.  Marcel,  martyrs, 
patrons  d'Argenton,  an  diocèse 
de  Bourges   29    —    512 

S.  Anthelme,  septième  général  des 
Chartreux  et  quarante-sixième 
évêque  de  Belley 26    —    375 

S.  Antide,  évèque  de  Besançon  et 

martyr 25    —    338 

&  Arlémas,  évèque  de  Lystre , 
S.  Térentius  ou  Tertius,  évê- 
que d'Iconium  et  martyr,  et 
S.  Jésus,  surnommé  le  Juste, 
évèque  d'Eleuthéroj)olis 21    —    204 

5.  Aurée,   évêque  de  Mayence, 

S»  Justine,  sa  sœur,  et  leurs 

compagnons,  martyrs 16    —    101 

8.  Aurélien,  évèque  d'Arles  et  con- 
fesseur   16    —    102 

6.  Avit  ou  Avy,  troisième  abbé  de 

Micy  ou  Saint-Mesmin,  près 

d'Orléans 17    —    107 

S.  Avy  ou  Avit,  troisième  abbé  de 
Micy  ou  Saint-Mesmin,  près 
d'Orléans 17    —    107 


S.  Bagne  on  Bain,  évèque  de 


Pages. 
Théronanne  et  patron  de  Ci> 
Jais 20  juin  178 

S.  Bain  «u  Bagne ,  évêque  de 
Thérouanne  et  patron  de  Ca- 
lais  20    —    178 

S.  Basile  le  Grand,  archevêque  de 

Césarée  et  docteur  de  l'Eglise  14    —       6 

S.  Bernard  de  Menthon,  apôlre  des 
Alpes,  fondateur  des  hospices 
du  Saint-Bernard 15    —      33 

S.  Bertichramn  ou  Bertrand,  évê- 
que du  Mans 30    —    529 

S.  Bertrand  ou  Bertichramn,  évê- 
que du  Mans 30    —    529 


S.  Calais  ou  Karilef,  premier  abbé 

d'Anisole,  dans  le  Maine....  l"juill.  556 

La  B'  Christine  de  Stommelen, 

vierge,  religieuse  à  Cologne.  23  juin  258 

£•  Clotsende,  abbesse  de  Mar- 
chiennes, et  la  B«  Adalsende, 
religieuse  à  Hamay 30    —    644 

S.  Constantin,  évêque  de  Beauvais  15    —      30 

SS.  Crescence,  Vite  et  Modeste, 

martyrs  à  Rome 15    —     26 

S.  Crescent,  disciple  de  S.  Paul, fon- 
dateur de  l'Eglise  de  Vienne, 
en  Dauphiné 27    —    387 

S.  Cybard  ou  Eparque,  solitaire, 

au  diocèse  d'Angoulême  ....  1«'  juil.  575 

S.  Cyr  ou  Quiric  et  S»  Julitte, 
martyrs,  patrons  du  diocèse 
de  Nevers 16  juin    72 

S.  Cyriaque  et  S»  Paule,  martyrs 

à  Malaga,  en  Espagne 18   —    138 

D 

S.  Dié  on  Diendonné,  évêqne  de 

Nevers,  fondateur  de  l'abbaye 

d'Ebersmunster,  apôtre   des 

Vosges 19    —    150 

S.  Dieudonné  ou  Dié,  évêque  da 

Nevers,  fondateur  de  l'abbaye 

d'Ebersmunster,   apôtre   des 

Vosges 19    —    150 

Les  Dix  mille  soldats  crucifiés  sur 

le  mont  Araratb 22    •«    209 


VI 


TABLE  ALPHABETIQUE. 
Pages. 


6.  Domitien,  abbé,  fondateur  de 
Saint-Ratnbert  de  Joux  ,  au 
diocèse  de  Belley 1«'  juil.  597 


B 


S«  Edfiltrude  ou  Ediltrude,  reine 

d'Angleterre ,  vierge  et  ab- 

bessed'Ely 23  juin  237 

S*  Ediltrude  eu  Edeltrude,  reine 

d'Angleterre ,  vierge  et  ab- 

besse  d'Ely 23    —    237 

S«  Elisabeth^  vierge,  abbesse  de 

Schœnaug,    au    diocèse   de 

Trêves 18    —    141 

S.  Emiland  ou  Emilien,  évêque  de 

Nantes,  héros  et  martyr 27    —    389 

S.  Emilien  ou  Emiland,  évêque  de 

Nantes,  héros  et  martyr 27    —    389 

S.  Eparque  ou  Cybard,  solitaire, 

au  diocèse  d'Angoulême l*'  juil.  575 

S.  Eusèbe,  évêque  de  Samosale  et 

martyr 21  Juin  181 


S.  Gai  I«',  moine  k  Cournon,  évê- 
que de  Clermont,  en  Auvergne  1"'  juil.  563 

S«  Gemme,  vierge  et  martyre  à 

Saintes 20  juin  176 

S»  Germaine  Cousin,  vierge,  ber- 
gère de  Pibrac 15    —      43 

SS.  Gervais,  Vital,  Valérie  et  Pro- 
tais ,  premiers  martyrs  de 
Milan 19    —    144 

S.  Gohard  ou  Guichard,  évêque  de 

Nantes 25    —    362 

S.  Goulven,  évêque   de  l'ancien 

siège  de  Léon,  en  Bretagne .  1«'  juil.  599 

S.  Guichard  ou  Gohard,  évêque  de 

Nantes 25  juin  362 

8.  Guillaume  de  Monte-Vergine, 
fondateur  de  la  Congcëgatioa 


religieuse  de  ce  nom. 


Pages 
25  juin  358 


S«  Fébronie,  vierge  et  martyre  ea 

Syrie 25    —    326       S 

S.  Ferjeux  et  S.  Ferréol, fondateurs 

de  l'Eglise  de  Besançon 16    —      66      S, 

S.  Ferréol  et  S.  Ferjeux, fondateurs 

de  l'Eglise  de  Besançon 16    —      66      S 

S.  Fleuret  ou  Florez,  évêque  ré- 

gionnaire  de  la  contrée  de 

l'Auvergne . , 1"  juil.  598 

S.  Florez  ou  Fleuret,  évêque  ré- 

gionnaire   de  la  contrée  de  S. 

l'Auvergne 1"  —    598 

S.  Forlunat  ou  Fortuné,  évêque, 

sui-nommé  Le  Philosophe  des 

Lombards 18  juin  140 

S.  Fortuné  ou  Forttinat,  évêque, 

surnommé  Le  Philosophe  des 

Lombards 18    —    140 


S.  Herbaud,  solitaire,   au  diocèse 

de  Quimper 17    —    128 

S.  Hilaire,  évêque  de  Poitiers  (fête 

de  la  translation  des  reliques 

de) 26    —    383 

S.  Hilarian,  prêtre  et  martyr  en 

Rouergue 15    —      62 

S.  Hildegrin,  évêque  de  Châlons- 

sur-Marne  ,   en    France  ,   de 

Salingestadt  et  d'Halberstadt, 

enAlIemagne 19    —    ICS 


S.  Innocent,  évêque  du  Mans....  19    —    164 
S.  Irénée,  évêque  de  Lyon 28    —    402 


S.  Jean  et  S.  Paul,  frères,  martyrs 

à  Rome 26    —    3G5 

Le  B.  Jean,  berger  à  Monchy-le- 

Preux,  au  diocèse  d'Arras ...  24    —    323 

Jean-Baptiste,   précurseur  du 

Messie 24    —    261 

S.  Jean-François  Régis,  delà  Com- 
pagnie de  Jésus 16    —      86 

S.  Jésus,  surnommé  le  Juste,  évê- 
que d'Eleuthéropoiis;  S.  Té- 

rentius    ou   Tertius,   évêque 

d'Iconium ,    et   S.    Artémas, 

évêque  de  Lystre 21    —    204 

S.  Jude,  surnommé  Barsabé,  l'un 

des  soixante-douze  disciples, 

martyr  en  Arménie 19    —    164 

S®  Julienne  de  Falconieri,  vierge 

à  Florence 19    —    162 

S«  Julille  et  S.   Cyr  ou  Quiric, 

martyrs,  patrons  du  diocèse 

de  Nevers 16    —      72 

S«  Justine  et  S.  Aurée,  évêque  de 

Mayence,  son  fière,  et  leurs 

compagnons,  martyrs 16    —    101 


S.  Earilef  ou  Calais,  premier  abbé 

d'Anisole,  dans  le  Maine....  1«»  juil.  556 


S.  Ladislas  I«',  roi  de  Hongrie . .  27  juin  395 
Le  B.  Lambert,  quarantième  abbé 

de  Saint-Bertin,  au  diocèse 

d'Arras 22  —  234 

S.  Landelin,  fondateur  de  Lobbes, 

et  premier  abbé  de  Crespin..  15  —  61 

S.  Landry,  curé  de  Lanslevillard.  14  —  22 

S.  Latuin,  premier  évêque  de  Séez  20  —  177 

S.LéoûU,pape 28  —  417 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


vn 


Pages. 
S.  Léonore  on  Lunaire,  évëqne 

régionnaire  en  Bretagne !•' jnil.  565 

S.  Leufroi,  abbé  de  La  Croix,  au 

diocèse  d'Evrenx 21  juin  186 

S.  Liébert,  évêque  de  Cambrai  et 

d'Arras 23    —    239 

S.  Lotbaire  ou  Loyer,  évêque  de 

Séez 15    —     61 

S.  Louis  de  Gonzague,  de  la  Com- 
pagnie de  Jésus 21    —    192 

S.  Loyer  ou  Lothaire,  évêque  de 

Séez 15    —      61 

S.  Lunaire  ou  Léonore,  évêque 

régionnaire  en  Bretagne  ....  1«»  juil.  5C5 
S«  Lutgarde,  vierge  et  religieuse 

à  l'abbaye  d'Aywières,  dans 

le  Brabaat 16  Joia    79 


S.  Maixent  ou  Maxence,  abbé  du 
monastère  de  ce  nom,  au  dio- 
cèse de  Poitiers 26    —    SIO 

S.  Marc  et  S.  Marcellien,  martyrs 

à  Rome 18    —    130 

S.  Marcel  et  S.  Anastase,  martyrs, 
patrons  d'Argenton,  au  diocèse 
deBouiges 29    —    512 

S.  Marcellien  et  S.  Marc,  martyrs 

à  Rome 18    —    130 

S«  Marie,  surnommée  La  Doulou- 
reuse, \\eTge  et  mdiTi'^rt 17    —    120 

La  o"  Marie  d'Oignies,  recluse...  23    —    252 

S»  Marine,  surnommée  La  Dégui- 
sée, vierge  et  religieuse  ea 
Bithynie 18    —    134 

S.  Martial,  apôtre,  premier  évêque 
de  Limoges,  et  Notre-Dame 
deCeignac 30    —    516 

S.  Martmien  et  S.  Processe,  mar- 
tyrs à  Rome 2  juil.  612 

S.  Maxence  ou  Maixent,  abbé  du 
monastère  de  ce  nom,  au  dio- 
cèse de  Poitiers 26  juin  370 

S.  Maxime,  évêque  et  patron  de 

Turin 25    —    361 

S.  Méen  ou  Mévenne,  abbé  du 
monastère  de  Saint-Jean-Bap- 
tiste de  Gael 21    —    205 

S.  Mévenne  ou  Méen,  abbé  du 
monastère  de  Saint-Jean-Bap- 
tiste de  Gael 21    —    205 

SS.  Modeste,  Vite  et  Crescence, 

martyrs  à  Rome 15—26 

S»  Monégonde,  recluse  à  Chartres, 

puis  à  Tours 2  juil.  615 

N 

Notre-Dame  d'Aix  et  des  Eaux,  k 

Aix-les-Bains,  au  diocèse  d« 

Chambéry 2    —    648 

Notre-Dame  de  Bonne-Délivrance, 

iParis !•»  -   Wl 


Pages. 

Notre-Dame  de  Ceignac  et  S.  Mar- 
tial, apôtre,  premier  évêque 
de  Limoges 30  juin  516 

Notre-Dame  du  Chêne,  au  diocèse 

de  Laval 2  juil.  655 

Notre-Dame  de  la  Croix,  au  dio- 
cèse de  Toulouse 24  juin  319 

Notre-Dame  de  la  Délivrande,  au 

diocèse  de  Coutances 24    —    319 

Notre-Dame  d'Espérance,  à  Saint- 

Brieuc 2  juil.  657 

Notre-Dame  d'Esquermes,  au  dio- 
cèse de  Cambrai 2    —    653 

Notre-Dame  d'Etang,  au  diocèse 

de  Dijon 2    —    646 

Notre-Dame  de  la  Font-Sainte,  au 

diocèse  de  Saint-Flour 2    —    656 

Notre-Dame  de  Larmor,  au  diocèse 

de  Vannes 24  juin  319 

Notre-Dame  de  Lorette,  à  Lille, 

au  diocèse  de  Cambrai 1"  juil.  596 

Noire-Dame  du  Marais,  à  Fougères, 

au  diocèse  de  Rennes i"  —    594 

Notre-Dame  des  Miracles,  à  Saint- 
Maur-Ies-Fossès ,  au  diocèse 
de  Paris 24  juin  319 

Notre-Dame  de  Torcé,  an  diocèse 

du  Mans 2  juil.  651 

Notre-Dame  de  la  Treille,  à  Lille, 

au  diocèse  de  Cambrai 2    —    618 

Notre-Dame  du  Val  de  Galilée ...  19  juin  154 

Notre-Dame  de  Vassivière,  en  Au- 
vergne, au  diocèse  de  Cler- 
mont 2  juiL  631 

Notre-Uame  de  Verdelais,  an  dio- 
cèse de  Bordeaux 2    —    642 

Notre-Dame  des  Voirons,  à  Boëge, 

au  diocèse  d'Annecy 2    —    625 

S.  Novat  de  I\ûme,  confesseur. . .  20  juin  116 


Le  B.  Odon,  abbé  de  Saint-Martin 
de  Tournai,  puis  évêque  de 
Cambrai 19    —    156 

S.  Olhon,  évêque  de  Bamberg,  en 
Bavière,  et  apôtre  de  la  Po- 
méranie 2  juil.  658 

S»  Otrude  ou  Rotrude,  de  Thé- 
rouanne,  vierge 22  juin  233 

S.  Ours,  archidiacre  d'Aoste,  fon- 
dateur de  la  collégiale  de 
Saint-Pierre  et  de  Saint-Ours.  17    —    111 

S»  Ozanne,  vierge,  du  Tiers  Ordre 

de  Saint-Dominique 18    —    136 


S.  Paul ,  apôtre  des  Gentils  et 

martyr 29    —    4G1 

S.  Paul  1<",  pape 28    —    419 

Le  B.  Paul  d'Arezzo,  cardinal,  ar- 
chevêque de  Naples 17    —    124 

S.  Paul  et  S.  Jean,  frères,  mar- 
tyrs à  Rome 26    —    865 


VIII 


TABLE   ALPHABETIQUE. 


18  juin  138 
23  —  223 

S. 

29  —  422 

S, 

s, 

28  —  418 

s 
s 

28  —  418 

17  —  106 

Se  Paule  et  S.  Cyriaque,  martyrs 
à  Malaga,  en  Espagne 

S.  Paulin,  évêque  de  Noie 

S.  Pierre,  prince  des  Apôtres,  pape 
et  martyr 

S.  Plutarque  et  S»  Potamienne, 
martyrs  à  Alexandrie 

S»  Potamienne  et  S.  Plutarque, 
martyrs   à  Alexandrie 

S.  Prier,  ermite  de  Nitrie 

S.  Processe  et  S.  Martinien,  mar- 
tyrs à  Rome 2  juil.  612 

S.  ProSper  d'Aquitaine,  docteur 
de  l'Eglise,  et  S.  Prosper, 
évêque  de  Reggio 25  juin  344 

S.  Prosper,  évêque  de  Reggio,  et 
S.  Prosper  d'Aquitaine,  doc- 
teur de  l'Eglise 25  —   344 

SS.  Protais,  Vilal,  Valéfie  et  Ger- 
vais,  premiers  martyrs  de 
Milan 19  —   1*4 

S.  Psalmode  ou  Saumay,  solitaire 

dans  le  Limousin 15   —     60 

Q 

s.  Quiric  ou  Cyr  et  S»  Julitte, 
martyrs,  patrons  du  diocèse  de 
Nevers 16  —     "^2 


S.  Raoul,  archevêque  de  Bourges..  21    —    205 

Le  V.  Richard,  abbé  de  Saint- 
Vannes  de  Verdun 14    —     21 

S.  Rombaud  ou  Rumold,  évêque 
et  martyr,  patron  et  apôtre  de 
Malines i«juil.582 

S»  Rotrude  ou  Otrude  de  Thé- 
rouanne,  vierge 22  juin  233 

S.  Rufin  et  S.  Valère,  martyrs  dans 

le  Soissonnais 14   —       3 

S.   Rumold  ou   Rombaud,  évêque 

et  martyr,  patron  et  apôtre  de  v 

Malines l«juil.582 


S.  Salomon,  roi  et  martyr  en  Bre- 
tagne   25  juin  362 

S.  Sanlve  et  S.  Super,  son  com- 
pagnon, martyrisés  à  Beuvrage, 
près  Valenciennes 26  —  371 

S.  Saumay  ou  Psalmode,  solitaire 

dans  le  Limousin 15    —     60 


Pages;  Pages. 

S.  Silvère,  pape  et  martyr 20  juin  168 

S.   Siméon,  surnommé  Salus  ou 
rinsensé,  solitaire  du   Mont- 

Sinai 1«  juil.  568 

Similicn,  évêque  de  Nantes 16  juin  101 

Simplice,  évêque  de  Bourges.,.  17   —  126 

Simplice,  évêque  d'Autun 24   —   322 

Super  et  S.  Saulve,  son  com- 
pagnon, martyrisés  à  Beuvrage, 
près  Valenciennes 26  —   371 


S.  Térentius    ou  Tertins,   évêqne 

d'iconium  et  martyr;  S.  Jésus, 

surnommé    le   Juste,   évêque 

d'Eleuthéropolis;  S.  Arlémas, 

évêque  de  Lystre 21   —   204 

S.   Tertius   ou    Térentius,  évêque 

d'iconium  et  martyr;  S.  Jésus, 

surnommé    le  Juste,   évêque 

d'Eleuthéropolis,  et  S.   Arté- 

mas,  évêque  de  Lystre 21    —  204 

S«  Thècle  ou  Tygre,  de  Maurienne, 

et    évangélisation     de    celte 

vallée 25   —   351 

S.  Thibaut  de  Provins,  de  l'Ordre 

des  Camaldules,  prêtre  et  er- 
mite en  Italie 1"  juil.  583 

S.  Thierry,  abbé  du  Mont-d'Or,  au 

diocèse  de  Reims 1"  —  550 

S"  Tygre  ou  Thècle,  de  Maurienne, 

et     évangélisation     de     cette 

contrée 25  juin  351 


S.   Valère   et   S.   Rufin,    martyr» 

dans  le  Soissonnais 14  —       8 

SS.  Valérie,  Vital,  Gervais  et  Pro- 
tais, premiers  martyrs  de 
Milan 19   —    144 

S.  Véroul  ou  Vorles,  curé  de  Mar- 

cenay 17  —   126 

Visitation'  de  la    sainte  Vierge  à 

S»  Elisabeth 2  juil.  603 

SS.  Vital,  Valérie.  Gervais  et  Pro- 
tais ,  premiers  martyrs  de 
Milan 19  juin  144 

SS.  Vite,   Modeste   et  Crescence, 

martyrs  ii  Rome 15   —     26 

S.  Vorles  ou  Véroul,  curé  de  Mar- 


cenay. 


17  —    126 


SUPPLÉMENT. 

s.  Lothaire  ou  Loyer,  évêque  de  Séez 


15  juin  600 


FIN  DES  TABLES  DU  TOME   SEPTIÈME. 


Bar-Ie-Duc.  —  Typ.  Schorderet  et  C'. 


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